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GALIEN

œuvres médicales
choisies 1
de l'utilité des parties du corps humain

M, gollimcird
COLLECTION TEL
Galien

Œuvres
médicales
choisies
TRADUCTION DE
CHARLES DAREMBERG
CHOIX, PRÉSENTATION ET NOTES
PAR ANDRÉ PICHOT

Tomel
De l'utilité des parties
du corps humain

Gallimard
© Éditions Gallimard, 1994.
INTRODUCTION

VIE DE GALIEN

Après Hippocrate, Galien est le plus célèbre médecin de l'Antiquité.


C'est également celui dont l'influence fut la plus durable: de son
époque, le IIe siècle après Jésus-Christ, jusqu'au XVIIe siècle, voire le
XVIIIe, il fut la source essentielle de toute la médecine, tant dans le
monde chrétien que dans le monde musulman. Son œuvre est l'une
des plus volumineuses qui soit; l'édition Kühn, qui regroupe la plus
grande partie de ses traités, occupe 22 volumes, soit environ 20 000
P<\ges; cette édition étant bilingue, grecque et latine, les textes de
Galien proprement dits n'en couvrent qu' environ 10 000, mais il faut y
ajouter d'autres traités qui ne nous sont parvenus qu'en arabe. Du fait
de sa profusion même, c'est une œuvre d'un abord difficile; non
seulement il n'en existe de traduction complète en aucune langue
moderne, mais nous ne disposons d'aucune édition critique de la
totalité des textes (l'édition Kühn est très imparfaite à cet égard, elle
n'est pas complète et comprend des traités inauthentiques).

On connaît relativement bien la vie de Galien, car son œuvre


contient de nombreuses indications autobiographiques; ses dernières
années et sa mort restent cependant assez obscures. Il naquit en 129
après J.-C. à Pergame (dans l'actuelle Turquie) et mourut vers 200,
vraisemblablement dans sa ville natale. Il eut une formation très
étendue et très diversifiée (en médecine, mais aussi en philosophie,
logique, mathématique). Il effectua l'essentiel de sa carrière de méde­
cin à Rome. Cette carrière fut brillante (il fut notamment médecin de
l'empereur Marc Aurèle et de son fils, Commode). Cette position
sociale· élevée, ses nombreux écrits, la haute considération qu'il avait
de lui-même et une certaine tendance à l'autoritarisme et au <log-
X Galien - Œuvres médicales choisies

matisme, contribuèrent à imposer ses idées et à les pérenniser. À quoi


l'on doit ajouter que son inspiration monothéiste (d'origine stoï­
cienne) le rendait sympathique tant aux juifs et aux chrétiens que, plus
tard, aux musulmans; sa médecine traversa ainsi les siècles sans
rencontrer d'opposition religieuse.
129. Naissan�e de Galien à Pergame
Galien naquit à Pergame en 129 après Jésus-Christ. La ville de
Pergame était alors un centre médical très important, où se
trouvait notamment l'Asclépion, célèbre temple à Asclépios, dieu
de la médecine. La famille de Galien était une famille patri­
cienne; Nicon, son père, était un architecte réputé.
129-144. Éducation par son père
De 129 à 144, Galien reçut une éducation de son père, sans doute
à la campagne aux alentours de Pergame. Nicon, que Galien
révéra toute sa vie (alors qu'il méprisait quelque peu sa mère,
dont il comparait le caractère à celui de Xanthippe, la femme de
Socrate), était partisan d'une éducation la plus libérale et la plus
ouverte possible, ce qui est sans doute à l'origine d'un certain
éclectisme philosophique propre à Galien.
144-146. Études philosophiques à Pergame
Galien eut à Pergame une éducation philosophique très variée,
puisqu'il reçut l'enseignement d'un platonicien, d'un péripatéti­
cien, d'un stoïcien et d'un épicurien. À l'exception de l'épi­
curisme, qu'il rejeta par la suite, il conserva dans sa philosophie
personnelle des éléments des principales doctrines qu'il avait
étudiées, surtout du stoïcisme dont son œuvre, tant médicale que
philosophique, est imprégnée. Pergame était, à cette époque, non
seulement un centre médical très important, mais aussi l'un des
centres du christianisme naissant. Si Galien resta toute sa vie un
païen, il connaissait les doctrines juives et chrétiennes; il semble
avoir été attaché à un certain monothéisme, plus philosophique
que religieux, ce qui contribua largement au succès ultérieur de
son œuvre, dans les mondes juif, chrétien et musulman.
147-151. Études anatomiques à Pergame
Alors qu'il était destiné à devenir fonctionnaire, Galien vit sa
carrière orientée vers la médecine à la suite d'un rêve inspiré à
son père par Asclépios (le rêve avait un rôle important dans la
médecine grecque primitive, notamment dans la pratique de
Introduction XI

l' « incubation », voir ci-après). Il entreprit des études médicales


à Pergame même, et d'abord des études anatomiques sous la
direction d'un des plus célèbres anatomistes de son temps,
Satyros.
151-152. Études à Smyrne
À la mort de son père, Galien partit étudier à Smyrne, ville
voisine de Pergame, sous la direction de Pelops pour la méde­
cine, et du platonicien Albinos pour la philosophie. Il commença
à rédiger son œuvre à ce moment (un traité en trois livres sur les
mouvements des poumons et du thorax).
152-157. Études à Corinthe et Alexandrie
Il poursuivit ses voyages et ses études médicales, d'abord à
Corinthe et surtout à Alexandrie, la capitale scientifique du
monde hellénistique et latin. Là, il travailla avec divers anato­
mistes, notamment Heracleianos. Il fit sans doute différents
voyages dans toute l'Égypte pendant ces cinq années.
158-161. Médecin des gladiateurs à Pergame
À l'âge de 28 ans, il retourna dans sa patrie, où il devint médecin
des gladiateurs. Il eut ainsi l'occasion de compléter son expé­
rience en anatomie humaine, en chirurgie (soins de fractures et
diverses plaies) et en hygiène (régime des athlètes).
161-162. Première visite à Rome
Il fit un premier séjour à Rome en 161-162, à peu près à l'époque
où Marc Aurèle devint empereur. Il y exerça la médecine. Les
raisons pour lesquelles il quitta Rome sont obscures; peut-être
eut-il quelques problèmes avec les médecins en place pour
lesquels il n'était pas tendre; peut-être aussi fuit-il l'épidémie de
peste qui commençait à dévaster Rome à ce moment.
163-168. Retour à Pergame, et service médical militaire à Aquilée
Il se réinstalla à Pergame où il resta quelque temps, avant d'être
appelé à se rendre comme chirurgien militaire à Aquilée, d'où les
empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus se préparaient à partir
en guerre contre les Germains.
169-175. Médecin de Commode, fils de Marc Aurèle
Peut-être en raison d'une recrudescence de l'épidémie, Galien fut
finalement renvoyé à Rome pour être le médecin de Commode, le
jeune fils de Marc Aurèle, fonction qu'il occupa jusqu'en 175
(Commode avait alors 14 ans).
XII Galien - Œuvres médicales choisies

175-192. Séjour à Rome


Tout en restant médecin de la Cour (y compris après la mort de
Marc Aurèle et l'avènement de Commode en 180), il exerça à
Rome, au moins jusqu'en 192. En 192, survinrent à la fois la mort
de Commode et un gigantesque incendie qui ravagea le centre de
la ville, incendie dans lequel une grande partie des manuscrits de
Galien furent détruits; notamment des manuscrits qui n'avaient
pas été « publiés ».
Après 192. Retour à Pergame
Il est probable qu'à ce moment Galien quitta Rome et retourna à
Pergame. Il y aurait travaillé à reconstituer ses livres perdus.
200 (?). Mort à Pergame (?)
On pense qu'il mourut vers 200 dans sa ville natale. On ne sait
rien de ses dernières années, ni de sa mort.

LA BIOLOGIE ET LA MÉDECINE AVANT GALIEN

De la médecine antique antérieure à Galien, la postérité a surtout


retenu le nom d'Hippocrate (460-360 avant Jésus-Christ, environ).
Entre Hippocrate et Galien, presque six siècles se sont écoulés, six
siècles dont la médecine est assez mal connue et où diverses écoles ont
coexisté plus ou moins pacifiquement dans le monde grec, puis le
monde gréco-latin.
Si Hippocrate est la grande référence en matière de médecine, il faut
se tourner, pour ce qui concerne la biologie antique, vers Platon (avec
le Timée) et, surtout, vers Aristote dont plus d'un tiers de l'œuvre est
consacré à cette discipline.
Nous exposerons successivement, de manière sommaire, les doc­
trines d'Hippocrate, Platon et Aristote en ces.domaines, puis celles des
différentes écoles de médecine du monde hellénistique et romain
d'avant Galien 1•
Hippocrate et la première médecine grecque
Hippocrate (460-360 av. J.-C., environ) et les médecins de son école
nous ont laissé un très grand nombre de traités 2• Nous ne discuterons
pas ici la question de l'attribution précise (d'ailleurs controversée) de
1. Pour un exposé plus détaillé de la médecine d'Hippocrate, voir A. Pichot,
La naissance de la science (Gallimard, Folio-Essais, Paris, 1991); pour les
biologies de Platon, Aristote et Galien, voir A. Pichot, Histoire de la notion de vie
(Gallimard, Tel. Paris, 1993).
2. La seule traduction française intégrale est : Hippocrate, Œuvres complètes,
Introduction XIII

ces textes regroupés dans la collection hippocratique; ils sont quelque


peu hétérogènes, mais on peut les considérer comme représentatifs de
la médecine grecque des v" et IV" siècles avant Jésus-Christ. Hippo­
crate, ou les médecins dont les écrits sont conservés dans la collection
hippocratique, ont sorti la médecine de la magie pour en faire sinon
une science, du moins un art assez largement fondé sur l'expérience
raisonnée.

Les traités hippocratiques sont surtout médicaux, s'occupant de


maladies et de traitements plus que d'anatomie et de physiologie.
Quand ils ne sont pas purement empiriques, ils sont sous-tendus par
certaines conceptions biologiques qui sont parfois explicitées. Ces
conceptions contiennent des bribes provenant des divers présocra­
tiques, de Platon et d'Aristote. La principale, et la plus célèbre, de ces
conceptions est la théorie des humeurs; elle sera reprise par Galien et,
sous sa forme galénique, traversera les siècles jusqu'à la Renaissance.
Dans cette théorie, le corps est constitué de quatre humeurs (le
sang, la pituite ou phlegme, la bile jaune et la bile noire). Chacune
d'elles est rattachée à un organe, qui est plus ou moins clairement
censé la fabriquer; le cœur pour le sang, l'encéphale pour la pituite, le
foie pour la bile jaune, la rate pour la bile noire. L'équilibre entre les
humeurs correspond à l'état de santé, tandis que leur déséquilibre
explique les maladies. Cette théorie reprend la conception, plus
ancienne, de l'isonomie, conception qu'on attribue en général au
médecin pythagoricien Alcméon (acmé vers 500 av. J.-C.), pour qui la
santé était l'équilibre entre les quatre qualités primordiales (chaud,
froid, sec, humide), et la maladie leur déséquilibre.
Il existe un bon parallélisme entre cette théorie hippocratique des
humeurs et la physique d'Empédocle, qui utilise quatre éléments (la
terre, l'eau, l'air et le feu) plus ou moins reliés aux traditionnelles
quatre qualités primordiales (chaud, froid, sec, humide). Hippocrate
caractérise d'ailleurs les quatre humeurs par ces qualités (ainsi la
pituite est une humeur plutôt froide, et le sang une humeur plutôt
chaude), et les rattache aussi aux quatre saisons (en distinguant les
maladies selon la saison où elles apparaissent, ce qu'il explique par
une sorte d'affinité entre le caractère climatique et l'humeur de même
qualité; par exemple, en hiver, saison froide, apparaissent des mala-

traduction par É. Littré (JO volumes), Baillière, Paris, 1839-1861. Il existe une
traduction moderne d'un certain nombre de traités (par R. Joly et J. Jouanna),
aux éditions Les Belles Lettres, Paris.
XIV Galien - Œuvres médicales choisies

dies par excès de pituite, humeur froide). Il établit ainsi une sorte de
correspondance entre le corps et le monde. Cette correspondance est
très nettement affirmée dans certains traités, notamment celui Du
régime et celui Des semaines, où est esquissée une théorie du corps
comme microcosme au sein du macrocosme (avec des comparaisons
de la terre et de la chair, du sang et de l'eau des rivières, de la chaleur
du corps et de celle du soleil, etc.).
Par ailleurs, pour Hippocrate (comme pour toute la biologie jusqu'à
Descartes, y compris celui-ci), le cœur possède un feu inné (dans le
ventricule gauche); le rôle de la respiration est de le refroidir. L'air
inspiré est supposé gagner le cœur par la veine pulmonaire; il s'y
réchauffe et est alors envoyé à tout le corps par les artères qui
répartissent cette chaleur entre les différents organes. De ce que les
artères des cadavres sont souvent vides de sang (ce qu'ils avaient
observé), les anciens Grecs avaient conclu que ces artères véhiculaient
de l'air (c'est Galien qui montrera qu'elles contiennent du sang),
tandis que les veines transportaient le sang (que leur fournissait le foie
ou le cœur, selon les auteurs). Le sang servait à nourrir les organes.
L'air, réchauffé par le cœur et distribué par les artères, était considéré
comme ce qui vivifiait le corps. Il possédait en effet les caractéris­
tiques traditionnelles de la vie, le souffle et la chaleur; de plus, il se
rattachait directement au cœur, centre vital par excellence, et, par
celui-ci, au sang, substance non moins attachée traditionnellement à
la vie.

Tout ceci se retrouvera, sous des formes variées, dans les physiolo­
gies ultérieures, et existait déjà plus ou moins dans les physiologies
contemporaines, celles de Platon et Aristote. C'est par sa médecine
qu'Hippocrate innove véritablement, du moins pour autant qu'on
puisse en juger car la médecine grecque antérieure est assez mal
connue.
Comme en Mésopotamie et en Égypte, la médecine grecque a
d'abord été comprise dans un cadre magico-religieux. Apollon puis
Asclépios étaient les divinités qui présidaient à cet art exercé en leurs
temples par des prêtres. L'une des pratiques médicales les plus
remarquables était l'incubation : après avoir effectué les purifications
requises (jeûne, bain, etc.) et s'être acquitté des offrandes demandées,
le malade passait la nuit dans le temple, aux pieds de la statue du dieu;
celui-ci lui apparaissait en rêve pendant son sommeil et lui indiquait le
traitement approprié à sa maladie; au réveil, le malade racontait le
rêve aux prêtres qui, après interprétation, appliquaient ledit traite­
ment (en général un régime, des bains, des massages, ou autre
traitement diététique ou hydrothérapique - ce type de soins étant le
plus fréquent dans la Grèce antique). Cette pratique était très vraisem-
Introduction XV

blablement encore en vigueur, à côté d'une médecine plus laïque, au


temps de Galien, notamment dans l'Asclépion de Pergame (d'où
l'importance du rêve de Nicon dans la vocation médicale de Galien).
Qu'ils aient ou non constitué de véritables écoles de médecine, ces
temples ont accumulé et transmis un savoir médical. Remarquer que,
bien que sa médecine fût parfaitement laïque, la légende rattache
Hippocrate à la famille des Asclépiades, le faisant ainsi descendre du
dieu de la médecine.
Outre la médecine religieuse, et peut-être dérivant d'elle, la Grèce a
connu différentes écoles médicales aux vit' et v" siècle av. J.-C. Chrono­
logiquement, l'école de Crotone, l'école de Sicile, l'école de Cnide, et
enfin l'école de Cos, celle d'Hippocrate. Sans compter ici les médecins
indépendants. Parler d' « écoles » est peut-être un peu abusif, car il n'y
a pas de limites très nettes entre les différentes doctrines, et celles-ci
ne sont d'ailleurs connues que très vaguement.
Le fondateur et principal représentant de l'école de Crotone est
Alcméon. Elle se rattache donc à l'école pythagoricienne (Alcméon
était un disciple direct de Pythagore). Parmi les disciples d'Alcméon,
on connaît Timothée de Métaponte et surtout Démocède (fin du VIe
siècle av. J.-C.) qui, selon Hérodote, fut le médecin du roi des Perses,
Darius, et guérit la reine Atessa d'une tumeur à la poitrine. Cette école
se caractérise par sa définition de la santé comme isonomie, équilibre
entre les qualités primordiales (chaud, froid, sec, humide) ou entre les
éléments constitutifs du corps (classés en couples de contraires,
comme dans la tradition pythagoricienne), et la maladie comme un
déséquilibre entre ces qualités ou éléments.
On retrouve cette thèse dans l'école de Sicile, dont le fondateur est
Empédocle. Cette école n'est d'ailleurs pas véritablement distincte de
celle de Crotone; leurs tendances sont similaires, l' une prolongeant
l'autre et la faisant évoluer, si différentes que soient les personnes et
les philosophies de Pythagore et d'Empédocle. Parmi les disciples
d'Empédocle, il y eut un médecin nommé Acron (dont l'acmé se situe
vers 430 av. J.-C.) qui étudia l'influence de l'air et des vents sur la
santé, et soigna les Athéniens lors de la peste de 425-420.
Les deux autres écoles, Cnide et Cos, sont situées de l'autre côté du
monde grec, sur la côte ionienne (non loin de Smyrne où, bien plus
tard, étudiera Galien). Bien qu'on les oppose souvent, ces deux écoles
sont au moins aussi proches l'une de l'autre que les thèses médicales
d'Alcméon et d'Empédocle le sont entre elles (certains traités de la
collection hippocratique sont d'ailleurs considérés comme d'origine
cnidienne). L'école de Cnide aurait été fondée dans la première moitié
du v" siècle av. J.-C. par Euryphon et Hérodicos. Elle est un peu
antérieure à Hippocrate (460-360) et à l'école de Cos dont il passe pour
XVI Galien - Œuvres médicales choisies
le fondateur ou, du moins, le membre qui lui donna toute son
importance (un autre membre important fut Polybe, son gendre et
successeur à Cos). Hippocrate reprochait aux cnidiens un empirisme
trop étroit, la reconnaissance d'un trop grand nombre de maladies (3
tétanos, 3 phtisies, 4 ictères, etc.) du fait de la prise en considération
non sélective de trop de détails dans la description des symptômes, un
usage trop exclusif de la purgation, du lait et du petit-lait. Malgré ces
différences dans la pratique, il ne semble pas que les théories médi­
cales des deux écoles aient été fondamentalement différentes : on y
trouve des humeurs (quatre en général) qui sont en équilibre dans
l'état de santé, et en déséquilibre lors de la maladie; ce qui montre une
certaine unité des thèses médicales grecques puisque des notions
comparables figuraient déjà dans les écoles de Crotone et de Sicile.
Dans les faits, ces différents courants ont peu laissé de traces dans
l'histoire, ils ont été occultés par le corpus hippocratique qui a fixé par
l'écrit une certaine doctrine comportant à la fois des éléments origi­
naux et des éléments pris aux diverses écoles précédentes, plus ou
moins bien amalgamés (son hétérogénéité en témoigne).
La première caractéristique de la médecine hippocratique est sa
laïcité : elle est totalement indépendante de la religion et de la magie.
Les médecins ne sont plus des prêtres, intercédant auprès de la
divinité et vivant d'offrandes, mais des hommes exerçant un métier et
rétribués pour cet exercice (par le malade ou par la cité). La médecine
n'est plus un sacerdoce, mais une technique et un art. Les causes des
maladies n'ont plus rien de surnaturel, même celles de la maladie
sacrée (épilepsie) et des maladies mentales. De même, les remèdes
préconisés sont tous naturels; on n'y trouve aucune incantation,
aucun exorcisme, ou autres procédés analogues. Outre les traitements
chirurgicaux, la médecine hippocratique a recours à diverses sub­
stances minérales, végétales ou animales, sous formes variées, à des
régimes alimentaires, des bains, des massages, etc.
Sous-jacents à cette laïcisation (sans qu'on puisse dire s'ils en sont
la cause ou l'effet), il y a les principes mêmes de la pratique médicale.
D'une part, Hippocrate critique en médecine le rationalisme a priori :
on ne peut comprendre les maladies et, a fortiori, les soigner en se
donnant un principe a priori et en construisant à partir de lui un
système par un pur raisonnement (ce que fait pourtant l'auteur d'un
des traités de la collection hippocratique, Des vents, en posant l'air
comme principe et en établissant un système a priori se fondant sur lui
pour expliquer toutes les maladies). Mais il ne faut pas non plus
tomber dans l'extrême opposé, un pur empirisme. Ainsi, comme nous
l'avons dit, Hippocrate reproche aux médecins cnidiens (dans le traité
Introduction XVII

De l'ancienne médecine) de trop suivre les données de l'observation, et


d'admettre un trop grand nombre de maladies, car ils ne discriminent
pas ce qui, dans les symptômes, est signifiant et ce qui est subalterne
(ce qui relève du cas individuel plutôt que de la maladie en tant
qu'entité pathologique). S'il ne faut pas raisonner a priori, ni suivre de
trop près les données immédiates de l'expérience, il faut raisonner sur
l'expérience (Préceptes).
Il faut d'abord procéder à un examen total du malade, de son état
général aussi bien que des symptômes particuliers. Ensuite, il faut
rapporter les observations entre elles, et comparer à l'état de santé. De
sorte qu'on peut alors non seulement établir un diagnostic, mais aussi
évaluer l'évolution de la maladie. Tout ceci nécessite que les observa­
tions soient soigneusement notées, collectées, comparées, afin de
dégager les principes régissant l'évolution des maladies, les lois per­
mettant d'établir un diagnostic et un pronostic à partir des symp­
tômes. Ce qui a sans doute été fait dans les temples, et qui a été
poursuivi de manière élaborée par l'école de Cos (les traités Des
épidémies rassemblent des textes de cette nature).

La maladie est due au déséquilibre et/ou à la séparation des


humeurs; la guérison s'obtient alors par la coction (c'est-à-dire la
cuisson) de ces humeurs, coction qui neutralise l'excès d'une humeur
par son mélange et sa cuisson avec les autres, et rétablit ainsi l'homo­
généité, l'équilibre et la neutralité de leur ensemble.
Pour provoquer cette coction, pour rétablir l'équilibre des humeurs,
et donc la sa,nté, le médecin doit d'abord être prudent et ne pas se
lancer dans des traitements inconsidérés, car tout ne lui est pas
possible. Il doit suivre et aider la nature qui, seule, guérit. Néanmoins,
il n'est pas dépourvu de moyens thérapeutiques, adjuvants efficaces de
cette capacité curative qu'a la nature. En général, le médecin rétablit
l'équilibre en favorisant l'humeur minoritaire, ou en défavorisant la
majoritaire (quoique parfois il faille faire le « semblable » et non le
« dissemblable »). Ainsi, « les maladies dues à la plénitude se gué­
rissent par l'évacuation; dues à l'évacuation, par la plénitude; dues à
l'exercice, par le repos; dues à l'oisiveté, par l'exercice... » (De la
nature de l'homme). Auparavant le même traité avait précisé que les
maladies accrues par l'hiver cessent l'été, et réciproquement.
Pour agir, le médecin dispose de divers traitements médicaux ou
chirurgicaux : saignées, ventouses, cautérisations, massages, bains,
drogues diverses en potions, cataplasmes, onguents, suppositoires,
etc. L'élément le plus important de la thérapeutique est cependant le
régime alimentaire. On pensait d'ailleurs que la médecine dérivait de
la diététique, ou plutôt, qu'elle était le prolongement des efforts faits
XVIII Galien - Œuvres médicales choisies

par les premiers hommes pour améliorer leur régime alimentaire,


pour concevoir des aliments plus élaborés et convenant mieux que
ceux, bruts et crus, que propose la nature (De l 'ancienne médecine).
L'importance accordée au régime alimentaire dans la thérapeutique
s'explique également par le fait que l'une des causes supposées de la
maladie résidait dans l'inappropriation de l'alimentation à la constitu­
tion de l'individu, son activité, son âge, la saison, etc. Une autre cause
étant le climat, l'humidité ou la sécheresse excessive, la chaleur ou le
froid. La thérapeutique se comprend comme une application de ces
principes diététiques. Il faut contrer le déséquilibre des humeurs par
un régime adapté (en tenant compte de l' âge, de la complexion, de
l'activité, de la saison, etc.) ou par un autre traitement censé avoir le
même effet.

Aujourd'hui (et cela depuis au moins le XVIIIe siècle), on entend par


médecine hippocratique une médecine expectante, une médecine qui
ne prétend qu'aider la nature dans le processus de guérison, et qui
n'emploie que des traitements assez doux, un régime alimentaire, des
bains, etc. Cette conception, fondée sur la notion de natura medicatrix,
la nature médecin, est formulée par Hippocrate lui-même : « La
nature est le médecin des maladies. La nature trouve pour elle-même
les voies et moyens, non par intelligence; [ ... ] La nature, sans instruc­
tion et sans savoir, fait ce qu'il convient » (Hippocrate, Épidémies, 6e
livre, 5e section).
La conception hippocratique est imprégnée d'un finalisme voulant
que l' être vivant tende à se conserver dans son être; implicitement, elle
fait même de cette tendance la caractéristique essentielle de la vie
(cela deviendra tout à fait clair chez Aristote). C'est là, pour la
première fois clairement exprimé, que la finalité entre dans la biolo­
gie. Elle le fait par la médecine, ce qui est très compréhensible. En
effet, au contraire des objets inanimés, les êtres vivants peuvent être
malades, et ils peuvent guérir; la finalité ne pouvait entrer dans la
biologie que par la voie de la maladie, de l'imperfection, qui suppose
un état de santé, une perfection, comme ce vers quoi tend l'être vivant.
Mis à part le texte cité ci-dessus, cette conception de la natura
medicatrix n'est cependant pas explicitement développée par Hippo­
crate, elle reste sous-jacente à sa thérapeutique sans être vraiment
théorisée. Il ne semble d'ailleurs pas que ce soit elle que les médecins
antiques aient retenue de la médecine hippocratique (poussé à
l'extrême, le principe de la natura medicatrix rendrait le médecin
inutile), mais bien plutôt un certain empirisme rationalisé mêlant
théorie et observation, une pratique médicale assez pragmatique,
dégagée de la magie et accompagnée d'une vague explication par les
Introduction XIX

humeurs. C'est Aristote, en théoricien plutôt qu'en médecin, qui a


véritablement donné toute son importance à l'aspect finaliste et en a
fait l'une des bases de sa biologie. La natura medicatrix sous-tend tout
un pan de la biologie aristotélicienne, et c'est essentiellement sous
cette forme aristotélicienne, plus biologique que véritablement médi­
cale, qu'elle traversera les siècles. Elle est traditionnellement
comprise comme une forme de vitalisme (ce qui est un peu abusif et
anachronique), car elle suppose qu'il y a dans le corps une tendance à
rétablir l'état de santé, une tendance à vivre, qui vient à bout de la
maladie; cet état de santé joue comme cause finale.
Sous sa forme aristotélicienne ou dans sa formulation hippocra­
tique plus vague, ce principe de la vie comme conservation de l'être
dans son être, hormis une éclipse partielle dans le mécanisme des XVIIe
et XVIIIe siècles, ne sortira plus de la biologie ni de la médecine, qu'on
l'admette ouvertement ou qu'on le rejette sans savoir s'en passer.
La biologie de Platon
L'œuvre de Platon compte peu d'éléments qui soient proprement
biologiques ou médicaux. Le dialogue platonicien le plus riche en ce
domaine est le Timée ; Galien en tirera un certain nombre de ses idées,
et il en écrira un commentaire (voir bibliographie). Le Timée est un
dialogue extrêmement compliqué et obscur ; d'inspiration pythagori­
cienne (on dit que Platon le composa à partir de livres que le
pythagoricien Philolaos lui avait vendus}, il est très difficile à inter­
préter. Aussi nous bornerons-nous à indiquer les grandes lignes d'une
possible biologie de Platon, sans entrer dans les détails.
Comme ce sera le cas chez Aristote, mais différemment, la biologie
de Platon est surtout une psychologie, au sens étymologique du terme,
une science de l'llme. L'être vivant y est d'abord caractérisé par le fait
qu'il possède une âme.
D'après le Timée, le démiurge créa l'univers suivant le modèle,
immuable et parfait, du monde des Idées. Ce sont les dieux qui, une
fois eux-mêmes créés par le démiurge, créèrent les hommes ; les autres
êtres vivants dérivent de ceux-ci. En effet, pour Platon, l'homme est
l'être vivant le plus parfait, le plus achevé, dont les autres animaux
(mais aussi la femme) ne sont que des formes imparfaites, dégradées
en raison de leurs fautes. On retrouve là la métempsycose pythagori­
cienne ; on peut aussi y voir une conséquence du finalisme : dans
celui-ci, la fin est préexistante puisqu'elle est ce qui « commande » ; la
forme parfaite (la fin) doit donc être première, les autres n'en étant
que des formes plus ou moins dégradées (qui devront tendre vers ce
modèle, dans cette vie, ou dans une autre).
XX Galien - Œuvres médicales choisies

Pour faire les hommes, les dieux formèrent les corps et les asso­
cièrent à une âme. Ils fabriquèrent les corps avec de la terre, de l'eau,
de l'air et du feu, c'est-à-dire les quatre éléments de la physique
d'Empédocle, que Platon intègre dans sa propre physique en leur
donnant une nature particulaire (sur un mode pythagoricien, puisque
ces particules sont censées avoir la forme de quatre des cinq solides
réguliers, le tétraèdre, le cube, l'octaèdre et l'icosaèdre).
Quant à l'âme, elle est multiple. L'homme est en effet caractérisé
par la possession de deux, voire de trois âmes :
- une âme pensante, rationnelle et immortelle dans la tête (dans
l'encéphale) ;
- une âme mortelle, responsable des fonctions végétatives et des
« bas instincts », dans le ventre ou, plus précisément, dans, ou devant,
le foie (ce « devant le foie » pourrait être compris comme l'estomac,
l'origine de l'appétit matériel alimentaire ; mais chez Galien, qui se
réclame de Platon en cette matière, la localisation du principe nutritif
est clairement le foie lui-même);
- une âme « intermédiaire » (entre les deux précédentes, entre la
pensée et la vie), mortelle elle aussi, siégeant dans le cœur. Plutôt
qu'une âme à part entière, cette âme intermédiaire est, semble-t-il,
une partie de l'âme mortelle; celle-ci serait alors scindée en deux, une
partie dans le cœur et l'autre dans le foie. La partie logée dans le cœur
serait responsable des « sentiments nobles » (le courage, par
exemple), sentiments qui, sans être purement intellectuels et ration­
nels (le domaine de l'âme immortelle), ne sont cependant pas aussi
bruts et vils que les appétits de l'âme logée dans le foie.

La physiologie de Platon est très sommaire ; elle cherche à expliquer


le contrôle du corps par les âmes, l'âme immortelle et rationnelle de la
tête, et l'âme mortelle et appétitive du ventre. Cette dernière est plus
spécialement responsable de la vie, c'est pourquoi elle est mortelle
(tandis que l'âme pensante, qui a affaire à la rationalité et au monde
des Idées, est immortelle). Chez l'homme, la vie n'étant pas complète­
ment séparée de la pensée, l'âme appétitive est en relation avec l'âme
rationnelle, d'où cette âme intermédiaire dans le cœur. La raison, les
sentiments nobles et les appétits animaux (localisés, respectivement,
dans la tête, le cœur et le foie) animent ainsi l'être vivant, du moins
l'homme, qui est l'être vivant par excellence (les autres n'en étant que
des formes dégradées).
Le cœur, en tant qu'intermédiaire entre l'âme rationnelle du cer­
veau et l'âme appétitive (vitale) du foie, est le centre commandant le
corps (en tenant compte à la fois des « ordres » de l'âme pensante
encéphalique et des appétits de l'âme hépatique). Comme chez Hippo-
Introduction XXI

crate, il est le siège d'une chaleur intense, un feu inné qui a un rôle
important dans les processus vitaux. Selon une tradition parallèle, la
respiration est chargée du refroidissement de ce feu, afin de le
maintenir dans une limite acceptable.
Le cœur exerce son rôle par l'intermédiaire du système vasculaire.
Platon compare ce système à un réseau d'irrigation grâce auquel le
sang nourrit le corps. Il ne connaît évidemment pas la circulation à
proprement parler, c'est-à-dire un mouvement circulaire (il faudra
attendre le XVIIe siècle et Harvey pour que la circulation générale soit
découverte), mais seulement un déplacement du sang selon une
modalité assez compliquée où une sorte de flux et reflux sanguin est
associée à la respiration, de la manière dont ils l'étaient déjà chez
Empédocle 1 • Grâce à ce mouvement, le sang (et sans doute l'air)
parvient jusqu'aux différentes parties du corps qui sont ainsi nourries,
échauffées et animées.
Dans ce processus, si l'air provient de la respiration, le sang, lui, est
fabriqué à partir des aliments. Ceux-ci sont digérés grâce au feu, à la
chaleur du corps, ce qui les transforme en sang. Platon ne précise pas
où se déroule cette élaboration du sang à partir des aliments ; chez
Aristote, ce sera dans le foie et le cœur ; chez Galien, dans le foie
seulement.Une fois élaboré, ce sang, irriguant le corps, sert lui-même
d'aliment aux différents tissus et organes.

Platon, enfin, propose une explication des maladies, qui rappelle un


peu celle d'Hippocrate, son contemporain, puisqu'elle est fondée sur
un déséquilibre dans la répartition, non des quatre humeurs, mais des
quatre éléments (feu, air, eau, terre) dans la constitution du corps. Il
introduit cependant une nouveauté : il faut également qu'il y ait un
équilibre entre l'âme et le corps, sans quoi il y a aussi maladie. Une
âme trop forte dans un corps chétif consume celui-ci en lui imposant
des mouvements trop intenses pour lui; une âme trop faible dans un
corps trop fort laisse les bas instincts dominer et provoque « la plus
grave des maladies, l'ignorance ».
Cette conception d'un équilibre entre le corps et l'âme les distingue
fondamentalement l'un de l'autre, et rend l'âme étrangère, sinon
extérieure, au corps (ce qui est conforme à la croyance à la métempsy­
cose). L'âme aristotélicienne sera, elle, étroitement liée au corps dont
elle est la forme.
1. Chez Empédocle, on trouve la description d'un mouvement du sang
associé à un mouvement de l'air dans les vaisseaux; le sang aurait dans ces
vaisseaux une alternance de flux et de reflux, aspirant et repoussant alternative­
ment l'air en eux (nous avons vu, à propos d'Hippocrate, que les anciens Grecs
croyaient que les artères véhiculaient de l'air dans le corps).
XXII Galien - Œuvres médicales choisies

La biologie d 'Aristote
Aristote, bien qu'il fût fils de médecin, ne traita jamais de la
médecine dans ses différents ouvrages; en revanche, la biologie y
occupe une place extrêmement importante, au point qu'on peut
considérer qu'elle sous-tend la plus grande partie de sa philosophie.
Les êtres vivants sont, pour Aristote, dotés d'une âme. L'âme
aristotélicienne, de manière encore plus nette que l'âme platoni­
cienne, est un principe moteur, c'est véritablement ce qui anime l'être
vivant, ce qui lui donne son mouvement (au sens large qu'a ce terme
chez Aristote); et une grande partie de la biologie aristotélicienne est
l'étude de la manière dont l'âme procède pour ainsi animer le corps.
Le monde selon Aristote est presque aussi vivant que le monde de
Platon. Il possède, au-delà des astres, un principe moteur, « le premier
moteur immobile » (plus ou moins assimilé à la divinité), qui donne
aux astres leur mouvement, lequel, via divers intermédiaires, est à
l'origine de tous les mouvements du monde sublunaire. Les êtres
vivants, en ce qu'ils possèdent une âme, ont, eux, un principe moteur
autonome qui les fait échapper, partiellement, à cette dépendance
vis-à-vis du premier moteur.
Chez Aristote, le mouvement est de trois sortes, tant pour ce qui
concerne les êtres vivants que les objets inanimés. C'est d'abord le
mouvement local, le déplacement; mais c'est aussi le changement
quantitatif (accroissement et diminution) et le changement qualitatif
(altération). Dans les êtres vivants, ces trois types de mouvements sont
tous sous le contrôle de l'âme, au lieu que, pour les objets inanimés, ils
relèvent tous du premier moteur immobile.

La problématique de la vie est beaucoup plus sophistiquée que chez


Platon et, surtout, elle définit l'âme tout autrement.
Pour Aristote comme pour Platon, il existe plusieurs sortes d'âmes.
Plus exactement, pour Aristote, l'âme a plusieurs facultés distinctes
correspondant à peu près aux âmes platoniciennes; mais, le plus
souvent, il parle de ces trois facultés comme s'il s'agissait d'âmes
distinctes; c'est aussi ce que nous ferons ici pour faciliter l'exposé.
Pour Aristote, il y a donc:
- une âme nutritive que possèdent tous les êtres vivants, animaux et
végétaux. Elle est responsable de la vie végétative; sa fonction pre­
mière est la nutrition (dont dépend, chez Aristote, la quasi-totalité de
la physiologie, y compris la génération);
- une âme sensitive, propre aux animaux. Elle concerne la vie de
relation, sensibilité et motricité, mais aussi l'appétit, le désir;
Introduction XXIII

- une âme rationnelle, propre à l'homme. C'est l'âme pensante, elle


concerne la pensée dans sa dimension purement intellectuelle.
Les êtres vivants possèdent une, deux ou les trois âmes, selon leur
position dans l'échelle de perfection croissante où ils sont classés 1 ;
étant donné qu'un être ne peut avoir une âme rationnelle sans une
âme sensitive, ni une âme sensitive sans une âme nutritive. L'âme,
quelle qu'elle soit (puisqu'en fait il ne s'agit que d'une seule âme dotée
d'une, deux ou trois facultés), est localisée dans le cœur (chez les
végétaux, dans le collet, entre la racine et la tige). Le cœur, en tant que
siège de l'âme, conserve donc son rôle fondamental de centre organi­
sateur du corps, d'autant plus que, contrairement à Platon, Aristote ne
voit d'âme ni dans le foie ni dans le cerveau (pour lui, le foie sert à
amorcer la transformation de l'aliment en sang, et le cerveau sert à
refroidir le sang échauffé dans le cœur).
Mais, la différence avec l'âme platonicienne tient moins à ces
quelques détails qu'à la nature même de l'âme aristotélicienne.
« L'âme, c'est la forme ». Ce célèbre aphorisme, censé résumer la
biologie d'Aristote, renvoie à la physique générale de cet auteur, et
spécialement à l'hylémorphisme, c'est-à-dire la théorie voulant que
tout être défini est constitué à la fois par une matière et une forme,
inséparables l'une de l'autre (il n'existe pas de matière sans forme ni
de forme sans matière). Forme étant pris dans une acception très
large, non seulement la forme extérieure (la morphologie), mais les
diverses qualités affectant une matière primitivement indéterminée.
Comme nous ne pouvons développer ici la physique aristotéli­
cienne, nous dirons simplement que l'âme joue alors son rôle moteur
de deux manières.
Tout d'abord, elle joue comme cause formelle et finale, c'est-à-dire
comme la forme que l'être vivant tend à acquérir. Ce rôle se manifeste
dans le développement (l'âme est alors la forme adulte vers laquelle
tend ce développement) et dans les lésions et les maladies (l'âme est
alors la forme « en santé » qui sous-tend le processus de guérison).

1. Il n 'y a pas, chez Aristote, de classification systématique des êtres vivants


(comme dans la taxonomie linnéenne). Les animaux sont cependant distingués
selon qu'ils sont « sanguins » (ce qui correspond approximativement aux verté­
brés) ou « non sanguins • (les invertébrés) ; les sanguins sont plus « parfaits »
(plus vivants) que les non sanguins et, parmi les sanguins, ceux qui sont les plus
chauds (oiseaux, mammifères) sont plus parfaits que les autres, l'homme étant
l'animal le plus parfait (le mâle plus que la femelle). La " classification »
aristotélicienne des animaux est donc surtout une échelle linéaire de perfection
croissante ; ce qui n'est pas sans rappeler Platon pour qui l'homme était l 'être
vivant le plus parfait, les autres animaux (y compris la femme) n'en étant que des
formes dégradées.
XXIV Galien - Œuvres médicales choisies
D'une manière générale, la matière résistant à la forme dans la
physique aristotélicienne, l'âme joue comme ce qui tend à maintenir
ou à rétablir l'être dans sa forme parfaite (la forme adulte en santé)
toujours imparfaitement réalisée matériellement. C'est l'interpréta­
tion aristotélicienne de la natura medicatrix hippocratique : la forme
aristotélicienne est substituée à l'équilibre des humeurs.
Du fait de la résistance de la matière à la forme, le second rôle de
l'âme est très théorique. Il ne s'exerce que chez l'adulte en santé ayant
réalisé la forme parfaite. L'âme est alors le principe de vie de cet
adulte, ce qui l'anime dans une vie qui ne tend plus vers un but (une
forme à réaliser) mais vaut par elle-même; une vie qui est son propre
but.
Il y a ainsi un double aspect de l'âme dans la biologie aristotéli­
cienne : pendant le développement (ou la guérison) l'âme meut le
corps comme la forme finale parfaite (adulte en santé) qu'il doit
atteindre et, à l'état adulte en santé, l'âme donne à l'être une vie qui est
une sorte d'existence en acte par excellence, une vie qui vaut par
elle-même et non comme le mouvement vers la forme parfaite 1 • Ces
deux aspects de l'âme sont en fait confondus, et ne sont que deux
manières différentes qu'elle a d'agir. Dans les faits, la biologie aristo­
télicienne s'attache beaucoup plus au premier aspect : comment l'âme
commande à la nutrition par laquelle le corps est constitué à partir
d'une matière qu'elle doit animer, mettre en forme et mouvoir, dans la
génération, l'embryogenèse, le développement et la vie adulte.
Il va de soi qu'ici l'âme ne s'oppose pas au corps à la manière
platonicienne. Elle est au contraire liée à ce corps, dont elle est à la fois
la forme et le principe dynamique. Elle s'opposerait plutôt à la matière
qu'elle met en forme et anime (le corps est ainsi le composé de cette
âme et de la matière). Mais il ne faut pas trop accentuer cette
opposition, car la matière n'existe pas sans la forme, ni la forme sans
la matière. Il s'ensuit que l'âme n'est pas quelque chose qui est ajouté
au corps de manière arbitraire ; l'âme étant la forme du corps,
n'importe quelle âme ne convient pas à n'importe quel corps; d'où la
condamnation de la métempsycose pythagoricienne, où l'âme passe
de corps en corps, d'espèce en espèce, par sa transmigration. Dans
cette théorie aristotélicienne, l'âme ne devrait pas être localisée dans
une partie du corps, elle devrait être liée à la totalité de celui-ci; mais

1 . Un peu comme le premier moteur donne au ciel un mouvement circulaire,


mouvement qui est lui aussi acte par excellence, car il a sa valeur en soi, sans
autre fin que lui-même (contrairement au mouvement rectiligne qui, chez
Aristote, n'est que l' intermédiaire entre un point de départ et un point d'arrivée).
Introduction XXV

Aristote n'est pas exempt de contradictions, et, comme nous l'avons


dit, il localise l'âme dans le cœur.

Dans la physiologie aristotélicienne, l'âme, logée dans le cœur,


anime le corps par l'intermédiaire de la chaleur et du souffle. Le cœur,
chez Aristote comme chez Hippocrate et Platon, est le lieu d'une
chaleur intense, et c'est cette chaleur qui est l'instrument par lequel
l'âme agit sur la matière pour lui donner la forme du corps adulte en
santé (comme la chaleur et le feu sont les instruments par lesquels le
potier et le métallurgiste travaillent la terre et le fer). Cette chaleur
vitale est, selon Aristote, différente de la chaleur du monde sublunaire,
et elle s'apparente à la chaleur des astres, spécialement du Soleil. Dans
les faits, cependant, Aristote parle d'elle et l'utilise exactement comme
il le ferait d'une chaleur ordinaire. Par ailleurs, comme chez Hippo­
crate et Platon, le souffle joue un rôle fondamental, d'une part comme
modérateur de la chaleur cardiaque (dans la respiration) et, d'autre
part, sous forme d'un pneuma, souffle chaud vivifiant le corps.

La nutrition constitue à elle seule l'essentiel de la physiologie


aristotélicienne qui y ramène, directement ou indirectement, les prin­
cipales fonctions vitales. C'est l'opération par laquelle la matière des
aliments est transformée en la matière du corps par l'action de l'âme
et de la chaleur.
Pour Aristote, la chaleur vitale sert à « cuire » les aliments, à les
transformer et à les mouvoir à travers le corps. Cette « cuisson » (ou
« coction ») leur donne ainsi la forme qu'en tant que matière ils
doivent prendre pour constituer le corps. Comme chez Platon, le sang
joue un rôle fondamental : l'aliment est transformé en sang par la
chaleur vitale, et le sang lui-même se transforme en chair, os, moelle,
etc.
Dans l'estomac et l'intestin, les aliments sont chauffés et subissent
la coction, c'est-à-dire un traitement qui les cuit et les épaissit. Les
veines du mésentère viennent puiser dans l'estomac et l'intestin le
produit de cette cuisson (la partie de l'aliment, non ainsi prélevée par
les veines du mésentère, est éliminée sous forme de fèces). C'est cette
portion de l'aliment digéré, puisée dans l'intestin par les veines du
mésentère, qui va être transformée en sang. Pour cela, elle gagne, par
ces veines, le foie, puis la rate et les reins. Ces trois organes
commencent la transformation de l'aliment en sang en le purifiant de
certaines matières impropres (qui forment notamment la bile et
l'urine). Il ne s'agit pas ici de l'élimination de déchets issus du
métabolisme, notion inconnue d'Aristote, mais plutôt de l'affinement
XXVI Galien - Œuvres médicales choisies
de l'aliment, d'une première étape de sa transformation qui le débar­
rasse de certaines substances inutiles. C'est le cœur qui achève cette
élaboration du sang à partir de l'aliment. Ce passage par le cœur n'est
pas très clairement expliqué. Du foie, il est probable que les aliments
gagnent le cœur par la veine cave inférieure. Dans le cœur, l'aliment
digéré (le sang non totalement « cuit ») acquiert les propriétés défini­
tives du sang (grâce à la chaleur qui parachève la « coction » de
l'aliment préparé par le tube digestif et purifié dans le foie, la rate et
les reins).
Ce sang parachevé va alors dans les différents organes et les nourrit
de sa matière propre. Il ne remonte pas ensuite au cœur (Aristote
ignore tout de la circulation). Le cœur ne fonctionne pas comme une
pompe. Il se produit plutôt une sorte d'ébullition du sang qui gonfle le
cœur, d'où il déborde alors (comme l'eau déborde du vase où elle
bout), et gagne les parties périphériques du corps par les veines (et
non par les artères). Ce débordement entraîne le rétrécissement du
cœur; et ainsi de suite. Seule serait ici concernée la partie droite
(oreillette et ventricule) du cœur, celle qui contient le sang veineux ; la
partie gauche, « artérielle », du cœur servirait plutôt à la respiration
(voir ci-après). Un tel schéma est hyp othétique, car Aristote est peu
précis en ces domaines; en outre, ses descriptions du système vas­
culaire sont certes correctes dans leurs grandes lignes mais assez
sommaires : artères et veines ne sont pas bien distinguées et il commet
une erreur grossière en attribuant à l'homme un cœur à trois cavités
(ce qui provient soit d'une extension abusive de l' observation du cœur
des batraciens, soit d'une confusion de l'oreillette droite avec une
partie de la veine cave).
Au lieu d'une circulation, il y a donc un mouvement centrifuge, un
mouvement partant du cœur et allant vers les extrémités. Là, aux
extrémités, le sang nourrit les tissus et les organes. Ces tissus et
organes, plus ou moins chauds eux-mêmes, poursuivent la coction du
sang et fabriquent ainsi leur propre substance (comme la chair, la
graisse, la moelle, les cheveux et les poils, etc.), mais aussi des produits
de sécrétion (notamment le sperme et les menstrues). Pour ce qui
concerne la formation des tissus, des chairs, Aristote imagine que les
plus petits vaisseaux sanguins « s'embourbent », et que c'est cet
« embourbement » qui en fait de la chair.
En résumé, dans la nutrition, le passage de l'inanimé (l'aliment) au
vivant (le corps alimenté) se réalise grâce à l'âme nutritive qui, par
l'intermédiaire de la chaleur vitale, transforme de manière adéquate
l'aliment, en fait du sang, qui lui-même donne les différents composés
organiques (chair, os, graisse, moelle, sperme, etc.). Par la chaleur
Introduction XXVII

vitale, l'âme est donc responsable de cette « vivification » de la matière


inanimée qui constitue l'aliment.

Parmi les organes où les vaisseaux conduisent le sang, il faut


distinguer le rôle particulier du cerveau et, surtout, des poumons.
Le cerveau est considéré par Aristote comme un organe « froid »,
dont la fonction est la réfrigération. Le sang chaud qui sort du cœur y
monterait sous forme d'exhalaisons; ces exhalaisons y seraient refroi­
dies et condensées; elles redescendraient alors vers le reste du corps
un peu comme la pluie se forme à partir de la vapeur. Ce processus
aurait pour rôle de modérer la chaleur du sang, qui ne doit pas être
excessive. Contrairement à Hippocrate et Platon, Aristote ne consi­
dère absolument pas le cerveau comme le siège de la pensée et de la
sensibilité (pour lui, il ne contient d'ailleurs aucune âme); celles-ci
sont rattachées au cœur (où l'âme est localisée). D'après Aristote,
l'inaptitude du cerveau à jouer dans la sensibilité est démontrée, d'une
part, par l'absence de relations entre lui et les organes des sens
(absence établie « par la simple constatation visuelle », selon lui) et,
d'autre part, par le fait qu'il ne procure aucune sensation quand on le
touche (ce qui a sans doute pu être constaté lors d'une trépanation).
Comme le cerveau, la respiration a une fonction réfrigérante. La
ventilation ne sert pas à apporter de l'oxygène (il faudra attendre
Lavoisier pour comprendre la chaleur et la respiration en termes
d'oxydation), mais à modérer la chaleur du cœur, de sorte qu'elle se
prolonge et ne s'étouffe pas en s'emballant. Ce refroidissement s'effec­
tue en partie dans le poumon lui-même (Aristote constate que l'air
expiré est chaud) et en partie dans le cœur. En effet, l'air inspiré,
semble-t-il, franchit la paroi des alvéoles du poumon, passe dans les
vaisseaux sanguins pulmonaires, et gagne ainsi le cœur (par la veine
pulmonaire, et peut-être par l'artère pulmonaire, les textes ne sont pas
clairs).
Aristote ne dit pas ce que devient cet air dans le cœur. Par comparai­
son à Hippocrate et Galien, on peut lui imaginer le devenir suivant.
Après avoir modéré la chaleur cardiaque, il gagnerait les différentes
parties du corps par les artères. Aristote semble en effet avoir cru,
comme les autres Grecs de son temps, que les artères véhiculaient de
l'air. On ne connaît pas exactement la fonction de cet air artériel. Sans
doute, lors de son passage dans le cœur, l'air était échauffé par la
chaleur vitale qu'ensuite, par les artères, il portait aux différents
organes, les échauffant à son tour et les « vivifiant » de cette manière.
Cet air échauffé par le cœur est ce qu'Aristote appelle le pneu ma; c'est
à la fois le souffle, la chaleur innée, et quelque chose d'étroitement lié
à l'âme.
La question du pneuma est très obscure, non seulement chez
XXVIII Galien - Œuvres médicales choisies
Aristote, mais chez tous les auteurs antiques. Dans leur biologie, le
pneuma est une sorte de souffle 1 , mais en même temps c'est quelque
chose qui a à voir avec la chaleur (le souffle est nécessaire à la chaleur)
et avec l'âme (chez les stoïciens, l'âme sera souvent une sorte de
souffle); c'est ce qui vitalise et anime le corps. Chez Aristote, la
respiration servait peut-être, outre le refroidissement, à un apport
d'air pour l'élaboration du pneuma dans le cœur. Ce n'est pas très
clairement exprimé, mais cette conception est suggérée par divers
aspects de sa théorie.
L'animation de l'être vivant serait donc à la fois sous la dépendance
de la chaleur et de l'air qui la refroidit, le tout sous le contrôle de l'âme
logée dans le cœur.

La théorie de la reproduction reprend la distinction entre la forme


et la matière. Pour Aristote, la femelle fournit la matière, et le mâle la
forme, c'est-à-dire l'âme. Celui-ci a donc pour rôle d'animer la matière
fournie par la femelle. Le principe mâle est apporté par le sperme, qui
est l'élément actif. Quant à la matière femelle, l'élément passif, Aris­
tote l'assimile au sang menstruel (pour Hippocrate, la semence
femelle était assimilée aux sécrétions vaginales, et le sang menstruel
était l'aliment du fœtus; ce sera également la conception de Galien).
La reproduction est une fonction dérivée de la nutrition : avant la
maturité l'aliment sert à la croissance de l'enfant; à la maturité
l'aliment, ne servant plus à la croissance, produit la semence. Au lieu
d'un accroissement du corps, il y a production d'un nouvel individu.
Comme les autres substances corporelles, le sperme est le résultat
de la transformation du sang. Pour Aristote, c'est dans les canaux
déférents qu'il se forme, et non dans les testicules proprement dits.
Quant aux menstrues, elles sont également produites à partir du sang;
elles sont une sorte de sperme insuffisamment cuit, et c'est pour cela
qu'elles conservent un caractère sanguin que n'a plus le sperme (qui,
lui, est un produit achevé). Cette insuffisante coction provient de ce
que la femelle est une forme imparfaite, et qu'elle possède donc moins
de chaleur que le mâle (plus un animal est élevé dans la classification
d'Aristote, plus il possède de chaleur innée). L'association de la
chaleur et du caractère mâle ne date pas d'Aristote; presque tous les
présocratiques, notamment les pythagoriciens, ont eu des conceptions
de ce genre. Quant au caractère imparfait de la femelle, c'est aussi une
vieille tradition (qui était poussée à l'extrême chez Platon).
En tant qu'il est produit à partir du sang, le sperme conserve en lui

1. C'est le sens littéral du mot grec pneuma (nveûµa), ou du latin spiritus (qui
a donné esprit).
Introduction XXIX

de la chaleur. La semence femelle en possède aussi, mais moins


puisqu'elle est moins « cuite » que le sperme. D'où la nécessité de
l'apport calorique mâle pour que cette matière femelle s'anime et
qu'un nouvel être se forme. Outre la chaleur, la capacité du sperme à
animer la matière femelle, à la mettre en forme, tient à ce qu'il
contient du pneuma, du souffle. Ce rôle du pneu ma dans la reproduc­
tion (déjà proposé par Hippocrate) n'est pas explicité par Aristote,
mais il apparaît dans l'explication de la composition et du mode de
formation du sperme, où il est clairement dit que celui-ci contient de
l'air, qu'il est une écume (c'est pour cela, d'après Aristote, qu'il est
blanc).
L'action du sperme consiste d'abord en une coagulation de la
matière fournie par la femelle ; ce qu'Aristote rapproche de l'action du
suc de figuier qui caille le lait. Le « caillot » obtenu se structure alors
par le jeu du chaud et du froid qui modifie la consistance des
différentes parties, notamment en les desséchant plus ou moins
(comme la terre du potier mise au four) ou en les fondant (comme le
fer dans la forge). Le tout est « commandé » par l'âme nutritive qui
préside à l'embryogenèse comme à la nutrition.
Conformément à l'importance qu'on lui a déjà vue, le cœur joue un
rôle fondamental dans ce processus de constitution d'un nouvel être.
C'est lui qui se forme le premier, c'est l'origine et le centre organisa­
teur de l'embryon. Ce qu'il tient évidemment de son statut de siège de
l'âme et de son instrument, la chaleur. Ce caractère premier et
organisateur du cœur s'observe facilement dans les œufs de poule; il
suffit d'ouvrir ceux-ci à différents stades d'incubation, ce que, mani­
festement, Aristote a fait (mais qu'Hippocrate avait fait avant lui). Il a
alors vu le cœur sous la forme d'un point rouge palpitant autour
duquel l'embryon se constitue. Le cœur organise le corps par l'inter­
médiaire des vaisseaux; ceux-ci forment une esquisse autour de
laquelle les organes vont se constituer à partir du sang. Les éléments
nutritifs filtrent à travers les parois de ces vaisseaux et s'accumulent
autour d'eux en des masses qui s'organisent et se différencient en
organes par le jeu du froid et du chaud, du sec et de l'humide.

La biologie d'Aristote, ainsi sommairement esquissée, constitue,


plus ou moins modifiée, la charpente de toute la biologie antique,
jusqu'à ce que Galien, qui s'en est largement inspiré, en propose une
autre qui, elle, durera jusqu'au XVIIe siècle.
La médecine du monde hellénistique et romain
Les écoles de médecine du monde hellénistique et romain emprun­
teront à ces trois auteurs, Hippocrate, Platon et Aristote, mais aussi à
divers autres courants philosophiques, notamment l'épicurisme et le
XXX Galien - Œuvres médicales choisies
stoïcisme. Ces écoles furent diverses, les unes ou les autres prédomi­
nant selon le moment et la région; parler d'écoles est sans doute,
comme pour la médecine antérieure à Hippocrate, un peu abusif.
Galien lui-même considérait que les médecins de son temps se répar­
tissaient en trois « sectes » (secte étant à comprendre ici au sens
d'école) ; mais ces « sectes » sont des courants de pensée, elles se
différencient par leurs conceptions philosophiques de la médecine,
plutôt que par leurs doctrines médicales à proprement parler (anato­
mie, physiologie, pathologie, thérapeutique, etc.). Enfin on connaît le
nom, à défaut de la doctrine précise, de quelques personnalités, plus
ou moins rattachées à une école ou plus ou moins indépendantes.
On peut difficilement caractériser les écoles de médecine hellénis­
tiques par une doctrine précise. Certains médecins cherchèrent à
poursuivre la doctrine hippocratique (pour autant qu'il soit vraiment
possible de la définir comme une doctrine). D'autres cherchèrent à
concilier diverses tendances, notamment l'hippocratisme et l'aristoté­
lisme. Ce sont les éclectiques, par exemple, Agatheinos de Sparte (1er
siècle apr. J.-C.), Archigenès (ne siècle apr. J.-C.), Aretée (ne siècle apr.
J.-C.). N'était la sorte de dogmatisme et d'impérialisme qu'il a tenté
d'imposer en médecine, on pourrait compter Galien au nombre des
éclectiques. À Alexandrie, à la suite d'Hérophile et d'Érasistrate (voir
ci-après les travaux de ces auteurs), se développa une école qu'on peut
qualifier d'anatomiste, mais qui n'était pas homogène pour ce qui
concerne les conceptions physiologiques et médicales (les partisans
d'Érasistrate se seraient opposés à ceux d'Hérophile). Enfin, il est
possible de rapprocher un certain nombre de théories médicales
(notamment celles d'Asclépiade, mais aussi celles d'Érasistrate) de la
conception atomiste d'Épicure et Lucrèce (nous y reviendrons dans le
cas d'Asclépiade et des méthodiques).
Une doctrine plus définie est celle des pneumatistes. Cette école
accorde une grande importance au pneuma, au souffle plus ou moins
apparenté à l'âme, non seulement l'âme qui commande au corps mais
l'âme qui commande au monde entier qu'elle pénètre sous la forme de
l'air. On peut rapprocher les pneumatistes (tout comme Galien,
d'ailleurs) des stoïciens, qui avaient souvent une telle conception
« pneumatique » de l'âme. Le premier pneumatiste aurait été Athénée
d'Attalée (1er siècle apr. J.-C.), mais cette doctrine à des antécédents
bien antérieurs, notamment dans le traité Des vents de la collection
hippocratique, lequel traité est manifestement inspiré des thèses de
Diogène d'Apollonie (lequel est souvent rattaché à Anaximène).

Devant la difficulté de définir ces écoles médicales, le plus simple est


de se référer à ce que dit Galien lui-même des médecins de cette époque.
Introduction XXXI

Dans ses traitésDes sectes et De la meilleure secte, à Thrasybule, il procède


à un classement de ces médecins selon un autre critère. Il distingue les
courants dogmatique, empirique et méthodique.
Les dogmatiques sont, d'après lui, des médecins accordant un rôle
important au raisonnement dans la médecine, et peu d'importance à
la seule expérience qu'ils considèrent comme incapable d'apporter
une connaissance. Galien ne précise pas quelle est leur doctrine
médicale, il les caractérise seulement par une conception philo­
sophique de la connaissance (médicale), et, par cela même, les
regroupe en un seul ensemble. Il est probable que les dogmatiques
cherchèrent à établir une doctrine conciliant les thèses d'Hippocrate,
celles d'Aristote et de quelques autres; il est non moins probable qu'ils
différaient entre eux à ce sujet (selon les époques, les régions, les
personnalités, etc.). On peut sans doute compter parmi eux Praxagore
de Cos (vers 330 av. J.-C.), Dioclès de Carystos (vers 300 av. J.-C.) et
Hérophile (fin du IV" siècle av. J.-C.).
Les empiriques, eux, privilégient l'observation aux dépens de la
théorie (contrairement aux dogmatiques). Ils empruntent certaine­
ment à l'école anatomique d'Alexandrie, du moins à Érasistrate. Si on
ne peut parler de théorie dans leur cas, il est probable néanmoins que
leurs pratiques différaient, selon les époques, les régions, etc. Eux
aussi ne sont regroupés par Galien qu'en vertu d'une approche
philosophique de la connaissance médicale. Ce sont, par exemple,
Sérapion d'Alexandrie (ne siècle av. J.-C.), Héraclide de Tarente (Ier
siècle av. J.-C.), Sextus Empiricus (ne siècle apr. J.-C.), Ménodotos de
Nicomédie (ne siècle apr. J.-C.); ces deux derniers ayant en outre des
tendances sceptiques (Sextus Empiricus est plus célèbre comme phi­
losophe sceptique que comme médecin).
Galien critique assez modérément ces deux courants et constate
que, s'ils s'opposent dans leur philosophie, ils s'accordent finalement
assez bien dans la manière courante d'exercer la médecine. Ses
critiques les plus virulentes sont réservées au troisième de ces cou­
rants, les méthodiques (ou méthodistes) qui sont sa bête noire.
La secte méthodiste fut fondée à Rome par Asclépiade de Bithynie
(rer siècle av. J.-C.), adepte de l'atomisme. Elle compte aussi Themison
de Laodicée (Ier siècle av. J.-C.), Megès de Sidon (Ier siècle av. J.-C.),
Thessalos de Tralles (Ier siècle apr. J.-C.), Soranos d'Éphèse (ne siècle
apr. J.-C.), Julien d'Alexandrie (Ir° siècle apr. J.-C.).
Les reproches de Galien sont doubles, médicaux et philosophiques.
Médicaux, parce que, selon lui, cette secte ramenait toutes les
maladies à deux grands types, les maladies par relâchement et les
maladie par resserrement (ce qu'ils nommaient � communauté »); et
considérait que dans les maladies par relâchement il fallait resserrer,
XXXII Galien - Œuvres médicales choisies

et dans les maladies par resserrement il fallait relâcher. Ce n'est pas


que Galien n'ait pas eu, lui aussi, recours à des principes de ce genre,
mais il ne limitait pas la médecine à des considérations aussi sim­
plistes. D'après lui, les méthodiques auraient considéré qu'avec leurs
principes la médecine s'apprenait en quelques mois. Ils auraient
négligé toute étude un peu plus approfondie de la maladie, se souciant
peu de sa cause (tout relâchement, quelle que soit son origine, quels
que soient la saison, l'âge du patient, sa complexion, etc., était soigné
par resserrement; et inversement). Cette théorie du relâchement et du
resserrement était en outre associée à une orientation philosophique
proche de l' épicurisme, puisqu'elle se fondait sur une conception de la
matière qui associait des particules et des pores. Selon que les pores
étaient plus ou moins dilatés, ils laissaient ou non passer tel ou tel type
de particules. La santé étant naturellement la juste adéquation des
pores aux particules; la maladie, leur inadéquation; la thérapeutique
consistait à rétablir l'adéquation (en resserrant ou en relâchant les
pores, pour qu'ils laissent passer les particules qu'il fallait laisser
passer, et pas les autres). Outre son simplisme médical (d'après
Galien), cette conception était donc une sorte de « mécanisme »
atomiste; ce que critiquait Galien qui, lui, était attaché au finalisme et
à la providence stoïcienne.

Outre ces courants plus ou moins bien définis, la médecine de


l'époque hellénistique (et romaine) fut marquée par les personnalités
d'Hérophile (fin du IV" siècle av. J.-C.) et d'Érasistrate (début du nt'
siècle av. J.-C.), à l'origine de l'école anatomique d'Alexandrie.
Contrairement à Galien, Hérophile et Érasistrate disséquèrent des
cadavres humains 1• Il ne reste rien de leurs écrits; ils ne sont connus
que par ce que leurs successeurs, et spécialement Galien, en ont dit.
Hérophile aurait été un dogmatique; Érasistrate, lui, aurait plutôt eu
une certaine tendance empiriste.
Hérophile aurait fait des travaux anatomiques sur le cerveau, lui
redonnant le rôle d'organe de la pensée, de la sensibilité et du
mouvement (qu'Aristote avait attribué au cœur), découvrant ses ven­
tricules et décrivant les méninges. Il aurait étudié les nerls, montrant
leur origine dans le cerveau ou la moelle épinière, et les distinguant
selon qu'ils étaient moteurs ou sensibles. Il aurait également précisé
l'anatomie du foie, des yeux, des vaisseaux et fait des travaux gynéco­
logiques. Son nom est aussi ·associé à l'étude du pouls dans les

1. D'après Celse (Traité de médecine, p. 5), ils auraient également pratiqué la


vivisection sur des condamnés à mort.
Introduction xxxm

maladies; il aurait été le premier à compter ses battements par unité


de temps (mesuré avec une clepsydre). On lui devrait aussi les noms de
veine artérieuse (artère pulmonaire) et artère veineuse (veine pulmo­
naire). Ses successeurs seraient entrés en concurrence et querelle avec
les partisans d'Érasistrate.
Érasistrate aurait, lui aussi, fait de nombreux travaux d'anatomie,
anatomie humaine, anatomie comparée, et anatomie pathologique. Il
aurait spécialement étudié l'anatomie du cœur (comparant celui-ci à
un soufflet de forgeron, une pompe) et du système vasculaire (il
pensait cependant que les artères contenaient de l'air). Il aurait eu une
conception particulaire proche de l'atomisme, qu'il combinait avec
une physiologie où était développée l'idée que les veines servaient à
transporter le sang (nourrissant les parties), les artères véhiculaient
un « pneuma vital » « vivifiant » ces parties, et les nerfs un « pneuma
psychique » les « animant ». Galien montrera que les artères
contiennent du sang, refusera l'explication particulaire et quasi méca­
nique d'Érasistrate, mais il conservera un pneuma mêlé au sang dans
les artères, et le pneuma psychique « animant » les parties.

Outre ces courants et ces personnalités, on connaît encore quelques


noms, et parfois quelques œuvres, de médecins grecs ou romains un
peu antérieurs à Galien. Mais ce qui reste d'eux est soit très réduit
(quelques textes de Rufus d'Éphèse, un traité de gynécologie de
Soranos), soit le résultat de compilation sans génie (le traité de
médecine de Celse). L'importance, en volume et en qualité, de l'œuvre
de Galien les a très largement éclipsés.

LA PHILOSOPHIE BIOLOGIQUE ET MÉDICALE


D E GALIEN

Galien, nous l'avons dit dans sa biographie, reçut dans sa jeunesse


un quadruple enseignement philosophique : platonicien, aristotéli­
cien, épicurien et stoïcien. Il prétendit que cette multiplicité l'avait
amené à une position proche d'un scepticisme à la Pyrrhon. En fait,
ses textes manifestent une philosophie assez éclectique. De l' enseigne­
ment de sa jeunesse, la seule philosophie qu'il ait véritablement rejetée
est l'épicurisme; celle qui l'a le plus marqué est sans doute le stoï­
cisme.
De Platon, il a moins retenu la philosophie des Idées que les thèses
biologiques présentées par le Timée. li y prend la conception des trois
âmes, l'une logée dans le foie, la seconde dans le cœur et la troisième
XXXIV Galien - Œuvres médicales choisies

dans l'encéphale. Comme Platon, il écrit que les âmes cardiaque et


hépatique sont mortelles; en revanche, contrairement à Platon, il se
refuse à préciser si l'âme encéphalique est immortelle (comme cer­
tains stoïciens, il semble penser qu'elle est mortelle).
D'Aristote, il reprend largement l'hylémorphisme, et l'idée d'une
prédominance de la forme sur la matière. Cependant, il inverse l'idée
aristotélicienne d'une relation entre l'âme et la forme et, comprenant
l'âme dans un sens essentiellement « psychologique » (dans l'accep­
tion moderne du mot), il considère que le caractère moral est fonction
de la forme du corps. Loin d'être le principe moteur du corps, l'âme en
devient quasiment la conséquence (d'où son caractère mortel). La
pensée de Galien est ici assez peu cohérente ; son syncrétisme mêle des
conceptions contradictoires.
La philosophie qui l'a manifestement le plus marqué est le stoï­
cisme ; il lui fait différents emprunts, sans cependant y adhérer
étroitement. Ce qu'il a surtout retenu dans le stoïcisme, c'est l'idée
d'une providence omnisciente et rationnelle réglant le monde, de sorte
qu'on peut articuler le déterminisme et le finalisme par l'intermé­
diaire d'une harmonie préétablie (voir ci-après). La postérité aura
tendance à oublier l'aspect déterministe de cette philosophie galé­
nique, pour n'en retenir que le finalisme et le rôle qu'elle fait jouer à la
providence (ou à Dieu). Sans doute parce que, sous cette influence
stoïcienne, Galien a violemment rejeté l'épicurisme en y condamnant
l'absence de finalité et de providence.

Le finalisme biologique de Galien diffère de celui d'Aristote ; il se


vulgarise considérablement en devenant une sorte d'idéologie (plutôt
qu'une philosophie) qu'on pourrait qualifier d'instrumentale et utili­
taire. Instrumentale, parce que le corps est découpé en parties rela­
tivement indépendantes qui sont chacune un instrument (un organe­
outil), et utilitaire parce que chacun de ces instruments a une utilité
bien définie qui justifie à la fois son existence et sa structure.
Chez Aristote le finalisme était principalement lié à la notion de
forme, cause formelle et cause finale (l'âme étant la forme) ; chez
Galien il en est plus indépendant et se rattache au type « organe­
fonction ». Chaque organe est fait pour assurer une fonction détermi­
née, qui a son utilité particulière. La formule d'Aristote selon qui la
nature ne fait rien en vain, devient chez Galien l'affirmation qu'une
providence divine, particulièrement astucieuse et bienveillante a fait
l'être vivant de sorte qu'il soit doté d'organes adaptés à réaliser telle ou
telle fonction (ayant telle ou telle utilité). L'être vivant est conçu
quasiment comme une machine fabriquée par le Créateur, du mieux
qu'il est possible. Il ne s'agit cependant pas d'un mécanisme à propre-
Introduction XXXV

ment parler, car cette machine qu'est le corps fonctionne grâce à des
propriétés quasi miraculeuses (en tout cas, tout à fait « providen­
tielles ») que Galien appelle les « facultés naturelles ». Ce n'est donc
pas un mécanisme au sens cartésien, mais c'est déjà une sorte de
machinisation de l'être vivant : une machine fonctionnant grâce à des
facultés naturelles, plutôt que grâce aux principes de la mécanique
(Descartes s'en souviendra dans sa physiologie, quelque abandon qu'il
fasse des facultés naturelles).
De l'utilité des parties du corps humain est le titre d'un des princi­
paux ouvrages de Galien, et il est en soi tout un programme : à quoi
peuvent bien servir les différentes parties du corps? La connaissance
de l'utilité des parties du corps passe par la découverte de leur
fonction. Pour des parties comme la main, la bouche, etc., la fonction,
et donc l'utilité, est parfaitement claire. Mais ce n'est pas le cas pour
des organes comme les nerfs, le foie, etc., dont la fonction n'est pas
évidente (la nature ne faisant rien en vain, pourquoi a-t-elle fait les
nerfs, le foie, etc. ?). D'où la justification de ce grand traité de Galien :
déterminer qu'elle est l'utilité des parties.
Galien y étudie la fonction de chaque partie, en conclut à son utilité,
et montre que sa structure est justement celle qui convient le mieux;
que ce soit la main, le pied, le cerveau, l'œil, le foie ou l'estomac. Tous
ces organes sont toujours faits du mieux qu'il est possible de les faire
(sauf chez le singe qui est, pour Galien, un animal ridicule et très
imparfait, une caricature de l'homme; c'est aussi l'animal sur lequel
Galien a étudié l'anatomie). Il n'y a pas de gradation dans la perfection
des parties (même s'il y en a une dans leur utilité); ainsi le pied n'est
pas inférieur à l'œil ou au cerveau pour ce qui concerne l'adéquation
de sa structure à sa fonction.

Une fois le corps découpé en parties ayant chacune son utilité,


Galien va essayer de les relier entre elles grâce à la « sympathie ».
Galien attribue cette notion à Hippocrate; en fait, celui-ci en parle très
peu (il évoque simplement une vague interdépendance circulaire entre
les différentes parties du corps - dans Des lieux dans l'homme, par
exemple). Son origine est plutôt stoïcienne. Les stoïciens appelaient
sympathie un principe unifiant et coordonnant les parties en un tout.
Cette sympathie s'appliquait aussi bien à l'être vivant qu'au monde
entier, dont elle assurait la cohérence et l'unité. Galien, lui, utilise
cette notion de sympathie d'abord dans l'explication des maladies :
une partie malade peut transmettre secondairement sa maladie à une
autre partie, c'est en une telle transmission que consiste la sympathie
(étymologiquement, sympathie signifie souffrir avec); la sympathie
s'oppose alors à l'idiopathie, ou protopathie, qui est la maladie propre
XXXVI Galien - Œuvres médicales choisies

à la première partie. Cette transmission sympathique de la maladie se


fait soit par les nerfs, soit par les humeurs, soit par des vapeurs, ou
tout simplement par contact.
Galien ne se borne pas à utiliser cette notion dans la pathologie, il
l'étend au fonctionnement normal des parties. Cependant, les moyens
matériels de coordination, ou de transmission sont souvent des plus
vagues (nerfs, humeurs, vapeurs, contact). La physiologie galénique se
prête mal à une coordination bien définie entre les parties, car elle est
« centralisée » sur le foie, le cœur et l'encéphale (où sont logés trois
principes), et, hormis ces centres, elle laisse dans le flou les relations
entre les organes. Cette relative imprécision de la physiologie des
relations entre les parties retentit sur la notion de sympathie. Celle-ci
est alors sinon magique, du moins une « notion à tout faire », qui
désigne une relation et une coordination entre les parties plus qu'elle
ne les explique.
Cette notion de sympathie prend cependant un autre sens
lorsqu'elle est rapprochée de celle de providence omnisciente. Galien
le dit souvent, la Nature a tout fait du mieux qu'il est possible. Cela se
manifeste dans une harmonie, harmonie actuelle entre les différentes
parties du corps qui concourent toutes à un même but (harmonisées
qu'elles sont par leurs relations sympathiques), mais aussi harmonie
« préétablie », ce qui permet de concilier le finalisme et le détermi­
nisme. Galien en donne un exemple dans le cas de la coordination des
mamelles et l'utérus lors de la grossesse. Il a plus ou moins parlé de
relations veineuses entre ces deux parties (avec une relation, qu'il
qualifie aussi de sympathique, entre le sang menstruel et le lait).
Cependant, il décrit ces organes comme étant quasiment indépen­
dants l'un de l' autre. Chacun d'eux suit sa propre marche, et pourtant,
grâce à l'art admirable du Créateur, chacun d'eux s'accorde parfaite­
ment et harmonieusement avec l'autre dans son fonctionnement. Ce
fonctionnement est comparé aux modèles mécaniques du mouvement
des astres, qui, une fois l'impulsion initiale donnée, continuent à
tourner de manière réglée.
La sympathie entre les parties dépasse ici, et très largement, une
simple communication entre elles. Elle procède d'une sorte d'harmo­
nie préétablie : les organes ont été fabriqués et dotés de mouvements
adéquats, de manière si « intelligente » que, une fois créés et mis en
mouvement, il leur suffit de continuer sur leur lancée pour se trouver
harmonieusement coordonnés tout le long de leur fonctionnement.
Leur sympathie renvoie alors à leur origine, et non à des relations
actuelles entre eux. Ici encore, cela s'apparente aux conceptions
stoïciennes fondées à la fois sur un strict déterminisme et sur une
providence omnisciente qui a créé intelligemment le monde et les
êtres vivants. Un strict déterminisme, car chacune des parties de l'être
Introduction XXXVII

vivant peut fonctionner « sur sa lancée », comme dans la comparaison


au modèle mécanique du mouvement des astres. Mais ce strict déter­
minisme n'empêche pas la finalité de régner, car la providence omni­
sciente a créé, dès l'origine, chacune de ces parties de sorte que leurs
fonctionnements s'accordent harmonieusement les uns aux autres en
vue d'une fin, qui est la vie de l'être considéré. La finalité n'intervient
pas dans le fonctionnement des parties (qui est donc strictement
déterministe), mais elle est incluse dans l'origine même de ces parties,
harmonisées entre elles dès le départ. Déterminisme et finalisme sont
ainsi conciliés grâce à cette idée d'une création harmonieuse de toutes
choses par une providence omnisciente.
Cette conciliation du déterminisme et de la finalité apparaît bien
lorsque Galien compare son Créateur au Dieu de Moïse. Il tient à
modérer la puissance de celui-ci en précisant qu'il doit respecter les
lois de la matière; le Créateur (ou la nature) ne peut pas faire
n'importe quoi avec n'importe quoi (au contraire du Dieu de Moïse); il
doit respecter les lois de la nature, notamment celles de la matière.
Galien exprime ainsi la limitation de la puissance du Créateur : tout ne
lui est pas possible, mais il choisit le meilleur parmi ce qui est possible.
On pense évidemment au « meilleur des mondes possibles » de Leib­
niz, surtout après l'idée d'une harmonie préétablie entre les parties.

Il y a ainsi un déplacement de la finalité, comparativement à


Aristote. Pour celui-ci, l'être vivant avait un principe moteur interne,
son âme, qui jouait comme cause formelle et cause finale. Chez
Galien, l'âme voit son domaine d'action limité à la sensibilité, à la
motricité volontaire et à la pensée. La vie, dans son aspect végétatif,
tend à lui échapper pour ne plus ressortir qu'à des principes naturels
(« physiques » et non plus « psychiques », c'est-à-dire, étymologique­
ment, relevant de l'âme). De la sorte, la finalité qui était purement
interne et « psychique » chez Aristote, tend à devenir une finalité
machinique et introduite « de l'extérieur » (par un « ingénieur »); le
corps est une sorte de machine, conçue et formée par une providence
divine omnisciente, du mieux qu'il est possible. La natura medicatrix
tend à s'effacer au profit d'une conception de la médecine se rappro­
chant d'un principe de réparation; la médecine va devoir réparer cette
machine qu'est le corps lorsqu'elle tombe en panne.

LA MÉDECINE DE GALIEN

La médecine de Galien, avec ses conceptions anatomiques et physio­


logiques, va traverser les siècles. On reconnaît très bien ses thèses
dans les caricatures que Rabelais et Molière donnent des médecins de
xxxvm Galien - Œuvres médicales choisies

leur temps. Quant à sa biologie, elle est l'archétype de la biologie


finaliste (qu'on attribue à tort à Aristote, chez qui la finalité est toute
différente) et, d'une manière qui peut sembler curieuse au premier
abord, elle imprègne très largement la conception de l'animal­
machine, omniprésente dans la biologie moderne, de Descartes à nos
jours. C'est dire qu'elle a marqué toute la biologie, aussi bien la
biologie finaliste que la biologie dite « mécaniste ».

Anatomie et physiologie
Galien n'a sans doute que très rarement disséqué des cadavres
humains. En son temps, cette pratique, qui avait cours à l'époque
d'Hérophile et d'Érasistrate, avait disparu de la médecine, pour cause de
divers interdits. Son expérience de médecin des gladiateurs et l'enseigne­
ment reçu à Alexandrie lui avaient sans doute apporté quelques notions
d'anatomie humaine, mais c'est sur l'animal, et surtout le singe, que
Galien étudia les différents organes et leurs dispositions.
Malgré quelques erreurs célèbres (l'attribution d'un plexus réticulé
à l'homme, la description d'orifices interventriculaires, voire d'un os,
dans le cœur... ), l'anatomie de Galien est assez bonne; c'est, en tout
cas, la meilleure à nous être restée de l'Antiquité (celles d'Hippocrate
et d'Aristote sont assez sommaires), et elle aura cours jusqu'à la
Renaissance, où Vésale la détrônera. Il est difficile de dire ce qui, dans
cette anatomie, revient à Galien et ce qui revient à ses prédécesseurs. Il
reste en effet très peu de chose de l'anatomie d'Hippocrate et d'Aris­
tote, et quasiment rien de l'anatomie de la période hellénistique et
romaine d'avant Galien (et ce qu'on en sait, on le sait par l'inter­
médiaire de Galien lui-même). Il est donc probable que, même s'il y a
lui-même considérablement contribué, l'anatomie exposée par Galien
reprend un certain nombre de travaux antérieurs, notamment ceux
d'Hérophile et d'Érasistrate. Cette anatomie galénique est exposée
dans divers traités, notamment dans celui De l 'utilité des parties du
corps humain et dans celui Des procédures anatomiques.

La physiologie de Galien reprend en partie celles de Platon et


Aristote (et sans doute d'Érasistrate), mais elle a tendance à les
naturaliser, c'est-à-dire à soustraire la vie végétative de sa dépendance
vis-à-vis de l'âme, à qui va revenir quasi exclusivement ce qui est du
domaine de ce que nous appelons aujourd'hui la psychologie, soit la
pensée, la sensibilité et le mouvement volontaire. La physiologie
proprement dite échappe donc à l'âme, et ne relève plus que de vagues
principes (logés dans le foie et dans le cœur) et, surtout, de ce que
Galien appelle les facultés naturelles. Ces facultés acquerront au fil
Introduction XXXIX

des siècles une très mauvaise réputation (c'est elles que Descartes
s'efforcera de faire disparaître), mais, à l'origine, elles avaient pour
but de naturaliser la vie, de la détacher de l'âme à qui ne revenait plus
que le domaine psychologique (c'est dire qu'elles amorçaient le mou­
vement que Descartes conclura par sa physiologie mécaniste, totale­
ment soustraite à une âme qui n'est plus que pensante).

Le corps, nous l'avons dit, est conçu par Galien comme une sorte de
machine composée de parties construites par le Créateur pour
accomplir certaines fonctions, dont la raison d'être est l'utilité. Et ces
fonctions, elles les accomplissent grâce à leurs facultés naturelles.
Les facultés naturelles sont extrêmement variées, certaines se
trouvent dans toutes les parties du corps, d'autres sont plus parti­
culières à tel ou tel organe. Les noms que Galien leur donne sont très
expressifs, et indiquent clairement à quoi elles servent : ces facultés
sont attractrice, rétentrice, expulsive, altératrice, sanguinifique, neu­
rifique, nutritive, agglutinatrice, augmentative, assimilatrice, configu­
rative, etc. Une faculté naturelle peut être constituée par d'autres
facultés; ainsi la faculté nutritive comprend elle-même des facultés
altératrice, agglutinatrice, rétentrice, assimilatrice, augmentative.
Les principales facultés naturelles sont les facultés attractrice,
rétentrice, expulsive et altératrice, qui se trouvent dans la plupart des
parties du corps (celles-ci sont attractrices pour l'aliment, rétentrices
pour une partie de celui-ci, expulsives pour les substances dont elles
ont à se débarrasser, et altératrices pour les substances qu'elles
assimilent).
La faculté attractrice se trouve dans tous les organes : l'estomac
attire les aliments, le foie attire les produits de la digestion stomacale
et intestinale, la vésicule biliaire attire la bile, les différents organes
attirent leur nourriture à partir des veines, etc. Chacune des parties du
corps attire quelque chose, qu' elle prend dans une autre partie. Se
créent ainsi toutes sortes de flux (à vrai dire assez indéfinis) qui
traversent le corps; des flux dont le sens est régi par la puissance
d'attraction : une partie forte attire, une partie faible se vide. Chacune
des parties semble avoir un appétit propre plus ou moins spécifique
pour telle ou telle substance : « affamée », la partie attire cette sub­
stance; « rassasiée », elle cesse de l'attirer et peut même en céder un
surplus aux autres parties. Comme en général (mais pas toujours,
ainsi l' attraction de la bile par la vésicule biliaire) ces flux concernent
la nourriture, la répartition de celle-ci est assurée dans les différents
organes selon leurs besoins du moment et selon leur importance dans
le corps.
Importante également, et partout répandue dans le corps, est la
XL Galien - Œuvres médicales choisies

faculté altératrice. Elle figure de manière générale dans la nutrition où


elle préside à l'altération des aliments, c'est-à-dire leur transformation
en matière du corps. Cette faculté altératrice prend des formes plus
déterminées selon les parties, par exemple, elle peut être sanguini­
fique (lorsqu'elle fabrique le sang à partir de l'aliment), neurifique
(fabricatrice des nerfs, à partir du sang, lui-même formé à partir de
l'aliment), ossifique ou cartilaginifique, etc.
Enfin, fondamentales dans la génération, sont les facultés généra­
tive et configurative; l'une engendre les différentes parties différen­
ciées, l'autre modèle en un corps les aliments ayant subi l'action des
diverses facultés altératrices.

À première vue, ces facultés naturelles sont véritablement


magiques; Galien donne un peu l'impression d'inventer une faculté à
chaque fois qu'il faut expliquer un processus (ainsi la vertu dormitive
de l'opium chère à Molière). Et, de fait, c'est un peu ce qui se passe.
Galien prétend certes que ces facultés ne sont que des mots pour
désigner les capacités de telle ou telle partie, capacités qu'on ne sait
pas expliquer; mais le plus souvent il les utilise à titre explicatif.
Galien préfère ces facultés à la solution aristotélicienne qui utilisait
la chaleur comme principe actif de transformation. Plutôt qu'un tel
agent transformateur à valeur universelle (mais « dirigé » par l'âme),
il prétend découvrir une cause « naturelle » (non dépendante de
l'âme) et propre à chacune des transformations. C'est cette cause
agissante qu'il appelle « faculté naturelle », faute d'en savoir plus long
à ce sujet.
Il n'y a jamais de véritable explication de ce que sont ces facultés;
cependant certaines d'entre elles ont un mode d'action plus ou moins
compréhensible. Ainsi les facultés attractrice, rétentrice ou expulsive
sont parfois, du moins dans certains organes (le cœur, l'estomac,
l'utérus), reliées à la nature des fibres constituant les parois de ces
organes. La faculté attractrice est aussi souvent comparée à celle de
l'aimant : tout comme l'aimant attire le fer (mais pas le cuivre), telle
partie du corps attire telle substance (alimentaire en général) qui lui
est nécessaire, mais pas telle autre.
Galien rattache aussi les facultés naturelles d'une partie à sa compo­
sition, spécialement dans le cas des facultés altératrices. Ainsi la
faculté sanguinifique du foie provient de ce que la chair du foie est
faite de sang épaissi, c'est cette nature sanguine qui lui donne sa
capacité sanguinifique. De manière plus générale, une partie aura telle
faculté naturelle (notamment telle faculté altératrice), selon sa
composition dans les quatre qualités primordiales (chaud, froid,
humide, sec). Réciproquement, pour produire une substance caracté-
Introduction XLI

risée par telle composition (du sang, du tissu nerveux, de l'os, etc.), les
facultés altératrices procèdent en produisant les quatre qualités dans
la proportion correspondante. Par exemple, si l'os se caractérise par
une certaine proportion des quatre qualités, la faculté ossifique est la
faculté qui produit chacune de ces quatre qualités dans la proportion
adéquate. La composition d'une partie détermine donc ses facultés
naturelles; mais cette composition dépend elle-même des facultés qui
ont contribué à la formation de la partie; il y a ainsi une sorte de
circularité.
Les facultés naturelles prennent donc plus ou moins le rôle que
jouaient l'âme nutritive et la chaleur chez Aristote. Au lieu d'une seule
âme et d'un seul agent transformateur (la chaleur), on a une multitude
de facultés naturelles spécialisées ayant chacune leur pouvoir propre
(indépendamment de l'âme). Il s'ensuit que les processus vitaux, qui
relevaient de cette âme et de la chaleur, sont « désanimisés » et
« naturalisés ». Ils perdent en même temps l'unité que leur donnait
leur regroupement sous le commandement d'une âme. Galien ne dit
rien de la nécessité d'une coordination de ces facultés naturelles dans
les processus vitaux. Il évoque bien deux principes, l'un nutritif et
l'autre vital, logés respectivement dans le foie et le cœur, mais sans
leur donner de rôle précis en rapport avec les facultés naturelles.
Peut-être considérait-il qu'elles étaient organisées dès l'origine par
une sorte d'harmonie préétablie?

Pour ce qui concerne l'âme, Galien revient à la position platoni­


cienne. Il admet trois âmes, végétative, « animale » et rationnelle,
logées respectivement dans le foie, le cœur et l'encéphale (alors
qu'Aristote mettait dans le cœur une âme dotée de trois facultés). Mais
il tend à considérer comme seule véritable âme, l'âme pensante logée
dans l'encéphale, âme qu'il qualifie de « dirigeante ». Les principes
logés dans le cœur et le foie sont, eux, plus ou moins « désanimisés » et
« naturalisés ». Galien considère comme Platon que les âmes logées
dans le foie et le cœur sont mortelles, mais il refuse de se prononcer
sur celle logée dans l'encéphale (en général, il la considère comme
mortelle, mais dans certains textes elle semble immortelle). Ici encore,
il y a sans doute une influence stoïcienne, puisque pour les stoïciens
(certains d'entre eux, du moins), l'âme était mortelle.
La question de la nature de ces âmes ou principes galéniques est
extrêmement compliquée. Le plus simple, et le moins faux, est sans
doute de considérer que, pour Galien, la seule vraie âme est celle,
pensante et dirigeante, logée dans l'encéphale. Les principes logés
dans le foie et le cœur ont perdu leur qualité d'âmes, et sont devenus
simplement la nature, ou « des natures ». Ils tiennent un peu la place
XLII Galien - Œuvres médicales choisies
de l'âme nutritive aristotélicienne; mais ce que cette âme réalisait, par
l'intermédiaire de la chaleur, est maintenant assuré par des facultés
naturelles, si bien que la nécessité même de ces principes « centraux »,
hépatique et cardiaque, n'est plus très évidente (d'autant plus qu'il n'y
a pas de relation claire entre ces principes et les facultés naturelles).
Les trois « âmes » ou « principes » sont affirmés sans ambiguïté
(quelque nature qu'ils aient). Il est même précisé qu'à ces trois
principes ressortissent les trois « réseaux » unificateurs du corps que
sont les veines (issues du foie dans la physiologie de Galien), les
artères (issues du cœur) et les nerfs (issus de l'encéphale). Galien
accorde une certaine autonomie à chacun des principes et aux organes
qui les abritent. Il relie cependant le cœur et le foie à l'encéphale par
des nerfs, en précisant toutefois que ces nerfs sont « petits », ce qui
minimise leur importance (ainsi le cœur est dit n'avoir qu'un tout petit
nerf, ou très peu de nerfs, car contrairement aux muscles du mouve­
ment volontaire, il a en lui le principe de son mouvement et n'a donc
pas besoin de l'action de l'encéphale). Le fait que Galien évoque
surtout les relations nerveuses entre les principes indique la position
centrale de l'encéphale, comparativement au foie et au cœur (l'encé­
phale abrite l'âme dirigeante). Cette importance de l'encéphale est
cependant relativisée par la reconnaissance de la possibilité de vivre
avec un cerveau lésé : une telle lésion ne perturbe que la pensée, sans
toucher le foie ni le cœur, qui continuent à fonctionner normalement
(ceux-ci ont donc bien une certaine autonomie qu'ils tiennent des
principes dont ils sont le siège).

La physiologie de Galien peut être décomposée en trois grands


appareils, correspondant aux trois âmes, ou principes : le foie, les
veines et la nutrition; le cœur, les poumons, les artères et la respira­
tion; l'encéphale, les nerfs, les muscles et le domaine sensori-moteur.
Le principal rôle du foie est de transformer la nourriture en sang, ce
qu'il fait grâce à une faculté naturelle sanguinifique. Il n'y a pas trace
d'une âme nutritive; quant au principe hépatique, si Galien affirme
son existence, il ne s'en sert pas dans sa physiologie (doit-il coordon­
ner les facultés naturelles hépatiques, celles-ci sont-elles harmonisées
de manière préétablie, auquel cas à quoi servirait le principe ?).
Le cœur, lui, élabore, grâce à sa chaleur, un pneuma vital à partir de
l'air apporté par la respiration. Ce pneuma vital est mêlé au sang et
distribué par les artères au reste du corps, ce qui est censé le
« vitaliser ». Ici, on se rapproche un peu de ce qui est traditionnelle­
ment l'apanage d'une âme; mais le rôle de ce pneuma vital n'est
absolument pas explicité; on voit très mal en quoi consiste cette
vitalisation (au mieux, on pourrait considérer qu'elle concerne tout ce
Introduction XLill

qui est végétatif sans être de l'ordre de la nutrition, c' est-à-dire


essentiellement les mouvements végétatifs involontaires, comme les
contractions cardiaques ou stomacales, le pouls artériel, etc.).
L'encéphale est le lieu de la pensée, de la sensibilité et du mouve­
ment volontaire. Ces deux derniers s'exercent grâce à des nerfs,
sensibles et moteurs, qui le relient aux différentes parties du corps.
L'âme est réduite à une âme pensante, encéphalique, qui a charge de
ces pensée, sensibilité et motricité volontaire. C'est-à-dire ce qui,
aujourd'hui, concerne la psychologie (au sens moderne du mot).
On s'achemine donc vers ce qui caractérisera le modèle cartésien, à
savoir un corps totalement « physique » (naturel) et une âme totale­
ment « pensante ».

Dans la nutrition, l'estomac a une fonction de purification partielle


des aliments, triant ce qui est bon pour l'animal et expulsant le reste
(qui est évacué sous forme de fèces). Les éléments nutritifs passent à
travers les parois de l'estomac et de l'intestin, grâce à des petits trous
dont elles sont parsemées, et entrent ainsi dans les veines du mésen­
tère qui les conduisent au foie par la veine porte.
Ces opérations se réalisent grâce à toute une série de facultés
naturelles ; la faculté attractrice de l'estomac pour les aliments, sa
faculté rétentrice (les retenir le temps de les trier et d'un peu les
élaborer) et sa faculté expulsive (pour se débarrasser des déchets). Les
facultés « mécaniques » de l'estomac (celles liées à ses contractions)
sont très clairement rapportées à la nature des fibres dont est compo­
sée sa paroi. Outre cet aspect « mécanique », la chaleur, dont nous
avons dit qu'elle n'est pas aussi omnipotente que dans la physiologie
d'Aristote, joue un rôle dans la digestion stomacale, puisque Galien dit
que le foie entoure l'estomac avec ses lobes afin de le réchauffer.
Viennent ensuite les facultés des veines mésentériques et de la veine
porte : d'abord la faculté attractrice qui leur fait prélever l'aliment
dans l'estomac et l'intestin, ensuite la faculté sanguinifique par
laquelle elles commencent à transformer cet aliment en sang (elles
possèdent cette dernière faculté, parce qu'elles procèdent du foie, leur
origine, foie dont la fonction première est la sanguinification).
Dans le foie, l'aliment, apporté par la veine porte, poursuit son
élaboration en sang, grâce, bien évidemment, à la faculté sanguini­
fique de cet organe, mais aussi à sa chaleur naturelle. Le processus est
présenté comme une continuation de la purification effectuée dans
l'estomac. Dans le foie sont éliminés, par une sorte de fermentation
qui les sépare, deux types de déchets : des déchets légers qui passent
dans la vésicule biliaire (pour former la bile jaune) et des déchets
lourds qui sont attirés par la rate (où ils vont contribuer à former la
XLIV Galien - Œuvres médicales choisies
bile noire). Là encore, il y a des facultés attractrices : celle de la
vésicule biliaire pour les déchets légers, et celle de la rate pour les
déchets lourds. Il est assez curieux qu'ici la bile jaune et la bile noire
soient assimilées à des déchets (la bile jaune se déverse dans l'intestin ;
quant à la bile noire, Galien la fait se déverser dans l'estomac), alors
qu'en général elles sont considérées, à la manière hippocratique,
comme deux des quatre humeurs constitutives du corps (avec le sang
et le phlegme). Enfin, dernière purification, celle qu'effectuent les
reins. Là, il s'agit d'éliminer une « superfluité aqueuse », c'est-à-dire
une « humeur » qui a servi de véhicule aux aliments, les diluant pour
faciliter leur mouvement de l'estomac au foie. Pour Galien, les reins
ne filtrent pas le sang, mais ils attirent cette humeur qu'ils doivent
éliminer. Celle-ci va ensuite dans la vessie, d'où elle est expulsée sous
forme d'urine.
La fonction sanguinifique du foie se réalise par le contact de
l'aliment avec la chair du foie. Pour Galien, cette chair est une sorte de
sang épaissi qui, par simple contact, est capable de communiquer sa
propre nature sanguine à l'aliment qui lui parvient par les veines. Pour
que ce contact soit efficace, il faut qu'il soit le plus long et le meilleur
possible; c'est pourquoi le foie est doté de tout un réseau de très fines
veines, dans lequel l'aliment est retardé dans son déplacement et
étroitement appliqué contre la substance hépatique, dont la faculté
sanguinifique s'exerce alors au mieux.
Le sang, ainsi fabriqué et purifié, sert à nourrir les différentes
parties du corps, qu'il gagne au sortir du foie. Comme Galien ne
connaît pas la circulation mais seulement un mouvement du sang,
comme il ne saisit pas le rôle du cœur dans ce mouvement, bien qu'il
associe le cœur aux artères et qu'il sache qu'il y a des anastomoses
entre les artères et les veines, il ne peut comprendre comment le sang
se déplace dans les veines. Il imagine que celles-ci ont des sortes de
contractions qui le font avancer (sur le modèle de celles qu'il prête aux
artères dans le pouls), ce qu'il complète par l'attraction sélective que
les différentes parties du corps exercent sur la nourriture dont elles
ont besoin (et donc sur le sang qui contient cette nourriture).
Outre cette attraction, par laquelle les différentes parties du corps
font venir à elles le sang et puisent leur aliment dans les veines, la
nutrition se déroule en plusieurs phases. Il faut que l'aliment sanguin
s'applique et s'agglutine sur les parties à nourrir. Ce contact doit durer
un certain temps, d'où la nécessité d'une rétention. Dans ce contact
prolongé, il y a altération de l'aliment (qui se transforme en une
matière comparable à celle de la partie à nourrir) et son assimilation,
c'est-à-dire son intégration à cette partie. Le tout se déroule grâce à
Introduction XLV

autant de facultés naturelles, attractrice, rétentive, altératrice et assi­


milatrice (dont l'ensemble constitue la faculté nutritive). Le processus
est comparable à celui de la transformation de l'aliment en sang par le
foie, à ceci près que le rôle « mécanique » retardateur du fin réseau
veineux hépatique est remplacé par des facultés agglutinative et
rétentrice propres aux différentes parties à nourrir et spécifiques de
leur aliment. Comme le foie (dont la nature est sanguine) transforme
par contact l'aliment en sang, les différentes parties du corps trans­
forment, par contact, le sang en une matière identique à celle dont
elles sont composées (os, chair, graisse, etc.).
Galien donne également un rôle à la chaleur (dans une coction
digestive), sans très bien la relier à l'action de ces facultés naturelles.
C'est ainsi qu'il distingue les humeurs (constitutives du corps, dans sa
physiologie comme cl.ans celle d'Hippocrate) selon la plus ou moins
grande chaleur qui les a produites en « cuisant » l'aliment (ici la bile
jaune et la bile noire ne sont apparemment plus considérées comme
des déchets). Ce balancement entre les facultés et la chaleur est sans
doute inhérent à l'indétermination du principe logé dans le foie :
est-ce une âme (agissant par la chaleur, comme chez Aristote), ou
est-ce la nature (agissant par les facultés naturelles) ? Dans le foie,
cette balance penche le plus souvent en faveur de la nature agissant
par les facultés naturelles. Le cœur, lui, conserve encore un principe
rappelant un peu une âme agissant par la chaleur (et un pneuma
vital) ; mais seul l'encéphale contient une véritable âme (agissant par
un pneuma psychique, et non par la chaleur ou des facultés natu­
relles) 1 •

Le premier grand appareil galénique est donc constitué du foie et


des veines; il assure la nutrition des différentes parties du corps avec
le sang élaboré dans le foie à partir de l'aliment. Le deuxième grand
appareil galénique est constitué du cœur, des artères et du poumon.
C'est un appareil respiratoire; il assure la production de la chaleur
vitale (dans le cœur), sa modération (par l'air pulmonaire), et sa
distribution (par les artères) aux différentes parties du corps (sous
forme d'un pneuma vital élaboré dans le cœur à partir de sa chaleur
propre, du sang et de l'air prélevé dans le poumon).

1. On lit souvent dans les ouvrages d'histoire de la médecine que la physiolo­


gie de Galien fait appel à trois pneuma, un pneuma physique (ou naturel) dans le
foie, un pneuma vital dans le cœur et un pneuma psychique dans l'encéphale. Il
ne semble pas en fait que Galien ait jamais eu recours à un pneuma physique,
propre au foie. Cette erreur est très ancienne,_et c'est notamment ainsi que les
écoles de médecine liront Galien au Moyen Age et à la Renaissance.
XLVI Galien - Œuvres médicales choisies

Galien a retiré au cœur la fonction sanguinifique qu'Aristote lui


avait attribuée. En revanche, il lui conserve sa fonction quasi respira­
toire, et ceci bien qu'il sache que les artères véhiculent du sang et non
de l'air (c'est avec Galien que finit cette idée d'artères contenant de
l'air) 1 • Il conserve aussi l'idée que le cœur est le siège d'une chaleur
intense, qui nécessite un refroidissement par la respiration; à quoi se
rattache la production d'un pneuma vital. Le déroulement de ces
processus cardiaques et respiratoires est moins clair que ceux de
l'élaboration de l'aliment sanguin par le foie; les textes se contredisent
parfois, mais la reconstitution suivante est assez vraisemblable.
Une partie du sang, au sortir du foie, gagne le cœur par la veine cave
inférieure (le reste va aux parties basses du corps par la portion basse
de cette même veine cave inférieure). Arrivé au cœur, une partie de ce
sang continue par la veine cave supérieure pour alimenter la tête, et
une autre partie pénètre dans le ventricule droit (les oreillettes sont
plus ou moins confondues avec les veines afférentes, tant à droite qu'à
gauche). Une partie de ce sang ventriculaire va nourrir le poumon par
les artères pulmonaires. L'autre partie passe du ventricule droit au
ventricule gauche par des orifices que Galien prétend avoir observés
dans la paroi interventriculaire (en expliquant cependant qu'un affais­
sement post mortem du tissu cardiaque empêche qu'on les distingue
bien lors des dissections).
D'autre part, la veine pulmonaire est censée apporter au ventricule
gauche l'air qu'elle prélève dans le poumon (dans De l'utilité de la
respiration, Galien hésite sur la question de savoir si c'est l'air en
substance ou seulement une de ses qualités qui est absorbé dans le
poumon par cette veine). Elle apporte aussi au cœur du sang qui
provient des artères pulmonaires; Galien postule en effet l'existence
d'anastomoses entre ces artères et les veines pulmonaires (sans cepen­
dant imaginer une circulation du sang dans les poumons, car, pour
lui, la plus grande partie du sang des artères pulmonaires sert à
nourrir ceux-ci). Dans le ventricule gauche, cet air et ce sang pulmo­
naires se mêlent au sang qui, par les supposés orifices interventri­
culaires, provient du ventricule droit. Le mélange de sang et d'air (ou
" sang pneumatisé »), réchauffé par le cœur, quitte alors le ventricule
gauche par l'aorte qui le répartit dans tout le corps grâce aux dif­
férentes artères.
La présence de sang dans les artères, alors que c'est le foie et les
veines qui le fabriquent, est donc expliquée par les orifices interven-
1. La preuve de la présence de sang dans les artères est expérimentale (par
exemple, Galien coupe une artère entre deux ligatures et montre qu 'elle contient
du sang).
Introduction XLVII

triculaires et les anastomoses entre veines et artères. Ce sang vient de


l'extérieur du système artériel ; le système vraiment « sanguin » reste
le foie et les veines (et le cœur droit); le système artériel (avec le cœur
gauche et les poumons) est avant tout le domaine du pneuma vital.
Le pneuma vital est tout aussi peu clairement défini que chez
Aristote. La manière dont il est élaboré dans le cœur n'est pas
précisée; il n'est notamment jamais fait allusion à une quelconque
faculté naturelle qui aurait cette fonction; manifestement le pneuma
reste une affaire de chaleur, de sang et de souffle, comme chez
Aristote. Comme le cœur est le siège de la chaleur vitale, et comme une
partie du sang passe du ventricule droit au ventricule gauche par les
orifices interventriculaires, le processus d'élaboration du pneu ma
vital dans le ventricule gauche consiste probablement en un réchauffe­
ment de l'air inspiré (ce qui refroidit le cœur) et son mélange au sang
(celui qui vient directement du ventricule droit par les orifices inter­
ventriculaires et celui qui en vient indirectement par les anastomoses
entre les artères et les veines pulmonaires).
À quoi sert ce pneuma vital, qui est envoyé dans le corps par les
artères sous la forme d'un sang pneumatisé ? Là encore, ce n'est pas
très clair, pas plus que chez Aristote. C'est même moins clair que chez
Aristote pour qui le pneuma était vraisemblablement une sorte d'air
chaud propre à la vie dans ce qu'elle a de commun avec la chaleur et
avec le souffle, quelque chose que le cœur envoie dans les différentes
parties pour les vivifier. Le cœur était le siège de l'âme, et le pneuma,
chaleur et souffle, qu'il envoyait dans le corps était en quelque sorte
l'instrument par lequel l'âme mettait le corps en forme, et l'animait.
Chez Galien, il n'y a plus d'âme dans le cœur, mais un vague
principe mal défini. La chaleur n'a qu'un rôle d'appoint dans la mise
en forme de la matière corporelle, qui relève maintenant des facultés
naturelles propres à chacune des parties. En outre, tout ce qui
ressortit à la nutrition dépend du foie et non plus du cœur. La
nécessité d'un pneuma vital n'apparaît donc pas de manière très
évidente (pas plus que celle d'un principe cardiaque). Au mieux, on
pourrait considérer qu'il concerne la vie végétative, sauf ce qui a trait à
la nutrition et qui relève du foie. Il interviendrait alors essentiellement
dans les mouvements (involontaires) propres aux différents organes
(contractions stomacales, vésicales, utérines, etc.). De tels mouve­
ments (ou la capacité d'avoir de tels mouvements) leur seraient
transmis par les artères, de la même manière que celles-ci reçoivent
du cœur leur faculté pulsatile. Cependant, on voit alors mal pourquoi
les organes n'ayant pas de motricité doivent recevoir ce pneu ma vital.
Cette indécision sur le rôle du pneuma vital est à rattacher à
l'indécision sur le principe vital logé dans le cœur, et sur sa fonction.
XLVIII Galien - Œuvres médicales choisies

Celle-ci est végétative, mais elle n' est pas nutritive (c'est le foie et le
sang qui ont cette fonction de nutrition). En quoi consiste alors cette
« vivification »? Est-ce que le principe cardiaque est une âme agissant
par la chaleur (via le pneuma vital qui serait une sorte d'air chaud)?
Est-ce une « nature » qui agit par des facultés naturelles (qui ne sont
pas précisées, car les facultés décrites pour le cœur sont surtout
attractrices et expulsives, il n'y en a pas qui soient spécialement
chargées de l'élaboration du pneuma vital ou de la chaleur)? On
retrouve ici une indécision comparable à celle déjà rencontrée pour le
principe nutritif logé dans le foie. Reste à voir le troisième principe,
celui logé dans l'encéphale.

Avec Galien (précédé en cela par Hérophile), la sensibilité et le


mouvement volontaire sont définitivement rattachés à l'encéphale, et
non plus au cœur. En effet, contrairement à Aristote, Galien ne voit
pas dans l'encéphale un organe destiné au refroidissement du sang; il
en fait le siège de l'âme rationnelle, l'âme pensante, qui est quasiment
la seule âme qu'il reconnaisse (en tout cas, c'est celle qu'il nomme
« âme dirigeante »), celle dont relèvent la pensée, la sensibilité et le
mouvement volontaire. Ceux-ci se réalisent grâce à un pneuma psy­
chique (ou « esprit animal »), qui est élaboré dans les ventricules de
l'encéphale et dont le rôle n'est guère plus clair que celui du pneuma
vital élaboré par le cœur.
Le pneuma psychique est formé à partir du sang chargé de pneuma
vital que le cœur envoie par les carotides. Celles-ci se divisent en une
multitude de petits vaisseaux qui forment le plexus réticulé s' étendant
à la base de l'encéphale 1 • Le sang parvient ainsi également aux plexus
choroïdes, qui forment un réseau de vaisseaux très proche des trois
premiers ventricules encéphaliques. Ces différents plexus jouent, dans
l'élaboration du pneuma psychique, le même rôle que le réseau
veineux du foie pour l'élaboration du sang, ou le réseau aérien du
poumon pour celle du pneuma vital (la comparaison qu'emploie
Galien porte sur un autre réseau, celui du testicule où est produit le
sperme). C'est-à-dire que, dans les plexus choroïdes et le plexus
réticulé, le pneuma vital (contenu dans le sang artériel) est maintenu
en contact étroit avec l'encéphale, et qu' ainsi il se transforme en
pneuma psychique, lequel passe alors dans les ventricules encépha­
liques où, sans doute, il subit une dernière maturation.
1. Le plexus réticulé existe chez certains mammifères (comme le porc), mais
pas chez l'homme (qui n'a que le polygone de Willis comme structure de ce
type). On a ici un exemple de la manière dont Galien, qui a surtout disséqué des
animaux, étend abusivement ses observations à l'anatomie humaine. Les plexus
choroïdes, évoqués un peu plus loin, existent chez l'homme, eux.
Introduction IL

Cette élaboration du pneuma psychique fait peut-être aussi directe­


ment appel à l'air. Pour Galien, en effet, le nez et l'encéphale (spéciale­
ment la glande pituitaire, c'est-à-dire l'hypophyse) communiquent à
travers la muqueuse nasale. Dans un sens, cette communication
permet l'évacuation des humeurs superflues de l'encéphale qui
s'écoulent par le nez sous forme de mucus (le phlegme ou pituite, d'où
le nom de glande pituitaire donné à l'hypophyse). Dans l'autre sens,
l'air est filtré par la muqueuse nasale et parvient, ainsi purifié, à
l'encéphale, particulièrement à ses ventricules (sans doute dans le
troisième ventricule, qui se trouve juste au-dessus de l'hypophyse).
Galien ne dit pas très clairement à quoi sert cet air. Peut-être entre-t-il
dans la fabrication du pneuma psychique (comme l'air pulmonaire
entrait dans celle du pneuma vital).
Le pneuma psychique, dont la nature reste aussi mystérieuse que
celle du pneuma vital. est ce qui « psychise » les différentes parties du
corps (comme le pneuma vital les « vitalise »). C'est ce pneuma qui, en
gagnant par les nerfs les différentes parties, en fait des « organes
psychiques » (c'est-à-dire « animés »), capables de sensibilité et/ou de
mouvement. Un organe sans nerfs, ou privé de ceux-ci, reste un
« organe physique » (c'est-à-dire « naturel »), qui n'a qu'une vie végé­
tative. Ainsi un muscle peut vivre sans nerf qui le relie à l'encéphale,
mais il est alors incapable de mouvement; de même l'œil peut vivre
sans nerf, mais est alors privé de sensibilité. Seules exceptions, le foie
et le cœur (qui n'ont, d'après Galien, que de tout petits nerfs) auxquels
est accordée une certaine activité propre, indépendante de l' encé­
phale, bien que leurs principes d'activité (respectivement nutritif et
vital) ne soient pas très clairement définis.

Galien distingue dans l'encéphale les deux hémisphères qu'il consi­


dère comme le cerveau sensible, et le cervelet qu'il considère comme le
cerveau moteur. Il connaît les premier et deuxième ventricules (ceux
des hémisphères), le troisième ventricule, ainsi que ce qu'il appelle le
ventricule du cervelet (le quatrième ventricule). Il sait que les deux
premiers ventricules s'ouvrent sur le troisième, et que celui-ci
communique avec le quatrième par un canal qui correspond à notre
aqueduc de Sylvius (quoiqu'il ait commis quelques confusions anato­
miques à ce sujet). Entre les hémisphères et le cervelet, donc entre le
cerveau sensible et le cerveau moteur, au-dessus de l'aqueduc de
Sylvius, il place le conarium, c'est-à-dire notre épiphyse (la glande
pinéale de Descartes). Fort curieusement, il critique ceux qui pré­
tendent que ce conarium contrôle le mouvement du pneuma psy­
chique dans l'aqueduc de Sylvius, et qu'il contrôle ainsi la relation
entre la sensibilité et la motricité, enjouant comme une sorte de clapet
L Galien - Œuvres médicales choisies

modulant le passage du pneuma psychique entre les ventricules sen­


sibles (I, II et III) et le ventricule moteur (IV). Lui, prétend que ce n'est
pas le conarium qui joue ce rôle, mais le vermis du cervelet, et il donne
au conarium une fonction de soutien à une veine. Malheureusement,
ses arguments sont assez obscurs, et, surtout, il ne précise pas quels
auteurs voulaient (et pourquoi) que ce fût le conarium, théorie que
Descartes reprendra au XVIIe siècle (alors que la médecine antérieure
suivait Galien dans son choix du vermis). Quoi qu'il en soit de ce choix
du vermis plutôt que du conarium, il est extrêmement intéressant de
noter la distinction entre un cerveau sensible et un cerveau moteur,
avec une structure de contrôle entre les deux. Cette structure règle le
passage du pneuma psychique entre elles, mais peut-être intervient•
elle aussi dans un mouvement de pneuma propre à la pensée elle­
même.
La distinction d'un système nerveux sensible et d'un système ner­
veux moteur ne se limite pas à l'encéphale, elle s' étend aux nerfs qui en
procèdent. Le rôle des nerfs dans la sensibilité et la motricité est tout à
fait reconnu par Galien, qui les compare aux veines et aux artères, et
proportionne leur diamètre à l'importance de la sensibilité ou de la
motricité de la région qu'ils innervent. Ces nerfs apportent le pneuma
psychique aux différentes parties du corps.
La distinction entre nerfs moteurs et nerfs sensibles se fait en
fonction de leur consistance. Pour Galien, les nerfs sensibles sont des
nerfs mous, tandis que les nerfs moteurs sont des nerfs durs. La
mollesse des nerfs sensibles s'explique par la nécessité qu'ils ont d'être
« impressionnables », donc malléables; la dureté des nerfs moteurs
par la résistance qu'il leur faut pour agir sur les muscles. Les parties
du système nerveux central dont procèdent les deux sortes de nerfs
sont d'ailleurs censées avoir la même consistance qu'eux : les hémi­
sphères (le cerveau sensible pour Galien) sont mous, tandis que le
cervelet (le cerveau moteur pour Galien) est dur. D'une manière
générale, la partie antérieure du cerveau est plus molle que la partie
postérieure; cependant, l'encéphale est globalement plus mou que les
nerfs, car il doit être très « impressionnable » par la sensibilité, et très
malléable pour bien se prêter à l'élaboration de la pensée.
Galien décrit les nerfs des principaux sens (nerfs optiques, olfactifs,
gustatifs et acoustiques) comme provenant du cerveau antérieur,
tandis que les nerfs moteurs proviennent de la moelle épinière,
manifestement conçue comme une prolongation du cerveau moteur.
Ce schéma assez simple est quelque peu perturbé par le fait que Galien
affirme ensuite que les nerfs mous peuvent devenir durs lorsqu'ils
s'éloignent de l'encéphale dont ils sortent; de sensibles ils deviennent
alors moteurs.
Introduction LI

Par ailleurs, si la nécessité de l'intégrité des nerfs pour la sensibilité


et la motricité des parties est affirmée, leur manière d'agir n'est pas
très claire. Pour qu'il y ait sensibilité, il faut que les organes des sens
soient reliés à l'encéphale par un nerf sensible. Pour qu'il y ait
mouvement, il faut que les muscles soient reliés à l'encéphale par un
nerf moteur. Ces nerfs, sensibles et moteurs, sont considérés comme
des sortes d'extensions de l'encéphale, par lesquelles celui-ci transmet
le pneuma psychique aux organes des sens et aux muscles. Cependant,
pour Galien, à l'exception du nerf optique, les nerfs ne sont pas creux ;
ce ne sont pas de simples tuyaux dans lesquels coule le pneuma
psychique. Peut-être le pneuma était-il censé pénétrer la matière des
nerfs (comme l'âme stoïcienne compénétrait la matière).
Quoi qu'il en soit, le rôle des nerfs sensibles est manifestement
d'apporter le pneuma psychique dans les organes des sens, afin de les
rendre sensibles et de les mettre en relation avec l'âme encéphalique.
Dans le cas de la vue, Galien, en reprenant une conception platoni­
cienne et stoïcienne, imagine même que le pneu ma sort de l'œil,
traverse l'air, va frapper l'objet sur lequel il se réfléchit, et revient dans
l'œil (il s'oppose ainsi à la conception atomiste de la vision, conception
beaucoup plus passive où les objets étaient censés émettre des sortes
d'images allant frapper l'œil, sans que celui-ci émette quoi que ce soit).
La nécessité des nerfs est non moins affirmée pour les mouvements
volontaires ; c'est par eux que l'encéphale envoie le pneu ma aux
muscles lors de ces mouvements. Le rôle du pneuma psychique
apporté par ces nerfs est tout aussi mystérieux que dans le cas des
nerfs sensibles (il n'agit pas en « gonflant » les muscles, comme le
feront les esprits animaux de Descartes). Galien reconnaît aux
muscles une faculté contractile indépendante des nerfs, mais cette
faculté ne rend pas ceux-ci inutiles, elle rend simplement les muscles
d'autant plus aptes à se contracter sous leur action, qui est ainsi
facilitée.

La reproduction est l'occasion pour Galien de faire agir de nouvelles


facultés naturelles. La semence mâle est naturellement le sperme.
Quant à la semence femelle, elle semble être plus ou moins confondue
avec les sécrétions vaginales (ce n'est donc plus le sang menstruel,
contrairement à ce qui se passait dans la physiologie aristotélicienne).
Même si c'est moins explicite que chez Aristote, la femelle est avant
tout chargée de fournir la matière (d'abord sa semence, ensuite le sang
par le cordon ombilical), et le mâle le principe organisateur. Ce
principe n'est plus une âme, mais toute une batterie de facultés
naturelles. Notamment les facultés génératrices qui engendrent les
tissus différenciés, et les facultés configuratives qui les mettent en
LII Galien - Œuvres médicales choisies

forme d'organes définis. La croissance du fœtus ainsi formé est


assurée par des facultés nutritives comparables à celles en œuvre dans
la nutrition chez l'adulte. Contrairement à ce que voulait Aristote, ce
n'est plus le cœur mais le foie qui, pour Galien, est le premier formé
dans l'embryon; ce qui correspond à la fonction nutritrive qui lui est
accordée (et qui rend l'embryogenèse indépendante de l'âme, puisque
le foie n'a qu'un principe nutritif, alors que le cœur logeait l'âme chez
Aristote).
Outre ces principes généraux, sont développées chez Galien toutes
sortes de considérations gynécologiques et de descriptions de parti­
cularités de la physiologie fœtale. Parmi les premières, on trouve des
considérations anatomiques sur la disposition des organes génitaux
féminins, décrits comme équivalente aux organes masculins, mais
invaginés à l'intérieur du corps. Parmi les secondes, on notera la
description et l'explication du trou de Botal et du canal artériel,
inhérents à l'absence de respiration chez le fœtus.
Pathologie et thérapeutique
S'il est assez facile d'étudier la physiologie galénique (les organes
n'ont pas les fonctions que nous leur attribuons aujourd'hui, mais ils
restent identifiables en tant qu'organes), il est beaucoup plus compli­
qué de comprendre la pathologie et la thérapeutique (les maladies ne
sont pas toujours identifiables, leur explication ne se rattache pas
toujours aux principes de la physiologie; quant aux remèdes, ils ne
peuvent que provoquer le scepticisme, quand ce n'est pas l'effroi).

Galien passe pour avoir restauré l'autorité d'Hippocrate quelque


peu affaiblie dans les siècles précédents. C'est sans doute vrai, et c'est
sans doute à lui qu'on doit la conservation des traités hippocratiques
(alors que la plus grande partie des livres de médecine de la période
hellénistique ont disparu). Cependant, chez Hippocrate, il n'a pas
retenu la natura medicatrix et, dans l'explication des maladies,
l'humorisme hippocratique est quelque peu contrebalancé par la prise
en considération de lésions organiques localisées.
On trouve en effet chez Galien une double explication des maladies.
Tout d'abord, il y a l'explication hippocratique par le déséquilibre des
humeurs. Mais le découpage du corps en organes dotés chacun d'une
fonction et d'une utilité particulières, en amenant une certaine
« machinisation » (qui n'est pas encore une mécanisation), oriente
l'explication de la maladie vers l'idée d'un dysfonctionnement de tel
ou tel organe, par suite d'une lésion ou d'une altération. Les deux
types d'explications, humorale et anatomopathologique, sont plus ou
Introduction LIII

moins bien reliées entre elles (tel déséquilibre des humeurs entraîne
telle ou telle altération de tel ou tel organe; telle altération de tel
organe entraîne tel déséquilibre des humeurs).

Tout d'abord, comme chez Hippocrate, les humeurs sont caractéri­


sées par les quatre qualités primordiales traditionnelles dans l'Anti­
quité. Ainsi le sang est chaud et humide, le phlegme (ou pituite) est
froid et humide, la bile noire est froide et sèche, et la bile jaune est
chaude et sèche 1 • Par là, elles sont associées aux saisons, et les
maladies par excès de telle ou telle humeur apparaissent donc à la
saison correspondante. Ainsi, les maladies caractérisées par un excès
de pituite se déclenchent en hiver (le rhume, par exemple, où l'excès de
pituite se manifeste par son élimination sous forme de mucus nasal). Au
printemps, les maladies par excès de sang (la « pléthore »); en été, par
excès de bile jaune (les jaunisses, par exemple); et en automne, par excès
de bile noire (la maladie d'Addison, la mélancolie, etc.).
Parallèlement, pour ce qui concerne l' âge : l'enfance est caractérisée
par des maladies par excès de sang ; la jeunesse et l'âge mûr, par excès
de bile jaune et de bile noire; la vieillesse, par excès de pituite.
Enfin, intervient dans cette question la constitution de l' individu,
son tempérament; c'est-à-dire la manière dont, en lui, les quatre
humeurs se tempèrent les unes les autres, la manière dont elles
s'équilibrent en accordant une certaine prédominance à l'une ou à
l'autre. Le tempérament sanguin (où le sang prédomine) sera sujet aux
maladies par excès de sang; le même principe valant pour les tempéra­
ments bilieux (ou colérique), atrabilaire (ou mélancolique) et phleg­
matique (ou lymphatique).
Les maladies, correspondant à des déséquilibres d'humeurs,
peuvent correspondre soit à des excès, soit à des défauts, de telle ou
telle humeur. Par exemple, si la pléthore se caractérise par l'excès de
sang, l'anémie se caractérisera par un défaut de sang. Si l'œdème
s'explique par un excès de phlegme, le dessèchement le sera par un
manque d'humidité (de phlegme, de sang).
Notons enfin qu'une maladie peut être provoquée par des désordres
concernant non pas une mais plusieurs humeurs (ou qualités - il est
souvent difficile de savoir si le déséquilibre concerne une humeur ou
une qualité), soit en excès, soit par manque. Ainsi, Galien distingue
huit « dyscrasies », quatre simples (correspondant chacune à un
trouble concernant une des quatre qualités), et quatre composées

1. Dans la physique d'Aristote, c'est l'air qui est chaud et humide, l'eau qui
est froide et humide, la terre qui est froide et sèche, le feu qui est chaud et sec.
LIV Galien - Œuvres médicales choisies
(correspondant chacune à un trouble concernant deux qualités, sec­
chaud, sec-froid, humide-chaud, humide-froid).

Cette explication humorale des maladies vaut pour les altérations de


l'état général du malade, qui ne peuvent pas être facilement rappor­
tées à l'altération de tel ou tel organe (les fièvres, par exemple). Elle
vaut aussi pour des troubles plus localisables, qui sont alors compris
comme des accumulations d'humeurs, des engorgements, ou au
contraire des défauts d'humeurs. Chez Galien, les humeurs sont plus
ou moins rattachées chacune à un organe. La bile jaune au foie ; le
sang également au foie mais aussi au cœur; la pituite, principalement
au cerveau; et la bile noire, à la rate. Le déséquilibre humoral peut
donc être rattaché au dysfonctionnement de l'organe correspondant,
dans un sens et dans l'autre (le dysfonctionnement provoque le
déséquilibre humoral, mais aussi le déséquilibre humoral se traduit
par un dysfonctionnement de tel organe). À quoi s'ajoute le fait que,
comme il y a un tempérament général pour le corps, il y a un
tempérament propre à chaque organe, et donc des maladies de chaque
organe inhérentes à ce tempérament propre.
Cela permet d'articuler à l'explication humorale des maladies une
explication qui a recours à des altérations d'organes déterminées et,
par là, à des altérations de la fonction exercée par ces organes. Ce qui
correspond à la sorte de machinisation du corps que la thèse de
l'utilité des parties a introduite en biologie et médecine.
Cette explication anatomopathologique est seulement esquissée, car
l'humorisme hérité d'Hippocrate reste prédominant. Ce qui se réper­
cute notamment dans la thérapeutique.

Il est assez difficile d'étudier la thérapeutique dans la médecine


antique, et même dans la médecine simplement ancienne 1, tant les
principes qui la sous-tendent sont devenus étrangers à la médecine
moderne. Les traitements (notamment dans le cas des maladies
infectieuses) devaient être si peu efficaces (l'érysipèle soigné avec de
l'eau vinaigrée, la blennorragie avec une boisson à base de graines de
laitue), et ils se sont si longtemps maintenus sous des formes à peine
modifiées, qu'on ne peut parvenir à en faire véritablement l'histoire.
Chez Galien comme chez Hippocrate, et pour les mêmes raisons, le
régime reste un des éléments fondamentaux de la thérapeutique.
Certains aliments conviennent à telle ou telle maladie, selon qu'ils
l. Les prescriptions diététiques d'Hippocrate se retrouvent à peine modifiées
dans les traités médicaux du xvm0 siècle, voire dans les remèdes de nos
grands-mères.
Introduction LV

sont échauffants, réfrigérants, humectants ou desséchants ; ou selon


qu'ils favorisent le sang, la pituite, la bile jaune ou la bile noire. La
graine de laitue aurait ainsi une action desséchante sur la semence (si
l'on en croit Alexandre de Tralles), d'où son usage dans la gonorrhée.
Un autre élément important du traitement est l' eau, sous forme de
bains, d'aspersion, etc.; eau tiède (le bain est alors réfrigérant) ou
chaude (il est échauffant), eau douce (il est humectant) ou eau
minérale (il est desséchant). Par exemple, les fièvres caractérisées par
des excès d'humeurs chaudes (sang ou bile jaune) seront soulagées
par des bains tièdes, en eau douce dans le cas de maladies bilieuses (la
bile jaune est une humeur sèche, c'est pourquoi son excès, dans les
troubles digestifs, entraîne en général une soif intense).
La saignée, les ventouses, les ponctions, les diurétiques, les vomisse­
ments et les purges permettent d'éliminer les excès de sang, de
phlegme, de bile (jaune ou noire) ou d'eau. La saignée s'appliquera
dans les diverses fièvres accompagnées de pléthore (excès de sang), si
toutefois l'état général du malade le permet (on ne saigne pas les
malades trop faibles). Les vomitifs permettent d'éliminer les accumu­
lations de bile dans l'estomac. Les diurétiques serviront à assécher en
cas de diathèses trop humides, etc.
S'ajoutent à cela diverses drogues administrées de toutes les
manières possibles (pilules, potions, suppositoires, cataplasmes, etc.),
et toutes échauffantes ou réfrigérantes, humectantes ou desséchantes,
sanguines, pituiteuses, bilieuses, etc., selon qu'il convient au mal à
soigner. L'effet de ces drogues est soit général, soit local (ainsi, dans le
cas de l'érysipèle, après avoir saigné pour refroidir le corps et imposé
un régime réfrigérant et humectant, on applique sur la partie atteinte
une éponge imprégnée d'eau vinaigrée pour ronger les chairs pour­
ries, puis, une fois la plaie nettoyée, des cataplasmes à base de farine
ayant une action réfrigérante et humectante ; soit ici une action locale
alors que la saignée et le régime concernent le corps en entier).

Il est assez difficile de généraliser ces principes (et parfois de


simplement les comprendre). Il est probable que, sous l'explication
par la théorie humorale, persistait une approche très largement
empirique, et une application des thérapeutiques très largement fonc­
tion de l'expérience qu'avait le médecin de cas comparables.

LA POSTÉRITÉ DE GALIEN

L'anatomie, la physiologie et la médecine galéniques forment


l'armature de celles du monde arabe et du monde occidental jusqu'à la
Renaissance et même au xvue siècle. Bien entendu, selon les époques,
LVI Galien - Œuvres médicales choisies

les lieux et les auteurs, elles connaîtront quelques variantes, mais


l'essentiel sera conservé. Le développer serait développer toute la
médecine de cette époque, aussi n'indiquerons-nous que quelques
grandes lignes.
À la fin de l'Antiquité, les textes de Galien sont considérés comme
des références, notamment à Alexandrie, à Byzance (Constantinople)
et au Proche-Orient (Syrie, Iran). À Constantinople, au IV" siècle,
Oribase s'en servit largement pour composer une vaste encyclopédie
médicale. À Alexandrie, Alexandre de Tralles (525-605) et Paul d'Égine
(vue siècle), entre autres, firent de même pour leurs ouvrages respec­
tifs. Dans cette ville, les médecins, trouvant le corpus galénique trop
volumineux, choisirent seize de ses traités dont ils firent la base de la
médecine 1 . Au Proche-Orient, un certain nombre des traités de Galien
furent traduits en syriaque (notamment, au VIe siècle, par Sergius).
Après les invasions du VIIe siècle au Proche-Orient et en Afrique du
Nord, la médecine galénique élaborée à Alexandrie (avec les seize
traités comme base) fut la principale source de la médecine arabe. Les
traités de Galien continuèrent leur carrière et commencèrent à être
traduits en arabe (soit à partir de leur version grecque, soit à partir de
leur version syriaque). L'un des principaux premiers traducteurs fut
Hunain ibn Ishaq (808-877) qui œuvra surtout à Bagdad. À partir de
quoi, la médecine arabe se développa de son propre mouvement, mais
en conservant très nettement son ancrage galénique. L'un de ses
principaux représentants fut Avicenne (980-1037), dont le Canon fit
autorité dans toute la médecine médiévale, tant dans le monde arabe
que dans le monde occidental (où il fut traduit par Gérard de Crémone
au XIie siècle).
À titre d'exemple de l'influence de Galien sur la médecine arabe,
voici un extrait du Poème de la médecine d'Avicenne, où l'on reconnaît
très bien les principes précédemment exposés, malgré quelques
variantes (ainsi, l'espèce de fonction réfrigérante du cerveau est
inspirée d'Aristote et non de Galien) :

Le corps est formé d 'humeurs de couleurs différentes et de


tempéraments différents.
Ce sont : la pituite, la bile jaur,e, le sang, la bile noire.
la pituite naturelle est insipide et de froid tempéré [...].

1. Ces traités sont : De sectis, Ars medica, De pulsibus ad tirones, De


curatione ad Glauconem, De anatomia libri V, De elementis, De temperamentis,
De facultatibus naturalibus, De morborum causis et symptomatibus, De lods
affectis, Compendium pulsuum, De differentiis febrium, De crisibus, De criticis
diebus, Methodus medendi, De sanitate tuenda.
Introduction LVII

La bile jaune comporte des nuances variées : l'une est connue sous
le nom de fumeuse,
une autre est semblable au jaune d'œuf: elle n'est pas malsaine,
une autre encore est de couleur rouge et se trouve dans la vésicule
biliaire. À toutes est attribué le tempérament chaud.
L'origine du sang est le foie, les veines le transportent dans tout le
corps.
Il y a aussi du sang dans le cœur, il est de caractère chaud et
humide.
Le siège de l'atrabile est la rate, cette opinion est vraisemblable.
La nature du sang est complexe; sinon il n 'est pas normal.
Il résulte du mélange et de la combustion des quatre humeurs.
Les organes essentiels sont quatre, les autres en sont des expansions
semblables à des branches.
L'un d'eux est le foie : de lui dépend la nutrition du corps.
Le cœur, lui, donne la vie; sans lui, l'homme serait une plante,
il est le principe de la chaleur naturelle qui suit les deux grosses
artères.
Le cerveau, par l'intermédiaire de la moelle épinière et des nerfs,
empêche le cœur de s 'embraser.
C'est d'eux [moelle et nerfs] que part l'influx moteur des
articulations. Les testicules, eux, sont les organes de la
reproduction;
par eux, les espèces se perpétuent, leur absence les fait disparaître.
La chair, la graisse, les différentes espèces de glandes sont les agents
des fonctions du corps.
Les os, les membranes, les ligaments en sont les soutiens et la
protection;
Pour que s'achèvent la forme et la constitution, ils sont les
auxiliaires des organes principaux.
Les ongles sont aux extrémités comme outils, les poils éliminent les
résidus et ornent le corps.

En Occident, le devenir du galénisme fut moins linéaire que dans la


partie orientale du Bassin méditerranéen. À Rome, la médecine était
mal organisée et mal enseignée; les médecins étaient en général
d'origine grecque, et c'est en grec que l'on soignait et que l'on
enseignait. Or, lors de la décadence de l'Empire romain, cette langue
fut de moins en moins parlée; ce qui s'ajouta à la désorganisation
politique pour entraîner le déclin de la médecine et de son enseigne­
ment. Il y eut bien quelques traductions latines d'Hippocrate et de
Galien à Ravenne aux v" et VIe siècles, mais il fallut attendre le XI",
voire le xne siècle, pour que la médecine reprenne naissance grâce à
des emprunts au monde arabe.
LVIII Galien - Œuvres médicales choisies
En Italie, au ,ae siècle, Constantin l'Africain, un moine du Mont
Cassin originaire d'Afrique du Nord, traduisit (ou plutôt adapta)
certains traités arabes en latin, dont des textes de Galien. Ces traduc•
tions-adaptations furent utilisées et diffusées notamment par l'école
de médecine de Salerne.
En Espagne, les débuts de la reconquête chrétienne sur les musul­
mans (qui ne s'acheva qu'en 1 492) furent marqués par la prise de
Tolède en 1085. Les bibliothèques de Tolède furent la seconde voie de
réintroduction de la médecine galénique en Occident à partir de la
médecine arabe. C'est à Tolède qu'au x1I" siècle, Gérard de Crémone
traduisit en latin le Canon d'Avicenne, mais aussi d'autres ouvrages
arabes et des traités de Galien.
À partir de ces traductions, en Italie et en Espagne, et de celles qui
suivirent, la médecine médiévale occidentale se développa de son
propre mouvement (en empruntant beaucoup à la médecine arabe,
mais aussi juive). Mais Galien, que ce fût par l'intermédiaire arabe ou
directement par la voie grecque, resta la principale source. À titre
d'exemple de cette influence de Galien sur la médecine occidentale,
voici la parodie de physiologie que fait Panurge dans le Tiers Livre de
Rabelais (chapitre 4); on y retrouve sans difficulté les principales
thèses galéniques. Pour compléter cet exemple de manière plus
« sérieuse », on indiquera, en notes de bas de page des textes traduits
par C. Daremberg, quelques conceptions d'Ambroise Paré (1517-
1590) correspondant à celles de Galien.
L'intention du fondateur de ce microcosme est y entretenir l'âme,
laquelle il y a mise comme haste, et la vie. La vie consiste en sang.
Sang est le siège de l 'âme. Pour tant un seul labeur poigne en ce
monde, c'est forger sang continuellement. En ceste forge sont tous
membres en office propre; et est leur hiérarchie telle que sans cesse
l 'u n de l'autre emprunte, l 'un à l'autre preste, l 'un à l'autre est
debteur. La matière est métal convenable pour estre en sang trans­
mué, est baillée par nature : pain et vin. En ces deux sont
comprinses toutes espèces des alimens, et de ce est dit le companage
en langue goth. Pour icelles trouver, prœparer et cuire, travaillent les
mains; cheminent les pieds et portent toute cette machine; les œilz
tout conduisent; l 'appétit en l'orifice de l'estomach moyenant un
peu de mélancholie aigrette [bile noire1 que luy est transmis de la
ratelle [ratel admonneste de enfourner viande. La langue en faict
l 'essay ; les dens la maschent; l'estomach la reçoit, digère et chylifie.
Les veines mésaraïcques [du mésentère] en sugcent ce qu 'est bon et
idoine; délaissent les excrémens, lesquelz par vertu expulsive sont
vuidez hors par exprès conduictl., puys la portent au foye; il la
Introduction LIX

transmue derechef, et en faict sang. [...] Adoncques chascun


membre se prœpare et s'esvertue de nouveau à purifier et affiner
cestuy thésaur [le sang]. Les roignons [reins] par les vènes ému/­
gentes en tirent l'aiguosité, que vous nommez urine, et par les
uretères la découllent en bas. Au bas trouve réceptacle propre, c'est
la vessie, laquelle en temps oportun la vuide dehors. La ratelle en tire
le terrestre et la lie, que vous nomez mélancholie [bile noire]. La
bouteille du fiel [vésicule biliaire] en soubstraict la cholère super•
flue [bile jaune]. Puys est transporté en une autre officine pour
mieulx estre affiné : c'est le Cœur, lequel par ses mouvements
diastolicques et systolicques le subtilie et enflambe, tellement que
par le ventricule dextre le mect à perfection et par les vènes l'envoye à
tous les membres. Chascun membre l'attire à soy, et s'en alimente à
sa guise : pieds, mains, œilz, tous; et lors sont faistz debteurs, qui
paravant estaient presteurs. Par le ventricule gausche il le faict tant
subtil qu 'on le dict spirituel, et l'envoye à tous les membres par ses
artères, pour l'autre sang des vènes eschauffer et esventer. Le
poulmon ne cesse avecques ses lobes et souffletz le refraischir. En
recongnoissance de ce bien le cœur luy en départ le meilleur par la
veine artériale. Enfin tant est affiné dedans le retz merveilleux
[plexus réticulé], que par après en sont faictz les espritz animaulx
[pneuma psychique1 maoyennant lesquelz elle imagine, discourt,
juge, résoust, délibère, ratiocine et remémore.
BIBLIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE GALIEN

Les éditions partielles des œuvres de Galien, et leurs traductions,


sont multiples; certaines très anciennes, d'autres modernes; certaines
très fautives, d'autres très savantes. Nous proposons ci-dessous un
choix effectué à partir de la bibliographie établie par Konrad Schu­
bring dans le vingtième tome de la réimpression de l'édition Kühn des
œuvres de Galien (1965), nous la complétons par quelques traductions
plus récentes, sans prétendre à l'exhaustivité.
Œuvres choisies en traduction
C. Daremberg, Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de
Galien, 2 volumes, Éditions Baillière, Paris, 1854-1856 (cette
édition contient in extenso les traités suivants : Que le bon méde­
cin est philosophe; Exhortation à l'étude des arts; Que les mœurs
de l'âme sont la conséquence des tempéraments du corps; Des
habitudes; De l'utilité des parties du corps humain; Des facultés
naturelles; Du mouvement des muscles; Des sectes aux étudiants;
De la meilleure secte, à Thrasybule; Des lieux affectés; De la
méthode thérapeutique, à Glaucon).
R. von Tôply, Anatomische Werke des Ruphos und Galenos (De ossibus
ad tirones, De venarum aeteriarumque dissectione, De nervorum
dissectione), Wiesbaden, 1904.
E. Beintker und W. Kahlenberg, Die Werke des Galenos, übers. u.
erlaütert, 1-V, Stuttgart (Bd. I : Gesundheitslehre Buch 1-3, 1939;
Bd. II : Gesundheitslehre Buch 4-6, 1941; Bd. III : Die Krafte der
Nahrungsmittel, Buch 1-2, 1948; Bd. IV : Die K.rafi:e des Nahrung­
smittel, Buch 3-6, 1952; Bd. V : Die Krafte der Physis (über die
natürlichen Krafte), 1954).
Bibliographie LXI

J.B. Lafout et A.R. Moreno, Obras de Galeno (Definitiones medicae,


Quomodo morbum simulantes sint deprehendi, Ars medica), La
Plata, 1 947.
A. Tovar et A.R. Moreno, Obras de Galeno (Compendio del pulso para
los estudiantes, De las differencias de pulsos), Buenos Aires, 1 948.
Ivan Gonfalo e Mario Vegetti, Galeno, Opere scelte (Classici della
scienza, 22; 1 142 p.) Unione tipographico-editrice torinese,
Torino, 1 978.
Malcolm Lyons, On the parts of medicine, On cohesive causes, On
regimen in acute diseases in accordance withe the theories of
Hippocrates, First ed. of the Arabie versions, with English transla­
tion, Akademie Verlag, Berlin, 1 969.
Furley D. J. and Wilkie J. S., Galen, On respiration and the arteries (An
in arteriis natura sanguis contineatur, De usu pulsuum, De causis
respirationis, De usu respirationis), An edition with English
translation and commentary, Princeton University Press, 1 984.
Galien, Épitomé, Éditions latines, Paris, 1 962 (4 volumes). Cet épitomé
est une version française, fabriquée à partir de diverses traduc­
tions (traductions françaises, celles de C. Daremberg ou d'autres
plus anciennes, mais aussi allemandes, anglaises, etc.) des traités
suivants de Galien (donnés soit in extenso pour les plus courts,
soit en partie pour les plus longs) : Tome I : Sur mes propres
livres; De l'ordre de mes livres; Que le bon médecin est philo­
sophe; Histoire de la philosophie; Introduction à la logique;
Commentaire du Timée de Platon; Sur la République de Platon;
Sur les facultés naturelles; Des habitudes; Des mœurs de l'âme;
Des passions de l'âme; Des erreurs de l'âme. - Tome II : Des
rêves; Astrologie médicale; Exhortation à l'étude des arts; Com­
mentaires des Aphorismes d'Hippocrate; Sur l'emploi correct des
termes; Définitions médicales; De la meilleure secte, à Thrasy­
bule; Des sectes, aux étudiants; De la méthode thérapeutique, à
Glaucon. - Tome III : De l'utilité des parties du corps humain;
De la dissection; Sur la dissection des muscles; Sur la dissection
des veines et des artères; Sur la dissection des nerfs; Du mouve­
ment des muscles. - Tome IV : Du pouls; Des lieux affectés; Des
tumeurs contre nature; Du gynécée ou Sur les maladies des
femmes; Sur les plaisirs de l'amour; Des bandages; Petits traités
(De la révulsion, Des ventouses, Des sangsues, De la scarifica­
tion); De la saignée ; Commentaires des Épidémies d'Hippocrate;
Sur les régimes liquéfiant les humeurs; Du jeu de paume; Des
bons et des mauvais sucs; Abrégé de la composition des médica­
ments; (Glossaire).
LXII Galien - Œuvres médicales choisies

Œuvres rassemblées dans l'édition Kühn


La plus grande partie des œuvres de Galien ont été rassemblées par
C.G. Kühn qui en a donné une édition comportant à la fois le texte grec
et sa traduction latine : Claudii Galeni, Opera omnia, Leipzig, 1821-
1833. Cette édition comprend vingt tomes en vingt-deux volumes (les
tomes XVII et XVIII couvrent chacun deux volumes, XVII-A et XVII-B,
XVIII-A et XVlll-B), le vingtième tome étant réservé à l'index. Elle a
été reproduite en fac-similé chez Georg Olms Verlagsbuchhandlung,
Hildesheim 1964-1965, et dotée, dans le vingtième tome, d'une impor­
tante bibliographie par Konrad Schubring.
Nous donnons ci-dessous le titre des différents traités présentés par
cette édition (la référence entre parenthèses indique le tome et les
pages), en mentionnant les traductions en langues occidentales
modernes les plus récentes (lorsqu'il en existe). Les traités marqués
d'un astérisque sont apocryphes, des compilations fabriquées au XVIe
siècle. L'ordre adopté est celui, un peu curieux, de l'index de l'édition
Kühn.

Adhortatio ad artes addiscendas (Kühn I, 1-39)


C. Daremberg, Exhortation à l'étude des arts, dans Œuvres anato­
miques, physiologiques et médicales de Galien, tome I (8-46), Paris,
1854.
P. Lueth und W. Knapp, G. von Pergamon, Ermunterung zu Kunst
und Wissenschaft, Hippokrates 34, 1963.
J. Walsh, Exhortation to the study of the arts especially medicine,
Medical Life 37, 1930.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome II, Éditions latines, Paris, 1962.
A. Barigazzi, Sull'ottima maniera d'insegnare, Esortazione alla
medicina, (Corpus médicorum Graecorum, 5.1.1), Akademie Ver­
lag, Berlin, 1991.
De alimentorum facultatibus (Kühn VI, 453-748)
E. Beintker und W. Kahlenberg, Die Kriifte der Nahrungsmittel,
dans Die Werke des Galenos, Bd. III-IV, Stuttgart, 1948-1952.
De probis pravisque alimentorum sucis (Kühn VI, 749-815)
Anna Maria Ieraci Bio, De bonis malisque sucis, D'Auria, Napoli,
1987.
Voir Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De anatomicis administrationibus (Kühn II, 2 15-731)
(Seuls les premiers livres, qui nous sont parvenus en grec, (zgurent
dans l'édition Kühn ; les derniers livres nous sont parvenus en
arabe.)
Bibliographie LXIII

C. Singer, Galen, On anatomicalprocedures (books 1-IX 6), Oxford


University Press, London, 1956.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
W.L.H. Duckworth, M.C. Lyons, C. Towers, Galen, On anatomical
procedures, The later books, A translation, University Press, Cam­
bridge, 1962.
M. Simon, Galenos, Anatomie, 7 Bücher veroff. nach den Hss. e.
arab. übers. den 9. Jhdt. p. Chr., ins Deutsche übertragen u. komm.,
2 Bde, Leipzig, 1906.
An animal sit id, quod in utero est (Kühn XIX, 158-18 1 )
Carlo Maria Colucci, Se cià che è nell'utero è u n essere vivente,
Trad. e commento, Cossidente, Roma, 197 1 .
Quod animi mores corporis temperamenta sequantur (Kühn IV,
767-822)
C. Daremberg, Que les mœurs de l'i/.me sont la conséquence des
tempéraments du corps, dans Œuvres anatomiques, physiologiques
et médicales de Galien, tome I (47-91 ), Paris, 1 854.
E. Haucke, Galenos, Dass die Vermogen der Seele eine Folge der
Mischungen des Korpers sind, Abh. Gesch. Med. 2 1, Berlin, 1937.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
Luis Garcia Ballester, Alma y enfermedad en la obra de Galeno,
Trad. y comentario del escrito Quod animi mores corporis tempe­
ramenta sequantur, (Cuadernos hispanicos de historia de la medi­
cina y de la ciencia, 12), Univ. Valencia, Valencia, 1972.
H. H. Biesterfeld, Galens Traktat « Dass die Krtifte der Seele den
Mischungen des Korpers folgen » (Anhandlungen für die Kunde
des Morgenlandes, 40, 4), Deutsche Morgenlandische Gesells­
chaft, Mainz; Steiner, Wiesbaden, 1973.
De cognoscendis curandisque animi morbis (Kühn V, 1-57) ; De
cujuslibet animi peccatorum dignotione atque medela libellus
(Kühn V, 58-103)
R. van der Elst, Traité des passions de l'i/.me et de nos erreurs, Thèse
de lettres, Paris, 1914.
P.W. Harkins, On the passions and errors of the soul, Translation,
with introd. and interpret. by W. Riese, Ohio State University
Press, Columbus 1963.
C. Mancini, G. Fravega, In qual modo se possono conoscere e
curare le infermita dell' anima, Scientia Veterum 40, Genua 1963
(traduction G. Tarcagnota, Venise, 1549).
M. Menghi e M. Vegetti, Le passioni e gli errori d'ell'anima, Marsi­
lio, Venezia, 1984.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
De antidotis (Kühn XIV, 1-209)
LXIV Galien - Œuvres médicales choisies
Ars medica (Kühn I, 305-412)
J.B. Lafout, A.R. Moreno, dans Obras de Calena, La Plata, 1957.
Marco T. Malato, Arte medica, Trad. italiana, presentazione e
note, De Luca, Roma, 1973.
De constitutione artis medicae ad Patrophilum liber (Kühn I. 224-304)
An in arteriis natura sanguis contineatur (Kühn IV, 703-736)
Furley D. J. and Wilkie J. S., An in arteriis natura sanguis continea­
tur, dans Galen, On respiration and the arteries, An edition with
English translation and commentary, Princeton University Press,
1984.
De atra bile (Kühn V, 104-148)
De comate secundum Hippocratem liber (Kühn VII, 643-665)
De optima corporis nostri constitutione (Kühn IV, 737-749)
Robert J. Penella and Thomas S. Hall, On the best constitution of
our body, Introduction, translation and notes, Bull. Hist. Med., 47,
1973.
De crisibus (Kühn IX, 550-768)
Definitiones medicae (Kühn XIX, 346-462)
J.B. Lafout, A.R. Moreno, dans Obras de Calena, La Plata, 1957.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome Il, Éditions latines, Paris, 1962.
De diebus decretoriis (Kühn IX, 769-941)
De dignotione ex insomniis (Kühn VI, 832-835)
De optima doctrina liber (Kühn I, 40-52)
A. Barigazzi, Sull'o ttima maniera d 'insegnare, Esortazione alla
medicina, (Corpus médicorum Graecorum, 5.1.1), Akademie Ver­
lag, Berlin, 1991.
De elementis ex Hippocrate (Kühn I. 413-508)
Puero epileptico consilium (Kühn XI, 357-378)
A. Boto-Micca, Il « De puera epilept. » di Calena, Riv. Stor. Med.
2 1, 1930.
O. Temkin, Galen's Advice for an epileptic boy, Bulletin of the
History of Medicine (Baltimore) 2, 1934.
De naturalibus facultatibus (Kühn II, 1-214)
C. Daremberg, Des facultés naturelles, dans Œuvres anatomiques,
physiologiques et médicales de Galien, tome Il (2 12-320), Paris,
1856.
E. Beintker und W. Kahlenberg, über die natürlichen Kriifte, dans
Die Werke des Galenos, Bd. V, Stuttgart, 1954.
A.J. Broek, Galen, On the natural faculties, London-Cambridge
(Mass.), 1963.
A. Renander, Om Naturens Krafter, Overs med med. - hist. Over­
sikt ok Kommentarer, Stockholm, 1958.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
Bibliographie LXV

De substantia facultatum naturalium fragmentum (Kühn IV, 757-766)


De fasciis liber (Kühn XVIII-A, 768-827)
Voir Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1 962.
Ex Galeni commentariis de fasciis libellus (Kühn XVIII-A, 828-838)
De febrium differentiis (Kühn VII. 273-405)
De fœtuum formatione libellus (Kühn IV, 652-702)
De bono habitu liber (Kühn IV, 750-756)
In Hippocratis librum de acutorum victu commentarius (Kühn XV,
418-919)
In Hippocratis librum de alimenta commentarius* (Kühn XV, 224-
417)
In Hippocratis aphorismos commentarius (Kühn XVII-B, 345-887 ;
XVIII-A, 1 - 1 95)
Voir Galien, Épitomé, tome Il, Éditions latines, Paris, 1 962.
Adversus ea, quae Juliano in Hippocratis aphorismos enunciata sunt
libellus (Kühn XVIII-A, 246-299)
In Hippocratis librum de articulis commentarius (Kühn XVIII-A,
300-345 et 423-767)
M. Abbale, I quattro commentari al Trattato delle articulazioni di
Ipocrate, Trad. italiana e note, De Luca, Roma, 1 972.
In Hippocratis epidemarium librum primum commentarius {Kühn
XVII-A, 1 -302)
Voir Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1 962.
In librum secundum commentarius* (Kühn XVII-A, 303-479)
In librum tertium commentarius {Kühn XVII-A, 480-792)
In librum sextum commentarius (Kühn XVII-A, 793-1009; XVII-B,
1 -344)
In Hipprocratis librum de fracturis commentarius (Kühn XVIII-B,
318-628)
E. Andreoni, I tre commentari al Trattato delle fratture di lpocrate,
Trad. italiana e note, De Luca, Roma, 1972.
In Hippocratis librum de humoribus commentarius* (Kühn XVI,
1 -488)
Linguarum seu dictionum exoletarum Hippocratis explicatio (Kühn
XIX, 62-157)
Hippocratis de natura hominis liber primus et Galeni in eum com­
mentarius (Kühn XV, 1-173)
In Hippocratis librum de officina medici commentarius (Kühn
XVIII-B, 629-925)
M. Lyons, An arabic translation of Galen 's commentary on Hippo­
crates De officina medici (version arabe et anglaise), Akademie
Verlag, Berlin, 1 963.
In Hippocratis praedictionum librum primum commentarius (Kühn
XVI, 488-840)
LXVI Galien - Œuvres médicales choisies

In Hippocratis prognostica commentarius (Kühn XVIIl-B, 221-317)


In Hippocratis vel Polybi opus de salubri victus ratione privatorum
commentarius (Kühn XV, 174-223)
De hirudinibus, revulsione, cucurbita, incisione et scarificatione
(Kühn XI, 3 17-322)
Voir Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De historia philosophica liber spurius (Kühn XIX, 222-345)
Voir Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
De humero iis modis prolapso, quos Hippocrates non vidit (Kühn
XVIII-A, 346-422)
De humoribus liber (Kühn XIX, 485-496)
Utrum medicinae sit an gymnatices hygieine, ad Thrasybulum liber
(Kühn V, 806-898)
L. Englert, Galenos, Thrasybulos. 1st das Gesunde Gegenstand des
Heilkunde oder der Trainingslehre ?, Kl. Texte Gesch. u. Lehrweise
Leibesübungen 2, Berlin, 1936.
De inaequali intemperie liber (Kühn VIT, 733-752)
Introductio seu medicus (Kühn XIV, 674-797)
De libris propriis liber (Kühn XIX, 8-48)
Voir Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
De ordine librorum suorum ad Eugenianum (Kühn XIX, 49-61 )
Voir Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
De locis affectis (Kühn VITI, 1-452)
C. Daremberg, Des lieux affectés, dans Œuvres anatomiques, phy­
siologiques et médicales de Galien, tome II (468-705), Paris, 1 856.
A. Renauder, Om sjukdmarnas lokalisation, ôvers. fran. Grek.
med med. ôversikt och Komm. Stockholm, 1962.
Rudolph E. Siegel, On the affected parts, Translation from the
Greek with explanatory notes, Karger, Basel, 1976.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
Adversus Lycum libellus (Kühn XVIII-A, 196-245)
De marcore liber (Kühn VII, 666-704)
T. C. Theorarides, On marasmus, Translated from the Greek, J.
Hist. Med., 26, 197 1 .
De methodo medendi (Kühn X, 1-102 1 )
R.J. Hankinson, On the therapeutic method, Books one and two,
Clarendon Press, Oxford, 1991.
Autres traductions partielles, plus anciennes, dans diverses
revues : voir Kühn, tome XX, page XLV.
Ad Glauconem de methodo medendi (Kühn XI, 1-146)
C. Daremberg, De la méthode thérapeutique, à Glaucon, dans
Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, tome
II (706-784), Paris, 1 856.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome II, Éditions latines, Paris, 1962.
Bibliographie LXVII

Quos, quibus catharticis medicamentis et quando purgare oporteat


(Kühn XI, 343-356)
G. Sacino, Il libro « De catharticis » attribuito a Galeno, Tradu­
zione e commento, Riv. Stor. Med., 12, 1968.
De compositione medicamentorum secundum locos (Kühn XII, 378-
1007; XIII, 1-361)
De compositione medicamentorum per genera (Kühn XIII, 362-1058)
De purgantium medicamentorum facultate (Kühn XI, 323-342)
De simplicium medicamentorum temperamentis et facultatibus
(Kühn XI, 379-892; XII, 1-377)
Quod optimus medicus sit quoque philosophus (Kühn I, 53-63)
C. Daremberg, Que le bon médecin est philosophe, dans Œuvres
anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, tome I (1-8),
Paris, 1854.
G. Bilancioni, Corno l'ottimo medico sia anche filosofo, Riv. Crit.
Clin. Med., 1914.
P. Bachmann, Galenos Abhandlung darüber, dass der vorzügliche
Arzt Philosoph sein muss, Arabisch und Deutsch hrsg. (Nachrich­
ten der Akademie des Wissenschaften in Gottingen, Phil. Hist.
Klasse, 1, 1965), Vandenhoeck und Ruprecht, Gottingen, 1966.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
De melancholia ex Galeno, Rufo, Posidonio et Marcello, Sicamii Aetii
libellus (Kühn XIX, 699-720)
De totius morbi temporibus liber (Kühn VII, 440-462)
De causis morborum liber (Kühn VII, 1-41 )
De morborum differentiis (Kühn VI, 836-880)
De morborum temporibus liber (Kühn VII, 406-439)
De musculorum dissectione ad tirones (Kühn XVIII-B, 926-1026)
C.M. Goss, On the anatomy of muscles for beginners by Galen of
Pergamon, Anat. Rec. 143, 1963.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
De motu musculorum (Kühn IV, 367-464)
C. Daremberg, Du mouvement des muscles, dans Œuvres anato­
miques, physiologiques et médicales de Galien, tome Il (321-375),
Paris, 1856.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
De nervorum dissectione (Kühn Il, 831-856)
R. v. Toply, Anatomische Werke des Rufos und Galenos, Wies­
baden, 1904.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
De instrumento odoratus (Kühn Il, 857-886)
J. Wright, The organ of Smell, The Laryngoskope, 1924.
J. Kollesch, über das Riechorgan, Corpus Medicorum Graecorum,
Akademie Verlag Berlin, 1964.
LXVIII Galien - Œuvres médicales choisies
De ossibus ad tirones (Kühn II, 732-778)
R. v. Toply, Anatomische Werke des Rufos und Galenos, Wies­
baden, 1904.
C. Singer, Galen, Elementary Course on Bones, Proceed. R. Soc.
Med. Sect. Hist. Med. 4, 1952.
Michael G. Moore, Introduction to the bones, a critical edition
with transi. and indices, Diss. Abs. Int., 1970, 3 1 : 738-A (Dissera­
tion at Univ. Michigan, 1969; Univ. microfilms order n° 70-
14601 ).
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
De parvae pilae exercitio (Kühn V, 899-91 0)
E. Wenkebach, Galenos von Pergamon : Allgemeine Ertüchtigung
durch Ballspiel, Archiv für Geschichte der Medizin, 3 1 , 1938.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De placitis Hippocratis et Platonis (Kühn V, 1 8 1 -805)
I. v. Müller, Cl. Galeni De placitis Hippocratis et Platonis libri IX,
rec. et exp/. , Vol. I, Leipzig, 1 874 (les volumes suivants n'ont
jamais paru).
Phillip De Lacy, On the doctrine ofHippocrates and Plata, Edition,
translation and commentary (Corpus medicorum Graecorum, V
4, 1 , 2; 3 vol.), Akademie Verlag, Berlin, 1978-1984.
De plenitudine liber (Kühn VII, 5 13-583)
De ponderibus et mensuris doctrina (Kühn XIX, 748-78 1 )
D e praenotione libellus (Kühn XIX, 497-5 1 1 )
De praenotione ad Posthumum (Kühn XIV, 599-673)
V. Nutton, On prognosis, edition, translation and commentary
(Corpus medicorum Graecorum, V, 8, 1 ), Akademie Verlag, Ber­
lin, 1979.
Praesagitio omnino vera expertaque (Kühn XIX, 512-518)
Prognostica de decubitu et mathematica scientia (Kühn XIX, 529-573)
De ptisana (Kühn VI, 8 1 6-83 1)
De pulsibus ad Antonium disciplinae studiosum ac philosophum
(Kühn XIX, 629-642)
H.A. Lutz, Leitfaden d. Pulse d. G. zugeschr. (übers. u. Er!.), Diss.
med. München, 1940.
De pulsibus libellus ad tirones (Kühn VIII, 453-492)
R. Trifogli, G. De pulsibus ad tirones, Trad. e Comm., Roma, 1958.
A. Tovar, A.R. Moreno, Compendio del pulsa para los estudiantes,
dans Obras de Galeno, Buenos Aires, 1948.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De causis pulsuum (Kühn IX, 1-204)
De differentia pulsuum (Kühn VIII, 493-765)
A. Tovar, A.R. Moreno, De las differencias de pulsas, dans Obras de
Galeno, Buenos Aires, 1948.
Bibliographie LXIX

De dignoscendis pulsibus (Kühn VIII, 766-961)


De praesagitione ex pulsu (Kühn IX, 205-430)
De usu pulsuum (Kühn V, 149-180)
Furley D. J. and Wilkie J. S., De usu pulsuum, dans Galen, On
respiration and the arteries, An edition with English translation
and commentary, Princeton University Press, 1984.
Synopsis librorum de pulsibus (Kühn IX, 43 1-549)
F. Brendler, G-s Synopsis s. Schriften über den Puls (Kap. 19 bis 33
übers.), Diss. med. München, 1941.
Quod qualitates incorporeae sint (Kühn XIX, 463-484)
De remediis parabilibus (Kühn XIV, 3 11-581)
De affectuum renibus insidentium dignotione et curatione liber
adscriptitius (Kühn XIX, 643-698)
De causis respirationis liber (Kühn IV, 465-469)
Furley D. J. and Wilkie J. S., De causis respirationis, dans Galen,
On respiration and the arteries, An edition with English translation
and commentary, Princeton University Press, 1984.
De difficultate respirationis (Kühn VII, 753-960)
De utilitate respirationis liber (Kühn IV, 470-5 11)
Furley D. J. and Wilkie J. S., De usu respirationis, dans Galen, On
respiration and the arteries, An edition with English translation
and commentary, Princeton University Press, 1984.
De sanitate tuenda (Kühn VI, 1-452)
E. Beintker und W. Kahlenberg, Gesundheitslehre, Die Werke des
Galenos, Bd. 1-11, Stuttgart, 1939-1941.
R.M. Greene, Galen's Hygiene, Springfield (Ill.) 1951.
De optima secta ad Thrasybulum liber (Kühn I, 106-223)
C. Daremberg, De la meilleure secte, à Thrasybule, dans Œuvres
anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, tome II (398-
467), Paris, 1 856.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome II, Éditions latines, Paris, 1962.
De sectis ad eos, qui introducuntur (Kühn I, 64-105)
C. Daremberg, Des sectes, aux étudiants, dans Œuvres anato­
miques, physiologiques et médicales de Galien, tome Il (376-397),
Paris, 1856.
W. Kôlbl, Übersertzung v. Galenos Schrift Über die medizinischen
Schulen an die Anfiinger (mit Zusammenfassung), Diss. med.
München, 1947 (maschinenschr.).
Voir aussi Galien, Épitomé, tome II, Éditions latines, Paris, 1962.
De semine (Kühn IV, 512-651)
Quomodo morbum simulantes sint deprehendendi libellus (Kühn
XIX, 1-7)
LXX Galien - Œuvres médicales choisies

H. Frëhlich, G. über Krankheitsvortiiuschungen, Friedrichs BI.


gerichtl. Medizin, 1 889.
M. Cardini, G. e la patomimia, Riv. Stor. Sei., 1918.
J.B. Lafout, A.R. Moreno, dans Obras de Galeno, La Plata, 1947.
De sophismatis seu captionibus penes dictionum (Kühn XN, 582-598)
R. B. Edlow, Galen on language and ambiguity : An English
translation of Galen 's De captionibus (On fallacies), with introduc­
tion, text and commentary (Philosophica antiqua, 3 1 ), Brill, Lei­
den, 1978.
De succedaneis liber (Kühn XIX, 721-747)
De symptomatum causis (Kühn VII, 85-272)
De symptomatum differentiis liber (Kühn VII, 42-84)
De temperamentis (Kühn I, 509-694)
De theriaca ad Pamphilianum (Kühn XIV, 295-3 1 0)
De theriaca ad Pisonem liber (Kühn XN, 21 0-294)
E. Coturi, De theriaca ad Pisonem, Testa latino, trad. italiana,
introd., L.S. Olschki, Firenze 1959.
De tremore, palpitatione, convulsione et rigore liber (Kühn VII,
584-642)
De tumoribus praeter naturam (Kühn VII, 705-732)
P. Richter, Galenos über die krankhaften Geschwülste. Übers. u.
Komm., Klass. Med. 2 1 , Leipzig, 1913.
D.G. Lytton and L.M. Resuhr, Galen, On abnormal swellings, J.
Hist. Med, 33, 1978.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De typis liber (Kühn VII, 463-474)
Adversus eos, qui de typis scripserunt (Kühn VII, 475-512)
De urinis compendium (Kühn XIX, 602-608)
De urinis liber (Kühn XIX, 574-601)
De urinis ex Hipocrate, Galeno et aliis quibusdam (Kühn XIX, 609-
628)
R. Thieme, Harnbüchlein Ps. Galenos De urinis, aus d. Griech.
übers., Diss. med. München, 1940.
De usu partium corporis humani (Kühn III, 1 -933 ; IV, 1-366)
C. Daremberg, De l'utilité des parties du corps humain, dans
Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, tome I
( 1 1 1-706), tome II ( 1 -21 1 ), Paris, 1 856.
Margaret Tallmadge May, On the usefulness of the parts of the
body, Trans. from the Greek with an intro. and commentary (2
vol.), Cornell Univ. Press, Ithaca N.Y., 1968.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
De uteri dissectione (Kühn Il, 887-908)
C.M. Goss, On the Anatomy ofthe uterus, Transi., Anat. Rec., 144,
1962.
Bibliographie LXXI

D. Nickel, Über die Anatomie der Gebiirmutter, Hrsg., übers. und


erlaütert (Corpus medicorum Graecorum, V, 2, 1), Akademie
Verlag, Berlin, 1971.
De venae sectione (Kühn XIX, 519-528)
Voir Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De venae sectione adversus Erasistratum (Kühn XI, 147-186)
De curandi ratione per venae sectionem (Kühn XI, 250-316)
De venae sectione adversus Erasistrateos Romae degentes (Kühn XI,
187-249)
Ronald F. Kotrc, Galen 's On phlebotomy against the Erasistrateans
in Rome, ed. with intro., critical notes, transi. and commentary,
Diss. Abs. Int. 1971, 32 : 409-A (Dissertation at Univ. Washington,
1970; Univ. microfilms order n° 71-16967).
De venarum arteriarumque dissectione (Kühn II, 779-830)
R. v. Tëiply, Anatomische Werke des Rufos und Galenos, Wies­
baden, 1904.
C.M. Goss, On anatomy ofveins and arteries by Galen ofPergamon,
Trans!. Text and Introd. , Anat. Rec. 141, 1961, 355-366.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome III, Éditions latines, Paris, 1962.
De venereis (Kühn V, 911-914)
Voir Galien, Épitomé, tome IV, Éditions latines, Paris, 1962.
De victus ratione in morbis acutis ex Hippocratis sententia liber
(Kühn XIX, 182-221)
Malcolm Lyons, On regimen in acute diseases in accordance withe
the theories of Hippocrates, First ed. of the Arabie versions, with
English translation, Akademie Verlag, Berlin, 1969.
Œuvres ne figurant pas dans l'édition Kühn
Nous n'indiquons ci-dessous que les traductions. Pour les éditions
(sans traductions) de ces œuvres, voir la bibliographie de Konrad
Schubring dans le tome XX de la réimpression de l'édition Kühn (page
LV-LIX).

Excerpta ex libris anatomicis Marini


De causis continentibus
M. Lyons, On cohesive causes, First edition of the arabic version
with English translation, Akademie Verlag, Berlin, 1969.
De causis procatarcticis
De consuetudinibus
C. Daremberg, Des habitudes, dans Œuvres anatomiques, physio­
logiques et médicales de Galien, tome I (92-110), Paris, 1854.
F. Pfaff, Galeni Schrift De Consuetudinibus aus der arabischen
LXXII Galien - Œuvres médicales choisies

übersetzung des Hunain Ibn Ishaq ins Deutsche übertragen, Lip­


siae et Bertolini in Aedibus B.G. Teubneri, Berlin, 1941.
Voir aussi Galien, Épitomé, tome I, Éditions latines, Paris, 1962.
De demonstratione
De empirica subfiguratione
J. Arzpodien, Subfiguratio enperica, Deutsche Übersetzung und
inhaltliche Erlauterung der medizintheoretischen griechischen
Empiriken (Abhandlung zur Geschichte der Medizin und der
Naturwissenschaften, 52), Matthiesen, Husum, 1986.
De experientia medica
R. Waltzer, Galen, On medical experience, First ed. of the Arabie
version with Engl. transl. and Notes, University Press, Oxford,
1944.
De caduca voluptate secundum Epicurum
De Hippocratis scriptis genuinis
In Hippocratis de aere aquis locis librum commentariis
Abraham Wasserstein, Galen's commentary on the Hippocratic
treatise « Airs, waters, places » , in the Hebrew translation of
Salomon ha-Me'ati, edited with introduction, English translation
and notes, Proceedings of the Israel Academy of Sciences and
Humanities, vol. 6 n° 3, Jerusalem, 1982.
In Hippocratis de octimestri partu
De homoeomereis corporibus
G. Strohmaier, über die Verschiedenheit der homoiomeren Korper­
teile, In arabischer Übersetzung zum erstenmal herausgegeben,
übersetzt und erlautert, Akademie Verlag, Berlin, 1970.
Institutio logica
J. Mau, Einführung in die Logik, Kritisch-exegetischer Kom­
mentar mit deutscher Übersetzung, Akademie Verlag, Berlin,
1960.
J.S. Kiefer, G. Institutio Logica, English translation, introduction
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THÉODORIDES Jean, Histoire de la biologie, PUF, Paris, 1 97 1 .
NOTE À L A PRÉSENTE ÉDITION

Le texte présenté ci-après est un choix effectué dans la traduction,


par Charles Daremberg, des traités suivants :
De l 'utilité des parties du corps humain (tome I)
Des facultés naturelles (tome II)
Des lieux affectés (tome II)
De la méthode thérapeutique, à Glaucon (tome II)
Lorsque le traité n'est pas donné in extenso, les chapitres omis sont
remplacés par leur sommaire.
La traduction de Charles Daremberg a été conservée telle quelle.
Nous avons toutefois supprimé ses notes, et les avons remplacées par
les nôtres (souvent inspirées des siennes). Outre quelques éclaircisse­
ments du texte, ces notes sont consacrées pour l'essentiel au rappel
des conceptions de quelques grands auteurs antérieurs à Galien
(Hippocrate, Platon et Aristote pour l'essentiel) ou postérieurs (nous
avons choisi, par commodité, Ambroise Paré, médecin et chirurgien
du xvI" siècle).
De l'utilité des parties
du corps humain
LIVRE PREMIER

D E LA MAIN

CHAPITRE I er _ - De ce qu'on doit entendre par les mots un et partie.

On dit que tout animal est un, parce qu'il se présente avec
une certaine circonscription propre et qu'il n'a aucun point de
jonction avec les autres animaux; de même on dit que chacune
des parties de l'animal, par exemple l'œil, le nez, la langue,
l'encéphale, est une, attendu qu'elle se présente aussi avec une
circonscription propre. Si ces parties ne tenaient point par
quelques côtés à ce qui les avoisine, et si au contraire elles
étaient complètement isolées, alors elles ne seraient pas du
tout parties, mais simplement unes ; de sorte que tout corps qui
n'a pas une circonscription propre complète, mais qui n'est
pas non plus uni de tous côtés à ceux qui l'environnent, est
appelé partie. S'il en est ainsi, il y aura beaucoup de parties
dans les animaux, celles-ci plus grandes, celles-là plus petites,
et celles-là enfin tout à fait indivisibles en d'autres espèces.

CHAPITRE I I . - Que les parties des animaux diffèrent selon leurs


mœurs et leurs facultés.

L'utilité de toutes ces parties est sous la dépendance de


l'âme, car le corps est l'instrument de l' âme 1 ; aussi les mêmes
1 . Aristote, De l'âme, Il, IV, 4 1 Sb : « C'est encore au titre de fin que l'âme est
cause, de même en effet que l'intellect agit en vue d'un but, de même aussi la
nature, et c'est ce qu'on appelle sa fin. Ce qui joue ce rôle chez les animaux, et
conformément à la nature, c'est l'âme. En effet, tous les corps naturels [vivants]
sont de simples instruments de l'âme, aussi bien ceux des animaux que ceux des
4 De l'utilité des parties du corps humain

parties sont-elles très dissemblables les unes des autres chez


les divers animaux, parce que les âmes elles-mêmes diffèrent.
Ainsi il y a des âmes fortes, il y en a de lâches, de sauvages, il y
en a d' apprivoisées ; d'autres sont pour ainsi dire civilisées et
propres à diriger les affaires ; d'autres ont des goûts solitaires.
Chez tous, donc, le corps est accommodé aux habitudes et aux
facultés de l'âme. Chez le cheval le corps est pourvu de forts
sabots et de crinière, car c'est un animal rapide, fier, et non
sans courage. Chez le lion, animal hardi et vaillant, le corps
tire sa force des dents et des ongles. Il en est de même pour le
taureau et le sanglier : chez celui-là des cornes, chez celui-ci
les dents proéminentes (défenses), sont des armes naturelles.
Chez le cerf et le lièvre, animaux lâches, le corps est prompt à
la course, mais tout à fait nu et désarmé. Il convenait en effet,
ce me semble, de départir la vitesse aux animaux lâches, et les
armes aux animaux vaillants. Ainsi la nature n'a ni armé la
lâcheté, ni désarmé le courage ; à l'homme, animal doué de
sagesse et le seul être divin parmi ceux qui vivent sur la terre,
elle a donné pour toute arme défensive les mains, instrument
nécessaire pour exercer toute espèce d'industrie, et non moins
convenable en temps de paix qu'en temps de guerre. Il n'était
donc pas besoin de donner une corne naturelle à celui qui
pouvait à son gré manier avec ses mains une arme meilleure
qu'une corne ; car l'épée et la lance sont des armes à la fois plus
grandes et plus propres à couper qu'une corne. Il n'avait pas
besoin non plus de sabots, car le bois et la pierre blessent plus
fortement que toute espèce de sabots. De plus, avec la corne et
le sabot on ne peut rien faire si on n'arrive près de son
adversaire, tandis que les armes de l'homme agissent aussi
bien de loin que de près : le javelot et la flèche mieux que la
corne, la pierre et le bois mieux que le sabot. Mais le lion est
plus rapide que l'homme. Qu'est-ce que cela fait ? puisque
l'homme a dompté par sa sagesse et avec ses mains le cheval
qui est plus rapide que le lion et dont il se sert pour fuir, ou
pour poursuivre cet animal ; du haut du cheval sur lequel il est

plantes : ce qui montre qu'ils ont l'âme pour fin. Double est l'acception du terme
"fin" : le but lui-même et le sujet pour qui ce but est une fin. »
Livre I - De la main 5

monté, l'homme frappe le lion qui est à ses pieds. Ainsi


l'homme n'est ni nu, ni sans armes, ni facilement vulnérable,
ni sans chaussures 1 ; mais quand il le veut, une cuirasse de fer
devient pour lui un moyen de protection plus invulnérable que
toute espèce de peau ; il peut avoir aussi des chaussures, des
armes et des vêtements de tout genre. Ce n'est pas seulement
sa cuirasse, mais sa maison, ses murs, ses tours qui mettent
l'homme à l'abri. S'il avait eu une corne, ou toute autre arme
défensive, naturellement attachée à ses deux mains, il ne
pourrait se servir de ses mains, ni pour bâtir des maisons et
des tours, ni pour fabriquer une lance, ou une cuirasse, ou tout
autre objet semblable. Avec les mains l'homme tisse un man­
teau, entrelace les mailles d'un rets, confectionne une nasse,
un filet, un réseau ; par conséquent il est le maître, non
seulement des animaux qui vivent sur la terre, mais de ceux
qui sont dans la mer, ou dans les airs. Telle est l'arme que
l'homme trouve dans ses mains pour se défendre. Mais
l'homme, fait pour la paix aussi bien que pour la guerre, avec
les mains écrit les lois, élève aux Dieux des autels et des
statues, construit un navire, façonne une flûte, une lyre, forge
un couteau, des tenailles, produit les instruments de tous les
arts ; dans ses écrits, il laisse des mémoires sur la partie
théorique de ces arts ; de sorte que, grâce aux ouvrages écrits
1 . Aristote, Parties des animaux, IV, x, 687a : « Or, puisque sa nature est de se
tenir droit, [l'homme] n'avait aucun besoin de jambes de devant : aussi, au lieu
de ces jambes, la nature lui a donné des bras et des mains. À ce propos,
Anaxagore prétend que c'est parce qu'il a des mains que l'homme est le plus
intelligent des animaux. Ce qui est rationnel, plutôt, c'est de dire qu'il a des
mains parce qu'il est le plus intelligent. Car la main est un outil; or la nature
attribue toujours, comme le ferait un homme sage, chaque organe à qui est
capable de s'en servir. [ ...] Si donc cette façon de faire est préférable, ce n'est pas
parce qu'il a des mains que l'homme est le plus intelligent des êtres, mais c'est
parce qu'il est le plus intelligent qu'il a des mains. En effet, l'être le plus
intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre
d'outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle
est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. [...] Ainsi, ceux qui disent que
l'homme n'est pas bien constitué et qu'il est le moins bien partagé des animaux
(parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n'a pas d'armes pour
combattre) sont dans l'erreur. Car les autres animaux n'ont chacun qu'un seul
moyen de défense et il ne leur est pas possible de changer pour un autre ... » -
Aristote, De l'âme, III, vm, 432a : « Aussi l'âme est-elle analogue à la main :
comme la main est un instrument d'instruments, l'intellect à son tour est forme
des formes. »
6 De l 'utilité des parties du corps humain

et à l'usage des mains, vous pouvez encore vous entretenir


avec Platon, Aristote, Hippocrate et les autres anciens.

C H A PITRE III . - Que les facultés des animaux viennent de leur


propre essence et ne sont pas une suite de la structure de leurs parties.

Ainsi l'homme est le plus sage de tous les animaux, ainsi les
mains sont des instruments qui conviennent à un être sage, car
l'homme n'est pas le plus sage des animaux parce qu'il a des
mains, comme le dit Anaxagore, mais il a des mains parce qu'il
est le plus sage, comme le proclame Aristote (Parties des
animaux, IV, x, 687a), qui juge très judicieusement. En effet,
ce n'est pas par ses mains, mais par sa raison, que l'homme a
appris les arts : les mains sont un instrument, comme la lyre
pour le musicien, comme la tenaille pour le forgeron ; de
même que la lyre n'a pas formé le musicien, ni la tenaille le
forgeron, mais que chacun d'eux est artiste en raison de
l'intelligence dont il est doué, et qu'il ne peut pas exercer son
art sans instruments, de même toute âme est douée, en vertu
de son essence, de certaines facultés ; mais il lui est impossible
d'exécuter ce à quoi sa nature la destine si elle est privée
d'instruments. On voit évidemment, en observant les animaux
nouveau-nés qui cherchent à agir avant que leurs parties
soient entièrement formées, que les parties du corps n'excitent
pas l'âme à être lâche, courageuse, ou sage. Ainsi j'ai souvent
vu un veau frapper à coups de tête avant que ses cornes fussent
poussées ; un poulain ruer, bien que ses sabots fussent encore
mous, et un tout petit porc chercher à se défendre avec son
groin dépourvu de ses grandes dents ; enfin un petit chien
s'efforçant de mordre avec ses dents encore tendres, car tout
animal a en lui, sans qu'on le lui ait appris, le sentiment des
facultés de son âme et de la puissance des parties de son corps.
Pourquoi donc le jeune porc pouvant mordre avec ses petites
dents, les laisse-t-il en repos et ne les emploie-t-il pas à
combattre, tandis qu'il cherche à se servir de celles qu'il n'a
pas encore ? Comment peut-on dire que les animaux
apprennent des parties elles-mêmes la manière de s'en servir,
puisque avant de posséder ces parties, ils en connaissent déjà
Livre I - De la main 7

la destination ? Prenez donc, si vous voulez, trois œufs, un


d'aigle, un de canard, un de serpent, échauffez-les vous­
mêmes modérément et brisez la coquille; vous verrez parmi
les animaux qui vous sont éclos, les uns chercher à se servir de
leurs ailes avant de pouvoirvoler, l'autre se traîner et chercher
à ramper, bien qu'il soit encore mou et impuissant à le faire ; et
si après les avoir élevés tous trois dans la même maison, vous
les emportez dans un lieu découvert et les laissez en liberté,
l'aigle s'élèvera dans les airs, le canard volera vers quelque
bourbier, et le serpent se cachera dans la terre. Enfin ce n'est
pas, je pense, pour l'avoir appris, que l'aigle chassera, que le
canard nagera et que le serpent se tapira dans un trou, car,
suivant le dire d'Hippocrate : « Les natures des animaux ne
reçoivent pas d'enseignement 1 • » D'où il me semble, du reste,
que les animaux exercent certains arts plutôt par instinct que
par raison. Ainsi on voit les abeilles construire des ruches, les
fourmis se creuser des espèces de greniers et des souterrains
tortueux, et les araignées filer et tisser des toiles, et cela sans
avoir eu de maîtres, je le suppose.

CHAPITRE I V . - Que la raison et la main de l'homme lui tiennent lieu


de tout art et de tout moyen de défense naturels.

L'homme, de même qu'il a un corps privé d'armes, a égale­


ment une âme dépourvue d'arts ; c'est pourquoi il a reçu les
mains et la raison pour compenser la nudité de son corps et
l'absence d'arts dans son âme. Usant donc de ses mains et de
sa raison, il arme et protège son corps de toute façon; il orne
son âme de tous les arts ; car s'il eût possédé une arme
naturelle, il n'aurait toujours eu que celle-là ; de même s'il
avait su quelque art naturellement, il ne posséderait pas les
autres. Comme il était mieux de se servir de toutes les armes et
d'exercer tous les arts, l'homme n'en a point reçu de la nature.

1. Le texte d'Hippocrate (De l'aliment, Œuvres, IX, p. 113) dit : • Les natures
n'ont, en rien, de maître qui les instruise. » - Galien revient souvent sur la
spontanéité des actes instinctifs des animaux (par exemple : Utilité des parties,
XN, VII; Des facultés naturelles, I, XIII; Dogmes d'Hippocrate et de Platon, IX, VIII;
Des lieux affectés, VI, VI).
8 De l 'utilité des parties du corps humain

Aristote a donc dit excellemment que la main est, en quelque


sorte, un certain instrument qui tient lieu d'instruments. À
l'imitation d'Aristote, nous pourrions aussi très bien soutenir
que la raison est un certain art qui tient lieu des autres arts. En
effet, comme la main, n'étant aucun des instruments parti­
culiers, tient lieu de tous les instruments, puisqu'elle peut très
bien les manier tous, de même la raison, qui n'est aucun des
arts particuliers, puisqu'elle est capable de les recevoir tous,
serait un art qui tiendrait lieu des arts. L'homme donc, étant
de tous les animaux le seul qui possède dans son âme un art
qui tient lieu des arts, jouit en conséquence dans son corps
d'un instrument qui tient lieu des instruments.

CHAPITRE v . - De l'utilité de la division de la main en doigts et de


l'opposition du pouce avec les autres.

Examinons d'abord cette partie de l'homme, et voyons non


pas seulement si elle est simplement utile, ni si elle convient à
un animal doué de sagesse, mais si elle a dans tous ses détails
une structure telle qu'elle n'en pourrait avoir une meilleure, si
elle était autrement construite. Une condition première et
capitale que doit remplir, pour être parfaitement construit, un
instrument de préhension 1 , c'est de pouvoir toujours facile­
ment prendre tous les objets que l'homme est dans le cas de
remuer, de quelque forme et de quelque grandeur qu'ils
soient. Valait-il donc mieux pour cela que la main fût divisée
en parties de formes diverses, ou qu'elle fût faite absolument
d'une seule pièce 2 ? Certes, il n'est pas besoin d'un long

1 . Pour Galien, la première caractéristique de la main est d'être un organe de


préhension.
2. Aristote, Parties des animaux, IV, x, 687b : « La forme même que la nature
a imaginée pour la main est adaptée à cette fonction. Elle est, en effet, divisée en
plusieurs parties. Et le fait que ces parties peuvent s'écarter implique aussi pour
elles la faculté de se réunir, tandis que la réciproque n'est pas vraie. Il est
possible de s'en servir comme d'un organe unique, double ou multiple. D'ail­
leurs les articulations des doigts se prêtent bien aux prises et aux pressions. Sur
le côté, il n'existe qu'un doigt court et large, mais pas long. Car, de même que
sans main du tout, il ne serait pas possible de prendre, de même on ne le pourrait
si le pouce n'existait pas là... »
Livre I • De la main 9

raisonnement pour établir que la main, étant indivise, n'eût pu


toucher les corps avec lesquels elle se serait trouvée en
contact, que par une surface égale à sa largeur réelle ; mais que
divisée en plusieurs parties, elle peut embrasser facilement
des objets beaucoup plus volumineux qu'elle, et parfaitement
attraper les objets les plus petits. Lorsqu'elle saisit des objets
volumineux, elle augmente son étendue par l'écartement des
doigts ; et pour les petits, elle n'essaye pas de les prendre en
agissant tout entière, car ces objets lui échapperaient, mais il
lui suffit d'employer l'extrémité de deux doigts. La main a
donc la structure la plus parfaite pour saisir avec fermeté aussi
bien les grands que les petits objets ; et, afin de pouvoir saisir
des objets de figure variée, il était très bon que la main fût
divisée, comme elle est maintenant, en parties de formes
diverses. Or, pour remplir ce but, la main est évidemment de
tous les instruments de préhension celui qui est le mieux
construit ; pour les objets sphériques, elle peut se plier en rond
et les embrasser circulairement de tous côtés ; avec la même
sûreté, elle peut saisir les corps planes et ceux qui sont creux;
s'il en est ainsi, elle s' adapte à toutes les formes, puisque toutes
les formes résultent de l'assemblage de trois espèces de lignes,
convexe, concave ou droite. Comme beaucoup de corps ont un
volume trop considérable pour qu'une seule main suffise, la
nature a fait l'une auxiliaire de l'autre, de sorte que toutes
deux, en saisissant les objets volumineux par deux côtés
opposés, ne le cèdent pas à une main qui serait très grande.
Les mains ont donc été tournées en regard l'une de l'autre, car
elles ont été faites l'une pour l'autre, et elles ont été construites
absolument semblables ; cela était convenable pour des
organes qui doivent agir de la même manière. Après vous être
représenté les plus gros objets que l'homme est appelé à
remuer avec ses deux mains, tels que le bois ou la pierre ;
reportez aussitôt votre esprit vers les objets les plus petits,
comme un grain de millet, une épine tout à fait mince, un
cheveu; pensez ensuite à la multitude des degrés de volume
entre les plus grands et les plus petits, songez à tout cela, vous
trouverez que l'homme manie si bien tous ces objets, que les
mains vous sembleront faites exprès pour chacun d'eux pris à
10 De l 'utilité des parties du corps humain

part. En effet, les très petits objets, on les saisit avec l' extré­
mité des deux doigts, l'index et le pouce; les objets un peu plus
gros, on les prend avec les mêmes doigts ; mais non pas avec
l'extrémité ; pour les objets encore plus volumineux, on se sert
de trois doigts, le pouce, l'index et le médius ; pour ceux qui
sont encore plus gros, on met quatre doigts en œuvre, puis les
cinq doigts, puis toute la main ; puis on ajoute la deuxième
main pour les objets encore plus volumineux. La main n'eût
pu remplir aucun de ces offices, si elle n'eût été divisée en
parties de diverses formes. - Mais il ne suffisait pas que la
main fût simplement divisée en doigts : en effet, à quoi cela
eût-il servi, si un des cinq doigts n'eût pas été opposé aux
quatre autres comme cela a lieu, et si tous avaient été placés
sur le même rang les uns à côté des autres ? N'est-il pas évident
que le nombre des doigts deviendrait inutile ? car, pour être
maintenu fermement, tout corps doit être saisi de tous côtés
circulairement, ou, du moins, par deux points opposés. Cet
avantage eût été perdu si les cinq doigts eussent été rangés sur
la même ligne à la suite les uns des autres; mais dans l'état
actuel des choses, il est conservé, un des doigts pouvant être
opposé aux autres; car ce doigt est placé et se meut de telle
façon, qu'au moyen d'un mouvement de rotation très limité, il
peut agir de concert avec chacun des doigts qui lui est opposé.
Comme il était mieux que les mains pussent remplir les
fonctions qu'elles remplissent maintenant, la nature leur a
donné une structure qui les rend aptes à ces opérations.

CHAPITRE VI . - De l'utilité de la structure des doigts telle qu'elle


existe.

Il ne suffisait pas que deux doigts opposés l'un à l'autre


pussent agir par leurs extrémités, pour attraper les objets d'un
petit volume ; mais il fallait que ces extrémités fussent comme
elles sont actuellement, c'est-à-dire molles, arrondies et pour­
vues d'ongles. En effet, si elles n'étaient pas charnues, mais
osseuses, il ne serait jamais possible de prendre de petits
objets tels que des épines ou des cheveux; il ne le serait pas
davantage si, tout en étant charnues, ces extrémités étaient
Livre I - De la main 11

plus molles et plus humides qu'elles ne le sont, car il importe


que l'objet saisi soit, autant que possible, embrassé de tous
côtés, afin que la préhension soit plus ferme. Rien de ce qui est
dur et osseux ne peut se replier autour d'un objet, mais bien ce
qui est modérément mou et qui, par conséquent, cède dans
une juste mesure ; car ce qui est démesurément mou et sem­
blable à une substance diffluente, cède plus qu'il ne convient
au contact des corps durs et laisse facilement échapper l'objet
saisi. Donc tout ce qui, par nature, tient le milieu entre les
substances démesurément molles et les substances démesuré­
ment dures, comme sont les extrémités des doigts, constitue
particulièrement un organe très sûr de préhension.

CHAPITRE vu . - De l'utilité des ongles, et des avantages de leur


conformation actuelle.

Mais comme les objets à saisir sont eux-mêmes d'une


consistance très différente, et qu'ils se trouvent plus ou moins
mous et plus ou moins durs, la nature a donné aux doigts une
structure qui les rend propres à saisir tous ces objets. Pour
remplir ce but, les extrémités des doigts ne sont donc pas
constituées exclusivement par les ongles, ou par la chair, mais
par ces deux substances dont chacune occupe la place la plus
convenable. En effet, la partie charnue occupe la face par
laquelle les doigts se regardent, et dont l'extrémité doit servir à
ramasser les objets. L'ongle est placé en dehors pour servir de
soutien ; les corps mous sont donc saisis à l'aide de la seule
partie charnue des doigts ; les corps durs, attendu qu'ils
refoulent et contondent la chair, ne peuvent être pris sans le
secours des ongles, car la chair repoussée avait besoin d'un
soutien; mais aucun objet dur ne pourrait être pris avec les
ongles seuls, car les objets durs glissent facilement sur les
corps durs [comme sont les ongles]. Ainsi donc, à l'extrémité
des doigts la partie charnue corrigeant ce qu'il y a de glissant
dans les ongles, et les ongles soutenant la chair refoulée, le
doigt devient un instrument de préhension pour tous les objets
qui sont petits ou durs. Vous comprendrez du reste manifes­
tement ce que je dis, en considérant les inconvénients de
12 De l'utilité des parties du corps humain

l'extrême longueur ou de l'extrême petitesse des ongles, car


s'ils sont démesurément longs de façon à se heurter [lorsque
les doigts se rapprochent], on ne peut prendre ni une petite
épine, ni un cheveu, ni quelque autre objet semblable ; si, au
contraire, à cause de leur petitesse ils n'arrivent pas jusqu'au
niveau de l'extrémité des doigts, ils laissent la pulpe sans
soutien et la rendent incapable de prendre quoi que ce soit 1 •
Quand les ongles sont de niveau avec l'extrémité de la pulpe,
c'est alors seulement qu'ils accomplissent parfaitement
l'office pour lequel ils ont été créés. Aussi Hippocrate (De
l'officine, § 4, Œuvres, III, p. 285) disait : « Les ongles ne
doivent ni dépasser la pulpe des doigts, ni la laisser à nu. » En
effet, c'est quand ils ont une juste longueur, qu'ils servent le
mieux aux usages pour lesquels ils ont été créés. Les ongles
sont encore très utiles pour une foule d'opérations ; par
exemple, s'il faut, ou racler, ou gratter, ou écorcher, ou
déchirer, car nous avons besoin des ongles dans presque
toutes les circonstances de la vie, pour tous les arts, et surtout
pour ceux qui réclament un emploi industrieux de la main.
Comme organe de préhension pour les objets petits ou durs, la
main avait particulièrement besoin des ongles.

CHAPITRE VII I . - Des opinions de Platon et d'Aristote sur les ongles.


- De la méthode qu'on doit employer pour la recherche de l'utilité des
parties. Qu'il faut avant tout bien connaître les fonctions des organes.
- Motifs qui ont engagé Galien à écrire son traité.

Comment se fait-il que Platon, imitateur d'Hippocrate, s'il


en fut jamais, et qui lui a emprunté ses plus grands dogmes, ait
traité des ongles avec si peu de soin ? Comment Aristote, si
habile cependant à expliquer beaucoup de choses, et en parti­
culier l'artifice de la nature, s'est-il montré si négligent en

l. Ambroise Paré, Œuvres, p. 136 : « Or pour prendre les petits corps, il


fallait que les doigts en leurs extrémités fussent mols et garnis d'ongles ; car s' ils
eussent été seulement de chair, ils eussent été trop mols; et aussi s'ils eussent été
seulement d'os ou d'ongles, ils eussent été trop solides ; mais Dieu par sa
providence en a fait une médiocrité [moyenne} pour parfaire mieux leur
action. »
Livre I - De la main 13

parlant de l'utilité des ongles ? Le premier nous présente les


Dieux qui ont créé l'homme comme des artisans inhabiles
faisant pousser les ongles aux doigts de l'homme, parce qu'ils
s'exerçaient à faire des ongles qui devaient un jour servir aux
autres animaux 1 . Quant à Aristote, il dit que les ongles ont été
faits comme moyen de protection; mais contre quoi ? Est-ce
contre le froid, le chaud, les corps vulnérants ou conton­
dants 2 ? On ne pourra pas penser que les ongles ont été faits
pour défendre d'aucune de ces choses, ni d'aucune autre. Si
j'ai rappelé l'opinion d'Aristote et de Platon, ce n'est pas dans
l'unique dessein de blâmer ce qu'ils ont dit de mal, mais pour
faire connaître les motifs qui m'ont conduit à entreprendre ce
traité. Comme il existe en effet un grand désaccord entre les
médecins et les philosophes anciens sur l'utilité des parties, les
uns prétendent que le corps humain a été fait sans but et sans

1. Hippocrate, De la nature de l'enfant, Œuvres, VII, p. 507 : « De la sorte, les


doigts, ayant un grand nombre de petits os, veines et nerfs, donnent naissance
aux ongles minces et serrés, qui embrassent les extrémités des veines, de sorte
que celles-ci cessent de s'accroître et ne proéminent pas l'une sur l'autre. Ainsi
l'on ne doit pas s'étonner que les ongles, qui sont à la dernière extrémité du
corps, aient tant de densité; ils proviennent de ce qu'il y a de plus dense. » -
Hippocrate, Des chairs, Œuvres, VIII, p. 599 : « Les ongles ont aussi été produits
par ce glutineux, car ce qu'il y a de plus humide dans le glutineux s'écoulant sans
cesse des os et des articulations, va, desséché et torréfié par le chaud, former les
ongles au-dehors. » - Platon, Timée , 76d-e : « Enfin, dans cet entrelacement de
tendons, de peau et d'os dont sont faits les doigts, un mélange de ces trois
substances , desséché, fit d'elles toutes une combinaison : de la peau durcie; au
moyen de ces causes accessoires eut lieu sa fabrication, mais la cause principale
s'en trouve dans la pensée : c'est en vue des êtres à venir que cette combinaison a
été formée. Il devait en effet des hommes naître un jour des femmes et autres
bêtes sauvages [dans le Timée, les femmes et les animaux sont la réincarnation
d'hommes ayant fauté dans une première vie]; c'est ce que savaient ceux qui nous
ont constitués, et ils n'ignoraient certes pas non plus l'utilité des ongles, et que
bien des animaux, pour bien des usages, en auraient besoin ; aussi, dans les
hommes mêmes, dès leur naissance, ont-ils ébauché la genèse des ongles. » -
Aristote, Génération des animaux, II. VI, 745b : « Comme toutes ces parties
[cheveux, poils, dents, ongles] viennent d'un résidu, l'homme est de tous les
animaux celui dont le corps a le moins de poils et dont les ongles sont les plus
petits proportionnellement à sa taille. C'est que l'homme est l'animal qui a le
moins de résidu terreux : ce qui forme le résidu, ce sont les substances dont la
coction est incomplète, et la substance terreuse est celle dont la coction est la
moins complète de toutes. »
2. Aristote, Parties des animaux, IV, x, 687b : « L'organisation des ongles est
également bien conçue. En effet, les autres animaux les ont surtout pour s'en
servir : chez l'homme au contraire ils ne jouent qu'un rôle protecteur : ils
couvrent l'extrémité des doigts. »
14 De l 'utilité des parties du corps humain

l'intervention d'aucun art 1 ; d'autres, au contraire, sou­


tiennent que le corps a été fait dans un but et avec art ; et parmi
ces derniers, ceux-ci attribuent une utilité à telle partie, et
ceux-là une autre. J'ai donc cherché d'abord une règle fixe
pour juger ce désaccord, et j'ai voulu ensuite établir une
certaine méthode ayant un caractère général et à l'aide de
laquelle nous puissions trouver l'utilité de chaque partie du
corps considérée en elle-même et dans ses accessoires. En
entendant Hippocrate (De l'aliment, § 23, Œuvres, IX, p. 107)
dire : « Tout est en sympathie dans l'universalité des parties, et
dans les parties tout conspire pour l'opération de chacune
d'elles », il m'a paru convenable de soumettre d'abord à
l'examen les parties dont les fonctions nous sont parfaitement
connues, car nous pourrons ensuite passer de là à d'autres
parties. Je dirai donc comment j'ai procédé dans mon examen,
en commençant par interpréter la sentence d'Hippocrate,
laquelle est assez obscure pour la plupart des lecteurs, parce
que l'auteur s'est énoncé dans le vieux langage et avec sa
concision habituelle. Voici le sens de sa proposition : Toutes
les parties du corps sont en sympathie, c'est-à-dire que toutes
coopèrent à l'accomplissement d'une opération. Ainsi les
grandes parties de tout l'animal, comme les mains, les pieds,
les yeux, la langue, ont été ordonnées en vue des fonctions
générales de l'animal, et toutes concourent à ces fonctions ; les
parties plus petites qui entrent dans la composition des parties
susdites, coopèrent à l'accomplissement de l'acte de tout
l'organe ; par exemple, l'œil, organe de la vue, est composé de
plusieurs parties qui, toutes, s'accordent pour accomplir un
seul office, la vision : les unes, à l'aide desquelles nous voyons,
les autres sans lesquelles il est impossible de voir, celles-ci qui
nous font mieux voir, celles-là qui servent à protéger toutes les
autres. Il en est de même pour toutes les autres parties, le
ventre, la bouche, la langue, les pieds, enfin les mains dont je
vais m'occuper maintenant, et dont personne n'ignore les
fonctions, car il est évident qu'elles ont été créées pour être un

1. n s'agit essentiellement des sectateurs d'Épicure et de l'atomisme, et du


médecin Asclépiade.
Livre I - De la main 15

organe de préhension ; mais que la forme et la grandeur de


toutes les parties qui entrent dans leur composition, sont
telles, qu'elles concourent à l'accomplissement d'une action
unique de tout l'organe, c'est ce que tout le monde ne sait pas ;
cependant Hippocrate l'entendait ainsi, et c'est maintenant la
démonstration de ce fait que nous nous proposons. En effet,
cette règle qui nous fournit la méthode pour la recherche de
l'utilité des parties, nous donne en même temps le moyen de
réfuter ceux qui professent des opinions contraires à la vérité.
Si les fonctions du thorax, du poumon, du cœur et de toutes les
autres parties étaient aussi bien connues de tout le monde que
celles des yeux, des mains et des pieds, on ne différerait pas
beaucoup d'opinion sur l'utilité des parties ; mais comme la
fonction de la plupart des organes est obscure, et qu'il est
impossible sans cette connaissance de trouver les utilités
particulières, il est évident que tous ceux qui se sont trompés
sur les fonctions des organes se sont également trompés sur
l'utilité des parties. Comme ni Aristote, ni aucun de ceux qui
nous ont précédé, n'ont traité de toutes les fonctions des
organes, il nous était donc permis d'entreprendre nous-même
un traité Sur l'utilité des parties. Ajoutez encore que certains
auteurs, qui ont parlé convenablement des fonctions de la
plupart des organes, mais qui ne s'étaient pas exercés dans la
méthode de la recherche de l'utilité des parties, ont erré sur
beaucoup de points de détail, comme je l'ai prouvé un peu plus
haut à propos des ongles ; car les meilleurs philosophes
paraissent avoir méconnu leur utilité et n'avoir pas compris,
comme je l'ai avancé, les écrits d'Hippocrate. Si donc, lorsqu'il
s'agit de la main, dont nous connaissons les fonctions, nous
avons besoin d'une certaine méthode pour trouver l'utilité de
ses parties, comment pourrait-on s'en passer pour trouver
l'utilité des parties du cerveau, du cœur et de presque tous les
autres grands viscères ? En effet, les uns regardent le cœur, les
autres les méninges, les autres le cerveau, comme le siège du
principe qui dirige l'âme 1 , en sorte que les uns attribuent une
1. Empédocle supposait l'âme dans le sang. Platon localisait l'âme pensante
et immortelle dans le cerveau, et l'âme concupiscente et mortelle dans le foie.
Aristote plaçait l'âme, dotée de ses trois facultés, dans le cœur.
16 De l'utilité des parties d u corps humain

utilité aux parties qui composent ces organes, les autres une
autre. Nous discuterons ces questions dans la suite de notre
traité, car en les soulevant ici, nous n'avions d'autre but que de
faire connàître le motif pour lequel nous avons entrepris
d'écrire Sur l 'utilité des parties, quoique beaucoup de bonnes
choses aient été dites par Aristote, et aussi, bien que peut-être
ils n'aient pas égalé Aristote, par un assez grand nombre de
médecins et de philosophes, parmi lesquels on doit compter
Hérophile de Chalcédoine ; enfin que les écrits d'Hippocrate
ne sont pas suffisants, attendu qu'il exprime obscurément
certaines choses et qu'il omet tout à fait certaines autres, car,
d 'après mon opinion, Hippocrate n'a rien écrit de mauvais ; pour
toutes ces causes, nous avons été poussé à écrire sur l'utilité
des parties; nous interpréterons ce qu'Hippocrate a laissé
d'obscur, et nous ajouterons ce qu'il a omis, en nous confor­
mant à la méthode qu'il nous a transmise.

CHAPITRE I X . - Explication d'un passage d'Hippocrate sur la divi­


sion de la main en doigts. - Que la connaissance de la bonne construc­
tion du corps est une suite de la recherche de l'utilité des parties, et
que cette bonne constitution est le critérium de la vraie beauté. -
Opinion de Socrate sur la beauté. - De la considération de l'essence
propre et des dispositions accidentelles des parties dans la recherche
de leur utilité.

Reprenons maintenant, pour démontrer toute la structure


de la main, le discours, là où nous l'avons interrompu; car si
nous nous exerçons avec succès dans la partie de notre traité
qui regarde la main, laquelle a une fonction évidente, nous
transporterons facilement cette méthode dans le reste de
l'ouvrage. Commençons donc par interpréter les paroles
d'Hippocrate, comme sortant de la bouche d 'un dieu ; car dans
le même passage, où il nous démontre l'utilité des ongles, en
nous apprenant quelle doit être leur longueur, il nous enseigne
en même temps pourquoi la main a été divisée en doigts, et
pourquoi le pouce a été opposé aux quatre autres doigts,
lorsqu'il dit : « C'est une heureuse disposition naturelle des
doigts, qu'il existe entre eux une division profonde, et que le
Livre I - De la main 17

grand soit opposé à l'index (De l'officine, § 4; Œuvres, III,


p. 287) . » En effet, c'est pour que les doigts puissent se séparer
le plus possible l'un de l'autre, disposition utile dans une
infinité de circonstances, que la division des doigts a été
opérée. C'est donc avec raison qu'Hippocrate déclare parti­
culièrement cette disposition très heureusement trouvée,
puisqu'elle répond à la destination des doigts ; en effet, par
suite de cette disposition, il arrive que le pouce est opposé aux
autres doigts, de telle façon que si la main était simplement
divisée, et si le pouce n'était pas séparé des autres autant que
possible, il ne pourrait pas s'opposer aux autres. Ainsi, dans ce
passage, Hippocrate apprend en peu de mots beaucoup de
choses à ceux qui savent comprendre ses paroles. Il était donc
peut-être bon, qu'imitant non seulement les autres bonnes
qualités de ce médecin, mais aussi celle même qui consiste à
dire beaucoup de choses en peu de mots, nous nous abstins­
sions de descendre aux particularités, après avoir indiqué la
manière d'interpréter tout ce qu'il a écrit brièvement ; car il
n'entre pas dans notre plan de dire, si ce n'est en passant,
qu'Hippocrate connaissait très bien ces questions, mais de
montrer l'utilité de toutes les parties, ne voulant, des enseigne­
ments que donne Hippocrate dans le passage précité, faire
ressortir qu'une seule chose qu'il est très nécessaire au méde­
cin de connaître, mais qu'on ne peut pas trouver sans exami­
ner avec soin l'utilité des parties. Quelle est donc cette chose ?
Savoir quelle est la meilleure construction de notre corps. Il
est évident, en effet, que la meilleure construction est celle qui
fournit à toutes les parties un moyen suffisant de concourir à
l'accomplissement des fonctions des organes. Hippocrate dit
en effet : « C'est une heureuse disposition naturelle des doigts
que la division entre les doigts soit profonde et que le pouce
soit opposé à l'index. » Si vous demandez pourquoi, vous avez
la réponse écrite : « Tout est en sympathie dans l'universalité
des parties, et dans les parties tout est en sympathie pour
l'opération de chacune d'elles » (cf chap. VIII, p. 14) . - Quelle
est donc l'opération d'une de nos parties, de la main ? La
préhension, évidemment. Comment donc tous les doigts
concourraient-ils à cet acte s'ils n'étaient pas séparés entre eux
18 De l'utilité des parties du corps humain

par un grand intervalle et si le pouce n'était pas opposé à


l'index ? tandis que disposés de cette façon toutes les opéra­
tions des doigts s'exécuteront très bien. Si vous cherchez à
connaître la bonne disposition des yeux et du nez, vous la
découvrirez en comparant la structure de ces parties avec
leurs fonctions. C'est là la règle, la mesure, le critérium de la
bonne disposition naturelle et de la beauté véritable. En effet,
la beauté véritable n'est autre chose qu'une excellente struc­
ture. Sur la foi d'Hippocrate, vous jugerez de cette excellence
par les fonctions et non par la blancheur, la mollesse et
certaines autres qualités semblables qui nous représentent
une beauté fardée, empruntée, et non la beauté naturelle et
vraie. Il en résulte qu'un vendeur d'esclaves vanterait des
corps et qu'Hippocrate en vanterait d'autres. Peut-être pen­
sez-vous que Socrate, dans Xénophon 1 , plaisantait en dispu­
tant de beauté avec ceux qui passaient pour les plus beaux de
son temps. S'il eût parlé simplement de la beauté sans la
rapporter aux fonctions et sans les faire entièrement servir de
mesure à la beauté, peut-être ses discours ne seraient-ils qu'un
jeu ; mais puisque dans tout cet entretien il rapporte la beauté
de la structure des formes à la régularité de la fonction, non
seulement il ne faut pas croire qu'il plaisante, mais on doit
admettre qu'il parle très sérieusement. C'est le propre de la
Muse de Socrate de mêler tour à tour le plaisant au sérieux. -
Ce que je viens de dire est suffisant pour montrer l'utilité du
sujet en discussion, et pour enseigner comment il faut
entendre les opinions et le dire des anciens. Mais reprenons
l'exposition de toute la structure de la main, ne laissant, autant
que possible, rien qui ne soit approfondi. Afin que mon
discours se déroule avec méthode, nous examinerons succes­
sivement tout ce qui est commun aux corps. Au premier rang
se placent particulièrement les tempéraments, car ce sont eux
qui donnent aux parties leur essence propre. En effet, c'est
parce que le corps est un mélange déterminé de chaleur et de
froid, de sécheresse et d'humidité, qu'il est par nature de telle
ou telle façon, car si la chair est chair, le nerf, nerf, et si chaque

1. Xénophon, Le Banquet, V, 11.


Livre I - De la main 19

autre partie est ce qu'elle est, cela tient à un certain mélange


des qualités susnommées. Ces qualités existent donc dans les
parties à titre de substance; l'odeur, la saveur, la couleur, la
dureté, la mollesse, en sont des conséquences nécessaires : il y
a de plus des accidents nécessaires : la position, la grandeur, la
contexture, la conformation. Ainsi donc, si l' on veut approfon­
dir exactement l'utilité de tout ce qui entre dans la composi­
tion des organes, il faut d'abord rechercher en raison de quoi
ils exercent leurs fonctions ; on trouvera, en effet, que pour la
plupart c'est en raison de leur propre essence, mais que
quelquefois aussi c'est en vertu de certaines dispositions
accessoires consécutives, comme dans les yeux, en vertu de la
couleur. On recherchera ensuite l'utilité de chacune des par­
ties qui entrent dans la composition de l'organe, si elles sont
utiles pour la fonction [de cet organe], ou pour quelques-unes
des manières d'être dépendant des tempéraments ; par
exemple, l'os qui est utile pour la solidité. Après cela, il faut
examiner les manières d'être accidentelles propres à
l'ensemble de l'organe, ou à ses parties. Ces manières d'être
sont, comme je l'ai dit un peu plus haut, la position, la
grandeur, la contexture, la conformation. Celui qui pense
avoir bien traité de l'utilité des parties avant d'avoir appro­
fondi toutes ces questions et de s'être assuré si tout est bien, ou
si quelque chose pèche, se trompe étrangement.

CHAPITRE x . - Que la structure de la main est dans un rapport exact


avec sa fonction qui est la préhension. - Que les muscles jouent le rôle
principal dans cet acte. - De la nécessité des ongles.

Ne méritons donc pas, par notre faute, le même reproche,


mais examinons d'abord la main, puisque c'est d'elle que nous
devons parler en premier lieu, puis les autres parties, en
prenant pour toutes, ainsi que nous l'avons enseigné plus
haut, la fonction comme point de départ de nos recherches et
comme critérium de nos découvertes. Puisque la préhension
est l'acte de la main et qu'il eût été impossible de rien prendre
si elle fût restée immobile (dans ce cas, en effet, elle n'eût en
rien différé d'une main de pierre, ou d'une main morte), il est
20 De l'utilité des parties du corps humain

évident que la partie principale pour cette fonction sera la


partie par laquelle on trouvera que la main se meut. Comme
nous avons démontré que tous les mouvements volontaires,
comme sont ceux de la main, ont les muscles pour agents 1 , les
muscles seront le premier organe de mouvement pour la main.
Toutes les autres parties ont été faites, celles-ci pour que la
fonction s'accomplît mieux, celles-là, parce qu'elle ne pouvait
pas s'accomplir sans elles, les autres pour protéger le tout.
Ainsi les ongles ont été faits, ainsi qu'on l'a vu (chap. VII et vm)
pour le meilleur accomplissement de la fonction ; sans eux, il
est vrai, la main eût pu saisir les objets, mais elle n'eût pu,
comme elle le fait maintenant, ni les saisir tous, ni les saisir
aussi bien. On a démontré que les objets petits et durs lui
échapperaient facilement, si l'extrémité des doigts n'était pas
munie de quelque substance dure et pouvant soutenir la chair.
Jusqu'ici on a dit en quoi sont utiles la dureté des ongles et leur
position.

CHAPITRE XI . - Des avantages de la dureté moyenne des ongles et de


la faculté qu'ils ont de croître sans cesse.

On n'a pas encore dit, pourquoi les ongles sont doués d'une
certaine dureté, et non pas d'une dureté plus grande, et
pourquoi ils sont ronds de tous côtés ; il est donc temps de
traiter ce sujet. S'ils avaient été plus durs qu'ils ne le sont
maintenant et semblables à l'os, ils seraient moins propres à la
préhension, car ils ne pourraient pas se plier un peu, et surtout
ils seraient facilement brisés, comme tous les autres corps
durs. Pourvoyant donc à leur sûreté, la nature les a faits
modérément durs, pour que rien ne nuise à l'utilité en vue de
laquelle ils ont été créés, et qu'eux-mêmes ne puissent pas être
facilement lésés. La structure de toutes les autres parties
semblables devra vous montrer avec quelle précaution la
nature a fait les ongles plus mous que les os, dans une

1. Galien, De motu musculorum (Kühn IV, 367-464) ; C. Daremberg, Du


mouvement des muscles, Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de
Galien, t. Il (321-375), Paris, 1856.
Livre I - De la main 21

proportion telle qu'ils peuvent, en cédant un peu aux corps qui


les frappent avec force, atténuer le choc ; car toutes les parties
saillantes et nues des animaux, la nature les a faites d'une
substance telle, qu'ils ne sont facilement ni meurtris, à cause
de leur mollesse, ni brisés à cause de leur sécheresse : tels sont
le sabot, qu'il soit d'une seule pièce ou fendu, l'éperon et la
corne. Il eût été bon que ces parties, en tant qu'armes défen­
sives, fussent plus dures qu'elles ne sont maintenant, afin
qu'elles pussent contondre et couper plus facilement, mais
pour leur propre conservation, il convenait qu'elles ne fussent
pas assez dures pour être brisées aisément. Ainsi, nous esti­
mons que la meilleure épée n'est pas celle qui est fabriquée
avec du fer très cassant, comme est surtout le fer de l'Inde,
bien qu'elle coupe avec rapidité, mais celle qui est d'une
dureté telle qu'on ne peut pas la briser facilement, et qu'elle
peut très bien couper. Toutes les parties résistantes du corps,
analogues aux armes défensives, et saillantes à l'extérieur,
sont plus dures que les enveloppes de protection, mais pas
assez pour être brisées facilement. Les parties qui n'ont point
été créées pour être des armes défensives, mais qui doivent
être simplement des parties proéminentes du corps, comme
les oreilles, le nez, l'olécrane, les genoux, ont une substance
plus molle encore; afin qu'en cédant davantage, ils amor­
tissent davantage aussi les chocs qu'ils éprouvent. L'ongle de
l'homme est dans ce cas; c'est pourquoi il est beaucoup plus
mou et plus mince que ceux des loups, des lions et des
léopards : en effet, c'est l'ongle d'un animal doux et civilisé,
fait pour saisir exactement les objets; ce n'est point l'arme
défensive d'une bête féroce. Mais pourquoi l'ongle de l'homme
est-il rond de tous les côtés ? Certes c'est pour sa sûreté, car la
forme ronde est de toutes les formes la mieux faite pour
supporter les chocs, puisqu'elle n'offre aucun angle saillant
qui puisse être brisé. D'un autr� côté, comme l'extrémité des
ongles pouvait être usée, soit en grattant, soit en nous en
servant de toute autre façon, la nature a donné à ces parties
seules la faculté de croître, lors même que le corps a acquis son
entier développement ; mais les ongles ne croissent pas en
longueur, en profondeur et en largeur, comme les autres
22 De l'utilité des parties du corps humain

parties ; à l'instar des cheveux, ils ne croissent qu'en longueur,


les nouveaux ongles poussant toujours sous les anciens et les
chassant en avant. En cela la nature n'a pas agi vainement,
mais dans le dessein de remplacer perpétuellement tout ce qui
peut s'user de l'extrémité des ongles. Ces dispositions pour les
ongles démontrent combien est grande la prévoyance de la
nature.

CHAPITRE X I I . -De l'utilité des os des doigts en général, et des


avantages qui résultent de leur multiplicité dans chaque doigt.

Par ce qui suit vous apprendrez que les os des doigts ont été
créés également pour le mieux. À la vérité les doigts pour­
raient, sans le secours des os, se mouvoir de diverses
manières, comme les bras des poulpes, mais ils n'auraient
aucun soutien, s'ils étaient privés d'une partie résistante et
dure. Les os offrent précisément ces conditions dans le corps
des animaux; voilà pourquoi on trouve des os dans les doigts,
dans les bras, dans les jambes et dans beaucoup d'autres
parties du corps. La suite du traité montrera bientôt de quelle
utilité est le soutien fourni par les os à chaque partie. On peut
voir que les os servent à beaucoup des opérations des doigts,
en réfléchissant que si nous n'avions pas d'os nous ne ferions
pas mieux, soit en écrivant, soit en coupant, soit en nous
livrant à tout autre travail, que ceux qui tremblent ; car les
inconvénients qui résultent, pour ces derniers, d'une maladie,
tous nous les éprouverions naturellement, si les doigts étaient
flexibles et mobiles à cause de leur mollesse. Mais la nature
des os a été formée comme un soutien par le Créateur pour
donner de la force aux doigts dans chacune des formes qu'ils
prennent. En effet, cette faculté, très utile du reste, de pouvoir
prendre des formes diverses, résulte de ce que les doigts sont
composés de plusieurs os, et n'existerait pas, s'ils n'en avaient
qu'un seul; dans ce cas, en ,effet, on ne pourrait exécuter
convenablement que les actes réclamant l'emploi des doigts
dans l'extension. Il faut admirer en cela l'artifice de la nature,
construisant les doigts de façon qu'ils soient aptes à toutes les
fonctions; en effet, privés d'os ils n'eussent pu agir avec
Livre I - De la main 23

efficacité que dans les cas où nous sommes obligés de les plier
en rond autour de l'objet à saisir; s'ils n'avaient eu qu'un seul
os ils n'eussent pu nous bien servir que dans le cas où il faut
agir avec les doigts étendus ; n'étant ni privés d'os, ni pourvus
d'un seul os, mais construits avec trois os qui s'articulent les
uns avec les autres, ils prennent facilement toutes les formes
exigées pour l'accomplissement de leurs fonctions. Quand les
articulations sont toutes fléchies, nous nous servons des doigts
comme s'ils n'avaient point d'os ; quand elles sont toutes
étendues, les doigts sont comme s'ils n'avaient qu'un os.
Souvent nous n'avons pas besoin que les articulations soient
toutes étendues, ou toutes fléchies ; alors fléchissant ou éten­
dant soit la première articulation seulement, soit la seconde,
ou la troisième, quelquefois la première avec la seconde, ou la
seconde et la troisième, ou la première et la troisième, nous
produisons six figures. Il est impossible de dire, mais on peut
facilement se représenter pour chacune de ces figures, quel
nombre de figures intermédiaires donne le plus ou le moins ;
car l'extrême flexion et l'extrême extension ne souffrent pas
une division en plus ni en moins, mais les mouvements
intermédiaires produisent un nombre en quelque sorte indé­
terminé de figures par la flexion et l'extension successives,
tantôt en plus, tantôt en moins. Ainsi, par suite de cette
structure, les doigts ne prennent pas seulement six formes,
mais six formes générales, les particulières étant infinies. Les
deux autres modes de construction, je veux dire l'absence d'os,
ou la présence d'un seul os, ne peuvent donner aux doigts que
deux figures, la ronde et la droite, mais maintenant ils ne sont
pas privés de ces deux figures ; et de plus ils en ont six
générales et une foule de particulières. - Si les doigts eussent
été faits seulement d'os disposés en ligne droite, ils eussent pu
prendre exactement une figure rectiligne, mais jamais ils
n'eussent pu se former exactement en rond.

CHAPITRE x m . - De l' utilité propre de la chair des doigts; de la


manière dont elle y est disposée. - Utilité commune de la chair
considérée dans tout le corps. - Texte de Platon sur ce sujet.

C'est donc en vue de la forme circulaire que la nature a


24 De l'utilité des parties du corps humain

formé la chair des doigts ; comme il ne convenait pas de la


placer à la face externe des os, car c'eût été un poids inutile,
elle en a muni leur face interne, afin que le cas échéant où il
faut prendre un objet en l'entourant, la chair, molle par
consistance, cédant doucement sous la pression de l'objet avec
lequel elle est en contact, corrige ce qu'il y a de droit dans les
os. Voilà pourquoi la nature a mis très peu de chair au niveau
des articulations et en a placé davantage entre chacune d'elles,
attendu que les articulations, créées pour se mouvoir,
n'avaient pas besoin, comme les os, d'un pareil auxiliaire ; la
chair, outre qu'elle ne servait à rien, devenait ici un empêche­
ment à leur mouvement, d'un côté, en les chargeant inutile­
ment, de l'autre, en remplissant la région interne de la join­
ture. Telles sont les raisons pour lesquelles la nature n'a pas
fait naître du tout de chair à la partie externe des doigts, et en a
pourvu abondamment la face interne entre les articulations ;
enfin n'en a presque point mis au niveau des articulations
elles-mêmes. Elle a placé sur les faces latérales des doigts
autant de chair qu'il en fallait pour remplir les espaces vides
entre chaque doigt, afin que de cette façon la main pût agir
aussi bien comme un instrument très divisé, que comme un
instrument non divisé ; car les doigts étant rapprochés les uns
des autres, tout l'espace qui les sépare est si bien effacé par la
chair, que si on veut prendre quelque substance liquide, en
plaçant la main en supination, on ne laisse rien échapper. Tels
sont les avantages nombreux et variés que la main retire de la
chair; de plus elle peut encore malaxer et écraser tous les
corps qui réclament des instruments modérément mous pou­
vant malaxer et briser : or dans tous les arts beaucoup de
choses sont dans ce cas. Tels sont les divers genres d'utilité
propre de la chair des mains. - Les genres d'utilité commune
(car elle n'en jouit pas moins que les autres chairs) seront
révélés par le texte suivant. Platon dit dans le Timée (74b-c)
« La chair a été créée comme un préservatif des chaleurs de
l'été, comme un abri contre le froid de l'hiver et aussi contre
les coups ; c'est comme une toison de laine, cédant mollement
et doucement au contact des corps, possédant en elle une
humidité chaude qui pendant l'été s'évaporant et se réduisant
Livre I - De la main 25

en sueur, procure à toute la surface externe du corps une


fraîcheur convenable ; en hiver, au contraire, par sa chaleur
propre elle sert à repousser convenablement le froid qui nous
environne et nous frappe à l'extérieur. » - Pour prouver que la
chair nous protège comme le ferait une toison de laine, il n'est
pas besoin de raisonnement ; on voit également avec évidence
qu'elle possède une humidité chaude, laquelle vient du sang;
mais que toute humidité modérément chaude, comme est celle
de la chair, sert également bien contre le froid et contre le
chaud extrêmes, c'est ce dont le vulgaire ne convient pas aussi
volontiers. Toutefois on sera bientôt convaincu, si nous rappe­
lons la vertu des bains et si nous expliquons ensuite la nature
même de ce qui est en discussion. Vous ne trouverez rien de
plus propre que le bain pour refroidir ceux qui sont en proie à
une forte chaleur, ni rien de plus prompt à réchauffer ceux qui
souffrent d'un grand froid; car le bain, étant humide par
nature et en même temps modérément chaud, arrose par son
humidité la sécheresse qui vient de la chaleur, et en même
temps il corrige par sa chaleur le refroidissement causé par le
froid intense 1 • Cela suffit pour les chairs.

CHAPITRE xrv. - Du nombre des os des doigts, de leur grandeur, de


leur figure.

Reprenons ce que nous disions de la nature des articulations


et des os des doigts au point où nous nous étions auparavant
arrêtés. En effet, il a été suffisamment démontré que nous
avions besoin des os pour prêter un ferme soutien à l' exé­
cution des fonctions, et qu'ils devaient être nombreux pour
répondre à la multiplicité des formes ; mais nous n'avons

1. Hippocrate, De l'ancienne médecine, Œuvres, I, p. 609. -Oribase, Collection


médicale, livre X, § 1 (t. Il, p. 369 ; passage inspiré de Galien) : « Les bains faits
avec de l'eau douce chaude ont les propriétés suivantes : si leur température est
modérée, ils seront humectants et chauds; s'ils sont tièdes, ils seront humec­
tants et froids ; si enfin ils sont plus chauds qu'il ne convient, ils auront des
propriétés chaudes mais ils ne seront plus humectants comme auparavant, car
ils produiront indispensablement une crispation dans les parties et un resserre­
ment dans les conduits, de telle sorte qu'on ne pourra plus ni s'approprier de
l'humidité de l'extérieur, ni évacuer les matières excrémentielles de l'intérieur. »
26 De l'utilité des parties du corps humain

indiqué ni leur nombre et quel il devait être, ni la grandeur de


chacun d'eux et quelle elle devait être, ni leur forme, ni leur
mode d'articulation. Disons donc tout de suite qu'il ne fallait
ni plus ni moins de trois os par chaque doigt ; car un plus
grand nombre, outre qu'il n'aurait favorisé en rien aucune
fonction (on a suffisamment démontré, chap. XII, qu'elles
pourraient s'accomplir toutes avec trois os seulement), eût
peut-être empêché une extension complète, en la rendant
moins ferme qu'elle n'est maintenant ; car les organes compo­
sés de beaucoup de parties plient plus facilement que ceux qui
ont peu de parties. S'il y avait moins de trois os, les doigts ne
pourraient pas prendre une aussi grande multitude de formes
particulières. Ainsi donc le nombre trois était suffisant pour la
multiplicité des mouvements et pour éviter la facilité à se plier.
Quant à la grandeur, il est évident pour tous que l'os placé en
avant doit être plus long que celui qui vient après lui ; le
premier porte, le second est porté : or, il est convenable que ce
qui porte soit plus grand que ce qui est porté. Il a été démontré
plus haut (chap. v et VI) que les extrémités des doigts devaient
être le plus petites possible et rondes ; il était impossible qu'il
en fût ainsi autrement que par la diminution graduelle du
volume des os des doigts. Pour cela, il faut toujours que le
second os soit plus petit que le premier. Quant à leur forme, de
ce qu'ils ont une base plus large à la partie supérieure et une
base moins large à l'extrémité inférieure, il résulte la même
utilité que celle reconnue pour la grandeur. Il faut attribuer à
ce qu'ils sont arrondis la difficulté d'être lésés, car de toutes les
formes, la ronde est celle qui est le moins exposée, attendu
qu'elle n'offre aucune partie saillante qui puisse être brisée
par les chocs extérieurs (chap. XI) . Mais pourquoi chaque os
est-il exactement convexe sur la face externe et ne l'est-il
exactement ni sur la face interne, ni sur les côtés ? Assurément
cela a été fait aussi pour le mieux : en effet, c'est par leur partie
interne que les doigts broient, malaxent et prennent tous les
objets ; il eût donc été mauvais que les os eussent été arrondis
sur cette face ; par la face externe, les doigts ne font rien de
semblable, et ne remplissent aucune autre fonction ; cette face
réclamait donc une structure qui pût seulement la protéger
Livre I - De la main 27

avec sûreté contre tout dommage. Sur les côtés, le mutuel


rapprochement des doigts les mettait à l'abri de toute lésion, et
ils ne devaient laisser quand ils sont rapprochés, aucun inter­
valle entre eux ; il ne convenait donc pas qu'ils fussent arrondis
de ce côté. Une confirmation suffisante de ce que j'avance est
fournie par le grand doigt (pouce) et par le petit doigt : la
circonférence supérieure du premier, la circonférence infé­
rieure du second sont exactement convexes. Par cette face, en
effet, rien ne les protège et ils ne sont unis à aucun autre doigt.
Il faut donc admirer la nature dans la construction des os.

CHAPITRE xv. - Excellence du mode d'articulation des doigts.


Le mode d'articulation des os n'est pas moins admirable,
car les doigts ne sont pas formés de trois os simplement unis et
joints au hasard; mais, comme les gonds des portes, chaque
articulation présente des saillies reçues dans des cavités 1 •
Cela, peut-être, n'est pas ce qu'il y a de plus admirable ; mais si
vous considérez l'union de tous les os dans tout le corps, vous
trouverez toujours que les saillies ont des dimensions égales
aux cavités qui les reçoivent; disposition qui, je le sais bien,
vous paraîtra déjà un très grand sujet d'admiration. En effet,
supposez la cavité plus large qu'il ne fallait, l'articulation était
lâche et sans fixité ; supposez-la plus étroite, le mouvement
devenait difficile, l'os ne pouvait en aucune façon se retourner,
et, de plus, il y avait grand danger que les éminences des os,
resserrées dans d'étroits espaces, ne se brisassent. Rien de cela
n'eut lieu ; des espèces de crêtes entourent en cercle toutes les
cavités articulaires, et garantissent sûrement les articulations
contre toute luxation, à moins d'un choc violent et irrésistible.
Comme, par suite de cette structure, il y avait danger que les
mouvements ne devinssent difficiles et que les éminences
osseuses ne se brisassent, la nature a derechef trouvé un
double remède à cet inconvénient. D'abord elle a revêtu les

1. Galien, De ossibus ad tirones (Kühn II, 732-778), p. 771.


28 De l 'utilité des parties du corps humain

deux os de cartilages, puis elle a versé sur ces cartilages une


humeur grasse, visqueuse, ressemblant à de l'huile, de sorte
que toute articulation des os pût se mouvoir facilement et sans
danger de se briser. L'artifice de la nature, qui consistait à
munir les articulations de rebords, était déjà suffisant pour
empêcher les articulations de se luxer, mais elle ne confia pas
le soin de les maintenir à ce seul moyen, sachant que l'animal
avait souvent à faire des mouvements nombreux, violents et
rapides. Afin donc que toute articulation fût fortifiée de tous
les côtés, la nature a fait naître de chacun des deux os certains
ligaments ; elle les a étendus de l'un à l'autre : quelques-uns
sont en quelque sorte comme des nerfs, ronds et épais ;
d'autres sont comme des membranes, longs et minces. Ces
deux espèces ont toujours été faites telles qu'il était requis
pour l'utilité des articulations : les ligaments les plus épais et
les plus forts protègent les articulations les plus importantes et
les plus grandes ; les autres sont réservés pour les articulations
moins importantes et plus petites. Toutes ces dispositions sont
communes à toutes les articulations, se retrouvent dans toutes
et aussi dans celles des doigts, comme cela leur convenait
particulièrement. Ce sont, il est vrai, des articulations petites,
mais parfaitement creusées, couronnées de tous côtés par de
petits rebords, revêtues de cartilages minces et maintenues
par des ligaments membraneux. C'est aussi une très grande
sagesse de la nature dans la construction des doigts, que de
n'avoir pas fait les rebords des os égaux de tous les côtés, mais
les externes beaucoup plus grands et les internes beaucoup
plus petits. Si à la partie externe (face dorsale) ils eussent été
petits, les doigts auraient pu se renverser au-delà des limites
de l'extension ; s'ils eussent été grands à la face interne (face
palmaire), la flexion extrême eût été gênée. Ainsi, dans les deux
cas, il y aurait eu des inconvénients, en ôtant la fermeté à
l'extension et en empêchant la variété des mouvements de
flexion; mais comme le contraire a eu lieu, aucun dommage
n'en est résulté ; il y a même une grande sûreté pour les
mouvements des doigts. Mais pourquoi les os des doigts
sont-ils denses, durs et sans moelle ? C'est sans doute parce
qu'ils sont nus, et par conséquent très exposés ; or pour des
Livre I - De la main 29

corps exposés aux lésions par suite de l'absence de protection


extérieure, c'était un très grand correctif qu'une structure
particulière qui les rend plus difficilement vulnérables 1 .

CHAPITRE xv1 . - Récapitulation des principes qui doivent présider


à la recherche de l'utilité des parties.

Telle est la manière dont les os des doigts se comportent.


Nous parlerons, dans la suite, des os des autres parties. Je
rappellerai d'abord, comme cela a été démontré (chap. vm),
qu'on ne peut pas bien trouver l'utilité des parties avant d'en
avoir déterminé les fonctions. La fonction de la main est la
préhension ; cela est évident, reconnu par tous, et n'a besoin
d'aucune démonstration. Mais on ne s'accorde pas sur les
fonctions des artères, des nerfs, des muscles, des tendons, et
elles ne sont pas évidentes ; c'est pourquoi ces parties exigent
un plus long discours. Toutefois ce n'est pas le moment de
faire des recherches sur les fonctions, car nous nous propo­
sons de parler non des fonctions, mais de l'utilité des parties. Il
est donc nécessaire de poursuivre ce traité en prenant mainte­
nant et dans tout le reste de l'ouvrage, comme fondements de
notre raisonnement, les conclusions des démonstrations faites
dans d'autres traités. Ainsi il a été démontré, dans le traité Des
opinions d'Hippocrate et de Platon, que le cerveau et la moelle
épinière sont le principe de tous les nerfs ; que le cerveau l'est à
son tour de la moelle ; que le cœur est celui de toutes les
artères, le foie celui des veines ; que les nerfs tirent du cerveau
leur faculté psychique ; que la faculté sphygmique vient du
cœur aux artères, et que le foie est la source de la faculté
végétative des veines. L'utilité des nerfs consistera donc à
conduire de leur principe aux diverses parties la faculté sensi­
tive et motrice ; celle des artères à entretenir la chaleur natu­
relle et à alimenter le pneuma psychique ; les veines ont été
créées en vue de la génération du sang et pour le transmettre à
tout le corps. Dans le traité Du mouvement des muscles (I, I et

1 . Vésale (De corp. hum. fabrica, I, XXVII) reprochera à Galien d'avoir cru que
les os des doigts n'ont pas de moelle.
30 De l'utilité des parties du corps humain

Il) on a èit en quoi diffèrent les tendons, les nerfs et les


ligaments ; on sait aussi que dans ce traité il a été parlé de la
nature des muscles, qu'il y a été établi qu'ils sont les organes
du mouvement volontaire, et que leur aponévrose est appelée
tendon.

CHAPITRE XVII . - De l'utilité des tendons des doigts; de leur nature,


de leur mode d'action, de leur insertion, de leur forme, de leur
nombre. - De la disposition particulière des tendons du pouce.

Ainsi donc, pour le sujet qui nous occupe, et dans la suite de


tout ce discours, prenant ces faits comme point de départ de
nos démonstrations, nous nous en servirons pour établir
l'utilité de chaque organe, et nous commencerons par les
doigts. Comme la nature a donné aux os la structure la plus
convenable pour des organes de préhension, mais qu'il était
impossible que les os étant terreux et pierreux participassent
au mouvement volontaire, elle a trouvé un moyen de les
mouvoir à l'aide d'autres parties. Ayant fait produire les
tendons par les muscles de l'avant-bras, elle les a étendus en
droite ligne le long des doigts; car les parties visibles à
l'extérieur, qui meuvent les doigts et que les anciens appellent
nerfs, sont les tendons, lesquels naissent des membranes et des
nerfs dispersés dans les muscles et qui s'entrelacent. Leur
utilité est en raison des éléments dont ils sont composés : ils
sentent, ils sont doués du mouvement volontaire ; ils fixent les
muscles aux os. Il est évident que c'est des nerfs qu'ils tirent
leurs premières propriétés, sentir et mouvoir, et que c'est des
ligaments que leur vient celle d'unir les os aux muscles. En
effet le ligament étant, comme le nerf, blanc, exsangue et sans
cavité, a, pour cette raison, passé pour un nerf auprès de
beaucoup de gens inexperts ; mais le ligament ne vient ni du
cerveau, ni de la moelle ; il va d'un os à un os, aussi est-il
beaucoup plus dur qu'un nerf; il est tout à fait insensible, et ne
peut rien mouvoir. Ainsi la nature, en tirant des muscles de
l'avant-bras pour les porter aux doigts tous ces tendons qu'on
voit au carpe, les a fixés sur chacune des articulations, non
certes en vue d'attacher les os les uns aux autres ; car à quoi
Livre I - De la main 31

cette disposition eût-elle servi ? Elle ne les a pas fixés non plus
sur l'extrémité de l'os placé en avant de l'articulation, il n'en
fût résulté aucun avantage ; mais elle les a insérés sur la tête du
deuxième os qui devait être mû. Cela se passe, je suppose, de la
même manière, pour les marionnettes mises en mouvement à
l'aide de ficelles 1 • En effet, pour les marionnettes, on fait
passer la ficelle par-dessus les jointures et on la fixe à la base
des parties situées au-dessous, afin que le membre obéisse
facilement quand on tire cette ficelle. Si jamais vous avez vu
des marionnettes, vous vous ferez une idée claire du mouve­
ment imprimé à chaque articulation par chaque tendon. En
effet, l'os postérieur à l'articulation se mouvant autour de
celui qui est en avant et qui reste immobile, le doigt est étendu
quand c'est le tendon externe qui agit ; il est fléchi quand c'est
le tendon interne.
Pourquoi la nature a-t-elle produit de longs tendons et n'a­
t-elle pas implanté les muscles sur le carpe ? Parce qu'il était
préférable que la main fût légère et mince, et qu'elle ne fût pas
surchargée d'une masse de chairs qui l'aurait rendue lourde et
épaisse, car elle eût fait plus mal et plus lentement beaucoup
des choses qu'elle fait maintenant promptement et bien.
Comme d'un côté il était nécessaire d'amener les tendons de
loin, et que, de l'autre, il y avait du danger pour ces tendons
nus et placés dans une région dépourvue de chair, d'être
facilement contus ou coupés, échauffés ou refroidis, elle les a
protégés en fabriquant une membrane dure dont elle les a
entourés de tous côtés, de telle façon qu'elle ne les a pas
seulement mis à l'abri des chocs extérieurs, mais aussi du
contact des os. Chaque tendon est exactement rond depuis sa
sortie des muscles jusqu'aux articulations, afin de n'être pas
1. Aristote, Mouvement des animaux, VII, 701b : « On connaît les automates
qui se meuvent sous une légère impulsion, les cordes tendues une fois libérées
déclenchant les rouages qui s'entraînent les uns les autres, et le petit char que
celui qui le monte pousse tout droit, et qui malgré cela prend un mouvement
circulaire parce que ses roues sont inégales (la plus petite joue le rôle d'un
centre, comme cela se produit pour les rouleaux). C'est de la même façon que se
meuvent les animaux. Ils ont, en effet, des organes du même genre, le système
des tendons et celui des os, ces derniers comparables aux morceaux de bois et au
fer des machines, tandis que les tendons sont comme les cordes : une fois qu'ils
sont libérés et se détendent, les animaux se meuvent. »
32 De l'utilité des parties du corps humain

sujet aux lésions ; mais au moment où il s'insère sur la pha­


lange qu'il doit mettre en mouvement, il s'élargit, car il devait
la mouvoir plus aisément en l'embrassant par un plus grand
nombre de points d'insertion. Puisqu'il convenait que chaque
doigt ne pût accomplir que quatre mouvements, un de flexion,
un d'extension, deux latéraux, il était rationnel, ce me semble,
qu'il y eût sur les quatre côtés des tendons à chaque articula­
tion ; car s'il manquait un tendon d'un côté, le membre serait
estropié. En conséquence, on voit des tendons sur les quatre
côtés, les -fléchisseurs nés des muscles situés à la partie interne
de l'avant-bras ; les extenseurs, produits par les muscles
externes ; ceux qui opèrent les mouvements dans le sens du
petit doigt (extenseurs propres des doigts), provenant des
muscles [externes] qui sont chargés des mouvements latéraux ;
ceux qui exécutent l'autre mouvement oblique dans le sens du
grand doigt (lombricaux) fournis par les petits muscles situés
à la main; de sorte que la nature n'a refusé aucun mouvement
à aucun doigt et n'a oublié aucun des tendons qui devaient
accomplir ce mouvement. Cela suffirait pour démontrer son
très grand art ; mais comme il y a des choses beaucoup plus
importantes, il ne faut pas les passer sous silence, car la
nature, juste en tout (chap. XXII et II, xv1), non seulement n'a
refusé aux doigts aucun des mouvements possibles, mais elle a
encore proportionné exactement le volume des tendons à
l'utilité des mouvements.
Le plus grand des doigts, celui qu'on appelle anti-main
(pouce), possède à la partie interne un tendon grêle 1 ; à la
partie externe deux assez forts (longs extens., et faisceau méta­
carp. du long abduct.) ; latéralement, du côté de l'index, un
muscle petit et mince (adducteur) ; du côté opposé, un autre
beaucoup plus fort situé à l'éminence thénar (court abduct.) .
Les quatre autres doigts ont chacun deux grands tendons en
dedans (-fléchiss. profond et superfic.) ; un en dehors (extens.
commun) qui égale le plus petit des deux internes ; un troi­
sième plus grêle ; celui-là est placé latéralement à la partie

1. Il s'agit ici du tendon que le fléchisseur profond envoie chez les singes au
pouce pour tenir lieu du long fléchisseur propre qui manque chez ces animaux.
Livre I - De la main 33

externe (extenseurs propres) ; enfin un autre, le plus grêle de


tous, placé latéralement à la partie interne (lombricaux). Tout
cela, ainsi que je l'ai dit, est très rationnellement disposé.
Comme les opérations de la main les plus nombreuses et qui
réclament le plus de force, s'accomplissent avec les doigts
fléchis, il fallait qu'ils eussent des tendons fléchisseurs qui
fussent non seulement grands, mais doubles ; car, soit que
nous prenions avec une seule main ou avec les deux réunies,
soit qu'il faille tirer, briser, broyer ou malaxer, nous le faisons
en pliant les doigts. Le contraire a lieu pour le grand doigt, car,
à l'exception des cas où nous devons le placer sur les autres
doigts fléchis, nous n'avons besoin de le plier pour aucune
fonction ; mais sa première articulation, celle qui l'unit au
carpe, reste tout à fait oisive dans ce mouvement, car si elle se
fléchissait, ce mouvement ne serait d'aucun secours ; les deux
autres articulations agissent seulement avec efficacité lorsque
nous portons le pouce sur les doigts repliés en dedans pour les
comprimer ou les serrer. Il en résulte qu'il n'y a aucun tendon
fixé au côté interne sur la première articulation du pouce ;
mais pour la seconde et la troisième 1 un petit tendon (faisceau
du fléchis. profond) a été attaché à la partie interne, et un autre,
le plus mince de tous, sur les parties latérales (court abduc­
teur?). D'un autre côté, pour les autres doigts, les tendons
extenseurs (communs) qui ont un volume notablement plus
petit que les fléchisseurs, sont beaucoup plus gros que les
tendons placés sur les côtés (extenseurs propres et lombricaux).
Opposés aux muscles internes très forts et très épais, ils
seraient incapables de maintenir les doigts dans toutes les
positions entre l'extrême flexion et l'extension parfaite, s'ils
avaient été créés tout à fait faibles et grêles. En effet, il a été
démontré dans le traité Du mouvement des muscles, que toutes
les fonctions que nous accomplissons au moyen des positions
moyennes, réclament l'action simultanée des deux muscles
antagonistes.
Pour le grand doigt il n'y a point de tendon qui soit primi­
tivement un antagoniste direct de celui qui fléchit, car, pour

1. Ici Galien compte les phalanges, en partant du carpe.


34 De l'utilité des parties du corps humain

cela, il devrait arriver nécessairement sur le milieu même de la


face externe ; mais on voit à l'extérieur deux tendons qui ont
été placés de chaque côté de la région moyenne (longs exten­
seur et abducteur) ; si tous deux sont tendus, ils mettent le
pouce dans l'extension parfaite ; s'ils agissent isolément, ils
attirent le doigt latéralement, chacun de son côté. L'action de
porter le pouce vers l'indicateur est confiée, en outre, au petit
muscle placé de ce côté (adducteur), et l'action opposée
s'accomplit aussi par le grand muscle de la paume de la main
(court abducteur). Il était rationnel que le pouce pût s'éloigner
le plus possible de l'indicateur, et que, dans ce sens, son
mouvement fût le plus fort ; il l'était aussi que ce fut le
mouvement contraire pour les quatre autres doigts, car ils
devaient pouvoir s'éloigner le plus possible du pouce. Il a été
dit précédemment (chap. v et IX) combien cela était utile aux
opérations de la main; en conséquence, parmi les tendons qui
s'insèrent sur les côtés des doigts, celui qui les éloigne du
pouce (extenseurs propres) est beaucoup plus grand que celui
qui les en approche (lombricaux). Toutes ces choses ont donc
été faites avec artifice par la nature, aussi bien les quatre
principes de mouvements latéraux accordés au pouce seul que
les deux donnés à chacun des autres doigts ; car, pour le pouce
seul, la principale fonction était de s'éloigner et de se rappro­
cher des autres doigts. Afin donc que ces mouvements aient le
plus d'étendue possible, la nature a ajouté de chaque côté deux
principes de mouvements [latéraux] : pour celui qui s'opère
vers l'index, le tendon et le muscle qui se trouvent dans cette
région (adducteur) ; pour l'autre, l'autre tendon externe et le
muscle du thénar (court abducteur). Ainsi, les tendons ont été
créés, l'un pour rapprocher, l'autre pour éloigner le pouce de
l'index; les muscles qui continuent l'action des tendons sont
créés, l'un pour rapprocher, l'autre pour éloigner le plus
possible. Les muscles et les tendons qui meuvent les doigts
sont donc dans les meilleures conditions quant à leur volume,
à leur nombre et à leur position ; si nous avons oublié quelque
petite chose, par exemple en ce qui touche les tendons internes
et particulièrement celui du pouce (faisceau du fléch. profond),
nous allons y revenir.
Livre I - De la main 35

Il a déjà été dit que ce dernier tendon devait être simple, plus
mince que les autres, et qu'il devait se fixer à la deuxième
articulation du grand doigt ; mais ce qui n'a pas encore été dit,
c'est que chaque tendon étant fait pour tirer vers sa tête les
parties qu'il doit mouvoir, et que cette tête se trouvant juste­
ment placée au milieu de l'articulation du carpe, si le pouce
était tendu vers cette partie, il lui arriverait toute autre chose
que d'être fléchi. Ici l'art de la nature est merveilleux, et vous
l'admirerez comme il convient si vous réfléchissez que la tête
du tendon chargé de fléchir le grand doigt, devait se trouver au
centre et dans le creux de la main. Mais s'il en eût été ainsi, le
muscle qui fait suite à cette tête du tendon pour continuer sa
direction, après lui, aurait dû arriver jusqu'au petit doigt et
prendre, de cette façon, une position étrange et peu conve­
nable pour plusieurs raisons : et d'abord la main eût été privée
de la cavité qui sert en beaucoup de circonstanclis ; en second
lieu, sa légèreté eût été détruite ; en troisième lieu, la flexion
des doigts eût été gênée ; enfin, en quatrième lieu, et c'est là ce
qu'il y aurait eu de plus étrange et de plus impossible, c'est que
la tête du muscle eût été placée sur le petit doigt ; or s'il en eût
été ainsi, l'insertion sur la tête de ce muscle, du nerf venant
d'en haut, eût été difficile ou plutôt impossible, puisqu'il
pénétrerait d'abord dans ce muscle par l'extrémité, ou du
moins par le milieu. D'un côté, s'il n'était pas possible de
placer dans cet endroit le tendon qui devait présider pour le
pouce au mouvement de flexion, et si, de l'autre, ce mouve­
ment ne pouvait s'accomplir, le tendon n'occupant pas cette
position, il y avait danger que le mouvement de flexion fût
supprimé ou tout à fait gêné. Comment la nature a-t-elle
triomphé d'une si grande difficulté ? Elle a fait naître le tendon
de l'aponévrose qui est à la région du carpe, car comment
pouvait-elle faire autrement ? Mais elle ne l'étendit pas directe­
ment vers le pouce, et ne le fit pas non plus partir des parties
qui font directement suite à ce doigt : il prend son origine au
même point que celui qui se rend vers le doigt du milieu
(portion du fléchisseur profond) sur lequel il repose longtemps,
et auquel il est accolé par de fortes membranes ; il s' en sépare
en traversant ces membranes quand il est arrivé au creux de la
36 De l'utilité des parties du corps humain

main, de la même manière que les rênes des attelages


s'échappent à travers certains anneaux fixés sur le joug ; car de
même que les rênes, en opérant une certaine flexion et en
faisant une espèce d'angle dans les anneaux, tournent, en les
tirant, les animaux du côté des anneaux, de même le tendon,
lorsqu'il est tendu par le muscle qui le tire, ne porte pas le
doigt vers ce muscle, mais vers le point où il se recourbe après
avoir percé la membrane. C'est pour cela qu'il tire son origine
de la tête commune aux autres tendons, et qu'il a une direction
telle que je l'ai indiquée. Pourquoi est-il superposé à d'autres
tendons ? Certes, c'est évidemment parce qu'il est un organe
d'un mouvement moins important; la nature place toujours ce
qu'il y a de plus important dans le fond et ce qui l'est moins à la
superficie (cf. II, vu) . C'est par suite de la même prévoyance
que pour les tendons externes de la main, ceux des doigts sont
superficiels et que ceux du pouce sont placés au-dessous. De
même, pour les tendons internes qui s'insèrent aux quatre
doigts, ceux qui traversent les parties profondes de la main
sont beaucoup plus grands que ceux qui sont en avant ; ils
fléchissent en s'insérant, ceux-ci (le fléchisseur profond-perfo­
rant) à la première et à la troisième articulation, après s'être
divisés ; ceux-là (fléchisseur superficiel-perforé) à la deuxième
seulement. L'insertion des tendons sur les os et leur connexion
les uns avec les autres sont donc admirables et inénarrables ;
aucun discours ne serait capable d'expliquer exactement ce
qu'on reconnaît par les sens seuls.
Il faut cependant tenter de dire comment les choses se
passent, car il n'est pas possible d'admirer l'art de la nature
avant d'avoir étudié la structure des parties. On voit, là où
nous fléchissons le carpe, deux aponévroses provenant des
muscles et superposées : la plus grande est placée profondé­
ment, c'est-à-dire sur les os ; la plus petite est superficielle.
L'aponévrose la plus grande, celle qui est profonde, est divisée
en cinq tendons ; la plus petite, celle qui est superficielle, se
divise en quatre, car elle ne fournit aucun prolongement au
pouce ; tous les tendons se portant alors en ligne droite aux
doigts, les plus petits sont placés sur les plus grands, et
chacune des quatre paires est protégée dans tout son trajet par
Livre I - De la main 37

une forte membrane. Lorsqu'ils sont arrivés aux premières


articulations des doigts, chacun des tendons profonds s'aplatit
et fléchit la tête de la première phalange au moyen du ligament
membraneux qui l'environne, puis chaque paire continue sa
route primitive vers l'extrémité des doigts, également sous­
jacents aux autres tendons comme à leur origine, et également
protégés par des membranes (gaines). Lorsqu'ils sont arrivés
au niveau de la seconde articulation, le tendon supérieur
s'étant à son tour bifurqué contourne par ses bifurcations
élargies le tendon sous-jacent, vient se fixer sur les parties
[latérales] internes de la tête de la deuxième phalange. De là le
tendon sous-jacent s'avance seul vers la troisième articulation,
s'insère sur la tête du troisième et dernier os du doigt. Chaque
articulation des doigts est fléchie à l'aide des insertions dont
j'ai parlé, et étendue par les tendons externes du carpe ; bien
qu'ils soient beaucoup plus petits que les tendons internes,
nous les reconnaissons même sans dissection, parce qu'ils
sont nus, saillants et recouverts seulement par des membranes
et par une peau mince, tandis que les tendons internes sont
recouverts par une chair assez épaisse faite pour l'utilité que
nous avons indiquée plus haut (chap. xm). Ainsi parmi les
tendons internes qui fléchissent les doigts, ceux qui marchent
profondément (fléch. prof.) , mettent en mouvement la pre­
mière et la troisième articulation de chaque doigt, parce que
ces articulations sont plus importantes pour les fonctions des
doigts que celle du milieu, et parce que la grandeur de ces
tendons leur permettait de servir deux articulations. C'est
pour des motifs analogues que les petits tendons {fléch.
super{.) sont insérés sur une seule articulation, celle du milieu,
attendu que leur volume ne leur permettait pas de se distri­
buer à deux articulations, et que si les deux autres mouve­
ments sont intacts, tandis que celui de la seconde est aboli,
l'articulation du milieu est entraînée par les deux articulations
extrêmes. Il a été dit que cette articulation moyenne était la
moins importante des trois ; en effet, nous ne pouvons fléchir
cette articulation sans entraîner les deux autres placées de
chaque côté, et quand celles-ci sont fléchies, il est impossible
que l'autre ne le soit pas. De sorte que si le tendon qui meut
38 De l'utilité des parties du corps humain

l'articulation du milieu est lésé et que l'autre soit sain, le


mouvement n'en est pas moins en partie conservé à l'articula­
tion du milieu; mais si l'autre tendon est lésé, le mouvement
de la première et de la troisième phalange est perdu, même
quand le tendon de la phalange du milieu est intact. Il est donc
évident que cette espèce moins importante de tendons a été à
bon droit placée superficiellement. Ainsi le nombre, la gran­
deur, la position, la division et l'insertion des tendons sont
pour le mieux.

CHAPITRE xvm. - De l'utilité de la distribution des nerls dans


la chair de la main. - Avantages qui résultent de la disposition
des tendons chargés de mouvoir les doigts. - Antagonisme des
mouvements directs de flexion et d'extension, et des deux espèces de
mouvements latéraux.

CHAPITRE XIX . - De l'utilité du mouvement latéral des doigts, eu


égard au mouvement d'opposition du pouce. - Résumé des proposi­
tions fondamentales sur les mouvements des muscles; exemple tiré du
mouvement d'un vaisseau. - Comment on doit mesurer l'étendue d'un
mouvement.

CHAPITRE xx. - Des mouvements du pouce ; en quoi ils diffèrent de


ceux des autres doigts.

CHAPITRE XXI . - Que les tendons ont été faits tels qu'ils sont anté­
rieurement aux fonctions, contre les sectateurs d'Épicure et d'Asclé­
piade (cf. VI, XIII). - Que les insertions tendineuses doivent différer
dans le pouce et, dans les autres doigts, rester les mêmes.

Maintenant il importe de ne pas passer sous silence ce que


disent, en discutant sur ce sujet, quelques-uns de ceux qui
embrassent les opinions d'Épicure, le philosophe, et d'Asclé­
piade, le médecin, mais d'examiner avec soin leurs discours et
de montrer en quoi il se trompent. Suivant ces auteurs, ce n'est
pas parce que les tendons sont épais que les fonctions sont
Livre I - De la main 39

énergiques, ni parce qu'ils sont grêles que les fonctions sont


faibles ; mais elles deviennent forcément de telle ou telle façon
par les usages qu'elles remplissent dans la vie, et le volume des
tendons est une conséquence nécessaire de la quantité du
mouvement : quand on s'exerce, ils sont mieux nourris et se
développent, comme cela est naturel ; quand on mène une vie
oisive, ils s'atrophient et deviennent grêles. Ce n'est pas parce
qu'il était meilleur que des fonctions énergiques fussent rem­
plies par les tendons forts et épais, et que des fonctions faibles
le fussent par des tendons grêles et peu robustes, que les
tendons ont été construits tels qu'ils sont par la nature (autre­
ment les singes n'auraient pas les doigts tels qu'ils les ont) 1 ;
mais, comme il a été dit avant, l'épaisseur est une suite
nécessaire de l'exercice, parce que les parties sont bien nour­
ries ; la gracilité est une suite du repos, parce que les parties
sont mal nourries. Mais, ô hommes admirables ! nous vous
répondrons : il fallait puisque vous entrepreniez de démontrer
que le volume des tendons ne tenait ni à l'art, ni à l'absence
d'art, parler de la même manière, sur leur nombre, leur
situation, leurs insertions, et ensuite considérer un peu l'âge,
et, de plus encore, ne pas affirmer avec tant de hardiesse, à
propos des singes, des choses que vous ne connaissez pas du
tout ; car vous trouvez non seulement les tendons forts, mais
doubles pour chacune des fonctions énergiques. Aux diffé­
rents âges, nous ne trouvons aucune différence pour le
nombre ; au contraire, chez les enfants nouveau-nés, et même
chez le fœtus, bien qu'ils ne remplissent aucune fonction à
l'aide de ces tendons, on trouve doubles les tendons qui
doivent être doubles, et volumineux ceux qui doivent être
volumineux, à moins que vous ne pensiez que les parties
deviennent doubles chez ceux qui s'exercent et que la moitié
disparaît chez ceux qui sont oisifs. S'il en est ainsi ceux qui se
fatiguent beaucoup auront sans doute quatre pieds et quatre
mains, tandis que ceux qui gardent le repos n'auront qu'un
1. Cette parenthèse que Galien met dans la bouche de ses adversaires est fort
obscure, et les passages de ce chapitre et du chapitre suivant, où Galien
lui-même parle des singes, comme pour réfuter indirectement cette parenthèse,
ne la rendent guère plus claire.
40 De l 'utilité des parties du corps humain

pied et qu'une main ! Ou plutôt cela n'est-il pas un grand


bavardage de gens qui ne cherchent pas la vérité, mais qui
s'efforcent, au contraire, de voiler et de cacher les belles
découvertes qu'on a pu faire ? Comment vous expliquez-vous
en effet cette particularité : les doigts des deux mains réunies
offrent trente articulations, chaque articulation a des inser­
tions et des applications de tendons sur ses quatre faces, ainsi
qu'il a été dit, tandis que, seule, parmi toutes les articulations
des doigts, la première articulation du pouce (métacarpo­
carpienne des modernes) n'a d'insertion tendineuse que sur les
côtés et à l'extérieur, mais aucune interne ? Or, si on supputait
le nombre total des insertions tendineuses, on en trouverait
cent vingt ; cela résulte, en effet, de ce qu'il y a trente articula­
tions et, pour chacune, quatre insertions ; mais comme une
insertion manque à chaque pouce, il reste cent dix-huit. Par les
Dieux, puisque vous n'avez rien à reprendre dans la produc­
tion d'un aussi grand nombre de tendons, ni leur volume, ni
leur lieu et leur mode d'implantation, tandis que vous trouvez
une analogie admirable [pour chaque doigt] dans toutes ces
insertions, une seule insertion faisant défaut pour le pouce, et
cela non sans raison, puisque nous n'en avions pas besoin;
comment, dis-je, soutenez-vous que toutes ces choses ont été
faites au hasard et sans art ? Certes, si nous eussions fléchi
cette articulation du pouce comme les autres, je sais que vous
eussiez amèrement et vivement blâmé la nature d'avoir fait un
travail inutile, en créant un mouvement qui ne sert à rien et un
tendon superflu. Eh bien, puisqu'elle a pourvu de toute façon
cent dix-huit régions qui avaient besoin de tendons et qu'elle a
laissé vide aux deux pouces une seule place qui n'en avait pas
besoin, comment ne l'admirerez-vous pas ? Il eût été beaucoup
mieux d'être plus prêt à louer ce qui est bien, qu'à blâmer ce
qui est mal, si vous ne pouviez pas nous faire part de la grande
utilité qu'il y aurait à une flexion exagérée de la première
articulation du pouce ; car c'est seulement dans ce cas, c'est-à­
dire si vous montriez qu'un mouvement utile a été oublié, que
vous pourriez accuser la nature d'impéritie ; mais vous n'en
avez pas un exemple à alléguer. En effet, quand nous portons
la flexion des quatre doigts à son extrême limite, ainsi que
Livre I - De la main 41

nous avons dit plus haut (chap. XVII), nous avons besoin dans
toutes ces fonctions, de deux mouvements du pouce, un pour
combler, en quelque sorte, l'espace vide qui existe vers l'indi­
cateur, l'autre, lorsque nous plaçons le pouce sur les autres, les
serrant et les comprimant vers le dedans de la main
(chap. XXIII). Le premier de ces mouvements est sous la dépen­
dance de l'un des deux tendons qui opèrent les mouvements
obliques du pouce (long extenseur) ; le second est accompli par
celui qui peut fléchir la deuxième articulation et que nous
avons dit provenir de la tête commune des tendons des -flé­
chisseurs (profonds) des doigts, et s'insérer à la partie interne
du deuxième os du pouce. Ce qui a déjà été dit (cf. I, XVII) et la
suite de ce discours (II, III-IV) dévoilent la structure de ce
tendon et aussi celle de tous les autres.
CHAPITRE xxn. - De l'utilité du pouce ; origine de son nom (anti­
main, avi:ixE1p). - Comparaison du pouce chez l'homme et chez le
singe. - Ce chapitre est encore dirigé contre Épicure et Asclépiade.

CHAPITRE xxm. - De l'utilité du nombre des doigts.

CHAPITRE xx1v . - De l'utilité de l'inégalité des doigts. - Comparai­


son des doigts avec les rames des trirèmes.

CHAPITRE xxv . - Sommaire des livres suivants.


LIVRE DEUXIÈME

D E L A MAIN, D E L ' AVANT -B RA S


E T D U B RA S

CHAPITRE 1 er_ - Récapitulation d u premier livre; indication des


sujets qui seront traités dans le second.

CHAPITRE II . - Du nombre des muscles qui meuvent les doigts; des


fonctions de chaque groupe. - Dénomination des différentes parties
du bras.

CHA PITRE I I I . - Des muscles qui constituent le thénar et l'hypo­


thénar. - Énumération des sept muscles qui opèrent les mouvements
latéraux des doigts. - Utilité du nombre, de la disposition et de la
situation des muscles fléchisseurs des doigts. Du muscle palmaire, mal
décrit par les anatomistes qui avaient précédé Galien. - Autres erreurs
des mêmes anatomistes. - Qu'il ne faut pas se fier à leurs livres, mais
seulement aux dissections.

CHAPITRE I V . - Situation du muscle palmaire grêle, imparfaitement


connu par les autres anatomistes. - Des muscles de l'avant-bras qui
meuvent les doigts et le poignet. - Utilité comparative de la supination
et de la pronation. - Des muscles qui meuvent le poignet. - Des quatre
mouvements de l'avant-bras, et par combien de muscles ils sont
exercés.

CHAPITRE v. - Dénombrement des muscles situés à l'avant-bras et


destinés à la main.

CHAPITRE VI . - Du muscle palmaire grêle et des peauciers en général.


Livre II • De la main, de l 'avant-bras et du bras 43

Pourquoi quelques-uns de ces derniers sont munis d'un tendon. - La


main est à la fois un instrument de préhension et un organe du
toucher; dispositions anatomiques qui en sont la conséquence; avan­
tages de cette réunion de fonctions. - L'expansion tendineuse du
palmaire grêle donne à la main la condition nécessaire pour être un
organe du toucher.

CHAPITRE V I I . - Des muscles obliques qui meuvent le radius; pour­


quoi trois ont-ils été faits sans tendons (pronateurs et court supinateur)
et un quatrième (long supinateur) avec un tendon. - Description de
chacun de ces muscles; de l'artifice de la nature dans leur disposition.
- Les parties importantes sont toujours profondes, celles qui le sont
moins sont superficielles. - Que la dissection, en faisant connaître la
structure des parties, révèle l'art admirable de la nature, et nous
instruit en même temps sur l'utilité de ces parties.

CHAPITRE v11 1 . - Du carpe et du métacarpe; artifice de la nature


dans le nombre, la forme, la situation et la disposition des os qui
composent ces parties. - De l'union du carpe avec le métacarpe, et de
l'un et de l'autre avec l'avant-bras. - Des mouvements du carpe et du
métacarpe; rapports de ces mouvements avec ceux de la main. -
Utilité de la multiplicité des os du carpe et du métacarpe. - Cf.
chap. IX.

CHAPITRE IX . - Du nombre des os au carpe et au métacarpe. -


Comparaison du pied et de la main sous le rapport de la position des
doigts. - Nécessité de la position latérale du pouce, pour assurer les
opérations de la main; il devait être placé du côté de l'indicateur, et
non du côté du petit doigt.

CHAPITRE x . - Utilité du nombre huit pour les os du carpe et du


nombre quatre pour le métacarpe. - Raisons de la différence dans le
mode de fonctions de la rangée carpo-cubitale et de la rangée carpo­
métacarpienne tirées des mouvements et de la disposition de l'avant-
bras, du métacarpe et des doigts.

CHAPITRE XI . - De la forme des apophyses et des épiphyses en


44 De l'utilité des parties du corps humain

général; de celles de l'articulation brachio-carpienne en particulier. -


Décomposition de l'articulation du carpe en deux parties; usage de
chacune de ces deux parties dans les mouvements de la main. - Que la
nature a mis à profit la forme des éminences osseuses pour la
protection des muscles des doigts.

CHAPITRE X I I . -Du huitième os du carpe (pisiforme); de l'artifice


dont la nature a usé en le formant et en lui assignant la place qu'il
occupe. De la disposition de l'os pisiforme et des tendons qui y sont
attachés. - Du mode d'insertion des deux autres tendons qui meuvent
le carpe.

CHAPITRE x11 1 . - De la position du radius et du cubitus; que l'espèce


d'obliquité du radius est en rapport avec les mouvements de prona­
tion. - Raison des diverses dispositions du radius par rapport au
cubitus, et de la forme respective de ces deux os.

CHAPITRE XIV . - Situation et forme des deux apophyses du cubitus;


figure sigmoïde qui en résulte. - Nom commun de ces apophyses;
nom particulier de la grande.

CHAPITRE x v . - Des cavités (bathmides. - Cavités coronoïde et olé­


cranienne) situées aux faces dorsale et palmaire de l'extrémité infé­
rieure de l'humérus, et des couronnes (apophyse coronoiâe et olécrane)
du cubitus; rapport de ces cavités avec les couronnes. - Utilité de la
disposition et de la forme des bathmides et des couronnes, pour les
mouverr.ents d'extension et de flexion, et les autres fonctions de
l'avant-bras. - Inconvénients qui résulteraient des dispositions
contraires. - Utilité de la tête interne et de la tête externe de l'humérus.
- Des ligaments du coude.

CHAPITRE xv1. - Utilité de la forme de l'humérus. - Usage des chairs


dont il est revêtu; les anatomistes n'ont pas traité de cet usage.
- Heureuse disposition des muscles du bras. Ils servent à la fois aux
mouvements du membre et à la protection de l'humérus; ignorance
fâcheuse des médecins à cet égard; ils ne peuvent connaître l'utilité
d'une partie dont ils ignorent la fonction et la position. - Rapports des
Livre II - De la main, de l'avant-bras et du bras 45
deux masses musculaires du bras, externes et internes. - Proportion
exacte entre le volume des muscles et celui des os.

CHA PITRE XVI I . - Pourquoi un os au bras et deux à l'avant-bras ? -


Prévoyance de la nature dans la structure des articulations (cf. I, xv;
II, vrn, et XII, v). - Structure différente des articulations, eu égard à la
variété ou à la solidité des mouvements; laquelle de ces deux condi­
tions prédomine dans les articulations de l'épaule, du coude, du carpe
et des doigts. - Dispositions particulières prises par la nature pour les
articulations du coude, du carpe et des phalanges.

CHAPITRE XVIII . - Pourquoi les mouvements du carpe sont-ils très


bornés, et pourquoi ceux du bras sont-ils très étendus ? - De l'apo­
physe du cubitus appelée styloiâe. De sa jonction avec le petit os du
carpe qui correspond à l'auriculaire.

CHAPITRE XIX . - Récapitulation du ne livre. Il sera traité des


artères, des veines et des nerfs du bras, à propos des parties
communes à tout le corps. - Pourquoi il faut réserver pour la fin de
l'ouvrage ce qui regarde la grandeur et la situation du bras. - Il sera
question des muscles de l'épaule dans le XIIIe livre.
LIVR E TRO I S I È M E

DU M E M B RE A B D O M INAL E T DE
SES DIVE R S E S PARTIES

CHAPITRE 1 er. - L'homme n e saurait avoir n i quatre Jambes comme


les animaux, ni quatre jambes et deux bras comme les Centaures, tels
que les poètes, et en particulier Pindare, nous les représentent. -Un tel
assemblage serait contraire aux lois de la physiologie, et produirait un
monstre inhabile à l'exercice de tous les arts.

CHAPITRE II . - Inutilité des mains pour les animaux, et, par


conséquent, inutilité pour eux de la station bipède. - Inconvénients et
dangers qui résulteraient pour les animaux, de n'avoir que deux
jambes et point de membres de devant. -De la forme et du nombre des
jambes chez les animaux suivant leur naturel, le volume de leur corps
et les fonctions qu'ils ont à remplir. - Chez les quadrupèdes, les
jambes de devant, outre qu'elles servent à protéger la poitrine et le
ventre, sont utiles pour la rapidité de la marche, et de plus, chez les
carnivores, pour saisir la proie et porter la nourriture à la bouche. -
Chez l'homme seul, les jambes continuent la direction du rachis en
ligne droite ; chez les animaux, elles sont unies avec lui à angle droit.

CHAPITRE I I I . - La position assise n'est possible qu'à la condition de


pouvoir fléchir d'arrière en avant la cuisse sur le bassin, et d'avant en
arrière la jambe sur la cuisse; mais cette possibilité manque aux
animaux; aussi les uns rampent, et les autres sont plus ou moins
inclinés vers la terre. - L'homme s'assied et se tient debout non pas
seulement dans le but de pouvoir regarder le ciel, mais pour être en
mesure de se servir des mains dans l'exercice des arts. - Le vulgaire se
trompe étrangement à cet égard et ne comprend pas le sens des
paroles de Platon. C'est pour Galien une nouvelle raison d'écrire Sur
l'utilité des parties.
Livre III - Du membre abdominal 47

CHAPITRE I V . - L'auteur se propose de démontrer que la jambe,


dans son ensemble et dans les diverses parties qui la constituent, est
parfaitement appropriée à un être raisonnable bipède. - Comparaison
de la jambe de l'homme avec celle du cheval; avantages qui résultent
de leur structure respective. Comme il était impossible de réunir ces
avantages, il a fallu choisir pour l'homme ceux qui sont le plus en
rapport avec sa nature et les fonctions qu'il doit remplir.

CHAPITRE v . - Définition de la marche et de la course; du rôle qu'y


jouent le pied et la jambe : le premier sert à la sustentation, la seconde
à la progression. - L' ablation soit des orteils, soit du métatarse ou du
tarse, établit la nécessité de la conformation actuelle du pied. -
Comparaison du pied et de la main sous le rapport de la variété des
articulations et de la faculté de se modeler sur les corps. - Supériorité
sous ce rapport de la jambe de l'homme sur celles des animaux, pour
marcher sur les terrains inégaux et pour monter aux échelles. - En
résumé, le pied offre la structure la meilleure pour la sustentation, la
marche et l'ascension.

CHAPITRE VI . - Principes qui doivent servir à comprendre la struc­


ture du pied; comme il est à la fois un organe de préhension et un
organe de sustentation, la structure doit réunir les deux conditions de
cette double action, sans que les dispositions qui y concourent soient
poussées à l'extrême. - Comparaison du pied et de la main. - Galien
distingue l'astragale, le calcanéum et le scaphoïde des autres os du
tarse.

CHAPITRE VII. - Galien se propose d'étudier chacune des parties qui


entrent dans la composition du pied, considéré comme organe de la
marche, et de démontrer qu'elles ne pouvaient être mieux construites.
- De la longueur des orteils comparée à celle des doigts. - Différence
d'épaisseur des diverses parties du pied. - Utilité de cette différence. -
Structure particulière du calcanéum et des autres os du tarse en
rapport avec cette disposition.

CHAPITRE VII I . - De la figure et de la situation des os de tarse, du


métatarse et des orteils. - Comparaison du gros orteil avec le pouce. -
48 De l'utilité des parties du corps humain
Galien qui avait assimilé le premier métacarpien à une phalange (cf. I,
XIV) range le premier métatarsien parmi les métatarsiens des autres
doigts. - Discussion contre Eudème qui ne regardait ni le premier
métatarsien, ni le premier métacarpien comme des phalanges. -
Comparaison du tarse et du carpe. - Mode d'articulation des os du
tarse. - Du volume du calcanéum, de son mode d'articulation avec les
autres os ; de sa consistance. - De la voûte plantaire et de son utilité. -
Comparaison du pied du singe avec celui de l'homme.

CHAPITRE IX . - Du fémur, de sa direction et de son mode d'articula­


tion avec l'ischion. - Des bancals et des cagneux. - L'écartement du
fémur est destiné à fournir une place convenable aux vaisseaux, aux
nerfs et aux autres parties qui se trouvent à l'aine ; cet écartement
garantit aussi la solidité de la marche et de la station droite ou assise. -
Exemple tiré de ceux qui ont les jambes arquées. - Récapitulation.

CHAPITRE x . - Galien se propose de traiter des muscles de la jambe;


il les comparera rapidement à ceux du bras, et s'arrêtera plus longue­
ment sur les dispositions propres aux jambes. - Nouvelles preuves de
l'artifice de la nature. - Différences générales que les muscles de la
jambe et du pied présentent avec ceux de l'avant-bras et de la main. -
Dénombrement et brève description des muscles de la jambe et du
pied. - Hymne en l'honneur du Créateur, qui excelle dans la construc­
tion de toutes les parties du corps, comme dans celle de toutes les
parties du monde.

[ ...]
Ne demandez donc plus pourquoi le muscle qui s'étend le
long du péroné et qui exécute le mouvement externe du pied se
porte de bas en haut ainsi que le muscle attaché au tibia et qui
opère le mouvement interne. Ces muscles devaient être placés
dans le sens des mouvements qu'ils exécutent. - Ne demandez
pas pourquoi le muscle externe est petit, ni pourquoi le muscle
qui s'étend à la partie interne de la jambe est beaucoup plus
grand. La nature, juste en tout, a mesuré leur grandeur à
l'utilité de la fonction que chacun d'eux devait remplir. Ne
demandez pas non plus pourquoi un tendon du muscle du
péroné s'insère aux parties externes du petit doigt, et un autre
tendon de celui du tibia, plus grand que l'autre du double, se
Livre III - Du membre abdominal 49

fixe au gros orteil. Une imagination trop vive vous porterait


peut-être à croire que ceci est particulier aux pieds et tout à
fait contraire à ce qui existe dans les mains. Mais si l'on
réfléchit avec attention sur ce sujet, on trouvera que là aussi le
pied a la plus grande analogie avec la main. À propos des
mains nous disions (cf. II, m) que le petit doigt et le pouce ont
un mouvement de plus que les autres doigts. Il fallait donc
aussi que cette distinction se rencontrât dans les pieds. S'ils
n'avaient pas été avantagés des mouvements dont nous par­
lons ici, ces doigts n'ayant rien de plus que les autres ne
jouiraient que de quatre mouvements, comme leurs voisins, en
sorte qu'ils ne s'écarteraient pas fortement des autres, facultés
réservées à eux seuls, et que le pouce, au lieu d'être pourvu de
deux mouvements obliques qui tirent leur principe d'en haut,
n'aurait que le mouvement d'extension qui est commun aux
autres. Ainsi en cela encore l'analogie entre les doigts du pied
et ceux de la main est conservée tout entière. Il n'est pas
nécessaire de dire que l'analogie s'étend aux ongles, et que les
pieds en sont doués en leur qualité d'organes de préhension.
Mais tandis qu'elle a disposé équitablement toutes les
choses dont nous venons de parler, celles qui devaient être
analogues dans le pied et dans la main, et celles qui devaient
être différentes, la nature aurait-elle, négligeant la structure
de la peau, revêtu la plante du pied d'une peau à peine
sensible, lâche et molle (cf. II, VI et XI, xv) ? Fussiez-vous de ces
gens qui, dans leur ignorance des œuvres de la nature, la
taxent d'inhabileté, pour peu que vous fassiez attention à cette
partie du pied en la disséquant, je pense que vous rougirez de
honte, que vous confesserez votre erreur, que vous reviendrez
à un esprit meilleur, enfin que vous vous laisserez gagner à
l'opinion d'Hippocrate qui partout célèbre la justice de la
nature et sa prévoyance à l'égard des animaux (cf. I, XXII) .
Est-il superflu, selon vous, que la peau de la plante des pieds,
comme celle de la paume des mains, soit unie aux parties
sous-jacentes, ou bien ignorez-vous absolument qu'elle est si
intimement attachée aux tendons sous-jacents qu'elle ne peut
s'écorcher comme le reste de la peau de tout l'animal ? Mais si
vous le savez, trouveriez-vous mieux que la plante du pied fût
50 De l'utilité des parties du corps humain

recouverte d'une peau lâche et glissant aisément? Si vous dites


qu'il en eût été mieux ainsi, je dois croire qu'à une chaussure
serrée de toutes parts et collée exactement à votre pied vous
préférez une chaussure lâche et cédant de tous côtés, de telle
sorte qu'étendant à tout votre habileté vous n'hésitiez pas
même à élever la voix contre les choses reconnues évidentes
par tout le monde ; ou bien si vous accordez que la chaussure
qu'on adapte au pied doit le presser de toutes parts, pour bien
remplir son usage, nierez-vous que la chaussure naturelle
doive bien plus encore le serrer et le presser fermement, en
s'unissant exactement aux parties sur lesquelles elle repose ?
Ce serait un second Coroebus 1 celui qui, non content de ne pas
admirer les œuvres si belles de la nature, oserait encore les
dénigrer.
Pour vous qui lisez ces écrits, le moment en est venu,
examinez si vous voulez prendre place à côté de Platon,
d'Hippocrate et de tous ceux qui admirent les œuvres de la
nature, ou si vous vous rangez avec ceux qui la blâment de
n'avoir pas fait des pieds la voie par où s'échappent les
excréments. Combien devait-il être énervé et corrompu par les
voluptés celui qui osa me dire qu'il était bien pénible de se
lever de son lit pour aller à la selle, et qu'il eût mieux valu que
l'homme fût construit de façon qu'en tendant seulement le
pied il se déchargeât par cette voie de ses excréments. Quels
doivent être, pensez-vous, les dérèglements infâmes qu'un tel
homme se permet dans son intérieur, son insolence contre
tous les conduits excréteurs du corps, la dépravation, la cor­
ruption des plus belles facultés de son esprit, puisqu'il appau­
vrit et obscurcit cette puissance divine qui seule permet à
l'homme de contempler la vérité, et qu'il accroît, fortifie et
rend insatiable ce désir de volupté contre nature, puissance
abrutissante et détestable qui exerce sur lui sa tyrannie
farouche ?
Si je m'arrêtais plus longtemps à parler de telles brutes,
j'encourrais peut-être les justes reproches des hommes sen-
t. Coroebus, mis en scène par le poète Euphorion pour sa stupidité, est
devenu un type de bêtise, ainsi qu'on le voit par Virgile (Aen., Il, v, 341), et par
Lucien (Amor., § 53).
Livre III - Du membre abdominal 51

sés ; ils m'accuseraient de profaner le discours sacré que je


consacre comme un hymne sincère au Créateur des hommes.
Je pense que la piété véritable consiste non à immoler des
hécatombes sans nombre, non à brûler mille encens, mille
parfums ; mais à connaître d'abord et ensuite à apprendre à
mes semblables combien grande est la sagesse, la puissance et
la bonté du Créateur ' . S'il a donné, autant que possible, à
chaque être sa parure appropriée, si rien n'échappe à ses
bienfaits, je déclare que c'est la marque d'une bonté achevée :
qu'il soit donc par nous célébré comme bon ! S'il a su trouver
en tout les dispositions les plus parfaites, c'est le comble de la
sagesse ! S'il a fait tout comme il l'a voulu, c'est la preuve d'une
puissance invincible.
Si donc vous admirez le bel ordre qui règne dans le soleil,
dans la lune et dans le cortège des astres; si vous contemplez
avec étonnement leur grandeur, leur beauté, leur mouvement
éternel, leur retour périodique, n'allez pas, en comparant les
choses de ce monde, les trouver mesquines ou mal ordonnées.
Ici même vous rencontrerez une sagesse, une puissance, une
prévoyance égales. Examinez bien la matière, principe de
chaque chose, et ne vous imaginez pas que du sang menstruel
ou du sperme puisse donner naissance à un être immortel,
impassible, agité d'un mouvement perpétuel, aussi brillant,
aussi beau que le soleil; mais comme vous jugez l'habileté
d'un Phidias, pesez aussi l'art du Créateur de toutes ces
choses. Peut-être ce qui vous frappe de surprise dans le Jupiter
olympien, c'est l'ornement extérieur, l'ivoire brillant, la masse
d'or, la grandeur de toute la statue ? Si vous voyiez la même
statue en argile, peut-être passeriez-vous avec un regard de
dédain? Mais pour l'artiste, pour l'homme qui connaît le
1. Galien entend cette reconnaissance de l'ordre finalisé de la nature comme
un hymne aux Dieux ; Leibniz prétendra, lui, chanter un hymne à Galien pour
cette reconnaissance de la finalité et de l'harmonie préétablie du monde :
• Cependant ceux qui entrent dans le détail des machines naturelles, ont besoin
d'une grande prévention pour résister aux attraits de leur beauté, et Galien
même ayant connu quelque chose de l'usage des parties des animaux, en fut
tellement ravi d'admiration, qu'il crut que de les expliquer, était autant que de
chanter des hymnes à l'honneur de la divinité. [... ] Et j'ai souvent souhaité qu'un
habile médecin entreprît de faire un ouvrage exprès, dont le titre ou du moins le
but pourrait être Hymnus Galeni » (Leibniz, Tentamen Anagogicum).
52 De l'utilité des parties du corps humain

mérite des œuvres d'art, il louera également Phidias, sa statue


fût-elle de bois vil, de pierre commune, de cire ou de boue. Ce
qui frappe l'ignorant, c'est la beauté de la matière ; l'artiste
admire la beauté de l'œuvre 1 •
Eh bien, instruisez-vous dans les merveilles de la nature,
afin que nous vous traitions, non plus d'ignorant, mais
d'homme instruit dans les choses de la nature. Faites abstrac­
tion de la différence des matières, considérez l'art nu; quand
vous examinez la structure de l' œil, songez que c'est l'organe
de la vision ; quand vous examinez le pied, que c'est l'organe de
la marche. Si vous voulez avoir des yeux faits de la substance
du soleil, et des pieds d'or pur, non de chair et d'os, vous
oubliez quelle matière les constitue. Considérez si cette sub­
stance est une lumière céleste ou un terrestre limon, car vous
me permettrez de donner ce nom au sang de la mère qui
pénètre dans l'utérus. Si vous avez donné de l'argile à Phidias,
vous ne lui réclamerez pas une statue d'ivoire. De même avec
du sang vous n'obtiendrez jamais un soleil, une lune ou ce
corps brillant et beau dont ils sont faits (éther). Ce sont des
corps divins et célestes, nous ne sommes, nous, que des statues
de limon. L'art du Créateur est égal de part et d'autre.
Le pied est une partie de l'animal, petite et abjecte : qui le
nie ? Le soleil est grand ; c'est le plus beau des corps de
l'univers : nous ne l'ignorons pas. Mais considérez quelle était
la place nécessaire du soleil dans l'univers, celle du pied dans
l'animal. Dans l'univers, le soleil devait tenir le milieu entre les
planètes ; dans l'animal, le pied devait occuper la partie infé­
rieure. Quelle en est la raison évidente ? Attribuez en esprit
une autre place et voyez ce qui en résulterait. Si vous abaissez
le soleil à l'endroit où est la lune, vous brûlerez tout sur la
terre ; si vous l'élevez à la région de l'éther où se trouvent
Pyrocis (Mars) et Phaéthon (Jupiter), le froid rendra inhabi­
tables tous les pays du monde. Si le soleil est aussi grand et tel
que nous le voyons, il le doit à sa nature intime ; mais cette
place qu'il occupe dans le monde, c'est l'œuvre de l'Ordonna-

1. Voir aussi sur la perfection de structure des moindres animaux la fin du


chap. 1 du livre XVII de !'Utilité des parties (p. 324).
Livre Ill - Du membre abdominal 53

teur. Pour un corps de telle nature et si vaste, vous ne trouve­


rez pas une place meilleure dans tout l'univers. Pour le pied
non plus vous ne pouvez trouver dans le corps une place
préférable à celle qu'il occupe. La position du pied et du soleil
dénote une égale habileté. Ce n'est pas sans dessein que je
compare l'astre le plus brillant à la partie du corps la plus
abjecte. Qu'y a-t-il de plus vil que le calcanéum ? Rien. Cepen­
dant nulle part ailleurs il ne serait mieux placé. Qu'y a-t-il de
plus noble que le soleil ? Rien. Dans tout l'univers il ne saurait
être placé plus convenablement. L'univers est ce qu'il y a de
plus grand et de plus beau. Qui le nie ? L'animal est comme un
petit univers, au dire des anciens, instruits des merveilles de la
nature. Vous trouverez donc la science du Créateur égale dans
ces deux œuvres.
Montrez-moi donc, direz-vous, le soleil dans le corps de
l'animal ? Quel est ce langage ? Exigerez-vous qu'un peu de
sang et de boue si corruptibles constitue l'essence du soleil ?
Vous êtes fou, malheureux ! Voici l'impiété véritable ! elle ne
consiste pas à s'abstenir d'offrandes et de sacrifices. Je ne vous
montrerai pas le soleil dans le corps de l'animal ; mais je vous
montrerai l'œil, l'organe le plus brillant, le plus semblable au
soleil qu'on puisse trouver dans une partie de l' animal. Je dirai
sa position, sa grandeur, sa forme, tout ce qui le concerne, et je
montrerai que toutes choses dans l' œil sont si bien établies
qu'elles n'auraient pu l'être mieux d'une autre façon. Ce sujet
viendra plus tard (livre X).

CHAPITRE X I . - Le pied et le cerveau sont aussi bien construits l'un


que l'autre, eu égard à la fonction qu'ils ont à remplir. - Que la peau
du pied est, comme celle de la main, mais à un moindre degré, douée
de sensibilité.

CHAPITRE xn. - De la disposition de la peau à la plante des pieds;


elle offre un degré moyen de mollesse et de dureté.

C HAPITRE XIII . - Du tibia et du péroné. - De la triple utilité du


54 De l 'utilité des parties du corps humain
péroné. - Réfutation de ceux qui prétendent que la jambe n'a aucun
besoin absolu du péroné, et que le tibia seul disposé autrement qu'il ne
l'est actuellement pouvait suffire. - Entre les conditions qui assurent
la solidité et la facilité des mouvements, la nature, dans un organe de
mouvement, a dû donner la préférence aux secondes, tout en tenant
compte des premières. La grosseur démesurée du tibia assurait la
solidité, mais nuisait aux mouvements ; en conséquence, cet os a été
fait assez gros pour supporter le fémur, mais pas assez pour gêner la
marche, et le péroné lui a été adjoint pour élargir et assurer la base de
sustentation.

CHAPITRE XIV . - Suite du même sujet. - Preuves tirées de diverses


affections de la jambe, et qui servent à démontrer que la jambe est par
rapport à la cuisse dans les meilleures proportions. -Différences entre
le péroné et le radius. - Que le membre inférieur n'a ni trop, ni trop
peu d'articulations.

CHAPITRE xv. - De l'articulation du genou. - De la rotule. - Utilité


de cet os démontrée par l'exemple d'un jeune athlète qui éprouva une
luxation de la rotule sur le devant du fémur. -Réflexions générales sur
la structure des articulations. - Comparaison du genou et du coude. -
Que l'appareil ligamenteux du genou est en harmonie parfaite avec les
mouvements à exécuter par cette partie.

CHAPITRE xv1. - Division en trois groupes et énumération des


muscles de la cuisse chargés des mouvements de l'articulation du
genou. Que la plus grande puissance d'action réside dans les exten­
seurs de la jambe, ce qui est précisément le contraire pour le bras. -
Conséquences qui en résultent pour l'antagonisme des muscles de la
cuisse qui meuvent la jambe. - Nouvelles déclamations contre ceux
qui méconnaissent ou attaquent la nature. - Galien établit, en suppo­
sant diverses dispositions différentes de celles qui existent, qu'on ne
saurait en trouver de meilleures que celles qui ont été prises par la
nature. - Comparaison des insertions musculaires chez le singe et
chez l'homme.
LIVR E QUATRIÈM E

D E S O R GANE S ALIM ENTAIRES


ET D E L E U R S AN NEXES

CHAPITRE 1 er_ - Galien commence l'énumération des diverses par­


ties du canal intestinal et compare l'estomac d'abord à un grenier
d'abondance, puis à un homme intelligent qui sépare le bon grain du
mauvais.

Comme les diverses parties de l'animal doivent nécessaire­


ment être nounies, et qu'il n'existe qu'une voie, la bouche,
pour l'introduction des aliments dans le corps, c'est avec
raison que la nature a étendu à partir de cette cavité des routes
nombreuses, dont les unes sont, pour ainsi dire, des chemins
larges et communs de tous les aliments (canal intest.), et les
autres d'étroits sentiers (vaisseaux) qui apportent la nouni­
ture à chacune des parties.
La route commune la plus grande et la première conduit de
la bouche à l'estomac (yam:tjp), lequel est comme le grenier
général de toutes les parties, et situé au centre de l'animal. Le
nom particulier de ce conduit est œsophage (oioocpayoc;), son
nom commun est canal étroit (01:ôµaxoc;), car c'est la dénomi­
nation ordinaire d'un col étroit placé comme un isthme à
l'entrée de toute cavité. Le réservoir qui reçoit d'abord tous les
aliments, et qui est une œuvre vraiment divine et non
humaine, leur fait subir une première élaboration sans
laquelle ils seraient inutiles pour l'animal, et ne lui procure­
raient aucun avantage. Les gens habiles dans la préparation
du blé le séparent des particules terreuses, des pierres et des
graines sauvages qui pourraient nuire au corps ; tel l'estomac
doué d'une faculté semblable, expulse tous les corps de cette
56 De l'utilité des parties du corps humain

espèce, s'il s'en rencontre, et tout ce qui reste d'utile à la


nature de l'animal, après l'avoir rendu plus utile encore, il le
distribue dans les veines qui arrivent sur ses propres parois
(cf. chap. VIII et XIII) et sur celles des intestins.

CHAPITRE I I . - Comparaison des veines avec les portefaix qui trans­


portent le blé du grenier à la boulangerie, et du foie avec une
boulangerie. - Origine du nom de la veine porte. Comparaison des
ouvrages et des soufflets automates de Vulcain avec les parties du
corps.
Ces veines sont comme les portefaix des villes. Ceux-ci
prennent le blé nettoyé dans le grenier et le portent à une des
boulangeries communes de la cité, où il sera cuit et transformé
en un aliment déjà utile : de même les veines conduisent la
nourriture élaborée dans l'estomac à un lieu de coction
commun à tout l'animal, lieu que nous appelons foie (i'jnap).
La route qui y mène, coupée de nombreux sentiers, est unique.
Elle a reçu d'un ancien habile, je pense, dans les choses de la
nature, le nom de porte (n6.\q sillon de la veine porte), qu'elle a
gardé jusqu'à ce jour. C'est ce nom que lui donnent aussi
Hippocrate 1 , et tous les disciples d'Esculape, rendant hom­
mage à la sagesse de leur devancier qui assimila l'économie
animale à l'administration d'une cité.
De même qu'Homère 2 chante ces ouvrages (trépieds) auto­
mates de Vulcain, ces soufflets qui, sur un ordre du maître,
lancent à l'instant leur souffle varié (c'est-à-dire tantôt plus
faible, tantôt plus fort) et prompt à s'enflammer, et ces ser­
vantes d'or qui se meuvent spontanément comme l'artiste qui
les a faites : de même, figurez-vous que dans le corps de
l'animal aucune partie ne demeure ni paresseuse, ni inactive.

l. Hippocrate, Épidémies, livre II, section IV (Œuvres, V, p. 123) : « Allant


droit du cœur aux clavicules, la veine est au-dessus de l'artère, et s'en sépare, de
même qu'aux lombes elle est au-dessous de l'artère, et se jette dans le foie, l'une
aux portes de ce viscère et au lobe, et l'autre dans le reste immédiatement, un
peu au-dessous du diaphragme. » - Rufus d'Éphèse, Du nom des parties du
corps, Œuvres, p. 158 : « La porte du foie est la veine par où lui arrive la
nourriture. »
2. Homère, Iliade, livre XVIII.
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 57

Toutes sont douées par le Créateur, non seulement d'une


structure convenable, mais aussi de puissances divines ; et les
veines ne se bornent pas à mener l'aliment de l'estomac au
foie, elles l'attirent et lui font subir une première préparation
très conforme à celle qui s'achève dans ce viscère, attendu
qu'elles sont d'une nature voisine de la sienne et qu'elles tirent
de lui leur première origine.

CHAPITRE III . - Si l'estomac élimine des aliments les parties les plus
grossières, le foie à son tour, quand il a reçu ces aliments, leur fait
subir une seconde purification. - Comparaison de la formation du
sang à la fabrication du vin.

Après que le foie a reçu l'aliment déjà préparé d'avance par


ses serviteurs, et offrant, pour ainsi dire, une certaine ébauche
et une image obscure du sang, il lui donne la dernière prépara­
tion nécessaire pour qu'il devienne sang parfait. L'estomac
ayant éliminé les parties qui dans l'aliment nuisent au même
titre que nuisent dans le blé les particules terreuses, les
pierres, les graviers et les plantes sauvages, il reste encore des
parties grossières analogues à la glume et au son du blé,
lesquelles ont besoin d'une autre élimination ; c'est le foie qui
se charge de cette seconde opération.
Il vaudrait mieux, pour rendre l'image plus.vive, comparer
le suc (xuMv) conduit par les veines de l'estomac dans le foie,
non pas à des aliments secs, mais à une humeur liquide (xuµoc;
uyp6c;), ayant déjà subi une coction et une élaboration préa­
lables, et réclamant une coction plus complète. C'est un vin
récemment exprimé des grappes, versé dans un tonneau, mais
travaillant, déposant, bouillonnant et fermentant encore par
sa chaleur naturelle ; la partie lourde et terreuse de son résidu,
cette partie qu'on appelle, je pense, lie, est tombée au fond du
vase, la partie légère et volatile surnage : cette partie s'appelle
-fleur, elle se montre particulièrement sur les vins ténus, de
même que le dépôt est surtout considérable dans les vins plus
épais. Pour suivre la comparaison que j'ai choisie, imaginez
que le suc versé de l'estomac dans le foie, par suite de la
chaleur du viscère, fermente et bouillonne comme le vin
58 De l'utilité des parties du corps humain

doux, et se transforme en un sang pur. Dans cette fermenta­


tion les éléments terreux et épais du résidu se déposent, tandis
que les éléments ténus et légers surnagent comme une écume
à la surface du sang.

CHAPITRE I V . - Heureuses dispositions prises par la nature pour la


position de la vésicule biliaire et de la rate. - De la veine splénique.

C'est donc avec raison que la nature a préparé, en vue de ces


résidus, des organes creux pour qu'ils puissent recevoir aisé­
ment, et pourvus aux deux côtés de la cavité de cols allongés en
forme de canal (ofov moµaxouc;), et propres, l'un à attirer le
résidu, l'autre à l'expulser. Mais il fallait encore donner [à ces
cols] une position convenable eu égard à la route que suit le
résidu, et trouver pour les canaux un lieu d'insertion sur le foie
en rapport avec cette position. C'est donc de cette façon que les
choses paraissent, en effet, disposées ; car la nature a attaché
au foie la vessie (vésicule biliaire) qui devait recevoir le résidu
léger et jaune.
Quant à la rate qui tire à elle les matériaux épais et terreux 1 ,
la nature eût bien voulu aussi la fixer vers ces portes, où le
résidu atrabilaire devait être entraîné par son propre poids ;
mais il n'y avait pas de place vacante, l'estomac s'étant hâté de
l'occuper tout entière. Un large espace restant libre au côté
gauche, elle y a logé la rate, et des parties concaves de ce
viscère (scissure de la rate), tirant une espèce de conduit, qui
est un vaisseau veineux (veine splénique), elle l'a étendu
jusqu'aux portes (sillon de la veine porte), de façon que le foie
ne fût pas moins purifié que si la rate eût été placée près de lui,
et qu'au lieu d'entraîner le résidu à travers un long canal, elle
l'attirât par un canal très court. L'humeur (xuµ6c;) préparée
dans le foie pour la nourriture de l' animal, quand elle a déposé
les deux résidus mentionnés et subi une coction complète par
la chaleur naturelle, remonte déjà rouge et pure à la partie

1. Aristote, Parties des animaux, III, vn, 670b : « La rate, en effet, attire hors
du ventre les humeurs superflues, et comme elle est sanguine elle peut contri­
buer à leur coction. »
Livre N - Des organes alimentaires et de leurs annexes 59

convexe du foie, montrant par sa couleur qu'elle a reçu et


qu'elle a assimilé à sa partie liquide une portion du feu divin,
comme a dit Platon 1 •

CHAPITRE v . - Comparaison de la veine cave à un aqueduc. - Utilité


de la partie aqueuse du sang (sérum) ; elle sert de véhicule au sang
proprement dit.

Cette humeur est alors reçue par une très grande veine qui,
née de la partie convexe du foie (par les veines hépatiques), se
porte aux deux extrémités supérieure et inférieure de l'animal
(veines caves) 2 . Vous diriez un aqueduc plein de sang, d'où
1. Platon, Timée, 80d-81b : « Or, le feu divise les aliments; ses fluctuations à
l'intérieur du corps suivent celles du souffle ; dans cette fluctuation commune, il
remplit les veines aux dépens de la cavité, où il puise les aliments par lui divisés;
et c'est ce qui fait que, par tout le corps, chez tous les vivants, les flots de la
nourriture vont ainsi porter leur inondation. Or, fraîchement cueillis et emprun­
tés à des congénères, soit des fruits, soit des herbes, qu'un dieu à cette fin précise
a pour nous plantés, pour être notre nourriture, ces aliments divisés prennent
par leur mélange des couleurs bariolées; mais c'est la couleur rouge qui
principalement s'y répand : du feu, exerçant son action incisive et imprimant sa
marque dans l'humide, elle est l'ouvrage et la caractéristique. Aussi bien, le
liquide qui circule par le corps a-t-il la couleur et l'aspect que nous venons de
décrire; nous l'appelons le sang, pâture des chairs et du corps entier; c'est de lui
que toutes les parties qu'il irrigue tiennent de quoi combler leurs vides, réparer
leurs pertes. Or la manière dont s'accomplit la réparation ou déperdition est
pareille à ce qu'est dans le Tout le transport de toute chose, par quoi chacune,
suivant sa nature, se porte vers sa masse propre. Il faut savoir, en effet, que les
choses extérieures, qui nous environnent, ne cessent de nous dissoudre et de
distribuer nos ingrédients, les expédiant respectivement vers le genre où ils
s'apparentent ; mais, en compensation, les ingrédients du sang, finement morce­
lés en dedans de nous et qu'enveloppe, telle la voûte céleste, l'organisme de
chaque vivant, sont eux-mêmes contraints d'imiter le transport qui s'effectue
dans le Tout; vers ce qui est de même nature se portent donc respectivement les
parcelles de l'intérieur, et le vide qui s'était fait se trouve de nouveau comblé. »
2. Pour Galien comme pour les modernes, le contenu de la veine porte se
dirige des viscères abdominaux vers le foie ; mais suivant Galien, cette veine, qui
elle-même part du foie, comme toutes les autres veines, transporte un aliment
qui a déjà subi un commencement d'élaboration que le foie est chargé d'achever.
- La veine cave naît des veines hépatiques; elle se porte en haut et en bas et ne
constitue en réalité qu'une seule veine, puisque l'oreillette droite n'en est qu'un
diverticu/um et, pour ainsi dire, une dilatation (cf. livre VI, IX, XI, xv). La portion
de la veine cave qui est au-dessus de l'insertion des veines hépatiques porte le
sang dans les parties supérieures, en sorte que, pour Galien, c'est la partie
ascendante, tandis que la portion située au-dessous de l'insertion de ces veines
hépatiques porte le sang aux parties inférieures, et constitue par conséquent la
partie descendante. Donc, pour Galien, la veine cave se comporte par rapport au
foie comme l'aorte par rapport au cœur. - Quand Galien dit que la veine cave
60 De l'utilité des parties du corps humain

s'échappent de nombreux canaux, les uns petits, les autres


grands, qui se distribuent dans toutes les parties de l'animal.
Dans cette veine, en effet, le sang est encore chargé d'une
humidité (ùyp6T'}ç) ténue et aqueuse, qu'Hippocrate appelle
véhicule du sang 1 , marquant son usage par cette seule dénomi­
nation. En effet, l'humeur provenant des aliments ne pouvait
ni passer aisément de l'estomac dans les veines, ni traverser
facilement les veines du foie si nombreuses et si étroites, si une
humidité ténue et aqueuse ne se mêlait à lui, comme pour lui
servir de véhicule. Telle est, pour les animaux, l'utilité
[secondaire] de l'eau (cf. V, v-vm) . Elle ne peut nourrir aucune
partie de l'animal, mais l'humeur sortant de l'estomac ne
pouvait se distribuer dans les veines que charriée ainsi au
moyen d'un liquide.

CHAPITRE V I . - Les reins ont été créés pour attirer et expulser au


dehors l'humeur aqueuse, véhicule du sang proprement dit, et pour
décharger ainsi la veine cave d'une humidité inutile (cf. V, v-vrn). - La
chaleur du foie, et celle plus intense du cœur, rendent le sang coulant ;
par conséquent, cette humidité devient inutile, une fois que le sang est
arrivé du foie à la veine cave.

Ces humeurs ténues, leur fonction accomplie, ne doivent


plus demeurer dans le corps, attendu qu'elles deviendraient
pour les veines un fardeau étrange. C'est pour les en décharger
qu'existent les reins, organes creux qui attirent par des
canaux, et qui expulsent, par d'autres, ce résidu ténu et
aqueux 2 • Ils sont situés aux deux côtés de la veine cave (que

naît de la face convexe du foie, il entend que c'est plus particulièrement dans
cette région qu'on trouve les grosses branches des veines hépatiques, car il savait
très bien que les ramifications de ces veines pénètrent dans tout le parenchyme
et s'anastomosent avec celles de la veine porte.
1. Hippocrate, De l'aliment, Œuvres, IX, p. 121 : « L'humidité, véhicule de
l'aliment. »
2. Aristote, Parties des animaux, III, IX, 671b : « Le canal qui vient de la veine
n'aboutit pas dans la cavité des reins, mais se perd dans la masse de ces viscères.
C'est pourquoi il ne se trouve pas de sang dans ces cavités et il n'y coagule pas
après la mort. De la cavité des reins partent vers la vessie deux robustes canaux
non sanguins, un de chaque rein, et de l'aorte en viennent d'autres qui sont forts
et continus. Cette disposition permet d'une part à l'humeur sécrétoire qui vient
de la veine de se rendre dans les reins, et d'autre part au dépôt d'humeur produit
Livre N - Des organes alimentaires et de leurs annexes 61

tout à l'heure nous appelions une très grande veine), un peu


au-dessous du foie, afin que tout le sang qui y afflue se purifie
à l'instant, et que, pur désormais, il pénètre dans tout le corps,
n'entraînant plus avec lui que très peu d'humidité aqueuse ;
car, pour couler, il n'a plus besoin maintenant d'une quantité
considérable de véhicule, puisqu'il chemine sur de grandes
routes, et qu'il est déjà devenu coulant en fondant d'abord à la
chaleur du foie, et plus tard à celle du cœur, laquelle est
beaucoup plus intense, attendu que chez l'homme et chez tous
les quadrupèdes la veine cave aboutit à la cavité (ventricule)
droite (cf. VI, IV) ; mais chez les animaux dépourvus de cette
cavité, les veines du corps entier participent à la chaleur du
cœur en s'anastomosant avec les artères (cf. VI, XVII) , tous ces
points ont été traités ailleurs 1 • Maintenant (nous l'avons
déclaré dès le commencement de ce livre) notre but n'est pas
d'exposer les fonctions, mais comme on ne peut découvrir
l'utilité des parties quand les fonctions sont inconnues (cf.
livre I, chap. VIII et XVI), après avoir rappelé les fonctions, nous
passerons immédiatement aux utilités, en commençant par
l'estomac.

CHAPITRE v n . - Des quatre facultés de l'estomac. - Comparaison du


mode d'alimentation des animaux et des végétaux. - Que l'estomac est
la seule partie du corps qui soit par elle-même le siège de l'appétit. -
De la sagesse de la nature dans les dispositions qu'elle a prises pour
trouver à l'estomac la place la plus convenable. - De la forme de ce
viscère et de ses prolongements. - Usage de la substance glanduleuse
qui se trouve chez beaucoup d'animaux à l'orifice pylorique de
l'estomac. - Des mouvements de rétention et d'expulsion de l'esto­
mac; état des deux orifices pendant ces mouvements. - Dans quel
rapport sont avec l'estomac les prolongements supérieurs et
inférieurs.

par les reins, après avoir filtré à travers la masse des reins, de se déverser au
centre, où le plus souvent les reins ont leur cavité. Et c' est pourquoi ce viscère est
celui qui dégage l'odeur la plus fétide. Enfin, à partir du centre et par ces canaux,
l'humeur qui déjà ressemble plutôt à un excrément, se distille dans la vessie. »
1 . Galien fait surtout allusion ici à son traité Des facultés naturelles, et à celui
De l'usage du pouls.
62 De l'utilité des parties du corps humain

L'estomac possède une faculté attractive, des qualités qui lui


sont propres, comme cela est démontré dans l'ouvrage Sur les
facultés naturelles (III, VI) ; il retient les matériaux qu'il reçoit
(faculté rétentive), expulse les résidus (faculté expulsive), et
avant tout il les transforme (faculté transformatrice ou assimi­
latrice) ; c'est à cause de cette dernière faculté qu'il avait
besoin des premières. Toutes les autres parties du corps, bien
qu'elles soient douées des mêmes facultés, n'ont cependant
pas reçu de la nature le sentiment du besoin, mais elles se
nourrissent comme les plantes, puisant perpétuellement leur
nourriture dans les veines. L'estomac seul, et surtout les
parties qui constituent son orifice (cardia), ressentent naturel­
lement ce besoin qui pousse, qui excite l'animal à prendre de
la nourriture. La nature a agi en cela raisonnablement. En
effet, toutes les parties du corps tirant leur nourriture des
veines qui naissent de la veine cave, celle-ci, à son tour, la
puisant dans les veines du foie, de leur côté ces veines
l'empruntant aux veines qui vont aux portes du foie, celles-ci la
prenant à l'estomac et aux intestins, enfin, aucune partie ne
pouvant la fournir à l'estomac, l'animal devait remplir ce
viscère de matériaux tirés du dehors, et c'est en cela qu'il
diffère déjà des plantes.
Les plantes, quoiqu'elles soient certainement douées
comme les animaux des quatre facultés énumérées un peu
plus haut, n'ont pas le sentiment du besoin ; car elles ne
devaient pas se nourrir à l'aide d'une bouche, puisque la terre
à laquelle elles sont fixées et enchaînées est pour elles un
réservoir inépuisable, où elles trouvent abondamment des
aliments toujours renaissants 1 .
1. Aristote, Parties des animaux, IV, rv, 677b-678b : « Quant à ce qu'on
appelle le mésentère, c'est une membrane qui s'étend sans discontinuité depuis
le réseau des intestins jusqu'à la grande veine {veine cave] et à l'aorte ; il est plein
d'une foule de vaisseaux rapprochés qui vont des intestins à la grande veine et à
l'aorte. [ ...] La raison pour laquelle il se trouve chez les animaux sanguins est
claire si l'on observe les faits. Comme il est nécessaire, en effet, que les animaux
reçoivent leur nourriture du dehors, et qu'à partir de cette nourriture se
constitue à son tour le suc nourricier définitivement élaboré à partir duquel
s'opère ensuite la distribution à travers les organes (ce suc, chez les non­
sanguins, n'a pas de nom, mais chez les animaux sanguins s'appelle le sang), il
faut qu'existe un organe à travers lequel le suc nourricier passe de l'estomac
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 63

La substance même des animaux, outre qu'elle n'a aucune


affinité avec la terre par les propriétés inhérentes à ses parties,
est douée du mouvement volontaire et de la faculté de passer
d'une région dans une autre, et de changer de place ; de telle
sorte que pour ces deux raisons, il était impossible aux ani­
maux de puiser comme les plantes l'humeur nutritive dans la
terre. En conséquence, ils ont été obligés, chacun eu égard à
leur diversité de nature, de se nourrir d'herbes, de graines, de
fruits ou de la chair d'autres animaux, et de prendre ces
aliments au moment où l'estomac en éprouve le besoin.
Mais aucune partie de l'animal n'éprouve par elle-même ce
sentiment inné; cela a été démontré ailleurs 1 • Cette propriété
devait donc émaner d'une source étrangère, et arriver, pour
ainsi dire, à l'estomac à travers certains conduits (nerfs), en
partant du principe commun de la sensation. Une paire de
nerfs assez grands (pneumogastriques) descend donc à l' esto­
mac, s'y divise, enlace spécialement l'orifice et les parties
contiguës, et se ramifie sur le reste de ce viscère jusqu'à son
extrémité inférieure.
L'estomac ne suit pas immédiatement la bouche, bien qu'il
ait besoin d'elle pour recevoir les aliments; mais la nature a
placé d'abord la partie qu'on appelle thorax et les viscères qu'il
renferme, et cela afin que l'estomac eût à sa partie inférieure
des voies d'écoulement pour le résidu des aliments, que tour à
tour le thorax aspirant et expulsant l'air à travers la bouche, il
devînt l'artisan de la voix et de la respiration. Il sera parlé plus
au long, dans les livres suivants (VI, VII et VIII) , du thorax et
des viscères qu'il renferme ; mais revenons à l'estomac : ce
n'est pas seulement pour l'avoir établi au-dessous du thorax
que la nature mérite des éloges; elle en mérite bien plus encore
pour l'avoir placé, non pas exactement au centre, entre les
parties droites et gauches de l'animal, mais plutôt du côté

dans les vaisseaux comme à travers des racines. Les plantes, elles, ont leurs
racines qui s'enfoncent dans la terre (car c'est de là qu'elles tirent leur nourri­
ture); chez les animaux l'estomac et la puissance des intestins constituent la
terre d'où il leur faut tirer leur nourriture. C'est pourquoi le mésentère existe
avec les vaisseaux qui le traversent et qui ressemblent à des racines. »
1. Galien, Facultés naturelles, III, VI; Dogmes d'Hippocrate et Platon, VIII, IX.
64 De l 'utilité des parties du corps humain

gauche. En effet, comme elle devait le flanquer de deux


viscères (le foie et la rate), qui ne sont égaux ni pour la
grandeur, ni pour l'importance, elle a donné au plus grand et
au plus important des deux une place à la fois plus grande et
plus noble, et l'a établi au côté droit; quant au second, comme
il n'est qu'un émonctoire de l'autre, elle l'a étendu au côté
gauche de l'estomac. Le foie occupant une position élevée de
manière à toucher le diaphragme, et la rate une position
inférieure pour la cause indiquée plus haut (cf chap. IV), la
nature, avec raison, a dirigé vers la droite le fond de l' estomac,
autrement cette place eût été inoccupée et complètement vide,
le foie n'y parvenant pas. Telle a été la prévoyance qui a
présidé à la disposition des trois organes : le foie, la rate et
l'estomac. Telle est maintenant celle qui a ordonné leur figure,
leur conformation générale, et de plus leur contexture et leur
union avec les parties voisines :
L'estomac ayant été créé dans le but de recevoir les aliments
et devant occuper tout l'espace situé entre le foie et la rate,
présente avec raison une forme ronde et allongée. Il est
sphérique, attendu que cette figure est la moins exposée aux
lésions et offre la plus grande capacité ; car de toutes les
figures qui ont le même périmètre, les plus grandes sont le
cercle parmi les figures planes, et la sphère parmi les solides ; il
est allongé, parce qu'à sa partie inférieure il a un prolonge­
ment vers les intestins (duodénum), et qu'à sa partie supé­
rieure il s'avance lui-même vers l' œsophage; là où il rencontre
les vertèbres, il se moule sur ces parties, et la régularité de sa
convexité est altérée. Chez l'homme, le fond de l'estomac est
plus large que son orifice, parce qu'il tend vers le bas, l'homme
étant le seul animal qui jouisse de la station droite (cf III, I, II,
III). Chez les autres animaux, l'estomac incline en avant vers
l'hypocondre qui, chez eux, est placé à la partie inférieure. -
Voici un procédé qui vous rendra toute sa figure évidente :
Supposez une sphère parfaite, représentez-vous-la aussitôt un
peu élargie à sa partie inférieure, puis donnez-lui deux pro­
longements : l'un plus large, celui qui est du côté de l'œso­
phage ; l'autre plus étroit, celui qui se porte en bas ; ensuite
Livre IV • Des organes alimentaires et de leurs annexes 65

comprimez cette sphère, déprimez sa convexité postérieure, et


vous aurez sous les yeux la figure complète de l'estomac. Le
reste est clair.
Mais quel est le motif de la différence que présentent les
prolongements ? car, à l'extrémité supérieure, là où l'estomac
lui-même est étroit, l'œsophage s'élargit, et à l'extrémité infé­
rieure, là où l'estomac est large, le prolongement (duodénum),
qui se dirige vers les intestins, offre le plus d'étroitesse.
N'est-ce pas pour les motifs suivants ? Les animaux avalent
parfois des aliments non broyés, durs et volumineux qui, pour
pénétrer, exigent qu'une large voie leur soit ouverte à travers
l' œsophage ; au contraire, par la partie inférieure, rien ne doit
passer qui soit gros, dur, non réduit en liquide et non soumis à
la coction, et l'orifice étroit du duodénum est comme un
portier équitable qui n'accorde un passage facile vers le bas à
aucune particule alimentaire, si elle n'a été liquéfiée et cuite.
Chez beaucoup d'animaux il existe en cet endroit une sub­
stance d'apparence glanduleuse 1 qui augmente l'étroitesse du
passage, surtout quand l'estomac, en vertu de sa faculté réten­
trice, se ramasse de toutes parts, opère des mouvements
péristaltiques, et se replie en spirale sur son contenu pour en
opérer la coction. Alors l'un et l'autre canal se resserre au plus
haut degré, et se ferme; au contraire, quand agit la faculté
qu'on appelle expulsive, tandis que tout le reste se rétrécit, se
resserre et se contracte, l'estomac laisse le passage libre aux
matériaux qui doivent être expulsés.
Ces actes de l'estomac décrits par nous dans d'autres livres
(Des facultés naturelles, III, IV et suiv.) paraissent être dans un
rapport admirable avec sa structure. Considérez, en outre,
d'une part l'élargissement progressif de l'estomac à partir de
l'insertion de l' œsophage, d'où il résulte clairement que l' œso­
phage n'est que le prolongement de ce viscère; et de l'autre la
naissance, non pas lente mais immédiate, de l'intestin à partir
du fond de l'estomac, de sorte qu'il n'en est pas une partie
constituante, mais que c'est une partie étrangère adjacente.
1. Le pylore forme, chez l'homme, un anneau, chez le singe, une espèce
d'entonnoir, en sorte que le pylore est beaucoup plus prononcé et beaucoup plus
étendu dans ces animaux que dans l'homme. Cet anneau, de forme irrégulière
présente en effet au premier abord l'apparence glanduleuse dont parle Galien.
66 De l'utilité des parties du corps humain

CHAPITRE VIII . - Comparaison de la structure des tuniques de


l'estomac, de l'œsophage et des intestins; raisons des différences
qu'elles présentent dans ces diverses parties. - Le foie entoure l'esto­
mac pour échauffer le viscère, qui doit à son tour échauffer les
aliments.

De plus, la nature des tuniques de l'estomac et de l'œso­


phage est semblable, mais celle des intestins est différente. La
tunique interne de l'estomac et de l'œsophage, qui est surtout
membraneuse, a des fibres longitudinales qui se portent de
haut en bas; la tunique externe, qui est surtout charnue, a des
fibres obliques semblables à celles que possèdent les deux
tuniques intestinales. Cela est juste : en effet, l'estomac devait
attirer à lui, à travers l' œsophage, les aliments et les boissons,
en les entraînant au moyen de ces fibres droites comme avec
des mains ; il devait les expulser au moyen des fibres trans­
verses. Quant aux intestins, comme ils n'avaient en aucune
façon besoin de la faculté attractive, ils ne possèdent que les
fibres propres à l'expulsion. De plus, il y a continuité dans la
tunique interne de l'estomac, de l'œsophage et de toutes les
parties de la bouche. Ces dispositions étaient, en effet, une des
conditions les plus favorables à l'attraction (déglutition) des
aliments contenus dans la bouche, et à la dépression de la
langue, en même temps que des muscles situés près des
amygdales; relevé par la tension simultanée de toutes ces
parties, et venant à la rencontre de l'épiglotte, le larynx est
bouché par elle, ce qui prévient la chute précipitée des liquides
dans le poumon (cf. VII, XVI).
Pourquoi le tissu de ces organes est-il plus dur et plus serré
que celui des intestins ? C'est que les intestins n'ont d'autre
office que de distribuer l'aliment cuit, tandis que l'estomac,
l'œsophage et la bouche sont créés pour être résistants.
Souvent, en effet, nous avalons des choses dures, volumi­
neuses et rugueuses, qui meurtriraient et écorcheraient les
parties, si leur tissu n'était pas dur et serré. C'est pour la même
raison que cette tunique, commune à la bouche, à l' œsophage,
à l'estomac, se raréfie et se ramollit peu à peu en avançant vers
le fond de la cavité; en sorte que cette dernière partie compa-
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 67

rée à la bouche vous paraîtra beaucoup plus molle. Le premier


organe auquel se présentent des aliments qui n'ont encore
subi aucune élaboration, devait naturellement offrir la plùs
grande résistance. C'est pour cette raison encore que des
veines aboutissent en grand nombre à chacun des intestins, et
en petit nombre à l'extrémité inférieure de l'estomac et à la
bouche, et qu'elles sont à peine visibles à l' œsophage ; car ce
dernier ne devait être que le canal des aliments, tandis que
l'estomac est l'organe de la coction et que l'intestin est celui de
leur distribution. Là où devait uniquement s'opérer la coction
des aliments, il convenait que les tuniques ne fussent percées
que d'un très petit nombre de veines pour absorber ce qui
pouvait déjà servir à l'animal ; tandis que les aliments complè­
tement élaborés exigent la plus prompte distribution. Le
conduit des aliments (œsophage) ne réclamait que les veines
indispensables à sa propre nourriture. C'est donc avec raison
que très peu de veines lui sont attribuées en partage; l'estomac
(KolÀîa) en a une quantité moyenne, et l'intestin en est abon­
damment pourvu.
Mais pourquoi l'estomac est-il entouré par le foie ? Est-ce
pour être échauffé par lui, et pour que lui-même échauffe les
aliments ? C'est, en effet, pour cela que le foie avec ses lobes,
comme avec des doigts, embrasse exactement l'estomac 1 • Le
nombre de ces lobes n'est pas le même chez tous les animaux,
car l'estomac n'a exactement chez tous ni la même forme ni la
même grandeur. De plus, comme à sa gauche s'étend la rate,
qui a une longueur considérable, il est aussi réchauffé de ce
côté par ce viscère. En arrière se trouvent l'épine et les
muscles appelés épineux (rachidiens) : celle-ci semblable à Ul1
rempart résistant ; ceux-là, comparables à un coussin mollet
dont le tissu graisseux réchauffe l'estomac ; toutes les parties
qui viennent d'être énumérées ont donc été créées en vue
d'une utilité particulière. L'industrieuse nature les a établies
près de l'estomac comme des foyers de chaleur.
1. Chez l'homme le foie n'est formé que d'un grand lobe et d'un rudiment de
lobule appelé lobe de Spigel. Chez les orangs, et surtout chez le chimpanzé, cet
organe est très semblable à celui de l'homme; mais quand on arrive aux
macaques, on trouve le foie divisé en plusieurs lobes.
68 De l'utilité des parties du corps humain

CHAPITRE I X . - L'épiploon (Galien décrit surtout l'épiploon gastro­


colique, bien qu'il semble confondre en un seul cet épiploon et le
gastro-hépatique) a été créé pour contribuer à échauffer l'estomac;
cela est démontré par la structure de cette membrane, et par les faits
pathologiques (ablation partielle ou presque totale de l'épiploon). - De
l'étendue comparative de l'épiploon chez l'homme et chez les ani­
maux. - Divers usages et structure du péritoine. - Est-ce une tunique
ou une membrane?

CHAPITRE x. - Manière dont le péritoine se comporte avec les


viscères abdominaux. - Pourquoi le péritoine est-il plus épais au
niveau de l'estomac que dans le reste de son étendue.

CHAPITRE X I . - De l'origine de l'épiploon sur la courbure de l' esto­


mac. Il soutient les vaisseaux artériels et veineux qui, à la partie
supérieure de l'abdomen, partent de l'aorte et de la veine cave infé­
rieure. - Attaches de cette membrane aux différents viscères
abdominaux.

CHAPITRE X I I . - Principes qui doivent présider à la recherche des


fonctions du foie. - Le foie est l'origine des veines et le principe de la
sanguification. - Quelles sont les parties qui dans le foie fournissent
cette origine et constituent ce principe? Le parenchyme même de
cette partie. - Faits et raisonnements qui le démontrent.

C'est maintenant le moment convenable de passer au foie en


rappelant tout d'abord les principes établis dans d'autres
traités (Des dogmes d'Hippocrate et de Platon, VI, vm; Utilité
des parties, I, xm), principes utiles non pas seulement à notre
but actuel, mais à toute la suite de notre discours. Nous avons
dit qu'à l'égard des parties (µ6pta) composées du corps aux­
quelles est confiée quelque fonction, et que nous nommons
organes (opyava), il faut, à l'aide des dissections, examiner
quelle est la partie qui ne se rencontre pas ailleurs dans tout le
corps, et se persuader que dans l'organe entier c'est elle qui est
le principe de l'action spéciale, tandis que les autres parties
ont des usages communs. Il en est ainsi du foie que nous
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 69

tenons pour être le principe des veines et le premier instru­


ment de la sanguification. C'est ce que nous avons démontré
ailleurs.
Recherchons quelle est cette partie même qui est à la fois le
principe des veines et la cause de la génération du sang. Il n'est
pas possible en effet d'attribuer ce résultat ni aux artères, ni
aux veines, ni aux nerfs (car ces parties sont communes à tout
le corps), ni à la membrane extérieure placée sur le foie, et que
tout à l'heure nous disions venir du péritoine (cf. chap. x.) . Si
ces parties n'y sont pour rien, il nous reste à examiner les
conduits de la bile, et ce qui est comme la chair du foie. L'un
ou l'autre, ou tous deux sont-ils les principes de la fonction
spéciale de l'organe ? Quant aux conduits de la bile, ne serait-il
pas ridicule de les supposer l'organe de la sanguification ou de
voir en eux l'origine des veines ? Ces conduits, en effet, nais­
sant de la vessie (vésicule biliaire) attachée au foie, et appelée
réservoir biliaire (xoÀqooxoç), présentent une nature identique
à celle de cette vésicule et contiennent de la bile, non du sang.
On les trouve non pas seulement dans le foie, mais hors du
foie ; je citerai celui qui se rend dans l'intestin (canal cholé­
doque), et ceux qui aboutissent à la vésicule même (canaux
hépatiques), laquelle n'est certes pas non plus une partie du
foie. Chez certains animaux mêmes, on ne trouve pas trace de
vésicule, les conduits seuls portent directement la bile du foie
à l'intestin grêle 1 •
Il ne reste donc que la chair du foie, autrement dit la
substance même du viscère, qu'on puisse regarder comme le
premier organe de la sanguification et le principe des veines.
En examinant sa nature, on voit manifestement qu'elle est
analogue à celle du sang. Si vous vous représentez du sang
desséché et épaissi par la chaleur, vous ne verrez rien autre
chose se produire que la chair du foie 2 • L'état des parties vient
1. Aristote, Histoire des animaux, II, xv : « Certains animaux ont au foie une
vésicule biliaire, les autres n'en ont pas. Parmi les quadrupèdes vivipares, le cerf
n'en a pas, ni le daim, ni non plus le cheval, le mulet, l'âne, le phoque et certains
porcs. »
2. Ambroise Paré le dira encore (en considérant encore le foie comme
l'organe le premier formé dans l'embryon, suivant l'opinion de Galien, plutôt
que celle d'Aristote qui pensait que c'était le cœur). A. Paré, Œuvres, p. 75 : « Le
foie donc (selon Galien au livre de la formation de l'enfant) est le premier parfait
70 De l'utilité des parties du corps humain

encore à l'appui de ce fait souvent démontré dans d'autres


écrits 1 , à savoir que chacune des parties qui altèrent l'aliment
a pour but et pour fin de s'assimiler l'aliment altéré. - Si vous
vous figurez le liquide pris à l'estomac, modifié par la chair du
foie, et transformé rapidement en sa propre nature, vous le
trouverez nécessairement plus épais et plus rouge qu'il ne doit
être quand il n'a pas encore été complètement assimilé à la
substance du foie. En effet, j'ai aussi prouvé (Facultés nat., I, x)
qu'aucune chose ne peut prendre des qualités opposées, ou du
moins très différentes, sans avoir d'abord passé par les degrés
intermédiaires. Si donc la chair du foie a pour but de s'assimi­
ler la nourriture, cette assimilation ne pouvant s'opérer rapi­
dement, le sang constituera l'intermédiaire, et sera autant
inférieur à la chair du foie qu'il est supérieur à l'humeur
élaborée dans l'estomac. Ceci a été démontré ailleurs plus en
détail (De l'utilité du pouls). Ces considérations suffisent main­
tenant pour instruire de l'utilité des parties.
La chair du foie, qui est sa substance même, est le premier
organe de la sanguification et le principe des veines. C'est pour
cela que les veines de l'estomac et de tous les intestins ont une
certaine faculté formatrice du sang, en vertu de laquelle
l'humeur provenant des aliments s'hématose déjà par l'action
des veines avant de pénétrer dans le foie. Les conduits venant
de la vésicule biliaire (canaux cystique et cholédoque) ont
évidemment pour fonction de séparer la bile. La membrane
[péritonéale] extérieure est pour le foie une sorte de peau. Un
nerf (plexus hépatique) vient s'y insérer afin que le viscère ne
soit pas complètement dépourvu de sensibilité, comme aussi
une artère (artère hépatique) pour maintenir la chaleur natu­
relle dans un degré moyen : c'est ce que nous avons démontré
dans le livre Sur l'utilité du pouls. Avons-nous donc parcouru
toutes les parties du foie ou en reste-t-il quelqu'une à décrire ?
Il n'en reste pas une. Tout est compris dans notre énuméra-

des membres principaux. Il est l'auteur de la sanguinification, source et origine


des veines. La substance duquel est nommée gros sang coagulé. »
1 . Galien, Facultés naturelles, Ill, vu; Tempér. , Ill, n; Dogmes d'Hippocrate et
de Platon, VI, VIII.
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 71

tion, veines, artères, nerfs, substance propre du foie, conduits


de la bile, membrane recouvrant le tout.

CHAPITRE XII I . - Série des problèmes qu'on doit savoir résoudre


pour bien juger de l'utilité du foie. - Il ne suffit pas de connaître
l'utilité d'une partie, il faut approfondir celle de toutes les parties, en
tenant compte de toues les circonstances anatomiques essentielles ou
accessoires. - Galien résout successivement les problèmes qu'il s'est
posés, et attaque en passant Érasistrate à propos des fonctions qu'il
attribue aux ramifications de la veine porte dans le foie. - L'existence
des plexus veineux du foie a pour but la transformation en sang
(hématose) de l'aliment venu de l' estomac. - De la position respective
des veines porte et hépatiques et des canaux biliaires dans l'intérieur du
foie. -Pourquoi une artère petite et un nerf très petit pour le foie? - Le
foie ne jouit comme les plantes que de la faculté nutritive. - Doit-on
l'appeler nature ou âme nutritive ?

Il reste à décrire la position, le nombre, la grandeur, la


contexture, la configuration, l'union, les rapports de ces par­
ties entre elles. L'art de la nature se montre avec évidence, si
elle ne paraît pas disposer seulement dans un but déterminé la
substance des parties [essentielles], mais si elle fait concourir
aussi à ce but les dispositions accidentelles. Si vous n'appre­
nez sans tarder pourquoi la nature n'a pas créé une grande
cavité unique au foie, semblable aux deux cavités du cœur,
vous méconnaissez l'admirable prévoyance dont elle a fait
preuve ici. Vous méconnaissez également cette prévoyance si
vous ne savez pas pourquoi le nerf s'insère sur la tunique du
foie, mais ne pénètre pas manifestement vers les parties
intérieures ; pourquoi l'artère se ramifie toujours conjointe­
ment avec les veines ; pourquoi, à la partie concave du foie, les
veines situées près des portes de cet organe (veine porte) ont
été, avec les artères, placées sur le premier plan ; pourquoi les
conduits de la bile le sont sur le second, et pourquoi les veines
qui, à la partie convexe du foie, convergent vers la veine cave
(veines hépatiques), occupent la dernière place ; pourquoi
l'artère [hépatique] est extrêmement petite, le nerf plus petit
qu'elle, tandis que les conduits de la bile sont plus grands, et
72 De l 'utilité des parties du corps humain

que les veines (surtout les branches de la veine porte) les


surpassent tous en grandeur; pourquoi les veines des parties
concaves ne sont pas unies aux veines des parties convexes;
pourquoi toutes les veines du foie ont une tunique très mince ;
pourquoi le foie s'unit au diaphragme ; pourquoi cette union
se fait au niveau de la veine cave ? Enfin, vous méconnaissez
cette prévoyance si vous ignorez les relations du foie avec
toutes les parties avoisinantes.
Si vous n'êtes instruit de tous ces faits, je nie que vous
sachiez rien de bon sur l'utilité des parties ; mieux vaudrait
pour vous, à mon avis, n'avoir pas commencé que de ne pas
traiter complètement le sujet, comme font bien des gens ;
quelques-uns, se bornant à parler de l'origine de chaque
partie, n'examinent pas sa situation, sa grandeur, sa contex­
ture, sa configuration et autres points semblables; d'autres
n'ont pas songé à dire un mot de toutes ces questions, et parmi
ces derniers, certains ont omis les faits les plus importants et
les plus nombreux. Les uns et les autres excitent un étonne­
ment naturel. En effet, s'il est bon de connaître les utilités des
parties, je ne sais pourquoi il ne serait pas bon de connaître
celles de toutes les parties. Si c'est un travail superflu et vain,
je ne vois pas non plus pourquoi une dissertation sur quel­
ques-unes n'est pas superflue.
Il est très facile, en effet, de dire, comme nous venons de le
faire, que les veines des parties concaves du foie (tronc et
ramifications de la veine porte) apportent de l'estomac les
aliments, que les veines des parties convexes (veines hépa­
tiques) s'emparent de ces aliments, que les conduits de la
vésicule déversent les impuretés [dans le duodénum], que le
nerf est le conducteur de la sensibilité, que les artères entre­
tiennent dans tout le viscère sa chaleur naturelle, qu'il est ceint
de sa tunique (membr. séreuse, fournie par le péritoine) comme
d'une enveloppe et d'un vêtement, et qu'elle est pour lui une
tunique véritable, que la chair du foie est le principe des veines
et le premier organe de la sanguification ; mais si l'on n'ajoute
pas [la solution de] chacune des autres questions que j'ai
posées, on ignore plus d'utilités des parties du foie qu'on n'en
connaît.
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 73

Et, pour commencer par la première des questions posées,


pourquoi la nature, après avoir réuni aux portes du foie (tronc
de la veine porte) ces veines nombreuses qui apportent de bas
en haut la nourriture de l'estomac et de tous les intestins, les
divise-t-elle de nouveau en veines innombrables ? Car elle a
réuni les ramifications [gastro-intestinales], comme n'ayant
besoin que d'un seul tronc ; puis elle les divise à l'instant,
comme les ayant réunies inutilement, tandis qu'elle aurait pu,
créant dans le viscère une grande cavité sanguine, y insérer, à
la partie inférieure, la veine (veine porte) qui, se trouvant aux
portes du foie, charrie de bas en haut le sang [fourni par la
transformation des aliments dans l'estomac et les intestins], et
à la partie supérieure, celle qui lui succède et qui promène cet
aliment dans tout le corps (veine cave) .
Les assertions d'Érasistrate tendent à démontrer que c'est
pour la sécrétion de la bile jaune qu'existent dans le foie ces
ramifications des veines ; mais un examen un peu attentif
prouve que cette allégation est erronée, la nature pouvant,
sans un plexus veineux aussi considérable et ainsi disposé,
opérer la sécrétion des résidus, comme elle l'a montré claire­
ment dans les reins. En effet, beaucoup de ces buveurs intré­
pides qui engloutissent des amphores entières, et qui urinent à
proportion de l'abondance du breuvage absorbé, n'éprouvent
aucune gêne dans cette sécrétion. Le sang qui afflue dans la
veine cave, se purifie tout entier très promptement et très
facilement au moyen des reins qui ne sont même pas en
contact avec la veine. On doit s'étonner qu'Érasistrate, qui
nous fait une longue dissertation sur la sécrétion de la bile
jaune du sang, ne s'occupe absolument pas de celle de l'urine.
Il fallait, en effet, ou ne rien dire ni de l'une ni de l'autre, ou les
mentionner également toutes deux. Mais sur ces questions et
sur toutes les autres facultés naturelles, il existe [de moi] des
traités particuliers, où il est démontré que chacune des parties
du corps possède une vertu attractive ( ou séparative) de la
qualité qui lui est propre. C'est ainsi que les conduits de la bile
attirent cette bile et que les reins attirent l'urine.
Ce n'est donc pas en vue de l'élimination qµe la nature a créé
dans le foie un si vaste plexus veineux, c'est pour que la
74 De l'utilité des parties du corps humain

nourriture séjournant dans le viscère s'y hématose complète­


ment ; car si elle eût créé, dans le foie comme dans le cœur, une
grande cavité unique pour servir de réceptacle ; si ensuite elle y
avait introduit le sang par une seule veine pour l'en faire sortir
par une autre, l'humeur apportée de l'estomac n'aurait pas
séjourné un instant dans le foie, mais traversant rapidement
tout ce viscère, il eût été entraîné par la force du courant qui le
distribue dans le corps.
C'est donc pour arrêter plus longtemps et pour transformer
complètement l'aliment qu'existe ce réseau de voies étroites
dans le foie, le pylore dans l'estomac, et les circonvolutions
dans les intestins. C'est ainsi encore qu'en avant des testicules
se trouvent ces replis variés d'artères et de veines, et à la tête,
sous la dure-mère, ce plexus artériel appelé plexus rétiforme.
Quand la nature veut prolonger en un endroit le séjour de
quelque matière, elle oppose un obstacle à sa marche progres­
sive. S'il n'eût existé dans le foie qu'une grande cavité, le sang
n'y eût pas séjourné aussi longtemps, une très faible partie de
ce sang aurait été mise en contact avec la substance du viscère,
en sorte que la sanguification eût été imparfaite. Car si la
substance propre du foie est le premier organe de l'hématose,
l'aliment, qui avait avec elle un contact prolongé, devait
s'approprier la forme du sang avec plus de promptitude et
d'efficacité. C'est pour cela que les veines mêmes du foie ont
été créées par la nature plus grêles que toutes celles du corps
entier. Ces dernières, éloignées du principe de l'hématose, et
ayant besoin de défense contre les lésions, ont été avec raison
douées par elle d'une grande force. Une preuve considérable à
l'appui de cette assertion, c'est que leur tunique est plus ou
moins épaisse en raison de la protection qu'elles réclament,
ainsi qu'on le verra par la suite du discours ; celles du foie, au
contraire, sont très minces, car elles ne courent aucun risque
(attendu qu'elles trouvent un appui sûr le viscère) ; elles
opèrent ainsi beaucoup mieux l'hématose.
Il était encore préférable que les canaux qui attirent la bile
jaune fussent placés sur les veines (ram. de la veine porte) qui
apportent de l'estomac la nourriture avant le:, veines destinées
à recevoir le sang (veines hépatiques), cela me paraît aussi de
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 75

toute évidence. En effet, la veine cave ne devait recevoir le sang


que déjà parfaitement purifié par ces vaisseaux, grâce à la
situation opportune ; pour cette raison encore, la situation des
artères mérite d'être louée. La nature ne les a pas établies
[exactement] entre les veines supérieures (hépatiques) et infé­
rieures (veine porte), afin qu'elles ne soient pas rafraîchies de
la même manière, mais elle les a placées au-dessous des veines
de la partie concave, sachant que le voisinage du diaphragme
communiquait à la partie convexe du foie un mouvement
incessant [et, par conséquent, une chaleur suffisante]. Ces
artères ont été créées très petites, et c'est avec raison, car elles
servent seulement à rafraîchir la partie concave du viscère;
elles ne doivent ni prendre du sang (lequel n'a pas encore
rejeté ses impuretés), ni fournir au foie, comme à d'autres
organes, un esprit vital abondant, ni nourrir son tissu avec un
aliment ténu et vaporeux. Nous traiterons bientôt ce point
avec plus de détail (cf. chap. xv).
La nature n'a donné au foie qu'un très petit nerf, car elle ne
voulait pas en faire, pour l'animal, un principe ni de mouve­
ment, ni de sensation. En effet, le foie, ainsi que les veines qui
en partent, est le principe d'une faculté, et jouit d'une action
analogue à celles que les plantes ont en partage (faculté
végétative). Ceci a reçu ailleurs plus de développement (cf. livre
V, chap. IX et x), et il faut se souvenir d'un principe énoncé et
démontré dès le commencement de ce traité (cf. I, vm), c'est
qu'on ne peut bien découvrir aucune utilité d'aucune partie
avant de connaître la fonction de tout l'organe ; or, nous
n'avons pas maintenant à démontrer les fonctions, mais, après
avoir rappelé seulement celles que nous avons démontrées,
nous leur donnons toujours pour corollaire ce qui regarde les
diverses utilités. Ainsi donc, vous n'aurez plus de scrupule au
sujet de la petitesse du nerf, si vous vous rappelez notre
démonstration ; peut-être au contraire demanderez-vous dans
quel but la nature a même donné au foie ce petit nerf. Car ce
viscère étant le principe de la nature nutritive, comme est celle
des plantes, ne paraît en aucune façon avoir besoin d'un nerf.
Faut-il l'appeler nature nutritive ou âme nutritive ? je laisse à
décider ce point aux hommes habiles sur les mots seulement,
76 De l'utilité des parties du corps humain

et qui consument à cela toute leur vie, comme s'ils n'avaient


pas à rechercher beaucoup de choses plus intéressantes,
puisque ni l'un ni l'autre de ces termes n'éclaire le fait suffi­
samment. Observons en toute chose, et rappelons-nous tou­
jours le précepte de Platon (Politique, 261e) : « Si nous négli­
geons les mots, nous parviendrons à la vieillesse plus riches de
sagesse. »
Que le foie soit le siège d'une faculté semblable à celle qui
régit les plantes, c'est ce que nous avons démontré ailleurs 1 .
Cette faculté devait se joindre aux deux autres (facultés ration­
nelle et animale) et n'en être pas absolument séparée, comme
celles-ci ne sont pas non plus séparées l'une de l'autre. - Le
foie, dit Platon 2, est une espèce de bête sauvage, et c'est une
stricte obligation de le nourrir, si l'on veut perpétuer la race
mortelle. La partie raisonnable qui constitue l'homme
(cf. XVII, 1) , partie située dans l'encéphale, a l'irascibilité
(0uµov) pour serviteur, pour appui, pour défenseur contre
cette bête sauvage. Au moyen des prolongements qui les
unissent l'une à l'autre, l'artisan de notre corps les a disposées
pour se servir mutuellement. - Mais ces considérations sont
d'un ordre supérieur et divin, et nous les avons développées
dans notre livre Sur les dogmes d 'Hippocrate et de Platon (II,
v1). Pour le moment, si vous répétez, comme je le disais tout à
l'heure, que c'est pour maintenir dans le viscère l'égalité de
température, que des artères viennent du cœur au foie ; qu'un
nerf s'insère sur la tunique péritonéale pour qu'il ne soit pas
dénué de toute sensibilité, cette assertion paraîtra plus pro­
bable et plus claire au grand nombre. Si le foie ne devait pas
éprouver la sensation que cause soit une inflammation, soit un
abcès, soit une autre affection, il ne différerait aucunement
d'un végétal. f'il ressent toutes ces affections d'une façon

1. Galien, Dogmes d'Hippocrate et de Platon , livre VI.


2. Platon, Timée, 70e : « Pour la partie de l'âme qui a l'appétit du manger, du
boire et de toutes ces choses dont la nature du corps lui fait éprouver le besoin,
[les dieux] l'ont établie dans l'espace intermédiaire entre le diaphragme et la
frontière du nombril ; c'est comme une mangeoire que, dans toute cette région,
pour la nourriture du corps ils ont construite. Et ils ont attaché là cette sorte
d'âme, comme une bête sauvage, mais qu'il est nécessair-, de nourrir en la tenant
attachée, s'il doit jamais subsister espèce mortelle. »
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 77

obscure et non pas vive comme les autres parties du corps,


c'est que le nerf étant petit est distribué sur la tunique péri­
tonéale, ou n'adhère pas du tout au viscère, ou ne pénètre pas
dans la totalité. Nous avons démontré encore que les facultés
d'une partie se communiquent jusqu'à un certain point aux
parties voisines. Aussi était-il superflu que le nerf s'insérât
dans le viscère tout entier, car il devait lui communiquer son
obscure sensation par transmission.

CHAPITRE x1v. - Moyens dont la nature s'est servie pour maintenir


le foie en place. - Mention particulière du ligament suspenseur. -
Galien ne paraît pas s'être exactement rendu compte du ligament
coronaire et du ligament rond. -Il pense que la veine cave contribue à
rattacher le foie au cœur; à ce propos il rappelle combien les blessures
de la veine cave sont dangereuses. - Homère, suivant Galien, connais­
sait déjà l'importance de cette veine. - Précautions prises par la nature
pour sa sûreté.

Tout ce qui concerne le foie se trouve déjà suffisamment


décrit, il ne reste à signaler que la sûreté de sa position, à
laquelle dès le principe la nature a pourvu avec sollicitude. Uni
à l'estomac et à tous les intestins par les veines et par la
tunique qui les enveloppe, il était, vu sa forme et ses lobes,
difficile de l'en séparer. Cela ne suffisait pas encore. La nature
donc, le munissant de tous côtés de ligaments, l'a rattaché aux
parties voisines ; le plus grand est [une portion de] cette
tunique (épiploon gastro-hépatique ou péritoine ?) destinée à les
protéger toutes, laquelle, naissant du péritoine, devait le relier
à toutes les parties internes ; car cette tunique les recouvre
toutes. Un autre grand ligament le rattache aussi au dia­
phragme (ligament suspenseur fourni par le péritoine), d'autres
membraneux et petits (ligaments semi-lunaires ?) aux fausses
côtes. Ce ligament mêmt: qui, avons-nous dit, le rattache au
diaphragme, a une substance analogue à celle du péritoine. Le
foie prend en effet naissance de la tunique qui l'enveloppe et
de celle qui tapisse la face inférieure du diaphragme, les­
quelles sont toutes deux, ainsi que nous l' a,vons dit, les pro­
longements du péritoine. Par son épaisseur, sa force et sa
18 De l'utilité des parties du corps humain

résistance aux lésions, il diffère grandement du péritoine. Il le


fallait ainsi ; car dans la station droite, c'est au diaphragme
que le foie est nécessairement suspendu; il courait donc un
grand risque d'être aisément rompu par des mouvements un
peu violents, et d'entraîner ainsi la mort soudaine de l'animal.
En effet, dans cet endroit, ce n'est pas seulement au dia­
phragme que se rattache le foie ; par l'intermédiaire du dia­
phragme, il se rattache encore au cœur.
Cette veine cave dont j'ai déjà parlé, distribuant le sang par
tout le corps, devait nécessairement remonter au cœur; or, on
ne pouvait pas choisir un meilleur passage, puisqu'il lui faut
absolument traverser le diaphragme, situé entre les deux
viscères. Il n'était donc pas convenable de disposer pour la
veine des ligaments autres que pour le viscère. Il valait mieux
donner à la veine et à tout le viscère un ligament dur et épais,
servant à la fois et de revêtement à la veine cave et de lien
commun avec le diaphragme. Cette place était donc des plus
importantes, et la blessure faite à la veine en cet endroit devait
réagir sur toutes les veines de l'animal, comme souffrirait un
arbre entier s'il était frappé à la souche ; une mort rapide suit
en effet la blessure ou le déchirement de cette veine. Aussi,
quand le poète 1 dépeint le très sage Ulysse méditant et prépa­
rant le meurtre du cyclope si supérieur à lui par la taille, dans
quelle partie du corps le mo11 tre-t-il disposé à plonger son
épée, sinon à l'endroit où le <i!aphragme retient le foie ? Et il
l'eût fait ainsi, ajoute Homère, s'il eût espéré pouvoir, après la
mort du cyclope, écarter de ses mains le rocher énorme qui
obstruait la porte. Il ne doutait pas, tant était grande sa
certitude du danger que présentait une blessure dans cette
région, que le cyclope n'y survivrait pas un instant.
Pour le grand et dur ligament qui enveloppe la veine cave, la
nature a établi à la partie postérieure la paroi la plus mince, et
la paroi la plus épaisse à la partie antérieure, afin d'écarter
d'elle la facilité d'être lésée, non seulement par une cause qui
est du fait des animaux eux-mêmes, mais aussi par une cause
externe. Tous les accidents résultant pour la veine mal atta-

t. Homère, Odyssée, IX, 299-302.


Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 79

chée, de course ou de sauts trop violents, sont du fait de


l'animal. Les autres accidents qui viennent de corps dont le
choc brise ou blesse, ont une cause externe (cf. chap. xx).
Donc, la paroi antérieure étant seule exposée à souffrir d'une
telle rencontre, l'enveloppe de la veine cave, loin d'être d'égale
épaisseur, devait opposer à cette plus grande facilité de lésion
une plus vigoureuse résistance. Or, le diaphragme (<ppÉvEç)
n'étant pas seulement, comme le qualifie Platon, une cloison
(füacppayµa) entre les viscères inférieurs et les supérieurs 1 ,
mais comme nous l'avons montré ailleurs (cf. VII, XXI, et XIII,
v), un instrument qui a une importance considérable dans
l'acte de la respiration, il ne fallait pas qu'il fût ni comprimé, ni
resserré, ni gêné dans la liberté de ses mouvements par aucune
des parties inférieures. Dans cette prévision, le Créateur a
écarté autant que possible les deux organes voisins. Il n'a pas
immédiatement rattaché la cavité de l'estomac à l'œsophage à
sa sortie du diaphragme ; mais à un prolongement étroit
comme un isthme, il a fixé, en l'élargissant peu à peu, le canal
qui venant après devait former ce qu'on appelle l'orifice de
l'estomac (cf. chap. VI-Vll) ; il n'a pas attaché non plus au
diaphragme toute la convexité du foie, mais élevant davan­
tage, recourbant et ramenant en haut la partie (bord posté­
rieur) d'où sort la veine cave, c'est par ce côté seul qu'il a mis
les parties en contact. Telle est la grande habileté qui éclate
dans la disposition du foie.

CHAPITRE xv . - Attaques contre Érasistrate, qui niait l'utilité de la


rate, tout en proclamant que la nature ne fait rien en vain (cf. V, v). -

1. Platon, Timée, 70a : « C'est donc dans la poitrine, en ce qu'on appelle 'le
thorax [en fait, le tronc], qu'ils [les dieux] attachèrent l'espèce mortelle de l'âme.
Et, comme il y avait en elle une partie naturellement meilleure, une autre pire,
ils font encore deux pièces dans la cavité du thorax; ils les séparent comme
l'appartement des femmes et, à côté, celui des hommes, et ils mettent au milieu
le diaphragme, comme une cloison. Ainsi, la partie de l'âme qui a part au
courage et à l'emportement, avide qu'elle est de dominer, ils l'établissement plus
près de la tête, entre le diaphragme et le cou [dans la poitrine, le cœur], afin que,
docile à la raison, elle pût de concert avec elle contenir par la force l'espèce des
appétits, lorsque du haut de l'Acropole, les ordres de la raison n'auraient plus
moyen d'obtenir d'eux une obéissance de bon gré consentie. »
80 De l'utilité des parties du corps humain

Pour Galien la rate a pour fonction de purifier les humeurs épaisses et


chargées de bile noire qui s'engendrent dans le foie. - Des fonctions
des vaisseaux spléniques en rapport avec cette fonction. - De la
structure des diverses parties de la rate : parenchyme, artères splé­
niques, leur utilité spéciale. - Différence que présentent d'une part la
substance du poumon, du foie et de la rate, et d'une autre le sang que
ces trois viscères reçoivent, l'un du cœur, l'autre de l'estomac et des
intestins, le troisième du foie. - Utilité commune des artères de la rate.

Pour achever ce que nous nous étions proposé de traiter, il


ne nous reste plus à étudier que la rate dont Érasistrate dit
qu'elle a été créée sans but par une sagesse en défaut. Et il ne
rougit pas de prétendre que la nature, qui ne fait rien sans
raison (c'est sa propre expression), a créé un si grand viscère
sans utilité 1 • Craignant apparemment [selon Érasistrate] de
ne pas donner partout des preuves de son habileté, la nature
après avoir, au côté droit, façonné le foie de l'animal, encore
caché dans le sein maternel, lui opposa la rate au côté gauche,
voulant aussi créer quelque chose dans cette partie même ;
comme s'il ne lui eût pas été loisible, en prolongeant un peu
l'estomac vers cette région, de s'épargner une besogne inutile.
Puis, comme on peut le voir dans les écrits de ce médecin, il
combat longuement les opinions les plus ridicules sur la
déglutition, la digestion et la coction. Quant aux opinions les
plus solidement établies et les plus fameuses, il n'y fait pas la
moindre objection; parfois seulement il les mentionne; par­
fois ne les rappelant même pas, il les néglige comme dénuées
de toute valeur; toutefois, à défaut d'autre raison, du moins le
nom de leurs auteurs illustres dans la Grèce ne méritait pas un
pareil dédain, mais une contradiction sérieuse et des preuves
puissantes à l'appui de la réfutation.
Nous avons démontré, dans notre traité Sur les facultés
naturelles (II, 1x; III, XIII), que la rate est un organe destiné à
purifier les humeurs terreuses, épaisses, chargées de bile noire
et qui sont engendrées dans le foie (cf. chap. VII). Elle les attire,
avons-nous dit précédemment (chap. 1v), à l'aide d'un canal

l. Cet avis d'Érasistrate était partagé par Rufus, comme il l'était déjà,
semble-t-il, par Aristote (Panies des animaux, III, VII, 670a-b).
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 8 1

veineux (veine splénique), comme à travers un conduit. Une


fois attirées, la rate ne les déverse pas immédiatement dans
l'estomac, mais elle commence par les élaborer et les trans­
former à loisir, en se servant principalement pour ce travail
des artères grandes et nombreuses répandues dans tout le
viscère par la nature qui ne les y a pas distribuées au hasard, ni
pour être oisives, mais qui a voulu que par leur mouvement
incessant, par la chaleur naturelle que le cœur transmet à ces
artères, elles pussent élaborer, broyer, altérer, transformer les
sucs épais venus du foie dans la rate. Tous les matériaux
transformés en une humeur appropriée au viscère, deviennent
l'aliment de la rate. Ceux qui ont échappé à cette élaboration,
qui ne peuvent ni se transformer en particules ténues d'un
sang utile, ni servir aucunement à la nutrition, sont déversés
par la rate dans l'estomac au moyen d'un autre conduit
veineu_x (veines courtes), et là ils sont d'une utilité non
médiocre que j'indiquerai en traitant des excréments (livre V,
chap. IV) .
Actuellement, nous examinerons les autres détails de struc­
ture de la rate, et d'abord sa substance propre, appelée par
quelques-uns parenchyme ; c'est par cette substance même que
la rate a la puissance d'attirer dans son sein les humeurs
atrabilaires ; cette substance a été faite assez flasque et assez
rare, comme est une éponge, pour attirer aisément et recueillir
ces humeurs épaisses. Pour maintenir perpétuellement cette
propriété dans le tissu de la rate, les artères se ramifient en
tous sens dans le viscère, artères qui, dans une autre cir­
constance indiquée tout à l'heure, sont encore d'une utilité
assez importante ; car nous avons dit qu'elles servaient puis­
samment à élaborer les sucs apportés du foie dans la rate.
Elles conservent aussi toujours la substance du viscère dans
un état de raréfaction, comme celle du poumon. Car si nous
avons démontré nettement dans notre traité Sur les facultés
naturelles (III, XIV?) que chacun des organes nourris tire son
aliment des vaisseaux voisins, celui qu'il emprunte aux
artères, est naturellement plus ténu, celui que lui fournissent
les veines, est plus épais; car les artères ont une tunique plus
dense que les veines, et le sang qu'elles contiennent est plus
82 De l'utilité des parties du corps humain

subtil et plus vaporeux ; or, un tel sang convient mieux pour


nourrir une substance flasque, comme un sang plus épais est
plus propre à servir d'aliment à une substance dense. Mais ce
sang si ténu renfermé dans les artères de la rate est engendré
par ces excréments épais et chargés de bile noire dont j'ai
parlé. Il résulte de là que la substance de la rate, bien que
flasque, diffère grandement de celle du poumon. Cette der­
nière est très flasque, très légère, à peu près blanche, ayant
l'apparence de l'écume congelée. Elle se nourrit en effet d'un
sang parfaitement pur, jaune rougeâtre, subtil et chargé d'air.
Le sang que lui envoie le cœur, possède tous ces avantages.
Mais nous traiterons en particulier de la nature de ce viscère
(cf. VII, II).
La substance de la rate étant aussi flasque par rapport au
foie qu'elle est dense par rapport au poumon, est avec raison
nourrie par un sang plus subtil. Il est vrai que le sang, quand il
est dans la rate, est plus épais que celui du foie ; mais élaboré
par les artères de la rate et par les veines munies d'une tunique
bien plus épaisse que celle des veines du foie, il pénètre dans la
chair de la rate, non pas en masse et épais, mais ténu et peu à
peu. De là vient que la substance de ce viscère est plus rare, et
plus légère que celle du foie, mais non pas plus rouge ou plus
jaune. En effet, l'humeur qu'elle a purifiée et qui, élaborée, lui
a servi de nourriture, était chargée de bile noire. Le sang qui
alimente le foie est bon, quoique épais, à cause de la ténuité
des tuniques de ses veines, et de la grandeur des ouvertures
dont il est percé.
En résumé, voilà comment sont nourris les trois viscères : le
foie tire sa nourriture d'un sang rouge et épais, la rate d'un
sang ténu, mais noir; le poumon d'un sang parfait, élaboré,
jaune rougeâtre, ténu, chargé de pneuma et pur. La substance
de ces viscères répond, par son aspect, à celui de l'humeur qui
les nourrit, ou plutôt ces substances devant être telles qu'elles
sont, la nature leur a préparé un aliment approprié.
Nous avons indiqué les deux utilités (purification du sang,
alimentation du viscère) de la multitude d'artères répandues
dans la rate. Elles présentent encore une autre utilité résultant
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 83

de leur fonction et de leur usage propres. Nous avons montré 1


que le mouvement des artères avait pour but surtout de
maintenir la chaleur naturelle dans chaque partie; leur dias­
tole rafraîchit en attirant une qualité froide (l'air}, leur systole
expulse les éléments fuligineux. La rate devant contenir une
grande quantité de ces éléments fuligineux, à cause de la
nocuité et de la grossièreté des sucs qui s'y élaborent, il était
raisonnable de lui donner de nombreuses et grandes artères.
Si le poumon a exigé une réfrigération puissante, la rate a
besoin d'être purifiée suffisamment. Quant au foie, comme il
n'a pas besoin d'une purification semblable (car il a trois
autres utilités très importantes), ni d'une réfrigération puis­
sante comme le cœur et comme le poumon qui a été fait en vue
du cœur, il ne demandait avec raison que de petites artères.
C'est pour ces motifs que la substance de la rate est rare, légère
et sillonnée d'artères.

CHAPITRE XVI . - Figure de la rate. - Lieu d'insertion de ses


vaisseaux. - Ses ligaments, sa tunique.

La partie concave (face interne) de la rate est dirigée vers le


foie et l'estomac, la partie convexe (face externe) est naturelle­
ment en sens inverse. À la partie concave (scissure de la rate)
sont insérées les veines et les artères ; c'est là aussi que se
trouve le prolongement vers l'épiploon. Sur la partie convexe
qui se porte vers les fausses côtes et les cavités iliaques, il ne
s'implante aucun vaisseau ; mais quelques prolongements
membraneux relient dans cet endroit la rate aux parties envi­
ronnantes ; ces membranes diffèrent de grandeur et de
nombre selon les animaux; on trouve une différence de figure
non seulement dans les espèces, mais dans les divers indivi­
dus, car elles n'ont été créées, comme nous l'avons dit, que
pour servir de ligaments. Aussi trouve-t-on plus ou moins
nombreux, plus ou moins forts, distribués en plus ou moins de
places, les ligaments non seulement de la rate, mais encore du

1 . Galien, Util. du pouls, chap. 1 ; Causes du pouls, L m ; Différ. du pouls, IV, II ;


Prés. tirés du p., IV, xn; Causes des sympt. , chap. 111.
84 De l'utilité des parties du corps humain

foie. La tunique (membrane séreuse fournie par le péritoine) qui


enveloppe la rate, n'est pas seulement un ligament, mais une
tunique comme l'indique son nom (xnwv), tunique proté­
geant, couvrant le viscère de tous les côtés. Elle tire aussi son
origine du péritoine, ainsi que nous l'avons dit précédemment
(chap. x et xi) . Toutefois nous avons établi (chap. x) aussi que
la plus épaisse de toutes les enveloppes devait être celle de
l'estomac. Telle est la manière dont se comportent les diverses
parties de l'estomac, du foie, de l'épiploon et de la rate.

CHAPITRE x v n . - De la double utilité des intestins; ils sont doués


d'une faculté altératrice, analogue à celle de l'estomac, et ont pour
fonctions de distribuer l'aliment dans les veines, mais ils ne sont
primitivement chargés ni d'élaborer l'aliment, ni de charrier les excré­
ments. - La preuve que les intestins ne sont pas seulement une voie de
transport, c'est que le rectum ne fait pas immédiatement suite à
l'estomac, ou qu'il n'existe pas entre ces deux parties une simple
cavité, mais qu'ils sont séparés par les replis nombreux et variés des
intestins. - L'étroitesse et les circonvolutions des intestins préparent
merveilleusement l'aliment à pénétrer dans le foie à travers les veines
(radicules de la veine porte). - Passages de Platon et d'Aristote sur ce
sujet. - Que la structure des intestins grêles (cf. V, m) est en rapport
avec leurs fonctions.

Il faut parler maintenant des intestins. Donc l'aliment s'éla­


bore encore en traversant les intestins, comme le sang dans
toutes les veines, et pourtant aucun des intestins n'est destiné
[primitivement] à cette élaboration non plus que les veines à
l'hématose ; mais comme nous l'avons dit, d'un côté la nature
se sert, jusqu'à un certain point, en vue du mieux, de chacun
des organes, de l'autre une utilité nécessaire est attachée aux
organes créés dans un but déterminé. C'est ainsi que créant les
veines pour être les instruments de distribution, elle leur a
donné en outre une puissance génératrice du sang, afin que le
temps ne fût pas perdu en vain pour l'aliment pendant qu'il
circule dans les veines. De même les intestins créés pour
distribuer cet aliment dans les veines sont doués aussi
[secondairement] de la propriété d'élaborer les aliments. Mais
il était impossible, comme nous l'avons montré dans notre
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 85

traité Sur les facultés naturelles (passim), que chacune des


parties de l'animal ne fût pas douée également d'une faculté
altératrice. Aussi la substance des intestins diffère peu de celle
de l'estomac. Si donc ils devaient jouir nécessairement d'une
faculté altératrice, et encore d'une faculté altératrice sem­
blable à celle de l'estomac, il s'ensuit non moins nécessaire­
ment que l'aliment sera soumis aussi à la coction dans leur
intérieur. Or si le foie est pour ainsi dire l'officine de l'héma­
tose, l'estomac est l'officine de la coction.
Mais il faut apprendre par les considérations suivantes que
les intestins n'ont pas été créés directement ni pour charrier
les excréments, ni pour élaborer les aliments, mais pour
distribuer dans les veines tout le suc qui s'est formé dans
l'estomac : d'abord chez aucun animal, l'estomac n'a été créé
contigu aux organes d'excrétion, quoiqu'il eût été possible de
prolonger immédiatement son extrémité jusqu'à la partie
appelée siège ; en second lieu, chez la plupart des animaux les
intestins se replient en circonvolutions très nombreuses ; enfin
l'aliment ne sort de l'estomac que parfaitement élaboré. Ceci a
été déjà démontré (chap. vu). Ce fait que chez les animaux
l'estomac et le rectum ne sont pas réunis, indique clairement
qu'il devait exister des organes différents pour la coction des
aliments et pour leur distribution. Supposez leur jonction, les
veines couraient souvent risque d'absorber un aliment cru et
mal élaboré. Il fallait donc éviter ce danger, car il est clair qu'à
l'un des organes revenait la coction, à l'autre la distribution.
Ce que nous avancions tout à l'heure est encore confirmé par
cette circonstance que non seulement l'estomac ne se pro­
longe pas jusqu'à l'anus, mais qu'il en est encore séparé par
des replis nombreux et disposés en cercle, circonstance qui
empêche la sortie trop prompte de l'aliment du corps de
l'animal. - Supposez un second estomac faisant suite au
premier, réservoir destiné à la distribution, comme le pré­
cédent à la coction, il n'arriverait pas au foie, en si peu de
temps et à travers tant de veines, une quantité assez considé­
rable d'aliments. Dans l'état actuel les circonvolutions des
intestins dans lesquelles pénètre un nombre infini de veines du
foie, renvoient à ce viscère toute l'humeur cuite par l'estomac.
86 De l'utilité des parties du corps humain

Dans notre [première] hypothèse le foie ne recevrait de loin


en loin par les embouchures de veines peu nombreuses qu'une
faible quantité d'aliment liquéfié, et la distribution serait
ralentie et durerait longtemps. En effet, les orifices des vais­
seaux doivent être en contact avec l'humeur élaborée et cuite.
D'un autre côté, avec un second estomac établi sous la pre­
mière grande cavité, l'aliment ne serait en contact qu'avec une
petite portion de cet estomac, avec celle-là seule qui la touche­
rait ; la plus grande partie perdue dans la profondeur de ce
viscère échapperait à l'action absorbante des veines. Mainte­
nant l'étroitesse du conduit en réduisant tout ce qui constitue
l'aliment en minces particules, le contraint en totalité ou à peu
près à se mettre en contact avec la tunique des intestins, où
viennent s'aboucher les veines, et par conséquent avec les
orifices mêmes de ces vaisseaux. Si quelque parcelle d'aliment
échappe en traversant le premier repli, elle sera saisie, soit au
second, au troisième, au quatrième, au cinquième, soit à un
suivant, car ils sont très nombreux.
Dans ce conduit si long, si étroit, si tortueux, toutes les
parties de l'aliment rencontrent nécessairement l'orifice d'un
vaisseau. En effet, la circonférence de l'intestin est percée d'un
nombre infini d'orifices intérieurs qui saisissent au passage la
partie utile de l'aliment qui le parcourt. De cette façon il
n'échappe et ne se perd aucune partie de l'humeur bonne pour
la nourriture de l'animal, quand du moins la loi naturelle régit
les fonctions du corps. Car maintenant c'est l'état normal que
nous exposons et non l'état morbide, où l'économie humaine
est bouleversée, où l'art de la nature ne peut plus se manifester
et réclame un aide qui tende une main, et écarte le mal. Si nous
ne faisons pas cette remarque à chacune des utilités que nous
passons en revue, ce n'est pas notre silence qu'il faut taxer de
négligence, mais c'est d'inintelligence qu'il faut accuser celui
qui ne comprend pas ce sous-entendu.
Nous avons donc montré que les sinuosités des intestins
avaient pour but l'exacte distribution de tout l'aliment éla­
boré. Telle était la pensée de Platon (Timée, 72e-73a) : « [ceux
qui nous formèrent ont créé les intestins avec des circonvolu­
tions] de peur que la nourriture, en les traversant rapidement,
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 87

ne réduisît le corps à réclamer bientôt des aliments nouveaux,


et qu'en produisant ainsi une insatiable gloutonnerie, le genre
humain ne devînt étranger à la philosophie et aux muses. »
Tous les animaux dépourvus de ces sinuosités et dont l'intestin
se prolonge en ligne droite de l'estomac au siège, sont d'une
voracité insatiable, et comme les plantes ils ne sont occupés
qu'à se nourrir. On trouve à ce propos dans Aristote de belles
réflexions, celle-ci entre autres : la nature, s'écartant peu à peu
du type végétal, a créé les animaux dans un ordre ascendant de
perfection jusqu'à ce qu'elle arrivât au plus parfait de tous,
l'homme, sujet de notre livre 1 •
Je ne veux donc parler ni du nombre des estomacs dans les
ruminants, ni de l'estomac et des autres organes de la nutri­
tion dans chaque espèce d'animaux. Aristote a traité habile­
ment tous ces sujets 2. Si la brièveté de la vie n'interdisait pas
les plus belles recherches, peut-être un jour pourrais-je
compléter ce qui reste à dire sur ce sujet. Maintenant qu'il
nous suffise d'exposer si nous le pouvons, dans tous ses
détails, la structure de l'homme. Reprenons donc le fil de
notre discours là où nous l'avons interrompu, en avertissant
nos lecteurs de ne pas attendre la démonstration d'aucune
1 . Aristote, Histoire des animaux, VIII, 1, 588b : « Ainsi la nature passe petit à
petit des êtres inanimés aux êtres doués de vie, si bien que cette continuité
empêche d'apercevoir la frontière qui les sépare, et qu'on ne sait auquel des deux
groupes appartient la forme intermédiaire. En effet, après le genre des êtres
inanimés se trouve d'abord celui des végétaux. Et parmi ceux-ci, une plante se
distingue d'une autre parce qu'elle semble participer davantage à la vie. Mais le
règne végétal pris dans son ensemble, si on le compare aux autres corps
matériels, apparaît presque comme animé, mais en comparaison avec le règne
animal, il paraît inanimé. D'autre part, le passage des végétaux aux animaux est
continu, comme nous l'avons dit plus haut. En effet, pour certains êtres qui
vivent dans la mer, on pourrait se demander s'ils appartiennent au règne animal
ou au règne végétal. Car ils sont attachés, et beaucoup d'entre eux périssent s'ils
se détachent : par exemple, les pinnes vivent fixées, et les couteaux, s'ils sont
tirés de leur trou, ne peuvent pas vivre. D'une manière générale, le genre des
testacés tout entier ressemble aux plantes si on le compare aux animaux qui se
déplacent. Et quant à la sensibilité, certains de ces êtres n'en manifestent
absolument aucune, tandis que d'autres en possèdent, mais à un faible degré. La
nature du corps de quelques-uns d'entre eux est celle de la chair, par exemple,
ceux qu'on appelle les ascidies, ainsi que le genre des actinies. Quant à l'éponge,
elle est en tous points semblable aux végétaux. Il y a toujours une différence
minime qui place tel animal avant tel autre et montre déjà qu'il a plus de vie et de
mouvement. Et il en va de même pour les actes de la vie. »
2. Aristote, Parties des animaux, III, XIV; Histoire des animaux, Il, xvu.
88 De l'utilité des parties du corps humain

fonction, car nous les avons exposées toutes dans notre traité
Sur les facultés naturelles ; nous avons expliqué aussi (Fac. nat.,
III, XIII, XIV et xv) comment les orifices des artères qui
pénètrent dans l'intestin, absorbent peu de nourriture, tandis
que la plus grande partie passe dans les veines. Ce fait même
que les artères contiennent naturellement le sang, est établi à
part dans un autre traité 1 •
Il ne nous reste maintenant qu'à achever la description de la
structure des intestins. Nous avons montré (chap. VIII ; cf Fac.
nat., III, x-xI) que toutes les fonctions, toutes les facultés dites
éliminatoires et propulsives résultaient du mouvement des
fibres transversales, comme les propriétés attractives du mou­
vement des fibres droites. Si donc l'estomac, doué de ces deux
facultés, réclamait deux tuniques disposées en sens inverse,
chaque intestin n'ayant pas d'autre espèce de mouvement que
la propulsion, ne devait posséder qu'une espèce de tunique se
déroulant en fibres transversales et circulaires. Pourquoi donc
les intestins sont-ils pourvus de deux tuniques si elles se
comportent de la même façon ? L'une des deux paraît super­
flue. Il n'en est rien. Si la tunique des intestins est double, c'est
pour exercer plus fortement la puissance d'expulsion, et pour
protéger les organes mêmes contre les lésions. De même que le
séjour prolongé des aliments dans l'estomac importait à leur
complète coction, de même le séjour dans les intestins était
préjudiciable. Il suffisait, en effet, de leur passage à travers un
conduit long et étroit, pour en opérer dans le foie une distribu­
tion exacte.
La sécurité des intestins, leur résistance parfaite aux causes
perturbatrices ne trouve pas une protection médiocre dans la
présence des deux tuniques, c'est ce qu'on remarque surtout
dans les affections dysentériques. Nous avons vu maintes fois
beaucoup de malades depuis longtemps atteints d'affections
très graves, ayant une grande partie des intestins pourrie au
point qu'en beaucoup de places la tunique interne était
détruite. Ils vivaient cependant, et continuaient de vivre, grâce

1. Galien, Si du sang est contenu dans les artères; Manuel des dissect., VI, xvu;
Utilité des parties, V, XI, et XIV, XIV.
Livre N - Des organes alimentaires et de leurs annexes 89

à cette seconde tunique qui protégeait la tunique viciée. Cer­


tains intestins sont recouverts extérieurement dans leur lon­
gueur de fibres droites destinées à protéger les fibres trans­
versales. Voilà pourquoi cette disposition se rencontre surtout
chez les animaux dont les intestins ont des tuniques minces,
ou des fonctions très énergiques. On pouvait craindre, en effet,
une rupture des fibres transversales, si des fibres droites ne les
contenaient extérieurement comme serait un ligament. Il suit
de là que dans le rectum ces fibres sont plus nombreuses,
parce que l'accumulation d'une quantité d'excréments secs et
durs exigeait en cet endroit un mouvement péristaltique consi­
dérable des tuniques. Elles sont donc entourées à l'extérieur
par un ligament que constituent quelques fibres droites. Dans
la plupart des animaux le côlon tout entier est étreint dans sa
longueur par des ligaments robustes qui s'étendent sur lui de
haut en bas, un de chaque côté. Nous avons dit plus haut
(chap. x et XI) , que le péritoine recouvre cette seconde tunique
et relie les intestins au rachis et à encore d'autres parties. En
un mot, il n'est pas un des organes placés sous le diaphragme
qui ne soit enveloppé d'une tunique tirant du péritoine sa
première origine. Il suffit de ces observations sur les intestins
grêles.

CHAPITRE xvm . - Le gros intestin est disposé de façon à retenir les


excréments et par conséquent à empêcher la défécation incessante. -
Les rapports avec les intestins grêles. - Du nombre des c.ecums chez
les oiseaux et chez les autres animaux.

Passons aux gros intestins. Si l'intestin grêle est disposé


pour la distribution, s'il a été créé dans ce but bien qu'en
même temps il élabore l'aliment et le pousse en avant, le gros
intestin, de son côté, a été créé pour que l'expulsion des
excréments ne fût pas trop précipitée. Cependant chez beau­
coup d'animaux voraces dont l'intestin est droit, on peut voir
qu'il ne va pas en s'élargissant à l'extrémité inférieure 1 • Mais
1 . Aristote, Parties des animaux, III, XIV, 675a-b : « Le genre des poissons tout
entier, par suite de l'imperfection de son appareil digestif qui laisse passer la
nourriture sans en opérer la coction, est vorace ainsi que ceux des autres
animaux qui ont les intestins droits. En effet, comme les aliments passent
rapidement et que, par suite, le rassasiement ne dure pas, il est nécessaire que
90 De l'utilité des parties du corps humain

ces animaux qui se repaissent toujours et se déchargent inces­


samment de leurs excréments, mènent, comme disait Platon
(Timée, 72e-73a ; cité ci-avant chap. xvu, p. 86), une existence
tout à fait étrangère aux muses et à la philosophie. Les
animaux d'un ordre supérieur et d'une structure achevée ne se
repaissent, ni ne se déchargent de leurs excréments sans
discontinuer. Nous avons montré (chap. xvu) que les circonvo­
lutions des intestins ont pour résultat de prévenir le besoin
d'une introduction perpétuelle d'aliments. Si nous ne sommes
pas obligés d'aller à la selle fréquemment, mais seulement à
des intervalles assez éloignés, cela résulte de la largeur du gros
intestin, espèce de seconde cavité établie au-dessous des intes­
tins, comme la vessie pour l'urine. Car pour prévenir chez les
animaux le besoin perpétuel de défécation ou de miction, la
nature a disposé pour les excréments liquides la vessie, pour
les excréments solides ce qu'on appelle l'intestin épais (gros
intestin), ou encore, suivant quelques-uns, le ventre inférieur. Il
commence au ccecum. En effet, à l'endroit où se termine
l'intestin grêle, se trouvent à droite le ccecum, à gauche le
côlon qui a d'abord remonté à travers la région iliaque droite.
Le ccecum est évidemment comme une cavité épaisse propre à
recevoir les résidus, et qui a le côlon [descendant] pour lui
correspondre.
Dans la plupart des oiseaux, à cause de l'énergie de la
coction [de l'estomac et des intestins grêles] le ccecum est
double. Si donc quelque particule a échappé à l'absorption en
traversant l'intestin grêle, il est à coup sûr complètement
épuisé par son séjour prolongé dans les ccecums. Comme
presque tous les oiseaux sont doués de cette action énergique

l'appétit revienne également vite. [ ...] Car pour ainsi dire tous les animaux à
cornes ont des intestins de grande dimension pour l'élaboration de la nourri­
ture. Chez ceux qui n'ont pas l'intestin droit, cette partie, à mesure qu'on avance,
devient plus large; ces animaux ont ce qu'on appelle le côlon, puis la partie du
gros intestin qui forme le crecum ; à partir de là l'intestin redevient plus étroit et
a davantage de circonvolutions ; enfin, après cette portion, il poursuit sa route
tout droit [le rectum] jusqu'à l'issue des excréments. » - Aristote, Génération des
animaux, I, IV, 717a : « De même qu'en ce qui concerne la nutrition, les animaux
à intestin droit sont plus avides de nourriture, de même ceux qui n'ont pas de
testicules mais de simples canaux, ou ceux qui, tout en ayant des testicules, les
ont intérieurement, tous ceux-là sont plus rapides dans l'acte d'accouplement. »
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 91

de l'estomac et des intestins, il existe pour les excréments des


réceptacles doubles qui, en prévenant la sortie trop prompte
d'un aliment incomplètement digéré, permettent une déféca­
tion collective et unique, au lieu d'une défécation perpétuelle
et successive. Chez l'homme et chez tous les animaux qui
marchent, la nature a créé un crecum unique qu'elle a établi
dans la région iliaque droite. Il trouvait là une place libre
appropriée, le rein droit se trouvant au-dessus de lui pour une
cause que nous expliquerons plus tard (livre V, VI) .

CHAPITRE XIX . - Par la création des sphincters de l'anus et du col de


la vessie, la nature a empêché la défécation et la miction involontaires.
-Des artifices dont la nature a usé pour la nutrition des intestins et de
l'estomac.

Toutes ces dispositions de la nature sont admirables. Ajou­


tez encore qu'à la double issue des excréments sont établis,
comme une barrière, des muscles qui en préviennent l'expul­
sion continuelle ou intempestive. En effet, ce qu'on appelle le
col de la vessie est musculeux ; et l'extrémité inférieure du
rectum est resserrée par des muscles circulaires. De là, je
crois, lui vient pour quelques-uns le nom de sphincter. Car
tous les muscles qui sont les instruments du mouvement
volontaire, ne permettent aux excréments de sortir qu'après
en avoir reçu l'ordre de la raison ; ces sphincters sont les seuls
instruments psychiques (organe de la volonté) qu'on trouve sur
un si long trajet d'organes physiques (organes du mouvement
involontaire, ou de la vie animale), placés aux deux ouvertures
destinées à l'évacuation des excréments. Ceux dont les
muscles sont paralysés ou gravement affectés de quelque autre
façon laissent involontairement échapper leurs excréments, ce
qui montre évidemment à quel point la vie eût été honteuse et
étrangère aux muses (cf. chap. XVII), si dès le principe la nature
n'eût pas imaginé quelque chose de mieux.
Les dispositions qu'elle a prises d'avance à cet égard sont
admirables comme aussi par rapport à l'estomac et aux intes­
tins, qui non seulement concourent à nourrir les autres parties
du corps, mais encore travaillent à leur propre nutrition ;
là aussi la nature n'est restée ni oisive, ni dépourvue
92 De l'utilité des parties du corps humain

d'invention. D'abord elle a créé dans tout le mésentère des


veines particulières (lymphatiques) destinées à porter la nour­
riture dans les intestins et qui ne vont pas au foie. Car, ainsi
que le disait Hérophile, ces veines aboutissent à des corps
glanduleux (glandes lymphatiques du mésentère), tandis que
toutes les autres remontent aux portes du foie. Ensuite, et
principalement dans le même but, elle a disposé dans l'épi­
ploon un nombre infini de vaisseaux qui tous doivent nourrir
les parties voisines. Ce sont là deux artifices imaginés par la
nature pour nourrir complètement l'estomac et les intestins. Il
y a bien encore deux autres auxiliaires de la nutrition, le
premier consiste dans l'élaboration même de l'aliment, ceci a
été démontré (cf. chap. VII et XVII, et Fac. nat., III, xm) ; le
second dans la faculté que possèdent les parties inférieures
privées d'aliments par suite d'une longue abstinence d'en tirer
du foie, même quand la distribution de l'aliment dans le foie,
ainsi que l'exacte élaboration et la séparation de cet aliment
une fois arrivé dans le viscère, sont accomplies ; dans ce cas les
organes inférieurs éprouvant le besoin d'aliments, ont la puis­
sance d'attirer un sang capable de nourrir. Il y a des gens qui
s'étonnent que les mêmes veines servant naguère à la distribu­
tion de l'aliment dans le foie, en ramènent dans cette cir­
constance un sang qui peut nourrir; ceux-là ignorent les
œuvres de la nature et ne connaissent pas davantage la puis­
sance d'attraction des organes qui éprouvent le besoin d' ali­
ments ; nous avons démontré ailleurs cette puissance (cf. Fac.
nat., III, XIII) .

C H A PITRE xx. - La nature a réuni les radicules veineuses et arté­


rielles, en un vaisseau unique, comme les radicules des arbres se
réunissent pour former le tronc. - Que l'épiploon et le mésentère sont
destinés à soutenir les vaisseaux. - Structure du mésentère.

Il ne nous reste encore pour achever l'exposition des parties


traitées ici, qu'à parler à ce propos de l' œuvre et de l'habileté
de la nature. Chacun des intestins reçoit un grand nombre
d'orifices de veines, semblables aux dernières et minces extré­
mités des radicules d'un arbre (cf. V, II) ; mais la nature qui
dans les arbres réunit ces petites radicules en racines plus
Livre IV - Des organes alimentaires et de leurs annexes 93

fortes, réunit également dans les animaux les vaisseaux plus


déliés en vaisseaux plus grands, ceux-ci en d'autres plus
grands encore et continue ainsi jusqu'au foie ou elle les
confond tous dans la veine unique qui est située aux portes du
foie (tronc de la veine porte), veine d'où prennent naissance les
veines qui se rendent à l'estomac et à la rate. À l'égard des
artères elle les réunit également toutes en une grande artère
qui repose sur le rachis (tronc cœliaque).
Un intervalle considérable séparant l'origine des vaisseaux
de leur extrémité, il n'était pas prudent de laisser sans protec­
tion de si faibles canaux poursuivre leur trajet. Ceux qui
remontent vers les portes du foie auraient été suspendus pour
ainsi dire, privés de tout appui solide, dépourvus dans leur
route de tout auxiliaire pour les soutenir, les affermir et les
consolider. Comment donc la nature a-t-elle assuré leur
marche, de façon que ni les sauts, ni la chute de l' animal, ni le
choc violent d'un corps extérieur ne puissent occasionner une
compression, une rupture ou une lésion des vaisseaux (cf
chap. XIV) ? Sur la tunique (membrane séreuse) qui relie et
enveloppe les intestins, tunique engendrée, avons-nous dit
(chap. IX-x) , par le péritoine, la nature en a inséré une (mésen­
tère}, analogue au péritoine même et dont elle a revêtu les
vaisseaux. Dans les intervalles vides entre les vaisseaux,
repliant cette tunique en double sur elle-même, elle l'a rendue
ainsi moins accessible aux lésions et l'a donnée aux vaisseaux
comme ligament et comme protection sûre.
Quant à la plupart des vaisseaux qui complètement suspen­
dus et droits, remontaient vers le foie, à leur point de jonction
(sachant que c'était là qu'ils étaient le plus exposés), la nature
a placé une espèce de corps charnus appelés glandes (glandes
lymphatiques) qui fixés en guise de coins là où les vaisseaux se
bifurquent, leur fournissent un appui sûr et une défense
contre toute violence extérieure. Nous avons terminé ce qui
concerne le mésentère. Il nous faut examiner maintenant quel
trajet la nature devait de préférence faire suivre à cette grande
veine (v. porte) venant du foie qui reçoit toutes les veines du
mésentère. Mais ce livre ayant atteint une longueur suffisante,
j'exposerai dans le suivant ce point et tous ceux qui restent à
traiter sur les organes de la nutrition.
LIVRE CINQUIÈME

D E S O RGANES ALIMENTAIRES E T
D E L EU R S ANNEXE S (s u i te)

CHAPITRE I er. - Sujet du livre. - L'auteur s e propose d'abord de


rechercher si la nature a choisi la meilleure place pour y insérer la
veine porte et le canal cholédoque.

CHAPITRE I I . - La veine porte, l'artère et les nerfs et le canal hépa­


tiques doivent nécessairement aboutir au foie par le même point
(sillon transversal). - La veine porte devait pénétrer dans le foie non
par des rameaux multiples, mais par un tronc unique. - Principes
généraux sur la division des artères et des veines, et sur leurs
connexions. - Le pancréas est destiné à maintenir en place et à
protéger contre toute lésion les vaisseaux des organes alimentaires
situés dans l'abdomen.

CHAPITRE I I I . - Le duodénum est disposé de telle façon qu'il laisse


une place libre pour les vaisseaux du foie, de l'estomac et des intestins.
- Il y a des parties qui sont créées dans un but déterminé; il y en a qui
n'ont par elles-mêmes aucune utilité, mais qui sont faites en vue de
celles qui ont un but. Exemple tiré du jéjunum, qui n'a point d'utilité
propre, mais seulement une utilité secondaire, accidentelle. - Des
conditions qui favorisent sa fonction, laquelle consiste à distribuer
l'aliment au foie.

CHAPITRE I V . - Utilité de l'insertion du canal cholédoque au duodé­


num : la bile sécrétée dans cette première partie de l'intestin contribue
puissamment à expulser les matières phlegmatiques qui s'y
accumulent, et dont la surabondance cause de très grands désordres. -
Livre V • Des organes alimentaires et de leurs annexes 95

Faits pathologiques et thérapeutiques qui prouvent à la fois la nocuité


des superfluités phlegmatiques, et les heureux résultats de la présence
de la bile. - Pourquoi une partie du canal cholédoque ne s' insère-t-elle
pas à l'estomac, qui lui aussi contient des matières phlegmatiques ?
Galien répond : La présence de la bile dans l'estomac eût causé de
graves accidents, vu la sensibilité exquise de ce viscère; de plus, elle
e11t trop activé la sortie des aliments; il est facile, d'une part, à l'aide
d'agents introduits par la bouche dans l'estomac, d'évacuer ce
phlegme, ce qu'on fait beaucoup plus difficilement par les intestins;
d'une autre, il importe que les aliments séjournent dans l'estomac
pour être suffisamment cuits. - À ce propos, Galien compare les règles
que suivent l'homme et la nature dans la recherche de l'utile. - Sage
précepte des anciens médecins relatif aux vomitifs périodiques. - La
bile une fois versée dans les intestins n'est plus reprise dans l' écono­
mie animale; d'un autre côté, quand elle est répandue dans le corps,
elle n'arrive plus dans les intestins; la preuve en est dans la couleur des
matières excrétées dans l'ictère. - La nature n'a pas agi avec moins de
sagesse dans la production des voies d'excrétion de la bile noire que la
rate n'a pas pu élaborer entièrement. - Comparaison des qualités de la
bile noire avec celles de la bile jaune.

CHAPITRE v . - Que la nature a dû placer les reins près du foie, et la


vessie à la partie inférieure du tronc, et qu'elle devait par conséquent
établir entre ces organes une voie de communication (les uretères). -
Énumération des sujets que Galien se propose de traiter à propos des
reins. - Attaques contre Érasistrate; ses théories sur les artères
l'empêchaient de comprendre l'utilité de celles de la rate. - Le même
Érasistrate, tout en accordant que la nature ne fait rien en vain,
néanmoins ne cherche pas à prouver que chacune de ses œuvres
mérite des éloges. - Conditions qu'on doit remplir pour chercher avec
fruit l'utilité des parties. - Les vaisseaux qui vont aux reins sont
volumineux parce qu'ils sont chargés d'y transporter le sang que ces
viscères doivent débarrasser de l'humeur séreuse. - Attaque contre
Lycus, qui prétendait que l'urine n'était que le résidu de la nourriture
de la rate. - Cf. IV, v.

CHAPITRE V I . - Raisons pour lesquelles la nature a placé le rein


droit plus haut que le gauche. - Pourquoi la nature a-t-elle fait deux
petits reins au lieu d'en faire un seul gros à gauche; et pourquoi, d'un
autre côté, n'a-t-elle fait qu'une rate et qu'une vésicule? - Cela tient
96 De l'utilité des parties du corps humain

d'une part à la symétrie, et de l'autre à la nature même des excré­


ments. - Les reins suffisent à purifier le sang de tout le sérum, cela est
prouvé par le peu de sérum qu'on trouve sur le caillot après les
saignées. - La grandeur des orifices artériels dans les reins prouve
qu'ils attirent une humeur mélangée; il en est de même de la rate, car
les émonctoires qui doivent attirer une humeur sans mélange, comme
la vésicule biliaire, ont de petits orifices dans le viscère qu'ils doivent
purifier. - Cf. N, VI.

CHAPITRE VI I . - Motifs de la différence de structure des reins et de


la rate. - Pourquoi les reins et la rate n'ont pas besoin d'un vaisseau
nourricier spécial? Parce que avec l'humeur que ces organes sont
spécialement chargés d'éliminer, ils attirent un peu de sang. - C'est le
contraire pour la vésicule biliaire et pour la vessie urinaire. - Que la
vessie urinaire devait avoir des vaisseaux et des nerfs plus considé-
rables que la vésicule biliaire, vu sa plus grande capacité.

CHAPITRE VIII . - Origine et distribution des vaisseaux et des nerfs


de la vessie, et de la vésicule biliaire. - Des précautions prises par la
nature pour les protéger dans leur trajet, et sur les parties elles­
mêmes. - En quoi les vaisseaux de la vessie urinaire diffèrent chez
l'homme et chez la femme.

CHAPITRE I X . - Les nerfs du foie, de la rate, des reins, de la vésicule


biliaire sont très ténus ; il ne leur en est accordé que pour les distin­
guer des plantes, et pour leur donner le sentiment des lésions qu'ils
peuvent éprouver. - Ce que la nature se propose en accordant des
nerfs aux parties ; elles sont distinguées en celles qui sont douées de
perception et de mouvements, ou simplement du sentiment des
lésions dont elles sont atteintes. Ce sont là de nouvelles raisons
d'admirer l'art et la prévoyance de la nature, plus juste que la justice.

C HAPITRE x . - Danger qui résulterait pour les viscères, et en parti­


culier pour les intestins, s'ils n'étaient pas avertis par les nerfs des
affections morbides, ou des matières nuisibles. - Faits pathologiques
qui le prouvent. - Ni le foie, ni la rate, ni les reins n'avaient besoin
d'une sensibilité exquise; ce qui le démontre, c'est l'innocuité du
séjour dans leur intérieur des matières excrémentitielles qui sont
Livre V - Des organes alimentaires et de leurs annexes 97

propres à chacun d'eux. - Il n'en est pas de même de la vessie, qui a été
créée, en vue de l'urine et non en vue de la bile que contient naturelle­
ment l'urine, de telle sorte qu'elle serait lésée si elle n'évacuait pas
promptement son contenu.

CHAPITRE XI . - La nature a dispensé les tuniques aux viscères, en


tenant compte, non de l' importance de ces viscères, mais de leurs
usages. - De la tunique séreuse commune à tous les viscères, et
semblable pour tous. - Des variétés que présente la tunique mus­
culeuse, eu égard au nombre des couches et à la direction des fibres,
suivant les parties. - De la tunique musculeuse de la vessie en
particulier.

CHAPITRE XII. - Pourquoi dans les tuniques les fibres transversales


sont-elles à l'extérieur, et les longitudinales à l'intérieur, et pourquoi y
a-t-il peu de fibres obliques? - Pourquoi tantôt deux tuniques comme
aux intestins, et tantôt une seule comme aux vessies? - Galien a
répondu à une partie de cette première question dans le chapitre
précédent; mais il n'achève pas la réponse dans celui-ci. - Pour la
seconde question, il prouve par la nature des fonctions que les
intestins devaient avoir deux tuniques, et les vessies seulement une.

CHAPITRE XII I . - Les conduits des excréments doivent être de la


même substance que les réservoirs qui contiennent ces mêmes excré­
ments. - Art admirable du Créateur dans l'insertion du canal cholé-
doque au duodénum, et des uretères à la vessie.

CHAPITRE XIV . - Énumération des muscles de l'anus et de l'abdo­


men. - Du rapport admirable qui existe entre la direction de leurs
fibres et les fonctions qu' ils ont à remplir. - Le nombre des muscles de
l'abdomen est réglé par la symétrie des deux côtés du corps, et comme
il n'y a que quatre directions possibles de fibres, il ne pouvait y avoir
que quatre muscles de chaque côté ; ce nombre suffit du reste pour
accomplir toutes les fonctions dévolues aux muscles de cette région. -
Ce nombre ne peut être ni augmenté ni diminué. - Suppositions qui le
prouvent.

CHAPITRE x v . - Comme la pression égale que les muscles de l'abdo-


98 De l'utilité des parties du corps humain

men exercent sur les matières contenues dans le canal intestinal


pressait ces matières aussi bien en haut qu'en bas, la nature a imaginé
le diaphragme pour déterminer la sortie par le bas, de sorte que ce
muscle sert à la fois à la respiration, et à l'expulsion des excréments. -
Galien compare l'action simultanée de ce muscle et de ceux de
l'abdomen à deux mains superposées et pressant un objet qui peut
s'échapper ou couler. - Le diaphragme trouve un auxiliaire puissant
dans l'action des muscles intercostaux. - D'un autre côté les muscles
du larynx servent à empêcher la sortie trop abondante de l'air pendant
l'acte de la défécation. - Combien il faut admirer la nature qui sait se
servir des mêmes organes pour plusieurs fins.

CHAPITRE XVI. - Différences qui existent entre le muscle qui ferme


le rectum et celui qui ferme la vessie. - Des usages particuliers du
muscle de la vessie. - De la courbure du canal de l'urètre chez
l'homme et chez la femme.
LIVRE SIXIÈME

D E S O R G A N E S R E S PI RAT O I R E S

CHAPITRE 1er. - Ce livre comprendra, outre les viscères thoraciques


proprement dits, la suite de la description de l'œsophage et de la veine
cave.

Dans les deux livres précédents, nous avons exposé l'écono­


mie des organes établis par la nature pour distribuer les
aliments, et nous avons conduit la veine cave jusqu'au dia­
phragme.
Ce qui vient après 1 nous a paru devoir être mieux placé dans
l'exposition des organes contenus dans le thorax; nous en
avons donc ajourné l'explication au présent livre. Pour le canal
de l'estomac qu'on appelle œsophage, nous en avons déjà traité
en partie précédemment; mais le trajet qu'il parcourt dans le
thorax, le soin extrême apporté à sa conformation par la
nature, qui s'est montrée si exempte de toute négligence, de
toute superfluité, de toute inutilité que l'esprit ne peut conce­
voir une autre structure meilleure, voilà des questions qu'il
nous a paru nécessaire de réserver pour l'exposition actuelle.
Nos développements à cet égard auraient absolument manqué
de clarté, si l'on n'avait connu toutes les parties du thorax.
Aussi ne donnerons-nous pas ces développements tout
d'abord, mais nous commencerons par présenter sur la struc­
ture du thorax autant de détails qu'il est nécessaire, et dans
une mesure telle que si on les ignore, notre explication sera
très obscure, et qu'elle deviendra très claire, si on les connaît.
1. C'est-à-dire le trajet de la veine cave et de l' œsophage dans le thorax, à
partir du diaphragme.
100 De l'utilité des parties du corps humain

CHAPITRE II . - Définition du thorax. - Galien ne se propose de


parler, ni de la façon dont s'accomplit la respiration, ni de l'utilité de
cette fonction, mais seulement de l'utilité des parties contenues dans
le thorax en prenant pour point de départ l'utilité supposée connue de
la respiration (la réfrigération du cœur). - Inconvénients et dangers qui
résulteraient de l'absence d'un réservoir d'air entre le cœur et la
trachée-artère. - Situation du cœur.

Les médecins ont coutume d'appeler thorax, toute cette


cavité circonscrite à droite et à gauche par les côtes, arrivant à
la partie antérieure jusqu'au sternum et au diaphragme ; et à
sa partie postérieure, descendant par une courbe vers l'épine
dorsale. Sa capacité intérieure est clairement indiquée par son
contour extérieur, car la dimension interne est, peu s'en faut,
égale à la grandeur apparente du thorax ; il suffit de retran­
cher, et la différence est légère, l'espace occupé par les côtes
dont le corps est tout à fait mince. Cette cavité ne renferme que
le cœur chez les poissons, race conséquemment privée de voix,
car elle manque d'un des organes nécessaires à la production
de la voix, le poumon. Les animaux qui tour à tour tirent de
l'atmosphère et lui renvoient par la bouche les matériaux de la
respiration, ont tous la cavité de la poitrine remplie par le
poumon, à la fois organe de la voix et de la respiration.
Le principe de son mouvement réside dans le thorax,
comme nous l'avons montré dans notre traité Sur la respira­
tion. Quant à la part d'action qu'il a dans la production de la
voix, elle a été indiquée dans notre ouvrage Sur la voix.
Maintenant je me propose, non d'expliquer les fonctions,
mais d'exposer la structure des organes. Ne croyez donc pas
que je vais expliquer en vue de quoi nous respirons. Cette
question, ayant été traitée ailleurs 1 , et servant de base à mon
raisonnement, je retrace maintenant l'utilité des parties du
cœur, du poumon et de tout le thorax. De plus, comme je l'ai
dit, je vais exposer la situation de l' œsophage et de la veine
cave [dans le thorax].
La respiration chez les animaux, avons-nous vu 2 , existe
1 . Galien, De l'utilité de la respiration.
2. Galien, De l'utilité de la respiration.
Livre VI - Des organes respiratoires 101

dans l'intérêt du cœur, lequel a besoin de la substance de l'air,


et brûlé de chaleur, désire bien plus encore la fraîcheur qu'il
lui procure. Pénétrant avec sa vertu frigorifique, l'air rafraî­
chit le cœur; il en sort, entraînant avec lui des particules
effervescentes, et comme brûlées et fuligineuses. C'est pour
cela que le cœur a un double mouvement dépendant de parties
qui agissent en sens contraire, car il attire en se dilatant, et en
se contractant il se vide. Considérez tout d'abord, à ce propos,
la prévoyance de la nature. Comme il était avantageux à
l'homme de posséder la voix, et que le son, pour être formé, a
nécessairement besoin de l'air, elle a employé à le produire
tout l'air qui autrement eüt été expiré sans profit ni utilité.
Quant aux organes de la voix, au jeu de ces organes, ce sont des
questions développées dans nos Commentaires sur la voix. Ici,
nous rappellerons seulement dans le courant du livre, ce qui
est nécessaire à notre sujet.
C'est le lieu maintenant de louer la nature : en effet, elle n'a
pas chargé le cœur d'aspirer l'air immédiatement par le pha­
rynx 1 ; mais entre ces deux organes, elle a établi le poumon,
comme un réservoir de l'air, capable de remplir à la fois les
deux fonctions. Si le cœur, en se dilatant, eût attiré l'air du
pharynx et le lui eût bientôt renvoyé en se contractant, la
concordance eût été nécessaire entre le rythme de la respira­
tion et le battement du cœur; il en résultait pour l'animal, de
nombreux et graves inconvénients qui mettaient en danger,
non pas seulement le bien-être de la vie, mais la vie même. En
effet, l'interruption fréquente de la voix, suite d'une pareille
conformation, ne serait pas une médiocre atteinte à ce qui fait
le charme de la vie ; d'un autre côté, l'impossibilité, soit de se
plonger dans l'eau de peur d'être suffoqué, soit de retenir un
instant sa respiration pour traverser la fumée, la poussière, un
air malsain, empoisonné, corrompu par des miasmes qui
s'exhalent de corps putréfiés, ou par d'autres causes, attaque­
rait bientôt la vie dans son principe et détruirait complète­
ment l'animal. Mais c'est du poumon et non pas du pharynx,

1 . Chez Galien, le pharynx correspond tantôt au vestibule commun des voies


digestives et respiratoires, tantôt au larynx.
102 De l'utilité des parties du corps humain

ni du dehors immédiatement que le cœur attire l'air, bientôt


renvoyé à ce même poumon ; et cette disposition nous permet,
tantôt d'user longtemps de la voix, tantôt de nous abstenir
complètement de respirer, sans nuire en rien à la fonction du
cœur. Si, par le pharynx, le cœur eût aspiré sans intermédiaire
l'air du dehors, et l'eût également expiré au-dehors, il en
résultait nécessairement l'un ou l'autre de ces deux dangers,
ou de respirer malencontreusement un air pernicieux, ou
d'être suffoqué sur-le-champ, faute de respirer. C'est pourquoi
la nature n'a pas chargé le cœur seul de la fonction respira­
toire, elle l'a enveloppé du poumon et du thorax, qui sont
chargés de lui fournir l'air en même temps qu'ils doivent
produire la voix. De plus, le cœur est environné d'une part par
le poumon, qui sera pour lui comme un coussin élastique
mollet, selon l'expression de Platon 1 , de l'autre par le thorax,
qui forme une robuste ceinture protectrice, non seulement du
cœur, mais aussi du poumon.
La nature a établi le cœur au centre même de la cavité
thoracique, place très favorable à sa sécurité, et qui lui pro­
cure, de la part de tout le poumon, une égale répartition du
froid. Le vulgaire croit que le cœur n'occupe pas exactement la
position centrale, mais qu'il incline davantage du côté gauche ;
cette opinion erronée vient de ce qu'on voit battre le cœur sous
la mamelle gauche, où se trouve le ventricule, origine de toutes
les artères ; mais, à sa droite se trouve un autre ventricule
tourné vers la veine cave et le foie 2 • C'est une preuve que le
l. Platon, Timée, 70c-d : • Quant aux battements du cœur, quand il pressent
les dangers ou que l'emportement s'élève, sachant d'avance que le feu devait
causer tout ce gonflement des parties qui s'emportent, les Dieux y ont ménagé
un secours en greffant sur le cœur le tissu du poumon : d'abord il est mou et
exsangue, puis il a l'intérieur percé de trous comme une éponge, afin de recevoir
l'air et la boisson [/es Grecs anciens ont longtemps cru qu'une partie de la boisson
passait dans le poumon}, de rafraîchir le cœur et de lui procurer, dans son
ardeur, détente et répit. Aussi ont-ils amené au poumon les conduits divergents
de la trachée-artère, et tout autour du cœur l'ont disposé lui-même comme un
édredon : ainsi le cœur, quand en lui l'emportement atteindrait son comble,
viendrait battre sur un tissu élastique et s'y rafraîchir ; il se fatiguerait moins et
serait mieux en mesure de se mettre avec l'emportement au service de la
raison. »
2. Pour Galien, les artères procèdent du ventricule gauche, et servent avant
tout à véhiculer le pneuma mêlé au sang (pneuma fabriqué dans le cœur gauche
à partir de l'air que la veine pulmonaire lui apporte). Quant aux veines, elles
servent au sang et, en tant que telles, procèdent du foie qui possède une faculté
Livre VI - Des organes respiratoires 103

cœur n'est pas situé en totalité dans le côté gauche, mais qu'il
occupe précisément le centre, dans le sens non seulement de la
largeur, mais aussi des deux autres dimensions, profondeur et
longueur du thorax. En effet, le cœur est à égale distance des
vertèbres, en arrière ; du sternum, en avant ; il est aussi éloigné
des clavicules fixées à la partie supérieure que du diaphragme
placé à la partie inférieure. On comprend qu' ainsi établi au
centre de la poitrine, selon toutes les dimensions, il attire
également l'air de toutes les parties du poumon et qu'il occupe
une position parfaitement sûre, étant si éloigné des corps
extérieurs qui, pour arriver jusqu'à lui devront pénétrer à
travers le thorax 1 .

CHAPITRE I I I . - Des usages primitifs et secondaires des médiastins


et de la plèvre proprement dite; ces membranes servent d'abord à
diviser la poitrine en deux moitiés latérales, puis à maintenir en place
et à isoler les diverses parties contenues dans cette cavité, artères,
veines, nerfs, œsophage, cœur et poumons. - (Cf. XIII, v et IX sur la
protection que ces membranes fournissent aux nerfs du diaphragme
et à tout le pneumogastrique.)

Tout le thorax est partagé et divisé au milieu par de fortes


membranes (médiastines) qui descendent de haut en bas dans
sa longueur, elles s'insèrent solidement en arrière, aux ver­
tèbres du rachis, en avant, à la partie de l'os (sternum) qui
occupe le milieu de la poitrine et qui, d'un côté, se termine à
son extrémité inférieure par le cartilage appelé xiphoïde, situé
au niveau de l'orifice de l'estomac (cf. VII, XXI) , et d'un autre,

sanguinifique. La veine cave (qui, pour Galien, est au foie ce qu'est l'aorte au
cœur) répartit ce sang dans tout le corps, et notamment au ventricule droit du
cœur, d'où une partie gagne le poumon par l'artère pulmonaire, et le reste
gagne, par de supposés orifices interventriculaires, le ventricule gauche où il se
mêle au pneuma (et repart par l'aorte).
1. Sur la position du cœur, Aristote écrit (Parties des animaux, III, IV, 666b) :
« Le cœur se trouve, chez les autres animaux, au milieu de la cage thoracique,
mais chez l'homme il se dirige légèrement vers la gauche, afin de compenser le
refroidissement de la partie gauche. Car l'homme est de tous les animaux celui
dont la partie gauche se refroidit le plus [N.B. : traditionnellement, au moins chez
les pythagoriciens, la droite, la chaleur, le caractère mâle et impair sont associés, en
opposition à la gauche, le froid, le caractère femelle et pair]. »
104 De l'utilité des parties du corps humain

forme en haut le moyen d'attache des deux clavicules. Le


principal, le plus important usage des membranes est de
diviser le thorax en deux cavités, de sorte que si l'une vient à
recevoir une grave blessure (comme nous l'exposions dans
notre traité Sur le mouvement du thorax et du poumon) 1 et
perd la faculté de respirer, l'autre cavité intacte remplit la
moitié de la fonction. Aussi l'animal perd-il la moitié de la voix
ou de la respiration à l'instant où l'une des cavités de la
poitrine est atteinte de blessures pénétrantes ; si toutes les
deux sont percées, il perd complètement la voix et la respira­
tion.
Telle est la grande utilité que procurent à l'animal les
membranes de séparation du thorax, et c'est le but principal
de leur création ; mais la nature est si ingénieuse, qu'un organe
créé pour une fin est encore employé par elle à une autre (cf.
par ex. IV, XVII; v; xv; VIII, VI et vu; IX, I et v; X, XIV et xv) ; elle
trouve donc dans ces membranes, comme enveloppes et
comme ligaments, un moyen de protection pour tous les
organes internes du thorax. Ces membranes rattachent à tout
le thorax et enveloppent de leurs replis les artères, les veines,
les nerfs que renferme cette cavité, l'œsophage et aussi le
poumon lui-même tout entier (plèvre médiastine et viscérale) .
Leur utilité comme ligaments est égale pour tous les organes
précités. En effet, la fixité de la position est également avanta­
geuse à tous ces organes. Comme tuniques et comme enve­
loppes, leur utilité est inégale et très diverse. En effet, quel­
ques-uns de ces organes, naturellement doués de force et
d'épaisseur, n'ont aucun besoin d'enveloppes, ainsi les artères,
le cœur et l'œsophage ; d'autres, comme le poumon, n'en ont
qu'un médiocre besoin. Quant aux veines répandues dans tout
le thorax, surtout la veine cave, elles tirent la plus grande
utilité de l'insertion des membranes qui les entourent. Nous
nous étions proposé dès le commencement de discourir sur
cette veine, mais il nous fallait [pour être en mesure d'achever
ce qui la concerne] décrire les parties du thorax, autant qu'il

1. Traité perdu dont il ne reste qu'un fragment.


Livre VI - Des organes respiratoires 105
était nécessaire pour connaître le cœur même, sa situation, la
division du thorax au moyen des membranes qui, se prolon­
geant du milieu du sternum au rachis, le séparent en deux
moitiés.

CHAPITRE IV . - Des précautions prises par la nature pour protéger


la veine cave dans son trajet à travers la poitrine depuis le diaphragme
jusqu'au cou (Galien considère la veine cave supérieure comme une
contim1ation directe de la veine cave inférieure, l'oreillette droite
n'étant qu'un diverticulum ou un lieu de passage). Outre les enve­
loppes fournies par la plèvre médiastine, la veine cave est soutenue
1 ° par un prolongement du cœur (oreillette droite); 2° par le cin­
quième lobe du poumon; 3° et enfin par le thymus. - Galien insiste
longuement sur ce cinquième lobe et sur le thymus; c'est au niveau de
cette glande que la veine cave se divise en ses deux branches princi­
pales, et qu'elle envoie quelques branches collatérales directes : c'est
là un nouveau motif de louer l'art inimitable de la nature.

CHAPITRE v . - La nature a dirigé et fixé l'œsophage de telle façon


qu'il est solidement attaché, qu'il n'est pas gêné par les parties
contenues dans le thorax, et qu'il ne les gêne pas. - L'obliquité qu'il
présente dans une partie de son trajet est une preuve de la prévoyance
de la nature qui ménage ainsi une place pour l'aorte descendante.

CHAPITRE VI . - Rapports de l'aorte avec l'œsophage. - Détermina­


tion de leur position respective sur la colonne vertébrale. - Raisons
qui ont déterminé la nature à fixer ainsi ces places. - La double
obliquité de l'œsophage (d'abord de gauche à droite, puis de droite à
gauche), outre l'utilité propre à l'œsophage lui-même, est encore une
garantie pour les nerfs [pneumogastriques] qui descendent avec lui
sur l'estomac.

CHAPITRE v n . - Galien se propose d'étudier toutes les manières


d'être qui caractérisent les organes de la respiration (au nombre
desquels le cœur est placé). - De la position et de l'importance
relatives des diverses parties du cœur. - Règles générales pour
reconnaître dans un animal, quelles parties ont le plus d'importance et
quelles en ont moins. La base de cette distinction c'est l'utilité. -
106 De l'utilité des parties du corps humain

Utilité et par conséquent importance comparative des deux cavités


(ventricules) du cœur. - Comme c'est de la base du cœur que partent
les vaisseaux, cette partie a dû présenter une surface beaucoup plus
étendue que l'extrémité inférieure.

Maintenant (car nous en avons fini avec la situation de la


veine cave et de l'œsophage), revenant aux organes de la
respiration, nous montrerons quelle habileté la nature a
déployée dans leur structure. Elle a réglé de la manière la plus
heureuse, la position, la connexion, la configuration, le
volume, la forme des parties, leur degré de mollesse ou de
dureté, de pesanteur ou de légèreté, et toutes les autres
manières d'être inhérentes aux corps ; elle les répartit entre
tous avec une suprême équité. Nous dirons aussi avec quelle
prévoyance elle établit entre eux des rapports, unissant les
uns, accolant les autres, entourant ceux-ci, enveloppant
ceux-là, imaginant tout ce qui importe à leur sécurité : voilà
tout ce que nous allons exposer, en commençant aussitôt par
le cœur.
Que le cœur doive être établi au centre du thorax, environné
du poumon qui l'embrasse avec ses lobes comme avec des
doigts (cf N, vm) ; que tous deux doivent être enveloppés
extérieurement par le thorax : c'est un point éclairci par nos
explications antérieures (chap. II) .
Pourquoi le cœur, au lieu d'être exactement sphérique,
commence-t-il par être large et sphéroïdal à partir de la base,
qu'on nomme tête (base du cœur), et ensuite s'amoindrit-il
graduellement en forme de cône, se rétrécissant et s'effilant
vers son extrémité inférieure (pointe) ? C'est ce que nous
n'avons pas encore examiné précédemment, et c'est surtout
par là qu'il nous faut entamer notre exposition.
Toutes les parties du cœur ne réclamaient pas la même
sécurité, parce que toutes ne remplissent pas la même fonc­
tion. Les parties supérieures, vers la base, sont consacrées à la
génération des vaisseaux; de ce point jusqu'à l'extrémité infé­
rieure, les parties latérales doivent, de chaque côté, donner
naissance aux ventricules ; l'extrémité inférieure (pointe)
représente un prolongement épais et solide qui sert en même
temps de couvercle aux ventricules et de rempart à tout le
Livre VI - Des organes respiratoires 1 07

cœur, et qui, dans les secousses un peu fortes, d'où peut


résulter une impulsion violente contre les os antérieurs du
thorax (sternum), l'empêche d'être entravé et fatigué dans son
action d'une manière quelconque, et par conséquent lui per­
met de conserver intact et régulier le rythme de ses mouve­
ments. Cette partie du cœur est la moins noble ; celle qui
donne naissance aux vaisseaux est, au contraire, la plus
importante de toutes. Les parties intermédiaires ont une
importance qui tient de celle de leurs voisines. Ainsi, les
parties qui touchent à la base sont, à peu de chose près, les
plus importantes ; celles qui touchent au sommet sont, à peu
de chose près, les moins importantes ; les parties intermé­
diaires, selon qu'elles s'éloignent de chacune des extrémités,
perdent ou gagnent de l'importance de celles-ci. Ne vous
étonnez donc pas que le cœur ait la forme d'un cône, et que la
tête (base) étant la partie la plus importante, occupe la position
la plus sûre, tandis que le fond (pointe) étant la partie la moins
importante soit, par sa position, le plus exposé.
Quand on dit que, dans le cœur, une partie est moins
importante que l'autre, je ne crois pas que personne pousse
l'erreurjusqu'à comprendre qu'elle est dénuée de toute impor­
tance. En effet, vous ne trouverez pas dans le cœur une partie,
une seule, même l'extrémité inférieure, qui ne dépasse en
importance toutes les parties qui existent, par exemple, dans
les pieds ou dans les mains. Toutes étant importantes, compa­
rées l'une à l'autre, il faut concevoir celle-ci comme plus,
celle-là comme moins importante.
Afin que cette observation vous serve à me bien
comprendre, non pas seulement pour l'occasion présente,
mais dans la suite du récit, je veux vous indiquer les moyens de
distinguer dans un animal une partie importante de celle qui
ne l'est pas. L'utilité doit être la base de la distinction. Or,
l'utilité est de trois sortes : elle a trait ou à la vie même, ou à la
commodité de la vie, ou à la conservation de l'une et de l' autre;
tenez pour tout à fait importantes les parties utiles à la vie
même ; et parmi celles des deux autres espèces, lesquelles sont
moins importantes, mettez au premier rang les parties qui
partagent facilement les affections des parties maîtresses, et
au second, celles qui ne les ressentent pas.
108 De l'u tilité des parties du corps humain

Le cœur étant comme le foyer et la source de la chaleur


innée qui vivifie l'animal, à ce titre toutes ses parties ont une
importance capitale, et en premier lieu celles dont l'action
entretient la vie dans tout l'animal. Ce sont les deux orifices
des vaisseaux situés dans la cavité gauche, que les médecins
appellent habituellement cavité (ventricule) pneumatique 1 • En
effet, par le plus petit de ces orifices (orifice auriculo-ventri­
culaire gauche, que Galien regarde comme étant la véritable
embouchure des veines pulmonaires, ou artères veineuses) 2 , le
cœur se continue avec les artères du poumon, et par le plus
grand (orifice aortique), avec toutes les artères qui se ramifient
dans l'animal. Moins importants sont les orifices de l'autre
cavité dite cavité sanguine 3, bien que leur importance dépasse
celle des autres parties du cœur, puisque l'un (orifice auriculo­
ventriculaire droit) verse le sang dans le cœur, et que l'autre
(orifice de l'a rtère pulmonaire, ou veine artérieuse) le conduit au
poumon. Si telle est l'utilité capitale de ces vaisseaux et
orifices, le cœur a dû avoir une très grande surface là où ils se
trouvent ; il occupe aussi avec raison le centre de la poitrine,
abri sûr où il est le plus éloigné du choc des corps extérieurs.
En effet, tout corps susceptible d'écraser, de couper, d' échauf­
fer, de refroidir l'animal, ou de lui nuire de quelque autre

1. Parce que c'est en elle qu'est élaboré le pneuma vital, à partir de l'air
supposé apporté par la veine pulmonaire et du sang provenant du ventricule
droit par les supposés orifices interventriculaires. Chez Hippocrate déjà, le
ventricule gauche avait une importance particulière car c'est lui qui était censé
contenir la chaleur innée. Le pneuma (c'est-à-dire le souffle) vital est assez
difficile à définir; le mot pneuma désigne d'ailleurs tantôt simplement l'air
respiré, tantôt un produit élaboré par le cœur à partir de l'air, du sang et de la
chaleur. Voici comment il était compris au xvt' siècle (où il est appelé esprit
vital; le grec pneuma correspondant au latin spiritus) ; Ambroise Paré, Œuvres,
p. 97 : « Lequel esprit [pneuma vital} n'est autre chose qu'une substance
moyenne entre sang et air, propre et convenable à la conservation de la chaleur
naturelle fluente ; à cause de quoi est appelé vital, c'est-à-dire conservateur de
l'auteur de vie, enclos en nos cœurs, qui est la chaleur naturelle préparée à
chacun, laquelle nous pouvons comparer à la flamme d'une lampe, et l'esprit à
l'huile. »
2. Galien tend souvent à considérer les oreillettes du cœur comme de simples
renflements des veines afférentes (veine cave et veine pulmonaire).
3. Le ventricule droit, qui reçoit le sang de la veine cave. C'est un ventricule
« veineux » et donc, comme les veines, consacré au sang ; tandis que le ventricule
gauche est « artériel », et donc, comme les artères, surtout consacré au pneuma
(füt-il mélangé au sang).
Livre VI - Des organes respiratoires 109

façon, doit d'abord léser et traverser les parties du thorax, du


poumon et même du cœur, bien avant de pénétrer et
d'atteindre une des parties (vaisseaux et orifices) que nous
venons de nommer.

CHAPITRE V I I I . - De la substance du cœur; il a des fibres charnues


comme un muscle; toutefois la diversité de ses fibres établit entre lui
et les muscles une différence notable. - Mais cette même diversité de
fibres permet d'assimiler le cœur à l'utérus, aux vessies (vésicule
biliaire et vessie urinaire) et à l'estomac, etc. - C'est à l'action de ces
fibres, et aussi à celle des tendons (colonnes charnues) que sont dus la
systole, la diastole et le repos intermédiaire.

Voilà ce qui concerne la forme du cœur et la position de


chacune de ses parties. J'arrive à la composition de sa sub­
stance même. Le cœur est une chair dure qui n'est pas
facilement lésée 1 , et qui est constituée par des fibres de
diverses espèces ; bien que ces deux caractères paraissent lui
donner de la ressemblance avec les muscles, il en diffère
évidemment. Les muscles, en effet, sont pourvus de fibres
d'une seule nature. Ils ont seulement des fibres, soit droites
dans le sens de leur longueur, soit transverses dans celui de
leur largeur; aucun n'en a des deux espèces à la fois. Le cœur,
lui, en possède des droites et des transverses, et de plus, il en a

1. Dans le traité Des maladies (livre IV, § 40), Galien revient sur cette idée et
sur la sorte de résistance aux maladies que cela confère au cœur. Aristote avait
une opinion comparable (le cœur étant pour lui le siège de l'âme, principe vital)
et il écrivait (Parties des animaux, m, IV, 667a-b) : « Seul de tous les viscères et,
d'une manière générale, de toutes les parties du corps, le cœur ne supporte
aucun accident grave, et cela est dans l'ordre : en effet, si le principe même est
détruit, il ne reste rien d'où les autres parties qui dépendent de lui, peuvent
recevoir aide. Et ce qui prouve bien que le cœur ne peut supporter aucune
affection, c'est que dans aucune victime sacrifiée on n'a vu le cœur présenter des
lésions analogues à celles qu'on trouve dans les autres viscères. En effet, les reins
apparaissent souvent pleins de calculs, de tumeurs, d'abcès, ainsi que le foie : il
en va de même du poumon et surtout de la rate. Il est évident que bien d'autres
affections atteignent ces organes, mais elles sont plus rares pour le poumon près
de la trachée-artère, et pour le foie près de sa jonction avec la grande veine : et
cela aussi est rationnel. Car c'est par là surtout que ces organes sont en
communication avec le cœur. En tout cas tous les animaux qui meurent de
maladie et d'affections de ce genre présentent, à la dissection, des lésions dans
les environs du cœur. »
1 10 De l 'utilité des parties du corps humain

d'obliques. Les fibres du cœur se distinguent encore beaucoup


de toutes les autres espèces de fibres par leur dureté, leur
rigidité, leur vigueur considérable, leur résistance aux lésions.
En effet, aucun organe n'exerce une action aussi continue,
aussi énergique que le cœur. Aussi, la substance même du
cœur a-t-elle été avec raison créée pour être forte et résis­
tante •.
Cette variété de fibres, qui n'existe dans aucun muscle, nous
avons montré précédemment (IV, VIII; V, XI et XII) que la nature
en avait pourvu beaucoup d'organes, par exemple l'utérus, les
vessies (vessie urinaire et vésicule biliaire), et l'estomac, afin
que ces organes fussent doués de mouvements divers. Chacun
des muscles a donc un mouvement simple et unique, comme
nous l'avons aussi démontré ailleurs (Du mouvement des
muscles, I, IV) . Quant à l'estomac, à l'utérus et aux deux
vessies, elles attirent, retirent, retiennent et expulsent comme
le cœur. Aussi trouve-t-on dans chacun de ces organes, ainsi
que nous l'avons montré (V, XI et XII), des fibres de diverses
espèces : droites, pour attirer par leur contraction; trans­
verses, pour expulser et pour retenir quand elles se replient
toutes à la fois sur leur contenu.
Vous pouvez observer un tel mouvement du cœur dans deux
cas différents : examinez-le quand on vient de le détacher tout
palpitant encore de la poitrine de l'animal, ou soulevez une
partie de l'os antérieur nommé sternum, de la façon indiquée
dans le Manuel des dissections (VII, XII et suiv.). Les fibres
longues du cœur venant à se contracter, tandis que toutes les
l. Ambroise Paré, Œuvres, p. 96 : • Le cœur (qui est domicile de l'âme,
organe de la faculté vitale, fontaine et source de l'esprit [pneuma] vital et de la
chaleur naturelle fluante, et pour ce premier vivant et dernier mourant) à cause
qu'il devait avoir mouvement de soi-même, est fait de chair grosse et dure, et
plus solide qu'autre de tout le corps; laquelle es(issue de trois genres de fibres, à
savoir droites en sa partie aiguë, pour icelui dilater, et conséquemment intro­
duire sang de la veine cave ascendante, et esprit ou air des poumons par l'artère
veineuse. Il a aussi fibres transverses en sa partie extérieure, qui coupent et
divisent en angles droits les susdits pour resserrer le dit cœur, et repousser
l'esprit vital en la grande artère nommée aorte, et le sang bilieux aux poumons
pour leur nourriture, par la veine artérielle. Semblablement il y en a d' obliques,
mises et situées entre ces deux, pour retenir le sang et l'air introduits par les
susdits vaisseaux jusqu'à ce que le cœur ait fait son profit et devoir, et qu'il
jouisse de ce qu'il a attiré. »
Livre VI - Des organes respiratoires 111

autres sont relâchées et distendues, il diminue de longueur,


mais il augmente de largeur : vous verrez alors tout le cœur se
dilater. Au contraire, vous le verrez se contracter, si les fibres
longues se relâchent, tandis que les fibres disposées en largeur
se replient sur elles-mêmes. Dans l'intervalle des mouvements
a lieu un court repos pendant lequel le cœur presse exacte­
ment son contenu, toutes les fibres exerçant alors leur action,
surtout les obliques. Les ligaments (colonnes charnues avec
leurs tendons), fixés intérieurement dans les cavités mêmes du
cœur, ligaments doués d'une telle force qu'ils peuvent, en se
contractant, ramener en dedans les parois du cœur, contri­
buent beaucoup à opérer la systole, ou plutôt l'opèrent en
grande partie ; car il existe, entre les deux cavités, une sorte de
cloison où se terminent les ligaments tendus, et cette cloison,
ils la relient aux corps qui recouvrent extérieurement les deux
cavités (ventricules), corps que l'on nomme tuniques (parois)
du cœur. Quand ces tuniques se rapprochent de la cloison, le
cœur se tend alors dans sa longueur et se replie dans sa
largeur. Quand elles s'en écartent le plus, il augmente de
largeur, mais sa longueur diminue. Si donc la dilatation
(diastole) et la contraction (systole) du cœur ne sont autre
chose que le plus haut degré d'écartement ou de rapproche­
ment dans la largeur des cavités, nous avons découvert com­
ment s'opère l'un et l'autre mouvement.
Ainsi, le cœur est pourvu de ligaments forts et de fibres
variées pour s'adapter rapidement et sans peine aux trois
conditions diverses, se dilatant (diastole) lorsqu'il veut attirer
quelque substance utile, se repliant sur lui-même (moment de
repos) pendant le temps qu'il doit jouir des substances attirées,
se contractant (systole) lorsqu'il se hâte d'expulser le résidu de
ces substances. Nous avons développé ailleurs ce sujet
(Manuel des dissections, VII, vm), et particulièrement dans
notre traité Sur l'utilité de la respiration. Par Jupiter ! il est
donc tout à fait inutile de prolonger cette dissertation sur le
mouvement du cœur.

CHAPITRE I X . - Le nombre des cavités (ventricules du cœur) n'est


pas le même chez tous les animaux. - L'existence du ventricule droit
1 12 De l'utilité des parties du corps humain

est liée nécessairement à celle du poumon (car dans la théorie de


Galien ce ventricule est uniquement destiné à l'alimentation du pou­
mon). - Le nombre des ventricules ne tient pas, comme Aristote le
pensait, à la grosseur des animaux, mais à la différence d'action et à
l'utilité. - Mode de respiration des poissons.

Il faut maintenant énumérer les vaisseaux du cœur, expli­


quer la forme de l'orifice de chacun d'eux, dire un mot du
nombre lui-même des cavités du cœur, et parcourir toutes les
questions connexes.
Le nombre des cavités du cœur (il est naturel de commencer
par là) n'est pas le même chez tous les animaux. Tous ceux qui
respirent l'air par l'arrière-gorge, le nez et la bouche, ont, par
cela même, un poumon, et par cela même aussi la cavité
(ventricule) droite du cœur; tous les autres n'ont ni poumon,
ni cavité droite du cœur. L'absence de poumon est toujours et
nécessairement accompagnée chez l'animal, de la privation de
la voix et de la cavité droite du cœur 1 , et l'on voit par là de
quelle utilité sont le poumon et cette cavité droite, car elle
existe dans l'intérêt du poumon, et le poumon même est
l'organe de la respiration et de la voix. Aristote a donc eu tort
de baser la distinction du nombre des ventricules du cœur sur
la petitesse ou la grandeur de l'animal 2 • En effet, tous les plus
gros animaux n'ont pas trois ventricules, et les plus petits n'en
ont pas tous un seul. Le cheval, qui est un animal très grand, a
un cœur exactement conformé comme celui du plus petit
moineau. Disséquez une souris, un bœuf ou quelque autre
animal plus petit qu'une souris, s'il y en a [parmi les mammi­
fères], ou plus gros qu'un bœuf, le nombre des ventricules est
le même, et la structure du cœur est identique. La nature n'a
pas considéré la grandeur ou la petitesse des corps en variant
la forme des organes, elle n'a eu d'autre but, dans cette
l. Ainsi, parmi les vertébrés, les poissons n'ont qu'un ventricule et qu'une
oreillette, et sont parfaitement muets; parmi les reptiles quelques ordres ont un
cœur qui se rapproche beaucoup par la simplicité de sa structure de celui des
poissons.
2. Aristote, Parties des animaux, III, IV, 666b : « Le cœur a trois ventricules
chez les grands animaux, deux chez les plus petits, au moins un chez tous les
animaux. La raison en a été donnée » (voir aussi Histoire des animaux, I, XVII,
496a).
Livre VI - Des organes respiratoires 1 13

diversité de structure, que la différence d'action, et cette


action même, elle la mesure sur l'utilité première. Il en résulte
un enchaînement admirable d'utilités et de fonctions succes­
sives.
Ce fait, précédemment démontré, ne ressortira pas moins
clairement du discours actuel aux yeux de quiconque l' exami­
nera avec attention. En voici les points principaux :
Aux poissons, la voix n'était d'aucune utilité, puisqu'ils
vivent dans l'eau; ils ne peuvent pas respirer par l'arrière­
gorge pas plus que nous ne le pouvons nous-mêmes quand
nous sommes plongés dans l'eau. Il n'était donc pas avanta­
geux aux poissons d'être pourvus, comme les animaux qui
volent et qui marchent, d'un canal grand et unique de la
respiration et de la voix. La structure de l'organe appelé
branchies leur tient lieu de poumon. Percées d'une foule de
petits trous qui donnent passage à l'air et aux vapeurs, et qui,
vu leur étroitesse, le refusent à la masse de l' eau, les branchies
repoussent l'eau et laissent passer aisément l'air et les vapeurs.
D'ailleurs les poissons ont une nature assez froide pour que le
cœur n'ait pas besoin d'une réfrigération considérable. Leur
tempérament est clairement indiqué par beaucoup d'autres
circonstances, et surtout par le manque de sang, qui, chez eux,
est absolu ou presque absolu 1 • Aussi, les animaux pourvus
d'un sang abondant et chaud, qui vivent dans l'eau, tels que le
dauphin, le phoque, la baleine, tirent de l'air les matériaux de
leur respiration par un mécanisme admirable. Puissions-nous
un jour entrer dans quelques détails à ce sujet et exposer la
structure des autres animaux, comme nous faisons mainte­
nant pour l'homme. Mais il est temps de revenir à lui après
cette digression, qui suffit pour démontrer l'utilité du poumon
et de la cavité droite du cœur (ventricule droit).

CHAPITRE x . - Le poumon avait besoin d'aliment; mais comme il ne

1. Depuis Aristote, au moins, les animaux sont « classés » en non-sanguins


(froids) et en sanguins (chauds), la plus ou moins grande chaleur et la plus ou
moins grande sanguinité étant corrélatives d'une plus ou moins grande perfec­
tion sur l'échelle de classification.
1 14 De l 'utilité des parties du corps humain

pouvait le recevoir directement de la veine cave, la nature a créé en vue


de cette utilité la cavité droite du cœur d'où part un vaisseau d'une
nature particulière qui a les fonctions d'une veine et les tuniques d'une
artère (artère pulmonaire ou veine artérieuse). - Galien démontre
d'abord que les tuniques des veines devaient être poreuses pour que le
sang qu'elles contiennent et qui est épais, puisse facilement les traver­
ser pour aller nourrir les parties, tandis que les tuniques des artères
devaient être denses afin de mieux contenir le pneuma qui est très
ténu, et qui s'échappe facilement. - Mais la nature devait précisément
prendre des dispositions contraires pour les vaisseaux du poumon;
cela tient à ce que les veines chargées de nourrir le poumon (artères
pulmonaires) n'ont pas besoin de suivre les mouvements d'inspiration
et d'expiration du thorax et du poumon, tandis que les artères (veines
pulmonaites) doivent précisément suivre ce mouvement, pour attirer
et recevoir le pneuma ; leurs tuniques devaient donc être très fortes, vu
les mouvements violents dont le poumon est agité. - Mais le poumon
courra risque de ne rien attirer à travers les parois épaisses de l'artère
pulmonaire; la nature a prévenu cette objection : le poumon ne
devant, eu égard à sa nature, être nourri que par un sang subtil, la
tunique vasculaire ne laisse s'échapper que cette espèce de sang. -
Considérations générales sur la manière dont toutes les parties et le
poumon en particulier se nourrissent. - Pourquoi à son embouchure
l'artère pulmonaire a-t-elle des valvules? Pour empêcher le reflux du
sang; pour que la respiration ne fût pas gênée par une action syner­
gique des veines et des artères du poumon ; pour qu'à l'extrémité des
artères et des veines du poumon il y eût un échange de sang et de
pneuma.

En communiquant au poumon les aliments qu'il tire du foie,


le cœur semble le payer de retour et le récompenser ainsi de
l'air qu'il lui envoie. Le poumon avait, en effet, besoin d'ali­
ments. Or il n'était pas avantageux que le sang lui arrivât
directement de la veine cave, bien qu'elle passe près de lui et le
touche, car la nature devait créer, pour le nourrir, une autre
espèce de vaisseau qui ne ressemble nullement à la veine cave,
et disposer pour ce vaisseau une épiphyse membraneuse
(valvules sigmoiâes de l'artère pulmonaire, ou veine artérieuse;
cf. chap. XN) telle qu'il la possède. Et ce changement de
vaisseau, ainsi que la naissance de l'épiphyse, ne pouvait
absolument dépendre d'aucun organe, si ce n'est du cœur. La
nature, si sage en toutes circonstances, et qui, dans tous les
Livre VI - Des organes respiratoires 1 15

animaux, n'a pas créé un seul détail en vain et au hasard, a de


même agi à l'égard du poumon. Elle a échangé les tuniques des
vaisseaux, donnant à la veine celle de l'artère (artère pulmo­
naire ou veine artérieuse), et à l'artère celle de la veine (veine
pulmonaire ou artère veineuse). Dans toutes les autres parties
où les dimensions de l'artère et de la veine sont les mêmes,
l'épaisseur des tuniques n'est pas la même. Il existe une
différence considérable, et Hérophile paraît avoir estimé juste,
en déclarant l'épaisseur de l'artère six fois plus considérable
que celle de la veine. De tous les organes, de toutes les parties,
il n'y a que le poumon où l'artère (veine pulmonaire) ait les
tuniques d'une veine, et la veine (artère pulmonaire) les
tuniques d'une artère 1 •
Recherchons d'abord quel est l'artifice de la nature, nous
parlerons ensuite de l'épiphyse membraneuse, puis nous
expliquerons comment la veine cave ne pouvait donner nais­
sance ni à un vaisseau artériel, ni à des membranes sem­
blables. Si ces divers points ne sont pas d'abord exposés, on ne
saurait démontrer l'utilité de la création de la cavité droite du
cœur. Commençons donc par la première question, et prou­
vons que le poumon trouve avantage à posséder une artère à
tunique de veine, et une veine à tunique artérielle. La question
paraît double et comme gémellaire. En effet, il ne faut pas
prouver seulement qu'il est avantageux au poumon d'avoir
une veine à tunique épaisse et une artère à tunique mince, il
faut prouver encore que, dans toutes les autres parties de
l'animal, il était plus avantageux que la tunique de l'artère fût
épaisse et que celle de la veine fût mince. Voilà des questions
que ne peut négliger l'homme qui a résolu de ne laisser dans le
doute, dans l'obscurité ou dans l'inconnu aucune des œuvres
de la nature.
Il est avantageux que dans tout le corps de l'animal, le sang
1. Les veines pulmonaires ont une structure de veine (et vont des poumons
au cœur) mais contiennent du sang rouge. Pour Galien elles contiennent du
pneuma et sont donc des artères, mais à structure de veine, d'où leur nom
d'artères veineuses. Les artères pulmonaires ont une structure d'artère (et vont
du cœur aux poumons) mais contiennent du sang noir. Pour Galien, elles
contiennent du sang (pour nourrir le poumon) et sont donc des veines, mais à
structure d'artère, d'où leur nom de veines artérieuses.
1 16 De l'utilité des parties du corps humain

soit renfermé dans une tunique mince, poreuse, et que le


pneuma le soit dans une tunique épaisse et serrée, c'est là une
question qui, je pense, n'exige pas de grands développements.
Il suffit de rappeler la nature des deux substances : le sang
étant épais, lourd, difficile à mouvoir (cf. chap. xv1) , le pneuma
étant ténu, léger et rapide dans ses mouvements, il était à
craindre que le pneuma ne se dissipât aisément, s'il n'était
retenu par des tuniques épaisses, denses et parfaitement ser­
rées. Au contraire pour le sang, si la tunique enveloppante
n'eût été mince et poreuse, il aurait eu de la peine à se
distribuer dans les parties voisines, et ainsi toute son utilité
eût été complètement perdue. Dans cette prévision, notre
Créateur a fait les tuniques des vaisseaux en opposition avec la
nature de leurs matériaux, voulant prévenir la dispersion
prématurée du pneuma, et le séjour prolongé du sang.
Mais pourquoi dans le poumon n'a-t-il pas donné à la veine
une enveloppe mince et à l'artère une tunique épaisse ? Là
aussi, comme partout, le pneuma est rare, léger, et a besoin
d'être enveloppé ; le sang est, au contraire, épais, lourd et doit
être distribué dans toutes les parties du poumon qui réclament
une nourriture plus abondante que les autres parties de l'ani­
mal, vu l'agitation incessante de ce viscère et l'excessive cha­
leur que communiquent au poumon le voisinage du cœur et
son propre mouvement qui est continuel. Vous admirez sans
doute, je pense, la prévoyance de l'artiste. Comment ne
serait-ce pas, en effet, la preuve manifeste d'une admirable
prévoyance que d'avoir donné au poumon une structure dif­
férente de celle de toutes les autres parties, puisque seul il était
entouré de tous côtés par le thorax, organe si résistant, et mû
si fortement ? Dans notre traité Sur le mouvement du thorax,
nous avons établi que, privé d'un mouvement propre, le pou­
mon était toujours mû par le thorax ; que ce dernier se
contractant, le poumon se contractait par suite de la compres­
sion générale, comme il arrive dans l'expiration et dans l'émis­
sion de la voix; que le thorax se dilatant, le poumon suivait ce
mouvement et se dilatait en tous sens ainsi que le thorax au
moment de l'inspiration. Mais ni dans l'inspiration, ni dans
l'expiration les veines ne devraient se dilater à l'égal des
Livre VI - Des organes respiratoires 1 17

artères parce que la même fonction ne leur est pas confiée. Ces
dernières creusées par la nature pour recevoir le pneuma,
avaient besoin dans l'inspiration de se remplir aisément, et de
se vider promptement dans l'expiration et dans la formation
de la voix. Quant aux veines établies comme réservoirs de
l'aliment, elles n'ont besoin ni de se dilater dans l'inspiration,
ni de se contracter dans l'expiration. Il était donc bon de
donner une substance molle aux unes (veines pulmonaires},
dure aux autres (artères pulmonaires), s'il était préférable que
les unes obéissent promptement à la double action du thorax,
et que les autres ne s'y conformassent pas.
Si nous avons ailleurs (Facultés nat., I, XI et III, xv) démontré
convenablement que les corps se nourrissent du sang qu'ils
attirent à travers la tunique des vaisseaux, le poumon court
donc risque de manquer d'un vaisseau nourricier puisque la
tunique de la veine a été créée très épaisse. Mais il vous suffira,
je pense, pour découvrir une autre preuve de l'admirable
prévoyance de la nature, de vous rappeler à cet égard les
observations suivantes : que certaines parties dans les ani­
maux réclament pour nourriture un sang plus épais et, pour
ainsi dire, bourbeux; que d'autres au contraire veulent un
sang plus léger et plus vaporeux ; que toutes les autres, y
compris les artères et les veines, participent à tous les genres
d'aliment [les uns plus les autres moins] ; les premières
demandent un sang peu abondant, ténu et vaporeux, tandis
que les veines réclament unpneuma peu abondant, mais épais
et nébuleux. S'il en est donc bien réellement ainsi et que la
substance du poumon, au lieu de réclamer comme le foie une
nourriture épaisse et bourbeuse pour ainsi dire, la veuille
ténue, légère et vaporeuse, on voit que le Créateur des ani­
maux a tout disposé admirablement. En effet, chaque partie
est nourrie d'aliments analogues à sa nature, comme nous
l'avons démontré. Or, la substance du poumon est légère,
poreuse et comme formée d'une concrétion d'écume de sang;
elle a besoin, en conséquence, d'un sang vaporeux, léger, pur,
et non pas comme le foie, d'un sang épais et bourbeux. C'est
pourquoi ses vaisseaux ont une nature non seulement opposée
à celle des vaisseaux du foie, mais encore aux autres parties de
1 18 De l'utilité des parties du corps humain

l'animal. Dans celles-ci, la tunique du vaisseau distributeur du


sang étant ténue et poreuse, ce vaisseau verse facilement aux
organes environnants une grande quantité de sang épais. Dans
le poumon, comme cette tunique est épaisse et serrée, elle ne
laisse échapper que la portion la plus subtile du sang. Dans les
autres parties, les artères, pourvues de tuniques épaisses et
serrées, ne permettent aux parties environnantes que d'avoir
une quantité très faible d'un sang vaporeux. Dans le poumon
seul, elles livrent à une grande quantité d'autre sang une issue
plus large, étant incapables de le retenir vu leur enveloppe
mince et poreuse.
Ainsi le poumon présente, avec toutes les autres parties du
corps, une anomalie complète sous le rapport de l'alimenta­
tion et de l'aspect de sa substance. En effet, vous ne sauriez
trouver une autre partie qui soit aussi légère et aussi aérienne ;
vous n'en trouverez pas qui soit nourrie d'un sang à beaucoup
près aussi pur, aussi léger et aussi vaporeux. Si les veines dont
la tunique est épaisse et serrée lui fournissent un sang trop peu
abondant, les artères comblent la différence en lui versant en
grande quantité un sang léger, pur et vaporeux. Mais cela ne
suffisait pas à un viscère si chaud et si agité. C'est pourquoi la
nature a créé dans son intérieur des veines très grosses, afin
que, si l'épaisseur de leur tunique les empêche de distribuer
une nourriture assez abondante, ce défaut soit amoindri par
leur volume. La nature, pour lui procurer une alimentation
suffisante, a encore ménagé trois autres ressources qu'elle
savait aussi être nécessaires [dans un autre but] : l'une, c'est
l'abondance de chaleur naturelle qui divise en petites parcelles
et dissémine tout l'aliment, afin qu'il soit plus facilement
vaporisé ; l'autre, c'est la dilatation du poumon pendant l'ins­
piration, dilatation qui arrache ainsi violemment quelque
chose même aux organes les plus serrés (c'est-à-dire aux
ramifications des veines pulmonaires) ; la troisième et la plus
importante, c'est que le sang qui est envoyé au poumon seul,
par le cœur, est parfaitement élaboré et atténué dans ce
dernier viscère.
Ce n'est pas la seule raison pour laquelle il était préférable
que le poumon fût nourri par le cœur : une autre raison
Livre VI - Des organes respiratoires 1 19

encore, nous avons promis au commencement de ce chapitre


de la développer, c'est que le poumon devait être pourvu de
veines à tuniques d'artères, et d'épiphyses membraneuses,
tuniques et épiphyses qui ne pouvaient être ni les unes ni les
autres engendrées par la veine cave. De ces deux points, le
premier (c'est-à-dire la nécessité de tuniques artérielles) est déjà
démontré ; il convient de passer au second. Ce point, c'est qu'il
valait mieux pour l'orifice de cette veine artérielle (orifice
auriculo-ventriculaire droit) être pourvu de membranes de la
forme et de la grandeur qu'elles ont effectivement. Bien que le
vaisseau ait été créé très épais et très fort pour ne pas se dilater
ni se contracter aisément, il n'est pas doué d'une telle résis­
tance qu'il ne soit vaincu par l'action si énergique, si grande, si
impétueuse, d'un organe comme le thorax, surtout quand
nous faisons une grande inspiration, que nous parlons à haute
voix, ou que de toute autre façon nous ramenons de tous côtés
le thorax en tendant fort énergiquement tous les muscles.
Dans aucune de ces circonstances les ramifications des veines
ne sont complètement exemptes de compression ni de
contraction. Si donc le thorax est comprimé et resserré, le
sang redescendra aisément de toutes les ramifications, revien­
dra au premier orifice et sera reporté en arrière. Il en résulte
un triple inconvénient : d'abord le sang exécute inutilement et
sans fin ce double voyage ; quand le poumon se dilate, le sang
coule et remplit toutes les veines du poumon; quand il se
contracte, il s'opère comme un reflux qui se meut sans cesse
ainsi que les flots dans un détroit, reflux qui donne au sang un
mouvement de va-et-vient qui ne lui est nullement propice. Ce
désagrément est peut-être léger [par lui-même] ; mais la gêne
qui en résulte pour l'utilité de la respiration n'est pas un
inconvénient médiocre. Car si la meilleure condition était que
la plus grande quantité possible d'air fût attirée par un seul
acte de la respiration quand nous inspirons, et expulsée quand
nous expirons, ce résultat ne peut se produire si les artères ne
se dilatent et ne se contractent pas le plus possible aussi. Or,
plus l'action des veines se rapproche de celle des artères, plus
elles gênent et détournent l'étendue du mouvement de ces
artères [en les comprimant]. On voit combien nuiraient à
120 De l'utilité des parties du corps humain

l'ensemble de la respiration, la dilatation et la contraction des


organes de la nutrition (c'est-à-dire des veines, véhicules de
l'aliment-sang). En effet, leur repos doit être complet comme
s'ils n'existaient pas et n'occupaient aucune place dans la
poitrine où se dilatent et se contractent les organes respira­
toires. Il convient, en effet, à ceux-ci d'avoir toute la place
libre ; ils peuvent ainsi, dans l'inspiration, en se dilatant le plus
possible, attirer du dehors la plus grande quantité d'air pos­
sible, et dans l'expiration, en se contractant aussi le plus
possible, expulser également la plus grande quantité d'air
possible. Un troisième inconvénient eût accompagné le retour
en arrière du sang dans l'expiration, si notre Créateur n'eût
imaginé les épiphyses membraneuses (valvules). Quelles sont
ces membranes, et comment elles préviennent le retour du
sang, vous ne tarderez pas à le comprendre clairement
(chap. x1v). Je vais dire maintenant combien leur absence
serait préjudiciable à l'animal ; prêtez-moi donc votre atten­
tion, je donne pour base à mon discours une démonstration
déjà faite ailleurs (Facultés naturelles, III, xv; Utilité des par­
ties, VI, XVII et XVI, XIV) :
Dans tout le corps les artères s'abouchent avec les veines et
échangent entre elles l'air et le sang au moyen d'ouvertures
invisibles et extrêmement fines. Si le grand orifice de la veine
artérielle (orifice auriculo-ventriculaire droit) eût été toujours
également ouvert, et que la nature n'eût pas inventé un moyen
pour le fermer et l'ouvrir tour à tour dans le temps conve­
nable, jamais le sang par les ouvertures invisibles et étroites
n'eût pénétré dans les artères quand le thorax se contracte.
Toutes choses n'ont pas la même propension à être attirées ou
rejetées par toute espèce de corps. Si une substance légère,
plus facilement qu'une lourde, est attirée par la dilatation des
organes et rejetée par leur contraction, ce qui marche dans un
conduit large est plus facilement attiré et réciproquement plus
facilement renvoyé que ce qui chemine dans un conduit étroit.
Quand le thorax se contracte, les artères du poumon à tunique
de veine (veines pulmonaires), intérieurement repoussées et
refoulées avec force de toutes parts, expriment à l'instant le
pneuma qu'elles renferment, et en échange s'imprègnent par
Livre VI - Des organes respiratoires 121

ces étroits conduits de particules de sang, ce qui n'eût jamais


été possible si ce sang eût pu rebrousser chemin par le grand
orifice (auriculo-ventriculaire droit) qui existe à cette veine du
côté du cœur. Dans l'état actuel, quand la veine est comprimée
de toutes parts, le sang trouvant le passage fermé à travers le
grand orifice, pénètre en gouttes fines dans les artères par ces
étroits conduits 1 • L'avantage notable qui en résulte pour le
poumon frappe déjà peut-être les esprits qui se rappellent ce
que j'ai dit au sujet de son alimentation. S'il en est autrement
(c'est-à-dire si on n 'est pas convaincu), je reviendrai sur ce
sujet, après avoir terminé d'abord la question actuelle.

C HAPITRE XI . - La veine artérieuse (artère pulmonaire), vu son


épaisseur, sa double tunique et ses valvules, ne pouvait provenir que
du cœur et non de la veine cave. - Description et utilité particulière des
valvules sigmoïdes. - Utilité commune et propre des autres valvules
des orifices du cœur. - Nombre et destination de ces orifices. - La
description de ces orifices et de leurs valvules est renvoyée au
chapitre XIV. - Récapitulation des trois chapitres précédents.

Après avoir démontré l'utilité considérable de ces mem­


branes (valvules sigmoiâes), l'utilité plus grande de cette veine
(artère pulmonaire ou veine artérieuse) si épaisse et si dure qui
nourrit le poumon même, il convient de montrer que la veine
cave ne pouvait donner naissance ni à un vaisseau artériel, ni à
de semblables membranes. Qu'un vaisseau artériel ne pût
sortir d'une veine, cela est évident pour tout le monde. La
tunique de la veine est unique et mince, celle de l'artère n'est ni
unique ni mince, elle est double : la tunique intérieure (cf.
chap. IV) est fort épaisse, serrée et dure, et se divise en fibres
transversales ; la tunique extérieure est délicate, mince et
poreuse comme celle de la veine. Il n'était donc pas possible à

1. Cette description équivaut au passage de sang des artères pulmonaires aux


veines pulmonaires, soit à une circulation sanguine pulmonaire. Il faut cepen­
dant noter que, chez Galien, le sang des artères pulmonaires sert surtout à
nourrir les poumons, et qu'il n'y en a qu'une faible quantité qui passe ainsi aux
veines pulmonaires (qui contient plutôt de l'air mêlé à ce sang). La majorité du
sang du ventricule gauche ne vient pas de ces veines pulmonaires, mais des
orifices interventriculaires.
122 De l 'utilité des parties du corps humain

la tunique simple et mince qui recouvre la veine cave d' engen­


drer une tunique épaisse et double. Le cœur lui-même, tout
épais qu'il est, ne donne pas naissance par tous ses points à un
vaisseau artériel ou veineux indifféremment. Les vaisseaux à
tunique simple, molle et mince naissent, des parties à la fois
plus molles et plus minces 1 ; les vaisseaux à tunique double
dense et dure, des parties plus denses. Les membranes, avec
leur forme et leur grandeur, telles qu'on les trouve à l'orifice
de la veine artérielle (artère pulmonaire), ne pouvaient pas non
plus exister sans le concours du cœur. Il leur fallait un lieu sûr
qui leur permît de prendre naissance et de trouver des points
d'appui pour se maintenir droites et inébranlables dans leur
résistance aux courants des matières qui reviennent en
arrière, alors que le thorax, agissant violemment, ramène
intérieurement et contracte le poumon tout entier par une
compression circulaire, et qu'il comprime et refoule les veines.
En effet, bien que leur tunique soit entièrement épaisse et
difficile à mouvoir, elle n'est pas cependant inflexible à ce
point qu'elle ne subisse l'influence de muscles nombreux, si
forts, si puissants, et de tant d'os privés de moelle et durs.
Quand tout le thorax se replie fortement sur lui-même,
muscles et os assaillent violemment le poumon, et les veines
nécessairement sont comprimées et contractées sans néan­
moins faire refluer en arrière leur contenu, par l'orifice que
déjà les membranes ont fermé.
Plus le thorax tend, par la compression, à chasser le sang
avec violence, plus les membranes ferment étroitement
l'ouverture. Insérées circulairement de dedans en dehors, et
embrassant toute la circonférence, elles offrent chacune une
forme et une dimension si exacte, que toutes à la fois tendues
et dressées, elles constituent une grande membrane qui obs­
true l'orifice. Renversées par le flux, qui s'opère de dedans en
dehors, et retombant de ce côté sur la tunique même de la

1. Des ventricules partent d'une part l'artère pulmonaire (veine artérieuse) et


de l'autre l'aorte. Le ventricule droit est la partie la plus molle, et le ventricule
gauche la plus dure du cœur proprement dit. - En admettant que le cœur est le
point d'émergence de la veine artérieuse, Galien est évidemment infidèle à sa
théorie sur l'origine des veines, qu'il fait toutes procéder du foie.
Livre VI - Des organes respiratoires 123

veine, elles livrent à ce flux un passage facile à travers l'orifice


qui s'ouvre et se dilate excessivement. Que le courant vienne
au contraire de dehors en dedans, il rapproche les membranes
qui se serrent l'une sur l'autre, et forment ainsi comme une
porte exactement fermée.
À tous les orifices des vaisseaux issus du cœur se trouvent
des membranes qui retombent l'une sur l'autre, et qui sont si
bien constituées que si elles se tendent et se dressent à la fois,
elles bouchent tout l'orifice. Il y a pour toutes une utilité
commune, qui consiste à s'opposer au retour des matières, et
pour chacune une utilité spéciale : les unes font sortir les
matières du cœur de manière à ce qu'elles n'y rentrent pas, les
autres les y introduisent de façon qu'elles n'en puissent sortir.
La nature ne voulait pas imposer au cœur un travail inutile, en
le condamnant à envoyer le sang à une partie d'où il était
préférable pour lui de le tirer, et au contraire à le tirer souvent
d'un endroit où il fallait l'envoyer.
Il existe en tout quatre ouvertures, deux à chaque cavité
(ventricules), l'une pour introduire (orifices auriculo-ventri­
culaires), l'autre pour expulser (orifices ventriculo-vas­
culaires). Nous en parlerons un peu plus loin (chap. XIV),
quand nous exposerons toutes les parties du cœur, leur nature,
celle des membranes, leur nombre, leur forme, quand nous
montrerons qu'elles ne devaient être ni plus, ni moins nom­
breuses, ni plus grandes, ni plus petites, ni plus épaisses, ni
plus minces, ni plus fortes, ni plus faibles. Jusqu'ici nous
avons prouvé seulement que ces membranes (de l'artère pul­
monaire) sont d'une utilité indispensable, qu'elles ne pou­
vaient pas naître de la veine cave, mais du cœur, comme cela
est effectivement.
Si vous rassemblez toutes les explications que j'ai données
ici et précédemment, mon but vous paraîtra atteint. En effet,
le poumon ne pouvait être mieux nourri par une autre veine
[que par la veine artérieuse ou artère pulmonaire], et une telle
production de tuniques et de membranes ne pouvait être
fournie par la veine cave. Il en résulte évidemment qu'il était
de beaucoup préférable pour le poumon d'être nourri par le
cœur. Or, si des deux vaisseaux, l'un à tunique simple (veine
124 De l'utilité des parties du corps humain

cave), pénètre dans le cœur, tandis que l'autre, à double


tunique (artère pulmonaire ou veine artérieuse), en sort, il était
nécessaire qu'il y eût une région commune et comme un
certain réservoir auquel ces deux vaisseaux aboutissent : par
l'un le cœur attire le sang et par l'autre il le renvoie. Ce
réservoir est le ventricule droit du cœur, créé comme nous
venons de le démontrer, dans l'intérêt du poumon (cf.
chap. IX) . Aussi, les animaux dépourvus de poumon n'ont pas
les deux cavités du cœur, mais seulement celle qui préside au
mouvement de toutes les artères. En effet, si les veines
naissent du foie, les artères sortent du cœur; nous en avons
donné maintes preuves dans notre ouvrage Sur les dogmes
d'Hippocrate et de Platon, et toutes ces démonstrations se
confirment l'une l'autre et témoignent de la vérité de mes
assertions. Il est temps de terminer ici cette dissertation sur la
cavité droite du cœur, dont l'absence ou l'existence est liée à
celle du poumon, dans toutes les espèces d'animaux.

CHAPITRE XII . - Galien se propose de combattre incidemment les


erreurs commises par les autres médecins ou philosophes, et en
particulier par Asclépiade au sujet des vaisseaux qui vont du cœur au
poumon. - Comme préambule à cette réfutation il disserte à la suite de
Platon sur ce qu'on peut appeler véritablement une cause, et surtout
une cause première. - À ce propos Galien cite un passage d'Érasistrate.

Si quelqu'un désire apprendre la cause de l'ignorance des


médecins et des philosophes, touchant le nombre des cavités
du cœur, sur lesquelles ils ont énoncé de si fausses opinions, il
trouvera toutes ces questions discutées dans mon traité Sur
toute espèce de désaccord en matière de dissections. Si l'exposi­
tion des fonctions doit précéder notre étude actuelle, celle-ci, à
son tour, ne doit venir qu'après une étude sur la discordance
en matière de dissections et après les dissections elles-mêmes.
li ne faut donc pas, dans ce livre, rappeler la controverse
touchant le nombre de tuniques des artères ou des veines, ou
toute autre question traitée déjà ou à traiter. Toutes ces
questions, nous les avons exposées, et discutées séparément,
afin que notre sujet actuel se renfermât dans ses limites, sans
Livre VI - Des organes respiratoires 125

toucher aux autres questions litigieuses. En conséquence,


dans ce livre, prenant pour base de nos études actuelles les
solutions données ailleurs par nous-mêmes, nous exposons
seulement les utilités de chacune des parties, sans réfuter ici,
sinon en passant, les interprétations vicieuses présentées par
d'autres auteurs, à moins que cette réfutation ne soit néces­
saire pour établir plusieurs points de doctrine, ou qu'elle ne
doive être d'une utilité générale. Ainsi, j'ai voulu relever les
erreurs d'Asclépiade au sujet des vaisseaux du poumon, et
prouver que personne ne peut échapper à la loi d'Adrastée 1 ;
fût-on doué d'une certaine éloquence pleine d'astuce, on
confessera soi-même sa mauvaise foi, on rendra hommage à la
vérité, on aura alors un témoin d'autant plus digne de
confiance qu'il témoigne malgré lui.
La première cause de tout ce qui se forme, comme Platon le
démontre quelque part, est le but de la fonction 2 • Si donc l'on
demande à quelqu'un pourquoi il est venu au marché,
répondra-t-il mieux si, au lieu de la cause véritable, il en
déclare une tout autre ? Ne sera-t-il pas ridicule si, au lieu de
dire qu'il est venu au marché pour acheter un meuble, un
esclave, pour trouver un ami, ou pour vendre ceci ou cela, il
néglige de faire ces réponses et réplique : c'est que j'ai deux
1. • Adrastée », épithète de Némésis (la gardienne de l'ordre universel, la
justice et la vengeance), signifiant inévitable. Platon, Phèdre, 248c : « Un décret
d'Adrastée est le suivant : toute âme qui, ayant appartenu à la compagnie d'un
Dieu, a vu quelque chose des réalités véritables, est saine et sauve jusqu'à la
révolution suivante, et, si toujours elle se montre capable de satisfaire à cette
condition, c'est pour toujours qu'elle est exempte de dommage » (voir aussi
Platon, République, V, 451a).
2. Peut-être est-ce le passage suivant dont Galien veut parler. Platon, Phédon,
98c-d : • Bref son cas [celui d'Anaxagore] me parut tout à fait semblable à celui
d'un homme qui, en même temps qu'il dit que Socrate accomplit avec son
intelligence tout ce qu'il accomplit, ensuite, lorsqu'il entreprendrait de dire les
causes de chacun des actes que j'accomplis, s'exprimerait en ces termes :
Premièrement, la raison pour laquelle je suis maintenant assis en ce lieu, c'est
que mon corps est fait d'os et de muscles; que les os sont solides et qu'ils ont des
commissures les séparant les uns des autres, tandis que les muscles ont la
propriété de se tendre et de se relâcher, faisant aux os une enveloppe de chair et
de peau, laquelle maintient les chairs; en conséquence de quoi, lorsque les os
oscillent dans leurs propres emboîtements, les muscles qui se détendent ou se
contractent, me mettent à même, par exemple, de fléchir à présent mes
membres; et voilà la cause en vertu de laquelle, m'étant replié de la sorte, je suis
assis en ce lieu. »
126 De l 'utilité des parties du corps humain

pieds, capables de se mouvoir aisément et de se poser solide­


ment sur le sol, et, que m'appuyant tour à tour sur l'un ou sur
l'autre des susdits pieds, je me suis acheminé au marché. Il
aura peut-être énoncé une cause, mais non pas la cause
véritable et première ; la sienne est une cause instrumentale,
une des causes sans lesquelles une chose ne peut pas se faire,
ou mieux, ce n'est pas une cause. - C'est de cette façon que
Platon raisonnait avec justesse sur la nature de la cause.
Pour nous, voulant éviter une dispute de mots, nous accor­
dons qu'il y a plusieurs espèces de causes ; la première et la
principale : pourquoi une chose existe ; la seconde, par quoi elle
existe, la troisième, de quoi elle vient ; la quatrième, par quel
moyen ; la cinquième, si l'on veut, selon quoi elle est faite 1 • Sur
chaque espèce de cause et pour toutes les parties du corps,
nous demandons une réponse, si on a réellement étudié la
nature. Quant à nous, si l' on nous demande pourquoi la nature
des vaisseaux du poumon est intervertie, la veine offrant les
caractères de l'artère et l'artère ceux de la veine, nous répon­
drons en alléguant la cause réelle et première, c'est que, dans
ce seul viscère, il était préférable que la veine fût dense et
l'artère poreuse. Telle n'est pas la réponse d'Érasistrate ; la
voici : « La veine naît à l'endroit où les artères qui vont se
distribuer dans tout le corps, ont leur principe, et s'ouvre dans
la cavité sanguine ; l'artère, de son côté, née là où commencent
les veines, s'ouvre ensuite dans la cavité pneumatique du
cœur. »

CHAPITRE XII I . - Réfutation des erreurs d'Asclépiade touchant les


vaisseaux du poumon. -Galien cite d'abord un passage de ce médecin,
d'où il résulte que ce n'est pas en vue des mouvements violents, mais
par suite de ces mouvements que les artères diffèrent des veines eu
égard à l'épaisseur. - Cette différence, répond Galien, tient au nombre
et à la nature des tuniques, et non pas seulement à l'épaisseur;
autrement quand on fatigue beaucoup, on devrait avoir plus de cinq
doigts aux mains, etc. - Asclépiade qui fait étalage de science pour

l. Cette distinction de cinq causes recoupe à peu près la quadruple causalité


aristotélicienne : causes matérielle, efficiente, formelle et finale.
Livre VI - Des organes respiratoires 127
expliquer la cause d'une disposition, paraît manifestement ignorer
celle de toutes les autres, et surtout il ignore la cause du genre divin, la
vraie cause, la cause finale. - Asclépiade est aussi ignorant en anato­
mie, qu'inhabile en dialectique; ainsi il ne sait pas que chez l'embryon
les vaisseaux du poumon ont la même conformation que chez l'adulte,
et s'il le sait, comment peut-il concilier ce fait avec les assertions sur la
cause de la différence entre les deux ordres de vaisseaux pulmonaires.
- Enfin ni le cerveau, ni le cœur, ni le thorax, bien qu'ils aient un
mouvement considérable, n'ont des veines artérieuses et des artères
veineuses.

Asclépiade, omettant les deux [vraies] causes, celle tirée de


la prévoyance du Créateur, et que nous avons dit être la cause
première, et la cause matérielle, qui est la seconde, revient au
genre de cause le plus insignifiant de tous ; un dialecticien n'y
verrait même pas une cause, je pense ; tout cela ne lui paraî­
trait, au plus, qu'une cause accidentelle, une cause consé­
quente (secondaire), et comme une sorte de fausse monnaie :
quant à lui, il espère se faire croire, et se répute un sage,
oubliant, je pense, la loi d'Adrastée (cf note 1, p. 125), car
aucun autre raisonnement ne saurait mieux convaincre
d'absurdité ces opinions que celui qu'Asclépiade s'imagine
avoir si savamment inventé.
« En effet, dit-il, de tous les organes, le poumon est le seul où
les artères (veines pulmonaires) soient douées d'un double
mouvement ; l'un qu'elles ont d'elles-mêmes, attendu qu'elles
battent en vertu de leur propre substance ; l'autre, qui dépend
de l'acte respiratoire et qui est dû à l'agitation perpétuelle du
poumon ; elles diminuent donc de volume, tandis que les
artères des autres parties, exécutant avec modération un
mouvement unique et propre, sont par cela même fortes et
puissantes. Les veines du corps entier, ajoute-t-il, dénuées de
mouvement, s'atrophient avec raison, comme un esclave
paresseux qui ne prend pas d'exercice ; tandis que celles du
poumon (artères pulmonaires), qui obéissent au mouvement
du viscère, acquièrent de l'épaisseur, comme les gens qui se
livrent à un exercice modéré 1 . »
1. Une théorie comparable, au sujet des tendons, est critiquée dans les
chapitres XXI et XXII du livre I (voir p. 38).
128 De l'utilité des parties du corps humain

Mais, ô le plus sagace de tous les hommes ! si je voulais,


Asclépiade, relever ainsi les autres vices de vos raisonnements,
cela demanderait plus de temps que je n'en puis perdre. Mais
ces erreurs qui n'échapperaient pas à un enfant, qui, à plus
forte raison, ne devraient pas échapper à un homme si plein de
lui-même, sont au nombre de deux : elles proviennent, l'une
du dédain pour les dissections ; l'autre, de l'ignorance des
principes du raisonnement. Si vous saviez l'anatomie, vous
reconnaîtriez aisément avec nous, qu'une artère diffère d'une
veine, non seulement par l'épaisseur, mais encore par le
nombre et par la texture des tuniques. En effet, la tunique
intérieure, qui est épaisse et dure, qui est munie de fibres
transversales, n'existe absolument pas dans les veines. Pour
vous, qui vous êtes peu inquiété de vérifier si elle existe ou non,
vous osez faire parade de savoir sur des questions où vous
manquez de notion précise, vous qui conspuez la science
anatomique d'Hérophile, qui condamnez Érasistrate et qui
faites peu de cas d'Hippocrate. Est-ce que véritablement vous
ignorez que les veines (veines pulmonaires) du poumon (ce
qu 'Asclépiade appelle les artères) n'ont pas cette dure tunique
intérieure ? Ou bien, si vous le savez, penseriez-vous que
quand une partie s'atrophie, c'est, non pas l'épaisseur, mais le
nombre de ses tuniques qui diminue ? Ainsi l'estomac, chez les
personnes excessivement maigres, présentera sans doute une
seule tunique, et probablement quatre chez les personnes
douées d'une bonne complexion. Ainsi encore, les yeux offri­
ront trois tuniques, par exemple chez les gens attaqués de
consomption (cette affection atrophie singulièrement les
yeux), quatre dans les autres affections, cinq quand nous
sommes bien portants, six, peut-être, chez les personnes d'une
forte santé, sept chez les athlètes, un plus grand nombre
encore chez les Milon et les Polydamas. Il serait beau de voir
aussi le nombre des doigts augmenter dans la bonne santé et
diminuer dans la mauvaise. Ce serait en effet un spectacle bien
digne de la sagesse d'Asclépiade, que Thersite ayant trois
doigts, par exemple, Ajax sept, Achille encore davantage, enfin
qu'Orion et Talos en aient sans mesure, et plus, je pense, que
les iules n'ont de pattes.
Livre VI - Des organes respiratoires 129

Ô illustre Asclépiade ! un homme qui appuie ses opinions


sur des principes détestables, ne peut qu'être trouvé ridicule
en tous points. En effet, c'est une Intelligence qui règle, qui
ordonne toutes choses, et non des atomes unis entre eux par le
hasard. Si donc les artères du poumon offrent les caractères
des veines, et les veines ceux des artères, c'est que cela était
mieux ainsi. Si le cœur présente deux cavités (ventricules) chez
les animaux pourvus d'un poumon, et une seule chez ceux qui
n'en ont pas, c'est que cela était mieux aussi. Il existe des
membranes (valvules) à chacun des orifices pour que le cœur
ne se fatigue pas en vain, et un cinquième lobe du poumon (cf.
chap. IV et x, et livre VII, chap. x) pour que la veine cave ait un
appui, et ainsi des autres parties. Pour aucune de ces disposi­
tions, le savant Asclépiade n'indique la cause de son existence
parce qu'il l'ignore ; il ne la donne que pour une seule entre
toutes, muni, à ce qu'il croyait, d'un raisonnement convain­
cant ! Nous t'accordons que tu as trouvé une bonne explication
des vaisseaux du poumon ; eh bien, cherches-en une aussi
pour les autres parties de l'animal...
Pour nous, en toutes choses, ce n'est pas un seul genre de
cause que nous énonçons ; nous les énumérons tous, d'abord
le premier et le plus important, c'est-à-dire celui qui se rap­
porte à la catégorie du mieux. Au second rang, celui tiré des
instruments et de la matière employés par le Créateur pour
amener à la forme la plus parfaite chacune de ses œuvres,
donnant, par exemple, aux artères du poumon un tissu lâche,
aux veines un tissu serré pour la cause que nous avons
indiquée (chap. x). Il a fait naître les veines des parties arté­
rielles du cœur et les artères des parties veineuses, et cela en
vue du mieux. Pour donner aux vaisseaux une substance
conforme à leur nature, il a abouché les artères avec le
ventricule gauche qui contient le pneuma, et avec l'autre les
veines 1 • Comme il était mieux de leur donner une forme moins
exposée aux lésions, il les a faites rondes. Comme il fallait les
créer avec une matière et au moyen d'instruments, ayant mêlé
1. Ici Galien parle du système vasculaire général, et non plus pulmonaire
(c'est pourquoi les artères reviennent au ventricule gauche et les veines au
droit).
130 De l 'utilité des parties du corps humain

l'humide au sec et de ce mélange ayant formé une humeur


susceptible d'être façonnée comme la cire, il en fit la base des
futurs organes. Unissant le chaud et le froid, il les employa
comme instruments à élaborer la matière, et grâce à eux, il
sécha une partie de la substance par le chaud, en solidifia une
autre par le froid, et de leur combinaison constitua un pneuma
bien tempéré. Avec ce pneuma, ayant ensuite soufflé et étendu
la matière, il a construit un vaisseau creux, allongé, rempli de
liquide en plus ou moins grande abondance, selon que les
parties devaient être plus denses ou plus ténues. - Voilà dans
ce passage [imité du Timée de Platon] toutes les causes
décrites, celles qui regardent le but, le Créateur, les moyens, la
matière, enfin la forme.
Pour vous, Asclépiade, si vous voulez omettre les plus
importantes, celle du but et celle du Créateur, du moins
indiquez les autres pour chacune des parties ; mais telle n'est
pas votre façon d'agir. On ne saurait en effet, je pense, appor­
ter des arguments concluants pour aucun fait de détail, quand
la base du raisonnement est vicieuse. C'était ce vice radical
auquel je faisais tout à l'heure allusion, en disant que les
erreurs d'Asclépiade naissaient de l'ignorance des principes
du raisonnement. Mieux valait, pour toutes choses, omettre la
cause en vertu de laquelle chacune d'elles est née ; on aurait
supposé que si vous gardiez le silence, c'était volontairement.
Mais on pousse l'absurdité au point de ne pas comprendre,
qu'en exposant seulement une cause ou deux, on rend suspect
son silence sur les autres. En effet, en tâchant d'expliquer la
raison d'être des artères et des veines du poumon, on énonce,
non pas l'espèce divine de cause, comme la nomme Platon
(Phaedon, 99c), mais la cause nécessaire (matérielle), en omet­
tant toutes les autres. Mais s'il s'agit d'expliquer qu'il était
nécessaire que le cœur fût établi à tel endroit [plutôt qu'à tel
autre], que certains animaux eussent deux cavités, d'autres
une seule, que les êtres privés de poumon n'eussent point de
cavité droite, on n'ose pas aborder ces questions, ni les autres
analogues ; et si on a découvert quelque raison frivole, mais
spécieuse, on nous oblige à perdre notre temps pour les
réfuter. En effet, si Asclépiade (outre le grave soupçon auquel
Livre VI - Des organes respiratoires 131

il s'est exposé, d'impuissance à expliquer les autres points, par


là même que pour un, il s'est cru si riche d'arguments) ne fût
pas descendu à un tel degré de puérilité, qu'il a encore été
convaincu d'ignorance sur les résultats révélés par les dissec­
tions, je ne perdrais pas mon temps en cherchant à le réfuter,
mais je resterais fidèle, comme je l'ai fait depuis le commence­
ment, à mon dessein bien arrêté de laisser sans réfutation
toutes les assertions erronées (cf. II, m) .
Maintenant, comme certains défenseurs de semblables sys­
tèmes s'enorgueillissent de choses dont ils devraient rougir,
j'ai cru nécessaire de réfuter leur raisonnement pour qu'un
plus grand nombre ne s'y laisse pas tromper. La réfutation,
comme il a été dit précédemment, est double, étant tirée, l'une
de l'anatomie, l'autre des principes du raisonnement. Il a bien
paru que le savant Asclépiade ignorait l'un et l'autre, qu'il ne
savait pas que les artères diffèrent des veines, non seulement
par l'épaisseur, mais encore par le nombre et la dureté des
tuniques, et par la disposition des fibres ; que de plus, en
traitant sans embarras de ces questions, il trahissait son
ignorance sur celles à propos desquelles il garde un silence
forcé. Pour qu'il en soit manifestement convaincu, revenons
sur les faits que révèle la dissection.
Lui-même reconnaît qu'aucun embryon ne respire. Et moi
j'affirme, bien qu'il ne le dise pas, que si l'on prend un animal
nouveau-né ou encore dans le sein maternel, et qu'on le
dissèque, on verra que les artères du poumon ont les carac­
tères des veines, et les veines ceux des artères. Et certes, il y a
désaccord entre ces faits et la théorie d'Asclépiade. Comment
prétendrait-on encore que la cause de cette substitution des
vaisseaux est le mouvement de la respiration, l'action fatigante
des artères ou l'exercice modéré des veines, puisque de telles
dispositions apparaissent dans les embryons même avant
qu'ils respirent. Mais, au sujet des embryons, nous dirons un
peu plus loin (chap. xx et XXI) quel spectacle admirable pré­
sente toute la base de leur cœur. Asclépiade n'a pas connu cela,
ou s'il l'avait connu, il lui eût été impossible d'en découvrir les
causes, lui qui rapporte aux atomes et au vide les principes de
tous les phénomènes. Dans le livre actuel, j'ai voulu le
132 De l'utilité des parties du corps humain

railler un peu et lui montrer que je n'ignorais ni l'étendue, ni la


nature de sa science anatomique, ni ses notions des consé­
quences et des contradictions.
Je rappellerai encore à cet homme le thorax et le cœur.
Peut-être parce que l'encéphale est éloigné du poumon, a-t-il
oublié ce viscère, perpétuellement agité et qui n'a cependant ni
les veines artérielles, ni les artères veineuses. Mais le thorax
tout entier est mû beaucoup plus fortement que le poumon, au
dire d'Asclépiade lui-même ; si le poumon, comme un enton­
noir, est mis en mouvement par le passage de l'air, le thorax,
indépendamment de cette action, éprouve encore une dilata­
tion et une contraction considérable ; toutefois, il n'est pas
pourvu de veines artérielles ni d'artères veineuses. Il fallait, je
pense [suivant la théorie d'Asclépiade], que les unes, agitées
d'un mouvement modéré, devinssent épaisses, que les autres,
fatiguant excessivement, finissent par s' amincir. - Que dirai-je
encore du cœur qui, mû plus fortement que tous les organes, a
néanmoins des veines et des artères semblables à celles de
toutes les parties du corps de l'animal, ainsi que le thorax
entier, et l'encéphale, comme on l'a vu. Toutes les parties
donc, celles qui fatiguent excessivement ou modérément, et
celles qui sont entièrement oisives, ont des veines et des
artères semblables les unes aux autres, parce que cela est
mieux. Dans le poumon seul, parce que cela est mieux aussi, la
forme de leurs tuniques est intervertie. C'est ainsi qu'en toutes
choses notre Créateur n'a qu'un but dans la conformation
qu'il donne aux parties : le choix du mieux. Mais en voilà sur
Asclépiade plus peut-être qu'il ne faut.

CHAPITRE XIV . - Du nombre des orifices du cœur; de la disposition


et du nom des valvules qui se trouvent à ces orifices. - Les valvules les
plus fortes devaient se trouver à l'entrée des vaisseaux qui apportent
les matières, et les plus faibles à celle des vaisseaux qui les expulsent. -
Du mode d'action des valvules. - Concours simultané des vaisseaux,
des oreillettes et du cœur (principe du mouvement des deux autres
parties) pour la progression du sang et du pneuma.

Donnons maintenant les explications qui font suite à ce que


Livre VI - Des organes respiratoires 133

nous avons dit précédemment et que nous avons différées


jusqu'ici (cf. chap. XI) . Les orifices du cœur étant au nombre de
quatre, pour trois d'entre eux il existe trois membranes, et
deux seulement pour l'artère veineuse (valvule bicuspide, ou
mitrale, de l'orifice auriculo-ventriculaire gauche, que Galien
considère comme celui des veines pulmonaires). Toutes
naissent des orifices mêmes; mais issues de ce point, les unes
pénètrent dans les ventricules du cœur, de manière à s'y
attacher même par de forts ligaments ; les autres sont tournées
en dehors, à l'endroit où les deux vaisseaux s'élèvent du cœur 1 •
Il existe à la veine artérielle (artère pulmonaire), qui, disions­
nous (chap. x), alimente le poumon, trois membranes incli­
nées de dedans en dehors, appelées, à cause de leur forme,
sigmoides, par ceux qui ont pratiqué les dissections avec soin.
À la veine qui amène le sang (veine cave), se trouvent aussi
trois membranes tournées de dehors en dedans (valvule tri­
cuspide de l'orifice auriculo-ventriculaire droit), mais dépas­
sant beaucoup les précédentes par l'épaisseur, la force et la
grandeur.
Il n'existe pas dans le ventricule droit un troisième orifice.
En effet, la veine qui nourrit les parties inférieures du thorax
(grande et petite azygos) et celle qui couronne le cœur, c'est
ainsi qu'on la nomme (veine coronaire ou cardiaque), ont leur
origine en dehors de la naissance des membranes. Dans l'autre
ventricule du cœur existe un orifice (orifice aortique), le plus
1 . Avant Galien, les valvules du cœur ont été décrites par Hérophile et
Érasistrate; mais il ne reste rien de ces descriptions (sinon ce qu'en a dit Galien
lui-même). Il reste d'Hippocrate une description des valvules sigmoïdes (Du
cœur, Œuvres, IX, p. 87-89) : « Ce qui reste à dire du cœur se rapporte à des
membranes cachées, structure très digne d'être exposée. Des membranes et
certaines autres qui sont comme des toiles d'araignée, s'étendent dans les
ventricules, font une ceinture complète aux orifices, et projettent des filaments
dans la substance solide du cœur. A mon avis, ce sont les liens du viscère et des
vaisseaux, les commencements des aortes. Il y a une paire de ces aortes, aux
portes desquelles sont disposées trois membranes de chaque côté, arrondies, à
leur extrémité, en forme de demi-cercle; et, en se rapprochant, c'est merveille
comme elles ferment les orifices, limite des aortes. Après la mort, si, connaissant
le rite ancien, on retire le cœur, et que, des membranes, on écarte l'une et couche
l'autre, il ne pénétrera dans ce viscère ni eau ni air que l'on y pousse, et surtout
du côté gauche; là, en effet, la clôture est plus hermétique, comme cela doit être;
car l'intelligence de l'homme est innée dans le ventricule gauche et commande
au reste de l'âme. •
134 De l'utilité des parties du corps humain

grand de tous, par où débouche la grande artère (aorte), de


laquelle naissent toutes les artères de l'animal. Il s'y trouve
aussi trois membranes sigmoïdes tournées de dedans en
dehors. L'autre orifice, celui de l'artère veineuse, laquelle se
distribue dans le poumon, offre deux épiphyses membra­
neuses (valvule bicuspide ou mitrale) s'ouvrant de dehors en
dedans, et dont aucun anatomiste n'a tenté de comparer la
forme à un corps connu, comme on l'a fait pour les valvules
sigmoïdes, car le nom de triglochines, qu'on leur a donné, se
rapporte, non à la forme de chacune d'elles, mais à l'arrange­
ment qu'elles offrent entre elles. En effet, quand elles sont
réunies, elles ressemblent exactement à des pointes de dards.
Mais ce nom peut s'appliquer [principalement] aux trois
membranes qui existent à l'orifice de la veine cave. Il convien­
drait mal à celles de l' orifice de l' artère veineuse (veine pulmo­
naire), lesquelles ne sont qu'au nombre de deux. Je dirai un
peu plus loin (chap. xv) pourquoi c'est le seul orifice pourvu de
deux membranes : car la nature n'a pas, en cette occasion,
montré de négligence.
C'est avec raison que pour les vaisseaux qui amènent les
matières au cœur, il existe des membranes (valvules) grandes
et fortes, et qu'elles sont moins robustes dans les vaisseaux qui
les expulsent (cf. chap. xv). Je vais essayer de démontrer ce fait
ainsi que les autres moyens préparés par la nature pour que les
matières soient attirées puis expulsées. Il est difficile, même en
voyant les parties, d'expliquer clairement de telles choses;
mais, sans la vue, cela est presque impossible. Il faut s'efforcer
néanmoins, de donner de ces faits une idée aussi nette que
possible. Les membranes, disposées de dehors en dedans,
lesquelles, disions-nous, sont grandes et fortes, ont, toutes,
leurs extrémités attachées dans le cœur même, et retenues par
des ligaments solides (colonnes charnues et leurs ligaments).
Quand le cœur se dilate, chacun de ces ligaments, tendu par
l'écartement même du viscère, tire à lui et renverse, pour ainsi
dire, la membrane sur le corps même de ce viscère. Les
membranes étant donc toutes trois repliées circulairement sur
le cœur, les orifices des vaisseaux s'ouvrent, et le cœur attire
facilement par une large voie les matières contenues dans ces
Livre VI • Des organes respiratoires 135

vaisseaux. Le cœur, par ce mouvement, attire à lui et les


matières et le vaisseau même, qui est tendu et entraîné au
moyen des membranes. Il n'est pas possible, en effet, que les
membranes soient attirées par le cœur, et que le vaisseau qui
leur fait suite ne ressente rien de cette attraction. Ainsi, par un
seul mouvement que fait le cœur en se contractant, les mem­
branes, tirées par le ligament, se rabattent dans la cavité même
du cœur, et quand elles sont repliées circulairement en arrière,
l'orifice s'ouvre en même temps que les vaisseaux sont attirés
par les membranes dans le cœur; les matières qu'ils renfer­
ment pénètrent alors sans empêchement dans les cavités de ce
viscère, puisque rien n'y fait obstacle, et qu'au contraire les
causes capables d'accélérer le déplacement des matières
conspirent toutes pour produire cet effet. Une substance qui
change de place doit être, ou attirée, ou lancée par quelque
corps, ou amenée. Ces trois modes concourent à l'introduc­
tion des matières, quand le cœur se dilate. Le cœur attire ces
matières, les cavités des oreillettes établies en avant les
lancent, les vaisseaux les amènent. Le principe du mouvement
de toutes ces parties réside dans la seule dilatation du cœur
même.

CHAPITRE xv. - Le cœur est doué de toutes les puissances attrac­


tives qu' on peut imaginer. - Cette puissance d'action compromettante
pour la sûreté des vaisseaux pulmonaires est heureusement contreba­
lancée par la création des oreillettes. - Les oreillettes contribuent
aussi à la prompte réplétion du cœur. - Leur tissu les rend propres à
remplir exactement leur fonction, et les met à l'abri des lésions. -De la
prévoyance de la nature dans la disposition et le nombre des valvules
pour chaque orifice.

Les oreilles, épiphyses fibreuses et creuses, placées au


devant des orifices, sont habituellement lâches et conséquem­
ment creuses 1 ; mais quand le cœur se dilate, elles se tendent et
1. Galien s'étend un peu plus sur la description des oreillettes dans le Manuel
des dissections, VII, IX : « Les oreilles, dit-il, ont été appelées ainsi par les anciens,
à cause de leur ressemblance avec les oreilles des animaux; en effet, les oreilles
du cœur sont disposées sur ce viscère comme les oreilles sont placées de chaque
côté de la tête. Elles sont, cela apparaît manifestement, plus fibreuses et plus
membraneuses que la substance du cœur. C'est là toute l'idée qu'on peut donner
de leur nature par une description, car il vaut mieux demander une connais-
136 De l 'utilité des parties du corps humain

se contractent comme les membranes, et par là compriment


les matières qu'elles poussent dans le cœur. Comme les ori­
fices des vaisseaux eux-mêmes viennent à la suite et qu'ils sont
tirés fortement en dedans par le cœur, ils amènent les matières
poussées par les oreillettes. Le cœur même doué de toutes les
facultés attractives qu'on peut imaginer 1 , reçoit rapidement
dans la profondeur de ses cavités les matières introduites qu'il
saisit et qu'il aspire pour ainsi dire. En effet, soit que vous
preniez pour terme de comparaison ou les soufflets distendus
des forgerons qui se gonflent d'air attiré intérieurement, vous
reconnaîtrez que la même puissance existe au plus haut degré
dans le cœur; ou la flamme des lampes qui attire l'huile, vous
constaterez que cette faculté ne manque pas non plus au cœur,
source de la chaleur naturelle ; ou encore la pierre d'Héraclée,
qui attire le fer, grâce à l'affinité de ses propriétés avec ce
métal [vous trouverez que le cœur possède également cette
manière d'attirer].
Quoi de mieux approprié au cœur que l'air pour le rafraî­
chir? Quoi de plus utile que le sang pour servir d'aliment ? Il
me semble que le cœur eût rompu quelqu'un des vaisseaux en
usant à la fois de toutes ses puissances d'attraction, si le
Créateur de l'homme n'eût, pour prévenir un semblable
accident, imaginé dans cet endroit un expédient admirable en
plaçant, au-devant de l'un et de l'autre des orifices qui
exercent la fonction d'introducteurs des matières, une cavité
particulière en guise de réservoir de l'aliment, afin que le
vaisseau ne coure pas risque d'être rompu, si parfois le cœur
vient subitement à tirer avec force, puisque son étroitesse ne
lui permet pas de fournir abondamment tout ce que demande

sance plus complète au toucher et à la vue, qui seuls nous permettent d'appré­
cier la couleur et la consistance d'une partie. Les oreillettes sont en quelque
sorte plus noires que le cœur, elles ressemblent évidemment à des épiphyses
membraneuses, et cela dans le but de former une cavité à l'entrée du cœur. .. une
en avant du ventricule droit, une autre en avant du ventricule gauche... Quand
on les ouvre on voit la substance du cœur. » Hérophile regardait les oreillettes
comme faisant partie du cœur, et c'est là l'opinion généralement reçue. Galien
les considère comme des parties de la veine cave et de la veine pulmonaire.
1. Galien, Facultés naturelles, III, xv.
Livre VI - Des organes respiratoires 137

le viscère. Emplissez d'air un vaisseau et videz-le en attirant


l'air par la bouche à travers l'orifice, vous le briserez si vous y
mettez de la violence. De même le cœur, qui a besoin de
remplir rapidement sa cavité, beaucoup plus considérable que
la capacité des deux vaisseaux, les aurait, en tirant violem­
ment, déchirés et rompus, si une cavité extérieure n'eût été
fixée au-devant de lui, telle qu'elle existe effectivement, grâce
aux deux oreilles.
Les oreilles du cœur n'ont donc pas été créées inutilement,
leur nom seul est frivole : car il semble qu'elles ne sont pas
d'une médiocre utilité pour les animaux. En effet, il est de la
plus haute importance qu'aucun dommage n'arrive à l'artère
qui se distribue dans le poumon (veine pulmonaire) ou à la
veine cave ; il est certain que les oreillettes rendent aux ani­
maux le plus grand service. Ces deux vaisseaux, pour ne pas
parler des autres particularités de structure, ont des tuniques
minces, l'un parce qu'il est tout à fait veine, l'autre, parce qu'il
valait mieux, nous l'avons démontré (chap. x), que l'artère du
poumon fût veineuse. Mais un vaisseau mince et mou, s'il est
plus propre à se contracter aisément, est aussi plus susceptible
de se rompre s'il est tendu. Ainsi, les deux vaisseaux conduc­
teurs des matières dans le cœur eussent été déchirés aisément,
étant pourvus de tuniques minces et molles, et tirés violem­
ment par la dilatation du cœur, si la nature n'eût pas imaginé
l'expédient qu'offrent les deux cavités des oreilles.
La disposition de ces oreilles non seulement prévient tout
danger pour les tuniques des vaisseaux, mais encore concourt
à remplir promptement le cœur. En effet, les tuniques molles
se contractant plus vite que les dures, le cœur se remplit
naturellement dans la proportion de cette vitesse ; mais seules
et dépourvues des cavités adjacentes, elles n'auraient pas suffi
pour le remplir, et dans ce moment, tendues par le cœur, elles
auraient été aisément rompues. Mais avec le secours de ces
cavités, elles ont rapidement rempli le cœur avant d'être
tendues excessivement, trouvant dans leur substance lâche
une protection efficace contre les lésions. Ces détails vous ont
démontré la nécessité pour l'artère pulmonaire (veine pulmo­
naire) d'être veineuse. C'est pour la même cause, je pense, que
138 De l'utilité des parties du corps humain

les deux oreilles ont une tunique mince et fibreuse. Leur


ténuité contribue beaucoup à faciliter leur contraction, et la
force de leur tissu, à les mettre à l'abri de toute lésion : car le
tissu fibreux est très résistant. - Leur nom ne dérive pas d'une
utilité ou d'une fonction, mais d'une légère ressemblance, ces
corps étant situés de chaque côté du cœur, comme les oreilles
sur la tête de l'animal (cf. note 1 de la p. 135).
Quant aux membranes (valvules), celles qui appartiennent
aux vaisseaux chargés d'introduire les matières doivent
d'autant plus surpasser en force et en grandeur celles qui
appartiennent aux vaisseaux chargés de porter les matières au
dehors, que le mouvement de dilatation réclamait plus de
force que celui de contraction (chap. x1v) . En effet le cœur doit
mettre plus d'énergie pour attirer en se dilatant que pour
comprimer en se resserrant. Ces trois membranes (valvules),
établies à chaque orifice pour le fermer et l'ouvrir exactement
et rapidement, sont encore une admirable disposition de la
prévoyante nature. S'il y en avait deux seulement, les replis de
ces membranes, étant trop grands, ne seraient plus propres ni
à fermer, ni à ouvrir les orifices avec exactitude et célérité ; s'il
y en avait plus de trois, ces deux fonctions seraient accomplies
plus exactement, il est vrai, et plus rapidement, vu la brièveté
des replis ; mais aussi la facilité à être renversés, et la faiblesse,
résulteraient nécessairement de cette petitesse. Il était donc
indispensable, pour que les orifices s'ouvrissent et se fer­
massent en même temps avec célérité et aussi avec solidité et
exactitude, qu'il existât trois membranes à chacun d'eux,
puisqu'un autre nombre ne pouvait offrir toutes ces condi­
tions; inférieur à trois, il y avait moins cf exactitude et plus de
lenteur dans l'occlusion ; supérieur à trois, la fonction
s'accomplissait avec moins de vigueur. C'est donc avec raison
qu'un seul orifice, celui de l'artère veineuse (veine pulmonaire,
c'est-à-dire orifice auriculo-ventriculaire gauche), n'offre que
deux épiphyses membraneuses (valvule bicuspide, ou mitrale).
Lui seul, en effet, avait avantage à ne pas être exactement
fermé, puisque lui seul, de préférence, avait mission de laisser
passer du cœur dans le poumon les résidus fuligineux que la
Livre VI - Des organes respiratoires 139
chaleur naturelle au viscère y entretient nécessairement, et qui
n'avaient pas de plus courte issue 1 •
Nous avons donc évidemment eu raison de prétendre que les
membranes (valvules) ont été disposées pour servir à la fois
d'opercules aux orifices et d'organes de traction. En effet,
tendues par le cœur, grâce à ces membranes, les tuniques des
vaisseaux, comme nous le disions précédemment (chap. XIV et
chap. xv), se contractent plus promptement, et poussent plus
aisément quand le cœur attire les matières. La tension du
cœur lui-même tirant par leurs racines les membranes diri­
gées de dedans en dehors, les repliant vers la face intérieure du
cœur et les redressant toutes, ferme les orifices des vaisseaux
(cf. chap. XVI) . Ainsi cette faculté de dilatation du cœur, cause
de plusieurs actes, nous le démontrions tout à l'heure
(chap. XIV), qui concourent à l'attraction des matières, sert
aussi évidemment à fermer l'orifice de la veine artérieuse
(artère pulmonaire) et de la grande artère (aorte). Aussi, une
prévoyance, un art suprême, se manifestent dans toutes les
parties du cœur.

CHAPITRE x v r . - Comparaison des deux ventricules eu égard à leur


épaisseur; avantages qui résultent pour l'équilibre du cœur de ce que
le plus épais contient l'air, et le plus mince, le sang. - Le péricarde en
éloignant le cœur à la fois du sternum et du poumon, et présentant
lui-même une substance intermédiaire entre celle des os et celle du
parenchyme pulmonaire, protège le cœur et les poumons, permet
leurs libres mouvements et se trouve lui-même à l'abri des lésions. -
Galien récapitule ce qu'il a dit au sujet des valvules; il croit qu'à
travers leurs orifices, un peu de sang arrive au ventricule gauche,
et un peu d'air au ventricule droit. - Exemples de cette proposition
d'Hippocrate que tout est dans tout.

En effet, toute la partie gauche du cœur est fort dure et fort

1 . Cela suppose que certains vaisseaux sont le siège d'un courant dans les
deux sens; ici, la veine pulmonaire apporte au cœur un mélange de sang et d'air
depuis le poumon, et envoie, du cœur au poumon, les résidus fuligineux. Il existe
d'autres exemples de ce type chez Galien (notamment dans la veine porte).
Galien reconnait et justifie ce système à double courant dans Des facultés
naturelles, m. XIII (voir tome Il, p. 107).
140 De l'utilité des parties du corps humain

épaisse, comme devant servir de parois à la cavité pneuma­


tique ; la partie droite, au contraire, est mince et molle, afin
que l'une et l'autre soient conformes aux matières qu'elles
retiennent et que l'équilibre du cœur soit maintenu. Il était
mieux, en effet, que l'air fût contenu dans une tunique plus
épaisse, et que le poids du sang enfermé dans la cavité droite
fît équilibre à la masse de la cavité gauche. Si la nature avait
créé la même cavité à la fois pourvue d'une tunique (paroi)
épaisse et remplie de sang, tout le cœur eût été entièrement
renversé de ce côté. Mais dans l'état actuel, le corps plus lourd
recouvrant la substance plus légère, et le corps plus léger la
substance plus lourde, l'équilibre du cœur résulte de la pondé­
ration des deux parties. Et, bien qu'aucun ligament ne
l'attache aux organes voisins, néanmoins il demeure toujours
sans incliner, ni pencher, suspendu au centre de cette dure
tunique appelée péricarde, qui naissant très large de la tête
(base) du cœur, puis se rétrécissant peu à peu, se termine
comme le cœur même en sommet de cône attaché au sternum.
Ce nom de tunique paraît mal choisi quand on s'inquiète de la
justesse des désignations : c'est plutôt comme l'habitation, le
rempart protecteur du cœur. De tous côtés il en est à une
grande distance. Il existe entre lui et le cœur un intervalle
assez considérable pour que ce dernier se dilate à son aise. Lui
attribuer plus cf espace, c'était empiéter sur la largeur du
thorax obligé de se conformer aux mouvements alternatifs
d'inspiration et d'expiration.
Voici à coup sûr une nouvelle œuvre admirable de la nature ;
ce péricarde, qu'on l'appelle tunique, membrane, habitation,
ou de tout autre nom, a précisément la forme du viscère qu'il
renferme ; il a la grandeur convenable pour ne pas gêner le
thorax, ni mettre le cœur à l'étroit ; le premier ne perd pas de
sa largeur plus qu'il ne fallait, et le cœur n'éprouve pas
d'embarras dans ses mouvements. Mais ce parfait accord dans
son épaisseur et sa force, comment ne l'admirerait-on pas ?
Car il devait toucher d'un côté les os du thorax, os durs, de
l'autre le poumon, le plus mou de tous les viscères. Il était
exposé, s'il eût été plus dur qu'il n'est actuellement, à blesser
ce viscère froissé et comprimé par lui ; s'il eût été plus mou, à
Livre VI - Des organes respiratoires 141

être lésé par les os. En conséquence, de même qu'il est situé au
milieu de corps de nature opposée, de même il possède une
substance intermédiaire entre les extrêmes. Car autant cette
substance est plus molle qu'un os, autant elle est plus dure que
le poumon. Aussi le voisinage du péricarde avec l'un et l'autre,
n'est-il cause d'aucune gêne; il n'est pas incommodé par les
os, et, à son tour, il ne blesse pas le poumon. Le péricarde a
donc droit à notre admiration.
Mais l'art éclate dans les orifices du cœur avec d'autant plus
d'évidence que leur action est plus puissante. Car presque
toutes les fonctions du cœur s'accomplissent par leur inter­
médiaire. Revenons donc à elles pour éclaircir ce qui a pu
manquer de précision dans nos explications et pour y ajouter
les détails qui ont pu nous échapper. Le cœur, nous l'avons
déjà dit et démontré (chap. xv), pendant qu'il se dilate, en
tirant les racines des membranes, ouvre les orifices des vais­
seaux qui amènent le sang et ferme ceux des vaisseaux qui le
renvoient. Nous avons dit aussi (chap. x) que tous les corps
plus légers obéissent plus aisément à l'attraction ; que dans
tous les orifices il existe trois membranes (chap. xv) ; que dans
l'orifice seul de l'artère veineuse (veine pulmonaire, valvule
bicuspide) il n'en est pas ainsi, parce que seule elle doit livrer
passage aux résidus brûlés transportés du cœur au poumon.
Peut-être conclurait-on de là que rien absolument ne
repasse dans les trois autres orifices des vaisseaux. Telle n'est
pas la vérité. Au moment où il arrive aux membranes (val­
vules) de se fermer, le sang et le pneuma sont nécessairement
attirés dans le cœur, et quand elles se contractent avant de se
fermer, elles doivent les chasser en se fermant. Même ces
membranes fermées, il est possible que dans un mouvement
du cœur un peu violent, il s'échappe des particules non
seulement de vapeur et d'air, mais aussi de sang. A propos de
la trachée-artère, nous avons démontré qu'il était impossible
qu'il n'y filtrât pas une goutte des liquides avalés 1 , il faut se
persuader qu'il en est de même ici; car si la nature a su mettre

1 . Utilité des parties, VII, XVII; Dogmes d'Hippocrate et de Platon, VIII, IX;
Méthod. thérap.TV, vu; Médie. simpl., II, v.
142 De l'utilité des parties du corps humain

obstacle à un transvasement considérable, elle n'a pu trouver


un moyen pour prévenir complètement le plus petit écoule­
ment possible. Nous avons démontré ailleurs que tout est dans
tout comme disait Hippocrate 1 , ainsi les artères renferment
un sang ténu, pur et subtil, les veines un peu d'air vaporeux.
De même nous avons démontré que par l'œsophage il s'intro­
duisait de l'air dans l'estomac quand nous avalons et que nous
inspirons ; qu'ainsi aucune des parties constitutives du corps
n'était absolument pure, et que tout participe à tout ; mais elles
ne sont pas à un degré égal, les unes des organes spéciaux du
sang ou de quelque autre liquide nourricier, et les autres les
organes de la respiration. De la même façon quand le thorax
est ouvert, on voit palpiter les deux cavités du cœur et cepen­
dant toutes deux ne contiennent pas dans la même mesure le
sang et le pneuma. La cavité droite renferme le sang et la
cavité gauche le pneuma dans une proportion bien plus
grande.

CHAPITRE XVI I . - Galien établit contre Érasistrate que les artères


contiennent du sang. - Dans la doctrine de ce dernier les anastomoses
qui existent entre les veines et les artères, et qu'il admet lui-même,
n'auraient servi qu'à produire les inflammations. - Les anastomoses
ont une utilité réelle, car par 1'€<:hange qu'elles établissent entre le
sang et le pneuma, elles permettent que chaque partie reçoive la
nourriture qui lui convient. - Des pertuis existent à la cloison inter
ventriculaire et établissent une communication entre les deux ventri­
cules. - Volume proportionnel de la veine et de l'artère pulmo-

1. Sans doute : Hippocrate, De l'aliment, § 23 (Œuvres, IX, p. 107); ce texte


est cité (approximativement) par Galien en I, vm (p. 14). Voir aussi les passages
suivants, Hippocrate, De l'aliment, § 32 (Œuvres, IX, p. 111) : « Faculté une et
non une, par laquelle tout cela et le reste est administré; l'une pour la vie du tout
et de la partie, l'autre pour la sensation du tout et de la partie » (ce passage est
sans doute compris par Galien comme correspondant à ce qu 'il appelle l 'unité de
souffle, ou de pneuma; un même pneuma assure la vie du tout et de la partie, le
pneuma vital; un même pneuma assure la sensation du tout et de la partie, le
pneuma psychique). - Hippocrate, De la nature de l'homme, § 3 (Œuvres, VI,
p. 39) : « Telle est aussi la nature des animaux et de toute chose ; tout naît
semblablement, et tout finit semblablement. Car la nature de tout est constituée
par la combinaison des principes nommés plus haut [chaud, froid, sec, humide],
et d'après ce qui a été dit, elle y aboutit, retournant là d'où est venu chaque
composé. »
Livre VI - Des organes respiratoires 143

naires, de la veine cave et de l'aorte; utilité de la différence qui existe


sous ce rapport entre ces trois vaisseaux. - Que le cœur devait fournir
l' aliment du poumon, et recevoir le sien de la veine cave. - L'artère
coronaire par son volume vient en aide à la veine pulmonaire pour
rafraîchir le cœur.

Si l'on vient à blesser en même temps plusieurs artères


principales, elles laissent échapper du sang, c'est un fait
reconnu de presque tout le monde. Aussi ceux qui n'attribuent
absolument pas de sang aux artères, comme Érasistrate, n'en
reconnaissent pas moins que les artères s'anastomosent avec
les veines ; et, bien qu'ils pensent que toutes choses ont été
disposées par la nature avec art, que rien n'a été fait en vain, ils
ne comprennent pas qu'ils avouent par là que ces anastomoses
existent sans cause. Que ces anastomoses fussent disposées
sans but et ne rendissent aucun service à l'animal, cela seul
serait peu de chose ; mais une faute plus grave et qui paraîtrait
une erreur sérieuse de la nature, ce serait qu'une chose, non
seulement ne fût pas utile, mais devînt encore extrêmement
nuisible, et c'est là la conséquence à laquelle ils arrivent.
Érasistrate lui-même nous apprend donc avec soin que
l'inflammation ne saurait naître que d'un épanchement du
sang des veines dans les artères. Et cependant, si une inflam­
mation ne peut naître autrement, les animaux ne devraient
être tourmentés ni de pleurésie, ni de frénésie, ni de péri­
pneumonie, ces anastomoses étant supprimées ; il n'y aurait
non plus ni ophtalmie ni esquinancie, ou cynanche, les anasto­
moses n'existant pas ; ni inflammation du foie, de l'estomac,
de la rate et des autres parties. Qu'en résulterait-il, sinon que
la plupart des maladies les plus graves n'existeraient pas sans
ces anastomoses, auxquelles la prévoyante nature n'a accordé
aucune utilité pour l'animal, et qu'elle aurait destinées à n'être
que les instruments de la naissance de maladies mortelles. En
effet, sans les anastomoses, l'inflammation n'irriterait pas les
blessures ; il n'y aurait ni fièvre produite par la pléthore, ni
phlegmasie du foie, de l'estomac, du cœur, ou de quelque
autre organe, maladies dont on meurt, et toujours si rapide­
ment. Quant à l'opinion d'Érasistrate sur les artères, opinion
qui contredit et combat l'évidence, comme je l'ai déjà
144 De l 'utilité des parties du corps humain

discutée, non pas une fois ou deux, mais à plusieurs reprises,


je crois inutile maintenant d'y revenir.
Les anastomoses des artères avec les veines, la nature ne les
a pas créées inutilement ni en vain, mais pour que l'utilité de la
respiration et des pulsations se répartisse, non pas sur le cœur
et les artères seulement, mais encore sur les veines. Nous
avons dit ailleurs (Facultés naturelles, III, xm) quel genre
d'utilité elles présentent. Ces notions suffisent pour le but que
nous nous proposons dans ce traité. Nous parlions, il n'y a pas
longtemps (chap. x), de la nécessité que toutes les parties du
corps ne reçussent pas la même nourriture ; cette nécessité
démontre l'utilité d'une différence dans les vaisseaux. Car, s'il
n'y avait pour le sang qu'un seul vaisseau, toutes les parties
seraient nourries d'un aliment semblable. Et cependant y
aurait-il quelque chose de ,plus déraisonnable et de plus
absurde que de s'imaginer que le foie, par exemple, le plus
pesant et le plus dense des viscères, ait besoin, pour se nourrir,
du même sang que le poumon, organe le plus léger et le plus
poreux.
Aussi la nature a-t-elle eu raison de créer dans le corps des
animaux, non seulement les artères, mais encore les veines.
C'est pour cela que le foie est alimenté par des veines seules,
veines très fines et très poreuses, et que le poumon l'est par des
artères. En effet, les veines destinées à l'alimenter, res­
semblent aux artères, comme nous l'avons dit plus haut
(chap. x). Il faut donc admirer ici encore la prévoyance de la
nature, qui crée des vaisseaux de deux espèces, dont les
extrémités les plus voisines s'anastomosent entre elles et qui,
avant tout, fait communiquer entre elles les cavités mêmes du
cœur, comme nous l'avons aussi établi ailleurs (chap. XVI) .
Maintenant, e n effet, nous n e nous proposons pas de montrer
que telle chose a lieu dans le corps de l'animal, mais pourquoi
elle a lieu. Comme la connaissance du fait précède nécessaire­
ment la cause de ce fait, ainsi que dit Aristote 1 , il est impos-
1. Aristote, Seconds analytiques, II, I : • Ainsi, quand, embrassant une plurali­
té de termes, nous nous demandons si la chose est telle ou telle, si, par exemple,
le Soleil subit ou non une éclipse, c'est alors le fait que nous recherchons. La
preuve en est, c'est que, dès que nous avons découvert que le Soleil subit une
éclipse, nous n'allons pas plus loin; et si, dès le début, nous savions que le Soleil
subit une éclipse, nous ne chercherions pas à savoir s'il la subit. Mais, quand
Livre VI - Des organes respiratoires 145

sible d'exposer les utilités avant d'avoir rappelé les fonctions


(cf. J, VIII).
Les petites fosses (�60uvot) qui apparaissent, surtout vers le
milieu de la séparation [des deux cavités] du cœur (cloison
interventriculaire) ont donc été créées en vue de la communi­
cation dont nous avons parlé plus haut (laquelle existe pour
qu'il y ait échange mutuel de sang et de pneuma) ; car outre les
autres utilités communes indiquées, il valait mieux que le sang
des veines passât tout élaboré dans les artères, de façon que les
veines fussent pour les artères ce qu'est l'estomac pour les
veines ; car il n'est pas du tout déraisonnable d'imaginer que le
pneuma vital, s'il est vrai qu'il existe, est une exhalation du
sang, pourvu que le sang soit pur 1 • Nous avons développé
ailleurs (Utilité de la respiration, chap. v.), cette proposition.
Pour notre but actuel, il nous suffit d'indiquer seulement qu'il
y a utilité à ce que les artères renferment un sang pur et léger,
puisqu'il est destiné à alimenter l'air vital.
Tous ces faits sont donc une grande preuve que la nature a
été sage de créer cette double espèce de vaisseaux, que de plus,
les artères destinées à un mouvement incessant, ont besoin
d'une certaine force et d'une certaine espèce de tunique, que
celle-ci ne peut être à la fois forte et mince ; que, d'un autre
côté, si elle était épaisse, beaucoup de parties du corps ne
recevraient pas une nourriture convenable. La nature a donc
bien disposé toutes ces choses dans tout le corps de l'animal, et
particulièrement dans le cœur même, en imaginant de faire
communiquer les veines avec les artères par de petits orifices
(orifices interventriculaires). Aussi le vaisseau qui s'insère sur
le cœur (veine cave) est-il plus volumineux que celui qui en sort
(artère pulmonaire), bien que ce dernier reçoive un sang déjà
liquéfié [et par conséquent plus dilaté] par la chaleur naturelle
du viscère. Mais comme une grande quantité de sang pénètre
dans la cavité gauche par le milieu de la cloison des cavités

nous connaissons le fait, nous cherchons le pourquoi : par exemple, sachant que
le Soleil subit une éclipse et que la Terre tremble, nous cherchons le pourquoi de
l'éclipse ou le pourquoi du tremblement de terre. »
1 . Voir note 1, p. 108.
146 De l'utilité des parties du corps humain

(cloison interventriculaire) et par les ouvertures qui s'y


trouvent, il est naturel que le vaisseau qui pénètre dans le
poumon (artère pulmonaire) soit moins volumineux que celui
qui apporte le sang au cœur (veine cave) . Semblablement
l'artère qui, du poumon mène l'air dans le cœur (veine pulmo­
naire), est elle-même beaucoup moins volumineuse que la
grande artère (aorte), de laquelle prennent naissance toutes les
artères du corps, parce que la grande artère enlève une partie
du sang du ventricule droit, et qu'elle devait être l'origine de
toutes les artères du corps entier de l'animal 1 •
Comme la substance du cœur est épaisse, dense, et réclame
un aliment épais, elle est alimentée par le sang de la veine cave
avant qu'il ne pénètre dans le cœur 2 • En effet, arrivé dans ce
viscère, il devait devenir chaud, léger et subtil. Par cette
raison, il est donc en tous points raisonnable, bien que cela
paraisse singulier à certaines gens, que le cœur fournisse des
aliments au poumon et qu'il n'en fournisse pas à lui-même. En
effet, le poumon avait besoin d'un sang ténu et vaporeux, le
cœur n'avait pas besoin d'un pareil sang. Le cœur, mû en vertu
de sa propre puissance, demandait une substance forte,
épaisse et dense. Quant au poumon, qui est mû par le thorax, il
valait mieux qu'il ne fût ni lourd, ni dense, mais léger et
poreux. Chacun d'eux ainsi constitué, réclamant des aliments
analogues à sa substance, le cœur, naturellement, voulait un
sang épais, et le poumon un sang vaporeux. C'est pourquoi le
cœur ne se nourrit pas lui-même ; mais avant que la veine cave
pénètre dans le ventricule droit, un rameau assez fort (veine
coronaire) pour nourrir le cœur, s'en détache, et s'enroulant

1. La croyance à l'existence d'orifices interventriculaires persista jusqu'à la


Renaissance, où elle fut démentie par Michel Servet et André Vésale. Ambroise
Paré y croyait encore (bien qu'il ait admis qu'on ne les voyait pas; ce qu'on
expliquait en général par un affaissement du tissu post mortem) (Œuvres, p. 97)
« Il faut maintenant venir aux ventricules du cœur, lesquels sont deux en
nombre, à savoir l'un dextre, l'autre senestre, séparés et divisés par un entre­
moyen charnu et d'épaisseur assez notable, apparente tant de son côté dextre
que senestre, troué en plusieurs endroits en sa superficie ; jaçoit que les dits
trous ne pénètrent point aux sens de la vue d'un côté à l'autre. »
2. Les veines cardiaques ou coronaires s'ouvrent directement dans l'oreillette
droite qui, pour Galien, fait partie de la veine cave.
Livre VI - Des organes respiratoires 147

extérieurement à la tête (base) de ce viscère, se distribue dans


toutes ses parties. Avec cette veine, se déroule et se ramifie,
comme cela est juste, une artère, branche issue de la grande
artère, assez considérable pour rafraîchir cette même veine et
entretenir dans les parties extérieures du cœur, le tempéra­
ment exact de la chaleur innée. En effet, il ne suffirait pas du
vaisseau qui, partant du poumon, s'insère sur le cœur (veine
pulmonaire) pour rafraîchir tout ce viscère, si épais et si dense.
Car, ainsi que nous l'avons montré dans notre traité Sur les
facultés naturelles (III, xv), si les matières peuvent bien traver­
ser jusqu'à un certain point les corps mêmes, elles ne sau­
raient avancer très loin, à moins qu'un large passage ne leur
soit ouvert. C'est pour cela qu'à de courts intervalles, non
seulement dans le cœur, mais encore dans tout l'animal, ont
été disposées des artères et des veines que jamais n'aurait
établies la nature si elle avait pu, sans une large voie, faire
cheminer les matières aussi loin qu'il convient.

CHAPITRE XV I I I . - Le cœur a de très petits nerfs. - Cette disposition


est en rapport avec la nature de son action. - Utilité générale des nerfs
pour les viscères.

Une artère et une veine embrassent donc circulairement


toute la substance du cœur, mais aucun nerf ne paraît y
pénétrer, non plus que dans le foie, les reins ou la rate 1 • Seul,
le péricarde, enveloppe du cœur, paraît recevoir des ramifica­
tions de petits nerfs ; ceux-ci se divisant, quelques filets visibles
s'implantent manifestement sur le cœur même, du moins chez
les grands animaux. Toutefois, il n'est pas encore possible de
distinguer clairement, par les sens, comment ils se distribuent
dans le viscère, mais le mode d'insertion des nerfs et leur
volume est tout à fait le même que pour le foie, les reins et la
rate. En effet, chez ces derniers, comme nous l'avons dit
naguère, des nerfs visibles s'insèrent sur les tuniques ; mais il
n'est pas non plus possible de les voir se ramifier plus avant
dans la substance même des viscères.
1. Voir, IV, XIII; V, VIII, IX, x ; XVI, m.
148 De l'utilité des parties du corps humain

Nous avons, dans le livre précédent (chap. VIII, IX, x), assez
longuement traité de la distribution des nerfs dans tous les
viscères, pour qu'en le lisant avec attention, il vous soit inutile
d'entendre dire pourquoi le cœur, ayant une action naturelle,
avait besoin de très peu de nerfs ; car si les muscles, organes
d'une action physique 1 , réclament tous de grands nerfs, le
cœur, à qui aucune action de ce genre n'est confiée, avait
besoin de nerfs semblables à ceux des viscères précités et aussi
à ceux du poumon. Généralement, tous ces viscères ont reçu
des nerfs pour participer à la sensibilité et pour ne pas être
complètement des plantes. Le foie et le cœur ont spécialement
reçu un nerf, parce qu'ils sont les principes de certaines
facultés, l'un des facultés de l'âme concupiscente, l'autre de
celles de l'âme énergique 2 • J'ai dit, dans mes Commentaires sur
les dogmes d 'Hippocrate et de Platon, qu'il faut que les principes
s'obéissent mutuellement, s'accordent entre eux et se rat­
tachent par quelque lien commun.

C HAPITRE X I X . - De l'os du cœur chez les grands animaux.


Raisons données par Aristote pour expliquer la présence de cet os. -
Autre raison plus générale alléguée par Galien : tout corps liga­
menteux s'attache à un cartilage ou à un os. - Pour les valvules et pour
l'origine des tuniques vasculaires, il fallait un os chez les grands
animaux, et chez les petits un neuro-cartilage (fibro-cartilage).

Comme on trouve aussi un os à la tête (base) du cœur dans


les gros animaux, il convient de ne pas omettre l'utilité qu'il
présente 3 • Celle qu'indique Aristote est peut-être raisonnable.
l. Lire psychique, c'est-à-dire dépendant de l'âme (encéphalique) et de son
pneuma psychique (les muscles du mouvement volontaire dépendent de l'âme
encéphalique pour leurs contractions; le cœur, non; il possède son propre
principe lui donnant une autonomie d'action; c'est pourquoi il n'a pas besoin de
grands nerfs le reliant à l'encéphale).
2. L'âme concupiscente et l'âme énergique sont les principes logés, respec­
tivement, dans le foie et le cœur. Ici, Galien, à la manière de Platon (Timée) en
parle comme d'âmes; dans Des facultés naturelles (I, 1), il y renoncera pour ne
qualifier d'âme que l'âme encéphalique (voir, tome II, p. 3).
3. Galien a longuement discuté sur l'os du cœur dans le chap. x du livre VII
du Manuel des dissections. Voici un passage de ce chapitre : « L'os qu'on croit
exister chez les grands animaux n'existe pas chez tous ; mais chez tous et chez les
autres animaux il y a non pas un os parfait, mais un cartilage. Les choses se
passent ainsi en général chez tous les animaux : Les membranes triglochines
(valvules des orifices auriculo-ventriculaires) et la racine des vaisseaux artériels
Livre VI - Des organes respiratoires 149

Il dit (Part. des anim., III, IV) que cet os est le soutien et comme
le fondement du cœur, et que c'est pour cela qu'on le trouve
dans les gros animaux. Il est évident qu'un grand cœur,
suspendu dans un large thorax, avait naturellement besoin
d'une telle partie ; mais il eût été mieux de dire que partout la
nature attache les extrémités des ligaments à un cartilage ou à
un os cartilagineux. Elle ne devait donc pas non plus négliger
ni les ligaments du cœur, car les membranes (valvules) situées
aux orifices des vaisseaux sont de cette espèce, ni la tunique
des artères, dont la substance est semblable à celle du liga­
ment ; loin de là, elle a attaché toutes leurs extrémités à cet os
cartilagineux, comme nous le démontrions dans le Manuel des
dissections (VII, x). Il existe donc un os cartilagineux dans les
gros animaux, et dans les très petits animaux, un corps neuro­
cartilagineux (fibro-cartilage) . Donc tout cœur, chez tous les
animaux, possède au même endroit une substance dure, créée
pour les mêmes utilités.
Que les cœurs les plus volumineux aient besoin d'une sem­
blable substance, plus dure, cela n'a rien d'étonnant. En effet,
pour rattacher plus solidement les extrémités des ligaments, et
pour affermir le cœur entier quand il est volumineux, la plus
dure substance est la plus convenable dans un grand cœur.

CHAPITRE xx. - Que la disposition des vaisseaux du poumon et du


cœur chez le fœtus n' est pas en contradiction avec ce qui a été
démontré plus haut sur l'utilité d'une veine artérieuse et d'une artère
veineuse chez l'animal adulte. - Invectives contre ceux qui ont émis à
cet égard des opinions erronées et de plus malveillantes pour la
nature. - Cf. aussi liv. XV, chap. VI.

(aorte et artère pulmonaire) sont appendues à une substance, toujours dure, mais
non pas également dure chez tous les animaux : chez les petits animaux, elle est
médiocrement cartilagineuse, chez les plus gros c'est un cartilage parfait, chez
ceux qui sont tout à fait gros c'est un cartilage osseux ; plus l'animal est gros plus
ce cartilage participe à la nature de l'os. Aussi chez ces derniers faut-il l'appeler
un os cartilagineux et non un cartilage osseux, dans ces animaux ce qui naît
autour de cette substance n'est pas encore exactement cartilage mais un
neuro-cartilage. Il n'est pas étonnant que les gens inexpérimentés dans les
dissections, ignorent cette particularité sur les petits animaux puisqu'ils ne la
reconnaissent pas sur les gros. »
1 50 De l'utilité des parties du corps humain

Telles sont donc les parties du cœur qui existent dans les
êtres déjà formés. Chez ceux qui sont encore dans le sein
maternel, on voit certaines anastomoses des vaisseaux du
cœur. J'avais promis plus haut (chap. xm) d'en parler, je n'en
ai rien dit encore, pensant qu'il valait mieux terminer d'abord
ce que j'avais à dire sur les êtres déjà formés. Ce but paraissant
atteint, il nous faut remplir notre promesse.
Nous avons démontré (liv. VI, x) que le poumon possédait
des artères veineuses et des veines artérielles, d'abord pour
être nourri d'aliments convenables, ensuite pour avoir des
artères (veines pulmonaires) qui se contractent aisément, et
des veines (artères pulmonaires) qui se contractent difficile­
ment. Au sujet des membranes (valvules) qui sont fixées à
chaque orifice du cœur, nous avons aussi montré (x, XI, et
surtout XIV) que celles qui sont tournées de dedans en dehors
(valvules sigmoides) ont pour but de prévenir le retour des
matières, et que celles qui s'ouvrent de dehors en dedans
(valvulès auriculo-ventriculaires), n'ont pas été créées pour
cette destination, mais pour être des organes de traction.
Toutes ces dispositions, si bien appropriées à des êtres formés,
semblent mal convenir à ceux qui sont encore renfermés dans
l'utérus. Aussi nos contradicteurs, qui estiment que la nature
n'a rien fait avec art, s'emparent précisément de cette parti­
cularité et s'en font une arme avec laquelle ils pensent renver­
ser complètement notre opinion. Ils disent, en effet, que, dans
les embryons, le pneuma vient non du poumon au cœur, mais
du cœur au poumon. En effet, comme l'animal ne respire pas
encore par la bouche, et que l'aliment aussi bien que l'air lui
est fourni par la matrice au moyen des vaisseaux de l'ombilic,
il est probable que l'air vient, non du cœur à la grande artère
de l'épine (aorte), mais de cette artère au cœur, et qu'il est
transmis du cœur au poumon même, non du poumon au
cœur. Or, disent-ils, si l'épiphyse membraneuse (valvule sig­
moide), placée à l'orifice de la grande artère (aorte), est
disposée de telle sorte que rien ou presque rien ne revient par
elle dans le cœur, et que, d'un autre côté aussi, par l'orifice de
Livre VI - Des organes respiratoires 15 1

l'artère veineuse (veines pulmonaires), il n'arrive du cœur au


poumon que très peu de matière, il est évident que ni le cœur,
ni le poumon ne recevront d'air.
Ils prétendent également que ce qu'on dit des vaisseaux du
poumon, n'est que bavardage et mensonge. Ces vaisseaux,
disent-ils, présentent la même nature, que les animaux soient
renfermés dans l'utérus ou venus au monde, bien que dans le
premier cas ils ne respirent pas encore par la bouche. Or,
ajoutent-ils, le raisonnement qui explique l'utilité de la substi­
tution opérée dans ces vaisseaux se basait sur ce que les
animaux respiraient déjà par la bouche. Il résulte donc de là,
pensent-ils, que la nature n'a pas montré de prévoyance dans
la création des animaux, et que nos assertions à cet égard,
quoique plausibles, n'ont pas de fondement.
Il faut en partie pardonner aux hommes qui attaquent ainsi
nous et les œuvres de la nature, et en partie les blâmer; leur
pardonner parce qu'ils ne subtilisent pas, qu'ils ne se
trompent pas dans le raisonnement en tant que raisonnement,
comme cela leur arrive si souvent ; les blâmer de leur indif­
férence pour l'anatomie, car c'est l'ignorance de cette science
qui leur donne l'audace d'avancer de si graves erreurs. Ils
agissent de la même façon que cet homme qui, comptant ses
ânes, oubliait celui sur lequel il était monté et accusait ses
voisins de l'avoir volé, ou que cet autre qui réclamait ce qu'il
avait dans la main. Assistant un jour à un pareil spectacle, je
ris beaucoup en voyant un homme plein de trouble ; il mettait
en désordre et bouleversait tout dans sa maison, cherchant des
pièces d'or que lui-même portait à une main, renfermées dans
un morceau de papyrus. En face de ces cris exagérés, un
homme calme, parlant peu, je pense, montrerait à l'un, l'âne
sur lequel il est monté, et pour l'autre, il lui ferait toucher sa
main gauche avec sa main droite ; j'agirai de même, je crois,
vis-à-vis de mes adversaires ; s'ils ont des yeux, je leur montre­
rai la branche de la grande artère (aorte) et l'orifice de la veine
cave se portant au poumon chez les animaux encore enfermés
dans l'utérus ; s'ils sont aveugles, je leur mettrai dans les mains
et je leur ferai toucher les vaisseaux. En effet, loin d'être petits
et disposés au hasard, ils sont très larges l'un et l'autre, et
1 52 De l'utilité des parties du corps humain

présentent intérieurement un canal considérable, dont l'exis­


tence peut être constatée, non seulement par celui qui a des
yeux, mais par quiconque possède l'organe du toucher, si l' on
veut seulement s'occuper de dissection. Ces raisonneurs
méritent donc plus que la nature d'être condamnés pour
paresse. En effet, la nature n'a montré ni paresse, ni impré­
voyance ; mais (eux-mêmes l'accordent), ayant raisonné, elle a
su d'avance que le poumon du fœtus, poumon encore contenu
dans l'utérus, en train de se former, exempt d'agitation, n'a
pas besoin de la même organisation qu'un poumon parfait et
déjà doué de mouvement ; elle a donc anastomosé le vaisseau
fort, épais et dense (artère pulmonaire) avec la grande artère
(aorte) et le vaisseau faible, mince et poreux (veines pulmo­
naires) avec la veine cave 1 .
Mais ces gens ignorent complètement, et par paresse ne
cherchent pas à connaître les œuvres de la nature ; car il ne
faut que voir ces œuvres pour admirer aussitôt l'art qui s'y
manifeste. Qui, en effet, après avoir entendu les raisonne­
ments qu'ils emploient pour attaquer la nature, voyant de
telles absurdités prévenues par un si petit expédient qu'a
imaginé la nature, n'admirerait pas son habileté ? Ceux-ci vont
criant que le poumon est très maltraité si, dans l'utérus, il est
régi comme à l'état parfait, ou si, étant parfait, il est régi
comme dans l'utérus. Car il faut, disent-ils, au poumon respi­
rant et doué de mouvement, une autre organisation qu'au
poumon à l'état de repos. Mais la nature, sans bruit et sans
fracas, montre son équité par ses œuvres mêmes. On l'admire
déjà, nous le savons, à la simple audition ; mais l'admiration
est moins grande lorsqu'on entend que lorsqu'on voit; aussi
faut-il examiner de soi-même ces faits et les autres rapportés
ailleurs.

CHAPITRE XXI . - Chez le fœtus le cœur n'est pas moins bien partagé
que le poumon. - Admirables dispositions prises par la nature pour la

1. Il s'agit respectivement du canal artériel (entre l'aorte et l'artère pulmo­


naire) et du trou de Botal (entre les oreillettes, ici comprises comme des parties
de la veine cave et de la veine pulmonaire).
Livre VI - Des organes respiratoires 1 53

création des vaisseaux ombilicaux pendant la vie fœtale, et pour leur


annihilation après la naissance.

La nature a donc disposé les parties du poumon avec la


même équité dans le fœtus que dans l'animal qui respire. Je
dirai aussi comment, avec la même industrie, elle a rétabli
l'équilibre dans celles du cœur. En effet, en anastomosant la
grande artère (aorte) avec le vaisseau épais et dense du pou­
mon (artère pulmonaire) et la veine cave avec le vaisseau mince
et poreux (veines pulmonaires), elle a, comme nous l'avons dit
(chap. x et xx), donné au poumon une juste part des deux
matières (sang et pneuma), et n'en a pas moins affranchi le
cœur de sa sen>itude à l'égard du poumon; en sorte qu'il n'y a
plus lieu de s'étonner, si, n'envoyant au poumon ni sang ni
pneu.ma, et n'en fournissant pas aux artères de l'animal entier,
comme dans les animaux parfaits, le cœur [chez le fœtus] n'a
besoin, pour son existence propre, que d'une très petite quan­
tité de pneuma. Et ce pneuma, il pouvait, je pense, le tirer de la
grande artère même, car les épiphyses membraneuses (val­
vules) ont été inventées, non pas pour qu'il ne pénètre rien
absolument dans le cœur, mais pour que la matière n'y entre
ni en trop grande abondance, ni trop précipitamment (cf.
chap. xvr) . Le cœur pouvait même prendre au poumon du sang
et du pneuma mélangés (cf. chap. xv1), au moyen de l'orifice
sur lequel seul, disions-nous (chap. XIV), s'implantent unique­
ment deux tuniques (valvule bicuspide) dirigées de dehors en
dedans. En effet, ce vaisseau, chez les animaux enfermés dans
l'utérus, reçoit le sang de la veine cave par une anastomose
(ouverture) d'une grandeur remarquable (trou de Botal).
Nous avons démontré précédemment que chez les animaux
parfaits, le sang vient d'organes qui sont chez eux des organes
sanguins, et chez les fœtus des organes pneumatiques, au
moyen d'anastomoses nombreuses et d'une finesse qui
échappe à l' œil ; mais le sang participe plus facilement au
pneuma chez le fœtus, car il faut encore ajouter ce fait évident
chez les fœtus ; or c'est là une preuve non médiocre que les
deux genres de vaisseaux s'anastomosent entre eux, et que les
veines contiennent aussi des particules de pneuma. En effet,
quand l'animal n'est pas encore né, si vous ouvrez l'épigastre,
154 De l'utilité des parties du corps humain

puis l'utérus de la mère en suivant le procédé qui a été indiqué


dans le Manuel des dissections, et si vous liez les artères de
l'ombilic, toutes celles du chorion seront privées de pulsation,
tandis que celles de l'embryon battront encore. Mais si vous
liez les veines de l' ombilic, les artères de l' embryon ne battront
plus. Cela prouve que la faculté qui fait mouvoir les artères du
chorion vient du cœur du fœtus, et aussi qu'au moyen des
anastomoses avec les veines, les artères sont pourvues de
pneuma, à l'aide duquel la chaleur naturelle peut être conser­
vée pendant quelque temps.
Il n'est donc pas impossible que pour le cœur lui-même, le
vaisseau qui renferme le sang favorise la chaleur innée de la
cavité gauche, chaleur qui, nous l'avons démontré (cf. Utilité
de la respir., chap. IV, et Utilité du pouls, chap. III), rend néces­
saires, chez les animaux, la respiration et le pouls. Cela établit
clairement que la nature a tout disposé avec prévoyance, que
la vérité est partout d'accord avec elle-même, et que les
assertions d'Érasistrate sur l'absence complète du mélange
des matières ne sont en rapport ni avec les faits, ni avec
elles-mêmes.
Ce que nous avons dit tout à l'heure prouve simultanément
les trois faits suivants : Les artères ne se dilatent que parce
qu'elles se remplissent du pneuma fourni par le cœur; à
chaque dilatation elles attirent quelque chose des veines;
enfin, chez les embryons, il est nécessaire, comme l'artère
veineuse (veines pulmonaires) tire du sang de la veine cave
[par le trou de Botal], que le cœur, en se dilatant, fasse
pénétrer dans la cavité (ventricule) gauche une quantité de
sang assez considérable, lequel ne trouve pas d'obstacles dans
les épiphyses membraneuses (valvules) qui sont dirigées de
dehors en dedans. Ainsi, l'on voit clairement que le cœur
communique cette faculté d'impulsion aux artères, non seule­
ment chez les animaux déjà parfaits, mais encore aux fœtus ;
elle ne les gonfle ni ne les remplit à la façon des outres. Ce que
nous avons dit suffit pour le prouver.
Si, loin qu'elles se dilatent comme des outres, parce qu'elles
se remplissent, les artères se remplissent parce qu'elles se
dilatent comme les soufflets des forgerons, elles doivent néces-
Livre VI - Des organes respiratoires 155

sairement tirer quelques particules des veines, puisque les


anastomoses réciproques entre les veines et les artères sont
admises par Érasistrate lui-même ; ce que je dis là est, je pense,
un fait évident pour tous. Du reste, si on le nie, je l'ai démontré
ailleurs (Facultés natur., III, xv, et Utilité du pouls, chap. v) ; il
est donc inutile d'en parler plus longuement, mais pensant que
les anastomoses entre les vaisseaux du cœur ont été faites pour
les résultats énumérés par nous, nous y trouverons des
preuves considérables en faveur des démonstrations que nous
avons données ailleurs.
Si les utilités de beaucoup de parties étaient inexplicables
pour Érasistrate, celles-ci, je pense, étaient dans le même cas.
En effet, que ces anastomoses existassent ou non, il lui était
difficile d'en rendre compte ; car si elles existent, nécessaire­
ment les matières se mêlent dans le ventricule droit du cœur;
si elles n'existent pas, il est difficile de dire comment le cœur
recevra le pneuma, et surtout comment il ne serait pas injuste
de soumettre le poumon au même régime chez les adultes et
chez le fœtus. Mais dans la réalité, ni cette partie du corps, ni
les autres n'offrent de problème insoluble ; toutes choses sont
claires, faciles à expliquer, concordantes, lorsque du moins,
dans la recherche des fonctions, on n'est pas parti, au début,
d'un principe faux. Mais le développement de cette question
sera mieux placé ailleurs.
La nature qui, avec l'âge, dessèche et réduit pour ainsi dire à
l'état de cordes la veine qui de l'ombilic s'étend au foie (veine
ombilicale) et les artères (artère ombilicale) qui vont vers le
rachis (à l 'artère hypogastrique), fait aussi disparaître chez les
animaux, une fois nés, les susdites anastomoses des vaisseaux
du cœur; et ceci est, je pense, la chose la plus admirable. Ces
parties, dénuées de toute utilité pour des êtres qui ne sont plus
renfermés dans l'utérus, elle ne supporte pas même leur
existence. La nature, qui donne une partie plus compliquée
aux embryons qu'aux animaux parfaits, me semble moins
grande en la créant qu'en la détruisant lorsqu'elle n'est plus
utile.
Du reste, les parties qui se trouvent chez le fœtus différentes
de ce qu'elles sont dans les animaux parfaits, seront toutes
156 De l 'utilité des parties du corps humain

décrites par nous en parlant de l'utilité des parties contenues


dans la matrice, et cela quand nous aurons d'abord terminé
notre sujet actuel (voir livre XIV et livre XV, chap. IV-VI). Nous
n'en aurions même pas fait ici la mention, si l'on n'avait pas
attaqué nos explications sur les membranes du cœur et sur la
substitution des vaisseaux du poumon. Revenant à mon sujet,
je vais achever de l'expliquer. Il ne me reste, je pense, rien à
dire sur le cœur; mais le poumon et le thorax exigent encore
des développements considérables. Nous les donnerons tous
dans le livre suivant, en ajoutant à ce qui regarde le poumon
les explications sur le larynx, lequel se trouve à l'extrémité
supérieure de la trachée-artère.
LIVRE SEPTIÈME

D E S O RGANES DE LA VOIX

CHAPITRE 1 er. - L'objet du présent livre est l'histoire de la structure


du poumon, considéré surtout comme organe de la voix. - Si les
descriptions verbales ne suffisent pas pour enseigner l'anatomie, du
moins elles remémorent ce qu'on a déjà appris, et elles préparent à
mieux profiter des dissections.

CHAPITRE n . - Il existe trois ordres de vaisseaux dans le poumon :


veines et artère pulmonaires, trachée-artère. - Comment les vaisseaux
se ramifient dans le poumon.

CHAPITRE I I I . - De la structure de la trachée-artère; partie cartilagi­


neuse et partie membraneuse. - Comment cette artère se ramifie dans
le poumon. - Elle est exempte de sang dans l'état normal, tandis que
les autres artères, aussi bien l'artère veineuse (veine pulmonaire) que
celles du reste du corps, en sont pourvues.

CHAPITRE IV. - Les cartilages de la trachée-artère servent à l'émis­


sion de la voix, et les membranes permettent que cette partie suive les
mouvements de resserrement et de dilatation du poumon et du thorax.
- Cela est démontré par l'expérimentation sur les animaux morts.

CHAPITRE v . - Au moyen de la trachée, et particulièrement du


larynx, le poumon est parfaitement conformé pour être à la fois un
organe de la respiration et un organe de la voix. - Du mode de
production de la voix. - Les pièces cartilagineuses et immobiles
158 De l 'utilité des parties du corps humain
servent à produire le son, et les pièces membraneuses ou mobiles
concourent à l'acte de la respiration. - La trachée manque nécessaire­
ment chez les poissons, puisqu'ils vivent dans l'eau, et que, par
conséquent, ils n'ont pas besoin de voix ; aussi la nature ne leur a-t-elle
donné qu'un organe (les branchies) qui sert à rafraîchir le cœur; en
d'autres termes, ils n'ont que l'instrument de la respiration.

CHAPITRE V I . - La trachée ne pouvait pas être mieux conformée


qu'elle n'est actuellement; ôtez, par la pensée, les ligaments membra­
neux, la respiration est abolie ; enlevez les cartilages, la voix est
perdue.

CHAPITRE vn . - La nature a merveilleusement agi pour la sûreté de


la trachée et de l'œsophage et pour la marche du bol alimentaire ou
des boissons, en plaçant en avant les cartilages, et en arrière, c'est-à­
dire en contact avec l'œsophage, la membrane qui complète la cir­
conférence de la trachée. - Comment il est avantageux que nous ne
puissions pas respirer et avaler en même temps. - Capacité des deux
conduits. - Utilité de la membrane muqueuse commune à la bouche, à
l'œsophage et à la trachée. D'abord, elle prévient l'ulcération si
dangereuse du cartilage; en second lieu, son degré moyen de séche­
resse est favorable au timbre régulier de la voix; enfin, la densité ne
permet pas aux humeurs de la traverser, et de rendre ainsi la voix
rauque, et d'altérer les cartilages.

C HAPITRE vin. - Galien démontre contre certains médecins, et en


partie contre Érasistrate que le poumon ne pouvait pas être constitué
uniquement par la trachée-artère, mais qu'il fallait de plus une artère
lisse et une veine. - Nouvelles attaques contre Érasistrate, suivant qui,
la nature aurait créé inutilement, d'une part, les artères lisses du
poumon (veines pulmonaires), puisqu'elle aurait pu attacher directe­
ment la trachée-artère au cœur, et d'une autre part les veines (artère
pulmonaire), attendu que, toujours d'après Érasistrate, les artères
n'ont pas besoin de veines nourricières, et qu'elles sont vides de sang,
de sorte qu'il n'y avait besoin de veines, ni pour alimenter la trachée et
les veines pulmonaires, ni pour établir des anastomoses entre ce
dernier vaisseau et l'artère pulmonaire. - Précautions prises par la
nature pour que le sang ne passe pas à travers les bronches. - Que le
poumon élabore le pneuma comme le foie élabore l'aliment. - Fausse
Livre VII - Des organes de la voix 159
théorie d'Érasistrate sur l'asphyxie; il ne tient compte que du degré de
ténuité de l'air, et paraît ignorer que l'air a comme les aliments des
qualités intimes qui le rendent propre ou impropre à la respiration. -
De la position respective des trois ordres de vaisseaux du poumon. -
Avantages de la substitution des tuniques dans les veines et dans les
artères pulmonaires.

CHAPITRE I X . - Que le poumon est chargé d'entretenir la chaleur


naturelle, d'alimenter l'esprit animal, et d'aider à la production de la
voix. La nature a merveilleusement approprié ce viscère à toutes ces
fonctions. - Comment l'air, le sang, et le mélange de sang et d'air
pénètrent le premier dans les bronches, le second dans les veines, et le
mélange dans l'artère pulmonaire. - Solidarité des mouvements du
thorax, du poumon et des bronches. - Le fait est prouvé par une
expérience sur un animal mort. - Que la respiration est et devait être
un mouvement volontaire. - Pourquoi le poumon ne devait avoir que
de petits nerfs.

CHAPITRE x . - Utilités de la division du poumon en lobes.

CHAPITRE X I . - Du nombre des cartilages et des muscles du larynx.


- Description et situation de chacun des cartilages (Galien n'en
reconnaît que trois). - De l'épiglotte. - Que les cartilages ne pouvaient
être ni autrement construits, ni autrement disposés qu'ils ne le sont
actuellement. - Des muscles intrinsèques du larynx. - Des muscles
thyréo-hyoïdiens et sterno-thyréoïdiens.

CHAPITRE XII . - De l'utilité des cartilages et des muscles du larynx.


- Des mouvements de cet organe.

CHAPITRE XII I . - De la glotte. - Elle doit être comparée à l'anche


d'une flûte, ou plutôt c'est sur son modèle que l'anche des flûtes a été
construite. - Propositions fondamentales extraites du traité De la voix,
sur les conditions nécessaires à l'émission des sons. - Du rôle des
diverses parties de la glotte dans la production des sons. - Que toutes
les particularités de l'organisation de la glotte témoignent de l'habileté
de la nature qui ne pouvait pas prendre de meilleures dispositions. -
De la substance de la glotte. - De l'humeur qui la lubrifie.
160 De l 'utilité des parties du corps humain

CHAPITRE XIV . - Que les deux muscles obturateurs du larynx


résistent aux efforts de tous les muscles du thorax. - Du mode
d'insertion des nerls sur les muscles du larynx, la tête du muscle est
déterminée par le point d'insertion des nerfs. - Savantes dispositions
prises par la nature, pour l'origine et le parcours des nerfs récurrents.
Galien, à ce propos, entre dans de véritables extases d'admiration, et
se livre à d'emphatiques divagations, au milieu desquelles il trouve
cependant moyen d'attaquer Aristote, Épicure et Asclépiade. - Du
mouvement de retour et des fonctions des nerfs récurrents expliqués
par la machine chirurgicale appelée glossocome et par le diaule (course
du double stade) . - Galien se vante avec emphase d'avoir découvert les
nerfs récurrents et toutes les particularités délicates de l'organisation
du larynx. - Origine et distribution du pneumogastrique. - Comparai­
son détaillée de la marche et de l'action des nerfs récurrents avec le
glossocome et le diaule. - De l'artifice de la nature dans le choix du lieu
qui devait servir de poulie ou point de réflexion aux nerls récurrents. -
Cf. XVI, IV.

CHAPITRE x v . - Du mode de réflexion des nerfs récurrents, à droite


autour de la sous-clavière, à gauche autour de la crosse de l'aorte. -
Précautions prises par la nature pour leur sûreté. - Leur distribution
dans les muscles du larynx. - Ils sont renforcés par une anastomose du
grand hypoglosse.

CHAPITRE x v 1 . - Pourquoi les aliments n'entrent-ils pas dans le


larynx pendant l'acte de la déglutition? Cela tient à la présence de
l'épiglotte, dont la forme, la situation et la substance sont dans un
rapport parfait avec les fonctions qu'elle a à remplir.

CHAPITRE x v n . - Le cartilage aryténoïde a une utilité analogue à


celle de l'épiglotte. - Si les aliments ne peuvent pas tomber dans la
trachée, il ne s'ensuit pas qu'un peu de liquide n'y puisse pénétrer.
Cette petite quantité de liquide lubrifie le poumon, comme les glandes
voisines du larynx servent aussi à hlltllecter cet organe.

CHAPITRE x v m . - Par quel moyen l'œsophage n'est pas comprimé


par le larynx.
Livre VII - Des organes de la voix 161
CHAPITRE XIX . - De l'os hyoïde. - Des muscles qui s'y attachent. -
Utilité de ces muscles et de l'os hyoïde lui-même. - De son mode
d'union avec la tête.

CHAPITRE x x . - Récapitulation de ce que Galien avait exposé dans


le traité Des causes de la respiration, sur la direction des fibres des
muscles intercostaux (particularité ignorée des anatomistes ses
devanciers), et sur les mouvements des côtes.

C HAPITRE XXI . - Du diaphragme et du thorax en général et des


côtes en particulier. - Raisons des diverses particularités de leur
structure. - Pourquoi la nature a-t-elle entouré le cerveau d'os seule­
ment; le foie et le reste des viscères abdominaux de muscles seule­
ment; et les organes thoraciques d'un mélange d'os, de cartilages et de
muscles.

CHAPITRE x x n . - Pourquoi les mamelles sont tantôt au nombre de


deux, et tantôt plus multipliées; pourquoi sont-elles placées tantôt sur
le thorax seulement, ou tantôt, soit sur le thorax et sur le ventre, soit
sur le ventre seul. - Que, chez l'homme, la meilleure place pour les
mamelles est le thorax - En général, elles sont placées là où la nature
n'altère pas le sang par des productions extérieures, telles que cornes,
crinières, etc., mais, en somme, la véritable place est le thorax, et,
quand la nature s'en est éloignée, c'est par force. - Que, chez les
femmes, les mamelles servent d'abord à sécréter le lait, et, en second
lieu, à protéger et réchauffer le cœur. - Elles n'existent pas toujours
chez le mâle comme chez la femelle. - Pourquoi les mamelles ne sont
pas aussi saillantes chez l'homme que chez la femme.
LIVR E H UITIÈM E

D E LA T ÊT E , D E L ' E NC É PHALE
ET DES SENS

CHAPITRE I er_ - De l'utilité du cou en général, son existence est


subordonnée à celle du poumon. - Relations et subordinations des
diverses parties qui composent le cou. - Pour certains animaux, le
cou, par sa longueur, remplit en quelque sorte l'office de main. - Chez
l'homme, le cou est fait en vue du larynx, lequel, à son tour, est créé en
vue de la voix. -Une autre utilité secondaire du cou, c'est de permettre
la production des nerfs pour l'épaule et le bras.

La suite des explications nous amène à parler de toutes les


parties du cou et de la tête ; mais, avant de les décrire une à
une, il est bon d'examiner, à propos de ces membres en
général, dans quel but ils ont été créés, surtout si l'on consi­
dère que beaucoup d'animaux sont les uns privés des deux
membres, les autres de la tête seule. Les langoustes, les écre­
visses, les pouparts, les crabes, manquent de l'un et de l'autre
(cf. III, XII, VII, m) ; tous les poissons ont une tête, mais point
de cou. Pour la production du cou, il n'est pas difficile de s'en
rendre compte. Toujours, on le voit disparaître avec le pou­
mon. Aussi, chez tous les poissons, le cou manque parce qu'il
n'existe pas de poumon 1 • Au contraire, les animaux pourvus
d'un poumon ont tous� un cou sans exception. S'il en est ainsi,
1. Aristote, Parties des animaux, III, m, 664a : • Au-dessous de la tête se
trouve le cou chez les animaux qui en possèdent un. Car tous les animaux n'ont
pas cette partie, mais seulement ceux qui possèdent les organes pour lesquels est
fait le cou. Ce sont le pharynx et ce qu'on appelle l'œsophage. Le pharynx est fait
pour le passage de l'air. C'est par ce conduit que les animaux aspirent l'air et
l'expulsent dans l'inspiration et l'expiration. Aussi les animaux qui n'ont pas de
poumons, n'ont pas non plus de cou, par exemple le genre des poissons. »
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 1 63

en examinant la relation des parties du cou avec le poumon,


que cette relation regarde une ou plusieurs parties, nous
découvririons la nécessité de l'existence du cou tout entier.
Mais on trouve en lui des parties qui n'ont absolU/ment aucune
affinité avec la substance du poumon, en arrière les vertèbres,
et la moelle qu'elles renferment, certains ligaments et tendons,
et en général dans tout le cou beaucoup de muscles, de nerfs,
de glandes, et le canal de l' estomac qu'on nomme œsophage. Il
en est d'autres qui ont du rapport avec le poumon, par
exemple les artères et les veines, mais comme le poumon les
tient du cœur, en quoi aurait-il encore besoin du cou? Reste le
système de la trachée-artère commun au cou et au poumon.
Comme trois vaisseaux forment la trame du poumon, veine,
artère lisse et trachée-artère, les deux premiers sont communs
à tout le corps, en sorte que vous ne trouveriez pas une partie
où l'un et l'autre ne se rencontrent. Quant au système de la
trachée-artère, il existe dans le cou et dans le poumon seule­
ment ; unique et très grande dans le cou, elle se divise dans le
poumon où les bronches sont formées par les subdivisions de
la grande trachée (ramifications bronchiques).
C'est pourquoi tous les animaux qui ont un poumon attirent
l'air dans leur poumon par cette trachée, et l'expirent par le
même canal. L'émission du souffle, principe matériel de la
voix, nous l'avons démontré (cf. VII, v), est produite par elle.
Sans elle, la voix ne se produit pas ; et le premier, le plus
important organe de la voix, qu'on nomme larynx, forme
l'extrémité supérieure de la trachée-artère ; on l'appelle encore
pharynx, de même que l'organe placé au devant du larynx, il en
résulte que la voix manque chez tout animal dépourvu de cou.
C'est ainsi qu'au poumon est allié le pharynx, si utile pour
les animaux; et c'est pour lui que le cou a été créé. En effet, le
poumon étant renfermé dans le thorax, et la trachée-artère
partant du poumon et se terminant nécessairement à la
bouche, toutes les parties situées entre l'extrémité du thorax et
la naissance de la bouche ont été créées en vue de cette
trachée ; car le thorax et la bouche étant séparés et éloignés
l'un de l'autre, tout l'espace intermédiaire a servi de passage
aux corps qui remontent et à ceux qui descendent. Or, ceux qui
164 De l'utilité des parties du corps humain

descendent sont les nerfs, l' œsophage, les muscles, la moelle


épinière; ceux qui remontent sont les veines, les artères, le
larynx même.
La moelle épinière a pour la protéger les vertèbres qui
l'environnent ; des glandes remplissent les interstices entre les
vaisseaux; de plus, des membranes et des ligaments
défendent, et en même temps rattachent les parties susnom­
mées ; la peau les recouvre toutes comme une enveloppe
commune. Tel est le cou, créé comme nous le démontrions à
l'instant pour le larynx, organe de la voix et aussi de la
respiration.
Mais la nature, habile à employer à un usage différent
(c'est-à-dire, à plusieurs usages) une partie créée pour un but
donné, a gratifié beaucoup d'animaux d'un cou pour remplir
chez eux l'usage de la main. C'est pourquoi ceux qui, avec leur
bouche, recueillent sur la terre leurs aliments, ont un cou
aussi allongé que les jambes (cf XI, II et vm; cf aussi III, II).
Mais l'homme et les animaux analogues ont un cou en vue du
pharynx (larynx), et ce pharynx, ils l'ont en vue de la voix et de
la respiration, en sorte que sa grandeur est celle qui était
nécessaire au pharynx pour accomplir les fonctions indiquées.
Il fallait encore que la région de l'épaule, celle du bras, et de
plus l'avant-bras et la main reçussent des nerfs des vertèbres
cervicales. Nous démontrerons plus loin (XIII, IX) que tel est
aussi le cas du diaphragme. Pour créer ces nerfs, il a donc fallu
établir dans l'intervalle, entre la tête et le thorax, d'autres
vertèbres dont est formé le cou. Pour les poissons, comme ils
n'ont pas de trachée-artère, ils manquent également des par­
ties susnommées. Aussi doit-on dire, ou que le cou leur fait
complètement défaut, ou qu'il est excessivement court,
composé seulement des deux premières vertèbres. Si donc il
est très court chez eux ou absolument nul, il est long chez les
animaux où il fait office de main, et de grandeur moyenne
chez ceux où, créé pour la voix, il est en outre destiné à
permettre la production des nerfs destinés aux membres
antérieurs : parmi ces animaux est l'homme, dont notre but
actuel est de décrire la structure. Nous avons suffisamment
développé l'utilité du cou.
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 165

CHAPITRE 1 1 . - Galien combat ceux qui pensent que la tête a été


créée en vue du cerveau, et que le cerveau a été créé en vue de la
réfrigération du cœur; il les poursuit tantôt par l'ironie, tantôt par un
raisonnement sérieux. - Il leur oppose surtout les mouvements de
l'encéphale, l'existence des deux méninges, l'épaisseur des os qui
constituent la base du crâne, la distance qui existe entre le cerveau
et le cœur chez les animaux vertébrés; d'ailleurs, ajoute-t-il, la
respiration est bien suffisante pour rafraîchir le cœur.

La tête a paru à beaucoup de personnes avoir été créée en


vue de l'encéphale, et renfermer conséquemment tous les sens
comme les serviteurs et les satellites d'un grand roi 1 • Mais les
crabes et les autres crustacés n'ont pas de tête. La partie qui
dirige les sens et les mouvements volontaires est certainement
placée dans le thorax, à l'endroit où chez eux se trouvent tous
les organes des sens. Ainsi ce qui en nous est l'encéphale,
serait dans ces animaux cette partie à laquelle se rapportent
les mouvements et les sensations. Ou si ce n'est pas l'encé­
phale, mais le cœur qui est le principe de tous ces phéno­
mènes, c'est avec raison que chez les acéphales les organes des
sens ont été fixés dans la poitrine ; car, de cette façon, ils se
dirigent vers le cœur qui est situé près d'eux; c'est au contraire
à tort que chez les autres ils sont rattachés à l'encéphale. Ceux
qui ont cette opinion doivent trouver la tête d'autant plus
superflue qu'ils ne sauraient indiquer une utilité de l'encé­
phale, ni loger autour de lui les organes des sens. Imaginer, en
effet, que l'encéphale a été créé en vue de la chaleur naturelle
du cœur pour le rafraîchir et le ramener à une température
modérée, cela est tout à fait absurde. Dans cette supposition,
la nature, au lieu de le placer si loin du cœur, ou l'aurait donné
comme enveloppe au cœur, comme t>lle a fait du poumon, ou
du moins elle l'aurait établi dans le thorax, mais elle n'eût pas
suspendu à l'encéphale les principes de tous les sens.

1. L'un des tout premiers à avoir associé les sens et l'encéphale est Alcméon.
C'était également l'opinion de Platon et d'Hippocrate. En revanche, Aristote
considérait le cerveau comme un organe de réfrigération du sang (Parties des
animaux, II, VII, 652a-653b), et associait la sensibilité à une âme sensitive logée
dans le cœur.
166 De l'utilité des parties du corps humain

Eût-elle poussé la négligence au point de l'éloigner du cœur,


elle n'avait du moins aucunement besoin d'y rattacher les
sens ; mais elle n'eût pas séparé ces deux organes par deux
enveloppes si solides et si épaisses, en recouvrant du crâne le
premier et du thorax le second. Eût-elle encore négligé ces
conditions, elle n'aurait certainement pas établi le cou entre
les deux organes, cou si long dans les animaux dont le sang est
le plus chaud et qui tirent leur nom de leurs dents
acérées(Kapxap6oovrn, carnassiers), cou plus long encore
dans les oiseaux, en sorte que chez eux l'encéphale est aussi
distant du cœur que le sont les pieds. Autant vaut dire, à mon
avis, que le calcanéum a été créé en vue du cœur. Et n'allez pas
croire que je plaisante en parlant ainsi ; un examen attentif
vous montrera que la réfrigération arrive au cœur plus promp­
tement du calcanéum que de l'encéphale :
Si le cœur et le talon paraissent avoir été assez éloignés l'un
de l'autre, du moins chez l'homme, il n'en est pas ainsi chez
tous les animaux; ils ne sont pas non plus séparés par une
double enveloppe osseuse comme par des murs solides. En
effet, dans les parties inférieures seulement, le thorax n'est
plus osseux; dans cette région est placé un corps membraneux
et musculeux appelé diaphragme, très propre à transmettre
une réfrigération. D'ailleurs, vous n'en trouverez pas moins
que le calcanéum est plus froid que l'encéphale. Notez encore
qu'à défaut d'autre cause, la continuité du mouvement est
capable d'échauffer l'encéphale, sans parler de la multiplicité
et de la grandeur des veines et artères qui s'y trouvent et qui
surpassent pour la chaleur celles de toute autre partie du
corps. Il est encore recouvert par deux méninges (dure-mère et
pie-mère), puis vient un os très dur, très dense et très épais (car
tel est l'os placé à sa base), et c'est à tl:.avers cet os et non par le
sommet que la réfrigération doit s'ouvrir un passage vers le
cœur; ces corps augmenteront nécessairement la chaleur de
l'encéphale et rendront à cette réfrigération le chemin du
cœur bien difficile et même complètement impraticable.
Du reste, pourquoi cette nécessité de préparer dans l'encé­
phale une réfrigération pour le cœur, en présence de la respi­
ration dont l'action est tellement continue et incessante ? Tant
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 167

qu'elle agit sur l'animal, elle peut rafraîchir le cœur de deux


façons : dans l'inspiration en introduisant un air frais, et dans
l'expiration en entraînant les parties brûlées ; à moins qu'on
n'imagine que l'air est plus chaud que l'encéphale, et qu'en
conséquence le cœur, moins rafraîchi qu'il n'est convenable, a
besoin encore du secours de l'encéphale, comme étant plus
froid. Mais c'est là l'opinion de gens qui vont en parole au-delà
de la vérité ou qui méconnaissent les faits. Car, en toute
circonstance, on trouve l'encéphale beaucoup plus chaud que
l'air, soit qu'on pose la main sur une fracture du crâne, soit
que par forme d'expérience, on prenne un animal quelconque
et que, lui enlevant une partie du crâne et incisant les
méninges on touche l'encéphale. De plus, personne n'ignore
que [dans le cas de fracture] nous nous efforçons toujours
avec un soin extrême de détacher les os de la tête, afin que
l'encéphale ne se refroidisse pas, et s'il vient à se refroidir,
c'est l'accident le plus dangereux pour le blessé. Et cependant,
si l'air était plus chaud que l'encéphale, il ne le refroidirait pas.
Mais dans l'état actuel, en été même, il se refroidit aisément et
a besoin alors d'être promptement réchauffé, non seulement
parce que lui-même n'est pas un corps froid, mais encore
parce qu'il redoute le contact d'une substance froide.
On dira peut-être : le mal dérive non de l'encéphale, mais
des membranes qui se refroidissent, surtout de la membrane
mince (pie-mère) qui renferme les veines et les artères les plus
nombreuses et qui bat perpétuellement dans toute son éten­
due, ce qui n'a pas lieu sans qu'il se produise une chaleur
bouillante. Et vous hommes simples, avec l'idée que la mem­
brane mince est chaude, vous osez encore déclarer que l'encé­
phale est froid, quand celle-ci pénètre de tous côtés son tissu à
tel point qu'on ne trouve aucune partie de l'encéphale qui en
soit dépourvue ! Ou bien ignorez-vous ce fait, et pensez-vous
que l' encéphale est seulement enveloppé par elle, mais non pas
traversé et enlacé dans tous les sens ? D'ailleurs quand même
elle se.bornerait à l'envelopper, l'encéphale ne pourrait refroi­
dir le cœur dont il est si éloigné, dont il est séparé par une
double barrière d'os ; et ne devait-il pas d'ailleurs être échauffé
par la membrane avec laquelle il est en contact perpétuel, à
168 De l 'utilité des parties du corps humain

moins qu'une partie froide ne puisse refroidir des reg10ns


même éloignées, et qu'une partie chaude ne puisse échauffer
même les régions voisines ? Car, telles sont nécessairement les
raisons frivoles de ceux qui s'inquiètent moins de la vérité que
de défendre leurs propres opinions, et qui, non seulement, ne
se fient pas aux sens et aux déductions logiques, mais se jettent
hardiment dans les contradictions.

CHAPITRE I I I . - Le chapitre précédent était une attaque indirecte


contre Aristote; dans celui-ci, la réfutation est directe. En disant que
l'encéphale était chargé de rafraîchir le cœur, Aristote oublie le
témoignage des sens; il est en contradiction avec lui-même, car il est
d'avis que la respiration est chargée de procurer cette réfrigération, et
en soutenant cette opinion vraie, il tombe dans une nouvelle contra­
diction, car il est d'avis que l'air est naturellement chaud. - Galien
démontre qu'il est matériellement impossible que le cœur soit rafraî­
chi par l'encéphale; il le serait plutôt par le calcanéum. - Contraire­
ment à l'opinion d'Aristote, il soutient que tous les sens sont en
rapport avec l'encéphale. S'il en était autrement, cet organe aurait été
créé sans but, ou bien il devrait être réduit à l'état d'éponge.

On a peu de raison de s'étonner que ce système ait été


adopté par certains écrivains, mais quand on le voit soutenu
par Aristote, qui ne serait au comble de l'étonnement ? Voici
un philosophe qui n'a pas négligé l'étude des phénomènes
fournis par l'anatomie, qui ne méconnaît pas leur utilité, qui
dit lui-même (Topiques, I, XI, sans doute) que parmi les pro­
blèmes, les uns réclament une solution, les autres un éclair­
cissement, d'autres le témoignage des sens ; et bientôt on le
surprend n'ajoutant plus foi aux phénomènes démontrés par
les sens et oubliant ses propres arguments. En effet, le toucher
indique toujours que l'encéphale est plus chaud que l'air
ambiant. Eh bien, Aristote prétend qu'il a été créé dans le but
de refroidir le cœur; mais il oublie que lui-même a déclaré que
cette réfrigération était l'œuvre de la respiration.
Il faut lui donner des éloges pour avoir démontré, conformé­
ment au dire d'Hippocrate (Des vents, § 4; De la nature de
l 'enfant, § 12 et 15; De l 'aliment; Épidémies VI, VI, 1), et avec la
vérité l'utilité de la respiration. Mais il a eu tort d'oublier qu'il
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 169

avait dit ailleurs que l'air est naturellement chaud 1 • Ou bien


s'il a eu raison d'oublier des assertions erronées, il a tort de
croire que le cœur n'est pas suffisamment rafraîchi par l'air
seul et qu'il a besoin encore d'un viscère qui est loin d'être
aussi froid que l'air, et qui, fût-il plus froid encore que cet air,
ne saurait, vu son éloignement et vu le nombre et la densité des
corps interposés, lui transmettre de la fraîcheur. Mais, au nom
des Dieux, quand on voit l'air pénétrer par le poumon jusqu'au
cœur, ou sinon l'air, du moins sa qualité (c'est-à-dire le froid),
et cela continuellement, sans relâche, comment imaginer que
pour tempérer sa chaleur, il a encore besoin d'un autre
secours. S'il en a encore besoin, il valait bien mieux dire que
cette réfrigération lui est fournie par le poumon, en l'attri­
buant soit à la substance molle de ce viscère, comme le fait
Platon (Timée, 70d-e), soit à sa nature froide, car rien
n'empêche de hasarder de telles assertions, quand une fois on
a osé dédaigner le témoignage des sens.
Si donc, en ne se rapportant qu'au toucher, on peut démon­
trer que le poumon est chaud et s'il faut admettre, en s'en fiant
aussi au toucher, que le cœur l'est également, comment ne
croirait-on pas que l'encéphale est plus chaud que l'air, quand
c'est la mort pour lui que de devenir froid comme l'air?
Comment l'encéphale est-il capable de rafraîchir le cœur et
comment le cœur n'est-il pas bien plutôt capable de réchauffer
le cerveau qui est placé au-dessus de lui, puisque toute chaleur
tend à s'élever? Et pourquoi l'encéphale n'envoie-t-il au cœur
qu'un nerf imperceptible, tandis que tous les organes des sens
tirent de l'encéphale une grande partie de leur substance ?
Comment encore expliquer que l'encéphale, étant destiné à
rafraîchir le cœur, est pour les organes des sens d'une utilité
toute différente. En effet, un organe créé pour rafraîchir le
cœur doit nécessairement, je pense, comme ayant en lui une
source de fraîcheur, la communiquer à tous les corps voisins.
Aussi l'encéphale seul parmi tous les organes, serait donc une

1. Aristote (De la génération et de la corruption, II, m, 330a-b) caractérise


chacun des quatre corps simples (feu, air, eau et terre) par un couple de deux
qualités primordiales (sec, humide, chaud, froid) ; ainsi l'air est chaud et humide
(le feu, sec et chaud; l'eau froide et humide ; la terre, froide et sèche).
170 De l'utüité des parties du corps humain

merveille, s'il pouvait, à travers de nombreux corps interposés,


rafraîchir des parties très éloignées et plus chaudes que lui ; et
s'il était incapable d'exercer la même action sur des corps très
proches, moins chauds et auxquels il touche.
Mais, dit Aristote, tous les organes des sens n'aboutissent
pas à l'encéphale ' . Quel est ce langage ? Je rougis même
aujourd'hui de citer cette parole. N'entre-t-il pas dans l'une et
l'autre oreille un nerf considérable avec les membranes
mêmes ? Ne descend-il pas à chaque côté du nez une partie de
l'encéphale (nerfs olfactifs, cf. chap. v1) bien plus importante
que celle qui se rend aux oreilles (nerfs acoustiques) ? Chacun
des yeux ne reçoit-il pas un nerf mou (nerfs optiques) et un nerf
dur (nerfs oculomoteurs communs), l'un s'insérant à sa racine,
l'autre sur les muscles moteurs 2 ? N'en vient-il pas quatre à la
langue, deux mous pénétrant par le palais (nerfs linguaux),
deux autres durs descendant le long de chaque oreille (grands
hypoglosses) ? Donc tous les sens sont en rapport avec l'encé­
phale, s'il faut ajouter foi aux yeux et au tact. Énoncerai-je les
autres parties qui entrent dans la structure du cerveau ?
Dirai-je quelle utilité présentent les méninges, le plexus réti­
culé, la glande pinéale, la tige pituitaire, l'infundibulum, la
lyre, l'éminence vermiforme, la multiplicité des ventricules,
les ouvertures par lesquelles ils communiquent entre eux, les
variétés de configuration, les deux méninges, les apophyses
qui vont à la moelle épinière, les racines des nerfs qui abou­
tissent non seulement aux organes des sens, mais encore au
pharynx, au larynx, à l'œsophage, à l'estomac, à tous les
viscères, à tous les intestins, à toutes les parties de la face ?
Aristote n'a tenté d'expliquer l'utilité d'aucune de ces parties
non plus que celle des nerfs du cœur; or, l'encéphale est le
principe de tous ces nerfs. S'il était destiné seulement à la
réfrigération, l'encéphale aurait dû être une éponge oisive et
1. Aristote, Parties des animaux, Il, VII, 652b : « L'absence de connexité entre
le cerveau et les organes des sens est établie par la simple constatation visuelle,
et surtout par le fait que, quand on le touche {lors d'une trépanation ?], le cerveau
ne procure aucune sensation pas plus que le sang ni les excrétions des ani­
maux. »
2. Pour Galien, les nerfs sensibles sont mous, et les nerfs moteurs, durs. Voir
ci-après, p. 17 4-17 6.
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 171

informe, n'ayant aucune structure produite par l'art; et le


cœur, s'il n'est le principe ni des artères, ni de la chaleur innée,
loin d'avoir une configuration compliquée, ne devait pas
même exister.
Ces buts admirables, marqués dans les deux organes par
une sagesse consommée, sont encore prouvés surtout par
cette circonstance que les sectateurs d'Aristote non seulement
ne croient pas que l'encéphale soit le principe des nerfs et le
cœur le principe des artères, mais qu'ils avouent même que
l'un des deux organes est dénué de toute utilité ; les uns le
déclarant hautement comme Philotime 1 , les autres d'une
façon détournée comme Aristote lui-même. En effet, en ne
reconnaissant à l'encéphale qu'une propriété, dont il est
complètement dénué, et en imaginant qu'il n'a aucune autre
destination, évidemment il le condamne à une complète inuti­
lité, bien qu'il n'ose en convenir ouvertement. Mais ce n'est
pas le lieu maintenant de parler des fonctions. Ce que nous
avons dit au début de tout l'ouvrage (I, VIII) devient évident par
le fait, c'est qu'il est impossible d'exposer convenablement
l'utilité d'une partie quelconque sans connaître la fonction de
tout l'organe.

CHAPITRE r v . - Longue discussion sur l'impropriété du terme encé­


phale pour désigner l'organe qui préside aux sensations et aux mouve­
ments volontaires. - La tête n'a pas été créée en vue de ce principe,
puisqu'elle n'existe pas chez les animaux qui cependant le possèdent. -
On doit choisir un nom qui ne se rapporte en rien à la position, car la
situation ne change ni l'essence, ni la fonction des parties.

Nous allons donc reprendre pour nos explications actuelles


les démonstrations présentées ailleurs. Nous avons démontré
dans nos Commentaires sur les dogmes d'Hippocrate et de
Platon (VII, III et passim) que l'encéphale est le principe des
nerfs, de toute sensation et du mouvement volontaire, que le
cœur est le principe des artères et de la chaleur innée. Appuyé

1. Philotime était contemporain et probablement disciple de Praxagore,


lequel florissait entre Aristote et la fondation de l'école d'Alexandrie.
1 72 De l'utilité des parties du corps humain

sur ces données qui seront les bases de la discussion, nous


exposerons les utilités des parties de la tête et d'abord de la tête
elle-même considérée dans son ensemble ; c'est le sujet que,
dès le début de ce livre, nous nous sommes proposé de traiter,
et dont nous avons, je pense, poussé les développements assez
avant pour reconnaître que ce n'était pas en vue de l' encéphale
qu'elle avait été créée, même si on regarde l'encéphale comme
le principe de la sensation et du mouvement volontaire, et qu'il
est impossible de ne pas faillir à la logique dans la discussion
en général, et de ne pas être embarrassé dans la recherche de
l'utilité de chaque partie, si en dépouillant l'encéphale des
attributs qui en font le principe des fonctions susdites on
admet qu'il faut prendre comme point de départ la recherche
du but de l'existence de la tête. Or les crabes, toute la famille
des crustacés, les phalènes encore et beaucoup d'autres
insectes semblables, ou manquent absolument de tête ou n'en
ont qu'un rudiment ; néanmoins tous ces animaux ont les sens
tous placés sur la poitrine, et nécessairement le principe de ces
sens établi au même endroit.
Ce principe, il ne faut pas l'appeler l'analogue de l'encéphale
comme Aristote le faisait dans des cas semblables, trompé par
les dénominations, et dirigé non par la substance même de la
chose mais par les circonstances fortuites. C'est ce qui a lieu
pour le terme encéphale. En effet, ce nom lui vient de sa
position. Platon (Timée, 73b) voulant caractériser sa substance
et pensant être dans le vrai, l'appelle moelle. Mais même si
c'est de la moelle, il faut encore ajouter quelque chose à cette
appellation. En effet, il existe une moelle dans le rachis, une
autre dans chacun des os, et ces espèces de moelles ne sont pas
les principes de toute sensation et de tout mouvement. Aussi
beaucoup la nomment-ils moelle encéphalique, comme on dit
moelle épinière, d'autres, sans l'appeler moelle encéphalique,
l'appellent tout simplement la moelle de l'encéphale. Mais,
d'après ceux-ci, c'est le sens du raisonnement et non pas le
nom qui marque la partie ; aussi le fait énoncé dès le début
subsiste toujours, c'est que l'encéphale n'est pas, comme les
yeux, les oreilles, la langue, le poumon et presque toutes les
autres parties, un nom spécial (arbitraire) indicatif de
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 173

l'essence (c'est-à-dire de la fonction) . On peut dire des parties


énumérées que l'organe de la vue est appelé œil, celui de l'ouïe
oreille, et que nous savons également pour les autres parties
comment il faut les appeler [mais il n'en est pas de même pour
l'encéphale] ; car on ne peut pas l'appeler tout simplement
moelle, puisque toute moelle n'a pas les facultés que possède
l'encéphale. On ne peut pas l'appeler non plus simplement
encéphale (Èv Tfj KE<paÀfj, c 'est-à-dire contenu dans la tête) ; car
chez les animaux qui manquent de tête, il n'existe évidemment
pas d'encéphale. Cependant il ne faut pas, pour ce motif,
l'appeler analogue de l'encéphale, par respect pour la propriété
des termes. En effet quoique chez les crabes les yeux et les
oreilles occupent une place différente, nous ne les appelons
pas analogues d'yeux ou d'oreilles ; car chacun des organes n'a
pas une essence qui varie selon la situation qu'il occupe, lors
même que son nom dérive de sa situation. Il en est de même de
l'encéphale quoiqu'il doive son nom à sa position, car ce nom
lui vient de ce qu'il est situé dans la tête. Cependant, quand
nous le trouverons fixé sur les parties du thorax chez les
animaux dépourvus de tête, nous ne dirons pas que c'est une
autre substance analogue à l'encéphale. Nous dirons que c'est
l'encéphale même, tout en constatant que la vieille dénomina­
tion ne lui convient pas.
Pour rendre cette proposition plus claire et plus manifeste,
désignez-le par le nom latin (cerebrum), tiré évidemment non
pas de la position, ni de quelque autre circonstance, mais de
l'essence même, vous reconnaîtrez nettement que rien ne vous
empêchera de dire que chez l'homme le cerveau (cerebrum),
car c'est le nom que lui donnent les Romains, est situé dans la
tête, et chez les crabes dans la poitrine. Eh bien, au lieu de
cerveau, appelez-le scindapsus 1 , et de même que nous nom­
mons œil l'organe de la vision non seulement s'il est placé sur
la tête, mais encore lorsqu'il siège sur la poitrine, de même
aussi quelle que soit dans l'animal la partie qui régisse pour les
autres la sensation et le mouvement volontaire, appelons-la
scindapsus.
1. En grec, OK1vômp6ç signifie mot de sens indéterminé, comme chose,
machin, truc, en français.
174 De l 'utilité des parties du corps humain

Si l'encéphale est la source de la sensation et du mouve­


ment, et si la sensation et le mouvement existent chez des
animaux qui n'ont pas de tête mais un encéphale ou l'analogue
de l'encéphale, il est évident que la tête n'est pas créée en vue
de l'encéphale. Pourrons-nous dire encore que les crabes
possèdent l'analogue du scindapsus. Nous ne le pouvons pas
évidemment. En effet, il convient d'appeler du même nom
tous les organes qui ont la même fonction. Tous les organes de
la vision bien que différents et variés de forme suivant les
parties qu'ils occupent sont à juste titre appelés yeux ; pour la
même raison, l'on nomme oreilles tous les organes de l' ouïe, et
nez tous ceux de l' olfaction. De même, la partie qui gouverne la
sensation et le mouvement, est une et identique chez tous les
animaux, bien qu'on la trouve en des régions différentes. Mais,
si chez les animaux dont il s'agit, elle est placée sur la poitrine,
évidemment la tête n'a pas été créée en vue de cette partie, elle
ne l'a pas été non plus en vue de la bouche. Car la bouche chez
les mêmes animaux est encore placée sur la poitrine. Elle ne
l'est pas encore en vue des oreilles, celles-ci occupant aussi la
même situation. De même enfin chez les animaux qui n'ont
pas de tête, le nez et chacun des autres organes sont placés sur
la poitrine.

CHAPITRE v. - La tête a été surtout créée en vue des yeux qui doivent
toujours exister sur une partie proéminente. Quant aux autres sens ils
ont été placés dans la tête à cause de l'encéphale. -Nécessité de deux
espèces de nerfs : mous, pour les sensations, durs, pour les mouve­
ments. - Différence d'origine et de distribution de ces deux espèces.

Mais dans quel but la nature a-t-elle attribué une tête à la


plupart des animaux? Nous ne le découvrirons, ce me semble,
qu'en poursuivant le mode d'investigation [dont nous venons
de poser les bases]. Car si nous trouvons quelle est, entre les
parties établies dans la tête, celle qui manque sur la poitrine
des acéphales, nous n'aurons pas tort de dire que la tête existe
en vue de cette partie. Tel est notre système de recherches. On
pourrait aussi découvrir ce dont nous nous enquérons de la
manière suivante : chez les crabes, les phalènes, les lan-
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 175

goustes, et tous les acéphales, les yeux se trouvent sur un col


allongé ; ces yeux, en effet, ne pouvaient être dans une partie
basse, comme la bouche, le nez et les oreilles : car leur
fonction exige une situation élevée. Pour cette raison, ceux qui
épient les ennemis ou les brigands se postent sur des
murailles, sur des tours élevées ou sur des montagnes. Les
matelots aussi, qui grimpent sur les mâts, aperçoivent la terre
plus tôt que les passagers. D'une hauteur, en effet, on aperçoit
le paysage plus étendu que dans une plaine. Chez les animaux
en question, qui ont pour derme une écaille dure, il était
possible d'établir solidement, sur un col allongé, les yeux,
formés eux-mêmes d'une substance dure, et susceptibles
d'être recouverts par une tunique issue du derme et aussi dure
que lui. Pour l'homme et les autres animaux qui lui res­
semblent, destinés nécessairement à avoir le système des yeux
mou, à cause de la substance du corps et aussi de la tunique
qui les recouvre, tunique aussi molle que toute la peau, il était
plus dangereux de placer en saillié les yeux sur des cols
allongés : car chez les crustacés eux-mêmes, les yeux ne sont
pas toujours saillants, mais rentrent dans leur cavité ; et si ces
animaux redoutent l'approche de quelque ennemi, si même
l'action des yeux leur devient inutile, ils les rentrent dans la
poitrine et les laissent tranquillement reposer, la nature ayant
en cet endroit disposé pour eux un abri. Pour nos yeux, les
établir en un lieu bas était contraire à l'utilité qu'ils pré­
sentent ; les fixer sur un col nu n'était pas sans danger, et la
nature ne voulant ni les priver d'une partie de leur utilité, ni
abolir leur sécurité, a imaginé de les établir dans un lieu élevé
et propre en même temps à les protéger. Au-dessus d'eux elle a
placé les sourcils, au-dessous elle a avancé en saillie la joue, à
leurs côtés internes elle a disposé le nez, et aux côtés externes
l'apophyse dite zygomatique. Mais la tête n'est pas constituée
par la réunion de ces parties, car celles-ci peuvent exister sans
la tête.
Quelle nécessité y avait-il donc à établir en cet endroit les
autres parties dont l'assemblage est nommé tête ? Chacun des
sens a besoin d'un nerf mou : d'un nerf, parce qu'il est organe
de sensation ; d'un nerf mou, parce que le sens doit être
176 De l'utilité des parties du corps humain

disposé et affecté d'une certaine façon par l'objet extérieur,


pour que la sensation ait lieu (cf. chap. VI, et IX, XIV) . Or, le mou
est plus propre à subir une impression, et le dur à agir. C'est
pourquoi des nerfs mous étaient nécessaires aux sens, et des
nerfs durs à toutes les autres parties. Aussi, dans les sens
mêmes qui sont mus par la volonté, comme les yeux et la
langue, il existe des nerfs de deux espèces, et non pas seule­
ment des nerfs mous, comme dans les oreilles et le nez. Il
résulte de là que si l'un des deux nerfs vient à être lésé, cette
lésion ne met en péril que l'utilité dépendante des lésions de ce
nerf. C'est ainsi que maintes fois on a vu la langue privée, soit
de mouvement, soit de la faculté d'apprécier et de saisir les
saveurs.
En outre, les nerfs mous et les nerfs durs ne dérivent pas des
mêmes parties de l'encéphale, et ne suivent pas le même
chemin pour arriver aux sens. En effet, partant, les uns des
parties molles, les autres des parties dures, ils se dirigent vers
les sens, ceux-là en ligne droite, ceux-ci par un détour. Ainsi,
parmi les nerfs qui aboutissent à la langue, les uns, issus des
parties inférieures et antérieures, les autres des parties posté­
rieures et latérales de l'encéphale, viennent s'insérer sur la
langue, les premiers directement (lingual), les seconds, ceux
qui sont durs (grands hypoglosses), après un circuit préalable
autour du cou. De plus, ceux-là, c'est-à-dire les nerfs mous,
s'épanouissent à la face externe de la langue, tandis que
ceux-ci, les nerfs durs, se distribuent dans les muscles. En
effet, d'un côté, la langue, par sa face externe, est en rapport
avec les saveurs, et de l'autre elle est mue par des muscles. La
raison voulait donc que les nerfs destinés à percevoir vinssent
s'insérer sur les parties plus propres à cette perception, tandis
que les autres nerfs, les nerfs durs, s'inséreraient sur les
muscles organes de mouvement.
Il en est de même des nerfs des yeux, dont les uns, nerfs durs
(oculomoteurs communs), s'insèrent sur les muscles, et les
autres (nerfs optiques) sur l'organe principal et essentiel de la
vision, l'humeur cristalline (cf. X, 1) . Mais, de ces nerfs mous
qui vont aux yeux, qui vont à la langue, qui vont aux oreilles et
au nez, on n'en peut voir un seul qui, après avoir une fois passé
Livre VIII - De la tête, de l 'encéphale et des sens 177

le crâne, s'étend au-delà de ces organes, comme fait chacun


des nerfs durs. En effet, ils seraient promptement rompus ou
aisément brisés, non seulement par la rencontre des objets
extérieurs, mais encore, et bien auparavant, par les parties
mêmes du corps avec lesquelles, d'une manière quelconque,
ils se trouveraient en contact. C'est pourquoi chacun des sens
doit être proche de l'encéphale même.
S'il en est ainsi, nous avons trouvé ce que nous cherchons
depuis le commencement. Il est clair, en effet, que l'encéphale
a été établi dans la tête en vue des yeux, et que chacun des
autres sens y a été placé à cause de l'encéphale.
On comprend encore parfaitement que la place de la bouche
était nécessairement dans la tête, puisqu'elle devait renfermer
la langue. Il était mieux, en effet, que la langue ne fût pas nue
et complètement découverte; or elle ne pouvait être mieux
abritée que par la bouche (cf. XI, IV et XII) . Placée en cet
endroit, elle devait plus efficacement apprécier les saveurs,
servir d'organe du langage, et coopérer puissamment à la
mastication et à la déglutition.

CHAPITRE VI. - Comme il devait y avoir des nerfs mous et des nerfs
durs présidant, les uns aux sensations, les autres au mouvement
volontaire, les différentes parties de l'encéphale sont plus ou moins
molles suivant qu'elles donnent naissance à l'une ou l'autre espèce de
ces nerfs. - Disposition particulière des nerfs optiques, qui seuls sont
percés d'un conduit. - Pour que la sensation ait lieu, chaque sens doit
éprouver une modification, une altération, ressentie par le cerveau. -
Un objet sensible répond en conséquence à chacun des sens ; l'organe
lui-même et le nerf sont une substance en rapport avec cet objet, de
sorte que l'un des sens ne peut pas être modifié par ce qui modifie,
impressionne un autre sens. - Galien établit pour les yeux, les oreilles,
le nez et la langue, que leur structure est parfaitement en rapport avec
la fonction qu'ils ont à remplir, et qu'en même temps tout est prévu
pour leur sûreté. - Selon son habitude, la nature a fait servir un organe
né dans un but spécial, celui de l'odorat, à d'autres utilités. Ainsi
l'organe de l'odorat sert aussi à la respiration de l'encéphale et à
l'évacuation des superfluités qui sont engendrées dans ce viscère.

Nous avons terminé ce que nous avions à dire sur la tête


178 De l'utilité des parties du corps humain

considérée en général. Il convient maintenant d'examiner


l'utilité de chacune de ses parties, en commençant par l'encé­
phale lui-même. Pour la substance, il ressemble beaucoup aux
nerfs dont il devait être le principe, à cette seule différence
près, qu'il est plus mou qu'eux, condition convenable dans un
organe auquel aboutissent toutes les sensations, où naissent
toutes les fantaisies de l'imagination et toutes les pensées de
l'intelligence. En effet, la mobilité est une condition favorable
à de pareilles fonctions et impressions ; et toujours il y a plus
de mobilité dans le mou que dans le dur. C'est pourquoi
l'encéphale est plus mou que les nerfs. Mais ces nerfs devant
avoir une double nature, ainsi que nous le disions tout à
l'heure (chap. v), l'encéphale lui-même a été créé double, plus
mou à sa partie antérieure, plus dur dans l'autre partie, que les
anatomistes appellent parencéphale (cervelet) 1 • Ils sont séparés
par un repli de la dure méninge (tente du cervelet), et ne se
rattachent qu'au niveau du conduit situé sous le sommet de la
tête et par les corps qui environnent ce conduit 2 • Comme la
partie antérieure devait être plus molle, en tant que principe
des nerfs mous, lesquels vont aux sens, et que la partie
postérieure devait être plus dure, en tant que principe des
nerfs durs, lesquels se distribuent dans tout le corps ; comme
aussi il n'était pas bon pour la sécurité qu'un nerf mou fût en
contact avec un nerf dur, la nature a établi une séparation
entre les deux parties de l'encéphale, et entre ces deux parties
elle a placé la dure méninge (dure-mère), qui devait embrasser
tout l'encéphale composé des parties susnommées. De plus,
dans cet encéphale antérieur, les parties voisines de l'enve­
loppe appelée dure et épaisse méninge (dure-mère), ont été
créées avec raison plus dures (couche corticale ?) ; mais la
partie moyenne enveloppée par les parties superficielles (subs-

1. Hippocrate,De la maladie sacrée, § 3 (Œuvres, VI, p. 367) : « Le ceiveau est


double chez l'homme comme chez tous les autres animaux; le milieu en est
cloisonné par une membrane mince. » - Aristote, Histoire des animaux, I, XVI,
494b : « Chez tous les animaux, le ceiveau est double. Et derrière lui, à
l'extrémité, se trouve ce qu'on appelle le ceivelet, dont la forme est différente au
toucher et à la vue. »
2. Ce conduit, malgré certaines erreurs anatomiques de Galien, correspon­
drait à peu près à l'aqueduc de Sylvius (voir note 1, p. 194).
Livre VIII - De la tête, de l 'encéphale et des sens 179

tance blanche ?) a été créée plus molle. En effet la partie


extérieure devait être prémunie contre les lésions et prédispo­
sée pour la production des nerfs plus durs. Quant à la partie
moyenne elle trouvait dans sa position même une garantie
contre les lésions et était un point d'origine convenable pour
les nerfs mous. En effet, le cervelet ne donne absolument
naissance à aucun nerf mou; mais la partie antérieure de
l'encéphale devait nécessairement produire quelqu'un des
nerfs durs, par exemple, je pense, les nerfs moteurs de l'œil.
En conséquence, bien que ces derniers soient voisins des nerfs
mous, ce n'est pas, comme ceux-ci, des parties profondes
qu'ils tirent leur origine, mais des parties dures et super­
ficielles. Tous les nerfs ont donc une consistance plus ferme
que l'encéphale (cf. XVI, IV; Mouvement des muscles, I, 1;
Manuel des dissect., I, XI; cf. aussi VII, VIII), non qu'ils soient
formés d'une substance très différente; mais, bien qu'ils
soient de la même nature, ils s'en distinguent par la siccité et la
densité.
Les nerfs sensoriaux qui vont aux yeux sont beaucoup plus
denses que l'encéphale, mais ne paraissent pas être beaucoup
plus durs. Ces nerfs entre tous vous paraîtront formés de la
substance de l'encéphale condensée, mais non séchée. Seuls
encore ces nerfs vous sembleront renfermer en eux des
conduits visibles. C'est pourquoi beaucoup d'anatomistes les
appellent conduits (cf. X, XI), disant qu'à la racine des yeux il
vient s'insérer de l'encéphale deux conduits, un à chaque œil,
et que ceux-ci venant à s'étendre et à s'aplatir, forment la
tunique réticulée (rétine). Ils ajoutent encore que des nerfs se
rendent aux muscles des yeux.
Quatre organes des sens se trouvent dans la tête : yeux,
oreilles, nez et langue; tous tenant de l'encéphale le principe
de la sensation et paraissant être semblables sous ce rapport, il
existe chez eux une différence spécifique eu égard aux facultés
sensitives elles-mêmes et aux corps (c'est-à-dire à la nature des
nerfs) par lesquels ces facultés arrivent à l'organe. En effet,
parmi les facultés, l'une juge les odeurs, l'autre les saveurs,
celle-ci les sons, celle-là les couleurs. Quant aux routes suivies,
l'une venant de chacun des ventricules de l'encéphale aboutir
180 De l'utilité des parties du corps humain

au nez, est une apophyse allongée qui ne diffère en rien des


autres ventricules (nerf olfactif) ; celle qui conduit aux yeux
(nerfoptique) est un peu différente et n'est pas complètement
un nerf; celle qui mène à la langue (lingual) est complètement
un nerf, mais un nerf mou ; celle qui vient aux oreilles (nerf
acoustique) constitue un nerf qui n'est pas aussi mou, mais qui
n'est cependant pas dur. La cinquième voie (facial ?), suivie
par la faculté issue de l' encéphale, est un nerf précisément fort
et dur; aussi est-il propre au mouvement et au tact qui est le
plus grossier des sens. Ce nerf est incapable de la délicatesse
d'appréciation qui existe dans les autres sens.
Chacun d'eux doit absolument éprouver une modification
pour que la sensation ait lieu. Mais tout sens n'est pas modifié
par tout objet sensible. Le brillant et le lumineux est affecté
par les couleurs, l'aérien par les sons, le vaporeux par les
odeurs; en un mot, le semblable est reconnu par son sem­
blable. Ainsi le sens en relation avec l'air ne peut être modifié
par les couleurs. En effet, il faut qu'un corps soit brillant, clair
et lumineux, ·s'il doit éprouver des couleurs, aisément et
distinctement, une modification, comme cela est démontré
dans les traités Sur la vision. Le trouble et le vaporeux ne peut
pas non plus remplir cette fonction, ni l'humide et l'aqueux, ni
le dur et le terreux ; de sorte qu'aucun sensorium, si ce n'est
celui de la vue, ne sera modifié par les couleurs : car ce sens
seul a un sensorium pur et brillant, l'humeur cristalline
(humeur vitrée ?) , comme cela est également démontré dans
les traités Sur la vision.
Mais maintenant cette modification resterait sans effet, si
elle n'était connue du principe dirigeant, siège de l'imagina­
tion, de la mémoire et de l'entendement. C'est pourquoi
l'encéphale prolonge une partie de lui-même jusqu'à l'humeur
cristalline, pour connaître les impressions qu'elle reçoit. Seul
aussi ce prolongement renferme avec raison un conduit sensi­
tif, parce que seul il renferme une grande abondance de
pneuma psychique.
Nous avons parlé de la substance de ce pneuma, de sa
faculté et de sa génération, dans notre traité Sur les dogmes
d'Hippocrate et de Platon (VII, III et suiv.). Mais, comme nous
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 181

l'avons déjà déclaré mille fois, nous ne faisons ici sur les
fonctions aucune démonstration; seulement, comme il est
impossible de découvrir l'utilité de chacune des parties, si l' on
ignore encore la fonction, c'est un point que nous avons
démontré dès le principe (cf. I, VIII et XVI), il devient nécessaire
de rappeler les fonctions.
Ainsi donc, et pour revenir à notre sujet, le sens de la vue
devant être lumineux et brillant, un pneuma abondant lui est
avec raison transmis du principe, et il lui arrive de l' encéphale
même un prolongement net et distinct, lequel durant tout son
trajet jusqu'à l'œil, attendu qu'il doit traverser le crâne, est
plus dense et plus dur, par suite du refoulement de la sub­
stance nerveuse, afin qu'il soit plus à l'abri des lésions. Dès que
ce prolongement pénètre dans les cavités placées sous les
sourcils, et que l'on nomme orbites de l'œil, il acquiert une
extension considérable en s'aplatissant et s'amincissant; il
reprend ainsi sa nature primitive, en sorte que l'encéphale
reparaît exactement en lui avec sa couleur, sa consistance, et
les autres particularités que nous ferons bientôt connaître
plus en détail, quand nous exposerons spécialement les utilités
des parties des yeux (X, I, II, VII; cf. aussi Dissection des nerfs,
chap. II; Dogmes d'Hippocrate et de Platon, VII, II) . Présente­
ment, nous n'avons rappelé la structure des yeux qu'autant
qu'il était nécessaire pour nos explications sur les parties du
cerveau. En effet, si l'encéphale n'était le point de départ et de
retour de la modification survenue dans chaque sens, l'animal
demeurerait encore privé de sensation. Voyez les gens frappés
d'apoplexie, bien que tous leurs organes des sens soient
intacts, ces organes ne leur sont plus d'aucun usage pour
l'appréciation des choses sensibles. Dans les yeux, composés
de membranes closes de tous côtés, l'impression produite par
les couleurs atteint rapidement la portion d'encéphale (rétine)
qu'elles renferment. En effet, la cornée est mince, blanche,
nette, pour ne pas intercepter l'impression qui la traverse.
Après elle vient immédiatement l'humeur cristalline. La por­
tion d'encéphale qui arrive aux yeux se soude à la pupille. On
comprend maintenant pourquoi, de l'encéphale, il arrive à
l'œil une substance pure; pourquoi elle se condense en traver-
1 82 De l'utilité des parties du corps humain

sant le crâne ; pourquoi, en arrivant dans les orbites de l'œil,


elle se ramollit en s'aplatissant; pourquoi, seule entre toutes,
elle renferme un conduit visible.
Quant aux oreilles, il fallait aussi nécessairement qu'il y
parvînt un prolongement de l'encéphale pour recevoir
l'impression qui arrive du dehors. Or cette impression est un
bruit, un son produit par l'air frappé ou frappant peu importe,
pourvu que l'on convienne que le mouvement engendré par le
coup doit, avançant comme l'onde, remonter à l'encéphale. Il
n'était plus possible ici, comme pour les yeux, de disposer une
membrane sur les nerfs; il en serait résulté un obstacle consi­
dérable à ce que l'air mis en mouvement vînt frapper les
oreilles, surtout si le mouvement était faible, comme il arrive
dans les voix débiles. Cependant on ne pouvait laisser les nerfs
complètement découverts, exposés à tous les chocs des corps
étrangers. Il ne fallait pas non plus, c'eût été un troisième et
dernier moyen, leur donner une membrane assez rare et assez
mince pour livrer à l'air entrée et passage. En effet, par ce
moyen, non seulement les nerfs auraient été lésés de beaucoup
de façon, mais encore l'encéphale même aurait été refroidi.
La nature donc, sachant qu'une forte membrane garantirait,
il est vrai, l'appareil contre les lésions, mais entraînerait la
surdité pour le sens ; que sans membrane il serait entièrement
exposé aux lésions ; qu'enfin si, à la troisième disposition, on
ajoutait un emplacement fixe en vue de sa sûreté, on procure­
rait une protection suffisante, la nature, dis-je, a placé là un os
épais et dur, et l'a percé de spirales contournées à l'instar d'un
labyrinthe : par cette précaution, l'air froid, avec toute la
violence que lui aurait donnée un chemin direct, vient
s'émousser peu à peu, par la réfraction répétée, dans ces
détours sinueux, et il n'y a ainsi qu'un danger éloigné de voir
les corpuscules pénétrer jusqu'au nerf. En effet, les corps plus
volumineux que le conduit, loin de le blesser, ne pourront
même pas le toucher; quant aux corps plus petits, les uns,
apportés avec rapidité, avec violence et en ligne droite, vien­
dront probablement d'abord se heurter aux spirales, et les
autres qui pénètrent doucement et sans violence en s'enrou­
lant, pour ainsi dire, dans ces spirales, devront toucher la
membrane mollement et sans violence.
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 183

Non seulement, par ces moyens, la nature a procuré aux


nerfs auditifs la garantie la plus grande possible contre les
lésions, mais elle n'a pas négligé de leur attribuer une struc­
ture propre, en les rendant aussi durs que possible. En effet,
s'ils eussent été complètement durs, ils eussent été moins
susceptibles, il est vrai, mais leur sensibilité eût été presque
perdue ; au contraire, s'ils eussent été mous, comme ceux des
yeux, ils auraient été très sensibles, mais en même temps très
exposés aux lésions. Or la nature n'évite rien tant que cette
disposition à être lésé, sachant qu'avec elle périt la fonction.
Souvent déjà nous avons parlé de ce point. C'est pourquoi le
nerf acoustique a été créé un peu plus dur qu'il ne convient à la
fonction.
Pour la raison opposée, le nerf de la langue (cf. IX, vm) est
plus mou (car la nature avait là, comme moyen de protection,
la bouche qui l'enveloppe), bien que nous ayons placé au
quatrième rang ce sens, qui ne peut distinguer ni les qualités
de la lumière, ni le mouvement de l'air, ni même les exhalai­
sons. Du reste, la langue a reçu ce nerf tel qu'elle devait le
recevoir, vu la sécurité de sa position. Quant au nerf auditif, il
a été disposé plutôt pour résister aux lésions que pour perce­
voir, à cause des motifs énoncés.
Le dernier sens, celui de l'odorat, a été placé, seul entre tous,
en dedans du crâne, dans les ventricules mêmes antérieurs de
l'encéphale, qui renferment un pneuma vaporeux. Il fallait, en
effet, que le corpuscule qui doit causer la sensation modifiât
aussi une portion de l'encéphale ; il fallait encore que le
sensorium fût entouré d'une membrane telle qu'elle pût le
protéger et ne pas intercepter le passage des objets sensibles ;
mais, pour ne pas produire cet effet, elle devait être plus rare
que celle de l'ouïe, dans la même proportion que l'objet perçu
par cette dernière est plus grossier que l'objet perçu par
l'odorat. En effet, autant l'air est inférieur à la lumière pour la
ténuité des parties, autant presque l'air le cède aux exhalai­
sons.
On peut aussi voir, par ce que nous observons chaque jour,
combien larges doivent être nécessairement les conduits (orif.
glandul.) qui percent la membrane [pituitaire ?] de cette par-
1 84 De l'utilité des parties du corps humain

tie. En effet, si un corps vient à obstruer les narines, comme


dit Platon en quelque endroit 1 , aucune odeur n'est tamisée à
travers sa substance ; l'air seul, privé des corpuscules odo­
rants, la traverse. Un tel fait montre évidemment que la vapeur
est d'une plus forte dimension que la capacité des conduits de
la membrane qui sert à opérer l'occlusion, et que la membrane
du sens de l'odorat doit avoir des trous plus larges que ces
conduits. C'est ce qu'on voit distinctement si l'on prend la
membrane d'un animal mort, qu'on la tende dans tous les sens
et qu'on la regarde au grand jour. En effet, tant qu'elle est
comme dans l'état naturel, rugueuse et lâche, comme les replis
retombent les uns sur les autres autour des méats, les ouver­
tures deviennent invisibles, mais quand ces replis sont effacés
par la tension, on les découvre aisément, à moins qu'un froid
excessif ou que le temps écoulé ne les ait déjà raccornis et
desséchés. Si l'animal est mort récemment, le mieux est de
faire cette expérience en arrosant la membrane d'eau chaude.
Une grande preuve de la porosité de la membrane olfactive,
c'est l'évacuation fréquente et subite des superfluités qui
coulent d'en haut : les anciens les nommaient morve et pituite,
et les modernes mucus. En effet, c'est même un des artifices
les plus ordinaires de la nature, de n'omettre jamais aucune
des utilités ou fonctions possibles d'un organe, quand elle peut
commodément en accomplir plusieurs avec un seul. Ainsi,
encore dans cette circonstance, comme les ventricules de
l'encéphale sont placés au-dessus de l'organe de l'odorat, et
nécessairement reçoivent les superfluités qui coulent des par­
ties environnantes, l'animal serait continuellement exposé à
des apoplexies, si la nature n'avait en cet endroit ouvert un
chemin propre à l'écoulement. Or il n'était pas possible d'en
imaginer un meilleur que ce conduit à la fois large et incliné

t . Platon, Timée, 66d-e : « C'est en effet dans le passage de l'eau en air et de


l'air en eau, en cette condition intermédiaire, que naissent les odeurs, et elles
consistent, toutes autant qu'elles sont, en vapeur ou en buée : ce qui d'air passe
en eau, c'est la buée ; ce qui d'eau passe en air, vapeur. De là vient que les odeurs
sont toutes plus subtiles que l'eau, plus épaisses que l'air; c'est ce que montre
l'expérience suivante : on s'applique un linge sur les orifices respiratoires et on
fait de force une profonde inspiration ; en pareil cas pas une odeur ne filtre; l'air
inspiré vient seul, dépouillé de toute odeur. »
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 185

(méat supér. ?). Ainsi les superfluités sont portées de dedans en


dehors par les conduits du nez, tandis que de dehors en dedans
remontent les corpuscules saisis par la faculté olfactive, et un
seul organe sert à ces deux utilités, l'une nécessaire à la vie
même, l'autre rendant la vie plus agréable.
Il existe deux autres conduits (cf IX, 111) en pente, lesquels
versent par le palais, dans la bouche, les superfluités de tout
l'encéphale. Quand l'animal est en parfaite santé et que la
nutrition s'opère bien, ces conduits seuls suffisent. Ainsi la
première utilité des conduits de l'encéphale ouverts dans les
narines, utilité en vue de laquelle surtout elles existent, c'est
non pas d'évacuer les superfluités, mais d'offrir un secours
surabondant à l'encéphale malade, et d'abord de juger les
odeurs elles-mêmes.
Une utilité plus grande encore et nécessaire à la vie même,
c'est de permettre la respiration de l'encéphale (cf Utilité de la
respirat. ; Des causes de la respir.). Ce fait, comme tout autre,
n'est pas mentionné en vain par Hippocrate 1 • Donc pour
toutes ces raisons et pour celles que nous allons énoncer,
l'odorat est le seul des sens logé dans l'encéphale même.
Comme la membrane de ce sens devait être percée de trous
nombreux et larges pour transmettre facilement à l'encéphale
l'air en vue de la respiration, les exhalaisons en vue de l' appré­
ciation des odeurs, enfin pour expulser subitement, s'il en était
besoin, la masse des superfluités, et comme il résultait néces­
sairement d'une semblable structure une grande susceptibilité
pour la membrane même, un grand inconvénient pour l' encé­
phale, le plus important des viscères, la nature a placé au­
dessous un os percé de diverses façons, comme une éponge
(ethmoiâe), pour prévenir du dehors l'irruption d'un corps
dur, et pour empêcher, quand nous respirons, l'air froid de
pénétrer immédiatement dans les ventricules du cerveau; car
nous ne devions pas toujours respirer un air modérément
froid, il pouvait, au contraire, être excessivement froid. Si

1. Hippocrate, De la maladie sacrée, Œuvres, VI, 391 : « Quand l'homme


attire en lui le souffle, ce souffle arrive d'abord au cerveau, et c' est de cette façon
que l'air se disperse dans le reste du corps, laissant dans le cerveau sa partie la
plus active, celle qui est intelligente et connaissante. »
186 De l'utilité des parties du corps humain

donc, dans cette circonstance, il se fût jeté en droite ligne sur


l'encéphale, il l'eût refroidi outre mesure, et eût mis en péril la
vie même.

CHAPITRE V I I . - Les trois fonctions que remplit l'organe de l'odorat,


se rendent de mutuels services grâce à l'heureuse disposition des
parties : les os ethmoïdes sont créés pour la sûreté de l'encéphale;
mais leur structure même aurait gêné l'odorat, si l'encéphale, en
aspirant et en expirant n'eût altéré l'air et expulsé les superfluités; à
son tour, l'odorat, en percevant les odeurs, nous avertit si l'air que
respire l'encéphale est sain ou nuisible.

Mais ces os troués et caverneux établis au-devant des mem­


branes et appelés ethmoides par les anatomistes ont été créés
pour prévenir un semblable accident. Il serait mieux de ne pas
nommer ces os ethmoides, mais plutôt spongoides, d'après la
comparaison faite par Hippocrate 1 • En effet leurs trous sont
variés comme ceux des éponges, et ils ne sont pas percés en
ligne droite comme dans les cribles. La dure-mère, il est vrai,
qui recouvre l'encéphale, est percée comme un crible, mais les
os placés devant elle sont percés d'une façon plus variée, et
comme les éponges ; les trous [de la dure-mère et de l'os
ethmoïde] ne se correspondent pas en ligne droite, et ne sont
pas entièrement droits ; il en est de droits, mais la plupart sont
obliques et tortueux à la fois, en sorte qu'un long trajet, un
long circuit doit être parcouru d'abord par tout corps qui, les
traversant, s'achemine vers l'encéphale. Cette disposition
apporte, ce me semble, une nouvelle preuve de la grande
sagesse du Créateur des animaux.
Précédemment nous l'avons loué de ce que souvent il rend
un seul organe propre à plusieurs fonctions. Maintenant nous
avons quelque chose de plus à démontrer, c'est que ces fonc-

1. Hippocrate, Des lieux dans l'homme, Œuvres, VI, p. 279 : « Aux narines il
n'y a pas de pertuis, mais il y a quelque chose de mou comme une éponge. » -
Hippocrate, Des chairs, § 16 (Œuvres, VIII, p. 605) : « Le cerveau [...] s'étend
dans les cavités des narines. De ce côté, aucun os un ne lui oppose une barrière,
et il n'est borné que par un cartilage mou comme une éponge et qui n'est ni chair
ni os. »
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 187

tions sont l'une pour l'autre d'une utilité non médiocre. En


effet une fois que ces remparts semblables à des éponges ont
été établis pour la sûreté de l' encéphale, l'organe de l'olfaction
courait risque avec eux de se trouver incomplet, s'il n'eût
obtenu encore le moyen de respirer.
En effet, aucune substance ne peut traverser aisément les
corps spongieux par la seule impulsion qui lui est propre.
Souvent l'eau même qu'ils renferment, et qui de sa nature tend
perpétuellement en bas et s'écoule de ce côté, ne laisse cepen­
dant pas tomber une goutte, bien que dans les instruments
percés comme des cribles elle s'échappe rapidement. En sens
inverse, si des vapeurs arrivent au-dessous de l'os ethmoïde,
cet os spongieux arrête leur passage, tandis que les corps
percés comme un crible les laissent monter. En effet ceux-ci
rompent seulement la continuité des substances, mais les
corps spongieux les arrêtent dans leur mouvement propre.
Aussi pour qu'un semblable corps laisse tomber rapidement
son contenu, il faut, ou le comprimer de tous côtés, comme les
mains pressent une éponge, ou attirer vivement ce contenu,
comme vous faites en suçant avec vos lèvres, ou bien lui
imprimer une impulsion brusque en arrière, comme lorsqu'on
souffle dans les instruments de cette nature pour les débou­
cher.
Dans ces os spongieux, la fonction de l'inspiration et de
l'expiration s'exécutera bien. L'une a lieu quand l'encéphale
attire l'air intérieurement, l'autre quand il le chasse au dehors.
En effet les superfluités ne pouvaient être rejetées si elles ne
filtraient longtemps et peu à peu, et l'ascension des principes
odorants n'aurait absolument pas lieu si les retards du passage
leur permettaient de se rassembler, de se confondre, de s'unir,
et de retourner à leur ancienne nature, qu'ils ont perdue en
s'atténuant. Mais dans l'état actuel, grâce à la combinaison
des fonctions, l'appréciation des odeurs a lieu avec l'inspira­
tion, et l'expulsion des matières avec l'expiration. Or dans ces
fonctions la force avec laquelle l'air est apporté entraîne
beaucoup de particules qui, par leur propre mouvement,
n'auraient pu passer. D'un autre côté l'appréciation des
odeurs n'est pas médiocrement utile à la respiration même en
188 De l'utilité des parties du corps humain

ne laissant pas s'introduire à notre insu les vapeurs perni­


cieuses avec l'air pur. Le sens incommodé par elles nous force,
en effet, soit à les fuir au plus tôt, soit à porter à notre nez un
corps qui arrête les vapeurs en donnant passage à l'air.
Pour débarrasser les conduits olfactifs, parfois obstrués par
des matières visqueuses et épaisses, on ne pouvait concevoir
une disposition meilleure que la disposition actuelle. Créés, en
effet, non seulement comme organes d'olfaction, mais aussi de
respiration, ils sont doublement purifiés et par l'air qui entre
et par l'air qui sort. S'ils venaient à être obstrués trop forte­
ment pour être débarrassés par des courants d'air moyens et
ordinaires, nous aurions recours à l'action dite de souffler
(èKcpuoqmc;), qui est une expiration brusque, et, par la violence
des mouvements, nous expulserions toute la matière forte­
ment enclavée.
Ainsi ce n'est pas un échange de services médiocres ni
vulgaires qui se produit mutuellement entre les fonctions et les
utilités nombreuses créées à la fois aux extrémités des ventri­
cules antérieurs. C'est pour que l'animal vive et vive plus
agréablement que la nature a imaginé cette réciprocité ; il
résulte encore un grand avantage de ce qu'il n'est pas besoin
d'autant d'organes qu'il existe d'utilités, et que souvent un seul
organe suffit à des fonctions et à des utilités nombreuses.

CHAPITRE VII I . - La pie-mère, à l'instar du chorion et du mésentère,


relie tous les vaisseaux (veines et artères) de l'encéphale, de plus, elle
maintient l'encéphale lui-même et l'empêche de s'affaisser et de
s'étaler. Galien établit cette dernière proposition en montrant que
l'encéphale s'affaisse très aisément chez un animal mort, tandis qu'il
devrait être, selon lui, plus dur que chez un animal vivant.

Ainsi la pie-mère affermit l'encéphale en même temps


qu'elle le recouvre, et de plus elle relie encore tous les vais­
seaux qu'il renferme. Tel est aussi le chorion dans le fœtus, et
le mésentère. En effet, l'une et l'autre membrane est composée
de veines et d'artères nombreuses situées l'une près de l'autre,
et d'une membrane mince qui relie les parties intermédiaires.
De même la pie-mère rattache toutes les artères et les veines de
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 189

l'encéphale, afin qu'elles ne s'entrecroisent ni ne s'entre­


mêlent, et que dans les mouvements elles ne s'écartent pas de
leur place, leur base étant peu stable, puisqu'elles reposent sur
un corps si humide, si mou et presque fluide (c'est-à-dire sur
l'encéphale). C'est pourquoi non seulement elle embrasse
l'encéphale, mais encore s'introduit dans ses profondeurs, le
traverse en tous sens, s'insinue dans toutes ses anfractuosités,
s'étendant avec les vaisseaux jusque dans la cavité des ventri­
cules.
À ce propos, j'ignore pourquoi la plupart des anatomistes,
encore mal éveillés, sans doute, appellent plexus et replis
choroïdiens, la portion de la pie-mère qui tapisse intérieure­
ment les ventricules, et refusent pour les autres parties et de
les comparer au chorion, et de les nommer de même. Pour
nous, nous savons et nous démontrons que sa nature et son
utilité sont identiques à celles du chorion et du mésentère.
Nous disons que ces dernières membranes relient les artères
et les veines, et que la pie-mère, indépendamment de ces
vaisseaux, relie encore tout l'encéphale.
Une grande et nouvelle preuve que l'encéphale est contenu
et resserré par la pie-mère, est la suivante : Prenez un animal
quelconque (il vaut mieux en choisir un gros), mettez à nu
l'encéphale sur toutes ses faces, encore retenu et adhérent par
la base; commencez à en détacher la pie-mère, et vous verrez à
l'instant chacune des parties dépouillées se rejeter et se
répandre au dehors ; quand il sera dénudé, d'arrondi et de
périphérique qu'il était, il s'élargit sur toutes les faces, ses
parties les plus élevées retombant et s'écoulant sur les côtés.
Cependant, déjà comme vous expérimentez sur un animal
mort, une grande partie du pneuma psychique et des vapeurs
s'est échappée, toute la chaleur naturelle l'a abandonné, tout
ce qu'il renfermait de sang, de phlegme ou d'autre humeur
s'est coagulé par le froid, en sorte que toutes ces causes
réunies ont durci et refroidi l'encéphale. Et même alors, on
voit clairement qu'il a besoin d'être serré et contenu par la
membrane choroïde. Comment, quand l'animal est en vie,
n'en aurait-il pas bien plutôt encore besoin ? En effet, possé­
dant cette membrane comme enveloppe naturelle, il en avait
190 De l 'utilité des parties du corps humain

bien plutôt besoin, lorsqu'il était encore humide et mou, que


dans l'état où on le voit sur l'animal déjà mort.

CHAPITRE I X . - La dure-mère défend l'encéphale des atteintes du


crâne, et, à son tour, la pie-mère protège l'encéphale contre la pression
qu'il aurait à subir de la dure-mère. Ainsi la nature a établi une
merveilleuse transition entre la substance absolument dure du crâne
et la substance absolument molle du cerveau.

La dure-mère est aussi une enveloppe de l'encéphale, ou


plutôt ce n'est pas simplement enveloppe qu'il faut l'appeler,
mais rempart protecteur qui prévient les chocs de l'encéphale
contre le crâne. Pour la pie-mère, c'est véritablement l'enve­
loppe adhérente de l'encéphale. En effet, la dure-mère est
séparée de lui, ne s'y rattachant que par les vaisseaux qui la
traversent; si la nature n'avait pas établi entre eux la pie-mère,
le voisinage de la dure-mère avec l'encéphale n'eût pas été
exempt d'inconvénient. Platon, à propos de la terre et du feu,
dit que comme ces deux éléments étaient d'une nature oppo­
sée, un Dieu plaça entre eux l'eau et l'air 1 ; de même je puis
dire que l'encéphale et le crâne étant de substances contraires,
la nature établit entre eux les deux membranes, ne se bornant
pas à les rattacher seulement par un seul lien de bon voisinage.
En effet, un véritable milieu n'est pas milieu seulement par sa
position, mais par sa nature. Or un milieu par nature est celui
qui est à distance égale des extrêmes.
Les deux membranes ne différaient pas également de l'encé­
phale et du crâne. Ainsi la pie-mère tenait moins de la dureté
de l'os que de la mollesse de l'encéphale. En revanche, la

1. Platon, Timée, 3 lb-32b : « Or, c'est évidemment corporel, visible et tan­


gible, que doit être ce qui est devenu; mais séparé du feu, rien ne saurait jamais
être visible, pas plus que tangible en l'absence de quelque solide, et pas de solide
sans terre; aussi, est-ce de feu et de terre que, lorsqu'il commença de le
constituer, le Dieu voulut fabriquer le corps de l'Univers. Mais avec deux
éléments seuls faire une belle composition, sans un troisième, est impossible; il
y faut en effet un lien, un moyen terme, pour concilier les deux. [...] Ainsi donc,
entre le feu et la terre, Dieu plaça comme intermédiaires l'eau et l'air, et de leurs
rapports mutuels, dans la mesure du possible, il réalisa une proportion, ce que le
feu est à l'air, l'air l'étant à l'eau, et ce que l'air est à l'eau, l'eau l'étant à la terre;
les unissant d'un tel lien, il constitua un Ciel visible et tangible. »
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 191

dure-mère était beaucoup plus dure que l'encéphale, et était


un peu plus molle qu'un os. Si donc la nature eût créé
seulement la pie-mère, les rapports de cette dernière mem­
brane avec le crâne n'eussent pas été exempts de danger. Si la
nature eût créé seulement la dure-mère, dans ce cas c'était
l'encéphale même qui était exposé. En conséquence, pour que
ni l'encéphale ni son enveloppe n'éprouvassent de lésion, la
pie-mère a été établie la première, et sur elle la dure-mère, plus
molle qu'un os dans la même proportion qu'elle est plus dure
que la pie-mère. Celle-ci, de son côté, est plus molle que la
dure-mère dans la même proportion que l'encéphale est plus
mou qu'elle-même.
La nature employant donc deux milieux, tout différents
qu'ils sont de propriétés, a établi l'un près de l'autre sans
danger le crâne et l'encéphale. Ainsi la membrane choroïde est
l'enveloppe adhérente de l'encéphale� comme la peau est celle
de l'animal. La dure-mère n'est pas une enveloppe adhérente à
celle-ci, bien qu'en beaucoup de points elle soit unie avec elle.
Cette dernière, à son tour, est recouverte comme d'un casque
par un os superposé extérieurement, que l'on nomme petit
casque (Kpaviov, crâne). Aucune de ces dispositions n'a été
négligées par la nature.
Comme les bons ouvriers, qui, ne pouvant forger le casque
adhérant à la tête, et qui veulent néanmoins que le casque la
presse solidement sur toutes ses faces, préparent des attaches
convenables aux endroits opportuns, et ainsi l'adaptent avec
tant de précision qu'il semble ne le céder en rien à un casque
naturel : de même la nature ne pouvant, à cause de la dif­
férence originelle des substances, ajuster de tous points la
membrane au crâne, bien que cela fût utile, a inventé le seul
expédient possible pour sa sûreté, imaginant plus de liens que
Vulcain n'en a forgé. Ceux-ci ne pouvaient qu'attacher;
ceux-là, outre cet usage, en offraient d'autres encore plus
importants.
Quels sont donc ces ligaments (adhér. de la dure-mère au
niveau des sutures) ? comment s'attachent-ils autour du
crâne ? comment le rattachent-ils à la dure-mère, et quelles
autres utilités présentent-ils aux animaux?
192 De l'utilité des parties du corps humain

Les ligaments, minces membranes, naissent de la méninge


même; les sutures de la tête sont les chemins qu'ils suivent
pour en sortir. Tendus chacun dans la direction de la région
dont il est issu, ils se rencontrent les uns les autres au fur et à
mesure qu'ils avancent, se relient, se rattachent, s'unissent
complètement et, par leur réunion, engendrent une mem­
brane commune nommée péricrâne. Que cette membrane
rattache la dure-mère au crâne, même avant de le voir dans
une dissection, la raison vous l'indique. Ce n'est pas mainte­
nant le moment de dire quelles autres utilités elle offre aux
animaux (cf. IX, 1 et XVII). Déjà comme un cheval emporté,
oubliant la borne, notre discours a franchi les limites conve­
nables. Revenant sur mes traces, je retourne à l'encéphale,
d'où m'a écarté la suite des raisonnements tandis qu'aux
explications de la pie-mère je rattachais celles de la dure-mère,
et à ces dernières celles du crâne et du péricrâne.

CHAPITRE x. - Utilités de l' existence de deux ventricules du cerveau.


- L'utilité que Galien développe dans ce chapitre, c'est que si l'un des
deux ventricules est lésé, l'autre le supplée. - Fait pathologique qui le
prouve.

Maintenant nous traiterons d'abord des ventricules de


l'encéphale, de la grandeur et de la position de chacun d'eux,
de leur forme, de leurs communications entre eux, de leur
nombre, puis des parties qui leur sont superposées ou qui les
avoisinent. Les deux ventricules antérieurs (ventricules laté­
raux) opèrent l'inspiration, l'expiration et l' exsufflation de
l'encéphale. Nous avons ailleurs démontré ces faits (Utilité de
la respiration, I, v). Nous avons aussi démontré qu'ils pré­
parent et élaborent pour lui le pneuma psychique 1 • De

l. Le pneuma psychique (étymologiquement : souffle de l'âme) est élaboré à


partir du sang artériel (c'est-à-dire du sang chargé du pneuma vital - étymolo­
giquement : souffle de vie - élaboré dans le cœur à partir de l'air respiré). En
général, Galien considère que cette élaboration du pneuma psychique se fait
dans le plexus réticulé (qui n'existe pas chez l'homme) et dans les plexus
choroïdes, d'où il passe dans les ventricules de l'encéphale. Ici il semble
considérer que les ventricules eux-mêmes participent à cette élaboration.
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 193

plus, nous avons dit tout à l'heure (chap. vu) que par leurs
parties inférieures (lisez : ant'érieures) qui communiquent avec
les narines, ils sont à la fois un organe de l'odorat, et un canal
destiné à l'écoulement des superfluités.
Il était mieux qu'il existât deux ventricules et non pas un
seul, attendu que l'ouverture inférieure a été créée double, que
tous les organes des sens sont doubles, que l'encéphale lui­
même est double. Cette gémination présente encore une autre
utilité dont nous parlerons quand nous arriverons aux organes
des sensations (IX, vm; X, 1; XI, x) . Mais la première utilité la
plus générale des organes doubles, c'est que si l'un vient à être
lésé, l'autre le supplée dans son office.
Nous avons été témoin à Smyrne, dans l'Ionie, d'un fait
merveilleux : nous avons vu un jeune homme, blessé à l'un des
ventricules antérieurs, survivre à cet accident, à ce qu'il sem­
blait, par la volonté d'un Dieu. Il est certain qu'il n'eût pas
survécu un instant si tous deux eussent été blessés à la fois. De
même, si en laissant de côté les blessures, quelque mal sur­
vient à l'un d'eux, l'autre n'étant pas affecté, l'animal sera
moins attaqué dans son existence que si tous les deux étaient à
la fois malades. Or s'il existe deux ventricules et que tous deux
soient atteints, c'est la même chose que si un seul existant dès
le principe, ce ventricule unique est affecté. L'existence d'un
organe double est donc, quand elle est possible, une garantie
plus sûre que celle d'un organe simple. Mais cela n'est pas
possible dans tous les cas. Ainsi l'existence de deux rachis sur
un seul animal était complètement impossible ; par
conséquent celle de deux moelles épinières ; par conséquent
encore, il ne pouvait y avoir une double cavité dans le cervelet,
puisque c'est de lui que sort la moelle épinière.

CHAPITRE X I . - Du nom du cervelet. - Utilité propre des diverses


cavités ou ventricules de l'encéphale. - Du ventricule du cervelet
(quatrième des modernes). - Utilité de la réunion des deux ventricules
antérieurs à un canal commun. - Utilité de la voûte du cerveau; que
son nom est en rapport avec cette utilité.

Comme tous les nerfs du corps qui se distribuent dans les


194 De l'utilité des parties du corps humain

parties inférieures à la tête doivent dériver ou du parencéphale


(cen,elet), ou de la moelle épinière, ce ventricule du cervelet
(quatrième des modernes) doit être d'une grandeur considé­
rable et recevoir le pneuma psychique élaboré dans les ventri­
cules antérieurs; il était donc nécessaire qu'il existât un canal
entre eux et lui. En effet, le ventricule paraît grand; et le canal
qui des ventricules antérieurs vient y déboucher, est fort grand
aussi. Ce canal seul offre une communication duparencéphale
avec l'encéphale. Tels sont en effet les noms qu'Hérophile
donne habituellement à l'une et à l'autre partie, appliquant
par excellence à la partie antérieure, à cause de sa grandeur, la
dénomination du tout.
L'encéphale étant double comme il a été dit, chacune de ses
parties est beaucoup plus considérable que tout le parencé­
phale, mais la partie antérieure s'étant emparée du nom
général, il n'était pas possible de trouver pour le parencéphale
un nom plus convenable que celui qu'il porte. D'autres pour­
tant ne lui donnent pas ce nom, mais l'appellent encranis et
encrane. Il ne faut pas les blâmer, si en vue d'un enseignement
clair, ils ont créé quelque dénomination, quoique dans la vie
beaucoup de choses soient désignées par excellence, eu égard
à leur grandeur, leur puissance, leur mérite ou leur valeur.
Dans l'état actuel, l'encéphale séparé du parencéphale,
comme il a été dit précédemment, par le repli de la dure-mère
(tente du ceroelet), ayant besoin de lui être rattaché, du moins
en un point, pour engendrer le susdit canal, a fait d'abord
aboutir ses deux ventricules à un même endroit. C'est, au dire
de certains anatomistes, le quatrième ventricule de tout l' encé­
phale. Il en est qui l'appellent ouverture des deux ventricules ;
ils prétendent qu'on ne doit pas le considérer comme un
ventricule particulier. Pour moi, qu'on regarde cette cavité
comme commune aux deux ventricules, ou comme un troi­
sième ventricule ajouté aux deux autres, je pense qu'il n'en
résulte pour la suite des explications ni avantage, ni inconvé­
nient.
Je veux me rendre compte de la jonction au même point des
ventricules antérieurs : la cause en est la génération même du
canal qui les rattache au parencéphale. En effet ce canal, issu
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 1 95

de ce ventricule et recevant le pneuma qu'il renferme, le


transmet au parencéphale. Quant à la partie de l'encéphale
située au-dessus de la cavité commune, et modelée comme la
cavité d'une sphère creuse, à l'instar du toit d'une maison, il
semble qu'on a eu raison de l'appeler corps voûté cintré (voûte
à trois piliers), attendu que les parties semblables des habita­
tions sont habituellement appelées par les architectes voûtes et
cintres. Ceux qui la considèrent comme un quatrième ventri­
cule, prétendent que c'est le plus important de tous ceux de
l'encéphale entier. Toutefois Hérophile paraît regarder
comme plus important, non pas ce ventricule, mais celui du
cervelet (quatrième des modernes). Pour nous, nous avons
suffisamment déclaré, dans les Commentaires sur les dogmes
d'Hippocrate et de Platon (VII, m), quelle opinion il faut avoir à
ce sujet. Ici, nous nous bornerons à exposer seulement les
utilités ; nous ne les exposerons même pas toutes avec démons­
tration; pour toutes celles qui sont une conséquence néces­
saire des principes démontrés dans cet ouvrage, nous les
adopterons comme prouvées, en rappelant seulement les prin­
cipes dont elles émanent.
L'utilité de ce corps voûté ne doit pas être réputée autre que
celle des voûtes mêmes qui existent dans les maisons. De
même, en effet, que ces voûtes sont plus propres que toute
autre figure à porter le fardeau superposé, de même celle-ci
soutient sans inconvénient toute la partie de l'encéphale qui
pèse sur elle; car un corps sphérique est sur tous ses points
exactement semblable à lui-même, par conséquent c'est, de
toutes les figures, la moins susceptible de lésion et en outre la
plus grande de toutes celles qui ont un périmètre égal (cf I, XI,
XIV; III, VIII; Ill, VII; VII, VII; XI, XII) . Ce n'est pas là un
médiocre avantage pour les vaisseaux, les conduits, les ventri­
cules et toutes les cavités engendrées pour recevoir quelques
substances. En effet, de ces corps les plus excellents sont ceux
qui, avec des dimensions moindres, ont la plus grande capa­
cité.
Le canal établi entre le ventricule qui s'étend sous le corps
voûté et le ventricule du cervelet, vous permet de calculer les
utilités mêmes de cette forme 1 • En effet, le corps arrondi est le
1. Ce canal correspond, apparemment, à notre aqueduc de Sylvius. Mais,
196 De l'utilité des parties du corps humain

moins exposé aux lésions, et celui dont la capacité est la plus


grande, le plus propre à supporter un fardeau. Il en est de
même de tous les canaux qui parcourent le corps entier, de
toutes les artères et veines et de toutes les cavités. En effet,
tous sont sphériques, mais, à cause des apophyses, des épi­
physes et des anastomoses mutuelles, l'exactitude de la sphère
est détruite; toutefois la figure demeure toujours arrondie. Du
reste, si vous examinez le centre même d'une cavité quel­
conque, vous trouverez que c'est là la portion la plus arrondie,
parce que, n'étant pas encore altérée par les apophyses, elle
conserve la forme naturelle à la figure. De même, si, par
hypothèse, vous enlevez des ventricules antérieurs mêmes la
voûte de la cavité centrale et les apophyses qui descendent vers
le nez (nerfs olfactifs), et celles aussi qui se dirigent vers les
parties latérales et inférieures (étage infér. des ventr. laté­
raux ?), sur les utilités desquelles nous reviendrons, vous
trouverez exactement sphérique l'espace qui reste. De même
encore, si du ventricule postérieur du cervelet (quatrième
ventricule), vous enlevez le lieu (extrém. ant. du quatrième
ventr.) où s'insère le susdit canal (le supposé aqueduc de
Sylvius) et son prolongement vers la moelle épinière (région du
calamus scriptorius ?), vous le trouverez également sphérique.

CHAPITRE XI I . - Que la capacité des ventricules est en rapport avec


les matières qu'ils contiennent. - Comme les parties postérieures du
cerveau et le cervelet sont suffisamment dures par elles-mêmes, elles
n'ont pas besoin que la pie-mère s'y enfonce pour les soutenir. -
Réfutation de l'opinion de Praxagore et de Philotime qui regardent
l'encéphale comme un épanouissement de la moelle et de certains
anatomistes, suivant qui le crâne est le moule du cerveau.

Il suffit de ces remarques sur la forme de ces cavités. Quant


à leur étendue, non seulement dans l'encéphale, mais dans

d'après C. Daremberg, Galien se serait mépris et aurait considéré comme canal


de communication entre le troisième et le quatrième ventricule, non pas
l'aqueduc de Sylvius (qu'il n'a pas vu), mais l'espace délimité, en bas et
latéralement, par les tubercules quadrijumeaux et, en haut, par l'arachnoïde
entre les hémisphères et le cervelet.
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 197

toutes les parties du corps, celles qui reçoivent des substances


plus épaisses sont, avec raison, plus grandes ; et moins grandes
sont celles qui reçoivent des substances où les facultés prédo­
minent pour ainsi dire sur la substance. Dans chacune des
matières, en effet, il existe beaucoup de superfluités ; une fois
que celles-ci sont séparées et expulsées et que la partie utile a
été pourvue de la propriété,eonvenable, on dirait avec raison
que le Créateur a atteint le but qu'il se proposait. C'est
pourquoi le ventricule du cervelet (quatrième des modernes) a
été naturellement créé moins grand que les ventricules anté­
rieurs. Si on regarde la région commune (ventricule moyen) à
ces ventricules, comme un quatrième ventricule de l' encé­
phale, on trouvera que le ventricule du cervelet est plus petit
que ce dernier.
La membrane choroïde (prolongement de la pie-mère) qui,
disions-nous (chap. vm), tapisse intérieurement les ventri­
cules arrive jusqu'à la cavité du corps voûté (ventricule
moyen). Les corps qui viennent à la suite et qui environnent le
conduit ont déjà une consistance trop ferme pour avoir besoin
de tunique. Il en est de même de ceux qui entourent tout le
ventricule postérieur (vermis inférieur et pédoncule du cerve­
let) . En effet, nous avons dit précédemment (chap. VI), que le
cervelet tout entier dépasse de beaucoup en dureté l' encé­
phale.
À ce propos, je m'étonne quand je considère, non seulement
l'absurdité des dogmes de Praxagore et de Philotime, mais
encore leur ignorance des faits démontrés par les dissections.
Ils regardent, en effet, l'encéphale comme une sorte d'excrois­
sance, de rejeton de la moelle épinière, et prétendent consé­
quemment qu'il est formé de longues circonvolutions ; cepen­
dant, le parencéphale, tout en étant le corps qui touche à la
moelle épinière, participerait peu à une pareille structure,
tandis que l'encéphale antérieur la montre à un degré très
prononcé et très évident. En outre, erreur plus grave, ils
ignorent que la moelle épinière fait suite seulement aux par­
ties situées à la base de l'encéphale, lesquelles sont les seules
parties dépourvues de circonvolutions, car, étant dures, elles
possèdent par elles-mêmes une assiette solide et n'ont aucun
1 98 De l 'utilité des parties du corps humain

besoin que la pie-mère les tapisse et les consolide. C'est ainsi


que des hommes de mérite s'abaissent nécessairement
lorsque, ayant dédaigné la vérité, ils s'obstinent à soutenir les
opinions qu'ils ont établies a priori.
De même encore, ceux qui prétendent que le crâne est le
moule de l'encéphale, paraissent ignorer qu'il existe un espace
entre l'encéphale et la du,re-mère (cavité de l'arachnoïde), et
que cette dernière, si elle est en contact avec le crâne, n'y
adhère pas ; ils ne savent même pas non plus ni que la
dure-mère devait être modelée d'abord, ni que le crâne lui­
même est tel.

CHAPITRE XII I . - La pie-mère ne se comporte pas avec le cervelet


comme avec le cerveau. - Différence de structure entre ces deux
parties de l'encéphale. - Érasistrate a insisté avec raison sur cette
différence, mais il a eu tort de croire que l'intelligence est d'autant
plus développée que les circonvolutions de l'encéphale sont plus
nombreuses.

Arrivé à ce point du discours, il ne faut pas laisser sans


explication la forme du cervelet. Ce n'est pas de grandes
circonvolutions séparées par la pie-mère, comme l'encéphale,
qu'il est composé, mais de corps nombreux, de corps très
petits autrement disposés que dans celui-ci. En effet, si le
pneuma psychique est renfermé dans toute la substance de
l'encéphale et non pas dans ses ventricules seulement, comme
nous l'avons démontré ailleurs (Dogmes d 'Hippocrate et de
Platon, VII, III), il faut croire que, dans le cervelet qui devait
être le principe des nerfs du corps entier, ce pneuma se trouve
en très grande abondance et que les régions intermédiaires qui
en relient les parties sont les chemins de ce pneuma.
Érasistrate démontre très bien que l'épencranis (il nomme
ainsi le parencéphale) est d'une composition plus variée que
l'encéphale ; mais quand il prétend que l'épencranis, et avec lui
l'encéphale, est plus complexe chez l'homme que dans les
autres animaux, parce que ces derniers n'ont pas une intel­
ligence comme l'homme, il ne me paraît plus raisonner juste,
puisque les ânes mêmes ont un encéphale très compli-
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 199

qué, tandis que leur caractère imbécile exigerait un encéphale


tout à fait simple et sans variété. Il vaut mieux croire que
l'intelligence résulte du bon tempérament du corps chargé de
penser, quel que soit ce corps, et non de la variété de sa
composition. Il me semble, en effet, que c'est moins à l'abon­
dance qu'à la qualité du pneuma psychique qu'il faut rappor­
ter la perfection de la pensée. Mais maintenant, si quelqu'un
ne vient pour ainsi dire mettre un frein à ce discours, il va
s'attaquerà des sujets plus hauts que ceux qu'il se propose, il
se laissera entraîner à des digressions ; pourtant, se garder
absolument de parler de la substance de l'âme quand on
explique la structure du corps qui le renferme, est chose
impossible ; mais, si cela est impossible, il est possible aussi de
se détourner promptement d'un sujet sur lequel on ne doit pas
insister.

CHAPITRE XIV. - Situation, forme, substance et utilité du conarium.


Comme toutes les glandes, cette partie sert de soutien aux divisions
des vaisseaux, et n'est pas le portier du pneuma psychique. - Cette
dernière fonction est justement dévolue à l'apophyse vermiforme. -
Description de cette apophyse. - Rapport admirable de sa forme, de
ses dimensions, de sa structure, de sa consistance avec les fonctions
qu'elle a à remplir. -De ses connexions avec les cuisses et les testicules
du cerveau.

Revenant aux parties qui viennent après le ventricule moyen,


considérons le corps situé à l'entrée du canal (le supposé
aqueduc du Sylvius), corps qui relie ce ventricule au cervelet,
appelé conarium (glande pinéale, épiphyse) par ceux qui
s'occupent de dissections, et cherchons en vue de quelle utilité
ce corps a été créé. Par sa substance, c'est une glande ; par sa
figure, il est très semblable à une pomme de pin, d'où lui vient
son nom.
Quelques-uns pensent que son utilité est la même que celle
du pylore. Ils disent en effet que le pylore est une glande et
qu'il empêche l'aliment de passer de l'estomac dans l'intestin
grêle avant d'être élaboré. Ils prétendent que le conarium,
situé à l'entrée du canal qui du ventricule moyen transmet le
200 De l'utilité des parties du corps humain

pneuma dans le ventricule du cervelet, est le surveillant et


comme l'économe qui décide de la quantité de pneuma qui
doit être transmis 1 • Pour moi, j'ai dit précédemment (IV, VII)
quelle opinion il faut avoir sur le pylore de l'estomac. Quant à
cette glande conoïde qui ressemble à une pomme de pin et qui
remplit la bifurcation de la grande veine (veines de Galien),
d'où dérivent presque tous les plexus choroïdes des ventricules
antérieurs, je crois qu'elle existe en vue de la même utilité que
les glandes chargées de consolider les bifurcations des veines 2 •
En effet, la position du conarium est, sous tous les rapports, la
même que celle des glandes analogues dont le sommet sou­
tient les parties de la veine à l'endroit où elle se bifurque,
tandis que tout le reste de la glande devient plus volumineux à
mesure que s'éloignent les vaisseaux issus de la bifurcation, et
les accompagne aussi longtemps qu'ils restent suspendus.
Aussitôt que ces veines appuient sur le corps de l'encéphale
même, le conarium les abandonne. Le corps de l'encéphale
devient en cet endroit un appui pour le conarium lui-même et
en même temps pour les veines.
Mais penser que ce conarium règle le passage de l'esprit
(pneuma psychique), c'est méconnaître la fonction de l'apo-
1 . Descartes reprendra cette théorie, critiquée par Galien, qui loge l'âme
dans l'épiphyse (glande pinéale, conarium), où elle contrôle le mouvement des
esprits animaux (esprit animal est la forme latine de pneuma psychique - souffle
de l'âme -, mais chez Descartes ces esprits animaux ne sont que des particules
très fines et très agitées, une sorte de gaz).
2. Le choix de Descartes de la glande pinéale comme siège de l'âme tient sans
doute à ce qu'il suit Galien dans cette affirmation qu'elle se trouve au point où
les vaisseaux de l'encéphale forment les plexus choroïdes, lesquels servent à
l'élaboration du pneuma psychique chez Galien et, vraisemblablement (ce n'est
pas clair), à celle des esprits animaux chez Descartes (Traité de l'Homme,
Œuvres, XI, p. 129) : « Pour ce qui est des parties du sang qui pénètrent jusqu'au
cerveau, elles n'y servent pas seulement à nourrir et entretenir la substance,
mais principalement aussi à y produire un certain vent très subtil, ou plutôt une
flamme très vive et très pure, qu'on nomme les Esprits animaux. Car il faut
savoir que les artères qui les apportent du cœur, après s'être divisées en une
infinité de petites branches, et avoir composé ces petits tissus, qui sont étendus
comme des tapisseries au fond des concavités du cerveau, se rassemblent autour
d'une certaine petite glande [sans doute l'épiphyse, ou glande pinéale, où Des­
cartes localise l'âme], située environ au milieu de la substance de ce cerveau, tout
à l'entrée de ses concavités ; et ont en cet endroit un grand nombre de petits
trous, par où les plus subtiles parties du sang qu'elles contiennent, se peuvent
écouler dans cette glande, mais qui sont si étroits, qu'ils ne donnent aucun
passage aux plus grossières. »
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 201

physe vermiforme (vermis inferior du cervelet), et attribuer à


une glande plus d'importance qu'il n'est juste. En effet, si elle
faisait partie de l' encéphale même, comme le pylore fait partie
de l'estomac, elle pourrait, obéissant aux contractions et aux
dilatations de cet encéphale, en vertu de sa position favorable,
ouvrir et fermer tour à tour le conduit. Comme cette glande,
au contraire, ne fait en aucune façon partie de l'encéphale, et
n'est pas rattachée à l'intérieur du ventricule, mais qu'elle s'y
attache extérieurement, comment pourrait-elle avoir une
action si puissante sur le conduit quand elle ne se meut pas par
elle-même ? Qui empêche, dira-t-on peut-être, qu'elle n'ait un
mouvement propre ? Une seule chose : c'est qu'à ce compte, la
glande tiendrait à nos yeux le rang d'encéphale, et que l'encé­
phale lui-même serait seulement un corps divisé par de nom­
breux canaux comme un organe propre à obéir à celui qui
naturellement peut se mouvoir. Ce sont là, qu'est-il besoin de
le dire, les suppositions d'un esprit ignorant et qui refuse de
s'instruire.
Quand on imagine, en effet, qu'il doit nécessairement exis­
ter près du canal du cerveau une partie propre à surveiller et à
régler l'entrée de l'esprit; cette partie qu'on ne peut découvrir,
ce n'est pas le conarium, mais cette apophyse semblable à un
ver qui s'étend dans tout le conduit. Les anatomistes habiles
lui donnant un nom tiré de sa seule figure, l'appellent apo­
physe vermiculaire 1 •
Voici quelles sont sa situation, sa nature et ses relations avec
les parties voisines. De chaque côté du conduit, il existe des
éminences minces et allongées de l'encéphale appelées fesses
(tuberc. quadrijumeaux). Leur jonction ne peut mieux se

1 . Au XVI" siècle, avant donc que Descartes ne (re)mette l'âme dans la glande
pinéale (conarium), le « vermiformis » était toujours, sinon le siège de l'âme, du
moins le contrôleur du passage du pneuma psychique entre les ventricules (et le
« conarion » servait toujours de support aux vaisseaux allant former les plexus
choroïdes où le pneuma psychique est élaboré). Ambroise Paré, Œuvres, p. 1 1 0 :
« Son utilité [du conarion] est de renforcer la division des vaisseaux illec
conduits avec une apophyse de la pie-mère, pour la génération de l' esprit animal
[pneu ma psychique], et donner vie et nourriture au cerveau. [ ...] Son utilité [du
vermiformis] est de servir au dit conduit [entre les ventricules Ill et IV] comme de
portier, lequel en temps et lieu laisse passer les esprits, tant qu'il en est besoin au
ventricule postérieur. »
202 De l'utilité des parties du corps humain

comparer qu'aux cuisses d'un homme qui se touchent l'une


l'autre [par leur partie supérieure]. Il en est qui, les comparant
aux testicules, aiment mieux les appeler testicules que fesses.
Quelques-uns nomment testicules les corps (nates des
modernes ou tubercules quadrijumeaux antérieurs) qui sont en
rapport avec le conarium, et fesses les corps situés en arrière
de ceux-ci (testes ou tub. quadr. postérieur). Les parties gauche
et droite du canal 1 appartiennent à ces corps mêmes ; les
parties supérieures sont recouvertes par une membrane
mince, assez forte cependant, qui se rattache aux fesses de
chaque côté ; la membrane qui s'étend jusqu'au ventricule
postérieur est l'extrémité inférieure de l'épiphyse vermiculaire
(arachnoiâe et débris de la valvule de Vieussens) laquelle ne
ressemble en rien aux testicules et aux fesses. En effet, l'épi­
physe présente des articulations de diverses formes, tandis
que les fesses et les testicules sont semblables dans toutes leurs
parties et n'ont pas une composition variée.
Outre qu'elle a des articulations de diverses formes et paraît
se composer de parties très nombreuses rattachées par de
minces membranes, l'épiphyse vermiculaire offre encore une
particularité : son extrémité, située dans le ventricule posté­
rieur (celui du cervelet) à l'endroit où elle aboutit, disions­
nous, à la membrane superposée, est convexe et mince. À
partir de cet endroit, elle augmente en volume, s'élargit et a
presque la surface supérieure égale à l'intervalle des fesses. Par
là, en s'allongeant sur le canal, elle le bouche complètement, et
quand elle se replie en arrière, elle tire en même temps la
membrane (valvule de Vieussens ?) qui adhère à ses parties
convexes et rouvre le conduit dans la même proportion qu'elle
recule. En effet, comme elle s'arrondit en se repliant et se
contracte sur elle-même, autant elle perd en longueur, autant
elle gagne en largeur. Ainsi naturellement, si elle se replie peu,
comme elle ne s'élargit que peu aussi, ses extrémités infé­
rieures ne peuvent pénétrer que dans les parties si étroites de

1. Le supposé aqueduc de Sylvius. Voir note l, p. 194. C'est sur cette descrip­
tion que C. Daremberg se fonde pour considérer le canal en question non
comme l'aqueduc de Sylvius, mais comme l'espace compris entre les tubercules
quadrijumeaux et l'arachnoïde.
Livre VIII - De la tête, de l'encéphale et des sens 203

la base du conduit ; si sa contraction est plus forte, et que sa


largeur par conséquent augmente, l'ouverture du conduit
s'agrandira et ira toujours en croissant à mesure que diminue
la convexité qui doit y entrer.
Aucune de ces choses n'eût eu lieu convenablement si la
nature avait fait l'apophyse même de très peu plus épaisse ou
plus mince qu'elle n'est. Plus épaisse, en effet, elle n'aurait pas
fermé complètement le conduit, puisque avec ses parties les
plus minces, elle n'aurait pu atteindre les parties les plus
étroites de celui-ci. Plus mince, non seulement elle n'aurait
pas fermé complètement le conduit, mais elle ne l'aurait pas
même ouvert convenablement. En effet, pendant qu'il se fer­
merait, il s'échapperait une partie du pneuma, toute la largeur
du conduit n'étant pas occupée, à cause du peu d'épaisseur de
l'épiphyse. Pour s'ouvrir, il faudrait auparavant qu'il s'opérât
une rétraction considérable, ou bien les extrémités convexes
ne se relèveraient pas et ne s'écarteraient pas de la base du
conduit.
Or, si avec une épiphyse vermiculaire un peu plus épaisse, ou
plus mince, le conduit ne pourrait s'ouvrir que d'une manière
démesurée ou incommode, que faudrait-il attendre si elle
dépassait de beaucoup sa consistance actuelle. Est-ce que
l'harmonie générale ne serait pas complètement bouleversée
et détruite ? Vous ne sauriez trouver de combinaison artistique
plus achevée et plus brillante que celle dont la précision est
telle, que la moindre substitution en détruirait l'ensemble. En
effet, si vous pouvez enlever ou ajouter beaucoup de pièces à
un appareil, et que toute son utilité subsiste encore, l'artisan
n'a pas besoin d'une habileté suprême. Les œuvres au
contraire où la plus petite omission entraîne la destruction du
tout, vous offrent le modèle d'un art consommé. Mais si un
défaut dans la masse seulement de l'épiphyse [vermiculaire]
détruisait la valeur de l' œuvre, tandis que le reste de l' œuvre
reste intact et ne peut être ni très utile, ni très préjudiciable,
peut-être attribuerait-on cet accident non moins à la fortune
qu'à l'art.
Mais puisque ce qu'on observe à propos des dimensions de
l'épiphyse vermiforme se voit aussi dans toutes les autres
204 De l'utilité des parties du corps humain

parties (en effet, tout autre changement d'arrangement nuira


à la fonction, ainsi que nous le démontrerons immédiate­
ment), comment ne serait-on pas ridicule en venant nier l'art
de la nature ? En effet, les fesses sont assez élevées au-dessus
du canal pour porter l'épiphyse repliée sur elles, et si
l'ensemble du conduit a été créé allongé, c'est pour qu'il
jouisse d'une grande variété de mouvement : c'est l'utilité
même que présentent les parties composées de corps nom­
breux et petits. En effet, pour qu'une différence considérable
en plus ou en moins existe dans le mouvement, la nature l'a
créée capable d'avoir plusieurs replis et flexions. Comme
toutes ces dispositions devaient lui donner un mouvement
facile et varié, et qu'il était à craindre que portée sur la partie
convexe des fesses elle n'en glissât et n'abandonnât le conduit,
la nature a imaginé de l'attacher aux fesses par des ligaments
que les habiles en anatomie nomment tendons (racines des
nerfs pathétiques ?) et qui les serrant et les retenant des deux
côtés empêchent les fesses de s'écarter.
La nature aussi l'a faite dure pour qu'elle résistât aux
lésions, mais pas assez dure pour qu'elle cessât d'être une
partie de l'encéphale. Là encore, mesurant l'utilité avec une
précision rigoureuse, elle lui a donné le degré de dureté
convenable pour qu'elle restât une partie de l'encéphale.
Si avec toutes ces précautions la nature lui eût attribué, par
suite de sa composition, des plis obliques ou droits, et non pas
transverses, comme ils le sont effectivement, il n'en résulterait
aucun avantage. En effet, elle ne s'arrondirait pas de la façon
que nous avons dite, si par des flexions transverses, elle ne se
repliait en arrière, et elle ne pourrait, comme il a été démon­
tré, ouvrir et fermer peu à peu le conduit. L'absence d'un seul
corps rendrait inutiles tous ces corps nombreux et variés qui
environnent le canal.
Il est maintenant évident pour ceux qui ont prêté leur
attention à ce discours que si quelqu'une des parties énoncées
était altérée, il en résulterait, en beaucoup de cas, seulement
une gêne pour la fonction, mais parfois la destruction
complète de cette fonction. Aussi ne puis-je concevoir de
quelle façon l'on peut s'y prendre pour démontrer que ce ne
sont pas là les œuvres de l'art le plus parfait.
LIVRE NEUVIÈME

DU C RÂ N E , DE L ' E N C É PHALE
E T DES N E RF S C RÂNIENS

CHAPITRE 1 er. - Tout aliment renferme une portion nutritive e t un


résidu. - Conséquences fâcheuses qui résultent de l'arrêt du résidu
dans l'intérieur des parties. - Précautions prises par la nature pour
faciliter l'évacuation des superfluités. - Diversité des voies d'évacua­
tion suivant la nature des parties, et celle des résidus. - L'encéphale
trouve dans la structure du crâne et dans les sutures, le moyen le plus
convenable de se purger de ses superfluités.

CHAPITRE I I . - Le crâne a dû être poreux pour être à la fois épais et


léger. - Ces porosités ou cavernes que Galien regardait dans le
chapitre précédent comme une voie d'excrétion, n'ont donc sous ce
rapport qu'une utilité secondaire.

CHAPITRE I I I . - Des voies d'excrétion de l'encéphale à travers le


palais. - Description de tout l'appareil. - Détails particuliers sur
l'infundibulum et sur le canal ou entonnoir.

CHAPITRE IV . - Disposition admirable du plexus réticulé ; il sert à


élaborer le pneuma psychique, comme les réseaux tortueux des vais­
seaux spermatiques servent à élaborer le sperme. - Analogies et
différences dans la manière dont les vaisseaux se comportent avec le
canal intestinal et avec l'encéphale. - Que tout est disposé dans
l'encéphale pour la présente élaboration et distribution du pneuma et
pour l'alimentation du viscère.

Le plexus dit réticulé 1 par les anatomistes, plexus qui


1. Le plexus réticulé (ou rets admirable) n'existe pas chez l'homme, mais
206 De l'utilité des parties du corps humain

embrasse la glande même et se déroule en arrière à une grande


distance, est le plus merveilleux des corps établis dans cette
région. En effet, peu s'en faut qu'il ne s'étende sous toute la
base de l'encéphale. Ce réseau n'est pas simple ; on dirait
plusieurs filets de pêcheurs tendus les uns sur les autres. Mais
ce filet naturel a ceci de particulier que toujours les mailles de
l'un sont attachées à celles de l'autre et qu'on ne saurait
prendre l'un des filets sans l'autre. Si l'on en prend un, tous
viennent à la suite parce que tous se tiennent entre eux et sont
attachés les uns aux autres. Mais, ni pour la délicatesse de la
composition, ni pour la densité du lacis, vous ne pourriez leur
comparer aucun des filets travaillés par la main des hommes.
Ce n'est pas non plus d'une matière commune qu'il est formé :
la plus grande partie des artères (carotides primitives) remon­
tant du cœur à la tête a été employée par la nature à cet
admirable réseau. De ces artères se sont détachées de petites
ramifications sur le cou, la face et les parties externes de la
tête. Tout le reste qui de sa source s'était élevé en ligne droite,
montant vers la tête par le thorax et le cou, est accueilli avec
faveur dans cette région du crâne qui, percée de trous, la fait
passer sans danger dans l'intérieur de la tête.
Vous pensez peut-être que la dure-mère les a aussi revêtus
[immédiatement] et qu'elle a été traversée en ligne droite par
le courant des vaisseaux ; et, après tout cela, on pouvait croire
que ces artères s'empresseraient d'arriver à l'encéphale; mais
il n'en est pas ainsi : dépassant le crâne dans la région située
entre celui-ci et la dure-mère, elles se divisent d'abord en un

seulement chez les grands mammifères. Cela n'empêchera pas Ambroise Paré
(comme les autres médecins de son temps) de le décrire et de lui attribuer,
comme Galien, l'élaboration du pneuma psychique (Œuvres, p. 114) : « Or de
l'esprit vital [pneuma vital] est fait l'esprit animal [pneuma psychique], envoyé
du cœur par les artères carotides internes au cerveau, pour ce qu'il était requis
qu'il fut mieux cuit et digéré, d'autant que l'action animale [= de l'âme] est plus
noble que la vitale. Et pourtant Nature a produit et bâti une division d'artères en
petits filets entrelacés ensemble en diverses formes, passant l'un par-dessus
l'autre, par plusieurs fois se coupant et divisant maintenant en une sorte,
maintenant en une autre, avec plusieurs circonvolutions et entortillures comme
un petit labyrinthe, faisant une merveilleuse texture en manière d'un filet ou
rets. Et pour cette cause a été appelé des anciens rets admirable ; et a été ainsi
fait afin que l'esprit y fît plus longue demeure, pour illec être mieux agité,
élaboré, subtilisé et mis en extrême perfection. »
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 207

grand nombre de branches très petites et déliées. Alors se


portant, les unes à la partie antérieure de la tête, les autres à la
partie postérieure, celles-ci au côté gauche, celles-là au côté
droit, et s'entrelaçant, elles font croire qu'elles oublient la
route de l'encéphale. Mais cela non plus n'est pas exact. En
effet, toutes ces nombreuses artères venant de nouveau à se
réunir, comme des racines en un tronc, engendrent une autre
paire d'artères semblable à celle qui a déjà donné naissance au
réseau; ces artères pénètrent alors dans l'encéphale par les
trous de la dure-mère.
Mais quelle est cette disposition merveilleuse et pourquoi a­
t-elle été créée par la nature, qui ne fait rien sans but ? Si vous
vous rappelez ce que nous avons dit et démontré lorsque nous
expliquions les dogmes d'Hippocrate et de Platon (VII, III et
suiv.), vous puiserez dans ces souvenirs une nouvelle confir­
mation de nos observations actuelles, et vous découvrirez
aisément l'utilité de ce plexus. En effet, quand la nature veut
élaborer parfaitement une matière, elle lui ménage un long
séjour dans les organes de coction. Nous avons déjà démontré
ce fait en maints endroits ; pour le moment, citons les cir­
convolutions variqueuses [du cordon spermatique] où elle
prépare le sang et le pneuma propre à la production du
sperme : cet exemple nous suffira à expliquer le cas actuel. Les
veines et les artères forment dans ce canal mille replis variés;
elles contiennent un sang pur à la naissance des replis, mais à
leur extrémité voisine des testicules il n'est plus exactement
rouge : le suc qu'elles renferment est déjà plus blanc, ayant
encore besoin, pour devenir la substance parfaite du sperme,
d'une petite élaboration qu'il empruntera aux testicules eux­
mêmes. Mais autant le pneuma psychique de l'encéphale
exigeait une élaboration plus parfaite que le sperme, autant le
plexus réticulé a été créé plus entrelacé que les vaisseaux
spermatiques 1 . Nous avons donc démontré avec raison dans
les Commentaires (sur les dogmes d'Hippocrate et de Platon,
VII, III) que le pneuma psychique de l'encéphale trouve une
1. Galien a également expliqué de la même manière le rôle du réseau veineux
hépatique, dans la « sanguinification » de l'aliment (voir livre IV, chap. xm,
p. 73).
208 De l 'utilité des parties du corps humain

origine matérielle convenable dans le pneuma vital qui vient


[du cœur] à travers les artères.
Nous répéterons maintenant encore une observation faite
dès le début de tout l'ouvrage (I, vm et xv1), c'est qu'il n'est pas
possible de découvrir convenablement aucune utilité d'aucune
partie, si d'abord l'on n'est familiarisé parfaitement avec la
fonction de tout l'organe. Ainsi nous avons démontré, dans les
Commentaires précités (cf. aussi V, VII et VI, u), que l'âme
raisonnable habite dans l'encéphale ; que nous raisonnons au
moyen de ce viscère ; que la plus grande partie du pneuma
psychique y est renfermée, enfin que ce pneuma acquiert sa
propriété spéciale par l'élaboration qu'il y subit.
Remarquons ici que la structure du plexus réticulé, non
moins que les autres particularités de celle de l'encéphale,
concordent merveilleusement avec nos exactes démonstra­
tions. En effet, l'encéphale tout entier est entrelacé par ces
artères, qui présentent des ramifications variées ; beaucoup
d'entre elles aboutissent aux ventricules, ainsi qu'une grande
partie des veines qui descendent du sommet de la tête. Venant
de régions opposées, elles rencontrent les artères, se distri­
buent comme elles dans toutes les parties de l' encéphale, aussi
bien dans les ventricules mêmes que dans les autres parties.
De même que, dans l'estomac et les intestins, descendent un
grand nombre de veines et d'artères qui déversent de la bile, de
la pituite et d'autres humeurs analogues dans la cavité exté­
rieure (par rapport aux artères; c'est-à-dire dans le canal intesti­
nal), et retiennent en elles le sang et le pneuma vital, de même
les veines déversent leurs superfluités, d'une façon semblable,
dans les ventricules de l' encéphale et retiennent le sang, tandis
que les artères exhalent principalement le pneuma psychique.
Celles-ci, en effet, remontent des parties inférieures ; les
veines, au contraire, descendent d'en haut dans l'encéphale.
La nature a pourvu admirablement à ce que les substances
qui tombent de leurs orifices traversent l'encéphale tout
entier. En effet, tant qu'elles sont renfermées dans les vais­
seaux mêmes, elles circulent avec ceux-ci dans toutes les
parties du corps ; mais une fois qu'elles en sont sorties, cha­
cune se dirige selon son impulsion naturelle : la substance
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 209

légère et déliée monte ; la substance épaisse et lourde descend.


Les artères qui aboutissent au canal intestinal ayant une
position déclive, ne fournissent pas de pneuma au canal sur
lequel elles se terminent, si ce n'est celui qui parfois est projeté
par l'action des vaisseaux mêmes. Mais les artères de l'encé­
phale, dont la direction est ascendante, laissent toujours
échapper le pneuma, parfaitement élaboré, dans le plexus
réticulé, d'où il est emporté par les artères de l'encéphale en
aussi grande quantité qu'il afflue dans le plexus. En effet, il ne
peut traverser promptement les artères du plexus : il est
retenu dans tous les détours, en haut, en bas, de côté, errant
dans tous leurs circuits si nombreux et si variés ; de sorte que,
faisant un long trajet dans le plexus, il achève de s'élaborer.
Une fois élaboré, il tombe à l'instant dans les ventricules de
l'encéphale ; car il ne fallait, ni que le pneuma séjournât trop
longtemps dans les plexus, ni qu'il s'échappât encore mal
élaboré.
Il n'importait pas seulement aux ventricules mêmes qu'il en
fût ainsi; l'encéphale tout entier y était intéressé, et l'intérêt
pour lui n'était pas moindre. Toutes les parties de l'encéphale
en contact avec la membrane qui les enveloppe puisent, en
effet, dans les vaisseaux mêmes de celle-ci l'aliment qui leur
est propre. Pour celles qui en sont plus éloignées, elles
trouvent un secours dans le courant des matières ; car toutes
les parties du corps ont la faculté d'attirer leur aliment propre ;
mais elles ne peuvent opérer cette attraction ni de loin, ni à
une longue distance, si elles n'empruntent un secours étran­
ger. Ce secours a été ménagé avec soin par la nature, surtout
dans l'encéphale : d'abord, parce qu'il est le plus important de
tous les organes ; ensuite, parce qu'il est séparé des vaisseaux
par de grands intervalles; en troisième lieu, parce que, vu sa
mollesse et sa température modérée, il était moins capable
d'attirer. Les corps qui attirent doivent en effet posséder plus
de ressort et de chaleur.

CHAPITRE v . - Que dans toutes les parties les artères et les veines
marchent parallèlement et procèdent du même point. - Dans l'encé­
phale seul, les artères marchent de bas en haut, et les veines de haut en
210 De l 'utilité des parties du corps humain

bas. - Cette disposition a été prise pour que la dure-mère servît à la


fois de route pour les veines (sinus) et de séparation pour le cerveau et
le cervelet.

CHAPITRE VI . - Des sinus de la dure-mère et des veines qui


en partent. - Ces veines servent à la fois à nourrir et à soutenir
l'encéphale.

CHAPITRE VII . - Suite de la description des sinus de la dure-mère et


des veines qui en partent. - Utilité des prolongements de la dure-mère.

CHAPITRE VIII. - Origine et trajet crânien des 1re, 2e, 3e paires de


nerfs (2e, 3e et se des modernes) 1 .

Revenons à l'encéphale et parlons de ses autres prolonge­


ments ; mais d'abord rappelons succinctement ce que nous
avons dit précédemment sur ce sujet (VIII, v1) : Les prolonge­
ments les plus considérables sont, comme nous l'avons
exposé, ceux des narines (nerfs olfactifs; i re paire des
modernes). De chaque côté de ceux-ci se trouvent les conduits
des yeux (nerfs optiques; i re paire de Galien; 2e des modernes),
et près de ces derniers, les prolongements qui meuvent leurs
muscles (oculomoteurs communs et externes ?; 2e paire de
Galien, 3e et 6e des modernes). Les nerfs optiques se ren­
contrent en un même point avant de sortir de la dure-mère
(chiasma des nerfs optiques), et se divisent ensuite; derrière
leur commissure est la fosse pituitaire ; les artères sont de
chaque côté en contact avec eux. Ces parties sont en dedans de
la dure-mère. Celles que recouvrent la dure-mère elle-même et
la portion de l'encéphale qui y correspond, sont la glande
pituitaire, le plexus réticulé, et le conduit du palais. On voit très
clairement si l'on examine par ses yeux, moins clairement si
l'on s'en tient à une simple description, que ni à la partie

1. Ce chapitre offre de telles difficultés, qu'il est impossible, sans discussion


et sans figures, de déterminer quelques-unes des parties dont parle Galien; je
marque donc d'un ? les passages obscurs [note de C. Daremberg].
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 2 1 1

antérieure de la tête, ni à la base, il ne reste une place pour le


prolongement des nerfs sensitifs vers la langue (nerf lingual;
portion de la 3e paire de Galien, de la se des modernes). En effet,
à la partie antérieure, sont les prolongements vers le nez et
vers les yeux (nerfs olfactifs et nerfs optiques), à la base se
trouvent la glande pituitaire et le plexus réticulé.
Ainsi, la partie antérieure même de l'encéphale étant déjà
traversée par des prolongements, et la base n'offrant plus de
chemin libre, il fallait chercher une troisième place pour les
nerfs du goût. Les parties postérieures de l'encéphale étant
dures ne pouvaient engendrer de semblables nerfs ; les parties
supérieures ne donnant naissance à aucun nerf d'aucune
partie, n'en devaient pas non plus fournir à la langue. Or, nous
avons montré mille fois avec quel soin la nature a pourvu à la
sûreté des parties, surtout des parties importantes. Quand leur
mollesse les expose à être blessées par toute espèce de corps,
c'est alors surtout qu'elle cache ces parties et les défend de
tous côtés. Si elle eût engendré des parties latérales de l' encé­
phale qui répondent aux yeux, les nerfs de la langue, leur trajet
même dans ce cas n'eût pas été aussi sûr que s'ils provenaient
de la base. Si donc il était mieux que ces nerfs dérivassent de la
base et pour leur sûreté, et parce que au bas était placée la
langue, et si d'un autre côté toute la partie antérieure était déjà
occupée par les corps énumérés, il était nécessaire d'établir
leur origine aux parties postérieures vacantes (protubérance
annulaire). C'est ainsi qu'il fut fait, puisque de cette façon
seulement ils pouvaient se produire convenablement ; et c'est
là qu'est établi le double point de départ des nerfs sensitifs de
la langue. En effet, ce sens était double comme les autres,
ayant une partie droite complètement identique à la partie
gauche (cf. VIII, x) . Mais comme il devait concourir à la
mastication et à la déglutition, et être un organe de la parole,
pour ce motif, ses parties se sont réunies et ont formé un tout
géminé. La nature a donc eu raison de détacher dès le principe
un nerf spécial sur chacune des moitiés de la langue.
Comme il était mieux de communiquer des mêmes régions à
toutes les parties de la bouche la faculté du goût, la nature
créant pour celles-ci les prolongements des nerfs, et les ratta-
212 De l'utilité des parties du corps humain

chant tous ensemble, a dirigé séparément ceux des parties


droites sur les parties droitës de la base, et ceux des parties
gauches séparément sur les parties gauches; elle les a prolon­
gés ainsi en les faisant accompagner par la membrane cho­
roïde capable à la fois de les nourrir et de les protéger (cf. X,
II) . Elle a percé et creusé la dure-mère pour recevoir les
prolongements ; mais elle ne l'a pas percée [directement], elle
l'a creusée comme un canal et a conduit ces prolongements
jusqu'aux os antérieurs (sphénoiâe) à travers lesquels il était
temps qu'ils s'échappassent; en cet endroit elle a percé les os
de trous ( ?) et avec les deux membranes elle a inséré les nerfs,
ceux-ci à la langue, ceux-là à la mâchoire supérieure, les autres
à la mâchoire inférieure (branches et rameaux du trifacial :
maxillaires supérieur et inférieur; lingual; buccal ?) .
Mais avant de distribuer ces nerfs dans ces parties, la nature
a, comme par surcroît, produit un autre nerf; puis l'ayant
comprimé, condensé et rendu plus dur que les nerfs qui
aboutissent à la bouche, elle l'a inséré sur le muscle temporal
(nerf temporal profond fourni par le maxill. infér.). Celui-ci, en
effet, était destiné à mouvoir; ceux-là devaient percevoir les
saveurs.
Tous les nerfs qui s'insèrent à la mâchoire inférieure et à la
langue y arrivent naturellement par des chemins en pente ;
cela résulte de la position même des parties qui les reçoivent.
Pour ceux qui se portaient à la mâchoire supérieure, la nature
leur a ouvert une autre voie convenable. Et d'abord elle les a
dirigés en avant et les a menés près des cavités des yeux, puis là
elle a employé un des trous ( ?) qu'on y rencontre, à travers
lequel elle avait déjà fait passer les nerfs qui s'insèrent sur les
muscles des yeux (cf. chap. VIII) . On ne saurait concevoir une
autre route meilleure, ni dans les orbites elles-mêmes, ni en
dehors de ces cavités. En effet, les parties qui font suite aux
petits angles des yeux étaient réservées aux muscles tempo­
raux, et de plus offraient un parcours long et peu sûr; quant
aux parties qui touchent aux grands angles, les conduits du
nez (canal lacrymal) les avaient déjà occupées. Comme, d'un
autre côté, il existe deux trous dans les orbites ( ?), qu'il doit y
en avoir un troisième (trou orbit. int.) vers le grand angle, ainsi
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 2 13

que je le montrerai dans la suite du discours (cf. chap. XVI) ; le


Créateur, en ajoutant un quatrième trou à ceux-ci, eût été
coupable de négligence envers ces os, qu'il aurait alors mal
garantis contre les lésions. En effet, plus on eût augmenté le
nombre de trous rapprochés les uns des autres, plus les parties
intermédiaires de l'os eussent été, par leur ténuité, exposées
aux lésions.
Aussi, d'après ces calculs, le Créateur s'est gardé de percer
l'os en un quatrième point ; mais se bornant à choisir entre les
trois qui existaient déjà, il a adopté le chemin où passent les
nerfs qui résistent le mieux aux lésions, et il l'a fait traverser
par ceux de la mâchoire supérieure. Les nerfs optiques, en
effet, non seulement sont beaucoup plus mous que les nerfs
moteurs, mais encore beaucoup plus importants. Aussi c'est
pour eux que tout l' œil a été fait, et toute l'essence de la vision
réside en eux ; de plus encore les trous par lesquels ils passent
ne sont pas plus grands que ces nerfs eux-mêmes. La nature a
donc avec raison renoncé à accoler les nerfs de la mâchoire
aux nerfs optiques ; attendu que ces derniers passent par des
trous (trous optiques) qui sont déjà grands [et qu'il ne fallait
pas élargir encore]. et qu'ils sont eux-mêmes beaucoup plus
importants et plus mous que les nerfs de la mâchoire; elle a
donc fait passer les nerfs dda mâchoire supérieure en compa­
gnie de nerfs à la fois plus durs, moins importants et pénétrant
par des trous plus étroits (cf. chap. vm), sachant qu'ils ne
seraient pas incommodés par le voisinage d'autres nerfs et que
la grandeur de ce trou ne dépasserait pas celle du trou des
nerfs optiques. En effet, ce trou est allongé et n'est pas
exactement rond comme l'autre. On croirait peut-être que son
périmètre est plus étendu que celui du trou des nerfs optiques,
mais en le comparant dans son ensemble avec l'ensemble de ce
dernier, on ne le trouverait guère plus grand. Ce trou devait
nécessairement être allongé et non pas arrondi comme celui
des nerfs sensitifs parce qu'il devait contenir deux nerfs dispo­
sés l'un à côté de l'autre, et non pas un seul. Chacun d'eux, il
est vrai, est multiple ; nous traiterons bientôt plus en détail de
la nature de tous ces nerfs (cf. chap. XI) .
Présentement rien n'empêche, pour éclaircir l'explication,
214 De l'utilité des parties du corps humain

de dire qu'un nerf se distribue dans les muscles des yeux,


qu'un autre allant à la mâchoire supérieure, sortant du trou
[commun] avec le premier, arrive dans l'orbite, se dirige droit
à la partie nommée la joue, les os placés sous les yeux (maxill.
supér.) étant percés à cet endroit et lui donnant passage (trou
sous-orbit.) . En effet, ils devaient passer sans toucher les
muscles, sans les gêner, ni en être gênés ; car il était mieux que
le mouvement de ces muscles fût conservé intact, et que les
nerfs cheminassent en toute sécurité, sans participer
aucunement à un mouvement étranger, et dont ils n'avaient
nul besoin. Dans cette prévision donc, le Créateur a établi
immédiatement sous les yeux un autre trou (trou sous-orbi­
taire) qui fait suite au premier trou commun aux deux nerfs,
lequel se termine vers le cerveau même. En cette région, les
nerfs et leurs conduits sont recouverts par une mince écaille
de l'os ( ?) ; mais dans la région dite malaire, comme cette
région est élevée, les nerfs sont recouverts par des os épais et
pénètrent dans la profondeur de l'os qui leur est contigu,
comme si cet os [n'] avait [pas] été créé en vue d'une autre
utilité que celle des nerfs.
La nature n'a pas négligé non plus, à l'égard de tous les
vaisseaux qui traversent ces os, de les revêtir de dures
tuniques, et de creuser dans les o� mêmes certains méats dont
les parois sont polies et poreuses, surtout quand les os percés
sont d'une substance dure. Mais cela ne s'observe pas pour
tous les nerfs, toutes les artères et toutes les veines, avec une
rigueur telle que la nature ne puisse paraître un peu en défaut
aux yeux de ceux qui écoutent avec négligence et distraction,
ou plutôt qui comprennent mal. Toutefois, pour celui qui
prête un esprit attentif à nos paroles et qui tire de la dissection
même une preuve convaincante, il suffit de lui montrer la
prévoyance et à la fois l'art admirable du Créateur.
Quand nous exposerons, dans un des livres suivants (XI, vn),
la structure des parties de la bouche et de la face, nous
expliquerons de quelle façon ces nerfs qui descendent sous les
yeux pour aller aux os malaires, comment ceux qui sont
nommés auparavant et ceux qui traversent les parties infé­
rieures forment des plexus à la langue, à la bouche, à toutes les
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 215

parties de la face. En effet, dans le discours actuel, on s'est


proposé seulement d'énoncer les utilités des prolongements
issus de l'encéphale qui se terminent à l'os dont il est revêtu
(crâne). Arrêtons-nous donc à cette limite, et comme nous
avons à suivre le nerf jusqu'au dehors du crâne, retournons à
l'encéphale pour n'omettre aucune de ses productions inté­
rieures, et n'insistons pas davantage sur la partie de ces
productions qui se trouve au dehors.

C H A PITRE I X . - Récapitulation du chapitre précédent. - Des nerfs


du palais (4e paire de Galien; partie de la se des modernes; nerfs
palatins?). - Origine et trajet crânien de ces nerfs.

Pour tenir cet engagement, après avoir ajouté aux


remarques antérieures que de ces nerfs se détache, sur les
muscles temporaux, un prolongement qui s'échappe à travers
les os des tempes (nerf auriculo-temporal et son anastomose
avec le facial ?), passons donc à un autre prolongement de
l'encéphale. Il forme la quatrième paire de nerfs d'après le
calcul des anatomistes habiles, qui ne comptent pas parmi
elles le prolongement vers les narines, parce qu'il ne donne pas
comme les autres naissance à des nerfs, et qu'il ne traverse pas
les os (cf. VIII, VI) .
On compte comme première apophyse (paire) des nerfs, les
nerfs mous des yeux (nerfs optiques) ; comme seconde, les
nerfs moteurs des muscles de l'œil (oculomoteurs communs et
externes ?) ; comme troisième, celui dont je viens de parler
(trifacial), lequel commence à l'endroit où la partie antérieure
de l' encéphale s'unit à la partie postérieure ; puis traversant la
dure-mère, il se divise [d'abord] en deux branches (maxillaires
supérieur et inférieur) et se distribue de la façon indiquée.
La quatrième paire de nerfs (nerfs palatins, partie du trifa­
cial?) est établie un peu derrière ceux-ci ; elle naît de la base
même de l'encéphale plus que les précédents, leurs origines
étant placées les unes près des autres ; puis se joignant immé­
diatement aux nerfs de la troisième paire (trifacial), elle se
prolonge ensuite très loin, puis se divise et se distribue sur
toute la tunique du palais.
2 16 De l 'utilité des parties du corps humain

Ces nerfs sont très petits et un peu plus durs que ceux de la
troisième paire, parce que la tunique qui tapisse la bouche est
plus dure, non seulement que la langue, mais encore que
presque toutes les parties de la face. Aussi ces nerfs dérivent­
ils de parties de l'encéphale un peu plus dures que celles d'où
part la troisième paire. En effet, plus nous allons en arrière,
plus dur nous trouvons l'encéphale ; les parties de la base sont
aussi plus dures que les autres. Naturellement donc la qua­
trième paire de nerfs, pour qu'elle soit moins molle que la
troisième, non seulement dérive des parties postérieures, mais
aussi de la base de l'encéphale plus encore que la troisième
paire.

CHAPITRE x . - De la 5° paire de nerfs (7° de Willis; 7° et 8° des


modernes: nerf facial et nerf auditif). - Du trou borgne.

À la suite de ces nerfs existent, sur les parties latérales de la


tête, des prolongements vers les os pétreux (rocher) ; c'est la
cinquième paire de nerfs lesquels ne sont pas encore durs.
Cette paire se divise en deux branches (portion dure et portion
molle de la 7e paire de Willis; 7e et se des modernes), pendant
qu'elles traversent les os mêmes, l'une de ces branches pénètre
dans le conduit acoustique, l'autre dans le trou appelé trou
borgne (aqueduc de Fallope).
En réalité, ce trou n'est pas borgne comme on le dit ; mais
les premiers, je pense, qui lui donnèrent ce nom, ayant insinué
un jonc ou une soie de porc, et ne pouvant le faire traverser,
s'imaginèrent que le trou se terminait en cet endroit. Si rien
n'en sort, ce n'est pas qu'il soit borgne ; l'obliquité du conduit
en est la seule cause. Si on coupe peu à peu tout l'os à l'entour
et qu'on mette à nu le nerf, les détours qu'il suit apparaîtront à
vos yeux et vous verrez le nerf sortir du côté de l'oreille (par le
trou stylo-mastoiâien). Du reste, nous avons parlé précédem­
ment de la nature des nerfs acoustiques (VIII, v1) . Nous
parlerons de ceux qui sortent du trou borgne en traitant des
parties qui n'appartiennent pas au crâne (cf. chap. XIII).

CHAPITRE X I . - De la 6° paire de nerfs (8e de Willis; 9e , 10°, 11° des


Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 217
modernes : pneumogastrique, glosso-pharyngien, spinal ). -Du degré de
dureté de ces nerfs et de la raison de ce degré de dureté. - De la nature
des nerfs qui naissent de la moelle. - Que les nerfs des viscères
devaient provenir de l'encéphale puisqu'ils sont des nerfs de sensation
et par conséquent mous. - Mode d'union des paires de nerfs et en
particulier de la sixième et de la septième paire.

Il convient maintenant d'expliquer un autre prolongement


de nerfs issus de l'encéphale. Ils forment la sixième paire de
nerfs (cf. le sommaire ci-dessus) et naissent à la suite des
précédents de la base de l'encéphale. Ils ne sont pas, eux non
plus, précisément durs, mais ils sont d'autant plus durs que
tous les nerfs précités, qu'ils se rapprochent davantage de la
moelle épinière, laquelle est en effet la source des nerfs durs,
parce qu'elle est elle-même beaucoup plus dure que l' encé­
phale. Il est très facile d'expliquer la cause de cette dureté, si
l'on se rappelle nos observations faites dans le livre précédent
(liv. VIII, chap. v1), savoir que pour la perfection de la sensa­
tion, il faut un prolongement de l'encéphale plus mou, et pour
l'énergie du mouvement un prolongement plus dur; pour cette
raison même, il est des parties de l'encéphale plus dures et
d'autres plus molles, et ce viscère, à partir de la portion
antérieure qui est molle, devient toujours de plus en plus dur,
afin qu'il puisse se rattacher à la moelle épinière. Ce point de
jonction est la plus dure de toutes ses parties, comme aussi en
cet endroit la moelle épinière est plus molle que dans toutes
ses autres parties. Peu à peu celle-ci, à mesure qu'elle descend,
devient plus dure. En effet, la moelle épinière présente à
l'animal cette utilité qu'elle est dans le corps le principe des
nerfs durs, l'encéphale n'étant pas susceptible d'une telle
dureté, pour la cause précédemment énoncée.
La nature ne montre pas moins clairement encore dans
cette sixième paire de nerfs dont notre but est de parler, qu'il
était impossible que la perfection dans les sensations dérivât
de nerfs durs, et que les nerfs durs ne peuvent provenir de
l'encéphale, ni les mous de la moelle épinière. En effet ceux
que l'encéphale fournit descendent jusqu'à l'os large, se distri­
buant presque dans tous les intestins et les viscères, bien que la
plupart de ces viscères soient placés sur l'épine dorsale, dont
218 De l 'utilité des parties d u corps humain

l'extrémité est l'os appelé sacrum par les uns, os large par les
autres. C'est là où nous avons dit que les nerfs se terminent.
Il eût été préférable, si cela eût été possible, que des nerfs
venant de la moelle épinière par un court chemin, se distri­
buassent avec toute sécurité dans les viscères qui occupent ces
régions ; mais il n'est pas possible que la moelle épinière, étant
dure d'elle-même, soit le principe des nerfs mous, ni que
l'encéphale soit le principe des nerfs des membres, nerfs qui
ont atteint le plus haut degré de dureté, tandis que lui-même
est d'une excessive mollesse. En effet, il est d'une évidence
frappante qu'il fallait des nerfs très durs aux membres qui
servent à des actions combinées, fortes et violentes ; mais il
n'est pas moins évident qu'il était bon pour les viscères d'avoir
des nerfs mous. Expliquons-en cependant la raison pour qu'il
n'y ait pas de lacune dans notre discours (cf IV, XIII, et V, x).
D'abord aucun des viscères n'est doué de mouvement volon­
taire ; ils n'ont besoin de nerfs qu'en vue de la sensation : il
était donc mieux de leur envoyer des nerfs sensitifs. Ensuite
leur substance étant d'une consistance molle, devait plus
facilement s'unir avec des nerfs mous, et les recevoir de
manière qu'ils en fussent entrelacés de tous côtés. En troi­
sième lieu il fallait que l'estomac eût une sensation très exacte
du besoin d'aliments solides et liquides. La plus grande partie
des nerfs de ce viscère nous paraît donc se distribuer surtout à
l'extrémité supérieure dite orifice, puis en continuant, dans
toutes les parties, jusqu'au fond (cf IV, VII) . Une fois les nerfs
descendus de l'encéphale en vue de l'estomac, il était préfé­
rable encore qu'ils se distribuassent dans toutes les autres
parties de cette région, lors même qu'il ne devait pas en
résulter pour elles une grande utilité. En effet l'estomac avait
absolument besoin d'une faculté appétente des aliments et des
boissons, faculté que devait nécessairement régir une certaine
puissance de sensation des besoins.
Quelques médecins veulent que les parties attenantes à
l'estomac éprouvent une sensation aussi précise, et prétendent
en conséquence que l' appétence n'est pas moindre en elles que
dans l'estomac (cf IV, VII) . Quant à moi il me semble que la
sensation est faible dans ces parties, mais puissante dans
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 2 1 9

l'estomac et à l'orifice même où paraît aboutir l a plus grande


partie des nerfs. Aussi cette partie de l'estomac est la plus
sensible, et les personnes en proie à une faim violente sentent
surtout en cet endroit des contractions et comme des tiraille­
ments et des mordications ; mais elle ne serait pas sensible à ce
point si elle ne recevait des nerfs mous. Il est donc évident
d'après ces observations que toutes les autres parties du canal
intestinal, et surtout l'estomac même ont besoin de nerfs de
l'encéphale. On peut voir par les dissections avec quel soin de
leur sûreté la nature a opéré la descente de ces nerfs, pré­
voyant qu'ils seraient exposés aux lésions attendu leur mol­
lesse et la longueur de leur trajet. Revêtant donc ces nerfs de
fortes membranes, elle les rattache aux corps voisins toutes les
fois qu'elle en rencontre sur leur chemin.
Parfois la jonction est un avantage considérable pour ces
nerfs mêmes, comme il arrive à leur sortie pour les nerfs qui
dérivent de la septième paire, (grand hypoglosse; 12e des
modernes). En effet, elle les a réunis à ceux de la sixième, et
aussitôt après leur sortie de l'os de la tête elle les a enveloppés
et les a exactement défendus de toutes parts avec de fortes
membranes, réalisant ainsi un avantage commun aux deux
nerfs. De même, en effet, que des joncs simples et minces se
cassent très facilement, tandis que si plusieurs sont unis, ils
acquièrent d'autant plus de puissance de résistance que leur
nombre est plus considérable, de même les nerfs unis dans
leur trajet, enlacés et serrés par des liens communs, sont bien
plus à l'abri des lésions que les nerfs simples. Aussi lorsque
beaucoup de nerfs doivent se porter dans plusieurs parties du
corps voisines l'une de l'autre, la nature les mène réunis
pendant tout le trajet jusqu'aux parties qui doivent les rece­
voir. Ceux qui examinent peu attentivement ne voient dans
tous ces nerfs réunis qu'un seul nerf; mais il n'y en a pas qu'un
seul, il en existe autant dès le principe qu'il y a de parties où ils
doivent s'insérer. S'il paraît n'y en avoir qu'un, c'est qu'ils sont
enlacés les uns aux autres et que tous sont serrés ensemble par
les membranes qui les enveloppent. C'est la remarque même
que tout à l'heure (chap. VIII) j'annonçais devoir faire sur la
nature des nerfs.
220 De l'u tilité des parties du corps humain

Plus tard (cf. livre XVI) nous compléterons ce qui reste à dire
de leur fonction, nous en traiterons séparément au lieu de
jeter comme maintenant une observation incidente en pas­
sant. Terminons d'abord ce qui regarde les nerfs qui vont à
l'orifice de l'estomac (pneumogastriques) et dont nous
commencions à parler. Comme il était nécessaire à l'œuvre de
la nature qu'après un court trajet fait ensemble, les nerfs de la
septième paire se séparassent pour se rendre à la langue, la
nature a fait marcher ces nerfs [dans une même gaine] avec les
artères carotides qui les avoisinent; elle leur a fait avec
celles-ci, traverser tout le cou, en les rattachant à elles par des
membranes communes ; dans le thorax, les artères étant ratta­
chées au ventricule gauche du cœur, la nature en a séparé les
nerfs et les a fixés de chaque côté de l'œsophage. Au moment
où la nature allait les diviser dans l'estomac, elle a fait passer à
gauche celui de droite, et à droite celui de gauche, pensant
qu'il fallait d'abord leur donner une direction oblique, puis les
diviser. Ils étaient de cette façon bien moins exposés aux
lésions que si la séparation eût eu lieu quand ils se dirigeaient
en ligne droite. Elle rassemble de même tous les autres nerfs
qui se séparent de ceux-ci, les rattache aux corps voisins et les
conduit de tous côtés, corrigeant et rectifiant par des secours
étrangers leur facilité à être lésés qui résulte de leur mollesse.
Mais nous avons déjà traité de leur distribution (IV, vu), et le
reste sera dit dans la suite (cf. livre XVI).

CHAPITRE XII . -De la 7e paire de nerfs oze des modernes : grand


hypoglosse). - Origine et trajet crânien.

CHAPITRE XII I . - Origine, trajet et lieu d'insertion des nerfs de la


face, et, en particulier de ceux des muscles temporaux et de la langue.
- Rameaux des se, 7e, ge et 12e paires des modernes; 3e, se et 7e de
Galien.

CHAPITRE XIV . - Digression sur ce qu'on doit entendre par nerfs


durs et par nerfs mous. - Conditions générales qui donnent aux nerfs
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 22 1

un degré plus ou moins grand de dureté et de mollesse. - Exemples


tirés des diverses paires de nerfs. - Cf. VIII, VI.

Interrompons ici un moment le fil du discours, et disons


quelques mots sur les qualifications que nous avons
employées et que nous emploierons dans la suite de l'ouvrage.
Imaginez deux nerfs, le plus dur et le plus mou de tous ceux du
corps, puis imaginez-en un troisième tenant le milieu entre
ceux-ci, à une distance exactement égale des deux extrêmes.
On peut qualifier de durs tous les nerfs situés entre le nerf du
milieu et le plus dur, et de mous tous les autres qu'on trouve
jusqu'au plus mou; on doit croire que les nerfs durs ont été
disposés comme les meilleurs pour les mouvements et les
moins propres pour les sensations ; qu'au contraire il existe
dans les nerfs mous aptitude pour la perfection de la sensation
et incapacité pour la vigueur du mouvement. Tous ceux qui
sont parfaitement mous sont absolument impropres au mou­
vement, ceux qui sont moins mous et qui déjà se rapprochent
des nerfs moyens sont aussi des nerfs moteurs, mais sont bien
inférieurs pour l'action aux nerfs durs. Sachez donc bien que
la moelle épinière est le principe de tous les nerfs durs, que son
extrémité inférieure est le principe des nerfs excessivement
durs, que l'encéphale est le principe de tous les nerfs mous,
que le centre de sa partie antérieure est assigné aux plus mous,
que l'endroit où se rattachent l'encéphale et la moelle épinière
est le principe de la substance des nerfs moyens.
Quand donc un nerf mou sort de l'encéphale, il est incapable
d'être immédiatement nerf moteur, néanmoins, en s'allon­
geant et en s'avançant, s'il devient plus sec et plus dur qu'il
n'était, il sera complètement nerf moteur. Comme, dès l'ori­
gine même, les uns sont plus mous, les autres moins mous, et
qu'en avançant les uns se dessèchent plus vite, les autres plus
lentement, il en résulte nécessairement que ceux-là deviennent
nerfs moteurs, étant peu éloignés de leur principe et ceux-ci
plus éloignés. Quelques nerfs cependant paraissent conserver
très longtemps leur nature primitive, par exemple les nerfs qui
descendent à l'estomac demeurent pendant tout le trajet à peu
près ce qu'ils sont à la naissance. Ils devaient continuer à être
toujours nerfs sensitifs.
222 De l'utilité des parties du corps humain

Parmi les nerfs de la troisième paire qui se rendent à la


bouche, ceux qui s'insèrent immédiatement sur la langue
(lingual) sont si mous qu'ils n'ont rien d'un nerf moteur. Ceux
qui vont aux os de la mâchoire inférieure (dentaire fourni par le
nerf maxill. infér.), dépassent les grosses dents, se sont dessé­
chés dans le trajet même [du canal dentaire] et sont devenus
plus durs ; ils aboutissent en dehors [par le trou mentonnier],
au niveau des dents dites canines et se distribuent sur les
muscles des lèvres. De même ceux qui, par les régions des
yeux, arrivent aux os malaires (rameaux sous-orbitaires du
maxill. supér.) sont devenus si durs dans ce trajet que, bien que
petits, ils sont capables de mouvoir [certains] muscles de la
mâchoire supérieure et les ailes du nez.
Toutes ces observations s'accordent avec ce que nous avons
dit précédemment et entre elles. Elles prouvent la force des
nerfs durs et la faiblesse des nerfs mous, elles montrent que les
uns sont utiles pour agir, les autres pour sentir, et que chacun
dérive avec raison des parties énoncées de l' encéphale, que nul
d'entre eux, en aucune région, n'a été créé inutilement, que
chacun existe en vue d'un organe et qu'il est d'une grandeur et
d'une substance telle qu'il convient à la nature de la partie
destinée à le recevoir. Ainsi j'ai déjà presque démontré
qu'aucune des parties de la tête et du visage n'est dépourvue de
nerfs. En effet, nous avons parlé des yeux, des oreilles, de la
langue, de la membrane qui tapisse toute la bouche et toutes
les parties des lèvres et de la mâchoire supérieure. S'il a été
omis quelque point qui exige un éclaircissement, on le trou­
vera dans ce livre.

CHAPITRE xv. - Des nerfs fournis aux diverses parties de la face par
la 3e paire (trifacial, se des modernes). - Intrication de la peau et des
muscles aux lèvres (cf. XI, vn). Conséquences qui en résultent par
l'insertion des deux espèces de nerfs mous et durs. -Cf. aussi VIII, v et VI.

CHAPITRE xv1 . - Des nerfs (branches de la troisième paire) de la


tunique qui tapisse les narines. - Du mode d'union de la dure-mère
avec les os du crâne; des différents replis de cette membrane.
Livre IX - Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 223

CHAPITRE XVI I . - De la direction des sutures et des diverses figures


qu'elles constituent suivant la forme de la tête. - Galien déclare
impossible la forme qui consisterait en ce que la tête serait plus large
(d'une oreille à l'autre) que longue (du front à l'occiput). - Il approuve
la description qu'Hippocrate a donnée des sutures.

CHAPITRE XVIII . - Des sutures que ni Hippocrate, ni les autres


anatomistes n'ont connues, et en particulier des sutures écailleuses
des os temporaux.
LIVRE DIXIÈ M E

D E S YEUX E T D E L E U R S
A N NEXE S

CHAPITRE 1 er. - Que les yeux ne peuvent pas être mieux placés qu'ils
ne le sont. - Impossible d'avoir des yeux par-derrière. - Que le
cristallin est le principal organe de la vision. - Substances du cristal­
lin, ses rapports avec l'humeur vitrée; il ne reçoit aucun nerf, et il est
nourri par cette humeur.

CHAPITRE 11. - Du nom et de la substance de la rétine; ce n'est pas


une tunique, mais une portion épanouie du cerveau (cf. VIII, VI et
Dogmes d'Hippocrate et de Platon, VII, IV). - La choroïde est bien une
tunique; sa structure et son origine. - La rétine a un double usage :
transmettre au cerveau les impressions reçues par le cristallin; nour­
rir l'humeur vitrée qui, à son tour, nourrit le cristallin. - Différences et
ressemblances entre la rétine et l'encéphale. - Énumération des autres
tuniques de l'œil. Galien en compte sept.

CHAPITRE 111. - Des moyens que la nature a imaginés pour protéger


le cristallin. - Origine et structure de la cornée transparente. - Com­
ment le Créateur a pourvu aux inconvénients qui peuvent résulter de
l'interposition de la cornée entre le cristallin et la lumière. - Que la
cornée a surtout pour but de prévenir une impression trop vive de la
lumière sur les yeux.

CHAPITRE 1v . - De la pupille; de ses rapports avec le cristallin; de


son utilité. - De l'humeur aqueuse. - Galien ne semble pas s'être rendu
un compte exact des chambres antérieure et postérieure.

CHAPITRE v. - Utilité de l'humeur aqueuse placée entre le cristallin


Livre X - Des yeux et de leurs annexes 225
et la tunique uvée. - De l'existence d'un fluide aérien dans l'ouverture
de la pupille. - Faits et raisonnements qui prouvent leur existence.

CHAPITRE vr . - Suite du même sujet : l'utilité de l'humeur aqueuse


et du pneuma subtil. - De la disposition de la tunique propre (capsule)
du cristallin. - Récapitulation des diverses parties de l'œil. - Nouveaux
motifs d'admirer la nature, quand on se représente l'ensemble de cet
organe, où rien n'a été fait sans motifs, ni d'une forme imparfaite. -
Du mode de protection de l'œil lui-même par les paupières, les cils,
l'arc sourcilier, et la saillie de l'os zygomatique.

CHAPITRE VII . - Du mode de formation des paupières et de leur


commissure. - Disposition de la conjonctive. - N'y aurait-il pas dans
ce chapitre quelque trace de la 3e paupière des mammifères? - De
l'heureuse direction des cils.

CHAPITRE VIII . - Le mouvement est la première condition de l'éten­


due de la vision. - Moyens que la nature a employés pour procurer ce
mouvement à l'animal d'abord en créant le cou, en second lieu, en
donnant des muscles nombreux à l'œil. - Énumération, origine,
structure et utilité des muscles des yeux et en particulier du muscle
choanoiâe ou suspenseur.

CHAPITRE I X . - De l'artifice employé par la nature pour opérer le


mouvement de la paupière supérieure. - Sortie contre les sophistes
qui, niant les phénomènes les plus manifestes, osent soutenir que le
mouvement de la paupière supérieure est involontaire. - Des deux
muscles (moitiés droite et gauche du segment supérieur de l'orbiculaire
des paupières ?) chargés de relever et d'abaisser cette paupière. -
Galien n'a pas reconnu l'élévateur propre dont le ventre charnu est très
mince et dont la terminaison aponévrotique se confond facilement
avec les diverses membranes qui constituent ou doublent la paupière;
il soutient même qu'une telle disposition ne saurait avoir lieu.

CHAPITRE x . - Que la paupière inférieure est dépourvue de muscle


propre et par conséquent de mouvement d'élévation et d'abaissement,
raison de cette particularité. - Pourquoi la paupière inférieure est plus
petite que la supérieure.
226 De l'utilité des parties du corps humain

CHAPITRE XI . - De l'utilité de la caroncule lacrymale, des points


lacrymaux, des glandules, de la graisse, et du canal lacrymal.

CHAPITRE XII . - Théorie de la vision. - Que cette théorie exige pour


être comprise l'intervention de la géométrie.

CHAPITRE XII I . -Suite de la théorie de la vision. - Des axes visuels


et de leurs positions. - Rapports géométriques des deux nerfs
optiques.

CHAPITRE x r v . - Raisons pour lesquelles la nature a fait partir les


nerfs optiques de deux points du cerveau, pourquoi les a-t-elle ensuite
réunis pour les séparer de nouveau ? - Opinions diverses sur la
jonction (chiasma ou commissure) des nerfs optiques; fausseté ou
insuffisance de ces opinions. - La vraie raison révélée à Galien par un
Dieu, c'est que les objets auraient été vus doubles si le chiasma des
nerfs optiques n'eût pas existé.

CHAPITRE x v . - Galien donne, à propos du cristallin, la démonstra­


tion géométrique de cette proposition : qu'un corps exactement sphé­
rique communique avec l'objet perçu par moins de ses points qu'un
corps plan.
LIVRE ONZIÈME

D E S DIVERSES PARTI E S
D E L A F A C E E T E N PART I C U L I E R
D E S MÂCH OIRE S

CHAPITRE 1 er. - Galien se propose d'achever les parties de la face


dont il n'a pas encore parlé, ou qu'il n'a fait qu'indiquer; il rappelle ce
qu'il a dit des oreilles et des muscles temporaux.

CHAPITRE II. - Pourquoi les muscles temporaux sont-ils profondé­


ment situés tandis que les autres muscles sont ordinairement super­
ficiels. - Galien répondant d'abord à la première question établit que
le volume de ces muscles est en rapport, non avec la masse totale du
corps, mais avec le volume de la mâchoire et avec les instincts plus ou
moins carnassiers des animaux; exemples à l'appui de ces assertions.
- Comparaison sous ce rapport de l'homme avec le singe et les autres
animaux.

CHAPITRE 1 1 1 . - La nature a caché profondément les muscles tempo­


raux, parce qu'elle a prévu les dangers qui résulteraient pour le
cerveau de leur lésion. - Comparaison de ces muscles avec ceux des
yeux. -De quels moyens la nature s'est servi pour protéger les muscles
temporaux. - De l'arcade zygomatique.

CHAPITRE IV. - De la disposition des muscles digastriques chargés


d'abaisser la mâchoire inférieure. -Du mode d'insertion et de l'action
des masséters. - Dissentiment des anatomistes relativement à ces
muscles. Des mouvements particuliers qu'ils impriment à la mâchoire
inférieure. - La langue et les masséters se prêtent un mutuel secours
pour déplacer les aliments dans la bouche.

CHAPITRE v. - Disposition particulière des temporaux et de leurs


228 De l'utilité des parties du corps humain

antagonistes, les digastriques, surtout eu égard à leurs tendons. -


Raison de cette disposition pour les deux genres de muscles. - Ces
muscles ne pourraient occuper une autre place que celle qu'ils ont
actuellement.

CHAPITRE VI. - Grandeur comparative des muscles temporaux,


digastriques et masséters. - Indication des ptérygoïdiens interne et
externe que Galien considère comme un seul muscle.

CHAPITRE VII. - Moyens admirables employés par la nature pour la


distribution de la 3e paire de nerfs (Se des modernes) à la face, et aux
parties qu'elle contient. - Différence entre les œuvres de l'art et celles
de la nature. - Attaque indirecte, mais très vive, contre les sectateurs
d'Épicure et d'Asclépiade.

CHAPITRE VIII . - Du nombre et de la division des dents. - Que leurs


conditions de structure et d'implantation, leurs mutuelles correspon­
dances dans les deux mâchoires sont les meilleures dispositions qu'on
puisse imaginer eu égard aux usages auxquels elles sont destinées. -
Continuation de l'attaque contre Épicure et Asclépiade. - Tant d'heu­
reuses dispositions qui se trouvent chez tous les animaux et qui, du
reste, sont en harmonie avec celles d'autres parties ne sauraient être
l'œuvre du hasard, mais d'un art consommé.

Voulez-vous aussi attribuer aux atomes ces heureux résul­


tats ?
Pourquoi avons-nous précisément trente-deux dents, fixées
seize sur un rang à chaque mâchoire, celles de devant (au
nombre de huit) nommées incisives, tranchantes et larges,
capables de couper en mordant ; à leur suite les [quatre]
canines, larges à la base, acérées au sommet, capables de
briser les corps trop durs que n'auraient pu couper les inci­
sives, puis les [vingt] mâchelières qu'on nomme aussi
molaires, raboteuses et larges, dures et longues, faites pour
triturer exactement les aliments coupés par les incisives ou
brisés par les canines ?
Supposez une seule modification dans les dents, vous verrez
aussitôt leur utilité anéantie. Si [les molaires] eussent été
Livre XI - De la face et en particulier des mâchoires 229

entièrement polies, elles n'auraient pas été propres à leurs


fonctions. En effet, toute espèce de corps sera mieux broyée
par des dents inégales et raboteuses. C'est pour cette raison
même que les meules avec lesquelles on moud le blé, venant
avec le temps à s'émousser et à se polir, on les taille et on les
repique de nouveau.
Supposez-les raboteuses, si elles n'étaient pas dures aussi,
quel avantage en résulterait-il ? car elles seraient brisées avant
d'avoir broyé les aliments. Fussent-elles raboteuses et dures, si
elles n'étaient larges, il n'y aurait pas plus de profit, car les
instruments de trituration ont besoin d'être affermis par une
large base. C'est pourquoi les incisives ne sauraient broyer
parce qu'elles sont étroites. Avec toutes ces qualités, si elles
étaient petites, ce défaut seul ne détruirait-il pas l'utilité même
des autres qualités, puisqu'il nous faudrait un temps très
considérable pour broyer les aliments ? Il en est de même des
dents incisives et des suivantes (canines) qui sont acérées.
Vous trouverez que leur utilité est abolie, si une de leurs
qualités, n'importe laquelle, est modifiée.
Mais admettons que toutes ces combinaisons si sages soient
le fruit d'un hasard heureux; changez la disposition seule des
dents, et voyez ce qui en résultera. Supposez que les molaires
soient situées en avant, les incisives et les canines en arrière, et
examinez quelle serait encore l'utilité de ces dents, quelle
serait celle des dents larges. Toutes les autres qualités si
habilement combinées par la prévoyance des atomes ne
seraient-elles pas anéanties par cette seule erreur dans la
disposition des dents ? Si quelqu'un réglait selon la mesure un
chœur de trente-deux danseurs, on le louerait comme un
homme habile. Et la nature qui a disposé avec tant d'harmonie
cet ensemble de dents n' obtiendra-t-elle pas nos éloges ?
Si vous voulez, ne nous contentons pas d'attribuer au bonheur
des atomes la création de dents, les unes aiguës, les autres
émoussées, celles-ci polies, celles-là raboteuses, d'autres
grandes ; admettons en outre que leur disposition si heureuse se
soit effectuée sans art, c'est encore une concession que nous
faisons ; mais que dirons-nous des racines ; n'en voit-on pas une
seule aux petites dents, deux aux dents plus fortes, et trois ou
230 De l 'utilité des parties du corps humain

quatre aux plus grandes? Car ici encore par un hasard merveil­
leux le concours des atomes a produit une œuvre d'art, comme si
le Créateur le plus équitable les eût dirigés.
Si, parmi les molaires, celles du milieu sont les plus grandes, et
celles de chaque côté d'une dimension moindre, n'est-ce pas
encore une disposition admirable des atomes ? Car il ne fallait
pas, je pense, que la partie interne (profonde?) de la cavité
buccale, qui, ainsi que la partie antérieure, est plus étroite, eût
des dents aussi larges que la partie moyenne, laquelle est la plus
large eu égard aux joues. En effet, il eût été injuste de fixer aux
parties étroites de la bouche les grandes dents, et aux parties
larges les petites. En outre, la langue, ayant besoin d'être plus
large à sa racine, comme je l'ai démontré (cf. chap. x), il était
préférable que les grandes dents ne fussent pas situées à cet
endroit.
Et ces minces prolongements des os de chaque mâchoire
que l'on nomme râteliers (<pmv(a - alvéoles des modernes), par
analogie avec les râteliers qui servent aux troupeaux, n'est-ce
pas encore là une œuvre admirable du hasard? Elles enve­
loppent chacune des dents, les pressent, les maintiennent
fortement pour qu'elles ne soient pas facilement ébranlées.
Avoir créé des cavités appropriées aux racines des dents,
grandes pour les grandes, petites pour les petites, cela me
paraît aussi l'œuvre d'une admirable équité. Il n'y a pas un
artisan, ni parmi ceux qui avec des chevilles attachent des
poutres les unes aux autres, ni parmi ceux qui travaillent la
pierre, qui ait jamais adapté les cavités aux saillies qu'elles
reçoivent avec autant de justesse que l'heureux tourbillon des
atomes l'a fait pour les racines des dents. Car, quoique privé de
raison, il savait, je pense, que des cavités trop larges ren­
draient lâche l'emboîtement des os; que, trop étroites, elles ne
laisseraient pas pénétrer jusqu'au fond les racines des dents.
Et ces ligaments solides (périoste ?) qui attachent les dents aux
alvéoles, principalement à la racine où viennent s'insérer les
nerfs, n'est-ce pas aussi une chose admirable ? Bien plus
admirable encore si c'est l'œuvre du hasard, et non celle de
l'art !
Mais voici un phénomène beaucoup plus merveilleux; lors
Livre XI - De la face et en particulier des mâchoires 231

même qu'on aurait attribué aux atomes d'Épicure et aux


molécules d'Asclépiade le bonheur dont nous parlions plus
haut, on se refuserait encore à l'admettre, et l'on soutiendrait
que la régularité des dents est l'œuvre d'un maître équitable
plutôt que celle d'un tourbillon heureux : ce phénomène que
les dents inférieures correspondent exactement aux dents
supérieures, bien que les mâchoires ne soient pas semblables,
c'est la marque d'une suprême équité. Et s'il y a parité entre
les dents de droite et les dents de gauche, alvéoles d'un côté et
alvéoles de l'autre, racines et racines, nerfs et nerfs, ligaments
et ligaments, artères et artères, veines et veines, comment me
persuader encore que c'est l'œuvre du hasard et non pas de
l'art ? Que le nombre des unes et des autres soit le même aux
côtés droits et gauches de chacune des mâchoires, n'est-ce pas
là aussi la marque d'une certaine équité ? Accordons encore
cela néanmoins à ces heureux atomes qui se meuvent au
hasard, au dire de ces philosophes, et qui ont tout l'air
pourtant d'achever toutes choses avec plus de réflexion
qu'Épicure et Asclépiade. Car il faut admirer et les autres
dispositions prises par les atomes, et celle-ci, que ce n'est pas
chez les hommes seulement, mais chez les animaux, qu'ils ont
placé en arrière les molaires, et les incisives en avant. Que
pour une espèce d'animaux leur tourbillon eût été aussi heu­
reux, cela était admissible ; mais qu'il l'ait été pour toutes les
espèces également, cela marque déjà bien du sens et de la
réflexion. Si vous ajoutez qu'aux animaux carnassiers ils ont
donné de nombreuses dents à la fois acérées et fortes, pour
moi je ne puis m'imaginer comment c'est l'œuvre d'un tourbil­
lon aveugle. Si donc vous avez vu des dents de lion et de brebis,
vous en connaissez la différence; mais que les dents des
chèvres soient semblables à celles des brebis et les dents des
panthères et des chiens à celles des lions, n'est-ce pas éton­
nant ? Quand on voit les griffes semblables, aiguës et fortes
chez les carnassiers, comme des épées données par la nature,
tandis qu'il n'en existe de pareilles chez aucun des animaux
inoffensifs, la chose paraît plus surprenante encore.
On attribuerait peut-être à un singulier bonheur des atomes
la juste conformation des parties adjacentes et voisines ; mais
232 De l'utilité des parties du corps humain

qu'aucun animal n'ait à la fois des griffes fortes et des dents


faibles, c'est le fait du Créateur qui a une intelligence précise
de l'utilité de chacune des parties. Avoir donné un col plus
court aux animaux doués de membres divisés en doigts, et
pouvant au moyen de ceux-ci porter les aliments à leur bouche
(cf. I, vm), et, au contraire, aux animaux pourvus de cornes ou
de sabots, un col plus long qui leur permet de paître en se
baissant (cf. VIII, I et XVI, VI), n'est-ce pas aussi le fait d'un
Créateur qui a l'intelligence de l'utilité des parties ? Comment
ne pas s'étonner encore en voyant que les grues et les cigognes,
pourvues de membres très longs, sont, par cette raison même,
munies d'un grand bec et d'un plus long col, tandis que les
poissons n'ont ni col ni membres ? En effet, quel besoin les
poissons avaient-ils de col et de pieds, s'ils ne doivent ni
émettre de sons, ni marcher ? Que, dans la race si nombreuse
des poissons, les atomes n'aient pas, par oubli, attribué des
pieds à un seul d'entre eux, c'est le fait d'une mémoire bien
fidèle. Peut-être s'il s'agissait de l'homme seul ou de quelque
espèce d'animaux croirait-on à ce concours heureux des
atomes ; mais croire qu'il a réussi également pour toutes les
espèces est impossible, à moins de leur supposer l'intelligence.

Variation du nombre des dents des divers genres


C H A PITRE I X . -
suivant la nature des animaux. - Variété de grandeur de la bouche
chez les divers animaux. - Galien continue à tourner en ridicule les
partisans d'Épicure et d'Asclépiade.

C HAPITRE x . - Que le volume et la forme de la langue sont parfaite­


ment en rapport avec la capacité et la figure de la bouche. - Les
mouvements que les muscles impriment à la langue sont volontaires ;
quels sont ces muscles. - La langue est double et symétrique comme
tous les organes des sens (cf. IX, vm). - Des glandes qui servent à
humecter la langue et la bouche tout entière. -De l'utilité du frein de
la langue - Combien la nature est admirable quand elle empêche par
sa sagesse tous les dommages qui devraient résulter des écarts qu'on
commet dans l'acte de la génération et pendant la gestation. Combien
les laboureurs sont plus raisonnables que les hommes quand ils
sèment ou plantent.
Livre XI - De la face et en particulier des mâchoires 233

CHAPITRE XI . - Galien récapitule l'utilité des parties accessoires de


la bouche (membrane muqueuse, luette, ouvertures et cavité des
fosses nasales, épiglotte, dents, etc.) eu égard à la déglutition, à
l'émission de la voix et à la respiration.

CHAPITRE XII . - Les oreilles et les ailes du nez ont été créées
cartilagineuses pour résister plus facilement aux chocs extérieurs. -
Les oreilles ont été faites proéminentes pour renforcer le son; elles ont
une figure variée pour leur sûreté et pour celle du conduit auditif.

CHAPITRE XIII. - Du soin que la nature prend pour l'embellissement


des parties.

CHAPITRE XIV. - De la double utilité des poils : par exemple, la barbe


sert à protéger les mâchoires et les joues, et en même temps à orner le
visage. - Pourquoi la femme en est dépourvue. -Des cheveux dans les
deux sexes. - Pourquoi le front n'est-il pas couvert de poils comme le
reste de la tête. - Causes de la mobilité de la peau du front. - Des
sourcils et des cils. - À ce propos discussion contre Moïse qui dans la
Genèse accorde à Dieu le pouvoir de faire ce qu'il lui plaît. - Galien
sans bien comprendre Moïse met des bornes à cette omnipotence. -
Comparaison de la production des sourcils et des cils à celle des
plantes.

Quant à cette nécessité de viser par surcroît à la beauté de la


forme, nécessité reconnue de ceux qui étudient les œuvres de
la nature, comme je n'en ai parlé en aucun endroit des livres
précédents, j'ai pensé que, maintenant surtout, il était conve­
nable d'en dire un mot : Par exemple, les poils des joues, non
seulement protègent ces parties, mais encore contribuent à les
orner ; car l'homme paraît plus respectable, surtout avec le
progrès de l'âge, si une belle barbe vient à entourer tout son
visage. C'est pour cette raison que la nature a laissé nues et
glabres les parties appelées pommettes et le nez ; car tout le
visage aurait pris un caractère farouche et sauvage, qui ne
convient nullement à un être doux et sociable. Mais l'épaisseur
même des os contribue à protéger la pommette ; la chaleur de
234 De l'utilité des parties du corps humain

l'air expiré est favorable au nez, en sorte que ces parties non
plus ne sont pas absolument délaissées. Vous pouvez aussi
toucher les yeux, surtout quand il fait froid, alors vous sentirez
très nettement qu'ils sont chauds. Les yeux donc non plus ne
sont pas complètement négligés ni dénués de protection
contre le froid, puisqu'ils ont pour défense propre leur chaleur
naturelle, qui n'a aucun besoin des téguments extérieurs.
Pour la femme, dont le corps est délicat, toujours semblable
à celui d'un enfant et glabre, cette absence de poils au visage
ne devait pas manquer de grâce ; d'ailleurs, comme ce sexe n'a
pas des mœurs aussi graves que le sexe mâle, il n'a pas non
plus besoin d'un extérieur grave (cf XN, VI) ; car nous avons
démontré souvent déjà (cf. I, II, III, IV, XXII et III, XVI) , sinon
dans tout l'ouvrage, que la nature a créé la figure du corps en
rapport avec les habitudes de l'esprit. Mais si les femmes étant
la plupart du temps renfermées dans leurs habitations,
n'avaient pas besoin d'un tégument spécial et protecteur
contre le froid, leur tête du moins réclamait une chevelure, à la
fois comme tégument et comme parure, et il leur en a été
donné une ainsi qu'aux hommes.
De plus, c'est en vue d'une autre utilité indispensable que
nous avons des poils aux joues et sur la tête. En effet, comme
l'exhalaison des humeurs se fait vers la tête, la nature en
emploie surtout les superfluités les plus grossières à la nutri­
tion des poils. Si donc les hommes, à proportion qu'ils ont plus
de chaleur naturelle que les femmes, ont une plus grande
abondance de ces superfluités, la nature a pour celles-ci
imaginé une double évacuation, celle des poils de la tête et
celle des poils des joues. Il suffit de ces détails sur cette
matière.
Mais pourquoi le front n'a-t-il pas de poils comme la tête
tout entière, et pourquoi la peau à cet endroit se meut-elle
seulement par la volonté de l'animal ? C'est ce que nous allons
expliquer : Le front s' ombrage aussi des poils de la tête, autant
que nous voulons, il n'a donc nul besoin d'avoir lui-même des
poils, et s'il en produisait nous serions, je pense, obligés de les
raser constamment, attendu que le front domine les yeux. Or,
nous avons démontré ailleurs et spécialement à l'égard des
Livre XI - De la face et en particulier des mâchoires 235

organes de la nutrition (N, XVII et xvm) que la nature a pourvu


soigneusement à ce que l'homme ne dût pas s'occuper perpé­
tuellement de son corps, ni être l'esclave éternel de ses besoins
impérieux; car il était convenable, je pense, qu'un être doué de
raison et sociable s'inquiétât médiocrement de son corps,
n'imitant pas ces gens qui, si quelque ami vient réclamer leur
aide, prétextent d'affaires, courent se renfermer chez eux, et
là, loin des regards, s'épilent, se peignent à loisir et consument
toute leur vie à soigner leur corps sans nécessité, ne sachant
même pas s'ils ont quelque chose de supérieur au corps. Il
convient donc d'avoir pitié de ces gens, et cherchant à
résoudre les questions proposées de montrer que la peau du
front non seulement est dépourvue de poils à cause des yeux,
mais aussi que, si elle se meut volontairement, c'est encore
dans l'intérêt des yeux.
Il leur était nécessaire, en effet, de s'ouvrir considérable­
ment quand ils cherchent à voir en une seule fois un grand
nombre des objets extérieurs, puis d'être ramenés et pressés
en se cachant sous tous les corps qui les enveloppent exacte­
ment s'ils viennent à craindre le choc de quelque corps. En vue
donc de ces deux utilités, toute la peau qui entoure les yeux,
celle du front et aussi celle des joues, a été créée par la nature,
mobile à volonté, afin que tour à tour tendue ou repliée sur
elle-même elle suffise à ouvrir ou à refermer les yeux.
La nature n'a pas négligé non plus les poils des sourcils ; ce
sont parmi ceux qu'elle a créés, les seuls poils, avec ceux des
paupières qui conservent toujours la même longueur, tandis
que ceux de la tête et des joues peuvent s'accroître considé­
rablement. Ces derniers, en effet, présentaient à la fois une
utilité double, l'une relative à la défense des parties, l'autre à la
consommation des superfluités grossières ; la première, pré­
sentant des variétés assez nombreuses, puisque nous n'avons
pas également besoin de protection selon les âges de la vie, les
saisons de l'année, les différents pays ou les prédispositions du
corps ; car la même chevelure ne convient pas à l'homme et à
l'enfant, au vieillard et à la femme, en été et en hiver, dans un
climat chaud et dans un climat froid, à celui qui souffre des
yeux et de la tête, et à celui qui est en bonne santé. Mieux
236 De l 'utilité des parties du corps humain

valait donc, obéissant à la diversité des circonstances, laisser


les cheveux tantôt plus longs, tantôt moins longs. Quant aux
poils des yeux et des sourcils, soit que vous y ajoutiez, soit que
vous en retranchiez, vous détruisez leur utilité. En effet, les
premiers ont été disposés comme un retranchement avancé,
pour prévenir la chute de quelque corpuscule dans les yeux
ouverts ; les seconds devaient les abriter en arrêtant d'abord,
au passage, toutes les matières qui découlent de la tête. Si donc
vous les faites plus petits ou plus rares qu'il ne convient, vous
détruisez d'autant leur utilité. Ces matières, que naguère ils
écartaient, ils les laisseront, les unes pénétrer, et les autres
couler dans les yeux. D'autre part, si vous les faites plus grands
ou plus épais, ils ne seront plus pour les yeux un retranche­
ment ou un mur protecteur, mais un tégument semblable à
une enceinte fermée ; ils voileront et offusqueront les pupilles,
ceux de tous les organes qui ont le moins besoin d'être
offusqués. Est-ce donc que notre Créateur a enjoint à ces poils
seuls de conserver toujours leur longueur égale, et que ceux-ci,
respectant l'injonction ou redoutant le Dieu qui avait
commandé, ou convaincus eux-mêmes qu'il valait mieux agir
ainsi, conservent leur dimension comme ils en ont reçu
l'ordre ?
Est-ce que cette façon dont Moïse résolvait les questions
naturelles est meilleure que celle dont se sert Épicure ? A mon
avis, il est préférable de ne prendre ni l'une ni l'autre explica­
tion ; et tout en conservant, comme Moïse, le principe de la
génération par un Créateur dans toutes les choses engendrées,
il faut ajouter à ce principe celui qui dérive de la matière
(cf. XV, 1) . Si donc notre Créateur a fait des poils qui étaient
dans la nécessité de conserver toujours la même longueur,
c'est que cela était préférable. Quand il eut décidé qu'il fallait
créer des poils de cette sorte, il étendit en conséquence sous les
uns un corps dur comme un cartilage ; sous les autres une
peau épaisse, unie au cartilage par les sourcils. En effet, il ne
suffisait pas seulement de vouloir que les poils eussent cette
propriété, car lorsqu'il voudrait d'une pierre faire à l'instant
un homme, cela ne lui serait pas possible 1 • Et c'est en cela que
1. Dans la Genèse, Dieu crée l'homme avec de l'argile (Galien l'entend
comme une pierre). Pour Galien, le créateur (la nature, la providence) ne peut
Livre XI - De la face et en particulier des mâchoires 237

diffèrent de l'opinion de Moïse notre opinion et celle de Platon


et des autres philosophes grecs qui ont traité convenablement
des questions naturelles. Pour Moïse, il suffit que Dieu ait
voulu orner la matière et soudain la matière est ornée; car il
pense que tout est possible à Dieu, voulût-il même, avec de la
cendre, faire un cheval ou un bœuf. Pour nous, nous ne
jugeons pas ainsi, mais nous prétendons que certaines choses
sont impossibles à la nature; que Dieu, loin d'en faire
l'épreuve, se contente parmi les choses possibles, de choisir la
meilleure 1 •
Si donc pour les poils des paupières il était mieux qu'ils
fussent de grandeur et de nombre invariables, nous ne disons
pas que Dieu l'a voulu ainsi, et qu'à l'instant les poils ont été
créés avec cette propriété. Non, car le voulût-il mille fois,
jamais ils ne naîtraient tels qu'ils sont, s'ils sortaient d'un
derme mou. En effet, sans parler du reste, il leur serait
absolument impossible de se maintenir droits, s'ils n'étaient
implantés dans une substance dure. Nous disons donc que
Dieu est le principe des deux choses : et du meilleur choix dans
les œuvres mêmes à exécuter, et du choix relatif à la matière.
En effet, comme les poils des paupières devaient à la fois se
maintenir droits, et demeurer toujours égaux en grandeur et
en nombre, il les a fixés sur un corps cartilagineux. Mais s'il les

procéder ainsi, il doit suivre les lois de la matière. Aristote, bien que sa matière
première fût indéterminée, le supposait implicitement en lui donnant une
certaine résistance à la forme et, explicitement, par des affirmations de ce genre
(Métaphysique, H, 4, 1 044a) : « Il est possible que d'une seule matière donnée,
naissent des êtres différents, en raison d'une différence de cause motrice : par
exemple, du bois peut procéder un coffret ou un lit [selon l'ouvrier, cause
motrice, sera fabriqué un coffret ou un lit en bois]. Cependant il y a des cas où la
matière est nécessairement autre pour des choses autres : une scie, par exemple,
ne saurait provenir du bois, cela n'est pas au pouvoir de la cause motrice
[l'ouvrier qui la fabrique]; elle ne fera jamais une scie à partir de la laine ou du
bois [l'ouvrier, cause motrice, ne peut fabriquer une scie en bois ni en laine]. Si
donc il est, en fait, possible de produire la même chose avec des matières
différentes, il faut évidemment que l'art, c'est-à-dire le principe pris comme
moteur, soit le même ; car si la matière et le moteur diffèrent, le produit sera
aussi différent. »
1. On pense à Leibniz, et à son meilleur des mondes possibles (d'autant plus
que Galien aura, lui aussi, recours à une sorte d'harmonie préétablie; voir
note 2, p. 263).
238 De l'utilité des parties du corps humain

eût fixés sur une substance molle et charnue, il eût été plus
inconséquent, non seulement que Moïse, mais qu'un mauvais
général qui dresserait un mur ou un retranchement sur un
terrain marécageux. Si les poils des sourcils se maintiennent
toujours dans le même état, cela résulte du choix même de la
matière. De même, en effet, que, parmi les herbes et les
plantes, les unes, sortant d'une terre humide et grasse, par­
viennent à une hauteur considérable, tandis que les autres
naissant d'un terrain pierreux et aride, restent petites, dures et
privées d'accroissement ; de la même façon aussi, je pense, les
poils qui naissent des parties humides et molles prennent un
grand accroissement, comme sur la tête, aux aisselles et aux
parties génitales ; tandis que ceux qui sortent des parties dures
et sèches restent grêles et petits. C'est pourquoi la production
des poils, comme celle des herbes et des plantes, a une double
cause : l'une est la prévoyance du Créateur, l'autre la nature
du lieu où ils naissent.
On a souvent occasion de voir un champ à l'époque où le blé et
l'orge poussent encore comme une herbe simple et frêle, et
quelque autre terrain aussi bien fourni que le champ, mais
rempli de mauvaise herbe. Dans ce dernier terrain, c'est l'humi­
dité nourricière qui a épaissi l'herbe ; dans le champ, c'est la
prévoyance du cultivateur. Pour ceux qui ne peuvent distinguer
de l'autre herbe les tiges des semences récemment sorties de
terre, l'alignement seul de la plantation suffit pour les
reconnaître. En effet, la hauteur égale des tiges et l'enceinte
extérieure tracée au cordeau indiquent de reste que c'est grâce à
l'art et à la prévoyance du cultivateur que le terrain s'est couvert
d'herbe. Pour celle qui croît spontanément, tout le contraire a
lieu. En effet, les tiges sont inégales de hauteur, et il n'existe pas
de bornes qui marquent les limites. Telle est la nature des poils
qui naissent aux aisselles et sur les autres membres, des lignes
précises ne les bornent pas comme ceux des sourcils, des
paupières et de la tête, mais ils ont des limites inégales, étant
disséminés au hasard. En effet, c'est l'humidité des parties qui
les engendre; ils ne sont pas l'œuvre de la prévoyance du
Créateur. Aussi naissent-ils abondants chez les tempéraments
chauds, tandis que chez les tempéraments froids ils manquent
Livre XI - De la face et en particulier des mâchoires 239

absolument ou sont excessivement rares. Ceux, au contraire,


dont s'est préoccupé le Créateur même, comme le cultivateur
d'un champ, naissent avec tous les tempéraments, chauds,
froids, humides et secs, à moins qu'ils ne soient implantés chez
un individu affecté d'une dyscrasie excessive et complète,
comme est une terre pierreuse et sablonneuse.
De même donc que tout terrain, à l'exception d'un terrain
aussi mauvais, comporte l'art du cultivateur, de même aussi, je
pense, toute saine constitution du corps admet l'art du Créateur
des animaux; et il faut une affection sérieuse de la partie pour
faire tomber les poils des paupières ou des sourcils; comme
aussi il faut une affection, mais moins grave, je pense, pour
enlever les cheveux de la tête. En effet, les plantes sorties d'un
terrain dur et desséché, si elles ont plus de difficultés à naître et
exigent beaucoup de soins, résistent mieux à la destruction; car
elles sont solidement enracinées, maintenues et pressées de
toutes parts. C'est ainsi que la tête des Éthiopiens qui
n'engendre, vu la sécheresse de la peau, que des cheveux grêles et
privés de croissance, se dégarnit malaisément.
Le Créateur, instruit par avance de tous ces faits, sachant qu'il
valait mieux donner aux paupières et aux sourcils des poils petits
et incapables de croissance, il est vrai, mais stables, a implanté
leurs racines sur une peau dure et cartilagineuse, comme en un
terrain argileux et pierreux; car il est tout à fait impossible de
déposer dans le rocher le germe d'une plante, comme de fixer
dans un os la racine d'un poil. Mais sur la tête (en effet, ce lieu
était bien tempéré) il a fait germer une moisson de poils destinés
d'une part, à absorber l'humidité surabondante, pour qu'elle ne
nuise pas aux parties sous-jacentes, d'autre part à protéger la
tête même. Quant aux abords des parties génitales, des poils
devaient nécessairement y prendre naissance, car ces lieux sont
chauds et humides; ces poils servent à couvrir et à orner les
parties situées en cette région, comme sont les fesses pour l'anus
et le prépuce pour le membre viril (cf. chap. XIII). En effet, les
choses ont une génération nécessaire (cf. V, III) ; notre Créateur,
éminent en toutes choses, et si ingénieusement habile à choisir et
à exécuter ce qui est le mieux, les utilise à plusieurs fins.

C H 4. PIT RE xv . - Des différentes espèces de peau et en particulier de


240 De l'utilité des parties du corps humain

celle de la face. -Que la peau des lèvres se distingue plus spécialement


de toute celle du reste du corps.

CHAPITRE XVI . - Des quatre muscles des lèvres et de leurs mouve­


ments. - Que la disposition de ces muscles (auxquels Galien ajoute le
peaussier) est parfaitement en rapport avec leurs fonctions.

CHAPITRE XVII . - Pourquoi les ailes du nez sont cartilagineuses, et


pourquoi jouissent-elles d'un mouvement volontaire (cf. chap. xn). -
Détermination des muscles du nez. - Du nerf qui se distribue à ces
muscles. - De la tunique (membrane muqueuse) qui revêt les fosses
nasales. - Du canal lacrymal et du canal nasal.

CHAPITRE xvm . - La diversité de structure des os, et la variété de


leur mode d'articulation tient à la nature des fonctions qu'ils ont à
remplir, et à la nature même des animaux. - Pourquoi certains os ont
de la moelle tandis que d'autres n' en ont pas. - Conformation parti­
culière de la plupart des os à moelle. -Application de ces principes aux
os maxillaires.

CHAPITRE XIX. - Du mode particulier d'articulation des os de la face. -


Que ce mode est en rapport avec la nature même des os. - L'articula­
tion de l'os sphénoïde est conforme à sa substance et à ses fonctions.

CHAPITRE xx . - Énumération, situation et mode d'articulation des


os de la face. - De la suture médiane et du mode d'articulation de la
mâchoire inférieure.
LIVRE D O U ZIÈME

DU COU ET DU RESTE DE L ' ÉPINE

CHAPITRE 1 er_ - Après avoir traité des parties propres à l a tête,


Galien se propose de parler de celles qui sont communes à la tête et au
cou, c'est-à-dire des articulations, des ligaments et des muscles.

Puisque nous avons traité de toutes les parties propres à la


tête, il convient de parler aussi maintenant des parties qui lui
sont communes avec le cou. Or, les parties communes au cou
et à la tête sont celles au moyen desquelles nous fléchissons et
nous relevons la tête et la tournons latéralement ; en effet,
aucun de ces mouvements ne pourrait s'effectuer sans arti­
culations, sans ligaments ni sans muscles. Mais une articula­
tion est un assemblage d'os créé en vue d'un mouvement
volontaire, et il est évident que le nombre des os unis ensemble
ne saurait absolument pas être inférieur à deux, et que chacun
des ligaments, comme aussi chacun des muscles, se porte de
l'un ou l'autre des os sur l'autre ; d'où il résulte manifestement
que toute articulation, tout ligament et tout muscle est
ordonné en vue de l'union des articles entre eux, et qu'on a
raison de les mettre au nombre des parties communes.

CHAPITRE 11 . - Le muscle est l'organe principal du mouvement ;


mais le ligament, dont l'utilité est secondaire, assure la régularité de ce
mouvement. - Les ligaments sont assez résistants pour maintenir
solidement les os, et assez souples pour permettre de fortes exten­
sions; la dissection prouve ce fait, connu déjà d'Hippocrate. - La
nature a pris pour les articulations des dispositions si habiles qu'on
242 De l 'utilité des parties du corps humain

n'y pourrait changer la moindre chose sans détruire en même temps


tout l'ensemble. - Comparaison des œuvres de la nature avec celles
des artistes. - Le ligament, le nerf et le cartilage ont des caractères
distincts, et jamais la nature ne les substitue l'un à l'autre.

Il n'est donc pas possible, nous l'avons déjà souvent démon­


tré (cf. Mouv. des muscles, I, IX) , qu'aucun mouvement des os
ait lieu si ces os ne sont articulés et, en même temps, attachés
ensemble par des muscles, puisqu'il faut absolument qu'il y ait
la partie motrice et la partie mue ; et que de ces parties, l'une
est constituée par le muscle, et l'autre par l'assemblage des os.
Le ligament n'est pas non plus sans utilité, et s'il n'est pas
nécessaire pour la production même du mouvement, il sert du
moins à ce que ce mouvement soit exécuté régulièrement;
c'est une question dont nous nous sommes occupés précédem­
ment (I, xv), mais nous rappellerons ici le point principal de
cette question, savoir, que si les os qui s'articulent n'étaient
pas maintenus fortement par les ligaments, rien ne les empê­
cherait, à chaque mouvement, de s'écarter de leur siège en se
portant de côté ou d'autre. Pour que rien de semblable n'ait
lieu, la nature a entouré circulairement toute articulation
osseuse de ligaments forts, il est vrai, mais qui jouissent en
même temps, à un degré considérable, de la faculté de
s'étendre. Sans doute on admirera cette œuvre première de la
nature qui a su trouver une substance qu'elle approprie à des
utilités fort différentes.
En effet, d'un côté, pour que les parties articulées fussent à
la fois solidement attachées et maintenues en contact, et pour
qu'elles ne pussent pas se détacher aisément les unes des
autres dans les mouvements violents, il fallait que le ligament
fût aussi dur et aussi résistant qu'il est possible ; d'un autre
côté, pour obéir sans peine aux os tirés par les muscles, le
ligament devait être mou et par conséquent faible. Or le fort
est contraire au faible et le dur au mou. Quel art la nature a­
t-elle donc déployé à ce sujet en imaginant un corps qui réunit
suffisamment l'un et l'autre avantage et qui de plus est à l'abri
des lésions ? Vous l'apprendrez par la dissection même. Vous
verrez que tout ligament est, d'une part, assez dur pour
attacher avec solidité et en même temps pour ne pas gêner le
Livre XII - Du cou et du reste de l'épine 243
mouvement réciproque des os, et, d'une autre, assez souple
pour n'être ni froissé ni rompu aisément. C'est une observa­
tion que vous pouvez entendre aussi de la bouche même
d'Hippocrate : « Tous ceux, dit-il, chez lesquels une humeur
surabondante alimente les enveloppes articulaires sont expo­
sés à voir les extrémités de leurs membres se déboîter 1 • »
Quant à ceux, au contraire, qui sont courbés par la rigidité des
articulations, vous n'ignorez pas, je pense, car vous en voyez
tous les jours, combien ils sont gênés dans leurs mouvements;
mais, dans l'état normal, les corps qui constituent les articula­
tions, et particulièrement les tendons et les ligaments, ont
entre eux une proportion parfaite qui donne de l'agilité au
mouvement et les garantit eux-mêmes de toute lésion.
Personne ne méconnaît qu'il faille admirer sans réserve l'art
dans les œuvres où la proportion est si exactement observée
que la moindre addition ou le moindre retranchement suffit à
bouleverser l'œuvre tout entière (cf. VIII, XN, et XI, XIII) . Des
artisans vulgaires peuvent se hasarder à entreprendre une
œuvre qui présente une certaine surface, mais l'œuvre d'une
dimension tout à fait resserrée et sans largeur 2 exige plus
qu'une habileté ordinaire ou qu'un court apprentissage. Aussi,
après avoir dit que « l'art médical est long à acquérir » Hippo­
crate (Aphorismes, I, 1) ajoute : « l'occasion est fugitive », car
si l'occasion n'échappait pas rapidement et si elle laissait une
certaine latitude, on ne dirait pas que l'art est long. De même
aussi, pour tout art mécanique, la juste proportion réalisée
dans des limites très étroites prouve la perfection. Et cette
perfection, on peut la constater chez les animaux, non pas
seulement dans les ligaments, mais aussi dans toutes les autres
parties.
De ces trois corps simples que nous devons faire intervenir
dans le raisonnement actuel, ligament, cartilage et nerf, le
cartilage est plus dur, le nerf plus mou, le ligament tient le
1. En fait Hippocrate écrit (Des articulations, Œuvres, t. IV, p. 95) : « L'humi­
dité des articulations provient d'une disposition des ligaments, en vertu de
laquelle ils sont naturellement relâchés, et se prêtent sans peine aux distensions :
On voit, en effet, souvent des hommes tellement humides, qu'ils se luxent les
articulations à volonté, et sans douleur se les réduisent. »
2. C'est-à-dire celle où le moindre écart est impossible.
244 De l 'utilité des parties du corps humain

milieu par la consistance ; la nature se sert admirablement de


chacun d'eux dans toutes les parties du corps ; jamais il ne lui
arrive d'employer un nerf ou un ligament à la place d'un
cartilage, ni un cartilage ou un nerf à la place d'un ligament, ni
un ligament ou un cartilage à la place d'un nerf. En effet, nous
avons démontré précédemment (VIII, v1) que le dur n'est pas
propre à la sensation, ni le mou au mouvement.

CHAPITRE III . - La nature n'a pu se servir, pour mettre les articula­


tions en mouvement, ni des cartilages, ni des nerfs, ni des ligaments
seuls, attendu que ni les uns ni les autres ne réunissent les conditions
réclamées pour accomplir un mouvement volontaire des membres. -
Expédients dont elle s'est servie pour procurer aux membres tantôt
l'attache seule, tantôt la sensation seule, tantôt le mouvement volon­
taire. - Comment, dans ce dernier cas, elle est parvenue à créer une
substance qui participe à la fois du nerf et du ligament. - De la chair
interposée entre les fibres des nerfs et des ligaments. - Comment se
forment le tendon et le muscle. - Utilité de la chair musculaire. -
Méthode suivie par Galien dans son exposition.

Ainsi donc, chez les animaux, une partie n'est pas mue
seulement par des nerfs, ni par des cartilages, ni par des
ligaments. En effet, le cartilage fournit aux articulations une
matière grasse utile (cf. XI, xvm et XVI, 11) 1 ; mais attaché seul
aux organes du mouvement, il deviendrait pour eux un poids
inutile, y étant suspendu comme une pierre. Le nerf est
sensible en proportion de sa mollesse (cf. IX, XIV) , mais il est
trop faible pour mouvoir ou transporter un membre tout
entier. Le ligament qui tient le milieu entre ceux-ci est capable
d'attacher solidement et de ne pas empêcher le mouvement
des membres, mais il ne pouvait être lui-même organe de
mouvement puisqu'il tire son origine, non pas, comme les
nerfs, du principe moteur de l'animal, mais des os. En effet,
nous avons démontré (VIII, v et v1) que rien de complètement
dur ne pouvait être engendré par le mou, ni rien de complète-

1. Ce n'est pas du cartilage lui-même, mais de la membrane synoviale et des


franges vasculaires qui flottent au pourtour du cartilage, que découle cette
humeur grasse dont parle Galien.
Livre XII - Du cou et du reste de l'épine 245

ment mou par le dur. Donc, pour ces motifs absolus, la nature
n'a pu se servir des ligaments seuls pour les mouvements
volontaires, attendu que les ligaments ne participent ni à la
sensation ni au mouvement, puisqu'ils ne sont pas rattachés à
la partie qui renferme l'âme dirigeante ; elle ne pouvait non
plus se servir des nerfs seuls, car leur mollesse les rend
incapables de transporter des poids aussi considérables.
En conséquence c'est avec raison que là où le membre a
seulement besoin d'attache, il se trouve un ligament seul, et
que là où il a seulement besoin de sensation, il se trouve un
nerf seul ; mais dans les membres, au contraire, pour lesquels
il est utile de jouir du mouvement volontaire, on voit les deux à
la fois : le nerf qui transmet l'ordre donné par le centre
pensant et fournit le principe du mouvement; le ligament qui
prête au nerf sa force pour porter les membres mis en mouve­
ment. Il fallait donc, par leur assemblage, créer un organe de
mouvement (muscle) qui devait être absolument plus dur
qu'un nerf et plus mou qu'un ligament, qui devait participer
en conséquence à la sensation, moins que le nerf et plus que le
ligament, qui enfin devait offrir une moyenne de force et de
faiblesse et des autres qualités contraires qui se trouvent dans
le ligament et le nerf, puisqu'il participe de la substance de
l'un et de l'autre de ces corps qui le constituent sans contenir
exactement ni l'une ni l'autre substance seule et sans mélange,
mais qu'il est, au contraire, formé par leur combinaison. Or,
aucune substance ne peut s'unir intimement à une autre, si
d'abord elle n'est divisée en petits fragments ; aussi était-il
nécessaire de découper l'une et l'autre en fibres minces, puis
de les rattacher les unes aux autres pour engendrer l'organe
du mouvement dont la substance tient le milieu entre les deux
autres.
Mais si la nature eût fait cela seulement sans remplir les
intervalles d'une substance molle, comme est par exemple le
duvet du poterium épineux (espèce de bourre, à laquelle Galien a
comparé la chair du poumon, cf. VII, II), pour leur servir de
base solide, il n'eût été possible de préserver un instant ces
fibres des lésions et des ruptures. La nature, qui est toute
sagesse, loin de créer cette espèce de bourre sans lui donner
246 De l'utilité des parties du corps humain

aucune utilité, s'en sert comme d'un abri contre le froid et la


chaleur et comme d'une enveloppe très semblable aux tissus
foulés (cf. I, XIII) ; elle en a enveloppé circulairement les fibres
mêmes, et, de plus, elle en a pourvu les artères et les veines
comme d'un coussin ou d'un tapis, objet de notre admiration.
Nous vous avons dit à ce sujet, dans le premier livre de tout
notre ouvrage (chap. XIII), qu'on nomme chair (oapç) cette
substance qui procure aux animaux les avantages susdits, et
qu'elle protège à la fois contre le froid et le chaud, bien que ces
deux qualités soient contraires l'une à l'autre. Nous avions
déjà dit auparavant, dans le traité Sur le mouvement des
muscles (I, II), comment nerfs et ligaments se partagent en
fibres, comment la simple chair se mêle à ces fibres, comment
les fibres se rencontrant et s'unissant de nouveau, le tendon se
trouve en conséquence constitué par celles-ci, tandis que le
muscle est le résultat de l'union des fibres et de la chair.
Ainsi nous venons présentement de signaler l'utilité de la
production du tendon et du muscle. Le tendon est en effet, par
lui-même, le premier organe du mouvement; de son côté, le
muscle a été créé en vue de la production du tendon, et il
fournit à l'animal les utilités de la chair combinée. Que
l'animal tombe ou soit étendu par une autre cause, la chair
musculaire devient pour lui un moelleux coussin ; contre les
coups, c'est une enveloppe protectrice très semblable aux
tissus foulés ; contre les blessures, c'est un rempart ; elle
réchauffe quand il fait froid, et contre la chaleur elle procure
une sorte d'ombrage. En effet, quelle autre substance que cette
substance charnue est dressée en avant de toutes les parties
principales pour les protéger contre toute lésion ? C'est ainsi
que de toutes choses la nature tire à la fois, pour l'animal, une
utilité, un ornement et une protection.
Ces observations générales sur l'utilité des ligaments, des
tendons et des nerfs, nous les avons données par avance dans
le cours de l'ouvrage, quand nous avons précédemment
exposé en détail la nature et à la fois l'utilité et le principe des
nerfs (cf. VIII, V, VI; IX, XI, XIV).
Notre discours actuel a pour sujet les plus importantes de
toutes les articulations (c'est-à-dire celles de la tête avec les
Livre XII - Du cou et du reste de l'épine 247
vertèbres). C'est pourquoi personne ne nous accusera si, à ce
propos, nous présentons des remarques générales. Souvent,
en effet, nous avons déjà dit que nous ne traitons qu'une fois
chacune des questions générales et que nous nous bornons à
les rappeler dans les cas particuliers, de façon à donner à notre
ouvrage le plus de brièveté possible. C'est donc ainsi que
précédemment (cf. XI, v, et Mouvement des muscles, I, II et m)
nous avons suffisamment expliqué que certains muscles se
terminent en un grand tendon, que certains autres aboutissent
par leurs parties charnues aux membres qu'ils meuvent au
moyen de nombreuses et petites languettes tendineuses.
C'était là un enseignement sur ce qu'il y a de commun et de
général; enseignement auquel nous avons ajouté l'exposition
de quelques-uns des cas particuliers.

CHAPITRE IV. - De l'importance de l'articulation de la tête avec le


cou ; gravité des lésions de cette partie à cause du voisinage de la
racine des nerfs. Ce voisinage même est la cause de la solidité de cette
articulation. - Conditions de cette solidité : assemblage des os, des
ligaments et des muscles. - Moyens employés par la nature pour
procurer à la tête des mouvements directs d'avant en arrière et des
mouvements obliques de circumduction. -Nécessité de deux articula­
tions et de deux genres de mouvement, subdivisés chacun en deux
espèces.

CHAPITRE v . - Exacte correspondance des apophyses de l'atlas et


des condyles de l'occipital. - L'articulation occipito-atloïdienne est
destinée aux mouvements latéraux. - Démonstration de la nécessité
d'une double articulation pour les mouvements directs et obliques de
la tête sur le tronc. - Comparaison des articulations du coude, de
l'épaule et de la hanche avec celle de la tête.

CHAPITRE VI. - La nature pouvait-elle choisir de meilleures disposi­


tions que celles qu'elle a prises pour l'articulation de la tête avec le
cou ? - Violentes attaques contre ceux qui accusent sans cesse la
nature sans pouvoir imaginer rien de mieux que ce qu'elle a fait.

CHAPITRE vn. - Galien, donnant quelque trêve aux détracteurs de


248 De l'utilité des parties du corps humain

la nature, revient aux articulations de la tête avec les vertèbres et aux


mouvements qui en résultent. - De la seconde vertèbre, et particulière­
ment de l'apophyse odontoïde; de son articulation avec l'atlas et avec
l'occipital. - Admirable prévoyance de la nature dans la disposition de
ces articulations, et plus spécialement de l'apophyse odontoïde.

CHAPITRE vnr. - Galien se propose de démontrer que toutes les


dispositions prises par la nature pour ce qui regarde la structure, la
forme, la situation, le nombre, la force des muscles qui meuvent la tête
sont les meilleures possibles. - Énumération et description succincte
des muscles postérieurs qui meuvent la tête seule, ou le col en même
temps que la tête. - Division de ces muscles en deux séries : petits et
grands, ou intrinsèques et extrinsèques. - Énumération et brève des­
cription des muscles antérieurs. - Que la connaissance des attaches
des muscles entraîne celle de leur position et de leur action, laquelle
est en rapport avec la direction des fibres.

CHAPITRE I X . - Que la nature, pour concilier la solidité de l'articula­


tion de la tête et des premières vertèbres avec la variété des mouve­
ments, a recours aux meilleurs expédients. - Raisons de la différence
de grandeur des muscles qui mettent la tête en mouvement. - Fidèle à
ses principes, la nature a multiplié ici les organes en vue d'une seule
action, à cause de l'importance de cette action, de la force des
mouvements et de la grandeur de la partie; car chacun des os de la
tête, et à plus forte raison la tête tout entière, surpasse de beaucoup le
volume de chaque vertèbre prise à part. - Conséquences qui en
résultent pour la répartition des muscles eu égard aux deux premières
vertèbres.

CHAPITRE x . - Les vertèbres ne pouvaient pas être plus volumi­


neuses qu' elles ne sont. - Disposition particulière des muscles rachi­
diens. - La nature a fait servir le rachis à plusieurs fins. - Raisons de la
multiplicité des vertèbres. - Que le degré de résistance aux lésions
détermine le nombre des os pour chaque partie.

CHAPITRE XI . - Nécessité de l'existence de la moelle : elle ne pouvait


occuper une autre place que celle qui lui a été assignée. - En consé­
quence, l'épine a quatre utilités premières et une utilité conséquente. -
Particularités anatomiques que ces utilités ont entraînées.
Livre XII - Du cou et du reste de l'épine 249

CHAPITRE xn. - Pourquoi la colonne vertébrale est-elle composée


d'un grand nombre d'os, et non pas seulement de deux ou trois, et
pourquoi ces os doivent-ils être petits ? Ces dispositions sont exigées
d'abord pour la sûreté de la moelle qui devait résider dans l'épine; à
leur tour elles entraînent une structure particulière des muscles du
rachis, structure qui permet à la fois les mouvements partiels et les
mouvements généraux, les mouvements obliques et les droits.

CHAPITRE XIII. - Que les vertèbres devaient prendre un volume de


plus en plus grand au fur et à mesure qu'elles s'éloignent de la tête.

CHAPITRE XIV. - Des différences que présente le trou vertébral dans


la série des vertèbres; ces différences tiennent aux différences mêmes
du volume de la moelle aux divers points de sa hauteur.

CHAPITRE x v. - Pourquoi le volume de la moelle est inégal aux


divers points de sa hauteur, et pourquoi elle est plus grosse à certaines
parties, et surtout à sa partie supérieure, qu'à l'inférieure. - De la
protection que la moelle trouve dans la structure du rachis et en
particulier des apophyses épineuses, ainsi que du ligament surépineux
qui les unit. - Des avantages de l'incurvation de l'épine en forme de
voûte, et de l'inégalité de longueur des apophyses épineuses.

CHAPITRE xv1. - Des diverses régions du rachis, et du nombre des


vertèbres à chacune de ces régions. - Utilité des apophyses trans­
verses. - Pourquoi ces apophyses varient-elles de volume et de forme
aux diverses régions du rachis. - Mode de connexion des vertèbres ;
conséquences qui en résultent eu égard à l'étendue et à la variété des
mouvements du rachis.
LIVRE TREIZIÈME

DE LA S T R U C T U R E DU R A C H I S

C HAPITRE I er. - Pourquoi les vertèbres sont articulées, e n arrière,


non pas au niveau des apophyses épineuses, mais sur les parties
latérales et de chaque côté d'une façon identique.

CHAPITRE n . - Que l'inégalité dans le nombre et la forme des


apophyses des vertèbres tient à l'inégalité de grandeur des vertèbres
elles-mêmes. - Du mode d'articulation des vertèbres entre elles. - Du
nombre des apophyses aux diverses régions du rachis. - Des apo­
physes articulaires supérieures et inférieures; de leur direction et de
leur mode d'assemblage au cou, au dos et aux lombes. -De la dixième
vertèbre dorsale en particulier : Galien la considère comme une clef
de voûte qui soutient toute la construction du rachis, ou comme un
pivot, centre des mouvements des autres vertèbres. - Théorie des
mouvements du rachis.

C HAPITRE m. - Pourquoi la première vertèbre (atlas) est dépourvue


d'apophyse épineuse. - Art admirable de la nature dans la disposition
des trous de conjugaison. Dangers qui résulteraient d'une autre
disposition. Ils ne pouvaient se trouver ni plus en avant ni plus en
arrière. - Particularités relatives aux trous de conjugaison des ver­
tèbres lombaires, dorsales et cervicales. - Direction que prennent les
nerfs en traversant les trous de conjugaison, eu égard aux diverses
régions du rachis. - Le mode de structure qui assure la sécurité aux
nerfs procure en même temps au rachis la mobilité dans certaines de
ses parties et la solidité dans toutes les autres.

C H A PITRE I V . - Récapitulation des moyens pris par la nature pour la


Livre XIII - De la structure du rachis 251
sécurité des vertèbres cervicales. - Dispositions particulières relatives
à la sortie de la première paire des nerfs cervicaux, et dispositions qui
dépendent du rapport de l'atlas avec la tête et avec l'axis. - Explication
de quelques points de la structure de l'atlas eu égard à la sortie du
premier nerf cervical.

CHAPITRE v . - Sortie à travers les trous de conjugaison, et distribu­


tion des huit paires de nerfs cervicales et de la première paire dorsale.
- Particularités relatives à l'origine et à l'insertion du nerf phrénique
sur le diaphragme.

CHAPITRE V I . - Pourquoi le thorax commence après la septième


vertèbre cervicale, et pourquoi, chez l'homme et les animaux ana­
logues, le cou est composé de sept vertèbres. - Que le larynx est dans
un rapport exact avec la longueur du cou. - Que la capacité du thorax
offre également une juste proportion eu égard aux fonctions qu'il
remplit et aux organes qu'il renferme.

CHAPITRE v n . - Que les vertèbres augmentent de volume depuis le


cou jusqu'au sacrum. - De l'utilité de l'os sacrum. - Des nerfs
lombaires et sacrés. - Récapitulation.

CHAPITRE V II I . - Galien, voulant compléter ce qu'il a dit touchant


l'épine, revient sur l'utilité des disques intervertébraux et de la synovie
qui les lubrifie. - En quoi la moelle et ses enveloppes ressemblent à
l'encéphale et à ses enveloppes, et sur quoi portent les différences. -
Motifs de ces différences et de ces ressemblances. - Utilité de
l'humeur visqueuse qui lubrifie toutes les parties douées de quelque
mouvement.

CHAPITRE IX . - Admirables dispositions prises par la nature pour


l'origine et pour la distribution des vaisseaux du rachis. - Galien,
revenant sur les nerfs phréniques, montre que la nature ne pouvait les
tirer que des quatrième, cinquième et sixième paires cervicales. -
Raisons de cette disposition.

CHAPITRE x . - De l'utilité de l'omoplate par rapport au bras comme


252 De l 'utilité des parties du corps humain

moyen d'articulation, et par rapport au thorax comme moyen de


protection. - De l'utilité de l'épine de l'omoplate, de l'acromion et de la
clavicule; de leur utilité pour la protection de l'épaule et pour la sûreté
des mouvements du bras.

CHAPITRE X I . - Différence de la position de l'omoplate par rapport


au thorax, chez l'homme et chez les animaux : utilité respective de
cette différence. - Nécessité de la clavicule; du degré d'écartement
qu'elle procure à l'épaule chez l'homme et chez les animaux; compa­
raison du singe et de l'homme sous ce rapport. - De la forme de la
clavicule : que sa double concavité est destinée à laisser un passage
libre aux organes qui traversent le cou de haut en bas ou de bas en
haut. - De l'os acromion; de son union avec l'épine de l'omoplate et
avec l'omoplate; pourquoi il est cartilagineux.

CHAPITRE x n. - De la structure et de l'articulation de l'épaule (os et


muscles) en général. - Admirable disposition de la tête de l'humérus,
de la cavité de l'omoplate, de la capsule articulaire, des ligaments, des
tendons; utilité des apophyses de l'omoplate.

CHAPITRE XII I . - Insertion et action des muscles qui se fixent, d'une


part sur l'humérus, et de l'autre sur l'omoplate, la clavicule et le
thorax, et qui meuvent, soit le bras seulement, soit le bras et l'épaule. -
Des différences que présentent les muscles qui abaissent et les muscles
qui élèvent le bras ou l'épaule. - Des muscles propres à l'épaule.
LIVRE Q UATORZIÈME

D E S O RGAN E S G É NITAUX

CHAPITRE r er. - Les parties du corps servent, soit à l'entretien de la


vie, soit à son embellissement, soit à la propagation de la race. - Galien
a montré que les parties appartenant aux deux premières catégories
sont admirablement disposées; il se propose maintenant d'étudier du
même point de vue les organes de la génération.

La nature a trois buts principaux dans la structure des


parties des animaux; elle les a créées, en effet, soit pour
l'entretien de la vie, comme l'encéphale, le cœur, le foie, soit
pour les commodités de la vie, comme les yeux, les oreilles, les
narines et les mains, soit pour la perpétuité de la race, comme
les parties génitales externes, les testicules et la matrice 1 ; or,
nous avons précédemment démontré en détail qu'aucune des
parties créées pour la vie et aussi qu'aucune de celles qui
doivent embellir la vie, n'avait pu être mieux disposée qu'elle
n'est actuellement. Il nous reste encore à expliquer dans ce
livre les parties destinées chez nous à la perpétuité de la race.

CHAPITRE II. - Comme la nature ne pouvait attacher une immorta-

1 . Ambroise Paré, au xvt' siècle, reprendra textuellement la même triparti­


tion (Œuvres, p. 60) : « Or en la composition du corps humain, nature a eu trois
principales fins ou intentions. La première est qu'elle a fait des parties lesquelles
sont nécessaires à la vie, comme le cœur, le cerveau, et foie; la seconde qu'elles
sont faites pour plus commodément vivre, comme les yeux, le nez, les oreilles,
les bras et jambes; la tierce, afin qu'elles soient dédiées pour la propagation et
instauration de l'espèce, comme les parties honteuses, les testicules et la
matrice. »
254 De l 'utilité des parties du corps humain

lité réelle à ses œuvres, elle leur a donné une immortalité apparente,
en assurant la perpétuité de la race.

Avant tout, la nature aurait désiré, si cela eût été possible,


créer son œuvre immortelle. La matière ne le permettant pas
(car un composé de veines, d'artères, de nerfs, d'os, de chairs
ne saurait être incorruptible), elle a inventé l'expédient qu'elle
a pu pour lui obtenir l'immortalité 1 , semblable à un habile
fondateur de cité qui ne s'inquiète pas seulement que sa ville
soit actuellement peuplée, mais qui pourvoit aussi à ce qu'elle
subsiste à tout jamais, ou du moins le plus longtemps possible.
Il ne paraît cependant pas qu'aucune ville ait jamais été
heureuse à ce point, d'avoir une durée assez longue pour que
le temps ait complètement effacé la mémoire de son fonda­
teur. Mais les œuvres de la nature ont vécu des milliers
d'années et vivront encore, grâce au moyen admirable qu'elle
a inventé pour substituer toujours à l'animal mort un animal
nouveau.
Quel est donc ce moyen adopté chez tous les animaux et
chez l'homme, pour qu'aucune race ne périsse, pour que
chaque race, au contraire, reste intacte et soit immortelle ?
C'est ce que je me propose d'expliquer dans ce livre, en
commençant par là toute mon exposition. La nature a donné à
tous les animaux des organes pour la conception, et elle a
attaché à ces organes une certaine force spéciale de plaisir
pour la génération, elle a rempli l'âme de l' être qui doit en user
1. C'est une idée courante dans l'Antiquité, chez les Présocratiques (Philolaos
notamment), chez Platon et chez Aristote (notamment, pour celui-ci : Généra­
tion des animaux, II, 1, 731b-732a). En voici la formulation aristotélicienne la
plus claire (De l'âme, II, III, 4 15a-b) : « En effet, la plus naturelle des fonctions
pour tout être vivant parfait, qui n'est pas incomplet ou dont la génération n'est
pas spontanée, c'est de produire un autre vivant semblable à soi : l'animal
produit un animal, la plante une plante, pour participer à l'éternel et au divin
autant que possible; tous les êtres en effet y aspirent et c'est à cette fin qu'ils
agissent en toute leur activité naturelle (le terme "fin" a deux acceptions : d'une
part le but lui-même, de l'autre le sujet pour qui ce but est une fin). Puis donc
qu'il est impossible de communier à l'éternel et au divin de manière continue -
car aucun être corruptible ne peut persister dans son identité et son unité
individuelle-, c'est dans la mesure où chacun peut y avoir part qu'il communie,
l'un plus, l'autre moins; et s'il persiste dans l'être, ce n'est pas en lui-même mais
semblable à lui-même , non pas dans son unité individuelle mais dans l'unité de
l'espèce. »
Livre XN - Des organes génitaux 255

d'un désir étonnant et inexprimable de leur usage, en sorte


que, surexcités, aiguillonnés par ce désir, les animaux, bien
que dénués de raison et de toute espèce d'entendement, bien
que jeunes, pourvoient à la perpétuité de la race, comme s'ils
étaient complètement raisonnables. La nature, en effet,
sachant, on doit le penser, que la substance dont elle les créait
n'était pas susceptible d'une sagesse parfaite, a donné aux
animaux pour remplacer cette sagesse, le seul appât qui pût
assurer le salut et la conversation de la race, en attachant un
plaisir très vif à l'usage des parties 1 •

CHA PITRE 1 1 1 . -Galien se propose de traiter seulement des parties


génitales de l'homme (c'est-à-dire du singe), réservant pour un autre
ouvrage l'étude de ces parties chez les animaux. - De l'heureuse
situation de l'utérus ; que la structure de son col est en rapport parlait
avec les besoins de la conception, et particulièrement avec l'entrée et
l'élaboration du sperme. - De l'utilité de ses divers états de rigidité et
de dilatation, ou d'abaissement et d'occlusion.

Il est juste d'admirer d'abord cet ingénieux expédient de la


nature, puis la structure des organes, laquelle est naturelle­
ment pour chaque animal en rapport avec la forme de son
corps. Puissiez-vous un jour apprendre de nous ce qui

1 . Platon, Lois, VI, 783a : « Mais il y a en nous un troisième besoin [outre le


manger et le boire], particulièrement impérieux, une troisième appétition qui, si
elle se lance avec une incomparable vivacité, la dernière de toutes, à la charge,
rend de toute façon l'homme on ne peut plus enflammé de passion : c'est celle
qui, embrasée d'une violence sans mesure, se rapporte à l'ensemencement de
l'espèce » (voir aussi note ! , p. 278). - On retrouve ce genre d'explication
jusqu'au XVIe siècle, notamment chez Ambroise Paré qui paraphrase quasiment
Galien en ce domaine (Œuvres, p. 59) : « Et partant, nature a donné à tous les
animaux des membres pour concevoir, et aux dits membres certaine vertu, et
faculté insigne, pour causer plaisir et délectation. Et à l'âme qui doit user des
dits instruments et membres, une indicible et incroyable envie de ce faire, de
laquelle étant incités et aiguillonnés, les animaux, encore qu'ils soient totale­
ment privés de raison, ou encore jeunes, ils prévoient néanmoins, et s'emploient
à faire que leur race dure, comme s'ils étaient sages et en leur bon sens. Car
nature sachant bien que la substance, de laquelle elle fabrique les animaux,
n'admet et reçoit point une perfection de la sagesse du Créateur, pour la rendre
éternelle, au lieu d'icelle elle a octroyé et concédé ce qu'elle a pu, à savoir une
amorce et un allèchement dédié à la conservation et propagation de la race,
joignant à l'usage des dits membres une volupté grandissime et inénarrable. »
256 De l'utilité des parties du corps humain

concerne les autres animaux, quand nous remplirons les


lacunes laissées par Aristote. Pour l'espèce humaine (car c'est
de l'homme que ce livre s'est proposé, dès le principe, d'expli­
quer la structure), tout le monde comprend et reconnaît quel
degré d'utilité ont atteint les parties génitales externes par leur
situation convenable, leur dimension, leur figure et leur
conformation tout entière. Quand vous connaîtrez ensuite
l'utilité de chacun des organes profondément cachés, organes
que découvre la dissection, vous admirerez, j'en suis certain,
l'art qui les a créés.
En effet, chez la femelle, la nature a établi les matrices 1
au-dessous de l'estomac, région qu'elle avait reconnue comme
la plus propice à la copulation, à la réception du sperme, et
encore à l'accroissement de l'embryon ainsi qu'à l'expulsion
du fœtus arrivé à l'état parfait (cf. VII, XXI) . Vous ne pourriez
trouver, en effet, dans tout le corps de l'animal une région plus
convenable pour aucun des actes qui viennent d'être énoncés ;
celle-ci est la meilleure pour la copulation, comme étant très
éloignée des organes de la face ; elle est la plus favorable à
l'accroissement du fœtus, comme étant susceptible de se
distendre considérablement sans difficulté, et enfin la plus
commode pour l'enfantement, la sortie devant être plus facile
pour l'enfant vers les parties inférieures et les jambes. En effet,
le col des matrices, que la nature a disposé comme un passage
pour l'entrée du sperme et pour la sortie de l'embryon arrivé à
son entier développement, aboutit au vagin. Quand l'animal a
conçu, le col se ferme si exactement, qu'il ne laisse plus ni
échapper ni pénétrer la moindre chose ; dans le coït, il se dilate
et se tend de telle sorte, que le sperme porté à travers une voie
large et facile pénètre aisément au fond des matrices, et dans
l'enfantement il se dilate énormément, pour livrer passage au
fœtus tout entier. C'est donc avec raison que la nature l'a créé
à la fois nerveux (fibreux) et dur : nerveux, pour que tour à
l. Cette expression, les matrices (ai umÉpm), appliquée théoriquement par
Galien à l'utérus de la femme, remonte à la plus haute Antiquité, et tient à ce que
les anciens se figuraient que l'utérus humain était, comme celui des animaux sur
qui ils pratiquaient leurs dissections, divisé en sinus ou cornes. Quand Galien se
sert du singulier, il ne faudrait en tirer aucune conséquence, car il s'agit
toujours, quoi qu'il en dise, des matrices d'animaux.
Livre XN - Des organes génitaux 257

tour il se dilate et se contracte considérablement ; dur, afin


qu'il n'ait pas à souffrir de pareils changements et qu'il se
maintienne droit pour recevoir le sperme. En effet, si, retom­
bant sur lui-même à cause de la mollesse de son tissu, il
formait des plis et présentait des flexuosités, le sperme arrêté
par eux ne pourrait arriver promptement dans les sinus des
matrices, et il y aurait séparation du fluide et du pneuma, bien
que leur union soit nécessaire, l'un étant le principe du
mouvement, l'autre la matière propre à la production du
fœtus.
En effet, ce n'est pas, ainsi que nous l'avons démontré
ailleurs (De la semence, I, 1v; Facultés naturelles, II, m; Conser­
vation de la santé, I, II) , le sang menstruel qui est la matière
première et propre de la production de l'animal 1 . Mais
lorsque la partie liquide du sperme entraînée par le pneuma
inné tombe sur les tuniques de l'utérus, cette partie étant
visqueuse et s'attachant à des corps rugueux, elle s'agglutine
promptement comme de la graisse. C'est ainsi qu'en un court
instant s'exécutent beaucoup d'actes admirables de la nature
au commencement de la génération de l'animal. La matrice
elle-même se contracte rapidement sur le sperme ; tout le col,
et surtout l'orifice interne, se ferme ; le liquide qui enduit les
aspérités (cotylédons ?) de la matrice, en s'étendant sur toute
leur surface interne, devient une mince membrane (membrane
caduque?) 2 • Le pneuma, exactement retenu de toutes parts
1. Que le sang menstruel constitue la semence féminine, est une idée d'Aris­
tote (De la génération des animaux, I, x1x, 727a-b) : « Il y a analogie entre la
liqueur séminale des mâles et les menstrues des femelles. [ ... ] Ainsi donc il est
évident que la femelle contribue à la génération en fournissant la matière, que
cette matière est ce qui constitue les menstrues. »
2. Ambroise Paré, au XVIe siècle, dira encore à peu près la même chose
(Œuvres, p. 590) : « Lorsque les deux semences seront ainsi reçues en la matrice,
l'orifice intérieur d'icelle se resserre fermement et étroitement, afin qu'elles ne
retombent ; et quand la matrice a pris et retenu les deux semences mêlées
ensemble (dont celle du mâle est nourrie de celle de la femelle qui lui est plus
familière que le sang, parce que chaque chose est plus facilement nourrie et
augmentée de ce qui lui est semblable [paraphrase de Galien, Utilité des parties,
XIV, XI, cf p. 2831), se coagulent et adhèrent contre les parois de la matrice, et
par sa chaleur naturelle sont échauffées subit et si fort qu'à l'entour se concrée
une petite peau subtile, semblable à celle qui se fait sur du lait non écrémé, ou
d'une toile d'araignée, de façon que le tout est fait comme un œuf abortif,
c'est-à-dire qui n'a pas encore sa coquille ferme et dure [pour cette dernière
comparaison, l'inspiration est Hippocrate, texte cité dans la note 1, p. 51 du tome
II]. »
258 De l'utilité des parties du corps humain

par cette membrane et ne pouvant s'échapper, commence


alors ses mouvements naturels ; il attire dans la matrice, à
travers les artères et les veines qui y aboutissent, une humeur
ténue ; il la rend semblable à celles auxquelles lui-même est
uni, et bientôt il les fait épaissir et augmenter un peu de
volume. Que si, au lieu de pénétrer rapidement dans les sinus
de la matrice, il éprouvait sur son chemin quelque retard, il lui
arriverait, vu sa légèreté et sa ténuité, de se dégager à l'instant
de la partie liquide du sperme, et de se perdre en s'évaporant.
Pour que rien de semblable n'ait lieu, la nature a créé le col de
la matrice médiocrement dur, afin que tendu et dilaté quand le
sperme pénètre, il se dresse et s'élargisse autant qu'il est
convenable, pour ne pas gêner la marche du sperme, et pour
être en état de refermer ensuite son orifice sur le sperme. S'il
était trop dur, il se redresserait aisément, cela est vrai, mais il
ne se refermerait pas facilement ni promptement ; au
contraire, s'il était plus mou qu'il n'est, il serait plus enclin à
s'affaisser tout entier sur lui-même, mais il lui serait difficile
de se dresser, de se tendre et de s'élargir. En vue de ces deux
utilités si opposées, la nature le douant de facultés opposées
aussi, mais combinées dans une juste mesure, lui attribue
d'une part une dureté telle qu'elle permet la dilatation et le
degré d'érection convenables pour la réception du sperme, et
d'une autre part, tempère cette qualité par une mollesse
suffisante pour qu'elle puisse facilement se dilater et se
contracter considérablement. Ne vous étonnez donc plus,
quand vous voyez en disséquant des animaux, ou que vous
trouvez rapporté soit par Hérophile, soit par quelque autre
anatomiste, que le col de l'utérus est contourné et tortueux
pendant tout le temps où il n'y a ni pénétration du sperme, ni
sortie du fœtus ; car c'est la conséquence de la structure que
nous venons de décrire, structure qui présente un juste
mélange de mollesse et de dureté. En effet, si le col de la
matrice était excessivement dur, il ne se contournerait pas en
revenant sur lui-même ; mais dans l'état actuel, comme il était
préférable qu'il eût un certain degré de mollesse, quand il perd
sa tension pour retomber sur lui-même, il forme nécessaire­
ment des rides, des plis, des sinuosités, et cela sert précisé-
Livre XIV - Des organes génitaux 259
ment beaucoup à empêcher le refroidissement de l'utérus.
Aussi dans le flux menstruel et dans les enfantements, les
femmes se refroidissent considérablement, parce que alors le
col de l'utérus devient droit et s'ouvre. S'il en était toujours
ainsi, elles resteraient constamment froides.

CHAPITRE I V . - Du nombre des sinus de la matrice suivant les


espèces d'animaux; que ce nombre est en rapport avec celui des
mamelles. Ce n'est pas là une œuvre du hasard. - Comment la nature a
su pourvoir par divers expédients à la nourriture des nouveau-nés. -
Que les fœtus mâles sont à droite et les fœtus femelles à gauche. -
Pourquoi le volume de la vessie surpasse celui de l'utérus pendant la
croissance, tandis que c'est le contraire dans l'âge adulte. Pourquoi
l'utérus est moins développé à la naissance et pendant la vieillesse que
dans l'âge intermédiaire.

La nature a créé un col unique mais non pas une seule cavité
pour l'utérus ; chez les porcs et autres animaux dont la portée
devait être nombreuse, elle a établi plusieurs cavités 1 ; chez
l'homme et les animaux analogues, de même que le corps tout
entier est composé de deux parties, droite et gauche, de même
il a été établi pour l'utérus une cavité à droite et une autre à
gauche. En effet, la nature pourvoyant à ce qu'il ne dispartlt
aucune des espèces d'animaux qui, vu leur faiblesse cor­
porelle, devaient ou vivre très peu de temps, ou servir de
pâture aux animaux plus forts, a inventé pour ceux-ci, comme
remède à une destruction continuelle, la génération multi­
pare. C'est donc là une œuvre admirable de nature ; mais ce
qui, j'en suis convaincu, dépassera à vos yeux tout ce qu'il y a
de plus admirable, c'est que le nombre des cavités est égal à
celui des mamelles.
Les sophistes seraient mal venus à prétendre ici que c'est
une cause inintelligente, un hasard inhabile qui a créé deux
cavités utérines chez l'homme et un grand nombre chez le
porc : le fait qu'il existe autant de mamelles que de cavités
utérines, éloigne l'idée que cette disposition est fortuite. En

1. Voir note 1, p. 255.


260 De l 'utilité des parties du corps humain

admettant que chez l'homme et le porc cet état de choses


puisse résulter du hasard, les plus éhontés mêmes n'oseraient
prétendre, à moins d'une extrême stupidité, que ce rapport
constant chez tous les animaux entre le nombre des mamelles
et celui des cavités utérines, a été réalisé sans l'intervention
certaine d'une providence.
Penseraient-ils encore que l'afflux du lait aux mamelles,
afflux qui s'opère surtout à l'époque où le fœtus est formé, est
l'œuvre d'un hasard inintelligent et non pas la marque d'un art
admirable ? Mais ce fait seul, à défaut de tout autre, suffira
pour convaincre que l'art a présidé à cette création. En effet,
attendu que tout être né récemment est mou et débile, il était
impossible qu'il digérât dès lors des aliments solides. En
conséquence, la nature, comme s'il était encore renfermé dans
l'utérus, lui a ménagé un aliment tiré de sa mère. Chez tous les
animaux, chez les oiseaux, par exemple, incapables, vu la
sécheresse de leur corps, d'entretenir une humeur superflue,
la nature a imaginé un autre expédient pour leur faire élever
leurs nouveau-nés, en leur inspirant pour leur progéniture une
affection étonnante, telle qu'ils combattent pour leurs petits,
osent tenir tête à des animaux farouches que naguère ils
fuyaient, et fournissent à ces petits une nourriture convenable.
Pour les autres animaux, nous expliquerons peut-être un
jour en particulier la prévoyance que la nature a montrée dans
tous leurs organes ; quant à l'homme (car c'est sur lui qu'a
roulé, dès le principe, notre Traité), nous avons démontré que
toutes les parties de son corps présentent une structure admi­
rable ; eh bien, les parties relatives à la génération ne le cèdent
en rien aux autres. De même, en effet, que la femme a deux
cavités utérines qui aboutissent à un seul col, elle a deux
mamelles qui sont comme les fidèles servantes, chacune de la
cavité correspondante. Aussi Hippocrate a-t-il dit (Apho­
rismes, V, 38) : « Chez une femme enceinte de deux jumeaux,
si l'une des deux mamelles vient à s'affaisser, il y a avortement
de l'un d'eux; du garçon si c'est la mamelle droite qui
s'affaisse, de la fille si c'est la gauche. » Cette remarque est
d'accord avec cette autre (Aphorismes, V, 48; cf. aussi Épid. VI,
II) : « Les fœtus mâles se développent de préférence à droite, et
Livre XIV - Des organes génitaux 261
les femelles dans la cavité gauche 1 • » Je sais que je touche à
une question qui n'est pas de petite importance ; mais je sais
aussi qu'on ne saurait expliquer convenablement les utilités
des parties génitales sans parler de leurs fonctions naturelles.
J'ai démontré, dès le principe de tout cet ouvrage (I, xv1),
qu'il n'est pas possible de découvrir les utilités d'aucune des
parties, d'aucun organe, si l'on ne connaît la fonction de
chaque partie spéciale de cet organe. Nous ferons donc main-

1. Traditionnellement, notamment chez les pythagoriciens, le côté droit est


associé au caractère mâle (et chaud, et parfait, et impair), et le côté gauche au
caractère femelle (et froid, et imparfait, et pair). Les conceptions présocratiques
associent presque toutes le sexe de l'enfant à des considérations de ce genre.
Chez Aristote, l'association mâle-droit et femelle-gauche est peu marquée
(Histoire des animaux, VII, III, 583b), en revanche l'association mâle-chaud et
femelle-froid l'est beaucoup plus; nous en reparlerons. Voici ce qu'il dit des
théories de ses prédécesseurs (Génération des animaux, IV, 1, 764a) : • Les uns
prétendent que cette opposition [mâle-femelle] existe dès le début, dans les
germes, par exemple Anaxagore et d'autres naturalistes : ils disent que le sperme
vient du mâle, que la femelle fournit le lieu, et que le mâle vient de droite, la
femelle de gauche, comme dans l'utérus les mâles sont à droite et les femelles à
gauche. Pour d'autres, comme Empédocle, la différenciation se fait dans la
matrice : car, d'après lui, les germes qui pénètrent dans un utérus chaud
deviennent mâles, et femelles dans un utérus froid, et la cause de cette chaleur et
de ce froid, il l'attribue au flux menstruel, suivant qu'il est plus froid ou plus
chaud, plus ancien ou plus récent. Quant à Démocrite d'Abdère, il affirme bien
que la différenciation de la femelle et du mâle a lieu dans la mère, mais d'après
lui ce n'est pas la chaleur ou le froid qui font dans un cas une femelle, dans
l'autre un mâle, c'est la prédominance du sperme de l'un des parents, ce sperme
venant de la partie par laquelle se caractérisent la femelle et le mâle. » - Soranos
d'Éphèse, lui, s'oppose à ce genre d'idée (Maladies des femmes, I, xv) : « D'après
Hippocrate, les signes du sexe masculin du fœtus sont chez la mère les suivants :
elle a meilleur teint [cf. Hippocrate, Aphorismes, V. n° 42}, elle est plus ingambe,
elle a le sein droit plus gros, plus volumineux et plus plein, et c'est surtout le
mamelon qui gonfle ; les signes du sexe féminin sont la pâleur, le plus grand
développement du sein gauche et surtout de son mamelon; mais ce sont des
préjugés erronés qui ont conduit Hippocrate à ces affirmations : il croyait en
effet que si la semence était conçue dans la partie droite de la matrice, il se
formait un mâle, et que si c'était dans la partie gauche, il se formait une femelle.
Or il y a là une erreur, comme nous l'établissons dans les observations physiolo­
giques de notre traité "De la génération". D'autres prétendent que si le fœtus est
de sexe masculin, la future mère perçoit ses mouvements avec plus d'acuité et de
violence, mais que s'il est du sexe féminin les mouvements sont plus lents et plus
paresseux, à quoi s'ajoute que la femme enceinte est alors en principe moins
ingambe et plus nauséeuse. » - Ambroise Paré, au XVI" siècle, continue la
tradition, abandonnant l'opposition droite-gauche et ne conservant que celles
du chaud et du froid, et du sec et de l'humide (Œuvres, p. 587) : « Il est certain
que la semence plus chaude et sèche engendre le mâle, et la plus froide et
humide la femelle ; car il y a beaucoup moins de vertu [force] au froid qu'au
chaud. »
262 De l'utilité des parties du corps humain

tenant comme nous avons fait dans tout ce qui précède, quand
nous exposions les utilités des parties, donnant pour base aux
raisonnements actuels les démonstrations faites ailleurs. En
effet, dans nos Commentaires sur ['Anatomie d'Hippocrate 1 ,
nous avons disserté longuement sur ce fait qu'un fœtus fémi­
nin se trouve rarement renfermé dans la cavité droite.
Tous les jours on voit clairement le rapport des mamelles
avec les cavités utérines, soit qu'il s'agisse de l'avortement,
accident sur lequel Hippocrate (cf. ci-avant et aussi Apho­
rismes V, 37 et 40) nous a donné des renseignements, soit aussi
que tout se passe naturellement ; car les mamelles sont petites
comme les cavités utérines pendant la croissance des femelles;
dans l'âge adulte et quand arrive l'âge d'engendrer, elles se
développent comme les cavités, jusqu'à ce qu'elles aient atteint
la dimension convenable ; les deux organes se maintenant
alors dans cet état, la fonction de l'utérus sera de recevoir le
sperme et d'amener l'embryon à l'état parfait, tandis que celle
des mamelles consiste à nourrir l'animal une fois qu'il a vu le
jour 2 •
Quand vous disséquez les animaux, si vous faites attention,
vous constaterez que la vessie est beaucoup plus volumineuse
que l'utérus pendant la croissance, tandis que c'est l'utérus qui

1 . Traité perdu.
2. À propos de la sympathie entre utérus et seins, Soranos d'Éphèse écrit
(Maladies des femmes, I, rv) : « Elle [la matrice] est aussi en rapport de sympathie
naturelle avec les seins : en tout cas, lorsqu'elle prend du volume lors de la
puberté, les seins se gonflent de leur côté; lorsqu'elle mûrit la semence, les seins
élaborent le lait destiné à nourrir les enfants qui naîtront ; lorsque les règles
réapparaissent, la sécrétion du lait se tarit, mais lorsque le lait monte, la
menstruation est suspendue. De façon comparable, chez les femmes d'un
certain âge, la matrice perd de son volume et, en même temps, les seins subissent
une sorte de flétrissement; quand l'embryon souffre, les seins rapetissent. De
toute façon, lorsque nous voyons chez des femmes enceintes les seins se fissurer
et s'atrophier, nous prédisons une fausse couche. » - Ambroise Paré, après avoir
vaguement décrit une relation vasculaire entre utérus et mamelles évoque, lui
aussi, mais de manière plus « légère », l'idée d'une sympathie entre ces parties
(Œuvres, p. 92) : « Or y a-t-il une sympathie des mamelles à la matrice. Car
chatouillant le tétin, la matrice se délecte aucunement, et sent une titillation
agréable, parce que ce petit bout de la mamelle a le sentiment fort délicat, à
cause des nerfs qui y finissent, à celle fin que même en cela les tétins eussent
affinité avec les parties qui servent à la génération, et aussi à ce que la femelle
offrît et exhibât plus volontiers les mamelles à l'enfant qui la chatouille douce­
ment de la langue et bouche. »
Livre XIV - Des organes génitaux 263

est plus ample que la vessie quand les animaux ont atteint tout
leur développement 1 • En effet, la vessie croît dans la même
proportion que les autres parties du corps, puisqu'elle rend le
même service à tous les âges; mais la fonction de l'utérus ne
peut convenablement s'exercer ni dans la croissance, ni dans
la vieillesse des animaux, attendu que les fœtus vivent aux
dépens du superflu d'un aliment profitable, lequel ne peut se
trouver que chez les animaux arrivés à leur entier développe­
ment. Au déclin de l'âge, comme la vigueur décroît, la coction
des aliments ne s'accomplit plus avec régularité, en sorte que
les animaux doivent se trouver heureux s'ils peuvent consom­
mer une quantité de nourriture suffisante pour leur propre
usage. Au contraire, pendant leur croissance, les animaux sont
pleins de vigueur; aussi digèrent-ils une quantité considérable
d'aliment utile, mais comme cet aliment doit servir à la fois à
la nourriture et à l'accroissement de l'animal, il ne reste rien
de superflu. C'est donc seulement chez les animaux entière­
ment développés, quand la période d'accroissement est termi­
née et que leur force est encore entière, qu'il y a surabondance
d'aliment utile. C'est pourquoi la nature donne aux animaux, à
cette époque de la vie, un utérus très développé, tandis qu'elle
laisse l'utérus petit chez les animaux non encore entièrement
développés ou vieillissant, attendu qu'une dimension considé­
rable est nécessaire aux uns pour la gestation, et que chez les
autres, dont l'utérus ne devait pas fonctionner, cette dimen­
sion était complètement inutile.

CHAPITRE v . - Chaque organe est en quelque sorte un animal qui

1 . Soranos d'Éphèse, Maladies des femmes, I, IV : « Elle [la matrice] est située
dans l'espace limité par les hanches, entre vessie et rectum, au-dessus du rectum
et sous la vessie- tantôt tout entière, tantôt en partie seulement, puisque sa taille
est variable : chez les fillettes elle est plus petite que la vessie, qui la recouvre
entièrement; chez les filles vierges mais déjà formées, elle a les mêmes dimen­
sions que la partie de la vessie placée au-dessus d'elle; chez les femmes plus
âgées et non vierges, et spécialement chez celles qui ont eu des enfants, elle est
plus grande que la vessie [...]. Après l'accouchement, la matrice diminue, en
restant d'ailleurs plus volumineuse qu'avant la grossesse; elle demeure alors, en
tout état de cause, plus grosse que la vessie, et la place que la matrice occupe
au-dessous de cet organe n'est plus tout à fait la même. »
264 De l'utilité des parties du corps humain
continue le mouvement formateur et réparateur reçu dès le principe. -
Galien se propose de compléter les recherches d'Aristote et d'Hippo­
crate en ce qui concerne la nature du mâle et celle de la femelle.

Tout cela se passe-t-il ainsi dans les mamelles et les cavités


utérines, parce que les organes mêmes, en vertu d'un certain
raisonnement, connaîtraient les fonctions qu'ils doivent rem­
plir? Ou plutôt, dans ces conditions, les organes ne cessent-ils
pas d'être organes, et ne deviennent-ils pas des animaux doués
de raison, instruits du temps où doit s'accomplir le mouve­
ment et de sa mesure ? Si à leur structure vous ajoutez une
certaine nécessité naturelle qui les pousse à exécuter les
mouvements dont nous parlions, ces organes en restant des
organes et des parties de l'animal, révéleront l'art admirable
du Créateur. Par exemple, ceux qui imitent par la mécanique
les révolutions périodiques des astres errants, après leur avoir
imprimé le premier mouvement au moyen de certains
rouages, abandonnent leur œuvre à elle-même, et cependant
les astres poursuivent leur cours comme si leur créateur était
là présent et continuait à diriger leur marche 1 • Eh bien, c'est
de la même façon, je pense, que chacune des parties du corps
fonctionne, par une conséquence et une suite du mouvement
imprimé dès l'origine première, et qu'elle n'a plus besoin dès
lors d'aucune direction 2 • Pour nous, si nous ne pouvons
l . Aristote avait déjà eu recours à cette comparaison à un automate (Généra­
tion des animaux, II, 1, 734b) : « Or dire "la semence" ou "l'être d'où vient la
semence", revient au même, dans la mesure où la semence possède en elle le
mouvement que le générateur lui a imprimé. D'autre part, il est possible qu'une
chose en meuve une autre, puis celle-ci une autre encore et que ce soit comme le
mécanisme des automates. Leurs pièces au repos possèdent en quelque sorte
une puissance. Et dès qu'un agent extérieur imprime un mouvement, aussitôt la
pièce suivante devient effectivement active. Eh bien, de même que dans les
automates, c'est cet agent qui d'une certaine façon met en mouvement, non par
un contact direct mais grâce à un contact antérieur, de même l'être d'où vient la
semence, ou celui qui l'a faite, agit après un contact en un point, mais un contact
qui n'a plus lieu; d'une autre façon, Je mouvement qui l'habite est comme
l'architecture à l'égard de la maison. Il apparaît donc qu'il y a quelque chose qui
agit, mais non en tant qu'être déterminé ni de chose qui existerait dans la
semence, tout achevée dès le début. •
2. Ces considérations aboutissent à une sorte d'harmonie préétablie entre les
différentes parties du corps. Chacune d'elles fonctionne de manière parfaite­
ment déterministe (comme dans l'automate imitant le mouvement des astres);
mais les causes premières de chacune d'elles étant harmonisées de manière
préétablie, ces fonctionnements déterministes concourent tous au même but
Livre XIV - Des organes génitaux 265

expliquer clairement toutes les œuvres de la nature, car elles


sont très difficiles à décrire, nous devons néanmoins chercher
à les comprendre toutes.
Il nous faut d'abord trouver la cause du rapport entre les
matrices et les mamelles, puis expliquer pourquoi les fœtus
mâles se trouvent dans la cavité droite, et les fœtus femelles
dans l'autre, comment se produit le lait, comment les matrices
augmentent et diminuent en même temps que les mamelles ;
et, avant de traiter toutes ces questions, nous sommes dans
l'obligation de décrire la nature du mâle et celle de la femelle.
En effet, cette recherche me paraît devoir être le principe et la
source de la solution des autres problèmes. Aristote a pré­
tendu avec raison que la femelle est plus imparfaite que le
mâle 1 , mais il n'est pas allé jusqu'au bout de son raisonne­
ment ; il me semble même avoir omis pour ainsi dire la tête. Je
vais donc tâcher de développer ce raisonnement, en appuyant
ma dissertation sur les belles démonstrations données par
Aristote, et avant lui par Hippocrate 2, et en ajoutant moi­
même ce qui manque pour les compléter.

(comme s'ils étaient coordonnés de manière finalisée). Ce que Galien va mainte­


nant expliquer à propos des mamelles et de l'utérus. Cette harmonie préétablie
n'est pas sans rappeler celle à laquelle Leibniz aura recours (voir aussi la note 2,
p. 236).
1. L'imperfection et la froideur de la femelle sont des constantes chez
Aristote. En voici deux exemples. - Génération des animaux, I, xx, 728a :
« D'ailleurs l'enfant a une forme féminine et la femme ressemble à un mâle
stérile. Car la femelle est caractérisée par une impuissance : celle où elle se
trouve d'opérer une coction de sperme à partir de la nourriture élaborée
(c'est-à-dire le sang ou son analogue chez les non-sanguins), en raison de la
froideur de sa nature. » - Génération des animaux, II, III, 737a : « En effet, la
femelle est comme un mâle mutilé, et les règles sont une semence, mais qui n'est
pas pure : une seule chose lui manque, le principe de l'âme. »
2. Hippocrate est plus nuancé qu'Aristote. Il écrit (De la génération, § 6 et 7 ;
Œuvres, VII, p . 479) : « Ceci est encore à noter : l a semence de l a femme est
tantôt plus forte, tantôt plus faible; de même pour l'homme. Chez l'homme est la
semence femelle, et la semence mâle, semblablement, chez la femme. La
semence mâle est plus forte que la semence femelle. C'est de la plus forte
semence que naîtra le produit. Voici ce qui en est : si la semence plus forte vient
des deux côtés, le produit est mâle; si c'est la semence plus faible, le produit est
femelle. Celle des deux qui l'emporte en quantité prédomine aussi dans le
produit. Si, en effet, la semence faible est beaucoup plus abondante que la
semence forte, la forte est vaincue, et, mêlée à la faible, se transforme en femelle;
si la forte est plus abondante que la faible, la faible est vaincue et se transforme
en mâle. [...] Des faits apparents permettent de conclure que dans l'homme et
dans la femme est semence et mâle et femelle; beaucoup de femmes qui avaient
266 De l'utilité des parties du corps humain

CHAPIT RE V I . - La femelle diffère du mâle, d'abord en ce qu'elle est


plus froide ; en second lieu, parce que ses organes sexuels sont situés
en dedans, tandis que ceux du mâle sont à l'extérieur, quoique au fond
ces organes soient identiques dans les deux sexes, ce qu'il est facile de
comprendre en supposant ceux des mâles repliés en dedans et ceux
des femelles tirés au-dehors. - Comparaison avec les yeux des aspha­
lax. - De la différence que présentent les divers animaux. Idée de
l'échelle des êtres. - La supériorité du mâle sur la femelle tient à la
prédominance du chaud. - La femelle devait être plus froide que
l'homme, en vue du fœtus qu'elle devait contenir à l'intérieur et
alimenter. - Conséquences multiples qui découlent, chez le mâle et
chez la femelle, de ce seul principe : le chaud en excès ou en défaut.

La femelle est plus imparfaite que le mâle par une première


raison capitale, c'est qu'elle est plus froide : en effet, si parmi
les animaux celui qui est chaud est le plus actif, l'animal plus
froid doit être plus imparfait que l'animal plus chaud. La
deuxième raison ressort de la dissection, et c'est surtout cette
raison que tout à l'heure (chap. v) j'annonçais devoir être très
difficile à expliquer. Mais puisque l'occasion m'y invite, il faut
l'aborder résolument. Pour vous qui lisez cette partie de mon
ouvrage, ne mettez pas en doute la justesse de mes assertions
avant de les avoir vérifiées de vos propres yeux.
La vue des parties complétera, j'en suis sûr, les lacunes du
raisonnement; le voici : Toutes les parties de l'homme se
trouvent aussi chez la femme. Il n'y a de différence qu'en un
point, et il faut s'en souvenir dans tout le raisonnement, c'est
que les parties de la femme sont internes et celles de l'homme

des filles avec leurs maris ont eu des garçons avec d'autres hommes, et les
mêmes hommes qui avaient des filles avec ces femmes ont eu des garçons avec
d'autres femmes; et, au rebours, des hommes engendrant des garçons ont, avec
d'autres femmes, engendré des filles. Ce discours témoigne que l'homme,
comme la femme, a la semence femelle et la semence mâle. Chez ceux qui
engendraient des filles, la plus forte a été vaincue par la surabondance de la plus
faible, et le produit fut femelle; chez ceux qui engendraient des garçons, la plus
forte l'a emporté et le produit a été mâle. Le même homme ne fournit pas
constamment ni une semence forte ni une semence faible; mais il y a de
perpétuelles variations. Il en est de même de la femme. On ne s'étonnera donc
pas que les mêmes femmes et les mêmes hommes engendrent et des garçons et
des filles. La génération des mâles et des femelles se comporte semblablement
chez les bêtes. »
Livre XN - Des organes génitaux 267
externes, à partir de la région dite périnée 1 • Figurez-vous
celles qui s'offrent les premières à votre imagination,
n'importe lesquelles, retournez en dehors celles de la femme,
tournez et repliez en dedans celles de l'homme, et vous les
trouverez toutes semblables les unes aux autres. Supposez
d'abord avec moi celles de l'homme rentrées et s'étendant
intérieurement entre le rectum et la vessie ; dans cette supposi­
tion le scrotum occuperait la place des matrices avec les
testicules situés de chaque côté à la partie externe ; la verge du
mâle deviendrait le col de la cavité qui se produit, et la peau de
l'extrémité de la verge qu'on nomme maintenant prépuce,
devient le vagin même de la femme. Supposez à l'inverse que
la matrice se retourne et tombe en dehors, ses testicules
(ovaires) ne se trouveraient-ils pas alors nécessairement en
dedans de sa cavité, ne les envelopperait-elle pas comme un
scrotum ? Le col jusque-là caché en dedans du périnée, pen­
dant à cette heure, ne deviendrait-il pas le membre viril, et le
vagin [avec la vulve] de la femme qui est un appendice cutané
de ce col, ne tiendrait-il pas lieu de ce qu'on nomme le
prépuce ? Ce renversement serait suivi du changement de
position des artères, des veines et aussi des vaisseaux sperma­
tiques ; car on ne saurait trouver dans l'homme une seule
partie en surplus, la position seule est changée : les parties
internes dans la femme sont externes chez l'homme.
On peut voir quelque chose de semblable dans les yeux des
asphalax-zemni (taupes) ; elles ont en effet l'humeur vitrée, le
1. Cette idée que les parties génitales de l'homme et de la femme sont
similaires, les unes externes et les autres internes, restera. L'idée que, si les
organes génitaux femelles restent internes, c'est parce que la femelle est trop
faible, imparfaite et trop froide pour les extérioriser se retrouve encore aux XVIe
et XVII" siècles, chez Ambroise Paré et Francis Bacon (1561-1626) par exemple. -
A. Paré, Œuvres, p. 86 : « Car ce que l'homme a au-dehors, la femme l'a
au-dedans, tant par la providence de nature que de l'imbécillité [faiblesse]
d'icelle, qui n'a pu expeller et jeter dehors les dites parties, comme à l'homme. »
- F. Bacon, Novum Organum, livre Il, aphorisme 27 : « Le scrotum chez les
animaux mâles et la matrice chez les animaux femelles sont d'autres instances
conformes qui suggèrent que ce remarquable agencement par lequel les sexes
diffèrent (du moins chez les animaux terrestres) se réduit à la différence entre
l'externe et l'interne : la chaleur, qui a plus de force dans le sexe masculin,
pousse à l'extérieur les parties génitales, alors que, dans la femelle, elle est trop
faible pour parvenir à ce résultat, en sorte que les parties génitales restent
renfermées à l'intérieur. »
268 De l'utilité des parties du corps humain

cristallin et les tuniques qui les enveloppent, lesquelles,


disions-nous (X, I et II) , naissent des méninges ; et ces tuniques
ne sont pas en moins grand nombre que chez les animaux qui
se servent de leurs yeux. Mais chez les asphalax, les yeux n'ont
pas été ouverts, ils n'ont pas fait saillie en dehors, ils ont été
laissés inachevés, et ont été maintenus dans le même état que
ceux des autres animaux encore enfermés dans la matrice 1 •
En effet, comme Aristote l'a démontré amplement, la dif­
férence dans la nature des divers animaux n'est pas
médiocre 2 • Les uns sont très rapprochés des plantes ; ce sont
les plus imparfaits de tous les animaux, n'ayant qu'un seul
sens, le toucher; tels sont la plupart des testacés qui n'ont
aucun organe de sensation; ils n'ont également aucun
membre ni aucun viscère distincts, et ne diffèrent guère des
végétaux. Plus éloignés en sont les animaux pourvus d'un
organe du goût, plus encore ceux qui ont en outre l'organe de
l'odorat, et, beaucoup plus encore que ces derniers, ceux qui
ont aussi le sens de l' ouïe. Sont animaux presque parfaits ceux
qui possèdent et ces sens et l'organe de la vue. Tels sont les
poissons, mais ils n'ont ni pieds ni mains. Les lions et les
chiens ont non seulement des pieds, mais une sorte de main, et
les ours et les singes sont encore sous ce rapport mieux
partagés que ceux-ci. L'homme seul a une main parfaite et la
raison pour s'en servir, la raison, faculté la plus divine qui
existe chez un être mortel (cf. I, IV) . De même donc que de tous
les animaux l'homme est le plus parfait, de même dans
l'espèce humaine l'homme est plus parfait que la femme.
La cause de cette supériorité est la surabondance du chaud ;
car le chaud est le premier instrument de la nature 3 • Donc les
1. Aristote, Histoire des animaux I, IX, 491b : « Tous les vivipares en ont [des
yeux] sauf la taupe. Certes, on pourrait admettre qu'elle en a d'une certaine
façon, mais absolument parlant elle n'en a pas. Car, absolument parlant, elle ne
voit pas, et elle n'a pas d'yeux visibles extérieurement, mais quand la peau est
enlevée, on s'aperçoit qu'elle a l'emplacement des yeux, ainsi que la partie noire
des yeux à la place prévue, et l'endroit où se trouve naturellement les yeux à
l'extérieur, ce qui indique que ces parties se sont arrêtées dans leur développe­
ment et que la peau les a recouvertes. »
2. Aristote, Histoire des animaux, VIII, I et II. Voir la citation donnée dans la
note 1, p. 86.
3. C'est encore une idée aristotélicienne. Pour Aristote, la chaleur est non
seulement l'instrument de l'âme, ce par quoi celle-ci met en forme la matière du
corps, mais c'est aussi, de manière plus générale, ce qui fait advenir en acte
Livre XN - Des organes génitaux 269

animaux chez lesquels il est moins abondant doivent néces­


sairement avoir une conformation moins parfaite ; aussi n'y a­
t-il rien d'étonnant que la femelle soit d'autant plus inférieure
au mâle qu'elle est plus froide. De même que l'asphalax a des
yeux imparfaits, mais moins imparfaits que les animaux chez
lesquels il n'existe pas même un simple linéament des yeux, de
même pour les parties génitales, la femme est plus imparfaite
que l'homme. En effet, les parties ont été construites inté­
rieurement, pendant la vie fœtale ; n'ayant pu, faute de cha­
leur, descendre et faire saillie au-dehors, elles ont fait de
l'animal un être plus imparfait que l'être achevé de tous
points ; mais pour la race en général, ces parties n'ont pas été
d'une utilité médiocre, car une femelle était nécessaire (cf. De
la semence, II, v). N'allez pas croire, en effet, que notre
Créateur ait volontairement créé imparfaite et comme mutilée
la moitié de l'espèce entière, si de cette mutilation ne devait
résulter une grande utilité ; nous allons dire quelle est cette
utilité.
Le fœtus a besoin, pour sa formation première et pour son
entier développement ultérieur, d'une quantité considérable
de matière. Il faut donc nécessairement de deux choses l'une
ou qu'il dérobe à celle qui le porte sa nourriture, ou qu'il
prenne ce qu'elle a en excès. Or, il n'était pas préférable qu'il
privât sa mère de nourriture, et il lui était impossible de
prendre la nourriture en excès, si la femelle était douée d'une
grande chaleur, attendu que la chaleur dissiperait aisément et
dessécherait ce superflu. Il était donc convenable que la mère
fût froide à un degré tel, qu'elle ne pût dissiper tous les
aliments cuits et digérés. En effet, ce qui est trop froid ne peut
même pas cuire l'aliment ; d'un autre côté, ce qui est parfaite­
ment chaud, ayant une grande puissance de coction, en a une
grande aussi pour dissiper. Le corps qui n'est pas trop éloigné
de la chaleur parfaite, est susceptible, puisqu'il n'est pas tout à
fait froid, de cuire l'aliment et en même temps d'en laisser une
partie superflue, puisqu'il n'est pas excessivement chaud.
Telle est l'utilité de la froideur de la femelle.
toutes les potentialités de la matière; c'est l'agent général du parachèvement des
êtres définis, vivants ou non.
270 De l'utilité des parties du corps humain

La conséquence immédiate de cette froideur était l'imper­


fection des parties incapables, par défaut de chaleur, de se
porter au-dehors, ce qui est un second avantage et le plus
important pour la perpétuité de l'espèce. Car en faisant saillie,
les parties intérieures devenaient le scrotum ; mais ce scrotum,
en demeurant dans l'intérieur, a constitué la matrice, organe
propre à recevoir et à retenir le sperme, à nourrir et à parfaire
le fœtus. Par conséquent encore, la femme devait avoir les
testicules plus petits et plus imparfaits, et le sperme qui y est
renfermé moins abondant, plus froid, plus humide ; car cela
dérive nécessairement du défaut de chaleur. Aussi un sem­
blable sperme ne devait pas suffire pour engendrer un être
animé. Jusqu'à quel degré il est utile, car il n'a pas été créé en
vain, la suite du discours (cf. chap. xi) le fera connaître.
Le mâle a des testicules d'autant plus forts qu'il est plus
chaud. Le sperme qui y naît arrivant au dernier degré de
coction, est le principe formateur de l'animal. D'un seul
principe sagement imaginé par le Créateur, celui d'après
lequel la femelle est plus imparfaite que le mâle, découlent
donc toutes les dispositions utiles à la génération de l'animal :
l'impossibilité pour les parties de la femme de saillir au­
dehors, l'accumulation d'un superflu d'aliment utile, un
sperme imparfait, un organe creux propre à recevoir le
sperme parfait ; chez le mâle toutes choses contraires : un
membre allongé très convenable pour la copulation et l'émis­
sion du sperme, et ce sperme même abondant, épais et chaud.

CHAPITRE V I I . - Le sperme de la femme n'est pas fécond par lui­


même; il a besoin d'être mêlé au sperme du mâle; mais les mouve­
ments de l'un et l'autre sperme sont de même nature, quoique le
mouvement de l'un soit plus faible que celui de l'autre. - Les oiseaux
pondent des œufs sans le concours du mâle; mais ce sont des œufs
inféconds; cette ponte même est impossible chez les autres animaux,
attendu qu'ils ne sont ni assez chauds ni assez secs pour que la femelle
mette au jour un pareil produit. La formation des môles chez la
femme exige le rapprochement sexuel. - Époque de la distinction des
sexes pendant la vie fœtale. - A quelles causes tient cette détermina­
tion sexuelle? D'abord à la disposition différente des vaisseaux utérins
et testiculaires, à droite et à gauche, d'où résulte une différence dans le
Livre XIV - Des organes génitaux 271

tempérament des parties auxquelles se rendent ces vaisseaux. D'un


autre côté, la supériorité est assurée aux parties droites, à cause de
leurs rapports directs avec le foie. - Opinion d'Hippocrate sur ce
point. - Comment il faut entendre que le testicule droit est plus fort
que le gauche. Exception à la règle. - Pourquoi les fœtus mâles sont à
droite et les fœtus femelles à gauche.

Ne pensez donc pas que le sperme se meuve d'après un


certain principe pour la génération des mâles, et d'après un
autre pour celle des femelles. Dans ce cas, en effet, il n'existe­
rait pas de principe d'un animal identique si le sperme était
sujet à des mouvements tout à fait différents. Mais, comme il
est dit maintenant, le sperme femelle est plus imparfait dans
son mouvement, et le sperme mâle plus parfait. On attribue­
rait avec raison ce mouvement plus imparfait ou plus parfait à
l'inégalité dans le froid et le chaud ; et c'est à ce seul principe,
si vous connaissez exactement la nature, que vous rapporterez
toutes ces particularités. Mais, comment donc ce principe
même se développe-t-il dans les fœtus ? Ceux qui croient que la
femelle émet un sperme fécond ne trouvent pas étonnant que
le fruit conçu soit une femelle, quand les mouvements de ce
sperme sont plus forts que ceux du mâle. Mais d'abord ces
gens ne comprennent pas qu'ils supposent deux principes de
mouvement en lutte l'un avec l'autre. En effet, si le sperme de
la femelle a essentiellement un principe de mouvement, il a
absolument le même que celui du mâle, et a besoin d'être mêlé
à ce dernier et d'agir ainsi désormais avec lui. Ou s'il n'a pas
besoin de cette union, qui empêchera la femelle répandant sa
semence au-dedans d'elle-même d'amener à perfection le
fœtus ? Et cependant cela ne se voit pas, il est donc évident
qu'elle a absolument besoin du sperme mâle. Si elle en a
besoin, celui-ci se mêle nécessairement au sien et tous deux
combinent leur mouvement en un seul ; car il n'est pas pos­
sible que l'un se mouvant d'une façon et l'autre d'une autre
façon, ils concourent à la génération d'un animal unique. En
un mot, s'imaginer qu'il y a un chemin et un ordre de mouve­
ment pour le sperme femelle et d'autres pour le sperme mâle,
c'est le fait d'hommes qui raisonnent sans expérience des
choses de la nature ; en effet, que ce soit le sperme même de la
272 De l'utilité des parties du corps humain

femelle ou le sang découlant dans les matrices qui apporte un


principe de mouvement, il participe exactement au même
mouvement que le sperme du mâle.
Cela est visible chez les poules ; elles pondent en effet sans la
fréquentation du mâle les œufs qu'on nomme clairs (œufs sans
germe), auxquels il manque évidemment quelque chose pour
être parfaits puisqu'ils ne peuvent donner naissance à des
animaux. Pour la forme ils sont absolument semblables aux
autres œufs, cela est parfaitement certain ; il ne leur manque
pour être parfaits que la seule chaleur du mâle 1 • La même
chose ne saurait exister chez les animaux qui marchent ;
comme ils ont tous le corps beaucoup plus humide que celui
des oiseaux, la femelle en a un tout à fait dénué de vigueur et
incapable d'un mouvement assez décisif pour imprimer à un
produit de conception une forme régulière. Il n'y a que
l'espèce d'animaux douée d'un tempérament assez sec pour
que l'humidité froide du sperme de la femelle puisse être
absorbée jusqu'à un certain point, qui soit capable, sans le
concours du mâle, d'engendrer une production semblable à ce
qu'est l'œuf véritable chez ces animaux. Trouverions-nous
dans les animaux qui marchent une production analogue à
l' œuf autre que celle appelée môle par les médecins, laquelle
est une certaine chair inactive et informe.
Si donc on prétend que la semence de la femme arrive à ce
seul résultat, il est clair d'abord qu'on lui attribue une action
créatrice bien chétive, laquelle existerait peut-être dans le seul
flux menstruel, en second lieu qu'on se trompe dans l'exposi­
tion des faits : car jamais on n'a vu une femme concevoir une

1. Aristote, Génération des animaux, II, m, 737 a : « En effet, la femelle est


comme un mâle mutilé, et les règles sont une semence, mais qui n'est pas pure :
une seule chose lui manque, le principe de l'âme. Et voilà pourquoi, chez tous les
animaux qui ont des œufs clairs [des œufs ne donnant pas naissance à un être, car
non fécondés}, I'œuf se forme bien avec des parties des deux sexes, mais il n'a pas
ce principe, et c'est ce qui fait qu'il n'est pas animé : car ce principe, c'est le
sperme du mâle qui l'apporte. Au contraire, quand le résidu de la femelle reçoit
ce principe, il se forme un embryon. » - Histoire des animaux, VI, 11, 560 a :
« Ceux qui disent que les œufs clairs sont les résidus des œufs formés à la suite
d'un accouplement antérieur, sont dans l'erreur. On a déjà vu, en effet, suffisam­
ment de poulettes et de jeunes oies pondre des œufs clairs sans avoir été
côchées. »
Livre XIV - Des organes génitaux 273

môle ou tout autre produit analogue sans le concours de


l'homme, comme on voit les femelles des poules pondre des
œufs sans la coopération des mâles. Il vaut donc mieux
supposer que le sperme du mâle est le principe du mouvement
et admettre que le sperme de la femelle contribue avec le sien à
la génération de l'animal. Jusqu'à quel point y contribue-t-il,
c'est ce que je dirai bientôt quand j'aurai d'abord terminé la
présente dissertation.
En vertu de ce principe unique, les anatomistes eux-mêmes
vous en instruiront, au moment où le sperme descend dans
l'utérus, et même longtemps encore après, il n'y a de forme
pour aucune des parties génitales et l'on ignore si le fœtus
même est mâle ou femelle ; plus tard seulement la distinction
s'aperçoit et devient nette, la cause de ce fait tenant en partie
au sperme lui-même, en partie à la matrice. Comment l'une de
ces causes réside-t-elle en lui dès l'origine, comment l'autre
survient-elle plus tard, c'est, il me semble, ce que je vais
prouver non par des raisons plausibles, mais par des démons­
trations évidentes trouvées en disséquant, et par lesquelles,
j'en suis sûr, l'art de la nature vous paraîtra admirable, si vous
prêtez votre attention à mes paroles.
La veine cave, à l'endroit où elle naît du foie, et se recourbe
encore suspendue pour se diriger vers le rachis, a le rein droit
situé à sa partie droite, puis en avançant un peu plus bas, à sa
gauche le rein gauche. De cette veine dérive vers chacun des
reins un vaisseau veineux très considérable et de plus au bas
de chacun de ceux-ci se voient deux autres vaisseaux égale­
ment grands, issus de la grande artère couchée le long du
rachis ; or, comme les veines pénètrent aussi dans les reins,
attendu que le rein droit est situé proche du foie et le rein
gauche un peu plus bas, ainsi qu'il a été dit à propos des
organes de l'alimentation (cf. V, v), on remarque pour les
vaisseaux seulement qui se rendent aux reins, une particula­
rité qui ne se trouve dans aucun autre des rameaux issus de la
veine cave ni de ceux qu'engendre la grande artère (aorte). En
effet tous ces rameaux sortent par paires du même point de
l'un et de l'autre vaisseau ; au contraire, pour les veines et les
artères issues des grands vaisseaux et qui se rendent aux reins
274 De l'u tilité des parties du corps humain

(artères et veines émulgentes), ils n'ont pas leur origine au


même point, mais autant le rein droit est plus élevé, autant le
lieu d'origine des vaisseaux qui s'y rendent est aussi plus élevé
que celui des vaisseaux destinés à l'autre rein. À la suite de ces
vaisseaux les artères et les veines qui se rendent par paires aux
parties génitales pouvaient se détacher du même point. En
effet les unes ne vont pas à un organe élevé et les autres à un
organe bas, puisque la matrice gauche a la même situation que
la matrice droite, et que les deux testicules sont sur la même
ligne. Pourquoi donc, parmi les vaisseaux qui s'y rendent, ceux
qui vont à la matrice droite et au testicule du même côté
naissent-ils des grands troncs vasculaires couchés sur le
rachis, la veine de la veine cave, l'artère de la grande artère
(vaisseaux utéro-ovariques) ? Pourquoi ceux qui vont au testi­
cule gauche chez les mâles, ou à la matrice de ce côté chez la
femelle (il y en a deux aussi, une artère et une veine), naissent­
ils non plus des mêmes grands vaisseaux, mais de ceux qui se
portent aux reins ? C'est évidemment pour que le testicule
gauche chez les mâles et la matrice gauche chez la femme
reçoivent un sang encore impur et chargé de superfluités,
humide et séreux; de là il résulte aussi que les organes
eux-mêmes qui reçoivent le sang, n'ont pas un tempérament
identique. De même en effet que le sang pur est plus chaud que
le sang chargé de superfluités, de même aussi les parties
droites nourries par ce sang sont plus chaudes que les parties
gauches.
Dès le principe, d'ailleurs, ces parties avaient une supério­
rité naturelle. Nous avons souvent en effet démontré la jus­
tesse de cette remarque d'Hippocrate, que les parties situées
en ligne droite (c'est-à-dire, directement au-dessous les unes des
autres) tirent nécessairement un plus grand profit de leurs
communications réciproques. Ne vous étonnez donc plus si la
matrice droite et le testicule situé de ce côté, en raison non
seulement de la différence de leur nourriture, mais encore de
leur situation en ligne droite avec le foie, sont beaucoup plus
chauds que la matrice et le testicule gauches. Or, si cela est
démontré, et si l'on convient que le mâle est plus chaud que la
femelle, il n'est plus illogique de prétendre que les parties
Livre XIV - Des organes génitaux 275

droites engendrent les mâles et les parties gauches les


femelles. Voici comment Hippocrate (Épidémies, VI, IV, 21)
s'exprime à cet égard : « A la puberté, suivant le testicule qui
apparaît au-dehors (c'est-à-dire qui se développe le plus), on
engendrera des garçons, si c'est le droit ; des filles, si c'est le
gauche. » En effet, à l'époque où il y a turgescence des parties
génitales, où la voix se transformant, devient plus grave et plus
rude, ce qu'on appelle être en puberté, Hippocrate conseille
d'observer laquelle des parties est la plus forte ; les parties qui
se gonflent et s'accroissent d'abord sont à coup sûr les plus
fortes.
Ici une distinction est nécessaire pour que personne ne se
méprenne à notre langage : On dit en deux sens qu'une partie
est plus forte et plus faible que l'autre; l'un s'entend simple­
ment et naturellement eu égard au genre tout entier; l'autre de
la conformation particulière d'un individu isolé. En effet, dans
tous les genres d'animaux le cœur est plus fort que le foie, les
artères sont plus fortes que les veines, les nerfs que les chairs,
et toutes les parties droites que les parties gauches ; mais il
peut arriver chez Dion ou Théon, par exemple, que la moitié
droite de la tête ou l' œil situé de ce côté soit plus faible que
l'autre. De même le testicule droit est généralement plus fort
que le testicule gauche ; mais chez tel ou tel en particulier, il
peut arriver que le gauche soit le plus fort. Le plus souvent, en
effet, le testicule gauche est plus variqueux que le droit, et par
conséquent le scrotum qui l'entoure est plus lâche. D'un autre
côté vous trouverez des cas assez nombreux où le testicule
droit est affecté d'une débilité congénitale ; dans ces cas le
testicule gauche est plus fort. Si par hasard le rein droit se
trouve placé près de l'autre (ce qui arrive quelquefois, quoique
rarement), on voit alors, des vaisseaux qui s'y distribuent,
partir des rameaux qui se rendent, chez le mâle, au testicule
droit; chez la femelle à la matrice située de ce côté. En résumé,
toute partie de l'animal affectée d'un vice congénital de
conformation, même peu prononcé, reste pendant toute la vie
plus exposée à la maladie et plus faible. Ce vice a pour cause
première la copulation intempestive du mâle et le régime
observé ensuite par la femelle devenue grosse (cf. XI, x) . Mais
276 De l'utilité des parties du corps humain

cela constitue une autre question. Quand le testicule droit est


plus faible que l'autre, le gauche se développe le premier à
l'époque qu'on nomme puberté. On peut augurer de là que
l'animal procréera des femelles ; de même si le testicule
gauche se comporte normalement, et que le testicule droit, au
moment de la puberté, se développe le premier, cet animal
procréera des mâles, autant qu'il est en lui. En effet, avec le
principe surajouté de la femelle, il arrive parfois que le sperme
générateur d'une femelle, échauffé par la matrice droite,
produit un fœtus mâle, et que le sperme générateur d'un mâle,
refroidi par la matrice gauche, se transforme en un produit
contraire. Car le sperme, se trouvant légèrement plus froid et
la matrice étant beaucoup plus chaude, il n'est pas étonnant
qu'elle lui cède ce qui lui manquait. Mais si le sperme était
excessivement refroidi, et qu'il pénétrât dans la matrice droite
quand l'animal est vieux, cette matrice ne lui serait d'aucun
secours. Ainsi donc il existe un double principe de la généra­
tion des mâles, l'un chez les femelles, c'est la matrice droite ;
l'autre chez les mâles, c'est le testicule droit ; et comme la
matrice ordinairement plus influente rend le fœtus semblable
à elle-même, parce qu'elle a avec lui un plus long contact, on a
raison de prétendre que, dans la plupart des cas, les fœtus
mâles se trouvent dans la matrice droite et les femelles dans la
matrice gauche ; car le plus souvent elle s'assimile le sperme.
Mais il peut arriver que, vaincue par la puissance de chaleur
du sperme, elle laisse le fœtus devenir mâle de femelle qu'il
était. Ces cas sont rares, attendu qu'ils exigent un grand excès
de chaleur. Aussi le plus souvent le mâle se trouve dans la
matrice droite, la femelle dans la matrice gauche ; la cause en
est dans le principe des vaisseaux qui nourrissent les matrices.

CHAPITRE v111 . - Les mamelles et les matrices sont mises en étroite


sympathie au moyen des vaisseaux. - Fraternité entre le lait et le sang
menstruel, établie par Hippocrate et confirmée par les faits.

Je vais expliquer pourquoi il existe entre les mamelles et les


matrices une sympathie si étroite. Ce fait même démontrera
encore un certain art admirable de la nature. Comme la nature
Livre XIV - Des organes génitaux 277

avait en effet disposé les deux appareils pour l'accomplisse­


ment d'une seule œuvre, elle les a unis par les vaisseaux qui,
disions-nous dans le livre sur le thorax (VII, XXVII), vont aux
mamelles ; pour cela elle a fait descendre des veines et des
artères dans les hypocondres et dans tout l'hypogastre, puis
elle les a rattachées à celles qui remontent des parties infé­
rieures et qui fournissent les vaisseaux à la matrice et au
scrotum. Chez les animaux, ce sont en effet les seuls vaisseaux
qui, nés des régions supérieures du diaphragme, se rendent à
la partie basse du corps, et les seuls qui des parties inférieures
remontent; car les parties en question sont les seules qui aient
besoin d'être rattachées par des vaisseaux, afin que, pendant le
temps où le fœtus se développe et se forme dans les matrices,
les veines communes aux deux parties versent à ce dernier seul
de la nourriture, et qu'au moment où il est venu au monde
toute la nourriture reflue aux mamelles. C'est pourquoi il ne
saurait y avoir coïncidence entre le flux menstruel régulier et
la sécrétion lactée chez la femelle. En effet, l'une des parties
est toujours desséchée par le flux du sang vers l'autre partie.
Dans les époques intermédiaires à la grossesse, quand les
femmes sont dans la vigueur de l'âge, la nature évacue chaque
mois tout leur sang superflu accumulé, au moyen des vais­
seaux afférents aux matrices. Quand elles sont grosses, le
fœtus tire de ces vaisseaux sa nourriture. Mais les veines
situées dans cette région sont si larges et si longues, qu'elles
peuvent abondamment fournir à la nourriture du fœtus et
toujours accumuler quelque chose de superflu. Ce sang donc,
pendant tout le temps de la grossesse, amassé dans ces
communs vaisseaux ainsi qu'en des réservoirs de nourriture,
les soulève, les distend complètement, les déborde, pour ainsi
dire, et cherche alors une région où il puisse se transporter. Il
n'en trouve pas d'autre que les mamelles, et il y est lancé à la
fois par les veines distendues et surchargées, et par la masse
entière du ventre qui, vu l'état de grossesse pesant et pressant
sur lui, le pousse vers la région qui s'ouvre devant lui. Telle est,
dit Hippocrate, la fraternité qui existe entre le lait et le sang
menstruel 1 • Il résulte de là que si le fœtus devient malade, au
1. Hippocrate, Épidémies, livre II, section 3, § 17 (Œuvres, V, p. 119) : « Le
lait chez les primipares, vu qu'à huit mois de grossesse se termine [cette
278 De l'utilité des parties du corps humain

point de ne plus tirer à lui une nourriture suffisante, ou s'il


survient chez la femme une affection telle qu'elle ne lui
fournisse plus le sang nécessaire, la succession des opérations
de la nature est intervertie, bouleversée ; les mamelles
contractent nécessairement des affections opposées ; elles se
remplissent prématurément de lait quand le fœtus est débile,
et après s'atrophient par suite des besoins des matrices. Aussi
Hippocrate (Aphorismes V, 52; cf. V, 39) a-t-il dit : « Chez une
femme enceinte, si beaucoup de lait coule des mamelles, c'est
une preuve que le fœtus est faible. » En effet tout le sang
superflu laissé dans les veines par le fœtus remonte alors aux
mamelles ; ce fœtus ne pouvant, vu sa faiblesse, attirer à lui
une quantité d'aliments suffisante. Quand Hippocrate dit
encore (Aphorismes V, 37) : « Une femme enceinte dont les
mamelles s'affaissent subitement, avortera », il faut entendre
dans ce cas-là que le fœtus est fort, mais qu'il n'a pas une
nourriture abondante ; il commence donc par tirer le sang des
veines communes aux matrices, ce qui dessèche les mamelles,
et la femme ne tarde guère à avorter par manque absolu de
nourriture pour le fœtus. Mais toutes ces questions sont des
problèmes physiques que nous avons dû traiter à cause d'une
certaine parenté avec le sujet que nous nous proposons d'étu­
dier. Le but même de nos explications était de faire connaître
l'utilité des rapports qui existent entre les mamelles et les
matrices, et l'utilité des vaisseaux venus du rein du même côté
pour se rendre au testicule gauche et à la mamelle gauche. La
nature a imaginé toutes ces dispositions, préparant aux fœtus
un principe double de génération, afin que parmi eux il s'en
trouvât de mâles et de femelles. Telle est la réalité de ces faits.

CHAPITRE IX . - De la cause organique et matérielle du plaisir qui


accompagne l'acte vénérien, et du désir immodéré qui y convie les
animaux. - Cette cause réside dans l'humeur séreuse et mordicante
que les vaisseaux du côté gauche (cf. chap. vu) versent dans les

séparation], et que l'aliment change [de lieu] ; le lait, frère des règles, se
produisant lorsque la femme va vers dix mois, chose mauvaise. • - Voir aussi la
note 2, p. 261.
Livre XIV - Des organes génitaux 279
organes génitaux, dans un pneuma abondant et chaud qui cherche à
s'exhaler, dans le liquide prostatique, enfin dans le sperme lui-même.

Pourquoi une très vive jouissance est-elle attachée à l'usage


des parties génitales, pourquoi chez tous les animaux arrivés à
la vigueur de l'âge cet usage est-il précédé d'un désir furieux 1 ?
C'est ce que nous allons dire. Nous ne recherchons pas la
cause première et principale, car nous avons dit précédem­
ment (chap. II; cf. aussi chap. m) que la nature a imaginé ces
moyens pour assurer l'éternelle jeunesse et la perpétuité de
l'espèce; il s'agit de la cause matérielle et organique. Si ce
désir, si cette jouissance existent chez les animaux, ce n'est pas
seulement parce que les dieux créateurs de l'homme ont voulu
leur inspirer un violent désir de l'acte vénérien, ou attacher à
son accomplissement une vive jouissance ; mais parce qu'ils
ont disposé la matière et les organes pour obtenir ces résultats.
En effet, les artères et les veines qui de la région des reins se
rendent aux parties génitales, longent le fond des matrices et
se portent aux deux côtés (vaisseaux utéro-ovariques), où ils se
partagent en deux branches. L'une d'elles quittant ce lieu,
pénètre dans les testicules de la femme (branches ovariques)
situés à côté des matrices ; l'autre arrivant au fond des
matrices, s'y ramifie tout entière de diverses façons (branches
utérines). Là s'unissent les extrémités des vaisseaux qui se
distribuent dans le sinus gauche de la matrice avec les extré­
mités des autres vaisseaux ramifiés dans le sinus droit, en
sorte que la matrice droite reçoit une quantité imperceptible
mais cependant réelle d'humeur séreuse (cf. chap. VII) . Cette

1. Voir la note 1, p. 254. Platon. Timée, 91b-c : « Voilà pourquoi, chez les
hommes, ce qui tient à la nature des parties est un être indocile et autoritaire,
une sorte d'animal qui n'entend point raison, et que ses appétits toujours excités
portent à vouloir tout dominer. De même, chez les femmes, ce qu'on appelle
matrice ou utérus est, pour ces mêmes raisons, un animal au-dedans d'elles, qui
a l'appétit de faire des enfants; et lorsque, malgré l'âge propice, il reste un long
temps sans fruit, il s'impatiente et supporte mal cet état ; il erre partout dans le
corps, obstrue les passages du souffle, interdit la respiration, jette en des
angoisses extrêmes et provoque d'autres maladies de toutes sortes. » (Ce dernier
passage est l'explication antique de l'hystérie, au moins depuis Hippocrate ; voir
note 2, p. 293 et tome II, p. 252-266, ce qu'en dit Galien.)
280 De l'utilité des parties du corps humain

humeur devait, outre l'utilité précédemment indiquée, en


présenter une autre très importante, parce qu'elle a une âcreté
et un mordant d'une nature très propre à exciter à l'usage des
parties et à procurer une jouissance dans l'accomplissement
de leurs fonctions.
S'il faut en preuve des grandes et admirables œuvres de la
nature apporter de petits et misérables exemples pour éclair­
cir notre explication, songez qu'à l'égard de ces humeurs
séreuses échauffées, il s' opère quelque chose de semblable à ce
qui arrive souvent par suite de l'amas sous-cutané d'une
humeur mordicante, dont le mouvement excite un titillement
et une démangeaison agréable. Lors donc qu'il existe non pas
seulement une humeur semblable qui a besoin d'être évacuée
et qui, en conséquence, stimule et pousse à l'excrétion, mais
encore un pneuma abondant et chaud, lequel demande à
s'exhaler, on doit penser que la jouissance doit être excessive
et incroyable. Si de plus ces parties ont été douées par la
nature d'une sensibilité bien supérieure à la peau, en vue de la
même utilité, il ne faut plus s'étonner de la vive jouissance
dont ces parties sont le siège, ni du désir précurseur de cette
jouissance ; on doit l'attribuer à ce que le plus souvent aussi les
vaisseaux afférents au rein droit envoient directement des
ramifications à la matrice (cf chap. VII) . En effet, ces super­
fluités séreuses devant avoir une double utilité, la première
d'augmenter le froid des parties gauches, la seconde d'atta­
cher à l'usage des organes un puissant désir et une vive
jouissance ; la première existe toujours dans les parties
gauches, la seconde existe parfois dans les parties droites au
moyen des longs vaisseaux.
Ces conditions trouvent encore un autre appui non
médiocre dans les corps glanduleux situés de chaque côté du
col de la vessie (prostate), lesquels renferment une humeur
semblable au sperme, mais beaucoup plus ténue. Nous dirons
bientôt de quelle nature elle est (chap. x1). Quant au sperme
lui-même, il est chargé de pneuma et comme écumeux, en
sorte que s'il vient à se répandre au-dehors, il offre bientôt un
volume beaucoup moindre qu'au moment de son émission ; il
se sèche rapidement à cause de sa viscosité, au lieu de
Livre XIV - Des organes génitaux 281

persister longtemps comme la pituite et le phlegme qui ne se


sèchent pas et conservent le même volume. En effet, ces
humeurs sont ténues, aqueuses et non cuites ; celle qui consti­
tue le sperme est épaisse, visqueuse et pleine de pneuma vital 1 •

CHAPITRE x . - Comment le sperme est élaboré dans les vaisseaux et


dans les testicules ou les ovaires; comment il devient de plus en plus
blanc au fur et à mesure qu'il avance vers ses réservoirs, où il prend
une couleur exactement blanche. - Disposition des canaux déférents.
-A quoi sert l'érection générale des organes génitaux qui accompagne
l'acte vénérien.

Lors donc que le sperme pénètre dans une région conve­


nable, il devient le principe générateur d'un animal ; quand il
tombe au contraire dans une région qui n'est pas favorable, le
pneuma l'abandonne bientôt en s'échappant, et il ne reste que
l'humeur visqueuse qui s' affaisse sur elle-même. Voici la cause
de la génération de cette viscosité (cf. aussi XVI, x) : Parmi les
vaisseaux afférents aux matrices, lesquels se distribuent à
leurs côtés mêmes, comme nous l'avons dit (chap. IX), la partie
descendante se contourne en replis tout à fait semblables à
ceux des vaisseaux qui se rendent aux testicules des mâles. La
veine est superficielle, l'artère est profonde, toutes deux fai­
sant des circuits innombrables comme les vrilles de la vigne
enroulées en mille spirales. Dans ces circuits le sang et le

1. Aristote, Génération des animaux, Il, n, 735b-736a : • Ce n'est pas seule­


ment le liquide composé d'eau et de terre qui s'épaissit, mais encore le composé
d'eau et d'air : par exemple même l'écume devient plus épaisse et blanchit, et
plus les bulles en sont petites et indistinctes, plus sa masse paraît blanche et
compacte. Le cas est le même pour l'huile : elle épaissit en se mélangeant à l'air.
Voilà aussi pourquoi, quand elle blanchit, elle devient plus épaisse, car le liquide
aqueux qu'elle renferme se sépare et se change en air. Et le minerai de plomb,
mélangé à de l'eau et de l'huile, augmente de volume, et de liquide il devient
compact, de noir il devient blanc : la raison c'est qu'au mélange s'ajoute de l'air
qui fait augmenter le volume et apparaître la blancheur, comme dans l'écume et
la neige, car la neige est de l'écume. [...] C'est pour ces raisons aussi que le
sperme sort du corps épais et blanc : par suite de la chaleur interne, il contient
beaucoup d'air chaud, mais une fois sorti, quand la chaleur s'est évaporée et que
l'air s'est refroidi, il devient liquide et foncé. Il ne reste, en effet, dans le sperme
desséché, comme dans le chyme, que de l'eau et le peu de terre qu'il peut
contenir. Donc le sperme est formé à la fois de gaz et d'eau : le gaz est de l'air
chaud. »
282 De l'utilité des parties du corps humain

pneuma portés aux testicules subissent une coction aussi


exacte que possible ; on voit clairement que l'humeur contenue
dans les premières spirales a encore l'apparence du sang, que
dans les suivantes elle devient de plus en plus blanche jusqu'à
ce qu'elle acquière une entière blancheur dans les dernières de
toutes, dans celles qui aboutissent aux testicules. Les testicules
creux et caverneux reçoivent l'humeur qui a déjà subi un
commencement de coction dans les vaisseaux, la cuisent à leur
tour, et chez les mâles la rendent parfaite pour la procréation
de l'être animé, parce qu'ils sont plus volumineux, plus
chauds, et que le sperme y arrive élaboré déjà plus complète­
ment par suite de la longueur des circuits et de la puissance
des vaisseaux. Les testicules des femelles élaborent le sperme
d'une manière moins parfaite, parce qu'ils sont plus petits,
plus froids, et que son élaboration est moins avancée quand ils
la reçoivent.
Pourquoi, en séjournant dans les vaisseaux, le sang
devient-il blanc ? C'est ce qu'on trouvera, je pense, aisément, si
l'on se rappelle les démonstrations que nous avons données [à
la fin de] notre traité Sur les facultés naturelles. Nous y avons
prouvé que toute partie rend son aliment semblable à elle­
même. Qu'y a-t-il donc encore d'étonnant si les tuniques des
vaisseaux qui sont blanches teignent le sang de leur propre
couleur ? Pourquoi, dira-t-on peut-être, cette transformation
ne se voit-elle dans aucun des autres vaisseaux ? La réponse est
facile : c'est que dans aucun autre vaisseau le sang ne séjourne
aussi longtemps. En effet, dans aucun des autres vaisseaux il
n'existe, je ne dis pas un tel entrelacement de replis, mais
simplement un seul repli. Si le sang y séjournait au lieu de
s'écouler et de vider la place rapidement, on pourrait voir dans
plus d'une autre partie de l'animal un suc semblable, quoique
l'humeur spéciale inhérente à chaque vaisseau, attachée à ses
tuniques pour les nourrir, soit de même nature. Ainsi il n'y a
rien d'étonnant, si par la stagnation du sang, dans les replis
désignés plus haut, il s'accumule du suc spermatique.
Lors donc que les testicules, après l'avoir reçu, l'auront
élaboré, ceux des mâles complètement, ceux des femelles
imparfaitement, il est évident qu'un autre vaisseau devra le
Livre XIV - Des organes génitaux 283

prendre à son tour et le conduire vers les voies d'excrétion. Ici


il est impossible, si l'on est familiarisé avec la dissection des
parties, de ne pas admirer l'art de la nature. Comme le mâle
devait émettre le sperme au-dehors, tandis que la femme
devait le répandre au-dedans d'elle-même, il en résulte que les
vaisseaux qui le prennent à la sortie des testicules (canaux
déférents) se sont dirigés, ceux des mâles vers la verge, et ont
débouché dans le canal qui s'y trouve et par lequel l'urine est
portée au dehors (canal de l 'urètre) ; tandis que ceux des
femmes se sont insérés sur les matrices mêmes et ont été
dirigés de façon à verser le sperme dans la cavité interne
(trompes) . Ce sont là des dispositions admirables ; celles dont
nous allons parler le sont plus encore : en effet, les deux
spermes ayant une utilité différente, puisqu'ils diffèrent de
quantité et de puissance, les vaisseaux spermatiques ne se
ressemblent non plus ni de forme, ni de largeur, ni de lon­
gueur. Celui du mâle, large et long, forme pour ainsi dire des
sinuosités quand il s'approche de la verge ; celui de la femelle,
au contraire, est étroit et court. Celui-ci en effet, bien que petit
et mince, suffisait pour recevoir et amener un sperme peu
abondant et ténu. Pour celui du mâle, s'il n'eût été à la fois
long, large et sinueux, comment aurait-il reçu un sperme
abondant et épais, comment l'aurait-il aisément fait avancer,
et comment l'aurait-il lancé d'un seul coup dans les matrices ?
On doit admirer ces œuvres de la nature, comme aussi
l'érection générale des parties génératrices dans le coït, érec­
tion dont l'effet simultané est de maintenir droit et ouvert le
col de la matrice, tandis que, nous le disions précédemment, le
sperme est éjaculé. Les épilepsies graves et l'affection nommée
gonorrhée peuvent vous instruire combien contribue à l'émis­
sion du sperme cette espèce de spasme qui accompagne l'acte
vénérien. En effet, dans les épilepsies graves, le corps entier et
avec lui les parties génitales étant en proie à un spasme
violent, il y a émission de sperme. Dans la gonorrhée les
vaisseaux spermatiques seuls sont affectés. Cette tension,
qu'ils subissent dans les susdites maladies, a lieu aussi dans le
coït et cause l'émission du sperme. Nous avons dit précédem­
ment (chap. IX) comment la nature du sperme suscite le
284 De l 'utilité des parties du corps humain

désir vénérien et produit la jouissance dans l'usage des parties.

C HAPITRE X I . - Utilité de la semence de la femme. - Utilité du


liquide muqueux qui s'échappe chez l'homme (avec le sperme) et chez
la femme pendant le coït. - Des parastates glanduleux et des paras­
tates variqueux. - Des cornes de l'utérus. - Des deux espèces de
canaux, afférents et déférents, que Galien suppose exister dans
l'utérus.

Le sperme de la femme, outre qu'il contribue à la génération


de l'animal, est aussi utile à ces fins : car, en excitant la femme
à l'acte vénérien, et en ouvrant le col de la matrice durant le
coït, le sperme est d'une utilité non médiocre. Nous devons
dire en quoi la femme contribue à la génération de l'animal,
après avoir rappelé ce que nous avons dit dans notre traité Sur
le sperme (I, III, rv, vu; II, I, 1v). Nous y avons démontré que le
sperme reste dans l'intérieur des matrices, comme disait
Hippocrate, quand la femme doit concevoir, et que le sperme
du mâle est le principe de formation des membranes et aussi
de celle de tous les vaisseaux 1 • Ce sperme donc reçoit un
surcroît de coction et se trouve nourri tout d'abord par le
sperme féminin, dont la nature se rapproche plus de la sienne
que le sang ; or, tout ce qui se nourrit se développe plus
aisément à l'aide d'une substance similaire 2 • C'est de lui que
se forme la membrane allantoïde, nous l'avons démontré dans
notre traité Sur le sperme.
Le liquide engendré dans les corps glanduleux (prostate)
s'écoule dans le méat urinaire, chez le mâle pour être porté
avec le sperme dans la matrice ; chez la femelle il se déverse
au-dehors et s'écoule à travers le vagin. Les utilités de ce fluide

t. Hippocrate, De la génération, § 5 (Œuvres, VII, p. 477) : « En effet les


matrices ayant reçu et s'étant fermées, la gardent [la semence] à l'intérieur,
l'orifice se serrant vermiculairement par l'effet du liquide ; et le mélange s'opère
de ce qui provient de l'homme et de ce qui provient de la femme. » - Voir aussi
Aristote, Histoire des animaux, VII, m. - Tout cela, et notamment la faculté
rétentive de l'utérus vis-à-vis des semences et du fœtus, est développé dans les
Facultés naturelles, III, Ill (tome II, p. 85-88).
2. Voir la note 2, p. 256.
Livre XN - Des organes génitaux 285

sont à la fois chez le mâle et la femelle d'exciter à l'acte


vénérien, de provoquer la jouissance durant le coït et de
lubrifier le canal urinaire. Il présente de plus une utilité
spéciale chez le mâle, comme le sperme chez la femelle, car il
existe une grande ressemblance entre le sperme des testicules
de la femelle et le liquide contenu dans les corps glanduleux
chez le mâle. En effet, la force et la chaleur du mâle élaborent
le liquide de ces corps, de sorte qu'il ne le cède en rien au
sperme de la femelle. C'est pourquoi, je pense, on n'hésite pas
à nommer vaisseaux spermatiques les conduits qui partent de
ces corps, et Hérophile le premier les a appelés parastates
adénoiâes (glanduleux) réservant le nom de parastates cirsoiâes
(variqueux - canal déférent), à ceux qui naissent des testicules.
Mais, comme la femme est plus froide que le mâle, ses
parastates adénoïdes ne renferment qu'une humeur non éla­
borée et ténue, laquelle n'est d'aucune utilité pour la généra­
tion de l'être animé ; c'est donc avec raison qu'elle s'écoule
après avoir rempli ses fonctions utiles. L'autre, au contraire,
celui de l'homme, est attiré dans la matrice. Non seulement ce
fluide excite à l'acte vénérien, mais encore il procure du plaisir
en s'écoulant et lubrifie le canal urinaire ; c'est ce que
démontrent les faits suivants : Ce liquide coule évidemment du
vagin chez la femme au moment où elle ressent du coït la plus
vive jouissance, et se répand visiblement sur le membre de
l'homme. Les eunuques eux-mêmes paraissent éprouver une
certaine jouissance de cet écoulement. Après cela vous n'avez
pas à rechercher une preuve plus convaincante de ce que
j'avance. La nature même de ce liquide indique qu'il est propre
à humecter et à amollir le canal de l'urètre. Ayant en effet une
certaine viscosité et l'épaisseur de l'huile, il lubrifie le canal
pour qu'il ne se dessèche pas, ne s'affaisse pas et ne s'oppose
pas au rapide passage de l'urine et du sperme.
Nous avons démontré (VII, XIII, xvu; XI, x; XIII, VIII) qu'il
existait plusieurs autres glandes en vue de la même utilité, par
exemple celles du pharynx et de la langue, celles de la trachée­
artère et des intestins. Nous avons vu dernièrement un homme
chez qui toutes les parties génitales étaient grêles, atrophiées,
ridées et desséchées, en sorte qu'il lui était impossible d'uriner
286 De l'utilité des parties du corps humain

s'il ne s'était d'abord accumulé dans sa vessie une grande


quantité d'urine, attendu que son canal était sec et que les
parois retombaient sur elles-mêmes. Cet homme avait donc
besoin qu'une urine abondante s'élançât d'en haut avec une
force et une impétuosité capables d'ouvrir le méat ; autrement
il ne pouvait uriner. Sa guérison a témoigné de la justesse de
notre opinion sur la cause de mal. En effet, en humectant
toute cette région avec des onguents huileux, en réparant ses
forces par l'alimentation, car tout le corps généralement et
surtout les parties affectées étaient excessivement maigres,
nous avons rendu la santé à cet homme.
Dans le coït l'humeur [prostatique] s'échappe abondam­
ment avec le sperme ; le reste du temps elle coule peu à peu;
aussi ne s'en aperçoit-on pas. En conséquence un individu
chez qui les excès vénériens avaient épuisé cette humeur, et
qui avait peine à uriner, comme dans le cas précédent, ne nous
a-t-il pas paru mal traité par la prescription d'un régime
fortifiant.
La prévoyance de la nature se manifeste dans toutes ces
dispositions, et de plus encore dans la création de ce qu'on
nomme cornes. En effet, si nous avons justement démontré
dans notre traité Sur les facultés naturelles (I, XIII et suiv. ; III,
III) que toutes les parties, et les matrices ne sont pas exceptées,
possèdent une faculté attractive de la qualité propre, il faut
absolument que ces matrices trouvent un canal disposé pour
l'attraction d'une humeur qui leur convient. Or l'humeur la
plus propre aux matrices, et pour la réception de laquelle elles
existent, c'est le sperme. Le sperme étant de deux espèces, il
existe également des canaux de deux formes : l'un, destiné à
attirer le sperme du mâle, a reçu des anatomistes le nom de
col ; il débouche, disions-nous, dans le vagin de la femme. Les
cornes sont destinées à amener le sperme des testicules
propres à la femme (ovaires) ; aussi elles sont tournées vers les
fosses iliaques, et se rétrécissant peu à peu, elles se terminent
par des extrémités excessivement étroites, chacune d'elles se
rattachant au didyme (ôtôuµoc;, ovaire) situé de son côté. C'est
le nom qu'Hérophile donne au testicule. Le canal qui s'y
rattache est analogue au parastate variqueux des mâles et que
Livre XIV - Des organes génitaux 287
tout à l'heure nous appelions vaisseau spermatique. On y
trouve aussi chez la femelle des plans musculeux, qui chez les
mâles se portent des muscles hypogastriques aux testicules.
Ainsi en cela encore la femelle possède toutes les parties qui
existent chez le mâle (cf. chap. VI) . Si chez elle les unes sont
moins grandes, les autres plus grandes, il faut encore admirer
en cela l'art de la nature, qui chez la femme n'a créé trop petite
aucune des parties qui devaient être grandes, ni trop grande
aucune des parties qui devaient être petites.

CHAPITRE xn. - Situation, trajet et structure des vaisseaux sperma­


tiques chez le mâle et chez la femelle. -Nouvelles preuves de l'habileté
de la nature tirées des dispositions de ces vaisseaux dans les poissons
et dans les oiseaux.

Il était mieux, nous l'avons dit précédemment (chap. xet XI),


que chez les mâles les testicules et les conduits spermatiques
fussent plus grands [que chez les femelles] . Cela étant préfé­
rable, la nature avec raison redressant les cornes des matrices,
les a rapprochées des testicules (ovaires), de façon que le
vaisseau spermatique qui s'y rattache soit petit ; elle a fait le
contraire chez le mâle, nous l'avons expliqué dans ce livre
(chap. XI) . En effet, les testicules étant situés de chaque côté à
la racine de la verge (KauÀOç), c'est le nom du membre viril, si
la nature n'avait pas imaginé un autre expédient dans la
conformation des vaisseaux spermatiques, non seulement elle
ne les eût pas faits plus grands que ceux de la femelle, mais
encore elle les eût faits plus petits. Elle a trouvé pour eux un
long circuit, en les dirigeant d'abord vers les fosses iliaques,
puis en les faisant redescendre à travers les parties internes
jusqu'à la naissance de la verge, où ils devaient lancer le
sperme (canaux éjaculateurs) . C'est en cet endroit qu'elle les a
rendus sinueux, les élargissant et les dilatant considérable­
ment, disposant de tous côtés autant que possible des récep­
tacles nombreux pour un sperme abondant.
Si vous ne prêtez pas à mes discours une attention distraite,
et si, venant à disséquer des animaux, vous voyez de vos
propres yeux les œuvres de la nature, vous remarquerez que
288 De l'utilité des parties du corps humain

chez les mâles les vaisseaux spermatiques n'ont pas une


médiocre supériorité sur ceux des femelles, et vous trouverez
qu'ils sont en longueur, en profondeur, en largeur bien plus
considérables. C'est par ces causes mêmes que chez les
femmes les testicules sont excessivement petits et se trouvent
de chaque côté des matrices dans les régions épigastriques, et
que ceux des hommes, d'une dimension bien plus grande, ont
été placés à l'écart au bas des régions du ventre, afin de ne le
toucher en aucune façon. En effet, si elle les eût également
placés dans le ventre, outre qu'ils eussent été à l'étroit et qu'ils
eussent diminué l'espace que devaient occuper les parties
situées en cette région, la longueur des vaisseaux sperma­
tiques aurait été diminuée ; c'eût été une conséquence néces­
saire. Dans l'état présent, ces vaisseaux, qui tour à tour
remontent et redescendent (cf. Arist., Hist. anim., III, I, et Gén.
anim., I, 4), ont une longueur considérable. Dans l'autre
supposition, ils se borneraient à redescendre, et perdraient
ainsi toute la moitié de leur longueur actuelle. Au contraire,
les testicules de la femme étant eux-mêmes tout à fait petits et
ne devant engendrer que de petits canaux, trouvent dans leur
disposition actuelle une situation très favorable, étant placés
de chaque côté de la matrice un peu au-dessus des cornes.
La grandeur des vaisseaux spermatiques chez les mâles
témoigne d'une prévoyance non médiocre de la nature ; c'est
ce que confirme la vue des poissons et surtout des oiseaux. En
effet, comme chez ces animaux les vaisseaux spermatiques
doivent, en vue d'une nombreuse procréation, amasser un
sperme abondant, et comme il était préférable, en consé­
quence, qu'ils fussent placés dans une région chaude, afin
d'élaborer plus aisément et de transformer en sperme utile
l'afflux d'humeur, la nature ne s'est pas contentée de les
établir près des conduits sécréteurs du sperme (car cette
situation les eût raccourcis), mais leur faisant parcourir une
longue distance, elle les a attachés au diaphragme. Or, c'est la
plus chaude de toutes les régions, attendu qu'elle est abritée
par quatre viscères : en haut le cœur et le poumon, en bas le
foie et la rate. De plus, il existe au milieu [du corps ?] un
intervalle (c'est-à-dire une place libre ?) très considérable que
Livre XIV - Des organes génitaux 289

devaient occuper tout entier les vaisseaux spermatiques ; d'où


il semble que la nature ait admirablement disposé toutes
choses dans chaque espèce animale. Un jour, peut-être, nous
parlerons des autres animaux. Chez l'homme (car c'est lui que
concerne le présent ouvrage), qui a une épine plus courte non
seulement que les poissons et les oiseaux, mais que tous les
autres animaux, à proportion des autres parties, et les testi­
cules eux-mêmes très forts, une telle situation n'était pas
convenable. En effet, indépendamment des autres causes,
l'homme n'a pas besoin d'un sperme abondant comme les
poissons et les oiseaux; d'un autre côté les testicules de
l'homme tout éloignés qu'ils sont des organes chauds, vu leur
volume et leur chaleur propre, peuvent engendrer un sperme
suffisant. Voilà assez de détails sur leur situation.

CHAPITRE xn1 . - De la protection que les vaisseaux spermatiques


reçoivent des os du bassin, chez le mâle et chez la femelle. - Disposi­
tion et utilité des vaisseaux destinés à nourrir les organes génitaux
mâle et femelle, et des nerfs qui accompagnent ces vaisseaux. - Que le
volume de ces nerfs est exactement proportionné aux usages qu'ils ont
à remplir.

Quant à la grandeur des vaisseaux spermatiques (c'est le


point de départ de notre digression), il faut admirer la nature
qui, à leur sortie des testicules les dirigeant d'abord vers les
fosses iliaques, les a ramenés de nouveau vers le membre du
mâle, puis les a ouverts dans le canal qui part de la vessie, et
par lequel l'urine est excrétée. Si la nature mérite notre
admiration, c'est non seulement pour avoir imaginé un si long
circuit en vue de la longueur, mais encore pour avoir pourvu à
la sécurité de ces vaisseaux. En effet, le conduit qui commence
à partir du péritoine (canal inguinal) et dont elle s'est servie
comme d'un tuyau pour amener les vaisseaux nourriciers des
testicules, elle l'emploie pour faire remonter le vaisseau sper­
matique, faisant de ce seul conduit une protection commune
aux trois espèces de vaisseaux 1 • De là les ramenant en bas, elle

1. Sans doute : le canal déférent, l'artère et la veine destinées au testicule.


290 De l'utilité des parties du corps humain

les garantit latéralement par les ischions, en avant par le


pubis, en arrière par l'os large (sacrum).
Comment s'opère cette merveilleuse combinaison des sus­
dits os ? C'est ce qu'on a de la peine à expliquer. À l'extrémité
de l'épine se trouve l'os large appelé sacré. De chaque côté
s'unissent à lui deux os d'une dimension beaucoup plus consi­
dérable et d'une forme beaucoup plus variée, dirigés pour leur
plus grande partie vers les fosses iliaques (os des iles), s'avan­
çant un peu sur les côtés et en bas (ischion), et à leurs parties
antérieures (pubis), ils marchent à la rencontre l'un de l'autre
par des apophyses arrondies d'une dimension notable et dans
cet endroit ils se rattachent entre eux au moyen d'un cartilage.
Toutes ces parties susdites, les unes plus, les autres moins,
ayant leurs surfaces internes convexes ou concaves et polies,
forment une voûte osseuse qui couvre et protège à la fois
toutes les autres parties de l'animal renfermées dans l' inté­
rieur de la cavité, et aussi les vaisseaux spermatiques. La vessie
est située la première sous les os du pubis. C'est ainsi que les
anatomistes appellent ordinairement les apophyses arrondies
des os dont nous parlions précédemment, et qui, disions-nous,
adhèrent les unes aux autres. Après la vessie se trouvent chez
la femelle les matrices, et après celles-ci le rectum. Chez les
mâles, c'est principalement à travers cette région que des­
cendent les vaisseaux spermatiques. Ces vaisseaux étant longs,
et se trouvant dans la nécessité de subir une tension et un
violent mouvement spasmodique pendant le coït, ont reçu de
la nature une tunique très robuste. Ce mouvement des vais­
seaux étant plus prononcé chez le mâle que chez la femelle, la
tunique chez le mâle a été fortifiée pour les parastates vari­
queux. De même les parastates glanduleux (prostates) ont été
créés beaucoup plus faibles que ceux-ci, attendu qu'ils sont
très petits et renferment une humeur de consistance légère.
Telle est l'équité de la nature ; elle répartit selon l'importance
des organes la force et la faiblesse, l'épaisseur et la ténuité, et
toutes les autres qualités.
Si en disséquant vous examinez les dimensions de chacune
des veines, des artères et des nerfs qui vont aux parties
génitales, vous admirerez, j'en suis sûr, la justice du Créateur.
Livre XIV - Des organes génitaux 291

En effet, les nerfs sont d'une dimension médiocre, les veines et


les artères non seulement sont très considérables, mais encore
y arrivent par doubles paires ; il en vient une des régions des
reins, laquelle, disions-nous (chap. vu), se distribue dans les
testicules et au fond des matrices, une autre dérivée des
vaisseaux, couchée sur l'os sacré (vaisseaux hypogastriques),
s'insère sur les parties inférieures à l'endroit d'où partent chez
la femme le col de l'utérus, et chez le mâle ce qu'on nomme la
verge (vaisseaux utérins et vaginaux; vaisseaux honteux inter­
nes chez l 'homme). En effet, toute la partie inférieure des
matrices, le col même des matrices et de plus toutes les parties
du vagin et de la vulve de la femme, comme aussi toutes celles
du membre viril, sont nourries par ces vaisseaux.
Ces vaisseaux offrent deux utilités, l'une comme grands,
l'autre comme doubles. Les matrices ayant besoin de nourri­
ture non pas seulement pour elles, mais encore pour le fœtus,
exigent par cela même des vaisseaux considérables. Les testi­
cules réclament aussi des vaisseaux considérables non seule­
ment parce qu'ils se nourrissent, mais encore parce qu'ils
engendrent le sperme. Tout le monde comprend que la paire
d'artères et de veines qui arrivent aux parties génitales dans le
but unique de nourrir, ne devait pas renfermer de sang impur,
ni chargé de superfluités, tandis que l'autre paire, destinée
non pas seulement à nourrir, mais à fournir quelques autres
utilités que nous signalions tout à l'heure (chap. vu) dans les
vaisseaux venus des reins, devait contenir un sang séreux,
âcre, non entièrement utile. Pour ces motifs donc, les vais­
seaux venus de la région de l'os large dérivent des grands
vaisseaux situés dans le voisinage. Vous ne sauriez trouver une
autre région plus rapprochée qui par une voie plus courte
amène aux parties génitales des veines, des nerfs et des artères.
La nature, comme déjà souvent nous l'avons répété, est encore
dans ce cas fidèle à son principe de mener par le chemin le
plus court des aliments aux parties nourries.
En faisant partir des reins l'autre tronc des veines, elle
paraîtrait avoir, par oubli de ce principe, commis une erreur,
si l'on ne connaissait les utilités précédemment indiquées
(chap. vu) des vaisseaux descendus d'en haut. En consé-
292 De l 'utilité des parties du corps humain

quence, dans la femelle la longueur de l'intervalle est moindre


que dans le mâle, les matrices étant situées dans la région du
ventre. Chez les mâles, dont les testicules sont suspendus, les
veines et les artères qui s'y rendent en partant des reins sont,
au contraire, plus longues.
Toutes les choses bien dites s'accordent donc entre elles,
outre qu'elles démontrent l'universelle équité de la nature.
C'est ainsi que la paire de nerfs s'étend et se distribue avec
les vaisseaux dérivés de la région du sacrum, de la même façon
que font tous les nerfs avec les veines et les artères qui
aboutissent aux autres parties. Si les vaisseaux nourriciers ont
besoin d'être amenés soit par le plus court chemin, soit par des
régions sûres, il est juste, évidemment, que les nerfs parti­
cipent à ces deux avantages, en sorte qu'ils dériveront des
mêmes lieux et seront amenés par la même voie. Comme les
parties génitales reçoivent par surplus les veines et les artères
descendantes, c'est avec raison qu'aucun nerf issu de la région
lombaire de la moelle ne les y accompagne ; car il n'était pas
également avantageux que ce nerf fût conduit par un long
chemin ; mais il convenait que l'épaisseur des nerfs fût exacte­
ment mesurée à leur utilité. En effet, la distribution des nerfs
dans toutes les parties ayant trois buts, ainsi que nous l'avons
démontré précédemment (V, 1x) : la sensation dans les organes
sensibles, le mouvement dans les organes moteurs, la connais­
sance des choses susceptibles de léser dans tous les autres, les
matrices tout entières, les testicules et tout ce qui constitue le
scrotum, avaient besoin des nerfs très peu nombreux, puisque
ces parties ne servent ni pour une sensation exquise, ni pour
un mouvement volontaire, ni comme les intestins pour le
transport des superfluités.
La verge du mâle, comme aussi le vagin, le col de la matrice
et les autres parties qui constituent le pudendum lui-même
ayant besoin d'une sensation plus parfaite en vue de la copula­
tion, ont avec raison reçu des nerfs plus nombreux. Si vous
vous rappelez que nous avons démontré (IV, vu et xm; V, x)
que le foie, la rate et les reins réclament de très petits nerfs, si
vous songez qu'il en est de même pour les parties génitales, à
l'exception du pudendum, si enfin vous voyez en disséquant
Livre XIV - Des organes génitaux 293
des animaux que ces parties sont pouIVUes de petits nerfs
comme les susdits viscères, que le pudendum seul en a de plus
considérables, vous admirerez encore, j'en suis sûr, l'équité de
la nature à cet égard. En conséquence, cette paire de nerfs
n'est pas aussi ténue que celles du foie, de la rate et des reins ;
elle n'est pas non plus aussi considérable que celle de l' esto­
mac, mais autant que possible elle tient le milieu pour le
volume, parce qu'elle offre une double utilité pour les organes
génitaux : dans quelques parties elle sert aux mêmes usages
que les nerfs du foie et des reins ; et dans le pudendum à
remplir les fonctions attribuées aux nerfs gastriques.

CHAPITRE XIV . - De la structure de la matrice, de ses tuniques et de


ses ligaments. - Admirables dispositions prises par la nature pour que
cet organe puisse accomplir toutes les fonctions qui lui sont dévolues.
- De l'heureuse position de la matrice. - De l'insertion des vaisseaux
spermatiques sur l'épididyme, chez les mâles, et de la nécessité de ce
corps intermédiaire. - Différences que présentent les femelles sous ce
rapport. Raisons de ces différences. - Des muscles crémasters.

Pourquoi existe-t-il deux tuniques dans tous les intestins et


dans l'estomac, tandis qu'une seule suffit aux matrices comme
aux deux vessies (vessie urinaire et vésicule biliaire) ? C'est ce
qui a déjà été expliqué sommairement, alors que j'exposais la
structure des organes de nutrition (IV, VIII, et V, xu). Mainte­
nant il est nécessaire de reprendre tout ce qui est utile à
l'explication de la structure des matrices. La nature a construit
le corps des vessies dur et résistant, attendu que leur fonction
consiste uniquement à recevoir les superfluités. Pour les intes­
tins et l'estomac qui sont plutôt des organes de coction que des
réceptacles de superfluités, une substance charnue convenait
mieux. En effet, la nature ne les a pas créés pour recevoir la
bile, le phlegme et les autres superfluités séreuses qui
découlent de tout le corps ; mais étant créés [primitivement]
pour d'autres fonctions, elle s'en est servie en même temps
comme de canaux pour le passage des superfluités. Ainsi donc,
il a été donné avec raison à leur corps une forme de substance
appropriée à leurs fonctions ; quant au nombre de leurs
294 De l'utilité des parties du corps humain

tuniques, il leur a été attribué [par surcroît], en vue de leur


utilité seconde. Car il était à craindre, comme il a été démontré
dans les livres qui les concernent, que leur tunique interne ne
fût parfois excoriée et lésée. La nature l'a donc revêtue d'une
tunique externe, pour que la lésion se bornât à cette seule
tunique.
Pour les matrices nourries d'un sang pur et utile, il suffit
d'une tunique. Toutefois, comme elles devaient non pas seule­
ment attirer intérieurement le sperme pendant le coït, mais
encore le retenir au temps de la gestation et rejeter le produit
de la conception quand le fœtus est parfait, la nature, en
conséquence, a imaginé de donner à ces matrices toute espèce
de fibres. En effet, nous avons souvent démontré à ce sujet (V,
XI et xrv; VI, VIII; Facultés naturelles, III, VIII) que chacun des
organes attire à lui en agissant avec les fibres droites, qu'il
rejette avec les fibres transversales, et qu'il retient avec toutes
les fibres. La membrane (péritonéale; cf. Iv, x et XVII) externe
qui enveloppe les deux matrices, les unit toutes deux, les
recouvre et les rattache aux parties voisines 1 •
Il existe encore certains autres ligaments qui les rattachent
au corps du rachis et aux autres corps voisins, ligaments très
lâches, comme on n'en saurait trouver dans aucune autre
partie (ligaments larges). En effet, aucun autre n'est de nature
à se distendre considérablement, puis en se contractant, à
revenir à la plus petite dimension possible. Il fallait, en effet,
que les ligaments s'étendissent et suivissent dans sa marche
tout le viscère errant, qu'ils ne se rompissent pas, qu'ils ne
permissent pas à ce viscère de trop s'écarter ou de trop
avancer sur des régions étrangères 2•
l. Pour Soranos d'Éphèse, la matrice a deux tuniques, dont l'extérieure
correspond à cette membrane péritonéale que Galien dit envelopper • les deux
matrices » (en fait les deux cornes qu'il suppose à l'utérus). Soranos d'Éphèse,
Maladies des femmes, I. IV : « Le corps de la matrice est constitué de deux
tuniques dont les structures internes sont contrariées, un peu à la manière des
fibres dans le papyrus [c'est-à-dire disposées perpendiculairement les unes aux
autres]. La tunique extérieure est plutôt fibreuse, lisse, blanche et scléreuse, la
tunique intérieure plutôt charnue, épaisse, délicate et d'une couleur tirant sur le
rouge ; elle est entièrement sillonnée de vaisseaux, dont les plus nombreux et les
plus notables se trouvent vers le fond de l'organe, à l'endroit où vient se fixer la
semence et d'où part le sang menstruel; ces deux tuniques tiennent l'une à
l'autre par des membranes minces et des fibres. •
2. Pour les Anciens, la matrice se déplaçait à travers l'abdomen ; c'était
Livre XIV - Des organes génitaux 295

Quant à la position de la matrice, nous avons dit précédem­


ment (cf. chap. m) que le col aboutit au vagin de la femme
convenablement placé en cet endroit. Et si ce conduit doit être
tourné en bas, il est évident que tout le reste de la cavité doit
être nécessairement établi dans la région du ventre. Mais
pourquoi trouve-t-on en avant la vessie, en arrière le rectum,
au milieu les matrices ? C'est certainement parce qu'il était
préférable que, vu leur dilatation considérable pendant la
gestation, elles trouvassent à leur partie postérieure un appui
du côté du rachis, et à leurs parties antérieures un rempart
[dans la vessie]. Mais comme les matrices deviennent exces­
sivement minces au temps de la gestation, parce qu'en s'allon­
geant elles perdent de leur épaisseur, elles sont conséquem­
ment très faibles ; de plus elles avancent, tant elles sont
gonflées, sur toutes les régions voisines. Ainsi donc, le voisi­
nage des os adjacents n'aurait été pour elles ni sans inconvé­
nient, ni sans danger, si aucune partie n'avait été disposée
dans l'intervalle.
Pourquoi la nature, au lieu d'insérer le vaisseau sperma­
tique sur les testicules eux-mêmes, a-t-elle établi entre eux ce
qu'on nomme épididyme ? Parce que les testicules eux-mêmes
très lâches, caverneux et mous, n'auraient pu avec sécurité se
trouver réunis à des vaisseaux spermatiques denses, forts et
durs. La nature a donc ici encore évidemment fait ce que déjà
souvent nous avons démontré (cf. particul. VIII, IX) : Elle ne
met pas en contact des corps de substances opposées, elle
cherche toujours à établir entre eux quelque lien d'union de
nature intermédiaire. En effet, autant les épididymes le cèdent
aux vaisseaux spermatiques pour la force, la densité et la
dureté, autant ils sont supérieurs aux testicules. Il y a plus, la
portion des épididymes en contact avec les vaisseaux sperma­
tiques est très dure, celle qui est en contact avec les testicules
est très molle, et toutes les parties intermédiaires l'emportent
dans une proportion graduée sur leurs voisines. Les parties

notamment l'explication de l'hystérie. Et cela depuis, au moins, Hippocrate


(voir note 1, p. 278, la conception de Platon à ce sujet, et, note 2, p. 254 du tome
II, celle d'Hippocrate). Galien s'opposera à cette explication dans Des lieux
affectés, VI, v (voir tome II, p. 252-266).
296 De l'utilité des parties du corps humain

plus proches des vaisseaux spermatiques sont très dures, et les


plus proches des testicules sont très molles par la même
raison.
Pourquoi les épididymes dans les testicules (ovaires) des
femmes ne sont-ils pas visibles et manifestes ? pourquoi vous
paraîtront-ils même ou n'exister absolument pas, ou être
extrêmement petits ? N'est-ce pas d'abord parce que le testi­
cule (didyme) même de la femme est petit et le vaisseau
spermatique également petit, en sorte qu'il n'est pas étonnant
que la partie qui les rattache soit petite, et ensuite que la
différence entre leurs substances est médiocre et non pas
considérable, comme elle est dans le mâle. En effet, les testi­
cules du mâle sont plus humides et plus mous que ceux de la
femelle, et ses vaisseaux spermatiques sont plus durs. Le
contraire a lieu chez la femelle : les vaisseaux spermatiques
sont moins durs par les raisons indiquées, les testicules sont
moins poreux, moins lâches et plus humides (? - lire = moins
humides), parce qu'ils ont une substance plus froide, attendu
qu'ils n'ont pas éprouvé, par suite de leur chaleur naturelle, un
gonflement et, pour ainsi dire, une fermentation.
C'est donc avec raison que [chez les femmes] les vaisseaux
spermatiques et les testicules se rapprochent l'un de l'autre
par leurs substances, les testicules ayant été créés plus durs et
les vaisseaux spermatiques qui viennent s'y insérer plus mous
que chez le mâle. Par conséquent, il n'y avait pas besoin, pour
les rattacher, d'un grand ligament qui, s'écartant peu à peu de
la dureté de l'un, se rapprochât de la mollesse de l'autre.
Comme les testicules du mâle sont suspendus, il leur arrive à
chacun d'eux un muscle (crémasters) des fosses iliaques, afin
qu'ils participent au mouvement volontaire.
Nous avons dit dans notre ouvrage Sur le sperme ce
qu'ajoute le sperme de la femelle à celui du mâle, quelle est la
nature de l'un et de l'autre, et nous y avons traité d'autres
questions de ce genre. Nous devons ici terminer ce livre ; dans
le suivant nous ferons connaître toute l'habileté de la nature
en ce qui concerne le fœtus.
L IV R E Q U I N ZIÈME

D E S O RGANE S G ÉNITAUX (s u i te ) .
D E S PARTIE S PR O PRE S AU FŒTU S .
D E L ' A RTICULATIO N
I S C H IO - F É M O RALE

CHAPITRE 1 er. - Que le membre viril ne pouvait pas occuper une


autre place que celle qu'il occupe actuellement, et qu'il devait être fait
d'une substance particulière. - À ce propos, Galien entre dans de
véritables extases sur l'art admirable du Créateur.

CHAPITRE I I . - Pourquoi le pénis devait occuper précisément la


place à laquelle il se trouve en réalité. - Quelles sont les questions que
Galien se propose d'étudier ici à propos du membre viril.

CHAPITRE I I I . - L'érection du pénis a deux utilités : permettre son


introduction dans le vagin et faciliter l'éjaculation du sperme. Disposi­
tions anatomiques qui favorisent cette éjaculation. - Avantage qu'il y
avait à faire servir le canal de l'urètre pour l'émission du sperme et de
l'urine. - Utilité des lèvres de la vulve chez la femme et du prépuce
chez l'homme.

CHAPITRE IV. - Du nombre et de la disposition des membranes du


fœtus. -Origine, marche et insertion des vaisseaux utéro-placentaires
et des vaisseaux ombilicaux.

CHAPITRE v. - Origine du nom de la membrane allantoïde. - Posi­


tion des vaisseaux ombilicaux par rapport à l'ouraque. -Du chorion. -
Utilité de l'allantoïde et des eaux de l'amnios : pendant la vie intra­
utérine, ces eaux soutiennent le fœtus suspendu, et, au moment de
l'accouchement, elles facilitent son expulsion. - Admirables disposi-
298 De l'utilité des parties du corps humain
tions prises par la nature pour la juxtaposition et l'entrelacement des
membranes. - Comment il se fait que l'urine contenue dans la vessie
s'échappe, non par le canal de l'urètre, mais par l'ouraque, dans
l'allantoïde; réfutation des erreurs commises par les médecins à ce
sujet. - Comparaison de l'ouraque et du canal de l'urètre.

CHAPITRE V I . - Pourquoi, pendant la vie fœtale, le foie l'emporte sur


toutes les autres parties. -Après lui viennent l'encéphale et le cœur. -
Pourquoi le poumon est également plus rouge qu'après la naissance. -
Particularités du système vasculaire chez le fœtus et immédiatement
après la naissance. - Du canal veineux et du canal artériel.

CHAPITRE VII . - Pendant la gestation, l'orifice utérin est exactement


fermé; mais, au moment de l'accouchement, il acquiert une merveil­
leuse faculté de dilatation. -Précautions prises par la nature pour que
le fœtus se présente presque toujours bien au passage. - La nature ne
s'est pas montrée moins habile et moins sage en douant l'animal
naissant de la faculté instinctive de se servir de ses organes.

CHAPITRE VIII. - Différence entre l'articulation de l'ischion chez le


singe et chez l'homme. - En disséquant les muscles du singe, les
anatomistes se sont souvent trompés. - Principes d'après lesquels
Galien a divisé et subdivisé les muscles de l'articulation ischio-fémo­
rale; ce sont ceux-là mêmes qui ont présidé à la structure et au volume
de ces muscles. - Énumération, brève description et indication de
l'action de ces muscles.
LIVRE SEIZ I ÈME

DES NERFS, DES ARTÈRES


E T DES VEINES

CHAPITRE I er. - Considérations générales. Admirable justice distri­


butive apportée par la nature dans la répartition des nerfs, des artères
et des veines.

Déjà précédemment, il a été question plus d'une fois, en


expliquant les parties, des organes communs à tout le corps
(cf. II, XIX; III, IX), artère, veine et nerf. Il m'a paru préférable
de n'en pas parler seulement par fragments, mais de rassem­
bler, sous un même coup d' œil, tout le sujet, et d'ajouter ce qui
manque à nos explications antérieures. Il est évident qu'ici
encore mon exposition aura pour base les points préalable­
ment démontrés : que l'encéphale est le principe des nerfs, le
cœur celui des artères et le foie celui des veines. Comme ces
organes doivent se distribuer dans tout le corps, apportez un
esprit attentif pour suivre avec moi l'équitable répartition qui
en a été faite. S'il apparaît clairement qu'il en a été donné plus
à certaines parties, moins à d'autres, selon la valeur de cha­
cune d'elles, et si l'on constate que cette règle est observée
dans tout le corps, nous louerons Hippocrate de ce qu'il a
appelé la nature juste (cf. I, XXII) . Si l'on voit ces organes se
diriger vers chaque partie en toute sécurité, nous proclame­
rons la nature, non pas seulement juste, mais encore ingé­
nieuse et habile. Il n'importe donc en rien que l'on commence
l'exposition par l'encéphale, ou par le cœur, ou par le foie. En
effet, les observations communes aux trois principes doivent
être énoncées nécessairement en même temps, la nature des
choses ne permettant pas d'agir autrement, quand même on le
300 De l'utilité des parties du corps humain

désirerait, puisque les observations propres à chacun d'eux ne


sauraient évidemment venir, comme l'on voudrait, s'ajouter
aux observations communes.
Quelles sont ces observations communes aux trois prin­
cipes ? Le but était de mener à chaque partie une artère, une
veine et un nerf; mais comme quelques parties sont éloignées
des principes, il convenait de ne pas créer un nombre de
principes aussi considérable que celui des parties, de n'en pas
même créer un grand nombre, mais plutôt de faire sortir de
chaque principe un seul organe très volumineux qui devait
être comme un tronc, et, de ce tronc, au fur et à mesure qu'il
s'avance, on devait tirer des espèces de rejetons pour les
distribuer aux parties voisines. C'est ainsi que les gens habiles
opèrent la conduite et la distribution des eaux potables dans
les villes, quand ils ont adapté un conduit à la prise d'eau ;
parfois ils distribuent cette eau dans différents endroits avant
qu'elle arrive à la ville, ou, s'ils s'en tiennent à la ville seule, ils
la partagent dans tous les quartiers de façon qu'aucun ne
manque d'eau. De même que nous réservons nos éloges sur­
tout à ceux qui, non seulement distribuent l'eau dans toutes les
parties, mais encore en opèrent la distribution la plus équi­
table, de même aussi nous louerons la nature, si nous la
trouvons équitable en tous points. S'il y a deux justices, l'une
connue du vulgaire, l'autre propre aux artistes d'élite, et si
évidemment la nature a choisi la dernière, nous la louerons
bien plus encore. Si vous voulez savoir en quoi consiste cette
justice, écoutez le divin Platon (Lois, VI, 757a-e), disant que le
chef et l'artiste véritablement justes doivent observer l'égalité
eu égard au mérite. De même pour l'eau des villes, il n'en est
pas distribué un volume ni un poids égal dans tous les quar­
tiers. Les bains publics, certains bois consacrés aux dieux, en
reçoivent une grande quantité ; les fontaines des carrefours et
les bains particuliers en reçoivent moins.

CHAPITRE I I . - Suite du même sujet. - Des parties qui ont des nerfs,
et des parties qui n'en ont pas. -De celles qui ont des nerfs mous, et de
celles qui ont des nerfs durs.

Mais il est temps d'examiner l'habileté primitivement


Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 301

déployée par la nature dans cette répartition chez les animaux. Il


naît du cœur une artère considérable (aorte) qui, semblable à un
tronc, se divise en branches et en rameaux nombreux. La veine
appelée creuse (veine cave), à cause de son diamètre, partant de
la région convexe du foie et se dirigeant en haut et en bas,
ressemble à un tronc double ; puisque, dans le corps de l'homme,
l'un est au-dessus du foie et l'autre au-dessous. De même pour
l'artère issue du cœur, on la voit à l'instant se partager en deux
branches inégales : l'une, plus considérable, se dirige vers le bas,
parce que cette partie du corps est plus forte ; l'autre, moins
considérable, se distribue dans les parties situées au-dessus du
cœur. Autre tronc analogue à ceux que nous venons de citer, la
moelle épinière, qui dérive de l'encéphale, envoie des nerfs à
toutes les parties situées au-dessous de la tête. Il serait étonnant
qu'on ne vît ni artère, ni veine, ni nerf revenir à leurs propres
principes. Mais voici qui est plus étonnant encore : beaucoup de
rameaux de chaque espèce (c.-à-d. de nerfs, de veines et d'artères)
se détachent de leur principe pour se distribuer au loin, comme
nous l'avons dit ; cependant il arrive à un très petit nombre de
vaisseaux ou de nerfs de faire une courbe et de revenir sur leurs
pas, comme les coureurs dans le double stade (cf. VII, XIV et XVI,
IV) ; quand cela a lieu, ce n'est ni sans dessein ni au hasard, mais
en vue d'une utilité admirable. En effet, lorsqu'une partie entre
toutes, dans un but utile, est douée d'une structure manifeste­
ment différente de celle des autres, la nature, qui use d'une
équité et d'une prévoyance suprêmes, y montre avec éclat sa
sagesse et le souvenir intelligent qu'elle a de chaque particula­
rité. Je trouve encore une très grande preuve de l'habileté de la
nature dans ce fait : que c'est seulement à l'origine des nerfs qu'il
existe des embranchements latéraux, et cela en vue d'une néces­
sité absolue.
Une autre preuve, non médiocre non plus, c'est que bien que
les nerfs aillent dans toutes les parties du corps, cependant on
n'en voit aucun s'insérer, ni sur un os, ni sur un cartilage, ni
sur un ligament, ni sur toutes les glandes, car il y a deux
espèces de glandes. En effet, la substance des os est disposée,
en maints endroits, comme un soutien, une base pour les
autres parties, en maints autres endroits, comme un mur et un
302 De l 'utilité des parties du corps humain

rempart ; ce sont là les deux utilités mêmes des os. Les carti­
lages lubrifient certaines parties des os, par exemple, les
articulations pour les rendre polies ; la nature s'en sert parfois
aussi comme de corps modérément élastiques. En consé­
quence, il était superflu de douer les os et les cartilages de
sensation et de mouvement volontaires. Les ligaments, sorte
de liens qui rattachent certaines parties aux os et ces os à
d'autres parties comme des cordes, n'avaient non plus nul
besoin de sensation et de mouvement volontaires. Les nerfs
sont inutiles aussi à la graisse, étendue comme une huile
onctueuse sur les parties membraneuses et nerveuses
(fibreuses) de l'animal. Voici son origine et son utilité : pro­
duite par la partie graisseuse du sang, versée par des vaisseaux
ténus, elle se répand sur les corps secs et minces, pour
humecter continuellement, d'une humeur onctueuse natu­
relle, ces corps sujets à se dessécher et à se durcir rapidement
par suite d'une abstinence prolongée de travaux violents ou
par de fortes chaleurs. La substance des glandes qui sert à
consolider les vaisseaux, là où les ramifications se séparent (cf.
VI, IV) , n'a pour cet usage aucun besoin de nerfs, non plus que
de sensation ou de mouvement volontaire. Mais les glandes
destinées à produire des humeurs utiles à l'animal, pourvues
de veines et d'artères visibles et parfois grandes, reçoivent
aussi des nerfs de la même façon que toutes les parties que je
vais examiner.
La nature a disposé chez les animaux pour le mouvement
volontaire un genre d'organes qu'on nomme muscles. Aussi,
bien que tous les nerfs soient doués des deux facultés (je veux
dire la sensation et le mouvement), aucune des autres parties
qui reçoivent des nerfs ne se meut, elles ne font que sentir; tels
sont ; par exemple, la peau, les membranes, les tuniques, les
artères, les veines, les intestins et la matrice, la vessie et
l'estomac, tous les viscères et l'une des espèces de glandes.
Qu'est-il besoin de dire aussi que les organes des sens récla­
maient des nerfs pour sentir? Nous l'avons déjà dit précédem­
ment à propos de tous ces organes dans les livres qui les
concernent (cf. liv. VIII, IX et x).
Il est nécessaire maintenant de rappeler aussi que sur aucune
Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 303

des parties la nature n'a inséré inutilement un nerf, qu'elle les a


insérés sur celles qui avaient besoin de sensation seulement ou
de mouvement volontaire, et que loin de les distribuer au hasard,
elle a donné à celles qui devaient être douées d'une sensation
exacte tous les nerfs mous, à celles qui devaient jouir du mouve­
ment volontaire tous les nerfs durs, à celles qui devaient possé­
der l'un et l'autre les deux sortes de nerfs; la nature, dans sa
prévoyance, ayant ménagé, ce me semble, pour la sensation, un
nerf plus propre à recevoir l'impression, et pour le mouvement
un nerf plus capable d'action. Aussi tous les organes qui ne sont
pas simplement doués du mouvement volontaire, mais qui
possèdent encore une sensation supérieure à la sensation
commune à toutes les parties, c'est-à-dire au tact, comme les
yeux, les oreilles, la langue ; ces organes sont pourvus de la
double espèce de nerfs, c'est-à-dire des mous et des durs. Les
nerfs mous s'insèrent sur la partie qui est l'instrument propre de
la sensation, les nerfs durs vont aux muscles. Il existe encore des
nerfs mous à l'estomac, au foie, dans tous les intestins et les
viscères, comme aussi dans les dents, seuls os où l'on en trouve,
attendu qu'elles sont exposées nues à la rencontre des corps, et
qu'elles devaient avec la langue sentir et apprécier les saveurs
comme toutes les autres parties de la bouche (cf. XI, VII-XI) . En
effet, nous avons démontré dans les livres précédents (cf. V, IX)
que la nature a attribué une perception supérieure aux parties
destinées à rencontrer continuellement des corps qui coupent,
qui brisent, qui rongent, qui échauffent, qui refroidissent forte­
ment, ou qui altèrent d'une façon quelconque, afin qu'averti par
la douleur, l'animal puisse se défendre et écarter l'objet nuisible
avant que la partie soit lésée. C'est pour cela que des nerfs mous
s'insèrent aux dents et que le derme tout entier reçoit des
fibrilles dérivées des nerfs de chaque partie. En effet, tandis qu'il
vient un nerf à chacun des muscles, le derme ne reçoit pas un
nerf spécial et isolé, mais des parties sous-jacentes il y arrive des
fibres nerveuses qui, en même temps qu'elles le rattachent à ces
parties, servent d'organes de sensation. Telles sont les
remarques communes applicables à tous les nerfs.

CHAPITRE I I I . - Plus les parties sont douées de sensibilité, plus les


304 De l'utilité des parties du corps humain

nerfs sont volumineux et mous; au contraire, plus leurs mouvements


sont nombreux et violents, plus les nerfs doivent être volumineux et
durs. - Exemples tirés des yeux, de la langue, des oreilles, du nez (cf.
VIII, VI) - Considérations particulières sur l'origine et la structure des
nerfs optiques. - Que toutes les parties situées au-dessous de la tête
devant recevoir des nerfs de la moelle et non du cerveau, il n'y a
d'exception que pour les viscères et pour les organes de la voix.

Maintenant il convient d'entrer avec vous dans les détails.


Comme il existe une grande variété dans la nature, la situation
et les fonctions des parties, le mieux était que les parties
destinées nécessairement à être plus sensibles que les autres
reçussent de l'encéphale un nerf à la fois plus volumineux et
plus mou; tandis que les parties destinées à des mouvements
nombreux et violents, exigeaient aussi un nerf plus volumi­
neux, mais plus dur. C'est pourquoi la nature paraît observer
si scrupuleusement cette loi dans toutes les parties, que jamais
elle n'aurait ni un nerf petit ou dur à la partie qui doit être le
siège d'une sensation plus parfaite, ni un grand nerf à celle qui
n'a pas plus besoin de sensations que de mouvements éner­
giques, ni un nerf mou à celles dont l'utilité réside dans la
vigueur du mouvement.
À chacun des yeux s'insère un nerf plus gros qu'à aucune des
parties les plus volumineuses. On ne saurait non plus voir
ailleurs un nerf plus mou, attendu que les yeux seuls, bien que
ce soient des organes très petits, exigeaient, vu l'importance de
leur utilité, les nerfs les plus considérables et les plus mous. En
effet, de tous les sens l'œil est le plus subtil et le plus parfait; il
apprécie de loin la plupart et les plus importantes des qualités
inhérentes aux corps, la couleur et la grandeur, la forme, le
mouvement, la situation, et en même temps la distance qui les
sépare de l'œil du spectateur. Supposez des grains de millet
répandus à terre en grand nombre, ou quelque autre corps
plus petit encore, si vous pouvez d'abord distinguer exacte­
ment la position de chacun d'eux, puis les autres circonstances
énumérées plus haut, vous admirez, je pense, la perfection de
ce sens, et la multitude de services qu'il rend aux animaux. En
effet, supprimez ce sens et vous ne pouvez plus ni compter les
grains de millet, ni distinguer leur couleur ou leur substance.
Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 305

Il discerne parmi les corps éloignés ceux qui se meuvent et


ceux qui sont fixes, comment ils sont attachés entre eux ou
écartés les uns des autres. Comme la sensation consiste dans
l'affection (Èv i:q, naaxnv, l'impression éprouvée), et le mouve­
ment qui meut les nerfs avec les muscles dans l'action (Èv i:q,
no1Eîv), c'est avec raison que le nerf mou a été inséré dans l' œil,
premier organe de la vision, et le nerf dur aux muscles qui le
meuvent. - De la même façon la langue, partie également
petite, a reçu de la nature les deux espèces de nerfs, le mou
pour apprécier les saveurs, le dur parce qu'elle doit exécuter
des mouvements nombreux et variés. - La nature a conduit à
chaque oreille (oreille interne) un nerf mou, et elle a amené
aussi des nerfs durs à ces même� oreilles (pavillon) destinées à
se mouvoir. - Le nez a reçu des nerfs mous ainsi que les dents
et tout le palais. En effet, ces parties avaient besoin d'une
sensibilité exquise.
Mais si vous comparez ces nerfs mous à ceux de l' œil, ils
vous paraîtront tout à fait durs et petits. En effet, outre toutes
leurs propriétés déjà énoncées, les nerfs de la vision ont encore
des conduits visibles, et c'est en vue de ces conduits qu'ils ont
été créés épais. Mais vous ne pouvez dignement admirer la
nature en ce qui concerne la structure de ces nerfs, si vous
ignorez comment nous voyons. Si donc vous voulez à loisir
vérifier les démonstrations que j'ai données ailleurs dans le
treizième livre du traité De la démonstration 1 , livre dans lequel
j'ai prouvé que l'organe de la vision renferme un pneuma
lumineux qui émane continuellement de l'encéphale 2 , vous
1 . Ouvrage perdu.
2. Pour !'Antiquité, la vision s'opérait grâce à une lumière issue des yeux
(sauf pour les atomistes qui, eux, pensaient que les objets émettaient des images
qui venaient frapper les yeux). Ici Galien semble croire que l'encéphale envoie
un pneuma lumineux dans les yeux, que celui-ci est émis par ceux-ci, « frappe »
les objets et revient à l'encéphale (où est l'âme) par les nerfs optiques. Platon
disait déjà (Timée, 4Sb-d) : « Or, parmi les organes, c'est d'abord les porte­
lumière qu'ils [les dieux] ont construits, les yeux. [ ...] Cette sorte de feu qui n'a
pas la capacité de brûler, mais celle de procurer une douce lumière, ils ont su
faire qu'elle devînt chaquejour un corps à nous approprié. En effet, le feu qui est
au-dedans de nous et qui est frère de celui-là, dans sa toute pureté ils ont fait
qu'il rayonne par les yeux; pour cela, ils ont rendu lisse et dense l'œil tout entier,
et, plus particulièrement en son milieu, ils ont resserré le tissu, en sorte qu'il fût
étanche à tout contenu plus épais, et qu'un tel feu seulement, en sa pureté
absolue, pût filtrer au travers. Lors donc qu'il y a la lumière du jour tout autour
du rayon visuel, alors celui-ci s'épanche semblable vers son semblable et se
306 De l'utilité des parties du corps humain

admirerez la structure des nerfs optiques intérieurement


creux pour recevoir ce pneuma, et, par le même motif, remon­
tant jusqu'à la cavité même de l'encéphale (cf. VIII, VI) . En
effet les nerfs optiques naissent à l'endroit où les deux ventri­
cules antérieurs se terminent sur les côtés, et c'est à cause de
ces nerfs qu'existe cette espèce de couche des ventricules. Les
anatomistes ont méconnu cette œuvre admirable de la nature
parce qu'ils n'ont ni examiné les extrémités des ventricules, ni
distingué pourquoi ils avaient été ainsi conformés, ni vu que
les origines des nerfs optiques se rattachent aux extrémités des
ventricules (cf. VIII, VI) . C'est pour ce motif que les nerfs des
yeux sont à la fois creux, très grands et très mous, tandis que
les autres sens ont aussi des nerfs grands et mous.
Les mains et les pieds diffèrent complètement des susdites
parties pour la fonction, la substance et la manière d'être ; en
effet, leurs actions s'exécutent avec force et vigueur, leur
substance est dure ; ils sont très éloignés de la tête. Aussi
l'encéphale n'envoie pas de nerfs aux parties que nous venons
de nommer, non plus qu'aux membres tout entiers ; c'est de la
moelle épinière seule que les bras et les jambes reçoivent des
nerfs durs. Toutes les autres parties situées au-dessous de la
face reçoivent leurs nerfs de la moelle épinière, excepté les
intestins et les viscères, excepté aussi les organes de la voix,
quelques-uns de tous ces organes devant être entièrement
rattachés à l'encéphale; d'autres encore qui avaient unique­
ment besoin de sensation ont participé aux mêmes nerfs,
parce qu'ils étaient situés dans leur voisinage. Il était néces­
saire, en effet, qu'il vînt des nerfs au cœur et au foie, puisqu'il
fallait absolument que les principes des facultés qui régissent
l'animal fussent rattachés ensemble, ainsi que nous l'avons
démontré dans notre traité Sur les dogmes d'Hippocrate et de
Platon. Il en fallait à l'estomac et surtout à son orifice, parce

combine avec lui ; un corps unique, approprié au nôtre, se constitue tout le long
de la droite issue des yeux, en quelque direction que le feu jailli de l'intérieur
aille buter contre celui qui arrive des objets extérieurs. Susceptible des mêmes
impressions d'un bout à l'autre en raison de son homogénéité, quel que soit
l'objet dont il prenne lui-même contact ou qui vienne en contact avec lui, il en
transmet les mouvements dans tout le corps jusqu'à l'âme, et lui procure cette
sensation grâce à laquelle nous déclarons voir. »
Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 307
qu'il avait besoin, nous l'avons démontré (VI, VI; IX, XI; cf.
aussi IV; VII), d'une sensation plus précise.
La voix étant la plus importante de toutes les opérations
psychiques, puisqu'elle énonce les pensées de l'âme ration­
nelle, il fallait qu'elle aussi fût produite par des organes qui
reçoivent des nerfs de l'encéphale. C'est pour ces organes
surtout que des nerfs issus de l' encéphale se prolongent loin de
leur principe (cf VII, XIX) . Avec eux, comme nous l'avons dit,
de petites ramifications se distribuent sur les intestins, les
reins, la rate, le poumon et l' œsophage. Nous parlerons de ces
nerfs un peu plus loin (chap. v).

CHAPITRE I V . - Origine et insertion des nerfs qui se distribuent aux


muscles du larynx. - Des nerfs récurrents en particulier, de leur
origine, de leurs rapports avec les vaisseaux. - Nouvelles extases de
Galien sur la flexion de ces nerfs.

CHAPITRE v . - Des nerfs fournis aux viscères par le pneumogas­


trique et par le grand sympathique. - Mention des ganglions nerveux.

CHAPITRE VI . - Du nerf spinal et du nerf glosso-pharyngien. - Des


nerfs de la partie postérieure du cou, de la tête, des oreilles, du
temporal et du peaucier dans les diverses classes d'animaux. - Admi­
rables dispositions prises par la nature pour la distribution de tous ces
nerfs, et particulièrement pour ceux du peaucier à la région cervicale.
- Que la nature a toujours établi un rapport entre le trajet des nerfs et
les mouvements des muscles.

CHAPITRE vn . - De l'art de la nature dans la production et la


distribution des nerfs du thorax et de l'épaule.

CHAPITRE VIII . - De la distribution des nerfs du bras, de l' avant-bras


et de la main. - Différences que présentent sous ce rapport lajambe et
le bras. - Considérations générales sur la protection que la nature a
ménagée aux nerfs dans leur trajet à travers les membres.

CHAPITRE I X . - Suite du même sujet,


308 De l'utilité des parties du corps humain

CHAPITRE x. - Origine, trajet et moyen de protection des artères


sous-clavière et carotide primitive gauches, des artères intercostale
inférieure, vertébrale et mammaire interne, de la veine cave, de la
veine azygos, de l'œsophage. - Disposition des artères des viscères
abdominaux et en particulier des reins ; artères spermatiques. -
Branches postérieures de l'aorte descendante. - De la situation respec­
tive des artères et des veines dans la cavité abdominale et dans les
jambes. - Des vaisseaux destinés aux organes génitaux, urinaires,
intra et extra-pelviens. -Mention spéciale des vaisseaux épigastriques.
- Que les grands vaisseaux sont toujours protégés par leur situation.

Après avoir donné sur les nerfs une explication assez longue,
il est temps de passer à la distribution des vaisseaux; et
d'abord il faut parler des artères. Il existe un vaisseau considé­
rable (aorte), comme je l'ai dit précédemment, qui naît de la
cavité gauche du cœur et qui, semblable à un vaste tronc, se
ramifie [dans tout le corps]. Ce vaisseau considérable, aussitôt
après sa sortie, se divise en deux branches : l'une d'elles se
détourne vers le rachis pour envoyer des artères à toutes les
parties inférieures ; l'autre remonte à la tête et fournit des
ramifications à toutes les parties situées au-dessus du cœur.
Comme je le disais précédemment (chap. u), leur distribution
s'est faite inégalement, parce qu'il existe dans l'animal au­
dessous du cœur plus de parties qu'au-dessus. La portion
descendante de l'artère dépasse d'autant la portion qui monte
au cou que le nombre des parties inférieures dépasse celui des
parties supérieures. Assurément ce sont là des œuvres qui
témoignent d'une équité et d'un art non médiocre. Voici
encore une disposition supérieure :
L'artère étant à son origine suspendue, et devant en consé­
quence traverser tout le thorax de haut en bas et de bas en haut
sans appui, la nature a pourvu à sa sûreté en plaçant sous elle
le poumon comme un soutien (cf. VI, m) , en l'entourant de
membranes qui tiennent lieu de ligament, en la conduisant par
le plus court chemin vers les parties à la fois les plus fortifiées
et les plus solides. En effet, la partie descendante de l'artère
arrive [en marchant d'avant en arrière] à la région qui est
opposée au lieu de sa naissance, n'inclinant d'aucun côté,
mais allant par la route la plus directe et la plus courte à la
Livre XVI • Des nerfs, des artères et des veines 309

cinquième vertèbre du thorax. L'autre (aorte ascendante),


aussitôt après sa naissance, envoie à l'épaule et à l'aisselle
gauche une portion d'elle-même, laquelle, portée sur le pou­
mon et appuyée par des membranes (médiastins), remonte
sans se diviser jusqu'à la première côte (artères sous-cla­
vières) ; car il n'était pas prudent de la diviser aussi longtemps
qu'elle est suspendue. De là elle envoie une portion d'elle­
même aux premiers espaces intercostaux (artère intercostale
supérieure) ; puis une autre branche étendue derrière le ster­
num arrive à l'hypocondre et à la mamelle (artère mammaire
interne) ; une troisième, destinée à la moelle cervicale (artère
vertébrale), traverse les trous des six vertèbres, et sur son trajet
envoie des ramifications aux muscles voisins. La continuation
de cette artère se divise dans tout le bras gauche et dans
l'épaule (artère axillaire). L'autre branche (carotide primitive),
la plus considérable de toute l'artère ascendante, remonte
directement de l'endroit où elle se détache vers la fossette
sus-sternale et se rattache aussitôt que possible à la partie
médiane du sternum. Ne considérez pas seulement cette parti­
cularité dans ces diverses branches artérielles, mais examinez
encore attentivement la région où chaque branche de la
grande artère (crosse de l'aorte) commence à s'avancer sur les
os, vous verrez que non seulement l'os a été disposé comme un
rempart et un appui pour chacune d'elles, mais que de plus
sous l'un des vaisseaux (artère sous-clavière) il a été établi une
membrane (médiastin) et le cartilage qui lubrifie les parties
internes des vertèbres (cf. XIII, vm), cartilage qui devient pour
lui une sorte de coussin moelleux, et que sous l'autre vaisseau
qui monte au cou, une glande très considérable et très molle
(thymus, cf. VI, v1) a été placée en guise de tapis.
S'il n'y avait dans le thorax aucun autre vaisseau, ni aucune
branche ascendante ou descendante qui eût besoin du même
secours, le rachis en arrière, en avant le sternum suffiraient
pour fournir aux seules branches de la grande artère l'utile
protection que nous signalions. Mais, comme on y trouve la
veine cave qui remonte, l'œsophage qui descend (cf. VI, rvet v),
ainsi que la veine qui alimente le thorax (azygos), il n'était pas
convenable de négliger leur sûreté ; il fallait les recouvrir, les
3 10 De l'utilité des parties du corps humain

rattacher, les appuyer, les protéger, et aussi leur faire un


rempart au moyen des os. Ces dispositions existent réelle­
ment, le Créateur des animaux n'ayant pas commis à cet égard
même la plus petite négligence. D'abord, pouvant rattacher
l'œsophage au sternum et la veine cave au rachis, il a fait le
contraire. En effet, le rachis est plus près de l'œsophage que le
sternum, et le sternum plus près de la veine cave que le rachis;
car, du sommet du cou descend l'œsophage appuyé sur les
vertèbres, tandis que le vaisseau qui remonte de l'oreillette
droite du cœur et qui étant la continuation de la veine cave
(abdominale ou ascendante), est, à cause de cela, nommé aussi
veine cave (veine cave thoracique ou descendante) par beau­
coup de médecins, est voisin du sternum : or, donner pour
rempart à chacun d'eux l'os voisin était mieux que de prendre
l'os éloigné, et de mener ainsi à la partie opposée le vaisseau
suspendu dans la vaste cavité du thorax. De plus, il résultait
d'une telle disposition un autre avantage pour tous les deux :
l' œsophage, couché sur le rachis, va en droite ligne déboucher
dans l'estomac sans être obligé de traverser le centre du
diaphragme déjà nécessairement percé d'un trou qui donne
passage à la veine cave. Quant à la veine, lorsqu'elle arrive au
niveau de la fossette sous-claviculaire, et qu'elle rencontre
l'artère issue du cœur (crosse de l'aorte), elle se trouve dans
une position favorable. Cela maintient aussi l'artère dans une
disposition telle qu'après s'être divisées pour monter à travers
le cou, les branches de cette artère sont situées profondément,
tandis que les veines reposent sur elles.
Les dispositions si heureuses prises par la nature ne
consistent pas seulement à avoir établi sur le rachis l'œso­
phage, l'artère et la veine nourricière de la partie inférieure du
thorax (azygos), et à avoir fixé la veine cave sous le sternum,
mais encore à ne pas avoir mis sur le même plan l'œsophage,
l'artère et la veine; elles ne consistent pas seulement non plus
à n'avoir pas placé l'œsophage au milieu, l'artère sur les côtés,
mais encore à avoir appuyé celle-ci sur la région centrale
(corps) des vertèbres et en même temps à avoir étendu l'œso­
phage sur le côté parallèlement à l'artère. En effet, si l'artère
importe plus à la vie que l' œsophage, elle a aussi une situation
Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 31 1

plus sûre. Une preuve non médiocre de mon assertion, c'est


que l'œsophage longe la partie centrale de toutes les vertèbres
du cou et des quatre premières du thorax. Il ne convenait pas
en effet, ni quand il repose seul sur les vertèbres, qu'il délaissât
la voie plus sûre pour en suivre une plus dangereuse, ni quand
il rencontre un organe plus important, qu'il ne lui cédât pas la
place. Mais comme la veine qui nourrit les huit espaces
intercostaux inférieurs de chaque côté du thorax est plus
petite que l'artère, elle est couchée auprès de celle-ci. Nous en
parlerons un peu plus loin (chap. XIV), quand nous traiterons
des veines : revenons à l'artère.
Quant à la plus grande de toutes les artères dont je parlais,
celle qui descend à travers les parties inférieures du thorax, elle
envoie de chaque côté des ramifications aux muscles inter­
costaux (artères intercostales aortiques) . La plus grande partie de
ces ramifications se distribue dans ces muscles, un assez grand
nombre se rend dans ceux qui recouvrent le thorax; car on ne
pouvait d'une autre région envoyer par une voie plus sûre et plus
courte des artères à ces muscles, et aussi au diaphragme, ni les
tirer d'une autre artère ou d'une autre partie de cette artère;
c'était cette artère même et cette partie de l'artère qui traverse le
diaphragme d'où il fallait les faire venir.
Il ne convenait pas non plus que l'estomac, la rate et le foie
reçussent des artères d'une autre région; ils devaient les
emprunter à cette artère seule, au moment où elle arrive
au-dessus du diaphragme (tronc cœliaque). C'est encore de
cette même région que se détache l'artère qui se distribue dans
tous les intestins ; en effet, comme le sommet du mésentère
était situé tout proche, il était nécessaire que non seulement
l'artère (mésentériques infér. et sup. ; coliques) qui part de ce
point, mais encore la veine et le nerf se partageassent dans
toutes les circonvolutions intestinales. Les reins étant disposés
à la suite, il vient s'y insérer une paire très considérable
d'artères (artères rénales) . Mais nous avons parlé de leur
grandeur dans le livre où il est question des reins (V, v) . Nous
dirons dans celui-ci pourquoi elles ne sont pas nées d'une
autre partie de l'artère. La nature paraît se servir des plus gros
vaisseaux comme d'aqueducs ; dans toutes les régions qu'ils
312 De l'utilité des parties du corps humain

traversent, elle détache sur les parties voisines comme des


ruisseaux et des canaux variables de grandeur selon l'impor­
tance et l'utilité de ces parties ; et tous sont amenés par
l'intervalle le plus court. C'est pourquoi la partie de l'artère
qui pénètre dans le rein droit naît plus haut que celle qui se
rend au rein gauche, parce que, nous l'avons démontré pré­
cédemment (V, VI) , la position des reins eux-mêmes était
inégale. Il n'est donc pas étonnant que les artères qui vont au
thorax, la gauche comme la droite, naissent au même endroit,
et que la branche destinée au rein droit soit plus élevée que
celle destinée au rein gauche, conformément à la place de
chacun des organes qui devaient les recevoir.
Ce qui est plus digne de remarque, c'est qu'après les artères
qui vont aux reins se trouvent les artères qui vont aux testicules
(artères spermatiques) : l'une, issue du côté gauche, emprunte
toujours quelque chose à l'artère qui va aux reins (c'est-à-dire :
reçoit une branche anastomotique), parlais même elle vient
exclusivement de l'artère rénale, tandis que l' artère du côté droit,
toujours issue de la grande artère elle-même, reçoit parfois un
rameau de l'artère qui va aux reins. La nécessité pour ces artères
de se charger d'une matière impure et séreuse a été démontrée
dans le quatorzième livre (chap. VII) . Quand elles approchent des
testicules, elles forment mille circuits variés : c'est un fait déjà
énoncé dans ce même livre (chap. x), et qu'il n'est pas inutile de
rappeler ici, afin qu'un principe, disions-nous plus haut
(chap. IX), observé constamment par la nature dans toutes les
parties de l'animal ne paraisse pas avoir été parlais violé faute
d'une explication convenable. La nature, qui, disais-je, amène à
toutes les parties par le plus court chemin des artères et des
veines, en amène aux testicules et aux mamelles (ce sont les
seules parties qui soient dans ce cas), non des vaisseaux les plus
proches, mais de ceux qui sont éloignés ; ce n'est pas qu'elle
oublie son but primitif, c'est qu'elle en adopte un autre préfé­
rable. En effet, le lait et le sperme sont produits par un sang
parfaitement élaboré. Cette élaboration parlaite résulte de leur
séjour prolongé dans le vaisseau qui les apporte. Or, ce séjour est
nécessairement prolongé dans les plus longs vaisseaux, et les
plus longs sont toujours ceux qui viennent de loin. C'est donc
Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 313

avec raison que dans les testicules et les mamelles la nature


amène le sang et le pneuma, non des vaisseaux proches, mais en
mettant la plus grande distance possible entre le point de départ
et celui d'arrivée. Et cependant si le sperme a besoin d'une
élaboration plus parfaite, le seul éloignement du point de départ
ne devait pas lui suffire comme au lait. Autrement la nature eût
été injuste en attribuant à des choses inégales et différentes des
conditions d'existence égales et semblables de tous points. Aussi,
non seulement elle amène de loin aux testicules comme aux
mamelles les artères et les veines, mais elle les replie de mille
façons avant de les y insérer, prolongeant par là, je pense, le
séjour des matières dans le vaisseau qui les apporte. Les veines
se replient en cet endroit seulement, les artères s'y replient
également comme les veines, mais leurs replis sont plus nom­
breux dans ce qu'on nomme le plexus réticulé (cf. IX, IV) ; [dans
l'une et l'autre partie, cette disposition existe] en vue de la même
utilité. En effet, ces artères nourrissent le pneuma psychique de
l'encéphale, si différent par sa nature de tous les autres pneuma
(cf. IX, IV) ; il n'est donc pas étonnant qu'il réclame un aliment
amené par de longs circuits, élaboré d'avance et complètement
transformé. Vous ne trouveriez ailleurs ni artères ni veines allant
de loin à quelque partie; toutes y vont par le plus court chemin
en se détachant des gros vaisseaux; mais nous traiterons des
veines un peu plus bas.
La grande artère fournit encore, à la suite des ramifications
précédentes, d'autres ramifications allant aux muscles de
l'épigastre (rameaux antér. des branches aortiques postér.). En
effet, il n'était pas possible d'amener d'une autre région à ces
muscles des vaisseaux par le plus court chemin. En outre, sur
tout le trajet que parcourt la grande artère sur le rachis, à
partir de la cinquième vertèbre thoracique, d'autres petits
vaisseaux (rameaux dorsaux des branches postér. de l'aorte)
vont se distribuer dans la moelle ; ils se bifurquent et envoient
en arrière aux muscles du rachis une partie non médi_ocre
d'eux-mêmes. Ils pénètrent dans le canal vertébral au niveau
des articulations des vertèbres (cf. XIII, 1x), à l'endroit où
sortent les nerfs ; il existe deux branches à chaque articulation,
parce qu'il y a un double trou, l'un à la partie droite du rachis,
314 De l'utilité des parties du corps humain

l'autre à la partie gauche. Toutes ces nombreuses paires de


petites artères existent dans tout le rachis, égalant en nombre
les nerfs issus de la moelle, et elles pénètrent avec les veines
dans la membrane mince (pie-mère) qui enveloppe la moelle. À
chacune des ramifications, l'artère aorte qui en est comme le
tronc, et qui s'étend sur la région moyenne du rachis, diminue
de volume comme font les troncs des arbres après avoir
poussé leurs rameaux, et comme font aussi les courants des
fleuves, au fur et à mesure que les canaux s'en échappent. En
conséquence, si vous comparez la dimension de l'artère au
niveau de la cinquième vertèbre du thorax avec elle qu'elle
présente à la dernière vertèbre de l'épine, vous trouverez
qu'elle est devenue beaucoup moindre. De plus, dans toute
cette région, la veine cave étendue sur le rachis est plus élevée
que l'artère, et se dirige de haut en bas à côté d'elle. L'une et
l'autre, en effet, devaient conserver la position qu'elles avaient
dès le principe, aucune cause ne les forçant d'en changer; il
était également convenable que le plus mince vaisseau chemi­
nât sur le plus épais. Quand les vaisseaux sont arrivés au bas
des lombes et qu'ils vont se distribuer dans les jambes, il était
mieux que dans ces parties, comme dans l'animal tout entier,
les veines fussent situées sur les artères, et que la nature,
pourvoyant à leur sûreté, ne changeât pas leur position en vue
de leur trajet à travers les jambes.
La nature n'a pas oublié non plus les organes situés sur l'os
large (cavité du bassin), mais elle leur a distribué des artères et
des veines en proportion de leurs dimensions et de leurs
utilités. En effet, elle a inséré sur la vessie de petits vaisseaux et
sur la matrice des vaisseaux grands et doubles, attendu qu'ils
sont destinés à nourrir non pas seulement les matrices elles­
mêmes, mais encore le fœtus qu'elles doivent renfermer. Les
vaisseaux qui vont des régions des reins jusqu'aux testicules
(vaisseaux spermatiques) s'y ramifient jusqu'à leur extrémité ;
ceux qui vont au col des matrices et aux parties situées
au-dessous des testicules (ovaires), naissent au même lieu,
c'est-à-dire à la région lombaire, des vaisseaux qui se dirigent
vers les jambes (artères et veines hypogastriques) ; de ce même
endroit, chez les mâles, se détachent des vaisseaux (artères et
Livre XVI - Des nerfs, des artères et des veines 315

veines honteuses internes) qui pénètrent dans la verge et qui


proviennent des vaisseaux des lombes. En sens inverse, de ces
mêmes régions, remontent des vaisseaux veineux (vaisseaux
épigastriques ou mammaires externes), qui rejoignent, pour se
réunir à eux, en vue d'une mutuelle communication, les
vaisseaux descendus des mamelles (vaisseaux mammaires
internes) dont nous avons parlé dans le quatorzième livre
(chap. vm) . Ces vaisseaux se rencontrent dans les régions
profondes ; mais il y en a d'autres à la surface externe, à
l'extrémité des muscles hypogastriques, non loin de l'aine. De
ces régions une paire de petits vaisseaux va aux parties géni­
tales (vaisseaux honteux externes), l'autre paire, commune aux
mamelles, au thorax (vaisseaux épigastriques), et aux parties
génitales, rencontre des veines qui descendent superficielle­
ment de la région des mamelles.
Nous avons déjà dit précédemment (chap. vm), à propos du
trajet des vaisseaux dans les jambes, qu'il a lieu par la voie la
plus sûre, puisqu'ils descendent à travers la région interne ; en
effet, quand ils avancent dans cette région, ils devaient trouver
pour rempart, à la partie antérieure et externe, le membre tout
entier, et au côté interne les muscles les plus forts ; c'est sous
ces muscles et à travers ces muscles qu'ils passent. À l'aine la
nature établit aussi, pour servir de support, des glandes là où
les vaisseaux se bifurquent ; elle les recouvre aussi de ces
glandes pour les protéger contre les chocs du dehors (cf. N, u;
VI, 1v). En aucun endroit des membres, ni aux pieds, ni aux
bras il n'existe donc de grands vaisseaux à la superficie, mais,
comme il a été dit, ils avancent cachés dans les parties pro­
fondes, et plus encore les artères que les veines, attendu
qu'elles sont plus importantes et qu'elles font courir de plus
grands risques pour l'hémorragie, si elles viennent à être
coupées. Parmi les petits vaisseaux, quelques-uns arrivent
nécessairement jusqu'à la peau pour fournir un aliment aux
parties qui en sont voisines. Je voudrais bien maintenant dire
un mot de leur distribution dans chaque muscle, mais je
prévois que l'explication serait trop longue. Il me paraît donc
préférable, après avoir indiqué le but que la nature se propose
dans leur disposition, de renvoyer l'examen spécial sur chacun
316 De l 'utilité des parties du corps humain

d'eux à mon Manuel des dissections, où beaucoup d'autres


points, omis ici par moi, seront traités complètement. Autre­
fois j'ai rédigé ce Manuel en deux livres, mais je suis décidé
aujourd'hui d'en faire un traité plus long exposant toutes les
questions en détail.

CHAPITRE X I . - Distribution et moyens de protection des vaisseaux


qui se rendent au cou, à la face, au cerveau et au membre thoracique;
tronc et branches terminales. - Mention spéciale de l'artère vertébrale
et des vaisseaux qui se rendent à l'épaule et au bras.

CHAPITRE X I I . - Distribution et moyen de protection des artères


carotides interne et externe. - Digression sur le plexus rétiforme. - La
nature a soin d' anastomoser fréquemment les artères aux artères et
aux veines, et les veines aux veines et aux artères, et d'entrelacer les
vaisseaux avec les nerfs. - Les vaisseaux ne se distribuent pas seule-
ment à des organes limités, mais aux parties voisines.

C HAPITRE XIII . - La correspondance des artères et des veines se


déduit non pas de leur voisinage, mais de la similitude de leur utilité.

C HAPITRE XIV . - Que la nature a distribué les veines aux parties, en


tenant compte du besoin plus ou moins grand que ces parties ont
d'aliment, eu égard à leur nature propre.
LIVR E DIX - S E PTIÈM E

ÉPILO GUE

CHAPITRE 1 er. - Différence fntre la fonction et l'utilité. - Des mouve­


ments actifs et des mouvements passifs. - Qu'il n'existe dans les
animaux aucune partie inutile. - De la trompe de l'éléphant et de son
utilité. - Critique sévère de ceux qui refusent toute sagesse et tout art à
la nature, sous prétexte que les atomes sont les éléments des corps. -
Contradiction dans ceux qui admirent un habile statuaire et qui
calomnient la nature. - Proportionnalité dans la grandeur des
membres. - Du bras et de la jambe sous ce rapport. - Combien sont
pervers ceux qui cherchent une anomalie dans des milliers de milliers
d'hommes, pour en faire un sujet d'attaques contre la nature. - La
peau est une preuve de l'art de la nature. - Un esprit doué d'une
puissance admirable habite les corps terrestres. Un esprit doué d'une
puissance plus admirable encore habite les corps célestes. - La science
de l'utilité constitue une théologie parfaite. - L'art de la nature se
révèle dans le plus petit objet et dans les animaux les plus vils comme
dans les plus imparfaits.

Ce livre est pour moi le dernier, sur l'utilité des parties qui
sont dans le corps humain; car il ne reste aucune partie dont je
n'aie parlé d'une manière générale. Comme l'utilité n'est ni
égale ni la même pour toutes les parties, il était mieux de
distinguer et de dire ce qui était propre à chacune des espèces
d'utilités. La fonction diffère donc de l'utilité d'une partie,
ainsi qu'il a été dit plus haut, en ce que la fonction est un
mouvement actif et efficace et que l'utilité n'est rien autre
chose que ce que le vulgaire appelle commodité. J'ai dit que la
fonction était un mouvement actif, parce que beaucoup de
mouvements sont passifs. On les appelle mouvements par
318 De l'utilité des parties du corps humain

affection. Ils ont lieu dans certaines parties quand d'autres se


meuvent activement. Ainsi il existe un mouvement pour les os
des membres par l'action des muscles qui s'y fixent, et qui
meuvent, tantôt en dehors, tantôt en dedans, les os des arti­
culations ; donc, par rapport au premier moteur, qui est le
principe de l'âme, les muscles doivent être considérés comme
un organe. Mais, par rapport à l'os qui est mis en mouvement
par les muscles, ces muscles seraient à la fois organes et
auteurs du mouvement. En conséquence, la première utilité
pour les animaux est celle qui vient de la fonction ; la seconde
est celle qui vient des parties ; attendu que nous ne voulons
avoir aucune partie pour elle-même, attendu qu'elle serait
inutile si elle ne correspondait pas à une fonction, de sorte
qu'elle serait plutôt à supprimer qu'à désirer. En effet, s'il y
avait dans le corps une telle partie, nous ne dirions jamais que
toutes ont une certaine utilité. Comme il n'existe, ni chez
l'homme, ni chez les animaux, une telle partie, nous disons
que la nature est industrieuse.
Je vais donc raconter ce que j'ai éprouvé la première fois que
j'ai considéré un éléphant. Ceux qui ont vu l'animal compren­
dront facilement ce que je vais dire, et ceux qui ne l'ont pas vu
s'en rendront aisément compte s'ils prêtent attention à mes
paroles : Chez cet animal, là où chez les autres existe le nez, il y
a une partie pendante, d'un petit diamètre, étroite et longue,
qui descend jusqu'à terre. La première fois que je vis cette
singularité, je pensai que cette partie était superflue et inutile ;
mais lorsque je considérai que l'éléphant s'en sert comme
d'une main, elle ne me sembla plus inutile, l'utilité de la partie
étant en rapport avec ce qu'il y a d'utile dans la fonction ; car,
l'utilité de la partie se manifeste par l'intermédiaire de l'utilité
de la fonction. Donc l'éléphant manie toutes choses avec
l'extrémité de cette partie ; il la moule sur les objets qu'il doit
prendre, jusqu'à pouvoir saisir les plus petites pièces de mon­
naie, pour les donner lui-même à ceux qui sont montés sur lui,
en étendant vers eux sa trompe, car c'est ainsi qu'on nomme la
partie dont nous nous occupons 1 • Si donc l'animal ne se
1 . Aristote, Histoire des animaux, I, XI, 492b : « Chez les éléphants le nez est
long et puissant, et il joue le rôle d'une main, pour attirer, saisir, porter à la
bouche les aliments liquides aussi bien que secs : c'est le seul animal dans ce
cas. »
Livre XVII - Épilogue 319

servait pas de sa trompe, elle serait superflue, et en la faisant,


la nature ne se serait pas montrée entièrement industrieuse ;
mais comme, en réalité, l'animal s'en sert pour des fonctions
très importantes, elle est utile et nous révèle l'art de la nature.
En outre, voyant que l'extrémité de la trompe est percée à
l'instar des narines, et, constatant par moi-même que l'animal
respire par ces trous, je trouvai dans cette partie une nouvelle
utilité. L'animal étant mort, je disséquai les conduits qui
s'étendent depuis l'extrémité jusqu'à la racine. Je trouvai que
ces conduits avaient, comme les narines chez nous, une
double terminaison : l'une qui aboutit au cerveau, l'autre qui
s'ouvre dans la bouche, et j'admirai encore davantage l'artifice
de la nature. Ayant appris de plus que l'animal, lorsqu'il trouve
un fleuve profond ou un marais et que son corps est tout entier
dans l'eau, lève sa trompe et respire avec cette partie 1 , je
reconnus la prévoyance de la nature, non seulement parce
qu'elle a bien fait toutes les parties des animaux, mais encore
parce qu'elle leur a enseigné à en user. C'est ce que j'ai déjà
démontré au commencement de tout mon traité (I, II-IV).
Pour reconnaître l'art de la nature, il suffit à qui se propose
de voir et de juger ses œuvres avec justice, mais non de les
critiquer en les calomniant, d'examiner à l'extérieur
l'ensemble du corps et de considérer les fonctions de chaque
partie. Quelques personnes, en effet (Épicure et Asclépiade; cf.
par ex. I, XXI et XXII), ayant commencé par admettre pour
constituer la substance des corps des éléments inconciliables
avec l'art de la nature, ont été conduites à lui faire la guerre.
On peut apprendre par ce qui suit comment ces éléments ne
sauraient être conciliés avec l'art de la nature. Ce qui doit
façonner avec art un objet quelconque, est obligé ou de
toucher extérieurement cet objet, ou de le pénétrer tout entier.
Mais comme les atomes ou corps indivisibles qu'on admet et
que quelques-uns tiennent pour des éléments, ne peuvent,
suivant ces auteurs eux-mêmes, ni former quelque chose en se
touchant extérieurement par quelque point, ni se pénétrer par
1. Aristote, Histoire des animaux, Il, I, 497b : « Avec sa trompe, il arrache
aussi des arbres, et quand il marche dans l'eau, elle lui sert à respirer » (voir
aussi : Histoire des animaux, IX, XLVI, 630 b; Partie des animaux, II, XVI, 659a).
320 De l 'utilité des parties du corps humain

leur totalité, il ne reste donc plus à ces atomes qu'à former


l'assemblage des corps perceptibles aux sens, en s'enchaînant
au hasard; et, puisque les atomes se sont entrelacés au hasard,
ils ont rarement produit quelque chose d'utile, souvent, au
contraire, quelque chose d'inutile et de vain. Telle est donc la
cause pour laquelle les gens qui prétendent que les corps
premiers sont tels que le disent ceux qui font intervenir les
atomes, nient l'artifice de la nature. Voyant clairement, en
effet, que les animaux, considérés à l'extérieur, n'ont aucune
partie inutile, ils cherchent, pour la contradiction, à trouver,
soit à première vue, soit par l'anatomie, quelque chose qui
paraisse inutile. Ce sont donc eux qui, par cette conduite, nous
ont imposé la nécessité de tout expliquer et d'étendre notre
démonstration jusqu'aux choses qui ne servent ni à la théra­
peutique, ni au pronostic, ni au diagnostic des maladies,
comme, par exemple, lorsque nous avons examiné quels et en
quel nombre sont les muscles qui meuvent la langue (cf. XI, x).
Certes, il faut admirer ces hommes qui, refusant l'art à la
nature, louent les statuaires lorsqu'ils font le côté droit exacte­
ment semblable au côté gauche, et ne louent pas la nature qui,
outre l'égalité, donne encore les fonctions aux parties, et qui
de plus apprend à l'animal, dès le principe et aussitôt qu'elles
sont formées, l'usage de ces parties. Est-il juste d'admirer
Polyclète pour la symétrie des formes dans la statue qu'on
appelle canon 1 , et, non seulement de ne pas célébrer la nature,
mais de lui refuser même toute espèce d'art; quand, loin de se
contenter de créer les parties proportionnelles à l'extérieur
comme le font les statuaires, elle a encore établi la même
proportion à l'intérieur? Ou plutôt Polyclète lui-même n'est-il
pas l'imitateur de la nature dans les choses qu'il pouvait
imiter? Il a imité seulement les choses extérieures dont il a pu
voir l'artifice, en commençant par celles qui sont le plus à
portée. Telle est la main, organe le plus spécial à l'homme,
organe muni de cinq doigts qui se terminent par des ongles
aplatis et qui ont chacun trois articulations, lesquelles
1. C'est-à-dire le modèle par excellence ; cette statue était le Doryphore, comme
Cicéron, Brutus, 6, § 86, et Pline (XXXIV, XIX) nous l'apprennent. - Voir aussi
Galien, De temper., I, IX; Dogmes d'Hippocrate et de Platon, V, m.
Livre XVII - Épilogue 321

jouissent de mouvements dont j'ai exposé le nombre et la


variété dans le premier livre de ce traité (cf. chap. XVIII et suiv.).
Tout cela est rempli d'artifice.
De plus, et sans considérer ces détails, l'égalité seule est
l'indice d'un art admirable : les statuaires, avec leurs nom­
breux outils, arrivent à grand-peine à réaliser cette égalité
dans leurs statues. Je ne parle pas de l'analogie de grandeur
entre chaque partie, par exemple, dans le bras lui-même qui, je
l'ai montré dans le premier livre, a été fait par la nature un
organe de préhension, comme la jambe est un organe pour la
marche ; mais il faut voir l'exacte symétrie qui a présidé à la
grandeur du bras lui-même : comme ce membre pend de
l'omoplate, il serait certainement lourd et ne pourrait pas
remplir ses fontions s'il descendait jusqu'aux pieds. Ces
inconvénients seraient encore plus considérables s'il traînait
sur la terre, bien qu'il fût alors d'autant plus apte à prendre les
objets éloignés qu'il serait plus long. Un bras court serait
d'autant plus facile à porter qu'il deviendrait plus impropre à
saisir les objets éloignés. En le rendant apte à saisir de loin, la
nature en eût nécessairement fait un membre difficile à por­
ter; aussi lui a-t-elle donné une grandeur telle qu'il ne devînt
pas trop lourd. Donc, pour un homme qui cherche à
reconnaître réellement les ouvrages de la nature, le bras seul,
avant la dissection, suffit pour les lui révéler; mais celui que
j'ai appelé l'ennemi de la nature, lors même qu'il contemple­
rait l'art intérieur du bras, art que j'ai exposé dans les deux
premiers livres de ce traité, consacrerait ses veilles à chercher
un moyen de calomnier quelque chose de ce qu'il verrait. De
même quelle personne, si elle considère avec l'amour de la
vérité la symétrie de grandeur dans les jambes et l'utilité de
chaque mouvement, ne louera et même n'admirera l'artifice
de la nature ? Si vous supposez un homme ayant les jambes
moitié grandes de ce qu'elles sont dans la proportion conve­
nable, vous comprendrez d'abord, du moins je le pense,
combien le corps qui les surmonte sera difficile à porter et
lourd; en second lieu, combien la marche sera chancelante, et,
en troisième lieu, combien la course sera impossible. Si vous
considérez encore la proportionnalité de la cuisse avec la
322 De l'utilité des parties du corps humain

jambe, de la jambe avec le pied, et enfin des diverses parties du


pied et de la main, vous reconnaîtrez l'art parfait de la nature;
car les parties de ces deux extrémités sont admirablement
symétriques entre elles, de même qu'il y a une symétrie non
moins admirable entre le bras et l'avant-bras, entre l'avant­
bras et la main, et entre les diverses parties de la main, les unes
par rapport aux autres. Tout cela montre l'art de l'ouvrier. La
proportionnalité des doigts seuls suffirait, à qui n'est pas un
contempteur par caractère, pour révéler aussi l'art de la
nature. Pourquoi, en effet, n'existe-t-il aucun homme qui ait
les doigts trois fois plus longs qu'ils ne sont, ou pourquoi, au
contraire, leur longueur n'est-elle pas réduite à celle de la
première phalange ? Je réponds : parce qu'une pareille dimen­
sion, la grande ou la petite, nuirait à leur utilité.
Mais toi, ô très brave contempteur des œuvres de la nature,
tu ne vois rien de tout cela, parce que tu t'aperçois seulement
que parmi des milliers d'hommes il y en a un qui a six doigts.
Polyclète se fût-il un peu trompé dans des milliers de statues,
tu ne le lui reproches pas, et tu accuserais de méchanceté celui
qui l'en blâmerait. Retournez donc la proposition, et voyez ce
que vous diriez si la nature s'était trompée sur mille hommes
et si elle n'avait réussi que pour un. Ne soutiendriez-vous pas
alors que c'est l'œuvre du hasard et non de l'art quand elle
réussit ? Ce serait encore à plus juste titre s'il s'agissait de
milliers et non de mille. -Maintenant que ce n'est pas dans des
centaines de mille hommes, mais dans des milliers de mille
hommes que nous voyons une anomalie, vous ne craignez pas,
usant d'une admirable justice envers la nature, de rapporter
au hasard ce qui est régulier. Est-ce que, si vous assistiez à un
concours de comédiens et de tragédiens, est-ce que, dis-je,
vous déclareriez inhabile celui qui se tromperait une fois entre
mille ? et jugeriez-vous un excellent artiste celui qui réussirait
une seule fois ? Mais tout cela est évidemment un long délire et
l'œuvre d'hommes qui cherchent honteusement à défendre les
éléments qu'ils ont eu le tort d'invoquer au début ; et lorsqu'ils
voient que cette ressource leur est enlevée, l'art de la nature
étant constaté, ils sont forcés de se montrer impudents. Cepen­
dant il est superflu, ainsi que je le disais, de voir par la
Livre XVII - Épilogue 323

dissection toutes les parties intérieures, car une partie externe


quelconque suffit pour montrer l'art de celui qui l'a faite. Il
n'est pas nécessaire de dire combien l'égalité et l'utilité des
sourcils, des oreilles ou des paupières, ou des cils, ou d'une
pupille par rapport à l'autre, ou de quelque autre partie
semblable, montrent la sagesse et en même temps la puissance
de la nature, puisque la peau qu'on trouve partout suffit à
prouver son art.
Si on considère la peau isolément, et si on la voit continue
dans la plus grande partie de son étendue, et présentant des
ouvertures dans quelques endroits, on examinera si ces ouver­
tures sont pratiquées au hasard et ne donnent passage à rien
de ce qui entre dans le corps et de ce qui en sort pour son
avantage, ou bien si leur utilité est grande. L'une de ces
ouvertures est faite en faveur des aliments et des boissons, et
encore pour donner entrée à l'air ambiant, et l'autre pour la
sortie des excréments liquides ou solides. Il y a de plus, avec la
première ouverture, une route pour l'air à travers les narines,
et avec la seconde, une voie d'excrétion pour le sperme. Il y a
aussi d'autres canaux qui se portent des narines vers le cer­
veau, en vue de l'écoulement des superfluités. Le corps est
encore percé ailleurs, afin de pouvoir entendre et pour être en
état de voir. Nulle part il n'y a une seule ouverture inutile.
Il n'y a pas non plus une production universelle nécessaire,
ni une absence complète de poils; ils poussent seulement dans
les régions où cela était indispensable, ainsi que je l'ai démon­
tré (XI, x1v). À la tête, aux sourcils, aux paupières, il y a des
poils, tandis que l'intérieur des mains et la plante des pieds en
sont dépourvus. Aucun muscle n'est uni en vain à la peau,
mais seulement là où il y a une utilité nécessaire, comme cela a
été également démontré.
Quel individu quelconque sera donc assez fou et assez
ennemi des œuvres de la nature pour ne pas avouer l'art de
l'ouvrier en considérant la peau et toutes les autres parties qui
se présentent à première vue ? Qui ne concevra pas aussitôt
qu'une intelligence douée d'une puissance admirable plane
sur la terre et pénètre dans toutes ses parties ? De tous côtés
donc la terre engendre des animaux, tous doués d'une admi-
324 De l 'utilité des parties du corps humain

rable structure ; cependant existe-t-il dans l'univers une partie


plus vile que la terre ? Toutefois on reconnaît qu'une certaine
intelligence y est envoyée des corps supérieurs, et celui qui
examine ces corps est aussitôt frappé par la beauté de leur
substance d'abord, et surtout par celle du soleil, puis par celle
de la lune, enfin par celle des étoiles. Plus la substance de ces
corps est pure, plus on est porté à croire que l'esprit qui les
habite est meilleur et plus parfait que celui qui existe dans les
corps terrestres. Lorsque dans le limon, dans la boue, dans les
marais, dans les plantes et dans les fruits pourris naissent des
animaux qui démontrent admirablement l'art de l' ouvrier, que
faut-il, en effet, penser des corps célestes ?
On constate encore combien la nature est rationnelle, en
considérant les hommes eux-mêmes, par exemple Platon,
Aristote, Hipparque, Archimède et beaucoup d'autres sem­
blables. Quand on voit dans un tel bourbier (car quel autre
nom donner au corps, assemblage de chair, de sang, de
phlegme, de bile jaune et de bile noire ?) un esprit si excellent,
quelle supériorité ne doit-on pas supposer à l'esprit qui habite
le soleil, ou la lune, ou les étoiles. En réfléchissant à tout cela,
il me semble aussi qu'un vaste esprit occupe l'air qui nous
entoure; puisque cet air participe à la lumière du soleil, il n'est
pas possible qu'il ne participe aussi à sa puissance. Tout cela,
je le sais, vous apparaîtra aussi bien qu'à moi, en considérant
avec exactitude et justice l'art qui préside à la structure des
animaux, à moins qu'il ne vous reste, comme je le disais,
quelque opinion en faveur des éléments du tout qu'on a mis
témérairement en avant. Aussi tout homme qui regarde les
choses avec un sens libre, voyant un esprit habiter dans ce
bourbier de chairs et d'humeurs, et examinant la structure
d'un animal quelconque (car tout cela prouve l'intervention
d'un ouvrier sage), comprendra l'excellence de l'esprit qui est
dans le ciel. Alors ce qui lui semblait d'abord peu de chose, je
veux dire la recherche de l'utilité des parties, constituera pour
lui le principe d'une théologie parfaite, laquelle est une œuvre
plus grande et beaucoup plus importante que toute la méde­
cine.
La recherche de l'utilité des parties n'importe donc pas
Livre XVII - Épilogue 325

seulement au médecin, mais plus encore au philosophe qu'au


médecin : au philosophe, qui tient à posséder la science de la
nature entière ; car il doit être initié à tous ses mystères. Les
hommes, considérés comme nation ou réunis en nombre, et
qui craignent les Dieux, n'ont, que je sache, rien de semblable
aux fêtes d'Éleusis et de Samothrace (cf. VIII, x1v) ; cependant
ces fêtes démontrent faiblement ce qu'elles sont destinées à
prouver, tandis que les œuvres de la nature sont évidentes
dans tous les animaux ; car ce n'est certes pas dans l'homme
seul que vous découvrirez cet art dont je viens de parler. Mais
la considération d'un animal quelconque vous démontrera
tout autant la sagesse et l'art de l'ouvrier; et plus l'animal sera
petit, plus il paraîtra merveilleux, comme cela arrive pour les
artistes qui travaillent les petits objets. On en trouve des
exemples à notre époque. Ces jours derniers, un artiste a gravé
sur un anneau Phaéton entraîné par quatre chevaux, avec
leurs freins, leurs bouches, leurs dents et leurs pieds, toutes
choses que je ne voyais pas, à cause de leur petitesse, avant
d'avoir tourné la merveille vers une lumière brillante : encore,
avec cette précaution, toutes les parties ne m'en apparais­
saient pas, non plus qu'à beaucoup d'autres personnes. Si
quelqu'un avait pu voir clairement, il aurait sans doute déclaré
qu'elles avaient une parfaite symétrie. Les seize pieds des
quatre chevaux furent comptés mille fois par nous, et toutes
les parties en paraissaient admirablement articulées à ceux
qui pouvaient les voir; cependant aucun de ces pieds n'avait
une structure plus parfaite que la patte d'une puce. Mais,
outre l'art qui se manifeste dans toute la patte d'une puce, qui
vit, qui se nourrit et qui croît, on reconnaît une sagesse et une
puissance plus grandes encore dans l'art de celui qui crée la
puce, puisqu'il la forme, la développe et la nourrit sans effort.
S'il y a un art si grand dans des animaux si vils qu'on pourrait
les regarder comme ayant été créés par surcroît, quelle sagesse
et quelle puissance ne faut-il pas supposer dans les animaux
importants !

CHAPITRE II . - Qu'on retire trois avantages principaux de cet


ouvrage : Le premier, pour la connaissance de la puissance de
326 De l'utilité des parties du corps humain

l'utilité; le second, pour le diagnostic et le pronostic des maladies ; le


troisième, contre les sophistes. - Autre avantage secondaire pour la
thérapeutique chirurgicale.

Tel est le plus grand avantage que nous retirons de ce traité,


non pas en notre qualité de médecin (cf. Manuel des dissec­
tions, II, n), mais, ce qui vaut beaucoup mieux, en notre
qualité d'homme qui désire savoir quelque chose touchant la
puissance de l'utilité, puissance que quelques philosophes
déclarent être nulle, bien loin de croire qu'il y a une Pro­
vidence pour les animaux. Le second avantage est en faveur du
diagnostic des parties malades qui sont cachées dans la pro­
fondeur du corps, diagnostic pour lequel la connaissance des
fonctions est également utile. Celui, en effet, qui sait que la
marche est la fonction des jambes, que la coction des aliments
est celle de l'estomac, voit aussitôt qu'une partie des jambes
est lésée quand on ne peut plus marcher, ou qu'un point de
l'estomac est affecté quand on ne digère pas du tout ou qu'on
ne digère pas bien. Celui qui sait que le principe du raisonne­
ment réside dans le cerveau reconnaît aussitôt que le cerveau
souffre, soit primitivement, soit par sympathie ; qu'il existe un
délire, une phrénitis, un léthargus, une manie, une mélancolie.
Il en est de même pour l'utilité des parties que pour leurs
fonctions ; car si la marche est suspendue parce qu'un nerf ou
un muscle de la jambe est lésé, elle l'est également quand un os
est brisé ou sorti de sa cavité propre. Mais si nous ignorons
que c'est à l'aide des os que nous nous tenons sur nos jambes,
nous ne saurons pas que l'animal souffre quand les os sont
malades. Ainsi la connaissance de l'utilité n'est pas moins
indispensable pour le diagnostic de l'affection d'une partie
que la connaissance des fonctions. Cette connaissance sert
également pour le pronostic. En effet, comme la substance des
os est utile dans les jambes pour la marche, nous saurons que
toutes les affections incurables qui y surviennent, par
exemple, une luxation avec plaie, entraîneront une impossibi­
lité perpétuelle de marcher. S'il se produit une luxation sans
plaie qui reste incurable, comme cela arrive à l'ischion, on
trouve également, et qu'elle rend le membre estropié pour
jamais, et dans quel sens sera la claudication, ainsi qu'Hippo-
Livre XVII - Épilogue 327

crate l'a écrit dans son traité Des articulations (§ 60; Œuvres,
IV, p. 257) .
Outre les avantages qu'on vient d'énoncer, o n e n tire un
troisième de cet ouvrage : c'est contre les sophistes qui se
refusent à admettre que les crises soient l' œuvre de la nature,
et qui lui dénient toute prévoyance dans la construction des
animaux, en nous opposant, comme n'existant pas, l'utilité des
parties, utilité qu'ils ignorent. Ces gens semblent en effet, par
cette manœuvre, enlever tout art à la nature ; ils se moquent
ensuite d'Hippocrate qui nous recommande d'imiter ce que la
nature a coutume de faire au moyen des crises (cf Apho­
rismes; Œuvres, N, p. 458-610 et passim). Nous sommes donc
forcés d'examiner l'utilité de chaque partie, lors même que
cela ne servirait à rien pour le diagnostic ou le pronostic des
maladies.
Le médecin retira encore de ce traité, et de la connaissance
des fonctions, un grand avantage pour la thérapeutique. En
effet, lorsqu'il s'agira de couper, de circonscrire, d'enlever une
partie qui est pour ainsi dire tombée en putréfaction, ou
d'extraire, soit une flèche, soit un trait, connaissant quelle est
l'utilité des parties, il saura quelle partie on peut tailler hardi­
ment et quelle il faut ménager.

CHAPITRE III . - Que ce dix-septième livre est l'épode de tout


l'ouvrage.

Ces avantages de notre ouvrage, en quelque nombre et quels


qu'il soient, le présent livre les expose comme le fait une bonne
épode (Èn<p66c;) : mais je n'emploie pas le mot épode comme
désignant celui qui se sert d'épodes (Ènwoaîc;, enchanteur).
Chez les poètes méliques, que quelques-uns appellent aussi
lyriques, il y a la strophe, l'antistrophe, et un troisième mor­
ceau, l'épode, qu'on chante debout devant les autels, pour
célébrer les Dieux, ainsi qu'on le dit. Comparant donc ce
dernier livre à une épode, je lui ai donné ce nom 1 •

1. Voir note 1, p. 51.


I NTRODU CTION
Vie de Galien IX
Ù1 biologie et la médecine avant Galien XII
Hippocrate et la première médecine grecque XII
La biologie de Platon XIX
La biologie d'Aristote XXII
La médecine du monde hellénistique et romain XXIX

Ù1 philosophie biologique et médicale de Galien XXXIII


Ù1 médecine de Galien XXXVII
Anatomie et physiologie XXXVIII
Pathologie et thérapeutique Lil

ùi postérité de Galien LV
Bibliographie des œuvres de Galien LX
Bibliographie générale LXXIIl

D E L ' UTILITÉ DES PARTIES


DU CORPS H U MAIN
Livre premier. De la main 3
Chapitres I à XVII in extenso 3
Chapitres XVIII à xx en résumé 38
Chapitre XXI in extenso 38
Chapitres XXII à xxv en résumé 41
Livre deuxième. De la main, de l'avant-bras et du bras 42
Chapitres I à XIX en résumé 42

Livre troisième. Du membre abdominal et de ses diverses parties 46


Chapitres I à IX en résumé 46
Chapitre x en partie 48
Chapitres XI à XVI en résumé 53

Livre quatrième. Des organes alimentaires et de leurs annexes 55


Chapitres I à VIII in extenso 55
Chapitres IX à XI en résumé 67
Chapitres XII à XX in extenso 68

Livre cinquième. Des organes alimentaires et de leurs annexes


(suite) 94
Chapitres I à XVI en résumé 94

Livre sixième. Des organes respiratoires 99


Chapitres I, II et III in extenso 99
Chapitres IV à VI en résumé 105
Chapitres VII à XXI in extenso 105

Livre septième. Des organes de la voix 157


Chapitres I à XXII en résumé 157

Livre huitième. De la tête, de l'encéphale et des sens 162


Chapitres I à XIV in extenso 162

Livre neuvième. Du crâne, de l'encéphale et des nerfs crâniens 205


Chapitres I, II et III en résumé 205
Chapitre IV in extenso 205
Chapitres v à VII en résumé 209
Chapitres VIII à XI in extenso 210
Chapitres XII et XIII en résumé 220
Chapitre XIV in extenso 220
Chapitres xv à XVIII en résumé 222
livre dixième. Des yeux et de leurs annexes 224
Chapitres I à xv en résumé 224

livre onzième. Des diverses parties de la face et en particulier


des mâchoires 227
Chapitres I à vrr en résumé 227
Chapitre VIII in extenso 228
Chapitres IX à XIII en résumé 232
Chapitre XIV in extenso 233
Chapitres xv à xx en résumé 239

Livre douzième. Du cou et du reste de l'épine 241


Chapitres 1, II et m in extenso 241
Chapitres IV à XVI en résumé 247

Livre treizième. De la structure du rachis 250


Chapitres I à XIII en résumé 250

Livre quatorzième. Des organes génitaux 253


Chapitres I à XIV in extenso 253

Livre quinzième. Des organes génitaux (suite). D� parties


propres au fœtus. De l'articulation ischio-fémorale 297
Chapitres I à VIII en résumé 297

livre seizième. Des nerfs, des artères et des veines 299


Chapitres 1, II et III in extenso 299
Chapitres IV à IX en résumé 307
Chapitre x in extenso 308
Chapitres XI à XIV en résumé 316

livre dix-septième. Épilogue 317


Chapitres 1 , I I et m in extenso 317
Composition Euronumérique, Paris.
Impression S.E.P.C.
à Saint-Amand (Cher), le 1 er février 1994.
Dépôt légal : février 1994.
Numéro d'imprimeur : 279.
ISBN 2-07-073684-9./lmprimé en France.
GALIEN
œuvres médicales choisies 1
de l'uti lité des parties du corps humain
Trad uction de C h a rles Da re m berg ,
choix, prése ntation e t notes pa r And ré Pichot

Ga lien ( 11• s. apr. J.-C.) est avec H i ppocrate la plus grande figure de la
médecine antique. Son œuvre, i m mense, a exercé une influence consi­
dérable j usqu'au xv11 e siècle, tant dans le monde arabe que dans l'Occi ­
dent chrétien . Avicen ne, Jean Fernel, Ambroise Paré et bien d'autres
ont puisé en elle les principes de leur médecine. Descartes lui -même,
quelque critique qu'il ait été à son égard, s'en inspira largement dans sa
biologie. Dépassant le doma ine médical, Galien a marqué toute la phi­
losoph ie par l'idée qu'il se fai sait de l'homme et du monde. Ses concep­
tions, empruntant à Platon, Aristote et au stoïcisme, eurent un retentisse­
ment d u rable ; à la fin du xv1 1e siècle, Leibniz vou lait encore qu'on
composât des hymnes en son honneur.
Cette a nthologie des œuvres de Galien est la prem ière offerte au public
depuis bien longtemps, et c' est la seule éd ition françai se qui soit actuel­
lement d isponible.

Miniature illustrent un manuscrit des Œuvres de Galien, xv• siècle.


Sëchsische landesbibliothek, Dresde.
Photo Deutsche Fotothek.

tJ
9 782070 736843 00 94-1 A 73684 ISBN 2-07- 073684-9 75 FF te

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