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Nour-Eddine Boukrouh –
Le doigt et la lune
octobre 15, 2017
«Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par
des charlatans.» Condorcet.
Avant de lancer cette initiative, je n’avais pas exigé le silence absolu dans
les rangs. Si je l’avais fait, j’aurais déclenché un foin de tous les diables.
N’importe qui aurait pu donc en avoir l’idée et le faire avant moi, peut-être
même dans les mêmes formes, mais il se trouve que personne ne l’a eue.
Ai-je commis un péché capital en l’ayant eue et en la traduisant en
actes ? En réalité, je n’ai fait que répondre à l’attente de ceux qui me
pressent depuis des années de proposer des «solutions», au lieu de me
contenter d’analyses et de constats. J’ai promis que je le ferai, l’affaire est
maintenant engagée.
En signant cette initiative conçue pour être déployée dans la durée, car
elle comporte un mode d’emploi pour réaliser son objet – construire une
nouvelle Algérie –, ce n’était pas pour en faire une cité interdite aux
autres, mais pour qu’elle soit identifiée au départ et protégée durant la
phase la plus sensible qui va, comme pour les fusées, de l’instant du
lancement à celui où elle aura atteint sa «vitesse d’échappement».
Une initiative, une démarche, une idée, un projet peuvent être dénaturés
exprès ou par inadvertance, sciemment ou bêtement. Ils peuvent être
parasités sous couvert d’«enrichissement» ou cannibalisés au nom de la
«démocratie». Jamais cette initiative – quand elle aura été dévoilée dans
son intégralité – n’aurait émergé d’un consortium de partis politiques ou
d’une assemblée de «personnalités nationales», même s’ils devaient en
débattre pendant des siècles. Que de fois s’y est-on essayé en près de
trente ans entre partis islamistes, entre partis démocrates, entre partis de
l’Alliance présidentielle, entre partis islamistes et partis démocrates, entre
opposition et pouvoir ?
Pour montrer aux dupes qu’ils sont dans le vrai et que je serais un
récidiviste traînant un «égocentrisme» génétique, ces psychanalystes à la
petite semaine ont exhumé une vieille affaire de plagiat qui aurait opposé
il y a vingt-huit ans le PRA et le RCD. Pour réarmer Saïd Sadi contre moi
et le sortir de la musicographie où il milite actuellement. Ils ont oublié que
si dans le cas du plagiat de mon initiative les preuves sont indéniables,
car encore toutes chaudes, celles relatives au plagiat commis par lui n’ont
pas disparu non plus. Elles sont peut-être sorties de leur mémoire, mais
pas des archives.
L’affaire ayant été ébruitée sur les lieux-mêmes, la presse s’en empara,
avant de l’étouffer quelque temps plus tard. Mais certains journaux
avaient entre temps publié les uns en face des autres les paragraphes
tels que consignés dans le projet de société du PRA («La problématique
algérienne») et tels qu’ils étaient rédigés dans le discours de Saïd Sadi.
C’était du mot-à-mot. Depuis, je n’en ai plus jamais parlé.
Telle est la vérité que nul ni le temps ne peut changer. Elle est à la portée
de quiconque veut consulter les archives de la presse (El-Moudjahid,
Horizons, El-Massa et d’autres de la période allant du 16 au 24 décembre
1989) pour être fixé. On verra alors qui est le menteur et qui a été
complice de mensonge. Du coup, l’arroseur est devenu l’arrosé.
La bonne question qui se pose aujourd’hui est : pourquoi ces attaques
contre moi maintenant, émanant de milieux réputés d’«opposition» et de
quelques journaleux ? A qui profite cette subite levée de boucliers contre
moi, si ce n’est au régime qui se prépare à un autre bail de cinq ans
auquel ne survivra pas l’Algérie ? J’ai montré du doigt le cinquième
mandat, j’en ai appelé à un rejet citoyen de ce projet mortel pour l’avenir
du pays, mais c’est moi qu’on veut abattre, selon le souhait d’Ouyahia,
qui a déploré publiquement qu’on ne fasse pas de moi un «martyr», après
son porte-parole qui avait demandé à la justice de me jeter en prison. Le
problème pour mes dénigreurs, à ce que je vois, n’est ni la lune, ni le
cinquième mandat, mais le doigt qui le montre, «moi» qu’on accuse
d’avoir un ego si monstrueux qu’il pourrait les manger.
La lune est là, au-dessus de nos têtes, disque éclatant de luminosité dans
la nuit noire. Elle est peut-être propice à l’inspiration d’envolées poétiques
à des courtisans qui en dépendent comme les marées terrestres des
mouvements de la Lune, mais dans la réalité, c’est un cinquième mandat
qui tombera un jour sur l’Algérie, l’écrasant une fois pour toutes.
Le danger est là, mais personne ne veut le voir, l’«élite» étant occupée à
faire la chasse au doigt coupable d’avoir pointé le cinquième mandat.
Aucune sagesse n’est apparue, mais seulement et encore une fois la
mentalité de douar bourrée de niaiseries, à l’image de cette histoire de
frères tombés l’un après l’autre dans un puits où se reflétaient des
nuages qu’ils avaient pris pour du coton ayant miraculeusement poussé,
croyaient-ils, au fond de leur puits. Ils en sont tous morts, les Gros-Jean.
J’ai pris connaissance de cette sagesse chinoise, qui est en fait une
citation de Lao Tseu à la fin des années soixante, en lisant un livre de
Roger Garaudy qui en faisait état, et il m’est arrivé de la citer dans mes
écrits du début des années soixante-dix en n’omettant jamais de mettre
les guillemets et d’en indiquer la référence, sans quoi c’eut été du plagiat.
Si je l’avais fait sans respecter ces usages si méprisés dans notre pays à
l’envers, et qu’un Chinois ou un autre lettré m’aurait dénoncé, je n’aurais
pas ajouté à ma malhonnêteté l’imbécillité de lui répliquer : «Toutes les
idées sont dans la nature ! Vous et votre Lao Tseu n’êtes que des
égocentriques, des mythomanes vous prenant pour le centre de
l’univers !»…
N. B.