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REMARQUES SUR LE LANGAGE DE LA PHILOSOPHIE

Author(s): André Lalande


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 52e Année, No. 1 (Janvier 1947), pp. 15-25
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 19-03-2016 11:31 UTC

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REMARQUES
SUR LE LANGAGE DE LA PHILOSOPHIE*

Lo Vocabulaire de la Société française do Philosophie est un


curieux exemple de ce qu'on a nommé l'hétérogonie des fins. Le
but originel de ce travail était fort étroitement déterminé, comme
on peut le voir par l'article Le langage philosophique et Vunité
de la philosophie, dans la Revue de Métaphysique et de Morale
de septembre 1898, par les Propositions sur Vemploi de certains
termes philosophiques (Bulletin de la Société, séance du 23 mai
1901 ) et par la discussion dans la séance du 29 mai 1902. 11 s'agis-
sait de mettre les philosophes d'accord - autant que possible -
sur ce qu'ils entendent par les mots, du moins les philosophes de
profession : premièrement, parce que tout accord véritable - je
Veux dire celui qui n'est pas l'effet d'une suggestion, d'une trom-
perie ou d'une contrainte autoritaire - vaut mieux en soi que les
discordances ou les équivoques ; ensuite, parce que leurs contra-
dictions, sujet traditionnel de plaisanteries, sont en grande partie
verbales, et peuvent être souvent résolues dès qu'on s'en avise.
C'était l'opinion de Descartes : « Si de verborum signifìcatione
inter Philosophos semper conveniret, disait-il, fere omnes illorum
controversiae tollerentur. » - « C'est le plus souvent sur les
mots que disputent les philosophes, écrivait de même Gassendi :
quant au fond des choses, il y a au contraire une grande harmo-
nie entre les thèses les plus importarles et les plus célèbres8. »
- « Je suis tenté de croire, disait Locke, résumé par Leibniz, que
si l'on examinait plus à fond les imperfections du langage, la plus
i. Extrait de la Préface à la nouvelle édition du Vocabulaire technique et
critique de la Philosophie, qui doit paraître très prochainement.
2. Lettre à Golius, 1630.

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grande partie des disputes tomberaient d'elles-mêmes et que la


chemin de la connaissance, et peut-être de la paix, serait plus
ouvert aux hommes. - Je crois même, ajoutait Théophile, qu'on
en pourrait venir à bout dès à présent dans les discusions par
écrit si les hommes voulaient convenir de certains règlements, et
les exécuter avec soin1. » II serait facile de multiplier les témoi-
gnages de cette expérience, et nous en avons encore eu de nos
jours bien des exemples*.
Mais la nature humaine est aussi faite d'une certaine impatience
de Tordre et de la similitude - impatience bien légitime, coura-
geuse même, quand il s'agit de se défendre contre un conformisme
imposé, ou contre l'acceptation moutonnière de ce qui se répète
sans critique ; - désastreuse quand il s'agit d'un goût de contra-
diction et de quant à soi, voire même d'impérialisme. « L'état de
la moralité scientifique, écrivait Renouvier, ne me paraît pas assez
avancé chez les philosophes pour qu'ils puissent utilement déli-
bérer en commun, afin d'arrêter la nomenclature la plus propre
à empêcher leurs débats de s'égarer, et à rendre leurs doctrines
mutuellement communicables.... Les termes les plus importants
sont du domaine public, et chacun en revendique le bénéfice avec
le droit de leur attacher leur << vrai » sens, que d'autres estiment
faux.... Nul n'est disposé à faire les sacrifices qu'exigerait l'impar-
tialité du langage. » Nous avons fait quelques progrès ; nous
avons réuni des Congrès de Philosophie, qu'il ne croyait pas
réalisables : mais on ne peut dire que cette « moralité » se soit
nettement élevée. Il est si tentant de garder aux mots, avec téna-
cité, le sens qu'on leur a d'abord attribué par quelque méprise
accidentelle, ou même qu'on s'est plu à leur conférer d'autorité,
sous prétexte qu' « on est bien libre d'adopter les définitions que
Ton veut ! ».

On peut même se demander si l'existence d'un effort commun


pour fixer et adopter un usage bien défini des termes ne pique pas
au jeu certains esprits, et n'excite pas chez eux le goût de leur
donner malicieusement un autre sens, de le faire supporter, et
même de le répandre. L'excellent logicien Gh. L. Dodgson (plus
1. Essais et Nouveaux Essais, III, ix, 19.
2. Voir des constatations semblables chez Berkeley, H y las et rtixlonous,
Dialogue II ; chez d'Alembert, Disûours préliminaire, § SO ; Schopenhauer,
Kritik dar kantischen Philosophie, Grisebach, 659 ; Robmini, Lettera sulla
lingua filosófica, dans Introduzione alla filosofia, 404 ; etc.

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connu sous le pseudonyme de Lewis Carroll, et comme auteur


d'Alice au pays des merveilles) imagine dans un de ses ouvrages
une conversation entre son héroïne et l'irascible Humpty Dumpty :
« Quand j'emploie un mot, dit le petit gnome d'un ton assez
méprisant, il signifie précisément ce qu'il me plaît de lui faire
signifier. Rien de moins, rien de plus. - La question, répond
Alice, est de savoir s'il est possible de faire signifier à un même
mot des tas de choses différentes. - La question réplique Humpty
Dumpty, c'est de savoir qui sera le maître. Un point, c'est tout1. »
Adler a probablement pris des complexes humains une vue plus
pénétrante que celle de Freud.
Je me rappelle qu'un savant de grand mérite, et très parisien,
me disait il y a une quarantaine d'années : « Moi, quand je vois
quelque part Entrée interdite, c'est par là que je passe. » II est
vrai qu'il s'agissait des petites choses de la vie ; il se gardait bien
d'appliquer cette maxime à la science qu'il professait, et où il était
un maître : un de ses étudiants eût été fort mal reçu à dire
« poids », pour « densité », ou « force » pour « énergie ». Les phi-
losophes de même tournure d'esprit ont souvent moins de pru-
dence : et ce n'est pas au profit de leur bonne réputation dans le
cercle des travailleurs intellectuels.
Mais lorsqu'on pense d'une manière originale, il faut bien
aussi se faire une langue à soi ? - Rien de plus contestable.
« Chez beaucoup d'entre nous, disait W. James, l'originalité foi-
sonne au point que personne d'autre ne peut nous comprendre.
Voir les choses d'une façon terriblement particulière n'est pas une
grande rareté. Ce qui est rare, c'est qu'à cette vision individuelle
s'ajoute une grande lucidité d'esprit et une possession exception-
nelle de tous les moyens classiques d'exprimer sa pensée. Les
ressources de Bergson en matière d'érudition sont remarquables,
et, en matière d'expression, tout simplement merveilleuses2. »
Quand on dit d'un esprit qu'il est original, on entend suivant le
cas deux choses bien différentes : Tune est une qualité voisine du
génie; l'autre, un défaut d'esprit qui touche à la sottise. Par la
première, on invente des formes d'art ou d'action nouvelles, on
aperçoit Je premier des vérités encore inconnues, mais qui trouve-
ront plus ou moins vite un écho, sans intérêt individuel et sans
1. Through the looking glass, Gollin's Classics, 246.
2. A pluralistic universe 226-227.
Rev. be Méta. - T. LVll (n« 1, 1947). 2

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violence, à travers plusieurs générations ; voire même qui reste-


ront acquises tant que s'exeraera l'hérédité sociale. Telle fut l'ori-
ginalité de Socrate découvrant l'analyse des concepts moraux, de
Newton formulant la loi de la gravitation, de Wagner élargissant
les règles de l'harmonie. - Par la seconde, on se différencie
également de la masse au milieu de laquelle on vit, mais c'est
par des divergences sans valeur, ou môme de valeur négative. On
se singularise, on se fait remarquer ; mais on n'apporte rien au
développement des connaissances, de la richesse esthétique ou de
la personnalité humaine. Souvent même c'est à leur détriment
qu'on se met en vedette. De cette originalité-là, il est plus difficile
de citer des exemples connus : car elle disparaît en général sans
rien laisser. Il faut songer à certains individus que Ton a connu»
soi-même. On peut cependant rappeler un Erostrate, un Cali-
gula; on pourrait y joindre l'originalité des conquérants glorieux
ou celle des criminels célèbres; dans la littérature, les obscuristes
de la décadence latine, ou le gongorisme; en morale, la doctrine
de Gorgias, ou celle des Frères du Libre-Esprit. S'élever au-des-
sus de la raison constituée, telle qu'elle existe dans le milieu et à
l'époque où l'on vit, la modifier au nom et dans le sens de la rai-
son constituante ; ou bien au contraire descendre au-dessous des
normes acquises, s'en écarter par perversion ou par snobisme,
c'est également se différencier. Mais les uns se séparent en éclai-
reurs, pour frayer la route; les autres s'égaillent, ou retournent
en arrière.
L'une et l'autre forme d'altérité se rencontrent dans la forma-
tion et dans l'emploi du langage philosophique.

En affermir, en augmenter la valeur intermenlale était donc


l'objet primitif du présent ouvrage., Mais très vite s'est greffée
là-dessus une fonction à laquelle nous n'avions pas songé tout
d'abord, et qui a pns peu à peu une grande place. L'étude cri-
tique du langage de la philosophie s'est trouvée très utile aux
étudiants, aux jeunes professeurs, aux lecteurs divers que pré-
occupent les questions de cet ordre. Souvent, ils avaient peine à
découvrir le sens exact des termes traditionnels, et ses variétés,
ou faisaient fausse route en oroyant les comprendre. Le Vocabu-
laire, commencé en vue du thème, a servi surtout à la version.
Aussi, dès la publication des premiers fascicules, les lecteurs

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ont-ils réclamé de plus en plus des explications détaillées, souvent


même des renseigneioents historiques, bibliographiques, ency-
clopédiques, que les initiateurs de ce travail n'avaient pas eu l'in-
tention de leur apporter. Car si Ton avait voulu faire, ainsi que
J.-M. Baldwin, « lin Dieiioa&naire pour les philosophes » il aurait
fallu y insérer, comme lui, dos planches anatomiques représen-
tant les organes des sens, la biographie des philosophes coiwaus,
un résumé de leur doctrine, y joindre un exposé des hypothèses
surla constitution de l'atome, ou des critiques modernes du trans-
formisme. Peut-être n'avons-nous que trop suivi cette impulsion,
et surtout d'une manière inégale, selon que les membres ou les
correspondants de la société nous adressaient tel ou tel rensei-
gnement, et nous engageaient à le publier. Nous avons même dû,
et de plus en plus, aller au devant de ces desiderata, à la fois pour
éviter un trop grand disparate, et pour ne pas attendre que tedie
ou telie indication documentaire nous fût réclamée sur les cahiers
d'épreuves. Mais nous en avons été si souvent remerciés par nos
lecteurs que si, du point de vue esthétique, nous souffrons un peu
de ce manque d'équilibre, nous ne pouvons guère nous repentir
de; l'avoir accepté.
Nous n'avons pas visé, dans cet ouvrage, et pour les mêmes
raisons, à donner des définitions constructivas, comme celles
d'un système hypothétieo-déductif, mais des définitions séman-
tiques, propres à éclairer le sens, ou les différents sens d'un
terme, et à écarter autant que possible les erreurs, confusions ou
sophismes. Pas plus en cela qu'ailleurs on ne peut partir de rien ;
quand on y prétend, on n'aboutit qu'à n'avoir pas conscience de
ce dont on part. La philosophie sans présupposition est une des
formes de ce que Schopenhauer appelait, non sans raison, le char-
latanisme philosophique. A plus forte raison le but d'un travail de
ce genre n'est-il pas de créer ex nihilo le sens des mots, ni même
de constituer décisoirement un jeu de termes dont un certain
nombre seraient adoptés comme indéfinissables, et les autres
construits à partir de ceux-là. On ne doit donc pas traiter cas
définitions comme des principes formels, sur lesquels on a le
droit de raisonner mathématiquement, mais comme des explica-
tions où peuvent se rencontrer des répétitions de mots, quand
elles ne risquent pas de laisser l'esprit dans l'indétermination.
1. Congrès international de 1900, Comptes rendus du Congrès, I, Î77.

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Réspice finem, aimait à dire Leibniz : la fin, ici, n'est en aucune


manière de constituer une axiomatique, mais de faire connaître
des réalités linguistiques, et de prévenir des malentendus.
Une autreil lusion s'est manifestée au cours des discussions qui
ont préparé la constitution de ce vocabulaire. Elle se rattache, elle
aussi, à la méconnaissance de la sémantique : car les vérités de
cet ordre sont encore loin de s'être incorporées, comme celles de
la physique élémentaire, à la mentalité courante des philosophes.
C'est la croyance naturelle qu'il existe une correspondance régu-
lière entre les mots et les choses, et notamment que chaque mot,
s'il a plusieurs acceptions, possède du moins toujours un sens
central, générique, dont les autres ne sont que des applications
particulières, un sens privilégié, que la critique philosophique se
doit de retrouver. On en voit de curieux exemples, notamment
dans les « Observations » que nous avons reçues sur Amour . Loi,
Nature et sur bien d'autres mots. Il y a là une confiance dans la
sagesse du langage qui rappellerait celle du Cratyle - si le Cra-
tyle n'est pas un chapelet de plaisanteries ironiques, à la manière
des parodies du Banquet *.
Certes, l'univocité est un idéal auquel tend le langage sponta-
nément, quoique d'une façon fort irrégulière ; et il y a grande
tentation, en toute matière, d'affirmer comme un fait ce dont on
sent fortement la valeur normative : « Tous les hommes naissent
libres, et égaux en droits. » Mais malheureusement nous en
sommes loin, en linguistique comme en politique ; et la tendance,
pour réelle qu'elle soit, est contrecarrée par bien des accidents. Il
suffit d'ouvrir Y Essai de sémantique de Bréal, ou Le Langage de
Vendryes pour savoir qu'en fait les mots changent de sens par les
déviations les plus variées; souvent, il est vrai, par spécification,
mais parfois aussi par cheminement de proche en proche, ou par
rayonnement autour de plusieurs centres successifs ; quelquefois
môme, par suite de méprises dues à leur Lautbild, ou à leur
ressemblance avec un autre mot de forme voisine. Il serait
absurde de chercher quel est le « vrai » sens de panier, d'abord
corbeille à pain, puis récipient quelconque en vannerie; puis

1. Auguste Comte, malgré la profondeur de son esprit, a fait plus d'une


fois l'apologie des « admirables équivoques », des « heureuses ambiguïtés »
que présentent certains termes [Catéchisme positiviste, 2« entretien ; Polit,
posit., I, 108, et?.)-

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A. L AL ANDE. - REMARQUES SUR LE LANGAGE DE LA PHILOSOPHIE. 2i

ustensile analogue, même en fil de fer; puis support en baleines


pour les jupes, et plus tard simple décor d'étoffe rapporté sur
celles-ci, sans parler de la caisse de bois suspendue sous un four-
g-on. Et quel est le « sens fort » de bureau, étoffe de bure, table à
écrire, pièce administrative, personnel qui l'occupe, état-major
d'une société ?

Si ' regrettable que ce soit, il n'en va guère autrement des


termes philosophiques : ils se sont souvent déplacés, eux aussi,
au hasard d'accidents historiques, quoique plus subtils. Objectif
est pris couramment, de nos jours, pour désigner juste l'inverse
de ce qu'il représentait pour Descartes ; et son usage le plus
recommandable diffère à la fois de l'un et de l'autre. Anomalie a
pris par contre-sens la valeur de caractère ou de fait anormal : on
ne serait plus compris en lui donnant son sens étymologique !. La
fin, borne, cessation ou mort, est bien loin de la fin en tant que
but : on sait pourquoi, mais la transformation n'en est pas moins
captieuse. Les deux idées dïnofwc/ ion-conjecture et ^induction-
passage à un degré supérieur de généralité s'unissent ou se
séparent suivant les circonstances, au grand profit des malenten-
dus et des discussions inutiles. Et c'est pourquoi il est bien vain
de chercher comme Descartes une définition soi-disant générale
de l'amour, qui puisse justifier à la fois l'expression : l'amour de
l'humanité, et l'expression : faire l'amour.
Les sens d'un mot ne sont pas les valeurs d'une variable indé-
terminée dont nous pourrions disposer à notre gré. C'est une réa-
lité, qui, pour n'être pas matérielle, au sens précis du terme, n'en
possède pas moins la consistance parfois très dure que présentent
certains fails sociaux. Les mots sont des choses, et des choses fort
actives; ils sont « en nous sans nous » : ils ont une existence et
une nature qui ne dépendent pas de notre volonté, des propriétés
cachées même à ceux qui les prononcent ou les comprennent.
Que Ton songe au halo d'évocations, tantôt intenses, tantôt à
peine conscientes, que l'histoire de chaque mot, même inconnue,
fait vibrer si fréquemment autour de lui. Il y a des mots nobles,
comme idéalisme ; naïfs, comme progrès ; distingués, comme
dialectique ; imposants, comme médiation ; démodés, comme

1. Et par un singulier paradoxe, le mot môme A'étymologie voulait dire,


« étymologiquement » non pas du tout sens originel, mais vrai sene, sens
authentique.

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22 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

vertu. Le gouvernement de quelques-uns, disait déjà Aristote, on


l'appelle aristocratie quand où pense qu'ils usent du pouvoir pour
le bien public ; oligarchie, quand on les aecuse de n'en user
qu'à leur profit. Cet import change sans doute d'une époque à
l'autre : témoin le titre amusant et justifié d'Ernest Seillière, Be
la Déesse Nature à la Déesse Vie. Mais tant qu'il dure, riea de
plus commode pour batailler et pour se donner l'air d'avoir le
sens commun de son côté. Aussi chacun cherche-t-il à s'emparer
des mots émouvants, ou sympathiques, ou à la mode, de ceux
qui ont un reflet de profondeur ou d'autorité.
S'efforcer d'amener les sous-entendus de ce genre à la pleine
conscience est la seule catharsis qui puisse combattre la résistance
qu'ils opposent à la vérité. On ne tombe jamais plus complètement
dans le verbalisme que lorsqu'on affecte de ne pas s'occuper des
mots et de se mouvoir immatériellement dans la pensée pure.
L'unique moyen de ne pas en être victime est de les prendre sans
fausse délicatesse pour objet immédiat de son enquête et de sa
critique.

Mais il ne faut pas oublier que si cette précaution est fonda-


mentale, elle n'est pas la seule à prendre. Une autre vérité mise
en lumière parla linguistique est que le langage ne se compose
pas de mots, mais de phrases. La syntaxe philosophique deman-
derait donc non moins de surveillance que le vocabulaire : mais
cette critique, jusqu'à présent, ne s'est guère exercée que d'une
manière très accidentelle. Par exemple, un des péchés d'habitude
des philosophes est le pseudo-raisonnement, dont on trouve dans
le sonte de Cyrano la parodie franchement bouffonne*. Les tran-
sitions : « On voit par là.... Il en résulte que.... On est ainsi con-
duit à admettre.... »nous mènent doucement à de soi-disant consé-
quences qui ne s'appuient sur aucune nécessité. De grands esprits
n'y ont pas échappé. J'ai quelquefois donné à des étudiants,
comme exercice de logique, à prendre une proposition dans le
quatrième ou le cinquième livre de Y Ethique et de reconstituer,
en suivant les références de Spinoza lui-même, la chaîne des

1. « Paris est la plus belle ville du mondo ; ma rue est la plus belle rue de
Paris; ma maison est la plus belle maison de ta rue; ma chambre est la plus
belle chambre de la maison; je suis le plus bel homme de ma chambre : j • suis
donc le plus bel homme du monde. »

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démonstrations qui est censée la relier aux axiomes, définitions et


postulats initiaux. Ceux qui ont tenté de le faire ont vite rencontré
tant de ruptures, d'indéterminations, de « petits bonds » et même
de grands qu'ils en ont été amusés ou rebutés. U Essai d'Hamelin
saute fréquemment à une équivalence tout à fait arbitraire par les
raccords : « Que serait-ce, sinon...? » ou « Qu'eBt-ce à dire,
sinon...? » Et dans le fond, n'est-ce pas encore à peu près le
même trope qu'on trouve dans la brillante et célèbre formule :
« Ce sont là de prodigieux fardeaux. Ce n'est pas trop de Dieu
pour les porter » ?
Nous sourions aujourd'hui des mouvements d'éloquence que
Cousin faisait passer pour des raisons; mais toutes les époques
ont leur rhétorique philosophique, qui, pour être différente, n'en
est pas plus démonstrative : que l'on songe au foisonnement, chez
nos contemporains, des formes de langage catégoriques ou mépri-
santes qui tiennent si souvent lieu d'arguments.
Un autre tour de style consiste à envelopper, dans une phrase
qui sonne bien, une contradiction implicite. On est alors fort à
l'aise pour en faire sortir ensuite les conséquences les plus variées
et les plus intéressantes, les unes vraies, les autres fausses, puis-
que le contradictoire implique n'importe quoi. Sans aller aussi
loin, rien n'est malheureusement plus commun en philosophie
que les phrases embrouillées ou vagues, devant lesquelles le lec-
teur un peu critique se demande avec perplexité : « Qu'est-ce que
cela veut dire au juste? » Elles ont deux grands avantages : l'un
est de faire passer comme plausible, si Ton n'y regarde pas de trop
près, une idée qu'on utilisera par la suite, mais dont l'arbitraire
ou la fausse généralité sauteraient aux yeux sans le brouillard
discret qui en estompait les contours. - Le second bénéfice de
l'obscur ou de l'insolite, c'est d'offrir à des esprits divers l'occa-
sion d'y projeter des pensées différentes : ainsi les uns et les
autres se sauront gré de ce qu'ils y mettent, et sauront gré h
l'auteur d'être ainsi d'accord avec eux. Le petit effort que suscite
cette projection donne un agréable sentiment de profondeur, de
même qu'une plaisanterie en langue étrangère, quand on la com-
prend, en paraît bien plus savoureuse. Léonard de Vinci recom-
mandait aux jeunes gens de regarder à quelque distance un vieux
mur crevassé, où ils apercevraient au bout d'un moment des pay-
sages, des foules, des mouvements hardis, dies raccourcis vigou-

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24 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

reux et imprévus. Paul Signac, si je m'en souviens bien, avait


photographié un fond de casserole tout incrusté de suie, et faisait
admirer à ses amis tout ce qu'on pouvait y voir avec un peu d'ima-
gination.
Mais ce n'est pas ici le lieu d'essayer un inventaire de ces mala*
dresses ou de ces habiletés de langage, qui dépassent la simple
ambiguïté des termes. Il s'agissait seulement d'en marquer la
place. Les Sophismes d'Aristote, les Essais et les Nouveaux
Essais, les Logiques de Port-Royal, de J. S. Mill, de H. A. Aikins
en ont relevé de bons échantillons; mais il reste beaucoup à faire
sur ce terrain, et ce ne serait pas un travail stérile. C'est en pous-
sant à fond la critique du langage, et sous toutes ses formes,
qu'on peut savoir vraiment ce qu'on pense, se désencombrer de ce
qui n'a point de signification réalisable, comprendre ce qu'on lit
sans glisser des idées préconçues à la place de celles que voulait
exprimer l'auteur, et réduire ainsi la part de ce qui reste toujours
incertain dans cet acte, si immédiat en apparence, si complexe et
si difficile en réalité : la transmission d'une idée d'un cerveau à
l'autre. Et cependant telle est la condition nécessaire d'une commu-
nauté mentale, sans laquelle il n'y a pas de vérité.
Mais cette communauté, qui, pour être réelle, exige des notions
bien éclaircies et des expressions précises, est-elle souhaitable ?
On Ta mis en doute. Un certain degré d'indécision et d'obscurité
passe, chez bien des individus, pour un climat très favorable à
la pensée. Rappelez-vous, dit-on, ce qu'a écrit si justement
M. Edouard Le Roy : « L'invention s'accomplit dans le nuageux,
l'obscur, l'inintelligible, presque le contradictoire... C'est dans ces
régions de crépuscule et de rêve que naît la certitude.... Un souci
malencontreux de rigueur et de précision stérilise plus sûrement
que n'importe quel manque de méthode1. » Rien de plus exact.
Mais c'est un grossier sophisme - et l'auteur l'a dénoncé lui-
même - que de transporter à l'œuvre faite, au livre, à la vérifi-
cation des idées par leur comparaison, ce qui n'est vrai que de la
pensée naissante et de l'invention. Les os ont été d'abord des tissus
presque amorphes, puis des cartilages flexibles : mais le corps
resterait dans un état d'infantilisme pathologique si la charpente
n'en prenait assez tôt la rigidité nécessaire à l'action. Faire l'apo-
1. La logique de l'invention, Revue de Métaphysique et de Morale 1905, 195-
197, Cf. La pentée intuitive, II. « Invention et verification. »

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A. L AL ANDE. - REMARQUES SUR LE LANGAGE DE LA PHILOSOPHIE. 2&

logie du vague, de l'incertain, de l'équivoque, c'est raisonner a


dicto secundum quid ad dictum simpliciter. Certainement, les
obscurités sont fécondes, mais c'est par le travail qu'elles provo-
quent pour les dissiper; les contradictions sont excellentes à déga-
ger, mais c'est parce qu'elles irritent un esprit actif, et suscitent
l'effort qui les surmontera. En dehors de ce moment dialectique,
nul bénéfice. Ce sont des conditions de passage et non des valeurs
en soi. S'y installer avec complaisance, c'est allumer du feu, et n'y
rien faire chauffer.

Trop de philosophes, ou soi-disant tels, y ont du penchant, soit


par intérêt, soit par goût. Les uns se dissimulent la vétusté ou
l'insignifiance de ce qu'ils aperçoivent sous une obscurité verbale
qui leur donne l'illusion de la profondeur ; et leurs lecteurs la par-
tagent, s'ils ne sont pas prémunis contre cet effet d'optique ; il
est si rare d'oser crier : le roi est tout nu ! - D'autres, plus
artistes, aiment les lueurs crépusculaires pour ce qu'elles prêtent
à imaginer : ils changent comme disait Kant, la pensée en un
jeu, et la philosophie en philodoxie. Mais l'obstacle numéro un à
la recherche de la lumière, c'est bien probablement la volonté de
puissance, le désir d'exhiber ses virtuosités, ou de se ménager un
abri contre des objections trop évidentes. La vérité est une limite,
une norme supérieure aux individus ; et la plupart d'entre eux
nourissent une animosità secrète contre son pouvoir. Nous tou-
chons ici à Tun des faits les plus primitifs, même dans Tordre
intellectuel et moral : la lutte de Vautre contre le même, le faux
idéal de la domination, individuelle ou collective, contre la com-
munauté spirituelle et la paix. Cette anti-philosophie combative
et biomorphique a ravagé l'Europe au nom du prétendu droit de
chaque état de rester souverain et d'occuper tout son espace
vital. C'est à peine si les hommes la pratiquent moins que les
gouvernements. Elle est toujours prête à miner subtilement ou à
attaquer par la force le programme de raison, c'est-à-dire le libre
accord pour la vie, et le libre accord dans la pensée. Travailler au
contraire à maintenir celui-ci a été l'objet premier de ce travail ;
et malgré ses utilisations accessoires, il nous semble bien qu'il en,
reste encore le principal intérêt.
André Lalande.

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