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École pratique des hautes études,

Section des sciences religieuses

Conférence de M. Pierre Lory


Pierre Lory

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Lory Pierre. Conférence de M. Pierre Lory. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire.
Tome 102, 1993-1994. 1993. pp. 223-228;

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1993_num_106_102_14892

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Histoire des philosophies en Islam

Conférence de M. Pierre Lory


Directeur d'études

1. La science des lettres {'ilm al-hurûf) dans la tradition médiévale

Les conférences du premier semestre correspondaient à la suite du


thème traité l'année précédente, soit la naissance et le développement de
la science ésotérique des lettres dans le chiisme et le soufisme durant le
Moyen-Âge. Après avoir rappelé la problématique de certains lieux
classiques de ces spéculations - l'arithmologie des lettres dans l'ordre
abjad ; les « lettres isolées » du Coran ; la « grande dérivation » exposée
notamment par le grammairien Ibn Jinnî dans le Kitâb al-khasâ'is - on a
poursuivi l'étude des textes principaux portant sur ces questions, selon
l'ordre chronologique des auteurs. Le premier texte étudié fut la Risâla
nayrûziyyafî ma'ânî al-hurûf al-hijâ'iyya d'Avicenne, qui constitue un
cas atypique à la fois dans la littérature sur la science des lettres, et dans
le corpus avicennien lui-même. Avicenne attache la valeur numérique de
certaines lettres aux différentes phases de la cosmogénèse (p. ex
l'instauration de l'Intellect Premier par le Dieu-Créateur vaudra 5, soit la
lettre Hâ') ; puis, par un jeu de multiplications et d'additions défini pour
la circonstance, il lui est loisible d'interpréter les sigles littéraux du Coran
comme des allusions à sa propre cosmologie. Ce bref traité est d'un
intérêt majeur, vu l'ambition de ses démonstrations, mais il est malaisé de
deviner l'ampleur précise qu'Avicenne lui-même souhaitait lui conférer.

La suite des conférences fut consacrée à des textes plus


spécifiquement soufis. Ainsi la Grammaire des cœurs (Nahw al-qulûb) de Qushayrî
(m. 1074) contient-elle certains éléments d'une philosophie du langage,
avec des réflexions, dans la ligne de l'ash'arisme, sur les rapports entre les
mots du langage humain, et ceux que la sagesse divine prééternelle a
adjoint de toute éternité aux choses ; mais son intérêt réside surtout dans
sa tentative de tracer des correspondances entre les règles de la grammaire
arabe, et le parcours spirituel du mystique. Il propose par exemple un
parallèle entre le nominatif (raf) et l'élévation de la volonté spirituelle,

Annuaire EPHE, V' section, 1. 102 (1994-1995)


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entre l'accusatif (nasb) et l'activité du corps dans l'obéissance à Dieu, et


entre le datif (Jchafd) et l'abaissement de l'âme charnelle dans l'humilité
face au Créateur. Les déclinaisons, conjugaisons et différentes règles de
syntaxe sont ainsi rapportées à des données de spiritualité et de dévotion.
L'entreprise de Qushayrî garde des dimensions doctrinales modestes, car il
ne s'agit pas d'un traité de théologie, mais plutôt d'un ouvrage destiné à
aviver la curiosité et la compréhension intuitive des disciples soufis, sans
choquer les musulmans littéralistes par un ésotérisme trop audacieux.

La partie principale des cours de ce semestre fut toutefois constituée


par l'étude des textes d'Ibn 'Arabî consacrés à la science des lettres ; dont,
essentiellement, ceux du deuxième chapitre des Futûhât al-makkiyya. Des
textes choisis furent d'abord analysés dans leur détail, ce qui souligna leur
grande diversité. Ibn 'Arabî ne propose aucunement un « système », mais
donne plusieurs exposés successifs sur les fonctions des lettres de la
langue arabe selon divers aspects de la cosmologie : engendrement des
mondes, répartition des êtres vivants, des repères cosmiques (astraux
notamment). La taxinomie de ces tableaux est variable, elle s'inspire du
mode d'apparition des lettres dans le Coran, de leur forme graphique, de
leur caractère phonétique, de leur valeur numérique etc.. Parfois, les
tableaux sont donnés comme issus d'un « dévoilement » mystique, sans
que la logique extérieure de la classification apparaisse forcément. Parmi
les exemples choisis pour illustrer cette démarche : l'exégèse de la lettre
Alif, du Lâm-Alif et de VAlif-Lâm, du Bâ\ de la basmala, de certains
passages de la Fâtiha enfin. Ces spéculations ont par ailleurs été replacées
dans le cadre plus vaste de la doctrine akbarienne, dans la perspective de
sa doctrine des Noms divins et de l'Homme Parfait en particulier.
Quelques données de doctrinaires soufis postérieurs à Ibn 'Arabî ont été
analysées. Un exposé fouillé de M. Riadh Atlagh sur la science des lettres
chez 'Abd al-Karîm al-Jîlî est venu compléter cette partie du cours.
Dernier soufi - dans l'ordre chronologique - dont l'œuvre a été étudiée :
'Abd al-'Azîz al-Dabbâgh (m. 1719 à Fès) et sa doctrine des sept hurûf,
ainsi que ses interprétations des termes « syriaques » rapportées dans le
Kitâb al-Ibriz d' Ahmad ibn Mubârak.

Les cours de ce premier semestre se sont achevés sur l'étude de deux


amplifications de la science des lettres d'une importance cardinale. La
première est constituée par le mouvement horoufi, né en Iran à la fin du
14e siècle A.D. et qui, malgré les violentes persécutions dont il fut l'objet,
se diffusa au Proche-Orient et y perdura pendant plus d'un siècle. Sa
doctrine sur le langage et les lettres, fondée sur l'identité entre le nom et
la chose nommée, ne présente en soi que peu d'éléments nouveaux par
rapport aux spéculations ésotériques l'ayant précédé, dans le soufisme
(Ibn 'Arabî) comme dans le chiisme duodécimain et ismaélien : une des
innovations les plus notoires y est toutefois l'exhaussement du persan au
rang de langue de révélation. Mais son intérêt principal réside en fait dans
sa prise au sérieux, jusque dans ses ultimes conséquences, de l'idée que
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Dieu crée le monde par la parole, que celle-ci est le soubassement même
de l'être d'où, au sens littéral du terme, une exégèse des phénomènes
naturels - et que la compréhension du sens ésotérique du Coran conduit à
l'éclosion de ce qu'il faut bien désigner comme une nouvelle religion .

Une deuxième dérive importante de la science des lettres fut son


application dans les pratiques de magie et de divination. L'idée que la
lettre du Coran donne accès à de multiples connaissances cachées -
notamment des événements à venir - avait en fait donné lieu très tôt à des
spéculations d'ordre eschatologique ou plus directement politiques dès
les premiers siècles de l'Islam. Puis la conviction que les versets du
Coran pouvaient véhiculer des forces et des vertus (signifiées et portées
notamment par les Noms divins) trouva son application dans la magie
littérale et talismanique, dont quelques textes d'application furent choisis
dans le Shams al-ma'ârif wa-latà1 if al-' awârif d'al-Bûnî (13e siècle
A.D.). On souligna d'ailleurs que cette magie, si utilitaire et confuse
qu'elle puisse paraître parfois, n'est cependant jamais très éloignée de la
mystique proprement dite : ce dont témoignent par exemple les
spéculations sur le Nom Suprême de Dieu, qui donne accès à un pouvoir
magique sans limite, parce que l'initié arrive à situer sa conscience et ses
décisions dans le prolongement exact de la volonté de son Seigneur.

2. Les paradoxes mystiques (shatahât) dans la tradition soufie


des premiers siècles

Le phénomène du shath, qu'à la suite de Henry Corbin (Introduction


au Sharh-e shathiyât de Rûzbehân Baqlî p. 7-19) nous préférons traduire
par « paradoxe mystique », est généralement défini comme un
débordement verbal de la part de soufis qui, subjugués par une expérience
extatique, se mettent à énoncer des phrases inhabituelles, provocantes voire
franchement choquantes. Certaines de ces locutions sont devenues
célèbres : « (La Kaaba), cette idole adorée sur la terre, alors que Dieu n'y
est ni présent ni absent ! » (Râbi'a) ; « Louange à moi, combien grande est
ma puissance ! » (Bastâmî) et bien sûr « Je suis le Dieu- Vrai ! » de Hallâj.
La plupart des auteurs soufis y voient un effet indirect de l'ivresse
mystique et tâchent d'en atténuer la portée religieuse : aussi le shath a-t-il
passé pendant longtemps comme un phénomène marginal voire folklorique
et douteux dans le grand courant de la spiritualité musulmane. Louis
Massignon avait suggéré dans Essai sur les origines du lexique technique
de la mystique musulmane (1922) qu'il n'en était rien, que le shath se
situait au contraire au cœur même de l'expérience unitive du soufi, mais il
n'alla pas plus loin dans l'analyse de ces textes. Paul Nwiya {Exégèse
coranique et langage mystique, 1970), puis Henry Corbin (Introduction au
Commentaire sur les paradoxes des Soufis de Rûzbehân Baqlî, 1981),
insistèrent également sur la portée de ces dires. Enfin, en 1985, Cari Ernst
consacra une monographie à la question, Words ofEcstasy in Sufism.
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II nous a semblé cependant nécessaire de reprendre le questionnement


là où l'avait laissé Ernst. Le travail de ce dernier constitue une synthèse
utile, mais reste cependant d'une ampleur modeste par rapport aux
dimensions du sujet : le corpus des shatahât n'y est mentionné que par
échantillonnage, ne couvre que la période allant du 9e au 12e siècle et
n'aborde pas les phénomènes parallèles de ravissement ou de folie en
Dieu. Il propose en outre une perception et une classification des
paradoxes qui demande à être affinée : il n'est pas sûr en particulier que
le caractère choquant du shath soit vraiment prégnant pour la
compréhension de ce type de parole. Nous avons donc entrepris la
relecture de l'ensemble de la littérature disponible fournissant des textes
de shatahât ou des jugements à leur endroit. Nous avons proposé une
classification de ces dires en neuf grandes catégories, suivant notamment
que leur message porte sur la Loi (sharî'a), la Voie soufie (tarîqa), ou le
vécu du saint réalise {Haqîqa). Et surtout, les différentes étapes du
déroulement des conférences ont tâché de démontrer que le phénomène
du shath est d'une portée tellement vaste qu'il est au fond coextensif à
l'ensemble du discours soufi. En effet, contrairement aux allégations
couramment répandues, la plupart des shatahât n'ont pas été prononcés
dans des moments d'extase ou de perte de contrôle de soi, mais
correspondent à des réponses précises et délibérées à des questions
posées par des disciples sur la voie. Ils ne cherchent pas à exposer une
doctrine, mais à ébranler des idées et attitudes reçues qui font obstacle à
la compréhension spirituelle. Leur contenu apparemment paradoxal et
éventuellement choquant n'a aucun rapport avec un quelconque délire, et
les commentateurs soufis comme Sarrâj ou Baqlî Shîrâzî nous les
expliquent avec aisance. L'on s'aperçoit qu'en fait, c'est l'ensemble du
discours soufi qui se révèle profondément, structurellement équivoque et
donc paradoxal ; la bi-polarité du langage mystique, où le sens « caché »
est en continuelle et indissociable résonance avec l'énoncé « apparent »
reflète la double dimension de la conscience du soufi, uni à Dieu tout en
restant biologiquement et socialement un être de chair et d'os. Le shath
n'est au fond qu'un mode d'expression particulier dans le soufisme,
ponctuel, prononcé dans l'instant, imagé, mais qui s'intègre fort
naturellement dans l'ensemble du courant mystique et n'en diffère par
aucun caractère essentiel.

Les conférences du second semestre ont été pour l'essentiel


consacrées à l' études des shatahât attribués à Abu Yazîd Bastâmî (m. 875).
Bastâmî est en effet le plus ancien maître spirituel dont on a rapporté des
paradoxes, en grand nombre et appuyés par des chaînes de garants
relativement fiables. De plus, il semble avoir poussé l'usage du shath
jusqu'à en faire une méthode d'enseignement qui eut un impact certain,
puisque sa célébrité gagna rapidement l'ensemble du Proche-Orient
musulman - et ce bien qu'il n'ait absolument rien écrit lui-même, ni n'ait
d'ailleurs cherché à diffuser de doctrine. Nous disposons d'un nombre
important de paradoxes bastâmiens, notamment grâce au recueil colligé
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par Sahlajî (m. en 1083), le Kitâb al-nûr min kalimâtAbî Tayfûr ; à quoi
s'ajoutent d'autres paradoxes transmis par la littérature hagiographique
(Kitâb al-luma' de Sarrâj ; Tadhkirat al-awliyây de 'Attâr ; Sharh-e
shathiyyât de Ruzbehân Baqlî en particulier).

Mais le paradoxe mystique n'a pas été l'apanage du seul Abu Yazîd :
le fait a été illustré lors des conférences par l'étude de shatahât attribués
à d'autres grands mystiques. Parmi eux, on trouve non seulement des
extatiques célèbres, comme Abu al-Husayn Nûrî ou Abu Hamza de
Baghdad, mais également des maîtres reconnus pour leur sérieux, leur
pondération, leur envergure spirituelle et doctrinale, comme Dhû al-Nûn
l'égyptien, Sahl Tustarî, Junayd de Baghdad enfin.
Ce cours sera poursuivi durant le premier semestre de l'année 1994-
1995.

Élevés, étudiants et auditeurs assidus : Nasrin Abedini, Sofiane


Ariquet, Kamel Abid, Batoul Azizpour, Aïcha Bayoudh, Nedjewa
Bereksi, Valérie Chebiri, Emily Cottrell, Ahmad Farhat, Martial François,
Ouiza Gallèze, Mahmoud Ghazzali, Ali Rabah Imekhlef, Jaafar
Kansoussi, Fath Khalfaoui, Nora Layadi, Mohammed Misbah, Taous
Mohammadi, Sima Orsini, Victor Palleja de Bustinza, Lwiis Saliba,
France Schott-Billmann, Aziz Soumaré, Djamel Tidjani, Christiane
Tortel, Boulos Wakim, Ali Yousfi, Mahmoud Zaiem, Rachid Zerouati.

Ont participé au cours une partie de l'année : Omar Benaïssa, Pierre-


Alain Claisse, Renée Claisse, Laïla El Kurdi, Abdulaziz Hatip, Claire
Junod, Zine Al Abidine Kourdi, Pierre Liguori, Jérôme Mabru, Ali
Asghar Mazloumirad, Chantai Ponroy, Gholamreza Ramazani, Rho Jae-
Soon, Mohammad Reza Soleymani, Joanna Wronecka.

Publications et activités du directeur d'études

• « Verbe coranique et magie en terre d'Islam » dans Fétiches II -


Puissance des objets, charme des mots, Systèmes de pensée en Afrique
Noire, n° 12, 1993, p. 173-186.
• « Danse de vie, danse de mort dans les courants mystiques
musulmans », dans le Bulletin de l'Association pour le Développement de
VExpression Primitive, n° 9, 1993, p. 9-13.
• « Awhad al-dîn Kermânî » dans Poésie 94, n° 53, juin 1994, p. 38-41.
• Recensions pour le Bulletin Critique des Annales Islamologiques,
Studia Islamica, Abstracta Iranica.

• Conférences : le 18 octobre 1993 au Centre d'Études Européennes de


l'université de Marne-la-Vallée sur « Problèmes de l'Islam
contemporain » ; le 13 janvier 1994 au Centre d'Études des Religions du
Livre (URA 152) sur les « Récits de conversion en mystique musulma-
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ne » ; le 4 juin 1994 à l'Institut National d'Expression, de Création, d'Art


et de Thérapie sur « La syntaxe du corps humain dans les danses soufies ».
• Émissions radiophoniques : à France-Culture, « La matinée des
autres », interventions sur le symbolisme religieux en Islam le 4 octobre
1993 (le vert) et le 17 mars 1994 (le poisson).
• Participation aux jurys de thèse de M. Àdama Hamadou, le 6
novembre 1993 a l'université Michel-de-Montaigne - Bordeaux III
(Naissance et évolution de l'enseignement franco-arabe au Cameroun) ;
de M. Abdel Fattah Lahouani, le 25 novembre 1993 à l'université René
Descartes - Paris V (Morphologie du récit dans le texte coranique. La
sourate de Joseph) ; de M. Mohammed Aiouaz, le 15 juin 1994, à l'EPHE,
section des sciences religieuses (Édition critique partielle, traduction et
commentaire des Ma'ânî al-akhbâr d'Abû Bakr al—Kalâbâdhî).

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