Musée écrin ou musée écran ?
Le Musée Guggenheim de Bilbao
‘Monique Renault *
~2 plus souvent, les conservateurs doivent s'accommoder
de bétiments anciens, voire historiques, dont la
premiere caractéristique est de n'avoir pas
été congus pour accueillir un musée.
A liinverse, des conservateurs doivent
staccommoder des ceuvres, voire
des chefs-cl'oeuvre récents, dl'archi-
tectes qui, emportés par leur
créativité, oublient les fonctions
d'un musée...
DY: O FUG Gee Gn pan ano Eon oT
‘Euvre de Varchitecte Franck O. Gehry, to batiment du Musée Guggenheim agit comme
‘un ple cattraction particuliérement eficace du grand tourisme national et international
I nfest pas aisé d'%erire sur le Musée —mémes, comme soumis & une force chac-
‘Guggenheim de Bilbao (voir encadré 1): tique intérieure, Ils changent aussi au
analyse glisse sans cesse sur lui comme —gré des multiples points de vue ocea-
sur un terrain meuble ; elle senfonce, sionnés par le déplacement du. specta-
Senlise et devient rapidement engloutie tour. Les plaques de titane qui en consti
dans une sorte de chaos mouvant indes- tuent la couverture, modifient encore Ia
* Monique Renauit est mse de confé- _eriptble - comme Fest dalleurs, toute physionomie du bétiment selon que
‘ences en muséologie 8 WUniversté Ulbre proportion gardée, Iacollection quilren- leurs nombreuses orientations eaptent
Se Bucs. Facute de Phiosophie et operon ar « nica al
eae ciara ucts: ferme. ou réverbirent la humire dans ses
darchéolosie incessantes variations, ou selon qu’elles
€P 175, avenue FD. Roosevelt $0 Une architecture dynamique contrastent avec les autres: matériaux
81050 Gruxeles, Belsque La métamorphose est le principe vital employés (la pierre caleaire et les parois
‘elephone +32 2.65024 19
Siécopiewr 390 2.650 43.49 de son architecture. Ses volumes exté- cle verre), Ses volumes intérieurs,égale-
rieurs semblent se transformer d'eux- ment instables, répartis autour d'un
la Letre de TOCIM, n'58, 198817immense et lumineux atrium central -
sa hauteur dépasse les cinquante
miétres - semblont avoir subi (ou résisté
) des poussées ou des choes sismiques
d'une force équivalente. Ils se métamor
phosent eux aussi au fur et & mesure des
perspectives offertes depuis les trois
esealiers menant aux deux étages supé-
riewrs (auxquels on aecéde également
par trois ascenseurs, dont Tun est viteé)
ot depuis es passerelles curvilignes
conduisant aux différentes sales de ces
deux niveaux.
La mobilité active des éléments structu-
aux entraine chez le visiteur certaines
réactions particuliéres
+ une part, la sensation de vertige, de
perte des repéres spatiaux (perte
échelle) et dincertitude sensorielle ;
18 la Lette de rocin, n°58, 1998
autre part, Ie besoin physique tris
nettement ressenti (et nettement obser
vv) de bouger, c’évoluer, de déambuler,
besoin aceru par Ia trés grande fluidité
des axes de circulation et par le sur
dimensionnement des espaces ;
engin, la stupeur, le saisissement, voire
Ja fascination,
Une architecture spectaculaire
Par son architoetonique qui relbve d'une
ingéniosité technique remarquable (1),
par son esthétique extravagante qui vise
Dien moins la durée que le succes immeé-
diat, par son coiit démesué (cont mil-
lions de dollars), par la simplicité été.
mentaire de ses références (entre la
fleur, le poisson et le bateau), par ses
dimensions et son ampleur colossales et
Ye
SS
sS
par sa position strat6gique au croise
ment daxes fluviaux et routiers que
constituent autant de sources de points
de vue renouvelés lui conférant une
sorte d'ubiquité dans le nord de la ville,
ce bitiment agit comme un pile dat-
traction partieuli@rement efficace du
grand tourisme national et internatio
nal (2), Objet de curiasité touristique
autant spectaculaire que médiatique,
est lui qui fait événement, c'est lui qui
attire massivement le public en quéte de
sensations intenses, En quoi il répond
cexagtement aux termes de la commande
Smanant des autorités basques a Var
chitecto californien Frank O. Gehry
Les responsables politiques m’ont dit
quit fallait atirer les foules et que le
atiment devait avoir de ta foree et un
«atrium, en eet, est le coeur de ta construction, c'est & partir de lui que toutes les activités sont organisées
et c'est en son sein quelles raménent constamment le visiteur.»ons artistique bien margué » (Le
onde, 19/20.10.97). Le earactére spec-
taculaire obéit en outre aux suggestions
pressantes du directeur de la fondation
Guggenheim, Tom Krens ~il sufi d’en-
tendre Farchiteete raconter Ia gondse de
Védifice, et notamment du grand atrium
«Fai commeneé d fe concevoir comme
tun liew dexposition, mais Tom ma dit
" Non, i faut que ce soit un espace extra-
‘ordinaire. Pensez & Frank Lloyd Wright,
‘au Guggenheim de New York * (..) I
‘m’a done poussé » Le Journal des Arts,
10.10...
Des collections prétextes
Crest dans cette situation politique ot
socio-économique aux acteurs multiples
que les collections (3), sont: manifeste-
vent prises en otage. Et elles ne le sont
‘ys seulement par les impératifs poli
tiques d'un vaste plan de rehabilitation
trbanistiqu de la ville de Bilbao et de
‘modernisation deonomique du Pays
Basque, ni seulement par les visées
impéralistes ot colonisariees du plan
de conguéte de Ia fondation
Guggenheim dont ce « musée » est le
quatridme établissement (oir eneadré
page 20). Elles le sont également par les
ambitions artistiques de F. 0. Gehry,
son désirelairement exprimé i maintes
reprises de faire dabord couvre de sul
teur avant de faire ceuvre darhitecte
Cest dailleurs en artiste plasticien quil
travaille,citant les sculpteurs Claes
Oldenburg et Richard Serra notamment
comme ses référence. 11 commence par
2 eaquisses quill méne & la manigre
«une sorte de médium avant de trouver
1a forme générale ql continue de pré-
ciser sur les maguettes, epassant par
Tesquise sitt quil rssent un blocage
‘Tout eeci ne serait pas sujet a caution si
ne Sagissit que dun monument tours-
tique « a grand spectacle», et sil ne
renfermait pas en son sein des objets
«art dont on se demandera sls ne sont
as la pour eautionner le hitiment, sls
sen sont pas le faire valoir indispen-
sable, II est manifeste que la eréation
singuliérement aboutie du projet ori
nal de Varchitect a été réalisé au détri-
ment de sa fonction de musée éerin,
stad a la foi de présentaion et
de mise en condition du regard sur les
cwuvres, Ceci pose la question fonda
nontale des rapports qu'un espace
muséal devrait entretenir avee ee qui
Un instrument de prestige pour le Pays Basque
la construction du musée Guggenheim de Bilbao (inauguré le 19 octobre
1997) a été entiérement financée per le gouvernement autonome basque qui
{a conclu un accord avec la fondiation Salomon R. Guggenheim de New York
pour quell en diige et supervise la realisation signée par architecte calfor-
rien Frank O. Gehry (né en 1929) et cont le codt s'éleve 8100 millions de dol-
lars Laccord stipulec'autre pat que la fondation, en échange des 20 millions
‘de dollars qui lui ont été versés par les autorités basques, assumera les taches
administration, de gestion et de direction artistique de létablissement
(p1@ts dloeumes de la collection Guggenheim et organisation d'expositions)
durant une « période intale » de 90 ans, recondluctible pendant 75 ens au
minimum. La fondation new-yorkaise est aussi chargée de ciniger le program:
ime d'ecquisition des collections besques pour lesquelles une somme de 50
millions de dolla a été dégagée parle méme gouvernement. Laccord inclut
également utilisation du nom et de la notoriété de la fondation Guggenheim
ont le prestige dewalt assurer au Pays Basque une «vsibiltéintermationale
(On lira une description détailée des nombreuses négociations politiques et
financires ayant about la décision de construire le projet actuel dans le
live de Joseba ZULAIKA, Cronica de una seduccicn. EI museo Guagenheln
Bilbao, (Mackid : Nerea, 1997).
justiffe tout de méme son existence. A quente au regard sur Textérieur du bati-
plus forte raicon lorequill eagit dun mont. D'une part, loo dows terraccea
espace créé de toutes pidees. Alors qu’en pratiquées au nord de Fatrium (au rez-
agle générale, on parcourt un musée de-chaussée) et au sud-est do l'difico
art pour découvrir (pour godter) ses (au premier étage), et accessibles libre-
collections, iei olles pourraiont bien ment depois Tintérieur, offrent des pers-
nvétre qu’un prétexte & Texploration des pectives rapprochées uniques sur les
volumes architecturaux, & moins profile architecturaux, Diautre par, la
quielles ne soient plutdt éclipsées par conception trés intéressante du droit
ces derniers entrée, valable pour la journée, incite
A entrer et & sortir sans aucune
Une architecture omniprésente contrainte, Surtout, elle permet au visi-
La visite des collections de Fétablisse- tour de faire Vexpérience du spectacle
‘ment est sans cesse interrompue par changeant des formes extrieures du
Tespace si imposant et impressionnant timent gréce& une promenade qui est
de Yatrium, pour lequel Tom Krens a largement aménagée tout autour, sui
poussé Yarchitecte dans la voie dune vant: un certain nombre de dénivlla-
eréation autonome (4). Cet espace en tion, de ampes et descaliers offant &
effet est le eur de la construction, est nowveau des vues inédites (5). Enfin,
A partir de lui que toutes les activités cetto ouverture sur Textérieur a été pen
sont organisées et est en son sein sée également pour favoriser une com-
auelles raménent constamment le visi- munieation direct avee les serves cu:
tour. Au rez-de-chauss6e les serves se turels de la ville, tout comme bien sir
ramifient autour de atrium, et les trois avee sos aetvités économiques
galeries exposition indépendantes sont
Aisposées de maniée tellement diver- Musée ou espace urbain ?
gente quil faut & chaque fois le traver- Cest Ih que réside Voriginalité de Ia
ser pour se rendre de Tune Tautre. Au vision de Gehry : elle repose sur Tidée
premier et au dousidme étages, le par- de synergie de ses constructions avee la
cours chemine le long dune passerelle ville & laquelle il «a toujours pens (.)
qui toume autour de ce méme espace en termes de seulptewr », son intéret
central pour conduire, au furet A mesu- constant. pour « la maniére dont les
re de sa progression curviligne, aux formes dela ville eréent des formes de
salles dexpasition. vie vet sa voloté de transmettre « une
Si exploration des leux rebondlt tou- sensation de moutement dans (es) él
jours sur cot espace égo-centrique, ele fics, une sorte dénergie subile (
est aussi dévige par une invitation fré- parce que ela entre dans la trame gine
la Lettre de YOCIN, 0°58, 1998 19