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Année Universitaire 2018/2019

Licence III – Semestre II

DROIT EUROPEEN DES DROITS DE L’HOMME


Cours des Professeurs Brigitte VINCENT et Corneliu Liviu POPESCU
Travaux dirigés de Mme Carmen ACHIMESCU

Séance n°4 : La protection de l’intégrité de la personne

DOCUMENTS FOURNIS :
• Le droit à la vie
• Document n°1 : CEDH, Vo c. France, 8 juillet 2004. Extraits
• Document n°2 : Cour européenne des droits de l’homme, 29 avril 2002, Communiqué du
Greffier, arrêt de Chambre dans l’affaire Pretty c/ Royaume-Uni
• Document n°3 : Extrait de la fiche thématique « Fin de vie et CEDH » (site de la Cour EDH).
Affaire Lambert et autres c/ France, 5 juin 2015 (Grande chambre).
• Document n°4 : CEDH, Grande chambre, Lambert et autres c/ France, 5 juin 2015. Extraits.
• Document n°5 : CEDH, Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998. Extraits
• Document n°6 : CEDH, Renolde c/ France, 16/10/2008. Extraits
• Document n°7 : CEDH, Isenc c/ France, 4 février 2016. Extraits
• Document n°8 : CEDH, McCan c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995. Extraits

• L’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (NB : voir aussi


les documents n°2 et 7)
• Document n°9 : CEDH, Selmouni c. France, 28 juillet 1999. Extraits
• Document n°10 : CEDH, Kudla c. Pologne, 26 octobre 2000. Extraits
• Document n°11 : Cour européenne des droits de l’homme, 23 mars 2016, Communiqué du
Greffier, arrêt de Chambre dans l’affaire F.G c/ Suède. Extraits.
• Document n°12 : CEDH, Grande chambre, F.G c/ Suède, 23 mars 2016. Extraits.

• Les violences domestiques


• Document n°13: Cour européenne des droits de l’homme fiche thématiques Les violences
domestiques. Extrait : Talpis c. Italie 2 mars 2017.
Fiche complète : http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Domestic_violence_FRA.pdf
• Document n°14 : Cour européenne des droits de l’homme. Communiqué du Greffier, 23 mai
2017, Arrêt Bălșan c. Roumanie, 23 mai 2017

• L’interdiction de l’esclavage et du travail forcé


• Document n°15 : CEDH, Siliadin c. France, 28 juillet 1999. Extraits
• Document n°16 : CEDH, Rantsev c. Chypre et Russie, 7 janvier 2010. Extraits
• Fiche thématique complète : http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Forced_labour_FRA.pdf

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EXERCICES :
1. En vous appuyant sur la jurisprudence figurant dans ce dossier vous rechercherez :
- Quelles sont les obligations positives des Etats en matière de protection de droit à la vie et de
respect des exigences de l’article 3 de la CEDH
- Quels sont les domaines dans lesquels la Cour européenne des droits de l’homme reconnait
une marge d’appréciation aux Etats
2. Dissertation : L’article 4 CEDH est-il toujours d’actualité?

• Le droit à la vie

Document 1: Cour européenne des droits de l’homme, Vo c. France, 8 juillet 2004. Extraits

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


1. Le 27 novembre 1991, la requérante, d’origine vietnamienne, se présenta à l’hôpital de l’Hôtel-
Dieu de Lyon pour y subir la visite médicale du sixième mois de sa grossesse.
2. Le même jour, une autre femme, nommée M me Thi Thanh Van Vo, devait se faire enlever un
stérilet dans le même établissement. Le médecin, le docteur G., qui devait effectuer cette opération
appela dans la salle d’attente « Madame Vo », appel auquel la requérante répondit.
Après un bref entretien, le médecin constata que la requérante ne comprenait pas bien le français.
Ayant étudié le dossier, il entreprit d’ôter le stérilet sans aucun examen préalable de la patiente. En
cours d’opération, le médecin perça la poche des eaux, entraînant ainsi une importante perte du liquide
amniotique.
Après un examen clinique (…) le médecin prescrivit une échographie. Il apprit alors que celle-ci
venait d’être faite et comprit qu’une erreur sur la personne avait été commise. La requérante fut
immédiatement hospitalisée.
Le docteur G. tenta ensuite de procéder à l’enlèvement du stérilet sur M me Thi Thanh Van Vo et, n’y
réussissant pas, prescrivit une intervention sous anesthésie générale devant avoir lieu le lendemain
matin. Une nouvelle erreur était alors commise et la requérante, conduite au bloc opératoire à la place
de Mme Thi Thanh Van Vo, ne dut qu’à ses protestations et au fait qu’un médecin anesthésiste la
reconnut d’échapper à l’intervention chirurgicale destinée à son homonyme.
3. La requérante quitta l’hôpital le 29 novembre 1991. Le 4 décembre 1991, elle y revint pour la
vérification de l’évolution de sa grossesse ; les médecins constatèrent que le liquide amniotique ne
s’était pas reconstitué et que la grossesse ne pouvait plus se poursuivre. Une interruption thérapeutique
de la grossesse fut effectuée le 5 décembre 1991.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION


(…)
4. La requérante se plaint de l’impossibilité d’obtenir la condamnation pénale du médecin ayant
commis une erreur médicale à la suite de laquelle elle a dû subir un avortement thérapeutique. (…)

1. Etat de la jurisprudence
5. Contrairement à l’article 4 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme qui énonce
que le droit à la vie doit être protégé « en général à partir de la conception », l’article 2 de la
Convention est silencieux sur les limites temporelles du droit à la vie et, en particulier, il ne définit pas
qui est la « personne » dont « la vie » est protégée par la Convention. A ce jour, la Cour n’a pas encore
tranché la question du commencement du droit « de toute personne à la vie », au sens de cette
disposition, ni celle de savoir si l’enfant à naître en est titulaire.
Cette question n’a été soulevée pour l’instant qu’à travers les législations sur l’interruption volontaire
de grossesse. Celle-ci ne constitue pas une exception au nombre de celles énumérées explicitement au
paragraphe 2 de la Convention, mais elle est compatible avec l’article 2 § 1, première phrase, selon
l’ancienne Commission, au nom de la protection de la vie et de la santé de la mère, parce que « si l’on
admet que cette disposition s’applique à la phase initiale de la grossesse, l’avortement se trouve

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couvert par une limitation implicite du « droit à la vie » du fœtus pour, à ce stade, protéger la vie et la
santé de la femme » (X c. Royaume-Uni, décision de la Commission précitée).
6. (…)
7. Dans sa décision X c. Royaume-Uni, précitée, la Commission s’est penchée sur la requête d’un mari
qui se plaignait de l’autorisation accordée à sa femme en vue d’un avortement thérapeutique. Tout en
considérant le père potentiel comme « victime » d’une violation du droit à la vie, elle a estimé, à
propos du terme « toute personne », employé dans plusieurs articles de la Convention, qu’il ne pouvait
s’appliquer avant la naissance (...). La Commission a ajouté que l’enfant à naître n’est pas une
« personne » au vu de l’usage généralement attribué à ce terme et du contexte dans lequel il est
employé dans la disposition conventionnelle. Quant au terme « vie », et en particulier le début de la
vie, il existe des « divergences de points de vue sur la question du moment où [elle] commence (...).
D’aucuns estiment qu’elle commence dès la conception alors que d’autres ont tendance à insister sur
le moment de la nidation, sur celui où le fœtus devient « viable » ou encore sur celui où il naît vivant »
(X c. Royaume-Uni).
La Commission s’est ensuite interrogée sur le point de savoir si « l’article 2 doit être interprété :
comme ne concernant pas (...) le fœtus ; comme reconnaissant au fœtus un « droit à la vie » assorti de
certaines limitations implicites ; ou comme reconnaissant au fœtus un « droit à la vie » de caractère
absolu » (ibidem, p. 261, § 17). Tout en ne se prononçant pas sur les deux premières hypothèses, elle a
alors exclu catégoriquement la dernière interprétation eu égard à la protection nécessaire de la vie de la
mère indissociable de celle de l’enfant à naître : « la « vie » du fœtus est intimement liée à la vie de la
femme qui le porte et ne saurait être considérée isolément. Si l’on déclarait que la portée de l’article 2
s’étend au fœtus et que la protection accordée par cet article devait, en l’absence de limitation
expresse, être considérée comme absolue, il faudrait en déduire qu’un avortement est interdit, même
lorsque la poursuite de la grossesse mettrait gravement en danger la vie de la future mère. Cela
signifierait que la vie à naître du fœtus serait considérée comme plus précieuse que celle de la femme
enceinte » (ibidem, pp. 261-262, § 19). Cette solution fut retenue par la Commission alors que, dès
1950, quasiment toutes les Parties contractantes « autorisaient l’avortement lorsqu’il était nécessaire
pour sauver la vie de la mère et que, depuis lors, les législations nationales sur l’interruption de la
grossesse ont eu tendance à se libéraliser » (ibidem, p. 262, § 20).
8. (…).
9. La Cour n’a eu que peu d’occasions de se prononcer sur la question de l’application de l’article 2
au fœtus. Dans l’arrêt Open Door et Dublin Well Woman, déjà cité, le gouvernement irlandais
invoquait la protection de la vie de l’enfant à naître pour justifier sa législation relative à l’interdiction
de diffuser des informations concernant l’interruption volontaire de grossesse pratiquée à l’étranger.
Seule reçut une réponse la question de savoir si les restrictions à la liberté de communiquer ou de
recevoir les informations en cause étaient nécessaires dans une société démocratique, au sens du
paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, au « but légitime de protéger la morale, dont la défense
en Irlande du droit à la vie (...) constitue un aspect » (arrêt précité, pp. 27-28, § 63), car la Cour n’a
pas considéré pertinent de déterminer « si la Convention garantit un droit à l’avortement ou si le droit
à la vie, reconnu par l’article 2, vaut également pour le fœtus » (ibidem, p. 28, § 66). Récemment,
dans des circonstances similaires à celles de l’affaireH. c. Norvège précitée, à propos de la décision
d’une femme d’interrompre sa grossesse et de l’opposition du père à un tel acte, la Cour a fait valoir
qu’elle n’a pas « à décider du point de savoir si le fœtus peut bénéficier d’une protection au regard de
la première phrase de l’article 2 telle qu’interprétée » par la jurisprudence relative aux obligations
positives du devoir de protection de la vie car « à supposer même que, dans certaines circonstances, le
fœtus puisse être considéré comme titulaire de droits garantis par l’article 2 de la Convention, (...)
dans la présente affaire, (...) l’interruption (...) de grossesse a été pratiquée conformément à l’article 5
de la loi no 194 de 1978 », celle-ci ménageant un juste équilibre entre les intérêts de la femme et la
nécessité d’assurer la protection du fœtus (décision Boso précitée).

10. Il ressort de ce rappel jurisprudentiel que dans les circonstances examinées par les organes de la
Convention à ce jour, à savoir les législations régissant l’avortement, l’enfant à naître n’est pas
considéré comme une « personne » directement bénéficiaire de l’article 2 de la Convention et que son

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« droit » à la « vie », s’il existe, se trouve implicitement limité par les droits et les intérêts de sa mère.
(…).

2. Approche en l’espèce
11. La singularité de la présente affaire place le débat sur un autre plan. La Cour est en présence d’une
femme qui entendait mener sa grossesse à terme et dont l’enfant à naître était pronostiqué viable, à
tout le moins en bonne santé. Cette grossesse a dû être interrompue à la suite d’une faute commise par
un médecin et la requérante a donc subi un avortement thérapeutique à cause de la négligence d’un
tiers. La question est dès lors de savoir si, hors de la volonté de la mère agissant dans le cas d’une
interruption volontaire de grossesse, l’atteinte au fœtus doit être pénalement sanctionnée au regard de
l’article 2 de la Convention, en vue de protéger le fœtus au titre de cet article. Elle suppose au
préalable de se pencher sur l’opportunité pour la Cour de s’immiscer dans le débat lié à la
détermination de ce qu’est une personne et quand commence la vie, dans la mesure où cet article
dispose que la loi protège « le droit de toute personne à la vie ».

12. Comme cela découle du rappel jurisprudentiel effectué ci-dessus, l’interprétation de l’article 2 à
cet égard s’est faite dans un souci évident d’équilibre, et la position des organes de la Convention, au
regard des dimensions juridiques, médicales, philosophiques, éthiques ou religieuses de la définition
de la personne humaine, a pris en considération les différentes approches nationales du problème. Ce
choix s’est traduit par la prise en compte de la diversité des conceptions quant au point de départ de la
vie, des cultures juridiques et des standards de protection nationaux, laissant place à un large pouvoir
discrétionnaire de l’Etat en la matière qu’exprime fort bien l’avis du Groupe européen d’éthique des
sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne : « Les instances
communautaires doivent aborder ces questions éthiques en tenant compte des divergences morales et
philosophiques reflétées par l’extrême diversité des règles juridiques applicables à la recherche sur
l’embryon humain (...). Il serait non seulement juridiquement délicat d’imposer en ce domaine une
harmonisation des législations nationales mais, du fait de l’absence de consensus, il serait également
inopportun de vouloir édicter une morale unique, exclusive de toutes les autres ».
Il en résulte que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des Etats dont la
Cour tend à considérer qu’elle doit leur être reconnue dans ce domaine, même dans le cadre d’une
interprétation évolutive de la Convention, qui est « un instrument vivant, à interpréter à la lumière des
conditions de vie actuelles » (voir l’arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978). Les raisons qui la
poussent à ce constat sont, d’une part, que la solution à donner à ladite protection n’est pas arrêtée au
sein de la majorité des Etats contractants, et en France en particulier, où la question donne lieu à débat
(paragraphe 83 ci-dessous), et, d’autre part, qu’aucun consensus européen n’existe sur la définition
scientifique et juridique des débuts de la vie (paragraphe 84 ci-dessous).

13. La Cour observe que la Cour de cassation française, par trois arrêts consécutifs rendus en 1999,
2001 et 2002, a considéré que le principe de la légalité des peines et des délits – qui impose une
interprétation stricte de la loi pénale – empêche que les faits reprochés en cas d’atteinte mortelle au
fœtus puissent entrer dans les prévisions de l’article 221-6 du code pénal réprimant l’homicide
involontaire « d’autrui ». En revanche, si à la suite d’une faute involontaire la mère accouche d’un
enfant vivant qui décède peu de temps après sa naissance, l’auteur pourra être condamné pour
homicide involontaire sur la personne du nouveau-né. (…). Par ailleurs, la Cour note que,
simultanément au constat répété de la haute juridiction selon lequel l’article 221-6 du code pénal n’est
pas applicable au fœtus, le législateur français est en passe de réviser les lois de bioéthique de 1994,
qui avaient inséré dans le code pénal des dispositions relatives à la protection de l’embryon humain, et
qui nécessitaient un nouvel examen face aux progrès de la science et des techniques. De cet aperçu, il
ressort qu’en France la nature et le statut juridique de l’embryon et/ou du fœtus ne sont pas définis
actuellement et que la façon d’assurer leur protection dépend de positions fort variées au sein de la
société française.

14. Au plan européen, la Cour observe que la question de la nature et du statut de l’embryon et/ou du
fœtus ne fait pas l’objet d’un consensus, même si on voit apparaître des éléments de protection de

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ce/ces dernier(s), au regard des progrès scientifiques et des conséquences futures de la recherche sur
les manipulations génétiques, les procréations médicalement assistées ou les expérimentations sur
l’embryon. Tout au plus peut-on trouver comme dénominateur commun aux Etats l’appartenance à
l’espèce humaine ; c’est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne, laquelle est
d’ailleurs protégée par le droit civil dans bon nombre d’Etats comme en France, en matière de
succession ou de libéralités, mais aussi au Royaume-Uni, qui doivent être protégées au nom de la
dignité humaine sans pour autant en faire une « personne » qui aurait un « droit à la vie » au sens de
l’article 2. La Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine se garde d’ailleurs de
définir le terme de personne et le rapport explicatif indique que, faute d’unanimité sur la définition, les
Etats membres ont choisi de laisser au droit interne le soin d’apporter les précisions pertinentes aux
effets de l’application de cette convention. Il en est de même du Protocole additionnel prohibant le
clonage humain et du Protocole relatif à la recherche biomédicale qui ne définissent pas le concept
d’être humain. (…)

15. Quant à ce qui précède, la Cour est convaincue qu’il n’est ni souhaitable ni même possible
actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne »
au sens de l’article 2 de la Convention. (…) Quant au cas d’espèce, elle considère qu’il n’est pas
nécessaire d’examiner le point de savoir si la fin brutale de la grossesse de M me Vo entre ou non dans
le champ d’application de l’article 2, dans la mesure où, à supposer même que celui-ci s’appliquerait,
les exigences liées à la préservation de la vie dans le domaine de la santé publique n’ont pas été
méconnues par l’Etat défendeur. La Cour s’est en effet demandé si la protection juridique offerte par la
France à la requérante, par rapport à la perte de l’enfant à naître qu’elle portait, satisfaisait aux
exigences procédurales inhérentes à l’article 2 de la Convention.

16. A cet égard, elle observe qu’en l’absence de statut juridique clair de l’enfant à naître, celui-ci n’est
pas pour autant privé de toute protection en droit français. (…)

87. (…) La requérante allègue que seul un recours de nature pénale eût été à même de satisfaire aux
exigences de l’article 2 de la Convention. La Cour ne partage pas ce point de vue pour les raisons
suivantes.

17. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2, qui se place parmi les articles primordiaux
de la Convention en ce qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui
forment le Conseil de l’Europe (McCann et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 27 septembre 1995, série
A no 324, pp. 45-46, § 147), impose à l’Etat non seulement de s’abstenir de donner la mort
« intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des
personnes relevant de sa juridiction (voir par exemple L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998,
Recueil des arrêts et décisions 1998-III, p. 1403, § 36).

18. Ces principes s’appliquent aussi dans le domaine de la santé publique. Les obligations positives
impliquent la mise en place par l’Etat d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient
privés ou publics, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie des malades. Il s’agit
également d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du
décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant
dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant
d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-
V ; Calvelli et Ciglio, arrêt précité, § 49).

19. (…) si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation
positive découlant de l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas
nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des
négligences médicales, « pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système
juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement
avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en
cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de

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dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être
envisagées » (Calvelli et Ciglio précité, § 51 ; Lazzarini et Ghiacci c. Italie (déc.), no 53749/00, 7
novembre 2002).

20. En l’espèce, en plus de la poursuite du médecin pour blessures involontaires sur la personne de la
requérante qui se solda certes par l’amnistie de la contravention, dont la requérante ne se plaint pas,
celle-ci disposait de la possibilité d’engager une action en responsabilité contre l’administration à
raison de la faute alléguée du médecin hospitalier (…)
(…)
21. En conclusion, la Cour dit que, dans les circonstances de l’espèce, l’action en responsabilité
pouvait passer pour un recours efficace à la disposition de la requérante. Ce recours, qu’elle n’a pas en
l’occurrence engagé auprès des juridictions administratives, aurait permis d’établir la faute médicale
dont elle se plaignait et de garantir dans l’ensemble la réparation du dommage causé par la faute du
médecin, et les poursuites pénales ne s’imposaient donc pas en l’espèce.

22. Partant, à supposer même que l’article 2 de la Convention trouve application en l’espèce
(paragraphe 85 ci-dessus), la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention

PAR CES MOTIFS, LA COUR


Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.

Document n°2: Cour européenne des droits de l’homme, 29 avril 2002, Communiqué du
Greffier, arrêt de Chambre dans l’affaire Pretty c/ Royaume-Uni

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de
chambre1 dans l’affaire Pretty c. Royaume-Uni (requête n° 2346/02). La Cour, unanime, a déclaré
l’affaire recevable et a conclu :
• à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de
l’Homme,
• à la non-violation de l’article 3 (interdiction des traitements et peines inhumains ou dégradants),
• à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée),
• à la non-violation de l’article 9 (liberté de conscience),
• à la non-violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination)

Principaux faits
Diane Pretty est une ressortissante britannique née en 1958 et résidant à Luton. Elle est entrain de
mourir d’une sclérose latérale amyotrophique, maladie neurodégénérative incurable entraînant une
paralysie des muscles.
La maladie est à un stade avancé. La requérante est paralysée du cou aux pieds et il ne lui reste que
très peu de temps à vivre. Toutefois, ses facultés intellectuelles et de décision ne sont en rien atteintes.
Etant donné que la phase terminale de la maladie entraîne souffrances et perte de dignité, l’intéressée
souhaite pouvoir choisir le moment et les modalités de sa mort afin de ne pas avoir à endurer ces
épreuves.
Le droit anglais ne considère pas le suicide comme une infraction, mais la maladie de la requérante
l’empêche de commettre cet acte sans aide. Or l’article 2 § 1 de la loi de 1961 sur le suicide érige en
infraction le fait d’aider autrui à se suicider. Mme Pretty souhaite pouvoir obtenir l’assistance de son
mari pour mettre fin à ses jours mais, invité par elle à prendre l’engagement que ce dernier ne sera pas
alors poursuivi, le Director of Public Prosecutions (DPP) refusa d’accueillir la demande. Les recours
formés par la requérante contre cette décision n’ont pas abouti.

Résumé de l’arrêt
Griefs

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Invoquant l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la
requérante plaidait qu’il appartient à chaque individu de décider s’il veut vivre et que, corollaire du
droit à la vie, le droit de mourir est également garanti. En conséquence, l’Etat aurait été dans
l’obligation positive d’aménager le droit interne afin de lui permettre d’exercer cette faculté.
S’appuyant par ailleurs sur l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants),
l’intéressée affirmait que l’Etat britannique doit non seulement s’abstenir d’infliger par lui-même des
traitements inhumains et dégradants, mais aussi prendre des mesures positives pour prémunir les
personnes relevant de sa juridiction contre pareils traitements. A cet égard, la seule mesure apte à
protéger la requérante aurait été un engagement du DPP de ne pas poursuivre M. Pretty s’il aidait son
épouse à se suicider.
La requérante alléguait en outre que l’article 8 (droit au respect de la vie privée) reconnaît
explicitement le droit à l’autodétermination, et elle voyait dans le refus du DPP de prendre
l’engagement sollicité et dans l’absence d’une disposition légale autorisant le suicide assisté une
atteinte à son droit d’exprimer ses convictions, au sens de l’article 9 (liberté de pensée). Se prévalant
enfin de l’article 14 (interdiction de la discrimination), elle soutenait que l’interdiction générale
frappant le suicide assisté entraîne une discrimination à l’égard des personnes qui ne peuvent se
suicider sans aide, puisque les individus valides peuvent légalement exercer le droit de mourir.

Décision de la Cour
Article 2
La Cour rappelle que l’article 2 protège le droit à la vie, sans lequel la jouissance de l’un quelconque
des autres droits et libertés garantis par la Convention serait illusoire. Il ne couvre pas seulement
l’homicide volontaire, mais également les situations où il est permis d’avoir « recours à la force »,
pareil emploi de la force pouvant conduire à donner la mort de façon involontaire. La Cour a par
ailleurs jugé que la première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de
donner la mort de manière intentionnelle et illégale, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la
protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Cette obligation peut également
impliquer, dans certaines circonstances bien définies, une obligation positive pour les autorités de
prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée
par les agissements criminels d’autrui.
Dans sa jurisprudence en la matière, la Cour a constamment mis l’accent sur l’obligation pour l’Etat
de protéger la vie. Dans ces conditions, elle n’est pas persuadée que le « droit à la vie » garanti par
l’article 2 puisse s’interpréter comme comportant un aspect négatif. L’article 2 ne saurait, sans
distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un
droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l’autodétermination en ce sens qu’il donnerait à
tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie.
En conséquence, la Cour estime qu’il n’est pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention un
droit à mourir, que ce soit de la main d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité publique. Partant, il
n’y a pas eu violation de cette disposition.
Article 3
La Cour relève qu’en l’espèce chacun reconnaît que le gouvernement défendeur n’a pas, lui-même,
infligé le moindre mauvais traitement à la requérante. Celle-ci ne se plaint pas non plus de ne pas avoir
reçu des soins adéquats de la part des autorités médicales de l’Etat. Elle soutient plutôt que le refus par
le DPP de prendre l’engagement de ne pas poursuivre son mari si ce dernier l’aide à se suicider et la
prohibition du suicide assisté édictée par le droit pénal s’analysent en un traitement inhumain et
dégradant dont l’Etat est responsable. Ce grief recèle toutefois une interprétation nouvelle et élargie de
la notion de traitement. Si la Cour doit adopter une démarche souple et dynamique pour interpréter la
Convention, il lui faut aussi veiller à ce que toute interprétation qu’elle en donne cadre avec les
objectifs fondamentaux poursuivis par le traité et préserve la cohérence que celui-ci doit avoir en tant
que système de protection des droits de l’homme. L’article 3 doit être interprété en harmonie avec
l’article 2. Ce dernier consacre d’abord et avant tout une prohibition du recours à la force comme de
tout autre comportement susceptible de provoquer le décès d’un être humain, et il ne confère
nullement à l’individu un droit à exiger de l’Etat qu’il permette ou facilite son décès.
La Cour ne peut qu’éprouver de la sympathie pour la crainte de la requérante de devoir affronter une
mort pénible si on ne lui donne pas la possibilité de mettre fin à ses jours. Toutefois, admettre

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l’obligation positive qui d’après la requérante pèse sur l’Etat reviendrait à obliger l’Etat à cautionner
des actes visant à interrompre la vie, obligation qui ne peut être déduite de l’article 3 de la Convention.
La Cour conclut dès lors que cette clause ne fait peser sur l’Etat défendeur aucune obligation positive à
cet égard et qu’elle n’a donc pas été violée.

Document n°3 : Extrait de la fiche thématique « Fin de vie et CEDH » (site de la Cour EDH)
Affaire Lambert et autres c/ France, 5 juin 2015 (Grande chambre).

Les requérants sont les parents, le demi-frère et la sœur de Vincent Lambert qui, victime d’un
accident de la circulation en 2008, subit un traumatisme crânien qui le rendit tétraplégique. Ils
dénonçaient en particulier l’arrêt rendu le 24 juin 2014 par le Conseil d’État français qui,
statuant notamment au vu des résultats d’une expertise médicale qui avait été confiée à un collège
de trois médecins, jugea légale la décision prise le 11 janvier 2014 par le médecin en charge
de Vincent Lambert, de mettre fin à son alimentation et hydratation artificielles.
Les requérants considéraient en particulier que l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation
artificielles de l’intéressé serait contraire aux obligations découlant pour l’État de l’article 2 (droit
à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme. (…)

Document n°4 : CEDH, Grande chambre, Lambert et autres c/ France, 5 juin 2015. Extraits

(…)
i) Considérations générales
α) Sur l’état de la jurisprudence
136. La Cour n’a jamais statué sur la question qui fait l’objet de la présente requête, mais elle a eu à
connaître d’un certain nombre d’affaires qui portaient sur des problèmes voisins.
137. Dans un premier groupe d’affaires, les requérants ou leurs proches invoquaient le droit de mourir
en se fondant sur différents articles de la Convention.
Dans l’affaire Sanles Sanles précitée, la requérante faisait valoir au nom de son beau-frère,
tétraplégique souhaitant mettre fin à ses jours avec l’assistance de tiers et décédé avant l’introduction
de la requête, le droit à une mort digne, en invoquant les articles 2, 3, 5, 6, 8, 9 et 14 de la Convention.
La Cour a rejeté la requête comme incompatible ratione personae avec les dispositions de la
Convention.
Dans l’affaire Pretty précitée, la requérante souffrait d’une maladie neurodégénérative incurable au
stade terminal et se plaignait, en invoquant les articles 2, 3, 8, 9 et 14 de la Convention, que son mari
ne puisse l’aider à se suicider sans faire l’objet de poursuites de la part des autorités britanniques. La
Cour a conclu qu’il n’y avait pas violation de ces articles.
Les affaires Haas et Koch précitées portaient sur le suicide assisté et les requérants invoquaient
l’article 8 de la Convention. Dans l’affaire Haas, où le requérant, souffrant de longue date d’un grave
trouble affectif bipolaire, souhaitait mettre fin à ses jours et se plaignait de ne pouvoir se procurer sans
ordonnance médicale la substance létale nécessaire à cette fin, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas
violation de l’article 8 précité. Dans l’affaire Koch, le requérant alléguait que le refus d’autoriser son
épouse (paralysée et sous ventilation artificielle) à se procurer une dose mortelle de médicaments pour
lui permettre de mettre fin à ses jours avait porté atteinte au droit de celle-ci, ainsi qu’à son propre
droit, au respect de leur vie privée et familiale. Il se plaignait également du refus des juridictions
nationales d’examiner ses griefs au fond et la Cour n’a conclu à la violation de l’article 8 que sur ce
point.

138. Dans un second groupe d’affaires, les requérants contestaient l’administration ou l’arrêt d’un
traitement.
Dans l’affaire Glass précitée, les requérants se plaignaient de l’administration sans leur consentement
de diamorphine à leur enfant malade par les médecins de l’hôpital, ainsi que de la mention « ne pas
réanimer » figurant dans son dossier. Dans sa décision précitée du 18 mars 2003, la Cour a déclaré
manifestement mal fondé leur grief tiré de l’article 2 de la Convention et, dans son arrêt du 9 mars
2004, elle a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention.

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Dans l’affaire Burke c. Royaume-Uni ((déc.), no 19807/06, 11 juillet 2006), le requérant souffrait
d’une maladie neurodégénérative incurable et craignait que les directives applicables au Royaume-Uni
ne puissent conduire le moment venu à l’arrêt de son hydratation et de sa nutrition artificielles. La
Cour a déclaré irrecevable pour défaut manifeste de fondement sa requête, fondée sur les articles 2, 3
et 8 de la Convention.
Enfin, dans la décision Ada Rossi et autres précitée, la Cour a déclaré incompatible ratione personae la
requête présentée par des personnes physiques et associations qui se plaignaient, sous l’angle des
articles 2 et 3 de la Convention, des effets négatifs que pourrait avoir à leur égard l’exécution d’un
arrêt de la Cour de cassation italienne autorisant l’arrêt de l’hydratation et de la nutrition artificielles
d’une jeune fille en état végétatif.

139. La Cour rappelle qu’à l’exception des violations de l’article 8 dans les arrêts Glass et Koch
précités, elle n’a conclu à la violation de la Convention dans aucune de ces affaires.

β) Sur le contexte
140. L’article 2 impose à l’État l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie
des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B., précité, § 36, et décision Powell précitée) ; dans le
domaine de la santé publique, ces obligations positives impliquent la mise en place par l’État d’un
cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient privés ou publics, l’adoption de mesures
propres à assurer la protection de la vie des malades (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, §
49, CEDH 2002-I, décision Glass précitée, Vo c. France [GC], no 53924/00, § 89, CEDH 2004-VIII et
Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 130).

141. La Cour souligne qu’elle n’est pas saisie dans la présente affaire de la question de l’euthanasie,
mais de celle de l’arrêt de traitements qui maintiennent artificiellement la vie (voir paragraphe 124 ci-
dessus).

142. La Cour a rappelé dans l’arrêt Haas précité (§ 54) que la Convention doit être lue comme un tout
(…). Dans cette affaire, la Cour a estimé que, dans le cadre de l’examen d’une éventuelle violation de
l’article 8, il convenait de se référer à l’article 2 de la Convention (ibidem). La Cour considère que
l’inverse est également vrai : dans une affaire telle que celle de l’espèce il faut se référer, dans le cadre
de l’examen d’une éventuelle violation de l’article 2, à l’article 8 de la Convention, et au droit au
respect de la vie privée ainsi qu’à la notion d’autonomie personnelle qu’il inclut. La Cour a déclaré
dans l’arrêt Pretty (§ 67) ne pouvoir « exclure que le fait d’empêcher par la loi la requérante
d’exercer son choix d’éviter ce qui, à ses yeux, constituera une fin de vie indigne et pénible représente
une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 § 1 de la
Convention ». Dans l’arrêt Haas précité (§ 51), elle a affirmé que le droit d’un individu de décider de
quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin était l’un des aspects du droit au respect de sa
vie privée.
La Cour renvoie particulièrement aux paragraphes 63 et 65 de l’arrêt Pretty, où elle s’est ainsi
exprimée :
« En matière médicale, le refus d’accepter un traitement particulier pourrait, de façon inéluctable, conduire à
une issue fatale, mais l’imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient s’il est adulte et sain
d’esprit s’analyserait en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé pouvant mettre en cause les droits
protégés par l’article 8 § 1 de la Convention. Comme l’a admis la jurisprudence interne, une personne peut
revendiquer le droit d’exercer son choix de mourir en refusant de consentir à un traitement qui pourrait avoir
pour effet de prolonger sa vie. »
« La dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention. Sans nier en aucune manière le
principe du caractère sacré de la vie protégé par la Convention, la Cour considère que c’est sous l’angle de
l’article 8 que la notion de qualité de la vie prend toute sa signification. À une époque où l’on assiste à une
sophistication médicale croissante et à une augmentation de l’espérance de vie, de nombreuses personnes
redoutent qu’on ne les force à se maintenir en vie jusqu’à un âge très avancé ou dans un état de grave
délabrement physique ou mental aux antipodes de la perception aiguë qu’elles ont d’elles-mêmes et de leur
identité personnelle. »

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143. La Cour tiendra compte de ces considérations dans l’examen du respect par l’État de ses
obligations positives découlant de l’article 2. Elle rappelle aussi que, lorsqu’elle a été saisie de la
question de l’administration ou du retrait de traitements médicaux dans les affaires Glass et Burke
précitées, elle a pris en compte les éléments suivants :
- l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre législatif conforme aux exigences de
l’article 2 (décision Glass précitée) ;
- la prise en compte des souhaits précédemment exprimés par le requérant et par ses proches, ainsi que
l’avis d’autres membres du personnel médical (décision Burke précitée) ;
- la possibilité d’un recours juridictionnel en cas de doute sur la meilleure décision à prendre dans
l’intérêt du patient (ibidem).
La Cour prendra ces éléments en considération pour l’examen de la présente affaire. Elle tiendra
également compte des critères posés par le « Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements
médicaux en fin de vie » du Conseil de l’Europe (paragraphes 60-68 ci-dessus).

γ) Sur la marge d’appréciation


144. La Cour rappelle que l’article 2 figure parmi les articles primordiaux de la Convention, qu’aucune
dérogation au titre de l’article 15 n’y est autorisée en temps de paix et qu’elle interprète strictement les
exceptions qu’il définit (…). Toutefois, dans le contexte des obligations positives de l’État, lorsqu’elle
a été saisie de questions scientifiques, juridiques et éthiques complexes portant en particulier sur le
début ou la fin de la vie et en l’absence de consensus entre les États membres, la Cour a reconnu à ces
derniers une certaine marge d’appréciation.
Tout d’abord, la Cour rappelle que, lorsqu’elle a examiné sous l’angle de l’article 2 de la Convention
le point de départ du droit à la vie dans l’affaire Vo précitée (qui concernait la relaxe du chef
d’homicide involontaire du médecin responsable de la mort in utero de l’enfant de la requérante), elle
a conclu que cette question relevait de la marge d’appréciation qui doit être reconnue aux États dans ce
domaine. Elle a tenu compte de l’absence tant d’une solution commune entre les États contractants que
d’un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie (§ 82).
Elle a réitéré cette approche, notamment dans l’affaire Evans c. Royaume-Uni ([GC], no 6339/05, §§
54-56, CEDH 2007-I, concernant le fait que le droit interne autorise le retrait par l’ex-compagnon de
la requérante de son consentement à la conservation et à l’utilisation des embryons qu’ils avaient créés
conjointement) et dans l’affaire A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, § 237, CEDH 2010, dans
laquelle les requérantes contestaient pour l’essentiel, sous l’angle de l’article 8 de la Convention,
l’interdiction en Irlande de l’avortement pour motifs de santé ou de bien-être).

145. S’agissant de la question du suicide assisté, la Cour a relevé, dans le contexte de l’article 8 de la
Convention, qu’il n’y avait pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe quant
au droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin et en a
conclu que la marge d’appréciation des États dans ce domaine était « considérable » (Haas, précité, §
55 et Koch, précité, § 70).

146. Par ailleurs, la Cour a énoncé de façon générale, dans l’affaire Ciechońska c. Pologne (no
19776/04, § 65, 14 juin 2011), qui concernait la responsabilité des autorités dans le décès accidentel
du mari de la requérante, que le choix par l’État des moyens pour assumer ses obligations positives
découlant de l’article 2 précité relève en principe de sa marge d’appréciation.

147. La Cour constate qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe
pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie, même si une majorité d’États
semblent l’autoriser. Bien que les modalités qui encadrent l’arrêt du traitement soient variables d’un
État à l’autre, il existe toutefois un consensus sur le rôle primordial de la volonté du patient dans la
prise de décision, quel qu’en soit le mode d’expression (paragraphes 74-75 ci-dessus).

148. En conséquence, la Cour considère que, dans ce domaine qui touche à la fin de la vie, comme
dans celui qui touche au début de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États, non
seulement quant à la possibilité de permettre ou pas l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement

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la vie et à ses modalités de mise en œuvre, mais aussi quant à la façon de ménager un équilibre entre la
protection du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son autonomie
personnelle (voir mutatis mutandis A, B et C, précité, § 237). Cette marge d’appréciation n’est
toutefois pas illimitée (ibidem, § 238), la Cour se réservant de contrôler le respect par l’État de ses
obligations découlant de l’article 2.
(…)
δ ) Considérations finales
181. La Cour est pleinement consciente de l’importance des problèmes soulevés par la présente
affaire, qui touche à des questions médicales juridiques et éthiques de la plus grande complexité.
Dans les circonstances de l’espèce, la Cour rappelle que c’est en premier lieu aux autorités internes
qu’il appartenait de vérifier la conformité de la décision d’arrêt des traitements au droit interne et à la
Convention, ainsi que d’établir les souhaits du patient conformément à la loi nationale. Le rôle de la
Cour a consisté à examiner le respect par l’État de ses obligations positives découlant de l’article 2 de
la Convention.
Selon cette approche, la Cour a considéré conformes aux exigences de cet article le cadre législatif
prévu par le droit interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, ainsi que le processus décisionnel,
mené en l’espèce d’une façon méticuleuse. Par ailleurs, quant aux recours juridictionnels dont ont
bénéficié les requérants, la Cour est arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l’objet
d’un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s’exprimer et tous les aspects avaient été
mûrement pesés, au vu tant d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus
hautes instances médicales et éthiques.
En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que les autorités internes se sont conformées à leurs
obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, compte tenu de la marge d’appréciation
dont elles disposaient en l’espèce.

ε) Conclusion
182. Il s’ensuit qu’il n’y aurait pas violation de l’article 2 de la Convention en cas de mise en œuvre de
la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014.

Document n°5 : CEDH, Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998. Extraits

115. La Cour note que la première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir
de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière mais aussi à prendre les mesures nécessaires
à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (arrêt L.C.B. c. Royaume-Uni du 9 juin
1998, Recueil des arrêts et décisions1998-III, p. 1403, § 36). Nul ne conteste que l’obligation de l’Etat
à cet égard va au-delà du devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une
législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur
un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations. Aussi les
comparants acceptent-ils que l’article 2 de la Convention puisse, dans certaines circonstances bien
définies, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures
d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels
d’autrui. Les parties ne sont pas d’accord sur l’étendue de cette obligation.

116. Pour la Cour, et sans perdre de vue les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les
sociétés contemporaines, ni l’imprévisibilité du comportement humain ni les choix opérationnels à
faire en termes de priorités et de ressources, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas
imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. Dès lors, toute menace présumée contre la
vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en
prévenir la réalisation. Une autre considération pertinente est la nécessité de s’assurer que la police
exerce son pouvoir de juguler et de prévenir la criminalité en respectant pleinement les voies légales et
autres garanties qui limitent légitimement l’étendue de ses actes d’investigations criminelles et de
traduction des délinquants en justice, y compris les garanties figurant aux articles 5 et 8 de la
Convention.

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La Cour estime que, face à l’allégation que les autorités ont failli à leur obligation positive de protéger
le droit à la vie dans le cadre de leur devoir de prévenir et réprimer les atteintes contre la personne
(paragraphe 115 ci-dessus), il lui faut se convaincre que lesdites autorités savaient ou auraient dû
savoir sur le moment qu’un ou plusieurs individus étaient menacés de manière réelle et immédiate
dans leur vie du fait des actes criminels d’un tiers, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs
pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque. La Cour
n’accepte pas la thèse du Gouvernement selon laquelle le fait de ne pas percevoir ce risque de mort
dans des circonstances connues à l’époque et de ne pas prendre des mesures préventives pour
empêcher la concrétisation du risque, équivaudrait à une faute lourde ou à un manquement délibéré à
l’obligation de protéger la vie (paragraphe 107 ci-dessus). En effet, un critère aussi rigoureux serait
incompatible avec les exigences de l’article 1 de la Convention et avec l’obligation pour les Etats
contractants au regard de cet article d’assurer une protection concrète et effective des droits et libertés
consacrés par cet instrument, y compris par l’article 2 (voir, mutatis mutandis, l’arrêt McCann et
autres précité, p. 45, § 146). Pour la Cour, et vu la nature du droit protégé par cet article, essentiel pour
l’économie de la Convention, il suffit au requérant de montrer que les autorités n’ont pas fait tout ce
que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour empêcher la matérialisation d’un risque certain
et immédiat pour la vie, dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance. Il s’agit là d’une
question dont la réponse dépend de l’ensemble des circonstances de l’affaire en question.
Cela étant, la Cour examinera les circonstances particulières de la cause. (…)

Document n°6 : CEDH, Renolde c/ France, 16/10/2008. Extraits

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION


Appréciation de la Cour
a) Rappel des principes
80. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de
provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à
la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. La Cour a donc pour tâche de
déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, l’Etat a pris toutes les mesures requises pour
empêcher que la vie du frère de la requérante ne soit inutilement mise en danger (voir, par exemple,
L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III, p. 1403, § 36).

81. La Cour rappelle également que l’article 2 peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre
à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique
pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même
(…).

82. Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau
insupportable ou excessif, sans perdre de vue les difficultés qu’ont les forces de l’ordre à exercer leurs
fonctions dans les sociétés contemporaines, l’imprévisibilité du comportement humain et les choix
opérationnels à faire en matière de priorités et de ressources. Dès lors, toute menace présumée contre
la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en
prévenir la réalisation (Tanrıbilir précité, §§ 70-71, Keenan précité, § 90, Taïs c. France, no 39922/03,
§ 97, 1er juin 2006).

83. La Cour a déjà eu l’occasion de souligner que les détenus sont en situation de vulnérabilité et que
les autorités ont le devoir de les protéger (Keenan précité, § 91, Younger c. Royaume-Uni (déc.), no
57420/00, CEDH 2003 et Troubnikov c. Russie, no 49790/99, § 68, 5 juillet 2005). De même, les
autorités pénitentiaires doivent s’acquitter de leurs tâches de manière compatible avec les droits et
libertés de l’individu concerné. Des mesures et précautions générales peuvent être prises afin de
diminuer les risques d’automutilation sans empiéter sur l’autonomie individuelle. Quant à savoir s’il
faut prendre des mesures plus strictes à l’égard d’un détenu et s’il est raisonnable de les appliquer, cela
dépend des circonstances de l’affaire (Keenan précité, § 92, décision Younger précitée et Troubnikov
précité, § 70).

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84. Enfin, la Cour réitère qu’il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur particulière
vulnérabilité (cf. Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, p. 1966, § 66, Keenan précité,
§ 111 et Rivière c. France, no 33834/03, § 63, 11 juillet 2006).
(…)
b) Application au cas d’espèce
85. A la lumière de ce qui précède, la Cour a recherché si les autorités savaient ou auraient dû
savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat que Joselito Renolde se suicide et, dans
l’affirmative, si elles ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour
prévenir ce risque.

86. La Cour observe que, le 2 juillet 2000, soit dix-huit jours avant son décès, Joselito
Renolde a fait une tentative de suicide en s’entaillant le bras. (…) La Cour relève que le
rapport d’expertise des docteurs G. et P. a conclu que Joselito Renolde souffrait de troubles
psychotiques à son arrivée à la maison d’arrêt et que sa tentative de suicide n’était pas à
rattacher à un syndrome dépressif, mais à un passage à l’acte délirant imputable à ces
troubles.
(…)
88. La Cour observe également que, dans les jours qui ont suivi sa tentative de suicide,
Joselito Renolde a continué à manifester des comportements préoccupants malgré la prise en
charge du SMPR et le traitement neuroleptique. (…).

89. Au vu de ces éléments, la Cour en conclut que, dès le 2 juillet 2000, les autorités savaient
que Joselito Renolde souffrait de troubles psychotiques susceptibles de le conduire à des actes
d’auto-agression. Même si son état était variable et le risque d’une nouvelle tentative de
suicide plus ou moins immédiat, la Cour estime que ce risque était réel et que Joselito
Renolde avait besoin d’une surveillance étroite pour parer à une aggravation subite (…).

90. Reste à savoir si les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre
d’elles pour prévenir ce risque.

91. La Cour observe que les autorités ont fait des efforts indéniables en ce sens (…).
(…)
93. Sur le plan médical, la Cour relève que, dès le 3 juillet 2000, le SMPR a pris en charge
Joselito Renolde, l’a vu à dix reprises entre le 3 et le 20 juillet 2000 et que, le matin même de
son décès, une infirmière du service psychiatrique lui a rendu visite.

94. La Cour a toutefois relevé un certain nombre d’éléments en sens contraire.

96. Dans l’affaire Keenan précitée, pour conclure qu’il n’y avait pas eu violation de l’article
2 de la Convention, la Cour avait notamment tenu compte de ce que les autorités avaient «
réagi de façon raisonnable face au comportement de Mark Keenan en le plaçant à l’hôpital et
sous surveillance lorsqu’il faisait preuve de tendances suicidaires » (§ 96 ; cf. également
mutatis mutandis Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 96, CEDH 2000-XI).

97. Or, dans le cas d’espèce, la Cour est frappée par le fait que, malgré la tentative de suicide
de Joselito Renolde et le diagnostic porté sur son état mental, l’opportunité de son
hospitalisation dans un établissement psychiatrique ne semble jamais avoir été discutée. Les
experts ont relevé, dans leur rapport, que « [ses] troubles auraient peut-être nécessité de
discuter l’intérêt d’une hospitalisation en service de psychiatrie ». (…).

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98. A la lumière de l’obligation positive de l’Etat de prendre préventivement des mesures
d’ordre pratique pour protéger tout individu dont la vie est menacée, on peut s’attendre à ce
que les autorités, qui sont en présence d’un détenu dont il est avéré qu’il souffre de graves
problèmes mentaux et présente des risques suicidaires, prennent les mesures particulièrement
adaptées en vue de s’assurer de la compatibilité de cet état avec son maintien en détention

99. La Cour estime que, faute pour les autorités d’ordonner le placement de Joselito Renolde
dans un établissement psychiatrique, elles devaient à tout le moins lui assurer des soins
médicaux correspondant à la gravité de son état.

100. A cet égard, elle a accordé une particulière attention aux modalités d’administration du
traitement à Joselito Renolde. Il ressort du dossier, en effet, que les médicaments lui étaient
remis deux fois par semaine pour plusieurs jours, sans contrôle de la prise effective.
L’instruction a révélé à cet égard que la dernière délivrance du traitement à Joselito Renolde
remontait au lundi 17 juillet 2000, soit trois jours avant son décès. Or, les expertises
toxicologiques pratiquées ont révélé que, le jour de son décès, il n’avait pas pris son
traitement neuroleptique depuis au moins deux à trois jours, et son traitement anxiolytique
depuis au moins un à deux jours.

101. La Cour observe que, d’après les conclusions du rapport d’expertise, le suicide de
Joselito Renolde est plus le résultat d’un trouble psychotique que d’un syndrome dépressif et
qu’il a pu se produire dans un contexte hallucinatoire, surtout si le traitement n’était pas
correctement pris. Les experts se sont interrogés sur le point de savoir si de tels troubles
pouvaient être soignés de façon satisfaisante dès lors que le traitement n’était remis au détenu
que deux fois par semaine, et donc laissé à sa disposition. Ils ont précisé qu’une surveillance
de la prise quotidienne du traitement par Joselito Renolde aurait été utile et que, compte tenu
de sa non conscience des troubles, il aurait « peut-être » été préférable de lui délivrer le
traitement chaque jour et d’en surveiller la prise.

102. Malgré la prudence de cette formulation, la Cour relève que, pour les experts, cette
mauvaise observance du traitement a pu favoriser le passage à l’acte suicidaire de Joselito
Renolde dans un contexte délirant.
(…)
105. (…) Même si l’on ne sait pas ce qui a poussé Joselito Renolde à se suicider (Keenan
précité, § 101), la Cour arrive à la conclusion que l’absence de surveillance de la prise
quotidienne de son traitement a, en l’espèce, joué un rôle dans son décès.

106. En dernier lieu, la Cour a eu égard au fait que trois jours après sa tentative de suicide,
Joselito Renolde s’est vu infliger par la commission de discipline la sanction la plus lourde, à
savoir quarante-cinq jours de cellule disciplinaire. Aucun compte ne semble avoir été tenu de
son état psychique, bien qu’il ait eu, lors de l’enquête sur l’incident, des propos incohérents et
qu’il ait été qualifié de « très perturbé ».

107. La Cour observe que le placement en cellule disciplinaire isole le détenu, en le privant
de visites et de toute activité, ce qui est de nature à aggraver le risque de suicide lorsqu’il
existe.
(…)
109. La Cour réitère que la vulnérabilité des malades mentaux appelle une protection
particulière. Il en va d’autant plus ainsi lorsqu’un détenu souffrant de troubles graves est
placé, comme en l’espèce, en isolement ou cellule disciplinaire pour une longue durée, ce qui

14/ 35
ne peut manquer d’avoir des répercussions sur son état psychique, et qu’il a déjà
effectivement tenté de mettre fin à ses jours peu de temps auparavant.

110. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour arrive à la conclusion que les autorités ont
manqué, en l’espèce, à leur obligation positive de protéger le droit à la vie de Joselito
Renolde, et qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention
.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
(…)
119. La Cour réaffirme que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un
mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative
par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement
et de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la
victime (arrêts Kudła précité, § 91, Gelfmann c. France, no 25875/03, § 48, 14 décembre 2004 et
Rivière précité, § 9).

120. La Cour a également affirmé le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes
à la dignité humaine, de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne
soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau
inévitable de souffrance inhérent à la détention ; elle a ajouté que, outre la santé du prisonnier, c’est
son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de
l’emprisonnement (arrêt Kudła précité, § 94). En particulier, pour apprécier si le traitement ou la
sanction concernés étaient incompatibles avec les exigences de l’article 3, il faut, dans le cas des
malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se
plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur
personne (cf. notamment Aerts précité, p. 1966, § 66, Keenan précité § 111 et Rivière précité, § 63).

121. En effet, le traitement infligé à un malade mental peut se trouver incompatible avec les normes
imposées par l’article 3 s’agissant de la protection de la dignité humaine, même si cette personne n’est
pas en mesure, ou pas capable, d’indiquer des effets néfastes précis (Keenan précité, § 113).

122. Dans le cas d’espèce, la Cour rappelle que Joselito Renolde souffrait de troubles psychotiques
aigus qui se sont manifestés par une tentative de suicide le 2 juillet 2000. Dans les jours suivants, bien
que son état se soit amélioré en raison du traitement neuroleptique, il a continué à manifester un
comportement préoccupant, notamment en agressant une surveillante. Le surveillant qui a mené
l’enquête sur cet incident a indiqué qu’il tenait des propos incohérents et a noté dans son rapport qu’il
s’agissait d’un détenu « très perturbé ».

123. La Cour a également relevé le témoignage du surveillant R, selon lequel Joselito Renolde
entendait son fils lui parler la nuit, ainsi qu’un rapport d’incident de la nuit précédent son décès, où il
était mentionné qu’il secouait les barreaux de sa cellule et demandait à sortir.

124. Bien qu’elle soit consciente des difficultés auxquelles se heurtent les autorités pénitentiaires et de
la nécessité de sanctionner les agressions visant les personnels de surveillance, la Cour est frappée par
le fait que Joselito Renolde se soit vu infliger la sanction maximale pour une faute du premier degré,
sans aucune prise en compte de son état psychique et alors qu’il s’agissait d’un premier incident.

125. La Cour observe que ce type de mesure entraîne la privation de toute visite et de tout contact
avec les autres détenus.

126. Il ressort du dossier que Joselito Renolde a éprouvé angoisse et détresse pendant cette période,
comme en témoigne la lettre écrite à sa sœur le 6 juillet 2000 (…). Cela est confirmé par le
témoignage de son codétenu N. (…).

15/ 35
127. La Cour observe d’ailleurs que l’état de Joselito Renolde a inspiré suffisamment d’inquiétude à
son avocate, qui l’a vu le 12 juillet 2000 (soit huit jours avant son décès) pour qu’elle demande
immédiatement au juge d’instruction une expertise psychiatrique en vue d’évaluer la compatibilité de
son état avec la détention, particulièrement en cellule disciplinaire.

128. La Cour rappelle que l’état d’un prisonnier dont il est avéré qu’il souffre de graves problèmes
mentaux et présente des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées en vue
d’assurer la compatibilité de cet état avec les exigences d’un traitement humain. Dans l’affaire Keenan
précitée, la Cour a considéré que le fait d’infliger à Mark Keenan une sanction disciplinaire qualifiée
de lourde, à savoir sept jours d’isolement en cellule disciplinaire et vingt-huit jours de détention
supplémentaire, constituait un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

129. Or, dans le cas d’espèce, Joselito Renolde s’est vu infliger une sanction nettement plus lourde, à
savoir quarante-cinq jours de cellule disciplinaire, ce qui était susceptible d’ébranler sa résistance
physique et morale. La Cour estime qu’une telle sanction n’est pas compatible avec le niveau de
traitement exigé à l’égard d’un malade mental et que cette sanction constitue un traitement et une
peine inhumains et dégradants (Keenan précité, § 116 et Rivière précité, § 76 ; voir a contrario Kudła
précité, § 99 et Aerts précité, p. 1966, § 66),

130. La Cour conclut en conséquence qu’il y a eu violation de l’article 3.

Document n°7 : CEDH, Isenc c/ France, 4 février 2016. Extraits


(…)
Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
37. La Cour rappelle que l’article 2 de la Convention astreint l’État à s’abstenir de provoquer
volontairement la mort, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des
personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil des arrêts et
décisions 1998-III). Dans certaines circonstances bien définies, cet article met à la charge des autorités
l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu
contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même (…).

38. Il convient cependant d’interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un
fardeau insupportable ou excessif. Toute menace présumée contre la vie n’oblige donc pas les autorités
à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation. Ainsi, dans le cas spécifique du risque
de suicide en prison, il n’y a une telle obligation positive que lorsque les autorités savent ou devraient
savoir sur le moment qu’existe un risque réel et immédiat qu’un individu donné attente à sa vie. Pour
caractériser un manquement à cette obligation, il faut ensuite établir que les autorités ont omis de
prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans
doute paré ce risque. Concrètement, il faut et il suffit que le requérant démontre que les autorités n’ont
pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dans les circonstances de la cause
pour empêcher la matérialisation d’un risque certain et immédiat pour la vie dont elles avaient ou
auraient dû avoir connaissance (Tanrıbilir, précité, § 72, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 93,
CEDH 2001-III ; Renolde c. France, no 5608/05, § 85, CEDH 2008 (extraits) et Ketreb, précité, § 71 ;
Sellal c. France, no 32432/13, § 47, 8 octobre 2015).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

39. La Cour observe que le cas d’espèce présente la particularité de concerner un détenu arrivé depuis
peu dans un établissement pénitentiaire, cette période étant reconnue comme une phase de la détention
délicate, plus propice au passage à l’acte (paragraphes 26 à 28 ci-dessus). M. s’est suicidé douze jours
après son incarcération et le lendemain de son placement dans une cellule collective, alors qu’il venait
de quitter les locaux d’accueil de la prison en tant que détenu arrivant. Il convient donc d’évaluer la
connaissance par les autorités nationales du risque que M. se suicide. Ce dernier étant un détenu «
primaire », l’administration pénitentiaire ne disposait pas de dossier médical le concernant. Dès lors, la
16/ 35
détermination de sa fragilité dépendait essentiellement des mesures prises au moment de sa prise en
charge dans le quartier « arrivants » des locaux de détention.

40. À cet égard, la Cour observe tout d’abord que le juge d’instruction avait signalé aux autorités
pénitentiaires la fragilité de M. et préconisé une surveillance particulière de celui-ci, soulignant qu’il
s’agissait d’une première incarcération. Par ailleurs, la Cour note que le lieutenant T. a rempli, le
lendemain de l’incarcération de M. la « grille d’aide au signalement des personnes détenues présentant
un risque suicidaire ». Elle remarque que ce document indique des antécédents suicidaires ainsi que la
mention « se déclare spontanément suicidaire » (paragraphe 7 ci-dessus). Elle observe que M. a fourni
des réponses révélant le risque qu’il ressentait lui-même : difficulté avec l’alcool, pour lequel il
demandait un soutien spécifique, grossesse de sa compagne, tendance suicidaire remontant à l’enfance.
Ces éléments furent traduits dans la fiche de renseignement établie par le lieutenant comme une
apparence de fragilité pour laquelle un signalement au SMPR fut décidé deux jours après l’arrivée de
M. (paragraphe 8 ci-dessus). De l’avis de la Cour, la notice du juge d’instruction et la grille précitée
permettaient au moins de repérer M. comme une personne suicidaire, et d’en déduire le risque qu’il
mette fin à ses jours. Ainsi, la Cour estime qu’après l’obtention de ces informations, les autorités
auraient dû savoir qu’il existait un risque réel et immédiat que M. attente à sa vie.

41. Il convient dès lors de déterminer si les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement
attendre d’elles pour prévenir ce risque.

42. Sur ce point, la Cour constate que différentes mesures ont été prises avant le placement de M. en
cellule avec deux autres détenus d’une part, et au moment de son affectation dans cette cellule d’autre
part.

43. Quant à la première période, la Cour retient que les autorités ont signalé M. au SMPR ainsi que
cela ressort de la fiche de renseignement. Selon le Gouvernement, le fils du requérant a également
bénéficié d’une consultation auprès de médecins de l’UCSA et du SMPR (paragraphe 35 ci-dessus).
La CPU dédiée à la prévention des suicides et chargée d’examiner régulièrement la situation des
détenus faisant l’objet d’une surveillance spéciale s’est par ailleurs réunie huit jours après
l’incarcération du fils du requérant. La Cour ne dispose pas d’informations sur la surveillance spéciale
mise en place au moment de l’incarcération et jusqu’au placement de M. dans la cellule avec deux
autre codétenus le 5 décembre 2008. Il ne ressort d’aucune pièce produite que M. ait fait l’objet d’une
telle surveillance dans le quartier arrivant.

44. Quant à la seconde période, la Cour constate que les autorités ont mis en place une mesure de
surveillance spéciale consistant en une ronde toutes les heures, dont l’application était certainement
opportune. Cela étant, elle relève que la circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire de
2002 précise qu’il ne saurait être question de réduire la prise en charge d’une personne détenue en
détresse aux seules mesures de surveillance, celles-ci pouvant même s’avérer contre-productives
(paragraphe 26 ci-dessus). Dès lors, à elle seule, la mesure de surveillance renforcée prise par les
autorités ne suffit pas pour conclure que l’État a respecté son obligation positive de protéger la vie de
M. En outre, la Cour constate que l’administration pénitentiaire a placé M. dans une cellule avec deux
codétenus afin d’éviter son isolement et pour que ces derniers puissent le soutenir. Cependant, la Cour
observe que ces codétenus étaient tous les deux absents de la cellule au moment du passage à l’acte de
celui-ci.

45. Au regard des informations dont disposaient les autorités, la Cour considère qu’un contrôle
médical de M. lors de son admission constituait une mesure de précaution minimale. Elle observe que
cette appréciation est en concordance avec les prescriptions du droit interne (paragraphes 22 à 26 ci-
dessus), et participe de l’accompagnement individualisé du détenu. La Cour retient également que le
CPT indique à cet égard que cette mesure peut permettre d’atténuer en partie l’anxiété éprouvée par
tous les détenus nouvellement arrivés (paragraphe 28 ci-dessus). Par ailleurs, un examen médical
aurait permis à M. d’exposer à un professionnel compétent son problème d’addiction à l’alcool

17/ 35
(paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Or, si le Gouvernement soutient que M. aurait bénéficié d’une
consultation médicale, il n’a fourni aucune pièce permettant de vérifier que le fils du requérant aurait
été vu par un médecin de l’UCSA ou par un médecin du SMPR, alors qu’il avait été pourtant signalé à
ce dernier quarante-huit-heures après son arrivée en prison. La CPU pour sa part n’a fait qu’enregistrer
ce signalement sans qu’il ne débouche sur une prise en charge médicale (paragraphe 10 ci-dessus). La
Cour relève que, si on lit dans le jugement du tribunal administratif de Bordeaux : « le médecin du
service médical l’ayant examiné » (paragraphe 17 ci-dessus), cette affirmation ne figure plus dans
l’arrêt de la cour administrative d’appel (paragraphe 20 ci-dessus). Il convient de souligner que la
réalité de cet examen médical avait été exclue devant la cour administrative d’appel par le rapporteur
public qui, pour conclure à la responsabilité de l’État, avait exprimé l’opinion suivante : « (...) la faute
a consisté selon nous à partir d’éléments sur les risques suicidaires de M. de ne pas l’avoir soumis à
un examen médical prévu par le texte (...) » (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour constate donc qu’il
n’est pas démontré que M. ait été examiné par un médecin.

46. En l’absence de toute preuve d’un rendez-vous avec le service médical de la prison dans le dossier
de M., dont la production, dans les circonstances de l’espèce, semble difficilement assimilable à une
transgression du secret médical telle qu’elle est invoquée par le Gouvernement, la Cour estime que les
autorités ont manqué à leur obligation positive de protéger le droit à la vie du fils du requérant. Elle ne
saurait à cet égard retenir, ainsi que l’ont fait les juridictions nationales pour décharger
l’administration pénitentiaire de toute responsabilité dans la mort de M., le fait que le service médical
appelé à intervenir auprès des détenus, UCSA ou SMPR, n’est pas placé sous l’autorité de
l’administration pénitentiaire. À d’autres occasions, la Cour a déjà relevé que la collaboration des
personnels de surveillance et médicaux relevait de la responsabilité des autorités internes (Ketreb,
précité, §82 ; mutatis mutandis, Helhal c. France, no 10401/12, § 58, 19 février 2015). Or, la Cour
constate qu’en l’espèce, bien que prévu par le droit interne (paragraphe 26 ci-dessus), le dispositif de
collaboration entre les services pénitentiaires et médicaux dans la surveillance des détenus et la
prévention des suicides n’a pas fonctionné.

47. Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention.

Document n°8 : CEDH, McCan c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995. Extraits


(…)
146. La Cour doit guider son interprétation de l'article 2 (art. 2) sur le fait que l'objet et le but de la
Convention, en tant qu'instrument de protection des êtres humains, appellent à comprendre et
appliquer ses dispositions d'une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir
notamment l'arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 34, par. 87, et l'arrêt
Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires) du 23 mars 1995, série A n° 310, p. 27, par. 72).

147. Il faut également garder à l'esprit que l'article 2 (art. 2) garantit non seulement le droit à la vie
mais expose les circonstances dans lesquelles infliger la mort peut se justifier ; il se place à ce titre
parmi les articles primordiaux de la Convention, auquel aucune dérogation ne saurait être autorisée, en
temps de paix, en vertu de l'article 15 (art. 15). Combiné à l'article 3 (art. 15+3) de la Convention, il
consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de
l'Europe (voir l'arrêt Soering précité, p. 34, par. 88). Il faut donc en interpréter les dispositions de
façon étroite.

148. La Cour estime que les exceptions définies au paragraphe 2 montrent que l'article 2 (art. 2-2)
vise certes les cas où la mort a été infligée intentionnellement, mais que ce n'est pas son unique objet.
Comme le souligne la Commission, le texte de l'article 2 (art. 2), pris dans son ensemble, démontre
que le paragraphe 2 (art. 2-2) ne définit pas avant tout les situations dans lesquelles il est permis
d'infliger intentionnellement la mort, mais décrit celles où il est possible d'avoir "recours à la force",
ce qui peut conduire à donner la mort de façon involontaire. Le recours à la force doit cependant être
rendu "absolument nécessaire" pour atteindre l'un des objectifs mentionnés aux alinéas a), b) ou c)
(art. 2-2-a, art. 2-2-b, art. 2-2-c) (voir la requête n° 10044/82, Stewart c. Royaume-Uni, 10 juillet 1984,
Décisions et rapports 39, pp. 180-182).
18/ 35
149. A cet égard, l'emploi des termes "absolument nécessaire" figurant à l'article 2 par. 2 (art. 2-2)
indique qu'il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement
employé pour déterminer si l'intervention de l'Etat est "nécessaire dans une société démocratique" au
titre du paragraphe 2 des articles 8 à 11 (art. 8-2, art. 9-2, art. 10-2, art. 11-2) de la Convention. La
force utilisée doit en particulier être strictement proportionnée aux buts mentionnés au paragraphe 2 a),
b) et c) de l'article 2 (art. 2-2-a-b-c).

150. Reconnaissant l'importance de cette disposition (art. 2) dans une société démocratique, la Cour
doit se former une opinion en examinant de façon extrêmement attentive les cas où l'on inflige la mort,
notamment lorsque l'on fait un usage délibéré de la force meurtrière, et prendre en considération non
seulement les actes des agents de l'Etat ayant eu recours à la force mais également l'ensemble des
circonstances de l'affaire, notamment la préparation et le contrôle des actes en question.
(…)
161. Comme la Commission, la Cour se borne à constater qu'une loi interdisant de manière générale
aux agents de l'Etat de procéder à des homicides arbitraires serait en pratique inefficace s'il n'existait
pas de procédure permettant de contrôler la légalité du recours à la force meurtrière par les autorités de
l'Etat. L'obligation de protéger le droit à la vie qu'impose cette disposition (art. 2), combinée avec le
devoir général incombant à l'Etat en vertu de l'article 1 (art. 2+1) de la Convention de "reconna[ître] à
toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention",
implique et exige de mener une forme d'enquête efficace lorsque le recours à la force, notamment par
des agents de l'Etat, a entraîné mort d'homme.
(…)
194. Cela étant, pour déterminer si la force utilisée est compatible avec l'article 2 (art. 2), la Cour doit
examiner très attentivement, comme indiqué plus haut, non seulement la question de savoir si la force
utilisée par les militaires était rigoureusement proportionnée à la défense d'autrui contre la violence
illégale, mais également celle de savoir si l'opération anti-terroriste a été préparée et contrôlée par les
autorités de façon à réduire au minimum, autant que faire se peut, le recours à la force meurtrière. La
Cour examinera tour à tour chacune de ces questions.
(…)
200. La Cour admet que les militaires pensaient de bonne foi, compte tenu des informations qu'ils
avaient reçues, comme indiqué plus haut, qu'il était nécessaire de tirer sur les suspects pour les
empêcher de déclencher la bombe et de causer ainsi d'importantes pertes en vies humaines (paragraphe
195 ci-dessus). Ils ont donc accompli leurs actes, obéissant en cela aux ordres de leurs supérieurs, en
les considérant comme absolument nécessaires pour protéger des vies innocentes.
Elle estime que le recours à la force par des agents de l'Etat pour atteindre l'un des objectifs énoncés au
paragraphe 2 de l'article 2 (art. 2-2) de la Convention peut se justifier au regard de cette disposition
(art. 2-2) lorsqu'il se fonde sur une conviction honnête considérée, pour de bonnes raisons, comme
valable à l'époque des événements mais qui se révèle ensuite erronée. Affirmer le contraire imposerait
à l'Etat et à ses agents chargés de l'application des lois une charge irréaliste qui risquerait de s'exercer
aux dépens de leur vie et de celle d'autrui.
Eu égard au dilemme devant lequel se trouvaient les autorités en l'espèce, il s'ensuit que les actes des
militaires ne suffisent pas, en eux-mêmes, à donner lieu à une violation de cette disposition (art. 2-2).

201. La question se pose cependant de savoir si l'opération anti-terroriste dans son ensemble a été
contrôlée et organisée de manière à respecter les exigences de l'article 2 (art. 2) et si les
renseignements et instructions transmis aux militaires et qui rendaient pratiquement inévitable le
recours à la force meurtrière, ont pris dûment en considération le droit à la vie des trois suspects.
(…)
213. En résumé, eu égard à la décision de ne pas empêcher les suspects d'entrer à Gibraltar, à la prise
en compte insuffisante par les autorités d'une possibilité d'erreur dans leurs appréciations en matière de
renseignements, au moins sur certains aspects, et au recours automatique à la force meurtrière lorsque
les militaires ont ouvert le feu, la Cour n'est pas convaincue que la mort des trois terroristes ait résulté
d'un recours à la force rendu absolument nécessaire pour assurer la défense d'autrui contre la violence
illégale, au sens de l'article 2 par. 2 a) (art. 2-2-a) de la Convention.

19/ 35
• L’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants

Document n°9 : CEDH, Selmouni c. France, 28 juillet 1999. Extraits


(…)
87. La Cour considère que lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne
santé et que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une
explication plausible pour l’origine des blessures, à défaut de quoi l’article 3 de la Convention trouve
manifestement à s’appliquer (arrêts Tomasi c. France du 27 août 1992, série A n° 241-A, pp. 40-41,
§§ 108-111, et Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A n° 336, pp. 25-26, § 34). Par ailleurs,
la Cour rappelle également que la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. Selmouni
vise les policiers mis en cause (paragraphe 28 ci-dessus) et que la question de la culpabilité de ces
derniers relève de la seule compétence des juridictions, notamment pénales, françaises. Quelle que soit
l’issue de la procédure engagée au plan interne, un constat de culpabilité ou non des policiers ne
saurait dégager l’Etat défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention (arrêt Ribitsch
précité) : il lui appartient donc de fournir une explication plausible sur l’origine des blessures de
M. Selmouni.

88. En l’espèce, la Cour estime devoir accepter, pour l’essentiel, les faits établis par la Commission
car elle est convaincue, au vu des éléments de preuve examinés par elle, que la Commission pouvait à
juste titre conclure que les allégations du requérant étaient prouvées au-delà de tout doute raisonnable,
sachant qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et
concordants (…).
(…)
95. La Cour rappelle que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés
démocratiques. Même dans les circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le
crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements
inhumains ou dégradants. L’article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité
des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4, et d’après l’article 15 § 2 il ne
souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (arrêts précités
Irlande c. Royaume-Uni, p. 65, § 163, et Soering, pp. 34-35, § 88, et Chahal c. Royaume-Uni du
15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1855, § 79).

96. Pour déterminer s’il y a lieu de qualifier de torture une forme particulière de mauvais traitements,
la Cour doit avoir égard à la distinction, que comporte l’article 3, entre cette notion et celle de
traitements inhumains ou dégradants. Ainsi qu’elle l’a relevé précédemment, cette distinction paraît
avoir été consacrée par la Convention pour marquer d’une spéciale infamie des traitements inhumains
délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances (arrêt Irlande c. Royaume-Uni précité,
pp. 66-67, § 167).
(…)
98. La Cour constate que l’ensemble des lésions relevées dans les différents certificats médicaux
(paragraphes 11-15 et 17-20 ci-dessus), ainsi que les déclarations du requérant sur les mauvais
traitements dont il a fait l’objet durant sa garde à vue (paragraphes 18 et 24 ci-dessus) établissent
l’existence de douleurs ou de souffrances physiques et, à n’en pas douter nonobstant l’absence
regrettable d’expertise psychologique de M. Selmouni à la suite de ces faits, mentales. Le déroulement
des faits atteste également que les douleurs ou souffrances ont été infligées intentionnellement au
requérant, aux fins notamment d’obtenir des aveux sur les faits qui lui étaient reprochés. Enfin, il
ressort clairement des certificats médicaux joints au dossier de la procédure que les multiples
violences ont été directement exercées par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

99. Les actes dénoncés étaient assurément de nature à créer des sentiments de peur, d’angoisse et
d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement la résistance physique et morale du

20/ 35
requérant. La Cour relève donc des éléments assez sérieux pour conférer à ce traitement un caractère
inhumain et dégradant (arrêts Irlande c. Royaume-Uni précité, pp. 66-67, § 167 ; Tomasi précité, p. 42,
§ 115). En tout état de cause, la Cour rappelle qu’à l’égard d’une personne privée de sa liberté l’usage
de la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par le comportement de ladite personne
porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3
(arrêts Ribitsch précité, p. 26, § 38, Tekin c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, pp. 1517-1518,
§ 53).

100. Autrement dit, en l’espèce, reste à savoir si les « douleurs ou souffrances » infligées à
M. Selmouni peuvent être qualifiées d’« aiguës » au sens de l’article 1er de la Convention des Nations
unies. La Cour estime que ce caractère « aigu » est, à l’instar du « minimum de gravité » requis pour
l’application de l’article 3, relatif par essence ; il dépend de l’ensemble des données de la cause,
notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe,
de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc.

101. La Cour a déjà eu l’occasion de juger d’affaires dans lesquelles elle a conclu à l’existence de
traitements ne pouvant être qualifiés que de torture (arrêts Aksoy précité, p. 2279, § 64, Aydın précité,
pp. 1891-1892, §§ 83-84 et 86). Cependant, compte tenu de ce que la Convention est un « instrument
vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles » (voir, notamment, arrêts Tyrer
c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A n° 26, pp. 15-16, § 31, Soering précité, p. 40, § 102, Loizidou
c. Turquie du 23 mars 1995, série A n° 310, pp. 26-27, § 71), la Cour estime que certains actes autrefois
qualifiés de « traitements inhumains et dégradants », et non de « torture », pourraient recevoir une
qualification différente à l’avenir. La Cour estime en effet que le niveau d’exigence croissant en
matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et
inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales
des sociétés démocratiques.

102. La Cour a pu se convaincre de la multitude des coups portés à M. Selmouni. Quel que soit l’état
de santé d’une personne, on peut supposer qu’une telle intensité de coups provoque des douleurs
importantes. La Cour note d’ailleurs qu’un coup porté ne provoque pas automatiquement une marque
visible sur le corps. Or, au vu du rapport d’expertise médicale réalisé le 7 décembre 1991 par le
docteur Garnier (paragraphes 18-20 ci-dessus), la quasi-totalité du corps de M. Selmouni portait des
traces des violences subies.

103. La Cour relève également que le requérant a été tiré par les cheveux ; qu’il a dû courir dans un
couloir le long duquel des policiers se plaçaient pour le faire trébucher ;qu’il a été mis à genoux devant
une jeune femme (…) ; qu’un policier lui a ultérieurement présenté son sexe (…) avant de lui uriner
dessus ; qu’il a été menacé avec un chalumeau puis avec une seringue (paragraphe 24 ci-dessus). Outre
la violence des faits décrits, la Cour ne peut que constater leur caractère odieux et humiliant pour toute
personne, quel que soit son état.

104. La Cour note enfin que ces faits ne peuvent se résumer à une période donnée de la garde à vue
au cours de laquelle, sans que cela puisse aucunement le justifier, la tension et les passions exacerbées
auraient conduit à de tels excès : il est en effet clairement établi que M. Selmouni a subi des violences
répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires (paragraphes 11-14 ci-dessus).

105. Dans ces conditions, la Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis
sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances
« aiguës » et revêtent un caractère particulièrement grave et cruel. De tels agissements doivent être
regardés comme des actes de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

21/ 35
Document n°10 : CEDH, Kudla c. Pologne, 26 octobre 2000
(…)
82. Le requérant se plaint de n'avoir pas reçu un traitement psychiatrique adéquat pendant sa détention à
compter du 4 octobre 1993. La maison d'arrêt de Cracovie, où il séjourna alors, serait dépourvue de
service psychiatrique, et aucun effort n'y aurait été fait pour traiter sa dépression chronique. A l'origine
de ses tentatives répétées de suicide en prison, cette carence s'analyserait en un traitement inhumain et
dégradant au sens de l'article 3 de la Convention (…).

90. La Cour l'a dit à de nombreuses reprises, l'article 3 de la Convention consacre l'une des valeurs les
plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les
traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements
de la victime (…).

91. Toutefois, pour tomber sous le coup de l'article 3, un traitement doit atteindre un minimum de
gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données
de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d'exécution, de sa
durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la
victime (…).

92. La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu'il avait été appliqué avec
préméditation pendant des heures et qu'il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives
souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu'un traitement était « dégradant » en
ce qu'il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité
propres à les humilier et à les avilir. En revanche, elle a toujours souligné que la souffrance et
l'humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une
forme donnée de traitement ou de peine légitimes (voir, mutatis mutandis, les arrêts Tyrer c. Royaume-
Uni du 25 avril 1978, série A no 26, p. 15, § 30, Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A
no 161, p. 39, § 100, et V. c. Royaume-Uni précité, § 71).

93. Les mesures privatives de liberté s'accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et


humiliation. Toutefois, on ne saurait considérer qu'un placement en détention provisoire pose en soi un
problème sur le terrain de l'article 3 de la Convention. De même, cet article ne peut être interprété
comme établissant une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé ou de le placer
dans un hôpital civil afin de lui permettre d'obtenir un traitement médical d'un type particulier.

94. Néanmoins, l'article 3 de la Convention impose à l'Etat de s'assurer que tout prisonnier est détenu
dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités
d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité
qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences
pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate,
notamment par l'administration des soins médicaux requis (…).

95. La Cour observe d'emblée qu'il n'est pas contesté en l'espèce que le requérant a souffert de
dépression chronique tant avant que pendant sa détention du 4 octobre 1993 au 29 octobre 1996, et
qu'il a par deux fois tenté de mettre fin à ses jours en prison. Le diagnostic posé concernant son état
parlait de troubles de la personnalité ou de troubles névrotiques, et de réaction situationnelle
dépressive (paragraphes 58-67 et 69-72 ci-dessus).

96. La Cour note de surcroît qu'il ressort des preuves médicales produites par le Gouvernement devant
elle (mais non devant la Commission) que le requérant a régulièrement sollicité et obtenu des soins
médicaux au cours de sa détention. Il a été examiné par des médecins de diverses spécialités et a

22/ 35
fréquemment reçu une assistance psychiatrique (paragraphes 59-74 ci-dessus). De début octobre à fin
décembre 1993, il a été à plusieurs reprises examiné par des psychiatres en prison (paragraphes 59-61
ci-dessus). Fin 1993, la juridiction de première instance obtint d'un psychiatre un rapport confirmant
que l'état de santé de l'intéressé était à l'époque compatible avec son maintien en détention (paragraphe
21 in fine ci-dessus).
Peu après sa tentative de suicide de 1994, événement qui, à la lumière des preuves produites devant la
Cour, ne semble pas être résulté d'une quelconque carence discernable de la part des autorités ou
pouvoir être corrélé à semblable carence, le requérant reçut un traitement spécialisé, sous la forme d'un
séjour en observation psychiatrique à l'hôpital carcéral de Wrocław du 9 mars au 26 mai 1994
(paragraphe 58 ci-dessus). Plus tard, après ladite période d'observation, il subit deux examens de
contrôle, les 9 novembre et 7 décembre 1994 (paragraphes 66-67 ci-dessus).

97. Certes, cela ne l'empêcha pas de faire encore une tentative de suicide en janvier 1995 (paragraphe
69 ci-dessus). Néanmoins, tout en ne jugeant pas nécessaire de s'exprimer sur la question de savoir si
cette tentative représentait de la part de M. Kudła, comme les autorités l'ont affirmé, un geste destiné à
attirer l'attention ou véritablement une manifestation de la souffrance causée par ses troubles, la Cour
estime, au vu des éléments dont elle dispose, que les autorités ne peuvent être jugées responsables de
ce qui s'est produit.

98. De même, elle ne discerne aucun manquement ultérieur de leur part à maintenir le requérant sous
surveillance psychiatrique. Elle constate au contraire que, du début de 1995 à sa mise en liberté le 29
octobre 1996, l'intéressé a été examiné par un psychiatre au moins une fois par mois. C'est ainsi que
pour la seule année 1996, c'est-à-dire avant l'élargissement précité, on recense douze consultations
psychiatriques (paragraphes 70-74 ci-dessus).

99. La Cour admet que la nature même de l'état psychologique du requérant rendait celui-ci plus
vulnérable que le détenu moyen, et que sa détention peut avoir exacerbé dans une certaine mesure les
sentiments de détresse, d'angoisse et de crainte éprouvés par lui. Elle prend note également du fait que,
du 11 juin au 29 octobre 1996, l'intéressé a été maintenu en détention alors que, de l'avis d'un
psychiatre, cela risquait de compromettre sa vie à cause de la probabilité de le voir attenter à ses jours
(paragraphes 46-50 ci-dessus). Toutefois, après s'être livrée à une appréciation globale des faits
pertinents sur la base des preuves produites devant elle, la Cour n'estime pas établi que le requérant ait
été soumis à des mauvais traitements atteignant un niveau de gravité suffisant pour entrer dans le
champ d'application de l'article 3 de la Convention.

100. En conséquence, il n'y a pas eu violation de cette clause en l'espèce.

Document n°11 : Cour européenne des droits de l’homme, 23 mars 2016, Communiqué du
Greffier, arrêt de Chambre dans l’affaire F.G c/ Suède. Extraits.

Les autorités suédoises doivent évaluer les conséquences de la conversion au christianisme d’un
ressortissant iranien avant de se prononcer sur son expulsion vers l’Iran

L’affaire F.G. c. Suède (requête no 43611/11) concerne le refus d’accorder l’asile à un ressortissant
iranien qui s’est converti au christianisme en Suède. Le requérant, F.G., alléguait notamment que son
expulsion vers l’Iran l’exposerait à un risque réel d’être persécuté et puni ou condamné à mort en
raison de son passé politique dans le pays et de sa conversion de l’islam au christianisme.
Dans son arrêt de Grande Chambre, rendu ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme dit, à
l’unanimité, qu’il n’y aurait pas violation des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et
des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme en
raison du passé politique de F.G. en Iran si celui-ci était expulsé vers son pays d’origine, et qu’il y

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aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si F.G. était renvoyé en Iran en l’absence d’une
réévaluation actualisée, par les autorités suédoises, des conséquences de sa conversion religieuse.
La Cour souligne que cette affaire soulève d’importantes questions concernant les obligations que
doivent remplir les parties à une procédure d’asile.
La Cour estime qu’aucun élément ne corrobore l’affirmation selon laquelle les autorités suédoises,
dans leurs refus d’octroyer l’asile, ont conclu à tort que F.G. était un militant ou un opposant politique
discret et qu’il n’avait donc pas besoin de protection en Suède. En effet, elles ont tenu compte des
activités politiques de F.G. contre le régime iranien, ainsi que du fait qu’il avait été arrêté un certain
nombre de fois et convoqué devant les tribunaux iraniens. La Cour ne peut pas non plus conclure que
la procédure d’asile a d’une quelconque manière été inadéquate en ce qui concerne l’appréciation des
activités politiques de F.G.
Concernant cependant la conversion de F.G. au christianisme, les autorités suédoises, pour l’heure,
n’ont à aucun stade évalué le risque que l’intéressé courrait en cas de retour en Iran. La Cour estime
que, indépendamment de l’attitude de F.G. (c’est-à-dire le fait qu’il ait refusé d’invoquer sa conversion
à l’appui de sa demande d’asile lors de la première procédure), les autorités nationales ont à présent
l’obligation – eu égard au caractère absolu des articles 2 et 3 de la Convention – de réévaluer d’office
tous les éléments portés à leur connaissance avant de se prononcer sur l’expulsion de l’intéressé.

Principaux faits
Le requérant, F.G., est un ressortissant iranien né en 1962. Il réside actuellement en Suède.
F.G. arriva en Suède en novembre 2009 et y demanda l’asile. Dans sa première demande d’asile, il
déclara qu’il avait mené des activités politiques contre le régime iranien, affirmant qu’à partir de 2007
il avait travaillé essentiellement avec le mouvement des étudiants, ayant aidé certains de ses membres
à créer et publier des pages web qui étaient critiques vis-à-vis du régime. Il avait été arrêté en avril
2007, en juin 2009 puis à nouveau en septembre 2009 et avait finalement fui le pays lorsqu’il avait
reçu une citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire en novembre 2009. Il indiqua
également qu’il s’était converti au christianisme après son arrivée en Suède mais ne souhaitait pas
invoquer cet élément à l’appui de sa demande d’asile, position qui fut la sienne tant devant l’office des
migrations qu’en appel devant le tribunal des migrations, parce qu’il considérait qu’il s’agissait d’une
question d’ordre privé. (…)

Décision de la Cour
(…)
Articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants)
Les activités politiques de F.G. en Iran
Tout d’abord, la Cour estime que F.G., s’il était renvoyé en Iran, ne courrait pas de risques du fait de
la situation générale existant dans le pays.
Concernant les circonstances propres au cas de F.G., dans leurs refus d’octroyer l’asile les autorités
nationales ont tenu compte des activités politiques de F.G. contre le régime iranien, ainsi que du fait
qu’il avait été arrêté un certain nombre de fois et convoqué devant les tribunaux iraniens. Procédant à
une appréciation globale, les autorités ont conclu que le requérant n’était pas un militant notoire ou un
opposant politique et qu’en conséquence il n’avait pas besoin de protection en Suède. Cette conclusion
était, selon elles, corroborée par le fait que, depuis 2009, F.G. n’avait plus été convoqué devant le
tribunal révolutionnaire et qu’aucun de ses proches demeurés en Iran n’avait subi de représailles de la
part des autorités iraniennes. Pour la Cour, aucun élément ne corrobore l’affirmation selon laquelle les
autorités sont parvenues à tort à ces conclusions ou que la procédure d’asile a été inadéquate en ce qui
concerne l’appréciation des activités politiques de F.G.
Le dossier ne contient pas non plus d’éléments indiquant que les autorités suédoises n’auraient pas
dûment pris en considération que le requérant s’exposait à une détention à l’aéroport lorsqu’elles ont
apprécié globalement les risques encourus par lui en cas de retour en Iran.
Concernant enfin l’allégation formulée par le requérant devant la Grande Chambre, selon laquelle les
autorités iraniennes pourraient l’identifier à partir des arrêts rendus par la Cour européenne, la Cour
souligne que l’intéressé s’est vu octroyer l’anonymat en octobre 2011, et que, d’après les éléments
dont elle dispose, il n’y a pas d’indice sérieux quant à un risque d’identification.

24/ 35
Il s’ensuit que le passé politique de F.G. ne constitue pas un élément justifiant que la Cour conclue
qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si l’intéressé était expulsé vers l’Iran.
La conversion de F.G. au christianisme
La Cour note que F.G. a passé pratiquement toute sa vie en Iran, qu’il s’exprime bien en anglais et
qu’il a une grande expérience de l’informatique, des pages web et d’Internet. Par ailleurs, il a été
critique vis-à-vis du régime. Il est donc difficile d’admettre que, de lui-même ou sensibilisé par la
paroisse où il a été baptisé peu après son arrivée en Suède, il n’ait pas pris conscience du risque auquel
sont exposés les convertis en Iran. La Cour n’est pas non plus convaincue que F.G. n’ait pas bénéficié
de suffisamment de conseils et d’assistance juridiques pour saisir les risques associés à sa conversion.
En ce qui concerne les autorités suédoises, la Cour note que l’office des migrations et le tribunal des
migrations savaient que F.G. s’était converti au christianisme en Suède et qu’il était dès lors
susceptible d’appartenir à un groupe de personnes pouvant être exposées à un risque en cas de retour
en Iran. Or, en raison du refus du requérant d’invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile,
ces autorités ne se sont pas livrées à un examen approfondi de sa conversion, du sérieux de ses
convictions, de sa manière de manifester sa foi chrétienne en Suède et de la façon dont il entendait la
manifester en Iran si la décision d’éloignement était mise en oeuvre. De plus, dans le cadre de la
nouvelle procédure, la conversion du requérant n’a pas été considérée comme un « fait nouveau »
susceptible de justifier le réexamen de sa cause. Pour l’heure, les autorités suédoises n’ont donc à
aucun stade évalué le risque que F.G. courrait, du fait de sa conversion, en cas de retour en Iran. La
Cour estime que, indépendamment de l’attitude du requérant, les autorités nationales ont aujourd’hui
l’obligation – eu égard au caractère absolu des articles 2 et 3 de la Convention – de réévaluer d’office
tous les éléments portés à leur connaissance avant de se prononcer sur l’expulsion de l’intéressé vers
l’Iran.
En outre, F.G. a soumis à la Grande Chambre divers documents qui n’ont pas été présentés aux
autorités nationales, notamment deux attestations écrites : la première est datée du 13 septembre 2014
et concerne sa conversion, la manière dont il manifeste actuellement sa foi chrétienne en Suède et dont
il entend le faire en Iran si la décision d’expulsion est mise en oeuvre ; la seconde est datée du 15
septembre 2014 et émane d’un ancien pasteur de la paroisse du requérant. À la lumière de ces
éléments en particulier et de ceux précédemment soumis aux autorités nationales, la Cour conclut que
F.G. a démontré à suffisance que sa demande d’asile fondée sur sa conversion mérite d’être examinée
par lesdites autorités. C’est à celles-ci qu’il appartient de prendre en considération ces éléments, ainsi
que toute évolution pouvant intervenir dans la situation générale en Iran et les circonstances propres au
cas de F.G.
Il s’ensuit qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si F.G. était renvoyé en Iran en
l’absence d’une réévaluation actualisée, par les autorités suédoises, des conséquences de sa
conversion.

Document n°12 : CEDH, Grande chambre, F.G c/ Suède, 23 mars 2016. Extraits.
(…)
C. Appréciation de la Cour
1. Introduction
110. La Cour observe d’emblée que, dans le contexte de l’expulsion, lorsqu’il y a des motifs sérieux et
avérés de croire qu’un individu, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel
d’être soumis à la peine capitale, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants,
tant l’article 2 que l’article 3 impliquent que l’État contractant ne doit pas expulser la personne en
question. La Cour examinera donc les deux articles simultanément (voir, notamment, mutatis
mutandis, Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09, 45886/07 et 32431/08, § 314, CEDH
2014, T.A. c. Suède, no 48866/10, § 37, 19 décembre 2013, K.A.B. c. Suède, no 886/11, § 67, 5
septembre 2013, Kaboulov c. Ukraine, no 41015/04, § 99, 19 novembre 2009, et F.H. c. Suède, no
32621/06, § 72, 20 janvier 2009).

2. Principes généraux relatifs à l’appréciation des demandes d’asile au regard des articles 2 et 3 de
la Convention
a) L’évaluation du risque

25/ 35
111. La Cour rappelle que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit
international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la
Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (…). Cependant,
l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et
donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs
sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un
risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique
l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, notamment, Saadi c. Italie
[GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008).

112. Pour établir s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé court ce risque réel, la
Cour ne peut éviter d’examiner la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de
l’article 3 (…). Au regard de ces exigences, pour tomber sous le coup de l’article 3, le mauvais
traitement auquel le requérant affirme qu’il serait exposé en cas de renvoi doit atteindre un minimum
de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la
cause (…).

113. Pour apprécier l’existence d’un risque réel de mauvais traitements, la Cour se doit d’appliquer
des critères rigoureux (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 96, Recueil 1996-V, et Saadi,
précité, § 128). Il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de
démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution,
il serait exposé à un risque réel de se voir infliger un traitement contraire à l’article 3 (voir, par
exemple, Saadi, précité, § 129 ). Sur ce point, la Cour reconnaît que, eu égard à la situation
particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il est fréquemment nécessaire de
leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des
documents qui les appuient. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes
raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, il incombe à celui-ci de fournir
une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (…).

114. L’appréciation doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l’expulsion du requérant
vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances
propres à l’intéressé (…). À cet égard, et s’il y a lieu, la Cour examinera s’il existe une situation
générale de violence dans le pays de destination (…).
(…)
116. Dans une affaire d’expulsion, il appartient à la Cour de rechercher si, eu égard à l’ensemble des
circonstances de la cause portée devant elle, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que
l’intéressé, si on le renvoie dans son pays, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement
contraire à l’article 3 de la Convention. Si l’existence d’un tel risque est établie, l’expulsion du
requérant emporterait nécessairement violation de l’article 3, que le risque émane d’une situation
générale de violence, d’une caractéristique propre à l’intéressé, ou d’une combinaison des deux. Il est
clair néanmoins que toute situation générale de violence n’engendre pas un tel risque. Au contraire, la
Cour a précisé qu’une situation générale de violence serait d’une intensité suffisante pour créer un tel
risque uniquement « dans les cas les plus extrêmes » où l’intéressé encourt un risque réel de mauvais
traitements du seul fait qu’un éventuel retour l’exposerait à une telle violence (Sufi et Elmi, précité, §§
216 et 218).

b) La nature de l’examen de la Cour


117. Dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la Cour se garde
d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs
obligations découlant de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Sa préoccupation
essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un
refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui. En vertu de l’article 1 de la
Convention européenne des droits de l’homme, ce sont en effet les autorités internes qui sont
responsables au premier chef de la mise en œuvre et de la sanction des droits et libertés garantis. Le
mécanisme de plainte devant la Cour revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux

26/ 35
de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la
Convention (…). La Cour doit toutefois estimer établi que l’appréciation effectuée par les autorités de
l’État contractant concerné est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles
provenant d’autres sources fiables et objectives, comme par exemple d’autres États contractants ou des
États tiers, des agences des Nations Unies et des organisations non gouvernementales réputées pour
leur sérieux (…).

118. De plus, lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la Cour de
substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en
principe de peser les données recueillies par eux (…). En règle générale, les autorités nationales sont
les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité de
témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la
personne concernée (…).

c) Les obligations procédurales dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile


119. Dans le contexte de l’expulsion, la Cour a énoncé à plusieurs reprises les obligations qui
découlent pour les États du volet procédural des articles 2 et 3 de la Convention (…).

120. Concernant la charge de la preuve, la Cour a dit dans l’arrêt Saadi (précité, §§ 129-132) qu’il
appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des
raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un
risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 ; et que lorsque de tels éléments
sont soumis, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à ce sujet (Saadi, précité, §
129). Pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, la Cour doit examiner les
conséquences prévisibles du renvoi du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la
situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intéressé (ibidem, § 130).
Lorsque les sources dont on dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques d’un
requérant dans un cas d’espèce doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (ibidem, §
131). Dans les affaires où un requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à
une pratique de mauvais traitements, la Cour considère que la protection de l’article 3 de la
Convention entre en jeu lorsque l’intéressé démontre, éventuellement à l’aide des sources
susmentionnées, qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question
et à son appartenance au groupe visé (ibidem, § 132).
(…)
125. Il appartient en principe à la personne qui demande une protection internationale dans un État
contractant de présenter, dès que possible, sa demande d’asile accompagnée des motifs qui la sous-
tendent et de produire des éléments susceptibles d’établir l’existence de motifs sérieux et avérés de
croire que son expulsion vers son pays d’origine impliquerait pour elle un risque réel et concret d’être
exposée à une situation de danger de mort visée par l’article 2 ou à un traitement contraire à l’article 3.

126. Concernant toutefois les demandes d’asile fondées sur un risque général bien connu, lorsque les
informations sur un tel risque sont faciles à vérifier à partir d’un grand nombre de sources, les
obligations découlant pour les États des articles 2 et 3 de la Convention dans les affaires d’expulsion
impliquent que les autorités évaluent ce risque d’office (voir, par exemple, Hirsi Jamaa et autres,
précité, §§ 131-133, et M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], précité, § 366).

127. En revanche, dans le cas d’une demande d’asile fondée sur un risque individuel, il incombe à la
personne qui sollicite l’asile d’évoquer et d’étayer pareil risque. Dès lors, si un requérant décide de ne
pas invoquer ou dévoiler tel ou tel motif d’asile individuel et particulier et s’abstient délibérément de
le mentionner – qu’il s’agisse de croyances religieuses ou de convictions politiques, d’orientation
sexuelle ou d’autres motifs –, l’État concerné n’est aucunement censé découvrir ce motif par lui-
même. Eu égard toutefois au caractère absolu des droits garantis par les articles 2 et 3 de la
Convention, et à la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile,
si un État contractant est informé de faits, relatifs à un individu donné, propres à exposer celui-ci à un
risque de mauvais traitements contraires auxdites dispositions en cas de retour dans le pays en

27/ 35
question, les obligations découlant pour les États des articles 2 et 3 de la Convention impliquent que
les autorités évaluent ce risque d’office. Cela vaut spécialement pour les situations où il a été porté à la
connaissance des autorités nationales que le demandeur d’asile fait vraisemblablement partie d’un
groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements et qu’il y a des motifs sérieux
et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé
(paragraphe 120 ci-dessus).
(…)

• Les violences domestiques

Document n°13 : Cour européenne des droits de l’homme. Fiche thématique Les violences
domestiques. Extrait

Talpis c. Italie 2 mars 2017


Cette affaire concernait des violences conjugales subies par une mère de famille (la requérante), qui
s’étaient soldées par le meurtre de son fils et une tentative de meurtre sur sa personne. La Cour a
conclu à la violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention à raison du meurtre du fils de la
requérante et de la tentative de meurtre de cette dernière. Elle a jugé en particulier que les instances
italiennes, en n’agissant pas rapidement après le dépôt de la plainte de la requérante, avaient privé la
plainte en question de toute efficacité, créant un contexte d’impunité favorable à la répétition des actes
de violence ayant conduit à la tentative de meurtre de la requérante et au décès de son fils. Elles
avaient donc manqué à leur obligation de protéger la vie des intéressés.
La Cour a également conclu à la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou
dégradants) de la Convention à raison du manquement des autorités à leur obligation de protéger la
requérante contre les actes de violences domestiques. A cet égard, elle a observé en particulier que la
requérante vivait avec ses enfants dans un climat de violences suffisamment graves pour être
qualifiées de mauvais traitements, et que la manière dont les autorités avaient mené les poursuites
pénales participait d’une passivité judiciaire contraire à l’article 3. Enfin, la Cour a conclu à la
violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention combiné avec les articles 2
et 3, jugeant que la requérante avait été victime d’une discrimination, en tant que femme, en raison de
l’inertie des autorités italiennes qui, en sous-estimant les violences litigieuses, les avaient en substance
cautionnées.

Document n°14 : Cour européenne des droits de l’homme. Communiqué du Greffier, affaire
Bălșan c. Roumanie 23 mai 2017
La Cour constate un manque d’engagement de la part de la Roumanie en matière de lutte contre la
violence domestique.
L’affaire Bălșan c. Roumanie (requête no 49645/09) concerne une allégation de violences
domestiques. Mme Bălșan, la requérante, soutient que, malgré ses nombreuses plaintes, les autorités
ne l’ont pas protégée contre le comportement violent de son époux et n’ont pas fait répondre celui-ci
de ses actes.
Dans son arrêt de chambre, rendu ce jour dans l’affaire, la Cour européenne des droits de l’homme dit,
à l’unanimité, qu’il y a eu :
.violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention
européenne des droits de l’homme, parce que les autorités n’ont pas protégé Mme Bălșan contre la
violence de son époux de manière appropriée, et
.violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 3 de la
Convention, car la violence en cause était fondée sur le sexe. La Cour juge en particulier que l’époux
de Mme Bălșan lui a fait subir des violences et que les autorités ne pouvaient qu’en avoir parfaitement
connaissance, puisque Mme Bălșan a demandé l’aide de la police et des tribunaux à plusieurs reprises.
En outre, bien qu’en Roumanie il existe un dispositif légal, dont Mme Bălșan a fait pleinement usage,
permettant de se plaindre d’actes de violence domestique et de demander la protection des autorités,
celles-ci n’ont pas appliqué les dispositions pertinentes en l’espèce. Les autorités ont été jusqu’à
considérer que Mme Bălșan avait provoqué les actes de violence domestique dont elle avait fait
l’objet. Elles ont aussi estimé que ces actes n’étaient pas suffisamment graves pour relever du droit

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pénal. Cette approche a privé le dispositif légal national d’effet utile et était contraire aux normes
internationales applicables à la violence à l’égard des femmes. En effet, en l’espèce, la passivité des
autorités reflétait une attitude discriminatoire à l’égard de Mme Bălșan en tant que femme et
démontrait un manque d’engagement de la Roumanie en matière de lutte générale contre la violence
domestique.
Principaux faits
La requérante, Angelica Camelia Bălșan, est une ressortissante roumaine née en 1957 et habitant à
Petrosani (Roumanie). Mme Bălșan s’est mariée en 1979 et a quatre enfants. Selon elle, son époux
s’est comporté de manière violente contre elle et leurs enfants tout au long de leur mariage. Les
violences se seraient aggravées en 2007, pendant la procédure de divorce, et se seraient poursuivies en
2008, année du prononcé de leur divorce. Mme Bălșan aurait été agressée à huit reprises au total par
son époux pendant cette période et aurait subi des blessures consignées dans des documents médicaux
comme nécessitant de deux à dix jours de soins. En 2007-2008, Mme Bălșan demanda de l’aide en
appelant le numéro d’urgence de la police, en demandant une protection auprès du directeur de la
police et en présentant formellement des plaintes au pénal. Pour ce qui est de celles-ci, il fut jugé, aussi
bien au stade de l’instruction que devant les juridictions nationales, qu’elle avait provoqué les
violences domestiques en question et que celles-ci n’étaient pas suffisamment graves pour relever du
droit pénal. Dès lors, s’agissant des trois incidents survenus en 2007, les tribunaux décidèrent en
définitive d’acquitter l’époux du chef de coups et blessures et, s’agissant des cinq incidents survenus
en 2008, le parquet décida de ne pas inculper l’époux. Ce dernier fut condamné à une amende
administrative à la suite de chacune de ses décisions. Au cours de l’enquête pénale et de la procédure
judiciaire, Mme Bălșan continua à signaler aux autorités les violences que, selon elle, son époux lui
faisait subir, les prévenant qu’elle craignait pour sa vie. Cependant, aucune mesure concrète ne fut
jamais prise et les demandes de protection dont elle avait saisi les tribunaux restèrent lettre morte.
(…)
Décision de la Cour
Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants)
La Cour considère que la violence physique que Mme Bălșan a subie de la part de son époux à
plusieurs reprises et les blessures qui en ont résulté, telles qu’elles ont été établies par des rapports
médicaux et policiers, atteignaient le degré de gravité nécessaire à l’application de l’article 3 de la
Convention.
De plus, les autorités roumaines devaient avoir parfaitement connaissance de ces actes de violence,
puisque Mme Bălșan a demandé l’aide de la police et des tribunaux à plusieurs reprises. Elles avaient
donc l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables susceptibles de répondre à ces plaintes
et d’empêcher les agressions de se reproduire. En effet, il existe en Roumanie un dispositif légal, dont
Mme Bălșan a fait pleinement usage, permettant de se plaindre d’actes de violence domestique et de
demander la protection des autorités.
La Cour constate avec beaucoup de préoccupation que les autorités ont pourtant considéré que
Mme Bălșan avait provoqué les actes de violence domestique dont elle avait fait l’objet. Elle relève
aussi que les autorités ont estimé que ces actes n’étaient pas suffisamment graves pour relever du droit
pénal. Pareille approche, dans une affaire où les faits de violence domestique n’étaient pas contestés, a
privé le dispositif légal national d’effet utile et était contraire aux normes internationales applicables à
la violence à l’égard des femmes, notamment à la violence domestique.
En outre, alors que Mme Bălșan avait continué à se plaindre d’autres actes de violence tout au long de
la procédure, les autorités n’ont apparemment pris aucune mesure pour la protéger. Les seules
sanctions qui ont été infligées, des amendes administratives, étaient dépourvues d’effet dissuasif et
n’ont pas empêché d’autres actes de violence.
La Cour a donc conclu que la manière dont les autorités ont traité les plaintes de Mme Bălșan n’a pas
protégé celle-ci de manière adéquate contre la violence de son époux, au mépris de l’article 3.
Article 14 (interdiction de la discrimination)
La Cour prend acte de statistiques officielles montrant que la violence domestique est tolérée en
Roumanie et y est perçue comme normale par une majorité des gens. De plus, il se peut que le public
ne soit pas suffisamment au courant du cadre juridique et politique bien développé en Roumanie en ce
qui concerne l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et que les femmes elles-mêmes
n’aient pas connaissance de leurs droits. Les autorités n’ont apparemment pas non plus fait une juste

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appréciation de la gravité et de l’ampleur de la violence domestique en Roumanie, comme le confirme
en l’espèce le fait qu’elles n’aient pas appliqué les dispositions légales pertinentes. Cette passivité des
autorités reflétait une attitude discriminatoire à l’égard de Mme Bălșan en tant que femme.
La Cour considère donc que la violence dont Mme Bălșan a fait l’objet était fondée sur le sexe et
constituait une forme de discrimination à l’égard des femmes. En l’espèce, malgré l’adoption par
l’État défendeur d’une loi et d’une stratégie nationale de prévention et de lutte contre de tels actes,
l’absence globale de réaction de la part du système judiciaire et l’impunité dont les agresseurs ont
bénéficié révélaient un manque d’engagement dans la lutte contre la violence domestique en
Roumanie.
Par conséquent, il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 3.
Article 41 (satisfaction équitable)
La Cour dit que la Roumanie doit verser à Mme Bălșan 9 800 euros (EUR) pour dommage moral.
L’arrêt n’existe qu’en anglais.

• L’interdiction de l’esclavage et du travail forcé

Document n°15 : CEDH, Siliadin c. France, 28 juillet 1999

89. (…) la Cour estime que limiter le respect de l'article 4 de la Convention aux seuls agissements
directs des autorités de l'Etat irait à l'encontre des instruments internationaux spécifiquement consacrés
à ce problème et reviendrait à vider celui-ci de sa substance. Dès lors, il découle nécessairement de cet
article des obligations positives pour les Etats, au même titre que pour l'article 3 par exemple,
d'adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent les pratiques visées par l'article 4 et de
les appliquer concrètement (M.C. c. Bulgarie, précité, § 153)
(…)
109. La Cour constate que la requérante est arrivée du Togo en France à l'âge de quinze ans et sept
mois avec une personne qui était convenue avec son père qu'elle travaillerait jusqu'au remboursement
de son billet d'avion, mais que sa situation administrative serait régularisée et qu'elle serait scolarisée.

110. En réalité, la requérante travailla quelques mois chez cette personne avant d'être « prêtée » aux
époux B. Il ressort des faits tels qu'établis que, chez ceux-ci, elle travailla sans relâche environ quinze
heures par jour, sans jours de repos, pendant plusieurs années, sans jamais être payée, sans être
scolarisée, sans disposer de ses papiers d'identité et sans que sa situation administrative soit
régularisée. Elle était logée sur place et dormait dans la chambre des enfants.

111. La Cour constate qu'outre la Convention de nombreux instruments internationaux ont pour objet
la protection des êtres humains contre l'esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire (voir la
partie « Le droit pertinent »). Comme l'a relevé l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
bien que l'esclavage ait été officiellement aboli il y a plus de cent cinquante ans, des situations d'«
esclavage domestique » perdurent en Europe qui concernent des milliers de personnes, parmi
lesquelles une majorité de femmes.

112. La Cour rappelle que l'article 4 consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés
démocratiques. Le premier paragraphe de cet article ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste
avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4, et d'après
l'article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation, même en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant
la vie de la nation (voir, en ce qui concerne l'article 3, les arrêts Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier
1978, série A no 25, p. 65, § 163, Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A no 161, pp. 34-
35, § 88, Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1855, § 79, et Selmouni c.
France [GC], no 25803/94, § 79, CEDH 1999-V).
Dans ces conditions, la Cour estime que, conformément aux normes et aux tendances contemporaines
en la matière, il y a lieu de considérer que les obligations positives qui pèsent sur les Etats membres en
vertu de l'article 4 de la Convention commandent la criminalisation et la répression effective de tout

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acte tendant à maintenir une personne dans ce genre de situation (voir, mutatis mutandis, M.C. c.
Bulgarie, précité, § 166).
(…)
116. (La Cour) a considéré qu'il existe en effet une analogie frappante, et qui n'est pas fortuite, entre le
paragraphe 3 de l'article 4 de la Convention européenne et le paragraphe 2 de l'article 2 de la
Convention no 29 de l'OIT. Or le paragraphe 1 du même article précise qu'« aux fins » de cette
dernière, l'expression « travail forcé ou obligatoire » désigne « tout travail ou service exigé d'un
individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de son
plein gré ».

117. Reste à savoir s'il y a eu travail « forcé ou obligatoire ». Cela évoque l'idée d'une contrainte,
physique ou morale. Il doit s'agir d'un travail « exigé (...) sous la menace d'une peine quelconque » et,
de plus, contraire à la volonté de l'intéressé, pour lequel celui-ci « ne s'est pas offert de son plein gré »
(arrêt Van der Mussele précité, p. 17, § 34).

118. La Cour note qu'en l'espèce, si la requérante n'était pas sous la menace d'une « peine », il n'en
demeure pas moins qu'elle était dans une situation équivalente quant à la gravité de la menace qu'elle
pouvait ressentir.
En effet, adolescente, dans un pays qui lui était étranger, elle était en situation irrégulière sur le
territoire français et craignait d'être arrêtée par la police. Les époux B. entretenaient d'ailleurs cette
crainte et lui faisaient espérer une régularisation de sa situation (paragraphe 22 ci-dessus).
Dès lors, la Cour considère que la première condition est remplie, d'autant plus que, la Cour y insiste,
la requérante était mineure.

119. Quant à savoir si elle a accompli ce travail de son plein gré, il ressort clairement des faits établis
qu'il ne saurait sérieusement être soutenu que tel était le cas. Il est au contraire flagrant qu'aucun autre
choix ne lui était offert.

120. Dans ces conditions, la Cour estime que la requérante a, au minimum, été soumise à un travail
forcé au sens de l'article 4 de la Convention alors qu'elle était mineure.

121. Reste à déterminer si la requérante a été en outre maintenue dans un état de servitude ou
d'esclavage.
Il importe de ne perdre de vue ni les caractères particuliers de la Convention ni le fait que celle-ci est
un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles, et que le niveau
d'exigence croissant en matière de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales
implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes
aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (voir parmi beaucoup d'autres Selmouni,
précité, § 101).

122. La Cour relève d'emblée que selon la Convention relative à l'esclavage de 1927 « l'esclavage est
l'état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains
d'entre eux. »
Elle note que cette définition correspond au sens « classique » de l'esclavage, tel qu'il a été pratiqué
pendant des siècles. Bien que la requérante ait été, dans le cas d'espèce, clairement privée de son libre
arbitre, il ne ressort pas du dossier qu'elle ait été tenue en esclavage au sens propre, c'est-à-dire que les
époux B. aient exercé sur elle, juridiquement, un véritable droit de propriété, la réduisant à l'état
d'« objet ». (…)

123. En ce qui concerne la notion de « servitude », elle prohibe une « forme de négation de la liberté,
particulièrement grave » (voir le rapport de la Commission dans l'affaireVan Droogenbroeck c.
Belgique du 9 juillet 1980, série B no 44, p. 30, §§ 78-80). Elle englobe, « en plus de l'obligation de
fournir à autrui certains services, (...) l'obligation pour le « serf » de vivre sur la propriété d'autrui et
l'impossibilité de changer sa condition ». A ce sujet, pour examiner un grief sous l'angle de ce
paragraphe de l'article 4, la Commission a eu notamment égard à la Convention relative à l'abolition de

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l'esclavage (voir également la décision de la Commission du 5 juillet 1979 dans l'affaire Van
Droogenbroeck c. Belgique, no 7906/77, DR 17, p. 59).

124. Il en résulte, au vu de la jurisprudence existante sur la question, que la « servitude » telle


qu'entendue par la Convention s'analyse en une obligation de prêter ses services sous l'empire de la
contrainte et qu'elle est à mettre en lien avec la notion d'« esclavage » qui la précède (Seguin
c. France (déc.), no 42400/98, 7 mars 2000)
(…)
126. En sus du fait que la requérante a été astreinte à un travail forcé, la Cour relève que ce travail
s'effectuait sept jours sur sept et environ quinze heures par jour.
Amenée en France par une relation de son père, elle n'avait pas choisi de travailler chez les époux B.
Mineure, elle était sans ressources, vulnérable et isolée, et n'avait aucun moyen de vivre ailleurs que
chez les époux B. où elle partageait la chambre des enfants, aucune autre forme d'hébergement ne lui
ayant été proposée. Elle était entièrement à la merci des époux B. puisque ses papiers lui avaient été
confisqués et qu'il lui avait été promis que sa situation serait régularisée, ce qui ne fut jamais fait
.
127. De plus, la requérante, qui craignait d'être arrêtée par la police, n'était en tout état de cause
autorisée à sortir que pour accompagner les enfants en classe et à leurs différentes activités. Elle ne
disposait donc d'aucune liberté de mouvement et d'aucun temps libre.

128. N'ayant par ailleurs pas été scolarisée malgré ce qui avait été promis à son père, la requérante ne
pouvait espérer voir sa situation évoluer et était entièrement dépendante des époux B.

129. La Cour conclut de ce qui précède que la requérante, mineure à l'époque des faits, a été tenue en
état de servitude au sens de l'article 4 de la Convention.

Document n°16 : CEDH, Rantsev c. Chypre et Russie, 7 janvier 2010

253. Le requérant soutient que le manquement des autorités russes et des autorités chypriotes à
protéger sa fille contre la traite et à mener une enquête effective sur les circonstances de son arrivée à
Chypre et sur la nature de son emploi sur place a emporté violation de l’article 4 de la Convention de
la part des deux Etats. En ses parties pertinentes, l’article 4 est ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.
(...) »
272. La première question qui se pose est celle de savoir si la présente affaire relève de la portée de
l’article 4. La Cour rappelle qu’il n’est nullement fait mention de la traite dans cette disposition, qui
interdit l’« esclavage », « la servitude » et le « travail forcé ou obligatoire ».

273. La Cour n’a jamais considéré les dispositions de la Convention comme la seule référence pour
l’interprétation des droits et libertés qui y sont consacrés (Demir et Baykara c. Turquie [GC],
no 34503/97, § 67, CEDH 2008). Elle dit depuis longtemps que l’un des principes essentiels en
matière d’application des dispositions de la Convention est qu’elles ne s’appliquent pas dans le vide
(Loizidou c. Turquie (fond), 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, et Öcalan c. Turquie [GC],
no 46221/99, § 163, CEDH 2005-IV). Notamment, en tant que traité international, la Convention doit
s’interpréter à la lumière des règles d’interprétation énoncées dans la Convention de Vienne du 23 mai
1969 sur le droit des traités (« la Convention de Vienne »).

274. En vertu de cet instrument, il faut, pour interpréter la Convention, rechercher le sens ordinaire à
attribuer aux mots dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la disposition dont ils sont
tirés (voir Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18, Loizidou, précité, § 43, et
l’article 31 § 1 de la Convention de Vienne). La Cour doit tenir compte de ce que le contexte de la
disposition est celui d’un traité de protection effective des droits individuels de l’être humain et de ce
que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter en veillant à l’harmonie et à la cohérence
interne de ses différentes dispositions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC],

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nos 65731/01 et65900/01, § 48, CEDH 2005-X). Il faut aussi tenir compte de toute règle de droit
international applicable aux relations entre les parties contractantes, et la Convention doit autant que
faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont
elle fait partie intégrante (voir Al-Adsani, précité, § 55, Demir et Baykara, précité, § 67, Saadi c.
Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 62, CEDH 2008, et l’article 31 § 3 c) de la Convention de
Vienne).

275. Enfin, la Cour souligne que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres
humains, appellent à interpréter et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les
exigences concrètes et effectives (voir notamment Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87, série
A no 161, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37).

276. Dans l’affaire Siliadin ([c. France, no 73316/01], § 122[, CEDH 2005-VII]), où elle a eu à
examiner la portée du terme « esclavage » au sens de l’article 4, la Cour s’est référée à la définition
classique de cette notion telle qu’elle figurait dans la Convention relative à l’esclavage de 1926, en
vertu de laquelle il fallait l’exercice d’un véritable droit de propriété et la réduction de l’individu
concerné à l’état d’« objet ». En ce qui concerne la notion de « servitude », la Cour a jugé que ce qui
est prohibé est une « forme de négation de la liberté particulièrement grave » (Van Droogenbroeck c.
Belgique, no 7906/77, rapport de la Commission du 9 juillet 1980, série B no 44, p.30, §§ 78-80). La
notion de « servitude » implique une obligation de prêter ses services sous l’empire de la contrainte et
est à mettre en lien avec la notion d’« esclavage » (Seguin c. France (déc.), no 42400/98, 7 mars 2000,
et Siliadin, précité, § 124). Selon la jurisprudence de la Cour, pour qu’il y ait travail « forcé ou
obligatoire », il doit y avoir une forme de contrainte, physique ou morale, et le travail doit être
contraire à la volonté de l’intéressé (Van der Mussele c. Belgique, 23 novembre 1983, § 34, série A
no 70, et Siliadin, précité, § 117).

277. Il n’est pas surprenant que la Convention ne contienne aucune référence expresse à la traite des
personnes : elle s’inspire en effet de la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par
l’Assemblée générale des Nations unies en 1948, qui ne mentionne pas non plus cette notion mais
interdit, en son article 4, « l’esclavage et la traite des esclaves (...) sous toutes leurs formes ». Cela
étant, il ne faut pas perdre de vue, au moment d’examiner la portée de l’article 4 de la Convention, les
particularités de celle-ci ni le fait qu’il s’agit d’un instrument vivant à interpréter à la lumière des
conditions de vie actuelles. Le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de
l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande
fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (voir,
parmi bien d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 101, CEDH 1999-V, Christine
Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 71, CEDH 2002-VI, et Siliadin, précité, § 121).

278. La Cour observe que la traite des êtres humains à l’échelle mondiale s’est développée de manière
significative ces dernières années (paragraphes 89, 100 et 103 ci-dessus). En Europe, ce phénomène a
été facilité en partie par l’effondrement du bloc communiste. La conclusion du Protocole de Palerme
en 2000 et celle de la convention anti-traite du Conseil de l’Europe en 2005 montrent la
reconnaissance croissante au niveau international de l’ampleur du problème et de la nécessité de lutter
contre celui-ci.

279. La Cour n’est pas souvent appelée à examiner l’application de l’article 4. Elle n’a eu à ce jour à
connaître que d’une affaire dans laquelle se posait la question de savoir dans quelle mesure les
traitements associés à la traite relevaient de la portée de cet article (Siliadin, précité). Elle a alors
conclu que les traitements subis par le requérant s’analysaient en servitude et en travail forcé et
obligatoire mais ne constituaient cependant pas de l’esclavage. Compte tenu de la prolifération tant de
la traite que des mesures destinées à la combattre, elle juge approprié en l’espèce d’examiner la
mesure dans laquelle le phénomène peut en lui-même être considéré comme contraire à l’esprit et au
but de l’article 4 de la Convention et ainsi relever des garanties apportées par cet article sans qu’il soit
nécessaire d’apprécier de laquelle des trois conduites prohibées relèvent les traitements de l’affaire en
cause.

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280. La Cour relève que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a observé que le
concept traditionnel d’« esclavage » avait évolué pour englober diverses formes contemporaines
d’esclavage se fondant elles aussi sur l’exercice de l’un quelconque ou de l’ensemble des attributs du
droit de propriété (paragraphe 142 ci-dessus) et a conclu que la question de savoir si une situation
donnée constitue une forme contemporaine de réduction en esclavage dépendait de facteurs tels que le
contrôle des mouvements d’un individu, le contrôle de l’environnement physique, le contrôle
psychologique, les mesures prises pour empêcher ou décourager toute tentative de fuite ainsi que le
contrôle de la sexualité et le travail forcé (paragraphe 143 ci-dessus).

281. Du fait même de sa nature et de son but consistant à exploiter autrui, la traite des êtres humains
repose sur l’exercice de pouvoirs qui se rattachent au droit de propriété. Dans ce système, des êtres
humains sont traités comme des biens que l’on peut vendre et acheter et ils sont soumis à un travail
forcé, qu’ils exercent souvent pour peu ou pas d’argent, généralement dans l’industrie du sexe mais
aussi ailleurs (paragraphes 101 et 161 ci-dessus). Cela implique une surveillance étroite des activités
des victimes, et bien souvent, celles-ci voient leur liberté de circulation restreinte
(paragraphes 85 et 101 ci-dessus), subissent des actes de violence et des menaces, et sont soumises à
des conditions de vie et de travail épouvantables (paragraphes 85, 87, 88 et 101 ci-dessus). Interights
et les auteurs du rapport explicatif de la convention anti-traite du Conseil de l’Europe ont qualifié la
traite de forme moderne du commerce mondial des esclaves (paragraphe 161 ci-dessus). De même, la
médiatrice chypriote estime dans son rapport que l’exploitation sexuelle et la traite constituent un
« régime d’esclavage moderne » (paragraphe 84 ci-dessus).

282. Il ne peut y avoir aucun doute quant au fait que la traite porte atteinte à la dignité humaine et aux
libertés fondamentales de ses victimes et qu’elle ne peut être considérée comme compatible avec une
société démocratique ni avec les valeurs consacrées dans la Convention. Eu égard à l’obligation qui est
la sienne d’interpréter la Convention à la lumière des conditions de vie actuelles, la Cour estime qu’il
n’est pas nécessaire de déterminer si les traitements qui font l’objet des griefs du requérant constituent
de l’« esclavage », de la « servitude » ou un « travail forcé ou obligatoire ». Elle conclut purement et
simplement qu’en elle-même, la traite d’êtres humains, au sens de l’article 3 a) du Protocole de
Palerme et de l’article 4 a) de la convention anti-traite du Conseil de l’Europe, relève de la portée de
l’article 4 de la Convention. En conséquence, elle rejette l’exception pour incompatibilité ratione
materiae soulevée par le gouvernement russe.
(…)
287. Sans perdre de vue les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés
contemporaines ni les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources, il faut
interpréter l’obligation de prendre des mesures concrètes de manière à ne pas imposer aux autorités un
fardeau insupportable ou excessif (voir, mutatis mutandis, Osman, précité, § 116). Au moment
d’examiner la proportionnalité en l’espèce de quelque obligation positive que ce soit, il faut tenir
compte du fait que le Protocole de Palerme, signé par Chypre et par la Fédération de Russie en 2000,
impose aux Etats de s’efforcer de protéger la sécurité physique des victimes de traite se trouvant sur
leur territoire et de mettre en place des politiques et des programmes complets de prévention de la
traite et de lutte contre ce phénomène (...) Les Etats doivent également former comme il se doit leurs
agents des services de détection, de répression et d’immigration (paragraphe 155 ci-dessus).

288. De même que les articles 2 et 3, l’article 4 impose une obligation procédurale d’enquêter sur les
situations de traite potentielle. L’obligation d’enquête ne dépend pas d’une plainte de la victime ou
d’un proche : une fois que la question a été portée à leur attention, les autorités doivent agir
(voir, mutatis mutandis, Paul et Audrey Edwards, précité, § 69,). Pour être effective, l’enquête doit
être indépendante des personnes impliquées dans les faits. Elle doit également permettre d’identifier et
de sanctionner les responsables. Il s’agit là d’une obligation non de résultat, mais de moyens. Une
exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans tous les cas mais lorsqu’il est
possible de soustraire l’individu concerné à une situation dommageable, l’enquête doit être menée
d’urgence. La victime ou le proche doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire
à la protection de leurs intérêts légitimes (voir, mutatis mutandis, ibidem, §§ 70-73).

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289. Enfin, la Cour rappelle que la traite est un problème qui, bien souvent, n’est pas circonscrit aux
frontières nationales. Lorsqu’une personne est emmenée d’un Etat à un autre, des infractions relevant
de la traite peuvent avoir lieu dans l’Etat d’origine, dans les Etats de transit et dans l’Etat de
destination. Il peut se trouver des éléments de preuve et des témoins dans tous les Etats. Si le Protocole
de Palerme n’aborde pas la question de la juridiction, la convention anti-traite du Conseil de l’Europe
impose expressément à tous les Etats membres d’établir leur juridiction sur toute infraction de traite
commise sur leur territoire (paragraphe 172 ci-dessus). De l’avis de la Cour, cette approche est
parfaitement logique compte tenu de l’obligation générale, rappelée ci-dessus, qu’ont tous les Etats en
vertu de l’article 4 de la Convention d’enquêter sur les allégations de traite. Dans les affaires de traite
internationale, les Etats membres ont non seulement l’obligation de mener une enquête interne sur les
faits survenant sur leur propre territoire mais aussi celle de coopérer efficacement avec les autorités
compétentes des autres Etats concernés dans l’enquête sur les faits survenus hors de leur territoire.
Cette obligation est conforme tant aux objectifs des Etats membres exprimés dans le préambule du
Protocole de Palerme, qui consistent notamment à adopter une approche globale et internationale de la
traite dans les pays d’origine, de transit et de destination (paragraphe 149 ci-dessus), qu’aux accords
internationaux d’entraide judiciaire auxquels les Etats défendeurs sont parties en l’espèce
(paragraphes 175 à 180 ci-dessus.)

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