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Graphisme

de couverture : WIP Design


Mise en pages : Nord Compo

© Armand Colin, 2018

Armand Colin est une marque de


Dunod Éditeur, 11 rue Paul-Bert, 92240 Malakoff

www.armand-colin.com

ISBN : 978-2-200-62484-2
À ma mère, Renée Allard
Sommaire
Couverture

Page de titre

Page de Copyright

Avant-propos

Remerciements

Chapitre 1
Le règne de la culture geek

Merci Tolkien !

Retour vers le passé

Une aventure dont ils sont les héros

La vogue des séries télévisées

Bilan

Chapitre 2
World of Westeros

Voyages, voyages

Une cartographie temporelle

Un espace hautement symbolique

Un Mur entre deux mondes

Bilan
Chapitre 3
Le coup de théâtre permanent

Surprises, surprises

Les Noces Pourpres : une dramaturgie morbide

Le jeu de la mort et du hasard

Avis de recherche : personnage principal

Que d'histoires !

Bilan

Chapitre 4
De vrais personnages !

Durs comme la pierre

Le changement, c'est maintenant

On ne choisit pas sa famille…

C'est ton destin ?

Bilan

Chapitre 5
Des animaux… politiques

La politique sur un volcan

Tout le monde veut prendre sa place

Le roi est mort ! Vive le roi !

La triade de l'espoir : Daenerys, Jon et Tyrion

Bilan
Chapitre 6
Plus laide la vie ? L'héroïsme à l'épreuve de la monstruosité

Croyances et tolérance

Magie, magie

Prophètes et prophéties

Noir c'est noir…

Un héroïsme imparfait, mais profondément humain

Bilan

Chapitre 7
Girl power

La force est avec elles

Mère louve et mère lionne

Sansa Bovary

Daenerys, la reine des reines

Bilan

Chapitre 8
Le feu et la glace : Dragons contre Marcheurs Blancs

La magie des Dragons

Le meilleur ami de la femme

Les Marcheurs Blancs, un mystère venu du froid et de l'effroi

Le triomphe de la mort ?

Les Marcheurs Blancs : le bien qui fait mal ?


Bilan

Chapitre 9
Livres versus série : deux univers parallèles

Du jamais vu dans l'histoire de la littérature et de la télévision

Lecteur ou spectateur ?

Une relative fidélité aux romans

Les cas Daenerys et Brienne

Le cinquième tome : une simplification nécessaire

Bilan

Conclusion
Quel avenir pour la saga ?

Glossaire

Le cycle romanesque du Trône de fer

Les huit saisons de la série Game of Thrones

Les principaux lieux de l'intrigue (romans et série)

En vacances à Westeros !

Bibliographie

Index des personnages


Avant-propos

La série télévisée Game of Thrones, produite et diffusée par la chaîne HBO


depuis le 17 avril 2011, est sans conteste l’un des plus grands phénomènes de
pop culture de ces dernières années. À l’instar de Star Wars, son succès est non
seulement mondial, mais aussi intergénérationnel. À la différence de la saga
créée par George Lucas qui était d’abord une série de films, les supports ayant
été diversifiés par la suite, Le Trône de fer est avant toute chose un cycle
romanesque dont les cinq premiers tomes ont été publiés entre 1996 et 2011 aux
États-Unis.
Le succès mondial de la série Game of Thrones commence peu à peu à
susciter l’écriture d’essais et d’analyses. Les universitaires anglophones et
francophones consacrent certains de leurs travaux au Trône de fer,
essentiellement dans le cadre de colloques ou de publications d’articles. Alors
même que la pop culture gagne progressivement ses lettres de noblesse dans le
monde de la recherche, des médiévistes dirigent des mémoires et des thèses
consacrés à l’œuvre de George R. R. Martin. Les perspectives adoptées par les
chercheurs ne sont toutefois pas les mêmes. Si les médiévistes étudient les
romans, les universitaires spécialisés dans les rapports entre littérature et cinéma
s’intéressent pour leur part davantage à la série télévisée. En l’état actuel des
publications, c’est d’ailleurs bien souvent celle-ci qui est plébiscitée.
En France, des ouvrages comme Game of Thrones, une métaphysique des
meurtres (de Marianne Chaillan), ou Philosopher avec Game of Thrones (de
Sam Azulys) se focalisent volontairement sur l’adaptation mise en œuvre pour la
chaîne HBO par David Benioff et D. B. Weiss, les deux showrunners de la série.
En outre, alors même que les textes de George R. R. Martin relèvent de la
littérature, ils ont jusqu’alors principalement été étudiés par le biais d’outils
philosophiques. Certes, la saga ne se départit pas de réflexions politiques et
métaphysiques, et l’aborder sous cet angle ne manque donc pas de pertinence.
Mais une série de romans gagne notamment à être abordée par le recours aux
outils littéraires.
Alors que l’ultime saison de la saga sortira dans le premier semestre de
l’année 2019, et que les deux derniers tomes sont attendus avec impatience par
les fans du monde entier, il nous a paru intéressant de proposer un décryptage de
la saga créée de toutes pièces par George R. R. Martin, comme nous l’avions fait
pour la saga Star Wars (Star Wars, un récit devenu légende, Armand Colin,
2017). Nous nous appuierons ici aussi bien sur les romans du Trône de fer que
sur la série télévisée Game of Thrones, en un dialogue permanent entre l’œuvre
littéraire et son adaptation.
Dans ce livre, nous chercherons à comprendre le succès mondial et
intergénérationnel de l’un des plus grands phénomènes actuels de la pop culture.
Nous nous efforcerons surtout de décrypter les éléments sur lesquels repose cette
saga. Pour ce faire, nous nous intéresserons d’abord au contexte favorable dans
lequel elle est née puis a grandi. Nous procéderons ensuite à une analyse de son
univers spatio-temporel, dont la dimension symbolique est forte. Nous verrons
que la complexité de l’intrigue est un des points forts des romans et de leur
adaptation, ce qui est également le cas des thèmes abordés dans le récit, ces
derniers étant aussi bien universels qu’intemporels. Nous constaterons surtout
que cette œuvre paraît tirer son originalité de ses personnages, complexes et
évolutifs. Enfin, nous achèverons ce livre en nous penchant sur l’expérience
inédite vécue par les lecteurs et les spectateurs du monde entier, Game of
Thrones invitant ses fans à passer constamment de la lecture des romans au
visionnage de la série. Cela nous donnera ainsi la possibilité d’évoquer l’avenir
de la saga, qui semble ne pas devoir se limiter à la fin prochaine et annoncée de
la série télévisée.
NB : Dans ce livre, les citations sont issues des éditions J’ai lu, qui ont publié
en France les cinq tomes du Trône de fer entre 2010 et 2015.
Remerciements

Pour tout le travail réalisé sur ce livre, mais aussi pour leur disponibilité et leur
confiance sans cesse renouvelée, je tiens à remercier chaleureusement Jean-
Baptiste Gugès et Eléna Chryssos, des éditions Armand Colin. Ma gratitude va
également à Claudia Mericskay, qui s’est chargée de la relecture de ce texte. Je
tiens à adresser mes remerciements les plus amicaux à Pauline Giuseppone,
attachée de presse des éditions Armand Colin, pour son implication pleine et
entière dans la promotion de mes ouvrages. J’aimerais également avoir une
pensée spéciale pour Victoria Pariente-Cohen, Patrick Laudet et Philippe
Berthier, dont le soutien et les bons conseils m’apportent tant depuis plusieurs
années. Je tiens aussi à remercier mes amis, mes étudiants, mes collègues, pour
l’intérêt qu’ils portent à mes projets littéraires. Enfin, je voudrais exprimer toute
ma gratitude à ma femme Souline, à mon fils Clément et à l’ensemble de ma
famille pour leur affection et leurs encouragements sincères et constants.
Chapitre 1

Le règne de la culture geek

La saga Game of Thrones a rencontré un succès rien moins que planétaire !


Retour sur les raisons d’un tel phénomène à travers l’analyse du contexte
culturel dans lequel George R. R. Martin a rédigé son roman.

Merci Tolkien !

Comme Harry Potter ou Le Seigneur des Anneaux, œuvres majeures de la


culture geek, la série Game of Thrones a des origines littéraires. Le cycle
romanesque du Trône de fer se distingue toutefois des créations artistiques de
J. K. Rowling et J. R. R. Tolkien en deux points.
Tout d’abord, son adaptation est télévisuelle et non cinématographique. Là où
chaque tome du Seigneur des Anneaux et de Harry Potter correspondait à un
film précis (exception faite de Harry Potter et les Reliques de la Mort, divisé au
cinéma en deux parties), la série produite par HBO accorde à chaque tome une
saison, elle-même composée de dix épisodes d’une heure environ. Les saisons 7
et 8 font toutefois exception à la règle : l’une compte sept épisodes et l’autre,
programmée pour le premier semestre de l’année 2019, devrait n’en compter que
six. Le recours à la série télévisée était un souhait de George R. R. Martin.
L’auteur du Trône de fer a en effet refusé de nombreux projets d’adaptation
cinématographique, considérant que le cinéma ne rendrait pas justice à la
complexité de son œuvre. Comment, en effet, adapter en un film ou même en
une trilogie, des livres dont la longueur et la multitude des intrigues sont à ce
point importantes ?
L’autre différence majeure entre Le Trône de fer, Harry Potter et Le Seigneur
des Anneaux vient du fait que l’œuvre originale de George R. R. Martin a fini
par être rattrapée puis dépassée par sa propre adaptation. On prendra d’ailleurs
soin, tout au long de ce livre, de distinguer lexicalement la série (intitulée Game
of Thrones en français et en anglais) du cycle romanesque (A Song of Ice and
Fire en anglais ; Le Trône de fer en français). Ainsi, de la même manière que les
Enfants de la Forêt ont fini par perdre le contrôle des Marcheurs Blancs qu’ils
avaient eux-mêmes créés, George R. R. Martin a perdu en partie celui de son
œuvre littéraire. En effet, l’auteur américain sait désormais que ce ne sont pas
ses livres, mais bien la série qui viendra conclure les aventures de Jon, Daenerys
et Tyrion. La conclusion de son histoire ne lui appartient plus totalement.

"Comme Harry Potter ou Le Seigneur des Anneaux, œuvres


majeures de la culture geek, la série Game of Thrones a des
origines littéraires.
Adapter une œuvre littéraire en cours d’écriture n’est certes pas une nouveauté
absolue. Lorsque J. K. Rowling a vendu ses droits à Warner Bros en 1999, elle
n’avait pas achevé l’écriture de l’ensemble des tomes de Harry Potter. Seuls
trois des sept romans programmés avaient alors été publiés. À la différence de
George R. R. Martin, toutefois, la romancière britannique a pu écrire elle-même
le dénouement des aventures de Harry, Ron et Hermione. Avec l’adaptation du
Trône de fer, nous nous trouvons donc face à un phénomène totalement inédit,
qui mérite que l’on s’y intéresse de près à la fin de cet ouvrage.
Le Trône de fer est une œuvre littéraire qui relève du genre de la fantasy.
Popularisée par l’écrivain britannique Tolkien dans la première moitié du
e
XX siècle, la fantasy a pour représentant le plus illustre la trilogie du Seigneur
des Anneaux, publiée pour la première fois au Royaume-Uni entre 1954 et 1955.
Le succès des aventures de Frodon Sacquet a conféré au genre une popularité
quasi immédiate, notamment dans le monde anglophone. La France, pour des
raisons culturelles, a été moins réceptive à ce nouveau phénomène littéraire. Il
n’est d’ailleurs pas anodin de noter que l’œuvre de Tolkien, unanimement
reconnue comme un chef-d’œuvre en Angleterre ou aux États-Unis, n’a toujours
pas donné lieu, en France, à une publication dans les éditions de la Pléiade,
reconnaissance suprême pour un auteur et son œuvre. Cette anomalie souligne le
fait que la fantasy a effectivement tardé à s’imposer en terres françaises. La
science-fiction a elle-même été confrontée à un problème similaire. Des
écrivains comme Pierre Boulle (auteur de La Planète des singes) ou René
Barjavel sont rarement étudiés au lycée ou à l’université, sans doute parce que
domine encore l’idée selon laquelle un classique littéraire est un texte ayant
partie liée avec la réalité.
"Adapter une œuvre littéraire en cours d’écriture n’est pas une
nouveauté absolue.
Toujours est-il que si Le Seigneur des Anneaux rencontra d’abord un beau
succès, il ne parvint pas immédiatement à imposer la fantasy comme un genre
respectable. On peut notamment attribuer cela à l’impossibilité pendant
longtemps éprouvée d’adapter fidèlement l’œuvre de Tolkien au cinéma. On sait
que le réalisateur anglais John Boorman et même les Beatles avaient manifesté
un réel intérêt au sujet de l’adaptation de la trilogie de Tolkien. Mais une sorte de
malédiction s’abattit sur ces projets, les différentes tentatives se soldant
systématiquement par un échec. Si Ralph Bakshi parvint à réaliser un film
d’animation en 1978, cette adaptation ne fut jamais considérée comme une
réussite. Alors que Bakshi avait prévu de scinder son film en deux parties, la
seconde ne fut jamais réalisée, l’accueil critique ayant été mitigé et les
producteurs pressentant un échec commercial.
L’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux au début des
années 2000 (2001 : La Communauté de l’anneau ; 2002 : Les Deux Tours ;
2003 : Le Retour du roi) va grandement contribuer à la reconnaissance de la
fantasy à l’échelle mondiale. Non seulement les trois films de Peter Jackson sont
salués par le public et la critique, mais ils remportent au total dix-sept oscars
(dont celui du meilleur film pour Le Retour du roi, en 2004). Le succès
commercial est total. La Communauté de l’anneau rapporte plus de huit cent
millions de dollars, Les Deux Tours plus de neuf cent millions et Le Retour du
roi dépasse quant à lui le milliard de dollars de recettes. En France, les trois
films attirent à chaque fois près de sept millions de spectateurs dans les salles
obscures, ce qui est considérable. Il faut également tenir compte du succès des
produits dérivés, qu’il s’agisse de vêtements, objets de décoration, musiques,
jouets, jeux vidéo ou jeux de société. Si l’on se réfère à la France, il ne paraît pas
vain de noter que les Imaginales, le plus grand festival francophone des
littératures de l’imaginaire, ont été créées en 2002, au moment où le succès du
Seigneur des Anneaux était à son comble.
Le retour de Tolkien, le maître de la fantasy, a entraîné une modification de
l’horizon d’attente des lecteurs. Ainsi, les éditeurs ont dû répondre à une forte
demande de textes relevant de ce genre littéraire. Concrètement, le succès
cinématographique du Seigneur des Anneaux a non seulement été à l’origine de
la création de nouveaux textes de fantasy, mais il a également entraîné un regain
d’intérêt pour des récits composés antérieurement. Certaines œuvres moins
connues de Tolkien, comme Le Silmarillion, ont ainsi été rééditées dans des
éditions souvent illustrées par de grands artistes de la fantasy (on pense
notamment à John Howe, Alan Lee ou encore Ted Nasmith). Les éditeurs sont
même allés jusqu’à publier des textes inachevés et peu connus de Tolkien, tant la
demande des lecteurs du monde entier était forte.

Que l’intrigue du Trône de fer et de Game of Thrones prenne d’abord place au château de Winterfell n’a rien
d’anodin. Il s’agit de montrer d’emblée au lecteur et au spectateur que l’œuvre en question relève bien de
l’univers de la fantasy, qui a bien souvent pour cadre un Moyen Âge merveilleux (saison 1, épisode 1).

Il paraît ainsi indéniable que George R. R. Martin a pu tirer indirectement


profit du succès de Tolkien. En effet, les trois premiers tomes du Trône de fer ont
été publiés aux États-Unis avant la sortie cinématographique du premier film de
la trilogie du Seigneur des Anneaux (1996, 1999, 2000). S’ils ont rencontré un
succès certain, celui-ci a pris une tout autre ampleur après le film Le Retour du
roi, de Peter Jackson. Le lectorat eut alors l’envie soudaine et irrépressible de
lire des textes de fantasy. Or, l’œuvre de Tolkien, malgré sa diversité et sa
richesse, présente un nombre de titres relativement limité puisque bon nombre de
textes de l’écrivain britannique sont en réalité inachevés.

"L’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux au


début des années 2000 va grandement contribuer à la
reconnaissance de la fantasy à l’échelle mondiale.
De fait, non seulement l’œuvre de Martin se présentait comme un bon
complément à celle de Tolkien, mais également comme une bonne alternative à
celle-ci. En effet, si Tolkien a donné ses lettres de noblesse à la fantasy, on peut
dire que Martin a réinventé ce genre littéraire. Là où le premier développe une
vision idéalisée de l’humanité médiévale, à l’image de ce que pratiquait
l’écrivain français Chrétien de Troyes, inventeur du roman arthurien, le second a
considéré pour sa part que le Moyen Âge était une période fondamentalement
sombre et violente. Le lecteur du Seigneur des Anneaux pourra naturellement se
tourner vers Le Trône de fer, mais il fera alors une tout autre expérience de la
fantasy. La monstruosité n’est ici plus extérieure à l’humanité, mais
substantiellement liée à celle-ci. Le fait que le monde créé par Martin comprenne
essentiellement des hommes et non des créatures merveilleuses n’a ainsi rien
d’anodin. C’est donc sans doute le plaisir de retrouver un univers médiéval
merveilleux qui a incité les admirateurs de Tolkien à s’intéresser à l’œuvre de
George R. R. Martin. Sa réécriture personnelle de ce genre littéraire les aura
encouragés à poursuivre leur lecture – le continent de Westeros étant en réalité
bien différent de la célèbre Terre du Milieu.

Retour vers le passé

Les sources d’inspiration de George R. R. Martin sont diverses ; nous aurons


l’occasion de les évoquer tout au long de ce livre. On sait que l’écrivain
américain a été influencé par l’histoire antique et médiévale, mais également par
la littérature : l’œuvre de Tolkien et la suite romanesque des Rois maudits de
Maurice Druon, ont été des références majeures dans l’écriture du Trône de fer.
La saga a aussi établi son succès en puisant, volontairement ou non, dans
l’univers si vaste et si riche de la pop culture. Par bien des aspects, les romans et
la série nous font songer à des œuvres aussi diverses et variées que Star Wars,
The Walking Dead, Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, Eragon… La liste
est longue, et celle que nous venons de mentionner est loin d’être exhaustive. Il
convient bien sûr de ne pas faire d’anachronismes : la saga ne peut pas
entretenir, dans son processus de création même, des liens forts avec des œuvres
postérieures. Mais la publication des romans de George R. R. Martin a bien eu
lieu au cours de la période où la culture geek s’est imposée dans le monde
occidental.
L’un des phénomènes culturels les plus remarquables du début du XXIe siècle
est l’intérêt croissant des femmes pour des œuvres littéraires ou
cinématographiques qui, jusqu’alors, semblaient principalement destinées aux
hommes. Le Trône de fer et Game of Thrones illustrent bien ce phénomène
sociologique : les fans des deux supports artistiques sont mixtes, sans doute
davantage encore que dans le cas d’une saga aussi populaire que Star Wars. Cela
est certainement dû au fait que l’intrigue accorde une importance certaine aux
femmes. En effet, avec l’œuvre de George R. R. Martin, nous sommes loin des
récits dans lesquels les personnages féminins, souvent secondaires et peu
nombreux, étaient seulement présents pour donner au héros la possibilité de
vivre une histoire d’amour. La saga accorde au contraire une importance cruciale
à de nombreuses femmes fortes comme Daenerys, Cersei, Arya, Sansa ou
Brienne, qui n’ont pas besoin des hommes pour exister et jouer un rôle dans leur
société. Cette évolution, que l’on peut estimer positive, nous conduit alors à
revenir sur l’origine du roman d’aventures, un sous-genre romanesque ayant
fortement inspiré, au XXe siècle, l’écriture des textes de fantasy.
En effet, par bien des aspects, on peut considérer que Le Trône de fer est un
roman d’aventures. Pourquoi ? Les personnages de la saga, pour la plupart, sont
toujours en mouvement et cherchent à accomplir une ou plusieurs quêtes. Par
définition, l’aventure suppose de quitter son espace quotidien pour se confronter
au danger et à l’inconnu. Elle est en somme une rencontre, volontaire ou non,
avec ce que l’on ne maîtrise pas, ce qui demeure mystérieux.

"L’un des phénomènes culturels les plus remarquables du


début du XXIe siècle est l’intérêt croissant des femmes pour des
œuvres littéraires ou cinématographiques qui, jusqu’alors,
semblaient principalement destinées aux hommes.
Dans les romans comme dans la série, rares sont les personnages qui ne se
déplacent pas. À vrai dire, seul un personnage central semble rester toujours au
même endroit : Cersei. Dès l’instant où elle revient à Port-Réal, après avoir
accompagné le roi Robert et sa cour à Winterfell (tome 1 ; saison 1), elle ne
quitte plus ensuite la capitale. Même des courtisans comme Varys ou
Littlefinger, dont l’intérêt premier devrait être de rester à Port-Réal, sont amenés
à voyager loin de la Cour pendant le récit. Comme Cersei, Jon Snow semble lui
aussi assez statique de prime abord. Il demeure au nord de Westeros pendant les
cinq premiers tomes (et les six premières saisons), mais il ne faut pas oublier
qu’il vit un long périple au-delà du Mur, lorsque le patrouilleur Qhorin Mimain
lui demande d’intégrer le groupe hétéroclite des Sauvageons afin de mieux
comprendre leurs mœurs et ainsi leurs failles. En outre, la saison 7 voit Jon se
déplacer à Peyredragon, à Port-Réal, et même retourner au-delà du Mur.
N’oublions pas, également, qu’il était allé reconquérir Winterfell à la fin de la
saison 6, lors de l’épique bataille des bâtards l’opposant à Ramsay Bolton.
Si donc Cersei est l’unique exemple de fixité dans la saga, cela met en lumière
à quel point tous les autres personnages vivent des aventures. C’est d’autant plus
remarquable que certains d’entre eux ne sont pas censément préparés à être des
aventuriers. Les Stark en sont la meilleure illustration. Qui aurait pu imaginer
que Bran, Rickon, Arya et Sansa deviendraient des aventuriers ? Non seulement
ces personnages sont des enfants, mais trois d’entre eux ne sont clairement pas
faits pour vivre une aventure : Rickon est extrêmement jeune, Bran est infirme
depuis sa chute et Sansa, enfin, se destine à une vie paisible et romantique à la
Cour royale. Quant à Arya, si elle est présentée dès le début du récit comme un
garçon manqué qui, contrairement à sa sœur, ne souhaite pas devenir une
« dame », elle n’en reste pas moins une jeune enfant vulnérable. Elle n’a même
pas 10 ans lorsque débutent ses aventures, et n’est absolument pas préparée à
vivre les épreuves qui l’attendent tout au long de son périple.

Le voyage de Bran, un enfant infirme, au-delà du Mur, espace le plus dangereux de Westeros, montre bien à
quel point l’aventure est une notion dominante dans les livres et la série (saison 4, épisode 10).

On peut donc constater une ressemblance, sur ce point précis, entre la saga de
George R. R. Martin et les deux œuvres majeures de Tolkien : Le Seigneur des
Anneaux et Le Hobbit. En effet, ces trois ouvrages sont des récits d’aventures.
Frodon, Bilbon et la majeure partie des personnages de Martin quittent le confort
de leur foyer pour vivre une aventure, que ce soit par volonté propre ou sous la
contrainte. Dans ces trois intrigues, l’aventure s’avère être dangereuse car elle
conduit à la mort de plusieurs personnages, la saga de George R. R. Martin
l’illustrant de manière spectaculaire ; en outre, elle est bien la confrontation avec
l’inconnu dans le sens où elle permet plusieurs découvertes – sur le monde, sur
autrui ou encore sur soi-même.
"Qui aurait pu imaginer que Bran, Rickon, Arya et Sansa
deviendraient des aventuriers ?
Si l’on en revient à la question centrale de la culture geek, force est de
constater que celle-ci s’appuie souvent sur le récit d’aventures. On peut
d’ailleurs estimer que les racines mêmes de la culture geek reposent sur la
création du roman d’aventures. Apparu dans la seconde moitié du XIXe siècle,
avec des représentants aussi célèbres qu’Alexandre Dumas, Jules Verne, Sir
Arthur Conan Doyle ou encore Jack London, le roman d’aventures s’adressait
prioritairement à un public de jeunes garçons (à l’image de ses personnages
principaux). Ces récits, qui proposaient une véritable évasion, avaient
notamment pour fonction de montrer le passage de l’adolescence à l’âge adulte.
Le succès du roman d’aventures fut assez fort entre 1850 et 1950. Il reposa en
grande partie sur la fascination récente pour des territoires de notre planète
encore peu connus, voire inexplorés par les Occidentaux. Aux États-Unis, la
conquête de l’Ouest contribua grandement au succès du roman d’aventures,
l’idée de nouvelle frontière étant alors très présente dans les esprits américains.
En Europe, la colonisation de terres éloignées, situées en Afrique ou en Asie,
suscita chez les jeunes hommes l’envie de découvrir ces lieux fascinants par le
biais de récits palpitants. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, la science-
fiction s’imposa de plus en plus, jusqu’à devenir le nouveau récit d’aventures.
Son succès fut lié aux progrès technologiques, qui rendirent notamment
possibles les voyages dans l’espace et même sur la Lune. La science-fiction
bénéficia également du contexte politique de la Guerre Froide, qui fit naître bien
des fantasmes sur les expériences menées dans les deux camps ennemis.
De fait, la culture geek repose très souvent sur la question de l’aventure. On
peut estimer qu’il s’agit du plus grand dénominateur commun à toutes les
œuvres qui relèvent de la pop culture. Star Wars, Indiana Jones, Jurassic Park,
Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, Les Gardiens de la Galaxie… Tous sont
des récits d’aventures. La question de l’héroïsme et la découverte de nouveaux
territoires sont également présentes dans des œuvres de pop culture ne relevant
pas du monde occidental américain ou européen : on pense notamment à Dragon
Ball Z, mais ce cas n’est pas isolé.

Une aventure dont ils sont les héros

En somme, Le Trône de fer et Game of Thrones, tout en ayant leurs spécificités


propres, répondent à de nombreuses attentes du public geek. C’est d’autant plus
vrai que la fantasy est, avec la science-fiction, un genre littéraire plébiscité dans
le cadre de la pop culture. La fantasy ne dépend d’ailleurs pas uniquement des
livres ou des films. Elle s’appuie également, pour une très large part, sur les jeux
de société, et plus particulièrement sur les jeux de rôle. Or, les derniers nommés
supposent que le maître du jeu se mue en conteur. Il doit en effet structurer par
avance l’histoire que vivront ses partenaires de jeu, et la faire ensuite évoluer en
fonction de leurs choix et de leurs actions. La narration du Trône de fer fait
référence à une pratique ludique qui n’est pas sans entretenir des liens avec ce
principe.
Elle fait ainsi songer aux livres souvent intitulés « Une aventure dont vous
êtes le héros ». Rappelons que ces ouvrages, comme leur nom l’indique, ont pour
but de faire vivre une aventure au lecteur. Il ne s’agit pas ici de vivre
passivement une aventure par procuration, comme c’est le cas dans la majorité
des romans ; au contraire, le lecteur est confronté du début à la fin de l’histoire à
des choix. En fonction de ceux-ci, son aventure l’amènera à aller en tels lieux
plutôt qu’en tels autres, à faire telles rencontres plutôt que telles autres, et surtout
à voir sa quête couronnée de succès ou confrontée à l’échec. Rien n’est
fondamentalement joué d’avance dans ces histoires. Il n’y a pas un unique
chemin tracé au préalable que le lecteur devra suivre passivement.

"Le Trône de fer et Game of Thrones, tout en ayant leurs


spécificités propres, répondent à de nombreuses attentes du
public geek.
Dans la saga de George R. R. Martin, le lecteur et le spectateur ne sont certes
pas appelés à être aussi actifs. Mais la question du choix est centrale pour les
protagonistes. La multiplicité des intrigues et des personnages confère à la
narration une dimension ludique. Nous ne suivons pas un seul et même
personnage du début à la fin de l’histoire et savons rarement ce qu’il adviendra
des personnages. Or, ce procédé nous rend actifs. À la manière de ce qui est
demandé dans « Une aventure dont vous êtes le héros », nous sommes tentés
d’imaginer les péripéties que vivra le personnage que nous venons de quitter.
Surtout, nous sommes amenés à nous poser la question du choix. Dans la saga de
George R. R. Martin, de nombreux personnages n’ont pas une quête clairement
définie. Quand Bran quitte Winterfell, sait-il vraiment qui est la Corneille à trois
yeux ? Que veut réellement Arya lorsque, pensant toute sa famille assassinée,
elle décide de se rendre à Braavos ? Que peut désirer Sansa lorsqu’elle a le
sentiment de n’avoir plus que Littlefinger dans sa vie ? On ne sait pas
véritablement où les pas des personnages vont les mener. L’incertitude est
parfois totale. Dans cette optique, il paraît important d’évoquer le cas de
Donjons et Dragons, qui fut un des premiers jeux de rôle sur table de genre
médiéval et fantastique. Il connut dès sa création dans les années 1970 un succès
considérable. Si son adaptation cinématographique fut, en 2000, un échec
retentissant, on peut considérer que Game of Thrones est en un sens son
adaptation télévisuelle réussie.

" La multiplicité des intrigues et des personnages confère à la


narration une dimension ludique.
On peut enfin ajouter que la saga de George R. R. Martin est fortement liée à
un nombre important de jeux vidéo actuels. Contrairement à ce qui se pratiquait
jusqu’à la fin des années 1990, les jeux vidéo scénarisés possèdent désormais ce
que l’on appelle couramment un « open world ». C’est notamment le cas de
séries à succès comme Far Cry ou encore Assassin’s Creed. Ces jeux permettent
au joueur d’incarner un personnage principal qui vit des aventures dont la
linéarité n’est pas totale. Ainsi, si certaines quêtes doivent être effectuées avant
d’autres, le joueur est libre de se mouvoir comme il l’entend dans l’univers du
jeu, souvent assez vaste.

À la fin de la saison 4 (épisode 10), Arya prend un bateau pour se rendre à Braavos sans savoir réellement ce
qu’elle y fera. Elle est libre d’agir à sa guise sans quête précise dans ce vaste monde, ce qui est illustré ici
par l’océan, lieu de tous les possibles.

Dans Far Cry Primal, par exemple, le joueur incarne Takkar, un chasseur
préhistorique ayant la volonté d’unifier sa tribu, les Wenja. Si le joueur doit
accomplir des quêtes précises pour que Takkar devienne le héros de son peuple,
il est libre de parcourir le monde fictif d’Oros comme bon lui semble. Or, une
telle possibilité est également offerte aux personnages de la saga de Martin. Les
aventures d’Arya et de Brienne, notamment, par leur aspect parfois peu linéaire,
font régulièrement songer aux « open worlds » des jeux vidéo actuels.
De fait, le succès du Trône de fer et de Game of Thrones vient aussi de leur
capacité à s’être intégrés harmonieusement à l’évolution progressive de la pop
culture qui, à partir du roman d’aventures, a connu une incroyable multiplication
de ses supports narratifs.

La vogue des séries télévisées

Ce premier chapitre ne saurait être complet sans la mention d’un phénomène


culturel qui n’est, cette fois-ci, pas directement en lien avec la littérature :
l’appétence de plus en plus manifeste de notre société pour les séries télévisées.
Si les séries existent quasiment depuis les débuts de la télévision, elles ont
souvent souffert du crédit (et des crédits) plus important(s) accordé(s) au cinéma.
Souvent désigné comme le septième art, le cinéma, tout en ayant ses propres
productions populaires, a joui pendant longtemps de commentaires critiques
nettement plus élogieux que les séries télévisées. Les plus grands réalisateurs ont
ainsi pendant très longtemps refusé de travailler pour la télévision – et lorsqu’ils
acceptaient, la motivation de leur participation était financière plutôt
qu’artistique.
Preuve que cette pensée a la vie dure, Thierry Frémaux, délégué général du
Festival de Cannes, tint en mai 2018 des propos très critiques à l’égard des séries
dans une interview donnée au Figaro. La phrase suivante déclencha une vive
polémique : « Les séries, c’est industriel. Les films, c’est de la poésie. » Il s'en
prit à cette occasion très directement à Game of Thrones, série la plus populaire
au monde : « Game of Thrones, tout le monde en parle mais personne n’est
capable de citer le moindre réalisateur. »
Il faut dire que la télévision a souffert pendant longtemps d’un manque
d’ambition. Certains projets, nécessitant notamment des effets spéciaux, ne
pouvaient que difficilement être mis en œuvre. Certes, des séries de science-
fiction datent d’avant le XXIe siècle : pensons à la mythique saga Star Trek ou
encore à Stargate-SG1. Mais outre le fait que les effets spéciaux de la première
nommée soient désormais totalement surannés, ces séries étaient loin de
représenter la norme. C’est sans doute la raison pour laquelle
George R. R. Martin a plus souvent été sollicité pour une adaptation
cinématographique que télévisuelle du Trône de fer. De nombreux producteurs
hollywoodiens n’envisageaient pas, en effet, la mise en œuvre d’une adaptation
télévisuelle des livres de l’écrivain américain. On peut estimer que trois
événements, au minimum, ont finalement pu faire naître un sentiment contraire.
Tout d’abord, l’amélioration constante des effets spéciaux a été un critère
important. On sait que Martin a été impressionné par le travail réalisé par Peter
Jackson et son équipe sur les films du Seigneur des Anneaux. En outre, le début
du XXIe siècle a vu la naissance d’une certaine démocratisation des effets
spéciaux. On le constate désormais aisément au fait que de nombreux fan-films
sont d’une qualité visuelle tout à fait acceptable, voire meilleure que certains
films professionnels plus anciens. La série a ainsi pu combler le retard qu’elle
avait sur ce point par rapport au cinéma.
On peut ensuite évoquer la série télévisée Lost. Série la plus populaire du
début des années 2000, elle se distingua de beaucoup d’autres non seulement par
son histoire originale (une réécriture fantastique et collective des aventures de
Robinson Crusoé), mais aussi par son ambition visuelle. Tournée à Hawaï, dans
des décors réels, elle a eu régulièrement recours à des effets spéciaux
spectaculaires (crashs d’avions, ours blancs dans la jungle, créature maléfique se
déplaçant sous la forme d’une mystérieuse fumée noire…). Pour la première fois
dans l’histoire de la télévision, les spectateurs ont eu le sentiment de voir un film
de cinéma décliné en plusieurs épisodes et ne pouvant être regardé que depuis
leur salon, et non depuis une salle obscure. Une deuxième barrière venait ainsi
de tomber.

"Le début du XXI siècle a vu la naissance d’une certaine


e

démocratisation des effets spéciaux.


Le troisième événement que l’on peut évoquer a été explicitement cité par
George R. R. Martin pour justifier son choix de vendre les droits du Trône de fer
à la chaîne HBO : alors que Martin a lui-même été scénariste pour la télévision
pendant de nombreuses années, il a pu constater une évolution du traitement de
la question de la bienséance. La série Rome, produite par HBO entre 2005 et
2007, a prouvé qu’il était possible de représenter le sexe, la violence et la mort à
l’écran. Cela aurait été inenvisageable quelques décennies auparavant, ou même
peut-être dans les années 1990. La série Rome a permis de montrer que le grand
public non seulement était mûr pour ce type de productions adultes, mais qu’il
pouvait également en être friand. Indépendamment du public geek, Game of
Thrones s’adresse donc aussi aux amateurs de séries télévisées adultes, qui sont
de plus en plus nombreux, le succès de plates-formes de streaming comme
Netflix en étant du reste la preuve. Même si ces séries n’entretiennent pas de
liens absolument directs avec l’œuvre de George R. R. Martin, il est indéniable
que Friends, How I Met Your Mother ou encore The Big Bang Theory ont montré
que les sociétés occidentales pouvaient accepter l’évocation de sujets tabous
dans le cadre d’une série. Le succès de Rome mais aussi, à partir de 2010, celui
de la série The Walking Dead, ont mis en lumière le fait qu’il y avait une réelle
attirance du public pour des récits de sang et de mort.

Exposer dès le début de la saga une scène de sexe entre un frère (Jaime Lannister) et sa sœur (Cercei
Lannister) montre que les tabous seront au centre de certaines intrigues (saison 1, épisode 1).

Il s’agit certes d’une nouveauté dans le domaine de la télévision, mais pas


dans le cadre des rapports entre les hommes et la question de l’art. Rappelons en
effet que, au XVIe siècle, dans l’Angleterre élisabéthaine, certaines pièces du
théâtre shakespearien ont connu un grand succès alors même qu’elles étaient
d’une extrême violence. On peut citer le cas de Titus Andronicus, pièce de
Shakespeare à laquelle le dernier épisode de la saison 6 de Game of Thrones fait
implicitement référence. En effet, la scène où l’on voit Walder Frey manger ses
propres enfants dans une tourte sans même en être conscient est identique à la
scène où l’on voit la reine Tamora manger involontairement ses fils Chiron et
Demetrius dans la dernière partie de Titus Andronicus.
Les trois événements que nous venons de mentionner ont donc conduit
George R. R. Martin à privilégier une adaptation télévisuelle plutôt que
cinématographique de son œuvre littéraire. La longueur et la complexité de son
récit pouvaient difficilement donner lieu à une adaptation cinématographique
satisfaisante sauf à envisager plusieurs films, ce qui était loin d’être l’intention
des producteurs intéressés par l’adaptation de ce cycle romanesque. Il fut ainsi
souvent proposé à Martin de focaliser l’action du film sur un personnage central
de l’intrigue, comme Jon ou Daenerys. Mais le refus de l’écrivain américain fut
alors catégorique. La spécificité des romans du Trône de fer est précisément de
proposer une multitude d’intrigues et de personnages ; se focaliser sur un seul
d’entre eux aurait totalement dénaturé le projet initial.

"La série Rome, produite par HBO entre 2005 et 2007, a


prouvé qu’il était possible de représenter le sexe, la violence et la
mort à l’écran.
On peut ajouter que, d’un point de vue littéraire, la série Game of Thrones
n’est pas sans rappeler la tradition du roman-feuilleton, qui eut un grand succès
en France et en Angleterre au cours du XIXe siècle. En cette période où la presse
était en plein essor, du fait de sa démocratisation, des écrivains publiaient leurs
œuvres sous forme de feuilletons dans les quotidiens. Certains récits tenaient
ainsi en haleine les lecteurs de l’époque car ils présentaient une intrigue longue
et complexe. On peut citer à cet égard l’exemple des Mystères de Paris, de
l’écrivain français Eugène Sue. Publié entre 1842 et 1843, ce récit (qui tiendra
en dix volumes sous sa forme finale) connut un grand succès populaire, et est
souvent considéré comme l’un des précurseurs des séries télévisées. Choisir la
télévision comme support de l’adaptation de son œuvre littéraire a donc été pour
George R. R. Martin non seulement une évidence, mais aussi un retour aux
sources mêmes de la série télévisée.
Les personnages, nous aurons l’occasion de l’évoquer dans un chapitre
spécifique, sont sans doute l’une des grandes forces de la saga. Martin leur
confère une appréciable complexité en cherchant à les décrire le plus possible,
aussi bien par leurs pensées que par leurs actions et leur évolution sociale ou
morale. Un film de cinéma, limité temporellement par la présence de plusieurs
spectateurs dans une même salle, ne peut censément excéder une certaine durée.
Il lui importe alors de ne pas être trop descriptif, au risque sinon de réduire
considérablement le temps nécessaire au développement de l’action. Or le
cinéma, de fantasy notamment, n’a pas vocation à être purement contemplatif. Il
ne peut donc rendre totalement justice à l’œuvre de George R. R. Martin.
Christopher Tolkien reprocha d’ailleurs à Peter Jackson de ne pas avoir su
montrer à l’écran la dimension profondément philosophique de l’œuvre de son
père. Il laissa entendre que l’adaptation cinématographique du Seigneur des
Anneaux était peut-être possible, mais pas nécessairement souhaitable. Il n’est de
ce point de vue-là pas anodin de noter que la prochaine adaptation de l’univers
créé par Tolkien donnera lieu, non pas à un ou plusieurs films, mais à une série
télévisée, produite par Amazon.

Bilan

Le contexte culturel permet de mieux comprendre le succès rencontré par la


saga. Digne héritière des romans d’aventures du XIXe siècle, elle fait du voyage et
de l’héroïsme les axes forts de son récit. La vogue de la série télévisée a en outre
contribué à élargir le public de la série produite par HBO. On comprend dès lors
pourquoi les fans de Game of Thrones constituent un socle aussi large : la série
est non seulement un monument de la pop culture, mais aussi un phénomène
télévisuel qui s’inscrit dans l’héritage de productions au succès critique et
populaire comme Lost.
Chapitre 2

World of Westeros

Il est temps, désormais, d’étudier les œuvres littéraires et télévisuelles en elles-


mêmes. On peut tout d’abord s’intéresser à leur univers spatio-temporel. Le
Trône de fer et Game of Thrones ne sont pas seulement des récits d’une grande
complexité. Comme c’est souvent le cas dans le genre de la fantasy, on est ici
face à des œuvres qui accordent une grande importance à l’espace, mais aussi
aux événements marquants s’y étant précédemment produits. Des lieux vastes et
des légendes très anciennes sont également une des conditions rendant possible
l’évasion du lecteur et du spectateur.

Voyages, voyages

Le lecteur qui, par curiosité, ouvrirait dans une librairie un exemplaire du Trône
de fer serait immédiatement frappé par un procédé peu courant : chaque roman
comprend, au début et à la fin du récit, une ou plusieurs cartes. Tout ce qui
entoure le récit à proprement parler est appelé paratexte en littérature. Bien
souvent, le paratexte est minimal dans le genre romanesque : il comprend un
titre, un éventuel sous-titre et une quatrième de couverture, qui présente une
brève synthèse de l’intrigue.
Depuis Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux s’est imposée l’idée selon
laquelle un ouvrage relevant de la fantasy devait s’appuyer sur une ou plusieurs
cartes. Cette tradition répond à la nécessité de montrer concrètement au lecteur
un monde qui n’existe tout simplement pas. En effet, la fantasy se distingue du
roman réaliste par la mise en place d’un chronotope totalement fictif. On peut
bien sûr s’amuser à voir en tel ou tel lieu fictif une référence à tel ou tel lieu réel.
Dans Le Hobbit, la ville d’Esgaroth, également appelée Lacville, est une sorte de
Venise des glaces qui n’est pas sans rappeler la ville belge de Bruges. Et dans Le
Seigneur des Anneaux, le peuple du Rohan fait songer aux peuples scandinaves.
Le Trône de fer et Game of Thrones n’échappent pas aux interprétations
spatiales : si le Rohan n’existe pas en tant que tel dans ce cycle romanesque, les
Îles de Fer sont son équivalent maritime. George R. R. Martin les a d’ailleurs
comparées à la Scandinavie, déclarant que le peuple des Fer-nés était semblable
aux Vikings. On peut également associer la ville de Braavos à Venise. Comme la
Sérénissime, Braavos est composée de canaux, de petites ruelles, se trouve en
bord de mer et sa population est de type méridional. C’est également la ville des
Sans-Visage, une confrérie d’assassins qui changent d’apparence pour accomplir
leurs forfaits. On retrouve là l’idée de travestissement chère au carnaval de
Venise, à ceci près que les masques portés par les Sans-Visage sont les visages
d’êtres humains décédés. En somme, la fantasy se réfère toujours, de manière
plus ou moins explicite, à la réalité de notre propre monde.

"Depuis Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux s’est imposée


l’idée selon laquelle un ouvrage relevant de la fantasy devait
s’appuyer sur une ou plusieurs cartes.
Pour autant, Tolkien comme Martin agissent en véritables démiurges, en
offrant au lecteur un monde qu’ils ont eux-mêmes créé de toutes pièces. C’est
d’autant plus vrai concernant Tolkien que son ouvrage Le Silmarillion, dont
l’action se situe plusieurs millénaires avant celle du Seigneur des Anneaux, est
même dans ses premières pages un ouvrage de cosmogonie. On voit ainsi
Tolkien décrire la naissance d’un monde au moyen d’un texte poétique d’une
grande force et d’une grande beauté :
Il y eut Eru, le Premier, qu’en Arda on appelle Ilúvatar ; il créa d’abord les Ainur, les Bénis,
qu’il engendra de sa pensée, et ceux-là furent avec lui avant que nulle chose ne fût créée.
Et il leur parla, leur proposa des thèmes musicaux, ils chantèrent devant lui et il en fut
heureux. Un long temps s’écoula où ils chantèrent chacun seul, ou à quelques-uns,
pendant que les autres écoutaient, car chacun ne comprenait que cette part de l’esprit
d’Ilúvatar d’où lui-même était issu, et le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à
venir. Pourtant une meilleure compréhension leur vint à mesure qu’ils écoutaient et les fit
croître en accord et en harmonie.
Et il fut un jour où Ilúvatar fit rassembler tous les Ainur pour leur soumettre un thème
magnifique qui leur dévoilait des choses plus grandes et plus merveilleuses qu’il ne leur
avait encore révélé. Son début glorieux et sa splendide conclusion éblouirent tant les Ainur
qu’ils se prosternèrent devant Ilúvatar sans pouvoir dire un mot.1

Si Le Trône de fer n’a pas encore son Silmarillion, l’ouvrage Game of


Thrones : les origines de la saga, écrit par George R. R. Martin et publié en
2015, narre tous les grands événements s’étant produits avant les intrigues
relatées dans les livres et la série télévisée.
La présence d’une ou de plusieurs cartes au début ou à la fin des cinq tomes,
ainsi que celle d’une vaste carte animée dans le générique de la série, ont pour
objectif de permettre l’évasion des lecteurs et des spectateurs. En effet, non
seulement ceux-ci prennent d’emblée conscience du caractère fictionnel de
l’histoire, mais ils retrouvent également le plaisir enfantin de la carte aux trésors.
Très présent dès les premiers romans d’aventures, le motif de la carte est souvent
la matérialisation même de l’aventure, concept qui en lui-même pourrait sinon
demeurer abstrait. Dans le roman Au cœur des ténèbres (1899) de l’écrivain
britannique Joseph Conrad, l’aventurier Marlow raconte que son désir de devenir
marin est né de la fascination exercée dans son enfance par les planisphères :
Or quand j’étais petit garçon j’avais une passion pour les cartes. Je passais des heures à
regarder l’Amérique du Sud, ou l’Afrique, ou l’Australie, et je me perdais dans toute la
gloire de l’exploration. En ce temps-là il restait beaucoup d’espaces blancs sur la terre, et
quand j’en voyais un d’aspect assez prometteur sur la carte (mais ils le sont tous), je
mettais le doigt dessus et je disais : « Quand je serai grand j’irai là. »2

À l’époque de Marlow, dans la seconde moitié du XIXe siècle, il existait en effet


de nombreux territoires vierges, encore bien mystérieux pour bon nombre d’êtres
humains. C’est sur ce principe que repose la force du roman Le Monde perdu de
Sir Arthur Conan Doyle. Si ce récit montre qu’il existe encore des dinosaures en
plein cœur de la forêt amazonienne, c’est précisément parce que les hommes de
cette époque sont alors loin d’avoir acquis la pleine maîtrise de leur planète.

"La présence d’une ou de plusieurs cartes au début ou à la fin


des cinq tomes, ainsi que celle d’une vaste carte animée dans le
générique de la série, ont pour objectif de permettre l’évasion des
lecteurs et des spectateurs.
Il n’est pas anodin de noter que la science-fiction saura, notamment avec le
roman La Planète des singes de Pierre Boulle, répondre à l’évolution constante
des connaissances humaines. Alors que certains mystères disparaissent à mesure
que nous connaissons mieux notre planète, l’espace stellaire demeure un
territoire encore bien énigmatique. Si notre maîtrise du cosmos n’en est qu’à ses
débuts, le voyage dans l’espace n’est plus totalement un mystère. On envisage en
effet, dans la première moitié du XXIe siècle, d’aller explorer in situ la planète
Mars. Rappelons enfin que si l’homme ne s’est matériellement pas rendu sur
d’autres territoires que la Lune, il a désormais une bonne connaissance de son
système solaire grâce aux nombreuses sondes qu’il a pu envoyer dans l’espace
ces dernières décennies. Dans La Planète des singes, les personnages principaux
sont alors amenés, non pas seulement à effectuer un voyage spatial, mais à
quitter leur système solaire. Ainsi, l’aventure doit sans cesse trouver de
nouveaux territoires d’expression. Ces constats, qui semblent de prime abord ne
pas avoir de grands liens avec Game of Thrones, peuvent en réalité être
considérés comme une des raisons du succès et du renouveau de la fantasy en ce
début de XXIe siècle.

Le générique met immédiatement en valeur les nombreux lieux de la série, dont certains sont très exotiques,
comme c’est le cas de la cité de Meereen (générique de la saison 5).

Si le réel n’a plus de mystères pour nous, ou en présente en tous les cas de
moins en moins, quel espace reste-t-il à l’évasion ? La réponse est simple : la
pure fiction. C’est notamment ainsi que l’on peut comprendre le succès
planétaire et intergénérationnel de la saga Star Wars. Les films de George Lucas
nous invitent non seulement à changer d’époque (puisque les événements ont eu
lieu, nous dit-on, « il y a bien longtemps »), mais aussi de lieu (l’action se tient
« dans une galaxie lointaine, très lointaine »). Le fait que cette galaxie soit très
éloignée de la nôtre laisse entendre qu’elle ne peut en aucune façon relever de
notre réalité. Par son éloignement, elle se constitue en fiction dans l’esprit du
spectateur. Créer un univers totalement fictif est une manière de maintenir
possible un refuge pour l’évasion au XXIe siècle.
George R. R. Martin fait ainsi se dérouler les événements du Trône de fer dans
un monde fictif, et plus précisément sur deux continents clairement identifiés :
Westeros et Essos. Il existe deux autres continents dans cet univers (Sothoryos et
Ulthos) mais ils ne sont presque jamais évoqués, notamment parce que peu
d’êtres humains y vivent ou les connaissent. Rappelons que Westeros est le
continent qui se situe à l’Ouest, tandis qu’Essos se trouve à l’Est. La majeure
partie de l’action se déroule à Westeros, car la capitale des Sept Couronnes, Port-
Réal, se trouve sur ce continent. Les deux continents ont chacun leur propre
histoire, qui nous est racontée de manière fragmentée tout au long des cinq
tomes et des sept saisons.

Une cartographie temporelle

Ainsi, les romans comme la série parlent à plusieurs reprises de la Rébellion


ayant eu lieu une quinzaine d’années avant le début du tome 1 et de la saison 1.
Il s’agit de la guerre ayant opposé Robert Baratheon et Ned Stark à la famille
alors régnante : les Targaryen. Cette guerre n’est pas sans rappeler la guerre de
Troie, évoquée par l’aède Homère dans la première épopée de l’histoire de
l’humanité : l’Iliade.
En effet, comme dans ce récit mythologique, la guerre est déclenchée par
l’amour d’un homme pour une femme. Lyanna Stark se présente ici comme une
nouvelle Hélène de Troie. Promise à Robert Baratheon, elle est enlevée par
Rhaegar Targaryen, fils aîné du roi de Westeros. La situation est complexe car
Rhaegar a déjà une épouse, Elia, ainsi que deux enfants. Pendant l’ensemble des
romans et de la série (jusqu’à la fin de la saison 7), on pense que Rhaegar est un
être malveillant. Robert Baratheon considère en effet qu’il a enlevé Lyanna
contre son gré, et qu’il est responsable de sa mort.
Dans la série, les pouvoirs acquis par Bran Stark lui permettent de retourner
dans le passé. Il découvre alors que Rhaegar et Lyanna se portaient un amour
réciproque. Grâce à Samwell Tarly, Bran apprend également à la fin de la
saison 7 que l’union du Targaryen et de la jeune Stark n’était pas illégitime. En
effet, Rhaegar a obtenu d’un septon la rupture de son mariage avec Elia, ce qui
lui a permis ensuite d’épouser Lyanna. L’opposition entre Robert Baratheon et
Rhaegar Targaryen naît donc soit d’un mensonge volontaire, soit d’une
méconnaissance de la réalité des faits : à l’heure actuelle, nous ne savons pas en
effet de quelles informations disposait réellement Robert Baratheon au moment
d’entreprendre sa Rébellion.

"Les romans comme la série parlent à plusieurs reprises de la


Rébellion ayant eu lieu une quinzaine d’années avant le début du
tome 1 et de la saison 1. Il s’agit de la guerre ayant opposé
Robert Baratheon et Ned Stark à la famille alors régnante :
les Targaryen.
Toujours est-il que cette guerre est un événement essentiel pour la génération
suivante, c’est-à-dire celle des enfants des principaux protagonistes de ce conflit
armé (Robb Stark ; Jon Snow ; Sansa Stark ; Arya Stark ; Bran Stark ; Rickon
Stark ; Joffrey Baratheon ; Myrcella Baratheon ; Tommen Baratheon). Toute
l’intrigue insiste sur le fait que la situation aurait été nettement plus apaisée sans
cette guerre. Dans le tome 5, Jon Connington, qui a été l’un des plus proches
amis de Rhaegar, laisse entendre que le prince était tout à fait conscient de la
nécessité de remplacer son père Aerys, surnommé le Roi Fou, par un autre
dirigeant. Or, Rhaegar nous est présenté comme un être bon et équilibré,
nettement plus apte à exercer le pouvoir qu’Aerys. Le remplacement du père par
le fils aurait donc été un bienfait pour les Sept Couronnes.
En outre, on apprend que la haine de Cersei a pour principal point d’origine la
prophétie funeste d’une sorcière, entendue au cours de son enfance. Or, cette
prophétie laissait entendre que Cersei n’épouserait pas le prince, comme elle s’y
attendait, mais le roi. Cersei était en effet censée se marier avec le prince
Rhaegar. Mais Aerys, le roi, choisit en secret d’unir son fils à Elia Martell, du
royaume de Dorne. Si Cersei avait épousé Rhaegar, serait-elle devenue un être
malfaisant ? On a le droit d’en douter, tant la crainte de voir la prophétie se
réaliser a ensuite eu une influence décisive sur les actes de la fille de Tywin
Lannister.
On apprend par ailleurs que Robert Baratheon a certes été un formidable
guerrier dans sa jeunesse, mais qu’il est ensuite devenu un roi lamentable. Varys
insiste sur ce point auprès de Ned Stark, notamment lors de l’emprisonnement de
ce dernier dans le tome 1 et la saison 1. Au cours d’un dialogue avec Daenerys,
dans le tome 5, Ser Barristan Selmy établit une nette distinction au sujet des
mérites de Robert :
C’était un bon chevalier, mais un mauvais roi.3

Il semble même que l’absence de combat ait contribué à empirer la


gouvernance de Robert, comme l’indique Donal Noye, armurier de la Garde de
Nuit, à Jon Snow :
J’ai été son homme, un homme des Baratheon, le forgeron et l’armurier d’Accalmie jusqu’à
la perte de mon bras. Étant assez âgé pour garder un souvenir précis de feu lord Steffon
et pour avoir vu naître chacun de ses fils, je puis témoigner : la couronne avait
définitivement altéré Robert. Certains hommes sont comme les épées, faits pour le
combat. Raccroche-les, ils se rouillent.4
À l’inverse, à mesure qu’on apprend à le connaître par différents récits, on
découvre que le prince Rhaegar aurait été un souverain vertueux. Il semble en
effet que les Targaryen excellent soit dans le bien, soit dans le mal. Ser Barristan
Selmy, au cours d’un dialogue avec Daenerys, évoque l’anecdote suivante :
Le roi Jaehaerys m’a dit un jour que démence et grandeur étaient les deux faces d’une
même pièce. Chaque fois que naît un nouveau Targaryen, disait-il encore, les dieux
lancent la pièce en l’air, et le monde retient son souffle en se demandant sur quel côté elle
va bien pouvoir tomber.5

L’amour de Rhaegar Targaryen et Lyanna Stark aura des conséquences considérables sur le monde de
Westeros, entraînant un bouleversement politique durable (saison 7, épisode 7).

Le passé récent a ainsi une importance capitale dans l’intrigue de la saga : il


est l’origine même des vives tensions présentes dans les romans comme dans la
série. Un tel constat n’est pas sans rappeler l’intrigue du Seigneur des Anneaux,
qui est elle aussi extrêmement dépendante de deux événements appartenant au
passé : l’alliance des hommes et des elfes pour vaincre Sauron dans Le
Silmarillion ; la découverte de l’Anneau Unique par Bilbon dans Le Hobbit. Si
Frodon est obligé de vivre une aventure dont il portera des séquelles physiques
et morales, c’est précisément parce que les événements du passé n’ont pas pu
supprimer en totalité un élément perturbateur très ancien. Dans Le Seigneur des
Anneaux, cet élément est concrètement matérialisé par l’Anneau, qui renvoie à
Sauron et par extension au Mal absolu. Tant que l’Anneau de Pouvoir ne sera pas
détruit, le Mal pourra continuer à se propager.
Dans Game of Thrones, le conflit est matérialisé par le Trône de fer. Alors que
celui-ci a été créé par les Targaryen (plus précisément par Aegon le Conquérant)
et a toujours été occupé par l’un d’entre eux, la Rébellion de Robert Baratheon a
modifié profondément cette situation établie depuis longtemps. C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle les Targaryen et leurs partisans nomment Robert
Baratheon « l’Usurpateur ». Il n’a, de leur point de vue, aucune légitimité à
occuper le Trône de fer.
Un autre événement ancien est relaté dans les livres comme dans la série, bien
qu’il soit moins récurrent : la grande guerre des hommes et des Enfants de la
Forêt contre les Marcheurs Blancs. Cet événement n’est pas à mettre sur le
même plan que la guerre entre les Baratheon, les Stark et les Targaryen car il est
non seulement très ancien (il remonte à des millénaires), mais il est également
considéré par de nombreux personnages comme une légende. Si le lecteur
comme le spectateur ne peuvent en réalité pas douter de l’existence des
Marcheurs Blancs, dont la portée des actions est montrée dès le prologue du
tome 1 et de la saison 1, les personnages, et notamment ceux vivant dans le sud
de Westeros, sont sceptiques vis-à-vis de l’existence de ces forces obscures.

"Le passé récent a une importance capitale dans l’intrigue de


la saga : il est l’origine même des vives tensions présentes dans
les romans comme dans la série.
La preuve en est donnée avec Tyrion Lannister. Alors qu’il est certainement
l’un des personnages les plus intelligents et les plus cultivés de la saga, il ne croit
pas en l’existence des Marcheurs Blancs. Doué d’une forte curiosité
intellectuelle, il se rend sur le Mur au début de l’intrigue, accompagnant Jon
Snow qui a décidé de devenir membre de la Garde de Nuit. Or, la découverte du
Mur, plutôt que de susciter le doute chez Tyrion, a plutôt tendance à le conforter
dans son intuition première. On est donc là face à un événement d’importance
qui divise les principaux personnages du récit. Le même problème existe dans Le
Seigneur des Anneaux, mais aussi dans Harry Potter : la majeure partie des êtres
humains concernés par l’action considère que Sauron et Voldemort ont
définitivement disparu. Dans les trois œuvres, le Mal représente un danger
précisément parce qu’il n’est plus perçu comme une menace sérieuse et
imminente.
Le Trône de fer donne donc à voir un espace différent de notre monde, et
historiquement très riche. Les récits sont en effet nombreux tout au long des cinq
tomes et des sept saisons. Ils occupent un espace narratif relativement important.
Un personnage extrêmement secondaire est même récurrent dans les romans
grâce à sa faculté à raconter des histoires : il s’agit de Vieille Nan, qui a été au
service des Stark pendant de nombreuses années et qui s’est occupée de chaque
enfant de Ned et Catelyn. Or, Vieille Nan aime raconter des histoires qui sont à
la frontière entre la chronique et la légende. Bien souvent, ses récits sont
effrayants, ce qui invite enfants et parents à les considérer comme fictifs, sans
doute pour se rassurer.
Nombreux sont les personnages à imiter Vieille Nan et à se muer alors à leur
tour en conteurs. Daenerys, notamment, demande souvent à Jorah Mormont ou à
Ser Barristan Selmy de lui parler de Westeros et de l’histoire de sa famille. Alors
qu’elle a passé l’essentiel de sa vie en Essos, la jeune femme éprouve le besoin
de créer un attachement affectif avec sa patrie d’origine, en entendant différentes
histoires sur celle-ci. On peut donc dire que le récit est directement rattaché au
temps et à l’espace dans Le Trône de fer et Game of Thrones.

"Le Trône de fer donne donc à voir un espace différent de


notre monde, et historiquement très riche.
Dans la saga de Martin, le temps contribue à faire de l’espace le lieu d’une
réelle évasion. Le lecteur n’a pas simplement l’impression de se trouver dans
une époque différente de la sienne : il a en réalité le sentiment de se trouver
confronté à plusieurs strates temporelles, qui entretiennent des liens forts entre
elles. L’avenir, au fond, ne cesse d’être un long passé. L’évasion ne dépend
toutefois pas que de la seule question temporelle. En effet, l’univers créé par
George R. R. Martin favorise l’évasion en ce qu’il est d’une extrême diversité
spatiale.

Un espace hautement symbolique

Plus encore que Le Seigneur des Anneaux, Le Trône de fer et Game of Thrones
se caractérisent par la très grande multiplicité des espaces représentés. À la
différence de Harry Potter où une part importante de l’intrigue se tient en un
même lieu (Poudlard), la saga de George R. R. Martin présente un nombre
considérable d’espaces distincts. D’un point de vue spatial, Le Trône de fer et
Game of Thrones sont ainsi plus proches de Star Wars et ses nombreuses
planètes hétérogènes que de l’œuvre de Tolkien. En effet, comme dans La
Guerre des Étoiles, on observe une alternance entre des lieux déjà fréquentés par
les personnages principaux et des lieux totalement inédits, dont ils ont parfois à
peine entendu parler. C’est notamment le cas d’Arya lorsqu’elle se rend seule à
Braavos. Elle ne connaît la cité que par le biais des discours de son maître
d’arme Syrio Forel et de Jaqen H’ghar, rencontré à Harrenhal. Comme dans Star
Wars, les lieux sont également exotiques. De la même manière qu’il y a peu de
ressemblances entre Tatooine, Hoth, Coruscant ou Naboo, il y a peu de points
communs entre Port-Réal, Winterfell, les Eyrié ou encore Meereen.
L’espace est décrit selon deux principes, et cela est vrai aussi bien pour les
livres que pour la série. D’un côté, on nous parle de grandes régions clairement
séparées les unes des autres : le Nord, le Bief, le Neck, Dorne, les Îles de Fer…
De l’autre, l’attention se focalise sur des lieux spatialement limités, et donc
facilement identifiables : les places-fortes. Que serait le Nord sans Winterfell ?
Les Terres de l’Ouest sans Castral Roc ? Le Bief sans Hautjardin ? On constate
ainsi une alternance entre des tableaux très généraux et des tableaux nettement
plus précis. On peut dire, au fond, que les régions relèvent souvent du discours :
on parle du Nord, de Dorne, du Bief… mais on ne les voit pas toujours. Les
places-fortes, elles, relèvent de la réalité de l’action : on voit souvent les
personnages se mouvoir et agir dans un lieu clairement défini.

"Le Trône de fer et Game of Thrones se caractérisent par la


très grande multiplicité des espaces représentés.
L’espace est à ce point important dans l’univers créé par George R. R. Martin
qu’il est mis en scène dans le magnifique générique de la série, qui lui valut
d’ailleurs son premier Emmy Awards. Créer un générique focalisé davantage sur
l’espace que sur les personnages, qui sont pourtant au centre de l’histoire,
montre qu’il est en réalité lui-même un personnage de l’intrigue. On peut aller
jusqu’à dire que l’espace constitue même plusieurs personnages de l’intrigue :
les territoires de Westeros et d’Essos non seulement ne se ressemblent pas, mais
peuvent être antagonistes.
Ainsi, dans les romans comme dans la série, Robb Stark, en difficulté dans sa
guerre contre la Couronne royale, envisage d’attaquer Castral Roc. La prise de
cette place-forte ne représenterait pourtant pas un avantage militaire décisif – il
en est d’ailleurs pleinement conscient – mais cette conquête aurait toutefois une
forte dimension symbolique : elle serait en effet vécue par les Lannister comme
un affront, et presque comme un viol, ce château étant fortement associé à leur
identité. Dans la saison 7, Tyrion, alors Main de Daenerys, l’incite d’ailleurs à
attaquer prioritairement Castral Roc. Là encore, conquérir ce château n’aura pas
de lien direct avec la potentielle prise de Port-Réal, la capitale. Mais Tyrion, en
tant que Lannister, sait que la perte de cette cité constituerait un très rude coup
porté au moral de sa famille. La stratégie adoptée par Cersei et Jaime, qui vise à
abandonner sciemment le château aux troupes de Daenerys pour conquérir dans
le même temps Hautjardin, surprend à juste titre Tyrion. En abandonnant Castral
Roc, Jaime et Cersei décident au fond de renoncer au dernier enfant qu’il leur
reste, chose que leur frère ne pouvait envisager.

Castral Roc, fief des Lannister : une place-forte aussi dure que cette famille (saison 7, épisode 3).

Un propos similaire peut être tenu au sujet des rapports entretenus par les
Stark avec leur château de Winterfell. Dans la série, Sansa accepte d’épouser
Ramsay Bolton, union à laquelle elle était d’abord opposée, précisément parce
qu’il s’agit d’un moyen pour elle de reprendre un peu de pouvoir mais aussi de
retrouver son foyer natal. Dans la saison 6, lorsque Jon est ramené à la vie par
Mélisandre, Sansa et lui décident de reconquérir Winterfell. Alors que son
expérience tragique aurait dû le conduire à vouloir simplement profiter de la
deuxième vie qui lui avait été miraculeusement offerte, Jon se met en danger afin
de reprendre leur château familial. Winterfell est un lieu d’autant plus
symbolique pour les enfants Stark que leurs parents sont morts. Or, non
seulement la crypte familiale se trouve dans le château, mais ce lieu évoque pour
eux des souvenirs forts.
Arya et Sansa le montrent bien dans la saison 7. Lorsqu’on annonce à Sansa
que sa sœur est de retour, elle sait immédiatement que celle-ci ira se recueillir
dans la crypte, devant le caveau de leur père. Les deux sœurs se promènent
également sur les murailles de Winterfell, ce qui les amène à songer aux êtres
chers qu’elles ont perdus. En un sens, Winterfell est un membre immuable de la
famille Stark. Même saccagé par les Bolton, et donc différent de ce qu’il fut
autrefois, il conserve la même force et la même importance sentimentale pour les
Stark.
"Le générique davantage focalisé sur l’espace que sur les
personnages, qui sont pourtant au centre de l’histoire, montre
qu’il est en réalité lui-même un personnage de l’intrigue.
L’ensemble des lieux des romans et de la série présente ainsi une haute
dimension symbolique. Chaque territoire possède un nom qui évoque la ou les
familles qui règnent sur lui. « Castral Roc » renvoie à la dureté et au
pragmatisme que l’on reconnaît volontiers à la famille Lannister. Dans le tome 1,
Catelyn Stark a d’ailleurs recours à une formule visiblement courante pour
montrer à son fils Robb que les Lannister sont sans pitié :
Elle lui prit la main. « Robb…, je ne vais pas te maquiller la vérité. Si tu perds, nous
sommes tous perdus sans retour. Ce n’est pas en l’air que l’on dit : “Rien que de la pierre
au cœur de Castral Roc.” Souviens-toi des enfants de Rhaegar. »6

Le nom « Winterfell » est directement associé à la célèbre devise des Stark :


« L’hiver vient. » Le nom du château désigne littéralement la chute de l’hiver. Il
peut être une annonce implicite de la fin du récit. Si les Marcheurs Blancs sont
l’hiver, leur fin n’interviendra-t-elle pas devant les murailles de ce château,
souvent présenté comme imprenable, hormis par la ruse ? On sait en effet que le
personnage de Mélisandre a vu une grande bataille dans les neiges. Elle pensait
initialement qu’il s’agissait de la bataille entre Stannis Baratheon et Ramsay
Bolton. Mais, à de nombreuses reprises dans les romans et la série, Mélisandre
est consciente que ses visions sont difficiles à interpréter. Elle affirme
notamment qu’il lui est malaisé d’établir une chronologie nette des visions dont
elle est le témoin privilégié. Il est donc possible, sans toutefois que cela soit
certain, que la grande bataille contre les Marcheurs Blancs se tienne devant
Winterfell, et non devant les murailles de Port-Réal.
Les enfants Stark ont un tel attachement à leur château familial de Winterfell que Sansa, alors en exil aux
Eyrié, décide de bâtir un Winterfell de neige pour atténuer sa nostalgie et sa mélancolie (saison 4, épisode 7).

Les Eyrié et les Montagnes de la Lune sont étroitement associés à Lysa Arryn.
Cela peut d’abord paraître étrange car ce personnage n’est pas originaire de cette
région. Lysa est une Tully de Vivesaigues et n’a aucun lien de parenté avec le
Val avant son mariage avec Jon Arryn. Pourtant, cette région va étrangement
évoquer sa tragique histoire personnelle. La lune peut tout d’abord faire
référence aux contraintes subies lors de sa jeunesse. Dans le tome 3, Lysa
apprend en effet à Sansa, sa nièce, qu’elle a été dépucelée par Littlefinger
lorsqu’elle n’était qu’une jeune femme. Enceinte à la suite de cette première
relation sexuelle, Lysa se vit obligée par son père, Hoster Tully, de prendre du
thé de lune, boisson entraînant l’avortement, afin de ne jeter aucun déshonneur
sur sa famille. En effet, non seulement l’enfant aurait été conçu hors mariage,
mais il aurait eu pour père Littlefinger, membre d’une noblesse bien moins
prestigieuse que celle des Tully.
En outre, suite à cette expérience douloureuse, Lysa Arryn a perdu son éclat et
sa vivacité (elle qui était justement née à… Vivesaigues) et est devenue de plus
en plus lunaire – on pourrait même dire, en employant des termes familiers, de
plus en plus « perchée ». Or, cela n’est pas sans évoquer la position spatiale du
château des Eyrié, qui surplombe de plusieurs milliers de mètres la région du Val
d’Arryn. Si les Eyrié ne sont pas récurrents dans l’intrigue, les romans insistent à
chaque fois sur la difficulté réelle qui existe à monter jusqu’au château, ou même
à en redescendre. C’est tellement vrai que George R. R. Martin nous donne à
voir la montée de Catelyn Stark dans le tome 1, puis la descente de sa fille Sansa
dans le tome 4. À chaque fois, il s’agit de montrer que le trajet présente un
danger mortel permanent. Les Eyrié sont donc bien un lieu qui se trouve détaché
du monde des hommes, et par extension de la raison humaine. Lorsque Sansa
arrive aux Eyrié, elle trouve le lieu froid, vide et inhospitalier. Elle profite
d’ailleurs d’une chute de neige pour construire une version réduite et éphémère
de son château d’enfance. Preuve, là encore, que Winterfell est fortement associé
à sa famille et à son histoire personnelle. Reconstruire symboliquement
Winterfell est pour elle un moyen de ne pas céder totalement au désespoir.
L’altitude des Eyrié et le nom même des Montagnes de la Lune sur lesquelles se
trouve le château de la famille Arryn symbolisent certes la folie de Lysa, mais ils
renvoient également au détachement volontaire de cette région vis-à-vis des
conflits qui déchirent les Sept Couronnes. Au cours de la sanglante Guerre des
Cinq Rois, événement marquant des tomes et saisons 2 et 3, les Eyrié se gardent
bien de prendre parti, et ce alors même que Lysa est sollicitée par sa famille pour
lui apporter une aide précieuse dans ce conflit. Lysa voue certes une haine
farouche aux Lannister, mais elle préfère ne pas compromettre la sécurité de son
fils Robert, dont la santé est depuis toujours fragile.

La position spatiale des Eyrié permet de mieux comprendre la personnalité de Lysa Arryn mais aussi la
relative neutralité de ce territoire dans les conflits de Westeros (saison 1, épisode 5).

Certains autres lieux de l’intrigue présentent à l’inverse des titres qui ne sont
pas programmatiques. Le cas le plus emblématique est Port-Réal. Alors que ce
lieu a un nom royal et qu’il est la capitale des Sept Couronnes, il est en réalité
décrit comme un espace sale et malodorant. Il existe certes un contraste fort
entre les lieux fréquentés par la Cour royale et ceux fréquentés par le peuple :
symboliquement, le Donjon Rouge, la résidence royale, est l’extrême opposé de
Culpucier, l’un des quartiers les plus pauvres de Port-Réal. Toutefois, et bien que
cela puisse paraître paradoxal d’un point de vue aussi bien logique que physique,
la puanteur des rues de Port-Réal semble émaner directement de la Cour royale.
Celle-ci est en effet le lieu de nombreuses intrigues et manipulations, qui certes
élèvent socialement ceux qui se livrent au jeu des trônes mais finissent par les
abaisser moralement. Le personnage du Grand Moineau ne manquera d’ailleurs
pas d’en faire la remarque à Cersei et à Margaery Tyrell lors de leur
emprisonnement. En outre, les membres du Conseil royal restreint ne cherchent
aucunement à réduire l’extrême pauvreté des habitants de la ville. Ainsi, par leur
inaction, ils contribuent grandement à la puanteur récurrente de Port-Réal.

"L’ensemble des lieux des romans et de la série présente une


haute dimension symbolique.
Des espaces sont également construits en opposition les uns avec les autres.
C’est notamment le cas du Nord et de la région du Bief, dont la principale place-
forte est Hautjardin. Le fait que les Marcheurs Blancs viennent d’un espace
enneigé montre qu’ils sont associés à la mort. Dans la symbolique des saisons,
l’hiver annonce la venue prochaine du néant. Hautjardin s’avère être le parfait
opposé de ce qui se trouve au-delà Mur. Il semble en effet régner dans le Bief un
éternel été, qui garantit des récoltes abondantes et confère à la famille Tyrell une
immense richesse. Margaery, présentée comme une épicurienne dans la série et
plus encore dans les livres, semble voir son attitude directement influencée par le
château dans lequel elle a grandi.
Les lieux paraissent ainsi avoir une incidence directe sur les personnages. Les
Stark ont une certaine froideur, qui vient directement du climat dans lequel ils
vivent. Catelyn, qui est initialement une Tully, dit avoir mis du temps avant de
s’adapter au caractère des gens du Nord. Au Sud, les habitants de Dorne sont au
contraire tout feu tout flamme ! Le désert rouge à proximité duquel ils vivent
leur donne un très fort tempérament, perceptible chez le prince Oberyn Martell,
mais aussi dans les livres chez Arianne Martell, princesse de Dorne. En Essos,
les pyramides de Meereen, Astapor et Yunkaï ne sont pas sans rappeler les
grandes pyramides d’Égypte. Or, même si les égyptologues remettent en cause
cette image communément admise, on a tendance depuis le récit biblique de
l’Exode à considérer les Égyptiens comme de grands esclavagistes, ayant fait
élever leurs pyramides dans la souffrance et le sang. Dans la saga de
George R. R. Martin, on apprend que si les briques d’Astapor sont rouges, c’est
précisément parce que les esclaves ont versé leur sang au moment de
l’élaboration de la ville.
Les lieux de l’intrigue ont ainsi une très forte dimension symbolique. Ils
constituent non seulement des personnages à part entière, mais ils sont
également une clé de compréhension des principaux protagonistes et
antagonistes du récit. Malgré des différences majeures entre eux, les personnages
du Trône de fer et de Game of Thrones sont tous fondamentalement dépendants
du lieu dans lequel ils sont nés et ont grandi. C’est ce qui fait d’ailleurs de
Daenerys un personnage singulier. Elle n’a jamais eu de véritable maison, de
véritable patrie. Elle est au fond une citoyenne du monde, ce qui explique peut-
être la compassion qui est la sienne ainsi que sa capacité supposée à être une
bonne souveraine. Elle tendra en effet a priori à ne privilégier aucun royaume
une fois devenue reine de Westeros. Il n’est pas anodin de noter que Jon Snow
lui-même n’a pas de réelle patrie à laquelle se rattacher. En dehors même de son
statut de bâtard, il sent confusément qu’il n’appartient que partiellement à
Winterfell. Il refuse d’ailleurs d’être nommé gouverneur de Winterfell par
Stannis Baratheon, lorsque celui-ci se trouve dans le Nord. Ce détachement de
Jon vis-à-vis de la question du lieu et de la famille confirme non seulement qu’il
n’est pas uniquement un Stark, mais elle laisse également entendre qu’il serait,
comme Daenerys, un potentiel souverain vertueux, la question partisane n’étant
pas centrale à ses yeux.

"Les personnages du Trône de fer et de Game of Thrones sont


tous fondamentalement dépendants du lieu dans lequel ils sont
nés et ont grandi.
Les lieux disent enfin quelque chose de l’évolution des principaux
personnages de l’intrigue. La guerre entre Meereen et ses cités sœurs et voisines
d’Astapor et de Yunkaï montre que Daenerys fait de la fin de l’esclavage un
point central de son règne. L’impossibilité pour les Stark de se rendre à Port-
Réal, ou pour les Lannister de se rendre à Winterfell, manifeste toute la tension
qui finit par éclater entre ces deux familles. Or, symboliquement, l’intrigue
débute à Winterfell et voit l’ensemble des Stark et des Lannister réunis, à
l’exception de Tywin. Il semble bien, d’ailleurs, que la fin du récit montre une
ultime réunion entre les Stark et les Lannister à Winterfell, afin de lutter contre
cet ennemi commun que sont les Marcheurs Blancs. La boucle spatiale et
temporelle serait ainsi bouclée.

Un Mur entre deux mondes

Comme dans les romans arthuriens et les récits de Tolkien, Le Trône de fer
donne à voir un univers qui relève, en littérature, de ce que l’on appelle le
merveilleux. Cette notion doit être distinguée du fantastique, avec laquelle elle
est souvent confondue. Merveilleux et fantastique ont un point commun : on
emploie ces termes pour qualifier des phénomènes qui, si l’on se référait aux lois
physiques de notre monde actuel, seraient jugés surnaturels. Il serait ainsi
anormal de voir des Dragons, des Géants et des Marcheurs Blancs parcourir nos
rues ou nos forêts. La différence entre le fantastique et le merveilleux dépend
non pas du phénomène surnaturel en lui-même, mais de la perception qu’en ont
les principaux personnages de l’intrigue.
Dans Le Seigneur des Anneaux, il est admis de la grande majorité des
personnages que les Elfes et les Nains existent. Même les Hobbits qui, comme
Sam, n’ont jamais quitté la Comté, savent que des êtres très différents d’eux
vivent dans l’univers de la Terre du Milieu. De manière générale, Le Seigneur
des Anneaux est une œuvre dans laquelle le merveilleux est très volontiers
accepté par les personnages de l’intrigue. On peut dire à peu près la même chose
des romans de la saga Harry Potter. Tous les enfants qui partent étudier à
Poudlard savent que la magie existe. Aucun d’entre eux n’est fondamentalement
surpris des sortilèges qu’on leur enseigne ou dont ils peuvent par moments
souffrir. Les Moldus, eux, ne savent pas que la magie est pratiquée par quelques
initiés, et ils n’y sont presque jamais confrontés. Ils n’ont donc pas à s’interroger
sur l’existence de celle-ci.

"La différence entre le fantastique et le merveilleux dépend


non pas du phénomène surnaturel en lui-même, mais de la
perception qu’en ont les principaux personnages de l’intrigue.
Lorsqu’il y a en revanche un doute sur la nature du phénomène surnaturel
dans l’esprit d’un ou de plusieurs personnages, on parlera de fantastique. Les
nouvelles de Mérimée et de Maupassant, au XIXe siècle, ont souvent fait reposer
leurs intrigues sur cette ambiguïté propre au fantastique. Dans Conte de Noël de
Maupassant, par exemple, une femme visiblement possédée par le diable guérit
miraculeusement le jour de Noël. Mais le récit est volontairement très opaque
sur la question de sa guérison. Rien ne permet de déterminer si son état
préoccupant résultait réellement d’une action diabolique ou d’un simple
problème psychologique. Sa guérison peut certes être le fait d’une intervention
divine, mais la symbolique du jour de Noël peut aussi avoir eu valeur d’effet
placebo. Même après la lecture de ce conte, l’hésitation demeure. Or, la fantasy
est censée permettre la domination pleine et entière du merveilleux, comme c’est
le cas dans Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter. Pourtant, dans Le Trône de
fer et Game of Thrones, le traitement du merveilleux dans l’espace et le temps
est ambigu, et par là original.
En effet, il existe une opposition forte entre le temps du récit et les époques
très antérieures à celui-ci. Le cas du Mur est emblématique. Si l’on tient compte
de Westeros et d’une grande partie d’Essos, il existe peu de manifestations
pouvant réellement être considérées comme surnaturelles. Robert Baratheon ou
Ned Stark, qui appartiennent à la génération ayant vécu la guerre contre les
Targaryen, ne parlent à aucun moment d’expériences qui leur auraient semblé
surnaturelles. L’événement le plus marquant de leur existence paraît avoir été
leur Rébellion : ils l’évoquent du reste à de nombreuses reprises.
L’élément récent le plus surprenant à Westeros semble avoir été la présence de
dragons. Leur existence n’est pas remise en cause. En effet, les caves du Donjon
Rouge conservent les squelettes des différents dragons des Targaryen. On sait
simplement que ces dragons, à force de vivre en captivité, ont vu leur taille se
réduire au fil des générations. Ce phénomène est d’ailleurs révélateur du rapport
des habitants de Westeros au surnaturel et à la magie : plus le temps a passé, et
plus le merveilleux a quitté leur monde.
Tout ce qui, du point de vue du lecteur et du spectateur, pourrait être jugé
surnaturel est ainsi, a priori, contenu au-delà du Mur. Tyrion Lannister ne croit
toutefois pas que cela soit vrai, et le dit à Jon dans le tome 1 et la saison 1 : il
estime que le Mur protège les Sept Couronnes des Sauvageons, mais il juge qu’il
s’agit là de sa seule fonction. Il ne croit nullement au fait que le Mur, qui est
censé avoir également des propriétés magiques, soit là pour empêcher la venue
de monstres de différentes natures.
Le Mur symbolise donc dans le récit la frontière entre l’espace réel et l’espace
merveilleux. C’est d’autant plus vrai que les dragons ont disparu de Westeros, et
qu’aucune autre espèce étrange ne se trouve sur les terres des hommes. Les
Enfants de la Forêt, qui furent avec les Géants les premiers habitants de
Westeros, semblent en effet avoir disparu depuis longtemps. Se créent alors deux
catégories de personnages : ceux qui croient possible l’existence de phénomènes
surnaturels, et ceux qui pensent qu’il s’agit d’une élucubration.
À Winterfell, mestre Luwin et Vieille Nan incarnent cette opposition. L’un
comme l’autre sont au chevet de Bran pendant sa convalescence. Ils cherchent
tous deux à lui apporter leur soutien, car ils ont une affection sincère pour cet
enfant, qui a en outre été durement touché par le sort. Si mestre Luwin enseigne
à Bran un certain nombre de principes rationnels, Vieille Nan lui raconte de
nombreuses légendes. Bran semble enclin à croire à la véracité des histoires de
Vieille Nan, mais mestre Luwin lui montre que ces récits, pour passionnants
qu’ils soient, ne sont rien d’autre que des affabulations. On retrouve cette
opposition entre Tyrion et Jon dans le tome 1 et la saison 1. Le jeune homme
croit fondamentalement au bien-fondé de la mission confiée à la Garde de Nuit,
alors que Tyrion doute que la sécurité assurée par le Mur soit un bienfait
nécessaire au royaume.

"Dans Le Trône de fer et Game of Thrones, le traitement du


merveilleux dans l’espace et le temps est ambigu, et par là
original.
Nous sommes donc ici face à une réécriture originale du merveilleux dans un
récit de fantasy. En effet, le lecteur et le spectateur savent dès le début de
l’histoire que les Marcheurs Blancs existent. Le prologue du tome 1 et de la
saison 1 montre clairement l’œuvre des Marcheurs Blancs. Le doute ne peut
donc pas gagner le lecteur et le spectateur. En revanche, l’incrédulité est forte
chez les personnages. Hormis les membres de la Garde de Nuit, peu nombreux
sont ceux qui ont conscience du danger qui se présentera bientôt aux hommes.
La sauvageonne Osha, qui est devenue une servante des Stark après avoir franchi
le Mur pour gagner le Sud, dit d’ailleurs à Bran que la vraie bataille devrait être
menée au Nord. Robb Stark, en attaquant la Couronne, s’est d’après elle trompé
d’objectif :
« Dis-lui toujours ceci, petit, dis-lui qu’il part du mauvais côté. C’est au nord qu’il devrait
mener ses épées. Au nord, tu entends ? pas au sud. »7

La saison 7 repose du reste en grande partie sur la nécessité d’amener les


sceptiques à prendre conscience de la menace. Alors même qu’elle semble avoir
du respect et une certaine affection pour lui, Daenerys aimerait que Jon lui
apporte une preuve concrète de l’existence des Marcheurs Blancs. Conscients
que Cersei n’accordera aucun crédit à leurs histoires, Jon et ses compagnons
effectuent même une mission extrêmement dangereuse au-delà du Mur afin de
ramener un membre de l’armée des morts. À la fin de la saison 7, la majeure
partie des personnages principaux de l’intrigue croit en l’existence des
Marcheurs Blancs, preuve qu’un temps certain a été nécessaire pour aboutir à
cette reconnaissance. La population du sud de Westeros est toutefois encore loin
d’être au fait de cette angoissante réalité. Dans les livres, à la fin du tome 5, les
principaux personnages de l’intrigue ne savent pas, pour la plupart, que ceux que
l’on appelle également les « Autres » ne sont malheureusement pas une légende.

Le Mur symbolise dans le récit la frontière entre le monde normal et le monde merveilleux (saison 3,
épisode 6).

L’autre originalité du récit vis-à-vis de la question de l’espace est de ne pas


faire dépendre l’action du seul continent de Westeros. Alors même que les
principaux enjeux ont pour cadre le continent de l’Ouest (c’est là que se trouvent
le Trône de fer mais aussi les Marcheurs Blancs), une partie non négligeable de
l’action se situe en Essos. Si l’on compare la saga de Martin au Seigneur des
Anneaux, il s’agit en soi d’une véritable originalité narrative. En effet, dans la
trilogie de Tolkien, l’ensemble des événements se déroule en Terre du Milieu.
Frodon, Bilbon et Gandalf se rendent aux Havres Gris seulement à l’extrême fin
du troisième et dernier tome pour quitter la Terre du Milieu. Dans Le Trône de
Fer, non seulement les personnages se déplacent très souvent, mais certains
quittent tout simplement le territoire des Sept Couronnes. C’est le cas
notamment d’Arya, qui décide de se rendre à Braavos pour devenir une Sans-
Visage. C’est aussi le cas de Tyrion, qui est contraint de fuir Westeros à la fin du
tome 3 et de la saison 4 à cause de l’assassinat de son père.

"L’autre originalité du récit vis-à-vis de la question de


l’espace est de ne pas faire dépendre l’action du seul continent de
Westeros.
Enfin, la grande originalité du traitement de l’espace dans le récit vient de
l’importance accordée au personnage de Daenerys. Ayant été obligée de fuir
Westeros dès sa naissance, la jeune femme sait qu’elle ne pourra y revenir qu’en
conquérante. Elle est donc contrainte à un périple en Essos, qui lui est
doublement nécessaire. Il lui permettra dans un premier temps de se constituer
une armée, condition sine qua non à son retour sur ses terres natales (elle ne peut
compter initialement sur le soutien d’aucune famille majeure). Mais il lui
donnera également la possibilité dans un second temps de se préparer à
gouverner Westeros. Daenerys considère en effet son périple comme une
maturation essentielle pour elle et ses dragons. Elle l’affirme sans ambages à la
fin du tome 3 :
« Mais comment serais-je jamais capable, lui lança-t-elle, de gouverner sept couronnes
alors que je suis incapable de gouverner une simple ville ? » Il demeura sans voix. Elle se
détourna de tout son état-major et, à nouveau, s’abîma dans la contemplation de
Meereen. « Mes enfants ont besoin de temps pour guérir et apprendre. Mes dragons ont
besoin de temps pour grandir et pour éprouver leurs ailes. Et j’éprouve le même besoin. Je
ne laisserai pas cette ville emprunter les voies d’Astapor. Je ne laisserai pas la harpie de
Yunkaï réenchaîner les gens que j’ai affranchis. » Elle leur fit face afin de bien voir de
quelle manière ils réagiraient. « Je ne vais pas me remettre en marche.
– Que comptez-vous faire, alors, Khaleesi ? demanda Rakharo.
– Rester, dit-elle. Gouverner. Et me comporter en reine. »8

Plutôt que d’être une fin en soi, la gouvernance de Meereen est pour Daenerys
une étape nécessaire avant l’éventuelle gouvernance des Sept Couronnes. À
l’inverse des Lannister, qui placent tour à tour deux enfants (Joffrey et Tommen)
sur le Trône de fer, Daenerys considère que la tâche qui l’attend suppose un
entraînement minimal. Ainsi, Meereen occupe une place de premier ordre dans
le tome 5. La fin de ce roman se focalise quasi exclusivement sur les événements
qui mettent Meereen à feu et à sang. Ser Barristan Selmy est conscient que
Meereen n’est qu’une étape, et se plaît à le rappeler à Daenerys, notamment pour
l’inciter à ne pas se mettre trop en danger. Si Meereen n’est pas directement en
lien avec le Trône de fer ou la question des Marcheurs Blancs, ce lieu n’en est
pas moins essentiel à l’intrigue globale. On pourra dire qu’il n’est certes pas un
lieu dramatique, au sens où il n’a pas d’incidence immédiate sur les actions en
cours à Westeros. Mais il s’agit à n’en pas douter d’un lieu descriptif, au sens où
tout ce qui s’y passe contribue à faire évoluer Daenerys et ses dragons, appelés
tous les quatre à jouer un rôle central dans la destinée de Westeros. Dans le récit,
Essos est ainsi un continent qui prépare de grandes actions qui influenceront
ensuite la destinée de Westeros. Au moment où l’on voit Arya assassiner
l’ensemble de la famille Frey, dans le prologue de la saison 7, on sait qu’elle
parvient à accomplir cet acte majeur grâce à sa formation de Sans-Visage.
Formation qu’elle a reçue à Braavos, une ville située en Essos…
Bilan

Avec Le Trône de fer, George R. R. Martin est parvenu à créer un univers


fascinant, à la fois proche et différent de celui de la Terre du Milieu de Tolkien.
Si l’idée de cartographie temporelle rapproche les deux œuvres de fantasy, le
cycle romanesque de Martin paraît avoir deux originalités qui lui sont propres.
L’espace présente tout d’abord un très haut degré de symbolisme, qui le
constitue en personnage à part entière de l’intrigue et est révélateur de ce que
sont eux-mêmes les protagonistes et antagonistes du récit. Le merveilleux est
quant à lui traité sous un angle original, en ce que les phénomènes surnaturels
présents au-delà du Mur ne sont que tardivement considérés avec sérieux par
l’ensemble des protagonistes. Déplacer une partie de l’intrigue sur le continent
d’Essos, en dehors des zones de l’action principale, est une audace narrative qui
permet, en définitive, de montrer toute l’importance du personnage de Daenerys
Targaryen dans la suite de l’histoire.
Notes
1. J. R. R. Tolkien, Le Silmarillion, Paris, Pocket, édition établie et préfacée par Christopher Tolkien, texte traduit de l’anglais
par Pierre Alien, 1984, p. 13.
2. Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, Paris, GF Flammarion, édition établie par Claude Maisonnat et Josiane Paccaud-
Huguet, texte traduit de l’anglais par Jean-Jacques Mayoux, 2017, p. 49.
3. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, Paris, J’ai lu, texte traduit de l’anglais par Patrick Marcel, 2015, p. 198.
4. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 2, Paris, J’ai lu, texte traduit de l’anglais par Jean Sola, 2009, p. 100.
5. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, Paris, J’ai lu, texte traduit de l’anglais par Jean Sola, 2010, p. 1006-
1007.
6. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 1, Paris, J’ai lu, texte traduit de l’anglais par Jean Sola, 2009, p. 591. Les
enfants de Rhaegar ont été tués sans pitié par les hommes des Lannister lors du sac de Port-Réal, à la fin de la Rébellion de
Robert Baratheon et Ned Stark.
7. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 1, op. cit. p. 570.
8. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 1014.
Chapitre 3

Le coup de théâtre permanent

Le Trône de fer et Game of Thrones présentent une intrigue d’une grande


complexité. La série télévisée, bien qu’elle soit une adaptation, n’a d’ailleurs pas
cherché à simplifier à l’extrême ce que George R. R. Martin avait su mettre en
place dans ses romans. Nous verrons que les livres et la série ménagent une
esthétique de la surprise, en puisant notamment leur inspiration dans des genres
littéraires aussi divers que la nouvelle ou le théâtre.

Surprises, surprises

La plus grande originalité narrative du Trône de fer et de Game of Thrones est


leur capacité à instituer un coup de théâtre permanent. Entendons par là que le
récit ne cesse de surprendre le lecteur et le spectateur, et pas uniquement par
l’apparition de nouveaux personnages, procédé qui ne prend en effet toute son
ampleur qu’à partir du tome 4 et de la saison 4. Le coup de théâtre est un
emprunt au genre littéraire du même nom. On peut dès lors estimer que
George R. R. Martin cherche à exploiter le plus possible un des grands atouts du
genre romanesque : sa capacité à faire siennes les caractéristiques des autres
genres littéraires. La théoricienne française Marthe Robert évoque ce point
essentiel dans son ouvrage Roman des origines et origines du roman :
La fortune extraordinaire qu’il a connue en si peu de temps, c’est vraiment en parvenu que
le roman l’a gagnée, car, à y regarder de près, il la doit surtout à ses conquêtes sur les
territoires de ses voisins, qu’il a patiemment absorbés jusqu’à réduire presque tout le
domaine littéraire à l’état de colonie. Passé du rang de genre mineur et décrié à une
puissance probablement sans précédent, il est maintenant à peu près seul à régner dans
la vie littéraire, une vie qui s’est laissé façonner par son esthétique et qui, de plus en plus,
dépend économiquement de son succès. Avec cette liberté du conquérant dont la seule loi
est l’expansion indéfinie, le roman, qui a aboli une fois pour toutes les anciennes castes
littéraires – celles des genres classiques –, s’approprie toutes les formes d’expression,
exploite à son profit tous les procédés sans même être tenu d’en justifier l’emploi. Et
parallèlement à cette dilapidation du capital littéraire accumulé par les siècles, il s’empare
de secteurs de plus en plus vastes de l’expérience humaine, dont il se targue souvent
d’avoir une connaissance approfondie et dont il donne une reproduction, tantôt en la
saisissant directement, tantôt en l’interprétant à la façon du moraliste, de l’historien, du
théologien, voire du philosophe et du savant.1

Dans les chapitres suivants, nous aurons tout loisir d’observer que le roman ne
se limite effectivement pas à la seule littérature, ce genre pouvant développer des
réflexions qui relèvent de sciences et de disciplines extrêmement différentes. La
série télévisée, sans être un support littéraire, reprend pour sa part fidèlement cet
emprunt au genre romanesque.
Le procédé du coup de théâtre est mis en œuvre dès le tome 1 et la saison 1.
Métaphoriquement, on associe souvent le coup de théâtre à une chute : un
événement brutal semble s’abattre sur la scène. Référence volontaire ou non à
cette tradition, le premier fait marquant de la saga est justement la chute de
Brandon Stark d’une tour de Winterfell. Poussé par Jaime Lannister, qui ne veut
pas que le jeune garçon rapporte à ses parents ses ébats incestueux avec sa sœur
Cersei, Bran sera plongé dans le coma, puis se réveillera définitivement paralysé.
Cet événement peut heurter la sensibilité du lecteur et du spectateur, d’autant
qu’il se situe à la fin d’un chapitre (et d’un épisode, dans la série). On ignore
alors si Bran va survivre à sa chute. Voir Jaime Lannister pousser en conscience
un enfant innocent, après avoir pris le temps de lui parler, est contraire à toute
règle morale. On peut estimer que cette chute donne d’emblée le ton de la saga.
Il s’agit ainsi de faire comprendre au lecteur et au spectateur que rien ni
personne ne sera épargné.

"La plus grande originalité narrative du Trône de fer et de


Game of Thrones est leur capacité à instituer un coup de théâtre
permanent.
L’autre fait marquant du tome 1 et de la saison 1 est l’exécution, à Port-Réal,
sur l’esplanade du Grand Septuaire de Baelor, de Ned Stark. Cet épisode est-il
aussi choquant que la chute de Bran ? On peut estimer que c’est le cas. En effet,
Ned est le personnage principal du tome 1 et de la saison 1. Sa décision de
quitter Winterfell pour devenir la Main du roi Robert est l’un des principaux
éléments déclencheurs des péripéties qui vont suivre. C’est en effet en suivant
leur père à Port-Réal que Sansa et Arya seront ensuite confrontées à une somme
considérable d’épreuves et d’atrocités. C’est également par sa capacité à
découvrir la vérité sur les enfants Baratheon (Joffrey, Myrcella et Tommen sont
le fruit d’un inceste) que Ned précipitera involontairement la mort du roi Robert.
Cersei, consciente du grave danger qui la guette, veillera à ce que le roi meure
accidentellement au cours d’une chasse, avant qu’il ne puisse avoir connaissance
de ses ébats incestueux avec son frère Jaime. C’est aussi parce que Ned, son
supposé père, ne lui a jamais dit la vérité au sujet de sa mère que Jon finit par
vouloir rejoindre la Garde de Nuit. Il laissera d’ailleurs entendre qu’il n’aurait
sans doute jamais fait ce choix si son père s’y était opposé. Enfin, Ned ne
cautionne pas la décision unanime du Conseil restreint de mettre tout en œuvre
pour assassiner Daenerys Targaryen. Par son opposition ferme à ce projet, il
contribue indirectement à réduire les risques encourus par la jeune femme et la
maintient ainsi dans le jeu des trônes. Si donc Le Trône de fer et Game of
Thrones n’ont certes pas réellement un personnage principal, il est certain qu’ils
en avaient initialement un en la personne de Ned Stark.

L’exécution de Ned Stark est l’un des événements les plus surprenants des livres et de la série (saison 1,
épisode 9).

La mort de Ned est l’événement qui amènera un véritable éclatement des arcs
narratifs, et conférera à certains d’entre eux une autonomie. En effet, c’est Ned
qui était jusqu’à sa mort le dénominateur commun de la grande majorité des arcs
narratifs. Son exécution n’en est ainsi que plus surprenante. Elle l’est d’autant
plus que, pour la deuxième fois de sa vie (le seul précédent concerne l’identité
de Jon Snow), le personnage accepte d’aller contre ses principes d’honnêteté en
mentant sciemment, par amour pour ses filles Sansa et Arya. Enfin, il se déclare
parjure afin de pouvoir bénéficier du pardon royal. Or, Joffrey prend note de la
déclaration de Ned mais, contre toute attente et surtout contre la volonté de sa
propre mère, il décide de le faire exécuter par son bourreau, Ilyn Payne. On
retrouve symboliquement ici l’illustration de la notion de coup de théâtre :
littéralement, le couperet tombe. Le recours au coup de théâtre se trouve ainsi au
début et à la fin du tome 1 et de la saison 1. Il est bien présenté comme la
tonalité dominante de la narration des livres et de la série.

"La mort de Ned est l’événement qui amènera un véritable


éclatement des arcs narratifs, et conférera à certains d’entre eux
une autonomie.
Le dernier chapitre du tome 1 et le dernier épisode de la saison 1 se concluent
d’ailleurs tous deux sur un autre coup de théâtre, certes positif cette fois-ci, mais
toujours aussi surprenant. Alors que l’on s’attend à voir Daenerys périr dans le
bûcher funéraire de son mari Khal Drogo, non seulement elle en ressort vivante,
mais elle est accompagnée de trois bébés dragons, qui viennent tout juste
d’éclore. Si cet événement est un signe d’espoir pour un personnage qui, depuis
le début de son existence, n’a pas été épargné par le sort, le recours au coup de
théâtre est la plupart du temps négatif.

Les Noces Pourpres : une dramaturgie morbide

L’événement le plus surprenant de tous est sans aucun doute celui des Noces
Pourpres. On sait que cet épisode a souvent été jugé comme le plus choquant de
la série par les spectateurs. En effet, on peut alors difficilement s’attendre à ce
que Robb Stark et sa mère Catelyn meurent au cours du banquet de mariage
d’Edmure Tully, qui n’est autre que l’oncle et le frère de ces deux personnages.
Certes, la famille Frey, dans le château de laquelle se tient ce mariage, a des
raisons d’en vouloir aux Stark. Robb devait épouser l’une des filles du Seigneur
du Pont, mais il a succombé aux charmes d’une autre femme pendant qu’il
guerroyait. Non seulement la jeune femme est alors devenue son épouse légitime
(notons qu’il ne s’agit pas de la même personne dans le roman et dans la série),
mais Robb n’a à aucun moment cherché à la répudier. Walder Frey peut donc à
raison considérer cet acte comme une injure, d’autant que les Stark sont réputés
respecter la parole donnée.
La mort de Robb et de sa mère n’en demeure pas moins surprenante. En les
tuant, Walder Frey va tout d’abord à l’encontre d’une règle qui, dans la saga, est
considérée comme sacrée : un hôte avec lequel on a partagé symboliquement le
pain et le sel ne doit en aucune façon être menacé pendant l’ensemble de son
séjour. Or, Catelyn, consciente du danger, veille à ce que Robb mange dès leur
entrée aux Jumeaux du pain et du sel. Même la série met en scène, brièvement,
ce fait capital.

" L’événement le plus surprenant de tous est sans aucun doute


celui des Noces Pourpres.
Le meurtre de la mère et du fils Stark est ici d’autant plus inattendu et
choquant que Robb s’est excusé d’avoir manqué à sa parole, et a d’ailleurs
obtenu le pardon public de Walder Frey. En outre, l’assassinat du roi du Nord
intervient lors du mariage de son oncle Edmure, un événement non seulement
joyeux mais politiquement essentiel, car il renforce l’alliance entre les Tully
(alliés des Stark) et les Frey. D’un point de vue stratégique, la vengeance de
Walder Frey est donc étrange, voire illogique, surtout que le personnage est
présenté comme peu enclin à l’audace (ce qui explique peut-être qu’il soit
parvenu à vivre si longtemps). Tuer Robb Stark et sa mère est l’assurance pour
Walder Frey de voir deux royaumes plus puissants que le sien s’opposer à lui :
celui des Stark et celui des Tully. Les Eyrié pourraient également entrer en
guerre contre lui par vengeance, Lysa Arryn étant la sœur de Catelyn Stark. Il
s’agirait donc d’un véritable suicide politique.
Or, on apprend seulement après les Noces Pourpres que les Lannister et les
Frey ont conclu un pacte secret, qui inclut également les Bolton. Plutôt que de se
mettre en danger en commettant ces odieux homicides, Walder Frey a donc pu
au contraire en retirer un avantage. En effet, Tywin Lannister lui a garanti qu’en
récompense de ce crime, il deviendrait le suzerain du Conflans, région alors
gouvernée par la famille Tully. Le lecteur et le spectateur n’obtiennent donc qu’a
posteriori une réponse rationnelle à leur légitime surprise.

Walder Frey a un rôle central lors des Noces Pourpres. Non pas seulement en tant que père de la mariée,
mais surtout en tant que metteur en scène d’un effroyable piège tragique. (saison 1, épisode 9).

"Le meurtre de la mère et du fils Stark est ici d’autant plus


inattendu et choquant que Robb s’est excusé d’avoir manqué à sa
parole, et a d’ailleurs obtenu le pardon public de Walder Frey.
Cela n’empêche toutefois pas les Noces Pourpres d’être un véritable coup de
théâtre. Non seulement rien ne permettait de prévoir un tel événement, mais le
mariage d’Edmure Tully avec une fille Frey devait améliorer la situation des
Stark, et non l’empirer. Le coup de théâtre est d’autant plus fort que Walder Frey
agit en véritable metteur en scène de la tragédie qui va se jouer dans son château.
Comme dans un théâtre, les portes de la salle du banquet sont fermées avant le
« spectacle » sanglant qui va s’y dérouler, et les musiciens jouent avant le
massacre final « Les Pluies de Castamere », hymne officieux de la maison
Lannister, alors ennemi juré de la famille Stark. Walder Frey décide enfin lui-
même du sort de chaque « acteur » de cette pièce morbide. Il n’accorde ainsi
aucune importance aux paroles de Catelyn Stark, qui lui propose un échange
entre un membre de la famille Frey qu’elle tient sous son poignard, et son fils
Robb Stark. Walder Frey entendait que les Noces Pourpres soient une tragédie
totale : elles le seront effectivement.

Le jeu de la mort et du hasard

De manière générale, le procédé du coup de théâtre est employé dans chaque


tome et dans chaque saison de la saga. Cela consiste la plupart du temps à jouer
sur la question de la mort. Certains personnages meurent ainsi au cours du récit,
alors qu’ils occupaient une place importante dans l’intrigue. On pense
notamment à Tywin Lannister qui, dans le tome 3 et la saison 4, meurt alors qu’il
est Main du roi et paraît au comble du pouvoir. En effet, Tommen est encore
jeune et ne s’intéresse pas à la pratique réelle du pouvoir. Dans les romans, on
nous apprend même que le principal intérêt de Tommen en tant que souverain
des Sept Couronnes est de jouer avec le sceau royal ! Tywin est donc à ce
moment-là le détenteur officieux du Trône de fer. Alors qu’il a réussi à abattre la
majeure partie de ses adversaires (Baratheon, Stark, Tully) ou à s’en faire des
alliés (Tyrell, Frey, Bolton), il est tué par son propre fils, Tyrion, dans une
situation qui n’a rien d’héroïque. Symboliquement, il se trouve en effet au
moment de son assassinat sur un autre trône, bien peu glorieux : les latrines de
son propre logement.
Le parricide est une autre étape franchie dans la mise en œuvre du coup de
théâtre. C’est d’autant plus vrai que la famille a une importance capitale dans la
saga, où elle est pratiquement considérée comme une notion sacrée. Nous y
reviendrons. La surprise du meurtre de Tywin Lannister repose également sur le
fait que cet acte ne devrait alors aucunement être la priorité de Tyrion. Tout juste
libéré grâce à l’intervention salutaire de son frère Jaime, il devrait
immédiatement songer à s’enfuir. Il va de soi que son évasion miraculeuse
déclenchera l’ire de Cersei, qui mettra tout en œuvre pour le retrouver et le punir.
Par ailleurs, l’acte d’amour fraternel de Jaime devrait amener Tyrion à ne pas
vouloir affaiblir sa famille. Personnage intelligent, Tyrion doit être conscient que
la mort de Tywin créera une instabilité politique dont les siens souffriront. Ce
sera effectivement le cas ultérieurement, le tome 4 et les saisons 5 et 6 montrant
à quel point Cersei doit lutter contre l’influence grandissante des Tyrell (qui était
jusqu’alors contenue par Tywin). À la fin de la saison 7, Cersei reprochera
d’ailleurs à Tyrion l’égoïsme de son geste. La mort de Tywin est donc elle aussi
très surprenante. Tyrion n’écoute pas sa raison lorsqu’il commet ce parricide,
mais laisse au contraire s’exprimer sa fureur.

"De manière générale, le procédé du coup de théâtre est


employé dans chaque tome et dans chaque saison de la saga. Cela
consiste la plupart du temps à jouer sur la question de la mort.
Dans les romans – mais la série procède également souvent de même avec les
épisodes –, un chapitre peut se clore en laissant entendre que l’un des
personnages va mourir. Il s’agit de ce que l’on appelle un cliffhanger, terme qui
désigne une fin ouverte destinée à créer une forte attente. Dans le tome 4, par
exemple, on quitte Brienne au moment où la Fraternité sans Bannière décide de
la pendre. Or, on finit par retrouver la jeune femme bien vivante dans la dernière
partie du tome 5 : elle demande alors à Jaime Lannister de l’accompagner, sa
présence étant visiblement impérative au succès de leur quête commune, qui est
de retrouver les filles Stark.
De même, dans les tomes 4 et 5, la dernière image que l’on a de Samwell et de
Tyrion est celle de leur noyade. Or, le lecteur devra ensuite attendre un temps
certain avant d’apprendre qu’ils ont été finalement secourus. La série, sans
reprendre l’ensemble de ces événements, procède également de même sorte. Elle
fait d’ailleurs une discrète référence aux livres lors de la saison 7. À la fin de
l’épisode 4, nous voyons Jaime en train de sombrer dans les eaux d’un fleuve,
après avoir tenté de tuer Daenerys sur le champ de bataille. Personne ne semble
alors en mesure de le secourir. Le spectateur devra attendre le début de l’épisode
suivant pour assister à son sauvetage par Bronn.
Le coup de théâtre est également rendu possible, dans les livres et parfois dans
la série, par le recours à la rumeur. Les personnages étant parfois
géographiquement très éloignés les uns des autres, et les moyens de
communication n’étant pas toujours d’une grande fiabilité, des informations
totalement erronées peuvent circuler sur certains d’entre eux. Dans le tome 3, on
fait d’ailleurs explicitement comprendre au lecteur que la situation de guerre
civile qui règne à Westeros depuis l’emprisonnement puis l’exécution de Ned
Stark contribue à créer une grande confusion informationnelle :
C’est si propice à la confusion, la guerre, au foisonnement des rapports trompeurs…2

Dans les romans, deux personnages sont pendant longtemps prétendument


morts sans que cette information ne soit démentie : Ramsay Bolton et Davos
Mervault. Ils ne sont toutefois pas les seuls à être victimes de la rumeur : à la fin
du tome 5, personne ne sait ce qu’il est advenu de la reine Daenerys… Beaucoup
pensent qu’elle est morte. De nombreux témoins visuels disent l’avoir vue tantôt
écrasée par Drogon, tantôt noyée dans les flots de la Baie des Serfs. Le lecteur
doit attendre la fin du tome 5 pour savoir ce qu’il lui est arrivé. Dans la série, on
doit également attendre, la saison 6 nous permettant de connaître la situation
exacte de la reine depuis sa fuite.

"Le coup de théâtre est également rendu possible, dans les


livres et parfois dans la série, par le recours à la rumeur. Les
personnages étant parfois géographiquement très éloignés les uns
des autres, et les moyens de communication n’étant pas toujours
d’une grande fiabilité, des informations totalement erronées
peuvent circuler sur certains d’entre eux.
Le recours à la rumeur nous montre que la surprise et l’instabilité ne sont pas
simplement des procédés qui visent à ménager un suspens plaisant pour le
lecteur et le spectateur. En effet, on constate que les personnages eux-mêmes
souffrent de ne pas disposer d’informations précises sur les individus majeurs de
leur propre monde. À la fin du tome 5, il est très difficile de déterminer si le
Limier est réellement mort. Beaucoup d’informations donnent à penser que c’est
le cas, mais il n’y a pas de certitude absolue à ce sujet. C’est également vrai dans
la série. Arya abandonne le Limier en train d’agoniser, mais sans que le
spectateur ne puisse être totalement certain de sa mort prochaine. On retrouvera
en fait le personnage bien vivant au cours de la saison 6.
Le Trône de fer et Game of Thrones présentent ainsi une intrigue originale en
ce qu’elle établit comme principe le règne de l’incertitude et de la surprise. Il
s’agit bien, de fait, d’un récit d’aventures. Le philosophe français Vladimir
Jankélévitch, qui s’est beaucoup intéressé à cette notion, disait dans son essai
L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux que l’une des principales caractéristiques de
l’aventure était d’être profondément incertaine et ambiguë.

Avis de recherche : personnage principal

Les cinq tomes actuellement publiés du Trône de fer et les sept saisons de Game
of Thrones présentent souvent une même cohérence dans leur construction
narrative. Chaque tome possède un prologue (ou prélude) qui met en scène dans
la très grande majorité des cas des personnages secondaires ou extérieurs à
l’intrigue principale. C’est encore plus vrai pour les romans que pour la série.
Bien souvent, ces prologues s’achèvent dans le sang. Ils sont une entrée en
matière violente, qui permet au lecteur et au spectateur de se rappeler d’emblée
que l’univers décrit est impitoyable.
Dans la série télévisée, les saisons 1, 3, 4 et 7 possèdent chacune un prologue,
à la différence des saisons 2, 5 et 6. Si le prologue est identique pour le tome 1 et
la saison 1, ce n’est pas systématiquement le cas pour les autres. Mais il y a une
réelle volonté de Benioff et Weiss, les deux showrunners de la série, de
reproduire régulièrement ce fil rouge narratif. On trouve également un épilogue
dans les romans, mais il n’est présent qu’à la fin des tomes 3 et 5. Dans la série,
l’ultime épisode de chaque saison s’achève souvent sur l’image d’un ou de
plusieurs dragons. C’est le cas à la fin des saisons 1, 3, 6 et 7.
Une fois le prologue passé, la narration des livres et de la série ne suit pas
nécessairement un ordre chronologique, ce qui est pourtant la manière la plus
classique de procéder dans le cadre de l’écriture d’une histoire. Ainsi, plutôt que
de faire avancer le récit en se focalisant sur des actions qui s’enchaînent
chronologiquement, la saga se focalise sur les personnages. Dans les romans, le
titre des chapitres, exception faite du prologue mais aussi de l’épilogue, porte
systématiquement le nom d’un personnage de l’intrigue. Une évolution est
toutefois à signaler : à partir du tome 4, ce n’est plus systématiquement le
prénom des personnages qui se trouve en tête de chapitre. Ainsi, certains titres
ont recours au procédé littéraire de la périphrase, qui consiste à créer un groupe
nominal assez long pour désigner un être ou un objet autrement que par son
nom. La périphrase la plus célèbre est « le roi des animaux » pour désigner le
lion. Dans les romans de George R. R. Martin, les personnages Fer-nés, comme
Theon, sont souvent désignés par des périphrases (« Le prince de Winterfell »,
par exemple). Le procédé de la périphrase est également employé dans le
tome 5, sans pour autant être une norme. Dans les romans comme dans la série,
le principe narratif consiste donc à se focaliser, pendant un temps limité, sur un
personnage précis de l’intrigue.

"Plutôt que de faire avancer le récit en se focalisant sur des


actions qui s’enchaînent chronologiquement, la saga se focalise
sur les personnages.
Le procédé mis en place dans les romans puis repris dans la série s’oppose à
l’idée même de personnage principal. Bien malin qui pourrait dire quel est le
personnage central du Trône de fer et même de Game of Thrones. Est-ce
Daenerys ? Cersei ? Tyrion ? Jon ? Arya ? Il semble très difficile de donner une
réponse pleinement satisfaisante à cette question. Or, il s’agit là d’une véritable
originalité narrative. Dans la majeure partie des romans et des séries, il est
possible de désigner un personnage principal. Même des intrigues romanesques
ou télévisuelles complexes ne s’opposent pas à la reconnaissance d’un
personnage central. On peut se référer à pratiquement n’importe quel roman
français ou étranger composé entre le Moyen Âge et le XXIe siècle pour le vérifier.
Des séries populaires récentes comme The Big Bang Theory ou How I Met Your
Mother mettent en scène des groupes d’amis, dont l’importance de chaque
membre est quasiment identique ; pour autant, l’intrigue accorde une place
narrative plus importante à Leonard Hofstadter ou Ted Mosby.
Le roman La Horde du Contrevent (2004) de l’écrivain français Alain
Damasio, postérieur à l’écriture et à la publication des premiers tomes du Trône
de fer, modifie lui aussi nos pratiques de lecture. En écrivant l’histoire d’une
horde de vingt-trois individus dont l’objectif est de trouver l’origine des vents
violents qui balaient leur monde, Damasio prend soin de donner à entendre les
pensées de la majeure partie des personnages de ce groupe. Ainsi, il n’existe pas
un narrateur neutre et extérieur aux faits. Ce sont les personnages eux-mêmes
qui racontent l’histoire. Mais un personnage principal finit par s’imposer : le
scribe Sov Strochnis, dont la voix intervient plus souvent que celles de tous les
autres. Il sera également le seul survivant de cette formidable épopée.

"Bien malin qui pourrait dire quel est le personnage central du


Trône de fer et même de Game of Thrones…
Dans Le Trône de fer et Game of Thrones, aucun personnage ne s’impose de
manière systématique. Au contraire, on constate un changement régulier de
protagonistes. Dans les livres, chaque tome amène souvent un personnage à être
un peu plus présent que les autres. Dans le tome 1, c’est Ned Stark qui est le
personnage-chapitre le plus récurrent (quinze occurrences). Dans le tome 2, c’est
Tyrion Lannister (quinze occurrences également). Le tome 3 est dominé par
Arya (treize occurrences), mais Jon (douze occurrences) et Tyrion (onze
occurrences) la suivent de près. Dans le tome 4, le personnage le plus mis en
valeur est Cersei Lannister (dix occurrences). Ce tome établit toutefois, à
distance, une sorte de triangle amoureux, les deux autres personnages majeurs du
récit étant alors Brienne (huit occurrences) et Jaime (sept occurrences). Le
tome 5 voit lui aussi trois personnages le dominer : Jon (treize occurrences),
Tyrion (douze occurrences), Daenerys (dix occurrences) étant plus souvent
présents que tous les autres protagonistes. Ces différents relevés montrent ainsi
qu’il n’y a pas un personnage qui s’impose globalement dans Le Trône de fer, ce
que la série Game of Thrones respecte elle-même globalement. On comprend dès
lors pourquoi George R. R. Martin s’est toujours refusé à voir son œuvre adaptée
au cinéma : il aurait été impossible de traiter le cas personnel de chaque
personnage dans un format temporellement très limité.
Quelques remarques supplémentaires peuvent être effectuées. D’abord, un
seul personnage apparaît dans chaque tome : Arya. Ainsi, bien qu’elle ne soit
que le troisième personnage le plus récurrent (elle est trente-deux fois
personnage-chapitre dans l’ensemble des tomes), elle est la seule dont les
pensées nous soient accessibles tout au long du récit. Ensuite, Tyrion s’avère être
le personnage le plus présent : il est quarante-sept fois personnage-chapitre, ce
qui représente au total 625 pages. On trouve ensuite Jon Snow (quarante-deux
apparitions pour 555 pages), Arya (trente-deux apparitions pour 421 pages) et
Daenerys (trente et une apparitions, certes, mais un nombre de pages supérieur à
celui d’Arya : 444). Les cinq premiers tomes du Trône de fer actuellement parus
comprennent vingt-quatre personnages-chapitres, ce qui est considérable. On
peut estimer que ce chiffre est une nécessité si l’on s’en tient au fort taux de
mortalité présent dans la saga. Quatre d’entre eux meurent au cours de l’intrigue,
et pas des moindres : Catelyn Stark (vingt-cinq occurrences, ce qui la classe
cinquième personnage-chapitre le plus récurrent), Ned Stark (quinze
occurrences, neuvième personnage-chapitre et personnage-chapitre le plus
récurrent du tome 1), Arys du Rouvre et Quentyn Martell (trois occurrences
chacun). S’il y a donc une nécessité à remplacer les personnages morts, il s’agit
également de mettre en place une esthétique qui n’est pas sans rappeler celle de
la nouvelle.

Que ce soit dans les livres ou dans la série, il est difficile de déterminer qui est le personnage principal de la
saga. Tyrion, Daenerys et Jon semblent toutefois être les personnages les plus importants de l’intrigue
(saison 7, épisode 7).

Que d’histoires !

Dans les romans, chaque chapitre présente sa propre autonomie narrative. S’il le
souhaitait, le lecteur du Trône de fer pourrait mener l’expérience suivante : ne
lire dans chaque tome que les aventures du personnage de son choix. Ainsi, bien
que cela puisse poser à terme quelques problèmes de compréhension, il lui serait
tout à fait possible, dans le tome 4, de ne lire que les aventures de Brienne. La
jeune femme part à la recherche de Sansa Stark, et vit avec son écuyer Podrick
Payne des aventures qui ne sont pas directement rattachées à celles des autres
personnages. Les deux autres personnages majeurs de ce tome 4 (Cersei et
Jaime) vivent eux-mêmes des aventures dont les lieux et les objectifs poursuivis
sont extrêmement différents. Ainsi, à Port-Réal, Cersei s’évertue à nuire à
Margaery Tyrell. Elle craint en effet que la jeune femme ne finisse par la
supplanter, aussi bien dans le cœur de son fils Tommen que par son influence
politique. Jaime, quant à lui, est chargé d’aider les Frey à conquérir
définitivement le château de Vivesaigues, défendu avec vaillance par Brynden
Tully, dit le Silure. Chacun de ces trois arcs narratifs présente ainsi sa propre
autonomie. C’est également le cas dans la série. L’arc narratif d’Arya n’est que
peu rattaché à celui des autres personnages. Symboliquement, d’ailleurs, cet arc
narratif prend place à Braavos, un lieu qui n’est fréquenté par aucun autre
personnage majeur de la série3.

"Dans les romans, chaque chapitre présente


sa propre autonomie narrative. S’il le souhaitait, le lecteur
du Trône de fer pourrait mener l’expérience suivante : ne lire
dans chaque tome que les aventures du personnage de son choix.
La saga modifie ainsi radicalement les pratiques de lecture d’un roman mais
aussi celles de visionnage d’une série. Les romans et leur adaptation s’inspirent
dans leur construction narrative de l’esthétique de la nouvelle en ce que chaque
arc narratif est, en soi, une petite histoire singulière. Ainsi, dans les romans de
George R. R. Martin, un chapitre présente toujours un début, un développement
et une fin souvent forte. C’est également le cas dans la série : l’aventure vécue
par un personnage a souvent sa propre cohérence dans un épisode. La singularité
du Trône de fer et de Game of Thrones est le fait de ne pas être une seule
histoire, mais une multitude d’histoires dans des lieux extrêmement variés. Non
seulement cela confère au lecteur la sensation de s’évader, mais cela empêche
également le surgissement de l’ennui. Le lecteur n’accorde pas une grande
importance aux aventures de Brienne ? Aucune inquiétude : le chapitre et
l’épisode suivants parleront de Jaime. Le lecteur apprécie les intrigues de
Meereen, mais aimerait voir plus d’action ? Le chapitre et l’épisode suivants
parleront des aventures de Jon en tant que Lord Commandant de la Garde de
Nuit. Cette grande diversité permet au lecteur de ne jamais connaître la lassitude.
Chaque chapitre se présente comme un éternel recommencement et donne au
lecteur l’impression de se trouver au début d’un nouveau roman. Ce procédé
n’est pas sans rappeler celui mis en œuvre dès la fin des années 1970 par
l’écrivain italien Italo Calvino, dans son roman ludique Si par une nuit d’hiver
un voyageur (1979). Chaque nouveau chapitre de ce texte donnait en effet à
entendre une nouvelle histoire brève, systématiquement inachevée. Dans Le
Trône de fer et Game of Thrones, cette grande diversité narrative amène le
lecteur et le spectateur à s’attacher aux personnages car, ceux-ci n’étant pas
présents en permanence au cours de la lecture et du visionnage, ils ne risquent
pas d’éprouver de lassitude à leur égard. Dans ses romans, George R. R. Martin
pousse le procédé tellement loin que trois des principaux personnages de
l’intrigue (Daenerys, Jon et Tyrion) sont même absents du tome 4 ! L’écrivain
américain se sentit d’ailleurs obligé de justifier leur absence dans la postface de
cet ouvrage :
« Eh là, minute, papillon ! risquent d’être en train de se dire certains d’entre vous. Une
minute, oh ! Attendez une minute ! Où sont Daenerys et les dragons ? Où est passé
Tyrion ? C’est à peine si nous avons entrevu Jon Snow. Il n’est pas possible que ce soit là
tout… » Eh bien, non. Il va arriver plein d’autres choses. Dans un nouveau tome aussi
gros que les précédents. Je n’ai pas oublié les autres personnages. Loin de là. J’ai écrit
des quantités de choses sur eux. Des pages et des pages et des pages. Des chapitres et
encore des chapitres. J’étais encore en train d’écrire quand je me suis rendu compte que
le livre était devenu trop gros pour se publier en un seul volume, et que je n’étais toujours
pas près d’en avoir fini. Pour raconter toute l’histoire que j’avais envie de raconter, j’allais
devoir couper le livre en deux. La solution la plus simple aurait été de prendre ce que
j’avais, de trancher à peu près au milieu et de conclure par l’annonce : « À suivre. » Mais
plus j’y réfléchissais, plus je percevais que les lecteurs seraient mieux servis par un livre
qui leur conterait tous les événements concernant une moitié des héros plutôt qu’une
moitié des événements concernant l’ensemble des héros. Et voilà la route que j’ai fini par
choisir d’emprunter. Tyrion, Jon, Daenerys, Stannis et Mélisandre, Davos Mervault et tous
les autres personnages que vous aimez ou que vous aimez à détester, vous les
retrouverez au cours de l’année prochaine (je l’espère ardemment) dans A Dance with
Dragons, qui se concentrera sur les événements se déroulant le long du Mur et de l’autre
côté de la mer, de même que ce volume-ci se concentrait sur ceux de Port-Réal.
(George R. R. Martin, juin 2005).4

Les propos tenus par Martin montrent toute la complexité de la narration qu’il
a choisi d’adopter. Alors que le tome 1 comprenait huit personnages-chapitres, le
chiffre a fini par exploser pour atteindre le nombre de vingt-quatre personnages-
chapitres à la fin du tome 5. S’il redescend à vingt car quatre personnages-
chapitres sont morts au cours du récit, on constate toutefois qu’il reste très élevé.

"La saga modifie ainsi radicalement les pratiques de lecture


d’un roman mais aussi celles de visionnage d’une série.
Certes, des quêtes sont rattachées à d’autres quêtes. À la fin du tome 5, on
peut schématiquement regrouper quelques personnages dans de mêmes arcs
narratifs, qui s’avèrent se dérouler souvent dans un même espace : le Nord et le
Mur (Jon, Theon, Davos, Asha, Mélisandre, Bran) ; Port-Réal et la conquête du
Trône de fer (Cersei, Jon Connington) ; les intrigues de Meereen (Daenerys, Ser
Barristan Selmy, Tyrion, Victarion Greyjoy) ; la situation politique de Dorne
(Areo Otah, Arianne Martell) ; la recherche des filles Stark (Jaime, Brienne).
Ces arcs narratifs n’entretiennent pas nécessairement de liens les uns avec les
autres. Le procès de Cersei, à Port-Réal, n’a pas grand-chose à voir avec le sort
des Sauvageons récemment intégrés à la Garde de Nuit. En outre, certains arcs
narratifs présentent eux-mêmes parfois une certaine hétérogénéité. Si Bran se
trouve géographiquement assez proche de Jon, ils n’ont pas de contact direct.
Tous deux veulent certes lutter contre les Marcheurs Blancs, mais leur stratégie
diffère radicalement : Jon veut sauver les Sauvageons et réformer la Garde de
Nuit, tandis que Bran veut acquérir des pouvoirs spéciaux en suivant les
enseignements de la Corneille à trois yeux.

Tout en étant rattaché à d’autres quêtes annexes, l’enseignement que la Corneille à trois yeux dispense à
Bran présente une réelle autonomie narrative (saison 6, épisode 3). Le jeune garçon ne sera d’ailleurs en
contact direct avec d’autres personnages majeurs que lors de la saison 7.

Le Trône de fer et Game of Thrones, bien que conservant un principe narratif


constant, présentent ainsi une narration qui ne cesse de croître en complexité. Si
Le Seigneur des Anneaux voyait, à la fin du premier tome, l’éclatement de la
Communauté de l’Anneau, cela ne donnait pas lieu à une augmentation
considérable des intrigues dans les deux autres tomes. Plutôt que de multiplier
les points de vue, Tolkien avait en effet choisi de passer sous silence certains
faits ou événements. Ceux-ci pouvaient alors donner lieu à des résumés racontés
lors de retrouvailles, par exemple. C’est le cas lorsque Gandalf narre à Aragorn,
Legolas et Gimli l’issue de son affrontement avec le Balrog dans le roman Les
Deux Tours.
Si donc Le Trône de fer et Game of Thrones consistent à raconter plusieurs
histoires dans une même histoire, donnant la sensation au lecteur d’être
confronté à un véritable mille-feuille narratif, on constate que la narration aura
une tendance naturelle à la simplification. En effet, malgré des différences
parfois importantes entre les arcs narratifs, deux quêtes principales vont
censément finir par s’imposer : la destruction des Marcheurs Blancs et la
conquête du Trône de fer. La saison 7 est emblématique de ce phénomène : dans
le dernier épisode, la grande majorité des personnages principaux encore vivants
se retrouve à Port-Réal pour discuter de ces deux sujets. Nous reviendrons, dès
le chapitre suivant, sur les raisons pour lesquelles Martin n’a pas cherché à
simplifier plus tôt son intrigue.

Bilan

La narration du Trône de fer et de Game of Thrones est incontestablement d’une


grande complexité. Faire reposer le récit sur un nombre croissant de personnages
rend l’intrigue toujours plus riche et plus complexe. C’est aussi un véritable défi
pour l’auteur et les showrunners, qui doivent veiller à ce que chaque trame reste
cohérente et intéressante. Il convient également de pouvoir justifier, à plus ou
moins long terme, le lien entre certains arcs annexes et les arcs narratifs les plus
essentiels. Une des grandes forces de la saga est en outre sa capacité à établir
avec brio le règne de la surprise et de l’incertitude. Chaque personnage est
susceptible de mourir à tout moment, ce qui confère au récit un nombre de
possibles narratifs extraordinairement élevé.
Notes
1. Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, Tel, 1977, p. 13-14.
2. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 495.
3. Dans les romans, Samwell Tarly se trouve également à Braavos, mais il ne s’agit que d’une étape dans son voyage en
direction de Villevieille.
4. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, Paris, J’ai lu, texte traduit de l’anglais par Jean Sola, 2010, p. 892-893.
Chapitre 4

De vrais personnages !

Le succès de la saga repose sur son intrigue complexe et la force de ses thèmes
universels. Mais il semble bien qu’il ne s’agisse pourtant pas là des deux
éléments les plus importants. En choisissant de faire dépendre la narration des
personnages, et non de l’action en elle-même, George R. R. Martin leur a
conféré le premier rôle dans sa saga. On constate d’ailleurs que certains
chapitres ne font pas vraiment progresser l’intrigue. Pourquoi, dès lors,
l’écrivain américain a-t-il choisi de les écrire puis de les conserver dans son récit
final ? Sans doute parce que ces chapitres, que l’on peut juger descriptifs,
permettent de donner plus de profondeur aux personnages.

Durs comme la pierre

Le nombre de personnages présents dans Le Trône de fer, plus encore que dans
la série Game of Thrones, est considérable. Ils sont en effet plusieurs centaines à
être mentionnés ou à apparaître, même brièvement, au cours du récit. L’œuvre de
George R. R. Martin s’apparente ainsi à des monuments littéraires comme La
Comédie humaine de Balzac ou le cycle des Rougon-Macquart d’Émile Zola. Ici
aussi, tous les personnages appartiennent à un même univers et sont amenés à
entretenir des liens entre eux, à un moment ou un autre de l’histoire. Pour autant,
nous avons vu que George R. R. Martin tendait à se focaliser sur certains
personnages précis. Ils sont en effet vingt-quatre à se voir attribuer au moins une
fois le statut de personnage-chapitre.
Pourquoi, dans ce cas, donner à entendre un nombre si élevé de noms de
personnages dans les romans ? Sans doute pour une question de réalisme.
George R. R. Martin a créé l’univers du Trône de fer de toutes pièces. Il ne peut
donc pas demander au lecteur d’avoir recours à sa mémoire, le monde décrit
n’existant tout simplement pas. Afin de nourrir l’imagination de son lecteur,
l’écrivain américain cherche à lui donner l’impression que ce monde existe. Les
personnages secondaires sont donc bien souvent ce que l’on appelle en littérature
des « utilités ». Ils n’ont aucun intérêt en eux-mêmes ; ils sont mis au service de
l’intrigue. Ainsi, les noms des bannerets de Stannis et Renly ont pour fonction de
montrer à quel point la maison Baratheon est puissante. Les noms des courtisans
mettent quant à eux en lumière à quel point les intrigues de la Cour sont
complexes. Les noms des bannerets des Stark évitent à Martin de redire trop
souvent que le Nord est, de toutes les régions de Westeros, celle qui est la plus
étendue. De fait, les personnages secondaires ont une fonction descriptive dans
le récit.
Si l’on revient aux personnages principaux, on pourra tout d’abord rappeler
que, dans les romans du Trône de fer, tous ne sont pas des personnages-
chapitres. Le fait mérite que l’on s’y arrête un instant. Alors qu’ils sont des
personnages pendant longtemps essentiels à l’intrigue, comment expliquer que
Robb Stark, Joffrey Baratheon, Stannis Baratheon ou encore Tywin Lannister ne
soient jamais des personnages-chapitres ? Il convient, pour répondre à cette
question, d’évoquer brièvement en quoi consiste le fait d’être un personnage-
chapitre dans l’œuvre de George R. R. Martin : le personnage qui accède à ce
statut voit l’ensemble d’un chapitre dépendre, pour une très large part, de son
regard. Il n’en est pas pour autant le narrateur. La narration est en effet assurée
par une entité qui n’est pas un personnage de l’histoire. Toutefois, le lecteur a
accès aux pensées intérieures du personnage-chapitre. Celles-ci sont distinguées
de la narration par l’usage des italiques.

"Le nombre de personnages présents dans Le Trône de fer,


plus encore que dans la série Game of Thrones, est considérable.
En refusant à Robb, Tywin, Stannis, Joffrey ou encore Ramsay le statut de
personnage-chapitre, l’auteur nous prive de leurs pensées intérieures. Pourquoi ?
Dans le cas de Ramsay ou Joffrey, qui sont certainement avec Aerys les deux
personnages les plus déments de la saga, il s’agit de montrer que la folie ne
s’explicite pas. Elle relève de l’indicible, de l’innommable : elle est
incompréhensible. La situation est différente pour Robb, Tywin et Stannis : tous
trois assurent de hautes fonctions. C’est certes aussi le cas de Joffrey, mais celui-
ci gouverne assez peu, laissant son grand-père Tywin accomplir cette tâche. Ne
pas dévoiler les pensées de Robb et Tywin permet en réalité de maintenir un
certain suspens. Si Robb et Tywin avaient été des personnages-chapitres, jamais
les Noces Pourpres n’auraient été à ce point marquantes. On aurait tout d’abord
vu Robb tomber amoureux de Jeyne Ouestrelin ou Talisa Maegyr dans la série,
puis l’épouser. Et on aurait su que Tywin fomentait un plan diabolique avec les
Frey et les Bolton pour mettre fin à la progression du Jeune Loup.
Le cas de Stannis est plus complexe. Le frère de Robert Baratheon vit plus
longtemps que Robb et Tywin dans l’intrigue, et il est l’un des personnages qui
entreprend le plus d’actions. Alors qu’il se trouve à Peyredragon au début du
récit, il tente ensuite de conquérir le Trône de fer lors de la Bataille de la Néra.
Plus tard, il vient en aide à la Garde de Nuit en défaisant l’armée de Sauvageons
de Mance Rayder. À la fin de son périple, il se trouve à proximité de Winterfell,
prêt à mener bataille contre les troupes des Bolton. Impossible, dans ces
conditions, de ne rien savoir de ses actions. Celles-ci sont trop nombreuses et
trop importantes pour être passées sous silence ou pour être simplement
résumées en quelques lignes. De fait, George R. R. Martin prend soin de les
décrire par le biais d’autres personnages-chapitres : Davos Mervault,
Mélisandre, Asha Greyjoy et Jon Snow. Il faut ainsi pas moins de quatre
personnages-chapitres pour raconter le parcours de Stannis. Le chiffre, élevé,
montre que George R. R. Martin ne souhaitait vraiment pas que le lecteur ait
accès aux pensées du frère de Robert Baratheon. Pourquoi ? Sans doute parce
que Stannis est un personnage qui n’évolue pas, contrairement à bon nombre de
personnages principaux de l’intrigue. La dureté qui est la sienne, et qui est
souvent évoquée dans le récit, a une dimension symbolique. Semblable à la
pierre, Stannis reste tel qu’il a toujours été. Il est l’incarnation de la notion de
devoir. Si nous n’avons pas accès à ses pensées intérieures, c’est peut-être parce
qu’il en a finalement assez peu. Il semble n’avoir aucun désir véritable, sinon
celui d’accomplir ce qui doit être fait : accéder, à la suite de son frère Robert, au
Trône de fer.
On notera que les autres personnages mentionnés plus haut sont eux aussi
assez peu évolutifs. Tywin un être froid, intelligent, calculateur, ne se laissant
jamais dominer par ses passions et dont la préoccupation principale est la
renommée de sa famille ; il ne changera pas. Joffrey et Ramsay sont des fous,
qui ne semblent pas avoir une once d’humanité. À aucun moment ils ne sont
saisis par le regret ou le remord. Aucun acte fondamentalement positif ne peut
être mis à leur crédit. Quant à Robb, il reste fidèle à ce qu’il a toujours été : un
être sentimental. Même si épouser Jeyne Ouestrelin (ou Talisa Maegyr dans la
série) est une erreur, cet acte n’a rien d’illogique. Rappelons que la guerre que
Robb souhaite mener contre la Couronne n’a pas une origine stratégique, mais
sentimentale : il voulait sauver son père, puis le venger. De fait, ces cinq
personnages sont des contre-exemples de ce que George R. R. Martin met en
œuvre pour tous les autres personnages importants de son récit ; d’ailleurs, ils
meurent dans la série, comme si leur incapacité à évoluer leur interdisait de
demeurer dans le récit au-delà d’un certain seuil.

Stannis Baratheon est certainement le personnage le plus inflexible de toute la saga (saison 5, épisode 9).

Le changement, c’est maintenant

Ainsi, Le Trône de fer et Game of Thrones ont ceci d’intéressant qu’ils nous
donnent à voir des personnages évolutifs. À la fin du tome 5 et de la saison 7, les
principaux personnages de l’intrigue ne sont pas semblables à ce qu’ils étaient
initialement. Les nombreux voyages qu’ils effectuent soulignent
symboliquement leur évolution. Prenons quelques exemples.
Au début du récit, Jaime Lannister est un être égoïste. Son seul véritable
intérêt dans l’existence est de pouvoir continuer à entretenir une relation
adultérine avec sa sœur. C’est d’autant plus vrai qu’il a demandé à devenir garde
royal pour rester à Port-Réal avec Cersei. Son père souhaitait pourtant qu’il
devienne le gouverneur de Castral Roc, et qu’il prenne ainsi sa succession à la
tête de la famille Lannister. Pour défendre ce qui est son unique raison d’être,
non seulement Jaime s’oppose à la volonté de son père, mais il n’hésite pas à
précipiter Bran Stark dans le vide dès le début du récit. Plus tard, il provoque
inutilement Ned Stark à Port-Réal, ce qui l’oblige à s’exiler quelque temps. Si le
lecteur et le spectateur ne s’en tenaient qu’à ces seuls faits, ils auraient toutes les
raisons de prendre durablement ce personnage en grippe.

"Le Trône de fer et Game of Thrones ont ceci d’intéressant


qu’ils nous donnent à voir des personnages évolutifs.
Paradoxalement, Jaime se transforme au moment où l’on s’y attend le moins.
Alors qu’il est captif de l’armée de Robb Stark, Catelyn décide de le libérer en
échange d’une promesse : il contribuera personnellement au retour de Sansa et
Arya. Or on peut considérer que Jaime n’est pas du genre à respecter sa parole ;
de nombreux personnages, et notamment des membres de la famille Lannister,
savent en effet tirer profit du mensonge. Au cours de son périple pour rejoindre
la capitale, Jaime, escorté de Brienne, a la main droite coupée par Varshé Hèvre,
chef de l’infâme troupe des Pitres Sanglants, à la suite de quoi il manque mourir
d’une infection. Il semble bien que, paradoxalement, ce qui devrait augmenter la
haine et l’aigreur de ce personnage, soit en réalité un don qui lui a été fait. En
effet, Jaime prend tout d’abord conscience que la perte de sa main va l’amener à
se redéfinir :
« Lâche…, songea Jaime, tandis qu’elle étouffait de son mieux ses gémissements. Se
pourrait-il que je sois lâche ? Ils m’ont fauché ma main d’épée. N’étais-je rien d’autre
qu’une main d’épée ? Bonté divine, serait-ce vrai ? »1

La perte de sa main et le fait qu’il ait été sur le point de mourir constituent une
renaissance symbolique pour Jaime. Il ne sera jamais plus le chevalier qu’il a
été. Comme son frère Tyrion a été contraint de le faire dès le début de sa vie, il
va donc devoir user d’autres armes que sa seule force physique. On constate
alors que Jaime a de plus en plus souvent recours à son esprit. Non seulement il
s’avère posséder un humour au second degré qui le rapproche de son petit frère,
mais il réfléchit davantage à la portée de ses actes. D’individu spontané et
irréfléchi, il devient un homme réfléchi et modéré. Or, la spontanéité était,
d’après Cersei, un de ses principaux traits de caractère :
Son jumeau s’était toujours montré d’une témérité folle.2

La présence de Brienne contribue beaucoup à l’évolution de Jaime. La jeune


femme s’avère être la personne nécessaire à sa transformation. Si elle ne possède
pas le statut de chevalier, elle en a en revanche toutes les qualités, physiques et
morales. Elle est extrêmement habile avec une épée, au point qu’elle parvient
même à vaincre Loras Tyrell, l’un des meilleurs chevaliers du Royaume. Dans la
série, elle ressort victorieuse de son duel contre le Limier. Surtout, Brienne a une
droiture morale qui en fait l’un des personnages les plus justes de la saga. Bien
que cela ne soit pas une qualité, sa relative laideur l’amène en outre à constituer
un modèle pour Jaime. En effet, le frère de Cersei ne la perçoit pas spontanément
comme une potentielle amante. Jaime n’est jamais attiré physiquement par
Brienne. Pour autant, il semble éprouver des sentiments pour elle. Le triangle
amoureux constitué par Jaime, Brienne et Cersei se met alors progressivement en
place. On peut estimer que Jaime est divisé. D’ailleurs, symboliquement, les
chapitres « Jaime » sont régulièrement entourés des chapitres « Cersei » et
« Brienne » dans le tome 4, tome dont ils sont les trois personnages les plus
importants. Cersei représente au fond son idéal féminin, mais d’un point de vue
physique ; Brienne, quant à elle, est son idéal féminin d’un point de vue
spirituel, moral. Cersei lui ressemble, et Brienne est ce qu’il aimerait devenir. La
transformation de Jaime est telle que ses retrouvailles avec Cersei, perspective
qui lui avait permis de ne pas sombrer dans le désespoir, sont décevantes pour
les deux personnages. Cersei a le sentiment de ne plus être face à son frère :
« Comment ai-je jamais pu aimer ce misérable individu ? se demanda-t-elle après qu’il se
fut retiré. Il était ton jumeau, ton ombre, ta seconde moitié, souffla une autre voix.
Autrefois, peut-être, songea-t-elle. Plus maintenant. Il est devenu un étranger pour moi. »3

Perdre sa main permet paradoxalement à Jaime Lannister de prendre son destin en main, en devenant un être
meilleur (saison 4, épisode 1).

Jaime lui-même n’a plus la même considération pour Cersei. Il voit désormais
clair en elle et n’hésite pas à la remettre en cause, que ce soit en pensées ou en
discours. Il critique notamment Cersei dans les deux fonctions qui sont à ses
yeux de femme les plus importantes de sa vie, à savoir la gouvernance et la
maternité.
Si Jaime est l’exemple le plus frappant du caractère évolutif des personnages,
il n’en est pas la seule illustration. Daenerys, d’abord vendue par son frère aux
Dothrakis, finit par être à la tête d’une immense armée. Non seulement elle
parvient à recouvrer sa liberté, mais elle se fait un devoir de rendre libres les
esclaves qu’elle rencontre sur son chemin. Jon, fils bâtard et souvent
marginalisé, devient le Lord Commandant de la Garde de Nuit. Arya, encore
petite fille, devient une Sans-Visage. Sansa, qui avait toujours été une jeune
femme romantique, apprend à maîtriser la dissimulation afin de ne plus être
victime de la malveillance d’autrui. Les personnages évoluent notamment parce
que leurs situations ne sont jamais stables. L’individu qui est le plus contraint à
devoir accepter des changements de fortune est Tyrion. Il est tantôt le fils mal-
aimé de Tywin, tantôt Main du roi ; tantôt héros de la Bataille de la Néra, tantôt
condamné à mort ; tantôt appelé à devenir un conseiller spécial de Daenerys,
tantôt contraint de se donner en spectacle devant les esclavagistes pour sa propre
survie. Le personnage évoque lui-même ce changement presque surréaliste de
fortune à la fin du tome 3, après avoir tué son père :
« Je suis arrivé dans ces lieux Main du roi, j’ai franchi les portes du Donjon Rouge à la tête
de mes propres hommes liges, se dit Tyrion, et voilà que je pars comme un rat détalant
dans le noir, main dans la main avec une araignée. »4

Ainsi, les personnages principaux du Trône de fer et de Game of Thrones


voient leur situation évoluer en permanence, du fait de l’instabilité du monde
dans lequel ils vivent. Cette instabilité, si elle les confronte à des épreuves
parfois terribles, n’a pas que des aspects négatifs. Elle leur permet en effet
d’évoluer et de devenir alors des êtres plus complets, voire meilleurs qu’ils ne
l’étaient auparavant.

On ne choisit pas sa famille…

Dans Le Trône de fer et Game of Thrones, un personnage se définit avant tout


par son nom de famille, mais aussi par sa maison, surtout lorsque celle-ci est
importante. On en a une illustration, notamment, dans le tome 5. Alors que Bran
commence à recevoir l’enseignement de la Corneille à trois yeux, il aimerait
savoir à quelle famille appartenait initialement cet homme. Lorsque celui-ci lui
dit que son prénom était autrefois Brynden, Bran ne peut s’empêcher de
l’associer à l’oncle de sa mère, Brynden Tully, surnommé le Silure. Il imagine
donc que ce personnage appartient à sa famille maternelle. Ainsi, quand bien
même Bran est alors très loin des guerres opposant les grandes familles de
Westeros, son réflexe premier est de connaître les origines de la Corneille à trois
yeux. « Dis-moi quelle est ta maison, je te dirai qui tu es » : on pourrait résumer
ainsi la pensée de la très grande majorité des personnages de Westeros.
La Garde de Nuit est la seule institution à être réellement transpartisane. La
couleur noire qu’elle impose à ses frères jurés évoque l’indifférenciation qui est
désormais la leur. On est alors bien loin des couleurs et des blasons qui
caractérisent chaque grande famille. On apprend toutefois à la fin du tome 5 que
les membres de la Garde de Nuit ne renoncent pas totalement à leur identité
première. Lors de ses funérailles, un frère juré se voit ainsi incinéré avec les
armoiries de sa maison d’origine. La Garde de Nuit demeure une exception dans
le royaume des Sept Couronnes. La question de la famille et de la maison est un
sujet central. Comment est-il appréhendé ?
Une grande famille a pour socle principal un château ou une place-forte,
auxquels sont associés un territoire relativement vaste, des bannerets, des
armoiries, des couleurs distinctives et une devise. Tout le monde connaît celle
des Stark : « L’hiver vient » (le fameux « Winter is coming »). Même les
personnes qui connaissent peu Game of Thrones savent que l’emblème des
Lannister est le lion, et celui des Stark le loup.

"« Dis-moi quelle est ta maison, je te dirai qui tu es » : on


pourrait résumer ainsi la pensée de la très grande majorité des
personnages de Westeros.
Si les familles font reposer leur identité sur ces éléments symboliques, elles
s’appuient également sur certaines valeurs qui, en fonction du point de vue, sont
considérées comme positives ou négatives. Ainsi, les Stark accordent une grande
importance à l’honneur et à la parole donnée. Les Lannister défendent un rapport
pragmatique au monde. Les Martell, famille la plus puissante de Dorne,
considèrent que le respect et l’action sont des vertus essentielles. Souvent, le
narrateur a recours au présent gnomique, c’est-à-dire au présent de vérité
générale, pour dire au lecteur la manière d’être au monde de telle ou telle
famille. On peut citer notamment la phrase « Un Stark tient toujours sa parole »
(tome 2, p. 513) et surtout la célèbre formule « Un Lannister paie toujours ses
dettes » (qui n’est pas, précisons-le bien, la devise officielle des Lannister).
Sans avoir recours au présent de vérité générale, d’autres passages des romans
et de la série font d’un comportement particulier l’émanation d’une attitude
ancestrale. C’est le cas notamment lorsque Brynden Tully défend avec beaucoup
de courage le château de Vivesaigues. Le narrateur tient alors les propos
suivants :
Les Tully n’étaient pas hommes à se rendre aisément, si nulles que fussent leurs
chances.5
Catelyn Stark, qui est initialement une Tully, se convainc d’ailleurs de
redéfinir son identité, en s’inspirant de celle de son mari et de son fils, qui sont
des Stark :
Tu dois te montrer aussi farouche, aussi inflexible que le nord, Catelyn Tully. Fini de jouer
à la Stark, maintenant, tu dois être Stark autant que ton propre fils.6

Il semble que tous les personnages soient dépendants de leurs origines. Les
romans et la série mettent ainsi concrètement en œuvre un certain déterminisme
social. On serait un Stark, un Lannister, un Tully… avant d’être Robb, Tyrion ou
Catelyn. La famille Targaryen en est la plus illustre démonstration. Tout au long
des siècles, cette famille s’est efforcée le plus possible de privilégier des
relations incestueuses, afin de conserver la pureté de son sang, issu de l’antique
Valyria. Les membres de cette famille sont ainsi facilement reconnaissables : ils
ont tous des cheveux blonds argentés et des prunelles mauves (ce dernier détail
n’est pas conservé dans la série). Cette volonté d’éviter le moindre métissage
est-elle la manifestation d’une conception raciste du monde ? Est-elle une
tradition sans aucun intérêt ? Pas totalement… Dans le roman comme dans la
série, Daenerys a des capacités spéciales, qui sont un héritage direct de son
histoire familiale. Ainsi, elle ne craint pas le feu, et sait se faire obéir des
dragons. Jon, qui est Targaryen par son père Rhaegar, semble capable de
dompter lui aussi des dragons. Dans la saison 7, Drogon le laisse d’ailleurs
s’approcher de lui et même le caresser, ce qui ne se produit avec personne
d’autre. Il est du reste tout à fait envisageable que Jon monte un dragon lors de
l’ultime saison. Dès lors, les personnages de la saga ne sont-ils que les jouets du
destin ? Leur voie est-elle déjà toute tracée ? Fort heureusement, la situation est
plus complexe.

C’est ton destin ?

George R. R. Martin a l’honnêteté intellectuelle de reconnaître l’influence de la


génétique et de l’éducation sur la constitution de l’identité d’un être humain. Jon
Snow en est un bon exemple. Alors que Stannis lui donne l’opportunité de
devenir gouverneur du Nord, en cessant d’être un bâtard pour devenir
pleinement un Stark, Jon refuse cette proposition. Le jeune homme est pourtant
sur le point d’obtenir ce qui s’est toujours refusé à lui. Tout en ayant une
affection sincère pour son frère Robb, Jon a souvent envié la situation de ce
dernier. Or, tandis que tout devrait l’inciter à accepter la proposition de Stannis,
il refuse son offre, et même à plusieurs reprises dans les romans. En effet, il a
conscience que sa situation marginale dans la famille Stark n’est pas une totale
injustice. Confusément, il ressent qu’il n’est pas, autant que ses frères et sœurs,
un Stark. Et pour cause : Jon est en réalité un métis, étant le fils de Rhaegar
Targaryen et de Lyanna Stark. Malgré cela, Jon éprouve un véritable attachement
pour ses frères et sœurs, et notamment pour Arya. Leur éducation commune leur
a conféré des valeurs et des souvenirs qui vont bien au-delà des simples
questions de génétique. La famille Stark est elle-même l’illustration que la
génétique et l’éducation ne font pas tout. Il n’y a en effet pas plus différentes que
Sansa et Arya. Les deux sœurs sont de parfaits opposés. Chez les Lannister, on
peut dire la même chose, en tous les cas d’un point de vue physique, de Jaime et
Tyrion. Le premier est l’image d’Épinal du beau et grand chevalier, alors que le
second est un nain laid et difforme.

"George R. R. Martin a l’honnêteté intellectuelle


de reconnaître l’influence de la génétique et de l’éducation sur la
constitution de l’identité d’un être humain.
En outre, les personnages se définissent dans la saga par leurs choix et leurs
actions. C’est sans doute pour cela que, dans les livres, les personnages-chapitres
sont toujours désignés par leur prénom, et jamais par leur nom de famille. Tout
au long de la saga, on assiste d’ailleurs à une recomposition familiale, qui a
souvent des raisons politiques ou idéologiques. Le dernier épisode de la saison 7
met en scène ce phénomène. Le camp de Daenerys et le camp de Cersei
comprennent chacun des membres d’une même famille. Daenerys et Cersei sont
toutes les deux soutenues par un Lannister (Tyrion, Jaime), un Greyjoy (Theon,
Euron), un Clegane (Sandor, Gregor). L’alliance entourant Daenerys est la plus
hétérogène de toutes. Sont favorables à son accession au Trône de fer des
membres des familles Stark, Lannister, Greyjoy, Martell, Tyrell, soit cinq
grandes familles des Sept Couronnes. Daenerys est également soutenue par des
populations venant d’Essos, les Dothrakis et les Immaculés étant membres de
son armée de leur plein gré. On peut dès lors considérer qu’elle incarne un espoir
pour cette raison précise. L’alliance qui la soutient relève du choix volontaire, et
repose en grande partie sur l’idée de bien commun. On sort alors de l’opposition
stérile entre grandes maisons. La preuve en est donnée par le fait que les Martell
et les Tyrell, qui sont ennemis depuis de nombreuses générations, font partie de
l’armée de Daenerys. Ils acceptent donc d’abandonner une inimitié pourtant
ancestrale au nom d’un idéal qui va bien au-delà de ce qu’ils sont
personnellement.

Daenerys Targaryen est à la tête d’une alliance extrêmement hétérogène, comprenant aussi bien des grandes
familles de Westeros, des Immaculés que des Dothrakis (saison 7, épisode 7).

Cersei semble pour sa part être l’incarnation du mal absolu car elle est à
l’opposé de cette vision du monde. Elle fait reposer ses alliances sur la terreur :
dans la saison 7, elle met en avant la menace d’une invasion étrangère pour
convaincre les bannerets des Tyrell de défendre sa cause. Elle fait également
reposer ses alliances sur la question de l’argent. Ainsi, elle affirme vouloir
engager la Compagnie Dorée avec l’or volé aux Tyrell. Elle est également la
seule à être totalement incapable d’accepter l’union sacrée contre les Marcheurs
Blancs. Elle feint d’apporter sa contribution à la guerre, mais souhaite
secrètement que Daenerys et son armée essuient de lourdes pertes au cours de
cet affrontement.

" Les personnages se définissent dans la saga par leurs choix


et leurs actions.
C’est d’ailleurs face à ce mensonge éhonté que Jaime décide de quitter
Cersei : il n’est plus envisageable pour lui de se tenir aux côtés d’une telle reine.
Des liens profonds unissent pourtant le frère et la sœur. Ils sont jumeaux,
s’aiment depuis des années, ont eu puis perdu trois enfants ensemble. Dans la
saison 7, Cersei est même enceinte de leur quatrième enfant, et entend cette fois-
ci reconnaître publiquement la paternité de Jaime. Malgré tous ces éléments qui
devraient les unir plus que jamais, c’est une désunion forte et violente à laquelle
nous assistons à la fin de la saison 7. Si donc le nom et la maison déterminent ce
que l’on est dans l’univers du Trône de fer et de Game of Thrones, ils ne disent
rien de ce que l’on peut ensuite devenir.

Bilan

Un des intérêts principaux du Trône de fer et de Game of Thrones réside donc


bien dans leurs personnages. Complexes, évolutifs, au centre de tensions
multiples, les hommes et femmes de cette saga nous ressemblent. Malgré les
extraordinaires obstacles qui se trouvent sur leur chemin, leurs valeurs restent
assez proches des nôtres. Une des originalités de l’œuvre de George R. R. Martin
est d’avoir su traiter avec beaucoup de subtilité et de finesse la question centrale
de la famille.
Notes
1. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 425.
2. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 84.
3. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 246.
4. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 1088. L’« araignée » désigne ici le personnage de Varys, dont
c’est l’un des surnoms.
5. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 53.
6. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 1, op. cit. p. 623.
Chapitre 5

Des animaux… politiques

Le succès de la saga de George R. R. Martin ne repose pas uniquement sur une


narration complexe et originale. Les thèmes abordés par les livres et la série sont
également une des raisons pour lesquelles ils sont tant appréciés. En effet, alors
même que l’univers décrit est totalement fictif, Le Trône de fer recèle des
réflexions qui sont valables aussi bien à Westeros que dans notre monde. Martin
a d’ailleurs toujours veillé à privilégier un style d’écriture moderne dans ses
romans, et à ne pas archaïser les paroles des personnages. Les livres et la série
accordent de concert une grande importance à des notions qui appartiennent à ce
que l’on appelle des invariants de l’humanité : que l’on vive en France ou à
Westeros, l’amour, la haine, la vengeance, l’amitié restent des valeurs ou des
anti-valeurs centrales dans l’existence humaine. Ces sentiments universels sont
ici exacerbés par la forte dimension politique de l’intrigue.

La politique sur un volcan

Dans l’absolu, il serait envisageable de consacrer un livre entier à la dimension


politique présente dans les livres et la série. C’est d’ailleurs pratiquement ce que
Marianne Chaillan a entrepris avec son ouvrage de pop philosophie Game of
Thrones, une métaphysique des mœurs (2016). La perspective adoptée par
Marianne Chaillan consiste toutefois à se servir de la série télévisée pour
transmettre plus aisément au lecteur des concepts philosophiques parfois
abstraits. Sa volonté première n’est pas de décrypter la saga, et la dimension
littéraire n’est jamais prise en compte dans son étude. Nous chercherons ici à
montrer que Le Trône de fer, à l’instar de La Chartreuse de Parme de Stendhal,
est non seulement un ouvrage politique mais aussi un ouvrage sur la politique.
Tout d’abord, il convient de rappeler que le titre français de la saga (Le Trône
de fer) ne correspond pas au titre original de l’œuvre (A Song of Ice and Fire).
La série elle-même se distingue des livres puisqu’elle s’intitule Game of
Thrones. Le titre français et le titre de la série insistent ainsi volontairement sur
la dimension politique présente dans l’œuvre, preuve de son importance. Il
convient en effet de rappeler que parmi les deux arcs narratifs principaux, l’un
est purement politique (la conquête du Trône de fer), le deuxième étant la lutte
contre les Marcheurs Blancs. Preuve là encore de l’importance de la politique, le
Trône de fer est devenu iconique, au point qu’il sert souvent à illustrer la saga,
quel que soit le support choisi.
Si la question politique est au cœur du récit, c’est parce que la situation est
complexe. En effet, il existe – nous l’avons vu dans notre deuxième chapitre –
deux continents régulièrement évoqués : Westeros et Essos. Or, ils ne sont pas
régis par un seul et même pouvoir. Westeros comprend Sept Couronnes, qui sont
depuis la victoire d’Aegon le Conquérant placées sous la juridiction d’un roi,
installé sur le Trône de fer à Port-Réal. Chaque territoire des Sept Couronnes a
certes une relative autonomie, mais tous doivent en définitive obéissance au roi.
On est ici face à une sorte de système fédéral, bien que ce régime politique ne
soit jamais présenté explicitement en ces termes.

"Parmi les deux arcs narratifs principaux, l’un est purement


politique (la conquête du Trône de fer), le deuxième étant la lutte
contre les Marcheurs Blancs.
En Essos, la situation est différente. On se trouve en effet face à des cités
indépendantes les unes des autres. Elles peuvent certes entretenir des liens
commerciaux et culturels forts (c’est le cas, par exemple, de Meereen, Astapor et
Yunkaï, qui se considèrent comme des cités sœurs), mais elles ne relèvent pas
d’un même pouvoir central. C’est la raison pour laquelle neuf de ces villes sont
désignées à plusieurs reprises sous l’appellation de « Cités libres » (il s’agit de
Braavos, Lorath, Lys, Myr, Norvos, Pentos, Qohor, Tyrosh, Volantis). En Essos,
on trouve des systèmes en partie démocratiques, qui ne sont pas sans rappeler les
différentes républiques italiennes de la Renaissance. Si les Cités libres ne sont
toutefois que partiellement démocratiques, c’est parce que tous les citoyens
n’ont pas le droit de prendre part aux décisions politiques. C’est notamment le
cas des esclaves, dont la présence en ces contrées est telle qu’ils ont donné bien
involontairement leur nom à une baie (La Baie des Serfs).
Il convient de noter que Westeros et Essos sont deux continents pouvant
interagir. Braavos, avec sa célèbre Banque de Fer, a notamment pris l’habitude
de s’intéresser de près aux affaires de Port-Réal. Dans les romans et la série, la
Banque de Fer prête de l’argent à Stannis Baratheon pour l’aider à conquérir le
Trône de fer. Si les Braaviens ne prennent pas directement part aux conflits
propres à Westeros, nul doute qu’ils y accordent une certaine importance, ne
serait-ce que pour des questions financières et commerciales. On sait également
que le périple de Daenerys en Essos a pour fonction de l’amener à bâtir une
armée suffisamment forte pour reprendre le trône qui appartenait jadis à sa
famille. Pour autant, les Sept Couronnes n’ont pas l’intention de conquérir
Essos, et les Cités libres ne cherchent pas à étendre leur domination en
s’emparant des terres de Westeros.

Tommen Baratheon, qui n’est qu’un enfant, occupera le Trône de fer un bref moment, comme son frère
Joffrey, signe d’une importante instabilité politique (saison 6, épisode 6).

"Westeros et Essos sont deux continents pouvant interagir.


Si l’on s’en tient à la situation des Sept Couronnes, elle n’est pas non plus
sans présenter une réelle complexité. En effet, depuis le succès de la rébellion de
Robert Baratheon et Ned Stark, la situation politique a radicalement changé.
Auparavant, la famille Targaryen dominait Westeros. C’est Aegon le Conquérant
qui a créé le Trône de fer et a établi la capitale du Royaume à Port-Réal. La fin
du règne des Targaryen, avec les morts d’Aerys II et de son fils Rhaegar une
quinzaine d’années avant le début de l’intrigue, suppose désormais qu’une
grande maison originaire de Westeros (comme celle des Baratheon, puis celle
des Lannister) soit à la tête d’un royaume dont elle administre par ailleurs l’un
des territoires. On comprend alors que la situation politique n’a rien d’évident.
Un roi Lannister, par exemple, aura tendance à ne pas être nécessairement le roi
de tous à parts égales. Il sera a priori tenté de défendre les intérêts de la maison
et du territoire qui sont initialement les siens. Le problème ne se posait pas avec
les Targaryen, cette famille n’étant pas originaire de Westeros, mais de Valyria,
cité mythique détruite plusieurs centaines d’années auparavant.
Dans les romans et la série, la mort supposée accidentelle de Robert
Baratheon entraîne ainsi immédiatement une guerre civile. Plusieurs conflits
naissent dans le royaume. La Guerre des Cinq Rois montre bien que les grandes
familles n’ont pas eu l’habitude de voir l’une d’elles régner sur toutes les autres.
Les Targaryen, envahisseurs venant d’Essos, avaient fini par être considérés
comme les souverains légitimes des Sept Couronnes. Si les bannerets de Robb
Stark le désignent roi du Nord, c’est précisément parce qu’ils n’entendent pas se
soumettre à un roi du Sud (Joffrey Baratheon), peu au fait de leurs coutumes et
de leurs valeurs. La mort de Robert amène les populations à repenser la nécessité
d’un pouvoir central. On sait que le royaume de Dorne a lui aussi des velléités
d’indépendance. Plus encore que la série, les romans illustrent le fait que les
seigneurs comme la population dornienne souhaitent s’émanciper de Port-Réal.
Les Eyrié, du fait de la spécificité de leur position spatiale, ont déjà en soi une
certaine forme d’autonomie. Ce royaume vit presque à l’écart du monde. Si la
situation politique se stabilise peu à peu du fait de la mort des quatre postulants
au Trône de fer (Robb Stark, Renly Baratheon, Balon Greyjoy et, dans la série,
Stannis Baratheon), il n’en reste pas moins que celui-ci demeure convoité. À la
fin de la saison 7, Cersei sait que son pouvoir est menacé par Daenerys qui, tout
en étant consciente du danger représenté par les Marcheurs Blancs, n’a pas
abandonné son ambition de reconquérir le trône de ses ancêtres.

Tout le monde veut prendre sa place

De manière générale, le jeu des trônes, expression récurrente dans les romans
mais aussi dans la série, s’avère dangereux, et bien souvent mortel. Le danger est
de deux ordres : il est tout d’abord de nature guerrière car la conquête du Trône
de fer, lorsque l’on est soi-même à la tête d’une grande maison, nécessite de
prendre les armes. Mais il est plus encore de nature politique.
Littlefinger en est l’illustration. Alors qu’il n’appartient pas à une grande
famille, il ambitionne depuis toujours de monter sur le Trône de fer. Cet objectif
le rend particulièrement dangereux, et ce même s’il ne dispose initialement
d’aucune armée. Dans les romans comme dans la série, Littlefinger peut être
considéré comme l’origine du mal. Dans la saison 7, Sansa, Arya et Bran
choisissent d’ailleurs de le mettre à mort pour cette raison principale. C’est en
effet lui qui a fomenté le meurtre de Jon Arryn, Main du roi, en demandant à
Lysa, l’épouse de ce dernier, de l’empoisonner. On apprend en outre dans les
romans que Littlefinger a usé depuis des années de l’affection que lui portait
Lysa pour se voir confier des postes importants. C’est notamment grâce à elle
qu’il est devenu Grand Argentier de la Cour. Certes, Littlefinger n’est pas
dépourvu de talents. S’il a bénéficié de passe-droits, il a su ensuite se montrer à
la hauteur des tâches qui lui étaient confiées. Dans les romans, Cersei déplore du
reste son absence, dès l’instant où il part vivre dans le Val d’Arryn. Il n’en reste
pas moins que Littlefinger est à l’origine du conflit entre les Stark et les
Lannister. Il a en effet demandé à Lysa, à la suite de la mort de son mari Jon
Arryn, d’écrire à sa sœur Catelyn Stark pour accuser les Lannister de ce meurtre.
Alors que Ned Stark n’est d’abord pas enclin à devenir la Main du roi Robert,
c’est la peur de laisser son ami entouré d’individus dangereux qui l’amènera à
accepter cette fonction. Paradoxalement, c’est en enquêtant sur la mort de Jon
Arryn que Ned entraînera la mort du roi, Cersei ayant l’obligation d’agir vite
pour étouffer la révélation de son inceste avec son frère Jaime. Littlefinger
incarne ainsi dans le récit la mise en œuvre des principes politiques édictés par
Nicolas Machiavel dans Le Prince. S’il ne se distingue d’autrui ni par sa beauté
ni par sa force physique, il maîtrise les intrigues de cour à la perfection. Il fait
notamment l’apologie du mensonge auprès de Sansa, lorsqu’il la recueille aux
Eyrié après le meurtre de Joffrey :
« Tu vois les miracles qu’on peut mettre en œuvre à force de mensonges et de La Treille
auré ? »1

Varys se présente lui-même dans les romans et la série comme l’opposé de Littlefinger. Il serait une
incarnation positive de la politique, ce que ses actions tendent plutôt à confirmer. Il soutient notamment
Tyrion lorsque ce dernier, en tant que Main du roi Joffrey, met tout en œuvre pour défendre la ville de Port-
Réal de l’invasion de Stannis Baratheon (saison 2, épisode 7).

À la Cour de Port-Réal, Littlefinger a son double a priori bienveillant : Varys.


Si ce dernier intrigue, ment et défend ses intérêts personnels, il affirme vouloir
agir en faveur du bien collectif. Cette affirmation sera peut-être démentie par le
dénouement des romans et de la série, mais rien ne permet actuellement de
l’affirmer avec certitude. On peut toutefois souligner que, dans le tome 5, Tyrion
estime qu’un homme agit toujours, en politique, en faveur de la défense de ses
intérêts personnels.
Dans le récit, un personnage est directement victime du jeu des trônes : Ned
Stark. C’est parce que ce personnage est humain et honnête qu’il ne parvient pas
à exercer son rôle de Main du roi très longtemps. Varys lui explique alors que la
morale est rarement compatible avec la politique :
« Vous êtes un honnête homme et un homme d’honneur, lord Eddard. J’ai souvent
tendance à l’oublier. J’en ai croisé si peu. » Il jeta un regard circulaire sur le cachot. « Je
comprends pourquoi, quand je vois ce que vous ont valu l’honneur et l’honnêteté. »2

Ned Stark lui-même, pendant son long et douloureux emprisonnement à Port-


Réal, prend conscience que les valeurs honnêtes sur lesquelles il a fondé son
existence représentent en réalité un risque majeur pour lui et sa famille :
« Bougre d’imbécile, avec ta raideur d’échine ! maugréait-il, ton maudit orgueil et sa
surdité ! Ça nourrit son homme, la fierté, Stark ? Ça les protégera, tes enfants,
l’honneur ? »3

Preuve que la moralité n’a pas sa place à la Cour de Port-Réal, Ned est le seul
homme véritablement honnête à siéger au Conseil restreint dans les romans et la
série. Même si tous les membres de ce Conseil ne sont pas nécessairement de
mauvais individus, ils cherchent avant tout à satisfaire des besoins personnels,
que ceux-ci dépendent d’une question d’argent ou d’une question d’ego.

Le roi est mort ! Vive le roi !

Le Trône de fer et Game of Thrones peuvent ainsi être perçus comme une
critique implicite de la politique. Dans la saga, tous les souverains qui se
rapprochent le plus d’un certain idéal moral meurent ou sont confrontés à
l’échec. C’est le cas de Robb Stark, Doran Martell (dans la série seulement : il
n’est pas mort à la fin du tome 5), ou encore Renly Baratheon. Malgré sa dureté,
Stannis est un souverain qui accorde une grande importance à l’honneur, au
devoir et à la probité. Or, lui aussi est confronté à l’échec. Si l’on s’en tient à la
série, malgré ses faiblesses et sa mollesse, Tommen Baratheon n’est pas un
souverain immoral. Au contraire, il finit par associer étroitement pouvoir royal et
pouvoir religieux. Comme d’autres avant lui, il meurt à la fin de la saison 6, en
mettant lui-même fin à ses jours. On constate donc que l’engagement public
d’individus relativement moraux ne les conduit pas à la réussite. Voir Cersei
occuper le Trône de fer à la fin de la saison 6 puis pendant l’ensemble de la
saison 7 est une sorte de prime donnée à l’immoralité. La situation des Sept
Couronnes ne s’améliore pas. On aurait même tendance à penser qu’elle empire.
Jaime Lannister, que l’on ne peut soupçonner d’être un adversaire farouche de sa
sœur et amante, finit par considérer que c’est elle qui a perverti leur fils Joffrey.
À la fin du tome 4, il songe ainsi très sérieusement à tenir Tommen éloigné de
l’influence néfaste de sa mère :
« Ma chère sœur, cette trompeuse. » Il faudrait qu’il trouve un moyen de le lui arracher des
griffes avant qu’elle n’en fasse un second Joffrey.4

Preuve que la présence de Cersei sur le Trône de fer n’est en rien un progrès,
Tyrion considère que le règne de Joffrey aurait en réalité été pire que celui
d’Aerys, le Roi Fou :
Joffrey aurait fait pire roi qu’Aerys ne le fut jamais.5

Si donc Cersei a eu une mauvaise influence sur son fils Joffrey, on imagine
bien qu’elle doit dans ce cas être elle-même la quintessence du mal. Il n’est
d’ailleurs pas anodin de constater que, dès l’instant où Jaime évolue
positivement au contact de Brienne, il se détache de plus en plus de sa sœur. La
série télévisée met d’ailleurs très clairement cette opposition en scène à la fin de
la saison 7. Extrêmement déçu de voir Cersei ne pas tenir la promesse faite à
Daenerys d’envoyer les troupes Lannister au Nord, pour lutter contre les
Marcheurs Blancs, Jaime décide de se rendre seul à Winterfell pour honorer sa
parole.

"Voir Cersei occuper le Trône de fer à la fin de la saison 6


puis pendant l’ensemble de la saison 7 est une sorte de prime
donnée à l’immoralité.
On constate d’ailleurs que la pratique du pouvoir est souvent présentée
comme égoïste. Le Trône de fer apparaît comme une fin en soi, et non comme un
moyen en vue de faire le bien. Il semble même pervertir les êtres humains, un
peu comme le fait l’Anneau de Pouvoir dans la trilogie de Tolkien. Dans la saga
de George R. R. Martin, les aventures vécues par Arya ont notamment pour
fonction de montrer à quel point une mauvaise politique peut engendrer des
situations désastreuses. La jeune fille est en effet témoin d’atrocités en tous
genres, qui finiront du reste par l’endurcir. La Guerre des Cinq Rois a engendré
famines et exactions. Le Lord Commandant Mormont le dit à Jon Snow dans la
première partie du tome 2 :
« Le vaste monde est plein de gens qui crient à l’aide, Jon. Puissent certains prendre sur
eux de s’aider eux-mêmes. »6

Non seulement la guerre engendre le mal mais, une fois terminée, elle
n’entraîne pas une amélioration de la situation des gens du peuple. Ainsi, la
famine est telle à Port-Réal que des attitudes inhumaines se font jour :
La nuit dernière, on a rôti un boulanger dans son propre four. La populace lui reprochait de
vendre le pain trop cher.7

Or, alors que les hommes et femmes du peuple sont confrontés à une
souffrance quotidienne, la préoccupation principale du Conseil restreint consiste
à élaborer différentes stratégies susceptibles de défaire les prétendants au Trône
de fer. Que ce soit dans les romans ou dans la série, jamais il n’est question au
cours d’un Conseil royal de réformes pour améliorer le sort du peuple. Lors du
somptueux mariage de Joffrey et Margaery, Tyrion, pourtant habitué au luxe
depuis son enfance, ne peut s’empêcher de juger indécente la somme de plats
proposés aux nombreux invités :
Soixante-dix-sept plats…, quand la ville est pleine de gosses qui meurent de faim et de
types qui tueraient pour un radis.8

De fait, la politique n’est pas perçue comme un moyen de faire le bien, mais
plutôt comme un moyen de faire son bien. On peut d’ailleurs dire que même un
personnage a priori vertueux comme Robb Stark défend ses passions
personnelles. En effet, il décide de convoquer ses bannerets et de mener une
guerre contre la Couronne pour défendre les intérêts de son père, emprisonné à
Port-Réal puis exécuté en place publique à la demande du roi Joffrey. Non
seulement la guerre menée par Robb ne vise aucunement à améliorer la situation
de son peuple, mais elle l’empire : abandonné par les Stark, le Nord tombe
d’abord aux mains des Fer-nés, qui pratiquent des exactions, puis aux mains des
Bolton, qui sont à l’opposé même de l’idée de moralité. En outre, Robb Stark
manque à sa parole royale lorsqu’il décide d’épouser une femme (Jeyne
Ouestrelin dans les livres, Talisa Maegyr dans la série), alors même qu’il est
censé se marier avec une fille de Walder Frey. Or, ce mariage arrangé aurait non
seulement renforcé son pouvoir mais il aurait également mis son peuple à l’abri
d’une attaque venue du sud de Westeros, le château des Jumeaux bénéficiant
d’une position stratégique essentielle.

La seule véritable ambition de Cersei, une fois devenue reine, est de conserver son pouvoir, et non de faire le
bien (saison 7, épisode 7).

Sans que cela ne soit explicitement présenté comme tel, Le Trône de fer peut
donc être perçu comme une critique de la royauté ou, du moins, d’une mauvaise
pratique de la royauté. Est dénoncé le poids pris par les passions personnelles
d’un souverain dans la destinée d’un royaume, celles-ci ayant en effet trop
souvent tendance à l’emporter sur la considération du bien commun. Si Robert
Baratheon a été un grand guerrier, il a en revanche été un roi pitoyable,
consacrant plus de temps à la chasse et à l’adultère qu’à l’administration du
royaume. On apprend d’ailleurs dans le livre et la série qu’il n’est pas très assidu
aux séances du Conseil restreint, ce qui est un comble pour un roi. Est dénoncée
également dans la saga l’idée selon laquelle le pouvoir devrait nécessairement
être un héritage. Les règnes brefs et peu utiles de Joffrey et Tommen l’illustrent
bien. On pourra certes rétorquer que ces deux garçons ne sont pas les fils
légitimes de Robert Baratheon. Mais s’ils ne le sont pas d’un point de vue
génétique, ils le sont en revanche d’un point de vue légal. Aucun d’entre eux
n’ayant été préparé à régner aussi vite, le règne des deux frères ne conduira à
aucune réussite notable. Dans le livre, il est même clairement indiqué que cette
succession automatique affaiblit le royaume :
« Des ombres blanches hantent nos bois, des morts inapaisés parcourent nos demeures,
et un mioche occupe le Trône de fer. »9

La triade de l’espoir : Daenerys, Jon et Tyrion


Si donc Le Trône de fer et Game of Thrones sont une critique de certaines
pratiques politiques, ils ne sont pas une remise en cause totale de l’action
publique. Trois personnages en sont l’illustration, et ce sont précisément les plus
importants du récit, si l’on considère celui-ci dans sa totalité : Daenerys, Jon et
Tyrion.
Certes, ces trois personnages ne sont pas dépourvus de défauts et ont du sang
sur les mains. Tyrion a tué son père ; Daenerys est responsable directement ou
indirectement de la mort de plusieurs milliers de personnes (dont son propre
frère Viserys) ; quant à Jon, il a exécuté lui-même Janos Slynt pour faire
respecter son autorité de Lord Commandant. Ils ont leurs propres passions et
faiblesses : Tyrion a une tendance à la lubricité, comme le révèle son intérêt pour
les prostituées ; Jon a rompu d’abord avec réticence puis avec un certain plaisir
l’abstinence qui aurait dû être la sienne en tant que frère juré de la Garde de Nuit
– même morte, la sauvageonne Ygrid reste d’ailleurs très présente dans ses
pensées ; Daenerys enfin, alors qu’elle conserve un souvenir ému de son mari
Khal Drogo, succombe assez vite au charme de Daario Naharis. Ser Barristan
Selmy reconnaît d’ailleurs que sa reine n’est pas encore capable, du fait de son
jeune âge, d’avoir une véritable maîtrise de ses passions. Or, il estime qu’il s’agit
là d’un potentiel danger :
Son amour pour Daario est un poison. Un poison plus lent que les sauterelles mais, au
bout du compte, aussi mortel.10

Dans la série, les passions personnelles de ces trois personnages


compromettent parfois sérieusement une quête collective de première
importance. Tyrion est enlevé par Jorah Mormont, à Volantis, car il souhaite se
distraire dans un lupanar. Dans la série, Jon manque de perdre la bataille des
bâtards parce qu’il veut sauver son frère Rickon d’une mort pourtant certaine.
Daenerys, enfin, perd son dragon Viseryon dans l’avant-dernier épisode de la
saison 7 car elle se refuse à laisser Jon Snow mourir. Or, la perte de son dragon a
des conséquences terribles, puisqu’avec lui le Roi de la Nuit parviendra à
détruire le Mur. La perte d’un homme, même exceptionnel, valait-elle la peine
de mettre en danger l’humanité tout entière ? On peut en douter…

"Si donc Le Trône de fer et Game of Thrones sont une critique


de certaines pratiques politiques, ils ne sont pas une remise en
cause totale de l’action publique.
Pour autant, ces trois personnages sont animés par la volonté sincère de faire
le bien, ce qui les distingue de la très grande majorité des autres personnages
importants de l’intrigue. Daenerys ne désire pas le pouvoir en lui-même, peut-
être d’ailleurs parce qu’elle n’imaginait jamais devoir l’exercer. C’est la mort de
son frère Viserys, puis celle de son mari Khal Drogo, qui l’ont amenée à prendre
dans un premier temps la tête d’un khalasar. Après avoir conquis Astapor,
Yunkaï et Meereen, la logique voudrait qu’elle se lance à la conquête du Trône
de fer. Le pouvoir du roi Tommen est alors fragile et Daenerys peut s’appuyer
sur la haine de plus en plus forte que de nombreux habitants de Westeros
éprouvent pour la famille Lannister pour obtenir des soutiens à sa cause. La
jeune femme refuse toutefois d’écouter Jorah Mormont et Ser Barristan Selmy,
dont les conseils sont pourtant souvent pleins de sagesse. Si Meereen n’est pas
une fin en soi, elle estime néanmoins nécessaire d’apprendre à régner avant de
revendiquer le Trône de fer. Ce n’est donc pas le pouvoir en lui-même qui
l’intéresse, mais la bonne pratique du pouvoir. D’ailleurs, quand la situation se
dégrade à Meereen, elle refuse d’abandonner son peuple. Elle fait sien le nom
que lui ont donné les affranchis (« Mhysa », c’est-à-dire « Mère »). Plutôt que de
penser à son intérêt personnel, qui consisterait à préserver sa vie mais aussi ses
troupes en vue de la conquête de Westeros, elle cherche à trouver une solution à
la crise qu’elle a elle-même involontairement déclenchée. Ser Barristan Selmy
suggère de quitter Meereen dès que possible :
« Plus vite nous quitterons ce pays, mieux cela vaudra. »11

Daenerys refuse non seulement cette possibilité, mais elle apprend également
à renoncer à ses passions, alors même que cela lui est difficile :
Comme toutes les bonnes reines, elle plaçait son peuple au premier plan – sinon, elle
n’aurait jamais épousé Hizdahr zo Loraq – mais la jouvencelle en elle continuait d’avoir
faim de poésie, de passion et de rire.12

Après avoir quitté Meereen sur le dos de son dragon Drogon, Daenerys ne
songe d’ailleurs pas à partir pour Westeros. Elle tient à rentrer le plus tôt possible
à Meereen pour tenter de rétablir elle-même la paix dans cette cité.
Jon, bien que différent de Daenerys, présente un même détachement vis-à-vis
de ses propres passions. Certes, lui non plus n’est pas exempt de défauts. Ses
passions personnelles sont chez lui plus familiales. Dans les romans, lorsqu’il
apprend qu’Arya va épouser Ramsay Bolton (ce qui n’est en réalité pas vrai), il
accepte l’aide de Mance Rayder, qui se propose de secourir sa sœur. Il manque
également d’objectivité lorsqu’il reçoit une lettre d’insultes de Ramsay Bolton.
Dans le tome 5, avant d’être poignardé par ses hommes, il entend se rendre lui-
même à Winterfell alors que son statut de Lord Commandant devrait l’inciter à
la retenue et au détachement. Pour autant, à l’image de Daenerys, Jon prend
beaucoup de décisions courageuses susceptibles de le mettre en danger. Tous
deux sont des réformateurs. Des révolutionnaires. Si Jon est assassiné par ses
propres frères de la Garde de Nuit, c’est parce qu’il agit pour le bien commun.
Conscient que les Marcheurs Blancs sont le véritable ennemi, il vient en aide aux
Sauvageons. Il leur ouvre non seulement les portes du Mur, mais il leur propose
également d’appartenir à leur tour à la Garde de Nuit. Comme Daenerys à
Meereen, son action se solde par un échec : Jon est poignardé par ses hommes,
ce qui constitue un désaveu total. Daenerys, pour sa part, a libéré les esclaves,
mais a ensuite compris qu’il lui fallait ménager les traditions commerciales et
culturelles des cités de la Baie des Serfs. Or, non seulement son peuple se meurt,
mais les esclavagistes ne lui sont d’aucune reconnaissance, puisqu’ils essaient de
l’assassiner. Daenerys avait pourtant modéré entre-temps sa politique
émancipatrice.
De fait, la saga montre la difficulté de la pratique du pouvoir. Si l’immoralité
permet de gravir certains échelons de la politique, ou offre la possibilité de
conserver une influence précédemment acquise, elle n’est pas pour autant une
garantie durable. Le sort funeste de Joffrey, des Bolton ou de Littlefinger (à la
fin de la saison 7) en est la preuve. La moralité, quant à elle, ne permet pas à
celui qui la pratique de se défaire de la haine d’autrui : Jon et Daenerys en sont
l’illustration. Il semble donc bien que la politique ait nécessairement partie liée
avec l’imperfection, sans doute parce qu’elle est pratiquée par les hommes et
pour les hommes.

Malgré son imperfection, la reine Daenerys est adulée par les affranchis, qui vont jusqu’à la considérer
comme leur mère, voire comme une sorte de déesse (saison 3, épisode 10).
Bilan

La politique est l’un des thèmes majeurs de la saga. La conquête du Trône de fer
est un des enjeux les plus importants de l’intrigue – sinon le principal. Il est en
effet fort possible que l’ultime image de la série nous donne à voir le Trône de
fer et son occupant final. Dans la saga de George R. R. Martin, la politique est
traitée de manière originale en ce qu’elle est abordée non pas seulement en tant
qu’élément de l’action, mais aussi en tant qu’élément de réflexion
philosophique. Les romans et la série posent la question de la bonne et de la
mauvaise pratique du pouvoir. On constate que si l’engagement public peut
améliorer ou aggraver une situation initiale, il paraît incapable de changer
fondamentalement le monde. La présence des Marcheurs Blancs, qui
représentent un cataclysme majeur pour l’humanité, semble bien être l’élément
qui permettra un changement radical de monde. La politique, elle, servirait
surtout à lutter contre l’anarchie et la domination totale de l’immoralité et de la
violence, que nous allons désormais observer.
Notes
1. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 222.
2. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 1, op. cit. p. 619.
3. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 1, op. cit. p. 615.
4. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 870.
5. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 1085.
6. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 2, op. cit. p. 370.
7. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 2, op. cit. p. 262.
8. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 835-836.
9. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 1, op. cit. p. 637-638.
10. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 1047. Ser Barristan Selmy fait ici référence aux sauterelles
empoisonnées qui furent proposées à la dégustation de Daenerys lors des combats de gladiateurs, dans la grande arène de
Meereen.
11. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 1054.
12. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 941. Dans les romans, Daenerys épouse Hizdahr zo Loraq,
un noble de Meereen, afin d’affermir son pouvoir et d’apaiser les tensions dans la cité. Dans la série, le personnage d’Hizdahr est
tué avant la célébration du mariage.
Chapitre 6

Plus laide la vie ? L’héroïsme à l’épreuve


de la monstruosité

George R. R. Martin a construit l’univers du Trône de fer en opposition à la


conception d’un Moyen Âge idéalisé. Contrairement aux œuvres de Chrétien de
Troyes et de Tolkien, il n’est pas question ici de passer sous silence le prosaïsme
de la vie et sa potentielle laideur. Bien au contraire : les livres et la série
n’hésitent pas à montrer, sans aucun scrupule moral, le déchaînement de pulsions
très diverses. Le sexe, la violence, la maladie, la souffrance et la mort sont des
thèmes récurrents dans la saga créée par George R. R. Martin. Il s’agit là d’une
réécriture tout à fait originale du genre de la fantasy, notamment en ce qu’elle
n’est pas purement gratuite : on peut en effet en retirer un certain nombre
d’enseignements généraux et personnels.

Croyances et tolérance

L’univers du Trône de fer et de Game of Thrones présente une grande diversité


religieuse. Si la majeure partie des habitants de Westeros croit aux Sept Dieux,
dont les prêtres et les prêtresses sont appelés septons et septas, les adorateurs de
R’hllor, le fameux Maître de la Lumière, sont en nombre croissant. Les
Nordiens, pour leur part, continuent à croire aux Anciens Dieux. Les Fer-nés,
eux, sont monothéistes : ils vouent un culte unique au Dieu Noyé. Les Dothrakis
ne croient eux aussi qu’en une seule entité divine : le Grand Étalon. À Braavos,
une partie de la population a foi dans le Dieu Multiface. Cette croyance mêle
monothéisme et polythéisme, ce dieu étant unique tout en ayant des visages et
des représentations multiples.
Ces différences de croyance sont notamment illustrées par la famille Stark.
Catelyn, malgré son mariage avec Ned Stark, continue à pratiquer la religion de
ses pairs, qui est la Religion des Sept. On apprend d’ailleurs dans le tome 5
qu’un septuaire a été spécialement construit à son intention à Winterfell. C’est la
preuve qu’il existe une tolérance certaine au sujet des croyances de chacun.
Alors que Ned Stark croit aux Anciens Dieux, il ne cherche pas nécessairement à
imposer sa religion à sa femme ; il respecte même le fait qu’elle continue à prier
ses propres dieux. Leurs enfants semblent tantôt enclins à prier les Anciens
Dieux, et tantôt enclins à prier les Nouveaux Dieux. Ils illustrent également à
leur manière la grande diversité religieuse présente dans la saga. Robb, Rickon et
Arya paraissent être les héritiers des dieux de leurs deux parents. Jon, Arya et
Bran suivent en revanche leur propre cheminement spirituel.

"L’univers du Trône de fer et de Game of Thrones présente


une grande diversité religieuse.
Lorsqu’elle se trouve à Braavos, Arya devient la servante du Dieu Multiface.
On peut certes considérer que son engagement n’est pas totalement sincère, Arya
souhaitant avant toute chose devenir une Sans-Visage. Mais ce serait oublier
qu’un membre de cette caste, dans sa pratique quotidienne, demeure un serviteur
de ce dieu. Jon, quant à lui, se sent proche des Anciens Dieux. Cela s’explique
aisément : Catelyn Stark n’est pas sa mère, et l’a toujours traité avec dureté et
froideur. N’ayant aucune information sur sa propre mère, Jon, dans la
construction de son identité, ne peut se référer qu’aux dieux de son père. Il tient
d’ailleurs à prêter son serment de frère juré de la Garde de Nuit devant un barral,
un arbre sacré, symbole de l’Ancienne Religion. Si Jon ne paraît pas être très
pratiquant, son expérience du Mur renforce toutefois son rapport à la religion.
C’est encore plus vrai lorsqu’il rejoint, à la demande de Qhorin Mimain, les
Sauvageons. Il s’aperçoit non seulement que ces derniers ne sont pas si différents
des hommes et femmes qu’il a connus à Winterfell, mais il constate également
qu’ils croient aux mêmes dieux que lui. C’est d’ailleurs un argument sur lequel il
s’appuie pour montrer qu’il peut être l’un des leurs. Chez Jon, la religion est
donc une question d’identité. Dans la série, sa résurrection par l’intervention du
Maître de la Lumière pose question. Devient-il dès lors un de ses adorateurs ? Ce
n’est pas le cas. Pour autant, il accorde ensuite une certaine importance à
Mélisandre. Il constate notamment qu’elle aussi considère la lutte contre les
Marcheurs Blancs comme une priorité. Dans son engagement, Jon est ainsi un
des bras armés de R’hllor. On ne peut pas dire qu’il change de religion, mais il
ne semble plus dépendre seulement des Anciens Dieux. Bran, pour sa part, est
confronté à la question du surnaturel et de la magie. Il change son rapport au
sacré, en devenant lui-même un être à la frontière entre l’humanité et la divinité :
la Corneille à trois yeux. On peut dès lors estimer qu’il se tient au-delà des
croyances des uns et des autres : il est dans la pure application de la magie.

Même si elle ne partage pas ses croyances, Catelyn respecte le fait que Ned vienne prier et se recueillir
devant le barral de Winterfell, symbole de la religion des Anciens Dieux (saison 1, épisode 1).

Magie, magie

La religion est régulièrement évoquée tout au long des romans et de la série. On


rattache souvent à celle-ci la question de la magie. Cette association entraîne
d’ailleurs des distinctions importantes entre les religions. Si l’on s’en tient aux
faits, et seulement aux faits, les Anciens Dieux et les Nouveaux Dieux ne
semblent pas conférer de véritables pouvoirs à ceux qui les vénèrent. Certes, la
Corneille à trois yeux paraît dépendre des Enfants de la Forêt, que l’on peut eux-
mêmes associer, de près ou de loin, aux Anciens Dieux. Mais il n’est pas dit
explicitement que la Corneille à trois yeux ou les Enfants de la Forêt sont des
adorateurs des Anciens Dieux. La magie ne paraît en outre pas toujours dépendre
que de la seule pratique religieuse : la ville de Qarth, située en Essos, en est
l’illustration. Cette ville de grands magiciens ne défend pas un dieu en
particulier et la magie noire employée dans cette cité n’a aucune source
réellement spirituelle.
En revanche, une religion originaire d’Essos et se développant à Westeros
repose sur des miracles : la religion du Maître de la Lumière. Il convient
d’évoquer à ce propos le cas de Béric Dondarrion. Tué à six reprises, le chevalier
a été ressuscité à chaque fois grâce à l’intervention de Thoros de Myr, un prêtre
rouge. Le fait est étonnant car il est récurrent. Mais il l’est d’autant plus quand
on sait que Thoros était loin d’être un prêtre parfait : à Port-Réal, il passait son
temps à s’enivrer et à fréquenter des prostituées. Thoros, lorsqu’on l’interroge
sur les résurrections de Béric, ne parvient d’ailleurs pas à les expliquer. Il affirme
que son pouvoir n’a rien de personnel : il émanerait uniquement de la volonté du
Maître de la Lumière. Les miracles accomplis par ou au nom de R’hllor
permettent de comprendre le succès très récent de cette nouvelle religion à
Westeros. Une partie de la population peut avoir le sentiment que ce dieu existe
réellement.

"La religion est régulièrement évoquée tout au long des


romans et de la série. On rattache souvent à celle-ci la question
de la magie. Cette association entraîne d’ailleurs des distinctions
importantes entre les religions.
Mélisandre, qui est considérée comme la plus puissante des prêtresses de
R’hllor dans les romans, ne se sert pas seulement de ses pouvoirs pour défendre
la vie : elle peut également y avoir recours pour donner la mort – c’est d’ailleurs
ce qui arrive le plus fréquemment. C’est le cas lorsque Stannis est opposé à son
frère Renly. Alors que son cadet possède la meilleure armée, Stannis parvient
tout de même à l’emporter, grâce à l’intervention de Mélisandre. Elle donne en
effet naissance à un spectre noir ressemblant à Stannis, qui vient poignarder
Renly la veille de la bataille. Mélisandre effectue également de nombreux
sacrifices pour rendre grâce au Maître de la Lumière. On ne compte plus les
individus brûlés vifs par la prêtresse rouge. Même lorsqu’elle n’est pas présente
parmi les troupes de Stannis, des sacrifices humains continuent à être perpétrés.
C’est le cas dans l’un des derniers chapitres du tome 5, intitulé « Le sacrifice ».
Prisonnières des neiges du Nord, les troupes de Stannis décident de faire un
sacrifice humain au Maître de la Lumière afin d’obtenir son aide. Dans la
saison 5, Mélisandre va même jusqu’à brûler vivante la princesse Shôren
Baratheon, avec l’accord de ses deux parents. Il s’agit du seul moyen, d’après la
prêtresse rouge, pour faire fondre les neiges du Nord qui empêchent la
progression de l’armée de Stannis. Or, Shôren est une jeune enfant innocente,
qui n’a en outre pas été épargnée par le sort depuis le début de sa vie, souffrant
de la maladie de la Grisécaille depuis son plus jeune âge. Si son sacrifice fait
bien fondre les neiges, elle entraîne la désertion d’une partie non négligeable des
troupes de Stannis.

"Mélisandre, qui est considérée comme la plus puissante des


prêtresses de R’hllor dans les romans, ne se sert pas seulement
de ses pouvoirs pour défendre la vie : elle peut également y avoir
recours pour donner la mort.
La présentation qui est faite de R’hllor est de fait paradoxale. Mélisandre ne
cesse de répéter, notamment à Jon Snow, que le Maître de la Lumière est
l’ennemi des Marcheurs Blancs. Il serait donc un dieu de vie qui s’opposerait au
néant, à la destruction de l’humanité. Mais, dans le même temps, il s’avère être
un dieu très meurtrier. Il exige de nombreux sacrifices humains, et Stannis mène
plusieurs batailles meurtrières à la demande de Mélisandre. La sagesse voudrait
pourtant qu’il se résigne. La fin du tome 5 laisse entendre qu’il a été vaincu par
les Bolton, bien que cette information ne soit pas absolument certaine. La série,
quant à elle, nous montre à la fin de la saison 5 la défaite de Stannis. Ainsi, ses
actions, qui ont en définitive entraîné la mort de milliers d’êtres humains, ont en
réalité été parfaitement vaines.

Prophètes et prophéties

Se pose à ce propos la question des prophéties. Mélisandre croit en la prophétie


d’Azor Ahaï, l’Élu censé détruire le Mal. Elle pense initialement que cet Élu est
Stannis, puis estime qu’il s’agit en réalité de Jon Snow. Elle constate d’ailleurs,
avant même la défaite de Stannis, que Jon Snow est très présent dans ses
visions :

"« Je prie pour entrevoir Azor Ahaï, et R’hllor ne me montre que


Snow. »1

Dans la saison 7, on laisse entendre qu’Azor Ahaï peut être Jon Snow ou
Daenerys Targaryen. Cette prophétie s’accomplira-t-elle ? En tous les cas, elle
constitue un véritable fil rouge narratif. Il en est très régulièrement question dans
les livres, comme si George R. R. Martin tenait à ce que ses lecteurs gardent en
mémoire cette prophétie. Est-ce parce qu’elle se réalisera ? On sait que la
naissance de Daenerys dépend directement de la prise en compte de cette
prophétie. Alors qu’Aerys et Rhaella Targaryen, futurs parents de Daenerys et
accessoirement frère et sœur, ne s’aimaient guère, leur père a tenu à ce qu’ils se
marient dans la grande tradition des Targaryen pour une raison bien précise :
Une sorcière de la forêt lui avait prédit que le prince promis naîtrait de cette lignée.2

Dans les romans, Daenerys est d’ailleurs explicitement présentée comme


l’élue par Illyrio Mopatis :
Sa venue accomplit une ancienne prophétie. De la fumée et du sel elle est née, pour
refaire le monde. Elle est Azor Ahaï revenu… et son triomphe sur les ténèbres amènera
un été qui jamais n’aura de fin… La mort elle-même ploiera le genou, et tous ceux qui
mourront en combattant pour sa cause seront ressuscités…3

Notons qu’il est possible que Jon Snow soit lui aussi Azor Ahaï, son père,
Rhaegar Targaryen, étant issu de la même lignée que celle de Daenerys (il est le
frère aîné de la jeune femme).
Une autre prophétie majeure domine les romans : celle du valonqar. Cette
prophétie est rattachée à Cersei Lannister. Encore enfant, elle était allée
consulter, par jeu, une sorcière vivant sur les terres de son père. Cette dernière,
d’abord réticente, avait accepté de répondre à trois de ses questions. Or, elle
prophétisa pour elle et ses futurs enfants un destin funeste :
« D’or seront leurs couronnes et d’or leurs linceuls, reprit-elle. Et lorsque tes larmes
t’auront noyée, les mains du valonqar se resserreront autour de ta gorge blanche et te
feront exhaler ton dernier souffle de vie. »4

Mélisandre affirme que le Maître de la Lumière défend la vie, mais cela suppose de nombreux sacrifices
humains. À la fin de la saison 5 (épisode 9), la princesse Shôren Baratheon est brûlée vive, alors qu’elle n’est
qu’une enfant innocente…

Il est à noter que la majeure partie de la prophétie s’est réalisée : Cersei a


épousé le roi, celui-ci a eu plusieurs enfants illégitimes (autre élément évoqué
dans la prophétie de la sorcière), et elle a dû subir la mort de ses propres enfants
dans la série (dans les livres, à la fin du tome 5, seul Joffrey est mort). Nous nous
trouvons donc bien dans un univers dans lequel la magie existe, même si les
prophéties sont certes parfois difficiles à interpréter. Mélisandre le reconnaît
volontiers :
« Nous autres prêtres, sommes mortels et parfois, nous nous abusons, confondant telle
chose adviendra et telle chose pourrait advenir. »5

Noir c’est noir…

Dans la saga, la croyance en un ou plusieurs dieux semble donc aller de soi. Pour
autant, tous les personnages sont-ils des croyants et des pratiquants ? On peut en
douter. Cersei en est un bon exemple. Emprisonnée par le Grand Moineau pour
répondre de ses fautes, elle décide de mentir pour pouvoir regagner le Palais
royal. Son attitude, qui ne vise qu’à défendre ses intérêts personnels, est par
ailleurs totalement immorale. Elle n’est du reste pas la seule à agir sans tenir
compte de la question de la moralité. Les livres comme la série peuvent choquer
car ils sont une mise en scène quasi permanente de la violence. On a parfois
l’impression d’être dans un véritable « état de guerre », pour reprendre la
formulation employée par Hobbes dans son essai philosophique Le Léviathan.
Les petites villes et les villages semblent dépendre, pendant et même après la
Guerre des Cinq Rois, de la loi du plus fort. Ser Gregor Clegane, dit la
Montagne, commet avec ses hommes toutes sortes d’exactions (viols, meurtres,
tortures). On apprend même qu’il a un jour tué un homme dans une auberge car
il ne supportait pas de l’entendre ronfler ! L’horreur règne sur certains territoires
peu administrés, et l’être humain apparaît dès lors monstrueux. D’ailleurs, les
hommes sont régulièrement comparés à des bêtes ou à des animaux dans les
livres et la série. Dans les romans, les enfants Stark ne rêvent-ils pas souvent
qu’ils sont des loups ? Bran peut d’ailleurs prendre le contrôle d’animaux
sauvages grâce à ses pouvoirs. Les Lannister eux-mêmes aiment régulièrement
dire qu’ils sont des lions. Lors de son duel avec le prince Oberyn, le personnage
de la Montagne est décrit par Tyrion comme une bête sauvage :
Métal contre métal, un vacarme à vous fracasser les tympans. Le choc fit reculer en
titubant la Vipère Rouge. Ser Gregor le harcela en aboyant. Il n’utilise pas de mots, il rugit
juste, comme une bête.6

Oberyn Martell est lui-même désigné ici par son surnom animalier : la Vipère
Rouge. Il est à noter que, suite à ce duel et malgré sa victoire, Gregor Clegane
sera aux portes de la mort. Il sera certes sauvé par l’intervention de Qyburn, le
mestre officieux de Cersei, mais il sera transformé en une créature totalement
inhumaine. Une sorte de nouveau monstre de Frankenstein. À travers cet
exemple qui, pour être extrême, n’est pas pour autant isolé, il s’agit de montrer à
quel point les personnages de cet univers ont conservé une profonde et
indomptable bestialité.

"Les hommes sont régulièrement comparés à des bêtes ou à


des animaux dans les livres et la série.
L’arrivée massive à Port-Réal des Moineaux, religieux intégristes, est une
réaction aux exactions commises. Au déchaînement de la violence et de la haine
s’oppose un autre extrême : l’application d’une moralité absolue. Voir Cersei
effectuer sa marche d’expiation dans les rues de Port-Réal est la preuve que la
situation religieuse a évolué. Le monde dans lequel vivent les personnages est
profondément injuste, violent et inhumain.
L’amour n’est même pas une solution possible face à ce chaos. Il a en effet
tendance à être monnayé, la prostitution étant présente aussi bien à Westeros
qu’en Essos. Souvent, la seule sexualité prend le pas sur les sentiments. Les
nombreuses scènes de sexe des livres et de la série sont la manifestation d’un
rapport de force. L’homme cherche avant tout à satisfaire son plaisir, sans
véritablement tenir compte de celui de la femme. La religion serait donc une
réponse apportée à la violence et à la mort. Lorsqu’elle se trouve à Braavos,
Arya apprend de « l’homme plein de gentillesse » (Jaqen H’ghar dans la série)
que le Dieu Multiface a eu pour premiers adorateurs des esclaves. Dans ce récit,
on comprend bien que la religion a alors été perçue comme une échappatoire, un
moyen de ne pas céder totalement au désespoir. Transgression et religion
forment ainsi un couple antithétique permanent dans Le Trône de fer et Game of
Thrones. L’opposition entre les deux notions constitue une des dynamiques
fortes du récit.
Dans la saga de George R. R. Martin, la famille, nous l’avons dit, est un socle
essentiel pour chaque individu. On est un Stark, un Lannister, un Targaryen, un
Tully, avant d’être un individu à part entière. La famille est constitutive de
l’identité d’un être. Comme dans nombre de familles humaines, une tension
existe chez ses membres entre amour et haine, bienveillance et jalousie. Chez les
Stark, Arya et Sansa, bien que sœurs, sont deux parfaits opposés. Chez les
Lannister, on peut sensiblement dire la même chose de Jaime et Tyrion. Chez les
Targaryen, Daenerys est très différente de son frère Viserys. En conférant à la
famille une place centrale dans la saga, George R. R. Martin entend
fondamentalement faire de son œuvre une réflexion sur l’humanité. Il ne s’agit
pas uniquement de chanter les hauts faits et de montrer ce qu’est un héros. Il
s’agit également de mener une véritable réflexion sur le cœur humain. Mais
plutôt que de s’appesantir sur ce qui élève l’homme, Martin s’intéresse à la
noirceur présente en chaque individu. La famille est la démonstration de cette
obscurité.

"L’amour n’est même pas une solution possible face à ce


chaos.
Tyrion tue son père. Cersei souhaite ardemment tuer Tyrion. Lui-même ne
serait pas opposé à l’idée de voir sa sœur mourir. Ramsay Bolton, dans les
romans, tue son demi-frère. Dans la série, il tue son père, sa belle-mère et son
demi-frère, qui n’est alors qu’un nourrisson… Jon est assassiné par ses « frères »
de la Garde de Nuit. Renly est tué par le spectre de son frère Stannis. Si
commettre un crime est considéré comme un péché capital, tuer un membre de
sa famille renvoie au premier meurtre de l’histoire de l’humanité : l’assassinat
d’Abel par Caïn.
En composant Le Trône de fer, George R. R. Martin a voulu s’opposer à la
tradition du roman médiéval courtois, hérité de l’écrivain français Chrétien de
Troyes. En effet, Martin estime que le Moyen Âge était une période violente,
cruelle, voire obscurantiste. Ses romans soulignent à quel point l’être humain
peut être détestable. Des notions connotées négativement sont ainsi récurrentes
dans la saga : le mensonge et la trahison sont très régulièrement employés, et pas
simplement dans les intrigues de cour à Port-Réal ; la dissimulation semble être
bien souvent une nécessité, soit pour survivre, soit pour pouvoir accomplir un
méfait ; la vengeance est également un objectif poursuivi par bien des
personnages. On peut considérer que le souhait de Daenerys de reconquérir le
Trône de fer est d’une certaine façon un moyen de venger sa famille. Elle
pourrait en effet abandonner définitivement ce projet une fois devenue reine de
Meereen, si gouverner et œuvrer en faveur du bien étaient réellement ses
objectifs prioritaires. Elle laisse d’ailleurs entendre qu’un tel projet pourrait
retenir son attention. Elle finit pourtant par se raviser, preuve qu’elle poursuit un
autre but.
Ramsay Bolton est la démonstration que la monstruosité peut dans les livres et la série prendre un visage
humain (saison 6, épisode 9).

Un héroïsme imparfait, mais profondément humain

Si une certaine négativité semble devoir l’emporter, il existe pourtant encore des
sentiments bons et généreux. La volonté de Daenerys de libérer les esclaves de la
Baie des Serfs en est une illustration. L’intervention de Jaime pour sauver son
frère Tyrion de l’exécution capitale en est une autre. Les liens humains sont ainsi
un des thèmes les plus importants de la série. Le rêve des enfants Stark est de
pouvoir un jour se retrouver. On a même le sentiment qu’il s’agit parfois de leur
principale motivation face à l’adversité. La saison 7 est riche en scènes
émotionnellement fortes, comme le montrent les retrouvailles de Bran, Sansa et
Arya à Winterfell. Cette saison met également en scène les retrouvailles de Jorah
et Daenerys à Peyredragon. L’amour n’est par ailleurs pas impossible dans cet
univers violent et individualiste. Bien qu’incestueuse, l’affection que se portent
Cersei et Jaime est durable. Catelyn et Ned, malgré un mariage arrangé, s’aiment
ensuite d’un amour sincère et réciproque. Au début du tome 1, Catelyn envisage
d’ailleurs très sérieusement d’avoir un nouvel enfant avec Ned, car elle se sent
heureuse aussi bien en tant que mère qu’en tant qu’épouse.
Preuve que la négativité n’est pas absolue dans la série, une certaine morale
demeure présente. Les grands criminels (à l’exception, pour le moment, de
Cersei) finissent par être punis. Joffrey et Ramsay, considérés par les autres
personnages comme des « monstres », meurent tous deux dans d’atroces
souffrances. Joffrey est empoisonné au cours de ses noces, et Ramsay, dans la
série, est dévoré vif par ses propres chiens.
"Si une certaine négativité semble devoir l’emporter, il existe
pourtant encore des sentiments bons et généreux.
L’héroïsme n’est par ailleurs pas nié, bien qu’il puisse être parfois remis en
question. Jon et Daenerys sont des personnages héroïques. Ils peuvent certes être
confrontés à des échecs cuisants, mais ils sont toujours vivants à la fin de la
saison 7. Si l’on s’en tient aux romans, on notera d’ailleurs que l’auteur donne sa
préférence aux personnages pouvant être considérés comme appartenant au
camp du Bien. Sur les vingt-quatre personnages-chapitres, combien peuvent,
sans hésitation aucune, être considérés comme mauvais ? Cersei, cela va de soi.
Qui d’autre ? Theon peut-être, mais lui, en tant que personnage-chapitre, est plus
souvent victime que bourreau. On a rarement accès à ses pensées lorsqu’il
commet des exactions à Winterfell. Or, c’est nettement plus fréquent lorsqu’il
devient Schlingue, la « créature » de Ramsay Bolton. D’autres candidats au titre
de méchants ? Mélisandre, éventuellement, et encore il est possible que ses
intentions soient réellement bonnes, à la différence de certains de ses actes.
Ainsi, un seul personnage-chapitre est fondamentalement mauvais dans le récit.
On notera que certains personnages, d’abord mauvais, deviennent des
personnages-chapitres lorsqu’ils commencent à être bons. Le meilleur exemple
est Jaime Lannister. Le chevalier n’apparaît comme personnage-chapitre que
dans le tome 3, moment où l’on assiste à sa progressive transformation morale.
Qui aurait pu imaginer, en effet, que l’homme ayant précipité Bran Stark dans le
vide deviendrait ensuite un personnage apprécié des lecteurs et des spectateurs ?
Tout n’est donc pas absolument noir dans l’univers du Trône de fer et de Game
of Thrones. La saga dépeint certes les failles de l’humanité, mais montre
également que chaque individu a la possibilité de connaître une rédemption.
Jaime, mais aussi Theon, en sont l’illustration. Jaime Lannister l’affirme sans
hésitation à la fin du tome 3, lorsqu’il décide d’honorer la promesse faite à
Catelyn Stark de renvoyer ses filles dans le Nord :
« Sansa Stark est mon ultime chance de me faire honneur. »7

Œuvrer en faveur du bien peut donc devenir une fin en soi dans cet univers si
souvent immoral. La force du Trône de fer et de Game of Thrones est ainsi de
dépeindre l’être humain sans concession, mais sans pour autant grossir
systématiquement le trait. On est face à une série qui privilégie le clair-obscur.
À quelques exceptions près, chaque personnage a son moment de gloire et son
moment de honte.
Bilan

Le monde dans lequel évoluent les personnages peut être considéré comme
proche de l’état de nature. La loi du plus fort semble bien souvent l’emporter, et
le rapport de force est quasi permanent, et pas seulement dans le domaine
politique. La place centrale accordée à la religion est une réponse à la
domination de l’immoralité. Face à la souffrance et à l’injustice, les hommes et
femmes de Westeros et d’Essos cherchent à trouver une échappatoire, un salut.
Ils tentent également sans doute de donner du sens à ce qui peut paraître
s’opposer à toute logique humaine. Faut-il croire en une providence divine, ou
s’agit-il simplement d’une construction de l’esprit pour se rassurer ? La fin de la
saga livrera sans doute des éléments de compréhension sur ce point précis et
crucial.
Notes
1. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 498.
2. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 370.
3. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 353.
4. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 709.
5. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 81.
6. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 992.
7. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 3, op. cit. p. 1028.
Chapitre 7

Girl power

L’héroïsme est un des thèmes majeurs des œuvres de fantasy. C’est d’autant
plus vrai que certains personnages communs finissent par se muer en véritables
héros. Dans l’œuvre de Tolkien, Bilbon, Frodon et Sam n’auraient jamais
imaginé devenir des légendes. Il est vrai qu’ils n’avaient initialement aucune
qualité héroïque. Dans la saga créée par George R. R. Martin, la question de
l’héroïsme ne va pas non plus de soi. La mort prématurée de certains
personnages s’oppose au déploiement plein et entier de cette notion. En outre,
l’insistance sur l’imperfection des hommes et femmes de cet univers, sans
s’opposer à la mise en œuvre d’un idéal, montre que l’héroïsme est à considérer
avec un certain relativisme. La grande originalité de l’œuvre de Martin est
surtout d’avoir su offrir aux femmes une place héroïque de premier ordre. C’est
ce que nous allons désormais observer.

La force est avec elles

Revenons à la question des personnages-chapitres, pour l’évoquer cette fois-ci


en termes de sexualité : y a-t-il une parité, même imparfaite, entre les hommes et
les femmes ? Les hommes dominent ce classement, quinze d’entre eux étant des
personnages-chapitres, contre neuf femmes. Ce premier constat doit toutefois
être nuancé. Tout d’abord, le monde de la fantasy, héritier des romans de
chevalerie, est un univers plus masculin que féminin. Parmi les cinq romans de
Chrétien de Troyes, un seul met sur le même plan un personnage masculin et un
personnage féminin : Érec et Énide. Et encore, Énide, bien que gagnant en
autonomie au cours du récit, ne prend toute son ampleur que parce qu’elle est la
femme d’Érec… C’est parce que le chevalier la rencontre et en tombe amoureux
qu’elle devient un personnage de l’intrigue.
Dans Le Seigneur des Anneaux, aucune femme ne fait partie de la
Communauté de l’Anneau. Dans Le Hobbit, aucune ne participe non plus à
l’épopée des seigneurs nains. Il fut d’ailleurs reproché à Tolkien de n’avoir pas
accordé assez d’importance aux femmes dans son œuvre. Peter Jackson, à
l’inverse, fut critiqué lors de la sortie de la trilogie cinématographique du Hobbit
pour avoir inventé de toutes pièces Thauriel, femme elfe dont l’importance dans
le scénario sera loin d’être anecdotique. Si l’on compare donc l’œuvre de Martin
à celles de Chrétien de Troyes et de Tolkien, il est indéniable qu’elle confère aux
femmes une place nettement plus grande dans le récit.

"Le monde de la fantasy, héritier des romans de chevalerie,


est un univers plus masculin que féminin.
Dans un deuxième temps, il convient de s’interroger sur le rôle tenu dans
l’intrigue par ces neuf femmes personnages-chapitres. Le Trône de fer compte au
total 333 chapitres. Or, le nombre de chapitres où les femmes sont personnages-
chapitres s’élève à 137 – soit un peu plus de 40 % des chapitres. Enfin, si l’on
opère un classement individuel des personnages, quatre femmes occupent les
premières places : Arya est troisième (trente-deux occurrences), Daenerys
quatrième (trente et une occurrences), Catelyn cinquième (vingt-cinq
occurrences), et Sansa sixième (vingt-trois occurrences). Seuls Tyrion (quarante-
sept occurrences) et Jon (quarante-deux occurrences) font mieux ! Et Arya est le
seul personnage de la saga à apparaître dans les cinq tomes actuellement parus.
Non seulement les femmes occupent un espace narratif important dans Le
Trône de fer, mais cette légère différence entre hommes et femmes a tendance à
s’estomper dans la série. Dans la saga, les femmes ne se réduisent pas au seul
thème amoureux, auquel elles sont pourtant régulièrement associées dans le
roman en général et surtout dans la fantasy en particulier. Rappelons que, dans
Le Seigneur des Anneaux, le personnage d’Arwen n’est évoqué que parce qu’elle
est l’amante d’Aragorn. Elle constitue, au fond, la récompense que le guerrier se
verra attribuer à la fin de ses aventures… Peter Jackson était d’ailleurs conscient
du problème. Non seulement il veilla à ce qu’Arwen soit plus présente à l’écran
que dans les romans de Tolkien, mais il alla jusqu’à envisager de la faire
participer à la bataille du gouffre de Helm. Il se ravisa finalement, même si Liv
Tyler, l’actrice incarnant la femme elfe, fut bien présente sur le tournage de cette
bataille. Toujours est-il que, à de rares exceptions près, la femme est toujours
présentée comme dépendante de la question de l’amour dans les romans de
chevalerie.
"Les femmes occupent un espace narratif important dans Le
Trône de fer.
L’originalité de l’œuvre de George R. R. Martin est de s’opposer fortement à
cette tradition. Il s’agit d’un acte littéraire d’autant plus fort et audacieux qu’au
moment où il a commencé la rédaction du Trône de fer, la vogue des héroïnes de
science-fiction et de fantasy était loin d’être effective. Au XXIe siècle, l’héroïne
principale de la nouvelle trilogie Star Wars est une femme (Rey) et une saga
littéraire et cinématographique de science-fiction au succès mondial repose sur
un héros féminin (Hunger Games et Katnis Everdeen). Sans pour autant être des
œuvres féministes, Le Trône de fer et Game of Thrones développent ainsi une
image riche et complexe des femmes, sans clichés ou idées reçues. Les différents
personnages féminins sont d’ailleurs loin d’être la reproduction d’un même
modèle.
Le point commun entre toutes ces femmes semble bien être l’énergie. Elles
réussissent toutes à surmonter avec brio les nombreux obstacles qui leur sont
opposés. Elles font même parfois montre d’une énergie supérieure à celle des
hommes. Dans les livres, le personnage de Taena Merryweather en est
l’illustration. Cersei, dont elle est devenue proche, constate d’ailleurs qu’elle
serait, dans l’absolu, une bien meilleure Main du roi que son propre mari :
C’était grand dommage que Taena ne puisse officier comme Main. Elle était trois fois plus
virile que son mari, et infiniment plus amusante.1

Cersei affirme elle-même souvent, dans les romans, qu’elle est le seul
véritable fils de Tywin Lannister, affirmation d’autant plus forte que son frère
jumeau est pourtant un chevalier de grand renom. Elle déplore que son statut de
femme empêche son père de reconnaître son énergie et la virilité qu’elle estime
posséder dans son tempérament. Jaime en est conscient et emploie d’ailleurs une
expression à ce sujet : sa sœur se percevrait, d’après lui, comme « un lord Tywin
équipé de nichons » (tome 4, p. 324). On peut associer à ces femmes énergiques
de premier plan d’autres femmes, plus secondaires dans l’intrigue mais elles
aussi d’un dynamisme admirable : Asha Greyjoy2, la sauvageonne Osha, la jeune
Lady Mormont, Olenna Tyrell, ou Arianne Martell (qui n’apparaît pour sa part
que dans les romans). La princesse Arianne semble d’ailleurs compenser la
faiblesse de son père, le prince Doran, par sa capacité à prendre des initiatives
audacieuses. Son comportement amènera du reste le chevalier Arys du Rouvre,
son amant, à rendre un vibrant hommage à la force des femmes :
« La force est l’apanage des femmes, le fait est. » Cette réflexion ne lui était pas
uniquement inspirée par la petite princesse, mais aussi par la mère de celle-ci ainsi que
par la mère sienne, par la reine des Épines et par les filles de la Vipère Rouge, ces fameux
Aspics des Sables aussi séduisants que funestes. Et par la princesse Arianne Martell en
personne, elle plus que toute autre.3

Brienne et Arya sont des femmes amazones, à ceci près qu’elles n’ont pas
l’obligation de se couper un sein, car elles sont présentées comme des femmes
ayant peu de formes féminines. Elles incarnent dans le récit la possibilité pour
une femme de tenir un rôle dévolu jusqu’alors aux hommes. En effet, Brienne et
Arya n’ont pas leur équivalent dans les œuvres littéraires antérieures. Voir une
femme combattre par envie et non par nécessité, et le faire avec brio, est une
véritable révolution du personnage féminin dans le cadre romanesque. Brienne
fait songer à Jeanne d’Arc, personnage historique avec lequel elle partage de
nombreux points communs : la virginité, la bravoure, la force, la générosité mais
aussi la capacité à être influente sur un homme de premier plan (le roi de France
Charles VII pour Jeanne d’Arc ; Jaime Lannister pour Brienne). Brienne n’est
pas pour autant un personnage caricatural, ce qui était un risque véritable dans sa
composition. En effet, la fille du seigneur de Torth a beau être une formidable
guerrière, elle n’en demeure pas moins un être sentimental. Jaime comprend
assez vite qu’elle avait pour Renly Baratheon de réels sentiments amoureux. Le
narrateur confirme la justesse de cette interprétation au début du tome 4 :
Renly Baratheon avait été pour elle bien plus qu’un roi. Elle l’avait aimé dès la première
fois où il était venu en visite suzeraine à Torth, au cours du périple d’agrément destiné à
célébrer son entrée dans l’âge viril.4

Arya et Brienne sont des femmes dont les talents guerriers surpassent ceux de bien des hommes (saison 7,
épisode 4).

On constate plus tard dans le récit que Brienne a également une réelle
affection pour Jaime, à tel point que leur relation en devient par moments très
ambiguë. Alors qu’il va enfin pouvoir rentrer à Port-Réal et rejoindre Cersei,
Jaime décide de retourner à Harrenhal pour secourir Brienne, placée dans une
fosse où elle est contrainte d’affronter un ours. Dans le tome 5, Jaime, après
avoir conquis Vivesaigues, donne la primauté à Brienne sur Cersei. Sa sœur
vient pourtant de lui écrire pour lui demander de lui venir en aide : elle est en
effet emprisonnée par le Grand Moineau et ses hommes. Or, Jaime préfère venir
en aide à Brienne, qui lui laisse entendre qu’il en va également de la vie des
filles Stark.
Arya, pour sa part, est un symbole de liberté. Alors qu’elle ne cesse d’être
confrontée à un sort contraire, elle parvient à surmonter les obstacles qui se
dressent sur son chemin afin de devenir ce qu’elle souhaitait être. En se rendant
à Braavos pour recevoir la formation des Sans-Visage, elle sait qu’elle n’aura pas
à devenir « une dame », ce qu’elle avait toujours farouchement refusé.

Mère louve et mère lionne

Catelyn Stark et Cersei Lannister sont deux parfaits opposés. Ces personnages
ont d’ailleurs un antagonisme fort, bien qu’elles soient rarement en contact direct
dans le récit (hormis dans le tome 1 et la saison 1). Pourtant, elles se ressemblent
par un certain nombre d’aspects. Ce sont toutes les deux des femmes
intelligentes. Il n’est pas anodin de noter que Robb Stark n’existe dans les
romans qu’à travers les chapitres consacrés à sa mère. Catelyn fait montre d’une
plus grande sagesse et d’une plus grande perspicacité que son fils, et pas
simplement parce qu’elle a plus d’expérience que lui. Son opinion s’avérera
souvent pertinente. Elle conseillera notamment à Robb de se défier de Theon
Greyjoy et de Walder Frey. Les faits lui donneront raison : ces deux personnages
trahiront son fils aîné, alors qu’ils étaient censés être ses alliés.
Cersei a elle aussi plus de bon sens que son fils Joffrey. Si elle est consciente
que Ned Stark représente une menace pour sa famille, elle sait également que sa
mort aurait des conséquences désastreuses pour l’ensemble du royaume. Elle est
ainsi horrifiée lorsque Joffrey prononce la sentence de mort. Cersei sait
également mettre son intelligence au service de ses causes personnelles. On le
voit notamment au fait qu’elle parvienne à éliminer la très grande majorité de ses
adversaires. La série l’illustre bien. Alors qu’elle a commis une erreur
stratégique en conférant trop de pouvoir au Grand Moineau, elle se venge de
manière spectaculaire dans le dernier épisode de la saison 6. En faisant exploser
au moyen du feu grégeois le Septuaire de Baelor, elle met fin à l’influence
néfaste des fanatiques et élimine la quasi-intégralité de la famille Tyrell (à
l’exception de la matriarche, Lady Olenna). Cersei parvient également à devenir
la première femme à monter sur le Trône de fer, ce qui est en soi une véritable
prouesse. Elle réussit à transformer des événements tragiques (la mort de ses
deux fils) en avantages personnels.
Catelyn et Cersei sont ainsi deux femmes décisionnaires de premier plan. On
peut estimer que l’erreur majeure de trois de leurs fils (Robb, Joffrey et Tommen
meurent du vivant de leurs mères dans la série) est précisément de ne pas les
avoir suffisamment écoutées. C’est sans doute davantage vrai dans le cas de
Robb, l’influence de Cersei sur Joffrey et Tommen n’ayant pas eu que des
aspects positifs.

"Catelyn Stark et Cersei Lannister sont deux parfaits opposés.


Ces personnages ont d’ailleurs un antagonisme fort, bien qu’elles
soient rarement en contact direct dans le récit. Pourtant,
elles se ressemblent par un certain nombre d’aspects.
Enfin, ces deux femmes se distinguent également d’une présentation
caricaturale qui consisterait à ne faire d’elles que des femmes de pouvoir. En
effet, malgré leurs différences et leurs défauts, elles sont, chacune à sa façon, des
figures fortes de la maternité. Au début du tome 1, Catelyn rêve d’avoir un autre
enfant avec Ned, alors qu’elle en a déjà cinq. Cersei évoque pour sa part à
plusieurs reprises son bonheur d’être mère. Dans le tome 4, on apprend même
que sa plus grande émotion de femme a été de donner le sein pour la première
fois à son fils aîné :
Aucun homme ne lui avait procuré de jouissance comparable à celle qu’elle avait
éprouvée lorsque les lèvres de son fils s’étaient pour la première fois emparées de son
mamelon pour se mettre à téter.5

Si Cersei a une telle peur de la prophétie de la sorcière, c’est aussi – voire


surtout – parce qu’elle menace la vie de ses enfants. Dans le tome 4, même si
l’on peut juger que les moyens qu’elle met en œuvre sont immoraux et ont une
visée égoïste, Cersei affirme effectuer tous ses actes pour le bien de son fils
Tommen :
« Tout ce que je fais, c’est pour lui. »6

On peut enfin noter que, à la différence de la série, Catelyn Stark ne disparaît


pas définitivement de l’intrigue dans les romans. Ressuscitée par un baiser de
Béric Dondarrion, Catelyn devient Lady Cœur de pierre. Elle n’est certes alors
plus tout à fait la même femme qu’auparavant mais, avec l’aide de la Fraternité
sans Bannière, elle décide de détruire tous ceux qui ont causé du tort à sa
famille. Mère louve jusqu’au bout.

Dans la saga de George R. R. Martin, Cersei et Catelyn montrent la possibilité pour une femme d’incarner à la
fois la fermeté politique et la douceur maternelle (saison 1, épisode 1).

Sansa Bovary

Le cas de Sansa, enfin, est particulier. Tout au long de son enfance, elle n’a cessé
de lire des récits chevaleresques, à tel point qu’elle a fini par considérer que ces
textes de fiction relataient la réalité. De ce point de vue, ce personnage peut être
considéré comme un double d’Emma Bovary, l’héroïne du roman de Gustave
Flaubert, qui souffrira tout au long de sa vie de la confrontation douloureuse
entre ses rêves et le réel. Sansa apprend à faire évoluer sa vision du monde tout
en essayant de rester elle-même, ce qui n’est pas toujours évident. Les saisons 6
et 7 montrent en effet que la jeune femme est durablement marquée par les
expériences douloureuses auxquelles elle a été confrontée. Elle doit son dur
apprentissage de la vie à deux êtres dont la brutalité est soit d’ordre physique,
soit d’ordre moral : le Limier et Littlefinger. La mort de son père est un premier
choc terrible pour Sansa, d’autant que Joffrey lui avait promis de se montrer
clément. La fréquentation quotidienne du Limier constitue ses premières leçons
sur la réalité de la chevalerie. À la fin du tome 2, Sansa a un échange avec le
Limier au cours duquel, plutôt que de la déniaiser sexuellement (ce dont il
avouera plus tard avoir eu envie), il la déniaisera spirituellement. Il affirme tout
d’abord que la fonction première des chevaliers n’est pas de protéger, mais de
détruire :
« Les chevaliers servent à tuer. »7

Il niera ensuite l’existence même des chevaliers dont Sansa rêvait, et l’incitera
à ne compter que sur sa propre force pour survivre dans ce monde :
« Il n’y a pas de véritables chevaliers, pas plus qu’il n’y a de dieux. Si tu n’es pas capable
de te protéger toi-même, crève et cesse d’encombrer le passage à ceux qui le sont. L’acier
qui coupe et les bras costauds qui gouvernent ce monde : hors de cela, tu te goberges
d’illusions. »8

Il conclura son propos en essayant de montrer à la jeune fille qu’il ne se


présente pas ici en défenseur de telle ou telle idéologie. Il se contente de dire la
vérité :
« Je suis honnête. C’est le monde qui est ignoble. »9

Une fois ce premier apprentissage de la vie achevé, Sansa se montre capable


d’obéir aux ordres de Littlefinger, ce qui est pour elle vital après l’assassinat de
Joffrey. Or, elle parvient non seulement à dissimuler et à mentir, mais elle réussit
dans le même temps à conserver son identité et sa pureté. Elle fait notamment
montre d’une grande gentillesse vis-à-vis du jeune Robert Arryn, qui vient de
perdre sa mère Lysa. Seule Sansa, qui dans les romans se nomme alors pour sa
propre sécurité Alayne, parvient à faire entendre raison au jeune garçon quand, à
la fin du tome 4, il convient de quitter les Montagnes de la Lune avant que
n’arrive l’hiver. Sansa, bien que ses aventures ne soient pas aussi éprouvantes
physiquement que celles d’Arya, affronte les événements contraires de la vie
avec courage et ténacité. Là où beaucoup de jeunes femmes romantiques
auraient pu céder au désespoir, elle réussit le tour de force de rester elle-même
tout en évoluant.
Sansa est le personnage le plus rêveur de la saga de George R. R. Martin. Elle a notamment pour fonction de
montrer l’opposition entre l’univers violent du Trône de fer et celui enchanteur du conte de fées (saison 4,
épisode 7).

Daenerys, la reine des reines

Ce tableau féminin ne saurait être complet sans la mention de Daenerys


Targaryen. Personnage le plus important des livres et de la série avec Jon et
Tyrion, elle est incontestablement (avec Cersei) la femme la plus influente de la
saga. La saison 7 l’illustre bien : toutes deux sont considérées par les hommes de
leur propre camp comme leur souveraine légitime. Cersei règne alors sur les
Sept Couronnes, tandis que Daenerys aspire à prendre sa place. Il est impossible
de savoir qui occupera le Trône de fer à la fin de la série, mais il est certain que
les deux postulantes déclarées à la fin de la saison 7 sont Cersei et Daenerys.
La jeune reine Targaryen paraît être la quintessence de toutes les autres
femmes du récit. Elle possède en effet les principaux atouts de chacune d’elles.
Comme Arya et Brienne, elle sait combattre. Certes, non pas en se servant d’une
épée, mais en ayant le contrôle de dragons, ce que seul le Roi de la Nuit est à ce
moment de la série capable de faire. Le fait est d’autant plus surprenant que le
Roi de la Nuit est un être surnaturel, doté de pouvoirs magiques. La jeune femme
s’avère être en outre un bon stratège militaire. C’est grâce à son audace que son
armée parvient notamment à conquérir Yunkaï, ce qui d’après ses généraux
apparaissait comme une entreprise très difficile.

"Personnage le plus important des livres et de la série avec


Jon et Tyrion, Daenerys est incontestablement (avec Cersei) la
femme la plus influente de la saga.
Comme Cersei et Catelyn, Daenerys a fait l’expérience de la maternité, elle
aussi de manière douloureuse. Elle a perdu l’enfant qu’elle avait conçu avec
Drogo, mais elle a également perdu son dragon Viseryon, qu’elle considérait
comme son enfant, à la fin de la saison 7. En outre, elle a fait l’expérience de la
maternité à grande échelle, ce que ni Catelyn ni Cersei n’ont pu ou voulu
éprouver. Son peuple, par gratitude de l’avoir libéré de l’esclavage, la désigne
par le nom de « Mhysa », qui signifie « Mère ». Dans les romans, lorsque les
habitants d’Astapor meurent de la maladie de la caque-sangue, Daenerys les
secourt du mieux possible et se rend auprès des malades, au risque d’attraper
elle-même cette maladie très contagieuse. Elle justifiera sa présence auprès
d’eux par une formule qui ne laisse aucun doute sur le rôle qu’elle estime être le
sien :
« Je ne puis les guérir, mais je peux leur montrer que leur Mère se soucie d’eux. »10

Comme Catelyn et Cersei, elle est également un personnage doté d’une grande
intelligence. Non seulement elle prend seule des décisions pertinentes, mais elle
est capable d’écouter les avis de ses conseillers, sans se laisser pour autant
influencer. Elle parvient également à faire montre de modération, ce qui n’a rien
d’évident car, comme tout membre de la famille Targaryen, elle a une mentalité
de feu.

Daenerys Targaryen, par sa capacité à rassembler les principales qualités des autres femmes de la saga, est
un symbole d’équilibre et de stabilité (saison 6, épisode 10).

Enfin, comme Sansa, malgré les épreuves, elle conserve sa sensibilité. Elle
tombe amoureuse de Daario Naharis puis, dans la saison 7, de Jon Snow. Dans
les deux cas, elle essaie de concilier au mieux ses sentiments et ses devoirs. À la
fin de la saison 7, tout en essayant de sauver Jon Snow des Marcheurs Blancs,
elle est consciente qu’il lui faut impérativement sauver ses deux dragons encore
en vie, ainsi que les hommes qu’elle est venue secourir. Elle abandonne ainsi Jon
Snow à son triste sort, même si elle espère ensuite le revoir vivant, ce qui sera le
cas.
Bien qu’elle ne soit pas parfaite, Daenerys incarne la force et la stabilité dans
un monde instable. À tel point, d’ailleurs, qu’elle est considérée comme une
déesse par son peuple de Meereen, et que ses conseillers disent régulièrement
avoir « foi » en elle.
Les femmes sont ainsi des figures fortes dans Le Trône de fer et Game of
Thrones. Le grand mérite de George R. R. Martin est d’avoir redéfini et
complexifié leurs rôles dans l’univers d’abord si masculin de la fantasy, sans
pour autant être tombé dans une forme de caricature. Si ses personnages
féminins sont forts et énergiques, ils ne sont pas pour autant une célébration
exacerbée du féminisme.

Bilan

Si George R. R. Martin n’a pas créé un monde manichéen, il a su montrer qu’un


héroïsme, même imparfait, pouvait toujours s’opposer avec force à la
monstruosité humaine. Nous sommes là face à une conception réaliste et
moderne de l’héroïsme. Tout le monde semble pouvoir devenir un héros, mais
toujours de manière ponctuelle et partielle. Confronter régulièrement les
personnages les plus héroïques à l’échec est une manière de montrer que les
hommes ne sont pas des dieux, et ne peuvent au mieux accéder qu’au statut de
demi-dieu. En conférant à l’héroïsme féminin une place de premier ordre,
l’auteur se montre globalement visionnaire, mais réécrit aussi en profondeur
l’univers jusqu’alors si masculin de la fantasy.
Notes
1. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 757.
2. Dans la série, la sœur de Theon se nomme Yara Greyjoy.
3. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 271. « La petite princesse » et sa « mère » désignent ici
Myrcella Baratheon et Cersei Lannister. La « reine des Épines » est le surnom d’Olenna Tyrell. Quant aux « Aspics des Sables »,
elles sont les filles d’Oberyn Martell, souvent désigné par le surnom de la « Vipère Rouge ».
4. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 98.
5. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 257.
6. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 4, op. cit. p. 764.
7. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 2, op. cit. p. 744.
8. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 2, op. cit. p. 745.
9. Idem.
10. George R. R. Martin, Le Trône de fer, L’intégrale 5, op. cit. p. 579.
Chapitre 8

Le feu et la glace : Dragons contre


Marcheurs Blancs

Le succès mondial de la saga créée par George R. R. Martin vient aussi de la


présence de créatures fantastiques. Si les continents de Westeros et Essos sont
dominés par les humains, ils abritent pourtant des êtres peu communs. Les
Enfants de la Forêt et les Géants sont certes en voie de disparition, mais les
Dragons et les Marcheurs Blancs, que l’on pensait disparus, font leur retour au
moment où l’intrigue gagne en complexité. Le tome 1 et la saison 1 débutent
avec les Marcheurs Blancs et se concluent sur le retour des Dragons. De fait, il
existe un lien entre le récit et la magie. Peut-être est-ce là une des clés de la
réussite de ce nouveau phénomène culturel ? Nous nous proposons, dans ce
chapitre, d’analyser la dimension symbolique de ces deux figures emblématiques
de la saga que sont les Dragons et les Marcheurs Blancs.

La magie des Dragons

Lorsqu’elle se trouve à Qarth, Daenerys doit subir le vol de ses trois dragons.
Qarth n’est pourtant pas une ville guerrière. Elle tire notamment son opulence de
ses talents pour le commerce. Pourquoi, dès lors, cette cité aurait-elle intérêt à
posséder des dragons ? Les romans et la série nous apprennent que ces derniers
sont associés à la magie. Qarth étant une ville de grands sorciers et magiciens,
leur pouvoir se trouve décuplé en présence de ces créatures fantastiques. Plus
que des armes de guerre, les dragons sont donc nécessaires au perfectionnement
de l’art magique.
Associer les dragons à la magie a une forte dimension symbolique. En effet,
les mondes d’Essos et de Westeros ont tendance à se normaliser au fil du temps.
Alors qu’il n’y avait pas d’hommes à l’origine sur Westeros, leur arrivée sur ce
continent plusieurs millénaires auparavant a entraîné une diminution progressive
des phénomènes magiques. En contribuant très largement à la disparition quasi
totale des Géants et des Enfants de la Forêt, les hommes ont rendu le monde de
Westeros plus semblable à notre propre monde.
La magie est dès lors davantage associée aux terres lointaines ; Qarth, mais
aussi Ashaï, sont des cités dans lesquelles elle est un art très pratiqué. Or, ces
deux villes sont très éloignées de Westeros. Le continent principal de l’intrigue
paraît ainsi peu enclin à accorder de l’importance à la magie. Dans l’univers créé
par George R. R. Martin, on sait notamment que les dragons ne sont pas
originaires de Westeros. Ils viennent de Valyria, une majestueuse cité dont la
splendeur puis la destruction brutale ne sont pas sans nous rappeler la cité
mythique de l’Atlantide.

"Les romans et la série nous apprennent que les dragons sont


associés à la magie.
Dans l’intrigue, il n’est pas anodin d’assister à la renaissance des dragons sur
les terres des Dothrakis. Daenerys et son khalasar se trouvent en effet à ce
moment-là bien loin de Westeros. Les dragons sont associés à la magie car ils
n’ont pas leur équivalent dans ce monde. Ils sont souvent présentés comme le
feu devenu chair. Ils sont également associés au rêve. Dans la saison 6, Tyrion,
en l’absence de Daenerys, décide de faire de Viseryon et Rhaegal, alors tenus
enfermés dans la grande pyramide de Meereen, ses alliés. Au moment de les
libérer, il leur raconte que, pendant son enfance, il avait demandé comme cadeau
d’anniversaire à son oncle un dragon. Tyrion n’est pas un cas isolé. Ces animaux
fascinent un grand nombre de personnages de cet univers, et ils permettent
d’ailleurs de comprendre l’ascension fulgurante de Daenerys.
En effet, c’est en partie grâce à ses dragons que la jeune Targaryen est
parvenue à obtenir l’allégeance des Dothrakis, pourtant habitués à être dirigés
par des hommes. C’est également grâce à ses dragons qu’elle a réussi à
remporter une improbable victoire sur les esclavagistes d’Astapor et de Yunkaï,
lorsque sa cité de Meereen a été lourdement attaquée. C’est encore grâce à eux
que, dans la saison 7, elle a pu reprendre l’avantage sur Cersei. Alors que la
reine des Sept Couronnes avait réussi à piéger les Immaculés à Castral Roc,
Daenerys a contré l’habileté stratégique de son adversaire en attaquant les
troupes Lannister avec ses trois dragons. Est d’ailleurs régulièrement évoqué
dans la saga le fait que les Sept Couronnes ont été conquises par les premiers
Targaryen au seul moyen de trois dragons. Plus qu’une vaste armée, un dragon
est de fait un atout décisif dans un conflit militaire.
Le nom des trois dragons de Daenerys présente une symbolique forte. Elle a
en effet choisi de leur donner le prénom de trois hommes de sa famille : Drogon
(qui renvoie à son mari Khal Drogo), Rhaegal (qui renvoie à son frère aîné
Rhaegar) et Viseryon (qui renvoie à son frère Viserys, avec lequel elle a grandi
en exil). La jeune femme laisse ainsi entendre que les dragons sont bien ses
enfants, puisque leurs noms sont des hommages à des membres de sa famille. À
la fin de la saison 7, c’est d’ailleurs Viseryon qui, après sa mort, rejoint l’armée
des Marcheurs Blancs, en étant ramené à la vie par le Roi de la Nuit. Or, son
nom est inspiré de Viserys, le frère de Daenerys, personnage qui a vendu sa sœur
aux Dothrakis, espérant pouvoir en retirer un avantage guerrier dans sa tentative
de reconquête des Sept Couronnes. De la même manière que Viserys, par son
comportement, a pu constituer un adversaire voire une menace pour elle,
Viseryon devient désormais lui-même l’ennemi de la mère des dragons.

Le principal atout de Daenerys n’est pas tant sa vaste armée que ses trois dragons. La fin de la saison 6 les
met d’ailleurs particulièrement en valeur (épisode 10).

Le meilleur ami de la femme

Si la présence de dragons dans un récit de fantasy n’a rien de très original,


l’utilisation narrative qu’en fait George R. R. Martin est en revanche novatrice.
En effet, le dragon est par essence dans le camp des antagonistes. Si cet animal
légendaire jouit d’une réputation extrêmement flatteuse dans les cultures
asiatiques, c’est loin d’être le cas en Europe. Associé au diable, le dragon est une
créature malfaisante, dont les flammes rappellent la violence des feux de l’Enfer.
C’est la raison pour laquelle le chevalier, dans les romans de chevalerie, doit
souvent affronter puis vaincre un dragon. Il s’agit alors de montrer le triomphe
final du Bien sur le Mal.
Tolkien, dont la foi chrétienne était parfaitement assumée, a d’ailleurs fait des
dragons des créatures appartenant au Mal. Ils relèvent en effet de la création de
Melkor, un Ainur s’étant révolté contre la divinité première, Ilúvatar, et qui
formera ensuite le maléfique Sauron. La révolte de Melkor n’est pas sans
rappeler celle de Lucifer, ancien ange du Paradis, contre Dieu. Dans Le Hobbit,
le dragon Smaug est une créature malveillante. Doté d’une forte personnalité qui
le rapproche d’un être humain, cet animal est égoïste et égocentrique. Il détruit le
Royaume des nains pour une seule raison futile : son attirance pour l’or. La vie
d’autrui ne présente aucune valeur à ses yeux. Il est prêt à tuer quiconque
voudrait lui dérober son trésor. Alors qu’il est doué de paroles, il ne cherche
jamais à s’en servir pour négocier ou trouver un quelconque terrain d’entente
avec autrui. Dans Harry Potter, les dragons présents lors du tournoi de la Coupe
de feu sont pour leur part des êtres irrationnels et violents. Ils sont l’incarnation
d’un danger brut. Ils peuvent tuer à tout moment, sans aucun discernement.

"Si la présence de dragons dans un récit de fantasy n’a rien de


très original, l’utilisation narrative qu’en fait George R. R. Martin
est en revanche novatrice.
Dans la saga de George R. R. Martin, les dragons sont des êtres qui fascinent
et que l’on admire. C’est d’autant plus vrai qu’ils sont désormais érigés au rang
de légendes, ayant disparu du monde de Westeros depuis de nombreuses
décennies. Surtout, les dragons ne sont pas perçus d’un point de vue manichéen.
Personne ne les présente comme des créatures diaboliques. Ils sont davantage
considérés comme des animaux merveilleux, sublimes et potentiellement très
dangereux. Dans les livres et la série, on assiste à une scène où un berger vient
annoncer à Daenerys que sa petite fille a été tuée par l’un de ses dragons. Cette
scène pathétique amène Daenerys à enfermer dans d’immenses geôles ceux
qu’elle considère pourtant comme ses enfants. La jeune Targaryen prend alors
conscience du mal que ses dragons peuvent répandre. Pour autant, ces animaux
ne cherchent pas à semer le chaos. Ils attaquent la plupart du temps pour se
nourrir, et non par jeu ou intention malveillante.
Comme Tyrion le dit dans la saison 6, les dragons sont des êtres intelligents.
S’ils ne sont pas capables de s’exprimer comme Smaug, ce ne sont pas non plus
des monstres aveugles et sanguinaires. La preuve en est qu’ils obéissent à
Daenerys. On en a la démonstration dans la saison 7, lorsqu’elle les utilise dans
un cadre guerrier. Lors de la bataille contre l’armée Lannister, ses trois dragons
n’attaquent à aucun moment les membres de l’armée de Daenerys. Une fois la
bataille remportée, ils ne cherchent pas non plus à tuer les prisonniers de l’armée
ennemie. Ils attendent sagement les ordres de leur mère. Enfin, lorsque Daenerys
vient secourir Jon et ses compagnons au-delà du Mur, les trois dragons veillent à
n’attaquer que les membres de l’Armée des Morts. Ils savent donc faire montre
de discernement. Ainsi, s’ils ne sont fondamentalement ni bons ni mauvais, ils
peuvent obéir aux ordres d’une personne avisée comme Daenerys.
La grande originalité de George R. R. Martin est d’avoir su faire du dragon un
potentiel ami de l’homme, ou plutôt de la femme. Alors que son mariage avec
Khal Drogo aurait dû amener Daenerys à monter des chevaux tout au long de
son existence, cet animal étant au cœur de la vie et de la culture des Dothrakis,
sa principale monture deviendra son dragon noir Drogon. On a là une réécriture
totale des romans de chevalerie. Ce n’est plus le cheval qui aide le héros à
affronter le Mal représenté par un dragon, mais le dragon qui permet au héros de
lutter contre le Mal. D’ailleurs, les Marcheurs Blancs se déplacent sur des
chevaux, le dragon Viseryon ne devenant la monture du Roi de la Nuit qu’à la
fin de la saison 7. Il y a donc bien une inversion totale des rôles. On comprend
en tous les cas bien le succès de l’idée novatrice de George R. R. Martin. Si
monter un cheval est une expérience plaisante, monter un dragon est autrement
plus exaltant et spectaculaire. Cela n’a aucune commune mesure avec ce que
l’on peut vivre dans la réalité.

Le dragon, une monture digne d’une reine ! (saison 5, épisode 9).

Les Marcheurs Blancs, un mystère venu du froid et de l’effroi


Qui sont réellement les Marcheurs Blancs ? Il aura fallu attendre la saison 6 de
Game of Thrones pour avoir la réponse à cette question cruciale. On apprend
alors que ces êtres mystérieux et angoissants sont en réalité des hommes ayant
été transformés jadis en monstres de glace par les Enfants de la Forêt. On sait
que la révélation de leur origine a fortement déplu à George R. R. Martin, qui
aurait sans doute souhaité pouvoir l’annoncer lui-même dans le tome 6. Il faut
dire que la nouvelle est d’importance. Les Marcheurs Blancs sont évoqués dès le
début de la saga. Alors que des patrouilleurs de la Garde de Nuit se trouvent
dans la forêt hantée, ils sont attaqués par des Sauvageons morts récemment, et
dont les yeux sont d’un bleu intense et profond. Si ces créatures ne sont certes
pas des Marcheurs Blancs, elles font désormais partie de leur armée.
Il convient en effet d’emblée de bien distinguer les Marcheurs Blancs, qui sont
des créatures de glace, des morts-vivants qui les accompagnent. Ces derniers ont
en effet été ramenés à la vie par ceux que les romans appellent également les
« Autres » afin de les servir indéfiniment. On sait que les Marcheurs Blancs ont
également la capacité de procéder de même sorte avec les animaux morts. Dans
la série et les livres, on voit des chevaux, des mammouths, des ours et même le
dragon Viseryon venir grossir les rangs de cette armée incomparable.

"Ces êtres mystérieux et angoissants sont en réalité des


hommes ayant été transformés jadis en monstres de glace par les
Enfants de la Forêt.
Le principe de transformation est associé aux Marcheurs Blancs. Nous l’avons
dit : eux-mêmes sont issus de la transformation d’êtres humains, réalisée par les
Enfants de la Forêt au moyen d’une matière appelée verredragon. Dans la saga,
les Enfants de la Forêt sont des êtres pacifiques. Proches de la nature, ils ne sont
pas sans rappeler les elfes de Tolkien. Leur décision de créer les Marcheurs
Blancs ne fut en rien un acte offensif ! Il s’agissait au contraire d’une parade
désespérée pour se défendre des hommes qui, une fois arrivés à Westeros,
avaient commencé à défricher les forêts, habitat principal des Enfants de la
Forêt. Les romans nous apprennent également que des guerres ont opposé les
Enfants de la Forêt aux hommes. Si les Enfants de la Forêt ont des pouvoirs
magiques, ils ont été confrontés au problème de leur infériorité numérique. En
toute urgence, il leur a donc fallu trouver une solution, le risque étant dans le cas
contraire de voir leur monde comme leur espèce disparaître à tout jamais.
La question de la transformation d’une espèce n’est pas nouvelle dans le
domaine de la fantasy. Dans Le Silmarillion, on apprend que les orques, qui
constituent le principal contingent des troupes de Sauron, sont nés d’elfes que
l’on a torturés et mutilés. Qu’il s’agisse de la Terre du Milieu ou de Westeros, le
Mal ne surgit pas ex nihilo. Il est au contraire issu d’êtres que le lecteur et le
spectateur peuvent considérer comme des représentants du Bien : les elfes chez
Tolkien et les hommes chez Martin.
Malgré les révélations de la saison 6 de Game of Thrones, les Marcheurs
Blancs demeurent des êtres très mystérieux. Quel est leur but véritable ?
Peuvent-ils se reproduire ? Pourquoi font-ils revivre les morts ? Pourquoi
cherchent-ils absolument à détruire le Mur ? Beaucoup de questions continuent à
se poser et alimentent d’ailleurs de nombreux sites et vidéos de YouTubers. On
peut notamment citer, dans le domaine francophone, la chaîne « Game of
Théories », qui rencontre un beau succès populaire en proposant des hypothèses
de grande qualité. Cultiver le mystère autour des Marcheurs Blancs est donc en
soi une belle trouvaille narrative : tout le monde a hâte d’en savoir plus à leur
sujet.

"Malgré les révélations de la saison 6 de Game of Thrones, les


Marcheurs Blancs demeurent des êtres très mystérieux.
Dans les livres comme dans la série, ces personnages sont en effet un fil rouge
narratif. Chaque tome et chaque saison nous parlent d’eux, même de manière
discrète. Dans les romans, George R. R. Martin veille à ce qu’on les voie le
moins possible. Pour ce faire, les Marcheurs Blancs sont bien souvent réduits à
l’état de rumeurs : on entend parler d’eux, mais il est rare qu’ils apparaissent
clairement aux autres personnages. La série les montre bien davantage à l’écran,
c’est vrai, mais leur présence est loin d’être récurrente. Ils ne commencent
véritablement à être très présents que dans les saisons 6 et 7, ce qui est somme
toute logique car le temps de l’affrontement avec les hommes est en passe de se
produire.

Le triomphe de la mort ?

Une connaissance complète des Marcheurs Blancs sera a priori une nécessité
narrative. En effet, il convient de savoir si ces créatures sont des représentantes
du Mal. On sait que leurs créateurs, les Enfants de la Forêt, n’étaient pas animés
d’intentions malveillantes. Si les Marcheurs Blancs n’ont certes rien de créatures
pacifiques, ils n’ont pas été initialement conçus pour répandre un chaos absolu.
Pour autant, on sait qu’ils ont totalement échappé à leurs créateurs. La série et
surtout les romans nous apprennent que les hommes et les Enfants de la Forêt,
malgré leur inimitié, ont décidé de faire alliance dans les temps passés pour
repousser les Marcheurs Blancs bien au-delà du Mur. Cette alliance et la crainte
éprouvée par les personnages de la saga laissent supposer que les Marcheurs
Blancs sont la plus grande incarnation du Mal. Mais est-ce aussi simple ?
Deux faits doivent retenir notre attention. Tout d’abord, les Marcheurs Blancs
ne sont pas des créatures totalement extérieures à l’humanité : non seulement ce
sont des êtres humains transformés, mais leur armée est composée en grande
partie d’hommes, de femmes et d’enfants décédés. Nous ne sommes pas ici,
comme dans Le Seigneur des Anneaux, dans un affrontement entre l’humanité et
la monstruosité. Bien au contraire : l’être humain est confronté à lui-même. Cette
différence est capitale, notamment dans l’interprétation que l’on peut faire de
l’armée des morts.
Nous avons eu l’occasion de souligner, dans un précédent chapitre, que
l’univers créé par George R. R. Martin était d’une extrême violence et d’une
grande immoralité. Westeros et Essos sont des continents dans lesquels le taux
de mortalité est fort. On le voit au fait que des personnages de tout âge et de
toute condition meurent tout au long de l’intrigue ; la mort n’épargne personne,
pas même les enfants. On peut même aller jusqu’à dire que la mort naturelle est
dans cet univers fictif la moins naturelle des morts. L’avancée progressive des
Marcheurs Blancs vers les royaumes des hommes peut alors être perçue comme
la punition des péchés humains. La gigantesque armée des morts serait une
manière de montrer aux hommes à quel point leur comportement quotidien est
délétère. Ces créatures seraient un memento mori (locution latine qui signifie
« souviens-toi que tu vas mourir ») à grande échelle.
Les Marcheurs Blancs renvoient aux hommes l’image de leurs imperfections et de leur finitude. Ils montrent
ce que les êtres humains ne veulent pas toujours voir d’eux-mêmes (saison 7, épisode 6).

"Si les Marcheurs Blancs n’ont certes rien de créatures


pacifiques, ils n’ont pas été initialement conçus pour répandre un
chaos absolu.
La menace des Marcheurs Blancs est aussi un moyen de faire prendre
conscience aux hommes du caractère futile et même puéril de leurs querelles
intestines. Une fois que la mort se dresse face à eux et les menace tous, les
intrigues politiques et les passions personnelles paraissent bien secondaires.
D’ailleurs, dans la saison 7, la découverte de l’armée des morts entraîne la mise
en œuvre d’une véritable union sacrée, qui n’est pas sans rappeler les alliances
établies à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour détruire le nazisme. Dans la
saga de George R. R. Martin, alors que la lutte pour la conquête du Trône de fer
est farouche et a entraîné des batailles d’une extrême violence, ces enjeux
majeurs sont mis entre parenthèses le temps de prendre en considération le
problème posé par les Marcheurs Blancs. Quelle est du reste la symbolique de
ces créatures ?

Les Marcheurs Blancs : le bien qui fait mal ?

On peut estimer que les Marcheurs Blancs ont certes une portée morale,
rappelant aux hommes à quel point leur violence peut finir par se retourner
contre eux. Leur armée se nourrit en effet littéralement de la mort. Affronter les
Marcheurs Blancs est un défi complexe. L’épisode « Durlieu », à la fin de la
saison 5, le montre bien. La Garde de Nuit et les Sauvageons parviennent certes
à détruire une partie de l’armée des morts. Mais, en les affrontant, ils essuient
eux-mêmes de lourdes pertes. Or, au moment de quitter Durlieu sur leurs
navires, les frères jurés de la Garde de Nuit et les Sauvageons constatent que
tous leurs compagnons tombés au combat sont désormais des soldats du Roi de
la Nuit. Les pertes subies dans les rangs de l’armée des morts ont été
immédiatement compensées.
L’armée des morts semble par ailleurs être une métaphore des rapports des
hommes, non pas seulement avec eux-mêmes, mais avec la nature. En effet, les
Marcheurs Blancs ont été indirectement créés pour protéger la nature, les
Enfants de la Forêt constatant avec effroi la destruction progressive de celle-ci
depuis l’arrivée des hommes sur le continent de Westeros. Dire, comme le font
les Stark, que « l’hiver vient », est une manière d’annoncer que la mort arrive.
Certes, d’un point de vue métaphorique, cela renvoie au caractère éphémère de
chaque existence humaine. L’hiver, qui est symboliquement associé à la
vieillesse et à la mort, attend chaque être humain. Mais l’hiver, plutôt que
d’intervenir à titre individuel, peut aussi intervenir à titre collectif. Il suffit de
songer aux cataclysmes, aux guerres et à certains phénomènes climatiques
(comme l’hiver…) qui mettent simultanément fin à l’existence de plusieurs
individus pourtant très différents, pour le constater. Les Marcheurs Blancs
pourraient ainsi être perçus comme une revanche de la nature. Celle-ci punirait
les hommes, qui l’ont meurtrie et dénaturée, au moyen d’hommes eux-mêmes
dénaturés : les Marcheurs Blancs. Si l’on adopte un point de vue purement
écologique, la destruction totale de l’humanité, au profit des Marcheurs Blancs,
ne serait donc pas nécessairement une mauvaise chose. Cette conception
présente toutefois ses limites.

"On peut estimer que les Marcheurs Blancs ont une portée
morale, rappelant aux hommes à quel point leur violence peut
finir par se retourner contre eux.
Les Marcheurs Blancs amènent l’hiver avec eux, et non le printemps. Or,
l’hiver est une saison qui oblige une grande partie de la nature à mourir ou à se
mettre en sommeil, en attendant le retour des beaux jours. En outre, si les
Marcheurs Blancs étaient des fervents défenseurs de la nature, ils ne seraient pas
entrés en conflit avec les Enfants de la Forêt. Ces derniers, plutôt que de prendre
le risque d’affronter leurs propres créatures, auraient pu en effet les laisser
détruire l’humanité. Or, les Enfants de la Forêt n’estiment pas souhaitable un
potentiel succès final des Marcheurs Blancs.
Peut-on dans ce cas détruire ces créatures a priori malfaisantes ? Les livres et
la série illustrent cette possibilité. Les Marcheurs Blancs sont sensibles à
l’utilisation du verredragon, qui est en somme pour eux l’équivalent de ce qu’est
la kryptonite pour Superman. Samwell Tarly, qui n’a pourtant rien d’un guerrier,
tue d’ailleurs un Marcheur Blanc en lui plantant dans le corps une lame de
verredragon. Cela lui vaudra le surnom de « Sam l’Égorgeur » auprès de ses
frères jurés de la Garde de Nuit. Si donc il paraît possible de tuer les Marcheurs
Blancs, peut-on pour autant les éradiquer dans leur totalité ?
Les dragons, le seul moyen de vaincre l’armée des morts ? (Saison 7, épisode 6.)

"Les Marcheurs Blancs pourraient être perçus comme une


revanche de la nature. Celle-ci punirait les hommes, qui l’ont
meurtrie et dénaturée, au moyen d’hommes eux-mêmes
dénaturés.
La saison 8 et les deux derniers tomes nous apporteront la réponse. On peut
d’ores et déjà émettre l’hypothèse que les Marcheurs Blancs seront peut-être
repoussés, mais pas totalement détruits. En effet, ils semblent être le symbole de
l’imperfection humaine. Ils renvoient aux hommes une image peu flatteuse, mais
réaliste, de ce qu’ils sont. Les corps décharnés des membres de leur armée
montrent le caractère éphémère de l’existence humaine. Leur insensibilité et leur
froideur évoquent également le comportement de certains êtres humains vis-à-
vis de leurs semblables. Bref, il semble bien que l’existence des Marcheurs
Blancs soit paradoxalement une nécessité pour l’humanité. Leur résurgence
ponctuelle et cyclique permettrait aux hommes d’abandonner leurs petites
querelles intestines pour ensuite rebâtir, après des siècles de décadence, un
monde neuf, plus juste et plus humain.

Bilan

Les Dragons et les Marcheurs Blancs sont des créatures essentielles à la saga de
George R. R. Martin. Ils ont tout d’abord un intérêt narratif. Les Dragons
incarnent le rêve et la magie ; les Marcheurs Blancs incarnent pour leur part le
mystère et l’effroi. L’opposition entre le feu et la glace est aussi celle de la vie et
de la mort. Si le lecteur et le spectateur sont naturellement enclins à souhaiter la
défaite des Marcheurs Blancs, qui ne pourra d’ailleurs être envisagée sans
l’intervention salutaire des Dragons, il est indéniable que ces créatures ne sont
pas totalement étrangères à l’humanité. Elles seraient, au contraire, la
démonstration explicite de nos pires tares. Un avertissement paradoxalement
bienvenu, en ce qu’il permettrait aux hommes de repenser leur rapport à leur
monde et à leurs semblables.
Chapitre 9

Livres versus série : deux univers parallèles

Et vous, vous êtes plutôt Trône de fer ou Game of Thrones ? La question, qui
peut en soi sembler étrange, vise en réalité à mettre en lumière le fait que cette
saga s’adresse à deux types de pratiques radicalement différentes : la lecture
d’un livre et le visionnage d’une série télévisée. Alors que certains spectateurs
en sont venus à lire les romans suite à la découverte de la série télévisée, d’autres
connaissaient déjà les ouvrages de George R. R. Martin avant l’année 2011, et
attendaient avec impatience mais aussi avec une certaine appréhension leur
adaptation télévisuelle. La huitième et dernière saison sortira dans le premier
semestre de l’année 2019, ce qui signifie qu’elle donnera le dénouement de la
saga avant que les romans n’aient pu le faire. On se trouve donc là confronté à
un phénomène littéraire totalement inédit. C’est cette tension entre le livre et
l’écran que nous allons désormais étudier.

Du jamais vu dans l’histoire de la littérature et de la télévision

Dans son ouvrage Le Mot de la fin. La clôture romanesque en question, le


théoricien français Guy Larroux affirme :
Il suffit d’observer un lecteur de romans, ou de s’observer soi-même, pour se rendre
compte que l’attraction et la certitude d’une fin conditionnent sérieusement le fait de lire
des romans. Qui n’a éprouvé qu’on est généralement moins enclin à lire un récit dont on
connaît déjà le dénouement, ou dont on sait qu’il ne se dénoue pas parce qu’il est
inachevé ?1

Cette affirmation correspond bien à la désagréable expérience à laquelle sont


confrontés les lecteurs de George R. R. Martin. En effet, depuis la publication
aux États-Unis, le 12 juillet 2011, du tome 5 de la saga, intitulé en version
originale A Dance with Dragons, les fans attendent désespérément la publication
du tome 6, dont le titre a déjà été annoncé (The Winds of Winter). Chaque début
d’année voit les lecteurs de George R. R. Martin attendre impatiemment
l’annonce du prochain tome à paraître. En 2017, tout semblait indiquer que ce
serait effectivement le cas, mais l’année s’est écoulée sans que l’attente des fans
de la saga soit récompensée. On connaît d’ores et déjà l’année de diffusion de la
huitième et dernière saison de la série : 2019. À moins d’un retournement de
situation qui serait un bel hommage aux nombreux coups de théâtre de ses livres,
mais qui serait surtout du jamais vu dans le domaine de l’édition, il est
désormais pratiquement acquis que la fin d’une saga littéraire sera connue grâce
à son adaptation télévisuelle. Les dernières informations données par
George R. R. Martin à ses lecteurs laissent à penser que le tome 6 ne sortira pas
avant l’année 2019. Il s’agit là d’un phénomène totalement inédit. Jusqu’à
maintenant, lorsqu’un ouvrage donnait lieu à une adaptation, il était en règle
générale achevé. Cela était la plupart du temps dû au fait qu’il y avait une
importante distance temporelle entre l’écriture du texte littéraire et la mise en
œuvre de son adaptation filmique.

"Chaque début d’année voit les lecteurs


de George R. R. Martin attendre impatiemment l’annonce du
prochain tome à paraître.
Dans le cas du Trône de fer, HBO a acquis les droits d’adaptation alors que
George R. R. Martin était encore en train d’écrire les aventures de Jon, Daenerys
et Tyrion. La chaîne pouvait-elle imaginer que la série en viendrait à dépasser les
livres dans le déroulement de l’histoire ? Cela n’était certes pas à exclure, mais
ce n’était tout de même pas le plus probable. En effet, si l’on se réfère à la
publication des cinq premiers tomes, on s’aperçoit que celle-ci suit un rythme
assez régulier : 1996, 1999, 2000, 2005, 2011. Si le rythme ralentit après la
publication du tome 3, il faut sans doute attribuer cela au fait que le récit se
complexifie de plus en plus. Nous avons eu l’occasion de le montrer
précédemment : à mesure qu’il écrit, George R. R. Martin a tendance à ajouter
plusieurs arcs à son intrigue principale, donnant au lecteur le sentiment d’être
confronté à un véritable mille-feuille narratif. Malgré cette évolution dans
l’écriture de la saga, la logique aurait voulu que le tome 5 paraisse vers 2016 ou
2017, ce qui n’a pas été le cas. Comment l’expliquer ? Nous ne sommes certes
pas dans la tête de l’écrivain américain, et les hypothèses que nous allons
avancer ne peuvent donc être considérées comme des vérités absolues. Mais on
peut s’essayer à proposer trois explications principales.
Tout d’abord, on peut évoquer les différentes sollicitations auxquelles
George R. R. Martin a dû répondre, et qui sont souvent en lien avec la série
télévisée. Si Le Trône de fer était un best-seller bien avant l’achat de ses droits
par HBO, la notoriété de la saga (et, par extension, celle de son auteur) s’est
considérablement accrue à partir de la diffusion de la saison 1, en 2011.
L’écrivain américain a dû répondre à un nombre de sollicitations encore plus
important qu’auparavant, ce qui s’est nécessairement fait au détriment de son
temps d’écriture. En outre, George R. R. Martin est depuis le début de
l’adaptation consultant artistique de la série. On sait qu’il a été longtemps
scénariste pour la télévision. Non seulement son expertise est un atout précieux
pour la série, mais il tenait lui-même à ce que son œuvre soit fidèlement adaptée.
Il se montra d’ailleurs très satisfait de l’adaptation du tome 1. Il est vrai que la
saison 1 de Game of Thrones est très proche du texte de George R. R. Martin.
Cette sollicitation artistique a également dû ralentir son écriture du tome 6.
Rappelons que la série a des lieux de tournage dans une grande partie de
l’Europe, ce qui suppose de nombreux déplacements. Enfin, n’oublions pas que,
passé un certain temps, George R. R. Martin a été sollicité par Benioff et Weiss,
les deux showrunners de la série, afin de communiquer plusieurs pistes
narratives sur la suite de l’histoire. Là encore, ce travail intellectuel, qui
n’existait pas lors de l’écriture des cinq premiers tomes, a été une contrainte
supplémentaire.

"La chaîne pouvait-elle imaginer que la série en viendrait à


dépasser les livres dans le déroulement de l’histoire ? Cela n’était
certes pas à exclure, mais ce n’était tout de même pas le plus
probable.
La deuxième raison que l’on peut avancer est implicitement contenue dans la
citation de Guy Larroux. Conscient qu’il ne parviendrait pas à publier
l’intégralité de son histoire avant que celle-ci ne soit entièrement divulguée par
la série, Martin a pu être confronté à une forme de découragement. Après avoir
composé une œuvre si dense et si complexe, n’était-il pas légitime que son
auteur veuille se réserver le plaisir de faire entendre le dénouement de son récit ?
À quoi bon continuer à écrire, lorsque la conclusion ne lui appartient plus en
propre ? Pourquoi précipiter l’écriture du tome 6, quand on sait que ses lecteurs
connaîtront très prochainement la conclusion de la saga ? Certes,
George R. R. Martin est un adulte, et de telles considérations peuvent paraître
secondaires. Elles ne sont toutefois pas à exclure, notamment parce que certaines
indications donnent à penser qu’il y aurait peut-être là une part de vérité. C’est la
troisième raison que nous allons évoquer.
Depuis l’année 2011, George R. R. Martin n’est pas un auteur confronté à
l’angoisse de la page blanche. Il a en effet supervisé lui-même la création de
textes venus enrichir le monde qu’il avait créé. On pense notamment à Game of
Thrones : les origines de la saga, publié chez Huginn et Muninn en 2015. Mais
on songe également à Chroniques du chevalier errant : trois histoires du Trône
de fer, paru chez J’ai lu en 2017, qui raconte les aventures de Dunk et d’Aegon
Targaryen, près d’un siècle avant les événements rapportés dans les romans du
Trône de fer. Ainsi, on peut avoir le sentiment que l’achèvement de sa saga
principale n’est plus vraiment la priorité absolue de l’écrivain américain. Ses
fans ne manquent d’ailleurs pas, à chaque nouvelle publication annexe au Trône
de fer, de lui faire le reproche de se disperser. Mais peut-être cette dispersion est-
elle volontaire ? Si George R. R. Martin reste très attaché à l’univers qu’il a créé,
peut-être l’histoire de Jon, Daenerys, Cersei, Tyrion et Jaime l’intéresse-t-elle
moins ? En tous les cas, il semble bien que la série ait eu des effets négatifs sur
l’écriture de sa saga romanesque. On sait, notamment, qu’il fut déçu que les
origines des Marcheurs Blancs aient été dévoilées dans la série. Si sa déception
est humainement compréhensible, on peut aussi comprendre le point de vue des
showrunners, bien obligés de faire avancer une série à succès dont les droits leur
appartiennent.

Lecteur ou spectateur ?

Le lecteur du Trône de fer se trouve ainsi confronté à une expérience de lecture


sans précédent. En effet, il est appelé à devenir pleinement un spectateur.
Qu’entend-on par là ? La série suit fidèlement les romans jusqu’au tome 3.
Quelques divergences sont bien sûr à noter : nous les évoquerons dans la partie
suivante. On peut pour le moment se borner à constater qu’il n’y a pas de
changements radicaux entre les romans et leur adaptation. La situation change en
revanche en profondeur à partir de la saison 4 : l’arc narratif de Brienne y est
totalement redéfini. Surtout, à partir de la saison 5, les différences entre les
romans et la série s’accroissent de manière assez considérable. Sans entrer dès
maintenant dans les détails, les arcs narratifs de Quentyn Martell et d’Aegon
Targaryen ne sont jamais évoqués, et l’arc narratif de Tyrion est remanié. Si l’on
pousse le raisonnement jusqu’à son extrémité, on constate surtout que les
saisons 6 et 7 sont, par rapport aux romans, des récits presque totalement inédits.
Certes, quelques éléments du tome 5 peuvent être évoqués, parfois
implicitement, dans les saisons 6 et 7. Pour autant, un individu qui se serait
contenté de lire les romans éprouverait de réelles difficultés à comprendre ces
deux saisons. Ainsi, on peut dire que le lecteur curieux de connaître la fin de
l’histoire sera obligé de se muer en spectateur. Il est difficile, en effet, de pouvoir
adhérer pleinement à l’intrigue des saisons 6 et 7 en ayant fait jusqu’à
maintenant la seule expérience de la lecture des romans.

"Le lecteur du Trône de fer se trouve confronté à une


expérience de lecture sans précédent. En effet, il est appelé à
devenir pleinement un spectateur.
Le lecteur est donc appelé à devenir doublement actif. Il lui est non seulement
nécessaire de visionner l’intégralité des épisodes de la série pour bien la
comprendre (surtout à partir de la saison 5), mais il est également invité à se
poser la question du dénouement de la saga. C’est d’ailleurs la raison pour
laquelle les théories sur les personnages, sur les Marcheurs Blancs et sur les
prophéties connaissent un tel succès sur Internet. Les fans du monde entier n’ont
plus la possibilité de combler leur impatience par la lecture des romans.
Chronologiquement, l’adaptation a désormais dépassé l’œuvre originale. Dans
plusieurs années, les fans se poseront alors la question de savoir quel
dénouement est le plus satisfaisant. La fin des romans sera-t-elle plébiscitée ?
Après tout, Martin n’a-t-il pas une légitimité à déterminer le dénouement d’une
histoire qu’il a bâtie seul ? Ou faut-il seulement accorder du crédit à la fin qui
nous aura le plus satisfait, indépendamment de la question de son créateur ?

Qui est le Roi de la Nuit ? Une des nombreuses questions que les fans de la saga sont amenés à se poser
(saison 5, épisode 8).
Un problème similaire se pose concernant la saga Star Wars. Depuis le rachat
de la franchise par Disney, en 2012, une nouvelle trilogie a été entreprise. Alors
qu’il avait fourni des pistes narratives à Disney sur la suite à donner aux
aventures de Luke, Han et Leia, George Lucas a vu ses traitements rejetés par
J. J. Abrams, réalisateur de l’épisode VII, et par Kathleen Kennedy, présidente
de Lucasfilm. Une véritable excommunication artistique pour le créateur de la
saga, certes compensée par un chèque de 4 milliards de dollars. Si la situation
n’est pas similaire dans le cas de la série Game of Thrones, George R. R. Martin
étant toujours consulté, se pose bien sûr la question de savoir si l’on n’aura
finalement pas deux œuvres artistiques bien distinctes : les romans Le Trône de
fer d’un côté, et la série Game of Thrones de l’autre. C’est ce que pense de plus
en plus l’écrivain américain, estimant qu’il s’agit désormais de deux créations
artistiques autonomes.

"Dans plusieurs années, les fans se poseront alors la question


de savoir quel dénouement est le plus satisfaisant. La fin des
romans sera-t-elle plébiscitée ?
On peut même aller jusqu’à se demander, pour conclure sur ce point, si
George R. R. Martin ne cherchera pas volontairement à se distinguer de la série.
Et si, finalement, il nous réservait une dernière surprise, comme il l’a si souvent
fait au cours de son récit ? Il peut en effet avoir donné aux showrunners le
dénouement qui lui semblait le meilleur, puis en envisager finalement un autre
pour ses romans. On sait en effet que le personnage d’Aegon Targaryen, fils de
Rhaegar comme Jon Snow, ambitionne de monter sur le Trône de fer. Or, ce
personnage est pour le moment absent de la série. Les pistes narratives non
exploitées par la série pourraient être le gage de la liberté de
George R. R. Martin… Quels que soient les choix qui seront faits, nous sommes
là face à un phénomène littéraire et télévisuel inédit et fascinant.
Symboliquement, en ce début de XXIe siècle, la littérature ne se limite
définitivement plus au texte publié. À la manière de « Pottermore », site internet
qui enrichit l’univers des romans Harry Potter, la littérature continue à évoluer
en se développant sur de nouveaux supports artistiques.

Une relative fidélité aux romans

Dès l’instant où une œuvre littéraire est confrontée au succès se pose la question
de son adaptation. Dans le domaine francophone, de plus en plus de romans
contemporains sont adaptés en films peu de temps après leur publication. Le
roman Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal, a été adapté au cinéma par la
réalisatrice Katell Quillévéré en 2016, soit seulement deux ans après la sortie du
livre. La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, best-seller de l’année 2012 de
l’écrivain suisse Joël Dicker, a même fait l’objet d’une adaptation télévisuelle en
2017, événement suffisamment rare pour être souligné. Dans ce cas précis, le
recours à la télévision s’imposait : l’œuvre est trop longue (plus de 800 pages en
édition de poche) et trop complexe pour pouvoir être fidèlement adaptée en un
film. Nous avons vu précédemment qu’il aurait été difficile d’envisager les
romans du Trône de fer comme de potentiels films. S’il semble aller de soi que le
recours au format de la série est pertinent, le travail des showrunners David
Benioff et D. B. Weiss peut-il être jugé satisfaisant ?
Rappelons tout d’abord qu’une adaptation est toujours décevante pour un
lecteur, qui a eu le temps de forger ses propres images des personnages et des
lieux de l’action. Les descriptions sont nombreuses dans Le Trône de fer. C’est
un atout pour l’adaptation. Mais cela peut être un inconvénient pour les lecteurs,
qui auront élaboré des images parfois trop nettes de Westeros et de ses habitants.
Toujours est-il que la réception de la série ne peut censément être la même si on
a déjà lu les livres au préalable. Une fois ce premier constat établi, on peut
considérer que les choix scénaristiques de Benioff et Weiss sont souvent
respectueux de l’œuvre originale.
Si l’on s’en tient tout d’abord aux trois premières saisons, celles-ci suivent les
romans avec une assez grande fidélité. C’est notamment le cas de la saison 1. Le
spectateur qui souhaiterait découvrir dans un second temps le texte de
George R. R. Martin serait surpris de voir le peu de différences entre les deux
supports. Certes, le tome 1 possède plus d’informations que la saison 1 : de
nombreux passages descriptifs insistent sur les souffrances vécues par les
personnages. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de décrire le long
emprisonnement de Ned Stark dans les geôles de Port-Réal, alors qu’il semble
rester emprisonné peu de temps dans la série – une situation d’autant plus
difficile qu’il se trouve dans un noir absolu, qui ne sera pas sans annoncer la
cécité que connaîtra Arya dans son apprentissage à Braavos. En outre, l’enquête
menée par Ned sur les origines réelles de Joffrey, Myrcella et Tommen est
présentée de manière plus complexe dans le livre. Hormis ces différences liées
au fait que le roman ne dépend pas autant de la question du rythme que la série
(une saison dure une dizaine d’heures ; la lecture du tome 1 dure au moins le
double, sinon le triple), les trois premières saisons n’offrent pas de choix
scénaristiques négativement marquants.

"Une adaptation est toujours décevante pour un lecteur.


La grosse différence entre les livres et la série est la remise en cause du
procédé des personnages-chapitres. Alors que Robb, Tywin, Stannis et Joffrey
sont toujours appréhendés dans les romans par le regard d’un autre personnage
important, ils ont ici leur propre autonomie. On assiste à certains épisodes de la
vie de Robb sans pour autant que sa mère Catelyn ne soit présente à ses côtés.
C’est notamment le cas lors de sa rencontre avec Talisa Maegyr. La saison 2
permet au spectateur d’être le témoin privilégié de la naissance puis du
développement de leur histoire d’amour, ce qui n’est pas le cas dans les romans.
Ainsi, la série veille à ce que le spectateur ne soit jamais totalement perdu. Ce
choix n’est pas en soi critiquable. En effet, la série s’efforce de respecter le
changement fréquent de lieux, de personnages et d’intrigues. Certains lecteurs et
spectateurs de la saga sont d’ailleurs déstabilisés par ces changements réguliers,
qui réfèrent presque en un sens à la pratique moderne du zapping. Conserver
dans la série les mêmes parts d’ombre que dans les romans créerait donc une
confusion supplémentaire, qui serait certainement néfaste à la compréhension de
nombreux spectateurs.
L’autre différence entre la série et les romans est le fait que nous n’ayons pas
accès, en tant que spectateurs, aux pensées internes des personnages. Il n’y a
ainsi aucune parole énoncée en voix off. Les showrunners ont choisi de traiter ce
point par le recours aux dialogues. Ceux-ci sont proportionnellement plus
nombreux que dans les romans. Les gros plans permettent également aux
spectateurs d’avoir une idée assez précise des sentiments des personnages.
L’absence de pensées intérieures n’est pas nécessairement négative : elle permet
en effet de conserver, même de manière réduite, une part de mystère. Bien que
l’on voie Joffrey à l’écran plus souvent que dans les romans, sa décision
d’exécuter Ned Stark demeure tout aussi surprenante dans la série que dans les
livres.
Si les showrunners sont amenés à apporter des modifications à l’histoire
racontée, ils reprennent un principe que Peter Jackson avait utilisé dans son
adaptation du Seigneur des Anneaux : le déplacement de répliques. Ainsi,
lorsqu’un personnage des romans est supprimé, on cherche tout de même à lui
rendre un bref hommage en plaçant l’une de ses répliques dans la bouche d’un
autre personnage. Comme dans les films du Seigneur des Anneaux, Weiss et
Benioff procèdent également à la fusion de personnages – c’est notamment le
cas au sujet de l’intrigue des Eyrié. Alors que les opposants de Littlefinger sont
nombreux après la mort de Lysa Arryn, la série met en scène le plus virulent
d’entre eux : Yohn Royce. Il incarne à lui seul une opposition qui en réalité est
beaucoup plus massive et beaucoup plus diverse dans les romans. Dans la
saison 7, lorsque les enfants Stark condamnent Littlefinger à mort, ce dernier se
tourne vers les chevaliers du Val et leur demande d’intervenir en sa faveur. Or,
c’est toujours Yohn Royce qui s’oppose à lui, au nom de tous les autres.

À la différence des romans, la série nous permet d’assister à la naissance de l’amour entre Robb Stark et sa
future femme (saison 2, épisode 6).

"Les trois premières saisons n’offrent pas des choix


scénaristiques négativement marquants.
On arguera, dans ce cas-là, que l’intrigue s’appauvrit. En effet, les romans
montrent bien que cet univers est vaste, et que les personnages principaux sont
amenés à rencontrer, même furtivement, un nombre considérable d’individus sur
leur chemin. Mais il faut garder à l’esprit qu’une adaptation non seulement n’est
jamais une retranscription parfaite de son support original, mais qu’elle doit en
outre conserver prioritairement les éléments les plus essentiels de l’intrigue
principale. Ainsi, l’adaptation télévisuelle se montre encore plus meurtrière que
la plume de George R. R. Martin, puisque le nombre de personnages présents à
l’écran ou simplement mentionnés décroît considérablement par rapport aux
livres. Si ces modifications sont nécessaires et ne peuvent être reprochées aux
showrunners, l’adaptation des tomes 4 et 5 pose toutefois question.
Les cas Daenerys et Brienne

Un premier constat s’impose : une adaptation parfaitement respectueuse du


tome 4 était impossible. En effet, ce tome a la particularité de se focaliser sur
trois personnages : Cersei, Brienne et Jaime. Il serait inimaginable, pour une
série, d’abandonner le temps d’une saison tous les autres personnages de
l’intrigue. George R. R. Martin, dans un passage que nous avons précédemment
cité, se sentit d’ailleurs obligé, dans la postface du tome 4, de justifier l’absence
de Jon, Tyrion et Daenerys. Construire une saison entière sur l’absence d’un
personnage important aurait pu être envisagé. Mais exclure volontairement les
trois personnages les plus importants de la saga aurait suscité l’incompréhension
des spectateurs. Il importait donc, comme l’ont décidé Benioff et Weiss, de
fusionner les tomes 4 et 5.
On voit également, avec le traitement du personnage de Daenerys, que les
deux showrunners ont craint que le spectateur ne soit déstabilisé par une
adaptation trop fidèle aux romans. En effet, Daenerys ne devient un personnage
vraiment récurrent que dans le tome 5. Si elle n’est absente que du tome 4, elle
est relativement peu présente dans le tome 2 (sur les neuf personnages-chapitres
de ce tome, elle n’apparaît qu’en huitième position) et dans le tome 3 (sur les
neuf personnages-chapitres de ce tome, elle apparaît en septième position). Il
faut attendre le tome 5 pour que Daenerys occupe enfin une place digne de son
rang et de ses ambitions : sur les seize personnages-chapitres de ce tome, elle
apparaît en effet en troisième position. De fait, Benioff et Weiss accordent
volontairement à Daenerys une place dans la série nettement plus importante que
dans les livres. Ce choix peut expliquer le fait que le spectateur, par moments,
puisse avoir l’impression que l’arc narratif de Daenerys est plus descriptif que
dramatique. Son long séjour à Qarth paraît, dans la série, bien moins exaltant et
essentiel que les événements qui ont lieu dans le même temps à Westeros. On
comprend alors que les showrunners, pour rester fidèles aux romans, ont
paradoxalement dû augmenter la présence de Daenerys à l’écran. C’est une
nécessité non seulement pour que le spectateur s’attache à elle, mais aussi pour
qu’il comprenne son importance croissante dans la suite des événements. En
effet, bien que très éloignée de Westeros puisqu’elle se trouve alors en Essos,
Daenerys accomplit une quête qui a pour finalité le Trône de fer. Et elle est la
mère des dragons.

"Il serait inimaginable, pour une série, d’abandonner le temps


d’une saison tous les autres personnages de l’intrigue.
Si l’on revient à l’adaptation du tome 4, une modification majeure mérite
d’être signalée : la réécriture quasi intégrale des aventures de Brienne. Dans les
romans comme dans la série, Brienne, après avoir veillé à ce que Jaime regagne
Port-Réal, part à la recherche des deux filles Stark. Dans les romans, ses
recherches s’avèrent extrêmement complexes : Brienne ne sait pas véritablement
où chercher les deux jeunes femmes et, accompagnée de Podrick Payne, elle
semble errer sur les terres de Westeros. La question du chevalier errant, on le
sait, intéresse fortement George R. R. Martin. Il met d’ailleurs en scène le
chevalier errant Dunk dans un recueil de nouvelles se déroulant quatre-vingt-dix
avant les événements décrits dans les romans : Chroniques du chevalier errant :
trois histoires du Trône de fer.
Dans la série, on ne voit pas Brienne errer longtemps. Le hasard l’amène à
retrouver Arya, puis Sansa. Elle affronte le Limier pour s’emparer d’Arya, mais
la jeune Stark profite de leur duel pour s’échapper. Sansa, quant à elle, ne
connaissant pas Brienne, préfère s’en remettre à Littlefinger. Peu confiante en la
probité de cet homme, Brienne décide alors de suivre Sansa jusqu’à Winterfell :
elle imagine devoir lui venir en aide ultérieurement, ce qui sera le cas.
Dans le tome 4, l’errance de Brienne présente-t-elle un véritable intérêt
narratif ? On est en droit d’en douter. Non seulement ses aventures ne permettent
pas à Brienne de retrouver Arya et Sansa, mais elles n’entraînent aucune
évolution du personnage. Ce n’était pas le cas lorsque Brienne se trouvait en
compagnie de Jaime, leur contact mutuel les ayant fait évoluer l’un et l’autre.
Dans le tome 4 toujours, on quitte Sansa sans savoir ce qui va lui arriver. La
jeune femme dissimule alors son identité, se faisant passer pour la fille de
Littlefinger, devenu officiellement à ce moment-là le protecteur du Val. Les
showrunners doivent ici résoudre un double problème : il convient de donner du
sens aux actions des personnages, mais aussi d’imaginer la suite de leurs
aventures, le tome 6 n’ayant pas encore été publié. Ils décident alors de
fusionner trois arcs narratifs distincts qui ont tous un lien entre eux, même ténu :
les Stark.

"Les showrunners, pour rester fidèles aux romans, ont


paradoxalement dû augmenter la présence de Daenerys à l’écran.
C’est une nécessité non seulement pour que le spectateur
s’attache à elle, mais aussi pour qu’il comprenne son importance
croissante dans la suite des événements.

Dans la série, limiter le plus possible l’errance de Brienne et Podrick était certainement une décision
nécessaire (saison 4, épisode 10).

Ils ajoutent en effet aux arcs de Brienne et de Sansa l’arc du faux mariage
d’Arya avec Ramsay Bolton. Dans les romans, afin de renforcer son alliance
avec les Frey, Cersei envoie dans le nord Jeyne Poole, une amie d’enfance de
Sansa qui l’avait accompagnée à Port-Réal, en lui demandant de se faire passer
pour Arya. Or, cet arc narratif comme les deux autres ne présente pas une
importance aussi capitale que les arcs de Cersei, Jon, Jaime, Tyrion ou Daenerys.
Faire fusionner ces trois arcs, en mariant dans la série Sansa à Ramsay Bolton,
permet non seulement de créer un arc plus solide et plus logique, mais il offre
également à la série la possibilité de ne pas trop se disperser. Nous l’avons vu
précédemment, la multiplication des arcs narratifs à mesure de l’écriture du
Trône de fer peut constituer un problème aussi bien pour le lecteur que pour
George R. R. Martin lui-même. Que dire au reste du traitement fait par la série
du tome 5 ?

Le cinquième tome : une simplification nécessaire

Une difficulté supplémentaire s’impose aux showrunners. En effet, le tome 5 est


le dernier tome publié. Si les scénaristes peuvent certes toujours s’appuyer sur le
texte de George R. R. Martin, ils ont également l’obligation d’anticiper la saison
suivante, l’écrasante majorité des intrigues n’étant pas résolue à la fin du tome 5.
C’est sans doute la raison pour laquelle la saison 5 de Game of Thrones se
distingue tant des livres : difficile, en effet, de raconter l’histoire de tel ou tel
personnage sans savoir ce qu’il adviendra ensuite de chacun d’entre eux.
Sansa en est un bon exemple. Si l’on se fie aux romans, il est malaisé de
deviner la suite de ses aventures. Va-t-elle rester auprès de Littlefinger ? Se
marier avec un jeune homme issu de la noblesse du Val ? Brienne va-t-elle la
retrouver ? Dans les romans, la situation narrative de Sansa semble être
confrontée à une impasse. Contrairement à Arya, elle n’apparaît d’ailleurs pas
dans le tome 5, comme si George R. R. Martin voulait se ménager le temps de
voir quelle option serait la plus pertinente dans l’évolution de ce personnage.
Le tome 5, nous l’avons dit, comprend un nombre considérable de trames
narratives. D’ailleurs, il est le tome qui compte le plus de personnages-chapitres,
et ce de façon assez nette : huit pour le tome 1, neuf pour le tome 2, dix pour le
tome 3, onze pour le tome 4 et seize pour le tome 5 ! Ainsi, il y a deux fois plus
d’arcs narratifs dans le dernier tome actuellement publié du Trône de fer que
dans le premier. Or, la série elle-même ne voit pas le nombre de ses épisodes
augmenter à chaque saison. C’est même, à partir de la saison 7, l’inverse qui se
produit : celle-ci ne compte en effet que sept épisodes, et il a été annoncé que la
huitième et dernière saison de Game of Thrones n’en proposerait que six.

"Difficile de raconter l’histoire de tel ou tel personnage sans


savoir ce qu’il adviendra ensuite de chacun d’entre eux.
De fait, il y a tout d’abord une nécessité à supprimer les trames narratives non
nécessaires. C’est le cas de l’arc narratif de Quentyn Martell. Le fils aîné du
prince Doran avait pour mission de se rendre à Meereen pour épouser Daenerys
Targaryen ; or, lorsqu’il arrive dans cette cité, non seulement la reine est sur le
point de se marier, mais elle quitte peu de temps après Meereen sur le dos de son
dragon noir Drogon. Quentyn, incapable d’entendre les sages conseils de Ser
Barristan Selmy, qui l’enjoint de regagner Dorne pour sa propre sécurité, décide
de dompter les deux autres dragons de Daenerys, Rhaegal et Viseryon. Il trouve
la mort en entreprenant cette action audacieuse : trois jours après avoir été brûlé
vif par le feu de Rhaegal, il décède dans sa chambre. Supprimer cette trame
narrative paraît donc logique dans la mesure où toutes les pérégrinations du
personnage ne servent en réalité à rien, du moins si l’on s’en tient aux intrigues
principales. De manière générale, les showrunners ont choisi de simplifier la
présence de Dorne dans la série. Alors que ce royaume est décrit à partir du point
de vue de plusieurs personnages dans les romans (Arys du Rouvre, Areo Otah,
Arianne Martell, Quentyn Martell), la série se focalise sur la remise en cause du
pouvoir du prince Doran, jugé trop modéré par une partie de ses sujets.
La suppression ou la simplification sont deux des principaux modes choisis
dans le cadre de l’adaptation de ce tome 5, narrativement si complexe. Un
dernier mode est également employé : la réunion volontaire de trames proches,
mais distinctes dans le roman. Les scénaristes veillent ainsi à conférer aux
actions des uns et des autres une certaine logique. Ils s’appuient notamment sur
le fait que des personnages géographiquement proches ont vocation à entrer en
contact. Le cas le plus emblématique est représenté par Tyrion. Dans le tome 5,
le nain est censé rejoindre Daenerys Targaryen. C’est le souhait d’Illyrio
Mopatis, fervent défenseur de la jeune femme, mais cela finit également par
devenir le souhait de Tyrion lui-même. Or, cette rencontre tant attendue sera un
rendez-vous manqué : certes, après bien des pérégrinations et bien des obstacles,
Tyrion arrive à Meereen, mais il n’a jamais l’opportunité de s’entretenir
directement avec la reine, étant alors réduit à la fonction d’esclave. Si la série
montre bien la servitude de Tyrion, elle ne s’appesantit pas trop longuement sur
celle-ci. Non seulement Tyrion rencontre assez vite Daenerys, mais il est nommé
dans la saison 6 Main de la Reine.

Limiter le temps où Tyrion est confronté à la servitude est une des différences importantes entre le tome 5 et
la saison 5 (saison 5, épisode 7).

Un dernier cas mérite d’être évoqué : celui d’Aegon Targaryen. On suppose


dans un premier temps qu’il a été tué en même temps que sa mère et sa sœur lors
de la Rébellion de Robert Baratheon, mais on apprend ensuite que le fils de
Rhaegar a en réalité échappé à la fureur de Gregor Clegane, surnommé la
Montagne. Les conditions de sa survie demeurent assez floues, et la question
peut se poser de savoir si ce personnage n’est pas un menteur. Le roman ne
remet pas en cause cette filiation, mais rien ne dit qu’il ne s’agit pas d’une
mystification du lecteur. L’absence d’Aegon Targaryen dans la série, alors qu’à
la fin du tome 5 la Compagnie Dorée se met à son service et s’apprête à lancer
un vaste plan de conquête de Westeros, interroge. En l’état actuel de nos
connaissances, trois hypothèses peuvent être formulées. Soit le personnage n’a
pas vocation à être important dans la suite de l’histoire. On peut alors imaginer
que George R. R. Martin a prévu de le faire mourir prématurément, ce qui est
possible car, à l’image de Quentyn Martell, Aegon ne parvient pas toujours à
maîtriser la fougue de sa jeunesse. On peut également imaginer qu’il n’est pas le
fils de Rhaegar, et que dans ce cas la supercherie finira par être dévoilée. La
dernière hypothèse que l’on peut formuler est que les showrunners ont tout
simplement préféré simplifier la question de la descendance des Targaryen. La
série nous apprend que Jon Snow est lui-même le fils de Rhaegar, et les romans
laissent supposer que Tyrion pourrait en réalité être le fils illégitime d’Aerys, le
Roi Fou. On apprend en effet dans le tome 5 que le roi Targaryen aimait la mère
de Tyrion, et les mots employés par Ser Barristan Selmy laissent entendre
qu’Aerys aurait bien pu la violer. Cela expliquerait notamment la haine de Tywin
pour Tyrion : il ne le considérerait pas comme son fils, car il n’en serait tout
simplement pas le père biologique. Si cette hypothèse s’avérait, les trois
principaux personnages de la saga seraient donc trois Targaryen (Daenerys, Jon,
Tyrion), ce qui renverrait symboliquement aux armoiries de cette famille, qui
montrent trois têtes de dragons. Ainsi, supprimer l’arc narratif d’Aegon éviterait
de faire de l’ultime saison un enchaînement de révélations sur la famille
Targaryen.

"La suppression ou la simplification sont deux des principaux


modes choisis dans le cadre de l’adaptation de ce tome 5,
narrativement si complexe. Un dernier mode est également
employé : la réunion volontaire de trames proches, mais
distinctes dans le roman.
De fait, on peut considérer que l’adaptation télévisuelle du Trône de fer est
globalement une réussite. On peut bien sûr toujours discuter tel ou tel choix, et le
remettre en question. Une adaptation est par nature imparfaite et, à l’image de la
traduction (dont l’étymologie signifie littéralement « trahison »), elle peut
parfois sembler s’opposer au support original. Ces différences n’ont toutefois
rien de négatif. Elles soulignent au contraire le fait que la littérature est
définitivement un art autonome. Si chaque adaptation télévisuelle ou
cinématographique d’un texte faisait systématiquement l’unanimité, pourrait
alors se poser la question de la raison d’être de l’art littéraire… Or, ce n’est fort
heureusement pas le cas.

Bilan

L’adaptation du Trône de fer n’est pas seulement un phénomène littéraire


passionnant et inédit. Il s’agit également d’une belle opportunité offerte à la
littérature de se renouveler auprès des jeunes générations, et de continuer à
montrer sa force et son actualité. À travers les aventures fictives de Jon, Tyrion
et Daenerys, c’est aussi notre monde dont il est question. La série, en donnant à
certains spectateurs l’envie de découvrir les livres, a considérablement augmenté
le lectorat de George R. R. Martin. En cette période où la littérature doit évoluer
pour continuer à avoir une vraie incidence sur le lectorat, l’adaptation du Trône
de fer est la démonstration que la télévision, plutôt que d’être un adversaire du
cinquième art, se met en réalité et paradoxalement au service de ce dernier.
Notes
1. Guy Larroux, Le Mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris, Nathan, 1995, p. 5.
Conclusion

Quel avenir pour la saga ?

Au moment de conclure, on peut s’interroger sur l’avenir de la saga. Game of


Thrones est sans conteste l’un des plus grands phénomènes de pop culture du
début du XXIe siècle. La saga suscite l’intérêt d’un public hétérogène, appartenant
à des cultures, des générations et des milieux très divers. Évaluer le succès sur le
long terme d’une saga est toujours difficile. Qui aurait prédit que, quarante ans
après la sortie de son premier film, Star Wars continuerait à être un phénomène
de pop culture majeur ? Il paraît dès lors malaisé de tenir des propos
parfaitement assurés sur le devenir de Game of Thrones.
On peut dans un premier temps considérer que la saga continuera à susciter un
réel intérêt dans la décennie 2020-2030. En effet, la dernière saison sortira en
2019 et le dernier tome devrait être publié au plus tôt au début des années 2020
(sauf surprise éditoriale, nous l’avons dit). Surtout, George R. R. Martin
n’envisage pas de se lancer dans la création de nouveaux univers fictifs.
L’écrivain américain, d’un âge respectable (70 ans en 2018), souhaiterait se
consacrer ces prochaines années au développement de l’univers qu’il a créé lui-
même pour Le Trône de fer.
Ainsi, à l’image de ce qui s’est produit avec Star Wars, Game of Thrones
devrait voir se constituer au cours des années 2020-2030 un véritable univers
étendu. L’expression suppose le fait que différents supports narratifs viendront
compléter une histoire principale (celle des romans et de la série) considérée
comme la pierre de touche de la saga. On a eu l’occasion de dire que
George R. R. Martin avait ces dernières années, parallèlement à l’écriture du
Trône de fer, composé quelques histoires permettant au lecteur d’avoir
connaissance des événements s’étant produits antérieurement dans cet univers.
Or, l’écrivain américain a annoncé le 25 avril 2018 la sortie aux États-Unis, le
20 novembre de cette même année, de son nouveau roman intitulé Fire and
Blood, qui parlera de l’histoire de la famille Targaryen. Il souhaiterait également
continuer à raconter les aventures du chevalier Dunk et de son écuyer Aegon
Targaryen. George R. R. Martin a aussi fait part de son intention de continuer à
travailler avec la télévision, mais à une condition près : il entend désormais
proposer à l’adaptation uniquement des œuvres achevées… En effet, il ne
souhaite pas renouveler l’expérience de Game of Thrones, qu’il a jugée
déplaisante par certains aspects, les délais imposés ayant fini par ralentir son
écriture du tome 6.
George R. R. Martin écrira lui-même les textes qui constitueront l’univers
étendu de sa saga. Il n’a pas prévu de faire appel à d’autres auteurs. Il a
d’ailleurs affirmé que, s’il venait à mourir avant d’avoir fini l’écriture du Trône
de fer, il ne souhaitait pas qu’un autre auteur achève son travail. Cette décision
devrait conférer à l’ensemble de ses récits une vraie cohérence narrative, et
rassurer les fans sur la légitimité de ces nouveaux textes. En effet, il ne sera pas
possible de dire de ces récits qu’ils trahissent l’œuvre originale. Pour reprendre
l’analogie avec Star Wars, on sait que de nombreux fans sont actuellement déçus
par la nouvelle trilogie, qu’ils estiment soit trop peu originale, soit trop
irrespectueuse des films précédemment réalisés. Des critiques ont également été
formulées au sujet du nouvel univers étendu mis en œuvre par Disney, la qualité
de certains romans et bandes-dessinées laissant à désirer. Rien ne dit que les
prochains textes de George R. R. Martin seront de la même qualité que son cycle
du Trône de fer, mais il est incontestable qu’il sera seul à en assumer la
responsabilité artistique.
De fait, la saga semble avoir encore de beaux jours devant elle. On sait que
HBO souhaite produire une ou plusieurs séries inspirées de l’univers de
George R. R. Martin, le succès de Game of Thrones ayant dépassé les attentes
initiales de ses producteurs. Cinq potentiels spin-off sont en préparation depuis
plusieurs mois, même si tous ne devraient pas donner lieu à la production d’une
série. HBO aurait l’objectif de diffuser une nouvelle série inspirée des écrits de
George R. R. Martin au cours de l’année 2020, date qui est bien sûr encore
susceptible d’évoluer. Le 8 juin 2018, il a été annoncé qu’un épisode pilote de
l’un de ces spin-off avait été commandé par HBO. C’est la scénariste britannique
Jane Goldman, à qui l’on doit notamment les scénarios de Kingsman (2014) et
de X-Men : Le Commencement (2011), qui s’est chargée de l’écriture de cet
épisode pilote. Cette nouvelle série devrait raconter l’Âge des Héros et la
première Longue Nuit, sombre période durant laquelle les royaumes humains
durent déjà se confronter à la terrible menace des Marcheurs Blancs. Dans la
chronologie établie par George R. R. Martin, l’Âge des Héros se déroule sur une
très longue période (4 000 ans), et est très antérieur aux faits relatés dans Le
Trône de fer et Game of Thrones, puisqu’il a eu lieu plus de 10 200 ans avant
l’histoire des romans et de la série. Il n’est pas encore certain que ce spin-off soit
finalement produit, mais les probabilités demeurent assez fortes, HBO souhaitant
réellement continuer à faire vivre à l’écran l’univers créé par George
R. R. Martin.
On peut enfin imaginer que cet univers va de plus en plus se décliner sur
d’autres supports narratifs. Si rien de précis n’a encore filtré, l’univers étendu ne
dépendra pas forcément de la seule littérature. En 2017, lors de la sortie de la
septième saison de Game of Thrones en DVD et Blu-ray, un bonus inédit a été
proposé aux spectateurs : un film d’animation d’une trentaine de minutes sur la
conquête de Westeros par Aegon Targaryen, fondateur du Trône de fer. À
l’image de la série The Clone Wars pour Star Wars, peut-être verrons-nous dans
quelques années une série d’animation inspirée de l’univers créé par George
R. R. Martin. C’est une possibilité, comme celle de voir la saga déclinée en
bande-dessinée. Il est en tous les cas certain que nous n’avons pas fini
d’entendre parler de Game of Thrones.
En effet, ces prochains mois verront naître de nouvelles théories sur le
dénouement de la saga. Puis, lorsque celui-ci sera connu, s’engageront des
débats passionnés sur les choix réalisés par les showrunners. Viendra ensuite la
légitime comparaison avec les romans. Bref, le grand mérite de la saga du Trône
de fer est d’avoir su redonner à la littérature une place de premier ordre dans les
débats publics.
Ainsi, au terme de ce livre, on peut souligner à quel point Le Trône de fer est
une œuvre littéraire complexe et passionnante. Si les romans de
George R. R. Martin ont su tirer avantage d’un contexte culturel favorable, sur
lequel ils ont pu s’appuyer, il est indéniable qu’ils possèdent un certain nombre
de spécificités propres.
En reprenant certains codes du roman de chevalerie et du genre littéraire de la
fantasy pour ensuite les redéfinir, George R. R. Martin a su proposer aux lecteurs
du monde entier une œuvre riche et innovante. Il a créé un univers
géographiquement et temporellement très développé, qui n’a rien à envier à celui
de La Comédie humaine de Balzac. Martin a également élaboré une intrigue
complexe. Faire reposer le chapitrage sur les personnages, ménager un coup de
théâtre permanent, et mettre en œuvre un véritable mille-feuille narratif sont des
innovations littéraires tout à fait appréciables. Elles ont eu pour effet de
repousser et redéfinir l’horizon d’attente du lecteur, au point que surprendre son
lectorat soit devenu une ambition de plus en plus recherchée par les écrivains
contemporains, et pas uniquement dans le domaine de la fantasy.
Si Le Trône de fer et Game of Thrones ont su s’adresser à des individus
socialement, culturellement et générationnellement très différents, c’est aussi
parce qu’ils ont intégré subrepticement à leur intrigue de nombreuses réflexions
philosophiques. Véritables invariants de l’humanité, l’amour, l’honneur,
la famille, la religion, la souffrance, la mort, l’héroïsme et la monstruosité ont
autant de valeur à Westeros que dans notre monde.
Mais si la saga a touché autant de lecteurs et de spectateurs, c’est surtout grâce
à ses personnages. Évolutifs, pathétiques ou sublimes, ils sont tous
fondamentalement humains. Trop humains ou trop inhumains : cela dépend du
point de vue. Il est en tous les cas certain que George R. R. Martin a su créer
chez les fans une véritable empathie pour ses personnages, ce qui n’avait rien
d’aisé lorsque l’on sait le nombre considérable de protagonistes et d’antagonistes
présent dans ce riche et dense récit.
Plus grand phénomène de pop culture du début du XXIe siècle, Game of
Thrones a incontestablement devant lui un avenir riche de promesses. Il est
notamment la preuve que la littérature, si elle ne veut pas se limiter à un lectorat
restreint, doit non seulement repenser ses formes mais aussi ses rapports avec les
nouveaux types d’art.

Glossaire

Chronotope : informations précises sur le lieu et l’époque de l’intrigue.


Étymologie : sens premier d’un mot dans sa langue d’origine.
Fan-film : film amateur inspiré d’une œuvre littéraire ou cinématographique à
succès.
Fantastique : adjectif qui désigne, face au surgissement d’un phénomène
surnaturel, l’hésitation des personnages face à la réalité ou aux origines d’un tel
phénomène.
Fantasy : genre littéraire qui accorde une place centrale dans son récit au
surnaturel et à la magie, tout en relatant de hauts faits, souvent dans un contexte
militaire ou guerrier.
Horizon d’attente : concept littéraire qui relève de la théorie de la réception. Un
auteur répond favorablement à l’horizon d’attente du lectorat lorsqu’il écrit un
livre conforme aux goûts dominants de son époque. À l’inverse, un écrivain peut
modifier l’horizon d’attente des lecteurs en imposant une innovation qui devient
ensuite la nouvelle norme.
Invariant : terme désignant des notions qui, dans l’histoire de l’humanité,
s’avèrent être universelles et atemporelles (amour, amitié, haine, mort…).
Khalasar : dans la saga de George R. R. Martin, le khalasar est un peuple
nomade composé de guerriers Dothrakis, mais aussi de leurs femmes et de leurs
enfants. Un khalasar est dirigé par un chef guerrier nommé khal.
Merveilleux : concept littéraire qui désigne le fait que, dans un récit, des
événements que nous jugerions surnaturels sont considérés comme une norme
par les principaux personnages de l’intrigue.
Paratexte : ensemble formé par les titre, préface, épigraphe, notes, quatrième de
couverture… qui accompagnent le texte proprement dit.
Périphrase : groupe nominal employé à la place d’un nom simple.
Personnage-chapitre : dans Le Trône de fer, personnage qui donne son nom au
chapitre dans lequel il est mis en scène. C’est à partir du point de vue du
personnage-chapitre que l’action est perçue.
Pop culture : ensemble des œuvres artistiques qui ont pour point commun de
connaître un succès public planétaire, à défaut de rencontrer un succès critique
immédiat.
Présent gnomique : présent de vérité générale.
Showrunner : dans l’univers du cinéma ou de la télévision, personne
responsable du travail quotidien mené sur un film ou une série. Le showrunner a
notamment pour mission de veiller à la cohérence du programme produit.
Univers étendu : terme initialement employé pour désigner, dans la saga Star
Wars, toutes les productions narratives venant compléter l’univers décrit dans les
films. Par extension, le terme peut s’appliquer à toutes les histoires qui
enrichissent un monde fictif d’abord présenté dans une série de films ou de
romans.
Le cycle romanesque du Trône de fer

Tome 1 : A Game of Thrones (1996)


Tome 2 : A Clash of Kings (1999)
Tome 3 : A Storm of Swords (2000)
Tome 4 : A Feast for Crows (2005)
Tome 5 : A Dance with Dragons (2011)
Tome 6 : The Winds of Winter (à paraître)
Tome 7 : A Dream of Spring (à paraître)
N.B. : nous indiquons ici les dates de publication et titres américains. En
français, les cinq premiers tomes ne portent pas de titres distinctifs (Le Trône de
fer : L’intégrale 1, L’intégrale 2, L’intégrale 3, L’intégrale 4 et L’intégrale 5).
Les huit saisons de la série Game
of Thrones

Saison 1 (2011)

Épisode 1 : L’Hiver vient


Épisode 2 : La Route royale
Épisode 3 : Lord Snow
Épisode 4 : Infirmes, Bâtards et Choses brisées
Épisode 5 : Le Loup et le Lion
Épisode 6 : Une couronne dorée
Épisode 7 : Gagner ou mourir
Épisode 8 : Frapper d’estoc
Épisode 9 : Baelor
Épisode 10 : De feu et de sang

Saison 2 (2012)

Épisode 1 : Le Nord se souvient


Épisode 2 : Les Contrées nocturnes
Épisode 3 : Ce qui est mort ne saurait mourir
Épisode 4 : Le Jardin des os
Épisode 5 : Le Fantôme d’Harrenhal
Épisode 6 : Les Anciens et les Nouveaux Dieux
Épisode 7 : Un homme sans honneur
Épisode 8 : Le Prince de Winterfell
Épisode 9 : La Néra
Épisode 10 : Valar Morghulis
Saison 3 (2013)

Épisode 1 : Valar Dohaeris


Épisode 2 : Noires Ailes, Noires Nouvelles
Épisode 3 : Les Immaculés
Épisode 4 : Voici que son tour de garde est fini
Épisode 5 : Baisée par le feu
Épisode 6 : L’Ascension
Épisode 7 : L’Ours et la Belle
Épisode 8 : Les Puînés
Épisode 9 : Les Pluies de Castamere
Épisode 10 : Mhysa

Saison 4 (2014)

Épisode 1 : Deux épées


Épisode 2 : Le Lion et la Rose
Épisode 3 : Briseuse de chaînes
Épisode 4 : Féale
Épisode 5 : Premier du nom
Épisode 6 : Les Lois des dieux et des hommes
Épisode 7 : L’Oiseau moqueur
Épisode 8 : La Montagne et la Vipère
Épisode 9 : Les Veilleurs au rempart
Épisode 10 : Les Enfants

Saison 5 (2015)

Épisode 1 : Les Guerres à venir


Épisode 2 : La Demeure du noir et du blanc
Épisode 3 : Le Grand Moineau
Épisode 4 : Les Fils de la Harpie
Épisode 5 : Tue l’enfant
Épisode 6 : Insoumis, Invaincus, Intacts
Épisode 7 : Le Cadeau
Épisode 8 : Durlieu
Épisode 9 : Une danse avec les dragons
Épisode 10 : La Miséricorde de la Mère

Saison 6 (2016)

Épisode 1 : La Femme rouge


Épisode 2 : La Maison
Épisode 3 : Le Briseur de serments
Épisode 4 : Le Livre de l’Étranger
Épisode 5 : La Porte
Épisode 6 : De mon sang
Épisode 7 : L’Homme brisé
Épisode 8 : Personne
Épisode 9 : La Bataille des bâtards
Épisode 10 : Les Vents de l’hiver

Saison 7 (2017)

Épisode 1 : Peyredragon
Épisode 2 : Née du Typhon
Épisode 3 : La Justice de la reine
Épisode 4 : Les Butins de guerre
Épisode 5 : Fort-Levant
Épisode 6 : Au-delà du Mur
Épisode 7 : Le Dragon et le Loup

Saison 8 (2019)
Épisode 1 : titre inconnu
Épisode 2 : titre inconnu
Épisode 3 : titre inconnu
Épisode 4 : titre inconnu
Épisode 5 : titre inconnu
Épisode 6 : titre inconnu
Les principaux lieux de l’intrigue (romans
et série)

Westeros

Au-delà du Mur (lieux remarquables : forêt hantée ; Crocgivre)


Bief (lieux remarquables : Hautjardin ; Villevieille)
Conflans (lieux remarquables : Vivesaigues ; Les Jumeaux)
Doigts
Don (lieux remarquables : Châteaunoir ; Port-Levant ; Tour Ombreuse ; La
Mole)
Dorne (lieux remarquables : Lancehélion ; Les Jardins Aquatiques)
Îles Bouclier
Îles de Fer (lieu remarquable : Pyk)
Neck (lieux remarquables : Moat Cailin ; Fort-Griseaux)
Nord (lieux remarquables : Winterfell ; Bois-aux-Loups ; Fort-Terreur ;
Blancport ; Île-aux-Ours ; Motte-la-Forêt)
Terres de la Couronne (lieux remarquables : Port-Réal ; Baie de la Néra)
Terres de l’Orage (lieu remarquable : Accalmie)
Terres de l’Ouest (lieu remarquable : Castral Roc)
Trois Sœurs
Val d’Arryn (lieu remarquable : les Eyriés)

Essos

Baie des Serfs (lieux remarquables : Astapor ; Meereen ; Yunkaï)


Cités libres (lieux remarquables : Braavos ; Lorath ; Lys ; Myr ; Norvos ;
Pentos ; Qohor ; Tyrosh ; Volantis)
Détroit de Ghis
Mer Dothrak (lieu remarquable : Vaes Dothrak)
Péninsule Valyrienne
En vacances à Westeros !

Le succès de Game of Thrones est tel qu’il dépasse désormais le simple cadre du
petit écran. La preuve ? De nombreux fans organisent leurs vacances pour se
rendre sur les principaux lieux de tournage de la série. La mode du set-jetting
(ainsi surnommé parce que set signifie « décor ») a par exemple permis à la
Nouvelle-Zélande, transformée en Terre du Milieu par la trilogie Le Seigneur des
anneaux de Peter Jackson, de voir son nombre annuel de touristes augmenter
d’un million entre 2000 et 2006. Si le set-jetting était historiquement lié au
cinéma, le succès mondial de Game of Thrones a changé la donne, en incitant
des millions de fans d’une série à partir à la découverte de ses paysages
fantastiques. Rapide tour d’horizon des destinations incontournables.
Si vous avez envie d’avoir froid dans le dos, partez en Islande ! Le parc
national de Thingvellir vous permettra de suivre les traces des Sauvageons et des
terrifiants Marcheurs Blancs. Le tour opérateur Iceland Travel organise un
circuit de cinq jours, baptisé « Beyond the Wall », sur le thème de la série.
Si vous vous sentez plus Stark que Lannister, l’Irlande du Nord est faite pour
vous ! Le domaine de Castle Ward prête ses traits au mythique château de
Winterfell, et de nombreux décors naturels ont été utilisés pour représenter des
affrontements armés, dont la célèbre Bataille des Bâtards.
Si vous préférez la chaleur du Sud, plusieurs destinations sont envisageables.
Pour les nostalgiques de la saison 1, Malte est le pays idéal. La ville de Mdina a
été utilisée pour figurer Port-Réal au début de la série. Si vous n’êtes pas trop
attaché au passé, mieux vaut alors se rendre à Dubrovnik, en Croatie. Depuis la
saison 2, cette ville sert de décor à la capitale des Sept Couronnes. Du haut des
remparts de cette ville fortifiée, vous aurez l’impression de revivre la célèbre
bataille de la Néra ! Les villes de Meereen, Braavos et Qarth ont également été
filmées en Croatie, véritable terre d’élection de Game of Thrones depuis sept
ans.
Si vous avez envie de chaleur et d’exotisme, le Maroc et l’Espagne sont deux
destinations à ne pas manquer ! Au Maroc, vous aurez l’impression de revivre
l’odyssée de Daenerys. La ville d’Essaouira et le ksar d’Aït Benhaddou
représentent respectivement les cités esclavagistes d’Astapor et de Yunkaï. Si
vous faites un tour en Espagne, pensez à aller à Séville. La ville a été utilisée
pour figurer le royaume de Dorne. Le château d’Almodovar del Rio, toujours en
Andalousie, a quant à lui permis de donner vie à Hautjardin, place-forte de la
famille Tyrell.
Grâce à la série, on peut désormais allier fiction et réalité. Oui, Westeros
existe !
Bibliographie

Éditions de référence

MARTIN George R. R., Le Trône de fer, L’intégrale 1, Paris, J’ai lu, 2009.
MARTIN George R. R., Le Trône de fer, L’intégrale 2, Paris, J’ai lu, 2009.
MARTIN George R. R., Le Trône de fer, L’intégrale 3, Paris, J’ai lu, 2010.
MARTIN George R. R., Le Trône de fer, L’intégrale 4, Paris, J’ai lu, 2010.
MARTIN George R. R., Le Trône de fer, L’intégrale 5, Paris, J’ai lu, 2015.

Œuvres de George R. R. Martin rattachées au cycle romanesque


du Trône de fer

MARTIN George R. R., Game of Thrones : les origines de la saga, Huginn et


Muninn, 2015.
MARTIN George R. R., Game of Thrones : toutes les cartes du royaume,
Huginn et Muninn, 2015.
MARTIN George R. R., Chroniques du chevalier errant : trois histoires du
Trône de fer, J’ai lu, 2017.

Ouvrages consacrés à Game of Thrones

AZULYS Sam, Philosopher avec Game of Thrones, Ellipses, Paris, 2016.


CHAILLAN Marianne, Game of Thrones, une métaphysique des meurtres, Paris,
Le Passeur, 2017.
KEEN Helen, Science et Magie dans Game of Thrones, Paris, Albin Michel,
2017.
LUCCIARDI Antoine, Game of Thrones décrypté, Paris, City édition, 2017.

Ouvrages consacrés à la fantasy


BAUDOU Jacques, La Fantasy, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? » no 3744,
2005.
BESSON Anne, D’Asimov à Tolkien, cycles et séries dans la littérature de
genre, Paris, CNRS Éditions, coll. « Littérature », 2004.
BESSON Anne, La Fantasy, Paris, Klincksieck, 2007.
CARRUTHERS Leo (éd.), Tolkien et le Moyen Âge, Paris, CNRS Éditions,
2007.
CHASSAGNOL Monique, La Fantaisie dans les récits pour la jeunesse en
Grande-Bretagne de 1918 à 1968, Paris, Didier Érudition, 1986.
CHELEBOURG Christian, Le Surnaturel, poétique et écriture, Paris, Armand
Colin, coll. « U », 2006.
DUVEAU Marc (éd.), La Grande Anthologie de la fantasy, Paris, Omnibus,
2003.
FERRÉ Vincent, Sur les rivages de la Terre du Milieu, Paris, Christian Bourgois,
2001.
LUDÜN Mats, La Fantasy, Paris, Ellipses, coll. « Réseau Genres/registres »,
2006.
RUAUD André-François (éd.), Cartographie du merveilleux, Paris, Gallimard,
coll. « Folio SF », 2001.
RUAUD André-François (éd.), Panorama illustré de la fantasy et du
merveilleux, Lyon, Les Moutons Électriques, 2004.
TADIÉ Jean-Yves, Le Roman d’aventures, Paris, PUF, 1982.
TODOROV Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970.

Ouvrages consacrés au genre romanesque

ADAM Jean-Michel, Le Texte narratif, Paris, Nathan, 1985.


BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et Théorie du roman, Paris, Gallimard, Tel,
1987.
BUTOR Michel, Essais sur le roman, Paris, Gallimard, Tel, 1992.
CHARTIER Pierre, Introduction aux grandes théories du roman, Paris, Armand
Colin, 2005.
JOUVE Vincent, La Poétique du roman, Paris, Armand Colin, 2015.
KUNDERA Milan, L’Art du roman, Paris, Gallimard, Folio, 1995.
MALRAUX André, L’Homme précaire et la littérature, Paris, Gallimard, 1977.
PAVEL Thomas, La Pensée du roman, Paris, Folio, Folio essais, 2014.
RAIMOND Michel, Le Roman, Paris, Armand Colin, 2015.
REY Pierre-Louis, Le Roman, Paris, Hachette, Contours littéraires, 1992.
ROBERT Marthe, Romans des origines et origines du roman, Paris, Gallimard,
Tel, 1977.
Index des personnages

Aegon le Conquérant 1, 2, 3, 4
Aegon Targaryen dit l’Œuf 1, 2
Aegon Targaryen, fils de Rhaegar 1, 2, 3, 4, 5, 6
Aerys Targaryen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Areo Otah 1, 2
Arianne Martell 1, 2, 3, 4, 5, 6
Arya Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47
Arys du Rouvre 1, 2, 3
Asha Greyjoy 1, 2, 3
Azor Ahaï 1, 2, 3, 4
Balon Greyjoy 1
Barristan Selmy 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Béric Dondarrion 1, 2, 3
Bran Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Brienne de Torth 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38
Bronn 1
Brynden Tully 1, 2
Catelyn Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Cersei Lannister 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56,
57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75,
76, 77, 78, 79
Corneille à trois yeux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Daario Naharis 1, 2
Daenerys Targaryen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55,
56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74,
75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93,
94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102
Davos Mervault 1, 2, 3, 4
Donal Noye 1
Doran Martell 1, 2, 3, 4
Dothrakis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Dragons 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59
Drogon 1, 2, 3, 4, 5, 6
Dunk 1, 2, 3
Edmure Tully 1, 2, 3
Elia Martell 1, 2, 3
Enfants de la Forêt 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Euron Greyjoy 1
Géants 1, 2, 3, 4
Grand Moineau 1, 2, 3, 4
Gregor Clegane 1, 2, 3, 4, 5, 6
Hizdahr zo Loraq 1
Hoster Tully 1
Illyrio Mopatis 1, 2
Ilyn Payne 1
Immaculés 1, 2, 3
Jaehaerys Targaryen 1
Jaime Lannister 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56,
57, 58, 59
Janos Slynt 1
Jaqen H'ghar 1, 2
Jeor Mormont 1
Jeyne Ouestrelin 1, 2, 3
Jeyne Poole 1
Joanna Lannister 1
Joffrey Baratheon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Jon Arryn 1, 2, 3, 4
Jon Connington 1, 2
Jon Snow 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,
59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68
Jorah Mormont 1, 2, 3, 4
Khal Drogo 1, 2, 3, 4, 5, 6
Lady Cœur de pierre 1
Littlefinger 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Loras Tyrell 1
Luwin 1, 2, 3
Lyanna Mormont 1
Lyanna Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6
Lysa Arryn 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Maître de la Lumière 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Mance Rayder 1, 2
Marcheurs Blancs 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56,
57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73
Margaery Tyrell 1, 2, 3, 4
Mélisandre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
Myrcella Baratheon 1, 2, 3
Ned Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39
Oberyn Martell 1, 2, 3, 4, 5
Olenna Tyrell 1, 2, 3
Orton Merryweather 1
Osha 1, 2
Podrick Payne 1, 2, 3
Qhorin Mimain 1, 2
Quentyn Martell 1, 2, 3, 4, 5, 6
Qyburn 1
Rakharo 1
Ramsay Bolton 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Renly Baratheon 1, 2, 3, 4, 5, 6
Rhaegal 1, 2, 3, 4
Rhaegar Targaryen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19
Rhaella Targaryen 1
Rickon Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6
Robb Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
Robert Arryn 1, 2
Robert Baratheon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24
Roi de la Nuit 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Roose Bolton 1
Samwell Tarly 1, 2, 3, 4
Sandor Clegane 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Sansa Stark 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 44
Sauvageons 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Shôren Baratheon 1, 2, 3
Stannis Baratheon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31
Syrio Forel 1
Taena Merryweather 1
Talisa Maegyr 1, 2, 3, 4, 5
Theon Greyjoy 1, 2, 3, 4, 5, 6
Thoros de Myr 1, 2, 3
Tommen Baratheon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Tyrion Lannister 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56,
57, 58, 59, 60, 61
Tywin Lannister 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26
Varshé Hèvre 1
Varys 1, 2, 3, 4, 5
Victarion Greyjoy 1
Vieille Nan 1, 2, 3, 4, 5, 6
Viseryon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Viserys Targaryen 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Walder Frey 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Ygrid 1
Yohn Royce 1, 2

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