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CHAPITRE III

DANS LES CRÉMATOIRES

Où s’est arrêté ce véhicule parti de Sosnowiec36 ?


Devant le « Sauna »37. Ils nous font entrer dans une vaste pièce.
Un médecin n’a pas tardé à venir. Il nous a divisés en deux groupes :
Juifs et Polonais. Nous à gauche, les Polonais à droite. Après cee
« revue », nous nous sommes rendus au point de distribution des
vêtements où nous avons dû rendre nos effets civils. Nous avons
reçu nos uniformes : des « hollandaises »38 (impossible de marcher
avec), une chemise sans col, un pantalon aux jambes de longueur
différente. Un morceau du dos de la veste avait été découpé et rem-
placé par une pièce de tissu rayé. Idem sur la partie extérieure des
jambes du pantalon. Le pantalon portait aussi des rayures rouges
peintes, et le dos de la veste une croix rouge39.
36
Le transport des détenus s’effectuait en général par train. Les SS utili-
saient des camions ou des camionnees lorsque la distance à parcourir
n’excédait pas quelques dizaines de kilomètres ou lorsque les groupes de
déportés ne comptaient que quelques dizaines de personnes.
37
Le « Sauna » : un bâtiment moderne situé sur le secteur BIIg du camp
d’Auschwitz II-Birkenau, contenant plusieurs pièces électrifiées et chauf-
fées, et servant de point d’accueil des détenus dans le camp. Il a fonction-
né à partir de 1943. On y procédait à la douche, à la coupe des cheveux et
à l’enregistrement des détenus ainsi qu’au tatouage des matricules.
38
Des sabots.
39
À partir de 1943, en raison de grandes difficultés d’approvisionnement en
uniformes rayés, Oswald Pohl, le directeur de l’Office central SS d’admi-
nistration de l’économie, décida d’utiliser une partie des vêtements (de
moins bonne qualité) des victimes de l’extermination pour les besoins
des camps de concentration. Ces vêtements étaient découpés et rapiécés
de morceaux de tissu rayé pour prévenir toute tentative de fuite. On les
peignait aussi avec de la peinture à l’huile. Les détenus devaient enfin
porter des insignes : triangle de couleur ou étoile de David (en fonction
de leur catégorie de détention) et matricule.

38
J’ai demandé au magasinier de me donner des vêtements de
meilleure qualité, mais celui-ci m’a répondu en m’insultant : « Salo-
pard… tu n’a pas conscience du lieu où tu te trouves ? » Sans faire
ni une ni deux, je lui ai donné un coup. Le type s’est effondré sur
l’étagère. Il a crié. Un grand brun portant un brassard « Oberkapo »
s’est approché, m’a inspecté des pieds à la tête puis m’a averti, en ac-
compagnant son allemand vulgaire d’un geste du doigt menaçant, de
ne plus jamais me comporter ainsi. Lorsque j’ai rapporté cet épisode
à mes camarades, ils ont ouvert de grands yeux d’étonnement : « On
peut dire que tu as eu de la chance qu’il ne te massacre pas. C’était le
kapo Fritz ! »

Que s’est-il passé ensuite ?


Après avoir revêtu nos uniformes, nous sommes allés nous faire
tatouer par un détenu français40. Ça a été le tour de l’un de mes cama-
rades, puis du second… Le Français tatouait de très gros chiffres.
Mes pensées étaient encore celles d’un homme libre. Je m’inquié-
tais de mon aspect avec de tels chiffres sur le bras.
Ne connaissant pas un mot de français, je lui disais « kleine, klei-
ne »41 en lui montrant par signes que je ne désirais pas un gros ta-
touage. Il m’a compris. C’est pourquoi je porte encore aujourd’hui
un joli petit tatouage, contrairement aux autres détenus42.

Vous avez été mis en quarantaine ?


Oui, au block 743. Mon tout premier contact avec le camp n’a
pas été si terrible. Dans les baraques de quarantaine, il y avait des
bouquets dans des vases. N’ayant rien mangé depuis le matin,
j’avais une faim de loup. À la vue d’une marmite militaire remplie
de soupe, j’ai voulu me saisir d’une écuelle. C’est alors que j’ai aper-
çu, dans un réduit à droite, des cadavres entassés, puant le chlore.
Jambes, bras, têtes, pendaient de tous côtés. C’étaient les corps de
40
Le camp d’Auschwitz fut le seul camp de concentration où le tatouage
des matricules était pratiqué.
41
En allemand, « kleine » signifie petit.
42
Henryk Mandelbaum portait le matricule 181970.
43
Les archives incomplètes du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau don-
nent des informations sur la déportation d’Henryk Mandelbaum : trans-
porté de Sosnowiec au camp d’Auschwitz par convoi de la RSHA le
22 avril 1944. Sur les 21 détenus de ce convoi, seuls trois d’entre eux (dont
Henryk Mandelbaum) ont été placés dans le camp. Ils portaient les ma-
tricules 181970 et 181972. Les 18 autres personnes ont été tuées.

39
détenus exténués : des « musulmans »44. Cela m’a immédiatement
coupé l’appétit. Du côté des bat-flancs, des têtes rasées ne cessaient
de m’observer. J’ai été choqué. Étais-je tombé dans un cirque fan-
tôme ?
Puis le chef de block est arrivé45. Nous nous sommes mis au gar-
de-à-vous près du poêle46.
Il s’appelait Mieczysław Skarżyński47. Un Varsovien. À sa vue,
des frissons m’ont parcouru le corps. Il avait de longs ongles tor-
dus et la gueule d’un meurtrier. Condamné à perpétuité après la
guerre, il a purgé sa peine dans la prison de Strzelce Opolskie. Il
a demandé aux nouveaux détenus de parler de leur vie. L’un d’en-
tre nous a reçu un coup. Je ne me souviens pas pour quelle raison.
J’ai été placé au troisième étage d’un bat-flanc, à côté de la ventila-
tion. Trois semaines plus tard, nous étions tous les trois sélection-
nés pour le travail.

En quoi consistait ce travail ?


C’était un bon travail dans un magasin d’approvisionnement en
pain militaire. Nous devions disposer les miches en tas réguliers. Il
y avait, à côté, des bidons de confiture. Lorsque l’un de nos camara-
des s’est mis à manger la confiture, nous avons eu toutes les peines
du monde à extirper sa tête du bidon (rires).
Je voulais « organiser »48 du pain. Il suffisait de briser quelques
44
L’argot du camp utilisait ce terme pour désigner les détenus que les
conditions de survie dans le camp (faim, travail exténuant) avaient phy-
siquement et psychiquement détruits.
45
Blockälster : détenu responsable du block.
46
Dans le camp de Birkenau, la plupart des baraques de bois étaient équi-
pées d’un conduit de poêle en briques courant le long de la bâtisse. De
part et d’autre de ce conduit se trouvaient des bat-flancs de trois étages
en bois réservés aux détenus. Les chefs de block, détenus responsables
de l’entretien du block, les secrétaires procédant à l’enregistrement des
détenus et les Stubedienst responsables de l’ordre du block, disposaient,
à l’entrée de la baraque, d’une pièce séparée. Une seconde pièce pouvait
servir de morgue.
47
Henryk Mandelbaum déforme le nom de ce détenu. Il s’agit vraisembla-
blement de Mieczysław Katarzyński, né le 11 novembre 1920, matricule
8316, serrurier de son état. Les détenus le surnommaient « Le sanglant
Mietek ».
48
Dans l’argot du camp, le terme « organisation » désignait toute pratique
visant à obtenir illégalement de la nourriture et des vêtements. L’« or-
ganisation » répondait à un code tacite : voler de la nourriture dans un

40
miches et de les laisser de côté. Lorsqu’un Allemand a demandé
pourquoi je procédais ainsi, j’ai répondu que ces pains brisés gâ-
chaient la construction que nous avions élevée avec tant de peine. Le
gardien a acquiescé. En nous tapant sur l’épaule, il nous a demandé
de garder ce pain pour nous. Nous en avons distribué une partie
près du block des faibles49. Nous n’avions pas besoin de tous ces
pains, car la faim ne nous tenaillait pas.

Dans quelles circonstances avez-vous été affecté au Sonder-


kommando50 ?
Après deux semaines de travail dans le magasin de pain, un SS,
l’Arbeitsführer51 Kurpanik (j’ai appris son nom plus tard52) est venu
nous rendre visite. Il a ordonné aux six « zugang »53 de se tenir près
magasin correspondait à la définition du terme ; voler de la nourriture
à un détenu n’était, par contre, considéré que comme du vol.
49
Henryk Mandelbaum parle de détenus mourant de faim : les « musul-
mans ».
50
Sonderkommando : unité spéciale, créée dans le camp d’Auschwitz au
printemps 1942 au début des opérations d’extermination de la popula-
tion juive. Cee équipe comptait initialement près de 200 personnes af-
fectées principalement à la préparation des lieux d’extermination et de
l’ensevelissement des cadavres puis, à partir de septembre 1942, à l’inci-
nération des cadavres des personnes gazées. Les membres du Sonderkom-
mando fournirent ensuite une aide pendant l’arrivée des convois à l’inté-
rieur du camp. Leur rôle consistait à tranquilliser les déportés avant la
douche et la désinfection et à aider les vieilles personnes, les handicapés
et les enfants à se déshabiller. Avec l’augmentation des convois envoyés
au camp d’Auschwitz et l’amélioration des « technologies » (crématoires
et chambres à gaz plus modernes), les effectifs du kommando spécial
aeignirent 400 personnes. Lors des périodes d’extermination les plus
intenses, en mai et en juin 1944, le Sonderkommando comptait 800 person-
nes employées dans quatre lieux. Avec le ralentissement des opérations,
en automne 1944, le kommando subit une sélection : environ 200 de ses
membres furent tués. Pour échapper à une nouvelle sélection, les déte-
nus du kommando tentèrent désespérément de se révolter le 7 octobre
1944 (450 d’entre eux périrent). En janvier 1945, environ 100 détenus du
kommando participèrent à la « marche de la mort ». Une quarantaine ou
une cinquantaine ont survécu dans d’autres camps jusqu’à la libération
ou ont profité du chaos dans les rangs SS pour s’enfuir.
51
Précisément Arbeitsdienstführer, chef de la section de l’emploi des déte-
nus.
52
Le SS-Untercharführer Karl Kurpanik.
53
Zugang (allemand) : nouveau, « bleu ».

41
Le crématoire V du camp d’Auschwitz II-Birkenau. Photographie prise par
un SS en 1943 ou 1944.

du poêle de la baraque, puis nous a observés. Il a désigné trois déte-


nus de son doigt : « Antreten54 ».

Pourquoi vous-êtes vous retrouvé dans ce groupe de trois ?


Il ne voulait pas embaucher de « musulmans ». Les Allemands
avaient besoin de « zugang » jeunes et forts.

Les détenus que vous avez rejoints vous ont-ils expliqué la na-
ture de votre futur travail ?
Lorsque la porte de la baraque s’est refermée, nous avons enten-
du : « Votre présence est bienvenue, vous allez nous aider à brûler
les cadavres. »

Comment avez-vous réagi ?


Mal. Je n’ai jamais aimé le spectacle des cadavres. Lorsque nous
habitions à Ząbkowice, une servante travaillant chez nos voisins
avait disparu. Les gens l’ont recherchée pendant deux mois. Un
chien libéré de sa chaîne a commencé à se comporter de manière
incompréhensible, comme s’il voulait que son maître l’accompa-
gne dans le jardin. C’est ainsi qu’ils ont retrouvé la jeune fille. Elle
54
« Antreten » (allemand) : sortir du rang.

42
gisait dans un coin, recouverte partiellement de neige. J’ai accouru
pour la voir. Son image ne m’a plus quié ensuite. Je la vois en-
core.
Et nous apprenions que nous devions brûler des cadavres…

Et donc ?
J’ai fait normalement mon travail. Ma volonté de survivre a pris
le pas sur toute autre considération. J’ai lué tout le temps pour sur-
vivre. Avec succès.

Comment s’est passé le premier jour de travail dans le Sonder-


kommando ?
On nous a acheminés jusqu’au crématoire V55. Il était rempli de
cadavres de déportés gazés.

Auparavant, vous n’aviez jamais vu de tas de cadavres devant


le crématoire ?
Non. Les corps étaient disposés derrière le bâtiment du créma-
toire V, de manière à ce qu’ils demeurent invisibles de l’extérieur.
Le crématoire II paraissait lui aussi au-dessus de tout soupçon. On
aurait dit une gentilhommière au toit recouvert de tuiles rouges. De
loin, personne ne pouvait deviner ce qui se passait à l’intérieur. On
m’a transféré dans ce crématoire environ un mois après. J’y ai tra-
vaillé pendant quelques semaines, puis, j’ai de nouveau été affecté
au « cinq »56. Jusqu’à la fin de ma détention.

Lorsque vous preniez votre poste, l’équipe précédente se trou-


vait encore sur place ?
Oui. Le crématoire travaillait en flux tendu. La relève n’était ef-
fective que lorsque le kommando suivant prenait son poste. Ce jour-
là, nous étions du matin. Le spectacle m’a rendu muet. Un énorme
frisson m’a parcouru le corps.
55
Henryk Mandelbaum utilise la numérotation des crématoires que le mu-
sée a appliquée après guerre (une numérotation des crématoires I-V fut
brièvement appliquée en 1943 lorsque fonctionnait encore, parallèlement
aux crématoires d’Auschwitz II -Birkenau IIb, le crématoire I du camp
principal d’Auschwitz). Conformément à cee nomenclature, le créma-
toire I est celui du camp souche d’Auschwitz, les crématoires II et III sont
situés près de la rampe ferroviaire du camp d’Auschwitz II-Birkenau, et
les crématoires IV et V sont situés au nord, à la lisière du secteur BIIg.
56
Le crématoire V.

43
Qu’avez-vous vu ?
Des tas de cadavres ballonnés57 à cause de la canicule. L’équipe
précédente n’avait pas eu le temps de les incinérer. J’ai vu comment
les détenus traînaient les cadavres ; comment, ailleurs, ils leur cou-
paient les cheveux et leur arrachait les dents. Du feu et de la fumée.
Je me suis souvenu des paroles de ma mère me meant en garde
que si je n’étais pas sage, j’irais tout droit en enfer. C’était exactement
l’image de l’enfer. Et j’ai compris immédiatement qu’il était inutile
de faire le héros et qu’il valait mieux exécuter tous leurs ordres sous
peine de se retrouver soi-même dans un four.

Avez-vous succombé au désespoir ?


J’étais un jeune homme qui voulait vivre. Je me suis mis immé-
diatement au travail : le kommando venait de vider la chambre à
gaz et nous avons dû nous occuper des cadavres de l’équipe précé-
dente58.

Qui transmeait les ordres ?


Chacun de nous savait ce qu’il avait à faire sans qu’on eût besoin
de dire quoi que ce soit. Il n’empêche, le dégoût ne faiblissait pas.
Je ne voulais pas tirer les cadavres par les bras : les corps gisaient
parfois longtemps avant l’incinération et il arrivait que la peau se
détache de la main comme un gant. J’avais découvert un moyen :
utiliser une boucle de tissu. On trouvait de l’autre côté du crématoi-
re, dans la salle de déshabillage, des vêtements avant qu’ils ne soient
réquisitionnés. J’ai ramassé une chemise et déchiré une lanière que
j’ai utilisée comme une corde. Je tirais ainsi les cadavres. Plus exac-
tement, nous les tirions à deux, car la tête du cadavre gêne si on ne
le tire que d’un côté.

Comment réagissaient vos camarades ?


Tout comme moi. Ils voyaient une image d’eux-mêmes dans ces
cadavres.

Discutiez-vous entre vous ?


De quoi ? Sur quel sujet ? La famille ? Les évasions ? La liberté ?
Il n’y avait aucun sujet. Nous étions en enfer.
57
Les corps étaient boursouflés par la décomposition.
58
Pendant les périodes de déportation plus intenses, le Sonderkommando,
divisé en équipes de jour et de nuit, travaillait 24 heures sur 24.

44
Saviez-vous que les cadavres à incinérer provenaient des cham-
bres à gaz ?
Les codétenus nous l’ont appris dans la baraque. Déjà dans la
prison de Sosnowiec, on parlait d’opérations de gazage, mais sans
donner de détails. Nous étions dorénavant au courant.
Pétrifiés de stupeur, nous n’avons posé aucune question supplé-
mentaire.

Quelle technique d’incinération utilisiez-vous ?


Pour décrire la technologie, peu de mots suffisent. À Auschwitz,
le crématoire qui existe encore59 était des plus rudimentaires. Le
« quatre » et le « cinq »60 à Birkenau avaient été, eux aussi, mal
conçus. Lorsque trois convois de 1 000 personnes chacun arrivaient
dans la journée, nous étions incapables de suivre la cadence, même
en travaillant avec trois équipes. Les Allemands ont donc décidé,
pour des raisons d’efficacité, d’utiliser des bûchers plutôt que les
creusets des vieux crématoires61.
Les nouveaux crématoires62 étaient beaucoup plus modernes.
Grâce à des fours bien ventilés, les flammes se nourrissaient de la
graisse des cadavres et l’incinération ne durait pas longtemps. Un
monte-charge transportait les cadavres de la chambre à gaz située
en contre-bas.
J’avais même amélioré la technique pour extraire les cadavres du
monte-charge. Il suffisait de les tirer sur une sorte de caniveau (un
affaissement du béton) que je remplissais d’eau. La peau (qui froe
et ralentit le mouvement) devenait ainsi glissante.

Vous a-t-on enseigné des techniques d’incinération ?


Personne n’avait planifié tout cela. Les méthodes restaient em-
piriques. Comme un ingénieur qui commence sa carrière dans une
usine. Au début, il ne connaît que la théorie. La pratique vient en-
suite. Les détenus utilisaient en fait deux techniques. Les uns dépo-
saient les cadavres sur des civières déjà installées sur les galets de
guidage au risque de faire tomber leur charge ; les autres préféraient

59
Le crématoire I du camp d’Auschwitz.
60
Les crématoires IV et V du camp d’Auschwitz II-Birkenau.
61
Idem.
62
Les crématoires II et III. Henryk Mandelbaum distingue les « vieilles »
installations des « nouvelles » en fonction de leur technologie.

45
charger la civière avant de la déposer sur les galets63. L’un d’entre
nous tenait toujours une « fourche » pour pousser les corps à l’inté-
rieur du four. On ne pouvait pas laisser les jambes dépasser, car les
portes du creuset ne pouvaient alors pas se refermer.

Combien de cadavres contenait un four ?


Dans chaque four, nous brûlions trois corps. Si les personnes
étaient maigres, on pouvait même ajouter un quatrième corps, mais
c’était rare. On utilisait plutôt les personnes maigres en complément
des fournées de personnes plus fortes. Une grosse personne brû-
lait comme une bûchee de résineux. La « résine » des cadavres,
c’est leur graisse. Avant d’aeindre la température adéquate, les os
d’un maigre brûlent comme du bois de chêne. Un « musulman »
pesait dans les trente kilos. Imaginez de quelle manière son corps
se consumait. Parfois, tout n’était pas brûlé. Il restait des tibias, des
fragments de crâne, que la température des flammes des corps sui-
vants embrasait.

Combien de temps durait la crémation ?


De 15 à 20 minutes.

Vous souvenez-vous de votre première crémation ?


Ce souvenir ne me quie pas. Ce cadavre git toujours à côté de
moi. C’était le corps d’un vieil homme qu’un séjour prolongé au so-
leil avait boursouflé.

L’incinération des cadavres sur les bûchers était-elle différente


de celle pratiquée dans les fours ?
Lorsque nous disposions les cadavres dans des fosses, l’incinéra-
tion se déroulait différemment. Plus lentement. Les couches de
cadavres étaient séparées de bûches. Un pin provenant de la loca-
lité de Kobiór couronnait le bûcher. Le tout était aspergé d’essence
ou d’huile brûlée. Les flammes aeignaient parfois 4 ou 5 mètres.
La fumée était de couleur jaune-cendre. Tant que le feu n’aeignait
pas les bûches, le feu se maintenait. Les têtes, les jambes et les bras
disparaissaient rapidement, mais restaient les troncs et les cuisses.
63
Dans les crématoires du camp d’Auschwitz II-Birkenau, les corps étaient
enfournés sur des civières spécialement conçues (pouvant soutenir en
général deux cadavres) disposées sur des galets métalliques roulant sur
deux rails.

46
L’intérieur du crématoire II du camp d’Auschwitz II-Birkenau. Pho-
tographie prise par un SS en 1943 ou 1944.

C’est comme avec le bois : les branches brûlent vite, mais le tronc se
consume lentement.
Faute de temps, la graisse ne brûlait pas complètement ; elle ruis-
selait des corps dans les fosses. Nous récupérions cee graisse et en
aspergions les bûchers. Tout en bas, les cadavres étaient donc plus
frits qu’incinérés. Pour que les intestins, le foie et le cœur dispa-
raissent, la température doit aeindre un niveau adéquat. Dans les
fosses, les cadavres crépitaient comme du lard et s’ouvraient comme
des châtaignes jetées dans le feu. En vidant une fosse, nous jetions
donc les cuisses et les organes internes sur un second bûcher64.
L’incinération dans les fosses n’avait pas non plus été bien pen-
sée. Cee technique exigeait énormément de travail et les cadavres
étaient, au final, incomplètement consumés.

Quelles dimensions avaient ces fosses ?


Fosses, ce n’est pas le terme qui convient. Il faut parler de fossés.
Ils avaient un mètre ou un mètre et demi de profondeur. Je ne peux
64
Au moins trois fosses d’incinération se trouvaient derrière le crématoire V.
La technique décrite par Henryk Mandelbaum était vraisemblablement
appliquée près des deux fosses situées l’une à côté de l’autre, à l’ouest
du crématoire V.

47

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