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Amazon,

l’avenir ou
la mise à mort
de l’industrie de
l’équipement ?
Le mastodonte du commerce électronique est en passe de dominer le marché
de l’équipement outdoor et son influence sur le secteur ne cesse de s’accroître.
Est-ce la fin des enseignes qui ont nourri notre goût de l’aventure ?
Ou bien ont-elles encore une chance de survivre sans s’entretuer ? MYA FRAZIER
Tra d u c t i o n : M a r t a d e Te n a
CORY THOLL PRESSE SON POUCE SUR UN BOUTON en lançant un logiciel appelé MAP Moni-
tor, lequel, dit-elle, « débusque sur le Net
E T L A C A R TO U C H E D ’ A R G O N S ’ É V E I L L E D A N S tous les sites où l’on peut acheter quelque
chose » puis remplit une feuille de calcul
U N S I F F L E M E N T. L E G A Z I S O L A N T T R AV E R S E avec les différents prix trouvés. Le but de
UN TUBE EN CAOUTCHOUC DANS LA VESTE cette opération, trop souvent atteint, c’est
de repérer les commerçants qui proposent
ÉTENDUE SUR LA TABLE ET REMPLIT LES PETITES des produits Klymit en dessous du MAP –
minimal advertised price, prix minimal
CHAMBRES BLEUES QUI LA COMPOSENT POUR annoncé.
Contrôler le prix de vente est devenu
DONNER TOUT SON VOLUME AU VÊTEMENT. une priorité absolue pour de nombreuses
marques outdoor dans cette économie nu-
mérique où l’on peut créer une boutique
Il s’agit du du gilet kinetic, le tout premier tenaires, dont Costco, la grande enseigne en ligne du jour au lendemain et où les
produit de la marque Klymit, lancé en 2008 américaine de la vente en gros et Amazon. consommateurs écument Internet à la re-
en même temps que cette entreprise ba- Tholl avait choisi de vendre directement cherche de la bonne affaire avant de dégai-
sée dans l’Utah. « Chaud et croustillant… au leader mondial du e-commerce dans le ner leur carte de crédit.
C’était le concept, en tout cas », explique cadre du programme « Vendor Central », Lorsqu’une marque établit un MAP pour
Cory Tholl en tapotant le vêtement. Tholl accessible exclusivement sur invitation. un produit donné, les détaillants sont cen-
est l’actuel P.-D.G. de Klymit. Conçu par Dans ce cas de figure, Amazon fonctionne sés s’y tenir, et, s’ils ont toujours contourné
Nate Alder, le fondateur de l’entreprise, comme un magasin traditionnel, c’est-à- cette règle, jusqu’à présent, les fabricants
après une expédition de plongée en eaux dire, achète aux fournisseurs pour vendre d’équipement pouvaient tolérer ces écarts :
profondes, le gilet gonflable était cen- aux consommateurs. Le site s’occupe de autrefois, un magasin dans l’Etat du Maine
sé chambouler le marché du duvet et de la l’expédition, des retours, du SAV et, plus soldant des skis en fin de saison n’avait au-
veste. Ce fut un flop monumental. important encore, du contrôle des prix. cun impact sur une boutique située dans
Tholl, trentenaire à l’allure athlétique, Très vite, Amazon s’est mis à passer des les Rocheuses, à l’autre bout du pays. Au-
ingénieur en mécanique et titulaire d’un commandes de Static V dont le volume jourd’hui, les répercussions s’en ressentent
MBA, raconte les débuts difficiles de Kly- dépassait de loin n’importe quel autre re- au niveau national, en grande partie à cause
mit. Le gilet Kinetic n’intéressait personne vendeur de produits Klymit. À la fin 2012, d’Amazon, qui, selon des études récentes,
et la marque mit au point d’autres articles pour la première fois de son histoire, Kly- représente près de la moitié de chaque
gonflables — une veste, un matelas – sans mit terminait l’année avec un résultat net dollar dépensé dans la vente en ligne aux
parvenir pour autant à développer un bon positif et un million de dollars de chiffre États-Unis.
réseau de distribution. Pendant des lustres, d’affaires. Les profits ont continué à aug- Les marques et les revendeurs peuvent
les marques débutantes qui parvenaient à menter régulièrement au cours des deux travailler avec Amazon de plusieurs fa-
s’imposer sur le marché outdoor avaient années suivantes, et en 2015 et 2016, ils ont çons. Dans le programme « Vendor Cen-
toujours suivi la même recette : concevez doublé. Dans la foulée, l’entreprise lance tral » choisi par Klymit, l’entreprise
un bon produit, présentez-le aux détail- une variante du Static V et toute une série accorde à Amazon des remises sur quan-
lants lors des salons et foires, décrochez des de nouveautés : des oreillers, des sacs à dos, tité et l’e-commerçant s’occupe de tout
commandes pour la saison suivante. Croi- des sacs de couchage. Selon les projections le reste. Une alternative pour les marques,
sez les doigts pour que les consommateurs pour cette année, les ventes devraient dé- c’est d’installer leur propre « vitrine »
craquent eux aussi. Rongez votre frein. passer les 20 millions de dollars, dont le sur la plateforme Amazon Marketplace en
Klymit a suivi à la lettre la formule en fai- quart environ proviendrait des ventes en échange d’une commission sur chaque ar-
sant fi des opportunités en ligne qui étaient gros pour Amazon. « Nous n’aurions pas ticle vendu en plus des frais de fonctionne-
déjà en train de changer la donne pour les pu y arriver sans Amazon », avoue Tholl. ment. Dans le cadre de cette option, connue
start-up de l’équipement. sous le nom de « Seller Central », les so-
Début 2011, l’insolvabilité pointait ses vi-
laines oreilles. L’entreprise avait désespé-
rément besoin de liquidités et encore plus
d’un produit révolutionnaire pour sauver « Les marques ne peuvent pas se permettre de
sa mise. ne pas être sur Amazon étant donné le grand
Tholl et Maxfield, son partenaire com- nombre de clients potentiels » estime Christian
mercial, ont cherché à développer un
nouveau matelas gonflable à l’aide d’une
Gennerman, consultant e-commerce.
imprimante 3D achetée à grands frais en
2010. Leur premier prototype était trop en-
combrant et surtout, avec ses 3 kg 2, bien
trop lourd. Maxfield s’est mis à travailler 15
heures par jour pour en créer d’autres ver- Lutter coûte que coûte contre le dumping ciétés peuvent gérer les expéditions et les
sions. Pendant des mois. Il dormait dessus On aurait pu s’en douter, s’engager à ce retours ou bien payer Amazon pour s’en
dans son jardin, y annotait ses observations point avec l’empire de Jeff Bezos présente occuper.
dessus avec un feutre, et le lendemain, il se aussi des inconvénients. En témoigne Quelle que soit la modalité choisie, les
remettait au boulot pour améliorer le de- Becky Stoker, la responsable des opérations marques n’apprécient pas que leurs pro-
sign. En parallèle, Tholl se concentrait sur commerciales de Klymit. Elle a de multi- duits soient soldés sans leur consentement,
la stratégie de distribution. ples responsabilités, mais sa préoccupation car cela risque de provoquer une réaction
Au printemps 2012, ils présentent le principale en ce moment est le maintien en chaîne dommageable. Si un revendeur
Static V, qui doit son nom à ses cellules des prix en ligne des produits Klymit, en baisse le prix, d’autres auront tendance à
en chevron. Un succès immédiat mis à la particulier du Static V, qui reste le best-sel- l’imiter, ce qui entraînera une réduction de
vente dans les magasins spécialisées mais ler de la marque. Jusqu’à il y a peu, elle la marge bénéficiaire ou même sa dispari-
aussi par l’intermédiaire de nouveaux par- commençait systématiquement sa journée tion si chacun surenchérit pour rester com-

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pétitif. De plus, lorsqu’une marque s’avère
incapable de contrôler ces soldes sauvages,
les détaillants refusent de travailler avec Becky Stoker,
responsable des
elle. Cette dynamique touche encore plus opérations
lourdement les entreprises comme Klymit commerciales
qui vendent directement à Amazon. Le lo- de Klymit
à gauche :
giciel de réajustement de prix de la plate- Cory Tholl, P.-D.G.
forme détecte une baisse, le site peut choisir
de s’y aligner en justifiant éventuellement
le fait d’être passé en dessous du MAP avec
l’excuse classique des revendeurs : « C’est
pas moi qui ai commencé ! ». Ce n’est pas
un secret qu’Amazon consent à rogner sa
marge ou même à des pertes dans le but de
garder son statut de vendeur en ligne uni-
versel. Mais pour Klymit, qui vend deux
tiers de son matériel à travers les distri-
buteurs indépendants et la grande surface,
les conséquences pourraient être catastro-
phiques. « Si nous n’arrivons pas à main-
tenir les prix, nous risquons de perdre leur
confiance et donc de les perdre tout court »,
s’inquiète Cory Tholl.

Seule issue : racheter les produits bradés


Becky Stoker constitue la première ligne
de défense. Quelques minutes après avoir
lancé le MAP Monitor, sa feuille de calcul
est remplie de prix. Elle clique sur l’on-
glet « Static V » et repère une cellule qui
affiche 53,26 dollars, c’est-à-dire presque la semaine précédente sa manœuvre a eu zon.« Se retrouver sur Amazon ne faisait
deux dollars de moins que les 54,95 dol- l’effet escompté : sur Internet, le prix du pas partie de leurs plans et, soudain, elles
lars du MAP. En rebroussant chemin grâce Static V est revenu au MAP et n’a pas bougé y étaient par le biais des revendeurs. Tout le
aux liens enregistrés par les robots de re- jusqu’à ce matin. monde se demandait ce qu’il fallait faire. »
cherche, elle localise le coupable, un ven- La réponse de prime abord a été de ne rien
deur indélicat qui gère une boutique sur Après la guerre des prix, la guerre des data faire, ou presque. Les revendeurs étaient
Amazon. Difficile de dire qui se cache der- En 2000, Amazon a lancé Amazon Mar- heureux et les ventes augmentaient.
rière ces vitrines si faciles à créer : il pour- ketplace, qui permettait à quiconque le Massey brassait des millions de dollars en
rait s’agir du propriétaire d’un magasin tra- souhaitait d’ouvrir un commerce. Dans de produits sur Amazon. Au bout d’un certain
ditionnel qui écoule son stock, ou bien d’un nombreux secteurs, équipement outdoor temps, les ventes en ligne représentaient
revendeur qui interprète librement son inclus, les petites entreprises ont fait partie la moitié de ses recettes. Cependant, il y
contrat de vente. En l’occurrence, ce n’est des premiers convaincus. C’était presque avait quelques signaux d’alerte. Au départ,
qu’un tout petit commerçant qui ne ven- magique, ce moyen d’atteindre un si grand il recevait avec chaque commande des don-
dait que deux Static V. Les conséquences, nombre de clients avec pratiquement au- nées détaillées sur le client qui l’aidaient
en revanche, ont été immédiates : Amazon cun investissement. Mike Massey, patron à affiner ses objectifs marketing. Au bout
s’est aligné aussitôt sur son prix. Le plus de Massey’s Outfitters, une modeste chaîne de quelques années, cependant, Amazon
souvent, Stoker n’a d’autre recours que familiale de Louisiane fondée en 1972, se a cessé de les lui communiquer. « Ils vou-
de s’adresser directement au vendeur, car souvient très bien de sa première expé- laient s’accaparer tous les clients », ex-
Amazon n’assume aucune responsabilité rience avec Amazon en 2005. « On a créé la plique Massey. Amazon lui aurait même
sur les prix fixés par des tierces parties. Elle boutique en ligne sans savoir comment ça interdit de contacter ceux qui passaient par
envoie donc un e-mail poli en lui deman- allait se passer, si on allait vendre quoi que son point de vente sous peine d’être banni
dant de corriger le prix. ce soit, dit-il. Le premier jour, nous avons de la plateforme. A ce sujet, un porte-pa-
C’est ce qu’elle a fait la semaine dernière épuisé notre stock d’Uggs à plein prix. » role d’Amazon a confirmé que les vendeurs
pour tenter d’enrayer une légère diminu- Massey est devenu aussitôt un ambassa- ne reçoivent désormais que les « données
tion du prix. Son message a été ignoré et deur enthousiaste d’Amazon. D’un bout à transactionnelles nécessaires », ce qui
elle a dû monter le ton jusqu’à en arriver à l’autre du pays, des commerçants entre- n’inclut pas les adresses électroniques. En
brandir la menace d’une action en justice. prenants comme lui ouvraient des points parallèle, les articles les plus plébiscités
Au bout de trois jours, et en l’absence de ré- de vente sur Amazon et vidaient leurs en- se vendaient sur Amazon tandis les maga-
ponse, elle a fait ce que tout directeur com- trepôts. En un laps de temps remarqua- sins Massey’s Outfitters n’avaient à offrir
mercial sensé aurait fait dans ce monde régi blement court, les consommateurs avaient que des produits que personne ne voulait.
par des algorithmes. « J’ai acheté les ar- leurs marques outdoor préférées à portée « Nous étions devenus une sorte de « drop
ticles, explique-t-elle. C’était un tout petit de clic. Les marques elles-mêmes, cepen- ship » - livreurs -d’Amazon », conclut-il.
prix à payer pour faire remonter le prix des dant, ont été prises de court. En 2009, à la fin de la grande crise mon-
centaines d’autres. » « Elles n’ont rien vu venir », dit Chris- diale, Amazon a lancé sa « Outdoor Recrea-
Stoker qualifie cet inventaire capricieux tian Gennerman. Dans les années 2000, il tion Store », une section du site qui regrou-
de « problème de ruissellement ». « Quand travaillait chez le pure player Backcountry. pait des commerçants comme Massey, des
nos produits arrivent à la fin de la cas- com, et il est actuellement le vice-pré- boutiques en ligne telles que Backcountry
cade, on ne sait même plus qui est le ven- sident de 180Commerce, un de ces cabinets et Altrec, ainsi qu’un petit groupe de
deur, dit-elle. Ça pourrait être même un de conseil qui ont éclos pour aider les en- marques outdoor distribuées directement
lot «tombé du camion» ». Et en tout cas, treprises à gérer leur partenariat avec Ama- par la plateforme. À l’époque, la majorité

P H OTO G R A P H I É S PA R Tom Fowlks Outside 17


des grands noms du secteur n’avaient pas TOUJOURS.» tenir à l’écart les menaces qui pèsent sur la
compris les enjeux liés à Amazon Market- Mais rien n’a empêché Amazon de deve- propriété intellectuelle. Si le problème des
place, qui était perçu encore comme un nir le premier vendeur mondial d’équipe- contrefaçons et des imitations était déjà
canal d’écoulement des invendus et une ment outdoor. Pour le retail et les marques, présent au début de l’ère du e-commerce, il
bouée de sauvetage pour les revendeurs mis le géant en ligne s’apparente à une catas- n’a fait qu’empirer au fil des ans.
à mal par la récession. En quelques années, trophe naturelle – quelque chose qu’on doit
cependant, les marques ont été obligées endurer faute de pouvoir la combattre. Des Les contrefaçons trustent la plateforme
de constater qu’une bonne partie de leurs études ont montré que presque la moitié des Certains experts critiquent la décision
bénéfices dus à la vente au détail se faisait ménages américains ont un compte Ama- d’Amazon, prise en 2014, de permettre aux
sur Amazon. Par crainte de devenir trop zon Prime. Et, encore plus inquiétant pour fabricants chinois de vendre leurs produits
dépendantes d’un seul vendeur, mais aus- la distribution, nombreux sont les analystes sur la plateforme. Tholl affiche sur l’écran
si pour éviter que la présentation médiocre qui croient qu’Amazon accepte délibéré- une liste de matelas qui ressemblent à s’y
des produits sur Amazon ne nuise à leur ment la perte d’énormes sommes dans ses méprendre au Static V : même design à che-
image de marque sur le Web, les grandes activités de vente au détail. S’appuyant en vrons, même couleur pistache. Fabriqué par
enseignes ont serré la vis aux magasins qui partie sur les bénéfices massifs générés par une marque anonyme, il apparaît depuis peu
utilisaient la plate-forme. Simultanément, ses services cloud en même temps qu’elle à côté des produits Klymit dans les résultats
elles ont mis les bouchées doubles pour continue à élargir sa part du marché de dé- de recherche Amazon. Sauf qu’il coûte vingt
lancer leurs propres sites de vente en ligne. tail, l’entreprise de Bezos est le fossoyeur dollars de moins que le Static V. « Nous pas-
Au cours des années 1990 et 2000, des ac- des enseignes qui ont besoin de faire du pro- sons notre temps sur le site et on y trouve
teurs majeurs comme Columbia, The North fit pour survivre. sans cesse des produits qui portent atteinte
Face et Patagonia avaient créé un maillage Selon une note publiée en avril 2017 par le à nos brevets », déplore-t-il. Le service
serré de revendeurs aux marges fort lucra- Crédit Suisse, quelques 8 600 magasins de légal de Klymit a adressé au vendeur une
tives ; le temps était venu de faire la même détail allaient fermer leurs portes aux US mise en demeure, laquelle, comme prévu,
chose sur le Net. au cours de l’année. Bien entendu, Amazon est restée sans réponse.
ne peut être tenu entièrement responsable. Jusqu’à présent, les tribunaux n’ont pas dé-
Patagonia et Birkenstock contre-attaquent
Ces dynamiques changeantes ont été un
bouleversement pour des commerçants
comme Massey. Au moment du lancement du En plus des contrefaçons, les marques
« Outdoor Recreation Store », Massey était craignent que le site ne commence à produire
l’un des rares commerçants autorisés par ses propres versions de best-sellers, comme
Patagonia à vendre ses articles sur Amazon.
D’après Massey, en 2011, il a vendu quelque 2 c’est le cas dans le secteur de la mode.
millions de dollars en équipement Patagonia
sur la plate-forme. Début 2012, à l’occasion
du salon Outdoor Retailer, la marque ordon-
nait aux détaillants de retirer tous ses produits
du site. « Ils nous ont dit qu’Amazon se glis- Mais ce n’est pas un hasard si depuis 2015, claré Amazon responsable des biens vendus
sait entre le client et eux ». D’autres marques l’entreprise a ajouté 6 millions de mètres par des tiers par le biais de sa plate-forme.
ont agi de façon similaire. Presque du jour au carrés à son réseau de centres de traitement On ne peut pas dire, cependant, qu’Amazon
lendemain, Massey a perdu ses plus grosses de données et de distribution. reste bras croisés face à la contrefaçon. Dans
sources de revenus sur Amazon. Confronté Il semblerait qu’une longue période de un e-mail adressé à Outside, un porte-pa-
à une chute vertigineuse des ratios de vente croissance touche à sa fin pour les dé- role souligne que l’entreprise investit abon-
et à un rétrécissement des marges pour le taillants américains de matériel outdoor. damment dans le machine learning et les
matériel qu’il était encore autorisé à vendre, D’après les cadres et ex-cadres des firmes systèmes robotisés » pour détecter ven-
Massey a pris ce qu’il appelle une «décision du secteur que j’ai interviewés, le géant de deurs et produits frauduleux, et qu’elle a
existentielle» pour son entreprise : il a cessé l’e-commerce pourrait bientôt vendre plus missionné des équipes scientifiques pour
de vendre sur Amazon. de produits de plein air que l’ensemble des résoudre la question. Mais certains passent
Depuis, les marques de plein air n’ont pas magasins outdoor du pays et REI - Recrea- entre les mailles du filet, et des compagnies
ménagé leurs efforts pour mieux gérer leur tional Equipment, Inc., une coopérative de de plusieurs secteurs ont engagé des pour-
présence sur Amazon – en usant parfois de consommation - réunis, si ce n’est pas déjà le suites contre Amazon l’accusant de ne pas
la manière forte. Suite à une série d’événe- cas. Parmi les grandes marques, cependant, en faire assez. Entre-temps, nombreuses
ments largement médiatisés ayant commen- Amazon est considérée comme un mal né- sont les marques qui s’attellent seules à
cé en 2016, Birkenstock, après avoir consta- cessaire. « Elles estiment qu’ils ne peuvent la tâche de débusquer les contrefacteurs.
té un afflux constant de contrefaçons et de se permettre de ne pas être sur Amazon Amazon a lancé son Programme de Re-
vendeurs non identifiables sur Amazon, a étant donné le grand nombre de clients po- gistre des Marques afin de les soutenir dans
ordonné à ses distributeurs autorisés de ces- tentiels », explique Christian Gennerman cette énorme tâche. Le service a été rema-
ser de vendre ses sandales emblématiques de 180 Commerce. « Mais si une marque nié l’année dernière et offre désormais de
sur la plate-forme. Selon Birkenstock, Ama- ne préserve pas son identité sur Amazon, puissants outils numériques pour retrouver
zon a riposté en appelant des magasins tra- elle ne survivra pas. » Pour les jeunes boîtes les délinquants. Amazon insiste sur le fait
ditionnels dans le but d’acheter leurs stocks en pleine croissance comme Klymit, il ne que ses équipes agissent promptement dès
pour les vendre ensuite en ligne. Furieux, le semble pas y avoir d’autre choix. qu’une infraction est signalée et que des
P-D.G. de Birkenstock, David Kahan, a ac- « Protéger votre marque sur Amazon », mesures sont prises dans les huit heures à
cusé l’entreprise de « piraterie moderne » annonce la page web sur l’écran de l’ordina- l’encontre de 95 % des produits frauduleux
lors d’une interview et envoyé un e-mail aux teur de Cory Tholl. Sans cacher sa frustra- identifiés dans le cadre du programme.
revendeurs dans lequel il menaçait de cou- tion, il explique que Klymit n’a pas encore En plus des contrefaçons, les marques
per les ponts s’ils vendaient à Amazon sans réussi à intégrer le Registre des Marques craignent que le site ne commence à pro-
autorisation. « Je vais être très clair : tout d’Amazon. Ce programme, gratuit, aide les duire ses propres versions de best-sellers,
revendeur autorisé qui le ferait ne serait-ce compagnies à protéger leurs marques dé- comme c’est le cas dans le secteur de la
que pour une paire sera radié POUR TOU- posées. Ce n’est pas une mince affaire pour mode – à ce jour, Amazon a lancé environ
JOURS », a-t-il écrit. «Je répète, POUR les fabricants de matériel outdoor que de 70 marques propres. On s’inquiète égale-

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Plateforme logistique de
Backcountry, Salt Lake City

boîte qui espère vous voir croître progres-


sivement d’année en année. Ils se montrent
très prudents quant aux sommes qu’ils dé-
pensent avec une marque encore jeune. » Et
d’ajouter : « C’est l’un des attraits d’Ama-
zon : ils ne disent pas non. »
Jonathan Nielsen, Mais est-ce que le secteur du outdoor
P.-D.G. de Backcountry
peut, lui, apprendre à dire non à Amazon ?
En 2008, Cam Brensinger, fondateur de
NEMO Equipment, a décidé de commencer
ment des faux avis positifs rédigés par des concurrencer Amazon, aussi bien REI que à vendre ses produits directement à Ama-
évaluateurs rémunérés sur des copies bon Backcountry a dû se donner les moyens de zon dans le cadre du programme « Ven-
marché, qui rendent encore plus diffi- livrer ses produits au plus vite. dor Central ». Ce fabricant de matériel de
cile aux marques authentiques de sortir Dans le cas de REI, l’option choisie a été camping haut de gamme basé dans le New
du lot. Amazon a intenté plus de mille de mettre en œuvre des programmes de Hampshire entamait alors sa sixième année
actions en justice pour contrer les abus retrait en magasin, ainsi que de prendre d’activité et n’était pas encore rentable.
dans ce domaine. Certaines firmes esti- en charge les frais d’expédition pour of- Brensinger s’est dit qu’Amazon lui offrirait
ment que le simple fait d’être sur Amazon frir la livraison gratuite à domicile sur les une plus grande visibilité et une nouvelle
dévalorise leur image. Comme le dit Mike commandes de plus de 50 dollars. REI a source de revenus.
Massey « Vendre ses vestes en polaire à trois centres de traitement de commandes,
côté du PQ était un faux pas que Patagonia par comparaison, Amazon en compte plus Soutenir les prix en ligne
tenait absolument à éviter ». de cent rien qu’en Amérique du Nord. Il avait raison. Fin 2011, ses prévisions in-
Backcountry, qui vend encore une petite ternes indiquaient quelque 600 000 dollars
Peut-on vraiment dire “non” à Amazon? sélection de produits sur sa boutique Ama- de ventes directes à Amazon. Cependant,
Toujours est-il que dans le retail, la stra- zon, a dépensé des millions de dollars pour suite à un voyage où il avait rencontré des
tégie de vente dominante du moment c’est équiper ses trois centres de distribution en distributeurs indépendants dans tout le
de ne pas être regardant sur le canal de dis- machines d’emballage automatique afin pays, Brensinger se méfiait plus que jamais
tribution – autrement dit, on cherche à de garantir l’expédition sous deux jours. de l’influence de la plate-forme. « Ama-
placer un produit là où les gens font leurs En même temps, il a fallu réduire de 30 zon, dit-il, revenait constamment comme
achats. C’est pourquoi les principaux fa- pour cent la sélection de produits textiles, un sujet d’inquiétude et une menace sur
bricants outdoor vendent leurs produits sur puisque cela exige d’avoir sous la main dans l’avenir des petites entreprises. » Sans dire
leurs sites et leurs points de vente intégrés, les trois centres tout le stock prêt à être ex- qu’il commençait à se lasser du cycle inter-
par le biais des revendeurs traditionnels ou pédié. « Nous nous sommes concentrés sur minable d’alignement auquel se soumettent
sur Internet – tels que Backcountry – et, la rationalisation de notre assortiment » dit les marques qui traitent avec le géant. « On
oui, sur Amazon aussi. Nielsen. Dans le cas concret de Klymit, le était en train de se griller avec nos détail-
Backcountry, est une compagnie fondée Static V est souvent en rupture de stock sur lants et on mettait sur le marché des pro-
en 1996 qui appartient à présent à la société le site, et Backcountry écoule désormais duits NEMO à bas prix. »
de capital-investissement TSG Consumer environ deux fois moins de ses produits Au printemps 2012, Brensinger a décidé
Partners. Ils ont une stratégie de vente bien qu’Amazon. de réduire ses ventes directes à Amazon.
définie. « Nous ne cherchons pas à propo- « Vendre à travers Backcountry corres- « Nous étions à la croisée des chemins, dit-
ser absolument tout ce qui se fait en maté- pond peu ou prou au système retail clas- il. Soit on développait notre entreprise au-
riel outdoor, on serait vite dépassé », ex- sique », commente Bart Miller, vice-pré- tour d’Amazon, soit on s’en tenait à notre
plique Jonathan Nielsen, son P-D.G. Pour sident des ventes chez Klymit. « C’est une plan initial : créer une marque outdoor em-

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Tom ­Coleman,
fondateur de
Recreation Outlet
à droite:
entrepôt d’Amazon à
Florence, New Jersey

des produits qu’on ne pourra pas trouver en


ligne, ni sur Amazon ni nulle part ailleurs.
blématique du haut de gamme. » À la fin de traditionnel ou sur leurs propres sites Web. Mike Massey estime que les marques out-
l’année, il n’acceptait plus aucune com- Patagonia, dont le volume de ventes directes door doivent faire leur part pour soutenir
mande de son acheteur Amazon. fait l’envie de tout le secteur, permet seule- leurs réseaux de distributeurs indépendants,
La décision s’est avérée éclairée. En 2013, ment à une poignée de distributeurs japonais sous peine de les voir disparaître. Et si on en
les ventes de NEMO aux détaillants dépas- de vendre ses livres, et rien d’autre, sur Ama- arrivait là, dit-il « les marques vont réagir
saient de loin les attentes de l’entreprise et zon – ce qui n’empêche pas des revendeurs après coup et se dire : et on fait comment,
n’ont cessé de croître depuis à un rythme non autorisés de continuer à proposer pas pour revenir dans les boutiques ? »
soutenu. Selon Brensinger, peu de temps mal de produits Patagonia sur la plate-forme. Cory Tholl, en dépit des importants béné-
après avoir repris le contrôle de ses stocks, Cette approche où ce sont les marques qui fices engrangés par Klymit à travers Ama-
REI et d’autres distributeurs ont com- tiennent les rênes pourrait, bien sûr, res- zon, est conscient de tout cela. Au début du
mencé à allouer à NEMO plus d’espace en treindre encore plus la marge de manœuvre dernier exercice, il s’est fixé comme objectif
rayon. « Dans le secteur du retail outdoor, des détaillants déjà en difficulté. Ceux-ci ri- de limiter l’e-commerce à 30 % des ventes
tout le monde s’intéresse de très près au postent avec ce qui a toujours fait leur force : globales de la marque. Il a également décidé
plan de distribution de chacun » explique- le service et la proximité. Certains gérants de garder environ un quart de son catalogue
t-il. Cela ne signifie pas pour autant que les prônent l’importance des échanges face à à l’écart des griffes d’Amazon. Quelques
détaillants pressionnent les marques pour face autour de l’équipement outdoor. C’est mois plus tard, son interlocuteur sur la
qu’elles coupent les ponts avec Amazon, un argument de poids : rien ne vaut la dé- plate-forme lui faisait une « demande assez
ce qu’ils veulent, tout simplement, c’est monstration d’un expert quand on doit choi- agressive », dans laquelle il exigeait une aug-
qu’elles assurent l’uniformité des prix sur sir la méthode d’allumage d’un réchaud de mentation de dépenses marketing sur le site,
l’ensemble du site. camping. Une autre conviction profondé- et des compensations sur les produits non-
ment ancrée dans le secteur c’est que pour conformes et les frais de port. Tholl a refusé
Mixer internet et un atelier bivouac survivre, le magasin traditionnel se doit et, après quelques semaines de négociations,
En ce moment, NEMO permet à quelques d’être plus qu’un simple point de vente. De- il signait un accord plus équitable.
A D R O I T E : B R YA N A N S E L M / R E D U X

partenaires triés sur le volet la vente de ses puis plus de trente ans, REI organise toute On dirait que même Klymit a appris à dire
produits sur leur espace Amazon, à condition sorte d’événement et de stages et propose non. « Beaucoup d’entreprises ignorent qu’il
qu’ils respectent strictement sa politique des voyages d’aventure. Massey Outfitters est possible de tenir tête à Amazon, explique
de prix. « Il y a des clients potentiels sur propose régulièrement des ateliers de cuisine Tholl. Pourtant, on l’a fait. »
Amazon que nous ne voulons pas perdre, dit et de sports de plein air, ce qui, d’après son
Brensinger. Mais on ne le fera pas aux dépens directeur, est un élément clé dans le succès JOURNALISTE D’INVESTIGATION SPÉCIA-
de nos autres distributeurs. » Les firmes durable de la chaîne. LISÉE DANS L’ÉCONOMIE, MYA FRAZIER
outdoor sont de plus en plus nombreuses à Cependant, les détaillants soulignent qu’il EST BASÉE DANS LE MIDWEST AMÉRI-
suivre cette stratégie qui leur permet de ré- est fondamental pour eux de pouvoir pro- CAIN. ELLE SIGNE ICI SA PREMIÈRE EN-
server certains articles à la vente en magasin poser des produits à offrir en exclusivité, QUÊTE POUR OUTSIDE US.

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photo de Hannah McCaughey

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