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Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

trimestriel – no 82 – janvier-mars 2018 – 4 euros

Henry Gowa, Les Naufragés, huile © Henry Gowa

Hans Henry Gowa. Décorateur expressionniste, peintre et illustrateur. Né en 1902 à Hambourg.


H. Henry Gowa émigre en France après l’incendie du Reichstag. En France, il établit des contacts
avec Bonnard, Chagall, Matisse et Picasso. Pendant l’occupation nazie, Gowa survit à plusieurs
arrestations et camps d’internement. Après la guerre, il dirige l’École des Arts et Métiers de
Sarrebruck de 1946 à 1951 ; de 1954 à 1964, il est directeur de la Werkkunstschule Offenbach.
En 1959, Gowa reçoit l’ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne. De 1964 à 1985, il
travaille comme artiste indépendant à Berlin. H. H. Gowa meurt à Munich en 1990. Son domaine
AFMD

artistique et ses archives sont en prêt permanent au Musée juif de Francfort-sur-le-Main.


AGENDA L’assemblée générale de
l’AFMD se déroulera les
9 et 10 juin à Nanterre.
L’AFMD en action
DT 59 NORD Partenariat avec
le collège privé de Marcq sur
le projet « Enfants victimes
de régimes dictatoriaux »
DT 93 SEINE-SAINT-DENIS (enfants de la déportation,
Conférence-débat avec migrants d’aujourd’hui).
Corinne Bénestroff,
docteur en littérature DT 54 MEURTHE-ET-MOSELLE
française sur le thème Parcours mémoriel et
« Écrire sa déportation ».  hommage aux personnes
victimes des rafles qui
se sont déroulées les
2 et 5 mars 1943 à Nancy.

DT 53 MAYENNE Cycle


de conférences sur le
thème de la collaboration



DT 68 HAUT-RHIN Obtention du label


du « Patrimoine européen » pour le
tunnel d’Urbès (cette distinction a été
remise également à l’ancien camp du
KL Natzweiler / Struthof (67) et le fort de
Queuleu à Metz (57). Il s’agit du premier
DT 16 CHARENTE label transnational du patrimoine européen.
Plantation d’un arbre de
la paix et exposition « Les
femmes Charentaises
dans la déportation à 
Ravensbrück » à Chabanais.

DT 15 CANTAL À l’occasion 
du festival de BD du bassin
d’Aurillac, intervention de Robin
Walter, auteur de KZ Dora, dans
des établissements scolaires. DT 38 ISÈRE À Seyssins,
semaine Mémoires
& Résistances 2018
 sur la thématique :
« Déportations, migrations,
de l’exil à l’asile ».

DT 30 GARD Projection du film


DT 65 HAUTES-PYRÉNÉES À l’occasion du Les Résistants du train fantôme
23e  festival « Contes en hiver », la conteuse réalisé par Jorge Amat, écrit
Bernadette Bidaude avec son histoire De et raconté par Guy Scarpetta.
sang et de lait raconte le combat d’Élisabeth
Eidenbez, institutrice, membre du Secours
suisse, qui a sauvé plus de 600 enfants.

Liste non exhaustive. Pour plus d'infos, vous rapprocher des délégations ou voir le site : http://afmd.asso.fr

2 MÉMOIRE & VIGILANCE janvier-mars 2018


ÉDITO

Des jours heureux à Cronos Sommaire


par le comité de rédaction de Mémoire et Vigilance

R
appelez-vous les jours heureux de la sein des jurys départementaux du CNRD. Les dossiers
création de la FNDIRP en 1945, dans Concours, comme vous le savez, en de Mémoire & Vigilance
le but d’« unir  […] toutes les vic- cours de réorganisation par l’Éduca- Dossier no 2 > Mémoire(s)
de la déportation
times […] ainsi que leurs familles », et de tion nationale. Les premières décisions
1. La politique antisémite
la création de ses associations départe- nous inquiètent… de la France 4
mentales (ADIRP) grâce au dévouement Vingt années de tâches accomplies – et 2. Les déportations « raciales »
des survivants des camps nazis. que nous poursuivons – résumées en un depuis la France 7
Rappelez-vous les jours heureux de la paragraphe… cela rend humble, mais 3. La mémoire de la
déportation des Juifs depuis
création, en 1990, de la Fondation pour quels enrichissements ! L’AFMD demeure la France 8
la Mémoire de la Déportation  (FMD) un maillon de cette chaîne fraternelle qui
4. Le négationnisme 10
– première fondation en France sur cet fait vivre les souhaits des anciens. Ses
objet – par la volonté de la FNDIRP et bénévoles sont souvent réconfortés par
Transmettre
de l’Union des Mutuelles d’Île-de- « merci pour tout ce que vous faites… »
Témoignage de Daniel
France  (UMIF). Autour de la  FMD se Nous le savons, nos associations de Davisse, président de la DT
sont unies toutes les associations d’an- mémoire peinent à trouver des adhérents, du Val-de-Marne 12
ciens déportés. Son comité de parrainage ce qui interroge leur avenir. Déjà, plu-
Mémoire et vigilance 15
comprend des personnalités telles que sieurs – très chères à nos mémoires – ont
Mmes Geneviève de Gaulle-Anthonioz, cessé leurs activités. Campagne : « Communiquer
Madeleine Rebérioux, Germaine Tillion, Nous le savons, il y a encore des réti- pour agir » 16

MM.  Jean Mattéoli, le révérend Père cences à la prospective de politique


Riquet, Pierre Sudreau… Veuillez nous mémorielle des concepteurs de la FMD
excuser de ne pas toutes les citer, mais d’unir toutes nos forces militantes asso-
nous nous devons de rappeler leurs enga- ciatives. Rendons hommage aux clair-
gements républicains. voyances de Marie-Claude Vaillant-
Rappelez-vous les jours heureux de Couturier, Charles Joineau, Maurice
la création, le 14  décembre  1995, de Cling pour la  FNDIRP, et des dépor- étant décédés quelques mois après cette
l’association des Amis de cette Fon­ té‑e‑s président‑e‑s de leurs associations assemblée, quatre membres octo – voire
dation  (AFMD), créée par les adminis- Marie-José Chombart de Lauwe, Guy nonagénaires  –  de cet ancien bureau
trateurs de la FMD. Ducoloné, Jacques Brun, Raphaël Esrail, sont nominativement « accusés » de
Rappelez-vous qu’il y a vingt ans, Pierre Gouffault, Henri Lerognon, Pierre n’avoir pas respecté des dispositions
en 1998, 26 délégations de l’AFMD étaient Saint-Macary, et toutes les autres person- statutaires. La FNDIRP requiert aussi la
créées, principalement grâce à la volonté nalités. Aujourd’hui, nous craignons nullité de la donation que cette ADIRP
et l’investissement d’anciens déportés. que la spécificité de leurs mémoires soit aurait consenti à l’AFMD et la condam-
À l’occasion de cet anniversaire, rap- absorbée par d’autres plus « média- nation de l’AFMD à supporter les frais
pelez-vous les débuts de notre tra- tiques » et qu’ainsi leurs objectifs ne de ce procès.
vail de mémoire : en priorité, les enre- soient pas atteints. Quelle que soit l’issue de cette affaire,
gistrements des survivants  –  en  2003, Le 20 février 2018, alors que nous étions chacun en sortira meurtri, mais l’AFMD
250  témoignages remis aux Archives en vacances avec parents et enfants, conservera les valeurs éthiques incul-
de France pour les numériser. Puis les l’AFMD a été informée qu’un procès quées par ses fondateurs déportés.
débats invitant les déportés à témoi- lui était intenté et qu’elle disposait de
gner devant les scolaires, accompagnés quinze jours pour charger un avocat Cronos s’en prit à son père, pre-
souvent de nos créations d’expositions, de la représenter devant le tribunal de nant du même coup le pouvoir. Puis
de maquettes, de représentations théâ- grande instance de Paris : la  FNDIRP il engloutit ses propres enfants, don-
trales. Puis les parcours où nous évo- demande l’annulation de la délibération nant un coup d’arrêt au mouvement de
quions les engagements des personnes conduisant à la dissolution de l’ADIRP génération.  ■
commémorées sur les plaques commu- de Paris lors de sa dernière AG extraordi-
nales. Nos recherches ont enrichi la naire du 6 novembre 2013. Le président « Que sont mes amis devenus / Que j’avais de
connaissance des Résistants et Déportés (Émile Torner, déporté) et un vice-pré- si près tenus / Et tant aimés […] Pauvre sens
de nos territoires. Et encore, le travail au sident (Raymond Huard, déporté) et pauvre mémoire » (Rutebeuf )
LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

Tableau des lois de Nuremberg (1935) différenciant la « race aryenne » (ronds blancs), des Juifs (ronds noirs) et personnes de « sang mêlé ». Coll. Musée Holocauste Montréal.

Dossier no 2 > Mémoire(s) de la déportation


Mémoire et mémoires de la déportation

Mémoire et Vigilance présente le deuxième « dossier » centré sur la mémoire de la déportation de persécution partie de
France. Ces « dossiers », réalisés par des bénévoles non-historiens, ont aussi pour objectif d’animer la réflexion dans les DT,
parmi nos adhérents et lecteurs. Aussi ceux-ci sont-ils invités à faire part de leurs remarques, leurs réflexions – y compris
critiques – à la lecture de ces dossiers.

Mémoire de la déportation de persécution


1. La politique antisémite de la France

I
l n’est pas possible d’étudier la politique un des théoriciens du racisme à la source juif devient, pour les chrétiens, le peuple
antisémite d’État du gouvernement de duquel les nazis ont puisé. « déicide2 » et à ce titre les Juifs sont des
Vichy sans y trouver un certain décalque Le terme même d’antisémitisme1 n’ap- individus de seconde catégorie, accusés
de celle menée par le Reich nazi. Et pour- paraît que tardivement dans l’histoire, de tous les maux, servant de boucs émis-
tant, l’antisémitisme en France, avec ses en 1879, sous la plume d’un journaliste saires. Puis ils sont expulsés, d’Angleterre
particularités et ses idéologues, est bien nationaliste allemand, Wilhelm Marr. en 1290, de France en 13063 , d’Espagne
antérieur à l’avènement du nazisme : on Cet antisémitisme est l’actualisation en 1492 et leur persécution se poursuit
évoquera ici l’affaire Dreyfus et, entre d’un antijudaïsme séculaire qui remonte à travers les siècles et les pays, avec des
autres « penseurs », Édouard Drumont aux débuts du christianisme, comme reli- hauts et des bas. D’un fond d’antiju-
publiant La France juive en  1886. Le gion « concurrente ». Rendu respon- daïsme religieux devenu aussi social au
Français Joseph-Arthur de Gobineau est sable de la crucifixion de Jésus, le peuple XIXe siècle, on en arrive au XXe siècle à

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LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

un antisémitisme d’État légitimé par une allemande, interdits d’exercer dans de C’est à l’automne 1941 que les histo-
pseudo-science raciale. nombreuses professions, dépossédés de riens fixent la mise en œuvre de la « solu-
Le scientisme du XIXe siècle, notam- leurs biens… Ces lois de ségrégation et tion finale (Endlösung) de la question
ment en s’inspirant des lois de la géné- d’exclusion, parallèlement à une poli- juive », expression codée, utilisée lors
tique naissante, offre aux antisémites les tique d’expulsion, précèdent le pro- de la conférence de Wannsee, le 20 jan-
armes idéologiques pour biologiser leur jet génocidaire. vier  1942, pour désigner l’extermina-
haine passionnelle et faire des Juifs une Mais qui est juif ? La définition est âpre- tion programmée de tous les Juifs d’Eu-
« race » qui, dans leur hiérarchie, figure ment discutée entre juristes, scientifiques rope ; cette réunion secrète présidée par
au bas de l’échelle de l’humanité ; les et responsables de l’appareil nazi, avec Reinhardt Heydrich, dont le protocole
nazis l’en excluent même. Il fallait rap- d’un côté les tenants d’une pureté abso- est rédigé par Adolf Eichmann, prévoit
peler cette origine de l’antisémitisme, lue de la « race », de l’autre ceux qui l’élimination de 11 millions de Juifs à tra-
cadre dans lequel l’Allemagne nazie et accepteraient les « demi- » ou « quarts » vers le continent.
la France collaborationniste de Vichy de Juifs. Le gazage systématique remplace les
œuvrent de concert, chacune avec ses Jusqu’en  1939, les Juifs peuvent (avec fusillades « improductives » et « trau-
spécificités, à la mise en actes de la des- difficulté) quitter le territoire. Le but : matisantes » pour les tueurs !, et devient
truction en Europe de près de 6 millions construire une Allemagne judenrein une « entreprise industrielle » utilisant
de Juifs. ou judenfrei (« sans Juifs » ou « libre la logistique de tout l’appareil bureaucra-
L’antisémitisme est consubstantiel de Juifs ») Une réserve juive est même tique nazi. Les camps de la mort, camps
au nazisme. Les Juifs sont considérés envisagée à Madagascar ou dans le dis- d’extermination, plus justement qua-
comme des parasites dans le corps de la trict de Lublin (Pologne) mais la guerre lifiés de « centres de mise à mort » se
nation allemande, parasites dont elle doit en empêche la réalisation. Et en  1941, trouvent installés dans la Pologne occu-
se débarrasser pour retrouver sa pureté une nouvelle orientation est prise lors pée : Chelmno, Treblinka, Sobibor,
originelle, pureté incarnée par la « race de l’invasion de l’URSS, conçue par Belzec, ainsi que les camps mixtes (de
aryenne », « race supérieure ». Ce prin- Hitler comme une guerre « d’anéantis- concentration et d’extermination)  :
cipe est présent dans Mein Kampf, bré- sement », affrontement ultime contre Majdanek, Auschwitz, ce dernier étant
viaire du nazisme écrit en 1924 par Hitler le « judéo-bolchevisme », lui permet- à la fois le plus grand complexe concen-
dans la prison de Landsberg suite à sa tant de réaliser à la fois la « conquête trationnaire et le plus grand centre de
tentative de putsch à Munich en 1923. Il de l’espace vital » à l’Est et l’élimination mise à mort avec près d’un million de
devient chancelier le 30 janvier 1933. En de la « race juive ». Car depuis 1938, plus Juifs assassinés en ce lieu.
septembre 1935, les lois de Nuremberg le Reich réalise de conquêtes, plus les L’administration SS de ces camps utilise
donnent le « la » de la politique de per- Juifs sont nombreux. Été-automne 1941, des déportés juifs, les Sonderkommandos,
sécution des Juifs d’Allemagne. De 1933 les Juifs à l’Est sont victimes des fusil- comme main-d’œuvre forcée pour faire
à 1939, ils sont exclus de la citoyenneté lades de masse par les Einsatzgruppen. fonctionner ces usines de mort.

Le cas de la France

En France, après l’invasion par les et sa devise sont abolies, l’État français, révision des décrets de naturalisation
troupes hitlériennes, l’armistice est signé réactionnaire, antisémite4, antidreyfu- établis depuis 1927 ; environ 8 000 Juifs
à Rethondes le 22 juin 1940. La France sard, antirépublicain lui succède ; les sont concernés. La législation anti-
est divisée en plusieurs zones dont, pour organes du pouvoir s’installent à Vichy. juive mise en place par l’Occupant ne
faire simple, la zone occupée au nord, Le cas de la France est particulier en concerne, jusqu’en  1942, que la zone
administrée par l’Occupant, et la zone Europe avec, côte à côte, un régime d’oc- nord. Sans demande de l’Occupant,
non occupée, dite « libre », au sud, diri- cupation militaire allemand et un gou- Vichy édicte un premier statut des Juifs
gée par Pétain et les partisans d’une col- vernement national et légal, qui mènent le 3  octobre  1940 qui concerne l’en-
laboration d’État avec l’Allemagne nazie, chacun une politique antisémite diffé- semble du territoire. Les Juifs étrangers
scellée le 24 octobre 1940 lors de la ren- rente : la politique raciale nazie d’un doivent être internés dans des camps spé-
contre Pétain-Hitler à Montoire. Entre- côté (déportation‑extermination), un ciaux (Gurs, Rivesaltes…), les Juifs fran-
temps, le 10  juillet, ce qui restait du antisémitisme « à la française » de çais sont écartés des postes à responsa-
Parlement français est rassemblé à Vichy l’autre (ségrégation‑exclusion). bilité, de la fonction publique, interdits
et vote, à 80 voix près – sans les députés Ainsi très vite, le régime de Vichy mène- d’exercer la médecine, les professions
communistes, exclus depuis1939 –, les t-il une politique personnelle, antisémite juridiques, etc., relégués à des emplois
pleins pouvoirs à Pétain. La République et xénophobe, avec dès juillet 1940, la subalternes et deviennent des citoyens

MÉMOIRE & VIGILANCE janvier-mars 2018 5


LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

de deuxième catégorie. Leur exclusion et  17  juillet  1942, ordonnée par l’Oc- Juifs de France ? Du 27  mars  1942 au
progressive de la communauté nationale cupant, préparée et négociée avec des 31  juillet  1944, 77  convois partis de
est lancée. Fin mars 1941, un commissa- hauts fonctionnaires de Vichy dont René France ont emmenés 76 000 Juifs vers
riat général aux questions juives est créé, Bousquet, est exécutée par les seules les camps d’extermination (le plus sou-
chargé de coordonner la politique anti- forces de police françaises. 13 000 per- vent vers Auschwitz), seuls 2 500 sont
sémite du régime. sonnes dont 4 000 enfants sont arrêtées revenus en 1945, moins de 3 %.
Le 2 juin 1941, un second statut est pro- et bientôt déportées. Pierre Laval, pré- L’appareil administratif, judiciaire et
mulgué par Vichy imposant également sident du Conseil, a exigé que les enfants policier de Vichy, s’est donc mis au ser-
aux Juifs de la zone sud de se faire enre- (déportation alors non demandée par les vice de l’Occupant et de son idéologie,
gistrer, comme en zone nord. Et la défi- Allemands) le soient aussi, la demande dont il a été un relais zélé quand il ne
nition par Vichy de « qui est Juif ? » remonte à Berlin, entre-temps les mères l’a pas devancé. Son gouvernement n’a
copie la définition raciale retenue dans ont été déportées et les enfants, restés pas été un bouclier essayant de protéger
le Reich : « toute personne issue d’au seuls, partent à leur tour. ses citoyens, en particulier juifs, de l’oc-
moins trois grands-parents de “race” En zone non occupée, beaucoup de cupant nazi comme voudraient le faire
juive ou de deux grands-parents de la Juifs étrangers ont été internés dans croire aujourd’hui les thuriféraires plus
même “race” si son conjoint lui-même des camps français. Les autres Juifs sont ou moins volontaires du pétainisme, pui-
est juif ». Un tampon juif sur les papiers relativement épargnés (malgré de nom- sant à de mauvaises sources historiques
d’identité a été imposé en zone nord breux interdits), et les Juifs de zone mal assimilées et contextualisées, sans
par les Allemands dès octobre  1940, nord cherchent à se réfugier au sud. faire abstraction de la mauvaise foi et la
mesure reprise par Vichy en zone sud Cependant, dès l’été 1942, 7 000 juifs volonté de faire scandale. Il est très clai-
en décembre 1942. Bientôt commence étrangers des camps d’internement du rement établi depuis plus de 40 ans, avec
l’« aryanisation » économique, c’est- sud, ne dépendant que de Vichy, ont été les travaux initiaux de l’historien amé-
à-dire la spoliation des biens juifs que livrés par Pierre Laval sous le prétexte fal- ricain Robert Paxton levant le voile sur
Vichy cherche à contrôler. En mai 1941, lacieux de protéger ainsi les Juifs français la période de l’État français, que Vichy,
à Paris, a lieu la première rafle dite « du de la déportation. En novembre 1942, même si l’on peut distinguer plusieurs
billet vert », 3 700 Juifs étrangers sont la fiction de la zone « libre » prend fin périodes, de la défaite de 1940 à l’état
internés dans les camps du Loiret sous avec l’occupation de cette zone par l’ar- milicien de 1944, a été un complice
administration française (Pithiviers, mée allemande en réponse au débar- fidèle de l’Allemagne nazie dans sa poli-
Beaune-la-Rolande), en août plus de quement anglo-américain en Afrique tique de destruction des Juifs d’Europe.
4 000 le sont dans le camp d’interne- du Nord. Vichy n’est plus, s’il ne Si « seulement » un quart de la popula-
ment de Drancy, d’abord sous adminis- l’était déjà auparavant, qu’un gouver- tion juive de France a été déportée à la
tration française jusqu’à mi-1943. À la nement fantoche. La population fran- différence d’autres pays sous tutelle hit-
demande de l’Occupant, Vichy promul- çaise jusque-là majoritairement indiffé- lérienne, c’est à l’action de Justes, recon-
gue le 29 novembre 1941 une loi insti- rente à la politique de persécution opère nus ou anonymes, qu’on le doit et non
tuant l’Union générale des Israélites une prise de conscience et se sent davan- à une quelconque mansuétude de l’ap-
de France  (UGIF) à laquelle tout Juif tage concernée. Une aide aux Juifs s’or- pareil collaborationniste de Vichy. ■
doit adhérer, sous tutelle du commissa- ganise à l’initiative de différentes per-
riat général aux questions juives, admi- sonnes, laïques ou religieuses ; mais les Notes
nistrée par des membres de la commu- arrestations se poursuivent. Les exigences 1 Il n’existe, à proprement parler, de
nauté juive. allemandes se heurtent désormais à une sémites, que de populations de langues
sémitiques, dont l’hébreu et l’arabe.
À partir de 1942 la politique nazie en mauvaise volonté croissante des admi- Maintenant admis couramment, le terme
France change suite à la décision de nistrations et la Gestapo s’appuie sur « antisémite » désigne des populations
Berlin de mettre en œuvre la « solution la Milice, police supplétive pro-nazie, juives contrairement à l’étymologie.
finale ». Le 27  mars  1942, le premier créée en janvier  1943, qui prend une 2 Lire L’Enseignement du mépris, de Jules
Isaac, Fasquelle, 1962, rééd. Grasset, 2004.
convoi de déportés juifs quitte Drancy place majeure dans un gouvernement qui
3 Le « bon » Saint-Louis, Louis IX, imposera
vers l’Est. Le 29 mai 1942, une ordon- glisse de plus en plus dans l’ultra-colla- le port de la rouelle, ancêtre de l’étoile jaune,
nance allemande impose aux Juifs, en boration, se faisant de plus en plus zélé aux sujets Juifs de son royaume en 1227.
zone nord, le port d’une étoile jaune et criminel à mesure que les perspec- 4 Marc Ferro, dans sa biographie sur Pétain,
dès six ans, mesure non reprise par Vichy tives de victoire s’éloignent. Les Juifs de écrit textuellement : « le Maréchal avait
en zone sud devant le réveil d’une opi- zone sud subissent le même sort que ceux un antisémitisme à la Maurras, profond et
virulent, très courant dans le milieu politique
nion publique largement défavorable. du nord. d’avant-guerre et dans la presse de droite et
La rafle dite « du Vél’ d’Hiv’ » des 16 Quel est le bilan de la déportation des d’extrême droite, alors très majoritaire ».

6 MÉMOIRE & VIGILANCE janvier-mars 2018


LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

2. Les déportations « raciales » depuis la France


La déportation des Juifs

B
ien que le nombre exact de dépor- réseaux de Résistance, dont les réseaux de convois 1 à 77 correspondent à la numé-
tés ne soit pas connu – et ne puisse la « Résistance juive », ont ainsi contri- rotation utilisée par les Allemands (et six
peut-être jamais l’être  –,  les deux bué à la mise à l’abri dans la clandestinité convois prévus n’ont pas été formés).
types de déportation présentent un cer- des Juifs pourchassés. Le premier convoi quitte la France
tain nombre de différences. De plus, un grand nombre d’enfants juifs le 27  mars  1942. Le dernier convoi,
Quantitativement, les déportations furent « cachés » dans des familles. le convoi  no 79, quitte Drancy le
dites «  raciales 
» concernent essen- À ces morts en déportation, en Alle­ 17 août 1944 alors que Paris prépare sa
tiellement les personnes considérées magne, il faut ajouter : libération. Entre ces deux dates, presque
comme juives et qui furent déportées ■■ la mort par maladies, malnutrition, faim tous les convois partent de Drancy, à l’ex-
vers les camps d’extermination (à  la d’environ 3 000  Juifs dans les prisons, ception des convois :
différence des massacres de masse per- hôpital psychiatrique et camps d’in- ■■ nos 4, 6, 13, 14, 16 et 35, partis du camp
pétrés dans l’est de l’Europe occupée). ternement français : Argelès, Beaune- de Pithiviers ;
Serge Klarsfeld estime à près de 76 000 la-Rolande, Compiègne, Drancy, Gurs, ■■ nos 5 et 15, partis de Beaune-la-Rolande ;
(dont 11 450 enfants âgés de moins de Lannemezan, Nexon, Noé, Pithiviers, ■■ no 8, parti d’Angers ;
18  ans) ces déportés depuis les camps le Récébédou, Rivesaltes, Saint-Cyprien, ■■ no 84, parti de Malines, en Belgique.
de Pithiviers et surtout de Drancy vers Le Vernet, Vittel, Agde, Brens, Mérignac, Des convois ont un profil atypique,
les camps nazis d’Auschwitz-Birkenau, Pau, Saint-Sulpice, Toulouse ; comme le convoi no 78, qui quitte Lyon
Sobibor, Maïdjanek, Bergen-Belsen et les ■■ l’assassinat par la Milice française et les le 11 août 1944 ; le convoi no 79, ou der-
forts en Lituanie (Kaunas, Klaïpeda), en forces allemandes d’occupation de plus nier convoi (en fait, un wagon rattaché à
Estonie (Tallinn-Reval)… Ce qui repré- de 1 100 Juifs en France. Ils furent, le plus un train d’Allemands en fuite), parti de
sente environ 25 % des 330 000 Juifs qui souvent, fusillés au Mont-Valérien, à la Drancy le 17 août 1944 ; le convoi no 80,
vivaient en France en 1940. prison Montluc de Lyon, à Souge…ou de mai-juillet  1944, qui, composé de
Parmi ces Juifs déportés partis de France, abattus sommairement ; femmes de prisonniers de guerre, est
environ 25 000 étaient de nationalité ■■ la déportation comme Résistants et non dirigé sur Bergen-Belsen ; le convoi no 81,
française, 8 000 avaient été naturalisés comme Juifs de plusieurs milliers de Juifs, qui quitte Toulouse le 30  juillet  1944
avant le début de la Seconde Guerre mais dont certains seront internés en camp de avec des détenus des camps de Noé
déchus de leur nationalité par les lois de concentration, mais d’autres transférés et de Saint-Sulpice pour Weimar-
Vichy et 43 000 étaient des « Juifs étran- dans les centres de mise à mort ; Buchenwald ; le convoi no 82, qui part
gers » ayant fui ou étant rescapés des ■■ la déportation des « demi-Juifs » selon de Clermont-Ferrand le 22 août 1944
pogroms de l’Est. Ces étrangers sont en les lois de Vichy et les lois nazies, des pour Auschwitz, où il arrive en sep-
provenance de Pologne, de Roumanie, conjoints d’«  Aryens  » déportés à tembre 1944 ; le convoi no 85, où figurent
de la Russie tsariste, mais aussi d’Alle- Aurigny (une île anglo-normande) ; des Juifs déportés individuellement ; le
magne, d’Autriche… Ils s’installèrent ■■ la déportation des Juifs depuis les zones convoi no 86, dont les résistants juifs sont
majoritairement dans l’Est de la France rattachées au commandement mili- dirigés sur Auschwitz.
et en région parisienne. taire allemand de Bruxelles via le centre
Bien que victimes de la législation antisé- de Malines. Seuls 3 % de Juifs déportés sont revenus à
mite de Vichy et de Pétain, puis des per- Sur ces 76 000  personnes déportées, l’issue de la guerre, une proportion beau-
sécutions allemandes, les trois quarts des entre 2 000 et 2 500 revinrent, dont coup plus faible que celle concernant les
Juifs français survécurent grâce aux aides très peu d’enfants. La déportation des déportés de répression (voir Mémoire
de la population (les futurs « Justes » de Juifs partis de France a été renseignée et et Vigilance no 81). Une autre différence
Yad Vashem), même si les délations et détaillée par Serge Klarsfeld dans son importante est que, dans la déportation
autres dénonciations furent nombreuses ; ouvrage Le Mémorial de la déporta- « raciale », ce sont des familles entières
grâce aux possibilités réduites de se réfu- tion des Juifs de France. (hommes, femmes, enfants, adoles-
gier dans les États neutres limitrophes, cents, vieillards…) qui sont victimes de
comme la Suisse et l’Espagne, et de se Le Mémorial de la déportation des Juifs la répression, lors d’une série de rafles
cacher dans des régions plus ou moins de France décompte 84  convois par- dont les plus connues sont celle du « bil-
éloignées de leur zone d’origine ; et grâce tis de France, en prenant en compte le let vert », le 14  mai  1941, concernant
aux réseaux de passeurs. De nombreux convoi  Z parti de Belgique. Seuls les les Juifs étrangers qui sont internés à

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Beaune-la-Rolande et Pithiviers avant l’arrestation d’environ 13 000 Juifs inter- zone occupée qu’en zone dite « libre »
leur déportation, et celle du Vél’ d’Hiv’ nés à Drancy, Pithiviers et Beaune-la- après son invasion le 11 novembre 1942,
du 16‑17  juillet  1942, qui entraîne Rolande. Il y eut plusieurs rafles, tant en et ce jusqu’à la fin de la guerre.

La déportation des « Tsiganes »

Rafle de familles tsiganes de Vienne (Autriche), 1939. © Dokumentationsarchiv des Oesterreichischen Widerstandes

La déportation des populations quali- plus fragiles y moururent de froid, de camps de Sachsenhausen (70 hommes)
fiées de « Tsiganes » par les nazis relève faim et de manque d’hygiène. Mais le et de Buchenwald, dans le cadre de l’opé-
aussi des déportations de persécution décret d’Heinrich Himmler en date ration Meerschaum (déportation massive
raciale. Cependant, leur génocide, plus du 16 décembre 1942, qui ordonne la des opposants politiques et nécessité de
connu sous le terme de Samudaripen, déportation à Auschwitz des Tsiganes main-d’œuvre forcée). ■
concerne peu la France. Même si ces du Grand Reich, ne s’applique pas à
populations qualifiées de « nomades » la France. Pourtant, 145  Tsiganes du
ont été victimes, en France, de lois anté- Nord et du Pas-de-Calais (zone ratta- Sources
rieures (16  juillet  1912) qui ont faci- chée au commandement militaire alle-
lité l’application de l’ordonnance du mand de Bruxelles) furent déportés ■■ Le Mémorial de la déportation des Juifs de
4 octobre 1940 qui impose l’internement de la caserne Dossin, à Malines, vers France, de Serge Klarsfeld.
à tous les tsiganes. Il y aura 27 camps Auschwitz, par le convoi  Z du 15  jan- ■■ Le Livre-Mémorial des déportés de France
d’internement en France, dont les plus vier 1944. Il n’y eut qu’une dizaine de arrêtés par mesure de répression et, dans
certains cas, par mesure de persécution
connus sont Montreuil-Bellay, Jargeau, rescapés pour le convoi. De même, une (1940-1945), publié par la Fondation pour la
Argelès-sur-Mer et Barcarès, Rivesaltes, centaine d’hommes internés au camp de Mémoire de la Déportation.
Saliers, le camp de la Morellerie… Les Poitiers furent déportés en 1943 dans les ■■ Site Internet Akadem.org

3. La mémoire de la déportation des Juifs depuis la France1

A
u cours de la Seconde Guerre mon- 2 500 reviendront en France après la libé- Une mémoire « occultée » ?
diale, plus de 75 000  Juifs, fran- ration des camps. Comment s’est forgée Si, dans l’immédiat après-guerre, c’est
çais ou étrangers, ont été dépor- et a évolué dans le temps la mémoire de l’unité des victimes de la déportation
tés depuis la France vers les camps de la déportation de ces déportés victimes par la machine nazie qui est privilé-
concentration et d’extermination. Seuls de persécutions raciales ? giée, très rapidement (en 1948), la loi

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LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

distingue deux catégories de déportés : Filles de Déportés Juifs de France et en camp de concentration, au sens de
les « déportés résistants », qui avaient la Fondation pour la Mémoire de la transfert vers des lieux de détention et
été déportés à la suite de leurs activités de Shoah, ou celle des homosexuels, avec de travail forcé.
Résistance (cf. dossier no 1 in Mémoire Les Oublié‑e‑s de la mémoire, associa- Par ailleurs, la mémoire spécifique des
et Vigilance no 81), et les « déportés poli- tion fondée en 2003. victimes juives, est aujourd’hui plus por-
tiques », regroupant tous les autres, aussi Ce n’est qu’à cette époque, et plus encore tée par les (ou des) membres de cette
bien les victimes de rafles, les otages, que dans les années 80, qu’apparaît l’idée communauté, qu’ils soient ou pas effec-
les Juifs déportés du fait de leur suppo- que le sort particulier des Juifs aurait tivement les descendants des victimes de
sée appartenance raciale ou les Tsiganes été « occulté » dans les décennies précé- la Shoah, que ne peut l’être la mémoire
pour ce qui concerne la « zone ratta- dentes. Si cette « occultation » peut être d’autres catégories de déportés par les
chée ». À l’époque, il n’y a pas eu de présentée comme une « illusion historio- générations actuelles. Enfin, la création
volonté de quiconque d’attribuer une graphique4 » au motif qu’il y a bien eu de la Fondation pour la Mémoire de la
particularité aux déportés « raciaux » : des associations (AADJF, créée en 1945) Shoah a doté cette mémoire d’une ins-
« Leur sort ne devait pas être différen- et des commémorations (plaque au Vél’ titution spécifique et de moyens impor-
cié […] de celui des autres victimes du d’Hiv’ en 1946), il n’en reste pas moins tants, alors que la Fondation pour la
nazisme2. » Les organisations juives qu’elle a été ressentie comme telle par Mémoire de la Déportation  –  pour
elles-mêmes restaient attachées à la tradi- tout ou partie de la « communauté laquelle le mot s’entend bien au singu-
tion de la République, selon laquelle les juive » ou par des personnalités issues lier – se veut « représentative des diffé-
Juifs de France constituent une commu- de celle-ci. rents courants historiques de la déporta-
nauté religieuse, mais en aucune manière tion et porteuse de mémoires plurielles »,
une communauté politique et encore Une mémoire « occultante » ? et « favorise l’expression des différents cou-
moins « ethnique ». Par une sorte de mouvement de balan- rants de pensée qui ont animé la résistance
Par ailleurs, si les Juifs représentent une cier, aujourd’hui, de fait, la mémoire de et l’opposition au nazisme et à l’État fran-
part importante des déportés depuis la Shoah tend à occulter relativement çais de Vichy, puis alimenté la mémoire
la France, ils ne sont qu’une infime celle des autres victimes de la déporta- de l’après-guerre7 ».
minorité parmi les « revenus ». Ce qui tion. L’historien Henry Rousso s’est
explique que, au lendemain de la guerre, inquiété de cette tendance en estimant Une mémoire « instrumentalisée » ?
la mémoire de leur martyre spécifique que « se concentrer sur la persécution des Enfin, on ne peut ignorer que « consciem-
soit moins portée par les rescapés que Juifs à l’exclusion de tous les autres aspects ment ou non, [la mémoire] est toujours un
celle d’autres catégories de déportés. du régime ou presque revient […] à négli- instrument au service d’un discours idéo-
Même si le travail sur les archives de la ger d’autres victimes du régime : les com- logique8 » et que « la mémoire collective
déportation des Juifs a commencé très munistes, les francs-maçons et les résis- d’une société est toujours un amalgame
tôt. Le souvenir des persécutions, et de tants5 ». De même, il estime, à raison, de mémoires construites officiellement,
l’antisémitisme des années trente, peut que si l’on peut admettre que « la foca- de mémoires propres à des groupes, de
aussi amener les Juifs de France à vouloir lisation sur les Juifs répare une négligence mémoires personnelles9 ». On comprend
éviter d’apparaître comme une commu- antérieure […], il serait anachronique à cette aune que la mémoire de la Shoah,
nauté spécifique. d’attribuer cette négligence à la seule exis- comme les autres mémoires, y compris
tence d’un préjugé antisémite6 ». celle de la déportation de répression,
Une mémoire émergente En effet, il peut arriver que la focalisa- est toujours susceptible d’être « ins-
Depuis les années 1970, le réveil d’une tion, médiatique, mais aussi dans les pro- trumentalisée » par des institutions ou
certaine « conscience juive » (com- grammes scolaires ou les travaux présen- des groupes, religieux ou politiques, ce
mencée déjà dans les années 1960 après tés dans le cadre du CNRD, sur la Shoah qui a pu amener à ce que la mémoire du
le procès Eichmann) de la part des géné- aboutisse à accorder moins d’impor- génocide soit utilisée comme argument
rations postérieures à la guerre (dont tance aux autres victimes de la déporta- dans des débats sans rapport direct avec
Serge Klarsfeld est la personnalisation) tion. Or il faut souligner que, pour les celui-ci. La déportation et le génocide
d’une part, et les polémiques autour des Juifs, la déportation n’est en quelque des Juifs sont alors abusivement dépla-
tentatives négationnistes3 d’autre part, sorte qu’une étape dans un continuum cés du terrain de la mémoire à celui de
ont parasité la mémoire de la déporta- depuis les mesures de discrimination la polémique contemporaine.
tion. Une « pluralité » des mémoires (recensement, étoile jaune, arrestation)
s’est matérialisée par la naissance d’or- jusqu’à l’extermination. Les « autres » Des mémoires « plurielles » ?
ganisations porteuses de mémoires spé- catégories de déportés n’étant, elles, D’autres communautés se sont aussi
cifiques : celle des Juifs, avec les Fils et concernées « que » par la déportation senties investies du devoir de porter la

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LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

mémoire d’autres catégories de victimes. responsables et de sombrer dans une cette mémoire historiquement et politi-
Celle dites des « gens du voyage » peut « concurrence mémorielle »10 souvent quement plurielle et continue à péren-
se sentir investie de celle des ségrégations stérile et parfois mortifère. C’est en ce niser les « mémoires plurielles » au
à l’égard des Tsiganes. Comme des asso- sens que la Fondation pour la Mémoire sein d’une mémoire collective qui se
ciations issues de la communauté homo- de la Déportation assure la pérennité de construit au cours du temps. ■
sexuelle ont été fondées pour porter la
mémoire de ces déportés. Notes
La déportation est une, mais elle a
concerné des groupes différents, répri- 1 Dans la continuité des « Dossiers » publiés par Mémoire et Vigilance, cet article ne traite pas de la mémoire
de la Shoah, phénomène qui concerne l’ensemble de l’Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale, mais
més ou persécutés pour des motifs diffé- seulement de celle des Juifs et des autres victimes de la déportation de persécution depuis la France.
rents et avec un objectif lui aussi différent 2 Jackson, Julian : La France sous l’Occupation, Flammarion, 2004.
(répression ou extermination). Mais par 3 cf. Igounet, Valérie : Histoire du négationnisme en France, Plon, 2000.
le même système totalitaire nazi avec la 4 Sébastien Ledoux in revue En jeu no 2, décembre 2013.
complicité du régime de Vichy. Si la ten- 5 Cité dans Jackson Julian, op. cit.

tation d’amalgamer toutes les victimes 6 Id.


7 Site Internet de la FMD.
porte en elle le risque d’occulter les spé-
8 Wieviorka, Annette, op. cit.
cificités des tragédies de certaines caté-
9 Bouton, Christophe : « Le devoir de mémoire comme responsabilité envers le passé », Le devoir de
gories, celle de prioriser les différences mémoire, L’Éclat.
porte, elle, celui d’occulter l’unicité des 10 La concurrence mémorielle, Armand Colin, 2011.

4. Le négationnisme

C
eux que l’on appelle négation-
nistes nient l’existence du géno-
cide des Juifs et des chambres à
gaz pendant la Seconde Guerre mon-
diale. Cette notion a été introduite par
Henry Rousso dans Le Syndrome de
Vichy en 1990.
Selon lui, ce terme est préférable à celui
de révisionniste, employé par les néga-
tionnistes eux-mêmes pour se dési-
gner. En effet, « le négationnisme relève
d’un système de pensée, d’une idéolo-
gie et non d’une démarche scientifique
ou simplement critique ». La notion de
révisionnisme est relativement ambi-
guë et laisse supposer au contraire une
démarche plus historique et scientifique
et s’inscrit parfois dans le combat poli-
tique (URSS : déviance par rapport à la
ligne officielle).
Toutefois, si la notion est mise en évi-
dence par Henry Rousso, ce courant
apparu dès l’après-guerre et contempo-
rain de la naissance d’Israël ne concernait
alors que des cercles restreints. Il s’est
depuis diffusé plus largement et a connu
une évolution idéologique allant de l’ex-
trême droite à l’ultra-gauche et plus Lorenzo Lippi, Allégorie de la simulation, vers 1640. Coll. Musées d’Angers, photo P. David

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LES DOSSIERS DE MÉMOIRE & VIGILANCE

récemment au complotisme. Les diverses Barbie, Jacques Vergès. Les objectifs de publique. Ces théories sont largement
évolutions de ce courant ont parfois été ces négationnistes d’extrême droite sont relayées par le web et les réseaux sociaux,
contemporaines des soubresauts et crises de réhabiliter le nazisme et d’exprimer qui agissent comme une caisse de réso-
géopolitiques du Proche-Orient. leur antisémitisme. Selon Dominique nance des thèses négationnistes. Ces
Natanson, « la négation de la Shoah est thèses sont aussi diffusées dans le monde
Qui sont les négationnistes ? aussi un moyen de retourner le génocide
Les premiers négationnistes sont en fait […] contre les Juifs eux-mêmes ». Ainsi, Le web et les réseaux
les nazis eux-mêmes, qui ont détruit ou ce premier courant de négationnistes va sociaux agissent comme
tenté de détruire les preuves de leurs rejoindre en cela les négationnistes de une caisse de résonance
crimes et rendu plus difficile l’établisse- l’ultra-gauche ainsi que la rhétorique des thèses négationnistes.
ment d’un bilan fiable des victimes. Les complotiste qui s’était mise en place dès
dénombrements contradictoires des vic- la fin de la guerre et affirmait que « la arabo-musulman par les mouvances liées
times sont un des angles d’attaque des guerre avait été déclenchée par les Juifs » à l’islam radical très implantées dans cer-
négationnistes. Cela permet l’émergence ou que « la Shoah avait servi à la défense taines banlieues des grandes villes. Ainsi,
du négationnisme néo-nazi et d’extrême des intérêts et à la construction de l’État ces théories touchent une part crois-
droite. L’initiateur de ce courant est d’Israël ». Ainsi, un antisionisme radi- sante de jeunes en rupture avec l’Édu-
Maurice Bardèche, principal théoricien cal s’ajoute à la doctrine négationniste. cation nationale et les valeurs républi-
du néo-fascisme français ; il s’est battu caines, et perméables aux paroles de
sans succès pour la réhabilitation de son Les négationnistes de l’ultra-gauche l’humoriste Dieudonné et aux théo-
beau-frère Robert Brasillach. Jusque dans et des anarchistes ries conspirationnistes.
les années 1980, ce courant jusque là très La figure emblématique de ce groupe Ainsi, le négationnisme est un phéno-
minoritaire se diffuse plus largement est Paul Rassinier, membre de la SFIO, mène complexe dont il n’est pas facile de
et est porté à la connaissance de l’opi- déporté pour faits de résistance au présenter une synthèse claire en si peu de
nion. Plusieurs faits peuvent l’expliquer. camp de Mittelbau-Dora. À son retour, mots. Il n’est pas facile non plus de lutter
Ceci est contemporain de l’émergence il publie en 1950 Le Mensonge d’Ulysse. contre cette idéologie même s’il existe
du Front national sur l’échiquier poli- Il émet des doutes sur l’existence des une législation, comme la loi Gayssot
tique français et des prises de positions chambres à gaz. de 1990, qui durcit les sanctions contre
provocatrices de Jean-Marie Le Pen. Les Exclu de la SFIO en 1951, il adhère à la les auteurs de propos antisémites et néga-
années 1970-1980 constituent un tour- Fédération anarchiste tout en collabo- tionnistes contestant publiquement les
nant majeur car les thèses négation- rant avec la presse d’extrême droite. Ses crimes contre l’humanité et incitant à la
nistes pénètrent le monde universitaire. idées sont reprises dix ans plus tard par haine raciale.
Dès 1974, un maître de conférence en lit- un courant de l’ultra-gauche libertaire de Toutefois, on ne peut que s’inquiéter
térature commence à faire parler de lui Pierre Guillaume et de La Vieille Taupe, de la permanence larvée d’un tel phé-
par des tracts négationnistes et la publi- librairie qui va éditer les écrits négation- nomène alors que le Sénat polonais
cation de sa thèse. Il s’agit de Robert nistes. Le projet négationniste de l’ul- vient de voter une loi visant à réécrire
Faurisson : il se dit apolitique mais s’est tra-gauche s’inscrit dans une démarche l’histoire du génocide juif et à blan-
rapproché de La Vieille Taupe (voir plus révolutionnaire ; « selon eux, l’antifas- chir totalement la Pologne de sa part
loin) pour publier ses écrits. Tous animés cisme est un obstacle à l’idée de révolu- de responsabilité. ■
par un antisémitisme profond, les falsi- tion ouvrière » (Dominique Natanson,
ficateurs de l’histoire trouvent un écho professeur d’histoire et historien de la Bibliographie
dans la thèse d’Henri Roques soutenue Shoah). Il s’inscrit aussi dans l’hosti-
en 1985 puis annulée ensuite. Un noyau lité à l’État d’Israël et dans le soutien au Marie-José Chombart de Lauwe, Réhabilitation
de négationnistes d’extrême droite s’est peuple palestinien. du nazisme… Attention danger, Éditions de
la FNDIRP, 2006.
alors implanté au cœur de l’université
Nadine Fresco, Fabrication d’un antisémite : Paul
de Lyon III. Les années 1980 ont vu se Quelle est la situation aujourd’hui ? Rassinier, Paris, Seuil, coll. « La librairie
dérouler des procès contre des acteurs Quels sont les liens entre négationnisme du XXe siècle », 1999 (ISBN 2-02-021 532-2).
du génocide, en particulier le procès et complotisme ? L’affaire Dieudonné. Valérie Igounet, Histoire du négationnisme
Barbie, à Lyon. Si ce procès donne lar- La proximité du négationnisme et du en France, Paris, Seuil, coll.
« XXe siècle », 2000.
gement la parole aux témoins et aux vic- complotisme est surtout marquée par
Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire,
times, il a aussi été malheureusement une la négation de faits historiques généra- La Découverte, 1987.
tribune pour les négationnistes ou du lement admis pas l’ensemble des histo- Sur Rassinier : voir André Sellier, Histoire du
moins les relativistes tels que l’avocat de riens et la plus grande partie de l’opinion camp de Dora, La Découverte, 1998.

MÉMOIRE & VIGILANCE janvier-mars 2018 11


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Témoignage de Daniel Davisse,


président de la DT du Val-de-Marne
Présenté le 4 février 2017 à l’AG de l’AFMD 77
à Bois-le-Roi

Recherche et réflexion sur ce que fut mon parcours

L
e camp des Milles est sans doute, d’adoption ». Arrivés dans leur apparte-
pour moi, le point de départ d’un ment, avec ma future tante, je sens que
travail complexe et permanent, tra- quelque chose ne va pas et je dis que je
vail de recherche et réflexion sur ce que veux remonter voir ma mère. Ma future
fut mon parcours hier et sur ce qu’il tante me ramène et me fait monter par visites des camps à l’époque. On le
est aujourd’hui. l’escalier de l’appartement de mes futurs sait, Raymond-Raoul Lambert – dont
Lorsque je retourne au camp des Milles, parents adoptifs. Et, en même temps, le rôle avec l’UGIF fut contesté à la
ce n’est pas la structure d’ensemble qui dans l’ascenseur qui descend, se trouve Libération – sera déporté avec toute sa
attire mon regard, c’est la porte de la tui- ma mère, Irma. C’est fini, je ne la rever- famille, de même que mon oncle Edgar.
lerie qui se trouve sur la droite. Mon père, rai plus jamais. Le lendemain, elle rap- Dans le même temps, mes parents sont
Walter Herz, né le 26 août 1904, était pellera en disant : « Je le reprends », et également en relation avec des diri-
interné dans le camp, comme juif alle- elle raccrochera… geants socialistes comme Daniel Meyer
mand, depuis le 12 avril 1941. Avec ma On peut avoir une idée de la souffrance et Jacques Grumbach (rédacteur en chef
mère, Irma, née le 3 décembre 1907, nous de cette mère qui vient de laisser son du Populaire). Mon père, André, est,
vivions à Marseille et nous pouvions enfant et, en même temps, admirer le lui, déjà en rapport avec le BCRA. Voilà
venir le voir. J’avais trois ans et demi et, courage d’un tel moment de sacrifice. cette famille, André et Tatou Weill et
dans cette cour de la tuilerie, il y avait des De cette mère, Irma, je ne sais hélas pas Yvette Dreyfus, qui me recueillera, qui
wagonnets et, avec d’autres enfants, nous grand-chose, hormis qu’elle partira des est déjà agissante et le sera tout au long
pouvions y monter et jouer. Vers dix- Milles avec mon père. de la guerre. Une parenthèse : cette
huit heures, résonnait un coup de clai- Voilà les seuls souvenirs que j’ai de mes famille juive ne mérite-t‑elle pas le titre
ron, c’était l’appel, et mon père partait parents Herz. Parfois, il me semble en de « Juste parmi les nations » (ou une
vers la partie principale. C’était fini, ma avoir d’autres. Sont-ils réels ? autre formulation) ? Il n’existe rien pour
mère et moi rentrions à Marseille. Une Mais, voyez-vous, ce qui est fondamen- elle pour reconnaître son action.
ou deux fois, c’est mon père qui est venu tal pour moi, c’est cet extraordinaire Mais j’en reviens au parcours de la
nous voir à Marseille et je me souviens moment : une famille qui m’abandonne famille Herz, que j’ai eu besoin de
qu’il m’amusait en gonflant ses joues… pour me sauver et l’autre qui m’accueille découvrir et qui donne à réfléchir sur
Voilà l’image simple d’un petit enfant. avec le même objectif. Comment tout la manière dont sont traitées ces ques-
De ce souvenir, il faut en venir à celui de cela a-t-il pu se produire ? Comment tions de parcours dans les différents pays
la séparation. Mon père était donc aux ces personnes se sont‑elles connues et européens. C’est en Sarre, à Bettingen,
Milles et ma mère et moi à Marseille, ont‑elles convenu de me confier l’une à que Walter, mon père, et son frère, Otto
sans lui. Un jour, sans doute dans le l’autre pour, je le répète, me sauver ? Je (lui aussi déporté), sont nés. Leur père
courant du mois de juillet 1942 – j’avais ne le sais, aujourd’hui, toujours pas vrai- Edmund, mon grand-père donc, est char-
donc quatre ans –, ma mère me conduit ment. Avec ma fille, nous multiplions les cutier dans cette ville aujourd’hui ratta-
chez des gens, au quatrième étage de la recherches et nous avons une idée plus chée à la ville de Schmeltz (d’ailleurs
rue du Camas. Dans cet appartement, claire du contexte. jumelée avec Mitry-Mory, en Seine-et-
il y avait un piano quart de queue qui Je suis recueilli dans une famille juive Marne). C’est avec Internet que j’ai pu
m’a impressionné. Il est question que je résistante, socialiste, franc-maçonne approfondir ce moment de leur histoire.
dîne avec ces gens et ma mère dit : « Ce qui est en relation avec l’UGIF (l’Union En effet, dans cette ville de Schmeltz,
qu’il aime, ce sont les œufs à la coque… » générale des israélites de France) avec comme dans beaucoup de villes alle-
On me dit ensuite qu’on va aller voir Raymond-Raoul Lambert, secrétaire mandes, devant la maison des juifs
des gens très gentils dans la rue en face général, dont le frère est un ami de morts en déportation, ont été scellées ce
(pour jouer sans doute). Ces gens sont la famille, et mon futur oncle, Edgar qu’on appelle des pierres pour se souve-
mes futurs « grand-père et grand-mère Dreyfus, est un des responsables des nir (Stolpersteine, mot à mot : « pierres

12 MÉMOIRE & VIGILANCE janvier-mars 2018


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pour trébucher ») il est allemand, et ce n’est pas la des Milles le 9 septembre 1942, d’abord
Cela donc a été fait par le lycée de même chose… à Rivesaltes, puis à Drancy. Le convoi
Schmeltz devant le magasin (toujours Le parcours à travers la France n’est, à ce
no 33, parti de la gare du Bourget-Drancy
existant) de mon grand-père. jour, pas éclairci. Nous nous retrouvons
le 16  septembre  1942, les emporte à
Et, enfin, les pompiers de cette ville ont internés au camp de Gurs, mon père est Auschwitz parmi 1 003 personnes, dont
édité un livre qui raconte leur histoire transféré au camp des Milles. Comme plus de 500  juifs qui venaient d’être
et mentionne le rôle de mon grand-père beaucoup, il avait fait des démarches livrés de zone libre par Vichy.
avant 1935, comme une des personnes les pour émigrer aux États-Unis ou ail- Une fiche du camp des Milles indique
plus impliquées dans leur organisation et leurs, ainsi avait-il obtenu un visa pour
le départ des Herz pour Rivesaltes (arri-
leur financement. le Siam (ancien nom de la Thaïlande), vés ensemble, ils y ont été enregistrés à la
L’initiative du lycée a été impulsée par mais qui, sans doute, ne servait à riensuite : 199 et 200), une autre de Drancy
le maire de la ville, membre du SPD qui car il n’y eut jamais de départ pour l’an-
pour Auschwitz. Cette situation compli-
travaille lui-même sur la question juive, cienne Indochine. quera bien des démarches de mes parents
leur histoire, le génocide, et qui reste Au camp des Milles, mon père faisait Davisse pour m’adopter. Je suis pupille
très marqué par un oncle membre de la fonction de rabbin auxiliaire. C’est sans
de la Nation et jamais ils ne purent me
Wehrmacht, et sans doute SS. doute ainsi qu’il fait connaissance avec
faire inscrire sur leur livret de famille, ce
Dès lors que la Sarre a été rattachée nombre de personnes qui ont mis en qu’ils souhaitaient ardemment.
au Reich, mon grand-père est parti relation les Herz et les Weill, devenusEn évoquant Rivesaltes, que j’ai visité
au Luxembourg. ensuite Davisse… récemment, et qui fut sans doute un des
Mon père, Walter, ne voulait sans doute Avec les Davisse aux multiples identi- pires moments que vécurent mes parents
pas être charcutier et est parti faire des tés, j’ai été protégé, chouchouté. Ma en France, car il leur était impossible
études religieuses. Il est d’ailleurs devenu présence, c’était pour eux un danger de croire à la moindre liberté… je me
professeur de religion dans une école supplémentaire. À cela, il faut ajouterdemande quels furent leurs sentiments,
juive allemande de Hambourg, en 1935. les faux papiers faits par les uns et les
là, comme au départ du camp des Milles,
Je suis né dans cette ville en  1938. En autres, leur participation à un réseau de
de Drancy et à l’arrivée à Auschwitz.
novembre 1938, c’est la Nuit de Cristal. Résistance, « Tartane Masséna »… Mais Je veux espérer qu’ils pensèrent qu’ils
En cette période, nombre de juifs aussi autour d’eux des soutiens et aussi
avaient sauvé leur enfant et que, dans
étaient encore en Allemagne. La syna- nombre de déportations dans la famille ce moment inimaginable, ce fut
gogue de Hambourg est détruite, mais (Paris, Lyon…) leur réconfort.
l’école existera jusqu’en  1942. C’est Mon grand-père adoptif, Alfred, joue Ainsi, le fils du rabbin né en Sarre
en décembre  1938 que mes parents pour moi un rôle très important. Outre est devenu instituteur, laïque, com-
partent de Hambourg. Dans cette l’amour qu’il me portait, en  1943, à muniste, chef de cabinet du ministre
école, aujourd’hui, une plaque rappelle Cuers, dans le Var, il adhère au Parti Charles Fiterman et maire de Choisy-
les noms des enseignants et personnels communiste local, dirigé par un résis- le-Roi ! Père et arrière-grand-père, dont
déportés. Pas celui de mon père, consi- tant qui est pâtissier au village. la volonté est de faire connaître, sans
déré à l’époque comme migrant. La Libération arrive. Mes parents revien-
relâche, cette période pour qu’on en
Nous partons donc pour le Luxembourg, dront-ils  ? Que se passera-t-il avec tire toujours les leçons, pour le présent
où mon père a sa sœur et son beau-frère, mes parents adoptifs, qui ont reporté comme pour l’avenir.
ainsi que sa mère. Il s’installe à Esch-sur- Le camp des Milles c’est
Alzette (au sud de Luxembourg). C’est La Libération arrive. Mes parents donc aussi, par-delà
dernièrement que j’ai appris, en inter- tous ceux qui en par-
reviendront-ils ? Que se passera-t-il
rogeant la communauté juive, que mon tirent…, ceux qui en
père était le « cantor », c’est-à-dire l’of- avec mes parents adoptifs, qui ont furent sauvés par le cou-
ficiant de la synagogue en même temps reporté sur moi toute leur affection ? rage, la volonté, la résis-
qu’il était reconnu comme faisant office Je suis alors un petit enfant qui tance de beaucoup.
de rabbin, jouant un rôle particulier a changé de famille, apatride. Je suis de ceux-là, mais
auprès des enfants. En mai 1940, les juifs d’autres pourraient
du Luxembourg doivent partir. sur moi toute leur affection ? Je suis en témoigner, comme Herbert Traube,
Un grand débat existe aujourd’hui dans alors un petit enfant qui a changé de jeune Autrichien sauvé par les Quakers,
ce pays, sur la responsabilité des gouver- famille, apatride. qui le firent s’engager dans la Légion
nants de l’époque. Il mérite d’être suivi. Mes parents, mon père et ma mère étrangère. Je vous recommande son
Mais mon père n’est pas luxembourgeois, Herz (Walter et Irma), sont emmenés livre, Une Odyssée peu commune – de

MÉMOIRE & VIGILANCE janvier-mars 2018 13


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Vienne à Menton (éditions Camp des mémorial un cheminement qui abou- européens les questions qui permettent
Milles, musée d’histoire et de science tit à la partie « réflexive », comme il est de donner aux citoyens la pleine mesure
de l’homme). si bien dit, et qui fait du camp un outil humaine et historique de cette époque.
Je suis très attaché au camp des Milles ; éducatif et de lutte contre le racisme et Et cela en dit long sur la manière dont
le travail effectué par Alain Chouraqui l’antisémitisme notamment par l’ap- ces pays traitent des questions certes de la
et ceux de l’association du Wagon est proche des causes économiques sociales mémoire, mais surtout sur les conclusions
remarquable, comme l’histoire de tous et politiques des génocides et des engre- à en tirer pour les questions posées dans le
ceux qui se sont battus pour que la nages qui y conduisent. monde d’aujourd’hui. Le camp des Milles
Tuilerie reste ce lieu extraordinaire. Il Pour ma part, en cherchant à retrouver le a cette approche, mais le travail pour nous
a même fallu que certains s’enchaînent parcours qui fut celui des Herz comme tous est et sera toujours considérable et
aux grilles pour empêcher sa destruc- des Davisse, et donc le mien, je découvre notre  AFMD, comme la Fondation, y
tion. Vous avez pu suivre en visitant ce comment sont traitées à travers trois pays trouve sa nécessité et sa permanence. ■

Mémoire de ma famille Herz

Les deux Stolpersteine de Schmeltz évoquent la mémoire de mon père et de mon oncle.

Stolperstein für Otto Moritz Herz à Schmeltz Stolperstein für Walter Nathan Herz à Schmeltz
(Sarre, Allemagne) (Sarre, Allemagne)

Stolpersteine, pavés de la mémoire, créés par Gunter Demnig, artiste berlinois.


« Ermordet » : assasiné

Walter Herz
Né le 26 août 1904 à Bettingen (Sarre).
Interné aux Milles puis Rivesaltes et Drancy.
Déporté à Auschwitz le 16 septembre 1942 par le convoi 33.

Irma Herz, née Meyer


Née le 3 décembre 1907 à Hambourg.
Internée aux Milles, puis Rivesaltes et Drancy.
Déportée à Auschwitz le 16 septembre 1942 par le convoi 33.

Otto Herz (frère de Walter Herz)


Né le 19 août 1905, à Bettingen.
Résidant à Beaumont-de-Perthuis (Vaucluse), puis interné aux Milles.
Déporté par le convoi 29 du 7 septembre 1942.

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© Fondation du camp des Milles

Mémoire et vigilance
par Delphine Mano, formatrice dans le Var au sein de l’Union française
des Centres de vacances (UFCV), mouvement d’éducation populaire

D
u plus loin que je me souvienne, de le plus large des atrocités que les êtres parole des « anti » (Juifs, Arabes, Blancs,
mes 45 ans, je me suis toujours enga- humains puissent infliger à une autre par- migrants), de ne pas pouvoir dire à haute
gée, pour défendre mes copines à tie de l’humanité. Les derniers témoins, voix toutes les frustrations accumulées,
l’école, pour les enfants, puis dans des déportés, résistants, disparaissent. s’était libérée et avait explosé.
associations d’éducation populaire. Alors oui ! il y a urgence à faire connaître Oui, la mémoire est fragile si nous ne la
Je suis formatrice-accompagnatrice le passé pour aider les plus jeunes à ravivons pas. C’est pourquoi j’ai voulu
depuis plusieurs années sur des disposi- mieux comprendre leur présent et donc mettre en place un partenariat avec le
tifs d’insertion avec des jeunes et jeunes leur avenir, pour aider les plus jeunes à site-mémorial du camp des Milles depuis
adultes de 17 à 30 ans environ et il n’y se construire une conscience fondée sur deux ans. L’un des enjeux de l’équipe
a pas de hasard. J’ai toujours eu à cœur une connaissance rigoureuse et reconnue, est d’« ériger un rempart contre l’ou-
de me sentir utile, de transmettre mes en tant qu’établie, de l’histoire et des bli ». Parce qu’en s’appuyant sur l’his-
connaissances et de distiller dans mes faits. Parce que nous ne pouvons pas lais- toire du lieu, l’objectif est de « renforcer
actions auprès des publics les notions ser toute une partie de la jeunesse, désco- la vigilance et la responsabilité de cha-
éducatives de responsabilité, de citoyen- larisée, hors système, avec pour seules cun face à tous les extrémismes et fana-
neté, mais aussi de développer l’autono- connaissances les manipulations que leur tismes ». À partir d’ateliers pédagogiques
mie et la réflexion personnelle. J’ai aussi offrent certains sinistres personnages et d’expériences psychosociales décorti-
toujours eu le sentiment que chacun peut tels que Dieudonné, Le Pen, Faurisson, quées, telles que : Milgram et la soumis-
s’inscrire pleinement dans notre société, Chouard, Soral, et bien d’autres dans sion aveugle à l’autorité, Zimbardo et le
qu’il y a une place pour chacun de nous l’ombre qui ne sont que des racoleurs, conditionnement à la violence, Asch et le
si on veut bien la trouver. que des « faussaires de l’histoire », que conformisme de groupe, l’effet Lucifer et
En  2012, lorsque le site-mémorial du des « assassins de la mémoire », comme comment des gens ordinaires deviennent
camp des Milles a été inauguré, mon les appelait Pierre Vidal-Naquet. des bourreaux.
époux et moi avons découvert ce lieu et Ces négationnistes sont tous étroitement Il s’agit de prendre conscience que le
c’est comme si un tiroir déjà présent en liés à des mouvances d’extrême droite en mal peut naître du quotidien et de soi-
nous s’était ouvert dans notre mémoire France, en Europe, en Iran et ailleurs. même et que nous pouvons tous, dans
personnelle et collective. C’est comme Le fait de nier l’existence des chambres certaines circonstances, être amenés à
si, dans le grand logiciel qu’est notre à gaz et l’assassinat de millions de per- accepter l’inacceptable et à nous rendre
cerveau, le programme « travail de sonnes dans les camps de la mort, c’est complices par notre passivité. Il s’agit
mémoire » s’était enclenché tout seul. en fait ôter au nazisme son aspect le plus d’aider les jeunes et les personnes à deve-
Une évidence. inhumain et c’est, du coup, le rendre plus nir des citoyens éclairés et responsables
Lorsqu’on me demande pourquoi je fais respectable, moins dangereux ! On rela- en faisant preuve d’esprit critique, et de
cela ? Oui pourquoi ? Pourquoi ensei- tivise, on minimise, on banalise… Ces réveiller la vigilance sur les facteurs du
gner, transmettre l’horreur du système jeunes ne connaissent pas l’histoire. Ils quotidien, des médias, d’infantilisation
concentrationnaire nazi ? Pourquoi ce ne savent que ce que les réseaux sociaux et de passivité.
besoin de mémoire ? Pourquoi ce besoin en vogue veulent bien leur faire croire Qu’est-ce que cela m’a appris ? Sans
d’histoire ? Parce que la situation des et il y a danger. aucun doute qu’il n’y a pas de fatalité !
dernières années me fait ressentir l’ur- J’ai vu revenir ouvertement chez les Que « chacun peut réagir, chacun peut
gence de se souvenir. jeunes de l’antisémitisme, du racisme. résister, chacun à sa manière », mais
Le dernier conflit mondial détient le Depuis les attentats de Charlie Hebdo que c’est un combat de tous les jours et
triste privilège de rassembler l’éventail et de l’Hyper Casher, c’est comme si la de tous. ■

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Campagne : « Communiquer pour agir »

P
our assurer les missions qu’elle s’est Cette ambitieuse politique de com-
assignées  –  défendre, pérenniser et munication demande d’y consacrer
transmettre la mémoire de la dépor- des moyens à la mesure de l’ambition
tation  –, l’association des Amis de affirmée. C’est pourquoi nous lançons
la Fondation pour la Mémoire de la aujourd’hui un appel à une souscrip-
Déportation  (AFMD) doit impérative- tion exceptionnelle : « Communiquer
ment rayonner et faire mieux connaître pour agir ».
ses activités auprès du public. Ainsi, nous vous invitons à contribuer
Si la revue Mémoire et Vigilance est à cette souscription soit par chèque
aujourd’hui le vecteur principal de l’in- à l’ordre de l’AFMD (en précisant
formation de l’association auprès de ses « Communiquer pour agir »), soit en
membres, il est devenu indispensable ligne en faisant un don directement en
qu’elle soit aussi présente et active sur ligne par la plate-forme Helloasso.
les « réseaux sociaux » et sur Internet.
À  cet effet, l’AFMD a mis en place un
programme de travail pour se doter des
moyens de cette ambition. La refonte
du site Internet de l’AFMD est en cours
et le conseil d’administration a validé la https://www.helloasso.com/associations/association-des-
création d’une page Facebook qui pourra amis-de-la-fondation-pour-la-memoire-de-la-deportation/
aussi accueillir l’expression et les infor- formulaires/1
mations issues des DT. Nous comptons sur vous ! ■

Bulletin d’adhésion 2018 MÉMOIRE & VIGILANCE


JOURNAL TRIMESTRIEL DE L’AFMD
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Abonnement au bulletin Mémoire & Vigilance  16 € DIRECTRICE DE LA PUBLICATION
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