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Canada
• Thèse
présentée à la
FacuIté des études avancées et de la recherche
de
l'Université McGill
comme exigence partielle
du doctorat en communications

Communication et interculturalité
en Afrique de l'Ouest francophone

• par

Alain Péricard

Progmmme d'études supérieures en communications


Université McGill

Juillet 1995

• CS> Alain Péricard, 1995 .


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Canada
• AVANT-PROPOS

·Si vous trouvez la linérarore scientitique ennuyeuse, eh hien c'est simplement


qu'elle a été conçue pour cela», écrit un philosophe s'intéressant à l'Afrique (Horton
et al" 1990, p. 131). Des objets d'érode comme celui dom il est question dans ces
pages tont effectivement ressortir la singularité et les limites d'une démarche scientifi-
que qui, dans ses productions formelles, est avant tout caractérisée par l'artifice
d'infinies précautions dans la façon de dire des choses parfois fort simples. l'espère,
malgré les contraintes du genre, être parvenu à rendre un peu de la simplicité de
quelques idées, peu connues par la science, qui proviennent des expériences et des
perspectives d'un groupe de personnes vivant en Afrique de l'Ouest francophone,

En effet. je dois d'emblée préciser que non seulement les d0Il11ées présentées
ici, mais également beaucoup d'analyses sont le fruit de la généreuse collaboration de
près d'une centaine d'interlocuteurs africains. Ce travail aurait été impossible sans


leur concours; il m'est impossible de tous les nommer (voir dans l'annexe A : «Liste
des collaborateurs à la recherche», ceux avec lesquels des entrevues fonnelles ont été
faites). Je ne peux non plus leur rendre justice, car pour des raisons éthiques la
plupart <les citations qui se trouvent dans ce texte restent confidentielles, J'ai toutefois
.fait exception à cette règle pour des considérations non personnelles qui ont été formu-
léès p:a..!" Ü';:; gens de science ou par des personnalités publiques, Parmi mes collabora-
teurs africains. j~ tiens à remercier particulièrement Kadari Bamba, dernier secrétaire
général de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO) et Modibo
Boly, conseiller éco~omique et infrastructures à la CEAO, Dans des circonstances
critiques, il ont fait beaucoup plus que de me permettre de traVailler dans leur
organisation,

Merci également aussi à ma «grande soeur», Monique K. Awouba, ainsi qu'à


mon ami Harounan Ouédraogo, pour leur aide durant plus d'une décennie de séjours
réguliers parmi eux. et pour m'avoir appris à ne plus être seulement un «toubab>o,

• comme le sont la plupart des Blancs en Afrique, Ils sont devenus pour moi une
famille qui me permet de ne pas être un étranger sur mon continent natal.
• Par ailleurs. j'ai trouvé au Programme d'études supérieures en eommunications
(GPC) de l'Université McGilI un exceptionnel soutien et une vaste ouverture d'esprit
durant les quatre années qu'ont duré une recherche. somme toate. assez peu confor-
III

miste. Je ne saurais dire toute ma gratitude à Gertrude J. Rohinson. directrice de


cette thèse. pour son aide et pour sa constante disponihilité. qui dépao;saient largement
ce qu'un étudiant peut attendre. Je dois également souligner que le fruit de mes
conversations avec R('n Burnett, directeur du GPC, est présent ici et là au détour des
pages qui suivent. Merci également à Lise Ouimet et à Pierre Gaudreault.

Le lien entre runiversité et r Afrique de rouest fut poSl>ihle grdce au concours


d'un homme qui a été géologue, archéologue, professeur et haut responsahle au
ministère français de la Coopération et du Développement, avant de devenir con.o;eiller
en fonnation du secrétaire général de la CEAO. En Afrique, plus d'une porte s'est
ouverte en prononçant son nom. Michel Grappotte, codirecteur de cette thèse, est à la

• fois un homme de science et d'esprit; il est aussi une des rares personnes qui pou-
vaient partager, confirmer et orienter les interrogations qui sont à la base de mon
travail, La valeur d'une tâche théorique comme celle-ci est avant tout affaire de
qualité de relations humaines, m'a t-il confirmé, ce qui implique que la recherche ne
devrait pas être dénuée du plaisir qui accompagne les meilleures de ces relation.o;.

Un grand merci également à ma conjointe, Danièle Blain, et à ma fille, Éloïse


Lévesque-Péricard, pour leur immense compréhension et pour leur aide.

Je dois également signaler que ce travail n'aurait pas pu être réalisé sous cette
fonne sans l'appui financier de plusieurs organismes. La fondation J. W, McConnell
et le Fonds pour la formation des chercheurs et raide à la recherche (FCAR) m'ont
permis de me consacrer exclusivement à mes études. Le Centre de recherche pour le
développement international (CROI) à rendu possible toute la part de la recherche qui
fut réalisée en Afrique, Merci à CoJlstanœ Lim, à Gisèle Morin et à tous ceux qui,

• dans ces organismes, ont favorablement évalué mon travail, ainsi qu'au recteur de
l'Université McGill, Bernard Shapiro, qui m'a accordé une bourse de rédaction.
• Sur un plan technique, la rédaction du texte qui suit soulevait des prohle:mes
dans l'orthographe des mOl~ venant des langues africaines pour lesquels il n'y a
re:gle constante. J'ai en général choisi les orthographes usuellement utilisées par les
pa~
IV

de

anthropologues. Une pratique désormais courante exclut le s au pluriel pour les noms
d'ethnies, sauf exceptions (Maures, Haratines, etc.). J'ai cependant laissé de côté les
choix linguistiques des anthropologues pour les termes venant du mooré, la langue des
Mossé du Burkina Faso, pour lesquels j'ai adopté l'orthographe de Titinga Frédéric
Pacéré (1979; 1991) en hommage à un chercheur ..fricain hors du commun.

Quant aux citations extraites d'entreVUes (toutes les citations sans référence
bibliographique), elles ont parfois été légèrement modifiées comme cela se fait
couramment en journalisme, afin d'en conserver le sens tout en éliminant certaines
redondances et certaines impropriétés de langage qui apparaissent particulièrement
flagrantes lorsqu'elles sont transerÏtes, Afin d'alléger le texte, j'ai en général consi-

• déré que la forme masculine incluait le féminin, J'ai également évité de féminiser les
titres de fonctions, sachant qu'une telle pratique ne serdit pas appréciée par mes
interlocutrices africaines.

Enfin, au cours de la partie solitaire de la mise en forme de la recherche, j'ai


tenté de garder à l'esprit ce qu'écrivait le philosophe, Laborieusement, j'ai essayé de
faire en sorte que ce texte ne soit pas seulement un/aire-valoir mais aussi un/aire-
savoir de la passion que nous sommes quelques uns à partager pour les cultures
africaines. Une telle passion ne peut venir que d'un espace de communication créé et
maintenu avec des membres de ces cultures. Elle mène à la conviction que l'échange
interculturel peut nous enrichir profondément, à la fois sur le plan humain et scientifique.

Dans l'espoir d'y être parvenu, je vous souhaite une bonne lecture.

• Alain Péricard
Montréa1, le 9 mai 1995

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos Il
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . .. v
Liste des figures VIII
Liste des sigles et acronymes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " ix
Résumé xi
Abstract xii

Chapitre 1 - Comment repenser la communication interculturelle


à partir du cas de l'Afrique de l'Ouest francophone? .

VERS UNE THÉORIE DE L'INTERCULTURALlTÉ .. . . . . . . . . . . . . 3


Le renversement de perspective .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
lnterculturalité et action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Les pratiques de l'interculturalité 9

QUESTIONS DE MÉTHODE 12

• La méthode de l'étude de cas étendue


Ethnographie et journalisme d'enquête , . . . . . . . . . . '. . . . . . . . . . . . . "
Considérations d'éthique et de savoir-vivre

DONNÉES SUR L'INTERCULTURALlTÉ EN AFRIQUE DE L'OUEST


FRANCOPHONE
"
13
18
20

22
L'Afrique de l'Ouest 22
Afrique de l'Ouest anglophone et francophone " 25
L'Afrique de l'Ouest francophone " 26
La CEAO, vie et'mort d'une organisation . . . . . . . . . . . . . ~. . . . " 28
Les données de recherche -. . . . . . . . " 29
Du local au global . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 31

L'INTERCULTURALITÉ DANS LES TEXTES 33


APPROCHES ORGANISATIQNNEUES ET INTERCULTURALITÉ 33
La communication intercu\turdle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 35
La communication organisatioWle!le 38
La communication et le développement • . . . . . . . . . . . ' . . . . . . . . . . . . . 43
ÉDIFICATION DE L'AFRIQUE ET INTERCULTURALITÉ ......•...•.. 47
La période africaniste ou la négation du temps . . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
La période tiers-mondiste ou la négation de l'espace 49
TEXTES OUEST-AFRICAINS ET INTERCULTURALITE ....•.••..•... 51

• L'INTERCULTURALITÉ EN AFRIQUE DE L'OUEST FRANCOPHONE 52


• Chapitre 2 - Blancs-noirs ct interculturaiité

EXPÉRIENCE, ACQUISITION ET CRÉATION DE CULTURE


On ne sc prévaut plus d'être toubabisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
VI

61

61
62
Cet enfant-là. il faut le mettrf' à récole . . . . . . . . .. 63
Si tu es seul. tu n'es rien 66
Comme des fourmis à l'oeuvre 69
Nous sommes les intermédiaires 71

ETHNIES, NATIONS, CULTURES ET INTERCULTURALITÉ 75


Au village. on nous considère comme des Blancs 75
Notre famille est un carrefour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 78
L'aspect charmant de l"information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 81
Nous sommes un échec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 84

INTERCULTURALITÉ, DOMINATION ET DÉPENDANCE 86


Les paysans veulent que je leur explique les choses . . . . . . . . . . . . . . . . .. 88
Je ne suis pas une erreur de la nature ~
La seule vérité émane du consensus 93

• INTERCULTURALITÉ ET POSITION CHEZ LES BLANCS-NOIRS ... 99


Il faut vraiment gagner la campagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ., 99
Je connais le Blanc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 102
C'est le désordre qui gouverne le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 104

Chapitre 3 - Noirs et intereuIturaIité 117

INDIVIDU, COMMUNAUTÉ ET CONNAISSANCES ENDOGÈNES '" 119


.... 1 discussi' onqw. diri'geauDll
....esta l '1 'ère . 119
Dès qu'il y a l'environnement, il faut répondre à une image . 124
L'Occident est mauvais, c'est le diable . 130
Le principe qui gouverne le cosmos, c'est l'irrationnel . 135

LA COMMUNICATION EN AFRIQUE DE L'OUEST . 138


Celui qui peut tout dire ...•. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Un langage qui renferme l'histoire . 143
Radio tarn-tarn • • . . • . . . . . • . . . . • • . • . • • • . . • . . • . . . . . • .-. . . • 146
":::
INTERCULTURALITÉ ET POSITION CHEZ LES NOIRS 151
En apprenant, ils oublieront . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
Nous avons appri.~ pour vous . . . . . . . • . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . 156

• fi Y avait cette vieille crainte . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . ..


J'ai perdu beaucoup . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . .
162
169
• Chapitre 4 - Blancs et interculturalité

CULTURE OCCIDENTALE ET CONSTITUTION D'UN


Ces chercheurs d'Occident qui veulent amenuiser l'histoire. .
HANDICAP
. . . . . . .. .
...
. ..
\'11

185

187
188
C'est difficile. si difficile de se placer du mauvais côté. . . . . .. . . . . . . . .. 193
Le Toubab, c'était le symbole du pouvoir. de la puissance. . . . . . . . . . . . .. 195
Pour connaître l'histoire, il faut une étude de la littérature . . . .. . . . . . . .. . 201

LE PRIVILÉGIÉ ET LE MARGINAL 205


Ils travaillent contre le développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Where the lions roared 210
Le développement est possible dans le déséquilibre 214

INTERCULTURALITÉ ET POSITION CHEZ LES BLANCS 217


Leur cécité se trouve dans le pouvoir et l'opulence 217
Ils ne peuvent pas raisonner comme moi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

REGARD SUR L'INTERCULTURALITÉ 224

• Chapitre 5 - Étude de l'intercuIturalité et Afrique de l'Ouest francophone

THÉORIES ET ÉTUDE DE L'INTERCULTURALITÉ


Études féministes et intereulturalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Études africaines et interculturalité
Communication, développement et interculturalité . . . . . . . . . . . ..
238

238
239
245
250

UNE THÉORIE COMMUNICATIONNELLE DE L'INTERCULTUAALITÉ 253


Rapatrier la commucication interculturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " 253
Complexité, mouvement et mobilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . " 256
Problèmes méthodologiques dans l'étude intercultureIle . . . . . . . . . . . . . . " 259
Interactions, rôles, jeux et intercultura1ité . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264

INTERCULTURALITÉ, PRATIQUES ET ÉTHIQUE 272


La résolution de problèmes en contextes interculturels . . . . . . . . . . . . . . . " 274
Communication interculturelle et éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281

UNE CONVERSATION SOUS L'ARBRE À PALABRES 286

Annexe A : Liste des collaborateurs à la recherche 299


Annexe B : Les actes mentaux dans la résolution de problèmes 303

• Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ' . . . . . . . . . . . . . . . . .
Cartes et images . . . . . . . . . • . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
305
325
• LISTE DES FIGURES
viii

Dialectique de la constitution de la position . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 106


L'identité chez les Noirs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 125
Chefferies ct' ethnies dominantes et interculturalité . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 168
L'interculturalité en Afrique de r Ouest francophone 229


• LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES
IX

ACCT: Agence de coopération culturelle et technique (Paris. Fr,lnce)


ACDI: Agence canadienne de développement international (Ottawa. Canada)
AFI: Association des femmes ivoiriennes (Abidjan. Côte d'Ivoire)
AOF: Afrique occidentale française
ARESAF: Association des rédacteurs et éditeurs scientifique.~ d'Afrique tbncophone
(Abidjan, Côte d'Ivoire)
BBC: British Broadcasting Corporation (Londres. Grande-Bretagne)
BCEAO: Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest
BOAD: Banque uuest-africaine de développement
CEAO: Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (Ouagadougou.
Burkina Faso)
CEDEAO: Communauté économique des États de l'Afrique de roue.~ (Lagos,
Nigéria)


CEE: Communauté économique européenne (Bruxelles, Belgique)
CEFOC: Conseil, Études, Formation Continue (Abidjan, Côte d'Ivoire)
CERCOM: Centre d'enseignement et de recherche en communication (Abidjan,
Côte d'Ivoire)
CFA: Communauté financière africaine
ClLSS: Centre inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (Ouagadougou,
Burkina Faso)
CIRES : Centre international pour la recherche économique et sociale (Abiqjan,
Côte d'Ivoire)
CRDI: Centre de recherche pour le développement international (Ottawa,
ainàda)
ENDA: Environnement et développement en Afrique (Dakar, Sénégal)
FNUAP: Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de population
(New York,. États-Unis)
GED: Genre et développement
GUIDE: Bureau d'étude - de formation - de réalisations et d'assistance
technique (ConaIay, Guinée)
IFAN : Institut français d'Afrique noire, puis après les indépendances, Institut
fondamental d'Afrique noire (Dakar, Sénégal)
IFD: Intégration des femmes au développement
FMI : Fonds monétaire international (Washington, États-Unis)
WUFED: Mouvement international femmes et démocratie (Abidjan, Côte d'Ivoire)
ONG: Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies (New York, États-Unis)
• ORSTOM: Office de recherche scientifique et technique outre-mer (Paris. France)
x

ORTM: Office de radiodiffusion télévision du Mali (Bamako. Mali)


OUA: Organisation de l'unité africaine
PIB: Produit intérieur brut
PMA: Pays les moins avancés
PNUD: Programme des Nations Unies pour le développement (New York.
États-Unis)
RAP: Rapid assessmcnt procedure
RA : Radio France internationale
UDEAO: Union douanière et économique de l'Afrique de l'Ouest
UEMOA: Union économique et monétaire ouest-africaine
UMOA: Union monétaire ouest-africaine
UNESCO: Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture
(Paris, France)
UNICEF: Fonds des Nations Unies pour l'enfance (New York, États-Unis)


Divisions et institutions de la CEAO

CREP : Programme épargne et crédit


CRES : Centre régional d'énergie solaire (Bamako, Mali)
DAAF : Direction des affaires administratives et financières
DDI : Direction du développement industriel
DDR : Direction du développement ruraI
DEC : Direction des échanges commerciaux
EMIG : École des mines et de la géologie (Niamey, Niger)
ESITEX: École supérieure des industries textiles (Ségou, Mali)
FACOWA : Fabrique communautaire de wagons
HVP : Hydraulique villageoise et pastorale
SCP : Société communautaire de pêche

XI

RÉSUMÉ

L'étude de rinterculruraliré (ou -compétence interculturelle-). de ses fondements


et de ses conséquences en Afrique de roues! francophone, implique une reconceptuali-
sation de la communication intercultureUe. Une théorie de Iïnterculturalité devmit être
interdisciplinaire, relativiste, critique et réflexive. Parce que les approches convention-
neUes et leurs applications produisent une réduCÙon spatio-temporeUe des situations
locales et une dévalorisation des connaissances endogènes, eUes limitent la compréhen-
sion de ces dernières et nuisent aux possibilités d'écha.'lges interculturels réciproques.
L'observation des processus de communication autour d'une organisation sous-
régionale ouest-africaine, révèle que l'interculturalité n'est pas le propre des Africains
les plus instruits et les plus exposés aux cultures étrangères, et encore moins des Blancs
ou d'autres membres de groupes dominants. EUe est au contraire plus prononcée chez
les femmes, chez les membres des ethnies marginalisées et, surtout, chez les marginaux

• péri-urbains. L'intereulturalité, qui se manifeste par les interaCÙons, est le résultat de


positions singulières essentiellement constituées à partir des champs de connaissances
endogènes, de la formation (comprise dans un sens large) et de l'expérience de la
subordination en contextes pluriculturels multiples.
Les textes qui fondent les définitions de situations dominantes créent un handicap
communicationnel et interculturel, également lié à un statut supérieur dans la hiérarcJùe
informelle, alors que la mobililé d'une position d'insider-oUlsider procure un avantage,
une aptitude à une conversation ou 11. un échange égalitaire dans divers espaces, locaux et
importés de culnire et d~ pouvoir. Une telle position est enfm une condition des études
et des pratiques interculturelles. Elle peut se développer, sur un plan individuel, grdce
à une initiation informelle ou formelle, à l'empathie et à la conscience de ses limites,
Dans les programmes de développement, l'interculturalité qu'ont acquis certains
membres de groupes marginaux est à la base de processus de détournement - une
réorientation des ressources à des fins localement négociées - qui révèlent les concep-
,tions endogènes de la participation et du changement social. L'étude de l'intercu1tura-

• lité en Afrique met ainsi en évidence qu'une approche communicationnelle des problè-
mes interculturels pourrait être fructueuse pour d'autres objets, dans d'autres lieux.
• The ~1udy
ABSTRACT
xii

of inrerculruraliry ("intercultural competence"), its foundations and


it~ effects in francophone Western Africa reveals the need tor a reconceptualization of
intercultural communication. A theory of interculturality should be interdisciplinary,
non-positivist, critical and reflexive. Because conventional approaches and their
applications create a spatial and temporal distance, and undervalue endogenous
knowledges, they limit understanding and hamper reciprocal intercultural exchanges.
The observation of communication processes around a sub regional West
African organization (the 'Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest") reveals
that interculturality is not a charaeteristic of bener educated Africans or of those mos!
exposed to foreign cultures, and even less of Whites or of other members of dominant
groups. Rather, it is more pronounced among women, members of marginalized
ethnic groups and, above all, among urban marginals. Intereulturality rnanifests itself

• through interactions. It is the result of singular positions (standpoinrs) rooted in


endogenous knowledges, in training (in its broadest sense) and in the experience of
subordination in pluriethnic contexts.
The texts that inform the dominant definitions of situations create a
communicational and inlercuItural handicap, alse linked to a superior status in the
infonnal hierarchy. On the opposite, the mobiliry of an insider-oursider position
confers an advantage, an aptitude for conversation. or for an egalitarian exchange in
various local and imported spaces of culture and power. Such a position is a
condition for intereultural studies and practices. IndividuaIly, it can be developed
through a formaI or informaI initiation, empathy and an awareness of one's own limits.
In developmenl programs, the interculturality acquired by certain members of
marginal groups is al the origin of proeesses of diversion - a reorientation of
resources towards locally negotiated ends - which reveal the endogenous conceptions
of participation and social change. The study of interculturality in Africa thus


supports the idea that a communicational approach ta intercultural problems could be
fruitfully applied in other contexts,
• Chapitre 1
Comment repenser la communication interculturelle
à partir du cas de l'Afrique de l'Ouest francophone?

Dans les théories et les pratiques de la communication et de.~ relations entre


personnes et groupes de cultures différentes, la réflexion ~llr la communication intercul-
turelle est à la fois omniprésente et singulièrement absente. Il existe cenes un énorme
corpus de textes qui évoquent l'imponance et les conséquences des échanges entre les
cultures dans le monde contemporain, mais très peu d'auteurs ont vraiment cherché à
éclaircir les fondements de ces échanges en abordant des questions telles que : comment
la communication intereulturelle est-elle possible dans un contexte donné'! Quels
processus et quelles stratégies fait-elle intervenir'! Comment des personnes peuvent-
elles transgresser des frontières culturelles? Et de quelle façon cette habileté se traduit-
elle à d'autres niveaux et dans l'action?


Si on les situe dans le cadre d'une sous-région comme l'Afrique de l'Ouest
francophone. ces questions recouvrent des problèmes majeurs. Les sociétés subsaha-
riennes contemporaines sont en effet marquées par la persistance de multiples cultures
vieilles parfois de plusieurs millénaires, par plus d'un nJiUénaire de relations avec
l'Islam et le monde arabe, par une période relativement courte mais critique allant de
trois siècles à une soixantaine d'années de colonialisme, ainsi que par quelques décen-
nies d'indépendançe formelle. Pour une large part. ces sociétés sont le produit de la
«compétence interculturelle>o' - de l'intercuInuaIité - qu'ont acquise certains de leurs
membres, aussi bien dans les relations avec les cultures imponées que dans les relations
entre les cultures autochtones de la sous-région en question. Bien qu'aucune recherche
spécifique n'ait encore été réa1isée sur une telle compétence. un observateur attentif du
contexte ouest-africain peut aisément la percevoir.

n y a quelques années, lors d'une étude sur la communication et le changement


autour du village de Tourum au Burkina Faso, fai ainsi constaté que les principaux

• acteurs locaux de ce qu'il est convenu de n<lImrer le développement étaient des


personnes qui, grâce à leur formation èt à leur expérience, avaient acquis une connais-
/'
• sance de la culture dominante, de la langue et de la mentalité des développeurs,
fonctionnaires et coopérants. Cene connaissance était utilisée à des fins d'action, pour
mobiliser des ressources exogènes qui, par la suite, subissaient le plus souvent un
:1

détournement, c'est-à-dire qu'elles étaient utilisées pour un usage différent de celui pour
lequel elles avaient été acquises - cet usage étant, dans le cas du village étudié, loeale-
ment négocié dans le cadre de processus d'appropriation (Péricard, 1991):.

Ce constat a suscité diverses réactions. Mes interlocuteurs africains admettaient


qu'il s'agissait pour eux d'évidences et ajoutaient parfois qu'il était étrange de voir un
Occidental s'intéresser à ce genre de phénomène. Quant aux universitaires occidentaux,
certains prétendaient que l'objet étudié ne concernait pas la communication, car il ne
touchait pas directement les médias ou la technologie, alors que d'autres estimaient qu'il
y avait là une piste originale, J'ai en outre été particulièrement surpris de ne trouver,
après maintes recherches bibliographiques, que de très rares références au phénomène

• communicationnel quefobservais autour du village de Tourum. Parmi celles-ci figure


un texte sur l'épistémologie féministe de la philosophe indienne Uma Narayan, qui
adopte le cadre des théories féministes dites «StandpoÎ1ll» et évoque une compétence
similaire qu'eUe nomme «double visioTP :
[",] oppressed groups, whether women, the poor or racial minorities
may derive an "epistemic advantage" from having knowledge of the
practices of bath their own contexts and those of their oppressors, The
practiceS of the dominant group (for instance, men) govem a society; the
dominated group (for instance, women) must acquire some fluency with
these practices in order to survive in that society,
(Narayan, 1989, p, 265)

Les villageois africains appartiennent sans contredit à un groupe dominé, car sur
les plans économique, administratif et politique, ils sont assujettis à des personnes dont
1:1 formation et la langue leur sont largement étrangères, Dans leur cas, la connaissance
de la culture des groupes dominants est bel et bien une question de survie, Par ailleurs,
ce ne sont pas tous les viIlageois qui ont acquis cene compétence que je nomme

• inrerculnuoJiré, mais seulement certains d'entre eux et à des degrés différents. Ces
• derniers l"utilisent surtout à des fins communautaires. Il convient également de préciser
que ce phénomène est essentiellement communicationnel, dans le sens où c'est par la
communication qu"il se développe et qu"il se manifeste. L"interculturalité appartient en
.3

effet à la sphère individuelle et s'exprime en premier lieu par les interactions.

Uma Narayan signale à juste titre l'importance du rapport existant entre la


perspective et la position (scandpoint) particulières d'une personne, qu'elle soit membre
d'un groupe marginal, défavorisé, opprimé ou dominant, ou de p:usieurs à la fois
(Narayan, 1989, p. 258). La lecture de son texte m'a par ailleurs permis de réaliser
que ma conception initiale de l"interculturalité comportait deux lacunes. D'une part, les
notions de domination et de dépendance (qui concernent le pouvoir) auraient dû être
considérées comme des éléments centraux dans le contexte étudié et, d'autre part,
l'étude d'un tel phénomène aurait dû être située dans un cadre plus vaste que celui d'un
village. Ces manques, comme je le remarquais à l'époque. provenaient principalement

• de l'approche strictement interprétative que j'avais utilisée. Leur correction suppose


donc que le cadre théorique et la méthodologie soient repensés et, finalement, que
l'objet d'étude soit reconceptualisé.

Le présent travail constitue donc la suite logique d'une précédente recherche qui
succédait elle-même à plus de trois ans de pratique du journalisme en Afrique de
l'Ouest, notamment dans les domaines de la vulgarisation scientifique et des question.~
rurales (par conséquent en tant qu'observateur critique des programmes de développe-
ment), 11 est également le fruit de six mois de recherches sur le terrain, effectuées au
sein de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO), une organisation
internationale qui regroupe sept États francophones de la région ouest-africaine.

VERS UNE THÉORIE DE L'INTERCULTURALlTÉ


Communicationnelle à la fois par son objet et par les processus d'investigation
qu'elle suppose - qui font partie de l'objet -, l'étude de l'intereulturalité est aussi
interdisciplinaire. Elle emprunte des éléments conceptuels à plusieurs disciplines telles
que l'anthropologie, la sociologie, les sciences politiques, l'histoire, la philosophie, la
• critique littéraire et la linguistique, voire même aux théories des organisations lorsque
l'étude se situe dans un cadre organisationnel. Elle doit aussi prendre en compte les
champs disciplinaires qui, dans le contexte étudié, s'intéressent de plus ou moins près
4

au même objet.

L'étude de l'interculturalité présente plusieurs défis particuliers sur le plan


théorique. Le premier provient du fait que l'objet d'étude se situe en amont de
plusieurs théories «générales» qui prétendent pouvoir aborder un vaste ensemble de
problèmes, comme tout ce qui a trait au développement. Ces théories déterministes,
fondées sur des lois supposées universelles, incluent inévitablement des thèses
évolutionnistes (Giddens, 1984, p. 227-236; Marcus et Fischer, 1986, p. 129). Si
j'évoque ici les éléments de ces théories qui touchent mon objet, ce n'est toutefois pas
dans l'intention de suggérer la possible reconstruction d'une nouvelle théorie générale.
Je crois plutôt que ce qui est aujourd'hui utile, c'est une théorie particuhère susceptl'ble

• de faire avancer notre entendement de l'interculturalité et de fonder de meilleures


pratiques d'échange et de négociation - ou de communication intereulturelle - , «une
théorie applicable à un ensemble limité de données» (<<11Ùddle range lheo1Y") (Merton,
1948, p. 166).

Le second défi découle de la tension entre l'objectivisme et le subjectivisme


présente dans les théories permettant d'appréhender l'interculturalité. Comment
percevoir des phénomènes qui sont inscrits pour une large part dans des cadres culturels
fort éloignés des nôtres sans adopter au départ une approche relativiste et interprétative?
Comment, par la suite, généraliser à partir de cas particuliers appartenant à plusieurs
cadres culturels et comment dépasser la stricte interplétation d'une situation pour établir
des liens avec l'action? Afin de définir un cadre théorique pour aborder l'intercultura-
lité, je rappellerai d'abord que l'opposition classique entre perspective positiviste et
perspective non positiviste peut désormais être considérée comme dépassée :
[...] at the current moment, interpretive petspectives, although still "anti-

• establishment" in ethos, are as much an accepted and understood part of


the contemporaty discourse as are positivist perspectives. To still pose
• one paradigm against the other is to miss the essential characteristic of
the moment as an exhaustion with a paradigmatic style of discourse
a1together. (Marcus et Fischer, 1986, p. x)
5

Par ailleurs, dans le contexte de l'Afrique contemporaine, les cadres thêoriques


les plus lourdement présents, généralement utilisés dans des contextes administratifs et
visant le développement organisationnel ou socioéconomique. engendrent de nombreuses
«3I1omalies>o du fait de la non-prise en compte de certains facteurs culturels (Appiah,
1992; Harden, 1990). Une approche centrée sur ces facteurs culturels, comme celle de
l'anthropologie interprétative, ne résout qu'une partie des problèmes et en pose de
nouveaux, comme la difficulté de généraliser en partant d'un cas particulier et de
prendre en compte la dimension de l'action. Pour appréhender l'interculturalité, une
perspective plus éclectique semble donc nécessaire.

Le renversement de peISpe.."tive

• À mon sens, l'étude de l'intereulturalité requiert l'inclusion du chercheur dans


l'objet èt la poursuite d'un idéal de renversement de perspeaiwi'. Le chercheur est,
dans le contexte étudié, observateur, participant et analyste situé, c'est-à-dire que sa
situation tient de son double statut d'insider-outsider ainsi que de sa position. Le
renversement de perspective suppose l'expression par l'observateur du recul qu'il tend à
prendre par rapport à sa propre culture (tout en maintenant une conscience critique de
sa position), exiJiession qui concerne son engagement personnel dans un échange qui,
pour l'auteur de l'interprétation, implique la prise en compte des limites de la traduction
de ces échanges dans une autre sphère spatiale et temporelle.

Le renversement de perspective exige donc une prise en considération des ..biais>-


qui sont ceux du chercheur. n suppose égaletnent la validité des «savoirs locaux.. pour
l'entendetnent des situations humaines et pour l'action. Selon Patricia Howard:
The issue is not to preserve traditional be1iefs and practices fixed and
frozen in lime. no mâtter how fascinating or attractive ta the modern


urban scholar. The key concern is how to preserve a space for the
relatively autonomous transformation of traditional cultures in such a way
as to leave their core self-defining values intact. (Howard, 1994, p. 202)
• Enfin, le renversement de perspective ne concernant pas seulement la méthode et la
théorie, il suppose aussi une éthique. En effet, bien qu'il soit en général relativement
autonome dans son travail, le chercheur doit, à mon avis, en partager les résultats et, si
6

possible, en faire bénéficier ses interlocuteurs. Son statut ne lui confère en outre
aucune autorité particulière lui permettant de déduire les changements qui devraient
s'opérer dans la situation qu'il observe. Dans le milieu étudié, sa tâche consiste avant
tout à rendre accessibles les définitions de situation et les processus de légitimation, et à
favoriser la communication entre les cultures. Si la communication et l'étude de la
communication sont d'abord conçues ici comme un échange et comme une négociation
du sens, il importe que les termes de l'échange soient équitables. D'un tel idéal, on ne
trouve que des éléments partiels et épars dans les diverses approches interprétatives aux-
quelles j'emprunte des éléments théoriques et méthodologiques.

La perspective de Oifford Geertz, qui vise à accéder aux définitions indigènes

• des situations étudiées, consiste à :


[...] accepter la profondeur des différences, [...] comprendre ce que sont
ces différences et [...] construire une sorte de vocabulaire quelconque
dans lequel elles puissent être formulées publiquement [...].
(Geertz, 1986, p. 201)
L'analyse fait appel à la «lhick description.. d'un «événement paradigmatique», c'est-à-
dire à l'examen attentif des éléments d'une situation, même les plus étranges et les plus
anodins, afin d'en dégager le contenu symbolique. La thick description demeure
appropriée pour aborder, par l'observation participante, un objet situé dans un cadre qui
nous est exotique (Giddens, 1984, p. 285). Cette approche a cependant des limites.
Elle tend à réduire la dimension du pouvoir en laissant de côté la question «Qui produit
les symboles et à quelles fins?.. (Keesing, 1987, p. 161-62) et nie, pour une large part,
la possibilité d'échanges entre les cultures. Bien que Geertz (1973, p. 196) aspire à une
attitude «Don normative», il affirme que :
Ce qu'il y a de vrai dans la doctrine du relativisme culture1 (ou historique
- c'est la même chose) est que nous ne pouvons jamais percevoir

• nettement l'imaginaire d'un autre peuple ou d'une autre période,. comme


si c'était le nôtre. (Geertz. 1986, p. 58)
• Un tel point de vue est problématique: ce qui est «vrai- pour qui el>1 dans une position
d'homme blanc, professeur et américain, ne l'est pas nécessairement pour qui e.'1 dans
une position de femme indienne, d'immigrant de seconde génération ou d'Africain fils
7

de paysan', Qu'une théorie suppose l'enfermement des individus dans leurs cultures
respectives, c'est, de plus, le retour à une norme. L'expérience singulière d'un anthro-
pologue est le produit de contextes historiques très particuliers à \' échelle de l'humanité,
et elle devrait par conséquent être utilisée avec une conscience critique de la position de
son auteur (Marcus et Fischer, 1986; Rabinow, 1988).

Nos conceptions des mondes étrangers et de l'interculturalité sont ainsi toujours


marquées par les positions et par les perspectives de certains groupes d'auteurs qui leur
ont donné un sens particulier. Les connaissances que nous avons sur l'Afrique - qui
incluent, explicitement ou non, des définitions ùe l'intereulturalité - sont largement
façonnées par les travaux d'auteurs individuels, passés et contemporains, dont les

• oeuvres font désormais partie d'une formation discursive collective et anonyme qui
possède une indéniable autorité (Foucault, 1969), C'est donc par des positions indivi-
duelles et par des perspectives de groupe qui sont devenues des formations discursives
- le tout inscrit dans le vaste corpus des textes traitant de l'Afrique - que se bâtissent
les définitions de la situation et de l'intereulturalité relatives à ce continent,

Les pratiques de l'interculturalité sont déterminées par des conceptions inscrites


dans des énoncés et sont créées, maintenues et transformées par la communication et
par les échanges intereulturels survenant dans un contexte donné. L'anthropologie, si
elle peut fournir des réponses aux questions soulevées par ces pratiques (à partir de
l'expérience du travail sur le terrain), génère aussi de nouveaux problèmes. D'après
Johannes Fabian, l'un des principaux problèmes qu'elle occasionne est le suivant:
Anthropology emerged and established itse1f as an allochronic discourse;
it is a science of other men in another Time. It is a discourse whose
referent bas been removed from the present of the speaking/writing
subject. This "petrified relation- is a scandai. Anthropology'sOther is,

• uJrimate1y, other people who are our contemporaries. (1983, p. 143)


• Selon Fabian, pour rétablir la contemporanéité de l'Autre, il convient d'abord de
«reconnaître que toutes les sociétés humaines et tous les aspects de ces sociétés sont "du
même âge"., puis de considérer la relation à l'Autre comme une praxis, c'est-à-dire la
8

pratique communicationnelle d'un temps c-Immun (Fabian, 1983, p. 71), et, enfin, de
tenir compte du fait que l'humain est un produit du langage tout autant que le langage
est une production humaine (p. 159) - ce qui rejoint finalement, sur le plan théorique,
ridée de renversement de perspective. À cela j'ajouterai que la notion d'échange,
incluant celui qui étudie, vise à renouer avec l'action afin de résorber les diStances
spatiales et temporelles. Comment est-il alors possible d'intégrer toutes les dimensions
de l'action dans une approche non seulement interprétative, mais aussi critique de
l'interculturalité? C'est la qr~on que j'aborderai maintenant.

Interculturalité et action
Lorsqu'elle s'intéresse à des sociétés qui nous sont étrangères, l'étude culturelle

• de la communication orientée vers une intention pragmatique, rencontre certains


problèmes qui proviennent de la référence majeure que constituent les textes et la
méthode anthropologiques. Dans le cadre d'une approche anthropologique, bien que la
recherche soit fondée sur la technique «paradigmatique> de l'observOlion panicipante
(Burawoy, 1991, p. 7), la participation n'est utilisée que pour faciliter l'observation, ce
qui finit par créer une distanciation. Elle est en quelque sorte conçue comme un mal
nécessaire dans "une démarche qui vise à produire, ailleurs, des connaissances pour
l'Occident. Paul Rabinow souligne en outre qu'une difficulté inhérente à la méthode
anthropologique provient de la double médiatisation qu'elle suppose :
[.•.) nous sommes nous-mêmes situés historiquement par les questions
que nous posons et la manière dont nous tentons de comprendre le monde
et de le vivre; et ce que nous obtenons de nos informateurs, ce sont des
interprétations médiatisées tant par l'histoire que par la culture. [...]
Tant que l'on prend en considération les statuts épistémologiques diffé-
rents des matériaux que l'on reçoit, ces statuts ne feront pas obstacle à la
compréhension. (Rabinow, 1988, p. 108)


Rabinow remarque ici que les données ethnographiques sont elles-mêmes des interpréta-
tions qui doivent être réinterprétées en fonction du contexte dans lequel elles sont


• produites. Ces processus commandent alors une analyse basée sur la .douhle hermé-
neutique- (Giddens. 1982. p. 7).
l)

Au cours de ses recherches au Maroc. Rabinow (1988) s'est également intéressé


aux échanges entre I"observateur et son informateur. c'est-à-dire au site précis où se
produit et où se manifeste rinterculturalité. atin d'identifier les processus par lesquels la
connaissance anthropologique s·é1abore. Mais un tel intérêt vise sunout raméliordtion
de raccès à un monde étranger, ce qui exige le concours d'un insider intermédiaire.
Alors que l'informateur «professionnel- constitue un atout pour mieux saisir et
comprendre la contemporanéité de l'Autre. il est généralement exclu de r o~iet.

La participation, dans le plein sens du terme, est liée à I"action. Anthony


Giddens avance qu'une théorie «informée par l'herméneutique- doit exclure toute
primauté du sujet ou de l'objet, tous deux étant constitués cà travers des pratiques

• récurrentes-. Dans ce cadre, la notion d'action se rétère, d'une pan, à la possibilité


qu'ont les individus d'agir de façon différente et, de l'autre, à un ensemble de connais-
sances qui ne sont pas nécessairement explicites, mais <lue ces mêmes individus peuvent
utiliser afin de circonscrire différentes possibilités d'agir (Giddens, 1982, p. 6-9).
L'observateur faisant partie de l'objet, cette définition ajoute un caractère réflexif à
l'analyse de l'intereulturalité'. L'action, souligne enfin Giddens, implique logiquement
une forme de pouvoir, une capacité à modifier une situation (Giddens, 1984, p. 15).

Les pratiques de l'intereulturalité


L'étude des pratiques de l'interculturalité suppose l'observation et l'analyse de
situations d'échanges intereu1turels. Il s'agit le plus souvent de conversations, de
rituels, d'interactions et d'entrevues dans lesquels aussi bien le contenu que le cadre
sont intereulturels. Outre l'anthropologie interprétative, deux approches supplémen-
- -
taires peuvent être utilisées pour mener à bien ces tâches : l'ethnométhodologie et
l'interactionnisme symbolique. Ces approches, parfois qualifiées de «micro-sociolo-

• giques-, permettent d'appréhender, au niveau interperSOnnel, des mécanismes parfois


considérés comme liés à des niveaux plus larges (Giddens, 1984, p. 68 et 139).
• En ce qui a trait à l'ethnométhodologie, Harold Garfmkel (1967) présente deux
notions utiles à l'étude des échanges interculturels. Selon lui, le savoir de sens
commun. partagé par les membres d'une société ou d'un groupe particulier. est basé sur
10

une culture commune qui peut être définie comme l'ensemble desfails connus par ces
membres et socialement sanctionnés (p. 76). Pour qu'i! y ait compréhension partagée,
une culture commune est donc nécessaire. Par ailleurs, toujours selon Garfinkel, tout
acteur compétent est aussi un théoricien et un méthodologue des sciences sociales, un
sociologue profane (p. 30) qui sait utiliser le savoir de sens commun des structures
sociales comme une donnée d'analyse de la situation et comme une ressource pour
enquêter. Comme je le préciserai ultérieurement à propos de la méthodologie, cene
conception peut être utile à la collecte de données générales appartenant au même cadre
épistémologique que celles recueillies lors d'une étude de cas.

L'analyse interactionniste peut également être considérée comme une ressource

• de premier ordre pour l'étude de l'intereulturalité. Cette dernière se manifeste avant


tout au niveau micro des interactions et, d'après Erving Goffman,
[...] the proper study of interaction is not the individual and bis psycho-
logy, but rather the syntactical relations among the aets of different
persons mutually present to one another. (1967, p. 2)
L'étude de l'intereulturalité s'intéresse à la transformation des cadres primaires par des
processus de «keJ.ing» dans un contexte particulier, ainsi qu'à la façon dont ces
processus peuvent ou non être partagés entre des interlocuteurs de groupes culturels
différents et de positions diverses (Goffman, 1974). Comme le recOItI13J.'"t Goffman, il
se pourrait cependant que cette approche demeure très «Située>- et que l'analogie avec la
scène apparaisse bien ..étrange> à la lumière de l'observation dans le contexte africain'.

Anthony Giddens (1984) retient de Goffman la notion de positionnement


("fJOSÏlÏoning») qui situe l'individu dans un cadre spatio-temporel correspondant à l'âge,
au genre et à l'appartenance ethnique, et qui fonde la définition de l'identité sociale.


Cene notion touche les «contextuaIi~ des interactions,
• 1...) situated in space and time. lt can he understood as a fitful yet
routinized occurrence of encounters. fading away in time and space. yet
constantly reconstituted within different areas of time-~"pace. The regular
routine features of encounters. in time as weil a~ in ~"pace. represent
Il

instutionalized features of social systems. Routine is founded in tradi-


tion. custom or habit. but it is a major error to suppose that these pheno-
mena need no explanation. that they are simply repetitive forms of
behaviour carried out 'mindlessly' (... 1. (Giddens. 1984. p. 86)
Le concept de positionnement doit toutefois être distingué de ce que je nomme position
(standpoint), le positionnement touchant ce qui est visible ou ohservahle. et la position
concernant la perspective qui en découle, qui n'est ni visihle ni même facilement
concevable pour une personne qui n'a pas vécu les expériences fondant cene
perspective. Par ailleurs, les catégories qui, d'après Giddens, déterminent le position-
nement - l'âge, le genre, l'appartenance ethnique et la classe sociale -- et qui sont
aussi, d'après les théoriciennes féministes, à la base de la position d'une personne
(Harding, 1991; Spivak, 1988), restent très vastes. II conviendrait, à mon sens,

• d'évaluer leur validité à partir d'un travail d'analyse de données d·ohservation.

En résumé, la théorie de l'interculturaIité telle que je l'entends - une théorie


des fondements de la communication intereulturelle ou de la transgression des frontières
culturelles par la communication - exige un renversement de perspective. Elle est
interprétative et s'oppose aux théories générales et évolutionnistes, mais réfute aussi la
thèse relativiste, historiquement située, qui enferme les humains dans les prisons de la
culture et nie l'intereulturaIité même. La compétence intereulturelle est liée à la
position du Sl!Ïet. ElIe se manifeste dans le cadre d'une culture partagée, elle est en
rapport avec le pouvoir et elle fonde l'action. Son étude nécessite une attention critique
pour la position de chaque acteur, de même qu'une part de réflexivité.

Dans le contexte ouest-africain actuel, tout projet visant à contribuer à l'élabo-


ration d'une telle théorie suppose que l'on prenne soin de ne pas extraire les cultures
locales de leur contemporanéité qui inclut à la fois des éléments spécifiquement

• endogènes et des éléments exogènes. Un tel projet est donc nécessairement doublement
critique par rapport aux deux ensembles de sociétés qui sont représentés dans le
• contexte de recherche. La prise en compte des données concernant les positions
particulières (ethniques, sexuel1es, sociales, professionnel1es, etc.) de l'observateur, de
12

ses interlocuteurs et des auteurs cités constitue finalement le point central de la critique.

L'intérêt porté au contexte de l'objet d'étude et l'utilisation de la notion de


position suggèrent, sur le terrain de l'anthropologie et sur celui des études en
communications dans un environnement non occidental, l'adoption d'une perspective
critique issue d'une position située ailleurs que dans un cadre conventionnel de
recherche, où l'autorité est généralement détenue par des Occidentaux, hommes d'âge
avancé. Marcus et Fischer (1986, p. 157-162) évoquent un projet de cene nature,
qu'ils nomment ":Ïuxtaposition transeulturelle» (<<cross-cultural-), mais ils précisent
toutefois ne pas en connaître d'exemple qui ait été publié'. L'exploration de nouvelles
voies dans ce domaine peut certes permettre de faire avancer les théories, mais, au
départ, elle pose surtout un ensemble de problèmes méthodologiques.

• QUESTIONS DE MÉTHODE
Marcus et Fischer préconisent des ..juxtapositions transculturelles- par une
approche comparative d'études r6Ilisées dans des contextes occidentaux et non occiden-
taux. Sur ce point, je partage l'opinion d'Uma Narayan qui considère que:
Perhaps we should aIl attempt te cultivate the methodological habit of
ttying to understand the complexities [, .•} involved in different historical
and cultùràJ. settings while escbewing, at least for now, the temptation to
make comparisons across such senings, given the dangers of anempting
te compare what may well he incommensurable in any neat terms.
(Narayan,1989,p.260)
Le problème qui se pose dans le cas d'une approche comparative n'est pas seulement
l'incommensurabilité des situations, mais aussi l'extrême difficulté d'éluder ce qu'on
pourrait nommer l'échange inégal entre les cultures, une situation maintes fois
dénoncée par les critiques de l'anthropologie, Avant de penser à comparer, encore
faudrait-il résoudre de façon satisfaisante les problèmes d'accès à une autre culture,


ainsi que les difficultés de traduction qui se posent quand les termes de r étude se
situent dans un cadre qui, sur le plan épistémologique, est dominant par rapport à
• I"objet. C'est d'ailleurs ce que souligne Johannes Fabian qui qualifie d'anifice
réductionniste la méthode comparative, ~[ ... ) that omnivorous intellectuaJ machine
permitting the "equal" treatrnent of human culture at ail time and in ail places- (Fahian.
13

1983, p. 16). Issue de I"évolutionnisme, la comparaison crée une di~1aI1ce en sépar.mt


des éléments pour les classifier (p. 27).

Compte tenu de cette difficulté, il me semble plus approprié d'aborder précisé-


ment le point de jonction entre les éléments qui pourraient être comparés - c'est-à-dire
l'échange interculturel dans un contexte défini ainsi que les fondement<; de cet échange,
à savoir les différentes composantes de l'interculturalité, Il convient cependant de noter
que si la comparaison n'est pas retenue comme un principe méthodologique souhaitable,
elle n'en demeure pas moins potentiellement présente au moment de la mise en forme et
de la réception ou de la lecture de l'étude,

• Ce n'est probablement pas un hasard si Renato Rosaldo, un anthropologue


d'origine mexicaine, propose, à l'instar des théoriciennes féministes, une perspective
procbe de celle qui est prônée ici. Rosaldo (1989, p. 62) remarque que ses
interlocuteurs, ou sujets de recherche, font parfois d'astucieuses remarques à propos des
cultures occidentales. De telles remarques cl...] suggest a dialogic potential, one of
critical reflection and reciprocal perceptions, as yet rarely realized in the official
rhetoric of anthropology., Non seulement la position de l'observateur peut-elle ain.'>i
être redéfinie, mais il en va de même pour les objets qui se situent désormais plus
généralement en czones frontalières» des cultures homogènes (p. 215-217),

La méthode de l'étude de cas étendue


L'étude de l'interculturalité telle que je la conçois présuppose que des éléments
contèAtuels participent à la construction de la position d'un individu et qu'ils
déterminent sa compétence interculturelle. L'autre élément susceptible d'interVenir dans
cette compétence est la personnalité qui constitue un ensemble de traits individuels
singuliers touchant la biologie et la psychologie. Dans la mesure où je m'intéresse ici
aux dimensions communieationnelles des échanges interculturels, je laisse de côté cet
• élément, tout en retenant l'importance d'en tenir compte au moment de traiter les
données de l'enquête.
14

Sur le plan méthodologique, Michael Burawoy identifie un dilemme qui se pose


au chercheur adoptant une approche ethnographique. Il a la possibilité soit de partir
d'un travail empirique et de confronter ses données à des théories existantes afin d'en
construire une nouvelle, soit de se consacrer à une théorie particulière et de s'intéresser
à ses faiblesses reconnues afin de l'améliorer (Burawoy, 1991, p. 26-27). Mon expé-
rience personnelle - basée sur des pratiques et sur un engagement vis-à-vis de mes
interlocuteurs africains -, ainsi que l'inexistence d'une théorie appropriée à mon objet
d'étude tel qu'il est défini, m'incitent à conclure que la première de ces stratégies reste,
dans mon cas, la seule possible'.

Toutefois, quand vient le temps d'appréhender l'intereultura1ité, l'étude

• empirique est assortie de plusieurs contraintes méthodologiques. Elle s'effectue


nécessairement à un niveau micro ou organisationnel, car elle cherche à comprendre des
compétences individuelles par l'observation participante des processus d'échange - ou
d'interaction - interculturels. La méthode de l'étude de cas étendue élaborée par
Burawoy propose donc, à des tins de généra1isation, de confronter les Jonnées recueil-
lies sur le terrain avec des textes exposant des thèses générales traitant du même objet.

En l'occurrence, cette suggestion n'est que partiellement applicable, car le


problème qui se pose dans l'étudé de l'intercultura1ité concerne les statuts épistémolo-
giques différents des éléments utilisables à différents niveaux. En effet, les données
issues de l'observation participante correspondent à des situations interculturelles, mais
les généra1isations se situent exclusivement dans le cadre des sciences humaines - un
produit occidental - et sont donc, sur le plan épistémologique, au moins partiellement
étrangères à l'objet d'étude. Dans ce cas particulier, deux améliorations peuvent être
apportées à la méthode de l'étude de cas étendue afin de réduire cette distance.


• Premièrement, il est possible d'ajouter au cOl11us des textes qui, tout en
n'appartenant pas aux sciences humaines, traitent de généralisations. Il peut s'agir
d'oeuvres littéraires, poétiques et théâtrales ou d'autres ouvrages produit.~ par des
15

Africains ou transcrits à partir de récits d'Africains originaires de la sous-région étu-


diée. Ces textes utilisent des formes importées d'Occident pour évoquer des situations
qui, fréquemment, touchent les relations interculturelles et Iïnterculturalité. Aux
ouvrages savants publiés par des éditeurs occidentaux et destinés avant tout à un public
occidental - et qui sont surtout un reflet de l'Occident et du regard qu'il porte sur les
sociétés africaines - s'ajoute donc un corpus de textes où des Africains contemporains,
spécialistes profanes des sciences sociales, cherchent à représenter qui ils sont.

Deuxièmement, à la suite de l'étude de cas qui s'effectuait par observation


participante dans une organisation, j'ai entrepris d'é1argir mon champ d'investigation et
de soumettre une série d'hypothèses générales provisoires - dans un cadre d'échanges

• intereulturels - à un groupe d'interlocuteurs qualifiés, extérieurs à l'organisation. Ces


derniers étaient d'abord choisis en tant que spécialistes des sciences humaines, suscepti-
bles de formuler et de critiquer des généralisations de l'objet; mais ils pouvaient aussi
être des membres de groupes non représentés dans l'étude de cas ou des personnes
faisant preuve d'une compréhension, d'une compétence ou d'un intérêt particulier par
rapport aux questions intereulturelles et témoignant une confiance lors de nos échanges.
.. .
cette façon de procéder aurait toutefois été quelque peu arbitraire si le choix des
personnes et des situations étudiées avait été uniquement déterminé par des hasards;
comme c'est souvent le cas durant un travail ethnographique (Marcus et Fischer, 1986,
p. 93). Deux principes ont donc guidé la sélection de mes interlocuteurs :
• viser la plus grande diversité de positions possible dans le choix des
personnes contribuant à l'étude;
• poursuivre l'enquête jusqu'à ce que les données se recoupent et se confirment
à tel point qu'il devient possible de valider les hypothèses provisoires,


• Ces principes ont été appliqués à l'ensemble des données recueillies au cours du travail
sur le terrain. En résumé, les choix effectués pour la recherche ont donc été en partie
déterminés par des hasards, c'est-à-dire par de:; connaissances et des relations person-
16

nelles résultant de plusieurs années de travail dans la région étudiée. Parmi toutes les
possibilités qui s'offraient à moi au moment de choisir le lieu de l'étude, la CEAO a été
sélectionnée en fonction du principe de diversité : quel lieu pouvait me permettre
d'étudier le plus vaste éventail possible d'expériences et de situations interculturelles'?
Ce critère de sélection diffère de celui qui préside généralement à la constitution d'un
échantillon, à savoir la représentativité, sans toutefois être aléatoire.

L'énoncé présenté plus tôt, selon lequel des éléments contextuels déterminent
pour une large part la compétence intereulturelle, implique la nécessité de préciser les
éléments du contexte qui doivent être considérés. Certains étaient a priori évident.<; :
l'origine socioculturelle, la famille, l'instruction, les différents liewt de résidence et les

• expérien~ qui y ont été vécues. Mais il aurait été potentiellement réducteur de
ramener ces composantes du contexte à une 1iste préconçue, afin de déterminer un
échantillon. Le principe de diversité a permis, au cours de l'enquête, de décomposer
ces éléments, d'en introduire de nouveaux et d'évaluer leur importance respective; en
d'autres termes, d'orienter la recherche à mesure que les données étaient recueillies.

Quant au second principe - la SQlUTQtÏon des données -, celui-ci me semble


être le moyen le plus approprié pour valider des hypothèses provisoires dans le cadre
d'une recherche comme celle-ci, qui gagne à être aussi largement inductive que
possible, étant donné l'absence d'études sur lesquelles se baser afin de déterminer les
éléments constituant l'objet. De plus, dans le cas de l'étude de l'intereu1turalité, la
saturation des données permet d'éliminer rapidement de ces hypothèses tout ce qui ne
touche pas précisément l'objet d'étude et qui concerne davantage la psychologie ou la
personnalité singuhères de chacun des interlocuteurs rencontrés".

• Ceci étant, d'après mon expérience à la CEAO, l'application du principe de


saturation des données à une recherche basée sur des observations et des entrevues réaIi-
• sées dans un cadre organisationnel est très exigeante. Le statut d'outsider, ou d'étran-
ger, de l'observateur évolue en effet très rapidement dan.~ un tel cadre: il est modifié
par la constitution d'un statut d'insider résultant des échanges qui se produisent à
17

l'intérieur des réseaux internes de l'organisation. En pratique, il conviendrait d"ailleurs


de percevoir ces statuts comme étant en perpétuelle transfonnation, allant du pôle
d'outsider à celui d'insider. Le problème qui se pose alors est d'obtenir un ensemble
de données relativement homogène. Comme le remarque Rosaldo (1989, p. 169), «si la
distance offre certains avantages défendables, c'est aussi le cas de la proximité, et tous
deux ont leurs inconvénients». Il n'y a donc pas d'optimum sur ce plan.

J'ai ainsi pu remarquer que la perception d'une appartenance de l'observateur au


milieu ou à l'organisation peut constituer un handicap. L'outsider jouit de l'avantage
de pouvoir poser des questions - et d'obtenir des réponses - sur ce dont on ne parle
pas, en d'autres :c:rmes, de pouvoir dire et pennettre de dire l'indicible. li importe

• donc de rassembler rapidement un maximum de données afin que celles-ci aient le plus
d'unifonnité possible et ne soient pas recueillies avec, de la part des interlocuteurs, une
perception trop variée du statut de l'observateur.

L'application de cette technique n'élimine nullement la nécessité de tenir compte


du fait que, comme l'ont constaté nombre d'auteurs qui ont étudié la communication
organisationnelle. «les gens dans les organisations mentent» (Weick, 1983, p. 26). Mais
au-delà du problème de définition de ce qu'est un mensonge'·, j'ai constaté que l'atti-
tude qui consiste à dire intentionnellement une chose autre que ce que l'on pense être
vrai, ou à taire une chose que l'on pense, peut être moins fréquente à l'égard d'un pur
étranger de passage, qui n'est pas en situation d'autorité ou de rapport avec l'autorité,
qu'à l'égard d'une personne perçue comme un insider, même provisoire. Ou peut-être
cette attitude est-elle plus facilement décelable par un étranger bien infonné, ce qui
constitue, en fin de compte, un avantage pour la recherche.


• Après la première étape, pendant laquelle l'observateur est perçu comme un
oU!sider, le nouveau statut qui se bâtit peu à peu fait en sorte qu'il est perçu en partie
comme un insider de l'organisation et de son contexte, ce qui lui permet de recueillir
18

un nouvel ensemble d'observations et de données d'entrevues qui doivent alors être


analysées en tenant compte du fait qu'elles ont été recueillies dans un autre cadre.
L'importance de la perception, par les informateurs, du statut d'oU!sider ou d'insider de
l'observateur dépasse largement les questions de méthode et touche directement l'objet
d'étude, comme je le préciserai plus loin.

Un troisième principe, indépendant de la collecte des données, a enfin déterminé


le choix du lieu de l'étude; principe qui concerne l'utilité du travail réalisé. Dans le
contexte ouest-africain, il me semblait en effet pertinent de me demander quel lieu
serait le plus approprié à la diffusion des résultats de ma recherche et à l'expérimenta-
tion des applications pratiques susceptibles d'en découler". Ce principe, s'i! est
étranger à la recherche, a eu des conséquences sur la perception de mon statut par les
membres. Sur le plan des applications pratiques évaluées, la perspective développée ici
a été utilisée dans le cadre de diverses demandes qui m'ont été adressées par la CEAO
ou par d'autres organisations: consultation en communications, fOnDation, animation de
sessions de résolution de problèmes et présentation de conférences.

Ethnographie et:iolll'Dll1isme d'enquête


En ce qui a trait aux techniques d'enquête. il est indéniable que toute recherche
ethnographique est déterminée par les habiletés et par l'expérience personnelle - donc
largement par la position - de celui qui la réalise. Et dans le cas de cette recherche
sur l'intercultura1ité, mon expérience du journalisme en Afrique de l'Ouest fut une
constante source d'inspiration. J'expliquerai donc bnèvement en quoi les techniques de
journalisme d'enquête peuvent contribuer à la n';!lisation d'un travail ethnographique.

Cet apport prend plusieurs formes. En premier lieu, il convient de rappeler que
le travail joumalistique est en principe basé sur le respect de certaines règles : le
recoupement des informations, leur mise en contexte - par exemple, la présentation
• des sources - et, lorsque c'est possible, la collecte d'une variété de point~

une situation ou sur un événement donné. L'application de certains de ces critères


devient rapidement un réflexe. Par exemple, aucune information n'est considér6:
de vue sur
19

comme crédible par un journaliste avant d'avoir été confll'ltl6: par plusieurs sources.

En deuxième lieu, les entrevues ne prennent que très occasionnellement la forme


de ces espèces de joutes que nous présentent les médias audiovisuels et dans lesquelles
le journaliste, pressé par le temps et affichant un semblant de neutralité, tente de faire
dire quelque chose de nouveau à un personnage public qui, lui, s'en tient à un langage
officiel prédéterminé. En pratique, beaucoup d'entrevues sont faites avec des personne.~

qui n'ont pas grand-chose à cacher ou à vendre et qui sont volontiers coopératives
plutôt que méfiantes ou manipulatrices. Pour un journaliste qui réali.~ une enquête,
l'utilisation optimale de telles situations d'échange exige, à mon sens, deux choses :
d'une part, il doit bien connai'tre le sujet dont il est question, afin de permettre à son

• interlocuteur de dire ce qui pour lui est important (même si ce n'est pas ce qui intéresse
l'enquêteur), d'autre part, il ne doit pas hésiter à exprimer certaines opinions et à
évoquer sa propre expérience, afin de créer une relation de réciprocité. Avec des
personnes peu habituées à accorder des entrevues, ou habituées à des entrevues portant
sur des sujets autres que celui dont il est question, un journaliste expérimenté jouit de
certains avantages. Par exemple, au cours de ma recherche, j'ai réalisé que des rensei-
gnements doni jè disposais pouvaient me permettre de provoquer intentionnellement une
réponse fausse. n m'était ensuite possible, sur l'enregistrement, de noter les indices
liés à cette réponse et de les repérer de nouveau dans la suite de l'entrevue. J'ai
cependant décidé de ne pas abuser de ce procédé qui me semblait inquisitorial et peu
utile, puisque r expérience permet de développer une intuition, c'est-à-dire une connais-
sance immédiate et non raisonnée de la crédibilité d'une réponse.

En dernier lieu. dans le cas particulier d'une enquête en pays non occidentaux,
comme dans la région ouest-africaine, on apprend vite que les réseaux officiels ne sont

• que rarement utiles et crédibles. À titre d'exemple, je ne suis jamais parvenu à obtenir
• une entrevue avec un personnage officiel par l'intermédiaire des services du protocole.
Par contre, en s'adressant à des personnes proches d'un tel personnage, il est générale-
ment possible d'organiser une rencontre privée, ce qui permet en outre des échanges
20

prolongés qui se déroulent dans un climat de confiance et sans témoin officiel. Par
ailleurs, les nouvelles se trouvent rarement dans les lieux réservés à la diffusion de
l'information officielle. Un journaliste construit un réseau d'informateurs et sait quels
lieux fréquenter pour découvrir ce qui se passe de nouveau. En Afrique, c'est à
l'époque où des gouvernements autoritaires tentaient de contrôler tous les canaux
d'information que des réseaux parallèles se sont constitués. Ces derniers font d'ailleurs
appel à des processus de communication largement antérieurs aux médias. Dans les
villes d'Afrique, un journaliste acquiert ainsi l'habitude de «tourner» régulièrement, tout
comme certains citadins qui fréquentent les bars et autres lieux où l'on joue aux cartes,
aux dames, etc. Il s'agit d'une pratique cd'espionnage», dis:lit un de mes interlocu-
teurs, ou de recherche d'information, qui existe aussi en milieu rural. Elle s'effectue

• dans les marchés, sous certains arbres ou au bord des points d'eau, car c'est là que
circulent et que sont interprétées beaucoup de nouvelles, officielles ou non.

Dans quelle mesure de telles pratiques journalistiques peuvent-elle inspirer une


recherche ethnographique"? À ma connaissance, ce sujet n'a guère été approfondi,
mais il a tout de même été évoqué à propos de techniques utilisées dans un cadre
organisationnel "(Carney, 1986, p, 11) et à propos de certaines habiletés nécessaires au
travail sur le terrain :
Dealing effectively with gatekeepers who can deny or extend entrée may
he the single most important skill that the naturalistic inquirer needs to
have. Knowing that gatekeepers come in two types - formaI and infor-
maI - and that bath need to he deaIt with is equaI1y important.
(Slatie, 1985, p. 208)

CoDsidErations d'éthique ct de savoir-vivre


L'avantage dont dispose une personne expérimentée dans les techniques d'entre-

• vue et d'observation participante par rapport à ses interlocuteurs, commande que, dans
le cadre de ses recherches, elle respecte certaines règles d'éthique et de savoir-vivre.
• En l'occurrence, beaucoup de données recueillies à propos des membres de la CEAO
sont très personnelles et exigent l'anonymat. Par ailleurs. étant donné que la recherche
a été réalisée en collaboration avec cette organisation. il a été convenu que les docu-
21

ments publics qui en résulteraient seraient soumis à certains de ses membres afin de ne
pas compromettre les buts qu'ils définissent".

En général. mes interlocuteurs de la CEAO ont collaboré à cette recherche avec


beaucoup de générosité. Je commençais toujours mes entrevues par l'avertissement
suivant: «Je sais que je vous pose des questions qui. en Afrique. ne devraient pas être
posées. J'utilise mon statut d' étranger pour vous les poser quand même. Je sais au.'>Si
que vous comprenez que, dans ma culture, un refus de répondre ne constitue pas une
offense, donc je vous invite à ne pas répondre à mes questions quand vous le préférez.-
Mes interlocuteurs ne pouvaient cependant ignorer que les questions restaient posées.
Les rares refus de répondre étaient souvent marqués par un détournement signalé de la

• question. Par ailleurs, un refus direct ou indirect de répondre à une question ou une
demande d'arrêter l'enregistrement sont aussi chargés de sens qu'une réponse.

Au fil des entrevues, je me suis rendu compte que de demander à une personne
appartenant à une culture dite «de tradition orale- de décrire certaines expériences
passées, c'était l'amener littéralement à revivre des événements dont elle parle
d'ordinaire très. peu. Cette expérience semblait très intense pour bon nombre de
personnes interrogées et je devais ajouter, à la suite de l'entrevue formelle, une séance
parfois longue de «debriefing. et un retour critique sur l'entrevue - tous deux
généralement très riches d'enseignement. Je dois aussi préciser que mon expérience me
dictait de ne pas dépasser une heure d'entrevue formelle, ce qui m'amenait à créer une
tenSion dans les échanges afin d'obtenir des réponses précises et d'arriver rapidement
aux points qui m'intéressaient. Je palliais par la suite ces indélicatesses en expliquant
en quoi elles étaient utiles.

• L'observation participante dans une organisation africaine exige enfin le respect


de nombreuses règles. n convient, par exemple, d'effectuer des visites de courtoisie
• aux supérieurs hiérarchiques et d'attendre qu'ils aient fait circuler des notes officielles
avant de rencontrer formellement leurs subalternes. Les bureaucraties africaines sont à
cet égard singulièrement lentes. Il serait par ailleurs déplacé de ne pas rencontrer les
22

personnes suggérées par les responsables. Quant aux règles informelles, elles sont tout
aussi nombreuses et requièrent q'Je l'on s'intéresse avant tout à la familIe, à la santé,
aux déplacements et autres événements de la vie de nos interlocuteurs".

DONNÉES SUR L'INTERCULTURALlTÉ EN AFRIQUE DE L'OUEST


FRANCOPHONE
La délimitation d'un objet permettant de rassembler des données empiriques sur
l'interculturaiité exige que soit précisément circonscrit le contexte de l'étude. Il s'agit,
en premier lieu, de définir schématiquement ce contexte en termes géographiques,
démographiques, économiques, linguistiques, écologiques, historiques, politiques· et
sociaux pour situer et délimiter l'objet d' étude, avant de présenter les données.

L'Afrique de l'Ouest
L'Afrique de l'Ouest continentale compte aujourd'hui 15 États, officiellement
anglophones, francophones ou lusophones (d'anciennes colonies britanniques, françaises
ou portugaises; le Togo était allemand jusqu'en 1918), qui sont regroupés, depuis 1975,
dans la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Cette
région est délimitée au nord par le Maghreb et le sahara au niveau du Tropique du
Cancer, à l'est par l'Afrique de l'Est, à environ 8 à 12 degrés de longitude est, au sud
par le golfe de Guinée et à l'ouest par l'océan Atlantique (voii carte l, p. 326).

La plupart de ces États sont peu populeux, à l'exception du Nigéria qui, avec
près de 120 millions d'habitants, est le plus peuplé des 50 pays d'Afrique. Le Ghana
(16 millions) et la Côte d'Ivoire (12 millions) dépassent les 10 miI1ions d'habitants et
deux pays se situent en dessous de 1 million (L'Étal du monde, 1995). De même, les
densités de population sont très faibles dans les zones arides du nord. L'Organisation
des Nations Unies (ONU) les classe dans la catégorie des «pays les moins avancés»
(PMA), à l'exception du Ghana et du Nigéria, ce dernier étant le seul producteur de
• pétrole de la région. Les autres minéraux exploités en Afrique de l'Ouest sont principa-
lement l'uranium au Niger, la hauxite en Guinée et un peu d'or, de fer, de phosphate et
de diamants. Beaucoup de ressources restent toutefois inexploitées.
23

En dehors des capitales et de quelques zones urbaines côtières, peu de secteurs


sont industrialisés. L'essentiel des économies demeure rural avec l'exploitation du bois,
l:i pêche et les cultures vivrières et de rente : cacao, café et palme, le long de la côte:
arachide, coton et bétail, à l'intérieur. La coopération internationale constitue un
important secteur économique qui atteint, dans certains pays, 20% du produit intérieur
brut (PlB). Une grande part de cette aide est déliée, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas, en
principe, être astreinte à des achats de biens et de services dans les pays donateurs.

Les langues officielles de ces pays sont les anciennes langues coloniales, mais la
majorité des populations parle des langues vernaculaires (plusieurs centaines dans


l'ensemble de la région), la plupart étant classées par les linguistes dans les groupes
berbère, kwa, mandingue, ouest-Atlantique, songhaï et voltaïque. Parmi la dizaine de
langues les plus courantes, on trouve celles de certains peuples commerçants (les
Dioula) et nomades (les Peul). La connaissance de l'arabe est actuellement croissante
au nord avec la multiplication des écoles coraniques.

Les spécialistes de l'écologie considèrent que l'Afrique de l'Ouest compte trois


zones principales : le désert, la savane soudanienne (le Sahel, en arabe ..rivage du
désert») et la forêt tropicale, qui se caractérisent par une pluviométrie plus abondante et
plus régulière à mesure que l'on avance vers le sud. Mais ces milieux peuvent
difficilement être considérés comme cnatureIs>o. De vastes parties du Sahara ont en effet
été créées, et sont toujours entretenues, par des peuples sédentaires et nomades. Il
semble bien que ce désert soit le résultat des interventions humaines opérées au cours
des derniers milléDaires"'. Le Sahel a lui aussi été transformé par des siècles de
pratique des feux de brousse, de l'élevage transhumant et de techniques de cultures
extensives. Quant à la forêt tropicale, il n'en reste souvent qu'un souvenir. L'écologie
de cette région dépend donc largement des pratiques culturales et culturelles qui f'y sont
• développées, qui s'y maintiennent et s'y transforment. En outre, dans la région sahé-
lienne, et même plus au sud, les cultures de rentes entraînent une dégradation croissante
de l'environnement, qui se manifeste en dernier lieu par la minéralisation des sols'6.
24

L'histoire de l'Afrique de l'Ouest, qui constitue un élément majeur de l'étude de


l'interculturaIité dans cette région, est connue grâce à l'archéologie, la transcription de
textes oraux et les écrits des chroniqueurs arabes, des explorateurs, des historiens
occidentaux et africains. Au Sénégal, les premières traces connues de peuplement
humain remonteraient à 13 000 avant J. -Co Parmi les événements clés de cene histoire,
on trouve une succession d'empires au Sahel depuis le début de l'ère chrétienne (Ghana,
Songhaï, Mali, Haoussa, Mogho, Macina) et, plus récemment, l'apparition de royaumes
au bord du golfe de Guinée (Ashanti, Dahomey, Yorouba, etc.). Les Almoravides ont
répandu l'Islam dans les régions du nord à partir du Xl" siècle, puis les Européens sont
interVenus, avec la traite des Noirs, la conquête coloniale entre le XIX" et le début du

• xx- siècle ainsi que les indépendances, entre 1956 pour le Ghana et 1975 pour la
Guinée Bissau. seul le Libéria, fondé par d'anciens esclaves américains et devenue une
république en 1847, n'a pas connu le colonialistne (Ki-Zerbo, 1978).

Depuis les indépendances, divers types de régimes civils et militaires ont été au
pouvoir dans la région : dictatures ou régimes autocratiques de gauche ou de droite,
régimes à fondements ethniques ou révolutionnaires et, plus récemment, à l'instigation
des pays occidentaux, régimes d'inspiration ou de forme démocratiques. On y trouve
actuellement plusieurs zones de conflit à caractère partiellement interethnique (Maurita-
nie, Mali, Niger, Casamance au sud du Sénégal et Libéria) avec des tensions sociales
provenant du maintien de régimes militaires (Togo, Nigéria).

Les questions sociales sont marquées par de fortes inégalités, d'une part, entre
les différentes régions, d'autre part, entre des groupes minoritaires urbanisés ayant un
mode de vie de type occidental, et une grande majorité défavorisée et principalement

• rurale. Les problèmes sociaux sont fréquemment critiques: mauvaises conditions


sanitaires (l'espérance de vie est généralement inférieure à 50 ans), analphabétisme (en

-----:::
• moyenne, près de 70% des population.~). exploitation des femmes et des enfanl~.

graphie galopante. malnutrition. chômage. exode rural, etc. (L'Érar du monde. 1994:
1995), Ces images partielles du contexte régional recouvrent toutefois une grande
:!5
démo-

diversité culturelle et une immense complexité.

Afrique de l'Ouest anglophone et francophone


Les cultures d'Afrique de l'Ouest ont été modelées par différents élémenl~ parmi
lesquels le colonialisme occupe une place prépondérante. Aujourd'hui, les diftërence.~

entre les anciennes colonies britanniques et françaises proviennent principalement de


cette période. Les modèles de colonisation étaient fondamentalement distincl~ :
For British and French colonial administrations were guided by very
different theories of empire, and while ethnoregional affiliations are
central across the francophone-anglophone divide. one result of these
different theories bas been a difference not so much in the importance of
ethnicity - it is crucial everywhere - as in the role it plays in the


posteolonial state. (Appiah 1992 : 165)
Alors que les Britanniques avaient maintenu en place des administrations indigènes
largement inspirées des structures précoloniales (ce qui a pu causer plus tard des conflits
ethniques, comme la guerre du Biafra au Nigéria), le projet colonial de la France visait
à créer une élite francophone homogène qui collaborerait à la gestion de structures
administratives de modèle français (d'où une intégration sous-régionale plus marquée
des États francophones). D'un côté, la perspective pragmatique, visant le développe-
ment du commerce britannique, fondait l'..indirect rule- qui gérait les territoires par
l'intermédiaire de chefferies militairement vaincues: rois Ashantis au Ghana. émirs au
nord du Nigéria. De l'autre, les idéaux universalistes français inspiraient une politique
d'«assimilation.. encadrée par une administration centralisée. En pratique, ces deux
modèles n'étaient que partiellement appliqués, mais il en a tout de même résulté
d'importantes différences structurelles et culturelles entre les États postealoniaux
anglophones et francophones (Afigbo et al., 1986, p. 1-50).


fi en résulte que les systèmes d'édncation sont encore largement inspirés de ceux
des anciennes métropoles coloniales et ceci à tous les niveaux. Pour ce qui est des
• études supérieures, par exemple, une grande majorité des étudiants doivent encore se
rendre soit en Grande Bretagne soit en France - selon rancienne puissance coloniale
de leur pays d'origine - pour poursuivre leur formation. Par la suite, les canaux
26

d'échanges intellectuels restent essentielIement orientés vers I"un ou I"autre de ces


centres européens, peu de contacts s'établissant entre anglophones et francophones.

Enfin, le sens des échanges dans les domaines technique, économique et culturel
est généralement orienté selon les mêmes axes. Le réseau téléphonique offre un bon
exemple de cette situation puisque pour communiquer entre deux villes proches, rune
dans un pays francophone et l'autre dans un pays anglophone, la communication devait
encore récemment passer par la France et par la Grande-Bretagne, parcourant ainsi près
de 10000 kilomètres pour se rendre à 100 kilomètres. On remarque cependant que les
différences issues du colonialisme ont des conséquences plus prononcées pour les élites
que pour les cIasses populaires qui, elles, maintiennent d'importants canaux de circula-

• tion de biens et de personnes à travers les anciennes frontières coloniales.

~et
Ces particularités font que l'étude de l'intereulturalité dans les pays anglophones
francophones pose des problèmes distincts. J'ai donc choisi de m'intéresser exclusi-
vement aux neuf pays francophones d'Afrique de l'Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte
d'Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo) qui, bien que ne consti-
tuant pas une entité géographique distincte, partagent certains antécédents historiques
dont découlent une langue officielle et un grand nombre de traits communs.

L'Afrique de l'Ouest francophone


Le territoire de l'Afrique de l'Ouest francophone était, avant 1960, celui de
l'Afrique occidentale française (AOF). On y trouve des pays côtiers humides qui
comptent certaines agglomérations regroupant la plus grande partie des industries de la
sous-région (Dakar, Abidjan, Lomé et Cotonou), des pays sahéliens enclavés, de même
que la Mauritanie, presque totalement désertique, qui relie le Maghreb et r Afrique de

• j'Ouest (voir carte 2, p. 327), Les frontières de ces pays, héritées du découpage
• territorial résultant de la conférence de Berlin (1887)". correspondent essentiellement
aux intérêts commerciaux et stratégiques des puissances européennes de l'époque.
27

Le partage territorial élaboré à Berlin a précédé l'occupation plu.~ qu'il n'a


formalisé une situation de jaero. car, jusque là. à peine 10% de la région était partielle-
ment occupée par les Occidentaux (Ki-Zerbo, 1978, p, 408). En 20 ans. le reste de ces
territoires fut militairement, puis administrativement et commercialement contrôlé. Il
en a résulté des frontières qui ne correspondent aucunement aux délimitations culturelles
antérieures, surtout dans les pays côtiers. Toutefois, dans les pays sahéliens. des
groupes t;Ulturels dominants sur le plan démographique, ou dominateurs, ont par la suite
contribué à forger ou à imposer une relative homogénéité nationale (W')Olof au Sénégal.
Bambara au Mali, Mossé au Burkina Faso et Haoussa au Niger) (voir carte 3, p. 328),

Sur les plans constitutionnel, administratif et juridique, ces pays s'inspirent à


divers degrés des modèles coloniaux et français. Dans le domaine commercial et indus-
triel, beaucoup d'entreprises ont une dimension sous-régionale: maisons bordelaises
(Peyrissac) ou marseillaises (Compagnie industrielle et commerciale africaine) nées à
l'époque de l'économie de traite, anciennes entreprises coloniales (Compagnie française
de l'Afrique occidentale), multinationales (Unilever) et firmes détenues par des Libano-
Syriens (Fadoul Afrique) (Coquery-Vidrovitcb et Moniot, 1984). Les principales
banques ont également une dimension sous-régionale, tout comme le franc CFA
(monnaie de la Communauté financière africaine), une devise indexée au franc français
et utilisée dans tous ces pays, à l'exception de la Mauritanie.

Dans les deux pays économiquement et politiquement les plus importants de


l'Afrique de l'Ouest francophone, d'anciens députés français devenus «pères de
l'indépendanee. - le Sénégalais Léopold Senghor et l'Ivoirien Félix Houmphouët-
Boigny - prévoyaient, en 1959, que le maintien des fronbères coloniales deviendrait
rapidement un handicap pour les pays relativement peu peuplés de la sous-région. Une

• fois présidents de leurs pays devenus indépendants, ils ont donc encouragé la création
d'organisations visant l'intégration de l'ancienne AOF.
• Sur le plan monétaire, les États concernés ont donné des pendants africains à
l'Union monétaire ouest-africaine (UMOA) au sein de laquelle la Banque de France
jouit d'un important contrôle en assurant la convertibilité du franc CFA. Ces
28

organismes sont la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et la


Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Par contre, les tentatives
d'intégration politique ont échoué (par exemple, la Fédération du Sénégal et du Mali en
1960). Sur le plan économique, des regroupements ont w le jour : le Conseil de
l'Entente et l'Union douanière et économique de l'Afrique de rouest (UDEAO)
devenue, en 1972, la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO).

La CEAO, vie et mort d'une organisation


La CEAO, dont la structure s'inspire largement de la Communauté économique
européenne (CEE), regroupait sept des États francophones de rAfrique de rouest, les
deux autres (Guinée et Togo) y détenant un statut d'observateur. Ses objectifs princi-

• paux étaient l'instauration d'une zone de h1>re-échange, un développement économique


homogène dans la sous-région et, à terme, une intégration économique et politique.
Son siège social était simé à Ouagadougou au Burkina Faso et ses instituts de formation
supérieure et de recherche (énergie, gestion, mines, pêches et textiles), dans quatre
autres États membres de l'organisation (CEAO, 1988; 1991b).

Jusqu'en 1994, la CEAO et ses organismes employaient 535 personnes qui


jouissaient du statut de fonctionnaire international et de ses avantages. Certains postes
de cadres supérieurs étaient réservés à des pays précis (le secrétariat général adjoint à la
Mauritanie, le Contrôle financier à la Côte d'Ivoire, ete.). D'autres responsables
étaient nommés par les instances suprêmes : la Conférence des chefs d'État et le
Conseil des ministres de la CEAO.· Les postes intermédiaires et inférieurs de la
hiérarchie étaient comblés par le biais d'une sélection administrative parmi les citoyens
des pays membres.

• En avril 1993, alors que j'entamais ma recherche, la CEAO fonctionnait presque


normalement, malgré d'importants arriérés dans les cotisations de certains pays
• membres. Deux mois plus tard, elle était en situation de cessation de paiemenl~: les
salaires n'étaient plus versés et différentes rumeurs se répandaient concernant sa survie.
À la fin de mon travail sur le terrain, en mars 1994. au terme de dix mois de crise. Ie.~
29

chefs des États membres décidaient officiellement de démanteler la CEAO et de fonder


l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), par un élargissement du
mandat de l'UMOA".

Les données de recherche


Cette crise, qui coïncidait avec ma présence à la CEAO, était d'une certaine
manière favorable à une recherche en communications. Elle provoquait une situation où
les membres de l'organisation étaient dans une quête incessante d'information, où les
rituels formels et informels se multipliaient, où chacun cherchait à analyser et à partager
ce qui se passait, et où différents groupes (professionnels, nationaux, ethniques et
autres) tendaient à se resserrer, Toutefois, je dois avouer que la crise avait également

• des conséquences individuelles et familiales parfois tragiques. Il m'était ainsi difficile


de ne pas partager l'inquiétude et la tristesse de mes interlocuteurs, alors que certains
voyaient s'effondrer un rêve auquel ils avaient consacré près de vingt ans de leur vie.

Dans ce contexte, un premier ensemble de données regroupe des documents


organisationnels formels et informels, des observations de situations d'échanges
intereulturels entre des membres ou des groupes de membres de l'organisation, à
l'intérieur de la CEAO et à l'extérieur, ainsi que 36 entrevues semi-dirigées avec des
membres. Ces derniers se situent aux différents échelons de la hiérarchie, dans toutes
les divisions; ils représentent l'ensemble des États membres et sont généralement issus
de familles de statuts socio-ethniques distincts, appartenant à 21 groupes ethniques.

La seule catégorie de personnes par rapport à laquelle les données obtenues sem-
blaient peu crédibles était les femmes, en outre toujours situées au niveau intermédiaire
de la hiérarchie (cadres moyens ou secrétaires), J'ai réalisé plus tard que cette diffi-

• culté était doublement révélattice, D'une part, les rapports homme-femme en Afrique
sont empreints d'une grande pudeur, et le fait qu'un homme soulève des questions
• parfois très personnelles évoque automatiquement, pour une femme, des situations qui
n'ont rien à voir avec des questions de science ou de recherche. De plus, les rapports
homme blanc-femme noire s'inscrivent dans un contexte historique particulier où
30

l'égalité est bien loin d'avoir été la règle (Fanon, 1952, p 35-52)'·.

Ce problème n'était pas sans conséquences pour la recherche. L'étude de


l'interculturaiité s'intéressant au développement de la compétence interculturelle, elle
doit aborder, en premier lieu, les processus par lesquels se constitue l'identité indivi-
duelle. Parmi ces processus, ceux qui président à la constitution de l'identité sexuelle,
du rôle des sexes - ou du genre - , ne peuvent pas être ignorés. Le genre peut ici
être compris, d'après les termes de Lana F. Rakow (1986, p. 23), comme:
[...] a culturally construeted organization of biology and social life into
particular ways of doing, thinking, and experiencing the world. Our
particular gender system of two dimorphic and asymmetrica\ genders is
one of oniy a variety of systems that could be struetured. 1t is in com-

• munication that this gender system is accomplished. Gender bas


meaning, is organized lIDd struetured and takes place as interaction and
social practice, al1 of which are communication processes.
11 faut donc souligner que «la façon dont nous construisons le genre n'est pas nécessai-
rement universelle à travers le temps et l'espace. (Kessler et McKenna, 1978, p. 40)"',
et que les genres pourraient bien avoir des spécificités dans le contexte ouest-africain.

Dans le cas de l'étude de l'interculturalité chez les femmes de la CEAO, il est


rapidement apparu que les problèmes rencontrés ne pouvaient être contournés avec le
temps, qui permettait de créer des échanges certes cordiaux, mais non dénués d'ambi-
guïté. Afin d'aborder plus précisément les aspects de l'intereulturalité associés au
genre, j'ai donc entrepris au cours de la seconde phase de recherche, de rencontrer des
femmes engagées dans les questionsjéministes (quoique peu d'Africaines revendiquent
ce terme) et des femmes qui connaissaient déjà la nature de mon travail et vivaient des
situations intereulturelles. Comme je l'ai indiqué. cette seconde étape visait par ailleurs .
surtout à vérifier une série d'hypothèses provisoires, à l'extérieur de l'organisation,

• dans quatre pays de la sous-région (Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali et Niger).
• Aux femmes et aux spécialistes africains des problèmes de communicaùon et de
culture, j'ai également décidé d'ajouter. dans un dernier temps, des intellectuels âgés
(souvent de la première génération d·intellectuels). qui sont généralement considérés,
31

dans leur société, comme des conseillers et des sages. Lors d'un second séjour. j'ai
ainsi réalisé 23 entrevues supplémentaires, tout en assurant un suivi du travail effectué
plus tôt à la CEAO. C'est donc un total de 59 entrevues formelles qui ont été fdites.
auxquelles s'ajoutent des notes d'observation et près de 200 documents, officiels ou
non, touchant divers aspects de l'interculturalité - une somme de données recueillies
dans des circonstances particulièrement propices à la recherche.

Du local au global
Le 12 janvier 1994, alors que j'entamais mon second séjour en Afrique de
l'Ouest, une dévaluation de 50% du franc CFA était décrétée, officiellement par les
chefs d'État de la Communauté financière africaine, mais en pratique sous la pression

• de la France et du Fonds monétaire international (FMI), Cette décision, dont il est, à


mon sens, encore difficile d'évaluer les conséquences économiques, sociales, politiques
et culturelles, était très durement ressentie par une majorité d'interlocuteurs rencontrés à
l'époque. Elle provoquait parfois des mouvements sociaux et des manifestations de
ressentiment à l'égard des étrangers. Il arrivait ainsi que, dans le feu d'une conver-
sation, quelqu'un m'interpelle spontanément: «Vous, qui avez dévalué le CFA......

Personne n'ignorait que l'étranger rémunéré en devises venait de doubler le


montant d'argent dont il disposait, alors que les Africains, rétribués en francs CFA,
allaient rapidement payer deux fois plus cher beaucoup de produits en partie ou en
totalité importés. Mais cette nouvelle situation avait deux autres signification..; que
révèle la lecture des journaux locaux", Premièrement, les relations avec l'étranger
s'en trouvaient redéfinies: l'invocation de la «responsabilité historique de la Franc~ à
l'égard de ses anciennes colonies ne fonctionnait plus, la volonté de l'OCcident de
soutenir le développement de l'Afrique s'émoussait manifestement et la possibilité

• même d'un développement selon le modèle occidental devenait chimérique. Deuxiè-


• mement, certaines incidences sociales et, finalement, culturelles de la dévaluation
étaient prévisibles pour tous ceux qui dépendaient d'un salaire - ce qui représente non
seulement le salarié lui-même, sa femme (ou ses femmes) et ses enfant.~ directs, mais
32

aussi des parents éloignés, des dépendants et des employés. Chez certains membres de
la CEAO, c'était ainsi plus d'une cinquantaine de personnes qui vivaient directement
grâce au revenu d'un cadre moyen. Le dilemme qui se posait rapidement à ces salariés
était soit de renoncer à certains attributs de leur statut (vêtements, véhicule, consomma-
tion de certains produits), soit de refuser d'assumer une part de leurs responsabilités de
solidarité familiale et sociale, ce qui, dans un cas comme dans l'autre, revenait à
abandonner ce qui constituait pour eux des valeurs importantes.

Cet événement provoquait chez beaucoup d'intellectuels un besoin de compren-


dre, d'analyser et d'échanger leurs perceptions de la situation. Beaucoup se sentaient à
la croisée des chemins, sur les plans collectif et individuel : une période était révolue et

• l'espace sociaI et culturel allait s'en trouver modifié. Un pays comme le Ghana, dont
la situation était jusqu'alors peu enviable, le franc CFA y bénéficiant d'un taux de
change avantageux, était à présent considéré comme un exemple de réussite des poli-
tiques du FMI et devenait un modèle de développement. L'Europe semblait désormais
inacceS51ble à la très grande majorité. Avec le coüt accru des transports et les difficul-
tés à faire preuve de générosité, le «Vil1age- familial même devenait plus lointain.
. .
Au coeur de cette intégration forcée de la sous-région dans ce que les spécia-
listes nomment ..la logique économique mondiale- et de la nécessité d'adaptation qu'elle
suppose, se trouve l'intereulturalité. li ne s'agit plus seulement des pratiques jusque là
familières, dont beaucoup d'Africains ont une longue expérience qui remonte aux
débuts du colonialisme, mais aussi de modèles abstraits venant de l'étranger, de plus en
plus pesants, et qui exigent le recours à de nouvelles pratiques. Plus encore - c'est la
mesure de la dépendance - , ces modèles demeurent largement fondés sur les
définitions, faites ailleurs et par d'autres, de la situation de l'Afrique de l'Ouest

• francophone et des conditions de son développement.


• L'INTERCULTURALlTÉ DANS LES TEXTES
Les principaux textes traitant de Iïnterculturalité dans cene région peuvent être
classées en trois rubriques. La première se compose d'un vaste corpus. qui répond plus
33

ou moins directement à des besoins organisationnels ou qui les retlète. regroupe la


communication interculturelle comme telle, en rapport avec le.~ organisations ou encore
avec le dêveloppement. Le second ensemble de textes qui, comme l'ont démontré
certains auteurs, descendent des premiers êcrits sur l'Afrique, rassemble les thèses qui
se succèdent à propos des situations ouest-africaines ou africaines, de leurs origines, de
leurs spêcificitês, ou encore des thèses plus génêrales qui assimilent ces situations à
celle de l'ensemble du riers-monde. La troisième rubrique rassemble les oeuvres issues
de la jeune mais vigoureuse littérature africaine, qui peuvent être opposées aux écril~
destinês avant tout à des lecteurs occidentaux et occidentalisês.

APPROCHES ORGANlSATIONNfil' ES ET INTERCULTURALITÉ

• Ce qui caraetêrise les textes sur la communication interculturelle, la communi-


cation organisationnelle dans un cadre pluricu\turel et la communication et le développe-
ment, c'est une double référence implicite, d'une part. aux standards universitaires et.
de l'autre, aux besoins des organisations qui oeuvrent dans des domaines où se
rencontrent des problèmes intercultureIs et qui poursuivent génêralement des objectifs
de développement organisationnel ou socioéconomique. Cette dernière référence peut
provenir d'une volonté pragmatique, mais aussi de la valorisation de la consultation et
des avantages qui en découlent. Elle peut également résulter de certaines contraintes :
les recherches à l'étranger coûtent cher et les organisations qui financent les chercheurs
entendent génêralement résoudre des problèmes concrets.

Les distinctions entre ces trois domaines sont loin d'être nettes. Certains auteurs
incluent dans la communication internationale et interculturelle r étude des organisations
(Gudykunst. Stewart et Ting-Toomey, 1985), ainsi que le développement (Asante et
Gudykunst. 1989), alors que d'autres conçoivent la communication interculturelle
comme une subdivision de la communication internationale et du développement"".
• Quant aux spécialistes des questions organisationnelles, il revendiquent souvent l'auto-
rité en ce qui concerne la communication dans les organisations en contexte pluricultu-
rel (Bollinger et HofSlede, 1987), la culture d'entreprise (Quinn et Mintzberg, 1992), le
34

management interculturel (Gauthey et Xardel, 1990) et les échanges entre divers


groupes dans le cadre du développement (Jaeger et Kanungo, 1990).

Si, à travers les textes, l'on considère ces champs d'études et de pratiques
comme des formations discursives, il s'agit alors d'approfondir la façon dont ils ont été
historiquement constitués. Pour ce faire, il convient de situer les positions et les
intérêts particuliers des auteurs, y compris les considérations «politiques>- et carriéristes,
qui interViennent dans la prédominance de certaines conceptions sur d'autres. Car c'est
bien là l'enjeu que recouvre les définitions faites par les spécialistes. Comme le
remarque Patricia Howard, la référence au développement,
[•••) bas augmented the power of teehnocrats while invalidating alterna-

• tive knowledge systems rooted in the traditions of local communities,


thereby disenfranchising them. Recreating space for the autonomy of
such communities requires cross-eultural communication in collaborative
effort ta eYllmine the limitations of the reductionist sciences and how they
bave sbaped the development effort. (Howard, 1994, p. 189)

Dans le cadre de la recherche concernant l'Afrique, nous retrouvons, en commu-


nications comme dans d'autres disciplines, une majorité d'hommes blancs, universi-
taires, américainS ou européens, qui voyagent comme consultants pour des organisations
de développement, qui fréquentent les mêmes réunions savantes et publient dans les
mêmes séries d'ouvrages des écrits qui se réfèrent les uns aux autres. Pratiquement
tous les auteurs adoptent implicitement, sans le remettre en question, le projet de
modemisation prôné par les organisations de développement; pratiquement aucun ne
vise à tenir compte des savoirs locaux et à les revaloriser.

Cette affirmation peut sembler provocante, mais selon ma définition initiale de la


position, c'est pourtant ainsi qu'il faut situer schématiquement celle de la majorité des

• auteurs qui s'intéressent tant à la communication interculturelle qu'aux organisations et


• au développement dans ce contexte. Ces auteurs n'ignorent cenes pas les
secouent les sciences humaines, comme la remise en cause des approches
déhal~ qui
posiùviste.~

(Gudykunst et Nishida, 1989>, mais un constat doit être fait : les peTSpeCÙves sont plus
35

un reflet des contraintes des organIsatiOns auxquelles les chercheurs se rétèrent que de.~

possibilités que suggère la connaissance actuelle des problèmes.

La communication interculturelle
Les études en communication interculturelle accordaient jusqu'à présent peu
d'intérêt à l'interculturalité. Larry A. Samovar et Richard E. Poner introduisaient
d'ailleurs un des nombreux ouvrages collectifs qui meublent ce champ par la remarque
suivante qui, à mon sens, demeure toujours valide :
lnquiry into the nature of intereultural communication bas raised many
questions, but it bas produced ooly a few answers and fewer theories.
Most of the inquiry bas been associated with fields other than commu-
nication: anthropology, international relations, and social psychology

• primarily, Although the direction of research bas been diverse, the


knowledge bas not been coordinated. Much that bas emerged bas been
more of a reaction to current socio-racial-ethnic concerns than an attempt
to define and explain intereultural communication,
(porter et samovar, 1972, p. 1-2)

Comment ce domaine s'est-il structuré pour aujourd'hui répondre avant tout à


des besoins organisationnels occidentaux? Bien que la communication intereulturelle ait
ét:: conçue à pattii" du début des années 1950, le terme lui-même serait apparu en 1959
dans un ouvrage de Edward T. Hall (Asante et Gudykunst, 1989, p. 7), Le langage
silendeux. Après avoir oeuvré comme administrateur dans une réserve indienne, cet
anthropologue s'est intéressé au domaine international et a ainsi constaté que :
L'aide des États-Unis aux pays étrangers se chiffre en millions de dollars.
Et pourtant aucun pays n'aime ni ne respecte les USA. 1...) il faut
admettre que la méfiance des étrangers est motivée par le comportement
des Américains, même si ceux-ci se sentent piqués au vif, persuadés
qu'ils sont de la pureté de leurs intentions. (Hall, 1973, p. 15)


• Présupposant, à partir des thèses de Whorf, que les interprétations sont détermi-
nées par le langage qui crée les barrières culturelles, Hall estime qu'«il existe des
moyens de tàire tomber ces barrières. qui subsistent, même après l'acquisition du
36

langage (1973, p. 138). L'intercultura1ité est donc ici le privilège d'une elite qui, à
l'instar de l'anthropologue ou du spécialiste, comprend les mécanismes de la culture et
de la communication interculturelle'3. Comme le remarque Johannes Fabian (1983,
p. 51), les ouvrages de Hall proposent des recettes «for people who want to get things
done (diplomats, expatriate managers and supervisors, salesmen and economic advi-
sors).. Cette orientation se confirme plus tard avec la publication d'un texte intitulé
«Interculturai Communication: A Guide to Men of Action. (Hall et Whyte, 1960),

Par la suite, durant les années 1980, ce champ s'est stn1eturé avec la fondation
de sociétés savantes spécialisées (par exemple, la Intercultura1 Communication Division
de l'International Communication Association), par la publication d'une rewe (Interna-

• tional Journal of InterculturaI Relations) et d'ouvrages collectifs annuels. Dans ce


cadre, la communication interculturelle dans son acception large touche deux principaux
ensembles d'objets: d'une part, l'étude de la communication entre les membres de
cultures différentes, d'autre part, la comparaison, entre les cultures et à divers niveaux,
des différents traits de la communication (Asante et Gudykunst, 1989, p. 9).

Sur le plan théorique, malgré un certain pluralisme, la tendance actuelle est


nettement à l'intégration (Kim, 1988, p. 20; Gudykunst et Nishida, 1989, p. 37).
Alors que les approches Constn1ctivistes auraient pu apporter un éclairage nouveau sur
les questions intercultureUes, on constate que le renversement de perspective n'est que
partiel : il touche surtout l'épistémologie'" et très peu l'ontologie et l'éthique. Sur ces
deux derniers plans. les conceptions dominantes sont déterminées, comme chez Edward
T. Hall, par les besoins particuliers de certains groUpes d'Occidentaux - gens
d'affaires, coopérants, fonctionnaires, services d'immigration, voyageurs, ete. (Argyle,
1988, p. 31) - ainsi que par une référence, le plus souvent implicite, au

• développement (Collier et Thomas, 1988, p. 100). Certains auteurs admettent incidemment:


• (... ( the Western bias pervading most intercultural communication
researcb and methodology. However. recognition of this shortcoming
does not require that we abandon the techniques and procedures we have
heen trained to use. (Applegate et Sypher. 1988. p. 54)
37

En ce qui concerne la conception de l'humain et de ses relations avec son


environnement. les approches courantes de la communication interculturelle ahoutis..;ent
à une forme de volontarisme proche de celle que l'on retrouve dans les milieux organi-
sationnels. Dans ce cadre. même les approches interprétatives réduisent généralement
l'interculturalité à ses manifestations utilitaires :
We define communication competence as behaviors (social actions)
perceived to he appropriate and effective in particular contexts (... (.
lntercultural competence is defined as the demonstrated ahility to nego-
tiate mutual meaning, rules, and positive outcomes.
(Collier et Thomas, 1988, p. 108)
Cette formulation laisse nettement de côté l'intercultura1ité elle-même. La qu~tion


n'est pas de savoir comment et à quelles fins se crée, se manifeste et se transforme la
compétence interculturelle, mais plutôt de déterminer ce qui peut être perçu. en
contexte pluriculturel, comme approprié, efficace et, finalement, rentable. À mon
sens, une question subséquente devrait être posée : qui définit la pertinence, l'efficacité
et la rentabilité et en fonction de quels critères et de quels intérêts'!

Paradoxalement, l'interculturalité est donc pratiquement absente du champ de la


communication interculturelle (Winkin, 1994, p. 50). On Yretrouve une conception
relativement statique de la culture, une réduction de la dimension du pouvoir en
contexte pluriculturel, des définitions volontaristes de l'humain et des conceptions
éthiques déterminées par des contraintes organisationnelles. Les intérêts, de même que
les positions de ceux qui ont conçu ce champ de recherches et de pratiques, coïncident
clairement avec ces orientations. Certains auteurs signalent d'ailleurs que :
More integration of communication theories from other cultural pers-
pectives and the inclusion of feminine perspectives, nevertheless, are
needed if the ethnocentric and gender-based biases in developing theories

• 10 explàin intercultural communication are 10 he avoided. These cba11en-


ges must not go unmet. (Gudykunst et Nishida, 1989, p. 40)
• Il convient enfm de remarquer que l'étude spécifique de la communication
interculturelle est quasiment l'apanage du continent nord-am".ricain - quoique l'on
retrouve ailleurs des spécialistes qui répondent aux besoins organisationnels dans ce
38

domaine. Alors que la communication en tant qu'«interdiscipline» (Robinson, 1994,


p. 191) ou «discipline» (Ravault. 1990, p. 53) est désormais reconnue dans beaucoup
d'établissements d'enseignement américains, c'est encore loin d'être le cas dans la
plupart des pays européens où la communication est réduite à des techniques, à l'étude
des messages, à la sociologie ou à la politique des médias et de la technologie. Il est
notoire que cette dernière conception prévaut généralement dans le contexte africain.

La communication organisationnelle
La même remarque pourrait être faite à propos de la communication organisa-
tionnelle, un champ d'études et de pratiques récemment établi en Amérique du Nord,
mais dont les origines remontent au JaX< siècle avec l'émergence des notions d'«organi-
sation scientifique du travail" de l'ingénieur américain Frederick W. Taylor (1856-
1915) et d'organisation «rationoelle-Iégale» du juriste et sociologue allemand Max
Weber (1864-1920), Ici encore, les démarcations entre les dimensions communication-
nelles des théories du management et de la sociologie du travail, et l'étude des organisa-
tions en communications sont extrêmement floues, L'ensemble de ces théories repré-
sente un énorme corpus dont je ne retiendrai, aux fins de la présente recherche, qu'une
part des éléments· pertinent? Pour des raisons encore plus évidentes que dans le cas
de la communication intereulturelle, les conceptions de l'intereulturalité que l'on y
retrouve découlent des contraintes organisationnelles, car la relation aux organisations
est centrale"'. La prise en compte de ces théories est ici essentielle pour trois raisons.
Premièrement, comme je l'ai déjà précisé, la référence aux organisations marque
profondément les théories que l'on rencontre dans le contexte étudié (qu'il s'agisse de
celles concernant le développement, de celles qui fondent les différentes sciences
sociales, etc,), Deuxièmement, les perspectives des gestionnaires sont également sinon
omnipotentes, du moins omniprésentes dans ce contexte, Finalement, ma recherche
• ayant été réalisée dans un cadre organisationnel. il devient possihle de confronter les
données recueillies aux théories.
39

Dans le contexte ouest-africain francophone, rapproche dite classique (ou


mécaniste) des organisations, ~ui s'inspire des conception.~ de Taylor, de Weher ou
d'Henry Ford - en passant par des modèles d'organisation coloniaux (militaires et
centralisés) français" -, est loin d'être considérée comme périmée. Elle illl;pire d'ail-
leurs largement, sur un plan formel (mais non informel), des organisation.~ comme la
CEAO qui sont avant tout caractérisées par la division du travail, les processus tonc-
tionnels et la ligne de contrôle (CEAO, 1983; 1988; 1989a; 1991h), avec un accent ~'IIr
l'organigramme, la description de tâches et la notion de portée de commandement
(c'est-à-dire le nombre idéal d'employés qu'une personne peut superviser).

Ici, la communication se fait surtout sous forme écrite; elle doit circuler du haut

• vers le bas à des fins de contrôle et, à un moindre degré, horizontalement pour
permettre la coordination. Il s'agit d'une conception qui suppose un effet direct des
messages selon le schéma linéaire émetteur-message-récepteur. D'après Henry
Mintzberg, ce modèle d'organisation, qu'il nomme bureaucratie mécaniste, reste la
meilleure formule d'organisation pour un service postal, une prison, une entreprise de
fabrication d'automobiles ou de transport aérien (Quinn et Mintzberg, 1992, p. 264),
mais elle est peu.propice à l'innovation et à l'intégration des idées (p. 7). La culture
et, à plus forte raison, l'interculturalité sont ici réduites à leurs plus simples expres-
sions, puisque le modèle est considéré comme universel et que l'environnement est peu
pris en compte.

Les influences organisationnelles que l'on retrouve, entre autres, en communi-


cation intereulturelle se basent surtout sur une seconde approche : la contingence.
D'après Burrell et Morgan (1985), récole de la contingence ou école néo-classique,
largement dominante dans la plupart des pays occidentaux (p. 164), postule que :

• [..•] the success of an organization in dealing with the demands made on


it by its environment is contingent upon appropriate differentiation
• terised by a congruency between subsysrem elements ami the achievement
of an appropriate seue of integration. (p. 180)
La communication s'inscrit dans le cadre de la différenciation et des mécanismes
40

d'intégration de l'organisation. Elle doit être efficace dans chaque composante, contri-
buer au fonctionnement des liaisons entre les composantes et assurer des lietts avec
l'environnement. La communication est contrôlée par les gestionnaires et, en second
lieu, prise en charge par des spécialistes de la production de documents écrits et audio-
visuels (à usage interne ou externe) ou du fonctionnement des systèmes d'information.

Pratiquement absente des formulations initiales de la théorie de la contingence


(Mintzberg, 1982), la culture y devient, à partir des années 1980, une composante des
organisations (Quinn et Mintzberg, 1992, p. 177). Elle est accessoirement un elément
de l'environnement (inspiré par l'exemple japonais) dont on tient finalement peu
compte, sinon pour reconnaître l'hétérogénéité d'un environnement de plus en plus

• complexe et dynamique qui exige une capacité d'adaptation des organisations. L'envi-
ronnement est en outre souvent considéré comme hostile dans un contexte de concur-
rence. La notion de culture organisationnelle apparaît également - ce qui révèle
encore l'influence des modèles d'entreprises japonais - mais elle tend alors à être
réduite à des aspects fonctionnels. Pour Henry Mintzberg, la culture est une idéologie
qui se développe grâce au leadership, en créant un sens de la mission et des traditions
qui se renforcent par l'identification des individus (Quinn et Mintzberg, 1992, p. 180).

Dans la perspective de la contingence, les problèmes inœrcultureIs sont dysfonc-


tionnels et l'objectif qui doit être poursuivi par les gestionnaires est l'homogénéisation
de la culture. C'est là une conception profondément marquée par la rationalité.
Comme le remarque Karl E. Weick (1969, p. 10), la rationalité est inscrite dans les
fondements des théories du management, et l'on constate qu'au-delà d'une complexifi-
cation croissante qui provient des anomalies rencontrées, le modèle systémique de la
contingence constitue «l'archétype de la perspective positiviste- (Burrell et Morgan,

• • . 1985, p. 10), li implique, finalement, une négation de l'interculturalité.


• Dans les pratiques fondées sur cette conception, certains problèmes interculturels
peuvent :.lutefois se présenter et le vide laissé par le management doit être comblé par
d'autres spécialitës, en particulier par la communication interculturelle. On constate
41

ainsi que les principaux marchés de cette dernière sont des organisations occidentales,
des entreprises privées, des organismes gouvernementaux, ou encore des organisations
intentationales, qui s'inspirent essentiellement du modèle de la contingence. Il convient
également de noter que la contingence tend actuellement à cohabiter avec les modèles
plus mécanistes appliqués dans les organisations africaines francophones, du fait de la
formation occidentale des gestionnaires africains (et ceci en dépit du fait que les jeunes
gestionnaires jouissent généralement de peu d'autorité).

Une troisième approche des organisations, l'école des relaIions humaines, est un
peu antérieure à la précédente et peut être considérée comme complémentaire. Elle
coexiste avec les écoles classique et né<Klassique, mais s'intéresse à un objet diftërent ;

• le développement de la motivation chez les membres des organisations. Dans la


perspective des relations humaines, la communication peut être formelle ou informelle.
Dans le premier cas, elle vise la persuasion et l'efficacité et adopte le schéma fonc-
tionnaliste de la communication à deux étages (rwo-sreps flow) dans lequel le message
est transmis par l'intermédiaire d'un «leader d'opinion.., l'émetteur pouvant recevoir
une rétroaction ifeed back) du récepteur (Katz et Lazarsfeld, 1965). Dans le deuxième
cas, la commwiièation se produit dans les réseaux et permet une circulation horizontale
ou verticale des messages dans l'organigramme.

Dans le cadre des relations humaines, la culture est morcelée à l'extrême. Les
croyances sont avant tout individuelles, elles sont partagées par les membres de cliques
et fondent les rapports sociaux dans l'organisation. L'interculturalité est prise en
compte uniquement sous l'angle particulier d'un de ses effets potentiels; l'influence-
qw n'est pas exclusivement reliée à l'interculturalité. Il convient de noter à ce propos
que, dans le cadre de la présente étude, beaucoup de personnes rencontrées peuvent être
considérées comme des leaders d'opinion dans leurs groupes d'appartenance.
• La notion de leadership" reste cependant ambiguë, en milieu pluriculturel du
moins, car la capacité d'influence demeure relative à un groupe singulier. Dans le
contexte africain, si l'on considère l'influence que procure, vis-à-vis du groupe d'appar-
42

tenance, le prestige venant des atttibuts d'une relative prospérité, de la connaissance de


la culture dominante et des liens avec des membres de groupes dominants (fonction-
naires ou étrangers), la question qui peut être soulevée est la suivante : dans ce contex-
te, les leaders d'opinion ont-il développé une compétence interculturelle particulière'!
Et réciproquement: l'intereulturalité procure-t-elle un statut de leader d'opinion'!

Une quatrième approche des organisations est fondée sur le paradigme interpré-
tatif, fréquemment assimilé à un courant critique (Putnam, 1983, p. 48). Sous sa forme
naturaliste, cette approche suppose que l'organisation n 'existe pas comme telle, mais
qu'elle soit socialement créée, maintenue et transformée. Quant à l'environnement, il
est conçu comme le produit de l'cenaaion.., «constitué par l'action des acteurs interdé-

• pendants»" (Weick, 1969, p. 27). La culture, qui se bâtit et se manifeste à travers la


communication, est alors considérée comme l'élément central de l'organisation.

Le renversement de perspective opéré par cette nouvelle conception de la


communication organisationnelle reste cependant partiel. Au-delà d'une ouverture aux
dimensions culturelles et communicationnelles, les objets demeurent ceux qui ont été
définis par les approches managériales. De plus, malgré les oppositions paradigma-
tiques, l'objectif demeure, comme dans le cas de la communication interculturelle,
l'intégration des diverses théories ou, selon les termes de Linda Putnam (1983, p. 7), la
«coexistence et le support mutuel entre des peispectives concurrentes». L'approche
interprétative, reconnaît-elle, n'est «pas immunisée contre un biais managérial.. (p. 38).

Cette perspective spécifiquement communicationnelle, récemment établie dans le


champ organisationnel, ouvre néanmoins de nouvelles pistes de recherche:
[..•] the selection and the processing of meaning is the key ta unders-
tanding how organizations make sense of their activities and their envi-
ronments. (Putnam and Sorenson, 1982, p. 131)
• Aux approches conventionnelles qui la définissent comme une structure formelle. elle
oppose 1"organisation conçue comme un lieu où différents groupes. parfois antagonistes.
se constituent et évoluent en partageant certaines croyances. certains mythes et certains
43

rôles"'. Dans la plupart des organisations. «QI leasr two meaning system.~ prevail:
managerial and nonmanagerial" (Stnircich. 1983. p. 225) - ce qui représente. à mon
sens. une conception appropriée à l"étude des organisations africaines.

Quant aux limites de rapproche interprétative des organisations. elles ont été
relevées par Stanley A. Deetz et Astrid Kersten qui y remarquent la tendance à une
réduction de ce qui concerne les rapports de pouvoir (1983, p. 152). Linda Smircich
(1983, p. 228) signale aussi que ..bureaucratie forms of control depersonalize power» et
suggère de participer à des changements organisationnels :
If managers are to draw fully upon the interpretive pel spective in the
practice of organizing they will re-cognize the need to design organiza-
tional processes that give voice to those interests that are not normally

• represented because of their (Jack of) positionality.


Karl E. Weick. pour sa part, engage surtout les chercheurs à évaluer les incidences de
leurs travaux sur les pratiques organisationnelles (1983, p. 24) et propose finalement un
quasi-renversement de perspective : «si les gens veulent changer leur environnement, ils
doivent se changer eux-mêmes... pas quelqu'un d'autre»" (Stnircich, 1983, p. 230).

L'étude.de l'interculturaIité dans un cadre organisationnel ne s'intéresse donc pas


à la structure formelle, mais aux groupes qui constituent r organisation. Elle suppose la
prise en compte des différentes sous-euItures que r on y trouve, qu'elles soient profes-
sionnelles ou autres. À certaines de ces sous-euItures correspondent des conceptions,
métaphores ou «images» de l'organisation (Morgan, 1989), liées à des théories, qui
révèlent des positions singulières recouvrant généralement des intérêts particuliers.

La commUDieation et le développement
Les théories en communication et développement sont nées des besoins organisa-
tionne1s, eux-mêmes déterminés par des considérations politiques. Eilesont été précé-
dées par des pratiques dans lesquelles l'on retrouve, explicitement ou implicitement,
• une conception de la communication. En Afrique de l'Ouest francophone, le thème du
développemenr a remplacé, après les indépendances, la mise en valeur instituée par le
système colonial français. La notion de développement est apparue d'abord aux États-
44

Unis. Issue du plan Marshall pour la reconstruction de l'Europe en 1947, elle est
évoquée par Harry Truman dans son discours inaugurai du 20 janvier 1949 (Sachs,
1992), puis inspire un programme lancé en 1962 par John Kennedy, l'Alliance pour le
progrès (Manelan, 1986, p. 232), avant d'être reprise par de nombreuses organisations
internationales, gouvernementales et non gouvernementales.

Le concept de communication pour le développement L•••) rétère à


l'ensemble des procédés de transmission etlou de communication de
nouvelles connaissances susceptibles d'améliorer les conditions de vie des
populations. (Bessette, 1993, p. 137)
De telles définitions - dont il existe de multiples variantes - se retrouvent générale-
ment chez les spécialistes qui se Tétèrent à un cadre organisationnel. Des divergences

• concernant les méthodes de transferts, les connaissances à transférer et les finalités du


développement fondent trois écoles différentes: l'école de la modernisation, l'école
diffusionniste et l'école critique (Mowlana et Wilson, 1990; Péricard, 1991).

Née dans les années 1960, la thèse de la modernisation est basée sur une concep-
tion persuasive de la communication qui suppose un effet direct des messages. D'après
Wilbur Schramm :
Development L••• J involves the increasingly effective penetration of the
mass media system into aIl the separate communal dimensions of the
nation; while at the same time the informaI systems must develop the
capacity 10 interaet with the mass media system, benefiting from the
greater flow of communication but aIso maintaining a sense of
community L•••) (1967, p. 16).
Dans cene perspective, le développement exige un changement de mentalité qui est le
produit de l'empathie, une <apaci.té de se percevoir dans la situation de l'autre>o32
(Lerner, 1964), cet «llUtrl> étant l'Occidentaiqui constitue un modèle pour l'individu


transitionnel, premier acteur du développemœt. L'intercultura1ité reste donc ici, plus
largement certes que chez E.T. Hall, le privilège de l'OCcidental ou de l'Occidentalisé.
~;.-:'
• Durant les années 1970. des modes d'intervention à un niveau plus micro se sont
répandus, visant la diffusion de l'innovarion, «une idée, une pratique ou un outil perçu
comme nouveau par un individu." (Rogers, 197\). On retrouve dans cene th~rie le
45

schéma de communication à deux ou à plusieurs étages (two-step flow ou multi-stl.'p


j/ow) de la sociologie fonctionnaliste, avec sa conception de la communication comme
moyen d'influence. Puis, au début des années 1980, essentiellement en réaction aux
approches précédentes, s'est développée une école d'inspiration marxiste visant le
changement social. On y trouve trois courants principaux reliés entre eux : le premier
issu de la théorie de la dépendance en Amérique latine (Be1tran, 1976), le second
universitaire et occidental (Mattelart, 1979; Nordenstreng et Schiller, 1979) et le
troisième situé dans le cadre des débats qui se sont tenus à l'UNESCO sur le thème du
nouvel ordre mondial de l'information et de la communicorion (MacBride et al., 1979).

Ces trois grandes écoles de pensée ont évolué par la suite. Bien qu'elles soient

• fondamentalement antagonistes, elles coexistent fréquemment aujourd'hui dans le cadre


de différents projets et programmes de développement. Il est intéressant de noter à cet
égard qu'en 1976 Everett M. Rogers annonçait la fin du paradigme «dominant» (la
modernisation), pour déclarer quelques années plus tard qu'il était toujours vivant dans
certains pays du tiers-monde et pour certaines sortes de programmes de développement
(Rogers, 1989, p. 69), En pratique, on constate que les thèses de la modernisation
fondent toujourS aes programmes de développement des infrastructures et que la
diffusion de l'innovation reste une influence majeure pour les petits programmes qui
visent surtout la formation des ressources humaines. En particulier, le diffusionnisme,
repris par Ernst F, Schumacher (1973) sous la forme cSmall is Beautiful., reste domi-
nant dans les organisations non gouvernementalès". Quand aux thèses critiques, elles
continuent d'influencer de nombreux intellectuels et intervenants européens et africains,
bon nombre de ces derniers ayant été formés dans des pays communistes, avant 1990.

Ces trois approches ont beaucoup en commun. Elles demeurent rationalistes et

• positivistes, adoptent la thèse évolutionniste et conçoivent le changement en termes


• volontaristes. Elles ne tiennent que très accessoirement compte des savoirs locaux et
tendent donc à l'ethnocentrisme. Les concepts fondamentaux de communication, de
développement, de participation et de démocratie sont prédéfinis, ce qui exclut toute
46

définition endogène. Les conceptions de la culture et, à plus forte raison, celles de
l'interculturalité sont réductrices. La culture est généralement considérée comme un
frein au changement et certaines conséquences potentielles de l'intereulturalité -
l'acculturation et l'assimilation - comme une condition du changement.

Sur le pIan de la communication, on retrouve en pratique deux modèles, car la


modernisation et \' école critique supposent toutes deux \'efficacité des médias et la
capacité de persuasion des messages (Mow1ana et Wilson, 1990; Howard, 1994). Dans
les textes récents, les conceptions de la communication proviennent donc de l'un ou de
l'autre de ces deux modèles linéaires qui sont généralement critiqués pour ne pas
prendre en compte la culture, le pouvoir ou d'autres dimensions sociales. Ces modèles

• sont le plus souvent remplacés par de nouveaux, qui ajoutent aux premiers des éléments
accentuant certains aspects de la participation, de l'écologie (Servaes, 1991) ou parfois
de la spiritua1ité (Mow1ana et Wilson, 1990)". Mais en pratique les fondements
épistémologiques des théories demeurent les mêmes. Ils se situent en Occident et sont
exportés ailleurs.

Une quatrième approche, très récente et hétérogène, à laquelle je m'identifierais


volontiers, adopte une perspective anti-positiviste et de plus en plus critique et éthique
pour s'intéresser aux représentations, au."t processus de légitimation, aux intérêts
présents dans le contexte du développement (sachs, 1992), ainsi qu'aux savoirs locaux
(Hoban, 1993) et aux processus endogènes de communication.
The challenge is ta ereate a context of mutual respect and genuine equality for
la] dialogue. This is notjust a matter of changing attitudes. Ultïmately it
requires a transformation of the political economy of scientific research.
(Howard, 1994, p. 202)
J'ajouterais que d'autres défis sont également reliés à celui-ci : la constitution d'une

• communauté spécifique avec ses lieux d'échange, la reconnaissance dans les sphères
• universitaires (Kuhn. 1962) et organisationnelles et. sunout. le maintien des
d'action qui inspirent largement nos perspectives.
47
possihilité.~

Dans r ensemble des textes traitant de la communication interculturelle. des


organisations et du développement très peu analysent de manière spécifique les situa-
tions africaines. même si celles-ci sont parfois évoquées. Du côté de la communication
interculturelle. le Nigérian Molefi K. Asante. qui enseigne aux États-Unis. évoque un
paradigme africain (1980; 1987). En communication organisationnelle. on trouve
quelques textes sur les multinationales en Afrique (Bourgoin. 1984). la bureaucratie
(Bolap, 1993) et le développement (Harden, 1990). Quant à l'Afrique francophone.
elle demeure le teITain des chercheurs français pour lesquels la communication reste
l'étude des messages, des médias et de la technologie'".

ÉDIFICATION DE L'AFRIQUE ET INTERCULTURALITÉ


Ce sont d'autres formations discursives, d'autres disciplines ou champs d'étude
qui ont contribué à élaborer l'image aetue11e de l'Afrique"subsaharlenne et ses défini-
tions implicites de l'intereulturalité. Cet énorme corpus de textes qui remontent à
l'antiquité peut chronologiquement être subdivisé en deux. Dans un premier temps s'est
constitué l'image d'un continent en dehors de l'histoire; une image qui, comme le
démontre Johannes Fabian (1983), est toujours entretenue par une grande partie des
textes anthropologiques. Dans un second temps, depuis les débuts de la lutte contre
l'esclavage et le colonialisme, les textes ont échafaudé un continent appartenant à un
vaste ensemble indifférencié qu'ü est convenu de nommer le tiers-monde.

L'image de l'Afrique édifiée par les textes est le fruit d'une double négation :
négation de l'histoire spécifiquement africaine et de la contemporanéité de ses acteurs,
mais aussi négation de l'immensité, de la diversité et des spécificités d'un continent.

La période africaniste ou la négation du temps


L'Afrique fut d'abord,se1ou le terme de Valentin Y. Mudimbe (1988), une
invention des voyageurs, des explorateurs et de ceux qui ont écrit à partir de leurs

_o. - _.".
• récits. D'après J,)seph Ki-Zerbo (1978, p. 13), les documents traitant de l'Afrique
peuvent être classés dans les catégories suivantes : documents de sources antiques
(égyptiennes, nubiennes, gréco-latines), arabes, occidentales ou de sources africaines
48

«récentes-.

L'antiquité égyptienne inspire les thèses de l'unité culturelle africaine, toujours


très présentes (Diop, 1955; 1960). Elle serait, selon certains auteurs, une partie inté-
grante de l'histoire de r Afrique noire et constituerait la base du fond culturel commun ;
1•••1l'Égypte antique, si étrange pour la pensée occidentale et moderne,
semble presque familière. Elle porte l'estampille estompée mais frap-
pante d'une très lointaine fraternité, à l'aube des temps humains.
(Ki-Zerbo, 1978, p. 83)
Des recherches archéologiques et linguistiques tendent en effet à démontrer qu'il y
aurait une parenté entre les peuples de la vallée du Nil et ceux de l'Ouest africain.
Mais après les hiéroglyphes de l'apogée de Koush en Nubie (1100 avant J.-C,) - que
peu de nos contemporains s'intéressant à l'Afrique noire comprennent - , pendant près
de trois millénaires, pratiquement tous les textes évoquant de près ou de loin l'Afrique
subsaharienne proviennent d'auteurs qui se définissent comme étrangers au continent.

Les Grecs et les Romains (avec parfois le concours de voyageurs Phéniciens ou


autres) ont contrlDué à élaborer l'image d'un continent étrange et exotique, se situant en
dehors de l'histoire. Jusqu'au XVill" siècle, certaines indications fantaisistes des canes
de Ptolémée (Il" siècle après J.-C.) se retrouvent sur les canes européennes de l'Afrique
(voir canes 4 et 5, p. 329-330). Pendant longtemps, dans l'imaginaire occidental, ce
continent est resté peuplé de cbarbares- (les «.Berbères» habitant la Barbarie qui débutait
aux confins du Maghreb), d'anthropophages et de petits hommes noirs à grosse tête.

Après l'époque antique, des textes en arabe (dont les auteurs ne sont pas
toujours arabes) piésentent des données de première ou de seconde main sur l'Afrique
de l'Ouest, remontant au début de notre millénaire. On constate que certaines de ces
données ont été reprises par des auteurs occidentaux, alors que d'autres demeurent
aujourd'hui encore totalement ignorées. Les plus connus de ces textes sont de Ibn
• Banouta (1304-1377) et Ibn Khaldoun (1332-1406). Puis, à panir du la fm du XVl1l'
siècle, des explorateurs comme Mungo Park (en 1795), René Caillé (en 1827) ou
Heinrich Banh (en 1850) ont voyagé à l'intérieur de l'Afrique de l'Ouest, ouvrant la
49

voie aux expéditions militaires, comme celle de Binger (en 1889), puis aux fonction-
naires, aux commerçants et aux anthropologues.

Sur les sédiments de ces premiers écrits s'est bâti l'Africanisme", un ensemble
de disciplines géographiquement spécialisées, au centre desquelles se trouve l'anthropo-
logie - qui a largement contribué au colonialisme, voire collaboré avec lui, comme
l'avoue Georges Balandier (1982, p. X)31. Bien qu'elle ait évolué depuis l'époque où
elle prétendait que les sociétés africaines étaient an-historiques, une grande part de
l'anthropologie contemporaine, qu'elle soit française ou anglo-saxonne, contribue à
maintenir l'Afrique en dehors de l'histoire et les Africains en dehors du temps contem-
porain (Fabian, 1983).

• Comme je l'exposerai plus loin, les conceptions de l'interculturalité dans les


textes africanistes tendent soit à renfermement des individus dans leur culture, soit à
une perspective élitiste et ethnocentrique, fondée sur une interprétation partiale des
textes ou sur des données empiriques biaisées, qui perçoit l'intereu1turalité comme étant
le privilège de l'anthropologue, de l'«expert» et de ceux qui s'en inspirent.

La période tiers-moneliste ou la négation de l'espace


Le processus de «Spatialisation du tem!JS", amorcé durant l'époque africaniste, a
créé une distance entre l'Occident et l'Afrique et ainsi entraiDé la négation de la
contemporanéité des Africains (Fabian, 1983, p. III), Une seconde période débute
avec les mouvements anti-esclavagïstes et se poursuit avec la lutte contre le colonialisme
et l'impérialisme. Durant cette période, qui chevauche et qui, à terme, pourrait être
confondue avec la première, fut progressivement constitué un espace indifférencié
nommé tiers-monde, édifié à partir d'une idéologie que je qualifierais de tiers-mo1ll.ÜSle.

• Diverses formes d'universalisme (chrétien, marxiste et républicain), de même que


certaines formes de relativisme, ont contnbué à forger cette idéologie.
• D'après le philosophe français Pa.'iCa1 Bruckner (1983), les fondement~

-fait culturel. (p. 16) que constitue l'idéologie tiers-mondiste sont doubles. On y
de ce

trouve, d'une part, une notion centrale au christianisme, la faute originelle qui suscite
50

une culpabilité et, d'autre part, la trdIlsposition de la notion de lutte des classes sur la
scène internationale, la thèse de l'impérialisme de Lénine. J'ajouterais que, dans le
courant tiers-mondiste francophone, dans lequel se situe Bruckner, l'influence des
Lumières qui fonde le républicanisme est également présente. Par contre, dans le
monde anglo-saxon, c'est parfois le relativisme culturel qui marque l'humanisme tiers-
mondiste (Bruckner, 1983, p. 193-194).

En Afrique de l'Ouest, l'époque tiers-mOhdiste a débuté avec les mouvements


anti-esclavagistes au sein desquels luttaient côte à côte des religieux, comme le Libérien
d'adoption Edward W. Blyden (1832-1912), et nombre d'Occidentaux progressistes du
XIX' siècle. À ces mouvements a succédé l'anti-colonialisme chez les intellectuels

• européens; auquel s'ajoutent, chez les jeunes élites ouest-africaines, le panafricanisme,


la Négritude et divers nationalismes. Ce changement des idées est marqué par une
évolution progressive de la notion de race qui passe d'une conception biologique et
anthropologique à une conception sociohistorique (Appiah, 1992, p. 29), reflet de
l'influence croissante des sciences sociales durant l'époque tiers-mondiste.

Après les indépendances, le mouvement tiers-mondiste a produit divers courants


- ceux du développement rural (Dumont, 1962), de l'échange inégal (Amin, 1970) et
de l'irresponsabilité des élites africaines (Kabou, 1991), par exemple - qui influencent
furtement de nombreuses organisations contemporaines, en particulier non gouverne-
mentales. Ces thèses empruntent largement aux sciences humaines et ont beaucoup de
points communs. Elles adoptent les définitions institutionnelles du développement, puis
proposent une théorie de cause à effet du sous-développement dans laquelle on retrouve
des responsables, des victimes et des solutions aux problèmes. En demi~ analyse,
aucune de ces thèses ne privilégie des définitions et des solutions locales et endogènes.


• Tout particulièrement dans la sphère francophone, les divers courants de
lïdéologie tiers-mondiste considèrent de nombreux éléments des cultures africaines
comme un frein au changement et à r interculturaiité - dans le sen.~
51

de r acquisition de
la pensée tiers-mondiste occidentale ou occidentalisée -, comme la solution aux
problèmes exogènes ou culturels. Le changement suggéré n'implique aucun renverse-
ment de perspective, car celui qui adhère à l'idéologie tiers-mondiste, c'est-à-dire
r auteur de la thèse proposée et ses disciples, est exclu du problème. On trouve ici une
vision quelque peu manichéenne et simplificatrice avec, d'une part, des bons et des
méchants, ceux qui possèdent la solution et ceux qui sont responsables du problème et,
d'autre part, la masse indifférenciée, quasi infantilisée, des sous-dive/oppës'".

Dans le contexte africain acmel, je dirais que le renversement de per.;pective


implique une proposition comme celle-ci : nous, intellecmels africains, intellectuels et
praticiens occidentaux oeuvrant en Afrique ou en rapport avec r Afrique, nous avons

• une part de responsabilité en ce qui concerne la situation de ce continent. Par consé-


quent, nous n'avons aucune autorité particulière nous permettant d'imposer des
solutions et de nous substituer à la majorité des Africains dans un processus de change-
ment. On ne peut être juge et partie - sans, de plus, en subir les conséquences.

TEXTES OUEST-AFRICAINS El' INTERCULTURAUTÉ


Le dernier élément du corpus écrit s'opposant plus ou moins, selon les époques
et les auteurs, aux textes précédents qui se situent dans le cadre des sciences humaines
ou sociales occidentales, sont les écrits ouest-africains. Ces derniers peuvent être
classés dans trois catégories : les textes engagés, les textes locaux et les textes philoso-
phiques ou critiques.

Comme je rai déjà indiqué, en Afrique francophone, les premiers sont surtout
marqués par les mouvements anti-colonialisœs dont certains des principaux acteurs ont
été des gens de lettre, comme Léopold S. Senghor (1964), un des penseurs de la

• Négritude, et Cheik Anta Diop (1955; 1960) qui a tenté de donner des fondements au
panafricanisme. La deuxième catégorie, celle des textes locaux parfois qualifiés de
• -traditionalisteS», regroupe des autobiographies dans lesquelles des Africains iIlSlTUilS
tentent de dire ce que sont leurs racines cu1wrelles (Laye, 1953, 1978; Bâ, 1973. 1980.
1992, 1994). On Yretrouve également des textes qui traitent du passé et du présent des
52

sociétés africaines (Bonkian, s. d., Kane, 1961, 1978; Kourouma. 1968; Sow. 1983;
Sow FaU, 1982). Du côté anglophone, la riche littérawre nigériane évoque fréquem-
ment des groupes culwrels que l'on retrouve dans les pays voisins francophones
(Soyinka, 1984, 1986). Le troisième groupe de textes rassemble les écrits de
philosophes et critiques littéraires africains qui s'intéressent aux sciences humaines et à
la littérawre africaine. Quand ils ne vivent pas en Occident (Kwame A. Appiah et
Valentin Y. Mudimbe), ils n'en restent pas moins proches d'écoles de pensée occidenta-
les (Paulin Hountondji et Kwasi Wiredu). Enfin, on peut également ranger dans cene
dernière catégorie certains romans ou essais d'Occidentaux qui décrivent une expérience
en Afrique (Barrot et Drame, 1993, Gordimer, 1993, Harris, 1992, Londres, 1929,
Pisani, 1988).

• L'INTERCULTURALITÉ EN L'AFRIQUE DE L'OUEST FRANCOPHONE


Les différents éléments du cadre de recherche (objet d'étude, théorie, méthodo-
logie et données contextuelles, empiriques et bibliographiques) ayant été situés, la suite
de ce texte portera sur l'analyse des données. Dans les trois prochains chapitres, je
situerai au centre de l'analyse trois différents groupes de personnes, afin de dégager
leurs conceptionS et leurs pratiques de l'intereulturalité vis-à-vis des autres.

Le chapitre 2 traitera de ceux que l'on nomme parfois en Afrique les Blancs-
noirs (Bâ, 1994, p. 187), c'est-à-dire les Africains instruits qui constituaient la plus
grande partie de mes interlocuteurs. Par rapport à l'étude de l'intereulturalité, ces
personnes me semblaient a priori être les plus susceptibles d'avoir développé une
compétence et une conscience dans tout ce qui touche les échanges intereulwrels, parce
qu'elles avaient le plus vécu d'expériences dans ce domaine. Mais leur situation est
double. D'un côté, les Blancs-noirs sont membres d'un groupe culwrellement dominé


• dans les relations avec des interlocuteurs occidentaux et. de l'autre. ils sont considérés.
dans leurs sociétés. comme une élite privilégiée.
53

Une question, à mon sens. essentielle se pose par rapport aux Africains
instruits: dans le contexte étudié. ce groupe peut-il être considéré comme relativement
homogène (ainsi que le prétend la majeure partie des textes) ou bien ses membres
restent-ils marqués par les singularités des cultures dont ils proviennent et par d'autres
composantes de leurs positions'? Quelles pourraient alors être les conséquences de ces
singularités par rapport à l'interculturalité'? r aborderai ces questions en considérant que
le Blanc-noir n'est pas seulement le fonctionnaire de la CEAO, mais aussi l'intormateur
de l'anthropologue et récrivain ouest-africain, par exemple. Dans les différentes
positions qui sont les leurs, comment ces personnes perçoivent-elles et comment vivent-
elles les relations avec leurs pairs, avec les membres de leur communauté d'origine.
avec les autres Africains et avec les Blancs, de différents groupes'?

Dans le troisième chapitre, je dégagerai de ce qui ·précède ce qui concerne les


Noirs, c'est-à-dire les Africains qui ne sont pas ou peu instruits, et j'ajouterai les
données dont je dispose sur les échanges qu'ils peuvent entretenir avec les Africains
instruits et les Blancs. Les questions qui se posent ici sont : ces personnes dont la
position est celle de «damnés de la terre> (Fanon, 1961), de défavorisés parmi les
défavorisés, et·qui n'ont pas eu la chance d'être formées aux échanges avec les groupes
privilégiés, restent-elles enfermées dans les traditions et dans la dépendance comme le
prétendent la plupart des théories'! D'après ces personnes et ceux qui les fréquentent.
révolution de la situation exige-t-elle racquisition d'un mode de pensée modeme'!

Basé sur la même approche, le quatrième chapitre se concentrera sur ce qui


touche les Blancs. C'est bien entendu de rauteur de ce texte dont il peut être question,
mais aussi, entre autres, des explorateurs, des coloniaux, des missionnaires et des
commerçants, ainsi que des diplomates, des volontaires et des coopérants occidentaux,

• de même que des anthropologues et des spécialistes en sciences humaines, qui ont
oeuvré en Afrique de l'Ouest francophone.
• Le dernier chapitre, par une synthèse des précédents, tentera de dégager la
validité de ces grandes catégories (Africains instruits ou non et Blancs, de dive.-ses
nationalités) que r on retrouve généralement dans les textes qui traitent des questions
54

interculturelles. Il s'agira également de revenir sur les concepts dont je me suis servi
pour réaliser cette étude. En particulier, la question se pose de déterminer comment la
position doit être définie pour permettre d'approfondir la notion dÏnterculturalité, ses
fondements et ses manifestations. Cette tiche devrait par la suite permettre de reconsi-
dérer les éléments théoriques et la méthodologie utilisés pour la recherche, ainsi que les
différentes thèses qui prévalent actuellement par rappon à rinterculturalité - ce qui,
dans le contexte étudié, pourrait également avoir des incidences sur d'autres domaines,
tels que la communication organisationnelle et tout ce qui concerne le développement.

Puisque ce travail est né d'une pratique et qu'il fut réalisé avec une intention
pragmatique, une question essentielle doit enfin être abordée : quelles pourraient en être

• les conséquences pour les pratiques interculturelles en communication, pour la négocia-


tion, pour l'interVention et pour la formation dans un contexte comme celui de l'Afri-
que de l'Ouest francophone, ainsi que pour l'éthique qu'elles supposent? À titre de
conclusion, j'examinerai donc dans quel sens pourraient, à mon avis, s'orienter les
pistes de recherches d'une approche communicationnelle des questions interculturelles,
ou encore quelles sont les tendances qui peuvent se dégager au tenne de cette
exploration d'ui!. i:bamp re1ativement peu fréquenté par les études en communications.
Bien entendu, mon ambition ne sera pas de clore les questions, mais plutôt de les ouvrir
à de nouvelles exploratiol!S.


• NOTES
55

1. Afin ù'alléger la fonne de ce texte, j'utiliserai l'expression compétence inrerculru-


relle dans le sens de «compétence communicationnelle dans un contexte pluriculturel.,
c'est-à-dire dans un contexte où l'on retrouve des acteurs appartenant à différentes
cultures. La notion de compétence telle qu'elle est utilisée par Garfinkel (1967) ou par
Goffman (1974) peut être définie comme une aptitude observable,

2. À ma connaissance, ce phénomène n'a jamais été étudié sous l'angle d'une approche
communicationnelle. Certains anthropologues se sont bien intéressés aux transforma-
tions des savoirs locau."I: et au caractère hégémonique des entreprises de développement
(Hobart, 1993), mais en accordant toujours plus d'attention aux manifestations de la
domination qu'aux processus de résistance produits par une compétence communication-
nelle et interculturelle.

3. Cette expression est empruntée au philosophe belge Raoul Vaneigem qui l'utilise
dans son ouvrage Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations (1967,
p. 194) : «Renverser la perspective, c'est cesser de voir avec les yeux de la commu-


nauté, de l'idéologie, de la famille, des autres." J'estime que cette notion appliquée à
la recherche exige une définition plus précise et que, contrairement à ce que préten-
dent nombre d'auteurs, le «renversement» (shift) opéré par les approches interpré-
tatives n'est souvent que partici, faute d'inclure des dimensions critiques et éthiques.

4, Ce qui est vrai peut être considéré comme la réalité qui, d'après Peter Berger et
Thomas Luckmann (1986, p. 7), est «une qualité appartenant à des phénomènes que
nous reconnaissons comme ayant une existence indépendante de notre propre volonté
(nous ne pouvons pas les "souhaiter")". Il en résulte que l'on peut comprendre: «1... 1
la "connaiSSMce" comme la certitude que les phénomènes sont réels et qu'ils possèdent
des caractéristiqiJès spécifiques>-.
5. La réflexivité peut être ici comprise dans le sens que lui donne Judith Okely
(1992, p. 24) : «1...) reflexivity forces us to think through the consequences of our
relations with others, whether it be conditions of reciprocity, asymmetry or potential
exploitation."
6. Goffman remarque d'ailleurs lui-même: «For Western science can be seen as but
one e;xp.tession of a general etnpiricism and rationality that every society must have à _~""
good bit of in various sectorS of its undertakings, eise the reproductive cOntinuity of its '
members could never have been achieved." (1974, p. 2(0)

7. La recherche de Massaër Diallo (1984), un anthropologue africain qui a travaillé en

• France, poUirait être considérée comme une. tentative partielle dans ce sens. Mais le
• choix effectué par Diallo d'un objet comme les guérisseurs africains en France ne
correspond pas totalement à la définition de Marcus et Fisch...r rour un tel projet.

8. Je laisse ici de côté le débat sur le bien-fondé d'une opposition entre la théorie et la
56

pratique, considérant qu'il existe effectivement une distinction entre l'étude intercul-
turelle sur un lieu d'interaction, laquelle étude concerne des pratiques communication-
nelles limitées dans un temps et dans un espace de coprésence des acteurs, et d'autres
approches d'un !clle étude interculturelle qui sont situées ailleurs.

9. Pour qui a été journaliste, ces deux principes correspondent finalement aux règles de
diversifiearïon des sources et de recoupemenr des infonnarïons, l'expérience et l'intui-
tion permettant d'évaluer ce qui peut être considéré comme nécessaire et suffisant à la
validation. Des erreurs peuvent se produire en journalisme, mais certaines sont parfois
si coûteuses qu'il convient de tout faire pour les éviter. Je dirais qu'il devrait normale-
ment en être ainsi pour les enquêtes en scietices humaines.

10. Un mensonge pourrait ici être considéré comme une proposition non crédible, si
l'on se base sur le sens commun partagé par les membres de l'organisation.

Il. L'évaluation des applications potentielles pouvant résulter de cene recherche était
considérée comme importante par deux organisations qui y étaient associées : le Centre

• de recherche pour le développemenr inremariorwl (CRDI), qui en était le bailleur de


fonds, et la Co11l1TlU1UlUlé économique de l'Afrique de l'Ouesr (CEAO) qui, d'après ses
responsables, estimait que les communications avaient été, dans le passé, un domaine où
ses interventions s'étaient révélées peu satisfaisantes (CEAO, 1992b; s. d.).

12. À mon avis, les techniques d'écriture journalistique peuvent également contribuer
aux procédés narratifs utilisés pour la mise en forme des résultats d'une recherche.

13. La CEAO a été pratiquement démantelée et l'organisme qui doit lui succéder,
l'Union économique et monétaire ouesr-tifricaine (UEMOA), ne fonctionne pas encore.
L'application de ce principe pourrait se faire par la consultation d'anciens membres de
la CEAO ou d'autres personnes oeuvrant dans le domaine de l'intégration régionale.

14. Goffman (1973a, p. 107) remarque d'ailleurs que: -Dans l'étude des organisations
sociales, ü importe de décrire les normes de bien.<éance dominantes; c' est là quelque
chose de difficile, parce que les informateurs et les chercheurs ont tendance à considérer
.un grand nombre de ces normes comme allant de soi l...l." L'observation d'une
oi'ganisation africaine révèle deux niveaux de normes: les normes bureaucratiques (de
modèle français), coaespondant à la hiérarchie formelle de l'organisation, et les normes
plus locales ou régionales, plus complexes à comprendre car très diverses.

15. S'Ü ne fait aucun doute que le Sahara fut à l'époque néolithique une région

• humide, l'unanimité ne règne pas parmi les spécialistes quant aux raisons de l'assèche-
ment de cette région.. L'étude de l'évolution récènte de la situation au Sahel semble
• cependant étayer la thèse selon laquelle la désertification serait le résultat d'un cumul
de facteurs climatiques et humains interdépendants. Voir à ce ~lIjet Pierre Rognon.
Biographie d'un désen, 1989.
57

16. Voir à ce sujet «Les arbres sacrés du Sahel. (Péricard, 199Ob). Je rapportais en
outre dans cet article que, d'après plusieurs biologistes ouest-africains. ce ne seraient
pas les pratiques locales qui auraient produit la désenifieation dans les pays du Sahel.
Ce seraient au contraire certaines prescriptions des experts occidentaux qui auraient
fait adopter, par les gouvernements de la région, des règlements sur Iïnterdietion des
feux de brousse et de la divagation du bétail : ces règlements auraient acceléré les
processus de dégradation de l'environnement déjà entamés par l'abandon et la
transformation des techniques culturales sécula:res.

17. D'après l'historien de la colonisation de l'Afrique, Henri Brunschwig (Le panage


de l'Afrique noire, 1971), l'idée très répandue selon laquelle la conférence de Berlin
aurait réalisé un partage de l'Afrique est un mythe. Cette conférence n'aurait fait
qu'établir les règles permettant, par la suite, de délimiter des sphères d'influence. 11
reste qu'entre 1890 et 1904 l'ensemble du continent fut occupé et précisément découpé
sur la base des principes établis à Berlin.


18. Au printemps 1995, l'UEMOA ne fonctionnait pas encore et il ne restait de la
CEAO qu'une structure minimale pour régler les affaires courantes. Au-delà des
discours et des textes, ces derniers n'étant pas appliqués, la volonté politique de réaliser
l'intégration régionale ou sous-régionale semble très limitée. Les analyses faites par
beauCOUJl de mes interlocuteurs, comme l'étude des procès-verbaux des rencontres de
chefs d'État et de ministres (CEAO, 1987; 1989b; 1991a; 1991c; 19913), révèlent
finalement que les décideurs sont plus préoccupés par leurs prérogatives nationales.
voire personnelles, que par l'interdépendance économique de leurs pays. Cette d::.mière
existe pourtant en pratique. bien qu'elle soit contrariée par des barrières douanières et
administratives; elle est même particulièrement cruciale pour les pays enclavés (Burkina
Faso, Mali et NIger) ainsi que pour les petits pays (Togo, Bénin).

19. Le constat de l'impossibilité pour un homme de réaliser une enquête ethnographique


auprès des femmes a d'ailleurs été précisé par des femmes anthropologues, comme
Michelle Z. Rosaldo (1987) et Helen Callaway (1992).

20. «1•••] it is possible that the way we construet gender is not neœssarily universal
over time and place-, affirment Suzanne J. Kessler et Wendy McKenna.
-
21. Ce passage est basé sur l'analyse de journaux de plusieurs pays (Bénin, Burkina
Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger et Sénégal), publiés en janvier et en février 1994.

22. C'est ce que l'on constate en examinant le programme du doctorat conjoint en

• communication (Université Concordia, Université de Montréal et Université du


Québec à Montréal) dans lequel la communication interculturelie, inclUant des
• problèmes locaux reliés à l'immigration, est considérée comme une branche de l'axe
communication et développement (axe 4).

23. Cette équation de E.T. Hall, qui suppose que la compréhension de la différence
58

culturelle et des mécanismes de la communication interculturelle équivaut à une


compétence dans ce domaine, se retrouve chez beaucoup d'auteurs spécialisés en
communication interculturelle. Par exemple, Richard R. Porter (1972, p. 5) prétend
que : «The baniers to communication caused by (... 1perceptual variance can best be
lowered by a knowledge and understanding of culturaI factors that are su~iect to
variance... Incidemment, une telle conception situe tout en haut de l'échelle de la
compétence le spécialiste (ou l'universitaire), en dessous celui qui le lit ou le consulte
et, tout en bas, on peut par exemple imaginer une femme, paysanne africaine et
illettrée. C'est, pour schématiser, la thèse inverse que je soutiens ici : l'intercultura-
lité est liée au pouvoir, à la position des acteurs; ceux qui subissent consciemment des
formes de domination développent, par nécessité de survie, une compétence intereultu-
relie.

24. Même sur le plan épistémologique, certains auteurs remarquent (après avoir noté
les traits communs entre perspective systémique et tradition positiviste) que le
renversement n'e;;t que superficiel: «1...) humanistic theories 1...1 use sorne of the
systems theoric principles» (Kim et Gudykunst, 1988, p. 18).

25. Le mot clé «organisation" renvoie à plus de 10 000 documents répertoriés dans les
bibliothèques de l'Université du Québec à Montréal et à plus de 16000 dans celles de
l'Université McGill. Par contre, dans ces mêmes bibliothèques, on ne compte
respectivement que 265 et 136 entrées à la rubrique «communication et organisation".
En pratique, beaucoup de références utilisées en communication organisationnelle sont
empruntées à d'autres disciplines, surtout au management et à la sociologie du travail.

26. Charles W. Redding (1985, p. 24-25) signale par ailleurs que la communication
organisationnelle'est née durant la dernière guerre et que ses fondements se situaient
dans le cadre d'une «triple alliance» : l'université, l'armée et l'industrie.

27. Dans son ouvrage Management and Ideology: The Legacy ofthe International
Sdenliftc Management Movement (1980), Judith A. Merlde consacre un chapitre aux
spécificités de la bureaucratie et du management en France. Elle écrit que le
eFayoüsme [de l'ingénieur des mines Hemy Fayol (1841-1925)1 was a doctrine of
leadership, suited to stable societies with fixed class differences; in appealing to those
at the top, it circumscribed the area of its own success, limiting its spread to executive
personnel" (p. 160). Ce modèle est clairement celui qui prévalait dans l'administra-
tion française à l'époque de la décolonisation et qui, par la suite, est demeuré celui
des bureaucraties d'Afrique francophone.
• 28. En management, le -leadership. est perçu comme une des fonctions clé de la
gestion des organisations. EOI 1974, on comptait déjà plus de 3 000 articles sur ce
sujet (Clark, 1985, p. 56).
59

29. Selon Karl E. Weick, il convient de considérer -1 •.. 1an environment which is
constituted by the actions of independent actors-.

30. D'après Erving Goffman (1973a. p. 98). -1 ...) chaque organisation peut être
considérée comme un lieu où l'on dispose d'un certain nombre de personnages à
attribuer à de futurs acteurs et comme une col1ection d'appareils symboliques et
d'accessoires cérémoniels à réparti!'l>.

31. -If people want to change their environment, they need to change themselves... not
someone else-, affirme Karl E. Weick (1979, p. 152), cité par Linda Smircich.

32. «Empathy, to simplify the matter, is the capacity to see oneself in the other fel1ow's
situation." (Lerner, 1964, p. 50)
33. «An innovation is an idea, practice or object perceived as new by an individual."
(Rogers, 1971, p. 19)

• 34. Il est intéressant de remarquer qu'après sa collaboration avec Everett M. Rogers,


Ernst F. Schumacher a travail1é avec Jacques Bugnicourt,- responsable de l'ENDA
(Environnement et développement en Afrique) de Dakar, une organisation qui est
devenue une véritable multinationale du développement présente dans plusieurs pays
d'Afrique, d'Europe et d'Amérique latine (entrevue avec René Dumont faite en 1987).

35. Lors d'une conférence présentée à Montréal le 21 novembre 1994 à l'occasion de la


«Rencontre canadienne sur la communication pour le développement» du CRDl, Hamid
Mowlana présentait une perspective nettement différente de cel1e de son ouvrage de
1990, en soulignant l'importance des processus endogènes de communication et des
savoirs locaux. Il affirmait toutefois qu'il existe très peu de données sur ceux-ci et que
la recherche serait probablement réalisée par ses étudiants plutôt que par sa génération.

36. Je dirais que, plus généralement, la recherche sociologique franc;aise en Afrique est
caractérisée par une tendance à aborder des objets à un niveau très large ou par d:s
généralisations. Anthony Giddens (1979) souligne fort justement les dangers d'une tel1e
propension. En outre, comme l'écrit Michel Maffesoli dans la préface de la traduction
de l'ouvrage de Berger et Luckmann (1986), «l...] dans la lignée des grandes "cons-
ciences" intel\ectuel1es, le sociologue français est naturellement moraliste. Il a tendance
à vouloir déterminer ce que "doit être" la société présente ou à veni!'l>.

37. L'Africanisme a donné naissance à des sociétés savantes comme La Société


canadienne des études africaines, la Société des africanistes de France et leurs homolo-
gues dans les autres pays occidentaux. Ces délimitations à caractère exclusif se sont
• maintenues malgré des ohjections comme celle d'Edward W. Said (1980, p. 66) :
.P-drler d'une spécialisation scientifique comme d'un "domaine" géographique est 1... \
bien révélateur, puisque personne ne va imaginer un domaine symétrique, r"occiden-
talisme" .-
60

38. Balandier écrit: «11 nous avait été demandé d'étahlir une sorte de "bilan" quant à
deux peuples - Les Fang du Gabon et les Ba-Kongo du Congo - qui s'imposaient à
l'attention des autorités administratives par leur "reprise d'initiative" et leurs entreprises
novatrices.- En d'autres termes, l'administration coloniale demandait à l'anthropologue
d'analyser la situation des peuples qui refusaient de se soumettre à son autorité.

39. René Dumont (1962) fut l'un des premiers tiers-mondistes à ne pas chercher de
coupables uniquement en Occident, en désignant les paysans comme responsables de la
dégradation de l'environnement africain, à cause, prétend-il encore aujourd'hui, de leur
tendance à se reproduire de façon inconsidérée. Pour ma part, je n'ai jamais rencontré
d'intellectuel africain qui adhère à cette thèse, même parmi ceux qui choisissent d'avoir
peu d'enfants. La responsabilité endogène se retrouve d'ailleurs de plus en plus dans
les textes, particulièrement d'auteurs africains. Un cas extrême est la thèse d'un
manager formé aux États-Unis, Daniel Etounga-Mangue11e (1992), qui prétend que le
sous-développement est d'abord causé par la culture africaine, car ces pays où l'on


retrouve «l'enflure de l'irrationnel- (p. 60) dans «des sociétés cannibales et totalitaires-
(p.74) auraient besoin d'un «ajustement culturel-.


• Chapitre 2
Blancs-noirs et interculturalitê
61

En Afrique de l'Ouest francophone. différents termes servent à qualitier les


Africains instruits qui maîtrisent le français et l'ëcriture et qui ont, en panie, adopté
certains traits occidentaux (langue, mode de vie et componement). Entre autres. on les
surnomme les Nègres blancs. les Toubabisés (de «Toubab- qui signifie «homme blanc-l,
ou on les désigne par cenaïnes de leurs habitudes : «ceux qui ponent le pantalon-. Le
terme Blanc-noir me parait préférable à d'autres qui sont plus chargés de connotations'.

Bien qu'aux fins de l'étude de l'interculturalité il ne soit guère utile d'emprunter


ou d'élaborer une quelconque typologie - nëcessairement réductrice - des diftërentes
catégories de personnes que l'on retrouve dans le contexte étudié, la diversité des
origines et des situations des Blancs-noirs conduit cependant à déterminer non seulement


ce qui les différencie des Blancs et des autres Africains, mais aussi ce qui les distingue
les uns des autres. Comment est-il alors possible de les caractériser'!

EXPÉRIENCE, ACQUISITION ET CRÉATION DE CULTURE


Le terme Blanc-noir est révélateur. Ce que certaines personnes ont acquis par
l'instruction, par la réussite dans le système d'éducation et sur le plan professionnel,
c'est, plus qu'un statut et ses attributs, un positionnement qui se manifeste dans les
interactions et qui est perçu comme tel par la majorité. Dans l'esprit de ceux qui le
-
qualifient ainsi, le Blanc-noir est, au moins partiellement, identifié au Blanc. Aux yeux
des autres Africains, sa singularité et les changements qui se sont opérés en lui sont
fondamentaux au point qu'ils peuvent s'apparenter à un changement de couleur de peau.
La maîtrise de la langue n'en est évidemment que l'aspect le plus manifeste sur le plan
communicationnel. Les transformations qui sont apparues supposent l'acquisition d'élé-
ments culturels et d'un ensemble d'habiletés par le biais de processus d'apprentissage
qu'il s'agit d'identifier avant d'évaluer leurs incidences sur l'intercultura1ité. Mais ces

• apprentissages ne se faisant pas sur un terrain vierge, il convient d'abord de déterminer


d'où viennent ces personnes.
• On ne se prévaut plus d'être toubabisé'
L'historien de l'Afrique noire française. Henri Brunschwig. distingue. parmi les
Africains instruits de l'époque coloniale, deux catégories de personnes: l'acculturé et le
62

collaboranr. L'acculturé était celui qui avait adhéré au projet d'assimilation des
Français. Dans cette catégorie. les plus engagés dans le projet colonial étaient des
Sénégalais vivant dans les «quatre communes» (Dakar. Gorée, Rufisque et Saint-Louis)
dont les habitants - noirs ou créoles - étaient devenus, dès 1887, des citoyens
français, avec leurs institutions propres et leur représentant au parlement français
(Brunschwig, 1983). Mais l'idéal universaliste de l'assimilation demeurait en contradic-
tion avec les politiques et avec les pratiques coloniales, ce qui a inspiré, chez les
intellectuels africains, un courant dont l'objectif était d'cassimiler et non d'être assimi-
le> (Senghor, 1964) : le mouvement de la Négritude. Il visait un métissage culturel
qui, sans renier l'héritage africain, adoptait la science et certains aspects de 1'1 pensée
occidentales. En d'autres termes, la Négritude tendait à formaliser l'expérience

• communicationne1le et intereu1turelle vécue par une génération de jeunes intellectuels


africains formés en France. Quoique critiquées, les thèses de la Négritude ont conservé
une bonne part de leur ascendant en Afrique francophone. De nos jours, elles se
manifestent fréquemment par l'expression de la nécessité d'un métissage culturel comme
solution aux problèmes africains. Quant au collaborant, il serait, d'après Henry
Brunschwig (1983, p. 96), «Celui qui assiste le colonisateur sans pour autant renoncer à
son identité». Souvent issus du bas de la hiérarchie coutumière, ces auxiliaires du
colonialisme trouvaient dans la collaboration un moyen d'émancipation et de promotion
sociale qui se doublait d'une nouvelle sujétion par rapport au BIanc.

Pour Brunschwig, assimilés et collaborants tendent, à des degrés divers, à


l'acculturation. Ces divisions sont cependant perçues différemment dans la perspective
des BIancs et dans celle des Noirs, comme le signale Amadou Hampâté Bâ dans le
second volume de ses mémoires, Oui mon co11l17lll1ldont! (1994) :


Du point de vue de la division "officielle" des classes, j'étais un sujet
français lerrré, né au Soudan et non au Sénégal, donc juste au-dessus de
• la dernière catégorie. Mais selon la hiérarchie indigène. j'étais incontes-
tablement un blanc-noir. ce qui. on ra vu. nous valait quelques privilè-
ges - à cene réserve près qu'à répoque le dernier des Blancs venait
toujours avant le premier des Noirs... (p. 187)
63

Trente ans après la fin du colonialisme. il est manifeste. au terme de la recher-


che réalisée. que les Africains instruits demeurent marqués par l'histoire de leur famille
depuis les débuts du colonialisme. La volonté d'assimilation ne se rencontre plus guère
parmi ceux qui vivent en Afrique : «on ne se prévaut plus d'être toubabis60. Le petit
nombre de personnes qui avaient fait ce choix. principalement des Sénégalais des quatre
communes, ont opté pour la nationalité française lors des indépendances. Quant à ceux
qui, plus tard, ont choisi de demeurer en Occident au terme de leurs études. leur cas
semble très différent comme je l'expliquerai plus loin. Dans des pays où. encore
aujourd'hui, peu d'enfants fréquentent l'école, comment certaines personnes réussissent-
elles à poursuivre des études dans une langue et dans une culture étrangères'! Et quelles

• sont les conséquences de cet apprentissage par rapport à l'intereultura1ité'!

cet enfant-là, il faut le mettre à récole


Il est manifeste que l'expérience des études dans le système français, ou dans les
systèmes d'éducation qui, après 1960, sont demeurés pour l'essentiel calqués sur le
système français, fut un facteur déterminant dans l'apprentissage culturel et communica-
tionnel ainsi que dans la constitution de la position des Blancs-noirs. Mais cene expé-
rience fut vécue très diversement; pour une large part, la façon dont elle fut vécue fut
déterminée par les origines ethniques, socio-ethniques, sociales et national~ des
enfants qui aIlaient z. l'école. En d'autres termes, les processus de socialisalion
secondaire dépendent largement des diverses expériences vécues durant la socialisalion
prinuzire (Berger et Luciana"", 1986, p. 177-2(0). Dans ce cadre, le genre constitue,
bien entendu, un facteur d'une importance cruciale.

Beaucoup de mes interlocuteurs des pays sahéliens étaient parmi les premiers

• scolarisés de leur famille. Le recrutement scolaire réa1isé durant la période coloniale


laissait une large place à l'arbitraire. Les Français chargeaient des recruteurs de choisir
• un certain nombre d'enfants dans un groupe de villages. parfois de façon aléatoire (en
faisant une croix à la craie sur les maisons qui devaient envoyer un enfant) et, souvent.
de préférence parmi les familles de chefs et de notables. Lorsque ces derniers étaient
64

réticents, ils désignaient des enfants de leurs sujets pour remplacer les leurs. D'émou-
vantes anecdotes m'ont été contées sur les circonstances qui ont déterminé l'entrée à
récole de ces enfants qui, plus tard. sont eux-mêmes devenus des notables grâce à l'ins-
truction. Un cadre supérieur de la CEAO se souvenait ainsi que. alors qu'il était
orphelin et berger et qu'il passait à côté du chef du village. il fut montré du doigt : «cet
enfant 1à, il faut l'envoyer à l'école». Plus tard, ces enfants que l'on considérait parfois
comme étant porteurs de malédiction' sont devenus des interprètes pour leur village,
pour leur communauté d'origine'.

La stratégie des institutions coloniales françaises consistait donc à former des


auxiliaires et des personnes susceptibles de demeurer influentes dans leur milieu d'origi-

• ne, ou encore des interlocuteurs locaux capables de communiquer en français sur les
questions qui intéressaient l'administration. Mais à cette stratégie appuyée par la force
répondait parfois, chez les Africains, des stratégies de résistance qui visaient l'acqui-
sition d'habiletés communicationnelles et culturelles au profit de la communauté. Ces
dernières stratégies étaient parfois délibérées et collectives. Les chefs de plusieurs
ethnies (en particulier les Songbay-Zarma du Niger, les Mossé du Burkina Faso et les
Toucouleur du Séilégal et de Mauritanie) ont décidé, après l'invasion coloniale, d'en-
voyer certains de leurs enfants à l'école française tout en maintenant des contacts très
étroits avec eux, ce qui leur permettait de disposer plus tard de contacts privilégiés avec
des membres de l'administration. 11 s'agissait d'une décision douloureuse :
Les Blancs sont venus par le fleuve, des bateaux à vapeur avec des
canons. ils ont débarqué et ils ont balayé les villages toucouleur en moins
d'une semaine. Donc les anciens se sont réunis et ils ont accepté de
«mourir dans leurs enfants» l...) pour «apprendre à vaincre sans avoir
raison••'
Après l'invasion coloniale, les chefs toucouleur ont ainsi réalisé qu'en )X'SSédant, par

• l'intermédiaire de certains de leurs enfants, un accès à la culture française il leur serait


• possible de maintenir une pan de leur pouvoir. Toutefois, le pouvoir se trouvait
transformé: il n'était plus fondé sur des valeurs séculaires (<<vaincre parce qu'on a
raison»), mais sur la maîtrise des rechnologies nouvelles apponées par les Français.
65

Aidés par une série de hasards, quelques enfants ont eu la poSloibilité de choi~ir

eux-mêmes d'aller à l'école, et ceci en dépit de l'opposition de leur famille. En


générai, ces enfants faisaient un tel choix après avoir été influencés par des fonctionnai-
res ou par des auxiliaires qui avaient séjourné dans leur localité. Les enfants nés dan.~

les pays côtiers et ceux dont des parents avaient déjà été scolarisés étaient beaucoup
plus fréquemment envoyés à l'école, alors que cenains de leurs frères et, sunout, <le
leurs soeurs devaient rester à la maison où l'on avait besoin de main d'oeuvre. Je dois
d'ailleurs souligner ici que toutes les femmes instruites que j'ai rencontrées appane-
naient à une deuxième génération au moins de scolarisés.

• Les personnes appanenant à une troisième ou à une quatrième génération


d'instruits venaient des régions côtières qui furent les premières colonisées. Elles
étaient généralement envoyées d'office à l'école, tout comme les enfants d'auxiliaires
coloniaux de niveau supérieur (médecins de brousse, instituteurs, anciens combattants,
ete.), Le caractère irréversible des effets de l'invasion coloniale et, par conséquent,
l'exigence de stratégies communicationnelles impliquant la maîtrise de la langue et de la
culture dominantes étaient alors reconnus. Mais même une personne descendant d'une
famille d'assimilés de Saint-Louis au Sénégal admettait que "'POusser du papier (faire
des études et devenir fonctionnaire), c'était un privilège». li n'était pas accordé à tous,
car beaucoup devaient abandonner leurs études avant terme, à cause de la difficulté
d'étudier en français et, parfois, à cause de contraintes matérielles ou familiales'.

Parmi les facteurs interVenant dans la scolarisation, on remarque donc l'apparte-


nance d'une personne à une famille dans laquelle une ou plusieurs générations étaient
. ~

déjà scolariséeS et dans laquelle l'on trouvait des auxiliaires coloniaux, à différents

• niveaux, ainsi que des contacts plus ou moins étroits avec des coloniaux ou des
auxiliaires. Le statut socio-etbnique et l'appartenance ethnique furent aussi parfois
• déterminants, car l'on constate que certains groupes sont demeurés longtemps réfractai-
res à la scolarisation et d'autres, marginalisés, ont été largement exclus du système
scolaire et universitaire après les indépendances. Dans ce dernier groupe, certaines
66

personnes sont des exceptions. Elles apparùennent soit à des ethnies marginales (dans
leur pays), qui ont parfois maintenu des vélléités sécessionnistes après les indépendances
(par exemple, les Diola de casamance au Sénégal ou les Touareg du Sa\tara nigérien et
malien), soit à des groupes considérés comme acéphales par les anthropologues, c'est-à-
dire de petites ethnies, sttr les plans démographique et territorial, dont la hiérarchie
traditionnelle était peu organisée et dont la culture s'est largement transformée sous l'in-
fluence des colonialistes - qui trouvaient en eux des auxiliaires plus dociles que les
membres des ethnies dont les structures coutumières demeuraient fones. J' approfondi-
rai plus loin dans ce chapitre le cas des membres de groupes marginaux ou marginalisés
qui, comme celui des femmes, présentent un intérêt parùculier pour l'étude de l"in-


terculturalité, car ils constituent des groupes dominés parmi les Blancs-noirs. Leurs
stratégies cl'mmunicati<>anelles ne sont plus essentiellement dictées par la communauté,
elles sont aussi largement individuelles.

Si tu es seul, tu n'es rien


L'école imposait une disciplin~ et un cadre de travail nouveaux, c'est-à-dire
l'intégration dans une structure organisationnelle auparavant ;"~onnue. Elle imposait
aussi l'acquisition d'une langue et de certains éléments cultur,lS étrangers. Pour ceux
qui ont persévéré, elle a finalement provoqué un premier déracinement provisoire de la
communauté d'origine, ce qui a suscité la création de nouvelles communautés coexistant
plus tard avec le village et avec la grande famille.

La première intégration se faisait souvent sans grande difficulté, du moins pour


ceux qui parvenaient à compléter leurs études. Beaucoup d'enfants africains ont très tôt
d'importantes responsabilités: p3rÙcipation aux cultures, sttrVeillance des troupeaux,
tâches ménagères ou prise en charge des cadets. Ds sont en outre habitués à vivre dans

• un cadre beaucoup plus large que celui de la famille nucléique, dans un groupe d'âge
• où l'éducation est tàite par un «oncle» ou par une «tulte» (qui peuvent être des parents
lointains). La fréquentation de l'école primaire, généralement située à une distance de
leur village qu'il était possible de parcourir à pieds matin et soir, n'était pa.~ vécue
67

comme un déracinement. Les jeunes élèves avaient tôt fait de constituer des groupes
d'âge, lieux de solidarité régis par des règles familières. L'apprentissage des diftëren-
tes matières enseignées semblait aisé à des enfants entraînés à la mémorisation, particu-
lièrement à ceux qui avaient déjà fréquenté une école coranique où l'on devait retenir de
longs textes en arabe. Beaucoup d'entre eux disposaient d'un avantage provenant des
habiletés communicationnelles propres à leur culture.

Dans les pays tardivement colonisés, le contact avec des enseignants et avec des
cadres scolaires, auxiliaires antillais ou africains, et surtout avec des Blancs, pouvait
susciter une certaine crainte. Un de mes interlocuteurs se souvenait de l'arrivée, en
1913, du premier administrateur militaire français sur la place du marché de Kaya

• (Burkina Faso). Ce dernier était porté par quatre Noirs, dans une chaise surplombée
d'un parasol, et encadré par une troupe de cavaliers armés :
ce qui m'a frappé à l'époque, c'était son odeur. Mais c'était tbrt, j'ai
gardé cette mémoire olfactive [.•. J, et puis alors ce qui m'a fait peur,
c'est qu'il était rouge, ça surprend, je n'avaisj3lllais vu ça. Et puis cet
homme, il avait des moustaches [...J,
Après le premier contact, la peur est devenue plus concrète. Les Africains se souvien-
nent aussi des réqilisitions, de l'impôt, du service militaire et des travaux obligatoires,
des châtiments corporels à l'école (la «chicotte») et de l'arbitraire de l'administration.
D'après un Nigérien: "Pour n'avoir plus du tout peur du Blanc il a fallu attendre 1945,
après la dernière guerre mondiale», et même plus tard dans beaucoup de caS.

- Le moment qui était ressenti comme le plus difficile dans l'expérience du


système éducatif ~t celui Où, en général pour passer au niveau secondaire, les enfants
devaient s'éloigner de leur famille. La difficulté pouvait être atténuée par la présence
de parents dans le nouveau lieu de résidence, ou encore par les expériences antérieures

• de déplacement vécues par beaucoup d'enfants d'auxiliaires coloniaux. Le choc de la


• coupure physique avec la communauté d'origine - une rupture avec la conception
familière d~ r espace - provoquait deux réactions paradoxales. 0 'une part, les enfants
constituaient des cliques, des équivalents de groupes d'âge, rassemblant ceux qui
68

provenaient de la même communauté ou de communautés proches, et développaient un


ardent désir de retourner chez eux aussi souvent que possible, Ces premières commu-
nautés de pairs formées en dehors du village semblent d'ailleurs se maintenir très
soudée jusque dans la vie professionnelle, D'autre pan. le contact effectif avec des
étrangers suscitait également un désir de découvrir le monde : «je pense que c'est une
richesse de pouvoir rencontrer d'autres personnes»; de là émergeait l"espoir d'études
supérieures en Franre, récompense suprême de la persévérance dans les études,

Pour ces enfants, le choc principal était clairement une prise de conscience du
fait qu'en s'éloignant du village il devenait possible de connaître la solitude, ce qui était
une sensation insupportable: «Si tu es seul, tu n'es rien-, La solitude n'existe pas dans

• un village l!fricaïn, pas plus que l'intimité avant le mariage, Une de mes interlocutrices
me confiait que la chose la plus difficile pour elle fut d'apprendre à dormir seule dans
une chambre fermée, Par contre, l'adaptation à un environnement physique nouveau
(ville, pensionnat, dortoirs, longues périodes d'études) était rarement douloureuse,
Même l"arbitraire du système scolaire était généralement bien supporté, Par exemple,
l'orientation des élèves était généralement décidée par l'administration, en fonction des
places disponibleS, de la planification administrative des besoins ou des bourses données
par les bailleurs de fonds. Beaucoup d'étudiants devaient s'orienter vers des domaines
autres que ceux auxquels ils aspiraient et c'est généralement sans grande difficulté qu'ils
semblaient accepter cette décision. C'était en particulier le cas des femmes, qui étaient
envoyées dans des institutions catholiques et qui étaient orientées vers des professions
traditionnelles, comme le secrétariat ou l'assistance sociaJe.

La condition d'élèye ou d'étudiant offrait bien entendu des avantages, Le cadre


de vie reiativcment plus confortable qu'au village, en particulier dans les pensionnats,

• n'était pas perçu comme très important. En revanche. les modestes bourses qui
• permettaient de se procurer vêtements et menus objets étaient très estimées. Quant au
statut d'élève, celui-ci leur valait rapidement une certaine consiC:ération dans la commu-
ttauté. Les jeunes instruits pouvaient lire, écrire et assister leurs parenL~ dans les
69

démarches administratives qui constituaient une importante source de tracas. I1s avaient
l'avantage de pouvoir partager les connaissances communicationnelles et lïntercultum-
lité qu'il avaient acquises.

Sans doute, les élèves qui poursuivaient leurs études n'étaient-ils pas non plus
indifférents à l'émulation que suscitaient leurs enseignants. Beaucoup de ceux qui
réussissaient à poursuivre leurs études jusqu'au niveau supérieur rêvaient de se rendre
en France : con se représentait une image mirobolante de la métropole : 1•••1 Paris, la
ville lutnière, la plus belle ville du monde». Un de mes interlocuteurs se souvenait
ainsi que, chaque semaine, un groupe d'élèves marchait jusqu'à l'aéropon pour voir
l'avion qui s'envolait vers le Nord où ils espéraient un jour aller.

• Comme des fourmis à l'oeuvre


Les étudiants africains qui se t""..ndaient pour la pretnière fois en France vivaient
souvent, à leur arrivée, une profonde désillusion. C'était l'automne, il faisait «froid», il
pleuvait, la ville était grise et bruyante. Jusque là, tout ce qui touchait les Blancs leur
paraissait clair et lumineux : les villes coloniales aux larges avenues ombragées étaient
bordées de bâtiments blanchis à la chaux. L'image de la France diffusée par les
manuels scolaires' et par des expatriés français parfois nostalgiques était largement
mystifiée, Le choc était rude, en particulier sur le plan de l'environnement humain.

Nous venions de pays où il n'y a pas de contrainte physique au niveau de


l'espace, les rues ne sont pas coincées, La vie se déroule dans les grands C

espaces et on peut vivre dans la déambulation, Là-bas, le comportement,


les attitudes et même la démarche s'inscrivent dans un espace restreint:
les gens marchent à la queue, en faisant attention de ne pas marcher sur
----
",.,... '.-.. le pied de l'autre, on évite de se bousculer, ou plutôt on se bouscule. Et
puis on ne fait pas semblant de se voir, on ne se voit pas du tout. C'est
un pays où chacun est tout-à-fait seul,


• La conception du temps était ressentie comme ayant de profondes incidences humainc:s :
«Les Français étaient un peu comme des fourmis à r oeuvre. alors que chez nous c' est
la nonchalanc!>. Plus encore. personne ne semblait épargné. comme le remarquait une
70

de mes interlocutrices perdue à la gare de Marseille :


j'attendais, pauvre petite avec ma valise, et puis je voyais plein de Noirs.
mais pas des Noirs qui étaient comme moi; des Noirs pressés, des Noirs
qui ne me voyaient pas. Est-ce-que c'étaient des No1rs';
Ce rythme déterminait la pauvreté des échanges : on ne disait pas bonjour dans la rue,
il était hasardeux de s'adresser à un inconnu et même les personnes âgées ne semblaient
bénéficier d'aucune considération particulière. Avec l'espace et le temps, la communi-
cation se trouvait profondément transformée.

Les jeunes Africains faisaient alors le constat de leur propre singularité qui était
reflétée par les Occidentaux : «des femmes étaient à la fenêtre pour regarder passer les


Noirs». Pour ces jeunes qui avaient étudié l'histoire, la géographie et la littérature
françaises, il était surprenant de constater l'absence de réciprocité: ...Je pensais que
comme ils avaient colonisé les pays africains, ils devaient les connaître, mais les
Français ne connaissent pas le monde, ils sont incultes à la limite." À partir de là,
certaines perceptions s'inversaient. Alors que le Blanc en Afrique donnait l'impression
de connaî'tre à la fois la France et l'Afrique, le jeune Africain réalisait qu'en France, il
possédait la capacité de connaître à la fois son propre monde et celui de l'Autre.

La singularité était aussi ressentie à l'occasion de gestes perçus comme racistes,


c'est-à-dire de marques d'exclusion fondées sur la couleur de peau, l'origine ou l'appar-
tenance ethnique". En Afrique, ces manifestations étaient connues non seulement de
la part de certains Blancs, mais aussi, sous d'autres formes, dans les échanges entre
certains groupes culturels africains. Elles suscitaient généralement plus d'indulgence
que de révolte ou de réprobation, comme dans le cas de ce jeune fonctionnaire stagiaire
à Genève qui avait été mal reçu dans un restaurant:


J'ai vite bu un café et je suis parti pour ne pas déranger les gens. 1...1Il
Ya le racisme et puis il Ya cette méfiance naturelle envers les étrangers,
la peur des différences.
:
• Mais les manifestations d'exclusion avaient parfois des conséquences plus graves: ..ïai
appris à récole que nous somme tous égaux. et puis j'arrive en France. on me r~iene

[...1-. Les Blancs-noirs faisaient alors le même constat que leurs prédécesseurs. les
71

tenants de la Négritude: l"assimilation était impossible et l'idéal universaIiste était peu


répandu dans les pratiques, dans le pays même qu'on disait ravoir fondé.

Nous sommes les intermédiaires


Bien que rexpérience des séjours en France ou ail1eurs à rétranger ait été vécue
différemment par les jeunes Africains, il reste qu'el1e fut déterminante dans la constitu-
tion de nouvel1es perceptions et de nouvel1es fonnes d'expression de tout ce qui touche
l'identité". Les groupes qui se constituaient à rétranger ~mblaient des personnes
venant de préférence de la même ethnie, parfois du même pays, puis d'autres Africains
ou d'autres étrangers - des groupes d'outSiders qui, pour nombre de jeunes venant
d'Afrique, reproduisaient les communautés de chez eux et constituaient des lieux où il

• était possible d'échanger, dans leur langue ou en français, des nouvel1es, des rituels du
pays (salutations, plaisanteries, conversations, repas, ete.), de jouir de solidarité et de
partager une condition d'étrangers vivant loin de chez eux.

Ces communautés d'Africains installés en France é,'aient des lieux de reproduc-


ti<lD'des échanges familiers; elles étaient aussi parfoisplûS. Dans certains cas, les
étudiants adhéraient à des associations qui participaient aux débats intel1ectuels, en
particulier dans les milieux de gauche, autour des thèmes de la lutte anti-colonialiste ou
anti-impérialiste, c'est-à-dire dans le cadre de la mouvance tiers-mondiste. Ces débats
permettaient d'utiliser des compétences et d'expérimenter des stratégies communication-
-~

nelles dans un cadre où les non-Qccidentaux pouvaient manifester leur singularité.'


~->
Lorsqu'ils étaient très isolés, les jeunes Africains s'impliquaient parfois, seuls étrangers,
dans les organisations locales qui leurs étaient ouvertes. C'était manifestement un-:
. forme d'engagement très gratifiante et un lieu d'apprentissage privilégié. Enfin, à
_certaines occasions, les étudiants Africains pouvaient aussi se regrouper spontanément, à

• l'intérieur d'une même ville, pour résoudre un problème qui se posait à l'un d'eux ou à
• la communauté. Ils se réunissaient, par exemple, pour sanctionner l'un des leurs qui
avait commis une faute et pour tenter de réparer publiquement cene faute.
72

Le séjour à l'étranger représentait un contact avec l'altérité: «rai compris tout


de suite qu'ils ont une toute autre mentalité 1.•. 1, c'est vraiment une vie solitaire, très
individualiste». Ce contact suscitait une prise de conscience de sa propre identité et des
habiletés communicationnelles acquises : «Fondamentalement, je reste Africain, je
traduis mon africanité en français... 11 permettait en outre une démystification de
l'Autre : '<j'ai découvert que le Français est un être humain comme tout le monde (... 1
et finalement rai compris qu'il y a même parmi eux des gens sympa... Mais la
réduction de la distance vis-à-vis des Occidentaux n'empêchait pas un repli sur la
communauté d'étrangers, africains ou (à défaut) autres, «ce phénomène culturel de
rapprochement des déracinés qui se retrouvent sur un autre continenll> ou encore, sur les
études et sur le travail. Ce repli était parfois renforcé par la crainte à l'égard non plus

• du Blanc, mais de la foule des Blancs. D'après une femme:


il était hors de question que l'on sorte dans la rue à moins de trois ou
quatre Africains, on se tenait presque par la main. On racontait tant de
choses... que l'on peut se faire agresser ou tuer facilement dans la grande
ville 1...1.

La vie en Occident était souvent une expérience plus intense pour les femmes et
pour les membres. des groupes ethniques ou socio-ethniques margïnau.'t que pour les
. membres des ethnies pour lesquelles l'instruction correspondait à une stratégie, La
~ .
. plupart de ces derniers bénéficiaient de l'aide des membres de leur groupe déjà établis
en France et parfois de la protection de parents parlementaires ou fonctionnaires, avant
les indépendances, ou de parents diplomates, plus tard. Même lorsque de tels soutiens
n'existaient pas, les membres des ethnies dominantes étaient nettement mieux lotis que
d'autres. C'était, par exemple, le cas d'un prince appartenant à une famille royale
inossé qui avait étudié en Amérique. 11 s'était fait reconnaître au point de participer à
des émissions de radio et de télévision, de rencontrer des politiciens et des hauts fonc-
tionnaires et de devenir membre honoraire d'un important parti politique.
• L'expérience de récole et du séjour à l'étranger constituent donc le cadre qui a
73

permis l'acquisition des connaissances et des habiletés qui participent à lïnterculturalité.


Elle a aussi permis de prendre la mesure de l'enracinement dans sa propre culture. Le
désir de retour au pays, la faiblesse des liens amicaux avec les Occidentaux et cl.'rtaines
expériences, comme celles des mariages mixtes (Occidentale-Africain) qui posent
question, révèlent qu'au delà de l'apprentissage. l'enracinement culturel demeure trè.~
fort. Les définitions courantes de l'acculturation s'appliquent difficilement à ces
personnes qui ont largement intégré une culture étrangère sans vraiment perdre la leur.
Il conviendrait mieux ici de parler de cultures duales : «L'Africain occidentalisé a
plusieurs personnalités qui s'expriment sous des manteaux différents.» Cette dualité,
liée à l'acquisition d'habiletés communicationnelles et culturelles - donc à rintercultu-
ralité - , offre des avantages et crée des difficultés. Le principal avantage perçu est
relatif à la communauté :
Par le biais de l'instruction, de récole à la française, qui nous a permis

• d'accéder à une certaine culture, aujourd'hui nous sommes les intermé-


diaires entre cene culture et la culture traditionnelle.
Le Blanc-noir voit se confirmer le statut qu'il a acquis dans le cadre de sa communauté.
L'avantage se situe également sur le plan du positionnement, de la position telle qu'elle
se manifeste socialement : «je ne suis pas aussi occidentalisé que je peux le laisser
croire, 1...] mais, à l'occasion, je joue les prinjpes occidentaux». Quant aux difficul-
tés, elles se révèlent au moment où les jeunes Africains réintègrent le pays et la famille.

Comment se fait-il que certains de ceux qui ont longuement vécu à l'étranger
rentrent chez eux, alors que d'autres décident de rester en Occident'! Dans beaucoup
des cas où la possibilité de rester était évoquée, le retour au pays était souhaité par
attachement à la famille ou était clairement commandé par la famille. Deux raisons
pouvaient motiver le choix fait par certains de rester en Occident. La première tenait à
des avantages acquis grâce à un travail obtenu au terme des études. Rester ne signifiait
pas alors accepter l'idée de l'assimilation, mais plutôt atteindre un sommet dans la

• maîtrise d'une culture, certes valorisée, mais toujours étrangère :


• 1... 1aller jusqu'en France, dans les plus grandes écoles, enseigner le
latin, le grec, le français et la philosophie aux petits Blancs, pour moi
cela constitue la meilleure récompense que je puisse attendre de Dieu.
74

À cette motivation, faut-il préciser, pouvait aussi s'ajouter la difficulté de faire face à
des contraintes familiales ou politiques qui pouvaient devenir pesantes au retour. Mais
la raison première évoquée pour rester en Occident demeure l'échec dans les études.
Dans l'esprit des Blancs-noirs, la vie des Africains en France est souvent misérable. Le
statut acquis par ceux qui accèdent aux études supérieures, dans leur groupe d'appar-
tenance, suppose des contraintes, principalement l'obligation de faire preuve de généro-
sité à l'égard de la famille et d'influence à son profit. Ne pas pouvoir s'y soumettre,
parce que l'on n'est pas parvenu à la situation espérée, est un déshonneur insupportable
au point que certains restent en Ocddent et «fuient leurs parents»; p3S les parents
directs, car il reste que l'«on a besoin de ne pas se sentir seul.., mais la grande famille
qui est une charge extr~mement lourde. Vivre à l'étranger permet de taire sa condition

• et de remplir, par correspondance, son devoir de générosité à l'égard des parents


directs, tout en maintenant une distance par rapport aux parents éloignés.

La dualité culturelle des alancs-noirs, la recherche d'une maitrise de deux


différents ensembles de connaissances culturelles et communicationnelles, tend presque
inévitablement à créer une distance qui se révèle dans les contacts avec des membres de
la communauté d'origine. Les retours périodiques au pays durant les études (tous les
deux ans, d'après les règles de l'administration française) représentaient pour la plupart
des étudiants des moments de plénitude. Une de mes interlocutrices confiait :
quand je revenais, je me mettais dans le bain tout de suite, on allait au
fleuve tous les jours, je faisais la lessive avec tout le monde, la vaisselle,
faire le ménage et tout [...1. Le temps se diluait.
Ces épisodes permettaient de renouer avec la chaleur d'un monde familier. Il en était
toutefois autrement lors du retour définitif, moment à partir duquel, pour la communau-
té; on n'était plus seulement un enfant du pays, mais un Blanc-noir. De plus, dans le
cadre de la vie professionnelle et urbaine, le retour était le moment d'Ùne redéfinition

• de l'identité.
• ETHNIES, NATIONS, CULTURES ET INTERCULTURALlTÉ
Sur le plan culturel et communicationneI. les Blancs-noirs sont marqués par leurs
origines ethniques et socio-ethniques ainsi que par leur genre. Les longs processus de
75

réintégration qu'ils vivent au terme de leurs études et de leur séjour à r étr.mgcr" révè-
lent de nouveaux éléments constituant l'identité. la position. les habiletés et Slroltégies
communicationnelles. et l'interculturalité. Cene intégration se situe à trois niveaux
différents: dans la communauté d·origine. où l'on retrouve diverses situations liées aux
particularités de cene communauté. dans un cadre professionnel et organisationnel ainsi
que dans le cadre civil. généralement urbain. qui est celui où vivent les instruil~.

Au village, on nous considère comme des Blancs


Les conséquences du statut acquis par les Blancs-noirs dans leur communauté se
manifestaient dès qu'ils cessaient d'être étudiants pour entrer dans la vie profession-
nelle. Pour les générations d'Africains de !'Ouest qui ont été formées avant les années

• 1980, cene intégration élaÏt qwisi automatique. Ils étaient généralement incorporés. dès
leur retour, dans la fonction publique de leur pays, souvent dans une administration où
ils possédaient des relations". Les débuts dans la vie professionnelle coïncidaient
généralement avec le mariage (le premier, dans le cas des hommes polygames) et
l'établissement d'une famille.

Pour une majorité d'hommes, le premier mariage se situe généralement dans le


cadre familial et respecte les principes propres au groupe ethnique ou socio-ethnique.
par exemple, l'endogamie, la création de liens entre les familles et autres règles. Ces
principes constituent des ensembles de contraintes et d'interdits qui varient et qui sont
appliqués avec plus ou moins de rigueur d'une ethnie à l'autre. Après une vie de
célibataire anormalement longue dans le contexte africain, beaucoup d'hommes croient
qu'un mariage qui ne respecte pas les principes coutumiers est voué à l'échec. Le
célibat, faut-il noter, n'est pas une option socialement acceptable. De plus, pour les
hommes, un mariage dicté par la famille est rarement perçu comme un problème dans

• la mesttre où un second mariage, moins contraignant, reste possible pour les polygames,
les monogames ayant eux la possibilité d'avoir un «deuxième bureau>o.
• La situation conjugale des femmes appanenant au groupe des Blancs-noirs
apparaît cependant différente. Comme je rai déjà noté, la plupan descendent de
parents lettrés et nombre d'entre elles ont été encouragées par leur père à s'émanciper
76

du cadre coutumier, ce qui est remarquable. Toutefois, les femmes instruites sont
encore très peu nombreuses en Afrique de l'Ouest. Presque toutes, même les musulma-
nes, vivent en monogamie et la plupan ont connu leur mari durant leurs études, alors
qu'elles vivaient loin de leur famille. Plusieurs de ces unions transgressent les interdits;
ce sont, par exemple, des mariages interethniques entre Mossé et Samo ou entre Mossé
et Peul ou Toucouleur. Il semblerait donc que l'éducation devienne, pour ces femmes,
le moment et le moyen de l'émancipation de certaines contraintes coutumières.

Pour les femmes comme pour les hommes, il n'y a cependant pas de rupture des
liens familiaux; il y a redéfinition et négociation de ces liens dans le cadre de l'image
des Blancs-noirs, une image largement stéréotypée que se font les membres non instruits

• de la famille : cau village, on nous considère comme des Blancs». Et être Blanc
suppose, pour les villageois, que l'on dispose de ressources matérielles considérables et
que l'on ait la capacité de résoudre la plupan des problèmes administratifs, scolaires et
médicaux. Dans ce cadre, la négociation de nouveaux liens familiaux oppose deux
stratégies communicationnelles différentes.

Chez les.BIancs-noirs. la communication en français se fonde sur les connaissan-


ces acquises durant la formation, de même que sur un phénomène, plus incident
qu'assumé. de mimérisme qui consiste à être et à agir comme un Blanc et donc à tendre
à communiquer - du moins formellement - comme un Blanc". Le mimétisme, tel
que documenté par l'étude des organisations d'Afrique francophone (Bourgoin, 1984;
Bolap, 1993), se retrouverait à la fois au niveau organisationnel et au niveau interper-
sonnel. dans les'Iangues vernaculaires comme en français. On en constate les manifes-
tations (au niveau interpersonnel) grâce à. r étude sociolinguistique, par exemple.

Lors d'une recherche effectuée auprès des étudiants originaires ~ la ville de


Kaya au Burkina Faso", Alimata O. Sidibé, chercheur au département de linguistique
• de l'Université de Niamey. a étudié les particularités de la langue des jeunes instruits.
Entre autres. ces derniers utilisent des néologismes empruntés au français et créent des
expressions et des périphrases pour évoquer des situations inconnues du moore cour.ult.
77

Par exemple. les étudiants utilisent une formule pour dire que quelqu'un el.t un -cou.~in­

ou une -cousine-. alors qu'en moore on parle d'un grand-frère ou d'un perir frère.
d'une grande-soeur ou d'une peTire soeur. Cene innovation marque la création d'un
distance sociale. Le petit-frère, ..même mère-même père-. le -parent direct-, est
distingué d'un autre petit-frère, alors qu'il ne l'était pas dan.~ le passé.

Alimata O. Sidibé a fait deux autres constats. Le premier est que les étudiants
comprennent, certes, le moore des villageois; mais tout comme eux. et bien qu'elle soit
elle-même une spécialiste de la lexicographie, elle tend spontanément à utiliser la langue
des Blancs-noirs, une ..langue mixte» différente du moore. Dans le cas des jeunes
africains instruits, la compréhension, la connaissance et l'étude de la langue. même

• lorsqu'il s'agit de la langue maternelle, ne suffisent plus à sa totale maîtrise dans la


conversation courante. Sidibé a également remarqué que lorsqu'elle signalait à un
étudiant qu'il utilisait des termes étrangers au moore, ce dernier semblait ..très vexé>-.
Une distance semble donc s'être constituée dans la communication du Blanc-noir avec
les membres non instruits de sa famille. Cene distance est d'abord refusée, puis elle
suscite la nostalgie, une volonté de retour à ce que certains Africains de l'Ouest
nomment l'cauthènticit60 (qui suppose une conception figée de la culture)".

Le mimétisme et la nostalgie, deux phénomènes antagonistes, marquent une


dttalité et participent aux stratégies communicationnelles des Blancs-noirs. Alors que le
mimétisme se constitue durant la formation et durant l'intégration dans la vie profes-
sionnelle, la nostalgie apparaît principalement au retour - au moment de la réintégra-
tion dans le cadre familial et au moment de sa reproduction. au moins partielle, par la
fondation d'une famille - , puis semble se développer avec le temps. La vie fàmiliale
des Blancs-noirs se bâtit, de plus, essentiellement à travers les nouveaux types d'échan-

• ges avec la grande famille.



78
Notre famille est un carrefour
Au-delà du discours d'engagement nationaliste et tiers-mondiste qui affiche une
volonté d'oeuvrer pour le développement du pays, une importante motivation au retour
des Blancs-noirs est la réintégration dans la chaleur de la communauté et le retour aux
valeurs du groupe, Ils ont connu la peur, la solitude, un environnement perçu comme
hostile. Ils adhèrent difficilement à des valeurs matérialistes ou à des valeurs universa-
listes en contradiction avec les pratiques. Cette réintégration s'opère dans un cadre où
ils sont perçus comme étant devenus, en partie, des outsiders : «les membres de ma
famille me considèrent comme un Blanc et il m'appartient de prouver que je suis
capable d'être comme eux",

Les Blancs-noirs estiment avoir une responsabilité, voire une dette, vis-à-vis de
leur famille. Ils sont émus par la pénurie vécue par leurs parents, ils ont de la gratitude
pour ceux qui ont travaillé à leur place alors qu'ils étudiaient. Ils sont reconnaissants

• pour l'accueil qui leur est fait au retour et se rendent compte de l'austérité et de la
douceur de la vie au village : «je vois ces gens si pauvres, mais ils ont une joie de
vivreo. La nécessaire démonstration de confo'lIlÏté aux valeurs du groupe se manifeste
alors principalement par le respect du devoir de générosité et d'influence au profit de la
famille - devoir que les Africains désignent généralement par le terme ambigu de
soüdJJrùéJ7 • C'est d'ailleurs ce qui est attendu d'eux. Les stratégies communication-
nelles de la famille à l'égard du Blanc-noir se manifestent souvent sous forme de
messages non verbaux que tout membre de la communauté SûÏt décoder. La famille
peut décider un mariage selon les règles coutumières (un événement coüteux pour
l'intéressé), envoyer une jeune fille pour aider à l'entretien de la maison, confier un
enfant pour qu'il soit instruit, si celui-ci est refusé, elle peut même cdonnCf" cet enfant
en remerciement de services rendus, ce qui exclut toute pos:..iJilité de refus. D'ailleurs,
en général, il est impoli d'être en désaccord, de discuter, de convaincre (Appiah, 1992,
p. 130). Sur le plan individuel enfin, les membres de la famille peuvent faire appel au
Blanc-noir pour des problèmes matériels, administratifs, juridiques, sanitaires ou autres,

• Le poids de la csolidarit60 devient parfois excessif,


• La plupan de mes interlocuteurs avaient choisi d'avoir peu d'enfants. Mais tous
devaient subvenir aux besoins d'au moins une dizaine de personnes. Dans certains cas,
le salaire d'un cadre moyen fait vivre plus d'une cinquantaine de parents, auxquels
79

s'ajoutent des demandeurs d'aide ponctuelle. Selon les régions et selon les ethnie.~, ces
réseaux de dépendants semblent cependant plus ou moins régis par des règles. Dans les
ethnies sahariennes et nord-saheliennes, où l'entraide était dans le passé une exigence de
survie, la générosité reste un devoir qui est toutefois delimité par des règles coutu-
mières. Com;ne je le développerai dans le prochain chapitre, dans les ethnies sahélien-
nes aux StrUctures coutumières fortes, la générosité est pa."fois négociée entre les
autorités coutumières et les Blancs-noirs. Chez certaines ethnies côtières, chez les
ethnies acéphales et, plus généralement. chez beaucoup d'ethnies dont les structures
coutumières ont été profondément transformées depuis les débuts du colonialisme, le
devoir de générosité que doivent assumer les Blancs-noirs est quasi insupportable,

• Malgré la distance que crée la négociation des diverses modalités de la solidari-


té, la famille demeure toujours le site premier de toute communication :
notre famille est un carrefour, nous constituons le lieu où tous les cou-
rants se frottent. où toutes les idées se frottent. donc on est habitué à
écouter, habitué à entendre, habitué à discuter et à négocier,
Il n'y a guère d'autre choix, car «on ne peut pas manger seul, on ne peut pas être seul-,
Mais lorsque la charge matérielle que constitue la famille devient trop lourde, l'éloigne-
ment peut constituer un soulagement - c'est du moins ce qu'avouaient certains Blancs-
noirs de la CEAO pour .Iesquels le travail dans un pays éloigné permettait un meilleur
contrôle des requêtes familiales,

Une seconde stratégie par rappon aux demandes venant du village consiste à les
resituer dans un cadre organisationnel en conttibuant à la mise sur pied d'organisations
locales suscepttbles de répondre aux besoins, Cette stratégie, doit-on souligner, fut
encouragée par les bailleurs de fonds étrangers qui exigent qu'une~!!emande locale soit
- ~,


formulée pour pouvoir bénéficier d'un programme d'aide et qui requièrent que cette
demande soit faite en français et selon des règles précises, Pour les Blancs-noirs, il
• convient alors d'user de leurs connaissances et de leurs réseaux de relations au profit ùe
leur communauté. Ici encore, on constate quïl s'agit, selon les ethnies, dïnitiatives
individuelles ou collectives. À titre d'exemple, si une école est ouverte au village grâce
80

à un projet., il n'est plus nécessaire d'envoyer les enfants en ville. Même dans le cas où
il taut payer les études, les coûts sont moindres et il reste plus aisé de se désengager eil
cas de problèmes financiers. Les Stratégies collectives, quant à eUes, font généralement
appel a des processus de détournement, les ressources extérieures étant utilisées à des
fins autres que celles pour lesqueUes eUes ont été attribuées.

Différentes Stratégies sont utilisées, selon que l'interlocuteur est une organisa-
tion de coopération étrangère ou l'administration locale. Vis-à-vis d'un organisme
étranger, il s'agit avant tout de se confonner à la culture organisationneUe de la
coopération ainsi qu'aux règles, généralement connues, qui fondent les interVentions de
l'organisme, Cette conformité fait évidemment appel à la connaissance de la langue et

• des cultures française et tiers-mondiste partagées par les intervenants de la coopération


en Afrique de l'Ouest francophone. Dans la mesure du possible, il s'agit égaiement de
choisir l'organisation qui intervient dans le domaine où un projet est envisagé et d'y
établir des contacts avec des personnes influentes'·.

Dans le cas où l'interlocuteur est l'administration locale, la Stratégie consiste


généralement à .placer les fonctionnaires devant une situation de fait accompli. Par
exemple, si la population locale construit par ses propres moyens une école ou un
dispensaire, l'adminbJation devra fournir l'instituteur ou l'infirmier: «quand le projet
est avancé, le gouvernement n'a plus le choix,.. Dans le cas du viIlage de Tourum au
Burkina Faso, le chef avait demandé à un ami coopérant français de faire les plans du
barrage. Il avait mobilisé la population de quatre viIlages environnants en plus du sien
pour creuser les fondations et rassembler manuellement des matériaux, Le gouverne-
ment a par la suite été obligé d'utiliser un crédit de la Banque mondiale pour financer
les travaux de terrassement. Comme dans le cas des relations entre la famille et le

• Blanc-noir, des actions prennent ici un sens communicationnei. Ces actions sont en
• outre appuyées par des interventions, directes ou indirectes, auprès dc:.~ interlocuteurs
clés et ce sOnt surtout ces interventions qui ohligent le décideur il réagir. 11
possible d'ohserver des processus semhlahles à l'intérieur d'un cadœ organisationnel.
c:.~t aussi
81

L'aspect charmant de l'information


Pour aborder les échanges efltre Blancs-noirs dans une organisatiûn. il convient
tout d'abord de préciser queUes sont, dans le contexte, les particularitc's des organisa-
tions. D'un point de vue général, je partage partieUement l'opinion d'Henri-Paul Bolap
(1993) qui évalue que, sur un plan formel. les organisations de l'ancienne Afrique
française sont toujours largement conçues d'après la structure et le fonctionnement qui
étaient ceux de l'administration coloniale au moment des indépendances. Cependant,
pour une majorité d'auteurs, cette situation serait surtout fondée sur le -mimétisme
administratif,. qui se manifeste par la communication tant au niveau interpersonnel qu'au
niveau organisationnel. (Bolap, 1993). Cette seconde proposition, qui assimile le

• formel à l'informel, est basée sur une généralisation où l'on considère les
africaines comme un ensemble qui est principalement déterminé, d'une part, par le
organisation.~

colonialisme et, d'autre part, par des traits communs à toutes les cultures du continent.

Implicitement, cette dernière conception d'un modèle africain d'organisation


correspond à des notions présentes, entre autres, dans les thèses de la Négritude et dans
l'idée d'un socle culturel commun à l'ensemble de l'Afrique (Cheikh Anta Diop. 1955;
1960). Incidemment, la généralisation permet ici de proposer des alternatives qui
peuvent être prétendues valides non seulement pour une multinationale établie en
Abidjan en Côte d'Ivoire (Bourgoin, 1984) ou pour l'administration publique à
- .... '

Yaoundé au cameroun (Bolap, 1993), mais aussi pour de vastes ense:ri..,les d'organisa-
tions sur tout le continent. Si l'on considère la position des auteurs qui sont des spécia-
listes des organisations en Afrique, la généralisation coïncide clairement avec leurs
intérêts : on peut difficilement vendre un ouvrage ou une expertise dans le cilllmp
organisationnel si ces derniers correspondent à des contextes très limités.


• L'étude de l'interculturalité ne s'intéresse pas à la structure organisationnelle sur
un plan formel, elle se penche sur l'organisation en tant que lieu d'interdctions. Ce
qu'elle révèle, c'est que les situations interculturelles entre Blancs-noirs sont d'une
diversité et d'une complexité telles qu'il serait ha<;ardeux de prétendre pouvoir un jour
les rëduire à un modèle unique et valable pour toute l'Afrique. De plus, la communi-
cation entre membres étant un élément central de l'organisation, il e:.1 douteux que les
autres aspects qui intëressent les spécialistes dans ce domaine puis.o;ent être généralisés.

Les données recueillies dans une organisation internationale ouest-africaine


rëvèlent de nombreux aspects de la communication entre Blancs-noirs. On trouve ici
des signes non verbaux; par exemple, le fait qu'une personne réserve un espace de
stationnement ombragé près de l'entrëe principale du siège de l'organisation, e:.llace
plus avantageux que ceux dont disposent ses supërieurs hiérarchiques, signale la lùérar-
chie informelle qui se superpose à la hiérarchie formelle. Les questions qui se posent

• par rappon à cette hiérarchie informelle sont : quel est l'âge de la personne en ques-
tion'? Mais sunoUl, qui l'a nommëe à son poste'? Ce poste est-il statutaire'! Qui sont
ses protecteurs, localement et dans son pays'? Chaque membre de l'organisation possède
des réponses à ces questions par rappon aux autres membres. 11 existe donc des
facteurs relationnels provenant en apparence, mais en apparence seulement, comme je
l'expliquerai plus loin, d'un cadre national, c'est-à-dire du pays d'origine. Ces fueteurs
interViennent dànS la constitution de la position d'une personne en situant cette dernière
dans la biërarchie organisationnelle non seulement formelle, mais aussi informelle'".

Des actes significatifs se manifestent également sur le plan ethnique. Un épisode


scabreux révélait qu'un responsable de l'organisation, membre d'une ethnie saharienne
qui considère les Noirs subsahariens comme des esclaves, pouvait notoirement agir avec
ces derniers et avec leur famille selon certains droits coutumiers aujourd'hui proscrits,
sans qu'il soit formellement sanctionné, Par ailleurs, les plaisanteries (ritualisées dans
le cadre de la parenté à plaisanteritfl') corroborent ce constat: qu'un subalterne dise

• de son supërieur - en présence d'un étranger - qu'il est son esclave (ce qui ne doit
cependant pas être compris dans un sens littéral), cela n'est certainement pas fortuit.

83
La persistance des statul~ socio-ethniques e~1 aussi évidente, tant à trdvers
cel1ains rituels qu'à travers cel1aine.~ pratiques. Elle se manifeste dans Ie.~ marques de
déférence utilisées entre membres d'une même ethnie, dans l'expression des titres
coutumiers (prince, chef, etc.), parfois même entre membres d'ethnies différentes. et
dans le rôle particulier que peuvent jouer, par exemple, les membres de familles de
griots dans le cad;-e de l'organisation. Le griOt, comme je le préciserai dans le prochain
chapitre, est celui qui peut s'exprimer sans retenue à l'égard du chef et sans risquer de
réaction de la part de ce demie... On constate cependant ici une possible transformation
des rôles socio-ethniques : une personne qui n'appartient pas au groupe des griots peut
agir et être reconnue comme un griot. Sur le plan religieux, l'Islam introduit aussi des
statuts et des rôles signalés, entre autres, par les vêtements et les discours de celui qui a
fait son pèlerinage à La Mecque (le Juulji ou Juulja pour la femme) qui constitue une
marque d'influence et suscite le respect, même de la part des non-musulmans.

En plus de l'importance du genre, déjà signalée, des microcultures ou des


cultures professionnelles se manifestent également dans les interactions entre membres
de l'organisation, Une première distinction doit être faite entre ceux qui sont de
formation africaine et ceux qui sont surnommés «les intellectuels». Les premiers,
généralement plus âgés, ont été formés dans des institutions mises en place par les
colonialistes à l'intention des Africains qui avaient été recrutés pour devenir auxiliaires :
les écoles primlüies supérieures, les écoles des travaux publics et des cadres ruraux,
l'école normale William Ponty de Dakar, ete." Les seconds ont été formés dans les
institutions occidentales ou dans les institutions universitaires africaines de modèle occi-
dental. Les distinctions entre ces groupes correspondent en partie à des groupes d'âge,
mais aussi à des expériences différentes au niveau de la formation et des séjours à
l'étranger. La différenciation qui s'opère entre les deux groupes révèle des positions
qui se sont constituées de manières différentes. Une seconde distinction touche les
cultures professionnelles que l'on peut observer dans une organisation africaine (comme
en Occident), J'ai pu constater ce facteur, notamment lors d'une discussion entre deux
cadres, un douanier et un gestionnaire, qui concevaient chacun un problème technique
• de perception douanière dans des termes incomprellensibles ou inacceptables pour
I"autre partie. En observant ce dialogue, j'avais l'impression que ces deux hommes.
qui étaient très proches, jouaient à ne pas comprendre le discours de I"autre. L'un
d'eux m'a confié plus tard : «la discussion, c'est I"aspect channant de rintormation-.

L'observation des processus d'échanges interculturels dans un cadre organisa-


tionnel révèle d'abord les liens qui existe 'it entre rinterculturaIité et la hiérarchie, infor-
melIe plus encore que formelle, La distance entre la hiérarchie informelle et la hiérar-
chie formelle (celle qui est inscrite dans l'organigramme et dans les composantes de
l'organisation Jéfinies comme formelles) a de multiples incid,:nces : absence de prise de
décision par les responsables officiels ou habitude de «faire du papier pour se dégager
de ses responsabilités». Un de mes interlocuteurs me confiait à propos de la politique :
«je n'ai même pas confiance en moi.. et un autre ajoutait:
les règles de la gestion, je les connais aussi bien que vous, Français,

• Américain ou autre, mais l'ennui c'est que je prends en compte les senti-
ments plus que la gestion ou la rationalité,
Les «sentiments» en question se situent clairement dans le cadre des réseaux de relations
qui existent à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation. Ces réseaux, ainsi que l'in-
tercuIturalité et la hiérarchie qui s'y manifestent, sont donc avant tout liés à différents
cadres culturels : nation, ethnie, statuts socio-ethniques et religieux, genre, groupe
d'âge et microcuItures, Ces différents cadres culturels se manifestent aussi, sous
d'autres formes, dans les réseaux extérieurs à l'organisation,

Nous sommes un échec


Sur quelle base les réseaux fréquentés par les membres à l'extérieur de l'organi-
sation sont-ils constitués? Les réseaux familiaux, ethniques et socio-ethniques sont plus
ou moins importants selon la proximité ou l'éloignement, la mobilité ou la non-mobilité
des membres du groupe (commerçants, nomades ou sédentaires). Cette mobilité n'est
pas exclusivement liée aux activités coutumières puisque, depuis les débuts du colonia-


lisme, certains groupes se sont disséminés dans la sous-région pour pratiquer des activi-
tés spécialisées. Ainsi, les «banas banas» sénégalais vendent de l'artisanat et des bijoux;
• les Guinéens qui ont fuit la dictature travaillent dans les transports et l'éducation; les
Touareg. déplacés après les sécheresses. les cont1its et la répression. se ~-pécialisent

l'artisanat destiné aux touristes ainsi que dans la surveillance des maisons de Blancs.
85

dans

Les réseaux externes à l'organisation se situent donc d'abord sur un pian


familial, ethnique et socio-ethnique. Les regroupements peuvent traverser les frontiè-
res : par exemple, les Sénégalais du nord-est, les Maliens de l'ouest et les Mauritaniens
du sud peuvent constituer une communauté, tout comme les citoyens des pays du golfe
de Guinée. Il existe aussi des associations nationales qui regroupent les Sénégalais, les
Maliens ou les Ivoiriens travaillant pour des organisations internationales à Ouagadou-
gou. Ces associations comptent aussi des non-fonctionnaires originaires de ces mêmes
pays. On trouve également des groupes d'âge, des réseaux confessionnels (par exemple,
chez ceux qui ont étudié dans une institution catholique), d'autres qui rassemblent des
personnes de même formation et. plus rarement. de la même division de l'organisation.

• Il est donc clair que les principaux réseaux sont extérieurs à l'organisation.

Pour ceux qui résident à l'étranger, ces réseaux permettent d'échanger des
informations sur la situation au pays (on y remarque une importante circulation de
journaux, souvent transponés par des voyageurs). C'est là que sont intégrés les
compatriotes de passage. C'est là aussi que se négocient les problèmes qui, dans
d'autres circonstances, sont du resson de la famille; c'est le cas, entre autres, pour les
conflits conjugaux qui font interVenir des médiateurs, des aînés du même pays ou d'un
pays voisin. Lors d'une crise collective, diverses formes d'entraide se manifestent dans
ces réseaux : partage des ressources pour le logement et la nourriture, conseil et négo-
ciation collective avec les fournisseurs de services en cas de problèmes financiers, ete.

Mais la situation duale des Blancs-noirs, la distance qu'ils ressentent par rappon
à leur communauté d'origine ainsi que les difficultés vécues dans le cadre administratif
où ces origines doivent être officiellement niées, créent un inconfon. Beaucoup d'entre

• eux, lorsqu'ils prennent de l'âge, admettent qu'ils n'ont pas réa1isé leurs aspirations :
«\10US sommes un échec>. Les contradictions deviennent parfois pesantes entre, d'une
• pan, les modèles occidentaux (nationaux et organisationnels) qui ont ëtë imposës et
d'abord acceptés par eux et, d'autre pan, la vie familiale: et communautaire".
86

Les stéréotypes exprimés durant les entrevues signalent ':galemem les d':marca-
tions qui existent entre les diftërents groupes culturels, Les membres de l'organisation
étant avant tout nommés par leur pays respectif. les stéréotypes recouvrent les divisions
nationales: «les Béninois sont des sorcie!'S'", -les Burkinabés sont arriérés-, -manipula-
teurs- et «paresseux-, «les Ivoiriens sont des snobs-, -les Malien.~ sont jaloux-, les Nigë-
riens -peu hospitaliC!'S'", les Sénégalais «malhonnêtes- et «bavards- et les Mauritanien.~

«réservés-, Certains stéréotypes indiquent la perception de spécificités sous-régionales :


les Saheliens sont «fiC!'S'" et «paresseux- et -les Bantous-, les habitants d'Afrique
centrale, «violents- et «peu raffinés-.

Mais la majorité des stéréotypes exprimés touchent les ethnies - par exemple,


«les Gourounsi sont des voleurs- - et plus particulièrement celles qui sont puissantes
dans la sous-région: les Haoussa (<<des fanatiques-), les Mossé «<impérialistes-,
«Calculateurs- et «voleurs-), Les Peul et les Toucouleur (<<comploteu!'S'", «peureux- et
«saIes-), les Touareg (<<racistes-) et les Woolof (<<pas sérieux- et csuperficiels-). Un
autre groupe parfois visé par les expressions stéréotypées et par les plaisanteries est
celui des femmes engagées.

Dans 12. suite de ce chapitre, je tenterai de préciser comment l'appanenance à un


groupe culturellement dominé ou dominant, dans lequel les stratégies communication-
nelles sont individuelles ou collectives, peut avoir des conséquences sur le plan de
l'intercuIturalité - ce qui permettra de préciser certaines composantes de la position.

INTERCULTURALITÉ, DOMINATION ET DÉPENDANCE


Partout en Afrique de l'Ouest l'ethnie demeure une composante majeure des
sociétés, des cultures et sous-cuItures, de la communication et de l'intercuIturalité. cOn


ne peut pas pendant longtemps se passer de l'ethnie en Afrique>, affirme un Blanc-noir.
Tout comme les membres des organisations, les chefs d'État se situent largement, mais
• cn général discrètement vis-à-vis des Occidentaux, dans un cadre ethnique : -tous les
chefs d'État qui ont survécu en Afrique sont soutenus par l'aristocratie traditionnelle».
Plus généralement, -tout pouvoir qui veut s'enraciner doit utiliser une politique partici-
87

pative de la chefferie»". Chez les ethnies qui sont restées puissantes :


La chefferie traditionnelle 1•. ,) a résisté à toutes les influences, elle a
résisté à la colonisation, elle résiste aujourd'hui sous le néo-colonialisme
et elle n'est pas prête de disparaître.
Dans le cadre de la chefferie, ce sont les ainés du village qui décident, D'après
Maharnoudou Ouédraogo, un communicologue africain: «ce n'est pas en ville que sont
les leaders d'opinion en Afrique, c'est dans les villagCS>', Par ailleurs, certains États
sahéliens (Sénégal, Niger) doivent aussi composer avec les confréries musulmanes qui
deviennent de plus en plus influentes sur le plan politique,

Au niveau micro des interactions par lesquelles se manifeste l'interculturalité, les


singularités culturelles sont également une composante majeure, Les statuts socio-ethni-
ques, le genre, la situation hiérarchique formelle et informelle ainsi que les cultures
''>Ib'aIlÏsationnelle<: ~%t tous traversés par des coutumes et par une histoire qui appartien-
neni !l une I)U à plusieurs des ethnies parmi les centaines que compte la sous-région, .
POlT les caractériser, il convient de tenir compte de deux facteurs : d'une part, une
spéciaiisation des ethnies (commerce, élevage, agriculture intensive ou extensive, artisa-
nat. métallurgie, ete,), en d'autres termes l'existence de champs de connaissances
endogènes qui se sont souvent transformés à l'époque coloniale, et. d'autre part, des
processus de domination culturelle et technologique d'une majorité d'ethnies localisées
par quelques ethnies plus importantes sur les plans démographique et territorial, Les
situations interculturelles, comme les habiletés et les stratégies communicationnelles des
Blancs-noirs, sont donc d'une extrême diversité dans le contexte étudié,

Comme je le développerai dans le prochain chapitre, chez les ethnies dominan-


tes, les stratégies communicationnelles des Blancs-noirs sont souvent élaborées conjoin-


tement avec la chefferie et les aînés, Quant aux groupes culturels dominés, on trouve
d'abord parmi eux de petites ethnies qui se situent en marge d'une ethnie dominante,
• D'autres ethnies qui étaient dominantes se sont trouvées marginalis...'e.~ depuis le debut
du colonialisme. Les ethnies acéphales ont vu leur situation se moditier considé-
rablement depuis les debuts du colonialisme, ce qui est aussi le cas pour les femmes,
88

groupe qui subit d'autres formes de domination. Quant à la Mauritanie, on y trouve


des situations de domination culturelle très singulières dans le contexte oUClo1-africain.
Quelles sont les incidences de ces cas particuliers en ce qui concerne l'interculturalite"!

Les paysans veulent que je leur explique les choses


Les groupes se situant en périphérie des ethnies dominantes ont souvent mainte-
nu une stratégie qui consiste à s'inspirer des méthodes de ceux qui les dominent, san.~

pour autant menacer ces derniers. On retrouve beaucoup de membres de ces groupes
parmi les Blancs-noirs, et cela jusqu'au plus haut niveau des organisations. Il est
possible que leur présence soit parlois le fruit de compromis ou de concessions de la
pan des membres des ethnies dominantes. D'après mes observations, ces personnes ont

• développé une stratégie de négociation par la recherche du consensus. C'est d'ailleurs


ce que semble indiquer une gestionnaire :
Je pense qu'il faut être ouverte et savoir créer la confiance, ne pas faire
sentir qu'on domine, qu'on commande. Ma méthode est plutôt participa-
tive : amener tout le monde à travailler ensemble, demander les avis des
uns et des autres, ça les met en confiance et ça favorise les échanges.
Les liens étroits que ces personnes conservent avec leur communauté suggèrent que
leurs stratégies coinmunicationnelles sont essentiellement des stratégies collectives.
Toutefois, la plus grande discrétion subsiste sur ce point.

Parmi les groupes dominés sur le plan socioculturel se trouvent également des
membres de certaines ethnies, autrefois puissantes, qui ont résisté à l'invasion coloniale
et à la scolarisation. Les rapports de domination se sont inversés : «l'esclave (envoyé à
l'école à la place du fils de chef] est devenu chef (...). Il lui faut absolument éliminer
ses anciens maîtres». La situation actuelle des membres de ces chefferies déchues est
parlois difficile : «on en voulait à ma famille parce que c'était la famille régnante
traditionnellE>, me confiait quelqu'un qui a vécu l'exil pendant plusieurs années. C'est,
• dans un cas extrême, I"histoire de Kone Ibrahima, dans le roman d'Ahmadou Kourouma
Les soleils des indépendances (1968), membre d'une famille de chefs malinke: -spolié de
sa chefferie». Or. y constate I"humiliation et une profonde nostalgie:
89

Mânes des aïeux! Mânes de Moriba, fondateur de la dynastie! Il était


temps, vraiment temps de s'apilUyer sur le son du dernier et légitime
Doumbouya! (, .. 1 Bâtard de bâtardise! lui!, lui Fama, descendant des
Doumbouya! bafoué, provoqué, injurié par qui'! Un fils d'esclave.
Il tourna !a tête. (p. 15)

La marginalisation de ces chefferies s'est accrue après les indépendances,


moment où les ethnies dominantes dont les enfants avaient été scolarisés ont pris la tête
des nouveaux États, La résistance au colonialisme s'est transformée en tensions avec
les gouvernements (ce qui est le cas, entre autres, de plusieurs ethnies du groupe
mandingue au Burkina Faso et en Guinée) et, parfois, en conflits armés sécessionnistes
(Diola de casamance, Touareg du Mali et du Niger). Il semble donc que les stratégies

• communicationnelles qui fondent les actions des groupes dominants ne soient guère
efficaces lorsqu'il n'y a plus domination effective, Par llIlleurs, peu de membres de ces
ethnies marginalisées accèdent à des postes dans les organisations ouest-africaines",

On constate également une marginalisation des petites ethnies acéphales, nom-


breuses dans les pays du golfe de Guinée, qui opposaient très peu de résistance au
colonialisme: «elles ont une trop grande capacité d'adaptation qui les perd.., «Ma
culture», disait un membre d'un de ces petits groupes qui s'est consacré à la culture du
coton depuis 1"époque coloniale, «est devenue une culture touristique», Les stratégies
sont devenues plus individuelles, et une grande nostalgie se manifeste :
1",) chez nous on n'a pas de respect spécifique pour le chef, on prend le
chef comme un serviteur, l,..) Alors maintenant que l'argent s'est
introduit dans la société, celui qui a l'argent détient le pouvoir, Il peut==:::':
faire tout ce qu'il veut et les valeurs disparaissent. 1.,,1 Aujourd'hui tout
le monde sait que la solidarité est brisée", mais on va se réorganiser,
Comme je l'indiquais plus tôt, le poids de la solidarité pour les Blancs-noirs originaires


de ce dernier groupe motive l'é1aboration de nouveaux modèles d'organisation, de
nouvelles stratégies qui redeviennent collectives. Sur le plan communicationnel, ces
• ves et pour transférer une part de leurs connaissances :
1...1quand j'arrive au village. je suis envahi de toutes parts.
Les gens ne
90
Blancs-noirs ont acquis une crédihilité qu'ils utilisent pour susciter des actions collecti-

viennent plus à moi pour me demander quelque chose. ils viennent pour
communiquer. ils disent qu'il ont envie d·apprendre. Les paysans
veulent que je leur explique les choses. Généralement. on parle de la vie
qu'on mène. de I"adaptation. des prohlèmes de changement, on en parle
dans notre langue. (... 1Je leur donne des conseils pour mieux gérer
parce que les problèmes se situent souvent dans la gestion.

L'observation des processus de communication chez les memhres des trois types

d'ethnies dominées révèlent deux choses. D'une part, les stratégies communicationnel-
les de celles qui sont dominées depuis longtemps s"inspirent parfois de celles des
dominants et s'adaptent aux situations nouvelles crées par le colonialisme et par les
indépendances. Par contre, les ethnies dominantes déchues semblent posséder une
moindre capacité d'adaptation et leurs membres manifestent moins d'habiletés à

• négocier dans un cadre intereU1tureI. D'autre part, on remarque chez les membres des
groupes dominés des ten~ces mimétiques et nostalgiques plus manifestes que chez les
membres des groupes dominateurs. Alors que 1"on note, dans certains cas, un reca-
drage de la solidarité par la création de nouvelles formes d'organisation rurale qui
visent à donner accès aux ressources disponibles pour le développement, une question se
pose : comment la tension entre mimétisme et nostalgie (et I"interculturalité qu'elle
sous-tend) est-ellé liée aux processus de détournement que ron constate dans le cadre
des programmes de développement? J'y reviendrai plus loin.

Je ne suis pas une erreur de la nature


Quant à la situation dc:s femmes africaines, elle a parfois soulevé des controver-
ses opposant féministes occidentales et féministes africaines. Un élément central du
débat semble être le caractère universel du patriarcat postulé (car il ne peut plus être
empiriquement démontré étant donné I"interdépendance des sociétés) par beaucoup de
féministes occidentales (Rich, 1976; D'Eaubonne, 1976). Cette conception a motivé

• des interVentions visant les femmes africaines, interVentions qui ont provoqué une
• réaction non seulement de la part des hommes. mais aussi de la part des femmes
engagées en Afrique - dont très peu acceptent. encore aujourd·hui. le qualiticatif de
.tëministe-"'. -.Je reproche aux tëministes de nous avoir tàit perdre certains avanta-
91

ges-. disait une de mes interlocutrices. pourtant engagée. rai également constaté
qu'une seconde divergence sépare les féministes occidentales des tëministes africaines.
Pour beaucoup d·Occidentales. l'émancipation doit se faire sur la base de l'égalité entre
les femmes et les hommes. alors que pour les Africaines, elle doit ëtre fondée sur les
différences entre les genres et doit se réaliser sans que cela nuise aux avantages dont
jouissent les femmes africaines. En effet. dans certaines ethnies. des sphères d'activité
qui ne sont pas dévalorisées - dans le commerce, la santé ou l'éducation - demeurent
réservées aux femmes. De plus, le système éducatif donne souvent à chaque homme
une mère éducatrice, la ctante>, qui jouit généralement d'une grande autorité (Bonr.f'!.
1988, p. 52)"'. Dans ces domaines, la dépendance des hommes par rapport aux
femmes semble bien constituer un avantage spécifique pour les Africaines. De part et

• d'autre, les situations et les enjeux sont donc différents :


Je ne crois pas que les Européennes soient en avance par rapport à nous.
(•••1Chez nous il y a une organisation sociale qui fait que les femmes
sont d'un côté et les hommes de l'autre. Mais un atout, c'est le respect
qu'on a pour la femme, la considération qu'on a pour la mère. Le
problème est que tout cela demeure caché. TI faut que l'on cesse de nous
dire cvous avez votre place, mais eUe est au fond de la case-.

Cependant, de l'avis de beaucoup d'observatrices africaines, la situation des


femmes rurales s'est considérablement dégradée depuis l'invasion coloniale, surtout
dans les régions sahéliennes. Monique Ilboudo (19943; 1994b) souligne à ce propos
que les paysannes sont de plus en plus surchargées de travail et que très peu d'entre
elles sont scolarisées; eUes n'ont aucune possibilité de contrôle sur la maternité,
subissent l'excision et, avec l'augmentation du montant de la dot, «eUes I~ sont plus des
humains, elles deviennent des marchandises>-. Confrontées à ces situations, plusieurs
femmes instruites que j'ai rencontrées m'ont confié qu'elles entretiennent des réseaux de

• concertation, plus informels que formels, à l'intérieur desquels des stratégies et des
actions sont définies. Ces réseaux soutiennent les interventions des plus engagées
contre les réactions parfois virulentes et la margina1isation. Une féministe disait :
• L'expérience des autres femmes ne fait que confoner la conviction que
j'ai acquis, qu'au fond, je ne suis pa~ une erreur de la nature. D'autres
que moi ressentent aussi les même injustices.
Les problèmes étant publiquement de1Jattus, la concenation informelle permet d'élaborer
des stratégies d'action visant un changement. On le constate, par exemple, avec les
femmes juristes du Burkina Faso auxquelles on avait contié la révision uu Code des
personnes et de la famille durant la «révolution.". Dans un pays où il y a beaucoup
plus de mariages polygames que monogames. ces femmes ont introduit dans les textes
que la monogamie devait être la norme et la polygamie une exception qui exige des
démarches particulières - le premier statut étant définitif et non le second. La ba~ de
leur argumentation était r égalité des femmes et des hommes inscrite dans la nouvelle
constitution. Dans ce cas précis. un petit groupe de temmes a donc utilisé une période
d'exception pour modifier de façon irréversible un texte fondamental.

Les stratégies collectives des femmes instruites se situent généralement dans un

• cadre informel, car lorsqu'une organisation officielle est créée «les hommes s'en mêlent
et ils politisent tout-, J'ai pu constater que ces stratégies visent également la promotion
des jeunes femmes instruites, Par contre, dans la sphère du privé et de la fdmille, les
stratégies sont généralement restées individuelles, Pour les femmes. comme pour les
hommes, la famille est un lieu où nombre de règles sont déjà établies, pour une large
part, dans un cadre coutumier, Il n'y a guère d'autre choix: «nous devons te.'1ir
compte de l'environnement et ce que nous faisons ne doit pas, finalement, nous empê-
cher de vivre dans cette société qui est la nôtre-.

Il apparaît clairement que, dans la catégorie des Blancs-noirs, les femmes


possèdent par rapport aux hommes un avantage communicationnel dans les sphères
publique et professionnelle. Leur connaissance du monde des hommes, leur reconnais-
sance des autr..s femmes en tant qu'alliées et les stratégies collectives implici!CS ou
explicites qu'elles élaborent révèlent un second niveau d'intereulturalité :le premier


permet une médiation entre leur société d'origine et le contexte administratif officielle-

ment «moderne>, le second, une médiation entre les mondes féminins et masculins.
• 93
Bit:n qu'ils St: manitestt:nt souvt:nt par des actions de nature féministe, les processus dt:
résistance à la domination masculint: ne correspondent pas uniquement aux transforma-
tions récentes. J'ai pu observer qu'en cas de crise l'ensemble des femmes d'une
organisation pouvaient légitimement tenir une réunion dont les hommes étaient exclus,
puis signifier aux responsables leurs doléances - qui ne sont d'ailleurs pas toujours
spécifiques aux femmes. Dans son roman Aké, les années d'enfance (1981), Wole
Soyinka décrit ainsi une révolte de femmes contre \'impôt - ce qui révèle que les
femmes africaines ont depuis longtemps des possibilités d'action qui leur sont propres :
Les femmes s'installèrent en vue d'un long siège. Des escouades d'as-
saut parcouraient la ville pour mobiliser le monde féminin. Les femmes
des marchés et des boutiques reçurent l'ordre de fermer. (p. 298)

Chez les femmes africaines instruites, l'intercultura1ité se manifèste donc


différemment que chez les hommes instruits, bien que l'on y retrouve aussi des
ressemblances, Sur le plan des différences - et de la position spécifique aux femmes

• - , on trouve des composantes du genre qui se situent dans le cadre officiellement


«moderne> de la vie civile et d'autres qui correspondent à un cadre coutumier dans
Iel,uel on trouve des situations très diverses selon les ethnie? et la religion. Les
familles musulmanes et animistes sont en effet souvent polygames, contrdÏrement aux
familles chrétiennes. Par ailleurs, certains musulmans coœ'dèrent toujours que «Dieu a
dit que l'homme est au-dessus de la femme>.

La seule vérité émane du consensus


En ce qui concerne l'étude de l'intereultura1ité, la Mauritanie constitue un autre
cas particulier, Les membres du groupe dominateur maure sont d'origine arabe ou
berbère et sont en général blancs. Bien que minoritaires et longtemps réfractaires au
colonialisme et à la scolarisation, ils ont conservé le pouvoir. Dans le passé, on
trouvait dans le désert mauritanien, outre les Maures nomades, les Haratines qui étaient
leurs esclaves originaires du sud du Sahara et, au sud du pays, les «Négro-africains»
semi-nomades ou sédentaire? Les tensions entre les Maures et les Noirs du sud se
• sont encore manifestées en 1989. lors du violent contlit .sénégalo-mauritanien. -
plutôt qualifié. par les ohservateurs locaux. de .prohlème mauritano-mauritanien."'.

Dans le cadre de la recherche que j'ai réalisée. les Mauritaniens du sud qui
avaient été renvoyés de l'organisation pouvaient s'exprimer lihrement. mais \:Cux qui y
étaient restés signalaient la domination qu"ils suhissaient :
Le conflit... c'est un domaÎ.'1e politique et je ne suis vr.lÏment pas qualitié
pour en parler. C'est douloureux. c'est douloureux. 1.•• 1 Si je faisais de
la politique, je ne serais pas là pour en parler.
Il semhlerait que plusieurs aspects de cette domination soient liés à de.~ changemenl~
récents. l'ancienne puissance coloniale ayant favorisé une mainmise sur l'État par les
Blancs maures, pourtant minoritaires et relativement peu instruits. À cet égard. la
politique très ambiguë du gouvernement français est à signaler" .

Les Haratines. les esclaves des Maures, désormais considérés comme affran-

• chis", ont souvent été instruits à la place des fils de chefs maures. Les études suJll.'-
rieures ont été pour eux l'occasion de se forger une identité au contact des memhres
d'ethnies subsahariennes. Un Haratine confie:
Je me suis épanoui, j'ai fait la découverte extraordinaire que les Africain.~
étaient vraiment différents des Mauritaniens Iles Maures 1. 1...1je me
suis dit qu'il y a quelque chose qui unit l'Afrique Isubsahariennel,
quelque chose de plus fort que tout et je me suis senti plus proche des
Africains que des Maures.
L'instruction n'a cependant pas permis aux Haratines de s'émanciper de la domination
des Maures, car ces derniers contrôlent l'année qui, malgré la démocratisation appa-
rente des dernières années, conserve la haute main sur l'État. Des mouvements visant
l'émancipation des Haratines - El Hor, par exemple - sont certes nés récemment,
mais ils semblent souffrir de dissensions (ou d'une division largement entretenue par les
Maures). De cette situation découle une perspective paradoxalement duale; une
perspective qui est en partie universa1iste, puisque c'est dans ce cadre que l'émancipa-
tion des esclaves est apparue et qu'elle est devenue réalisable". et également relati-

• viste, car elle :st également fondée sur l'expérience de la dépendance :


• Je crois que pour êlre raisonnable, il ne faut jamais dire que je détiens la
vérité. La seule vérité est celle qui émane de la société dans son ensem-
ble, c'est-à-dire que la seule vérité émane du consensus.

Les Maures, dans l'ensemble peu inslrUits et donc minoritaires dans l'adminis-
!ration, ont utilisé divers moyens pour éliminer les Haratines et les Négro-africains qui
ne leur étaient pas soumis: l'emprisonnement sous prétexte d'«espionnage»", le
bannissement ou encore l'éloignement par l'envoi dans des organisations intemationaJes.
Sans pouvoir affirmer que cela fut généraJ, j'ai constaté que le récent conflit avait
parfois été le prétexte à une reprise en main, par les Maures, de leurs compaoiotes
noirs qui !ravaillaient dans les organisations intemationaJes. Plusieurs Négro-africains
ont été congédiés et ne sont pas rentrés dans leur pays. Quant aux Haratines, certains
ont été soumis à d'incroyables oU!rages,

Les Maures semblent ainsi manifester non seulement leur pouvoir séculaire, mais

• également leur conviction de la supériorité ethnique des Arabes, L'un d'eux préci-
sait d'ailleurs: -ge me sens plus proche des Arabes que des Noirs>o, Cette distance était
également signalée par certains de mes interlocuteurs, des Noirs de plusieurs pays qui
ont étudié en Algérie. Paradoxalement, les jeunes Maures qui, une fois sortis de
l'univers de la transhumance (ils ont d'abord fréquenté «l'école nomade» qui suivait les
troupeaux), se retrouvaient enfermés, découvraient de nouveaux espaces :
C'était une manière de découvrir le monde. Bien sûr, je me suis re-
trouvé entre quatre murs et puis il Yavait cette manière unidimension-
nelle de voir le monde, mais en fait c'était quand même des perspectives
d'ouverture et un cadre plus large.
Et cette redéfinition de l'espace, qui correspond aussi à une redéfinition des modalités
du pouvoir, se manifeste par le biais de la communication avec la communauté: -ge
suis bien sûr la voix autorisée par laquelle s'expriment beaucoup de gens»,

Les Maures étaient des guerriers, des éleveurs et des commerçants vivant dans
un environnement hostile. On remarque d'ailleurs que la plupart de ceux qui vivaient

• au Mali avant l'invasion coloniale, se sont déplacés en Mauritanie (Gaudio 1988,


• p. 177). Dans cene société. le maintien du pouvoir était depuis longtemps lié à la
mobilité et à la capacité de négocier avec les groupes dominants de la périphérie".
AujoU!d'hui encore. leurs stratégies semblent être fondées ~lIr l'utilisation d'une
situation frontalière (Blancs/Noirs. Arabes/Berbères et nomades/«propriétaires- des
sédentaires). On le constate. par exemple. dans ce qui a trait à la ~1ratégie d'appar-
t=ce à des regroupements régionaux :
C'est l'un des avantages de la Mauritanie d'avoir la possibilité d'apparte-
nir à certains ensembles, d'en tirer des bénéfices. Autant nous devons
tout faire pour appartenir au Maghreb, autant nous devons avoir des
relations avec l'Afrique de l'Ouest (... 1 et avec la francophonie.
Pourtant, la Mauritanie a arabisé une grande partie de son système d'éducation et paye
rarement ses cotisations aux organisations internationales (dans la zone CFA, certaines
personnes disent que cela est dû au fait que sa devise n'est pas convertible).

Sur le plan individuel, ou plus précisément sur le plan communautaire puisque

• l'individu se définit toujours par rapport à la communauté, la stratégie utilisée dans le


cas des groupes dominants, comme les Blancs, est une stratégie non d'identification
mais de séduction. Les Maures savent que les Blancs adhèrent à certaines de leurs
valeurs (générosité, fierté, hospitalité), C'est vraisemblablement en tirant profit de
cene situation que certains Maures ont développé des appuis en haut lieu dans l'admi-
nistration française, .T'ai d'ailleurs pu observer la même stratégie chez d'autres
Sahariens parmi 'lesquels les membres des castes supérieures sont des Blancs d'origine
arabo-berbère -les Touareg - qui, contrairement aux Maures, n'ont pas pu maintenir
une hégémonie sùr un territoire. Alors qu'ils contrôlaient les pistes sahariennes et
opposaient une farouche résistance, l'administration coloniale a démembré leur territoire
qui est désormais divisé entre cinq pays (Algérie, Libye, Mali, Mauritanie et Niger)",

Si l'on considèreles autres composantes de la société mauritanienne, les Négra-


africains du Sud et les Haratines, leurs perspectives sont évidemment très différentes.
Tous ces groupes ont en commun une nationalité et la religion musulmane. On constate

• cependant que l'islam arabe (des Maures et des Baratines) est différent de celui des

97
Négro-africains qui coexiste avec l'animisme, comme je le développerai dans le
prochain chapitre. Les Négro-africains de diverses ethnies sont en général très proches
de leurs «parents» sénégalais de la rive gauche du fleuve Sénégal. Forts de l'appui de
ces dernier et disposant d'une possibilité de repli à l'extérieur de la Mauritanie. ils
adoptent parfois une attitude de relative confrontation fondée sur lïllégitimité de la
suprématie Maure dans le cadre ::ontemporain officiellement ..démocratique>.

Les Haratines sont perçus comme distincts par les Négro-africains. Bien qu'ils
soient, en pratique, de la même origine ethnique que ces derniers, les Haratines ont
développé leur propre culture en marge de la culture maure. Le trait marquant de cette
culture est l'expérience de la servitude : ..ils croient toujours qu'on les considère en tant
qu'esclaves, ils ont ce complexe de culpabilité historique>, affinnait un Mauritanien du
sud. Les Haratines ne peuvent pas se situer ailleurs que dans le cadre national et, avec
la mise sur pied d'organisations politiques, ils tentent actuellement de tirer parti de leur

• nombre et de la formation de lenrs élites. Mais en plus de l'oppression dont ils sont
toujours victimes, ils doivent se définir dans un contexte où ils sont les seuls à ne pas
posséder d'identité clairement reconnue, comme le révèle un texte politique:
Lutte pour affirmer la spécificité Haratine : Bien que l'objectif de ce
dernier point ne soit pas d'affirmer que les Haratines constituent une
spécificité différente des Maures, il démontre qu'ils sont des arabes
particuliers ayant connu l'esclavage, de couleur généralement noire à
cause de r origine négro-africaine, mais de civilisation et surtout de
culture arabe.3'1
Ce à quoi un critique maure du mouvement baratine réplique publiquement:
Certains milieux de baratines ont tissé entre eux des rapports de solidarité
dans lesquels a germé une conscience du destin commun [... J. C'est bien
dans ce cadre qu'il faut inscrire l'actuel discours d'Elbor, lequel discours
passe à côté paf rapport à l'essence de la question qui reste fondamen-
talement une question socio-politique et non identitaire.3I
On constate donc qu'à la stratégie qui consiste à tenter de résoudre un problème paf une
tentative d'affirmation d'une identité, s'oppose une stratégie paf laquelle le problème est


replacé dans un cadre national et contemporain. La négation de l'identité ethnique ou
• culturelle s'inscrit ici dans un processus de légitimation du pouvoir, alors même que le
pouvoir est implicitement légitimé sur des fondement~ ethniques.
98

Le cas des é<:hanges entre les membres des diftërentes cultures mauritaniennes
est donc particulier. Il serait également possible d'aborder des cas similaires au nord
du Mali ou du Niger. ou encore dans les agglomérations du golfe de Guinée où les
commerçants maures jouent un important rôle social. Par rapport à l'étude de Iïnter-
cultura1ité. ce cas soulève deux lots de questions. Le premier concerne les échanges
entre le monde arabe et le monde subsaharien. entre Iïslam arabe et africain (c' ~t un
aspect que je développerai dans le chapitre 4. lorsque j'aborderai la question du
racisme). Le second touche la situation singulière des Blancs-noirs mauritaniens et
surtout des Haratines. qui ont connu la servitude et qui. aujourd'hui encore. cne
sauraient vivre sans la protection d'un maître maure> (Gaudio. 1988. p. 14\).


Ce que confirme cette situation, c'est l'importance de la définition ou de la
perception d'une identité ethnique par rapport à l'intereultura1ité. La perte ou la
négation d'une identité peuvent correspondre à des situations de dépendance ou
d'oppression; on constate ainsi les difficultés liées à l'absence d'une identité clairement
reconnue dans le cas des Haratines. Une situation marginale par rapport à un groupe
dominateur ne semble pas être suffisante pour que se manifestent des stratégies commu-
nicationnel1es efficaces; il faut aussi que cette situation se situe dans le cadre d'un
sentiment identitaire qui fonde certaines possibilités de cohésion de la communauté. De
plus, l'expérience, passée et présente, de la servitude suscite des stratégies individuel-
les. Mais ces dernières rencontrent des difficultés pour s'élargir au plan collectif,
difficultés renforcées par les stratégies des autres groupes concurrents dans le contexte.

La nostalgie chez les Haratines se manifeste finalement sous des traits particu-
liers, car comment peut-on rêver de retourner dans un lieu de servitude'! "De là découle
une mobilité, Les mariages interethniques avec des membres d'ethnies subsahariennes
sont fréquents, d'où une nouvelle identité h"brement affirmée alors que les unions étaient
perverties par l'esclavage (le droit de cuissage des maîtres et les mariages qu'ils impo-
• saient). Mais la liberté individueIle n'est pas aisée à vivre dans un contexte où même
les Blancs-noirs sont subordonnés à la communauté.
99

INTERCULTURALlTÉ ET POSITION CHEZ LES BLANCS-NOIRS


Avant de conclure avec des précisions concernant la position chez les Blancs-
noirs et ses incidences sur l'inrerculturaIité, et donc sur les fondements des processus
d'échanges intercultureis dans le contexte étudié, un retour sur la notion de nostalgie est
nécessaire. La nostalgie n'est pas en soi importante par rappon à r objet étudié, mais
eUe l'est indirectement en tant que phénomène révelateur des composantes ethniques de
rinterculturalité chez les Blancs-noirs - qui sont pourtant généralement considérés
comme «occidentaliséS». Ils sont peut-être devenus occidenta1isés dans le sens où ils ont
développé des habiletés communicationneUes dans des cadres imponés d'Occident, mais
les apprentissages qu'ils ont réalisés n'en sont pas moins détenninés par l'origine:
l'ethnie dans son sens large et ses incidences sur d'autres sphères de l'identité.

• Il faut vraiment gagner la campagne


D'après ce que j'ai pu observer, le mode de vie, les projets et les rêve? des
Blancs-noirs témoignent nettement d'une nostalgie qui se développe avec le temps, avec
l'âge et avec la durée de l'éloignement par rappon aux racines. J'ai déjà évoqué les
liens maintenus par les Blancs-noirs avec leur ce:;ununauté d'origine ou d'adoption. La
volonté d'un retour aux sources se manifeste de bien d'autres façons. Nombre d'étran-
gers relativement jeunes vivant à Ouagadougou, surtout des membres d'ethnies margina-
les ou marginalisées, ont acquis un terrain, non loin de la ville, qu'ils cultivent (souvent
une parcelle qui est concédée p:If un chef de terre local) :
J'ai retrouvé des points de similitude, le méli-mélo habituel à l'Africain,
l'habitat africain, la cbèvre qui côtoie le chien et les poules l...}. Je
cause avec eux comme je cause avec mon papa : «Est-ce que la pluie a
été bonne?.. 1...]

Pour ceux-là, qui vivent loin de chez eux. la possibilité d'un contact avec la

• terre est à la fois un réconfon personnel et un moyen de transmettre une valeur


essentielle aux enfants : «l'amour de la tel'I'I>. ,Un homme vivaDt loin de son pays
• disait : «Je leur montre comment le papa, leur grand-père, cultivait.- Plus générale-
ment, il semble indispensable aux Blancs-noirs que leurs enfants conservent des liens
avec la famille, le village ou, à défaut, avec la terre. Cene nécessité détermine parfois
100

la carrière: «il fallait que je revienne pour ramener les enfants à leurs origines-.
Certains Blancs-noirs expatriés engagent des professeurs pour enseigner à leurs entant.~

la langue de leur ethnie d'origine; la plupart tiennent à ce qu'ils puissent aller régulière-
ment au village. «La langue, m'affirmait l'un d'eux, c'est la clé de la culture, la clé de
l'apprentissage.- L'exigence du retour aux origines se trouve également confonëe par
le contexte socioéconomique actuel et. en particulier, par le chômage des jeunes :
Comme j'ai des enfant qui ne travaillent pas, je pourrais les occuper. On
s'ouvre une petite boutique, un peu de culture et d'élevage. Si ça
marche, ça va, on mange [...1."

Certains Blancs-noirs ont des responsabilités coutumières (chef, conseiller, etc.)


qui les amènent à retourner régulièrement au village. Pour les autres, en plus des

• visites programmées, il est nécessaire d'y aller à cenaines occasions, comme les
funérailles. À l'âge de la retraite, rares sont ceux qui n'envisagent pas de s'établir dans
leur village: «il faut vraiment gagner la campagne». Le rêve est parfois poignant:
Je l'envisage fortement, sincèrement, que le jour où je vais me débarras-
ser de cette administration, je vais prendre mes terrains et je vais faire
mes champs, mes cultures. Je vais me retrouver véritablement.
La nosta1gie est.parfois vécue comme une forme de solitude:
J'attends tard le soir, quand tout le monde est couché, je vais dans le
jardin et je regarde les étoiles. Ça me rappelle mon enfance où il n'y
avait pas d'électricité. J'ai l'impression que l'électricité a contribué à
éteindre la solidarité.
Dans certains cas, le sentiment d'une perte culturelle peut mener à des projets ayant un
caractère ethnologique, tel celui d'un juriste qui a rassemblé plusieurs centaines
d'enregistrements de personnes âgées: «je suis un homme paniqué, j'ai peur que ça
disparaissc>. Un de mes interlocuteurs qui avait acquis une caméra vidéo lors de son
pèlerinage à La Mecque m'a demandé de former son fils à son maniement dans le but

• d' enregistrer et de conserver les coutumes de son village,



lOI
Certaines personnes entreprennent des recherches à caractère historique; c'est. par
exemple. le cas de cene femme mossé (ou moaga) qui me confiait:
Je harcèle mes grands-parents de questions parce que fai !"impression
qu'ils ne sont pas d'ici, qu'ils sont venus d'ailleurs il y a très longtemps.
Alors moi f aimerai savoir d'où il sont venus,
Et pourtant on sait quIl y a plus de cinq siècles les Mossé vivaient déjà sur leur terri-
toire actuel. Ces attitudes révèlent donc une volonté sinon de vivre, du moins de
conserver des cultures qui, dans l'esprit des Blancs-noirs, sont menacées,

Les personnes qui sont les plus engagées dans la modernisation au niveau
national ou international (donc dans des échanges internationaux), des hauts responsa-
bles qui ressentent sur le tard un sentiment d'échec, tendent à resituer leurs projets au
niveau local et. finalement. communautaire, «Nous étions des rêveurs, nous croyions
que c'était la <:'::!"nisation qui avait tout handicapé, mais en fait c'est pas ça-, me disait
l'un d'eux qui signifiait aussi son rejet de certains thèmes reliés au développement:

• «avec votre foutue démocratie, on s'embourbe, on passe notre temps à faire du papier-.
Alors qu'est-il possible de faire?
Je veux me présenter comme conseiller dans mon village, c'est là que les
choses se font. (...) être celui qui traduit, je dis traduire, pas interpréter,
celui qui fait que l'outil est adapté à l'environnement (...). Des réu-
nions, des palabres, ça c'était démocratique.

La nosta1gie renforce donc l'importance des facteurs ethniques et socio-ethniques


aussi bien au niveau des stratégies communicationne11es qu'au niveau de l'intercu1tura-
lité chez les Blancs-noirs. Non seulement ces facteurs proviennent des origines, de la
culture acquise durant l'enfance, mais ils sont aussi maintenus, liés à une volonté de
renouer avec la communauté, de mieux la connaître et. parfois, d'en transformer des
aspects tout en conservant l'essentiel. Compte tenu de l'immense diversité des facteurs
ethniques et des multiples sphères dans lesquelles ces derniers interviennent, il serait
inconcevable d'envisager la possibilité de réduire les situations intercuIture11es à des
schémas simples. n faut alors admettre qu'un élément central de l'étude de l'intercultu-

• ralité en Afrique de l'Ouest francophone est la prise en compte de la complexité.


• Je connais le Blanc
Le second niveau qui intervient dans Iïnterculturalité chez les Blancs-noirs est
l'accès qu'ils ont développé à une culture êtrangère et dominante. Cene connaissance
102

est notoire pour un observateur qui a vêcu plusieurs annêes en Afrique de rouest. La
maîtrise de la langue en est évidemment l'aspect le plus manifeste, auquel s'ajoute une
maîtrise des processus de communication des Occidentaux, de même qu'une habileté à
manier les règles du raisonnement et les contenus de la communication avec les Blancs.
En pratique, je constate qu'il m'est gênêralement possible d'êchanger de la même façon
- ou presque - avec un Blanc-noir qu'avec un intellectuel occidental.

Une précision s'impose cependant en ce qui concerne la communication entre


Blancs-noirs et Blancs. L'étranger est presque toujours bien accueilli, mais les êchan-
ges restent souvent formels aussi longtemps que le Blanc ne manifeste pas une certaine
ouverture aux coutumes locales. Pour un journaliste ou pour un chercheur qui vise a

• rassembler des donnêes et à comprendre, il convient donc de démontrer cette ouver-


ture'·. Malgré tout, l'Africain conserve l'avantage d'une large compréhension de
l'Autre, de sa culture, de son mode de raisonnement, de ce qui le motive et même de sa
capacité à comprendre les situations. «Je connais le Blanc>, disait un Blanc-noir, et un
autre ajoutait: «je crois que les Blancs n'ont pas la même vivacité d'esprit que nous».
À l'avantage communicationnel que perçoit et utilise l'Africain s'ajoute également
l'intuition de son'pendant négatif, le handicap du Blanc.

L'acquisition de la langue est d'abord perçue comme une contrainte: cil fallait
au moins que nous parlions français, alors on a nous tous mis à l'êcole, filles comme
garçOJ1S>o. n est indéniable qu'elle rait été dans le cadre de mes êchanges avec mes
interlocuteurs : «Si je ne connaissais que le moore, vous ne seriez même pas venu me
voir>o, remarquait un Burkinabé. Mais la maîtrise à la fois des langues dominantes et
des langues vernaculaires procure aussi un avantage qui est utilisé dans les stratégies
communicationnelles. À un premier niveau, l'OCcidental qui fréquente des groupes

• d'Africains peut noter que c'est sans la moindre gène qu'ils utilisent leur langue pour
• parler de l'étranger qui ne la comprend pas. S'il arrive que ce dernier saisisse de quoi
103

il s'agit et le signifie, cela fait rire, mais n'empêche pas que l'on poursuive. «11 y a des
choses que r on ne peut pas dire en français, que r on ne veut pas dire en français>-. me
confiait un Blanc-noir, par ailleurs chef coutumier".

L'avantage se situe donc sur un plan linguistique. Comme le remarquait


Alimata O. Sidibé, les langues indigènes utilisées par les Blancs-noirs subissent des
tranSformations. Certaines petites ethnies du golfe de Guinée tendent même à perdre
leurs langues, qui ne sont pas uniquement remplacées par la langue officiel1e française,
mais aussi par d'autres langues africaines. De plus, les Blancs-noirs connaissent
généralement plusieurs langues locales. L'accès par la langue à différents mondes
culturels est donc un trait notoire des habiletés communicationnelles qu'ils possèdent.

Au-delà de la langue, c'est un vaste bagage culturel qu'ont acquis les Blancs-


noirs, une large compréhension de ce qui vient de l'Occident. L'un d'eux me disait:
Je n'ai jamais considéré les Blancs comme des personnes qui me sont
étrangères. J'ai été atterré plutôt par leur sens de l'organisation, de la
méthode, de la discipline [...]. C'est une autre vision du monde. J'ai
compris que le Blanc est essentiellement un être matériel; c'est un être
qui vit dans le présent, qui ne se projette pas dans le futur, parce que le
sens de l'histoire que le Blanc a est différent du nôtre. Nous, nous
sommes essentiellement des êtres spirituels, versés dans la contemplation,
alors que les Blancs, à l'image de Bacon, sont des êtres matériels,
concrets,'qùi doivent agir sur la nature. Ils ont étouffé en eux tout ce
qui était «irraisonnable> et cÏDdémontrable>.
Cette suprématie de la rationalité, comme cet homme le remarquait, ne s'est pas
affirmée sans violence : «on a brùlé les sorciers sur les bûchers, anéanti les alchimistes,
les jeteurs de sorts, les voyantS>'. Bien qu'appartenant à un univers culturel différent et
largement incommensurable, les Blancs-noirs n'ont eu d'autre choix que de supporter
cette violence, sans vraiment accepter la supériorité du monde qui l'imposait:
C'est une cité inhumaine, une cité de robots, des gens qui courent
derrière le gain, demère l'intérêt. Nous, nous sommes d'abord des
humains, nous sommes dans les familles. 1...] Mais il faut être myope
pour ne pas comprendre que les valeurs de référence dans le monde
actuel, ce sont les valeurs occidentales.
• Ce que continnent ces observations, c· est que lïnterculturaIité est étroitement
liée à des rapports de pouvoir, à des processus de domination et de dépendance. et que
les contraintes issues du pouvoir sont vécues tant sur le plan physique que sur le plan
104

culturel. Les Blancs-noirs ont le souvenir des violences de lïnvasion coloniale. de


l'obligation de l'école, de la rupture avec la famille, de la solitude et de la difticulté à
retrouver la chaleur de la communauté. Ils ont également ~lIbi la violence de valeurs
qui s'imposent comme une mutilation de leur Être profond. Et ce schéma se reproduit
dans des tennes différents selon les divers groupes d'Africains, d'ethnies, d'âge, de
genre, de sous-eultures et de pays particuliers. La violence n'affecte pas la totalité de
l'Être, ou du moins plus rarement aujourd'hui que dans le passé, et elle suscite des
stratégies de résistance qui se manifestent par la communication interculturelle.

C'est le désordre qui gouverne le monde


Le vide culturel n'existe pas dans les sociétés humaines. Les Blancs-noirs ne

• sont pas des acculturés dans le sens où leurs bagages culturels ne sont pas moindres.
bien au contraire, que ceux de leurs parents qui ont été moins exposés aux cultures
étrangères, Si une distance a été acquise par rappon à la culture d'origine, elle est
largement délimitée par l'évolution de l'eusemble de la communauté, communauté à
l'intérieur de laquelle ces personnes continuent de se situer et vers laquelle. bien
souvent, elles cherchent à retourner tout au long de leur vie après la rupture survenue
durant les études:

Le changement culturel n'est pas nouveau en Afrique de l'Ouest, car la stabilité


culturelle n'existe pas plus là qu'ailleurs, Les sociétés africaines sont des sociétés
historiques qui ont toujours évolué, comme le révèle l'histoire des empires et des
royaumes qui sont nés et qui ont disparu au cours des derniers millénaires (Ki-Zerbo.
1978), Le changement culturel est aussi bien endogène que provoqué par les échanges
entre les différents groupes etlmiques et avec l'extérieur, c'est-à-dire l'Égypte et les
pays méditelTanéens durant l'antiquité, le monde mbe par la suite, les commerçants et

• les colonialistes européens, puis les «développeurS», les médias et l'eusemble de la


• planète. Ces échanges ont augmenté avec le développement des technologies. des
communications. des transports et. finalement, de 1'interculturalité. Ce qui permet les
105

échanges, c'est en effet la possibilité d'interactions, l'utilisation de certaines technolo-


gies. l'usage d'un langage et le partage d'éléments culturels communs.

S'ils sont parfois des intermédiaires entre leur communauté et les interlocuteurs
étrangers, les Blancs-noirs ne peuvent cependant pas être considérés comme des métis;
ce sont des personnes qui ont intégré des éléments de cultures plurielles. II ont
conservé et entretenu l'essentiel de leurs cultureS d'origine - d'où une bonne part des
particularités relevées parmi les Blancs-noirs de différents groupes ethniques. Ils ont
aussi transformé certains aspects de leur culture, au prix de la nostalgie et d'une volonté
de retour aux origines. Ils ont acquis une large connaissance d'une culture étrangère
(française et internationale) et une capacité d'utiliser cette connaissance, Ils ont enfin
intégré une ou plusieurs cultureS nationales, professionnelles et organisationnelles.

• L'ensemble de leurs expériences et de leur formation est lié à la constitution de


positions singulières à partir desque:1es se manifeste rintercuIturalité.

Toutes ces données concernant l'interculturalité chez les Blancs-noirs permettent


de circonscrire leurs diverses perspectives sur le plan intercuIturel et de préciser en quoi
consiste la position, L'intercuIturalité - la compétence intereulturelle - ainsi que les
connaissances et stratégies communicationneIIes qui en découlent sont liées à de nom-
breux éléments constituant l'identité, tels que le genre, l'ethnie, le statut socio-ethnique,
la formation, la situation dans les hiérarchies formelle et informelle et le pays d'origine.
Sur un plan individuel, rintereulturalité résulte de la position qui est elle-même
étroitement liée au pouvoir, possédé ou subi, c'est-à-dire à une situation plus ou moins
longue et prononcée de domination ou de dépendance. Les stratégies de résistance,
enfin, sont aussi un produit de l'intercuIturalité.

La position peut donc être comprise comme étant constituée par le biais d'un

• échange dialectique entre les expériences vécues et les lapports de pouvoir dans un
contexte donné. Elle est aussi étroitement liée à l'identité, individuelle et surtout
• collectivement partagée. Enfin, lïnterculturalité. issue de la position, possède égaIe-
ment un rappon dialectique avec lïdentité.
106

Dialectique de la constitution de la position

CONTEXTE
PLURICULTUP..EJ..

• Alors que la communication se réfère toujours largement à des cadres commu-


nautaires et ethniques, l'intereulturaiité reste le propre d'un individu singulier. Le
Blanc-noir a vécu des expériences où il lui fallait se définir en propre; il lui en reste
une compétence, doublée d'une pene qui s'exprime par la nostalgie. L'intereulturaiité
sen donc des sttatégies qui sont d'abord individuelles avant de correspondre, éventuelle-
ment, à des stratégies collectivement négociées. Que les stratégies communicationnelles
résultant de l'intereulturalité deviennent collectives et soutiennent des actions dépend
aussi du pouvoir possédé ou subi par un groupe ou par une communauté. Pour être
efficace, une stratégie communieationnelle doit se situer dans un espace qui est défini,
ou laissé hOre, par les groupes dominants ou dominatelJIS dans un contexte donné.

Des notions étrangères, comme la rationalité imposée en contextes pluriculturels


f:J compris celle qui est inscrite dans les théories organisationnelles et scientifiques),

• masquent les conceptions locales du monde. De la peispe..'1ive duale des Blancs-noirs,


• dans laquel1e subsiste une connaissance partagée des savoirs locaux. découle une vision
complexe. Le monde peut être perçu et constitué. par la violence. comme étant
compris et ordonné, décodé et encodé dans le langage de la rationalité. Mais le monde
107

est aussi constitué de plusieurs sphères spatio-temporelles incommensurables. Il yale


monde féminin, le monde divin et plusieurs autres - qui ne sont jamais accessibles à
tous. Sur le plan communicationnel. on distingue, d'une pan, la communication par un
langage précis, par écrit. par données quantifiables, la communication par un langage
de rationalité, d'autre part, la communication par la communauté, la communication
avec la nature, avec le divin (de même que la communication par les sens et par ce que
nous nommerions les sentiments). Tout ceci finit par former divers espaces de commu-
nication tout aussi partagés que la communication unidimensionnelle des Blancs.

Dans certaines sphères de la vie d'un Africain, l'idée subsiste que «c'est le
désordre qui gouverne le monde>. L'ordre fut créé par certains hommes - spatiale-

• ment et temporellement situés - et plus précisément par des Occidentaux. 11 fut


imposé, mais il est bien incapable de combler totalement l'univers du désordre qui
existait avant le monde ordonné et qui subsiste à ses côtés.

Dans le prochain chapitre, je développerai la notion d'intereu1turalité chez les


Noirs, c'est-à-dire chez les Africains de l'Ouest, généralement ruraux mais aussi parfois
urbains qui n'ont.pas ou peu eu accès à l'instruction ou chez ceux qui restent margina-
lisés. Mon intention doit bien entendu être comprise comme étant exploratoire.
Prétendre aller au fond du problème serait suggérer une possible capacité d'entendement
des processus de communication et des cultures du vaste sous-continent ouest-africain,
où l'on retrouve des centaines de peuples. différents et parfois peu connus. Il faut bien
admettre qu'une telle capacité est totalement inconcevable. Il s'agira plus modestement.
par l'entremise de conceptions partagées avec des Africains, de parvenir à une compré-
hension provisoire de certains aspects de la communication et des échanges intereu1-
tureIs en Afrique de l'Ouest francophone, puis d'en dégager les incidences en ce qui

• concerne la constitution, les composantes et les effets de l'intereu1turalité.


• NOTES

1. D'après la banque de tenninologie du Québec de I"Oftïce de la langue tr.mçaise. le


mot Toubab serait dérivé de I"arabe ctoubib- qui signitie cie blanc qui soigne-
(cBwana- en anglais). Quant au tenne Blanc-noir. désignant un Africain in~1l1lit dans
le système éducatif occidental. il ne doit pas être compris dan.~ un sens descriptif.
puisque 1" on trouve. au sud du Sahara. des Africains qui sont de peau claire. en
particulier chez les Arabes. les Maures. les Toubou et les Touareg.

2. Tous les sous-titres des chapitres 2, 3 et 4 sont extraits des entrevues réalisées en
Afrique de l'Ouest, de même que toutes les citations sans référence bibliographique.

3. Aux fins de I"étude de I"interculturalité. l'ethnie peut être considérée comme un


groupe humain auquel ses membres s'identifient et par rapport auquel ils sont identi-
fiés par les autres ethnies avec lesquelles existent des échanges. 11 est caractérisé.
entre autres, par une langue, par une organisation coutumière. par un ensemble de
croyances qui se manifestent à travers la tradition orale, par des pratiques (nomadis-
me, pratiques culturales, commerciales, ete.) ainsi que par des technologies. Les


statuts socio-ethniques permettent de distinguer différents sous-groupes dans une même
ethnie (chefs, chefs de terre, prêtres, griots, captifs, ete.). Les dil.1inctions sociales
peuvent être antérieures ou non au colonialisme (orphelins, lettrés en arabe coranique
ou en français, commerçants, fonctionnaires, ete.). Les distinctions nationales
correspondent aux entités territoriales et politiques qui ont été délimitées par le colo-
nialisme.
4. Pour beaucoup de musulmans du Sahel, si un père donnait son enfant au recruteur
scolaire, cet enfant reviendrait le chercher le jour du jugement dernier pour le mener
en enfer. ..
5. Dans le sens africain, le viiJJJge est le lieu d'origine de la communauté familiale
dans son sens large, la grande famille. Des liens se sont généralement maintenus avec
les pare1llS restés paysans, ceux-ci faisant appel à leurs proches urbanisés en cas de
besoin. Ces derniers se doivent aussi de retourner au village à certaines occasions,
telles que des funérailles. Dans certains cas, le village peut être situé en ville, où il
existait avant l'urbanisation et où perdurent les modèles ruraux d'organisation sociale
(statuts socio-ethoiques, propriété des terres, connaissance des lieux sacrés, ete). Dans
ce cas, les notables coutumiers deviennent des interlocuteurs incontournables des
gestionnaires municipaux. Dans de rares cas, les liens avec le village ont été rompus
par une génération antérieure qui aspirait à l'assimilation. 00 remarque cependant
que les membres actuels de ces familles rétablissent des liens avec leur localité
d'origine ou s'intègrent parfois dans une nouvelle comumnauté où il existe des
processus permettant d'accueillir les étrangers dans le cadre coutumier. Je n'ai, pour
ma part, jamais reocootré d'Africain de l'Ouest qui n'ait pas son village.

109
6. Les expressions entre guillemets sont empruntées par mon interlocuteur à un
écrivain, lui aussi toucouleur, Cheikh Hamidou Kane (L'aventure ambiguë. 1961).

7, Aujourd'hui encore, on constate qu'en Afrique de l'Ouest la principale raison


invoquée pour ne pas envoyer les enfants à récole est le besoin de main d'oeuvre pour
les travaux agricoles ou pour les activités commerciales, Par ailleurs, les frais liés
aux études (matériel, vétements) sont très lourds pour des paysans dont les enfants
sont fréquemment confiés (ou parfois «donnés») à des parents citadins qui sont censés
pouvoir assumer leur instruction. De nombreux cadres que j'ai rencontrés devaient
ainsi se charger de l'hébergement et de la scolarité d'une dizaine d'enfants en plus des
leurs: «avec peu d'enfants, on a une grande famille>. Dans le cas des filles. beau-
coup de paysans considèrent toujours que récole peut les «gâter» dans le sens où elles
n'accepteront plus, une fois instruites, d'étre données en mariage contre leur gré.

8. Cette crainte du Blanc que l'on rencontre encore aujourd'hui en Afrique mériterait,
à mon sens, d'étre documentée. Un Africain signalait que, dans sa région, cil y a eu
des épisodes effroyables qui sont restés dans l'esprit des gens, des personnes enchaî-
nées, battues toute la journée parce qu'elles ne pouvaient pas payer l'impôt: il y a des
gens qui en sont morts (... J... Il est aussi arrivé, lors de séjours en brousse, qu'un
jeune enfant se mette à hurler simplement en me voyant, en voyant un Blanc. Les


mères africaines, faut-il préciser, menacent parfois les enfants indisciplinés: «si tu
n'est pas sage, je vais te donner au Blano-. La mémoire, collective comme indivi-
duelle, peut remonter fort loin dans le temps dans ces régions de culture orale.
Beaucoup de pratiques des périodes esclavagistes et coloniales n'ont pas été reconnues,
ni réparées (sinon sous une forme ceathartique> dans les discours tiers-mondistes). Le
souvenir du passé subsiste pourtant dans les mémoires. D'ou vient la peur'? Com-
ment s'est-elle constituée'? Comment, enfin, la crainte du Blanc et son dépassement
contribuent-ils à la constitution de l'intereulturalité en Afrique de l'Ouest'?

9. cL'Afrique est noire, la France est blanche>, trouvait-on comme exemple grammati-
cal dans un mailuèl d'école primaire.

10. Le racisme, écrit Albert Memmi (1994, p, 113), est cla valorisation, généralisée
et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au
détriment de sa victime, afin de justifier une agression...

Il. D'après Berger et Luckmann (1986, p. 235-237), l'identité est «(..) un élément clé
de la réalité subjective, et comme toute réalité subjective, elle se trouve dans une
relation dialectique avec la société. 1••• J Les sociétés possèdent une histoire au cours
de laquelle des identités spécifiques émergent; cette histoire est, cependant, produite
par des hommes oétenam une identité spécifique... Ils ajoutent que : «Les théories sur
l'identité sont toujours incorporées dans une intelprétation plus générale de la réalité...
- ce qui vaut d'ailleurs aU13l1t pour l'identité telle qu'elle est comprise par les

• théories scientifiques que pour les conceptions africaines de l'identité.


110
12. Cette difficulté de la réintégration après un long séjour à r étranger n'o. pas
particulière aux Blancs-noirs. De nombreux coopérants. volontaires. diplomates et
autres voyageurs pourraient en témoigner. Beaucoup d'organisations non gouverne-
mentales (ONG) canadiennes ont décidé de verser à leurs volontaires un «bourse de
réintégration- afin de tàciliter leur retour au pays et de faire taire certaines critiques.
Mais dans le cas des Blancs-noirs, à la difficulté du retour s'ajoute racquisition d'une
nouvelle position durant le séjour à l'étranger, position qui les éloigne de leur milieu.
Le processus de réintégration semble alors parfois durer jusqu'à la retraite.

13. Depuis les années 1980, la situation des jeunes qui terminent leurs études a
beaucoup évolué en Afrique de l'Ouest francophone, à l'exception peut-être de la
Mauritanie où l'on manque encore de cadres. De nos jours, les administrations
publiques ne peuvent plus intégrer le nombre croissant de diplômés universitaires, dont
beaucoup sont désormais formés dans les pays africains. Dans la plupan des pays,
plus de 50% du budget de l'État est déjà consacré à des dépenses de personnel et les
prescriptions des instirotions financières internationales, Banque mondiale et FMI.
imposent une réduction de ces dépenses. Le Burkina Faso et le Mali ont récemment
avisé leurs étudiants qu'ils ne pouvaient espérer entrer dans la fonction publique et
qu'ils devaient s'orienter vers le secteur privé (en l'occurrence très peu développé).
De plus en plus de jeunes africains instruits se retrouvent donc au chômage au terme


de leurs études. Certains parviennent à trouver du travail dans des organismes de
coopération, ou alors ils se «débrouillent- dans le secteur.informel.

14. La notion de mimétisme s'inspire ici de l'étymologie du terme (du grec mimos :
«imitateur-), Elle retient de la définition biologique la ressemblance avec l'environne-
ment, mais exclut évidemment toute détermination génétique. Certaines manifesta-
tions mimétiques ont fait l'objet de critiques explicites de la pan d'écrivainS africains,
comme Cheikh C, Sow dans Cycle de sécheresse (1983, p. 115) : «En regardant tous
ces blanchis se promenant, ou en voirore, montrant leurs femmes dépigmentées, je
m'attends à to~ 1!10ment à voir tout cela disparaître comme un mauvais rëve. Car
comment peut-il être vrai de vivre aussi tàussement'!-

15. Thèse de doctorat de madame Alimata O. Sidibé, faculté de linguistique, Univer-


sité de Nice (non publiée). Madame Sidibé est actuellement directrice du département
de linguistique de la faculté des arts, lettres et sciences humaines à l'Université Abdu
Moumouni (Niamey, Niger).

16. En psychiatrie, la nostalgie est un «désir passionné et douloureux de retour au


pays natal et au cadre socioculrorel familier chez l'individu dépaysé et déraciné
pouvant entraîner divers types d'états réactionnels classiques, mais raréfiés avec le
développement moderne des moyens de communication- (G. Thines et A. Lempereur,
Diaio1l1Ulire général des sciences humaines, Paris : ClCAO Éditeur, 1984). Bien que


certains de ses effets se raréfient pour les psychiatres, on peut cependant penser que la
nostalgie se répand de plus Cl plus, sous des formes différentes, avec le développe-
ment des transports et l'augmentation des déplacements humains.
III

17. Comme j'ai souvent pu l'observer. la solidarilé présente deux facettes. Autrefois,
et encore parfois aujourd 'hui, elle pouvait garantir la survie dans un contexte où les
ressources étaient inégalement distribuées dans le temps et dans l'espace. Mais
comme le remarquait une de mes interlocutrices : .il faut se méfier de ce que les gens
racontent à propos de cette solidarité là; en ville surtout, c'est devenu du parasitisme,
il y en a un qui travaille et les autres vivent à ses crochets. r estime que si solidarité
il doit y avoir, elle doit être sincère et réciproque, comme dans le passé>.. La
solidarité est en effet souvent devenue une notion qui permet de légitimer des formes
d'exploitation et de manipulation (de la peur de l'exclusion et de la nostalgie) que
vivent les Blancs-noirs ou les plus fortunés des Noirs.

18. Le choix des partenaires pour un projet de coopération reste cependant limité, car
on constate que chaque organisation possède son territoire sur lequel les organisations
concurrentes refusent d'intervenir. Par ailleurs, il existe également une division du
travail entre les organisations. Certaines se spécialisent dans la santé ou dans r éduca-
tion, d'autres dans l'agroforesterie, dans la micro-hydraulique ou dans la diffusion de
technologies (traction attelée, maraîchage, foyers améliorés, énergie solaire, etc.).
C'est donc dans le cadre de h notion de développemenr inrégré, ou dans celui de ses
versions récentes, que se situe la possibilité de négocier avec une organisation qui
n'est pas déjà engagée sur le territoire.

• 19. On observe que, dans la hiérarchie informelle, les cadres supérieurs disposent
généralement de très peu de pouvoir, car ils ont été nommés surtout grâce à leurs
diplômes. La nomination des cadres intermédiaires correspond non seulement à la
formation, mais aussi à des considérations famiIiales, politiques, parfois ethniques ou
religieuses. C'est donc là que se situe le sommet de la hiérarchie informelle. Quant
aux subalternes, ils sont généralement choisis par les cadres intermédiaires et agissent
pour le compte de ces derniers, notamment en tant qu'informateurs. Les subalternes
jouissent donc d'un pouvoir considérable, car ils contrôlent l'information qui parvient
au sommet de l~ .hiérarchie informelle. Un haut responsable d'une organisation me
confiait que le seul moyen pour lui de consolider sa position était de négocier une
augmentation de personnel et de nommer des personnes de son choix, pour bâtir son
propre réseau interne parallèle aux réseaux existants dont il était lui-même exclu.

20. La paTenré à plaisanterie peut être définie comme une relation entre deux groupes
ethniques ou socio-ethniques, qui suppose un modèle de communication basé sur des
plaisanteries rinJalisées. On trouve Cette relation surtout entre des groupes susceptibles
de connaî"tre des conflits, par exemple entre des nomades et des sédentaires qui
occupent un même territoire ou entre une ethnie dominante et ses anciens captifs. La
parenté à plaisanterie autorise certains interlocuteurs à en «insulter» d'autres tout en
interdisant toute réaction de la pan de ces derniers. n est surprenant pour un observa-
teur étranger de constater comment, même chez les intellectuels, des parents à


plaisanterie qui se rencontrent se reconnaissent instantanément et peuvent impunément
se dire d'énormes indélicatesses. n s'agit, en quelqUe sorte, d'ÙD processus endogène
de résolution de conflits, parfois utilisé comme tel lors de problèmes entre deux
• membres d'un groupe qui font alors intervenir un médiateur «li plaisanterie-. Au-
jourd'hui encore. beaucoup estiment «que C·est très bien. ces sessions où r on se tape
dessus de temps en temps, tout comme autrefois où ça remplaçait les guerres trihales-.
112

2 I. Ces écoles révèlent une forme de ségrégation dans la formation. qui ressemble de
façon troublante à ce qui se passait à r époque de r Apartheid en Afrique du Sud. Un
.. ' de mes interlocuteurs âgé disait, à propos de Iïnstitution où il avait étudié à Paris :
..c'est toujours cette histoire de Blancs, j'étais dans un centre où il n'y avait que d~
nègres>. Entre 1950 et 1970, le principe d'une formation séparée pour les Africains a
été abandonné. Mais une coupure s'est créée entre deux générations d'instruits.
Anecdote révélatrice: en 1924, trois Africains de rOuest ont étudié à récole normale
d'Aix-en-Provence cpour voir s'ils pouvaient suivre 1..•1: ils sont revenus avec le
papier. À l'époque c'était inimaginable». Mais lorsqu'ils se sont établis dans leur
pays, ces trois instituteurs ont été victimes de l'ostracisme non seulement de leurs
homologues Blancs, qui avaient le même diplôme qu'eux, mais aussi des ..instituteurs
indigènes>. L'un d'eux est apparemment entré «dans le giron des militaires martini-
quais (... 1 et c'est l'alcool qui ra tué>.

22. Cette situation duale des Blancs-noirs pourrait être due à la rupture qui s'est
produite dans les processus de socialisation. Peter Berger et Thomas Luckmann


(1986, p. 18) écrivent en effet: ..Il est évident que la socialisation primaire est
habituellement la plus importante pour l'individu, et que la structure de base de toute
socialisation secondaire doit ressembler à celle de la socialisation primaire.-

23. En 1987, Thomas Sankara, président du Burkina Faso, fut assassiné par son
compagnon d'armes, Blaise Compaoré, qui est l'actuel président du pays. Thomas
Sankara, originaire d'un groupe ethnique marginal par rappon aux Mossé (les Silmi-
Mossé), avait tenté de réduire les pouvoirs de la puissante chefferie mossé qu'il
considérait COmme une force créactiollllaire-. Blaise Compaoré appartient lui-même à
une famille mossé et son premier geste, après sa prise de pouvoir, fut d'aller se
prosterner devaÎ:1t l'empereur des Mossé. Un observateur local interprétait cet
événement de la manière suivante: ..le président qui va se prosterner devant le Mogho
Naaba (l'empereur), ça n'est plus le président, c'est le fils du pays qui demande à son
chef spirituel de l'aider dans sa tâche (... 1, il lui restitue ce qu'il a obtenu dans son
aventure». Un de mes interlocuteurs résumait la situation des hommes politiques du
Burkina Faso dans ces termes : ..Le Mogho Naaba est une puissance et tous ceux qui
ne l'ont pas compris l'ont payé de leur vie.- Amadou Hampâté Bâ (1994, p. 128)
avait d'ailleurs remarqué, lors de son séjour à Ouagadougou avant la dernière guerre,
..r...] l'attachement des Mossis à leur empereur, qu'ils aimaient plus qu'eux-mêmes.-
24. Certain groupes, numériquement importants dans la sous-région, n'étaient pas
représentés parmi les personnes rencontrées, principalement parce que les membres de
ces groupes sont généralement exclus de l'administration publique. J'utilise ici des

• données bibliographiques et des données d'observation rassemblées lors de précédents


séjours au nord du Mali et du Niger, au Bénin, au Togo et au Sénégal.
• 25. Les problèmes soulevés par l'intervention des femmes occidentales auprès des
femmes rurales africaines ont été clairement identifiés. Certains de ces problèmes
113

proviennent des définitions institutionnelles des interventions, comme rintégrarion des


femmes au développement (IFD) ou genre et développement (GED) (St-Hilaire, 1994).
D'autres tiennent à l'absence de prise en compte des connaissances endogènes
spécifiques aux femmes africaines de diverses cultures (Stamp, 1989). Le refus du
féminisme de la part des femmes africaines découle donc essentiellement d'expériences
anciennes. Malgré ce refus, je prendrai la liberté de qualifier de féministes les
femmes africaines engagées dans la lutte contre les injustices dont les femmes sont
victimes - parce qu'elles sont femmes. Des termes comme «cause féminine.- ne sont
en effet pas appropriés dans un texte comme celui-ci (Robinson, 1992).

26. Cette autorité ne va pas nécessairement dans le sens de l'émancipation des


femmes. Le chef du village de Tourum me confiait qu'il avait été réprimandé par sa
«tante>- pour avoir été chercher de l'eau à la pompe, près de sa concession, afin de
pouvoir se laver sans déranger ses femmes déjà occupées à d'autres tâches.

27. À cette époque, les préoccupations des femmes étaient devenues un thème majeur
dans les débats politiques. Le charismatique chef de l'État, Thomas Sankara, avait
nommé plusieurs femmes à des postes clés, comme le ministère des Finances. Il
prenait la parole publiquement pour dénoncer l'exploitation des femmes. Il disait des
prostituées «ce sont nos soeurs, nous devons les comprendre et les aider 1.·.1'"

28. Approfondir la dimension du genre dans un cadre ethnique en Afrique de l'Ouest


demeure un terrain très peu exploré, qui ne serait certes pas à la portée d'un homme.
Je citerais comme exemple l'excellent ouvrage de Doris Bonnet, Corps Biologique,
corps social: Procréooon et maladies de l'enfant en pays mossi. Burkina Faso (1988).
Je formulerais l'hypothèse que certaines ethnies tendaient, à l'époque pré-coloniale,
vers des formes de matriarcat dont subsistent parfois certains éléments (matrilinéarité,
héritage, pouvoir décisionnel, propriété des terres et des troupeaux). Tel serait le cas
des ethnies aœphàles, de certaines ethnies du golfe de Guinée et de certains nomades
sahariens. Par contre, les ethnies dominantes du Sahel et la plupart des royaumes du
golfe de Guinée tendraient vers des formes de patriarcat (Dupire, 1993; Callaway,
1993). Il conviendrait cependant d'abord de préciser ce que peuvent signifier ma-
triarcot et parriarcor dans le contexte.
29. Je choisis de schématiser la situation mauritanienne qui pourrait constituer, comme
telle, un cadre pour l'étude de l'interculturalité. On retrouve en effet sur le territoire
mauritanien une grande diversité de cultures arabo-berbères et négro-africaines ainsi
que des groupes d'origine hébraïque et, naturellement, des coopérants occidentaux.
Pour de plus amples renseignements sur les sociétés mauritaniennes, on peut se référer
à l'ouvrage de Attllio Gaudio, Les populD1ions du SoJurra occùJenral : Histoire, vie et
culIure (1993). Je m'intéresserai surtout ici au cas des Haratines, qui me semble
particulièrement significatif en ce qui conceme l'étude de l'interculturalité.
• 30. Au niveau interne. ce conflit a eu de graves répercussions sur la CEAO. Il ne
serait pas approprié que je diffuse des infonnations qui m'ont été transmises confiden-
tiellement et qui concernent des personnes qui pourraient être identifiées. Je prend.~
donc en considération. à propos des différents groupes de Mauritaniens. certaines
114

données non présentées dans ce texte.

31. Il est de notoriété publique que Jean-Christophe Mitterrand. fils et conseiller de


l'ancien président de la République française pour les questions africaines. entretenait
des relations amicales avec des personnalités maures qui l'invitaient régulièrement à
participer à des excursions dans le désert mauritanien. Il entretenait également des
rapports semblables avec la famille de l'ancien président du Rwanda, qui ~t largement
responsable des massacres qu'a connu récemment ce pays (Verschave, 1994). Au
sujet des ingérences françaises en Afrique francophone, en plus de l'ouvrage de
Verschave, on peut se référer à l'article de Philippe Lemarie (1994), ..L'adieu au "pré
carré" africain... Le néo-colonialisme français pour «raison d'Étall' existe toujours et il
est traditionnellement une prérogative du président de la République française.

32. D'après l'organisation baratine El Hor, bien que l'esclavage ait été officiellement
aboli en 1980, près de 800 000 Mauritaniens vivraient encore une situation de quasi-
servitude.-Attilio Gaudio (1984, p. 143) observe que: ..Même dans la fonction


publique où trouve encore des Haratines qui paient une partie de leur maigre salaire à
leur maître». Il précise, par ailleurs, que ..le son de ces captifs et affranchis domesti-
ques est certes sans commune mesure avec celui des esclaves de grande traite 1•••1
américan<reuropéenne. De réels liens d';lSSÏstance et de protection mutuels les lient.
dans le meilleur des cas, à leurs maîtfesl' (p. 141). De nombreux esclaves bella sont
également au service des Touareg et, en 1984, j'ai personnellement assisté à l'achat
d'un enfant par un Arabe dans l'Adrar des Iforas au nord du Mali.

33. Un parallèle existe entre l'universalisme des Haratines et celui que l'on trouve
chez les Noirs américains et dans les études afro-américaines (Asante, 1980; 1987).
Tous deux correspondent à une recherche d'identité que Kwame Appiah (1992,
p. 162) présente ainsi : cAt the level of generality at which Africans are opposed to
Europeans, it is easy to persuade us that we have similarities: most of "us" are black.
most of "them" white; we are ex-subjects, they are ex-masters; we are or were
recently "traditional", they are "modern"; we are "communitarian", theyare "indivi-
dua1istic", and so on. That these observations are, by and large, neither very true nor
very clear does not stop them from being mobilized to differentiate 1••,1'" Dans les
deux cas, on retrouve nettement l'influence des thèses de Cheik Anla Diop. Mais le
problème particulier auquel sont confrontés les Haratines est que leurs maîtres, tout en
étant souvent blancs, sont également africains, ..traditionneJs.. et ceommunilaires>-.

34. L'emprisonnement est, dans ce cas, un moindre mal. En novembre 1990, plus de
300 militaires mauritaniens noirs ont été assassinés après la découverte d'un ccomplOll'
(L'État du monde, 1994, p. 246).
• 35. C'est ce que remarquait Clifford Geertt (1973, p. 246) à propos de la société
marocaine du nord de la Mauritanie : «The continuity of the social order lay less in
any durability of the arrangements composing it or the groups embodying it, for the
sturdiest of them were fugitive, than in the constancy of the processes by which,
115

incessantly reworking those arrangements and redefining those groups, it formed,


reformed, and re-formed itself." Plus éloignée encore que le Maroc du centre du
monde arabe (l'Arabie), égaIement confrontée à la présence de groupes autochtones
turbulents et très hétérogènes (les Berbères) auxquels s'ajoute la puissante chefterie
toucouleur, la Mauritanie connaissait vraisemblablement des processus similaires, plus
accentués encore que dans le cas de son voisin du nord.

36. Hélène Claudot-Hawad, une anthropologue française dont le mari est un poète
targui, me confiait que les Blancs ont souvent une réaction romantique face aux
«hommes bleus», fiers, sobres, courageux et, incidemment, souvent Blancs chez les
nobles. J'ai moi même vécu avec un Targui, un homme exceptionnel, dans le Hoggar
algérien; je dois avouer avoir été fasciné par ce peuple au point de publier plusieurs
articles imagés les concernant. C'est un tel romantisme qu'a utilisé un notable touareg
qui a rallié l'opinion publique française, par le biais des médias, pour forcer les
gouvernements du Niger et du Mali a accepter de négocier une autonomie territoriale
(voir Mano Dayak et al. Touareg. la tragédie, 1992). Mano Dayak est propriétaire


d'une agence de voyages à Agades (Niger), Après le massacre des Touareg de Tchin-
Tabaradène par des militaires nigériens en 1990 (600 morts, d'après les sources les
plus crédibles), il a publié l'ouvrage dans lequel on trouve des témoignages d'appui de
personnalités telles que l'anthropologue Théodore Monod, le cinéaste Bernardo Bert0-
lucci (auteur de Un thé au Sahara) et l'ancien ministre et ancien conseiller du
président Mittemmd, Edgar Pisani. Toutefois, dans son plaidoyer pour la «vérité»,
Mano Dayak oublie totalement des épisodes troublants où de jeunes Touareg ont assas-
siné des touristes et des membres d'ONG pour dérober leur véhicule et il ne dit
évidemment rien de ses liens avec les services de renseignements français (Claudot-
Hawad, 1995)•. On retrouve donc chez les Touareg une stratégie semblable à celle des
Maures qui consiste à rallier des appuis en Occident en se servant du romantisme des
Blancs, c'est-à-dire en exploitant leur tendance à percevoir l'Autre à travers des
conceptions totalement imaginaires. Les «problèmes» maliens et nigériens ne sont tou-
jours pas résolus, car, comme les Maures, les Touareg sont divisés en familles et en
groupes de familles très autonomes. Historiquement, ces groupes ne se confédéraient
qu'en cas de nécessité pour le maintien de l'hégémonie sur le territoire - qui n'existe
plus aujourd'hui du fait des nouvelles frontières.

37, EL HOR. dijJicuJrés et perspectives.face t1llX prochaines échéances démocratiques,


document signé «El Hor des Patriotes», Nouakchott le 08 Juillet 1991, p, 4.

38. Cheikh Ahmed Ould zahaf, «La question baratine est-elle socio-économique ou


identitaire'?.. dans Al Bayane n° 71, Nouakchott, 21-27 avril 1993, p. 2.
• semble correspondre à certaines réponses données à une question comme : que
116

39. Le terme «rêve> était parfois utilisé par les personnes que rai rencontrées. 11 me

souhaiteriez-vous pouvoir faire le jour où vous prendrez votre retraite"! Les réponses
obtenues, je le rappelle, se situaient dans un contexte de crise.

40. Ce retour aux sources n'épargne pas le milieu rural où l'on remarque actuellement
un retour de certains jeunes qui étaient partis en ville, ainsi qu'une croissance des
cultures vivrières. Cene dernière est renforcée par la baisse des revenus procurés par
les cultures de rente (cacao, café, noix palmiste, arachide, coton, etc.) et par les
retards dans les paiements des agences gouvernementales qui achètent ces cultures.

41. De plus, je me rends compte qu'avec l'âge, il m'est devenu beaucoup plu.~ facile
de travailler en Afrique, autant avec des intellectuels qu'en brousse. «La considération
pour l'âge c'est la base même de la société», me faisait-on remarquer. Ce commen-
taire vaut également pour mes interlocuteurs qui, à mesure qu'ils vieillissent. possè-
dent plus d'autorité à la fois dans leur milieu de travail et dans leur milieu familial.
Sur un pian communicationnel, beaucoup de sujets ne peuvent être abordés publique-
ment qu'à partir d'un certain âge.

42. Goffman (1973a, p. 171) écrit que la tactique qui consiste à utiliser une langue


étrangère pour communiquer secrètement est considérée comme «grossière et malhon-
nête; on peut de cette façon garder un secret mais on ne peut dissimuler le fait qu'on a
des secrets à garder». Je doute personnellement que, daÏ1s le contexte ouest-africain
où l'intimité est rare et où des personnes passent constamment d'une langue étrangère
ou indigène à une autre, une telle pratique soit considérée comme une indelicatesse. 11
suffit en effet d'en faire la detnande pour que des échanges en langue étrangère soient
traduits de façon assez fidèle.



117

Chapitre 3
Noirs et interculturalité

Comprendre les processus sociaux, la communication et l'intcrculturalité chez les


Noirs suppose que l'on soit capable d'accéder à leur monde et de «tradui!1> de façon
satisfaisante les données recueillies - dans un langage qui se situe. par ailleurs, dans
un monde incommensurable avec le premier. Le défi est de taille et il ne peut être
abordé que dans des termes provisoires dans le cadre de cette étude. Les anthropolo-
gues eux-mêmes, spécialistes de l'étude des cultures, ne possèdent en effet pas de
solution définitive aux problèmes d'accès et de traduction d'une sphère spatio-tempo-
relie à une autre. Comment est-il alors possible de comprendre le monde des Noirs'!

[.. ,[ interest in the history of our discipline and disciplined inquiry into
the history of confrontation between anthropology and its Other are 1•••1
ways to meet the Other on the same ground, in the same Time.
(Fabian, 1983, p. 165)

• Johannes Fabian suggère ici une prise en compte des textes sur lesquels se fondent nos
échanges avec les Noirs. Mais si l'anthropologie joue un rôle majeur dans nos façons
de percevoir ces échanges, elle n'est pas seule. Notre entendement se situe aussi dans
le cadre plus large de l'histoire des contacts entre l'Occident et l'Afrique, dans celui des
formations discursives qu'ils ont produites, de même qu'à l'intérieur des limites fixées
par l'évolution de l'intereulturalité et des conceptions de l'intereulturalité, de pan et
d'autre, Un élément majeur de la démarche anthropologique est en effet la compétence
intereulturelle de l'observateur et de ses informateurS - ce qui inclut donc nécessaire-
ment l'auteur de ces lignes. À partir de là, un problème se pose : comment pourrais-je
évaluer ma propre compétence? Ce serait manifestement être juge et partie.

Afin de ne pas m'enfermer dans un débat qui pourrait vite devenir circulaire,
j'adopterai dès le départ la posture suivante - quitte à Yrevenir plus tard : je ne suis
pas noir et certaines dimensions du monde des Noirs ne peuvent m'être accessi\lles. Je
ne peux en apprébender des aspects que par l'intermédiaire d'informateurS qui ne sont

• plus eux-mêmes totalement noirs, puisqu'ils peuvent échanger directement avec moi et
• qu'ils parlent ma propre langue - ce qui n'est pas donné à tout paysan ou paysanne
d'Afrique ou à tous ceux qui sont marginalisés. Mes informateurs possèdent toutefi-lis
une large capacité d'accès au monde rural dont ils proviennent. De plus, il m·t::.1
118

possible de connaître des situations d'interaction avec certains Noirs, situations qui
peuvent être analysées avec une conscience critique de la position des acteurs.

Par ailleurs, je crois que, dans le contexte africain, la communication entre un


observateur et un informateur touche moins des transferts d'information que des proces-
sus d'intégration des étrangers et d'initiation à la culture, Certains de mes interlo-
cuteurs ne sont pas uniquement des personnes fréquentées aux fins de la recherche, ee
sont des collègues ou des proches qui me considèrent comme leur étranger. -On ne
porte pas sa maison sur son dos». dit un proverbe mossé. La nécessité de rintégration
- car l'étranger ne peut, lui non plus, vivre seul- implique que l'on devienne une
sorte de membre de la communauté et que l'on soit introduit ou initié, pro~ivement,

• à certaines dimensions du monde communautaire, Une telle situation procure des droits
et crée des devoirs qu'il convient, en partie, d'assumer,

Je reviendrai plus loin sur la notion d'initiation qui est importante pour la
communication et donc pour l'intereulturalité dans le contexte étudié. Pour clore cette
digression épistémologique, j'ajouterai une précision concernant l'observation directe
parmi les Noirs. Lors d'un séjour dans un village africain ou dans une famille urbaine,
cc-::cjJ arrive qu'avec le temps l'observateur ait le sentiment d'avoir été en quelque sorte
«oublié», la vie se déroulant paisiblement comme s'il n'était pas là. 11 peut lui sembler
possible d'accéder simplement à l'univers des Noirs - qui, doit-on noter, peut inclure
des mondes magiques, invisibles, féminins, etc. Je crois cependant que l'observation
directe des Noirs doit être évaluée d'un point de vue critique, en tenant compte de la
position ainsi que de ce trait particulier du Blanc qu'est le romantisme, cette tendance
qu'ont les OCCidentaux à définir l'Autre à partir de conceptions imaginaires,

Pour revenir à l'interculturalité chez les Noirs, son étude suppose d'abord que
l'on s'intemlge sur les conceptions locales de l'identité et de la situation de l'individu
• par rappon à la communauté dans les différentes ethnies. Ces conceptions sont hien
entendu liées à des ensemhles de connaissances et de croyances très diversifiés. L'étude
de 1ïnterculturalité chez les Noirs suppose égaIement que r on comprenne ce qu' est la
119

communication dans ce contexte. comment elle se transforme et quelles en sont les


conséquences sur le plan interculturel.

INm'!lDU, COMMUNAUTÉ ET CONNAISSANCES ENDOGÈNES


En Afrique de l'Ouest. il est clair que la notion dïdentité procède du cadre plus
large de la ::ommunauté. La personne ne peut se définir en dehors de la famille, des
parents directs et de la grande famille, elle-même reliée à d'autres groupes socio-
ethniques et à l'ethnie. À l'intérieur même de la famille, il existe des différenciations
selon le genre, le statut et l'âge. Ces différenciations caractérisent des ensembles de
personnes qui peuvent passer, par le biais de rituels initiatiques, d'un groupe à un autre.
Tous ces segments de la communauté sont par ailleurs reliés, chacun de façon particu-

• lière. aux mondes magiques, surnaturels ou invisibles; là encore, il existe des singulari-
tés ethniques. Dans ce cadre, enfin, ce sont des ensembles de connaissa1Jces, à la fois
locales et acquises par l'intereu1turaIité, qui fondent les stratégies communicationnelles
des communautés et ethnies de Noirs par rappon au monde qui leur est extérieur.

C'est la discussion qui dirige la lumière


Appréhender des éléments du monde des Noirs suppose au préalable que soient
définies les diverses cultures que l'on trouve dans le contexte. La culture, disait un de
mes interlocuteurs,
dans cette Afrique qui se trouve au sud du Sahara, doit être considërëe
d'abord comme un mode de pensée, comme une conception du monde et
aussi comme un mode de communication, d'action, de production 1•••1.
Ce que nous en savons se trouve dans des textes, mais le problème est que l'essentiel
des formations discursives qui traitent des cultures africaines tend largement à les
réduire à un fond culturel commun. Dans le contexte africain francophone, l'anthropo-


logue français Georges BaIandier - une référence majeure - considère qu'il existe
«une culture africaine», «une société noire> (Balandier, 1982). «Ba1andier 1...1fut le
• promoteur des études africaines en France-, remarque Sally Falk Moore (1994. p. 99).
La recherche empirique des tenant~ de l'anthropologie -dynamique-, ou marxiste. mène
certes au constat, tàit dans le précédent chapitre, de la persi~1ance de l'ethnie:
120

les structures 1••• \ résultant de la mise en place de.~ -État~ nouveaux- ne


peuvent être interprétées, durant la période de tran.\;tion, qu'en recourant
à l'ancien langage. (Balandier, 1967, p. 205)
Mais les singularités culturelles et l'Afrique précoloniale intéres..~nt peu Balandier et ses
disciples - qui, doit-on noter, sont généralement liés aux dirigeant~ africain.~ (Falk
Moore, 1994, p. 101). Pour eux l'essentiel est plutôt d'appréhender les dynamiques de
changement dans les sociétés dites «en développement- (Balandier, 1981). Il tàut en
outre souligner que cette réduction des situations africaines opérée par Balandier marque
profondément ses nombreux successeurs, Africains et Occidentaux.

Pourtant, les Africains qui voyagent perçoivent vite des différences fondamen-
tales entre les diverses cultureS du continent, et cela malgré l'apparente homogénéisa-

• tion qui s'est produite depuis l'époque coloniale :


To understand the variety of Africa's contemporary cultures 1...) we need
first, 10 recall the variety of the precolonial cultures, Differences in
colonial experience have aIso played their part in shaping the continent's
diversities, but even identical colonial policies identically implemented
working on the very different cultural materials would surely have
produced widely varying results. (Appiah, 1992, p. 174)
Il ne fait cependant pas de doute, comme le précise Appiah, qu'à «un certain niveau
d'abstraction- des généralisations restent possibles. D'après un de mes interlocuteurs :
il y a certains fondements communs que l'on trouve d'une région à une
autre, mais en dehors de cela il est clair que chaque région a des spécifi-
cités. Je dirais qu'il y a une culture et des cultureS africaines'.

La prééminence de la communauté - surtout de la grande famille - sur


l'individu est sans nul doute un trait largement partagé par les cultureS africaines. Si
l'on approfondit ce qui touche l'identité, il faut admettre que l'individu est d'abord
déterminé par les spécificités de sa culture d'origine, c'est-à-dire celle de son village.


• Comment peut-on alors caractériser les ethnies et les diverses communautés qu'elles
regroupent'! Et quelles stratégies communicationnelles. quelle interculturalité,
produisent-elles'!
121

Dans le précédent chapitre, j'ai déjà abordé la question des stratégies des Blancs-
noirs dont les ethnies ont été récemment transformées. Ce sont des stratégies indivi-
duelles qui s'inspirent largement de nouveaux principes apparus depuis les débuts du
colonialisme. Si l'on considère maintenant les communautés sous l'angle des singulari-
tés culturelles, le cas le plus révélateur est celui des ethnies qui sont restées dominantes
et cbez lesquelles on retrouve des processus de négociation collective qui fondent les
stratégies communicationnelles. Dans le contexte étudié, de tels processus peuvent être
observés, entre autres, cbez les Toucouleur et les Woolof du Sénégal, les Songhay-
Zarma du Niger, les Baoulé de Côte d'Ivoire et les Mossé du Burkina Faso.


À titre d'exemple, au tout début du colonialisme, les cbefs du petit royaume de
Téma, situé en péripbérie de l'empire massé,
étaient beaucoup plus éclairés que d'autres et avaient une perception de
l'avenir. Ils se sont dit : ..Bon! Le Blanc est venu, il est en train de
nous embêter, pourquoi nos enfants ne feraient-ils pas comme lui'!» 1•••1
J'appartiens à la plus grande famille d'intellectuels du Burkina Faso.
(... ) Nous avons au moins 60 fonctionnaires dans toute la hiérarchie
administrative, nous avons eu des ministres, un président 1•••).
Cette stratégie qùï consiste à développer une maîtrise de la langue et de la culture
françaises ainsi que de la communication avec les Blancs n 'est pas exclusive. Elle se
double d'alliances avec d'autres groupes, alliances qui engagent d'autres membres de la
communauté et s'effectuent par le biais de la conversion à l'islam et par celui de
mariages interetbniques permettant d'élargir le territoire'. Chez ceux qui sont désignés
?Our être instruits dans le système français, la formation est nettement perçue comme un
élément d'une stratégie collective: «j'avais une mission à accomplir et après je devais
reveniI>o. Parla suite, ces personnes - qui ont souvent des titres coutumiers - bénéfi-


cient généralement d'une nomination politique à un poste de cadre intermédiaire ou
supérieur. Il est alors manifeste que leur situation est essentiellement utilisée au profit
• de la communauté. Ces Blancs-noirs disposent de vastes réseaux d'informateurs et ils
utilisent abondamment les médias, sunout les journaux et la l"J.dio :
Je préfère ne pas manger que de ne pas écouter les informations. Le:
122

matin, à 4 heures 3D, j'écoute France-inter, puis la BBC: après ça. vers 5
heures 3D, de nouveau France-inter, puis la Voix de I"Amérique. À 6
heures et demie, c'est Radio Burkina et puis encore France-inter 1...1'.
Les messages provenant des médias, écrits et électroniques. sont largement réinterpré-
tées dans les réseaux interpersonnels :
Je discute de tout ça avec ma famille, avec les amis, avec les partenaires
et avec les collègues. Ma compreôension d'un problème n'est pa.~ la
même que celle d'un autre et, comme on dit, c'est la discussion qui
dirige la lumière. il faut, dans la discussion, que 1"on sache exactement
s'il y a des compléments d'information que I"un ou l'autre possède. 1... 1
Je me refuse à ne pas pouvoir prendre part à une discussion dans n'im-
porte quel domaine; même au niveau de la culture générale, il faut que je
sois renseigné.
Les connaissances acquises sont utilisées pour des stratégies qui engagent I"en.~mble de

• la communauté :
Les problèmes traditionnels et les problèmes administratifs sont complète-
ment encastrés, complètement et parfaitement compatibles; il n'y a aucun
problème. On a des parents qui sont restés dans la tradition. Bon! 11
faut les consulter. il y a beaucoup de concertation au niveau de la
famille, pratiquement tous les dimanches on se rencontre, Ils nous
consultent, mais, eux, ils sont détenteurs de la tradition. S'il y a un
problème, on le prend sous les deux facettes, sur le plan traditionnel,
d'abord en tant que famille royale, 1•••) Nous, nous apponons la rationa-
lité pour aider à cerner les problèmes. il n'y a pas d'incompatibilité.
En plus de ces rencontres régulières, on organise, en ville ou au village, des rassem-
blements périoclic;ues auxquels tous les enfants de la famille participent :
1•••) on essaie de leur faire voir le côté positif de la tradition, qui consti-
tue le lien entre l'individu et le groupe, en leur disant que sans le groupe
l'individu n'est rien. 1•••) ce n'est pas chacun pour soi, c'est tous pour
chacun et chacun pour tous.

Les princes du royaume de Téma, faut-il noter, bien que directement apparentés


à la famille impériale, se situent à la périphérie de l'empire. Us sont considérés comme
des «cousins belliqueux,. et, jusqu'à un certain point, insoumis. Comme dans d'autres
• royaumes en marge de l'empire mossé (Tenkodogo, Ouahigouya), la nomination des
rois de Téma n'est pas soumise à l'approbation de l'empereur. Autrefois, ces groupes
périphériques, nés d'un conflit au centre de l'empire, défendaient les frontières ou
123

élargissaient le territoire. Il convient de remarquer qu'ils manifestent. sur le plan


collectif, une capacité d'adaptation - et. en apparence, d"interculturalité - plus large
que les membres des chefferies installées de longue date dans la quiétude du centre.

Ailleurs, les modalités de la stratégie qui consiste à maintenir un pouvoir ancien


par l'utilisation de compétences communicationnelles dans divers cadres et par une
concertation entre les autorités coutumières et les Blancs-noirs, varient d'une ethnie à
l'autre. Chez les Woolof et chez les Toucouleur, elle faisait largement appel à la
col1aboration avec le colonialisme, avant de s'inscrire dans l'État. Chez les Baoulé de
Côte d'Ivoire, elle se situait dans le cadre des réseaux familiaux et clientéIistes du
président Félix Houmphouët-Boigny", Quant aux Songhay-Zarma du Niger, autrefois

• guerriers, beaucoup ont acquis une formation supérieure dans l'armée qui, jusqu'en
1993, contrôlait totalement le pays, Au moment de la «démocratisation... certains
d'entre eux sont devenus des civils. fonctionnaires ou politiciens. De tels processus
, s'observent également dans les petites ethnies qui se situent en marge des ethnies
dominantes et, à un moindre degré, dans les ethnies qui sont dominées.

Si l'on considère à présent ce qui se passe entre les groupes socio-etbniques à


l'intérieur d'une même ethnie, on constate d'abord, parmi les ethnies puissantes. des
processus plus ou moins prononcés de décenrraJisarion et de déconce1llTQlÏon du
pouvoir. D'une part, le pouvoir politique est décentralisé sur le territoire. au profit des
différents niveaux de chefferie (empire, royaume, province, canton, village et quartier);
d'autre part, certains pouvoirs n'appartiennent pas à la chefferie politico-mi/ilaire, mais
à d'autres groupes socio-ethniques : les aùtochtones' possèdent la terre et intronisent le
chef. les forgerons interViennent dans certaines sphères du surnaturel. les griots sont les
maîtres de la parole et de la mémoire, les marabouts règnent sur la connaissance, les
femmes sur la santé, ete.7 À chaque forme de pouvoir correspondent des connaissant:es
et des stratégies communicationnelles singuhères.
• Tout groupe socio-ethnique, ainsi que toute ethnie, pourrait en outre être
caractérisé par la langue, par un rappon à la terre, par des pratiques (techniques
d'agriculture, d'elevage, d'artisanat, de commerce, etc.), par des technologies (cavale-
124

rie, métallurgie, ete.), par des modèles d'organisation sociale et par des croyances. Si
l'on y ajoute les effets des transformations récentes sur chacun, c'est donc une
mosaïque d'une immense complexité que l'on retrouve dans la région ouest-africaine.
C'est de cette complexité que proviennent les connaissances, les habiletés communica-
tionnelles et l'interculturaIité, chez les Noirs tout comme chez les Blancs-noirs.

Dès qu'il y a l'environnement, il faut répondre à une image


Si l'ethnie est une composante majeure de la vie du Noir, la grande famille,
unité économique et sociale, l'est tout autant. On y trouve des sphères réservées aux
femmes et d'autres aux hommes, une hiérarchie généralement fondée sur l'aînesse, des
groupes d'âge auxquels on accède par des processus et des rites d'initiation, une

• division du travail, ainsi que, dans cenains cas, des persoJllles et des groupes périphé-
riques, À chaque segment de la famille correspondent des espaces spécifiques de la
communication - qui peut être formelle ou informelle. 1\ est naturellement impos-
sible, dans le cadre de ce travail, d'eyaminer les processus de communication dans le
cadre familial en Afrique de l'Ouest. Je me bornerai donc à en résumer certains
aspects pertinents.

Dans une ethnie, chaque famille est définie par son appartenance à un groupe
socio-ethnique : «c'est toujours par rappon à vos souches qu'on vous identifie>. À
l'intérieur même de la famille, l'individu est défini par son origine, par ses parents
directs, par ses parents éducateurs et même par des origines plus lointaines, L'enfant
peUt en effet être l'incarnation d'un esprit ou d'un ancêtre qui s'expriment alors à
travers lui (Bonnet, 1988, p, 86-90), L'âge est un facteur centtaI de l'identité. mais,
ici encore, il y a l'âge officiel - celui de l'état-civil" - et l'âge dans le cadre familial,
qui peut être différent du premier : un jeune garçon est parfois l'oncle ou le grand-frère

• d'un autre plus âgé, car il appartient à un segment aîné.


• 1 L'identité chez les Noirs 1
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Au niveau des relations entre Noirs. il faut remarquer qu'elles se manifestent


différemment selon qu'elles se situent dans un espace public ou non. Alors qu'un
Africain peut parler de «ses» enfants en privé, «Quand vous êtes devant votre famille,
vous ne pouvez pas traiter vos enfants comme une propriété», pas plus d'ailleurs qu'un
conjoint. Les enfants, comme le conjoint, sont membres de la grande famille avant
d'être liés à un individu. Plus généralement, «dès qu'il y a l'environnement, il faut
répondre à une imagco. D'après un communicologue africain,
L'environnement agit sur la perception d'un message. Si je vais voir un
cbef, je vais le saluer et même enlever mes lunettes en signe de respect,
car je ne porte pas de chapeau. Mais si je suis seul à seul avec lui et
qu'il a fait l'école, il s'en moque totalement.
Entre Noirs. il existe donc deux espaces de communication différents: l'espace inter-


personnel-privé et l'espace public, c'est-à-dire celui de la famille, de la communauté,
de l'étranger, des lieux où se trouve l'Autre.
• Dans la famille, l'identité et la communication sont ~-urtout définies par le genre
et par râge. La femme joue un rôle central dans la cohésion du groupe, et cela à deux
niveaux. D'une part, elle possède généralement une grande autorité sur ses entànts.
126

D'après Amadou Hampâté Bâ, chez les Peul, «on pouvait à la rigueur désobéir à son
père, mais jamais à sa mère» (1992, p. 502). «La mère est respectée presque à l'égal
d'une divinité» (p. 61). D'autre part, selon une interlocutrice, «dans la société afri-
caine, la fille est généralement considérée comme l'enfant qui unit-. Alimata O. Sidibé
précise cependant que :
le conseil d'une femme est toujours écouté, surtout si c'est la grande
soeur ou la grande tante; même le chef de famille doit lui obéir, ce qui
est un atout [... 1. Mais le changement augmente la mainmise des
hommes.
Les femmes possèdent également des prérogatives dans les domaines de la santé et du
commerce : elles ont leur champ et leur case, et ce sont souvent elles qui vont au
marché et au puits - qui sont des lieux essentiels de la communication au village.

• L'une des rares anthropologues à avoir étudié les femmes d'Afrique francophone
écrit qu'au delà du monde masculin se trouve «un univers de l'errance non socialisé,
féminin, occupé par les génies, traversé par les fous et les devins- (Bonnet, 1988,
p. 51). 11 existe, de plus, des lieux de communication exclusifs aux femmes: la cuisine
et l'aire où se trouve le mortier' ainsi que certains endroits de commerce. On
remarque que les'échanges entre femmes donnent parfois lieu à des stratégies collecti-
ves; c'est le cas, par exemple, des échanges entre coépouses dans une famille polyga-
me, comme le signale Camara Laye dans son roman L'enfQl/l noir (1953, p. 172) :
Mes tantes Awa et N'Gady [...1étaient foncièrement bonnes et d'humeur
enjouée; et je ne fus pas long à CODStater qu'entre elles, elles s'enten-
daient on ne peut mieux.

Au-delà du genre, le monde familial est surtout structuré par l'âge et par les
groupes d'âge. Le chef, dans la famille ou ailleurs, est d'abord celui qui prend conseil
des aînés qui, en fin de compte, détiennent une bonne part de l'autorité : «vous ne

• pouvez pas dire non à quelqu'un qui est plus vieux que vous, quel qu'il soit; vous ne
• 127
pouvez pas regarder en face quelqu'un qui est plus âgé que vous». Le respect des
«vieux.'· est considéré par la plupart de mes interlocuteurs comme une de.~ valeurs
fondamentales à inculquer aux enfants. La «bonne éducation. consiste à «savoir se
comporter avec les grands, à les saluer, à ne jamais s'asseoir là où ils sont et à être
toujours loin.. Beaucoup d'auteurs africains évoquent, avec une certaine émotion, les
marques d'affection de certains de leurs parents; mais dès que l'espace devient public.
les relations sont déterminées par une hiérarchie de l'âge, et la communication entre
groupes d'âge reste largement ritualisée.

Pour un Noir, une large part de la communication se réfère donc à des pairs.
c'est-à-dire qu'elle se situe à l'intérieur d'un même groupe d'âge. Les premiers
groupes d'âge se trouvent dans les familles où se rassemble, dans une même case et
sous l'autorité d'un adulte, une génération d'enfants qui participent collectivement à des
activités spécifiques. Par exemple, les plus jeunes peuvent garder les troupeaux ou

• surveiller les champs contre les animaux et les larcins. D'autres groupes d'âge sont
constitués de membres de plusieurs familles, comme la waaldé qu'Amadou Hampâté Bâ
évoque dans son autobiographie Amkoullel. l'enfant peul (1992, p. 247) et qui regroupe
une cinquantaine d'enfants partageant jeux rituels et apprentissages :
[...] tout ce que nous faisions tendait à imiter le comportement des
adultes, et depuis notre âge le plus tendre le milieu dans lequel nous
baignions était celui du verbe. TI ne se tenait pas de réunion, de palabre,
ni d'assèmblée de justice (sauf les assemblées de guerre ou les réunions
de sociétés secrètes) sans que nous y assistions, à condïncn de rester
tranquilles et silencieux. Le langage d'alors était fleuri, exubérant,
chargé d'images évocatrices, et les enfants, qui n'avaient ni leurs oreilles
ni leur langue dans la poche, n'avaient aucune peine à le reproduire [...].

Les groupes d'âge, qui sont des organisations formellement structurées pour les
filles comme pour les garçons, sont des lieux d'échange et de partage, mais aussi de
rivalité. Comme le précise Bâ, «la tradition recommandait d'avoir beaucoup de
camarades, mais pas trop de "vrais" amiS» (p. 60). Ici, la communication correspond

• donc surtout à des processus de socialisation, et les stratégies reproduisent celles des
aînés et des groupes dominants. Ce qui s'expérimente, ce n'est pas seulement la
• conformité, mais aussi la négociation dans le cadre des diftërences sociales et cultu-
relles. Les rivalités entre groupes et à lïntérieur des groupes constituent manifestement
un lieu d'apprentissage des stratégies de communication et d'action.
128

Les groupes d'âge, comme je rai déjà signalé, tendent à se reproduire, par la
suite, pour les Noirs qui vivent à r extérieur de la communauté, Le processus de
passage d'un groupe d'âge à un autre, rinitiation, consiste en rituels formels - et aussi
informels - qui marquent raccès à un groupe supérieur dans râge et donc dans les
hiérarchies du pouvoir et du savoir, À chaque groupe d'âge correspondent des connais·
sances qui fondent l'espace de la communication, Aux stades supérieurs d'initiation,
par exemple celui auquel parviennent les silariguis chez les Peul,
(.. ,] l'homme était relié d'une façon subtile et vivante à tout ce qui
l'environnait, Pour eux, la configuration des choses à certains moments
clés de l'existence revêtait une signification précise qu'ils savaient
déchiffrer. "Sois à l'éCOUle, disait-on dans la vieille Afrique, roUl parle,
roUl est parole. roUl cherche à nous communiquer une connaissance.. ,"
(Bâ, 1992, p. 31)"

L'initiation formelle consiste en rituels collectifs qui constituent des étapes


permettant d'accéder à l'âge adulte, les plus connus étant la circoncision pour les
hommes et l'excision pour les femmes, 11 en existe bien sûr d'autres, qui marquent
profondément le cheminement des individus, mais que je ne saurais détailler dans ce
texte. Quant n'initiation informelle, elle touche des processus d'apprentissage entre
des membres de groupes d'âge différents. Nombre d'Africains évoquent quelqu'un de
leur entourage, une sorte de tuteur, dont l'influence fut marquante dans leur parcours ;
cet oncle, c'est l'homme que j'ai admiré le plus au monde, 11 était peu
instruit et on allait aux champs ensemble, c'est un gros travailleur. 11 est
bon, il aime l'homme, il est disponible pour tout le monde 1•••] il est très
simple et il est un bon musulman.

L'apprentissage se situe ici sur le plan cognitif et pratique. Peu d'Africains


n'ont pas connu l'expérience de la vie au village où ils étaient initiés à des principes
• durant la réalisation des tâches collectives. Camara Laye (1953, p. 64) décrit ainsi une
moisson du riz où il assiste un oncle, homme d'une remarquable dextérité, qui lui dit :
je n'ai sûrement pas perdu de temps, mais peut-être ferais-je bien à
129

présent d'en perdre un peu. N'oublie pas que je ne dois pas non plus
trop distancer les autres : ce ne serait pas poli.
L'intégration des étrangers fait aussi largement appel à de tels processus informels
d'initiation utilisant, entre autres, des tâches partagées ou des histoires ayant valeur
d'exemple, qui permettent à l'outsider d'accéder à des sphères du monde commu-
nautaire. Cependant, l'étranger susceptible d'être initié à des savoirs locaux doit
d'abord démontrer une certaine civilité, une capacité à vivre dans l'espace et le temps
locaux, et sunout une acceptation de certains devoirs qui incombent à tout membre de
la communauté. En d'autres termes, l'accession à certains savoirs suppose ici un dépas-
seJ.Dent, au moins partiel, des relations basées sur le pouvoir.

Pour un Blanc, on conState que les termes de l'intégration et de l'initiation sont


déterminés par les perceptions du pouvoir. Comme tout autre étranger, le Blanc en
situation de wlnérabilité peut être intégré à la communauté afin qu'il connaisse la
sécurité sans laquelle la vie semble impossible. C'est ici la coutume qui se manifeste,
mais aussi l'empathie de certains membres à l'égard de l'Autre". Dans certains cas,
l'étranger peut, avec le temps, accéder à une initiation formelle. Il semblerait, par
ailleurs, que l~ ~tuels d'initiation puissent être transformés pour susciter, chez des
Blancs en situation d'autorité, une générosité à l'égard de la communauté. On trouve
ainsi, chez les ethnies du golfe de Guinée en contact avec les Blancs depuis plusieurs
siècles, des simulacres de rituels qui semblent sunout être des mises en scène visant à
exploiter le romantisme des Blancs".

Le dernier groupe du monde des Noirs est constitué par les marginaux, plus ou
moins nombreux selon, entre autres, la prospérité de la communauté; il peut s'agir de
captifs (ou esclaves), d'orphelins, de dépendants lointains ou de migrants'·. Suivant
les familles où ils se trouvent, leur situation va d'une quasi-servitude (une lourde charge
de travail sans autre rémunération qu'une piètre nourriture) à des rapports d'interdépen-
• dance non dénués de respect. Ces marginaux demeurent toujours au bas de la hiérar-
chie communautaire. Beaucoup restent longtemps craintifs vis-à-vis d"un étranger et
semblent totalement subordonnés aux exigences de la survie au jour le jour. En
130

revanche, d'autres ont acquis une certaine indépendance dans un cadre urbain et peuvent
devenir d'exceptionnels interlocuteurs pour un étranger" - comme je le prëciserai à la
fin de ce chapitre à propos des marginaux qui vivent en përiphërie des villes.

Chez les Noirs, l'identité et l'intereultura1ité se développent donc d"abord par les
ëchanges entre les membres de la communauté. Par rapport au pouvoir, on remarque
que tout membre de la communauté peut, à différents moments et à divers degrés, être
dominé par un groupe et posséder des pouvoirs sur un autre. Chacun a vécu l'expé-
rience de la dépendance et de la domination, institutionnalisées dans la famille, par
rapport à d'autres membres. Les marginaux eux-mêmes, une fois âgés, possèdent une
autorité incontestable sur les enfants du chef'·, On ne peut cependant pas réduire le

• pouvoir dans la communauté à ces aspects visibles, tant le monde invisible se trouve au
coeur des sociétés africaines, De même, on ne peut comprendre la communication
exclusivement en termes d'ëchanges entre des groupes et en termes d'interactions entre
des individus, car ces sociétés sont profondément empreintes de spiritua1ité.

L'Oc:cident est mauvais, c'est le diable


Les espaces du divin, de l'invisible ou du sacré, que je qualifierai d'espaces
religieux, sont difficilement accessibles aux étrangers. J'en résumerai ici quelques traits
essentiels en rapport avec l'objet d'étude, par un survol des religions africaines et des
religions importées, christianisme et islam, Mais avant d'aborder ce sujet, il me semble
nécessaire de réfuter certains mythes concernant les religions africaines, mythes qui
procèdent surtout de la légitimation des entreprises missionnaires, D'abord. il ne fait pas
de doute que les religions africaines sont monothéistes, car e1Jes sont fondées sur la
croyance en un Être suprême créateur de la viel'7, Le terme même d'animisme est
contestable: les objets ne sont pas censés avoir une âme comme telJe, mais ils peuvent

• être chargés de sens et de pouvoirs spirituels (comme une relique ou un objet de culte
• chez les chrétiens et les musulmans). Ensuite. on ne peut affirmer que les religions
africaines n'ont pas été révélées". Leur principale spécificité touche non pas le monde
des divinités, mais celui des technologies de communication : les religions africaines ne
l3l

sont pas inscrites dans un livre et elles se distinguent des religions importées par une
absence de prosélytisme.

Les croyances africaines et occidentales ont pourtant beaucoup en commun.


O'après Robin Horton (1990, p. 51), un anthropologue qui vit au Nigéria depuis une
trentaine d'années, «( ••• 1la pensée religieuse traditionnelle opère, elle aussi, au moyen
des mêmes processus d'abstraction, d'analyse et de réintégration [que la méthode
scientifique]". Communication et religion ou mystique sont étroitement imbriquées, car
«( ••• 1 les mots, prononcés d'une manière appropriée, ont le pouvoir d'influencer les
événements ou les processus qu'ils représentent» (p. 56).


Les démarcations entre les divers espaces séculiers et religieux restent floues. La
vie des Noirs, tout comme celle des Blancs-noirs, est parsemée, dans pratiquement tous
les domaines, de croyances religieuses. Cela s'observe par la persistance de la magie
dans des domaines aussi variés que l'agriculture, la médecine et, comme je le développe-
rai plus loin, la communication. TI convient aussi de préciser qu'en Afrique, plus
modestement peut-être qu'ailleurs, les humains ne prétendent pas communiquer directe-
ment avec Dieu -. li. moins de s'élever, après un long parcours individuel, li. un stade
supérieur de conscience. Le commun des mortels communique avec des intermédiaires
de diverse nature - esprits. ancêtres ou divinités - , incarnés ou non dans des éléments
vivants ou dans des objets, et dont l'action peut être bénéfique ou maléfique.

Les croyances religieuses varient bien entendu d'une ethnie li. l'autre, tout comme
les groupes qui sont 1Dal"'tres des différentes sphères du monde religieux. La vie est
imprégnée de sens religieux: «Dotre culture est une culture religieuse>, affirme un
chercheur africain. Et c'est sur ce fond de religions africaines que se sont implantés,

• plus ou moins superficiellement, l'islam et le clnistianisme. Même chez les Blancs-noirs,


il est courant de constater la persistance des religions africaines au côté des religions
importées. Un homme peut se dire profondément chrétien et ajouter, peu de temps
• temps après, «le masque, c'est ma croyance, c'est mon Dieu-; un autre qui revient du
pèlerinage à la Mecque peut confier que sa responsabilité coutumière dans son village
consiste à officier les cérémonies religieuses coutumières".
132

Les religions importées ne se sont pas répandues sans violence, ni san.~ incitatitS.
Les Arabes se rendaient probablement au Mali dès le VIl' siècle (Gaudio, 1988.
p. 179), mais ce n'est que vers le XI' siècle que les Almoravides venus d'Espagne
imposèrent l'islam dans certaines régions du sud du Sahara. Grâce aux témoignages de
naufragés sur les côtes maures, comme Monsieur de Brisson (Gaudio, 1984), ou
d'explorateurs, tels que René Caillé (1979) ou Mungo Park (1980), on sait qu'il y a
quelques siècles à peine certains musulmans étaient d'une grande cruauté à l'égard des
non-musulmans et même des musulmans de conversion récente. Quant aux entreprises
missionnaires des derniers siècles, elles n'étaient guère plus respectueuses des personnes
et des cultures :

• J'en veux aux missionnaires, [...] ils nous ont fait croire que notre
religion était du fétichisme, du charlatanisme et qu'il fallait tout jeter.
Dans mon village, on a jeté les fétiches dans le marigot, certains ont été
brülés, alors qu'on les conservait précieusement depuis des siècles. 1•••1
n ne restait plus rien, la vie n'avait plus de sens.:ZO

Chez les musulmans du nord, beaucoup de jeunes qui vont à l'école dite
«française> fréquentent l'école coranique le soir et pendant les vacances : «Si je refusais,
on me voyait comme quelqu'un qui, ayant eu des contacts avec les Français, était sur le
chemin de l'infidélité». Les Français, «on les appelait les "cafres" (de kofir, «infidèle-
en arabe), c'est-à-dire les mangeurs de porc>. L'islam ouest-africain est cependant
pluriel, allant de l'intégrisme de certaines confréries maraboutiques sénégalaises dont
«vous pouvez devenir esclaves», au soufisme universaliste que décrit Amadou Hampâté
Bâ dans Vie et enseignemmr de 1ïenw Bokar. le sage de Bandiagara (1980, p. 122) :
l'intolérance, étroitement liée à l'ignorance et au manque de maturité
spirituelle, n'est le privilège d'aucune race, d'aucune communauté
particulière. C'est une maladie humaine générale [00']' Je souhaite de

• tout mon coeur la venue de l'ère de réconciliation entre toutes les confes-
sions de la terre [,..J.
• Bâ précise que l'islam soufi de son maître, Tiemo Bokar, s'est établi sur :
le vieux fond de tolérance religieuse de rAfrique traditionnelle animiste
qui acceptait toutes les formes de pratique religieuse ou magico-religieuse
133

et qui, de ce fait. ignora les guerres de religion. (1992, p. 193)


On constate donc que l'islam subsaharien cohabite généralement avec les religions
locales, quoique l'on remarque actuellement, dans le Sahel. la montée de mouvements
fondamentalistes plus exclusifs".

Les religions chrétiennes, quant à elles, sont moins tolérantes que rislam vis-à-
vis des religions africaines, ce QUÏ pourrait expliquer leur faible développement.
Pourtant, le christianisme procure des avantages et jouit d'un certain prestige : cça
faisait bien d'être dans ce milieu là, dans une religion de toubabs». Au chapitre des
avantages, le christianisme offre la posstbilité d'étudier sans frais dans des institutions
reconnues et il permet, si l'on devient metnbre d'une communauté, de jouir prati-


quement des mêm:..... conditions de vie qu'un cadre supérieur. D'après une musulmane,
cles chrétiens, vous savez. ils sont chrétiens quand ça les arrange». Et une chrétienne
confiait que cl'école catholique est perçue comme un moyen de promotion":>, Achille
Mbetnbe écrit que :
1•••) en répondant à la question de savoir «pourquoi se sont-ils "conver-
tis"", l'on a trop souvent négligé la pan de ruse et de calcul qui convain-
quit les natifs de «fréquenter'- les systèmes religieux et symboliques
victorieux 1•••). (1988, p. 77)
Et il ajoute à propos des stratégies de certaines chefferies :
Il est évident que des chefs embrassèrent la nouvelle foi en échange
d'avantages économiques et politiques. Ils surent capitaliser cette nou-
velle ressource pour négocier la survie de positions de pouvoir et d'accu-
mulation qu'ils détenaient dans le champ domestique et au sein de
l'espace colonial. (p. 86)

Dans une même famille, on constate souvent que mUSJJ!mans et catholiques


cohabitent sans aucune tension et qu'à l'occasion ils partagent ensemble les Îetes de
Noël et de la Tabaski (Îete du mouron), ou encore des rituels coutumiers. Les religions
importées se sont ainsi superposées aux croyances et aux pratiques plus profondes qui
• règnent sur de vastes espaces du monde des Noirs el des Blancs-noirs. Comme
l'affinne E. Bolaji Idowu,
While (.. ,( every African may wish to he regarded as connected with one
134

or another of the {wo 'fashionable' religions, most are at heart still


anached to their own indigenous beliefs. (1975, p. 205)
On constate en outre qu'un refus des religions imponées persiste encore, par exemple,
chez les Mossé, D'après Titinga Frédéric Pacéré :
L'islam n'a pu commencer à pénétrer le Moogo qu'à partir du XVIll'
siècle, et encore il s'est laissé phagocyter pour y parvenir, comme le
cbristianisme, [...1 Aujourd'hui, certains vont à l'église le dimanche et,
après, ils vont faire égorger un poulet.
Le christianisme demeure en effet peu répandu sur le plateau mossé et, au village, «les
gens disent toujours que l'Occident c'est mauvais, que l'Occident c'est le diable>. La
religion locale est confol1ée par les aînés : «le vieux ne se pose pas la question si la
tradition est valable ou non, c'est à travers elle qu'il fait tout, qu'il pense et qu'il agit>.

• Dans le monde des Noirs, religions et cultures sont donc étroitement imbriquées.
La religion, affirment René Luneau et Louis-Vincent Thomas, modèle toute la société,
[...) elle imprime au groupe sa hiérarchie (degrés d'initiation), elle
organise une multitude de sous-groupes à fonctions bien définies 1•••1,
elle codifie certaines activités (celles du prêtre, du magicien, sans doute
mais aussi celle du travailleur, du paysan, du forgeron, du cordonnier, du
tisserand, du pêcheur, du chasseur, du père ou de la mère de famille).
(1992, p, 57)
Les Noirs possèdent donc des espaces religieux dans lesquels les croyances imponées ne
peuvent pénétrer, par exemple le monde de la terre :
La terre ne sera jamais un élément abstrait pour moi, elle représente autre
chose, ce n'est pas seulement une matière d'échange et de crédit; la terre
c'est d'abord un bien commun par lequel on confone un lignage, c'est
une divinité qui représente toute une succession de personnes.

On constate enfin que les religions africaines sont étroitement liées à des champs
de co1l1UÙSSOnCes endogènes, des savoirs locaux généralement ignorés ou dépréciés par

• la science occidentale - comme je le développerai dans la suite de ce texte. Religions


et connaissances endogènes doivent être considérées comme des composantes majeures

135
de la communication en Afrique. Je crois qu'il serait réducteur d'aborder la question
des échanges entre les cultures dans le contexte ouest-africzin, sans prendre en compte
J'interdépendance qui existe entre divers espaces culturels locaux, croyances religieuses,
champs de connaissances endogènes et processus endogènes de communication.

Le principe qui gouverne le cosmos, c'est l'irrationnel


Nos conceptions de la connaissance sont profondément marquées par la science.
Or, en Afrique, la science n'a pas seulement méconnu les champs de connaissances
endogènes, elle les a aussi ignorés et dévalorisés. Ce constat pourrait être étayé de
multiples façons et je le ferai brièvement par quelques références à des connaissances
considérées comme étant du domaine scientifique. Mais d'abord, comment définir la
science dans une perspective intereulturelle"!

La science s'inscrit dans des paradigmes qui sont eux-mêmes fondés sur des


visions du monde historiquement et géographiquement situées, la validité d'un para-
digme étant établie par la communauté recOnnue (Kuhn, 1970). Cette communauté,
précise Evelyn Fox Keller (1985, p. 7), rassemble presque exclusivement des hommes,
blancs et de classe moyenne. La démarche scientifique, lorsqu'elle aborde des objets
dans des contrées exotiques comme l'Afrique, consiste alors à resituer ces objets «dans
un temps et dans un espace ordonnés 1... J, habitables par la société occidentale»
(Fabian, 1983, p.. 111-l12). En pratique, la science et les mythes constituent, d'après
le philosophe Michel Serres, des domaines comparables, voire identiques :
n n'y a pas, il n'y aura jamais eu la science d'une part et les mythes de
l'autre. La part de savoir pertinent, dans un mythe donné, une tradition
millénaire, une pensée sauvage, est probablement aussi grande que la part
de mythologie qu'enveloppe avec elle une science donnée. Nous en
savons quelque chose, nous autres Occidentaux, gorgés de science depuis
des millénaires, et encombrés de toutes partS des farces et attrapes
giissc'5 sous ce vocable.2)
Mais, dans le contexte ouest-africain de l'incommensurabilité des champs de connais-
sances scientifiques et endogènes, il reste que le développement et les autres applica-

• tions de la science contribuent à une dévalorisation de ce qui est local :


• the seemingly safe image of knowledge as growing entail~ a correspon-
ding growth of ignorance. Ignorance 1•.. ) is not Just 'not to know' but
may suggest decay and the dismantling of a complex structure. or 'some-
thing more primordial... the cognitive facet of the moral term ;::vil 1... ).
136

(Hoban, 1993. p. 20-21) .


Que recouvrent les termes. partais galvaudés. de «savoirs locaux» ou plutôt de connais-
sances endogènes"! Aux fins de ce travail. les connaissances endogènes peuvent être
considérées comme des éléments appanenant à des champs de connaissances inscril~

dans les visions locales du monde - c'est-à-dire situés dans des sphères spatio-tempo-
relIes spécifiques - et qui concernent des domaines considérés comme étant du res.wn
de la science, d'autres qui ont été oubliés ou exclus des champs d'études scientifiques.
Il peut également s'agir du sens commun panagé par un groupe culturel particulier.
Pour en illustrer certains aspects, je présenterai quelques exemples de connaissances
endogènes en rappon avec leurs homologues dans le domaine de la science.


Dans le domaine médical, puisque l'augmentation de l'espérance de vie est
souvent présentée comme un bienfait du «progrès>-. on constate que la médecine n'a en
rien diminué la pratique des thérapies locales. Pour Titinga Frédéric Pacéré. la notion
d'espérance de vie est étrangère à l'Afrique : «Qui vous a dit que je venais sur terre
pour vivre plus longtemps et non que j'y sois pour être plus beureux et sans subir
d'agressions psycbologiques'l.. Pragmatiques, les médecins de l'hôpital de Ouagadou-
gou au Burkina F.aso ont, pour leur pan, réalisé une étude statistique du taux de
guérison obtenu par les guérisseurs locaux - auxquels ils confient désormais cenains
de leurs patients. Les statistiques démontrent en effet que ces «CharIatans» parviennent
à guérir des maux, parfois considérés comme incurables, dans une proportion que la
science ne peut expliquer". L'approche des questions de santé, que panagent une
majorité d'Africains, permet de constater la coexistence de différents champs de
connaissances, étrangers et endogènes, ces derniers étant parfois très locaux et liés à des
espaces particuliers de croyances et de communication (van Beek., 1993).

• Pour choisir un autre exemple, en astronomie cette fois-ci, les travaux des
anthropologues ont révélé que les Dogon du Mali possèdent depuis 10Dgtemps des
• connaissances complexes sur la rotation et sur la révolution des planètes. En outre.
avant 1787, ils connaissaient déjà l'existence et la composition d'une étoile sombre
137

gravitant autour de Sirius : Sirius B. un lointain ascéroïde qui ne fut «découvert- par la
science qu'en 1862 et dont la composition ne fut donnée que durant les années 1930
(Mudimbe 1988, p. 13-15). Carl Sagan, un astronome de l'Université Comell fut donc
chargé d'étudier la cosmologie dogon, et sa conclusion, logiquement invraisemblable,
fut que les Dogon avaient dû être renseignés par un explorateur inconnw - ce qui
nous en dit finalement plus sur les préjugés des scientifiques que sur les connaissances
"
astronotniques des Dogon.

Quant aux connaissances agricoles afri~es, on commence à peine à s'y


~

incéresser. L'agronome belge Hugues Dupriezr{I982) a constaté que les jardins «muIti-
étagéS» des Bamiléké.du Cameroun étaient le sYstème agricole connu le plus productif et
le plus «rentable>- au .monde sur le plan énergétique et éconotnique. Ce modèle de

• production est en ouire adapté à un ensemble de contraintes sociales. Par ailleurs, les
techniques complexes de rotation, de compagnonnage, d'agroforesterie, de fertilisation
et de lutte biologiques pratiquées dans le Sahel restent ignorées; on observe pourtant
que les innovations réalisées par certains paysans n'ont rien à envier aux «découvertes-
scientifiques". Après plusieurs années d'observation du milieu rural ouest-africain, il
me semble qu'une question devrait sérieusement être posée: comment la science et les
techniques occidentales ont-elles, par ignorance et dépréciation des savoirs agricoles
locaux, créé les problèmes environnementaux que connaît l'Afrique'?

L'intérêt scientifique des connaissan<.:es endogènes d'Afrique ne concerne


d'ailleurs peut-être pas seulement les sciences d'observation et les sciences expérimen-
tales. Un gestionnaire et juriste me confiait que, depuis longtemps pour les Africains,
le principe qui gouverne le cosmos, c'est l'irrationnel, ce n'est pas le
rationalisme. Les Blancs ont seulement trouvé la rationalité dans l'irra-
tionalité et c'est ce qui leur a permis de vaincre tous ceux qui sont restés
dans la contemplation de la nature.


• Les sciences dites exactes admenent effectivement que l'univers n' est plus explicahle
par une saiete rationalité logique et que diverses théories peuvent coexi~1er'" .
138

Par ailleurs. certains domaines moins acces.o;ibles que ceux que .lai décrit~. la
magie et la sorcellerie". permenent de constater que certaines connaissances endogènes
peuvent être perçues comme néfastes. Magie et sorcellerie sont sinon pratiquées. du
moins toujours reconnues et respectées par tout Africain. Camara Laye (1953. p. 77)
décrit les dons de voyance de sa mère qui permenaient d'éloigner l'adversité. mais un
gestionnaire ivoirien, grand lecteur de la Bible, disait également que :
Le diable est plus facile à expérimenter que Dieu. Je pratiquais quand
j'étais petit (... 1. Par exemple pour faire du mal. faire échouer. provo-
quer un accident, causer une maladie, tout ce qui est négatif, ça marche
très très vite, même sans contact. Mais s'il faut faire du bien. vraiment
c'est pas facile.


Ce sont donc à la fois des croyances et des champs de connaissance endogènes•
parfois indescriptibles dans nos termes, qui façonnent le monde des Noirs, les cultures
et les espaces communicationnels qui sont les leurs. La démarcation entre croyances et
connaissances ne pourrait être nette, pas plus que dans la science. Pour poursuivre, la
question se pose de savoir comment est conçue et pratiquée la communication chez les
Noirs; et comment les croyances, les connaissances et la communication endogènes.
façonnent l'intereu1turalité des Noirs et, en partie, celle des Blancs-noirs d'Afrique de
. .
l'Ouest. Comme les connaissances, faut-il souligner, la communication endogène ou
les connaissances communicationnelles des Africains constituent des domaines souvent
ignorés et pratiquement inexplorés par la recherche.

LA COMMUNICATION EN AFRIQUE DE L'OUEST


«Beaucoup reste à savoir sur les interactions entre la culture et la communication
dans nos pays; il n'y a pratiquement pas eu d'études, pas de recherches», déclare
Mahamoudou Ouédraogo, un communicologue ouest-africain. Les modèles de commu-


nication appliqués en Afrique viennent de l'étranger et sont souvent désuets et inadé-
quats'!'. Leur mise en place mène à la dépréciation des connaissances endogènes - un
• effet de l'idéologie tiers-mondiste. Les agences étrangères et internationales, bailleurs
de fonds de la recherche, de la formation et des pratiques en communications, imposent
en effet d'étroites conceptions du développement, par la réalisation d'infrastructures et
139

par la diffusion de modèles censés susciter la «modernisation». Ce qui est imposé aux
Africains, c'est l'appartenance à un espace vague, le tiers-monde, que d'autres savent
comment «développer» pour eux'".

Je ne pourrai ici que faire un survol de quelques éléments permettant de


comprendre en quoi consistent les processus endogènes de communication en Afrique.
Par le passé, le griot était. dans certaines ethnies, le «maître de la parole»; mais, dans
les société africaines contemporaines, son rôle s'est profondétnent transformé. La
parole n'est en outre qu'un des aspects de la communication. Entre autres, des masques
et des tambours étaient, et sont parfois toujours, considérés comme des moyens de
communication. Quant aux messages des médias, ils sont largement réinterprétés dans

• le cadre de réseaux qui, comme je l'ai montré, sont essentiellement constitués sur une
base communautaire et ethnique. La communication africaine, doit-on admettre, est un
champ d'une immense richesse, dont l'exploration reste à faire.

Celui qui peut tout dire


Le griot, ses performances oratoires, ses récits et ses discours constituent des
objets étudiés par .maintes disciplines : anthropologie, histoire, linguistique, littérature,
théologie et quelques autres. Les chercheurs s'intéressent généralement aux griots en
tant que «caste» dans laquelle l'on trouve différents sous-groupes qui ont évolué de
diverses façons; ils s'intéressent également aux significations et à l'intérêt historique ou
littéraire de leurs récits et discours. On constate toutefois que les stratégies communica-
tionnelles des griots, leurs connaissances et leurs rôles par rapport à la communication
dans la communauté sont encore aujourd'hui très pea connus.

11 existe plusieurs catégories de griots qui interViennent dans ce qui peut paraître,
à première vue, comme étant des domaines de la mémoire collective ou du divertisse-
ment"• Certains sont attachés à une famille dont ils conservent la généalogie et
• enregistrent les événements marquants de son hi~10ire. Leur mémoire 01 remarquable:
ils peuvent parfois relater en détail des situations qui remontent au moyen âge européen.
Camara Laye rappone. dans Le mairre de /il parole (/978). les paroles d'un griot
140

mandingue. Babou Condé. qui décrit rhistoire de r empire du Mali depuis sa fondation
par Mani Diata en 1230. Pour cenains Africains. une telle mémoire n'est pa.~ excep-
tionnelle, comme l'indique Aminata Sow FaU dans son roman L'appel des arènes :
Malamine. le griot du village raconta neuf cents ans d'histoire des Lô
que lui avait apprise son père qui la tenait de ses pères. 11 conclut que
l'exploit de mon père était inscrit dans la nature des choses puisque en
aucun cas, un fils de Nar Lô pouvait semer la honte. (1982, p. 94)
Certains griOts sont donc historiens et gardiens des valeurs. D'auttes. généralement
considérés comme inférieurs, semblent plutôt être musiciens, poètes et conteurs: ils
animent certains événements et sont perçus, par les spécialistes. comme des «trouba-
doUi'S>' (Thomas et Luneau, 1992, p. 56).

• Si l'on prend en compte le pouvoir de la parole dans les sociétés africaines. on


ne peut cependant réduire le rôle du griot à ces aspects superficiels. Le langage est
d'abord relié à la pensée et à la religion; «chez le Noir traditionnel tout est parole (signe
ou symbole, rythme ou son). (Thomas et Luneau, 1992, p. 46). Celui qui, par son
statut, sa fonnation et ses connaissances, est habilité à prendre publiquement la parole,
occupe un espace central dans la société. Le griot participe aux événements imponants
de la vie des Noiïs, et ses paroles accompagnent les activités qui touchent les forces
invisibles. camara Laye décrit ainsi un griot qui assiste un forgeron travaillant \'or :
[...] il participait curieusement - mais j'allais dire : directement, effecti-
vement - au travail. Lui aussi s'enivrait du bonheur de créer; il clamait
sa joie, il pinçait sa harpe en homme inspiré; il s'échauffait comme s'il
était l'artisan même [...). (1953, p. 34)
Le bijou achevé, ce griot chanta la cdouga., un chant «redoutable [•.• 1qui ne pouvait
manquer de déchaînef" les génies.

Le griot assume, de plus, une tâche fondamentale auprès des chefs. Selon

• Amadou Hampâté Bâ, il en est le porte-parole:


• Notre tradition interdit en effet aux nobles de dire du bien d'eux-mêmes
ou de leurs ancêtres; ils sont toujours tenus à une extrême réserve de
langage et de gestes 1... ). En toutes circonstances ils doivent se taire :
les griots parlent pour eux. (1992, p. 284)
141

Le griot est aussi, comme l'exposait l'un d'eux,


celui qui peut dire au chef qu'il a tOrt, que ce qu'il fait n'est pas bon. Il
est celui qui peut tout dire au chef et ce dernier doit l'accepter. La seule
prise de position du griot peut le faire changer d'avis.

Comment un griot perçoit-il et utilise-t-il cet espace de communication exclusif


auprès du chef! «Je connais le pays, je connais les mentalités et je sais les coutumes>o,
dit un membre d'une famille de griots maIinkés. Et il ajoute:
Je ne pars pas des événements pour comprendre, je pars de la personnali-
té. des ambitions du chef et de ceux qui l'entourent. Je pense que les
responsables sont très maI renseignés. C'est l'entourage du chef qui joue
le rôle déterminant sur son componement et qui crée les problèmes. Le
griot a la responsabilité de l'informer sur ce qui se passe, Il est un


conseiller.
Le griot est certes parfois considéré comme un membre d'un groupe socio-ethnique
inférieur, qui vit de la charité des puissants qu'il sait flatter et de la prodigalité de ceux
qui doivent marquer par une tete un événement important. «II y a des gens qui ont
honte de dire qu'ils sont griots». Mais il y a également une fierté à être griot et à
rapporter au chef les doléances de ses sujets". En outre, les pouvoirs dont dispose le
griot sont souvent craints.

Il est remarquable que le griot puisse dire à l'étranger, comme au chef, ce que
personne d'autre ne dit. L'un d'eux me disait que, pour un Noir, «les Blancs sont des
intermédiaires entre les hommes et les génies, car Dieu leur a donné des pouvoirs que
les hommes n'ont Jl8S">3. Les griots sont parfois considérés, par les Blancs, comme
des informateurs privilégiés; ils le savent et proposent aux chercheurs étrangers leurs
services en tant qu'interprètes ou assistants. Un griot avoue cependant que, quand il
transmet un message, ill!Ïoute toujours quelque chose «pour mieux lui donner forme,

• pour agrémenter». Les griots n'ont en outre accès qu'à des champs de connaissances
limités.
• animer
Il semblerait. par ailleurs. que les griots soient tonnés non seulement pour
le..~ activités sociales. mais aussi pour développer une capacité de traduire
messages d'une sphère sociocultureIle à une autre. Bien qu'ils soient en général relié à
de.~
142

une ethnie particulière. ils se déplacent fréquemment. parlent plusieurs langues et


acquièrent une sensibilité aux différences cultureIles : «c'est important. car sinon vous
pourriez vous heurter à des coutumes que vous ne connaissez pas. à des tabous». C" est
généralement un griot qui guide les voyageurs étrangers...il doit les intonner de ce
qu'il convient de faire et d'éviter» (Râ, 1994, p. 10). Lorsqu'ils sont in.~it~. les
membres de familles de griots paraissent développer de vastes réseaux de relation.~ dan.~

toutes les sphères sociales, même les plus hautes. À l'étranger, leur tonnation facilite
également les contacts: «en Europe, j'avais beaucoup d'amis, j'avais ma guitare et je
faisais des veillées où l'on s'amusait beaucoup•.

Le rôle des griots s'est toutefois profondément tranSformé dans l'Afrique de

• l'Ouest contemporaine. Au-delà des activités coutumières qui subsistent partois,


beaucoup de griots sont devenus des gens de spectacle grdce au développement de
l'industrie du chant et de la musique. Leurs oeuvres sont diffusées par ca.~, par
vidéo clips, et certains d'entre eux deviennent des personnalités médiatiques. Un
bomme de télévision disait d'ailleurs que les griots acceptent généralement peu que des
non-griots deviennent chanteurs et musiciens, surtout s'ils se servent d'instruments
étrangers et non' lOcaux. Quant aux conteurs, ils peuvent provenir de divers groupes
(N'Da, 1984, p. 29). Ils maîtrisent des espaces de communication tenant de l'initiation
aux valeurs", alors que les griots participent plutôt à la négociation sociale.

Ce rapide aperçu révèle finalement que la parole n'est. en Afrique de l'Ouest.


qu'un espace de communication parmi d'autres, et peut-être pas le plus valorisé. Les
gens localement spérialisé';: dans la parole, les griots, possèdent de vastes pouvoirs dans
cet espace, mais ces pouvoirs semblent malgré tout limités. Grâce à leur maîtrise des
subtilités du langage et à leur habileté à traduire les messages d'une sphère sociocultu-
relle à une autre, les griots ont néanmoins acquis de vastes connaissances dans la
• communication verbale et dans les échanges interculturels, connaissances qui supposent
généralement un long apprentissage auprès de spécialistes réputés (N'Da, 1984, p. 29).
143

Un langage qui renferme l'histoire


Dans le monde des Noirs, la parole coexiste avec d'autres moyens de communi-
cation - pour nous non verbale -, par exemple les masques et les tambours, qui sont
des «objets» chargés de sens. Comme je le décrirai plus en détail dans la conclusion,
on retrouve nettement ici certains aspects cachés de la communication tels qu'ils sont
analysés par Erving Goffman. Beaucoup de masques africains sont considérés comme
des chefs-d'oeuvre du patrimoine artistique humain et il est notoire qu'ils ont profondé-
ment influencé des artistes occidentaux, comme Paul Klee, Henry Matisse, Amedeo
Modigliani ou Pablo Picasso (Mudimbe, 1994, p. 56)", Pour un Noir, les masques
sont cependant moins des objets d'an que des médias, poneurs de messages. Dans sa
nouvelle, Le cimetière des masques, Cheik C. Sow (1983, p. 113-114) écrit :

• r...] les Masques me parlent. Oui! je dis bien : les Masques communi-
quent avec moi, ils me parlent. 1•••] La \'oix était soudain là, multiple,
sonant de tous les Masques en même temps, du Dogon Renard-à-étages,
du Mangbetu-dix-mentons comme du Baoulé-cercles-de-fer.
Le langage des masques, affirme Titinga Frédéric Pacéré,
1•••1renferme plus que la culture, le message du masque est littéraire,
politique, économique et éthique, Quand vous utilisez un stylo, ça n'est
pas le stylo qui écrit, c'est vous. Pour le déchiffrer, on lit les caractères
et le meSSage prend sens. C'est la même chose pour un masque, en
faisant des mouvements, c'est un langage qui s'exprime et que l'on peut
comprendre.
Incidemment, il est révélateur qu'aux fins d'explication l'aune à laquelle on compare le
langage des masques soit l'écriture. C'est là une manifestation de ce que Johannes
Fabian (1983, p. 123) nomme le «Visualisme>o ptopre à la pensée occidentale:
The visualist bias that is brought to the visua1 production of other cultu-
res is no less in aleed of critique than visualist reductions of, say, langua-
ge, ritual, dance and music, social relations, or ecological relations.

• De nos jours, certains masques deviennent des objets folkloriques, et les danses
des masques, des événements organisés pour les touristes ou pour les anthropologues
• (Balandier, 1981. p. 206). Les ~cialistes
144

s'entendent cependant pour reconnaître que,


dans beaucoup d'ethnies ouest-africaines, il existe toujours un langage des masques,
langage généralement compris comme étant r expression ritualisée des croyances locales
- décodables, entre autres, par ranalyse structurale. Mais selon Titinga Frédéric
Pacéré, ce langage se situe dans un espace qui ne peut être réductible aux analyses
scientifiques; en d'autres termes, il appartient à un champ de connais.<;ances communica-
tionnelles qui ne peut être comparé avec celui défini par la science occidentale".

Quelques chercheurs africains tentent aujourd'hui d'établir des approches


analytiques du langage des masques et des tambours. Titinga Frédéric Pacéré a
rassemblé une importante documentation sur le bendre, le tambour parleur des Mos.-;é,
afin de jeter les bases de la bendrologie, c'est-à-dire l'étude de la communication par le
bendre. Comment comprendre ce langage'!
Ce n'est pas une phrase sujet-verbe-complément. Si l'on demandait au

• tambour de développer un thème, il commencerait par votre devise, puis


par la devise de Ouagadougou où nous sommes, complétée par ma
devise. Il s'agit d'une juxtaposition de devises, par exemple, pour
Ouagadougou, c'est cn'ait pas peur de l'avenir, laisse l'avenir venir lui-
même, le foyer s'est éteint et les chiens sont en train de gratter». En
interprétant chaque phrase vous retrouvez la culture du milieu, la politi-
que, la géographie, la santé, etc. Ce langage du tambour est un langage
qui renferme l'histoire.

Niangorilli Bouah, ethnosociologue de l'Université d'Abidjan, affirme que la


drummologie, l'étude du langage des tambours parleurs dans différentes ethnies, peut
effectivement être considérée comme une science :
Il s'agit d'une connaissance exacte et approfondie, sur un objet d'étude
d'intérêt général [•..], objet déterminé et reconnu avec une méthode
propre qui est le langage de la loi du silence. Notre objet, c'est de
connaître de façon approfondie les sociétés d'expression orale de la
période précoloniale"
La drummologie serait donc l'étude d'cune écriture sonol'C>, d'cun livre par le son•• Le
tambour parleur des Baoulé, par exemple, est à la fois source de connaissances et

• moyen de diffusion des connaissances. Comme le bendre (Pacéré, 1991), il peut trans-
• mettre des messages jusqu'à plus de 30 kilomètres, messages qui, relayés d'un village à
l'autre, gagnent vite toute une région. Si le tambour sen à diffuser des messages à
travers de longues distances, affinne Bouah, on doit le considérer comme un média.
145

Masques et tambours sont les manitèstations les plus remarquables des espaces
de communication endogènes, ou des médias locaux. Ils ont suscité 1"intérêt des
chercheurs occidentaux qui considèrent ces moyens de communication comme des
«objets» artistiques chargés de significations. Leur langage est généralement perçus
comme réductibles à la compréhension occidentale du sens et de la communication.
D'autres espaces sont plus difficiles encore à appréhender. Nous ne savons pratique-
ment rien du bogolan, c'est-à-dire les motifs des pagnes utilisés comme moyen de
communication chez les femmes mandingues". Plus généralement. les espaces de
communication spécifiques aux femmes africaines, parfois évoqués par des chercheuses,
n'ont jamais été étudiés. Quand à la communication avec la nature, les animaux, les

• plantes ou les esprits, elle constituerait vraisemblablement un objet d'étude controversé.

La communication entre humains donne lieu à une fonnation particulière, à


l'acquisition d'habiletés qui se manifestent, entre autres, par la qualité d'écoute que l'on
observe chez les Noirs (Lobisse, 1974, p. 40). À l'écoute s'ajoute aussi la participation
à la communication, qui est un élément central de la vie. L'échange verbal coexiste
finalement avec d'autres moyens de communication: l'attitude, le mouvement et le
rythme, ptlneurs de significations précises et singuJières, mais aussi les scarifications,
les tatouages. les peintureS, les habits et les parures (p. 53-85). L'accoutrement, par
exemple, possède de fanes significations; il suffit de penser au bonnet qui est le
symbole des chefferies sahéliennes pour s'en rendre compte. Dans les villes africaines,
on remarque également l'imponance du vêtement, entre autres chez les sapeurs, version
contemporaine et locale des dandys européens (Hecht et Simone, 1994, p. 46-52)"'.

De ce rapide aperçu des champs endogènes de communication, on peut retenir

• que ~a communication en Afrique de l'Ouest ne peut être réduite à la communication


verbale et médiatisée. Pour les Noirs, la communication peut faire interVenir des
• langages non verbaux; elle peut dépasser les échanges entre humains et utiliser des
médias autres que les médias modernes. Certains espaces endogènes de communication
peuvent, par ailleurs, être maîtrisés exclusivement par de.~ groupes d'àge ou sociocultu-
146

rels particuliers. Cest dans ce cadre que, depuis près d'un millénaire, de.~ médias
étrangers ont été imponés - et contribuent à la transformation des proces.~us de
communication locaux ainsi qu'aux changements dans les sociétés africaines.

Radio tain-tain
Les moyens de communication étrangers à l'Afrique, écriture, radio, téléphone,
télévision et autres, n'ont donc pas été implantés sur un temùn vierge, mais au
contraire dans un monde où existaient déjà des conceptions et des pratiques locales de la
communication, des connaissances endogènes et des espaces de communication incon-
nus, ou niés, en OCcident. Les nouveaux médias ont été intégrés dans les conception.~

préexistantes, On le constate d'après ce qui est rapponé de l'époque où les médias

• étrangers sont apparus en Afrique. Wole Soyinka écrit que, dans les années 1940, date
des débuts de la radio au sud du Nigéria, cette «boite» était surnommée «celui qui parle
sans attendre de réponse», et un chant d'enfants disait : «Radiodiffusion, mensonge de
l'homme blanc» (1984, p. 155).

La radio fut imposée par les colonisateurs, mais auparavant il avait fallu près de
huit siècles pour que l'écriture soit partiellement utilisée comme un moyen de communi-
cation à distance ou de conservation des données. L'écriture des Touareg, le rijinar,
sen à inscrire sur le sable des poèmes éphémères, mais il n'est utilisé ni pour le commer-
ce ni pour l'archivage (des domaines dans lesquels la mémoire et la parole prévalent),
Autrefois, dans les régions islamisées, l'arabe servait sunout à l'enseignement du Coran
et, dans certaines villes (Agadez. Gao, Maradi, Tombouctou), à la rédaction de textes
scientifiques, en astronomie, en mathématiques, en médecine, en sciences sociales ou
autres. Ces travaux d'érudition écrite, doit-on noter, se retrouvent là où les liens avec
l'Afrique du Nordet le Moyen Orient étaient étroits. D'ailleurs, dans le Sahel, ce n'est

• que récemment que l'arabe a été utilisé pour fonnaliser des transactions.

147
L'écriture était perçue comme magique par les Noirs. L'inscription de la parole
touchait le surnaturel - les mots possédant les pouvoirs de ce qu'ils évoquent. Des
explorateurs relatent que les Noirs d'Afrique de l'Ouest lavaient les ardoises où était
inscrit un texte et buvaient l'eau qui avait servi à effacer les écrits afin de s'approprier
leurs pouvoirs (Caillé, 1979, Park, 1980). Un texte sur une feuille de papier pouvait
menacer ou protéger les humains. L'écriture était donc connue, mais restait peu utilisée
à des fins séculières. Chez les musulmans, affirme Jack Goody, «l'utilisation de
l'écriture était restreinte parce qu'elle représentait. à l'origine, la parole de Dieu»
(1986, p. 121). Aujourd'hui encore, on constate que beaucoup d'Africains prétèrent
utiliser la mémoire que l'écrit; la parole plutôt que le contrat. Les enfants des écoles
retiennent textuellement leurs leçons en évitant de résumer et d'interpréter. Même les
fonctionnaires utilisent relativement peu l'écriture, en dehors des formulaires officiels
- des documents laborieu.o:ement produits, plus significatifs dans leur forme que dans
leur contenu, et dûment indexés et archivés"". L'écriture semble donc n'avoir pénétré
qu'en superficie le monde des Noirs.

Ces constats sur les perceptions africaines de l'écriture nous ramènent à l'opposi-
tion - couramment faite - entre l'écrit et l'oral ou entre culture écrite et culture
orale. Il existe certes des distinctions fondamentales entre les sociétés qui ont déve-
loppé et utilisé la communication écrite et celles qui l'ont ignorée. Mais comment
aborder ces distinètions, alors qu'elles ont presque exclusivement été étudiées par des
gens de science pour lesquels l'écrit est le moyen de communication privilégié et la
publication de l'écrit, la consécration de la pensée? En d'autres termes, notre entende-
ment des cultures orales n'est-ù pas toujours biaisé par la valorisation de la communica-
tion écrite?

Pour une très grande ~orité de spécialistes, adoptant une perspective évolu-
tionniste, la communication, ou «littérature» orale, se définit essentiellement. par
opposition à la communication écrite. Il Ya toutefois des exceptions. Selon Isidore
Okpewho :
• ln more recent times. a number of Western scholars have revisited these
cultural dichotomies with a view to restating them in more polite terms
and panIy even to revising them. (1992, p. 366)
148

Jack Goody (1986), qui est de ces derniers, affirme que le caractère ethnocentrique de
nos conceptions de r écriture provient de r accent qui fut mis sur les moyen.~ de
production, au dépens des moyens de communication. Il reconnaît que des lien.~

peuvent exister entre le développement de l'écriture et certains changements, comme


r émergence de l'universalisme et le développement du capitalisme. De plu.~,
l'écrit permet ou favorise un développement de la bureaucratie, l'exercice
d'un contrôle sur les esprits et les compétences, une accumulation de la
richesse foncière 1•..1. (1986, p. 31)
Jack Goody note également l'importance ;
1•••] d'insister sur une propriété majeure de l'écriture, à savoir la possibi-
lité qu'elle offre de communiquer non pas avec d'autres personnes mais
avec soi-même. (p. 91)


Mais il nie finalement que l'écriture puisse être située au centre de la production
économique et de l'organisation sociale.
Ce à quoi l'introduction de l'écriture contribue cependant. c'est à rendre
explicite ce qui était auparavant implicite, et ce faisant à étendre les
possibilités d'action sociale, parfois en mettant en relief les contradictions
latentes, favorisant ainsi de nouvelles solutions (et probablement de
nouvelles contradictions). (p. 175)

L'opposition entre culture écrite et culture orale, comme la conception évolu-


tionniste du changement, suppose la supériorité de l'expérience occidentale. Jack
Goody remarque pourtant que, «dans le domaine des médias, nous n'avons pas affaire à
une évolution linéaire et continue- (p. 184). Comme je rai montré plus tôt, la
communication médiatisée est réinterprétée et utilisée dans le cadre des réseaux commu-
nautaires, sans que cela supprime les processus de communication plus anCiens.
Nombre d'Africains instruits (qui bénéficient donc des avantages que procure la
connaissance de récriture et l'exposition aux médias) affirment que les médias endogè-
nes possèdent des propriétés généralement attribuées aux moyens de communication dits


• «modernes-. Alors que l'observation est révélatrice. la démonstration dans une langue
étrangère et avec un raisonnement rationnel reste toutefois difficile.
149

Un média étranger considéré peu crédible, Radio France internationale (RFl),


est qualifié de «radio tam-tam- : il fait l'éloge de la France et diffuse la perspective de
son gouvernement. Les moyens endogènes de communication - de complexes réseaux
informels de circulation des messages - sont, quant à eux, parfois surnommés «radio
trottOir» et «téléphone de bro\lSSel>; il est d'ailleurs révélateur que ces qualificatifs
s'inspirent des médias dits modernes. Pas plus que dans le cas de la religion ou de
l'écriture, les médias endogènes ne peuvent être opposés à leurs homologues importés :
les premiers ne sont pas antérieurs aux seconds, ils se situent dans des espaces de
communication différents et, aujourd'hui, les médias africains se superposent aux
médias de masse; ils les utilisent, les intègrent et les transforment.

• Les médias de communication endogènes de l'Afrique contemporaine peuvent


désormais utiliser des canaux comme l'avion, le téléphone, la fibre optique et le satellite
- sans pour autant perdre certaines de leurs spécificités. il est vraisemblable que leur
rayonnement, et peut-être même leur efficacité, s'en est trouvé accru. J'ai moi-même
constaté, alors que je travaillais comme journaliste, que certaines informations pou-
vaient parvenir très rapidement jusqu'à des villages retirés. Peu de décisions sont prises
sans être relayées.par cté1éphone de brousse-; j'ai ainsi assisté à un coup d'État qui fut
annoncé une dizaine d'heures avant de se produire. Même les victimes de tels événe-
ments peuvent être préalablement informées, comme le signale le journaliste burkinabé
Jean-Luc Bonkian qui fait parler un dirigeant dans son roman Le fil des crevasses :
je me sens fatigué, inquiet aussi; car la situation est grave... Nous avons
reçu la nouvelle qu'un certain nombre de personnalités des plus insoup-
çonnables préparaient un coup de force contre l'État. (s. d., p. 141)

La persistance de processus endogènes de communication n'a certes pas échappé


aux chercheurs qui ont longuement séjourné en Afrique. Du côté francophone, on s'est

• cependant borné à en faire le constat sans en dégager les incidences, car les études sont
• demeurées essentiellement descriptives. Dans son ouvrage sur .la communication
tribale». Jean Lahisse (1974) recense les singularités de la communication en Afrique
pour conclure sommairement qu'elles contribuent sunout au maintien des
150

.tradition.~ •.

À propos de la télévision. André-Jean Tudesq (1992) constate que les producteurs et les
auditoires africains se component de façon très particulière. tout en supposant que la
télévision demeure un outil de développement". En pratique. il faut admettre que la
recherche fondamentale et l'analyse des processus de communication en Afrique de
l'Ouest francophone restent à faire. Du côté anglophone. particulièrement au Ghana et
au Nigéria, les chercheurs se situent dans deux courants principaux. Le premier est
associé aux études afro-américaines qui ont connu un imponant développement aux
États-Unis; il adhère à la perspective d'un fond culturel commun partagé par tous les
Noirs - qu'ils soient africains ou américains (Asante et Asante, 1985; Ziegler et
Asante, 1992). J'approfondirai, dans la conclusion de ce texte, les limites évidentes de
cette approche. Le second courant, proche des études britanniques et américaines en

• communications, mais marginal en Afrique, confirme largement les constats faits


précédemment. D'après Frank Okwu Ugboajah (1985, p. 16), communicologue de
l'Université de Lagos (Nigéria), aux fins d'études en communications,
It is true that there are great social, economic and political differences
between African societies. 1...] African societies range from small
fami1y groupings ta large states and kingdoms, from societies that are
almost completely se1f-sufficient ta those with weII-deveioped economic
systems 'and extensive trade. However there are also many common
historical, economic and po1itical ties.
Cet auteur et ses collègues font également remarquer l'absence d'études en commu-
nications en Afrique francophone (p. 18). La communication africaine, affinnent-ils,
demeure profondément marquée par les processus endogènes (p. 23), et c'est plus en
termes ethnoculture1s qu'en termes psychosociologiques qu'il est possible de l'appré-
hender (p. 25). Les processus endogènes de communication, y compris ceux qui sont
produits par les médias, tendent non pas à la modernisation, mais à la création d'une
nouvelle culture (p. 91). De piUs, on note que les médias endogènes, nommés


• coramédia'i>', semblent avoir un effet beaucoup plus important que les médias de masse
(p. 172). Les recherches en communications, et plus généralement en sciences sociales,
1..•1have until recently suffered in part from erratic conclusions. wild
151

generalizations and foreign dominance. Sometimes quite erroneous


results have been drawn from da:a ana\ized by academics who have had
little or no experience of Africa. Others have offered patently contradic-
tory conclusions 1... \. In Africa. 1... 1communication research should
emphasize case SlUdies and observational approaches. (p. 279)-:

Les processus de communication chez les Noirs sont donc peu explorés par les
études en communications, mais il demeure qu'il sont connus de chaque Africain qui les
pratique. La réintégration des pratiques dans les théories, effectuée par les chercheurs
africains ou autres spécialistes de r Afrique, correspond à leur position, à leur intercul-
tura1ité et, sans doute, à des intérêts particuliers. Dans ces conditions, c'est donc
d'abord par l'observation qu'il convient d'aborder l'intereultura1ité chez les Noirs.
Quoique la collecte systématique des données reste à faire, des hypothèses peuvent être

• déduites de certaines observations ainsi que des constats faits par des Blancs-noirs.

INTERCULTURAUTÉ ET POSITION CHEZ LES NOIRS


La communication intereulturelle se manifeste en premier lieu dans le cadre
d'interactions, c'est-à-dire à un niveau interpersonnel. Mais dans le contexte ouest-
africain, même si l'individu est acteur de la communication, l'individu et l'inter-
culturalité qU'il'nianifeste sont largement reliés à d'autres niveaux. Non seulement les
personnes appartiennent-elles à des groupes (genre, classe d'âge, grande famille, ethnie,
etc.), mais cene appartenance implique aussi des langues avec leurs codes, des espaces
particuliers de connaissances et de croyances, des pouvoirs, des liens avec une cosmo-
gonie propre à chaque groupe, ainsi que des connaissances et des habiletés communica-
tionnelles et intereulturelles, Ces dernières, doit-on souligner, ne sont ni traditionnelles
ni modernes; elles sont contemporaines et locales et peuvent être à la fois d'origine
endogène et étrangère, Ces ensembles de connaissances sont, par ailleurs, acquis par
r expérience et procèdent de la position des acteurs,


• En apprenant. ils oublieront
En ce qui concerne r étude de Iïnterculturalité, le.~ Noirs ne peuvent pas être
considérés comme un groupe homogène. Leurs connaissances et hahiletés sur le plan
152

interculturel dépendent des expériences et de la position, qui sont très variahles selon les
personnes et selon les groupes. Les apprentissages dans ces domaines peuvent être
considérés comme les produits de trois principaux champs d'expérience : les contacl~

avec des cultures et sous-cultures différentes, la formation dans un sens large - qu'elle
soit scolaire ou autre - et les voyages et migrations.

Comme je l'ai expliqué, les Noirs sont d'abord membres de divers groupe.~ qui
constituent la communauté : genre, groupe d'âge, grande famille, groupe socio-ethnique
et ethnique; ces niveaux d'appanenance détertuinant des statuts qui se modifient dans le
temps. À rintérieur de la communauté, ou dans les nouvelles communautés qui se sont
constituées en milieu urbain ou semï-urbain, l'individu se situe également dans des

• réseaux d'échanges et de solidarité, donc de communication. Ces réseaux correspon-


dent à des exigences de survie et leurs ramifications délimitent certains pouvoirs détenus
par l'individu. Par ailleurs, dans l'Afrique cO:ltemporaine, les Noirs sont aussi marqués
par des composantes plus récentes du statut. telles que le lieu de résidence, la richesse,
les relations, l'apparence4), le métier, la nationalité, etc.

L'interculturalité chez les Noirs provient d'abord des échanges entre sous-
groupes à l'intérieur d'une même culture, puis elle est un produit des contacts entre
cultures; contacts qui. dans les sociétés africaines, sont quasi permanents. De tous
temps, plusieurs ethnies et groupes socio-ethniques ont cohabité sur un même territoire.
Ils vivent parfois, dans un même lieu, d'activités distinctes: différentes pratiques
d'agriculture, d'élevage, de cueillette, de pêche, d'artisauat. de commerce et autres.
De cette cohabitation naissen~ des réseaux d'échanges qui peuvent être d'une eictrëme
complexité, comme cela est le cas dans le delta du Niger au Mali où les agriculteurs
bambaras laissent la terre aux pasteurs maures, peuls ou touareg en saison sèche, alors

• que les Bom demeurent les «maîtres de l'eau». Les villes de Djenne, Mopti et Tom-
• bouetou étaient à la fois d'imponants marchés et des centres de religion et de savoir -
lieux d'échanges entre autochtones, nomades, lettrés urbains, carav::..tiers sahariens,
pèlerin.~ et commerçants, venus d'aussi loin que la côte atlantique et le Maghreb.
153

Les royaumes du golfe de Guinée et les empires sahéliens entretenaient des


relations étroites non seulement avec leurs voisins, mais aussi avec des peuples fort
éloignés. L'État ashanti du Ghana employait des Haoussa du nord du Nigéria et même,
après l'arrivée des Européens, des Britanniques et des Français (Yansane, 1985, p. 52).
Les souverains des royaumes du golfe de Guinée envoyaient des émissaires pour consul-
ter des lettrés du nord avant de prendre des décisions imponantes. Les États saheliens
incorporaient de nombreux étrangers et étaient bordés de vastes région.~ frontalières où
cohabitaient de nombreuses ethnies. Quant aux musulmans d'Afrique de l'Ouest.
depuis longtemllS, certains d'entre eux entreprennent le long périple qui les mène en
Arabie, pays où se trouve le tombeau du prophète.

• Au XVIII' siècle d'importantes communautés d'étrangers vivaient déjà dans la


plupart des sociétés d'Afrique de l'Ouest (Shack et Skinner, 1979, p. 5). La traite
esclavagiste et le colonialisme ont accentué les échanges entre les peuples de la région.
De petites ethnies ont été décimées", d'autres ont été profondément transformées et les
premières régions colonisées ont fourni de gros contingents d'auxiliaires envoyés dans
les territoires plus tardivement conquis, Plus tard, des mouvements migratoires
considérables se sont produits pour des raisons économiques et écologiques. On compte
ainsi aujourd'hui près de 2 millions de Burkinabés vivant en Côte d'Ivoire. Par
ailleurs, les revenus provenant de l'émigration représentent près de 100% du produit
intérieur brut (PlB) du Burkina Faso. Beaucoup de jeunes, parfois instruits et chô-
meurs, se sont aussi établis en ville où ils vivent d'expédients.

Dans les sociétés africaines, lCii étrangers sont formellement intégrés par des
«rites d'incorporation.. qui instMItionnalisent des processus informels. selon William
A. Shack et Elliotl P. Skinner (1979, p. 9) :
• The cultural rather than the political process, incJuding the adoption of
language, custom. dress. mode of livehood, fictive kinship. and religious
practices. bas been the most common and widespread method by which
strangers have been completely incorporated inlo host societies.
154

Malgré cela. le souvenir des origines subsiste toujours. Les groupes socio-ethniques
d'une même ethnie peuvent correspondre à des origines ethniques diftërenles. à des
peuplements plus ou moins anciens sur un territoire. et il en reste des ~-pécialisations au
niveau des connaissances et des pouvoirs.

Dans \'Afrique de l'Ouest contemporaine. ces coutumes d'échange et de partage


culturels se sont, en apparence, modifiées dans le cadre des États nationaux. De violen-
tes expulsions d'étrangers ont eu lieu ces dernières années au Nigéria. au Sénégal. en
Mauritanie (ainsi que tout récemment au Gabon). Mais comme le remarquent la plupart
de mes interlocuteurs, de tels phénomènes correspondent vraisemblablement plus à une
manipulation politique des phénomènes migratoires et des problèmes sociaux urbains

• qu'à un ressentiment profond parmi les populations. Ces événements sont nés dan.~ des
situations de crise économique et politique, et, là où ils ont pris fin. c·est sur un plan
local et grâce à l'interVention des autorités coutumières. À Bamako au Mali. au
moment où les Touareg étaient menacés à cause de la rébellion de leurs homologues du
nord, les autorités locales ont demandé aux chefs coutumiers, chefs de quartiers ":~
vieux, d'interVenir pour que soient maintenues les habitudes de cohabitation pacifique.

On constate donc qu'il e:<iste des coutumes et des connaissallces locales tàvori-
sant les échanges intereu1turels et, parfois, une transgression des barrières culturelles.
Cette mobilité n'est possible que lorsque la culture d'accueil, dominante sur le terri-
toire, l'autorise, et l'on constate que la possibilité e:<iste à divers degrés parmi les
cultures africaines, et beaucoup moins parmi les cultures européennes. En effet, bien
que les Africains aient l'habitude de se soumettre au conquérant et d'adopter sa culture.
et que beaucoup parmi les premiers colonisés aient résolument choisi de devenir
français, le projet d'assimilation s'est révélé irréalisable dans une société occidentale

• peu ouverte aux étrangers - comme la France qu'ont connu la plupart des Blancs-noirs.
• Malgré l'impossihilité d'assimiler les Africains dans la société frdllçaise,
l'éducation dans le système scolaire français était perçue, dès les débuts, comme une
155

forme d'intégration, car elle pouvait créer une distance vis-à-vis de la culture d'origine.
Avant même d'envoyer leurs enfants à l'école, les vieux toucouleurs prédisaient qu'.en
apprenant, ils oublieront,.; et, en effet, ce que les Blancs-noirs manifestent aujourd'hui
par la nostalgie, c'est le sentiment d'une perte culturelle. Les Noirs eux-mêmes
admettent qu'ils perçoivent qu'une distance s'est créée entre eux et les Blancs-noirs,
distance qui n'existe pas entre Noirs. Un Mossé du Burkina Faso peut vivre une
vingtaine d'années en Abidjan, puis revenir au village et en devenir le chef, sans qu'il
soit perçu comme un outsider. Il semblerait donc qu'une intégration, même relative,
dans les cultures administrative et française crée un handicap.

Certaines cultures peuvent permettre ou favoriser l'accès à d'autres cultures, le


partage culturel, voire parfois un passage d'une culture à l'autre - en bref, elles

• suscitent, chez certains de leurs membres, le développement d'une vaste compétence sur
le plan interculturel. Ce constat peut être étayé par ce que l'on sait des stratégies
communicationnel1es des chefferies mossé; il l'est également par l'observation du
syncrétisme religieux et de la coexistence de moyens de communication endogènes et
importés. Les stratégies de communication et d'action sont donc fondées sur un bagage
de connaissanœs sur les processus interculturels qui est, en partie, culturellement situé
dans les contexteS endogènes.

Les groupes qui adoptent une stratégie collective dans une situation d'échanges
culturels et de changements sociopolitiques croissants, utilisent des connaiSS'lllces qui se
situent dans divers espaces de communication et de culture, locaux et étrangers. La
concertation se fait, entre autres, par des échanges entre des membres qui possèdent des
connaissances endogènes provenant de différentes sphères socioculturelles : ethnie,
grande fami11e, genres, groupes d'âge et autres. En bref, l'interculturalité dépend d'un
ensemble de connaissanœs et d'habiletés, dans le domaine de la communication

• interculturelle, qui sont propres à un ensemble de groupes d'appartenances.


• Nous avons appris pour vous
Un second facteur constituant Iïnterculturalité chez les Noirs est la formation.
dans le sens large du terme. Brièvement. je dirais que cette formation peut se situer
156

dans la famille et au village. ou en dehors. par exemple dan.~ les écoles. La formation
dans le cadre du village correspond à une socialisation non seulement primaire. mais
également secondaire. puisque r enfant est formé très tôt à des techniques agricoles ou
autres, selon son âge, son genre et les spécialisations de son groupe d'appartenance.
P3r la suite, certains Noirs fréquentent récole dite «française>: ils apprennent les ba~es

de la langue, de l'écriture et du calcul, et deviennent des «alphabétisés fonctionnels-


sans être des Blancs-noirs, sinon partbis en apparence. Cette remarque est toutefois
relative, car, d'après Amadou Hampâté Bâ, certains Noirs appartiennent à la catégorie
des nègres de blancs qui comprenait tous les indigènes illettrés mais
employés à un titre quelconque par les blancs-blancs ou les blancs-noirs
(domestiques, boys, cuisiniers, etc.). (1994, p. 187)


Ces derniers, auxquels s'ajoutent de plus en plus de personnes urbanisées et ayant eu
une courte scolarité, ou encore certains diplômés au chômage, peuvent être perçus
comme des Blancs-noirs au village et comme des Noirs en ville - où ils tendent
généralement à reproduire un nouveau village. En périphérie des villes africaines se
dévelOPPe ainsi une société de jeunes marginalisés et de travailleurs du secteur informel:
un monde se crée, qui est le produit de multiples échanges entre cultures. On observe
d'ailleurs que c:est là que sont adaptés de nombreux modèles venant de l'étranger".

Pa."lI1lèlement à la formation scolaire qu'ont vécue certains Noirs, il y a égale-


ment formation dans le cadre familial, communautaire et religieux. Même pour la
plupart des Blancs-noirs et pour les Noirs urbanisés, cette formation semble essentielle
dans ce qu'ils tiennent à transmettre à leurs enfants. Certains événements exigent que
tout membre d'une famille retourne au village: f'etes, pèlerinages, mariages, funérail-
les, ete. Les vacances, le commerce et d'autres occasions permettent un retour dans la
communauté, le plus souvent nn'lI1e. Peu d'Africains n'ont pas connu la vie villageoi-

• se, les f'etes, l'agriculture, les activités collectives, les pairS restés ruraux et les aînés
auxquels on doit le respect. De la formation au village subsiste, d'une part, l'acquïsi-

157

tion de connaissances culturelles et communicationnelles et, d'autre pan, l'expérience


d'un statut socioculturel, d'un genre, de l'appanenance à un groupe d'âge ainsi que de
l'initiation, c'est-à-dire le passage formel d'un groupe et d'un statut à un autre.

Comme je l'indiquais plus tôt, l'entànt, la femme et l'homme noirs font tous
l'expérience du pouvoir, à divers degrés. Il existe des statuts qui excluent. d'autres qui
intègrent, mais tous delimitent des droits, des devoirs et des connaissances. Tous les
membres sont, d'une façon ou d'une autre, non pas subordonnés, mais jusqu'à un
certain point dépendants des décisions prises par le chef de famille et par les ainés. A
chaque statut correspond, en quelque sone, une microculture qui déte=.ine les échanges
avec d'autres groupes et la constitution de l'interculturalité. Les étapes de la vie du
Noir, qui sont marquées par des rituels, initiations, mariages et autres, correspondent à
un changement de statut et donc au passage d'un espace de culture, de pouvoir et de
connaissances à un autre. Cette nécessaire mobilité socioculturelle de l'individu (qui est

• finalement acceptée comme étant dans l'ordre des choses) conmbue-t-elle à l'acquisition
d'une familiarité avec le changement, en imposant le passage d'une sphère sociale et
culturelle à une autre, d'une conception du monde à une autre?

La réponse à cette question est clairement positive. La position double d'insi-


der-oursider, qui est vécue par beaucoup de Noirs, permet le développement d'une
compétence, d'un. ensemble d'habiletés communicationnelles et interculturelles particu-
lières. cette compétence est nettetnent accentuée chez ceux qui sont spécifiquement
formés aux échanges entre divers groupes, c'est-à-dire les griots et probablement
d'autres, tels que les commerçants, les guérisseurs, les marabouts, les matrOnes, etc. 11
serait certes nécessaire de rassembler des données spécifiques pour définir plus précisé-
ment en quoi peuvent consister les connaissances qui favorisent le développement de
l'intereulturalité chez les Noirs d'Afrique de l'Ouest. Mais je me bornerai ici à signaler
leur existetïce.

Parmi les expériences des Noirs liées à l'intereulturalité, les voyages constituent
le dernier aspect que j'aborderai. Beaucoup d'Africains sont, depuis longtemps, de
• grands voyageurs. Certains groupes vivent dans un monde qui est heaucoup plus vaste
que le village, hien qu'il exh1e presque tou,iours un lieu central qui est au moins
périodiquement occupé et qui demeure familier. Les nomades, loin de vivre dans
158

r errance, comme on l'imagine parfois, gèrent de vastes territoires de transhumance où


ils se déplacent conformément à des cycles très précis qui varient selon les conditions,
climatiques ou autres. Ces déplacements sont partais penurhés par les sécheresses et
par les conflits, mais même dans les régions les plus arides l'on constate que dès que
les pâturage recommencent à croître, les pasteurs reviennent, qui «poussent- leurs trou-
peaux de moutons, de chèvres, de boeufs ou de dromadaires (Péricard, 1990-a).

Les femmes, les enfants et les hommes nomades n'ont pas tous la même
mobilité dans l'espace. Les crises récentes ont provoqué de vastes déplacements de
nomades du nord sahélien et ont poussé certains d'entre eux à se rendre jusque dans le
Maghreb et en Afrique équatoriale. De plus, alors que certains groupes nomades

• (Maures, Touareg, Toubou) ont l'usage exclusif d'un territoire aride, d'autres cohabi-
tent avec plusieurs ethnies dans des régions semi-arides. Chez les Peul, divers groupes
partageant une langue commune, le poular, sont disséminés sur un immense territoire
allant de la Mauritani~'au cameroun. Ces sociétés nomades sont subdivisées en nobles,
guerriers, «castés>o (forgerons, cordonniers), captifs et autres. Le terme erroné qui est
souvent utilisé à propos de ces ethnies est celui de «féoda\isme- - ce qui se trouve
clairement infirine par l'observation de la persistance, entre autres, d'éléments de
matriarcat et de modèles confédéraux inconnus de l'Europe médiévale.

Les commerçants, par exemple les Dioula et les Sarakolé, sont aussi de grand.~
voyageurs. D'autres groupes ont également élargi leur territoire d'activité, comme des
pêcheurs originaires du Ghana que l'on retrouve dans la plupart des pays du golfe de
Guinée, De nombreuses femmes d'Afrique de l'Ouest voyagent aussi, entre les villes
de la côte atlantique et du sahel, pour faire du commerce de tissus, de cosmétiques, de
médicaments, d'aliments, ete. Certains jeunes urbanisés se déplacent constamment et

• cherchent à émigrer en OCCident. D'autres exemples encore pourraient être présentés


• sur l'extrême mobilité de beaucoup d'Africains contemporains, mais Iïmportant est de
souligner que cene mobilité entraine la création de vastes réseaux d'échanges, de circu-
lation des biens et des personnes. et que, par rappon à l'interculturalité, il en découle
159

une acquisition de connaissances et de compétences interculturelles particulières.

Tout Noir, où qu'il soit sur la planète, maintient des canaux de communication
avec sa famille et avec son pays, dans lequel il se doit de retourner régulièrement si
cela est poSStble". Ceux qui se déplacent fréquemment développent de larges compé-
tences linguistiques : il n'est pas rare de rencontrer des commerçantes qui parlent une
dizaine de langues. Leurs connaissances sur diverses cultures sont également considéra-
bles, car beaucoup de ces personnes vivent à l'étranger, dans des communautés dont
elles partagent les coutumes. Des échanges se font. d'une part, avec la société urbaine
et occidentalisée de 1'3dministration, des villes, des Blancs-noirs et des Blancs, d'autre
part, avec de nombreux groupes culturels localisés, Étant considérés comme étrangers

• là où ils pratiquent leurs activités, les Noirs qui voyagent doivent acquérir un vaste
bagage culturel afin de devenir, en partie, des insiders dans les sociétés locales.

Quant aux Blancs-noirs, ils peuvent voyager dans diverses régions d'Afrique,
sans que la connaissance des cultures indigènes soit indispensable, Il leur est générale-
ment possible d'échanger en français, dans le cadre du travail comme à l'extérieur, avec
des «parents», des. cpromotiol\lllÙreS» ou des collègues blancs-noirs, Les Noirs, par
contre, doivent s'adapter aux cultures locales, sans quoi ils ne pourraient pas réaliser
leurs activités, qui se déroulent essentiellement avec d'autres Noirs et qui font large-
ment appel aux processus endogènes de communication et de négociation.

Pour schématiser, il existe donc, dans la sous- région, une culture qui est domi-
nante - la culture administrative de langue française qui est celle des Blancs-noirs et
des Blancs - et des cultures et sous-cultures qui sont localement ou, pour certaines,
régionalement présentes, On constate que, pour une majorité de Noirs, les contacts en

• français avec l'administration sont souvent une source de tracas (du fait de l'arbitraire
des fonctionnaires). Il est plus aisé de vivre dans les communautés locales. Les
• commerçantes, par exemple, ont développé des pratiques qui font peu de ca.~
160
du papier,
de la comptabilité et de la planification, mais qui utilisent des proces.~us endogènes
d'échange qui s'inscrivent dans le cadre des réseaux locaux traversant et reliant les
communautés. Beaucoup de jeunes marginalisés se retrouvent également dans un e.\llace
frontalier entre les cultures, espace dans lequel ils se déplacent perpéroellement. deve-
nant à r occasion des transfuges culturels.

Les déplacements de certains groupes d'Africains ont, de plus, créé de nouveaux


modèles d'échanges, Par exemple, dans la ville de Dakar au Sénégal, avant le contlit
de 1991, les salariés locaux àonnaient aux commerçants maures un montant mensuel et
ces derniers remettaient chaque jour aux femmes de ces salariés les aliments dont elles
avaient besoin. Il faut savoir que pour nombre de familles sénégalaises, il est virroelle-
ment impossible de conserver de l'argent, tant les demandes d'aide sont permanentes -
demandes qu'il est impossible de refuser. Les commerçants maures, des étrangers au

• pays, permettaient donc à ces familles de disposer de moyens de subsistance jusqu'à la


fin du mois". De nouveaux modes d'organisation se créent qui sont fondés sur des
échanges entre cultures et sur des expériences d'insiders et d'outsiders.

Dans le monde de certains Noirs, l'adaptation à de nouveaux espaces culrorels


est donc une expérience constante de la vie. Chacun doit acquérir des connaissances
communicationnelles permettant de traverser les barrières culturelles. cette exigence
est devenue plus intense avec l'augmentation du commerce, des voyages, de l'urbani-
sation et des migrations. Par ailleurs, les siroations d'interactions, qui exigent des
habiletés de négociation dans un cadre interculturel, impliquent qu'un groupe locale-
ment dominant détermine les termes de l'échange, C'est l'outsider qui doit faire
l'effort d'aller vers l'Autre. Comment se définissent alors le starot d'insider et les
termes de l'échange?

L'insider est d'abord celui qui possède l'antériorité et qui appartient à la

• majorité dans un lieu donné; mais il peut aussi être celui qui détient le plus de pouvoir

161

sur le site d'un échange. Le statut d'insider n'est pas nécessairement lié à la culture
première ou dominante sur le tenitoire; il est déterminé à la fois par le temps, l'espace,
le pouvoir et le genre. À titre d'exemple, on observe qu'il existe. dans les villes
africaines, des quartiers qui sont des microcosmes peuplés presque exclusivement
d'étrangers venant d'un autre pays. Dans certaines situations, l'autochtone peut donc
être en position d'oUlsider, En ce qui concerne les interactions dans un contexte
pluriculturel, il y a donc généra1emem une culture qui domine l'autre et il y a hiérar-
chie explicite ou implicite qui détermine largement les termes de la communication,

L'individu qui est subalterne, dans les hiérarchies formelle et surtout infor-
melle, doit faire l'effort de comprendre la culture de l'Autre. Ce constat est évident
dans une situation de communication entre un Blanc et un Africain : c'est l'Africain qui
adopte la langue, les moyens et les objets de communication de l'Autre pour se faire
comprendre et pour être compris. Selon les termes d'une communicologue, «le groupe

• dominant fait rarement l'effort d'aller vers les autres, 1...1 nous, nous avons appris pour
VO\JSlo. Et elle ajoute que ce constat vaut non seulement entre Blancs et Blancs-noirs,
entre Blancs-noirs et Noirs, mais également entre femm.:s et hommes.

Dans le contexte étudié, ce sont certains Noirs qui sont au bas des hiérarchies,
alors que d'autres, dans les structures coutumières et dans les organisations", disposent
d'importants pou\!oirs. Ceux qui sont moins intégrés et moins haut placés dans les
structures formelles peuvent, comme je l'ai fait remarquer, acquérir de vastes compé-
tences sur le pIan intereu1turel. n est donc possible de déduire de ces constats que l'in-
tereu1turalité est un produit non seulement de l'expérience des cultures étrangères, mais
aussi des expériences du statut d'outsider et de la subordination en situation intereultu-
relie. Notons finalement que les stratégies collectives qui semblent les plus efficaces en
termes de communication et d'action, font appel à des échanges entre personnes de
positions différentes, en particulier, entre Blancs-noirs et diverses catégories de Noirs.


• Il Yavait cene vieille crainte
Pour poursuivre dans le sens des rapports entre pouvoir et imerculturalité. une:
dernière dimension doit être considérée: l'expérience de la domination. Bèaucoup de
16:!

Noirs ont vécu des situations de domination et d'extrême dénuement, donc de dépen-
dance. La domination est d'abord physique. Les colonialistes ont largement usé de
force, voire de violence et d'arbitraire, à l'égard des population.~ africaines. Le sy~1èmc

colonial était un régime juridique et politique d'exception et son application dépendait


localement de la personnalité, de l'humeur et des intérêts de quelques expatriés qui,
d'après Amadou Hampâté Bâ,
1...) sont les maîtres du pays, Ce n'est pas pour rien qu'on les appeUe
«les dieux de la brousse>o. Ils ont tous les droits sur nous et nous n'avons
que des devoirs, y compris celui des les considérer et de les servir eux
d'abord et le Bon Dieu ensuite. (1994, p, 150)
Je ne ferai pas ici le procès des excès du colonialisme français, déjà documenté par de
nombreux auteurs : régime juridique d'exception, impôt de capitation, travail obligatoi-

• re, traitements injustes et cruels... la liste 01 longue". Les crimes commis n'ont pas
été reconnus et leur souvenir subsiste dans les mémoires, Ces pratiques, doit-on remar-
quer, associaient des auxiliaires antillais ou africains; eUes ont été largement perpétuées
par les militaires ou par les fonctionnaires après les indépendances. Certains Noirs ont
même le sentiment que leur situation est plus critique aujourd'hui qu'à l'époque
coloniale, comme ce paysan qui demandait: «l'indépendance c'est beau, maîs ça finit
quand'?.. L'indépendance des uns n'est certes pas toujours celle des autres.

Le colonialisme a aussi créé les Blancs-noirs, et l'on doit noter à cet égard que
certains auxiliaires coloniaux disposaient d'énormes pouvoirs, en concurrence avec les
pouvoirs coutumiers, Dans son ouvrage L'étrange destin de Wangrin (1973), Amadou
Hampâté Bâ décrit un interprète nommé Racoutié qui, en 1906,
1..,] illettré en français et ignare en arabe, était le second personnage du
cercIe et venait immédiatement après le commandant. Parfois même
celui-ci dépendait de lui, II pouvait à volonté monter et démonter les


affaires, Qui n'allait pas chez Racoutié était sûr de trouver un malheur
sur sa route, (,.,) Les pourboires pleuvaient nuit et jour, Chaque nuit
des guitaristes et des chanteurs allaient l'égayer, II mangeait et faisait
• manger gras. Ses femmes ne savaient plus où mettre leurs bijoux d'am-
bre, de corail, d'or et d'argent. Ses deux chevaux mangeaient du cous-
cous fin et buvaient du lait. (p. 44-45)
163

Le pouvoir d'un auxiliaire comme celui-ci tenait au conrrôle qu'il exerçait sur la
communication avec le commandant de cercle blanc (chef de division adminisrrative),
un homme qui «a droit de vie et de mort sur 1••. ) tous» et dont 1"interprète est perçu par
les Noirs comme étant «son oeil, son oreille et sa bouche».

L'auxiliaire colonial travaillait généralement dans une région où il était étrdIlger:


il était perçu et il agissait comme un outsider - ce qui le dispensait du respect de
l'autorité et des règles coutumières, Il était également parfois un «bouc émissaire»
potentiel en cas d'abus de l'autorité (B•.mschwig, 1983, p, 116). Proche du pouvoir
suprême, il pouvait le manipuler, mais aussi en être victime, Vers la fin du colonia-
lisme, les Blancs-noirs étaient de plus en plus nombreux et compétents. Ils con.'iti-


tuaient des communautés reliés à de vastes réseaux, qui usaient de srratégies collectives
pour contourner l'arbi\.-aire du système colonial (Bâ, 1994, p. 264 et 351).

Le colonialisme puis les indépendances ont donc créé de nouveaux pouvoirs,


subis par les Noirs et utilisés par certains d'entre eux. La décolonisation a consisté à
maintenir l'essentiel du système adIrunisrratif, tout en remplaçant certains cadres supé-
rieurs Blancs par des Blancs-noirs (des postes clés ayant long'""'"!lps été réservés à des
«conseillerS» fuinÇais) et en créant de nouvelles organisations :ar le modèle de celles
mises en place par le colonialisme. Les auxiliaires, quant à eux, sont restés. Les
«interprèteS» d'aujourd'hui peuvent être des banquiers, des politiciens, des entrepre-
neurs, des fonctionnaires, des militaires, des douaniers ou des policiers, en contact avec
de multiples intermédiaires.

L'exercice du pouvoir, qu'il soit coutumier, colonial ou postcolonial, a donné


naissance, dans les sociétés africaines, à des stratégies de résistance qui se manifestent
a~ourd'hui dans les villes par ce que Jean-François Bayart (1992) nomme «le politique

• par le bas>o. L'observation des «modes populaires d'action politique» (p. 31) révèle que,
• Jusque dans les sociétés lignagères. il y avait. il suhsiste une parole des
dominants et une parole des dominés. en tout cas une parole des hommes
et une parole des femmes qu'il convient de distinguer. (p. 34)
164

J"a,iouterais qu'il y a également une parole des jeunes. des suhalternes ou cadel~ sociaux
et d'autres encore, à divers niveaux des hiérarchies - qui s'exprime même sous le.~

régimes autoritaires. L'étude politique, au niveau où l'ont entrepris Jean-Fr.mçois


Bayan et ses collègues, signale que les échanges interculturels contrihuent aux stratégies
de résistance au pouvoir: «l'hétérogénéité culturelle d'une société milite prohahlement
dans le sens d'une restriction effective du pouvoir central- (p. 76).

«Dominants et dominés n'évoluent pas nécessairement dans la même épisrémé,


césure que peuvent traduire des discontinuités culturelles, religieuses, linguistiques-
(p. 84), remarque Jean-Françoi.~ Bayart. Il en résulte que le pouvoir, même le plus
autoritaire, se trouve litnité par les stratégies de certaitts groupes qui le subissent. Des


processus de résistance se manifestent alors à travers la communication. Lorsque cela
est toléré, des messages sont diffusés par les journaux indépendants pour provoquer des
réactions de la part des dirigeants. Plus l'espace d'expression est étroit, plus les
messages s'expriment de façon détournée. Comi Toulabor a analysé les slogans que les
foules, recrutées par la contrainte pour participer à des cérémonies, doivent adresser au
dictateur togolais. De subtils changements d'intonations transforment une creuse
glorification en «Pba1lus Eyadéma, oyé! Vive Eyadéma, grand chef au phallus!- - ,
tournant ainsi en dérision les prérogatives sexuelles que se sont arrogées le chef de
l'armée et les militaires (Toulabor, 1992, p. 115-120).

Ces stratégies font clairement appel à des connaissances intercuiturelles. Dans le


cas des journaux indépendants, les messages destinés au chef s'inspirent des processus
endogènes de transmission des messages à l'autorité'", à la différence près qu'ils sont
adressés par écrit, en français et dans un cadre médiatique; ils ne correspondent
cependant pas aux critères journalistiques. Quant aux critiques subtiles dirigées contre


le dictateur togolais, il s'agirait, d'après Comi Toulabor, d'un détournement, par les
• jeunes scolarisés. des formulations des Evé qui. dans leur langue, permettent de con-
tourner les interdit~ dans r expression des que.Wons sexuelles.
165

Pour renverser la problématique abordée par Jean-François Bayart et ses


collègues. dont l'objet est la création en milieu urbain de nouvelles formes d'expression
politique, je dirais que la résistance au pouvoir est largement fondée sur des compé-
tences interculturelles et donc sur rinterculturalité. L'observation des sociétés afri-
caines révèle l'importance des communautés locales et de leurs ramificatioas ainsi que
des processus endogènes de négociation sociale en ce qui concerne les rapports de
pouvoir. Le colonialisme a cependant provoqué un changement en exigeant une redéfi-
nition des modalités de négociation avec le pouvoir central - redéfinition qui néces-
sitait l'acquisition de nouvelles compétences interculturelles,

C'est dans ce cadre que sont apparus les Blancs-noirs, une catégorie d'humains


qui peut sembler paradoxale, puisque, tout en ayant parfois été des Noirs, il sont
désormais perçus comme des Blancs. Ce n'est pas la couleur de la peau ni l'origine qui
définissent alors l'individu, mais une nouvelle identité - qui se superpose à une iden-
tité antérieure, De là vient le sentiment des Blancs-noirs de posséder une identité, une
culture duale et tronquée; de vivre une situation d' oUlSider dans deux mondes. «Au
village on me considère comme un Blanc>, disait l'un d'eux, «mais je ne me sens pas
du tout proche des Blancs».

Pour revenir aux Noirs et à l'expérience de la dépendance, il importe d'insister


sur son caractère non seulement symbolique, mais surtout physique, La survie en
Afrique de l'Ouest peut se poser à un niveau très élémentaire - qui détermine l'essen-
tiel de l'existence: «ceux qui n'ont pas souffert, ceux qui n'ont pas connu des journées
sans manger, ne peuvent pas comprendre», L'expérience du dénuement marque
profondément ceux qui l'ont vécue et côtoyée. À cet égard, il est révélateur de relever
l'irilportan.:e de l'alimenœtion qui se manifeste à travers le langage, On dit d'une per-

• sonne qui est à la recherche d'argent qu'elle a «faim.. et de celle qui détourne de
l'argent qu'elle a «trop bouff~. Pour signifier la richesse de l'interprète dans l'anec-
• dote de Racoutié. Amadou Hampâté Bâ décrit raiimenration de se.~

chevaux. En Afrique de rouest, rexpérience de la dépendance e:."t. ultimement,


proches et de ses

rexpérience de la nécessité de communiquer et d'agir pour s'alimenter et survivre. Il


166

fuut admettre que c'est une expérience que hien peu d'Occidentaux ou d'occidentalisés
peuvent concevoir.

POlir les Noirs, la survie suppose le maintien des lien.~ avec la communauté et,
souvent, avec des réseaux urbains et même étrangers - que ron songe seulement à
l'importance de r émigration pour r économie rurale ouest-africaine. Sur le plan
individuel aussi bien que familial, il est essentiel de maintenir des canaux d'échange
avec d'autres personnes qui peuvent aider et que r on doit aider en cas de besoin". La
survie exige donc non seulement des contacts et des capacités de négociation avec le
pouvoir, mais également l'acquisition d'une compétence qui, dans une société pluricul-
turelle, tient, pour une large part, de l'intereulturalité : le pauvre est celui qui n'a pas

• de relations, celui qui est un orphelin sodal (Ndione, 1994). Pour un Noir, rincapa-
cité ou la difficulté d'échanges interculturels est perçue comme une menace :
il y avait cette vieille crainte chez ceux du village, qui s'explique par la
raison qu'i! n'ont pas eu roccasion de confronter le contenu de leur
culture avec la culture de r Autre.

Que dire enfin du cadre des échanges intereulturels'! Us se manifestent dans des
lieux et par des processus singuliers. Les échanges formels ou informels se déroulent
au marché, au puits ou sous un arbre à la campagne, au ..maquis» (bar-restaurant) à
Abidjan ou à Ouagadougou, dans un ..grin» (un groupe de discussion où l'on boit du
thé) à Bamako, ou ailleurs encore. Ceux qui ont le temps, les hommes et les cOTMer-
çantes en particulier, consacrent une grande partie de leur temps à rencontrer de multi-
ples personnes. Lorsque le sujet abordé est important, ..on fait palabre». Ce terme de
palabre ne se rétère pas seulement à des pourparlers à roccasion d'une remise de
cadeau, comme raffirme I.e Perir RDben (1991, p. 1342), ou à des «discussions


interminables et oiseuseS», mais aussi à diverses formes de négociation. L'expression
..faire palabre» peut s'appliquer à des échanges entre plusieurs personnes dans le but de
• résoudre un problème, de trancher un litige, de conclure un marché, de prendre une
décision plus ou moins collective ou de parvenir à un ::ntendement panagé. Ce
processus se distingue très nettement d'autres modes de communication, car il est régi,
167

formellement ou informellement, par une étiquette et par des règles particulières. La


palabre, selon Jean Labisse (1974). se situe dans un monde,
1••. 1où le temps n'exerce pas sa tyrannie. À force 1e C'oncessions
mutuelles, l'unanimité doit se dégager peu à peu de la discussion et
l'intuition du consensus clôt le débat. (p. 137)
La palabre peut faire intervenir des intermédiaires, des médiateurs et des témoins, et les
problèmes complexes peuvent exiger plusieurs séances de négociation. Elle suppose
enfin le respect de règles permettant à tous de s'exprimer et se déroule sous la surveil-
lance d'une autorité, morale plus que formelle. La plupart des échanges entre Noirs
sont régis, à divers degrés, par de tels processus. Par exemple, lorsqu'on veut quitter
la maison de quelqu'un, il est nécessaire de «demander la routE>. Le maître du lieu a la


possibilité de refuser d'accorder le congé s'il pense que son hôte, ou lui-même, n'a pas
communiqué et réglé tout ce qui devait l'être.

On constate généralement que les palabres qui abordent des questions d'impor-
tance, qu'il s'agisse d'une décision majeure, de la résolution d'un conflit, conjugal ou
autre, font intervenir des personnes qui possèdent non seulement des compétences et
une expérience pertinentes par rapport aux enjeux dont il est question, mais également
différentes perspectives sur la situation. À travers l'échange, diverses conceptions du
monde se manifestent, divers angles permettent de comprendre la question. J'ai déjà
évoqué cette façon de faire intervenir, par exemple, un parent à plaisanterie ou un
vieux, de prendre l'avis d'un marabout, d'une femme ou même d'un étranger, de
s'inspirer de connaiSS"nces qui viennent d'ailleurs, d'autres espaces de culture et de
rapports avec le pouvoir, afin de négocier une compréhension panagée avant de prendre
une décision et d'agir. En d'autres termes, la décision, la résolution de problèmes et
nombre de processus de négociation sociale font appel à des connaissances qui sont non
seulement endogènes, mais aussi étrangères, et qui touchent donc l'interculturalité.
• On remarque, entre autres, que dans heaucoup d'ethnies africaines, des femmes
(les «tantes» ou les «grandes soeurs») doivent être consultées avant qu'une décision
importante ne soit prise. Les femmes peuvent aussi intervenir pour moditier une
168

situation. Mais il reste que ces mêmes femmes sont lourdement désavantagées sur le
plan social. Une Ivoirienne bêté, d'une ethnie matrilinéaire dans laquelle les femmes
sont pourtant censées posséder de vastes pouvoirs. constate :
J'ai w ma mère se lever au petit matin. faire le feu. tàire le déjeuner
pour tout le monde dans la maison. puis elle va aux champs. eUe trdvaille
comme une bourrique. elle revient chargée comme un àne. elle nous fait
à manger et elle sert son mari 1".\.
Ces femmes sont donc victimes de la division du travail. Elles subissent la domination
des hommes. mais on prend pourtant en considération leur avis, Cela ne signitierait-il
pas qu'il est avantageux pour la commuttauté de tenir compte de la perspective qui el>"t
celle des femmes, et de l'utiliser'? Les femmes ne sont d'ailleurs pas seules parmi les


inférieurs hiérarchiques ou les subalternes à pouvoir s'exprimer sar'~ vraiment décider:
c'est parfois le lot de certains cadets sociaux. tels que les griots, les autochtones. les
captirS même, les jeunes ou d'autres groupes qui jouissent de très peu de pouvoir,


• 11 semble donc que certaines stratégies de communication et d'action collectives
s'inspirent des perspectives - qui supposent une torme de transgression des barrières
culturelles - qu'ont développées les inférieurs hiérarchiques possédant. par nécessité de
169

survie. un accès aux mondes de ceux qui détiennent les pouvoirs les plus vastes. La
capacité de comprendre l'Autre e!lt inégalement partagée entre les personnes et les
groupes. selon leur situation dans la hiérarchie. Une composante majeure de lïnter-
culturalité est par conséquent l'expérience de la domination ou de la dépendance.

J'ai perdu beaucoup


Pour conclure sur la question de rinterculturalité chez les Noirs, il convient
enfin de l'aborder dans le cadre d'un phénomène démographique, et surtout social.
économique et culturel, sans précédent en Afrique : l'urbanisation rapide et ses consé-
quences. En moins d'un siècle, des bourgades rurales de quelques milliers d'habitants
sont devenues des agglomérations qui approchent le million - et qui, affirment les

• démographes. devraient voir leur population doubler au cours de dix à vingt prochaines
années (Gapyisi, 1989). Les villes d'Afrique sont devenues un rassemblement d'un
gr.-nd nombre de groupes culturels originaires du pays où elles se trouvent, de la sous-
région et de r étranger (Bayart, 1992). Ce sont aujourd'hui des sociétés où se mêlent
les cultures et'Jù se créent de nouvelles cultureS. en particulier chez les jeunes qui sont
:.
plus ou moins instruits et qui se trouvent le plus souvent marginalisés. Ce sont ces
jeunes africainsutbanisés qui ont renversé certains dictateurs, entre autres Moussa
~~ Traoré au Mali et ceci dans des conditions tragiques (plusieurs centaines de mons à
Bamako entre le 20 et 24 mars 1991), Depuis les années 1980, ils constituent ég'cde-
ment la plus grosse part des immigrants africains en Occident. Tous ceux qui ont
voyagé en Afrique connaissent ces jeunes, travailleurs du secteur informel et grands
::: voyageurs, qui sont parfois d'exceptionnels guides, car ils fréquentent de multiples
réseaux. Un peu partout dans les villes, ils vivent dans un monde de perpétuels
écIuII!ges interculturels, tout en étant souvent exposés aux médias. Ces nouveaux


urbains se situent toujours dans leur culture d'origine, mais ils remettent aussi en
question l'autorité coutumière et certains tendent à être exclus de leur communauté".
• Dans ces nouvelles communautés urbaines, largement pluriculturelles, s'ohser-
vent des processus endogènes de communication -
expression des titres coutumiers et autres -
plaisanteries entre -parents-,
ainsi que des rapports de collahomtion et
170

de solidarité, et de multiples rituels largement centrés sur la communication (parties de


cartes, préparation du thé, visionnement collectif de la télévision, conversations, danse,
sport, etc.). La communication se fait parfois en langues africaines, souvent en français
ou dans des langues mixtes. Tout dépend du contexte et du sujet de réchange. Ces
marginaux, encore minoritaires par rapport à rensemble de la population, ont une
influence croissante sur les plans sociaux, économiques et culturels.

Il est remarquable que ces personnes manifestent. de par leurs origines, des
connaissances et des compétences particulières. Ceux qui proviennent d'ethnies de
commerçants font du commerce avec le village, en ville ou à r étranger, d'autres
s'orientent vers le maraîchage, le spectacle ou la magie, selon la spécialisation de leur

• groupe socioculturel ou de leur ethnie. Certains acquièrent une vaste mobilité en prati-
quant plusieurs activités, ce qui suppose le développement de nombreux réseaux et
l'acquisition de nouvelles compétences interculturelles. Leur situation reste intermé-
diaire et singulière à chacun d'entre eux, quelque part entre les Noirs dont ils
s'éloignent et les Blancs-noirs dont ils n'ont ni le statut ni la fortune.

Le propre .de ces personnes est rinterculturalité qu'ils ont développé du fait de
leurs multiples expériences, alors qu'ils ont été insider-outsider dans diverses sphères
culturelles. Leur vie est parfois difficile : agressions des militaires ou des policiers,
expulsion pour ceux qui ont émigré, vexations de la part des fonctionnaires, exclusion
sociale et politique, ete. Il est donc évident que la situation des jeunes urbains confirme
largement les hypothèses précédentes. L'interculturalité provient des connaissances
endogènes, de la formation et de l'apprentissage en situations interculturelles, mais elle
provient aussi de l'expérience d'une condition subalterne - où la survie exige l'acquisi-
tion d'une capacité à franchir les barrières culturelles.


• Comment détinir ce groupe intermédiaire qui est. somme toute, très peu
homogène. Cela pourrait être des Noirs-blancs-noirs pour certains, c'est-à-dire des
«nègres de blancs», mais aussi des Blancs-blancs-noirs pour ceux qui vivent en marge
171

des sociétés occidentales. Ils peuvent être des médiateurs, des métis, des voyageurs
transculturels; mais je crois qu'ils doivent surtout être définis par leur position d'insi-
der-outsider, par leur connaissance de la négociation en situation subalterne, de la
dépendance symbolique ou physique à l'intérieur de laquelle il faut survivre et,
finalement, vivre. Les marginaux finissent en effet par développer un mode vie où la
compétence première Ilécessaire est communicationnelle et intereulturelle.

Il peut sembler paradoxal que les Blancs-noirs, qui ont apparemment eu la


fonnation et les expériences les plus vastes sur le plan interculturel, n'aient pas toujours
acquis la compétence que manifestent les marginaux (qui sont parfois leurs enfants ou
leurs parents plus tardivement scolarisés). Mais le paradoxe n'est qu'apparent; il

• provient d'un présupposé implicite dans beaucoup de théories occidentales: la connais-


sance abstraite- ou scientifique - d'une culture éttl'ngère et de ses accessoires
(langue, coutumes, techniques} produirait une compétence interculturelle. L'étude
empirique démontre qu'une telle connaissance reste très partielle et qu'en fin de compte
elle ne procure aucun accès à des espaces culturels endogènes incommensurables avec
ceux délimités par la science et par les conceptions occidentales du monde.

Sans aucun doute, «comprendre la culture est une chose, la vivre est autre
chose>. Pour vivre une culture étrangère, les connaissances abstraites et le contact ne
suffisent pas, il faut également que l'expérience ait été acquise et qu'elle se manifeste
dans un contexte de relative soumission à cette culture ou de subordination à certains
membres de cette culture. Il y a de toute évidence un avantage communicationnel et
intereulturel" qui s'acquiert et se développe dans un tel contexte. Je préciserai plus
ioin les incidences théoriques de ce constat, mais ils convient déjà de noter que
l'avantage est relatif et lié à la position. S'il y a avantage, c'est surûn plan compara-

• tif; il faut donc qu'ailleurs il y ait handicap, ce handicap, on le découvre d'abord chez
• les Blancs-noirs qui ont certes expérimenté des situations de subordination. mais qui
possèdent désormais un statut dominant et les accessoires qui vont avec. le Jlouvoir
matériel ainsi que les réseaux de relations et de dépendants.
172

Le Blanc-noir est plus ou moins contortablement installé au centre de la société.


dans une situation où il devient moins essentiel de développer r accès à d'autres espaces
culturels. Certaines circonstances peuvent r exiger. comme la négociation avec des
groupes supérieurs qui ont toutefois souvent intérêt à se montrer conciliants". La vie
quotidienne des Blancs-noirs se situe largement dans un cadre où les interlocuteurs sont
des pairs, des partenaires en rapport d'interdépendance et de nombreux dépendant~ ou
subalternes. Plus on monte dans les hiérarchies, plus cette situation - qui mène à un
handicap culturel - constitue l'essentiel des expériences de la vie. L'interculturalité
s'émousse progTF..ssivement à mesure que le pouvoir croît.


La. position qui fonde !'interculturalité est donc liée à un ensemble de facteurs :
genre, culture d'origine, âge, statut, expériences interculturelles, expériences de la
dépendance, formation et, enfin, situation supérieure ou subalterne dans la société ou
dans un contexte particulier. La position est, dans ce cadre, en partie déterminée par la
nature des réseaux d'échanges qui sont à la base de la vie sociale et économique. Elle
se révèle, à travers les interactions, par de subtils processus d'exclusion, de sujétion, de
plus ou moins grande inclusion de la perspective de l'Autre ou encore de soumission
plus ou moins prononcée. Qu'en est-il, par ailleurs, des échanges avec des Blancs et de
la communication par les Blancs?

En Afrique de l'Ouest, beaucoup de questions ne devraient pas être posées par


un étranger, surtout par un Blanc, car la réponse obtenue n'a rien à voir avec la
question : elle correspond à ce que le Noir, ou même le Blanc-noir, perçoit de la
réponse qui est souhaitée par le Blanc. Beaucoup de malentendus proviennent de
l'incapacité du Blanc à décoder les messages. Par exemple, un message perçu comme


non souhaité est communiqué par des voies détouméès. Dans ce qui est communiqué
au Blanc, ce qui est «peut-êtl'l> ou cimprobabll> devrait être compris comme étant ce
• qui est .Ie plus vraisemblable». Mais le Blanc comprend rarement. car s'il y a avantage
d'un côté, il y a clairement handicap de l'autre, partiel1ement chez les Blancs-noirs et
plus largement chez les Blancs - quoique toute générdlisation r~1e hasardeuse
173

lorsqu'on considère des catégories aussi vastes.

Dans le prochain chapitre, j'aborderai ies questions qui touchent l'interculturalité


et la position, sous l'angle de l'expérience des Blancs en l'Afrique de l'Ouest franco-
phone et par rappon à ses habitants. Cette expérience n'est pas uniquement relative aux
individus - il est en effet plus aisé de parler d'individus chez les Blancs que chez les
Noirs -, elle se situe également dans le cadre plus large de l'histoire des relations
entre l'OCcident et l'Afrique, relations inscrites dans un Vaste corpus de textes scientifi-
ques et autres. Les textes antiques, les chroniques des arabes et des explorateurs, les
écrits des missionnaires, des colonialistes, des gestionnaires. des diverses catégories de
odéveloppe\lIS», des gens de science et autres voyageurs blancs, ont contribué à notre

• entendement des Africains. Ils marquent la nature des échanges que nous avons avec
eux et révèlent que, dans le continuum qui mène de l'avantage au handicap intereultu-
rel, le Blanc tend généralement plus vers le second - vers l'incompétence.

Une question troublante émerge de ce qui a été exposé jusqu'ici : beaucoup


d'OCcidentaux qui sont les interlocuteurs des Africains ne sont-ils pas, en général,
largement handicapés et incompétents dans le domaine interculturel'! Provenant généra-
lement des classes moyenne ou supérieure d'Occident, disposant de Vastes pouvoirs, ces
Blancs risquent en effet de devenir, à leur tour, les «dieux de la brousse» qu'étaient les
colonialistes. À propos de ces derniers, Albert Londres écrivait en 1929 :
Qui dit Blanc dit, ici, administration. L'administration est le moustique
du nègre. À tous les moments'de sa vie, elle le pique, troublant son
farniente. Lui, qui dormait si bien!
- Diboùt! Dibout (debout)! Cinquante hommes pour ma commandant!
C'est le milicien qui apparaît.
n faut relever un pont, retaper Une route, ete. (1929, p. 55)


Le Blanc d'aujourd'hui ne peut plus agir en quasï-esclavagïste (qu'en est-il toutefois de
la prostitution pour Blancs?), mais il possède de nouveaux moyens de domination.
• NOTES
174

1. La question des spécificités culturelles. souvent niée par les thèses venant d'Occi-
dent et postulant un fond culturel commun à l'Afrique. me sc:mble tout à fait cruciale
pour l'étude de l'interculturalité. L'attitude de la plupart des chercheurs occidentaux
ou occidentalisés est, à mon avis. plus idéologique qu'empiriquement démontrée. Par
rapport à la thèse d'un fond commun. je dois cependant signaler que les données re-
cueillies sur le terrain m'ont mené à modifier ma perspective initiale. Alors qu'il
paraissait essentiel a priori de mettre l'accent sur les particularités niées dans les
formations discursives, les données signalent que, si les singularités sont fondamenta-
les, on ne peut pas ignorer certains traits communs aux cultures africaines.

2. Le père de l'actuel roi de Téma fut l'un des premiers fonctionnaires coloniaux de la
Haute-Volta de l'époque. Après qu'il ait été intronisé, il encouragea des membres de
sa famille à se convertir aux religions importées, islam et christianisme. à s'instruire
et à entrer dans toutes les administrations. Quant aux filles, certaines furent «mariées»
à l'extérieur du royaume, à d'autres ethnies, pour favoriser des alliances. Les liens
familiaux sont cependant demeurés très étroits jusqu'à nos jours.

• 3. La question se pose de savoir ce qui motive une telle diversification des sources, en
outre essentiellement occidentales. Trois types de réponses sont formulés. D'abord
les médias locaux étaient. jusqu'à récemment. contrôlés par un pouvoir politique
autoritaire et, aujourd'hui encore, les chaînes étrangères informent parfois plus
rapidement que les médias d'État sur ce qui se passe dans le pays. Radio France
Internationale (RF!), parfois nommée «France Inter>o,·annonçait le 2 février 1994 la
démission du premier ministre du Mali, une nouvelle qui ne fut diffusée par l'Office
de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) que 24 heures plus tard. «Radio
trottoir>- l'avait bien entendu tranSmise en même temps et même, à certains endroits,
plus tôt que RB.' Ensuite, l'écoute des médias occidentaux renseigne sur les inten-
tions de l'Occident à l'égard de la région, ce qui est fondamental pour l'économie et
la politique locales ainsi que pour tout ce qui en dépend. Enfin, il est nécessaire de
diversifier les sources, car aucun média n'est impartial : RFl, c'est «la voix de
l'Élysée»; la Voix de l'Amérique, «de la pure propagande>. La BBC et, à un moindre
degré, la Deutsehe Welle sont considérées comme les plus crédibles. Diversifier les
sources permet d'élaborer des analyses susceptibles d'alimenter d'éventuels débats.

4. Félix. Houmpbouët-Boigny fut député au parlement français, «père de l'indépendan-


ce>, puis président de la Côte d'Ivoire jusqu'à son décès qui fut annoncé le 7 décem-
bre 1993, jour anniversaire de l'indépendance. Son successeur, Henry Konan Bédié,
est comme lui un fils de chef baoulé. «Encouragé par la France> (L'éuJl du monde,


1995, p. 236), il a écarté du pouvoir le premier ministre AJa~"S3ne Drahamane Ouatta-
ra qui est originaire d'une famille de chefs bambaras du Burkina Faso. Le système
mis en place par Houmpbouët-Boigny a été 1arg(;lllent maintenu: le président gou-

175
verne son pays comme un chef baoulé, prenant conseil de ses tantes et distribuant
généreusement des cadeaux. Après les obsèques officielles à Yamoussoukro (village
natal d'Houmphouët-Boigny, devenu capitale nationale), qui se sont tenues -en pré-
sence d'une délégation française pléthorique», se sont déroulées, dans la plus grande
discrétion, les obsèques traditionnelles. La coutume veut qu'un chef baoulé soit
enterré avec les têtes de plusieurs de ses proches qui sont sacrifiés pour raccompagner
dans la tombe.

5. Les Songhoy-ZIlnna, couramment appelés zanna, vivent non loin de Niamey au


Niger. Quoique culturellement distincts, ils seraient de lointains parents des Anna-
Songhoy (ou SonghaJl qui sont établis au Mali le long du Niger, vers Gao, Tombouc-
tou et Mopti (Olivier de Sardan, 1984).

6. Les auIochrones étaient ceux qui vivaient sur un territoire avant l'arrivée d'une
ethnie conquérante (ce qui remonte généralement à plusieurs siècles). Chaque groupe
socioculturel a conservé la mémoire de ses origines. Les conquérants détiennent le
pouvoir politique et militaire, mais les autochtones ont souvent préservé une part de
leur identité et certaines prérogatives exclusives concernant surtOut la terre et le divin
(Izard, 1985; Ki-Zerbo, 1978).


7. Ces processus complexes de déconcentration du pouvoir sont loin d'avoir été
étudiés pour toutes les ethnies d'Afrique de l'Ouest. Dans le cas des Mossé du
Burkina Faso, par exemple, plusieurs auteurs s'y sont intéressés : Doris Bonnet
(1988), Michellzard (1985), Claudette Savonnet-Guyot (1986) et Elliott P. Skin-
ner(1972}. Mais un problème subsiste par nippon à un tel corpus des textes anthropo-
logiques concernant une ethnie particulière : les auteurs se connaissent tous et ils se
réfèrent les uns aux autres afin de confirmer des thèses qui sont loin d'être incon-
testables, comme je le préciserai au prochain chapitre.

8. Pour les plus âgés des Blancs-noirs, c'est-à-dire ceux qui ont plus de 50 ans, la date
officielle de naissance est parfois approximative. Léopold Kazindé disait: «pour
l'état-eivil, je suis "né vers 1912" mais je pense être né aV'dIIt 1910, parce que entre
1913 et 1914 il Y avait une grande famine et j'en ai la souvenance». Harounao
Ouédraogo, chef du village de Tourum, a dû déclarer un âge moindre (qu'il a
conservé pour l'état-eivil) que son âge réel pour être accepté à l'école. Mais cette
pratique étant courante, les autcrités scolaires ont entrepris d'estimer l'âge des élèves
par l'étude de leur dentition: cils ont compté mes dents et j'ai dû quitter l'école 1·.. Jl'.

9. D'après Eugénie Aw, une communicatrice et communicologue d'origine franco-


sénégalaise, le pilon et le mortier auxquels les femmes sont astreintes (pour préparer le
mil, le maïs'ou l'igname) sont des instruments servant parfois à communiquer des
.messages très précis, au mari ou à toute la concession. 11 faut aussi nOter que les


femmes travaillent sôuvent en groupe pour piler les céréales ou les racines, dans une
aire qui est réservée à cette fin.
• 176
10. Le terme -vieux. n'a, en Afrique, aucune signitication négative ou péjorative et je
l'utiliserai sans guillemets dans la suite de ce texte. Qualifier quelqu'un de vieux est
au contraire une marque de respect et même d'affection. Il e:.1 par ailleurs extrême-
ment troublant pour des Africains de constater qu'au delà des euphémismes -personnes
âgées>- et -aînés-, les vieux d'Occident sont très peu écoutés et re:.-pectés.

Il. Amadou Hampâté Bâ fut probablement un des derniers à recevoir, en 1943, les
connaissances relevant de l'initiation peule pastorale. Selon sa -légataire linér.lÎre-,
Hélène Heckmann, ces connaissances -lui seront transmises "spomanémem et sans
protocole", en raison de sa lignée, par l'un des derniers grands "silatiguis" peuls,
Ardo Dembe, rencontré dans le Ferlo sénégalais à l'occasion d'une enquête ethnOgïd-
phique et religieuse effectuée pour le compte de l'lFAN. (Bâ, 1994, p. 383).
L'IFAN, ou lnstirurfrançaïs d'Afrique noire de Dakar, était dirigé par Théodore
Monod; après l'indépendance, il a pris le nom d'lnstirurfondamemal d'Afrique noire.

12, Il Ya quelques années, alors que je vivais dans un quartier populaire d'une ville
africaine, une impressionnante tempête de poussière s'est levée. Ma -Iogeu.o;e., des
femmes qui vivaient dans ma cour et des voisines sont alors venues chez moi pour me
rassurer. Elles m'ont longuement expliqué comment le vent et la pluie peuvent
résulter de forces surnaturelles, bénéfiques ou maléfiques. J'ai par la suite compris


que la présence de ces femmes et les pouvoirs dont elles disposaient devaient me
protéger contre les mauvais sorts,

13, Une diplomate occidentale en poste dans un pays côtier d'Afrique de l'Oue:.1
écrivait, quelques semaines après son arrivée, qu'elle avait déjà été intronisée deux
fois chef de viIlage. Elle s'attendait à recevoir des demandes d'aide de ces villages,
«car rien n'est gratuit dans ces affaires,., D'après les coutumes de la région, il e:.1
inconcevable qu'une femme étrangère soit d'emblée intronisée chef, Il s'agirait donc
d'un simulacre qui correspondrait ici à une stratégie visant l'accès aux fonds d'aide au
développement.

14, Les récentes sécheresses dans le Sahel ont provoqué l'exode de certaines popula-
tions du nord, par exel:'lple les Dogon, les Bella et les Touareg. Beaucoup de
femmes, des mères de fainille ayant perdu contact avec leur mari parti travailler en
viIle, ont alors été recueillies par des familles de villageois du sud.

15, Je pense ici, entre autres, à une orpheline qui fut -donnée-, alors qu'elle était
adolescente, à un important personnage, mari d'une de ses «tantes-. Selon ses termes,
elle a «beaucoup soufferbo, mais elle a aussi réussi à devenir autonome. Devenue
femme d'affaires, elle parle 9 langues locales en plus du français et de l'anglais, et
elle a instruit 12 enfants dont trois seulement étaient les siens.

16. Amadou Hampâté Bâ ciécrit le cas d'un de «Ses» captifs, Beydari Hlùnpâté, qui fut

• désigné par son père, le chef de la famille, «SUT son lit de mort comme gérant de ses
biens et tuteur de ses enfants, et qui, depuis, avait toujours été pour moi le plus

177
affectueux des grands frères, et pour toute ma famille un soutien fidèle>- (1994,
p. 369). Il a lui-même affranchi officiellement cet homme qui, depuis longtemps,
n'était plus considéré comme subalterne.
17. Un sociologue ivoirien (musulman, puis catholique avant de devenir protestant),
soutient même que les religions africaines «sont monothéistes, contrairement aux
religions occidentales qui sont polythéistes, car, en Occident, on peut adorer et prier
une infinité de saints. Par contre, le fétiche de l'Africain lui a été donné par Dieu
pour permettre de faire certaines choses, sans pl\lSl'. Génies ou fétiches possèdent des
pouvoirs d'origine divine. Ils peuvent être suppliés ou soudoyés, mais il demeure
qu'ils ne sont pas comparables à des divinités. Des sociologues catholiques contempo-
rains, comme René Luneau et Louis-Vincent Thomas (La cerre africaine ec ses reli-
gions, 1992), n'en persistent pas moins à opposer les religions africaines au christia-
nisme en évoquant la «présence absente de Dieu.. chez les premières (p. 142).

18. Voir, au sujet de la révélation dans les religions africaines, E. Bolaji Idowu,
African Traditional Religion, A Definition, 1975, p. 51-69. Dans cet ouvrage remarqua-
ble, l'auteur, professeur à l'Université D'Ibadan (Nigéria), signale en outre des «erreurs
de teTtt1Ïnologie.. concernant l'utilisation, à propos des religions africaines, des termes
primitif, sauvage, rribu, paganisme, idolârrie, fétichisme et animisme (p, 108-134).

• 19, À propos de la Haute-Volta, devenue par la suite le Burkina Faso, Jan Claessens
(1981, p. 57) précise fort justement que, cd'après les statistiques du ministère de
l'Intérieur pour 1973, la répartition est la suivante:
-Animistes56 %
- Musulmans 33 %
- Chrétiens 10,44 % dont 1,04 % de protestants.
Il nc.us semble plus juste de dire qu'en réalité il Ya 100 % d'animistes, dont 33 %
d'islamisés et 10,5 % de christianisés,..

20. Amadou Hànipâté Bâ décrit, dans ses mémoires, les manoeuvres troubles de la
hiérarchie catholique pour détruire non seulement l'influence des religions africaines,
mais aussi celle de T'islam. En 1931, «l'Église n'avait pas encore modifié sa position
à l'égard de l'Islam; elle le considérait comme une fausse religion, ennemie du
Christianisme et qu'il fallait combattre pas tous les moyenS» (1994, p. 302), En tant
que Blancs, certains ecclésiastiques des colonies jouissaient d'énormes pouvoirs.

21. Titinga Frédéric Pacéré, avocat, écrivain et fondateur du musée de Manéga


(Burkina Faso), me disait que des vieux viennent parfois le voir pour lui remettre un
objet religieux en disant : «Maitre Pacéré, moi mon fils est un intégriste musulman
l.. ,J et je sais que si je meurt, soit il va prendre mon masque pour le brûler, soit il va
~ le vendre à des touristes pour avoir de l'argent. Et moi, mes ancêtres vont me chasser
de là où je suis avec eux parce que j'aurais mal élevé mon enfant et qu'il a vilipendé

• notre culture l...J. Alors je viens vous donner ceci et vous livrer tous ses secret5"•
Des parents de chrétiens entteptelment parfois une démarche sLTJIilaire.
• de s'adapter au contexte africain en tàisant des compromis sur ses principes. C'~1
ainsi que des personnes comme Kadiatou Sy Sow, gouverneur du district de Bamako,
se qualifie elle-même de «Notredamienne-, car elle a étudié à l'École Notre-Dame de
178
22. Il semblerait que l'église catholique ait compris sur le tard qu'il lui était nécessaire

Bamako durant les années 1970, et ceci bien qu'elle fût mu.~ulmane. Les religieux
tentent généralement de convenir leurs elèves non chrétiens, mais ils les conservent si
ces derniers - ou plutôt leurs parents - refusent. Lïntluence actuelle des église..~
africaines est essentiellement fondée sur des ressources procurées par des oiganisations
caritatives occidentales. Par ailleurs. l'utilisation de la religion à des fins de promo-
tion sociale n'est pas le propre des sociétés africaines. Goffman (I9'i3a, p. 50)
remarque en effet que «( ... 1les ecclésiastiques donnent l'impression d'être entré.~ dan.~
les ordres par pure vocation et ils tendent ainsi à cacher, en Amérique, leur désir de
s'élever socialement, et, en Angleterre, leur désir de ne pas trop déchoir.»

23. Conférence présentée le 29 février 1972 à Bamako par Michel SelTes: extrait cité
par Jacques Grinevald dans Robin Honon (dir. publ.), 1990, p. 202.

24. L'intérêt commercial des connaissances pharmacologiques africaines n'a pa.~


échappé aux entreprises pharmaceutiques qui s'intéressent de près aux remèdes dits
«traditionne\s». Comme dans le domaine des semences agricoles, il se produit


actuellement un véritable pillage des connaissances endogènes accumulées par les
pharmacopées d'Afrique et d'ailleurs, pillage dont les auteurs sont des multinationales.
Ce vol, légitimé par les discours scientifiques, a rendu méfiants nombre de guérisseurs
africains qui tentent désormais de dissimuler leurs connaissances. On remarque, par
ailleurs, que la commercialisation du domaine de la santé a suscité l'apparition de
nouvelles catégories de guérisseurs qui, à l'instar de certains thérapeutes occidentaux,
visent avant tout le profit.

25. D'autres auteurs, certes moins reconnus dans les milieux scientifiques, ont affirmé
pour leur part q~'!l devait s'agir d'une révélation des extraterrestres.

i6. Par exemple, le maraîchage irrigué qui était inconnu des paysans du Sahel s'est
répandu, pour une large pan, spontanément et avec de multiples innovations locales
dans toute la région. rai moi-même observé l'unlisation de certaines techniques
inconnues des agronomes, comme des pai1Iis insectifuges faits d'écorce de baobab
décomposée. Quant aux innovations étrangères, elles ne valent partû~.rien dans le
contexte de l'Afrique tropicale : en 1986, j'ai montré_à des jardiniers~èomment, au
Québec, on élime les feuilles du bas des choux poUr qu'ils pomment mieux. Ces
derniers ont alors tenté l'expérience sur une planche en conservant une planche
témoin. Quelques années plus tare:\, ils m'ont déclaré que la méthode était valable
seulement en début de saison sèche, car plus tard les feuilles du bas sont utiles pour
limiter l'évaporation. La méthode expérimentale n'est manifestement pas étrangère à


ces paysans. cene expérience démontre en outre que les paysans font preuve de
. délicatesse vis-à-vis d'un étranger, au point de ne pl!:> contredire une de ses idées.
• 27. La coexistence de plusieurs théories sur la naturt: de la lumii:re (corpusculaire.
ondulatoire. électromagnétique et quantique) en est une i1lu~1ration. De plus. la
179

théorie du chaos. qui est proche des conceptions africaines. a des incidences considérd-
bles non seulement pour les sciences physiques. mais aussi pour les sciences humaines
- comme je le préciserai dans la conclusion de ce texte. Autre exemple d'une
conception «scientifique» et africaine du monde. Amadou Hampâté Râ écrit que pour
son maître spirituel Tiemo Bokar : «Dans l'univers. 1... 1 à tous Ie.~ niveaux. tout e.,'
vibration. Seules les diftërences de vitesse de ces vibrations nous empêchent de
percevoir les réalités que nous appelons invisible.<;>o (1980. p. 129).

28. La magie est. d'apr~ J. C. Froelich (1963, p. 25). «un ensemble de techniques
permettant au spécialiste d'agir sur le monde visible et invisible, gr.i.ce à sa maîtrise
des forces cachées», constituant «une ébauche de science». Mudimhe (1988. p. 32),
s'inspirant de Claude Lévi-Strauss, conçoit plutôt la magie, la «science du concret-.
comme un système parallèle qu"il n'est pas possible de situer chronologiquement par
rappon à la «science de 1"abstrait-. Cette dernière correspond principalement au
développement d'un moyen de communication, 1"écriture. Quant à la sorcellerie, elle
peut être définie comme le don, conscient ou non, d'un pouvoir supranormal maléti-
que (Froelich, 1963, p. 26).


29. D'après mon expérience, les théories de la communication que I"on retrouve
appliquées en Afrique francophone proviennent essentiellement d'Amérique du Nord
en passant par I"Europe. À la fin des années 1980, des expens français des organis-
mes de coopération présentaient la «diffusion de I"innovation- comme une approche
nouvelle et originale dans le domaine du développement. Dans ce cas, un délai de
plus d'une vingtaine d'années a donc été nécessaire pour qu'un modèle théorique
parvienne en Afrique. Au sujet du diffusionnistne français dans le développement
ruraI en Afrique, voir Jean-Pierre Olivier de Sardan et Élisabeth Paquot, D'un savoir
à l'aurre: Les agenrs de développeme1l1 comme médiQIeurs, 1991.

30. Dans le cas de r Afrique de l'Ouest. les politiques des bailleurs de fond.~ de la
recherche en communications sont particulièrement étriquées. 1\ existe, dans la
région, un important groupe de chercheurs, à la fois bien entrainés et intéressés à
I"étude des processus endogènes de communication. Mais ils n'ont comme possibilité
de recherche que des commandes d'organisations de développement. Il s'agit, par
exemple, de campagnes de sensibilisation ou de mobilisation autour des thèmes relatifs
au développement ruraI : prévention du Sida, nutrition, santé, alphabétisation, etc.
Une chercheuse africaine déclarait : «Les bailleurs de fonds nous fatiguent avec
l'environnement. Si vous voulez faire une recherche. vous saupoudrez un peu d'envi-
ronnement, de femmes, de nutrition, de radio communautaire, et on vous donne de
l'argent. Ça n'est pas le domaine de recherche qui m'intéresse ~nnellement, mais
c'est le domaine porteur (... 1. Comment imposer quelque chose auX populations, c'est


une chose, mais je préférerais poser la question : comment les gens reçoivent et
utilisent les messages'! Il me semble que ça vaudrait la peine... En d'autres termes,
ce qui est nié par les «développeurs.., par les décideurs des organisatlons qui financent
• la recherche en communications, c'est l'existence de connaissances endogènes
susceptihles de contrihuer au mieux-être. L'imposition des su.iel~ de recherche (qui
constitue, cn outre, un ohstacle à la recherche fondamentale) mène tinalement à la
négation de la capacité des Africains à définir eux-mêmes le changement.
180

3 I. Ismaël Maïga (s. d., p. 3) distingue chez les Bambara -1 ...1plusieurs catégories
de griots ou djéli (tyapunya, kulé, gaulé, maabo, etc.), chaque catégorie est spéciali-
sée dans la diffusion de messages précis». Camara Laye (1978, p. 34) signale, par
ailleurs, qu'un seul griot, appartenant égaiement au groupe Mandingue, évoque quatre
différentes catégories de paroles.

32. Mon interlocuteur me confiait qu'un membre de sa famille avait entrepris de


s'adresser à Sékou Touré, le dictateur controversé de la Guinée, mort en 1984. Bien
que rentrée du palais lui ait été interdite, il chanta sous les fenêtres et réussit à se
faire inviter pour boire un café avec le président. Au moment où on lui offrait du
sucre, il en mit une pincée dans son verre et le reste dans un morceau de tissu. Il
expliqua au président que cela faisait des mois que personne dans le pays, en dehors
des responsables politiques et autres notables, ne pouvait consommer de sucre.

33. Ce membre d'une famille de griot, un homme instruit, illUStrait son affirmation


par une anecdote. Il y avait, dans son pays, un chef de chasseurs qui était invincible :
les balles de fusil ne pouvaient l'atteindre. Fier de son pouvoir, il demandait fré-
quemment à d'autres chasseurs de lui tirer dessus et s'en sortait toujours indemne. Un
jour, il demanda à un Blanc de tenter l'expérience. Ce dernier refusa d'abord, mais
devant l'insistance du chasseur il a fini par tenter l'expérience. «Le Blanc a tiré et la
tête du chef a explosé».

34. Ces valeurs ne sont pas comprises seulement dans des termes anciens ou «tradi-
tionne15", comme le révèle l'étude des chants pour enfants. Ces derniers évoquent
parfois des événements à caractère politique récents, tout en tirant de ces événements
des leçons qui illlistrent les valeurs locales (Chevrier, 1986).

35. Voir également, au sujet de l'influence africaine dans l'art occidental, William
Rubin (dir. pub!.), "Primitivism" in the 2a" Cemury An: Afftniry ojthe Tribal and
the Modem, T. l, New York: Museum of Modern Art; Little, Brown and Company,
1984.

36. Titinga Frédéric Pacéré me citait un exemple de message d'un masque : «dans un
champ de maïs, dort un vieil os, mille fourmis rouges n'arrivent pas à le déplacer,
mais un chien voleur qui passe par là le prend et il l'emporte dans sa demeure. Pour
vous, c'est du charabia l...1. Le masque a voulu dire que, dans la vie, le droit ne
suffit pas, la raison ne suffit pas, une force aveugle peut avoir raison de tous. C'est
dire que sur le terrain politique, il faut faire en sone qu'il n'y ait pas de dictateur,

• sinon il n'y aura plus de droit, il pourra égorger et rester au pouvoir». Il est par
ailleurs vérifiable, d'après Pacéré, que le langage du masque est compris dans les
• mêmes termes par deux observateurs différents. mais il reste all,,~i perceptible que la
traduction de ce langage est problématique. En ce qui concerne le message du bendre.
le tambour mossé, Pacéré écrit que: «La phrase du tam-tam est un jeu de puzzle.
Quand le tam-tam doit développer un thème. chaque particule de son idée doit ètre
1S1

représentée par un "zabyouré", un "Sondré", ou une expression consacrée: c'el-"t une


,iuxtaposition savamment faite de ces concepl~ et phrase.~ figées qui con~"tirue la phrd.~'
(1991, p. 22). La documentation rassemblée par ce chercheur sur les masques et Ie.~
tambours des Mossé du Burkina Faso représente acruellement II volumes dactylo-
graphiés avec près de 2 000 notes explicatives. Une synthèse et une analyse de ces
données sont publiées dans Le langage des tarn-tarn et des masques en Afrique. 1991.

37. Ces citations proviennent d'une entrevue réalisée par Célestin N'Dri. Fraremiré-
Marin, Abidjan, lundi 14 février 1994, p. 8-9. Cet article concernait le discours du
tambour lors des obsèques d'Houmphouët-Boigny qui avaient eu lieu quelques jours
auparavant, et traitait en particulier de la controverse autour du fait que le tambour se
serait «trompé» en nommant le nouveau chef de l'État, «nouveau père de la nation. -
ce qui constiruerait rusurpation du titre réservé au défunt. Niangoran Bouah précise,
par ailleurs, que la drummologie est enseignée à la licence et à la maîtrise en mll~ique
et musicologie. Deux docteurs de troisième cycle en drummologîe ont été tormés à
l'Université d'Abidjan. Au sujet du langage du tambour chez les Baoulé, voir


également «Tambours parleurs en Côte-d'Ivoire-, de Niangoran Bouah (1989).

38. Voir à ce sujet Samuel Sidibé et al., Bogolan et ans graphiques du Mali, 1990.
Ce cahier, réalisé par le Musée national des arts africains et océaniens de Paris, s'inté-
resse aux teChniques et aux significations. Roger Paré, directeur de rÉcole supérieure
des industries textiles de Ségou au Mali (ESITEX), disait quant à lui qu'il serait
acrue\lement important de réaliser une recherche sur le bogolan en termes de commu-
nication et de culture. Une telle recherche n'intéresse toutefois pas les bailleurs de
fonds. Selon Roger Paré, elle pourrait pourtant permettre la définition d'un concept
de mode original ~eptible de favoriser r exportation en Occident de tissus et de
vêtements confectionnés par des Africains.

39. la perspective post-moderne de ces nteurs les mène à comprendre le phénomène


des sapeurs comme une contestation politique subtile et une manifestation d'un sens de
l'autonomie (p. 51-52) - interprétation qui \aisse totalement de côté les significations
locales dont peuvent être porteurs les vêtements, ainsi que la conception endogène de
l'identité. Ce type d'approche aborde les phénomènes urbains d'Afrique à travers un
prisme élaboré pour appréhender des objets culturels sirués à Los Angeles ou à New
York, dans un contexte profondément individualiste. Appliquée sans adaptation au
contexte africain, ne produit-e\Ie pas alors une nouvelle négation de l'espace et du
temps? Il convient également de noter l'utilisation partiale que font ces auteurs de
l'observation des tendances de la mode en Afrique. Ils ne retiennent que l'influence


des coururiers français et ignorent totalement les courants endogènes, comme le
renouveau des techniques et des motifs traditionnels imprimés sur «bazin.. (tissu à
motifs généralement importé d'Autriche).

182
40. D'après un fonctionnaire, .Ies Africains et même leurs dirigeants vivent toujours
dans ror.l1ité. Quand vous voulez matérialiser ce que vous faites. quand vous passez
à récrit. vous devenez un rebelle, quelqu'un qui veut contrôler. Vous devenez
quelqu 'un de dangereux-.

41. Au sujet des particularités des télévisions africaines. voir les articles intitulés
.Burkina Faso-, .Mali- et .Nigel"» dans Les télévisions du monde (Péricard. 1995).

42. Selon ces auteurs, les conditions d'un tel programme de recherche sont la torma-
tion des chercheurs locaux, l'elaboration de méthodologies appropriées, l'intérêt des
institutions pour la communication, de même que des appuis non seulement sur le plan
financier, de la pan des bailleurs de fonds, mais également sur le plan ..moral-. de la
pan de la communauté scientifique internationale. C'est sur la base de tels critères
que nous préparons actuellement un projet de recherche sur les processus endogènes de
communication, en collaboration avec des collègues d'Afrique francophone (Burkina
Faso, Côte d'Ivoire, Niger et Sénégal). Un autre défi, difficile à réaliser et trop
souvent ignoré, consisterait à établir des ponts entre chercheurs anglophones et
chercheurs francophones dans la région ouest-africaine.

43. Les accessoires de l'apparence, liés au statut des hommes blancs-noirs, qui ont été
relevés dans les entreVUes sont, par ordre d'importance, les vêtements, les belles

• femmes, les véhicules et les habitations,

44, Certaines ethnies d'Afrique de l'Ouest ont totalement disparu au cours des derniers
siècles. Au nord du Ghana, dans une région nommée Komalond, on a retrouvé
d'admirables statuettes de terre cuite façonnées par un peuple dont on ne sait rien
(E, A. Dagan, Spirits withoU! Boundflries, 1989), Il semblerait que, pour les mem-
bres des ethnies qui vivent actuellement dans la région, ce sujet soit tabou, Les
anciens habitants du KomaIand, pacifiques et d'un haut niveau de spiritualité, auraient
été anéantis par des voisins belliqueux, À ma connaissance, aucun anthropologue ne
s'intéresse de prèS à ce problème.

45. Contrairement à ce que préconise Homi K. Bhabha (1994), rai choisi de nommer
marginal plutôt que subalterne ce groupe de personnes. Comme le démontre l'obser-
vation des processus intereu1tureIs en Afrique de l'Ouest francophone, les marginaux
ne sont pas toujours des subalternes. Par ailleurs, il me semble que le qualificatif de
subalterne utilisé par Bhabha pour parler d'écrivains de notoriété internationale, teIs
que Frantz Fanon, est loin d'être apploprié. Ce terme s'applique d'ailleurs implicite-
ment à Bhabha lui-même, ce qui lui procure une autorité pour s'exprimer au nom de
certaines personnes qui sont bien loin d'avoir son statut, La notion de position permet
précisément de définir en quoi une personne peut être subordonnée à un groupe
particulier, tout en ne l'étant pas nécessairement par rapport à ses pairs ou par rapport
à un autre groupe.


• 46. Il est notoire que. pour heaucoup d' Africains vivant en Occident. 1c:s appels
téléphoniques constituent une dépense majeure. Lorsqu 'ils téléphonent à leur tamille.
il se doivent de prendre des nouvelles de tous les parents et voisins. L'achat de
cadeaux pour la famille représente êgalement une charge très lourde.
183

47. Le phênomène de la «paye>. chaque fin de mois. est d'ailleurs un événement


social majeur dans les villes africaines. Alors que ranimation est réduite avant qu"il
ne débute. une fois les fonctionnaires et employés payês. les villes connaissent une
animation exceptionnelle: les commerces. restaurants et huvenes s'emplissent .iusque
très tard le soir. les creanciers vont percevoir leur dû et toutes les activitês sociales
atteignent un point culminant avant de diminuer lentement jusqu'à la paye suivante.
On observe. par ailleurs. une hiérarchie implicite qui régit la paye des différentes
catégories de fonctionnaires parmi lesquels certains sont payês avant les autres :
militaires. policiers, douaniers et autres porteurs d·uniformes.

48. Un Africain rapportait à ce propos une anecdote révélatrice. Un ministre africain


fut obligé d'embaucher son grand frère comme chauffeur. En tant qu·ainé. ce dernier
pouvait donc dicter au miniStre certaines décisions. Certains Noirs que j'ai observês
dans les organisations possèdent ainsi des pouvoirs considérables. sans rapport avec
leur statut officiel - d'où Iïmponance de tenir compte de la hiérarchie informelle.

• 49. Au sujet du système colonial français, voir, outre les mémoires de Amadou
Hampâté Bà (1992 et 1994) et les ouvrages de l'historien Henri Brunschwig (1983 et
1988), Terre d'ébène, un remarquable témoignage du journaIiste français Albert
Londres (1929) et I.e monde colonial, de Pierre Guillaume (1974). À propos des
pratiques des militaires français, voir Titinga Frédéric Pacéré. Ainsi on a assassiné
tous les Mossé (1979) et Kélétigui Mariko, Les Touaregs Ouelleminden (1984).

50. Un exemple de ce phênomène est la ..Lettre pour Laye>, une chronique publiée
par le quotidien burkinabé L 'Observateur chaque vendredi. Selon un haut fonctionnai-
re, c'est ..un réSuiné de tout ce qui est prévisible dans le pays», tant sur le plan
coutumier que sur le plan politique (les deux étant évidemmen~!:""). Cette chronique
se termine toujours par un avertissement concernant une cer.aine Tipoko qui révèle à
l'auteur, Passék TaaIé (1994), des ..faits» jusque là inconnus (sans en citer les sour-
ces) : ..Tipoko l'Intrigante n'apprend rien d'elle-même, elle n'invente jamais rien.
Tipoko l'Intrigante est un non-être. Elle n'est ni bonne en elle-même, ni mauvaise en
elle-même. Elle fonctionne par intuition, car "l'intuition c'est la faculté qu'a une
femme d'être sûre d'une chose sans en avoir la certitude..."". L'Observateur, doit-on
noter, fut fondé en 1973 et il est considéré comme l'un des journaux indépendants les
plus sérieux et les plus crédibles de la sous-région ouest-africaine. Ses responsables
sont des enseignants de formation, car, d'après Edouard Ouédraogo qui en est le
directeur, jusqu'à très récemment, «tous ceux qui avaient fait des écoles de journa-


lisme et autres étaient des fonctionnaires». Le tirage de ce type de quotidien indépen-
dant se situe entre 2 000 et 5 000 exemplaires, ..mais quand une personne achète un
numéro, il y en a dix autres qui le lisent." (Entrevue n';!lisée en 1990)
• 51. 11 est clair que. pour Ie.~Noirs et mi:me pour la plupart des Blancs-noirs. le
développement de r~eaux de relations prime sur la possession d'un capital. Cene
184

attitude s'inscrit dans les processus endogène.~ de redistrihution des richesses et elle e.\1
à l'origine de beaucoup des prohlèmes rencontrés dans l'application de.~ modèle.~ de
gestion venus d'Occident. D'après Farmo Moumouni (s. d.). un Africain vivant au
Canada, «l'individu se trouve airu.i dans la douhle situation de supérieur social et
d'inférieur social 1... 1. il donne ou redistrihue ce qu'il reçoit- (p. 46-47). En ce qui
concerne l'État, cene situation «rengage envers ses inférieurs (institutions. adminis-
tration. tribus. etlmies. ete.) à donner. et ses inférieurs attendent et exigent des dons
de lui- (p. 53). (<<La logique du donner-, document rédigé pour rACDI)

52. Certains jeunes urbains sont rejetés par leur famille car. ayant été envoyés à
l'école pour devenir des Blancs-noirs. ils n'ont eu. au terme de leurs études. d'autre
horizon que le chômage. Ils ne peuvent donc remplir leurs obliga:ions à l'égard de
leurs parents qui sont restés au village. Il convient d'ajouter que. pour une famille
africaine rurale ou vivant en zone péri-urbaine. l'éducation d'un enfant exige un
investissement énorme - et elle est toujours considérée comme tel.

53. Afin d'alléger la forme de ce texte j'utiliserai les expressions avanrage ou


handicap inrerculturel dans le sens : «avantage- ou «handicap communicationnel dans


un contexte pluriculturel-.

54. Les Blancs-noirs constituent en effet l'essentiel de la base sociale de la plupart des
régimes d'Afrique de l'Ouest.


• Chapitre 4
Blancs et interculturalité
\85

Une idée fon simple émerge tinalement de l'étude empirique de lïntercultumli-


té en Afrique de l'Ouest: heaucoup de Noirs possi:dent un avantage interculturel par
rappon à la majorité des Blancs. En d'autres termes, .ils- nous comprennent génémle-
ment mieux que .nous» ne les comprenons. malgré notre formation, nos prétendues
connaissances sur .Ieur- situation et les discours légitimant nos interventions aupri:s
d'.eux-. Cette idée, je rai souvent exprimée à des Africains qui. invariahlement,
répliquaient qu'il s'agissait là d'une évidence. Une bonne part de leurs expériences sc
rétère en effet à un net avantage dans les échanges interculturels avec des Blancs.

Il existe cenes des Noirs qui ont eu peu de contacts avec les Blancs et qui
conservent la mémoire de l'expérience de la violence coloniale - jamais totalement
~joritai­


reconnue. Ces «Noirs-noirs», demeurés ruraux et non instruits, sont toujours
res. Les pays d'Afrique de l'Ouest francophone comptent entre 60% et 80% d'analpha-
bètes, à l'exception peut-être de la Côte d'Ivoire. Pour ceux-là qui sont restés au
village, la crainte du Blanc est toujours contemporaine. Au delà des crimes inqualifia-
bles commis durant l'invasion coloniale, le recrutement pour les travaux forcés et pour
le service militaire ont laissé des traces dans chaque famille. Selon une Africaine,
[...1 quand on prenait un homme en contingent, les gens faisaient presque
des funérailles, car ils se disaient qu'il ne reviendrait plus. Et les fem-
mes pleuraient, elles accompagnaient les recrues de chants de funérailles
de village en viIIage. 1•••\ Mon grand-père me racontait; il parait que
c'était vraiment très triste.

Il faut cependant remarquer que l'image du Blanc chez les Noirs a considérable-
ment évolué dans un laps de temps relativement bref. D'après ce que rapponent les
explorateurs (Caillé, 1979; Park, 1980), il Y a, dans cenaines régions, moins d'un
siècle, les Blancs étaient perçus comme des génies qui venaient de l'eau. Selon
Amadou Hampâté Bâ (1992, p. 186), les Blancs étaient:

• [•••) des êtres aquatiques qui vivaient au fond des mers dans de grandes
cités. [...1De tempS en temps ces "fils de l'eau" sortaient de leur
• royaume aquatique. déposaient quelques-uns de leurs ohjets merveilleux
sur le rivage. ramassaient les offrandes des populations et disparaissaient
aussitôt.
186

C'est en effet de cette iaçon que se taisait. par la mer. le -commerce muet- entre les
hahitants de la côte africaine et les premiers Européens qui échangeaient de la pacotille
contre de ror. de rivoire. de la gomme arabique ou d'autres productions locales.
L'étude de la -littérature orale., légendes. contes et prophéties. permet cependant de
constater révolution rapide de lïmage du Blanc chez les Noirs (Gorog-Karady, 1976).

Depuis le début du siècle, beaucoup de Blancs sont allés en Atiique : militaires.


commerçants, administrateurs. dévelo!,peurs et autres voyageurs qui ont contribué à une
nouvelle image. Nombre d'Atiicains ont eu des contacts avec les Blancs. Les soldats
recrutés en Atiique ont en outre constaté que la France n'était pas le seul pays blanc, et
qu'elle pouvait être vaincue. Les Blancs-noirs sont allés en Europe, puis ils ont


expliqués ce qu'était ce monde aux membres de leurs familles demeurés au village :
-ceux qui veulent mieux comprendre le monde de l'Autre, du Blanc, viennent nous
voir>-. Les Noirs ont appris de ceux d'entre eux qui ont vécu l'expérience des Blancs.

Certains Noirs, les marginaux, ont ainsi acquis un avantage sur le plan intercul-
= ~el, avantage qui se révèle lors des échanges avec les Blancs et, parfois, avec les
Bi~bs-noirs. Fondamentalement, les Blancs et les Noirs sont pourtant, au départ, les
mêmes humains~ àvec les mêmes capacités potentielles de développer l'intereulturalité:
mais leurs apprentissages et leurs expériences divergent, et c'est donc de là que provient
le handicap que l'on constate chez la plupart des Blancs. Comment ce handicap se
manifeste-t-il, d'où vient-il et comment s'est-il constitué'? J'aborderai ici ces questions
par l'étude des formatiol'c-ttiscursives
------.. et par des données d'observation venant, entre
autres, de l'expérience de Blancs ayant vécu en Afrique.

Comme nous l'avons vu dans le chapitre 1, les conceptions occidentales de


l'Afrique sont inscrites dans deux ensembles de textes correspondant à deux périod:s -

• africanistfi et tiers-mondiste - qui tendent actuellement à se confondre. Les Blancs


• d'aujourd'hui ont d"ahord connu l'Afrique par lc: hiais d'une ùouhle négation ùu temps
et de l'espace. Certains ont aussi vécu en Afrique -
lS7

une vie qui a toutefois fort peu à


voir avec celle des Noirs. Ces Blancs qui ont l'expérience. théorique et p••nique. de
l'Afrique sont aussi cellX qui poss~dent aujourd"hui une vaste autorité pour délinir les
situations africaines et JX1ur imposer ces définitions. Ainsi - partant de conceptions
réductrices - des Occidentaux construisent un monde africain à leur image. Mais
l'Afrique contemporaine n'est qu'en apparence une .invention- des Blancs. car die
s'édifie surtout par la communication avec des Africains et entre des Africains.

CULTURE OCCIDENTALE ET CONSTITUTION D'UN HANDICAP


Si l'on étudie les textes du passé, trois types d'écrits complémentaires ont.
d'après Valentin Y. Mudimbe, contribué à la constitution de l'Afrique .primitive- :
the exotic text on savages, represented hy travelers reports: the philoso-
phical interpretations about a hierarchy of civilizations; and the anthropo-
logical search forprimitiveness. (1988, p. 69)

• C'est par l'intermédiaire de ces textes que fut conçue la notion de l'intëriorité des
Africains; c'est là que naissent le racisme et la légitimation des entreprises esclavagis-
tes, colonialistes et de leurs suites. Cette notion de supériorité est intériorisée par les
Blancs et, souvent, par les Africains eux-mêmes. Un vieux me disait :
Il n'est pas dit que ce qu'on a dit de nous soit vraiment vrai. Il n'est pas
dit que les gens que Dieu a fait noirs, qu'ils doivent rester inférieurs
jusqu'Ïl. la. fin des temps. Je ne pense pas ça, nous aussi nous avon...
quelque chose dans le cr.:ine. [...1 notre tour viendra, mais jusqu'à
présent, nous en sommes encore au moyen-âge (... 1.
D'où proviennent de telles croyances? Les formations discursives qui con~tituent

l'image de l'Afrique sont parfois fondées sur des observations; elles sont le produit
d'échanges directs, mais elles sont aussi et surtout le fruit de l'interprétation qui fut
faite de données partielles ou biaisées, reprises et modifiées d'un auteur à l'autre. À
cet égard, l'utilisation sélective que les auteurs font de ce qu'il leur est possible de
savoir de l'Afrique est révélatrice. C'est ainsi que, par des choix, des oublis et des


rémterprétations tendancieuses, s'édifient les fondements des conceptions occidentales
du continent africain et de ses habitants.
• Ces chcrcheurs d'Occidcnt qui vculcnt amenuiser l'histoirc
188

Il est possible de prétendre, sur un plan toutefois très abstrait. que la division du
monde entre civilisés et barbares remonte à répoque antique (Mudimbe. 1988: 1994).
Mais Kwame A. Appiah précise :
1... ) the historicist claim is only plausible where there are important
social and intellectual continuities between the various stages of society in
which a concept is studied. And 1 deny that this condition is satisfied in
the relationship between ancient Egypt and modem Africa, or ancient
Greece and modem Europe. (1992, p. 102)
Il serait donc hors de propos de remonter aussi loin que l'antiquité dans le cas de
rétude des interactions, des manifestations de l'interculturalité et de la perception des
Noirs par les Blancs. La notion d'une prétendue infériorité des Africains, faut-il
remarquer, est relativement récente en Occident.

Pour les Grecs de l'antiquité, comme pour les Romains, les Celtes ou les

• Scythes du nord étaient tout aussi arriérés que les Éthiopiens du sud. Aucun texte de
ces époques n'insinue cependant que leur «infériorité» soit définitive (Appiah, 1992,
p. Il). Une ville africaine périphérique comme Carthage pouvait sérieusement menacer
le centre civilisé par son haut niveau technique et culturel. Carthage était d'ailleurs en
contact avec l'Afrique subsaharienne, comme le révèle la chronique du voyage d'Han-
non dans le golfe de Guinée vers 470 avant Jésus-Christ. Au Moyen-Âge, les croisés
d'Europe ont aussi eu des contacts avec les Éthiopiens qu'ils considéraient comme leurs
égaux dans la foi. Sur le devant de la cathédrale de Cologne se trouve ainsi une statue
représentant un preux chevalier noir.

C'est surtout à partir du XVII" siècle que les Européens ont démontré un
penchant pour l'exotisme, repris au XVIII" siècle par les philosophes des Lumières. La
notion de race, tout comme les théories racistes,~est née à partir du moment où les
contrées lointaines, comme l'Afrique, sont devenues des enjeux économiques (sail!,
1980). Des thèses ont été élaborées sur des bases totalement anti-empiriques, sans

• prendre en compte toutes les doonéescrédibles dont on pouvait disposer à l'époque.


L"orientalisme n'a pas seulement pavé la voie à l'Africanisme; en réduisant le monde
• arabe à une permanence en dehors de l'histoire. il a aussi contribué à éliminer du
corpus des connaissances sur l'Afrique tout ce qui avait été rd.~semblé par les Ardbes.
189

Les références aux chroniqueurs arabes qui. dès le XI' ~;ècle, avaient réalisé des
études minutieuses en Afrique subsaharienne, sont restées rares dans les écrits occiden-
taux'. On aurait tort de croire que cet oubli (ou amnésie) n'a pas d'incidences de nos
jours. Bien qu'une recherche approfondie à partir des chroniques arabes reste à faire,
.ï en présenterai ici un exemple révelateur dans le cas des Mossé.

Ce peuple, qui vit dans l'actuel Burkina Faso, a peu intéressé les premiers
anthropologues. Lors de l'expédition Dakar-Djibouti (1931-1933f, Marcel Griaule
traversait le Moogo en trois jours et Michel Leiris précisait :
Les femmes sont jolies, ont de beaux seins qui se tiennent bien, font des
gestes cordiaux. Les hommes ont l'air joyeux et bien portants. Mais
quelle pauvreté ethnographique à côté des Dogons. (1988, p. 45)

• À la fin des années 1960, Elliott P. Skinner, anthropologue et ambassadeur des États-
Unis en Haute-Volta de 1966 à 1969, réalisait une recherche approfondie sur les Mossé.
En se basant sur le Tarikh es-Soudan d'Abderhaman Es-Sadi, qui signalait le passage de
cavaliers «mossiS>' à Tombouctou en 1330, ainsi que sur la tradition orale, il a émis
l'hypothèse que le Moogo existait depuis le XII' siècle (Skinner, 1972). Quant à
Titinga Frédéric Pacéré, qui a travaillé avec le généalogiste de l'empereur, le Larlé
Naaba Ambga, îrsitue plutât la fondation de l'empire des Mossé (qui se disent descen-
dants des Dagomba de l'actuel Ghana) au début du X' siècle.

Mais dans les années 1980, l'anthropologue Michel Izard, qui a rédigé sa thèse
d'État sur l'empire mossé du Yatenga, a prétendu que le Moogo n'avait été fondé qu'au
XV' siècle et que les «Mosi de la boucle du Niger» étaient des nomades (Izard, 1985)'.
Pourtant, aucun chroniqueur arabe n'accrédite cette thèse; ils affirment simpl~ent que
les Mossé ont mené des raids contre Tombouetou à Partir de 1250. À la suité de
Michel Izard, la plupart des chercheurs français ont adopté son hypothèse (Bonnet,

• 1988, Savonnet-Guyot, 1986). 11 suffit de lire les noles de remerciements dans leurs
• ouvrages pour constater qu'ils sont tous liés à Michel Izard. Membre du Collège de
France. ce dernier est désormais considéré comme le premier spécialiste des Mossé.
190

L'hypothèse de Izard est contestée par Joseph Ki-Zerho (1978) et par Titinga
Frédéric Pacéré (1979, 1991)4. La réponse à la controverse se trouve vraisemblable-
ment dans les bibliothèques du nord du Mali, où r on estime à plus de 5 000 les
ouvrages et manuscrits arabes anciens (Gaudio. 1988). Il semblerait toutefois que les
chercheurs occidentaux accordent peu d'intérêt à ces écrits - à moins qu'ils ne soient
tout simplement pas arabisants. Je ne prête certes pas à ces «spécialistes>- une malhon-
nêteté intentionnelle, mais je prétends ici que leur attitude est révélatrice d'au moins
deux choses: d'une part, du caractère réducteur de la division des études en aires
géographiques (Said, 1980, p. 66) et, d'autre part, du handicap des Blancs dans r étude
empirique en Afrique. La théorie et le statut semblent cependant pallier ces lacunes.
tout au moins en apparence.

• L'ignorance des sources arabes révèle les limites de la perspective des Blancs sur
r Afrique, du moins celle des scientifiques. Titinga Frédéric Pacéré (1979) a entrepris
de dénoncer les oublis et les biais des recherches sur les Mossé :
[.•.1j'ai été violent, pas seulement contre Izard, mais contre tous ces
chercheurs d'Occident qui veulent amenuiser l'histoire. (...1 Avec le
recul, Izard s'aperçoit que beaucoup d'Occidentaux ont fini par croire
qu'ils étaient en terrain conquis et que leur vérité était la seule, car les
Africains ne font pas beaucoup de recherches sur eux-mêmes.
À propos des Arabes, je voudrais ouvrir ici une parenthèse sur la perception des Noirs
par les Arabo-berbères du Sahara et du Sahel, peuples originaires du Maghreb dont les
nobles sont parfois blancs (Maures et Touareg). D'anciens conflits persistent entre eux
et les Noirs, qu'il convient de mettre en perspective.

Les «grands nomades» étaient des éleveurs et des guerriers islamisés qui
considéraient comme inférieurs et, surtout, «infidèles» les animistes subsahariens. Les


Bella chez les Touareg et les Haratines chez les Maures sont des descendants d'esclaves
crazziés» dans le sud. Ces captifs pouvaient être cruellement traités dans des circons-
• tances difficiles. comme le rapportent les explorateurs c:t comme en tcmoignc: l' c:xpé-
rience de.~ Blancs-noirs haratines. Mais il existe cgalement des rdpports d'cchanges
entre anciens maîtres et esclaves. nomade.~ et sédentaires. qui ne sont pa.~ dcnucs de
191

respect. Les commerçants maure.~ étaient. par ailleurs, eux aussi victimes des Noirs.
comme en témoigne René Caillé, au sud de Tombouctou en 1828 (1979, p. 163-210).

Il faut noter que la notion de race n'existait pa.~ chez Ie.~ Arabo-berhères, du
moins pas dans le sens occidental du tenne. La personne noble est censée être d'ori-
gine blanche, mais pas toujours «teint clair>-, selon une expression africaine. Certains
chefs maures ou touareg sont noirs. Ici r ethnie n' el>"t pas vraiment caractérisée par des
différences susceptibles de fonder une inégalité et certes pas par des diftërences physi-
ques : elle est définie par une ascendance et par une appartenance - qui sont souvent le
produit d'une négociation et d'un métissage'. L'Afrique est un va.~e creuset où les
cultures se sont mêlées au cours d'une histoire qui remonte à plusieurs millénaires.

• On constate donc que le racisme, tel qu'on le connaît en Occident. était étranger
à l'Afrique de l'Ouest. Le racisme est né en Europe à la fin du XVII' siècle et il s'est
développé au cours des siècles suivants avec la colonisation de l'Amérique, la traite
esclavagiste, puis le colonialisme et la seconde guerre mondiale (Mudimhe, 1994,
p. 99). Le racisme fut ainsi progressivement exporté dans le reste du monde. Il
convient toutefois. d'en distinguer différents aspects : le racialisme et deux fonnes
distinctes de racisme, le racisme extrinsèque et le racisme intrinsèque (Appiah, 1992,
p. 13-15),

Selon Kwame A. Appiah, le racialisme el>"t fondé sur des distinctions au niveau
de certains traits physiques (peau, cheveux, ete.), sur la base desquelles sont établies
des classifications infonne1Ies.
Racialism is not, in itself, a doctrine that must he dangerous, even if the
racial essence is thought to entail moral and intellectual dispositions.
[.,,] it seems to he a cognitive rather than a moral problem,


• Le racialisme reste cependant un des présupposés du racisme. Le racisme extrinsèque
- qui est, d'après Appiah, la manitestation d'une .incapacité cognitive~ - opère des
distinctions morales entre les races, afin de valoriser une race en particulier. Quant au
192

racisme intrinsèque, il effectue les distinctions qui précèdent dans le but d'elaborer une
hiérarchie des races visant r exclusion et légitimant r exploitation. voire r esclavage ou
le génocide.

Le racialisme existe en Afrique. chez les Arabo-berbères tout comme chez les
Noirs. Les distinctions entre -teint cJair>.. -teint foncé». créole ou noir sont courantes,
Wole Soyinka (1985, p. 16) rappone que les Yoruba se nomment eux-mêmes -les
hommes no~ (enia tfudu). ainsi que les Haoussa (bailii murane) et d'autres encore,
Mais le racisme était autrefois inconnu en Afrique. puisque s'il Y avait exclusion ou
exploitation, c'était sur la base de l'ascendance ou parfois d'une interprétation de la
religion et non sur la base de distinctions physiques ou même morales entre des groupes

• humains, Dans la plupart des ethnies, la chefferie n'est pas automatiquement hérédi-
taire et la nomination d'un chef doit être négociée. Chez les Touareg. selon l'un d·eux.
«l'esclave peut devenir le maître et le maître, l'esclave» et chez les Maures, «il y a des
esclaves blancs et des grands émirs qui sont noirs de teint>-.

Les manifestations racistes que l'on peut aujourd'hui observer en Afrique, au


nord et au sud dll Sahara, sont donc manifestement postérieures au racisme européen
(qui fut largement exporté dans les pays non occidentaux), Ce dernier est essentiel-
lement un produit des tentatives d'élaboration d'une «Science des différences racial~
(Appiah, 1992, p. 13), apparues en Europe au XIX' siècle. Il transparaît déjà claire-
ment dans les écrits des explorateurs qui furent les premiers Blancs à pénétrer à l'inté-
rieur de r Afrique,

Pour revenir à l'étude de l'intereu1turalité, la question qui se pose est : comment


le sentiment du Blanc d'une quelconque supériorité par rapport au Noir contribue-t-il à

• un handicap dans la communication intereu1ture1le?


• C'est difficile, si difficile de se placer du mauvais côté
Au XIX' siècle, la pénétration des Blancs à l'intérieur de rAfrique de rOU01
était une entreprise risquée et les premiers à I"entreprendre furent des personnages
193

singuliers. Trois d'entre eux ont publié des ouvrages marquants: le Britannique Mungo
Park, le Français René Caillé et r Allemand Heinrich Barth" - des personnalités quasi
archétypales. Le premier était chirurgien et semblait surtout motivé par le développe-
ment de l'influence et du commerce britanniques. Le second était plutôt un aventurier à
la recherche de gloire et de reconnaissance. Quant à Heinrich Barth, grand érudit et
chroniqueur minutieux, il constitue une figure d'exception, ce dont témoigne l'estime
que lui vouent nombre d'Africains. Les deux premiers, faut-il noter, ont connu par la
suite une notoriété beaucoup plus impùrtante que le dernier,

À l'époque, les explorations étaient encouragées par des sociétés de géographie,


telles que la Société royale de géographie de Londres et ses homologues de Pari~ et de

• Berlin, Elles étaient souvent financées par des entreprises commerciales, ce qui provo-
quait alors des réticences de la part des représentants des gouvernements européens
(Brunschwig, 1988). Il s'agissait essentiellement d'opérations prétendument scientifi-
ques qui visaient clairement à recenser les richesses susceptibles d'être exploitées. Les
chroniques de ces voyages révèlent avant tout les conceptions que les Occidentaux de
l'époque avaient des sociétés africaines considérées comme eprimitivCSJo :
L'accueil que Nègre reçut de tous ses parents fut très tendre, et il montra
lui-même beaucoup de sensibilité, car ces naïfs enfants de la nature ne
savent pas se contraindre et se livrent à leurs émotions de la manière la
plus forte et la plus expressive. (Park, 1980, p. 104)'
En dépit de l'image du bon sauvage, intempOrel et indifférencié, les Noirs n'en p0ssè-
dent pas moins des tares congénitales: «Ï1S» sont «généralement ignorants, susceptibles
et vindicatifs>. (Caillé, 1979, t. l, p. 286). Certains préjugés sont parfois infirmés :
Les Nègres 1•••] sont représentés par les habitants blancs des côtes
comme 1...] indolents et paresseux. C'est, je crois, avec peu de raison
qu'on leur fait ce reproche. La nature du climat est sans doute peu


favorable à une grande activité. Cependant, il D'est pas juste d'appeler
indolent un peuple qui vit Don des productions spontanées de la terre,

'.
• mais de celles que lui-même lui arrache par la culture.
(Park, 1980, p. 278)'
Comme son prédécesseur Mungo Park, René Caillé décrit les sociétés africaines à
194

travers le prisme d'une hiérarchie des cultures: «( ...1ce sont des êtres bruts et sauva-
ges, si on les compare aux peuples soumis à la religion du prophète : ils n'ont aucune
idée de la dignité de l'homme- (1979, t. 2, p. 9)'.

Ces deux explorateurs ont joui d'une énorme audience après leur retour en
Europe, et ils sont longtemps demeurés des figures emblématiques. Dans les années
1930, les autorités coloniales accordaient encore des privilèges à la famille de Tom-
bouctou qui avait hébergé René Caillé un siècle auparavant (Bâ, 1994, p. 36). Les
préjugés corroborés par ces voyageurs ont ainsi contribué aux fondements des théories
qui ont justifié le colonia1isme, puis le développement:
This is the discrepancy between "civilisation" and "Christianity" on the
one band, "primitiveness" and "paganism" on the other, and the means of

• "evolution" or "conversion" from the first stage to the second. (... )


What they propose is an ideologica1 explanation for forcing Africans into
a new historica1 dimension. (Mudimbe, 1988, p. 20)
Les écrits des explorateurs ne révèlent pas l'altérité : «They comment upon "anthropolo-
gy", that is, the distance separating savagery from civilization on the diachronic line of
progress 1...]" (p, 18), Ils sont enfin un reflet du racisme ambiant, plus extrinsèque
qu'intrinsèque, qui a par la suite pu conforter les thèses les plus extrémistes.

Une trentaine d'années après René Caillé, l'oeuvre d'Heinrich Barth décrit de
façon méticuleuse les lieux et les humains qui vivent dans le sahel. Beaucoup de ces
données historiques et surtout physiques seront utilisées par la suite, mais la réserve de
jugement que l'explorateur allemand manifestait sur le plan humain semble avoir peu
inspiré ses contemporains. La singularité de la perception des Noirs par Heinrich Barth
provient du fait qu'il les décrit avec une approche historique et de façon individuelle, et
non en tant que membres indistincts d'un ensemble'·. Ses prédécesseurs ont certes


vécu des expériences qui auraient dû les éclairer sur l'humanité africaine, mais ils ne
manifestent qu'une myopie révélant, en définitive, leur handicap intereulturel.
• Les écrits de René Caillé. par exemple. mettent nettement en évidence le
maintien d'une distance par rapport aux Noirs. L'auteur ne vit qu'accessoirement au
195

contact des Africains. il aspire à s'en eloigner et. encore plus. à rentrer en France pour
connaître la gloire. récompense de ses souffrances. Dans radversité. il se laisse certes
parfois toucher par la misère el, surtout. par raide qui lui est apportée. Mungo Park
évoque aussi rempathie que manifestent à son égard des Africaines _. surtout des
temmes pauvres - qui lui donnent gite. nourriture et aide (p. 264). Mais René Caillé.
peu instruiL avoue aussi 1"absence de réciproque :
J'ai ainsi souvent été obligé de partager le peu de nourriture qui m'était
accordée avec ces parasites affamés et paresseux. qui aiment mieux rester
sans manger que de cultiver leurs champs. (1979, t. l, p. 358)

Alors que l"explorateur, pourtant seul dans le monde des Noirs, maintient une
distance par rapport aux humains qui l"entourent, certains Noirs manifestent une


capacité à se percevoir eux-mêmes dans la situation de 1" Autre, aussi étranger soit-il; en
d'autres termes, ils manifestent de l'empathie. Si l'on considère les Blancs qui succè-
dent aux explorateurs, on constate, à l"inverse, la persistance générale d'une absence
d'empathie à l'égard des Noirs. Ce trait pourrait donc constituer un des fondement~ du

handicap du Blanc sur le plan interculturel. Un paysan africain disait à propos d'un
Blanc:
li faudrait qu'il se mette dans la peau, à la place de l'Autre. Mais c'est
difficile,· si difficile de se placer du mauvais côté. Si vous ne pouvez pas
vous imaginer à la place des malheureux, alors vous allez les piétiner
sans pitié.
Les Blancs sont presque toujours des privilégiés se percevant comme supérieurs, ce qui
limite leur capacité d'empathie et leur possibilité d'accès à la culture de l'Autre".

Le Toubab, c'était le symbole du pouvoir, de la puissance


Si je passe l'époque trouble de l'invasion coloniale, dont l'histoire doit encore
être écrite (Pacéré, 1979), les textes qui succèdent à ceux des explorateurs furent écrits
par des missionnaires, des colonialistes et des auxiliaires. En Afrique, le colonialisme
fut marqué par la création de barrières physiques, et aussi culturelles, entre pays franco-
• phones et anglophones. Selon un ancien auxiliaire devenu responsahle politique.•l'hom-
me formé par les Franc;ais n'est pas du tout comme celui qui fut formé par les Anglais».
Le colonialisme correspond également. dans les textes. à la transition d'une définition
196

an-historique du continent à une nouvelle définition: celle d'un espace indifférencié.

Cette époque a produit une quantité énorme d'écrits sur l'Afrique et sur ses
hahitants. mais. ici encore. l'utilisation qui en fut faite reste partielle et hiaisée. Henry
Brunschwig. un historien qui réalise des recherches minutieuses dans les archives
coloniales. souligne la réduction spatio-temporel1e qui est opérée dans les textes et dans
leurs interprétations. Les dOMées sont classées.
(••• 1dans un temps astronomique, mathématique. insensible. inhumain.
qui reste étranger aux durées particulières à chaque individu ou à chaque
groupe social. (1983, p. 210)
La question des particularités locales est largement ignorée. en particulier cel1e des
chefferies, «Si importante et encore si mal connue, car infiniment diverse d'une ethnie à

• l'autre» (p. 10). Le problème de l'historien est d'abord la difficulté


de s'identifier à un autre, de l'accepter différent, de percevoir le monde
par les sens de l'autre pour comprendre sa mentalité. Si difficile dans le
présent, comment pourrait-on y parvenir dans le passe'?
(Brunschwig, 1988, p. 14)
En somme, le Blanc qui cherche à comprendre les Africains et leurs mondes est marqué
par une carence d'empathie liée à un handicap dans les échanges intereulturels.

Beaucoup d'écrits de l'époque coloniale restent ignorés :


Ceux qui ont longuement vécu au contact des Africains, ceux qui ont
donné de vrais témoignages, n'ont jamais été écoutés. On ne les a jamais
pris au sérieux, on n'a jamais accepté leurs thèses. Il Ya une énorme
quantité de chroniques, de manuscrits faits par des commis, administra-
teurs et commerçants, qui est perdue.
À mesure que des Blancs ont eu un contact plus étroit avec les Africains, les textes sur
l'Afrique sont devenus une affaire de spécialistes. Ces spécialistes, faut-il noter,
oeuvrent dans un cadre bien déterminé et pour une période limitée. Dans ce contexte,

• comment peut-on alors comprendre l'interculturalité chez les Blancs coloniaux'!


• Peu nombreux. les Blancs des colonies étaient prolondément divisés et agis.o;aient
le plus souvent en tonction d'intérêts individuels:
Ils faisaient toujours partie de la majorité métropolitaine. ne se sentaient
197

pas les outils d'un grand dessein. Temporairement détachés en Afrique.


ils s'intéressèrent rarement aux Noirs dont les coutumes les déroutaient.
Les plus intelligents accédèrent à rislam noir. non à ranimisme. 1... 1 la
plupart ne pouvaient pas pénétrer dans les sociétés noires. solidement
structurées, défendues par des barrières d'initiations, d'interdits. de
cérémonies inintelligibles. (Brunschwig, 1983, p. 210)
Le colonialisme a ainsi créé une singulière catégorie de Blancs, perpétuellement mutés
d'un lieu à rautre (Bâ, 1994, p. 297)" et motivés surtout par rambition et rintérêt.
Non seulement ils étaient peu qualifiés sur le plan intereulturel, mais ils ne manifes-
taient que peu de curiosité à r égard des mondes des Noirs. Les interprètes, auxiliaires
et autres Blancs-noirs étaient là pour pallier les lacunes. Ces derniers jouaient le rôle
sinon de premiers informateurs, du moins d'interlocuteurs obligés pour les autorités et
pour les spécialistes de passage. Les auxiliaires avaient intérêt à ce que soit maintenue

• une distance entre les Noirs et les Blancs, et la méconnaissance des Noirs par ces
derniers n'a pu que conforter les idées préconçues.

Entre n'importe quel Blanc, «entre ces gens-là et le plus instruit des Noirs, il y
avait un immense fossé-. La moindre offense pouvait provoquer une réaction d'une
violence démesurée: «ils n'avaient que la cravache et le garde tapait, tapait, tapait.....,
se souvient un vièux 1). Même à l'école française des années 1950 :
les Toubabs étaient le symbole du pouvoir, de la puissance, du comman-
dement. On les craignait vraiment 1...1. Mais c'étaient des gens, en
fait, qu'on ne connaissait même pas, on n'avait pas de contact avec eux.

Il existait certes plusieurs catégories de Blancs coloniaux et, sans les passer
toutes en revue, j'évoquerai quelques distinctions pertinentes. Les missionnaires,
d'abord, sont mal connus. Les anecdotes rapponées par Amadou Hampâté Bâ et
évoquées plus tôt sont toutefois révé1atrices. Comme les fonctionnaires, ils oeuvrent
pour des intérêts particuliers - parfois au dépens de leur morale et de l'équité. La
complémentarité des missionnaires et des coloniaux, dans l'établissement d'un système
• d'exploitation, est évidente (Mudimbe, 1988, p. 44-47). L'absence de critiques sur rë-
glise coloniale provient vraisemblablement du fait que la ~iOlité de ceux qui peuvent
198

critiquer, c'est-à-dire les Blancs-noirs, ont été formés dans les écoles religieuses et dans
les séminaires". Ce qui ne s'écrit pas, en Afrique, n'est pourtant pas oublié:
Les Blancs missionnaires.,. il Y avait des Français, des Italiens et des
Espagnols qui parlaient français. Ils étaient au départ très hautains,
quand bien même ils étaient les ambassadeurs de la bonne parole où il est
question d'égalité, de fraternité entre les enfants de Dieu, Ça ne les
empêchait pas d'avoir des tendances à la supériorité, je dirais même une
prétention à la pureté."

Après les fonctionnaires et les missionnaires sont venus des coopérants dits
-techniques», enseignants et autres spécialistes'". Une culture s'est alors développée
dans ces petites communautés d'expatriés en Afrique, culture qui allait plus tard devenir
celle de la coopération. Ces Blancs des colonies manifestent la distance qui les sépare


des Noirs, dans leur mode de vie et dans leurs façons d'être avec l'Autre. Ils vivent
dans un espace incompan'ble avec les mondes africains, comme on l'observe dans
l'habitat et dans l'urbanisme des quartiers dits -Toubaboudougou" des grandes villes
africaines. Les Blancs y ont reproduit un monde qui est éttanger à l'Afrique".

L'espace singulier où vivent les Blancs qui séjournent en Afrique s'inscrit dans
une continuité :
Les coloniSateurs ont vraiment développé leur culture sur la base de
l'exploitation, de la traite des nègres et de l'exploitation des ressources.
Ils ont foulé du pied certaines valeurs, certaines richesses. TI leur fallait
les nier pour asseoir une sttatégie.
Cette sttatégie vise à transformer l'Afrique en une construction européenDe, et cela à
des fins d'exploitation. D'après Albert Memmi (1966, p. 42-43),
l'Européen des colonies peut aussi, bien sûr, aimer cette contrée nouvel-
le, goûter le pittoresque de ses moeurs. Mais serait-il rebuté par son
climat, mal à l'aise au milieu de ces foules élrangement vêtues. regIette-
rait-il son pays natal, le problème est désormais celui-ci : faut-il accepter
ces ennuis et ce malaise en échange des avantages de la colonie?


• Les colonialistes sont des privilégiés qui deviennent vite opportunistes en attendant le
retour dam. un pays devenu mythique (Memmi. 1966. p. 95-1(0). Les Noirs en sont
évidemment excius. La connaissance du monde colonial" et l'expérience des BlanL'S-
199

noirs démontrent clairement que «les valeurs des colonialistes n'étaient pa.~ les valeurs
occidentales» - pas plus d'ailleurs que ceUes des développeurs.

Les colonialistes ne constituaient certes pas un groupe homogène, «c'étaient


avant tout des hommes et parmi eux il y avait le meilleur et le pirt> (Bâ, 1994, p. 335).
tCes hommes) vivaient sur place avec de jeunes femmes qui étaient soit
réquisitionnées d'office, soit épousées à travers la parodie du "mariage
colonial coututnier", lequel s'éteignait de lui-même après le dépan du
"mari". Les enfants nés de ces unions étaient rarement reconnu.~ (il y eut
cependant quelques exceptions d'autant plus méritoires).
(Bâ, 1992, p. 521)
Par la suite, certains Blancs sont venus accompagnés de leur femme. La situation de
ces dernières était difficile, Isolées et inactives, tout en étant en contact permanent avec

• des serviteurs noirs, eUes ressentaient manifestement un malaise. EUes étaient «souvent
fatiguées» et «Criardes». D'après Albert Memmi (1966, p. 62), la femme se désinté-
resse du monde africain, eUe a moins «le souci de l'humanité abstraite - et eUe
l'avoue, les colonisés ne lui sont rien et eUe ne se sent à l'aise que parmi les Euro-
péetlS». Plus tard sont enfin venues des enseignantes, qui étaient généralement perçues
par les Blancs-noirs comme plus compréhensives que la majorité des hommes.

n semblerait que, parmi les Blancs, les femmes ressentent plus profondément
que les hommes la distance qui les sépare des Noirs. Même lorsqu'eUes cherchent à se
rapprocher d'eux, l'impuissance du partage subsiste (Fanon, 1952, p. 53-68), Une
forme de dégoût contre soi-même peu alors apparaître, comme le manifeste Nadine
Gordimer dans Feu le monde bourgeois :
Oh nous, femmes blanches baignées. parfumées, épilées, dont les entrai1-
les gardent enfouie la sainteté de la race blanche! Quelle décoction de
musc et pétales bouillis peut masquer les infamies commises au nom de


cette sainteté? (1993, p. 44)
• Les femmes hlanches sont arrivées dans les colonies dans un monde conçu par
des hommes, militaires. administrateurs et commerçants. Leur perception de ce monde
provoquait un malaise, signe d'une perspective et d'une position particulières :
200

The particular forms of any emotion that women experience as a.'1 op-
pressed, exploited and dominated gender have distinctive content that is
missing from ail those parallel forms in their hrothers' emotional life.
(Harding, 1991, p. 122)
Les Blanches comprennent le monde colonial à travers le prisme particulier d'une expé-
rience de femme, de mère, de fille ou de soeur. La difficulté de reproduire une société
de femmes, et d'être femme, dans un monde bâti par les hommes en leur ahsence, crée
une contradiction qui peut devenir insupportable. En Afrique, les Blanches subissent
une douhle exclusion : exclusion du monde des hommes, mais aussi des mondes des
Noirs dont les Blancs excluent tous ceux qui sont des leurs.

De plus, des femmes blanches qui étaient généralement d'origine relativement

• modeste se retrouvaient soudain en possession d'énormes pouvoirs sur certains humains,


en l'occurrence les Noirs. Mais comment user du pouvoir quand on n'a pas été
entraînée à le faire'! Les réponses sont multiples, relatives aux personnes, et elles évo-
luent dans le temps. Il existait ainsi trois façons de s'extraire des mondes africains -
tout en rejetant les Noirs hors de son monde - , par une intention délibérée, subie
inconsciemment, ou parfois imposée aux femmes et, par la suite, aux «petits BlanCS>',
les Blancs cinférièUrS», tels que les Espagnols, les Libanais ou autres Méditerranéens
(qui sont cependant plus rares au sud qu'au nord du Sahara décrit par MemInl). La
hiérarchie qui s'étabüt entre différents groupes humains parnü les Blancs s'inscrit ici
nettement dans une conception évolutionniste des peuples.

Les Blancs étaient d'autant plus divers et imprévisibles aux yeux des Noirs qu'ils
étaient distants et disposaient d'énormes pouvoirs. Avec le tempS et l'influence de leurs
prédécesseurs, beaucoup de ces Blancs finissaient par en abuser. Mais certains pou-
vaient se montrer plus communicatifs, équitables et d'humeur égale, et les Noirs les

• percevaient alors comme des êtres d'exception. Panni les Blancs-noirs, beaucoup se
• souviennent avec émotion d'un Blanc qui, alors qu"ils étaient

Blanc d'une espèce rare, qui les a aidés ou, ~igne


enlanl~,
201

les avait pris par


la main ou avait eu un geste d'affection à leur égard. Ils disent leur gratitude pour ce
éminent d'hospitalité en Afrique, qui
les a invités à manger dans sa maison (Bâ. 1994, p. 69 et 229).

Mais une distance subsiste malgré tout entre le Blanc et le Noir. Le fonctionnai-
re ou le voyageur panent vite, et aucun lien ne peut alors subsister. Chacun demeure
dans son monde. Comme l'affirme Alben Memmi, le colonisateur de bonne volontê
doit admettre qu'«i1 n'est pas des leurs et qu'il n'a nulle envie d'en être» (1966, p. 6\).
Le Blanc, toujours dominant dans la société locale, peut difficilement réduire la distance
qui le sépare du Noir, car il ne peut, ni ne veut, sortir du monde qui est le sien. Il est
le fIuit d'une histoire d'exclusion et d'une expérience de peu d'empathie. Dans
quelques rares cas, une position singulière et le temps peuvent permettre à un Blanc de
réduire la distance, de tenter de devenir un «transfuge.., mais il ne devient pas Noir
pour autant (p. 73-77). Je crois que tout Blanc qui s'est rendu en Afrique peut déceler
ce qui, dans son expérience et dans sa formation, l'éloigne des Africains - une culture
de domination et d'exclusion qui se retrouve ailleurs, dans les formations discursives.

Le colonialistne se situe dans la période africaniste qui est caractérisée par la


négation de l'histoire, du temps africain. Cette négation fut largement légitimée par des
spécialistes, c'esto:à-dire ceux qui participent aux définitions des situations africaines
dans des termes utilisables par l'l1drninistration et par les décideurs des métropoles.
Parmi les spécialistes des sciences humaines, les anthropologues ont certainement joué
un rôle central et ont inspiré leurs successeurs, les «experts>o du développement.

Pour collDllitre l'histoire, il faut une étude de la littérature


J'ai déjà traité des limites de l'anthropologie et des anthropologues" qui sont,
sur le plan intereulturel, relativement handicapés par lapport à certains Noirs et même
par rapport à d'autres Blancs. Comme le remarque Valentin Y. Mudimbe,
l...] the anthropologist often forgets what the missionary or, worse still,
the "native" might remind him - that he is not perfectly bilinguaJ and,
• therefore. despite his scientitic background. his intellectual construction
may weil be just a questionable "invention". (1988. p. 67)
Je voudrdis maintenant renverser la perspective et présenter brit:vement un regard
202

aliicain sur l'anthropologie. qui confirme le constat qui a été fait sur ses limites.

L'anthropologie est avant tout une création de l'Occident. De plus.


1••• ) ethnocentrism is both its virtue and its weakness 1••• ) not, as sorne
scholars thought, an unfortunate mishap. nor a stupid accident. but one
of the m~ior signs of the possibility of anthropology.
(Mudimbe, 1988, p. 19)
O'aprë:s Mudimbe, l'ethnocentrisme anthropologique est double: il se situe sur le plan
épistémologique et il constitue «une attitude de l'esprit et du componement qui varie
selo.) les individlJS>o. Par ailleurs, l'anthropologie est totalement étrangère à l'Afrique,
mais elle s'est transformée à la suite des critiques qui lui furent adressées, notamment
par des Blancs-noirs. L'anthropologie n'en reste pas moins marquée par ses origines

• qui se situent «dans le cadre d'une idéologie mercantiliste> (p. 16),

Comme je l'ai noté plus tôt (voir p. 100-101), des Blancs-noirs s'inspirent
parfois de l'ethnologie pour tenter de renouer avec leurs racines culturelles. Mais leur
approche est marquée par une conception intemporelle de la culture, qui est vraisem-
blablement un signe de la distance qu'ils ont acquise. L'éloignement par rappon aux
origines (avec, peut-être, l'influence de l'anthropologie) tend à provoquer un oubli des
dimensions historiques. Cet oubli ou cette rerte de l'historicité semblent en outre plus
marquées chez les membres des ethnies profondément transformées par le colonialisme
que chez ceux qui proviennent d'ethnies qui sont demeurées puissantes,

Titinga Frédéric Pacéré, qui adopte une perspective critique sur l'anthropologie,
en précise les limites, O'aprë:s lui, les anthropologues accèdent difficilement à l'histoire
africaine, surtout par vice de méthode, Ils se basent généralement sur des récits de
vieux pour COIllllU"tre la culture, sans tenir compte des déficiences de la mémoire ni des


champs de connaissances spécifiques à chacun de ces vieux, et, sunout, en ignorant
• d'autres textes dans d'autres sphères culturelles: les discours. les chants. le langage des
tam-tam et celui des masques.
Pour connaître l'histoire. il faut une étude de la linérature. pour connaî-
tre l'histoire. il faut interpréter la musique. Nous aurons des exemples
dans Ie.~ domaines concernant la connaissance de l'organisation sociale et
des conflits sociaux. (Pacéré. 1991. p. 38)
En appliquant cene méthode au cas du Moogo. l'étude des diftërenl~ textes locaux
révèle que cet empire fut en expansion (du X' au XVlIl' siècle). puis qu'il s'est thé
dans ses frontières actuelles. Son histoire fut marquée par l'action de certains hommes
(p. 57). Ce que l'on remarque ici c'est que ces hommes qui ont fait l'histoire de.~

peuples africains ne sont pas compris par I"anthropologue en termes historiques, comme
le feraient des historiens pour des personnalités marquantes en Occident. Une autre
question, d'ailleurs difficile à comprendre, subsiste égaiement : pourquoi les Mossé,
longtemps considérés comme invincibles, sont-ils restés sur le plateau mos.~ qui ot une
région austère et aride'! Titinga Frédéric Pacéré affirme que ces derniers :

• [".] ont créé leur vie qui équilibre leurs valeurs morales et leurs valeurs
matérielles, ils ont voulu d'une terre qui ne soit pas trop fertile afin de ne
pas déséquilibrer cela (.. ,].
n est clair que le territoire de nombreux peuples africains ne correspond pas à leur
potentiel d'expansion; et que chaque peuple répond à des valeurs qui sont protondément
ancrées dans un environnement particulier. Des guerriers redoutés vivent dan.~ le
désert, alors que de petites ethnies vivent paisiblement dans le delta du Niger, qui est
une région des plus fertiles. Dans le Moogo, on constate que :
[..,1 le bonheur individuel [, ..1 se présente comme une résultante, il
résulte de l'absence de toute contrainte :
- Contrainte de la part du voisin (contrainte privée).
- Contrainte de la part de la société (contrainte publique).
- Contrainte morale (contrainte spirituelle). (Pacéré, 1979, p. 21)
L'affinnation de ces valeurs est à la base de l'organisation de l'empire mossé; c'est là
une situation que Titinga Frédéric Pacéré nomme ..I"anti-histoire>o. n ne s'agit pas.
précise-t-il, d'«a.-histoire>o, puisque l'histoire continue à se dérouler à mesure que les

• individus et les générations la construisent, mais d'une volonté d'équilibre entre


diverses sphères (1979, p. 22), Non seulement la culture se manifeste dans des espaces
• inconcevables pour la science occidentale, mais elle est aussi. chez certains pt:uples
atiicains. fondée essentiellement sur des valeurs comme le bonheur, la sagesse ou la
spiritualité - qui sont définies dans le cadre des connaissances endogènes.
204

Comment accéder à ces dimensions'! Comment comprendre et traduire la culture


dans les mots de l'a!lthropologie'! Le handicap de l'anthropologue est douhle. puisqu'il
se situe sur le plan de rinterculturalité et sur le plan épistémologique. O'ailleurs,
quelle est la compétence particulière de l'anthropologue par comparaison avec d'autres'!
Contrary to most anthropologïsts' ten month or, at best.. {wo or three
years of field research, many missionnaries spent almost their whole life
among Africans. (Mudimbe, 1988, p. 65)
L'anthropologue est-il formé à l'empathie, à l'interculturaiité'! En ethnographie, la
collecte et le traitement des données dépendent beaucoup de la formation et des
expériences de celui qui les réalise. Mais des Occidentaux formés à l'université possè-
dent-ils les facultés permettant d'appréhender et de comprendre l'historicité et la

• complexité culturelle de l'Afrique'? Il est difficile d'y croire, lorsqu'on observe que la
compétence interCulturelle est relativement limitée au sein d'un groupe dominant.

À mon sens, le chercheur occidental en sciences humaines est donc doublement


handicapé pour comprendre les situations africaines. 0 'une part. sa formation impose
un handicap épistémologique qui se manifeste, entre autres, par des carences méthodo-
logiques; d'autre 'part, en tant que membre d'un groupe dominant. il jouit de peu
d'intercu1turalité et cl' empathie. Des chercheurs africains en communications ont
d'ailleurs remarqué que les enquêtes devraient préférablement être menées par des
femmes, africaines et moyennement instruites, afin de rassembler des données crédibles
(Ugboajah.. 1985, p. 280). Pourtant. la recbercbe demeure surtout une affaire d'Occi-
dentaux, d'hommes universitaires qui, au départ, «Ile savent rien du milieu.. dont ils
finissent par s'estimer spécialistes. Par ailleurs, la recberche en sciences humaines tend
de plus en plus à être subordonnée à des entreprises qui s'inscrivent dans une perspec-


tive de développement - renforçant alors le biais évolutionniste,
• La période africaniste se conclut. dans les sciences sociales. avec un mouvement
vers une redéfinition de r espace africain dans la pen;pective du développement. Sur le
plan des idéologies politiques. ce mouvement correspond à une poussée vers la moder-
205

nité. vers la transformation d'un ~)'stème politique ha.~é sur l'exclusion des Africains en
un autre qui s'inspire des idéaux universaliste.~. Ces derniers n'étaient certes pas
absents de l'époque coloniale. mais ils étaient perpétuellement hafoués. La control-
diction est devenue trop patente pour les Blancs-noirs et pour certains Blancs, notam-
ment les gens de gauche sur la scène politique française. Pendant une certaine période,
qui débute avec les indépendances, l'idéologie tiers-mondiste s'est imposée. Mais si
l'on y prête attention. il apparaît évident que le tiers-mondisme s'inscrit dans une conti-
nuité et qu'il produit de nouvelles contradictions. Il ne réduit pas la distance intercul-
turelle qui avait été élaborée auparavant.

LE PRIVILÉGIÉ ET LE MARGINAL

• Depuis les indépendances, l'Afrique subsaharienne compte plus d'expatriés


blancs qu'à l'époque coloniale (Hancock, 1991, p. 187)"'. Leur situation demeure
celle de privilégiés. C'est surtout pour certains Africains que la décolonisation a intro-
duit des changements. La création de frontières nationales fut une tragédie pour les
membres de certaines ethnies, pour les nomades et tous ceux dont les fumilles se
retrouvaient partagées entre deux pays. En ce qui concerne les autres Noirs, la vie
continuait avec dè nouveaux maitres : les Blancs-noirs qui, déjà à la fm des colonies,
remplaçaient les Blancs. Les modalités de négociation avec l'autorité extérieure
s'étaient modifiées, mais les contraintes venant de cette autorité restaient sensiblement
les mêmes (impôt, service militaire, réquisitions, etc.).

Les Blancs-noirs sont restés fonctionnaires et de nouveaux pouvoirs sont


apparus, militaires, policiers, douaniers, administratifs et autres. Quant au pouvoir
centraI, il est désormais entre les mains d'une nouvelle catégorie d'hommes qui, comme
les coloniaux, usent fréquemment d'arbitraire.

• La simation n'a pas tellement changé, on a toujours le Blanc, on a le


Blanc-masqué, le Blanc qui a pris le corps du Noir, ce Noir qui prétend
• être l'élite. Il n'est pas assimilé, mais il est déraciné. Il n'a plus rien de
sa souche et il n'est pas représentatif de l'Autre. Il est d'abord très
égoïste.
206

Certains régimes d'Afrique de l'Ouest ont été profondément traumatisants pour ceux qui
les ont subis. Les Noirs, comme les Blancs-noirs, ont pratiquement tous connus une
époque d'oppression par un pouvoir plus ou moins dictatorial et sanguinaire. Beaucoup
ont été en prison et ont perdu des proches, parents ou amis'''. Certains se sont exilés.
À cet égard, il est intéressant de noter que les dirigeants dictatoriaux sont généralement
perçus comme des Blancs: les Africains ont déjà fait l'expérience d'un tel pouvoir-
et les Blancs-masqués ont autrefois eu des maîtres pas toujours exemplaires, qu'ils
conservent d'ailleurs parfois.

Si la survie et la vie sont parfois fragiles pour les Africains, la situation du


Blanc en Afrique est toujours relativement confortable. Au-delà des avantages maté-


riels, dont bénéficient généralement les expatriés et les voyageurs, et de tout ce qu'ils
procurent, on constate que le Blanc continue à l'heure actuelle à jouir en Afrique de
privilèges considérables. Le Blanc est protégé par son passeport qui est généralement
celui d'un bailleur de fonds du gouvernement local. Même sous les pires régimes
politiques, les Blancs ne sont pas torturés, ou exécutés, ou longuement emprisonnés";
dans le pire des cas, ils sont <c1'llIlçonnés» et expulsés. Comme les Africains, les Blancs
d'Afrique subissent d'interminables tracasseries administratives, mais ils n'en continuent
pas moins à mener une vie occidentale et maintiennent des barrières avec la grande
majorité des Noirs.

De nouvelles catégories de Blancs sont apparues, comme les développeurs, les


touristes et les diplomates. Les volontaires et les coopérants sont devenus des interve-
nants majeurs en milieu rural. Les échanges entre Blancs, Blancs-noirs et Noirs se
situent souvent dans le cadre des projets et programmes de développement, ou dans
celui des organisations financées par des fonds occidentaux. «Le Blanc, il a l'argent»,
disent les Noirs; le Blanc a donc les pouvoirs que procure l'argent.
• Ils travaillent contre le développement
On retrouve chez beaucoup de Blancs qui vivent aujourd'hui en Afrique les
qu'Albert Memmi ohservait chez les colonisateurs". Un grand nomhre d'entre eux ont
207

trait.~

choisi d'oeuvrer pour le développement. d'abord par conviction. Mais d'où viennent
ces croyances tiers-mondistes qui motivent les développeurs"! Comme je rai indiqué
plus tôt. leurs fondements sont. d'une part. la notion chrétienne de la faute originelle
avec l'exigence de la réparation et. de I"autre, la théorie de I"impérialisme. la transposi-
tion de la notion de lutte des classes sur la scène internationale opérée par Lénine.
C'est sur ces bases que sont fondés les divers courants du tiers-mondisme. plus ou
moins à la mode selon les époques (voir p. 50).

Les théories du développement peuvent être séduisantes. il reste que l'expérience


du développeur n'est pas uniquement théorique:
On ne s'évade pas d'un coup d'aile de son époque ni de son pays. et cet


effort pour s'identifier à la mondialité reçoit aussitôt son démenti. La
conscience boursouflée est une conscience vide. (Bruckner, 1983, p. 124)

Le ..tiers-monde>- n'est pas conçu comme un vaste regroupement de peuples


singuliers, mais comme un espace déterminé par l'absence d'un trait occidental, le
développement. Ces régions qualifiées par des euphémismes, tels que «sous-développé»
ou autres, deviennent une même entité abstraite définie par un retard plus ou moins
grand par rapportà la modernité de l'Occident. Mais le Blanc en Afrique ne peut se
situer uniquement sur un plan abstrait; et les Africains sont d'une immense diversité.
Le choc du contact quotidien avec des Noirs est souvent rude pour les tiers-mondistes.

Harounan Ouédraogo, chef du village de Tourum qui a collaboré avec une di-
zaine d'organisations occidentales de développement, perçoit ainsi les développeurs" :
Quand un Occidental quitte son pays pour l'Afrique, il a d'excellentes
idées derrière la tête, comme soutenir la population défavorisée. Mais
après un an, deux ans, il commence à prendre des habitudes et il devient
pire que certains Africains.


• Rapidement, les développeurs qui restent, ceux qui font carrière dans le développement.
font preuve du même opportunisme que les colonisateurs de bonne volonte"'. Le
volontaire comprend mal la situation et les acteurs en présence,
208

1...1 il se laisse manipuler par certains, il prend goût au pouvoir, il finit


par dire «c'est moi qui paye, donc je fais ce que je veux!-. Le pouvoir,
c'est quelque chose de difficile; je suis chef et je sais ce qu'il en est. Si
r on nomme chef un enfant de 5 ans, il agira en chef. Mais peut-il être
un bon chef!
Si le développeur abuse de son pouvoir, d'après Harounan Ouédraogo, c'est principale-
ment parce qu'il manque d'empathie:
Quand on sait que quelqu'un a faim, quand on a déjà eu faim soi-même
et que l'on sent ce que c'est quand le ventre tourne, ou quand quelqu'un
manque de respect et que ça fait mal, il devient possible de se mettre à la
place de l'Autre. Il faut se mettre dans sa peau.

On retrouve donc chez le développeur le même handicap que chez le colonisa-

• teur de bonne volonté : une distance inscrite dans les textes qui sont à la base de sa
formation et de ses croyances, ainsi qu'une distance qui provient d'un manque d'empa-
thie et d'une faible intereultura1ité. Le handicap intereulture1 du Blanc peut alors
susciter des stratégies communicationnelles fondées sur l'avantage dont disposent
certains Noirs - en d'autres termes, c'est une condition du détournement qu'il est
possible d'observer dans le cadre des projets de développement. Comment se fait-il que
de telles stratégies soient élaborées?

Il convient tout d'abord de se demander comment se manifeste le handicap du


Blanc. Reprenons comme exemple le cas de ce volontaire blanc censé travailler avec le
VIllage de Tourum, cIl lui est difficile de rester dans la brousse, alors il a décidé d'être
dans la ville voisine», contrairement à ce qui avait été conclu avec l'organisation,
précise Harounan Ouédraogo, On constate ici que, par rapport au projet, l'attitude
première du responsable VIllageois s'inscrit dans le droit, le respect de la parole et du
contrat signé entre les parties, Par la suite, le Blanc s'est lié à «des intellectuels et des

• fonctiOllDllÎI'eS», des Blancs-noirs, et il a.commencé à fréquenter les bars et les lieux où


l'on rencontre des jeunes filles. Puis il a embauché comme assistant un ami peul que
• les villageois mossé cne peuvent pas voiflo. Finalement. les ressources destinées au
village ont été détournées pour un autre projet en ville-.... Contrairement à un précé-
dent volontaire, dont c'était le premier séjour en Afrique et qui ca compris alors qu'il
209

était au bout de son contrat», le dernier volontaire avait longtemps été coopérant
ailleurs, et il semblerait qu'il n'ait pas tenté de comprendre les particularités locales. 11
estimait qu'il fallait contourner les autorités coutumières, et, cd'incompréhension en
incompréhension, une distance s'est faite entre les personnes» pour aboutir à une
situation où ..il crée la division dans le village, il travaille contre le développement».
Quand on est Noir, connaître ses droits ne suffit cependant pas à les faire respecter, ni à
ce qu'il soit approprié de les revendiquer :
Ce n'est pas la peine de résister, on peut bien dire ce que l'on pense.
mais, chez les autres, il y a une solidarité agissante. Un Occidental
s'entend mieux avec un autre Occidental, il préfère le soutenir.

Ce que l'on constate dans le cas de ce volontaire - qui n'est pas un cas

• isolé - , c'est un manque de prise en compte des singularités locales, conformément à


une perspective tiers-mondiste. L'effort à faire pour comprendre la situation est énorme
pour qui ne sait rien de la culture (ou croit pouvoir l'assimiler à une autre culture
africaine) ni de la faim ou de l'humiliation. Par ailleurs, il n'est pas facile d'abandon-
ner le confort et de vivre seul. Pour un Blanc, la vie en ville, la fréquentation des
Blancs-noirs et des autres Blancs procurent un cadre social valorisant, car il y jouit
d'énormes pouvoirs - inconcevables dans le pays d'où il vient. Quant aux éventuels
conflits avec les villageois, ils sont aisés à résoudre et à légitimer grâce à la solidarité et
à la convergence d'intérêts que les Blancs partagent entre eux et avec les autorités.

Du côté des Noirs, les interlocuteurs des Blancs sont des personnes, souvent des
jeunes ayant une instruction de base, qui ont vécu en ville et connu des fonctionnaires
et des Blancs. Us n'en sont pas moins ancrés dans les structureS coutumières du
village, où toutes les décisions se prennent par des négociations avec les aînés et avec
d'autres groupes. Ce sont souvent ces personnes, qui furent ailleurs les marginaux

• urbains évoqués dans le précédent chapitre, qui négocient avec les développeurs.
• L'utilisation des ressources provenant du développement est alors décidlie par des
négociations dans le cadre local. Un projet est toujours ponctuel. mais la vie du village
s'inscrit dans le long terme et, pour réaliser le programme local d'amélioration des
210

conditions de vie, il devient généralement nécessaire de s'approprier des ressources et


de les détourner -des fins pour lesquelles elles ont d'abord été attribuées.

C'est donc sur la base de l'intercultura1ité développée par certains Noirs, et du


manque de compétence interculturelle des Blancs, qu'un tel processus se réalise. Le
Noir peut parler le langage du Blanc quand c'est utile et négocier dans d'autres espaces
de culture et de pouvoir lorsque c'est nécessaire. Incidemment, les notions de créussi-
te> ou d'cécheo- d'un projet deviennent alors très relatives, selon l'angle où l'on se
situe. Il en reste toujours quelque chose pour la communauté villageoise. À Tourum,
une partie des ressources fut ainsi détournée pour faire des relevés topographiques
permettant de réaliser le projet initial d'aménagement de rizières... avec une autre

• organisation de développement. Les Noirs disposent ici de réseaux de communication


inconnus de certains Blancs, qui leur permettent de négocier avec d'autres Blanc?

Il ne faudrait pourtant pas en conclure que les développeurs sont des personnes
particulièrement amorales; ce sont des humains, culturellement situés, parmi lesquels on
retrouve, encore une fois, cIe meilleur et le pire». Ils sont marqués par un double
handicap, culturel et individuel, et, surtout, ils participent à un système - celui de
raide internationale, de la coopération ou du développement - qu'ils subissent autant
qu'ils l'assument,

Wbere the lioDS roared


L'Afrique connai't des lieux d'exclusion qui n'appartiennent plus aux Africains,
mais qui sont revendiqués par les stratégies communicationnel1es et interculturelles de
certains Noirs fondées sur la connaissance des processus d'échanges entre divers espaces
culturels, locaux et étrangers. Ces marginaux bâtissent une culture qui provient de

• l'expérience de l'exclusion. À l'inverse, les Blancs maintiennent une ancienne culture


de domination fondée sur une prétention implicite à une supériorité et sur l'exercice du
• pouvoir. Une autorité étrangère s'exerce ainsi à partir de définitions des situations
locales qui sont imposées par un groupe matériellement et culturellement dominant.
c'est-à-dire les Blancs et leurs homologues locaux, plus ou moin.~ mimétiques.
211

C'est dans le cadre d'échanges entre ces groupes que se situent les prQiets et
programmes de développement. Les critiques du développement et de la coopération
ont été faites, entre autres au moyen de données jouma1istiques (Hancock, 1991) ain.~i

que par l'épistémologie et l'histoire (Sachs, 1992), par l'anthropologie et l'ethnographie


(Hobart, 1993) et par les études en communications (Howard, 1994). Pierre Barrot et
Seydou Drame, qui ont été journalistes en Afrique de l'Ouest. décrivent le monde du
développement à travers l'histoire de la diffusion d'une pompe à eau. Dans leur roman
Bill l'espiègle (1993), le développeur qui travaille en Afrique finit par avouer «que les
bons sentiments ne font du bien qu'à ceux qui les cultivent; qu'ils ont disparu, les bons
petits pauvres d'antan, humbles et fatalistes, ignorants et naïfs,. (p. 70)."

• La mentalité d'un Blanc évolue en général rapidement lors d'un séjour en


Afrique. Comment vit-il les échanges intereu1turels avec les Noirs'] Celui qui arrive
subit d'abord un choc, car l'image qu'il se fait initialement des Noirs est marquée de
romantistne. Elle est formée non seulement par les messages des médias, mais aussi
par des croyances qui proviennent de nombreux textes. Le Blanc conçoit d'abord les
Africains à traV.eES des créations de l'imagination, romans, films et autres. Jacques
l "'nzman, romancier et éditeur français, écrit ainsi que les Touareg
(00.] qui défendaient leur maigre pâturage parsemé d'épineux étaient
donc, eux aussi, un peu Géronimo et Sitting Bull, un peu Jeanne d'Arc à
Orléans, un peu Roland à Roncevaux, et même un peu Robin des Bois
dans la forêt de Sherwood. ['00] j'avais choisi mon camp, celui des
faibles contre les plus forts. (Dayak et al., 1992, p. 186)
Dans l'imaginaire occidental, les Africains peuvent être des héros, des bandits, de bons
sauvages en harmonie avec l'environnement, des nécessiteux et quelques autres
personnages encore". Le contact avec les Noirs oblige cependant le Blanc à se rendre
compte de l'inadéquation entre son image initiale des Noirs et ce qu'il perçoit de ceux
qui l'entourent; il doit finalement admettre son incapacité à comprendre la culture locale
• dans sa complexité et dans sa diversité. Il ajuste alors cene image par le biais d'échan-
ges avec d'autres Blancs ou, à dé/aut, avec des Blancs-noirs"'. Une responsable
d'ONG écrit :
212

Comme chacun le sait, en Afrique les contacts se nouent facilement. On


se salue sans se connaître, on discute, on sympathise. Dans les villes, les
Européens s'invitent les uns les autres et c'est au hasard des rencontres,
autour d'un table le soir à la fraîche que s'échangent les points de vue
sur le pays. (Vautier, 1987, p. 29)

Le romantisme ne disparaît cependant pas avec cene «intégration.. (qui suppose


une désintégration des idéaux initiaux), mais il est relégué dans des sphères plus
éloignées de la vie quotidienne. Les Africains mythiques sont ailleurs, au fond de la
brousse ou du désert; les contacts avec eux sont rares. Quant à la majorité des Noirs,
ils sont plus ou moins relégués à des généra1isatiotlS négatives. Le Blanc en Afrique
devient souvent subtilement raciste. Son langage en est le reflet : l'Africain, dit un

• Blanc, est comme ceci; ils ont telle particularité, Le paysan, la femme, l'enfant, ne
sont plus des personnes; ils s'ittscrivent dans des catégories d'exclusion, En clair,
l'indifférenciation des Noirs qui trattsparait datts les discours des Blancs révèle un
racisme extrinsèque - qui reste très répandu,

Dans l'esprit des Blancs-noirs, certains Blancs sont relativement intégrés en


Afrique : «Le Blanc qui a fait l'Afrique, vous le distinguez». Ce dernier peut être à
l'image de cet Américain qui «3. compris l'Afrique au soir de sa vie», au moment de sa
retraite, et qui a alors fait un film intitulé Where lhe lions roared, On remarque ainsi
des réminiscences romantiques chez les Blancs qui quinent l'Afrique. Le romantisme,
un refuge datts une vision imaginaire, semble donc être une forme de compettsation
mentale pour le Blanc tiers-mondiste dont l'existence est contradictoire; il est venu pour
aider des Africains qui n'existent pas, son mode de vie est indécent datts le contexte et
il est exclu d'un monde qu'il ne comprend pas, Et même s'il parvenait à s'en appro-
cher, il ne pourrait se couper des autres Blancs", Trop souvent, il reste que, quel que

• soit l'entendement qu'un Occidental puisse avoir de r Afrique, l'expression qu'il en fait
se situe datts un cadre romantique ou encore datts un cadre de généra1isatiOtts,
• Les Africains sont malgré tout sensibles aux efforts fail~ par un Blanc pour
tenter de les comprendre et de communiquer avec eux, et ils sont indulgents par idppon
aux limites de cette compréhension. Les relations d'échange avec de.~
213

Blancs sont idres,


et l'étranger doit être traité avec beaucoup de considération. Le Blanc mécontent risque
de «toubabiseI'>', c'est-à-dire d'user de violence verbale ou encore d'arbitrdire. Au
niveau des intera'::tÏons, il est essentiel, dans la plupart des sociétés d'Afrique, d'éviter
les conflits directs qui risquent de dégénérer. Lorsqu'ils s'adressent à un Blanc,
beaucoup d'Africains disent ce qui est attendu ou espéré par ce Blanc - qu'ils perçoi-
vent souvent nettement même lorsqu'il s'agit d'abstractions". L'information potentiel-
lement contrariante pour l'interlocuteur blanc n'est communiquée qu'en cas de nécessi-
té, et de manière indirecte. D'après un de mes interlocuteurs, la question qui se pose
dans l'esprit de l'Africain reste toujours : «Comment savoir comment ils vont réagir'!»

Ce trait de la communication entre Africains et Blancs est différent du mimétis-

• me, puisqu'il s'agit non de se conformer aux modèles de communication du Blanc, mais
d'anticiper ce qui est souhaité par ce dernier, D'ailleurs, les Africains communiquent
également entre eux de cette façon et ils sont entrainés à décoder les messages en tenant
compte des différences, de la hiérarchie et des règles de courtoisie qui imposent des
limites aux possibilités d'exprimer directement certaines choses. Quant au Blanc, il
reste longtemps désemparé par ces façons d'échanger très peu linéaires. 11 ne peut que
ressentir sa profonde incompréhension des processus endogènes de communication.

Comme je l'ai déjà indiqué, dans la communication entre Africains, certaines


questions ne peuvent être abordées et d'autres ne peuvent l'être que dans des circonstan-
ces particulières et par certaines personnes uniquement. Dans des sociétés où de vastes
compétences communicationnelles sont acquises, l'expression et la compréhension des
messages sont très raffinées. Le Blanc, peu formé aux échanges verbaux et intereu1tu-
reIs, manifeste généralement son handicap par des maladresses, des paroles ou des
gestes qui révèlent son extériorité aux mondes locaux, Dans le contexte du développe-
ment, à ce handicap problématique s'ajoute la standardisation des compétences de «l'expert»,

214

Le développement est possible dans le àéséquilibre


Les programmes de développement sont des lieux privilégiés pour observer le
handicap interculturel du Blanc qui se manifeste à deux niveaux : au niveau individuel.
dont j'ai déjà parlé, et à un second niveau, inscrit dans des teXtes et largement organisa-
tionnel. Par rappon au second, les Africains analysent clairement les problèmes
rencontrés par l'application imposée des théories occidentales du développement. «On
ne peut pas inventer le développement. car on ne peut pas inventer la culture>, dit un
gestionnaire. Un autre ajoute, en ce qui concerne l'économie: «le banquier est rivé à
ses équilibres, alors que je crois que le développement est possible dans le déséquili-
bn>. Un agronome indique que le problème qui se pose dans le développement rural
n'est pas technique, c'est un problème de communication. L'expen ne peut communi-
quer avec les paysans : ce'est très difficile de faire dire à un paysan ce qu'il peosc>, dit
l'un d'eux. La solution passe par la communication, car «partout le paysan a la même
attitude vis-à-vis d'une nouveauté: il est sceptique». S'il est difficile de convaincre, il

• reste possible de démontrer. Mais la culture ou 1"élevage ne sont pas des abstractions et
on trouve encore des experts en agriculture qui ne touchent jamais la terre.

En d'autres termes, les théories appliquées, dans le cadre du développement. par


des spécialistes à la fonoation hautement standardisée, c'est-à-dire professionnelle, font
peu de cas des aspects bumains, culturels et communicationnels. Le spécialiste n'est
pas fonné à consiilérer que ce'est le paysan qui fait le développement, c'est pas le
ministèrC», ni la technique. On constate d'ailleurs que certaines techniques sont
spontanément adoptées par des paysans et adaptées à l'environnement, alors que
d'autres sont laborieusement diffusées. et ceci sans résultat. La culture attelée, par
exemple, est souvent enseignée à des paysans qui n'en veulent manifestement pas, car
ils ne manquent pas de main d'oeuvre". En outre, leur terre est fragile et elle exige
des méthodes culturales légères et des pratiques d'agroforesterie incompatibles avec les
technologies qui leur sont proposées".


• De plus, l'expertise et la définition de tâche des Occidentaux ne favorisent
généralement pas les échanges. Le spécialiste est, selon la l'onnule de J>-dSCal Bruckner
(1983, p. 106), un «professionnel du regard selectif... Ceci est particulièrement marqué
215

chez les gestionnaires ainsi que chez les chercheurs qui travaillent dans des domaines
techniques. Il peut s'agir d'étudier une espèce de graminées ou une variété de souris:
les sujets ne manquent pas. L'expert observe des spécimens, mène des expériences,
mais il n'a pas appris à tenir compte des connaissances endogènes sur les question..~ qui
rintéressent". Le chercheur appartient ainsi à une catégorie de Blancs coupés des
Noirs, tout comme le sont les diplomates qui vivent en milieu fermé et protégé, ain..~i

que les touristes, les consultants et autres personnages qui ne font que passer. «D'une
manière générale, ils ont une image complètement erronée des Africains».

On constate donc que plusieurs catégories de textes peuvent contribuer à créer


une distance entre les Blancs et les Noirs. Une première participe au romantisme, à la

• création d'une conception imaginaire des Africains. Un second ensemble de textes


fonde les croyances tiers-mondistes qui s'inscrivent dans une théorie évolutionniste des
cultures, et un troisième, organisationnel et aussi scientifique, définit les situations dans
èes termes incompatibles avec les mondes locaux. La complémentarité entre ces textes
est évidente : ils créent tous des distances sur le plan imaginaire, social et administratif
ou technique. Ils tendent à limiter les perceptions de l'individualité, des singularités
culturelles et deS èonnaissances endogènes. Ils délimitent un ghetto mental dans lequel
le Blanc s'enferme, rejetant ainsi les mondes dans lesquels vivent les Noirs.

Certains de ces textes semblent également marquer les Blancs-noirs et. à cet
égard, il est intéressant de noter les ressemblances et les différences entre le romantisme
chez les Blancs et la nostalgie chez les Blancs-noirs. L'un comme l'autre produisent
des conceptions imaginaires qui créent une distance. La nostalgie tend souvent à
réduire l'historicité du monde des Noirs en se référant à une culture «authentique». Par
contre, le tiers-mondisme et la négation des singularités culturelles sont constamment en

• contradiction avec l'expérience des Blancs-noirs. Le tiers-mondisme demeure une


• idéologie qui est imposée par les Blancs aux Blancs-noirs plus qu'elle n'est choisie par
ces derniers. Ils y adhèrent de façon circonstancielle, lorsque que cela est opportun.
216

Le tiers-mondisme et la science se situent dans des espaces de communication


exclusifs aux Blancs et aux Blancs-noirs, et inaccessibles à la majorité des Noirs, à
l'exception parfois des marginaux. La langue de communication est ici essentiellement
le français. Des barrières linguistiques et des connaissances étrangères delimitent donc
des espaces qui excluent - devenant ainsi des espaces de pouvoir. «Les intellectuels,
c'est formidable!.., proclamait un jeune Blanc-noir. Mais, comme beaucoup d'autres,
un vieux fonctionnaire finissait aussi par admettre,
1..•) c'est nous les intellectuels, tout le problème. Nous sommes toujours
enfermés dans un système de pensée, de réflexion, de raisonnement. qui
n'a rien à voir avec le système qui est à la base.

On constate donc que la nostalgie est une tnanifestation du handicap relatif des

• Blancs-noirs. Ils ont dû intégrer, au moins partiellement, une conception du monde


incompatible avec celle des Noirs qui sont les membres de la communauté à laquelle ils
s'identifient, Par rapport aux thèses tiers-mondistes, le Blanc-noir ne peut toutefois pas
oublier que «le développement, c'est le village, c'est la communauté, c'est la tribu.., car
il ne peut concevoir un changement qui exclut les siens. Plus précisément, dans le sens
occidental du terme, «l'aide au développement, il n'yen a pas; c'est des mots, alors
qu'en pratique il'n'y a que des intérêts, c'est tout». Quant aux techniques et à la
science, le Blanc-noir a été formé à en maîtriser certains aspects, mais il se trouve
perpétuellement confronté à leur inadéquation au contexte culturel qui, de plus, diffère
d'un site à un autre - certains espaces du monde noir lui étant profondément étrangers.

À ce stade de l'analyse des données, il devient possible de situer l'intercuItura-


lité de divers groupes sur un axe qui va du handicap à l'avantage, sur les plans
communicationneIs et intercuItureIs. Le long de ce continuum, du côté du handicap se
trouvent d'abord les Blancs, puis les Blancs-masqués, c'est-à-dire bon nombre de

• dirigeants africains. Les Blancs-noirs se situent au centre, avec un handicap moins


• prononcé chez ceux qui se situent au bas de la hiérarchie informelle, ceux qui appar-
tiennent à des groupes désavantagés : femmes, groupes ethniques ou socio-ethniques
marginaux, etc. Viennent ensuite les Noirs et enfin, du côté de l"avantage, les margi-
217

naux. Le rappon entre interculturalité et pouvoir est clair. Mais il est également clair
que ce n'est pas toujours du pouvoir formel qu'il s'agit, mais plutôt d'e:.-paces de
pouvoir situés dans les hiérarchies informelles et aussi dans une hiérarchie culturelle.

INTERCULTURALlTÉ ET POSITION CHEZ LES BLANCS


L'interculturalité chez les Blancs est donc marquée par un double handicap,
individuel et épistémologique. Mais pas plus que d'autres, les Blancs ne peuvent être
considérés comme un groupe homogène. En examinant l'interculturalité chez plusieurs
catégories de Blancs, il devient possible de préciser les composantes de la position. Ces
constats peuvent aussi être recoupés avec ce que l'on observe dans les groupes plus ou
moins mimétiques, Blancs-masqués (dirigeants despotiques), Blancs-noirs et autres.

• Une question émerge de ce qui a été constaté plus tôt; elle peut être formulée dans ces
termes: comment les perceptions et l'usage du pouvoir sont-ils reliés à l'interculturalité
et comment permettent-ils de circonscrire la position'!

Leur cécité se trouve dans le pouvoir et l'opulence


Harounan Ouédraogo faisait remarquer, à propos de l'attitude du volontaire
blanc dans son village, que la situation où une personne non préparée (<<un enfant de
cinq ans>o) dispose soudain d'un vaste pouvoir provoque des «incompréhensiol\S». On
constate également que, chez les explorateurs, il existe un rapport entre la formation et
l'interculturalité. Dans des situations relativement similaires, René Crillé, orphelin sans
statut qui réalise un projet considéré comme glorieux, s'exclut plus largement du monde
des Noirs que Mungo Park, fils de fermier devenu chirurgien. Quant à Heinrich Barth,
il était un brillant érudit qui avait voyagé grâce à la fonone de sa famille. Le pouvoir,
en l'occurreuce celui de définir par écrit des situations exotiques, semble donc utilisé
avec plus de discernement par celui qui a été formé à l'exercice d'un pouvoir limité.


• Pour ramener ce constat au niveau de la position. ne serait-ce pas la perception
de son propre pouvoir, plutôt que le pouvoir effectif. qui détermine largement rinter-
culturalité d'une personne dans le sens d'un handicap ou d'un avantage'! On constate en
218

effet que, durant l'invasion coloniale, les pires tortionnaires blancs étaient des gens
modestes propulsés au rang de maîtres absolus d'une troupe d'auxiliaires et, surtout, des
habitants des pays qu'ils avaient «conquis» par les annes. Titinga Frédéric Pacéré
(1979) décrit la conduite d'une violence inouïe - contre les vieux, les femmes et les
enfants - des capitaines Voulet et Chanoine qui envahirent le Moogo en juillet 1896.
Ce type d'individu, l'envahisseur colonial, peut être défini par une empathie et par une
interculturalité approchant le zéro".

Parmi les colonialistes, on remarqu~ dans les mémoires d'Amadou Hampâté Bâ


(1992; 1994), qu'à mesure que les administrateurs deviennent des civils plus instruits,
leur conduite est plus respectUeuse. Une vaste distance se maintient. mais des espaces

• de communication réciproque apparaissent. Un Blanc-noir signale, par ailleurs, certains


effets du pouvoir exercé par des dictateurs militaires africains, les Blancs-masqués :
11 y a eu une période léthargique entre la fin des années 1970 et le début
des années 1980, il n'y avait plus de morale. (...1 les politiciens se sont
acoquinés avec les militaires - des gens incultes, comme on dit les
derniers de classe - les cadres africains se sont mis à leur rythme, de
façon inconsciente peut-être.
D'après un exilé,. les despotes africains «sont aveugles et leur cécité se trouve dans le
pouvoir et l'opulenc!>.

Les membres des chefferies africaines disposent certes de moins de pouvoir,


mais ce dernier, bien que plus discret, est parfois très effectif. Ces personnes ont été
formées dans le cadre d'Une expérience séculaire. Le pouvoir des chefferies puissantes,
sunout dans le Sahel, est un pouvoir qui est exercé collectivement et avec de vastes
espaces de négociation sociale. Les chefs sont «esclaveS» de la collectivité et, au delà
de l'apparat, ils vivent des situations de «réification de rôleS» (Berger et Luclcmann,

• 1986, p. 126). Ils ne peuvent qu'être conscients des limites de leur pouvoir et de leur
• champ de compétence. À un moindre degré. c' ~1 au.<;.~i le cas du fonctionnaire. si lin
le compare au militaire qui. lui, ne sait qu'obéir, commander, tuer ou être tué.
219

Sur le plan de la communication, le pouvoir absolu et centralisé tend à user de


propagande et à attribuer une grande efficacité aux médias. Les coloniali~1es ont
implanté la radio pour asseoir leur influence: les chefs d'État africains maintiennent un
contrôle sur les médias: les développeurs croient manifestement en «la communication
pour le développement.., c'est-à-dire en la capacité de persuasion ou d'influence par la
communication. Par contre, le pouvoir relatif de certaines chefferies est ba.~ sur une
maîtrise partagée de différents espaces de communication. La perception des limites de
son propre pouvoir (on pourrait dire, sur un plan philosophique, la conscience de la
finitude de son Être) est donc une composante de nnterculturalité, Si nous renversons
maintenant la perspective, que peut-on constater chez les groupes marginalisés, chez les
membres des ethnies marginales et marginalisées, de même que chez les femmes et les

• marginaux?

Ils ne peuvent pas raisonner comme moi


Un membre d'une petite ethnie acéphale subissant l'expansion d'une ethnie
puissante, historiquement victime de ses voisins et profondément transformée par le
colonialisme (Benoit. 1982), démontre souvent une remarquable faculté d'adaptation à
un contexte étranger, même lorsque le premier contact a été difficile, Je pen.~
notamment à un Blanc-noir qui a vécu dans divers milieux africains et européens et qui
fréquentait un groupe de fascistes alors qu'il était étudiant en France :
Je faisais tout avec eux, j'allais coller des affiches et peindre des slogans.
J'essayais de pénétrer leur groupe pour voir quel était leur état d'esprit.
pourquoi ils font ça, Moi, ils me trouvaient innocent. on chantait et puis
ils venaient me déposer en voiture,
Par ailleurs, l'empathie et la conscience de la distance culturelle avaient motivé, d'après
ce que dit cet homme, une rupture avec sa «copine> française :
C'était pénible de se QUÏtter, mais je réalisais que nous étions d'horizons


différents, je savais que si je l'emmenais en Afrique je ne ferais pas son
bonheur, (...) il aurait fallu que l'un d'entre nous choisisse d'aller de
l'autre côté, c'était forcément injuste.
• Les femmes développent également des stratégies qui, comme je rai déjà
indiqué (voir p. 91-93). révèlent une grande comprellension du monde des hommes et
des espaces de pouvoir et de culture de ces derniers. Les femmes africaines ne peuvent
220

qu'être conscientes des limites de leur pouvoir. lorsqu'elles en possèdent. car elles ont
parfois été considérées comme une sorte d·esclaves. de marchandises ou d'o~jets au
service des hommes. Chez celles qui sont instruites et en position d'autorité. la
connaissance des hommes, des autres sphères culturelles et des limites du pouvoir sert
clairement des stratégies.
Nous avons une connaissance du monde des hommes sur laquelle je joue
sans me gêner. J'estime que c'est pas la peine d'entrer en contlit avec
les gens constamment, il suffit de s'arranger pour que ça ne soit plus leur
affaire. Eux, ils ne peuvent pas raisonner comme moi.
Ces femmes comprennent souvent mieux que la majorité des hommes la situation des
pauvres, qui sont les laissés pour compte de l'économie :


Je suis persuadée que pour les plus défavorisés, ceux qui sont en bas de
en bas, la dévaluation ne change rien dans leur vie. L'augmentation des
prix n'est pas pour eux : ils ne boivent pas de lait. ne mangent pas de
viande ni de poisson. Il y a longtemps qu'ils sont dévalués.
Comme le constataient déjà les explorateurs, l'empathie est nettement plus prononcée
chez les femmes; elles ont été formées à donner et à entretenir la vie, et elles ont subi
des formes de domination. Elles disposent parfois d'espaces de pouvoir exclusifs. mais
l'accès à un monde d'hommes exige toujours la transgression de certaines barrières :
«Celles qui arrivent à se détacher des contraintes et des résistances sociales et familiales,
ce sont généralement elles qui parviennent dans les hautes sphères... Ces expériences
produisent un style de gestion particulier; en tant que femme, «vous êtes habituée à voir
les autres débattre, alors vous les mettez à l'aise, sans trop faire sentir les différences».
Les femmes rurales ne sont pas moins habiles à négocier avec les hommes, celles font
les choses en douce pour que l'homme ne soit pas blessé dans sa fierté de mâle, mais
en fait elle ont plus d'un tour dans leur sac»37. Une femme, haute gestionnaire,
démontre, de plus, une sensibilité particulière aux problèmes de communication :

• On fait des discours en français et les gens ne comprennent pas. J'y suis
quand même obligée, car c'est le français qui est la langue officielle,
• mais immédiatement après je reprends le même discours en langue bamanan".
221

Je vois alors que les gens comprennent. qu'ils acquiescent: ils le manifel>1c:nt et
je le vois sur leur visage.
Quant à l'impact des médias. elle admet qu'il reste «très limité». Probablement
encouragée par les bailleurs de fonds occidentaux. on observe de la sorte. dans la
plupart des pays ouest-africains. la nomination de quelques femmes à des postes de
haute responsabilité. Elles créent des lieux où s'elallorent de nouvelles formes de
gestion. de communication et de participation.

En Afrique de l'Ouest. les «petits Blancs» évoqués par Albert Memmi (1966.
p. 51-54) sont. de nos jours. surtout des commerçants à la richesse ostentatoire. ce qui
provoque un ressentiment qui frise parfois le racisme extrinsèque"'. Les communautés
originaires du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient sont petites et hétérogènes:
certaines sont établies en Afrique depuis plusieurs générations. Nirza Kazéni. un expert


iranien en marketing social. exilé depuis une vingtaine d·années. se souvient:
J'étais choqué de ne pas trouver l'Afrique en arrivant à Abidjan. J'étais
aussi choqué que l'on me traite d' Arabe, ce qui est ici une insulte. alors
que je suis Persan. Je vient d'une culture complètement différente. Je
m'étais fait une image à travers les livres et. petit à petit. j'ai compris
des choses.
La marginalité suscite une senstllilité aux singularités :
Ma conception de la communication a complètement changé. La com-
munication ne fonctionne pas de la même façon dans une culture et dans
une autre, c·est évident"'. [...1 Nous arrivons en Afrique fiers de notre
science, nous croyons que nous sommes à une époque où il est possible
de tout comprendre. Mais la science est trop matérialiste pour compren-
dre ce qui se passe ici.

Blancs-noirs marginaux, femmes et Blancs marginalisés semblent acquérir une


compréhension des situations étrangères plus vaste que leurs homologues qui appartien-
nent à des groupes dominants. Leur conception de la communication perd la linéarité
des modèles auxquels ils ont été formés et gagne dans le sens d'une construction et d'un


partage de sens. Les espaces de communication des dominés sont des espaces de
• négociation plus que de persuasion ou d'influence. C'est là que s'elaborent des
modèles originaux d'organisation. D'après une gestionnaire:
Chez nous, on a commencé par mettre en place des institutions démocra-
222

tiques, mais en même temps on est obligé d'utiliser la négociation et on


l'utilise de plus en plus. Nous travailIons avec ce que nous nommons le
conseil des notables, les représentants des familles fondatrices de la ville,
les chefs de quartier, les vieux et les chefs religieux.
Cette femme a d'ailIeurs aussi initié un projet de création d'emplois, en colIaboration
avec des jeunes et avec le concours des chefs de quartier de la vilIe.

Quant à ceux qui sont totalement marginalisés, ils se situent dans un espace que
l'on peut définir comme étant le plus souvent frontalier :
MarginaIity designates the intermediate space between the so-calIed
African tradition and the projected modernity of colonia1ism. It is
apparently an urbanized space (...]. (Mudimbe, 1988, p. 5)
Cet espace qui se crée en milieu urbain, smtout en périphérie des villes africaines, se

• retrouve également en milieu rural et même en Occident, du fait de l'extrême mobilité


des marginaux; une mobilité physique, mais aussi culturelle et politique. Après avoir
été en contact avec diverses sociétés (le village, la ville, plusieurs ethnies, plusieurs
pays de la région et, souvent, d'Occident), les marginaux développent une conscience
aiguë de leur situation relative par rappott à d'autres groupes.

Les marginaux possèdent un vaste accès à de multiples champs de connaissances


endogènes et étrangers. Ils passent fréquemment d'une position d'insider à celle
d'outsider dans les mondes où ils vivent. Les médias leurs permettent de mesurer la
distance qu'ü peut y avoir, par exemple, entre Beverly Hills ou Dallas et le «ghetto
ghanéen» de Lomé au Togo. Un Blanc qui son de son monde ne tarde pas, dans une
vilIe d'Afrique, à rencontrer des marginaux. Quant au pouvoir, ces derniers n'en ont
que par leur capacité à s'adapter au milieu où ils sont et à comprendre des interlo-
cuteurs qui leur sont étrangers. Les mondes des marginaux sont cettes hiérarchisés,
mais les hiérarchies demeurent floues et relatives, tant les communautés ont des

• contours Ùüplécis et changeants. Ce sont des espaces de mobilité.


• La marginalité est un monde de perpétuelles négociations qui coexistent. d'une
langue à d·autres. entre divers espaces de culture et diftërentes sphères de pouvoir.
Certains marginaux peuvent acquérir un statut enviable. par exemple un musicien qui
223

devient connu. une femme qui «3 gagné un Blanc en mariage-. une commerçante ou un
entrepreneur prospères. Des liens et des solidarités sont cependant maintenus: la
marginalité devient ainsi un lieu de mobilité sociale. concrète ou symbolique. Comme
les Blancs-noirs, les marginaux qui deviennent prospères ont de nombreux dépendant~.

Manifestement, c'est dans le cadre des marges péri-urbaines que se manifestent et que
s'acquièrent les compétences les plus vastes et les plus diversifiées. observables dan.~ le
contexte étudié, sur les plans interculturels et communicationnels.

En conclusion, en ce qui concerne le pouvoir, la communication et Iïntercultu-


ra\ité, on constate que s'il y a un handicap évident chez les Blancs, il est inégalement
distribué. Le handicap épistémologique, un handicap étranger au contexte. persiste. Le

• caractère réducteur des conceptions du monde et de la connaissance du Blanc sont


difficiles à dépasser. Je dirais que s'ils peuvent l'être, l'expérience reste intraduisible
dans nos mots - ce qu'illustre d'ailleurs ce texte. En d'autres termes, je crois que la
transgression des barrières culturelles par la science reste un idéal qui suppose une
transformation de cette dernière. Le Blanc-noir a également acquis une partie du han-
dicap qui provient des textes et de la formation et qui se manifeste par la nostalgie. Ce
handicap est cepeildant partiel, car certains aspects des conceptions occidentales du
monde et de l'Afrique, comme le tiers-mondisme, ne peuvent être totalement intégrés;
ils restent étrangers, comme l'étaient les idéaux républicains de l'époque coloniale.

Une faible empathie et l'absence d'interculturalité sont manifestement liées aux


pouvoirs du Blanc (et à ceux du Blanc-masqué). Comment un Blanc pourrait-il mener
la vie qu'il mène sans nier le Noir en tant que personne égale à lui-même, ou sans
renier ses idéaux? Les contradictions sont pesantes et la légitimation de la situation
exige l'exclusion, physique et symbolique, de l'Autre. La persistance du racisme

• extrinsèque des Blancs et sa transmission aux Africains en sont des accessoires. Un



224
Blanc fonné à l'exercice d'un pouvoir limité dispose cependant d'espaces dans lesquels
- tout en maintenant une distance - il peut établir d'éphémères canaux d'échanges
avec les Noirs. Le handicap est toutefois plus prononcé lorsque l'exclusion devient
totale, les conceptions du pouvoir absolues et celles de la communication plus linéaires.
«L'impossible déshumanisation de l'opprimé, affirme Albert Memmi (1966. p. 28). se
retourne et devient l'aliénation de l'oppresseur.-

D'un autre côté, l'expérience de situations qui tendent vers la marginalité et


l'exclusion sont au contraire susceptibles d'accentuer l'intereultura\ité et les habiletés de
communication. Il existe des cultures et des microeultures. largement issues des
champs de connaissances endogènes, qui les favorisent à divers degrés; c' est le cas. par
exemple, chez les femmes, chez les groupes ethniques ou socio-ethniques marginaux
ainsi que chez les marginaux péri-urbains. La position peut alors être définie comme
étant constituée à partir de trois éléments: des champs de connaissances endogènes,

• l'expérience de la résistance à l'exclusion et la formation; peut-être aussi l'expérience


des contacts intereulturels, mais cette dernière peut demeurer plus ou moins effective,
puisqu'elle reste relative à une capacité d'accès aux cultures étrangères. Il est clair
qu'il ne suffit pas de passer sa vie à voyager pour accéder à des cultures autres que la
sienne. L'empathie et l'intereultura\ité ne sont pas partagées de manière égale; elles ne
peuvent vraiment s'enseigner et, encore moins, s'acheter.

En somme, je dirais que le guide touristique et la formation conventionnelle en


communication intereulturelle ont au moins une chose en commun : tous deux charrient
un mythe d'accès à l'ailleurs et à l'Autre qui est largement démenti par l'observation et
par l'expérience. Un voyage dans l'espace et dans les textes ne saurait être garant de
l'aptitude à franchir des barrières culturelles.

REGARD SUR L'INTERCULTURALITÉ


Pour résumer l'étude des données, l'étude de l'intereultura\ité auprès des diffé-


rents groupes bumains présents en Afrique de l'Ouest francophone -les Blancs-noirs,
les Noirs et les Blancs (chapittes 2, 3 et 4) - permet de préciser les composantes de la
• position qui fonde les compétences et les stratégies sur les plans communicationnels et
interculturels. L'hypothèse première qui a déterminé le site de la recherche se trouve
largement infirmée : les Blancs-noirs, bien qu'ils aient été largement exposés à d'autres
225

cultures et bien qu'ils aient été formés et vivent dans un cadre interculturel. n'en sont
pas moins relativement handicapés. La formation des Blancs-noirs est souvent le
produit d'une décision communautaire. Le déracinement est imposé à l'étudiant. puis
au fonctionnaire; il est souvent subi plus que choisi, ce qui produit la nostalgie, c'est-à-
dire une volonté de retour dans la chaleur de la communauté. qui croit avec le temps.

Plus ils appartiennent à une ethnie puissante (Mossé. Maures). moins les Blancs-
noirs peuvent être considérés comme des «leaders d'opinion.., car l'autorité demeure
largement dans le cadre coutumier et le «leadership.. des Blancs-noirs dépend de leur
conformité à ce cadre. Par contre, dans les ethnies moins puissantes. les Blancs-noirs
possèdent ou développent une autonomie et acquièrent une certaine autorité. L'in-

• terculturalité n'est cependant pas garante de cette autorité, mais elle permet d'élaborer,
sur un plan d'abord individuel, des stratégies qui utilisent les compétences interculturel-
les - chose que l'on constate aussi chez les femmes, En d'autres termes. d'un côté.
les stratégies collectives des ethnies puissantes sont fondées sur l'utilisation de l'ensem-
ble des compétences des membres dans un cadre de négociation - et aussi sur une
reconnaissance des limites de chacun; de l'autre, les stratégies individuelles des Blancs-
noirs marginaux" et des femmes nécessitent généralement de vastes compétences chez
une même personne.

À travers son expérience et la crainte de la solitude, le Blanc-noir a acquis une


dualité culture11e qui se manifeste par une tension entre la nostalgie et le mimétisme., et
qui crée une distance constituant un handicap partiel. n a intégré certains éléments
d'une perspective de Blanc et il a acquis des pouvoirs. Les Blancs-noirs marginaux, les
femmes et les membres des petites ethnies possèdent cependant des positions singuliè-
res. Ils manifestent des stratégies qui s'iDSpirent d'une connaissance des mondes

• propres aux groupes dominants; ils possèdent une double capacité de médiation, avec le
• monde des Blancs et avec celui des Blancs-noirs dominants, et ils démontrent une
faculté d'adaptation et une interculturalité plus prononcées. L'interculturalité que ron
observe dans les groupes dominants correspond à des stratégies collectives, à l'expé-
226

rience d'une situation frontalière ou mobile, alors qu'ailleurs rinterculturalité est


individuelle et souvent plus vaste, même si elle semble parfois moins manifeste.

L'expérience de la subordination et de rexclusion contribue clairement à la


constitution d'une position favorisant l'interculturalité. Mais la persistance de l'oppres-
sion, c'est-à-dire l'absence d'espace d'expression permettant d'affirmer une identité,
joue en sens inverse, comme en témoigne l'expérience des Haratines. Pour se dévelop-
per, rinterculturalité doit se situer dans un cadre où sont possédés. ou alors créés, des
espaces d'autonomie, des lieux d'affirmation de l'identité. Une pan du handicap du
Blanc-noir ne provient-il pas d'une situation de relative dépendance dans le cadre admi-
nistratif et dans celui de la communauté'!

Chez les Noirs, comprendre rintercu\turalité suppose un entendement des


conceptions de l'identité, des champs de connaiSS'UJCes et de communication endogènes.
Ici, on remarque d'abord les cercles concentriques d'une identité panagée, du genre à
l'ethnie en passant par diverses composantes socio-ethniques, Certaines connaissances,
certaines croyances sont très locales, d'autres plus globales, et différentes conceptions
du monde peuvent coexister et se transformer dans des cadres spatio-temporels incom-
mensurables. Ici, les apprentissages se situent à la fois sur le plan collectif et sur le
plan individuel. Des habiletés communicationnelles et intercu\turelIes sont acquises par
l'expérience, par la formation et par l'initiation. Elles découlent également d'itinéraires
individuels singuliers. En outre. dans les mondes des Noirs, les sphères de pouvoir et
de communication sont généralement des lieux d'échange et de négociation.

Comme la compétence communicationnelle, l'intercu\turalité est donc culturelle-


ment déterminée. Certaines ethnies et groupes socioculture1s semblent posséder des
connaissances, une expérience ou une position singulières qui connibuent, à cet égard. à
un avantage. L'apprentissage des situations d'insider-outsider accentue l'intercu\turalité
• ainsi que rexpérience de la subordination en situation interculturelle. c'est-à-dire de la
soumission à une culture autre. Une compétence particulière est ici manifestée par les
femmes et. plus encore. par les marginaux péri-urbains. Ces derniers signalent entin
227

que la communication et l'interculturalité ne sont pas uniquement liée.~ au pouvoir. mais


aussi à la perception et à r usage du pouvoir. ou plutôt à une conscience des limites de
son propre pouvoir et peut-être parfois. pour certains marginaux. à une conscience de
rabsence de pouvoir.

À rinverse. les Blancs manifestent un handicap qui est le produit d'un pouvoir
matériel et symbolique - largement inscrit dans les textes, De là viennent les idéolo-
gies africanistes puis tiers-mondistes. le racisme extrinsèque persistant et. au niveau
individuel, le romantisme doublé d'un sentiment de supériorité, ainsi que le maintien
d'une distance et, enfin, rexclusion des Noirs de son monde, ce qui provoque sa propre
exclusion des mondes des Noirs. Les Blancs-noirs ont d'ailleurs intégré une part de ce

• handicap épistémologique, On constate aussi que l'Afrique des Blancs est inscrite dans
une continuité, depuis l'époque précédant celle des explorateurs, des premiers commer-
çants et colonialistes jusqu'à nos jours,

L'imaginaire, les théories et l'expertise sont des lieux qui produisent une carence
d'intereulturalité, à laquelle s'ajoute le pouvoir et, surtout, la conception du pouvoir,
L'expérience intea:uIturelle avec la conscience de ses propres limites peut permettre de
combler une part du handicap qui est celui des Blancs, mais la distance qui les sépare
des Noirs est grande et difficile à combler. Il faut donc bien admettre l'existence de ce
vaste handicap épistémologique et culturel du Blanc, si l'on se réfère à ceux que l'on
peut observer en Afrique. La distance peut être réduite, comme on le constate avec
l'expérience d'Heinrich Barth et des Blancs marginaux. Certaines dispositions d'esprit,
formations et expériences peuvent ainsi permettre au Blanc de se rapprocher des mondes
des Noirs.

• S'il s'agissait de formuler une remarque à l'intention du Blanc qui cherche à


réduire la distance qui le sépare des Noirs, je dirais qu'une telle démarche doit être

228
individuelle et qu'elle exige beaucoup de temps, de paùence et d'ouvenure à des
espaces inconcevables ou indescripùbles en Occident. Elle est iniùaùque. comme le
sont d'ailleurs les déplacements dans le temps et dans l'espace qui sont vécus par les
Noirs. Le voyage interculturel suppose une conscience des limites qui provieMent de
la posiùon; il nécessite donc une boMe dose de modestie, voire d'humilité. L'exercice
est toutefois exigeant pour un Blanc formé dans un cadre administraùf ou scientifique et
possédant une conception matérialiste et positiviste du monde. «Le pouvoir corrompt.,
disait un Blanc d'Afrique. La question qui se pose alors à l'individu blanc est la
suivante: comment refuser ou compenser le pouvoir alors même qu'ici il nous en est
dOMé plus que nous n'en avons jamais COMU ou assumé'!

Sur le plan de la communication, la métaphore qui illustre un prQjet visant à


créer des ponts entre un Blanc et un Noir est, à mon sens, la conversorion. L'échange
entre Blanc et Noir est toujours singulier et. pour qu'il soit effectif, il suppose un effort

• pour tendre vers l'égalité des interlocuteurs, le respect des opinions, ainsi que des
tentatives de compréhension réciproques. Dans un contexte pluricu\turel et inégalitaire,
la conversation implique donc, de la part du Blanc, une conscience critique de sa
position, qui se manifeste par une volonté de comprendre et de valoriser la culture de
l'Autre et d'encourager l'expression d'énoncés qui en proviennent", Toutefois, il est
clair que la conversation ne peut exister qu'entre personnes qui veulent communiquer.

À un niveau plus large, on constate que, paradoxalement, la croissance des


échanges entre les pays d'Occident et les autres régions du monde, qui incidemment a
permis la domination de ces dernières, avec le développement des transports et des
moyens de communication de masse, nous révèlent nos propres \imites sur les pians
communicationne1s et interculturels. Nos contacts avec r Autre signaIent la réduction
opérie par nos conceptions de la communication ainsi qu'un handicap épistémologique
et individueI. inégalement partagé, sur le pian de l'interculturalité. Le pouvoir maté-
rieI. la croyance en ce pouvoir et en une supériorité en sont les accessoires.
• HANDICAP
1 L'intercultura1ité en Afrique de l'Ouest francophone 1
229

.··il =:- ~E
;.{; Propagande
Définitions de la
communication
~) ~:=etion
Co_lion
. ..

Cependant, à travers la communication apparaissent des espaces d'échanges

• intereulturels qu'il est possible d'élargir. La situation double d'insider-oursider y


contribue, particulièrement dans la sphère privée. Au moyen de processus de partage
de sens réciproques, qui prennent dans le conteXte africain un sens initiatique, se
construisent des points de passage à travers les frontières culturelles. En d'autres
termes, il est possible à tous, même au Blanc, de chercher à acquérir une mobilité
comparable à celle des Noirs marginaux et de privilégier une démarche de transgression
des frontières cùlfure11es, Le voyage. immobile ou en mouvement, peut être plus qu'un
déplacement dans une dimension unique: il peut aussi permettre d'accéder à de nou-
veaux espaces de connaissances et à de nouvelles visions du monde. À un niveau plus
large, la communauté ou l'organisation peuvent également utiliser, pour comprendre et
pour agir, les connaissances et les compétences de leurs membres qui possèdent diverses
positions, différentes perspectives sur la situation, L'intereulturalité, si elle demeure
toujours déterminée par une position individuelle, peut aussi être porteuse d'un idéal de
communication. EUe peut susciter, par le développement de la communication à travers
les barrières culturelles, l'élaboration d'un partage de sens plus réciproque, d'un

• échange plus égalitaire. d'une conversation entre membres de cultures différentes.



230
NOTES

1. Les textes en arabe les plus connus sur l'Afrique subsaharienne sont le Tarikh el-
Fettah et le Tarikh es-Soudan. Écrits aux XVI' et XVII' siècles par les lettrés de
Tombouctou, Kati et Es-Sâdi, ils se rétèrent à des sources plus anciennes pour relater
l'histoire de la région depuis la fondation de l'empire du Ghana vers l'an 300
(Gaudio, 1988, p. 29-30). Auparavant des géographes et historiens arabes avaient
d~à compilé de nombreuses données sur l'Afrique, entre autres EI-Bekri (1028-1094).
El-Idrisi (1099-v.lI66) et Ibn Battûta (1304-1377). On remarque que les données
cartographiques des savants arabes ont été utilisées par les Occidentaux jusqu'au
XVIII' siècle, mais que les données historiques et sociologiques sont restées ignorées.

2. D'après James Clifford (1988), cette célèbre «expédition., une des premières du
genre, fut parrainée par la haute société parisienne (p. 56) à une époque ou «(thel
interest in Africa had become a fuIly developed exotisme.. (p. 137). Elle a permis de
rapporter en France une quantité considérable de masques et autres «objets d'art-.

3. L'hypothèse de la fondation du Moogo au XV' siècle implique, par ailleurs, que la


chronologie à laquelle Michel Izard (1985) se réfère puisse être prétendue complète.
Cette chronologie n'est cependant pas celle du Larlé Naaba qui est l'autorité locale-
ment reconnue en la matière. Quant aux chroniqueurs arabes, ils pouvaient, selon
Izard, avoir confondu les Mossé avec les Songhaï (ou Songhay) qui, incidemment, ne
sont pas nomades. Depuis le XI' siècle, Tombouctou faisait d'ailleurs partie de leur
royaume dont la capitale était Gao. Comment auraient-ils pu conquérir Tombouctou
un siècle plus tard'? Michel Izard n'en dit rien.

4. Frédéric Titinga Pacéré a exprimé ouvertement ses critiques en prenant ainsi le


risque d'une confrontation avec les spécialistes français. Le résultat fut qu'aucun
éditeur français n'accepta de publier son ouvrage de 1979. Une petite maison
d'édition de Sherbrooke au Québec lui a finalement assuré une diffusion limitée. Plus
prudent, Joseph Ki-Zerbo présente, dans sa remarquable Histoire de l'Afrique noire,
d'hier à de17U1Ùl (1978), les différentes hypothèsts sur la fondation du Moogo (p. 246-
248), tout en laissant entendre que les Mossé du X" siècle, dont il est question dans les
Tarikh, et ceux du Moogo seraient un même peuple. Ailleurs dans son ouvrage, il
évoque l'existence des Mossé il y a une dizaine de siècles (p. 136 et 145). En entre-
vue, il déclare que la position des spécialistes français est absurde, car elle réduit
l'histoire d'un peuple à un stade particulier de son organisation politique, alors qu'en
Afrique, COmme ailleurs, les institutions évoluent avec parfois des ruptures.

5. n m'est arrivé d'être interpellé par un Touareg, appaxemment noir: «nous qui
sommes Blancs..•". n convient malgré tout de noter que, parmi les membres de

• beaucoup d'ethnies d'Afrique de l'OUest, des différences de couleur de peau sont


notoires. Les Africains Y sont très sen51Dles et, d'une personne à l'autre dans une
• même ethnie, on rencontre des «teints clairs» ou des «teints foncés». Par ailleurs, il
existe des traits physiques particuliers qui proviennent de l'alimentation. Un Peul Qui
231

se nourrit principalement de lait est grand et mince, alors qu'un agriculteur Qui cultive
le mil est plutôt trapu. Ces différences se retrouvent dans de nombreux stéréotypes.
Le «teint clair» est par ailleurs souvent considéré comme un signe de beauté par
beaucoup d'Africains. Certaines femmes s'empoisonnent ainsi gravement en utilisant
des produits à base de mercure pour dépigmenter la peau.

6. Entre 1795 et 1797, Mungo Park s'est rendu par la Gambie jusqu'en aval de
Ségou, dans l"actuel Mali, avant de publier Voyage à rimérieur de l'Afrique. 11
disparaît en 1806 près de Boussa (Nigéria), alors qu'il avait entrepris de descendre le
Niger jusqu'à la mer. En 1824, René Caillé séjourne chez les Maures, puis, en 1827,
il entreprend un périple jusqu'à Tombouctou en passant par le Fouta-Djalon (Guinée),
Bamako, Ségou et Djenné (Mali). Il rejoint finalement le Maroc par les pistes carava-
nières et publie en 1830 Lejoumal d'un voyageur. Parti de Tripoli (Libye) en 1850,
Heinrich Barth se rend à Agades (Niger), Kano (Nigéria), Tombouctou et jusque
qu'au Tchad et au Cameroun. Son ouvrage Travels and Discoveries in Nonh and
Cenrral Africa, publié en 1858, n'a été réédité que très récemment.

7. Erving Goffman (1973b, p. 100) remarque d'ailleurs «Que certains événemenl~


sociaux, tels que la reprise de contact après une absence appréciable, favorisent
beaucoup l'émergence du rituel de salutation 1...1", c' ~ la situation contraire,
l'absence de rituel, qui devrait être considérée comme digne d'attention, précise-t-il.

8. Cette observation de Mungo Park signale la persistance de la théorie des cli1TlO1s de


Montesquieu, théorie qui permet fina1ement d'expliquer certains défauts attribués aux
peuples des pays chauds. Incidemment, je pense que beaucoup d'auteurs ont actuel-
lement tendance à négliger l'importance de Montesquieu dans l'«invention.. de
l'Afrique et à surestimer celle des Lumières. Quant à la prétendue paresse des Noirs,
il faut remarquer que ce préjugé demeure extrêmement tenace (je l'ai même entendu
de la bouche d'lui' agronome tiers-mondiste très connu), bien qu'il ne résiste en aucune
façon à l'observation de la vie des Noirs. C'est donc essentiellement sur un vide
empirique que sont basées les théories sur l'inégalité des races, des cultures ou des
civilisations, ou encore sur leur évolution.

9. René Caillé a effectué son voyage de l'actuelle Guinée à Tanger en passant par le
Sahara, en se faisant passer pour un arabe musulman respectueux des rites.

10. J'ajouterais que la perspective d'Heinrich Barth pourrait toujours inspirer un


voyageur en Afrique. Il s'agit non seulement d'une retenue dans l'expression des
opinions, mais aussi de principes : respect, écoute, attention au contexte et à l'his-
toire, apprentissage de la langue, chasteté, autoaitique, ete. Une telle attitude était
cependant moinS bien comprise par les Européens du XIX' siècle que la reproduction
des idées préconçues. Le 28 octobre 1850, Heinrich Barth écrivait à propos des
habitants d'Agades : «Je les trouvais tous inte11igents, formés au contact entre différen-
• teS tribus et nations d'organisations très diverses; ils reçoivent des informations
provenant des pays lointains. Plusieurs d'entre eux avaient même fait le pèlerinage, et
étaient ainsi parvenus au contact d'une civilisation relativement avancée en Égypte et
près de la côte.» (Barth, 1972, p. 132) Barth évoque ici lïnrerculturalité qu'ont
232

développée certains habitants des villes sahéliennes qui sont un point de rencontre
entre de nombreuses cultures; il conserve néanmoins une conception évolutionniste des
civilisations.

Il. Cette hypothèse infirme un des fondements de l'école de la modemisalion en


communication et développement (Lemer, 1964; Schramm, 1967; Lemer et Schramm,
1967). Daniel Lemer (1964, p. 43-75) prétend en effet que l'empathie serait le
propre des membres d'une société moderne où la mobilité sociale est importante, alors
qu'elle serait absente chez ceux qui vivent dans une société traditionnelle qui tend à
rejeter le changement. Le développement ferait donc appel à des individus rransùion-
nels qui possèdent une ceapacité de se percevoir dans la situation d'une autre person-
ne» (voir p. 44) et qui acquièrent une habileté à traverser les barrières culturelles -
en d'autres termes, qui développent l'interculturalité. Il me semble que cette thèse -
dont l'ôjlplication est d'ailleurs loin d'être concluante - est fondée sur deux présup-
posés problématiques : le mythe de la mobilité sociale des Occidentaux (Bourdieu et
Passeron, 1964) et la stabilité des sociétés non occidenta1es. L'étude empirique,


fondée sur l'historicité des sociétés d'Afrique de l'Ouest, démontre que l'empathie
n'est pas le propre des individus transitionnels, c'est-à-dire des Blancs-noirs, et encore
moins des Blancs. Elle se retrOuve sunout chez certaines personnes désavantagées et
marginalisées, Chez Daniel Lemer, l'empathie n'est en outre pas comprise dans tous
les sens de la définition donnée (que je partage); elle est uniquement envisagée comme
étant la capacité d'un membre d'une société non occidentale à se percevoir dans la
situation d'un Occidental. La capacité inverse n'est jamais considérée comme étant
d'un quelconque intérêt. J'estime personnellement qu'elle peut fonder un «développe-
ment» selon les conceptions endogènes - le seul qui soit possible.

12. Comme le remarque Goffman (1973a, p. 203), la mobilité des administrateurs


coloniaux vise à empêcher que se créent des liens amicaux avec les populations
locales. Une telle politique s'est maintenue dans la diplomatie et dans la coopération.

13. Dans le second tome de ses mémoires, Amadou Hampâté Bâ (1994) décrit, non
sans humour, des fonctionnaires coloniaux imprévisibles et parfois violents surnommés
cPorte-baobab», cDiable-boiteWt.., cBoule d'épines» et cBrise-crânes». La méconnais-
sance par ces Blancs des langues locales autorisait les Noirs à adopter des stratégies de
résistance qui ressemblent finalement à celles que les Togolais utilisent al!Ïourd'hui
pour critiquer subtilement un pouvoir totalitaire (Toulabor, 1992).

14, Parmi les auteurs africains, spécialiSteS des sciences humaines cités dans ce texte,
plusieurs ont été formés danS des écoles missionnaires ou dans des séminaires :
Kwame A. Appiah, Paulin Hountondji, Achille Mbembe et Valentin Y. Mudimbe.
Dans son ouvrage de 1988, ce dernier, malgré des critiques d'ordre général, semble
• 233
particulièrement complaisant vis-à-vis des missionnaires (voir citation.~ p. 201-202 et
204). Il ne s'inclut cependant pas parmi les intellectuels africains intluencés dans un
sens négatif par le christianisme (1988. p. 39).

15. Les notions d'égalité et defraJemité provenaient plutôt du cadre civil républicain.
Leur confusion avec les principes religieux est révélatrice de la perception d'une
identité entre les principes civils et religieux dans l'esprit de ceux qui étaient
contraints de se soumettre à ces principes durant l'époque coloniale.

16. On estime généralement que les spécialistes du développement ont une respon.~bi­
lité moindre que celle de leurs prédécesseurs, les fonctionnaires coloniaux. Comme le
remarque Goffman (1973a. p. 148), ces spécialistes deviennent membres d'une équipe
«en ce qu'ils apprennent les secrets du spectacle et l'observent depuis les coulisses.
Toutefois, à la différence des membres de l'équipe, le spécialiste ne partage pas le
risque [... J du spectacle auquel il a contribué-. On constate en effet que les action.~
des fonctionnaires coloniaux français ont parfois été dénoncées par la presse (Londres,
1929), devant les parlements et parfois même devant les tribunaux, ce qui n' est que
très exceptionnellement le cas pour les coopérants et autres spécialistes.

17. La maison à angles droits, entourée d'un jardin et d'un mur avec une pane étroite


et fermée, est l'antithèse de l'habitat africain. Ce dernier est généralement constitué
d'un ensemble de pièces qui s'ouvrent sur une cour centrale avec parfois un jardin ou
un arbre au milieu. La pone donnant sur l'extérieur est large et elle reste toujours
ouverte durant la journée. Il convient de noter que l'habitat de type occidental tend à
être adopté par les Blancs-noirs, quoiqu'il soit alors beaucoup moins fermé que celui
des Blancs et qu'il se situe pius rarement dans des quartiers spécifiques.

18. Je suis né et j'ai passé mon enfance dans un protectorat français en Afrique, c'est-
à-dire dans un monde où la culture des Blancs était essentiellement celle des colonies.

19. Judith Okely'(1992) remarque cependant que les femmes constituent. parmi les
anthropologues, une catégorie particulière de personnes qui sont avantagées par la
qualité des relations qu'elles entretiennent avec leurs informateurs, Les femmes
anthropologues qui jouissent d'une certaine autorité par rappon à l'Afrique de l'Ouest
francophone sont toutefois très rares.

20, En 1989, on estimait à plus de 80 000 les «expeI1S» étrangers travaillant pour des
programmes de développement en Afrique. À ce nombre s'ajoutent les personnes qui
effectuent de couns séjours d'évaluation, de consultation et. naturellement. de
recherche, ainsi que les industriels, les commerçants et les touristes.

21. Parmi les pays d'Afrique de l'Ouest, les seules exceptions relatives sont la Côte
d'Ivoire et le Sénégal. Au sujet de l'horreur des prisons politiques sous des régimes

• militaires, voir l'ouvrage de Wole SoyinIca. Cet homme est mon, 1986.
• 22. En tant que journaliste. j'ai eu l'occasion de subir quelques interrogatoires dan.~
les «Sûretés» africaines, c'est-à-dire les services de renseignements. À Lomé au Togo.
en 1986. on m'a retenu dans une confortable prison pour Blancs pendant deux jours.
On offrait de me faire livrer les repas de mon choix (et même une femme). Après
234

plusieurs interrogatoires par des militaires de plus en plus galonnés, j'ai finalement
reçu la visite d'un «conseiller- militaire français. Quelques instants après, on m'a
cordialement invité à partir (en conservant mes tilms).

23. Albert Memmi (1966, p. 85) décrit les colonisateurs dans ces termes : «Combien
en ai-je vus qui, arrivés de la veille, timides et modestes, subitement pourvus d'un
titre étonnant, voient leur obscurité illuminée d'un prestige qui les surprend eux-
mêmes. Puis. soutenus par le corset de leur rôle social. ils redressent la tête, et
bientôt, ils prennent une confiance si démesurée en eux-mêmes qu'ils en deviennent
stupides... Ceci pourrait fort bien s'appliquer à certains développeurs. comme on le
constatera dans la suite de ce texte.

24. À propos du village de Tourum, voir Péricard (1991). L'histoire des relations
entre ce village et la coopération est le sujet d'un livre aetllellement en préparation.
Tourum: CommuniClllion, coopération er déroumemenr autour d'un village du
Burkina Faso, par Harounan Ouédraogo et Alain P~icard. Aux recherches déjà


réalisées, cet ouvrage doit ;;iouter un volet sur les processus endogènes de participation
et de prise de décision, réalisé au moyen d'une enquête auprès de vieux, de chefs de
famille, de responsables d'association et de femmes.

25. Des entreVUes avec des coopérants eprofessionneis>o indiquent que leur itinéraire
ressemble à ce qui suit. lis ont souvent acquis une formation dans un domaine relié
au développement, par exemple l'agriculture tropicale. Par la suite, ils ont travaillé
comme volontaires et certains se sont mariés localement. Ils ont alors réalisé qu'étant
donné leurs qualifications, il leur était pratiquement impossible de trouver du travail
dans leur pays d'origine en dehors des organisations de coopération. Par ailleurs, il
faut des qualitéS Iiumaines peu communes pour ne pas prendre goût au pouvoir qui est
celui des expatriés. L'habitude est vite prise de considérer comme indispensables les
avantages démesurés dont jouissent les Blancs en Afrique. Par exemple, lorsqu'une
organisation de volontaires prétend que ces derniers ne sont pas payés, car ils ne
reçoivent que 10 000 dol1ars par an d'caIlocation de subsistance>o (souvent en plus d'un
logement, d'un véhicule, des soins de santé et d'une bourse de réinsertion), ils sont en
pratique mieux rétribués que la plupart des ministres d'Afrique de l'Ouest. Quant aux
coopérants rémunérés au saIaire occidental (plus avantages), ils accumulent rapidement
un important capital. L'un d'eux me déclarait qu'un des inconvénients de la vie en
Afrique est que l'on manque d'information pour faire des placements profitables. Les
expatriés en Afrique ont généralement plusieurs serviteurs qui prennent en charge
toutes les tâches domestiques. Cette situation fait que des personnes, parties en


coopération avec des idées gé:léteuses, se retrouvent rapidement contribuer à repr0-
duire, par tous les moyens, un systèmedont la disparition ferait d'elles des chômeurs;
le moyen le plus manifeste est la manipulation de l'information.
• ressources pour un profit individuel.. Je ne suis pas le seul joumali~1e à avoir
constaté que de telles pratiques sinon illégales, du moins amorales, sont fréquentes
chez les développeurs (Hancock. 1991). De nombreux témoignages de Blancs-noirs
235
26. J'utilise ici le terme -détourner» dans son sens ;inéraI. c'est-à-dire -sou~traire des

recueillis durant cene recherche r ont égaIement confirmé, Le défournement réalisé


dans le cadre des pr~iets de développement est un processus différent. 11 s'agit d'une
réorientation des ressources à des fins localement et collecùvement négociées.

27, On constate à ce propos que la rivalité entre les organisations de développement


est largement utilisée dans le cadre des stratégies de détournement. Dans ce ca.~
précis. il devenait très avantageux. pour une nouvelle organisation. de reprendre le
projet après que toutes les études préliminaires aient été faites. ce qui permettait de le
réaliser à bon compte et d'en obtenir finalement le crédit.

28. Sous une forme romancée. cet ouvrage fait en outre une remarquable description
des processus de détournement dans le cadre des projets de développement. ain.~i que
du vieillissement ou de la désuétude d'une innovation, Une pompe a eau manuelle
peut être considérée comme une innovation pertinente par des paysans dans un
contexte particulier, mais à partir du moment où sa diffusion est institutionnalL~. elle
tend à être imposée (et souvent refusée) dans d'autres contextes,

• 29, Le romantisme n'est pas exclusif aux romanciers ou aux coopérants et on le


retrouve égaIement chez les anthropologues et chez les politiciens. Georges BaJandier
(1957. p. 5) décrit une photographie qui a fait 1llU'"tre sa vocation d'anthropologue :
..L'image montrait un homme puissant, les cheveux en friche, la chemise ouverte ~1Jf
la poitrine, le fusil à l'épaule; à ses côtés se trouvait, désarticulé et grotesque, la tête
tenue comme un jouet entre les mains d'un chasseur nègre. un gorille frappé d'une
balle en plein front... Dans l'anthropologie anglo-saxonne, Marcus et Fischer (1986,
p. 116) relèvent également une forme plus élaborée de romantisme: ..eross-cultural
romanticism: criticizing contemporary society from the vantage point of a more
satisfying other; Without considering with much seriousness the practicalities of
transferring or implementing that othemess in very different social setting... Quant à
l'ancien ministre français Edgar Pisani (1988, p. 8), il écrit : «Si vous saviez comme
l'Afrique est belle! n faut avoir passé une nuit sous la tente dans le désert pour avoir
le sens de l'infini. De l'éternité. Oui de l'éternité: le sol immobile, le ciel immobi-
le, l'air immobile. et le soleil puis la lune qui parcourent sans un seul tressaillement
leur course imperturbable! (••. J. Avez-vous pénétré dans la forêt vierge'! Profond?
Loin de toute trace humaine? C'est immense. Une cathédrale." Je doute pour ma
part que Pisani ait connu une tempête de sable ou une forêt sauvagement exploitée,
comme le sont la plupart. n a cependant rencontré des paysans : ..Us n'ont été
pervertis ni par l'argent, ni par le temps dont nous avons fait de l'argent... (p. 9)

-. 30. Les sessions de formation des nouveaux coopérants décrivent trois phases dans
l'adaptation des coopérants et autres expatriés blancs : l'euphorie, la dépression puis
une relative stabilité (il s'agit donc d'une approche essentiellement psychosociologique
• des problèmes interculturels}. Dans un premier temps. le caractère exotique des
mondes africains répond au romantisme. Puis les contradictions deviennent pesantes.
jusqu'à ce que l'intégration dans l'opportunisme ambiant - et dans l'exclusion
symbolique et physique des Noirs - crée un nouvel espace où la vie est possible. La
236

culture des Blancs d'Afrique devient. rapidement et plus ou moins selon les personnes,
une culture étrangère aux mondes dans lesquels vivent les Noirs. Une recension des
stéréotypes que l'on retrouve chez les Blancs serait à cet égard révélatrice.

3 I. Les exceptions sont, d'après mon expérience, très rares. En 1983, j'ai passé
quelques heures avec un groupe de Touareg au nord d'Arlit au Niger et j'ai remarqué
que l'un deux, un homme voilé, se tenait à l'écart : il s'agissait d'un ancien anthropo-
logue américain qui vivait là depuis de nombreuses années. II a évité de me parler,
mais j'ai appris de ses compagnons qu'il avait coupé tout lien avec son pays et avec sa
famille. À mon sens., il n'était pas totalement touareg, car il n'avait pas la cordialité
de ces derniers vis-à-vis d'un étranger de passage. Son rappon avec les Blancs n'était
pas celui d'un Touareg.
32. Par exemple, un Blanc qui s'arrête pour demander son chemin à quelqu'un, se
verra souvent décrire un parcours simple et court. Un Noir sait que l'espace dans
lequel le Blanc se déplace est différent du sien et qu'il est imponant que le déplace-


ment du Blanc se fasse rapidement et simplement. Contrairement à ce qu'il en est
pour le Noir, le voyage du Blanc est rarement un parcours initiatique, un moyen d'ap-
prentissage et d'échange où le temps importe relativement peu.
33. J'ai eu l'occasion d'assister, dans deux villages du Mali, à la venue d'une évalua-
trice américaine travaillant pour le compte d'un bailleur de fonds qui finançait un
projet de diffusion de la traction attelée avec des boeufs. J'ai observé une cmise en
scène-, ou une «performance- : le village au complet, en grande tenue, était sous
l'arbre; il y avait des musiciens et d'énormes repas étaient servis. L'évaluatrice faisait
consciencieusement son travail, posant constamment les mêmes questions, en français,
jusqu'à ce qu'uùë réponse claire soit obtenue. EUe n'a cependant rien vu des proces-
sus de détournement: certains des boeufs qui lui ont été présentés dans les deux
villages étaient les mêmes, car ils avaient été transférés de l'un à l'autre. II y a eu un
moment d'émotion. Quand une femme réfugiée a raconté l'histoire de ses malheurs,
l'évaluatrice a essuyé une larme et elle a décroché ses boucles d'oreil1e pour les lui
donner. Outre la méconnaissance des singularités culturelles, le Blanc de passage
semble donc manifestement handicapé par la spécialisation (c'est-à-dire, en termes
organisationnels, la standardisation des compétences) et par le romantisme.
34. Certaines techniques agricoles adoptées par des paysans sont peu appropriées à un
environnement fragile qui a déjà été profondément modifié. Les cultures du coton et
de l'arachide se sont répandues, non sans pression de la part des administrations, avec
des conséquences environnementales parfois désastreuses. Les effets néfastes de la
culture de l'oignon en pays dogon révèlent également les limites des connaissances
agricoles que les paysans ont adoptées - en les transformant à partir de leurs connais-
• sances endogènes (van Beek, 1993). Par contre, l'adoption de cenaines innovations
est surprenante. Le Burkina Faso. pays sans ressource..~ halieutiques (seule la Volta
Noire conserve un mince courant d'eau en saison sèche). est malgré tout parvenu a
devenir exponateur de poisson. Le pays s'est couvert de petits barrage..~. largement
237

construits à la main, qui permettent de produire d'énormes quantités de pois.~ons.

35. Ce problème est parfois partiellement résolu par une tendance à intégrer des volets
humains dans la recherche agronomique. Mais il reste qu'il est difficile de justitïer le
fait que des recherches soient réalisées à un coût élevé par des Blancs, alors que l'on
dispose de ressources locales hautement qualifiées.

36. L'une des anecdotes - et pas la pire - rapportée par Titinga Frédéric Pacéré
(1979, p. 122) est la suivante: cUne nuit, des Européens se postèrent à l'aftùt des
bêtes féroces; l'appât ne fut ni une chèvre bêlante, ni un agneau, mais une fillette de
10 ans que l'on plaça sur un nid de fourmis noires. La pauvre enfant ne cessa de
crier jusqu'au moment où elle fut tuée par les terribles insectes>- (extrait de Vigné
d'Octon, La gloire du sabre, Paris : Société d'édition littéraire, 1900).

37. Au sujet des processus de négociation avec les hommes chez des femmes rurales,
voir l'ouvrage de Chantal Rondeau, Les paysannes du Mali, 1994. L'observation de


trois sociétés qui tendent nettement vers le patriarcat, les Dogon, les Minyanka et les
Sénufo du Mali, démontre clairement que ces femmes créent, par leurs actions
collectives et individuelles, des espaces d'autonomie. .

38. Le bamanan est la langue des Bambara qui appartiennent au groupe Mandingue
(avec, entre autres, les Malinké et les Dioula).

39. D'apres un politicien du Burkina Faso: cLe lobby de ces Libanais en Afrique
n'est pas des moindres. Ds suscitent la corruption, ils l'entretiennent et détruisent
l'économie. r...) Il faut que les gens se battent contre les destructeurs de l'économie
qui nous saignent ici,.. (entrevue avec Louis Germain Kaboré, Ouagadougou, Le
JoumaI du Jeudi, dossier 3, cLa h1lanûSe", février-mars 1994) (O'Gust Kutu, 1994).

40. Nirza Kazéni illustrait son propos par une anecdote: une organisation lui a confié
la conception d'une série d'affiches destinées à sensibiliser les paysans dans le
domaine de la santé. Un expert occidental est alors intervenu pour que l'on supprime,
sur un projet, la représentation d'une seringue hypodermique sous prétexte qu'elle
avait des connotations négatives. Apres plusieurs tests, il a été décidé de revenir à
une représentation de seringue qui, en Afrique, est perçue de manière positive.

41. Provenant du latin vemlS et ver:MTe, la notion de conversazion implique un


mouvement, donc un effort pour initier ce mouvement. Elle implique également,
d'apres son ~ologie, la dimension de «passer au travers œ.., ce qui me semble
apptoprié dans des situations où il s'agit de traverser des barrières culturelles (Jacque-
line Picoche, Roben : Diaio1l1lQÏre étymologique du fronçais, 1979, p. 686-687).
• Chapitre 5
Étude de l'interculturalité et Afrique de l'Ouest francophone
238

L'analyse des données rassemblées au cours de cene recherche sur l'intercultura-


lité en Afrique de l'Ouest francophone démontre que des catégories vastes. comme
Blanc. Blanc-noir ou Noir, ne suffisent pas à préciser les composantes de la position.
Cene dernière se situe à un niveau très local; elle est constituée sur un plan individuel
par des champs de connaissances endogènes, par l'expérience de la résistance à l'exclu-
sion et par la formation - au sens large du terme. En Afrique. la position est essen-
tiellement déterminée par les relations entre les genres, par des connaissances et par des
rapports de pouvoir liés à des composantes socioculturelles. comme l'appartenance
ethnique et socio-ethnique, en particulier le groupe d·âge.

De ce constat qui découle de l'observation et de la participation dans un contexte


particulier, ainsi que d'une posture singulière d'insider et d'outsider, je vais maintenant

• dégager quelques conséquences théoriques, méthodologiques, pratiques et éthiques.

THÉORIES ET ÉTUDE DE L'INTERCULTURALITÉ


L'étude de l'interculturalité, dans le sens où je l'entends, est porteuse d'un idéal
de communication qui vise un dépassement des barrières culturelles, favorisant la
participation aux définitions de situation autour desquelles le monde s'élabore. Au-delà
de cet objectif, "il" importe de limiter toute autre norme afin d'éviter d'être trop situé
dans le temps et dans l'espace, dans une culture particulière. Je ne prétends pas ici à
une illusoire neutralité, puisque je revendique d'emblée l'adhésion à un idéal lui-même
situé'; je me borne à signaler que ce dernier suppose une certaine exclusivité.

Dans cene pe:tspective, comment comprendre les théories qui s'intéressent à des
objets plus ou moins reliés à l'interculturalité ou à l'étude de la communication dans un
contexte pluriculturel comme celui de Afrique lie l'OUest francophone'!

• Trois ensembles de théories doivent à mon sens être évalués à la lumière de cette
recherche : les théories féministes «Standpoinl» qui constituent une rare référence à des
• questions comparables à celles que soulève r objet étudié. les études africaines qui
pourraient être considérées comme le cadre général de ce travail. ainsi que les thé\)ries
sur la communication et le développement auxquelles. immanquablement. nous r"dmène
239

toute intention de dégager les incidences pratiques de la recherche. Dans les trois ca.~.

les problèmes soulevés par l'étude de rinterculturalité reviennent. finalement. à une


interrogation critique sur la science dans un cadre interculturel.

Études féministes et interculturalité


Les études féministes contribuent à deux aspects m~ieurs de l'étude de rintercul-
turalité. Le premier. qui est vite devenu une évidence aussi bien à partir des données
de recherche que dans le cadre du processus, est le constat que le genre est une compo-
sante centrale des questions humaines, donc de rinterculturalité. Il ne me semble pas
Décessaire d'insister sur ce point qui a été suffisamment démontré. Le second. plus
inattendu, est l'existence d'une «parente>, ou du moins de certains points de rencontres.

• entre l'étude de l'interculturalité et les théories srandpoint. Pour les situer dans le
temps, ces dernières apparaissent aux États-Unis dans les années 1980, dans le cadre
d'une mouvance féministe où l'on retrouve un ensemble de disciplines, notamment
l'épistémologie, les études culturelles. la critique littéraire et les sciences politiques.

Un paradoxe semble marquer l'émergence de cette école de pensée très hétérogè-


ne : il a fallu que.les traVaux de certaines femmes - féministes - acquièrent une vaste
reconnaissance dans le monde universitaire d'un des pays les plus puissants de la
planète, donc dans un centre de pouvoir, pour que certains aspects et certaines consé-
quences de l'opp.ession subie par les femmes puissent être connus. Ce paradoxe n'est
pas sans soulever des questions venant des féministes non occidentales. Mais avant
d'aller plus loin, comment peut-on définir les théories srandpoint!

Le cadre de référence initial est clairement teinté de marxisme, en particulier de


l'influence de Georges Lukacs'. D'après Nancy Hartsoek (1983), le concept de standpoint.


Rather than a simple dnalism, lu.] posits a ~ of leve1s of reality, of
which the deeper level or essence bath includes and explains the "surfa-
• ce" or appearance and indicates the logic by means of which the appea-
rance inverts and distorts the deeper reality. (p. 117)
Cette notion est donc dérivée de la conscience de la classe ouvrière de Karl Marx. La
240

perspective qu'elle fonde vise un changement social et. surtout. une redéfinition de la
science - d'où le caractère central de l'épistémologie;
Because the ruling group contrais the means of mental as weil as physical
production. the production of ideas as weil as goods, the standpoint of
the oppressed represents an achievement bath of science and of political
struggle on the basis of whicb science can be construeted. (p. 132)

Bien que les fondements de cette thèse soient avant tout théoriques, ils sont
également le fruit d'intuitions provenant de l'expérience de la vie des femmes dans le
monde occidental Iargement contrôlé par les hommes. L'étude de l'intereulturalité
partage avec cette école de pensée le constat que :
[...] all scientific knowledge is always, in every respect, socially situated,
Neither knowers nor the knowledge they produce are or could be impar-

• tial, disinterested, value-neutral, Archimedean. (Harding, 1991, p. 11)


Ce qui implique que le sens commun, les champs de connaissances endogènes, ici ou
ailleurs, peuvent-être comparables à la science. L'école féministe srandpoinr s'intéresse
cependant peu aux savoirs locaux et à leur étude sur le telTain; son objet est la science
et sa transformation. Le caractère central d'un tel objet situé en OCcident n'empêche
pas qu'il en ressorte des leçons pour l'observation intereultureUe. Selon Sandra Harding,
[...] objeclivity is increased by thinking out the gap between the lives of
"outsiders" and the lives of "insiders" and their favored conceptuai
scbemes. (1991, p. 132).

Les études féministes restent toutefois marquées par leurs auteures, Blanches et
OCcidentales (Harding, 1991, p. 191). fi existe néanmoins des traits communs entre la
situation des femmes et celles des habitants du monde non occidental, tous victimes
d'une domination concrète et symbolique. Le sexisme, ou plus généralement l'ché-
térophobie, (...] une peur diffuse et agressive d'autrui.. (Memmi, 1994, p. 234), et le


racisme sont deux aspects d'un même système. De là découlent des visions du monde
particuhères, cbez les femmes comme cbez les Africains, par exemple. Dans la
• perspective srandpoinr. Sandra Harding (1991) affirme que la position est constituée par
des éléments de race. de classe et de genre :
1...1 the social structures of race relationships are interlocked with gender
241

and c\ass systems. This linkage is partially responsible for the tlexibility
and adaptability of cach system of exploitation and oppression: since their
origins. cach bas been used to construet the other. (p. 215)
Les critiques de la science faites par cette théoricienne rejoignent l'eUes qui émergent de
l'étude de i"interculturalité. Le questionnement féministe sur i"Autre ressemble à une
question soulevée par l'étude intereulture11e en Afrique : «How can white Western
feminists read African history. for example, without projecting into it our own fantasies
and desires'?.. (p. 247) Le problème se pose de la même façon lorsqu'il s'agit pour un
Blanc de comprendre, au delà de l'histoire, la communication et les cultures endogènes.
Des deux côtés, l'étude se centre alors non sur l'expérience d'un groupe humain parti-
culier, mais sur le produit de cette expérience et, plus précisément, sur la vision qui


provient du cadre de vie particulier où eUe se situe. C'est un lieu où toute prétention
universaliste est contestée; on y retrouve une exigence commune : la reconnaissance des
singularités, pour la femme comme pour l'Autre.

De plus, le féminisme vise l'action et son idéal de changement rejoint finalement


celui de i"intereulturalité; «the subjeet of bDeratory feminist knowledge must also be the
subjeet of every other bDeratory projeet» (p. 285)" et réciproquement, faut-il ajouter.
Tous deux suppOsent une démarche qui rejoint l'initiation, une tranSformation de i"iden-
tité (p. 287); ils se rejoignent dans une critique de la science - qui est une création des
hommes et de l'Occident. Le féminisme, cependant, est aussi un produit occidental
confronté à la pensée de certaines féministes non occidenta1es.

Gayatri Chakravorty Spivak remarque que :


The heterogeneneity of international feminism and women's situations
across race and class lines is one of the chief concerns of feminist
practice and theory today. (1988, p. 131)
Éminente universitaire d'origine indienne, Spivak affirme par ailleurs : «there are
intellectuals in Asia but there are no Asian intellecftlak.. (1990, p. 3). L'intellectuel,
• affinne-t-elle, doit être défini en fonction du site de son travail, en l'occurrence. en
fonction d'une situation à l'intérieur d'une discipline située dans le cadre d'une
institution occidentale'. Cene dernière réflexion me semble surtout révélatrice de la
242

perspective de certains intellectuels d'origine non occidentale qui ont acquis récemment
une notoriété en Occident.

Prétendre qu'i! n'y a pas d'intellectuels asiatiques ou africains, n'est-ce pas nier
la contemporanéité de l'Asie ou de l'Afrique'! N'est-ce pas oublier que la pensée
occidentale est désormais une part de l'expérience des habitants de ces régions du
monde'! Quant à la question de savoir s'il existe une philosophie africaine (Horton,
1990; Mudimbe, 1988), elle me semble futile : la présence aujourd'hui en Afrique de
philosophes (Hountondji, 1977; Wiredu, 1990) constitue une réponse à l'aspect le plus
important de cene question. Nier la spécificité des intellectuels d'ailleurs, n'est ce pas
également réduire les possibilités de transfonnation de la science? Je crois au contraire

• qu'il y a désormais deux catégories d'intellectuels non occidentaux: ceux qui s'adres-
sent d'abord à une communauté occidentale et les autres qui, le plus souvent, ont une
audience très réduite en Occident'.

En outre, je crois que les théories féministes gagneraient à adopter une approche
communicationnelle et intereulturelle de l'étude des interactions, qui permetlt3Ït de
mieux comprendre les subtils processus d'exclusion et de compréhension réciproque qui
sont le lieu même où se manifestent la perspective et la position (srandpoinr) singulière
des femmes. Une approche qui est trop exclusivement théorique et qui demeure à un
niveau macro et abstrait obscurcit la complexité des processus d'échange entre des
personnes, chacune de position singuhère, Dans un contexte comme celui de l'Afrique
de l'Ouest francophone, les concepts de «race» et de ce\asse>o semblent nenement
inappropriés à une définition de la position. Les facteurs ethniques altèrent le sens de
la notion de race et les hiérarchies informelles, celui de la notion de classe. Les races
ne peuvent être uniquement définies par la couleur ou par l'origine, ni les classes en

• termes socioéconomiques. Imbriquée dans l'expérience d'un genre subsiste l'expérience


• d'une ou de plusieurs cultures et microcultures, avec leurs espaces de pouvoir, leur sens
commun, leurs connaissances endogènes et leurs processus d'apprentissage.
243

Uma Narayan (1989) adopte une perspective féministe et indienne pour critiquer
l'épistémologie féministe, «d'une manière prédominante anglo-américaine- (p. 258).
Elle signale les champs de pouvoir et de connaissances qui sont propres aux femmes de
l'Inde (p 259), Un cadre de référence non positiviste n'est pas en soi suftisant pour
comprendre ces femmes, affinne-t-elle, car il peut y avoir, de part et d'autre, des
valeurs incompatibles", 11 en résulte que toute collaboration s'avère difticile :
We are suspicious of the motives of our sympathizers or the extent of
their sincerity, and we worry, often with good reason, that they may
daim that their interest provides a warrant for them to speak for us, as
dominant groups throughout history have spoken for the dominated,
(p. 263)
Par ailleurs, 10rsqu'Uma Narayan évoque «not just a perspectival view of knowledge


but a relativistic one- (p. 263), n'indique-t-elle pas ici qu'une approche relativil>1e est,
avec l'empathie (elle dit «5Ympathie-), une condition première de la communication
intereu1ture1le et donc de l'intereu1turalité en milieu universitaire'!

Une perspective féministe et non occidentale rejoint nettement les CODl>1ats qui
sont faits dans le cadre de l'étude de l'intereu1turalité :
Mere access to two different and incompatible contexts is not a guarantee
that a critical stance on the part of an individual will result. There are
many ways in which she may deal with that situation. (p. 266)
Uma Narayan précise que les membres de la celasse moyenne- des pays non occiden-
taux, par exemple les Blancs-noirs, ont souvent une vie duale : ce sont des gens «who
are very westemized in public life but who return ta a very traditional lifestyle in the
realm of the family. (p. 266). Des femmes peuvent ainsi jouer un'rôle dominant dans
le cadre de leur travail et changer de rôle dans le cadre familial ou communautaire. On
rencontre également un conformisme à la peispective du groupe dominant - le
mimétisme en quelque sorte - , fréquent, affirme Uma Narayan, chez beaucoup


• d'intellectuels occidentalisés. Certains peuvent cependant choisir une position intermé-
diaire, plus difficile à assumer, car elle se situe dans un espace de marginalité:
It May lead to a sense of totally lacking roots or any space where one is
244

at home in a relaxed manner. This sense of aIienation MaY be minimized


if the critical straddling of twO contexts is part of an ongoing critical
politics. due ta the support of others and deeper understanding of what is
going on. When it is not so rooted, it MaY generate ambivalence,
uncertainty, despair, and even madness. rather than more positive critical
emotions and attitudes. (p. 266-267)
Je crois que ce qu'évoque ici Uma Narayan, c'est la difficulté d'assumer une position
d'insider-oursider dans un cadre universitaire occidental'. Mais cette étude sur l'inter-
culturaIité démontre qu'une telle position est probablement plus aisée à vivre dans
d'autres contextes. La marginalité est d'autant plus possible qu'elle est acceptée et
partagée et que des compétences suscitent certaines stratégies permettant d'affirmer une
id~tité, comme on l'observe en certains lieux d'Afrique de l'Ouest francophone. En
dernière analyse, des divergences apparaissent donc entre les théories srarufpoint et celle

• de l'intereulturaIité; elles sont d'ordre épistémologique, méthodologique et pratique.

Pour préciser sommairement ces divergences, je dirais d'abord que la référence


première à l'économie politique et à Karl Marx est problématique, dans le sens où,
comme Uma Narayan l'a bien w, elle tend à une réduction des aspects culturels liés.
entre autres, au genre, L'approche matérialiste laisse peu de pIace à des valeurs que
l'on retrouve dans" les pays non occidentaux; elle tend à revenir vers une forme de
positivisme et à percevoir les situations sous forme de dualités s'opposant les unes les
autres - et ceci en dépit du fait que Sandra Harding (1991, p. 130) affirme que la
perspective féministe permet de médiatiser les «dualismes idéologiques». Les positions
des femmes. ou celles des Africains. sont-elles de simples cinversiollS» de celle des
hommes. ou des Occidentaux'? Ne peuvent-elles pas aussi supposer, en contextes
plurîculture1s, de nouvelles identités plus créatrices que simplement négatives? Ensuite.
sur le plan méthodologique, la tendance de nombreux scientifiques à comparer ce qui
est incommensurable reste problématique; comme l'indique Uma Narayan (1989,

• p. 260). J'ajouterais que l'analyse presque exclusivement théorique et l'absence d'étude


• sur le terrain, ainsi que le niveau très abstrait et très large auquel les problèmes sont
envisagés, le sont également. Il en découle, et je terminerai sur ce dernier aspect, que
la position est définie en termes statiques, alors qu'à mon sens eUe serait mieux
245

comprise en termes dynamiques. Pour Sandra Harding, les femmes, particulièrement


les femmes universitaires, ont une position d'«outsider within. (1991. p. 13\). Je ne
peux évidemment pas parler pour ces femmes, mais, dans d'autres contextes, je dirais
que la position qui correspond à un avantage épistémologique semblable à celui qui est
décrit dans les théories standpoinr pourrait plutôt être une situation double, d'insider-
outsider, qui change selon les circonstances. Celle-ci pourrait être une situation de plus
ou moins grande mobilité, chez les femmes comme chez les membres des groupes
marginalisés dans le contexte ouest-africain.

Suffit-il d'être femme pour acquérir une position féministe dans le sens où
l'entend Harding'? La réponse est bien entendu négative. L'accès pour un membre

• d'un groupe dominé au monde des dominants varie et il peut se modifier dans le temps.
D'après ce que dit Uma Narayan, et d'après ce qu'il est possible d'observer en Afrique
de l'Ouest francophone, une femme noire peut appartenir à un groupe dominant par
rapport à d'autres groupes dont les membres sont alors susceptibles de posséder un
accès au monde de cette femme'. Il est possible que, dans certains contextes, des
femmes aient une position dominante qui limite leur capacité d'accès au monde de
l'Autre - même'si de telles situations sont plus rares que celles où des hommes blancs,
instruits et Occidentaux, sont dominants. Si l'on sort des milieux scientifiques pour
aborder des lieux situés en terres non occidentales, il faut alors admettre que la position
repose sur des bases plus complexes et moins nettes que de simples oppositions homme-
fetnme, dominant-dominé, Blanc-Noir ou riche-pauvre.

Études africaines et intereultnralité


L'étude de l'intereulturalité montre aussi comment la science tend à une
réduction des questions humaines en contexte non occidental, comme c'est le cas dans

• les études africaines. Elle permet de situer cette réduction dans le cadre d'idéologies
universalistes qui tendent à nier les singularités observables à de multiples niveaux. Ce
• 246
que je tiens à souligner à cet égard, c'est que le postUlat de l'universalisme reposant sur
des bases essentiellement théoriques mène à une négation de r Autre par une appropria-
tion des espaces qui sont les siens et par une prise de parole en son nom, ce qui fait
taire sa propre parole. L'universalisme, faut-il noter, peut aussi se dissimuler derrière
des énoncés anti-positivistes, À l'inverse, une reconnaissance des singularités, n'ex-
cluant pas un idéal universaliste, vise à établir des espaces d'échange avec r Autre.

Historiquement. pourtant, le choix «Stratégique» universaIiste (Bhabha, 1994) des


intellectuels africains et des spécialistes de l'Afrique est compréhensible, C'est en effet
sur cette base que l'esclavagisme. le colonialisme et l'impérialisme ont été dénoncés et
combattus. Un accent sur les particularismes a été utilisé à des fins d'exclusion,
exclusion symbolique par l'anthropologie, exclusion politique par le sy.,tème colonial
britannique et par l'Apartheid, exclusion de la participation du citoyen par des régimes
africains totalitaires qui prônaient le retour à une «authenticité», comme ceux de Mobutu

• Sese Seko au zaïre et de Sékou Touré en Guinée. Les idéaux universalistes ont aussi
fondé l'Organisation de l'unité africaine (OUA) qui, en reconnaiSS'Ult les frontières
. héritées du coloniaIisme, visait surtout à éviter la possibilité, perçue comme désastreu-
se, d'une plus grande balkanisation du continent africain sur des bases ethniques.

Je crois cependant que l'époque où un postulat stratégique universaliste pouvait


encore se justifiet est désormais révolue. L'universalisme a aussi servi à légitimer des
régimes prétendus progressistes, mais qui, en pratique, étaient dictatoriaux et sangui-
naires', L'universalisme fonde le néo-coloniaIisme, le tiers-mondisme, les politiques
de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Il est devenu un
instrument de domination des Noirs par les dirigeants africains avec l'appui des gouver-
nements occidentaux, par les Blancs-noirs et par les spécia1istes occidentaux. Il n'est, à
mon sens, ni innocent ni fortuit que les textes sur l'Afrique demeurent imprégnés d'un
universalisme - toujours plus postulé et abstrait que démontré.

• Dans le contexte de cette étude, deux principaux ensembles de textes adoptent


une telle paspective à propos de l'Afrique; ils se situent dans un cadre panafricain ou
• «afro-américain». En Afrique de l'Ouest francophone, ils prolongent les écril~

spécialistes français fortement empreints d'universalisme. d'abord républicain puis


marxiste (Moore, 1994). Beaucoup de ces textes prônent d'ailleurs un pr~iel
des
247

socialiste
pour r Afrique - dont il n'existe toutefois aucun modèle'·,

Des liens évidents existent entre le nationalisme panafricain. c'est-à-dire le prqiet


d'une communauté politique africaine, et les thèses de Cheikh Anta Diop (1955: 1960)
qui visent à démontrer qu'il existe une continuité entre l'Égypte antique et l'Afrique
contemporaine, Tous deux sont fondés sur un cracialisme romantique» (Appiah, 1992,
p. 101) et ne résistent pas plus à l'observation qu'à une analyse approfondie des
situations africaines, Bien qu'il existe quelques exceptions notoires, telles que Kwame
A, Appiah, une très grande majorité d'intellectuels africains adopte pourtant les thèses
de Diop et, comme le constate Henri Brunschwig (1988, p, 13), il se trouve très peu
d'intellectuels occidentaux pour dénoncer leur caractère mythique, Les études afro-

• américaines, devenues extrêmement puissantes dans le contexte universitaire internatio-


nal et africain", renforcent cette tendance à postuler une «culture africaine», Cheikh
Anta Diop n'a jamais connu autant de notoriété qu'à l'heure actuelle: son oeuvre
devient une référence majeure non seulement dans le domaine des études afro-américai-
nes, mais aliSSi dans ceux des études littéraires, culturelles et postcoloniales, Une
Afrique abstraite et mythique, perçue à travers le prisme de rAfrocentTidty, The
AfrocentTic ldeti (Asante, 1980; 1987), The ldea ofAfrica (Mudimbe, 1994) ou The
Blodc Atlantic (Gilroy, 1993), est inventée et maintenue dans les milieux universitaires,
essentiellement américains,

Beaucoup d'intellectuels d'Afrique sont liés au pouvoir :


[000] these men are "in power", and no one doubts their mission in the
process of modemizationo Tbrougb different lenses, they aIl more or less
define and explain conditions and possibilities of setting in motion
principles of modemization and defining the meaning of being African
todaYo (Mudimbe, 1988, po 40)
Est-ce à dire, comme le laisse entendre Valentin Yo Mudimbe, qu'aux États-Unis les
Africains universitaires ne sont pas des gens de pouvoir? Je dirais que l'oeuvre de

248
l'auteur en question démontre le contraire. En niant les singularités africaines. elle
abonde dans le sens de la recherche identitaire abstraite des Noirs am::ricains".
L'oeuvre de Mudimbe est un travail d'érudition qui ne se réfere que très rarement à
d'autres penseurs africains; son attitude n'est qu'exclusion de ses collègues universi-
taires blancs-noirs et négation de ces traits culturels majeurs de l'Afrique contemporaine
que constituent les champs de connaissances endogènes et l'ethnie.

Les singularités de l'Afrique n'échappent pourtant guère aux spécialistes des


sciences humaines qui y vivent. mais bien peu de leurs idées parviennent jusqu'à nous.
Par ailleurs, La distance culturelle qui sépare les Africains d'un Noir américain
n'échappe pas non plus au simple voyageur. L'un d'eux décrit son contact avec l'Afri-
que en débutant par ces mots : ..1 am not African, If 1 didn't know it then, 1 know it
now, 1 am a product of the culture that raised me." (Harris, 1992, p, 13) Le mythe
d'une cafricanité» traversant continents et océans ne résiste guère à l'expérience d'un

• échange concret entre des humains.

Il Ya certes quelques notes discordantes dans le concert des discours universa-


listes relatifs à l'Afrique, Kwame A, Appiah vit dans un monde international, mais il
est aussi resté très proche de sa famille de Kumasi au Ghana (1992, p. vii-ix), Il
soutient que :
Whatever Africans share, we do not have a common traditional culture,
common languages, a common religious or conceptual vocabulary, l",:
we do not even beiong to a common race; and since it is so, unanimism
is not entitied to what is, in my view, its fundamental presupposition.
(P,26)
Un idéal collectif n'en demeure pas moins nécessaire :
1 sball try to articulate an understanding of the present state of intellectual
life that does not share even at a metaphysical level these assomptions
that bave been with us since early PaDAfricanism. Africans siiare too
many problems and projects to he distraeted by a bogus basis for solidari-
ty, (p, 26)


• Une telle pen;pective se retrouve chez quelques AtTicains anglophones comme KW.lsi
Wiredu qui étudie les conceptions endogènes des droit~ humains chez les Akan du
Ghana (1990. p. 243-260) ou comme Frank O. Uglloajah (1985) en communications.
24Q

L'AtTique universelle inventée par une majorité d'auteurs ne résiste donc ni à


l'observation ni à l'analyse. Quant aux prolllèmes posés par le relativisme. ils sont
généralement mal compris. Le philosophe Paulin J. Hounton4ii (1977. p. 219) résume
les questions soulevées par ce qu'il nomme le "Pluralisme culturel-. D·aprè.~ lui, on
entend généralement par ce terme trois choses diftè!rentes :
1. le fait de la pluralité culturelle, entendue comme coexistence de
cultures différentes appartenant, au moins en principe, à ûes aires géogr.l-
l'biques différentes;
2. la reconnaissance du fait de cette pluralité;
3. l'affirmation que cette pluralité est une bonne chose et la volonté d'en
tirer parti d'une manière ou d'une autre, soit en préservant les cultures
les unes des autres pour éviter toute contamination réciproque, soit au


contraire en organisant entre elles un dialogue pacifique, en vue de leur
enrichissement mutuel.
Je peilSe qu'il n'est pas du ressort d'un chercheur, africain ou autre, de po~"tuler que la
diversité culturelle de \'Afrique existe ou non: il ne peut que constater s'il est en
mesure ou non de l'observer - pour autant que son trdvail inclut sérieu.~ment l'obser-
vation13 - et de choisir éventuellement comment intégrer ce constat dans les théories
et dans les pratiques. Pour ma part, la réponse ne fait aucun doute et une posture au
départ relativiste est une exigence de la recherche en sciences humaines en Afrique,
ainsi qu'une condition de la communication et de son étude sur ce continent.

Quant à la proposition qui prétend que la prise en' compte des singularités
culturelles contribue à les accentuer, elle est inacceptable. Je di."lIÏs même que l'inverse
peut se produire. En Afrique, les tensions interethniques onto"'J!lout augmenté là où
~.

des régimes politiques ont tenté d'imposer par la force des idéologies totalisantes
_(Ethiopie, Guinée, Somalie; les exemples sont nombreux). Les pays où la -indirect
rule- des Britanniques a été appliquée ne connaissent pas plus de conflits que ceux où

• étaient diffusés des idéaux républicains, par exemple l~ Libéria ou le Rwanda. Dans le
• domaine scientifique, l'application des modèles prétendus universels démontre constam-
ment qu'ils ne le sont pas. L'étude de l'inteiculturalité. avec la reconnaissance des
cultures, s'inscrit au contraire dans un idéal d'échanges interculturels: elle ne saurait
250

être travestie en une apologie des particularismes.

De plus, l'attitude qui consiste à réduire la diversité culturelle africaine à un


modèle prétendu universel es: teintée d'ethnocentrisme. ElIe dénote au mieux une
myopie, signe d'un handicap épistémologique ou individuel, au pire une forme d'op-
portunisme. L'universalisme occidental n'est pas universel. il est historiquement situé
et essentiellement basé sur des valeurs matérialistes et individualistes. Il peut être
contesté dans une perspective africaine, sur la base de principes et de valeurs autres.
définissant dans d'autres termes des droits humains que l'on pourrait dire «universels»,
par exemple la participation. la solidarité et la libené (Pacéré. 1991, Wiredu, 1990).


Communication, développement et interculturalité
QueUes leçons peut-on fina1ement tirer de l'étude de l'intercu1tura1ité par rapport
au champ de la communication et du développement? Il faut ici changer de niveau afin
de situer la question dans son contexte. Comme je l'indiquais plus tôt, le domaine du
développement demeure subordonné à des contraintes organisationneUes. Les décideurs
définissent les situations en termes administratifs; la communication ainsi que les
échanges interculturels sont généralement compris en termes réducteurs et la culture
comme un facteur négatif. Récemment, toutefois, les milieux du développement ont
développé un intérêt plus prononcé pour les aspects communicationnels et culturels".
Par ailleurs, il ne faut pas non plus perdre de vue que la culture organisationnelle de la
coopération tend à maintenir l'ordre actuel.

L'attitude d'un communico10gue par rapport aux questions de développement


peut être radicalement critique et, par conséquent, externe aux cadres organisationnels.
Elle peut également se situer à l'intérieur de ces cadres et viser alors à les transformer.


Il m'apparai"t clairement que l'étude de,]acommunieation et de l'intereultura1ité
implique.des stratégies visant le changement organisationnel dans un cadre de dévelop-
• pement. Donc le problème devient le suivant : comment concevoir un engagement qui
soit acceptable pour les interlocuteurs des organisations. mais qui puisse aus.~i

un changement'! Le problème n'est pas simple. puisque le changement organisationnel


251

favoriser

demeure une question réservée aux managers et que le travail dans les organisations
suppose un minimum de conformisme.

Si j'aborde cette question d'un point de vue théorique. je dimis qu'une po~1ure

double est probablement la plus appropriée. En ce qui concerne l'analyse des situations
dans les entreprises de développement, un cadre de référence comme celui qui est détini
ici est adéquat et pertinent. Les milieux du développement sont de plus en plus
conscients de I"importance de la communication" et des problèmes interculturels.
Beaucoup de catégories d'analyse utilisées ici deviennent acceptables : -pe~'JICCtives»,

-connaissances endogènes» et .processus endogènes de communication», par exemple.


L'accent, mis par certaines organisations, sur les questions de participation et sur le

• respect des cultures élargit les possibilités d'analyse et multiplie les objets potentielle-
ment abordés par des approches communicationnelles'6.

Lorsqu'il s'agit du niveau concret des documents administratifs concernant des


questions de communication, projets, rapports et autres, ;.~ problème consh1e à intégrer
l'analyse de la situation à un cadre théorique généralement conçu dans des termes très
rigidest7 , Il n'y a bien entendu pas de solution unique à ce problème, tout dépendant
du contexte, de la position et de la crectibilité de l'auteur d'un texte. Il reste cependant
possible de comprendre l'organisation dans les termes de l'interculturalité - c'est-à-
dire de la concevoir moins comme une structure formelle que comme un ensemble de
personnes et de groupes en situation d'échange et de négociation - et de privilégier
quelques directions. En ce qui concerne la communication, il est possible de prouver
les limites des modèles directifs et linéaires et de démontrer l'utilité d'une approche
constructiviste et intereu1turelle. Une telle perspective implique alors un élargissement
des conceptions de la communication et la définition de nouveaux objets.
• Sur le plan théorique. je ne rejoins pas ici rapproche intégrative qui. à mon
avis. est chimérique. L'organisation ne peut pas à la fois exister et ne pas exister. Le
développement ne peut pas être à la fois des représentations et une «réalité- quantitia-
252

ble. En somme. un cadre théorique ne peut être positiviste et anti-positiviste. Je pense


qu'un travail réalisé à partir des modèles théoriques organisationnels permet au mieux
l'intégration d'un certain nombre de nouveaux éléments contextuels qui. il faut en être
conscient, ne garantissent pas que ces modèles soient adaptés aux contextes culturels
africains. La complexification d'un modèle théorique marque son vieillissement: elIe
peut favoriser sa critique et, finalement, un renversement de perspective (Kuhn. 1970).
En contexte pluriculturel et organisationnel. l'attitude du communicologue doit donc
être duale, comme l'est celle de l'intelIectuel africain en général. Dans les conditions
actuelIes, je dirais que c'est à ce prix que l'échange interculturel devient ;-ossible et que
l'interculturalité peut se manifester.

• La position privilégiée du communicologue est une position d'insider-oUlsider.


11 s'agit, d'une part, de comprendre et de maîtriser le langage et les composantes
organisationnelles formelles, d'autre part, de COIlDll1"tre e: d'utiliser les réseaux et les
processus plus informels, les lieux de maintien et de création de sens, de légitimation et
de partage (ou de participation). La mobilité est une exigence de l'ouverture à l'expres-
sion de l'Autre. Les sites privilégiés de l'action sont les lieux où se crée le changement
par une transfoIniation de la culture organisationnelle. L'action suppose alors un cadre
éthique qui découle d'une approche interculturelle de la communication et qui est basé
sur une volonté de favoriser un échange égalitaire.

Pour revenir au cas particulier de la communication en Afrique de l'Ouest


francophone, son étude doit d'abord recODDal"tre l'impact limité des médias modernes"
et la coexistence de teChnologies et de processus endogènes et importés. Les médias ne
peuvent être compris que si on les situe dans un cadre plus vaste où subsistent d'autres
espaces de communication ainsi que des connaissanœs et des croyances locales. On

• .peut en effet clairement observer que les utilisations que les audiences font des messa-
• 253
ges sont très singulières dans des contextes socioculturels très diversitiés. La communi-
cation et les processus interculturels doivent donc être compris dans le cadre de ces
contextes multiples.

La communication devrait donc préférablement être définie en termes d'échange


de significations. de négociation et de partage de sens. ou encore de conversation. El1e
se situe largement dans un cadre local où les habiletés et les stratégies proviennent des
connaissances endogènes. de r expérience de la dépendance et de processus de formation
qui sont souvent à ca..-aetère initiatique. Dans le contexte étudié, la communication
présente presque toujours un caractère interculturel. surtout dan.~ un cadre de développe-
ment. Qu'il s'agisse des théories ou des pratiques dans ce contexte. les questions de
communication interculturelle. de développement ou d'organisations demeurent étroite-
ment imbriquées les unes dans les autres.


UNE THÉORIE COMMUNlCATIONNELLE DE L'INTERCULTURALlTÉ
Ce travail se veut une illustration et une démonstration de la pertinence d'une
approche communicationnelle des questions interculturelles. Ailleurs, ces questions sont
généralement abordées sous un angle disciplinaire, psychosociologique, linguistique.
sociopolitique, littéraire ou autre. Chacune de ces approches demeure cependant
partielle et vise généralement à répondre à des besoins spécifiques aux organisations
concernées. La question qu'il convient alors de poser est la suivante: les problèmes de
communication interculturelle sont-ils du ressort des études en communications'!

Rapatrier la communication intereuIturelle


Nous l'avons vu, une approche constructiviste, culturelle, critique et pragmati-
que de la communication permet une nouvelle compréhension des questions intercultu-
relIes. L'intereulturalité constitue, parmi d'autres, un objet d'étude en communications
suscepbole de contribuer aux théories et aux pratiques, aux débats et aux actions.
Comment situer l'étude communicationnelle des questions intereulturelles? Et quelles


peuvent en être les inci~ces pour notre compréhension de la communication'!

254

Il n'existe pas de modèle universel dans les questions interculturelles, il n'existe


que des conceptions réducoices de ces questions fondées sur des perspectives particu-
lières - culturellement situées - qui sont parfois imposées en étant prétendues univer-
selles. Le premier but de l'étude est donc de tenter d'élargir, de plusieurs façons, les
définitions et les approches des objets interculturels. Une telle tentative n'est pas sans
soulever des problèmes. puisque l'étude elle-mëme se situe dans un cadre particulier. Il
me semble cependant que le projet n'est pas vain et qu'il peut être réalisé pour autant
qu'il s'inscrive dans une démarche relativiste, critique et réflexive. Comment définir
ainsi des objets d'études interculturelles et comment en entreprendre l'étude'!

Premièrement, l'étude de la communication telle qu'il nous faut la concevoir


devrait dépasser, sans nécessairement exclure, l'étude des médias. Certaines dimen-
sions des médias peuvent d'ailleurs à mon sens ëtre abordées par d'autres disciplines,
droit, économie, sciences politiques ou sociologie, avec des perspectives qui touchent

• d'autres aspects des médias que les processus de communication, d'inscription, de


compréhension et de négociation de sens. À l'inverse, nombre d'objets d'étude qui sont
abordés avec une pelspective disciplinaire seraient mieux compris en termes plus
largement interdisciplinaires, par des approches communicationnelles.

Deuxièmement, l'étude de la communication interculturelle se situe d'abord au


niveau micro des interactions, dont l'observation et l'analyse constituent le site premier
de recherche. Ce niveau peut en inclure d'autres et il se manifeste aussi dans les
sphères organisationnelles. Comme je rai précisé, les interactions sont déterminées,
dans le contexte étudié, par diverses composantes : genres, espaces socioculturels et
rapports de pouvoir conespondant à des groupes -d'appartenance ou de référence. De
plus, l'observation imprime un caractère réflexifà l'étude, puisque les échanges qu'elle
implique créent des situations interculturelles. Une première dimension de l'étude est
donc l'accès à l'objet, exigeant une pe1spective relativiste et aitique.


Un troisième problème, pour reprendre le terme de Clifford Geertz (1973,
p. 29), est lié à la «traduction.. dans un langage qui soit intelligible et acceptable dans
• un cadre particulier, historiquement situé. Ce dernier peut cependant être élargi, c'est
du moins ce qui est tenté dans ce travail. La méthode utilisée ici a permis de rassem-
bler nombre d'éléments analytiques qui ont été formulés non par l'auteur. mais par des
255

interlocuteurs rencontrés en Afrique de l'Ouest. Ma tâche a. bien sûr. consi~té à


recenser, évaluer, sélectionner et synthétiser les données. Mais il reste que les élément~

centraux de l'analyse ont été dits - ou ont été déduits de ce qui a été dit - par des
personnes qui étaient dans la situation de r Autre par rapport à l'auteur. 11 apparaît
donc que le produit de la recherche en communications peut partiellement provenir de
r interculturalité et des échanges interculturels entre des personnes et des groupes de
positions différentes. Par ailleurs, en ce qui concerne les procédés narratifs, ce texte se
veut une illustration des possibilités qu'offre une intention de dire les choses dans les
termes de r Autre. Les limites d'un tel procédé sont certes ici évidentes : la commu-
nication se fait en français dans un espace spatio-temporel singulier, celui des sciences
humaines occidentales ou américaines. Je suis cependant convaincu que ces limites

• peuvent être repoussées beaucoup plus loin encore, par exemple, en


nouvelles dimensions textuelles à celle qui a été privilégiée.
~ioutant de

Je crois enfin que la communication interculturelle s'enrichirait considérablement


d'un travail de collaboration entre des universitaires d'origines différentes, comme ce
fut partiellement le cas pour cette recherche. La collaboration peut se situer à différents
niveaux. Une solidarité pourrait encourager des communicolog..es africains à définir
leurs travaux sans que ces derniers soient dictés par les organisations de développement
et sans que des interVenants occidentaux imposent leurs définitions comme c'est le cas
actuellement. De tels travaux enrichiraient les échanges. Des recherches conjointes
pourraient également être entreprises. Par exemple, un même objet pourrait être défini
et étudié par des chercheurs de positions différentes avant qu'ils n'en dégagent une
analyse partagée. Les interVentions en communication pourraient aussi utiliser une
«double perspective» ou un cdouble regard» sur des objets communicationnels et inter-


culturels d'intérêt commun.
• Sur le plan institutionnel, la reconnaissance de la communication interculturelle
comme branche des études en communications suppose. en quelque sorte. la reconnais-
sance d'un nouveau paradigme: un changement dont Thomas Kuhn (1970) décrit les
256

conditions. Le champ de la communication interculturelle est actuellement occupé par


des gens de management. de psychosociologie. des sciences de r éducation et de
quelques autres domaines. Il peut s'agir d'une reproduction des mêmes thèses qui
meublent ce champ depuis une vingtaine d'années ou. parfois, d'un bricolage ingénieux
aux yeux des membres des organisations qui s'intéressent aux questions interculturelles
(Winkin, 1994). La recherche sur le terrain et le travail à partir des théories contem-
poraines en sciences humaines en sont généralement absents. En pratique. les «mar-
chés» actuels de la communication interculturelle se situent dans l'enseignement,
r «intégration.. des immigrants et la formation dans le cadre des organisations de
développement. Une approche communicationnelle permet d'élargir notre compréhen-


sion des problèmes par la recherche au niveau des interactions, des organisations et des
textes, et par des applications qui dépassent la formation sans nécessairement l'exclure.
La communication peut aborder d'autres problèmes: analyse. conception, intervention
- médiatisée ou non - et évaluation. Je crois cependant que le principal domaine
concerné par la communication intercu1turelle reste situé dans le cadre de la communi-
cation organisationnelle; il s'agit, par conséquent, d'oeuvrer dans le sens de sa transfor-
mation - une entreprise parfois partagée avec les managers (Mintzberg, 1989).

Complexité. mouvement et mobüité


Quelle image des sciences humaines reflète l'étude de l'intercu1tura1ité'! J'ai
évoqué à plusieursreprlses la nécessaire prise en compte de la complexité. Il ne fait
pas de doute que les situations intercu1ture1les sont toujours singulières et qu'elles
découlent d'une infinité de possibilités fondées sur l'intercu1tura1ité et sur la position
des acteurs en présence dans des contextes toujours particuliers. Il serait vain de tenter
de les réduire à des schémas simples et toujours valides. Les cultures sont perpé-


tuellement transformées par des processus intereu1turels complexes; elles ne peuvent
• être comprises de façon définitive. pas plus qu'elles ne peuvent être totalement appré-
hendées dans des termes figés. Comme le reconnaît tardivement Georges Balandier.
La science actuelle ne tente plus de parvenir à une vision du monde
257

totalement explicative. ce qu'elle produit est partiel et provisoire. Elle


affronte une réalité incertaine. aux frontières imprécises ou mouvantes.
elle étudie le ~ieu des possibles». elle explore le complexe. lïmprêvisihle
et lïnédit. (1988. p. 10-11)
Les propos d'un de mes interlocuteurs africains suggèrent d'ailleurs qu'une telle vision
du monde rapproche considérablement les perspectives scientifiques et celles des champs
de connaissances africains :
Le principe qui gouverne le monde. c'est le désordre. ce n'est pas
l'ordre; le principe qui gouverne le cosmos. c'est l'irrationalité. c' e.~ pas
le rationalisme. 1...1 Les Occidentaux ont trouvé la rationalité dans
l'irrationalité et c'est ce qui leur a pennis de vaincre 1•••).
Ou encore, la rationalité a peut-être été inventée plutôt que trouvée (ou découvene).
Que vaut alors la "victoire» de l'Occident sur les sociétés non occidentales'! Plus

• encore, la science elle-même montre que les sociétés africaines ne sont guère plus
désordonnées que celles d'Occident. On y trouve de multiples modèles d'organisation
qui ne peuvent que nous surprendre par leurs caractéristiques structurelles à la fois
remarquablement originales et complexes. L'Afrique constitue un gigantesque espace
où coexistent de nombreux possibles de l'aventure humaine. Mais ici, l'ordre mythique
ou social n'a jamais été compris comme total et définitif; il n'a pas été permis qu'il
devienne totalitaite. Aujourd'hui, c'est la compréhension même des sociétés en termes
de caractéristiques structurelles définitives qui doit être contestée. La science, et non
les cultures, tend à fonualiser un ordre qui devient alors abstrait et réducteur, puisque
les sociétés demeurent, ici comme ailleurs, le fruit du mouvement.

Bien que nos visions du monde puissent y inscrire un ordre provisoire, l'univers
reste chaotique. La science, en particulier, implique la création d'un ordre par le
langage, par la logique et par le respect de multiples règles et procédures. L'ordre
émerge alors du désordre qui naît dans un état perçu auparavant comme ordonné. Les
sciences physiques elles-mêmes sont désormais marquées par la théorie du chaos - ce
qui n'est pas sans conséquences pour les sciences humaines :

258

On admet désormais qu'il est impossible de parvenir à une description


absolument logique de la totalité du monde. parce qu'une taille sera
toujours présente sous forme de propositions indécidables, dont le carac-
tère de vérité ou de fausseté demeurera indémontrable - et cela, sans
recours logique d'aucune sorte. (Balandier. 1988. p. 58)

Les cultures, scientifiques ou autres, ne sont pas réductibles à un agencement


unique et statique. Sur un plan intereulturel, elles se situent dans des espaces parfois
incommensurables et marqués par de perpétuels mouvements. L'entendement des situa-
tions interculturelles suppose alors la mobilité. Il implique la prise en compte des
limites et des possibilités de l'interculturalité qui déterminent les limites et les possibili-
tés de la compréhension des situations. Dans le domaine de la communication interc.-ul-
turelle. la mobilité est donc une part centrale de l'objet aussi bien que de la méthode et
des techniques d'enquête - en d'autres termes, c'est une partie essentielle, tant de la
théorie que de ses applications.

• L'immobilité dans le temps et dans l'espace aura donc été une abstraction créée
par la science (manifeste dans l'anthropologie, dans le tiers-mondisme, dans l'adminis-
tration et dans le développement) dont l'étude intereulturelle en communications
souligne les limites et par rapport à laquelle elle suggère des tentatives de dépassement.
Car l'exigence de la mobilité émerge fina1ement d'une approche communicationnelle
des questions intereulturelles ou, du moins, de l'étude de cet objet particulier que
constitue l'intereulturalité. La mobilité en est une composante centrale. Il ne s'agit pas
ici d'une simple cobilité à travers l'espace, mais d'une mobilité à travers des concep-
tions du monde, à travers des espaces de culture et de pouvoir. La mobilité est enfin
un élément de la méthode d'étude intereulturelle qui suppose un mouvement de posi-
tions d'insider et d'outsider ou, plutôt, d'une position mobile d'wider-outsider entre
plusieurs sites d'interaction et plusieurs niveaux d'échange ou de conversation.

Une recherche de mobilité sur le plan théorique, ou l'inclusion de cet élément


dans la théorie, caractérise donc l'étude de l'intereultura1ïté. Les techniques et les

• pratiques de la communication intereulturelle poumüent aussi être conçues en visant


• l"intégration d'un critère de mobilité, ou encore de recherche de développement de la
mobilité. La communication interculturelle suppose en effet l'intégration de la thtEoric.
de la méthode et de l"action: elle suppose un travail ~-ur le contenu, les proces.~us et
259

l"adaptation du contenu au contexte à travers des pratiques. L'étude communica-


tionnelle de l"interculturalité, de ce qui concerne la compétence interculturelle et sa
constitution, suppose donc finalement l"intégration dans un cadre de mobilité. Quelles
en sont les conséquences pour la méthode et pour la théorie'!

Problèmes méthodologiques dans l'étude interculturelle


L'interculturalité est un objet d'étude propice à l'expérimentation méthodolo-
gique. Comme je l'ai indiqué au chapitre l, les problèmes rencontrés durant la
recherche ont mené à l'adaptation d'une méthode, notamment pour la généralisation à
partir des données de l'étude de cas portant sur les échanges intereulturels au niveau des
interactions (pour passer du micro au macro), Un second problème méthodologique

• rencontré durant l'étude intereulturelle dans le contexte ouest-africain concerne les


connaissances endogènes. Comment concevoir et appréhender les champs de connais-
sances endogènes qui sont une composante majeure de l'étude de l'interculturalité'!

En amont, le premier critère méthodologique retenu pour l'étude des questions


interculturelles fut une approche non comparative, étant donné l'incommensurabilité de
certaines situations étudiées et le caractère épistémologiquement dominant d' él~ments
culturels qui pourraient être comparés à d'autres, Mais une tension subsiste entre
l'intention d'éviter la comparaison et son application. L'observateur ou le lecteur ne
peuvent en effet se situer en terrain totalement neutre, et la comparaison revient par des
voies détournées, Par exemple, lorsque je dis que la communication en Afrique peut
être comprise comme la coexistence d'espaces endogènes et étrangers, la définition à
partir de laquelle il est possible de concevoir la communication endogène est une
conception étrangère, en l'occurrence occidentale, de la communication, Le problème
est ici inscrit dans des textes" : les concepts permettant de décrire les situations locales

• sont largement étrangers au contexte, et la compréhension de ces situations consiste à


signaler une différence et donc à comparer,

260
Une approche non comparative des question~ interculturelles demeure donc une
intention, un principe qui peut être sérieusement appliqué'" - sans que soit ignoré le
fait que l'étude interculturelle s'effectue nécessairement dans le cadre d'une culture
particulière qui rend impossible l'absence de toute forme de comparaison. 11 convient
alors de prendre constamment en compte le fait que les résultats de l'étude se présentent
dans une perspective elle-même située. C'est là qu'intervient 1'exigence d'une approche
également critique et réflexive, permettant de comprendre des objets comme 1Ïllter-
culturalité dans leur globalité.

Par ailleurs, il est très clair que 1'étude communicatioonel1e des questions
intereulturelles. ou de l'interculturalité, se centre rapideme!lt sur les espaces frontaliers.
Les diverses formes de marginalité, en zone péri-urbaine, en marge des villages, parmi
les femmes, les Haratines, les ethnies et les groupes socioculturels dominés, les cadets
sociaux ou les marginaux, constituent des lieux privilégiés d'entendement. C'est d'ail-

.' leurs une tendance contemporaine, comme le constate Renato Rosaldo :


Analysts no longer seek out harmony and consensus ta the exclusion of
difference and inconsistency. For social ana1ysis, cultural borderlands
have moved from a margina1 ta a central place. (1989, p. 28)
Les régions frontalières sont évidemment nombreuses et variées dans les contextes
ouest-africains, et chacune doit être comprise dans sa singularité et sa complexité.

Sur le plan méthodologique. WaC: compréhension des singularités supl>05e d'abord


tme perspective interprétative par la «thick descriptiol1lo des situations intereulture1les
comprises comme des «textes» (Geertz, 1973). Mais cette approche met l'accent sur les
dimensions spatiales au dépens des aspects temporels; il convient alors de réintroduire
l'histoire et la conremporanéité (Fabian, 1983, p. 133-134). Dans le contexte africain,
une perspective critique, réflexive et pragmatique sont, à cet égard, des compléments
nécessaires, Pour illustrer les implications d'une telle petspective, je reviens à l'exem-
ple des processus endogènes de communication. Comme le signale Titinga Frédéric
Pacéré (1991), ces derniers sont comparables à une «li1:tératurc> qui, sans être écrite, est

• néanmoins «inscrit/> et qui peut parfois faire appel à des teclmologies : masques,
• tambours, musique, danses, palabres, jeux, discours. initiation.~ et autres. Une analyse
tenant compte de l'ensemble de cette .littérature», qui reconceptualise donc la notion de
texte, peut révéler l'histoire, la société et la culture.
261

Cette conception implique donc une définition large de la notion de texte : il


s'agit d'un ensemble de représentations qui sont situées dans le temps et dan.~ l'~"pace

et qui peuvent être lues ou décodées et interprétées à des fins d'analyse. Dan.~ un cadre
intereulturel, la notion de texte ainsi que le travail d'interprétation et de traduction
devraient impliquer une lecture tenant compte de la position de l'observateur, de ses
interlocuteurs et des auteurs auxquels il se réfère. En termes journalistiques, la
multiplication et la diversification des sources permettent d'accéder à des définition.~ de
la situation qui constituent les éléments centraux de la méthode de l'étude interculturel-
le. Mais ces sources doivent aussi être identifiées et c'est là qu'interVient la dimension
critique visant à situer chaque perspective en fonction de la position de son auteur, à

• tenir compte des processus de légitimation et des rapports de pouvoir que cette dernière
sous-tend. Quant à la dimension pragmatique, elle résulte du processus de l'étude, de
la méthode d'investigation qui est aussi susceptible de dépasser un cadre de recherche,

Une compréhension et une capacité d'interprétation de l'ensemble des éléments


textuels qui peuvent se manifester en situation intereulturelle supposent des habiletés
peu communes.. Comment comprendre des situations où il peut y avoir plusieurs
langues, plusieurs niveaux de langage, des langages nOD verbaux et des éléments qui
sont même difficiles à percevoir comme étant réductibles à un texte'! Il ne peut s'agir
alors que d'une tentative partielle et provisoire q-.n, je crois, peut être favorisée par
l'application de certains critères : étude au niveau micro, posture mobile, réflexive et
critique de l'observateur, diversification et multiplication des sources. L'étude intereul-
tuièlle doit, de plus, viser à susciter l'expression de l'Autre en tant que critique de la
perspective de l'observateur. En Afrique, où l'étranger est csacr6-, la critique se mani-
feste cependant en termes indirects; il convient donc d'établir des relations privilégiées
• avec certains informateurs qui deviennent eux-mêmes observateurs et participants à la
recherche.
262

La perl>-pective propice à l'étude interculturelle fait donc appel à ce que Renato


Rosaldo nomme «the "double vision" that oscillates between the viewpoint of a social
analyst and that of his or her su~iect of study- (1989. p. 127-128). Cene perspective
permet en outre de recueillir des généralisations formulées par ces interlocuteurs sur
l'objet étudié, et de les confronter à d·autres. D'un point de we plus large. la générali-
sation à partir des données venant d'une étude de cas acquien de la validité si les
procédés permettant de rassembler des généralisations se multiplient. et si ces dernières
peuvent ëtre recoupées entre elles avec une prise en compte de la position de leur
auteur.

D'après Michael Burawoy (1991), ce problème du passage du micro au macro à


partir de l'observation participante peut être résolu par une confrontation des données
avec des généralisations formulées dans les textes. Mais l'étude intereulturelle implique
une définition large des textes que l'on peut considérer comme pertinents. Les écrits
«Scientifiques- approuvés par un éditeur reconnu ou par un comité de publication sont-
ils toujours plus crédibles que d'autres dans une perspective interculturelle? Ce travail
démontre que la réponse à cette question est souvent négative et que des textes non
scientifiques, parfois non écrits, peut-être même non verbaux, proposent aussi des
généralisations valables formulées à partir de positions autres que celles, très singuliè-
res, des gens de science. Les généralisations pertinentes ne découlent pas uniquement
de théories : «Exagérer l'importance de la pensée théorique dans la société et dans
l'histoire est une erreur inhérente au théoriciens." (Berger et Luckmann, 1986, p. 25)

Ainsi, la compréhension des champs de connaissances endogènes à partir des


textes scientifiques est particulièrement problématique, car ces écrits définissent la

connaissance dans des termes excluant les définitions fondées sur des croyances et sur

• des valeurs autres que celles de la science". La définition des connaissances endogè-
nes constitue donc un défi majeur. Ces connaissances sont d'abord dynamiques :
• (... ) such knowle:dges are su~iect to testing and moditication. involvc
theory 1••• ) and metaphysical presuppositions. although not necessai"ily in
the senses imagined in Welolern analytical philosophy.
(Hobart, 1993, p. 4)
Les anthropologues les situent généralement à un niveau tr~ local. ou m':mc individucl.
Les connaissances peuvent être élaborées au moyen de performances. gr.ice: à de:s
capacités d'improvisation si:lgulières (Richards, 1993). Elles sont aus.~i parlllis
considérées comme le pendant local de ce qui, ailleurs, est con.\idéré comme: scie:ntiti-
que. Selon Patricia Howard, il s'agit alors de connaissances allemati\'es :
1...1alternative knowledge systems include ail sorts of subsblence
production systems. knowledge regarding ecosystems and relaxed logics
of subsistence. traditional methods of healing and prophylaxis. traditional
methods of socialization and education. methods for aqjudicating di~"putes
and the convictions and experience that inform them. traditional syste:ms
of self government and communal decision making. and a myriad of
languages and written and oral traditions. to name a few of the mO~l
obvious. (1994. p. 192)

• Plus généralement. les connaissances endogènes sont inclues dans le sens


commun qui est partagé, à travers une culture ou une microculture, par un groupe
donné. D'après Harold Garfinkel :
Sociologically speaking, "common culture" refers to the socially sanctio-
ned grounds of inference action that people use in their everyday affairs
and which they assume that others use in the same way. (1967. p. 76)
Diverses approehës tendent donc à présenter des images partielles de ce que peuvent
être des connaissances endogènes. En pratique, ces dernières se situent dans des
sphères spatio-temporelles jamais totalement réductibles à une perspective di~"ciplinaire' .
isolée. Ce sont des connaissances partagées par des sociétés ou des groupes, particuliè-
res à des cultures ou à des sous-cultures et qui peuvent concerner des domaines
considérés comme scientifiques ou, plus largement, la vie quotidienne. Ce sont des
espaces auxquels correspondent des modes de communication et des modèles sociaux,
toujours en mouvement et plus ou moiDS singuliers.



264
La méthode de compréhension des champs endogènes de connaissance et de
communication passe donc par l'étude des singularités qui permet de situer le contexte
des processus interculturels. L'ethnographie, l'observation des rituels (Geertz, 1973).
ou des performances (Turner, 1985; 1986) et l'interprétation constituent ici des outils
éprouvés qui peuvent être adaptés à l'observateur et aux situations étudiées. L'étude
spécifique des processus interculturds suppose, de plus. un lieu particulier d'observa-
tion : les interactions et leur contexte.

Interactions, rôles, jeux et intercuituraIité


Dans le cadre des interactions, il est possible de considérer les ac-.eurs comme
des personnes qui jouent. ou vivent, des rôles. Sur le site de l'interaction se déroulent
des représentations et c'est là que peuvent être observés et compris les jeux des acteurs.
Les rôles se situent en outre dans des hiérarchies où l'on constate que certaines voix, et
non d'autres, peuvent se faire entendre dans certaines circonstances.

• L'analyse interactionniste d'Erving Goffman22 éclaire d'un jour particulier


l'étude de l'intereulturalité dans le contexte qui m'intéresse ici. Si l'on concentre
l'attention non plus sur la capacité d'expression «explicite>, mais sur la capacité
d'expression «indirecte>- des acteurs (Goffman, 1973a, p. 12), ces derniers peuvent alors
être perçus comme des participants à une représentation - qui est la manifestation de
l'interaction: .,
Par interaction 1...1, on entend à peu près l'influence réciproque que les
partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu'ils sont en
présence physique immédiate les uns des autres; par une interaction, on
entend l'ensemble de l'interaction qui se produit en une occasion quel-
conque quand les membres d'un ensemble donné se trouvent en présence
continue les uns des autres 1...1. (p. 23)
Pour l'acteur et pour les membres d'une équipe qui jouent des rôles singuliers, une
représentation dans le cadre d'une interaction est largement perçue comme réelle :
[...] seul le sociologue ou le misanthrope peut avoir des doutes sur la
créalité» de ce que l'acteur présente. Mais l'acteur peut aussi ne pas être


dupe de son propre jeu. Et cela est d'autant mieux concevable que nul
• observateur n'est mieux placé pour percer à jour le jeu d'un acteur que
cet acteur lui-même. (p. 25)
La réalité d'une représentation apparaît cependant de moins en moins nene pour les
265

membres d'un public, à mesure qu'ils s'en éloignent. À présent, si I"on ohserve des
situations d'interaction dans le contexte ouest-africain à travers cene perspective, il
apparaît d'abord qu'un trait partagé par les humains de cultures différentes est l"in.'itÏnct
grégaire, c'est-à-dire la nécessité des contacts sociaux qui se manifeste sou.~ deux
formes: «le besoin d'un public [... 1et le besoin d'équipiers>- (p. 195)".

L'observation des sociétés ouest-africaines permet de con.~ter que. si le théâtre


en Afrique est institutionnalisé autrement qu'en Occident", de multiples espaces locaux
peuvent néanmoins être vus comme des scènes permanentes : le puits, le marché,
l'arbre à palabres, le bureau, le café, le restaurant et la buvette, le magasin, l'école, la
gare et une multitude d'autres lieux qu'il serait impossible d'énumérer. Beaucoup


d'événements (cérémonies, funérailles, tètes et autres rituels) révèlent le caractère
scénique, ou spectaculaire, des sociétés africaines, tout comme certains cacces.~ires>­

qui, pour nous, évoquent la scène : les masques, les tambours et les vêtements orne-
mentés, pour ne nommer que les plus évidents, L'étude empirique des sociétés
africaines montre comment ces dt.mières peuvent être wes en tant que spectacles
permanents et sans cesse renouvelés.

L'observation révèle d'abord que les interactions dans ce contexte se situent fré-
quemment dans un cadre où un groupe possède plus d'autorité que l'autre pour donner
une représentation et pour maintenir ses définitions de la situation. En d'autres termes,
certaines personnes sont généralement acteurs alors que d'autres font plus souvent partie
du public. «La parole se donne, on ne la prend pas», écrit un communicologue ma-
lien2S ; on constate toutefois que la parole n'est pas souvent donnée à certainès person-
nes : femmes, jeunes, membres des groupes marginaux ou marginalisés et paysans.
Cette expérience de l'exclusion des représentations centrales se duuble cependant d'une


expérience d'acteur Sttr d'autres scènes, dans d'autres contextes ou entre pairs.
• Du côté des acteurs qui peuvent imposer leurs représentations, les Blancs ou les
chefs vivent des situations souvent régies par des protocoles. où les interactions sont
limitées, ce qui a nettement pour conséquence de maintenir une diStance et. à la longue,
266

de créer un handicap. C'est aussi en partie le cas des situations vécues par les Blancs-
noirs. 11 faut cependant ici percevoir la scène locale dans sa spécificité. En Afrique,
les coulisses sont discrètes et plus symboliques que concrètes. Elle sont souvent des
lieux où se manifestent des complicités, des «Signaux secrets» ou un «langage souter-
rain- (Goffman, 1973a, p. 170), car les espaces clos, hors d'atteinte des publics, sont
rares; de plus, il est difficile de contrôler les «régions antérieures- afin de séparer ces
publics. L'espace africain est ouvert". Ceux qui tendent à le clore sont surtout des
Blancs, certains dirigeants et parfois des Blancs-noirs qui délimitent des lieux privés -
une notion étrangère à l'Afrique où l'espace est généralement public ou, du moins,
communautaire. La propriété privée de la terre y est en effet une notion récente qui est


appliquée de façon très limitée.

Si nous prenons l'exemple de l'habitat des Blancs, il est conçu de manière à


permettre le maintien d'un contrôle sur le décor et sur les coulisses, ou plutôt il
reproduit ce trait de l'habitat occidental. «Le contrôle du décor, affirme Goffman,
constitue le plus souvent un avantage au cours d'une interaction- (p. 93). Mais en
Afrique, l'entreprise est parfois vaine, car le décor et les coulisses sont largement
entretenus par deS serviteurs Noirs - eux-mêmes reliés à des réseaux locaux"'. Un
lieu commun dit que là «tout finit par se savoir». Pourtant, le Blanc tente par tous les
moyens de maintenir un espace privé, mais ce maintien passe par des Noirs. Rares sont =:
les Blancs en Afrique dont la maison n'est pas surveilIée par un gardien, portier ou
autre qui dispose évidemment de certains pouvoirs2'. Les Blancs s'enferment ainsi
dans un espace clos et protégé, défini comme une propriété, et dont beaucoup de
personnes sont exclues. Ils en sortent pour fréquenter les lieux qui leur sont accessi-
bles, pour donner le plus souvent de piètres représentations si on les évalue d'après les
critères locaux.
• Le cas des chefs coutumiers est cependant différent de celui des Blancs : leurs
rapports sont certes régis par un protocole et. souvent. par la présence d'une -cour-
autour d'eux. Mais les distances qui tendent ici à être créées et maintenues demeurent
267

relatives dans un espace qui reste largement ouvert sur le plan spatial et sur le plan de
la communication : c'est un espace de négociation.

C" est donc surtout à partir du moment où se manifestent certaines conceptions


du pouvoir (reliées à des conceptions de l'espace et du temps) qu'apparaît un handicap
au niveau des interactions. Goffman (1973a) cite à cet égard Simone de Beauvoir :
Quiconque est sûr de sa décision. ou fier de sa foaction, ou inquiet de
son devoir, porte un masque tragique. Il délègue son être propre à ce
masque et reporte sur lui presque toute sa vanité. (p. 60)'"
Certains dirigeants africains tentent. par exemple, de contrôler totalement le décor et les
coulisses et d'imposer constamment un protocole dans les interactions"'. En pratique,
ils savent peu de choses sur leur entourage qui, lui, est bien informé sur ce qui se passe

• dans les coulisses du palais, ce qui est d'ailleurs également le cas chez nombre de
Blancs. La certitude, le sentiment d'une supériorité ou la prétention à une supériorité
correspondent ici à peu d'empathie et d'intereulturalité. À l'inverse, la connaissance
des limites du pouvoir et la création par la négociation d'espaces d'autonomie permet-
tent une maItrise de certains espaces de communication :
" ".
Si l'on regarde la perception comme une forme de contact et de commu-
nication; alors avoir le contrôle de ce que l'on perçoit. c'est le contrôle
du contact établi, de même qu'en délimitant et en réglant le spectacle, on
dé1imite et on règle le contact. (Goffman, 1973a, p. 69)

L'étude de l'intereulturalité s'intéresse ainsi à des situations particulières


d'interactions et aux aspects intereulturels des interactions dans des contextes particu- :."
liers. Comme chez Goffman, la culture inclut ici les relations femmes-hommes" et les
microcultures que l'on trouve dans le contexte. Mais l'étude interactionniste ayant
surtout été réalisée en Occident. elle suscite des interrogations particulières lorsqu'on
l'applique à un contexte non occidentaI. Il semble d'abord, à travers cette grille

• d'analyse et à un niveau abstrait, qu'il Yait des constantes dans le comportement



268
humain. La communication en est de toute évidence un élément essentiel: elle est le
site d'expression des stratégies individuelles et des stratégies des «équipes>- en présence
dans un contexte donné.

Mais les interactions révèlent sunout les singularités, et.. pour aborder une
dimension comparative, je dirais qu'il est notoire que les habiletés et les apprentissages
en communication, ou l'initiation à cenains aspectS de la communication interper-
sonnelle, procèdent de définitions plus larges en Afrique qu'en Occident :
Dans la culture anglo-américaine, il semble que l'on conçoive le compor-
tement d'après deux modèles communément admis: la représentation
véritable, sincère, honnête; et la représentation mensongère 1.••J. Il
convient maintenant de remarquer que cette conception dualiste peut
servir d'idéologie aux acteurs honnêtes et donner de la vigueur à leur
spectacle, mais qu'elle constitue une piètre analyse.
(Goffman, 1973a, p. 71-72)
En Afrique, les notions de vrai et de faux sont souvent perçues comme relatives. Le

• «SOCiologue profane» qu'est le membre d'un public tend par conséquent à devenir un
-expero. dans l'analyse des repTésentations. Par ailleurs, de la même façon qu'en
Occide::( - d'après ce que constate Goffman - , les divisions observées dans les
sociétés apparaissent beaucoup moins nettes, à travers l'étude des interactions, que ce
qui est généralement supposé dans beaucoup de textes théoriques :
(...1 on voit [...1, lorsqu'on examine de plus près une classe sociale,
qu'elle est.composée de groupes sociaux distincts, chaque groupe conte-
nant un, et seulement un, ensemble d'acteurs ayant des positions différen-
tes. (p. 99)

À certains niveaux, des traits semblent donc communs aux sociétés humaines.
Les poSSIbilités d'imposer des définitions, ainsi que la compétence et les habiletés
nécessaires pour les créer et les maintenir, sont inégalement répartis entre lès groupes
- ainsi qu'on l'observe'en milieu ouest-africain. Paradoxalement, il semblerait qu'une
volonté de contrôle des définitions, par div~ actions, tende à réduire la compétence
permetrant de les maintenir lors des interactions. L'usage du pouvoir et la croyance

• dans le pouvoir finissent par provoquer une perte de compétence communicationnelle et


• 269
interculturelle. Les stratégies du pouvoir totalitaire se maintiennent l;urtout par la force.
et moins par une compétence au niveau des interactions. lnversement, c' est du côté des
personnes qui résistent au pouvoir qu'apparaissent des compétences en communication
et en négociation. et c'est là que se créent des espaces d'aut(lnomie. Avec le temps, le
pouvoir perd sa capacité d'interagir directement. Plus un pouvoir tente de diriger les
représentations, par le biais du contrôle des décors, des coulisses et le maintien d'un
protocole, moins l'on observe d'intereultura1ité, c'est-à-dire de compétence en commu-
nication interpersonnelle qui fonde elle-même la compétence interculture!!~.

D'un autre côté, les espaces partagés par les marginaux sont des espaces de
ccréation de rôle> (Goffman, 1973a, p, 234) ou de mobilité. Les répertoires de cfaçade
personnelle> sont diversifi~ comme peuvent l'être les décors, mobiles et polyvalents,
ainsi que les apparences et les manières. La marginalité peut être considérée comme
l'expérience de multiples rôles de spectateur et de figurant, et de nombreuses équipes.

• En dehors des situations de figuration à des cérémonies pour lesquelles il existe un


protocole imposé et qui peuvent être détournées (Toulabor, 1992) par ce que Goffman
(1973a, p. 179) nomme un «double jeu de dérision.., les régions antérieures et posté-
rieures sont ici interchangeables, Par exemple, la femme peut être dans des lieux
réservés, mais très peu de ces lieux sont:définis comme étant strictement privés. La
plupart des décors et des coulisses des interactions sont partiellement publics ou privés
et ils se modifient dans le temps. li suffit de partager la vie d'une maison africaine
pour en faire le constat. Incidemment, on peut aussi observer que cette vie exige alors
beaucoup de ctae{lO, c'est-à-dire un «comportement proteeteu1'" de la part des acteurs
(Goffman, 1973a, p, 216),

li en résulte que l'intimité, dans son sens occidental, existe peu, Les acteurs,
qui disposent difficilement de coulisses, n'en développent que plus d'expérience des
reptésentations dans divers cadres et d'habileté d'cimprovisatiOOlO. 11 existe bien
entendu des lieux réservés, au.~ femmes, aux hommes ou à des groupes particuliers",

• mais il existe surtout de nombreux lieux plus ou moins ouverts qui se modifient selon

270
les moments où peuvent se produire des interactions entre différents groupes, en
présence de divers publics. «La conversoIion, affirme un Africain, dirige la lumière»,
et pour beaucoup la multiplication des possibilités de conversation est une préoccupation
constante. L'étude empirique montre ici en particulier que des stratégies sont élaborées,
à travers des interactions de natures plurielles, par les femmes, les jeunes et d'autres qui
possèdent peu d'autorité pour exprimer leurs définitions de situation, c'est-à-dire par
ceux qui jouent plus souvent le rôle de public que le rôle d'acteur.

Dans le contexte ouest-africain, l'obSè:IVlltion des interactions révèle enfin que la


métaphore du jeu se substitue à celle de la scène évoquée par Goffmann qui précise
d'ailIeurs que, dans les société non occidentales,
(...1 les individus prennent parfois l'ensemble du drame social moins au
sérieux que nous, et transgressent les barrières sociales par des signes
rapides qui donnent à l'homme caché derrière le masque plus d'impor-
tance que nous l'estimerions permis. (1973a, p. 231)

• C'est en effet ce que l'on observe plus particulièrement dans les milieux marginaux.
Une dose d'«improvisation.., donc d'habileté au jeu, devient nécessaire, alors que les
possibilités de préparation et de mise en scène des représentations sont réduites.
L'humour et la dérision, faut-il ajouter, sont très présents dans ce contexte. Dans
certains cas, le marginal peut devenir un «imposteur» ou un «esCI'OC», selon les termes
de Goffman, car il acquiert les compétences nécessaires à ces rôles"'. Mais la margi-
nalité est avant tOut un lieu où se développent des complicités, des loyautés souvent
discrètes entre pairs ou alliés, ou parfois des rivalités. La compétence du marginal est
partagée et provient de multiples expériences de différentes définitions de situation,
négociées ou imposées. Les statuts sont flous et changeants, et la position est caractéri-
sée par une mobilité à travers les couches sociales. d'une culture ou d'une microculture
à d'autres". De cette mobilité découle une capacité d'adaptation à diverses scènes et à
• de multiples publics :
Les perSonnes qui ont une forte mobilité sociale, ascendante ou descen-
dante, réalisent cette ségrégation des publics de façon saisissante parce


.,
qu'ils ont l'assurance de quitter leur lieu d'origine. (p. 133)
• 271
Il apparaît donc que les interactions sont un site où se manifel."!ent les compéten-
ces interculturelIes autant que communicationnelIes. Chez Goffman. les intel'llctions se
présentent d'ailleurs souvent comme des échanges entre des membres appartenant à
différentes microcultures. Il convient toutefois de souligner que ranalogie théâtrale
appliquée à r étude des interactions ne présente qu'une image limitée des situations
inrerpers.>nne\les ou de groupe, dans le contexte africain. D'après Goffman :
Il ne faudrait pas [...) déduire que le schéma d'analyse présenté ici est
indépendant de la culture ou qu'on peut l'appliquer, dans les sociétés non
occidentales, aux mêmes secteurs de la vie sociale que la nôtre. Nous
autres Occidentaux menons une vie sociale en vase clos. Nous avons fait
spécialités des décors installés en permanence d'où les étrangers sont
exclus et où l'acteur jouit d'une intimité qui lui permet de se préparer au
spectacle. (1973a, p. 230)
S'il est peu contestable que l'étude des interactions soit le lieu premier de rétude des
questions interculturelles et sociales (Giddens, 1984), une question demeure presque


entière : comment comprendre les interactions dans des contextes non occidentaux, en
particulier dans ceux de l'Afrique de l'Ouest?

Sur le plan théorique, 1'étude de l'intercultura1ité suppose donc, à mon sens, une
approche interdisciplinaire et une certaine dose d'éclectisme. Dans différentes circons-
'>
tances, plusieurs facettes d'un même problème peuvent être comprises en abordant les
situations interculturelles de diverses façons. Différentes pustures sont nécessaires, ou
encore une posturë mobile. L'étude des textes, l'étude historique, l'enquête et l'ethno-
graphie à différents niveaux, rituels ou interactions, en sont des aspects possibles.
Toutes ces approches permettent d'aborder les processus interculturels à différents
niveaux. Plus généralement, l'étude de l'intereultura1ité implique un intérêt pour la
culture, la société, le pouvoir, la littérature, les discours et la langue. Diverses -:;.
perspectives sur un même objet peuvent ensuite être superposées et intégrées par le biais
de l'inteJ:prétation. ,

Le probl~e devient alors : quelle(s) griI1e(s) d'analyse appliquer dans telle ou


telle circonstance? Il n'y a évidemment pas de réponse catégorique à une telle question,
• mais certaines situations peuvent apparaître nettement comme des rituels qui se manifes-
tent sous forme d'interactions et qui sont marquées par des textes. Plusieurs ensembles
de données peuvent être rassemblés, simultanément ou non, et plusieurs analyses de la
272

situation peuvent être réalisées. En d'autres termes, je reprends ici une idée courante
dans les milieux joumalistiques selon laquelle le communicateur doit préférablement
posséder une vaste culture générale. De même, le communicologue, qui s'intéresse à
des objets tels que rinterculturalité, doit idéalement être un généraliste des sciences
humaines ou, peut-être, un membre d'une équipe multidisciplinaire. Dans ces deux
cas, l'intuition et une diversité d'expériences sont des conditions aux pratiques et à
l'étude de la communication interculturelle. Il n'existe pas, à mon sens, d'approche qui
permette seule de rassembler des données suffisantes sur des sujets comme rintercultu-
ralité; il existe diverses perspectives disciplinaires dont la somme procure un entende-
ment plus global de l'objet d'étude que chacune utilisée isolément.

• INTERCULTURALlTÉ. PRATIQUES ET ÉTHIQUE


Je voudrais enfin aborder brièvement quelques incidences de ce travail par
rapport aux pratiques en milieu organisationnel, c'est-à-dire sur un site comme celui de
la recherche où l'on constate que la communication présente un caractère essentielle-
ment intereulturel. Dans les sociétés d'Afrique de l'Ouest francophone, les organi-
sations deviennent des lieux centraux. car elles jouent un rôle croissant dans l'existence
d'un grand nombre de personnes. Les institutions anciennes, comme les plus récentes.
sont désormais comprises en terme:; organisationnels, non seulement dans le cadre
administratif. mais aussi dans le monde rural où l'on constate l'émergence de multiples
cassociations villageoises>- formellement constituées qui sont les interlocuteurs locaux
des organismes de développement.

Un point de départ en ce qui concerne ces incidences pratiques est l'idée selon
laquelle la méthode d'étude de l'intereulturalité implique une forme de pratique :
(...1the condition of generating descriptions of social activity is being
able in principle to participate in it. It involves 'mutual knowledge'
• shared by observers and participants whose acùon con.\1Ïtutes and recons-
ùtutes the social world. (Giddens. 1982. p. 15)
Dans le cadre de ce travail. l'observaùon suppose ainsi une praùque interculturelle. A
273

cet égard, la recherche d'une communication, ou d'une conversation opùmale, fut


proposée comme un facteur favorisant l'échange interculturel: elle constitue une condi-
ùon de la recherche. Il est par conséquent possible d'en déduire les éléments permet-
tant de concevoir ou d'adapter de nouvelles pratiques uùlisables dans le contexte étudié.

Avant d'aborder cene question, il convient toutefois de revenir sur le constat


selon lequel, pour tout acteur, communicologue ou autre intervenant, les possibilités de
pratiques organisationnelles, comme d'ailleurs les habiletés de recherche, dépendent
largement des expériences et de la formation: elles tiennent surtout à la position indivi-
duelle et au statut auquel cene dernière est liée. Il en résulte que les choix de pratiques
en communications sont toujours relatifs à des personnes singulières, et à un contexte


donné. Dans cene perspective, je suggérerais ici que les pratiques dans le domaine
intercuItureI se situent préférablement au niveau des interactions et qu'elles soient
réalisées à la demande des membres d'un groupe, avec pour objectif de définir des
situations, des buts communs et, éventuellement, des stratégies d'action et de change-
ment. En d'autres termes, les pratiques privilégiées de l'intercultura1ité résident au
niveau des interventions dans les processus de communication entre les membres des
organisations en. contexte pluriculturel - l'organisation étant comprise comme une
abstraction constituée par un ensemble de groupes et de réseaux d'échange entre des
p.~nnes. Les techniques d'intervention utilisées à ce niveau touchent des domaines
généralement désignés, comme ranimation, la dynamique de groupe, la prise de
décision ou encore la résolution de problèmes. Chacune de ces pratiques est fondée sur
un ensemble de connaissànces ainsi que sur une éthique. Les questions qui se posent
sont donc les suivantes : comment définir de telles pratiques dans des term~ qui corres-
pondent aux c(\nnaissances et à l'éthique _(lui dé"..oulent de l'étude de l'intercultura1ité
telle qu'elle a été définie? Et comment ces pratiques peuvent-elles viser à favoriser une



274
panicipation à une conversation, des définitions consensuel1es panagées par des
membres d'une organisation dans un contexte paniculier'!

La résolution de problèmes en contextes interculturels


En retenant ici le terme de résolution de problèmes. je n'entends pas restreindre
les champs de pratiques organisationnelles potentielles basées sur l'étude de l'intercultu-
ralité. mais plutôt délimiter, aux fins d'illustration, un domaine paniculier et pertinent
dans lequel peuvent se situer ces pratiques'". La résolution de problèmes est conçue
comme une méthode qui vise. par la panicipation des membres d'un groupe. à négocier
la définition d'une situation perçue comme problématique et. éventuellement. à planifier
l'action en vue de la modifier. D'après Linda Smirchich :
ln panicular situations consultantslresearchers cao assist organizational
members in understanding how they enaet their organizational reality, to
reveal the way in which their reality works. 1...1 They cao facilitate
examination of the reality construction process and raise the possibilities


for change. (1983, p. 239)

L'utilité d'une intervention externe dans un tel cadre provient des situations où
l'on note que,
The tendeticy of groups to evaluate solutions before they assemble all
possibilities is one of the reasons why brainstorming bas been recommen-
dt:d. 1..,] Groups look for solutions even before they are certain ofwhat
the problem is. (Weick, 1969, p. 12)
Dans beaucoup d'organisations, une telle situation est créée par la planification, par les
procédures inscrites dans les textes et par les rapports de pouvoir qui figent des défini-
tions de la situation et nuisent au changement. L'adaptation à un environnement
toujours en mouvement et l'action sont d'autant moins possibles que les processus de
communication internes sont peu propices à des conversations. Ces problèmes se
retrouvent fréquemment dans les organisations bureaucratisées, qu'elles soient interna-
tionales, nationales ou non gouvernementales.

Les approches traditionnelles de la résolution de problèmes sont marquées par

• des modèles organisationnels, psychosociologiques, cybernétiques, et parfois critiques


• (Beaugrand-Champagne. 1990), et l'expérimentation démontre qu'ils ne sont pas
adaptés à un contexte non occidental (Beaugrand-Champagne. 1959: 1962: 1974: 1976).
En Afrique, on observe en effet que les processus endogènes. communicationnels et
275

interculturels, n'ont plus la possibilité de se manifester dès lors qu'un tel modèle
étranger est imposé. Selon ces approches, la résolution de problèmes est conçue
d'après des définitions de la participation et de la communication qui sont imposées au
groupe : la psychosociologie présente l'anima...."IJI" comme modèle démocratique, la

cybernétique manipule les processus décisionnels à des fins d'efficacité et rapproche


critique prescrit une grille d'analyse politique". Mais en contexte pluriculturel, la
participation doit être comprise en termes compatibles avec les cultures en présence et
adaptables aux positions des acteurs; il convient donc qu'elle soit fondée sur des
principes peu situés culturellement ou sur des principes partagés par les ac:teurs.

La participation est un processus par lequel, en Afrique comme ailleurs, se

• négocie d'abord une définition de situation commune aux membres d'un groupe.
L'élément premier de la participation serait donc, selon le terme de Goffinan (l973a,
p, 216), «[,.,] le tact qui pousse le public et les personnes de l'extérieur à adopter un
comportement protecteur pour aider les acteurs à préserver leur spectacle>. Dans une
culture comme dans une autre, le tact est une condition fondamentale de la communica-
tion, qui favorise l'expression par les acteurs de leurs définitions de situation. Avec
une optique de réSolution de problèmes, il s'agit donc de susciter et de maintenir le tact
afin de parvenir à une définition consensuelle de ce qui est considéré comme probléma-
_tique et de ce qui peut être collectivement négocié comme une action ou un changement
souhaitables. Les termes de la démarche,~. que ses objectifs, doivent préa1ablement
. -
être définis par les acteurs ~ ur.e situation Jonnée,

En pratique, la résolution de problèmes suppose des séances de travail favorisant


les interactions entre les membres d'un groupe, grâce à la présence d'un interVenant
externe", ce dernier utilise diverses techniques, directives par rapport à la forme des

• interactions, mais non directives par rapport à leur contenu, qui suscitent l'exPlession
• des perceptions du problème et la négociation en vue de détinitions consensuelles. Je
ne décrirai pas ici la méthode (Beaugrand-Champagne. 1967: 1995). mais je me
bornerai à évaluer les diftërents facteurs qui favorisent son adaptation à un contexte
:?-76

pluriculturel comme celui de l'Afrique de l'Ouest francophone'".

Deux ensembles de facteurs interviennent dans une telle adaptation. D·abord. la


méthode doit tenir compte de la position des différents acteurs en présence. y compris
l'intervenant. Elle doit égaiement viser à encourager l'expression des connais.<;ances
endogènes des cultures en présence, en particulier les habiletés et les savoirs commu-
nicationnels et interculturels - compris comme des moyens d'expression des proces.~us

endogènes de participation et de résolution de problèmes.

L'intervenant ne peut certes pas modifier sa position, mais il lui est toujours
possible de modifier la perception que les membres du groupe ont de son statut et de sa

• tâche, ainsi qu'avec le temps sa capacité à comprendre les cultures en présence. 11 reste
qu'intervenir dans un groupe ou dans une organisation, selon Guy Beaugrand-Champa-
gne (1995, p. 10), «c'est se mêler des affaires des autres»; la tâche première de l'in-
tervenant consiste donc à circonscrire son rôle dans le cadre d'un besoin exprimé par le
groupe. La première illusion de r «expert» peut alors être de se considérer comme tel,
de présupposer qu'il possède lui-même des connaissat1ces susceptibles de résoudre le
problème. Dans un contexte de développement, l'expérience démontre toutefois que
l'expertise étrangère est rarement une solution aux problèmes locaux, même (et peut-
être surtout) lorsqu'elle est doublée de «bonnes intentioIlS>o (Harden, 1990; Howard,
1994). li convient donc préalablement de refuser ce rôle d'expert et de le signifier
clairement aux membres.

En ce qui concerne les autres acteurs en présence, la diversité de leurs positions


est évidemment un facteur problématique dans les interactions. L'approche communi-
cationne11e de la résolution de problèmes de Guy Beaugrand-Champagne (1995) suggère
à cet égard de tendre vers une situation «idéale> permettant l'exptession de toutes les
• définitions, sans pour autant postuler une égale compétence entre les memhres". Les
interventions visent ainsi à favoriser un processus égalitaire.
277

La résolution de problèmes dans un contexte. au moins en partie. non occiden-


tal. vise également à permettre l"expression des processus endogènes, communication-
nels et interculturels, Je crois qu'il n'y a ici guère d'autres possibilités d'intervention
que d'adopter une approche ethnographique et relativiste. Il est nécessaire pour
l"intervenant de manifester une curiosité et de développer une connaissance du contexte
et de ses niveaux de langage afin de maintenir l"ouverture susceptible de favoriser des
conversations dans les termes des connaissances endogènes", À cet égard. la position
de l"intervenant est naturellement un élément crucial. notamment le fait qu'il soit un
homme ou une femme, un Blanc, un Blanc-noir ou un Noir, ou encore qu'il soit jeune
ou âgé - ce qui est particulièrement important dans le contexte africain,


La tâche de l"intervenant peut donc être considérée comme un travail d'observa-
tion participante dans le plein sens du terme, Il doit, en principe, être étranger au
groupe dans lequel il intervient. Il s'efforce d'observer la situation sans y introduire de
changement et de participer pour susciter des clarifications. Il s'intéresse à la langue et
aux significations; son travail consiste avant tout à «être extrêmement situationnel et
circonstanciel.. (Beaugrand-Champagne, 1995, p. 15). Malgré ce recul, l"intervention
permet de favoriser un changement par une pleine participation des membres à la
définition d'une situation, à la résolution d'un problème et éventuellement à la mise en
oeuvre de stratégies d'action collectives. Cette approche
n'est pas une méthode de persuasion, [.,.] Elle est méthode de mobilisa-
tion des facteurs sociaux. qu'ils soient linguistiques, logiques ou psycho-
logiques, qui contribuent à l'émergence de la cohérence dans l'élabo-
ration collective et volontaire d'une connaissance, d'une pensée, d'une
interprétation, (p, 11)

Sur le plan théorique, cette conception de la résolution de problèmes peut être


qualifiée d'«introspective», dans le sens où elle fait aPPel à une appropriation à partir de

• l'expérience et de la position singulières des acteurs. Elle est adaptable à chaque


• intervenant. par un apprentissage continu. et elle suppose une posture idéalt: que ce
dernier doit s'efforcer d'adopter :
Ascétiquement et difficilement. ce que je m'abstiens d'énoncer 1... 1cc
sont mes définitions de situation. de problématique. d'hypothèses de
solution. mes prono.tics et choix. mes modèles d·organisation. (p. 28)
C'est là une condition première de I"expression. par les membres d'un groupe et dans
leurs termes. des composantes d'un problème et de la mobilisation éventuelle des
ressources nécessaires à sa résolution"'.

Dans cette perspective, la tâche de I"intervenant consiste d'abord à sïntéresser


aux «catégories pré-scientifiques>o, c'est-à-dire aux éléments du Iang-dge qui révèlent les
composantes des définitions de la situation des membres du groupe et qui produisent des
«actes mentaux" de types différents aux diverses étapes du processus (voir annexe B,
«Les actes mentaux dans la résolution de problèmes>o). Il s'agit ensuite de contribuer à
susciter des «entendements subjectifs collectifS>o :

• [...1 parfois, plusieurs personnes qui participent d'une même situation en


arrivent à se dire soudainement que les entendements qu'elles avaient se
sont fondus en un seul entendement de la situation. Pour moi, cela n'en
fait pas un entendement objectif, mais un entendement subjectif collectif.
[...1 ces entendements subjectifs collectifs sont éphémères; ce qui ne veut
pas dire qu'ils sont inefficaces (... 1. (p. 33)
Dans un contexte pluriculturel, cela revient à dire que la tâche de l'intervenant coru.iste
à susciter l'expression de l'interculturalité, ou encore de la conscience des limites qui,
sur le plan interculturel, tiennent aux positions des acteurs, afin d'établir une vision
consensuelle de la situation dans des termes qui dépassent les barrières culturelles. Cet
objectif est bien entendu un idéal dont aucun }ntervenant ne saurait totalement maîtriser
la réalisation. Mais l'expérience démontre qu'il peut exister - et je dirais peut-être
plus ailleurs que dans le monde occidental ou dans le monde des Blancs - des situa-
tions où - subjectivement - un entendement devient largement commun à des
membres de cultures différentes et parfois lointaines.


Ce sont parfois des expériences qui tiennent à la condition humaine que nous
partageons tous, même si elles sont rapidement réintégrées dans des cadres culturels : la

279
mort. la soutfrance. la vie". Certaines d'entre elles sent désormais rares dans notre
monde. mais pas toujours ailleurs : la faim. les endémies récurrentes, la guerre et
r exode. Par exemple, vivre la perte de son entant auprès d'une femme africaine révèle
des traits humains qui n'ont rien à voir avec la culture. Très vite, cependant. cene
femme démontre une pudeur dans r expression de ses sentiments profonds, je dirais une
dignité. qui n'a pas souvent cours dans la plupart des sociétés occidentales. Le partage
de telles expériences est un premier aspect des espaces d'échanges entre les cultures.
La participation à ce type de situation est le fruit d'une mobilité et elIe exige une
certaine empathie. Il est clair que les femmes, les Africains. les marginaux et les
marginalisés possèdent généralement à cet égard un avantage par rapport à, disons, des
hommes blancs et privilégiés. Mais il apparaît aussi que rempathie est liée à des
valeurs qui peuvent se cultiver, telles que la modestie et rhumilité, c'est-à-dire une
conscience aiguë de ses limites et de la finitude de son Être. En d'autres termes, il faut
admettre que nous sommes peu de chose à récheIle des mondes vastes et incommen-

• surables qui nous entourent, et c'est manifestement là une forme de conscience favori-
sant réchange interculturel- une conscience qui peut croître. Un second aspect de
rexpérience intereulture1le est plus profond et concerne le développement de rinter-
culturalité, qui est bien sûr toujours relatif.

L'expérience des Africains qui émigrent en Occident est révélatrice, Ces


derniers restentpbur une large part des étrangers, car la société d'accueil crée des situa-
tions qui excluent ceux qui viennent d'ailleurs et de cultures différentes de la nôtre; on
les désigne par le terme «minorités visibleSJ>44 (ce qui est l'inscription d'une différence
que ron perçoit). Beaucoup d'Africains du Québec, par exemple, signalent qu'ils
subissent ainsi de subtils processus d'exclusion. Mais certains d'entre eux savent aussi
développer des lieux d'échange avec les Blancs qui sont ici, de facto, les indigèn~.

Pourtant, quand ils étaient enfants, ces Africains vivaient parfois dans «une brousse> où
pratiquement personne ne savait parler le français et encore moins l'écrire. Leurs
expériences démontrent la possibilité du parcours d'une vaste distance intereulture1le.

• Que dire finalement des enfants de ces immigrants africains, de seconde génération,
• toujours «visiblement diftërents-. mais aussi semblablc:s à nos

travers le prisme de Iïnterculturalité. les multiples groupes


enlant~.

dïmmigrant~.
:!80
qui connaissent
leur village familial tout en ayant sunout vécu en Occident'! Comment comprendre. à
ainsi que les
descendants de ces immigrants, qui viennent de cultures fon éloignées de la nôtre'!

Plus généralement, lorsqu'on aborde les problèmes posés par les pratiques en
milieu organisationnel et intercultureI. la question qui se pose peut être tllrmulëe ainsi :
comment définir des pratiques qui incluent un travail sur un contenu, sur des proces.~us

et sur r adaptation du contenu au contexte'!

Les problèmes de communication interculturelle sont cenes particulièrement


cruciaux dans un contexte comme celui de l'Afrique de rOuest francophone. Mais ils
sont aussi un miroir :
L'ambiguïté trouvée dans rAfrique d'aujourd'hui n'est-elle pas d'abord
celle que nous ponons en nous'! Nous y voyons, avec un extraordinaire

• effet de grossissement, l'image de nos incertitudes.


(Balandier, 1957, p, 279)
Le développement des communications et des transports ainsi que l'interdépendance
croissante au niveau planétaire font que les problèmes soulevés par des sujets comme
l'étude de rinterculturalité se posent désormais en Occident. Pour les aborder, lme ap-
proche communicationnelle permet largement de réaliser une intégration des dimensions
théoriques, méthodologiques et pratiques de ces problèmes: du moins, j'espère être
parvenu à le démontrer dans les pages qui précèdent. Mais je crois qu'une telle
approche suppose également une éthique qui concerne aussi bien le domaine intereul-
turel, qui devient extrêmement vaste, que celui de la communication et du développe-
ment qui en dépend et qui peut également être compris dans un sens large. Les
problèmes intercu1turels liés au changement social ne concernent en effet pas seulement
les pays d'ailleurs, mais aussi nos propres sociétés,

Les pratiques intereuJ'turelles, nous l'avons w, supposent une approche de la


communication qui peut s'appliquer au travail dans les organisation et aussi, potentielle-
ment, à l'enseignement, à la formation et à nombre d'autres domaines d'intervention..
• Sur le plan théorique. une telle approche est à la fois communicationnelle. interdiscipli-
naire. centrée sur les proces:.-us (ou. encore une fois. multidisciplinaire). critique et
relativiste; elle vise à comprendre dans leurs spécificités des dimensions culturelles
281

toujours singulières. De là découle. sur le plan méthodologique. une dose d'éclectisme


et une volonté de mobilité utilisées pour r étude de divers aspects des textes et des
interactions. Toutes ces dimensions de rétude en communication interculturelle
suggèrent, finalement, une éthique particulière.

Communication interculturelle et éthique


Les définitions de la communication. comme celles de r organisation, ne sont
pas neutres; elles sont issues d'un cadre de référence qui repose lui-même sur un
ensemble de présupposés (Burrell et Morgan, 1985, p. 23). L'idéal qui vise à dévelop-
per des espaces d'échanges égalitaires entre des membres de cultures différe!1tes, et qui
est la condition de l'étude, constitue le premier fondement d'une éthique de la commu-

• nication intereulturelle. La communication elle-même, en tant qu'approche interdis-


ciplinaire historiquement située, propose également des critères qui peuvent contribuer à
l'éthique. Une éthique, je crois, peut être inscrite dans des textes et avoir des inciden-
ces pratiques, mais elle peut aussi se situer au niveau des pratiques qui inspirent les
théories et les méthodes. À partir de l'étude de l'intereulturalité, l'éthique tend à
privilégier des pratiques communicationnelles au niveau des interactions; elle ressort à
la fois des textes et de l'expérience, tout en tenant compte de la position des acteurs.

L'éthique est donc conçue ici comme une réflexion sur les morales, les principes
qui guident la pensée et l'action. Elle provient de textes et d'expériences intereulturel-
les ainsi que des communications en tant que domaine institutionnel. En ce qui
concerne la première de ces références, la communication intereulturelle suppose la
création de lieux de partage de sens entre les membres de différentes cultures. En
pratique, il existe deux conceptions des relations entre les cultures. La première
suppose une hiérarchie explicite ou implicite des cultures et donc la supériorité d'une

• culture par rapport à d'autres. On la retrouve dans nombre de textes; elle produit une
• :!8:!
volonté. plus ou moins discrète. d'imposer des définitions. d'assimilt:r ou d'intégrer les
cultures autres à celle qui prévaut. c'est-à-dire la culture: occidentale. Les données
rassemblées lors de cette recherche montrent clairement que cette attitude est la plus
répandue du côté des groupes dominants dan.~ le contexte étudié. paniculièrement dans
le secteur administratif et dans celui du développement. On y constate que les détini-
tions de situation sont imposées par Iïnvocation d'une quelconque autorité (expenise ou
autre). à laquelle une approche éthique oftTe précisément une alternative.

La seconde conception. éthique. des échanges interculturels est basée sur


l'expérience. à travers les interactions. d'espaces de communication entre les cultures.
C'est là l'expérience de l'observateur ou du voyageur. qui peut être plus ou moins
profonde. et c'est surtout celle des Noirs. des femmes et des marginaux. On peut
observer qu'une telle expérience se cultive. qu'elle peut être le fruit d'un apprentissage
ou d'une initiation. Quelle que soit la position d'une personne. l'initiation est possible

• à certaines conditions, même si elle demeure toujours limitée. En Afrique. on rencon-


tre ainsi des hommes blancs qui sont devenus africains en adoptant des valeurs autres
que celles de la majorité des leurs.

Une telle démarche situe donc l'éthique au niveau individuel - tout comme les
principes qui fondent cette recherche. Lorsqu'elles sont basées sur l'expérience, la
théorie, la méthode et les pratiques interculturelles ne peuvent que provenir d'un idéal,
individuellement réalisable, de transgression des barrières qui séparent les membres de
différentes cultllTCS. Pour résumer ce qui a été dit précédemment, une éthique de la
communication intercultureIle, telle que je la conçois, part donc du présupposé que
chaque culture appartient à une branche singulière de l'aventure humaine, que chacune
est en partie incommensurable aux autres et que l'on ne peut établir de continuité ni de
hiérarchie entre elles. n n'existe pas de cultures traditionnelles ou modernes, sinon
dans les livres et dans les discours. Les cultures qui nous intéressent sont toutes
contemporaines et, de plus en plus, interdépendantes; des éléments étrangers peuvent,

• par conséquent, se superposer aux champs de connaissances endogènes - tous deux


pouvant se manifester et se comprendre par la communication intercultureIle.
• Le principe d'une non-hiérdfchie des cultures a des conséquences plus profondes
que ce qui est généralement admis. Elle implique, en principe, une révision complète
283

des notions de développement et d'organisation, entre autres, à la lumière des valeurs et


des connaissances situées dans d'autres cultures. Elle remet en question une approche
strictement disciplinaire des problèmes interculturels et elle suggère de nouvelles tonnes
de pratiques organisationnelles dans un contexte comme celui de l'Afrique de l'Ouest
francophone, L'objectif d'une non-hiérarchisation des cultures, ou son idéal. suppose,
d'après Johannes Fabian :
(.. ,1 language and communication to be understood as a kind of praxis in
which the Knower cannot cIaim ascendancy over the Known (nor, for
that matter, one Knower over another). (1983, p. 164)

Les implications d'un telle attitude sont d'abord un intérêt et un respect pour les
conceptions locales du temps et de l'espace et pour les valeurs qui leurs correspondent.
Si l'on tient compte des processus d'échange inégal entre les cultures, une telle

• approche suppose en outre un renversement de pe:tspective avec une conscience de la


position des acteurs. L'échange intereulturel implique, de plus, une volonté de
mobilité, une capacité de déplacement à travers les sphères spatio-temporelles, qui peut
se cultiver par une conscience de ses limites, Dans un contexte pluriculturel, générale-
ment inégalitaire, le renversement de perspective et la mobilité sont les conditions de
l'expression de la réflexivité, c'est-à-dire de la capacité des acteurs sociaux de se perce-
voir comme des participants de la construction du réel.

Toute éthique demeure cependant située dans un contexte et tend à produire une
perception «universaliste- des situations, Elle pose des principes qui délimitent une
vision du monde potentiellement contradictoire par rapport à d'autres, Sur un plan
pratique, il reste cependant possible de privilégier une approche qui consiste à découvrir
l'éthique implicite dans les définitions de situation et à questionner leur cohérence
(Beaugrand-ebampagne, 1995). En d'autres termes, l'éthique de la communication


intereulturelle privilégie la conscience qui suppose une volonté de liberté et s'oppose au
positivisme d'une éthique, ou d'une morale, de la connaissance. Par rapport à l'éthique
• interculturelle, la connaissance demeure toujours relative et ne devient peninente que
dans la mesure où elle permet de mieux comprendre les conditions de la liherté.
:!14

Au chapitre des considérations éthiques venant des comnmnications en tant que


spécialisation, il convient d'abord de situer cette dernière. Dans le sens in~1ilUtionnel

du terme, la communication est née en Amérique d'une volonté de conquête de l'es-


pace, qui a donné forme aux médias de masse (Carey, 1989: Innis. 199\). Le journa-
lisme, fondement de nos conceptions de la communication, vise à favoriser la participa-
tion de tous à la vie démocratique. Il adhère aux principes de Iibené (d'expression et
d'opinion) et de vérité, conçus comme des droits fondamentaux et universels. Tout en
restant marquée par ses origines - la recherche de Iibené par la participation - , la
communication a toutefois évolué au contact d'autres conceptions de l'espace. Mais au-
delà des lois, des règlements et des codes déontologiques, l'application des principes
fait toujours appel à la responsabilité des acteurs concernés (Saint-Jean, 1993).

• La responsabilité du sujet, dans une optique de participation de tous, est


finalement le principe éthique qui fonde l'étude interculturelle. Les intellectuels ont,
comme je l'ai déjà dit, une vaste responsabilité par rapport à la situation de l'Afrique
ou, du moins, par rapport aux définitions de cette situation qui guident les actions. Il
convient donc d'évaluer d'un point de vue critique et autocritique notre responsabilité à
cet égard, de même que ses conséquences. Quels rôles jouons-nous sur la scène
africaine et quels en sont les effets pratiques'! Ou, d'un point de vue plus général, au-
delà des discours de cbonnes intentiollS», quels types d'échanges concrets établissons-
nous avec les Africains, les Noirs, les paysans, les femmes, ou encore avec nos «cadets
sociaux"'!

Sur un plan théorique, il nous appartient donc de ne pas enfermer nos définitions
de situation dans un cadre unique qui fasse taire la communication quise manifeste dans
les termes issus des champs de connaissances endogènes. C'est du moins un idéal, tout


comme l'intention méthodologique de mobilité et de non-complll3ÏSOn, Il reste
également la difficulté à traduire, qui peut suggérer de nouveaux procédés narratifs.

285
Sur un plan très pratique enfin. la notion de position suggère une prise en compte des
per...pectives liées aux expériences singulières qui sont le propre de chaque personne ou
de chaque communauté paniculière.

Ces considérations peuvent être rattachées à la notion de responsabilité. Tout


travail spécialisé en sciences humaines mène à une éthique qui. en dernier lieu. est cene
du sujet. La notion de responsabilité constitue égaIement le fondement d'une approche
journalistique de la communication. Indéniablement, les études en communications sont
d'abord liées à l'émergence du journalisme. à une spécialisation historiquement située.
Sur le pIan à la fois méthodologique et technique, le journalisme en contexte non occi-
dentaI peut ainsi largement inspirer une approche communicationnelle des questions
interculturenes. Dans les études en communications, comme dans le cas du journalis-
me, ce sont des réponses à certaines questions qui donnent sens à la notion de responsa-
bilité : qu'est ce que la participation? Quel est le rôle de la C'lmmunication par rapport

• à la participation aux différents niveaux de la soci~!

Je voudrais enfin conclure cette partie consacrée à l'éthique par un avertisse-


: ment. sans doute superflu pour la plupart des lecteurs. L'étude intercultureIle, cene de
l'intercultto. alité et de ses conséquences (tout comme ceIle des processus de détour-
nement dans les projets ou programmes de développement'6), ou encore :
the doctrine of "double vision" should not be reified into a metaphysics
that serves as a substitute for concrete social anaIysïs. Furthermore, the
alternative to "buying" into an oppressive socia1 system need not be a
celebration of exclusion and the mechanisms of marginalization. The
thesis that oppiessïon may bestow an epistemic advantage should not
tempt us in the direction of idealizing or romanticizing opplessïon and
blind us to its reaI rnaterial and psychic deprivations.
(Urna Narayan 1989, p. 268)
La présente recherche se veut descriptive et analytique, eue vise à comprendre l'inter- ,::,
-
culturalité, la compétence intereuItureIle dans le contexte de l'Afrique de l'Ouest
francophone, ainsi que les conséquences de cette compréhension pour nos entendements


des questions humaines. Au-delà de l'étude, la responsabilité exige, en ce qui. concerne
les incidences d'un tel travail, que la tâche de la communication interculturelle soit
• comprise comme une recherche de panicipation et non comme l'élahoration d'un outil
de manipulation. Ici. le prohl~me est heureusement apprellendé dans sa complexité. cc
qui exclut toute possihilité d'en faire un outil d'.ingénierie sociale-.
286

UNE CONVERSAT:ON SOUS L'ARBRE À PALABRES


Vu d'une i=,JectÏve africaine, le Blanc est souvent un personnage cruel. égoïste
et ambigu. Si le Blanc demeure très longtemps un étranger dans un contexte comme
celui de l'Afrique de l'Ouest francophone, s'il est largement handicapé sur le plan de la
communication interculturelle, c'est pour une large part à cause du passé dont il Clot
poneur, bien malgré lui. .Le Blanc a dit d'amener un enfant., rappelle un chant
mossé; .le Blanc, il a l'argent., dit un Noir, et ..les Américains se foutent des pauvres-,
ajoute son frère instruit"'. Pounant les Africains voient ces mêmes Occidentaux venir
en Afrique pour caidCflO et pour edéveloJlPC1"', N'est-ce pas là une bien étrange idée
que de vouloir aider ceux que l'on ne connait pas? C'est donc seulement au niveau

• individuel qu'un Blanc peut parvenir à dépasser ces perceptions de lui-même et, sur un
plan interpersonnel, par la communication avec les membres d'une autre culture.

La compréhension de la communication fait appel à des métaphores : la machi-


ne, l'organisme, le cerveau, ou, lorsqu'elIe s'intéresse aux processus interculturels,
l'échange, la négociation, le partage, le dialogue et la conversation. Ces conceptions
restent toutefois. historiquement situées en Occident, alors qu'il serait possible d'imagi-
ner d'autres sites pour comprendre la communication et le monde. En Afrique de
l'Ouest, l'arbre est un des principaux lieux de communication au village".
Aujourd'hui, la palabre peut certes se passer dans une cour, au milieu d'une maison,
dans une buvette ou ailleurs, comme parfois entre Africains à Paris ou à Montréal.
Mais il reste toujours l'idée qu'il s'agit de partager des définitions d'une situation, de
négocier un entendement subjectif colIectif, de régler un problème, d'obtenir un conseil
ou de prendre une décision, La palabre vise à devenir un lieu de tact dans la conversa-
tion, Comment pourrions-nous percevoir la communication, là-bas ou même ici, à
travers le prisme de la palabre, sous l'arbre d'un village africaiJt9'!
• Le voyage interculturel mène finalement à de nouveaux horizons de compréhen-
sion de la communication. Mais pour cela il faut d'abord souhaitl~r
287

élargir rhorizon:
rimagination devient alors la limite des possibilités de cet elargissement. L'étude de
Iïnterculturalité démontre, par exemple, qu'en Afrique de rouest f:'ancophone les
recherches (y compris la recherche fondamentale actuellement urgente) et les interven-
tions en communications devraient. de préférence. être réalisées au moins conjointement
avec des Africains, Il se pourrait même que ces tâches soient mieux conçues et mieux
réalisées par des Africains, d:ms leurs termes. en particulier par des femmes et par de
jeunes diplômés-chômeurs africains qui sont aujourd'hui nombreux et souvent qualifiés.
L'intervention d'OUIsitiers n'est justifiée que de façon circonstancielle.

Il est clair que tout travail en communications demeure déterminé par celui ou
celle qui le réalise, Le résultat dépend donc du fait que cene personne soit insider.
outsider, jeune. vieille, homme ou femme; il diffère également selon qu'elle provienne

• d'un groupe socio-ethnique, d'une ethnie, d'une classe sociale ou d'une autre. ou peut-
être encore d'un pays, d'une région ou d'une autre, La communication et la perspec-
tive sur la communication, en particulier en contexte non occidental et pluriculturel.
découlent d'une expérience toujours singulière ainsi que de l'identité et de la mobilité
qu'elles produisent,

Tout travail en communications dans un contexte pluriculturel - comme celui


de l'Afrique de l'Ouest francophone - devrait donc idéalement être réalisé par une
équipe dont les membres sont d'origines diverses, ou encore être le fruit d'une collabo-
ration entre des personnes de positions différentes; il devrait également privilégier la
mobilité, La communication interculturelle - qui est la condition première de la
compréhension des problèmes intereulturels ainsi que des pratiques interculturelles -
pourrait alors tendre à être perçue comme une conversation à l'ombre d'un arbre à
palabres; elle pourrait même le devenir,


• NOT ES

1. Cet idéal appardît au moment où la lutte antico1oniak connaît son al>outisscment ct


où l"hémisphère Sud devient -pour une certaine gauche un fal>uleux gisement d'illu-
sions, l'ivresse palpitante d'un premier matin de l'humanité- (Bruckner, 1983, p. 64l.
Le tiers-mondisme devient alors une idéologie dont l'expérience démontre qu'elle n'est
que -rignorance militante d'autrui- (p. 223). Mais avec le tiers-mondisme naît aus.~i sa
critique. Les -charters- contribuent à permettre une telle critique avec l'apparition de
-transfuges culturels qui transitent d'un univers à un autre, l>risent les c1assement~,
amortissent les oppositions, fluidifient les échanges- (p. 292); ce sont de.~ personnes qui
ont développé une mobilité permettant de nouveaux types d'échanges - to~iours très
localement situés - entre diverses régions du monde. Ce mouvement a des rdcines
autant dans le nord que dans le sud où certains penseurs mettent en pratique ridée que
cpersonne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seul, seuls les hommes s'éduquent
ensemble par l"intermédiaire du monde- (Paolo Freire, cité par Bruckner, p. 286).

2. D'après Nancy Hartsock (1983, p. 118), qui peut être considérée comme une
fondatrice des théories sraruipoinr, Georges Lukacs suggère une analyse de la cons-


cience de classe par l'étude des phénomènes économiques, non pas à partir du travail,
mais à partir des structures complexes d'une économie de marché développée. De là
émerge l'idée que l'existence humaine est le produit d'une activité ancrée à la fois dan.~
la production et dans la conscience - ceUe-ci restant liée à l'existence matérielle.

3. Cette idée est antérieure au courant féministe srandpoinr et découle d'une argumenta-
tion logique. D'après Janet Radcliffe Richards (1980, p. 94), cany feminist who thinks
that justice must entaii equality of weU-being between men and women cannot stop
there. Sexual justice is, after aIl, only part of justice in general. (...1 Any feminist
who is commited to equality on average of weU-being between men and women is in
fact commited to ihe absolute equality of weU-being of aU people-.

4. Dans son argumentation, Spivak renverse étrangement la pensée de Michel Fouca..lt,


pour qui l'inteUectuel «universel. serait celui qui prend conscience de la relation entre
pouvoir et connaissance. Je suis personneUement surpris par la lecture que certains
universitaires établis aux États-Unis font de Foucault. L'archéologie du savoir se
conclut par cene réflexion qui ressemble à un aveu; «[".1 je me suis obstiné à avancer.
Non pas que je sois certain de la victoire ni sûr de mes armes. Mais parce qu'il m'a
paru que là, pour l'instant, était l'essentiel; affranchir l'histoire de la pensée de la
sujétion transcendantale- (1969, p. 264). L'itinéraire de Michel Foucault est à mon
avis exemplaire dans le sens où il fut exploratoire; il correspond à une tentative de
compréhension de l'exclusion par des essais, et parfois des erreurs, et ne peut être


réduit à un système et certainement pas à un système universel. Foucault connaissait
ses limites ; il a publié dans Le Monde une mise au point après avoir écrit, en se
référant à l'Iran (où il avait été envoyé spécial de l'Observateur et du Corriere della

289
Sera). que le changement passait par l'émergence d'une -spiritualité politique». \1 disait
aussi lors de sa leçon inaugurale au Collège de France: les mot~ -m'ont peut-~tre porté
au seuil de mon histoire. devant la porte qui s'ouvre sur mon histoire. ça m'étonnerait
si elle s'ouvre» (L'ordre du discours. 1971. p. 8).

5. Paulin J. Hountonqji explique comment apparaît une division du travail intellectuel :


les chercheurs africains rassemblent des données qui sont ensuite traitées par des
théoriciens occidentaux. la théorie étant bien entendue hautement valorisée (Moore.
1994. p. 84). rai en outre déjà signalé les contraintes qui s'exercent sur les chercheurs
africains dans leur travail. Parmi ceux qui sont cités dans ce texte. quelques rares
auteurs me semblent tendre vers une perspective visant à définir une approche africaine.
autonome et contemporaine. de la science : E. Bolaji Idowu (1975). Titinga Frédéric
Pacéré (1979; 1991). Kwasi Wiredu (1990) et Frank Okwu Ugboajah (1985) du
dépanement de la communication de masse à l'Université de Lagos (Nigéria). Ce
dernier semble exclu des réseaux internationaux de la recherche en communications sur
l'Afrique qui sont manifestement contrôlés par des Africains résidant aux États-Unis.
comme Molefi K. Asante. et dominés par la perspective afro-américaine. L'ouvrage
d'Ugboajah a cependant été publié grâce à une collaboration avec des chercheurs
occidentaux comme Michael R. Real de San Diego et Robert White de Londres. Ce
constat révèle que les chercheurs occidentaux s'intéressant à l'Afrique ont une grande


responsabilité vis-à-vis de leurs collègues africains dont ils peuvent faire reconnaître les
travaux en Occident, c'est-à-dire ..là où ça compte», selon la formule d'un chercheur
africain.

6. Uma Narayan (1989, p. 261-262) prend l'exemple de Jürgen Habermas (1979) qui.
dans ce qu'il décrit comme des situations de «pure intersubjectivité>-, ignore les différen-
ces de race, de classe et de genre. La notion de «consensus rationnel.. dissimule
également la possibilité d'échanges fondés sur ..la sympathie ou la solidarité>-, qui se
situent dans le cadre de valeurs souvent étrangères à des hommes, occidentaux et
universitaires. N!lTayan souligne l'ethnocentrisme des thèses comme celles d'Habermas.

7. Uma Narayan est, à mon avis, la seule qui ait sérieusement tenté de formuler dans
une perspective non occidentale les problèmes intereulturels qui apparaissent dans un
cadre universitaire, en particulier au niveau épistémologique. Elle n'a, à ma connais-
sance. publié aucun autre texte que ce court article.

8. Des commerçantes et des femmes du groupe des Blancs-noirs peuvent avoir plusieurs
employés masculins. Par ailleurs, comme je l'indiquais plus tôt, certaines femmes afri-
caines ont acquis un statut élevé dans la hiérarchie, notamment à la suite de pressions
de la part des bailleurs de fonds occidentaux. Dans la très grande majorité des cas, ces
femmes agissent pour créer de nouveaux types de communautés et de nouveaux modèles
de gestion. Mais on en rencontre qui, dans un cadre organisationnel, utilisent leurs
pouvoirs à des fins personnelles, à la manière de certains hommes, pour exclure l'Autre

• par des procédés subtils (et sans doute inconscients) de manipulation.


• présente parfois un caractère pathétique. Dans un article publié en 1985, Wole Soyinka
décrivait la Somalie comme un modèle pour les pays d'Afrique : .Somalia is one of the
most seriously socialist countries in Africa today... (1985, p. 60) Soyinka tenait
290
9. L'adhésion des inteliectuels africains à des régimes politiques soi-disant progressistes

probablement ce qu'il savait de la Somalie d'un cercle étroit dïntelIectueis et de diri-


geants africains. Il ignorait probablement les exactions commises par le régime du
général Syad Barré, qui ont produit la situation aetuelIe de ce pays : r autorité ~1
reprise en main par les structures coutumières pour contrer le pouvoir arbitraire des
potentats. Ces chefs autodésignés de groupes armés, d'anciens -socialistes», sont
devenus des caricatures de dirigeants politiques tels qu'on les conçoit en Occident.

10. Les grilIes d'analyse marxistes sont utilisées de deux façons, toutes deux réductri-
ces, dans l'étude des sociétés africaines. La façon négative consiste en une critique des
sociétés africaines à travers un prisme emprunté à une école de pensée marxiste: elIe est
particulièrement courante chez les spécialistes français qui s'inscrivent dans la lignée du
fondateur de l'anthropologie dynamique, Georges Balandier (1%7: 1981). Michel
Izard, par exemple, s'inspire des analyses réalis&s par Louis Althusser en Occident
pour prétendre, à propos des institutions du royaume du Yatenga, que «l'État, c'est un
appareil politique d'État et un appareillage idéologique d'État.. (1985, p. 410). La
façon positive s'appuie sur les thèses de Cheik Anta Diop pour démontrer une conti-


nuité entre le ceommunalisme» africain et le socialisme moderne. On en trouve des
exemples parmi les études afro-américaines, notamment dans un ouvrage colIectif publié
par Molefi K, Asante (1985) dont les titres de certains articles sont révélateurs :
«Cultural, Political and Economic Universals in West Africa.. de Aguihou Y. Yansane
et cSociaIism in the African Cultural Context>o de Eghosa Osagie.

Il. Les conditions de vie et de travail des universitaires africains en sciences humaines
sont souvent très difficiles. Deux possibilités de promotion peuvent se présenter à eux :
un poste dans une organisation internationale et, pour les anglophones, un poste dans un
programme d'études afro-américaines d'une université américaine. 11 est plus difficile
et moins avantageUx pour des francophones d'aller enseigner en Europe.

12. n convient de remarquer que Valentin Y. Mudimbe est originaire du zaïre, donc
d'Afrique francophone, et qu'il fut formé à l'école française (catholique) avant de
s'établir aux États-Unis. n adopte une conception universaliste de l'Afrique en
s'inspirant en bonne partie de la perspective de Lévi-Strauss. À ce propos, Anthony
Giddens (1987) remarque avec justesse que le structuralisme tend à présupposer que la
maîtrise d'un langage correspond à une maîtrise des contextes dans lesquels ce langage
est utilisé, ce qui revient à une réduction de la complexité des problèmes intereulturels.
Par ailleurs, l'objet étudié par Mudimbe est surtout la critique de la branche de l'anthro-
pologie qui se penche sur l'étude des «modes de pensée» (Moore, 1994, p. 86) -
presque sans jamais se référer à des observations directes ni à une communauté intellec-
tuelle. n est ainsi étrangement seul dans son «idée de l'Afrique». Son oeuvre n'est-elle

• pas surtout une eré-invention.. de l'Afrique pour un public d'universitaires américains


dont la compréhension des auteurs français reste partielle, voire parfois romantique'!
• 13. C'est précisément le refus d(: toute forme d'cempirisme>- qui crée les travers des
approches françaises des questions africaines. Selon Paulin 1. Hounton4ii (1990.
p. 188), ccette tendance spéculaùve, cette recherche d'une systémaùcité abstraite. cette
approche déduCÙviste et construcùviste, qui veut à tout prix produire une philosophie.
291

au sens d'une doctrine cohérente. à parûr de bribes et de morceaux, est davantage


prononcée chez les francophones que chez les anglophones."

14. Les expériences récentes des organisaÙons de développement en Somalie et au


Rwanda, qui étaient souvent considérés comme des claboratoires» du développement en
Afrique, prêchent pour un changement. Ces pays ont en effet cbénéficié» de très
nombreux programmes internationaux, gouvernementaux et non gouvernementaux.
L'importance des spécificités historiques, culturelles et politiques pour les entreprises de
développement ne peut que ressortir des tragédies qu'ils ont connues. Les limites des
approches macro du développement et des modèles prospectifs peuvent de moins en
moins être ignorées.

15. On constate, dans un document intitulé cHow Decision-Makers See Communication


for Development: Report of a Survey Commissioned by the Development Communica-
tion Roundtable and Financed by UNICEF and WHo.. (Colin Fraser, Agrisystems,
1994), que les décideurs sont désormais très sensibles à l'importance d'inclure une


approche communicationnelle dans les entreprises de développement. Ils se question-
nent toutefois sur les façons de le réaliser.

16. Un excellent exemple d'analyse critique réalisée dans un cadre organisationnel est
l'ouvrage de Patricia Stamp (1989), La rechnologie, le rôle des sexes erle pouvoir en
Afrique. publié par le Centre de recherche pour le déve10ppement international (CROl)
d'Ottawa. Par ailleurs, il me semble qu'une série d'arguments peuvent plaider en
faveur de nouvelles approches du développement: l'efficacité dans un contexte de
ressources limitées, la qualité des ressources humaines désormais disponibles en Afrique
(des ressources qui ont été formées en Occident) ainsi que les contradictions de plus en
plus manifestes "générées par les approches conventionnelles. S'il existe un problème
dans ces approches, il apparaît clairement qu'il est qualitatif et non quantitatif.

17. Le mot clé qui légitime la rigidité des conceptions organisationnelles du développe-
ment est celui d'«Ïmputabilité». En aval, les modèles sont imposés au nom de la
«responsabilité» ou de la «bonne gouvernance», avec accessoirement, dans le domaine de
la communication, la «transparence» - des termes compris dans un sens précis et non
négociable, qui sont donc etbnocentriques en contexteS pluriculturels. Bnèvement, la
àéfinition préalable des projets est justifiée par la nécessité d'une évaluation dans des
termes qui soient acceptables pour les bailleurs de fonds. Le gestionnaire doit qualifier
et quantifier la situation. planifier et anticiper le changement, et prévoir les termes de
l'évaluation du programme réa1isé. n est impossible d'oeuvrer dans le développement
sans accepter cette contrainte et ses accessoires au niveau du langage et des modèles de
gestion et de communication. généralement systémiques et plus ou moins complexes.
Au discours officiel de légitimation se superposent également des processus liés à une
• .Je n'ai pas été fonnée à travailler pour que le développement se réalise et pour que
mon travail devienne alors inutile. En tant que gestionnaire dans un contexte de
coupures budgétaires. je ne peux pas non plus dire que le programme dont je suis
:!9:!
culture organisationnelle. Une responsable d'une organisation de coopération contiait :

responsable doit être le premier coupé. et que mes collègues doivent être congédiés.»

18. Il semble en effet qu'en Afrique les médias possèdent un impact sunout auprès de
dirigeants. Comme je le disais plus tôt. ces derniers ont généralement une conception
linéaire de la communication. ils tendent à acquérir une (.Toyance dan.~ r efficacité des
médias et. apparemment. ils sont largement influencés par leurs messages. Un de mes
interlocuteurs affinnait que: .,Jeune Afrique a assassiné $ankara». le président du
Burkina Faso de 1983 à 1987 (date de son assassinat commandé par raetuel président.
Blaise Compaoré). «Sankara est devenu un objet en vitrine qUII fallait vendre». Jeune
Afrique. une revue hebdomadaire publiée à Paris et très lue en Afrique. décrivait
Thomas Sankara comme un dirigeant de stature internationale. Celui-ci aurait été pris
au piège de cette image; il aurait alors perdu contact avec ses réseaux locaux. ce qui
serait une cause première de sa chute. Du moins, telle est ranalyse d'un homme qui
était très proche de l'ancien «Président du Faso» (ou «PF»).

19. Comme le remarque James Clifford (1988, p. 25), «1 ... 1ethnography is, from


beginning to end, enmeshed in writing-.

20. D'après Robin Honon (1990, p. 19) : «Soumise à l'éclairage anthropologique, toute
réflexion sur les modes de pensée est comparative» - ce qui vaut certainement aussi
pour l'étude de la communication intereu1turelle. Mais il me semble y avoir une marge
importante entre ce constat et le choix délibéré de mettre l'accent sur la comparaison.
Honon, pour sa part, vise à «saisir l'unité psychique de rhumanité» (p. 21) par l'ex-
ploration de «l'univers cognitif de la primitivité» (p. 29); en d'autres tennes, il s'inté-
resse à la comparaison de «la pensée traditionnelle africaine» et de «la pensée moderne
occidentale» (p. 45). En plus des objections faites par Johannes Fabian (1983) à ce
type d'approche, il me semble qu'Honon ne peut éviter des abstractions et des généra-
lisations hautement problématiques.

21. Dans un article (à paraître en 1995) intitulé «Technology and Culture in Internatio-
nal perspective: canadian Points of Reference», Gertrude J. Robinson suggère, par
exemple, que les technologies utilisées pour le «développement durable» soient évaluées
à partir de critères correspondant à des valeurs féministes.

22. Parmi les ouvrages de Goffman, je m'inspire ici surtout de La mise en scène de la
vie quotidienne: La présenrazion de soi (1973a). Ce dernier traite en effet plus particu-
lièrement des interactions dans les groupes, entre des «équipes» et avec des «publics», à
l'extérieur des États-Unis (à l'ile de Shetland au nord de l'Écosse, où Goffman a fait sa
recherche doctorale), alors que d'autres ouvrages de cet auteur abordent plutôt les

• interactions sur un plan individuel, ..face à face» ou entre mdividus (Goffman, 1967;
1974), dans le contexte nord-américain. .

293
23. Plus généralement, comme 1"affirme Erving Goffman (I973b. p. 12), «les rapports
qu'un ensemble quelconque de gens entretiennent les uns avec les autres et avec des
classes déterminées d'objets paraissent universellement sujets à des règles fondamentales
de nature restrictive ou permissive». Mais il n'en reste pas moins que r observation des
interactions ne s'intéresse pas à des invariants abstraits. car «( ... 1 les universaux sont
précisément ce que toute bonne ethnographie met en question. (p. 99).

24. Il serait en effet réducteur de présenter les griOts, ou encore les conteurs, les
musiciens et les danseurs, comme des «acteurs» professionnels. Le théâtre africain fait
appel à des acteurs qui ont d'autres activités, comme on le constate au Mali en ce qui
concerne le Koréba, le théâtre bambara (Maïga, s. d.). Mais là comme ailleurs, le
spectacle tend aujourd'hui à se professionnaliser et à se commercialiser. Le Burkina
Faso compte ainsi une troupe de théâtre professionnelle qui est dirigée par Jean-Pierre
Guingene, professeur de communications à l'Université de Ouagadougou.

25. Ismaël Maïga, ..communication et mobilisation sociale», document sans date,


Bamako : UNICEF, p. 1.

26. En d'autres termes, l'<<Umwelt>> (Goffinan, 1973b, p. 268-311), espace immédiat


d'une personne et ses délimitations sur le plan de la sécurité, est généralement moins
étroit et moins précis pour un Africain que pour un Occidental.

• 27. L'espace africain est largement ouvert et circulaire, et les acteurs peuvent savoir qui
sont leurs publics. Par contre, l'espace à angles droits et., en apparence, fermé des
Blancs rend parfois difficile le fait de savoir qui sont les publics. Dans les pays
tropicaux., on vit dehors ou dans des maisons aérées, même si l'on est entouré de murs.
De nombreuses personnes peuvent alors observer les Blancs qui, eux, n'ont que peu de
possibilités de connaître ou d'identifier les différents groupes de Noirs qui les entourent.
On remarque certes la création ou le maintien de ghettos de plus en plus fermés et
réservés aux Blancs, aux riches ou au dirigeants. Mais comment savoir qui peut
entendre ce qui se' dit demère un mur ou à travers une fenêtre ouverte? Comment
savoir à quels réseaux sont reliés les voisins, les enfants, les commerçants itinérants, le
jardinier, le gardien, la cuisinière, la «Dounou. et tous ceux qui observent silencieu-
sement? Comment savoir à qui sera rapporté ce qui a pu être vu ou entendu?

28. Ce n'est vnisemblablement pas par hasard si, dans certains pays sahéliens, des
Touareg se sont spécialisés dans le gardiennage des maisons de Blancs. Ces anciens
nomades sont craints par les Noirs du sud., Us ont une grande prestance et se définissent
souvent eux-mêmes comme des seigneurs. Leur travail n'est assurément pas considéré
comme subalterne.

29. Simone de Beauvoir (citée par Goffinan), Le deuxième sexe, tome n, Paris :
Gallimard., 1949, p. 349.
• 30. Mobutu Sese Seko, -président à vie» du Zaïre, vit dans un palais qu'il a fait
construire dans son vil1age natal, à une grande distance de la capitale. 11 exerce une
emprise absolue sur son environnement immédiat gr.ice à une -sécurité- très sophis-
tiquée. Autre «président à vie». Félix Houmphouët-Boigny de Côte d'Ivoire avait
294

transféré la capitale dans son vil1age natal, Yamoussokro, où il avait fait construire une
immense basilique copiée sur Saint-Pierre de Rome et où il vivait dans un palais d'un
luxe insolent. Blaise Compaoré. président du Burkina Fasc depuis 1987, vit dans un
quartier qu'il a fait réquisitionner (le -Conseil de l'entente», avec de nombreuses vil1a~
confortables); ce quartier est interdit au public et est gardé en permanence par l'armée.
Ces chefs d'État se déplacent rapidement avec de grosses escortes (entrainées par la
coopération «technique» française); ils font occasionnellement des représentations publi-
ques très protocolaires (à l'intention des médias) et les contacts directs avec eux sont
difficiles. Les dirigeants plus ou moins despotiques vivent ainsi en vase clos. Le ca~
de Moussa Traore, dictateur du Mali pendant 22 ans, est révélateur. Durant son procès
il semblait convaincu que la majorité des Maliens lui vouaient une grande affection.
Cet homme vivait entouré par une cour qui lui reflétait l'image de lui-même qu'il
souhaitait, et il n'avait de contacts avec l'extérieur qu'à travers des protocoles. 11 a
finalement été renversé par des membres de l'armée dont il était le chef, qui ont ensuite
organisé des élections de modèle démocratique,


31. Erving Goffman affirme qu'«i1 n'est pas douteux que la distinction 1sociale] la plus
importante est la distinction de sexe, il semble en effet qu'il n'existe pas de société où
les membres des deux sexes, aussi étroitement liés qu'ils soient, ne maintiennent pas
certaines apparences les uns devant les autres>- (1973a, p. 126). Il existe une sous-
culture féminine et une sous-culture masculine, possédant sa mythologie propre
(p. 185). Entre autres illustrations, Goffman décrit comment de jeunes femmes
américaines entretiennent les hommes dans la croyance en leur supériorité, tout en
maintenant des espaces d'autonomie excluant ces mêmes hommes (p. 44), Ce constat
des espaces de complicité chez les femmes et de l'usage qu'elles en font -la «solida-
rité entre collègu~ (p, 155) - se retrouve fréquemment chez cet auteur.

32. En milieu rural, la case d'un adulte est l'un des seuls lieux qui soient essentiel-
lement privés. Elle sert presque uniquement à dormir, à s'habiller et à entreposer les
effets personnels, Le jour, il est rare que l'on passe du temps à l'intérieur,

33, Clifford Geertz (1986, p. 34) remarque que les travaux de Goffman «repOsent
presque entièrement sur l'analogie avec le jeu.., bien qu'ils s'inspirent surtout du
langage de la scène et parfois de l'éthologie (1973b). Mais la scène chez Goffman est
plus proche de la comédie populaire - du cearnaval.., dit Geertz - que du théâtre dans
le sens classique du terme. C'est chez Victor Turner (1985; 1986) que l'on trouve une
véritable analogie dramaturgique avec la notion de «performance». On y remarque
cependant que les «performances» se réalisent dans des circonstances particulières plutôt
exceptionnelles, et non dans le cadre des interactions de la vie quotidienne. Les

• métaphores ne sont donc pas interchangeables; chacune définit ses objets, ses «événe-
ments paradigmatiques» privilégiés et un niveau d'entendement des situations observées.

295
34. Erving Goffman écrit que .Ies escrocs [... 1doivent utiliser des façades personnelles
très minutieusement étudiées et agencer souvent les décors de manière méticuleuse. non
pas tant parce que leur mensonge est leur moyen d'existence que parce que. pour faire
accepter un mensonge de l'ampleur de ceux qu'ils proposent. on doit entrer en rappon
avec des personnes inconnues et mettre fin aux tractations le plus vite possible>- (l973a.
p. 212). Je dirais que cette description peut correspondre à l'escroc «professionnel»
occidental. Dans le contexte africain. la tentative d'escroquerie occasionnelle des
Blancs peut être un jeu pratiqué par de nombreux -amateurs». souvent des marginaux.
qui utilisent ainsi leur compétence intereulturelle pour exploiter le handicap d'un inter-
locuteur fortuné et souvent naïf - ou peu compétent dans l'entendement des situations
locales. Tout Blanc qui a vécu en contact étroit avec l'Afrique a pu observer la finesse
de leurs stratégies. Par la suite, le Blanc devenant -africain», et le jeu étant dévoilé ou
accepté par les parties. ces personnes peuvent devenir d'exceptionnels guides ou
informateurs. Les journalistes et les chercheurs qui oeuvrent en Afrique traitent
généralement avec des ..informateurs professionnels-. Il me semble qu'il est également
approprié d'établir des réseaux ailleurs. parmi les marginaux - les jeunes. les femmes,
les petits commerçants, voire les «petits délinquantS» - , afin d'accéder à des informa-
tions ou encore de rassembler des données de recherche dans un tel contexte. .

35. Il s'agit en pratique de situations qui exigent le développement de capacités à


négocier avec l'insécurité. D'après Goffman (1973b, p. 246), les acteurs doivent «se
faire phénoménologues, observateurs précis de la vie quotidienne, non pas, bien sûr, de
la leur, mais de ce qu'elle est pour le sujet». En utilisant une métaphore éthologique,
Goffman décrit une telle expérience comme celle où ..les autres - 1...] dans le rôle du
prédateur ou de la proie qui cherchent à éviter de l'alarmer - doivent aussi se soucier
des apparences normales. Mais les apparences normales dont ils se soucient ne sont pas
des apparences normales pour eux-mêmes, mais d'eux mêmes pour l'ennemi».

36. La résolllrion de problèmes est un domaine auquel les gestionnaires et les décideurs
des organisations de développement accordent beaucoup d'intérêt. C'est un des derniers
thèmes à la mode: Un autre secteur où une approche communicationnelle pourrait
susciter de l'intérêt est l'«évaluation rapide>- (en anglais: RAP ou crapid assessment
procedure>, également appelé crapid rural appraisal..) qui peut s'effectuer avec des tech-
niques proches de celles qui furent utilisées pour cette recherche et qui s'inspirent à la
fois des ..méthodes anthropologiques rapideS» et du journalisme d'enquête. Voir à ce
sujet. Michel Beal.'champ, ..RAP, journalisme d'enquête et évaluation "rapide" en
communication.., Communicorion, Vol. 14, n° 2, automne 1994, p. 239-245.

37. Voir à propos de la résolution de problème selon l'approche psychosociologique,


Kurt Lewin (1965), Décision de groupe et changement social. et à propos de l'école
cybernétique, Roger Muchielli (1988), Communica1ion et réseaux de communicorion.
Ces deux théories proposent que l'intervenant mette en pratique un modèle démocrati-


que (dans le sens occidental du terme) pour la gestion des interactions au sein du
groupe. L'approche sociopolitique subordonne les membres du groupe à un idéal de
• changement collectiviste. Voir à ce sujet. Saul Alins":y (1976). Manuel de ["animateur
social: Une action direere non violente.
38. La posture d'outsider présente ici de nombreux avantlges en ce qui concerne la
296

possibilité d'intervenir. Selon Goffman (l973a. p. 186). les «spécialistes- externes


«risquent d'être plus fidèles d'une certaine manière à leur corporation et à leurs
collègues (... 1". du moins. c'est généralement ainsi qu'i1s sont perçus. Pour ma pan.
rai toutefois rencontré fon peu de dévouement désintéressé dans les milieux de la
consultation. tout au moins en ce qui concerne le monde du développement.
39. La méthode la mieux adaptée à un contexte pluricultureI. particulièrement en
Afrique. est donc à mon sens celle qui a été mise au point par Guy Beaugrand-Champa-
gne (1995). notamment grâce à des expériences en milieu ruraI au Québec. en Turquie.
au Niger et en Haïti. rai personnellement été initié à cette méthode dans le cadre de
rutilisation des médias à des fins communautaires (programme «Société nouvelle- de
l'Office national du film. voir Beaugrand-Champagne. 1956). et je rai par la suite
utilisée à plusieurs reprises en contextes pluricuIturels. en Occident et en Afrique. à des
fins de résolution de problèmes ainsi que de formation. Si je me rétère aux réaction.~
de certains de mes interlocuteurs africains. qui se sont eux-mêmes appropriés cette
méthode. il ne fait pas de doute qu'elle constitue une solution de remplacement aux


approches traditionnelles de la résolution de problèmes.

40. Les deux principales lacunes des approches conventionnelles de la résolution de


problèmes sont donc la contrainte d'une définition historiquement située de la participa-
tion et le postulat d'une compétence comparable entre les membres. c'est-à-dire la non-
prise en compte de leurs positions singulières. Ces deux lacunes contribuent à réduire
au silence les champs de connaissances endogènes que les membres pourraient, dans
certains cas, utiliser pour définir la situation et pour concevoir un éventuel changement.
Elles nuisent finalement à une participation égalitaire.
41. L'expérience lie Guy Beaugrand-Champagne (1959; 1962), dans un milieu rural en
Turquie, est à cet égard révélatrice. Bien qu'il travaillait alors avec un statut de
fonctionnaire international, il a choisi d'apprendre la langue turque et d'adopter le mode
de vie local. Mais après plusieurs années sur place, il était devenu un insider au point
que sa non-participation à la définition des problèmes de nature politique devenait diffi-
cile (Beaugrand-Champagne et Péricard, à paraître).

42. Outre le fait qu'elle rende très inconfortable la position de celui qui s'est installé
dans un statut d'expert. cette approche peut déranger dans un contexte organisationnel
ou universitaire. Elle suppose en effet non seulement l'égalité des membres indépen-
damment de leur compétence, mais également la préséance de l'expérience et de la
pratique sur la théorie. Elle démontre enfin la supériorité de la pédagogie sur la recher-
che, au niveau de la résolution des problèmes de communication et d'action.

297
43. Voir au sujet des spécificités locales des conceptions de la mort et de la vie chez un
peuple du golfe de Guinée. l'ouvrage de Jean-Paul Eschlimann. Les Agni devant la mon
(Côte d'Ivoire). 1985.
44. Dans les statistiques officielles canadiennes. les membres de la plupart des commu-
nautés africaines sont, à quelques exceptions près, répenoriés sous les rubriques «Noil'S"
ou «Autres- (Voir à ce sujet Statistique Canada, Origine ethnique, le pays .. Recense-
ment 1991). Quant aux enfants des immigrants africains. ils sont généralement
considérés comme des Canadiens. La catégorie «Noirs», dans laquelle entrent indistinc-
tement les Africains, les Américains du Nord et du Sud, et les Antillais, ne révèle rien
de ces personnes qui possèdent des identités nationales. ethniques et socio-ethniques très
différentes selon leurs origines.

45. Aujourd'hui, l'indigène d'Amérique, celui qui est né sur ce territoire et qui
revendique l'appartenance à un espace et à un temps qui y sont désonnais inscrits, est
nettement le Blanc. Les conceptions du monde et les valeurs qui prévalent sur ce conti-
nent sont celles des Blancs, que ce soit au sud ou au nord. Les «véritables- autoch-
tones, ceux qui étaient là avant les Blancs (qui sont aussi venus d'ailleurs, d'après ce
que disent les archéologues), ont été exclus non seulement de leur territoire, de leur
espace et de leur temps, mais aussi, pour une large part, du nouveau territoire créé par


les Blancs dans lequel ils sont réduits à la marginalité.

46. Lors d'une session de fonnation, un coopérant sur le aépart me posait la question
suivante : «Comment encourager le détournement des projets de développement'l.. Cette
réaction révèle que la compréhension de tels phénomènes peut-être perçue comme une
base pour leur manipulation. La réponse à une telle question me semble claire : «en
devenant un membre de la communauté locale, ce qui peut parfois se faire après
quelques dizaines d'années sur place à partager la vie des villageois».

47. Kwame Anthony Appiah (1992, p. 8) rapporte une anecdote révélatrice à propos du
poids des préjugéS, parfois justifiés, qui s'exercent sur un Blanc en Afrique. Au
Ghana, un de ses amis blancs qui conduisait sa voiture avait été victime d'une erreur de
conduite de la part d'un camionneur noir. Au moment de constater les dommages, il ne
s'est pas trouvé une seule personne, parmi la foule présente, pour témoigner de la faute
évidente du camionneur. On observe donc que, si un Blanc peut avoir des amis afri-
cains, il demeure, au milieu de la foule anonyme, un Blanc, celui qui ca l'argent», alors
qu'un camionneur noir pourrait perdre son travail s'il créait des problèmes à son
patron. Le Blanc peut bien avoir été une victime, dans le sens occidental du terme, il
reste que, dans le contexte local, tout problème devrait être compris comme pouvant
être résolu par la négociation, sans conséquences désastreuses pour une partie - sauf
peut-être dans le cas d'une faute très grave. Mais c'est généralement impossible avec
des Blancs. Cette attitude de la foule à l'égard d'un Noir témoigne d'une solidarité et
d'une empathie peu communes en OCCident, qui sont toujours insaites dans le sens

• commun partagé par la plupart des Africains. Comme l'affirme Appiah, il s'agit ici de
solidarité «de classe.. et non de solidarité raciale. Alors que la paIabre aurait pu être le
• moyen de négociation, un système légal étranger qui est imposé rend nécessaire un
détournement.
298

48. L'arbre en Afrique est généralement le centre du village et le centre de la -conces-


sion», de l'habitat familial. Chez les nomades, il est objet de vénération (Péricard.
1990b). L'arbre est chargé de nombreux symboles qui diffèrent selon les ethnies et
selon les régions; ces symboles sont souvent liés à la fertilité et à la cohésion de la
communauté. Plusieurs de mes interlocuteurs me signalaient, par ailleurs, avoir
rencontré en Europe des personnes qui pensaient que certains Africains vivaient dans les
arbres. Le commentaire d'usage est alors : «Naturellement, nous vivons dan.~ les
arbres, d'ailleurs nous avons aménagé un gros fromager pour votre ambassadeur.» Le
fromager, faut-il préciser, est un arbre tropical de très grande taille qui produit le
kapok, une fibre végétale.

49, Une erreur majeure des pédagogues occidentaux, en ce qui concerne la formation
des étudiants africains, consiste, à mon sens, à inciter ces derniers à faire uniquement
des études et des recherches sur l'Afrique, en utilisant des modèles occidentaux, Les
agences de développement qui financent la formation et les bourses d'études encoura-
gent également cette tendance. Le résultat est que, là où ils étaient généralement des
communicateurs et des communicologues compétents, ces étudiants finissent par devenir


des spécialistes des modèles étrangers inadaptés au contexte (CEAO, n,d.; 1992b). Je
crois au contraire qu'il serait beaucoup plus utile que de jeunes africains soient formés à
comprendre les processus de communication en Occident, afin de développer une
compréhension de ce qui en provient dans les contextes pluriculturels où ils seront
appelés à travailler. En d'autres termes, les pays d'Afrique n'ont pas vraiment besoin
de spécialistes occidentalisés des questions africaines, car, comme le montre cette
recherche, ils en ont inévitablement. Ces pays ont plutôt besoin de spécialistes des
questions occidentales, qui pourraient certes être doublement critiques, mais qui pour-
raient également apporter un éclairage utile à la communication et à la négociation dan.~
les organisatio~, .et ceci à divers niveaux, tant locaux qu'internationaux,


• Annexe A : Liste des collaborateurs à la recherche
299

Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest :


(pays d'origine)

Toumané BADJI, cadre B, division de la promotion des échanges, DEC (Sénégal)

Kadari BAMBA, secrétaire général, ancien ministre de l'Industrie (Mali)

Félicité BÉLEMGOAGBA, secrétaire exécutive du secrétaire généraI (Burkina Faso)

Jean BIGBALA OUÉDRAOGO, chef de la division de la recherche scientifique et


technique, DDI (Burkina Faso)

Modibo BOLY, conseiller économique et infrastructures (Mali)

Pascal BONKOUNGOU, cadre A, division du budget, DAAF (Burkina Faso)

Jacques COULIBALY, chef des services rattachés (Burkina Faso)

Albert DE MILLOGO, conseiller juridique, ancien ministre de ia Fonction publique


(Burkina Faso)

Amar OuId Ahmed DEYNA, fondé de pouvoir de l'agent comptable (Mauritanie)

Ibrahima DIAGANA, ancien responsable du projet SCP (Mauritanie)

Rabamata DIALLO, assistante sociale (Mali)

Abdulaye GAMBY, archiviste, responsable de la documentation (Sénégal)

Michel GRAPPOTTE, conseiller en formation (France)

Drame Yacine GUEYE, cadre B, division bétail et viande, DDR (Sénégal)

sam HALIDOU, chef de la division bétail et viande, DDR (Niger)


Issaka IDÉ. directeur de la DOl (Niger)

Bruno KAFANDO, chef de la divison promotion des échanges, DEC (Burkina Faso)


• Abdul KANE KANE, cadre A, division de la coopération douanière et
DEC (Mauritanie)
300
stati~1ique,

Konan KANGA, chef de la division pêche, eaux et forêts, DDR (Côte d'Ivoire)

Abdulaye KANOUTÉ, responsable du programme HVPI (Mauritanie)

Léopold KÉHIN, contrôleur financier (Côte d'Ivoire)

Ahmed Ould KHALIFA, directeur de la direction du développement rural, DDR


(Mauritanie)

Mamadou KOUYATÉ, cadre B, DDR (Mali)

Hamed Ould MESSOUD, chef de la division du budget, DAAF (Mauritanie)

Laoula OUATTARA, responsable du courrier (Burkina Faso)

Jeanne OUÉDRAOGO, secrétaire du conseiller économique et infrastructures


(Burkina Faso)

Aminata PARÉ, cadre B, division du personnel, DAAF (Burkina Faso)

Abdulaye SIDŒÉ, attaché de presse du secrétaire général (Mali)

Abdulaye SOW, ancien conseiller financier (Mauritanie)

Arona SY, chef de la divison du personnel, DAAF (Sénégal)

Koffi TANO, responsable du projet FACOWA (Côte d'Ivoire)

Bertin TÉBY, cadre A, division du développement agricole, DDR (Burkina Faso)

Théodore TICOUKA OUÉDRAOGO, responsable du projet CREP (Burkina Faso)

Hamadou TRAORÉ, directeur de la direction des affaires administratives et


financières, DAAF (Burkina Faso)

Mobamed VALL, responsable du projet SCP (Mauritanie)

Komissa YAO, directeur de la direction des échanges commerciaux, DEC


(Côte d'Ivoire)


• Autres collaborateurs en Afrique de l'Ouest :
(lieu de la rencontre)
301

Bernard AHVA, rédacteur en chef adjoint de Fraremité Marin


(Abidjan, Côte d'Ivoire)

Monique K. AWOUBA, ménagère et commerçante (Ouagadougou, Burkina Faso)

Maladho BARRY, consultant, GUIDE - Conakry (Bobo Diolassou, Burkina Faso)

Richard BÉLEMGOAGBA, professel.>.T d'anglais et de communication, EMIG


(Niamey, Niger)

Dao DICKO, directeur du CRES, ancien secrétaire général de l'ACCT


(Bamako, Mali)

Amioata DRAHMÉ TRAORÉ, femme d'affaires et consultante (PNUD et FNUAP),


ancienne présidente de l'AFI (Bamako, Mali)

Lodse HALY, professeur au département des sciences économiques de l'Université


nationale de Côte d'Ivoire, chercheur au CIRES (Abidjan, Côte d'Ivoire)

Monique ILBOUDO, professeur à la faculté de droit de l'Université de


Ouagadougou, chroniqueuse féministe au quotidien L'Observateur
(Ouagadougou, Burkina Faso)

Mariama KADAMA SIDmÉ, secrétaire général du CILSS, ancienne ministre du


Plan et de la Coopération internationale du Mali (Ouagadougou, Burkina Faso)

Léopold KAZINDÉ, instituteur retraité, ancien ministre des Travaux publics, des·.
Transports, de l'Urbanisme, des Postes, Télégraphes et Téléphones du Niger
(Niamey, Niger) .

Jeanette KOUDOU, consultante en communication et en management, CEFOC;


fondatrice du MIFED (Abidjan, Côte d'Ivoire)

Tiemoko MACALOU, directeur de la deuxième chaîne de radiodiffusion,.doyen des


.." journalistes du Mali (BamakQ, MalI) .

Ismaa MAÏGA, responsable des relations extérieures, UNICEF (Bamako, Mali)

Marcel MlSSIGBETO, gestionnaire et biologiste (Niamey, Niger) .


• Nematollah NIRZA KAZÉNI, consultant en communication, Academy for education
and development (Ouagadougou, Burkina Faso)
302

Harounan OUÉDRAOGO, entrepreneur et chef de village (Tourum, Burkina Faso)

Mahamoudou OUÉDRAOGO, directeur de la télévision nationale du Burkina


(TNB), enseignant et chercheur au département Arts et Communications de
l'Université de Ouagadougou (Ouagadougou, Burkina Faso)

Alimata OUÉDRAOGO SIDlBÉ, directrice du département de linguistique, faculté


des Lettres et Sciences humaines, Université Abdu Moumouni (Niamey, Niger)

Titinga Frédéric PACERÉ, avocat et écrivain, ancien bâtonnier de l'ordre, président


d'honneur du mouvement burkinabe des Droits de l'homme et des peuples,
fondateur du Musée de Manéga (Ouagadougou, Burkina Faso)

Roger PARÉ OlÉ, directeur de L'ESITEX (Ségou, Mali)

Maria SOMBOUGMA, juge à la cour suprême (Ouagadougou, Burkina Faso)

Sy Kadiatou SOW, ancien goul ernt:ur du district de Bamako, ministre des Affaires
étrangères et des Maliens de l'extérieur (Bamako, Mali)

Régina TRAORÉ sÉRIE, directrice du CERCOM, Université nationale de Côte


d'Ivoire, secrétaire générale de l'ARESAF (Abidjan, Côte d'Ivoire)

Collaborateurs à Montréal :

Danièle BLAIN, consultante en communications

Guy BEAUGRAND-CHAMPAGNE, professeur, département des communications,


Université du Québec à Montréal

Nabé Vincent COULIBALY, professeur de philosophie, cégep de St-Hyacinthe

Aide à l'infographie: Pierre Tremblay


Correction et révision d'épreuves: Sonia Borotra,
département de linguistique et traduction, Université de Montréal
Tirages photo~~ : Jean Cédras


• Annexe B : Les actes mentaux dans la résolution de problèmes
d'après Guy Beaugrand-ebampagne
303

L'action génère des malaises qu'expriment des plaintes;


les malaises exprimés produisent
B (la formulation d'hypothèses d'action ou solutions),
ou X+1 (le rajustement du déroulement du programme
et/ou la rajustement de l'exécution des tâches)

B (la formulation de solutions) a comme substrat


o (l'évaluation des résultats)
et 0 (l'identification du champ problématique)

o (l'analyse de la situation) s'éclaire par


S (l'évaluation des résultats)
et B (la formulation de solutions)

o (l'identification du champ problématique) délimite


U (la formulation de problèmes résolubles par l'action)
et B (la formulation de solutions)

S (l'évaluation des résultats) circonstancie


o (l'analyse de la situation)
et U (la formulation de problèmes)

• U (la formulation de problèmes) émerge de


o (l'identification du champ problématique)
et B (la formulation de solutions)
• U (la fonnulation de problèmes) renouvelle
B (la fonnulation d'hypothèses de solution)
et L (l'analyse comparée des hypothèses)
304

B (la fonnulation d'hypothèses) contient des composantes de


L (l'analyse comparée des hypothèses),
R (l'identification des tâches futures à accomplir)
et A (la programmation de ces futures tâches)

L (l'analyse comparée des hypothèses), les pronostics de


faisabilité trouvent ici leurs arguments en préfigurant
P (l'identification des opérations qui seront à faire)
R (l'identification des futures tâches)
et S (les résultats que l'on escompte)

E (le choix, les décisions) conditionne


P (les opérations à accomplir)
et S (l'évaluation des résultats)

P (les opérations) se détaille en


R (la répartition des tâches)
et A (la programmation)

D (l'analyse de la situation) conditionne


R (la répartition des tâches)
et A (la programmation)

R et A (la répartition des tâches et la programmation)


prennent fonne dans l'action

L'action suscite X+l (les rajustements de programme


et d'exécution des tâches)

X (le contrôle du déroulement du programme) est censé se construire sur


A (la programmation elle-mëme) et la rajuste au besoin

1 (le contrôle d'exécution des tâches) est censé se construire sur


R (l'identification et la répartition des tâches) et les rajuster au besoin

o Guy Beaugrand-ClJampagne, 1995

Remarque: cette scMmatisation du processus de résolution de problèmes doit être

• comprise dans un sens dynamique. Le plocessus peut se produire pour la résolution de


problèmes secondaires dans le cadre de la démarche globale. cette dernière n'est pas
elle-mëme susceptible de se réaliser de façon définitive, puisque la résolution d'un
problème en fait généralement apparai'tre de nouveaux.

305
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Note: Les documents confidentiels (correspondance et textes à circulation limitée) ne


sont pas répertoriés dans la bibliographie.


Cartes et images


• Cartel: Les pays d'Afrique
326

Arabie
Saoudite

Angola

Namibie
• Carte 2 L'Afrique de l'Ouest
327

.. .- .
"""
'
.._·wO_" ........_
"...:.--
. _ J - ,....:."...

: 1~',,·c:
t.,.:._-, _

Pays francophones (membres de la CEAO et observateurs)

• Remarque Cette carte ne contient que les noms de lieux mentionnés dans le texte
• Carte 3 : Les ethnies principales d"Afrique de I"Ouest
328

\,
HOGGAR L...\
\
Touareg

Tcureg ._. .'


Bella
ADRAR'
DES
IFORAS AJR
Touareg TOU8I8Q
Bella

Peul

Peul
"

" .

.
'
.'


• Cane 4 : L'Afrique pour les Européens du début du XVI' siècle
329

-......... -;;;"'

Cane de Ptolémée dont les données ont été compilées par Martin Waldseemüller à
Strasbourg en 1513. On Y constate, tout comme sur la carte suivante, que les côtes de
r Afrique étaient assez bien connues, mais non l'intérieur du continent.

• o Marsball Editions Developments Limited


(Phillip Allen. The Atlas ofAtlases: The Map Maker's VISion ofthe World, Londres:
Marsball. 1992. p. 29)
• Cane 5 L'Afrique pour les Européens du début du XVlIl' siècle
330

., N\

~:::C::. __,-.
"=--m=-

Cane publiée par Jan Covens et Cornelis Mortier à Amsterdam en 1730.


o Marshall Editions Deveiopments Limited
(Phillip Allen, The AtIos ofAtIoses: The Map Maker's VISion ofthe Wor/d, Londres:
Marshall, 1992, p. 115)
• Images d'Afrique de l'Ouest
331

Le Capitaine Voulet Le Capitaine Chanoine


Ils ne laissaient derrière eux que du feu.
o Titinga Frédéric Pacéré

5ot;.I'9ue Rnlh.opo. Pol;,,'''';!u(


nca"ono",e
Po~son
Wr:rio"rque
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1oarane,,"" obstr\foh:w.~ ....,," lt I-ouf:'
"revaille c~v"c:olc Il ... ob~er,,(·

• ..~_.:!~<k­
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... "'''":10& . -
or-
Dessin circulant dans les ambassades de France en Afrique (janvier 1994).
1 '"
.'.'-

Habitat ouest-africain
Tamale, Ghana. 1984

• J..ogement de volontaires
Bobo Dioulasso, Burkina Faso, 1989
• 333

Ancien combattant à la retraite et son fils chômeur


Abidjan, Côte d'Ivoire, 1994

• Initiation chez les Bambara


Bamako. Mali. 1986

Pa~1eurs peuls dans le Delta du Niger


~ienné. Mali. 1986

• Pêcheurs ghanéens
Lomé. Togo. 1984
335

Enfant touareg au puit~


AguelhllC. Mali. 1984

• Ma1ick Sidibé dit .Ie Paysan noi",


Kllutiala. Mali. 1989

33(,

Association de femmes béninoises


Dassa Zoumé. Bénin. 1990

• Mission d'évaluation
Fonfana, Mali. 1986
337

• COI.l.ABORATEURS ET COLLABORATRICES

F<3licit<3 Bdeml,loagha Aminata Paré

• Kofti Tano Amar Ould Ahmed Deyna


Issaka Idé Rahamala Diallll

• Ihrdhima Diagana Komis.o;a Yao


• 339

Harounan OUI..'dmogo
Tourum. Burkina Faso. 1986

• Monique K. Awouha
Oua~adou~ou.
e- ~
1994

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