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L’obésité
est-elle une maladie inflammatoire ?
Rafaella Cancello, Karine Clément
INSERM UMRS U755 Nutriomique/Université Pierre et Marie Curie–Paris VI, Centre de Recherche en Nutrition Humaine Île-de-France, AP-HP,
Service de nutrition, Hôtel-Dieu, 1 place du Parvis Notre-Dame, 75004 Paris
<karine.clement@htd.aphp.fr>
Résumé. Il existe actuellement au moins deux raisons scientifiques pour que l’obésité soit une maladie inflammatoire chronique :
l’augmentation des facteurs inflammatoires circulants observée chez les patients obèses et l’identification récente d’une infiltration macropha-
gique dans le tissu adipeux blanc. Ces observations permettent une révision de la physiopathologie de l’obésité. Il a été suggéré qu’un état
inflammatoire de bas grade est associé aux complications métaboliques et cardiovasculaires de l’obésité. La réduction pondérale est capable
d’améliorer l’état inflammatoire en diminuant de façon significative les marqueurs inflammatoires circulants et l’infiltration macrophagique du
tissu adipeux. Les mécanismes du recrutement des macrophages du tissu adipeux blanc et le rôle de ce dernier dans les complications de
l’obésité ne sont pas encore bien définis. Cet article a pour objectif de mettre à jour les connaissances sur les cytokines inflammatoires et leur
rôle dans l’obésité, et plus particulièrement insister sur le rôle de l’infiltration macrophagique dans le tissu adipeux humain. Les interactions
entre les macrophages et les adipocytes seront certainement le sujet d’investigations importantes dans le futur.
Abstract. Is obesity an inflammatory illness? There are at least two scientific indications that human obesity might be a chronic
inflammatory illness: first, the well-described moderate increase of inflammatory factors in the circulation in obese subjects, and second, the
recent identification of macrophage cells infiltrating the white adipose tissue (WAT). These observations led to a revision of the physiopathology
of obesity and its co-morbidities. It has been suggested that the “low-grade” inflammatory state associates with metabolic and cardiovascular
complications of obesity. Weight loss is able to improve this inflammatory state by both significantly decreasing circulating inflammatory
molecules and macrophage cell infiltration in WAT deposits. However, the mechanisms of WAT macrophage recruitment into the adipose tissue
and their role in obesity complications have not been defined. This review aims to point out the knowledge on inflammatory cytokines
associated with obesity and focuses on macrophage infiltration in human WAT, discussing their recruitment and role. The interactions of
macrophages with adipocytes will certainly be the subject of intense investigations in the future.
adipeux sous-cutané alors que l’expression de l’adiponec- tuellement en cours d’investigation. Une proximité entre
tine, PAI-1, IL-8 et IL1b, est plus importante dans le tissu le profil de l’expression des gènes des macrophages et des
adipeux viscéral [6]. Il existe en revanche des études préadipocytes a été établie, indiquant que les adipocytes
discordantes en ce qui concerne l’expression et la sécré- pourraient avoir des propriétés « macrophagiques », sur-
tion de IL-6. Les différences en termes de capacité de tout lorsqu’il sont placés dans un environnement pro-
sécrétion et de production de cytokines en fonction de la inflammatoire [10, 11]. Mais la transplantation de cellules
localisation du tissu adipeux sous-cutané ou viscéral et médullaires chez des souris irradiées permet d’établir que
leur abondance respective chez certains individus contri- l’infiltration macrophagique du tissu adipeux provient
buent certainement à augmenter le risque relatif des com- principalement de cellules d’origine médullaire. Notre
plications métaboliques et cardiovasculaires et le déve- équipe a montré que l’infiltration macrophagique du tissu
loppement d’autres complications telles que la stéatose adipeux chez les femmes obèses présente un aspect typi-
hépatique. Le rôle de certaines molécules liant l’obésité à que d’agrégation en couronne autour des adipocytes [9].
des complications spécifiques reste à identifier. D’autres Ces agrégats macrophagiques ressemblent étrangement
dépôts de tissu adipeux, en particulier au niveau de aux caractéristiques classiques de l’état inflammatoire
l’épicarde, expriment également des médiateurs inflam- chronique. Ces macrophages infiltrants expriment des
matoires en l’absence d’obésité et de diabète avéré. La marqueurs d’activation. Une infiltration par d’autres types
production locale par le tissu adipeux épicardique de de cellules inflammatoires chez des patients obèses tels
molécules inflammatoires et sa proximité avec les vais- que des lymphocytes, des granulocytes ou des cellules
seaux coronaires pourraient contribuer à la pathologie géantes, n’est pas exclue.
coronaire.
Adipocytes OBÉSITE
contrôle local de la croissance de la masse grasse et posants du syndrome des ovaires polykystiques qui est une
modifier sa biologie. Nous avons montré que la mise en cause d’infertilité chez la femme. Le rôle de l’inflamma-
présence de préadipocytes humains avec des milieux de tion chronique dans ces complications liées à l’obésité
macrophages humains entraînent un changement drasti- reste inexpliqué. La réduction pondérale même modeste
que du phénotype des préadipocytes qui acquièrent un améliore les complications liées à l’obésité. Ziccardi et al.
phénotype pro-inflammatoire, prolifèrent et se différen- [19] ont mis en évidence une amélioration du stress endo-
cient mal [18]. Ces modifications inflammatoires sont thélial après réduction pondérale. De nombreuses études
induites par des cocultures sans contact cellulaire direct indiquent que la diminution de la ration alimentaire et
suggérant un rôle important des facteurs solubles. C’est l’augmentation de l’activité physique sont des facteurs
ainsi qu’un effet double des macrophages du tissu adipeux réduisant l’inflammation globale [20]. Ceci a été établi
peut être envisagé : un effet « bénéfique » local dans le pour la CRP, le TNFa et l’interleukine 6 [21-24]. La
contrôle et dans la limitation du développement de la concentration plasmatique en PAI-1, CRP et alpha 1 acid
masse grasse et de façon simultanée un effet systémique glycoprotein est diminuée de façon importante chez les
délétère via l’augmentation de production et de sécrétion patients présentant une obésité morbide ayant subit une
de chémokines et de cytokines inflammatoires facilitant la chirurgie bariatrique [25]. Nous avons montré des modi-
genèse et la progression des complications de l’obésité fications biologiques dans une cohorte de 60 patients
[17]. Ce sont des hypothèses qu’il faudra confirmer in
obèses, un an après réduction pondérale (diminution de
vivo.
30 % du poids initial). Une réduction importante de la
CRP, de la SAA, de la protéine orosomucoïde, IL-6, TNFa,
fibrinogène et une augmentation du taux d’adiponectine
Conséquences systémiques circulante sont observées. La cinétique de ces modifica-
de l’accumulation macrophagique tions était différente d’une molécule à une autre. Par
au sein du tissu adipeux exemple, après intervention chirurgicale (chirurgie de
l’obésité), le taux d’IL-6 diminue lentement alors que le
L’accumulation de macrophages au sein du tissu
taux de SAA et/ou de CRP diminue très rapidement [26].
adipeux contribue à l’augmentation de concentration
Nous avons également établi l’amélioration de l’in-
systémique de cytokines inflammatoires. L’action de
flammation à bas grade systémique lors d’une réduction
certaines molécules inflammatoires tendrait à être le lien
moléculaire entre le tissu adipeux et les complications pondérale modérée, liée à un régime hypocalorique, et
métaboliques cardiovasculaires ou hépatiques de l’obé- ceci était associé à une modification d’expression des
sité. En particulier, il a été proposé que l’augmentation des gènes inflammatoires dans le tissu adipeux sous-cutané de
taux de TNFa, de l’IL-6 et de la résistine, et de bien femmes obèses [27]. Environ 100 gènes liés aux processus
d’autres facteurs produits par l’activation macrophagique inflammatoire ont été modifiés après 4 semaines de ré-
pourraient contribuer directement aux mécanismes de gime très hypocalorique (41 % en augmentation et 59 %
modification de l’insulinosensibilité dans les différents en diminution). Ces gènes appartenaient à 12 familles
dépôts de tissu adipeux. Des différences pourraient exister fonctionnelles incluant les cytokines, interleukines, la cas-
entre l’homme et le rongeur ; la spécificité, si elle existe, cade des facteurs de complément, les protéines de la
de chacun de ces molécules dans le développement des phase aiguë et certaines molécules mettant en jeu les
complications systémiques n’est pas encore déterminée. contacts cellulaires ou le remodelage de la matrice extra-
De même, un facteur circulant systémique qui pourrait cellulaire. Ainsi, après 4 semaines de régime très hypoca-
être corrélé avec l’infiltration macrophagique au sein du lorique ayant entraîné en moyenne une réduction pondé-
tissu adipeux n’a pas été trouvé. rale de 5 à 6 kg, le profil d’expression des gènes
inflammatoires du tissu adipeux sous-cutané chez des
patients obèses ressemblait à celui des patients non obè-
Effet de la réduction pondérale ses, malgré une différence persistante de phénotypes cli-
sur l’inflammation systémique de bas nique et biologique entre ces deux groupes. L’améliora-
grade et l’infiltration macrophagique tion de ce profil inflammatoire n’était pas seulement liée à
la réduction d’expression de facteurs pro-inflammatoires
L’obésité peut donc être considérée comme un état mais également à l’augmentation de l’expression de fac-
d’inflammation chronique de bas grade comme de multi- teurs anti-inflammatoire tels que l’IL-10 ou l’IL-1-Ra. Cette
ples pathologies associées telles que l’athérosclérose, le réduction de l’expression des gènes inflammatoires dans
diabète de type II et la stéatose hépatique non alcoolique. le tissu adipeux était associée à une diminution significa-
De la même façon que le diabète de type II, l’hypertension tive de l’infiltration inflammatoire macrophagique [9].
artérielle et les maladies cardiovasculaires, l’obésité est un Cette réduction était associée à un phénotype
facteur associé de réduction de la fertilité et un des com- pro-inflammatoire macrophagique modifié (augmentation