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Les milieux naturels de la Russie

© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-11992-5
EAN: 9782296119925
Laurent TOUCHART

Les milieux naturels de la Russie


Une biogéographie de l’immensité
Ouvrages du même auteur :

Touchart L. (2008) La vie au fil de l’eau. Lacs du monde. Grenoble, Glénat,


160 p. (ISBN 9-782723-464987).
Brunaud D. & Touchart L. (2007) L’étang de Landes de sa création au
classement en réserve naturelle. Guéret, Société des Sciences
Naturelles, Archéologiques et Historiques de la Creuse, collection
« Etudes creusoises », 106 p. Préface de M. le Président du Conseil
Général de la Creuse Jean-Pierre Lozach. (ISBN 978-2-903661-35-9).
Touchart L., Dir. (2007) Géographie de l’étang, des théories globales aux
pratiques locales. Paris, L‟Harmattan, 228 p. (ISBN 978-2-296-02936-
1)
Touchart L. & Graffouillère M., Dir. (2004) Les étangs limousins en questions.
Limoges, Editions de l‟Aigle, 188 p., préfaces de Jean-Paul Bravard et
Françoise Ardillier-Carras. (ISBN 2-9521309-0-6).
Touchart L. (2003) Hydrologie, mers, fleuves et lacs. Paris, Armand Colin,
collection « Campus », 190 p. (ISBN 9-782200-264611).
Touchart L. (2002) Limnologie physique et dynamique, une géographie des lacs
et des étangs. Paris, L‟Harmattan, 395 p. Ouvrage récompensé par le
prix Jules Girard. (ISBN 2-7475-3463-4).
Touchart L. (2000) Les lacs, origine et morphologie. Paris, L‟Harmattan, 210 p.
(ISBN 2-7384-9800-0).
Gautier E. & Touchart L. (1999) Fleuves et lacs. Paris, Armand Colin,
collection « Synthèse », 96 p. (ISBN 9-782200-218300).
Létolle R. & Touchart L. (1998) Grands lacs d’Asie. Paris, L‟Harmattan, 232 p.
Ouvrage récompensé par le prix Francis Garnier. (ISBN 2-7384-7136-
6).
Touchart L. (1998) Le lac Baïkal. Paris, L‟Harmattan, 240 p., préface de
Martine Tabeaud. (ISBN 2-7384-6411-4).
Milieux naturels de Russie

Avant-propos
Provenant d‟I., chef-lieu de l‟oblast du même nom, une Lada à la
carrosserie rayée et sans amortisseur emprunta avec fracas la route du lac.
C‟était l‟une de ces Jigouli antédiluviennes que n‟utilisent plus en Russie que
les hommes de terrain et les géographes pauvres. La voiture était conduite par
deux habitants d‟I. A l‟arrière était assis un jeune homme d‟une vingtaine
d‟années, au visage émacié. C‟était Lavrouchka. Avec la permission de son
directeur de thèse et la bénédiction de son père, pourtant historien, il se rendait à
l‟Académie des Sciences pour faire des recherches en limnologie. Lorsque la
Lada franchit la digue du barrage, le jeune homme se rappela qu‟un an plus tôt,
le jour de Notre-Dame-de-Kazan, alors qu‟il fêtait son anniversaire, il avait pris
une grave décision, l‟une de celles qui engagent pour l‟avenir. Et il s‟abîma
dans ses pensées. Le lac sans fond reflétait déjà l‟épaisse et sombre taïga.

1.Une géographie physique de la Russie est-elle nécessaire ?

Pourquoi commettre une géographie physique de la Russie ? N‟est-il


pas suffisant de dire qu‟elle est le pays des immensités froides et des forêts de
conifères ? Nous pensons que non et nous dirions même qu‟une géographie
naturelle et environnementale détaillée du plus grand pays du monde nous
semble d‟une part utile, d‟autre part ne pas exister en tant que telle en langue
française, à l‟heure actuelle.

1.1. Quel est l’intérêt d’une géographie physique de la Russie ?

Une étude physique de la Russie peut permettre de mieux saisir


l‟évolution des liens entre le territoire et la société russe. Trois périodes, ou
plutôt trois échelles de temps, pourraient être arbitrairement distinguées.
L‟analyse géographique, et non pas seulement philosophique ou sociale, de la
nature en Russie pourrait d‟abord aider à la compréhension de l‟une des
permanences de l‟âme russe ; elle pourrait ensuite s‟attacher à l‟héritage
particulier de structures politiques et socio-économiques collectives, qui ont
profondément marqué les Russes dans leur façon d‟appréhender les milieux
naturel ; c‟est enfin une question brûlante d‟actualité, celle des problèmes
environnementaux à l‟échelle globale, auxquels contribue forcément d‟une large
façon le plus grand pays du monde.

7
1.1.1. L’âme russe chante la nature et le temps long de la géographie

Il est désormais de bon ton d‟affirmer que l‟âme russe n‟est autre qu‟un
poncif. Ce n‟est a priori pas à la géographie physique d‟en discuter, encore que,
si jamais une communauté de pensée, un sentiment d‟appartenance à la Russie
avaient le droit de poursuivre leur chemin, celui-ci viendrait sans doute en
grande partie de la nature. Aksakov, Tourgueniev, Tolstoï, Gogol, Tchekhov,
qui ont chanté la nature russe au dix-neuvième siècle, Valentin Raspoutine, qui
tient ce flambeau aujourd‟hui, portent l‟une des permanences de la littérature
russe. D‟aucuns affirment, avec dédain, que ce lien n‟existe que dans les livres.
Ce ne serait déjà pas si peu ; ce serait dans la pensée d‟une classe d‟écrivains et
de générations de lecteurs. Mais il mérite aussi de chercher cette relation au-
delà.
Quand Mikhaïl Boulgakov quitta Kiev et Moscou pour la Russie
profonde de la région de Smolensk, il se rendit compte que la réalité hors de la
ville existait : « Autour de moi s‟étendait une nuit de novembre tourbillonnante
de neige, la maison était à moitié ensevelie, le vent s‟était mis à hurler dans les
cheminées. J‟avais vécu toutes les vingt-quatre années de mon existence dans
une ville immense et j‟avais toujours pensé que la tempête de neige ne hurlait
que dans les romans. Il se trouvait qu‟elle hurlait également dans la réalité »
(Boulgakov1, 1926). Les milieux naturels de la Russie ne sont pas les éléments
d‟un théâtre, d‟une représentation figurée du lieu où l‟action, qui serait la
société, se produit. « Toute cette nature, chérie de Tourguéniev, de la campagne
russe, n‟est jamais un simple décor ; elle infiltre poétiquement, symboliquement
les péripéties de l‟action, les caractères, et jusqu‟aux conflits idéologiques qui
les oppose » (Flamant2, 1987). La géographie physique n‟est pas un simple
préambule à la géographie humaine de la Russie ; elle est ce pays, le pénètre. Il
s‟agit souvent d‟amour, parfois de viol.
« La terre, on la prend,
la charcute,
l‟écorche,
pour l‟étudier.
Et ce n‟est qu‟une mappemonde minuscule.
Et moi,
C‟est mes côtes qui apprenaient la géographie,
Pas pour rien
Que par terre
Je m‟abattais la nuit » (Maïakovski, 1922, J’aime3).

1
Boulgakov M., 1926, Récits d’un jeune médecin., chap. « Le gosier en acier ». Traduction
française de Paul Lequesne, Lausanne, L‟Age d‟homme, éd. 1994, 160 p.
2
Françoise Flamant dans la préface de Pères et fils aux éditions Gallimard.
3
Strophe « Mon université », traduction française d‟Andrée Robel, 1969, in Lettres à Lili Brik.
Paris, Gallimard, éd. 2003, 319 p.
8
Milieux naturels de Russie
D‟après les critiques littéraires, ce poème de Vladimir Vladimirovitch
est sans doute « son œuvre la plus débordante du bonheur d‟aimer » (Frioux,
2003, p. 62) et il s‟agit « du poème exultant, haletant, heureux » (id. p. 63). La
géographie y est physique, éprouvée dans sa chair. L‟amour physique de la
géographie rejoint l‟amour de la géographie physique et des sorties de terrain
dans le roman d‟Alexeï Ivanov, qui n‟élude pas pour autant, loin sans faut, la
haine, la violence, l‟ambiguïté des relations. « - Mais tu me plais beaucoup,
Mitrofanova. Je veux dire comme fille. […] Ŕ C‟est pour ça que vous avez
besoin de la géographie ? observa Starkov, moqueur. Eh bien, mariez-la,
Mitrofanova, nous, ça nous sert à quoi, la géo ? » (Ivanov4, 2008, p. 45). A tout,
à ne plus pouvoir s‟en passer apprendront les élèves de Perm.
La géographie physique permet de comprendre l‟homme russe en
profondeur, de ne pas rester dans la superficialité. « Si l‟on veut apprendre à
connaître la Sibérie et les Sibériens, il faut apprendre à connaître la taïga, qui
occupe une si grande partie de l‟immense étendue du pays et exerce une si
grande influence sur la vie et les mœurs des habitants » (Stadling, 1904, p. 320).
Une citation centenaire de la Société de géographie, fût-elle suédoise, ravive
fort à propos l‟ombre du déterminisme. Aujourd‟hui que la science
géographique a beaucoup progressé, faut-il nier que les Russes et les Canadiens
luttent contre le froid ? S‟expose-t-on à de terribles critiques, si l‟on écrit que,
« sans vouloir tomber dans le déterminisme béat il est cependant clair que les
Canadiens ont incorporé l‟hiver dans leur univers mental » (Pelletier5, 1995, p.
17) ? La différence de vie entre Verkhoïansk et Paris est-elle uniquement due à
la différence d‟héritage politique et de flux des systèmes bancaires ? Ne saurait-
elle avoir le moindre lien avec les moins 70°C de l‟un et les plus 10 °C de
l‟autre ? Les Russes ont-ils raison d‟opposer parfois la géographie v kabinété et
la géographie v polé ? Cette dernière, la géographie de terrain, est, pour certains,
celle des « feux de camp qui vous font la face rouge en pleine nuit sur les rives
hautes et noires des rivières, l‟air qui tremble à midi sur les rochers brûlants, les
rames qui ploient sous la puissance des bras et les lointains merveilleux qui
s‟offrent au regard lorsque vous avez atteint un sommet. C‟était la géographie la
plus intéressante qui soit Ŕ non seulement pour les élèves, mais aussi pour
Sloujkine » (Ivanov, 2008, p. 59).
« Apprends le latin, le français, l‟allemand, la géographie naturellement,
l‟histoire, la théologie, la philosophie, les mathématiques » conseillait le père
Khistofor à Iégourochka dans La steppe d‟Anton Tchekhov. Nous voulons6 voir

4
Ivanov, A., 2008, Le géographe a bu son globe. Paris, Fayard, 458 p., chap. « Les
stakhanovistes ». Traduction du roman russe de 2005 Guéograf globous propil par M. Weinstein.
5
Pelletier J., 1995, Diversité du Canada. Paris, Masson, 160 p.
6
Nous voulons la voir, car cette double signification n‟existe pas dans le texte russe. Elle nous
incite à penser qu‟il y a aussi un intérêt à étudier, bien au-delà des traductions et des
interprétations des interprètes, la vision de la Russie par la France (voir 1.2.2. de cet avant-
propos).
9
dans la traduction française par Vladimir Volkoff de ce « naturellement » un si
beau double sens, d‟une part celui de l‟évidence d‟une géographie au-dessus de
tout, d‟autre part celui d‟une géographie physique, qu‟il devient un
encouragement à travailler en ce sens.

1.1.2. Y a-t-il un héritage de la géographie physique soviétique ?

Le matérialisme historique de Karl Marx était en partie fondé sur le fait


que l‟Homme est le seul être vivant dont le mode de vie ne soit pas imposé par
la nature ; au contraire il produit lui-même ses moyens d‟existence. L‟ouvrage
Dialectique de la nature soulignait que l‟Homme ne pouvait abolir les lois de la
nature. Ces dernières existent objectivement en dehors de sa volonté. La
domination de l‟Homme sur la nature est une activité utilisant elle aussi les lois
de la nature. Cette philosophie allemande arrivait sur un terrain russe préparé.
Les savants russes de la seconde moitié du dix-neuvième siècle avaient
développé la conception du cosmisme. L‟Homme et tout ce qui l‟entoure7
forment les parties d‟un ensemble unique : le cosmos. Bien entendu, une grande
différence résidait dans l‟importance de la religion dans le cosmisme russe, en
particulier à travers les écrits de Vladimir Serguéïévitch Soloviev, tandis que le
matérialisme dialectique était athée, mais les relations de l‟Homme et de la
nature connaissaient une certaine proximité de pensée. La marche vers la
noosphère de Vernadski et des savants russes, d‟abord biologistes, était
commencée.
La Russie marxiste a tiré de ces courants un lien particulier avec la
géographie physique. Les relations du socialisme soviétique au déterminisme
forment un thème philosophique en soi, que nous n‟avons pas la moindre
compétence pour aborder. Très au-delà de la Russie, J. Lévy, puis J. Pailhé8 ont
théorisé les liens du marxisme et de la géographie française. Chez les
géographes physiciens, Jean Tricart9 a fourni une réflexion à ce sujet. A
l‟échelle de la Russie et, surtout, de ses autres écrits, le cas de Pierre George a
été analysé10. Chez les géographes humains étudiant la Russie, il a pu être écrit
que « le monde communiste, lui, rejette énergiquement la thèse du
déterminisme à l‟égard du milieu physique, insistant sur l‟aptitude de l‟homme
à dominer son milieu. Il est vrai que l‟homme soviétique a voulu relever le défi
du milieu, mais cette attitude n‟est pas un monopole communiste, car les
Canadiens et les Brésiliens, pour ne citer qu‟eux, se comportent de la même
façon » (Cole, 1970, p. 24). « Avec le régime bolchevik, […] une forte
influence scientiste conduisit à des projets orientés vers la domination de la

7
Il s‟agit de la même racine que le mot russe désignant aujourd‟hui l‟environnement.
8
Pailhé J., 2003, « Références marxistes, empreintes marxiennes, géographie française »
Géocarrefour, 78(1) : 55-60.
9
Tricart J., 1965, Principes et méthodes de la géomorphologie. Paris, Masson, 496 p.
10
Pailhé J., 1981, « Pierre George, la géographie et le marxisme » Espaces Temps, 18-19 : 19-29.
10
Milieux naturels de Russie
nature, impliquant ce qui était devenu, dans le vocabulaire, le „Grand Nord‟ »
(Marchand11 P., 2008, p. 6).
Cette question ne sera pas abordée dans notre ouvrage. Nous pensons
cependant que les réflexions françaises à ce sujet pourraient se nourrir d‟un
texte long et détaillé traitant de la géographie physique de la Russie.

1.1.3. De la géographie physique à la géographie environnementale

Le plus grand intérêt actuel de la géographie physique est sans doute


son penchant pour l‟environnement et sa participation majeure au
développement durable. Or, sur les questions de gaz à effet de serre, de rôle
majeur de l‟Arctique, de plus grande forêt du monde à préserver, de puits de
carbone, de biodiversité, d‟accès à la ressource en eau, de pollution, de risques
naturels et technologiques, la Russie est, pour le meilleur et pour le pire, un
acteur essentiel, voire, dans certains domaines, le protagoniste.
Dans ses luttes internes, notamment à travers la « bataille du Baïkal12 »
dès les années 1960, et dans ses prises de position extérieures, par exemple son
soutien à la proposition française d‟écodéveloppement à la Conférence des
Nations Unies de Stockholm en 1972, qui devint sous le nom d‟èkorazvitié une
réflexion sur les conditions devant assurer le progrès social et le fonctionnement
optimal de la sphère écologique, l‟URSS avait participé au cheminement qui
aboutirait à la notion de développement durable. La création du
Goskompriroda, le Comité d‟Etat Soviétique à la Protection de la Nature, par
Mikhaïl Gorbatchëv en 1987, fut un événement important. La nouvelle Russie,
née au même moment que le Sommet de la Terre de Rio, se donna un peu de
temps, dans les années 1990, la formule de Boris Eltsine étant celle de
« pérékhod k oustoïtchivomou razvitiou », la transition vers le développement
durable. En février 2002, quelques mois avant la tenue du sommet de
Johannesbourg, le Conseil de Sécurité russe adopta l‟EDRF, la Doctrine
Ecologique de la Fédération de Russie (Korovkin et Peredel‟skij, 2005). L‟un
des grands apports des années 2000, d‟ailleurs largement discuté en Afrique du
Sud, est celui du partenariat entre le public et le privé dans le domaine de
l‟écologie russe, le mot de partniorstvo, international, de racine étrangère,
remplaçant alors dans les textes russes le terme traditionnel de
sotroudnitchestvo.
A côté des déclarations, des textes, résolutions et décrets, des mesures
concrètes ont été prises, des améliorations ont été apportées, cependant que des
pollutions se poursuivent, des abus continuent, des accidents éclatent. Pour

11
Marchand P., 2008, « La Russie et l‟Arctique. Enjeux stratégiques pour une grande puissance »
Le Courrier des Pays de l’Est, 1066 : 6-19.
12
Qui aboutit à la Résolution du Conseil des Ministres de l‟URSS du 21 janvier 1969 « Des
mesures de protection et d‟utilisation rationnelle des complexes naturels du bassin du lac
Baïkal », puis à celles de 1971 et 1987.
11
toutes ces raisons, les connaissances sur la sphère environnementale de la
Russie, fondée sur la géographie physique, sont indispensables. Sont-elles assez
largement développées en langue française ?

1.2. Une géographie physique française de la Russie existe-t-elle ?

1.2.1 Une ancienne intégration à la géographie régionale

Les ouvrages de langue française qui traitent longuement de la


géographie physique de la Russie, dans le sens du dépassement d‟une centaine
pages, sont, à notre connaissance, au nombre de trois. Le premier est la
Géographie Universelle vidalienne, dont le volume traitant de la Russie était
écrit par P. Camena d‟Almeida. Publié en 1932 chez Armand Colin, il
comprend presque uniquement des références bibliographiques antérieures à
1917. La géographie physique de la Russie d‟Europe est traitée en 62 pages et
celle de la Sibérie en 24 pages. Si l‟on ajoute « l‟Asie centrale russe » (pp. 267
et sq.), ainsi que les développements physiques pour chaque petite région, le
total est conséquent. Il est représentatif de la prestigieuse école française de
géographie régionale, où la part physique était à peu près équivalente à la part
humaine.
Le second ouvrage est le seul de tous à être entièrement consacré à la
géographie physique, en 382 pages. C‟est celui de L. Berg, intitulé les régions
naturelles de l’URSS. Publié en 1941 chez Payot, il s‟agit en fait de la
traduction, effectuée par G. Welter, de l‟ouvrage soviétique édité en 1937,
priroda SSSR. Le titre russe, littéralement la nature en URSS, ne fait pas
mention des régions. D‟ailleurs, le plan est zonal.
Le troisième ouvrage est celui de P. George, l’U.R.S.S., dont la
première édition aux Presses Universitaires de France date de 1947 et la
seconde de 1962. Dans la lignée de la géographie régionale française, les 242
premières pages sont consacrées à la géographie physique, sur un total de 497
pages. Depuis les années 1970, les ouvrages de géographie régionale traitant de
l‟URSS (Cole, 1970, Blanc et Chambre, 1971, Carrière, 1974, Blanc, 1977,
Radvanyi, 1982, 1990), puis de la Russie (Radvanyi, 1996, 2007, Brunet, 1996,
Cabanne et Tchistiakova, 2005, Ciattoni, 2007, Kolossov, 2007, Marchand,
2007, Thorez, 2007, Wackermann, 2007), consacrent en moyenne une huitaine
à une vingtaine de pages13, concises et pertinentes, à la géographie physique et
environnementale, soit, selon la taille du livre et sauf exception14, un dixième à
un quarantième de l‟ensemble.

13
La borne supérieure est en général atteinte à condition d‟ajouter la place consacrée aux
ressources minérales et énergétiques à celle dévolue aux milieux naturels.
14
Quelques autres manuels sur la Russie assument l‟absence totale de passage consacré à la
géographie physique.
12
Milieux naturels de Russie
Deux remarques peuvent découler de ce constat. Si l‟on se réfère aux
ouvrages où la place donnée à la géographie physique est copieuse, il apparaît
un problème d‟ancienneté ; si l‟on se rapporte aux ouvrages récents, la question
de la mise à disposition de détails approfondis se pose, quel que soit le caractère
remarquable de la courte synthèse.
Le problème de l‟ancienneté des ouvrages dévolus à la géographie
physique de la Russie est celui de la non prise en compte des multiples
changements récents de cette science. Sur le plan théorique, on peut citer le fait
que la géomorphologie ne domine plus l‟étude des climats, des sols, de la
végétation, des animaux, des eaux continentales et marines, le fait que les
questions sont maintenant largement abordées sous l‟angle des problèmes
écologiques et environnementaux, ou encore à travers la géographie des risques.
A l‟intérieur même de la géomorphologie, l‟étude des reliefs structuraux est
passée au second plan derrière celle des modelés dynamiques et des héritages
morphoclimatiques. Sur le plan pratique, une grande quantité de nouveaux
résultats de recherche sont tombés. Par exemple, la zone de toundra et du
pergélisol est désormais beaucoup mieux connue. Un autre cas significatif est
celui de la Sibérie et de l‟Extrême-Orient. Aujourd‟hui, cette partie asiatique de
la Russie peut être étudiée à la même échelle que l‟Europe. Les ouvrages de P.
Camena d‟Almeida, L. Berg et P. George, pour lesquels nous ne cherchons pas
à masquer notre admiration, ne pouvaient évidemment pas anticiper cette
évolution.
Si l‟on se réfère aux ouvrages récents, il convient de noter que la
géographie des territoires et des aires culturelles se distingue de son ancêtre
régionale par la place très fortement réduite accordée à la géographie physique.
Nous pensons que la contribution d‟un physicien pourrait être complémentaire.
Les compétences seraient autres ; la démarche serait donc différente. La
géographie physique de la Russie peut ainsi donner lieu à une étude propre, si
l‟on ne considère pas qu‟elle soit subalterne, si l‟on ne pense pas que, comme
l‟écrivait Pouchkine, « vsio èto nizkaïa priroda », « cette nature est trop
vulgaire » (dans la traduction d‟Eugène Onéguine par André Markowicz).

1.2.2. Regards occidentaux et russes portés sur la géographie


physique

Les ouvrages en langue française traitant de la géographie physique de


la Russie ne se ressemblent pas tous. Ceux écrits par des Français ne sont pas
seulement intéressants pour le lecteur francophone parce qu‟ils mettent à sa
disposition des travaux devenant ainsi faciles d‟accès. Ils sont aussi utiles aux
Russes parce qu‟ils leur apportent une vision extérieure. Ceux traduits en
français ont l‟avantage d‟offrir au lecteur francophone un regard russe. Ce
dernier cas est réalisé par l‟ouvrage de Lev Berg. Depuis les années 1940,
cependant, les livres russes sont plutôt traduits en anglais. Après l‟œuvre de S.P.
13
Suslov, rendue en anglais sous le titre de Physical geography of Asiatic Russia,
de nombreux autres volumes ont suivi. Une variante est celle de Russes écrivant
directement en anglais pour diffuser internationalement leur recherche. La
vision n‟est plus tout à fait russe, puisque le plan utilisé se plie aux canons
anglo-saxons, mais elle n‟est pas non plus occidentale. L‟actuel livre de
référence qui ne soit pas écrit en russe, traitant de la géographie physique de la
CEI, est la publication collective dirigée par la climatologue Maria
Shahgedanova sous le titre the physical geography of Northern Eurasia. Ayant
mis à contribution 27 auteurs, dont une majorité de Russes, mais aussi quelques
Anglais, elle offre une vision bigarrée, les chapitres juxtaposés, qui forment les
571 pages, étant très différents les uns des autres.
On peut cependant passer de la bigarrure au mélange à tout instant, tant,
depuis le dix-huitième siècle, le rôle des étrangers dans la science russe a été
important. On sait que cette influence a, historiquement, surtout été allemande,
secondairement française, pour devenir récemment anglo-saxonne. Cela reste un
apport occidental. « Ivan a même des notions de géographie : les paysans
m‟appellent tous l’Allemand, parce que, pour eux, ce mot ne désigne pas un
peuple particulier, mais, d‟une façon générale, tous les étrangers venus de
l‟Occident. Or un jour j‟ai entendu Ivan reprendre un de ses camarades, en
déclarant que je n‟étais pas Allemand, mais Français ; les autres, il est vrai,
n‟ont pas bien saisi la différence » (Legras, 1895, p. 121).
L‟intérêt de ces échanges est que la réciproque est vraie. On connaît par
exemple la très grande influence des travaux russes sur la pédologie mondiale,
sur la science des paysages allemande et européenne et sur la géographie
zonale.
Mais nous pensons que, derrière ces enrichissements mutuels et ces
consensus, ce sont les désaccords et les barrières qui font le plus avancer vers la
nouveauté. Quand Beaupré, l‟incapable précepteur français du jeune Andreï
Pétrovitch Griniov, s‟assoupit ivre mort au lieu d‟instruire son élève, celui-ci en
profite pour faire à sa façon de la géographie. « Il faut savoir qu‟on avait fait
venir pour moi de Moscou une carte de géographie. Elle pendait au mur sans la
moindre utilité et me séduisait depuis longtemps par la largeur et la qualité du
papier. J‟avais résolu d‟en faire un cerf-volant et, profitant du sommeil de
Beaupré, je m‟étais mis au travail. Mon père entra à l‟instant même où
j‟adaptais une queue de filasse au cap de Bonne-Espérance. M‟ayant vu
m‟exercer à la géographie, mon père me tira l‟oreille, puis courut à Beaupré, le
réveilla sans aucune considération et se mit à l‟accabler de reproches »
(Pouchkine, 1836, La fille du capitaine15). A travers ce clin d‟œil littéraire, c‟est
la remise en question de la géographie établie qui est posée, celle qui pense que
le professeur français a forcément raison et l‟élève russe toujours tort.

15
Pouchkine A., 1836, La fille du capitaine. Traduction française de Volkoff V., 1997, Paris, Le
livre de poche, 224 p., chapitre 1 « Sergent de la garde ».
14
Milieux naturels de Russie
Il ne s‟agit aucunement d‟épouser certaines formes de rejet par la
Russie du conseil étranger. Quand Tchatski, ce misanthrope russe du théâtre de
Griboïédov, s‟en prend aux précepteurs étrangers recrutés en Russie, il
s‟exclame :
« Chez nous, à moins de graves peines,
Le premier venu doit passer
Pour historien ou géographe »
(Griboïédov, 1824, Le malheur d’avoir trop d’esprit16).
Mais il ne convient pas non plus de refuser l‟avis de la Russie sur la
France. La lecture de l‟ouvrage russe d‟épistémologie de la géographie écrit par
V.T. Bogoutcharskov (2004) peut à ce sujet donner quelques pistes. La manière
même dont les géographes occidentaux voient la géographie physique de la
Russie est riche d‟enseignement sur notre propre pays, comme une
introspection. Il est peut-être vain de vouloir essayer, en étudiant l‟étranger, ici
la Russie, de développer la critique constructive de son propre pays, la France.
Cet objectif, sans doute impossible à atteindre, est cependant une belle gageure.
Il suffirait à notre bonheur de faire chanceler quelques modes actuelles. Et
Vronski de confier : « je n‟ai jamais regretté tant la campagne, la vraie
campagne russe avec ses moujiks et leurs brodequins d‟écorce, que durant
l‟hiver où j‟ai accompagné ma mère à Nice. C‟est, comme vous le savez, une
ville plutôt triste » (Tolstoï, 1877, Anna Karénine17).

2. Une géographie physique de la Russie structurée en plusieurs


volumes

Pays d‟immenses plaines et plateaux, sauf sur ses marges orientales et


certaines de ses frontières méridionales, la Russie est très peu compartimentée
par ses reliefs, en proportion de sa taille. Il est reconnu, y compris par tous les
géographes français, que les milieux naturels russes se distinguent par la
végétation et les sols avant tout. Cependant, le poids épistémologique de la
géographie physique française, fondée sur la domination écrasante de la
géomorphologie, a eu raison du constat initial.
L‟ouvrage de Pierre Camena d‟Almeida (1932) commence par cette
phrase : « entre les Carpates, la Crimée, le Caucase et l‟Oural s‟étend un
ensemble immense de terres de faibles altitudes, dont la continuité ne se
rencontre nulle part ailleurs en Europe ». Le ton est donné. « Les pentes
insignifiantes » de la deuxième phrase montrent que le relief est un élément très

16
Griboïédov A.S., 1824, censuré jusqu‟en 1831, Le malheur d’avoir trop d’esprit. Traduction
française de Colin M., in Griboïédov, Pouchkine, Lermontov, 1973, rééd. 2003, Œuvres. Paris,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1369 p., Acte Premier, Scène VII.
17
Tolstoï L., 1877, Anna Karénine. Traduction française de Mongault H., 1952, rééd. 2006, Paris,
Gallimard, « Folio », 911 p., première partie, chap. 14.
15
secondaire. Il ne montre rien à voir… Pourtant, le premier chapitre, long et
placé en tête, est consacré au relief.
Encore plus démonstratif, Pierre George (1962, p. 211), explique que
« l‟absence de cadres topographiques dans tout l‟ensemble de la plaine russe ou
dans la plaine de Sibérie occidentale a fait attribuer aux types de sols une valeur
de discrimination géographique ». La géographie physique régionale de l‟URSS
ne pouvait en aucun cas s‟appuyer sur la géomorphologie, puisque celle-ci est
très peu différenciée. L‟auteur soulignait que les critères de découpage spatial
ne pouvaient que reposer sur la pédologie climatique et la biogéographie18…
Pourtant, il décida de consacrer 119 pages à la géomorphologie (pp. 13-132),
presque uniquement structurale, et 19 pages, soit six fois moins et cent pages en
retrait, à l‟ensemble de l‟étude des sols et de la végétation (pp. 211-233).
Cette contradiction mérite d‟être surmontée. Bien que je sois
hydrologue, je consacrerai le premier tome de cette géographie physique de la
Russie à biogéographie et la pédologie, puisque tout le monde s‟accorde à dire
que c‟est le premier discriminant. Et le plan sera zonal, puisque la disposition
des milieux naturels en ceintures latitudinales n‟est nulle part réalisée mieux
qu‟en Russie. Le deuxième volume sera dévolu à l‟hydroclimatologie, à travers
le fil directeur du froid. Le troisième tome traitera de géomorphologie et se
terminera par une synthèse des questions environnementales dans l‟immensité.

3. Les choix éditoriaux en lien avec le russe

Le russe est l‟une des six langues officielles de l‟ONU. Un certain


nombre de documents concernant les questions mondiales d‟environnement
peuvent avantageusement être étudiés dans cette langue, afin de déterminer
certaines nuances, qui dépassent la simple traduction pour puiser dans un
héritage proprement russe. Bien plus, la bibliographie interne à la Russie est
considérable dans tous les domaines, avec une propension à ce que celle qui
traite de géographie physique soit, en proportion de la littérature géographique
dans son ensemble, nettement plus grande qu‟en Occident. Ce n‟est qu‟une
toute petite part qui a été mise à profit ici, cependant suffisante pour déjà éviter
quelques simplifications outrancières parfois propagées dans notre pays, comme
l‟absence de toute réflexion environnementale russe.
Nous avons fait le choix d‟émailler notre texte de nombreux mots
russes. La géographie physique française en a déjà intégré beaucoup depuis
longtemps : la toundra, la taïga, la steppe, le podzol, le tchernoziom, la merzlota
sont parmi les exemples les plus connus, sans compter ceux que les

18
Dans une note publiée dans les Annales de Géographie vingt ans plus tôt, P. George (1942, p.
151) exprimait la même idée de la manière suivante : « il est usuel de suppléer à l‟insuffisance des
contrastes de relief de la plaine russo-sibérienne en faisant reposer la division régionale sur la
nature et la couleur des sols et sur la répartition des grands paysages végétaux ».
16
Milieux naturels de Russie
géomorphologues périglaciaires emploient volontiers, comme boulgounniakh et
naledi. Mais notre volonté a été ici de préciser systématiquement le mot dont
nous parlions. Or, très souvent, l‟acception russe est légèrement différente de la
signification française, comme, par exemple, l‟emploi de l‟espagnol cuesta a
pris un sens particulier en français. Il nous a donc semblé rigoureux, et utile, de
faire référence aux mots russes.
« Et je ressens déjà la gêne,
Je vois mes juges m‟accabler :
Mon pauvre style est bariolé
De trop de termes allogènes »
(Pouchkine, 1823-1830, Eugène Onéguine19).
Une fois ce choix assumé, il restait la question de la transcription de
l‟alphabet cyrillique. Dans le texte rédigé, nous avons préféré la transcription
française coutumière, pour écrire Irkoutsk et non pas Irkutsk, Baïkal et non pas
Bajkal, Pouchkine et non pas Puškin. Quand plusieurs traditions françaises
cohabitaient, nous avons fait le choix de celle qui était la plus proche de la
prononciation russe, pour écrire Novossibirsk et non pas Novosibirsk. En
revanche, la transcription internationale a été préférée pour toute citation
bibliographique, afin de garder la rigueur de chaque lettre cyrillique
correspondant à une lettre latine. Cela peut évidemment provoquer deux
orthographes différentes pour le même auteur, si son idée est évoquée dans le fil
du texte, tandis qu‟une citation précise est reproduite plus loin. Une troisième
orthographe est même possible, voire une quatrième, si l‟auteur en question a
lui-même écrit directement dans une revue anglaise ou allemande, qui a effectué
une transcription de son nom à sa guise. Sans même que nous ayons à
intervenir, le grand climatologue russe peut se trouver Vojeikov, Woeikof ou
Voejkov dans les articles qu‟il a lui-même écrits en français et en allemand,
ajoutés aux articles écrits en russe, ici en transcription internationale.
« Vous le croirez si vous voulez, mais je m‟étonne parfois de ne pas
avoir désappris le russe. En parlant avec vous je me dis : „mais je parle tout de
même bien‟. C‟est peut-être pour cela que je parle tant » (Dostoïevski, 1868,
L’idiot20).

19
Pouchkine A., 1823-1830, Eugène Onéguine. Traduction française de Markowicz A., 2005,
Arles, Actes Sud, 320 p., Chapitre Premier, XXVI.
20
Dostoïevski F.M., 1868, L’idiot. Traduction française de Mousset A., 1953, notes de Besançon
A., 2006, Paris, Gallimard, 783 p., chap. II.
17
4. Remerciements

Le manuscrit de cet ouvrage était clos en octobre 2009. Les mois de


novembre 2009 à janvier 2010 furent consacrés au travail de corrections,
d‟amendements, d‟ajouts de détail, pour répondre aux suggestions des relecteurs
et à quelques nouveautés d‟actualité.
En France, je tiens à remercier bien vivement Monsieur Pascal
Marchand, professeur de géographie à l‟Université de Lyon 2, pour sa relecture
attentive de l‟ensemble du manuscrit, ses judicieuses remarques et la fourniture
de documents concernant les steppes transvolgiennes et les questions de
salinisation des sols. Je tiens aussi à remercier Monsieur Pierre Thorez,
professeur de géographie à l‟Université du Havre pour sa relecture du manuscrit
et ses encouragements. J‟ai plaisir à remercier Monsieur Paul Arnould,
professeur de géographie à l‟Ecole Normale Supérieure de Lyon, pour la
précision rigoureuse de certains concepts biogéographiques généraux et ses
propositions d‟amélioration du manuscrit, en particulier le chapitre de la
toundra.
Je sais gré de l'aide éditoriale apportée par l'EA 1210 Cedete de
l'Université d'Orléans (dir. G. Giroir), en particulier concernant le travail de
mise en page de M. Lee.

En Russie, je remercie chaleureusement tous les collègues et tous les


habitants qui m‟ont si bien reçu lors de mes treize séjours de longue durée de
1991 à 2009. Mes remerciements vont aussi aux collègues des autres pays de
l‟ex-URSS et de la CEI qui m‟ont aimablement accueilli et aidé.
« Est-ce la vérité, ou bien une invention ? […] Ŕ Certainement, c‟est
une histoire inventée. Ŕ Allons ! adieu. Je vous remercie ». « Est-ce une histoire
vraie ou bien est-elle inventée ? […] Ŕ Evidemment de l‟invention. Ŕ Allons, au
revoir, merci beaucoup ». « Tak èto pravda ili tak tolko vydoumano ? […] –
Razouméétsia, vydoumano. – Nou, prochtchaïté. Blagodarstvouïté ».
(Dostoïevski F., 1862, Souvenirs de la maison des morts, chap. 7 « Nouvelles
connaissances Ŕ Pétrof », dans la traduction de Ch. Neyroud pour la première
citation, de H. Mongault et L. Désormonts pour la deuxième).

18
Milieux naturels de Russie

Introduction

Le pays de la zonalité et des grandes forêts de conifères

Les manuels russes de biogéographie, voire de géographie physique


régionale, répètent à l‟envi dans leur chapitre introductif que la flore de Russie
terrestre compte plus de 12 500 espèces sauvages de plantes vasculaires, plus de
2 200 espèces de mousses vraies et d‟hépatiques, environ 3 000 espèces de
lichens, 20 à 25 000 espèces de champignons, cependant que les eaux russes
comprennent 7 à 9 000 espèces de plantes aquatiques. Quant à la faune de ce
pays, elle compte environ 100 000 espèces d‟invertébrés et plus de 1 500
espèces de vertébrés, dont 732 d‟oiseaux et 320 de mammifères
(Abdurahmanov et al., 2003). Il est vrai que certaines d‟entre elles sont uniques
au monde et n‟existent qu‟en Russie. Il est vrai aussi que la Russie a signé dès
1992 la Convention sur la diversité biologique (Konventsia o sokhranénii
bioraznoobrazia) au Sommet de la Terre de Rio. Ce n‟est pourtant pas le plus
important ; il serait en tout cas restrictif et plus biologique que géographique de
s‟arrêter là.
La Russie est en effet aux antipodes de la forêt équatoriale, à l‟opposé
de la luxuriance. Alors pourquoi la connaissance des groupements végétaux de
ce pays, de son peuplement animal et de leurs relations avec les sols et les
autres éléments du milieu est-elle un enjeu important ? Deux grandes
justifications s‟imposent, d‟où découlent tous les autres intérêts. D‟une part la
Russie est immense, d‟autre part ses milieux sont assez proches de leur état
naturel dans une proportion beaucoup plus grande que la moyenne mondiale21
et, a fortiori, celle de la zone tempérée22. Les conséquences de ces deux réalités,

21
« Environ 65 % du territoire de la Russie (plus de 11 millions de km²) sont caractérisés, selon
les critères du programme des Nations Unies pour la protection de l‟environnement, comme
„nature sauvage‟ [dikaïa priroda], formée d‟écosystèmes intacts, c‟est-à-dire qui n‟ont
pratiquement pas été touchés par l‟activité économique et où la bioproductivité et la biodiversité
ont été complètement préservées (au total, cet indice est de 27 % pour le monde). La Russie
concourt à plus du 1/5 des terres émergées ayant des écosystèmes intacts (Danilov-Danil‟jan,
2005, p. 259, en russe). »
22
« On estime que moins de 1 % de la forêt suédoise est encore vraiment naturelle. […] [Dans] la
partie européenne de l‟URSS […] les forêts considérées comme relativement naturelles sont
dominantes dans les taïgas du nord et la moitié septentrionale des taïgas du centre ; elles ne
représentent plus que 50 % plus bas, et tombent à moins de 10 % dans les taïgas du sud »
(Ozenda, 1994, p. 94). Selon les études onusiennes (World Resources Institute, 1994) et celles de
N.B. Léonova et G.N. Ogourééva (2006), les milieux non ou faiblement dégradés par les activités
humaines représentent 57 % du territoire de l‟ex-URSS, contre 15 % de l‟Europe (CEI
européenne exclue).
19
que nous posons en postulats, sont nombreuses en terme économique,
écologique, culturel et géographique au sens strict.
Primo, l‟exploitation des ressources végétales, animales et pédologiques
de la Russie a une importance économique mondiale dans certains secteurs
forestiers que sont l‟exportation des grumes de résineux, de sciages, de fourrure.
Concernant la cellulose et la pâte à papier, l‟importance n‟est qu‟indirecte et
provient surtout de la transformation du bois russe par les industries
scandinaves et finlandaises. Mais il faut aussi compter, en zone de steppe, avec
les productions agricoles sur tchernoziom, qui sont, en tonnages absolus, très
élevées, en particulier la betterave à sucre, le blé et le tournesol. Pour cette
dernière plante, le podsolnetchnik, qui a pris la place de la steppe, on sait que
l‟importance mondiale de la Russie, n‟a jamais été démentie. Au dix-neuvième
siècle, ce furent les Russes qui réintroduirent en Amérique le tournesol. Au
vingtième siècle, ce fut l‟URSS qui sélectionna les principales variétés cultivées
diffusées dans de nombreux pays. C‟est aujourd‟hui la Russie le premier
producteur mondial, cependant que l‟Ukraine, dans la continuité de la ceinture
de tchernoziom, est le deuxième23.
Secundo, la préservation des ressources de la Russie en vie végétale et
animale, tantôt à l‟opposé, tantôt en complémentarité de cette importance
économique, est un enjeu écologique planétaire. Les forêts russes, qui
représentent le quart de la surface forestière mondiale, absorbent chaque année
900 milliards de tonnes de gaz carbonique. La Russie défend l‟idée que, grâce à
elle, l‟effet de serre global est atténué et, en tout cas, la protection du poumon
vert russe concerne le monde entier24. De là à estimer que ce « puits de
carbone » (akkoumouliator ouglérody) peut se négocier par des accords
internationaux concernant les permis d‟émission dans le cadre de l‟après
Kyoto… Cet aspect est pourtant assez peu connu en France, où l‟attention
médiatique, voire scientifique25, est en priorité tournée vers les forêts tropicales.

23
« Des programmes d‟amélioration génétique en Union soviétique mirent au point des cultivars
de tournesol à haut rendement et riches en huile, qui jouèrent un rôle crucial dans l‟expansion de
la production de tournesol en Europe et d‟autres parties du monde entre 1920 et 1970. La
production moderne de tournesol en Amérique du Nord et du Sud (principalement au Canada, aux
Etats-Unis et en Argentine) prit son essor à partir de types de tournesol réintroduits par des
immigrants de l‟Est et de Russie à la fin du XIX e siècle et à partir de cultivars russes importés
après 1960 » (Van der Vossen et Mkamilo, 2007, p. 101). Le cultivar est dit sort par les Russes.
24
Ce sont les liogkie planéty (« poumons de la planète ») de N.B. Léonova et G.N. Ogourééva
(2006, p. 425). Les Nations Unies confirment que « l‟avenir des 850 millions d‟hectares de forêts
tempérées et boréales de la Fédération de Russie […] est important non seulement pour la Russie
mais pour toute la région, en raison du rôle qu‟elles jouent dans la fixation du carbone » (GEO
PNUE, 2002, p. 105).
25
A l‟heureuse exception des travaux de l‟historienne Marie-Hélène Mandrillon et de quelques
autres chercheurs.
20
Milieux naturels de Russie
Certains auteurs réclament donc à juste titre un plus grand intérêt prêté à la taïga
russe26.
Tertio, la Russie a développé, sans contradiction avec l‟importance des
milieux naturels préservés, la plus grande civilisation du bois que la zone
tempérée ait jamais connue (Camena d‟Almeida, 1932, Blanc et Carrière,
1992), qui a marqué la culture russe jusqu‟à une date très récente (Marchand,
2007). Le territoire de la Fédération comprend aussi les descendantes des
principales civilisations turco-mongoles de la steppe. Chez les Kazakhs, les
Kalmouks ou les Bouriates, le nomadisme, disparu dans les faits, redevient une
fierté symbolique27. L‟héritage double, fût-il déséquilibré et en partie
conflictuel, de cultures forestières et steppiques d‟une telle richesse à l‟intérieur
d‟un même pays n‟existe pas autre part qu‟en Russie.
Ultimo, l‟importance géographique de la végétation et des sols de
Russie, fondée à la fois sur l‟immensité et la forte part des aires protégées,
implique la possibilité de suivi, dans un même pays, de gradients zonaux et
continentaux comme nulle part ailleurs dans le monde. Cela ne veut pas dire
qu‟il faille négliger les subdivisions territoriales de la Russie. Mais l‟étude de ce
pays formant 11,5 % des terres émergées à cheval sur deux continents permet
d‟ajouter un niveau de réflexion planétaire au-dessus des régions.

1. Où il est narré comment les savants russes produisent la zonalité à


partir de leurs sols

En tant que pays du monde le plus allongé d‟ouest en est, s‟étirant sur
171°20‟ de longitude, la Russie possède un gradient de continentalité sans
équivalent. Celui-ci s‟intègre cependant dans un découpage géographique en
entités encore plus vastes, d‟un ordre supérieur, les zones. Or la Russie est, avec
l‟Afrique, l‟endroit du monde où la zonalité s‟exprime le mieux, par ses
ceintures (poïassa) de milieux naturels qui s‟allongent dans le sens des
parallèles. En effet, sur de grandes distances, il y a peu de reliefs montagneux

26
Pour l‟ensemble de la forêt boréale, russe et canadienne, Paul Arnould (1991, p. 152) notait
déjà que « la connaissance et la gestion de cet énorme ensemble forestier constitue un des défis
écologiques majeurs du XXIe siècle, tout aussi important que la protection des forêts tropicales ».
Pourtant, Antoine Da Lage et Georges Métailié (2005, p. 531) déploraient encore récemment que
« bien que sa superficie soit légèrement supérieure à celle de l‟ensemble des forêts tropicales
humides, la médiatisation actuelle dont font l‟objet celles-ci fait que l‟on ne reconnaît pas à la
taïga le statut de poumon de la planète ».
27
Les autorités des républiques de Kalmykie et de Bouriatie au sein de la Fédération participent à
cette renaissance. Le cas des Kazakhs de Russie est différent. La République du Kazakhstan,
indépendante, joue de cet enjeu identitaire dans des conditions beaucoup plus prononcées qu‟en
Russie (Laruelle, 2008).
21
perturbateurs. C‟est la géomorphologie plane qui permet l‟épanouissement
d‟une telle zonalité non dérangée28.
Dans ces conditions, il n‟est pas étonnant que la Russie soit à l‟origine
mondiale de la notion même de zonalité dans la géographie contemporaine29,
dans le sens de vastes portions du globe terrestre, de son sous-sol et de son
enveloppe atmosphérique fonctionnant en systèmes, où la végétation, la vie
animale, le sol, le climat, le substrat, les eaux sont interdépendants. Au cœur du
nouveau concept, peu à peu mis en place à partir de la fin du XIX e siècle, se
trouvait la pédologie, cette science neuve30, créée sous le nom de
potchvovédénié par Basile Dokoutchaev, qui considérait le sol comme le creuset
de tous les éléments du milieu en évolution permanente. Bien qu‟il ait été
géologue de formation, Vassili Vassilévitch Dokoutchaev est considéré comme
l‟inventeur de la géographie zonale moderne et de la science des paysages, le
landchaftovédénié, et c‟est ainsi qu‟il est présenté dans les ouvrages russes31
d‟épistémologie de la géographie (Bogučarskov, 2004). Il est vrai que son
approche, de même que celle de ses successeurs, était, à divers titres, très
géographique. Les trois pères mondiaux de la pédologie, V.V. Dokoutchaev,
K.D. Glinka et N.M. Sibirtsev, auxquels il convient d‟ajouter P.A. Kostytchev,
G.N. Vyssotski, L.I. Prassolov, B.B. Polynov, S.S. Néoustrouïev, I.P.
Guérassimov, ont développé une démarche géographique de l‟étude des sols,
fondée sur les interrelations et les emboîtements d‟échelles.
L‟originalité de Basile Dokoutchaev avait été de placer le sol au cœur
d‟un concept qui, sans le nom, était celui d‟écosystème. Tous les éléments
étaient en interdépendance, en interrelation et le sol était le produit de cette
réunion, de cette conjugaison, de cette intégration, qu‟il appelait
sovokoupnost ou sovokoupnaïa déïatelnost (« activité conjuguée »). En outre,
ces éléments sont en évolution permanente. Le sol n‟est pas figé, mais il vit, se
transforme. Cette idée dynamique était sans doute la grande nouveauté

28
« Si le climat est ainsi responsable des grandes divisions naturelles de l‟Afrique, il faut bien
reconnaître que cela est dû pour une part au fait que nous n‟avons affaire qu‟à un relief médiocre,
tout en plateaux et en plaines, et qui ne peut donc en rien gêner ni modifier son action tyrannique.
Nous retrouvons ces régions naturelles d‟origine climatique dans d‟autres zones du globe : telles
sont la forêt sibérienne, les steppes de l‟Asie Centrale, les toundras polaires » (Cholley, 1939-
1940, p. 42). « Il est usuel de suppléer à l‟insuffisance des contrastes de relief de la plaine russo-
sibérienne en faisant reposer la division régionale sur la nature et la couleur des sols et sur la
répartition des grands paysages végétaux » (George, 1942, p. 151, cf. notre avant-propos). Dans
les « plaines, plateaux et moyennes montagnes de l‟Eurasie soviétique, […] la monotonie du
relief permet de mieux dégager les facteurs planétaires qui jouent le rôle essentiel dans la
différenciation des grandes unités bioclimatiques » (Birot, 1970, p. 113).
29
La zonalité de la Grèce ancienne, fondée sur le climat et l‟inclinaison des rayons solaires, ne
sera pas évoquée ici.
30
« La pédologie (de pedon, sol), science particulière qui a pris son essor en Russie, à la fin du
XIXe siècle, notamment avec les travaux de Dokoutchaiev (1846-1903) » (Lacoste et Salanon, p.
77).
31
En France, J. Boulaine (1975, 1989) a insisté sur ce lien entre la pédologie et le paysage.
22
Milieux naturels de Russie
conceptuelle apportée par Vassili Vassilévitch, celle qui relégua la science du
sol ancestrale et propulsa la pédologie moderne, inventée par les Russes32.
La conséquence première de cette nouvelle démarche était l‟élaboration
de la notion de zonalité. En effet, à partir du moment où la caractérisation des
sols est fondée sur le climat et la végétation beaucoup plus que sur la roche-
mère33, le premier niveau de découpage géographique est celui de la zone
bioclimatique. Or, comme le souligne le géographe français Jean Demangeot
(1996, p. 97), « cette zonation bioclimatique se retrouve dans la répartition des
sols, ces merveilleux intégrateurs de nature : ce n‟est pas par hasard que la
pédologie est née, au XIXe siècle, en Russie, là où, précisément, les bandes de
climats et de sols se succèdent avec régularité, de l‟Arctique à l‟Aral ».
La conséquence seconde de cette nouvelle approche était la
formalisation de l‟idée d‟emboîtement d‟échelle. En effet, à partir du moment
où la zone bioclimatique est mise au rang supérieur de la réflexion
géographique, la prise en compte du substrat géologique doit se faire à un
second niveau. Ce fut la création par les pédologues russes de la notion
d‟intrazonalité. Comme le précisait le pédologue français P. Duchaufour (1991,
p. 157), en donnant les équivalents dans le vocabulaire français, « l‟URSS a
conservé le cadre écologique qui a présidé à la naissance de la pédologie, en
distinguant les sols zonaux (climatiques), intrazonaux (stationnels), azonaux
(non ou peu évolués) ».
Pour toutes ces raisons, l‟étude des sols russes a une portée mondiale et
non pas seulement régionale. Dans le troisième volume du traité de géographie
physique d‟Emmanuel de Martonne, qui n‟était autre que le premier grand
manuel français de biogéographie, celui-ci et ses collaborateurs présentaient un
chapitre de typologie des sols. Le plan suivi par les auteurs était éloquent34,
montrant l‟ascendant exercé par la Russie sur la pédologie mondiale. La portée
conceptuelle est doublée de l‟influence du russe sur le vocabulaire scientifique
de la géographie des sols. Encore aujourd‟hui, même certains écoliers français
peuvent évoquer le podzol ou le tchernoziom.
De cette importance de l‟étude des sols de Russie et de la végétation qui
leur est associée, à l‟origine même de la géographie zonale des milieux naturels
et anthropisés, découle le choix que nous avons fait de commencer la

32
« Alors que la „science du sol‟, au sens strict, est très ancienne, la Pédologie […] est une
discipline nouvelle, qui a vu le jour en Russie, à la fin du siècle dernier, sous l‟impulsion de
Dokutchaev et de ses élèves ; le sol n‟est pas un milieu inerte et stable, mais il se forme, se
développe : il évolue sous l‟influence du climat et de la végétation » (Duchaufour, 1991, p. 3).
33
« Ce sont ces altérations, opérées dans des conditions très diverses vu l‟énorme étendue du
pays, qui font que des formations géologiques identiques et de même âge peuvent donner et
donnent souvent en Russie des sols agricoles fort différents » (Camena d‟Almeida, 1904, p. 271).
34
1) « Principes de classification », 2) « Types de sols en Russie » 3) « Autres types de sols des
zones tempérée et subtropicale » 4) « Sols des pays chauds humides » 5) « classifications de
Glinka et Vilensky » (de Martonne et al., 1955).
23
présentation de la géographie physique de la Russie en plusieurs tomes par un
premier volume traitant de la biogéographie et de la pédologie.

2. La zone forestière de la Russie éclipse-t-elle toutes les autres ?

Dans le volume de la géographie universelle consacré à la Russie,


Roger Brunet (1996, p. 263) insiste sur le fait que « le gradient climatique ne se
traduit pas par des effets graduels, mais par la différenciation de grandes formes
végétales et de grands types de sols associés, que l‟action humaine a
probablement encore accusée ». Pourtant, la Russie n‟est-elle pas le pays des
méga-écotones, ces transitions de parfois plusieurs centaines de kilomètres de
largeur entre les grandes formations végétales ? La forêt mixte n‟est-elle
justement pas une vieille création anthropique ? La société russe, en favorisant
les feuillus, n‟a-t-elle pas rendu plus graduel qu‟à l‟état naturel le passage de la
taïga à la steppe boisée ? Les sols gris ne forment-ils pas l‟intermédiaire zonal
entre le podzol et le tchernoziom ? Les terres noires lessivées et podzolisées
sont-elles primaires ou secondaires ? Les oscillations en latitude de la toundra
boisée sont-elles toujours fondées sur le climat ?
La réponse à ces questions n‟est pas simple. Elle a occupé des
générations de géographes russes, parmi lesquels G.I. Tanfiliev, A.N. Krasnov,
V.L. Komarov, A.I. Tolmatchiov, M.I. Neïchtadt, B.N. Gorodkov, V.V.
Aliokhin, V.N. Soukatchiov, E.M. Lavrenko, V.B. Sotchava35 ont peut-être le
plus marqué l‟épistémologie de la biogéographie dans ses rapports avec la
zonation des milieux naturels. En France, le cas russe ne devrait ainsi pas
seulement avoir une portée de géographie physique générale (Demangeot, 1976,
Boulaine, 1989), mais pourrait aussi prendre part à une meilleure assise du
découpage régional, où les formations végétales, les communautés animales et
les sols de la Russie méritent une étude détaillée. C‟était d‟ailleurs sur cette
zonation biogéographique et pédologique que s‟appuyaient les grands
programmes de développement agricole de l‟URSS, dont les héritages sur la
Russie actuelle sont considérables. C‟était d‟abord le programme des « Terres
noires », puis celui des « Terres non noires36 ».

35
Tanfil‟ev, Krasnov, Komarov, Tolmačëv, Nejštadt, Gorodkov, Alëhin, Sukačëv, Lavrenko,
Sočava en transcription internationale.
36
« Dans sa première version (avril 1974), le programme place en tête de ses priorités la
production de céréales alors que la base fourragère et la production animale sont qualifiées de
„principales‟. Il faudra attendre la version de 1985 pour voir clairement affirmée la priorité
donnée à l‟élevage » (Radvanyi, 1990, p. 56). « Le „Programme des terres non noires‟ disparut
doucement des annuaires statistiques au milieu de la décennie 1980 » (Marchand, 2007b, p. 60).
24
Milieux naturels de Russie
La Russie offre, du nord au sud, la succession de cinq grandes ceintures
de végétation et de sol : la toundra sur sol squelettique, la taïga sur podzol, la
forêt de feuillus sur sol gris, la steppe sur tchernoziom et le semi-désert sur sol
châtain clair. Les complications proviennent d‟une part de l‟importance des
écotones, d‟autre part de l‟emboîtement des échelles fondé sur la continentalité,
l‟altitude, l‟influence de la roche-mère, le rôle des hommes.
Si l‟on en reste à la zonation, la particularité russe est sans doute
l‟énorme place prise par ces ceintures de transition que sont la toundra boisée,
la forêt mixte et la steppe boisée. Parfois plus larges que certaines zones elles-
mêmes, elles ébranlent le bien-fondé de la délimitation biogéographique en
fonction de la latitude. Elles posent en tout cas la question des choix du
découpage classique en cinq zones et des éventuels regroupements ou
subdivisions. Selon le but poursuivi, les limites peuvent varier dans des
proportions telles que plusieurs millions de kilomètres carrés soient concernés.
C‟est ainsi que, d‟après le Rapport sur les progrès manifestes concernant la
réalisation des engagements de la Fédération de Russie pour le protocole de
Kyoto (en russe), publié en 2006 par le Ministère du développement
économique et du commerce, le territoire de la Fédération est couvert à 30 % de
toundra. Mais, selon le géographe Anatole Issatchenko, la toundra concerne
19 % de la Russie.
Nous pensons qu‟il y a au moins deux conceptions qui s‟opposent dans
les divers travaux de planimétrie des zones de sol et de végétation à petite
échelle cartographique. Pour certains organismes, le but recherché se trouve être
de souligner l‟importance des contraintes de certaines zones pour la mise en
valeur par la société russe.

Dans ce cas, il semble opportun de regrouper les milieux de désert


polaire, de toundra et de toundra boisée, sous les appellations qui viennent
d‟être indiquées, où les contraintes des ressources végétales, animales et
pédologiques dues au froid permanent du nord sont considérables. A l‟extrémité
méridionale, il peut être convenable de mettre ensemble la steppe sèche et le
semi-désert, où les contraintes d‟aridité et de salinité des sols sont à certains
égards communes. La zone centrale de la Russie apparaît alors comme un
milieu moins contraignant, où la forêt de feuillus et la steppe boisée sont
susceptibles d‟être regroupées, laissant à la taïga un espace de contraintes
moyennes.
Pour fixer les esprits, il est possible de résumer ce découpage zonal en
admettant que la toundra au sens large couvre 30 % du territoire russe, la taïga
50 %, l‟ensemble de la forêt caducifoliée et de la steppe boisée 8 %, la steppe et
le désert 12 %.
Pour d‟autres institutions, le but poursuivi se trouve être d‟insister sur la
nécessaire protection de certains milieux, naturels ou qui, justement, ne le sont
plus beaucoup. Cela peut aboutir à distinguer des espaces très transformés, qui

25
peuvent continuer à profiter de fortes potentialités économiques, d‟autres à
préserver.Dans ce cas, il semble judicieux de regrouper la taïga au sens strict et
la taïga clairsemée de pré-toundra, qui n‟est autre que la toundra boisée ainsi
renommée d‟une manière révélatrice.

Fig. intro 1 : Les zones végétales de la Russie

Dans les deux cas, en effet, l‟arbre est présent, caractérisé par sa faible
productivité, sa lenteur de régénération, son besoin de protection. Il est aussi
opportun de mettre ensemble la forêt de feuillus et la steppe boisée sur sol gris,
où se cumulent une nécessité de protection maximale et d‟assez fortes
potentialités. Il convient enfin de séparer la steppe, aux fortes potentialités
agricoles sans qu‟il n‟y ait plus d‟aires à préserver, du semi-désert, où les
mesures de protection ponctuelles, oasiennes, ne se prennent pas à cette petite
échelle cartographique. Pour fixer les esprits, il est possible de synthétiser ce
découpage zonal en proposant que la toundra couvre 19 % du territoire russe, la
26
Milieux naturels de Russie
taïga au sens large 62 %, l‟ensemble de la forêt caducifoliée et de la steppe
boisée sur sol gris 6 %, la steppe 12 % et le désert 1 %.
En terme de difficulté des cadres de vie, la première conception est
plus parlante ; en terme de besoin de protection des espaces arborés, la seconde
manière de présenter est plus pertinente. La réunion des deux propositions
permet d‟abord de souligner l‟importance des contraintes de l‟espace russe : les
fortes difficultés des cadres de vie de froid, de faible productivité végétale et de
sol très peu fertile en toundra et taïga, les fortes contraintes de sécheresse et de
salinisation des sols en steppe et désert. Finalement, ce sont seulement 3 à 8 %
du territoire russe qui ressemblent à des milieux naturels proches de ceux
d‟Europe de l‟Ouest. Raison de plus pour les étudier en France, où ils sont
méconnus.
La réunion des deux propositions permet ensuite de souligner
l‟importance des espaces boisées en Russie. Certes, les géographes russes sont
habituellement généreux envers la place occupée par la forêt climacique37 et en
particulier la taïga, en y classant d‟une part toute région montagneuse qui a des
étages inférieurs de taïga et des étages supérieurs de pelouse alpine, dite par eux
toundra de montagne, d‟autre part toute sous-zone hybride qui possède quelques
arbres, comme c‟est le cas de la toundra boisée et de la steppe boisée.
Cependant, il est vrai que la forêt, par sa réalité biogéographique et son
importance culturelle, n‟occupe pas une place comme les autres dans la
Fédération de Russie.
A l‟état naturel, le territoire correspondant aujourd‟hui à la Russie était
peu forestier, en comparaison de l‟Europe de l‟Ouest. Les reconstitutions
paléogéographiques permettent d‟estimer que moins des deux tiers du pays
étaient recouverts de forêts. Le chiffre classique, représentant la situation
d‟avant les défrichements, tel qu‟il a été proposé par Vassili Petrovitch
Tsepliaev, est de 62 % de forêts (Cepljaev, 1961). Selon que d‟autres auteurs
prennent en compte tout ou partie de la toundra boisée, de la steppe boisée et de
quelques autres espaces intermédiaires, la proportion peut certes varier assez
sensiblement38. Mais l‟idée générale, dans une fourchette39 allant de 58 % à
70 %, reste la même.

37
Au sens de la superficie qu‟aurait la forêt sans l‟action de la société russe. Le concept lui-même
de climax, qui est à manier avec prudence (Arnould, 1993), ne sera pas discuté ici, bien que la
forêt russe soit concernée par les héritages de la dernière glaciation, qui peuvent provoquer des
différences entre la potentialité offerte par les conditions actuelles et la réalité, même en l‟absence
de l‟action humaine.
38
Cela pose la question de la définition elle-même de la forêt (Arnould, 1991b), qui prend une
certaine ambiguïté en Extrême-Orient Russe.
39
58 % selon le Rapport sur les progrès manifestes concernant la réalisation des engagements de
la Fédération de Russie pour le protocole de Kyoto (en russe), publié en 2006 par le Ministère du
développement économique et du commerce ; 68 % d‟après un traitement personnel des données
d‟Anatoli Grigorévitch Issatchenko en utilisant les critères de définition de Martchenko et
27
Ce n‟est donc que par l‟immensité de son territoire que la Russie
transforme cette proportion assez peu élevée en superficies absolues
considérables. Pour reprendre le chiffre classique de Basile Tsepliaev, le
territoire correspondant à la Russie actuelle comptait à l‟état naturel
10,59 millions de kilomètres carrés de forêts40. Les estimations récentes varient
entre 9,9 (Ministère du développement économique) et 11,825 millions de km²
(Utkin et al., 1995) de forêts dans la situation d‟avant les défrichements.
Or ceux-ci ont été peu importants, n‟ayant fait disparaître qu‟environ un
quart de la superficie naturelle, et c‟est sans doute là le fait majeur de la
biogéographie russe. Il subsisterait encore aujourd‟hui entre 7 331 500 km²
(Tsarev, 2005) et 8 510 000 km² (GEO PNUE41, 2002) de forêts en Russie, en
passant par une estimation de 7 516 000 km² par A.I. Outkin et ses
collaborateurs (1995) et de 7 743 000 km² par les géographes N.A. Martchenko
et V.A. Nizovtsev (2005). Le géographe français Marc Galochet (2007, p. 119)
évoque 7 640 000 km². Quoi qu‟il en soit, cela représente 22 % de toutes les
forêts mondiales préservées (GEO PNUE, 2002, Marčenko et Nizovcev, 2005),
si on estime leur superficie entre 35 et 38,6 millions de km². Quelles que soient
les légères42 variations chiffrées autour de ses 800 millions d‟hectares, la forêt
russe garde un poids d‟échelle planétaire43 compris entre un quart et un
cinquième du total mondial, loin devant le Brésil et le Canada. La seule taïga
russe représenterait 73 % de la forêt boréale mondiale (Falinski et Mortier,
1996, Pisarenko, 1997, Hotyat et Galochet, 2006, Galochet, 2007) et ce n‟est
pas dans un contexte anodin que la Russie a signé à Rio en 1992 la Déclaration
de principes relatifs aux forêts » (Zaïavlénié o printsipakh v otnochénii lessov).
Grâce à cette faiblesse des défrichements, les réserves en bois de la Russie sont
équivalentes à 82 milliards de mètres cubes (Utkin et al., 1995, Doroch, 2007),
soit quatre fois plus que le Canada et les Etats-Unis réunis, dont 64 milliards
pour les seuls conifères de la taïga.
Ainsi, quoiqu‟elle compte de vastes espaces naturels sans arbre, que se
partagent la toundra, la steppe et le semi-désert, la Russie est un pays forestier
de première importance, grâce à son immensité et à la grande faiblesse des
défrichements. En outre, comme les espaces sans arbre sont de conquête
récente, la civilisation russe est forestière.

Nizovtsev, incluant à la forêt de feuillus la moitié nord de la steppe boisée ; 69,8 % selon
l‟encyclopédie de la forêt de Russie dirigée par A.I. Outkin et ses collaborateurs (1995, en russe).
40
Sur un total de 11,31 millions de km² pour l‟URSS.
41
C‟est le chiffre donné par la FAO pour les forêts russes, repris par le PNUE.
42
En dehors de quelques exceptions, comme le chiffre de 4,5 millions de km² donné par J.-P.
Paulet (2007) pour la taïga russe. Rappelons que, si l‟on ne compte pas la taïga basse et claire de
Sibérie orientale et d‟Extrême-Orient, la superficie forestière peut baisser de près de deux
millions de km².
43
« Les forêts de l‟ex-URSS contribuent fortement à l‟édification du manteau forestier mondial »
(Falinski et Mortier, 1996, p. 106).
28
Milieux naturels de Russie
Il serait cependant aussi réducteur d‟assimiler les milieux
biogéographiques de la Fédération de Russie à la seule forêt que de confondre
celle-là avec le seul territoire ethniquement russe. C‟est pourquoi il a été décidé
de présenter ici les cinq zones de végétation, de sol et de communauté animale,
sans négliger les milieux naturels non forestiers. Le choix a aussi été fait de les
ordonner44 en latitude, du nord au sud, commençant par les formations végétales
à forte contrainte de froid et terminant par celles subissant la sécheresse.

3. Les paysages végétaux de la Russie sont-ils tristes et lassants ?

Les enjeux économiques et écologiques des milieux naturels russes


sont, il est vrai, importants, le caractère global du réchauffement climatique et la
mondialisation de ses causes sont certes d‟une actualité brûlante, les remèdes à
trouver sont, nous dit-on, urgents et la préservation de la forêt russe pourrait
faire partie des réponses. La délimitation géographique des différentes zones
végétales de Russie est un exercice de poids, qui permettra de mieux
appréhender le rôle de la taïga parmi les autres milieux, que sont la toundra, la
forêt de feuillus, la steppe, le semi-désert. Ces sujets, s‟ils sont traités à travers
le développement durable, gagnent en profondeur. Pour autant, ils sont sans
doute moins éternels et universels que la joie de vie ou la mélancolie.

Les géographes, même physiciens, ne se posent-ils pas cette question


existentielle à travers leur étude rigoureuse des phénomènes biogéographiques
et pédologiques ? Quelques citations, prises sans souci d‟exhaustivité ni volonté
de démonstration, nous amènent à penser que la carapace scientifique, qui
dissimule la sensibilité des géographes, pourrait se fendiller bien plus dans
l‟étude des milieux de végétation et de sol de la Russie que dans celle des pays
plus proches de nous, en kilomètres ou en culture mondialisée.

Picorons alors quelques avis. Dans la toundra russe, « le paysage est


d‟une infinie tristesse » (George, 1962, p. 217). « La toundra apparaît
extrêmement monotone, même en été » (id., p. 219). Quel Français en sera
surpris ? Après tout, c‟est le nord. A l‟autre extrémité de la Russie, la steppe,
dite aussi prairie en biogéographie, partage avec l‟Amérique le fait que « la
prairie est une formation […] monotone d‟aspect » (Elhaï, 1967, p. 247).
Quittons le cercle des géographes français pour celui des hommes de lettres
russes et admettons que « les freux […] se ressemblent tous et ils rendent la
steppe encore plus uniforme » (A. Tchékhov, 1888, La steppe, chap. 1, dans la
traduction française de V. Volkoff45). Cette monotonie littéraire répond à

44
Une hiérarchie mettant en avant les zones forestières et les traitant d‟abord aurait été une
démarche de géographie humaine pour laquelle nous n‟avions pas les compétences nécessaires.
45
« Gratchi […] pokhoji droug na drouga i délaïout step echtchio boléé odnoobraznoï » dans le
texte original.
29
« l‟ennui de la steppe » (stepnaïa skouka). Le Russe est bien un Européen. Il
n‟est pas chez lui s‟il n‟y a rien à défricher. Il reste donc la forêt, qui, fort
heureusement, couvre l‟essentiel du territoire russe.

Les anciens voyageurs éclairés rendaient vivants et agréables à lire leurs


récits en donnant leur sentiment sur la taïga russe ou la forêt mixte. Lors de son
trajet en train de d‟Allemagne à Moscou, Jules Legras46 (1895, p. 9), entrant en
Russie, écrivait que « le même paysage monotone défile incessamment à mes
côtés : des forêts de bouleaux grêles et de petits sapins » (p. 9). Quelques années
plus tard, financé par la Société suédoise d‟anthropologie et de géographie, J.
Stadling (1904, p. 320), relatant sa mission en Russie en 1898, écrivait : « le
train […] s‟enfonce bientôt, à nouveau, dans la mystérieuse taïga dont la
monotonie […] se poursuit jusqu‟au point terminus ».

Les géographes physiciens français, récents ou actuels, ne décrivent


heureusement pas la taïga par les seules données sobres de la biomasse en
tonnes de matière sèche par hectare, de la productivité ou du nombre d‟espèces.
Dans le chapitre scientifique traitant de la forêt boréale, Alain Lacoste et Robert
Salanon (1969, p. 144) parlent de « grande monotonie » et Gabriel Rougerie
(1988, p. 120) de « monotonie extrême », cependant que Georges Viers (1970,
p. 96) qualifie l‟ensemble de « forêts monotones ». Jean-Paul Amat (1996, p.
360) peine à exprimer, tant elle est ineffable, « l‟indicible monotonie
d‟innombrables et similaires bataillons de conifères », dont une martiale
comparaison accentue la gravité. Yannick Lageat (2004, p. 50) s‟exclame quant
à lui qu‟il « n‟est pas au monde de formation aussi désespérément monotone
que la forêt boréale de Conifères ». L‟adverbe renforce le sentiment déjà soufflé
par l‟adjectif et rend ainsi la lecture plus captivante. Alain Huetz de Lemps
(1994, pp. 57-58) concède que « la futaie de conifères a une incontestable
majesté, mais aussi une certaine monotonie ». L‟attention est ainsi attirée par
une figure de style dans laquelle le trait altier contrebalance, peut-être pour
mieux la souligner, l‟uniformité lassante.

Pour notre part, il serait fâcheux d‟accabler le lecteur par une


succession d‟autres citations. Nous savons depuis Madame de Staël que « la
monotonie, dans la retraite, tranquillise l‟âme ; la monotonie, dans le grand
monde, fatigue l‟esprit » (1810, De l’Allemagne). Or les géographes ne
prennent jamais leur retraite. L‟introduction de cet ouvrage, qui n‟a que trop
traîné, laisse-t-elle entendre que les milieux naturels de Russie présentent une

46
« Bien qu‟il ne fût pas géographe de profession, il était bien connu parmi les géographes pour
ses récits de voyage de Russie et de Sibérie. […] En 1929, il fut nommé à la Sorbonne où il
enseigna jusqu‟à sa retraite la littérature russe. […] Les géographes ne sauraient oublier ce que
doit la science à cet explorateur lettré » (Chabot G., 1940, « Jules Legras (1867-1939) » Annales
de Géographie, 49(277) : 65).
30
Milieux naturels de Russie
toundra caractérisée par sa tristesse, une taïga qui provoque le désespoir, une
steppe qui cause l‟ennui ? Les changements d‟échelle en géographie peuvent-ils
aider à démêler le sentiment d‟affliction ? L‟étude de la végétation et des sols de
la Russie autorise-t-elle à douter ?

31
32
Milieux naturels de Russie

Chapitre Premier

La toundra, le mollisol et l’élevage du renne

La toundra est la formation végétale basse, sans arbre, qui croît dans la
partie de la Russie où le froid permanent est le facteur limitant majeur,
grossièrement au nord du cercle polaire. La toundra russe, prise dans son sens le
plus restrictif, couvre 3,2 millions de km², soit 19 % du territoire de la
Fédération. Si on lui adjoint 1,9 million de km² de toundra boisée, la surface
dépasse 500 millions d‟hectares et représente 30 % du territoire russe.
Fig. toundra 1 : Carte de l’extension de la toundra russe

C‟est sans doute la toundra qui matérialise le mieux l‟effet en trompe-


l‟œil47 de l‟immensité russe. Sur une superficie qui couvre près de dix fois la
France, la toundra russe est une vaste réserve de nature, où certaines aires
protégées ont la taille d‟un département de notre pays. C‟est aussi l‟endroit
d‟activités traditionnelles, comme l‟élevage du renne, sur lequel se fondait une
véritable civilisation (Leroi-Gourhan, 1936), menacée dans certaines régions
par l‟avancée du front pionnier, en particulier en Sibérie occidentale, où
l‟extraction des hydrocarbures n‟en finit pas de monter vers le nord. La toundra
russe est également un haut lieu de la recherche scientifique en milieu extrême.
A la suite des travaux de B.N. Gorodkov pendant l‟entre-deux-guerres, les
grands spécialistes mondiaux de la toundra s‟appelèrent B.A. Tikhomirov, V.D.
Aleksandrova, N.V. Matvééva, A.I. Tolmatchiov, B.A. Yourtsev, ou encore

47
Du moins si le territoire d‟un Etat ne servait qu‟à la surface agricole utile et à la construction de
mégalopoles.
33
Youri Ivanovitch Tchernov. Très publiée en anglais, Véra Aleksandrova a sans
doute eu l‟audience planétaire la plus affirmée.
Comme tout paysage peu humanisé, la toundra a l‟image d‟un milieu
assez uniforme, qui ne mériterait qu‟une étude de biogéographie générale, sans
intérêt régional. La toundra russe est-elle la même que son homologue
canadienne et alaskienne ? Si la toundra russe abrite 90 % des espèces arctiques
proprement dites de l‟hémisphère nord (Abdurahmanov, 2003), celles qui
n‟existent pas dans autres zones bioclimatiques, est-ce parce qu‟elle est plus
riche que la toundra américaine ou est-ce parce que l‟endémisme régional
n‟existe pas dans le monde polaire, faisant que les mêmes espèces se retrouvent
partout ? N‟y a-t-il pas plus de différences entre les toundras mourmane et
yakoute qu‟entre les toundras tchouktche et alaskienne ? Quelles sont les
contraintes que le milieu polaire impose aux plantes et aux animaux ? Le
pergélisol a-t-il une forte influence sur la végétation ou bien, situé suffisamment
profond, épargne-t-il les organes souterrains de son effet négatif ?
Pour tenter d‟apporter quelques éléments de réponse, il conviendra
d‟abord de se pencher sur les traits paysagers propres à la toundra, puis sur la
manière dont le cadre polaire, climatique et pédologique, les déterminent.
A cette occasion, nous nous permettrons de parler de milieu toudrain48,
répondant aux environnements forestier et steppique. Dans un troisième temps,
il sera plus important que dans les autres zones bioclimatiques de Russie de
souligner les différents types de toundra. Le milieu toundrain, aux extrémités de
la vie, consacre en effet l‟importance des micro-habitats. Cependant, cette
mosaïque de niches à grande échelle cartographique s‟insère elle-même dans
d‟autres découpages plus vastes, zonaux, méridiens, altitudinaux et régionaux.
Leurs limites sont parfois mouvantes, ne font pas toujours l‟unanimité entre les
auteurs. Parmi les choix ici faits, la toundra boisée ne sera pas étudiée dans ce
chapitre, mais dans celui de la taïga, affirmant ainsi la grande caractéristique de
la vraie toundra : l‟absence d‟arbre.

48
Les Russes possèdent évidemment depuis longtemps dans leur langue l‟adjectif toundrovy.
34
Milieux naturels de Russie
Fig. toundra 2 : La toundra russe, caricature géographique

35
1. Un paysage bas, marqueté et pauvre

Le paysage49 de la toundra russe peut être décrit, dans sa dimension


verticale, comme une formation basse, et dans ses dimensions horizontales,
comme un ensemble morcelé. Dans un troisième temps, il convient de regrouper
ces deux approches par l‟étude du volume végétal, en particulier de sa
biomasse. La faiblesse de ce volume et la lenteur de son renouvellement
conduisent à caractériser la toundra par sa pauvreté. Or celle-ci n‟est pas
seulement quantitative. Elle se manifeste aussi par l‟indigence de la
composition spécifique.
Le caractère bas de la toundra implique-t-il une absence de
stratification ? A quelle échelle la mosaïque végétale se met-elle en place ? La
polydominance s‟exprime-t-elle par une juxtaposition ou un enchevêtrement ?
La faiblesse de la base végétale permet-elle le développement d‟une pyramide
alimentaire animale complète ou l‟ensemble est-il tronqué ? Quelles activités
humaines traditionnelles se sont développées dans le milieu de la toundra russe
et l‟équilibre est-il menacé ?

1.1. Une formation basse

Qu‟y a-t-il de plus effrayant pour un sylvain ? Est-ce l‟absence d‟arbre,


le fait qu‟un bouleau est aussi petit qu‟un champignon, ou bien, comme on le
raconte aux enfants russes, la possibilité qu‟un champignon soit aussi grand
qu‟un bouleau ? Et parmi ces trois grands traits paysagers, les deux derniers
sont-ils vraiment les mêmes ?

1.1.1. Le pays sans arbre

Pour tous les géographes de la planète, le caractère descriptif majeur de


la toundra est l‟absence d‟arbre50 dans un milieu polaire de plaine ou de bas
plateau. Cette définition et les mots pour désigner la formation végétale en
question suscitent, comme souvent, un certain nombre de problèmes liés au fait
que l‟emploi traditionnel du nom par les populations et l‟usage qui est en fait
maintenant par les géographes ne coïncident pas. Il se pose d‟une part la

49
L‟objet de ce développement est d‟abord de décrire la physionomie de cette formation végétale.
Dans les trois premiers temps, elle se fera sans citer les espèces floristiques ou bien en le faisant
de façon commune, sans s‟attacher à mettre une majuscule pour les genres et les familles. La
taxonomie précise est réservée au quatrième temps de ce développement.
50
« Les véritables toundras sont sans arbres » (Berg, 1941, p. 22). « L‟absence d‟arbres est le seul
caractère commun à une végétation naine, mais extrêmement variée » (Birot, 1965, p. 207). « Le
terme „toundra‟ désigne les formations végétales […] situées en latitude au-delà de la limite
naturelle de l‟arbre » (Simon, 2007, p. 349).
36
Milieux naturels de Russie
question de la différence entre l‟absence d‟arbre et celle de forêt, d‟autre part
celle d‟une formation zonale climatique ou azonale montagnarde.
Dès le Moyen Age, la Russie novgorodienne a pris contact avec la
formation végétale basse des côtes de la mer de Barents. La présence russe à
Kola est attestée depuis 1264 et cette fondation se trouve à proximité de la
limite végétale majeure ; il suffit de descendre ce même fjord sur quelques
kilomètres pour la dépasser. Si, avant Catherine II, les Russes sont restés juste
au sud de cette limite, c‟est que, au-delà, se trouvait le bezlessié, c‟est-à-dire le
« pays sans forêt » des premiers colons les plus septentrionaux, un endroit
traumatisant où l‟absence de peuplement arboré déconcerte, angoisse et rend la
vie traditionnelle pratiquement impossible pour un peuple forestier et
défricheur51. Aujourd‟hui, les biogéographes russes utilisent le terme de
bezlessié pour désigner un caractère descriptif majeur, l‟absence paysagère de
forêt. Et c‟est bien là la première subtilité du langage géographique par rapport
à l‟emploi traditionnel du terme slave de bezlessié. Pour le géographe, l‟absence
de la forêt n‟est pas synonyme de celle de l‟arbre. La frontière de la forêt se
trouve plus sud et la formation dite lessotoundra, la toundra boisée, occupe
l‟intervalle entre les deux limites. Cet écotone sera étudié géographiquement
dans le développement traitant de la taïga.
Dans leur déplacement ancien vers le nord-ouest, à travers la Carélie et
la péninsule de Kola, et vers le nord-est, en direction de la Petchora, les Russes
avaient rencontré des populations septentrionales, d‟une part les Lapons, d‟autre
part les Zyrianes52. Respectivement appelés aujourd‟hui Sâmes et Komi, ces
deux peuples de langue finno-ougrienne53 pratiquaient bien entendu le contraste
entre les parties forestières et dénudées de leur territoire. Peu enclins l‟un
comme l‟autre54 à aller jusqu‟aux rivages des mers arctiques, ils connaissaient la
dégradation forestière due à l‟étagement montagnard, qui, dans ces conditions
rigoureuses, conduit très vite à une formation végétale basse. Une partie des
Sâmes utilisait ces pâturages d‟altitude pour l‟estivage des rennes. C‟est pour
désigner ces sommets dénudés que les peuples finno-ougriens employaient le

51
« Kola fut élevée au rang de ville par Pierre le Grand et fortifiée. Néanmoins, ses habitants
n‟ont pris qu‟une part limitée à l‟exploitation des pêcheries de la côte mourmane, et peut-être
faut-il voir dans cette abstention et dans le faible succès des essais de colonisation de cette côte
l‟effet de répugnance qu‟éprouve le Russe à s‟établir au-delà de la forêt » (Camena d‟Almeida,
1932, p. 111).
52
Les directions géographiques sont données de manière simplifiée. Il existe aussi historiquement
des Zyrianes au nord-ouest, dans la péninsule de Kola, où ils ont d‟ailleurs participé au
refoulement vers le nord des Lapons.
53
L‟appartenance du lapon directement à la famille linguistique finno-ougrienne ou bien
l‟indépendance d‟une branche laponne de l‟ouralien qui aurait été assimilée plus tard par le finno-
ougrien pose des problèmes purement linguistiques qui ne seront pas discutés ici. La proximité du
carélien, pendant russe du finnois, et du lapon concernant la dénomination des objets de la nature
est de toute façon importante.
54
C‟est surtout vrai des Komi, peuple forestier qui laissait aux Nentsy (jadis appelés Samoyèdes
par les Russes) le soin de nomadiser dans la toundra avec les rennes.
37
mot à l‟origine de la toundra. Les Russes ne manquaient pas non plus d‟être
frappés par chacune de ces hauteurs sans conifère, qu‟ils appelaient bezlesnaïa
vozvychennost (la hauteur sans forêt) ou golaïa vozvychennost (la hauteur
dénudée). Ils assimilèrent cependant aussi le nom, ou plutôt les noms 55, de
toundra. Le lexique savant en a changé le sens. Les géographes russes, à
l‟origine du concept de la zonalité, ont employé la toundra pour désigner la
formation végétale basse de la zone bioclimatique polaire. De ce fait, la vraie
toundra des géographes est devenue celle des plaines, où il n‟y a pas
d‟interférence entre la latitude et l‟altitude. Pour la formation des hauteurs
dénudées, les géographes russes parlent de toundra de montagne, l‟ajout de
l‟adjectif montagnard montrant le renversement de situation entre la toundra
laponne d‟origine et celle de la géographie russe, puis mondiale56.

1.1.2. Le paysage végétal ras des lichens, mousses et champignons

Les cryptogames que sont les lichens (lichaïniki) et les mousses (mkhi),
forment ce que les auteurs russes (Rakovskaïa et Davydova, 2003, p. 167,
Abdurahmanov et al., 2003, p. 292) nomment les édificateurs (édifikatory) de la
toundra. En général, ce sont en effet ces plantes qui organisent l‟écosystème 57
de la toundra, en déterminent la structure et, dans une certaine mesure, la
composition floristique. « Dans la toundra, l‟importance phytocénotique des
lichens et surtout des mousses est grande ; ils sont souvent les édificateurs de
ces associations. Une couverture continue de mousses dans les conditions de la
toundra influe essentiellement sur le régime thermique des sols et la profondeur
de la fonte saisonnière, donc sur les conditions d‟habitat des autres plantes. Les
lichens ont une influence moindre sur les conditions pédologiques, mais, quand
ils sont abondants, le nombre d‟espèces d‟herbes et de buissons diminue »
(Abdurahmanov et al., 2003, p. 292, en russe). Ces plantes forment pour le
moins un paysage végétal bas, et même, quand ils sont très dominants, voire
exclusifs, un paysage ras.

55
Le nom finnois de tunturi, lui-même issu du sâme, est aujourd‟hui le plus facilement cité
comme étant à l‟origine de la toundra. Cependant, plusieurs variantes se trouvaient chez différents
peuples finno-ougriens. Elisée Reclus (1885, p. 607) cite un mot komi « toundras, ou mieux,
troundras : en zîrane, „pays sans arbre‟ » . Il reprend cette information de l‟ouvrage d‟O. Finsch,
Reise nach West Sibirien im Jahre 1876.
56
Les géographes français parlent plutôt de pelouse alpine pour désigner la formation végétale
correspondant à la toundra de montagne des Russes.
57
La définition russe d‟un édificateur est d‟être une plante « srédoobrazaïouchtchéé » (Trëšnikov,
1988, p. 339), c‟est-à-dire « organisatrice du milieu naturel ». Cette notion est différente de
l‟édificatrice des biogéographes français, qui est au contraire une plante plus ou moins décalée par
rapport au contexte actuel, mais qui est annonciatrice d‟un groupement futur, dans le cadre d‟une
évolution progressive vers le climax (Lacoste et Salanon, 1969, p. 40 et p. 57).
38
Milieux naturels de Russie
La toundra russe compte bien entendu, en particulier sur ses marges les
plus septentrionales, proches du désert polaire, ou les plus récentes, des lichens
encroûtants.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 1 Lichens encroûtants, végétation pionnière en Sibérie orientale
Ces lichens foliacés croissent en plaques sur les rochers surplombant le lac Baïkal. Le recul dû à
l’abrasion par les vagues, qui rajeunit en permanence un modelé très déclive, et le microclimat
lacustre, qui refroidit fortement les températures estivales, donnent à ces falaises des caractères de
milieu extrême. Elles sont colonisées par une végétation d’avant-garde, formés ici de Xanthoria
orangés.

39
Ces korkovyé lichaïniki, qui existent aussi sur les rochers des falaises
des grands lacs de la zone de taïga,constituent une végétation pionnière. Ce
sont, pour quelques-uns, des lichens incrustés dans la roche, les nakipnyé
lichaïniki, dont la croissance est d‟une extrême lenteur58. Mais ce sont surtout
des lichens foliacés, les listovatyé lichaïniki, qui s‟agrandissent en formant des
plaques
En dehors de ces avant-gardes, cependant, les lichens caractéristiques
de la toundra russe sont buissonnants. Ces koustistyé lichaïniki ont des
dimensions individuelles supérieures, avec un thalle de plusieurs centimètres.
Ils forment parfois une couverture constituant à elle seule l‟ensemble du
paysage toundrain. Il s‟agit alors d‟une formation végétale monostrate, qui n‟a
pas beaucoup d‟équivalent dans le monde. Mais les lichens buissonnants
composent le plus souvent le tapis au-dessus duquel croissent les herbes et les
petits ligneux de la toundra.

Cliché L. Touchart, juillet 2009


Photo 2 La mousse à renne, richesse de la toundra russe
Ladite « mousse à renne » (oléni mokh) est en fait un Lichen appartenant au genre Cladonia. C’est
la première richesse de la toundra russe, dont dépendent les pâturages de Cervidés. La lente
croissance des lichens buissonnants conditionne le temps de retour des rennes. La photographie a
été prise dans le jardin botanique universitaire de Cluj-Napoca.

58
« Chez les lichens crustacés […] certains ne s‟accroissent que de quelques millimètres par
siècle » (Godard et André, 1999, p. 183).
40
Milieux naturels de Russie
C‟est parmi ces lichens buissonnants que se trouve le fameux oléni mokh,
la « mousse59 à renne », qui constitue le pâturage apprécié des troupeaux de
cervidés du nord de la Russie.

Leur croissance varie dans une fourchette de valeurs comprise entre 1 et 3 mm


par an du sud au nord de la toundra russe (Gorodkov, 1935).
Les vraies mousses (mkhi), c‟est-à-dire les Bryophytes, sont encore plus
importantes dans la toundra russe. On les trouve un peu partout à l‟extrême nord
du pays et leur peuplement répond au mieux à ce que les Russes appellent
povsémestno, c‟est-à-dire qu‟elles croissent de façon ubiquiste. Elles occupent
des habitats proches de ceux des lichens et développent un comportement assez
voisin de ces derniers. La principale différence est qu‟elles sont « un peu moins
pionnières et souvent plus hygrophiles » (Rougerie 1988, p. 12). Bien que
quelques-unes colonisent les milieux rocheux secs en association avec les
lichens encroûtants, les mousses sont plutôt caractéristiques des habitats
humides ; et cette préférence se réalise à toutes les échelles géographiques. A
petite échelle cartographique, l‟importance des mousses par rapport aux lichens
est sans doute la principale originalité de la toundra russe, qui la distingue de
son homologue canadienne plus lichénique. A moyenne échelle, la toundra
située de part et d‟autre de l‟embouchure de la Petchora est la plus moussue. A
grande échelle cartographique, la toundra muscinale préfère les dépressions
mouillées, dont les tourbières forment un cas particulier.
Les champignons (griby) sont beaucoup moins importants dans la
toundra que les lichens et les mousses. Leur habitat est plus ponctuel et ils
quittent peu la toundra buissonnante. Ce sont en fait des champignons de la
zone de taïga dont certains parviennent à croître jusque dans la toundra, en
particulier là où celle-ci est riche en bouleaux nains. Le gradient
d‟appauvrissement se lit nettement sur le piémont occidental de l‟Oural Polaire.
Dans la région de Vorkouta, Nina Stépanovna Kotelina (1990) a ainsi recensé
une baisse d‟un tiers du nombre d‟espèces de champignons entre la toundra
boisée, qui est la partie septentrionale de la zone de taïga, et la toundra
buissonnante, qui est la partie méridionale de la zone de toundra.

1.1.3. Le paysage végétal bas des petites plantes herbacées et


ligneuses

S‟ils souhaitent exprimer clairement l‟aspect paysager qui domine dans


l‟essentiel de la toundra, sans pour autant employer de terme biogéographique,
ou scientifique, spécialisé, les géographes russes évoquent volontiers les
nizkoroslyé rasténia, c‟est-à-dire les plantes basses, que ce soient des herbes ou

59
Selon l‟expression consacrée, en russe comme en français, mais il s‟agit bien, au sens
biogéographique, d‟un lichen.
41
des ligneux, des plantes herbacées, des buissons ou des arbres nains. Malgré
leur variété biologique, ces plantes basses développent des caractères
physionomiques proches, qui donnent un paysage géographique caractéristique,
que ce soit dans la forme d‟ensemble ou bien dans le détail de l‟aspect des
feuilles et des fleurs.
La toundra russe se présente avant tout comme un ensemble de plantes
prostrées (prizémistyé). Selon diverses modalités, dont les rosettes, les
coussinets et le nanisme sont parmi les plus caractéristiques, la plupart des
plantes donnent l‟impression d‟être plaquées au sol. Les plantes qui développent
des formes étalées (stéliouchtchessia formy) regroupent souvent leurs feuilles
dans des rosettes (rozetki). Les « rosettes à feuilles étalées » (Rougerie, 1988, p.
10) constituent des groupes circulaires de feuilles dont la totalité des départs se
fait au même endroit, à la base de la tige, presque au contact avec le sommet du
système racinaire, bref, au niveau du collet. Cette disposition fait que la rosette
de collet (prikornaïa rozetka de Rakovskaïa et Davydova, 2003, p. 165) est en
fait plaquée au sol. Sur ce schéma général se greffent évidemment plusieurs
variantes, si bien que les biogéographes russes distinguent habituellement, à la
suite de V.D. Aleksandrova, les rozetotchnyé rasténia (plantes à rosette) et les
polourozetotchnyé rasténia (plantes à demi-rosette).
Les formes en coussinet (podouchkoobraznyé formy) composent
d‟autres parties très fréquentes de la toundra, où le paysage se résume à une
succession bosselée de multiples petites coupoles végétales. De près, les formes
hémisphériques de ces plantes, le plus souvent herbacées, parfois ligneuses, sont
certes plus ou moins bien réalisées et les auteurs russes n‟hésitent pas à
différencier rasténia-podouchki et rasténia-poloupodouchki (plantes à coussinet
et à semi-coussinet), mais, de loin, le paysage d‟ensemble frappe par « la
sphéricité inhabituelle des formes » ( Rougerie, 1988, p. 21).
Le nanisme est l‟un des caractères les plus populaires60 de la toundra.
Le terme est paradoxalement employé pour les plus grands individus de cette
formation végétale ! C‟est que les cryptogames, les buissons d‟airelles ou les
petites herbes sont des plantes basses dans la toundra, mais aussi ailleurs, en
particulier sous forêt. Il n‟en est pas de même des bouleaux, des saules ou des
aulnes, qui sont des arbres atteignant parfois plus de vingt mètres dans la taïga,
tandis qu‟ils sont réduits à des hauteurs de quelques décimètres dans la toundra,
souvent 30 à 60 cm. Le plus nain de tous est le Saule herbacé (Salix herbacea,
iva travianistaïa), qui dépasse rarement cinq centimètres. Comme ce sont des
arbres ailleurs, ayant ici la taille de buissons, ils donnent l‟impression d‟une

60
Le géographe Mourad Adjiev, dans un livre de vulgarisation pour les enfants, décrit ainsi la
toundra yakoute : « il y a en Yakoutie des forêts dans lesquelles, même si on le voulait, on ne se
perdrait pas. Ces forêts poussent au nord de la république. Les arbres sont tout petits, tout minces.
Le plus haut des bouleaux nains était à peine plus haut que ma botte. Quand on va dans cette
forêt, on se prend pour un géant. On peut toucher la cime d‟un jeune arbre. C‟est merveilleux et
inhabituel » (Adţiev, 1989, p. 10, en russe).
42
Milieux naturels de Russie
61
anomalie , qui conduit à l‟emploi classique du terme de nanisme. Le
représentant emblématique en est le Bouleau nain (Betula nana), que les Russes
appellent tantôt bérioza karlikovaïa, tantôt bériozovy stlanets62. L‟appellation
d‟arbre nain n‟est en fait utilisée que pour les espèces à feuilles caduques63,
bouleaux, saules, aulnes, plus rarement sorbiers, bien que leur taille ne soit
souvent pas très différente, certes tout de même un peu plus élevée64, de celle
des individus à feuilles persistantes, qui continuent quant eux d‟être nommés
buissons.
Ce paysage végétal bas va de pair avec la grande lenteur de la
croissance et « chez un saule polaire, les rameaux s‟allongent de 1 à 5 mm par
an et donnent seulement 2 à 3 feuilles » (Marčenko et Nizovcev, 2005, p. 144).
« Cas extrême, un Genévrier de la péninsule de Kola, âgé de 544 ans, avait un
diamètre de 83 mm (Elhaï, 1967, p. 278).
Dans le détail, les plantes prostrées, à rosette, à coussinet ou autres,
ainsi que les plantes plus redressées, mais souvent naines, développent des
feuilles et des fleurs caractéristiques de la toundra. Il existe certes quelques
plantes décidues (listopadnyé), comme les bouleaux et saules nains, ou encore
l‟airelle bleue et le raisin d‟ours, mais, le plus souvent, les plantes de la toundra
sont sempervirentes (vetchnozélionnyé). Leurs feuilles persistantes sont en
général petites (melkié) et scléreuses (kojistyé). Par exemple, l‟enduit cireux
(voskovoï naliot) de la feuille d‟Andromède est si caractéristique, par sa teinte
blanchâtre, qu‟il a donné son nom russe à ce buisson, podbel (« le blanchâtre »).
Généralement, cependant, les feuilles des plantes toundraines ont une teinte vert
sombre, et la particularité de devenir plutôt rougeâtres à la fin de la belle saison.
« Les feuilles, permanentes ou caduques, revêtent pour la plupart une couleur
rouge ou brune due à l‟apparition d‟un pigment, l‟Anthocyane » (Birot, 1965, p.
209). Mais le plus étonnant sans doute de ce paysage végétal pourtant figé
pendant l‟essentiel de l‟année, se trouve être, pendant quelques semaines, la
chatoyante bigarrure de ses grosses fleurs aux couleurs éclatantes65. Ces

61
Selon le principe que tout est relatif. D‟où le jeu de mot de Mourad Adjiev, selon lequel le
Bolet rude (Leccinum scabrum) devrait, dans la toundra, s‟appeler nadbériozovik. En effet, en
russe, ce champignon se dit podbériozovik, « le champignon d‟en dessous le bouleau », tandis que
nadbériozovik signifierait « le champignon d‟au-dessus le bouleau ». En français, le rire n‟est pas
assuré.
62
En fait stlanets est la plante qui se plaque, s‟étale au sol. La nuance serait donc que bériozovy
stlanets représente le bouleau prostré (sens physionomique) et bérioza karlikovaïa le Bouleau
nain (sens taxonomique), mais les deux sont employés indifféremment.
63
Mais la réciproque n‟est pas vraie. Par exemple, les buissons d‟Airelles bleues sont décidus.
64
Dans la toundra sibérienne de la presqu‟île de Yamal, G. Rougerie (1988, p. 60) décrit une
strate de Bouleaux nains qui se trouve à 30 cm, et un étage inférieur à 15 cm, où dominent
Airelles, Camarines et Azalées.
65
« Une part relativement démesurée va aux fleurs de très grande taille, qui donnent une beauté
éphémère aux tristes paysages de la toundra » (Birot, 1965, p. 211). P. Camena d‟Almeida (1932,
p. 76) décrit la toundra de Russie d‟Europe comme « un tapis de fleurs polaires […] aux brillantes
43
éphémères chamarrures ne contredisent ni la pauvreté de la composition
floristique de la toundra russe ni la faiblesse de sa biomasse.

1.2. Une structure en mosaïque

Pour qualifier, en plan, le paysage végétal de la toundra, le terme qui


revient le plus souvent dans la littérature internationale est celui de mosaïque.
Les Russes préfèrent, quant à eux, insister non pas sur le résultat descriptif, que
serait mozaïka, mais sur l‟importance du principe d‟organisation paysagère.
Tous les géographes russes emploient le terme de mozaïtchnost, de
« mosaïcité » en quelque sorte, qu‟on ne pourrait traduire en bon français que
par une périphrase. La toundra offre une marqueterie, une tacheture
(piatnistost), qui est une structure en mosaïque (mozaïtchnaïa strouktoura de
A.F. Triochnikov, 1988, p. 314, ou bien de V.D. Aleksandrovna dans la Grande
Encyclopédie Soviétique) correspondant à un principe d‟organisation spatiale.
Il s‟agit d‟une part de l‟importance des variations de la couverture
végétale sur de petites distances, d‟autre part du caractère discontinu de celle-ci.
La végétation toundraine offre des contrastes saisissants, non seulement sur
quelques centaines de mètres, d‟un versant à l‟autre, quelques décamètres, d‟un
creux à l‟autre, d‟une bosse à l‟autre, mais aussi sur quelques décimètres,
opposant, dans certains cas, une occupation linéaire polygonale autour d‟un
centre délaissé. C‟est que la mosaïque ne se contente pas de différencier les
types de végétation ; elle oppose aussi, dans toutes les toundras, les terrains
couverts et les plaques de sol nu (piatna gologo grounta). Ce contraste et la
proportion des portions végétalisées et découvertes se manifestent aussi à
plusieurs échelles.
L‟organisation en mosaïque de la toundra est sans doute son caractère le
plus géographique, celui qui reflète le mieux la situation de cette formation
végétale dans un milieu extrême66. « Selon une loi générale qui s‟applique à
toutes les zones marginales, les unités de surface où la végétation est homogène
sont de très petite taille, d‟où des mosaïques très serrées en fonction des
moindres variations de la valeur des pentes, de l‟exposition et de la lithologie »
(Birot, 1965, p. 213). Il conviendra d‟insister largement sur cette particularité,
tant dans l‟étude explicative de cette steppe périglaciaire, notamment en lien
avec les micro-variations cryo-pédologiques, que dans la présentation
typologique des toundras russes, où chaque carreau de la mosaïque pourra être
détaillé.

couleurs ». « Quant aux plantes à fleurs, elles se distinguent par l‟abondance, la grande dimension
et la couleur vive de leurs fleurs » (Berg, 1941, p. 23).
66
« Seule la notion de mosaïque paysagère rend pleinement compte de la variété des
communautés végétales qui se juxtaposent et s‟imbriquent en se calquant sur des dispositifs
topographiques au maillage d‟autant plus fin que le milieu est plus rude » (Godard et André,
1999, p. 196).
44
Milieux naturels de Russie
1.3. Biomasse qui mousse n’amasse pas roul

Le regroupement des dimensions horizontales et verticales en un


volume végétal et animal permet d‟appréhender au plus près la réalité de la
toundra. Il conviendra d‟abord de qualifier son caractère désordonné67, puis de
quantifier sa biomasse.

1.3.1. La polydominance

Les biogéographes russes insistent beaucoup sur le concept de


polidominantnost pour qualifier le volume végétal de la toundra, prenant en
compte à la fois l‟enchevêtrement horizontal et l‟étagement vertical. Dans la
plupart des formations végétales, « une ou plusieurs espèces imposent par leur
prédominance une physionomie particulière au groupement tout entier. Celle-ci
résulte essentiellement de la forme biologique des espèces dominantes »
(Salanon et Lacoste, 1969, p. 31). Or ce n‟est pas le cas de la toundra. Certes,
pour des raisons de simplification pédagogique, on présente souvent les
formations du nord de la Russie en distinguant des toundras moussues, des
toundras lichéniques, des toundras buissonnantes ou encore des toundras
herbacées. Mais, dans la réalité, sauf sur les marges les plus septentrionales, il y
a presque toujours mélange68, sans qu‟un groupement ne prenne vraiment le
pas, sans espèce dominante à proprement parler, ni dans la dimension
horizontale, ni dans la dimension verticale. « En règle générale, ces types se
caractérisent par la codominance [sodominirovanié] de plusieurs groupes de
plantes : mousses, lichens, buissons, herbes vivaces, etc. La différenciation
verticale des phytocénoses est faiblement exprimée et, souvent, les mousses et
les buissons se placent pratiquement à la même hauteur » écrivent les
géographes G.M. Abdourakhmanov et al. (2003, p. 292, en russe). Les
géographes E.M. Rakovskaïa et M.I. Davydova (2003, p. 166, en russe)
résument l‟ensemble en soulignant le fait que la polydominance de la toundra
russe s‟exprime par « les combinaisons de proximité » (blizkié sotchétania) des
groupes végétaux.

67
En quelque sorte son absence de cap, de gouvernail (roul en russe). Nous admettons que
l‟assimilation du caractère désordonné de la toundra moussue, appelé scientifiquement
« polydominance », à l‟absence de cap, dans le but de construire un titre imaginaire, surnaturel ou
fantastique puisse être considérée comme abusive par certains. Nous faisons cependant confiance
au lecteur passionné par la Russie, qui sait bien que « cela n‟a jamais été en ordre. Les Russes ont
les idées grandes, Avdotia Romanovna, grandes comme leur pays et ils sont extrêmement enclins
au fantastique et au désordonné » (Dostoïevski, 1867, Crime et châtiment, Sixième partie, V, dans
la traduction de Léon Brodovikoff, « tchrezvytchaïno sklony k fantastitcheskomou, k
besporiadotchnomou » dans le texte original).
68
« Ces divers types de plantes sont d‟ailleurs souvent mélangés » (Birot, 1965, p. 297).
45
1.3.2. La faiblesse de la biomasse végétale et animale

Une dizaine de tonnes de végétaux par hectare

Du fait de sa grande extension en latitude et de son caractère marqueté, la


toundra laisse mal son volume végétal se quantifier par unité de surface de
manière moyenne (Webber, 1974). Chaque chiffre a tendance à ne représenter
qu‟une valeur locale ou, au mieux, comme tentent de le synthétiser les travaux
d‟A.G. Issatchenko, zonale69. Ceci dit, bien qu‟une généralisation à l‟ensemble
de la toundra russe soit pratiquement impossible, si l‟on osait une synthèse,
pour fixer les idées, on dirait qu‟une toundra russe moyenne pèse une dizaine de
tonnes de poids sec par hectare, dont plus des quatre cinquièmes pour les
organes souterrains70. Ce serait vingt fois moins que la biomasse d‟une taïga
russe moyenne. Ce chiffre, pour être faible, ne l‟est malgré tout pas tant qu‟on
pourrait le craindre, grâce aux réserves des organes souterrains et au fait que les
plantes annuelles sont pratiquement inexistantes71. Il y a ainsi une sorte de
capitalisation dans le temps, qui permet à la biomasse de faire illusion, tandis
que la productivité est dérisoire.
Si l‟on introduit le facteur du temps, l‟idée de grande faiblesse est donc
renforcée, à laquelle il convient d‟ajouter la forte irrégularité interannuelle72, qui
répond en quelque sorte à la marqueterie spatiale. Les travaux de V.D.
Aleksandrova (1970) ont montré que, le plus souvent, la productivité de la
toundra était comprise entre une73 et cinq tonnes par hectare par an et c‟est cette
fourchette qui est reprise par la plupart des auteurs français (Godard et André74,
69
La toundra russe haut-arctique pèserait ainsi moins de 2 t/ha, la toundra septentrionale entre 2 et
10, la toundra typique entre 10 et 20, la toundra méridionale entre 20 et 40 (Issatchenko, 2001,
repris par Martchenko et Nizovtsev, 2005).
70
Selon P. Birot (1965, p. 211) « une toundra de type moyen » renferme 7 t/ha de poids sec (donc
1,9 t/ha pour les organes aériens et 5,1 pour les organes souterrains). Synthétisant les chiffres de
Rodin, Walter et Wielgolaski, P. Ozenda (1994, p. 89) cite une biomasse totale de 5 t/ha pour une
« toundra proprement dite » et 28 pour une « toundra à arbrisseaux nains ». G. Rougerie (1988, p.
61) cite les biomasses suivantes : « en URSS européenne, 45 t/ha dont 37 hypogés ; au Taïmyr
sibérien, 8 à 12 t/ha dont 7 à 10 hypogés » en soulignant clairement le fait que c‟est « pour le
peuplement phanérogamique », donc excluant les mousses et lichens. Selon Abdourakhmanov et
al. (2003, p. 297, en russe), « dans les différentes variantes de toundra, la biomasse totale varie
entre 10 et 50 t/ha ». Selon Rakovskaïa et Davydova (2003, p. 210), la gamme de la toundra russe
est de 4 à 28 t/ha.
71
« Les biomasses ne sont pas négligeables, dues surtout aux appareils hypogés » (Rougerie,
1988, p. 61). « Les conditions de croissance défavorables déterminent une faible productivité de
la biomasse, mais le règne des plantes vivaces dans la composition floristique provoque des
réserves assez importantes » (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 210, en russe).
72
« Les productivités, en revanche, sont très basses et surtout très variables d‟une année à l‟autre
(dans le rapport de 1 à 20) » (Rougerie, 1988, p. 61).
73
F. Ramade (2008) évoque une moyenne mondiale de 1,4 tonne par hectare par an.
74
Dans leur tableau de la page 190, ils citent Aleksandrova (1970) pour les sources russes,
Webber (in Ives et Barry, 1974) et Bliss (1988) pour les comparaisons anglo-saxonnes.
46
Milieux naturels de Russie
1999) et russes (Abdurahmanov et al., 2003). Selon A.G. Issatchenko (2001,
cité par Martchenko et Nizovtsev, 2005), la toundra russe typique a une
productivité d‟une tonne par hectare par an75. Ces chiffres, pour faibles qu‟ils
soient à l‟échelle mondiale, ne le sont pas tellement moins que ceux de la taïga
russe, dessinant en creux la grande originalité de la vaste forêt russe. Il est vrai
qu‟une partie proportionnellement assez grande est due aux mousses et lichens,
réduisant d‟autant le poids des phanérogames. Ainsi G. Rougerie (1988, p. 61),
soulignant clairement qu‟il retranche les cryptogames76, cite « 0,8 t/an/ha en
URSS ».
L‟exclusion, explicite ou implicite, de la strate cryptogamique dans les
chiffres précédents de biomasse et de productivité, impliquerait de les détailler
maintenant. « On peut se faire une idée de leur ordre de grandeur d‟après des
études effectuées sur des toundras buissonnantes, dans lesquelles les biomasses
de la strate cryptogamique (Lichens et Mousses) sont évaluées entre 2 et 13 t/ha
et les productivités, tout à fait infimes, autour de 1 t/ha/an » (Rougerie, 1988, p.
15). Parmi les lichens, la mousse à renne (Cladonia, oléni mokh) se distingue
par son importance pour l‟ensemble de la chaîne trophique et les activités
humaines. Sa biomasse moyenne dans la toundra russe serait de 1 à 1,5 t/ha
(Giljarov, 1986, p. 423).

Une chaîne alimentaire animale limitée par la faible productivité végétale

Le lichen, présent toute l‟année, à découvert ou sous une couche de


neige qu‟il faut gratter, forme le principal maillon de l‟ensemble de la chaîne
alimentaire animale, les autres étant l‟importance des plantes aquatiques et celle
des insectes pendant une courte saison.
« Dans la pyramide écologique de la toundra, le lichen est l‟élément
fondamental. En servant de nourriture aux lemmings et aux rennes, ce végétal
assure indirectement la survie des prédateurs » (Rodriguez de la Fuente, 1972,
p. 151). Or cette base de la pyramide souffre de son très faible renouvellement,
de sa productivité très basse. Il en découle deux conséquences. D‟une part les
grands herbivores doivent avoir de vastes pâturages et effectuer de longs
déplacements pour en trouver de nouveaux, qui ont eu le temps de se
reconstituer. D‟autre part, les petits rongeurs, qui pullulent quand la végétation
abonde, voient leur population chuter quelques mois après, puisque les plantes
qu‟ils ont consommées n‟ont pas eu le temps de se renouveler.

75
C‟est aussi le chiffre donné pour la toundra européenne par P. Ozenda (1994) synthétisant les
travaux de Rodin, Walter et Wielgolaski.
76
Sans le préciser, P. Birot (1965, p. 207) indique 0,7 t/ha/an « pour un type moyen de toundra de
l‟Union Soviétique ».
47
A la suite de l‟ethnologue et archéologue André Leroi-Gourhan, auteur
en 1936 d‟une célèbre Civilisation du renne et grand connaisseur de la culture
russe, les géographes français illustrent en général ce propos par les grands
herbivores. D‟une manière générale Georges Viers (1970, p. 92) écrit que « la
densité des animaux herbivores est à la mesure de la pauvreté végétale et leurs
migrations sont incessantes car les „pâturages‟ épuisés ne se reconstituent
qu‟après de longues années. L‟étonnant, c‟est que des Rennes (1 tête pour 300
ou 400 ha dans les meilleurs cas […] puissent subsister dans un tel milieu ».
Concernant la toundra de Russie d‟Europe, Pierre Camena d‟Almeida (1932, p.
76) écrit : « le lichen ou „mousse de rennes‟ (Cladonia rangiferina), de
croissance infiniment lente : 3 à 5 millimètres par an, de sorte qu‟un pâturage
qu‟ont épuisé les rennes ne peut se reconstituer qu‟après plusieurs années ».
Que ce soit à la période soviétique77 ou aujourd‟hui, l‟élevage du renne ne peut
donc être que très extensif et cette activité traditionnelle reste la principale de la
toundra, sauf dans les points très localisés d‟exploitation des ressources du
sous-sol.
Le maillon essentiel entre les plantes et les prédateurs est cependant
celui formé par les Lemmings. Leur biomasse est la plus considérable de la
toundra et aussi la plus variable. Ce sont eux qui représentent le mieux ce que
les géographes russes considèrent comme le maître-mot de la zoogéographie
toundraine : kolébanié. Cette fluctuation, cet énorme contraste de population, de
masse animale, d‟une année à l‟autre, est avant tout le fait du Lemming. Tous
les carnivores subissent ensuite ce kolébanié, à l‟origine provoqué par ce
rongeur. La raison essentielle des fluctuations de population très prononcées est
le lien avec la productivité végétale. Quand les conditions végétales sont
favorables, la population de Lemmings augmente d‟autant plus vite que la
gestation est courte, le sevrage précoce et la reproduction possible toute l‟année.
Une fois que les Lemmings pullulent, ils dépassent la capacité de la toundra,
détruisent les plantes. Ils se déplacent alors par colonies gigantesques pour
trouver de la nourriture. Ce péressélénié, cette migration en grand, provoque
des hécatombes, par noyade à la traversée des lacs ou des fleuves et par le tribut
que prélèvent les prédateurs. La densité de population peut tomber à un individu
par unité de cinq hectares78, quand elle était à six cents individus pour cinq
hectares l‟année d‟avant. Il faut ensuite souvent trois à quatre ans pour retrouver
un maximum.
Il serait cependant trop simple de regarder ce cycle du kolébanié de
trois à quatre ans comme régulier. Beaucoup d‟autres causes que celle du
dépassement de la capacité végétale entrent en compte. Le géographe G.L.

77
« L‟activité économique la plus répandue dans l‟Arctique soviétique était l‟élevage traditionnel
extensif des rennes, pratiqué par les populations autochtones » (Marchand, 2008, p. 8).
78
Les biogéographes russes ont l‟habitude d‟utiliser le groupement de cinq hectares en
dénominateur pour éviter d‟obtenir une fraction d‟individu inférieure à un en numérateur. Le
choix même de l‟unité témoigne de la faiblesse de la biomasse.
48
Milieux naturels de Russie
Routilevski (1970) les a énumérées pour la toundra de Sibérie centrale : les
épizooties, les décalages temporels complexes entre les populations de
Lemmings et celles des carnivores, les sautes de température et d‟humidité lors
des mi-saisons. Cette dernière cause intéresse particulièrement le géographe. Si
la fonte des neiges est lente et régulière, tout va bien. Si elle est brusque, la
couverture nivale disparaît brutalement, cependant que l‟eau inonde les galeries
souterraines (nory). Le Lemming perd ses deux caches en même temps et se
retrouve sans défense à l‟air libre la proie des prédateurs. Le problème
précédent s‟accentue quand il y a des rechutes de températures, le gel intense
faisant suite à une période douce de fonte. D‟une part, les Lemmings meurent
emprisonnés dans les galeries par les successions d‟inondation et de prise en
glace, d‟autre part leur fourrure, trempée en permanence, gèle, et l‟individu
avec.
Bien que certains d‟entre eux modifient leur régime alimentaire en cas
de disette, les prédateurs des Lemmings et des autres herbivores sont largement
tributaires de la population de ces derniers. Un kolébanié important chez les
Lemmings provoque, malgré des décalages, des inerties et certaines
compensations, une fluctuation forte chez les carnivores. Pour les rapaces, il
s‟agit avant tout du Harfang des neiges (Nyctea scandiaca, bélaïa sova), dont
l‟alimentation est presque exclusivement fondée sur le Lemming. Le Faucon
gerfaut (Falco rusticolus) a quant à lui connu au XXe siècle une forte baisse de
sa population, au point que c‟est une espèce menacée, qui ne régule plus
l‟écosystème toundrain. En effet, le kretchet ne compterait que quelques
centaines de couples dans la toundra russe, où il affectionne les littoraux à
falaise. Sa plus grande concentration serait cependant, aujourd‟hui, le sud de la
toundra de Yamal79. Sur terre, les prédateurs des Lemmings sont surtout le
Renard polaire (Alopex lagopus, pessets) et les Mustélidés, dont c‟est la
nourriture essentielle en sus des campagnols. Le loup en consomme une
certaine part. L‟Ours blanc chasse aussi parfois le Lemming, mais faute de
grive.
Les écureuils terrestres (sousliki) de la toundra sont surtout attaqués par
les Mustélidés, en particulier l‟hermine (Mustela erminea, gornostaï). Cette
dernière s‟attaque aussi au Lièvre variable, que chasse également le pessets.
Le grand herbivore de la toundra russe, le renne, n‟est quant à lui
attaqué que par le loup. Encore s‟agit-il des individus malades, fragiles, boiteux,
ou bien des veaux, que la tactique de chasse de la meute permet d‟isoler du
troupeau.
La chaîne qui part du Lichen, passe par le Lemming et le renne, et
aboutit aux prédateurs, est donc majeure en ce sens qu‟elle est permanente, tout
en étant enrichie saisonnièrement, en particulier par la consommation des

79
Mise à jour en ligne du Livre Rouge des Animaux de Russie par l‟Ecocentre de l‟Université
d‟Etat de Moscou.
49
Cypéracées par les rongeurs aux beaux jours. D‟autres fondements de la chaîne
alimentaire de la toundra sont importants, mais ils se concentrent sur la saison la
moins froide. Il s‟agit d‟une part de l‟offre aquatique, dès que les milliers de
plans d‟eau sont dégelés, d‟autre part de l‟abondance de certains insectes
pendant quelques semaines. C‟est cette importance des insectes dans la toundra,
trop souvent négligée, qui a conduit l‟entomologiste Youri Ivanovitch Tchernov
à étudier par ce biais l‟ensemble du milieu animal (Černov, 1978) et finalement
l‟ensemble du milieu naturel (Černov, 1980, Chernov, 1985). Au total, ces deux
offres de nourriture, par les eaux et les insectes, expliquent l‟abondance
saisonnière des oiseaux.

1.4. La pauvreté spécifique de la toundra russe

La pauvreté floristique des associations végétales de la toundra russe est


accentuée et ce fait ne surprendra pas80. Sur trois à quatre millions de kilomètres
carrés, le nombre total d‟espèces de plantes vasculaires ne serait que de
quelques centaines. Certes, l‟œuvre monumentale et exhaustive en dix volumes
du botaniste A.I. Tolmatchiov et de ses collaborateurs de l‟Institut Komarov de
Léningrad (1964-1987) détaille 1 650 espèces et 220 sous-espèces de la flore
arctique soviétique81. Cependant, selon une approche plus géographique, G.M.
Abdourakhmanov et ses collaborateurs (2003) cartographient la limite
méridionale de la toundra comme correspondant au nombre de 200 espèces de
plantes vasculaires par unité de 10 000 km², alors que la limite sud de la taïga,
forêt mixte exclue, est à 500. Selon N.A. Martchenko et V.A. Nizovtsev (2005,
p. 144, en russe), « on compte […] 100 à 150 espèces dans les îles arctiques de
Sibérie », d‟après N.G. Jadrinskaïa (1970, p. 277, en russe) « sur la péninsule de
Taïmyr poussent environ 350 espèces de plantes vasculaires ». Selon E.M.
Rakovskaja et M.I. Davydova (2003, p. 165, en russe), « le nombre d‟espèces
de la flore toundraine de Russie ne dépasse pas 300 à 400 », mais les chiffres
varient à la hausse si les espèces cryptogamiques sont prises en compte et si on
mord plus ou moins sur la toundra boisée. Si l‟on fait la somme totale de toutes
les plantes, cryptogamiques et supérieures, celles-ci représentent environ un
millier d‟espèces sur une unité de 10 000 km² dans les plus riches toundras
russes82.

80
D‟ailleurs, comme le souligne habilement Pierre George (1962, p. 219), c‟est presque le fait
que ce ne soit pas pire qui est étonnant. « Le nombre d‟espèces recensées surprend, dans un pays
de vie si difficile ».
81
« L‟ensemble des toundras [du monde] ne compte guère plus qu‟un millier de Phanérogames »
(Simon, 2007, pp. 349-350).
82
Dans l‟île de Vrangel, où pousse la plus riche toundra moyen-arctique du monde, il y a 417
espèces et sous-espèces de plantes vasculaires, 331 espèces de Mousses et 310 espèces de
Lichens, soit un total de 1 058 espèces (UICN, 2004).
50
Milieux naturels de Russie
Chaque grand groupe est concerné par cette indigence, y compris, bien
qu‟ils soient les moins touchés, les Mousses et Lichens. Chez les animaux aussi,
la toundra est, de toutes les formations végétales de Russie, celle qui offre la
biodiversité la moins élevée. Elle compterait entre 100 et 600 espèces animales
terrestres par 100 km², contre 600 à 1 000 dans la taïga et plus de 2 000 dans la
forêt de feuillus (Abdurahmanov et al., 2003).

1.4.1. Les espèces cryptogamiques : une richesse toute relative

Les Cryptogames sont, en nombre, les principaux constituants de la


toundra (Longton, 2009). « Des mousses et lichens, des champignons, au
premier rang : plus de la moitié des espèces, mais plus encore du nombre total
des plantes » (Tricart, 1967, p. 160). Cette abondance n‟est pourtant que relative
et ce n‟est que par défaut des autres plantes que les Cryptogames semblent si
importants. En effet, le nombre absolu d‟espèces de Lichens n‟est pas élevé
dans la toundra mondiale en général, et encore moins dans la toundra russe. Il
est même moins élevé que dans toutes les autres zones bioclimatiques. Ils font
impression parce que c‟est la seule formation végétale du monde où ils peuvent
être prédominants, voire exclusifs. « L‟on remarque davantage les Lichens en
régions polaires, mais il en existe deux fois plus en zones intertropicale et
tempérée » (Rougerie, 1988, p. 12). Pour donner un ordre d‟idée, la
Tchoukotka, dont les 740 000 km² sont surtout couverts de toundra, compte
environ 700 espèces de Lichens (Belikovič et al., 2006). Mais ce chiffre n‟est
pas loin d‟être doublé par le fait qu‟une toundra boisée, plus riche, elle-même
poursuivie par des forêts claires de montagne, frange la zone de toundra au sens
strict. Dans l‟ensemble de la toundra russe, les Lichens encroûtants sont
notamment représentés par le genre Parmelia. Une espèce, Parmelia borisorum,
est endémique à la Yakoutie (Giljarov, 1986). Chez les Lichens buissonnants,
les trois principaux genres de la toundra russe sont Cladonia, Cetraria et
Alectoria (Rakovskaïa et Davydova, 2003). C‟est bien entendu la Cladonie qui a
la plus grande importance pour la mise en valeur humaine, puisque c‟est à ce
genre qu‟appartiennent plusieurs espèces regroupées par les éleveurs russifiés
sous l‟appellation d‟oléni mokh, la mousse à renne.
Les Mousses (mkhi) de la toundra russe comptent tout au plus quelques
centaines d‟espèces. Pour donner un ordre d‟idée, A.V. Bélikovitch et ses
collaborateurs (2006) ont dénombré exactement 469 espèces de Mousses en
Tchoukotka, en cumulant celles de la toundra et de la toundra boisée. Au nord
de la Sibérie occidentale, la toundra typique de Yamal compterait 78 espèces de
Mousses (Dryachenko et al., 1999), mais, à l‟extrême sud de cette péninsule,
dans la toundra proche du lac Younto, Irina Csernyadjeva (1999) a recensé 206
espèces, réparties en 87 genres et 30 familles. Dans l‟ensemble de la toundra
russe, les Mousses hépatiques (petchionotchnyé mkhi), ou, plus simplement, les
Hépatiques (petchionotchniki) forment une classe qui prend d‟autant plus
51
d‟importance relative qu‟on s‟avance vers le nord. Mais, dans la toundra russe
typique, c‟est bien entendu la classe des Bryopsidées qui joue le plus grand rôle
paysager, pouvant former d‟épais tapis. Ce sont les Mousses vraies
(nastoïachtchié mkhi), que les biogéographes russes appellent plutôt
listostébelnyé mkhi (Abramova et al., 1961). Parmi les genres importants, il est
impossible de ne pas citer Bryum, Racomitrium et Polytrichum. Pour prendre un
exemple, les espèces les plus répandues de la toundra de Yamal sont Bryum
arcticum, B. creberrimum, B. labradorense, B. purpurascens, Racomitrium
canescens, Funaria arctica, Polytricum alpinum (Dryachenko et al., 1999).
Dans l‟ensemble de la toundra russe, les marécages tourbeux et les tourbières
forment un cas particulier, où les Mousses vraies sont particulièrement bien
représentées dans la composition floristique, notamment par le genre
Sphagnum.
Les Champignons (griby) de la toundra russe regroupent, au total,
quelques dizaines d‟espèces. Dans son décompte exhaustif des champignons de
la République de Komi, Nina Kotelina (1990) a recensé, dans la toundra
petchorienne des régions de Vorkouta et Khalmer-You, 29 espèces (tableau). Ce
nombre monte à 35 si l‟on ajoute les sous-espèces. Les Bolets, les Lactaires et
les Russules sont les trois genres les plus fournis, cependant que la Vesse-de-
loup (Lycoperdon) n‟est pas absente. L‟Amanite, représentée par deux espèces,
est le seul genre vénéneux.
Fig. toundra 3 : Podbériozovik, le champignon de la toundra russe ami du Bouleau nain

52
Milieux naturels de Russie

Latin Russe Français


Amanita muscaria Moukhomor krasny Amanite tue-mouches
Amanita porphyria Moukhomor porfirovy Amanite porphyre
Amanitopsis vaginata poplavok Amanite vaginée
Boletinus cavipes Bolétin polonojkovy Bolet à pied creux
Boletinus paluster Bolétin bolotny Bolet des marais
Boletus bovinus kozliak Bolet des bouviers
Boletus edulis var. bériozovy bély grib Cèpe des bouleaux
betulicola
Bovista plumbea porkhovka Boviste plombée
Lactarius flexuosus sérouchka Lactaire flexueux
Lactarius musteus Mletchnik bély Lactaire pâle des
tourbières
Lactarius pubescens Volnouchka bélaïa Lactaire pubescent
Lactarius Grouzd sinéïouchtchi Lactaire remarquable
repraesentaneus
Lactarius rufus gorkouchka Lactaire roux
Lactarius torminosus Volnouchka rozovaïa Lactaire à toison
Leccinum scabrum podbériozovik Bolet rude
Leccinum versipellis podossinovik Bolet changeant
Lycoperdon gemmatui Dojdévik chipovaty Vesse-de-loup
Russula delica Podgrouzok bely Russule faux-lactaire
Russula decolorans Syroejka séréïouchtchaïa Russule orangée
grisonnante
Russula emetica Syroejka jgoutchéedkaïa Russule émétique
Russula flava claroflava Syroejka joltaïa Russule jaune
Russula grisea Syroejka séraïa Russule grise
Russula ochroleuca Syroejka okhristaïa Russule ocre et blanche
Russula paludosa Syroejka bledno-zélionaïa Russule des marais
Suillus elegans Maslénok listvennitchny Bolet élégant
Suillus flavidus Maslénok bolotny Bolet jaunâtre
Suillus granulatus Maslénok zernisty Bolet granuleux
(nonette pleureuse)
Suillus luteus Maslénok pozdny Bolet jaune (nonette
voilée)
Suillus viscidus Maslénok séry Bolet visqueux

Tableau Les principales espèces de champignons de la toundra russe

53
D‟après un recensement exhaustif des espèces de la toundra
petchorienne de la région de Vorkouta par N.S. Kotelina (1990) et diverses
encyclopédies russes et françaises pour les équivalents taxonomiques. Note :
Boletus scaber et B. versipellis ont été placés au genre Leccinum ; Boletus
elegans, B. flavidus, B. granulatus, B. luteus, B. viscidus ont été placés au genre
Suillus.

1.4.2. Les espèces herbacées et buissonnantes : l’importance des


Cypéracées et des Ericacées

Au-dessus de la strate cryptogamique, les plantes herbacées


(travianistyé rasténia) de la toundra se regroupent dans quelques dizaines de
familles, dont chacune compte en général un nombre restreint de genres et
d‟espèces. Ceci est surtout le cas du raznotravié, un regroupement pratique83 de
toutes les familles à l‟exclusion des Graminées, Légumineuses et Cypéracées.
Les familles qui composent le raznotravié sont celles qui donnent les
plantes à fleurs bariolant la toundra russe. Chacune compte un nombre réduit
d‟espèces, sauf les Crucifères. En effet, les Brassicacées sont celles qui
fournissent le plus d‟espèces à la toundra russe, bien que cette famille soit
connue, à l‟échelle mondiale, pour ne pas donner, en proportion, beaucoup de
vivaces. La primauté des krestotsvetnyé vient presque du genre Draba à lui seul,
puisque la Drave, la kroupka des Russes, développe plus d‟une vingtaine
d‟espèces, cependant que le genre Braya est une autre Crucifère répandue, en
particulier dans la toundra yakoute et extrême-orientale, grâce à Braya
purpurescens (braïa krasnéïouchtchaïa) et B. siliquosa (B. stroutchkovaïa). Le
genre Cochlearia, « l‟herbe à cuiller » (lojetchenaïa trava), est aussi une
Crucifère qui relaie des espèces du sud au nord de la toundra russe, dont la
Cochléaire arctique et celle du Groenland. Les Renonculacées (lioutikovyé) sont
importantes (Tolmachev et al., 2000), en particulier pour trois genres, la
Renoncule (Ranunculus, lioutik), le Trolle (Trollius, koupalnitsa), dont les
fleurs jaunes sont très reconnaissables, et le Pigamon (Thalictrum,
vassilistnik). Les Scrophulariacées (noritchnikovyé) forment une famille très
importante, avant tout pour la Pédiculaire (Pedicularis, mytnik), qui est l‟un des
genres de la toundra russe comptant le plus grand nombre d‟espèces. Cette
famille comporte aussi le Lagotis, que l‟on retrouve jusque très au nord. Les
Papavéracées (makovyé) doivent être citées pour le Pavot (Papaver, mak), les
Boraginacées (bouratchnikovyé) pour le Myosotis (nézaboudka), les
Géraniacées (guéraniévyé) pour le Géranium (guéran). La famille des
Crassulacées (tolstiankovyé) comprend le genre Rhodiola (rodiola en russe),
dont on sait qu‟une espèce, la rodiola rozovaïa, est particulièrement recherchée
par les Russes comme aphrodisiaque.

83
Nous détaillerons cette notion dans la partie traitant de la steppe.
54
Milieux naturels de Russie
En dehors des familles qui composent le raznotravié, la toundra russe
compte, en particulier dans ses multiples cuvettes marécageuses, voire
tourbeuses, mais aussi en milieu plus sec, beaucoup de Cypéracées (Tolmachev
et al., 1996), les ossokovyé des Russes. La Laîche (Carex, ossoka) est d‟ailleurs,
de tous les genres de la toundra russe, celui qui compte le plus grand nombre
d‟espèces. La Linaigrette (Eriophorum, pouchitsa), ou Porte-coton, en constitue
l‟autre genre majeur. Il est moins connu que ces dépressions humides offrent
aussi un habitat apprécié de certaines Graminées. Les zlaki forment d‟ailleurs la
famille la plus prolifique de la toundra russe (Tolmachev et al., 1995) en
nombre d‟espèces84. Le Pâturin (Poa, miatlik) et la Canche (Deschampsia,
lougovik) en sont les genres les plus communs. C‟est ainsi que la toundra russe
offre un habitat fréquent à la Canche alpine (Deschampsia alpina, lougovik
alpisiki) et au Pâturin arctique (Poa arctica, miatlik arktitcheski). Le lissokhvost
est un genre (Alopecurus) qui se complaît dans des conditions humides, avant
tout l‟espèce que les Russes appellent lissokhvost alpiski, qui correspond à notre
Vulpin de Gérard (Alopecurus alpinus). La dernière famille des plantes
herbacées de la toundra russe se trouve être celle des Légumineuses, les
bobovyé des Russes. L‟Astragale (Astragalus, astragal) et le Sainfoin
(Hedysarum, kopéetchnik) en forment les deux genres principaux, à travers des
espèces comme l‟astragal zontitchny et le kopéetchnik néïasny des Russes.
Enfin, les associations buissonnantes voient le règne, presque exclusif,
de la famille des véreskovyé. Cela veut dire que, « au plan floristique, les
Ericacées ont ici la première place » (Rougerie, 1988, p. 60). Les deux genres
Vaccinium, la tchernika des Russes, et Empetrum, que les Russes nomment
voronika ou bien vodianika, sont essentiels dans la toundra russe, surtout dans
sa frange méridionale et sur les sols qui ne sont pas trop détrempés. Le genre
Vaccinium donne plusieurs espèces de buissons à baies, dont la principale se
trouve être l‟Airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea, brousnika), beaucoup plus
répandue que la myrtille (Vaccinum myrtillus, tchernika obyknovennaïa).
L‟Airelle bleue (Vaccinium uliginosum, goloubika) est, avec le Raisin d‟ours
(Arctous, arktoous) l‟une des seules Ericacées à posséder des feuilles caduques.
La Canneberge (Oxycoccus85, klioukva) forme un genre proche de Vaccinium,
avec lequel il est parfois confondu ; c‟est une Ericacée qui apprécie des sols
plus marécageux que les précédents. Le genre Empetrum est bien entendu
représenté par la Camarine noire (Empetrum nigrum, voronika tchiornaïa).
Outre l‟Airelle, le Raisin d‟ours, la Canneberge et la Camarine, la toundra russe
est riche d‟autres genres d‟Ericacées, parmi lesquels le Lédon (Ledum,
bagoulnik) est le principal ; mais il serait aussi possible de citer par exemple le

84
La toundra de la péninsule de Taïmyr compte par exemple 60 espèces de Graminées, tandis que
les 45 autres familles de plantes vasculaires réunies n‟en totalisent que 310 (Ţadrinskaja, 1970).
Les Cypéracées viennent en troisième position pour 33 espèces. En deuxième place s‟intercale
une famille du raznotravié, les Crucifères (34 espèces).
85
Ou Oxycoccos
55
genre Cassiope, dont une espèce (Cassiope tetragona) monte très au nord, si
l‟habitat est suffisamment sec. Les Ericacées, très prédominantes, laissent une
place secondaire aux autres familles. Il est cependant impossible de passer sous
silence celle des Rosacées (rozovyé), à laquelle appartient la Dryade (Dryas)
que les géographes russes nomment driada, mais que la population appelle plus
volontiers l‟herbe aux perdrix (kouropatotchia trava). Ce genre n‟est pas
seulement représentée dans la toundra russe par la stricte Dryade à huit pétales
(Dryas octopetala, driada vosmilépestnaïa), « plante naine emblématique des
milieux froids » (Godard et André, 1999, p. 185), mais aussi par d‟autres
espèces ou sous-espèces, comme la Dryade rose (Dryas punctata, driada
totchetchnaïa) et, sur les calcaires de la toundra de l‟île de Vrangel, Dryas
integrifolia var. canescens (Belikovič et al., 2006).
Nous nous contenterons de rappeler ici que les arbres nains, de la taille
de buissons à feuilles caduques, appartiennent aux familles des Bétulacées
(bériozovyé), pour le Bouleau (Betula, bérioza) et l‟Aulne (Alnus, olkha), et des
Salicacées (ivovyé) pour le Saule (Salix, iva). C‟est la famille des Salicacées qui
fournit le plus grand nombre d‟espèces à la toundra russe (Tolmachev et al.,
2000).

1.4.3. La part des oiseaux dans un petit nombre total d’espèces


animales

A l‟instar de la flore, la faune de la toundra compte un petit nombre


d‟espèces, en outre très variable en fonction des saisons du fait de l‟importance
des migrations. Les invertébrés et, parmi eux, les insectes, forment évidemment
l‟essentiel. Chez les vertébrés, la prédominance des oiseaux est le fait marquant
des recensements d‟espèces de la toundra, en lien avec leur facilité de migration
pour quitter le froid saisonnier. Il est d‟ailleurs manifeste que l‟insularité des
toundras accentue la proportion des oiseaux. Dans les archipels russes de
l‟Arctique, leur prépondérance est écrasante. Par exemple, A.V. Bélikovitch et
al. (2006) ont compté 169 espèces d‟oiseaux dans l‟île de Vrangel, contre 7
espèces de mammifères. Dans l‟archipel de la Terre du Nord, G.L. Routilevski
(1970) a recensé 27 espèces d‟oiseaux, contre 7 espèces de mammifères. La
comparaison avec le continent situé juste en face du détroit, la péninsule de
Taïmyr et la Plaine de Sibérie Septentrionale, montre que la proportion
d‟oiseaux y est moindre, puisque dans l‟ensemble de cette région, on a 91
espèces d‟oiseaux contre 20 mammifères. A l‟intérieur de la classe des Oiseaux,
l‟ordre des Passériformes (vorobinyé), qui, à l‟échelle mondiale, constitue plus
de la moitié des espèces d‟oiseaux, représente dans la toundra russe moins du
quart des espèces, par exemple 23 des 91 espèces de la toundra de Sibérie
centrale (Rutilevskij, 1970). Et leur proportion diminue du sud vers le nord.
Dans les îles russes de l‟Arctique, ils ne forment plus que 7 % des espèces
d‟oiseaux.
56
Milieux naturels de Russie
Un fait géographique important, à travers l‟étude taxonomique de
l‟ensemble des espèces de la toundra russe, réside dans le fait qu‟un grand
nombre est directement aquatique. C‟est remarquable chez les invertébrés dans
l‟ensemble de la toundra russe, mais c‟est aussi significatif chez les vertébrés,
au moins dans certaines régions. Ainsi, dans la toundra de Sibérie centrale, le
nombre d‟espèces de poissons d‟eau douce est très élevé eu égard à l‟ensemble
de la faune (Rutilevskij, 1970). Il est vrai que le plus grand lac de la toundra
russe, le Taïmyr, y est pour beaucoup. Cependant, dans toute la Russie polaire,
la multitude des petits plans d‟eau de thermokarst, mais aussi des marais et
marécages, a pour résultat la grande part des animaux aquatiques dans le
décompte total. L‟influence indirecte est évidemment considérable, renforçant
le nombre des oiseaux se nourrissant des mollusques, crustacés et poissons
d‟eau douce. L‟importance de l‟ordre des Charadriiformes (rjankoobraznyé), et
parmi eux du sous-ordre des Charadrii (kouliki), qui regroupe des oiseaux d‟eau,
est liée à ce fait.
En dehors des oiseaux, le nombre d‟espèces est très réduit et n‟atteint
que rarement cinq cents par carreau de cent kilomètres carrés. La pauvreté
spécifique animale répond ainsi à celle des végétaux, ajoutant une faible
diversité qualitative à l‟indigence quantitative de ce milieu. Il convient de se
demander quelles sont les causes de cette pauvreté généralisée et, pour le petit
nombre d‟espèces supportant de telles conditions, les modalités de leur
endurance.

2. La toundra, une formation jeune, déterminée par le milieu polaire

La pauvreté de la toundra, en particulier en nombre d‟espèces, est


expliquée par le cumul de sa jeunesse à l‟échelle des temps géomorphologiques
et de la rudesse des conditions actuelles du milieu86. C‟est sans doute le climat
qui pose aujourd‟hui les contraintes les plus sévères. Mais les difficultés de la
vie dans la toundra sont aussi dues aux caractéristiques du sol, qui ne se
réduisent pas au seul problème du gel. Face à ces conditions climatiques et
pédologiques rigoureuses, le maître mot concernant l‟écologie de la toundra
russe reste, bien qu‟il soit critiqué, celui de prispossoblénié, l‟adaptation.

86
« Les traits physionomiques et la pauvreté floristique des régions polaires découlent bien
entendu des sévères contraintes imposées par le milieu, qui entraînent une sélection rigoureuse
des espèces ; mais ils s‟expliquent également par la jeunesse des biocénoses » (Godard et André,
1999, p. 182). « La pauvreté de la composition spécifique du type toundrain de végétation est liée
tant à sa jeunesse qu‟à la rudesse des conditions dans lesquelles il se forme » (Rakovskaja et
Davydova, 2003, p. 165, en russe).
57
2.1. La toundra et les paléoclimats quaternaires

La jeunesse de la toundra, la molodost des Russes, est une


caractéristique importante expliquant la pauvreté spécifique de cette formation
végétale, à laquelle le temps n‟a pas été donné de se diversifier. Sa
paléogéographie, bien qu‟elle soit courte, n‟en est pas moins complexe. Malgré
une vicissitude d‟avancées et de retraits parfois contraires, il conviendra de
présenter d‟abord la période de conquête de la toundra, puis celle de son recul.

2.1.1. La toundra, une formation végétale du Quaternaire descendue


des monts de Sibérie orientale

Selon la thèse russe classique87, celle que défendit A.I. Tolmatchiov dès
les années 1920, ainsi que Litvinov, le lieu d‟origine (rodina, la patrie) de la
flore et de la faune de la toundra se trouve être l‟ensemble montagneux du nord-
est de l‟Asie, celui des Monts de Sibérie Orientale et des chaînes de l‟Extrême-
Orient Russe, ainsi que de l‟Amérique du Nord-Ouest, où ce type de végétation
herbacée froide existait à l‟ère tertiaire.
Le refroidissement plioquaternaire a conduit à la colonisation herbacée
du bas pays au détriment des arbres, grâce à une possibilité de cycle végétatif
plus court et au besoin moins élevé de la somme calorifique nécessaire au
développement. Dès le début des périodes glaciaires, il y a sans doute eu
d‟étroits contacts entre la flore et la faune du bas pays périglaciaire et celles
d‟altitude. La Dryade ou la Camarine sont des plantes qui en témoignent, de
même que le Lagopède chez les animaux. Les échanges d‟organismes entre les
deux milieux avaient déjà été supposés au XIXe siècle par Stephen Forbes et
Charles Darwin et la théorie reste en cours. « On ne peut manquer d‟être frappé,
dans la recherche des déterminismes, par toutes les analogies entre végétations
suffrutescentes des toundras et des montagnes. Cela est vrai des physionomies,
des structures, des recouvrements, des morphologies, des anatomies, en grande
partie des spectres biologiques et des biomasses, et surtout Ŕ fait remarquable Ŕ
cela est vrai aussi d‟une bonne part des populations floristiques. [Cela] amène à
penser que ces territoires polaires et altimontains ont participé d‟une histoire
commune » (Rougerie, 1988, p. 64).
Puis, à chaque maximum froid, la poussée de l‟inlandsis vers le sud
provoquait l‟englacement des régions de Russie d‟Europe et de Sibérie

87
Le géographe B.N. Gorodkov (1935) émit une autre hypothèse, celle d‟un ancien ensemble
boisé, qui aurait perdu ses arbres à cause de l‟emmarécagement et de la formation du pergélisol.
Seule la strate au sol aurait subsisté, tout en se transformant. « Les petits buissons toujours verts
de la toundra, tels que le lède ou l‟empêtre, représentent, d‟après Gorodkov, les descendants des
plantes forestières de l‟époque tertiaire, qui se sont d‟abord adaptés à la vie dans les tourbières des
forêts nordiques du pliocène, puis qui, au début de l‟époque glaciaire, ont émigré dans les
toundras » (Berg, 1941, p. 32).
58
Milieux naturels de Russie
Occidentale où la toundra est actuellement présente. Cependant, d‟une part ces
formations basses avançaient alors vers le sud à la place de régions aujourd‟hui
forestières, d‟autre part la toundra se conservait dans des situations très
septentrionales, proches de la localisation actuelle, en Sibérie orientale. Là, en
effet, le continent, très sec, était dépourvu de glacier. La toundra de Sibérie
centrale et orientale présente ainsi une histoire ininterrompue plus longue que
celle d‟Europe88 et de Sibérie occidentale, puisque, à l‟ouest, chaque glaciation
faisait recommencer l‟évolution bio-pédologique à partir du néant raboté par
l‟inlandsis89. Toutes conditions égales par ailleurs, les sols de la toundra
sibérienne à l‟est de l‟embouchure de l‟Iénisséï sont plus évolués. C‟est aussi, à
plus petite échelle cartographique, l‟une des explications de la différence entre
la toundra russe, en moyenne plus moussue90, et la toundra canadienne, plus
lichénique, car les sols y sont plus jeunes, sinon absents.
Plus une région a échappé aux glaciations, plus sa biodiversité est
grande et cela culmine dans la toundra de l‟île de Vrangel. Celle-ci compte en
effet, sur quelques milliers de kilomètres carrés, plus d‟espèces que tout
l‟archipel canadien réuni (UICN, 2004). Et elle le doit à son héritage
paléogéographique. L‟île est en effet le dernier vestige de l‟ancien continent
déglacé de la Béringie (Jurcev, 1970), qui faisait le pont entre l‟Amérique et
l‟Asie, où se sont réfugiées les espèces détruites ailleurs par l‟inlandsis
(Belikovič et al., 2006). A chaque interglaciaire, la toundra occidentale était
repoussée vers le nord par la montée de la taïga en latitude, mais, sur les
bordures de l‟Océan Glacial, l‟absence d‟été ne permettait pas l‟arrivée des
arbres. Les rivages des mers arctiques devinrent le creuset du brassage
floristique des différentes formes toundraines et toundro-steppiques. « Les
régions littorales cumulaient des températures assez basses de l‟air avec une
plus grande humidité, ce qui a déterminé le mélange des associations herbacées
avec les toundras muscino-lichéniques et buissonnantes » (Rakovskaja et
Davydova, 2003, p.149, en russe). Mais le plus grand échange entre la steppe et
la toundra a sans doute eu lieu plus récemment, à l‟Holocène.

88
De toute façon, dans l‟hypothèse aujourd‟hui admise, la toundra, originaire de la Béringie, a
migré vers l‟ouest en traversant toute l‟Asie, si bien que l‟Europe a la plus jeune des toundras,
nonobstant les oscillations du nord au sud.
89
« La situation est particulièrement grave là où, par suite du raclage des inlandsis, la
décomposition de la roche a dû repartir à 0, il y a quelques milliers d‟années seulement » (Birot,
1965, p. 212).
90
« Les plaines côtières de l‟Arctique russe, qui ont largement échappé à l‟englacement, ont
conservé un manteau d‟altération relativement uniforme qui sert de substrat à des toundras
majoritairement moussues » (Godard et André, 1999, p. 196).
59
2.1.2. Les vicissitudes de la toundra depuis la fin de la dernière
glaciation

Depuis la fin de la dernière glaciation, la toundra s‟est globalement


retirée vers le nord, surtout en Europe et en Sibérie occidentale, mais, à
l‟intérieur de ce grand mouvement d‟ensemble, elle a connu au cours de ces dix
derniers millénaires une succession d‟avancées et de reculs d‟une ampleur
maximale d‟environ deux degrés de latitude.
Le recul le plus prononcé s‟est produit il y a environ 6 000 ans, quand,
lors de ce réchauffement climatique, la toundra a été repoussée par la forêt
boréale de 100 à 200 km au nord de sa position actuelle. Il y a un siècle déjà, le
géographe G.I. Tanfiliev avait étudié, dans la toundra de Timan, les souches et
les troncs de conifères et de bouleaux découverts dans la tourbe très au nord de
la limite de l‟arbre d‟aujourd‟hui91. Puis le géographe B.N. Gorodkov (1935)
avait émis l‟hypothèse, s‟appuyant sur l‟analyse de la composition floristique,
que la toundra actuelle était en grande partie l‟héritage d‟une taïga amputée de
ses étages arbustifs et arborés. Ces auteurs avaient frayé la voie aux recherches
russes ultérieures, qui s‟attachèrent plutôt à dater précisément le recul de la
toundra et à le corréler au réchauffement et à l‟assèchement de la période en
question. Réduite à un liséré littoral bordant les mers arctiques, la toundra a
même, à cette époque, pratiquement disparu là où la côte de l‟Océan Glacial
était suffisamment méridionale.
Pendant cette même période chaude et sèche d‟il y a environ 6 000 ans, la
steppe boisée, située aujourd‟hui au sud du 55e parallèle, était montée, très au
nord. Le long de certains couloirs92 traversant la taïga, elle avait même atteint
des régions assez proches de la toundra. « C‟est à cette époque que les toundras

91
Cette recherche de Gavriil Ivanovitch Tanfiliev (Tanfil‟ev, 1911) et de ses successeurs, au nom
souvent omis, a beaucoup marqué les géographes français. « La limite septentrionale de la forêt a
reculé depuis l‟époque xérothermique quaternaire. On trouve jusqu‟à 200 km au nord de la limite
actuelle de la forêt, dans des tourbières de la toundra typique, des souches et des troncs de sapin,
de bouleau et de mélèze » (George, 1962, p. 220). « Le réchauffement postglaciaire est passé par
un maximum lors de la période dite xérothermique (vers 4000 à 5000 av. J.-C.). […] Grâce à un
été plus chaud, la taïga avait refoulé la toundra à 100-150 km de sa limite actuelle ; on trouve ses
troncs fossilisés dans la tourbe » (Birot, 1970, pp. 115-118). « Les études menées par les savants
soviétiques ont montré l‟ampleur et le nombre des oscillations climatiques et végétales. La taïga a
avancé vers le nord à plusieurs reprises (on a exhumé des souches à 250 km au nord de la limite
actuelle) » (Blanc et Carrière, 1992, p. 221). « L‟optimum atlantique (vers 6 000 Ŕ 5 000 B.P.) a
été marqué par la progression de la forêt boréale qui s‟est alors avancée […] cependant que les
paysages nord-sibériens voyaient pratiquement disparaître la toundra nue » (Godard et André,
1999, pp. 317-318).
92
Parmi ces couloirs figurait la Léna, où il subsiste aujourd‟hui une exceptionnelle enclave de
steppe dans la taïga sous le 62e parallèle. « Autour d‟Iakoutsk, sur des sables d‟alluvion que
recouvre un peu de terre noire, avec des plantes parentes de celles de la Mongolie, s‟étend une
steppe dont le sol est remué par les mêmes rongeurs que dans celle de Sibérie Occidentale. C‟est
la steppe la plus septentrionale du monde » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 215).
60
Milieux naturels de Russie
ont pu s‟enrichir d‟éléments en provenance des steppes » (Berg, 1941, p. 31).
C‟est ce rapprochement que les savants russes ont étudié en détail dès
Gorodkov (1935). Il est manifeste que les écureuils terrestres et autres sousliki,
qui peuplent aujourd‟hui la toundra, sont venus de la steppe à ce moment. Chez
les plantes, l‟Astragale vraie et l‟Oxytropis (ostrolodotchnik des Russes) sont
des Légumineuses qui ont sans doute suivi le même chemin.
Puis le refroidissement qui eut lieu entre 3 000 et 2 000 avant
aujourd‟hui permit une nouvelle avancée de la toundra vers le sud, avant qu‟un
radoucissement ne la fît se replier. Le Petit Age Glaciaire a correspondu avec sa
réavancée. Certes, le réchauffement récent provoque de nouveau son recul
général, mais, d‟une part elle a une certaine capacité d‟auto-entretien qui lui
permet de résister à l‟arbre93, d‟autre part les conditions anthropiques locales
jouent désormais un grand rôle. Ce repli a été accompagné à l‟époque
soviétique de boisements, notamment dans les vallées, qui accentuaient, la
progression de la taïga, cependant qu‟à d‟autres endroits les défrichements
provoquaient le mouvement inverse. Depuis une vingtaine d‟années,
l‟importance des incendies dans l‟extrême nord de la zone de taïga permet à la
toundra de garder localement certaines de ses positions (Abdurahmanov et al.,
p. 293).

2.2. L’écosystème de la Russie polaire

Le mariage de la toundra et du climat polaire ne s‟est-il fait que pour le


pire ? Avant de tomber dans la facilité de juger la rigueur du climat froid et
d‟évoquer les réponses à cette contrainte, il est honnête de présenter le caractère
fusionnel de leur relation.

2.2.1. L’existence même de la toundra à toutes les échelles, une


question de climat polaire

Le domaine de la toundra, en tant que formation végétale zonale, doit


son existence à son appartenance à la zone polaire. La vénérable ligne de
Köppen, celle de l‟isotherme de 10 °C pour la moyenne du mois le plus chaud,
malgré l‟ancienneté et la simplicité de sa détermination, ou plutôt grâce à elles,
reste celle qui matérialise le mieux la limite méridionale de la toundra. Elle
correspond bien, en Russie comme en Amérique, avec la limite de l‟arbre. C‟est
l‟absence d‟été qui empêche la croissance de l‟arbre. C‟est donc au nord de
cette limite que se trouve le bezlessié, le pays sans arbre, et au sud la première
frange pré-forestière de la zone tempérée. La toundra est ainsi la végétation de

93
M.C. Nilsson et al. (1993) ont par exemple montré que les communautés à Empetrum
hermaphroditum gênaient fortement la régénération forestière en Pins sylvestres en Suède. Or la
Camarine hermaphrodite est une plante importante de la toundra de Russie d‟Europe.
61
la Russie polaire et d‟elle seulement. Ladite formation de la toundra boisée
(lessotoundra) ne peut donc être rangée dans la zone de toundra : elle forme le
ruban le plus septentrional de la zone de la taïga.
Ce sont donc les caractères du climat polaire qui expliquent, à petite
échelle, ceux de la toundra. « Le déterminisme est, de très loin, pour l‟essentiel
climatique d‟ordre zonal : il est celui des pays du „soleil de minuit‟, pour le
régime thermique et, secondairement, pour le photopériodisme. Cela règle
même des faits d‟ordre floristique : la présence d‟espèces comme Dryas
octopetala, Cassiope tetragona ou Betula nana est limitée à la toundra »
(Rougerie, 1988, p. 62). Avant de suivre la coutume d‟étudier les traits polaires
comme un ensemble de contraintes auxquelles les organismes vivants doivent
s‟adapter, il nous semble opportun de présenter certaines données climatiques
qui peuvent être considérées comme des atouts eu égard aux conditions que
subit la toundra boisée, voire la taïga de mélèzes. Pendant la saison qui tient lieu
d‟été, la toundra profite de longues durées d‟éclairement, qui seraient, pour
certains, l‟une des explications de l‟épanouissement de grosses fleurs de couleur
vive typiques de cette formation végétale. « La longueur du jour pendant la
saison végétative, l‟importance de l‟éclairement, expliquent peut-être le grand
nombre de fleurs, ainsi que leurs couleurs éclatantes » (Elhaï, 1967, p. 279). En
outre, cette saison bénéficie d‟une humidité relative de l‟air assez élevée, à
laquelle contribue d‟ailleurs mécaniquement sa fraîcheur concomitante, qui
n‟est pas contradictoire avec la grande faiblesse, sauf dans la toundra
mourmane, des précipitations. Quant à l‟hiver, il est globalement moins froid
que dans la toundra boisée et même certaines portions de la taïga, de façon très
nette à l‟ouest et à l‟est du pays, la Sibérie occidentale étant à cet égard la seule
exception.
A grande échelle cartographique, la structure en mosaïque de la
toundra est aussi expliquée en partie par les particularités polaires de la
juxtaposition de microclimats (Barry et Van Wie, 1974). La multiplication des
phénomènes d‟abri, l‟importance des différences d‟expositions face à un soleil
rasant contribuent à ce que les géographes russes se plaisent à appeler pestrota,
le bariolage des micro-climats toundrains. « L‟aspect de mosaïque de la
couverture végétale, caractéristique des toundras, est [en partie] déterminée […]
par la bigarrure des conditions micro-climatiques » (Rakovskaja et Davydova,
2003, p. 167, en russe). Cela ne doit cependant pas occulter le fait que la
marqueterie végétale est surtout en lien, à cette échelle, avec celle des sols.

62
Milieux naturels de Russie
2.2.2. L’adaptation des plantes au climat polaire

Les contraintes du climat polaire sont nombreuses et prononcées. Outre


la jeunesse de cette formation végétale, elles sont un élément d‟explication
important de la faible biodiversité de la toundra. Peu d‟espèces sont en effet
capables d‟y résister. Ces contraintes peuvent être regroupées en trois grandes
familles : d‟abord la brièveté de la saison végétative, ensuite le fait que, même
pendant celle-ci, les conditions, fraîches, sèches et ventées ne sont pas très
propices, enfin la rigueur de l‟hiver. Il convient de souligner que cette dernière
contrainte n‟est pas propre à la toundra, mais commune avec la taïga. La
rudesse hivernale est même, excepté la nuit polaire, plutôt pire dans la forêt
boréale. La grande originalité bioclimatique de la toundra est donc le caractère
doublement peu favorable de la saison végétative, d‟une part sa courte durée,
d‟autre part ses mauvaises conditions atmosphériques.

Des vivaces, sempervirentes et à multiplication végétative face à la brièveté de


la bonne saison

C‟est bien entendu le caractère trop court de la saison végétative qui


détermine d‟une part l‟absence de l‟arbre, sur laquelle nous ne reviendrons pas,
d‟autre part la grande rareté des herbes annuelles. Les odnoletnyé travy doivent
en effet réaliser un cycle complet en seulement quelques semaines.
L‟implication de rythmes de développement d‟une telle rapidité réduit à un très
petit nombre les espèces qui en sont capables. C‟est pourquoi la toundra russe
est le règne des mnogoletniki. Les vivaces peuvent en effet entrer en action dès
le tout début de l‟arrivée des conditions favorables, sans perdre quelques
précieuses journées ou semaines. En outre ces vivaces ont développé un certain
nombre de caractères ou de comportements supplémentaires leur permettant de
faire face à la trop courte durée de la saison pendant laquelle les contraintes
climatiques sont modérées.
C‟est d‟abord la sempervirence de la plupart des plantes toundraines qui
autorise la reprise immédiate de l‟assimilation chlorophyllienne. En effet les
plantes toujours vertes (vetchnozélionnyé rasténia), comme la Camarine noire,
l‟Airelle rouge, la Cassandre, la Canneberge, le Lédon, la Saxifrage (du moins
la plupart des espèces), peuvent utiliser au plus tôt l‟énergie lumineuse pour la
photosynthèse dès l‟arrivée des premiers beaux jours, sans attendre de fabriquer
de nouvelles feuilles. « Il existe en outre de nombreux cas intermédiaires avec
celui des végétaux à feuilles caduques ; les bourgeons sont déjà ouverts en
automne, et les feuilles à demi-déployées passent l‟hiver dans cette position »
(Birot, 1965, p. 209). Plusieurs Rosacées de la toundra russe en fournissent de
bons exemples, notamment la laptchatka (Potentilla). En complément de la
sempervirence, les feuilles de la toundra ont souvent une « forte teneur en

63
chlorophylle » (Rougerie, 1988, p. 60), qui explique leur couleur d‟un vert
sombre.
Le second grand problème dû à la brièveté de la bonne saison concerne
la reproduction des plantes de la toundra. Pour éviter que les éventuelles graines
n‟aient pas le temps de mûrir, les plantes de la toundra donnent comme nulle
part ailleurs une telle importance à la multiplication94 végétative (véguétativnoïé
razmnojénié). Chez les Mousses vraies et les Hépatiques de la toundra russe, il
est habituel que des amas pluricellulaires, les propagules, se spécialisent dans la
multiplication végétative. Ces petits massifs de cellules arrondis sont produits
par des organes, les corbeilles (kourtiny), qui atteignent ici, selon les
géographes G.M. Abdourakhmanov et alii (2003), une grande fréquence. Chez
les plantes supérieures de la toundra, la multiplication asexuée (bezpolnoïé
razmnojénié) prend des formes variées (Korovkin, 2007). L‟une des principales
est la production de loukovitchi. Ces bulbilles sont de petits bourgeons adventifs
qui, à maturité, se détachent de la plante-mère, tombent au sol et s‟enracinent,
donnant ainsi naissance à une nouvelle pousse (pobeg). Outre les bulbilles, un
autre organe spécialisé permet la multiplication végétative de certaines plantes
de la toundra. Il s‟agit des stolons (stolony), ces rameaux rampants, à croissance
horizontale, dont le bourgeon terminal, souvent une rosette de petites feuilles,
peut s‟enraciner pour donner une nouvelle plante. Bien que le terme soit
quelque peu tombé en désuétude chez les biologistes, les géographes95 russes
continuent pour certains, comme E.M. Rakovskaïa et M.I. Davydova (2003, p.
166) d‟employer l‟expression de plantes vivipares (jivorodiachtchié rasténia)
pour désigner ces espèces à multiplication végétative. Quoi qu‟il en soit, un bel
exemple est celui de la Renouée vivipare (Polygonum viviparum, gorets
jivorodiachtchi), dans les inflorescences (sotsvetki) de laquelle se développent
de tels bulbilles, qui, une fois tombés au sol, produisent de nouvelles plantes.
C‟est aussi le cas de certaines kamnélomki, cependant que d‟autres espèces de
ce même genre Saxifrage émettent des stolons. La Laîche de Bigelow (Carex
bigelowii) est un exemple de Cypéracée de la toundra mourmane où la
multiplication végétative est importante (Jónsdóttir et Callaghan, 1988). Partout
où la toundra russe méridionale est marécageuse, la Ronce de l‟Arctique, la
morochka, se développe aussi par véguétativnoïé razmnojénié.
En dehors de la multiplication végétative, un certain nombre96 de
vivaces se reproduisent tout de même par l‟émission de graines, mais le cycle

94
Du fait que les descendants sont génétiquement identiques à la plante-mère, c‟est-à-dire que ce
sont des clones, certains estiment que le terme de reproduction (vosproïzvodstvo) ne peut pas être
employé, pour être systématiquement remplacé par celui de multiplication (razmnojénié).
Cependant, chez les géographes russes ou français, certains parlent indifféremment de l‟une ou de
l‟autre.
95
Pierre Birot (1965, p. 210) met l‟adjectif entre guillemets : « plantes à bulbes „vivipares‟ ».
96
Majoritaires pour certains, minoritaires pour d‟autres. « Une courte durée de la période
végétative constitue un obstacle non moins grave […]. Cependant la reproduction par graines est
la plus fréquente » (Birot, 1965, p. 210). « La courte durée de la saison végétative rend très
64
Milieux naturels de Russie
s‟opère dans sa totalité en fractionnant le développement sur plusieurs années.
Ainsi « la maturation des graines ne s‟opère souvent qu‟au terme de deux ou
trois „étés‟ » (Godard et André, 1999, p. 182). « Leur préparation est alors
étalée sur une longue durée. Le bourgeon à fleur est individualisé dès le début
de la saison végétative précédant l‟année de floraison ; en automne, la
différenciation des pièces florales, en particulier des étamines, est déjà bien
avancée ; si bien qu‟au printemps suivant les fleurs peuvent sortir directement
de la neige. Dans certains cas (Braya humilis), l‟infrutescence se développe
pendant 3 années avant d‟arriver à maturité » (Birot, 1965, p. 210).

Des cryophytes face à la fraîcheur et à la sécheresse ventée de la saison


végétative

Non contente d‟être brève, la saison végétative ne donne aucune


garantie de chaleur et n‟offre pas de conditions atmosphériques très
satisfaisantes. Du fait de l‟influence des vents du nord venus des mers arctiques,
même pendant les mois de juillet et août, de brutales sautes de température sont
fréquentes et le passage sous le zéro degré n‟est jamais à exclure97. C‟est au
moins autant contre cette absence de véritable été que contre la rigueur de
l‟hiver que les plantes de la toundra sont ce que les géographes russes se
plaisent à appeler des kriofity. En tant que plantes d‟habitat froid et sec, ces
cryophytes ont des formes qui leur permettent d‟utiliser au mieux la chaleur
d‟une couche-limite atmosphérique très fine au contact avec le sol (Černov,
1989). C‟est avant tout pour ne pas dépasser cette strate, le prizemny sloï
vozdoukha, où les conditions calorifiques sont les moins difficiles, que les
formes sont aplaties, étalées, plaquées au sol en coussinets et en rosettes.
Le nanisme et le plaquage au sol constituent aussi une protection des
vents desséchants, donc, en réduisant l‟évapo-transpiration, ils participent à la
lutte contre la déshydratation mécanique, alors même que l‟air de la Russie
polaire n‟est pas sec, au sens climatique de l‟humidité relative, surtout sur les
littoraux de la mer de Barents. Enfin, les coussinets permettent de résister aux
forces de déchaussement des plantes par le vent, grâce à leur forme
hémisphérique, sur laquelle les flux d‟air ont peu de prise.

aléatoire la production de graines et explique la prédominance de la multiplication végétative »


(Godard et André, 1999, p. 184).
97
« Les associations de toundra se développent dans des conditions de période végétative courte
et fraîche […]. Les fluctuations de température ont une importance essentielle pour les
organismes vivants. Pendant tous les mois de la période végétative, les températures minimales
peuvent être inférieures à zéro degré » (Abdurahmanov et al., 2003, p. 291, en russe).
65
L’utilisation de la neige pour passer au mieux le froid de l’hiver

Les formes basses et ramassées des plantes de la toundra, utiles pendant


la saison végétative, le sont aussi pour passer l‟hiver, grâce à l‟aide de la neige.
Seul le fait d‟être recouvert par cette couche isolante et isotherme assure d‟être
protégé des gels intenses. Cette couverture nivale (snéjny pokrov) défend aussi
contre les vents forts. En fait, pendant la mauvaise saison98, la survie des plantes
dépend presque uniquement de ce tapis neigeux, dont le mieux est de ne pas
dépasser. Cette importance est telle que « la hauteur des plantes est souvent
déterminée par l‟épaisseur de la couverture neigeuse » (Abdurahmarov et al.,
2003, p. 292, en russe). Les quelques arbres nains qui dépassent ce tapis sont
ceux qui subissent le plus de lésions et, plus généralement, de dommages causés
par les vents armés des cristaux de neige (Rakovskaja et Davydova, 2003, p.
210).
En fait, le plus important dans la hauteur des plantes concernées se
trouve être celle à laquelle les bourgeons passent la saison la plus contraignante.
C‟est dans ce lien entre l‟épaisseur de la neige et la position des potchki
vozobnovlénia99 que s‟exprime au mieux la gamme de réponses des plantes au
froid hivernal, qui, si elle est exprimée dans les types définis par C. Raunkiaer
(1905), représente le spectre biologique. Si l‟on ne compte pas les Mousses et
les Lichens, les hémicryptophytes (guémikriptofity) composent environ 60 %
des plantes de la toundra russe. Ce sont des individus dont les bourgeons
passent l‟hiver à demi-cachés (polouskrytyé). Ils sont protégés dans les rosettes
ou d‟autres formes plaquées au sol, sous des feuilles atrophiées (otmerchié
listia), l‟ensemble étant bien entendu isolé des grands froids atmosphériques par
la couverture neigeuse. Les chaméphytes (khaméfity) représentent quant à elles
environ 20 % des plantes de la toundra russe100. Ce sont des végétaux dont les
bourgeons ne sont pas cachés par la plante elle-même pendant l‟hiver, mais qui
sont situés suffisamment bas pour que la couche de neige les isole. Par
convention, on classe dans les chaméphytes les plantes dont les potchki ne
dépassent pas une hauteur de 25 cm, mais ils sont souvent situés plus bas,
pratiquement au sol (na zemlié), bien qu‟ils ne soient pas protégés par des
parties de la plante. Les concernant, l‟épaisseur de neige est cruciale. Les
cryptophytes (kriptofity) constituent sans doute 10 à 15 % de la toundra russe.

98
En revanche, quand arrive la bonne saison, il vaut mieux que la neige fonde vite, pour ne pas
empêcher le développement végétatif. L‟épaisseur de la neige est donc à double tranchant à
l‟échelle de l‟année. Nous réservons l‟étude du caractère négatif d‟une trop grande épaisseur de
neige pour notre typologie à grande échelle cartographique.
99
Les bourgeons se disent potchki, mais les biogéographes russes précisent, dans le cas du repos
de ces méristèmes pendant la mauvaise saison et de la reprise de la croissance à l‟arrivée des
beaux jours, « potchki vozobnovlénia », montrant le renouvellement attendu après la pause.
100
Cette proportion monte évidemment énormément si on ajoute les Lichens et les Mousses, qui,
bien que « difficiles à classer dans le système des types biologiques de Raunkiaer […], se
rapprocheraient le plus des chaméphytes » (Rougerie, 1988, p. 15).
66
Milieux naturels de Russie
Ils passent les mois les plus froids cachés dans le sol et ne sont pas plus
nombreux, car le sol lui-même, entièrement gelé à cette saison, n‟offre pas non
plus de conditions favorables. L‟ensemble des phanérophytes et des théophytes
forme les quelques 5 à 10 % restant. Les premiers ne sont que des
nanophanérophytes (nanofanérofity), c‟est-à-dire que leurs bourgeons se
trouvent, par convention, à moins de 2 m au-dessus du sol. Dans la pratique, ces
arbres nains ne dépassent en général pas 50 à 60 cm de haut, sauf à sortir de la
toundra au sens strict et entrer dans la toundra boisée. Enfin, la quasi-
inexistence des thérophytes confirme à la fois la prédominance exclusive des
vivaces et la quasi-impossibilité pour une graine ayant passé la mauvaise saison
dans le sol d‟effectuer l‟ensemble du cycle végétatif pendant le trop bref temps
imparti.
La très grande faiblesse des phanérophytes, même nains, est la
principale originalité du spectre biologique de la toundra par rapport à celui de
la taïga. Cette seule différence joue un rôle paysager essentiel, puisque la
toundra est le pays sans arbre, tandis que la taïga russe est la plus grande forêt
du monde. Pour le reste, la grande prédominance des hémicryptophytes et des
chaméphytes leur est commune. Elle est due à une même réponse au passage
très difficile de la saison la plus froide. Mais, dans la toundra, les plantes ont
aussi à subir l‟absence d‟été. Certaines adaptations morphologiques permettent
d‟ailleurs de lutter contre la totalité des contraintes, que ce soit la brièveté et à la
fraîcheur de la saison végétative, l‟importance des vents qui augmentent la
transpiration et le risque déchaussement, la rigueur du long froid hivernal101.
L‟autre spécificité bioclimatique de la toundra est la nuit polaire. Cette absence
d‟éclairement pendant plusieurs semaines n‟existe pas dans la taïga, située à des
latitudes moins élevés. Pourtant, la vie végétale toundraine est déjà tellement
figée par le froid que le manque de lumière se contente d‟ajouter une contrainte
dont les conséquences n‟ont pas la possibilité de vraiment s‟exprimer. Il n‟en
est pas de même pour les animaux restant dans la toundra pendant la mauvaise
saison.

101
« Ces coussinets présentent à la fois une grande résistance au vent, au froid et à la sécheresse.
Au vent, grâce à leur forme prostrée, aérodynamique et à leur compacité. Au froid, car tapies
contre le sol et éventuellement protégées par la neige. A la sécheresse, grâce au micro-milieu
qu‟elles réalisent, riche en tissus et en débris végétaux piégeant poussières et humidité et limitant
l‟évapo-transpiration » (Rougerie, 1988, p. 22).
67
2.2.3. L’adaptation des animaux au climat polaire

La toundra, un milieu de vie éphémère, qui nécessite la fuite

La toundra russe est un milieu vivant pendant quelques semaines102, qui


se dépeuple très largement dès le mois d‟août pour certaines espèces, septembre
pour d‟autres. La plupart des vertébrés quittent alors la zone elle-même de la
toundra par de longues migrations en latitude, d‟autres quittent leur habitat de
surface par un court déplacement vertical.
Les migrations sur de longues distances sont le propre des oiseaux, qui
forment l‟essentiel des espèces de vertébrés de la toundra russe de juin à
septembre103. Tous viennent ici se nourrir, certains y nichent104. La nourriture
est en effet abondante eu égard au régime alimentaire aviaire. D‟une part, les
insectes pullulent, d‟autre part les eaux fournissent des crustacés, des
mollusques, des batraciens, des poissons. C‟est le cas des milliers de plans
d‟eau des plaines de la toundra et c‟est le cas de la mer, dégelée de sa banquise
saisonnière, qui n‟est jamais loin de tout point de la toundra russe. On trouve
donc dans la toundra quantité d‟oiseaux migrateurs des eaux douces, canards,
oies, cygnes, échassiers divers, ainsi que des oiseaux marins. Parmi ces
derniers, les différentes mouettes (tchaïki) sont les plus nombreuses.
Une partie des oiseaux passant la belle saison dans la toundra s‟y
reproduit. Les nicheurs (gnezdiachtchiéssia) constituent ainsi 62 des 169
espèces d‟oiseaux de l‟île de Vrangel (Belikovič et al., 2006) et 73 des 91
espèces de la toundra de Sibérie centrale (Rutilevskij, 1970). Comme la saison
est courte, les parades nuptiales sont généralement plus réduites que dans les
autres zones bioclimatiques ; chez certaines espèces, les oiseaux arrivent déjà
accouplés. La construction du nid elle-même est souvent écourtée.
Qu‟ils soient nicheurs ou non, les oiseaux de la toundra russe méritent
en général mal leur nom, puisque leur présence dans ce milieu dure beaucoup
moins longtemps que leur absence. Par l‟ampleur de leur migration, ils forment
un maillon de la mondialisation. Ainsi, les atteintes à l‟environnement réalisées
dans les autres zones bioclimatiques par les sociétés humaines influent
grandement sur leur nombre. C‟est la toundra qui le subit, dans le sens où ce
milieu naturel est beaucoup moins anthropisé que la zone tempérée ou tropicale.

102
Les invertébrés eux aussi se contentent d‟une saison très courte. Parmi les insectes, les
moustiques, dont le cycle est très rapide, sont avantagés et c‟est une raison de leur importance
dans la toundra.
103
L.S. Berg (1941, p. 29), reprenant la description de Biroulia, indique que les oiseaux quittent la
péninsule de Taïmyr très tôt : « à la mi-juillet, ils commencent à partir et, vers la mi-août, la
toundra se vide ; mais l‟ortolan reste cependant jusqu‟en septembre ».
104
Nous parlons ici des oiseaux migrateurs qui nichent dans la toundra et non pas de l‟infime
minorité des oiseaux sédentaires passant l‟ensemble de l‟année dans la toundra.
68
Milieux naturels de Russie
La baisse de population des kouliki, ces petits limicoles105 très importants dans
la toundra russe pendant la saison où les eaux douces et marines sont libres de
glace, a ainsi été mise en relation avec la destruction de leurs habitats et de leurs
milieux d‟étape au sud. Un exemple récent est celui de l‟endiguement et de
l‟assèchement d‟estuaires de Corée du Sud, qui ont porté un coup dur aux
pessotchniki106, et plus encore aux kouliki-lopatni et aux oulity de la toundra
sibérienne et extrême-orientale russe. « La destruction de 40 100 ha de vasières
à Saemangeum, engagée dès 1991 » a eu comme conséquence que « les effectifs
mondiaux du bécasseau de l‟Anadyr ont chuté récemment de 20 %, et il est
peut-être déjà trop tard pour le bécasseau spatule et le chevalier tacheté Ŕ
populations mondiales inférieures à 1 000 individus Ŕ pour qui les vasières
aujourd‟hui disparues représentaient une étape cruciale dans leur migration
entre la Sibérie et l‟Asie du Sud-Est » (Barnaud et Galewski, 2008, p. 21-22).
En dehors des oiseaux, les herbivores, suivis par leurs prédateurs,
quittent la zone de la toundra à la mauvaise saison, mais l‟ampleur et la
régularité des migrations sont moindres. D‟une part l‟arrivée se trouve dans la
toundra boisée ou la taïga septentrionale, d‟autre part, le déplacement est
d‟autant plus prononcé que la rigueur hivernale est grande ; il dépend donc des
années. L‟irrégularité est ainsi typique du Lièvre variable. Cependant, malgré
quelques variantes, il est des mammifères qui suivent des trajectoires
habituelles, parfois fixes. Le rôle de l‟homme peut aussi accentuer l‟emprunt de
routes définies, a fortiori quand il y a domestication. Le cas du renne (Rangifer
tarandus, séverny olén) est exemplaire à cet égard, qui méritera ultérieurement
une étude régionale.
Face à ces migrations zonales, souvent sur des milliers de kilomètres,
les déplacements verticaux constituent évidemment une fuite très modérée. Ils
procèdent cependant eux aussi de la constatation selon laquelle la toundra est
invivable pendant de longs mois. Parmi les rongeurs, qui forment plus du tiers
des espèces de mammifères de la toundra russe, et beaucoup plus en nombre
d‟individus, les Lemmings forment un exemple du changement d‟habitat
saisonnier. Ceux-ci accentuent leur vie en souterrain pendant la mauvaise
saison, autant que possible. Tous les sites favorables, où des poches dégelées
subsistent, sont creusés de galeries. Le Lemming brun107, commun à la toundra

105
En systématique, les kouliki des Russes correspondent précisément au sous-ordre des
Charadrii. Dans le langage géographique courant, ce sont les limicoles.
106
Les pessotchniki des Russes regroupent tous les oiseaux du genre Calibris. Parmi eux, le
bolchoï pessotchnik est le bécasseau de l‟Anadyr (Calidris tenuirostris). Le koulik-lopatén des
Russes correspond au bécasseau spatule de la langue française (Eurynorhynchus pygmeus). Les
oulity des Russes regroupent tous les oiseaux de la sous-famille des Tringinae. Parmi eux,
l‟okhotski oulit est le chevalier tacheté (Tringa guttiger). Ce sont tous des limicoles de la famille
des békassovyé, c‟est-à-dire les Bécassines et alliés, coïncidant avec les Scolopacidae.
107
Les Russes distinguent le Lemming brun d‟Europe (Lemmus lemmus), qu‟ils appellent le
Lemming de Norvège (Norvejski lemming), du Lemming brun de Sibérie (Lemmus sibirica,
sibirski lemming).
69
et à la taïga, passe le plus sombre de son temps dans ces tunnels, à partir
desquels il ronge les racines des plantes. Ayant tapissé la cavité d‟herbes et
logeant en colonies, il peut profiter d‟un abri dont température approche la
dizaine de degrés. Malheureusement, le sol gelé empêche cependant que cela
puisse se faire dans la plupart des endroits. Le Lemming à collier (Dicrostonyx
torquatus, kopytny lemming), propre à la toundra, l‟a bien compris. D‟une part il
sort plus à l‟air libre ; il est d‟ailleurs à ce moment la proie des prédateurs.
D‟autre part, il fabrique des nids de plantes sèches et isolantes sous la
couverture nivale. La vie sous neige est une variante plus fréquente de la vie
sous terre. Elle est aussi pratiquée par le Gallinacé que les Russes appellent « la
perdrix blanche » (bélaïa kouropatka) et les Français le Lagopède des saules
(Lagopus lagopus)108.
Pour les animaux qui ne fuient pas, ni loin de la zone de toundra, ni, de
manière plus proche, dans les profondeurs, il ne reste qu‟à développer un
certain nombre d‟adaptations permettant la survie en dehors des quelques
semaines de la bonne saison.

L’éloge de la rondeur et de la graisse

Les animaux polaires développent autour de leur corps une barrière


d‟isolation thermique qui peut prendre différentes formes. La plus connue,
puisqu‟elle donne lieu à une lucrative exploitation par les hommes, se trouve
être la fourrure. Mais le plumage de certains oiseaux de la toundra forme aussi
une isolation remarquable, par exemple celui du Harfang des neiges (Nyctea
scandiaca). En effet, même le dessous des pattes de « la chouette blanche »
(bélaïa sova) est recouvert de ces phanères très protecteurs. Enfin, la couche de
graisse est la seule à pouvoir tenir ce rôle pour les animaux qui ont besoin d‟être
mouillés, comme le Phoque et le Morse. L‟Ours blanc, également très maritime
(Thalarctos maritimus), double quant à lui son épaisse fourrure d‟une couche de
graisse très importante elle aussi.
Les fourrures ont des épaisseurs et des textures variables selon les
animaux. La plus épaisse serait celle de l‟Ours blanc. Malgré l‟intérêt de cette
fourrure, le bély medvéd est interdit de chasse en Russie depuis 1956.
Cependant, la fourrure la plus isolante, quoique moins épaisse, serait celle du
Renard polaire, un peu plus que celle d‟un renne109 et quatre fois plus que celle
d‟un Lemming (Matthews et al., 1972). « L‟épaisseur de sa fourrure augmente
de 200 % en hiver » (Godard et André, 1999, p. 186). C‟est pourquoi le Renard
polaire (Alopex lagopus) est considéré par les Russes, qui l‟appellent pessets,
comme l‟un des animaux de la toundra ayant le plus de valeur. Selon la couleur

108
« A l‟embouchure de la Kolyma (68°N), le lagopède des saules […] passe en moyenne 21 h
par jour sous la neige » (Godard et André, 1999, p. 188).
109
Le cuir lui-même est remarquable. « Un vêtement en peau de renne est irremplaçable dans les
pays très froids, car il conserve sa souplesse par les plus grandes gelées » (Berg, 1941, p. 28).
70
Milieux naturels de Russie
de la fourrure hiémale, les Russes distinguent le Renard polaire blanc (bély
pessets) et bleu (golouboï). C‟est le golouboï pessets qui est le plus prisé. Se
trouvant naturellement plus sur les îles de l‟Arctique russe que sur le continent,
il a été développé artificiellement en élevage par le gouvernement soviétique à
partir des années 1930. En dehors du Renard polaire, d‟autres mammifères ont
une fourrure très appréciée, les Mustélidés. Cependant, les kouni, comme
l‟hermine, sont certes des animaux en partie toundrains, mais leur habitat, et
leur exploitation humaine, étant plutôt la taïga, nous réservons leur étude à celle
de la forêt de conifères. Dans le cas des Cervidés, on parle plus de pelage que
de fourrure. L‟efficacité dans la lutte contre le froid peut pourtant être élevée.
C‟est ainsi que les poils du renne, qui sont creux, protègent remarquablement.
L‟isolation thermique, par la fourrure, le pelage, le plumage ou la
graisse, ne fait pas tout. Il s‟agit aussi de ne pas perdre la chaleur interne à cause
d‟une forme générale qui serait inadaptée. Globalement, la meilleure réponse est
la sphère. En effet, c‟est cette forme qui offre la surface de contact avec
l‟encadrement extérieur la plus réduite en proportion du volume de l‟animal. De
fait, on constate que les animaux de la toundra ont un corps plus trapu que leurs
cousins des autres milieux bioclimatiques. Le prolongement de cette adaptation
générale se trouve aux endroits les plus risqués, les extrémités. Les pattes et les
oreilles constituent en effet les lieux où la chaleur du corps irradie, se disperse.
Par rapport à leurs congénères vivant plus au sud, les animaux de la toundra
russe ont ainsi des oreilles plus petites et plus arrondies. La différence est
saisissante chez l‟Ours blanc, le Renard polaire et, surtout, le Lièvre variable.
En outre, certains mammifères développent une circulation sanguine
différenciée, qui permet aux extrémités, en particulier les pattes, de garder sans
souffrir une température assez froide, la chaleur se concentrant sur les organes
vitaux. De ce point de vue, le cas du renne est remarquable.

Un fonctionnement des organes ralenti ou différé dans le temps

Le passage de la longue mauvaise saison peut se faire sous différentes


formes de spiatchka, soit une hibernation au sens strict, soit un endormissement.
Mais, en fait, le nombre d‟espèces concernées est faible. En effet, la véritable
hibernation, qui implique une forte chute de température, est risquée devant la
rigueur de l‟hiver. Et elle est difficile à mettre en œuvre à cause du sol gelé et de
la rareté des sites souterrains où rester. Ce sont des rongeurs de la toundra qui
adoptent cette vie au ralenti. Les Marmottes (sourki) et les écureuils terrestres
que les Russes regroupent sous l‟appellations de sousliki hibernent ainsi
pendant plusieurs mois. Si l‟on quitte les conditions moins défavorables de la
toundra boisée et de la toundra méridionale, il ne reste plus que la Marmotte
bobak (Marmota bobac), le baïbak des Russes, qui peut hiberner pendant six
mois.

71
Une autre adaptation physiologique se trouve dans les possibilités, pour
certains prédateurs de la toundra, d‟une gestation de durée variable, qui se
réalise par une implantation retardée de l‟œuf, pourtant déjà fécondé, sur la
paroi utérine. Ce décalage permettra de mettre bas au moment où la nourriture
sera plus abondante. Cette adaptation est fréquente chez les Mustélidés ; elle
existe aussi chez l‟Ours blanc.

Le changement de régime alimentaire

En fait, tous les animaux de la toundra changent peu ou prou de régime


alimentaire selon la saison, mais le contraste est plus fort chez les prédateurs.
En général, ceux-ci, comme le Renard polaire ou les Mustélidés, sont carnivores
quand tout va bien, de mai à septembre, et cherchent à le rester toute l‟année,
traquant les Lemmings sans relâche. Cependant, à la mauvaise saison, lors des
années maigres, toute sorte de nourriture peut convenir. Le Renard polaire se
transforme alors en charognard, suivant l‟Ours blanc pour terminer ses
carcasses, voire se contente de ses excréments. Pour éviter cela, il fait des
réserves de nourriture, cache des oiseaux et les Lemmings. L‟hermine elle aussi
met des proies en réserve.
L‟Ours blanc est atypique, qui est plus carnivore en hiver que pendant
la saison végétative. En effet, pendant cette dernière, il consomme beaucoup de
baies et d‟herbes, tout en chassant le Lemming. En hiver, le Phoque est sa proie
majeure, voire exclusive, grâce à des techniques de chasse très élaborées.

Y a-t-il une adaptation à la nuit polaire ?

Autant les adaptations des animaux au froid ont été très étudiées et sont
largement documentées, autant la résistance à la nuit polaire est beaucoup
moins connue. Il est vrai que, une fois écartés les animaux qui ont fui la
toundra, ceux qui hibernent et ceux qui sont cachés sous la neige, les candidats
à l‟activité nocturne complète sont rares. Ils posent pourtant quelques problèmes
passionnants, qui dépassent de beaucoup la seule géographie de la toundra, pour
atteindre à des questions universelles. Il en est ainsi du fonctionnement du
cerveau et de la périodicité du sommeil en l‟absence de rythme diurne. De ce
point de vue, l‟Ours blanc est un cas d‟école, qui dort apparemment d‟une
manière assez bien périodique sans pour autant être sollicité par l‟alternance du
jour et de la nuit (Kolb et Whishaw, 2007). Parmi les oiseaux connus pour être
des chasseurs nocturnes dans les autres zones climatiques, la Chouette polaire
(bélaïa sova) chasse toute la journée en saison chaude et pose ainsi la question
de l‟adaptation inverse au jour polaire.

72
Milieux naturels de Russie
2.3. La toundra et les sols polaires

A quelques décimètres de profondeur, et même souvent moins, le


pergélisol est partout sous la toundra. Dans la couche active qui dégèle pendant
quelques mois ou semaines au-dessus de la vetchnaïa merzlota, le sol est
fortement influencé par cette dalle imperméable. Il possède une eau de fonte
froide ; il est très peu épais et évolué ; il est instable.

2.3.1. La froideur de l’eau de capillarité et la sécheresse


physiologique

Les auteurs russes insistent tant sur la froideur du sol et de son eau
estivale que ce facteur fait en général partie de la définition de la toundra et
constitue invariablement la première phrase introductive 110 à une étude de cette
formation végétale. Il y là une différence substantielle avec l‟approche
française, qui ne considère pas ce phénomène de la sorte111. Seul Pierre Birot
(1965) détaille cette question… pour en plutôt prendre le contre-pied.
Il se trouve que la plupart des plantes de la toundra russe donnent
l‟impression de lutter contre une insuffisance d‟eau dans le sol, alors même que,
sauf exception édaphique locale, le milieu n‟en manque pas vraiment. Il se
trouve aussi que, pendant la saison qui tient lieu d‟été, l‟eau, abondante dans le
sol, est très froide, puisqu‟elle provient avant tout de la fonte. Si tout le monde
s‟accorde sur les deux premiers points, la question de savoir si cette eau est trop
froide reste controversée.
Pour les géographes E.M. Rakovskaïa et M.I. Davydova (2003, p. 166),
la réponse est oui. Il serait dommageable pour les plantes de l‟absorber et il y
aurait risque de choc thermique. Elles limitent donc leur absorption d‟eau et, par
conséquent, aussi leurs pertes d‟eau par transpiration. Les plantes développent
ainsi des adaptations à la sécheresse sans qu‟il y ait manque d‟eau dans le
milieu. C‟est un xéromorphisme de sécheresse physiologique. Cette
fiziologuitcheskaïa soukhost conduit à un fonctionnement des organes et des
tissus de la plante semblable à celui qu‟elles auraient si le milieu manquait
d‟eau. Il n‟est pas exclu que s‟ajoute à cela l‟influence du long éclairement, qui

110
« Les associations de toundra se développent dans des conditions de période végétative courte
et fraîche et de basse température des sols » (Abdurahmanov et al., 2003, p. 291). « Le type
toundrain de végétation se forme dans des conditions d‟été court et frais, de forte humidité de l‟air
et de basse température des sols » (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 165). « Les toundras sont
liées au climat froid et aux sols froids » (Aleksandrova, article « toundra » de la Grande
encyclopédie soviétique, consultable en ligne). Nous ne présenterons ici que la question de la
sécheresse physiologique, réservant pour la partie typologique l‟influence du sol froid sur la
mauvaise assimilation de l‟azote et du phosphore par les plantes, car elle est à l‟origine de micro-
habitats dont l‟intérêt, pour les géographes, est leur échelle très fine.
111
Le pergélisol est toujours cité, mais pour souligner les contraintes cryogéniques du sol et non
la froideur de l‟eau disponible pour les plantes.
73
favoriserait la production de glucides, augmentant ainsi la pression osmotique
dans de telles proportions que l‟absorption d‟eau se ferait mal. La sécheresse
physiologique en serait donc renforcée.
Ce serait pour répondre à cette fiziologuitcheskaïa soukhost que
beaucoup de plantes de la toundra, comme l‟Airelle rouge, la Canneberge, la
Dryade, l‟Andromède, développeraient de petites feuilles scléreuses, limitant
ainsi la perte d‟eau par transpiration. Certaines Ericacées, comme la Camarine
noire, enroulent leurs feuilles vers l‟extérieur, afin que les stomates, les oustitsa,
situés sur la face inférieure, se retrouvent à l‟intérieur d‟une sorte de tube ainsi
formé et, de ce fait, transpirent moins. D‟autres plantes de la toundra
développent un système pileux abondant, qui forme une sorte de duvet
(opouchénié) destiné à masquer les stomates. Les feuilles du Saule argenté
(Salix glauca), velues sur leurs deux faces, lui donnent cette couleur grisâtre à
l‟origine de son nom en français, encore que les Russes le trouvent plutôt
bleuâtre, l‟appelant iva sizy.
La seconde conséquence de l‟évitement de l‟eau de fonte, trop froide,
serait le développement d‟un enracinement très superficiel. En courant
horizontalement, la plupart des racines des plantes de la toundra russe
mettraient à profit une très fine couche superficielle du sol, de quelques
centimètres (Rakovskaïa et Davydova, 2003), où l‟eau du sol est moins froide
que plus bas au contact du pergélisol.
D‟autres auteurs réfutent en partie la notion de sécheresse
physiologique des plantes de la toundra. Pierre Birot (1965, p. 208) écrit ainsi
que « sans doute cette eau est voisine de 0°, mais les plantes arctiques qui ont
été testées à cet égard montrent, pour la plupart, une remarquable aptitude à
prélever de l‟eau aux basses températures. Salix glauca, Salix lapnorum
absorbent davantage d‟eau à 0° qu‟à 20° ». Cependant, d‟une part cette
conclusion s‟appuie sur les travaux de B. Döring, qui a prélevé l‟essentiel de ses
échantillons en Allemagne, d‟autre part, même dans cette étude, d‟autres
espèces présentes dans la toundra, et non des moindres, montrent le contraire.
« Empetrum nigrum et Betula nana112 pourraient éventuellement souffrir d‟une
dessiccation due aux basses températures de l‟horizon humide » (id. pp. 208-
209).
L‟adoption de la sécheresse physiologique n‟empêche cependant pas
d‟insister aussi sur la xéromorphie des plantes qui croissent sur un sol pierreux,
squelettique, qui ne peut retenir l‟eau.

112
C‟est le Bouleau nain qui serait le plus sujet à la baisse de la transpiration relative en eau à
0 °C, selon les expériences de B. Döring (1935) rapportées par P. Birot (1965, tableau p. 178).
74
Milieux naturels de Russie
2.3.2. Le caractère squelettique ou gleyifié des sols de toundra

L‟ensemble de la toundra russe pousse sur des sols gelés pendant


l‟essentiel de l‟année et qui ne se libèrent que pendant la saison la moins froide
sur quelques centimètres ou décimètres, au-dessus de plusieurs décamètres ou
hectomètres de pergélisol. Il n‟est pas lieu ici d‟étudier cette couche active au
sens géomorphologique, mais de la présenter dans ses caractères pédologiques.
Jeunes, minces, plus minéraux qu‟organiques, les sols de la toundra
russe ont un certain nombre de points communs fondés sur une pédogenèse très
lente et une mise en retrait des processus biochimiques. La toundra est une
formation végétale à faibles biomasse et productivité, qui fournit très peu de
matière organique, laquelle se décompose mal sous ce climat froid. Cependant,
il est difficile d‟aller plus loin dans la caractérisation d‟un ensemble qui mérite
surtout l‟analyse à grande échelle cartographique et qui est une cause essentielle
de la marqueterie végétale.
Sans dépasser les généralités, il convient de souligner que les lithosols
sont très répandus, partout où la toundra russe est trouée113. Ils deviennent
majoritaires en allant vers le nord-ouest et les archipels, surtout là où de jeunes
affleurements rocheux sont hérités du rabotage glaciaire. Ce sont les sols
arctiques (arktitcheskié potchvy), ou bien les sols squelettiques (skéletnyé
potchvy) des Russes, où la désagrégation mécanique est très dominante, la
granulométrie grossière114 presque exclusive, l‟argile quasi-absente et l‟humus
pratiquement inexistant115. La transition se fait de manière complexe116 et à
plusieurs échelles emboîtées avec les « sols bruns arctiques » des auteurs
français (Godard et André, 1999, p. 319). Ce sont les toundrovyé podboury des
Russes, ou toundrovyé illiouvialno-goumoussovyé potchvy (sols toundrains
illuviaux humifères). Les cas de granulométrie grossière, de roche-mère
sableuse ou graveleuse et, surtout, de conditions locales assurant un drainage
efficace sont, au total, minoritaires dans la toundra russe, si bien que,
finalement, les sols toundrains typiques, les plus étendus, ne sont pas les
toundrovyé podboury.

113
Un ensemble d‟affleurements rocheux jeunes empêche la mise en place d‟une végétation
supérieure continue et, réciproquement, une végétation discontinue ne permet pas une pédogenèse
efficace.
114
Cette fraction minérale grossière est la skéletnost, le squelette du sol.
115
« La faible production de matière organique par une végétation indigente, le fait que les vents
violents dispersent les petites feuilles mortes à l‟automne, expliquent qu‟il n‟y ait pas de
véritables sols. On parle de lithosol pour marquer qu‟il s‟agit surtout d‟un support minéral sans
humus » (Viers, 1970, pp. 91-92)
116
« Dans les archipels du Haut-Arctique russe, sur les plateaux ventés, la déflation joue à plein,
donnant naissance à des pavages grossiers qui tiennent souvent lieu d‟horizons de surface et
entretiennent l‟idée réductrice que le désert polaire est le royaume des lithosols. C‟est oublier un
peu vite que sous le pavage peut se développer un horizon B caractéristique des sols bruns
arctiques » (Godard et André, 1999, p. 319).
75
Souvent plus au sud, mais avant tout dans des conditions de roche-mère
plus meuble, de granulométrie fine, de toundra plus fournie et, surtout, de
conditions locales de mauvais drainage, les sols toundrains hydromorphes
apparaissent. Passant outre les nombreuses subdivisions des géographes russes,
qui seront en partie citées à plus grande échelle cartographique, les sols
dominants, si jamais il était possible de moyenner une telle mosaïque, sont les
toundrovyé gléévyé potchvy, dits aussi toundrovyé glééziomy (Nizovcev, 2005,
p. 133), les sols toundrains à gley. Gorgés d‟eau en saison chaude à cause de la
fonte et reposant sur une couche imperméable de pergélisol, ils sont très mal
aérés. Dans ces sols hydromorphes asphyxiants, ce sont les phénomènes de
réduction (vosstanovlénié) qui se mettent en place. La réduction des oxydes de
fer dans le sol est à proprement parler le processus de gleyification117. Les sols
toundrains les plus répandus sont ainsi de type AG. Un horizon A, formé d‟un
humus acide, où l‟azote organique n‟est pas correctement minéralisé à cause du
froid et des conditions anaérobies qui bloquent la nitrification, repose sur un
horizon G argileux de couleur verdâtre, le gley. Cet horizon, très reconnaissable
à sa teinte due à l‟accumulation de fer sous sa forme réduite (zakisnaïa forma),
forme une couche reposant sur le toit du pergélisol. De multiples variantes
existent bien entendu, y compris à gleyification superficielle, confirmant le
caractère presque vain de l‟étude pédologique de la toundra à petite échelle
cartographique.

2.3.3. La marqueterie mobile des sols de toundra

Si l‟un des traits descriptifs majeurs de la toundra est son aspect de


mosaïque, elle le doit avant tout à des facteurs pédologiques eux-mêmes
déterminés par des processus géomorphologiques périglaciaires. Ce sont eux
qui provoquent la rapide évolution du micro-modelé118, voire, comme disent
certains géographes russes, du nano-modelé119. Cette mobilité superficielle
ajoute, à une échelle de temps beaucoup plus courte et une échelle spatiale
beaucoup plus fine, à la jeunesse générale des sols de toundra évoquée
117
C‟est sous cette forme francisée que le terme russe ogléénié est entré dans le vocabulaire
pédologique. Quant au mot russe de gleï, il a été repris dans toutes les langues scientifiques du
monde sous le forme de gley.
118
« L‟aspect de mosaïque de la couverture végétale, caractéristique des toundras, est déterminée
par les rapides changements dans l‟espace des conditions pédologiques, par la variété de la
position en profondeur de la merzlota, par le micro-modelé, […] par l‟épaisseur de la couverture
neigeuse, ainsi que par les processus cryogéniques pénétrant profondément dans le sol, qui
conduisent à une différenciation horizontale de la surface des sols » (Rakovskaja et Davydova,
2003, p. 167, en russe).
119
« Le caractère en mosaïque des associations toundraine n‟est pas seulement déterminé par
l‟activité des plantes, mais aussi par l‟intensité des processus cryogéniques pénétrant dans le sol,
qui conduisent à une structuration horizontale de leur partie superficielle. C‟est du caractère des
formes de nano-modelé que dépend la composition horizontale des associations toundraines »
(Abdurahmanov et al., 2003, p. 292, en russe).
76
Milieux naturels de Russie
précédemment. Il ne s‟agit ici ni de tomber dans l‟étude géomorphologique, ni
de détailler chaque carreau de la mosaïque, mais d‟évoquer seulement le
principe même expliquant la marqueterie végétale. C‟est donc le fil-directeur
temporel de la mobilité qui sera ici suivi, laissant à un ultérieur développement
typologique le soin de s‟appuyer sur le critère spatial des dimensions du
maillage pédologique. A cet égard, il s‟agit d‟abord d‟opposer les affleurements
de roches cohérentes aux sols toundrains où une phase fine existe. Parmi ceux-
ci, une échelle simplifiée de mobilité décroissante peut être suivie : la toundra
des langues de gélifluction s‟adapte ainsi à des mouvements plus rapides que
ceux des buttes de gonflement, cependant que l‟instabilité des sols polygonaux
n‟est pas toujours moindre.

La toundra des fissures rocheuses

Dans les étendues pierreuses, où les lithosols occupent une grande


place, où la cryoclastie est un processus mécanique essentiel, où la déflation
éolienne est forte, la pédogenèse se réfugie souvent dans les fissures des
rochers. Ce sont d‟abord des microorganismes, dits « chasmoendolithiques »
(Godard et André, 1999, p. 190), qui prennent position dans les fissures, puis
des lichens et des mousses de plus grande taille. Grâce à l‟action de préparation
de ces dernières, certaines plantes vasculaires de la toundra peuvent ensuite s‟y
abriter, marquant alors un contraste paysager caractéristique avec les étendues
pétrées. La kamnélomka est l‟une de ses plantes, dont le nom lui-même est
significatif, la fendeuse (lomka) de rocher (kamné)120. Au cours de cette
évolution, certaines diaclases rocheuses se sont ainsi élargies, une pédogenèse,
fût-elle embryonnaire, s‟est installée dans les fissures.

La toundra gélifluée

Selon le critère de mobilité décroissante dans les sols fins, ce sont les
langues de gélifluction qui, sur les pentes, gênent le plus les formations
végétales. En effet, les vitesses de descente de plusieurs décimètres, et même de
plusieurs mètres, par an ne sont pas rares et ce sont des mouvements déchirant
les racines de la plupart des plantes toundraines. Cependant, certaines espèces,
entravant d‟ailleurs réciproquement le phénomène morphodynamique,
colonisent les langues et, surtout, les lobes qui les terminent en aval. C‟est le cas
de la grouchanka krouglolistnaïa, dont les feuilles arrondies121, plaquées au sol
sous la couverture nivale pendant de nombreux mois, apparaissent à la
disparition des neiges à la surface du sol, devenu mouvant par imbibition de

120
Certes, la Saxifrage signifie la même chose en latin, mais le sens de cette formation savante
pour un Français est moins évident que, pour un Russe, celui de ce mot vernaculaire.
121
Le nom de grouchanka (pyrole) lui vient d‟ailleurs de la ressemblance de ses feuilles avec
celles d‟une groucha (poirier).
77
l‟eau de fonte. Ses fleurs blanches éclaircissent ensuite le front des coulées. Ce
développement est rendu possible par le fait que cette Pyrole à feuilles rondes
(Pyrola rotundifolia var. grandifolia) voit son système souterrain croître en
suivant le déplacement. « Sur les pentes, la surface des langues de solifluction
est également dépouillée, la végétation s‟accrochant au bourrelet frontal;
spécialement il s‟agit de plantes à longues tiges souterraines s‟allongeant vers le
bas du versant au fur et à mesure que la langue glisse (par exemple Pyrola
grandifolia qui s‟allonge vers l‟aval de 25 cm par an) » (Birot, 1965, p. 212).

La toundra mamelonnée

Là où la granulométrie s‟y prête, la toundra peut se couvrir de toutes


sortes de buttes de grossissement de la glace, que les Russes, au-dessus de
multiples termes géomorphologiques plus spécialisés, regroupent sous
l‟appellation de bougry poutchénia (buttes de gonflement). Ces monticules, de
dimensions diverses et dans des formations variées, certaines sableuses ou
limono-sableuses, d‟autres tourbeuses, provoquent à plusieurs échelles une
distinction des sols et des associations végétales de toundra.
Les boulgounniakhi, ou merzlotnyé bougry, dus à l‟injection de la glace
au-dessus du pergélisol dans des terrains de granulométrie assez sableuse, sont
des buttes de grande taille, parfois plusieurs décamètres de hauteur, dont
« l‟éventail des vitesses annuelles de croissance verticale est très large puisqu‟il
va de quelques millimètres à plus d‟un mètre » (Godard et André, 1999, p.
152). L‟influence sur la végétation toundraine dépasse la mobilité de
gonflement, pour ajouter un effet de pente et une augmentation de la reptation
qui gêne les ligneux, alors même que les arbres nains se plaisent
particulièrement en exposition sud de ces collines. D‟autre part, l‟eau de fusion
ravine les pentes et déchausse les plantes qui avaient pris pied sur les flancs du
boulgounniakh. Les toundras de la Yana, de l‟Indiguirka et de la Kolyma en
donnent de multiples illustrations.
Les torfiannyé bougry, dus à la ségrégation de la glace dans les terrains
tourbeux, sont des buttes de petite taille, de quelques mètres tout au plus, mais
leur croissance peut être rapide. Le boursouflement s‟effectue là où la neige et
la tourbe sont moins épaisses, diminuant doublement l‟isolation. De multiples
buttes de dimensions encore moindres, en général décimétriques, enflent les
terrains souvent marécageux. Selon la domination, on met l‟accent sur les
dernovyé bougry (buttes gazonnées) ou sur le kotchkarnik (marais mamelonné).
Que ce soit pour les buttes de tourbe ou pour les plus petits monticules,
l‟influence sur la toundra est double. D‟une part ce sont des paysages où
s‟affirme le contraste entre une végétation de sols égouttés et marécageux122,

122
Décrivant la toundra de la Russie d‟Europe, P. Birot (1970, p. 121) écrit : « les surfaces plates,
mal drainées, sont accidentées de „buttes gazonnées‟ […]. La tourbe y est soulevée par le gel
jusqu‟à 2 à 3 m. Ces surfaces sont revêtues d‟une végétation variée (Bouleaux nains, Saules,
78
Milieux naturels de Russie
d‟autre part les plantes subissent peu ou prou des mouvements pouvant aller
jusqu‟au déchirement. Selon la taille des buttes et leur vitesse de gonflement,
selon la prédominance des plantes marécageuses ou buissonnantes, les Russes
distinguent au moins la bougorkovaïa, la melkobougorkovaïa et la
kotchkarnikovaïa toundra (toundra à buttes, à petites buttes, à marais
mamelonné). Sur les parties égouttées, certains Saules ont une grande
importance, dans les fonds marécageux, les Laîches sont abondantes. La
toundra mamelonnée la plus fréquente est ainsi dite ivkovo-ossokovaïa
bourgovataïa toundra (la toundra à saulaie-cariçaie de buttes). Dans l‟île de
Vrangel, cette formation se caractérise par Salix pulchra, Carex lugens,
Arctagrostis latifolia, Deschampsia cespitosa, Oxytropis maydelliana
(Belikovič et al., 2006).

La toundra des petits polygones

Dans les étendues planes dominées par les sols toundrains fins, la
marqueterie végétale est avant tout structurée par les processus de
cryoturbation, qui déplacent les particules sous l‟effet de l‟alternance du gel et
du dégel de l‟eau du sol, créant des figurations et des petits polygones. La
vitesse du mouvement peut atteindre quelques centimètres par an123, largement
susceptible de grandement gêner l‟installation des plantes toundraines124. La
végétation est surtout présente sur les périphéries des formes polygonales, car
ce sont toujours les parties les plus stables125 et souvent celles où la
granulométrie est la plus fine. Les Mousses et quelques rares plantes
vasculaires, comme certains maki (Pavots), renforcent ensuite cette stabilité par
rétroaction, en laissant le gel agir plus profondément et intensément au centre
non inoccupé des polygones. La question de la toundra polygonale sera reprise
plus loin, non pas dans le cadre de la mobilité temporelle, mais dans un but
typologique d‟emboîtement géographique des micro-habitats.

2.3.4. Les animaux et le sol

La vie animale à l‟intérieur du sol est réduite aux quelques mois ou


semaines de dégel de la couche active au-dessus du pergélisol. L‟humidité de ce

Ronces aux fleurs et aux baies éclatantes). L‟intervalle est occupé par des marécages avec Carex,
Sphaignes, et aussi Hypnum ».
123
Pour l‟école française, les géographes pionniers à ce sujet furent A. Cailleux et A. Pissart. Leur
démarche était géomorphologique et non biogéographique.
124
« Si la granulométrie est trop fine, un autre danger menace la végétation, celle de la
cryoturbation qui gonfle les noyaux les plus argileux et déchire les racines » (Birot, 1965, p. 212).
125
« Sur les surfaces planes, la roche affleure alors en taches, aux contours polygonaux plus
stables, où les plantes se réfugient » (Birot, 1965, p. 212). « Les bords des polygones sont occupés
par la végétation parce qu‟ils sont moins mobiles » (Tricart, 1967, p. 262).
79
mollisol est en général très élevée. Dans ce milieu asphyxiant, les vers de terre
(dojdévyé tchervi) susceptibles de l‟aérer sont peu nombreux. Le genre Eisennia
ne compte qu‟une seule espèce dans la toundra russe, qui soit d‟une taille
importante (Abdurahmanov et al., 2003). Tout le reste de la faune du sol est
formé de très petits organismes, que ce soit chez les Vers, représentés par des
Nématodes, ou les Arachnides, dont les Acariens (klechtchi) forment l‟essentiel.
De toute façon, la litière et la matière en putréfaction issues de la toundra sont
limitées, donc les saprophages le sont aussi. Ainsi, la vie animale souffre,
comme la vie végétale, de sols asphyxiants, gorgés d‟eau très froide pendant
quelques semaines et gelés l‟essentiel de l‟année. La faune des sols toundrains
n‟est en revanche pas autant dérangée que les plantes par la mobilité de la
couche active. Ces mouvements, qui modifient le micro-modelé, donc les
habitats, de la toundra, à des rythmes que nous venons d‟étudier, n‟ont pas tous
la même ampleur spatiale et s‟emboîtent dans de plus vastes ensembles.

3. Des zones et régions de toundra aux micro-habitats

Une toundra peut-elle changer plus radicalement par trente mètres de


côté que par trente kilomètres de latitude ? Un renversement des échelles est-il
possible et la toundra peut-elle être sens dessus dessous ? A quel niveau la mise
en valeur humaine se fait-elle sentir ? La toundra de Russie est-elle une toundra
russe ?
Pour tenter une réponse ordonnée, il conviendra d‟abord de présenter
les ceintures latitudinales classiques des biogéographes de la toundra,
compliquées du gradient continental, lui-même dérangé par le rôle des mers
arctiques et des montagnes.

80
Milieux naturels de Russie
Fig. toundra 4 : Le découpage de la toundra russe à petite échelle cartographique

Il faudra ensuite introduire les toponymes de l‟occupation humaine, fût-


elle lâche, des différentes régions de toundra et discuter la pertinence de certains
regroupements. Il s‟agira enfin, non pas d‟étudier, à grande échelle
cartographique, les micro-habitats pour eux-mêmes, mais de comprendre
comment ils s‟insèrent et se distribuent à l‟intérieur d‟espaces plus vastes, sans
contredire la zonation et les autres découpages supérieurs.

3.1. Le découpage de la toundra russe à petite échelle : le rôle zonal


et méridien des mers arctiques

L‟école russe de biogéographie et de pédologie, à l‟origine du concept


même de la zonalité planétaire, continue d‟étudier sans relâche les subdivisions
latitudinales à l‟intérieur de la toundra. C‟est une préoccupation majeure, qui
tourne parfois à l‟exclusivité quant aux réflexions de découpage spatial de la
toundra russe (Polunin, 1951, Aleksandrova, 1971, 1977, Jurcev, 1973, Jurcev
et Tolmačev, 1978, Yurtzev, 1994, Černov et Matveeva, 1979, Chernov et
Matveyeva, 1997, Matveeva, 1998, Koroleva, 2006). Les auteurs français, en
revanche, ont toujours largement fait appel à l‟opposition entre la toundra
océanique et continentale (Birot, 1965, Lageat, 2004), en s‟appuyant souvent
sur le contraste climatique classique, spitzbergien contre angarien, adulé des
géographes de notre pays. Russes126 comme Français maîtrisent bien entendu
parfaitement les deux et N. Polunin a influencé les géographes de notre pays
126
C‟est l‟opposition entre la province de Barents et la province sibérienne de V.D. Aleksandrova
(1977).
81
depuis longtemps (Elhaï, 1967, Godard et André, 1999), mais la prédilection ou
la façon de présenter est tout de même différente. Une complication
supplémentaire vient de la troisième dimension altitudinale, qui était au cœur de
la démarche du géographe russe pionnier de l‟étude de la toundra (Gorodkov,
1938) et qui reste au centre des préoccupations scientifiques pour la toundra
mondiale (Ives et Barry, 1974, Wielgolaski, 1997).

3.1.1. Un gradient de zonation des déserts polaires à la toundra bas-


arctique

Si tout le monde s‟accorde à souligner l‟importance de la subdivision


zonale de la toundra, il existe néanmoins de nombreuses différences,
fondamentales quand il s‟agit des limites entre les types de toundra, moins
importantes quand il s‟agit seulement de diversité de vocabulaire pour désigner
les mêmes formations. Certaines différences sont caractéristiques d‟une
approche qui n‟est pas la même entre les auteurs russes et français, d‟autres,
moins claires, brouillent les pistes, ou les poudrent de neige, à l‟intérieur même
de la communauté géographique de chaque pays.
Sur chacune des franges latitudinales, la question de l‟appartenance ou
non des marges à la toundra se pose. La frange méridionale, nommée
lessotoundra par les Russes et toundra boisée par les Français, ne fait
assurément pas partie de la toundra pour l‟ensemble des géographes russes
actuels. La raison en est climatique, puisqu‟il s‟agit d‟une formation de la zone
tempérée, qui doit être exclue de la zone polaire du fait de températures
moyennes mensuelles supérieures à 10 °C en été. Cette appartenance de la
toundra boisée à la zone de taïga n‟est pourtant pas évidente. Comme tout
écotone, son appartenance à l‟une ou l‟autre zone pourrait se concevoir. Sur le
plan paysager, la toundra boisée n‟est déjà plus forestière, mais elle reste située
en deçà de la limite de l‟arbre. Dans son ouvrage majeur, publié en 1935, le
premier géographe russe spécialiste de la toundra, B.N. Gorodkov, classait la
lessotoundra dans la zone de la toundra. Ce choix était repris par le géographe
L.S. Berg (1941). En dehors de la Russie, le sujet reste controversé. Elle est
ainsi discutée à l‟échelle internationale (Löve, 1970). Chez les Français, le
biogéographe Gabriel Rougerie (1988, p. 59) étudie « la toundra arbustive
subarctique, aux ligneux dressés » avec les autres toundras127.
La question de la frange septentrionale est encore plus épineuse. Il
s‟agit de la transition entre la toundra haut-arctique et le désert polaire

127
La citation complète est : « au-delà de la limite des arbres, règnent, dans l‟hémisphère boréal,
deux et parfois trois types de toundras différenciées de manière zonale, dans leurs grandes lignes :
d‟abord la toundra arbustive subarctique, aux ligneux dressés ; puis la toundra buissonnante, aux
ligneux prostrés ; enfin, plus avant dans l‟Arctique, la toundra rase polaire, formée d‟herbacées
phanérogames et cryptogames, sans ligneux dignes de ce nom » (Rougerie, 1988, p. 59).
82
Milieux naturels de Russie
(poliarnaïa poustynia). Celle-ci est tellement progressive que certains auteurs,
tant chez les Russes que chez les Français, intègrent la toundra très
septentrionale et le désert polaire dans un même ensemble (Aleksandrova, 1977,
1988), tandis que d‟autres les différencient nettement (Gorodkov, 1935, Berg,
1941, Ţadrinskaja, 1970).
Nous exclurons ici la toundra boisée, qui sera étudiée avec la taïga,
mais nous ne fixerons pas de limite septentrionale à la toundra haut-arctique. Ce
dernier problème concerne beaucoup moins de surfaces en Russie qu‟au Canada
et ne se pose que pour de petites portions des îles russes de l‟Arctique. Ces
précisions ou réserves étant apportées, la grande majorité des auteurs, russes et
français, subdivisent la toundra en trois rubans parallèles, dont les appellations
varient parfois, mais se resserrent plus souvent autour du triptyque des toundras
haut-, moyen- et bas-arctique. Chez les auteurs français classiques, Henri Elhaï
(1967, p. 277) dit reprendre ces trois termes à N. Polunin (1960). Ils forment
aussi128 la typologie d‟A.Godard et M.-F. André (1999, p. 192). Chez les
Russes, les trois termes qui reviennent souvent sont vyssokoarktitcheskié,
arktitcheskié, soubarktitcheskié toundry, littéralement les toundras haut-
arctiques, arctiques et subarctiques129. La toundra subarctique au sens russe
n‟est en aucun cas synonyme du domaine subpolaire au sens français, lequel
recouvre la toundra boisée.
La toundra haut-arctique, vyssokoarktitcheskaïa toundra130 ou bien,
simplement arktitcheskaïa toundra131, soit la toundra arctique au sens strict, est
une formation végétale de transition avec le désert polaire. Les plaques de sol
nu (piatna gologo grounta) y sont souvent prédominantes. C‟est le règne des
lichens encroûtants qui, par endroit, forment « des peuplements lichéniques
purs, assurant à eux seuls, la totalité du paysage végétal » (Rougerie, 1988, p.
11). Les lithosols sont majoritaires, mais des mousses, des saxifrages et diverses
herbes s‟insinuent dans les fentes des rochers, les abris, cependant que,
localement, de petites prairies colonisent les dépressions humides. Selon les
travaux d‟A.G. Issatchenko, la biomasse est inférieure à deux tonnes par
hectare. Seuls les archipels de la Russie arctique, François-Joseph, Nouvelle
Terre, Terre du Nord, éventuellement l‟extrême nord des îles de Nouvelle
Sibérie, connaissent cette toundra haut-arctique, encore que l‟altitude provoque
son apparition sur le continent sibérien dans la chaîne de Byrranga, traversée
par le 75e parallèle au cœur de la péninsule de Taïmyr.

128
A la différence près que les adjectifs deviennent des compléments de nom : toundra du Haut-
Arctique, etc.
129
La toundra subarctique est parfois dite hypo-arctique (guipoarktitcheskaïa) par certains auteurs
russes. N.A. Martchenko et Nizovtsev l‟emploient dans un sens zonal, V.D. Aleksandrova dans
un sens floristique.
130
Par exemple chez Abdourakhmanov et al. (2003) et chez Martchenko et Nizovtsev (2005).
131
Par exemple chez Jadrinskaïa (1970) et chez Rakovskaïa et Davydova (2003).
83
La toundra moyen-arctique, souvent dite typique (tipitchnaïa) par les
Russes, parfois dite moyenne (sredniaïa)132, est une formation végétale où
dominent les mousses et, secondairement, les lichens buissonnants133, cependant
que le raznotravié est important, composé de multiples plantes herbacées à
fleurs. « Le recouvrement moyen atteignant ici 70 % » (Godard et André, 1999,
p. 192), différentes espèces de mousses se relaient pour former presque partout
un tapis assez épais, parfois sec, plus souvent spongieux, au-dessus duquel les
ossokovyé sont essentiels. Selon les genres dominants parmi ces Cypéracées, on
a plutôt une toundra à Laîche, plutôt à Linaigrette, mais le paysage mélangé des
deux est si fréquent que la toundra moyenne, dans ce faciès, est en général dit
pouchitsévo-ossokovaïa toundra par les Russes. Les endroits assez bien drainés
sont suffisamment étendus pour que la toundra moyenne pousse assez
largement sur des sols bruns arctiques. Ces podboury sont, pour des sols
toundrains, relativement aérés, mais leur humus est tout de même acide. Selon
les travaux d‟A.G. Issatchenko, la biomasse est comprise entre deux et vingt
tonnes par hectare. La toundra moyen-arctique forme la moitié septentrionale de
la toundra du continent sibérien, s‟épanouissant tout particulièrement dans la
Plaine de Sibérie Septentrionale, la Plaine de la Yana et de l‟Indighirka, ainsi
que la Plaine de la Kolyma. Sa limite méridionale suit assez bien l‟isotherme de
6 °C de juillet (Abdurahmanov et al., 2003, p. 293). Si ce mois est plus chaud,
on passe à la toundra bas-arctique.
La toundra bas-arctique, dite subarctique (soubartitcheskaïa) par
certains auteurs russes (Abdurahmanov et al., 2003, p. 293), méridionale
(youjnaïa) par d‟autres (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 211)134, est une
formation végétale couvrante, continue, stratifiée, où les buissons et les arbres
nains forment un étage au-dessus de cryptogames. D‟après les travaux d‟A.G.
Issatchenko, la biomasse serait généralement comprise entre vingt et quarante
tonnes par hectare. Cette toundra buissonnante (koustarnitchkovaïa toundra) est
le royaume des Ericacées. Ce sont elles qui donnent l‟aspect ligneux135
dominant de cette toundra et son caractère principalement sempervirent. Parmi
les Ericacées, le genre Empetrum est avant tout représentée par la voronika
tchiornaïa (Empetrum nigrum), le genre Vaccinium par la brousnika
(Vaccinium vitis-idaea). Cette Airelle rouge marque fortement le paysage de la

132
Elle est cependant appelée « arctique » par Martchenko et Nizovtsev (2005)
133
C‟est pourquoi E.M. Rakovskaïa et M.I. Davydova (2003, p. 211, en russe) proposent de
l‟appeler tipitchnaïa lichaïniko-mokhovaïa toundra, « la toundra typique lichéno-muscinale ».
134
Le géographe B.N. Gorodkov (1935) l‟appelait la toundra boisée septentrionale, mais ce terme
n‟est plus employé. Certains chercheurs la nomment toundra hypo-arctique. Les géographes
Martchenko et Nizovtsev (2005) la subdivisent en toundra buissonnante méridionale et toundra
buissonnante septentrionale, mais cette dernière prend aussi une partie de la toundra moyen-
arctique d‟autres auteurs russes.
135
« Ce mode buissonnant des toundras se distingue aisément de celui des plus hautes latitudes
[…] par le fait qu‟il comporte un pourcentage d‟espèces ligneuses toujours supérieur à 50 % »
(Rougerie, 1988, p. 59).
84
Milieux naturels de Russie
toundra russe méridionale, étalant toute l‟année ses petites feuilles
sempervirentes luisantes, scléreuses, modérant les couleurs vives d‟autres
plantes par ses fleurs d‟un humble rose pâle, mais rattrapant son éclat en
donnant ses baies d‟un rouge vif tranchant. Les sols hydromorphes à gley sont
très répandus dans la toundra bas-arctique. C‟est aussi celle où les tourbières
(torfianiki) prennent le plus de place, impliquant l‟abondance des Sphaignes et
des Cypéracées poussant sur différents sols tourbeux, torfianistyé potchvy mais
aussi torfianyé potchvy. La toundra bas-arctique est celle qui occupe le plus de
place en Russie. Presque exclusive en Europe, elle forme les quatre cinquièmes
de celle de Sibérie occidentale. En Sibérie centrale, où le continent monte très
haut en latitude dans le Taïmyr, et en Sibérie orientale, elle n‟en constitue plus
que la moitié méridionale, mais elle redevient prépondérante en Tchoukotka, à
l‟approche du Pacifique.
En conclusion, ces trois sous-zones (podzony) de toundra sont en
théorie traversées si l‟on fait un trajet du nord au sud. Dans la réalité, la côte de
l‟Océan Glacial Arctique descend à des latitudes variées d‟ouest en est,
s‟avançant très au sud en Europe, restant au contraire très au nord en Sibérie
centrale, et choisissant un parallèle intermédiaire en Sibérie orientale. La place
prise par les mers polaires peut ainsi tronquer, selon les endroits, une ou deux
sous-zones. Il en résulte trois conséquences géographiques majeures. Primo, le
fait est que seule la Sibérie centrale possède sur le continent les trois bandes de
toundra, grâce à la montée du cap Tchéliouskine jusqu‟à 77°43‟ Nord.
Cependant, pratiquement partout en Sibérie, même à l‟ouest et à l‟est, l‟ampleur
latitudinale de la toundra est telle que les sous-zones moyen-arctique et bas-
arctique ont la place de se succéder du nord au sud, depuis le littoral vers
l‟intérieur du continent. Secundo, la toundra haut-arctique est presque
uniquement insulaire. Tertio, la Russie d‟Europe, du fait des littoraux très
méridionaux de la mer de Barents, n‟offre, à cette échelle, qu‟une toundra bas-
arctique.

3.1.2. Les complications de longitude et d’altitude

Ce fond zonal distinguant les toundras du nord au sud n‟est pas


seulement tronqué par le fait que le littoral arctique dessine d‟amples variations
latitudinales. Il est aussi compliqué, en restant à petite échelle cartographique,
par des effets de longitude et d‟altitude. L‟influence de la longitude, ou de la
continentalité est elle-même double, composée d‟une part d‟un héritage
morphoclimatique, d‟autre part d‟un effet océanique actuel.

Dans ce milieu froid où la pédogenèse est très lente, la durée pendant


laquelle les actions biochimiques ont pu se produire prend un caractère majeur.
Or les glaciers, qui ne sont jamais loin, font repartir à zéro cette évolution à
85
chaque nouvelle invasion. Ils sont aujourd‟hui rétractés sur quelques îles russes
de l‟Arctique. Mais l‟inlandsis couvrait d‟immenses surfaces il n‟y a qu‟un peu
plus de 10 000 ans. De cette dernière glaciation, dite, par les Russes, de Valdaï,
à peu près concomitante du Würm alpin, les effets sont considérables, si bien
qu‟un contraste majeur oppose les régions qui se sont libérées récemment de
cette couverture glaciaire et les autres. Lichonnaïa lda soucha, la terre épargnée
par les glaces, le continent dépourvu de glacier au Valdaï est un autre monde.
C‟est, grâce à sa sécheresse, une partie de la Sibérie centrale et orientale, celle
de la pédogenèse possible sur une certaine durée, celle de l‟évolution qui n‟est
pas un éternel recommencement. Il en résulte une toundra plus moussue, plus
riche et plus variée que les difficiles conditions climatiques actuelles ne le
laisseraient supposer. Elle s‟oppose à la toundra européenne et sibérienne de
l‟ouest, très jeune, qui a récemment pris pied sur un terrain raboté par
l‟inlandsis, moins variée que son climat assez doux pourrait laisser accroire et
plus souvent lichénique qu‟on ne le penserait.
Cet héritage contrecarre, sauf en Tchoukotka où il l‟accentue, la
situation due aux conditions climatiques actuelles dans lesquelles baigne la
toundra russe. La Nouvelle Terre (Novaïa Zemlia) forme la barrière marine
séparant les courants chauds à l‟ouest des courants froids à l‟est. L‟Oural
Polaire, qui est au continent ce que la Nouvelle Terre est à l‟océan, forme la
barrière climatique limitant la toundra du climat polaire océanique (ou
spitzbergien) à l‟ouest de la toundra du climat polaire continental136 (ou
angarien) à l‟est. La toundra européenne est ainsi plus humide, souffre d‟étés
frais, mais profite d‟hivers peu rigoureux. Elle le doit au dernier avatar du Gulf
Stream et de la Dérive Nord-Atlantique, ce courant de Norvège qui, après avoir
dépassé le cap Nord, prend le nom de courant mourman en longeant la
péninsule de Kola. C‟est lui qui, s‟épanouissant dans toutes les directions de la
mer de Barents pour mieux en adoucir tous les littoraux, vient mourir contre la
Nouvelle Terre, non sans avoir donné ses dernières calories aux contreforts
occidentaux des monts Paï-Khoï qui forment la terminaison de l‟Oural Polaire.
Au-delà, la toundra sibérienne est plus sèche, aux saisons plus contrastées.
Seule la toundra tchouktche et celle de l‟île de Vrangel, à l‟approche du
Pacifique, retrouve, par quelques retours d‟est, marins et climatiques, peut-être
un peu de douceur, assurément beaucoup d‟humidité. On aura noté que, par une
translation malvenue de la frontière entre l‟ouest et l‟est, la toundra de Sibérie
occidentale est la seule à subir les deux inconvénients de l‟héritage glaciaire
prononcé et du climat rude actuel.

136
Il est entendu que nous reprenons ici les termes classiques selon laquelle l‟influence est dite
océanique quand les mers arctiques apportent une certaine douceur hivernale et continentale dans
le cas contraire. Cependant, comme le rappelle T.A. Tourskova (2002), la totalité de la toundra
russe est influencée par l‟océan et c‟est cette action des vents marins du nord qui provoque
l‟absence d‟été.
86
Milieux naturels de Russie
La taïga russe, ainsi triplement rubanée du nord au sud et doublement
contrastée d‟ouest en est, ne s‟étend pas seulement dans les plaines littorales ou
deltaïques de l‟Arctique. Elle subit aussi de multiples complications par
l‟intervention de reliefs plus ou moins élevés, qui la coupent et la décalent, lui
permettant notamment de s‟avancer dans la zone de taïga. Ce cas est manifeste
dans la péninsule de Kola au-dessus de 600 à 700 m. A l‟autre extrémité de
l‟Europe, le surgissement de l‟Oural Polaire permet à une Laîche des plaines de
Sibérie centrale, en l‟occurrence Carex arctisibirica, de se retrouver plusieurs
centaines de kilomètres à l‟ouest, au-dessus du Carex globularis européen. En
Sibérie centrale, l‟intervention montagneuse de la chaîne de Byrranga aide la
toundra haut-arctique, ailleurs insulaire, à mettre pied sur le continent. En
Sibérie orientale et en Tchoukotka, tout est affaire de damier entre toundra plus
ou moins montagnarde et toundra boisée ou taïga souffreteuse de vallée (Jurcev,
1973).
Peu ou prou, la toundra russe est finalement partout influencée par
l‟étagement altitudinal (Gorodkov, 1938), si bien que cette perturbation de la
zonalité peut être considérée comme un dérangement à moyenne échelle, qui
conduit à l‟étude régionale de la toundra russe.

3.2. Les régions de toundra à moyenne échelle

3.2.1. Les formations d’Europe : les toundras mourmane et kanino-


petchorienne

Malgré sa séparation en deux parties par la mer Blanche, la toundra de


la Russie d‟Europe présente une certaine unité. C‟est une toundra méridionale,
bas-arctique, buissonnante, qui pousse sur des sols issus de roches-mères qui
étaient englacées au Valdaï. Les toundras de la Russie d‟Europe ont aussi en
commun leur hiver peu rigoureux et leur forte humidité estivale. Les
précipitations sont partout supérieures à 500 mm par an. Ces deux traits
climatiques se dégradent cependant sensiblement d‟ouest en est (Jakovlev,
1961), si bien qu‟il est justifié de séparer la toundra mourmane de la toundra
kanino-petchorienne, lesquelles se distinguent aussi par une partie de leur
composition floristique et la texture de leurs sols.

La toundra mourmane et la toundra de Ter

La toundra mourmane, au sens large, forme un ruban d‟une trentaine de


kilomètres de largeur (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 280), qui borde la
péninsule de Kola au nord et à l‟est, depuis la frontière finlandaise jusqu‟à
l‟embouchure de la Strelna dans la mer Blanche. La latitude atteint presque 70 °
87
Nord dans la presqu‟île Rybatchi proche de la frontière finlandaise, mais elle
descend en deçà du cercle polaire à l‟autre extrémité137. Ce n‟est donc pas tant
la latitude138 que l‟influence de la mer qui construit l‟absence d‟été et
l‟impossibilité pour l‟arbre de croître. En fait la toundra mourmane au sens
strict ne comprend que celle bordée par la mer de Barents ; elle est poursuivie à
l‟est par la toundra de Ter, baignée par l‟extrémité septentrionale de la mer
Blanche.
Cette toundra, partout littorale, est caractéristique d‟une formation bas-
arctique139, tout en s‟en distinguant par la grande faiblesse des herbes. Assez
peu lichénique et moussue, cette toundra buissonnante voit le règne des
Bouleaux nains et des Ericacées. La Camarine (Empetrum, voronika) est
représentée par deux espèces140, l‟Airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea,
brousnika) est bien entendu répandue, la toloknianka (Arctostaphylos) ajoute à
ces Ericacées sempervirentes. En s‟éloignant de la côte de la mer de Barents,
cette toundra buissonnante voit sa strate inférieure augmenter son taux de
recouvrement et s‟enrichir, surtout en Lichens, dont la Mousse à renne141.
Malgré son caractère de toundra méridionale, la formation végétale mourmane a
en effet l‟originalité d‟être assez peu couvrante ; elle offre des étendues
rocheuses dénudées, balayées par les vents marins, où la végétation se réfugie
dans les fentes. Les plantes herbacées sont réduites, mais, parmi elles, la
toundra mourmane est la seule de Russie142 à posséder la Laîche de Bigelow
(Carex bigelowii), répandue en Scandinavie, dans des contrées où les
précipitations sont abondantes.
La toundra de Ter (Koroleva, 1999) se distingue de sa voisine
mourmane par des sols qui, tout en étant jeunes, sont moins caillouteux et
graveleux. C‟est une toundra plus marécageuse (Cinzerling, 1935), où
s‟épanouissent les Saules nains, prenant la place des Bouleaux nains de la

137
Elle ne descend pas aussi sud d‟après la délimitation classique de L.S. Berg (1941), s‟arrêtant
sur le Ponoï donc restant au nord du cercle polaire.
138
D‟où l‟importance des débats russes depuis des décennies sur la zonalité de la toundra
mourmane et le titre provocateur d‟un article récent de N.E. Koroleva (2006, en russe) : « la
toundra zonale de la péninsule de Kola : réalité ou erreur ? ».
139
C‟est la conception actuelle (soubarktitcheskaïa youjnaïa toundra de Aleksandrova, 1977, et
de Koroleva, 2006). En revanche, dans sa thèse de 3 e cycle aujourd‟hui dépassée, E.G. Tchernov
(1956, cité par Koroleva) classait un liséré littoral de la formation mourmane en toundra moyen-
arctique (arktitcheskaïa).
140
Pour V.D. Aleksandrova (1977), le fait que la Camarine hermaphrodite, qu‟elle présente
comme la plante hypo-arctique par excellence, arrive jusqu‟à la mer prouve que la formation
mourmane dans son ensemble est bas-arctique.
141
E.M. Rakovskaïa et M.I. Davydova (2003, pp. 282-283) écrivent que le taux de recouvrement
muscino-lichénique est inférieur à 25 % en moyenne sur la côte mourmane, mais monte à 50 % en
allant vers l‟intérieur.
142
Selon N.A. Martchenko et V.A. Nizovstev (2005). Cependant, les travaux de T.V. Egorova
dans les années 1970 ont montré qu‟une sous-espèce (Carex bigelowii subsp. lugens)
réapparaissait à l‟autre extrémité de la Russie, à l‟approche du Pacifique.
88
Milieux naturels de Russie
toundra mourmane. La toundra de Ter devient largement tourbeuse en allant
vers le sud. Une Rosacée devient majeure, la morochka. Cette Ronce des
tourbières (Rubus chamaemorus), qui était déjà présente dans tous les faciès
marécageux de la toundra mourmane (Koroleva, 2006), atteint son maximum
dans celle de Ter. En arrière de la toundra mourmane et de celle de Ter,
l‟intérieur de la péninsule de Kola est couvert d‟une toundra boisée et d‟une
taïga claire septentrionale, à l‟intérieur desquels quelques îlots de toundra de
montagne peuvent surgir grâce à l‟altitude. Ce sont ces croupes dénudées qui
sont traditionnellement appelées toundra par les Lapons, formant ainsi la
toundra éponyme (Černov, 1980).
Les toundras mourmane et de Ter forment un ruban extrêmement peu
peuplé, à la seule exception de l‟agglomération de Mourmansk. Bien que celle-
ci constitue le plus grand ensemble urbain de toute la toundra mondiale, elle
reste très localisée143. Depuis 1939, la toundra mourmane est en partie protégée
par la réserve naturelle de Kandalakch (Kandalakchski zapovednik), dont les
70 500 ha couvrent pour part la formation végétale polaire, pour part la taïga.
Pour ce qui est de la toundra, la protection s‟étend sur le littoral de la mer de
Barents de part et d‟autre du village de Kharlovka (37° Est) et sur les petites îles
situées entre la péninsule Rybatchi et la frontière finlandaise. En arrière de la
vraie toundra mourmane, l‟intérieur de la péninsule de Kola compte une aire
protégée plus étendue, la réserve naturelle de Laponie (Laplandski zapovednik).
Depuis 1930, ses 278 400 hectares couvrent la taïga et la toundra de montagne
du massif ancien situé à l‟ouest de Montchégorsk.

Les toundras kanino-petchoriennes de Kanin, de la Petite et de la Grande


Terre

La « toundra kanino-petchorienne » (Rakovskaja et Davydova, 2003, p.


249, en russe) regroupe les trois toundras situées à l‟est de la mer Blanche, entre
celle-ci et l‟Oural Polaire. Elle forme une bande limitée par la mer de Barents
au nord et, grossièrement, le 67e parallèle au sud. A l‟ouest, la toundra de Kanin
est celle qui descend le plus au sud, s‟avançant dans la plaine de Mézén en-deçà
du cercle polaire. Entre la chaîne de Timan et la Petchora, la toundra de la Petite
Terre (Malozémelskaïa toundra) passe à une toundra boisée sur le 67e parallèle.
Le grand fleuve, dont la large vallée est occupée de prairies marécageuses,
coupe cette végétation par un ruban méridien144. A l‟est de la Petchora, la

143
Les extensions portuaires et les villes-satellites débordent certes maintenant du fjord lui-
même ; en outre, des projets d‟agrandissement sont en cours (comm. or. P. Marchand, janvier
2010). Cependant, à l‟échelle de la toundra mourmane et de Ter, cela reste un point unique.
144
« Telles sont les prairies de la basse Petchora, où la fenaison commence en août, au jour de la
Saint-Élie, occupation que rendent pénible la chaleur et les moustiques, mais qui permet aux
Russes d‟entretenir leurs vaches jusque sous ces hautes latitudes, et de mener au cœur de la
toundra leur existence de sédentaires » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 76).
89
toundra de la Grande Terre (Bolchézémelskaïa toundra) reprend possession de
presque tout l‟espace situé au nord du 67e parallèle. C‟est ici que la zone stricte
de toundra, excluant la toundra boisée, atteint sa plus grande largeur en Europe,
environ 250 km du nord au sud.
La toundra kanino-petchorienne est une toundra bas-arctique, au climat
polaire océanique adoucissant les hivers, humidifiant l‟ensemble de l‟année,
permettant une couche protectrice de neige plus épaisse qu‟en Sibérie et
favorisant le pullulement du Bouleau nain. L‟épaisseur de mollisol qui dégèle
est assez conséquente et sur une période plus longue qu‟au-delà de l‟Oural.
La totalité de la toundra de Kanin et de la Petite Terre, ainsi que les
deux tiers sud de celle de la Grande Terre développent un faciès méridional très
buissonnant. Les arbres nains, Bouleaux et Saules, et les buissons d‟Ericacées
forment un paysage végétal plutôt élevé pour une toundra, mais, devant
l‟importance des tourbières, ils se réfugient sur les buttes de gonflement de la
tourbe, les torfianyé bougry, notamment en exposition méridionale145. Parmi les
véreskovyé, la Camarine hermaphrodite (Empetrum hermaphroditum) se
retrouve jusque sur le piémont de l‟Oural Polaire, attestant le caractère
occidental de la composition floristique. Chez les Cypéracées, Carex globularis
a pris la place qu‟occupait la Laîche de Bigelow à l‟ouest de la mer Blanche
(Marčenko et Nizovcev, 2005).

La toundra de Kanin se distingue des autres par son caractère


particulièrement marécageux et tourbeux, la douceur de son hiver, pour une
moyenne mensuelle de janvier d‟environ moins dix degrés, l‟importance de ses
précipitations, dont le total annuel atteint 600 mm, ses roches-mères meubles.
Les tourbières à Sphaignes y occupent le plus de place parmi toutes les toundras
russes, encore qu‟elles restent assez fréquentes dans la Petite Terre. En
revanche, le faciès méridional de la toundra de la Grande Terre est beaucoup
mieux égoutté. En dessous des buissons d‟Ericacées, la strate cryptogamique
des lichens, mousses et champignon est fournie. Une trentaine de champignons
comestibles existant dans la toundra de la Grande Terre (Kotelina, 1990), le
peuple Komi a développé une grande connaissance traditionnelle, empirique, du
tchak146. C‟est ainsi que, pour désigner le Bolet rude et ses sous-espèces, les
Komi possèdent vingt-deux noms dans leur langue, dont kötch gob pour le Bolet
rude commun (Boletus scaber scaber).

145
« De la presqu‟île de Kanin à la Petchora [dominent] les habituelles buttes de tourbe séparées
par des erséï, ou flaques d‟eau. […] Sur la face sud des buttes, plus chaude et plus abritée du vent,
croissent en abondance, avec le lichen, les plantes à baies, myrtille, airelle, raison d‟ours, et ainsi
est assurée l‟existence, non seulement du renne et du renard blanc, mais celle de millions
d‟oiseaux de passage qui se gorgent de fruits avant leur vol d‟automne » (Camena d‟Almeida,
1932, p. 114).
146
Champignon se dit grib en russe, mais tchak en komi.
90
Milieux naturels de Russie
Seule, à l‟est de la Petchora, la toundra de la Grande terre développe,
au-delà du 68e parallèle, un faciès septentrional de la toundra européenne, moins
buissonnant, très moussu, qui se poursuit de façon appauvrie par une toundra
moyen-arctique dans les monts Paï-Khoï et sur l‟île Vaïgatch, puis par une
toundra insulaire haut-arctique en Nouvelle Terre (Novaïa Zemlia). Sur le
continent, parmi les plantes buissonnantes, la Dryade est déjà présente,
montrant ainsi le caractère septentrional de cette toundra bas-arctique. Les
Ericacées sont évidemment toujours importantes, mais l‟Airelle bleue
(Vaccinium uliginosum, goloubika), aux petites feuilles caduques, d‟une teinte
vert-clair sur le dessus et bleuâtre sur le dessous, tend à prendre la place de la
sempervirente brousnika. Dans cette même famille dominante des véreskovyé,
le Lédon (Ledum, bagoulnik) est important. Le Bouleau nain reste largement
présent, profitant d‟une neige encore abondante. Une particularité de la toundra
de la Grande Terre, dans son faciès septentrional, est la relative importance des
plantes herbacées. Les Graminées y développent deux espèces de Pâturin, non
seulement l‟inévitable miatlik arktitcheski (Pâturin arctique, Poa arctica), mais
aussi miatlik vyssokogorny. Parmi les autres herbes, les Laîches sont
évidemment très présentes, d‟autant que la partie septentrionale de la toundra de
la Grande terre est plus marécageuse que plus au sud. Cette toundra est
traditionnellement un territoire d‟élevage du renne par les Nentsy. Néanmoins,
repoussés depuis longtemps au-delà de l‟Oural par les peuples sédentaires,
Komi et Russes, les anciens Samoyèdes forment désormais le peuple de la
toundra sibérienne de l‟ouest.

3.2.2. Les formations de Sibérie occidentale : les toundras de Yamal


et de Guydan

La toundra de Sibérie occidentale couvre 325 000 km² (Rakovskaja et


Davydova, 2003b, p. 92), au nord du 67e parallèle147. Comme en Europe,
l‟influence négative de la mer pour l‟arbre, en rafraîchissant la saison chaude et
en supprimant de fait l‟été, est essentielle dans la localisation de cette toundra.
C‟est la profonde échancrure de la baie de l‟Ob, ce bras marin remontant de
800 km à l‟intérieur des terres, qui provoque le recul de l‟arbre aussi sud.
Surnommée « la poche de glace » (méchok so ldom) par les Russes, cette
annexe de la mer de Kara fond très tard et recule d‟autant l‟arrivée de la chaleur.
Par son appendice oriental de la baie du Taz, elle répand son influence jusqu‟au
80e méridien. A l‟est du Taz, en s‟éloignant de ces bras marins, la limite
méridionale de la toundra remonte brusquement en latitude, l‟arbre s‟avançant,
à la longitude de l‟Iénisséï, jusqu‟au-delà du 69e parallèle.

147
La toundra boisée, qui la borde au sud sur plus de 150 000 km², est évidemment exclue de ce
décompte, puisqu‟elle appartient, pour les Russes, à la zone de la taïga.
91
La toundra de Sibérie occidentale connaît des hivers nettement plus
rigoureux que ceux de la toundra européenne. Les moyennes mensuelles de
janvier à mars sont aux alentours de moins vingt-cinq degrés. C‟est une toundra
extrêmement ventée en hiver, par des flux puissants, du nord, venus de la mer
de Kara, très dommageables aux plantes. Les tempêtes de neige (météli),
soufflent pendant une centaine de jours par an et rendent le tapis neigeux
fantasque, déplaçant continuellement la poudreuse, ne permettant pas aux
buissons d‟être durablement protégés par cette couche isolante.
La saison qui tient lieu d‟été est marquée très négativement par
l‟influence de la mer de Kara. Le mois le plus chaud est décalé sur août et, au
nord du 70e parallèle, sa moyenne mensuelle est inférieure à 6 °C. Là, sur de
grandes distances dans la toundra de Yamal, un peu moins dans celle de
Guydan, se développe une toundra moyen-arctique, caractérisée par la Dryade
octopétale (Dryas octopetala, driada vosmilépestnaïa) et Salix nummularia (iva
monétovidnaïa). La couche active dégèle sur une épaisseur ne dépassant pas
vingt à vingt-cinq centimètres, les précipitations sont longues, sous forme de
bruine froide et les chutes de neige restent possibles à tout moment. Les roches-
mères forment un paysage jeune, déglacé depuis peu, où l‟accumulation marine
a déposé ses sédiments avant que la remontée isostatique ne fasse émerger
l‟ensemble, à partir desquels les sols n‟ont subi qu‟une pédogenèse très faible.
Les sédiments marins sableux provoquent le développement d‟une toundra
lichénique sur des sols bruns arctiques, tandis que les argiles de Kara donnent
naissance à des sols à gley et une toundra plus moussue, l‟ensemble étant
compliqué par les formes de micro-modelé périglaciaire. Cette toundra moyen-
arctique n‟est pas couvrante, mais déchirée de multiples plaques de sol nu.
Au sud du 70e parallèle, la toundra bas-arctique profite d‟un mois
d‟août un peu moins frais, d‟un dégel d‟une couche active plus épaisse. Une
formation buissonnante colonise ces espaces, ressemblant assez largement à la
toundra européenne de la Grande Terre. Entre le 70e et le 69e parallèle, la
formation végétale développe un faciès septentrional (Marčenko et Nizovcev,
2005) de toundra bas-arctique. Les plantes herbacées sont répandues, en
particulier le Pâturin arctique. Les Laîches, mais aussi les Linaigrettes, sont très
présentes.
Au sud de la confluence entre la baie de l‟Ob et la baie du Taz, vers 69°
Nord, la toundra de Sibérie occidentale passe à un faciès méridional de la sous-
zone bas-arctique, assez proche de la toundra européenne148. La composition
floristique possède d‟ailleurs certains marqueurs, qui montrent que la toundra
sibérienne de l‟ouest est la plus orientale des toundras occidentales. C‟est le cas
de la Camarine hermaphrodite (Empetrum hermaphroditum), qu‟on retrouve de
la Scandinavie (Nilsson et al., 1993) à l‟Iénisséï, mais qui ne franchit pas ce

148
Bien que la frontière floristique soit plus l‟Iénisséï que l‟Oural, certaines espèces de la toundra
sont cependant uniquement asiatiques et ne se retrouvent pas en Europe. « Ainsi la graminée
Hierochloe pauciflora ne se trouve pas à l‟ouest de la Nouvelle-Zemble » (Berg, 1941, p. 23).
92
Milieux naturels de Russie
fleuve (Marčenko et Nizovcev, 2005). Les autres Ericacées sont répandues.
Chez les arbres nains, les Bouleaux et les Saules laissent une place plus grande
que dans la plupart des toundras russes à l‟olkhovnik (Alnaster). Il est vrai que
le dégel au-dessus du pergélisol peut ici dépasser 80 cm, laissant une certaine
liberté aux arbustes.
La toundra de Sibérie occidentale ne montre pas seulement un gradient
de zonalité. En effet l‟éloignement de la mer de Kara ne s‟effectue pas
uniquement en allant vers le sud, mais aussi en se déplaçant vers l‟est, quittant
ainsi l‟influence de la baie de l‟Ob. La toponymie régionale ne s‟y trompe pas,
qui distingue la toundra de Yamal à l‟ouest de cette vaste échancrure de la
toundra de Guydan à l‟est.
La toundra de Yamal possède un hiver modérément rigoureux par ses
températures, les moyennes mensuelles de janvier à mars tournant autour de
moins vingt-deux à moins vingt-trois degrés, mais très contraignant par
l‟importance des vents, qui culminent en décembre et continuent de sévir
ensuite. Les météli et autres pourgui, qui soulèvent les neiges pendant plus de
120 jours par an, sont très préjudiciables aux plantes qui aiment à être protégées
par un épais tapis nival, comme les Saules nains et, dans les parties
graminéennes de la toundra de Yamal, la Canche (Deschampsia, lougovik).
Même dans sa partie méridionale, l‟été est très frais pour une toundra bas-
arctique. Les Laîches et les Linaigrettes colonisent de vastes surfaces de la
toundra de Yamal, surtout dans la partie orientale, très marécageuse, à
l‟approche de la baie de l‟Ob.
De l‟autre côté de ce golfe marin, la toundra de Guydan connaît un
hiver plus rude par son froid, les moyennes mensuelles de janvier à mars
tournant autour de moins vingt-huit à moins vingt-neuf degrés, avec des
minimales possibles de moins cinquante-cinq degrés Celsius, mais moins venté
que plus à l‟ouest. Les tempêtes de neige ne soufflent en général pas plus de 80
à 90 jours par an et la couche nivale protégeant la végétation est plus régulière.
A latitude égale, la saison tenant lieu d‟été est plus chaude, qui permet à la
toundra bas-arctique de monter plus haut en latitude. Dans la toundra de
Guydan, les formations moyen-arctiques sont repoussées au-delà du 71e
parallèle, le long de la mer de Kara, là où elle est échancrée des baies de
Guydan et de l‟Iénisséï.

En conclusion physique, la toundra de Sibérie occidentale, par le


caractère récent de son déglacement et de son émersion, par la rigueur de son
climat venté et de ses étés gâtés par la mer de Kara, est la seule de Russie à
cumuler les héritages glaciaires défavorables sans profiter du courant mourman.

93
De fait, elle est pauvre et peu diversifiée en espèces149. « Les particularités
climatiques et la jeunesse de cette zone sont la cause de la pauvreté de la
composition floristique. On rencontre ici seulement 300 espèces de plantes
supérieures » (Rakovskaja et Davydova, 2003b, p. 97, en russe). La relative
richesse de la strate cryptogamique ne compense pas cette indigence. Une
certaine biodiversité des mousses est cependant à préserver ici (Dryachenko et
al., 1999). A l‟extrémité sud-ouest de la toundra de Yamal, sur le piémont
oriental de l‟Oural Polaire, Irina Czernyadjeva (1998) a par exemple découvert
dans la région du lac Younto (67°40‟N Ŕ 68°00‟E) certaines espèces très rares à
l‟échelle mondiale, comme Encalypta mutica et Molendoa tenuinervis.
La biodiversité de cette strate muscino-lichénique n‟est pas tant
recherchée par les rennes que l‟abondance de sa biomasse. Or le lichen dit
« mousse à renne » est ici largement répandu et forme de grands pâturages aux
éleveurs nentsy, qui y tiennent « la deuxième région d‟élevage du renne de
Russie derrière la Tchoukotka et l‟une des plus importantes du monde »
(Rakovskaja et Davydova, 2003b, p. 98, en russe). Cependant, la montée
toujours plus loin vers le nord de l‟exploitation des hydrocarbures de la Plaine
de l‟Ob, qui déborde maintenant largement sur la toundra pour l‟extraction du
gaz naturel, réduit fortement les pâturages traditionnels.

3.2.3. Les formations de Sibérie centrale : les toundras taïmyrienne


et de Byrranga

La toundra de Sibérie centrale forme une zone d‟environ 650 km de


large aux alentours du 100e méridien, sans compter la toundra boisée. La limite
méridionale de la toundra au sens strict monte en latitude quand on la parcourt
d‟ouest en est. Elle passe progressivement de 70° Nord sur l‟Iénisséï à 72° Nord
sur la Khatanga150, puis se stabilise vers 72° entre ce fleuve et la Léna. C‟est ici
que la toundra descend le moins au sud de toute la Russie, car la continentalité
du climat est telle qu‟un véritable été, rendant possible la croissance de l‟arbre,
monte jusqu‟au delà de 72° N par endroit, bien que les hivers soient
terriblement froids. Cette toundra très septentrionale profite de jours

149
Sa biodiversité est très inférieure à celle de la toundra de Sibérie centrale, pourtant située plus
au nord dans la péninsule de Taïmyr. « La flore des toundras de Sibérie occidentale est
considérablement plus pauvre que la flore du Taïmyr occidental » (Ţandrinskaja, 1970, p. 278, en
russe).
150
La limite précise entre la toundra et la toundra boisée est donnée par des points de repère de
N.G. Jadrinskaïa (1970), auxquels nous avons ajouté des indications de latitude. A l‟ouest, elle
part de l‟Iénisséï aux portes de Doudinka un peu en deçà du 70 e parallèle, passe juste au nord du
lac Piassino un peu au-delà de 70° N, puis reste à une vingtaine ou une trentaine de kilomètres au
sud de la rivière Doudypta à proximité du 71e parallèle, puis passe au sud du lac Labaz
pratiquement sur le 72e parallèle, atteint ensuite le fleuve Khatanga qu‟elle longe sur une
vingtaine de kilomètres au nord au village du même nom et atteint le fleuve Popigaï au-delà de
72° N.
94
Milieux naturels de Russie
extrêmement longs en juillet et d‟apports radiatifs importants, qui renforcent la
continentalité. L‟hiver est en revanche très rigoureux, la moyenne mensuelle de
janvier tournant autour de moins trente-cinq degrés sur la majeure partie des
surfaces occupées par cette formation végétale.
Peu marécageuse, la toundra de Sibérie centrale laisse une assez grande place à
des sols de granulométrie grossière portant une formation basse le plus souvent
lichénique et buissonnante. De toutes les toundras russes, c‟est celle où le
contraste est le plus grand entre d‟une part les sols détrempés et très froids de la
couche active juste au-dessus du pergélisol, d‟ailleurs partout épais de plusieurs
centaines de mètres, et d‟autre part la couche-limite atmosphérique plus chaude
que dans les autres formations polaires, grâce à la continentalité (Rakovskaja et
Davydova, 2003). Cette opposition favorise les associations végétales étalées,
en coussinets, plaquées au sol. Les plantes à coussinet sont particulièrement
bien représentées dans la toundra de Sibérie centrale par les genres Draba,
Minuartia et Silene. Vingt espèces de Drabe, la kroupka des Russes, ont ainsi
été recensées (Ţadrinskaja, 1970).
La toundra de Sibérie centrale, comprise entre l‟Iénisséï et la Léna, a
une composition floristique spécifique. Pour elle, comme d‟ailleurs pour la
taïga, la vraie frontière entre l‟Europe et l‟Asie se trouve plus sur l‟Iénisséï que
sur l‟Oural. Selon N.A. Martchenko et V.A. Nizovtsev (2005), les changements
floristiques marquants se manifestent par le fait que, au sud, Carex arctisibirica
remplace Carex globulis et Betula exilis151 surpasse Betula nana. Au centre
apparaissent Cassiope tetragona et Empetrum subholarcticum. Au nord, les
caractères déjà orientaux font que Dryas punctata152 se mêle à Dryas octopetala
et la surpasse même.
La subdivision de la toundra de Sibérie centrale par les géographes
régionalistes russes recouvre celle des biogéographes. En effet, la moitié sud,
qui forme la région de la toundra taïmyrienne (predtaïmyrskaïa toundra de
Rakovskaja et Davydova, 2003b, p. 152), est une toundra bas-arctique et
moyen-arctique153, tandis que la moitié nord, dite toundra de Byrranga, est un
enchevêtrement de toundras haut-arctiques de plaine littorale et de montagne.

151
L‟apparition de Betula exilis à l‟est de l‟Iénisséï avait déjà été signalée comme un changement
majeur par Gorodkov (1935) et Berg (1941).
152
Qui est une sous-espèce de D. octopetala pour beaucoup d‟auteurs.
153
Selon les travaux classiques de B.A. Tikhomirov, publiées dans les années 1940 à 1960, la
toundra taïmyrienne est bas-arctique (subarktitcheskaïa) au sud et moyen-arctique (tipitchnaïa) au
nord. Selon N.G. Jadrinskaïa (1970), la toundra taïmyrienne est bas-arctique dans sa moitié sud
(koustarnikovaïa toundra) et moyen-arctique dans sa moitié nord (tipitchnaïa mokhovo-
lichaïnikovaïa toundra). Selon Martchenko et Nizovtsev (2005), l‟ensemble de la toundra
taïmyrienne est bas-arctique, subdivisée en un faciès méridional (youjnaïa koustarnikovaïa
toundra) et un faciès septentrional (sévernaïa koustarnikovaïa toundra). Une discussion complète
des problèmes de zonation posés par la toundra de Taïmyr et de Byrranga a été faite par Youri
Tchernov et N. Matvééva (Černov et Matveeva, 1979).
95
La toundra taïmyrienne occupe presque toute la grande Plaine de
Sibérie Septentrionale (Sévéro-sibirskaïa nizmennost) de l‟Iénisséï à l‟Oléniok,
sauf l‟extrême sud-ouest qui forme une toundra boisée. La toundra taïmyrienne
s‟étend à elle seule sur plus de 400 000 km². C‟est une formation lichénique et
buissonnante, assez peu moussue. Les Ericacées sont avant tout la Camarine et
la Cassiope, qui croissent sur des sols bruns arctiques bien développés, ainsi que
sur des sols à gley. La toundra taïmyrienne est la plus continentale des toundras
russes. Certaines stations descendent à moins trente-sept degrés de température
mensuelle de janvier, marquée par des minima atteignant moins soixante
degrés. Mais la courte saison chaude arrive très brutalement et la moyenne
mensuelle juillet est d‟environ 8°C sur de grandes superficies, de manière assez
homogène, au cœur la toundra taïmyrienne.

96
Milieux naturels de Russie
Fig. toundra 5 : La péninsule de Taïmyr : la zonation complète de la toundra la plus
continentale de Russie

S‟étirant sur 300 km en moyenne du nord au sud, la toundra


taïmyrienne fait cependant apparaître un gradient latitudinal. Ainsi, au sud-
ouest, dans la boucle de la Piassina et au sud de la rivière Doudypta, cette
formation végétale passe à un faciès bas-arctique méridional, plus stratifié et
97
plus dense. L‟étage supérieur est caractérisé par l‟importance du Bouleau nain
de l‟Arctique, la bérioza tochtchaïa (Betula exilis) pouvant former, si
l‟exposition estivale est au sud et la couche de neige protectrice suffisante
pendant de nombreux mois de l‟année, de véritables fourrés. On y trouve aussi
l‟olkhovnik koustarnikovy (Alnaster fruticosus), ainsi que des Saules. En
dessous, les buissons d‟Airelles, qui avaient perdu de leur superbe au nord,
redeviennent denses par la brousnika et la goloubika, et se mêlent à des
nombreuses plantes herbacées où dominent le Séneçon (Senecio, krestovnik).
Encore en dessous, l‟étage cryptogamique est très moussu, avec Hylocomium,
Aulacomnium, Polytrichum, Ptilidium, Drepanocladus, Dicranum (Ţadrinskaja,
1970).
S‟allongeant sur 1 400 km d‟ouest en est, la toundra taïmyrienne fait
apparaître un gradient de continentalité, qui distingue au moins les formations
végétales de part et d‟autre de la Khatanga, à peu près au niveau du 105 e
méridien. Les précipitations deviennent de plus en plus faibles vers l‟est ; le
total annuel passe en dessous de 400 mm au franchissement de la Khatanga,
pour atteindre à peine 300 mm à approche de l‟Oléniok. Alors que l‟hiver,
encore influencé par la mer de Kara, reste venté et souffre de multiples tempêtes
de neige à l‟ouest, il devient très sec à l‟est, plus stable, anticyclonique, sans
apport océanique de la mer des Laptiov (Rakovskaja et Davydova, 2003).
Au nord d‟une ligne oblique allant de 74° Nord à l‟ouest à 75° à l‟est, la toundra
buissonnante taïmyrienne laisse la place à une formation végétale différente, la
toundra de Byrranga, essentiellement haut-arctique. Cette dernière occupe la
péninsule de Taïmyr. Dans ses parties basses, la toundra de Byrranga a un faciès
littoral, le long de la mer de Kara sur la Côte de Khariton Laptiov, qui s‟élargit
dans la presqu‟île de Tchéliouskine et se rétrécit de nouveau à l‟est, le long de
la mer des Laptiov sur la Côte de Prontchichtchev. Au-delà des détroits, elle
s‟appauvrit encore plus au nord dans l‟archipel de la Terre du Nord (Sévernaïa
Zemlia), où elle confine au désert polaire. En arrière de cette toundra littorale, la
chaîne de Byrranga construit un faciès haut-arctique montagnard.
Grâce à l‟influence marine, la toundra littorale de Byrranga bénéficie
d‟un hiver moins froid que celui de la toundra taïmyrienne. La moyenne
mensuelle la plus froide est décalée sur février et tourne autour de moins trente
à moins trente et un degrés. En revanche, l‟action des mers de Kara et des
Laptiov installe une saison extrêmement fraîche en juillet et août, qui est
responsable de la pauvreté de cette toundra. La moyenne mensuelle la plus
élevée de l‟année ne dépasse nulle part 3°C et l‟isotherme de 2° suit à peu près
le trait de côte. La toundra littorale de Byrranga est au mieux tachetée
(piatnistaïa). Les plaques de sol nu forment une bonne part du paysage, jusqu‟à
70 % dans la presqu‟île de Tchéliouskine. La végétation est repoussée dans les
fentes ou sur les périphéries des polygones et la Dryade en est une plante
marquante, surtout la Dryade rose (Dryas punctata, driada totchetchnaïa),
secondairement la Dryade à huit pétales (Dryas octopetala, driada
98
Milieux naturels de Russie
vosmilépestkovaïa). Dans ces mêmes conditions de micro-modelé, la Dryade est
accompagnée par Minuartia arctica (minouartia arktitcheskaïa) et Sieversia
glacialis (siversia lédianaïa) (Ţadrinskaja, 1970).
En arrière de la côte, la chaîne de Byrranga offre une toundra
montagnarde haut-arctique, dont la végétation se résume à des lichens incrustés
dans la roche, les nakipnyé lichaïniki.
L‟ensemble de la toundra de Sibérie centrale est très peu modifiée par
des activités humaines presque inexistantes. Elle est en outre protégée par
plusieurs réserves naturelles de très grande taille. La plus étendue, qui est aussi
la plus récente, couvre quatre millions cent soixante mille hectares de toundra
littorale et insulaire, scindés en sept portions. Il s‟agit de la Grande Réserve
Naturelle de l‟Arctique (Bolchoï Arktitcheski zapovednik), fondée en 1993. Plus
particulièrement créée pour protéger les oiseaux marins nicheurs, elle permet
aussi de soustraire de manière stricte l‟ensemble de l‟écosystème de la toundra
de Byrranga, essentiellement sur les côtes, secondairement sur le piémont
septentrional de la chaîne montagneuse.

Plus loin à l‟intérieur des terres, au sud de la chaîne de Byrranga, la


toundra taïmyrienne est protégée sur un million sept cent quatre vingt douze
mille hectares par la réserve naturelle de Taïmyr (Taïmyrski zapovednik), située
à l‟ouest du lac du même nom. Fondée en 1979, cette réserve est surtout connue
pour abriter la plus grande population mondiale de rennes sauvages (Gorkin,
1998). Parmi les oiseaux, le Harfang des neiges (Nyctea scandiaca, bélaïa sova)
y est particulièrement bien représenté.

Encore plus au sud, le plateau de Poutorana est protégé depuis 1988 par
la réserve du même nom (Poutoranski zapovednik). Sur un million huit cent
quatre-vingt sept mille hectares, les vallées abritent certes une taïga-galerie,
mais une grande part du massif est couverte de toundra de montagne. Parmi les
oiseaux rares de cette réserve naturelle et l‟une des raisons de son ouverture, on
peut citer le Faucon gerfaut (Falco rusticolus). Le kretchet apprécie en effet ici
les grands escarpements.

Outre ces trois réserves naturelles, toutes situées à proximité du


centième méridien, une quatrième, localisée beaucoup plus à l‟est, le long du
125e méridien, fait la limite entre les toundras de Sibérie centrale et les toundras
orientales. C‟est la réserve de l‟Embouchure de la Léna (Oust-Lenski
zapovednik). Créée en 1985 sur un million quatre cent trente trois mille
hectares, elle comprend exclusivement des paysages de toundra. L‟Androsace
de Gorodkov (Androsace gorodkovii, prolomnik Gorodkova) fait partie des
plantes rares qui y sont protégées.

99
3.2.4. Les toundras orientales

A l‟est de la Léna et de la baie de Bouor-Khaïa, la toundra change une


dernière fois de façon assez nette à l‟échelle régionale, tant par la physionomie
paysagère que par la composition floristique. Le paysage géographique devient
très marqué par la montagne, qui augmente les superficie de toundra d‟altitude
en réduisant d‟autant les terrains bas de la vraie toundra. Même dans les plaines,
la toundra laisse souvent la place à la toundra boisée, qui atteint ici, en
particulier dans les bassins intra-montagnards, sa plus grande extension de toute
la Russie. Finalement, la toundra au sens strict est repoussée dans les plaines
littorales, souvent deltaïques, trouées de milliers de petits plans d‟eau
thermokarstiques.
Le plus grand allongement des vraies toundras orientales de bas pays
est celui de l‟est de la Yakoutie, depuis la baie de Bouor-Khaïa, sur le 130e
méridien, jusqu‟à l‟embouchure de la Kolyma, sur le 160e. Ces toundras des
plaines de la Yana, de l‟Indiguirka et de la Kolyma ne dépassent pas une
centaine de kilomètres de large au bord de la mer des Laptiov, mais atteignent
250 km au bord de la mer de Sibérie Orientale, sans compter plusieurs centaines
de kilomètres de toundra boisée les bordant au sud. Plus à l‟est, les montagnes
sont beaucoup plus proches de la côte, si bien que les vraies toundras se
réduisent à un liséré littoral au bord de la mer des Tchouktches. Seule, en
Extrême-Orient, la toundra de la plaine d‟Anadyr, ouverte sur la mer de Béring,
occupe de nouveau une vaste superficie.
Les vastes toundras de la Yana, de l‟Indiguirka et de la Kolyma sont
bas-arctiques de faciès uniquement septentrional. De nombreux boulgounniakhi
émergent des terrains sableux, qui créent des contrastes d‟exposition pour les
plantes. D‟autres sols, majoritaires, sont très marécageux et tourbeux. Ce sont
des toundras muscinales buissonnantes, où l‟une des grandes spécialistes russes
des mousses toundraines, N.A. Stepanova, commença ses travaux scientifiques
au début des années 1970. Chez les arbres nains, bérioza tochtchaïa (Betula
exilis) s‟impose bien plus que dans la toundra taïmyrienne, mais le changement
de composition floristique le plus notable est l‟apparition de Salix fuscescens
dès la toundra de la Yana, qui sera désormais présent jusqu‟au Pacifique. Au
nord, sur une mince frange littorale de la mer de Sibérie Orientale, les toundras
de l‟Indiguirka et de la Kolyma deviennent moyen-arctiques à Dryade et c‟est
sous cette forme que la toundra insulaire colonise l‟archipel de la Nouvelle
Sibérie (Novossibirskié ostrova). C‟est la Dryade rose (Dryas punctata, driada
totchetchnaïa) qui forme les peuplements.
Plus à l‟est, le littoral de la mer des Tchouktches se distingue par une
petite toundra moyen-arctique à Dryas integrifolia (Marčenko et Nizovcev,
2005). Mais c‟est au-delà du trait de côte continental que celle-ci s‟épanouit
vraiment. En effet, l‟île de Vrangel, par 180° de longitude, compte une
100
Milieux naturels de Russie
remarquable toundra moyen-arctique sur 7 300 km², tout entière154 protégée par
une réserve naturelle d‟Etat, créée en 1976. La toundra de Vrangel est très bien
connue scientifiquement depuis les travaux du géographe B.N. Gorodkov155, des
années 1930 aux années 1950, poursuivis par ceux de l‟Académie des Sciences
de l‟Extrême-Orient Russe des dernières décennies156 et diffusés à l‟échelle
internationale par la demande de classement en patrimoine mondial de
l‟UNESCO en 2004 (UICN, 2004). Il est vrai que, avec 417 espèces et sous-
espèces de plantes vasculaires recensées, c‟est sans doute la plus riche toundra
moyen-arctique du monde, comptant environ le double d‟espèces d‟une toundra
de même type et de même dimension située ailleurs. Vingt-trois espèces, dont
cinq de Pavot, sont d‟ailleurs endémiques. Cette richesse serait due au brassage
entre les flores eurasiatiques et américaines, qui entrent ici en contact, et à
l‟ancienneté de ce contact, puisque l‟île est le dernier vestige émergé de l‟ancien
continent de la Béringie, épargné par les glaciations, qui a servi de refuge aux
espèces pléistocènes.
Après avoir franchi les monts de la Kolyma et d‟Anadyr, on retrouve
une vraie toundra de bas pays à l‟approche de la mer de Béring. Cette toundra
d‟Anadyr est la seule des formations orientales à développer un faciès bas-
arctique méridional. De fait, c‟est la toundra située la plus au sud de toute la
Russie, descendant assurément jusqu‟au 63e parallèle en remontant les vallées.
Cette toundra buissonnante, où le Bouleau nain de l‟Arctique (Betula exilis)
forme d‟importants peuplements, compte de vastes surfaces herbacées, dont
Carex lugens est caractéristique.
Cependant, dans toute la Tchoukotka, c‟est la toundra de montagne qui
prend le plus de place. Il s‟agit d‟une vraie toundra de montagne sur la façade
nord des chaînes, tournée vers les mers de Sibérie Orientale et des Tchouktches,
où la Dryade rose (Dryas punctata) cohabite avec Dryas ajanensis. Mais c‟est
une toundra boisée de montagne sur la façade sud des chaînes, tournée vers la
mer de Béring, où le Cèdre nain (Pinus pumila, kedrovy stlanik) fait son
apparition, qui colonise d‟immenses surfaces d‟altitude faisant la transition très
floue entre la zone de toundra et la zone de taïga dans tout le nord de l‟Extrême-
Orient.

154
L‟aire protégée s‟étend en fait sur 7 956 km² de terre ferme (île Vrangel et île Gérald) et sur
14 300 km² d‟eaux marines.
155
Sur la toundra de Vrangel, son article fondamental est celui du Geografitcheski Journal
(Gorodkov, 1943) ; sur les toundras russes en général, c‟est son ouvrage la végétation de la zone
de toundra de l’URSS (Gorodkov, 1935, en russe).
156
Résumés dans l‟ouvrage collectif de A.V. Bélikovitch et alii (2006).
101
3.3. Les tesselles toundraines à grande échelle

En tant que formation se trouvant aux limites possibles de la vie, la


toundra, à l‟instar de pelouses écorchées de haute altitude ou de steppes lâches
de semi-déserts, développe une couverture qui n‟est ni continue ni uniforme.
Comme celles de la haute montagne ou de certains milieux arides, les plantes
toundraines se réfugient, s‟abritent, se plaquent, se blottissent, s‟isolent, si bien
que les plus minimes changements de pente, les moindres épaississements de la
couche-limite atmosphérique, les plus petites variations de granulométrie et
d‟humidité dans le sol, ont une portée disproportionnée. « Dans les conditions
extrêmes qui règnent aux hautes latitudes, les micro-habitats prennent, en effet,
une importance considérable » (Godard et André, 1999, p. 196). Nous tenons à
distinguer l‟étude empirique des types de toundra de l‟étude des biocénoses en
fonction de leur échelle géographique.

3.3.1. Les types de toundra en fonction de l’abri, de l’humidité du sol


et du micro-modelé

Il existe dans les différences de physionomie et de composition des


toundras un certain nombre de gradients, dont celui de l‟humidité plus ou moins
grande des sols et celui de la couverture neigeuse sont caractéristiques. Ce
dernier point met en avant le rôle primordial du vent, donc de l‟abri. Tout le
monde s‟accorde ainsi à souligner que, globalement, les toundras sont plus
lichéniques dans les milieux secs, rocheux, sur les interfluves, sur les buttes en
exposition sud, tandis que les toundras sont plus moussues dans les milieux
humides, les creux, les dépressions. De même, chacun note une
« différenciation dans la répartition spatiale de ces ligneux ou semi-ligneux […]
suivant les conditions hydriques : Ericacées, plutôt en milieux égouttés ;
Bouleaux et surtout Saules et Aulnes nains, en sites plus humides » (Rougerie,
1988, p. 60). Chez les herbes, les Cypéracées colonisent globalement les fonds
humides. Pour ce qui est de la neige, le Saule avant tout, mais aussi la plupart
des Airelles et le Lédon ont besoin d‟une couche protectrice importante, tandis
que la Camarine peut se satisfaire de terrains plus dégagés. Mais il est manifeste
que toutes les combinaisons sont possibles, qui se cumulent ou se contrecarrent
l‟une l‟autre.

102
Milieux naturels de Russie
Dans ce contexte, l‟opération de discrimination conduisant à une
typologie est le plus souvent empirique157. La segmentation des gradients est un
choix tel que le nombre de classes de toundra est décliné en fonction de la
volonté de détail du chercheur ; la subdivision n‟a de limite que celle de
l‟approfondissement scientifique souhaité. Nous pourrions dire qu‟une
différence assez nette se manifeste entre les auteurs généraux, qui présentent la
toundra mondiale ou celle de toute la Russie, et les auteurs d‟une étude locale
spécialisée.
Chez les premiers, la toundra de l‟ensemble de l‟hémisphère nord et de
la totalité de la Russie donne habituellement lieu à cinq ou six classes. Par
exemple, dans son étude générale de la toundra mondiale, le biogéographe
Henri Elhaï (1967, p. 279) distingue six types : « toundra humide », « sèche »,
« des domaines abrités », « des terres nues », « des taches de neige » et « des
tourbières ». Dans sa présentation de « la toundra buissonnante », c‟est-à-dire
de la toundra mondiale bas-arctique, Gabriel Rougerie (1988, pp. 59-60) classe
quatre « faciès : la „lande buissonnante‟, très riche en Lichens, avec plus de
80 % des Phanérogames, ligneuses ; la „toundra buissonnante marécageuse‟,
plutôt riche en Mousses et herbacées monocotylédones, mais avec encore plus
de la moitié des Phanérogames, ligneuses ; la „pelouse buissonnante‟, moins
moussue et bien pourvue en Dicotylédones herbacées plus de 15 % ». P.
Camena d‟Almeida (1932, p. 76) caractérise l‟ensemble de la toundra russe
européenne en six « aspects particuliers » : la toundra des « sols rocheux et
pierreux », des « sols humides et peu consistants », « du sol argileux […] où le
vent enlève la neige », des endroits où « la neige séjourne », des « parties basses
et au bord des lacs » et, enfin, « la toundra tourbeuse ». Chez les Russes qui
veulent différencier les toundras en fonction des sols et du micro-modelé, les
types classiques tournent autour des taches, des buttes et des terrains
marécageux, selon des déclinaisons légèrement distinctes en fonction des
auteurs. La plus ancienne proposition fut celle de G.I. Tanfiliev (1897), qui
distinguait, en quatre types pédologiques, la toundra torfianisto-bougristaïa
(tourbeuse à buttes), pestchanaïa (sableuse), glinistaïa (argileuse) et
kaménistaïa (pierreuse). Aujourd‟hui, G.M. Abdourakhmanov et al. (2003, p.
292) citent les types bougorkovyé (à buttes), piatnistyé (tachetés),
piatnistomelkobougorkovyé (tachetés à petites buttes), kotchkarnyé (de marais
mamelonné).
Chez les scientifiques qui ont étudié une toundra délimitée localement,
le nombre de types est en général plus élevé que chez les auteurs présentant la
toundra mondiale ou russe dans son ensemble. Par exemple, V.N. Vassiliev
avait proposé dix types pour la toundra de montagne de l‟Anadyr, rapportés par
le géographe français Pierre George (1962). Plus récemment, Irina

157
Quand il ne s‟agit pas d‟une analyse quantitative de phytosociologie.
103
Czernyadjeva (1998) a subdivisé la toundra bas-arctique de l‟extrême sud-ouest
de Yamal, près du lac Younto, en dix-sept types.

3.3.2. Les types de toundra en fonction de la taille des écosystèmes

Si l‟on fait passer au second plan les facteurs de différenciation, pour


s‟attacher aux dimensions géographiques, les niches ont objectivement tendance
à concerner des unités dont la taille est de plus en plus petite en allant de la
toundra bas-arctique aux formations haut-arctiques et aux déserts polaires. Il est
ainsi logique d‟analyser des méso- ou des micro-cénoses dans les milieux moins
rigoureux et d‟approfondir jusqu‟aux nano-cénoses dans les conditions les plus
contraignantes. Pour simplifier, les quelques exemples suivants, d‟échelle
cartographique croissante, peuvent se lire à la fois du sud au nord, des plaines
vers les pentes fortes, des formations meubles vers les affleurements rocheux.

La toundra marécageuse et tourbeuse

Certains auteurs français classiques soulignent la grande importance


prise par le milieu écologique de la tourbière (torfianik) dans la toundra. « Les
tourbières occupent une grande superficie du fait de la médiocrité du drainage,
de la multitude des creux d‟origine diverse (contre-pente glaciaire, dolines,
culot de glace morte…) et de la permanence à faible profondeur de l‟horizon
imperméable du permafrost. Dès lors l‟humidité de surface est grande et la
végétation ne se décompose que lentement » (Elhaï, 1967, pp. 280-281).
Pourtant, d‟une part la toundra russe est plus marécageuse que tourbeuse à
proprement parler, d‟autre part elle compte quatre fois moins de tourbières que
la taïga158. Il est cependant indubitable que les marécages plus ou moins
tourbeux composent un tableau majeur de la toundra russe, du moins
méridionale. En effet, un net gradient zonal se fait jour, qui donne d‟autant plus
de place aux tourbières qu‟on se déplace vers le sud159 de la toundra. Alors que
les marécages sont moins nombreux, et moins tourbeux, au nord, les vrais
torfianiki et leur importance dans le paysage russe se réalisent plutôt au contact
de la toundra bas-arctique méridionale et de la toundra boisée160. C‟est ainsi que
les tourbières plates (nizinnyé torfianiki) occupent une grande place, en Russie
d‟Europe, au sud de la toundra de Kanin, et, en Sibérie orientale, au sud des

158
« 80 % des réserves russes de tourbe se trouvent en zone forestière, 20 % en zone toundraine »
(Marčenko et Nizovcev, 2005, p. 120, en russe).
159
« Les tourbières à sphaignes, très répandues dans le nord de la zone des forêts, perdent peu à
peu de leur importance à mesure qu‟on s‟avance dans la toundra » (Berg, 1941, pp. 22-23).
160
Il s‟agit d‟ailleurs d‟un fait général. « Ce n‟est qu‟aux confins de la forêt boréale eurasiatique
et canadienne que s‟imposent dans les paysages d‟authentiques tourbières à sphaignes où
mûrissent en septembre les fruits orangés de la ronce arctique » (Godard et André, 1999, p. 202).
104
Milieux naturels de Russie
toundras de la Yana, de l‟Indiguirka et de la Kolyma. En Sibérie occidentale, les
tourbières sont plutôt décalées en dehors de la toundra proprement dite. Ces
tourbières bombées (verkhovyé torfianiki ou bien vypouklyé torfianiki) se
trouvent de préférence au contact de la toundra boisée et de la forêt boréale,
voire de la taïga septentrionale et centrale.
Une vraie tourbière bas-arctique, ou un marécage tourbeux moyen-
arctique, est un écosystème de la toundra qui forme une unité couvrant souvent
quelques dizaines ou centaines d‟hectares. Les Mousses sont dominantes, parmi
lesquelles les Sphaignes forment le groupe distinctif, mais une zonation en
auréole marque un paysage où les Cypéracées jouent toujours un grand rôle.
Les genres de Mousses les plus communs des terrains marécageux de la
toundra russe sont Calliergon, Drepanocladus et Aulacomnium, notamment là
où la conquête de petits plans d‟eau est récente. Dans les bas marais (nizinnyé
bolota) de la toundra taïmyrienne, ces Mousses sont rejointes par les Lichens
hygrophiles que sont Cetraria hiascens et C. crispa (Ţadrinskaja,1970). Là où
les eaux sont plus acides et l‟évolution plus avancée, les Sphaignes (sfagnovyé
mkhi) prennent une position dominante parmi les Mousses et construisent leur
épaisseur spongieuse ponctuée de motchajiny, ces multiples trous d‟eau qui
constellent l‟ensemble.
Outre les Mousses, la grande famille de la toundra marécageuse et
tourbeuse est celle des ossokovyé. Parmi ces Cypéracées, les espèces les plus
répandues dans ce milieu de la toundra russe sont les Laîches aquatique (Carex
aquatilis, ossoka vodianaïa) et verticale (Carex stans, ossoka
priamostoïatchaïa), ainsi que les Linaigrettes à feuilles étroites (Eriophorum
angustifolium, pouchitsa ouzkolistnaïa), de Scheuchzer (Eriophorum
scheuchzeri, pouchitsa Cheïtsera) et vaginée (Eriophorum vaginatum,
pouchitsa vlagalichtchnaïa). On peut y ajouter, par exemple dans les bas marais
de la toundra taïmyrienne, la Laîche hyperboréale (Carex hyperborea, ossoka
guiperboreïskaïa).
Le reste du cortège est généralement dominé par certaines Ericacées et
Rosacées. Parmi les premières, l‟Andromède161, que les Russes appellent
podbel, est la plus caractéristique. Ce buisson sempervirent produit des fleurs
tôt dans la saison, qui, pour les romantiques, colorent en rose les bords des
marais tourbeux. Pour les gourmets, l‟intérêt vient en revanche de la morochka.
Après avoir donné de grandes fleurs blanches, la Ronce de l‟Arctique (Rubus
chamaemorus) fournit en effet de délicieuses baies ressemblant à de petites
framboises orangées162.

161
Il existe une seule espèce, Andromeda polifolia (podbel mnogolistny).
162
D‟ailleurs le traducteur français de L.S. Berg (1941, p. 24) emploie le terme de « mûres
jaunes » pour désigner la morochka.
105
La toundra de creux à neige

Il a été vu précédemment combien l‟épaisseur de la neige déterminait


les caractéristiques de la toundra, en particulier pour ses effets bienfaisants
d‟isolation thermique contre le gel et de protection face aux vents. La
couverture nivale a pourtant aussi des effets négatifs, si elle ne fond pas assez
tôt et empêche ainsi le démarrage végétatif, alors même que la saison est si
courte qu‟il conviendrait de ne point perdre la moindre journée. Une épaisseur
trop faible ne permet pas la protection, une épaisseur trop grande n‟autorise pas
la fonte à temps. C‟est sur ce dilemme qu‟est fondé chaque carreau de la
mosaïque toundraine et, en terme de composition floristique, la réaction de
chaque espèce. Dans les régions qui souffrent d‟une certaine sécheresse
édaphique, un troisième élément vient brouiller la première contradiction,
l‟intérêt d‟une fonte lente et différée qui distille de l‟eau jusqu‟à la fin de la
saison végétative s‟opposant à l‟intérêt d‟une fonte précoce et rapide qui permet
l‟assimilation immédiate. Pierre Birot (1965, p. 213) résume la complexité du
problème en écrivant que « pour chaque espèce et chaque type de climat, il
existe une épaisseur optima réglée par les besoins de la plante dans cette triple
perspective ».
Toutes précipitations égales par ailleurs, les facteurs géographiques qui
jouent pour donner le meilleur micro-biotope sont le creux et l‟abri du vent,
plus ou moins secondés par l‟exposition. Certes, il existe de rares endroits, qui
tendent à cumuler les trois avantages. « Des fonds de vallée en pente assez
rapide et inclinés vers le sud parviennent à concilier les exigences
contradictoires qui donnent ses meilleures chances à la végétation, c‟est-à-dire
une couverture épaisse en hiver, rapidement fondue au printemps en raison de
l‟exposition au sud [tout en étant alimentés ensuite par le haut du bassin versant,
où] il existe généralement quelques taches de neige plus durables » (Birot,
1965, pp. 213-215). Mais, sans atteindre à ce paroxysme, tout creux à neige est
mis à profit et, le plus souvent, de manière différenciée en fonction des espèces.
Chaque petite dépression forme un méso- ou un micro-habitat se
comportant différemment de celui de la cuvette voisine, notamment en terme de
pente et d‟exposition, et, à l‟intérieur même de chaque creux, une succession de
plantes aux exigences distinctes se succèdent pour former une chaîne de nano-
habitats.
Dans un même creux, les plantes qui ont besoin d‟une longue saison
végétative, si elles supportent les gels plus intenses, tendent à croître là où
l‟épaisseur de neige est plus faible, donc fond précocement. Les plantes qui ont
absolument besoin d‟une protection thermique pendant la saison froide, si elles
arrivent à développer un cycle végétatif court, ont tendance à se blottir là où la
couverture nivale est la plus haute. Pourtant, au-delà d‟un certain seuil, dans les
deux sens, la densité de la végétation diminue : si la neige manque presque
106
Milieux naturels de Russie
complètement, l‟avantage de la saison végétative un peu plus longue s‟efface
devant l‟absence de protection thermique ; si la neige est trop épaisse,
l‟avantage de l‟isolation s‟incline devant la disparition de l‟insolation.
Les plantes qui ne peuvent se satisfaire d‟une saison végétative écourtée
se trouvent plutôt sur le haut du creux à neige ou en exposition sud, mais elles
colonisent d‟autant mieux ces habitats qu‟elles supportent des gels
rigoureux. De ce dernier point de vue, la voronika est le buisson le plus
caractéristique, qui arrive d‟ailleurs à assimiler de façon précoce sans pour
autant craindre la trop grande rudesse hivernale. On trouve cette Camarine de
manière très fréquente au sommet des creux à neige de la toundra russe, où elle
est aussi appelée vodianika, (« l‟aqueuse »). En effet, les baies noires
d‟Empetrum renferment un suc aqueux. La tchernika, la brousnika, la goloubika
et, plus généralement, toutes les Airelles du genre Vaccinium ont absolument
besoin d‟une longue saison végétative. Cependant, leur cas est plus compliqué
que celui de la Camarine, dans la mesure où elles ne peuvent souffrir un gel trop
intense. On les trouve en général en position mieux abritée, souvent plus bas
que la voronika, parfois sur des replats, privilégiant elles aussi les versants
tournés au sud.
Les plantes qui supportent encore beaucoup moins les gels rigoureux,
où qui ne souffrent aucune déshydratation, même en fin de saison végétative,
croissent dans les parties du creux à neige où l‟accumulation est la plus épaisse.
Si elles arrivent à développer un cycle végétatif court, elles peuvent se trouver
au fond de la dépression, couverte de beaucoup de neige en saison froide tout en
étant assurément humide pendant toute la bonne saison. C‟est là que se
développent, surtout dans la toundra bas-arctique méridionale, des fourrés
d‟arbres nains, dans lesquels iva domine presque toujours. C‟est que certaines
espèces de Saules de la toundra russe s‟accommodent d‟une saison végétative
courte et réussissent à reprendre très tôt l‟assimilation chlorophyllienne, alors
même que leurs feuilles sont pourtant caduques. Leur exigence est la protection
hivernale sous plusieurs décimètres de neige, dont ils ne dépassent pas. Le plus
petit de tous, iva travianistaïa (Salix herbacea, Saule herbacé), semble ne rien
risquer du haut de ses quelques centimètres, mais cela ne l‟empêche pas de
s‟emmitoufler sous la couverture la plus épaisse et régulière possible, au fond
des creux à neige. Moins petits, iva sizaïa (Salix glauca, Saule argenté) et iva
settchataïa (S. reticularis, S. réticulé) ont d‟autant plus de raison de se situer là
où l‟accumulation de neige par le vent est élevée. Chez les herbes, la Canche
(Deschampsia) est sans doute la Graminée qui recherche le plus une épaisse
protection nivale et une longue humidité, mais la chtchoutchka des Russes (dite
aussi lougovik) n‟est pas capable de développer un cycle végétatif très court.
Assez exigeante, on la trouve dans de bonnes conditions de mi-versant ou sur
des replats, voire de petites contre-pentes, où elle ne craint pas l‟engorgement.

107
Cependant, au-delà d‟un certain seuil, l‟humidité est trop grande ou,
surtout, la neige est tellement épaisse et s‟est tant accumulée au fond du creux
que sa fusion arrive trop tard, voire ne conduit pas à sa disparition complète.
Pour la plupart des plantes de la toundra, cette niche du creux à neige se
transforme en un inconvénient. Les plantes vasculaires sont remplacées par des
Mousses, qu‟on trouve ainsi en exposition nord ou au plus profond des
dépressions.
A l‟inverse, quand on sort complètement du creux, le vent balaie
souvent la neige et cet enlèvement réduit en général fortement la végétation,
surtout dans la toundra moyen- et haut-arctique et au bord des mers de Kara et
des Laptiov. Bien que la Camarine puisse parfois résister, la Dryade et les
Lichens prennent plutôt le relais.

La toundra nitrophile

L‟originalité des micro-habitats riches en nutriments vient de leur


absence à peu près partout ailleurs dans la toundra. Si la grande rareté du
phosphore est commune à la toundra et à pratiquement toutes les formations
végétales naturelles du monde, il n‟en va pas de même pour l‟azote. La toundra
souffre d‟une carence générale en azote, avant tout à cause du froid et de la
longueur de celui-ci, voire de sa permanence. De ce fait, d‟une part l‟absorption
par les racines se fait mal, d‟autre part la matière organique ne se décompose
que très lentement.

En effet, dans le sol froid de la toundra, les racines des plantes souffrent
d‟un mauvais ousvoénié163, c‟est-à-dire d‟une assimilation déficiente, qui se
traduit, après une mauvaise absorption des nutriments, par une insatisfaisante
synthèse des acides aminés. D‟autre part, le froid implique qu‟il faille une
succession de nombreuses années, chacune réduite aux quelques semaines les
plus chaudes, pour minéraliser les parties végétales mortes et libérer ainsi de
l‟azote disponible dans le sol.

163
Les biogéographes russes insistent sur le fait que l‟activité de synthèse des racines
(sintétitcheskaïa déïatelnost kornéï) est troublée, voire rompue, par le froid du sol, si bien que ces
racines assimilent mal (plokho ousvaïvaïout). D‟une manière générale, P. Birot (1965, p. 211)
écrit que « les basses températures du sol […] contrarient l‟absorption des sels et la synthèse des
acides aminés dans les racines ».
108
Milieux naturels de Russie
En outre, cette matière organique est de toute façon très peu abondante,
en lien avec la grande faiblesse de la biomasse. De ce point de vue, la toundra
entretient d‟elle-même sa propre carence en azote. V. Kostiaïev (1990) a étudié
l‟ensemble des problèmes de fixation de l‟azote dans les sols froids de la
toundra petchorienne de la Grande Terre.

La conséquence de ce manque généralisé se trouve être que les rares


exceptions offrent un contraste paysager d‟autant plus marqué qu‟il est très
ponctuel. « L‟importance cruciale, comme facteur limitatif, de la carence en
azote se manifeste par le fait que partout où de l‟azote organique d‟origine
animale s‟entasse, points de station d‟oiseaux, trous de lemmings, buttes de
renards, pousse une végétation herbacée luxuriante et serrée, de croissance
rapide » (Birot, 1965, pp. 211-212).
Parmi ces points de localisation, les oiseaux jouent un rôle d‟autant plus
grand qu‟on va vers le nord de la toundra russe (Rutilevskij, 1970), d‟abord sur
les littoraux continentaux, par exemple le cap Tchéliouskine et ses abords, puis,
plus encore, sur les îles164 russes de l‟Arctique, en particulier celle de Vrangel.
En outre, certains micro-habitats préférentiels, dus à l‟origine aux apports de
nutriments par les déjections d‟oiseaux, peuvent évoluer ensuite par gonflement
cryogénique (Godard et André, 1999, p. 152). Ce serait la cause de certaines
buttes de petite taille et autres bougry.
Les tentatives russes de mettre en culture quelques parcelles de toundra
se sont toujours fondées sur l‟imitation de la réussite de ce contraste naturel.
Les engrais azotés sont le passage obligé de tout essai de maîtriser la production
en zone de toundra.

Les toundras polygonales, un emboîtement d’habitats complexe

Les toundras polygonales, déjà partiellement abordées dans l‟étude de


la marqueterie mobile des sols, ne seront pas reprises ici quant à l‟adaptation
des plantes aux mouvements du terrain, mais pour ce qui est des différences de
dimensions. Les formations polygonales sont en effet parmi celles qui offrent à
la toundra le plus large emboîtement géographique, allant des méso- et micro-
biocénoses aux nano-complexes. Dans les terrains de granulométrie plutôt
homogène, les grands polygones de toundra forment une échelle d‟habitat

164
En dehors des archipels russes, le phénomène a été bien décrit au Spitzberg par les auteurs
français : « une véritable „explosion‟ de la vie végétale accompagne les falaises mortes dont les
abords sont fertilisés par les déjections des oiseaux de mer […]. Ces bird-cliffs se signalent, de
loin, par les teintes orangées de leur encroûtement lichénique […] et leurs abords voient se
développer une communauté ornithocoprophile qui comprend jusqu‟à 35 espèces de mousses. Ces
épais tapis de mousses voisinent avec des prairies luxuriantes à graminées, renoncules et
saxifrages […]. L‟abondance d‟azote explique l‟hypertrophie des fleurs et des feuilles » (Godard
et André, 1999, p. 198).
109
toundrain décamétrique, mais, à l‟intérieur de chaque bloc géométrique
s‟emboîte parfois un maillage de niches plus restreintes. Dans d‟autres terrains,
plus hétérométriques, les petits polygones, ou sols figurés, de genèse différente,
constituent une échelle naine d‟habitat toundrain, clairement exprimée sur
quelques centimètres.
Les grands165 polygones de toundra ont la particularité d‟offrir à la
végétation un réseau166 contraignant dont la maille est souvent de dix à trente
mètres, mais qui peut atteindre plusieurs centaines de mètres. Chaque grand
polygone est sévèrement délimité par un ensemble de veines et de coins de
glace installées dans d‟anciennes fentes de gel. C‟est pourquoi certains
géographes russes, comme S.G. Lioubouchkina et al. (2004, p. 220) appellent
ces modelés trechtchino-poligonalnyé formy, « les formes fissuro-
polygonales ». L‟important pour les plantes est que ces fentes, remplies de glace
pendant la majeure partie du temps et en partie d‟eau de fonte lors de la saison
végétative, ont des dimensions croissantes d‟année en année, qui atteignent
parfois plusieurs mètres de largeur et décamètres de profondeur, isolant ainsi
chaque polygone. La végétation qui y pousse représente pour les Russes la vraie
toundra polygonale (poligonalnaïa toundra).

Chaque carreau de la mosaïque offre ainsi une sorte de petit


développement autonome, en phase avec l‟évolution du modelé. Trois ou quatre
micro-habitats se distinguent nettement. Le plus étendu est formé par le bloc
(blok) des Russes, que les Français appelleraient le polygone lui-même, lequel
est éventuellement subdivisé entre le centre et les flancs du bloc. Chaque
polygone tend en effet à prendre, en coupe, une surface concave, dont le centre
forme la partie la plus déprimée. Lors de la saison de fonte, cette partie est
parfois occupée par une mare, ou quelques flaques et trous d‟eau, les
motchajiny. Le cœur du bloc abrite ainsi le plus souvent la Linaigrette et la
Laîche. Dans les polygones de la toundra taïmyrienne (Ţadrinskaja,1970), il
s‟agit de la Linaigrette de Scheuchzer (Eriophorum scheuchzeri, pouchitsa
Cheïkhtsera), de la Laîche verticale (Carex stans, ossoka priamostoïatchaïa) et
de Carex chordorrhiza (ossoka strounnokorennaïa). En s‟écartant du centre, les
flancs du bloc comptent aussi, presque toujours, diverses espèces de Laîche. Si
les polygones sont de très grande taille, une végétation plus diversifiée peut
prendre pied, y compris des arbres nains, en particulier iva, le Saule. Dans les
polygones de la toundra taïmyrienne, les flancs comptent en outre le Myosotis
alpin, deux espèces de Saxifrage et une Graminée, le véïnik nézametchenny
(Calamagrostis neglecta). Le second micro-habitat est constitué par le valik. Ce
165
La géomorphologie française classique appelle « polygones de toundra » au sens strict les
seules formes de grande taille (Derruau, 1974, p. 174). Cependant, pour une meilleure
compréhension, nous ajoutons l‟adjectif « grands », à l‟instar d‟A. Godard et M.-F. André (1999,
p. 153).
166
C‟est la « structure en maillage polygonal » (poligonalno-yatchéistoïé stroénié) des Russes.
110
Milieux naturels de Russie
bourrelet borde l‟extérieur des fentes, puisqu‟il est dû au jeu des coins de glace.
D‟une hauteur relative de quelques décimètres167, c‟est lui qui provoque la pente
des flancs du bloc. Plus sec, mais aussi instable, le valik est en général colonisé
par des Lichens (Ljubuškina et al., 2004). Le troisième micro-habitat est
constituée par la fente elle-même (trechtchina), mais cette niche est parfois
appelée l‟interbloc (mejblotchié) par les géographes russes. Ce sont les Mousses
qui colonisent ces pentes internes instables, soumis à des forces de compression
sous la glace, mais très humides lors du dégel saisonnier.

A l‟intérieur de chaque polygone, le développement de formes plus


petites peut emboîter des nano-habitats pour la toundra. Il en est ainsi des
médaillons en taches (piatna-médaliony), qui se forment quand, à l‟automne, un
plyvoun, c‟est-à-dire un terrain mouvant, meuble, encore imbibé d‟eau, se
retrouve compressé par un encadrement déjà pris en glace et se déverse en
surface en un mini-volcan de boue. Il se forme alors un contraste entre la plaque
de nouveau sol nu ainsi constitué et le reste, qui reste végétalisé. Il s‟agit de la
toundra tachetée (piatnistaïa toundra) au sens strict (Ljubuškina et al., 2004).
S‟il n‟était l‟emboîtement à l‟intérieur d‟un grand polygone, la taille de la
fragmentation végétale ne serait pas différente de celle des sols figurés.
Les petits polygones, ou sols figurés, forment un réseau premier, de
maille décimétrique, dont la genèse est la cryoturbation dans du matériel le plus
souvent hétérogène. Ce sont les poligontchiki, les mnogoougolniki168 et les
kamennyé koltsa169. La plupart des plantes recherchent d‟une part les parties les
plus stables, d‟autre part le melkoziom, la partie fine du matériel hétérométrique.
A l‟exception des cercles de pierres, les deux conditions sont réunies en
périphérie des petits polygones, où se pressent les Mousses, les Pavots, les
Saxifrages, tandis que le centre est nu ou lichénique. Un exemple de la Terre
François-Joseph, étudié en détail par Véra Aleksandrova, a été diffusé en France
par l‟ouvrage sur les milieux polaires écrit par Alain Godard et Marie-Françoise
André (1999, pp. 197-198), mais des paysages de toundras différenciées par des
polygones décimétriques existent également plus au sud. Les auteurs français
ont aussi popularisé à cette occasion le terme de nanocomplexes chéri par les
Russes pour désigner l‟échelle très fine de ces biocénoses.

167
S.G. Lioubouchkina et al. (2004) citent des valiki pouvant atteindre un mètre de haut. Dans la
toundra taïmyrienne de la Plaine de Sibérie Septentrionale, N.G. Jadrinskaïa (1970) donne une
gamme de 20 à 60 cm.
168
Mnogoougolnik est le vrai mot slave désignant un polygone. Les géographes russes le
réservent aux figures de petite taille. Le nom poligon, évidemment pris au vocabulaire
international, est dévolu aux grandes formes, si bien que le diminutif poligontchik est devenu
proche de mnogoougolnik dans le lexique géographique.
169
Cercles de pierres.
111
Conclusion du chapitre Premier

A partir d‟un mot finno-ougrien désignant les hauteurs dénudées


émergeant au-dessus de la forêt de la péninsule de Kola, les Russes ont appelé
toundra la formation végétale zonale, basse, sans arbre, qui borde les littoraux
des mers arctiques de leur pays. La toundra forme le milieu d‟aboutissement de
leur avancée séculaire vers le nord. Mkhi et lichaïniki, les mousses et les
lichens, à croissance très lente, structurent l‟écosystème toundrain et la primauté
de celles-là sur ceux-ci est une originalité de la toundra russe par rapport à son
homologue canadienne. Les autres plantes, herbacées ou ligneuses, sont
plaquées au sol et l‟ensemble compose un paysage bas, pratiquement sans
strates distinctes, souvent discontinu, dont l‟organisation géographique se fait
sous forme d‟une mosaïque. Le mélange des groupements végétaux, sans que
l‟un d‟entre eux ne prenne vraiment le pas, ni dans l‟étagement vertical, ni dans
la disposition horizontale, est une caractéristique majeure de la toundra, que les
Russes nomment polydominance.

Sur plus de trois millions de kilomètres carrés, la toundra est la


formation végétale la plus pauvre de Russie. Sa biomasse moyenne est d‟une
dizaine de tonnes par hectare, dont plus des quatre cinquièmes sont constitués
par les organes souterrains. Sa productivité de seulement une tonne par hectare
par an environ, est très variable d‟une année à l‟autre et rend aléatoire une
quelconque utilisation humaine. L‟élevage traditionnel du renne, s‟il respecte un
long temps de retour sur les pâturages de la « mousse à renne » (oléni mokh),
semble l‟activité la plus adaptée. Dans l‟écosystème naturel, le principal
maillon entre les plantes de la toundra et les carnivores est cependant un
herbivore de taille beaucoup plus réduite, le lemming, dont la variabilité des
effectifs se répercute sur toute la chaîne alimentaire. La pauvreté de la toundra
est aussi celle du nombre d‟espèces, tant végétales qu‟animales. Les mousses,
lichens et champignons ne font illusion que parce que les autres groupes de
végétaux, parmi lesquels les Cypéracées et les Ericacées sont les familles les
plus importantes, ne comptent que quelques centaines d‟espèces. Ce sont le plus
souvent les mêmes que celles de la toundra américaine, encore que les études
récentes aient montré que l‟endémisme régional était plus développé qu‟on ne le
croyait avant guerre. Chez les animaux, les invertébrés aquatiques sont les plus
nombreux. Les vertébrés comptent surtout un grand nombre d‟oiseaux, d‟autant
plus dans la toundra insulaire des mers russes de l‟Arctique.
Les traits caractéristiques de la toundra sont conditionnés par son
appartenance au milieu polaire, mais sa pauvreté spécifique est accentuée par la
jeunesse de cette formation à l‟échelle des temps biogéographiques. D‟ailleurs,
la toundra de la Russie d‟Europe et de la Sibérie occidentale, qui a subi toutes
les glaciations quaternaires, compte moins d‟espèces que celle de Sibérie
orientale, si sèche qu‟elle fut en grande partie épargnée par le rabotage glaciaire.
112
Milieux naturels de Russie
Aujourd‟hui, la toundra russe est déterminée par un climat polaire, dont le
principal problème est l‟absence d‟été, beaucoup plus contraignante que le froid
de l‟hiver. La brièveté de la saison végétative, ainsi que le caractère froid, sec et
venté de celle-ci, ont conduit les rares espèces résistantes à développer de
multiples adaptations. Les cryophytes sont le plus souvent des plantes vivaces et
sempervirentes, qui peuvent reprendre l‟assimilation chlorophyllienne dès
l‟arrivée des premières journées favorables. La multiplication végétative est
prédominante, mais, quand il y a reproduction par graine, le cycle peut se
fractionner en plusieurs années. Le nanisme et le plaquage au sol permettent de
profiter de la chaleur d‟une mince couche-limite en juillet et août et de
bénéficier de la protection du tapis neigeux pendant le reste de l‟année. La
plupart des animaux fuient la toundra dès le mois de septembre. Ceux qui
restent luttent contre le froid par diverses adaptations, dont la plus lucrative
pour l‟économie russe est la fourrure. Le renard polaire, que les Russes
nomment pessets, est à cet égard le plus important.

Outre le climat, l‟autre déterminisme de la toundra est celui du sol et de


sa jeunesse. Au-dessus d‟un sous-sol gelé en permanence en une vetchnaïa
merzlota, le sol proprement dit distille une eau très froide, même en juillet.
Beaucoup de plantes ne peuvent l‟absorber pleinement et développent des
adaptations à la sécheresse, alors même que l‟eau ne manque pas. Cette théorie
du xéromorphisme physiologique est fortement soutenue par les auteurs russes,
mais reste controversée en occident. Quoi qu‟il en soit, la toundra fait alterner
des sols squelettiques sur les affleurements rocheux, des sols bruns arctiques, et,
d‟autant plus qu‟on s‟approche de la toundra boisée, des sols hydromorphes.
L‟importance des processus géomorphologiques périglaciaires modifie
fréquemment la mosaïque pédologique de la toundra.

La toundra russe offre une zonation perturbée par le tracé de la ligne de


côte, si bien que le ruban haut-arctique concerne presque uniquement les
archipels. La toundra d‟Europe ne possède quant à elle qu‟une bande bas-
arctique. Seule la Sibérie centrale offre une ample disposition latitudinale. Cette
zonation est compliquée par un gradient de continentalité allant d‟ouest en est,
qui oppose aujourd‟hui la toundra européenne, baignée par l‟extrémité du
courant mourman, à la toundra sibérienne. Sur le plan paléogéographique, la
limite entre la toundra qui fut fortement englacée et le continent sec se place
plus à l‟est. Il résulte de ce double contraste une originalité de la toundra de
Sibérie occidentale, la plus pauvre de toutes les formations végétales russes.
L‟altitude ajoute quelques compartimentages supplémentaires, surtout en
Sibérie orientale et en Extrême-Orient. Quelques toponymes consacrés par
l‟occupation humaine, qui reflètent plus ou moins les différences
biogéographiques et celles de pression anthropique, permettent de distinguer en
Russie continentale une quinzaine de régions de toundra : la toundra mourmane,

113
celle de Ter, de Kanin, de la Petite et de la Grande Terre, de Yamal, de Guydan,
la toundra taïmyrienne, celle de Byrranga, de la Yana, de l‟Indiguirka, de la
Kolyma, d‟Anadyr, des montagnes tchouktches. Il faut y ajouter plusieurs
régions de toundra insulaire, à forte personnalité, en particulier celle de l‟île de
Vrangel, qui est considérée comme la plus riche formation moyen-arctique de la
planète.
En tant que formation végétale se trouvant dans un milieu extrême, aux
limites de la vie, la toundra russe se présente, à grande échelle cartographique,
comme une mosaïque de micro-cénoses et même, comme disent les Russes, de
nano-complexes. La taille de chaque unité a tendance à diminuer du sud au nord
et de la plaine vers les reliefs. Marécages et tourbières, creux à neige, lieux très
circonscrits enrichis en azote, modelés de polygones forment autant de micro-
habitats particuliers, qui diversifient la toundra sur de petites distances.
Fragile, ne supportant qu‟une occupation humaine très lâche, la toundra
est un milieu très contraignant, qui n‟offre en soi d‟autre opportunité que
l‟élevage du renne et la chasse de quelques animaux à fourrure. Le peuple russe,
qui avait fondé sa civilisation sur le bois, ne pouvait engager sa tradition dans
un cadre de vie sans arbre ni possibilité agricole. Pourtant, assez récemment à
l‟échelle historique, la Russie a commencé d‟occuper le milieu toundrain. Ce fut
d‟abord, à la fin de la période tsariste, pour ses possibilités portuaires, mais
l‟effort se concentra en un seul point, le fjord de Mourmansk, et tout près de la
limite de l‟arbre. Ce fut ensuite, pendant l‟entre-deux-guerres, pour ses
ressources du sous-sol, avec l‟exploitation du charbon de Vorkouta dans la
toundra de la Grande Terre. C‟est enfin, depuis quelques décennies, la conquête,
toujours en cours, de la toundra de Sibérie occidentale, fondée sur les
hydrocarbures. En Sibérie centrale et orientale, ainsi qu‟en Extrême-Orient, la
toundra russe reste pratiquement vierge, trouée de quelques points d‟occupation
isolés. Ce n‟est qu‟en deçà de la limite de l‟arbre que l‟occupation russe est plus
ancienne, mais on a alors quitté le milieu polaire pour le large écotone de la
toundra boisée, qui appartient déjà, dans la plupart des classifications russes, à
la zone de la taïga.

114
Milieux naturels de Russie

Chapitre deuxième
La taïga, le podzol et les incendies de forêt
Le 22 avril 2009, les députés du Parlement européen ont voté une
réglementation plus stricte pour les importations de bois, afin de réduire les
achats provenant de sources douteuses. Il est vrai qu‟une étude du WWF venait
de montrer que l‟Union européenne importait 16 à 19% de bois de sources
illégales et la France 39% de bois tropicaux de sources suspectes. Pour les bois
tempérés, la Russie occupe une forte place. C‟est la Finlande qui, de loin,
importe le plus de bois russe d‟origine douteuse pour faire tourner ses
papeteries. Mais la France serait « bien » placée en Europe pour l‟importation
de bois russe d‟origine plus ou moins floue. L‟ire des associations écologistes
contre le gouvernement français, qui avait envoyé une note aux députés
européens leur demandant de ne pas voter ces nouvelles règles, était-elle
justifiée ? La France protégeait-elle certains de ses investissements à
l‟étranger ? Les députés européens avaient-ils trouvé une manière détournée
d‟en revenir à un protectionnisme déguisé ? Il est impossible de participer au
débat de manière nuancée sans mieux connaître la taïga russe. La taïga est la
partie russe de l‟immense170 forêt boréale171, qui comprend aussi la forêt
hudsonienne d‟Amérique du Nord et le barrskog de Scandinavie.
Marquée par la faiblesse de sa biomasse et sa pauvreté en espèce, c‟est
une forêt de conifères zonale, grossièrement située entre le 55e parallèle de
latitude nord et le cercle polaire.
Poussant sur un sol cendreux, la taïga forme ainsi une bande d‟au moins
un millier de kilomètres de largeur, qui s‟étire sur toute la longueur de la
Russie, de la frontière occidentale jusqu‟au Pacifique.

170
« Malgré l‟imagerie coutumière, [les forêts humides intertropicales] ne sont pas les plus
importantes étendues forestières de la planète, l‟ensemble des taïgas boréales les surpasse en
superficie » (Rougerie, 1988, p. 94).
171
Le terme de « boréal » est critiqué par certains auteurs canadiens (Rousseau, 1961, Hamelin,
1968), quand il est employé pour la seule zone de la forêt de conifères, puisqu‟il devrait
étymologiquement couvrir toute l‟étendue de l‟hémisphère nord.
115
Fig. taïga 1 : La taïga, partie russe de la forêt boréale

A l‟état naturel, la forêt boréale russe couvre à peu près dix millions et
demi de kilomètres carrés dans son acception la plus large, huit millions et demi
si on lui retranche la toundra boisée. Comme elle reste peu défrichée, elle
continue aujourd‟hui de s‟étendre sur plus de sept cents millions d‟hectares
(Kuusela, 1992, Utkin et al., 1995, Falinski et Mortier, 1996, GEO PNUE,
2002, Marčenko et Nizovcev, 2005, Tsarev, 2005) et forme la plus grande forêt
du monde. « La taïga est forêt parmi les forêts » (Hamayon, 1997, p. 9).
Seule forêt de la planète à être préservée sur de si grandes distances, la
taïga russe est cependant aussi menacée. Une forêt qui croît et se renouvelle très
lentement est-elle plus ou moins fragile qu‟une autre forêt ? Quelles
répercussions la transformation des structures de propriété et d‟exploitation des
forêts à la chute de l‟URSS a-t-elle eues sur la gestion de la taïga ? La maison
de bois est-elle réduite au folklore et n‟a-t-elle que des inconvénients pour la vie
moderne ? Y a-t-il des liens entre la civilisation du bois du peuple russe et les
qualités physiques de la taïga ou bien le fait culturel est-il exclusif ? La Russie
a-t-elle assez de bois pour sa consommation intérieure ? Quel est le mystère du
sol pauvre, stérile comme de la cendre, sur lequel s‟épanouit une grande, belle
et sombre pessière ? Quelle est l‟ampleur des incendies de forêt et quels autres
risques la taïga russe encourt-elle ? La taïga est-elle monotone ? Est-il vrai que
l‟on peut traverser un espace grand comme quinze fois la France sans changer
de paysage ?
Il ne sera possible de répondre pleinement à ces questions tant le sujet
est vaste. Pour apporter néanmoins quelques fragments de réflexion, une
articulation en trois étapes sera privilégiée.

116
Milieux naturels de Russie

Fig. taïga 2 : La taïga, caricature géographique

Il conviendra de décrire, dans un premier temps, les principales


caractéristiques phytogéographiques et zoogéographiques de la taïga, en suivant
le fil directeur de la pauvreté de cet écosystème. Il ne faudra surtout pas
s‟interdire d‟aborder quelques thèmes de géographie humaine, tant les
problèmes de productivité et de régénération sont liés à l‟exploitation, et ceux
de la préservation à la symbolique culturelle de l‟arbre. Dans un deuxième
temps, nous insisterons sur la remarquable zonalité de la taïga russe, ses liens
avec le climat tempéré continental au long hiver rigoureux et avec les sols
lessivés et acides. Il sera intéressant de discuter la part physique zonale et la part
humaine dans la propagation des incendies ravageurs. Enfin, dans un troisième
temps, nous partirons à l‟assaut de la forteresse taïgienne, réputée inexpugnable

117
dans son uniformité, afin de tenter de percer quelque éventuelle diversité
cachée.

1. Une forêt de conifères marquée par l’indigence peut-elle être la


richesse de la Russie ?

Les enjeux économiques et culturels de la taïga russe sont tels que la


description des caractères physiques de cette forêt doit s‟accompagner d‟une
présentation humaine. L‟important est d‟essayer d‟aboutir à un bilan. L‟état
écologique de la taïga russe est-il plutôt bon ou plutôt inquiétant ? Les résultats
économiques des secteurs utilisant les produits de la forêt de conifères russe
sont-ils positifs ou négatifs ? Pour tenter d‟apporter quelques réponses, il
conviendra de présenter d‟abord, de façon concise, le paysage type de la taïga
russe, strate par strate. Il faudra ensuite souligner sa double pauvreté, en
biomasse et productivité d‟une part, en biodiversité d‟autre part. Une démarche
de géographie physique sera choisie, même quand il s‟agira d‟aborder l‟izba
culturelle, ainsi que la gestion forestière sous deux régimes différents, celui de
l‟URSS puis de la nouvelle Russie. Dans ce second temps, nous focaliserons par
moment sur des régions à grande échelle cartographique, sans dénaturer
l‟appartenance à cette partie générale descriptive, car c‟est une question
d‟aménagement du territoire de l‟ensemble de la Fédération, ou, antérieurement,
de planification. Enfin, un troisième temps sera consacré à la zoogéographie de
la taïga, dont les ressources sont fortement limités par la quasi-absence de
feuilles et de fruits.

1.1.Une forêt aciculifoliée à stratification simple ?

La taïga est une forêt aciculifoliée (khvoïny less), c‟est-à-dire


essentiellement constituée de conifères (khvoïnyé), auxquels se mêlent
cependant quelques feuillus172. Cette forêt semble stratifiée d‟une manière
simple au premier abord, puisque l‟étage moyen est réduit. L‟impression qui
l‟emporte est donc celle d‟une strate arborée (drévesny yarouss) dominant un
tapis de mousse (kovior mkhov). Dans le détail, cependant, la stratification peut
être assez complexe.

172
Les Russes admettent dans la taïga vraie la présence des feuillus à petites feuilles
(melkolistvénnyé). En revanche, si des feuillus à larges feuilles apparaissent (chirokolistvénnyé),
on passe à la forêt mixte.
118
Milieux naturels de Russie

Fig. taïga 3 : La taïga russe, une forêt à stratification simple ?

Grâce à la hauteur de son étage supérieur, la forêt boréale dégage « une


impression de puissance » (Elhaï, 1967, p. 189). Même si cette affirmation est
moins réalisée en Russie qu‟au Canada, il est vrai que les conifères, du moins
dans la partie européenne du territoire et sur les interfluves bien drainés,
atteignent parfois 30 à 40 mètres de hauteur, développant ainsi une certaine
majesté. Cependant, la moyenne de la taïga russe se situe plutôt à une vingtaine
de mètres. Cette longueur, une fois réduite par l‟utilisations humaine, borne la

119
taille de l‟izba traditionnelle, dont on sait qu‟elle est constituée de troncs
entiers173. Quand les conditions de pente modérée et de bon drainage sont
réalisées, les troncs des conifères de l‟étage supérieur sont très droits, avec un
port pyramidal ou columnaire, ainsi qu‟un nombre relativement réduit de
branches, permettant d‟éviter l‟accumulation excessive de neige.

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 3 Conifères de la taïga à port columnaire
Cette taïga des monts Khamar-Daban, au-dessus du lac de montagne Izoumroudnoïé, est plus
humide que celle des bas plateaux. Le port columnaire des pins y est plus répandu, permettant
d’éviter l’accumulation excessive de neige. On notera aussi, pour les mêmes raisons, le nombre
relativement réduit de branches. En dessous de la strate supérieure aciculifolée, une strate
buissonnante domine la strate herbacée et muscinale.

Mais la forêt boréale russe se distingue surtout par ses immenses espaces
marécageux et tourbeux, où le port arboré est plus tortueux. Dans ses parties les
plus riches, à l‟est-nord-est de la Russie d‟Europe, la forêt boréale est une forêt
dense, sombre, dans laquelle les conifères de la strate arborée sont serrés. Mais,
à la différence de l‟Amérique du Nord, ce n‟est pas le faciès le plus répandu en
Russie, où la taïga claire, celle qui ne possède pas d‟Epicéas, couvre les plus
grandes surfaces.
En dessous, la strate arborescente inférieure et la strate arbustive
(koustarnikovy yarouss) forment un sous-bois (podlessok ou podlessié) très
clairsemé, significatif d‟une certaine pauvreté de la taïga. La strate arborescente

173
« La longueur et la résistance des troncs limitent à 8-10 mètres au maximum la portée des
charpentes et donc la superficie de la maison. Ces limitations contribuent à donner au village
russe une certaine unité de style. […] Pour s‟agrandir en surface l‟isba n‟a pas d‟autre solution
que de s‟adjoindre une maison jumelle » (Kerblay, 1973, p. 35).
120
Milieux naturels de Russie
inférieure, typiquement formée de Bouleaux et de Peupliers trembles, n‟existe
que dans les taïgas de repousse assez jeunes, où la strate supérieure aciculifoliée
n‟a pas encore repris toute sa place. La strate arbustive participe aussi à
l‟indigence du sous-bois et on n‟y trouve guère que quelques Cornouillers et
Sorbiers.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 4 La strate arbustive de la taïga et le Sorbier
Un village de la taïga sibérienne utilise les Sorbiers (riabiny) pour séparer les maisons de bois de la
rue. Dans la forêt boréale russe, les Sorbiers forment l’essentiel de la strate arbustive quand celle-ci
existe.

Partout où la grande densité de la strate arborée provoque une


pénombre, celle-ci gêne la croissance des arbustes. Cette obscurité favorise en
revanche les jeunes conifères, puisque ceux-ci, en particulier, les Epicéas, sont
des plantes sciaphiles lors de leurs premières années, tandis qu‟à l‟âge adulte la
lumière est appréciée sur les cimes.
En dessous de la strate arbustive, la strate frutescente174 ou buissonnante
(koustarnitchkovy yarouss) est plus riche. C‟est ici que poussent les buissons à
baies si appréciés des hommes et des animaux, la Myrtille, les différentes
Airelles, la Canneberge.

174
C‟est-à-dire formée d‟individus ligneux de moins de 7 m de hauteur, selon la définition
originelle d‟Allorge et Jovet. S‟ils ont moins de 2 m, on peut parler de strate suffrutescente. C‟est
en général le cas dans la taïga russe.
121
Cliché L. Touchart, août 2008
Photo 5 La stratification de la taïga sibérienne
Sous la strate arborée de Mélèzes, la strate frutescente est formée de buissons à baies dominant
une strate herbacée assez fournie. Il n’y a pas de strate arborée inférieure ni arbustive, dans cette
taïga ancienne peu humanisée de Sibérie orientale, où les feuillus de repousse sont absents

La strate herbacée (travianoï yarouss ou travianisty yarouss) regroupe


les plantes basses non ligneuses, où dominent l‟Oseille et le petit muguet.
Encore en dessous, la strate muscinale (mokhovoï pokrov) est formée de plantes
sans racine qui couvrent le sol. Les Russes l‟appellent volontiers napotchvenny
pokrov, « la couverture au sol ». Au cœur de la taïga, ce sont les mousses (mkhi)
plus souvent que les lichens (lichaïniki), ces derniers prenant plutôt possession
des marges septentrionales et des clairières.

122
Milieux naturels de Russie
Les champignons (griby) sont importants dans l‟ensemble de la taïga.
Les Russes aiment à les classer en quatre catégories : les espèces de valeur,

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 6 Vente en bord de route de champignons cueillis dans la taïga
Une famille bouriate vend sur le bord de la route qui joint Koultouk à la frontière mongole, près du
village de Jemtchoug, sa récolte de champignons. Ces Lactaires ont été ramassés dans la taïga de
Tounka.

les bonnes espèces, les espèces comestibles de goût inférieur et les


espèces vénéneuses. Les Lactaires (mletchniki) forment l‟essentiel des
premières, notamment le grouzd (Lactarius resimus), fréquent sous les pinèdes-
boulaies, et le Lactaire délicieux (Lactarius deliciosus, ryjik délikatesny), qui se
plaît sous les jeunes pessières et certaines pinèdes.

L‟ensemble des strates les plus basses forme un étage inférieur


recouvert pendant de longs mois d‟un tapis neigeux en général assez peu épais
mais très durable. L‟épaisseur assez faible de la neige est un problème, car les
hémicryptophytes et les géophytes cherchent au contraire un tapis plus
important, où la neige sert d‟isolant thermique, protégeant des très basses
températures. C‟est pourquoi les cuvettes d‟accumulation neigeuse, préservant
le sol des gels intenses, sont plutôt prisées par les plantes de la forêt boréale.

123
1.2. Une forêt peu productive et pauvre en espèces

De la forêt russe d‟Europe, le voyageur français Jules Legras (1895, p.


110) écrivait : « Cette forêt pourtant n‟est pas, comme nos grands bois, propice
à la méditation. On n‟y va pas pour se promener, on ne s‟y rend que pour
affaire : ramasser des baies, des fraises, des champignons ; ou bien chasser ».
Pourtant c‟est aujourd‟hui la plus grande forêt du monde, protégée sur des
superficies énormes. Alors la forêt russe est-elle productive ou non ? La
contradiction vient-elle du contraste entre l‟Europe et l‟Asie ou bien entre les
potentialités physiques et leur exploitation par la société russe ?

1.2.1. Une régénération lente, une exploitation extensive

Le rendement de la taïga est bien entendu faible à l‟échelle des forêts


mondiales. Il faut compter sur des valeurs moyennes d‟environ 200 tonnes de
biomasse à l‟hectare, contre 300 pour les forêts de feuillus de milieu tempéré
océanique et 800 pour les forêts tropicales. Mais c‟est surtout leur productivité
qui apparaît comme extrêmement basse, environ 5 à 6 tonnes par hectare et par
an, contre une douzaine dans les forêts de feuillus de milieu tempéré océanique
et une vingtaine dans les forêts tropicales.

Cela veut dire que la croissance de la taïga est très lente. C‟est donc
seulement par son âge important que la forêt boréale arrive à faire illusion quant
à sa masse végétale totale.
Le lien entre la géographie physique et la société russe est, dans ce
domaine, particulièrement serré. Comment gérer l‟ensemble des biens de la plus
grande forêt du monde en prenant en compte la longueur de la régénération ?
C‟est tout l‟enjeu de cette étude que de mêler les faits biogéographiques, les
activités traditionnelles et les pressions contemporaines.

124
Milieux naturels de Russie
Fig. taïga 4 : La taïga, une forêt quantitativement pauvre

Il conviendra de ne pas sombrer dans la facilité, celle d‟activités


ancestrales qui seraient forcément en communion avec la forêt et de pressions
récentes qui seraient toujours prédatrices. Regarder la maison de bois comme
systématiquement écologique serait un anachronisme révisant l‟izba à l‟aune de
la mode verte. Jusqu‟au XIXe siècle « l‟isba elle-même ne dure pas plus d‟une
cinquantaine d‟années et le toit de planches est à refaire tous les dix ans, soit un
125
délai plus court que celui qui est nécessaire à l‟arbre pour se reconstituer »
(Kerblay, 1973, p. 14). A l‟inverse, certaines activités actuelles d‟exploitation
forestière pour le bois et le papier peuvent, si la gestion est raisonnée, ne pas
dépasser certains seuils et permettre la régénération. C‟est tout l‟intérêt de ce
développement que de tenter une présentation dont le point de départ est
biogéographique, mais qui croisera ensuite la géographie régionale des activités
de la Fédération de Russie.

Un bois résistant, une chance pour les constructions

La lenteur du développement des arbres de la taïga a certes un avantage,


en l‟occurrence la résistance du bois. On voit d‟ailleurs sur les troncs coupés
combien les anneaux de croissance sont serrés (Vaganov et al., 2006). Ce bois
dur a toujours été apprécié des constructions. Les villages et les villes de Sibérie
et de la moitié nord de la Russie d‟Europe en profitent pleinement. Deux
questions se posent cependant. La maison de bois n‟a-t-elle plus qu‟un intérêt
historique ? Pourquoi prêter de nouveau attention à l‟izba russe après les études
exhaustives de Basile Kerblay et ses successeurs ?
Il se trouve que, outre l‟inertie culturelle et la beauté175, l‟izba
traditionnelle possède un certain nombre d‟avantages matériels expliquant sa
pérennité176. B. Kerblay (1973) listait la qualité du chauffage177, la mobilité, la
possibilité d‟agrandissement facile, l‟intérêt des dépendances. Lors de la crise
économique eltsinienne, ce dernier atout a pris une grande acuité et le potager
(ogorod) attenant à la maison de bois, rurale ou urbaine, a sauvé beaucoup de
monde. L‟habitation en bois a en outre acquis en même temps, ou retrouvé178,
les nouvelles lettres de noblesse de la maison individuelle. Quant à la mobilité
de l‟izba traditionnelle et de la maison de bois modernisée qui en résulte, elle a

175
Il serait trop simple, et erroné, de penser que l‟izba ne présente une certaine esthétique que
pour les voyageurs extérieurs, laquelle serait fondée sur l‟exotisme. Les campagnes de
construction des différents régimes politiques, sous couvert de modernité ou d‟idéologie
égalitaire, destinées à remplacer le bois par le dur, non seulement n‟ont pas fait disparaître, mais
ont dans une certaine mesure renforcé la volonté de différencier son habitation de celle des autres.
De ce point de vue, la sculpture sur bois est restée l‟une des principales possibilités de cette
distinction.
176
Il s‟agit de la pérennité du principe de construction beaucoup plus que celle du nom. Dans le
vocabulaire, izba a en effet plutôt été remplacée par dom (maison), encore que, depuis la chute de
l‟URSS, le nom même retrouve une certaine fierté, dans quelques cas particuliers. En milieu
urbain, où le mot pourrait avoir une certaine ambiguïté, dom est parfois qualifié par l‟adjectif
dérévianny pour signifier que la maison individuelle dont on parle est en bois.
177
Cet aspect est en relation avec le poêle traditionnel associé à l‟izba. En tant que lien avec la
climatologie plus qu‟avec la biogéographie, il ne sera pas étudié ici.
178
A l‟époque soviétique, B. Kerblay (1973, p. 193) écrivait déjà que « la cohabitation avec une
famille voisine n‟est pas dans les habitudes villageoises ; le paysan aime ses aises ; dans une
maison individuelle, il peut facilement augmenter le nombre des pièces si nécessaire tandis que le
logement ouvrier n‟est pas extensible ».
126
Milieux naturels de Russie
connu à travers les âges un intérêt toujours renouvelé, qui ne s‟est jamais
démenti jusqu‟à aujourd‟hui. Sans remonter au lien originel unissant la maison
de bois démontable et l‟agriculture itinérante sur brûlis des premiers Slaves
défricheurs, il convient d‟en souligner les avantages récents et actuels. La
prédilection du régime soviétique pour la ville, l‟ouvrier et le logement collectif
s‟accompagnait d‟un grand pragmatisme face à la pénurie de bois ou à
l‟attachement à un certain mode de vie, si bien que la contradiction, ou plutôt la
résolution de celle-ci, conduisait à la disparition de nombreux villages au sens
propre179. Les maisons de bois rurales étaient déplacées vers la ville soviétique
et reconstruites en milieu urbain, avec une facilité rappelant que la mobilité de
l‟izba traditionnelle, toujours reconstruite, sur place ou ailleurs, agrandie,
modifiée, parfois déplacée sur de grandes distances, n‟avait jamais été oubliée.
Ajoutons que, pour plusieurs autres caractéristiques de la période soviétique, la
mobilité et la flexibilité de la maison de bois étaient appréciées. Il en était ainsi
de l‟avancée du front pionnier, ainsi que de la mise en eau de nombreux lacs
artificiels. Lors des grandes décennies de construction des principaux barrages
sibériens, des années 1950 aux années 1970, non seulement les maisons
individuelles, mais aussi les constructions collectives, et même cultuelles, en
bois furent ainsi démontées, déplacées et remontées hors de la zone inondée.
Cela n‟a certes pas évité l‟ensemble des pertes et des conflits, comme nous
avons pu l‟étudier pour le barrage de Bogoutchany sur l‟Angara (Touchart,
1999), mais les a amoindris par rapport à la partie européenne, où les bâtiments
en dur étaient plus nombreux.

La chute de l‟URSS n‟a pas rendu dépassé, bien au contraire, l‟intérêt de


la mobilité ; devant les aventures immobilières parfois précipitées et
l‟importance des déguerpissements dans certaines banlieues, la rapidité et la
facilité du démontage gardent toute leur valeur.

179
« Beaucoup plus fréquents sont les transferts d‟isbas d‟une localité à l‟autre car l‟exode rural
n‟affecte pas seulement les individus. Le village dépeuplé se vide de ses maisons » (Kerblay,
1973, p. 35).
127
Cliché L. Touchart, juillet 1991
Photo 7 Les constructions de bois en Sibérie, un atout pour la mobilité
Hier comme aujourd’hui, la construction de bois de la taïga peut être démontée et remontée assez
facilement à un autre endroit en cas de besoin. Cet atout pour la mobilité concerne les izbas
individuelles, mais aussi les édifices collectifs de plus grande taille. Lors de la construction des
barrages sur l’Angara, un certain nombre de monuments historiques ont été ainsi démontés et
déplacés hors des eaux. Ce fut le cas de la forteresse d’Ilimsk, construite en bois dur de Mélèze de
Dahourie, ici photographiée au musée en plein air de Taltsy.

Le résultat de tous ces atouts est multiple. D‟abord, plusieurs millions


de Russes vivent aujourd‟hui dans des maisons de bois, à la campagne comme à
la ville. Ensuite, la maison de bois est susceptible de concerner n‟importe quelle
classe sociale. Enfin, les procédés de construction ont subi peu de changement.
A l‟époque de N. Krouchtchëv et L. Brejnev, Basile Kerblay (1973, p. 16)
pouvait écrire : « notre isba traditionnelle n‟est donc pas spécifiquement rurale.
Vers 1960, plus de la moitié de la superficie habitable des villes de la
Fédération russe était pourvue de petites maisons ». Puis, pendant la dernière
décennie de l‟époque soviétique, une fois passé le développement de quelques
agrovilles, le milieu rural retrouva ses constructions presque exclusivement en
bois, cependant que, dans les villes, les quartiers de grands ensembles en dur
continuaient de pousser, sans pour autant éliminer l‟importance des
constructions individuelles en bois.
La densification des centres-villes depuis le passage à l‟économie de
marché révise certes en partie cette position et quelques incendies opportuns de
maisons de bois à des endroits stratégiques sur le plan immobilier ont vu le jour,

128
Milieux naturels de Russie
comme cela a été étudié à Khabarovsk (Touchart et Torgacheva, 1998). Mais,
d‟une manière générale, le bois continue de marquer très fortement toutes les
villes de la taïga. En outre, la maison de bois concerne aujourd‟hui,
potentiellement, tout individu, quel que soit son niveau social.

Fig. taïga 5 : La taïga et les constructions urbaines en bois, l’exemple de Khabarovsk à la fin
de la période soviétique

C‟est souvent une habitation modeste, construite localement, par


l‟entraide, qui ne réclame pas de mise de fond onéreuse. A l‟opposé, il n‟est pas
rare qu‟elle soit la construction d‟une famille très aisée, car le bois reste l‟un des
meilleurs moyens de distinction, en particulier par la sculpture.

129
Cliché L. Touchart, août 2005
Photo 8 Une maison de bois sibérienne de quartier aisé
Cette maison de bois de la rue Sedov se trouve dans un quartier aisé d’Irkoutsk, en contrebas de
l’église de l’exaltation de la Sainte-Croix. Elle témoigne de la diffusion des constructions en bois
dans toutes les couches de la population et dans toutes les villes de la taïga quelle que soit leur
taille.

C‟est une distinction au sens d‟une différenciation par rapport au voisin


et au sens du raffinement esthétique dont le propriétaire espère qu‟il sera estimé.
De la fin des années 1920 à la guerre, la chasse au koulak s‟était en partie
fondée sur la décoration de l‟izba, considérée comme un signe extérieur de
richesse. Mais, à partir des années 1950, la volonté de distinguer sa maison de
bois reprit largement. Depuis les années 1990, on note un engouement de retour
à certaines techniques ancestrales et à la coupe manuelle.

L‟étude, sinon de l‟izba, du moins de la maison de bois est donc encore


un sujet d‟actualité180 et ne doit pas être laissée aux seuls historiens,
ethnographes et spécialistes des civilisations traditionnelles, lesquels ont, en
France, réalisé des travaux d‟ampleur exceptionnelle (Legras, 1910, Pascal,
1966, Kerblay, 1973, Conte, 1997). La géographie humaine peut bien entendu
étudier avec ses propres méthodes le lien entre la maison rurale et la société

180
Comme il l‟était au début des années 1970, quand Basile Kerblay écrivait (1973, p. 99) :
« jusqu‟ici cette intervention n‟a pas porté sur les techniques de construction elles-mêmes qui sont
restées dans l‟ensemble […] traditionnelles ».
130
Milieux naturels de Russie
russe. Récemment, le géographe Pascal Marchand a, à juste titre, remis à
l‟honneur l‟izba. Citant les travaux de Francis Conte (1997), il en reprend les
principales conclusions symboliques et ethnologiques.
Nous souhaiterions pour notre part nous contenter d‟apporter
modestement une contribution réduite à une démarche de géographie physique
et à un terrain limité à une quinzaine de villages sibériens181. Il nous semble que
la biogéographie peut fournir une approche intéressante en au moins trois
directions : primo l‟emploi de troncs entiers et leur avantage en terme de
robustesse et d‟assemblage de la charpente, secundo le type d‟espèce182 utilisé,
tertio la texture et les possibilités offertes à la sculpture.
L‟izba traditionnelle a la particularité d‟être charpentée par des troncs
droits. Ces briovna sont des fûts d‟assez grande longueur, en général comprise
entre cinq et dix mètres, mais de diamètre au contraire plutôt faible. De ce point
de vue, notre terrain d‟étude privilégié, la Sibérie, n‟est pas représentative de la
moyenne russe, mais offre des valeurs supérieures. Cependant, si B. Kerblay
(1973, p. 59) soulignait leur grande taille relative, en écrivant que « l‟isba
sibérienne frappe par le calibre de ses rondins (35 à 40 cm) », nous préférons
quant à nous insister sur la petitesse absolue de ce diamètre eu égard à la
longueur de la grume, même en Sibérie. D‟ailleurs, pour éviter des
désagréments, les constructeurs actuels d‟izba conseillent, et proposent même
comme norme, un diamètre minimum de 26 cm.
L‟important se trouve être que les anneaux de croissance de ces grumes
sont naturellement très rapprochés. C‟est ce fait biogéographique qui est à
l‟origine de l‟utilisation du brevno, du fût entier, et non de la poutre. Il s‟agit, au
départ, de profiter pleinement de la résistance offerte par le caractère serré d‟un
grand nombre de cernes de croissance. Or un éventuel équarrissage tronquerait
les anneaux183 et rendrait la poutre moins solide et durable que le fût. Pour le

181
Nos enquêtes de terrain ont été menées de 1991 à 2008 et concernent des maisons de bois
construites entre les années 1950 et aujourd‟hui. Les principaux villages que nous avons étudiés
dans cette optique sont Bolchaïa Retchka, Bolchié Koty, Olkha, Kyrén, Jemtchoug, Koultouk,
Angassolka, Sarma, Iélantsy, Yalga, Malomorsk, Khoujir, Kharantsy et Ouzouri en Baïkalie,
Syrdakh en Yakoutie, Topolévo en Extrême-Orient. Cet échantillon a été réduit d‟une part du fait
de l‟importance des distances, d‟autre part du temps consacré à nos autres sujets d‟études, c‟est-à-
dire à la géographie physique stricte. Rappelons que, à l‟époque soviétique, Basile Kerblay (1973,
p. 22) avait connu, pour d‟autres raisons, un terrain plus limité encore : « nous aurions aimé
pouvoir compléter sur le terrain notre information par des séjours dans les villages de diverses
provinces de la Russie ; malheureusement la campagne soviétique reste pour un occidental Ŕ
même muni du viatique d‟une mission officielle Ŕ un monde difficilement accessible ».
182
Nous étudierons ici les seuls rapports entre l‟essence et la dureté du bois. Les autres liens, en
particulier entre l‟espèce et sa symbolique culturelle, seront réservés à la partie traitant de la
pauvreté spécifique de la taïga.
183
B. Kerblay (1973, p. 32) notait justement que « les troncs sont laissés non équarris, ce qui
accroît leur conservation en maintenant les anneaux annuels intacts ». Nous soulignons le
131
Russe, c‟est à la préférence donnée au brevno, aux dépens de l‟obtiossanoïé
brevno184. Bien entendu, la pratique du fût entier a été aussi longtemps favorisée
par des raisons économiques d‟emploi exclusif de la hache, puisque la scie était
très peu répandue en Russie avant le XIXe siècle. La faveur accordée au fût
entier est, enfin, devenue culturelle. C‟est d‟ailleurs pourquoi elle perdure
aujourd‟hui, malgré l‟abondance des scies mécaniques, et en ayant parfois
oublié la raison biogéographique d‟origine. Il existe en effet maintenant des
rondins reconstitués, qui ont la forme de fût, mais sont fabriqués
artificiellement. Dans ce cas, le caractère culturel et esthétique a complètement
pris le pas sur la raison originelle et la résistance est obtenue à partir de
traitements chimiques. Le plus souvent, cependant, les constructeurs actuels
choisissent la mi-mesure. Un fût entier (tselnoïé brevno185) naturel est préparé,
mais sa cylindrisation est usinée (stanotchnaïa otsilindrovka). Quelques sociétés
de construction d‟izba font cependant aujourd‟hui leur promotion haut de
gamme sur la cylindrisation manuelle (routchnaïa otsilindrovka) à partir d‟un
fût entier (iz tselnogo brevna). Le bannissement complet de la scie à essence, la
repoussante benzopila, est devenu un argument de vente. Les promoteurs de la
cylindrisation manuelle remettent d‟ailleurs justement en avant les qualités
physiques d‟origine du fût entier aux anneaux de croissance à préserver, ainsi
que la plus grande liberté de choix de l‟endroit où réaliser la croisée entre les
fûts.
L‟utilisation de fûts entiers, préférés à l‟origine pour leur résistance, a
en effet comme corollaire de faciliter un assemblage par emboîtement
(skreplénié186), qui répond lui-même au mieux au besoin de mobilité. Dans
chaque angle droit de l‟izba, le fût s‟emboîte dans celui situé à l‟équerre. Pour
ce faire, deux techniques traditionnelles existent, qui ont chacune évolué
jusqu‟à aujourd‟hui, tout en préservant l‟essentiel du procédé d‟origine. Il s‟agit
d‟une part de l‟assemblage v tchachou, d‟autre part de l‟assemblage v lapou. Le
premier est le procédé le plus ancien et, au premier abord, le plus simple, bien
que ce soit au contraire lui qui oblige à l‟emboîtement le plus juste. Basile
Kerblay (1973, p. 33) donnait la traduction de « technique [..] de la croisée
simple ». On pourrait proposer la croisée à l‟ancienne, pour signifier que, quand
elle est utilisée dans la Russie du XXIe siècle, c‟est dans une volonté d‟imiter,

caractère très rapproché de ces anneaux comme étant une particularité de la taïga russe, qui
culmine en Yakoutie.
184
Obtiossanoïé breno est le fût équarri et, par élargissement du vocabulaire, la poutre de
charpente.
185
Le fait même que la langue russe précise maintenant que le fût est bien « entier » (« tselnoïé »)
confirme qu‟il ne l‟est plus toujours et que ce n‟est plus une évidence. Cela aurait été jadis un
pléonasme. Le néologisme russe de « otsilindrovannoïé brevno » (« fût cylindrisé ») peut souffrir
un commentaire analogue.
186
En russe, le terme signifie simplement fixation. Skreplénié briovén v… est la fixation des fûts
en…
132
Milieux naturels de Russie
respecter ou magnifier la tradition ancestrale. Si l‟on voulait mieux épouser la
réalité technique et donner une traduction linguistique littérale, ce serait
l‟assemblage en mortaise hémisphérique. Tchacha187 est en effet la partie creuse
taillée dans le fût inférieur, destinée à recevoir par emboîtement le fût supérieur.
Cette mortaise (vyemka) hémisphérique (poloukrouglaïa) doit donc avoir, en
concavité, la même forme que celle, en convexité, du rondin. C‟est la croisée
qui est à angle droit, mais, au-delà, les deux fûts retrouvent leur caractère entier,
si bien que chaque rondin dépasse le coin, ou, si l‟on veut, dépasse le plan du
mur perpendiculaire d‟environ vingt cinq à trente centimètres. Ce dépassement,
qui, au départ, n‟est qu‟une conséquence technique de la mortaise
hémisphérique, est devenu un élément paysager majeur des villages russes
anciens, faits d‟izbas primitives, et un fait culturel. Connotée négativement à
partir du XIXe siècle, elle était tombée en désuétude. Elle connaît un renouveau
récent. Pour le signifier, le client, surtout citadin, réclame maintenant roubka s
ostatkom188 plutôt que skreplénié v tchachou, une découpe189 avec l‟extrémité
qui dépasse plutôt qu‟un assemblage à mortaise hémisphérique. Les
constructeurs d‟izba actuels qui se piquent de respecter la tradition ne font
évidemment pas l‟un sans l‟autre, mais ils parlent désormais plutôt
d‟assemblage v oblo.
En dehors de cette recherche ancestrale voulue, qui est du dernier
chic190, c‟est l‟assemblage v lapou, ou du moins ses dérivés, qui domine dans la
réalité villageoise d‟aujourd‟hui. La traduction classique est celle de
l‟ajustement en « queue d‟aronde » (Kerblay, 1973, p. 33). La grande différence
technique se trouve être que l‟emboîtement ne tient pas seulement aux
mortaises, mais à l‟ensemble des mortaises et des tenons. C‟est pour signifier
cet ajout que la lapa est mise en valeur dans le nom de l‟assemblage, puisque
c‟est la patte, la partie saillante, le tenon. Comme ce n‟est pas le fût supérieur
qui tient lieu de tenon, mais comme il y a effectivement un tenon en bonne et
due forme, l‟extrémité du fût est taillée en redan et perd sa forme ronde. A la
place, c‟est une extrémité crénelée, dont le tenon (lapa ou bien chip) est encadré
d‟une mortaise (paz) en haut et d‟une autre en bas. L‟ensemble forme une clef
d‟emboîtement, le zamok. Il n‟y a donc plus besoin de dépassement et le coin
présente un angle droit en dedans comme au dehors. Depuis longtemps, le tenon
de l‟extrémité du fût est remplacé par un pivot (naguel), certes en bois, mais qui
ne forme plus une pièce d‟un seul tenant avec le reste du fût. Dans ce cas, le

187
A l‟origine, tchacha est la coupe, le calice, le récipient hémisphérique destiné aux libations.
188
Cette partie du rondin qui dépasse est dite ostatok ou bien torets. Alors que ce n‟est à l‟origine
qu‟une conséquence, elle est devenue aujourd‟hui la cause de la volonté de construire selon cette
technique.
189
Nous traduisons intentionnellement roubka par découpe et non par coupe, afin que la coupe
(de couper du bois) ne prête pas à confusion avec la coupe (le calice).
190
Concrètement, les partisans de l‟assemblage v oblo affirment aussi qu‟il permet une meilleure
résistance aux intempéries, si bien que la cage est plus durable (Samojlov, 2009).
133
plus répandu aujourd‟hui, le naguel (ou la sterjén) a pris la place de la lapa ou
du chip. Ce pivot est critiqué par les puristes pour démultiplier les endroits où le
bois peut jouer. C‟est pourquoi certaines sociétés de construction remettent
aujourd‟hui l‟ajustement v lapou à la mode, en insistant sur le fait que
l‟authentique assemblage v lapou est v lastotchkin khvost i zamok, c‟est-à-dire à
queue d‟aronde et clef d‟emboîtement.
Quelle que soit celle des deux techniques, ou de leurs dérivés, utilisée,
un périmètre de quatre fûts ainsi assemblés à angle droit, soit une rangée de fûts
(riad briovén), compose ce que les Russes appellent une couronne (vénets). La
superposition des couronnes successives construit peu à peu le sroub, la cage191
de l‟izba. Grâce à l‟utilisation de fûts et à la technique d‟assemblage par
emboîtement, l‟izba est facilement et rapidement démontable. Rapportant les
conditions de la fin des années 1920, P. Pascal (1966, rééd. 2008, p. 459) a
écrit : « la maison d‟habitation elle-même n‟est, en effet, un immeuble que très
relativement. Elle peut être soulevée sur place au-dessus de son sous-sol, par
exemple pour une réparation […] Elle peut être démontée les rondins ayant été
dès le début marqués, pour être remontée ailleurs ». Lors de la construction
actuelle de la maison en bois, héritière de l‟izba, le numérotage et le marquage
des fûts reste systématique. Cette précaution, qui perdure, n‟est pas seulement
destinée à prévoir un éventuel déplacement. Elle permet surtout de prévenir une
future réparation.
Sauf si l‟assemblage d‟angle est volontairement en croisée à l‟ancienne,
le sroub n‟est pas aujourd‟hui laissé visible et le recouvrement de la cage par
des planches est maintenant presque systématique. Jadis, il n‟était pas réalisé et
la charpente restait à nu, du moins sur la face extérieure. La latte était en effet
un produit rare jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle ; en outre « les
doubles parois présentent l‟inconvénient de créer des interstices qui deviennent
le paradis des souris » (Kerblay, 1973, p. 33). Or aujourd‟hui, les maisons
villageoises offrent toutes, depuis la rue ou la cour, une vision de planches
peintes, qui masquent les fûts.

191
Dit d‟une manière simple, « la cage [sroub] se présente comme une construction [stroénié]
sans plancher ni toit » (Samojlov, 2009, p. 51, en russe).
134
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 9 La charpente d’une izba actuelle
A l’occasion de la réfection des fenêtres, les deux strates formant les murs de cette maison
villageoise sibérienne sont visibles. La cage (sroub) de l’izba est formée de rondins de Pin, qu’on
peut compter ici en une quinzaine de rangs sur la hauteur. Cette charpente est revêtue de lattes et
ce sont ces dernières qui sont peintes.

Laisser les briovna apparents serait maintenant un aveu de cruel manque


de moyens de la part du propriétaire. Les seules exceptions viennent de rares
volontés d‟imitation de la tradition par des citadins ou bien par intérêt financier,
par exemple certains hôtels très récents de Sibérie aux prix internationaux, qui y
voient un moyen de se démarquer. Dans tous les autres cas, le sroub est
désormais caché. Les fûts restent systématiquement utilisés, pour leurs qualités
physiques, mais ils ne sont plus visibles. Cette évolution confirme d‟ailleurs
que l‟utilisation des fûts est avant tout liée à la géographie physique.
Outre l‟emploi de fûts entiers et l‟importance des conséquences de cette
pratique, un autre élément biogéographique joue un grand rôle. Il s‟agit de
l‟essence sélectionnée. Comme la matériau est le plus souvent local, il existe un
lien fort, quoique non exclusif, entre la composition spécifique de la forêt et le
bois de la maison. A petite échelle cartographique, ce n‟est pas une tautologie
de rappeler que « l‟aire de distribution de l‟isba coïncide avec la zone des forêts,
c‟est-à-dire avec le milieu écologique qui a le plus fortement marqué la
civilisation russe » (Kerblay, 1973, p. 13). Certes, la maison de bois étant aussi
devenue un fait culturel, elle a eu tendance à suivre les migrations russes même
en dehors de la forêt, pour déborder sur une partie de la steppe. Mais la

135
distorsion est d‟autant moins grande que l‟approvisionnement en bois est peu
commercial.
A moyenne échelle cartographique, on peut distinguer des régions
biogéographiques de taïga et de forêt mixte qui recouvrent peu ou prou des
territoires de maisons rurales en bois. Nous réservons cependant cette étude
d‟une part au développement traitant de la pauvreté spécifique de la taïga, afin
de préserver notre démarche de géographie physique, d‟autre part à la typologie.
A grande échelle cartographique, c‟est plus l‟arbre en tant qu‟individu
que l‟espèce qui compte, encore qu‟un lien existe entre les deux. Ce sont les
aspects symboliques qui ont le plus été étudiés à cet égard par les historiens, les
ethnologues ou les géographes français. Ainsi, reprenant les travaux de F. Conte
(1997), le géographe P. Marchand (2007, pp. 221) écrit que « les travaux
ethnologiques montrent que le choix des arbres obéit à un certain nombre de
coutumes destinées à éloigner le malheur de la future construction : sélection en
fonction des qualités morales prêtées aux arbres, en fonction de leur essence, de
leur place dans l‟espace (localisation, disposition), de leur âge (l‟usage des
extrémités de la vie, jeunes et vieux arbres, est proscrit) ». Malgré notre
formation de géographe physicien, il nous faut reconnaître que nos propres
enquêtes confirment le fait que c‟est l‟aspect symbolique qui est toujours mis au
premier plan par les constructeurs sibériens.
En Baïkalie, lorsque les villageois s‟entretiennent avec nous de leur
construction, ils insistent d‟abord sur la saison d‟abattage, le printemps, et sur
les interdits, en particulier ne jamais couper à la pleine lune192 et prendre des
précautions horaires. Une dame âgée, dont le père avait construit l‟izba actuelle,
me narrait, en 2008, que, quand le feu avait pris à l‟intérieur de sa maison en
1999, elle avait perdu la plupart du mobilier. En revanche, la charpente elle-
même avait parfaitement résisté et elle expliquait cette chance par le respect
dont son père avait fait preuve dans toutes les étapes de construction, en
particulier l‟évitement de la pleine lune. Les pratiques traditionnelles et les
représentations symboliques ne sont elles-mêmes pas dénuées de liens avec la
matérialité. Le constructeur ne daigne cependant évoquer ces derniers que
quand on l‟interroge plus en avant et avec insistance. La plupart des essences
utilisées habituellement dans la construction de l‟izba donnent effectivement un
bois plus résistant et durable quand l‟arbre est préparé pendant la saison froide,
c‟est-à-dire en période de dormance. Les constructeurs d‟izba actuels continuent
de présenter le meilleur moment pour poisser le tronc comme étant celui
pendant lequel « dérévo spit », « l‟arbre dort ». Finalement, il est difficile, et
vain, de chercher à séparer la volonté d‟augmenter la force spirituelle d‟une

192
Ces entretiens contemporains sont à rapprocher des études ethnographiques menées sur le
XIXe siècle par F. Conte (1997, p. 249) : « les paysans russes de Sibérie attendaient la nouvelle
lune (comme pour les semailles) et le début du printemps pour entreprendre une construction ».
136
Milieux naturels de Russie
habitation construite à partir d‟un bois naturellement doté d‟une grande
résistance matérielle.
Outre l‟utilisation de fûts entiers et le choix des espèces pour la
charpente, un troisième point biogéographique pourrait être abordé, celui de la
texture du bois pour les décorations extérieures de la maison. Le lien avec la
société russe paraît au premier abord plus anecdotique. Pourtant, la sculpture sur
bois a pendant très longtemps été le principal, sinon le seul, élément de
différenciation sociale193. C‟était tellement vrai que la Russie stalinienne utilisa
ce critère pour repérer les paysans enrichis qu‟elle voulait éliminer. Un demi-
siècle plus tard, à l‟époque de M. Gorbatchëv, un des médecins les plus
renommés d‟Irkoutsk s‟enorgueillissait de posséder la maison de bois la plus
richement sculptée de la ville194. Aujourd‟hui, le principal fait géographique est
la distinction entre la campagne et la ville. En milieu rural, on parle encore de
rezba, la véritable sculpture sur bois195 qui donne lieu à des bas-reliefs et hauts-
reliefs figuratifs. Pourtant, si le terme est utilisé, la réalisation est désormais
presque toujours géométrique, ayant perdu les traits caractéristiques
traditionnels, dont les célèbres griffons et ondines. Elle réapparaît cependant
sous une autre forme, en ronde-bosse pour certains piliers ou épis de faîtage,
avec un engouement récent pour la figuration de l‟aigle impériale. En milieu
urbain, on ne parle que de kroujéva. Parmi les milliers de déréviannyé doma,
ces maisons de bois de toutes formes, de toutes tailles et de toutes conditions
qui continuent d‟occuper une très grande place dans toutes les villes de la taïga,
on trouve parfois les familles les plus aisées, qui rivalisent de déréviannyé
kroujéva, la dentelle de bois la plus ouvragée, pour distinguer leur demeure. On
y trouve plus souvent les plus modestes, du fait de la commodité de la
construction. Cela n‟empêche évidemment pas d‟avoir son honneur et il n‟est
alors pas rare que tout l‟effort ait été concentré sur les kroujéva.

193
« C‟est par son décor sculpté plus que par ses dimensions qu‟une habitation cherchait à se
différencier de sa voisine » (Kerblay, 1973, p. 35).
194
Témoignage personnel.
195
Rezba est la sculpture sur n‟importe quel matériau . S‟il y a équivoque, il convient donc de
préciser rezba po dérévou (sculpture sur bois). Mais à la campagne, le terme seul est très rarement
ambigu.
137
Cliché L. Touchart, août 2006
Photo 10 La dentelle de bois d’une maison sibérienne
Cette maison de bois du boulevard Gagarine se trouve dans un quartier d’Irkoutsk qui reprend
aujourd’hui une valeur de centralité, mais qui reste habité par des catégories sociales variées. Une
dentelle de bois de taïga finement ajourée pend des avant-toits et auvents successifs.

Sur le plan plus strictement biogéographique, l‟artisan met à profit une certaine
matière première. Les sculpteurs russes insistent particulièrement sur
l‟importance d‟éviter les bois qui auraient trop de nœuds, de soutchki. Pour le
reste, la finesse du grain et surtout la résistance répondent à un choix de
l‟artiste, qui ne peut se hiérarchiser à un tel degré de généralisation. On peut
cependant dire que le Pin reste l‟essence la plus communément appréciée pour
la sculpture.

La difficile gestion d’une ressource forestière peu renouvelable

Malgré cette chance pour le bois de construction, dans l‟ensemble, la


faible productivité naturelle de la taïga est plutôt un grave inconvénient à
l‟exploitation humaine de la forêt de conifères russe196. La gestion du capital
forestier doit tenir compte de la lenteur de la régénération. Il est donc important
d‟une part de protéger de la coupe certains espaces, d‟autre part d‟exploiter
d‟une manière extensive la taïga, tout en opérant des reboisements, que ce soit
par ensemencement ou plantation.

196
« Un mélèze est exploitable vers l‟âge de 240 ans en Russie, soit deux à trois fois plus qu‟en
France » (Galochet, 2007, p. 120).
138
Milieux naturels de Russie
Les mesures de protection sont anciennes et 22 % de la taïga197 avaient
été soustraits à l‟exploitation par le gouvernement soviétique, sous différents
textes réglementaires. Tous les statuts soviétiques ont été confirmés par la
Fédération de Russie, en les regroupant sous l‟appellation générale de « lessa,
vypolniaïouchtchié okhrannyé founktsii » (Golubev, 2002, p. 105), « les forêts
exerçant des fonctions de préservation ».
Les zapovedniki, qui constituent les réserves naturelles au statut le plus
strict, protègent, à un niveau élevé198 sans qu‟il soit absolu (Ziganšin et al.,
2005), plus de deux cents millions d‟hectares de taïga199 ; et leur nombre
continue d‟augmenter.

Fig. taïga 6 : Carte des réserves naturelles (zapovedniki) de la taïga russe

Il faut y ajouter les réserves de biosphère, comme celle de Sibérie


Centrale, qui, depuis 1985, préserve 972 017 hectares de taïga variée de part et
d‟autre de l‟Iénisséï à 62 ° de latitude. Les parcs naturels nationaux, qui
admettent certaines dérogations, ont en revanche vu augmenter les pressions
économiques les concernant. Le développement récent du tourisme provoque
des foyers nouveaux de destruction de la taïga à l‟intérieur même des parcs,
comme dans celui de Tounka (Lehatinov et al., 2005). Dans d‟autres parcs, des
membres de sections russes du WWF ont récemment indiqué que des coupes

197
Cette proportion, de 21 ou 22 % selon les auteurs, est par exemple donnée par les travaux
d‟EUROFOR de 1994, reprise par Falinski et Mortier (1996), ainsi que par GEO PNUE (2002).
Pour comparaison, aux Etats-Unis, les zones protégées ont doublé depuis 1953, pour atteindre
aujourd‟hui 7 % de la surface forestière du pays (Zaninetti, 2008), pour moitié dans les réserves
nationales, pour moitié dans les forêts privées.
198
Au sens du niveau I de l‟IUCN.
199
En ajoutant les forêts des aires protégées et celles exploitées pour la seule cueillette, A.I.
Outkin et ses collaborateurs (1995) arrivent à une superficie de 243 millions d‟hectares.
139
illégales se produisaient. Cela a par exemple été le cas dès la première année
d‟existence du tout nouveau parc national de l‟Appel du Tigre (zov tigra) en
Extrême-Orient, fondé en février 2008200.
Il est sans doute encore plus difficile de résoudre les problèmes posés
par les statuts de protection, comme celui de monument de la nature (pamiatnik
prirody), qui étaient délégués à l‟époque soviétique aux leskhozes. Ces
exploitations forestières d‟Etat, là où elles ont disparu, n‟ont pas légué
d‟obligation. Et, manifestement, la surveillance des monuments de la nature a
trouvé peu de suite chez les nouveaux repreneurs de la période eltsinienne
(Touchart, 1998). Il s‟agit là de la face écologique d‟une question étudiée
généralement par les géographes occidentaux sous l‟angle économique.
Cependant, le lien a subsisté en maints autres endroits. Ainsi, le parc national de
l‟Appel du Tigre s‟est constitué sans négliger le leskhoze de Choumen, qui gère
lui-même quatre monuments de la nature.
Enfin, en dehors même des aires protégées, il existe quelques cas
d‟interdictions de coupe de la taïga pour des questions de respect écologique,
comme autour du Baïkal.
Le second volet d‟une gestion durable de la taïga réside dans le
croisement de méthodes extensives d‟exploitation et de nécessaires opérations
de reboisement. A l‟époque soviétique, 6 % de la taïga étaient en mode
d‟exploitation contrôlé par les scientifiques et 72 % en exploitation économique
non intensive devant permettre la régénération naturelle de la forêt.
La partie de la taïga directement gérée par les scientifiques a été
reconduite par la Fédération de Russie sous l‟appellation de « lessa
mnogofounktsionalnogo polzovania » (Golubev, 2002, p. 105), « les forêts
d‟utilisation polyvalente ». Celles-ci ont connu des problèmes de financement
dans les années 1990. Mais cette taïga montre un renouveau depuis une dizaine
d‟années. Certaines portions de la forêt boréale sont gérées par les Instituts de
Recherche Scientifique (Naoutchno-Isslédovatelskié Institouty, NII), d‟autres
par les établissements d‟enseignement supérieur.

L‟Agence Fédérale de l‟Economie Forestière, Rosleskhoz, déclare cinq


NII, dont quatre en Russie d‟Europe et un en Extrême-Orient, tandis que la taïga
sibérienne n‟en possède pas. Les recherches sont centralisées à 40 km au nord-
est de Moscou, dans la ville de Pouchkino.

200
L‟agence russe Ria Novosti a d‟ailleurs rapporté que des poursuites administratives avaient été
engagées dans une dizaine de cas en Extrême-Orient à ce sujet, ainsi que, dans un cas, des
poursuites pénales.
140
Milieux naturels de Russie
Fig. taïga 7 : Carte des établissements assurant une gestion scientifique de territoires de taïga

Ici se trouvent l‟Institut de Recherche Scientifique Panrusse de


Sylviculture et de Mécanisation de l‟Economie Forestière (VNIILM 201), fondé
en 1934 et qui chapeaute aujourd‟hui l‟ensemble, et l‟Institut de Recherche
Scientifique de Sélection et de Génétique Forestière (NIILG i S202). La province
compte trois NIILKh203, celui de Saint-Pétersbourg, le SPBNIILKh, celui du
nord, situé à Arkhangelsk, le SevNIILKh, et celui de l‟Extrême-Orient, situé à
Khabarovsk, le DalNIILKh. D‟autres instituts, dépendant quant à eux de
l‟Académie des Sciences, participent aussi à cette gestion forestière, en premier
lieu l‟Institut de la Forêt Soukatchiov de Krasnoïarsk (ILSORAN204).
Outre les instituts de recherche, les établissements d‟enseignement
supérieur, non contents de former les ingénieurs et techniciens forestiers,
possèdent aussi des exploitations de taïga qu‟ils gèrent en main propre. Les
deux plus renommées du pays sont l‟Université Technique d‟Etat
d‟Arkhangelsk et l‟Académie d‟Etat Kirov des Techniques Forestières de Saint-
Pétersbourg. Cette dernière, héritière de l‟Institut Forestier fondé en 1803 dans
la capitale impériale et regroupant aujourd‟hui sept facultés, abrite en son sein
le Centre d‟Expertise et d‟Accréditation, ainsi que le Centre International de
l‟Economie et de l‟Industrie Forestières (MTséLkhaP en russe, ICFFI en
anglais). Mais l‟important est que l‟Académie Kirov gère elle-même deux
leskhozes expérimentaux. Comme pour les NII, une concentration géographique

201
Vsérossiski Naoutchno-Isslédovatelski Institout Lessovodstva i Mekhanizatsii lesnogo
khoziaïstva.
202
Naoutchno-Isslédovatelski Institout Lesnoï Guénétiki i Sélektsii.
203
Naoutchno-Isslédovatelskié Institouty Lesnogo Khoziaïstva, Instituts de Recherche
Scientifique de l‟Economie Forestière.
204
Institout Lessa im. V.N. Soukatchiova Sirbirskogo Otdélénia Rossiskoï Akadémii Naouk.
141
s‟opère dans la taïga européenne. Quelques établissements sibériens font
cependant exception. C‟est le cas du Technicum Forestier de Biïsk, fondé en
1930, qui gère toujours un leskhoze de taïga sur le piémont de l‟Altaï.
Au total, ce sont près de 300 000 km² de taïga qui seraient ainsi gérés
par les organismes scientifiques, à travers les travaux de recherche,
l‟expérimentation de nouvelles pratiques de production et les stages des
étudiants. L‟essentiel des recherches porte sur le renouvellement naturel après
les incendies et sur la régénération humaine (Sokolov et Farber, 2006).
Cependant, par les superficies concernées, l‟avenir de la taïga repose
plutôt sur les énormes surfaces qui étaient, sous le régime précédent, en
exploitation économique non intensive, devenues « eksplouatatsionnyé lessa »
(Golubev, 2002, p. 105) dans la nouvelle Russie. Ce mode signifiait en URSS
l‟établissement d‟un long temps de rotation, en s‟appuyant sur l‟immensité.
Karger (1966) estimait que l‟exploitation de la taïga angarienne représentait
seulement un dixième de ce que la croissance naturelle aurait pu supporter.
Lydolph (1977, p. 687) expliquait que six millions d‟hectares de taïga avaient
été réservés au Complexe d‟Industrie Forestière (LPK) de Bratsk lors de sa mise
en service, soit l‟équivalent de son fonctionnement pendant quatre-vingts ans.
Cette durée avait en effet été estimée comme celle du renouvellement de la forêt
boréale en Sibérie orientale.
Bien entendu, à l‟époque soviétique, le long temps de rotation de cette
gestion extensive n‟était pas toujours respecté, si bien que des forêts
secondaires avaient localement pris la place de la taïga. C‟était le cas de la
partie méridionale de la forêt de la Plaine de Sibérie Occidentale, où les feuillus
de repousse, trembles et bouleaux, avaient fini par se substituer aux conifères.
Des incohérences ou des luttes entre ministères avaient également bafoué par
endroit205 les méthodes de gestion forestière extensive avec renouvellement
naturel. L‟ennoiement d‟une partie de la taïga de Bratsk par le barrage en était
l‟exemple flagrant, dénoncé par le poète sibérien Valentin Raspoutine (1976)
dans son roman Prochtchanié s Matioroï206, étudié par les géographes
allemands Adolph Karger207 (1966) et Norbert Wein (1987), et par les
géographes russes L.A. Bezroukov et A.F. Nikolski (1995).

205
Il nous semble préférable de prendre ici l‟exemple de Bratsk, qui est reconnu comme l‟un des
plus prononcés. Les chiffres de surface forestière, validés par les organismes internationaux, et les
quantifications satellitaires, détaillées dans la bibliographie russe, incitent à présenter ces cas
comme des dérives ponctuelles. Cependant, certains auteurs français ont une autre interprétation,
celle d‟une généralisation de la non prise en compte du renouvellement. « Durant l‟ère soviétique
l‟exploitation du bois s‟est fait à un rythme soutenu sans se préoccuper du renouvellement de la
ressource ni même des conséquences écologiques et environnementales liées aux coupes rases »
(Galochet, 2007, p. 126).
206
L’Adieu à l’île dans la version française. Un film soviétique en fut tiré, réalisé par E. Klimov
en 1981.
207
Selon Karger (1966), reprenant des informations soviétiques, les autorités ont perdu, en les
brûlant ou les inondant, 11 millions de tonnes de bois, pour achever de remplir le barrage de
142
Milieux naturels de Russie
Cependant, globalement, la taïga russe n‟a presque pas diminué de
superficie au XXe siècle, tandis que, dans le même temps, son équivalente
canadienne était détruite pour moitié. En Russie, en effet, après une baisse
pendant la première moitié du siècle208, la comparaison entre les surfaces de
l‟après-guerre et celles d‟aujourd‟hui montre des chiffres à peu près équivalents,
voire en croissance209 (Kuusela, 1992, Utkin et al., 1995, Falinski et Mortier,
1996, GEO PNUE, 2002, Marčenko et Nizovcev, 2005, Tsarev, 2005). K.
Kuusela (1992) notait cependant une baisse du volume des peuplements adultes
de conifères des forêts soviétiques de plus de sept milliards de mètres cubes
entre les années 1960 et la chute de l‟Union. Cela n‟est pas forcément
contradictoire avec un maintien des surfaces, mais pose la question de la qualité
et de l‟âge des peuplements.
Au niveau qualitatif, la Sibérie orientale et l‟Extrême-Orient gardent
aujourd‟hui d‟immenses surfaces de taïga pratiquement vierge, classées en
« bon état écologique » (khorochtchéé èkologitcheskoïé sostoïanié) dans la
typologie russe (Utkin et al., 1995). Même en Russie d‟Europe, plus de la
moitié de la partie septentrionale210 de la taïga est proche de son état naturel
(Ozenda, 1994), contre moins d‟un pour-cent selon les mêmes critères en
Scandinavie. Finalement, en dehors des parties défrichées depuis des siècles,
c‟est celle de la taïga méridionale d‟Europe211 et de Sibérie occidentale qui a le
plus souffert, se transformant en forêt secondaire dans laquelle les conifères ont
perdu de leur superbe au profit des essences à petites feuilles.

Bratsk de manière trop précoce. Selon un document interne dactylographié de la Prévision


Ecologique Régionale d‟Irkoutsk, écrit en 1993 sous la direction de L.A. Bezroukov, A.F.
Nikolski, S.V. Podkovalnikov et V.A. Saveliev, ce sont 12 millions de tonnes qui ont été
ennoyées par le barrage de Bratsk, contre 24 millions de tonnes abattus et extraits correctement.
Au barrage d‟Oust-Ilimsk, il y a eu 1 million de tonnes inondées et 11,2 millions extraits
(document consulté en octobre 1996 à l‟Institut de l‟Energie d‟Irkoutsk). Dans leur article paru
dans la revue Geografija i prirodnye resursy, les auteurs donnent un chiffre légèrement supérieur
(Bezrukov et Nikol‟skij, 1995). Pour comparaison, la catastrophe de Bratsk a ennoyé un volume
de bois environ deux fois inférieur à celui ennoyé par la France au barrage guyanais de Petit Saut.
208
« Dans les pays baltes et l‟ouest de l‟ancienne Union soviétique, l‟essentiel du défrichage s‟est
fait dans la première moitié du XXe siècle. Après la Seconde Guerre Mondiale, ces pays ont lancé
de gigantesques programmes de reconstitution des forêts, parallèlement à l‟abattage industriel »
(GEO PNUE, p. 104) ».
209
Michel Devèze (1964, p. 302) écrivait : « l‟Union soviétique est à notre époque le premier
pays forestier du monde : la forêt y occupe en effet aujourd‟hui 743 millions d‟hectares : Russie
d‟Europe 136 millions d‟hectares, Russie d‟Asie 607, Brésil 440, Canada 334, Etats-Unis 255 ».
Un demi-siècle après les écrits de M. Devèze, les surfaces actuelles sont à peu près les mêmes
pour la Russie, voire supérieures, comme le confirment les Nations Unies. En revanche, pour le
Canada, le chiffre actuel donné par la FAO (J.-P. Lanly) est de 245 millions d‟hectares.
210
Il existe à l‟inverse dans cette partie nord des points de forte dégradation, en particulier dans la
péninsule de Kola.
211
La taïga de l‟oblast de Vologda est l‟une de celle qui a le plus reculé au XX e siècle.
143
Fig. taïga 8 : Carte de l’exploitation extensive des forêts russes, une solution au
renouvellement d’une taïga peu productive

En outre, parmi les conifères restants, la taïga d‟Europe serait de moins


en moins une pessière et de plus en plus une pinède (Kuusela, 1992).
A partir des années 1990, la sortie de certains leskhozes du fonds
fédéral, d‟une part, le transfert de l‟exploitation aux régions, qui peuvent ou non
revendre les droits aux entrepreneurs privés, d‟autre part, ont bouleversé les
structures et les pratiques dans la Russie post-soviétique. Un bilan des
transformations est difficile, car il s‟agit de l‟un des secteurs où l‟opacité des
changements a été la plus grande212 et la presse russe se fait assez souvent
l‟écho de quelques scandales, y compris en lien avec les interventions de
sociétés étrangères, notamment japonaises dans la taïga yakoute des années
eltsiniennes, puis chinoises dans les années 2000. Il n‟est cependant pas exclu
que la présentation médiatique russe à ce sujet, d‟ailleurs relayée en Occident,
accentue les problèmes de la période récente et actuelle. Ainsi, encore
aujourd‟hui, « plus de 90 % des terrains boisés (Fonds forestier) appartiennent à
l‟Etat (cf. Code forestier de la Russie de 2006) » (Doroch, 2007, p. 1), si bien
que les soi-disant bouleversements sont beaucoup plus réduits qu‟il n‟est

212
« L‟abattage et l‟activité du bois étant une activité particulièrement propice à l‟économie de
l‟ombre, les services statistiques avouent d‟ailleurs avoir perdu la trace de la plupart des petites et
moyennes entreprises du secteur de l‟exploitation du bois » (Marchand, 2007, p. 501).
144
Milieux naturels de Russie
souvent dit. L‟opacité elle-même est sans doute exagérée213. En fait, les
autorités, notamment l‟Agence fédérale du bois, ont quantifié assez précisément
la part des coupes illégales, d‟une part en comparant les volumes déclarés aux
volumes utilisés sur le marché intérieur et vendus à l‟extérieur, d‟autre part en
faisant un suivi satellitaire. Les coupes illégales représenteraient ainsi en 2005
près de 19 millions de mètres cubes, soit 10 et 15 % du volume russe total214,
trois fois plus qu‟au Japon et quatre fois plus que dans l‟Union Européenne.
Les nouvelles sociétés privées ont toutes un programme écologique
reposant en partie sur l‟exploitation extensive. La holding Ilim, qui regroupe
trois des plus gros combinats russes de cellulose et pâte à papier, déclare avoir
participé à la régénération (lessovosstanovlénié) de 33 500 ha de forêt en 2004,
essentiellement sous forme de renouvellement naturel (estestvennoïé
lessovozobnovlénié). Il s‟agit exactement du respect du principe de
l‟exploitation économique non intensive laissant le temps à la taïga de se
reconstituer.
Quoi qu‟il en soit, il est manifeste, sur les images satellitaires, que la
pratique des coupes à blanc de grande ampleur (splochnolessossetchnyé
roubki215) est apparue en Russie dans les années 1990, au moment même où une
commission d‟experts canadiens rendait pour la première fois un rapport
accablant concernant ce mode d‟exploitation de la forêt boréale d‟Amérique du
Nord216.
Si la Russie passe en partie à une exploitation intensive de sa taïga, la
question des reboisements prend une acuité bien plus grande que dans un
système où le mode de gestion respecte le temps de renouvellement. Un indice
devient alors intéressant, celui du quotient entre les surfaces annuelles
reboisées217 et les surfaces annuelles coupées. Bon an mal an, ce rapport était
d‟environ 35 % à la période soviétique (40 % pour l‟année 1980 qui marqua un
maximum de reboisement de 820 000 ha), dans un système extensif. Il est
monté à près de 50 % pendant la période eltsinienne, quand la chute de la

213
Par exemple : « avec la paupérisation […] et la disparition des modes de vie traditionnels de
l‟ère communiste, les zones protégées et les forêts de l‟Europe centrale et orientale sont exposés à
l‟abattage illégal » (GEO PNUE, 2002, p. 104).
214
Ce sont les chiffres communiqués par le Ministère russe des ressources naturelles, rapportés
par la brève du 4 avril 2006 de la revue en ligne Bois-forêt Info.
215
Les terrains dévastés qui en résultent sont les vyroubki.
216
Voir à ce sujet les écrits de Christian Weiss dans Animaux magazine. Les Etats-Unis ont
commencé à réagir plus tôt que les Canadiens : « jusqu‟aux années 1930, l‟exploitation forestière
américaine était prédatrice, avec la pratique généralisée des coupes à blanc (clear cutting).
L‟érosion provoquée par le déboisement des Appalaches méridionales entraîna un début de prise
de conscience » (Zaninetti, 2008, p. 56).
217
Cette restauration artificielle se fait par ensemencement (possev) et plantation (possadka). Les
Bases de semences permanentes (postaïannyé lessosémennyé bazy) avaient été créées après la
guerre pour alimenter les leskhozes.
145
production218 était encore plus forte que celle des replantations. Il s‟agissait
d‟une sorte d‟amélioration écologique en fait fondée sur une crise économique
prononcée. Depuis la reprise, il baisse d‟année en année et est tombé à 25 % en
2005, car moins de 200 000 ha sont replantés annuellement. Or le mode de
gestion, devenu localement intensif, réclamerait au contraire que cet indice
s‟accrût. Lente à se régénérer naturellement, la taïga est donc de moins aidée à
le faire par la société russe.
Cependant, ces chiffres moyens cachent de grandes disparités
géographiques et certaines transformations récentes sont plutôt inattendues.
Ainsi, la taïga de la Plaine de Sibérie Occidentale, connue pour être celle qui
régresse le plus de toute la Russie depuis quinze ans, du fait de l‟extraction des
hydrocarbures dans le bassin de l‟Ob, se trouve être aussi celle où les réponses
les plus innovantes ont été mises en œuvre en terme de protection. Selon V.N.
Sedyh (2005), des moyens plus coûteux, plus rapides et plus efficaces ont été
dégagés ici pour renouveler certaines parties de la taïga mise à mal. La rapidité,
celle des capitaux pétroliers, peut-elle cependant s‟adapter à la lenteur de la
régénération de la taïga ?

La faiblesse de la productivité totale naturelle de la forêt boréale ne doit


cependant pas être exagérée. Dans la taïga, il y a en effet beaucoup moins de
perte naturelle que dans les forêts de feuillus. Les aiguilles représentent un
faible poids par rapport à l‟arbre total et, à part celles des Mélèzes, vivent
plusieurs années, si bien que les substances assimilées servent, pour l‟essentiel,
à la production de bois. Ainsi, grâce à cette particularité, mais surtout, il est
vrai, à ses énormes dimensions, la forêt boréale russe reste un grand fournisseur
de bois pour l‟utilisation humaine.

1.2.2. Une réponse de proximité à la faible productivité : une


géographie de l’exploitation favorisant la taïga d’Europe

Au milieu des années 2000, la Russie tout entière produit environ 120
millions de mètres cubes de bois (Doroch, 2007), soit trois fois moins qu‟à la
fin des années 1980, du fait de l‟effondrement du marché intérieur. Car, pendant
le même temps, les ventes de bois russe à l‟étranger ont triplé. En 2006, la
Russie est le premier exportateur mondial de grumes de résineux, tout en n‟étant
que le troisième producteur, derrière les Etats-Unis et le Canada ; elle est aussi
le deuxième exportateur mondial de sciages résineux, tout en étant seulement le
quatrième producteur.

218
Les chiffres de production de cette époque étaient cependant sujets à caution. Backman (1999)
a étudié le flou avec lequel certains leskhozes sont devenus de petites entreprises privées dans la
taïga sibérienne et leur disparition des procédures de contrôle.
146
Milieux naturels de Russie
C‟est le nord de la Russie d‟Europe qui est le premier pourvoyeur en bois,
le pays utilisant en fait de façon secondaire la lointaine ressource sibérienne. Le
réseau hydrographique a joué un rôle majeur dans la mise en place historique
des coupes de bois, d‟abord comme voie de pénétration privilégiée dans la
taïga219, ensuite comme moyen d‟évacuer les troncs débités220.

Fig. taïga 9 : Carte de la taïga du bassin de la Dvina du Nord, une forêt exploitée selon le
réseau hydrographique

Aujourd‟hui encore la répartition géographique des coupes de bois


privilégie les grands fleuves de la taïga et leurs affluents221.
Le bassin dont l‟exploitation est la plus liée au réseau hydrographique est
sans doute, depuis longtemps222, celui de la Dvina du Nord,

219
« Le principal caractère constant de la forêt russe et sibérienne est son impénétrabilité […],
enchevêtrement d‟arbres vifs et morts, troué de marais, de tourbières que l‟on ne peut guère
aborder qu‟en suivant les vallées qui forment de longues voies de pénétration » (George, 1962, p.
221).
220
Maxime Gorki, qui avait lui-même observé le flottage des grumes quand, adolescent, il avait
travaillé sur un vapeur, fit de belles descriptions de trains de bois dans sa nouvelle Au fil du
fleuve. « Se dresse jusqu‟aux cieux une impénétrable muraille barrant le cours du fleuve et
fermant la route aux trains de flottage. […] Aux avirons de gouverne, sur le radeau de queue, ils
sont deux […]. Arc-bouté aux troncs humides, Mitri tire à lui de ses bras grêles la lourde perche
du gouvernail » (Gorki, 1923).
221
« Les scieries parfois itinérantes préparent le bois sur les lieux de coupe avant expédition des
grumes, soit par voie navigable, y compris par flottage, soit par chemin de fer. Cette façon de
travailler influence la localisation des coupes à proximité des cours d‟eau de la Russie du nord »
(Thorez, 2007, p. 135).
147
mais les bassins du Ladoga et de l‟Onéga, de la Kama, de l‟Ob, de l‟Iénisséï et
des trois Toungouska qui l‟alimentent en rive droite, et, enfin, de la Léna
répondent tous peu ou prou à ce schéma.

Cliché L. Touchart, juillet 1991


Photo 11 L’exploitation du bois de la taïga, une géographie épousant le réseau hydrographique
Les grands fleuves russes ont permis historiquement la pénétration dans la taïga et continuent
aujourd’hui à servir de voie d’exploitation. Ici, le bois flotté de la taïga yakoute descend le fleuve
Léna. La photo a été prise au nord de Yakoutsk, depuis la rive droite, en direction de l’amont et des
mélézins de la rive gauche.

A plus grande échelle cartographique, le cheminement de l‟abattage au


cours d‟eau est un problème important. Les pertes dues à une mauvaise
organisation des débardages et, surtout, des stockages sont assez grandes et la
rationalisation doit être améliorée, y compris en faisant appel à des techniques
scandinaves, comme le suggérait en décembre 2007 le premier ministre russe en
visite à la Foire Exposition Nationale de la Forêt russe à Vologda.
En aval de la filière, les industries de transformation du bois ont passé
la période de transition de manière différenciée. Concernant par exemple le bois
d‟œuvre et la production d‟aggloméré, la crise des années 1990 a mis à bas le
secteur, sans qu‟une reprise significative ait pu se faire jour dans les années
2000. En revanche, la production de contreplaqué est nettement repartie à la
hausse depuis la fin des années 1990, dynamisée par une croissance des
exportations (Marchand, 2007).

222
Dans l‟entre-deux-guerres, Camena d‟Almeida (1932, p. 118) notait à propos du bassin de la
Dvina du Nord : « la première place appartient au bois, qui descend en immenses radeaux
jusqu‟aux scieries et aux quais d‟Arkhangel‟sk. Oust‟ Sysol‟sk, sur la Vytchegda, n‟expédie pas
moins d‟un demi-million de bûches par an ».
148
Milieux naturels de Russie
Après une période difficile, le secteur de cellulose et de papier connaît
un nouvel essor depuis 1996 ou 1997, tous les Combinats de Papier et Cellulose
(Tsé.B.K.)223 voyant leur production repartir à la hausse. Sur ce secteur, la
Russie est une puissance très secondaire, au onzième rang mondial (Doroch,
2007), loin derrière l‟Amérique du Nord, la Scandinavie et la Finlande. Mais, à
l‟échelle régionale, il n‟est pas inintéressant de développer la question. Le nord
de la Russie d‟Europe et le sud de la Sibérie centrale sont les deux grandes
régions de production. Arkhangelsk, sa banlieue et son oblast forment
l‟ensemble le plus puissant, assurant un tiers de la production russe. Il s‟agit de
profiter de la ressource en bois de conifères, de l‟abondance de l‟eau de qualité
de la Dvina du Nord et des possibilités d‟exportation par le grand port de la mer
Blanche. A Arkhangelsk même, la principale usine est le Solombalski Tsé.B.K.
Dans la banlieue, la ville de Novodvinsk abrite l‟Arkhangelski Tsé.B.K. Huit
cents kilomètres au sud d‟Arkhangelsk tout en restant dans son oblast, c‟est
dans la ville de Koriajma que se trouve le Kotlasski Tsé.B.K.224. Koriajma est en
effet une banlieue orientale à 40 km à l‟est de la ville de Kotlas, elle-même
remarquablement située au confluent de la Dvina et de la Vytchegda et au
croisement des trois grandes voies ferrées du nord-est de la Russie d‟Europe.

Encore plus en amont, au-delà de l‟oblast d‟Arkhangelsk, la production


se poursuit dans la république des Komi, notamment par le LPK225 de sa
capitale, Syktyvkar, situé aussi sur la rivière Vytchegda. L‟autre ensemble de
production de cellulose et papier du nord de la Russie d‟Europe est la Carélie,
dont une part des activités de ce type déborde sur l‟oblast de Léningrad226,
notamment dans les deux grands combinats de Svétogorsk et Vyborg. Mais
c‟est dans la République de Carélie elle-même que se trouve l‟essentiel.

223
Le Combinat de Papier et Cellulose se dit Tsellioulozno-Boumajny Kombinat, soit Tsé.B.K. en
abréviation.
224
La holding Ilim, à capitaux russo-américains, regroupe désormais le combinat de Koriajma en
Europe et ceux d‟Oust-Ilimsk et Bratsk en Sibérie.
225
Un Lessopromychlenny Kompleks (LPK) est un complexe industriel qui possède l‟ensemble de
la filière, depuis la scierie jusqu‟à la production de cellulose.
226
La Carélie et l‟oblast de Léningrad assurent ensemble 16 % de la production russe (Marchand,
2007, p. 501).
149
Fig. taïga 10 : Une géographie du secteur de la cellulose favorisant le nord de la Russie
d’Europe, l’exemple de Koriajma

150
Milieux naturels de Russie
A l‟époque soviétique, « dans le cadre de la division régionale du
travail, la Carélie a été spécialisée dans les industries utilisant le bois comme
matière première » (Moreau-Delacquis, 1996, p. 59). A la chute de l‟URSS, un
quart de la population active de Carélie travaillait dans la filière bois. La
privatisation et la restructuration profonde réalisées lors de la période
eltsinienne ont plus modifié les coupes que la localisation de l‟industrie située
en aval. Deux grands combinats continuent de dominer la Carélie. Il s‟agit
d‟une part du Tsé.B.K. de Séguéja, spécialisé dans la fabrication des sacs en
papier, d‟autre part de celui de Kondopoga, qui, au bord du lac Onéga, compte
la première usine productrice de papier journal de Russie, fournissant à elle
seule plus du tiers de la production totale du pays. Au total, le nord de la Russie
d‟Europe, constitué des oblasti d‟Arkhangelsk et de Léningrad, ainsi que des
républiques de Carélie et des Komi, produit environ 60 % de la cellulose russe
et 75 % du papier. Sur la marge sud-est de ce bloc, les oblasti de Kirov et Perm
complètent la production de papier.

Le troisième ensemble du secteur de la cellulose et du papier de Russie


se trouve beaucoup plus loin des grands marchés, mais profite de l‟immense
taïga sibérienne et de la pureté de l‟eau du lac Baïkal et de son émissaire fluvial,
l‟Angara. C‟est ainsi que s‟égrenaient d‟amont en aval le Tsé.B.K. de Baïkalsk,
le LPK de Bratsk et le LPK d‟Oust-Ilimsk, les deux derniers regroupés sous la
holding Ilim. L‟oblast d‟Irkoutsk produisait alors 27 % de la cellulose russe,
sans fournir de papier (Marchand, 2007, p. 502). En novembre 2008, cependant,
le combinat de Baïkalsk a fermé ses portes227.
Le secteur du papier et de la cellulose, qui a besoin pour son
fonctionnement de grandes quantités d‟eau de bonne qualité, est en retour un
pollueur de ces eaux. Il rejette aussi des polluants dans l‟air, qui retombent
d‟ailleurs en partie, après combinaison, sur les forêts alentours. C‟est ainsi que,
à proximité des Tsé.B.K., la taïga souffre des pluies acides. Ainsi, les dommages
du Complexe de Bratsk concernent la taïga sur un rayon d‟une quarantaine de
kilomètres (Wein, 1988). C‟est justement en réaction aux dégradations
environnementales de ce secteur qu‟est né le mouvement écologique soviétique.
Nous avons par ailleurs très largement développé la question du Combinat de
Baïkalsk (Touchart, 1995, 1998), qui, malgré des annonces renouvelées de
fermeture et de déplacement dès la fin des années 1980, a fonctionné jusqu‟en
2008.

227
Au moment de mettre sous presse cet ouvrage, un rebondissement remet en cause le caractère
définitif de cette fermeture. Le 13 janvier 2010, un arrêté gouvernemental exclut des interdictions
à proximité d‟une réserve naturelle la production de papier, carton et cellulose, rendant ainsi de
nouveau possible la production du B.Tsé.B.K.
151
De façon moins connue, les autres Tsé.B.K. tentent aujourd‟hui de jouer
la carte écologique, souvent en relation avec une amélioration de la qualité de la
production elle-même.

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 12 Le Combinat de Papier et Cellulose de Baïkalsk dans son milieu forestier
La taïga méridionale sibérienne, ici au premier plan, s’insinuait jusqu’aux portes de l’usine qui
l’utilisait comme matière première. Les fumées du combinat, embrumant le second plan, étaient
d’autant plus visibles en ce jour d’été, que le temps, stable, était anticyclonique. La forêt de la
région avait subi des pluies acides pendant plusieurs décennies, avant que le combinat ne fermât
ses portes en novembre 2008.

C‟est le cas, à Novodvinsk, de l‟Arkhangelski Tsé.B.K., qui affiche


comme une stratégie commerciale ses efforts de diminution des effets nuisibles
du combinat sur l‟environnement. De même, à Koriajma, le Kotlasski Tsé.B.K.
développe les techniques de blanchiment sans chlore (beskhlornaïa otbelka) de
la cellulose.

152
Milieux naturels de Russie
Naturellement peu productive, exploitée de manière extensive en
privilégiant les peuplements de conifères européens les plus proches des grands
foyers de peuplement, la taïga russe reste un grand foyer pourvoyeur de bois, et
secondairement de produits dérivés, grâce à son immensité.

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 13 Le secteur de la cellulose et les pluies acides sur la taïga
C’est le combinat de Baïkalsk qui a donné naissance au mouvement écologiste soviétique dès sa
construction dans les années 1960. La résolution du Conseil des Ministres de 1987 avait prévu
l’arrêt de la production de cellulose pour 1993. Mais la privatisation de l’usine en 1992 décala sa
fermeture pendant une quinzaine d’années. Les fumées, sur cette photo prise deux ans avant la
fermeture, étaient la partie visible des rejets dans l’atmosphère. Une partie de l’anhydride sulfuré
retombait sur les forêts alentours après combinaison avec l’humidité, sous forme d’acide sulfurique.
Environ cent soixante kilomètres carrés de taïga ont ainsi été endommagés.

Depuis longtemps portée sur la régénération de sa forêt, la Russie s‟est


lancée plus récemment dans des améliorations techniques destinées à réduire les
effets nuisibles de la production industrielle de cellulose et de papier.

153
Cliché L. Touchart, août 2006
Photo 14 La reconversion écologique du secteur de la cellulose
Touchant plus à la pollution de l’eau qu’à celle des forêts, encore que les sols fussent très
concernés, la station d’épuration du BéTséBéKa était cependant devenue un symbole de la lutte
générale, connue sous le nom de « bataille du Baïkal ». Ayant des standards plus stricts que les
normes occidentales, l’interprétation de son fonctionnement donna lieu à des polémiques
internationales, dans lesquelles la désinformation s’épanouit à l’est comme à l’ouest. On pensait la
fermeture de 2008 définitive, mais, au moment de mettre cet ouvrage sous presse, un arrêté
gouvernemental de janvier 2010 rend de nouveau possible la production. Une nouvelle « bataille du
Baïkal » s’engage-t-elle ?

1.2.3. La pauvreté floristique de la taïga

La forêt boréale, somme toute pauvre sur le plan quantitatif, a aussi la


particularité floristique, qualitative, d‟être particulièrement pauvre en
espèces228. En fait, si l‟on exclut les marges méridionales et littorales, seuls
quatre genres de conifères se partagent les immensités de la taïga russe, l‟Epicéa
(Picea), le Pin (Pinus), le Sapin (Abies) et le Mélèze (Larix), soit pour les
Russes, ièl, sosna, pikhta et listvennitsa, qui se mélangent et se succèdent
d‟ouest en est dans cet ordre.
A l‟intérieur même de chaque genre, le nombre d‟espèces est aussi
faible. Finalement, sur 7 millions de kilomètres carrés, on trouve à peine une
vingtaine d‟espèces d‟arbres, soit cent fois moins qu‟en Amazonie.

228
« Du point de vue floristique, les forêts boréales détiennent des records de pauvreté pour des
formations naturelles » (Rougerie, 1988, p. 120).
154
Milieux naturels de Russie
Fig. taïga 11 : Coupe longitudinale de la pauvreté floristique de la taïga, une succession de
seulement quatre genres sur 7000 km

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 15 Le Mélèze de Dahourie, un peuplement monospécifique
Le Mélèze de Dahourie, ou de Gmelin, forme des peuplements monospécifiques sur des centaines
de kilomètres en Sibérie orientale. C’est le cas le plus abouti de la pauvreté floristique de la taïga
russe. Par rapport aux autres espèces du genre Larix, il est reconnaissable par ses cônes (chichki)
particulièrement petits, dont la forme ovoïde ne dépasse pas un et demi à deux centimètres de
longueur.
Et les peuplements monospécifiques sont même les plus répandus,
comme les forêts de Mélèze de Dahourie (Larix dahurica) de Sibérie orientale.
155
L‟exploitation forestière en est facilitée, car la monospécificité permet
de gagner du temps. En ce sens, il a été calculé que la taïga sibérienne orientale
avait un coût de revient inférieure de 20 % à celle de Russie d‟Europe (Zimm,
1966). La monospécificité évite aussi les dégâts écologiques causés ailleurs par
la destruction de vastes espaces pour trouver l‟essence souhaitée, mêlée parmi
d‟autres, indésirables.
Le Mélèze (listvennitsa) est le genre le plus répandu de la taïga russe
dans son ensemble et a fortiori sibérienne. Le bois de Mélèze russe
représenterait une masse de plus de 25 milliards de mètres cubes (Utkin et al.,
1995). Son caractère imputrescible lui a permis de toujours figurer comme le
premier bois pour les fondations et autres pilots, surtout en terrain marécageux.
On sait par exemple que Saint-Pétersbourg a pu être construite sur un delta
grâce à l‟enfoncement de milliers de pieux de Mélèzes. C‟est la ville « na
listvennitchnykh svaïakh », « sur les pilotis en mélèze ». Aujourd‟hui encore, ce
bois est utilisé de préférence par les Russes pour la fabrication des coffrages
destinés aux barrages sur les cours d‟eau229 ou encore dans les carénages des
chantiers navals. Supportant bien les intempéries, le bois de Mélèze constitue
pratiquement tous les poteaux télégraphiques du territoire russe. L‟autre qualité
du bois de Mélèze est sa dureté, qui est à double tranchant. Elle est plutôt
appréciée pour le bois de charpente. Un sroub en mélèze, c‟est une maison qui
dure toute la vie et se transmet à la génération suivante, c‟est la résistance à tous
les aléas. Cependant, il est assez peu utilisé pour la maison rurale européenne.
Même en Sibérie, nos enquêtes montrent que la cage de l‟izba est assez
rarement en mélèze. Seuls les villages yakoutes le mettent au premier rang.
Dans ce cas, la préparation des fûts se fait au printemps, à la différence de tous
les autres conifères de la forêt russe. Le meilleur moment est en effet celui du
sokodvijénié, de la montée de la sève. Cette reprise de l‟activité circulatoire
fournit alors des conditions favorables pour enlever l‟écorce tout en préservant
au mieux le caractère entier du fût. En dehors de la charpente, le Mélèze n‟est
que peu employé pour les menus ouvrages et les décorations, car il est considéré
comme trop dur. Nos enquêtes en Sibérie orientale montrent cependant sa
fréquente utilisation pour la construction des planchers des maisons
villageoises. Dans ce cas, son caractère durable, sa beauté et ses reflets qui
rougeoient naturellement font la fierté du propriétaire. L‟importance du Mélèze
pour l‟économie russe vient cependant moins de l‟utilisation du bois en tant que
tel que de sa transformation en cellulose.
Le Pin (sosna), est le deuxième genre le plus répandu de la taïga russe
prise dans son ensemble. Son importance pour la société et l‟activité
économique de la Russie a toujours été considérable et elle le reste. Son

229
Le Mélèze donne certes un bois lourd, mais sa densité moyenne en fait tout de même, malgré
une légende, un bois qui flotte.
156
Milieux naturels de Russie
utilisation, tant pour le bois de charpente que pour celui de menuiserie, est
commune, tout en étant très appréciée. Concernant la construction du sroub
traditionnel, B. Kerblay (1973, p. 50) distinguait « le type nordique de l‟isba
russe », où le Pin et le Mélèze de la taïga fournissent la matière première, du
« type central », où la forêt mixte permet l‟utilisation assez fréquente du
Peuplier tremble et du Bouleau, plus rarement du Tilleul ou du Chêne. Nos
enquêtes personnelles, surtout en Sibérie, secondairement dans les régions
baltiques et moscovites, montrent plutôt que le Pin règne partout comme étant
l‟essence la plus utilisée. C‟est l‟arbre dont les qualités matérielles sont les plus
nombreuses, du moment qu‟il est préparé pendant la saison froide230. Le Pin est
en effet généralement élancé, peu dérangé par les aspérités et possède un tronc
naturellement peu tortueux. Or les constructeurs d‟izba recherchent avant tout
« priamota stvola », « la droiture du tronc ». Cette qualité essentielle permet
d‟obtenir les plus beaux fûts, la précision la plus fine, et la moins sujette au jeu,
de l‟assemblage, que celui-ci soit en croisée à l‟ancienne ou en queue d‟aronde,
ainsi que la plus grande taille et la plus longue durée de vie de l‟izba. En
Baïkalie, où le Mélèze est pourtant très répandu, le Pin donne presque toujours
les rondins des murs, les revêtements et le faîtage. Notons que, partout en
Russie, le Pin n‟est pas seulement estimé pour la qualité tangible de son bois,
mais aussi pour l‟odeur qu‟il dégage. Outre sa suavité, celle-ci est tenue pour
être particulièrement saine et les Russes ont toujours soutenu qu‟elle permettait
de lutter contre la tuberculose et les maladies respiratoires.
L‟Epicéa (ièl) est le troisième genre de Conifère le plus répandu de la
taïga russe. Le bois d‟épicéa russe représenterait une masse de plus 11 milliards
de mètres cubes (Utkin et al., 1995). Les Russes considèrent qu‟une taïga est
d‟autant plus opulente qu‟elle est riche en Epicéa. Pascal Marchand (2007, p.
218) rappelle à la suite de Mil‟kov que « l‟épicéa est la „tsarine‟ (le nom en
russe, iel, est féminin) qui domine la taïga occidentale ». Il est vrai que son bois
« ouprougui », « souple », mais aussi léger, est apprécié dans de nombreux
domaines et auréolé de son emploi pour fabriquer les meilleurs instruments de
musique, une référence dans un pays où ceux-ci ont une telle importance. Gardé
sec, il est remarquablement résistant et durable. Pourtant, dans le cadre de la
construction traditionnelle, l‟Epicéa souffre de mal supporter l‟humidité. Il en
général délaissé pour la charpente de l‟izba, car son contact permanent avec
l‟atmosphère et les variations de vapeur d‟eau le fragilisent. En revanche, sa
légèreté lui permet d‟être largement utilisé dans l‟armature du toit et ses autres
qualités, très grandes du moment qu‟il ne subit pas les intempéries, font qu‟il
règne à l‟intérieur des maisons européennes. C‟est un bois de menuiserie, de
plancher, de décoration. Les meubles en épicéa sont nombreux. L‟importance

230
Sa préparation en période de dormance lui permet de donner sa meilleure résistance matérielle.
Mais il est entendu que le choix de cette période est aussi fondé sur le fait que la morte saison
pour les travaux des champs donne le temps de s‟occuper du bois. Le caractère culturel et
symbolique s‟ajoute à l‟élément biogéographique et économique.
157
de l‟Epicéa dans l‟économie russe vient cependant avant tout de son utilisation
massive dans la filière de la cellulose et de la pâte à papier.
Le Sapin (pikhta), enfin, est le genre le plus rare parmi les Conifères de
la taïga russe. Son bois représenterait une masse de moins de 3 milliards de
mètres cubes sur l‟ensemble du territoire de la Fédération (Utkin et al., 1995),
qui, malgré son utilisation dans la filière de la cellulose, n‟est pas suffisante
pour avoir un poids important dans ce secteur. Son bois blanc est certes
apprécié en menuiserie, de même que sa légèreté. C‟est aussi le bois traditionnel
des cercueils, qui ne rehausse pas sa notoriété dans les choses de la vie.

Mais la taïga russe n‟est pas seulement peuplée de ces quatre genres de
Conifères. Elle compte également quelques feuillus, qui constituent une part du
sous-bois et le peuplement pionnier des clairières éclairées et des jeunes forêts
secondaires qui repoussent après le passage des incendies.

Fig. taïga 12 : Coupe de la place des feuillus dans la taïga : pauvreté spécifique et localisation
marginale

Or, chez les feuillus aussi, la pauvreté floristique est remarquable.


Quatre genres se partagent la quasi-totalité des grands individus, le Bouleau
(Betula) et l‟Aulne (Alnus), qui appartiennent tous deux à la famille des
Bétulacées (Bériozovyé des Russes), le Saule (Salix), et le Peuplier (Populus),

158
Milieux naturels de Russie
qui forment tous deux la famille des Salicacées (Ivovyé des Russes231). Pour les
Russes, ce sont les genres bérioza, olkha, iva et topol. On n‟augmente que de
peu le nombre de genres si on ajoute les petits feuillus, comme le Sorbier
(Sorbus) et le Cornouiller (Cornus), soit la riabina et le kizil des Russes. Plus
encore que pour les conifères de l‟étage supérieur, à l‟intérieur même de chaque
genre de feuillu, le nombre d‟espèces est particulièrement faible. La plus
commune232 de toutes, présente dans la taïga233 depuis la frontière occidentale
jusqu‟au Pacifique, est le Peuplier tremble (Populus tremula), appelé par les
scientifiques russes topol drojachtchi, mais que tout le monde connaît dans ce
pays sous le nom d‟ossina234. Chez les autres genres, quelques espèces
différentes se relaient d‟ouest en est et du nord au sud.
Le très petit nombre de feuillus de la taïga russe a provoqué un
sentiment de rareté chez ce peuple forestier, qui s‟est accompagné d‟une forte
charge symbolique de chacun d‟entre eux. Reprenant les études
ethnographiques de Francis Conte (1997), le géographe Pascal Marchand (2007,
p. 222) écrit que « l‟arbre le plus populaire est le bouleau. Il était associé à
différents rites. Il est le symbole du printemps, du renouveau, ce qui lui a valu
d‟être acclimaté par la culture soviétique. Il est surtout le symbole de la jeune
fille, par son tronc élancé, la beauté lumineuse de ses couleurs, son feuillage
ployant comme une chevelure, verte en été, blonde en automne ». La
représentation de la beauté se fondait assurément, aux siècles précédents, sur la
blancheur de son tronc gracile235, associée à la grâce et à la virginité de la jeune
fille. « Le nom du bouleau, en slave, balte et germanique, est de genre féminin.
Dans le folklore, cet arbre symbolise la jeune féminité et la pureté » (Sakhno,
2001, p. 37). Le mot russe de bérioza, de même que l‟anglais birch et
l‟allemand Birke désignant cet arbre, vient d‟une racine indo-européenne
désignant la blancheur éclatante, la même qui a donné l‟adjectif anglais bright,
« brillant » (id.). L.A. Bagrova (2007) rappelle que l‟allégorie de la beauté du
Bouleau tend souvent vers la mélancolie. Sergueï Aleksandrovitch Essénine
érigea au début du XXe siècle236 le Bouleau au rang de symbole de la Russie237,

231
Les travaux russes sur les Salicacées font autorité au point que l‟article français de
l‟Encyclopaedia universalis (1992), écrit par André Charpin, cite dans sa courte bibliographie
l‟ouvrage de Skvortsov (1968).
232
« La superficie des peuplements naturels s‟élève à 20,6 millions d‟hectares, et le volume de
bois est de 3,1 milliards de mètres cubes » (Tsarev, 2005, p. 10).
233
Ainsi que, au sud de la taïga, dans les forêts mixtes et de feuillus et en steppe boisée.
234
Ossina et drojachtchi apparaissent tous deux dans la belle description littéraire faite par
Tourguéniev (1850, Le rendez-vous), grâce à un jeu de mot qui rapproche « tremblant » de
l‟éventail auquel le feuillage est comparé.
235
Le tronc blanc et élancé (stroïny bély stvol) est la description classique du Bouleau dans les
écrits russes.
236
Cependant, le voyageur français Jules Legras (1895, p. 121) écrivait déjà : « Le bouleau est
l‟arbre russe par excellence ; il représente en outre pour moi, par association d‟idées, un des
caractères les plus attirants du pays ruse : l‟absence de contrainte, l‟épanouissement de la
personnalité ».
159
de la patrie bien-aimée. M. Niqueux (2006) y voit une continuité
révolutionnaire de l‟arbre cosmique, qui peut se retrouver aussi chez le poète N.
Kliouïev. Dans une certaine mesure, cependant, Essénine a tellement été vénéré
que l‟image du bouleau en a été quelque peu figée, à l‟instar de l‟érable
canadien. Ainsi, à la suite des magasins soviétiques Bériozka, qui étaient
destinés aux étrangers, il convient de reconnaître que la force évocatrice du
Bouleau est aujourd‟hui largement tournée vers l‟extérieur et l‟emblème
touristique de la Russie. Il est loin d‟avoir pour autant disparu de l‟intérieur
profond du peuple russe.
Selon le proverbe russe, le bouleau est l‟arbre aux quatre ougodia, ces
effets salutaires qui profitent à la santé tout en favorisant la bonne marche de la
vie quotidienne et domestique, et n‟hésitent pas à mêler qualités physiques et
spirituelles238. Francis Conte (1997) en a présenté les aspects ethnographiques
dans la Russie rurale pré-soviétique239. Mais qu‟en est-il aujourd‟hui ? Certaines
modernisations matérielles240, telle l‟électrification, ont évidemment rendu
caduques des pratiques comme celle des loutchiny apportant l‟éclairage241.
L‟évolution évocatrice est plus complexe à déceler et il serait erroné de ne plus
regarder le bouleau que comme un témoin de récupérations politiques et de
déviances touristiques. Le bouleau reste un arbre hors du commun dans la
Russie actuelle. Son utilité matérielle n‟est pas exempte de symboles et ces
derniers n‟ont pas tous été gangrenés par la superficialité.
Les pratiques de la Russie du XXIe siècle associent encore largement,
de façon consciente ou non, le bouleau à la vigoureuse montée de la sève
printanière, à la fortification, à la guérison médicale, à la défense païenne contre

237
« Oh toi bouleau, arbre des Russes » (Essénine, 1921, Visage rêvé). « Mais puisque mon cœur
toujours bat, Avec celle que je n‟aime pas, Je veux faire la paix bientôt, Au nom de la Russie-
bouleau » (Essénine, 1925, L’homme noir, traduction Abril H.).
238
« Les paysans sentent mieux que nous, peut-être, la poésie du bouleau ; mais ils en savent
aussi l‟utilité. Si le pin leur fournit des matériaux pour construire leurs demeures, le bouleau les
défend de l‟hiver plus continûment ; c‟est le bouleau qu‟ils brûlent pour se chauffer. C‟est aussi
de son bois qu‟ils se servent pour se chauffer. En outre, c‟est au pied des bouleaux que croît ce
fameux cèpe, le „champignon blanc‟ qui est le roi des cryptogames en Russie » (Legras, 1895, p.
120).
239
« Dans la Russie du XIXe siècle, tout le monde connaissait la devinette : „quel est l‟arbre qui
apporte quatre bienfaits ?‟ Il convenait de répondre : „le bouleau‟, et la sagesse populaire ne
tardait pas à en donner les raisons : il „redonne la santé aux malades‟ Ŕ on l‟utilise pour fabriquer
le petit balai de bain (venik) dont on se sert pour „se fouetter le sang‟ ; „il apporte la lumière à
l‟obscurité‟ Ŕ on en fait des copeaux (lučiny) que l‟on allume pour éclairer l‟izba ; „il offre un
entourage aux indolents‟ Ŕ on entoure de son écorce les planchettes de bois éparses qui servent à
faire un seau ou un baquet ; enfin le bouleau est „une source pour les braves gens‟ Ŕ la sève qui
monte en lui, au printemps, donne un liquide très doux qui est encore meilleur lorsqu‟on le fait
fermenter » (Conte, 1997, p. 120).
240
Il a été décidé de ne pas développer ici l‟utilisation de son écorce pour la fabrication de
multiples ustensiles, qui serait un sujet d‟étude en soi.
241
« Trechtchit loutchinka », « crépite le petit copeau » écrit Pouchkine dans Eugène Onéguine
(Chapitre Quatrième, XLI).
160
Milieux naturels de Russie
les forces du mal, à la résurrection religieuse. La sève de bouleau (bériozovy
sok) en constitue une bonne illustration : elle répond au bienfait proverbial
« lioudiam kolodets », littéralement « c‟est un puits pour les hommes ». Le jus
de bouleau est unanimement regardé par les Russes comme
obchtchéoukrepliaïouchtchéé. La traduction littérale de « fortifiant général »
peine à exprimer l‟association de ses qualités roboratives et du fait qu‟il est bon
pour tout. Déguster du jus de bouleau, nature ou en composition de boissons
plus ou moins fermentées et fruitées, est considéré comme bon pour la santé et
tonique pour l‟ensemble de l‟organisme. L‟aspect symbolique se mêle à la
redécouverte médicale des produits naturels. La richesse de la sève de bouleau
en tanins (doubilnyé vechtchestva) lui donne des vertus antioxydantes
reconnues, qui sont de nouveau mises au goût du jour dans la lutte contre le
vieillissement. Les vénales campagnes de promotion pharmaceutiques et la
pureté spirituelle du mystère de la Résurrection se rejoignent dans l‟incitation à
boire du bériozovy sok. La sève de bouleau ne transmet pas seulement ses
bienfaits par l‟absorption242. Elle est aussi salutaire comme médicament externe
(naroujnoïé). Passée sur la peau, elle permet de lutter contre l‟eczéma, les
mycoses, les comédons, les taches de pigmentation. Frottée sur le cuir chevelu,
elle fortifie et permet d‟obtenir une chevelure soyeuse. La double action
protectrice du jus de bouleau, interne et externe, n‟est sans doute pas à dissocier
de la croyance en l‟arbre lustral. La purification complète est absolue.
Ce double effet, intérieur, de la sève au sang, et extérieur, de l‟écorce à
la peau, se retrouve dans une autre utilisation traditionnelle qui reste en vogue
en Russie, le khlestanié243.
Il s‟agit de se fouetter lors du bain de vapeur, la parka244, avec le petit
balai de bain (banny vénik), qui est confectionné en feuillage de bouleau245.
L‟influence première qui vient à l‟esprit est évidemment externe. Et, de fait, la
parka avec un petit balai de bain est dite purifier la peau quand celle-ci est
encline aux exanthèmes et aux abcès purulents, accélérer la cicatrisation des
écorchures et des plaies.

242
Parmi ses autres vertus, on peut citer le fait que c‟est un diurétique, qui favorise l‟élimination
des calculs.
243
Il n‟existe pas de nom en français correspondant au fait de se fouetter. Le russe possède à la
fois le verbe khlestatsia (se fouetter) et le nom khlestanié. Il s‟agit aujourd‟hui de se fouetter dans
le sens d‟un massage, bien que, historiquement, le mouvement ait pu être plus vif. « Ils prennent
de jeunes verges ; ils s‟en frappent eux-mêmes, et ils se frappent si fort que c‟est à peine qu‟ils en
sortent en vie » (Nestor, 1113, traduction de J.-P. Arrignon, 2008, p. 40).
244
Le nom parka peut être traduit au plus juste par le « bain de vapeur », mais il sous-entend
presque toujours la double action de prendre le bain et de se fouetter.
245
Comme il lui arrive, éventuellement, d‟être confectionné en feuillages d‟autres arbres, on peut
préciser bériozovy banny vénik (petit balai de bain en bouleau).
161
Cliché L. Touchart, avril 2008
Photo 16 Le Bouleau, le feuillu de la taïga aux multiples bienfaits, et la purification du bain.
Le petit balai de bain (banny vénik), confectionné en feuillage de bouleau, sèche à l’extérieur du
bania. Le fait de se fouetter avec lui lors du bain de vapeur purifie la peau est provoque
l’apaisement.

Mais la guérison devient interne quand on aborde la lutte contre les


douleurs articulaires et les courbatures musculaires. Le bienfait est encore plus
intime s‟il s‟agit de louer l‟effet de l‟inhalation des vapeurs du balai de bouleau,
qui favorisent l‟expectoration des glaires et dilatent les bronchioles, améliorant
ainsi la ventilation des poumons. Il est possible d‟expliquer scientifiquement
que les feuilles de bouleau exhalent à l‟étuve des huiles volatiles, mais
l‟essentiel vient sans doute de l‟effet apaisant, qui confine au bien-être complet,
retiré par tous les praticiens de la parka avec un petit balai de bouleau. Ce
soulagement n‟est pas sans rappeler le fait que le banny vénik a toujours été
considéré comme un obéreg, une sorte de porte-bonheur, ou plutôt de talisman
écartant les forces impures.
S‟il n‟était que l‟aspect thérapeutique matérialiste, le jus de bouleau et
le balai de bain ne seraient sans doute plus appréciés aujourd‟hui. Leur
permanence s‟appuie d‟abord sur le plaisir, la dégustation de la boisson et la
sérénité apportée par la parka. Elle repose surtout sur ce que d‟aucuns
nommeront la conviction, d‟autre la croyance. Le rapprochement peut être osé

162
Milieux naturels de Russie
entre le coup de fouet au sens propre, qui stimule l‟activité circulatoire, et le
coup de fouet au sens figuré, qui procède de l‟influence roborative de
l‟absorption de la sève et de l‟inhalation des effluves.
Bien que donnant lieu à des interprétations parfois contradictoires, le
Saule (iva ou bien verba) est l‟autre arbre feuillu plutôt chargé de valeurs
positives. Bien avant son importance géographique actuelle246, les coutumes
païennes avaient toujours vu en lui un arbre guérisseur et protecteur. « Comme
les chatons de saule apparaissent sur l‟arbre alors que la neige n‟a pas encore
fini de fondre, la tradition populaire a vu en eux une force particulière Ŕ celle
qui exprime le renouveau de la végétation et de la nature tout entière. De là
découle l‟idée que ces chatons ont la capacité de soigner » (Conte, 1997, p.
138). Le Saule est l‟arbre de l‟éternité pour les Slaves et il est significatif que le
mot iva, qui le désigne en russe, ait la même racine indo-européenne que le
français if, l‟arbre sempervirent des cimetières, qui symbolise la vie éternelle en
Europe de l‟Ouest (Sakhno, 2001). Lors du Dimanche des Rameaux, qui se dit
en russe le Dimanche du Saule (Verbnoïé Voskressénié), c‟est cet arbre qui a
toujours été béni par l‟Eglise orthodoxe.
A l‟inverse du Bouleau et du Saule, le Peuplier (topol) est
traditionnellement le mal aimé des feuillus de la taïga, celui qui est associé aux
événements malheureux247. Il est accusé de tous les maux et la population passe
son temps à lui reprocher de déclencher des troubles allergiques à cause de
l‟aigrette de poils, le poutchok voloskov, qui entoure la graine. Ce faisceau de
poils, qui permet leur transport par le vent, s‟accumule comme un duvet, le
topolny poukh, dans les rues des villes de la taïga plantées de ce fier arbre
élancé248 ; et les habitants s‟en plaignent. Par exemple, depuis 2007, tous les
Peupliers des rues principales d‟Irkoutsk sont progressivement coupés, y
compris les Peupliers baumiers (Populus suaveolens), les topolia douchistyé des
Sibériens.

246
« La Fédération de Russie possède la superficie de peuplements naturels de saules (Salix spp.)
la plus vaste du monde [qui] couvrent 2,9 millions d‟hectares » (Tsarev, 2005, p. 10)
247
« Une bonne fois pour toutes séparons-nous
Oui, je m‟en vais, champ de ma patrie !
Lointaines sont les feuilles ailées de mes peupliers, aucune ne résonne en moi ni ne carillonne »
(Essénine, 1922, Une bonne fois pour toutes)
248
Pouchkine (1828), dans Poltava, comparait la beauté de Marie à la sveltesse du Peuplier.
« Kak topol, ona stroïna ».
163
Il s‟agit d‟une décision de la mairie à la suite des requêtes des
citoyens249. A l‟intérieur du genre des Peupliers, une espèce avait une image
encore pire, le tremble. Dans l‟imaginaire païen, le pieu des vampires était en
ossina. D‟ailleurs, dans la réalité médiévale, les principaux instruments de
torture étaient faits de ce bois.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 17 La lutte contre les Peupliers à Irkoutsk
Le Peuplier est le mal aimé de la taïga russe. Planté pour sa fière allure et ses qualités décoratives
dans les contre-allées des villes russes, il est accusé par les habitants de provoquer des allergies en
juin, quand les rues sont envahies du topolny poukh, ce duvet qui entoure les graines. La
municipalité d’Irkoutsk a récemment coupé tous les Peupliers de la principale artère de la ville, la
rue Karl Marx, d’où le petit arbuste qui les remplace dans le coin en bas à gauche (soit à l’est) de
la photo. En revanche, dans le rue perpendiculaire qui nous fait face, les Peupliers sont toujours
présents.

Il semble plus discutable (comm. or. Marina Accabled, octobre 2008)


que la malédiction païenne du tremble ait été reprise par la religion chrétienne.

249
Enquêtes personnelles inédites auprès de la mairie d‟Irkoutsk et des habitants des rues
Tchékhov et Karl Marx, juillet 2008.
164
Milieux naturels de Russie
Cependant, d‟après le géographe P. Marchand (2007, p. 222), reprenant les
études ethnographiques de F. Conte250, « le tremble était considéré comme un
arbre hostile au Christ en raison d‟une légende répandue en Russie selon
laquelle Judas se serait pendu à un tremble, arbre pourtant inconnu en Palestine,
et de la couleur rouge de ses feuilles en automne, symbole du sang du Christ qui
a coulé injustement ». L‟écrivain Ivan Tourguéniev, grand connaisseur de la
nature russe du XIXe siècle, les adorait pourtant.
Chez les feuillus de petite taille, c‟est le Sorbier (riabina) qui est le plus
chargé de valeurs positives dans l‟esprit russe. Concrètement, ses fruits, les
sorbes qui contiennent plus de vitamine C que le citron (Utkin et al., 1995), sont
appréciés en confiture, en compote, en gelée, en fourrage de gâteau, en liqueur
(Tissot et al., 1884).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 18 Sorbiers sibériens
Preuve de la pauvreté floristique de la taïga, le nombre d’espèces pour chaque genre est très
réduit. Le genre Sorbus compte le Sorbier commun en Europe et le Sorbier sibérien plus à l’est. La
photographie représente ce dernier, la sibirskaïa riabina des Russes, de taille plus petite que
l’espèce européenne. La grappe de sorbes, caractérisée par sa forme bombée (chtchitkovidnaïa
grozd, grappe en bouclier, des Russes) montre des fruits de couleur rouge-orangé. Les feuilles sont
très allongées et dentelées. Le Sorbier est chargé de valeur positive dans l’esprit russe.

250
« Parmi les arbres détestés à cause de leur histoire figure essentiellement le tremble (osina),
sans doute en raison des légendes issues des Evangiles et des textes apocryphes. A la question :
„quel est l‟arbre maudit qui bruit sans qu‟il y ait de vent ?‟, tout le monde sait qu‟il faut répondre
le tremble. La raison en semble évidente, car, nous l‟avons vu, le tremble est maudit depuis que
Judas s‟y serait pendu… » (Conte, 1997, p. 141).
165
Les Sorbiers forment aussi les arbres à miel parmi les plus renommés
pour les consommateurs, du moins ceux qui préfèrent ce produit quand son
arôme est corsé et sa couleur foncée. Son bois se polit bien et la riabina sert tout
particulièrement à la fabrique de meubles cannés et de claies de toutes sortes,
les plétionki. Sous son aspect symbolique, le Sorbier est un arbre pur, qui écarte
les forces du Mal et, dans plusieurs régions russes et ukrainiennes, il
représentait, à l‟instar du Bouleau, un arbre humain, qui pouvait saigner si on
l‟abattait (Conte, 1997).

1.3. Un monde animal limité par les contraintes alimentaires


La forêt boréale ne fournit pratiquement pas de feuilles, mais des
aiguilles, ni de fruits facilement comestibles, mais des cônes, qu‟il faut savoir
décortiquer. Toute la chaîne trophique et le développement de la faune
dépendent de ce double problème initial.

1.3.1. Les animaux adaptés à une forêt aciculifoliée

Les insectes, à la fois utiles et destructeurs

Les conifères étant résineux, poisseux251, le nombre d‟insectes capables


de les attaquer est nettement plus faible que dans les forêts de feuillus. Certains
sont cependant adaptés à la vie dans la taïga. Ils sont utiles en ce sens qu‟ils
forment un premier maillon de la chaîne alimentaire, puisqu‟ils seront mangés
par des insectivores eux-mêmes dévorés par des prédateurs. Cependant,
quelques-uns causent de gros dégâts à la taïga.
Les mouches à scie (Tenthredinoidea, pililchtchiki) forment un groupe
d‟insectes capables de se nourrir d‟aiguilles de conifères. Elles pullulent dans la
taïga, en particulier là où le Pin sylvestre est bien représenté. Cet arbre est
notamment attaqué par la mouche à scie commune du pin (Diprion pini,
obyknovenny sosnovy pililchtchik). D‟autres insectes sont des suceurs de sève,
d‟autres encore se nourrissent des graines des cônes.
Mais le problème essentiel des dégâts causés à la taïga vient de ce que
la plupart des chenilles « mangent les pousses de l‟année au débourrage des
bourgeons » (Arnould, 1991, p. 150) et agissent ainsi comme des
« défoliateurs » (id.). Si les dégâts de la tordeuse des bourgeons de l‟épinette
(Choristoneura fumiferana) sont bien connus en France puisqu‟ils concernent la
forêt boréale canadienne (Arnould, 1991), ceux de la taïga russe sont beaucoup
moins exposés dans la littérature occidentale. Les papillons de nuit de la famille
des Lasiocampidae, les kokonopriady des Russes, ont les chenilles qui
provoquent les plus grands dommages à la taïga russe, sur de grands espaces

251
Rappelons qu‟il s‟agit de la racine latine de l‟épicéa.
166
Milieux naturels de Russie
(Abdurahmanov et al., 2003, p. 290). Parmi de nombreuses espèces, le bombyx
des pins (Dendrolimus pini, sosnovy kokonopriad) est, comme le soulignait déjà
Berg (1941, pp. 58-59), particulièrement destructeur.
La gravité du problème des insectes donne lieu à des quantifications
diverses. Selon une étude du Ministère de la Protection de la Nature de la
Fédération de Russie de 1996, les insectes seraient responsables de 46 % des
dégâts causés à la forêt du pays, devant les incendies (33 %), les sécheresses
climatiques et les autres causes (GEO PNUE, 2002). Mais, selon Maksimov
(2007), les insectes seraient à l‟origine de 13 % des destructions de la forêt
russe, loin derrière les incendies (70 %). La différence entre destruction et
dommage pourrait expliquer la contradiction apparente de ces chiffres.
Toujours est-il que, face à ces problèmes, les
insectivores (nassékomoïadnyé) de la taïga acquièrent une utilité d‟autant plus
grande pour les sociétés humaines et doivent être protégés. Ce sont
essentiellement des oiseaux, par exemple les fauvettes (Sylvia, slavki), le pic-
noir (Dryocopus martius, tchiorny diatel ou, simplement, jelna), plusieurs
espèces de mésanges.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 19 Un insectivore de la taïga : le pic-noir
Appelé diatel par les Russes, le pic-noir (Dryocopus martius) est l’un des principaux oiseaux de la
taïga. Comme tous les insectivores, sa présence est importante en été, quand la nourriture est
abondante. Ce spécimen empaillé vient du musée du village de Khoujir.

Il faut ajouter à ces oiseaux quelques rares mammifères insectivores,


comme la musaraigne carrelet (Sorex araneus, obyknovennaïa bourozoubka), la
musaraigne naine (Sorex minutissimus, krochetchnaïa bourozoubka) et la
167
sérotine boréale (Eptesicus nilssoni, séverny kojanok), seule chauve-souris
vivant dans la taïga. Tous ces insectivores sont présents pendant la saison
chaude, quand leur nourriture est abondante, mais la difficulté, pour eux, est
celle de l‟hiver (cf. infra), quand les insectes sont cachés à l‟état de larves sous
terre ou dans les fentes des écorces, ou bien encore sont enfermés dans un
cocon.

Les oiseaux mangeurs d’aiguilles ou de pignes

Les produits de la taïga étant peu abondants, durs et englués de résine,


le nombre d‟espèces d‟oiseaux ayant pu s‟adapter à ce régime est assez réduit.
Mais ils forment un maillon essentiel de la chaîne trophique.
Les plus connus sont les plus gros des gallinacés, les tétras. Leur
système digestif est capable d‟assimiler les bourgeons et les aiguilles, bien
qu‟ils préfèrent de loin les baies. Le plus ubiquiste est le tétras-lyre (Lyrurus
tetrix), que les Français appellent usuellement le petit coq de bruyère, le coq des
bouleaux ou le coq de montagne. Cet oiseau, sans doute le plus communément
chassé de la taïga, est appelé par les Russes de plusieurs manières, par exemple
tchernych, bériozovik, tétérév et les dérivés de ce dernier nom, tétérév-kossatch
et polévoï- tétérév. Dans toute la taïga sempervirente, on trouve aussi le grand
coq de bruyère, ou grand tétras (Tetrao urogallus), que les Russes nomment le
gloukhar commun. A l‟est de l‟Iénisséï, il disparaît progressivement pour laisser
la place au grand tétras des pierres (Tetrao parvirostris), qui peuple la taïga de
mélèzes de la Sibérie Orientale et de l‟Extrême-Orient. C‟est le kamenny
gloukhar des Russes. Les gloukhari ont été tellement chassés qu‟ils deviennent
assez rares, beaucoup plus en tout cas que le tétras-lyre. Ils sont protégés dans
les réserves naturelles et certaines d‟entre elles se sont fait une spécialité de
repeuplement de la taïga à partir d‟élevages. La principale, au nord-ouest du lac
artificiel de Rybinsk, se trouve être le Darvinski zapovednik.
Les petits gallinacés sont dominés par la gelinotte (Tetrastes bonasia,
riabtchik), qui peuple l‟ensemble de la taïga russe, tout en préférant les
pessières les plus humides. En Extrême-Orient, la gelinotte falcipenne
(Falcipennis falcipennis, dikoucha ou bien tchiorny riabtchik) est un gallinacé
capable de se nourrir facilement d‟aiguilles, du moment qu‟il s‟agit d‟Epicéas.
Celle du Cèdre peuvent éventuellement lui convenir. Son aire de répartition,
déjà naturellement peu étendue, s‟est réduite du fait des incendies et des
défrichements, si bien que sa chasse est désormais interdite.
Les autres oiseaux adaptés à la taïga sont des granivores spécialisés
dans l‟extraction des pignes des cônes. Parmi d‟autres, le bec-croisé des sapins
et le casse-noix moucheté sont deux espèces caractéristiques. Le bec-croisé des

168
Milieux naturels de Russie
252
sapins (Loxia curvirostra, kliost-iélovik) possède un bec dont les deux
mandibules se chevauchent et sont actionnées par des muscles particulièrement
puissants. L‟oiseau peut ainsi arracher les écailles des cônes et en retirer les
graines. Le casse-noix moucheté (Nucifraga caryocatactes, kedrovka253) a,
quant à lui, un bec simple, mais très robuste avec lequel il martèle les cônes
pour en extraire les pignes254.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 20 Un granivore spécialisé dans l’extraction des pignes : la kedrovka
Le casse-noix moucheté (Nucifraga caryocatactes) est un oiseau de la forêt boréale, que les Russes
nomment kedrovka, car il est fréquent dans la taïga de cèdres. Sur ce spécimen empaillé du Musée
d’histoire de la ville de Chélikhov, le puissant bec, qui martèle les cônes pour en faire sortir les
pignes, est bien visible.

Le dernier type d‟oiseaux vivant dans la taïga est celui des granivores
n‟ayant pas d‟adaptation particulière, qui se contentent d‟attendre que les cônes
s‟ouvrent d‟eux-mêmes. Parmi eux, le geai, granivore des forêts de feuillus
comme de conifères, est très répandu dans la taïga.

252
Traditionnellement appelé ainsi en français, il est dit bec-croisé des épicéas en russe et préfère
les forêts sombres. D‟ailleurs, une autre espèce, moins répandue, peuple plutôt la taïga claire, le
bec-croisé des pins (Loxia pytyopsittacus, kliost-sosnovik).
253
Le mot russe désignant le casse-noix moucheté est formé sur la racine du cèdre, car il se
complaît dans la taïga de Pins de Sibérie, que les Russes appellent « cèdres ».
254
« Un autre cri strident me fit reconnaître un casse-noix sibérien et bientôt je pus le voir, lourd,
à la grosse tête et au plumage bigarré. Grimpant agilement le long des arbres, il écalait des
pommes de sapin » (Arseniev, 1921, chap. 8 « A travers la taïga »).
169
Les rongeurs, l’ écorce et la décortication des cônes

Les rongeurs (gryzouny) sont des seuls mammifères capables de


consommer couramment des écorces de conifères et même, pour certains
d‟entre eux, quand la nourriture vient à manquer, des aiguilles. Le plus gros
d‟entre eux se trouve être le castor (Castor fiber, bobr), qui se repaît des écorces
de tous les feuillus de la taïga, que ce soient les Saules, les Bouleaux ou les
Peupliers, avec une prédilection pour le tremble. Il habite la taïga ripuaire,
surtout les berges des cours d‟eau les plus larges et les plus profonds, et c‟est
pourquoi le Russes l‟appellent souvent le retchnoï bobr (retchnoï signifiant
fluvial). Chassé depuis longtemps pour sa fourrure, d‟autant qu‟il habitait les
voies de pénétration fluviales de la conquête des terres russes, le castor était
devenu au début du XXe siècle une espèce rare dans la taïga. Des mesures de
protection ont fait remonter sa population à 260 000 individus dans les années
1990. Sa chasse est donc de nouveau autorisée, mais limitée à 10 000 individus
par an, pour la pelleterie et pour l‟utilisation en parfumerie de la sécrétion de
certaines de ses glandes. En Russie comme dans d‟autres pays, le castor a donné
lieu à de nombreuses légendes, par son comportement qui, à certains égards,
comme l‟abattage des arbres et la construction de barrages, fait penser à celui de
l‟homme255.
Mais la principale qualité de beaucoup d‟autres rongeurs de la taïga est
d‟être suffisamment habiles pour extraire les graines des cônes. L‟écureuil roux
d‟Europe (Sciurus vulgaris), la belka commune des Russes, qui peuple toutes
les forêts eurasiatiques, y compris celles de feuillus, est présent en grande
quantité dans la taïga. Il coexiste avec deux autres espèces plus spécifiques.
L‟écureuil volant d‟Eurasie256 (Pteromys volans, létiaga) peuple toute la taïga
russe, mais est beaucoup plus rare ; sa chasse est d‟ailleurs strictement interdite
dans toute la partie européenne du pays. Il est le plus répandu dans les mélézins
de Yakoutie, où sa peau est utilisée, encore qu‟assez peu, en pelleterie.
L‟écureuil de Sibérie, ou tamia rayé (Tamias sibiricus), est le seul à ne pas
exister dans la taïga occidentale. Il est en revanche très fréquent dans toute la
taïga asiatique, et son aire de répartition déborde sur le nord-est de l‟Europe, en
particulier dans le bassin de Petchora et, en partie, de la Dvina du Nord. Animal

255
L‟anecdote du blason d‟Irkoutsk appartient à cette longue liste. Jusqu‟à la fin du XIX e siècle,
les armoiries de cette ville figuraient un tigre, appelé babr. Une erreur se glissa d‟autant plus
facilement en 1880 que ce vieux terme était tombé en désuétude pour désigner le tigre de Sibérie
et babr fut retranscrit en bobr. La figuration fut alors transformée elle aussi, pour épouser la
terminologie. Un curieux mélange, sans doute lié aux mythes du castor, conduisit à dessiner un
animal fantastique, ressemblant à un castor noir ou à une martre, mais avec les yeux rouges, et
tenant dans sa gueule une zibeline héritée de la proie de l‟ancien tigre. C‟est encore aujourd‟hui le
blason d‟Irkoutsk.
256
Dit parfois polatouche en français. C‟est d‟ailleurs ainsi que le désigne le traducteur français
de Berg (1941, p. 57).
170
Milieux naturels de Russie
sympathique, affectueusement nommé bouroundouk par les Russes, c‟est avant
tout un écureuil terrestre, bien qu‟il sache grimper aux arbres avec dextérité.

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 21 Le principal rongeur de la taïga sibérienne, le bouroundouk
Ce spécimen empaillé de bouroundouk au Musée du village sibérien de Bolchié Koty est mis en
scène agrippé à un tronc. Bien qu’habile grimpeur, il s’agit cependant d’abord d’un écureuil
terrestre. Comme tous les rongeurs de la taïga, il est capable d’extraire les graines de cônes, afin
de se nourrir. Le bouroundouk est aussi appelé en français écureuil de Sibérie, ou tamia rayé
(Tamias sibiricus).

Il se nourrit moins des graines de cônes que les deux précédents et


recherche d‟abord les baies. Il occupe une place très secondaire en pelleterie,
d‟autant que les chasseurs s‟entendent pour le préserver comme l‟un des mets
favoris des prédateurs sur lesquels les tireurs ont leurs principales visées.

1.3.2. Les herbivores consommant les produits des clairières

La taïga abrite un certain nombre d‟herbivores qui ne se nourrissent pas


directement des produits des conifères, mais dont la nourriture se trouve dans
les clairières et auxquels la taïga sert d‟abri.
Les petits herbivores sont les plus nombreux. Plusieurs espèces de
campagnols de lièvres forment les principaux peuplements, qui, si la végétation
herbacée est introuvable, se contentent d‟écorces. Parmi les trois espèces de
171
lièvres de la taïga russe, le lièvre variable (Lepus timidus, zaïats-béliak) est le
plus ubiquiste et on le trouve partout.
Les grands herbivores forment les cervidés de la taïga, dont le plus
imposant se trouve être l‟élan (Alces alces). Il s‟agit de la même espèce que
l‟orignal de la taïga canadienne, mais les Russes l‟appellent loss, ou, plus
longuement, sokhaty loss (l‟élan à cornes). Il se complaît dans les clairières
marécageuses de la taïga, où il se nourrit de toutes les plantes aquatiques, mais
il consomme aussi beaucoup les jeunes pousses d‟arbre, notamment des Pins,
Sapins, Saules et Peupliers trembles. Il s‟agit d‟un animal largement chassé, non
seulement pour sa chair savoureuse et son cuir de qualité, mais aussi pour les
loisirs. Certaines réserves naturelles le protègent tout particulièrement,
notamment, dans la république des Komi, le Petchoro-Ilytchski Zapovednik.
Cette réserve, fondée en 1930, a aussi développé l‟élevage d‟élans dans des
fermes. D‟autres cervidés, comme le chevrotin porte-musc, sont moins
ubiquistes et ne peuplent que certaines parties de la taïga (cf. infra).

1.3.3. Les prédateurs de la taïga

Les oiseaux, rongeurs et herbivores de la taïga, capables de se nourrir


directement des produits des conifères ou des clairières, permettent à leur tour
aux carnivores de peupler la taïga russe.

Les mustélidés

Les mustélidés (kouni) forment la plupart des petits carnivores de la


taïga. L‟essentiel de leur nourriture est composé de petits mammifères et
d‟oiseaux, mais ils dédaignent pas les baies en cas de besoin. Leur fourrure,
d‟ailleurs à l‟origine de la conquête de la Sibérie par les Russes, a été une cause
de leur chasse systématique, qui, pour certaines espèces, avait provoqué une
baisse dramatique du nombre d‟individus, avant que des mesures de protection
ne fussent prises (cf. infra). Les deux principaux genres représentés sont
Mustela, qui regroupe belettes, hermines, putois et visons, et Martes, auquel
appartiennent les martres et la zibeline.
Les espèces du genre Mustela chassent à terre et dévorent surtout les
petits rongeurs, notamment la belette (Mustela nivalis, laska), qui raffole des
musaraignes et campagnols. L‟hermine (Mustela erminea, gornostaï), plus
grosse, s‟attaque aussi aux lapins. Le putois d‟Europe (Mustela putorius,
tchiorny khor ou bien lesnoï khor, tchiorny khoriok, lesnoï khoriok), plus
corpulent encore, est un habitué des forêts mixtes, mais il vit parfaitement dans
la taïga de Russie d‟Europe. Il s‟accommode bien de l‟occupation humaine,
tuant les rongeurs domestiques des villages de la taïga. Le putois de Sibérie
(Mustela sibirica, kolonok) préfère avant tout chasser le bouroundouk, mais ne
dédaigne aucun autre petit rongeur et s‟attaque plus facilement aux oiseaux que
172
Milieux naturels de Russie
son congénère européen. Enfin, le vison d‟Europe (Mustela lutreola,
evropéïskaïa norka), chasse tous les rongeurs, mais se délecte des poissons et
écrevisses. De fait, le vison peuple de préférence la taïga alluviale et, plus
rarement, la forêt marécageuse.
Les espèces du genre Martes, que les Russes regroupent couramment
sous le nom de kounitsy, chassent plutôt dans les arbres et s‟attaquent aux
écureuils et aux oiseaux de la taïga. Bien que la fouine (Martes foina, kamenaïa
kounitsa), animal des forêts de feuillus, déborde sur le sud-ouest de la forêt
boréale russe, ce sont deux autres espèces qui forment le peuplement principal
en martres de la taïga. A l‟ouest, la martre commune (Martes martes, lesnaïa
kounitsa) est la plus répandue, surtout dans les vieilles forêts d‟Epicéas, denses
et sombres. A l‟est, la zibeline (Martes zibellina, sobol) à l‟épaisse fourrure et
aux sols plantaires poilues, a failli être exterminée au début du siècle dernier
pour les besoins de la pelleterie. Une quatrième espèce, la martre à gorge jaune
(Martes flavigula, kharza), est cantonnée à la taïga montagnarde du sud de
l‟Extrême-Orient, en particulier dans la chaîne de Sikhotè-Alin. Ce mustélidé,
originaire des forêts subtropicales chinoises et coréennes, trouve ici l‟extrémité
septentrionale de son aire de répartition.
Le glouton (Gulo gulo, rossomakha), de taille plus importante, est le
seul mustélidé ne pouvant être considéré comme un petit carnivore. Son régime
alimentaire est à base de tétras, mais il s‟attaque aussi aux plus gros rongeurs,
comme le castor, et même aux grands cervidés. Il se conduit fréquemment tel un
charognard des gros carnivores comme l‟ours.

Les gros carnivores

Les canidés (voltchi) sont les plus nombreux. Le renard (Vulpes vulpes,
lissitsa), dont on connaît les capacités d‟adaptation, est évidemment
extrêmement répandu et la population russe est estimée à 470 000 individus,
dont la plupart se trouvent dans la taïga. Sa taille ne peut cependant permettre
de le ranger dans les grands prédateurs. C‟est en revanche le cas du loup (Canis
lupus, volk). Celui-ci s‟alimente surtout de petites proies et on sait par exemple
que les meutes ne s‟attaquent aux élans que dans le cas d‟individus isolés ou
malades. De ce point de vue, c‟est sans doute le meilleur régulateur de la faune
taïgienne et les parties de la taïga où il a été exterminé souffrent d‟une chaîne
trophique déséquilibrée. La population est estimée à 22 000 têtes par Utkin et
al. (1995), avec une répartition géographique déportée vers l‟est, dans le sens de
l‟avancée des hommes, et vers le nord, dans la toundra boisée.
Les autres grands prédateurs ont eux aussi été repoussés vers l‟est, et
peuplent avant tout les forêts taïgiennes de Sibérie orientale et d‟Extrême-
Orient. C‟est le cas du lynx (Felis lynx, ryss), dont la population russe est

173
estimée à 46 000 individus, et de l‟ours brun (Ursus arctos, boury medvéd257),
qui compte 140 000 têtes. Carnivore pur, le lynx a une alimentation d‟abord
fondée sur le lièvre variable, mais il dévore tous les petits rongeurs ; les oiseaux
forment une part substantielle de sa nourriture. L‟ours brun est quant à lui
omnivore258, mais les rongeurs constituent, dans la taïga russe, l‟essentiel de son
alimentation. Il n‟est bien entendu pas possible de consacrer la place qui
reviendrait à ces animaux emblématiques sous un volume si réduit.
Le tigre (Panthera tigris, tigr) ne doit être mentionné qu‟à titre
symbolique259. Réfugié dans la taïga méridionale de l‟Extrême-Orient et de
Transbaïkalie, il compte 450 individus selon le recensement de 2006. Sa chasse
est strictement interdite depuis 1947 et il est spécialement protégé dans les deux
réserves naturelles des monts Sikhotè-Alin créées en 1935, celle du même nom
et celle de Lazov. Un nouveau parc national a été créé en février 2008 pour
ajouter à la protection. Nommé zov tigra (l‟appel du tigre), ce parc s‟étend sur
82 200 ha dans le Sikhotè-Alin260. Le tigre n‟est cependant pas seulement un
animal d‟aire protégée. Chaque année, en fin d‟hiver, les autorités d‟Extrême-
Orient lancent des appels à la prudence, quand les tigres rôdent à proximité de
certains villages isolés.

Les rapaces

La taïga compte de nombreux rapaces nocturnes, dont plusieurs sont


communs avec les forêts de feuillus, comme la chouette hulotte (Strix aluco,
obyknovennaïa néïassyt). Celle-ci ne peuple d‟ailleurs que le sud-ouest de la
taïga russe. Parmi ceux qui sont spécifiques à la taïga, la chouette lapone (Strix
nebulosa, borodataïa néïassyt) est le plus gros de tous les strigiformes261 de
Russie et préfère la taïga septentrionale, ou au moins la taïga moyenne.

257
En russe, le nom de l‟ours est ancestralement tabou, si bien qu‟il est désigné par une
périphrase. Le nom slave d‟origine a ainsi été oublié au profit du « mangeur » (ed) « de miel »
(med). Sakhno (2001, p. 162) note que, pour la même raison, les langues germaniques ont
contourné le nom initial en l‟appelant « le brun » (bear en anglais, björn en suédois, Bär en
allemand), qui se retrouve en russe dans le nom désignant la tanière de l‟ours (berloga).
258
D‟ailleurs, la variété de son régime alimentaire serait l‟une des causes de sa considération par
les Russes comme l‟animal le plus humain. Qui plus est, « il est gourmand et ne mange pas de
charogne » (Conte, 1997, p. 174).
259
Il ne faut cependant pas négliger cet aspect culturel. Arséniev (1921) rappelait combien les
Nanaïtsy ne craignait qu‟un animal, le tigre, et le respectaient, sûrs que ce félin comprenait la
parole humaine. Nikišin (2002, p. 90) indique que, encore aujourd‟hui, les Oudègueï prêtent
grande attention au tigre. Tout enfant entend de ses parents l‟adage : « Si tu rencontres un tigre,
passe ton chemin » (« Vstrétich tigra, oustoupi dorogou »).
260
Le 31 août 2008, Vladimir Poutine a rendu visite aux scientifiques qui étudient et protègent le
tigre de Sibérie, dans la continuité de l‟intérêt porté au plus haut niveau de l‟Etat pour cette
espèce.
261
En plus du terme scientifique de sovoobraznyé, l‟exact équivalent russe de l‟ordre des
strigiformes, le russe possède le nom vernaculaire de sovy, qui désigne dans la langue courante
174
Milieux naturels de Russie
Parmi les rapaces diurnes de la taïga, l‟autour (Accipiter gentilis) est
caractéristique des prédateurs chassant à partir de la cime des arbres et
s‟attaquant avant tout aux oiseaux des frondaisons, mais aussi aux écureuils et
même à certains mustélidés. En ce sens, son nom russe usuel, le tétéréviatnik,
est usurpé, car sa proie principale n‟est certainement pas le tétérev, puisque le
tétra-lyre vit largement au sol. Son nom était plus juste en vieux russe, quand il
était appelé goloubiatnik, puisque les goloubi (pigeons) forment une grande part
de son alimentation. Quoi qu‟il en soit, les scientifiques l‟appellent plutôt
bolchoï yastreb.
En revanche, les éperviers et certains faucons chassent beaucoup plus
bas. La géographie des rapaces conduit ainsi naturellement à une caractéristique
générale de la faune taïgienne, son étagement.

1.3.4. Une zoogéographie stratifiée

Depuis les géographes pionniers que furent N.A. Sévertsev et L.S. Berg,
la Russie a développé une école scientifique de grande renommée en
zoogéographie, qui a commencé bien entendu par les études zonales à petite
échelle cartographique, puis la répartition en régions à moyenne échelle, mais a
aussi développé, dans le cas des forêts, une étude des strates faunistiques à
grande échelle262.
« La répartition étagée des animaux » (yarousnoïé rasprédélénié
jivotnykh de Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 186, ainsi que de Marčenko et
Nizovcev, 2005, p. 172) de la grande forêt russe comporte l‟étage de la litière
(potchvenno-podstilotchny yarouss), l‟étage inférieur263 (nijni yarouss) et
l‟étage arboré (drévesny yarouss).
L‟étage de la litière comprend des insectes vivant dans les couches
supérieures du sol, certaines chenilles, des vers, des escargots et limaces. Les
vers de terre (zemlianyé tchervi), dont on connaît l‟importance pour l‟aération
du sol, sont considérablement moins nombreux sous la taïga que sous les forêts
de feuillus. Dans la taïga riche en Bouleaux et en Peupliers, on ne dépasse pas
50 individus par mètre carré264, dans les pessières européennes, on en compte
moins de 20 et moins encore dans la taïga sibérienne (Utkin et al., 1995). La
pauvreté spécifique est aussi caractéristique, puisque Eisennia nordenskioldi est
pratiquement la seule espèce de la taïga sibérienne. Dans la strate de la litière,

l‟ensemble des chouettes, hiboux et effraies. Plus plaisamment, rappelons que c‟était le surnom
des Soviétiques (comm. or. P. Marchand, janvier 2010).
262
Il y a là une différence épistémologique importante avec la biogéographie française qui
s‟applique, « avec une majorité écrasante », « à la part végétale de la biosphère continentale »
(Rougerie, 2006, p. 126).
263
Ou « étage au sol » (nazemny yarouss) d‟autres auteurs, comme Abdurahmanov et al. (2003, p.
289)
264
Soit quatre fois moins que dans une banale forêt de feuillus.
175
les principaux mammifères sont les zemléroïki et les bourozoubki, toutes
espèces que le français regroupe sous le nom de musaraignes. Elles passent leur
temps à chasser les insectes à travers le tapis d‟aiguilles et dans les galeries
souterraines creusées par d‟autres animaux.
L‟étage inférieur est occupé par des animaux qui foulent le sol pendant
l‟essentiel de leur vie, des rongeurs, des ongulés, des carnivores, petits et
grands. C‟est aussi le cas de certains oiseaux. Tous ces animaux sont des
terricoles forestiers.
L‟étage arboré est occupé par la plupart des oiseaux, mais les
mammifères n‟en sont pas absents, comme l‟écureuil roux d‟Europe et
l‟écureuil volant d‟Eurasie, ainsi que les différentes martres. Cependant,
contrairement aux autres forêts du monde, plus chaudes, la taïga ne comporte
pratiquement pas d‟animaux qui passent la totalité ou la très grande majorité de
leur vie dans les arbres. En effet, la nourriture, dans le milieu taïgien, se trouve
avant tout à proximité du sol. De Martonne et al. (1955, p. 1399) faisaient déjà
remarquer que « dans les régions tempérées, les forêts de Conifères ou d‟arbres
à feuilles caduques abritent très peu de vrais arboricoles, sans doute à case de la
rareté des fruits succulents ».
Plus largement, l‟un des moindres intérêts de cette zoogéographie
stratifiée n‟est pas la mouvance d‟un étage à l‟autre. C‟est ainsi que le lynx,
félin de l‟étage inférieur, passe tout de même beaucoup de temps dans la strate
arborée. L‟écureuil rayé de Sibérie, habile grimpeur très à l‟aise dans l‟étage
arboré, passe pourtant l‟essentiel de son temps à même le sol. Les gallinacés
font leur nid dans l‟étage inférieur, mais vont chercher leur nourriture dans la
strate arborée. Quant à la zibeline, elle hésite tant entre les étages qu‟on dit
souvent de son mode de vie qu‟il est semi-arboré.
En conclusion de cette première partie, la taïga russe est une forêt
aciculifoliée couvrant environ 750 millions d‟hectares et représentant près des
trois quarts de la forêt boréale mondiale, ailleurs beaucoup plus défrichée.
Malgré sa pauvreté naturelle en biomasse, en productivité et en biodiversité, elle
fournit un bois dur, appréciée des constructions traditionnelles locales, tout en
permettant à la Russie d‟être un grand exportateur de grumes à l‟étranger. En
revanche, ce pays fournit peu de produits dérivés et n‟occupe qu‟une place très
secondaire dans le secteur du papier. A côté des parties exploitées, en général de
façon extensive, mais, depuis une quinzaine d‟années, de façon intensive par
endroit, plus d‟un cinquième de sa surface est protégé sous divers statuts, dont
le plus strict est celui de zapovednik. Dans la partie asiatique de la Russie, plus
de deux millions de kilomètres carrés de forêt sont pratiquement vierges. Une
étude zoogéographique est ici possible et pertinente. Elle dévoile une chaîne
complète, qui s‟organise en réponse à la contrainte initiale de la fourniture
d‟aiguilles et de cônes plutôt que de feuilles et de fruits. A l‟importante question
de décrire, sans complaisance, la situation de la taïga russe, les études
quantifiées et argumentées sur la Russie, doublées des travaux comparatifs

176
Milieux naturels de Russie
permettant de recadrer celle-ci à l‟échelle des forêts boréales de la planète,
répondent que l‟état écologique est plutôt bon265, tandis que le bilan
économique est assez faible. Une étude récente de l‟ambassade de France en
Russie résume remarquablement le lien entre les deux, donc le bilan complet, en
écrivant que « l‟abattage de bois est de l‟ordre de 120 M m3/an, soit 3 fois
moins qu‟à la fin des années 80 et moins que le renouvellement naturel des
ressources. En principe, la Russie pourrait donc multiplier par quatre ou cinq sa
production sans préjudice pour l‟écologie » (Doroch, 2007, p. 1). Pour mieux
comprendre s‟il est possible d'accroître les quantités prélevées sans risque
majeur, il est cependant nécessaire de connaître les causes naturelles,
climatiques et pédologiques, de la pauvreté de la taïga, ainsi que les menaces
qui pèsent sur elle, en particulier celles d‟incendies.

2. Une forêt zonale de milieu continental, marquée par le feu, le gel et


la pauvreté des sols

« Six mois de mort apparente pendant lesquels les fleuves contractés


sont emprisonnés sous la glace, l‟éclatement de la roche est ajourné jusqu‟au
printemps, les échanges gazeux des grands conifères sont arrêtés tandis que
l‟ours titube dans un semi-sommeil. » (Birot, 1968, p. 235). « Les taïgas sont
des forêts extrêmement différentes d‟apparence entre l‟hiver et l‟été » (Pech et
Regnauld, 1992, p. 353). La taïga est une formation végétale marquée par les
grands contrastes saisonniers du climat continental, mais aussi par une
croissance sur des sols pauvres et lessivés qui, en Russie, surmontent comme
nulle part ailleurs un pergélisol encore très présent.

2.1. La taïga, le climat tempéré continental et les incendies

La forêt boréale est la formation végétale caractéristique du milieu


tempéré continental, souffrant de la sécheresse et adaptée à un hiver long et
rigoureux, mais, à l‟inverse, profitant d‟un véritable été, différence essentielle

265
D‟autres études font cependant état d‟une situation écologique de la taïga russe très mauvaise :
« un bilan très inquiétant […]. L‟exploitation brutale des milieux a provoqué de graves
transformations de l‟environnement allant de la pollution […] à la destruction des forêts. […]
D‟énormes menaces pèsent donc sur les forêts […]. Bien entendu la déforestation n‟est qu‟un
exemple de la dégradation des écosystèmes […]. Les forêts renferment (encore…) une vie
animale très riche mais la surexploitation est générale car diverses productions officielles ou
frauduleuses contribuent à détruire les écosystèmes » (Paulet, 2007, « L‟homme et la nature en
Russie : de l‟idéologie soviétique à la crise actuelle », pp. 84-86).
177
avec le milieu de toundra, où l‟hiver n‟est pas plus froid, mais qui ne bénéficie
pas d‟une vraie saison chaude pendant laquelle les arbres pourraient accomplir
leurs fonctions vitales.

2.1.1. La sécheresse et les feux de taïga

Les précipitations annuelles sont faibles, presque partout comprises


entre 250 et 700 mm, mais le régime de maximum estival et la relative
indigence des prélèvements par évaporation ne rendent pas trop gênante cette
faiblesse du total pluviométrique pour l‟alimentation des arbres. En revanche,
elle favorise les gigantesques incendies de forêt (lesnyé pojary), qui dévastent
d‟énormes superficies chaque année. Les dégâts économiques sont
considérables en terme de perte de la ressource végétale, notamment en bois, et
perte de la ressource animale, notamment en fourrure. Les dommages sont aussi
indirects. Par exemple, en 1998, les incendies de taïga ont été si importants
qu‟ils ont provoqué en maints endroits une telle élévation de la température de
l‟eau que la reproduction du saumon en a été affectée (Shvidenko et
Goldammer, 2001). En outre, en cette période de chasse mondiale aux
émissions d‟aérosols dans l‟atmosphère, il est malvenu que les incendies de
forêt russes rejettent chaque année dans la troposhère environ 40 millions de
tonnes de carbone (Mašukov, 1999).
Le feu fait certes partie du fonctionnement naturel de la taïga, qui a
toujours existé. Ces morceaux de taïga réduits en cendre ont toujours été si
importants qu‟il existe même, en russe, un mot spécial pour désigner ces
terrains dévastés, les gari. Ce sont les feuillus, notamment les Bouleaux et les
Peupliers trembles, qui colonisent les premiers ces terrains brûlés. La foudre,
surtout en Sibérie orientale, en est une cause importante. Les températures
parfois élevées du court été provoquent le dessèchement des cimes, augmentant
le risque d‟incendies de couronne, dont les dégâts sont supérieurs à ceux des
feux superficiels ne touchant que le sous-bois. Relatant les événements
marquants de l‟année 6600, c‟est-à-dire de 1092 selon notre calendrier actuel,
un moine de Kiev écrivait déjà : « cette même année il y eut une telle sécheresse
que la terre s‟enflamma et que beaucoup de forêts de pins et même des
marécages brûlèrent » (Nestor, 1113, traduction de J.-P. Arrignon, 2008, p.
231).
Cependant, les causes anthropiques, ont fortement accru le phénomène
et l‟ont largement dépassé. D‟ailleurs, il est manifeste que la conquête de la
Sibérie par les Russes a augmenté les peuplements de bouleaux au détriment
des conifères, en parallèle avec l‟augmentation des défrichements et des

178
Milieux naturels de Russie
266
incendies . Même après un temps assez long, on reconnaît en effet les terrains
anciennement brûlés par l‟importance des feuillus de ces forêts secondaires.
Aujourd‟hui, selon les études précises de Davidenko (2001), les incendies de la
taïga russe ont des causes anthropiques avérées pour 63 % d‟entre eux, dont la
plupart sont des négligences, contre seulement 19 % pour la foudre. Les 18 %
restant, dits de cause inconnue, sont d‟ailleurs sans doute des cas non prouvés
d‟origine humaine. Dans une étude certes moins spécialisée, Utkin et al. (1995)
estiment quand même à 90 % l‟ensemble des départs de feu qui ne sont pas
naturels. Valendik (1995) a montré que les feux se développaient d‟abord dans
les régions de la taïga les plus peuplées.
Le résultat sur les surfaces dévastées est éloquent. Pierre Camena
d‟Almeida (1932) rapporte que, pendant l‟été 1915, il est vrai particulièrement
chaud et sec, la taïga sibérienne à elle seule a brûlé sur 140 000 km². V.B.
Chostakovitch cartographia les incendies qui se propagèrent cette année-là sur
plus de 2 200 km d‟ouest en est, depuis l‟Irtych jusqu‟à la haute Toungouska
Pierreuse.

266
Les indigènes avaient, paraît-il, intégré culturellement cette menace par une symbolique de la
progression de l‟arbre blanc, représentant l‟avancée des troupes du tsar en Asie, et le recul du
conifère, représentant le repli des populations sibériennes (Reclus, 1881).
179
Fig. taïga 13 : Carte des incendies de la taïga sibérienne en année sèche

Les autres années catastrophiques furent 1925, 1927, 1962 et 1971


(Rakovskaja et Davydova, 2003). Sur la longue durée, il semble qu‟on puisse
résumer la situation russe par une moyenne 10 à 15 000 km² de superficie
annuellement dévastée (Utkin et al., 1995) Si l‟on prend les statistiques
officielles267 des vingt deux années allant de 1985 à 2006, la Russie dans son
ensemble voit brûler en moyenne 10 543 kilomètres carrés de forêt chaque
année. Les articles scientifiques de la période eltsinienne donnaient des chiffres
et des interprétations alarmistes. Certains avançaient des superficies annuelles
de 20 à 30 000 km² (Mašukov, 1999), plus élevées que les chiffres officiels.
Même selon ces derniers, il est vrai que la décennie 1990 a vu les feux
progresser, jusqu‟à atteindre le record officiel de 25 969 km² en 1998
(Maksimov, 2007).

267
Chiffres de Rosstat et de Rosleskhoz, rapportés par Maksimov (2007).
180
Milieux naturels de Russie
S‟appuyant sur une étude fine, non pas des superficies totales, mais des
surfaces brûlées sur la seule partie forestière soumise à la protection aérienne
régulière268 de 1979 à 1997, E. Davidenko (2001) conclut que les feux de taïga
ont augmenté de 20 % dans la décennie 1990 par rapport à la décennie 1980.
Selon lui, la crise économique et la baisse des moyens de surveillance et de lutte
pendant la période eltsinienne expliquent en partie269 la croissance du
phénomène. Pourtant, les années 2000 ont été tout aussi dévastatrices et 2003 a
vu brûler 23 528 km². A dire vrai, l‟irrégularité interannuelle est grande et la
situation climatique reste un élément fort d‟explication.
Fig. taïga 14 : Graphique des superficies annuelles de forêt brûlée en Russie

Les incendies seraient d‟ailleurs susceptibles d‟augmenter encore dans


les décennies à venir, en lien avec le réchauffement global. Les modélisations
du Centre d‟études des problèmes d‟écologie et de productivité des forêts de
l‟Académie des sciences Russe prévoient une multiplication des surfaces
incendiées chaque année d‟une fois et demi à deux fois, si la température
moyenne augmente de 2°C en un siècle. L‟allongement de la saison chaude,
l‟assèchement de l‟air et l‟augmentation du nombre d‟orages se combineraient
alors, mais ce scénario n‟est pas accepté de tous, surtout celui de l‟assèchement
atmosphérique.

268
Sur cette période de 19 ans, les superficies brûlées extrêmes vont de 1 514 km² en 1983 à
17 895 km² en 1996.
269
Dans le même temps, ils augmentaient cependant de 40 % en Europe de l‟Ouest selon la FAO.
181
La Sibérie centrale et orientale est la partie de la taïga russe la plus
régulièrement affectée par les incendies. Déjà en 1898, quand J. Stadling
traversa toute la Sibérie, ce fut au nord-ouest d‟Irkoutsk qu‟il observa le plus de
feux270. Aujourd‟hui, dans l‟oblast d‟Irkoutsk, ce sont chaque année 3 000 à
4 500 km² de taïga, notamment de pinèdes, qui brûlent annuellement (Bojarkin,
2000, p. 106). Le kraï de Krasnoïarsk et l‟oblast de Tchita sont aussi très
touchés.
Fig. taïga 15 : Carte des incendies de forêt en Sibérie orientale, l’exemple du 13 mai 1996 en
Baïkalie

270
« Entre Touloun et Irkoutsk, notre voyage se poursuivit nuit et jour. Le jour, le soleil était
obscurci quelquefois par des nuages de fumée, et, la nuit, la forêt était éclairée, çà et là, par des
incendies » (Stadling, 1904, p. 322).
182
Milieux naturels de Russie
La plus méridionale de toutes, la région de Tchita souffre des incendies les
plus tardifs de la saison. En 2007, exceptionnellement, les pompiers avaient
encore à lutter contre plusieurs dizaines d‟incendies de taïga au début du mois
d‟octobre.

Cliché L. Touchart, juillet 1991


Photo 22 Incendies de taïga et clairières de défrichement le long du Transsibérien
Le kraï de Krasnoïarsk est l’une des principales régions russes de feux de taïga. C’est le long de la
voie ferrée transsibérienne, en bordure des clairières de défrichement, que les départs de feu sont
les plus nombreux. La photo est prise à l’ouest de la ville de Kansk, sur la marge d’une subtaïga à
domination de Pins sylvestres.

Mais c‟est la république de Yakoutie qui subit les dommages les plus
étendus, où les lariçaies, caractérisées par leur sécheresse, brûlent sur de grands
espaces. Cependant, la reconquête forestière naturelle est rapide sur les terrains
yakoutes dévastés, car le Mélèze de Dahourie est une remarquable espèce
pyrophytique271 (Tsvetkov, 2004).
L‟Extrême-Orient russe est, après la Sibérie, l‟autre grande région
souffrant des incendies de taïga. La particularité vient de la longueur de la
saison des risques, plus grande qu‟en Sibérie. Certaines années, la saison
commence très tôt, comme en 2005, quand les premiers feux sont apparus dès la
mi-juin. Lors d‟autres années, les dégâts se poursuivent très tard. Ainsi, en
2007, une recrudescence des incendies a encore eu lieu dans la seconde
quinzaine d‟octobre, certes surtout dans la partie méridionale, le kraï de

271
Ce terme, entré dans le vocabulaire international, a été créé par le biogéographe soviétique
S.N. Sannikov en 1973, pour désigner une espèce végétale capable de s‟adapter aux nouvelles
conditions, en particulier pédologiques, des terrains brûlés et colonisant ces derniers avec facilité.
183
Primorié, mais aussi plus au nord, dans l‟oblast de l‟Amour, le kraï de
Khabarovsk et même l‟oblast de Magadan. Le semestre chaud de 2007 fut
d‟ailleurs tout entier catastrophique, la taïga extrême-orientale ayant alors brûlé
sur près de 4 400 km². La longueur de la saison des incendies dans la taïga
extrême-orientale n‟est pas un phénomène nouveau. Arseniev (1921) décrivit
par exemple un important feu dans les monts Sikhotè-Aline à la mi-octobre
1906 et il montra combien les incendies y étaient fréquents et répétés272.
La lutte contre les incendies de taïga est d‟autant plus compliquée à
mettre en œuvre en Russie que la surface à contrôler est immense. Il y aurait
chaque année dans le pays près de 30 000 feux de forêt différents (Mašukov,
1999). La moyenne de 1985 à 2006 est, selon les chiffres officiels, de 24 477
départs annuels de feux (Maksimov, 2007). Or ceux-ci sont dispersés et répartis
sur des superficies considérables, d‟où la grande difficulté de surveillance. Cette
prévention doit cependant concerner avant tout les zones peuplées, non
seulement parce que les dégâts y seront plus aigus, mais aussi parce que la
plupart des départs de feux sont d‟origine humaine.
La Russie a une grande expérience dans la prévention des feux de forêt,
en associant la surveillance effective à la recherche scientifique, d‟abord à
Léningrad pendant l‟entre-deux-guerres, puis en Sibérie. Dès sa fondation en
1958, l‟Institut Forestier de Krasnoïarsk a eu pour mission majeure la meilleure
compréhension des incendies de taïga. Le point de départ en fut la création du
laboratoire de pyrologie dans cet institut par N. Kourbatski, qui forma pendant
des décennies les meilleurs spécialistes à ce sujet. A la fin des années 1960, ils
développèrent le suivi des feux de forêt par télédétection aéroportée. La
décennie majeure fut celle des années 1970, où des moyens financiers
considérables permirent la mise en place desdits « laboratoires-volants »,
(Mašukov, 1999) sur la base d‟Antonov et d‟Iliouchine équipés pour la
télédétection et les premiers traitements informatiques par EVM273. A partir de
1974, l‟Institut utilisa aussi la télédétection satellitaire. Pendant les années 1980,
les dotations budgétaires diminuèrent, tandis que, progressivement, la
télédétection satellitaire se démocratisait. A la chute de l‟URSS, l‟Institut reçut
dès 1992 des chercheurs canadiens et américains pour échanger des
informations sur les moyens de télédétection et commença de collaborer avec la
NASA.
Aujourd‟hui, sur un quart de la taïga russe, éloigné de tout point de
peuplement, la surveillance se fait seulement par satellite, en privilégiant les
canaux permettant de suivre les décharges de la foudre. Sur les trois autres
quarts, la télédétection est aidée et précisée par des patrouilles aériennes de

272
« Nous vîmes un cerf broutant près d‟un amas de rompis qui brûlait encore. L‟animal le
franchit tranquillement pour aller mordre à ce qui restait là d‟un buisson. Les incendies fréquents
avaient apparemment si bien familiarisé les bêtes avec le feu qu‟elles ne le craignaient plus »
(Arseniev, 1921, chap. 16 « Chasse à l‟ours »).
273
L‟ancêtre soviétique des ordinateurs.
184
Milieux naturels de Russie
surveillance, gérées par Avialessokhrana (Protection Aérienne des Forêts). Bien
que, lors de la période eltsinienne, les patrouilles aériennes de surveillance
eussent été divisées par cinq, Avialessokhrana possédait en propre 73 avions en
1999 (Davidenko, 2001) et utilisait aussi d‟autres appareils, y compris des
hélicoptères, prêtés par l‟aviation civile. Enfin, des patrouilles de surveillance
au sol complètent le dispositif. L‟ensemble des données satellitaires, aériennes
et au sol alimentent un SIG, créé en 1995, afin de rassembler toutes les
informations et les traiter de manière cartographique comme aide à la décision
et au choix des unités les plus adaptées à intervenir sur le terrain pour
circonscrire ou éteindre le feu.
Si, malgré la surveillance, l‟incendie se déclare, l‟action se déplace sur
le terrain de l‟extinction du feu et du sauvetage des personnes menacées. En
dehors des moyens de lutte conventionnels au sol, la Russie possède plusieurs
types d‟aéronefs spécialisés, mobilisés par le Ministère des Situations
d‟Urgence274. Dans le cas de besoin d‟une intervention très précise, le meilleur
appareil est l‟hélicoptère. Il s‟agit d‟une part de l‟hélicoptère bombardier de
produit retardant Mi-8, qui peut déverser avec minutie 4 000 litres, d‟autre part
des hélicoptères de sauvetage Mi-26 et Ka-32. Les avions les plus légers, qui
épaulent depuis longtemps les hélicoptères dans le même type d‟opération
délicate, sont des Antonov : d‟une part l‟An-2P, d‟autre part l‟An-26P, tous
deux de petite contenance. A l‟inverse, s‟il est nécessaire d‟agir sur de vastes
surfaces en déversant de grandes quantités de liquides, les Iliouchine, en
particulier, l‟Il-76P sont ceux qui emmagasinent les plus gros volumes de
produit retardant. Mais les bombardiers d‟eau275 aujourd‟hui les plus utilisés de
la flotte russe sont les fameux Beriev276. Le Be-12P, fabriqué à partir de 1991 en
reconversion de l‟hydravion militaire Be-12, qui datait de 1960, était sur tous
les fronts lors de la période eltsinienne, avec sa capacité intermédiaire de 6 000
litres. Il est désormais remplacé par le plus gros, plus performant et plus souple
Be-200, conçu dans le Complexe Technique et Scientifique d‟Aviation de
Taganrog (TANTK) et construit en série depuis 1998 dans l‟Usine d‟Aviation
d‟Irkoutsk (IAZ), tous deux regroupés sous la holding de la Compagnie Irkout.
Les Be-200 et les hélicoptères russes interviennent aussi à l‟étranger, pour aider
les pays méditerranéens. Par exemple, pendant l‟été 2007, la Grèce, la Bulgarie,
la Serbie et le Monténégro ont profité des bombardiers d‟eau russes. Des
discussions sont d‟ailleurs engagées depuis plusieurs années pour créer une

274
Le M.Tché.S. (Ministerstvo po Tchrezvytchaïnym Sitouatsiam), lequel a englobé en 2001 le
Service d‟Etat de lutte contre les incendies.
275
Là où la langue française, si elle ne souhaite pas assimiler l‟objet à la seule marque Canadair,
emploie bombardier d‟eau, le russe dit samoliot-amfibia (avion-amphibie, ce mot étant aussi
utilisé pour tout autre type d‟hydravion, militaire ou civil) ou protivopojarny samoliot (avion anti-
incendie).
276
Du nom de G.M. Beriev (1903-1979), créateur et directeur du Bureau central de
développement pour hydravions de Taganrog du début des années 1930 à la fin des années 1960,
qui inventa et fit construire les hydravions militaires soviétiques.
185
escadrille anti-incendie commune à la Russie et à l‟Union Européenne. Les
bombardiers déversent non seulement de l‟eau, mais aussi un certain nombre de
retardants. Ces produits ignifuges ont été élaborés à partir des travaux réalisés
par l‟Institut de Recherche Scientifique de l‟Exploitation Forestière de Saint-
Pétersbourg, le SPBNIILKh (Davidenko, 2001).
Malgré cette grande expérience des interventions aériennes, des
problèmes importants demeurent. Ainsi, pendant la période eltsinienne, le
nombre de pompiers parachutistes et spécialistes de la descente en rappel
héliportée a diminué de plus de moitié (Davidenko, 2001). Plus généralement,
hors la taïga et même hors le milieu naturel, les incendies restent un fléau de la
Russie.
Dans ce pays du bois qu‟est la Russie, le feu a toujours joué un si grand
rôle qu‟il en est devenu, pour ainsi dire, un élément culturel277, avec lequel on
vit, contre lequel on lutte. Les tragédies russes fondées sur un incendie ne se
comptent plus. Et il n‟est que de relire Enfance de Maxime Gorki pour se
convaincre de l‟importance de ce phénomène dans la vie courante à la fin du
XIXe siècle. Quant à Tourguéniev, il a pu écrire : « nos capitales de province
brûlent, on le sait, une fois tous les cinq ans » (Pères et fils, 1862, chap. XIII).
Sous Nicolas II, environ 200 000 izbas brûlaient chaque année dans l‟Empire
Russe, soit plus de six maisons pour mille. Après être descendue à moins de
quatre pour mille sous Lénine, la proportion culmina à sept pour mille en 1928
et 1929. Résumant la situation des années 1960, Basile Kerblay (1973, p. 136,
reprenant les études de Kolonin) écrivait que « le feu reste toujours le fléau le
plus fréquent dans les sinistres couverts par l‟assurance d‟Etat », à hauteur de
plus de 80 % des dépenses pendant l‟après-guerre. Encore aujourd‟hui, les
incendies urbains, ruraux et forestiers cumulés font, selon les chiffres des
autorités russes de 2006, 18 000 morts par an dans le pays, soit près de dix fois
plus qu‟aux Etats-Unis.
La lutte contre l‟incendie des villages et des maisons de bois possède
des points communs, mais aussi des différences, avec le combat contre les feux
de forêt. La réflexion et l‟aménagement individuels sont anciens, puisqu‟il
s‟agit de protéger sa maison. Le principal changement s'est effectué « à partir du
XIXe siècle [quand] la tôle tend à se substituer au bois et au chaume, ces deux
derniers matériaux étant trop facilement la proie des flammes » (Kerblay, 1973,
p. 37). L‟éloignement de certains bâtiments annexes, comme la grange, qui
aurait pu se pratiquer par l‟initiative personnelle, a cependant presque toujours
été impulsé, voire contraint, par les autorités russes. La législation, depuis le
XVIIIe siècle jusqu‟à la révolution, a surtout concerné, par échelle
géographique, la dispersion de l‟habitat en petits villages plutôt qu‟en grosses
agglomérations rurales, la largeur des rues de chaque village, la distance

277
« Le feu a toujours été la plaie des campagnes russes ; les paysans le désignaient sous le nom
de coq rouge (krasnyj petušok) » (Kerblay, 1973, p. 134).
186
Milieux naturels de Russie
278
minimale entre chaque dvor et entre bâtiments d‟un même domaine.
L‟augmentation de la largeur des rues fut pendant toute la période tsariste un
leitmotiv de l‟action publique pour reconstruire les villages incendiés, en
particulier ceux traversés par la route postale, et éviter que le sinistre ne se
répétât. Le décret de 1830 imposa dix sagènes, celui de 1848 vingt sagènes
(Kerblay, 1973, p.19), soit plus de 42 m. Perpendiculairement à la rue
principale, la venelle entre chaque dvor permettait de diminuer encore les
risques de propagation. Décrivant un village des années 1920, P. Pascal (1966,
rééd. 2008, p. 444) écrivait : « entre les maisons existe un espace libre, une
ruelle (proulok), destinée surtout à arrêter la propagation des incendies ».
Aujourd‟hui encore, les villages de la taïga frappent par leurs maisons espacées
les unes des autres au bord de chemins démesurément larges.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 23 La largeur des rues villageoises, un moyen de lutte contre la propagation des incendies
Village sibérien récent, Khoujir a adopté la tradition multiséculaire, et réglementée depuis le XVIIIe
siècle, de grande largeur des rues (ici la rue du Baïkal) et d’espacement des maisons de bois, afin
d’éviter la propagation des feux.

278
Le dvor est le domaine, la ferme, l‟ensemble des bâtiments (maison d‟habitation, séchoir,
grange, étable, etc.).
187
La quadrillage des campagnes russes par des postes d‟incendies est
quant à lui plus récent que toutes les mesures de distances et date de l‟après-
guerre279.
Comme il est l‟ennemi de l‟homme, le feu est souvent regardé comme
étant aussi forcément celui de la forêt boréale. Pourtant, l‟incendie fait partie du
fonctionnement naturel de la taïga, surtout celle de Sibérie orientale sur
pergélisol. On peut considérer que les feux dont l‟intervalle n‟est pas trop
rapproché, un par siècle environ, ont un certain nombre d‟effets bénéfiques.
D‟abord, ils favorisent la plupart des arbustes et buissons produisant les baies
appréciées des hommes et des animaux. Ensuite, ils éliminent la matière
organique en surplus dans les sols et stimulent la minéralisation. Dans les
régions de taïga sur pergélisol, Shvidenko et Goldammer (2001) ont montré
que les sols sans passage d‟incendie, où se concentrait la matière organique,
retardaient la fonte de la couche active et tendaient à causer l‟emmarécagement
de la taïga et son appauvrissement. Dans la taïga de l‟Altaï, V.V. Fouriaev et
V.I. Zablotski (2005) ont montré que les pinèdes étaient stabilisées par les
incendies dans leur rythme actuel. Bien entendu, cette influence dépend du type
de feu (Sofronov et al., 2005) et ceux qui ne sont pas défavorables sont les
incendies des basses strates (Valendik et al., 2006).

2.1.2. Le froid et les plantes de la taïga

La forêt boréale correspond à des régions dont la moyenne annuelle


tourne souvent aux alentours de 0°C et où l‟amplitude annuelle est comprise
entre 25 et 70°C.
Les arbres doivent supporter un long hiver très rude. La limite sud de la
taïga correspond grossièrement à l‟isotherme de janvier de -10°C en Europe au
sud de Saint-Pétersbourg, de Ŕ20°C en Sibérie, la plus grande part de la forêt
étant située dans des régions où la moyenne mensuelle de janvier est tourne aux
alentours de Ŕ28°C.

279
« Les kolkhoz sont tenus d‟organiser des brigades de sapeurs volontaires et d'entretenir le
matériel nécessaire pour lutter contre l‟incendie et des règles strictes ont été imposées par le
décret du 15 novembre 1955 dans l‟aménagement des quartiers habités à la campagne : plantation
d‟arbres, points d‟eau, postes d‟incendies » (Kerblay, 1973, pp. 135-136).
188
Milieux naturels de Russie

Fig. taïga 16 : La taïga russe et les températures du climat continental

Il est donc clair que, sur tout l‟espace couvert par la forêt boréale, les
températures hivernales sont largement négatives pendant de longs mois
d‟affilée. Sauf dans les parties les plus sud-ouest de la taïga, le nombre de jours
de gel est partout supérieur à 9 mois. En outre, à des latitudes relativement
élevées, les nuits sont, au cœur de l‟hiver, particulièrement longues.
La croissance des arbres de la taïga est donc extrêmement lente. On
trouve des conifères centenaires dont le diamètre du tronc va de 10 à 30 cm.

189
Cliché L. Touchart, août 2008
Photo 24 Un tronc de Mélèze de 200 ans en Sibérie orientale, une lenteur de croissance due au
froid
Ce Mélèze du Jardin Botanique d’Irkoutsk, qui dépend de l’Université d’Etat, a un âge parfaitement
connu. En 200 ans, le diamètre de son tronc est resté faible, à cause de la lenteur de la croissance
due au long hiver de la Sibérie orientale

L‟hiver est une période de repos biologique, pendant laquelle cesse


toute photosynthèse, du fait de la fermeture des stomates.
Le problème hivernal essentiel reste cependant d‟éviter le gel des
liquides cellulaires. La première adaptation est la déshydratation, qui accroît la
concentration des solutions cellulaires donc abaisse leur point de congélation.
Les conifères de la forêt boréale peuvent avoir, en hiver, des pressions
osmotiques allant jusqu‟à 65 atmosphères et c‟est de ce point de vue l‟Epicéa
qui connaît les plus fortes valeurs (Birot, 1965). L‟autre adaptation est
l‟endurcissement des pellicules externes. Notons que les feuillus de la taïga ont
aussi la particularité d‟endurcir leurs bourgeons. Le Bouleau est, de tous les
feuillus, le plus résistant à cet égard. La troisième, seulement vraie, chez les
conifères, pour les Mélèzes, est la caducité des aiguilles. Endurcies, les aiguilles
d‟Epicéa peuvent résister jusqu‟à Ŕ38°C, tandis que le Mélèze de Dahourie peut
supporter des températures descendant à Ŕ70°C.
190
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 25 L’arbre de la taïga le plus résistant au froid, le Mélèze de Dahourie
Grâce à la caducité de ses aiguilles, le Mélèze est le genre de Conifère qui supporte les plus grands
froids sibériens. Parmi les différentes espèces, la plus résistante est le Mélèze de Dahourie, dont on
voit ici le groupement estival des aiguilles. Chaque bouquet, le pobég, ou, plus complètement,
oukorotchenny pobég (littéralement la pousse raccourcie, en français scientifique le fascicule),
compte une bonne vingtaine d’aiguilles. Au bout du rameau, l’oudlinionny pobég forme au
contraire une longue pousse qui correspond à l’accroissement de l’année.

Mais l‟été existe bel et bien, à la différence du milieu de toundra. C‟est


lui qui fait toute la différence et autorise la pousse de l‟arbre. Le principal
problème de l‟été est qu‟il est court. Il n‟y a souvent que 100 à 120 jours
pendant lesquels la température moyenne quotidienne est supérieure à +10°C.
Mais, au cœur de l‟été, la chaleur peut être importante, y compris en moyenne.
La limite sud de la forêt boréale coïncide grossièrement avec l‟isotherme 22°C
de juillet, le cœur de la forêt correspondant à des régions où la température
moyenne de juillet est de 16 à 18°C. Les maxima instantanés peuvent largement
dépasser les 30°C. En outre, en ces régions d‟assez hautes latitudes, la durée
d‟éclairement quotidienne est, au cœur de l‟été, particulièrement longue. Ainsi,
même quand les températures ne sont pas très élevées, cette durée de
l‟insolation estivale permet une importante photosynthèse. En outre, « la
permanence des aiguilles permet à la taïga une plus longue saison d‟assimilation
que la forêt à feuilles caduques » (Birot, 1965, p. 188).

191
Au total la conséquence du climat continental sur la taïga peut être
résumée par le spectre biologique280, qui n‟est autre que la distribution des
fréquences de cinq familles de plantes, classées en fonction de leur
comportement pendant la saison difficile, ici la saison froide. Les
phanérophytes, qui constituent 46 % des formations végétales mondiales, ne
représentent que 15 % du nombre total d‟espèces de la taïga. En effet, les arbres
et arbustes gardent leur port habituel pendant la mauvaise saison, si bien que
seul un petit nombre d‟espèces arrive à développer les adaptations nécessaires à
supporter un froid si long et intense. Les chaméphytes, qui réduisent leur partie
aérienne pendant l‟hiver, représentent aussi une faible part du spectre. L‟une des
plus répandues de la taïga est la tchernika, qui regroupe pour les Russes
plusieurs sortes d‟airelles du genre Vaccinium. En fait, comme de normal dans
ces régions où la saison froide est particulièrement longue et prononcée, ce sont
les hémicryptophytes, à demi-cachées pendant la saison défavorable, et les
cryptophytes (ou géophytes), subsistant généralement en hiver par leurs seuls
organes souterrains, qui dominent largement, formant à elles deux 70% du
spectre biologique, contre 32% en moyenne mondiale. Parmi les
hémicryptophytes, les fougères (paporotniki) présentent un nombre d‟espèces
beaucoup plus grand sur les marges méridionales et en Extrême-Orient qu‟au
cœur même de la taïga, où elles sont plutôt rares. Les thérophytes, enfin, sont
très peu nombreuses, puisque la saison chaude, trop courte, permet mal aux
plantes annuelles d‟effectuer leur cycle complet, de la germination jusqu‟à la
fructification. Leur part augmente cependant sur les franges méridionales de la
taïga.

2.1.3. Une vie animale consacrée au passage de l’hiver

Dans la taïga, la vie de toute l‟année tourne autour de la manière de


passer la saison froide. Le court été ne sert qu‟à préparer l‟hiver long et
rigoureux.

Migration, hibernation et changement de régime alimentaire

Une première solution consiste en la fuite. Un certain nombre


d‟insectivores migrateurs quittent ainsi la taïga en hiver, quand manque leur
nourriture. Chez les oiseaux, c‟est le cas des fauvettes, chez les mammifères de
la sérotine boréale.

280
Ce classement, élargi par la suite à l‟ensemble de la planète, a justement été inventé par C.
Raunkiaer (1905, « Types biologiques pour la géographie botanique » Bulletin de l’Académie
Royale des Sciences du Danemark) pour les plantes de la taïga de l‟Europe septentrionale.
192
Milieux naturels de Russie
Une deuxième famille d‟acclimatation concerne le passage de l‟hiver
sous un comportement ou un autre aspect. Cela peut aller de
l‟endormissement281 de l‟ours brun282 à l‟hibernation de l‟écureuil de Sibérie et
à la transformation radicale pour des insectes passant l‟hiver sous terre sous
forme de larve.
Le troisième ensemble d‟adaptations regroupe tout ce qui concerne
l‟alimentation. En fait, pratiquement tous les animaux de la taïga changent de
régime alimentaire en fonction des saisons, qui sont ici très marquées. La
plupart consomment des baies en été, mais se contentent d‟une nourriture plus
fruste en hiver, fondée sur les écorces et les aiguilles. L‟élan et le lièvre
variable, amateurs d‟herbes et de plantes tendres en été, se contentent d‟écorces
en hiver. Les tétras, grands consommateurs de baies en saison chaude, en
arrivent à ne manger que des aiguilles en hiver. Certains insectivores estivaux,
comme le coucou, consomment des graines en hiver, dont ils ont fait des
réserves en septembre. Le principe de la mise en réserve est un deuxième
réflexe alimentaire très répandu. Les rongeurs de la taïga, mais aussi les oiseaux
granivores, comme le bec-croisé des sapins et le casse-noix moucheté, font de
multiples réserves de graines de cônes pour passer l‟hiver. On sait que c‟est
parce qu‟ils n‟en retrouvent pas la plupart que ces animaux sont, par la
dissémination des graines qu‟ils provoquent, des agents précieux de
reboisement de la taïga après le passage des incendies. En Sibérie et en
Extrême-Orient, les cédrières peuvent se reconstituer en grande partie grâce aux
cachettes de pignes de la kedrovka. Les hommes peuvent même aider ces
animaux prévoyants et favoriser ainsi les reboisements283. Même les carnivores
font des réserves, comme le glouton qui stocke les tétras par parfois plusieurs
dizaines d‟individus au même endroit. Outre les stocks de nourriture, certains
animaux font des réserves de graisse, l‟exemple le plus connu étant celui de
l‟ours, qui se goinfre en fin d‟été afin de passer la mauvaise saison. Une
adaptation assez proche, pour les animaux qui restent éveillés en hiver, est de
passer l‟essentiel du temps à manger, toute la journée et une bonne partie de la
nuit. Ainsi, en hiver, la musaraigne naine passe tout son temps à dénicher des
insectes et déterrer des larves. Du fait qu‟elle soit le plus petit de tous les
mammifères, mesurant 4 cm et pesant 3 g à l‟âge adulte, elle dépense tellement

281
Rappelons que l‟ours n‟hiberne pas au sens strict, car il n‟y a pas de fort abaissement de sa
température.
282
Selon les croyances russes traditionnelles, les ours, parmi les multiples traits humains qu‟ils
développaient, avaient la connaissance des fêtes religieuses, calant ainsi leur endormissement sur
les dates du calendrier julien. « Ne commencent-ils pas à hiverner le jour de la décollation de
saint Jean-Baptiste (le 29 août), pour sortir de leur tanière le jour de l‟Annonciation (le 25
mars) ? » (Conte, 1997, p. 174).
283
En 2007, les chercheurs de la section extrême-orientale de l‟Académie des Sciences Russe ont
montré que les écureuils, si on leur fournissait des pommes de pin judicieusement réparties dans
des mangeoires, étaient capables de reboiser les forêts en Pins de Corée beaucoup plus rapidement
et efficacement que les forestiers ne le font.
193
de calories pour résister au froid qu‟elle doit consommer trois à quatre fois son
poids tous les jours284. Les tétras agissent de manière semblable. Le grand tétra,
qui ne trouve rien d‟autre que des aiguilles de conifères pour s‟alimenter en
hiver, doit en consommer en très grande quantité, vu leur faible valeur nutritive.

La fourrure

La quatrième réponse au froid de l‟hiver est celle du changement de


fourrure, qui est sans doute la plus importante pour l‟histoire des conquêtes
russes, la répartition géographique de la population sibérienne et l‟activité
économique. Le lièvre variable change de couleur de même que l‟hermine.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 26 Le changement de pelage saisonnier du principal herbivore de la taïga : le lièvre variable
Le zaïats-béliak se trouve en grande quantité dans toute la taïga russe, surtout quand elle est
trouée de nombreuses clairières. C’est l’abondance de cet herbivore qui permet aux prédateurs de
construire le maillon supérieur de la chaîne alimentaire. Il s’agit ici d’un spécimen empaillé du
musée du village sibérien de Khoujir. L’hermine et le lièvre variable sont deux exemples
caractéristiques du changement de couleur entre l’été et l’hiver.

284
Comme l‟écrit Elhaï (1967, p. 315) à propos des liens généraux entre le froid et les animaux,
« l‟énergie produite est une fonction du poids, donc du volume, tandis que la déperdition de
chaleur est proportionnelle à la surface du corps ; or celle-ci augmente moins vite que le poids
avec la dimension de l‟organisme ». De ce fait les petits animaux sont désavantagés.
194
Milieux naturels de Russie
Mais l‟important se trouve être que les mustélidés voient l‟épaisseur de
leur fourrure s‟accroître pour supporter le froid. C‟est chez la zibeline que cela
atteint les proportions les plus considérables. C‟est la raison pour laquelle les
mustélidés et d‟autres animaux à fourrure ont été tant chassés par les Russes.
Depuis les temps immémoriaux de la Vieille Russie, la fourrure fut
utilisée comme vêtement ou couverture, mais elle acquit très tôt le statut de
monnaie d‟échanges285. Dès le IXe siècle, des documents écrits montrent qu‟elle
fut le premier tribut demandé par les Russes aux populations indigènes de la
taïga d‟Europe, d‟abord ponctuellement, puis de manière généralisée286. La
fourrure était le cœur de la puissance de la première principauté russe. Quand,
en 1017, Yaroslav, réfugié à Novgorod, voulut mettre sur pied une armée pour
battre Boleslas et Sviatopolk, sa première décision fut de réunir les richesses de
la ville, c‟est-à-dire les fourrures, pour pouvoir rétribuer des Varègues287. Cette
importance historique est rappelée par le géographe Pierre George. « Avant
même que Kiev ait renoué les relations avec Byzance, Novgorod était une
capitale. On en part à la conquête des pays producteurs de fourrures. En 1174,
les Novgorodiens fondent un poste fortifié, comptoir de fourrures de zibelines
sur les rives de l‟Ob, Yougra. La domination de l‟aristocratie commerçante de
Novgorod s‟étend sur les Lettons, les Lituaniens, sur tout le nord de la plaine
russe jusqu‟à la mer Blanche et jusqu‟à l‟Oural. Le commerce des zibelines, des
fouines, des castors, des martres, des renards, des écureuils, entretient
l‟activité » (George, 1962, p. 247). Au Moyen Age, l‟hermine, la zibeline, la
martre, le castor, le loup, le renard, l‟écureuil, le lièvre formaient un élément
essentiel du commerce entre la Russie kiévienne et l‟Empire Byzantin, puis
l‟Europe occidentale par l‟intermédiaire de la Pologne. L‟appât des fourrures,
« la ruée vers l‟or doux » de Gauthier et Garcia (1996), fut une cause majeure
de la conquête généralisée de la Sibérie à partir du XVIe siècle288. La Russie
domina le marché mondial jusqu‟à la fin du XIXe siècle289, quand elle fut
rattrapée par le Canada et les Etats-Unis. L‟URSS se saisit de l‟importance de
ce commerce dès les premières années de son existence et fit, pendant des
dizaines d‟années, des efforts considérables, d‟une part de création de réserves

285
« Les Slaves, ne connaissant pas à l‟origine la monnaie métallique, utilisaient des pièces de
tissus, mais aussi des peaux standardisées comme celles de la marte ou de l‟écureuil, qui en
tenaient lieu » (Conte, 1986, p. 399).
286
Le tribut était le yassak. « Par ce mot d‟origine tatare on désigne un impôt en fourrure dont,
depuis le XVe siècle dans le bassin de la Volga, on taxe les peuples non russes » (Gauthier et
Garcia, 1996, pp. 55-56).
287
« Ils commencèrent aussitôt à rassembler de l‟argent, à raison de quatre peaux de martre par
homme » (Nestor, 1113, traduction de J.-P. Arrignon, 2008, p. 162).
288
Jules Verne lui-même narra l‟ancienne participation des Samoyèdes à la fourniture en
fourrures des Russes dans son ouvrage Le pays des fourrures (1873).
289
Un certain nombre de Français firent fortune à Saint-Pétersbourg à cette époque. Le manoir
construit dans un hameau de Graçay, à Coulon, qui rappelle, par son style, l‟influence russe, est
un exemple architectural berrichon de cet héritage.
195
naturelles pour préserver la ressource cynégétique, d‟autre part le
développement d‟élevages pour compléter la production. L‟URSS, qui
produisait 150 millions de peaux par an dans la décennie 1980, a écrit
l‟ensemble des lois régissant la pelleterie (pouchnina), depuis les armes
autorisées, les saisons, les lieux et les quotas de chasse jusqu‟aux aspects
commerciaux. La Russie les a reprises en tant que lois fédérales et a apporté
quelques ajouts sur des points précis. Le secteur, estimé stratégique, est resté
contrôlé par l‟Etat, non seulement sur le plan législatif, mais aussi, jusqu‟à il y a
peu, financier. L‟évolution de la société Soyouzpouchnina (Pelleterie de
l‟Union) en est caractéristique.
Au début des années 1920, alors que la NEP battait son plein, plusieurs
coopératives et organismes de ventes aux enchères se partageaient le marché
russe de la fourrure et les liens avec l‟étranger, en premier lieu l‟Allemagne. En
cette période de faibles ventes générales de la Russie soviétique à l‟extérieur, ce
fut la pelleterie qui permit les premières entrées de devises dans l‟économie.
L‟Etat en considéra vite l‟importance et créa en janvier 1930 le syndicat de
l‟Union pour la fourrure (Vsésoyouzny pouchnoï sindikat), destiné à coordonner
les coopératives et à former des cadres spécialisés. Et, en octobre 1931, l‟Etat
fonda la Centrale du Commerce Extérieur290 Soyouzpouchnina, contrôlant
l‟ensemble du commerce extérieur soviétique en fourrures et organisant ses
célèbres ventes aux enchères à Léningrad, où se pressaient, deux fois par an, les
acheteurs étrangers. Jusqu‟à la guerre, l‟évolution alla dans le sens de la forte
croissance du choix d‟animaux concernés et, dans une moindre mesure, de
l‟augmentation progressive de la part des fourrures d‟élevage aux dépens de
celles issues de la chasse. Une nouvelle branche de l‟économie soviétique était
née : le zvérovodstvo (l‟élevage des bêtes à fourrure). En 1941, une
réorganisation administrative intégra dans la société de nombreux ateliers de
transformations des peaux, puis, devant la menace nazie, la société fut
transférée de Léningrad à Novossibirsk. Ce fut en 1947 que Soyouzpouchnina
retrouva Léningrad, et, pendant une quinzaine d‟années, le castor, en manque
sur les marchés mondiaux, fut une spécialité très recherchée. Des années 1960
aux années 1980, la part des peaux d‟élevage crût fortement et ce fut l‟âge d‟or
du zvérovodstvo.

En 1989, M. Gorbatchev réorganisa le secteur en accentuant la


concentration et en regroupant toutes les sociétés soviétiques du secteur, mais le
conglomérat fut cassé quelques années après. En 1999, Soyouzpouchnina devint
une société par actions, cependant que l‟Etat gardait 58 % des parts. Ce ne fut
qu‟en 2003 que la compagnie fut complètement privatisée, préservant son siège

290
En URSS, l‟étatisation du commerce extérieur faisait que chaque branche était placée « sous le
contrôle d‟une centrale de commerce extérieur » (Brand D., 1987, L’Union soviétique. Paris,
Sirey, 4e éd., 261 p. : p. 166), une V.O. en abréviation russe (pour Vnechnéèkonomitcheskoïé
obiédinénié).
196
Milieux naturels de Russie
péterbourgeois au 98 avenue de Moscou. Elle reste aujourd‟hui la seule de toute
la Fédération de Russie habilitée à organiser des ventes aux enchères de
fourrure. Le marché reste important, mais a largement décliné. Ainsi, aux 169e
enchères internationales de Saint-Péterbourg de 2006, ce furent 700 000 peaux
qui furent vendues, contre 2,2 millions aux 72e enchères de 1976. La zibeline,
monopole russe, reste la première vente.

Du fait de cette chasse de longue date aux animaux à fourrure, plusieurs


espèces ont frôlé l‟extinction, l‟hermine dès le Moyen Age291, puis la zibeline,
avant que des mesures de protection assez sévères ne fussent prises. Ce n‟est
pas pour rien que la plus ancienne réserve naturelle de Russie, celle de
Bargouzin, a été fondée, dès 1916, dans le seul but, à l‟origine, de préserver le
stock de zibelines en Transbaïkalie (Touchart, 1998).

2.2. La forêt boréale et les sols cendreux

Le sol typique de la forêt boréale est le podzol, mot russe vernaculaire


signifiant qu‟il s‟agit « presque » (pod) de « cendre » (zola). Il a été étudié
scientifiquement pour la première fois en 1879 par le savant russe V.V.
Dokoutchaev et c‟est à cette époque que le nom est entré dans le vocabulaire
international. Le podzol est un sol zonal du climat continental et de la forêt de
conifères, qui est donc susceptible de se développer quelle que soit la roche-
mère. Du fait d‟une très faible évaporation, celle-ci est toujours inférieure au
total précipité. Le podzol se développe sous un quotient292 entre les
précipitations et l‟évaporation en général compris entre 1,1 et 1,3. C‟est un sol
acide, très pauvre en humus293, caractérisé par le lessivage des horizons
supérieurs. Les éléments les plus mobiles sont évacués hors du profil, les autres
s‟accumulent dans les horizons inférieurs du podzol294. Cette franche opposition
entre une partie superficielle de départ des éléments et une partie profonde
d‟accumulation fait que, malgré son épaisseur totale assez faible, souvent à
peine une trentaine de centimètres, le podzol possède un profil nettement
différencié (rezko rastchélionny profil). De tous les sols, c‟est même celui où

291
« La demande d‟hermines était si forte au Moyen Age que, malgré l‟abondance des peaux
envoyées par Novgorod en Occident, il fallut trouver une fourrure de substitution : ce fut la
belette russe (laska) » (Conte, 1986, pp. 398-399.
292
Quotient noté Kouv (Koèffitsient ouvlajnénia, bilan d‟humidité) par les auteurs russes.
293
La proportion d‟humus du podzol est en général seulement de 1,5 à 2 %. Pour désigner la
fraction décomposée de la matière organique, les Russes emploient le mot pérégnoï, formé sur le
racine slave de la putréfaction, ou bien le terme international issu du latin, russifié en goumouss.
294
Cette accumulation se fait « sous la forme de composés amorphes » (Duchaufour, 1991, p.
151), si bien que l‟horizon B est dit « spodique ».
197
non seulement l‟horizon éluvial A (gorizont vymyvania295) se distingue le mieux
de l‟horizon illuvial B (gorizont vmyvania), mais aussi où, à l‟intérieur de
chacun d‟entre eux, les sous-horizons sont les mieux différenciés, que ce soit
par la couleur, la texture ou la composition chimique.
Fig. taïga 17 : Coupe du podzol, un sol aux horizons différenciés

295
Les Russes emploient aussi les termes plus internationaux de èliouvialny gorizont et
illiouvialny gorizont, dont les préfixes ne sont évidemment pas, pour eux, aussi parlants que
« vy » (départ, sortie) et « v » (entrée), placés devant « myvanié » (lessivage).
198
Milieux naturels de Russie
A0 est la litière (podstilka). Elle est formée d‟une épaisse couche
d‟aiguilles, dont la décomposition est extrêmement lente, du fait du froid, de
l‟importance de la résine et de la dureté des cuticules. De fait, l‟eau précipitée
est d‟abord filtrée par cette litière d‟aiguilles et elle acquiert ainsi dès le départ
son acidité.
A1 est le sous-horizon humifère (goumoussovy gorizont). Parfois
absente, la couche humifère du podzol est de toute façon très mince,
habituellement entre 1 et 4 cm. Noir et acide, cet humus est un mor, dont le pH
est toujours inférieur à 5, souvent à 4. Cette acidité a plusieurs causes qui se
cumulent. Primo l‟aération est mauvaise, puisque la couche humifère est gorgée
d‟eau pratiquement en permanence. Secundo le froid empêche la minéralisation
des composés organiques, l‟activité des bactéries étant fortement ralentie par la
faiblesse des températures. Le podzol montre ici son caractère de sol zonal en
équilibre avec le climat continental. Cela se traduit par une faible production
d‟azote minéral et un rapport élevé entre le carbone296 et l‟azote. Tertio la
végétation acide entretient l‟acidité du sol. C‟est donc un humus riche en acides
fulviques (foulvokisloty). Or on connaît leur mobilité, leur instabilité, la facilité
qu‟ils possèdent d‟être lessivés, emmenant avec eux les éléments utiles aux
plantes. Le calcium est emporté d‟autant plus facilement que la neige
emmagasine tout spécialement de grandes quantités de gaz carbonique. Or c‟est
elle qui fournit l‟eau d‟imbibition. Il faut rappeler que les échanges entre les
radicelles et les cations du sol utiles aux plantes ne peuvent se faire que si le pH
des radicelles est plus acide que celui du sol. Bref, seuls des plantes acidiphiles
peuvent pousser sur les podzols, mais, en retour, les plantes de la forêt boréale
entretiennent l‟acidité du sol.

A2 est le sous-horizon éluvial minéral (podzolisty gorizont). Souvent


épaisse de 15 à 20 cm, parfois plus du double, cette couche est la partie la plus
typique du podzol, celle qui est à l‟origine de son nom. C‟est une poudre
siliciceuse stérile, gris clair à blanchâtre, semblable à de la cendre,
essentiellement formée de fragments de quartz. Il n‟y a plus ni matière
organique, ni argile, ni fer. Tous ces éléments ont été entraînés. En effet,
d‟abord les acides fulviques cassent les liens chimiques des associations
minérales, « dissociant même les silicates d‟alumine des argiles » (Birot, 1965,
p. 187). Ensuite, le lessivage est très efficace, à cause de l‟imbibition par la
neige et de la grande faiblesse de l‟évaporation.

296
La grande quantité de carbone montre que la matière organique n‟arrive pas à être minéralisée.
De ce point de vue, le passage de quelques incendies de temps en temps n‟est pas défavorable
(Shvidenko et Goldammer, 2001).
199
B1 est le sous-horizon illuvial humifère297. Il fait en général quelque
centimètres d‟épaisseur. C‟est là que s‟accumulent l‟essentiel des matières
organiques emportées de l‟horizon A.
B2 est le sous-horizon illuvial minéral298. Il ne fait lui aussi que quelques
centimètres et se reconnaît à sa couleur souvent rouille. C‟est ici que
s‟accumulent le fer, sous forme ferrique, le manganèse et les argiles, en général
plutôt de la kaolinite, voire, si les argiles elles-mêmes sont détruites, les oxydes
d‟alumine. Il arrive que, dans les podzols où une petite nappe située à ce niveau
s‟assèche en chaque fin d‟été, le sous-horizon B2 s‟indure. Il forme alors une
petite dalle imperméable, qui empêche ensuite l‟infiltration. Cet alios est parfois
si riche en fer qu‟il a, jadis, été exploité. C‟est la bolotnaïa jéleznaïa rouda, ce
« fer des marais » qui faisait autrefois fonctionner le célèbre arsenal d‟Ivan le
Terrible à Tchérépovets.
L‟horizon C est une couche de transition et d‟altération de la roche-
mère. Cette dernière se trouve souvent être constituée de formations
quaternaires glaciaires, glacio-lacustres et fluvio-glaciaires, du moins dans la
moitié occidentale de la Russie.
La forêt boréale vit sur podzol grâce à un certain nombre d‟adaptations.
Les conifères concernés, de même d‟ailleurs que les bouleaux, présentent deux
familles de racines.

Les premières, superficielles, exploitent l‟horizon humifère, tandis que


les secondes, nettement plus basses, plongent, au-delà du sous-horizon
cendreux, dans l‟horizon illuvial, moins acide. D‟autre part, la taïga est celle de
toutes les forêts qui développe le plus l‟association entre l‟arbre et le
champignon, sous la forme du mycorhize.

Ce n‟est pas pour rien que ce fut un Russe, en l‟occurrence F.M.


Kamenski, qui décrivit le premier ce phénomène sous le nom de gribokoren,
mot à mot « la racine-champignon », avant que l‟Allemand A. Franck ne
proposât le terme international, qui signifie la même chose en s‟appuyant sur un
radical grec.

297
Equivalent à Bh, c‟est-à-dire le sous-horizon enrichi en humus, ou, plus précisément, en
« matière organique insolubilisée » (Duchaufour, 1991, p. 151)
298
Equivalent à Bs (Duchaufour, 1991), c‟est-à-dire le sous-horizon enrichi en sesquioxydes.
200
Milieux naturels de Russie
Fig. taïga 18 : L’arbre de la taïga et le podzol : l’évitement du sous-horizon cendreux et la
recherche de nutriments

Cette symbiose permet au champignons de profiter du carbone assimilé


par les arbres de la taïga et ceux-là livrent en retour des nitrates assimilables par
les conifères. C‟est ce qui permet aux arbres de la forêt boréale de croître sur un
sol qui ne compte pratiquement pas d‟azote minéral. Parmi les mycorhizes de la

201
taïga russe, celle qui associe le Lactaire délicieux et l‟Epicéa, ou le Pin, est
l‟une des plus connues, à l‟instar de la symbiose entre la truffe et le Chêne en
France.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 27 Le Lactaire délicieux de la taïga de Pin, un mycorhize contournant la pauvreté du podzol
Une villageoise sibérienne nous présente le ryjik qu’elle a cueilli dans la strate muscinale d’une taïga
de Pins. Reconnaissable à sa couleur carotte (morkovny tsvet), le chapeau (chliapka) de ce beau
spécimen a un diamètre d’une huitaine de centimètres. Sa bordure retroussée (zaviortnouty kraï)
montre qu’il s’agit d’un individu jeune. Le mycorhize entre le Lactaire délicieux et le Pin est l’une des
symbioses les plus importantes de la taïga.

Les podzols vrais se forment au mieux sur de légères pentes. Dans le


fond des cuvettes, le lessivage vertical n‟est plus efficace et les podzols ont
tendance à être remplacés par des sols plus simples, de profil AG. L‟humus (A1)
domine alors un horizon G argileux, souvent bleu-verdâtre, couleur due à
l‟importance du fer ferreux réduit en milieu anaérobie. Ce sont des podzols à
gley, qui prennent de plus en plus de place au fur et à mesure qu‟on traverse la
taïga en direction du nord. Dans ces régions septentrionales, un autre
phénomène prend une importance accrue, la longueur de la période du gel
superficiel, au-dessus d‟une couche qui ne dégèle elle-même jamais.

202
Milieux naturels de Russie
2.3. La forêt boréale et le pergélisol, une originalité russe

Ailleurs qu‟en Russie, le sous-sol gelé en permanence est en général le


soubassement de la seule toundra, mais il ne déborde pratiquement pas sur la
taïga. Certes, en Amérique du Nord, des îlots de permafrost descendent jusque
dans les Grandes Plaines du Dakota et, en Scandinavie, il quelques taches de
tjälle dans la partie la plus nord du barrskog. Mais il ne s‟agit jamais de
pergélisol continu. De fait, seule la taïga russe est affectée par ce phénomène.
Ainsi, une grande part de la forêt boréale russe pousse au-dessus d‟un
pergélisol (vetchnaïa merzlota ou bien mnogoletniaïa merzlota) qui, certes, ne
pourrait pas se former dans les conditions actuelles, mais qui subsiste en tant
qu‟héritage pléistocène, notamment grâce à la faiblesse du manteau neigeux
protégeant le sol. En effet, selon la formule de Chostakovitch, la survie d‟un
pergélisol continu est inversement proportionnelle à la hauteur de neige en
janvier. Dans ces conditions, il est logique que ce soit en Sibérie, partie de loin
la plus sèche des immensités forestières boréales, que le pergélisol résiste le
mieux.
A l‟est de l‟Iénisséï, en Sibérie centrale et orientale, la totalité de la
taïga de mélèzes se trouve en fait au-dessus d‟un pergélisol, continu
(splochnaïa) au nord, discontinu (préryvistaïa) au centre, sporadique
(ostrovnaïa)299 au sud.
Dans la Plaine de Sibérie Occidentale, le pergélisol discontinu mord
sur la taïga au sud de la baie de l‟Ob et le pergélisol sporadique descend, par
taches, jusque vers 62° N, soit 3 à 5 degrés plus sud que la limite nord de la
forêt. Finalement, seule la forêt boréale de Russie d‟Europe est épargnée, sauf la
taïga située entre la Petchora et Vorkouta, où se trouvent d‟importants îlots de
merzlota. Le pergélisol de la taïga sibérienne cimente les formations
morainiques, fluvio-glaciaires, glacio-lacutres et, plus en dessous, les pores des
roches, sur de grandes épaisseurs, par exemple 150 mètres dans la région de
Yakoutsk. Son toit se trouve heureusement plus bas, en moyenne, que celui du
pergélisol de toundra.
Le plus souvent, c‟est à une profondeur d‟environ deux à trois mètres
sous la surface que commence la mnogoletniaïa merzlota de la forêt boréale,
même si, en Yakoutie, il n‟est pas rare que la taïga de mélèzes croisse au-dessus
d‟un sous-sol gelé en permanence à partir d‟un à deux mètres. Habituellement,
le pergélisol est donc suffisamment profond pour ne pas gêner directement la
pousse de la forêt boréale ; cependant, les conifères à enracinement superficiel y

299
Pergélisol continu : splochnaïa mnogoletniaïa merzlota, pergélisol discontinu : préryvistaïa
mnogoletniaïa merzlota, pergélisol sporadique ou en taches : ostrovnaïa mnogoletniaïa merzlota.
203
viennent moins mal, si bien que le Mélèze de Dahourie (Larix dahurica,
listvennitsa daourskaïa) est à ce sujet favorisé300.
Fig. taïga 19 : Carte de la taïga sur gélisol

En fait, la mnogoletniaïa merzlota a surtout une influence néfaste par


l‟intermédiaire de l‟engorgement estival que cette dalle imperméable provoque
au-dessus d‟elle, dans le mollisol. Non seulement le sommet des roches-mères
est imbibé d‟eau en été, mais aussi le podzol qui se développe au-dessus,
renforçant ainsi son acidité. C‟est pourquoi la forêt sur pergélisol est en général
plus chétive qu‟en son absence. Seule la taïga claire (svetlokhvoïny less) peut
ainsi pousser sur les gélisols forestiers (taïojno-merzlotnyé potchvy).
En outre, comme il s‟agit d‟un pergélisol relique, le mollisol est
fréquemment plus épais que le gel d‟un hiver moyen. Il y a donc, en hiver, une
couche qui reste dégelée entre la partie superficielle saisonnièrement gelée et le
pergélisol, un talik. Les forces de compression qui en résultent, mais aussi les
effondrements thermokarstiques qui en découlent, peuvent avoir une influence
notable sur la forêt boréale. Les mouvements de cette couche active inclinent les
arbres, voire les couchent, et donnent ainsi naissance à la forêt ivre (piany less).

300
« Le mélèze de Daourie, dont les racines sont superficielles et qui pousse facilement des
racines supplémentaires, est spécialement adapté aux régions où le sous-sol est éternellement
gelé » (Berg, 1941, p. 51). « Le mélèze de Dahurie doit sa position pionnière jusqu‟à plus de 72°
vers le nord, non seulement à sa résistance vis-à-vis de la gelée, mais aussi au fait qu‟il
s‟accommode d‟un permafrost situé à faible profondeur (0,50 m Ŕ 1 m). L‟arbre arrive à prélever
l‟eau et les sels nécessaires sur cette tranche mince, grâce à un large système de racines latérales »
(Birot, 1965, p. 196).
204
Milieux naturels de Russie
3. La taïga russe est-elle monotone ?

On sait que les géographes et les biologistes français introduisent


habituellement leur présentation de la taïga russe par la monotonie de celle-ci
(Lacoste et Salanon, 1969, Viers, 1970, Braque, 1988, Rougerie, 1988, Arnould,
1991, Huetz de Lemps, 1994, Amat, 1996, Hotyat, 1999, Lageat, 2004). Or la
définition de la monotonie selon le dictionnaire du Petit Robert est celle d‟une
« uniformité lassante ». Cette détermination du contenu de la monotonie pose
deux questions, l‟une objective, l‟autre subjective. L‟uniformité de la taïga, qui
s‟appuierait sur une réalité existant hors de l‟esprit, sur des objets indépendants
de la pensée, est de loin la partie la plus développée chez les scientifiques et,
souvent, la seule qui soit par eux justifiée.
Quelques citations peuvent aider à déterminer les critères sur lesquels
s‟appuie l‟uniformité de la taïga. « La futaie de conifères a [..] une certaine
monotonie, […] une grande homogénéité floristique » (Huetz de Lemps, 1994,
pp. 57-58). « La monotonie de la forêt boréale est la conséquence de sa
pauvreté en espèces. Même lorsque les essences ne constituent pas des
peuplements purs mais sont associés, les formes de croissance des résineux […]
réalisent une architecture forestière d‟une grande simplicité. Le sous-étage
arbustif (Alnus, Vaccinium), herbacé et muscinal participe aussi à l‟impression
d‟uniformité » (Braque, 1988, p. 88). « Aussi la forêt boréale donne-t-elle une
impression de monotonie par la répétition, sur des centaines de km², des mêmes
motifs paysagers : monospécificité, monochromie, monostratification, tout est
« mono » dans cet immense biome » (Arnould, 1991, p. 145).
Ce sont donc trois justifications qui reviennent le plus souvent : d‟abord
le petit nombre de genres et d‟espèces présents, ensuite un ensemble de
caractères descriptifs communs et, enfin, l‟immensité d‟un seul tenant. A la
dernière citation, la plus recherchée, qui ajoute que ce paysage végétal offre une
seule couleur, nous serions tenté d‟adjoindre une réflexion sur le son301 de la
taïga. En effet, quitte à souligner l‟uniformité objective, autant prendre la
monotonie dans son sens propre, celui d‟une seule hauteur de voix. A cet égard,
le bourdonnement des moustiques est le bruissement principal de cette forêt en
été, très différent des craquements qui rompent parfois le silence hiémal.
Il serait possible de s‟arrêter là et de considérer que la monotonie est
synonyme d‟uniformité. C‟est le choix de raison fait par beaucoup de
géographes. Après tout, la géographie physique est une affaire sérieuse, qui a
son vocabulaire spécifique et n‟est pas obligée de suivre le dictionnaire de la
langue française dans ses définitions au sens figuré. Pourtant force est de
reconnaître que, dès qu‟on s‟éloigne de l‟unicité de ton, de voix, de son, on sort

301
Depuis la thèse novatrice de Frédéric Roulier (1998) sur la géographie du bruit à Angers,
l‟étude du son (en général sous sa forme dérangeante) existe dans notre discipline dans un champ
d‟analyse que nous ne maîtrisons aucunement. Nous nous contentons ici d‟introduire par ce
moyen le fait que la taïga puisse être perçue de façon multiple.
205
déjà du sens propre. Dans ce cas, il n‟est peut-être pas interdit d‟aller jusqu‟au
bout de la démarche et d‟assumer la part subjective de l‟emploi de la
monotonie.
Il est agréable de constater que c‟est le cas de certains auteurs, qui
n‟hésitent pas à parler à ce propos d‟« impression » (Braque, 1988, p. 88,
Arnould, 1991, p. 145). D‟autres osent même écrire qu‟il n‟est pas besoin que
l‟uniformité soit réelle pour que la monotonie de la taïga, qui implique un
sentiment de lassitude, soit perçue. « Les paysages forestiers des hautes
latitudes dominés par les résineux, s‟ils présentent des variations dans les
espèces, les physionomies et les densités, sont néanmoins perçus comme
monotones » (Hotyat, 1999, p. 236).
Ce « néanmoins » nous enthousiasme ; il nous donne envie de lui
consacrer toute une partie. Il nous autorise à développer une éventuelle variété
de la taïga, sans pour autant déroger, pour l‟instant, au sentiment de monotonie.
Il restera seulement à s‟interroger, plus tard, sur les liens entre les trois
justifications habituelles de l‟uniformité de la taïga et le sentiment de lassitude.
Le moyen d‟apporter une contribution se trouve être d‟étudier les types de taïga
par un emboîtement d‟échelles géographiques.
Les biogéographes russes ont effectué depuis longtemps302 un
découpage de la zone de la taïga en sous-zones (podzony), domaines (oblasti),
provinces (provintsi) et sous-provinces (podprovintsi). Si l‟on voulait épouser
les traditions de la géographie française, on pourrait garder quatre niveaux de
différenciation, mais effectuer au moins deux ajustements. Il s‟agirait d‟une part
d‟inverser les deux premiers échelons russes, d‟autre part de fusionner les deux
derniers tout en créant un dernier niveau propre pour les micro-variations.
La première différenciation de la taïga russe, celle qui marque son
originalité à petite échelle cartographique par rapport à la forêt hudsonnienne,
oppose la forêt sempervirente occidentale à la forêt décidue orientale. C‟est une
différence de physionomie saisonnière qui repose sur la continentalité croissante
de la Russie sur des milliers de kilomètres, d‟ouest en est. Ce gradient en
longitude forge la typologie classique des auteurs français, qu‟ils soient anciens
(Elhaï, 1967) ou récents (Galochet, 2007)303.
La deuxième différenciation géographique oppose la frange
septentrionale, lâche, trouée, clairsemée et marécageuse, le centre peuplé de
conifères sur un vrai podzol, et la marge méridionale, où la transition avec la
forêt de feuillus et la steppe est complexe. C‟est une différence de densité
physionomique s‟appuyant d‟abord sur la durée de la saison froide, qui

302
En particulier les différents volumes publiés sous la direction de A.A. Fedorov dans les années
1970 et 1980 et l‟ouvrage Rastitel’nost’ evropejskoj časti SSSR (1980).
303
« Domaine de la forêt boréale entre la Scandinavie et l‟Oural », « domaine de la Sibérie
orientale », « domaine extrême-oriental » (Elhaï, 1967, p. 193). « Taïga occidentale à épicéas et
sapins », « taïga moyenne, pins et bouleaux », « taïga claire à mélèzes et pins », « taïga maigre
d‟altitude à mélèzes et toundra » (Galochet, 2007, p. 122).
206
Milieux naturels de Russie
augmente sur des centaines de kilomètres avec la montée en latitude. C‟est le
premier niveau de la typologie russe classique, ainsi que celle des auteurs
français présentant la forêt boréale mondiale et désireux d‟insister sur les
écotones.
Cette zonation de la taïga est perturbée, à moyenne échelle, par la
disposition des massifs montagneux, qui peuvent faire disparaître la forêt
boréale à des latitudes pourtant favorables ou, au contraire, la faire apparaître en
zone de steppe. A une échelle à peu près équivalente, l‟intervention de la société
russe et de minorités nationales aide à donner une identité régionale à certaines
portions de taïga. A l‟exception ambiguë de Pierre George304, ce niveau est le
plus souvent absent des études françaises sur la taïga russe.

La quatrième différenciation géographique tient compte, à très grande


échelle cartographique, de l‟extrême variété des paysages taïgiens sur quelques
hectomètres ou kilomètres, dans un contexte d‟héritages glaciaires et
périglaciaires multipliant les contre-pentes et les contrastes de drainage. Ce
dernier échelon n‟est pas compté dans l‟emboîtement des échelles en Russie,
puisqu‟il ne peut pas être cartographié à l‟échelle d‟une carte de la Fédération. Il
est donc traité séparément à un cinquième niveau. En France, cet échelon est
celui de prédilection chez les auteurs qui veulent dépasser l‟étude zonale et
continentale305.
Une typologie affinée de la taïga est loin d‟être une démarche de
géographie fondamentale dénuée d‟applications. C‟est au contraire la plus
proche du terrain, des menaces et des propositions d‟aménagement. Les
scientifiques russes pensent aujourd‟hui que la solution aux dommages de la
taïga russe devrait venir d‟un zonage plus efficace, séparant les classes de taïga,

304
Pierre Georges (1962, p. 237), grand connaisseur de la Russie, savait bien que la variété de la
taïga était importante à l‟échelle régionale, mais la géographie physique française de l‟époque
réclamait de réserver l‟essentiel de la place éditoriale à la seule géomorphologie et il n‟eut l‟heur
de développer son idée. « Deux zones de végétation, la forêt et la steppe. Combien de paysages ?
Une géographie régionale à l‟échelle de la géographie régionale de l‟Europe occidentale et
centrale en découvrirait aisément plusieurs dizaines. Telle n‟est pas notre prétention dans cet
ouvrage général. Retenons seulement de cette esquisse très légère un avertissement contre toute
généralisation et toute schématisation trop hâtive ». Vingt ans auparavant, il écrivait déjà : « la
forêt du Nord se résorbe ainsi en une multitude d‟associations végétales régionales ou locales,
dont chacune présente des aptitudes particulières au défrichement et à la mise en valeur »
(George, 1942, p. 153).
305
Jean Demangeot, l‟un des seuls géographes français à s‟être insurgé contre la monotonie de la
taïga, justifiait son refus en ne s‟appuyant que sur la très grande échelle. « On a parfois tendance à
imaginer la forêt boréale comme haute, simple et monotone sous prétexte qu‟elle est immense :
31 % des forêts du globe. Rien n‟est moins exact, pour la quadruple raison des fantaisies du
permafrost, des inégalités du drainage, de la dynamique des tourbières et de la persistance des
clairières accidentelles » (Demangeot, 1994, p. 164). C‟est aussi l‟échelle choisie par P. Ozenda
(1994, p. 92) : « malgré son apparente homogénéité, la forêt boréale est une mosaïque variée et de
très nombreux groupements ont été décrits. D‟une manière générale, les différences sont moindres
entre les trois ceintures latitudinales que celles que créent la variété édaphique ».
207
les types de dégâts et les familles de reboisement. C‟est l‟un des grands apports
des travaux de V.I. Kosmakov (2006) à propos de la régénération des forêts
taïgiennes endommagées par les extractions minières en Sibérie.

3.1. Le gradient longitudinal de la forêt boréale et le passage de la


sempervirence à la caducité

La taïga de la Russie d‟Europe et de la Sibérie occidentale est une forêt


toujours verte, peuplée de conifères qui ne perdent pas leurs aiguilles. Elle est
en cela semblable à la forêt boréale alaskienne, canadienne et scandinave, dont
elle ne se distingue que par de légères différences de composition floristique.
Cette taïga de la moitié occidentale de la Russie s‟oppose à la taïga de Sibérie
orientale, peuplée de mélèzes décidus et unique au monde par sa
monospécificité. La limite entre la taïga sempervirente (vetchnozélionaïa taïga)
et la taïga décidue (listopadnaïa taïga) passe au niveau de la vallée de
l‟Iénisséï. La répartition de la faune répond en partie à ce contraste végétal ;
c‟est ainsi que certaines espèces n‟existent que dans la taïga sempervirente,
d‟autres dans les lariçaies.

Fig. taïga 20 : Carte du gradient longitudinal de la taïga russe et du passage de la


sempervirence à la caducité

A plus grande échelle cartographique, il existe à l‟intérieur de chacune


des deux taïgas un gradient longitudinal qui fait se succéder différents genres
208
Milieux naturels de Russie
dominants de conifères, le Pin en Carélie, l‟Epicéa jusqu‟à l‟Oural, de nouveau
le Pin dans la Plaine de Sibérie Occidentale, le Sapin sur le haut et moyen
Iénisséï, le Mélèze au-delà.
A l‟intérieur de ces genres, quelques espèces vicariantes se relaient
d‟ouest en est selon le gradient de la continentalité.

3.1.1. La taïga toujours verte à l’ouest de l’Iénisséï

A l‟ouest de la Russie, comme en Amérique du Nord et en Scandinavie,


le déterminisme climatique a imposé la présence de la forêt boréale
sempervirente en milieu continental plutôt que la forêt de feuillus décidus. En
effet, le court été ne permettrait pas à ces derniers d‟accumuler suffisamment de
matières nourricières pour reconstituer leurs larges frondaison. Les conifères
sempervirents, eux, ne perdent pas ces éléments, puisqu‟ils gardent leurs
aiguilles, pouvant ainsi reprendre immédiatement leur croissance dès l‟arrivée
des beaux jours.
Cette forêt sempervirente occidentale est la plus riche de Russie, bien
qu‟elle soit plus pauvre que celle de Scandinavie et d‟Amérique du Nord, par
son humidité plus faible et la moins grande présence de l‟Epicéa, souvent
dépassé, même en Russie d‟Europe, par le Pin. Dans la taïga russe, en moyenne
plus sèche que celle des autres continents, le Pin sylvestre (Pinus sylvestris) est
si banal qu‟il y est nommé le pin commun (sosna obyknovénnaïa). Leur
groupement donne naissance à des pinèdes, les sosnovyé lessa ou les sosniaki,
qui peuvent atteindre une quarantaine de mètres de hauteur. Les pins communs
de la taïga se distinguent à la couleur rougeâtre que prend l‟écorce dans les
parties hautes du tronc. De près, on reconnaît la sosna obyknovénnaïa au fait
que les aiguilles sont attachées deux par deux.
Selon les autres conifères avec lesquels le Pin sylvestre est mêlé, la
forêt boréale russe sempervirente se subdivise traditionnellement en trois parties
qui se succèdent de la frontière finlandaise à l‟Iénisséï. Depuis P. Camena
d‟Almeida, les Français parlent volontiers de la taïga fenno-scandienne, ouralo-
timanienne et sibérienne occidentale. Les géographes russes actuels, comme
N.A. Martchenko et V.A. Nizovtsev, nomment la première la taïga carélienne
(karelskaïa taïga) ou scandinave orientale (vostotchno-skandinavskaïa taïga), la
deuxième la taïga européenne orientale (vostotchno-evropeïskaïa taïga) ou,
s‟appuyant sur le réseau lacustre et fluvial, ladogo-vytchégdienne (ladojsko-
vytchégodskaïa taïga). Un quatrième faciès de la taïga sempervirente réapparaît
sur les montagnes de Sibérie méridionale, mais pour des raisons altitudinales.
Dans la continuité de la forêt boréale finlandaise, la taïga fenno-
scandienne couvre, en Russie, la Péninsule de Kola et la Carélie. Elle est
209
dominée par le Pin sylvestre (Pinus sylvestris) et l‟Epicéa d‟Europe (Picea
excelsa ou europaea, dit aussi Picea abies), soit la sosna obyknovénnaïa et la ièl
evropeïskaïa (dite aussi ièl obyknovénnaïa). C‟est une forêt assez largement
marécageuse et tourbeuse, où les tourbières de cuvette occupent une grande
place. Mais, sur les interfluves où elle s‟épanouit, la taïga fenno-scandienne est
la plus majestueuse des forêts russes, grâce à la ièl obyknovénnaïa qui peut
atteindre ici une cinquantaine de mètres de hauteur.
La taïga ladogo-vytchégdienne, qui couvre l‟essentiel de la moitié nord
de la Russie d‟Europe, est drainée par la Dvina du Nord et sa branche orientale,
la Vytchegda. Elle déborde à l‟est sur les hauts bassins de la Mézèn et de la
Petchora. Dite aussi ouralo-timanienne, cette taïga couvre assez largement les
monts Timan et la chaîne ouralienne306. C‟est une forêt dominée par l‟Epicéa de
Sibérie (Picea obovata, ièl sibirskaïa) et le Pin sylvestre (Pinus sylvestris, sosna
obyknovénnaïa). Mais la plus riche des taïgas russes comprend aussi en grande
quantité le Sapin de Sibérie (Abies sibirica, pikhta sibirskaïa) et le Mélèze de
Russie, dit aussi Mélèze de Soukatchov (Larix sukaczewii, listvennitsa
rousskaïa ou bien listvennitsa soukatchova). L‟Epicéa de Sibérie est l‟essence la
plus caractéristique de la taïga ouralo-timanienne. Cet arbre est très proche de
l‟Epicéa d‟Europe, au point qu‟on le considère parfois seulement comme une
sous-espèce (podvid) de ce dernier (Picea excelsa obovata). La plupart du
temps, cependant, il est regardé comme une espèce à part entière. Il est moins
grand que son cousin européen et donne naissance à des forêts qui ne dépassent
pas 30 m de hauteur. Il développe une plus grande résistance au froid.
La taïga de Sibérie occidentale est la plus orientale des forêts boréales
sempervirentes. Elle est certes encore dominée d‟espèces toujours vertes et c‟est
le Cèdre de Sibérie (Pinus sibirica, kedr sibirski ou kedrovaïa sosna sibirskaïa)
qui prend la première place, devant les mêmes essences qu‟à l‟ouest de l‟Oural,
le Pin sylvestre, l‟Epicéa de Sibérie, le Sapin de Sibérie. Pourtant, les espèces
décidues prennent progressivement de plus en plus d‟importance, avec de
grands peuplements de Mélèzes de Sibérie (Larix sibirica, listvennitsa
sibirskaïa). Le Cèdre de Sibérie, qui est un Pin en taxonomie307, d‟ailleurs très
proche du Pin cembrot des Alpes, est un bel arbre qui peut atteindre 45 m de
haut. Il développe un port très ample et une couronne à larges branches

306
Il vaut mieux nommer cette forêt la taïga ouralo-timanienne si on veut montrer le rôle que les
massifs montagneux ont joué dans le repeuplement forestier après la glaciation, en particulier
pour les essences sibériennes qui ont trouvé le relais de l‟Oural avant de conquérir l‟Europe
orientale. En revanche, il est logique d‟appeler cette forêt la taïga ladogo-vytchegdienne si on
veut insister sur les grands fleuves qui ont permis aux Russes son peuplement et son exploitation.
307
Les Russes ne sont pas les seuls à appeler cèdres (kedry) des arbres n‟appartenant pas au genre
Cedrus. On sait que les Américains nomment cèdres (cedars) certains thuyas et genévriers. De ce
fait, il conviendrait sans doute mieux d‟appeler cédrière la taïga russe de Pins de Sibérie plutôt
que cédraie, réservée au genre Cedrus (Da Lage et Métailié, 2005, p. 115). Il serait en revanche
peut-être abusif, ou contraire à la géographie régionale, de la nommer cembraie.
210
Milieux naturels de Russie
(chirokoraskidistaïa krona) montrant qu‟il n‟a pas, dans cette taïga sèche, à
résister à de fortes chutes de neige. De près, il se reconnaît au fait que les
aiguilles se groupent cinq par cinq. Ce faisceau (poutchok), ou, plus
scientifiquement ce fascicule (oukorotchenny pobég), de cinq aiguilles permet
de le distinguer facilement.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 28 Fascicule à cinq aiguilles de Pinus sibirica
Le Cèdre de Sibérie (sibirski kedr) est en fait, en taxonomie, un Pin. Il se reconnaît facilement au
fait que c’est le seul grand conifère de la taïga dont le fascicule (oukorotchenny pobég) groupe cinq
aiguilles. Ces deux faisceaux ont été ramassés sous un Cèdre de Sibérie au nord-ouest d’Irkoutsk,
puis déposés sur un carnet de terrain pour être photographiés.

Cet arbre, « le tsar de la taïga » (Marchand, 2007, p. 219, citant


Parmuzin), a une grande importance dans la vie quotidienne de la population.
Son bois est de grande qualité308. Et, surtout, les graines contenues dans ses
cônes (chichki) sont l‟un des aliments favoris des Sibériens, qui les grignotent
partout et à longueur de journée.
Ces pignes comestibles, les séména des scientifiques, sont appelées par
tous les Russes les noix de cèdre (kedrovyé orekhi). La taïga de Sibérie
occidentale est en outre celle qui pousse sur les sols les plus humides de toutes
les forêts boréales.

308
« Le bois connu sous le nom de « cèdre sibérien » (Pinus cembra) est le meilleur de Sibérie et
celui que l‟on emploie le plus volontiers pour l‟ameublement ; il ne travaille ni ne pourrit »
(Reclus, 1881, p. 616).
211
Cliché L. Touchart, août 2006
Photo 29 Pommes de cèdre de Sibérie sur le marché de Listvianka
Le Cèdre de Sibérie est un Pin qui donne des cônes assez trapus, en forme d’œuf, de 6 à 13 cm de
longueur et de 5 à 8 cm de largeur. Chaque cône contient une centaine de graines comestibles, que
les Russes appellent des noix de cèdre. Déjà en 1881, E. Reclus (p. 619) notait, à la suite des récits
de Middendorff et Erman, que « sur les bords du Yeniseï, il n’est pas rare de voir abattre de grands
cèdres, simplement pour en récolter les cônes, qui renferment des graines comestibles que
mangent les Sibériennes pendant les longues soirées d’hiver ». Puis P. Camena d’Almeida (1932,
p. 214) remarqua que « les ‘noix’ contenues dans ses cônes se vendent partout, et les Sibériens en
grignotent sans cesse ». Cela reste vrai aujourd’hui, notamment aux arrêts de bus ou à tout autre
endroit où il convient de patienter un peu. Ici, les cônes sont vendus sur le marché de la petite
station touristique de Listvianka, sur les bords du Baïkal.

C‟est la forêt de l‟Ob, qu‟on appelle aussi parfois la taïga


marécageuse309. Elle est trouée de milliers de lacs de thermokarst, de contre-
pentes morainiques, de dépressions marécageuses et de tourbières. La mchara
(voir infra) y couvre plus de superficie que la taïga pleine et l‟élan (Alces alces),
se complaît particulièrement dans cette taïga marécageuse, où la nourriture est
abondante en plantes aquatiques. La taïga de l‟Ob a subi d‟importantes
dégradations depuis les années 19670, du fait de l‟exploitation pétrolière (Fattal,
2005).
L‟ensemble de la taïga sempervirente comporte aussi des animaux qui
n‟existent pas dans la taïga orientale. Le putois (Mustela putorius, tchiorny khor
ou bien lesnoï khor) ne vit que dans la taïga européenne et l‟Oural est une
barrière qu‟il n‟a jamais franchi. Le vison d‟Europe (Mustela lutreola,
evropéïskaïa norka) et la martre commune (Martes martes, lesnaïa kounitsa)
peuplent la taïga européenne et une partie de la forêt de Sibérie occidentale,
mais on ne les trouve pas au-delà de l‟Ob. Le grand tétras (Tetrao urogallus,
obyknovenny gloukhar) n‟est présent que dans la taïga sempervirente d‟Europe

309
« Là se situe la plus grande zone de marécages du monde, de part et d‟autre du cours ouest-est
de l‟Ob. Ils constituent pour la forêt un ennemi intérieur qui la ronge » (Birot 1970 p. 126).
212
Milieux naturels de Russie
et de Sibérie occidentale. Bien qu‟il déborde un peu l‟Iénisséï, se retrouvant
dans les bassins des Toungouskas et de l‟Angara, le grand coq de bruyère a une
répartition géographique qui confirme une nouvelle fois que le grand fleuve de
Sibérie forme une frontière non seulement phytogéographique, mais aussi
zoogéographique. Aucun de ces animaux ne vit dans la taïga de mélèzes de
Sibérie orientale.

3.1.2. La taïga de mélèzes à aiguilles caduques en Sibérie orientale

Au-delà du fleuve Iénisséï, le paysage change assez brutalement. Alors


que la sempervirence des conifères était un avantage sur la forêt de feuillus
décidus pour vivre en climat continental, elle n‟est pas suffisante pour vaincre le
milieu ultra-continental. Le caractère décidu, mais celui des aiguilles, redevient
un avantage dans ces conditions. En effet, le gel bloque ici l‟eau pendant une
telle durée que les arbres sempervirents ne peuvent plus remplacer l‟eau qui
s‟évapore de leurs aiguilles, accentuée sous l‟effet des vents secs. Bien qu‟il
s‟agisse d‟une transpiration uniquement cuticulaire, très réduite, puisque la
transpiration stomatique est quant à elle bloquée par la fermeture de tous les
pores, l‟eau vient néanmoins à manquer. Seul le Mélèze, en perdant ses
aiguilles, élimine ainsi toute transpiration.
C‟est donc à perte de vue que s‟étend une immense forêt de mélèzes
couvrant 278 millions d‟hectares (Utkin et al., 1995), un listvennitchnik, mot
courant pour les Russes, que les Français peinent à traduire par le mot rare de
« lariçaie » (Da Lage et Métailié, 2005, p. 308)310. C‟est cette forêt qui forme la
taïga décidue.
De l‟Iénisséï jusqu‟à une longitude d‟environ 100° Est, deux espèces se
partagent les immensités du Plateau de Sibérie Centrale, le Mélèze de Sibérie et
le Mélèze de Dahourie, qui s‟hybrident d‟ailleurs (Koropačinskij et Miljutin,
2006) en Mélèze de Tchekanov311. Au-delà de ce méridien, l‟ultra-continentalité
est telle que la taïga se réduit à un vaste peuplement monospécifique de Mélèze
de Dahourie (Larix dahurica, listvennitsa daourskaïa), qu‟on appelle aussi le
Mélèze de Gmelin (Larix gmelinii, listvennitsa Gmelina).

310
Da Lage et Métailié (2005, p. 333) indiquent que les termes de mélézin, mélézein, mélézen et
mélézière sont employés pour les peuplements de Mélèzes de montagne. C‟est en effet ainsi que
P. Ozenda (1984, p. 84) utilise « mélèzein » et B. Fischesser (1982, p. 139) « mélézin ». En
revanche, P. George (1990, p. 299) ne précise pas, à propos de « mélézen », qu‟il ne peut s‟agir
d‟un peuplement de bas pays.
311
En allant vers le sud, ces deux Mélèzes se mêlent à deux Pins, le Pin sylvestre (Pinus
sylvestris) et le Cèdre de Sibérie (Pinus sibirica).
213
Cliché L. Touchart, août 2008
Photo 30 Le Mélèze de Sibérie, dernière essence mêlée au Mélèze de Dahourie avant la taïga
monospécifique.
A l’est de l’Iénisséï, la taïga devient décidue, le seul genre de conifère résistant à l’ultra-
continentalité du climat étant le Mélèze. Dans la partie occidentale du Plateau de Sibérie Centrale, le
Mélèze de Sibérie (listvennitsa sibirskaïa) reste répandu, avant de laisser la place au seul Mélèze de
Dahourie. Le Mélèze de Sibérie se distingue de loin par sa forme plus ramassée et ses branches
moins écartées que celui de Dahourie. De près, on remarque ses cônes moins petits que ceux de
Dahourie. La détermination a été ici faite par Elena Anatolovna, biologiste.

Bel arbre de 30 à 35 m de hauteur à l‟âge adulte, 40 à 45 m pour les


spécimens les plus élevés, très héliophile et le plus résistant au froid de tous les
arbres, le Mélèze de Dahourie se complaît dans les régions sèches, ensoleillées
et au froid intense de Sibérie orientale (Pozdnjakov, 1975). Il est clair que
l‟existence de la taïga décidue est due au climat de la Yakoutie312 et de la
Sibérie Orientale. Etant donné la masse du continent eurasiatique, cette région
possède une continentalité unique au monde, qui provoque ce paysage
exceptionnel formé d‟une seule espèce sur de très grandes distances, sans
aucune intervention de l‟homme. A l‟approche des cuvettes marécageuses et
tourbeuses, le Mélèze de Dahourie se réduit à un petit arbre de seulement 4 à 6
312
Lev Konstantinovitch Pozdniakov (1912-1990), le spécialiste mondial du Mélèze de Dahourie,
a consacré sa vie à l‟étude de cet arbre et, plus généralement, de la taïga de Yakoutie.
214
Milieux naturels de Russie
mètres de hauteur, mais il arrive ainsi à occuper tous les sites. Il pousse au-
dessus des pergélisols les plus proches de la surface de toute la forêt boréale,
grâce à un développement superficiel de son système racinaire.
Si la monospécificité du Mélèze de Dahourie sur de si grandes distances
pose des problèmes d‟absence de variété et de richesse, elle n‟en fournit pas
moins un bois de grande qualité, imputrescible et très résistant, qui a fait le
bonheur de générations entières de constructeurs d‟izbas et d‟autres édifices en
bois en Yakoutie, et qui continue d‟être largement utilisé. Il représente
réellement, mais aussi symboliquement, la résistance. Dans son roman L’Adieu
à l’île (Prochtchanié s Matioroï, 1976), l‟écrivain sibérien Valentin Raspoutine
avait érigé un Mélèze indestructible de la région de Bratsk en métaphore de
l‟opposition de la Russie à une mise à mal de ses fondements paysans et
chrétiens (Niqueux, 2006).
Au cœur de la taïga de Mélèzes de Dahourie, l‟étage supérieur est plus
lâche que dans la forêt boréale sempervirente. Comme, en outre, il est décidu, le
sous-bois est bien plus lumineux et a tendance à être plus dense que sous la
taïga sempervirente.
Cette taïga claire, monospécifique et décidue, règne jusqu‟aux vallées
de la Léna et de l‟Aldan. Au-delà, quelques modifications se produisent. Au
nord-est, le Mélèze de Dahourie est rejoint par le Mélèze de Cajander313 (Larix
cajanderi, listvennitsa kaïandera) et le Cèdre nain (Pinus pumila, kedrovy
stlanik).

Ces deux derniers finissent par remplacer le Mélèze de Dahourie dans la


taïga des bassins de la Yana, de l‟Indighirka et de la Kolyma, ainsi que sur les
basses pentes des monts de Verkhoïansk et de Tcherski. Au sud-est, le Mélèze
de Dahourie se mêle à l‟Epicéa de Sibérie et au Cèdre nain, notamment à
l‟extrême sud de la Yakoutie et dans les monts Djougdjour, où ce paysage
persiste jusqu‟aux littoraux montagneux de la mer d‟Okhotsk. Le sous-bois
laisse alors une place importante au Peuplier baumier (Populus suaveolens,
topol douchisty) depuis la Léna jusqu‟au Pacifique.
L‟originalité floristique de la taïga décidue de Mélèzes s‟accompagne
d‟un peuplement animal en partie unique. Parmi les espèces n‟existant pas dans
la taïga sempervirente située plus à l‟ouest, on trouve le chevrotin porte-musc
(Moschus moschiferus, kabarga), dont la limite correspond remarquablement
avec le cours de l‟Iénisséï. Bien que le chevrotin porte-musc se plaise dans les
lariçaies au sous-bois fourni, il préfère cependant toutes les taïgas de montagnes
de Sibérie orientale et d‟Extrême-Orient.

313
Le Mélèze de Cajander est considéré comme une simple variété (Larix gmelinii cajanderi) du
Mélèze de Dahourie pour certains, comme une espèce à part entière pour d‟autres. Cet arbre a été
nommé ainsi en l‟honneur du botaniste finalandais Aimo Karloo Cajander, qui a beaucoup
travaillé au tout début du XXe siècle sur la taïga du bassin de la Léna.
215
Cliché L. Touchart, août 2006
Photo 31 La kabarga, un chevrotin de la taïga de Mélèzes orientale
Le chevrotin porte-musc n’existe que dans la taïga décidue de Mélèzes, surtout dans les montagnes
de Sibérie méridionale et d’Extrême-Orient, où l’abondance des lichens leur procure une nourriture
suffisante. La photo a été prise dans le musée du village de Bolchié Koty.

En effet, ces forêts, plus humides que celle des bas plateaux, présentent
des lichens qui pendent des branches et forment une bonne part de son
alimentation. Très chassée pour sa viande, son cuir, à partir duquel on prépare la
meilleure zamcha314, et son musc, utilisé en parfumerie, la kabarga avait
presque disparu à la fin du XIXe siècle. Cependant, grâce aux mesures de
protection, en particulier dans les réserves naturelles créées à partir des années
1930, la population est largement remontée, pour atteindre une centaine de
milliers d‟individus, régulée par une chasse annuelle fixée à 5 000 têtes. Seule
la kabarga de Sakhaline est strictement protégée et interdite de chasse.
D‟autres espèces habitent de préférence dans la taïga de Mélèzes, mais
débordent sur la partie orientale de la taïga sempervirente. C‟est le cas du putois
de Sibérie (Mustela sibirica, kolonok), dont on recense 360 000 individus en
Sibérie orientale et Extrême-Orient, mais tout de même 125 000 dans
l‟ensemble de la Sibérie occidentale et de l‟Oural. Les activités humaines ont
accentué dans ce cas une répartition naturelle qui favorisait déjà la taïga
décidue.

Le caractère géographique le plus important concerne cependant les


oiseaux. Il est manifeste que leur diversité est plus grande dans la taïga de

314
A peu près l‟équivalent de la peau de chamois de la langue française.
216
Milieux naturels de Russie
Sibérie orientale, cependant que le gradient longitudinal provoque un
appauvrissement vers l‟ouest, inverse à celui de la richesse végétale. Par
exemple, la pichtchoukha du nord est une espèce du genre Certhia qui n‟existe
que dans la taïga orientale, de même que le grand tétras des pierres (Tetrao
parvirostris, kamenny gloukhar). « La Sibérie orientale est très riche en oiseaux
de la taïga, elle en compte 42 espèces ; en allant vers l‟ouest, le nombre des
espèces diminue […]. La Sibérie orientale a constitué un des centres de
dispersion des oiseaux de la taïga, d‟où ils se sont répandus en Europe à
l‟époque post-glaciaire » (Berg, 1941, p. 58).

3.2. Le gradient latitudinal de la forêt boréale

Présentant une remarquable zonation, la taïga russe peut se subdiviser


en rubans parallèles, dont celui situé au milieu porte les caractères les plus
francs de la forêt boréale. C‟est la « taïga moyenne » des Russes (sredniaïa
taïga), une « sous-zone » (podzona) essentiellement comprise entre le 60e et le
64e parallèles, qui couvre environ 4 millions de kilomètres carrés. Cela
représente environ un quart du territoire russe, mais seulement 40 % de
l‟ensemble de la zone taïgienne, montrant ainsi l‟importance des marges qui la
bordent et font transition avec les autres milieux. En effet, au nord et au sud de
cette ceinture de référence, les paysages de la forêt boréale changent. La hauteur
des arbres et leur densité ne sont plus les mêmes.
Les forêts boréales des marges septentrionales ont une biomasse qui
peine à atteindre 100 tonnes à l‟hectare, tandis que la forêt boréale centrale
tourne autour de 200 à 250 tonnes par hectare. Mais sur les marges
méridionales, la biomasse se tient entre 300 et 350 tonnes à l‟hectare. En terme
de productivité, l‟écart est du même ordre, la forêt des régions les plus
nordiques produisant en général entre 2 et 4 tonnes par hectare et par an, contre
5 à 7 dans les parties centrales de la taïga et 8 à 9 sur les marges méridionales.
Ces différences biogéographiques sont fondées sur la zonalité climatique. La
durée de la saison végétative augmente du nord au sud et, selon Rakovskaja et
Davydova (2003, p. 251, en russe), « la somme des températures actives », celle
des températures moyennes quotidiennes supérieures à 10 °C, est de 800 à
1200 °C dans la taïga septentrionale, de 1200 à 1500 °C dans la taïga moyenne
et elle peut dépasser 1 800 °C dans la taïga méridionale, la seule où les
défrichements aient laissé une certaine place à l‟agriculture. En hiver, la surface
du sol gèle saisonnièrement en moyenne sur une épaisseur de 120 cm sous la
taïga septentrionale, de 70 cm sous la taïga médiane, de 45 cm sous la taïga
méridionale. En Sibérie centre-orientale, il faut ajouter une couche profonde

217
gelée en permanence, d‟autant plus proche de la surface que la taïga est
nordique315.
Ainsi liée aux gradients climatiques et pédologiques latitudinaux, la
dégradation de la taïga sur ses marges donne lieu à des rubans de transition, les
écotones, où le paysage végétal se modifie progressivement. Au nord, le
passage conduit partout à la toundra, au sud, le nombre de possibilités est plus
grand, variant d‟ouest en est en fonction de la continentalisation croissante316.
Non seulement ces « interfaces » (Lacoste et Salanon, 2001, p. 221)
modifient leur épaisseur et leur latitude en fonction de perturbations d‟échelle
plus locale, comme les vallées des grands fleuves, mais les écotones changent
aussi de place avec le temps. Les géographes physiciens ont longtemps fait
remarquer, à juste titre, que la taïga était une formation végétale très jeune, qui
n‟avait réoccupé cette zone, du sud vers le nord, que depuis la fonte de
l‟inlandsis il y a une dizaine de milliers d‟années et dont les marges avaient
fluctué en fonction des pulsations paléoclimatiques holocènes. Il faut désormais
ajouter à ce schéma une possible accélération actuelle et future liée au
réchauffement global. C‟est ainsi que, selon certains auteurs, comme D.
Zamolodtchikov, le changement climatique repousserait la zone de la taïga vers
le nord et bouleverserait ses écotones, avec la toundra d‟une part, la steppe
d‟autre part. Les modélisations du Centre d‟études des problèmes d‟écologie et
de productivité des forêts ont en effet simulé plusieurs remontées de la taïga en
latitude, en fonction de plusieurs hypothèses d‟élévation des températures. Dans
le cas d‟un réchauffement faible, le gain de la taïga sur la toundra serait plus
élevé que celui de la steppe sur la taïga, si bien que la taïga serait bénéficiaire.
Dans l‟hypothèse d‟un fort réchauffement, la taïga serait au contraire déficitaire
et son écotone méridional en souffrirait beaucoup.

315
« Les différentes zones de végétation de la Sibérie centrale ont un soubassement commun, le
permafrost […] toute la zonation de la végétation dépend de la profondeur du dégel estival »
(Birot, 1970, p. 128).
316
« Le contact de la forêt boréale avec les autres grandes formations végétales est simple au
nord, où il se fait avec la toundra, plus complexe au sud, dans la zone tempérée où la taïga passe à
des forêts mixtes, des forêts de feuillus caducifoliés, des prairies, des steppes continentales,
suivant que l‟on se trouve en climat océanique ou continental » (Arnould, 1991, p. 151).

218
Milieux naturels de Russie
3.2.1. Les marges septentrionales de la forêt boréale

La zone de transition entre la taïga et la toundra, qui forme un domaine


parfois dit « subarctique » par les géographes français317 (Godard et André,
1999), est l‟un des écotones les plus larges318 et les plus progressifs de la planète
(Löve, 1970), s‟étendant du sud au nord sur plusieurs dizaines à plusieurs
centaines de kilomètres (Arnould, 1991, p. 152, Ozenda, 1994, p. 90, Lacoste et
Salanon, 2001, p. 221, Dubois et Miossec, 2002, p. 154). Cette ceinture végétale
de dégradation de la taïga couvre 3,8 millions de km², soit 22 % territoire russe
et 36 % de la zone taïgienne, selon les planimétries d‟Issatchenko et les
définitions de Martchenko et Nizovtsev. Cette surface considérable montre que,
en fait, plus d‟un tiers de la forêt boréale russe est constituée d‟une formation
végétale chétive qui, sur sa marge la plus nord, est si clairsemée que le statut
forestier n‟est pas certain. C‟est elle qui explique les grandes variations
chiffrées existant entre les différentes sources, l‟écotone étant classé par certains
dans la zone de toundra, par d‟autres dans celle de taïga.
La richesse du vocabulaire russe concernant ce ruban végétal de
transition en dénote la complexité. Certains auteurs russes le nomment tout
entier lessotoundra, en français la toundra boisée. D‟autres géographes russes,
comme Issatchenko, regroupent toute cette ceinture sous l‟appellation de taïga
septentrionale. Mais la plupart des auteurs récents séparent nettement l‟écotone
en deux bandes parallèles. Ils réservent ainsi le terme de toundra boisée à la
partie la plus septentrionale de l‟écotone, celle de la zone de combat où les
derniers arbres rabougris s‟aventurent dans la toundra. N.A. Martchenko et V.A.
Nizovtsev (2005) préfèrent appeler cette moitié nord predtoundrovyé
redkolessa, c‟est-à-dire les forêts clairsemées de pré-toundra, selon une
délimitation assez proche319 de la lessotoundra des auteurs classiques. La
toundra boisée, à peu près regardée comme forêt clairsemée de pré-toundra,
couvre environ 1,9 million de km², sans compter son équivalente montagnarde.

317
En revanche, les géographes russes réservent ce terme à la vraie toundra méridionale
buissonnante (Aleksandrova, 1977, Adurahmarov et al., 2003).
318
D‟où son appellation de « zonoécotone boréo-némoral » par H. Walter (1979) et son
classement dans les « mégaécotones » par P. Duvignaud.
319
Mais non pas tout à fait égale. Ces géographes font entrer dans la toundra boisée la forêt
clairsemée de pré-toundra et la toundra méridionale hypoarctique.
219
Fig. taïga 21 : Carte de l’extension de la toundra boisée

La moitié sud de l‟écotone forme alors une taïga septentrionale


(sévernaïa taïga), qui se différencie de la taïga moyenne par deux critères.
D‟une part, la taïga septentrionale est une forêt aux arbres espacés et non
jointifs comme en forêt boréale moyenne (Abdurahmanov et al., 2003). D‟autre
part, les lichens prédominent dans l‟étage inférieur, au contraire des mousses
vertes de la taïga moyenne. La taïga septentrionale ainsi entendue couvre
environ 1,9 million de km².
Ajoutons le fait que d‟autres auteurs320 encore réservent le terme de
taïga dans son sens le plus strict au seul écotone, laissant la forêt boréale
désigner le cœur de la zone321. La situation se complique encore en Sibérie
orientale, où se rejoignent la dégradation de la taïga vers l‟est par
continentalisation et la dégradation de la taïga vers le nord par l‟allongement de
la saison froide, sans compter l‟importance qu‟y prennent les massifs
montagneux. Ainsi, en Yakoutie, la taïga moyenne elle-même devient si
clairsemée qu‟elle ressemble à la bande de la forêt clairsemée du nord et on a
presque coïncidence entre la toundra boisée et la taïga de mélèzes de la Sibérie
orientale322. Cela revient à dire que, à force de s‟élargir d‟ouest en est, toute la
largeur de la zone de la taïga n‟est plus, dans cette région, qu‟un écotone.

320
« Ce terme russe d‟origine turque ne désignait à l‟origine que la marge septentrionale, la plus
claire, de cette formation » (Da Lage et Métailié, 2008, p. 531).
321
Cette acceptation restrictive de la taïga serait fondée partiellement sur l‟étymologie, puisque ce
mot russe aurait été emprunté au vocabulaire de minorités indigènes de famille linguistique turco-
mongole où il signifierait « mont recouvert de forêt » (Radvanyi, 2007, p. 41). Reclus (1881, p.
616) notait que le mot s‟emploie « spécialement à l‟est de l‟Altaï pour les régions
montagneuses ». De ce fait, la taïga désignerait à l‟origine un étage altitudinal de transition et
pourrait ainsi s‟employer aussi pour désigner une zone latitudinale de transition.
322
« C‟est d‟ailleurs au iakoute que le russe aurait emprunté le mot même de taïga » (Hamayon,
1997, p. 9). Cela confirme le bien-fondé de l‟emploi du terme de taïga pour le seul faciès
220
Milieux naturels de Russie
Il est donc un peu arbitraire et simplificateur de vouloir isoler la seule
dégradation de la taïga sur ses marges septentrionales, mais cette étude garde sa
pertinence dans la moitié occidentale de la Russie. Le changement du paysage
forestier en direction du nord se fonde sur l‟espacement de plus en plus grand
entre les arbres. Sur son flanc septentrional, la forêt boréale devient une forêt
claire, ou, plutôt, une forêt clairsemée323. Les conifères ne sont plus jointifs, ils
s‟espacent, si bien que le sous-bois perd son caractère obscur, la lumière atteint
le sol. Cela permet aux lichens de se mieux développer, notamment Cladonia
coccifera et Cladonia bellidiflora. La toundra boisée est une formation très
marécageuse, qui compte aussi beaucoup de tourbières. En été, c‟est l‟endroit
qui compte le plus de moustiques et même le géographe russe L.S. Berg (1941,
p. 29) ne peut s‟empêcher de s‟exclamer qu‟on en trouve « des quantités
inimaginables dans la toundra boisée ».
En outre, la taille des arbres se réduit. L‟étage supérieur, qui pouvait
être d‟une trentaine de mètres en pleine forêt boréale, s‟abaisse vers le nord à
une dizaine de mètres324, puis, dans la zone de combat, on trouve des mélèzes de
seulement quatre à cinq mètres de haut et dont le tronc n‟a qu‟un diamètre
d‟une trentaine de centimètres. Finalement, ce sont souvent des sujets arbustifs
ou nains qui font la transition avec la toundra. Les conifères ne sont pas les
seuls à subir ce rapetissement et, chez les feuillus, le cas du Bouleau nain
(Betula nana) est connu. C‟est la bérioza karlikovaïa des Russes, ou le
bériozovy stlanets.
La cause de l‟ensemble de ces dégradations zonales est climatique,
fondée sur l‟allongement de la durée de la saison froide du sud au nord, qui finit
par faire disparaître l‟arbre. En effet, grâce à leur endurcissement, les conifères
peuvent supporter les froids les plus intenses, en premier lieu le Mélèze de

clairsemé de la forêt boréale. Finalement, la Yakoutie est l‟endroit où se rejoignent les


dégradations d‟origines longitudinale, latitudinale et altitudinale, pour former une forêt partout
clairsemée.
323
Le français « forêt claire » peut désigner à la fois une taïga septentrionale dont les arbres sont
espacés et une taïga de pins, qui est plus lumineuse qu‟une forêt d‟épicéas. Le russe fait en
revanche très distinctement la différence. Il emploie dans le premier cas redkostoïny less, ou bien
redkolessié, désignant ainsi une « forêt aux individus espacés », une « forêt clairsemée », qui est
le propre de la taïga septentrionale, dans le second cas svetlokhvoïny less, qui est une forêt claire
par ses essences dominantes de pins. Rougerie (1988, p. 139) refuse l‟emploi de forêt claire pour
la taïga, insistant sur le fait que le terme est réservé à certaines formations subtropicales et
tropicales, « et non pas [à des formations] distinguées par le desserrement local de peuplements
végétaux plus loin constituées en forêts denses, comme il en est sur les marges arctiques des
taïgas ». Dubois et Miossec (2002, p. 155) parlent de « forêt très claire » pour désigner
« l‟écotone forêt-toundra ». Nous emploierons ici le terme de taïga claire pour les pinèdes
boréales et de taïga clairsemée pour les marges nord de dégradation de la taïga vers la toundra.
324
Au nord-ouest de la presqu‟île de Kola, « si la forêt s‟y prolonge, c‟est sous la forme
amoindrie qu‟on appelle taïbola ; le sapin, qui domine, ne dépasse pas 8 à 12 mètres de haut »
(Camena d‟Almeida, 1932, p. 111).
221
Dahourie. Mais, en contrepartie, il leur faut un certain nombre de jours chauds
en été. Bref, si la saison végétative est trop courte, l‟arbre disparaît. Plusieurs
seuils climatiques principaux se superposent à peu près à la limite de l‟arbre,
avec quelques variations en fonction de la plus ou moins grande continentalité.
Grossièrement, l‟arbre disparaît à partir du moment où le nombre de jours sans
gel devient inférieur à 50, ou bien quand il y a moins de 120 journées à plus de
5 °C devient. Il en est de même si la moyenne mensuelle du mois le plus chaud
passe en dessous de 10°C, qui correspond à la ligne de Köppen. Ainsi, ce n‟est
pas l‟intensité du froid de l‟hiver, mais seulement la disparition de l‟été qui
provoque celle de la forêt boréale et le passage à la toundra. L‟écotone de la
toundra boisée correspond finalement à une bande climatique limitée par
l‟isotherme du mois le plus chaud de 10 °C au nord et 13 °C au sud (Dubois et
Miossec, 2002), soit les « limites de l‟arbre et de la forêt » (Godard et André,
1999, p. 189).
Si l‟on compte l‟écotone de la toundra boisée dans la zone de la forêt
boréale, comme le font la plupart des auteurs, alors la limite nord de la taïga
dépasse largement le cercle polaire dans la presqu‟île de Kola, par environ
69° N à l‟ouest, 67° N à l‟est, grâce à la terminaison de la Dérive Nord-
Atlantique qui réchauffe la région. Au-delà de la Mer Blanche, elle reste
toujours proche du cercle polaire, tant en deçà qu‟au-delà de l‟Oural, du moins
jusqu‟à l‟Iénisséï, où elle dépasse légèrement la petite ville d‟Igarka. A l‟est de
l‟Iénisséï, le relief montagneux complique tellement la situation que le paysage
devient plutôt une alternance de toundra de montagne et de taïga de fond de
vallée.
A l‟est de la Léna et de l‟Aldan, il est même illusoire de tracer une
limite, eût-elle une grande largeur latitudinale. Il s‟agit plutôt d‟une mosaïque
par taches de toundra et de taïga clairsemée, où l‟échelle locale prend le pas sur
l‟échelle zonale. Dans la taïga septentrionale des monts de Sibérie orientale et la
toundra boisée qui lui fait suite en Tchoukotka et au nord de la mer d‟Okhotsk,
le Cèdre nain (Pinus pumila) prend de plus en plus d‟importance. Ce dernier, le
kedrovy stlanik des Russes, parfois appelé le Pin prostré ou Pin japonais en
français (Hotyat, 1999), devient l‟arbuste principal de toutes les formations
végétales des montagnes côtières, notamment dans la forêt rabougrie de pré-
toundra du Kamtchatka325.
En conclusion, la zonalité taïgienne est, sur sa marge nord, largement
perturbée par deux phénomènes d‟échelle moyenne, les vallées des grands cours
d‟eau, qui permettent l‟avancée plus au nord de forêts-galeries, et les
montagnes, qui, au contraire, constituent des enclaves de steppe périglaciaire à

325
« Les langues de lapilli qu‟a tirées le volcan tout autour de son cône sont couvertes de stlannik,
réseau dense d‟une variante de pins à crochets ou „cèdres nains‟ dont les branches acérées
menacent yeux et jambes des pointes de leurs flèches » ( Boch et Fisset, 2007, p. 83).
222
Milieux naturels de Russie
l‟intérieur de la forêt boréale. Elle l‟est aussi par de multiples modifications
locales, à très grande échelle cartographique. Après l‟étude de la marge sud, il
sera donc indispensable d‟effectuer un nouveau changement d‟échelles
géographiques, sans lequel la taïga est, au moins en Sibérie orientale,
incompréhensible.

3.2.2. Les marges sud de la forêt boréale : la taïga méridionale et les


forêts mixtes de la subtaïga

Les auteurs classiques, dont L.S. Berg était le représentant éminent,


employaient le terme de « sous-zone des forêts mixtes » (1941, p. 59) pour
désigner, en Russie d‟Europe, la bande forestière située au sud de la taïga
proprement dite, où l‟Epicéa est toujours présent, mais se mêle avec des
feuillus. Les auteurs plus récents, par exemple T.K. Yourkovskaïa, N.A.
Martchenko, V.A. Nizovtsev élargissent le ruban de transition, tout le
subdivisant en deux bandes zonales, la taïga méridionale et la subtaïga. En
Sibérie, il n‟y a pas de forêt mixte à proprement parler. Pourtant, la
transformation de la taïga sur son flanc méridional mérite elle aussi attention et
les typologies russes actuelles cherchent à mieux faire apparaître la zonalité
complète sans opposer systématiquement l‟Europe à l‟Asie. Au total, la marge
méridionale de la taïga s‟étendait sur environ 2,7 millions de km² à l‟état
naturel, mais les défrichements ont été les plus forts de l‟ensemble de la zone
taïgienne.

La youjnaïa taïga

La taïga moyenne garde ses caractéristiques jusque vers 60° de latitude.


Au sud de ce parallèle, le paysage commence à changer. La saison chaude est
plus longue et, le plus souvent, les précipitations augmentent un peu, si bien
que, sur son flanc méridional, la forêt boréale a tendance à s‟enrichir en espèces
et à voir son étage moyen plus fourni. C‟est la youjnaïa taïga, la taïga
méridionale, une « sous-zone » (podzona) qui, selon N.A. Martchenko et V.A.
Nizovtsev, se distingue en Europe et en Sibérie occidentale par l‟apparition
dans le sous-bois de la lipa, c‟est-à-dire du genre Tilleul (Tilia). Plus à l‟est,
c‟est l‟enrichissement des lariçaies en Cèdres de Sibérie, qui, selon G.M.
Abdourakhmanov, montre le passage à la youjnaïa taïga. En Europe surtout,
localement aussi en Sibérie, la youjnaïa taïga se distingue également par son
tapis au sol, moins moussu et plus herbeux que celui de la taïga moyenne. Elle
pousse sur les dernovo-podzolistyé potchvy de la classification russe, les sols

223
gazonnés326 podzoliques, qui ont un humus moins acide et plus épais que le
podzol vrai.
Cette belle taïga méridionale forme un ruban large de 3° de latitude en
Europe, grossièrement de 60° à 57°, qui s‟amincit en Sibérie occidentale et finit
par disparaître au-delà de l‟Iénisséï, s‟éteignant le long de l‟Angara, dans la
région d‟Oust-Ilimsk. Elle couvre à l‟état naturel environ 1,6 million de km².
En Europe, où elle s‟épanouit le plus, la taïga méridionale s‟arrête, au
sud, sur la haute Volga, couvrant le plateau de Valdaï et bordant les villes de
Tver et Ivanovo, par 57° de latitude, à environ 150 km au nord de Moscou. Son
avancée, d‟un seul tenant, la plus méridionale suit la Volga jusqu‟aux portes de
Nijni Novgorod par 56° de latitude. La limite reste vers 57° jusqu‟au
franchissement de la Viatka, puis remonte un peu vers le nord et atteint le
piémont de l‟Oural à Perm par 58°, où les peuplements de Tilleul à petites
feuilles, ou Tilleul à feuilles en cœur (Tilia cordata, lipa melkolistnaïa),
prennent une grande ampleur dans le sous-bois des pessières. Il faut ajouter,
formant un îlot détaché de youjnaïa taïga entouré de podtaïga, la célèbre forêt
de la Mechtchora, qui s‟avance dans la boucle de l‟Oka faisant face à Riazan.
Cette enclave mérite une étude à une plus grande échelle cartographique (cf.
infra). La taïga méridionale européenne se différencie assez nettement de son
équivalente sibérienne par la faiblesse des espaces occupés de marécages. La
seule exception notable se trouve au nord-ouest du lac de barrage de Rybinsk,
d‟ailleurs protégée par la réserve naturelle et de la biosphère de Darwin, qui
offre elle aussi un intérêt à grande échelle (cf. infra).
Au-delà de l‟Oural, la taïga méridionale forme un ruban plus mince et
largement troué de lacs et tourbières. Elle est nettement limitée, au sud, par les
rivières Tavda, Tobol et Irtych dans les parties ouest-est de leur parcours. La
ville de Tobolsk, par 58° de latitude, est un point de repère de sa terminaison
méridionale. Plus à l‟est, la youjnaïa taïga franchit l‟Ob au nord-ouest de
Tomsk, puis s‟effiloche et ne subsiste plus que par taches jusqu‟à l‟Angara. Au-
delà de l‟Angara et de la haute Léna, les reliefs de hauts plateaux en climat
ultra-continental ne permettent pas son existence. Selon N.A. Martchenko et
V.A. Nizovtsev, on retrouve cependant en Extrême-Orient, par la densité des
arbres, une youjnaïa taïga dans la moitié nord de la Plaine Amouro-Zéïenne
(Amoursko-Zeïskaïa Ravnina) drainée par la Zéïa.

326
Camena d‟Almeida (1904, p. 273) écrivait « sols gazonneux ».
224
Milieux naturels de Russie
La forêt mixte de la subtaïga

Au sud de la taïga méridionale, la saison végétative327 s‟allonge au point


que de grands feuillus peuvent s‟implanter dans l‟étage supérieur. La chaleur est
suffisamment longue pour la reconstitution des frondaisons après leur perte
pendant l‟hiver. Cette transition, favorisée par une augmentation de l‟humidité
atmosphérique qui atteint ici son maximum zonal, se fait progressivement, par
le mélange de conifères et de feuillus. Il s‟agit d‟une forêt mixte (smechanny
khvoïno-chirokolistvenny less, ou, plus simplement, smechanny less). Tant que
les conifères continuent de dominer dans la strate supérieure328, les auteurs
russes classent les forêts mixtes dans la zone de la taïga et, pour asseoir cette
appartenance, parlent de podtaïga, c‟est-à-dire, en français, de subtaïga. Le tapis
au sol est dominé par les herbes. La subtaïga pousse sur des sols gazonnés
podzoliques (dernovo-podzolistyé potchvy), dont l‟horizon humifère peut
atteindre 15 à 20 cm et qui, moins acides que le podzol, conservent un taux plus
élevé de saturation en bases, utiles aux plantes cultivées (Nizovcev, 2005, p.
135). Bref, l‟ensemble est plus favorable à l‟occupation humaine, si bien que
l‟un et l‟autre ont fini par se confondre dans la signification russe de podtaïga.
Le terme a donc aussi une connotation de taïga très humanisée.
Dans la partie européenne de la Russie, c‟est l‟apparition du doub,
c‟est-à-dire du genre Chêne (Quercus), qui marque, quand on vient du nord,
l‟entrée dans la subtaïga. Une seule espèce est concernée, le Chêne pédonculé
(Quercus robur, doub tchérechtchaty), qui est le chêne commun des Russes329.
Aux frontières de la Biélorussie et des Pays Baltes330, le doub remonte très au
nord à l‟intérieur des pinèdes et on le retrouve jusque dans la région de Pskov.
Mais, en moyenne, ce ruban de forêt mixte à dominante de conifères mêlés de
chênes s‟étend entre le 57e et le 55e parallèles.

327
« En Russie, la limite nord de la forêt mixte, où se mélangent feuillus et conifères, coïncide
avec celle des régions qui ont au moins 90 jours de température moyenne supérieure à 10° »
(Birot, 1965, p. 247).
328
Bien entendu, surtout dans des régions humanisées, où les essences feuillues ont généralement
été favorisées, il est quelque peu conventionnel de faire tomber une partie de la forêt mixte dans
la zone de la taïga et l‟autre, celle où les conifères occupent moins de 50 % de l‟espace (Vorobëv
et al., 1979), dans la zone des forêts de feuillus. Il en découle des variations des superficies selon
les auteurs. On peut considérer en moyenne que la subtaïga occupe à l‟état naturel entre 1 million
et 1,2 million de km². Aujourd‟hui, après défrichement, il en subsiste environ 400 000 km².
329
Le Chêne sessile (Quercus petraea, doub skalny) n‟existe pas en Russie, sauf dans le Caucase.
Il est vrai que le Chêne pédonculé résiste mieux au froid et supporte bien les sols humides de la
grande plaine russe.
330
On sait que, au XVIIIe siècle, quand il fut décidé de planter certaines parties de la forêt de
Fontainebleau en Pins sylvestres, ce furent des graines issues de la subtaïga lettonne, belle
chênaie-pinède, qui furent les premières utilisées. Quant à l‟enclave de Kaliningrad, toujours
russe, elle entre entièrement dans la subtaïga.
225
Cliché L. Touchart, avril 2008
Photo 32 La subtaïga balte, une pinède piquetée de quelques chênes
La subtaïga du nord-ouest de la Russie, des Pays Baltes, du nord de la Biélorussie et de l’enclave
russe de Kaliningrad est une forêt mixte dominée par le Pin sylvestre, où s’insinue le Chêne
pédonculé. La photo a été prise en Lettonie, dans une futaie de Pins au sud de Riga, où le sous-bois
de tilleuls a disparu.

Moscou a été construite dans une clairière de défrichement en pleine subtaïga et


cette forêt mixte atteint l‟Oka à presque 54° de latitude entre les villes de
Kalouga et Riazan. Dans la Mésopotamie russe, entre Volga et Oka, l‟Epicéa
d‟Europe et le Pin sylvestre se mêlent au Chêne pédonculé et, plus localement,
au Hêtre331 des bois (Fagus sylvatica, bouk lesnoï) et au Charme d‟Europe
(Carpinus betulus, grab obyknovenny), cependant que le Tilleul reste important
dans le sous-bois. Les arbustes, le Noisetier, le Fusain, la Bourdaine, dominent
un tapis herbacé important, comprenant Carex, Oxalis, Ranunculus,
Pulmonaria. Souvent considérée comme l‟exemple le plus significatif de la

331
Selon Sakhno (2001), le hêtre a dû fournir jadis les tablettes de bois où étaient gravées les
lettres, comme le rappelle la grande similitude entre les noms russes désignant le hêtre (bouk) et la
lettre de l‟alphabet (boukva).
226
Milieux naturels de Russie
332
forêt mixte , la forêt moscovite n‟en représente pourtant que le faciès le plus
occidental.
A l‟est du 50e méridien, la subtaïga se simplifie en une pessière-pinède-
chênaie, qui s‟épanouit au nord du Tatarstan, en Oudmourtie, au sud de l‟oblast
de Perm et au nord de la Bachkirie. Ici, la limite méridionale de la subtaïga suit
la vallée de la Kama et le cours aval de la Biélaïa.
En Sibérie, en revanche, le Chêne est complètement absent333. La
subtaïga forme une bande assez mince, qui court de l‟Oural jusqu‟à l‟Ob entre
le 57e et le 56e parallèle. Il s‟agit d‟une forêt de feuillus issue d‟incendies
répétés de longue date, qui ont fini par détruire la strate supérieure de la taïga et
faire disparaître les conifères. C‟est donc une longue boulaie-tremblaie qui
borde la taïga méridionale de toute la Sibérie occidentale, laissant seulement
apparaître çà et là de petites pinèdes sylvestres, notamment au sud de Tioumen.
En Sibérie orientale, les montagnes bouleversent les marges
méridionales de la taïga, mais on reconnaît encore une bande de subtaïga, où les
bouleaux et les trembles, favorisés par les incendies, prennent une grande place
sous quelques pins et mélèzes, cependant que des espèces de steppe
apparaissent dans le sous-bois. Il est possible de suivre ce ruban sur le piémont
du Saïan et en Angarie depuis Bratsk jusqu‟à Irkoutsk. La voie ferrée
transsibérienne accompagne la subtaïga de Sibérie orientale de Kansk à
Irkoutsk, montrant qu‟il s‟agit de la partie la plus humanisée de la zone
taïgienne et où les conifères ont été défrichés depuis le plus longtemps. A l‟est
du Baïkal, il n‟y a plus aucune forêt mixte qui s‟insinue entre la taïga
proprement dite et la steppe, si bien que le passage se fait directement de l‟une à
l‟autre, tout en étant compliqué par les mosaïques de massifs montagneux et de
fossés d‟effondrement .

332
« L‟exemple de la forêt moscovite, vulgarisé par N. Dylis, est souvent cité. Il s‟agit d‟un
groupement jeune (moins de 100 ans) considéré par l‟auteur comme représentatif de la ceinture
forestière dont le domaine potentiel se situe entre Dniepr et Volga » (Rougerie,1988, p. 133).
333
Il existe au Jardin Botanique de l‟Université d‟Irkoutsk un spécimen de Chêne, planté ici pour
montrer aux élèves de l‟enseignement secondaire et aux étudiants à qui ressemble ce genre
inconnu pour eux. Attaqué par le gel, il montre des blessures importantes (visite de l‟auteur
effectuée sous l‟égide d‟Elena Tourintseva, biologiste à l‟IGU, août 2008).
227
Ce n‟est qu‟en Extrême-Orient que réapparaît une forêt mixte au sud de
la taïga, sans qu‟elle soit cependant ici habituellement nommée subtaïga. Elle
n‟est en effet pas humanisée et elle est uniquement montagnarde. Cette forêt
mixte couvre le massif de Boureïn et ses annexes à l‟ouest de l‟Amour et celui
de Sikhotè-Aline à l‟est.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 33 Mosaïque de taïga et de steppe sans transition de forêt mixte en Sibérie orientale
La Transbaïkalie est une région sans l’écotone de subtaïga. Le passage se fait brutalement entre la
taïga et la steppe. L’ensemble est compliqué par le morcellement du relief et des situations d’abri,
formant une mosaïque. L’action humaine, par l’élevage pratiqué par les Bouriates, rend les limites
entre les deux zones végétales plus nettes encore. La photo a été prise en direction du nord-est au-
dessus du village de Koujir.

Dans la partie la plus nord-ouest, les conifères sont presque exclusifs,


couvrant toutes les moyennes montagnes situées entre le fleuve Ouda et les
cours supérieurs des rivières Sélemdja et Bouréïa. C‟est au sud de l‟Amgoun
que les premiers feuillus apparaissent. Ici, à l‟ouest de Komsomolsk et au nord
de Birobidjan, le Chêne de Mandchourie (Quercus mongolica, doub mongolski)
et le Bouleau jaune (Betula costata, bérioza rebristaïa) se mêlent au Mélèze de
Dahourie et au Cèdre de Corée (Pinus koraiensis, kedr koréïski). La forêt mixte
est encore plus riche à l‟est de l‟Amour, le nombre d‟espèces grandissant tant
chez les conifères que chez les feuillus et la luxuriance se rapprochant peu à peu
d‟une forêt subtropicale, comprenant des épiphytes, des lianes et un sous-bois
plus riche en fougères. Arseniev (1921), narrant son expédition de 1906 dans les
monts Sikhotè-Alin, écrivait: « La taïga oussourienne n‟est point un bosquet,
mais une forêt primitive dont les arbres sont enlacés de vignes sauvages et de

228
Milieux naturels de Russie
lianes. Dès que nous pénétrâmes dans ces bois, il nous fallut faire usage de nos
haches » (chap. 7 « A travers fleuves, bois et marais ») et, plus loin, « dans la
région oussourienne, on rencontre assez rarement de véritables forêts de
conifères, au terrain dépourvu d‟herbe et parsemé de feuilles aciculaires. Le sol
est au contraire toujours humide, tout couvert de mousses, de fougères et de
laîches » (chap. 9 « Le passage du Sihoté-Aline et la marche à la mer »).

Taïga méridionale et forêt mixte, le berceau de la Russie

De Novgorod et Yaroslavl, en pleine taïga méridionale, à Moscou, au


cœur de la forêt mixte, la Russie s‟est forgée dans les marges sud de la taïga
européenne. Les forêts de ces régions sont devenues un trait de civilisation, si
bien que la géographie russe actuelle en tire quelque héritage.
Le rôle historique de la mosaïque européenne de taïga méridionale et de
subtaïga est incontestable dans la fondation de l‟Etat russe, sous forme d‟une
protection face au danger venu de la steppe découverte. Or rester dans la forêt,
pour assurer sa défense, réclame de développer une vie, rurale et urbaine, de
clairière de défrichement ; c‟est là l‟origine de la Russie.
Face à une menace qui, pendant des siècles, est venue de conquérants
asiatiques de la steppe, regroupés ensuite sous le nom de Tatars, les Russes, qui
ne pouvaient trouver, dans la vaste plaine, de relief escarpé susceptible de les
protéger, ont utilisé la marge méridionale de la taïga comme un refuge. Le
noyau de vie en était la clairière de défrichement334, mise en culture, appelée
polié. La polysémie du polié dans la langue russe, qui désigne tout à la fois la
plaine, la clairière et le champ, montre bien qu‟il était au cœur de la vie russe335.
Après l‟expansion de la Russie kiévienne, Novgorod fut la première cité
russe, creuset de Varègues et de tribus slaves, sise dans la taïga méridionale.
Progressivement, les fondations de la Mésopotamie, entre la Volga et l‟Oka,
prirent le relais336. Dans l‟ordre biogéographique, et non chronologique,

334
A tel point que le mot russe désignant la forêt, less, serait issu d‟une racine indo-européenne
signifiant « arracher, couper ». Cela serait corroboré par la grande proximité entre less (forêt) et
lechtchina (noisetier), ce dernier étant une essence de repousse après le défrichement. Ces mots
russes auraient la même étymologie que le nom français « laine », qui est une matière provenant
de la tonte (Sakhno, 2001).
335
Et même des Slaves d‟avant la Russie. Le mot viendrait d‟une racine indo-européenne
signifiant « ouvert ». « Les Polianes et les Polonais eux-mêmes sont les habitants de la plaine
(pole, qui dérive de la même racine que le latin palam, „de façon ouverte‟ […] ). Le nom de ce
pays reflète ses plaines et ses champs : le mot Pologne a donc la même signification que notre
Champagne française » (Conte, 1986, p. 115).
336
« Le reflux des populations russes du Sud sous la pression des Tatars a atteint les pays soumis
aux Novgorodiens qui fondent, avec les nouveaux éléments, ville sur ville au XIII e et XIVe
siècles. Mais le pays d‟asile par excellence est le pays de Souzdal, la Mésopotamie russe, le
229
certaines étaient des clairières de défrichement de la taïga méridionale, comme
Yaroslavl, fondée en 1010, d‟autres des clairières de la subtaïga, comme
Moscou (1147), d‟autres enfin des clairières de l‟avancée la plus septentrionale
de la forêt mixte à dominante de feuillus, comme Souzdal337 (IXe siècle) et
Vladimir (1108). Ces deux dernières, suffisamment proches pour ne former,
assez tôt, qu‟une seule vaste clairière de défrichement, le Vladimirskoïé opolié,
constituèrent d‟abord la principauté la plus puissante, dont les souverains
fondèrent ensuite Moscou, qui allait finalement suppléer Vladimir. Le transfert
de la résidence du chef de l‟Eglise russe, le métropolite de Kiev, à Vladimir en
1299, puis à Moscou en 1326, furent des événements importants de ce
déplacement géographique du pouvoir.

Cliché L. Touchart, décembre 2009


Photo 34 Les vestiges de la forêt mixte moscovite à Izmaïlovo
Moscou est née dans une clairière de défrichement au milieu d’une subtaïga à dominante de Pins et
d’Epicéas, mêlée de quelques Chênes. Quelques très grands parcs urbains, souvent enrichis
d’essences exotiques où les feuillus sont privilégiés, en sont les lointains héritiers. Celui d’Izmaïlovo
a été préservé comme terrain de chasse de la famille impériale, puis comme poumon vert du nord-
est de la capitale. Le bois s’étend sur une douzaine de kilomètres carrés, troué, comme ici, de
quelques étangs.

Mejdouriékié, contrée de forêts, de lacs et de marais entre la Volga supérieure et l‟Oka […] Un
dur travail de défrichement des mauvaises terres de la forêt assure le ravitaillement » (Georges,
1962, p. 247).
337
« A partir de 1350, les moines prirent des distances à l‟égard des villes et des princes. On vit
apparaître en Russie un monachisme du désert, dans des régions nouvelles, autour de Souzdal et
surtout au nord de la Volga. […] La trouée ouverte par les moines dans l‟épaisseur de la forêt
devenait une vaste clairière, que le peuple russe venait spontanément élargir en s‟établissant dans
le voisinage du monastère » (Arminjon, 1974, pp. 14-15).
230
Milieux naturels de Russie
Le polié de Moscou, assez tard venu dans les fondations
mésopotamiennes, avait pris la place d‟une pessière-pinède à Tilleuls, mêlée
d‟autant plus de Chênes qu‟on allait vers l‟ouest.
On retrouve aujourd‟hui ces essences dans le Jardin Botanique
Principal de l‟Académie des Sciences338 et dans quelques immenses parcs,
comme le Lossiny Ostrov, le Bittsevski et Izmaïlovo.
Le Lossiny Ostrov (l‟île aux élans) est un massif boisé d‟une centaine
de kilomètres carrés qui se situe pour part sur le territoire même de la ville de
Moscou, au nord-est de celle-ci, pour part dans son oblast. Créé en 1983, le
Lossiny Ostrov est le plus ancien parc national de Russie, qui avait été préservé
de l‟urbanisation dès 1934 en entrant dans la ceinture verte (zéliony poïass) de
Moscou. La pessière-pinède-chênaie à Tilleul des origines, largement
transformée et très endommagée lors de la Seconde Guerre Mondiale, est
devenue une forêt secondaire, où les Bouleaux représentent désormais 44 % des
arbres. Cependant, les autorités du parc déclarent, de manière plus intéressante,
que les Pins forment 22 % du peuplement, les Epicéas 15 %, les Tilleuls 12 %
et les Chênes 3 %.
Le parc d‟histoire naturelle de la forêt de Bittsev protège la forêt mixte
du sud-ouest de la ville de Moscou sur 22 km². Cette pessière-pinède-chênaie à
sous-bois de Bouleaux et de Peupliers trembles est caractéristique de la
Moscovie. Quelques Frênes et Ormes, plus méridionaux, s‟y insinuent. La
stratification est complète. L‟étage arbustif compte des Sorbiers, des Noisetiers,
des Fusains, cependant que la strate buissonnante est riche en baies. La strate
herbacée intéresse les citadins quand elle fleurit et le parc de Bittsev
s‟enorgueillit de ses Myosotis (nezaboudki), de ses Campanules (Campanula,
kolokoltchiki) et de ses Muguets (Convallaria, landychi). La strate muscinale
forme un tapis de mousses. La plaine alluviale qui serpente dans le parc ajoute à
la variété, peuplée d‟Aulnes noirs.
Dans une situation plus centrale, le site même du kremlin, précisément
étudié par Kerblay (1968), correspondait à la Colline des Pins. C‟est de cet
endroit que, à la suite de quelques dates majeures339, la puissance russe se
développa, s‟unifia, renversa la situation de domination face aux Tatars et se
lança à la conquête des steppes. Après avoir servi de refuge, de repli, de

338
Ce n‟est cependant pas l‟endroit de Moscou ou apparaît le mieux la forêt mésopotamienne.
Conservatoire de plus de 8 000 espèces et 16 000 taxons du monde entier, le plus grand jardin
botanique d‟Europe est plus une collection planétaire qu‟un reste de forêt moscovite.
339
Transfert de la capitale de la principauté de Vladimir à Moscou en 1263, installation du
métropolite en 1326, obtention du titre de Grand Prince par Ivan I er et droit de percevoir le tribut
en 1328, victoire du Champ-des-Bécasses sur le khan de la Horde d‟Or en 1380, unification de
toutes les principautés rivales sous le règne d‟Ivan III (1462-1505), sacre d‟Ivan IV comme tsar
en 1547 et prise de Kazan en 1552.
231
protection340, la taïga méridionale et la forêt mixte devenaient le point de départ
d‟une avancée vers le sud et l‟est de plusieurs siècles. Jamais sans doute un Etat
né des marges de la forêt boréale n‟avait connu une telle fortune.
Malgré de grandes victoires steppiques, la Russie resterait cependant un
Etat forestier dans l‟âme, et quand elle se lança à la conquête de la Sibérie, la
recherche des richesses taïgienne, en particulier en fourrures, en demeurait le
motivation principale. C‟est que ce pays avait construit un mode de vie fondé
sur l‟exploitation de la subtaïga, un ensemble de comportements techniques,
mais aussi sociaux, moraux et même religieux fondés sur la forêt mixte.
La Russie a ainsi développé une civilisation de la forêt, comprenant des
aspects matériels341 et des phénomènes culturels. Certes, les premiers sont
surtout historiques342, encore que le bois garde effectivement une grande
importance dans la géographie actuelle de la Russie. Mais ils ont donné
naissance à un état d‟esprit selon lequel la taïga est pourvoyeuse de richesses
presque illimitées. Cette mentalité est d‟ailleurs à rapprocher des liens entre la
Russie et l‟immensité. La forêt est placée plus haut que la steppe dans l‟échelle
symbolique des valeurs. La réalité géographique de la steppe actuelle a beau
être celle de grandes cultures opulentes produisant bien plus de richesses que la
forêt, on sait que la maison traditionnelle forestière, l‟izba, représente toujours
dans l‟imaginaire collectif la richesse, la cahute de la steppe, la khata, la
pauvreté ; et c‟est justement dans la forêt mixte du sud de la taïga, assez proche
du nord de la steppe, que, sur de courtes distances, cette opposition se manifeste
le mieux. La forêt fournit des richesses par elle-même ou par l‟intervention

340
« La clairière de Moscou a été le cœur d‟un nouvel Etat, centre de la civilisation grand-russe et
type de l‟Etat né des forêts. La grande forêt russe a protégé les peuples slaves contre les invasions
des nomades de la steppe qui la craignaient ou la détruisait par l‟incendie pour progresser »
(Blanc et Carrière, 1992, p. 222). « Protectrice de ces clairières, difficilement franchissable par la
cavalerie des ennemis venant de la steppe, la forêt assura le salut de la Russie et la préserva d‟un
asservissement durable. L‟Etat moscovite pourrait être défini : un Etat forestier, et c‟est là son
originalité » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 81).

341
« Mais ce n‟est pas seulement aux époques périlleuses que la forêt a conservé la race russe ; de
tout temps elle lui a fourni des ressources matérielles dont le Russe n‟a cessé de tirer un
extraordinaire parti, plus que n‟importe quel habitant des autres contrées boisées de l‟Europe »
(Camena d‟Almeida, 1932, p. 81). « La forêt était le fondement matériel quasiment unique de la
civilisation rurale russe, celle qui s‟est perpétuée beaucoup plus tard qu‟en Occident » (Marchand,
2007, p. 220).
342
« La forêt a toujours été pour les Russes un milieu de vie extraordinairement riche et varié.
Elle fournit un terrain de pacage pour les troupeaux ; en temps de famine, les glands servaient à
faire une farine que l‟on mélangeait à celle du seigle. Elle a toujours produit une quantité illimitée
de bois de chauffage et de construction. […] Le bois procure la matière première pour la
confection d‟outils et d‟instruments ménagers et agricoles et est à la naissance du kustar’,
l‟industrie à domicile » (Blanc et Carrière, 1992, p. 222).
232
Milieux naturels de Russie
divine, tandis que la steppe doit être travaillée durement343. Le plus beau et le
plus haut souvenir de Maxime Gorki enfant344 n‟était-il pas une promenade
familiale dans la subtaïga proche de Nijini Novgorod, où l‟exaltation rare de son
grand-père l‟avait porté très au-dessus de ses préoccupations matérielles
habituelles ? « Tout provient de l‟arbre, telle est la religion, la pensée de notre
peuple » note ainsi le poète-paysan Serge Essénine (F. Conte, 1997, p. 104).
Même un livre de géographie pour enfants, écrit par un docteur de troisième
cycle en géographie (kandidat), commence encore aujourd‟hui le chapitre
destiné à la biogéographie par : « il est difficile de trouver un homme qui
n‟aime pas être en forêt. Nous aimons la forêt » (Markin, 2006, p. 278, en
russe).
Plus prosaïquement, la taïga méridionale et la forêt mixte continuent de
jouer un grand rôle dans la géographie de la Russie, y compris celle des villes.
Sans insister de nouveau sur les constructions, il faut souligner, à grande échelle
cartographique, combien le paysage urbain du centre de la Russie d‟Europe
reste marqué par les maisons de bois, qui s‟étendent dans de grands faubourgs à
l‟instar des villes sibériennes et de celles du nord de l‟Europe. Quant à
l‟incendie de la maison ou du quartier, il est intégré à l‟esprit russe345 comme le
séisme à l‟esprit japonais. Concrètement, les rues des villages, très larges,
bordées de maisons espacées, forment un paysage issu de la lutte contre le feu
des maisons de bois. Les géographes insistent sur ce plan caractérisant les vieux
villages russes346, mais les localités rurales construites dans les années 1950, et
leurs extensions actuelles, adoptent le même. A petite échelle cartographique, le
réseau urbain lui-même de la marge méridionale de la taïga et de la forêt mixte
prend une forme épousant l‟ancienne lisière forestière. Juste au sud du cours de
l‟Oka, dans la région de Toula, deux alignements de villes rappellent ainsi les
postes avancés de défense historique du côté de la subtaïga et du côté de la
steppe boisée. « Des villes dédoublées évoquent encore de chaque côté de ces
anciennes lignes frontières les pays de steppes et les pays de forêts » (Blanc et
Carrière, 1992, p. 222). Contrairement à la taïga moyenne et septentrionale,

343
« Le docteur avait l‟impression de voir les champs dans la fièvre et le délire d‟une grave
maladie, et les forêts dans la sérénité de la convalescence. La forêt, semblait-il, était habitée par
Dieu, tandis que dans les champs serpentait le sourire moqueur du démon » (B. Pasternak, 1957,
Le docteur Jivago, quinzième partie, « la fin »).
344
« Plus la forêt se rapproche et plus grand-père s‟anime ; il aspire par le nez, il parle d‟abord en
phrases entrecoupées, indistinctes ; puis, comme grisé, il dit des choses belles et joyeuses : les
forêts, ce sont les jardins de Dieu… Personne ne les a semées, seul le vent de Dieu, la sainte
respiration de ses lèvres » (Gorki, 1916, En gagnant mon pain, Chap. 5).
345
« Mon premier souvenir est lié à l‟incendie de notre isba », écrit Stoliaroff (1986, 2008, p.
49), décrivant son village des confins de la forêt mixte et de la steppe boisée au tournant du siècle
dernier.
346
« Le feu a ponctué les grands moments des jacqueries paysannes, des invasions étrangères et
des poussées de fièvre à l‟intérieur des villages. Pour éviter sa propagation, les maisons s‟alignent
à distance le long d‟une rue qui frappe par sa largeur » (Kerblay, 1992, p. 5).
233
restée largement naturelle, l‟ensemble de la forêt mixte et de la taïga
méridionale forme un paysage humanisé, le lessopolié (champ forestier), selon
l‟heureuse expression de F.N. Mil‟kov, rapportée par Rakovskaja et Davydova
(2003, p. 180). La culture d‟orge, dont la Russie est le premier producteur
mondial, y est très répandue, de même que celle de pomme de terre.

3.3. Montagnes et grands fleuves, créneaux et merlons de la forêt


boréale

Assez peu dérangée par l‟Oural, la zonation de la taïga n‟est perturbée


par les montagnes347 qu‟en Sibérie orientale et en Extrême-Orient.
Fig. taïga 22 : Carte des formations taïgiennes d’altitude

Du fait du refroidissement avec l‟altitude et des contraintes de pente,


qui appauvrissent ou tronquent les sols, la taïga se dégrade et laisse place à une
toundra boisée de montagne, qui finit elle-même par disparaître. Pourtant, à
l‟inverse, l‟augmentation des précipitations avec l‟altitude est souvent un

347
Cette perturbation s‟entend au sens où le mot de taïga est employé aujourd‟hui pour une
formation zonale. Rappelons que, étymologiquement, la taïga est une hauteur boisée pour les
populations indigènes. Le mot serait à rapprocher de la racine taou des langues turco-mongoles,
qui signifie la montagne. Et, pour les Russes, « les mineurs donnent aussi spécialement le nom de
taïga aux montagnes boisées qu‟ils parcourent à la recherche de sables aurifères » (Reclus, 1881,
p. 616). Bref, la taïga d‟origine est forcément de montagne.
234
Milieux naturels de Russie
avantage dans les régions sèches de Sibérie orientale, si bien qu‟une taïga de
montagne peut émerger au-dessus des formations steppiques de basse altitude.
Le bilan de ces deux tendances contradictoires est plutôt négatif pour la taïga
des montagnes septentrionales, comme les monts de Verkhoïansk et de
Tcherski, et plutôt positif pour la forêt des montagnes méridionales, comme
l‟Altaï. Bref, au nord, la montagne a tendance à faire disparaître la taïga et à
poser des îlots de toundra plus au sud que la normale zonale, tandis que, au sud,
la montagne a tendance à faire apparaître la taïga et à construire des îlots
forestiers plus au sud que la normale zonale. Dans tous les cas, cet étage
forestier de moyenne montagne développe un certain nombre de particularités,
surtout quand il est coincé entre un étage inférieur steppique et un étage
supérieur de tondra alpine. Les grandes vallées fluviales tendent à provoquer
aussi un dérangement de la zonalité forestière de la Sibérie, mais de manière
inverse, faisant progresser la taïga vers le nord des régions septentrionales et la
steppe vers le nord des régions méridionales. Cependant, il existe aussi des
forêts alluviales taïgiennes qui pénètrent la steppe méridionale. Montagnes et
grands fleuves dessinent ainsi autant de créneaux et merlons de la forêt boréale
russe.

3.3.1. La disparition de la taïga dans les montagnes de la zone


taïgienne

Au-dessus des grandes plaines forestières boréales, les massifs


montagneux, ou, dans le contexte climatique difficile de la continentalité, de
simples hautes plateaux, transforment la végétation. C‟est, aux étages les moins
élevés, une taïga de montagne dégradée, c‟est-à-dire plus pauvre en espèces et
sur des sols à lessivage oblique plus prononcé, qui, aux altitudes plus fortes,
laisse la place à une toundra de montagne. La limite supérieure de la forêt
(verkhniaïa granitsa lessa, abrégé en VGL en russe) dépend de la situation
géographique des montagnes et, à plus grande échelle cartographique, de
différences d‟exposition.
Dans l‟Oural, dont la direction d‟allongement du nord au sud fait
directement face aux vents dominants, l‟étagement est compliqué par un fort
contraste de façade. Aux latitudes de la taïga moyenne vers 60° Nord, l‟Oural
occidental est couvert de pessières-sapinières qui montent jusqu‟à 800 m
d‟altitude, avant de laisser la place à une mosaïque de bouleaux et de pelouse
alpine conduisant à une toundra de montagne sur les plus hauts sommets. Sur la
façade orientale, plus sèche, ce sont des pinèdes qui laissent la place dès 600 m
à des mélézins de pré-toundra.
Tout à fait au nord-est de la Sibérie, dans les conditions climatiques
beaucoup plus difficiles des monts de Verkhoïansk et de Tcherski, l‟altitude fait
235
disparaître plus rapidement la taïga. Ce ne sont, au mieux, que les plus basses
pentes, jusque vers 300 à 400 m d‟altitude, qui permettent aux forêts de Mélèzes
de Dahourie et de Cajander de subsister, laissant vite la place à une toundra
boisée, qui ne dépasse elle-même nulle part 1200 m. Cette échelle d‟étude est
cependant assez peu pertinente, car les contrastes locaux d‟exposition des
versants dominent la répartition géographique des lambeaux de taïga de
montagne (cf. infra).
Tout à fait au sud-est de la Sibérie, dans les bassins de la haute Léna et
de ses affluents de rive droite, le Vitim, l‟Oliokma, l‟Aldan, la youjnaïa taïga
qui pourrait exister à cette latitude est remplacée par une taïga de hauts
plateaux, dite taïga baïkalo-djougdjoure. C‟est une forêt de mélèzes et de cèdres
nains, dont le sous-bois se caractérise par le Rhododendron de Dahourie, que les
Sibériens appèlent souvent à tort348 le bagoulnik, et un Bouleau arbustif à
l‟écorce blanche, qui ne dépasse pas 2,5 m de haut, la bérioza koustarnikovaïa
(Betula fruticosa). Cette taïga clairsemée couvre largement les vastes solitudes
du Plateau Stanovoïé, de celui de Patom et du Plateau de l‟Aldan. Sous une
forme légèrement enrichie en Epicéas de Sibérie (Picea obovata, ièl sibirskaïa),
elle se termine dans les monts Djougdjour dominant les rivages de la mer
d‟Okhotsk. En Sibérie orientale comme en Extrême-Orient, la taïga baïkalo-
djougdjoure disparaît dès 500 m d‟altitude, pour laisser la place à une toundra
boisée de Mélèzes et de Cèdres nains, qui ne dépasse pas elle-même 1200 m.

3.3.2. L’apparition de la taïga dans les montagnes de la zone


steppique

Dans les situations sèches les plus méridionales de la Russie, l‟altitude


redevient un avantage pour la forêt, du moins dans l‟étage de moyenne
montagne. C‟est, partout, grâce à l‟augmentation de l‟humidité et, localement,
grâce à des inversions thermiques très fréquentes, que la taïga émerge au-dessus
des étendues steppiques du bas pays, poussant ainsi des excroissances
forestières en direction du sud.
Dans le cas de montagnes peu élevées, l‟altitude produit surtout des
avantages climatiques. La végétation présente alors un étagement inverse, c‟est-
à-dire que la montée en altitude provoque un enrichissement. L‟Oural
méridional, au sud du 55e parallèle et d‟une ligne reliant Oufa à Tchéliabinsk,
en est un bon exemple, décrit avec concision par Birot (1970, p. 125) :

348
Le Rhododendron de Dahourie (Rhododendron dauricum) est appelé rododendron daourski
par les scientifiques russes, mais les habitants le confondent en général sous la même appellation
de bagoulnik que le lédon (Ledum), un autre genre d‟Ericacée qui est le vrai bagoulnik des
biogéographes.
236
Milieux naturels de Russie
« L‟Oural méridional est au contraire plutôt avantagé par rapport aux plaines
voisines. Vers 600 à 700 m, les températures d‟hiver sont plus élevées
(inversion thermique). Par ailleurs les pluies d‟automne sont spécialement
abondantes. C‟est donc un îlot de forêt au-dessus de la steppe, avec un
étagement inverse ; le Pin silvestre [sic] et le Bouleau, adaptés au froid et à la
sécheresse, étant surmontés par une forêt de Chênes et d‟Erables ». C‟est aussi
la partie de l‟Oural ou s‟épanouit l‟Orme commun (Ulmus laevis, viaz gladki).
Sur les parties plus élevées de l‟Oural méridional, l‟altitude provoque cependant
de nouveau un étagement direct, observable dans la Réserve naturelle de l‟Oural
méridional (Youjno-Ouralski zapovednik), qui protège 254 000 hectares de ces
hautes terres bachkires depuis 1978.
Le phénomène est encore plus développé dans le cas de montagnes plus
élevées, où les formations végétales présentent un double étagement, la montée
en altitude provoquant d‟abord un enrichissement puis un appauvrissement. Les
ensembles montagneux de l‟extrême sud de la Sibérie, qui culminent à 4 506 m
dans l‟Altaï, 3 491 m dans les monts Saïan et 3 056 m dans les monts Tannou,
permettent cette succession.
La taïga des monts Saïan est une forêt de montagne émergeant de la
steppe au-dessus de 400 m d‟altitude en moyenne (Suslov, 1961). L‟étage
submontagnard, entre 400 et 800 m environ, est couvert d‟une subtaïga de
montagne qui témoigne de l‟enrichissement par rapport à l‟étage collinéen
steppique. Il s‟agit d‟une forêt de conifères à sous-bois assez fourni de feuillus,
trouée de prairies (louga) plus humides et plus luxuriantes que la steppe du bas
pays. A l‟état naturel, cette subtaïga est déjà une formation variée, mais les
caractéristiques de son paysage sont accentuées par l‟ancienneté de l‟occupation
humaine et des feux de forêt. Par endroit, ce sont des forêts de repousse qui
prennent la plus grande place, dominées par les Bouleaux et les trembles, au-
dessus d‟un sous-bois arbustif d‟Aulnes et de Sorbiers communs. Ailleurs, ce
sont des clairières de Graminées, dominées par les grandes herbes de la
Calamagrostide (Calamagrostis, véïnik), et de Renonculacées, où l‟Aconit
(Aconitum, akonit ou bien borets) et le Trolle d‟Asie (Trollius asiaticus,
koupalnitsa aziatskaïa) sont les plus communs. Quand le Trolle s‟épanouit, ce
sont alors de magnifiques parterres de boules d‟or qui fleurissent. Entre 800 et
1 500 m environ, l‟étage montagnard est couvert d‟une taïga mieux venue que
celle des plaines de Sibérie orientale, où les peuplements de Mélèzes sont
enrichis de Pins, y compris de Cèdres, dont les pignes sont largement
récoltées349, de Sapins de Sibérie, d‟Epicéas et même, jusqu‟à 1 000 m

349
Dans le Saïan Oriental, la récolte des « noix de cèdre » est si appréciée que les seules portions
de la forêt de conifères où cette activité est pratiquée prennent le nom de taïga. Cependant, le mot
s‟accentue alors sur la première syllabe, se différenciant ainsi de la banale taïga, prononcée en
appuyant sur la dernière syllabe (selon les études toponymiques de M.N. Mel‟heev).
237
d‟altitude, de Bouleaux, de Peupliers trembles (Populus tremula, ossina) et de
Peupliers baumiers (Populus suaveolens, topol douchisty).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 35 Le Peuplier baumier, un feuillu de la taïga orientale
Le Peuplier baumier, topol douchisty des Russes, est l’un des principaux feuillus de la taïga
d’Extrême-Orient. Il existe aussi au sud de la Sibérie orientale, en particulier dans les montagnes de
Baïkalie. Utilisé dans le décor urbain, il embellit ici la rue Tchékhov à Irkoutsk. Ses feuilles ont une
forme ovale ou elliptique caractéristique.

Cette riche taïga montagnarde a un sous-bois assez fourni, de Sorbiers


(Sorbus, riabina), d‟Aulnes (Alnus, olkha) et de Chèvrefeuilles (Lonicera,
jimolost), du moins jusqu‟à 1 000 m. Seul le Chèvrefeuille monte plus haut en
altitude.
La strate inférieure compte de nombreuses airelles et myrtilles. Entre
1 500 et 1 800 m environ, la forêt s‟appauvrit nettement. Cette taïga subalpine
perd les conifères autres que le Mélèze, qui finit par subsister seul au-dessus de
petits ligneux, dominés par le Rhododendron de Dahourie.

238
Milieux naturels de Russie
Au-dessus de 1 800 m d‟altitude, on quitte la taïga pour entrer dans des
pelouses alpines (alpiskié louga), puis les espaces dénudés (goltsy) de haute
montagne.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 36 La taïga de montagne du Saïan, un riche sous-bois à Chèvrefeuille
Vers 800 m d’altitude, la taïga des montagnes de Sibérie méridionale est mieux fournie que celle du
bas pays, grâce à une plus grande humidité. Le sous-bois est plus riche et dense. On y rencontre le
Chèvrefeuille, jimolost des Russes.

Les monts Saïan s‟étirant d‟ouest en est sur 1 600 km, cet étagement
altitudinal moyen offre en même temps un gradient longitudinal assez
marquéqui oppose en premier lieu les deux chaînes du Saïan Occidental
(Zapadny Saïan) et du Saïan Oriental (Vostotchny Saïan).

239
Fig. taïga 23 : Carte de la taïga de montagne de Sibérie méridionale à travers l’étagement de la
végétation de la République de Touva

D‟une manière générale, les limites des étages forestiers se décalent


vers le haut d‟ouest en est. En effet, la chaleur de l‟été est supérieure dans le
Saïan Oriental. En outre, ce dernier est plus sec, donc les sols moins acides.
Ainsi, la subtaïga ne dépasse pas 700 m à l‟ouest, alors qu‟elle atteint 1 000 m à
l‟est, où la sécheresse favorise les incendies et la repousse des petits feuillus. La
taïga subalpine ne monte pas au-dessus de 1 700 m à l‟ouest, quand elle atteint
2 100 m dans le Saïan Oriental, en particulier sur les versants qui dominent la
dépression de Tounka.
Ces valeurs ne sont pas figées et les études de l‟Institut forestier
Soukatchov de Krasnoïarsk ont montré que le réchauffement climatique des
trente dernières années dans le Saïan Occidental, en moyenne 1 °C, avait
provoqué une montée en altitude du Cèdre de Sibérie (Pinus sibirica) de 150 m
(Kharuk et al., 2008).

240
Milieux naturels de Russie
Les essences varient elles aussi d‟ouest en est. Tous les conifères sont
ainsi présents dans la taïga du Saïan Occidental, tandis que le Mélèze devient
très prédominant, voire exclusif, à l‟est. De même, à l‟ouest, la taïga subalpine
voit la violette de l‟Altaï s‟insinuer entre les airelles, lesquelles sont les seules à
peupler le Saïan Oriental. Neuf réserves naturelles (zapovedniki) préservent ces
formations végétales et animales dans l‟ensemble de l‟Altaï et des Saïan.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 37 L’étagement de la taïga de montagne et de la pelouse alpine dans la chaîne de Tounka
Sur les versants exposés au sud du Saïan Oriental, la taïga subalpine monte plusieurs centaines de
mètres plus haut que plus à l’ouest et en exposition nord. C’est ici à 2 300 m d’altitude que se fait le
passage avec l’étage de la pelouse alpine. La limite est bien visible au niveau de la vallée en auge
d’héritage glaciaire, aujourd’hui empruntée par un torrent affluent de rive gauche de la rivière
Kyngarga. La photographie est prise dans le chaînon le plus méridional du Saïan Oriental, les
Tounkiskie Goltsy (les Hauteurs Dénudées de Tounka), au nord-est d’Archan.

Ce double étagement, qui favorise l‟étage moyen de la taïga par rapport


au bas pays steppique et à la haute montagne dénudée se retrouve dans tous les
autres massifs de l‟extrême sud sibérien. Au sud du Baïkal, la chaîne de
Khamar-Daban présente, entre la Rivière des Loutres et la Michikha, une

241
remarquable taïga. Il s‟agit avant tout d‟une sapinière à herbe rouge (pikhtatch
véïnikovy) ou, localement, d‟une sapinière à tapis d‟anémone du Baïkal. Cette
portion de montagne a, d‟après les études de Nina Afanassievna Epova, servi de
refuge à des essences reliques de l‟ère tertiaire.

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 38 La taïga de montagne de Khamar-Daban, un îlot humide au-dessus de la steppe
La taïga de montagne de Khamar-Daban profite d’une humidité plus grande que la dépression
baïkalienne. Peuplée de Pins, Cèdres et Sapins, elle compte aussi des lichens pendant aux branches.
Ici, à proximité du Second Lac Chaud, des Pins souffreteux émergent d’une strate moussue sur un
sol tourbeux, qui se poursuit par quelques radeaux flottants.

C‟est pourquoi une réserve naturelle d‟Etat la protège depuis 1969


(Gusev, 1986) sur 165 700 hectares (Rubcov, 1987). De part et d‟autre de cette
portion protégée, la taïga de montagne de Khamar-Daban offre quelques autres
particularités fortes. Localement enrichis en cuivre, les sols portent ainsi une
pessière bleue.

242
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 39 La pessière bleue de la taïga montagnarde de Khamar-Daban
Sur des sols enrichis en cuivre, la chaîne de Khamar-Daban domine le sud du lac Baïkal de pessières
bleues. Ici, un Epicéa de Sibérie (sibirskaïa ièl) présente ses aiguilles naturellement bleutées. Les
habitants le nomment goloubaïa ièl (« l’épicéa bleu clair »).

3.3.3. Le phénomène de la taïga-galerie

Les montagnes sont certes les principales pourvoyeuses de forêt boréale


au sud de sa limite zonale, mais certaines vallées fluviales réussissent aussi à
propager la taïga en zone de steppe. Ce sont les lentotchnyé bory, ces pinèdes-
galeries qui forment des rubans de quelques kilomètres à dizaines de kilomètres
de longueur sur les alluvions sableuses des bourrelets de berge ou de certaines
terrasses d‟alluvions anciennes. Les principaux lentotchnyé bory remontent les
vallées de l‟Ob, de l‟Irtych et du Tobol pour pénétrer les steppes de la Baraba et
de l‟Ichim.
Le phénomène prend une plus grande ampleur à l‟opposé, là où les
grandes vallées fluviales lancent des tentacules de taïga vers le nord, faisant
pénétrer la forêt en zone de toundra. Le phénomène de la taïga-galerie est

243
particulièrement visible en Sibérie350, où les conditions continentales les plus
rudes sont adoucies par les grands fleuves. C‟est remarquable le long de la
Khatanga, de la Léna, de la Yana, de l‟Indighirka, de la Kolyma. Ces vallées
provoquent des taliki dans le pergélisol351, ou, si ce n‟est pas le cas, une fonte
plus précoce du mollisol. Les eaux souterraines circulent donc mieux, d‟autant
plus s‟il s‟agit d‟alluvions grossières, sableuses352. Secondairement, ces grandes
vallées nord-sud abritent quelque peu la végétation des flux dominants et
accumulent une plus épaisse couche de neige protectrice.
Il faut cependant prendre garde au fait que ce qui est vrai à cette échelle
cartographique ne l‟est pas à très grande échelle. En effet, les lits majeurs
démesurés de ces cours d‟eau nivaux de plaine pur ou à gel intense, c‟est-à-dire
de régime particulièrement excessif, empêchent au contraire toute croissance de
la forêt boréale, par les phénomènes de débâcle et d‟embâcle qui ravagent deux
fois par an les plaines d‟inondation. La forêt se réfugie donc sur les terrasses
alluviales353. Dans ce cas, comme pour les contrastes de versants en montagne,
il est nécessaire de changer d‟échelle géographique pour comprendre les
milieux naturels de la taïga.

3.4. Une forêt très dépendante des conditions topographiques locales

A très grande échelle cartographique, la géographie de la taïga vécue


par les Russes et les minorités indigènes qui y habitent et l‟exploitent comporte
des centaines de types différents de cette forêt de conifères. En ce sens, il est
impossible de l‟aborder sous un volume réduit. Ce ne sont donc que quelques
regroupements simplifiés qui peuvent être ici présentés, en fonction des variétés
locales de modelé.

350
Il s‟agit d‟un phénomène que l‟on trouve tant en Russie qu‟en Amérique du Nord, mais qui est
particulièrement bien développé en Sibérie. Dans tous les cas, ce contact sinueux ressemble à
« une macro-mosaïque associant des forêts-galeries (sols alluviaux profonds et bien drainés, au
creux de couloirs protégés des vents : Yukon, Mackenzie, Ob, Iénisséi, Léna) et des toundras,
plutôt buissonnantes, sur les interfluves » (Dubois et Miossec, 2002, p. 155).

351
« Etant donné que les rivières, en formant pour ainsi dire des canaux de drainage, abaissent sur
leurs rives le niveau de la merzlota, elles offrent ainsi de meilleures conditions à la croissance des
arbres ; c‟est pourquoi, comme l‟a indiqué Tanfiliev, la limite septentrionale des forêts remonte
vers le nord, le long des fleuves et des rivières » (Berg, 1941, p. 26).
352
« Les conditions favorables à l‟extension de la forêt de vallée à ces hautes latitudes procèdent
surtout de la nature du sol alluvial composé de matériaux de structure hétérogène dégelant plus
vite que les argiles morainiques qui recouvrent les interfluves » (George, 1962, p. 220).
353
« Ces avancées forestières se limitent strictement aux terrasses » (George, 1962, p. 220).
244
Milieux naturels de Russie

3.4.1. Les micro-variétés de la taïga de plaine

Les vastes plaines de modelé glaciaire sur lesquelles pousse la forêt


boréale de Russie d‟Europe et de Sibérie occidentale comprennent de multiples
bourrelets et contre-pentes, qui forment autant de petites dépressions perturbant
le drainage. La forêt boréale dépend, à la fois pour sa structure et sa
composition floristique et faunistique, de la variation sur de courtes distances de
ces conditions locales. Si, vu de loin, on peut se plaire à souligner, à petite
échelle cartographique, l‟uniformité des immenses espaces forestiers boréaux, il
est manifeste que, à grande échelle cartographique, la variété de cette forêt est
au contraire particulièrement importante sur de courtes étendues et c‟est ainsi
qu‟elle est ressentie par la population. Pour simplifier une mosaïque de
situations qui, dans la réalité, varie à l‟extrême354, nous avons essayé de classer
une dizaine d‟appellations vernaculaires de la taïga selon deux critères
pédologiques de fertilité et de drainage des sols, liés aux variations
topographiques locales (tableau). Si l‟on regroupe les deux types de taïga
marécageuse, il existe trois grandes familles de conditions topographiques
locales de plaine, qui sont susceptibles de se répéter à l‟intérieur de la taïga
sempervirente : la taïga sombre, la taïga sèche, la taïga marécageuse.

354
Le biogéographe Vladimir Nikolaïévitch Soukatchov (1880-1967) passa l‟essentiel de sa
carrière à définir les critères de typologie de la taïga, en particulier des forêts d‟épicéas
(Sukatchov, 1928). Ce fut dans ce but qu‟il créa le concept de biogéocénose (Mirkin, 1987,
Bogučarskov, 2004), repris ensuite dans le monde entier pour désigner un groupement
d‟organismes vivants liés entre eux en un système fondé sur les habitats. Fondateur de l‟Institut
des forêts de l‟Académie des Sciences de l‟URSS, V.M. Soukatchov a fortement influencé les
géographes russes jusqu‟à aujourd‟hui. A la suite de ses travaux, Berg (1941) et, plus récemment,
Utkin et al. (1995), définissent quatre sortes de pessières en Russie d‟Europe. L.S. Berg y ajoute
six sortes de pinèdes. Il parle de trois sortes de forêt taïgienne en Sibérie occidentale. Et ces treize
types de taïga sempervirente sont subdivisés en sous-types en fonction du sous-bois et du tapis de
mousses. Nous prenons ici en français l‟orthographe la plus fréquente de Soukatchov (Sukačëv en
transcription internationale).
245
Fig. taïga 24 : Coupe des micro-variétés de la taïga de plaine

Sol fertile Sol pauvre


Sol drainé parma, ramèn, ourman, bor, soubor, borka, ièlan
tchern
(taïga sombre)
(taïga sèche)
Sol engorgé sogra, log mchara
(taïga marécageuse (taïga marécageuse de
d‟épicéas) pins)

Tableau Essai de typologie des noms vernaculaires des forêts taïgiennes en


fonction des critères pédologiques

246
Milieux naturels de Russie
La taïga sombre

Sur les versants en pente douce, drainés sans être appauvris, bien
alimentés sans être engorgés, se développe la forêt boréale la plus riche, la
mieux stratifiée, celle qui mêle le plus les conifères et les feuillus et qui compte
le plus d‟espèces. Elle est dominée par l‟Epicéa (ièl), qui est le conifère le plus
exigeant, moins souvent associé au Sapin (pikhta) que dans les forêts
canadiennes de même situation. Ces pessières européennes et ces pessières
sapinières des piémonts de l‟Oural ou des versants les plus riches de Sibérie
occidentale355 forment la taïga dense (goustaïa taïga) ou la taïga sombre
(temnokhvoïny less), dont la superficie cumulée est d‟environ 80 millions
d‟hectares356. Le principal feuillu de cette opulente forêt de conifères est le
tremble (ossina), qui a besoin de sols plus riches que la moyenne taïgienne et se
complaît sur les terres limoneuses. Le Bouleau (bérioza) n‟y est pas rare. Un
dense tapis de mousses vertes couvre le sol et maintient son humidité. Les
scientifiques russes appellent ce type de forêt d‟épicéas le ièlnik-zélénomochnik,
la pessière à mousses vertes.
Au-dessus des mousses vertes, l‟étage herbeux et buissonneux est le
plus souvent dominé par les airelles du genre Vaccinium, que les Russes
regroupent sous le nom de tchernika. Ces riches forêts d‟épicéas à airelles, qui
poussent sur les sols les mieux drainés, sont les tchernytchnyé ièlniki des
géographes russes. Quand le sol est plus acide, les herbes prennent le pas sur
les airelles, en premier lieu l‟Oseille sauvage (Oxalis acetosella, kislitsa).
Parfois, surtout dans la taïga méridionale, la kislitsa, que les Russes appellent
aussi le chou des lièvres (zaïatchia kapousta), couvre le sol d‟une manière
continue et exclusive, donnant alors naissance à une pessière à oseille (ièlnik-
kislitchnik). Mais, le plus souvent, cette surelle se mêle au maïnik, à la snyt et à
des Fougères (paporotniki). Caractéristique des pessières les plus sombres, le
maïnik dvoulisty, parfois appelé le petit muguet par les Français, ou, plus
scientifiquement, le Maïanthème à deux feuilles (Majanthemum bifolium), est
traditionnellement ramassé dans la taïga en mai et juin, car ses feuilles séchées
peuvent être mises dans le thé. La snyt pousse dans des conditions proches, mais
souvent plus méridionales. C‟est l‟ombellifère typique des forêts mixtes les plus
ombragées de la subtaïga et elle déborde sur les forêts de feuillus de la steppe
boisée. Les Français la surnomment l‟herbe aux goutteux, en fait l‟Egopode
podagraire (Aegopodium podagraria).

355
« Les plaines marécageuses de l‟Ob, de l‟Irtych et de leurs chevelus d‟affluents sont occupées
par des forêts denses (Sibérie sombre), peu exploitées, d‟une très grande richesse botanique et
floristique » (Hervé, 2007, p. 49).
356
Selon Utkin et al. (1995), les pessières russes couvrent 78 millions d‟ha, les sapinières
2,5 millions d‟ha.
247
En Russie d‟Europe, les parties de la taïga dense formées de pessières
situées sur les points hauts357 du modelé, en particulier dans l‟Oural, ont
toujours été nommées la parma par la population indigène des Komi.
Fig. taïga 25 : Coupe des micro-variétés de la taïga sombre

Le vocabulaire géographique russe a repris cette appellation, en


accentuant fortement la prononciation de la première syllabe, et l‟a généralisée à
toute forme de taïga dense, surtout quand il s‟agit d‟une pessière européenne
(Trëšnikov, 1988, p. 221).
Utkin et al. (1995) insistent sur le fait que, surtout au nord de la Russie
d‟Europe, une pessière à mousses vertes sur de bons sols bien drainés est
appelée ramèn dès qu‟elle a une possibilité de connaître un défrichement et une
éventuelle utilisation agricole. Le petit champ serait alors entouré par la taïga
comme dans un cadre (rama), d‟où le terme de ramèn. La parma et la ramèn
désignent ainsi le même type physique de forêt, l‟un en langue komi, l‟autre en
russe, mais selon des visions sociales différentes. Même si cela n‟est pas mis à
exécution, la ramèn est plutôt une dense pessière destinée à la coupe.

357
« Dans la partie méridionale du gouvernement d‟Arkhangelsk : toutes les hauteurs sont boisées
et le nom russe de gora, de même que l‟appellation zîrane de parma signifient indifféremment
« mont » ou bois, comme dans l‟Amérique du Sud les termes de monte et montaña, ou le mot de
wald en maint district d‟Allemagne » (Reclus, 1885, p. 606). Le peuple komi était appelé zyriane
(ou zîrane pour Reclus) à l‟époque tsariste.
248
Milieux naturels de Russie
En Russie d‟Europe, quand le drainage du sol est moins efficace, sans
arriver pour autant à l‟engorgement, on quitte la parma et la ramèn pour entrer
dans un type de taïga que, à la suite des travaux pionniers de Soukatchov, les
géographes russes nomment iélnik-dolgomochnik, la pessière à mousses
longues. Les épicéas poussent en effet sur un tapis de perce-mousse
(Polytrichum commune), que les Russes nomment lin de coucou358
(koukouchkin lion). Ces mousses avec une tige feuillue forment de grandes
étendues semblables à du gazon, sur une épaisseur de plusieurs décimètres.
Mais la Prêle des bois (Equisetum silvaticum, khvochtch lesnoï), cette grande
herbe, qui, avec sa forme en queue-de-cheval, atteint 1,5 m de hauteur, est sans
doute la plante la plus caractéristique du sous-bois des pessières les plus
humides sans être marécageuses.
Tous les types de pessières de Russie d‟Europe ont comme point
commun l‟obscurité de leur sous-bois, particulièrement appréciée de certains
animaux, comme la martre commune (Martes martes, lesnaïa kounitsa). En
outre, cette pénombre a toujours suscité la crainte359 dans l‟imaginaire collectif
des Russes et des minorités indigènes. C‟est la taïga sombre qui abrite les
sorcières (vedmy) et, surtout, les sylvains (léchié), ces créatures chèvre-pieds au
buste humain, qui possèdent des oreilles, des cornes et une barbichette de bouc.
Le problème vient de ce que les léchié sont des oborotny, c‟est-à-dire qu‟ils
sont capables de se transformer en bêtes sauvages, en oiseaux, en chiens ou
chats, ainsi qu‟en arbustes ou en champignons, et même, plus grave, en
vieillards ou en guides d‟aveugle. Et cela leur permet de tromper les êtres
humains360, en particulier les femmes, qu‟ils aiment à attirer dans la forêt… Fort
heureusement pour les Sibériennes, les sylvains restent cantonnés dans la taïga
sombre européenne et n‟ont encore jamais franchi l‟Oural.
En Sibérie, la taïga dense formée de sapinières-pessières-cédrières a
toujours été nommée ourman par les populations indigènes. Le vocabulaire
géographique russe a repris cette appellation, en respectant l‟accentuation de la
dernière syllabe, et l‟a généralisée à toute forme de taïga dense sibérienne,
surtout quand il s‟agit d‟une sapinière-cédrière de la Plaine de l‟Ob, parfois
aussi pour certaines pessières de l‟Oural (Trëšnikov, 1988, p. 318). Berg (1941)
souligne que le terme est plutôt utilisé pour une taïga épaisse sur un sol bien
drainé formant comme une enclave dans un ensemble forestier à prédominance
marécageuse. Ces îlots de taïga sombre dans une taïga tourbeuse et souffreteuse

358
Terme repris tel quel dans la traduction française de l‟ouvrage de Berg (1941) effectuée par G.
Welter.
359
Dont il n‟est pas exclu qu‟elle ait pu se transformer parfois en respect positif de la forêt,
ancêtre des mesures de protection. « Elle croyait […] aux sylvains […] Arina Vlassievna était très
bonne et, à sa manière, point sotte du tout » (Tourguéniev, 1862, Pères et fils, chap. XX).
360
D‟une manière générale, la principale occupation du sylvain est d‟errer à la recherche d‟un
mauvais coup. « Lechi brodit » (« le sylvain rôde ») écrivait Pouchkine (1828) dans le prologue la
seconde édition de Rouslan et Loudmila.
249
sont une caractéristique du paysage de la Plaine de Sibérie Occidentale361. Ces
portions de taïga dense ont toujours impressionné les Russes, qui les appellent
aussi les tcherni. Selon Berg (1941), l‟ourman et la tchern sont synonymes dans
le vocabulaire géographique. La seconde évoque clairement l‟obscurité d‟une
forêt noire par une racine russe, tandis que le premier est repris aux racines
turques. Les deux mots suscitent cependant une certaine angoisse face à une
forêt impénétrable (neprokhodimy less). « Qui n‟a pas été dans les ourmany, dit
un proverbe, ignore ce qu‟est la peur » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 214).
« Ces „terres de la peur‟, selon la terminologie kazakhe (ourman), ont été
partiellement défrichées » (Hervé, 2007, p. 49).
Parmi les ourmany, les cédrières sont celles qui ont le sous-bois le plus
varié, mêlant le Sorbier (Sorbus, riabina), le Chèvrefeuille (Lonicera, jimolost),
l‟Eglantier (Rosa, chipovnik). Les cédrières de Sibérie sont aussi très riches en
buissons à baies. En fonction de légères variations topographiques et
pédologiques, on rencontre l‟Airelle rouge362 (Vaccinium vitis-idaea,
brousnika), la myrtille (Vaccinium myrtillus, tchernika obyknovennaïa),
plusieurs espèces de Groseilliers (Ribes, smorodina), et, si l‟ourman est moins
bien drainé, l‟Airelle des marais (Vaccinium uliginosum, goloubika) et la
Canneberge des marais (Oxycoccus palustris, klioukva bolotnaïa). La fraise des
bois (Fragaria vesca, zemlianika lesnaïa) n‟est pas rare, surtout en lisière, alors
qu‟en Russie d‟Europe elle est plutôt cantonnée aux forêts de feuillus et mixtes.
En dessous de cet étage buissonneux, un tapis de mousses vertes couvre en
général le sol, sauf si le drainage se fait mal.

La taïga sèche

Sur les collines363 et les bourrelets morainiques aux sols lessivés, surtout
s‟il s‟agit de terres sableuses assez poreuses, la forêt boréale sèche voit la
prédominance du Pin. Il s‟agit le plus souvent d‟une forêt monospécifique où
seul le Pin sylvestre (Pinus sylvestris, sosna obyknovennaïa) est représenté. Ce
type de taïga dépend tellement des conditions topographiques et pédologiques
locales que le mot de bor désigne tout autant un type de taïga claire formée de
pins qu‟un sol grossier, en général sableux, qui ne retient pas l‟eau364.

361
« Entre l‟Irtych et l‟Ob se prolonge la steppe […] couverte d‟une infinité de grands et de petits
lacs […]. Dans plusieurs endroits elle est boisée : la plus importante de ces forêts est celle que
l‟on appelle l‟Ourman » (Malte-Brun, 1832, p. 451).
362
Parfois dite aussi en français vigne du mont Ida.
363
On sait que, au XIIe siècle, la localité en bois qui allait devenir Moscou fut construite en
défrichant un petit promontoire dominant la Moskova au sud et la Néglinnaïa à l‟ouest, formant
une éminence connue sous le nom de Borovitski Kholm (Colline de la Pinède Sèche).
364
« Il est des cas où les exigences d‟un arbre sont si nettes qu‟un seul mot suffit à désigner une
formation végétale et le terrain qu‟elle occupe : le terme de bor s‟applique aux sols secs,
sablonneux, couverts de bruyères, et qu‟affectionne le pin » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 78).
250
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, avril 2008


Photo 40 Un bor d’Europe
Le bor désigne en russe à la fois une formation végétale, la taïga sèche dominée par le Pin, et une
formation pédologique, le sol sableux et poreux qui la supporte. La photo a été prise en Lettonie.

De ce fait, si l‟on veut préciser que c‟est de la forêt elle-même qu‟on veut
parler, on précise souvent sosnovy bor365, c‟est-à-dire taïga sèche de pins. En
général, les incendies estivaux naissent dans la forêt boréale sèche, pour ensuite
se propager à toutes les formations.

En Russie d‟Europe, trois types de bor se distinguent, du plus dense au


plus clair, le svéji bor, le sosniak-dolgomochnik et le soukhi bor.

Le bor frais (svéji bor) forme une transition entre la taïga sombre et la
taïga sèche, sur des sols sableux plutôt jeunes, dans un modelé en pente douce.
Ici le Pin se mêle à l‟Epicéa et celui-ci supplantera sans doute celui-là à terme.
C‟est un type de taïga en cours d‟évolution vers la densification.

365
Une ville située à 80 km à l‟ouest de Saint-Pétersbourg, connue pour abriter la centrale
nucléaire de Léningrad, a pour nom Sosnovy Bor, ayant pris la place d‟une forêt de pins.
251
Cliché L. Touchart, août 2004
Photo 41 Un bor de Sibérie
Sur les dunes qui font suite aux plages de sable du lac Baïkal, un bor particulier se développe, où la
taïga sèche voit apparaître des conifères aux racines tortueuses, qui meurent parfois par
déchaussement. La photo a été prise dans la Baie des Sables (Boukhta Pestchanaïa).

Le sous-bois s‟épaissit en Sorbier (Sorbus, riabina) et en Genévrier


(Juniperus, mojjévelnik). Le sol se couvre de mousses vertes et d‟airelles, plus
rarement d‟Oseille (Oxalis acetosella, kislitsa). Bien qu‟elle soit susceptible de
pousser, sous différentes formes, dans presque tous les types de taïga, c‟est sous
le bor frais que croît le mieux l‟airelle rouge (Vaccinium vitis-idae, brousnika).
Ce buisson en est si caractéristique que les géographes russes nomment cette
sorte de taïga le bor-brousnitchnik (pinède à airelles rouges). A la fin de l‟été, la
brousnika donne des baies rouges foncées au goût aigre-doux, qui sont récoltées
pour être consommées fraîches ou en confiture366.
Leurs vertus curatives contre la goutte et, plus généralement, toutes les douleurs
articulaires, sont toujours mises en avant par les Russes et leur cueillette n‟en
est qu‟accentuée. Sur les terrains légèrement plus humides, l‟airelle rouge laisse
la place à la myrtille (Vaccinium myrtillus, tchernika obyknovennaïa)367.

366
Quand Onéguine et Lenski sont reçus chez les Larine, on leur offre une brousnitchnaïa voda,
une eau d‟airelle rouge (Pouchkine, Eugène Onéguine, chapitre Troisième, III).
367
Au sens strict, la brousnika est une tchernika, mais, au sens vulgaire, la tchernika commune
est la seule tchernika. Au sens strict, la tchernika représente en effet le genre Vaccinium dans son
ensemble, la tchernika commune (tchernika obyknovennaïa) l‟espèce Vaccinium myrtillus, la
brousnika l‟espèce Vaccinium vitis-idaea.
252
Milieux naturels de Russie
Fig. taïga 26 : Coupe des micro-variétés de la taïga sèche

Sur les sols limono-sableux (soupestchanyé potchvy), plus riches, les


pinèdes pessières prennent parfois le nom vernaculaire de soubor368 (Utkin et
al., 1995). L‟étage supérieur est formé de Pins qui dominent des Epicéas
poussant à l‟ombre des premiers.
Sur les terrains grossiers assez humides, sans être engorgés, se
développe une pinède à mousses longues (sosniak-dolgomochnik). A l‟étage
inférieur, les deux plantes les plus caractéristiques sont le perce-mousse
(Polytrichum commune, koukouchkin lion) et la Prêle d‟hiver (Equisetum
hyemale, khvotchtch zimouïouchtchi).
Enfin, sur les terrains les plus poreux de Russie d‟Europe, se développe
le vrai bor, ou bor sec (soukhi bor). Ce pléonasme permet d‟insister sur la
sécheresse du sol et la pauvreté du sous-bois. Le sol est couvert de lichens, de
mousses blanches, et de bruyères (Calluna vulgaris, véresk obyknovenny). Le
soukhi bor est appelé bor-bélomochnik quand on veut insister sur le tapis de
mousses blanches, souvent dominé par la mousse d‟Islande (Cetraria islandica,
islandski mokh) et différentes espèces de Cladonia. Certes ce type de taïga est
bien représenté dans l‟écotone de la toundra boisée, formant « une macro-
mosaïque faite de lambeaux boisés (placages morainiques ou fluvio-glaciaires)

368
Pour Pierre George (1962, p. 222), le soubor serait plutôt un ensemble de « boisements mixtes
de chênes et de pins » sur des « sols sableux ».
253
et de toundras rases à mousses et lichens (dos de baleine rocheux) » (Dubois et
Miossec, 2002, p. 155), mais il reste fréquent plus au sud, en pleine taïga, au
sommet des collines boisées aux sols sableux.
En Europe, la marqueterie de différents bory la plus célèbre est sans
doute celle de la plaine de la Mechtchora, où la podtaïga s‟imbrique avec la
youjnaïa taïga. Cette dernière forme ici, au sein des forêts mixtes, une enclave
détachée de la taïga dans sa position la plus méridionale de toute la Russie
d‟Europe, par moins de 55° de latitude. Dans la boucle de l‟Oka faisant face à
Riazan, le parc national mechtchorien, fondé en 1922, protège sur
103 000 hectares les forêts de cette région et il est poursuivi au nord-ouest par le
parc national de la Mechtchora, créé en 1992 sur 118 700 hectares. La
végétation dominante est une pinède profitant de sols sableux pour réapparaître
en subtaïga et même entrer en contact avec la forêt latifoliée qui commence de
l‟autre côté de la rivière. Les sols gris forestiers se sont ici construits à partir de
sédiments très grossiers formant un sandur sur le front de l‟ancien inlandsis
(Gorkin, 1998, p. 354). Plusieurs types de bor s‟y côtoient, séparés par des
lambeaux de taïga marécageuse, dans un paysage constellés de petits lacs
morainiques. Les îlots de bor occupent les collines morainiques dominant les
bas-fonds, pour former des polessia. Ce type de paysage369, caractéristique de la
plaine de la Mechtchora, se retrouve aussi dans le bassin de la Vetlouga, dans
celui de la Mokcha, dans la plaine de Balakhna et dans le bassin de la Viatka370,
ainsi que, sous une forme un peu différente371, dans la région plus méridionale
de Briansk.
En Sibérie, le bor n‟arrive pas à se reconstituer quand les feux de taïga
sont trop fréquents. Or les pinèdes souffrent ici d‟un été plus sec qu‟en Europe.
Les petits bois résiduels, cernés de bouleaux de repousse, forment alors les
borki. Ailleurs, le bor brûlé, ou défriché, puis abandonné, est remplacé par une
prairie, souvent sous forme d‟une clairière, qui peut se couvrir progressivement
de bouleaux. Cette végétation secondaire, tantôt herbeuse, tantôt arborée, qui a
pris la place d‟un bor, est appelé ièlan372 en Sibérie. Le terme est également
usité en Extrême-Orient373.

369
Dit polesski tip landchafta par les géographes russes (Trëšnikov, 1988, p. 234, Rakovskaja et
Davydova, 2003, p. 256)
370
On peut aujourd‟hui admirer à la galerie Trétiakov de Moscou le tableau intitulé « Sosnovy
bor », peint par Ivan Chichkine en 1872, qui représente une pinède sèche contrastant avec un
ruisseau du bassin de la Viatka.
371
Camena d‟Almeida (1932, pp. 81-82) présentait ensemble certaines de ces forêts. Les
géographes russes actuels insistent sur la particularité de la forêt de Briansk, où le paysage de
polessié forme des îlots de forêt mixte subtaïgienne dans la zone de la forêt de feuillus, alors que
des polessia comme celui de la Mechtchora forment des îlots de taïga dans la subtaïga.
372
C‟est la définition classique du iélan (elan’ en transcription internationale), telle que la donne
par exemple Berg (1941, p. 51) : « dans les défriches et les champs abandonnés, se développent
des prairies à grandes herbes et des forêts feuillues clairsemées avec une flore de prairie, type de
254
Milieux naturels de Russie
La taïga marécageuse

L‟insinuation de marais dans la taïga a de nombreuses causes, parmi


lesquelles la multiplicité de cuvettes mal drainées dans le tapis de la moraine de
fond, les bras abandonnés dans les grandes plaines par des cours d‟eau de
régime immodéré, les lignes de partage des eaux floues, héritées du modelé
glaciaire, où le drainage peine à choisir son sens, l‟induration fréquente du sous-
horizon illuvial minéral du podzol, l‟imperméabilité de taches de pergélisol, la
faiblesse de l‟évaporation, l‟auto-entretien de l‟humidité par les sphaignes. Pour
simplifier la grande variété de paysages de la taïga marécageuse, il est possible
de distinguer d‟abord la taïga marécageuse d‟interfluve et de versant, où se
développent les sogry, ensuite la taïga marécageuse de cuvette, qui abrite
l‟essentiel des mchary, et enfin la taïga marécageuse de vallée alluviale, que se
partagent le log et le bor à herbes.
Sur les interfluves flous des plaines de remblaiement quaternaire, le
drainage est souvent hésitant, et, par la faiblesse de l‟évaporation, l‟existence de
dalles imperméables et la remontée du toit de la nappe pour diverses raisons,
l‟humidité au sol est parfois telle que les sphaignes constituent un tapis
spongieux aussi sur les pentes et les faîtes, et non pas seulement au fond des
cuvettes. Ces mousses retenant elles-mêmes l‟eau, il y a un auto-entretien et il
se forme des tourbières de versant ou, avant d‟en arriver à ce stade, des
morceaux de taïga sombre à tapis de sphaignes. En langage vernaculaire, cette
forêt est la sogra. Selon les travaux de Vladimir Soukatchov, repris par les
géographes plus récents374, c‟est avant tout une pessière, mais le Pin se mêle
assez souvent à l‟Epicéa et ces deux conifères, menacés par l‟asphyxie, y
développent des formes tourmentées. Il faut y ajouter deux feuillus, que sont le
Bouleau et l‟Aulne. Il s‟agit plutôt de l‟Aulne noir ou glutineux (Alnus
glutinosa, olkha tchiornaïa ou olkha kleïkaïa) dans la moitié sud de la taïga
européenne, de l‟Aulne gris ou blanc (Alnus incana, olkha séraïa ou olkha
bélaïa) dans la moitié nord et de l‟Aulne de Sibérie (Alnus sibirica, olkha

forêt qu‟on dénomme iélan ». Les études toponymiques de Mel‟heev ont cependant montré que le
terme désignait, en Transbaïkalie, les terrasses alluviales recouvertes de steppe.
373
Ainsi, dans la taïga de Sikhotè-Alin, « le secteur que nous traversions en ce moment
représentait un de ces espaces riverains déboisés que les gens du pays appellent yélane. La plaine
était couverte d‟orliak, une fougère peu haute, mais épaisse » (Arseniev, 1921, chap. 12
« Amba »).
374
« Dans le nord, la forêt d‟épicéas, à sphaignes et à laîches porte le nom de sogra » (Berg,
1941, p. 49). Les sogry sont « des forêts marécageuses tourmentées (d‟épicéas, de pins, de
bouleaux, d‟aulnes et d‟arbustes) sur des lignes de partage des eaux de la zone taïgienne de la
plaine d‟Europe de l‟Est et de Sibérie occidentale » (Trëšnikov, 1988, p. 283, en russe). « Avec
l‟augmentation de l‟humidité et l‟apparition des sphaignes et des carex se forment des forêts
d‟épicéas appelées sogry dans le nord. Elles sont peuplées d‟arbres de petite taille et espacés les
uns des autres ; l‟épicéa est manifestement très éprouvé du fait de la faible aération du sol »
(Utkin et al., 1995, p. 105, en russe).
255
sibirskaïa) au-delà de l‟Oural (Banaev et Šemberg, 2000). La sogra abrite un
tapis de Lédon (Ledum, bagoulnik), de Laîche (Carex, ossoka) et de différentes
espèces d‟airelles et de ronces. Parmi ces dernières, la morochka (Rubus
chamaemorus) est la plus appréciée des Ronces de la sogra, donnant des baies
semblables à de délicieuses petites framboises, que les Russes récoltent au
milieu de l‟été. Les mousses sont dominées par les Sphaignes, mais ces
dernières s‟épanouissent plus encore dans la taïga marécageuse de cuvette.
Dans les cuvettes, les sols sont engorgés en permanence et les
phénomènes tourbeux prennent un plus grand développement. Des milliers de
petits lacs et marais de modelé glaciaire trouent la taïga de plaine, mais celle-ci
parvient à croître autour, selon des auréoles forestières ayant chacune leurs
particularités, voire, dans certains cas, arrive à coloniser le fond tourbeux, ou à
résister. C‟est la mchara des Russes375, qui a certains points communs376 avec la
forêt de muskeg des Canadiens. Si jamais le système est entier (mais il est
souvent tronqué), la mchara se présente comme une forêt concentrique. Au
centre se trouve la nappe d‟eau, plus ou moins encombrée de plantes
aquatiques, flottantes ou non. Elle est entourée d‟une tourbière, d‟abord à Carex
puis à Sphaignes, où poussent certains Aulnes. Et c‟est à l‟extérieur de cette
dernière auréole que, sur des sols à gley, pousse la taïga. Cette forêt
souffreteuse, aux individus rabougris, qui trouvent ici des conditions de vie
extrêmes, est avant tout peuplée de Pins. Ce sont plutôt des arbres chétifs, dont
les racines pourrissent à cause de l‟humidité et qu‟un vent de tempête suffit à
faire s‟écrouler. Pierre Camena d‟Almeida (1932, p. 79) parle à propos de la
mchara de « paysage de désolation ». Le conifère typique en est le petit Pin
sylvestre tortueux (Pinus sylvestris litvinovi, koriavaïa sosna obyknovennaïa),
le « pin nain tortu » de Berg (1941, p. 54).
Sous les Pins, le tapis mousseux est dominé par la Sphaigne
(Sphagnum, sfagn). Capables d‟absorber de grandes quantités d‟eau, ces
mousses des marais gonflent comme des éponges, qui rendent difficiles les
déplacements sous cette forêt. « La marche y est fatigante, car le pied enfonce
dans la masse brune de la tourbe en formation, ou butte contre les troncs gisant

375
Comme tout terme vernaculaire entré dans le vocabulaire géographique, sa signification varie
quelque peu selon les auteurs, certains, comme Trëšnikov (1988), y voyant plutôt le marais non
forestier trouant la taïga, d‟autres la taïga elle-même marécageuse, d‟autres, comme Utkin (1995,
p. 267, en russe), les deux : « appellation populaire de marais couverts de forêts taïgiennes et de
tourbières bombées sans forêt. Elles [les mchary] correspondent essentiellement à des dépressions
et à de grandes vallées fluviales. Sur les mchary forestières pousse principalement le petit pin
sylvestre tortueux (particulièrement sous sa forme marécageuse). Sur le tapis au sol prédominent
les sphaignes ; le lédon, les carex, la linaigrette, la canneberge sont représentés en abondance ; la
drosera est commune ».
376
Mais aussi des différences, parmi lesquelles le fait que le genre le plus répandu des forêts de
muskeg se trouve être l‟Epicéa, surtout l‟épinette noire (Picea mariana), tandis que c‟est
assurément le Pin dans la mchara.
256
Milieux naturels de Russie
à terre » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 79). Les chasseurs aguerris n‟hésitent
pas à s‟aventurer au cœur de la mchara, mais, pour les autres, c‟est, au moins
sur ses marges, la cueillette qui incite à surmonter les difficultés.
C‟est que la mchara abrite en grandes quantités de savoureuses baies,
que la langue française a tendance à toutes assimiler à l‟airelle des marais, mais
qui sont en fait plus variées. La Canneberge des marais (Oxycoccus377 palustris,
klioukva bolotnaïa) est de ce point de vue l‟Ericacée la plus importante, puisque
Utkin et al. (1995) estiment à environ un million trois cent mille tonnes la
récolte annuelle russe de ces grosses baies rouges et acidulées. Les Sibériens,
qui en raffolent, ne manquent jamais de souligner la richesse de la klioukva en
vitamines et en oligo-éléments. La Canneberge à petits fruits (Oxycoccus
microcarpus, klioukva melkoplodnaïa), qui prédomine dans la toundra boisée,
n‟est quant à elle pas exploitée. La Canneberge des marais ne doit être
confondue, en français, avec la véritable Airelle des marais378 (Vaccinium
uliginosum, goloubika), dont les baies sont, comme l‟indique son nom en russe,
de couleur bleue379. Moins parfumée que la klioukva, la goloubika est elle aussi
très riche en vitamines. Consommée fraîche en juin et juillet, son surplus est
fréquemment séché par les Russes pour être conservé. Appréciée, bien qu‟il ne
soit, paraît-il, pas recommandé d‟en consommer en grande quantité, la
goloubika est connue en Russie sous plusieurs autres noms locaux, comme le
gonobobel, la gonobol, la dournika, la pianika.
La goloubika pousse en général avec le bagoulnik, dont elle partage les
exigences pédologiques. Le Lédon des marais380 (Ledum palustre, bagoulnik
bolotny) est parfois surnommé par les Russes le stupéfiant des marais (bolotnaïa
odour). Ce buisson, qui fleurit en mai ou juin, dégage en effet un parfum
mielleux enivrant, qui donne une ambiance capiteuse à la mchara printanière.
De fait, les propriétés narcotiques de cette plante sont utilisées dans la médecine
russe traditionnelle et c‟est aujourd‟hui une prescription homéopathique
fréquente contre les rhumatismes. Les autres plantes les plus communes de
l‟étage inférieur de la mchara sont la linaigrette (Eriophorum vaginatum,
pouchitsa), la Drosera (Drosera, rossianka), l‟Andromède poliée (Andromeda
polifolia, Androméda mnogolistnaïa ou, plus simplement, podbel). Là où la
transformation de la forêt sèche en taïga marécageuse est récente, c‟est la
Laîche (Carex, ossoka) qui domine.
En effet, la taïga marécageuse de cuvette, qui prend déjà une grande
place naturelle dans l‟ensemble de la forêt boréale russe, aurait en outre

377
Oxycoccus est considéré par certains comme un sous-genre de Vaccinium, par d‟autres comme
un genre à part entière.
378
Dite aussi en français Myrtille des marais, ou Airelle bleue, orcette, ou encore embrune.
379
Du moins à l‟extérieur ; la baie est plutôt blanchâtre à l‟intérieur.
380
Qu‟il ne faut pas confondre avec le Lédon du Groenland (Ledum groenlandicum), comestible
et dont les infusions donnent le thé du Labrador au Canada.
257
tendance à gagner du terrain sous l‟action des défrichements anthropiques,
lesquels, en faisant remonter le toit des nappes, inonderaient les anciens
podzols. « Le phénomène se produit souvent après des incendies ou des
défrichements de forêts sur des terrains autrefois secs. La cause en est que la
forêt, en évaporant une énorme quantité d‟humidité, abaisse dans les plaines le
niveau des eaux du sous-sol et draine le terrain ; la forêt disparue, ces eaux
remontent à la surface » (Berg, 1941, p. 53). La question, comprise dans l‟effet
général d‟une couverture forestière sur le cycle hydrologique (Molchanov,
1963), reste cependant controversée381.
La taïga marécageuse de cuvette a été en partie modifiée par la
construction de nombreux lacs de barrages, dans la partie européenne du pays.
Elle a ainsi pu être inondée assez largement, mais s‟est reformée, d‟ailleurs
souvent en gagnant du terrain, et a construit de nouvelles auréoles autour des
nouveaux plans d‟eau. La taïga méridionale de la plaine de la Mologa, déjà
largement marécageuse à l‟état naturel, s‟est transformée au contact du lac de
barrage de Rybinsk, mis en eau dans les années 1940. Cet ensemble de
paysages, dont le caractère marécageux est en partie originel et en partie
provoqué par l‟action anthropique, est protégé par la réserve naturelle de
Darwin. Depuis 1945, le Darvinski zapovednik préserve sur 112 673 ha la
mosaïque de taïga marécageuse dans les cuvettes et de bor sur les bourrelets
morainiques. Les tourbières et la taïga marécageuse de Pins aux formes variées
et tourmentées y prennent la plus grande place et ont été décrites en détail par
Kaleckaja et al. (1988). L‟étage inférieur est particulièrement riche en
savoureux buissons à baies comme l‟Airelle des marais, la Canneberge des
marais et la Ronce morochka. La Camarine noire et la Drosera sont plutôt rares,
mais on trouve fréquemment le cassandre (Chamaedaphne calyculata, bolotny
mirt), l‟Andromède poliée, le Lédon des marais, la Linaigrette vaginée
(Eriophorum vaginatum, pouchitsa vlagalichtchnaïa), la Scheuchzérie des
tourbières (Scheuchzeria palustris, cheïkhtséria bolotnaïa). Puisque la mise en
eau du lac de Rybinsk n‟a guère plus d‟une soixantaine d‟années, la Laîche des
marais (ossoka topianaïa) est très répandue.
A son extrémité occidentale, la réserve naturelle de Darwin compte
aussi, en partie ennoyée, une taïga de vallée, celle de la Mologa, qui forme un
troisième et dernier type de forêt marécageuse.
Généralement, dans les dépressions parcourues par un cours d‟eau, le
drainage est meilleur que dans les cuvettes, mais, si le lit migre d‟une saison à
l‟autre à la surface de la plaine alluviale, la taïga y prend pied sur des sols

381
« Bien qu‟il n‟existe pas beaucoup d‟observations pour conforter ce point de vue, comme on
vient de le voir, l‟idée selon laquelle la forêt aggrave et prolonge les étiages est très largement
partagée, sauf par les auteurs russes » (Cosandey et Robinson, 2000, p. 326).
258
Milieux naturels de Russie
marécageux, où les Sphaignes, bien que moins importantes que dans la mchara,
ne sont pas absentes.
Dans les régions où domine la taïga sombre, les vallées sont couvertes
de pessières alluviales, « les forêts d‟épicéas à herbes » de Berg (1941, p. 49),
les ièlniki s goustym travianym pokrovom de la plupart des géographes russes.
En langage vernaculaire, ce type de taïga correspond au log (Utkin et al., 1995,
p. 106). Le fait important est la faiblesse des mousses et, au contraire, la grande
densité des herbes dans un épais sous-bois.
La pessière à herbes est connue pour être la taïga la plus riche en
Groseillier rouge (Ribes rubrum, smorodina krasnaïa), en Groseillier noir
(Ribes nigrum, smorodina tchiornaïa), dont les Français connaissent les baies
sous le nom de cassis, et en plusieurs autres espèces du même genre, notamment
le Groseillier rampant (Ribes procumbens, léjatchaïa smorodina) en Sibérie. En
tout, ce sont environ 250 000 tonnes de différentes groseilles qui sont ramassées
chaque année dans les pessières alluviales de Russie (Utkin et al., 1995). Les
Aulnes se mêlent aux Genévriers, Eglantiers et Chèvrefeuilles pour former un
dense sous-bois. Mais c‟est sans doute le Saule (Salix, iva) l‟arbuste le plus
caractéristique de l‟étage moyen du log.
L‟espèce la plus commune en Russie est le Saule à feuilles aiguës (Salix
acutifolia, iva ostrolistnaïa), qui y est surnommé le Saule rouge (verba krasnaïa
ou krasnotal), formant localement des peuplements presque exclusifs. Ces
saussaies prennent plutôt pied sur les alluvions assez sableuses, faisant alors
transition avec le second type, plus rare, de taïga marécageuse de vallée
alluviale.
En effet, dans les régions où domine la taïga sèche, certaines vallées
sont couvertes de pinèdes alluviales, que Berg (1941, p. 49) appelle « le bor à
herbes », le traviano-bolotny sosniak d‟autres auteurs.

259
3.4.2. Les micro-variétés de la taïga de plateau et de montagne

En relief plus tourmenté, les plateaux de taïga décidue à l‟est de


l‟Iénisséï présentent quelques micro-variations paysagères, mais ce sont surtout
les montagnes de l‟étage forestier qui offrent des contrastes de versants sur de
courtes distances.

Les différents types de lariçaies de plateau

La taïga de Mélèzes de Dahourie du Plateau de Sibérie Centrale et de


ses annexes présente de fines variations locales, essentiellement dues à la
profondeur du pergélisol, qui agit sur l‟humidité et le drainage du sol sus-jacent.
Le paysage le plus fréquent est celui d‟une taïga sèche de Mélèzes, à sous-bois
d‟Aulne nain (Duschekia, okholnik), de Rhododendron, de lespédétsa
(Lespedeza), dont l‟étage inférieur est riche en airelles, particulièrement la
brousnika (Vaccinium vitis-idaea)382, et, surtout, dont le tapis herbeux abondant
répond à la clarté qui existe au sol.
Parmi ces herbes, on trouve fréquemment la Prêle des champs
(Equisetum arvense, khvochtch polévoï) et des Graminées, comme la Fétuque
de Yakoutie (ovsianitsa yakoutskaïa). La lariçaie à Rhododendron domine sur
les pentes fortes des vallées encaissées, tandis que la lariçaie à Airelles rouges
(brousnitchy listvennitchnik) l‟emporte sur les versants plus doux des plateaux
d‟interfluve. Ce sont les Toungouses qui forment le vrai peuple383 de la taïga de
Mélèzes de Dahourie, en connaissent et en exploitent les moindres
différences384 tout en respectant la forêt ; les autres ethnies, y compris les
Yakoutes, n‟occupent que les clairières, qu‟ils ne manquent pas d‟agrandir par
défrichement.
Sur les sols sableux, le Pin sylvestre se mêle au Mélèze de Dahourie,
voire, localement, le supplante, pour former un bor. Sur le piémont du Saïan
Occidental, le parc national de Chouchenski Bor possède de nombreux faciès

382
Une villageoise de la localité sibérienne de Khoujir nous expliquait, en août 2008, qu‟elle
ramassait à chaque mois de septembre une grande quantité de brousnika dans le sous-bois des
Mélèzes de Dahourie. Elle met un cachet d‟aspirine pour deux seaux, sans jamais ajouter de sucre
insiste-t-elle, et laisse l‟ensemble dehors, qui gèle immédiatement et se garde jusqu‟au printemps.
La réserve d‟Airelle rouge sert ainsi tout l‟hiver.
383
Bien que le terme de Toungouse ait été forgé par les Yakoutes à l‟égard de plusieurs ethnies de
manière péjorative, il reste commode de l‟utiliser pour regrouper l‟ensemble des peuples de la
forêt de Sibérie Centrale et Orientale, qui se trouvent être les Evenks et les Evens.
384
« Le chasseur demande aux arbres de lui fournir des repères dans l‟univers indéfini de la taïga,
comme le font spontanément les côtés des troncs qu‟un vent pluvieux a couverts de mousse ou les
fûts qu‟un ours a griffés. Il guette le mélèze à tête double ou triple, la cime inhabituellement
fournie, la souche bizarre qui viendra rompre la continuité du sous-bois » (Hamayon, 1997, p.
26).
260
Milieux naturels de Russie
différents de pinèdes, dont les lentotchnyé bory (les pinèdes-galeries), qui
couvrent les dunes sableuses de la partie la plus septentrionale de l‟aire
protégée. Dans l‟île d‟Olkhon du Baïkal, cette association du Pin sylvestre et du
Mélèze de Dahourie se produit sur tout le versant occidental, aux sols sableux.
Là où le sol est plus humide, tout en étant bien drainé, le Cèdre de
Sibérie (Pinus sibirica) se mêle au Mélèze de Dahourie et devient localement
dominant. Ces lariçaies-cédrières sibériennes ont un sous-bois bien fourni en
airelles.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 42 Une cédrière du sud de la Sibérie
La lariçaie du Plateau de Sibérie Centrale s’enrichit vers le sud en Cèdres de Sibérie, en particulier là
où le sol est humide. Le sous-bois est plus dense et riche en Airelles. A proximité d’Irkoutsk,
l’Homme a favorisé le développement de feuillus.

Dans les parties concernées par un sol mal drainé, où le pergélisol est
proche de l‟affleurement, c‟est la « taïga humide à mélèzes » (Berg, 1941, p.
51) qui se développe. Le sous-bois y comprend souvent le Bouleau pubescent
(Betula pubescens, bérioza pouchistaïa) et un tapis de mousses couvre le sol.

261
Dans le cas d‟un sol engorgé, on entre dans une mar385, qui est une lariçaie
marécageuse, aux arbres espacés, pouvant passer à une boulaie naine, un iernik,
et à une prairie humide. Les mari forment ainsi une mosaïque de bois
souffreteux et de clairières marécageuses trouant la taïga de Sibérie orientale et
d‟Extrême-Orient. Les ierniki deviennent de plus en plus fréquent au fur et à
mesure qu‟on s‟avance vers le nord.
Dans la taïga septentrionale, les principaux types de forêt sont la
lariçaie à mousses (mokhovoï listvennitchnik), la lariçaie à Airelle des marais
(goloubytchny listvennitchnik) et la lariçaie à Lédon (bagoulnikovy
listvennitchnik).

Les contrastes d’exposition dans les forêts taïgiennes de montagne

L‟exposition des versants (èkspozitsia sklonov), qui provoque des


différences d‟échauffement des systèmes de pentes en fonction de leur
orientation face aux rayons solaires, acquiert une importance d‟autant plus
grande pour la vie montagnarde que trois critères sont réunis : une faible
nébulosité, une latitude moyenne et une direction prédominante des vallées
s‟allongeant d‟ouest en est.
La Russie, et a fortiori la Sibérie, étant en climat continental, la plupart
de ses montagnes répondent à une longue durée d‟insolation et une faible
nébulosité, qui exacerbent les contrastes de versants. L‟Altaï et le Saïan sont
cependant les deux massifs qui sont le plus concernés. En Extrême-Orient,
notamment au Kamtchatka, une nébulosité plus importante tend à homogénéiser
le comportement les versants.
Les latitudes moyennes concernent plus les montagnes du sud de la
Russie et, une fois encore, l‟Altaï et le Saïan développent. Mais bien d‟autres
massifs sont concernés, comme l‟Oural méridional, la Transbaïkalie et Sikhotè-
Alin. En revanche, les Monts de Sibérie Orientale, situés très au nord, les rayons
solaires sont si bas l‟essentiel de l‟année que le phénomène d‟ombre portée
réduit fortement les contrastes, ou, si l‟on veut, presque tous les versants se
conduisent comme des ubacs, quelle que soit leur exposition.
Enfin, ce sont les montagnes où les vallées s‟allongent de préférence
d‟ouest en est qui offrent les contrastes les plus marqués entre l‟adret (youjny
sklon386) et l‟ubac (séverny sklon). Il en existe évidemment des segments dans
toutes les chaînes russes, mais c‟est dans les monts Saïan que le phénomène

385
La mar (mar’ en transcription internationale) n‟a évidemment rigoureusement aucun rapport
avec la mare française.
386
Le russe exprime le plus souvent elliptiquement l‟adret en « versant méridional » (youjny
sklon), qu‟il faut comprendre comme « versant tourné vers le sud », correspondant effectivement
au flanc situé au sud d‟un sommet, mais au nord d‟un fond de vallée. On trouve, parfois aussi
dans la littérature russe, le terme plus long, mais plus juste, de « versant d‟exposition
méridionale » (sklon youjnoï èkspozitsii).
262
Milieux naturels de Russie
prend la plus grande ampleur. Ainsi, les youjnyé sklony ont tendance à recevoir
plus de calories par insolation directe, à être plus secs, à avoir des sols moins
acides, tandis que les sévernyé sklony sont plus froids, conservent la neige plus
longtemps, ont des sols plus acides, où la décomposition de la matière
organique se fait plus mal. Dans un massif souffrant de sécheresse, comme le
Saïan, qui élève sa taïga de montagne au-dessus de la steppe, l‟exposition en
ubac n‟est d‟ailleurs pas forcément un inconvénient, car le tapis neigeux protège
le sol des plus grands froids, puis il distille, en fondant, une humidité qui peut
être bénéfique, quand manquent les précipitations.
Il résulte de ces différences d‟exposition une grande variété de facettes
paysagères de la taïga de montagne. D‟une part, la limite altitudinale des étages
forestiers n‟est pas la même, d‟autre part les espèces elles-mêmes peuvent
varier. C‟est ainsi que, de l‟Altaï au Saïan Oriental, le Sapin de Sibérie (Abies
sibirica, pikhta sibirskaïa) couvre, de manière caractéristique, les versants les
plus humides de ces montagnes de Sibérie méridionale, où il forme la forêt
noire, la tchernevaïa taïga. Au contraire, les versants plus secs sont couverts de
Mélèzes et de Cèdres. Sous cette taïga plus lumineuse, surtout sur les pentes
rocailleuses assez fortes, le sous-bois comprend souvent le Groseillier à
maquereau de l‟Altaï (Grossularia acicularis387, kryjovnik igoltchaty), qui
donne de grosses baies atteignant 15 mm de diamètre. Dans des conditions
similaires, sur des sols très grossiers, sablo-graveleux, avec des eaux
souterraines proches de la surface, l‟Argousier faux nerprun (Hippophae
rhamnoides, oblépikha krouchinovaïa) occupe largement les vallées escarpées
des torrents de l‟Altaï et du Saïan, où il peut former des massifs entiers sous
forme d‟arbustes de quelques mètres de haut. Les baies d’oblépikha, de couleur
orange, sont très appréciées des Sibériens, qui en vantent la richesse en
carotène, supérieure à celle de la carotte, en vitamines B, C, E, P, en oligo-
éléments et en sucre.
Beaucoup plus au nord, dans les monts de Verkhoïansk, où les
conditions climatiques sont très difficiles, les sévernyé sklony ne présentent
guère qu‟une toundra boisée, où des Mélèzes de Cajander (Larix cajanderi,
listvennitsa kaïandera), petits et espacés, dominent un tapis de mousses. Au
contraire, les youjnyé sklony offrent quelques Pins et Epicéas sur les basses
pentes, atteignant 500 m dans les meilleurs cas, puis de mélézins de Cajander de
belle taille au sous-bois de Cèdre nain (Pinus pumila, kedrovy stlanik), d‟Aulne
nain (Duschekia, okholnik ou koustarnikovaïa olkha) de Bouleau de
Middendorf (Betula middendorfii, bérioza Middendorfa), de raisin de l‟Aldan
(Ribes dicuscha, smorodina siniaïa, ou smorodina dikoucha, ou, plus
familièrement, dikouchka), d‟Airelle rouge (Vaccinium vitis-idae, brousnika) et
de Camarine noire (Empetrum nigrum, chikcha, ou vodianika, ou encore
voronika) dominant un tapis de lichens. Les noix du Cèdre nain, grasses et

387
Synonyme de Ribes aciculare.
263
nourrissantes, sont favorables au développement de la vie animale, qui se
concentre donc sur les versants les mieux exposés. Dans ces montagnes, où les
conditions naturelles sont très difficiles, les contrastes entre versants, sur de
petites distances, acquièrent une importance accrue pour la vie des plantes et
l‟occupation humaine, en grande partie fondée sur la chasse des animaux à
fourrures.
Ce qui précédait était évidemment une simplification destinée à la clarté
pédagogique. Dans la pratique, les types locaux de taïga de montagne varient à
l‟infini, selon les multiples facettes du volume montagneux dues au mélange
des contrastes d‟exposition et des différences d‟altitude. La toponymie locale,
russe et indigène, reflète cette diversité. Ainsi, dans l‟Oural, « les Zyrianes
appellent siort la forêt mixte de conifères et d‟arbres à feuilles, que fréquentent
l‟ours, l‟hermine et la gelinotte. Pour les Russes, un tchougor est un sommet
isolé, aux pentes rapides, que recherche le „cèdre‟ et d‟où n‟a pas encore disparu
la zibeline » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 187).

Conclusion du Chapitre deuxième

La forêt boréale, la plus étendue de toutes les formations végétales


arborées de la planète, est une forêt de conifères zonale, liée au climat
continental et au podzol. Peu productive, elle constitue pourtant la plus grande
réserve en bois de l‟humanité, grâce à son immensité, à son âge et aux
particularités des conifères. Elle est à l‟origine de la civilisation russe, du moins
sur sa marge européenne méridionale de forêt mixte.
Sous une strate supérieure de résineux, pousse un sous-fois de feuillus à
petites feuilles et de buissons. L‟ensemble a la biomasse la plus faible de toutes
les forêts et, surtout, se renouvelle très lentement. Cependant, le bois de qualité
qu‟elle produit est utilisé depuis des siècles pour les constructions
traditionnelles. Aujourd‟hui, l‟exploitation commerciale de la taïga doit tenir
compte de la lenteur de sa régénération. Malgré certaines difficultés, comme la
croissance des coupes illégales dans les années 1990, la taïga russe reste une
forêt assez largement préservée. La biodiversité naturelle de la taïga russe est
très peu élevée. Chez les conifères, elles se réduit à quatre genres, le Pin,
l‟Epicéa, le Sapin et le Mélèze. Celui-ci, que les Russes nomment listvennitsa,
forme de loin le plus gros volume de bois du pays. Chez les feuillus, le Bouleau
et le Peuplier sont les principaux. Chaque essence est chargée d‟une forte
symbolique dans l‟âme de ce peuple profondément forestier. Les animaux qui
peuplent la taïga forment une chaîne dont la contrainte initiale est celle d‟une

264
Milieux naturels de Russie
faible production de matériaux durs et englués de résine, dominés par les
aiguilles.
La taïga est une formation en équilibre avec un climat continental aux
saisons très contrastées. Après l‟arrivée brutale de l‟été, les incendies de forêt
sont considérables, qui dévastent plus d‟un million d‟hectares par an. Les
départs de feux, au nombre de 25 000 chaque année, sont en général d‟origine
anthropique, mais la sécheresse estivale est un élément important de leur
propagation. En hiver, les végétaux de la taïga supportent des froids intenses.
Les animaux ont aussi développé des adaptations, dont l‟une d‟entre elles, la
fourrure, a permis le développement d‟une économie importante, qui fut l‟une
des causes historiques de la conquête de la Sibérie.
La forêt boréale pousse sur un sol pauvre et acide, dont l‟horizon éluvial
minéral ressemble à de la cendre, le podzol. La symbiose entre l‟arbre et le
champignon est l‟une des clefs de contournement de la pauvreté du sol.
Contrairement à la forêt hudsonienne, la taïga russe subit, dans sa partie
sibérienne, la contrainte supplémentaire d‟un sous-sol gelé en permanence, la
vetchnaïa merzlota, qui provoque l‟engorgement estival du sol situé au-dessus.
L‟homogénéité apparente de la taïga russe dévoile pourtant
d‟importants gradients longitudinaux et latitudinaux, perturbés par les grandes
vallées fluviales et les massifs montagneux et, surtout, à très grande échelle
cartographique, d‟infinies nuances fondées sur les différentes facettes
topographiques. En ce sens, la taïga est bien, en direction du nord, la dernière
formation végétale arborée de la planète avant les milieux périglaciaires, une
forêt se trouvant dans des conditions limites, où le moindre abri ou au contraire
la moindre éminence prennent une importance démesurée. La réponse à la
question de la monotonie de la taïga ne dépend cependant pas seulement de ses
qualités intrinsèques. Elle ne peut être donnée à l‟issue de la seule étude de la
forêt boréale, mais doit attendre le développement des autres zones
biographiques de la Russie et du regard qui est porté sur elles toutes.

265
Milieux naturels de Russie

Chapitre Troisième

Les forêts de feuillus, les sols gris bruns et la pollution


« Dans l‟anse marine, un chêne vert ». Le tout premier poème, Rouslan
et Lioudmila, publié par Pouchkine, alors qu‟il n‟avait que vingt ans, commence
par ce vers, par ce chêne (doub), autour duquel s‟enchaîne et se déroule la
mythologie russe. Mais aujourd‟hui, qu‟en est-il, non de la poésie, car « il est
passé, le temps des vers »388, mais des forêts de chênes de la Russie ?
La zone des forêts latifoliées (chirokolistvennolesnaïa zona) comprend,
au sens des géographes russes qui en soutiennent l‟existence, les forêts mixtes à
dominante de feuillus à grandes feuilles, et, surtout, les forêts composées
uniquement de feuillus. Elle équivaut à la zone némorale389. Selon les
estimations, cela représente 3 à 8 % du territoire russe. Cette proportion est très
faible pour un milieu naturel se trouvant être finalement le plus proche de celui
qui couvrait l‟Europe de l‟Ouest en presque totalité. Pourtant, l‟enjeu est
d‟importance. Au sens le plus strict, la forêt de feuillus russe couvrait à l‟état
naturel cinq cent vingt mille kilomètres carrés (Isačenko, 1992, 1996), mais,
augmentée de la partie méridionale de la forêt mixte et de la moitié
septentrionale de la steppe boisée, elle pouvait atteindre le double et, même,
selon le Rapport sur les progrès manifestes concernant la réalisation des
engagements de la Fédération de Russie pour le protocole de Kyoto (en russe),
plus d‟un million trois cent mille kilomètres carrés. Bien qu‟elle soit la plus
défrichée de toutes les forêts russes, la forêt de feuillus a été plus préservée
qu‟en Occident, puisqu‟il en subsiste encore 29 % dans la Russie européenne
(Gvozdeckij et Samojlova, 1989).
Pourquoi la fourchette d‟estimation de la place occupée par la forêt de
feuillus russe est-elle si large et varie-t-elle du simple au triple ? Cette formation
végétale est-elle analogue à la forêt de feuillus de l‟Europe occidentale,
atlantique, ou offre-t-elle des caractères propres ? Sur quel type de sol croît-
elle ? Comment expliquer ce paradoxe qui fait d‟elle l‟une des zones les plus
défrichées de Russie, mais l‟un des milieux les moins défrichés d‟Europe ? La
Russie réussit-elle à associer le Chêne pédonculé, le Chêne de Géorgie et celui
de Mandchourie ou n‟est-ce que le reflet de l‟écartèlement des milieux naturels

388
« Ona prochla, pora stikhov » écrit en effet Pouchkine dans l‟épilogue du même poème.
389
La zone némorale, « caractérisée par les forêts à feuilles caduques l‟hiver » (Ozenda, 1994, p.
17) est une appellation forgée par les Russes, que les Scandinaves C. Regel (1952) et H. Sjors
(1963) ont diffusée dans le vocabulaire scientifique international. « Following Regel (1952, p. 38)
the term „Nemoral‟ was introduced by Russian authors » (Sjors, 1963, p. 109). Aujourd‟hui, il
reste employé par les botanistes russes, mais les géographes de ce pays l‟utilisent très peu, sauf
N.A. Martchenko et V.A. Nizovtsev.
267
qu‟un immense pays a fortuitement regroupés dans un même ensemble
politique ?
Pour tenter d‟apporter quelques éléments de réponse, il a semblé
opportun de ne pas développer de généralités, qui auraient été a priori
artificielles, sur l‟ensemble des forêts de feuillus de la Russie, ou du moins de
ne pas fonder le plan sur ces points communs. Ce ne sont pas ces derniers qui se
placent au premier rang. Au contraire, trois ensembles, chacun séparé de l‟autre
par plusieurs milliers de kilomètres, ont une individualité suffisamment forte
pour se suffire à eux-mêmes.

Fig. feuillu 1 : Carte des forêts de feuillus à grandes feuilles

En Russie d‟Europe390, la forêt latifoliée forme une bande continue, qui


sépare la subtaïga de la steppe. Elle n‟existe pas en Sibérie, où le contact est
brutal entre la forêt boréale et les formations prairiales. Elle réapparaît en
Extrême-Orient, sous une forme d‟ailleurs plus luxuriante. Outre cette
disposition zonale, une forêt de feuillus borde la Russie d‟Europe pour des
raisons altitudinales : c‟est celle du Caucase. Le regroupement de certains traits
communs à ces trois unités reste cependant possible. Il tient sans doute à
l‟exploitation qui en est faite par la société russe, peut-être aussi à d‟autres
arbres, moins emblématiques que « le roi des arbres » (tsar déréviev). Pour que
s‟enchaînent les idées sans chêne…

390
Pour P. Ozenda (1994, p. 63), c'est la « région sarmatique » de la « zone némorale ».
268
Milieux naturels de Russie
1. La forêt de feuillus européenne

En faisant un trajet du nord au sud, le passage des forêts mixtes de la


subtaïga à la steppe proprement dite se fait par une transition très progressive en
Russie d‟Europe, par un contact plus brutal en Sibérie. Dans la moitié ouest de
la Russie, ce ruban de transition a toujours été appelé par les auteurs classiques,
notamment L.S. Berg, I.S. Loupinovitch et F.N. Milkov391, lessostep, la steppe
boisée392. Sa limite géographique était précisément tracée, bien que sa définition
biogéographique fût assez floue393. Elle l‟était d‟autant plus que, le
défrichement presque complet de cette zone étant ancien, la connaissance de la
végétation climacique réclame des reconstitutions à partir des îlots préservés
(Agahanjanc, 1986) ou de la qualité des sols. Berg lui-même indiquait d‟ailleurs
à ce propos que le nord de cette zone avait une pédologie forestière, le sud une
pédologie steppique394. Ce contraste rend difficile l‟association des moitiés nord
et sud de ladite zone de steppe boisée.
C‟est pourquoi certains auteurs critiquèrent l‟existence de lessostep en
tant que zone et proposèrent la délimitation d‟une zone des forêts latifoliées dès
les années 1950. Ce furent d‟abord N.V. Dylis, G.D. Rikhter et E.M. Lavrenko
dans la Grande Encyclopédie Soviétique, puis V.K. Joutchkova dans plusieurs
manuels de géographie physique. Le débat se poursuit jusqu‟à aujourd‟hui dans
la communauté des géographes russes. La chirokolistvennolesnaïa zona a la
faveur de certains géographes actuels, comme N.A. Martchenko et V.A.
Nizovtsev, qui y regroupent les chênaies et chênaies à tilleuls avec les chênaies
à pins. C‟est aussi la conception d‟A.I. Outkin (carte p. 124 d‟Utkin et al.,
1995). Ces chercheurs font apparaître une zone indépendante de forêts
latifoliées, qui correspond cartographiquement à la moitié septentrionale de leur
steppe boisée.

391
Jusqu‟à son dernier grand ouvrage de géographie physique (Mil‟kov, 1986), le professeur de
l‟Université de Voronej, qui faisait ses recherches et enseignait dans le ruban lui-même de
transition biographique, soutint l‟unité des zones de forêt décidue et de steppe boisée.
392
« Dans ses premières traductions de la terminologie russe, P. Camena d‟Almeida (1904, p.
272) employait le terme de « steppe sylvestre », qui est sans doute meilleur si on veut insister sur
la forêt latifoliée défrichée. Le nom de « steppe boisée » s‟est finalement imposé dans le lexique
français, qui souligne mieux la mosaïque paysagère dont font partie les bois résiduels.
393
« La steppe boisée constitue le territoire intermédiaire entre la forêt du nord et la steppe du
sud. Ce qui caractérise le paysage, c‟est l‟alternance de vastes massifs boisés et de grandes
étendues steppeuses, ou bien la présence de bois parsemés comme des taches sur le fond de la
steppe » (Berg, 1941, p. 76).
394
« Les sols de la steppe boisée sont très particuliers : il y en a qui se sont formés sous forêt et
d‟autres qui l‟ont été sous végétation steppeuse. A ce point de vue, la steppe boisée comprend, à
l‟ouest de l‟Oural, les sous-zones suivantes, en allant du nord au sud : 1° Terres forestières grises
(sols faiblement argileux dégradés). 2° Terre noire dégradée. 3° Terre noire délavée et terre noire
du nord. 4° Terre noire épaisse et riche » (Berg, 1941, p. 85).
269
Cependant, beaucoup d‟auteurs actuels conservent la large bande de
steppe boisée395, qui correspond à une certaine unité paysagère de « mosaïque »
(Agahanjanc, 1986) de bois, de prés et de champs. A.I. Nerestov et V.I. Fedotov
ont consacré un article récent (2005) démontrant, selon eux, l‟appartenance des
régions situées au sud de l‟Oka à la zone de steppe boisée, en s‟appuyant sur
des critères de zoogéographie, d‟érosion des sols, de processus géochimiques
dans le sol. D‟après ces recherches, la vieille limite nord de la steppe boisée,
tracée par L.S. Berg dans l‟entre-deux-guerres et reprise des travaux plus
anciens de G.I. Tanfiliev serait confirmée et retrouverait toute la pertinence de
sa jeunesse.

1.1. Une chênaie largement défrichée

Tout à fait à l‟ouest du pays, la forêt de feuillus climacique s‟étend


entre Karatchev396 (53° Nord) et le sud de Koursk (51° Nord). A l‟est du 36e
méridien, le ruban se déporte vers le nord, commençant entre 55 et 56° de
latitude et se terminant le long du 53e parallèle. Au total, de la frontière russo-
ukrainienne au piémont de l‟Oural, la limite nord397, dont le premier segment
joint Karatchev à Kalouga398, suit le cours de l‟Oka399, puis de la Volga jusqu‟à
Kazan, de la basse Kama et, enfin, de la Biélaïa inférieure. Quant à la limite sud
de la zone latifoliée, elle passe par les villes de Tambov, Penza et Samara,
remontant enfin un peu vers le nord pour atteindre le sud d‟Oufa.
Ce ruban d‟environ 300 km de largeur est avant tout une chênaie
climacique. L‟étage supérieur est dominé par le Chêne pédonculé (Quercus
robur, doub tchérechtchaty) et le Tilleul à petites feuilles (Tilia cordata, lipa

395
Non seulement les auteurs russes, mais aussi étrangers. C‟est par exemple le « zonoécotone de
la steppe arborée » de H. Walter (1979).
396
Cette petite ville, située par 53°07‟ N et 35° E, se trouve entre Briansk et Oriol. La forêt dite
de Briansk, qui s‟étend à l‟est de cette ville, marque l‟avancée la plus méridionale de la forêt
mixte.
397
Notons que la limite subtaïga / forêt latifoliée des auteurs récents correspond à la limite forêt
mixte / steppe boisée des auteurs classiques, soit, finalement, la limite méridionale de l‟Epicéa
398
Dans ses Mémoires d’un chasseur, Tourguéniev insiste sur la position septentrionale de
Kalouga, où les conifères de la subtaïga sont proches, à l‟inverse de la région d‟Oriol, typique de
la steppe boisée. « Le paysan d‟Orel, qui est à la corvée, gîte dans une misérable cahute de
tremble, n‟exerce aucun commerce, fait maigre chère, se chausse de tille. Celui de Kalouga, qui
est à la redevance, habite de spacieuses izbas de sapin » (Le putois et Kalinytch, 1847). Nous
reprenons ici la traduction classique de Henri Mongault. Cependant le texte russe d‟origine
indique que les izbas sont « sosnovyé », c‟est-à-dire en pin. La même erreur biogéographique,
sans doute faite intentionnellement pour mieux rendre en français le caractère forestier retiré et
isolé de la maisonnette, est reproduite plus loin, quand Tourguéniev parle de constructions en pin
(« sosnovyé srouby ») traduites en « constructions de sapin ».
399
L‟Oka supérieure forme une limite géographique majeure, physique, humaine et culturelle.
« Au sud, la forêt se dégrade rapidement, le tchernoziëm alterne avec les podzols, la steppe avec
les bois. Au-delà de l‟Oka, la maison en pisé blanchie à la chaux, avec un toit de chaume, relaie
l‟isba ; on quitte la civilisation du bois » (George, 1962, p. 235).
270
Milieux naturels de Russie
melkolistnaïa). L‟étage moyen, assez bien fourni, mêle l‟Erable (Acer, klion),
l‟Orme (Ulmus, viaz ou ilm), le Frêne (Fraxinus, yassèn400), mais aussi le
Noisetier (Corylus, orechnik), le Fusain (Euonymus401, béresklet), le
Chèvrefeuille (Lonicera, jimolost). Les Fougères (paporotniki) sont importantes
et l‟étage inférieur est plutôt herbeux. Ce schéma général se modifie à
l‟approche des nombreux marais qui trouent la forêt de feuillus, à proximité
desquels l‟Aulne glutineux (Alnus glutinosa, olkha kléïkaïa), que les Russes
appellent plus souvent l‟Aulne noir (olkha tchiornaïa), prend une grande
importance.
D‟ouest en est, la forêt latifoliée de Russie d‟Europe se transforme
quelque peu, notamment dans le fait que le Chêne prédomine de manière très
forte à l‟ouest de la Volga, tandis que le Tilleul prend une importance croissante
entre la Volga et l‟Oural. Il faut ajouter que, à l‟ouest de la Volga, la forêt de
feuillus se transforme par endroit en une forêt mixte dans laquelle le Pin
sylvestre se mêle au Chêne pédonculé. C‟est le cas au nord de Tambov et,
surtout, sur le Plateau Volgien à l‟ouest de Syzran.

Fig. feuillu 2 : Carte de la chênaie de la grande plaine russe

La forêt latifoliée de Russie d‟Europe pousse essentiellement sur les


sols gris forestiers (séryé lesnyé potchvy), qui forment une transition entre les
sols gazonnés podzoliques (dernovo-podzolistyé potchvy) de la subtaïga et les
terres noires lessivées et podzolizées (vychtchélotchnyé i opodzolennyé
tchernoziomy) de la steppe prairiale. Par rapport aux sols qui se trouvent plus au

400
La proximité de ce mot avec celui qui veut dire clair (yasny) en russe permet à Tourguéniev de
placer dans la bouche d‟Arcade s‟adressant à Katia la tirade suivante : « ne trouvez-vous pas que
le mot frêne est très bien nommé en russe ? Nul arbre mieux que lui ne laisse passer l‟air avec
cette légèreté, cette clarté » (Pères et fils, 1862, chap. XXV).
401
On trouve Evonymus ou Euonymus.
271
nord, l‟humus, de couleur grise402 et plutôt riche en bases, est déjà abondant et
assez épais, mais l‟acidité est encore présente. Le caractère le plus distinctif de
ce sol est la répartition homogène de l‟humus (ravnomernoïé rasprédélénié
goumoussa) dans l‟ensemble du profil, qui explique d‟ailleurs, par mélange, la
couleur grise.
L‟origine des sols gris forestiers a donné lieu à de grandes polémiques
scientifiques, qui ne sont pas encore éteintes aujourd‟hui. Le débat fut lancé
dans les années 1880, quand S.I. Korjinski lança la théorie de l‟origine
secondaire de ces sols, qui résulteraient d‟une dégradation du tchernoziom sous
l‟effet d‟une reconquête forestière, tandis que le fondateur de la pédologie russe
V.V. Dokoutchaev penchait pour la théorie primaire selon laquelle les séryé
potchvy sont des sols zonaux en équilibre avec la steppe boisée septentrionale.
La thèse de l‟origine secondaire, renforcée par Glinka, a été retenue par la
plupart des chercheurs pendant plus d‟un demi-siècle et elle reste exposée par
Berg (1941) comme la seule valable403. L‟important était d‟adhérer à l‟idée que
des terres noires steppiques avaient terminé leur évolution sous couvert
forestier. Sous ces chênaies à tapis herbeux, le lessivage aurait produit une
décarbonatation, un départ des bases et un appauvrissement en argile des
horizons supérieurs, qui auraient alors commencé à s‟acidifier. Cependant,
après la Guerre, des études ont montré que certaines chênaies actuelles
construisaient des sols gris, dans leur variété la plus foncée, si bien que, selon
Rakovskaja et Davydova (2003, p. 157, en russe), « aujourd‟hui, la plupart des
chercheurs soutiennent le point de vue de V.V. Dokoutchaev concernant
l‟origine primaire des sols gris forestiers ». Les terrains concernés par ces
recherches sont cependant de petite taille et le débat reste ouvert.
Quoi qu‟il en soit, les géographes russes insistent sur le caractère
transitionnel404 des sols gris, confirmé par leur dégradation zonale sur de petites
distances. Ils distinguent ainsi « les sols gris clairs du nord » (sévernyé svetlo-
séryé potchvy), « les sols gris » (séryé potchvy)405 et « les sols gris foncés du
sud » (youjnyé tiomno-séryé potchvy). Selon Nizovtsev (2005, p. 139), le

402
« La couche d‟humus est de couleur grise et sa partie inférieure présente une structure
caractéristique « en noisettes », celles-ci étant comme saupoudrées de podzol siliceux » (Berg,
1941, p. 87).
403
« Les sols faiblement argileux forestiers de couleur grise, qu‟on trouve à l‟extrémité
septentrionale de la steppe boisée, sont qualifiés par Glinka de terrains podzolisés secondaires,
étant donné qu‟ils appartenaient autrefois à un autre type de formation des sols, type spécial aux
terres noires et aux steppes, et qu‟elles ont été par la suite dégradées du fait de la lixiviation des
carbonates et des autres sels et oxydes » (Berg, 1941, pp. 86-87).
404
Qui a toujours été spontanément compris par la population et les écrivains. Quand Bazarov fait
le tour de la propriété du père de son camarade Arcade, il lui explique « pourquoi certains
arbrisseaux, les chênes surtout, n‟avaient pas pris. Il faudrait planter davantage de peupliers
argentés par ici, et aussi de sapins, peut-être même de tilleuls, à condition d‟ajouter un peu de
tchernoziom » (Tourguéniev, 1862, Pères et fils, chap. IX).
405
Ou « sols gris proprement dit » (sobstvenno séryé potchvy) selon Rakovskaja et Davydova
(2003, p. 157).
272
Milieux naturels de Russie
contenu en humus y varie respectivement de 3 à 7 %, de 4 à 9 % et de 6 à 12 %,
l‟épaisseur de l‟horizon humifère de 15 à 25 cm, 25 à 50 cm et une cinquantaine
de centimètres. Toutes les transitions se font entre les sols gris foncés et noirs,
qui annoncent, au fur et à mesure qu‟on va vers le sud, les sols de la steppe, les
plus féconds de la Russie.
La forêt de feuillus a donc en grande partie laissé place, depuis
longtemps, aux cultures. L‟importance des défrichements anciens406 n‟empêche
cependant pas que de beaux massifs forestiers subsistent encore aujourd‟hui, par
exemple au sud-ouest de Toula, et l‟occupation agricole souligne que les
cultures fourragères et l‟élevage tiennent ici une place beaucoup plus grande
que plus au sud, dans la steppe dévolue aux labours.

1.2. Les bois résiduels et la pollution des sols gris forestiers du


Plateau Central Russe

La région naturelle la plus caractéristique de la zone des forêts


latifoliées forme un rectangle orienté du sud-ouest au nord-est, compris entre la
frontière ukrainienne et l‟Oka et délimité par les villes de Karatchev, Kalouga,
Toula et Oriol. Outre les oblasti de ces trois dernières, le rectangle mord sur
l‟est de l‟oblast de Briansk et le nord-ouest de celle de Koursk. Le grand
écrivain russe Ivan Tourguéniev, passionné de chasse et de nature, qui possédait
plusieurs grands domaines tous situés dans ce périmètre, a laissé des écrits
remarquables de précision biogéographique sur les forêts, déjà assez largement
défrichées à l‟époque, de cette région. Du fait de son goût pour la chasse, les
observations sur la faune étaient les plus développées407, mais de nombreux
passages phytogéographiques montraient toutes les nuances forestières, ainsi
que la mosaïque de bois, de marécages, de clairières de défrichement, de
champs408. Il s‟agit d‟un état des lieux du milieu du XIXe siècle.
Aujourd‟hui, cette région biogéographique est appelée « province
centrale russe » (Srednerousskaïa provintsia) par les biogéographes russes

406
« La zone des arbres feuillus avait été fortement entamée, notamment par l‟Amirauté, pour la
construction navale sous Pierre le Grand » (Kerblay, 1973, p. 14).
407
Par exemple à propos de l‟étagement zoogéographique dans la forêt de chênes et de frênes de
Tchaplyguino (au nord-est d‟Oriol, dans le bassin de la Zoucha) : « Eperviers, crécelles, busards
volaient en sifflant sous les cimes immobiles ; les épeiches perçaient à coups de bec l‟écorce
rugueuse ; succédant aux roulades du loriot, le chant du merle résonnait tout à coup sous l‟épais
feuillage ; plus bas, dans les buissons, gazouillaient la fauvette, le tarin, le roitelet ; les pinsons
rapides couraient par les sentiers » (Tourguéniev, 1848, La mort).
408
Par exemple pour le passage des champs à la forêt de feuillus : « on s‟en va au bois chasser la
gelinotte. Quel plaisir de suivre un sentier entre deux hautes murailles de seigle ! Les épis vous
caressent le visage, les bleuets s‟accrochent à vos jambes ; les cailles crient tout autour de vous, le
cheval trottine doucement. Voici la forêt, tout ombre et tout silence. Les trembles élancés
chuchotent très haut au-dessus de vous ; les longues branches pendantes des bouleaux bougent à
peine ; le chêne, vigoureux guerrier, se dresse auprès de l‟élégant tilleul » (Tourguéniev, 1849, La
forêt et la steppe).
273
(Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 261), au sens de son appartenance au cœur
du Plateau Central Russe (Srednerousskaïa vozvychennost). Des chênaies
(doubravy) d‟origine couvrant les interfluves du plateau lui-même, il ne reste
plus que quelques rares massifs forestiers, en particulier les Toulskié zassetchki,
les « abattis de Toula », qui ont dû leur préservation initiale aux besoins de
défense de la Moscovie face aux invasions nomades venues de la steppe409, puis
ont traversé les âges jusqu‟à aujourd‟hui. Les Toulskié zassetchki forment
aujourd‟hui une forêt décidue dans laquelle la stratification est complète
(Alehin, 1951, Serebryanny, 2002) et qui se distingue par les grande taille des
Frênes, les yassèni. La strate supérieure est ainsi dominée par le Chêne et le
Frêne, l‟étage moyen par le Tilleul, l‟Erable et l‟Orme, la strate inférieure par
l‟Erable et le Pommier. Plus au sud, les déboisements ont été encore plus
importants. Il reste cependant à l‟extrême nord-ouest de l‟oblast d‟Oriol une
belle forêt latifoliée, incluse dans le parc national d‟Orlovskoïé polessié, créé
en 1994 à cet effet sur 77 700 ha. Plus au sud-est, seuls les lambeaux forestiers
de certains fonds vallées ont résisté, conduisant finalement au paysage de steppe
boisée méridionale.
La pédologie de cette petite région est remarquable par son caractère de
transition. Elle est dominée par les sols gris forestiers (séryé lesnyé potchvy),
qui se développent ici dans des conditions de climat continental telles que le
rapport entre les précipitations et l‟évaporation soit égal à l‟unité. Sols gris
clairs, gris proprement dit et gris foncés se succèdent sur de courtes distances.
En poursuivant vers le sud, les sols gris foncés forestiers passent
progressivement aux terres noires lessivées et podzolizées (vychtchélotchnyé i
opodzolennyé tchernoziomy) de la steppe boisée méridionale. « Les racines des
arbres, divisant la terre, favorisent les oxydations ; aussi, là où la forêt a pris
possession du sol, on ne trouve qu‟un tchernoziom dégradé (zone de transition à
bouquets d‟arbres, dans la Russie centrale » (de Martonne et al., 1955, p. 1156).
Boris Pasternak a, en son temps, magnifiquement410 décrit la texture des sols du
Plateau Central Russe là où se fait le passage vers le tchernoziom : « Inondée

409
« A la limite des possessions des princes de Moscou s‟élevèrent à partir du XIIe siècle des
forteresse situées aux points de passage des rivières et aux brèches du rideau forestier. De l‟une à
l‟autre s‟alignaient les zacêki, forêts en défens renforcées par des abatis d‟arbres » (Camena
d‟Almeida, 1932, p. 82).
410
Le voyageur français Jules Legras (1895) était beaucoup moins enthousiaste : « me voici un
jour d‟automne, chez un propriétaire du gouvernement d‟Orel. C‟est ici encore un pays de blé :
c‟est la Terre noire. Je ne saurais dire avec des mots l‟accablante nudité de l‟horizon plat. Les
champs s‟en vont à perte de vue, sans un arbre, tout nus, tout gris sous les chaumes, entre
lesquelles les semences hivernales font çà et là des reflets verts, et les labours, de grandes plaques
sombres. Les routes sont noires comme en un pays de charbon. Dans cette contrée, le bois est une
denrée précieuse jalousement épargnée » (p. 184). « Pas de forêts en ce pays : il y a longtemps
qu‟on les a déracinées pour couvrir de seigle la bonne Terre noire. Le bois se vend ici, devinez
comment !… au poids ! Oui, dans cette Russie qui nous apparaît comme hérissée de forêts
vierges, voici qu‟à 300 kilomètres au sud de Moscou, on en est réduit à acheter son bois par
kilogrammes » (p. 186).
274
Milieux naturels de Russie
par la chaleur d‟un ciel bleu sans nuage, la terre noire et fertile de la
Brynchtchina, la région bénie située entre Orel et Briansk, brunissait au soleil,
avec des reflets de café et de chocolat » (Le Docteur Jivago, Seizième Partie
« Epilogue »). C‟est malheureusement cette région qui a reçu la radioactivité
maximale du territoire de la Fédération de Russie lors de l‟accident de la
centrale de Tchernobyl. De fait, les sols sont durablement pollués en césium-
137 au sud-ouest de Toula. Selon la classification russe, la situation écologique
de la région est aiguë (ostraïa) à très aiguë (otchen ostraïa). Selon les Nations
Unies, « l‟accident de Tchernobyl a affecté environ 1 million d‟hectares de
forêts en Fédération de Russie » (GEO PNUE, 2002, p. 105).

2. Les chênaies et prairies de l’Amour

La forêt de feuillus amourienne et oussourienne occupe une place très


réduite par rapport à la forêt mixte, beaucoup plus largement développée, des
montagnes d‟Extrême-Orient. Mais elle a une grande importance pour les
Russes, par sa luxuriance, le mélange d‟espèces septentrionales et méridionales
qui s‟y rencontrent, la fertilité de ses sols.

2.1. La forêt de la Plaine Zéïo-bouréïenne et les sols noirs de prairie

Après un hiatus sibérien de plusieurs milliers de kilomètres, les forêts


latifoliées réapparaissent en effet à partir du 125e méridien. Ici, le moyen
Amour draine un vaste fossé d‟effondrement, délimité par les chaînes de
Yankan, Toukouringra, Sokhatan, Djagdy, Tourana, et clos au sud-est par le
Petit Khingan. Ce bassin d‟environ 400 km sur 400 km est la première
dépression rencontrée depuis l‟Iénisséï, où peut s‟épanouir une végétation plus
riche que la taïga de montagne qui couvre les massifs de l‟Extrême-Orient. La
moitié nord du bassin constitue la Plaine Amouro-zéïenne (Amoursko-Zeïskaïa
ravnina), recouverte d‟une subtaïga mêlant les conifères au Chêne de
Mandchourie. C‟est la moitié sud, la Plaine Zéïo-bouréïenne (Zeïsko-
Boureïnskaïa ravnina), qui retiendra notre attention, puisque son été chaud et
moite lui permet d‟appartenir à la zone des forêts latifoliées. A l‟état naturel, il
s‟agit d‟une mosaïque de chênaies d‟interfluves, de peupleraies inondables et de
prairies luxuriantes, formant un paysage que les Russes se plaisent à appeler, ici
aussi, comme en Europe, une steppe boisée (lessostep).
Les chênaies-boulaies voient leur essences dominées par le Chêne de
Mandchourie (Quercus mongolica, doub mongolski), le Bouleau noir (Betula
dahurica, tchiornaïa bérioza), dit aussi Bouleau de Dahourie, le Bouleau à
feuilles plates (Betula platyphylla, ploskolistnaïa bérioza) et l‟ubiquiste
Peuplier tremble (Populus tremula, ossina).

275
Fig. feuillu 3 : Carte des forêts et prairies de l’Amour, de la Zéïa et de la Bouréïa

Le sous-bois est riche, qui comprend le Fusain de Maack (Euonymus


maackii, béresklet Maaka), ou encore, surtout sur les lisières, le Noisetier
hétérophylle (Corylus heterophylla, lechtchina razolistnaïa). Le Tilleul de
l‟Amour et l‟Erable noir, qui préfèrent certes les peupleraies inondables, sont
tout de même fréquents dans ces chênaies.

276
Milieux naturels de Russie
Les peupleraies inondables prennent de plus en plus d‟importance du
nord-ouest vers le sud-est, en direction des confluents de la Bouréïa et de
l‟Arkhara avec l‟Amour. Au-delà du défilé du Petit Khingan, ces forêts
inondables deviennent prédominantes, dans le paysage naturel des plaines
amouriennes. Les essences principales sont le Peuplier baumier (Populus
suaveolens, topol douchisty), le Tilleul de l‟Amour (Tilia amurensis, lipa
amourskaïa), l‟Orme du Japon (Ulmus japonica, viaz srodny ou ilm dolinny), le
Frêne de Mandchourie (Fraxinus mandshurica, yassèn mantchjourski), le Noyer
de Mandchourie (Juglans mandshurica, orekh mantchjourski), l‟Erable noir
(Acer ginnala, klion priretchny) et, de grande utilité économique, l‟arbre à liège
de Chine (Phellodendron amurense, barkhat amourski).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 43 Un Frêne de Mandchourie
En Extrême-Orient, la forêt de feuillus des plaines de l’Amour, assez largement inondable, possède
un sous-bois luxuriant, dont les espèces supportent les grands froids hivernaux et la chaleur moite
de l’été. Le Frêne de Mandchourie, ici photographié en Sibérie orientale, résiste bien mieux au gel
que le Frêne commun de la partie européenne.

Le sous-bois est dense, encombré de lianes et tend vers la luxuriance


subtropicale. La vigne de l‟Amour (Vitis amurensis, vinograd amourski), qui
donne un raisin noir apprécié, est la plus typique de ses lianes. Aimant
l‟humidité et la chaleur estivale de ces forêts marécageuses, elle supporte aussi
les grands froids continentaux de l‟hiver et tient encore à Ŕ40 °C (Utkin et al.,
1995).
277
Mais c‟est sans doute le troisième élément de la mosaïque végétale,
favorisé par l‟action humaine, qui forme le paysage le plus caractéristique de la
dépression zéïo-bouréïenne, la prairie (loug et son pluriel irrégulier louga). Il
s‟agit d‟une formation herbeuse fermée, qui mêle certaines espèces de sous-bois
forestier, comme la Lespedeza bicolore (Lespedeza bicolor, Lespédetsa
dvoutsvetnaïa), et d‟autres d‟origine steppique, comme la Stipe chevelue (Stipa
capillata), la célèbre tyrsa des Russes, qu‟ils appellent aussi le kovyl volossatik.
L‟ensemble est surtout formé de Graminées (zlaki), dominées par une
Calamagrostide (Calamagrostis langsdorffi, véïnik langsdorfa), et de
Légumineuses (bobovyé), cas de la Lespedeza. A l‟arrivée de la saison chaude,
les prairies de l‟Amour connaissent une impressionnante floraison vernale, où
l‟Iris (kassatik) et l‟Anémone (vetrénitsa) ont la part belle. Au cœur de l‟été, les
graminées et légumineuses peuvent atteindre deux mètres et c‟est cette nappe
d‟herbes hautes411 qui donne le paysage ondulant caractéristique des prairies
d‟Extrême-Orient.
Selon l‟action de l‟homme, les facettes topographiques et les nuances
pédologiques, les prairies de l‟Amour prennent des faciès variés, qu‟il est
possible de rassembler en trois groupes. « Suivant la nature et la pente du sol, il
est des prairies de diverses sortes : prairies nourricières donnant d‟excellent
foin ; mari ou prairies marécageuses à fond tremblant, encombrées de roseaux ;
„prairies de lis‟, où le lis étale en juin ses teintes rouges et jaunes » (Camena
d‟Almeida, 1932, p. 216). Les prairies à lys s‟épanouissent plutôt dans la partie
orientale et la plaine de l‟Oussouri. Les prairies marécageuses prennent une
grande place dans la basse Zéïa et la plaine du moyen Amour. Les prairies à
foin, plus que les deux autres encore, ont sans doute une origine en grande
partie anthropique. Les défrichements ont favorisé « la lespedeza bicolor,
légumineuse qui, après abattage ou incendie des forêts, forme des champs
entiers ; aussi nourrissante que la luzerne, elle fournit un fourrage apprécié »
(Berg, 1941, p. 71). La Calamagrostis langsdorffi elle aussi « donne un
fourrage assez apprécié » (id.).
Il est vrai que la Plaine Zéïo-bouréïenne, moins marécageuse que celles
du moyen et bas Amour et de l‟Oussouri, est tapissé de bons sols fertiles, qui
rappellent les terres noires européennes. Ce sont les lougovo-
tchernoziomnovidnyé potchvy (« sols de prairie à aspect de tchernoziom ») de
Rakovskaja et Davydova (2003, p. 238), les tchernoziomno-lougovyé potchvy
(« sols prairiaux à tchernoziom ») de Marčenko (2005, p. 138). Proches du
tchernoziom, ces sols en diffèrent par une moindre agrégation et aération de la
partie supérieure et l‟absence complète des concrétions calcaires en profondeur.

411
« La région amourienne doit à l‟humidité et à la chaleur de ses étés une vigueur toute spéciale
de la végétation herbacée. La steppe devient ici ce que les naturalistes russes appellent la „prairie‟.
Après une brillante floraison printanière, la prairie est un océan d‟herbes qui dépassent la taille de
l‟homme. » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 216).

278
Milieux naturels de Russie
Plus humides, ils comprennent un humus épais imbibé d‟eau en été. Du fait du
drainage localement assez fort, les argiles peuvent être saturées non plus en
calcium, mais en sodium. Des solontsy apparaissent alors, ces sols alcalins dont
la structure, trop argileuse et chargée en sels de sodium, est moins favorable.
Malgré cette réserve, les sols zéïo-bouréïens sont, globalement, les plus féconds
d‟Extrême-Orient et Berg (1941, p. 70) soulignait le fait que « ce sont des
terrains mi-prairies mi-marais, et en même temps podzolisés, dont la fertilité,
cependant, ne le cède en rien à celle des terres noires ».
Ainsi, grâce à l‟abondance de plantes herbacées dans le sous-bois des
forêts primitives, bonnes pour le fourrage, de prairies faciles à labourer et de
sols noirs féconds, la Plaine Zéïo-bouréïenne a été tôt défrichée et mise en
valeur pour l‟agriculture. Les forêts ont été détruites, les prairies mises en
pâtures, les mari ont été asséchées. Aujourd‟hui, ce sont des champs de blé de
printemps, de soja, de pomme de terre et de légumes qui couvrent l‟essentiel du
territoire et font la richesse du marché dominé par la ville de Blagovechtchensk.
L‟extrême sud de la Plaine Zéïo-bouréïenne est cependant protégé par
une réserve naturelle, le Khinganski zapovednik. Créée en 1963, elle couvre
94 583 hectares, dont une part mord certes sur le piémont du Petit Khingan, où
elle protège une forêt mixte de Chênes de Mandchourie, de Cèdres et d‟Epicéas.
Mais l‟essentiel correspond à la plaine, d‟où vient le principal intérêt. Les
petites vallées affluentes offrent des saulaies-aulnaies et des ormaies-frênaies de
belle venue et, surtout, la plaine alluviale de l‟Amour est couverte
d‟exceptionnelles prairies primaires (pervitchnyé louga de Rakovskaja et
Davydova, 2003, p. 236), trouées de marais, où plusieurs espèces sont protégées
au titre du Livre rouge de la Fédération de Russie. Parmi elles, on peut citer
deux Orchidées, le bachmatchok à grandes fleurs (Cypripedium macranthon) et
le sabot de Vénus (Cypripedium calceolus, le bachmatchok vrai des Russes),
plusieurs espèces de châtaigne d‟eau (Trapa, tchilim), la borodatka du Japon, le
Lotus de Komarov (Gorkin, 1998).

279
2.2. La forêt de la plaine de l’Oussouri et du Khanka

Après le défilé du Petit Khingan, le fleuve entre dans une nouvelle


dépression, la Plaine de l‟Amour Moyen (Srednéamourskaïa nizmennost).
Recevant le Bidjan et la Bira en rive gauche, le Soungari en rive droite,
l‟Amour entretient une large forêt inondable et herbeuse sur des sols prairiaux à
solonets, qui passent à des sols tourbeux en s‟approchant de Khabarovsk. C‟est
en remontant le cours de l‟Oussouri à partir de cette ville qu‟on entre dans la
dernière grande forêt latifoliée de l‟Extrême-Orient russe.

La forêt de l‟Oussouri forme, en Russie, un liséré coincé entre la chaîne


de Sikhotè-Alin à l‟est et la frontière avec la Chine à l‟ouest412.
La forêt des plaines de l‟Oussouri est l‟une des plus riches de Russie, si
l‟on compte le nombre d‟espèces par unité de surface. C‟est une forêt de
feuillus413 luxuriante, avec des affinités subtropicales. Le sous-bois est fourni en
lianes, comme la vigne de l‟Amour, en plantes grimpantes, comme le Lilas
blanc de l‟Amour (Syringa amurensis, sirèn amourskaïa), et très riche en
fougères. Par exemple, le Polypodium lineare pousse dans la partie la plus
méridionale, à l‟approche du lac Khanka. Cette mnogonojka est une fougère
épiphyte, qui s‟accroche à l‟écorce des arbres. Dans les parties les plus basses et
les plus humides, ces arbres sont avant tout l‟Orme du Japon, l‟arbre à liège de
Chine, le Noyer de Mandchourie, qui formaient déjà de beaux peuplements dans
la forêt inondable de la Plaine Zéïo-bouréïenne. Ils sont ici rejoints par plusieurs
Putiers, notamment le Merisier à grappes de Maack (Padus maacki,
tcheriomoukha Maaka), par le Pommier de Mandchourie (Malus mandshurica,
yablonia mantchjourskaïa), par le Poirier de l‟Oussouri (Pyrus asiae-mediae,
groucha oussouriskaïa) et d‟autres espèces.

412
Arseniev (1921, chap. « Notre navigation le long du Léfou »), narrant son expédition de 1902,
décrivit ce ruban latifolié enserré entre la subtaïga de montagne et la prairie du Khanka : « En
arrière, vers l‟est, se massaient des montagnes ; au sud, se déployaient des pentes douces, revêtues
de forêts clairsemées et dépourvues de conifères ; au nord, s‟étendait à perte de vue un terrain bas,
infini et couvert d‟herbe ».
413
Rougerie (1988, p. 134) parle d‟une forêt mixte de plaine, comportant « en strate supérieure,
essentiellement les Conifères ; en strate dominée, les essences feuillues ». Il est vrai que, dès les
premières pentes du massif de Sikhotè-Alin, les conifères apparaissent, mais, selon les auteurs
russes, il existe bien une forêt latifoliée dans la basse plaine marécageuse.
280
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 44 Le Merisier à grappes de Maack, petit arbre de la forêt de l’Oussouri
Les forêts inondables de l’Oussouri, largement défrichées, sont luxuriantes et denses. Cependant,
leur hauteur est assez faible. Le Putier de Maack n’y dépasse jamais une quinzaine de mètres, mais
sa croissance est rapide. Ce Merisier est particulièrement morozostoïkaïa, comme disent les Russes
pour signifier qu’il est très résistant au froid par rapport aux autres espèces du même genre. Son
écorce luisante, très caractéristique, montre ici, au premier plan, sa brillance dans les teintes
rougeâtres.

281
Cliché L. Touchart, août 2008
Photo 45 Le Poirier de l’Oussouri, petit arbre de forêt inondable
Le Poirier de l’Oussouri tient son nom de sa localisation préférentielle dans la forêt inondable du
grand affluent de rive droite de l’Amour. Dépassant rarement une dizaine de mètres, il est
reconnaissable à son écorce très foncée.

Sur les hautes terrasses et les premières collines, c‟est une riche chênaie qui
se développe, où le Chêne de Mandchourie se mêle aux Bouleaux noir et jaune,
à l‟inévitable tremble, mais aussi au Tilleul de l‟Amour et à l‟Erable Ginnala.

282
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 46 L’Erable Ginnala, un arbuste des forêts alluviales d’Extrême-Orient
Les forêts des terrasses de l’Amour moyen et de l’Oussouri comptent l’Erable Ginnala (klion ginnala)
parmi leurs petits arbres à croissance rapide. Les Russes l’appellent aussi l’Erable fluvial (klion
priretchny), tant il se plaît sur les sols alluviaux. Les feuilles trilobées (triokhlopastnyé) et vert-foncé
(tiomno-zélionnyé) sont bien visibles là où elles se détachent du ciel laiteux.

La pédologie de la forêt de l‟Oussouri est assez proche de celle de la


Plaine de l‟Amour Moyen, dominée dans les parties basses par les sols prairiaux
à solonets et, au nord, les podbély. Sur les hautes terrasses et les collines, la
chênaie de l‟Oussouri pousse sur des sols bruns. Puis, dès les premières pentes
des monts Sikhotè-Alin, le lessivage s‟accentue ; la forêt latifoliée est
remplacée par une forêt mixte de montagne.
Deux réserves naturelles, l‟une au nord, le Bolchekhekhtsirski
zapovednik, l‟autre au sud, le Khankaïski zapovednik, soustraient une partie de
la végétation de plaine de l‟Oussouri aux activités humaines. La première, créée
en 1963 sur 45 101 ha, s‟attache plutôt à la préservation de la forêt, la seconde,
fondée en 1990 sur 38 000 ha, protège la prairie de Calamagrostide (véïnik) et la
végétation marécageuse. Les aires protégées sont plus nombreuses et occupent
une plus grande place dans les forêts mixtes de montagne d‟Extrême-Orient.

283
3. Les forêts mixtes et de feuillus du Caucase

Alors que toutes les autres montagnes de Russie ne comportent que des
forêts de conifères, le Caucase est la seule qui, par sa latitude et sa situation
occidentale, construise un étagement permettant la constitution d‟une forêt
latifoliée aux altitudes moyennes. Il s‟agit d‟un étage compris entre une
végétation de bas pays et une végétation subalpine, qui ne sont ni l‟une ni
l‟autre une forêt de feuillus. En fonction de cet encadrement altitudinal, qui
contribue à la plus ou moins grande originalité de l‟étage montagnard compris
entre les deux, il est possible de classer la forêt latifoliée caucasienne en quatre
régions.

3.1. Les forêts du flanc nord du Caucase

D‟ouest en est, la sécheresse augmente, si bien que l‟étage forestier


s‟élevant au-dessus de la steppe est de plus en plus fragile et restreint. Cette
forêt est aussi plus dégradée par les sociétés humaines à l‟est qu‟à l‟ouest.

3.1.1. La chênaie-charmaie occidentale

Dans la moitié ouest, la façade septentrionale du Grand Caucase s‟élève


au-dessus de la steppe prairiale de la Kouban. La forêt de feuillus du Précaucase
commence à partir de 200 à 300 m d‟altitude dans le kraï de Krasnodar et la
république Adygheï. C‟est une chênaie-charmaie, qui monte jusqu‟à 1300 m et
à sous-bois de Poirier du Caucase, de plusieurs espèces de Prunier, dont le
prunellier, ou épine noire (Prunus spinosa, tiorn) et, surtout, le Prunier-cerise,
ou Prunier myrobalan (Prunus divaricata), soit l‟alytcha des Russes, ainsi que
d‟autres espèces arbustives et buissonnantes. Elle laisse place à une hêtraie
entre 1100 et 1500 m. Au-dessus, les conifères prennent le relais.
Le taux de boisement du Caucase occidental est fort et seule la partie la
plus basse de la chênaie-charmaie, entre 200 et 300 m, a été largement défrichée
pour laisser place à une steppe boisée. Au-dessus, la forêt de feuillus continue
de couvrir de grands espaces. Le Chêne pédonculé (Quercus robur, doub
tchérechtchaty) y est banal, mais il est rejoint par d‟autres espèces. Le Chêne
sessile (Quercus petraea, doub skalny ou doub zimni), qui, en Russie, ne pousse
que dans le Caucase, forme ici ses principaux peuplements, notamment sur les
versants escarpés. Sur les versants exposés au sud, le Chêne de Géorgie
(Quercus iberica, doub grouzinski) se mêle plus facilement au Charme du
Caucase (Carpinus caucasia, grab kavkazki). Le charme-houblon414 (Ostrya
414
Cet arbre, dont les feuilles ressemblent à celles du Charme, appartient cependant à un genre
différent. Elhaï (1967, p. 231), qui ne cite le genre Ostrya que pour la forêt laurentienne
d‟Amérique, parle d‟un « genre voisin du Charme ». Son appellation de charme-houblon,
correspondant exactement au russe khmélégrab, provient de la ressemblance visuelle de son fruit
284
Milieux naturels de Russie
carpinifolia, khmélégrab obyknovenny), d‟affinité subtropicale, colonise
certains versants calcaires escarpés, bien qu‟il se développe surtout dans la forêt
colchidienne du flanc sud du Caucase (cf. infra). Au-dessus de la chênaie-
charmaie, qui forme dans le Caucase occidental un étage « montagnard
inférieur » (Rougerie, 1990, p. 171), l‟étage « montagnard classique » est celui
du Hêtre oriental (Fagus orientalis, bouk vostotchny). Descendant parfois dans
les chênaies jusqu‟à 600 m et montant localement dans les sapinières jusqu‟à
près de 2000 m, le Hêtre oriental forme des peuplements exclusifs de préférence
situés entre 1100 et 1300 m.
Trois réserves naturelles forestières préservent quatre cent mille
hectares de cette moitié occidentale du Caucase. Le Kavkazki zapovednik, créé
en 1924 sur 288 277 ha, protège l‟ensemble de l‟étagement, depuis la forêt de
feuillus de l‟étage collinéen jusqu‟à l‟étage nival à 3 300 m d‟altitude. Ce
zapovednik a acquis le statut de réserve de la biosphère en 1979 et c‟est celui de
tous qui comprend les chênaies-charmaies les plus étendues. Un peu plus à l‟est,
le Téberdinski zapovednik a été fondé en 1936 sur 84 996 ha. Cette réserve
protège une belle hêtraie montagnarde, mais l‟essentiel de l‟aire concerne les
forêts de conifères, dont certains endémiques, puis les pelouses alpines, qui se
trouvent au-dessus. Encore plus à l‟est, par 44° de longitude, le Sévéro-
Ossétinski zapovednik, a été créé en 1967 sur 29 000 ha. En dehors d‟une steppe
boisée à Chêne, elle préserve plutôt les pinèdes d‟altitude et les étages supra-
forestiers. Les autres aires protégées de la façade septentrionale du Grand
Caucase, réserves et parcs nationaux, sont plus élevées en altitude et ne
comptent pas de forêt latifoliée dans leur territoire.

3.1.2. La forêt de feuillus du Daghestan

Dans la moitié est, la façade septentrionale du Grand Caucase s‟élève


au-dessus de la steppe xérophytique du Daghestan. Dans les conditions sèches
de cette région, l‟étage forestier est le plus mince et le plus élevé en altitude du
Caucase russe, et il existe seulement sur les versants les mieux exposés. En
effet, au-dessus de la steppe semi-désertique de la Plaine Caspienne, on trouve
d‟abord une sorte de matorral, le chibliak, où le Chêne pubescent arbustif
(Quercus pubescens, doub pouchisty) et le Charme d‟Orient415 (Carpinus
orientalis, grab vostotchny ou, vu sa petite taille, grabinnik) tentent de résister
aux buissons épineux dominés par l‟épine du Christ (Paliurus spina-christi,
Khristovy ternii ou derjidérévo).
Ce n‟est que vers 900 m d‟altitude que commence véritablement la forêt
latifoliée. A l‟état naturel, le Chêne de Géorgie (Quercus iberica, doub

avec le houblon, mais n‟a évidemment aucun rapport avec cette liane. Le traducteur français de
Berg (1941) le nomme « Charme d‟Italie ».
415
Charme du Levant selon la traduction française de Berg (1941, p. 233).
285
grouzinski) est l‟essence principale des plus belles forêts, mêlé au Charme, à
l‟Orme, à l‟Erable, couvrant un sous-bois riche en Sorbiers, le Sorbier grec
(Sorbus graeca, riabina gretcheskaïa) et, surtout, le Sorbier antidysentérique,
ou Alisier torminal (Sorbus torminalis, béréka lekarstvennaïa ou riabina
glogovina). Dans la partie supérieure de l‟étage, le Hêtre oriental, ou Hêtre du
Caucase (Fagus orientalis, bouk vostotchny), et le Chêne du Caucase, ou Chêne
de Perse (Quercus macranthera) dominent. C‟est ici la poussée la plus
septentrionale de ce « chêne xérophile des montagnes» (Berg, 1941, p. 249), qui
s‟épanouit plus largement en Arménie et en Iran. Ces arbres se laissent envahir
de plantes grimpantes et autres lianes, comme la Clématite des haies, ou Vigne
blanche (Clematis vitalba, lomonoss vinogradolistny), le Chèvrefeuille des
jardins (Lonicera caprifolium, jimolost kaprifol) et le Sceau de Notre-Dame, ou
Herbe aux femmes battues (Tamus communis).
La forêt de feuillus du Daghestan est la plus fragile du Caucase russe.
Située au nord-est de la chaîne, c‟est celle qui souffre le plus de sécheresse, tant
climatique qu‟édaphique, vu l‟importance du calcaire. L‟ancienne occupation
humaine a ainsi provoqué depuis longtemps le défrichement de l‟essentiel des
surfaces. « La forêt n‟existe plus qu‟à l‟état de relicte comme la petite réserve
de Gunib où l‟on conserve un exemple de bétulaie (B. raddeana) qui ne doit sa
survie qu‟au fait qu‟il s‟agissait vraisemblablement d‟un bois sacré. […] Les
seuls restes de vraie forêt au Daghestan sont limités aux parties supérieures des
vallées, dans la région de la crête principale surtout en versant nord et sont
composées de pins et de bouleaux (qui forment ici la limite supérieure)
auxquels viennent s‟ajouter quelques chênes, érables et hêtres » (Radvanyi,
1978, p. 286).

3.2. Les forêts du flanc sud du Caucase

Depuis l‟indépendance de la Géorgie et de l‟Azerbaïdjan, la Russie ne


possède plus qu‟une toute petite partie de la Transcaucasie, mais celle-ci suffit à
offrir une végétation originale, méditerranéenne au nord du 44e parallèle, dans
la région de Novorossisk, colchidienne au sud, dans la région de Sotchi.

3.2.1. Les lambeaux de forêt méditerranéenne de la Transcaucasie


russe

Aux alentours du 45e parallèle, entre le littoral pontique et la ligne de


crête du Grand Caucase, la végétation méditerranéenne d‟origine est une
chênaie, qui a laissé en grande partie la place à des associations végétales
dégradées, issues de la très ancienne occupation humaine.
La chênaie pontique méditerranéenne est une forêt dont l‟étage
supérieur est formé de deux essences d‟assez petite taille, le Chêne pubescent
(Quercus pubescens, doub pouchisty) et le Charme d‟Orient (Carpinus
286
Milieux naturels de Russie
orientalis, grabinnik). Le sous-bois est typiquement méditerranéen, qui
comprend le Pin de Pitsounda (Pinus pityusa, sosna pitsoundskaïa), le
Pistachier térébinthe (Pistacia mutica, fistachka toupolistnaïa) et le Genévrier
oxycèdre (Juniperus oxycedrus), relayé par d‟autres mojjevelniki en altitude
(Juniperus excelsa et Juniperus foetidissima, soit mojjevelnik vyssoki et
mojjevelnik vonioutchi).
Cependant, le pâturage millénaire et les feux provoqués par les activités
humaines ont transformé la chênaie primitive en une sorte de garrigue, le
chibliak. En dessous de 300 m, le Chêne pubescent et le Charme d‟Orient ne
subsistent plus que par bosquets. A la différence de régions méditerranéennes
situées plus à l‟ouest, le Pin n‟a pas été favorisé. Il s‟agit ici d‟une espèce
relique de l‟ère tertiaire, le Pin de Pintsounda, réfugié au bord de la Mer Noire
entre Anapa au nord et la forêt colchidienne au sud, dans laquelle il
s‟interpénètre avec des essences plus humides. Aujourd‟hui protégée, la sosna
de Pintsounda subsiste par de petits bois sur certains versants dominant la mer.
Finalement, le chibliak est une formation végétale dégradée dans laquelle les
Genévriers arborescents ont pris la place essentielle.
Au-dessus de 300 m d‟altitude, en revanche, l‟étage de forêt latifoliée
est assez bien conservé, bien qu‟il se cantonne à un mince ruban qui prend fin
vers 500 m en se transformant en une steppe prairiale. C‟est une chênaie-
charmaie à ormes, tilleuls, frênes et merisiers.

3.2.2. La forêt colchidienne de la Transcaucasie russe

Au sud du 44e parallèle, la végétation méditerranéenne laisse la place à


la luxuriante forêt colchidienne, qui conduit en altitude à une hêtraie.
Sur le littoral et les basses pentes, des essences d‟origine se mêlent avec
de multiples introductions exotiques. Une végétation exubérante s‟insinue
partout, jusqu‟en ville, où se côtoient palmiers, bambous, figuiers, bananiers,
orangers, citronniers, mandariniers, camphriers et autres kakis. Cette dernière
plante est un bon exemple des mélanges : le Plaqueminier lotier, ou
Plaqueminier du Levant (Diospyrus lotus, khourma obyknovennaïa) est
naturellement présent, mais le Plaqueminier du Japon (Diospyrus kaki, khourma
vostotchnaïa) a été introduit.

La forêt luxuriante colchidienne subsiste, moins transformée, sur


certaines parties du littoral restées marécageuses, au niveau des petits deltas
couverts, et, surtout, sur quelques versants protégés des premières pentes de la
région de Sotchi.

287
Cliché L. Touchart, août 2007
Photo 47 La forêt colchidienne, une végétation exubérante s’insinuant jusqu’au centre des villes
La luxuriante forêt colchidienne, enrichie d’essences exotiques importées, colonise les basses pentes
au-dessus du littoral de la mer Noire au sud du 44e parallèle. Favorisée par le climat subtropical, la
végétation s’insinue partout. Ici, les rues du vieux centre-ville de Sotchi prennent un agréable
caractère ombragé.

Elle est caractérisée par la vigueur de la croissance, le caractère


sempervirent de nombreuses espèces, l‟exubérance du sous-bois de lianes et de
plantes grimpantes, l‟importance des fougères de grande taille, l‟abondance des
épiphytes et la présence d‟espèces reliques de l‟ère tertiaire, qui ont trouvé ici le
refuge chaud et humide qu‟il leur fallait lors du refroidissement quaternaire du
climat. Les sols sont des jeltoziomy, qui contiennent entre 2 et 7 % d‟humus
(Marčenko et Nizovcev, 2005, p. 142). Comme tous les sols subtropicaux, ils
sont riches en argile et contiennent des oxydes de fer.
La forêt colchidienne marécageuse, qui est le propre de la Géorgie, ne
compte que quelques îlots en Russie, sur les cônes de déjection et petits deltas
des fleuves côtiers descendus du Caucase. Ce sont des aulnaies-saulaies où
s‟épanouit une sous-espèce de l‟Aulne glutineux, que les Russes appellent olkha
borodataïa (Alnus barbata). Aulnes et Saules sont mêlés d‟un arbre relique
tertiaire, le faux-noyer du Caucase, ou Ptérocaryer du Caucase (Pterocarya
fraxinifolia, lapina yassénélistnaïa), qui, à l‟état naturel, n‟existe qu‟ici et au
nord de l‟Iran. Ces arbres sont entrelacés de Salsepareille (Smilax, sarsaparil),

288
Milieux naturels de Russie
de Houblon commun (Humulus lupulus, khmel obyknovenny), de Bourreau-des-
arbres (Periploca graeca), de Liseron des haies (Calystegia sepium, povoï
zaborny). Les fougères arborescentes y sont importantes, dont l‟Osmonde
royale (Osmunda regalis, osmounda korolevskaïa ou bien tchistooust
korolevski), qui croît « dans les marécages à aunes d‟Adler » (Berg, 1941, p.
214). La forêt colchidienne des basses pentes, jusqu‟à 600 m environ, est
mieux représentée en Russie.

Cliché L. Touchart, août 2007


Photo 48 Une chênaie charmaie colchidienne de l’étage collinéen
Sur les sols bien égouttés, comme ici au sud-est de Sotchi, les Chênes forment de beaux
peuplements dans un ensemble luxuriant et de taille élevée. Au premier plan, un Chêne de Géorgie
(Quercus iberica, doub grouzinski) profite du sol calcaire. Sa taille montre son grand âge. Dans la
région, certains autres spécimens atteignent les huit cents ans. On aperçoit au sommet les feuilles
d’un vert brillant le distinguant des autres espèces de Chêne.

C‟est une riche forêt latifoliée, dont plusieurs espèces de Chênes et de


Charmes forment les peuplements principaux, auprès de Châtaigniers (Castanea
vesca), plus rarement de Hêtres. Sur les sols assez bien égouttés des premières
pentes, on rencontre le Grenadier (Punica granatum) et, jusqu‟à 300 m
d‟altitude environ, un arbre relique de l‟ère tertiaire dont le bois est de qualité

289
remarquable, l‟orme416 du Caucase, ou faux orme de Sibérie (Zelkova
carpinifolia ou Zelkova crenata, dzelka grabolistaïa). Le sous-bois compte des
espèces particulières d‟Eglantier, de Noisetier.

Cliché L. Touchart, août 2007


Photo 49 Les épiphytes de la forêt colchidienne des basses pentes du Caucase
La luxuriance de la forêt colchidienne russe se manifeste entre autre par l’importance des fougères
arborescentes, des lianes et des plantes qui utilisent les troncs et les branches comme support.

Les arbustes sempervirents comptent parmi eux le Houx (Ilex


aquifolium), le Fragon faux houx, ou petit houx (Ruscus aculeatus), le Fragon
hypophylle, ou Laurier-Alexandrin (Ruscus hypophyllum) et un troisième
Fragon417 (Ruscus ponticus), deux espèces de Buis, l‟une indigène (Buxus
colchica, samchit kolkhidski), l‟autre introduite depuis dans la haute Antiquité
(Buxus sempervirens, samchit vetchnozéliony), le Laurier-cerise (Laurecerasus
officinalis), le Rhododendron du Pont, l‟osmanthe (Phillyrea vilmoriana).
Luxuriant, ce sous-bois se caractérise par des fougères arborescentes, des
épiphytes, des lianes, de la vigne sauvage, la Salsepareille, la Clématite, le

416
C‟est son appellation française, depuis qu‟un premier individu a été rapporté des bords de la
Mer Noire en France et planté à Paris dans le Jardin des Plantes à la fin du XVIIIe siècle, bien que
cet arbre ne soit pas un Orme, au sens du genre Ulmus.
417
Notamment décrit par Fedorov (2001).
290
Milieux naturels de Russie
Bourreau-des-arbres, plusieurs espèces de lierre, mais de très nombreuses autres
plantes seraient à citer. L‟ensemble est très humide, moite, ruisselant,
l‟ambiance estivale rappelle le milieu tropical. Selon l‟exposition des versants,
mais de préférence vers 400 à 500 m d‟altitude, de grands lichens pendent des
branches et donnent à cet ensemble un caractère de forêt moussue.

Cliché L. Touchart, août 2007


Photo 50 La forêt colchidienne moussue, le paysage de la Russie subtropicale
La forêt des basses pentes, à quelques centaines de mètres d’altitude au-dessus du niveau de la
mer Noire, présente, entre Sotchi et Adler, de grands lichens pendant aux branches, formant un
paysage de forêt moussue ruisselant d’humidité. La photo a été prise au-dessus d’un petit ravin du
bassin de la Khosta, qui permet le dégagement lumineux de l’arrière-plan.

Au-dessus de 600 m, le Hêtre du Caucase (Fagus orientalis, bouk vostotchny)


devient le genre dominant de la strate supérieure. C‟est également à partir de
cette altitude que l‟If commun, ou If à fruits rouges (Taxus baccata, tiss
yagodny), qui s‟insinuait localement beaucoup plus bas, pousse le mieux. Les
hêtraies à If forment une remarquable forêt jusqu‟à 1200 m d‟altitude environ.

291
Cliché L. Touchart, août 2007
Photo 51 Le Hêtre du Caucase, essence dominante de la forêt colchidienne de l’étage montagnard
La hêtraie du Caucase couvre les pentes moyennes de l’étage montagnard de la Transcaucasie
russe à partir de 600 m d’altitude. La strate arborée est dominée par celui que les Russes appellent
bouk vostotchny (Hêtre oriental) et les Français Hêtre du Caucase. La photo a été prise dans la
réserve naturelle du Caucase.

L‟If à fruits rouges est un conifère relique de l‟ère tertiaire, dont


certains individus, atteignant une trentaine de mètres de hauteur, ont une
longévité exceptionnelle, dépassant 2000 ans.
Surnommé negnoï-dérévo (« l‟arbre qui ne pourrit pas ») par les Russes,
l‟If présente un bois de très grande qualité, pratiquement imputrescible.
C‟est pourquoi il a été surexploité jusqu‟au début du XX e siècle.
Aujourd‟hui, l‟interdiction des coupes est presque complète sur les pentes du
Caucase et les forêts d‟ifs sont pour la plupart en régime de protection

292
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2007


Photo 52 Un If millénaire de la forêt colchidienne de l’étage montagnard
L’If à fruits rouges est un arbre relique de l’ère tertiaire, qui pousse naturellement dans le sous-bois
sombre de la hêtraie de la Transcaucasie russe. Certains individus, atteignant une trentaine de
mètres de hauteur, ont une longévité exceptionnelle. Selon les autorités de la réserve naturelle
Tisso-samchitovaïa rochtcha, l’individu photographié est vieux de plus de 1000 ans. La couleur
rougeâtre du tronc transparaît à travers les mousses.

. Le krasnoïé dérévo (« l‟arbre rouge ») se développe dans les sous-bois


les plus sombres. Cette caractéristique lui vaut de côtoyer fréquemment le Buis,
qui est elle aussi une espèce sciaphile et aime, comme l‟If, les sols plutôt
calcaires. Le Buis de Colchide (Buxus colchica, samchit kolkhidski) atteint des
hauteurs exceptionnelles de près d‟une vingtaine de mètres sur les pentes au-
dessus de Sotchi, pour des individus dépassant cinq cents ans. Fournissant un
bois très dur, largement utilisé au XIXe siècle, le samchit de Colchide a connu
une forte régression de ses peuplements, aujourd‟hui protégés aux mêmes
endroits que l‟If.

293
Cliché L. Touchart, août 2007
Photo 53 Le Bois d’Ifs et de Buis, patrimoine mondial de l’humanité
La Tisso-samchitovaïa rochtcha est une réserve naturelle classée par l’Unesco en patrimoine
mondial. La hêtraie subtropicale de montagne à sous-bois d’Ifs et de Buis monte à l’assaut du
versant calcaire de l’Akhoun, dont on voit les pinacles karstiques sur la partie droite de la photo.

Le Kavkazki zapovednik, créé en 1924 sur le flanc nord du Caucase,


s‟est vu adjoindre en 1931 une petite portion de 302 ha sur le versant
méridional. Ce morceau transcaucasien de la réserve naturelle est la Tisso-
samchitovaïa rochtcha, le « Bois d‟ifs et de buis » (Tuniev, non daté).

Sur le versant oriental calcaire du mont Akhoun, drainé par des torrents
affluents de la Khosta, la Tisso-samchitovaïa rochtcha, classée patrimoine
mondial de l‟humanité par l‟UNESCO, protège et étudie la forêt relique tertiaire
luxuriante, où plus de 400 espèces de plantes ont été recensées, parmi lesquelles
des Ifs de près de 2000 ans. Sous un statut moins rigoureux que celui de
zapovednik, la quasi-totalité du flanc colchidien du Caucase russe est en fait
protégée. En effet, le Parc national de Sotchi a été créé ici sur 190 000 hectares,
qui préserve non seulement la forêt des basses pentes, mais aussi la totalité de
l‟étagement. Ce n‟est que vers 1200 m que les hêtraies laissent progressivement
la place aux sapinières-hêtraies, puis, encore plus haut, aux sapinières-pessières.

294
Milieux naturels de Russie
Conclusion du Chapitre Troisième

La forêt de feuillus constitue en Russie d‟Europe une zone contestée,


qui pourrait aussi être considérée comme un large écotone faisant la transition
entre la forêt mixte au nord et la steppe au sud. Dans son acception récente,
c‟est la partie septentrionale de la bande latitudinale de steppe boisée
(lessostep), où règnent le Chêne pédonculé et le Tilleul à petites feuilles. Ces
chênaies croissent sur des sols gris forestiers, qui formeraient, selon la plupart
des auteurs actuels, un ensemble zonal équilibré, cependant que la théorie les
faisant découler d‟un ancien tchernoziom qui se serait appauvri lors de la
conquête forestière est en voie d‟abandon. En dehors des « abattis de Toula » et
de la grande forêt d‟Orlovskoïé polessié, protégée par un parc national, les
chênaies de la province centrale russe ne subsistent plus que par quelques bois
résiduels. Les défrichements sont ici anciens, surtout pour les cultures
fourragères. Mais les sols de la région proche de l‟Ukraine ont été durablement
pollués par les retombées radioactives de l‟accident de Tchernobyl.
Après un hiatus sibérien de plusieurs milliers de kilomètres, les forêts
de feuillus réapparaissent en Extrême-Orient. D‟ouest en est, ce sont d‟abord les
chênaies-boulaies de la plaine de la Zéïa et de la Bouréïa, dominées par le
Chêne de Mandchourie, qui passent à de vastes peupleraies dans les larges lits
d‟inondation de l‟Amour et de ses affluents. Plus à l‟est, la forêt de l‟Oussouri
est la plus luxuriante des formations végétales de plaine de la Russie.
La Russie s‟enorgueillit enfin d‟un petit étage forestier de feuillus, qui
apparaît dans le Caucase grâce à l‟altitude. Sur le flanc nord, cette chênaie-
charmaie est coincée entre la steppe du dessous et les conifères du dessus.
C‟est le seul endroit du pays où le Chêne sessile vienne naturellement.
Le flanc sud du Grand Caucase, dans sa partie appartenant à la Fédération de
Russie, offre à l‟ouest une chênaie méditerranéenne, dégradée depuis des
milliers d‟années en une sorte de garrigue, le chibliak. A l‟est, la région de
Sotchi abrite une forêt subtropicale, enrichie d‟essences exotiques, qui passe en
altitude à une riche hêtraie à If.
Au total, les forêts latifoliées de Russie, méconnues en occident,
représentent pourtant une superficie absolue importante et ont un vrai poids
économique. C‟est ainsi que les chênaies effectivement sur pied couvrent
encore à elles seules 70 000 kilomètres carrés. Elles fourniraient environ 15 %
du tonnage scié de toute la Russie. Ce sont aussi les forêts de feuillus qui
forment les milieux naturels où la biodiversité est la plus élevée, qui culmine
dans les forêts à affinités subtropicales situées aux deux extrémités du pays, la
Transcaucasie et l‟Oussouri. Les autorités russes ne s‟y sont pas trompées, qui
ont multiplié les mesures de protection des forêts latifoliées par la création de
réserves naturelles et de parcs nationaux, perpétuant sous une forme moderne le
respect dû à l‟arbre sacré de la mythologie slave, le chêne du dieu Péroun.

295
296
Milieux naturels de Russie

Chapitre Quatrième
La steppe, le tchernoziom et les grandes cultures
La Mongolie est à la mode dans notre pays. Il ne se passe pas un mois
sans qu‟un reportage français ne vante le « peuple des steppes ». Pourtant, la
plus grande steppe du monde est en Russie et le mot lui-même est russe. Certes,
elle est largement mise en culture et ne fait donc rêver. Mais c‟est surtout
qu‟elle ne répond pas au cliché. La Russie ne doit être qu‟une forêt de conifères
peuplée d‟ours ; c‟est à la Mongolie que revient d‟être la steppe. Il y a pourtant
beaucoup de bon sens dans cette présentation médiatique. Le peuple russe est
forestier. C‟est une conquête, historiquement récente418, qui a transformé cette
marge effrayante et dangereuse, d‟où venaient les ennemis tatares, mongols, en
l‟un des greniers à blé de la planète.
La steppe couvre l‟essentiel des espaces russes se trouvant
grossièrement au sud du 53e parallèle en Europe419, au sud du 56e en Sibérie
occidentale et par taches plus à l‟est. C‟est une formation végétale herbacée,
dépourvue d‟arbres, qui croît sur des terres noires et, dans sa dégradation
méridionale, sur des sols châtain. Au sens le plus large, en y incluant toute la
steppe boisée, ainsi que les semi-déserts, la steppe russe couvrait à l‟état naturel,
dans les limites de la Fédération actuelle, 2,7 millions de km², soit plus de 15 %
du territoire de la Fédération. Même si on lui retranche la partie nord de la
steppe boisée, souvent comptée en forêt de feuillus, ainsi que la végétation
semi-aride, la steppe russe couvrait encore 2 millions de km², soit près de 12 %
du territoire.

Tard venue dans la conquête du territoire russe, la zone de steppe est


maintenant largement peuplée : une soixantaine de millions d‟habitants au sens
large, encore plus de quarante millions au sens strict (Isačenko, 1991, 1992,
1996).

418
D‟où le beau titre géographique de Pascal Marchand (2007, p. 223) : « la steppe, une nouvelle
Russie », qui nous rappelle la pensée littéraire de Nikolaï Gogol, elle-même héritée de l‟Histoire
des Ruthènes et qu‟on retrouve à la fois dans Les soirées du hameau et Taras Boulba. « Plus ils
allaient, et plus la steppe était belle. Tout le sud de la Russie, jusqu‟à la mer Noire, toute l‟étendue
qui forme de nos jours la Nouvelle Russie, était alors une terre vierge » (Gogol, 1843, Taras
Boulba, chap. 2) Dans le texte russe, Gogol emploie « Novorossia ».
419
Ladite formation de la steppe boisée remonte plus au nord, mais, comme il a été vu
précédemment, elle peut être considérée en partie comme une forêt de feuillus climacique
défrichée, tant qu‟elle se trouve sur des sols gris forestiers.
297
Fig. steppe 1 : Carte de l’extension de la steppe russe

Alors que la densité de population dans la zone de steppe, soit 22 à 23


habitants par kilomètre carré, reste nettement plus faible que celle de la subtaïga
et de la forêt de feuillus, son défrichement est au contraire plus fort. C‟est que
son sol est à l‟origine de la richesse agricole de la Russie, si bien que la steppe a
été mise en culture. De fait, elle ne subsiste plus que dans des endroits difficiles
d‟accès et quelques aires protégées.
D‟où vient la fertilité proverbiale de ce sol ? Quelles en sont les propriétés
principales ? Ce sol est-il fragile ? Garde-t-il ses qualités quand la steppe est
défrichée ? Pourquoi le climat tempéré n‟autorise-t-il pas ici la croissance de
l‟arbre ? Est-ce le fait de l‟Homme ? Pourquoi la mise en culture de la steppe
sibérienne a-t-elle été si tardive par rapport à celle d‟Europe ? Est-ce dû
seulement à l‟éloignement ou les qualités physiques de celle-là étaient-elles
différentes ? Existe-t-il encore une Mongolie russe ?
Pour tenter d‟apporter quelques éléments de réflexion à ces
interrogations agricoles, pédologiques et biogéographiques, il conviendra
d‟abord d‟étudier la steppe russe dans son ensemble, qui a une indubitable unité
et une forte personnalité géographique, fondée sur son paysage naturel, son lien
avec les terres noires et sa mise en valeur par la société russe. Dans un second
temps, il sera intéressant d‟opposer la steppe de l‟ouest, fortement zonée et
cultivée, à celle de l‟est, morcelée et donnant naissance à des régions
géographiques originales, faiblement occupées par la société russe.

298
Milieux naturels de Russie

Fig. steppe 2 : La steppe russe, caricature géographique

299
1. La steppe, un écosystème herbacé, sans arbre, sur sol fertile

Cultivé ou laissé naturel, le paysage de la steppe russe est avant tout


marqué par l‟absence de l‟arbre, remplacé par le foisonnement des herbes.
Quelle est la cause de ce manque ? Quelle est l‟originalité de cet écosystème
herbacé, dans ses liens avec la chaîne alimentaire, le climat, le sol ? Pour tenter
de la déceler, il conviendra d‟abord de décrire la physionomie changeante de
cette formation végétale. Il faudra ensuite ne pas se contenter de chercher des
éléments d‟explication climatiques, mais de présenter la steppe comme un
système, en équilibre avec un sol très particulier, sans négliger le rôle des
animaux. C‟est cependant ce dernier qui a été le plus bouleversé par la mise en
culture.

1.1. Quel est donc ce type de steppe à stipe ?

La steppe russe est-elle une prairie américaine ? Sans entrer dans un


débat de géographie humaine concernant le paysage rural de sa mise en
culture420, la question mérite déjà d‟être posée en amont, pour ce qui est du
caractère physique. Elle se double d‟une certaine ambiguïté du vocabulaire
scientifique pour désigner les formations végétales herbacées qui couvrent
l‟ensemble du sol dans un contexte de repos hivernal et de semi-repos estival.

1.1.1. Une formation herbeuse fermée et stratifiée

La steppe est un terme russe, passé à partir du XVIIe siècle421 dans la


plupart des langues occidentales, qui a ensuite fait fortune dans le vocabulaire
biogéographique international. Alexandre de Humboldt fut pour beaucoup dans
la diffusion mondiale du mot, dans le sens très large qu‟il exposa dans ses
Tableaux de la nature. Le mot russe (step’ en transcription internationale) est

420
Quoique le système socio-économique fût opposé, nombreux sont ceux qui ont souligné la
similitude des paysages de la prairie américaine et de la steppe soviétique. « La grosse culture a
remplacé les terrains de parcours des escadrons cosaques ; décor de pays neuf qui appelle tout
naturellement la comparaison avec la prairie américaine » (George, 1962, p. 236). « La mise en
valeur sous régime collectiviste a utilisé des modèles spatiaux proches [de ceux du Middle West] :
fronts pionniers, axes de pénétration, géométrisation des parcelles, uniformité des manières
culturales » (Pech et Regnault, 1992, p. 371). Cependant, si les sovkhozes avaient une certaine
analogie paysagère avec les exploitations américaines, les kolkhozes absorbaient l‟abondante
population rurale dans des conditions assez différentes, si bien que R. Lebeau (1986, p. 159)
écrivait : « la matière humaine surabondante et passive de la vieille Russie gêne l‟idéal
d‟agriculture du communisme et empêche l‟extension de paysage ruraux „à l‟américaine‟ ».
421
La première mention russe écrite se trouve dans un récit de voyage du marchand moscovite F.
Kotov dans l‟Empire Perse en 1623.
300
Milieux naturels de Russie
polysémique, sa traduction française aussi, mais le cœur de la signification, le
sens le plus strict, n‟est pas placé au même endroit dans les deux langues.
Etymologiquement, les géographes français (Birot, 1965, Arnould,
2008) insistent sur le fait que la steppe est une formation herbacée où dominent
les Graminées du genre Stipa. Cette racine grecque422 aurait donné naissance au
mot slave, bien que le nom russe désignant ce genre biologique soit kovyl. Le
terme est devenu beaucoup plus large quant à la composition floristique,
admettant d‟autres Graminées, comme les genres Festuca, Agropyrum et
Koeleria, et d‟autres familles, notamment les Composées, les Légumineuses, les
Ombellifères, les Malvacées. Mais ne serait-ce pas la Stipe qui proviendrait de
la steppe et non l‟inverse ?
Les travaux étymologiques linguistiques, comme ceux de Maks Fasmer,
O.N. Troubatchiov et V.A. Merkoulov, ou géolinguistiques, comme ceux de
V.A. Bouchakov (2003), s‟entendent quant à eux sur le fait que le nom de la
steppe a la même racine que les termes russes de pied (stopa), piétinement
(topot), degré (stépén), qui se retrouvent eux-mêmes, augmentés du préfixe
« pro », dans l‟étendue (prostor), l‟immensité, l‟espace (prostranstvo), tout ce
qui s‟étend423 (prostiraïetsia) et qui finit par représenter, pour le peuple russe, la
plaine. Le mot ossète voulant dire « plat », « égal » a exactement la même
racine et rejoint le terme turc signifiant le pied, la semelle (Bušakov, 2003).
Jusqu‟au XVIIe siècle, les Russes désignaient la vaste plaine herbeuse, foulée
par les troupeaux et les cavaliers424, uniquement par le terme de polié (le
champ), le même que celui employé pour la clairière de défrichement de la
forêt. Ce n‟est que depuis trois cents ans que la steppe a fait son apparition
comme terme paysager de la Russie : une autre plaine herbeuse, naturelle, celle
des anciens ennemis nomades, opposée à la plaine de défrichement de la forêt
mixte, berceau de la Russie, step contre polié.
La polysémie de la steppe resterait cependant une affaire seulement
linguistique s‟il n‟était une grande question géographique, paysagère, celle du
caractère ouvert ou fermé de la couverture végétale.
Chez les géographes russes, la vraie steppe, dans son sens le plus strict,
est une formation herbacée fermée, qui couvre le sol de manière continue.
Ainsi, une formation semi-aride ouverte ne constitue pas, pour les Russes, une
steppe. Krasnov (1893, p. 298) excluait même des steppes toute formation
herbacée dont les plantes étaient « adaptées à la sécheresse ». Il est vrai que les

422
« Le terme russe de steppe […] procède lui-même du mot Stipa (Graminée dominante),
d‟origine grecque » (Birot, 1965, p. 295). P. Arnould (2008, p. 338) « le fait dériver du nom latin
Stipa ».
423
Par l‟intermédiaire du latin, cette même racine indo-européenne aurait donné le verbe français
« prosterner » (Sakhno, 2001), qui revient à s‟étendre à terre en signe d‟hommage.
424
En grec, stratêgos était à l‟origine le chef d‟une armée qui s‟étendait, s‟établissait, campait
dans la plaine (Sakhno, 2001). Le stratège aurait ainsi la même racine que la steppe.
301
géographes russes daignent parfois, mais en l‟affublant toujours d‟adjectifs de
dégradation, nommer comme steppe une formation semi-aride ouverte, dont les
touffes herbacées sont suffisamment éloignées l‟une de l‟autre pour laisser des
plaques de sol nu les séparer. Cependant, ces « steppes désertiques »
(poustynnyé stepi de Trëšnikov, 1988, p. 291) n‟entrent pas dans la « zone de
steppe » (stepnaïa zona) des géographes russes, caractérisée par sa végétation
herbacée fermée, son sol noir ou châtain et son climat continental chaud, mais
dans la « zone des déserts et semi-déserts » (zona poloupoustyn i poustyn).
Chez les Français, en revanche, « le mot steppe […] a été appliqué aux
formations ouvertes, herbacées ou buissonnantes, des hautes plaines d‟Afrique
du Nord, ou encore aux formations physionomiquement proches des régions
semi-arides » (Elhaï, 1967, p. 167). Dans le cas d‟une formation herbeuse
fermée du milieu tempéré continental, le français emploie prairie425 et c‟est
notamment ainsi que notre langue désigne le paysage végétal des grandes
plaines d‟Amérique du Nord. Bref, la langue française emploie en
biogéographie générale la steppe pour une formation herbacée ouverte laissant
des plaques de sol nu entre les plantes et la prairie pour une formation herbeuse
fermée, qui couvre le sol426.
Cependant les géographes français, par le puissant héritage de l‟école de
géographie régionale, aiment à utiliser les appellations locales de ce qu‟ils
regroupent sous l‟appellation générique de prairie, en l‟occurrence la pampa
argentine, le veld africain du sud et la steppe russe.
Le problème de la langue française vient évidemment de la steppe
russe427. Que la pampa soit une prairie ne pose pas de difficulté, puisque le
premier terme est uniquement régional et le second général. Que la steppe russe
soit une prairie brouille en revanche le message, vu que la steppe est employée

425
« Par contraste avec la steppe semi-aride ouverte, qui laisse apparaître le sol à nu, la prairie
tempérée […] se caractérise par un couvert total aux touffes d‟herbes jointives » (Lageat, 2004, p.
110). « Les biogéographes appellent „prairie‟ cette formation fermée de plantes herbacées, ce qui
permet d‟éviter des confusions de vocabulaire avec la steppe » (Huetz de Lemps, 1994, p. 64).
426
« Le mot steppe lui-même est ambigu ; on l‟utilise pour des formations herbacées fermées, à
peu près sans arbres, pour lesquelles convient mieux le terme de prairie. Aux formations végétales
ouvertes, laissant le sol découvert sur la plus grande partie de sa surface on réservera le nom de
steppe » (Viers, 1970a, p. 184).
427
« Le terme russe de stiep‟ serait en fait mieux traduit en français par celui de prairie »
(Marchand, 2007, p. 223). « La steppe dense ukrainienne et russe […] est en fait une prairie »
(Dubois, 2002, p. 125). « La steppe des Soviétiques est une formation herbacée continue, une
prairie » (Carrière, 1984, p. 27). « L‟ambiguïté du terme, d‟origine vernaculaire russe, tient au fait
que la steppe russe est une formation herbacée fermée […] qui correspond en fait à la définition
de la prairie » (Arnould, 2008, p. 338). « Les touffes sont nettement séparées les unes des autres,
parfois par 5 ou 10 m de sol nu ; […] on emploiera donc le mot steppe. Certes il y a inconvénient
parce que, initialement, ce mot, qui est russe, s‟applique à la prairie fermée du sud de la Russie.
[…]. Mais l‟usage a transposé le mot en milieu semi-aride pour désigner la formation ouverte que
nous venons de décrire » (Demangeot, 1981, p. 87).
302
Milieux naturels de Russie
ici dans une acception de géographie régionale, tout en sachant que la langue
française utilise aussi, par ailleurs, ce mot comme un terme de biogéographie
générale qui désigne un autre type de formation végétale. P. Fénelon (1939, p.
137) en arrive ainsi à opposer « la steppe russe » et « la steppe des
géographes ». La première serait caractérisée par « l‟absence d‟arbres et la
présence d‟un manteau continu de plantes herbacées », la seconde, au contraire,
par le fait que « ni les plantes ligneuses, ni les plantes herbacées ne forment un
tapis continu ; des trous, des déchirures laissent apparaître la terre brune ou
grise ». Il ne semblait pas envisageable que des géographes pussent être russes,
ni la réciproque d‟ailleurs.
La vraie steppe russe est, comme toutes les prairies naturelles de milieu
tempéré continental, une formation herbeuse caractérisée par deux traits
géographiques majeurs : d‟une part la couverture complète par les Graminées et
les autres herbes ne laissant pas voir le sol, d‟autre part le contraste saisonnier
de sa physionomie428. Cependant des traits originaux distinguent la steppe russe
de toutes les autres prairies de la planète, en particulier la faiblesse
proportionnelle des Graminées, l‟absence totale de « Graminées à affinités
tropicales » (Rougerie, 1988, p. 45) et l‟importance relative des plantes à fleurs.
Le caractère fermé de la prairie et le dense feutrage du sol dépendent
avant tout de la part des Graminées (zlaki) dans l‟ensemble des herbes. Il est
donc important de distinguer cette famille de toutes les autres. C‟est pourquoi
ces dernières sont rassemblées par les Américains sous l‟appellation commune
de forbs (Elhaï, 1967), et par les Russes, sous le large vocable de raznotravié429.
Dans la langue courante, « nous n‟avons pas de mot en français pour désigner le
groupe des plantes herbacées autres que les Graminées » (Elhaï, 1967, p. 247).
Certes, dans le vocabulaire scientifique, on peut contourner en partie la
difficulté en employant les herbes dicotylédones (dvoudolnyé), qui regroupent
les Légumineuses (bobovyé), les Composées (slojnotsevtnyé), les Ombellifères
(zontitchnyé), les Malvacées (malvovyé), les Renonculacées (lioutikovyé) et
autres Labiées (goubotvetnyé). Cependant, le subterfuge ne fonctionne pas pour
toutes les plantes de la prairie ; ainsi les Liliacées (liléïnyé) sont, comme les
Graminées, des herbes monocotylédones (odnodolnyé). C‟est pourquoi nous

428
Notons que la polysémie de la steppe est encore enrichie, et compliquée, si l‟on ajoute la
définition de Martonne et al. (1955, pp. 1203-1205), elle-même issue de la classification
allemande du XIXe siècle proposée par Oscar Drude, distinguant les prairies et les steppes sur le
critère de la physionomie estivale. Selon eux, il conviendrait d‟appeler prairies « les associations
herbeuses […] verdoyantes pendant la saison chaude » et steppes « les associations herbeuses
[…] desséchées pendant l‟été ». Prairies et steppes, toutes deux « à repos hivernal », se
distingueraient ensemble des savanes, « dont la période de repos est la saison sèche ».
429
Dans son dictionnaire de géographie, Trëšnikov (1988, p. 257, en russe) définit strictement
raznotravié comme « l‟ensemble des plantes herbacées de toutes les espèces, sauf les Graminées
(zlaki), les Légumineuses (bobovyé) et les Cypéracées (ossokovyé) ». Plus couramment, le terme,
qui signifie mot à mot « herbes variées », désigne toutes les herbes sauf les Graminées.
303
emploierons facilement raznotravié430. Par rapport à la prairie américaine du
nord, à la pampa argentine et au veld africain du sud, la steppe russe est
justement la plus riche de toutes en raznotravié et proportionnellement la plus
pauvre en Graminées431.
Pourtant, même dans la steppe russe, le feutrage du sol est avant tout
assuré par les Graminées. Ce sont elles qui construisent le système racinaire le
plus dense. Le réseau est très serré sur la première quinzaine de centimètres,
mais, tout en s‟amenuisant, il n‟est pas rare qu‟il atteigne un mètre cinquante à
deux mètres de profondeur. Toutes les autres herbes ont un enracinement plus
lâche, qui s‟intercale entre le feutrage des Graminées, et surtout des racines
pivotantes s‟enfonçant dans le sol verticalement et de façon moins ramifiée que
le système racinaire des Graminées. Les organes souterrains des herbes de la
steppe russe comptent aussi des rhizomes, bulbes et autres tubercules.
Au-dessus du sol, l‟aspect fermé du tapis herbacé est plutôt dû lui aussi
aux Graminées, le raznotravié se contentant d‟ajouter à la couverture. La
fermeture est maximale quand les Graminées poussent de manière gazonnée432,
construisant une dernovinnaïa step (steppe gazonnante). Dans ce cas, « les tiges
latérales, suivant un trajet parallèle à la surface soit en rampant, soit en
cheminant dans le sol, émettent des bourgeons axilaires actifs. Il en résulte un
foisonnement de feuilles, courtes en général » (Birot, 1965, p. 163). Ces
dernovinnyé zlaki s ouzkimi listiami (Graminées gazonnantes à feuilles
étroites), qui jouent le premier rôle dans le caractère fermé de la couverture,
comptent la plupart des Stipes. Outre ces structures gazonnantes, les Graminées
peuvent aussi croître par touffes, dont chaque pied est éloigné l‟un de l‟autre.
Ce sont les Graminées les plus hautes, qui développent une hampe florale433.
L‟ensemble des Graminées, en gazon et en touffes, donne l‟apparence vue du
haut d‟une couverture fermée, complète, dont les herbes sont jointives. « La
densité de la couverture atteint cent pour cent pendant la période de végétation
maxima » (Rodine, 1956, p. 215).
Dans le détail, pour l‟ensemble de la formation végétale, les géographes
russes distinguent quatre strates (Rodine, 1956). La strate élevée se compose de
grandes plantes éparses avec une longue tige florale. Tricart (1969, p. 48)

430
Ce seul mot ayant le mérite d‟être court par rapport à la formule par laquelle, par exemple,
Birot (1965, p. 304) désigne cet ensemble de plantes : « les Dicotylédones (et Monocotylédones
autres que les Graminées) ».
431
« La steppe sans arbre sur tchernoziëm [est] différente de la prairie américaine. Les graminées
ne domineront que dans le sud, aux confins de régions plus arides » (George, 1962, p. 224).
432
C‟est la croissance par « plaques gazonnantes » de Henri Elhaï (1967, p. 247), les « structures
en gazon » de Birot (1965, p. 163).
433
Dès que cette longue tige « commence à croître, elle inhibe les bourgeons latéraux du plateau
ainsi que ses propres bourgeons latéraux, si bien qu‟elle dépasse bientôt l‟ensemble des feuilles.
La mort de la hampe d‟inflorescence est un des facteurs qui permet le démarrage de nouvelles
pousses basales chez les Graminées pérennes » (Birot, 1965, p. 163).
304
Milieux naturels de Russie
affirme que cette première strate se développe plutôt dans la steppe boisée. La
deuxième strate est la plus couvrante, celle des herbes vivaces largement
représentées par les Stipes et Fétuques. La troisième strate est celle d‟herbes
basses, en général plutôt des thérophytes, qui passent l‟hiver à l‟état de graines.
Le quatrième étage est « une strate naine, de rosettes et de Mousses, à moins de
10 cm » (Rougerie (1988, p. 45). Comme le résume Rodine (1956, p. 215), « le
premier étage formé par les herbes les plus hautes est clairsemé ; le second
étage, le plus dense, est constitué par les édificateurs ; le troisième étage
comprend les herbes basses, surtout les herbes annuelles ; enfin, le quatrième
étage est formé par les mousses et les lichens ».
La stratification de la steppe, moins visible au premier abord434 que
celle de la forêt, ne doit pas être négligée. Ses conséquences sont importantes.
Les deux strates supérieures, mises ensemble, qui s‟étirent entre 50 cm et 2 m,
sont largement couvrantes. De fait la strate moyenne, autour de 30 cm, et
l‟étage inférieur comptent un certain nombre de plantes sciaphiles435. Berg
(1941, p. 93) souligne le rôle important de la strate naine, insistant sur le fait
que « ce manteau moussu, spécial à la steppe du nord, […] protège la surface du
sol contre l‟action des eaux printanières ». C‟est que cette fine stratification de
la steppe russe comporte de forts contrastes saisonniers.

1.1.2. Un cycle annuel très marqué

En tant que formation végétale zonale, en équilibre avec le milieu


tempéré continental, la steppe russe présente un cycle annuel très contrasté. La
question n‟est pas celle de la succession saisonnière de la vie et de la mort,
puisque plus des neuf dixièmes des plantes de cette prairie sont vivaces
(mnogoletnié). L‟important est le changement prononcé de l‟aspect de la steppe
en fonction des moments de l‟année et la rapidité du cycle végétatif printanier,
l‟été étant, au contraire du climat océanique, une saison de repos.
L‟étape prévernale commence par la couverture de mousse, qui précède
la croissance de toutes les autres plantes et, sinon la provoque, du moins la
favorise, en imprégnant d‟humidité l‟horizon supérieur du sol. « Aussi voyons-
nous, à l‟époque où les neiges commencent à fondre, toute la surface de la
steppe se couvrir de mousses passagères qui lui donnent l‟aspect d‟un marais
boréal. Ces mousses disparaissent au bout de deux semaines et sont remplacées

434
D‟où, parfois, une simplification effectuée par certains auteurs. « La prairie est donc une
formation monostrate » (Pech et Regnauld, 1992, p. 370).
435
« En dépit des apparences, le rapport surface des feuilles / surface du sol est notable dans les
formes denses de la prairie ; il atteint entre 5 et 15, rivalisant parfois avec celui des arbres. D‟où
une assimilation chlorophyllienne rapide, et aussi un déficit de lumière pour les feuilles
inférieures, qui appartiennent souvent à un étage de plantes spécialisées » (Birot, 1965, p. 298).
305
par des plantes herbacées dont la floraison commence au début du printemps,
sur un sol imprégné d‟eau contenant jusqu‟à 30 p. 100 d‟humidité, bien qu‟au-
dessous du sol, à une profondeur de 4 à 5 pieds, le sol reste quelquefois aride,
aussi aride qu‟il l‟est en été à sa surface » (Krasnov, 1893, p. 307). Le terrain
est alors prêt pour quelques plantes se développant très tôt dans la saison436,
comme la coquelourde (Pulsatilla patens, prostrel raskryty ou bien son-trava),
l‟Ellébore bâtard, dite aussi Adonis de printemps (Adonis vernalis, adonis
vessenni ou goritsvet vessenni, fig. steppe 3), certains Iris (kassatiki), certaines
Jacinthes (guiatsinty), Anémones (vetrénitsy) et Renoncules (lioutiki).
L‟étape vernale se trouve dans la continuité, mais toutes les herbes
dicotylédones, et non seulement quelques annonciatrices, sont concernées. C‟est
la saison de floraison printanière qui est la grande originalité de la steppe russe
par rapport à la prairie américaine. En effet, l‟importance du raznotravié par
rapport aux Graminées permet ce chatoiement de couleurs. « Ce qui est très
caractéristique des steppes russes c‟est l‟importance des floraisons vernales,
reposant sur une grande quantité de Dicotylédones, soit géophytes à bulbes ou
rhizomes (Tulipes, Jacinthes, Iris), soit hémicryptophytes à rosette ou non
(Anémones, Renoncules, Marguerites, Sauges) » (Rougerie, 1988, p. 45).
Les Graminées commencent elles aussi à se développer, notamment les
Stipes. Cette précocité de la croissance s‟accompagne de la grande rapidité du
cycle végétatif, car, après le printemps favorable, la sécheresse de l‟été guette
déjà. « La floraison et la maturation des graines sont terminées fin juin » (Birot,
1965, p. 302). En cette toute fin de printemps et ce début d‟été, la couleur de
l‟ensemble est devenue plus uniforme, le vert-bleu, puis jaune-brun graminéen
passant par dessus le raznotravié multicolore.
Accompagnant ce changement de ton, la hauteur de la steppe s‟est
accrue. Certaines espèces de Graminées peuvent atteindre deux mètres de
hauteur au début de la saison chaude et les descriptions littéraires de cette
végétation ont largement insisté sur ce fait, d‟ailleurs en l‟exagérant souvent.
Quand le fils de Taras Boulba pense avec mélancolie à la jeune Polonaise, il
s‟immerge dans ses rêveries, comme un cavalier se plonge dans la profonde
steppe. « C‟était à cela que pensait André, tandis qu‟il chevauchait tête basse et
les yeux fixés sur la crinière de son cheval. Mais déjà la steppe les avait tous
accueillis dans ses vertes étreintes437, et ses hautes herbes438, se refermant autour
d‟eux, les dérobaient aux regards, ne laissant parfois apercevoir entre ses épis
que leurs bonnets noirs de cosaques » (Gogol, 1843, Taras Boulba, chap. 2).

436
« La neige une fois fondue, la terre se couvre du tapis des grandes fleurs lilas de la
coquelourde » (Berg, 1941, p. 93). « Le printemps est égayé par la floraison d‟une multitude de
plantes à bulbes et à rhizomes qui percent le sol dès la fonte des neiges » (George, 1962, p. 224).
437
« v svoï zélionyé obyatia » dans le texte russe.
438
« i vyssokaïa trava » dans le texte russe.
306
Milieux naturels de Russie
En résumé, dans toute cette phase de vie, l‟évolution du paysage avec
l‟avancée de la saison fait passer de la floraison colorée, assez basse, du
raznotravié au printemps à la domination graminéenne, plus haute et de ton plus
uni, du début de l‟été439.
L‟étape estivale donne une couleur plus paillée au paysage, par la
transformation des Graminées. Au cœur de l‟été, la sécheresse du milieu
steppique russe est telle qu‟elle provoque en général une période de semi-repos
(letni périod poloupokoïa), « quand une grande part des plantes suspend son
développement végétatif » (Rakovskaja et Davydova, 2001, p. 173, en russe).
Seules les pluies d‟orage plus soutenues peuvent faire repartir la croissance de
quelques espèces. Mais la plupart des Koelaria, Festuca et Agropyrum entrent
« en dormance estivale en fonction d‟un rythme physiologique héréditaires,
même si la saison est humide » (Birot, 1965, p. 303). L‟importance du semi-
repos estival est l‟une des originalités de la steppe russe par rapport à la prairie
américaine.
Moins défavorable, l‟étape automnale permet à la végétation de repartir.
« La croissance d‟automne peut être assurée soit parce que les feuilles,
desséchées mais non mortes, récupèrent leur chlorophylle, soit parce que les
bourgeons émettent une deuxième génération de feuilles » (Birot, 1965, p. 302).
Certaines Graminées fructifient. Les Fétuques (ovsianitsy) poussent « un second
feuillage, qui sert de nourriture aux bêtes en automne et en hiver » (Berg, 1941,
p. 107). Mais l‟arrivée brutale des premiers froids fige cette seconde saison
avant la fin de son accomplissement. « La gelée surprend ces organes verts
avant que leurs substances nutritives aient été réexpédiées vers les organes
souterraines : d‟où leur valeur pour le bétail durant l‟hiver » (Birot, 1965, p.
302). Puis les herbes de toutes les familles se dessèchent, les parties aériennes
meurent. La steppe, grise à dorée, se couche et les gels achèvent la dessiccation.
Le rude hiver, froid et relativement sec, provoque une période de repos
(zimni périod pokoïa) complet, pendant lequel la neige recouvre l‟ensemble440.
Du fait de la faible épaisseur de celle-ci, le gel pénètre largement dans le sol de
la steppe, jusqu‟à plus de 80 cm (Birot, 1965).

439
« Au printemps, presque au lendemain de la disparition de la neige, fleurissent les iris, les
jacinthes, les tulipes, et la steppe brille de couleurs vives et variées, avec le violet foncé de la
clématite, le jaune d‟or de l‟adonis de printemps, le blanc de l‟anémone et de la spirée ; en juin
commencent à s‟atténuer ces teintes diaprées ; la steppe se fait duveteuse et grisâtre. C‟est au tour
des graminées de donner la note dominante » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 84). A partir de
juillet, « la steppe n‟a plus l‟aspect d‟un tapis bigarré et les plantes défleuries lui prêtent une
couleur brunâtre » (Berg, 1941, p. 94).
440
Pouchkine (1836) décrit cette saison dans la Fille du Capitaine. « La neige s‟étendait comme
un drap aveuglant sur la steppe » (chap. 2 « Le guide »). « Je regardai longtemps la steppe
blanche où filait sa troïka » (chap. 12 « L‟orpheline ») ; « Ya dolgo smotrél na bélouïou step »).
307
Au total, ce cycle annuel est marqué par l‟importance des contrastes,
bien connue des villageois441, elle-même liée au climat continental et dont le
moment important est la brutalité de l‟arrivée printanière et son « explosion de
vie » (Birot, 1965, p. 297). L‟autre originalité annuelle se trouve être que ce
sont les brèves mi-saisons, non seulement le printemps mais aussi l‟automne,
qui sont favorables, séparées par un hiver trop froid et un été trop sec442.
Mais la steppe change aussi de physionomie entre le jour et la nuit et les
anciens voyageurs ont plutôt souligné cette autre échelle de temps, brusque au
quotidien, donc impressionnante. Les descriptions littéraires classiques en ont
fait le trait principal de la steppe, opposant les herbes brûlées sous le soleil
torride de la journée, qui revivent sous la rosée du petit matin 443, opposant aussi
l‟apparente mort animale du jour et la vie nocturne, opposant enfin les journées
inodores aux senteurs vespérales444.

1.1.3. Le paradis perdu des herbivores

La steppe procure une grande quantité de nourriture directement et


facilement assimilables par de nombreux animaux, si bien que ces vastes
espaces herbeux fournissent à l‟état naturel un riche tableau zoogéographique.
L‟ensemble de la chaîne alimentaire est fondé sur les herbivores, qui permettent
aux prédateurs de se développer. Le système a été bouleversé par la mise en
culture de la steppe russe, qui a détruit de nombreux habitats, mais certains
animaux s‟en sont trouvé favorisés et un nouvel équilibre s‟est mis en place.

L’adaptation des herbivores au terrain découvert

Le lien principal entre la phytogéographie de la steppe et sa


zoogéographie est l‟adaptation de tous les herbivores à l‟absence d‟abri
(nédostatok oukrychiï) face aux prédateurs, au terrain découvert qui est le

441
« La steppe. Verte au printemps, elle se desséchait l‟été et même noircissait sous les rayons
ardents du soleil. En automne, avec la pluie, elle renaissait à la vie, reverdissait, jusqu‟aux
premiers froids de l‟hiver qui la couvraient d‟une nappe de neige » (Stoliaroff, 1986, 2008, p. 27).
442
« La période de végétation active est finalement réduite à de courts printemps et automnes,
entre deux longues saisons de repos » (Lacoste et Salanon, 1969, p. 155).
443
« Tout ce qui, bruni et roussi dans la chaleur, avait été à demi-mort, ressuscitait maintenant,
baigné de rosée et caressé de soleil, pour fleurir à nouveau » (Tchékhov, 1888, La steppe, chap.
1). On passe de « poloumiortvoïé » (à demi-mort) à « ojivalo, tchtob vnov zatsvesti » (revivait,
pour à nouveau fleurir).
444
« elle exhalait des vapeurs toujours plus denses, chaque fleur, chaque brin d‟herbe distillait de
l‟ambre, et toute la steppe embaumait » (Gogol, 1843, Taras Boulba, chap. 2). Gogol écrit
précisément « i vsia step kourilas blagovoniem ».
308
Milieux naturels de Russie
propre des formations herbeuses naturelles. Les trois réponses sont le mode de
vie souterrain (podzemny obraz jizni), le mode de vie en colonies (kolonialny
obraz jizni) et le mode de vie en troupeaux (stadny obraz jizni). S‟il n‟était ces
adaptations, les prédateurs profiteraient de cette aubaine. Les grandes étendues
découvertes favorisent en particulier les rapaces, dont les vastes plaines
steppiques sont mises à profit par leur vue perçante.
Le mode de vie souterrain concerne avant tout les rongeurs (gryzouny),
qui sont d‟ailleurs les petits herbivores les plus nombreux de la steppe. La
plupart d‟entre eux creusent de profonds terriers, les nory. La Marmotte
(Marmota, surok) est le plus grand de ces rongeurs, notamment la Marmotte
bobak (Marmota bobak), que les Russes appellent stepnoï sourok (la Marmotte
des steppes) ou, simplement baïbak.
Fig. steppe 4 : La Marmotte bobak, le plus grand rongeur de la steppe russe

Les steppes de Touva et de Transbaïkalie gardent une espèce


particulière, la Marmotte de Sibérie (Marmota sibirica, tarbagan). Les
multiples espèces d‟écureuils terrestres445, que les Russes regroupent sous
l‟appellation de sousliki, s‟abritent aussi dans des terriers de plusieurs mètres.

445
Le plus sûr est sans doute d‟employer en français le mot russe de sousliki pour désigner les
écureuils terrestres de la steppe eurasiatique (Matthews et al., 1972). Il faut en tout cas bannir le
terme de gerboises, employé à tort par Vladimir Volkoff dans sa traduction de la Steppe de
Tchekhov. Les gerboises sont les touchkantchiki et elles sont très différentes des sousliki.
309
Deux genres sont concernés, d‟une part le Zisel446 (Citellus), d‟autre part le
Spermophile (Spermophilopsis). Parmi les premiers, la steppe de Russie
d‟Europe compte surtout le Zisel tacheté (Citellus suslicus, kraptchaty souslik),
tandis que, plus à l‟est, le Souslik pygmée (Citellus pygmaeus) est important.
Parmi les seconds, la principale espèce est le Spermophile à doigts fins
(Spermophilopsis leptodactylus, tonkopaly souslik). D‟autres rongeurs excavent
même de longues galeries et développent un mode de vie de creusement
souterrain (podzemno-roïouchtchi obraz jizni). C‟est le cas des rats-taupes
(Spalax, slépych), qui se nourrissent des racines des plantes de la steppe située à
l‟ouest de la Volga. L‟espèce la plus répandue à l‟état naturel était le Spalax
commun (Spalax microphtalmus, slépych obyknovenny). Le Hamster d‟Europe
(Cricetus cricetus, khomiak obyknovenny) creuse certes des galeries
comparables, mais il fait aussi, quant à lui, de nombreuses sorties aériennes.
Cette façon de vivre, qui consiste à sortir le moins possible à l‟air libre, est
assez efficace contre les prédateurs, mais certaines saisons restent dangereuses,
notamment le printemps, quand certains rongeurs encore engourdis sortent pour
la première fois depuis plusieurs mois. Une autre adaptation est alors nécessaire,
l‟entraide dans l‟avertissement du danger.
Le mode de vie en colonies concerne à la fois les rongeurs et les
lagomorphes. C‟est par exemple le cas des Marmottes (sourki) et des sousliki
chez les premiers, des Lièvres (zaïatsy) et des pichtchoukhi447 chez les seconds.
Comme ce mode est la seule protection contre les prédateurs chez le Lièvre de
la steppe (Lepus europaeus, roussak), qui ne s‟abrite pas sous terre à la
différence des rongeurs, il a développé une grande vitesse de course.
La vie en colonie s‟accompagne chez beaucoup de petits herbivores de
systèmes d‟alerte de la communauté en cas de danger. De ce point de vue, le
sifflement des sousliki montant la garde est très caractéristique, mais les
pichtchoukhi, qui sont parmi les rares petits herbivores de la steppe sibérienne à
rester actifs pendant l‟hiver, quand ils risquent le plus d‟être la proie facile des
prédateurs, ont aussi développé un système complexe de signaux sonores. Mais
les colonies les plus nombreuses de petits herbivores de la steppe concernent le
Lemming des steppes (Lagurus lagurus) et les diverses espèces de Campagnol
(Microtus, poliovka), qui connaissent des explosions de population, suivies de
chutes brutales.

446
Du moins selon la traduction en français du texte de Berg (1941) par G. Welter, ou encore
celle de Guérassimov (1956).
447
N‟existant pas de mot français les désignant, on emploie souvent le terme américain de pika
dans notre langue pour désigner le genre latin Ochotona (Matthews et al., 1972). C‟est
pichtchoukh des Russes.
310
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 54 Le Souslik tacheté, un rongeur de la steppe adapté aux terrains découverts
Le Souslik est un écureuil terrestre de la steppe russe, qui vit en colonies dans de longs terriers. Les
individus qui montent la garde sifflent en cas de danger. Ce Souslik tacheté a été photographié à
trois kilomètres au sud-ouest du village sibérien de Sarma, dans la steppe dominant le golfe
Khoujir-Nourgaïski du lac Baïkal. La prise de vue a nécessité le repérage pendant plusieurs jours
d’un terrier régulièrement fréquenté, puis une attente de seulement une quarantaine de minutes.

Le mode de vie en troupeaux est en quelque sorte l‟équivalent pour les


grands herbivores de la vie des colonies des petits herbivores. Il s‟accompagne
fréquemment d‟une grande vitesse de course, d‟une vue perçante et du choix de
terrains à large visibilité pour mettre à bas. De ce point de vue, l‟Antilope saïga
(Saiga tatarica, saïgak) a développé l‟ensemble de ces caractéristiques pour
échapper aux prédateurs de la steppe.
Une vie animale adaptée au climat continental

L‟amplitude saisonnière très marquée et la modification très prononcée


de la couverture végétale au cours de l‟année font que les animaux de la steppe
ont largement développé soit un mode de vie souterrain, soit un mode de vie
migratoire. Le podzemny obraz jizni, qui était une bonne adaptation des
rongeurs au manque d‟abri naturel contre les prédateurs, est aussi une réponse
au rude climat steppique. La vie en souterrain permet en effet de profiter d‟un
micro-climat aux amplitudes modérées, de rafraîchir l‟été et d‟attiédir l‟hiver.
D‟ailleurs, certains prédateurs eux-mêmes, qui ne prennent pas la peine de
creuser de terrier, ne dédaignent pas occuper indûment les nory excavés par
d‟autres. Le Renard corsac (Vulpes corsac, korsak), le Putois des steppes
(Mustela eversmanni, stepnoï khor) et le Chat manul (Felis manul, manoul)
s‟installent ainsi souvent dans les terriers de marmotte abandonnés, ou même
après en avoir tué le propriétaire.
311
Les migrations saisonnières forment une réponse plutôt développée par
les grands herbivores, mais aussi par de nombreux prédateurs qui souffrent de
ne plus trouver de rongeurs à certaines saisons. Moins connues par le grand
public que les fameux déplacements des bisons dans la prairie américaine, les
migrations des grands herbivores de la Russie d‟Asie étaient aussi de grande
ampleur. Le mouvement général, très net chez les saïgas, était dirigé vers le sud
en hiver et le nord en été, mais quantité d‟autres déplacements se produisaient,
toujours à la recherche des meilleurs pâturages naturels, notamment chez les
chevaux sauvages. Le mode de vie migratoire est aussi très fréquent chez les
oiseaux de la steppe, qui ont tendance à quitter la région pour aller passer
l‟hiver en Afrique ou au Moyen-Orient. C‟est le cas de l‟Aigle des steppes
(Aquila nipalensis, stepnoï oriol) et de plusieurs espèces de Busard (Circus,
loun).
Il est manifeste que le problème majeur, pour tous les animaux qui
restent dans la steppe l‟ensemble de l‟année, les stepniaki448, est de passer le
rude hiver. Les trois principales adaptations sont l‟hibernation, les réserves de
nourriture et la fourrure. L‟hibernation (spiatchka) concerne la plupart des
rongeurs, qui la pratiquent dans leur profond terrier. Les marmottes (sourki), les
écureuils terrestres (sousliki), les hamsters (khomiaki) passent ainsi de longs
mois dans cet état de repos. Certains hibernants et, a fortiori, ceux qui
n‟hibernent pas entassent les herbes de la steppe, souvent après les avoir fait
sécher, et forment ainsi des réserves de nourriture pour la mauvaise saison. Le
Hamster d‟Europe (Cricetus cricetus, khomiak obyknovenny) stocke des feuilles
et des graines dans les galeries qu‟il a creusées. En Sibérie, les pichtchoukhi
(Ochotona) font à ce point des réserves d‟herbe séchée que les Russes les
surnomment sénostavki, les entreposeurs de foin. La troisième adaptation pour
passer le rigoureux hiver de la steppe russe, surtout développée chez les
prédateurs, est la fourrure. C‟est le cas de l‟hermine (Mustela erminea,
gornastaï).
Mais la grande originalité bioclimatique de la steppe par rapport à la
taïga est que, à l‟inverse de celle-ci, l‟été est aussi une saison difficile, par le
semi-repos de beaucoup d‟herbes, la chaleur torride et la relative449 sécheresse.
Certains rongeurs, actifs au printemps et à l‟automne, en profitent pour estiver.
C‟est le cas de certains sousliki, qui tombent en torpeur lors des périodes
estivales les plus chaudes et sèches. Parmi les grands herbivores, on peut citer
l‟adaptation des saïgas, dont les narines conduisent à une cavité tapissée d‟une
muqueuse qui filtre la poussière des vents desséchants venus du sud.

448
Le terme de stepniak désigne en Russie l‟habitant permanent de la steppe, qu‟il soit humain ou
animal.
449
C‟est en général la saison des précipitations maximales, mais elles restent néanmoins faibles
en absolu et, surtout, l‟évaporation est si élevée qu‟il se produit un déficit d‟eau relatif.
312
Milieux naturels de Russie
Une nouvelle chaîne alimentaire anthropisée

Depuis la mise en culture de la steppe, l‟écosystème a été bouleversé,


mais de manière différenciée. Les petits herbivores n‟ont dans leur ensemble
pas été trop touchés. Les sousliki, par exemple, continuent de pulluler. Ils font
d‟ailleurs des dégâts importants dans les champs de céréales. Le Lièvre des
steppes, le roussak, se plaît au remplacement de la steppe par des champs. Il a
même plutôt étendu son aire d‟habitation vers le nord, grâce au défrichement de
la subtaïga. En revanche, les rats-taupes de la steppe ont beaucoup souffert, au
point que trois espèces de spélychi sont inscrites dans le livre rouge comme
espèces rares à protéger.
Les grands herbivores forment sans doute le groupe animal ayant le
moins bien résisté aux transformations humaines. L‟Instruction, sorte de
testament de Vladimir Monomaque légué à ses enfants450, montre combien, au
XIe siècle, la faune steppique était riche et la chaîne alimentaire complète. Mais
on peut aussi y lire, à travers les exploits cynégétiques qui y sont rapportés, que
la chasse systématique avait déjà commencé, celle qui exterminerait les grands
herbivores aux siècles suivants. La première espèce à trépasser fut l‟aurochs
(Bos primigenius, tour). Dès le XVe siècle, l‟ancêtre du bœuf domestique avait
disparu de la steppe russe et il ne subsistait plus qu‟en Pologne, où le dernier
individu s‟éteignit au XVIIe siècle. Le cheval sauvage451 (Equus gmelini), le
tarpan des Russes, résista plus longtemps à l‟extermination. « Le grand-prince
de Kiev Vladimir Monomaque (XIIe siècle) raconte qu‟il allait à la chasse des
chevaux sauvages, soit de l‟Equus gmelini, dans la terre de Tchernigov et sur les
bords de la Ros, affluent du Dniepr. En 1768, Gmelin visita le pays de
Voronèje ; il note que, vingt ans avant son arrivée, les chevaux sauvages étaient
encore communs dans les environs de cette ville » (Berg, 1941, p. 97).
Cependant le dernier tarpan fut tué en 1876 (selon Berg, 1941) ou en 1879
(selon Giljarov, 1986) près d‟Askanin-Nova. Le Cerf élaphe (Cervus elaphus,
blagorodny olen) et le chevreuil (Capreolus capreolus, kossoulia), qui
abondaient dans la steppe russe à l‟état naturel, ont été refoulés dans les forêts.
Finalement, le seul grand herbivore encore en abondance dans la steppe
russe d‟aujourd‟hui se trouve être l‟Antilope saïga (Saiga tatarica, saïgak). Elle
a pourtant elle aussi failli disparaître, puisque, dans les années 1910, il n‟en
restait plus que quelques centaines. Elle a été sauvée par l‟interdiction complète
de la chasse décrétée en 1919 dans l‟ensemble de la Russie soviétique, qui
comprenait déjà l‟Asie Centrale. En 1955, après une remontée spectaculaire des

450
Un extrait est cité par F. Conte (1997, p. 169).
451
Le cheval domestique est aussi, pour les Russes un héritier de la steppe. « La steppe et son
influence se retrouvent dans le fait que le mot russe désignant le cheval, [lochad], est un emprunt
à une racine turque » (Conte, 1997, p. 152).
313
effectifs452, la chasse du saïgak fut autorisée sous licence. Dans les années 1980,
il y avait environ deux millions de saïgas en URSS (Giljarov, 1986). Cependant,
par rapport à son habitat d‟origine, l‟Antilope a été refoulée vers le sud, en
direction du semi-désert, et c‟est au Kazakhstan qu‟elle est aujourd‟hui surtout
réfugiée. Ainsi, selon un rapport d‟Etat de 2000, cité par Martchenko et
Nizovtsev (2005), les saïgas sont au nombre de 25 000 en Fédération de Russie,
mais peuplent plus le désert de la basse Volga que la steppe proprement dite.
Les prédateurs ont souffert de la mise en culture en proportion de leur
concurrence avec l‟homme et en fonction de la manière dont leurs proies
privilégiées avaient elles aussi subi ou non de grandes pertes. Parmi les
mammifères, le loup (Canis lupus, volk) a été refoulé beaucoup plus au nord,
dans la taïga et la toundra. Ce sont le Renard corsac (Vulpes corsac, korsak) et
le Putois des steppes (Mustela eversmanni, stepnoï khor ou svetly khor) qui
forment aujourd‟hui les deux premiers prédateurs. Tous deux chasseurs
nocturnes et se nourrissant des mêmes rongeurs, oiseaux et reptiles, ils sont en
concurrence. La population de Renards korsaks est estimée à 30 000 individus
par le gouvernement russe, selon Martchenko et Nizovtsev (2005).
Parmi les prédateurs autres que les mammifères, de nombreux rapaces
ont beaucoup souffert de la mise en culture de la steppe. En effet, comme pour
presque tous les oiseaux de la steppe, la possibilité de nidification au sol est
ainsi détruite453. Les différents busards, les louni des Russes, ont ainsi vu leur
population décroître fortement, alors que la steppe naturelle les favorisait
beaucoup, par l‟immensité des terrains découverts et l‟abondance des rongeurs.
Cependant, certains prédateurs se sont adaptés aux nouvelles conditions et les
mettent à profit. Ainsi, lors de la moisson et des autres récoltes, qui
effarouchent les rongeurs et les font fuir, en particulier les hamsters et les souris
qui se nourrissent des cultures, les mammifères et rapaces, surtout ceux qui
nichent dans les arbres des vallées alluviales ou des bosquets de la steppe
boisée, viennent en grand nombre festoyer à peu de frais. C‟est aussi ce que font
certains reptiles, notamment la Vipère des steppes (Vipera renardi, stepnaïa
gadiouka), réfugiée dans les vallées alluviales la plupart du temps, mais qui sait
en sortir en cas de besoin.

452
D‟où le titre de l‟ouvrage de L.V. Jirnov, paru en 1982 : Le retour à la vie : écologie,
protection et exploitation des saïgas (Vozvrachtchénié jizni : èkologuia, okhrana i ispolzovanié
saïgakov).
453
Pour les mêmes raisons, puisque leurs nids étaient au sol, les bourdons des steppes (stepnyé
chméli) et les autres butineurs des plantes de la steppe naturelle ont chuté de manière
catastrophique lors de la mise en culture (Marčenko et Nizovcev, 2005, p. 173).

314
Milieux naturels de Russie
1.2. Une coalition de causes complexes interdisant la pousse de
l’arbre

L‟absence d‟arbre dans la steppe a toujours fortement frappé les


Russes454, ce peuple forestier qui ne s‟est que tardivement aventuré à travers ces
menaçantes étendues découvertes455. Un ensemble de causes climatiques,
pédologiques, topographiques et anthropiques sont responsables de l‟absence
d‟arbre. Il s‟agit de tenter de comprendre d‟abord l‟origine ancienne des
steppes, ensuite leur stabilité dans le temps, leur force d‟opposition à la poussée
forestière plus récente.

1.2.1. Un déficit d’eau dans les horizons profonds du sol des grandes
plaines

L‟origine des steppes a donné lieu à de grandes polémiques


scientifiques456 à partir du XIXe siècle, qui ont conservé leur acuité tant que la
cause de l‟absence d‟arbre a été tenue pour devoir être unique. Chaque
défenseur argumentait alors en faveur de la seule théorie climatique ou de
l‟unique explication pédologique ou de l‟exclusive origine topographique, sans
compter les partisans de la thèse anthropique. Les débats ne sont certes pas clos
aujourd‟hui, mais on se tourne plus volontiers vers une interprétation
géographique d‟emboîtement d‟échelles intégrant à la fois le climat, le sol et le
modelé.
Historiquement, une fois passé le XVIIIe siècle et abandonnée la théorie
uniquement anthropique de Pallas, les tenants de la seule théorie climatique
furent les plus nombreux, notamment, au lancement du débat, les Allemands
Grisebach et Peschel, ainsi que les Russes Békétov, Vessélovski et Voeïkov.
Aujourd‟hui, la cause climatique est privilégiée à petite échelle cartographique,
revenant à confirmer que la steppe est une formation zonale457.

454
« Près des isbas on ne voyait ni hommes, ni arbres, ni ombres, comme si le hameau avait
étouffé dans l‟air brûlant et s‟y était desséché » (Tchékhov, La steppe, chap. 2). « Les voyageurs
[…] ne rencontraient pas un arbre : c‟était toujours la même steppe, belle libre, infinie » (Gogol,
1843, Taras Boulba, chap. 2). « Poutéchestvenniki […] nigdé né popadalis im dérévia, vsé ta jé
beskonetchnaïa, volnaïa, prékrasnaïa step » dans le texte original.
455
« La facilité de circulation […] en a fait longtemps des pays inhabitables, tant que des
migrations de peuples ont été à redouter » (George, 1962, p. 236).
456
« La limite sud de la forêt et la transition avec la steppe […] ont longtemps fait l‟objet de
débats passionnés » (Radvanyi, 2007, p. 43).
457
« On peut dire que l‟absence de forêts dans les steppes est un phénomène zonal qui est avant
tout conditionné par un climat défavorable (aride). Sur ce fond climatique défavorable, la salinité
du sol, la concurrence des herbes des steppes, le relief de plaines et les autres facteurs agissent
d‟une façon négative sur la croissance des forêts » (Milkov, 1956, p. 396).
315
De nombreux seuils climatiques ont été plus ou moins corrélés à la
limite entre la forêt et la steppe. Les plus anciens sont thermiques. Krasnov
(1893, p. 305) citait, d‟ailleurs pour la réfuter, l‟isotherme annuelle précise de
+1,4 °C, défendue à l‟époque par les partisans de la théorie climatique, du
moins pour la steppe européenne. Plus tard, des isothermes de printemps ou
d‟été, notamment de 20 °C pour le mois le plus chaud, furent proposées, qui, à
petite échelle cartographique, gardent une certaine validité. Aujourd‟hui, on
utilise plutôt, dans le même esprit, la durée de la saison végétative, en
l‟occurrence 160 à 170 jours, ou encore la somme des températures positives.
Selon Birot (1965, p. 316), on passerait de la forêt à la steppe en dépassant
3 500 °C en Europe et 2 400 °C en Sibérie. D‟autres préfèrent la somme des
température actives (soumma aktivnykh températour), ajoutant les degrés des
journées dépassant +10 °C de moyenne, pour arriver à environ 2 000 °C.
D‟autres, enfin, trouvent plus pertinente la radiation solaire, il est vrai le plus
régulièrement zonal des facteurs climatiques.
Aux limites thermiques ont été, assez tôt, ajoutés des seuils
pluviométriques. On a remarqué depuis longtemps que, dans la Russie
européenne, le passage de la forêt à la steppe suit assez bien l‟isohyète annuelle
de 450 mm. En Sibérie, cependant, le seuil suivrait plutôt l‟isohyète de 325 mm
(Birot, 1965, p. 316).
La synthèse climatique fait finalement apparaître que le seuil le plus
probant458 est celui du rapport entre les précipitations (ossadki) et
l‟évapotranspiration potentielle (ispariaémost). Si ce quotient, noté Kouv
(Koèffitsient ouvlajnénia) par les Russes, est supérieur à un, la végétation est
plutôt forestière, s‟il est inférieur, elle est steppique. A très petite échelle
cartographique, à l‟échelle mondiale, la coïncidence spatiale est bonne entre ce
seuil climatique et la limite biogéographique (Walter, 1973). Elle l‟est aussi à
l‟échelle de la Russie, où Rakovskaja et Davydova (2003, p. 172) résument le
fait que la steppe prend place « dans les régions d‟humidité insuffisante et
instable » (v raïonakh nédostatotchnogo i néoustoïtchivogo ouvlajnénia).
A petite échelle cartographique, c‟est le déficit d‟eau moyen, aggravé
par la forte irrégularité de l‟alimentation, qui provoque le passage à la steppe.
En effet, d‟une part, les herbes, grâce à leur petite taille, dépensent moins
d‟énergie pour prélever l‟eau du sol, d‟autre part, « la végétation herbacée se
consacre à la construction d‟un tissu assimilateur et des racines qui l‟alimentent
en eau » (Birot, 1965, p. 165), alors que l‟arbre dépense beaucoup d‟énergie à la
construction du tronc et a donc besoin d‟une saison d‟assimilation plus longue.
458
L‟indice d‟aridité (I = P/T+10, où P représente le total annuel précipité en millimètres et T la
température moyenne annuelle en degrés Celsius) d‟Emmanuel de Martonne a été longtemps
préféré par les géographes français. La steppe pousserait à l‟intérieur d‟une fourchette allant de 10
à 28. P. George (1962) indique que l‟indice d‟aridité de l‟été est plus pertinent que celui de
l‟année.
316
Milieux naturels de Russie
Bref, l‟herbe est moins exigeante que l‟arbre et elle seule peut surmonter
l‟obstacle de la période de semi-repos estival. « En Russie d‟Europe et Sibérie
occidentale, la forêt fait place à la prairie, parce que l‟été est trop sec pour
permettre la continuation de la vie des feuilles, si bien que la période
d‟assimilation se réduit au printemps et au début de l‟été, ce qui est insuffisant
pour constituer un tronc » (Birot, 1970, p. 115).
Malgré ces réalités, les adversaires de la théorie climatique, comme
Krasnov (1893), ou encore, dans cette même décennie, Tanfiliev et Kostytchev,
eurent beau jeu de faire remarquer, dès le XIXe siècle, les nombreuses
exceptions de régions où steppes et forêts franchissaient les seuils climatiques
dans un sens ou un autre. Ces écarts ne contredisaient pourtant pas la thèse
climatique d‟ensemble, car les échelles géographiques sont différentes459. Sur la
marge de la zone forestière, un terrain plat à sol fin favorise des poussées ou des
îlots de steppe. Et sur la marche de la zone steppique, un terrain escarpé à sol
grossier facilite les avancées forestières.
Le nœud du problème réside dans l‟eau du sol (potchvennaïa vlaga ou
potchevennaïa voda), et plus particulièrement dans sa profondeur d‟imbibition.
Plus celle-ci est grande, plus l‟arbre a une chance de prendre pied, plus
l‟épaisseur est faible, plus l‟herbe est privilégiée. Il a été montré que, si
l‟alimentation en eau du sol dépasse 15 cm au printemps, la croissance de
l‟arbre est possible ; si c‟est moins, seule la steppe poussera (Birot, 1965, p.
316). Bien entendu, le passage en dessous de ce seuil est avant tout climatique,
expliqué par la faiblesse des précipitations d‟été, qui ne peuvent contrecarrer
l‟évaporation, et aggravé par le gel hivernal, qui empêche la recharge pendant
cette saison (Birot, 1965, p. 296). Mais, à grande échelle cartographique, il faut
faire intervenir la texture du sol et son drainage.
Sur les terrains escarpés, drainés et au sol grossier, la part de l‟eau de
gravité est grande. Cette eau libre sous influence de la pesanteur (svobodnaïa
voda pod vlianiem sily tiajesti) migre loin vers le bas. L‟arbre, qui, à la
différence de l‟herbe, a la capacité de se ravitailler en profondeur, peut
s‟alimenter sans difficulté.
En revanche, sur les terrains plats, mal drainés et au sol fin, l‟eau ne
pénètre pas en profondeur. La steppe, dont le système racinaire est superficiel,
est favorisée, cependant que l‟arbre est désavantagé, soit du fait de son asphyxie
par le mauvais drainage, soit du fait de son incapacité à prélever à de si faibles
profondeurs (Birot, 1965, p. 165). C‟était le cœur de la théorie de Kostytchev et
de Spryguine, ainsi que de celle de Krasnov (1893, p. 309) : « l‟eau transforme
la surface de la steppe au printemps en un marais qui, en été, se dessèche avant

459
« Les steppes constituent un phénomène zonal […] et, à ce titre, elles sont dues à des causes
climatiques […] Tous les autres facteurs naturels, la salinité des sols et des sous-sols, leur
constitution mécanique, etc., n‟ont qu‟une importance secondaire » (Berg, 1941, p. 119).
317
d‟avoir communiqué son humidité aux couches plus profondes du sol : ce qui
fait qu‟en été ce terrain, étant encore plus sec, est devenu imperméable aux
pluies dont les eaux coulent sur la surface du sol, sans atteindre les racines des
arbres ». Cette explication reste valable460, du moins si on lui fait prendre sa
place à grande échelle cartographique, sans la substituer à la zonalité
bioclimatique Aujourd‟hui, les géographes russes, comme V.A. Nizovtsev
(2005), considèrent en effet que les plaines steppiques mal drainées constituent
un cas particulier, où se forment les sols prairiaux à tchernoziom (lougovo-
tchernoziomnyé potchvy).
De ces deux réponses différenciées de grande échelle à un problème
posé à petite échelle, il résulte que, dans le détail, le dessin de la frontière entre
la forêt et la steppe est indenté, les bois s‟insinuant dans la steppe par les talus et
les versants en forte pente, les formations herbacées remontent plus loin au nord
à la faveur des interfluves tabulaires.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 55 Le contact indenté entre la steppe et la forêt, un ensemble de causes complexes
Dans la steppe baïkalienne, le fond du fossé d’effondrement est occupé par une steppe d’abri
climatique, cependant que les versants sont plutôt colonisés par la taïga, à l’exception de ceux
d’exposition sud-ouest et des pentes instables couvertes de tabliers d’éboulis. La photographie a été
prise depuis le lac ; au deuxième plan se trouve la petite plaine steppique littorale de Sourkhaïtor, à
Stipe chevelue, Agropyron et Fétuque du Valais, dominée par le mont Gorély Stlanik, dont le
versant rocailleux, rajeuni de fréquentes chutes de pierres et tourné vers le sud-ouest, est le seul à
posséder une steppe à Armoise. Le village le plus proche, Sarma, est à plus de trente kilomètres.

460
« Un fort tribut est prélevé par l‟évaporation. Les herbes peuvent s‟accommoder d‟un tel
régime dans la mesure où les couches superficielles du sol sont imbibées, où les sols sont fins et
donc retiennent l‟eau en surface, et où leur période de vie active n‟a pas besoin d‟être longue ; en
revanche, ces conditions sont rédhibitoires pour l‟arbre » (Elhaï, 1967, p. 354).
318
Milieux naturels de Russie
Il est à noter que les tenants de l‟origine exclusivement anthropique de
la steppe s‟appuyaient sur la même description de ce contact festonné. En effet,
les feux ancestraux destinés à favoriser l‟élevage dans la steppe étaient allumés
sur les plaines, tandis que les terrains les plus escarpés étaient épargnés. Les
datations et les recherches paléogéographiques ayant montré que la steppe ne
pouvait avoir une origine générale uniquement anthropique, le facteur humain a
été repoussé à une autre échelle de temps, où il garde sa pertinence, celle de la
stabilité de la steppe, qui, une fois installée, ne laisse plus à la forêt la possibilité
d‟opérer quelque conquête que ce soit, aidée en cela par les sociétés humaines

1.2.2. La stabilité de la steppe et sa résistance à la reconquête


forestière

Une fois qu‟elle a pris position, la steppe ne se laisse plus envahir par la
forêt, même si le climat change et devient plus propice à l‟arbre, tout en restant
évidemment dans certaines limites. Les herbes préservent en quelque sorte leur
exclusivité et la steppe ne permet plus d‟évolution en sa défaveur. Cet auto-
entretien de la steppe par elle-même s‟appuie sur trois facteurs.
Le principal se trouve être l‟étouffement des plantules des arbres par le
dense réseau racinaire de la steppe. « Ce système racinaire complexe et qui
prospecte dans son ensemble le sol rend compte de la difficulté sinon de
l‟impossibilité qu‟ont les semences d‟arbres à s‟installer, quelles que soient les
conditions climatiques elles-mêmes » (Elhaï, 1967, p. 247). Le second facteur
tient à ce que ce même lacs racinaire serré empêche l‟alimentation en eau des
horizons profonds indispensable à l‟arbre. Enfin, le fort ruissellement, entretenu
par la steppe elle-même qui rend la surface du sol compacte, est autant d‟eau
perdue qui aurait été profitable à l‟arbre (Birot, 1965, p. 167). Et voilà comment
la steppe reste sur ses positions, acquises antérieurement, même si le climat lui
devient un peu moins favorable.
Il faut ajouter que les sociétés humaines, par les feux destinés à
conserver ou propager les étendues herbeuses où paissait le bétail, avant même
l‟introduction de l‟agriculture, ont toujours eu tendance à favoriser la steppe aux
dépens de la forêt.
Les exceptions de petites reconquêtes forestières ont pu concerner
naturellement les versants escarpés et artificiellement certaines plantations
humaines, en particulier sur des placages sableux. Une fois les reboisements
effectués, il peut y avoir aussi un auto-entretien forestier, les arbres piégeant la
neige et augmentant ainsi l‟infiltration printanière.
Finalement, avec une concision n‟ayant d‟égal que son esprit
visionnaire, P. Camena d‟Almeida (1932, p. 84) résumait en fines touches ces
319
changements d‟échelles spatiales et temporelles à l‟origine de l‟installation
durable de la steppe russe.
« Des précipitations inférieures à l‟évaporation par suite de la
prédominance de vents d‟entre Nord-Est et Sud-Est, la chaleur précoce de l‟air
au printemps alors que le sol est encore gelé, l‟ardeur excessive de l‟été, le
manque d‟abri en dehors des vallées et des fonds de ravins, contribuent
évidemment à gêner la croissance des arbres dans toute la région de la Terre
Noire, et la forêt n‟opère de conquêtes sur la steppe que là où le relief de celle-
ci tend à s‟accidenter ».

1.3. Le tchernoziom, le roi des sols

La steppe est liée au sol sur lequel elle pousse et qu‟elle contribue à
former, le tchernoziom461. Ce mot russe vernaculaire signifie mot à mot la terre
(ziom, racine de zemlia) noire (tcherno) et est employé couramment pour
désigner la terre végétale, l‟humus, le terreau, avant d‟être utilisé pour
caractériser l‟ensemble du sol riche en matière organique qui porte la steppe. Sa
diffusion dans le vocabulaire international date des travaux des pédologues
russes de la fin du XIXe siècle initiés par V.V. Dokoutchaev, en particulier dans
son ouvrage publié en 1883 et intitulé Rousski tchernoziom. Aujourd‟hui
encore, même en excluant l‟Ukraine et la Moldavie, la seule Fédération de
Russie possède la moitié du tchernoziom mondial.
La couleur noire est bien entendu le caractère descriptif le plus
facilement observable de ce sol, d‟autant qu‟elle concerne pratiquement
l‟ensemble du profil. C‟est que le tchernoziom est presque tout entier constitué
d‟un seul horizon A1 (pérégnoïno-akkoumouliativny gorizont), de plusieurs
décimètres à plus d‟un mètre d‟épaisseur, qui repose directement sur un horizon
C de transition avec la roche-mère, au sommet duquel se différencie souvent un
petit horizon d‟accumulation du calcaire462. La matière organique, abondante,
essentiellement souterraine463, est bien décomposée grâce à la chaleur de l‟été et
transformée en acides humiques (gouminovyé kisloty)464. L‟humus (pérégnoï ou

461
L‟internationalisation pédologique de ce mot russe en chernozem, via l‟anglais, est beaucoup
moins parlante que le traditionnel tchernoziom passé dans la langue française.
462
Horizon CCa (Duchaufour, 1991, p. 204), simplifié en Ca indépendant par Lacoste et Salanon
(1969). Mais Birot (1965) le qualifie d‟horizon B.
463
« La plus grande partie de la biomasse étant souterraine (rhizomes et racines), et les parties
aériennes mortes étant rapidement incorporées au sol par les animaux fouisseurs, cette
nécromasse est ainsi transformée en un humus doux » (Lageat, 2004, p. 110). L‟abondance de
cette masse organique souterraine forme « l‟effet rhizosphère » de P. Duchaufour (1991, p. 152).
464
« La matière organique accumulée principalement sous forme d‟acides humiques polymérisées
(2 fois plus abondants que les acides fulviques) représente un stock 25 fois plus important que les
320
Milieux naturels de Russie
goumouss), en copieuse quantité, forme en moyenne le dixième de la
composition du sol. C‟est un humus doux, qui assoit la stabilité des éléments
utiles aux plantes de la steppe. Donnant sa couleur noire à l‟ensemble, cet
humus est remarquablement réparti sur tout le profil, du fait de la grande
faiblesse du lessivage et de l‟efficacité du travail de bioturbation des animaux.
Cette caractéristique fait que le tchernoziom est le sol isohumique, ou
mélanisé465, par excellence.
Le tchernoziom est un sol grumeleux, bien aéré grâce au dense réseau
racinaire, à l‟abondance des vers de terre et des animaux fouisseurs, et à sa
richesse en calcium. La circulation de l‟eau s‟y fait bien, du moins concernant
les exigences de l‟herbe.
Le tchernoziom est un sol qui entretient des relations particulières, qui
apparaissent contradictoires au non-spécialiste, avec le calcium : « le complexe
absorbant est généralement saturé, mais le calcaire est lixivié » (Duchaufour,
1991, p. 152). « Le calcaire, qui peut être présent, est fugace » (Elhaï, 1967, p.
86). En effet, le complexe absorbant466 est saturé en calcium et c‟est un critère
majeur retenu par la FAO pour classer un sol en tchernoziom. Cela favorise la
constitution des agrégats, donc renforce de manière bénéfique son aération.
Outre le calcium, le taux de saturation des autres bases, que ce soit le
magnésium, le potassium, le sodium, est élevé, puisque l‟humus est doux et
qu‟il est enrichi par une matière organique riche en azote et en cations
provenant des Graminées. Cette forte capacité d‟échanges (poglotitelnaïa
spossobnost ou obmennaïa spossobnost) du complexe absorbant
(poglochtchaïouchtchi kompleks) est consolidée par le fait que, du côté de la
fraction minérale, l‟argile qui se forme, la montmorillonite, est la plus propice à
cet égard. C‟est ainsi l‟ensemble des substances colloïdales, humifères et
argileuses, du tchernoziom qui concourent à la facilité des échanges de cations
avec les plantes.
En tant que sol zonal fortement lié au climat continental à longue saison
chaude467, le tchernoziom typique se forme sous un coefficient (Kouv) entre les
précipitations et l‟évapotranspiration potentielle proche de 0,8. C‟est « un sol
parfaitement équilibré dans lequel ne dominent ni le mouvement vers le bas ni
la remontée vers le haut des solutions » (Elhaï, 1967, p. 86). De fait, le lessivage

racines vivantes. C‟est dire que la décomposition de ces dernières fournit un produit
particulièrement stable » (Birot, 1965, p. 296).
465
« Le terme de mélanisation […] remplace l‟ancien terme d‟isohumisme qui faisait allusion à
une incorporation profonde de la M.O. dans le profil » (Duchaufour, 1991, p. 152).
466
Le complexe absorbant (poglochtchaïouchtchi kompleks) est l‟ensemble des colloïdes électro-
négatifs du sol qui peuvent fixer les ions positifs utiles aux plantes. Ces particules adsorbantes les
plus fines, les substances colloïdales, sont composées de l‟humus pour la fraction organique et des
argiles pour la fraction minérale.
467
D‟où son appartenance à la classe des « sols à pédoclimat contrasté » de P. Duchaufour (1991,
p. 203).
321
(vymyvanié) par les précipitations, lesquelles sont faibles en absolu et tombent
en outre en été, quand l‟évaporation les compense au mieux, est très réduit468. A
l‟inverse, il n‟y a pas non plus de concrétions salées en surface dans le
tchernoziom vrai, mais l‟augmentation de l‟évaporation en direction du sud en
provoque, du fait de mouvements ascendants, dans les formes de dégradation
méridionale des terres noires.
Dans certains cas, le tchernoziom voit l‟apparition en profondeur de
concrétions de calcaire469, connues sous l‟appellation de poupées du lœss en
français, jouravtchiki en russe. Elles sont accompagnées de traînées blanchâtres
verticales. Cet horizon d‟accumulation des carbonates (gorizont akkoumouliatsii
karbonatov), s‟accentue dans les steppes situées plus au sud, où il peut se
cimenter en une croûte calcaire.
En équilibre avec le climat continental et la steppe, le tchernoziom
entretient également des liens avec la roche-mère, qui est en grande partie du
lœss. Ce dépôt d‟origine éolienne, de granulométrie limoneuse, hérité des
périodes froides, contient, outre ses grains de quartz, de feldspath et de divers
minéraux, une proportion importante de calcaire, laquelle explique certains
traits du tchernoziom.
Si ce sol a reçu tant d‟attention de la part des pédologues russes, c‟est
qu‟il se distingue par sa fertilité (plodorodié). La capacité naturelle d‟un sol à
fournir de bonnes récoltes se juge à sa proportion d‟humus. Or le tchernoziom
est, à ce titre, le premier de tous les sols. Ses conditions de formation sont
optimales pour le goumoussonakoplénié, l‟accumulation d‟humus. Depuis les
travaux de M.M. Kononova dans les années 1960, la comparaison de la fertilité
des tchernoziomy se fait en mesurant le poids d‟humus par hectare sur le
premier mètre d‟épaisseur du sol (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 161).
Certains tchernoziomy peuvent ainsi dépasser 700 quintaux à l‟hectare. On
comprend mieux, alors, que le tchernoziom soit surnommé tsar
potchv (Nizovcev, 2005, p. 140), le roi des sols.

468
Les flux descendants (niskhodiachtchié toki) et un léger lessivage dominent dans certaines
régions de tchernoziom où les précipitations sont un peu moins centrées sur l‟été.
469
E. de Martonne et al. (1955, p. 1156) en faisaient un caractère systématique de la terre noire
« Sols à tchernoziom. Les deux caractères bien distinctifs de ces sols sont leur couleur noire et la
présence d‟une zone à concrétions de carbonate de chaux, accumulées dans la partie la plus basse
du sol ».

322
Milieux naturels de Russie
1.4. La steppe russe, une zone de grandes cultures

Malgré les qualités de fertilité du tchernoziom, à cause de l‟insécurité


de cette marche, la steppe n‟a été mise en valeur qu‟à partir du XVIIIe siècle par
les Russes470. Au XXe siècle, le système soviétique a étendu ici un paysage de
grandes cultures, et aussi d‟élevage, où les sovkhozes prenaient une place
inégalée471. A la chute de l‟URSS, la crise agricole, très prononcée, a provoqué
une déprise472 pendant toute la décennie 1990, qui a permis la reconquête de
certaines terres par une steppe secondaire proche de son aspect naturel. La
reprise économique de l‟ère Poutine a de nouveau fait pression sur les
écosystèmes steppiques. Aujourd‟hui, le taux de défrichement (raspakhannost)
de la zone de steppe européenne atteint les deux tiers (Rakovskaja et Davidova,
2003, p. 180), pour laisser place à des terres labourées. L‟essentiel du tiers
restant est en pâturage.
Les terres labourées de la steppe forment depuis bientôt trois cents ans
la grande région céréalière du pays et aussi celle des cultures industrielles. C‟est
grâce à la zone de steppe sur tchernoziom que la Russie est aujourd‟hui le
premier producteur mondial de tournesol, le quatrième de betterave à sucre et de
blé. Si l‟on ajoute l‟Ukraine, ces deux productions reprennent le premier rang
mondial. Certes, sur le plan climatique, « la période favorable aux labours est
courte : elle se situe entre l‟engorgement consécutif au dégel, et la dessiccation
qui durcit le sol » (Duchaufour, 1991, p. 206). Mais la qualité du tchernoziom
est telle que certaines sécheresses climatiques, notamment dans la partie
méridionale, sont surmontées. Ce fut le cas de 1999, 2003, 2006 et 2007 (Hervé,
2008).
L‟élevage tient une place inférieure à celle des terres labourées, mais
c‟est quand même la zone qui reste la première région russe d‟élevage, assurant
à elle seule près des deux tiers du cheptel du pays. Transformée en pâturage, la

470
« Les tchernozioms […] passent pour les plus fertiles du monde, d‟où leur mise en culture dès
la sécurité assurée, à partir du XVIIIe siècle » (Marchand, 2007, p. 225). « Il m‟arrivait de flâner
avec des touristes russes et leurs familles, bonnes gens mal dégrossis, originaires de la province
de Penza et autres terres à blé » (Tourguéniev, 1849, Le Hamlet du district de Chtchigry). Dans le
texte russe « iz Penzy i drouguikh khleborodnykh gouberniï ».
471
« La continuité du paysage sur de grands espaces donne plus d‟unité aux milieux de vie de la
steppe qu‟à ceux de la forêt, et c‟est là qu‟a pu être le plus rapidement réalisée la formule de
l‟agriculture collectivisée » (George, 1962, p. 236).
472
Selon le point de vue des associations écologistes russes, cette déprise a correspondu à une
« amélioration » (ouloutchchénié). « L‟amélioration qui avait été provoquée par la crise ne
pouvait durer. Depuis 2000, nous observons de nouvelles tendances à la croissance dans
l‟agriculture russe, si bien que la pression économique augmente sur les écosystèmes steppiques
et les espèces associées à la steppe » (éditorial du numéro 23-24 de 2007 de la revue Stepnoj
Bjulleten’, intitulé « stratégie de conservation de la steppe de Russie : le regard des organisations
non gouvernementales », en russe).
323
steppe voit une modification notable des espèces représentées, d‟abord par le
recul des Stipes et la disparition de certaines d‟entre elles, puis par
l‟amenuisement des Koéléries, tandis que les Fétuques résistent bien, en
particulier le tiptchak, qui est même favorisé.
Dans le cas de pâturage plus intensif, c‟est le Pâturin qui prend la
première place, surtout le miatlik loukovitchny (Poa bulbosa).
De fait, il ne subsiste pratiquement plus de steppes vierges (tsélinnyé
stepi) ou de steppes originelles (korennyé stepi) en Russie. Finalement, les îlots
de steppe naturelle sont concentrés dans les aires protégées473, mais leur
isolement conduit à privilégier leur étude région par région.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 56 Une steppe à tiptchak pâturée de façon extensive
La steppe russe est aujourd’hui labourée ou pâturée, presque tout entière en Europe et Sibérie
occidentale, un peu moins au-delà de l’Ob. Ici, en Sibérie orientale, la steppe d’Olkhonie donne lieu
à des pâturages extensifs, qui favorisent la Fétuque du Valais (le tiptchak des Russes) et le Pâturin
(le miatlik) aux dépens des Stipes. La Stipe chevelue, cependant, résiste bien.

473
« Les steppes typiques de la partie européenne de l‟URSS sont cultivées et labourées depuis
longtemps (des îlots de steppes vierges ne se sont conservées que dans les réserves d‟Etat) »
(Rodine, 1956, p. 215).
324
Milieux naturels de Russie
2. Les steppes russes du nord au sud et d’ouest en est

On sait depuis Tchekhov que la steppe n‟est autre qu‟istoria odnoï


poezdki, « l‟histoire d‟un voyage » du nord-ouest vers le sud-est. Mais, le
géographe n‟ayant la concision de l‟écrivain, il devra effectuer un trajet plus
long que celui allant de Taganrog à Rostov-sur-le-Don. Le voyage en sera-t-il
pour autant initiatique ? La steppe russe recèle de multiples facettes, dont les
plus marquées concernent la dégradation vers la sécheresse en allant vers le sud
et l‟appauvrissement en espèces en direction de l‟est. La marqueterie des
steppes est très liée à celle des sols qui les supportent et une typologie
géographique peut être constituée, bien que les différents auteurs présentent
parfois des terminologies distinctes rendant la synthèse difficile (tableau).

Groupe de Famille de Type de Type de Type de sol


plantes sol steppe steppe
dominant dominante (vocabulaire (vocabulaire
de Berg) de
Martchenko)
Dicotylédones Tchernoziom Partie Steppe Tchernoziom
variées steppeuse de prairiale riche lessivé ou
la région des en herbes podzolisé
steppes variées et en
boisées Graminées
Graminées Steppe Steppe Tchernoziom
véritable à septentrionale
Graminées à herbes
variées et à
Graminées
Sol châtain Steppe sèche Steppe Sol châtain
moyenne à foncé et sol
Graminées châtain
Dicotylédones Steppe à Steppe Sol châtain
du seul genre Absinthe méridionale à clair et sols
Armoise Armoise halomorphes

Tableau Typologie des steppes russes : essai de synthèse


Remarque : la steppe à Absinthe (vocabulaire de Berg et des auteurs
classiques) n‟appartient pas à la zone de steppe, mais à la zone du semi-désert.
Cependant, les géographes Martchenko et Nizovtsev (2005) la font entrer, sous
l‟appellation de steppe méridionale à Armoise, dans la zone de steppe si le sol
dominant reste châtain. Armoise et Absinthe correspondent à une assimilation

325
du traducteur français de Berg (1941) pour le terme russe de polyn, qui désigne
en fait le genre Artemisia et non la seule espèce Artemisia absinthium.

2.1. La zonation des steppes d’Europe

La steppe de Russie d‟Europe se distingue de toutes les autres prairies


du monde par la faiblesse relative des Graminées par rapport aux autres herbes
et ce fait peut être décliné sous forme des multiples nuances zonales et de la
dégradation de cette formation végétale du nord au sud. La zonation de la
steppe russe d‟Europe est très marquée et ce trait la distingue de son homologue
d‟Amérique du Nord, dont la disposition est plutôt méridienne (Dubois, 2002).

2.1.1. La steppe prairiale des terres noires lessivées

La steppe prairiale forme une bande zonale d‟environ 250 km de largeur


comprise entre la forêt caducifoliée au nord et la vraie steppe graminéenne au
sud.
Ce ruban s‟étend grossièrement entre le 53e et le 51e parallèles, un peu
déporté vers le sud en direction de la frontière ukrainienne, vers le nord à
l‟approche de la Volga et du piémont ouralien. La limite nord de la steppe
prairiale passe ainsi au sud de Koursk, à l‟est d‟Oriol, par les sources du Don, à
Riajsk, par les sources de la Mokcha, à Penza, traverse la Volga à proximité
d‟Oulianovsk et se maintient jusqu‟à l‟Oural aux alentours du 54e parallèle.

La limite sud de la steppe prairiale474 part de la frontière ukrainienne à


120 km au SE de Belgorod, passe à Valouïki (50°13‟ N - 38°08‟ E), traverse le
Don à environ 200 km au sud-sud-est de Voronej, passe à 150 km au sud de
Tambov par la petite ville de Borissoglebsk (51°23‟ N - 42°06‟ E) traverse la
Volga à Balakovo, remonte le fleuve jusqu‟à l‟embouchure de la Samara, suit
cette rivière jusqu‟à la forêt de Bouzoulouk, s‟incurve au nord au delà de la
rivière Kinel et à l‟est vers Sterlitamak.

474
Cette limite correspond à la limite sud de la steppe boisée des auteurs classiques ; elle est
notamment localisée par Berg (1941, p. 76).
326
Milieux naturels de Russie

Fig. steppe 5 : Carte de la steppe prairiale (lougostep) des terres noires lessivées

La plus au nord de toutes les steppes russes, ainsi délimitée, peut être
qualifiée de steppe-prairie475 (lougostep) ou de steppe prairiale476 (lougovaïa
step). Les biogéographes russes actuels, notamment Martchenko et Nizovtsev,
la nomment de manière complète bogato-raznotravno-zlakovyé lougovyé stepi,
les steppes prairiales riches en herbes variées et en graminées. La steppe
prairiale n‟est autre que « la partie steppeuse de la région des steppes boisées »
(Berg, 1941, p. 93), c‟est-à-dire la moitié méridionale de la zone classique de
lessostep.

475
De Martonne et al. (1955, p. 1156) emploient le terme de « prairie-steppe », qui inverse la
construction russe.
476
Traduction plus exacte que celle de « steppe à prairies » du traducteur français de Berg (1941,
p. 93), qui sous-entendrait que cette steppe comporte des prairies et aussi d‟autres formations.
327
Tous ces termes convergent vers le même but, celui de montrer la
domination des herbes dicotylédones et, plus généralement, de toutes les herbes
autres que les Graminées. La steppe prairiale est le paroxysme de l‟originalité
de la steppe russe, celle de l‟importance des plantes à fleur, de la prépondérance
du raznotravié. C‟est aussi la plus stratifiée des steppes, la seule où trois étages
fournis se distinguent clairement.
L‟importance prévernale de la strate inférieure, constituée d‟un tapis de
mousses, est la première originalité de la steppe prairiale. C‟est elle qui
empêche le décapage du sol lors de la fonte des neiges et permet l‟imbibition du
sol qui manque tant à la végétation des autres types de steppe. Il s‟agit en
particulier « de la mousse Thuidium abietinum, qui atteint 2 cm de hauteur »
(Berg, 1941, p. 93).
La prépondérance printanière de l‟étage moyen du raznotravié,
constitué d‟herbes dicotylédones, de multiples plantes à fleurs, est l‟autre
grande originalité de la steppe prairiale. Dans les typologies russes, c‟est cette
domination du raznotravié, en grand nombre par rapport aux Graminées de la
strate supérieure, qui différencie la steppe prairiale de la steppe au sens strict. Il
faut cependant insister sur le fait, que, en nombre absolu, la riche steppe
prairiale compte plus d‟espèces de Graminées que la steppe graminéenne, mais,
en nombre relatif, les Graminées y sont plus rares que les autres espèces
d‟herbes. Bref, c‟est par sa grande richesse que le raznotravié domine.
Dans la steppe prairiale de la région de Koursk, V.V. Aliokhine a
insisté, dans son recensement exhaustif des herbes du raznotravié, sur une
huitaine de familles : les Caryophyllacées (gvozditchnyé), notamment pour la
Lychnide (Lychnis, likhnis ou zorka), les Cypéracées (ossokovyé), dans
lesquelles les Laîches (ossoki), en l‟occurrence Carex humilis partout et Carex
macrophyllum à l‟est de la Volga, jouent un grand rôle pédologique, les
Composées (slojnotsevtnyé), pour le Séneçon des champs (Senecio campestris,
krestovnik) et le Leucanthemum vulgare (nivianik obyknovenny ou romachka
lougovaïa ou popovnik), les Labiées (goubotvetnyé), pour la Sauge des prés
(Salvia pratensis, chalféï lougovy), les Légumineuses (bobovyé), pour le Trèfle
à tête blanche (Trifolium montanum, kléver gorny ou bien kléver bélogolovka)
et l‟Esparcette des sables (Onobrychis arenaria, espartset pestchany), les
Liliacées (liléïnyé), pour l‟Iris sans feuille (Iris aphylla, kassatik bezlistny) et le
Veratrum nigrum (tchéméritsa tchiornaïa), les Renonculacées (lioutikovyé),
pour la coquelourde (Pulsatilla patens, prostrel raskryty ou bien son-trava),
l‟Ellébore bâtard, dite aussi Adonis de printemps (Adonis vernalis, adonis
vessenni ou goritsvet vessenni), l‟Anémone des bois (Anemone sylvestris,
vetrénitsa lesnaïa), et le Delphinium litvinovi (jivokost Litvinova ou chpornik
Litvinova).

328
Milieux naturels de Russie
La strate supérieure de la steppe prairiale est bien entendu le fait des
Graminées, qui prennent le dessus à partir de la fin du mois de juin ou de début
juillet et rapprochent alors l‟aspect de la lougostep de celui des autres steppes.
Dans le détail, cependant, ce sont en grande partie des Graminées du nord, donc
des espèces particulières à la steppe prairiale. Ces « graminées à larges feuilles,
adaptées au climat relativement humide » (Berg, 1941, p. 93) sont notamment
l‟Avoine pubescente (Avena pubescens, ovioss pouchisty), le Brome dressé ou
Brome érigé (Bromus erectus, kostior polévoï), l‟Agrostide des chiens (Agrostis
canina, polévitsa sobatchia) et la Stipe plumeuse, ou pennée (Stipa pennata,
kovyl péristy).
La Stipe plumeuse, qui est le kovyl par excellence, est devenue
l‟emblème de la steppe prairiale.
Fig. steppe 6 : La Stipe plumeuse, Graminée emblématique de la steppe prairiale russe

Sa hampe florale est caractéristique et la comparaison de l‟ensemble


avec une plume d‟autruche a inspiré non seulement aux écrivains, mais aussi

329
aux géographes477, quelques envolées littéraires du plus bel effet. Son élégance
fait qu‟elle est souvent utilisée en Russie dans les bouquets décoratifs de fleurs
séchées.
Les Graminées du sud (Stipa stenophylla, Festuca sulcata, Koeleria
gracilis) existent aussi dans la steppe prairiale, mais d‟une manière secondaire.
Finalement, la diversité graminéenne de la steppe boisée méridionale est la plus
importante de toute les steppes russes.
La steppe prairiale pousse sur les terres noires lessivées478 et
podzolizées (vychtchélotchnyé i opodzolennyé tchernoziomy), c‟est-à-dire deux
formes de dégradation légère du tchernoziom dans un contexte climatique et
anthropique qui a changé au cours des derniers millénaires. Le lessivage modéré
des horizons supérieurs se caractérise par le départ des bases (vynoss osnovani)
et la formation d‟un complexe humique moins bien saturé, dans un contexte
climatique où le quotient entre les précipitations et l‟évaporation est proche de
l‟unité. Un horizon B commence à apparaître479. Il est vraisemblable que cette
évolution a commencé il y a environ 5 000 ans, quand la forêt a conquis ce
terrain à la faveur d‟un refroidissement climatique480. « Les sols forestiers étant
plus perméables et moins riches en bases que les horizons humifères de prairie,
la terre noire aurait été partiellement lessivée » (Birot, 1965, p. 317). Puis
certaines espèces auraient trouvé un nouvel équilibre avec ce sol réclamant une
certaine humidité et contribuant à leur tour aux caractères pédologiques des
terres noires lessivées. Ainsi, dans la steppe prairiale, une Laîche, Carex
humilis, est considérée « comme un des principaux agents de formation de la
terre noire » (Berg, 1941, p. 94).
A cette podzolisation du tchernoziom par lessivage répond, à certains
endroits, l‟inverse, une tchernoziomisation d‟un podzol. En effet, là où des
défrichements néolithiques de la période chaude d‟avant 5 000 ans avaient
provoqué l‟avancée de la steppe aux dépens de la forêt, un humus noir et riche
en bases se serait formé au-dessus de l‟horizon cendreux, qui, lui, serait un

477
« Nous voyons le kovil ou la Stipa pennata dont les inflorescences ressemblent à des plumes
d‟autruche s‟agiter au vent et donner à la steppe l‟apparence d‟une mer argentée et ondoyante »
(Krasnov, 1893, p. 313). « Le kovyl ou stipe plumeuse (Stipa pennata) agite ses inflorescences qui
ressemblent à des plumes d‟autruche et ondoient sous le vent » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 84).
Le naturaliste allemand P.S. Pallas (1793, p. 113), du moins dans la traduction française effectuée
par Monsieur Gauthier de la Peyronie, l‟appelait « le Stipa aîlé ».
478
On employait jadis plutôt « délavées » (traducteur de Berg, 1941, en français, ou encore de
Martonne et al., 1955) au lieu de « lessivées ».
479
Horizon « Bt argillique » de P. Duchaufour (1991, p. 205).
480
« Le tchernoziom dégradé résulte de la transgression de la forêt aux dépens d‟une prairie en
équilibre avec la période xérothermique (3 à 4 000 ans av. J.-C.), mais non avec la phase
climatique froide qui a suivi » (Birot, 1965, p. 317).
330
Milieux naturels de Russie
héritage enfoui de l‟époque forestière. Un phénomène analogue se serait
reproduit plus récemment481.
Ainsi, les terres noires dites lessivées et podzolisées, en fait plutôt
lessivées ou podzolisées, témoignent du caractère transitionnel de la steppe
boisée et de la succession d‟héritages bioclimatiques et anthropiques qui ont
tantôt favorisé l‟avancée de la steppe vers le nord, tantôt le progrès de la forêt
vers le sud, l‟ensemble se lisant dans le palimpseste pédologique. En moyenne,
les terres noires lessivées et podzolisées sont très fertiles et la quantité d‟humus
sur le premier mètre dépasse 500 quintaux par hectare (Rakovskaja et
Davydova, 2003, p. 161).
Anciennement et systématiquement mises en cultures482, les steppes
prairiales sur tchernoziom lessivé ne subsistent plus que dans de petites portions
de territoire protégées. La Réserve Naturelle des Terres Noires Centrales
(tsentralnotchernoziomny zapovednik), ou Réserve du Professeur V.V.
Aliokhine, est la plus importante de ce point de vue. Située aujourd‟hui près de
la frontière ukrainienne, à cheval sur les oblasti de Koursk et Belgorod, elle fut
créée en 1935 sur 5 300 ha, pour protéger et étudier l‟écosystème de la steppe
boisée. Elle est devenue réserve de la biosphère en 1979. En fait, ce sont six
morceaux de territoire, séparés les uns des autres, qui sont ainsi soustraits aux
activités humaines, y compris au pâturage. Deux de ces portions, qui se trouvent
à une vingtaine de kilomètres au sud de Koursk, sont considérées comme une
steppe prairiale pratiquement vierge. C‟est la Stréletskaïa step à l‟ouest, la
Kazatskaïa step à l‟est. A vrai dire, l‟essentiel de ce qui est connu
scientifiquement de la steppe boisée méridionale dans son état proche du naturel
l‟est grâce aux études réalisées dans la steppe de Strélets par V.V. Aliokhine et
ses successeurs.
Plus ancienne, la Réserve Naturelle de Galitchia Gora a été fondée en
1925. Située dans l‟oblast de Lipetsk, et plus précisément dans la région de
Iélets, elle ne couvre que 230 ha, mais préserve une steppe prairiale d‟une
grande variété, tant pour les Graminées que pour le raznotravié. Scindée en
six parties, sa diversité est augmentée par le morcellement dû à de petites
vallées aux versants escarpés (les obryvy), affluentes du Don. Dans l‟esprit
russe, cette région est le symbole du coin perdu, gravé comme tel depuis la
célèbre tirade mise par Tchékhov dans la bouche de Tréplev : « zatchem
Iélets ? ». Cette « question, qui est devenue une sorte de proverbe russe et qui
signifie : mais qu‟est-ce que vous allez faire dans un bled, un trou perdu,

481
« Les phénomènes secondaires de progradation (formation secondaire des tchernozioms) dans
les anciens sols forestiers sous l‟action de la végétation herbeuse ont apparu et se sont développés
dans les régions des forêts-steppes à la suite de ce processus historique et culturel »
(Guérassimov, 1956, p. 388).
482
« la steppe boisée est ainsi labourée à 60-80% actuellement selon la région (Marchand, 2007,
p. 225, reprenant les chiffres de Gvozdeckij et Samojlova, 1989).
331
comme Iéletz ? » (Markowicz et Morvan, 1996, p. 10, préface de la nouvelle
traduction française de la Mouette) renvoie au caractère retiré de la région.
Pour notre propos, elle permet de comprendre qu‟elle ait échappé à une mise
en valeur importante et soit parvenue à un classement la protégeant.
L‟essentiel de ce qui est connu scientifiquement du faciès sec de la
steppe prairiale, sur des sols issus d‟une roche-mère calcaire, provient des
études de D.I. Litvinov et de ses disciples sur la région de Iélets, et plus
précisément de Galitchia Gora. Ils ont montré que, jadis, des chênaies
poussaient ici sur les portions de terrain les plus favorables. La steppe prairiale
a gagné du terrain et pris en partie la place de ces forêts de feuillus par
l‟intervention humaine, sans doute au XVIIe siècle, à la suite du pâturage, des
défrichements pour la construction navale et de la fabrication de charbon de
bois. Aujourd‟hui, la steppe prairiale est la mieux représentée dans celle des six
parties protégées qui s‟appelle Bykova Chéïa. Les Stipes prédominent dans la
strate graminéenne, en premier lieu, bien entendu, la Stipe plumeuse (Stipa
pennata, kovyl péristy), mais aussi le kovyl krassivéïchi (Stipa pulcherrima), et,
plus méridionale, la Stipe chevelue (Stipa capillata, kovyl volossatik). Les
autres Graminées sont les Avoines et les Fétuques, en premier lieu la Fétuque
du Valais (Festuca valesiaca), que les Russes nomment couramment tiptchak.
L‟importance du tiptchak montre bien qu‟il s‟agit d‟un faciès sec483, ici
d‟origine pédologique. Hors les Graminées, les Laîches sont très répandues, ce
qui est tout à fait caractéristique d‟une steppe prairiale. Mais l‟intérêt
biogéographique principal de la steppe de Bykova Chéïa réside dans son
raznotravié riche en espèces rares, voire endémiques, reliques de l‟interglaciaire
précédent. Il en est ainsi de la Campanule de l‟Altaï (kolokoltchik altaïski) et
d‟une Centaurée, le vassiliok soumski.
En dehors des réserves du Professeur V.V. Aliokhine et de Galitchia
Gora, les autres zapovedniki situés dans la zone de la steppe boisée protègent les
lambeaux forestiers, notamment les forêts alluviales484, plutôt que la steppe
prairiale. Cependant, le grand parc national de Khvalinsk, créé en 1994 à l‟ouest
du lac de barrage de Saratov, protège sur 25 500 hectares une mosaïque de
pinèdes et de steppe prairiale, dont l‟intérêt provient de la rapidité du gradient
en direction de la steppe graminéenne.

483
C‟est pourquoi nous détaillerons les caractères de cette Graminée dans la partie consacrée à la
steppe sèche sur sol châtain.
484
Le meilleur exemple en est la réserve naturelle de Khopior dans l‟oblast de Voronej.
332
Milieux naturels de Russie
2.1.2. La steppe graminéenne des terres noires

La vraie steppe graminéenne russe forme un croissant large d‟environ


200 km, dont le corps forme un ruban méridien compris entre la frontière
ukrainienne et le 41e méridien dans la région du Don inférieur.
Fig. steppe 7 : Carte de la steppe graminéenne sur terre noire

L‟aile nord du croissant forme une bande zonale, ou, plutôt, sud-ouest-
nord-est, grossièrement comprise entre les 51e et 49e parallèles. L‟aile sud du
croissant couvre le piémont du Caucase à l‟ouest du 44e méridien. Des villes
comme Stavropol, Rostov-sur-le-Don, Saratov et Orenbourg sont au cœur de
cette steppe aujourd‟hui mise en culture.
La steppe graminéenne des terres noires correspond à ce que les
géographes russes appellent traditionnellement les steppes véritables
(nastoïachtchié stepi) ou les steppes typiques (tipitchnyé stepi) et c‟est par
333
exemple ainsi que le géographe A.F. Triochnikov les nomme. Ce sont les
« steppes des terres noires » de Berg (1941, p. 108), dites aussi par le même
« steppes véritables à graminées » (id., p. 107). Plus récemment, les géographes
Martchenko et Nizovtsev les appellent de manière détaillée raznotravno-
dernovinno-zlakovyé sévernyé stepi, c‟est-à-dire les steppes septentrionales485 à
herbes variées et graminées gazonnantes.
De fait, le nombre d‟espèces total est plus faible que dans la steppe
prairiale, le raznotravié est moins développé, les Graminées reprennent une
place prépondérante et des espèces plus méridionales prennent une certaine
importance.
La strate inférieure, certes un peu moins développée que dans la steppe
prairiale, garde une grande importance lors de la saison froide et préserve le sol
de l‟érosion à la fonte des neiges. Dans la steppe véritable, le tapis est plutôt
formé « d‟une petite mousse d‟un vert éclatant, la Tortula ruralis, à côté de
laquelle on voit les plaques bleu vert de l‟algue Nostoc commune » (Berg, 1941,
p. 108).
L‟étage moyen du raznotravié, moins riche que dans la steppe prairiale,
reste plus développé que dans les formations végétales herbacées américaines.
Les Renonculacées fleurissent les premières, comptant plusieurs Pulsatilles
(prostrely), en particulier Pulsatilla patens et Pulsatilla nigricans, plusieurs
Adonis (adonissy ou goritsvety), notamment Adonis vernalis et Adonis
volgensis. La plupart des Liliacées sont aussi précoces. Au milieu du printemps,
la Pivoine à feuilles étroites (Paeonia tenuifolia, pion tonkolistny) prend une
grande importance dans la steppe typique, la colorant d‟un rouge vif
caractéristique. Les Labiées terminent la floraison du raznotravié, concernées
par plusieurs espèces de Sauge (Salvia, chalféï).
A partir du mois de juin, l‟étage supérieur graminéen surclasse les
autres strates. Il est constitué de Graminées à feuilles étroites, plus sèches et
méridionales que les Graminées à feuilles larges qui dominaient dans la steppe
prairiale.
Parmi les Stipes, on peut citer Stipa stenophylla et Stipa capillata.
Cette dernière, la Stipe chevelue, est la plus commune de toutes. Les Russes
l‟appellent vulgairement tyrsa et les scientifiques kovyl volossatik. Selon que
l‟ensemble est associé à Stipa ucrainica (kovyl oukraïnski) ou Stipa zaleskii
(kovyl zaleskogo), la steppe prend un faciès ukrainien, à l‟ouest de la Volga, ou
un faciès oriental, à l‟est du fleuve.

485
La steppe septentrionale est la première vraie steppe rencontrée quand on vient du nord. Il est
sous-entendu que la steppe prairiale, qui est encore plus au nord, n‟est pas une vraie steppe.
L‟assimilation faite par Pascal Marchand (2007, p. 233) entre « steppe-prairie » et « steppe
septentrionale » peut se concevoir en terme de localisation, mais non pas en terme de
caractéristique biogéographique.
334
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, juillet 2009


Photo 57 La Pivoine à feuilles étroites, l’une des plantes caractéristiques du raznotravié de la
steppe d’Europe
La steppe graminéenne compte certes moins de fleurs du raznotravié que la steppe prairiale, mais
reste cependant assez riche de ce point de vue. La Pivoine à feuilles étroites (pion tonkolistny des
Russes) y fleurit précocement. La steppe russe d’Europe se poursuit vers l’ouest en Ukraine et en
Roumanie. La photographie a été prise dans la section « steppe » du jardin botanique universitaire
de Cluj-Napoca.

Au contraire des Stipes, certaines Graminées ne couvrent pas le sol de


manière gazonnée. Il en est ainsi de la plupart des Fétuques (Festuca,
ovsianitsy) et des Koéléries (Koeleria, tonkonoghi), entre les touffes desquelles
le sol apparaît. La Koélérie grêle (Koeleria gracilis), dite parfois fausse fléole,
est l‟une des plus communes de ces Graminées cespiteuses, qui, à elles seules,
ne pourraient protéger les terres noires de l‟érosion.

335
La steppe graminéenne pousse sur le tchernoziom vrai, dont les
caractéristiques ont été étudiées dans les généralités. Ici, la proportion d‟humus
est de 12 %, atteignant jusqu‟à 30 % dans certains cas (Trëšnikov, 1988), et
l‟horizon A1 est parfois épais d‟un mètre quarante (Nizovcev, 2005). C‟est dans
ce ruban pédologique que les records de fertilité naturelle ont été mesurées par
M.M. Konova, atteignant 710 quintaux de réserves d‟humus par hectare sur le
premier mètre.
Très largement mises en culture depuis le XVIIIe siècle, pour profiter de
la capacité de production du tchernoziom, les steppes véritables étaient déjà fort
réduites au XIXe siècle, d‟où la volonté des grands écrivains de l‟époque de les
parer de leurs plus beaux atours, en particulier Anton Tchékhov, qui était
originaire de la steppe graminéenne de la région de Taganrog. Aujourd‟hui, les
steppes véritables ne subsistent plus que dans quelques aires protégées. Ces
dernières sont d‟ailleurs beaucoup plus rares que dans la zone de la steppe
boisée, souffrant de ce que les lambeaux forestiers résiduels reçoivent une
attention écologique nettement plus grande qu‟un tapis herbeux. De fait, la
réserve naturelle d‟Orenbourg doit aujourd‟hui pratiquement assurer à elle seule
la préservation de la steppe typique486. L‟Orenbourgski zapovednik, situé à la
pointe nord-est du croissant de la steppe graminéenne, a été créé en 1989 pour
protéger 21 600 hectares de terres noires recouvertes de steppe à plus de 95 %.
Ici, la Tulipe des steppes (Tulipa schrenki, tioulpan Chrenka), l‟une des plantes
les plus précoces de l‟étape prévernale, fleurit encore naturellement. Objet
d‟une description détaillée dans la steppe ukrainienne par Tanfiliev au XIX e
siècle, ensuite reprise par Berg (1941, p. 108), cette plante du raznotravié est
maintenant inscrite au livre rouge de Russie comme plante protégée et c‟est
dans le zapovednik d‟Orenbourg qu‟elle s‟épanouit le plus largement. La strate
supérieure graminéenne est largement dominée par les Stipes à tendance sèche,
notamment Stipa lessingiana (kovyl Lessinga), mais aussi Stipa zaleskii (kovyl
Zalesskogo) et le kovyl krasny. Outre les Stipes, les Fétuques sont très
représentées, en particulier le tiptchak (Festuca valesiaca). Il est à noter que
cette steppe, par la présence forte de Stipa zaleskii, est typique du faciès
oriental. Ainsi, il n‟existe pas, dans la Fédération de Russie, de vaste réserve
naturelle protégeant le faciès occidental, ou ukrainien, de la steppe véritable.

486
Pouchkine avait situé le récit de la Fille du Capitaine dans la steppe de la région d‟Orenbourg,
mais ses descriptions concernaient l‟hiver, donc la neige et non les plantes.
336
Milieux naturels de Russie
2.1.3. La steppe sèche moyenne des sols châtain

La steppe moyenne de tendance sèche forme un ruban de 100 à 150 km


de large, qui s‟étire du sud-sud-ouest au nord-nord-est.
Fig. steppe 8 : Carte de la steppe sèche sur sol châtain

Cette bande part du sud du Manytch, englobe la région du barrage de


Tsimliansk et du coude du Don, traverse la Volga en se centrant sur Kamychin.
Au-delà du fleuve, le ruban couvre tout l‟espace compris entre le grand affluent
volgien de rive gauche nommé Bolchoï Irguiz, au nord, qui suit à peu près le 52e
parallèle, et la ligne qui joint les villes de Nikolaïevsk et Pallassovka, suivant
grossièrement le 50e parallèle, au sud. Du Manytch à Kamychin, la limite
orientale du ruban de steppe moyenne est brutale, car elle correspond au
sommet d‟un talus marqué dans le relief. Du sud d‟Elista à Volgograd, il s‟agit
des Erghéni ; de Volgograd à Kamychin, c‟est le rebord du Plateau Volgien,
contre lequel coule le fleuve lui-même.

337
Cette sous-zone correspond à ce que Berg (1941, p. 112) nomme les
« steppes sèches ». Marčenko et Nizovcev (2005, p. 154) les appellent de
manière complète dernovinno-zlakovyé srednié stepi, c‟est-à-dire les steppes
moyennes à graminées gazonnantes.
Par rapport à la steppe typique, la steppe sèche compte au total
beaucoup moins d‟espèces et le déclin concerne surtout le raznotravié, dont les
herbes acquièrent des caractères xérophytiques. C‟est le soukholioubimy
raznotravié (Rakovskaja et Davydova, 2001, p. 174). Cet ensemble d‟herbes
variées aimant la sécheresse est formé de Thym (timian), de Sauge (chalféï), de
zopnik, de Pyrèthre (romachnik), de Kochie (kokhia) et de quelques espèces
d‟Armoise (polyn). Des arbustes secs parsèment le terrain, comme l‟Amandier
nain (Amygdalus nana), que le Russes nomment mindal nizki, ou mindal
stepnoï, ou encore bobovnik. Cet Amandier des steppes, « avec lequel la mise
en culture des steppes a dû compter, tant il est difficile de l‟extirper » (Camena
d‟Almeida, 1932, p. 84), contribue, avec la sécheresse du climat et la
salinisation locale des sols, à rendre la steppe sèche moins favorable à
l‟occupation humaine que la steppe véritable.
La composition floristique des Graminées change elle aussi. Deux
espèces deviennent presque exclusives, la tyrsa et le tipchak. Ce dernier, le
Fétuque du Valais en français (Festuca valesiaca)487, est important pour la
pâturage du bétail.

487
Festuca sulcata variété valesiaca, elliptiquement Festuca valesiaca, est communément
appelée tiptchak par les Russes, et parfois, plus scientifiquement, ovsianitsa borozdtchataïa
L‟Inventaire National du Patrimoine Naturel du MNHN lui donne comme nom vernaculaire
français Fétuque du Valais. Le traducteur français de Berg (1941) parle de Fétuque des steppes (p.
110) ou, à d‟autres endroits, de Fétuque à sillon.
338
Milieux naturels de Russie
Mais c‟est surtout la tyrsa, en français la Stipe chevelue (Stipa
capillata), qui est la Graminée caractéristique de la steppe sèche sur sol châtain.
Elle se distingue assez fortement des autres kovyli488.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 58 La steppe sèche sur sol châtain, une formation piquetée d’arbustes
La steppe sèche n’est pas seulement une formation herbeuse : elle compte aussi quelques arbustes
secs, qu’il est difficile d’extirper pour la mise en labour. En Europe, l’Amandier des steppes est le
principal ligneux de la steppe moyenne. Ici, la photo a été prise en Sibérie et il s’agit d’un Amandier
pédonculé (mindal tchérechvovy), qui ne gêne pas l’élevage extensif pratiqué par les Bouriates.

A l‟ouest de la Volga, la tyrsa se mêle avec la Stipe d‟Ukraine (Stipa


ucrainica, kovyl oukraïnski), formant un faciès occidental de la steppe sèche. A
l‟est de la Volga, la tyrsa se mêle à Stipa lessingiana (kovyl Lessinga), formant
un faciès oriental de la steppe sèche.

488
Au point que, dans l‟esprit russe, ce n‟est pas vraiment un kovyl, d‟où cette remarque de
Camena d‟Almeida (1932, p. 84) : « Dans cette partie plus méridionale, plus sèche de la steppe, le
kovyl fait place à une autre stipe, le thyrsa (Stipa capillata), qui, brûlée par le soleil dès la fin de
juin, donne au paysage une couleur jaune brun ». Pour les biogéographes, cependant, kovyl est
l‟équivalent russe du genre Stipa, donc la tyrsa est bien un kovyl. C‟est plus précisément kovyl
volossatik.
339
Cette dernière couvrait à l‟état naturel toute la moitié orientale de
l‟actuel oblast de Saratov, correspondant au territoire qui fut la République
autonome des Allemands de la Volga de 1923 à 1941.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 59 La Stipe chevelue, la Graminée caractéristique de la steppe sèche
La Stipe chevelue (Stipa capillata), appelée tyrsa par les Russes, est une herbe de la steppe sèche
sur sol châtain, qui supporte la sécheresse, ainsi que les grands froids. Sa résistance en fait la
Graminée principale des steppes russes les plus extrêmes. Ses épillets blanchâtres sont brûlés par
le soleil dès le début de l’été dans la partie européenne, plus tardivement en Sibérie. La photo a été
prise dans la steppe d’Olkhon, un jour de brise de lac agitant légèrement « les cheveux » de trois
Stipes au premier plan.

La steppe sèche pousse sur les kachtanovyé potchvy, que les Français
ont pris l‟habitude de traduire en « sols châtain » depuis Berg (1941, p. 112),
ou, plus rarement en « sols noisette » (Elhaï, 1967, p. 252). L‟humus est plus de
deux fois moins abondant que dans le tchernoziom. Sa proportion tombe à 5 à 6
% dans les sols châtain foncé (tiomno-kachtanovyé potchvy) et à 3 à 4 % dans
les sols châtain proprement dit. L‟horizon humifère fait entre 20 et 60 cm
d‟épaisseur et sa couleur est brune. Le niveau d‟accumulation des carbonates
prend une place proportionnellement plus grande et devient aussi souvent un
horizon d‟accumulation du gypse, qui peut s‟indurer. L‟importance de
l‟évaporation et la faiblesse du rapport des précipitations sur celle-ci font
remonter les solutions vers le haut du profil et ces flux ascendants

340
Milieux naturels de Russie
(voskhodiachtchié toki) provoquent quelques concrétions superficielles ou, au
moins, dans l‟horizon supérieur lui-même.
Moins mise en culture que la steppe graminéenne, la steppe sèche a
conservé une faune steppique plus proche de l‟origine. Les rongeurs sont très
nombreux. Parmi les grands herbivores, l‟Antilope saïga peuple encore la
steppe sèche transvolgienne des oblasti de Saratov et Volgograd.

2.1.4. La steppe méridionale à Armoise : une formation de transition


avec le désert

La steppe méridionale à Armoise se trouve à l‟est du 45e méridien,


puisqu‟elle commence au pied des Erghéni et du rebord du Plateau Volgien. Si
sa limite ouest se trouve être brutale489, la steppe méridionale passe en revanche
vers l‟est insensiblement au désert en Kalmoukie et dans la Plaine Caspienne.
L‟Armoise (Artemisia, polyn), qui est une Composée donc une Dicotylédone,
forme l‟essentiel des peuplements, mêlée au Fétuque du Valais, que les Russes
nomment le tiptchak.
Le paysage végétal commence à s‟ouvrir et des plaques de sol nu
apparaissent entre les touffes d‟Armoise. De ce fait, il ne s‟agit plus d‟une
steppe au sens russe. C‟est pourquoi la géographie soviétique classique (Berg,
1941, Ratnikov, 1956, Trëšnikov, 1988) ne classe pas cette formation dans la
zone de steppe, mais crée pour elle la notion de semi-désert (poloupoustynia).
Cependant, certains auteurs récents, comme N.A. Martchenko et V.A.
Nizovtsev (2005), placent ces formations ouvertes, qu‟ils appellent précisément
« steppes méridionales à Armoise » (polynno-dernovinnyé youjnyé stepi), dans
la zone de steppe, tant qu‟elles poussent sur des sols châtain clair, réservant la
zone désertique aux formations sur sol brun. Ce changement entraîne la
suppression d‟une zone semi-désertique dans la typologie. Selon cette
proposition, le mot steppe glisse vers une définition plus proche de son emploi
dans la langue française. Pour autant, les géographes russes actuels, comme
E.M. Rakovskaïa et M.I. Davydova (2003), conservent la nomenclature du
semi-désert, préservant ainsi le sens originel du mot steppe en russe.

489
« Il est une autre limite, topographiquement presque aussi tranchée. C‟est le brusque talus des
Erghéni, dressé au-dessus de la dépression caspienne. A sa base apparaissent bientôt les sols brun
clair ou gris brun qui recouvrent les dépôts de l‟ancien bassin aralo-caspien […]. La végétation ne
couvre que partiellement le sol de ses herbes épineuses et rampantes : touffes grisâtres de
l‟absinthe, broussailles tapies contre la terre. Plus monotone et plus désolée encore est la flore des
sables et des sols salins » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 85).

341
Nous préférons, quant à nous, conserver au ruban de semi-désert sa
particularité face à la steppe et l‟associer plutôt au désert vrai. En effet, le
manque d‟eau, le caractère xérophile des plantes, les remontées salées dans le
sol, les concrétions et les croûtes pédologiques forment les nouveaux traits
dominants du paysage naturel. L‟aridité devient la grande contrainte de la mise
en valeur humaine. Il conviendra donc, après avoir vu la zonation steppique
sibérienne, moins continue et plus morcelée que celle d‟Europe, de revenir sur
les déserts russes à proprement parler de la basse Volga, sans manquer non plus
d‟évoquer les remontées semi-arides kazakhes dans les steppes sibériennes.

2.2. Les steppes sibériennes

« Ici commençait véritablement ce qu‟on appelle la steppe sibérienne,


qui se prolonge jusqu‟aux environs de Krasnoïarsk. C‟était la plaine sans
limites, une sorte de vaste désert herbeux, à la circonférence duquel venaient se
confondre la terre et le ciel sur une courbe qu‟on eût dit nettement tracée au
compas. Cette steppe ne présentait aux regards d‟autre saillie que le profil des
poteaux télégraphiques » (Jules Verne, 1876, Michel Strogoff, chap. XII, « Une
provocation »).

2.2.1. Une steppe moins riche, un sol noir moins continu

Au-delà de l‟Oural, la steppe se poursuit en Sibérie occidentale dans des


conditions assez proches de celles d‟Europe. La zonalité, biogéographique et
pédologique, est marquée et distingue clairement une steppe prairiale au nord et
une vraie steppe graminéenne au sud. Encore plus au sud, la steppe sèche se
trouve plutôt au Kazakhstan, mais la Fédération de Russie en possède une petite
partie à l‟est d‟Orsk.
Il existe cependant deux principales différences entre la Sibérie
occidentale et l‟Europe. D‟une part, le raznotravié est moins riche, lui-même
surmonté de Graminées plus basses. Le paysage végétal sibérien donne plutôt
une impression de steppe rase.
Comme le résume G. Rougerie (1988, p. 45), « la steppe dense
sibérienne [est] à la fois de taille moins élevée et plus pauvre en fleurs ».

342
Milieux naturels de Russie
D‟autre part, le tchernoziom typique se fait moins continu et moins épais490,
concentré dans son faciès pur dans la seule région se trouvant au sud d‟Omsk.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 60 La steppe sibérienne, une steppe rase
La steppe sibérienne se distingue à l’état naturel de celle de Russie d’Europe par une moins grande
richesse en fleurs et par une hauteur plus basse. Elle devient une steppe rase quand elle est
pâturée. La photo a été prise à proximité du village bouriate de Yalga. On aperçoit l’enclos, la
maison de bois, les tentes et la Lada Niva tout terrain.

Ailleurs, ce sont plutôt les terres noires ici lessivées, là podzolisées, là-
bas salinisées, là-bas encore gléifiées, qui dominent, y compris où s‟épanouit la
vraie steppe graminéenne. Les sols halomorphes prennent une plus grande place
qu‟en Europe et, surtout, remontent jusque dans la steppe prairiale sur
tchernoziom, alors qu‟ils restent plutôt cantonnés à la steppe sèche sur sol
châtain en deçà de l‟Oural. La steppe sèche sibérienne se développe quant à elle
au-dessus d‟un sol châtain dont les parties salinisées ne prennent pas plus de
place qu‟en Europe.
Au delà de l‟Ob, en revanche, la steppe de Sibérie centrale et orientale
perd sa zonalité, du fait de l‟importante perturbation du relief. Rejetée en
Mongolie, la steppe ne projette en Russie que quelques tentacules, le long de la
Sélenga et de certains affluents de l‟Amour, et possède, plus au nord, une

490
« Les tchernozioms de la Sibérie Occidentale ne sont pas épais ; ils ont une structure peu
solide et des festons profonds » (Milkov, 1956, p. 397). « La terre noire est ici plus
parcimonieusement distribuée qu‟à l‟ouest de l‟Oural » (George, 1962, p. 237).
343
mosaïque d‟enclave steppiques de bassins enserrés dans une taïga de hauts
plateaux et de moyennes montagnes.
Une limite biogéographique importante se manifeste ainsi le long du 83e
e
ou 84 méridien, que suit à peu près l‟Ob. A l‟ouest s‟étend une steppe zonée et
continue, comme en Europe.
Fig. steppe 9 : Carte de la steppe zonée et continue de Sibérie occidentale

A l‟est, la steppe morcelée ne forme plus que des taches, souvent en


situation d‟abri climatique dans des fossés d‟effondrement, au milieu de la
taïga. Non seulement le paysage général est différent, mais la composition des
espèces aussi, tant chez les plantes que chez les animaux. Par exemple, les
Antilopes saïgas n‟ont jamais dépassé l‟Ob491.

2.2.2. De l’Oural à l’Ob, une steppe zonale dans la continuité de


l’Europe

Très peu occupée jusque dans les années 1950, la steppe de Sibérie
occidentale fut au cœur de la campagne des Terres Vierges de Nikita
Khroutchtchev, la tsélina. Les deux premières années, en 1954 et 1955, « plus
de 30 millions d‟hectares de la terre vierge ont été défrichés » (Guérassimov,
1956, p. 396) à cheval sur le Kazakhstan et la Russie sibérienne. Depuis cette

491
« Elles passent l‟Irtich à la nage, pour se répandre dans les landes de Barabini. Elles ne sont
jamais jusqu‟à l‟Obi, parce qu‟elles n‟y rencontrent pas de pâturages à leur goût. On n‟en aperçoit
plus lorsqu‟on arrive à la partie orientale de la Sibérie » (Pallas, 1793, p. 114).
344
Milieux naturels de Russie
492
époque, les cultures occupent une grande place . Elles ne s‟affranchissent
cependant pas de la qualité des sols, qui varie selon le type de steppe d‟origine.
A l‟époque soviétique, on insistait fortement sur les différences zonales.
L‟indépendance du Kazakhstan a tronqué la zonation de la Fédération de
Russie, dans la mesure où la steppe sèche sur sol châtain n‟existe pratiquement
pas sur le territoire de cette dernière. Pourtant, d‟une part la zonation reste
pertinente dans la Sibérie de la Fédération de Russie, puisque la steppe prairiale
s‟oppose toujours clairement à steppe graminéenne et cela a son importance
pour les sols agricoles. D‟autre part, l‟évolution géopolitique récente donne
peut-être plus de valeur au gradient d‟ouest en est, qui fait passer de la steppe
d‟Ichim à celles de la Baraba et de la Koulounda.

La steppe prairiale de Kourgan, d’Ichim et de la Baraba

De la rivière Miass jusqu‟au fleuve Ob, c‟est-à-dire de Tchéliabinsk à


Novossibirsk, la Sibérie occidentale allonge d‟ouest en est, sur 1 500 km, un
ruban de steppe prairiale large d‟environ 200 km. La limite nord de cette bande
suit assez bien le 56e parallèle et les kolki, ces bosquets de Bouleaux et de
trembles isolés dans l‟océan herbeux de la steppe boisée, sont d‟autant plus
nombreux à l‟approche de cette latitude. La limite sud du ruban de steppe
prairiale, plus variable, se trouve en moyenne vers 54° Nord.
La steppe prairiale de Sibérie occidentale offre une végétation à affinité
septentrionale très nette. La Laîche (Carex, ossoka) compte plusieurs espèces et
les Graminées donnent une large place au Brome (Bromus, kostior), à l‟Avoine
(Avena, ovioss), et aux mêmes Stipes que celles qui dominaient entre Volga et
Oural, l‟inévitable Stipe plumeuse (Stipa pennata, kovyl péristy), ainsi que Stipa
zaleskii (kovyl zaleskogo). Au printemps, les plantes à fleur forment un
raznotravié moins multicolore que celui d‟Europe, mais plus que celui de
Sibérie orientale. Aussi, « à peine la neige a-t-elle disparu, que les tapis d‟herbe
roussie se remettent à verdir et que les fleurs surgissent : la tulipe, « fleur de
feu » des Sibériens, le narcisse, la pivoine » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 228).
Le sol est un tchernoziom, « mais cette terre noire n‟a ni l‟épaisseur ni la
continuité de celle d‟Europe : elle se limite le plus souvent au faîte des grivy,
tandis que les parties déprimées sont constituées par un sol argileux, gypseux,
de fertilité médiocre » (Camena d‟Almeida, 1932, p. 228). Ainsi, ce sont les
croupes d‟interfluve, les grivy, qui portent les meilleurs sols, tandis que les

492
« Les steppes de Sibérie occidentale [ont connu une] mise en valeur récente (XX e siècle) […]
cependant maintenant très poussée puisque les surfaces labourées couvrent 45 à 90 % de l‟espace
selon le district » (Marchand, 2007, p. 225, reprenant les chiffres de Gvozdeckij et Samojlova,
1989).
345
dépressions fermées, nombreuses, ont des sols parfois gléifiés, parfois
halomorphes.
L‟ensemble de la steppe de Sibérie occidentale est polarisée par la
grande ville d‟Omsk, ancien « chef-lieu du Gouvernement général des steppes »
Stadling (1904, p. 316). D‟ouest en est, cette steppe prairiale peut se subdiviser
en trois régions. La première est comprise entre les derniers contreforts de
l‟Oural et la rivière Tobol, la seconde, dite steppe d‟Ichim (Ichimskaïa step),
court du Tobol à l‟Irtych, la troisième, la steppe de la Baraba (Barabinskaïa
step), va de l‟Irtych à l‟Ob.
De Tchéliabinsk à Kourgan, la steppe prairiale est celle des trois qui a
les caractères les plus proches de la végétation européenne. Par exemple, la
Laîche principale, Carex humilis, est la même, qui se mêle en Sibérie à Carex
pediformis. Cette steppe croît essentiellement sur des terres noires délavées
(vychtchélotchné tchernoziomy). Les sols halomorphes, pourtant assez répandus
au sud-est de Tchéliabinsk, occupent une place moins grande que plus à l‟est.
De Kourgan à Omsk s‟étend la Steppe d‟Ichim, traversée en son milieu,
du sud au nord, par la rivière du même nom. Elle a des caractères
biogéographiques proches de sa voisine occidentale, mais certains genres
changent d‟espèces. Par exemple Carex humilis disparaît et Carex pediformis se
mêle à Carex supina (Marčenko et Nizovcev, 2005). La steppe d‟Ichim pousse
plutôt sur des terres noires prairiales (lougovo-tchernoziomnyé potchvy),
formées à partir du lœss sous-jacent (Volkov, 1965), caractéristiques du
tchernoziom des régions endoréiques à nappe phréatique peu profonde. Ce sont
des terres noires où une certaine gléification (ogléénié) se produit dans les
horizons inférieurs, là où l‟engorgement provoque des phénomènes de
réduction. Entre Kourgan et Ichim, les sols halomorphes occupent une grande
place et les halophytes suppléent les Graminées.
D‟Omsk à Novossibirsk s‟étend la steppe de la Baraba, elle aussi en
partie endoréique et marécageuse493. Sa taille est immense. Comme l‟écrivait C.
Malte-Brun (1832, p. 451), « entre l‟Irtych et l‟Ob se prolonge la steppe de
Baraba, appelée aussi steppe de Barama ou de Barabin ; c‟est la plus
considérable de Sibérie ». Dans les limites actuelles de la Russie, elle couvre
aujourd‟hui 117 000 km² (Gorkin, 1995, p. 58). Dans la partie nord de cette
steppe boisée, les kolki sont particulièrement importants, donnant des paysages

493
C‟est ce trait marécageux qui a donné lieu à la célèbre description de Jules Verne (1876,
Michel Strogoff, chap. 15 « Les marais de la Baraba ») : « le gazon s‟élevait alors à cinq ou six
pieds de hauteur. L‟herbe avait fait place aux plantes marécageuses, auxquelles l‟humidité, aidée
de la chaleur estivale, donnait des proportions gigantesques. C‟était principalement des joncs et
des butomes, qui formaient un réseau inextricable, un impénétrable treillis, parsemé de mille
fleurs, remarquable par la vivacité de leurs couleurs, entre lesquels brillaient des lis et des iris ».
On remarquera que cette description fait aussi la part belle au raznotravié.
346
Milieux naturels de Russie
de steppe à Bouleaux. La partie sud est un tapis graminéen à Stipa zaleskii et
Broma inermis dominant le raznotravié, l‟ensemble étant entrecoupé de
dépressions salées. La steppe de la Baraba est la formation la plus orientale où
l‟on rencontrait à l‟état naturel l‟antilope saïga (Pallas, 1793).

La steppe graminéenne, du Plateau Transouralien à la Koulounda

Au sud du 54e parallèle, la steppe prairiale passe à la steppe


graminéenne véritable. S‟épanouissant surtout au Kazakhstan, elle concerne la
Fédération de Russie sur des superficies moindres. Cette steppe typique est
formée de Graminées à feuilles étroites, notamment Stipa zaleskii (kovyl
zaleskogo) et, bien entendu, la tyrsa (Stipa capillata).
La steppe graminéenne sibérienne compte trois parties séparées les unes
des autres par la frontière kazakhe. Au pied de l‟Oural méridional, la steppe
vraie commence aux portes sud-est de Magnitogorsk, couvrant le Plateau
Transouralien (Zaouralskoïé plato) dans la région de Kartaly. La composition
floristique est très proche de celle de la steppe pré-ouralienne d‟Orenbourg et
Stipa korshinskyi compte largement dans les Graminées494. Le sol dominant est
un tchernoziom podzolisé.
La deuxième portion correspond à l‟extrême sud-est de la steppe
d‟Ichim, au sud d‟Omsk. C‟est le seul endroit de Sibérie où se trouve un
tchernoziom pur, de type européen, qui fait la renommée agricole de la région
de Rousskaïa Poliana.
La troisième partie, beaucoup plus étendue, est connue sous le nom de
steppe de la Koulounda (Kouloundinskaïa step). Même tronquée de sa partie
kazakhe, elle couvre environ 100 000 km² dans la seule Fédération de Russie, et
même plus si on compte son débordement sur le Plateau de l‟Ob dans toute la
région située au sud-ouest de Barnaoul. Les sols halomorphes prennent une
assez grande place. Dans sa partie sud, la steppe de la Koulounda passe à un
faciès sec sur des sables et des sols châtains.

494
Pour F.N. Milkov (1956, p. 397), l‟importance de Stipa korshinskyi est « une différence
remarquable avec celle des steppes de la plaine russe » et une marque du contraste entre la steppe
d‟Europe et celle d‟Asie.
347
La steppe sèche sur sol châtain à l’est d’Orsk

On peut considérer que, en Sibérie occidentale, on passe de la steppe


graminéenne sur tchernoziom à la steppe sèche sur sol châtain en franchissant le
52e parallèle. De ce fait, c‟est le Kazakhstan qui possède presque l‟ensemble de
ce ruban zonal. Dans la Fédération de Russie, la steppe sèche asiatique se réduit
à la région située à l‟Est d‟Orsk. Dans cette partie russe du plateau de Tourgaï,
le tiptchak domine largement et se mêle à l‟Armoise. Les sols châtains typiques
passent à des sols halomorphes dans la région des petits lacs endoréiques à l‟est
de Yasny.

2.2.3. A l’est de l’Ob, une steppe morcelée entourée de taïga

A l‟est du 85e méridien, la steppe russe ne forme plus une ceinture


continue. Elle se réduit à des cuvettes abritées ou à de grandes vallées495. Son
étude zonale perd donc de sa pertinence, au profit d‟une présentation régionale,
qui rend compte de leur morcellement. D‟ouest en est, chacune de ces régions
steppiques est séparée de la suivante par plusieurs centaines de kilomètres de
taïga de moyenne montagne et de haut plateau.

Les steppes d’abri des bassins d’effondrement du Kouznets et de Minoussinsk

Au-delà de Novossibirsk, la steppe prairiale se réduit à un liséré le long


du Transsibérien, qui se termine dans la région d‟Anjéro-Soudjensk. C‟est là
que la taïga de montagne des derniers contreforts du Kouznetski Alataou fait la
jonction avec la forêt boréale de la Plaine de Sibérie Occidentale. Pour la
première fois depuis la frontière avec l‟Ukraine, la steppe est coupée sur toute
sa largeur par une bande méridienne forestière. Puis, à l‟est du 87e méridien, la
steppe prairiale forme de nouveau un ruban zonal qui s‟étire le long du 56e
parallèle pratiquement jusqu‟au 92e méridien, juste à l‟ouest de l‟Iénisséï,
presque aux portes de Krasnoïarsk. Ce ruban steppique zonal, situé à des
latitudes très septentrionales, coupé en deux segments par l‟avancée
montagnarde de l‟Alataou du Kouznets, est très proche de celle qu‟on trouvait
plus à l‟ouest entre Novossibirsk et Barnaoul, ainsi que dans la Baraba. Un tapis
graminéen à Stipa zaleskii et Broma inermis (Marčenko et Nizovcev, 2005)

495
« Dans la partie orientale de l‟URSS, dans les limites des régions montagneuses de la Sibérie
Méridionale, les régions de steppes et celles de forêts-steppes sont situées essentiellement dans les
dépressions entourées de montagnes. Elles y forment ainsi non pas une zone continue, mais une
série d‟îlots » (Guérassimov, 1956, p. 383).
348
Milieux naturels de Russie
domine le raznotravié, l‟ensemble poussant sur des terres noires lessivées. Cette
ceinture zonale effilochée envoie vers le sud deux appendices méridiens. Il
s‟agit, à l‟ouest, de la steppe du Kouzbass, à l‟est, de la steppe du bassin de
Minoussinsk, formant toutes deux des formations végétales d‟abri situées dans
des fossés d‟effondrement.
La steppe du Kouzbass, centrée sur le 86e méridien, est prairiale dans
ses deux tiers orientaux et graminéenne dans son tiers occidental. La steppe
prairiale orientale, traversée par la Tom, a une composition proche de celle du
Transsibérien, dans un paysage collinéen très humanisé, minier, urbain et
industriel, au pied du Kouznetski Alataou. Plus originale, et moins transformée,
la steppe graminéenne de Koïbal, blottie dans la partie occidentale du bassin du
Kouznets, profite de l‟abri de la chaîne de Saïlar. Venant de l‟ouest, elle
inaugure les taches de steppe vraie ne poussant pas sur des terres noires
caractéristiques. Pourtant, sur ces sols gris (séryé potchvy), différents du
tchernoziom de Sibérie occidentale, la steppe de Koïbal offre une végétation des
steppes de la Koulounda, dominée par Stipa zaleskii (kovyl zaleskogo) et Stipa
capillata (tyrsa).
La steppe du bassin de Minoussinsk, centrée sur le 91e parallèle, est elle
aussi prairiale à l‟est et graminéenne à l‟ouest. Cette partie occidentale,
d‟ailleurs la plus étendue, est dite steppe d‟Abakan. Ressemblant à maints
égards à celle de Koïbal, cette steppe vraie pousse, selon le géographe
Nizovtsev (2005), sur des sols gris. P. Camena d‟Almeida (1932, p. 215) la
décrivait en une seule phrase, qui la résumait magnifiquement. « Au Sud-Ouest
du fertile bassin de lœss de Minoussinsk, au pied des monts de Saïan, on passe à
la steppe d‟Abakan, sèche et parsemée de lacs salés, où se retrouve la végétation
caractéristique des steppes d‟entre l‟Oural et la Caspienne ». Ajoutons que,
grâce à sa situation d‟abri prononcé en arrière du Kouznetski Alataou, cette
formation à Stipa zaleskii (kovyl zaleskogo) et Stipa capillata (tyrsa) est, de
toutes les steppes graminéennes de Russie, celle qui monte le plus au nord,
dépassant le 55e parallèle en montant à l‟assaut du chaînon de Solgon entre
Oujour et Krasnoïarsk.

Les steppes morcelées angaro-baïkaliennes

Au-delà de l‟Iénisséï, la steppe, sous quelque forme que ce soit,


disparaît complètement sur de grandes distances, pour ne réapparaître que par
une inclusion de taches de steppes dans la forêt, à la faveur de la trouée
composite formée par le réseau fluvial et lacustre de la Sélenga, du Baïkal et de
l‟Angara. Cette mosaïque fait apparaître trois véritables steppes, qui sont du
nord au sud celles de Balagan, de Baïkalie et de Transbaïkalie, auxquelles il faut

349
ajouter un ensemble de prairies de défrichement sur une ancienne steppe boisée
de transition avec la subtaïga claire.
A partir de Krasnoïarsk, il faut parcourir plus de 600 km vers le sud-est
pour retrouver, à l‟intérieur de la Plaine Irkouto-tchéremkhovienne (Irkoutsko-
Tchéremkhovskaïa ravnina), une pastille de steppe prairiale. Celle-ci forme un
îlot situé à environ 180 km au nord-ouest d‟Irkoutsk, la « steppe de Balagan »
(Camena d‟Almeida, 1932, p. 213), que les Russes nomment au pluriel
Balanganskié stepi. D‟après Gorkin (1998, p. 56), cette formation végétale est
comprise entre les rivières Ounga et Zalara, c‟est-à-dire au nord de la ville de
Tchéremkhovo. « Au nord d‟Irkoutsk, sur le faîte des plateaux que traverse
l‟Angara s‟étalent des steppes où des Bouriates promènent leurs troupeaux »
(Camena d‟Almeida, 1932, p. 215). Aujourd‟hui mis en culture, ce petit îlot de
steppe boisée entouré de subtaïga comprend de manière caractéristique, selon
Martchenko et Nizovtsev (2005), Peucedanum baicalensis et Filifolium (ou
Tanacetum) sibiricum. Cette dernière, la Tanaisie de Sibérie, est une Composée
que les Sibériens appellent pijma496 et qui est très répandue dans les steppes
mongoles. La steppe de Balagan pousse sur des terres noires lessivées.
Environ 250 à 300 km au sud et au sud-est de la steppe de Balagan,
après avoir traversé une subtaïga de plaine et une taïga de montagne, on
retrouve un ensemble herbacé naturel composé de deux parties formant les
steppes baïkaliennes. Celles-ci méritent un traitement à part pour plusieurs
raisons497. D‟abord, elles n‟apparaissent en général pas sur les cartes
biogéographiques de la Russie à petite échelle, car elles sont composées de
multiples petites enclaves herbeuses. Ensuite, plus froides et sèches que les
autres steppes russes (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 258), elles développent
quelques particularités dont le fait que, même non pâturées, elles constituent
plutôt une steppe rase. Deux régions sont principalement concernées. Il s‟agit
d‟une part de la dépression de Tounka (Tounkinskaïa kotlovina), enserrée entre
le Saïan Oriental et la chaîne de Khamar-Daban, d‟autre part de l‟Olkhonie, soit
l‟île d‟Olhon au sein du Baïkal et la côte du même lac au-delà du détroit de la
Petite Mer. Dans les deux cas, il s‟agit d‟une steppe d‟abri se développant dans
un tronçon du rift et, dans les deux cas, l‟écosystème est protégé par un parc
naturel national.
La steppe de Tounka occupe le bassin issu de la faille transformante qui
lie les tronçons de rift du Baïkal à l‟est et du Koussougol à l‟ouest. Bien
protégée des vents du nord-ouest par un chaînon du Saïan, les Hauteurs nues de

496
Sans préciser pijma sibirskaïa comme le font les biogéographes russes.
497
Il existe en outre une raison subjective, faisant que nous pratiquons cette steppe sur le terrain
presque tous les ans depuis 1991 et commençons à la connaître dans le détail plus que toute autre
steppe russe.
350
Milieux naturels de Russie
Tounka (Toukinskié goltsy), cette steppe est pâturée de manière extensive et
protégée par un parc naturel national depuis 1991.
Mais c‟est l‟autre steppe baïkalienne, celle d‟Olkhonie, dite aussi de la
Petite Mer498, qui compte le plus d‟espèces méridionales, proprement
steppiques.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 61 La steppe de Tounka, un exemple du morcellement des steppes orientales
A quelques kilomètres de la République de Mongolie, la steppe russe de Tounka occupe un fossé
d’effondrement fermé par la chaîne de Khamar-Daban au sud et les Hauteurs nues de Tounka au
nord. Ces dernières, qui forment un horst dépendant du Saïan oriental, sont visibles à l’arrière-plan.
De cette situation géomorphologique découle un abri climatique défavorable à la taïga, mais plus
propice à la steppe. Le pacage des troupeaux bouriates accentue la domination des herbes. La
steppe de Tounka est un bon exemple de formation steppique à Fétuque du Valais, le tiptchak des
Russes, enclavée dans un bassin intramontagnard. Elle est protégée par un parc national depuis
1991.

Au centre du lac Baïkal, la partie la plus profonde du rift fournit un abri


remarquable et la steppe s‟est développée au pied de l‟escarpement de faille,
ainsi que sur certains de ses flancs disséqués en facettes. Protégée des
précipitations des bourrelets montagneux encadrants par des effets de fœhn, elle

498
Du nom du détroit lacustre qui sépare l‟île d‟Olkhon du continent.
351
forme une enclave de steppe mongole à plus de 53° de latitude nord. P. Camena
d‟Almeida (1932, p. 215) écrivait déjà que « dans la grande île du Baïkal, celle
d‟Olkhon, où la somme annuelle des précipitations n‟est d‟ailleurs que de
140 mm, la flore des steppes mongoles arrive presque au contact de la taïga du
Nord ». Le géographe sibérien A.V. Belov (1990, p. 149, en russe) parle
aujourd‟hui de « postes avancés des associations mongolo-chinoises » pour
caractériser les steppes d‟Olkhonie.
C‟est M.G. Popov qui a lancé, dans les années 1950, l‟étude
biogéographique approfondie du littoral nord-ouest du Baïkal et qui est à
l‟origine de la subdivision de celle-ci en trois régions, dont la végétation
steppique de la Petite Mer. Ses recherches ont permis de connaître cette
formation dans le détail (Popov, 1957, 1957-1959, Popov et Busik, 1966).
Depuis les travaux de Popov, les chercheurs de l‟Institut de Géographie
d‟Irkoutsk499 ont largement insisté sur les méso- et les micro-habitats de la
steppe de la Petite Mer. A.V. Belov (1990) distingue quatre types. Dans le fond
de la dépression tectonique, on trouve la Stipe chevelue (Stipa capillata),
l‟Agropyron, la Fétuque du Valais (Festuca valesiaca), la Koélérie (Koeleria),
le Pâturin (Poa), le Blé d‟azur de Chine (Leymus chinensis). Ce sont, pour les
Russes, les associations à tyrsa, jitniak, tiptchak, tonkonog, miatlik, vostrets.
Les versants forment un deuxième habitat, en général sur la partie basse des
modelés en facettes de l‟escarpement de faille. Là, les associations précédentes
sont appauvries de l‟Agropyron et parfois de la Stipe chevelue. Toutes les autres
plantes précédentes subsistent et la Fétuque du Valais prend une importance
croissante.
Les fonds des vallées qui dissèquent l‟escarpement en séparant les
facettes entre elles constituent un troisième habitat. Les Sibériens les appellent
des padi. Ici, la Fétuque du Valais, le Blé d‟azur de Chine et l‟Agropyron et la
Stipe chevelue sont rejoints par l‟Armoise et l‟Achnatherum, c‟est-à-dire par
polyn et tchi des Russes. Le tchi annonce les steppes de Transbaïkalie
méridionale qui, trois cents kilomètres plus au sud, peuplent la frontière entre la
Russie et la Mongolie. La quatrième niche se trouve à une échelle différente,
pouvant percer tous les habitats précédents, mais surtout les deux premiers.

499
En dehors des géographes, l‟ouvrage floristique de G.A. Pechkova (1972) sur les steppes
baïkaliennes est fondamental.
352
Milieux naturels de Russie
Il s‟agit de la steppe des affleurements rocheux, où se développent des
groupements herbeux lithophiles à Fétuque du Valais (tiptchak) et à Thym
(timian), dont l‟espèce principale est le Thym serpolet (Thymus serpyllum), que
les Russes appellent le Thym rampant (tchabrets polzoutchi).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 62 Le ramassage du Thym serpolet dans la steppe d’Olkhonie
Là où les sols sont squelettiques, la steppe d’Olkhonie présente un faciès lithophile à Fétuque du
Valais et Thym serpolet. Ce dernier, le tchabrets polzoutchi des Russes, est ramassé par les
habitants en été. Il est incorporé au « thé du Baïkal », en fait une tisane mélangeant plusieurs
herbes de la steppe, ou bien sert à aromatiser les plats cuisinés.

Ainsi, bien qu‟elle soit entourée de forêt boréale, cette steppe


olkhonienne est très caractéristique et s‟étend tout de même sur plusieurs
centaines de kilomètres carrés autour de la Petite Mer.

353
Les sols ne sont pas forestiers non plus, qui font alterner de vraies
terres noires avec des sols châtains, une succession de tchernoziomy et de
kachtanovyé potchvy (Galazi 1993, p. 130).

Cliché L. Touchart, août 2006


Photo 63 La steppe de l’Anga, la partie continentale de la steppe d’Olkhonie
La steppe d’Olkhonie est une formation herbeuse morcelée de Sibérie orientale, à l’abri de la partie
centrale du fossé d’effondrement du rift du Baïkal. Elle compte une partie insulaire, l’île d’Olkhon, et
une portion continentale, à l’ouest et au sud de la Petite Mer. La steppe de l’Anga est la partie
continentale où elle atteint sa plus grande largeur. Il s’agit d’une steppe à Koélérie (tonkonog),
Fétuque du Valais (tiptchak) et Pâturin (miatlik), poussant sur sol châtain. La steppe couvre à la fois
le fond du bassin et les premières pentes de la Chaîne Maritime. On aperçoit sur la photo la
ripisylve de la rivière Anga, qui perce la steppe.

Ces sols noisette, déjà significatifs d‟une steppe sèche, laissent même la
place, dans les endroits les plus abrités de l‟île d‟Olkhon, là où les précipitations
annuelles atteignent à peine les 150 mm, à des sols châtain rouge, à rapprocher
d‟un milieu semi-aride500

500
Lacoste et Salanon (1969, p. 107-108) expliquent que les « sols châtains rouges » se forment
en milieu semi-aride, car « cette teinte vive est due à une teneur élevée en oxydes de fer plus ou
moins rubéfiés. L‟horizon Ca est souvent durci […] et constitue alors une croûte profonde ».
354
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 64 Le sol châtain rouge de la steppe sibérienne la plus sèche
Dans les parties les plus sèches de l’île d’Olkhon du lac Baïkal, où les précipitations annuelles
tombent à 150 mm par an, la mosaïque de tchernoziomy et de kachtanovyé potchvy laisse la place
à un sol châtain rouge, dont la couleur est due à des oxydes de fer, ayant une certaine proximité
avec des sols de milieu semi-aride. Ce sol porte une steppe sèche à Fétuque du Valais et Stipe
chevelue.

L‟enclave steppique d‟Olkhonie présente ainsi une originalité


pédologique rare pour la Sibérie, accentuée par l‟importance des milieux
littoraux aux matériaux grossiers, en galets et graviers, ainsi que par les
ensembles dunaires des côtes du lac Baïkal. Toutes ces conditions, auxquelles il
convient d‟ajouter la fraîcheur de l‟été du fait du micro-climat lacustre,

355
permettent à cette steppe de comprendre, au-delà des Stipes, Fétuques,
Koéléries et autres banals Pâturins, un certain nombre d‟espèces rares. Un
endémisme s‟est même développé dans ce microcosme, qui représente entre un
vingtième et un tiers du nombre total d‟espèces501 (Čatta, 1999, Rjabcev et
Turuta, non daté). Il s‟agit pour part d‟espèces relictes, jadis répandues502 mais
qui ne sont conservées qu‟ici, pour part de néo-endémiques, comme le Pavot de
Popov et le Thym du Baïkal, qui ont évolué sur place en vase clos pour se
différencier. La paléo-biogéographie de la cuvette baïkalienne a été largement
étudiée par V.A. Belova (1975). En résumé, le refroidissement quaternaire a
provoqué une rétraction (otstouplénié) des steppes tertiaires vers le sud et la
séparation d‟un ancien ensemble unique en îlots séparés les uns des autres ;
c‟est ce phénomène qui a conduit à l‟endémisme baïkalien. Selon A.E. Tourouta
et V.V. Riabtsev (2001), deux genres sont plus particulièrement caractéristiques
de cette évolution chez les Légumineuses. Il s‟agit d‟une part du Sainfoin
(Hedysarum, kopéetchnik), d‟autre part de l‟Oxytropis (Oxytropis,
ostrolodotchnik). Sur des distances pourtant réduites, la steppe d‟Olkhonie
présente ainsi vingt espèces de ce dernier genre, proche de l‟Astragale, dont sept
endémiques, notamment le très rare ostrolodotchnik Varlakova (Turuta A.E. et
Rjabcev V.V., 2001b).
Le parc naturel de Baïkalie protège toutes ses espèces depuis 1986,
cependant que la croissance du tourisme est forte depuis le changement de
régime politique, car la Petite Mer est justement la partie du Baïkal qui possède
une eau estivale qui ne soit pas trop froide, où les bases d‟accueil se sont
multipliées depuis les années 1990. Le parc tente d‟allier un tourisme culturel
responsable et la pratique balnéaire, mais ce mariage n‟est pas aisé. Il réclame
de mettre en valeur certaines plantes plus spectaculaires que le Sainfoin. Chez
les Composées, l‟une des espèces qui marquent le plus les esprits est
l‟Edelweiss de Sibérie (Leontopodium sibiricum, èdelveïs sibirski), dont les
étoiles d‟argent parsèment la steppe d‟Olkhonie.

501
La valeur dépend de la définition qu‟on donne de l‟endémisme. Le chiffre de 5,3 % provient
d‟un décompte exhaustif effectué par E.N. Tchatta (1999) dans la steppe du nord-ouest de l‟île
d‟Olkhon, qui compte les endémiques locales. V.V. Riabtsev et A.E. Tourouta considèrent à
l‟échelle de l‟ensemble de la steppe baïkalienne que, sur les 186 espèces, 21 sont des endémiques
étroitement localisées, 38 sont des endémiques baïkaliennes, 12 sont des reliques, formant à elles
trois 32 % du total. Les 110 autres espèces sont banales.
502
Ces espèces tertiaires sont dites par les Russes vidovpraroditéli, les ancêtres des espèces
actuelles.
356
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 65 L’Edelweiss de Sibérie, une fleur de la steppe à l’image de protection
Leontopodium sibiricum est une plante du raznotravié des steppes de Sibérie orientale qui est
protégée dans le parc naturel national de Baïkalie. L’Oxytropis et les autres endémiques de la
steppe d’Olkhonie, plus rares, intéressent plus les scientifiques, mais l’Edelweiss de Sibérie a
l’avantage d’être parlant pour le grand public. La photo a été prise dans la steppe située entre les
villages de Yalga et Khoujir. Les feuilles laineuses, qualifiées de vorsistyé par les Russes, sont bien
visibles.

Après les steppes de Balagan, de Tounka et d‟Olkhonie, le dernier


ensemble steppique angaro-baïkalien est aussi le plus méridional, traversé par la
Sélenga et ses affluents. Ce sont les steppes de la province géo-botanique de
Transbaïkalie méridionale, selon la régionalisation de L.N. Tioulina (Galazij,
1993). On peut elles-mêmes les subdiviser en trois régions, du nord au sud, les
steppes de l‟Ouda, du Khilok et de la Djida

357
Fig. steppe 10 : Carte des steppes de Transbaïkalie et de leur gradient géographique du plateau
mongol aux vallées montagnardes

Un gradient les fait passer de steppes septentrionales encaissées,


linéaires, de bas de versant en lien avec des prairies alluviales, à des steppes
centrales de bassin évasé poussant du fond jusqu‟à mi-pente, et, enfin, à des
steppes méridionales de dépression. Les associations floristiques sont elles-
mêmes distinctes entre les trois régions.
Les steppes de l‟Ouda forment un liséré sur les bas versants de la vallée
de l‟Ouda et de son affluent, le Khoudan. Ces steppes surmontent les prairies
alluviales de fond de vallée, mais sont dominées par une subtaïga de Pins. Le
mince ruban de steppe qui se trouve coincé entre les deux est presque toujours
dominé par le Blé d‟azur de Chine (Leymus chinensis, vostrets).
Les steppes du Khilok, qui commencent aux portes sud-ouest de la ville
d‟Oulan-Oudè, couvrent les versants des vallées du Khilok à l‟endroit de son
grand coude à angle droit, ainsi que ceux de la vallée de son affluent, le
Tougnouï. Dans ce dernier bassin, surtout, la steppe étale ses associations à
Fétuque du Valais (Festuca valesiaca, tiptchak), Koélérie (Koeleria, tonkonog)
et Pâturin (Poa, miatlik).

358
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, juillet 1991


Photo 66 La steppe du Khilok, une steppe sibérienne de vallée
Parmi les steppes de Transbaïkalie méridionale, dont les affinités mongoles sont certes importantes,
la steppe du Khilok est cependant une formation encore morcelée par les vallées et les bassins,
caractéristique de la Sibérie orientale. Les associations à Fétuque du Valais, Koélérie et Pâturin
dominent. Des barrières à neige séparent les grandes parcelles destinées à un élevage très extensif.
La formation herbeuse est ici portée par des sols steppiques alluviaux. La photo a été prise dans la
steppe située entre Oulan-Oudè et Ivolguinsk.

Les steppes de la Djida (Djidinskié stepi) sont les seules de


Transbaïkalie à s‟étendre sur de grands superficies, à prendre place dans une
plaine et à perdre cette situation d‟abri et de morcellement qui est le propre de la
Sibérie centrale et orientale. Depuis la steppe d‟Abakan, il aura fallu passer par
dessus les monts Saïan sur environ 1 200 km à vol d‟oiseau, en direction du
sud-est, pour retrouver en Russie une enclave de steppe graminéenne de
dépression. Il s‟agit d‟un tentacule que la steppe mongole envoie vers le nord le
long de la vallée de la Sélenga et sur les interfluves entre le Temnik et la Djida.
Ces steppes djidiennes forment un triangle entre les 104e et 107e méridiens, au
sud du 51e parallèle. Certes, on retrouve au nord du triangle des associations à
Fétuque du Valais, Koélérie et Pâturin. Mais la partie méridionale, à proximité
de la frontière avec la Mongolie, est plus originale pour la Sibérie orientale. La
région située à l‟est de la ville de Kiakhta offre une steppe à Stipe chevelue,
359
Armoise et Thym. Surtout, à l‟ouest de la Sélenga, de vastes surfaces sont
occupées par la Tanaisie de Sibérie (Filifolium sibiricum, pijma sibirskaïa), le
Blé d‟azur de Chine (Leymus chinensis, vostrets) et la Stipe du Baïkal (Stipa
baicalensis, kovyl baïkalski). Dans cette steppe pijmienne, les plantes herbacées
peuvent être localement accompagnées de quelques arbustes xérophiles, dont
l‟Abricotier de Sibérie (Galazij, 1993, p. 115).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 67 L’Abricotier de Sibérie, un arbuste xérophile des steppes de la Djida
En Transbaïkalie méridionale, la steppe de la Djida, proche de la steppe mongole, compte des
arbustes secs très rustiques. Prunus sibirica, appelé abrikoss sibirski par les Russes, est l’un d’eux.
Très résistant au gel (morozostoïki), puisqu’il supporte des froids de près de –50 °C, il est aussi très
résistant à la sécheresse (zassoukhooustoïtchivy). Ses fruits (plody) jaunes forment des abricots
très petits et peu charnus. On aperçoit bien sur la photographie ses feuilles ovales acuminées d’un
vert brillant.

On trouve localement des associations à Achnatherum splendens. Cette


dernière Graminée, considérée comme une Stipe par certains, est le tchi des
Russes503. Elle forme par endroit des peuplements presque exclusifs, les
tchievniki (Giljarov, 1986), qui annoncent les steppes mongoles sèches situées
de l‟autre côté de la frontière. Toute la région située entre les villages de
Béloozersk et Borgoï , par 50°40‟N et 105°45‟E, est un tchievnik, où le tchi est
parfois mêlé de vostrets (Galazij, 1993, p. 115). Au total, la steppe de la Djida
est une vraie steppe de plaine, qui possède des aspects méridionaux et secs. Elle

503
Le tchi est appelé dyrissoun dans certaines langues turco-mongoles. Ce nom a connu son heure
de gloire dans les écrits géographiques russes par l‟intermédiaire du grand explorateur Nikolaï
Prjevalski. C‟est sans doute dans les travaux de ce dernier que le géographe français P. Camena
d‟Almeida (1932, p. 215) a ainsi puisé, en écrivant : « sous l‟influence d‟un climat déjà moins
humide, les steppes de Mongolie se prolongent fort en avant en Sibérie, et des étendues sans
arbres s‟observent, à partir du sud, sur la Sélenga et ses affluents. Aux environs de Kiakhta
s‟aperçoit le dyrissoun, une des plantes les plus caractéristiques des steppes de l‟Asie Centrale » .
360
Milieux naturels de Russie
pousse « sur sols châtain foncé et sur terres noires méridionales » (Berg, 1941,
p. 334), compte déjà quelques Armoises et est piquetée d‟arbustes xérophiles.
La Marmotte de Sibérie (Marmota sibirica), que les Russes nomment la
Marmotte de Mongolie ou le tarbagan, est aussi un rongeur de cette steppe qui
n‟existait pas au nord. Le peuplement bouriate et les temples bouddhistes
ajoutent au paysage déjà mongol de la steppe de la Djida504.
Les steppes morcelées angaro-baïkaliennes dans leur ensemble, mais
surtout celles de Tounka, de l‟Ouda et du Khilok, secondairement celles
d‟Olkhonie et de la Djida, sont traversées de prairies alluviales (poïmennyé
louga), qui y prennent une place relativement grande.

Cliché L. Touchart, août 2005


Photo 68 La Pimprenelle, une plante de la steppe-galerie
La « suceuse de sang » (krovokhliopka) est une Pimprenelle (Sanguisorba) qui pousse dans les
steppes-galeries des fonds de vallée remontant dans la taïga sibérienne du sud vers le nord. Les
Sibériens appellent pad (pad’ en transcription internationale) une vallée encaissée, à fond steppique
ou prairial, qui traverse ainsi la forêt de Mélèzes. Il s’agit ici de la pad Tachkinéï, où l’on voit
l’ensemble du raznotravié au premier plan, d’où se détachent particulièrement les boules rouge-
foncé de la Pimprenelle, la steppe-galerie au deuxième plan à gauche (à l’ouest), la taïga des
versants au troisième plan.

Ce sont essentiellement des prairies de fond de vallée à raznotravié, où


la Pimprenelle est très fréquente, à Graminées et à Laîches, plus ou moins
mêlées de plantes caractéristiques de la steppe quand celle-ci, toute proche, est
traversée.
Ces formations végétales constituent alors ce que les Russes appellent
ostepnennyé louga, qu‟il serait un peu pesant de traduire par « prairies
steppisées ».

504
C‟est la Djida lamaïste !
361
Cliché L. Touchart, août 1985
Photo 69 Une prairie alluviale de la steppe de Tounka
Les prairies de fond de vallée à herbes variées, Graminées et Laîches strient la steppe de Tounka.
Ce sont les ostepnennyé louga (« prairies steppisées ») des Russes. La prairie alluviale d’un petit
affluent de rive droite de l’Irkout passe ici dans le village de Jemtchoug, où des arbres ont été
plantés à l’intérieur des enclos individuels.

Un deuxième type est celui des prairies alluviales qui remontent vers
l‟amont dans la taïga après avoir traversé la steppe depuis l‟aval. Ces petites
steppes-galeries sont l‟une des formes que prennent les padi des Sibériens. Le
troisième et dernier type est celui des prairies de défrichement de la steppe
boisée et de la subtaïga, qui servent de pâturage extensif.

362
Milieux naturels de Russie

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 70 Une prairie de défrichement de la mosaïque de steppe boisée et de subtaïga de la Sibérie
orientale
Au nord-est d’Irkoutsk, le district autonome bouriate d’Oust-Ordynski présente une vaste formation
herbeuse issue du défrichement multiséculaire de la steppe boisée et de la subtaïga qui y poussent
naturellement. Les sols présentent un caractère alluvial répandu dans la vallée de la Kouda et ses
affluents. La photo a été prise au sud-ouest du village de Baïandaï.

Les steppes de Dahourie : une zonation retrouvée

La plus orientale de toutes les steppes russes est un ensemble d‟assez


grande taille qui s‟étend au nord des frontières mongoles et chinoises entre 113°
et 120° de longitude Est, dans ce vaste bassin collinéen situé au pied des monts
Yablonovy, où confluent toutes les grandes rivières qui donneront plus à l‟est le
fleuve Amour. Une extension en latitude assez grande et un encaissement
moindre des vallées, surtout au sud, permettent à cette steppe de retrouver une
zonation505 telle qu‟on n‟en avait pas eu depuis le piémont de l‟Oural.
La steppe prairiale est bien entendu la plus septentrionale. On la trouve
à l‟est de Tchita, dans la région du confluent entre l‟Ingoda et l‟Onon et, en
aval, dans la vallée de la Chilka où elle forme la steppe boisée de Nertchinsk.
Elle court de 51°30‟ de latitude dans la vallée de l‟Onon à 52°20‟ dans la vallée
de la Nertcha, prenant toute la plaine alluviale de la Chilka entre les deux. On y
trouve, selon Martchenko et Nizovtsev (2005à, Peucedanum baicalensis et,
surtout, Filifolium sibiricum. On a donc ici des steppes pijmiennes, dont le

505
Camena d‟Almeida (1932, p. 215 ), sans distinguer de zonation dans cette steppe de Dahourie,
décrivait ensemble la steppe boisée de Nertchinsk et la steppe graminéenne qui lui est contiguë
plus au sud. « Au pied du Iablonovy, la steppe mongole continue à déborder, et, vers le Nord-Est,
parvient au-delà de la Chilka, entre Nertchinsk et Srêtensk. Dans cette partie orientale de la
Transbaïkalie, désignée parfois du nom de Daourie, le bois est d‟une extrême rareté, et les
Bouriates y vivent sous des tentes de feutre ».

363
raznotravié, assez riche, comporte en outre, selon Berg (1941, p. 333), Clematis
angustifolia et Hemerocallis graminea. Cette dernière, que les Russes nomment
le krassodnev, produit de grosses fleurs jaune-orange du plus bel effet. La
steppe boisée de Nertchinsk pousse sur des terres noires prairiales (lougovo-
tchernoziomnyé potchvy), qui souffrent d‟une certaine gléification dans les
horizons inférieurs.
Au sud-ouest, la steppe prairiale passe à une steppe vraie, à chiendent
Agropyrum pseudagropyrum (Berg, 1941, p. 333) et à Stipe du Baïkal (Stipa
baicalensis), couvrant l‟espace compris entre 51°30‟ et 50°40‟ de latitude, de
part et d‟autre de l‟Onon, qui coule ici du sud au nord. La rivière sépare la
partie ouest, nommée steppe de l‟Aga (Aguinskaïa step), de la partie orientale,
qui correspond à la partie graminéenne des steppes de Nertchinsk, s‟insinuant
ici dans les moyennes montagnes drainées par le haut Gazimour. Dans la plaine,
la steppe de l‟Aga pousse sur un tchernoziom carbonaté pulvérulent506, qui, à
l‟est, se dégrade par le fait montagnard.
Au sud de 50°40‟ de latitude, la steppe graminéenne de l‟Aga et de
Nertchinsk passe à une steppe sèche qui se poursuit jusqu‟en Mongolie.
L‟oblast de Tchita en possède un ruban de 400 km d‟ouest en est et de 120 km
du nord au sud dans la région de Borzia et Krasnokamensk. C‟est une steppe à
Stipa krylovi (Marčenko, 2005), où l‟Armoise fait son apparition507. Cette
formation pousse sur un vaste plateau, qui annonce la Mongolie, recouvert de
sols châtains et, à l‟ouest, de sols halomorphes, autour des lacs salés
endoréiques de Toréï.
C‟est cette partie occidentale qui est protégée depuis 1987 par la réserve
naturelle de Dahourie (Daourski zapovednik). Couvrant 44 700 ha, elle mêle
une steppe sèche et une végétation marécageuse où viennent nicher des oiseaux
rares, dont vingt espèces appartiennent au Livre Rouge de la Fédération de
Russie. Parmi les mammifères, le Chat manul (Felis manul, manoul), qui est un
prédateur n‟existant que dans les steppes de Transbaïkalie et de Dahourie, est
aussi protégé dans la dépression de Toréï (Toreïskaïa kotlovina) grâce à cette
réserve naturelle d‟Etat.

506
Ce sont les moutchnisto-karbonatnyé tchernoziomy (les terres noires carbonatées farineuses)
des géographes russes.
507
« A l‟angle sud-est de la Transbaïkalie, là où le Transsibérien pénètre en Mandchourie,
s‟étendent des steppes à absinthes typiques sur sols châtains, qui vont des lacs sans écoulement
Taréi jusqu‟à la rivière Argoun » (Berg, 1941, p. 333).
364
Milieux naturels de Russie

Conclusion du Chapitre Quatrième

Pour les Russes, à l‟origine de ce mot ayant ensuite fait fortune sous
d‟autres cieux pour désigner des formations végétales quelque peu différentes,
la steppe est un ensemble herbacé fermé, une prairie naturelle couvrant
complètement le sol, lequel est une terre noire dite tchernoziom. De toutes les
formations analogues situées de par le monde, la steppe russe est, en proportion,
la plus pauvre en Graminées et la plus riche en autres familles, regroupées sous
le terme de raznotravié. Toutes les herbes, essentiellement vivaces, subissent le
cycle annuel très prononcé du climat continental. Elles profitent d‟un printemps
favorable, coincé entre un hiver trop froid et un été trop sec. Le caractère
prononcé du semi-repos estival est une originalité de la steppe russe. Jusqu‟au
XVe siècle, la steppe était le royaume des grands herbivores et de leurs
prédateurs, mais la chasse, puis, surtout, la mise en culture ont largement
modifié l‟écosystème, aujourd‟hui fondé sur les petits rongeurs.
Pour la société russe traditionnelle, ce qu‟il y a d‟exceptionnel, et
d‟effrayant, dans la steppe est l‟absence d‟arbre. Ce défaut naturel a aussi
fasciné des générations de savants russes, qui ont multiplié les études pour en
comprendre la cause. On pense aujourd‟hui que l‟explication climatique prévaut
à petite échelle cartographique. La limite entre la forêt et la steppe correspond
assez bien avec un rapport entre les précipitations et l‟évapotranspiration
potentielle égal à l‟unité. A grande échelle cartographique, les dépassements de
cette limite dans un sens ou un autre dépendent de la qualité du sol et de la
pente. Sur les terrains plats, mal drainés et à la granulométrie fine, l‟eau
n‟imbibe pas le sol en profondeur. Les herbes de la steppe, dont les racines sont
superficielles, sont favorisées, cependant que l‟arbre est desservi. Une fois
installée, la steppe, par le dense feutrage du sol qu‟elle construit, ne laisse plus
revenir la forêt, aidée depuis des millénaires par l‟action humaine.
La steppe pousse sur le « roi des sols » (tsar potchv) et elle l‟entretient.
Ce tchernoziom est un sol noir, très riche en un humus doux, bien réparti sur
l‟ensemble du profil, aéré, dont le complexe absorbant possède une grande
capacité d‟échange. C‟est sa fertilité légendaire qui explique le défrichement de
la steppe et sa mise en culture précoce, du moins en Europe, dès que la Russie
eut repoussé les Tatares.
Aujourd‟hui très transformée, la steppe de Russie d‟Europe était la
mieux zonée de la planète en bandes latitudinales régulières, à la différence de
la prairie américaine, plus méridienne, et de la steppe sibérienne, plus morcelée.
Du nord au sud, on traverse la steppe prairiale (lougostep) sur terre noire
lessivée, la steppe vraie (nastoïachtchié stepi) sur tchernoziom au sens strict, la
365
steppe sèche sur sol châtain et, enfin, la steppe méridionale à armoise, qui fait la
transition avec le semi-désert caspien.
En Sibérie, la steppe forme un paysage moins luxuriant, les herbes sont
rases et le sol est rarement un tchernoziom vrai. Les terres noires sont
podzolisées, lessivées et, souvent, encombrées de passages salins. La campagne
khrouchtchévienne des Terres Vierges a défriché plus récemment cette
formation en Sibérie occidentale qu‟en Europe. Les steppes de Kourgan,
d‟Ichim, de la Baraba et de la Koulounda sont devenues à partir des années
1950 de grandes exploitations mécanisées. Plus à l‟est, en Sibérie orientale et en
Dahourie, les steppes sont plutôt vouées à un élevage extensif qui les a assez
peu modifiées.
Même aux toutes dernières lignes du chapitre, le voyage initiatique à
travers la steppe ne peut présenter de fin. C‟est plutôt une vie nouvelle,
inconnue, qui commence508. Or quel inconnu est-il plus mystérieux que le désert
russe ?

508
« Novouïou, névédomouïou jizn, kotoraïa tépèr natchinalass » écrivait Tchekhov dans l‟avant-
dernière phrase de la Steppe.
366
Milieux naturels de Russie

Chapitre Cinquième
Le milieu semi-aride de la Russie au défi des remontées désertiques

« Après la guerre du gaz, la guerre des chameaux aura-t-elle lieu ? »


titrèrent plusieurs journaux français en février 2009, alors que l‟Ukraine
interdisait la traversée de son territoire à des chameaux russes achetés par la
Bulgarie. Le mérite de ces articles était de placer sous les feux de l‟actualité la
zone biogéographique la plus méconnue de la Russie par le grand public
européen. Les géographes occidentaux connaissent quant eux l‟importance
qu‟avait cet espace pour la Russie tsariste, puis l‟URSS, mais ont souvent été
plus préoccupés, Aral aidant, par l‟hydrologie, le climat ou la géomorphologie.
La biogéographie et la pédologie sont pourtant les disciplines géographiques
dans lesquelles les travaux russes concernant le milieu aride sont les plus
renommés à l‟échelle internationale. Après avoir vanté les mérites des
recherches américaines et françaises en géomorphologie désertique, Jean
Demangeot (1981, p. 10) n‟hésitait pas à écrire que « les Russes, eux, sont
plutôt spécialisés dans la biogéographie désertique ».
Mais cette analyse, fondée sur un territoire soviétique où l‟Asie
Centrale couvrait quatre millions de kilomètres carrés, est-elle encore
d‟actualité ? Depuis l‟indépendance de ces républiques en 1991, l‟enjeu de
l‟aridité n‟a-t-il pas été évacué des problèmes russes ? La superficie concernée
n‟est-elle pas aujourd‟hui négligeable et la localisation marginale ? Et s‟il reste
utile d‟étudier le désert russe, est-ce un vrai milieu aride ? La position très
septentrionale, à l‟échelle de la planète, du désert caspien atténue-t-elle les
contraintes pour les plantes ou les augmente-t-elle ? La végétation connaît-elle
des contrastes géographiques brutaux ou une simple dégradation zonale ? La
Russie possède-t-elle des oasis ? La salinisation des terres est-elle une question
de nature ou de société ? Faut-il conquérir ces terres rudes et fragiles ? Les
abandonner à elles-mêmes ? Les protéger ?
Pour tenter de répondre à ces importantes questions, du moins les
dernières citées, puisque tout le monde savait avant même de l‟avoir posée que
la guerre des chameaux n‟aurait jamais lieu, il convient de s‟attacher d‟abord à
la délimitation de la zone biogéographique semi-aride de la Russie et à son
écologie, puis d‟insister sur le rôle majeur de la mosaïque pédologique et, enfin,
de présenter les contraintes biogéographiques de ce milieu pour la société russe
De ce dernier point de vue, un certain nombre de problèmes sont communs à la
zone de steppe et à celle du désert. En effet, la limite entre les deux n‟est pas si

367
nette et, en outre, certaines difficultés d‟aménagement de celle-ci débordent sur
celle-là. Il a été décidé de les toutes regrouper dans ce chapitre.

Fig. désert 1 : Le désert russe, caricature géographique

368
Milieux naturels de Russie

1. La Russie mise à nu

Dans un transect allant du nord au sud, le milieu semi-aride est le plus


méridional de Russie, du moins dans la partie européenne, où la frontière
politique ne tronque pas la zonation et où les montagnes ne compliquent pas la
situation. La Plaine Caspienne n‟est cependant pas le Kara Koum et il
conviendra d‟abord de se poser la question de l‟existence même d‟un vrai
cinquième milieu biogéographique de la Russie ou bien d‟une simple
dégradation de la zone steppique. Une fois les critères justifiés, sinon admis, il
sera focalisé sur la réponse des plantes et des animaux au grand problème de
l‟aridité : le manque d‟eau. Ce dernier sera aussi, dans un troisième temps, le fil
directeur de l‟étude du sol zonal de ce milieu.

1.1. La Russie possède-t-elle de vrais déserts ?

« La limite des régions désertiques est fort difficile à tracer et c‟est


souvent la végétation elle-même qui constitue le meilleur critère de
différenciation » (Huetz de Lemps, 1994, p. 155). L‟aridité est définie par des
critères climatiques509, mais la biogéographie et la pédologie permettent de
distinguer la zone semi-aride de la zone steppique.

1.1.1.Le critère végétal : une couverture discontinue

Au sens russe, la zone de steppe (stepnaïa zona) correspond à un


ensemble de formations végétales, steppe boisée, steppe vraie et steppe sèche,
ayant toutes le point commun de couvrir entièrement le sol, d‟où leur
caractérisation en tant que prairie dans le vocabulaire biogéographique général
français. Cela signifie que, quand le paysage s‟ouvre, donc devient une steppe
au sens français, on a alors quitté la zone de steppe au sens russe pour entrer
dans la zone des semi-déserts et déserts.
En effet, dans la définition russe classique, celle de L.S. Berg, la zone
du semi-désert (poloupoustynnaïa zona ou, simplement, poloupoustynia)
concerne les terrains où poussent des formations ouvertes dont le taux de
recouvrement oscille entre 99 et 50 % et la zone du désert (poustynnaïa zona ou
poustynia) des espaces dont les formations sont couvrantes à moins de 50% :
« tandis que, dans les steppes, la végétation forme généralement un tapis
ininterrompu, on peut, dans les semi-déserts, apercevoir entre les plantes des
intervalles de terre nue ; toutefois, ce qui n‟est pas le cas pour les déserts, la

509
Selon A.N. Zolotokrylin et E.A. Tchrenkova (2009), les terres sèches (zassouchlivyé zemli),
définies par l‟indice d‟humidité fondé sur l‟évapotranspiration de Thornthwaite, couvriraient près
700 000 km² dans la Fédération de Russie. Plus précisément, la Russie d‟Europe compterait
430 000 km² et la Sibérie 240 000 km² de terres sèches (Zolotokrylin, 2009).
369
superficie couverte de plantes est plus importante que celle qui en est
dépourvue » (Berg, 1941, p. 121)
L‟affaire se complique quelque peu quand on sait que les auteurs russes
appellent « steppe désertique » (poustynnyé stepi)510 ou « steppe à absinthe511 »
la formation végétale qui pousse dans la zone du semi-désert. La logique est
respectée dans le sens où la zone de steppe concentre la steppe au sens strict,
sans épithète. Elle l‟est moins si l‟on considère qu‟une steppe, si elle est
affublée d‟un adjectif, n‟est plus une steppe. Il s‟ensuit un certain flottement
lexical, qui n‟est pas moins grand que celui qui existe en français entre la steppe
au sens de la géographie générale et la steppe au sens de la géographie
régionale.

1.1.2. Le critère pédologique : des sols à faible coefficient d’humidité

Le critère du taux de couverture végétal n‟étant pas forcément utilisé


par tous les auteurs512 d‟une manière aussi stricte que celle de L.S. Berg, il est
important de croiser quelques autres signes distinctifs, en particulier
pédologiques. Après quelques hésitations dans l‟entre-deux-guerres513, la
plupart des géographes russes se sont mis d‟accord sur le fait qu‟on quittait la
zone de steppe, en direction du sud, en sortant des sols châtain au sens strict.
La zone de semi-désert est clairement définie par une couverture
pédologique de svetlo-kachtanovyé potchvy. En effet, « les sols châtain clair
sont spéciaux à la zone des semi-déserts » (Berg, 1941, 112), cependant que les
sols halomorphes prennent une grande place. Dans ce semi-désert, les sols
châtain clair se forment sous des conditions de forte domination de
l‟évaporation, provoquant des flux ascendants dans le sol. Le coefficient
d‟humidité (Koèffitsient ouvlajnénia), utilisé par les Russes en pédologie sous
forme du rapport entre les précipitation et l‟évapo-transpiration potentielle,
serait compris entre 0,33 et 0,17 selon Triochnikov (1988 p. 236), entre 0,35 et
0,25 d‟après Rakovskaïa et Davydova (2003, p. 220), pour qualifier le semi-

510
Terminologie classique russe reprise jusqu‟à aujourd‟hui, par exemple chez Rakovskaïa et
Davydova (2003). Certains géographes français l‟ont importé dans notre langue : « On désigne en
URSS sous le nom de steppe désertique […] une formation ouverte, avec des plaques de sol nu
pouvant atteindre plusieurs mètres chacune » (Tricart, 1969, p. 49).
511
Selon l‟expression consacrée de la géographie soviétique, transcrite en français à partir de
l‟ouvrage de Berg (1941). Martchenko et Nizovtsev (2005) parlent précisément de steppes
méridionales à absinthe (polynno-dernovinnyé youjnyé stepi).
512
« Dans la composition du tapis végétal des steppes désertiques une part nettement plus
importante que celles qu‟ils ont dans les steppes typiques appartient aux éphémères annuelles
ainsi qu‟aux mousses et lichens, ce qui explique une densité moindre de couverture (40 à 50 %) »
(Rodine, 1956, p. 216). Dans « la steppe désertique […] en moyenne, le taux de couverture tombe
à 40-50 % » (Tricart, 1969, p. 49-50).
513
« J‟avais attribué la bande septentrionale des sols châtain clair à la zone des steppes, mais
aujourd‟hui, après les recherches faites par Néoustrouiev (1928), je la considère comme faisant
partie des semi-déserts » (Berg, 1941, p. 122).
370
Milieux naturels de Russie
désert. Les géographes russes font donc commencer le semi-désert au-delà d‟un
seuil nettement plus sec que la classification du climat semi-aride de
l‟Organisation des Nations Unies514.
Selon la définition pédologique russe classique, on quitte la zone du
semi-désert en laissant derrière soi le sol châtain clair, pour entrer dans la zone
du désert quand il s‟agit dudit sol brun steppo-désertique (bouraïa poustynno-
stepnaïa potchva). Malgré son nom, celui-ci ne porte pas la steppe désertique de
la classification biogéographique russe, mais la végétation désertique typique.
L‟ensemble est compliqué par l‟importance des sols halomorphes portant une
végétation formée d‟halophytes.

1.1.3. Une nuance russe : la différence entre semi-désert et


désert
Zone Taux de Formation Sol dominant
couverture végétale
végétale
Steppe (pour 100 % Steppe sèche Châtain
rappel)
Semi-désert 99 à 50 % Steppe désertique Châtain clair
(Rodine,
Rakovskaïa)
Steppe méridionale
à Armoise
(Martchenko)
Steppe à absinthe
(Berg)
Désert 49 à 0 % Désert à Armoise Brun déserto-
(Martchenko) steppique

Tableau Typologie des milieux biogéographiques désertiques russes :


essai de synthèse
Le vocabulaire synthétisé est en particulier celui de Berg (1941), Rodine (1956),
Triochnikov (1988), Rakovskaïa et Davydova (2003), Martchenko et Nizovtsev
(2005).

514
Rappelons que l‟UNESCO, qui, à la suite des travaux de Thornthwaite, a choisi le quotient des
précipitations sur ETP comme indice d‟aridité pour confectionner sa carte mondiale, définit un
climat semi-aride si ce rapport est inférieur à 0,5 et aride s‟il est inférieur à 0,2. Une grande partie
de la zone de steppe russe est ainsi semi-aride et une proportion importante du semi-désert est
aride.
371
En résumé, pour les Russes, le semi-désert (poloupoustynia) est un
domaine zonal où des steppes désertiques (poustynnyé stepi) poussent sur des
sols châtain clair (svetlo-kachtanovyé potchvy). Quant au désert (poustynia),
c‟est un espace où quelques Armoises et autres plantes désertiques (polynnyé
sévernyé poustyni) sont susceptibles de croître sur un sol brun steppo-désertique
(bouraïa poustynno-stepnaïa potchva).
Ainsi définie, l‟ensemble de la végétation et des sols du semi-désert
couvre le sud-est de la Russie d‟Europe, commençant à l‟est du 45e méridien. A
l‟échelle de la Russie d‟Europe, c‟est un milieu non seulement méridional, mais
aussi oriental. Au sud de la Volga, sa limite classique, marquée dans le paysage,
se trouve être le rebord des monts Erghéni au-dessus de la Plaine Caspienne.
Mais, selon certains auteurs, elle déborde ce massif. Au nord de la Volga, elle
monte jusqu‟au 48e parallèle dans sa délimitation la plus stricte, mais elle atteint
presque le 50e dans son acception la plus large. Cela en fait l‟un des milieux les
plus septentrionaux de la planète touchés par l‟aridité. La république de
Kalmykie et l‟oblast d‟Astrakhan se trouvent entièrement dans la zone
biogéographique du désert et semi-désert, laquelle déborde aussi sur les oblasti
de Volgograd, Rostov et Stavropol, ainsi que sur la république du Daghestan.
Au sens le plus strict, ce sont ainsi 200 000 km² de la Russie d‟Europe qui sont
concernés. Si l‟on ajoute les 800 000 km² de steppe sèche européenne et
sibérienne sur sol châtain, qui entrent entièrement dans le milieu semi-aride
défini par l‟UNESCO, la Russie compte environ un million de kilomètres carrés
de terres subissant fortement les contraintes de sécheresse à été torride et hiver
froid. Si l‟on prend une définition plus large encore, s‟appuyant sur un indice
d‟aridité inférieur à 0,75 et les recommandations de la Convention des Nations
Unies sur la lutte contre la désertification (KBOOON en abréviation russe), la
Fédération de Russie pourrait même compter un million six cent mille
kilomètres carrés de terres sèches (Glazovskij, 2002, cité par Zolotokrylin,
2009), voire deux millions cent mille kilomètres carrés de terres menacées par
la désertification (Petrov, 2005). Mais on glisse ici de l‟état de semi-désert à
l‟évolution dynamique de la désertification, l‟opoustynivanié des Russes, que
les géographes étudient sous l‟angle du risque (Kotliakov, Dir., 2009). Quoi
qu‟il en soit, on comprend ainsi que la chute de l‟URSS n‟ait pas exempté la
Fédération de Russie de cette brûlante question et ne l‟ait pas réservée aux
seules républiques nouvellement indépendantes d‟Asie Centrale.

372
Milieux naturels de Russie
1.2. L’adaptation des êtres vivants au manque d’eau estival et au
froid hivernal

La steppe désertique, végétation propre au semi-désert, a la


caractéristique de mêler des plantes steppiques, en particulier certaines
Graminées, et des plantes proprement désertiques, ces dernières étant les seules
à subsister dans la zone de poustynia. Toutes développent un certain nombre de
traits physiologiques et morphologiques, pour tenter de répondre au déficit
hydrique dans le sol. L‟idée maîtresse est donc l‟adaptation au manque d‟eau
(prispossoblénié k nédostatkou vlagui), dans l‟environnement semi-désertique
russe où les précipitations annuelles tournent autour de 250 à 300 mm par an
pour une évapo-transpiration potentielle trois à six fois plus élevée, ou bien dans
le milieu désertique russe où les précipitations sont généralement comprises
entre 150 et 250 mm par an515. A cette contrainte majeur s‟ajoute la particularité
russe d‟un hiver froid, susceptible de gêner aussi les plantes et les animaux.

1.2.1. Les xérophytes des strates herbacée et suffrutescente

La strate herbacée, encore très développée dans la steppe sèche, garde


une certaine importance dans le semi-désert. Elle est formée de Graminées,
dites cespiteuses parce qu‟elles poussent en touffes séparées les unes des autres
par des plaques de sol nu, qui montrent un certain nombre d‟adaptations à la
sécheresse. La Fétuque du Valais (Festuca sulcata valesiaca, tiptchak) se trouve
partout, au point qu‟elle est considérée comme la Graminée la plus
caractéristique du semi-désert (Berg, 1941). Les Stipes restent importantes. Au
delà de la Volga, dans le semi-désert du nord, c‟est-à-dire la Transvolgie de
l‟oblast de Volgograd, l‟espèce caractéristique est Stipa sareptana. En-deçà de
la Volga, dans le semi-désert du sud, le marqueur est plutôt Stipa lessingiana
(Martchenko et Nizovtsev, 2005). La Koélérie grêle (Koeleria gracilis) et
plusieurs espèces de Chiendent (Agropyrum, jitniak) complètent le peuplement
des Graminées xérophiles (Rodine, 1956), en particulier le Chiendent du désert
(Agropyrum desertorum, jitniak poustynny) et le Chiendent de Sibérie
(Agropyrum sibiricum ou A. fragile, jitniak sibirski).
La strate suffrutescente516 du semi-désert et du désert russe est formée
par de petits buissons xérophiles, dits aussi « sous-arbrisseaux » en français
(Rodine, 1956, p. 216, Elhaï, 1967, p. 53, Tricart, 1969, p. 50), que les Russes
nomment poloukoustarnitchki. Ces buissons forment surtout, en Russie comme
dans toute l‟Asie Centrale, des « peuplements suffrutescents inermes »
(Rougerie, 1988, p. 56), c‟est-à-dire des paysages de sous-arbrisseaux non
515
La station météorologique d‟Astrakhan avait un total annuel de 171 mm de précipitations pour
la période de 1850 à 1915. Il est d‟environ 200 mm aujourd‟hui.
516
C‟est-à-dire la strate formée d‟individus ligneux de moins de 2 m de hauteur (Rougerie, 1988,
p. 55).
373
épineux. En effet, le genre de loin le plus représenté se trouve être l‟Armoise 517
(Artemisia, polyn). Cette Composée, qui pousse plutôt comme une herbe dans la
steppe, prend une forme buissonnante dans le semi-désert, mais elle reste
toujours « sans armes » (Rougerie, 1988, p. 56). L‟Armoise blanche, sous forme
de plusieurs sous-espèces d‟Artemisia maritima, est répandue partout où le sel
n‟est pas trop abondant dans le sol. Au delà de la Volga, dans le semi-désert du
nord, l‟Armoise blanche est accompagnée de la polyn Lerkha (Artemisia
lerchiana). En-deçà de la Volga, dans le semi-désert du sud, c‟est la polyn
tavritcheskaïa (Artemisia taurica) qui la remplace (Martchenko et Nizovtsev,
2005). Artemisia pauciflora est commune (Rodine, 1956), mais plutôt sur les
sols salés (Berg, 1941), de même que l‟Armoise noire (tchiornaïa polyn). Outre
l‟Armoise, la strate suffrutescente compte aussi, souvent, le Pyrèthre
(Pyrethrum, romachnik), l‟Arroche (Atriplex, lébéda) et la Kochie (Kochia,
proutniak ou bien kokhia). Dans le semi-désert russe, l‟espèce principale,
parfois broutée par les ovins et les caprins, se trouve être la kokhia
stéliouchtchaïasia (Kochia prostrata).
Les herbes et les sous-arbrisseaux de la strate herbacée et de la strate
suffrutescente développent des réponses physiologiques au manque d‟eau, en
modifiant le fonctionnement de certaines organes. Les comportements les plus
courants en situation de sécheresse sont la fermeture des stomates pendant de
longs temps, pour éviter la transpiration, et l‟augmentation de la pression
osmotique pour permettre aux racines d‟extraire le peu d‟eau existant dans le
sol.
Les herbes et les sous-arbrisseaux des semi-déserts et déserts
développent, en sus des modifications physiologiques répondant au manque
d‟eau, des adaptations morphologiques concernant tant le système racinaire que
le système foliaire. C‟est à proprement parler la xéromorphie.
Le système racinaire (kornévaïa sistéma) est toujours très développé, en
tout cas beaucoup plus que la partie aérienne de la plante. Les sous-arbrisseaux
xérophytes (ksérofitnyé poloukoustarnitchki) ont pour la plupart des racines
pivotantes qui peuvent s‟enfoncer de plusieurs mètres dans le sol pour atteindre
la nappe phréatique. C‟est la glouboko pronikaïouchtchaïa kornévaïa sistéma
(le système racinaire de pénétration profonde). De ce point de vue, l‟épine du
chameau (Alhagi pseudalhagi, verblioujia kolioutchka) atteint des extrêmes,
puisque certains spécimens puisent leur eau jusqu‟à une vingtaine de mètres de
profondeur, dans les nappes libres, les grountovyé vody, (Giljarov, 1986, p. 91).
Il y a là une originalité du milieu aride russe, qui possède un long hiver froid
puisque c‟est l‟un des déserts plus septentrionaux du monde. L‟évaporation est
donc assez faible à l‟échelle de l‟année, si bien que les réserves d‟eau profondes

517
Le genre Artemisia correspond à l‟Armoise en français et à la polyn en russe.
Malheureusement, depuis la traduction en français de l‟ouvrage de Berg (1941), l‟habitude a été
prise d‟assimiler l‟absinthe, qui n‟est qu‟une espèce d‟Armoise, à l‟ensemble du genre, dans le
cas des descriptions de la steppe russe.
374
Milieux naturels de Russie
ne sont pas absentes, surtout dans les terrains sableux. Les plantes à racine-pivot
sont ainsi avantagées.
Cependant, les racines latérales extrêmement développées forment une
adaptation encore plus généralisée. Le diamètre très important du réseau
racinaire, de parfois plusieurs mètres, tant chez les herbes que chez les buissons,
draine une surface d‟absorption telle que c‟est cette caractéristique qui explique
les larges plaques de sol nu entre les parties aériennes des plantes. Après une
averse, l‟absorption (poglochtchénié) est ainsi optimale, sans autoriser l‟eau ni à
s‟infiltrer ni à s‟évaporer. Cette razvetvlionnaïa kornévaïa sistéma (système
racinaire ramifié) a son extension maximale à proximité de la surface, mais
certaines xérophytes développent des racines latérales à des niveaux plus
profonds, par exemple juste au-dessus de petites intercalations imperméables.
Le buisson le plus commun de la steppe désertique russe, l‟Armoise, a « des
racines considérablement développées, jusqu‟à 2 voire 5 m et explorant de 2 à
3 m² de sol, par pied » (Rougerie, 1988, p. 56).
Au contraire de la partie souterraine, la partie aérienne des xérophytes
est peu développée et ce sont généralement des plantes de petite taille. Cette
adaptation permet d‟ailleurs de lutter à la fois contre la sécheresse de l‟été et le
froid de l‟hiver, ainsi que contre les vents du désert. La forme hémisphérique de
chaque plante construit dans le paysage, où elles sont assemblées par centaines,
des « formations à coussinets » (Rougerie, 1988, p. 21). La Plaine Caspienne
offre ainsi des champs de biïourgoun (Anabasis salsa) qui montrent cette forme
répondant aux contraintes désertiques.
La xéromorphie du système foliaire tend vers un même but, la
limitation de la perte d‟eau par transpiration. De ce fait, les feuilles sont petites
(melkié listia), parfois réduites à des épines (kolioutchki) ou des écailles. Les
xérophytes à petites feuilles (melkolistnyé ksérofity) forment l‟essentiel des
peuplements, mais, dans certains cas, on peut aller jusqu‟à l‟absence totale de
feuilles sous quelque forme que ce soit. Ces plantes sont alors des xérophytes
aphylles (bezlistnyé ksérofity). Chez certaines Graminées du semi-désert russe,
le limbe foliaire est enroulé sur lui-même, formant ainsi un petit tube
(troubotchka), au cœur duquel les stomates sont protégés des échanges avec
l‟extérieur. En outre, la pilosité (opouchennost) des feuilles contribue à masquer
les stomates, donc à gêner la transpiration.

375
Il faut ajouter qu‟une pellicule cireuse (voskovoï naliot) recouvre
souvent la tige, ainsi que les feuilles sous forme d‟une cuticule « parfois
imprégnée de gommes, résines, caoutchouc qui ont pour effet de la rendre
imperméable » (Elhaï, 1967, p. 56).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 71 L’adaptation des xérophytes russes au manque d’eau
Ces xérophytes à petites feuilles (melkolistnyé ksérofity) colonisent, en Sibérie, les champs de
sables mobiles d’Olkhon. La xéromorphie du système foliaire limite les pertes d’eau par
transpiration. La pilosité (opouchennost) des feuilles, bien visible sur la photographie, aide à
masquer les stomates, freinant ainsi la transpiration

Bien entendu, toutes ces protections contre la transpiration freinent en


même temps l‟assimilation chlorophyllienne. Pour tenter d‟obvier à cet
inconvénient, certaines plantes du désert développent ce que les auteurs russes
appellent la raznolistnost (Rakovskaja et Davydova, 2003, p. 174), qu‟on
pourrait traduire littéralement par feuillaison différenciée. C‟est le classique
dimorphisme foliaire des auteurs français (Elhaï, 1967, p. 57). Pendant la
période la plus propice, lors de laquelle une certaine humidité existe, c‟est-à-
dire au printemps dans le désert caspien, la plante développe de larges feuilles,
tandis qu‟en été elle ne possède plus que des épines ou de petites feuilles
recroquevillées. Chez l‟Armoise, « les feuilles, molles au printemps, se
sclérifient progressivement » (Rougerie, 1988, p. 56). On touche là à une
originalité du désert russe, due à sa position très septentrionale, qui ajoute à la
sécheresse estivale la contrainte du froid hivernal. Entre les deux, le printemps

376
Milieux naturels de Russie
forme une fenêtre, d‟ailleurs irrégulière d‟une année à l‟autre, qui permet les
conditions les moins défavorables.

1.2.2. Les plantes succulentes : une limitation par le froid

Les plantes succulentes (soukkoulenty) forment un groupe particulier de


xérophytes, qui tentent de passer les périodes les plus sèches par la mise en
réserve de l‟eau dans des organes charnus (miassistyé organy) de leur partie
aérienne.

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 72 Une succulente de la steppe sèche russe, la zaïatchia kapousta
L’adaptation au manque d’eau prend assez peu la forme de la succulence chez les xérophytes
russes, à cause de la contrainte supplémentaire du gel intense. Parmi les principales exceptions, la
zaïatchia kapousta est un Orpin (Sedum) qui met l’eau en réserve dans des feuilles charnues, les
miassistyé listia. La photo a été prise dans la steppe sèche d’Olkhon, où les précipitations annuelles
sont inférieures à 180 mm.

Les auteurs russes distinguent les steblévyé soukkoulenty, qui sont des
plantes faisant des réserves d‟eau dans les tiges, des listovyé soukkoulenty, qui
377
sont des plantes accumulant l‟eau dans leurs feuilles. En outre, la succulence est
en général accompagnée par une xéromorphie foliaire permettant à l‟eau
accumulée de ne pas être perdue trop facilement par la transpiration.
On sait que, d‟une manière générale, les succulentes, grâce à leurs
réserves, n‟ont pas besoin de développer une pression osmotique élevée.
Cependant, si elles ne le font pas, seuls les déserts chauds leur sont ouverts,
puisque cette faible pression « les rend très vulnérables à la gelée » (Birot,
1965, p. 472). C‟est pour les succulentes que le difficile cumul de la torride
sécheresse estivale et du froid de l‟hiver, qui fait l‟originalité du désert russe, est
le plus aigu. Sans la protection thermique de la neige ni le pouvoir tampon de
l‟eau dans le sol, à cause de la sécheresse, sans la protection végétale d‟un étage
supérieur, le gel de l‟hiver pénètre fortement dans le sol. De fait, dans le désert
à hiver froid de la Russie d‟Europe, les succulentes ne sont pas très nombreuses,
réduites à des genres qui cumulent la mise en réserve de l‟eau et une forte
pression osmotique, développant à la fois des caractères de xérophytes et de
cryophytes. C‟est le cas de plusieurs espèces d‟Arroche (Atriplex, lébéda), qui
sont des listovyé soukkoulenty.

1.2.3. Les plantes à court cycle végétatif : le printemps du désert


russe

Dans les déserts et semi-déserts, la période favorable au développement


des plantes, celle pendant laquelle l‟humidité est suffisante, est très réduite.
Certaines espèces de ces régions se sont adaptées à cette contrainte, en
réussissant à accomplir la totalité de leur cycle végétatif, que les Russes
nomment simplement véguétatsia (ou plus longuement véguétatsionny périod),
en quelques semaines. Ces sont les rasténia s korotkim périodom véguétatsi, les
plantes à court cycle végétatif.
Les éphéméroïdes (èféméroidy) sont les plantes vivaces (mnogoletnyé
rasténia) à cycle court. Dans les déserts russes, c‟est à la sortie de l‟hiver que
l‟eau dans le sol est la plus abondante. Le trimestre de février, mars et avril est
en général celui où quelques précipitations existent et la fonte des petites
réserves de neige imbibe le sol à la fin de cette saison. Enfin, la fraîcheur évite
les pertes par évaporation, avant que l‟été torride ne survienne. Ainsi, « les
bonnes conditions printanières permettent le développement d‟Ephéméroïdes,
c‟est-à-dire de Géophytes à cycle végétatif court » (Birot, 1965, p. 473). Une
fois la véguétatsia brièvement effectuée, ces cryptophytes passent l‟essentiel de
l‟année, aux conditions climatiques et pédologiques défavorables, par leurs
seuls organes souterrains. L‟éphéméroïde la plus courante du désert caspien est
une Graminée, le Pâturin bulbeux (Poa bulbosa, miatlik loukovitchny), qui

378
Milieux naturels de Russie
518
développe ici sa variété vivipare . Mais on y trouve aussi des Laîches (Carex,
ossoki) des Aulx (Allium, louki) et quelques autres genres (Rodine, 1956). Les
Tulipes (Tulipa, tioulpany) sont des éphéméroïdes qui chamarrent la steppe
désertique russe, dont certaines espèces sont protégées au titre du livre rouge.
Les éphémères (èféméry) sont les plantes annuelles (odnoletnyé
rasténia) à cycle court. Ces thérophytes sont sans doute, de toutes les plantes,
celles qui montrent la plus forte adaptabilité (prispossoblennost) à l‟irrégularité
climatique. Les graines attendent dans le sol le temps qu‟il faut, c‟est-à-dire
une pluie suffisante, puis accomplir en une très courte période, en général bien
plus réduite que celle des éphéméroïdes, leur développement et leur
fructification, avant de se dessécher et de mourir, non sans avoir laissé de
nouvelles graines dans le sol. C‟est donc à l‟état de repos (v sostaïanii pokoïa),
sous forme d‟une graine à pellicule endurcie, que l‟essentiel de l‟année, et
même parfois d‟une période pluriannuelle, se passe.
Les auteurs soviétiques classiques insistaient sur le fait que les plantes à
court cycle végétatif concernaient essentiellement les déserts de basse Asie
Centrale, surtout les éphémères, tout en remontant de manière dominante jusque
dans les déserts d‟Azerbaïdjan, en particulier dans la vallée de la Koura
(Rodine, 1956). Mais les géographes russes contemporains, comme Rakovskaïa
et Davydova (2003), rappellent le rôle des éphémères et des éphéméroïdes dans
le désert caspien. Au printemps, ce sont ces plantes qui composent un paysage
vivant, dont la couverture au sol est momentanément continue, et même en
partie colorée, très différent de l‟ambiance moribonde des autres saisons. Le
Pâturin bulbeux est traditionnellement brouté par le bétail à cette saison,
notamment en Kalmykie. C‟est aussi au printemps qu‟une couverture moussue
remplit les vides. « Dans les semi-déserts de la région d‟Astrakhan, les
intervalles séparant les touffes d‟absinthe blanche sont tapissés de mousses
d‟une couleur à ce point noire que la terre semble brûlée » (Berg, 1941, p. 133).

1.2.4. Les animaux du désert russe et la Caspienne

On sait, depuis la parution en français de l‟ouvrage La vie dans les


déserts, traduit dans notre langue par Théodore Monod à partir du manuscrit de
D.N. Kachkarov et E.P. Korovine, que la bibliographie russe concernant la
zoogéographie des déserts est extrêmement abondante. Elle concernait avant

518
C‟est « une graminée vivace, généralement haute de 30 à 40 cm, qui croît sur de petites mottes
de 2 à 3 cm de diamètre. A la base de la tige se forme une sorte d‟oignon qui est capable de
résister très longtemps à la sécheresse ; il est arrivée que des oignons ont donné des pousses après
avoir passé dix ans dans un herbier. Mais ce pâturin a encore des oignons d‟un autre genre, ce qui
lui a fait donner le nom de vivipare ; dans les gaines des feuilles florifères, il se forme, au lieu de
fleurs, une cinquantaine de petits bulbes qui remplacent les graines et qui, en tombant dans la
terre, donnent naissance à une nouvelle plante » (Berg, 1941, p. 169).
379
tout l‟Asie centrale de la Russie tsariste, puis de l‟URSS. Il ne s‟agit pas ici de
reprendre toutes les généralités, vraies pour le désert russe caspien comme pour
les autres, qui se trouvent désormais hors de la Fédération. Nous chercherons
plutôt à dégager, de façon concise, les spécificités du désert russe.
Les adaptations morpho-physiologiques au manque d‟eau,
secondairement à la chaleur estivale et aux vents de poussière, sont pour la
plupart communes à tous les milieux arides. Le désert russe y ajoute la forte
contrainte du froid hivernal, qu‟il partage avec les déserts asiatiques
septentrionaux comme ceux de Mongolie. La priorité est double. D‟une part, il
s‟agit de se contenter, de façon exclusive ou proportionnellement forte, de la
fabrication d‟eau métabolique. D‟autre part, il faut perdre le moins possible
d‟humidité. L‟une des manières de produire de l‟eau en quantité à partir des
atomes d‟hydrogène se trouve être la mise en réserve de graisse (zapassanié
jira), qui, par des processus chimiques internes fondés sur l‟oxydation, fabrique
ensuite l‟élément. Cet emmagasinage se fait le plus souvent dans la queue et
concerne pratiquement tous les rongeurs du désert russe. Outre la mise en
réserve, la plupart des animaux du désert transpirent très peu. Même les
animaux à sang chaud supportent de voir leur température s‟élever, sans pour
autant déclencher une importante transpiration pour tenter de faire baisser celle-
là. Et leur urine contient moins d‟eau que celle des Mammifères non
désertiques. Chez la plupart des Reptiles, c‟est même de l‟acide urique solide
qui est excrété.
Quelques exemples de Mammifères peuvent être pris. Chez le chameau,
nommé verblioud par les Russes, la réserve de graisse principale se trouve dans
les deux bosses et la possibilité d‟élévation de la température du corps sans
provoquer de transpiration est particulièrement élevée. Le verblioud n‟existe
dans le désert caspien qu‟à l‟état domestique.
Les Gerbilles forment une sous-famille (Gerbillinae) de rongeurs, que
les Russes nomment pestchanki, en lien avec leur faculté à vivre dans les sables.
Deux genres sont très répandus dans le désert caspien, la grande Gerbille
(Rhombomys, bolchaïa pestchanka) et la Mérione (Meriones), que les Russes
appellent la petite Gerbille (malaïa pestchanka). Les Gerboises forment un autre
ensemble de rongeurs de milieu aride, dont le principal représentant russe est le
touchkantchik mokhnonogui (Dipus sagitta), qui n‟a pas de nom en français.
Les Gerbilles et les Gerboises font des réserves de graisse dans leur queue, ne
possèdent pas de glandes sudoripares pour éviter de transpirer, leur urine est
fortement concentrée grâce à un fonctionnement particulier de leurs reins. Elles
ne boivent jamais, mais leur organisme a la capacité de se contenter de l‟eau
métabolique, celle qui est fabriquée à partir des graines, feuilles et morceaux de
plantes sèches qu‟elles consomment.
Les rongeurs du désert russe forment un bon exemple d‟animaux qui ne
doivent pas seulement lutter contre le manque d‟eau et la chaleur torride de
380
Milieux naturels de Russie
l‟été, mais aussi contre le froid de l‟hiver. Très septentrional et continental, le
milieu semi-aride de la Russie ajoute les inconvénients les uns aux autres et
démultiplie les mauvaises saisons. L‟une des réponses physiologiques est le
cumul d‟une torpeur léthargique estivale et d‟un endormissement hivernal,
d‟une letniaïa spiatchka et d‟un zimnéé otsépénénié. Il ne reste plus que les mi-
saisons pour être actif, le printemps étant la meilleure des deux, car la nourriture
est présente. C‟est ainsi que l‟écureuil terrestre (souslik) du désert caspien
hiberne en hiver, estive en été, mais déborde d‟activité au printemps et
secondairement à l‟automne.
Outre les adaptations au manque d‟eau et aux excès thermiques, certains
animaux du désert russe ont développé une résistance aux flux de poussière.
C‟est le cas de l‟Antilope saïga (Saiga tatarica, saïgak), dont les cavités nasales
sont recouvertes d‟une muqueuse qui filtre les particules fines apporté par le
soukhovéï et les autres vents brûlants, chargés de poussières.
En dehors des adaptations morpho-physiologiques, les animaux du
désert ont développé pour un grand nombre d‟entre eux des adaptations
éthologiques. Leur comportement répond aux contraintes du milieu semi-aride.
De ce fait, leur mode de vie (obraz jizni) est souterrain, nocturne ou encore
migratoire.
Le mode de vie souterrain concerne presque tous les animaux de petite
taille, les insectes, les reptiles, les rongeurs. Il permet de se protéger de la forte
insolation et des risques de transpiration. Chez les rongeurs, ce comportement
nécessite le creusement d‟un terrier, la nora. Sous terre, l‟humidité relative est
plus élevée et elle est d‟ailleurs augmentée par le confinement de la respiration
de l‟animal lui-même.
Le mode de vie nocturne (notchnoï obraz jizni) ou crépusculaire
(souméretchny obraz jizni) est souvent lié au comportement souterrain, dans le
sens où ce dernier permet le repos diurne. L‟activité de nuit est la plus grande
en été, quand la chaleur du jour est torride. Au-delà de cet aspect classique de
tous les déserts, les mêmes animaux ont, dans la Plaine Caspienne, un mode de
vie nettement diurne en hiver. Ce fait est plus original du désert russe, où la
contrainte du gel est très marquée en hiver. Toutes les Gerbilles du désert russe
sont nocturnes ou crépusculaires en été, sauf la Mérione (malaïa pestchanka),
qui préfère les sorties diurnes même au plus chaud de l‟année.
Le comportement migratoire est l‟adaptation éthologique la plus
développée dans tous les milieux difficiles. Il est à remarquer que l‟ensemble du
territoire russe, très continental, est concerné par les migrations saisonnières,
qui atteignent leur maximum dans les deux zones les plus contraignantes, la
toundra au nord et le désert semi-aride au sud. Le seul grand herbivore sauvage
du désert russe, l‟Antilope saïga, a toujours nomadisé en permanence à la
recherche des meilleurs pâturages. Sa prédilection était pour la migration vers le
nord et la steppe en été, vers le sud-est et le désert en hiver, lui permettant de
381
toujours trouver des pâturages sans neige. La mise en culture de la steppe a
conduit le saïgak à devenir un habitant presque permanent du milieu désertique,
à l‟intérieur duquel il se déplace cependant encore beaucoup.
Parmi les animaux migrateurs, les oiseaux occupent bien entendu une
place particulière. En général, la faune aviaire est plutôt rare dans les déserts,
car les oiseaux perdent en moyenne plus d‟eau que les mammifères, du fait que
leur respiration rejette une plus grande quantité d‟humidité. De fait, les oiseaux
ont besoin de boire, si bien que leur présence se réduit à la proximité des points
d‟eau, douce de préférence, saumâtre éventuellement. C‟est ici qu‟intervient
l‟originalité du désert russe, bordé du plus grand lac du monde, dont l‟eau
saumâtre est dessalée à l‟arrivée de la Volga. Le fleuve lui-même, ses bras, les
autres cours d‟eau caspiens et même certains canaux favorisent les Oiseaux,
ainsi que certains petits lacs ou marais endoréiques. La Caspienne et ses
annexes sont aussi fournisseurs de poissons, que consomment certains oiseaux.
Pour toutes ses raisons, il n‟y a pas que des migrateurs dans le désert russe, mais
aussi des oiseaux adaptés au milieu aride caspien.
Les riabki, les Gangas de la langue française519, forment sans doute le
genre (Pterocles) le plus caractéristique du désert russe. Ces migrateurs partiels
se plaisent dans les déserts sableux ou caillouteux de la Plaine Caspienne, tout
en appréciant les eaux saumâtres du lac lui-même, ses lagunes et ses marais
littoraux. Le Ganga est un oiseau adapté au milieu aride, le seul qui trempe,
humecte (smatchivaet disent les Russes) les plumes de son abdomen là où il y a
un plan d‟eau et, grâce à la structure de ses plumes, transporte ensuite cette eau
jusqu‟à son nid, qui peut être assez éloigné, où il se décharge sur ses oisillons
(Abdurakhmanov, 2003, pp. 273-274). Deux espèces peuplent ainsi le désert
russe, d‟une part le Ganga cata520 (Pterocles alchata, bélobrioukhi riabok),
d‟autre part le Ganga unibande (Pterocles orientalis, tchernobrioukhi riabok).

519
Où plutôt catalane.
520
En France, le Ganga cata, très rare, ne niche qu‟en un seul endroit, la réserve naturelle des
Coussouls de Crau. Tous les dépliants de cet espace protégé ont toujours vanté le Ganga cata
comme étant « emblématique », jusqu‟à ce que, en août 2009, la fuite de l‟oléoduc, reliant Fos-
sur-Mer à Karlsruhe et traversant cette réserve française, ne provoquât la catastrophe écologique
que l‟on sait (Wolff, 2009). Celle-ci ne remet cependant pas en cause les effectifs russes, car les
migrations de la forme orientale de l‟espèce se font entre la Russie, le Moyen-Orient et l‟Inde,
tandis que la France est, comme l‟Afrique du Nord, concernée par la forme occidentale.
382
Milieux naturels de Russie
1.3. Le passage zonal du sol châtain clair au sol brun steppique

La végétation des steppes désertiques de la zone du semi-désert croît sur


les svetlo-kachtanovyé potchvy, que les auteurs français traduisent généralement
en sols châtain clair. Ce sont des sols peu épais de type AC. Le sous-horizon
humifère ne fait plus qu‟une vingtaine à une trentaine de centimètres
d‟épaisseur. L‟humus, qui représentait encore 3 à 4 % dans les sols châtain,
tombe ici à une proportion de 1 à 3 % (Berg, 1941, p. 131). Le complexe
absorbant est saturé par une proportion d‟ions sodium qui n‟est pas minime et
rappelle en partie le solonets. Le sous-horizon éluvial minéral est argileux et
prend souvent une structure prismatique. Vers 40 cm (Triochnikov, 1988) à 50
cm (Berg, 1941) de profondeur, le niveau d‟accumulation des carbonates est
concrétionné et il précède souvent un horizon gypseux plus profond. Les sols
châtain clair ne se développent de manière pure que dans une granulométrie
limoneuse521 ; dans les autres cas l‟halomorphie les guette. La région de
Volgograd est celle qui comprend sur les plus grandes distances des sols châtain
clairs.
Dans des conditions plus sèches encore, on quitte les sols châtain clair
pour entrer dans les bouryé poustynno-stepnyé potchvy des auteurs russes
classiques, littéralement les sols bruns déserto-steppiques, dits aussi parfois
bouryé poloupoustynnyé potchvy, les sols bruns semi-désertiques. Les Français
nomment cette formation « sol brun steppique » (Lacoste et Salanon, 1969, p.
108, Viers, 1970, p. 192) ou « sol brun de steppe » (Demangeot, 1981, p. 98).
Les sols bruns déserto-steppiques sont des formations peu épaisses de
type AC, dans lesquelles le niveau carbonaté forme souvent une véritable croûte
indurée. Selon Triochnikov (1988) et Nizovtsev (2005), le taux d‟humus est
compris entre 1,5 et 2,5 %. D‟après Rakovskaïa et Davydova (2003), il est
inférieur à 2 %. Quoi qu‟il en soit, c‟est cette faible quantité d‟humus qui
donne à l‟horizon supérieur sa couleur brun clair (svetlo-bouraïa okraska). Cet
horizon est friable (rykhly), souvent feuilleté (sloïévaty) et, surtout, les
carbonates augmentent avec la profondeur. Le quotient des précipitations par
l‟évapo-transpiration potentielle tombe à moins de 0,2 et les migrations
ascendantes provoquent la formation d‟une croûte (Ca). C‟est plus en
profondeur que s‟accumulent les sulfates et les chlorures.
En effet, la plupart des sols bruns déserto-steppiques sont en même
temps halomorphes. La quasi-totalité de la partie de l‟oblast d‟Astrakhan située
au sud de la Volga, de même que l‟essentiel de la Kalmykie, sont ainsi couverts
d‟un sol brun déserto-steppique à solonets ou à solontchak. Même les sols
châtain clair sont assez souvent halomorphes, sauf quand la granulométrie est
favorablement limoneuse. Les conditions locales, azonales, prennent donc une
521
« Sur les sols limoneux, le régime hydrique est optimum. La percolation repousse la croûte
gypseuse des sols châtain clair jusqu‟à 1 m de profondeur. L‟humectation printanière est par
conséquent durable » (Birot, 1965, p. 472).
383
grande importance et finissent par surpasser, dans la Plaine Caspienne, les effets
de la dégradation zonale.

2. Une pincée de sel d’Astrakhan, un grain de sable kalmouk et le


mirage de l’oasis

Vu la faiblesse de la végétation désertique, l‟accumulation de la matière


organique est réduite. De ce fait, la fraction minérale du sol est
proportionnellement forte. La roche-mère, du substrat ou issue d‟accumulations
allogènes, donne des caractères bien reconnaissables à chacun des sols. En
retour, les traits particuliers de chacun de ces sols jeunes et souvent remaniés,
ne serait-ce que par le vent, influent eux-mêmes sur la végétation, qui devient
spécifique. Les sols zonaux désertiques cèdent ainsi très souvent la place à des
conditions pédologiques locales. Ce fut le chercheur russe Néoustrouiev qui,
dans les années 1920, insista le premier sur la mosaïque non zonale522 des sols,
de la végétation et des habitats animaux des semi-déserts et des déserts
soviétiques523. Ce caractère éclaté, la razréjennost des auteurs russes, est sans
doute le trait géographique majeur du milieu semi-aride caspien. C‟est donc
l‟importance des conditions édaphiques locales, que les Russes appellent les
sols intrazonaux, qui sera étudiée ici.

2.1. Les sols halomorphes, les halophytes et les gypsophytes

Les sols halomorphes524, riches en sels solubles525, trouent localement, à


l‟état naturel, toutes les formations pédologiques de la zone steppique, non
seulement les sols châtain, mais aussi les tchernozioms de la steppe sibérienne
et européenne. La pratique de l‟irrigation a eu comme effet secondaire néfaste
d‟en provoquer l‟expansion dans les steppes volgiennes. Mais c‟est bien dans le
milieu semi-aride et aride de la Plaine Caspienne et de ses rebords qu‟ils ont
toujours eu leur plus grande extension, au point qu‟ils sont généralisés dans les
dépressions et ne laissent place aux sols bruns steppiques que sur les interfluves.
Ainsi, bien qu‟ils soient souvent qualifiés de sols intrazonaux, ils possèdent en
fait une composante zonale assez exprimée pour nous permettre de regrouper
leur étude dans le milieu semi-désertique.

522
Il est entendu que, dans la réalité, les deux échelles s‟emboîtent sans s‟annuler. Un sol salé a
certes une origine locale, « stationnelle » (Duchaufour, 1991, p. 229), par exemple une nappe
d‟eau salée, mais il subsiste aussi grâce au climat aride zonal, dont la sécheresse empêche l‟ion
sodium, pourtant très mobile, de s‟échapper du profil.
523
« Dans le semi-désert et le désert, „à toute roche-mère correspond une limite particulière de
zones de terrains. Aussi les limites des zones et des sous-zones sont-elles particulièrement
découpées et irrégulières‟ (Néoustrouiev) » (Berg, 1941, p. 130).
524
Les Russes disent « sols halogènes » (galoguénnyé potchvy). Ce sont les « sols salsodiques »
de Duchaufour (1991, p. 229).
525
Ce sont les legkorastvorimyé soli (sels facilement solubles) des auteurs russes.
384
Milieux naturels de Russie
En fonction de critères vulgaires, comme l‟observation concrète des
efflorescences salines et l‟idée qu‟on se fait des paysages désertiques, et en
fonction de critères scientifiques, comme le taux de saturation en sodium, le
degré de lessivage et la différenciation du profil pédologique, quatre types de
sol se distinguent du « plus aride » au « moins aride » : le solontchak, la
solontsévataïa potchva, le solonets et le solod. La Russie ayant fixé, ici comme
ailleurs en pédologie, l‟essentiel du vocabulaire international concernant les sols
halomorphes, leur étude prend une importance non seulement géographique
régionale, mais aussi épistémologique générale. Malgré des différences, les
quatre types de sols halomorphes ajoutent une contrainte à la végétation semi-
aride526.

2.1.1. Les solontchaki, des sols salins peu évolués

Les solontchaki527 sont ceux des sols halomorphes qui possèdent le


profil le moins évolué, de type AC. Ils sont facilement reconnaissables au fait
que des efflorescences salines (vytséty soléï) de couleur blanche se forment en
surface528 et font manifestement d‟eux des « sols salins » (Elhaï, 1967, p. 276),
les zassolionnyé potchvy des Russes. Ces accumulations de sels superficielles
peuvent revêtir différents aspects, rendus par la typologie descriptive des
solontchaki. Le plus classique est le korkovy solontchak, couvert d‟une croûte
(korka), qui s‟écaille plus ou moins. Le poukhly solontchak se caractérise par
ses boursouflures d‟argiles poudrées de cristaux de sel. Quelle qu‟en soit leur
forme, ces accumulations salines de surface reposent sur un horizon humifère
assez mal exprimé, tacheté de concrétions salines, qui ne contient guère plus
d‟un pour cent d‟humus (Trëšnikov, 1988, p. 285). Cet horizon A gît
directement sur une roche-mère salifère (zasolionnaïa matérinskaïa poroda) ou
un aquifère fortement minéralisé.
Le second trait caractéristique des solontchaki se trouve être que le
complexe absorbant (poglochtchaïouchtchi kompleks) du sol n‟est en aucun cas
saturé par des ions sodium (natri), mais, majoritairement, par des ions calcium.
En fait, les colloïdes du sol qui adsorbent les cations de sodium représentent
moins de 15 % du total (Lacoste et Salanon, p. 121). Ainsi, le pH est faiblement
basique, généralement compris entre 7 et 8,5. C‟est que le sodium est surtout

526
« Les Russes distinguent plusieurs types de sols halomorphes, en particulier les solontchak et
les solonetz, mais ils sont tous défavorables à la végétation » (Huetz de Lemps, 1994, p. 165).
« Les sols [salsodiques] des trois sous-classes sont très défavorables à la végétation »
(Duchaufour, 1991, p. 232).
527
Le solontchak est l‟orthographe française la plus courante du mot russe (solončak en
transcription internationale), bien qu‟on trouve aussi solontschak et solonchak, qui ne se justifient
pas sauf à prendre un mot russe par l‟intermédiaire de l‟allemand ou de l‟anglais. Francisé, le
pluriel devient solontchaks, mais nous avons préféré garder ici le pluriel russe solontchaki,
d‟autant que le « i » final est accentué dans la prononciation.
528
C‟est le sous-horizon e de Lacoste et Salanon (1969, p. 119).
385
présent en solution sous forme de chlorure de sodium et non pas en tant qu‟ion
adsorbé.
Les solontchaki se forment sous certaines conditions hydroclimatiques
et hydrogéomorphologiques. Le climat semi-aride favorise le développement
des solontchaki, par son évaporation très supérieure aux précipitations, qui
provoque dans le sol une « prédominance des migrations ascendantes d‟eau
salée » (Lacoste et Salanon, 1969, p. 119). Cette remontée des solutions est
régie par un régime hydrique d‟évaporation (vypotnoï vodny réjim). Ces flux
ascendants, les voskhodiachtchié toki de Nizovtsev (2005), traversent le sol de
bas en haut et finissent par construire les efflorescences en surface. Par
sécheresse climatique et évaporation croissantes, on passe des solontchaki
sodiques aux solontchaki sulfatés et chlorés (Trëšnikov, 1988, p. 285). Ces
phénomènes de capillarité sont favorisés par le caractère argileux du sol
(Kachkarov et Korovine, 1942, pp. 64). On fait ainsi le lien entre les conditions
hydroclimatiques et les conditions granulométriques, celles-ci menant au cadre
géomorphologique.
En effet, des conditions hydrogéomorphologiques, qui ne sont certes
pas forcément toujours nécessaires, s‟ajoutent le plus souvent aux conditions
climatiques favorables. Ce sont les plus largement documentées en France529,
surtout à petite échelle, où la géographie physique est, par son épistémologie,
fortement dominée par la géomorphologie, historiquement d‟abord qualitative.
A cette échelle, les solontchaki sont assez souvent localisés dans les fonds des
dépressions fermées. Ce sont alors les sols, au sens pédologique, des cuvettes à
fond plat appelées takyry, au sens géomorphologique530. Ce peut être, primo, un
« terminus d‟écoulement endoréique » Birot (1965, p. 474) et les sels ont alors
une origine allochtone, celle de flux et d‟inféro-flux venus de reliefs encadrants.
Ce peut être, secundo, une dépression en lien avec la nappe ; et le sol salin, alors
appelé guidromorfny solontchak par les auteurs russes, n‟est autre que le sol
pédologique de la forme géomorphologique appelée sebkha par les géographes
français531. Ce sont avant tout sur ces solontchaki hydromorphes que se

529
« Il existe à l‟état naturel des sols dits halomorphes, dont le plus typique est le solontchak des
dépressions fermées à fond humide, formes inséparables de toute la géomorphologie aride,
comme le prouve la diversité de la nomenclature : sebkhas au Sahara, kewirs en Iran, salars en
Amérique du Sud, bolsons dans l‟Ouest américain…, auxquels les sels sont apportés par les eaux
de ruissellement ou par des venues artésiennes » (Lageat, 2004, p. 168).
530
Du moins au sens géomorphologique descriptif. Au sens géomorphologique explicatif, il vaut
mieux réserver le terme de takyr à une dépression d‟accumulation argileuse construite par les
écoulements allochtones, c‟est-à-dire à une daya du vocabulaire géographique français (T.
Monod, traduisant en français l‟ouvrage russe de Kachkarov et Korovine, 1942), ou à une garaa.
Le terme de takyr ne devrait donc pas s‟employer pour une sebkha.
531
« Véritables machines évaporatoires, les sebkhas concentrent, peu à peu, les sels dissous dans
les nappes artésiennes » (Coque, 1977, p. 208). Ce type de solontchak est la seule et unique
possibilité envisagée dans la définition de Demangeot (1981, p. 259) : « solontchak : sol salé des
sebkras ». La note infra-paginale de T. Monod, traduisant en français l‟ouvrage russe de
Kachkarov et Korovine (1942, p. 64), concernant solontchak écrivait : « On pourrait traduire
386
Milieux naturels de Russie
rencontrent des terrains « difficilement praticables, surtout en période humide,
quand se forment lesdits marais de solontchak532 » (Trëšnikov, 1988, p. 285, en
russe). Mais les Russes soulignent qu‟un sol salin peut aussi être dû, tertio, à la
présence sous-jacente de roches salifères (solénosnyé porody), formant alors un
véritable avtomorfny solontchak, bien que le solontchak hydromorphe fût lui
aussi autochtone. Enfin, le vent, qui érode lors des périodes les plus sèches les
agrégats d‟argiles floculées et de sels des solontchaki hydromorphes, peut aussi
les transporter plus loin et former alors un quatrième type de sol salin, dont
l‟importance était sans doute surestimée par les auteurs d‟avant-guerre533.
La végétation est parfois complètement absente de la partie centrale des
solontchaki. Mais, au moins sur les marges, il y a des plantes spécialisées, les
halophytes (galofity)534, qui colonisent ces terrains salés. La famille principale
en est, dans les déserts caspiens et les steppes sèches de Sibérie, celle des
Chénopodiacées, que les Russes appellent marévyé. Cette famille est la même
que celle qu‟on trouve partout ailleurs dans le monde dans des conditions
similaires (Lacoste et Salanon, 1969, p. 74). On recense ainsi « des Arroches
(Atriplex), des Soudes (genre Salsola), des Salicornes, des Kochias, tous genres
cosmopolites » (Viers, 1970, p. 191).
De tous les terrains halomorphes, les solontchaki se trouvent être les
plus contraignants, si bien que les plantes arrivant à les coloniser sont des
halophytes vraies (nastoïachtchié galofity), dites aussi euhalophytes
(èvgalofity). Cela signifie qu‟elles ne prennent pas la peine d‟empêcher les sels
d‟entrer dans l‟organisme ; au contraire, elles absorbent les solutions salées,
mais sont capables ensuite d‟en contrôler la concentration. La première
adaptation est celle qui permet justement de prélever une eau du sol très chargée
en substances dissoutes. Pour ce faire, ce sont des plantes dont la pression
osmotique (osmotitcheskoïé davlénié) est très élevée, si bien que « les racines
ont une très forte capacité de succion » (Demangeot, 1981, p. 74). Plusieurs
espèces de Soudes, que les Russes appellent solianki, de même que certaines
Salicornes, les solérossy des Russes, ont ainsi une pression osmotique de 10 à

sebkha au Sahara, et même peut-être trouver un équivalent français dans la « sansouire » de la


Camargue ». Notons qu‟il y a chez Jean Demangeot et Théodore Monod une assimilation de la
pédologie et de la géomorphologie, là où nous préférons opérer, comme Roger Coque le
suggérait, un changement d‟échelle.
532
Le texte russe écrit solontchakovyé bolota. La description russe de ces marais de solontchak
est à rapprocher des observations tunisiennes de R. Coque (1977, p. 208) concernant les sebkhas :
« il existe aussi des secteurs impraticables, constitués par une bouillie déliquescente de sels et de
vases noires fétides gorgées de saumure même en plein cœur de l‟été ».
533
« La surface étant chauffée par le soleil, l‟évaporation aspire l‟eau souterraine de bas en eau et,
avec elle, vont remonter les sels qui se déposeront dans les couches superficielles. Le dépôt salin
des parties en relief est emporté par le vent tandis qu‟il s‟accumule dans les dépressions, donnant
ainsi naissance aux solontchak » (Kachkarov et Korovine (1942, p. 64)
534
Les scientifiques russes emploient en général le terme international de galofity, mais il existe
aussi l‟expression de soléoutstoïtchivyé rasténia (Giljarov, 1986, p. 158), littéralement les plantes
résistant au sel.
387
20 atmosphères. Le phénomène est moins prononcé chez les Arroches, les
lébédy des Russes.
Une fois la solution salée à l‟intérieur, ces plantes sont capables de
réguler la concentration en sels des tissus grâce à la grande quantité d‟eau mise
en réserve. Ce sont en effet des halophytes succulentes, qui présentent des
feuilles et des tiges charnues (miassistyé). Cette réponse à la salinité, par la
succulence, est typique des plantes qui doivent combattre les chlorures.
Certaines halophytes ont développé d‟autres adaptations destinées à réguler la
concentration interne en sels : elles sont capables de l‟exsuder. C‟est le cas du
Tamarix, le grébenchtchik des Russes, réduit ici à l‟état de buisson. Ces plantes
viennent cependant mieux sur les solontsy que les solontchaki.
L‟ensemble des mécanismes de fonctionnement des halophytes, par
augmentation de la pression osmotique, succulence et exsudation, est appelé par
les Russes soléoustoïtchivost, la résistance au sel535. Et c‟est bien sur les
solontchaki que ces adaptations sont les plus difficiles à développer, d‟où le
petit nombre d‟espèces concernées. Les autres sols halomorphes, où il n‟y a pas
à lutter contre les chlorures, présentent des contraintes un peu moins fortes pour
la végétation.

2.1.2. Les solontsévatyé potchvy, des sols à alcalis de caractère


intermédiaire

Les solontsévatyé potchvy forment le seul des quatre types à posséder


une traduction française, celle de sols à alcalis au sens strict536, mais quelques
auteurs emploient aussi le terme de « sols à alkali » pour certains solontchaki
(Elhaï, 1967, p. 276) ou de sols alcalins pour tous les solontchaki (Hubschman,
1990, p. 10). Si l‟on exclut le critère simple du pH537, la question revient à
définir la proportion du complexe absorbant saturée par les ions sodium. En
effet, ce n‟est pas ici le profil du sol qui est caractéristique, puisque la
succession des horizons peut être de type AC ou ABC selon les cas.
L‟important se trouve être que la capacité d‟échange (obmennaïa
spossobnost) du complexe absorbant (le poglochtchaïouchtchi kompleks)
concerne les ions sodium dans une proportion de 15 à 30 % (Lacoste et Salanon,
1969) ou 15 à 25 % (Trëšnikov, 1988). A l‟intérieur de cette fourchette, le degré
d‟alcanisation (stépén solontsévatosti) rapproche plutôt le sol à alcalis du

535
La soléoustoïtchivost est l‟équivalent russe du terme français rare d‟halophytie, employé par
exemple par Demangeot (1981, p. 75).
536
Nous emploierons quant à nous « sols à alcalis » comme synonyme des seuls solontsévatyé
potchvy.
537
Au sens large, alcalin peut être employé pour un sol au sens de basique, c‟est-à-dire de pH
supérieur à 7. Dans ce cas, tous les sols halomorphes sont alcalins (sauf l‟horizon A des solodi).
Au sens strict, alcalin peut s‟employer pour qualifier la richesse d‟un sol en sodium et potassium,
à différencier d‟un sol alcalino-terreux, riche en calcium.
388
Milieux naturels de Russie
solontchak ou plutôt du solonets. Les valeurs de pH, qui tournent souvent
autour de 8 à 8,5, en font aussi un sol intermédiaire.
Les sols à alcalis sont fréquents dans les semi-déserts de Russie, là où
l‟humidité saisonnière est un peu plus forte que dans le cas des solontchaki.
Mais ils constituent aussi de nombreux îlots à l‟intérieur de la zone des sols
châtain.

2.1.3. Les solontsy, des sols alcalins évolués

Les solontsy538 sont des sols halomorphes au profil évolué, différencié


en trois horizons ABC bien distincts. L‟horizon A est un horizon éluvial de 20 à
30 cm d‟épaisseur environ, contenant de 0,5 à 9 % d‟humus (Trëšnikov, 1988).
Cet horizon, plutôt gris clair, appauvri en particules argileuses et de pH proche
de la neutralité, est dit supra-alcalin (nadsolonetsovy) par les auteurs russes. Il
repose en effet sur un horizon B plus foncé, plutôt de couleur brune, à forte
densité, compact et enrichi en argile. Quand il n‟est pas humecté, sa
structuration539 en colonnettes (stolbtchataïa otdelnost) ou en prismes
(prizmovidnaïa) est tout à fait typique. Cet horizon illuvial forme le véritable
horizon alcalin (solontsovy gorizont), caractéristique de ce sol, et son pH, très
élevé, peut dépasser des valeurs de 9. La réaction basique (chtchelotchnaïa
réaktsia) du solonets est ainsi un critère de reconnaissance manifeste. Cet
horizon B, qui forme donc le cœur du solonets, repose sur un horizon C de
transition avec la roche-mère, soit directement, soit par l‟intermédiaire
d‟accumulations gypseuses et chloro-sulfatées.
La grande particularité chimique du solonets, qui le distingue du
solontchak, est la saturation de son complexe absorbant par l‟ion sodium et c‟est
pourquoi le solonets est un sol alcalin. En effet, il existe ici un certain drainage
par les eaux, qui explique d‟ailleurs la différenciation du profil pédologique, et
c‟est ce « lessivage des colloïdes minéraux et organiques » (Lacoste et Salanon,
1969, p. 121) qui entraîne les ions calcium. La place est prise par le sodium.
Ainsi, la fraction la plus fine qui adsorbe les cations de sodium représente
assurément plus de 25 % de la capacité d‟échange, selon Triochnikov (1988),
souvent plus de 30 %. Hors l‟adsorption sur les colloïdes, le sodium se combine

538
Le solonets est l‟orthographe française la plus logique au regard du mot russe (solonec en
transcription internationale), bien qu‟on trouve aussi souvent soloniets, répondant encore mieux à
la prononciation orale russe, et solonetz, transmis du russe au français via l‟anglais. Francisé, le
pluriel devient invariable, mais nous avons préféré garder ici le pluriel russe solontsy, d‟autant
que le « y » final est accentué.
539
Dite aussi « disjonction colonnaire » en français (Demangeot, 1981, p. 101). « Otdelnost »
signifie d‟ailleurs précisément « disjonction ».
389
aussi dans le sol en carbonates de sodium. C‟est ce qui provoque le pH si élevé
du solonets, nuisible à la plupart des plantes540.
La grand particularité de la structure physique du solonets, la plus
dommageable pour les plantes et pour une éventuelle mise en culture, est la
forte dispersion de la fraction fine541. Bref, la structure est particulaire. En effet,
« une telle abondance de l‟ion sodium a pour effet de séparer les particules
argileuses, de les disperser. La structure est mauvaise ; le sol est mal
aéré » (Elhaï, 1967, p. 276). Le fait est que, le pH étant très loin de 7, les
charges électriques des colloïdes ne sont pas neutralisées et les particules fines,
de même charge, se repoussent les unes les autres, provoquant une dispersion
élevée (vyssokaïa dispersnost). Il en résulte que, d‟une part les vides ménagés
entre les particules sont trop petits pour permettre une bonne circulation de
l‟eau et de l‟air, d‟une part ces colloïdes risquent d‟être facilement emportées en
solution par le lessivage.
L‟une des conséquences visibles du caractère dispersé de la fraction
fine du solonets se trouve être que, « même avec une quantité d‟argile faible au
total, le sol devient imperméable à la saison humide, et il se craquelle en
prismes durcis à la saison sèche » (Elhaï, 1967, p. 276). Cette alternance de
gonflement (naboukhanié) et de compaction (ouplotnénié), cette dernière
accompagnée d‟une fissuration prismatique, est caractéristique des solontsy.
Presque systématiques dans le semi-désert de la Plaine Caspienne, les
solontsy se rencontrent dans la zone des sols châtain et, par taches, dans celle du
tchernoziom. Ils sont les plus répandus sur le piémont caucasien et, en Sibérie,
dans la steppe de la Baraba.
La végétation des solontsy et des solontsévatyé potchvy est plus variée
que celle des solontchaki. Elle comprend non seulement des halophytes vraies,
largement représentées par les Soudes (Salsola, solianki), mais aussi des plantes
plus typiques des sols alcalins. Les cinéhalophytes, que les Russes appellent
kinogalofity, atteignent ici leur plus grande extension, bien qu‟elles existent
aussi sur certains solontchaki. Ce sont des plantes qui régulent la concentration
en sels de leurs tissus ou moyen de l‟exsudation. Cette sécrétion (vydélénié) se
fait par des glandes spéciales ou bien au niveau des poils des feuilles. Chez
certaines espèces du genre Limonium, les kermeki des Russes, les efflorescences
forment parfois une pellicule salée (naliot soleï) continue qui recouvre les
feuilles. Mais les plus agréables plantes s‟accommodant des solontsy sont
indubitablement les Tamarix. Cet arbuste, que les Russes nomment

540
P. Duchaufour (1991, p. 232) rappelle, avec quelque exagération, l‟inconvénient de cette
propriété pour les plantes : « les sols alcalins sont impropres à toute végétation, en raison de leur
pH trop élevé ».
541
Cette fraction fine est, au sens strict, la fraction colloïdale, composée de particules inférieures
à deux microns. Elle est scientifiquement appelée kolloidalnaïa fraktsia par les auteurs russes
reprenant le vocabulaire international, mais le terme plus chaleureux de melkoziom est souvent
préféré par les géographes.
390
Milieux naturels de Russie
grébenchtchik, est ici plus haut que sur les solontchaki. Ses glandes de sécrétion
du sel, les solévydodiachtchié jéliozki, particulièrement efficaces, en font le
modèle des cinéhalophytes.
Mais la végétation des sols alcalins comprend aussi de nombreuses
fausses halophytes. Ce sont des plantes qui développent des adaptations
destinées à les protéger de l‟entrée des sels, en particulier la semi-
imperméabilité de leur parenchyme racinaire. Ces glycohalophytes
(glikogalofity) ont ainsi la capacité de filtrer les solutions chargées en sels du sol
(Giljarov, 1986). La plus banale des déserts caspiens est l‟Armoise noire
(tchiornaïa polyn). Beaucoup de ces fausses halophytes ont des ports
xéromorphes caractéristiques. C‟est le cas d‟Anabasis salsa, une chaméphyte
ligneuse qui forme « des coussins plats, de 10 à 15 cm d‟épaisseur » (Rougerie,
1988, p. 23). Les Russes la nomment éjovnik solontchakovy, bien qu‟elle soit
beaucoup plus caractéristique des solontsy que des solontchaki (Trëšnikov,
1988). Elle est plus connue par les pasteurs sous le nom de biïourgoun et peut
servir de fruste pâturage aux troupeaux de moutons et de chèvres. Ajoutons que
certaines Graminées s‟accommodent des solontsy, notamment le blé d‟azur de
Chine (Leymus chinensis) que les scientifiques russes nomment kolosniak
kitaïski et la population vostrets. Enfin « les lichens affectionnent les soloniets »
(Berg, 1941, p. 133), en particulier ceux du genre Aspicilia. L‟espèce la plus
répandue, Aspicilia esculenta, peut couvrir les sols alcalins de petites pelotes
(komotchki) grises ou brunes de quelques centimètres de diamètres, librement
posées sur le solonets et poussées par le vent. Les Russes la nomment aspitsilia
sédobnaïa, l‟Aspicilia comestible, vu qu‟elle est parfois broutée par les
moutons. Son surnom de lichaïnikovaïa manna, littéralement la manne
lichéneuse, reste populaire, en souvenir de son utilisation comme nourriture
humaine dans les périodes de disette de l‟Antiquité et de l‟envoi de la nourriture
miraculeuse aux Hébreux lors de l‟Exode.

391
2.1.4. Les solodi, des sols halomorphes podzolisés

Les solodi542 sont, de tous les sols halomorphes, ceux dont le profil est
le plus évolué. Non seulement les trois horizons ABC sont bien distincts, mais
aussi les sous-horizons. Seuls sols de cette famille à se développer sous une
végétation assez abondante, la litière A0 a un développement certain. En
dessous, le sous-horizon A1 est formé d‟un humus brut, où la matière organique
humifiée abondante, de 8 % et plus selon Triochnikov (1988, p. 285), se mêle
mal à la fraction minérale. L‟ensemble, assez fortement dispersé, a une structure
particulaire et se caractérise par son acidité. Selon Lacoste et Salanon (1969, p.
121), les pH de 5 ne sont pas rares. En dessous, le sous-horizon A2 est nettement
exprimé. De couleur blanchâtre, pratiquement dépourvu d‟argile, il forme une
poudre riche en silice. C‟est ce sous-horizon éluvial minéral qui donne son
principal caractère de reconnaissance visuelle au solod. De même l‟horizon B
illuvial, se subdivise assez distinctement en un sous-horizon B1 d‟accumulation
organique, où la neutralité se rétablit, et un sous-horizon B2 minéral, où les
carbonates de sodium donnent un pH nettement alcalin (Hubschman, 1990, p.
443). C‟est cet horizon qui justifie l‟appartenance des solodi aux sols
halomorphes. Puis vient l‟horizon C de transition avec la roche-mère. Cette
description appelle au moins deux commentaires explicatifs sur lesquels
insister.
Le solod est le seul sol halomorphe dont le complexe absorbant de
l‟horizon superficiel soit désaturé en bases échangeables, remplacées par des
ions H+. Il en provient l‟acidité de son horizon A1 et ses piètres qualités
agricoles. De fait, la mise en valeur se fait plutôt par des prairies de fauche que
par une exploitation agricole.
Mais l‟originalité dynamique principale du solod, qui explique
d‟ailleurs tous les caractères précédents, réside dans le fait que c‟est le seul sol
halomorphe podzolisé, celui où le lessivage soit si marqué. Les auteurs russes
parlent à son sujet de régime hydrique de lessivage périodique (périoditcheski
promyvny vodny réjim). Le témoin visuel en est son sous-horizon A2. Au sens
strict, le processus de solodification (protsess ossolodénia) est l‟enrichissement
en silice accompagné de l‟appauvrissement en sesquioxydes et du lessivage des
colloïdes qui s‟y produisent, à partir d‟un ancien solonets.
Localisés dans certaines dépressions inondables de la Plaine Caspienne
et de la Basse Volga semi-arides, sous une végétation de prairie périodiquement
humide, les solodi sont plus répandus dans la zone des sols châtain et ils sont

542
Le solod est l‟orthographe française la plus logique au regard du mot russe écrit (solod en
transcription internationale), bien qu‟on trouve aussi souvent soloth (par exemple chez Lacoste et
Salanon, 1969, Viers, 1970, Hubschman, 1990), plus proche de la prononciation russe orale.
Francisé, le pluriel devient soloths, mais Timofeev (1982) propose le pluriel français de soloti.
Nous avons préféré garder ici le pluriel russe solodi, en appuyant fortement sur le premier « o »
pour la prononciation.
392
Milieux naturels de Russie
encore plus nombreux dans la zone de tchernoziom, notamment au nord, trouant
les terres noires podzolisées sous steppe boisée. Cette localisation, assez loin au
nord, dénote que le solod est un sol qui transforme aujourd‟hui un ancien sol
hérité de périodes plus sèches. La question se pose donc de l‟évolution des sols
halomorphes et de leurs liens génétiques.

2.1.5. Les liens génétiques entre les types de sols halomorphes

Les sols halomorphes, solontchaki, solontsévatyé potchvy, solontsy,


solodi, qui paraissent indépendants dans le paysage, sont cependant liés entre
eux. Cette relation peut être temporelle ou spatiale. C‟est cette complexité qui
explique que ce soient des sols qui aient à la fois des traits zonaux et azonaux.
Le lien chronologique est le plus souvent mis en avant par les Russes,
hier comme aujourd‟hui543. Il a été étudié pour la première fois par Hedroitz
(cité par Berg, 1941, p. 88), qui démontra que, en un même endroit, l‟évolution
d‟un solontchak vers le solod en passant par le solonets suivait l‟humidification
du climat dans le temps. Le lessivage du sol augmente, conduisant à son
dessalement (rassolénié). Les horizons se différencient. Du solontchak au
solonets, en passant par la solontsévataïa potchva, le taux de saturation en
sodium augmente, accompagné d‟une croissance de la valeur du pH, qui devient
de plus en plus basique. Du solonets au solod, si l‟humidité continue
d‟augmenter, la différenciation du profil est de plus en plus prononcée, avec
l‟apparition d‟un sous-horizon A2 de podzolisation, mais le taux de saturation en
sodium dans le complexe absorbant superficiel se met au contraire à diminuer et
l‟horizon humifère s‟acidifie. Les caractéristiques des trois sols précédents sont,
dans le solod, enfouis au niveau d‟un horizon profond d‟accumulation minérale.
Finalement, « ces quatre types de sols peuvent constituer dans le temps, en une
station donnée, une série évolutive, qui sous l‟influence d‟un lessivage
progressif, va du solontchak au soloth » (Lacoste et Salanon, 1969, p. 121). Le
solod correspond ainsi à la « phase terminale » (Duchaufour, 1991, p. 232) de
l‟évolution.

543
« Les solontsy se forment souvent par dessalement des solontchaki » (Nizovcev, 2005, p. 141,
en russe). « Les solodi sont un type de sols se formant essentiellement à partir de solontsy lors de
l‟augmentation de l‟humidité et du dessalement » (Trëšnikov, 1988, p. 285, en russe).
393
Fig. désert 2 : Le lien temporel entre les types de sols halomorphes

Si l‟on admet que, dans une série complète, le sol de départ est toujours
un solontchak, alors, à petite échelle cartographique, la distribution
géographique des types de sols halomorphes s‟éclaire sous un jour qui n‟est pas
aléatoire, mais zonal. Cela rend compte de ce que les solontchaki soient
concentrés dans le semi-désert, les solontsy répandus dans les zones du sol
châtain et du tchernoziom, les solodi communs dans les dépressions de la zone
du tchernoziom et du tchernoziom podzolisé. Selon que l‟on veuille marquer le
fait qu‟ils existent dans plusieurs ceintures bioclimatiques ou que l‟on souhaite
souligner qu‟ils dérivent tous d‟un même sol, le solontchak, dégradé
différemment selon les bandes latitudinales, on insistera tantôt sur leur
azonalité, tantôt sur leur zonalité. Les Russes se plaisent à porter l‟accent sur le
dessalement (rassolénié), donc la zonalité544 de ce processus. « L‟origine de ces
terrains explique leur succession zonale. Ils représentent chacun un stade de
développement du même sol. Le passage de l‟un à l‟autre est conditionné par le
plus ou moins d‟humidité du climat » (Berg, 1941, p. 88). Les auteurs français
préfèrent souvent souligner la seule azonalité. Ainsi, Demangeot (1981, p.
99) construit la famille des « sols désertiques azonaux » pour classer les sols
hydromorphes et halomorphes.
Les sols halomorphes peuvent, dans d‟autres cas, être liés entre eux par
leur localisation. Entre les points hauts et les dépressions, séparés par une pente,
où le lessivage oblique est important, les éléments solubles et les colloïdes sont
entraînés et viennent s‟accumuler en bas de pente. Il peut ainsi se construire une
« chaîne de sols halomorphes » (Lacoste et Salanon, 1969, p. 121), « où le
solonetz est en haut des versants et le solontchak, nourri par le lessivage du
solonetz, se trouve au pied des versants » (Demangeot, 1981, p. 101). Cette

544
Cela ne remet pas en cause leur classement en sol intrazonal dans les typologies pédologiques
russes, en sol stationnel dans les classifications françaises (Duchaufour, 1991, p. 221).
394
Milieux naturels de Russie
conception des catenas de sols halomorphes est peu reprise par les auteurs
russes, qui considèrent que le lien temporel explique pratiquement tous les cas,
s‟appuyant sur le fait que « tous ces types de sols […] se trouvent de préférence
dans les dépressions du relief » (Berg, 1941, pp. 87-88). En fait, les deux
théories ne sont pas à la même échelle cartographique. La première explique la
répartition à petite échelle, la seconde éclaire certains cas particuliers à grande
échelle.

2.2. La végétation des sables

2.2.1. Le kiak et les autres psammophytes

Les psammophytes (psammofity) sont les plantes croissant sur les


dunes545 et autres champs de sables mobiles (podvijnyé peski). Ces formations
couvrent la quasi-totalité de la Transvolgie d‟Astrakhan, où elles constituent les
Peski Batpaïsaguyr, qui se poursuivent au Kazakhstan. Mais elles prennent
aussi une grande place au sud de la Volga, dans toute la région située au nord-
ouest de la ville elle-même d‟Astrakhan. Par l‟intermédiaire de champs plus
éparses et de plus petite taille, les sables débordent sur la moitié orientale de la
Kalmykie. Plus au sud, les massifs sableux de la steppe de Nogaï occupent le
nord-ouest du Daghestan, le nord de la Tchétchénie et l‟extrême sud-est de
l‟oblast de Stavropol. En Sibérie, les peski sont moins répandus, mais on en
trouve en Transbaïkalie, que ce soit en Bouriatie ou dans l‟oblast de Tchita.
Les psammophytes sont avant tout des zakrépitéli, plantes fixatrices. Elles
piègent les particules sableuses, que le vent dépose à l‟abri de cette barrière
végétale, construisant ainsi de petites éminences qui forment un paysage bosselé
caractéristique.

545
Les géographes russes emploient le mot international de dunes (diouny) plutôt dans le cas des
accumulations littorales. Pour les modelés continentaux désertiques qui nous intéressent ici, ils
emploient peski (sables) ou des dérivés, comme massifs sableux (pestchanyé massivy). Le terme
de podvijnyé peski correspond aux sables mobiles et non pas, contrairement à ce qui a pu être écrit
dans les traductions françaises de Berg (1941) et Rodine (1956), aux sables mouvants.
395
Cliché L. Touchart, août 2008
Photo 73 Champs de sable et psammophytes de Sibérie
Les plus grands champs de sable russes, les peski, se trouvent dans la partie européenne de la
Russie, mais la Sibérie en compte quelques-uns de petite taille. Dans l’île d’Olkhon, les peski sont
favorisés par la grande faiblesse des précipitations et la fourniture de sable par les dunes littorales
du lac Baïkal, dont le matériel est repris par le vent en direction de l’intérieur des terres. Ces
champs de sables mobiles sont colonisés de plantes, les psammophytes, qui fixent une partie des
particules.

En retour, les psammophytes doivent résister au zassypanié, c‟est-à-


dire au recouvrement par le sable, à l‟enfouissement, à l‟ensevelissement sur la
face sous le vent546, y compris des parties fragiles comme les bourgeons. Il leur
faut à l‟inverse lutter contre l‟obnajénié, cette mise à nu, ce déchaussement
intervenant sur la face au vent.

Les psammophytes préviennent cette double menace547 en croissant


avec une grande rapidité en cas de besoin548, en poussant des racines auxiliaires
(pridatochnyé korni), en abandonnant les parties ensevelies ou déchaussées au

546
« Les représentants de cette flore psammophile sont adaptés à ce substrat souvent mobile : ils
résistent à l‟enfouissement en s‟élevant sur les bosses sableuses qui se forment à leur abri, les
nebkas ; la topographie mamelonnée des sables fixés par la végétation est typique de plusieurs
secteurs, au Sahara comme en Asie centrale (avec des genres identiques ou voisins, Ephedra,
Tamarix, Caragana, Artemisia » (Elhaï, 1967, p. 274).
547
« Ce sont là des plantes typiquement édificatrices, qui vivent en association Ŕ on a même dit
« en symbiose » - avec les sables vifs : ceux-ci sont piégés par l‟obstacle végétal, lequel échappe à
l‟ensevelissement, tout comme au déchaussement, en développant des systèmes racinaires
démesurés» (Rougerie, 1988, p. 29).
548
« Les bourgeons sont souvent enterrés, ce qui signifie que les pousses doivent traverser 15 à
30 cm pour atteindre la surface. Ceci implique une très grande rapidité de croissance » (Birot,
1965, p. 460).
396
Milieux naturels de Russie
549
profit des nouvelles racines , effectuant ainsi une sorte de transplantation
(Trëšnikov, 1988, p. 251), et en donnant « des racines profondes ou fortement
ramifiées au ras du sol550 » (Rodine, 1956, p. 222).

Cliché L. Touchart, août 2008


Photo 74 Paysage bosselé et psammophytes fixatrices
Les psammophytes sont essentiellement des fixatrices, les zakrépitéli des Russes. Piégeant le sable,
elles forment un paysage bosselé. La photo a été prise dans les champs de sables mobiles
d’Olkhon.

L‟adaptation des racines grandes pivotantes est aussi utile pour puiser
l‟eau, qui s‟infiltre rapidement et ne reste pas en surface, mais n‟est pas toujours
rare à quelques mètres en dessous.
Dans la Plaine Caspienne, le fixateur (zakrépitel) principal des champs
de sables mobiles est une Graminée que les autochtones appellent le kiak. Pour
les géographes russes, c‟est un volosnets (Rakovskaja et Davydova, 2003, p.
263), terme regroupant les trois principales espèces psammophytes551 du genre

549
« En raison des variations de hauteur du niveau du sable, le réseau radiculaire doit être
constamment remanié. Un réseau superficiel nouveau se greffe directement sur les troncs
ensevelis » (Birot, 1965, p. 460).
550
Les travaux de M.P. Petrov, des années 1930 aux années 1950, furent pionniers en la matière.
551
Notamment, en plus du kiak, Leymus arenarius (kolosniak pestchany) et Leymus racemosus
(kolosniak kististy), soit le Leymus des sables et le Leymus en grappes.
397
Leymus552, lequel compte aussi des espèces steppiques. Pour les Français, le
kiak est « l‟avoine des sables » (Berg, 1941, p. 134) ou « le blé des sables »
(Rougerie, 1988, p. 28). « C‟une grande plante, qui s‟élève à 1,5 m et même
davantage, et que broutent volontiers chevaux et bêtes à cornes » Berg (1941, p.
134). L‟autre Graminée fixatrice du pays d‟Astrakhan est le Chiendent de
Sibérie (Agropyrum sibiricum ou A. fragile, jitniak sibirski), « dit erkek par les
gens du pays et qui est particulièrement apprécié par les chevaux » (Berg, 1941,
p. 134).
En dehors des Graminées, les principales psammophytes sont l‟Armoise
des sables (Artemisia arenaria), que les Russes nomment la polyn pestchanaïa
ou, plus simplement, le chaguyr, ainsi que des sous-arbrisseaux du genre
Calligonum (djouzgoun des Russes) et plusieurs espèces du genre Salsola, en
particulier la Soude de Richter (Salsola richteri), que les Russes appellent le
tcherkez.

2.2.2. Le marchand de sable s’enrichit

Dans les dépressions des déserts sableux, au pied des amas mobiles, la
granulométrie reste souvent grossière, mais le rôle du vent est amoindri, les
problèmes de déchaussement et d‟enfouissement se posent avec moins d‟acuité,
le régime hydrique est différent, plus favorable. Souvent aussi, une proportion
significative de particules plus fines varie quelque peu la granulométrie. On a
alors des sols sableux plus fixes, les pestchanyé potchvy, moins souvent
tronqués par la mobilité et dont les caractéristiques hydriques, issues de leur
texture, sont loin d‟être défavorables aux plantes, dans les conditions de climat
semi-aride.
D‟abord, quand les rares précipitations surviennent, elles s‟infiltrent
rapidement en profondeur, puisque la perméabilité à l‟eau (vodopronitsaïémost)
de ces sols est très élevée, du fait de la grande taille des pores, les potchvennyé
pory, séparant les particules grossières. Ainsi, les pertes par évaporation sont
minimales, de même que celles par ruissellement. Bref, toute l‟eau, ou presque,
entre dans le sol. Selon la vigoureuse formule lapidaire de Pierre Birot (1965, p.
460), « l‟eau pénètre facilement et remonte difficilement ». Certes l‟eau de
gravité, qui va librement rejoindre les nappes, est proportionnellement une perte
importante pour les horizons supérieurs des sols sableux, mais certaines plantes
à enracinement profond sont justement capables d‟aller en chercher une partie.
La capacité de rétention au champ (polévaïa prédelnaïa vlagoïomkost),
soit l‟eau susceptible de rester dans le sol une fois soustraites les fuites d‟eau
libre en direction de la nappe, représente, il est vrai, une quantité assez faible.
Mais il s‟agit, en grande partie, d‟une eau disponible (dostoupnaïa vlaga),
552
Le kiak est en latin Elymus giganteus, selon Berg (1941, p. 134). Giljarov (1986, p. 273)
indique que jadis les genre Elymus (pyréïnik des Russes) et Leymus (kolosniak des Russes) étaient
confondus.
398
Milieux naturels de Russie
effectivement, pour les plantes. En effet, la proportion d‟eau de capillarité par
rapport à l‟eau hygroscopique y est la plus élevée de tous les sols. C‟est que, vu
la grande taille des particules, leur surface externe est petite par rapport à leur
volume, donc la pellicule d‟eau adhérant au grain est petite. Ainsi, le volume
d‟eau susceptible d‟être retenu aux particules sableuses par des forces
importantes, c‟est-à-dire la guidroskopitcheskaïa vlagoïomkost (capacité en eau
hygroscopique), est proportionnellement réduit. Donc, dans un pourcentage
inverse, le volume d‟eau susceptible d‟occuper les pores entre les particules,
c‟est-à-dire la kapilliarnaïa vlagoïomkost (capacité en eau capillaire), est grand.
Or c‟est cette eau, qui n‟est pas retenue par des forces dépassant celles de
succion des racines, qui peut être prélevée par les plantes. C‟est l‟importance de
cette eau libre (svobodnaïa voda) qui explique qu‟un sol sableux, lequel
comporte beaucoup d‟inconvénients en région humide, puisse devenir au
contraire favorable553 à la végétation dans une région de déficit d‟eau. En outre,
grâce à sa latitude élevée, le désert russe, par son long froid hivernal, souffre
une évaporation annuelle plutôt basse, qui permet à l‟eau de ne pas être
totalement perdue quand la granulométrie grossière l‟autorise. Le désert russe
possède donc des dépressions sableuses plus favorables que la moyenne
mondiale pour la végétation.
Il faut ajouter que les sols sableux comportent une partie importante
d‟humidité sous forme de vapeur d‟eau contenue dans l‟air (potchvenny
vozdoukh) remplissant les pores des horizons supérieurs. Celle-ci se condense et
fournit de l‟eau liquide aux plantes si le degré de chaleur dans le sol diminue
jusqu‟à ce que le point de saturation soit atteint. Or les sables, par la grande
taille des pores séparant les particules et la bonne aération qui s‟ensuit, sont les
plus aptes à laisser passer le refroidissement (Birot, 1965, p. 460). Comme le
désert russe, marqué par la continentalité, connaît de fortes amplitudes
thermiques entre le jour et la nuit, il est particulièrement favorable à
l‟humectation des premiers décimètres au petit matin.
Pour toutes ces raisons, la végétation vient mieux dans les dépressions
et ne s‟y réduit pas aux seules psammophytes. Elle peut être arbustive et même
arborée554. « Dans les cuvettes humides, on voit fréquemment pousser des
osiers, des saules pleureurs et d‟autres arbrisseaux » (Berg, 1941, p. 134). On y
trouve même plusieurs espèces de Saule (iva) et de Peuplier (topol), en
particulier le Peuplier blanc (Populus alba, bély topol), le Peuplier noir
(Populus nigra, ossokor) et le tremble (Populus tremula, ossina). L‟Olivier de
Bohême555 (Elaeagnus angustifolia, lokh ouzkolistny) est typique des
dépressions sableuses du pays d‟Astrakhan (Baldina et al., 1999, Rakovskaïa et

553
« Toute l‟année dans les régions arides […], la situation est meilleure pour les plantes dans les
sols sableux, légers, poreux, que dans les sols argileux » (Elhaï, 1967, p. 77).
554
« Les forêts supportent mieux l‟aridité sur sol grossier que sur sol fin, et […] la végétation
[est] plus fournie dans les pays arides sur sables que sur argile » (Elhaï, 1967, p. 77).
555
Que les Anglais appellent olivier de Russie.
399
Davydova, 2003, Baranov et Kozitsyn, 2003). De l‟autre côté de la frontière, les
cuvettes sableuses du désert du Ryne, au Kazakhstan, sont d‟ailleurs peuplées
de la même essence (Berg, 1941). Ce petit arbre a un remarquable enracinement
traçant qui lui permet de fixer les sables à l‟instar des psammophytes.
Aujourd‟hui, l‟Olivier de Bohême couvre, selon les études précises de Baranov
et Kozitsyn (2003), 2 173 hectares dans la région d‟Astrakhan, correspondant à
une réserve de 127 500 kg de fruits. Ces derniers, surnommés en France dattes
de Trébizonde, sont en effet consommés, frais ou séchés, du fait de leur grande
teneur en sucre. Bien entendu, certaines dépressions interdunaires, surtout si
elles correspondent à un terminus d‟écoulement, ne sont pas sableuses, mais
argileuses. Ces takyry, en général dépourvus de végétation, parfois inondés
saisonnièrement, souvent liés à des solontchaki actifs en surface ou à des
solontchaki hérités en profondeur, ne sont pas, au contraire des dépressions à
sol sableux, des cuvettes riches en végétation, mais elles sont à l‟inverse plus
pauvres encore que leurs alentours556.
D‟autres dépressions désertiques, enfin, sont les plus riches de toutes.
Ce sont celles qui sont traversées par des cours d‟eau allogènes.

2.3. Les sols alluviaux et la végétation des oasis de la Volga et du


Térek

Les sols alluviaux (poïmennyé potchvy), qui existent aussi dans les
autres zones biogéographiques, prennent à la traversée des déserts une
importance relative démesurée, concentrant la vie végétale et animale. Ces oasis
naturelles concernent principalement la basse Volga, la Kouma et le Térek.
Depuis que la basse vallée de l‟Oural se trouve en territoire kazakh indépendant,
le ruban végétal qui suit ce fleuve ne concerne plus directement la Russie, bien
que le cours moyen possède déjà quelques traits assez proches.
Les poïmennyé potchvy sont des sols feuilletés, dans lesquels les
horizons humifères s‟interstratifient avec des dépôts de granulométrie
différente. Ils sont appréciés pour leur plodorodié, leur fertilité. A l‟état naturel,
ils sont suivis par des rubans de végétation dont la diversité, la biomasse et la

556
« La perméabilité […] des argiles en général, est faible ; la majeure partie des eaux de pluie
ruisselle et s‟évapore sans être absorbée. Ce phénomène s‟observe aisément sur les takyr se
trouvant, dans les déserts sablonneux, entre les cordons dunaires et occupant parfois des surfaces
énormes. Les takyr sont unis comme une table. Par temps sec, leur surface est dure, et se craquèle
en polygones de formes et de dimensions variées ; au printemps, les takyr se transforment en lacs
très peu profonds, dits khaty, atteignant des dizaines de kilomètres de longueur. […] Un autre
caractère des sols argileux est leur capillarité élevée, due à la très grande finesse des particules
constitutives. […] La surface étant chauffée par le soleil, l‟évaporation aspire l‟eau souterraine de
bas en eau et, avec elle, vont remonter les sels qui se déposeront dans les couches superficielles »
(Kachkarov et Korovine (1942, p. 64).
400
Milieux naturels de Russie
productivité sont très supérieures à la maigre steppe environnante557. Pour
simplifier une mosaïque compliquée par les bras morts et les marécages, deux
formations végétales se distinguent, d‟une part les poïmennyé louga, d‟autre
part les poïmennyé lessa.
Les poïmennyé louga de la basse Volga sont des prairies inondables
naturellement riches en Graminées, dont les genres dominants sont Agropyrum,
Bromus, Dactylis, Phalaris (Rodine, 1956). Parmi les autres familles, les
Liliacées donnent de beaux parterres de Tulipe sauvage (Tulipa biebersteiniana,
tioulpan Biberchteïna), notamment dans la région d‟Akhtoubinsk. Ces prairies
sont trouées de marécages, qui s‟assèchent pour certains en fin d‟été, où
poussent des cortèges plus humides. Dans l‟auréole extérieure règnent les
Cypéracées, certaines banales, d‟autres plus rares, comme la Laîche d‟Omsk
(Carex omskiana, ossoka omskaïa). Plus proches de l‟eau, les roselières font
une large place au trostnik (Phragmites). Ces terrains marécageux comptent
aussi un certain nombre de plantes médicinales, traditionnellement cueillies.
C‟est le cas de la Renouée poivre d‟eau (Polygonum hydropiper, gorets
péretchny ou bien vodianoï pérets), dont les tiges roussissent à l‟automne pour
former des paysages fauves caractéristiques. Les Russes ont toujours ramassé le
Poivre d‟eau en aval en Volgograd pour ses qualités hémostatiques. En dehors
des aires protégées, les poïmennyé louga sont aujourd‟hui pâturées ou, plus
rarement, mises en culture.
Les poïmennyé lessa sont des forêts alluviales dont les plus importantes
du désert russe ont toujours été celles de la Volga inférieure. Le Chêne
pédonculé (Quercus robur, doub tchérechtchaty) en forme l‟espèce la plus
noble, qui développe ici un écotype volgien particulier. Cette essence forme un
poste avancé vers le sud, qui atteint presque le 48e parallèle, à cent cinquante
kilomètres en aval de Volgograd. Les chênaies alluviales (poïmennyé doubravy)
constituent assurément l‟écosystème le plus majestueux de la végétation des
oasis naturelles de Russie et certaines ont un sous-bois de Fougères, les
paporotniki, du plus bel effet. Les ormaies (ilmovyé lessa) et, surtout, les
peupleraies (topolevniki) descendent plus loin vers le sud et on les trouve sans
plantation jusqu‟à 47°15‟ de latitude nord, à 250 km en aval de Volgograd.
Léon Berg (1941) leur met comme limite naturelle le village d‟Iénotaïevka558.
L‟Orme est parfois mêlé au Chêne pour former des ormaies chênaies
inondables, en particulier quand il s‟agit de l‟Orme lisse (Ulmus laevis, viaz
gladki). Dans d‟autres cas, il forme des peuplements purs, surtout l‟Orme

557
« Traversing the arid Caspian lowland, the valley of the Volga lower section is remarkable for
a broad variety of vegetation whose biological productivity is considerably superior to that of
zonal xerophytic communities. Swamps, meadows, fens and forests contribute to the vegetation of
the region” (Golub et Mirkin, 1986, p. 337).
558
« Les prairies inondables de la Volga sont parsemées de chênes, arbre qui descend au sud
jusqu‟à la latitude du lac Baskountchak, d‟ormes et de peupliers noirs, essences qu‟on ne trouve
plus dans la région de Iénotaievsk » (Berg, 1941, p. 134).
401
champêtre (Ulmus foliacea), que les scientifiques russes appellent viaz listovaty,
mais que la population nomme bérets ou bien karagatch. Le sous-bois est
souvent dominé par l‟Ortie et la Reine-des-prés. Ces forêts alluviales sont les
krapivno-tavolgovyé ilmovyé lessa, les ormaies à Ortie et Spirée (Utkin et al.,
1995). Quant aux peupleraies, elles sont composées du Peuplier noir (Populus
nigra, topol tchiorny) et du Peuplier blanc (Populus alba, topol bély). L.E.
Rodine (1956) ajoute que les forêts inondables de la basse Volga sont
évidemment riches en Saules, en particulier Salix alba, S. trianda et S.
viminalis. Certaines de ces peupleraies saulaies ont une physionomie proche du
tougaï des populations turcophones d‟Asie centrale.
Les forêts alluviales de la basse Volga formaient une oasis naturelle de
plusieurs milliers de kilomètres carrés, qui étaient traditionnellement exploitées
jusqu‟à la fin du XIXe siècle. Décrivant la situation du tout début du XXe siècle,
P. Camena d‟Almeida (1932, p. 85) écrivait : « ce n‟est que le long des bras de
la basse Volga, dans son delta, le long de l‟Oural et autres cours d‟eau de la
steppe que l‟humidité entretient des saules, des peupliers et de vastes fourrés de
roseaux, utilisés pour le fourrage, le chauffage, la construction des cabanes ».
Aujourd‟hui, c‟est évidemment la région la plus peuplée du désert russe. Des
canaux d‟irrigation ont été ajoutés aux bras naturels et l‟oasis est occupée.
D‟autres parties sont cependant protégées sous divers statuts, en particulier le
parc naturel du lit d‟inondation de la Volga et de l‟Akhtouba.

3. La steppe et les grandes cultures de la Russie sont-elles menacées


par les remontées désertiques ?

Un certain nombre de contraintes, de dommages environnementaux et


de réponses à celles-là ou à ceux-ci sont communs au semi-désert à la steppe.
Comme ce sont des phénomènes arides faisant des incursions plus haut en
latitude, il a été choisi de les rassembler ici. Il s‟agira d‟abord de grouper les
problèmes et les tentatives d‟aménagement concernant les terres salées. Il
conviendra ensuite d‟effleurer la question de l‟influence des transports de
poussières sur la végétation, préférant insister sur les réponses apportées par la
société russe pour essayer de les contrer. Il faudra enfin montrer combien il
serait préférable de traiter les problèmes à la source ; l‟un des moyens consiste à
créer des aires protégées aussi dans le milieu semi-désertique, bien que la
tradition russe soit de multiplier avant tout dans la zone forestière.

402
Milieux naturels de Russie

3.1. La société russe face aux problèmes de salinisation des terres

3.1.1. La mise en valeur des sols halomorphes

La grande surface occupée par les sols halomorphes à l‟état naturel dans
le milieu semi-aride de la Russie et dans la steppe méridionale a incité la société
russe à tenter de les conquérir, aux époques où le gain de nouvelles terres était
indispensable pour répondre à la pression démographique. Certains régimes
politiques qu‟a connus la Russie ont pu aussi avoir l‟ambition de présenter cette
mise en valeur comme une vitrine. Quelles qu‟en fussent les raisons, l‟ensemble
des actions menées pour cette conquête a toujours été placé, pour les Russes,
sous le chapeau de la mélioratsia. Cette bonification des sols comprend des
opérations communes à presque toutes les situations, d‟autres plus particulières
à chacun des types de sol.
Parmi les actions toujours nécessaires, la promyvka est la plus
importante. Elle consiste en un lessivage des sels. Leur évacuation se fait par le
maniement d‟apports d‟eau en grande quantité suivis d‟un drainage efficace.
Cette opération se poursuit parfois par la mise en place d‟un nouveau régime
hydrique, contrôlé. Il faut en outre changer la composition chimique et la
structure du sol et l‟enrichir en matière organique. Dans tous les cas, et a
fortiori quand une croûte existe, le rykhlénié est indispensable. Cet
ameublissement doit être réalisé plus ou moins profondément en fonction du
type de sol. De toute façon, pour obtenir de bons résultats, la plupart des actions
précédentes doivent être dosées de manière différenciée selon qu‟il s‟agit d‟un
solontchak, d‟un solonets ou d‟un solod.
La conquête des solontchaki nécessite une promyvka particulièrement
abondante, car le lessivage des sels est long et difficile. Le risque est que cela
mène à un enrichissement en sodium, qu‟on évite si le drainage est efficace559.
En outre, il faut couper le lien qui existait le plus souvent avec la nappe, surtout
dans le cas d‟un solontchak hydromorphe. L‟abaissement du niveau des eaux
souterraines (ponijénié ourovnia grountovykh vod) est alors l‟action délicate
dont dépend la réussite durable de la bonification.
La conquête des solontsy fait passer au premier rang l‟appauvrissement
en sodium et son remplacement par le calcium560. La gypsification
(guipsovanié) devient une opération prioritaire, l‟apport de sulfates permettant à
la fois cette substitution et l‟amélioration de la structure du sol. La promyvka
reste évidemment essentielle pour lessiver les sels, cependant que le drainage

559
« Le désalage […] par irrigation et drainage simultané est une opération délicate »
(Duchaufour, 1991, p. 232).
560
La culture de certaines halophytes bien choisies peut permettre d‟enrichir les solontsy en ion
calcium (Šamsutdinov, 2008).
403
est indispensable pour tenter d‟équilibrer le pH. L‟apport d‟engrais organiques
est déjà nécessaire, moins cependant que dans le cas suivant.
Pour mettre en valeur des solodi, un grand soin doit être apporté au
drainage, et même à l‟assèchement. Il faut en outre déverser « de fortes doses
d‟engrais organiques » (Trëšnikov, 1988, p. 285, en russe).
Toutes ces actions de bonification des sols halomorphes sont délicates
et, si elles ne sont pas menées au mieux, elles peuvent aboutir à une dégradation
du milieu là où une amélioration était au contraire recherchée. Traitant de
l‟échelle mondiale, Henri Elhaï (1967, pp. 276) écrivait d‟une manière générale
que « les graves défauts de ces sols rendent leur amélioration difficile et des
remèdes apportés sans discernement peuvent donner des résultats encore plus
désastreux ». La Russie a connu de tels déboires.

3.1.2. La difficile maîtrise de l’irrigation et la dégradation des sols

Les résultats de la bonification, de la mise en culture et de l‟irrigation


des terres semi-arides de la Russie ont été mitigés. Certaines terres ont été
effectivement gagnées à la culture, d‟autres ont vu leur infertilité s‟aggraver,
cependant que d‟autres encore devenaient salées alors qu‟elles ne l‟étaient pas
au départ. Deux problèmes pédologiques principaux peuvent être dégagés,
d‟une part la transformation anthropique de solontchaki en sols alcalins, d‟autre
part l‟apparition artificielle de nouveaux solontchaki.
L‟apport de grandes quantités d‟eau douce pour la promyvka de la
bonification, puis pour l‟agriculture, peut conduire à une hydrolyse des argiles
et à un lessivage des colloïdes. La perte du calcium aboutit à des
recombinaisons en carbonates de sodium ou, en tout cas, à un enrichissement
relatif du sol en sodium. Le pH augmente et les solontchaki se transforment en
sols à alcalis puis en solontsy. Les colloïdes de même charge se repoussent et la
dispersion est trop forte, dégradant ainsi la structure du sol, qui devient mal
aéré, imperméable quand il y a de l‟eau, craquelé quand il en manque. « Par
suite d‟irrigation d‟eau douce sur terrains salés […] ce processus aboutit donc à
une dégradation progressive de la structure du sol, laquelle tend alors vers le
type particulaire compact » (Lacoste et Salanon, 1969, p. 121). Partout où le
drainage a été insuffisant, une alcanisation de ce type s‟est produite. La steppe
sibérienne de la Koulounda a souffert de cette évolution et des mesures sont
prises pour tenter de changer le régime hydrique des solontsy d‟origine
anthropique (Paramonov et al., 2003, Černyh et Zolotov, 2009). Ce problème
est cependant moins grave que le suivant.
La création anthropique de nouveaux solontchaki à cause d‟une
mauvaise gestion de l‟irrigation est une dégradation plus importante, qui ne se
contente pas de modifier la chaîne des sols halomorphes. Comme l‟écrit A.F.
Triochnikov (1988, p. 286, en russe), « en régime irrigué non rationnel, il peut
apparaître des solontchaki de salinisation secondaire ». Ces solontchaki
404
Milieux naturels de Russie
vtoritchnogo zassolénia proviennent en général d‟une nouvelle hydromorphie,
créée par les apports d‟eau d‟origine anthropique.
La steppe sèche située à l‟est de la Volga est sans doute la région russe
qui a le plus souffert, d‟une part de salinisation secondaire, d‟autre part, surtout,
d‟alcanisation (solontsisation) secondaire561. L‟existence de solontsy naturels
dans les steppes transvolgiennes, à hauteur de la moitié environ de la superficie
totale de la partie méridionale, rend l‟irrigation risquée (Egorov, 1964). D‟une
part, ils libèrent du sodium, d‟autre part leur faible perméabilité les transforme
en flaques, marécages ou autres. « Dans ces conditions, si on irrigue avec des
normes moyennes, même si la parcelle a été parfaitement aplanie, les taches de
solonetz rendent impossible une répartition égale de l‟eau » (Marchand, 1990,
p. 497). Comme leur vitesse d‟infiltration est très faible, on est tenté d‟apporter
plus d‟eau encore pour les humidifier sur une épaisseur intéressante pour la
mise en culture. Ces apports massifs, sans drainage ou avec un drainage
insuffisant, conduisent à une remontée de la nappe, qui salinise ou alcalinise les
sols. Dans les steppes transvolgiennes irriguées, cette remontée s‟est produite
beaucoup plus vite que les experts russes ne l‟avait prévue. Dans la Transvolgie
de Saratov, B.I. Kostin et al. (1981) ont considéré qu‟une quinzaine d‟années
avait suffi à provoquer une solontsisation secondaire de la quasi-totalité des
sols, ou, dit autrement, avait conduit à plus que doubler la place prise par les
solontsy naturels en créant des solontsy anthropiques sur les anciens sols
châtain. C‟est bien le manque de drainage qui a causé la catastrophe, accentuée
par la volonté de dépasser les normes d‟irrigation pendant des années562.
C‟est beaucoup plus au sud que se trouvent les deux grands canaux
d‟irrigation de la Russie semi-aride. Celui qui joint le Térek à la Kouma
(Tersko-Koumski kanal) arrose le milieu semi-désertique de l‟oblast de
Stavropol depuis les années Cinquante563. Il se poursuit au nord de la Kouma
par le canal des Terres Noires (Tchernozemelski kanal), plus récent, qui permet

561
« Les steppes transvolgiennes. L‟objectif était de conquérir à l‟agriculture irriguée quelque six
millions d‟hectares de steppes sèches vouées à l‟élevage extensif, mais devant les échecs
enregistrés, ce projet fut abandonné » (Marchand, 2007b, p. 67). L‟étude de cet échec est détaillée
dans les articles précédents du même auteur et dans sa thèse de doctorat d‟Etat (Marchand, 1986,
1990, 1991). J. Radvanyi (2007, p. 361) résume quant à lui : « lors de la mise en eau des steppes
sèches de la rive gauche, l‟absence de drainage, le dépassement des normes de mise en eau ont
entraîné souvent la remontée des nappes phréatiques dans des sols chargés de sels. »
562
« Les populations de la steppe n‟avaient aucune expérience de l‟irrigation. […] L‟eau est
gratuite et leur activité économique est jugée sur la couverture (et si possible le dépassement) du
plan. Dans ces conditions, et on aurait pu s‟en douter, les populations ont réagi en dépassant les
normes d‟irrigation dans l‟espoir de récolter plus » (Marchand, 1990, p. 501).
563
Il était en cours de construction lors du XVIIIe Congrès International de Géographie, si bien
qu‟A.N. Rakitnikov (1956, p. 310) pouvait écrire : « les travaux d‟irrigation d‟une grande
envergure ont été entrepris dans la partie la plus occidentale de la vaste zone semi-désertique de
l‟URSS, située entre le Térek et la Kouma. Actuellement on est en train de construire le canal
Térek-Kouma qui par libre écoulement alimentera en eau les territoires de la steppe de Nogaï ».
405
surtout d‟irriguer les pâturages de la république de Kalmoukie. Mais de
nombreux solontchaki se sont développés.
Au total, le rapport Aquastat de la FAO estimait en 1995 que la Russie
comptait 243 000 km² de solontchaki et 150 000 km² d‟autres sols halomorphes,
sans préciser leur part respective d‟origine naturelle et anthropique. En
comparaison d‟autres pays, le Worldwatch Institute (cité par Y. Lageat, 2004, p.
169) indiquait en 1990 que 36 % des terres irriguées de l‟Inde étaient dégradés
par salinisation, 27 % aux Etats-Unis et 12 % en URSS. Mais René Létolle et
Monique Mainguet (1993, p. 209) écrivaient que « la salinisation des sols
touche la quasi-totalité des terres irriguées en URSS ». Les études occidentales,
qui, au sujet de l‟aridité, concernaient surtout l‟Asie Centrale, s‟intéressent
moins à cette question pour la Fédération de Russie.

3.2. Les Russes sablent-ils la champagne ?

Les vents de poussière, l‟avancée des sables et le rôle de la végétation


sont déjà mêlés à l‟état naturel. Cependant, le risque devient aigu quand le
milieu est mis en culture. Le sable avance-t-il sur les champs et, si oui,
comment l‟arrêter ? Les dommages causés par les vents de poussière fine ne
sont-ils pas plus fréquents et plus amples ? Des questions granulométriques se
posent, les éléments grossiers restant un problème pour les seuls espaces
irrigués du semi-désert, tandis que les poussières sont susceptibles de dévaster
aussi toute la steppe. Il a été choisi de ne pas aborder ici les phénomènes
géomorphologiques qui dépasseraient de trop l‟approche biogéographique et
pédologique. La déflation sera effleurée, mais le ravinement et l‟érosion
hydrique ne seront aucunement étudiés.

3.2.1. Les tempêtes noires, un poudrage du désert sur la végétation


steppique

La mise en valeur des semi-déserts de la Russie et des régions


steppiques les plus proches pose le problème de l‟enlèvement des particules
fines du sol arable et de leur transport sur de grandes distances. Les dégâts faits
à la végétation sont de deux types. Sur le lieu de la déflation, les éléments
argileux et limoneux fertiles sont enlevés par le vent et tronquent les horizons
les plus aptes à la culture. Sur le lieu de l‟accumulation, la végétation, naturelle
ou plantée, et surtout les semailles sont recouvertes d‟une pellicule ou
ensevelies sous cet apport allogène et souvent desséchant.
Ces phénomènes touchent le sud de la Russie d‟Europe et de la Sibérie
occidentale dans des conditions climatiques de flux de sud et de sud-est. Les
tempêtes de poussière (pylnyé bouri) peuvent se produire en toute saison, y
406
Milieux naturels de Russie
compris en hiver, du moins lors des années pendant lesquelles la neige manque
(Trëšnikov, 1988). C‟est cependant de loin l‟été la période de prédilection des
tchiornyé bouri, ces tempêtes noires les plus chargées en éléments564, qui
obscurcissent le ciel au point de boucher la vue. Dans ce cas, la poussière est
transportée par le soukhovéï, ce vent desséchant qui est en quelque sorte le
sirocco russe. Deux inconvénients se cumulent alors. Aux dégâts liés aux
particules transportées s‟ajoutent ceux de la sécheresse brûlante qui endommage
la végétation et les récoltes.
A l‟état naturel, les zones de départ des particules concernent surtout
l‟Asie Centrale et secondairement le désert russe de la Caspienne. Mais
l‟anthropisation des régions steppiques et leur mise en culture a élargi les
surfaces soumises à l‟enlèvement des particules. La déflation est d‟autant plus
prononcée que la raspachka, qui représente pour les Russes à la fois le
défrichement et la mise en labour, a été déraisonnable. On a alors une sorte de
remontée des problèmes désertiques dans la zone de steppe. La Russie
d‟Europe steppique et semi-désertique a connu une mise en valeur assez
ancienne et progressive, qui n‟a cependant pas évité toute déflation des terres
agricoles (Vasil‟ev et al., 1988). Mais c‟est la partie asiatique du territoire qui a
subi une colonisation plus récente et brutale. Bien que le programme des Terres
Vierges eût surtout concerné le Kazakhstan, le sud-ouest de la Sibérie russe était
aussi compris dans le périmètre défriché et mis en culture par de vastes
sovkhozes dans les années 1950 et 1960. Devant l‟érosion des sols, une partie a
été remise en pâturage extensif.
Les zones d‟arrivée des poussières couvrent toute la zone de steppe et
débordent même, au nord, sur la forêt mixte, voire la subtaïga. En Europe, des
pylnyé bouri montent jusqu‟à Oufa (Trëšnikov, 1988). En Sibérie, on en a
signalé à Tomsk (Marchand, 2007).
La lutte contre les vents de poussière passe par des mesures de
protection contre l‟érosion des sols dans les zones de déflation et,
éventuellement, quelques opérations complémentaires pour fixer les
accumulations aux endroits voulus. Cet ensemble est désigné par les Russes
comme agrotekhnitcheskié méropriatia. Dokoutchaïev préconisa les premières
de ces mesures agro-techniques dès la fin du XIXe siècle. La plus classique reste
la plantation d‟arbres à des endroits choisis en fonction de la direction des vents
et des terrains à préserver en priorité565. Ces boisements se font sous forme de

564
« L‟aridité est redoublée par la présence des vents secs qui nuisent à la végétation. Parfois les
vents secs dégénèrent en tempêtes noires (tempêtes de poussière) qui se forment par suite
d‟entraînement des particules fines des horizons supérieurs du sol » (Milkov, 1956, pp. 394-395).
565
« Les bandes forestières brise-vent ne doivent en aucun cas être disposées à une grande
distance les unes des autres. Avec les distances entre les bandes principales supérieures à 600 m
dans les steppes boisées, et supérieures à 160-200 m dans les steppes arides […], une partie de la
surface des champs reste sans protection » (Armand, 1956, p. 300).
407
massifs forestiers ou bien de simples haies. A la fin des années 1940, l‟URSS
lança le plan de boisement de la steppe566, qui devait, en quinze ans, concerner
cent vingt millions d‟hectares. Le géographe français Pierre George (1949, p.
154) expliquait alors qu‟il « s‟agit d‟une transformation radicale du paysage
rural, qui doit faire de la steppe un bocage à très larges alvéoles ». Le boisement
lui-même, qui devait couvrir six millions d‟hectares, fut en partie réalisé.
L‟ensemble des techniques aboutissant à la création de haies et de massifs
forestiers, forme le polézachtchitnoïé lessorazvédénié, la plantation forestière de
protection des champs, ou, plus simplement la lessomélioratsia, la bonification
forestière, qui a continué d‟occuper les Russes pendant un demi-siècle.
La continuité a prévalu après la chute de l‟URSS, tout en tentant de
faire des efforts supplémentaires sur l‟aspect qualitatif. Quand le Programme
d‟action pour la lutte contre la désertification567 fut lancé en Kalmykie en 1994,
l‟une des mesures-phares en fut évidemment la création de massifs boisés
(Gol‟eva, 2009). En Sibérie occidentale, une réflexion récente sur les espèces à
privilégier dans les plantations de protection des champs a été menée. C‟est
ainsi que certains feuillus, tels l‟Erable (Acer, klion) et l‟Orme (Ulmus, viaz),
prestigieux mais peu adaptés, sont abandonnés, tandis que la priorité est donnée
aux essences qui forment le sous-bois classique des pinèdes, comme le Peuplier
baumier (Černyh et Zolotov, 2009, résumant les travaux de Ya.N. Išutin).
Outre une meilleure prise en compte de la topographie, différentes
techniques de labour ont été aussi essayées, à partir des années 1940. Un chef
de culture (polévod) de la région de Kourgan, Térenti Sémoïnovitch Maltsev,
avait en effet mis au point la bezotvalnaïa pakhota, le « labour sans
versement ». A l‟instar de l‟Américain Edward Hubert Faulkner, qui avait
publié en 1943 la Folie du laboureur (Ploman’s folly) et avec lequel il
entretenait une correspondance, l‟agriculteur sibérien réfutait le labour avec une
charrue à versoir, qui cause une érosion maximale. Sillonnant, évidemment, les
campagnes du sud de la Russie, il exposait dans les sovkhozes sa méthode
« sans versement » et devint ensuite académicien. Pour mettre en adéquation
l‟idée et la pratique, le « tracteur à navette » (Armand, 1956, p. 227) avait été
inventé à cet effet568. La bezotvalnaïa pakhota était accompagnée de la
conservation des chaumes et préfigura le retour voulu à l‟agriculture sans
labour. Soviétiques et Américains, qui avaient été trop loin dans les
défrichements et la mécanisation, ont finalement aussi vu naître les précurseurs
de la Technique Sans Labour (TSL) présentée un demi-siècle plus tard dans le

566
Il faisait suite à des expériences concluantes menées dans une trentaine d‟exploitations d‟essai
dans les années 1930, à commencer par la région de Voronej.
567
Programma déïstvii dlia borby s opoustynivaniem.
568
« En URSS il existe un tracteur à navette ; ce tracteur travaille en marche arrière et en marche
avant ; par devant et par derrière il porte des charrues suspendues qui versent successivement à
droite et à gauche […]. Il […] ne laisse pas de sillons de séparation » (Armand, 1956, p. 297).
408
Milieux naturels de Russie
monde comme une grande nouveauté. En Russie, elle donnait lieu à une
utilisation dans les sovkhozes modernes, mais n‟avait jamais vraiment pénétré
la plupart des kolkhozes. Certains milieux agricoles russes étaient cependant
partisans depuis longtemps du rykhlénié, c‟est-à-dire de l‟ameublissement sans
véritable labour, au moyen de divers engins à lames. Depuis la chute de
l‟URSS, la Technique Sans Labour et le semis direct sont utilisés chez les
nouveaux fermiers qui se piquent d‟être à la pointe du progrès et du
développement durable, en employant de préférence le terme anglo-saxon de
No-Till Technology. La deuxième conférence internationale de No-Till
Technology s‟est d‟ailleurs tenue en Ukraine en 2005. Mais ce changement
gagne aussi largement des exploitations collectives ou individuelles en
difficulté, qui voient dans le semis direct un moyen de faire des économies et de
ne pas renouveler leurs machines vieillissantes. Au total, la TSL conquiert
chaque année un grand nombre d‟hectares en Russie et le monde agricole
français cite parfois ce pays en exemple (Vaquier, 2006).
Mais l‟originalité russe569 des mesures agro-techniques tient surtout à la
mise au point et au perfectionnement du snégozaderjanié, cet ensemble de
techniques agricoles destinées à utiliser aux mieux la couverture nivale, d‟abord
en la retenant le plus possible sur le champ, ensuite en l‟égalisant, parfois de
manière pondérée sur certaines parcelles, de sorte que la protection directe, puis
indirecte, par imbibition du sol, soit la plus efficace (Subbotin et Haustov,
2006). Pour ce faire, certains moyens sont anciens, comme les barrières à neige,
d‟autres ont été mis au point avec la mécanisation du XX e siècle, comme les
charrues à refoulement de la neige.
Les résultats des mesures agro-techniques ont été mitigés570. Les Russes
ont évité que des régions entières ne se transformassent en déserts
anthropiques571, d‟où se feraient des départs massifs et presque irréversibles
d‟énormes tonnages de particules, bien qu‟une partie de la Kalmoukie puisse
entrer dans la définition de la tekhnoguennaïa poustynia (Jaščenko, 2009). La
Russie a cependant dû abandonner certaines surfaces initialement labourées, qui
se sont orientées vers des pâturages572. Le sud de la Sibérie occidentale n‟est en

569
« Une considération particulière est accordée à l‟élaboration de différentes méthodes de
retenue de neige sur les champs cultivés, ainsi qu‟aux méthodes destinées à activer ou ralentir la
fonte de neiges » (Guérassimov, 1956, p. 391).
570
« Réintroduction d‟espèces ligneuses, sous la forme de haies […]. Cette méthode a été
pratiquée avec succès, dans les plaines sèches d‟Amérique et d‟URSS » (Duchaufour, 1991, p.
261).
571
Selon l‟heureuse traduction de dust-bowl par J.-P. Michel et R.W. Fairbridge (1992)
Dictionary of Earth Sciences. Dictionnaire des Sciences de la Terre. Chichester, J. Wiley & Sons,
Paris, Masson, 302 p. En russe, le désert anthropique est tekhnoguennaïa poustynia.
572
« Dans l‟ex-Union Soviétique, […] l‟adoption de mesures de protection des sols (plantation de
haies brise-vent, accroissement de la durée des jachères, maintien d‟une couverture de détritus
végétaux en surface après la récolte…) a certes permis d‟éviter la formation de dust-bowls, mais
409
effet pas seulement devenu à partir des années 1970 une région d‟élevage hors
sol importante ; il a aussi hérité d‟une conversion aux herbages après la
tentative partiellement avortée de labour de la steppe573. La remise au goût du
jour récente de méthodes désormais placées sous le chapeau d‟oustoïtchivoïé
razvitié, le développement durable (Zolotokrylin, 2009), permet de penser à une
préservation des surfaces existantes, sans reconquête aucune de nouvelles terres
sèches.

3.2.2. La fixation des sables et les plantations dans le désert russe

Dans le cas de particules grossières, le transport s‟effectue sur de


courtes distances et l‟aire de départ des sables se confond avec l‟aire
d‟accumulation, si bien que le problème reste proprement désertique, sans
déborder sur la zone de steppe. Il existe dans le désert russe, à l‟état naturel, des
dunes de sable qui se meuvent. Mais le surpâturage a depuis longtemps
augmenté le phénomène, tandis que des mesures de lutte contre l‟avancée des
sables voyaient progressivement le jour.
Au XIXe siècle, la steppe semi-aride et les pâturages temporaires du
nord-ouest de la Caspienne étaient parcourus par des éleveurs encore largement
nomades. Les migrations en latitude étaient assez nettes. En hiver, les troupeaux
paissaient au sud-sud-est, au plus bas de la Plaine Caspienne, en été ils
remontaient vers le nord-nord-ouest pour atteindre le 48e parallèle. Le
déplacement était logique, mais la capacité des ressources herbeuses avait déjà
été dépassée. Faisant le bilan de la situation dans les années 1920, L.S. Berg
(1941, p. 134) écrivait : « les sables sont très répandus dans le pays d‟Astrakhan
situé au-delà de la Volga. Une grande partie de ces sables sont aujourd‟hui
devenus mouvants, par suite de la négligence des nomades qui y ont fait paître
leurs troupeaux d‟une façon irrationnelle ».
La collectivisation de l‟agriculture s‟accompagna dans cette région de la
volonté de ne plus utiliser le milieu semi-aride seul, mais de l‟associer à la zone
steppique et, surtout, à la montagne caucasienne. Un système coordonné
concentrait en hiver les ovins dans la région des Tchiornyé Zemli et celle de
Kizliar, entre les 45e et 46e parallèles (Rakitnikov, 1956). En été, les troupeaux
repartaient se disperser dans plusieurs régions du Caucase pour certains, dans la
steppe de Stavropol pour d‟autres, dans celle des Erguéni pour d‟autres encore,

les superficies labourées […] sont retournées à leur destination naturelle en étant reconverties en
pâturages » (Lageat, 2005, p. 166).
573
Deux ans après le début de la tsélina, F.N. Milkov (1956, p. 398) écrivait déjà : « au cours de
la mise en valeur des terres vierges, le manque d‟eaux douces superficielles et souterraines a été
constaté ».
410
Milieux naturels de Russie
où se trouvaient le centre permanent des exploitations collectives concernées.
Un certain équilibre put être trouvé en ne faisant faire le déplacement qu‟à une
partie du bétail574. Mais la volonté de produire aussi des fourrages sur place
pour l‟ensemble de l‟année conduisit ensuite à développer l‟irrigation de prés de
fauche, qui entrèrent en concurrence avec les cultures irriguées. La pression sur
le milieu ne diminuait pas.
Dans ce contexte, la lutte contre l‟avancée des sables s‟imposait et les
travaux de M.V. Petrov dès les années 1940 furent pionniers en la matière.
Depuis plusieurs décennies, ce sont maintenant les chercheurs de la Faculté de
Pédologie de l‟Université d‟Etat de Moscou qui font avancer les connaissances
sur les podvijnyé peski, les sables vifs et mobiles du désert caspien, et proposent
des solutions pratiques pour lutter contre leur progression. Les moyens
mécaniques servant plutôt à parer au plus pressé, ce sont les méthodes
biogéographiques qui sont privilégiées sur le long terme. Zakreplénié est bien
entendu le maître mot, puisque de la fixation des sables vifs découlent ensuite
toutes les autres améliorations possibles. L‟enherbement par diverses espèces
adaptées est souvent une première étape, qui conduit ensuite au boisement. Le
Chiendent de Sibérie (Agropyrum sibiricum, jitniak sibirski) est aujourd‟hui
l‟herbe la plus fréquemment utilisée en Kalmykie à cet égard et la Kochie
(Kochia, proutniak) le buisson le plus souvent préféré pour son effet sur les sols
(Gol‟eva, 2009). Cependant, le boisement (oblessénié) peut parfois se faire
directement, si le régime hydrique des sols le permet. La réussite durable passe
en général par la transformation pédologique des sables en sols sableux (Gael‟
et Smirnova, 1999), qui correspond à une bonification végétale des sables
(fitomélioratsia peskov).

3.3. Les aires protégées du désert russe : un ensemble d’initiatives


récentes

Le désert russe, considéré jusqu‟à il y a peu comme une menace ou un


élément à conquérir, n‟a, pendant longtemps, pas bénéficié de mesures de
protection comme les autres zones biogéographiques. Les aires protégées
récentes ne sont d‟ailleurs pas toutes désertiques à proprement parler, puisque
l‟écosystème d‟oasis a donné à certains territoires la valeur que l‟on se charge
maintenant de préserver.

574
« En n‟exploitant les terres de la basse plaine Caspienne pour l‟entretien saisonnier du bétail
on peut varier suivant les années l‟effectif du cheptel qui passe l‟hiver sur les pâturages
saisonniers, par rapport à celui qui reste sur les terrains de base des kolkhozes, situés dans
d‟autres régions. Vu la différence très marquée de l‟abondance du fourrage produit dans les
années différentes, ce qui est typique pour les régions semi-désertiques, une telle possibilité est
d‟une certaine importance » (Rakitnikov, 1956, p. 306).
411
La réserve naturelle des Terres Noires (zapovednik Tchiornyé Zemli) est
la seule aire protégée de la Fédération de Russie qui soit entièrement désertique
et préservée de ce fait, sans intervention d‟un milieu littoral ou oasien. Fondée
en 1990 dans la république de Kalmoukie, elle s‟étend sur 121 900 hectares et
est traversée par le 46e parallèle. L‟Armoise blanche forme l‟essentiel des
peuplements. Sur les sols salés, l‟Armoise noire et le Pyrèthre, le romachnik des
Russes, prennent de l‟importance. Les sables et les dunes abritent quelques
psammophytes vraies, ainsi que des xérophytes à racine pivotante, en particulier
l‟épine du chameau (Alhagi pseudalhagi, verblioujia kolioutchka). La
végétation de la réserve naturelle s‟enrichit à proximité du lac Manytch-
Goudilo, où la steppe à Stipa lessingiana devient plus fournie et où on trouve la
Tulipe sauvage. L‟écosystème lacustre permet aussi le développement d‟une
faune, en particulier aviaire (Jaščenko, 2009), plus riche, qui est à l‟origine de
sa reconnaissance par l‟UNESCO de réserve de biosphère depuis 1993.
Plus méridionale, la réserve naturelle du Daghestan (Daghestanski
zapovednik) a été créée en 1987 aux confins de la Steppe de Nogaï et de la mer
Caspienne. Une part importante des 19 000 hectares consiste en écosystèmes
littoraux du golfe de Kiziliar. Les prairies poussant sur les solontchaki côtiers et
les marais littoraux forment des milieux originaux. A l‟intérieur des terres, des
psammophytes fixent certains terrains sableux. D‟autres dunes sont mobiles et
l‟évolution de la grande barkhane Sarykoum a été l‟une des causes du
classement en zapovednik.
Très différent des deux réserves, tant par son statut que par le milieu
protégé, se trouve être le parc naturel du lit d‟inondation de la Volga et de
l‟Akhtouba (prirodny park « Volgo-Akhtoubinskaïa poïma »). Créé en l‟an 2000
par l‟oblast de Volgograd, il a un statut équivalent à un PNR français. Il couvre
153 855 hectares de l‟oasis située entre le tronc principal de la Volga et l‟un de
ses bras, l‟Akhtouba. Son rôle essentiel est de protéger les chênaies de la Volga,
ainsi qu‟une partie des prairies alluviales (poïmennyé louga), tout en
développant le tourisme respectueux de l‟environnement. Un effort particulier
est réalisé quant à la préservation des plantes médicinales, par exemple la
valériane officinale (Valeriana officinalis, valériana lékarstvennaïa),
l‟Aubépine ambiguë (Crataegus ambigua, boïarychnik somnitelny), le
Groseillier doré (Ribes aureum, smorodina zolotistaïa), le Muguet de mai
(Convallaria majalis, landych maïski), le Mûrier noir (Morus nigra, chelkovitsa
tchiornaïa).

412
Milieux naturels de Russie

Conclusion du chapitre cinquième

Au sud-est de la Russie d‟Europe, la plaine caspienne et ses bordures


présentent un milieu subissant les fortes contraintes de l‟aridité. C‟est d‟abord
un semi-désert, où une maigre steppe laisse des plaques nues de sol châtain
clair. A l‟approche du plus grand lac du monde, le paysage devient un désert
vrai, où quelques armoises et autres plantes xérophiles se contentent d‟un sol
brun steppo-désertique, avec un niveau carbonaté induré, entrecoupé de
formations salées. Ce sont deux cent mille kilomètres carrés du territoire russe
qui souffrent ainsi d‟un manque d‟eau crucial, et cinq fois plus si l‟on compte
les steppes sèches. Face à la pénurie d‟eau, les plantes développent des
adaptations qui doivent aussi tenir compte de la contrainte du froid hivernal,
puisque l‟originalité russe est celle d‟un désert très septentrional. Les
xérophytes sont donc aussi des cryophytes. Le nombre d‟espèces résistant au
cumul des deux contraintes est réduit, bien que la longue saison froide n‟ait pas
que des inconvénients, limitant les pertes par évaporation à l‟échelle de l‟année
et favorisant les plantes à enracinement profond. Quoi qu‟il en soit, pour
l‟ensemble des plantes et des animaux, le printemps est la bonne saison, celle de
l‟épanouissement des feuilles des xérophytes à dimorphisme foliaire, celle de la
mise en réserve de l‟eau par les succulentes et du développement des plantes
éphémères qui fournissent quelques pâturages temporaires en Kalmykie, celle
de l‟activité optimale des animaux.
Comme dans tous les milieux extrêmes, les conditions pédologiques
locales prennent une grande importance relative. Bien que d‟autres causes,
topographiques, d‟exposition, de régime hydrologique, comptent aussi, le
facteur édaphique est le premier expliquant la mosaïque des habitats du désert
russe. Ce sont les sols salins et alcalins qui forment la perturbation de la
disposition zonale la plus fréquente. Ils restent à nu ou sont colonisés en partie
par des plantes spécialisées, halophytes et gypsophytes. Les types de sols
halomorphes sont liés entre eux, dans le temps et l‟espace. Les solontchaki
passent à des sols à alcalis, des solontsy et des solodi par l‟augmentation du
lessivage et la différenciation des horizons. Les sables forment un autre milieu
pédologique local, où croissent quelques plantes fixatrices, les psammophytes.
Toute la partie orientale de l‟oblast d‟Astrakhan est couverte de ces paysages
dunaires, ainsi que l‟est de la Kalmykie et le nord-ouest du Daghestan. Vu la
latitude élevée du désert russe, qui réduit l‟évaporation, les sables, où l‟eau
s‟infiltre rapidement, possèdent quelques réserves d‟eau profondes, utilisables
surtout dans les dépressions. Mais la plus grande chance du désert russe caspien
est d‟être de part en part traversé par un grand fleuve bordé d‟une oasis, la
413
Volga. Des chênaies et des prairies alluviales s‟y développent de façon
naturelle.
En dehors du ruban oasien, le milieu aride forme, avec celui de la
toundra, la partie du territoire russe où les conditions naturelles sont les plus
rudes pour l‟occupation humaine. Ces contraintes ont d‟abord rendu difficile et
partielle la mise en valeur du désert russe, puis, en retour, ce milieu fragile a
rapidement montré des signes de dégradation environnementale. Aux
campagnes de bonification des sols halomorphes et au développement de
l‟irrigation a succédé la salinisation de terres nouvelles, dépassant le milieu
désertique pour gagner la zone de steppe, tant en Transvolgie que dans l‟oblast
de Stavropol. Les tempêtes de poussière, augmentées par la mise en culture,
remontent loin en latitude. Elles ont pris une grande ampleur en Sibérie
occidentale depuis les années 1950 et la campagne des Terres Vierges. La lutte
systématique contre la déflation et l‟avancée des sables a baissé par rapport à la
période soviétique classique. Mais la superficie des aires protégées a au
contraire fortement augmenté à l‟ère gorbatchevienne et depuis l‟indépendance
de la Fédération de Russie, y compris par des initiatives locales. Le parc naturel
régional du lit d‟inondation de la Volga et de l‟Akhtouba essaie depuis peu de
promouvoir un développement durable de l‟oasis la plus riche du désert caspien.

414
Milieux naturels de Russie

Conclusion

Les Russes ne sont pas comme les arbres d’une forêt

En tant que pays où la zonation biogéographique est très marquée et peu


dérangée par les reliefs, la Russie offre une disposition de ses ressources
végétales, animales et agro-pédologiques en ceintures latitudinales bien
délimitées. Certaines de ses potentialités de développement, celles qui ont le
moins de lien avec les villes, les lieux centraux et les flux immatériels, sont
donc réparties en vastes bandes allongées d‟ouest en est. En tant que pays
immense, où l‟occupation humaine n‟est pas terminée, voire est en rétraction
depuis quelques années, et en tant que pays aux contraintes bioclimatiques
accentuées, la Russie présente effectivement des milieux proches de l‟état
naturel sur des distances suffisamment grandes pour être étudiées à petite
échelle cartographique, celle de la zonalité et du gradient continental.
Les cinq poïssa classiques des géographes russes peuvent être regroupées en
trois ceintures de très grande taille. Au nord, la toundra étire ses trois à quatre
millions de kilomètres carrés sur toute la longueur de la Russie. La zonation de
la toundra haut-arctique, moyenne et bas-arctique est un peu perturbée par le
tracé, irrégulier en latitude, du trait de côte. L‟occupation humaine est récente et
ponctuelle. Elle ne commence à concerner de vastes surfaces qu‟en Sibérie
occidentale, où l‟exploitation gazière ne cesse de gagner du terrain.
Au centre, le milieu forestier occupe une place potentielle d‟environ onze
millions de kilomètres carrés. La zonalité, presque parfaite en Europe, est
perturbée en Asie par des massifs montagneux et de grandes cuvettes
marécageuses. La forêt couvre aujourd‟hui une place effective d‟environ huit
cents millions d‟hectares. Exploitée surtout en Europe, dégradée en Sibérie
occidentale par l‟extraction pétrolière, elle présente plusieurs millions de
kilomètres carrés proches de l‟état naturel en Sibérie orientale et en Extrême-
Orient. Sur l‟ensemble de la Fédération, entre un quart et un cinquième de la
forêt se trouve dans des aires protégées. En Europe, la marge sud-ouest de la
taïga, sous forme d‟une forêt mixte de conifères et de feuillus, est à l‟origine de
la civilisation russe.
Au sud, du moins dans la moitié occidentale de la Russie, le milieu steppique
s‟étend potentiellement sur deux à trois millions de kilomètres carrés. Dans la
pratique, la prairie naturelle a presque disparu, sauf en de rares aires protégées.
Elle a été remplacée par de grandes cultures, qui profitent de la fertilité du

415
tchernoziom et de ses dérivés. La zonalité a toujours été perturbée par des
inclusions de sols halomorphes, d‟autant plus nombreuses qu‟on s‟approche de
la marge semi-aride de la Plaine Caspienne. Une irrigation localement mal
maîtrisée, dans laquelle les apports d‟eau n‟ont pas été compensés par un
drainage efficace, a augmenté la place des sols alcalins et a même créé de
nouveaux solontchaki.
Cette étude zonale des milieux biogéographiques et pédologiques de la
Russie a montré que la zone forestière n‟était pas comme les autres, tant par ses
dimensions naturelles que par l‟importance de la proportion préservée. Les
possibilités de développement, d‟ailleurs convoitées par de nombreux pays,
sont donc grandes. C‟est pourquoi c‟est de préférence à travers la forêt que nous
aborderons la réponse, ou plutôt notre répartie, dont nous assumons la
subjectivité, à la monotonie, tout en faisant quelques incursions éphémères dans
la toundra et la steppe.

Il a été rappelé, au long de cet ouvrage, que les justifications


habituelles, dans notre pays, de la monotonie de la taïga russe étaient en premier
lieu le petit nombre de genres et d‟espèces présents, ensuite un ensemble de
caractères descriptifs communs à une immensité d‟un seul tenant.

Qu‟en est-il d‟abord de la pauvreté du nombre d‟espèces ? Ce fait


objectif conduit-il forcément au sentiment de monotonie ? Si oui, la grande
richesse en espèces devrait a contrario toujours mener à une sensation de
variété divertissante. Or, la forêt équatoriale ombrophile, dont « le nombre
d‟espèces arborescentes est stupéfiant » (Elhaï, 1967, p. 174) fournit pourtant
parfois matière à des descriptions faisant la part belle à la monotonie : « Une
comparaison avec les forêts européennes peut donner la mesure de cette
uniformité. Entre Brest et Strasbourg on traverse au minimum quatre forêts
différentes : la hêtraie atlantique, la chênaie (un peu plus sèche), la hêtraie
sapinière vosgienne, les sapinières et les pessières montagnardes.

416
Milieux naturels de Russie
Si l‟on parcourt, en Amazonie équatoriale, 1 000 km entre Lago Agrio
et la frontière péruvienne, on ne traverse qu‟une seule et unique forêt, avec une
composition floristique presque inchangée et un paysage végétal constant. En
Sibérie orientale une telle uniformité peut être repérée sur plus de 1 500 km »
(Pech et Regnault, 1992, p. 341). Mais quelle est donc la particularité objective
de cette forêt française donnant le sentiment d‟une telle variété réjouissante ?
C‟est qu‟il s‟agit d‟une forêt « de composition floristique simple, même dans
son état naturel. Les formations monospécifiques sont fréquentes mais il faut le
plus souvent y voir, au moins partiellement, la marque de l‟Homme qui
sélectionne les espèces les plus utiles » (Elhaï, 1967, p. 224). Nous pensons
donc de ces exemples contradictoires qu‟il n‟y a pas de lien entre le nombre
d‟espèces et le sentiment de monotonie.

Qu‟en est-il ensuite de l‟immensité de la taïga ? Ce fait conduit-il


forcément au sentiment de monotonie ? La forêt boréale est immense à partir du
moment où une société humaine décide de désigner sous un même vocable un
ensemble végétal qui connaît certes des points communs, mais sur lesquels le
choix pourrait se faire de ne pas insister. L‟océan Atlantique sépare le barrskog
scandinave et la forêt hudsonienne, l‟océan Pacifique se trouve entre celle-ci et
la taïga russe. Or les présentations géographiques qui s‟appuient sur la
monotonie concernent en général la forêt boréale dans sa totalité, sur les trois
continents. Si on voulait étudier la forêt d‟Europe de l‟ouest à la même échelle,
on pourrait faire le choix de l‟intégrer à l‟ensemble de toutes les forêts de
feuillus de la planète ou à toute la végétation de l‟ancien monde, qui a le point
commun d‟être très transformée par les sociétés depuis des millénaires. En
prenant le problème à l‟inverse, on peut certes présenter les nuances, sur
quelques centaines de kilomètres, entre « la hêtraie atlantique, la chênaie (un
peu plus sèche), la hêtraie sapinière vosgienne » (Pech et Regnault, 1992, p.
341). Mais, si on voulait étudier la forêt russe à la même échelle, on pourrait
tout autant présenter la variété du transect partant de la taïga claire du sud de la
Carélie et aboutissant à l‟imbrication des pinèdes et des subtaïgas de la plaine
de la Mechtchora, en passant par la taïga marécageuse, tourbeuse et riche en
baies de la plaine de la Mologa, puis par la marqueterie de forêt mixte et de
taïga méridionale du sud de la Moscovie : on n‟aurait pas parcouru une distance
plus grande. Suivant des itinéraires plus courts encore, l‟officier Vladimir
Arseniev, dont les expéditions étaient financées par la Société de Géographie de
Russie, avait déjà décrit au début du XXe siècle des variations, autrement
remarquables qu‟une chênaie un peu plus sèche, dans la taïga de l‟Oussouri,
résumées dans le compte-rendu romancé de ses expériences de terrain, Dersou
Ouzala.

417
C‟est pourquoi, bien que nous ayons sans doute tort, nous exprimons un
doute à propos du fait que, « observées à l‟échelle régionale où s‟inscrit la
marqueterie contrastée de nos forêts d‟Europe occidentale, les forêts boréales
(ou Aciculisylvae) dégagent l‟indicible monotonie d‟innombrables et similaires
bataillons de conifères » (Amat, 1996, p. 360). Nous pensons au contraire que
l‟assimilation de deux échelles différentes de connaissances en une seule échelle
commune de présentation conduit à une confusion et c‟est pourquoi nous
souscrivons à l‟idée de Roger Brunet (1996, p. 265), selon laquelle « la
„monotonie‟ n‟exprime souvent que notre ignorance. Nous nous trompons en
changeant d‟échelle sans nous en rendre compte : on lit la Russie au dix
millionième et la France au 1 / 250 000… Les peuples de Russie savent, ou ont
su, discerner et interpréter toute la richesse des aspects de la steppe ou de la
taïga ». L‟avantage de la glose sur la monotonie est que tout avis est possible,
puisqu‟il s‟agit d‟une sensation d‟uniformité, que l‟on peut, ou non, éprouver.

La taïga ne peut être exclue des réflexions sur les échelles


géographiques, si bien menées sur la végétation en général ou certains
territoires en particulier (Bertrand, 1969, Simon, 2006), revenant finalement à
souligner « la variation des notions d‟homogénéité et d‟hétérogénéité avec
l‟échelle d‟observation » (Rougerie, 2000, p. 155). Il n‟y a aucune raison
objective, ou dictée par la nature, pour étudier la taïga seulement à petite échelle
cartographique, par blocs de grande taille. C‟est pourquoi nous refusons de
penser que les forêts boréales sont « des forêts monotones qu‟il faut étudier par
grands ensembles » (Viers, 1970, p. 96).

On pourra peut-être nous objecter que, si on n‟englobe pas la forêt


d‟Europe de l‟ouest dans un ensemble plus vaste, c‟est qu‟elle est, à la
différence de la taïga, très humanisée. Et ce serait cela qui s‟opposerait à la
monotonie. Nous pouvons en effet examiner le propos sous cet angle, mais il
convient alors de concéder que ce n‟est pas l‟immensité de la taïga qui
provoquerait sa monotonie, mais sa faible densité humaine.
Qu‟en est-il donc enfin de l‟humanisation de la forêt ? Une faible
densité de population conduit-elle forcément au sentiment de monotonie ? Si
oui, une exploitation importante devrait a contrario mener à une sensation de
variété divertissante. Or a-t-on jamais lu dans des écrits français que la taïga de
l‟oblast d‟Arkhangelsk fût la moins monotone de Russie parce que c‟est celle
qui est la plus anciennement occupée et densément exploitée ? Il n‟est pas lieu
d‟entrer ici dans un autre débat, celui de savoir si les aménagements humains
enrichissent ou non la biodiversité et de quelle biodiversité il s‟agit, celle du
nombre d‟espèces, celle du taux de remplacement ou celle du choix humain de
favoriser tel ou tel paysage (Simon, 2006). Cependant, de même que certains
géographes militent fort justement pour qu‟on cesse d‟opposer l‟action de
l‟homme à la biodiversité et la ville à la nature (Arnould, 2006), il semble
intéressant de se pencher sur la variété, réelle ou ressentie, de la taïga en lien
418
Milieux naturels de Russie
avec la société russe. La taïga russe, peuplée de 65 millions d‟habitants environ
(Isačenko, 1992, 1996), est, il est vrai, peu densément peuplée eu égard à sa
taille. Mais la monotonie naturelle est-elle forcément inversement
proportionnelle à la densité de population ? Ou bien, plutôt, l‟humanisation de
la taïga russe n‟est-elle pas prise en compte chez nous parce qu‟elle est
différente ? Pourquoi la chasse à l‟ours, l‟élevage du renne, le chamanisme 575,
ses rituels et ses fêtes dans la taïga sibérienne, mais aussi les coupes, le
débardage, l‟exploitation économique différenciée par les voies d‟accès, les
cours d‟eau, la préférence de tel conifère, les feux de camp et la cueillette des
baies par les citadins russes le temps d‟un dimanche et l‟intégration d‟une taïga
jardinée aux grands parcs des villes européennes procureraient-ils l‟uniformité
de la forêt boréale russe ?

La monotonie est, selon nous, une interprétation issue d‟un sentiment


étranger selon lequel la taïga serait lassante. Ladite monotonie de la forêt
boréale reflète plutôt, comme le soulignait Roger Brunet (1996), la
méconnaissance par l‟Occident des liens subtils entre les populations indigènes,
les Russes et la taïga, ou, ce qui revient au même, la volonté d‟étude par les
Français de la taïga à petite échelle, celle des forêts européennes atlantiques à
grande échelle. Ceux qui pratiquent la taïga la trouvent au contraire, en général,
mais non pas toujours puisque toutes les sensations existent, très variée et
agréable, et ils n‟ont ni plus ni moins raison, puisqu‟un sentiment n‟a pas à être
jugé. « Aussi est-ce bien la façon de penser la taïga qui fait les nuances »
(Hamayon, 1997, p. 37). En France, la perception sociale de la taïga est presque
toujours péjorative, celle de la forêt tropicale parfois, tandis que celle de la forêt
européenne ne l‟est pratiquement jamais. Mais il est vain de tenter de justifier
cette perception en s‟appuyant sur des caractères descriptifs, puisque la
monotonie est par essence subjective. On peut se contenter d‟étudier la taïga à
petite échelle cartographique, mais il n‟est pas la peine de s‟escrimer à justifier
ce choix par une soi-disant monotonie intrinsèque de cette forêt.
D‟une manière générale, on connaît « le rapport direct qui existe entre
le nombre de vocables par lequel un groupe humain désigne un objet ou un
élément du paysage et l‟importance qu‟il tient dans la vie » (Rougerie, 2000, p.
151). Il ne devrait pas être impossible de l‟appliquer à la taïga et aux autres
milieux naturels de la Russie, y compris la toundra. Si le choix se fait de
présenter la forêt boréale mondiale comme un tout, immense et homogène, ce
milieu naturel décrit de l‟extérieur à petite échelle pourra provoquer une
sensation de très grande monotonie, si l‟auteur décide de donner en sus son
sentiment. Si le choix se fait de présenter la forêt boréale comme un triptyque
nommé par le barrskog, la forêt hudsonienne et la taïga, immense et comprenant

575
Rappelons que « la taïga […] est la terre d‟origine du terme de chaman » (Hamazon, 1997, p.
10).
419
une légère hétérogénéité fondée sur une occupation humaine scandinave,
américaine et russe, ce paysage humanisé décrit de l‟extérieur à moyenne
échelle pourra provoquer une sensation de médiocre monotonie, si l‟auteur
décide de donner en sus son sentiment. Si le choix se fait de présenter la taïga
comme une mosaïque nommée par la parma, le tchern, le ramèn, l‟ourman, la
sogra, le log, le bor, le soubor, la borka, le ièlan, la mchara, la mar, le iernik,
hétérogène et composée de bien d‟autres multiples facettes, ce cadre de vie vécu
de l‟intérieur à grande échelle pourra provoquer une sensation de variété
divertissante, si l‟auteur décide de donner en sus son sentiment. La
démonstration n‟a pas à être refaite avec les paysages de la Russie polaire, mais
on peut rappeler que « les Samoyèdes ont des dizaines de mots pour les facettes
de la toundra » (Brunet, 1996, p. 265).

« Ce qui, de l‟esprit, relève du rationnel permet de transformer les


biotopes en paysages humanisés. Ce qui relève du relationnel, voire de
l‟irrationnel, les parachève en cadres de vie » (Rougerie, 2000, p. 161). Or la
taïga est assurément un cadre de vie, la toundra aussi.
Même quand ils la décrivent en un chapitre succinct et quand ils n‟en
soulignent que les caractères communs, les géographes russes parlent plus
souvent de forêts taïgiennes (taïojnyé lessa) que de taïga, l‟expression dénotant
la variété ressentie des différents milieux de la grande forêt boréale.

L‟idée que les géographes occidentaux se font de la taïga russe serait en


soi un sujet d‟étude. Il n‟est sans doute pas de bon ton, en France, de n‟être pas
d‟un seul ton, celui de la monotonie des paysages russes, qu‟ils soient d‟ailleurs
naturels, anthropisés ou urbains. Réciproquement, l‟idée que les praticiens de la
taïga se font de la géographie occidentale serait plaisante à connaître. A cet
égard, Hamayon (1997, p. 9) écrit que la taïga de Sibérie orientale est une
« grandiose forêt, tour à tour bruissante et ensommeillée, sombre et luisante,
vacante et mouvante. On la dirait faite pour donner corps à l‟idée de nature. Du
moins pressent-on qu‟elle échappe à la géographie. Les peuples traditionnels de
Iakoutie ne démentiront pas cette impression : la taïga est bien autre chose
qu‟une forêt, elle est faite des idées qu‟ils se font d‟elle. A travers eux, au-delà
de leurs différences, la taïga apparaîtra comme une patrie où l‟on se sent à
l‟aise, comme la source d‟un intime bien-être ». La grande erreur du nihiliste
Bazarov, imaginé par Tourguéniev pour courir à sa perte, n‟était-elle pas de
croire que tout être vivant, homme ou arbre, était semblable à l‟autre, si bien
que la diversité ne méritait point d‟être étudiée ? « Il suffit d‟un exemplaire
d‟humanité pour juger d‟après lui de tous les autres. Les hommes sont comme
les arbres d‟une forêt ; aucun botaniste n‟irait s‟amuser à étudier les bouleaux
un par un » (Pères et fils, 1862, chap. XVI).

420
Milieux naturels de Russie

Bibliographie commentée

Les études en langue française ont été intentionnellement privilégiées.


La bibliographie en langue russe est indiquée en transcription internationale.

1. Bibliographie sur la zonalité et l’ensemble des milieux


biogéographiques et pédologiques russes :

1.1. Bibliographie des études de géographie physique générale :


Birot P., 1968, Précis de géographie physique générale. Paris, A. Colin, 340 p.
Birot P., 1970, Les régions naturelles du globe. Paris, Masson, 380 p. Pour les liens entre les formations
végétales, les climats et la géomorphologie. La zone de taïga est étudiée plus en détail que celle de
toundra.
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et de la biogéographie russes, ainsi que l‟origine de la géographie zonale, en particulier les
passages sur l‟œuvre de Dokoutchaev et Soukatchov.
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42.
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géographie. Recueil des articles pour le XVIIIe Congrès international géographique. Moscou,
Léningrad, Editions de l‟Académie des Sciences de l‟URSS, 412 p. Un ouvrage collectif qui fait la
part belle à la biogéographie des milieux semi-arides de la Russie et de l‟Asie centrale, sans
omettre les autres zones.
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Naučnyj mir, Tom 1, 696 p., Tom 2, 776 p. Le point sur la géographie physique mondiale sous
l‟angle des changements globaux, une somme de près de 1500 pages par les géographes de
l‟Université Lomonossov de Moscou. La biogéographie est traitée dans le second tome ; nous en
citons les principaux chapitres dans chaque milieu.
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pédologiques de la planète, et surtout de l‟URSS, au milieu des années 1970, en 54 articles en

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Milieux naturels de Russie
anglais ou en français, dont une quinzaine sur la transformation anthropique des écosystèmes. Les
principaux articles sont cités à leur auteur.
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géomorphologie, la climatologie et l‟hydrologie de la Russie, mais l‟essentiel est consacré à la
biogéographie et à la pédologie. La toundra a droit à un chapitre proportionnellement très court, car
elle était peu connue scientifiquement dans les années 1930 (traduction française par G. Welter de
l‟ouvrage russe Priroda SSSR, de 1937).
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en particulier utile pour la flore de la toundra et celle de la steppe.
Fëdorov A.A., Red, 1974-1994, Flora evropejskoj časti SSSR. Leningrad, Nauka. Ouvrage de systématique
sur la flore de la partie européenne de l‟URSS, en huit volumes. Les tomes les plus utiles pour
notre propos sont cités à chaque auteur (voir en particulier Egorova).
Fëdorov A.A., Red, 1996-2004, Flora Vostočnoj Evropy. Sankt-Peterburg, Mir i sem‟ja-95. Continuation de
l‟œuvre monumentale précédente sous un nouveau titre. Les volumes 9 à 11 sont parus, un
douzième devrait clore la collection. Les tomes les plus utiles pour notre propos sont cités à chaque
auteur.
Fedorov A.A., Ed, 2001, Flora of Russia. Leiden, Balkema, Vol. 4 « The European part and bordering
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426
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La mise au point complète et efficace la plus récente, qui étudie aussi l‟Asie centrale.
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Pour une lecture de la biogéographie à travers l‟histoire des réserves naturelles russes.
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427
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présentation des forêts de feuillus de l‟URSS est approfondie, puisque l‟auteur, professeur à
l‟université de Voronej de 1950 à 1988, avait énormément travaillé sur cette région.
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436
Milieux naturels de Russie
vol. 3, 1294 p. Pour une description très fine des milieux forestiers en voie de disparition au XIXe
siècle entre Oriol, Toula et Kalouga, en particulier les 25 récits constituant les Mémoires d’un
chasseur, publiés à partir de 1847, mais aussi dans Pères et fils (1862).
Turgenev I.S., 2006, Zapiski ohotnika : rasskazy. Povesti. Moskva, Eksmo, 640 p. Edition sur laquelle nous
avons travaillé le texte russe des Mémoires d’un chasseur.
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gestion des forêts mixtes des Etats-Unis.

2.4.Bibliographie sur la zone de steppe et le tchernoziom


Remarque : la revue Stepnoj bjulleten’ (ISSN 1684-8438), qui paraît trois fois par an depuis 1998, propose
uniquement des articles scientifiques sur la steppe et des recensions d‟ouvrages sur le même sujet.
C‟est une mine d‟informations à jour sur les écosystèmes de la steppe de Russie, de la CEI et de
Mongolie.

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récent, qui traite de la totalité de la question. Les chapitres sur la végétation et le sol sont écrits par
O.V. Morozova et I.V. Kovda. Plusieurs chapitres régionaux abordent les techniques de lutte
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442
Milieux naturels de Russie
Index biogéographique des genres latins

Remarque : seuls les genres sont indiqués, à l‟exception emblématique des arbres de la
taïga que sont l‟Epicéa (Picea), le Mélèze (Larix), le Pin (Pinus), le Bouleau (Betula) et
le Peuplier (Populus), ainsi que du buisson de la taïga et de la toundra que représente
l‟Airelle (Vaccinium) et de la Graminée de la steppe que figure la Stipe (Stipa), pour
lesquels l‟index tient compte des espèces.

Abies 154, 210, 263 Betula exilis 95, 97, 100, 101
Accipiter 175 Betula fruticosa 236
Acer 271, 277, 408 Betula middendorfii 263
Achnatherum 352, 360 Betula nana 43, 62, 74, 95, 221
Aconitum 237 Betula platyphylla 275
Adonis 306, 328, 334 Betula pubescens 261
Aegopodium 247 Betula raddeana 292
Agropyrum 301, 307, 364, 373, 411 Boletinus 53
Agrostis 79, 110, 237, 278, 329 Boletus 53, 54, 90
Alces 172, 212 Bos 313
Alectoria 51 Braya 54, 65
Alhagi 34, 412 Broma 347, 348
Allium 379 Bromus 329, 345, 401
Alnaster 93, 98 Bryum 52
Alnus 56, 158, 205, 238, 255, 271, 288 Buxus 290, 293
Alopecurus 55 Calamagrostis 110, 237, 278
Alopex 49, 70 Calidris 73,
Amanita 53 Calliergon 105
Amanitopsis 53 Calligonum 398
Amygdalus 338 Calluna 253
Anabasis 375, 391 Calystegia 289
Andromeda 257 Campanula 231
Androsace 99 Canis 173, 314
Anemone 328 Capreolus 313
Aquila 312 Carex 55, 64, 79, 87, 88, 90, 95, 101,
Arctagrostis 79 105, 110, 256, 257, 328, 330, 345, 346,
Arctostaphylos 88 401
Arctous 55 Carpinus 226, 284, 285, 286
Artemisia 326, 341, 374 Cassiope 56, 62, 95, 96
Aspicilia 391 Castanea 289
Astragalus 55 Castor 191, 193, 195, 196
Atriplex 374, 378, 387 Certhia 217
Aulacomnium 98, 105 Cervus 313
Avena 329, 345 Cetraria 51, 105, 253
Betula 43, 56, 62, 74, 95, 98, 100, 101, Chamaedaphne 258
158, 221, 228, 236, 261, 263, 275 Choristoneura 166
Betula costata 228 Circus 312
Betula dahurica 275 Citellus 310

443
Cladonia 40, 47, 48, 51, 221, 253 Hedysarum 55, 356
Clematis 286, 364 Hemerocallis 364
Cochlearia 54 Hylocomium 98
Convallaria 231, 412 Hippophae 263
Cornus 159 Humulus 289
Corylus 271, 276 Ilex 290
Crataegus 412 Iris 278, 306, 328
Cricetus 310, 312 Juglans 277
Cypripedium 279 Juniperus 252, 287
Dactylis 401 Kochia 374, 387, 411
Delphinium 328 Koeleria 301, 330, 335, 352, 358, 373
Dendrolimus 167 Lagopus 49, 70
Deschampsia 55, 79, 93, 107 Lagurus 310
Dicranum 98 Larix 154, 155, 204, 210, 213, 215,
Dicrostonyx 70 263
Diospyrus 287 Larix cajanderi 215, 263
Diprion 166 Larix dahurica 155, 204, 213
Dipus 380 Larix gmelinii 213
Draba 54, 95 Larix sibirica 210
Drepanocladus 98, 105 Larix sukaczewii 210
Drosera 257, 258 Lactarius 53, 123
Dryas 56, 62, 92, 95, 98, 100, 101 Laurecerasus 290
Dryocopus 167 Leccinum 53, 54
Duschekia 260, 263 Ledum 55, 91, 256, 257
Eisennia 80, 175 Leontopodium 356, 357
Elaeagnus 399 Lepus 172, 310
Elymus 408 Lespedezav 266, 284
Empetrum 55, 74, 84, 90, 92, 95, 107, Leucanthemum 328
263 Leymus 352, 358, 360, 392, 398
Encalypta 94 Limonium 390
Eptesicus 168 Lonicera 238, 250, 272, 286
Equisetum 249, 255, 260 Loxia 169
Equus 313 Lychnis 337
Eriophorum 55, 105, 110, 257, 258 Lycoperdon 52, 53
Euonymus 271, 276 Lyrurus 168
Eurynorhynchus 73 Majanthemum 247
Fagus 226, 285, 286, 297 Malus 280
Falcipennis 168 Marmota 71, 309, 361
Falco 49, 99 Martes 172, 173, 212, 249
Felis 173, 311, 364 Meriones 380
Festuca 301, 307, 330,332, 335, 336, Microtus 310
338, 352, 358, 373 Minuartia 95, 99
Filifolium 350, 360, 363 Molendoa 98
Fragaria 250 Morus 89, 105, 256, 412
Fraxinus 271, 277 Moschus 215
Funaria 52 Mustela 49, 172, 173, 212, 216, 311,
Grossularia 263 312, 314
Gulo 173 Myosotis 54, 110, 231
444
Milieux naturels de Russie
Nostoc 334 Populus tremula 159, 258, 275, 399
Nucifraga 169 Potentilla 63
Nyctea 49, 70, 99 Prunus 284, 360
Ochotona 312 Pterocarya 288
Onobrychis 328 Pterocles 382
Osmunda 289 Pteromys 170
Ostrya 284 Ptilidium 98
Oxalis 226, 247, 252 Pulmonaria 226
Oxycoccus 55, 250, 257 Pulsatilla 306, 328, 334
Oxytropis 61, 79, 356, 357 Punica 289
Padus 280 Pyrethrum 374
Paeonia 334 Pyrola 78
Paliurus 285 Pyrus 280, 287
Panthera 174 Quercus 225, 228, 270, 275, 284, 285,
Papaver 54 286, 289, 401
Parmelia 51 Racomitrium 52
Pedicularis 54 Rangifer 48, 69
Periploca 289 Ranunculus 54, 256
Peucedanum 350, 363 Rhodiola 54
Phalaris 401 Rhododendron 236, 238, 260, 290
Phellodendron 277 Rosa 56, 63, 89, 99, 105, 233, 250
Phillyrea 290 Rhombomys 380
Phragmites 401 Ribes 250, 259, 263, 412
Picea 154, 210, 236 Rubus 89, 105, 256
Picea abies 210 Ruscus 290
Picea europaea 210 Russula 53
Picea excelsa 210 Saiga 311, 313, 381
Picea mariana 262 Salix 41, 56, 74, 79, 92, 100, 107, 160,
Picea obovata 210, 236 259, 402
Pinus 55, 101, 154, 209, 210, 211, 215, Salsola 387, 390, 398
222, 226, 228, 240, 250, 256, 261, 284, Salvia 328, 334
285, 286, 287 Sanguisorba 370
Pinus koraiensis 228 Saxifraga 67, 68, 81, 87, 113, 115
Pinus pityusa 287 Scheuchzeria 258
Pinus pumila 101 ; 215 ; 222 ; 263 Sciurus 168
Pinus sibirica 210, 211, 240, 261 Senecio 98, 328
Pinus sylvestris 209, 210, 250 Sieversia 99
Pinus sylvestris litvinovi 256 Silene 95
Pistacia 287 Smilax 288
Poa 55, 91, 324, 352, 358, 378 Sorbus 159, 165, 238, 250, 252, 286
Polygonum 64, 401 Sorex 167
Polypodium 280 Spalax 310
Polytrichum 52, 98, 249, 253 Sphagnum 52, 256
Populus 158, 159, 163, 215, 238, 275, Spermophilopsis 310
277, 399, 402 Stipa 278, 301, 329, 330, 332, 334,
Populus alba 399, 402 336, 340, 341, 345, 347, 348, 349, 352,
Populus nigra 399, 402 360, 364, 373, 412
Populus suaveolens 163, 215, 238, 277 Stipa baicalensis 360, 364
445
Stipa capillata 278, 332, 334, 339, Zelkova 290
340, 347, 349, 352
Stipa korshinskyi 347
Stipa krylovi 364
Stipa lessingiana 336, 339, 373, 412
Stipa pennata 329, 332, 345
Stipa pulcherrima 332
Stipa sareptana 373
Stipa stenophylla 330, 334
Stipa ucrainica 334, 339
Stipa zaleskii 334, 336, 345, 347, 348,
349
Strix 174
Suillus 53, 54
Sylvia 167
Syringa 280
Tamarix 388, 390
Tamias 170, 171
Tamus 286
Tanacetum 350
Taxus 291
Tetrao 168, 212, 217
Tetrastes 168
Thalarctos 70
Thalictrum 50
Thuidium 328
Thymus 353
Tilia 223, 224, 270, 277
Tortula 334
Trapa 85, 279
Trifolium 328
Tringa 73
Trollius 54, 237
Tulipa 336, 379, 401
Ulmus 237, 271, 277, 401, 402, 408
Ursus 174
Vaccinium 55, 84, 88, 91, 107, 192,
205, 247, 250, 252, 257, 260, 263
Vaccinum myrtillus 250, 252
Vaccinium uliginosum 55, 91, 250,
257
Vaccinium vitis-idaea 55, 84, 88, 250,
260
Valeriana 412
Veratrum 328
Vipera 314
Vitis 55
Vulpes 173, 311, 314
446
Milieux naturels de Russie

Table des Figures


Fig. intro 1 : Les zones végétales de la Russie ................................................................ 26
Fig. toundra 1 : Carte de l‟extension de la toundra russe ..................................................... 33
Fig. toundra 2 : La toundra russe, caricature géographique ................................................... 35
Fig. toundra 3 : Podbériozovik, le champignon de la toundra russe ami du Bouleau nain ................... 52
Fig. toundra 4 : Le découpage de la toundra russe à petite échelle cartographique ........................... 81
Fig. toundra 5 : La péninsule de Taïmyr : la zonation complète de la toundra la plus continentale de Russie 97
Fig. taïga 1 : La taïga, partie russe de la forêt boréale ...................................................... 116
Fig. taïga 2 : La taïga, caricature géographique ............................................................. 117
Fig. taïga 3 : La taïga russe, une forêt à stratification simple ? ............................................. 119
Fig. taïga 4 : La taïga, une forêt quantitativement pauvre................................................... 125
Fig. taïga 5 : La taïga et les constructions urbaines en bois, l‟exemple de Khabarovsk à la fin de la période
soviétique .................................................................................................... 129
Fig. taïga 6 : Carte des réserves naturelles (zapovedniki) de la taïga russe ................................. 139
Fig. taïga 7 : Carte des établissements assurant une gestion scientifique de territoires de taïga ............ 141
Fig. taïga 8 : Carte de l‟exploitation extensive des forêts russes, une solution au renouvellement d‟une taïga
peu productive ............................................................................................... 144
Fig. taïga 9 : Carte de la taïga du bassin de la Dvina du Nord, une forêt exploitée selon le réseau
hydrographique .............................................................................................. 147
Fig. taïga 10 : Une géographie du secteur de la cellulose favorisant le nord de la Russie d‟Europe, l‟exemple
de Koriajma ................................................................................................. 150
Fig. taïga 11 : Coupe longitudinale de la pauvreté floristique de la taïga, une succession de seulement quatre
genres sur 7000 km .......................................................................................... 155
Fig. taïga 12 : Coupe de la place des feuillus dans la taïga : pauvreté spécifique et localisation marginale 158
Fig. taïga 13 : Carte des incendies de la taïga sibérienne en année sèche ................................... 180
Fig. taïga 14 : Graphique des superficies annuelles de forêt brûlée en Russie .............................. 181
Fig. taïga 15 : Carte des incendies de forêt en Sibérie orientale, l‟exemple du 13 mai 1996 en Baïkalie .. 182
Fig. taïga 16 : La taïga russe et les températures du climat continental ..................................... 189
Fig. taïga 17 : Coupe du podzol, un sol aux horizons différenciés .......................................... 198
Fig. taïga 18 : L‟arbre de la taïga et le podzol : l‟évitement du sous-horizon cendreux et la recherche de
nutriments ................................................................................................... 201
Fig. taïga 19 : Carte de la taïga sur gélisol .................................................................. 204
Fig. taïga 20 : Carte du gradient longitudinal de la taïga russe et du passage de la sempervirence à la caducité
............................................................................................................... 208
Fig. taïga 21 : Carte de l‟extension de la toundra boisée .................................................... 220
Fig. taïga 22 : Carte des formations taïgiennes d‟altitude ................................................... 234
Fig. taïga 23 : Carte de la taïga de montagne de Sibérie méridionale à travers l‟étagement de la végétation de
la République de Touva ..................................................................................... 240
Fig. taïga 24 : Coupe des micro-variétés de la taïga de plaine .............................................. 246

447
Fig. taïga 25 : Coupe des micro-variétés de la taïga sombre ................................................ 248
Fig. taïga 26 : Coupe des micro-variétés de la taïga sèche .................................................. 253
Fig. feuillu 1 : Carte des forêts de feuillus à grandes feuilles ............................................... 268
Fig. feuillu 2 : Carte de la chênaie de la grande plaine russe ................................................ 271
Fig. feuillu 3 : Carte des forêts et prairies de l‟Amour, de la Zéïa et de la Bouréïa ......................... 276
Fig. steppe 1 : Carte de l‟extension de la steppe russe ...................................................... 298
Fig. steppe 2 : La steppe russe, caricature géographique .................................................... 299
Fig. steppe 4 : La Marmotte bobak, le plus grand rongeur de la steppe russe ............................... 309
Fig. steppe 5 : Carte de la steppe prairiale (lougostep) des terres noires lessivées .......................... 327
Fig. steppe 6 : La Stipe plumeuse, Graminée emblématique de la steppe prairiale russe ................... 329
Fig. steppe 7 : Carte de la steppe graminéenne sur terre noire .............................................. 333
Fig. steppe 8 : Carte de la steppe sèche sur sol châtain...................................................... 337
Fig. steppe 9 : Carte de la steppe zonée et continue de Sibérie occidentale ................................. 344
Fig. steppe 10 : Carte des steppes de Transbaïkalie et de leur gradient géographique du plateau mongol aux
vallées montagnardes ........................................................................................ 358
Fig. désert 1 : Le désert russe, caricature géographique ..................................................... 368
Fig. désert 2 : Le lien temporel entre les types de sols halomorphes ........................................ 394

448
Milieux naturels de Russie
Table des photographies

Photo 1 Lichens encroûtants, végétation pionnière en Sibérie orientale ........................................39


Photo 2 La mousse à renne, richesse de la toundra russe ............................................................40
Photo 3 Conifères de la taïga à port columnaire ........................................................................ 120
Photo 4 La strate arbustive de la taïga et le Sorbier .................................................................. 121
Photo 5 La stratification de la taïga sibérienne .......................................................................... 122
Photo 6 Vente en bord de route de champignons cueillis dans la taïga ....................................... 123
Photo 7 Les constructions de bois en Sibérie, un atout pour la mobilité ..................................... 128
Photo 8 Une maison de bois sibérienne de quartier aisé ........................................................... 130
Photo 9 La charpente d’une izba actuelle ................................................................................ 135
Photo 10 La dentelle de bois d’une maison sibérienne .............................................................. 138
Photo 11 L’exploitation du bois de la taïga, une géographie épousant le réseau hydrographique. 148
Photo 12 Le Combinat de Papier et Cellulose de Baïkalsk dans son milieu forestier .................... 152
Photo 13 Le secteur de la cellulose et les pluies acides sur la taïga ........................................... 153
Photo 14 La reconversion écologique du secteur de la cellulose ................................................ 154
Photo 15 Le Mélèze de Dahourie, un peuplement monospécifique ............................................ 155
Photo16 Le Bouleau, le feuillu de la taïga aux multiples bienfaits, et la purification du bain ........ 162
Photo 17 La lutte contre les Peupliers à Irkoutsk ..................................................................... 164
Photo 18 Sorbiers sibériens ..................................................................................................... 165
Photo 19 Un insectivore de la taïga : le pic-noir ....................................................................... 167
Photo 20 Un granivore spécialisé dans l’extraction des pignes : la kedrovka .............................. 169
Photo 21 Le principal rongeur de la taïga sibérienne, le bouroundouk ....................................... 171
Photo 22 Incendies de taïga et clairières de défrichement le long du Transsibérien ..................... 183
Photo 23 La largeur des rues villageoises, un moyen de lutte contre la propagation des incendies
............................................................................................................................................. 187
Photo 24 Un tronc de Mélèze de 200 ans en Sibérie orientale, une lenteur de croissance due au
froid....................................................................................................................................... 190
Photo 25 L’arbre de la taïga le plus résistant au froid, le Mélèze de Dahourie ............................ 191
Photo 26 Le changement de pelage saisonnier du principal herbivore de la taïga : le lièvre variable
............................................................................................................................................. 194
Photo 27 Le Lactaire délicieux de la taïga de Pin, un mycorhize contournant la pauvreté du podzol
............................................................................................................................................. 202
Photo 31 La kabarga, un chevrotin de la taïga de Mélèzes orientale .......................................... 216
Photo 32 La subtaïga balte, une pinède piquetée de quelques chênes ....................................... 226
Photo 33 Mosaïque de taïga et de steppe sans transition de forêt mixte en Sibérie orientale ...... 228
Photo 34 Les vestiges de la forêt mixte moscovite à Izmaïlovo ................................................. 230
Photo 35 Le Peuplier baumier, un feuillu de la taïga orientale .................................................... 238
Photo 36 La taïga de montagne du Saïan, un riche sous-bois à Chèvrefeuille ............................. 239
Photo 37 L’étagement de la taïga de montagne et de la pelouse alpine dans la chaîne de Tounka
............................................................................................................................................. 241
Photo 38 La taïga de montagne de Khamar-Daban, un îlot humide au-dessus de la steppe ........ 242
Photo 39 La pessière bleue de la taïga montagnarde de Khamar-Daban .................................... 243
Photo 41 Un bor de Sibérie..................................................................................................... 252
Photo 42 Une cédrière du sud de la Sibérie ............................................................................. 261
Photo 43 Un Frêne de Mandchourie ........................................................................................ 277
Photo 44 Le Merisier à grappes de Maack, petit arbre de la forêt de l’Oussouri .......................... 281
Photo 45 Le Poirier de l’Oussouri, petit arbre de forêt inondable ............................................... 282
Photo 46 L’Erable Ginnala, un arbuste des forêts alluviales d’Extrême-Orient ............................. 283
Photo 47 La forêt colchidienne, une végétation exubérante s’insinuant jusqu’au centre des villes 288
Photo 48 Une chênaie charmaie colchidienne de l’étage collinéen ............................................. 289
Photo 49 Les épiphytes de la forêt colchidienne des basses pentes du Caucase ......................... 290
Photo 50 La forêt colchidienne moussue, le paysage de la Russie subtropicale .......................... 291

449
Photo 51 Le Hêtre du Caucase, essence dominante de la forêt colchidienne de l’étage montagnard
.............................................................................................................................................292
Photo 52 Un If millénaire de la forêt colchidienne de l’étage montagnard ..................................293
Photo 53 Le Bois d’Ifs et de Buis, patrimoine mondial de l’humanité .........................................294
Photo 54 Le Souslik tacheté, un rongeur de la steppe adapté aux terrains découverts ................311
Photo 55 Le contact indenté entre la steppe et la forêt, un ensemble de causes complexes ........318
Photo 56 Une steppe à tiptchak pâturée de façon extensive .....................................................324
Cliché L. Touchart, juillet 2009.................................................................................................335
Photo 57 La Pivoine à feuilles étroites, l’une des plantes caractéristiques du raznotravié de la
steppe d’Europe...................................................................................................................... 335
Photo 58 La steppe sèche sur sol châtain, une formation piquetée d’arbustes ............................339
Photo 59 La Stipe chevelue, la Graminée caractéristique de la steppe sèche ..............................340
Photo 60 La steppe sibérienne, une steppe rase .......................................................................343
Photo 61 La steppe de Tounka, un exemple du morcellement des steppes orientales .................351
Photo 62 Le ramassage du Thym serpolet dans la steppe d’Olkhonie ........................................353
Photo 63 La steppe de l’Anga, la partie continentale de la steppe d’Olkhonie .............................354
Photo 64 Le sol châtain rouge de la steppe sibérienne la plus sèche .........................................355
Photo 65 L’Edelweiss de Sibérie, une fleur de la steppe à l’image de protection .........................357
Photo 66 La steppe du Khilok, une steppe sibérienne de vallée .................................................359
Photo 67 L’Abricotier de Sibérie, un arbuste xérophile des steppes de la Djida ...........................360
Photo 68 La Pimprenelle, une plante de la steppe-galerie ..........................................................361
Photo 69 Une prairie alluviale de la steppe de Tounka ..............................................................362
Photo 70 Une prairie de défrichement de la mosaïque de steppe boisée et de subtaïga de la Sibérie
orientale .................................................................................................................................363
Photo 71 L’adaptation des xérophytes russes au manque d’eau ................................................376
Photo 72 Une succulente de la steppe sèche russe, la zaïatchia kapousta ..................................377
Photo 73 Champs de sable et psammophytes de Sibérie ..........................................................396
Photo 74 Paysage bosselé et psammophytes fixatrices .............................................................397

450
Milieux naturels de Russie

Table des Matières

Avant-propos ..............................................................7

1. Une géographie physique de la Russie est-elle nécessaire ? ......................................................7


1.1. Quel est l‟intérêt d‟une géographie physique de la Russie ? .......................................................7
1.1.1. L‟âme russe chante la nature et le temps long de la géographie ...............................................8
1.1.2. Y a-t-il un héritage de la géographie physique soviétique ? ...................................................10
1.1.3. De la géographie physique à la géographie environnementale ...............................................11
1.2. Une géographie physique française de la Russie existe-t-elle ? ................................................12
1.2.1 Une ancienne intégration à la géographie régionale ................................................................12
1.2.2. Regards occidentaux et russes portés sur la géographie physique ..........................................13
2. Une géographie physique de la Russie structurée en plusieurs volumes ....................................15
3. Les choix éditoriaux en lien avec le russe .................................................................................16
4. Remerciements ...........................................................................................................................18

Introduction ........................................................19

Le pays de la zonalité et des grandes forêts de conifères ........................................... 19

1. Où il est narré comment les savants russes produisent la zonalité à partir de leurs sols ....... 21
2. La zone forestière de la Russie éclipse-t-elle toutes les autres ?.................................................... 24
3. Les paysages végétaux de la Russie sont-ils tristes et lassants ? ................................................... 29

Chapitre Premier ............................................. 33

La toundra, le mollisol et l’élevage du renne .............................................................33

1. Un paysage bas, marqueté et pauvre ........................................................................................36


1.1. Une formation basse .................................................................................................................36
451
1.1.1. Le pays sans arbre ..................................................................................................................36
1.1.2. Le paysage végétal ras des lichens, mousses et champignons ................................................38
1.1.3. Le paysage végétal bas des petites plantes herbacées et ligneuses .........................................41
1.2. Une structure en mosaïque ........................................................................................................44
1.3. Biomasse qui mousse n‟amasse pas roul ...................................................................................45
1.3.1. La polydominance ..................................................................................................................45
1.3.2. La faiblesse de la biomasse végétale et animale .....................................................................46
Une dizaine de tonnes de végétaux par hectare...........................................................................46
Une chaîne alimentaire animale limitée par la faible productivité végétale ................................47
1.4. La pauvreté spécifique de la toundra russe ................................................................................50
1.4.1. Les espèces cryptogamiques : une richesse toute relative ......................................................51
1.4.2. Les espèces herbacées et buissonnantes : l‟importance des Cypéracées et des Ericacées .......54
1.4.3. La part des oiseaux dans un petit nombre total d‟espèces animales........................................56
2. La toundra, une formation jeune, déterminée par le milieu polaire ......................................57
2.1. La toundra et les paléoclimats quaternaires ...............................................................................58
2.1.1. La toundra, une formation végétale du Quaternaire descendue des monts de Sibérie orientale
.........................................................................................................................................................58
2.1.2. Les vicissitudes de la toundra depuis la fin de la dernière glaciation......................................60
2.2. L‟écosystème de la Russie polaire ............................................................................................61
2.2.1. L‟existence même de la toundra à toutes les échelles, une question de climat polaire ...........61
2.2.2. L‟adaptation des plantes au climat polaire .............................................................................63
Des vivaces, sempervirentes et à multiplication végétative face à la brièveté de la bonne saison
...................................................................................................................................................63
Des cryophytes face à la fraîcheur et à la sécheresse ventée de la saison végétative ..................65
L‟utilisation de la neige pour passer au mieux le froid de l‟hiver ...............................................66
2.2.3. L‟adaptation des animaux au climat polaire ...........................................................................68
La toundra, un milieu de vie éphémère, qui nécessite la fuite .....................................................68
L‟éloge de la rondeur et de la graisse .........................................................................................70
Un fonctionnement des organes ralenti ou différé dans le temps ................................................71
Le changement de régime alimentaire ........................................................................................72
Y a-t-il une adaptation à la nuit polaire ? ....................................................................................72
2.3. La toundra et les sols polaires ...................................................................................................73
2.3.1. La froideur de l‟eau de capillarité et la sécheresse physiologique ..........................................73
2.3.2. Le caractère squelettique ou gleyifié des sols de toundra .......................................................75
2.3.3. La marqueterie mobile des sols de toundra ............................................................................76
La toundra des fissures rocheuses ...............................................................................................77
452
Milieux naturels de Russie
La toundra gélifluée....................................................................................................................77
La toundra mamelonnée .............................................................................................................78
La toundra des petits polygones .................................................................................................79
2.3.4. Les animaux et le sol ..............................................................................................................79
3. Des zones et régions de toundra aux micro-habitats ...............................................................80
3.1. Le découpage de la toundra russe à petite échelle : le rôle zonal et méridien des mers arctiques
.........................................................................................................................................................81
3.1.1. Un gradient de zonation des déserts polaires à la toundra bas-arctique ..................................82
3.1.2. Les complications de longitude et d‟altitude ..........................................................................85
3.2. Les régions de toundra à moyenne échelle ................................................................................87
3.2.1. Les formations d‟Europe : les toundras mourmane et kanino-petchorienne ...........................87
La toundra mourmane et la toundra de Ter .................................................................................87
Les toundras kanino-petchoriennes de Kanin, de la Petite et de la Grande Terre.......................89
3.2.2. Les formations de Sibérie occidentale : les toundras de Yamal et de Guydan ........................91
3.2.3. Les formations de Sibérie centrale : les toundras taïmyrienne et de Byrranga .......................94
3.2.4. Les toundras orientales......................................................................................................... 100
3.3. Les tesselles toundraines à grande échelle .............................................................................. 102
3.3.1. Les types de toundra en fonction de l‟abri, de l‟humidité du sol et du micro-modelé .......... 102
3.3.2. Les types de toundra en fonction de la taille des écosystèmes .............................................. 104
La toundra marécageuse et tourbeuse ....................................................................................... 104
La toundra de creux à neige ...................................................................................................... 106
La toundra nitrophile ................................................................................................................ 108
Les toundras polygonales, un emboîtement d‟habitats complexe ............................................. 109
Conclusion du chapitre Premier ............................................................................................... 112

Chapitre deuxième ..........................................................115

La taïga, le podzol et les incendies de forêt ................................................................ 115

1. Une forêt de conifères marquée par l’indigence peut-elle être la richesse de la Russie ? ... 118
1.1. Une forêt aciculifoliée à stratification simple ?.............................................................. 118
1.2. Une forêt peu productive et pauvre en espèces........................................................................ 124
1.2.1. Une régénération lente, une exploitation extensive .............................................................. 124
Un bois résistant, une chance pour les constructions ................................................................ 126

453
La difficile gestion d‟une ressource forestière peu renouvelable ..............................................138
1.2.2. Une réponse de proximité à la faible productivité : une géographie de l‟exploitation favorisant
la taïga d‟Europe ............................................................................................................................146
1.2.3. La pauvreté floristique de la taïga ........................................................................................154
1.3. Un monde animal limité par les contraintes alimentaires ........................................................166
1.3.1. Les animaux adaptés à une forêt aciculifoliée ......................................................................166
Les insectes, à la fois utiles et destructeurs ...............................................................................166
Les oiseaux mangeurs d‟aiguilles ou de pignes ........................................................................168
Les rongeurs, l‟ écorce et la décortication des cônes ................................................................170
1.3.2. Les herbivores consommant les produits des clairières ........................................................171
1.3.3. Les prédateurs de la taïga .....................................................................................................172
Les mustélidés ..........................................................................................................................172
Les gros carnivores ...................................................................................................................173
Les rapaces ...............................................................................................................................174
1.3.4. Une zoogéographie stratifiée ................................................................................................175
2. Une forêt zonale de milieu continental, marquée par le feu, le gel et la pauvreté des sols ..177
2.1. La taïga, le climat tempéré continental et les incendies ...........................................................177
2.1.1. La sécheresse et les feux de taïga .........................................................................................178
2.1.2. Le froid et les plantes de la taïga ..........................................................................................188
2.1.3. Une vie animale consacrée au passage de l‟hiver .................................................................192
Migration, hibernation et changement de régime alimentaire ...................................................192
La fourrure ...............................................................................................................................194
2.2. La forêt boréale et les sols cendreux .......................................................................................197
2.3. La forêt boréale et le pergélisol, une originalité russe .............................................................203
3. La taïga russe est-elle monotone ? ..........................................................................................205
3.1. Le gradient longitudinal de la forêt boréale et le passage de la sempervirence à la caducité ...208
3.1.1. La taïga toujours verte à l‟ouest de l‟Iénisséï .......................................................................209
3.1.2. La taïga de mélèzes à aiguilles caduques en Sibérie orientale ..............................................213
3.2. Le gradient latitudinal de la forêt boréale ................................................................................217
3.2.1. Les marges septentrionales de la forêt boréale .....................................................................219
3.2.2. Les marges sud de la forêt boréale : la taïga méridionale et les forêts mixtes de la subtaïga 223
La youjnaïa taïga ......................................................................................................................223
La forêt mixte de la subtaïga ....................................................................................................225
Taïga méridionale et forêt mixte, le berceau de la Russie .........................................................229
3.3. Montagnes et grands fleuves, créneaux et merlons de la forêt boréale ....................................234

454
Milieux naturels de Russie
3.3.1. La disparition de la taïga dans les montagnes de la zone taïgienne ...................................... 235
3.3.2. L‟apparition de la taïga dans les montagnes de la zone steppique ........................................ 236
3.3.3. Le phénomène de la taïga-galerie ......................................................................................... 243
3.4. Une forêt très dépendante des conditions topographiques locales ........................................... 244
3.4.1. Les micro-variétés de la taïga de plaine ............................................................................... 245
La taïga sombre ........................................................................................................................ 247
La taïga sèche ........................................................................................................................... 250
La taïga marécageuse ............................................................................................................... 255
3.4.2. Les micro-variétés de la taïga de plateau et de montagne ..................................................... 260
Les différents types de lariçaies de plateau ............................................................................... 260
Les contrastes d‟exposition dans les forêts taïgiennes de montagne ......................................... 262
Conclusion de Chapitre deuxième ......................................................................................... 264

Chapitre Troisième ..........................................................267

Les forêts de feuillus, les sols gris bruns et la pollution ................................................... 267

1. La forêt de feuillus européenne ............................................................................................... 269


1.1. Une chênaie largement défrichée ............................................................................................ 270
1.2. Les bois résiduels et la pollution des sols gris forestiers du Plateau Central Russe ................. 273
2. Les chênaies et prairies de l’Amour ....................................................................................... 275
2.1. La forêt de la Plaine Zéïo-bouréïenne et les sols noirs de prairie ............................................ 275
2.2. La forêt de la plaine de l‟Oussouri et du Khanka .................................................................... 280
3. Les forêts mixtes et de feuillus du Caucase ............................................................................ 284
3.1. Les forêts du flanc nord du Caucase ....................................................................................... 284
3.1.1. La chênaie-charmaie occidentale ......................................................................................... 284
3.1.2. La forêt de feuillus du Daghestan......................................................................................... 285
3.2. Les forêts du flanc sud du Caucase ......................................................................................... 286
3.2.1. Les lambeaux de forêt méditerranéenne de la Transcaucasie russe ...................................... 286
3.2.2. La forêt colchidienne de la Transcaucasie russe ................................................................... 287
Conclusion du Chapitre Troisième ............................................................................................. 295

455
Chapitre Quatrième ......................................................297

La steppe, le tchernoziom et les grandes cultures ................................................................... 297

1. La steppe, un écosystème herbacé, sans arbre, sur sol fertile ...............................................300


1.1. Quel est donc ce type de steppe à stipe ? ................................................................................300
1.1.1. Une formation herbeuse fermée et stratifiée .........................................................................300
1.1.2. Un cycle annuel très marqué ................................................................................................305
1.1.3. Le paradis perdu des herbivores ...........................................................................................308
L‟adaptation des herbivores au terrain découvert .....................................................................308
Une vie animale adaptée au climat continental .........................................................................311
Une nouvelle chaîne alimentaire anthropisée............................................................................313
1.2. Une coalition de causes complexes interdisant la pousse de l‟arbre ........................................315
1.2.1. Un déficit d‟eau dans les horizons profonds du sol des grandes plaines ...............................315
1.2.2. La stabilité de la steppe et sa résistance à la reconquête forestière .......................................319
1.3. Le tchernoziom, le roi des sols ................................................................................................320
1.4. La steppe russe, une zone de grandes cultures ........................................................................323
2. Les steppes russes du nord au sud et d’ouest en est...............................................................325
2.1. La zonation des steppes d‟Europe ...........................................................................................326
2.1.1. La steppe prairiale des terres noires lessivées ......................................................................326
2.1.2. La steppe graminéenne des terres noires ..............................................................................333
2.1.3. La steppe sèche moyenne des sols châtain ...........................................................................337
2.1.4. La steppe méridionale à Armoise : une formation de transition avec le désert .....................341
2.2. Les steppes sibériennes ...........................................................................................................342
2.2.1. Une steppe moins riche, un sol noir moins continu ..............................................................342
2.2.2. De l‟Oural à l‟Ob, une steppe zonale dans la continuité de l‟Europe ...................................344
La steppe prairiale de Kourgan, d‟Ichim et de la Baraba ..........................................................345
La steppe graminéenne, du Plateau Transouralien à la Koulounda ...........................................347
La steppe sèche sur sol châtain à l‟est d‟Orsk ...........................................................................348
2.2.3. A l‟est de l‟Ob, une steppe morcelée entourée de taïga ........................................................348
Les steppes d‟abri des bassins d‟effondrement du Kouznets et de Minoussinsk .......................348
Les steppes morcelées angaro-baïkaliennes ..............................................................................349
Les steppes de Dahourie : une zonation retrouvée ....................................................................363
Conclusion du Chapitre Quatrième ............................................................................................365

456
Milieux naturels de Russie
Chapitre Cinquième ....................................................367

Le milieu semi-aride de la Russie au défi des remontées désertiques......................... 367

1. La Russie mise à nu.................................................................................................................. 369


1.1. La Russie possède-t-elle de vrais déserts ? .............................................................................. 369
1.1.1. Le critère végétal : une couverture discontinue .................................................................... 369
1.1.2. Le critère pédologique : des sols à faible coefficient d‟humidité.......................................... 370

1.1.3. Une nuance russe : la différence entre semi-désert et désert .............................................371


1.2. L‟adaptation des êtres vivants au manque d‟eau estival et au froid hivernal ........................... 373
1.2.1. Les xérophytes des strates herbacée et suffrutescente .......................................................... 373
1.2.2. Les plantes succulentes : une limitation par le froid ............................................................. 377
1.2.3. Les plantes à court cycle végétatif : le printemps du désert russe ......................................... 378
1.2.4. Les animaux du désert russe et la Caspienne........................................................................ 379
1.3. Le passage zonal du sol châtain clair au sol brun steppique .................................................... 383
2. Une pincée de sel d’Astrakhan, un grain de sable kalmouk et le mirage de l’oasis ............ 384
2.1. Les sols halomorphes, les halophytes et les gypsophytes ........................................................ 384
2.1.1. Les solontchaki, des sols salins peu évolués ........................................................................ 385
2.1.2. Les solontsévatyé potchvy, des sols à alcalis de caractère intermédiaire .............................. 388
2.1.3. Les solontsy, des sols alcalins évolués ................................................................................. 389
2.1.4. Les solodi, des sols halomorphes podzolisés ........................................................................ 392
2.1.5. Les liens génétiques entre les types de sols halomorphes ..................................................... 393
2.2. La végétation des sables .......................................................................................................... 395
2.2.1. Le kiak et les autres psammophytes ..................................................................................... 395
2.2.2. Le marchand de sable s‟enrichit ........................................................................................... 398
2.3. Les sols alluviaux et la végétation des oasis de la Volga et du Térek ...................................... 400
3. La steppe et les grandes cultures de la Russie sont-elles menacées par les remontées
désertiques ? ................................................................................................................................. 402
3.1. La société russe face aux problèmes de salinisation des terres ................................................ 403
3.1.1. La mise en valeur des sols halomorphes .............................................................................. 403
3.1.2. La difficile maîtrise de l‟irrigation et la dégradation des sols .............................................. 404
3.2. Les Russes sablent-ils la champagne ? .................................................................................... 406
3.2.1. Les tempêtes noires, un poudrage du désert sur la végétation steppique .............................. 406
3.2.2. La fixation des sables et les plantations dans le désert russe ................................................ 410
3.3. Les aires protégées du désert russe : un ensemble d‟initiatives récentes ................................. 411

457
Conclusion du chapitre cinquième ......................................................................................413

Conclusion ....................................................................415

Les Russes ne sont pas comme les arbres d’une forêt ....................................................415

Bibliographie commentée....................................................... 421

1. Bibliographie sur la zonalité et l’ensemble des milieux biogéographiques et pédologiques


russes : ..........................................................................................................................................421
1.1. Bibliographie des études de géographie physique générale : ...................................................421
1.2.Bibliographie des études de biogéographie et de pédologie générale .......................................422
1.3. Bibliographie des études de géographie régionale sur l‟ensemble des milieux russes .............425
2.Bibliographie sur chaque milieu ..............................................................................................428
2.1.Bibliographie sur la zone de toundra ........................................................................................428
2.2.Bibliographie sur la zone de taïga et le podzol .........................................................................431
2.3.Bibliographie sur les milieux russes de la forêt de feuillus ......................................................436
2.4.Bibliographie sur la zone de steppe et le tchernoziom..............................................................437
2.5.Bibliographie sur le domaine semi-désertique..........................................................................439

Table des figures ..........................................................................................................................447


Table des photographies ..............................................................................................................449
Table des matières 451

458
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