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Mai-Août 1953

MERCVRE
DE

FRANCE
Tome CCCXVIII

PARTS
MERCVRE DE FRANCE
. xxv r, . RYE DE COND~, X.XVI
MCML IJ I
614 MERCVRE DE FRANCE-l-Vlll-1953

LE CYGNE

Quand on lui demande de chanter


on comprend qu'il se fasse prier.

LE CROCODILE
PSYCHANALYSE DE LA NEIGE
Il cherche un cure-dent :
il vient de croquer un missionnaire par GILBERT DURAND
avec son chapelet.

LA CHIENNE A Gaston Bachelard.

Elle n'a plus qu'un réverbère Dans ses remarquables études sur les rêveries inspirées
pour lui rappeler l'infidèle. par les matières élémentaires, Gaston Bachelard a oublié la
neige. Oubli bien excusable pour un Champenois. Cham-
pagne .e t Bourgogne, vocables trop terrestres, trop chargé~
de saveurs et de parfums, pour que la neige y joue d'autre _
LE SERPENT
rôle que celui d'un épisode assez bref, d'un répit sans len-
Autour du pommier demain dans le labeur du vigneron. Bachelard, vivant une
tradition qui est loin d'être boréale, pense qu'il n'y a que
il attend une poire.
quatre. éléments. Et même, si l'on veut psychanalyser avec
sympathie notre psychanalyste, on s'aperçoit que la terre
joue un rôle plus fondamental dans la rêverie d'un conti-
nental du plat pays que l'eau chère aux marins : «la mer,
la mer, toujours recommencée! », que l'air déjà si alpestre
et « ascensionnel » ou que le feu aux ·s ecrets volcaniques.
Bachelard con8acre deux ouvrages sur cinq à l'élément
terrestre. Lorsque le chimiste champenois s'aventure dans
la montagne c'est encore la terre et le roc qu'il évoque. Pour
le terrien la neige n'est qu'un passe-temps de vacances qui
dure trop peu pour donner nourriture aux rêveries, fugitif
comme les bains de ·mer ou le feu de camp.
Il en va tout autrement pour celui à qui la neige est quasi
quotidienne, pour le montagnard ou l'esquimau. Gontran de
Poncins, qui a vécu chez ces derniers, relate l' « impor-
tance essentielle » de la neige : « Dix jours de neige sont
un plaisir, dix mois une obsession ... » Pour nous autres,
alpins, la neige est toujours présente et par là essentielle,
puisque l'essence, dans une phénoménologie de première
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instance, c'est le «toujours» de ce qui dure. L'été elle ne que je parle je l'approche du feu... Mais voici également
fait que reculer sans jamais disparaître. Elle est « neige que je suis obligé d'arrêter ici ce pastiche de Descartes,
éternelle» accrochée à quelque neve au cœur de la car la cire que l'on approche du feu reste cependant cire,
canicule. Dès Novembre, elle s'infiltre dans notre vie en mais non pas la neige. Il faut revenir par delà le matéria-
des floraisons de givre. Novembre est le printemps de la lisme géométrique de la physique cartésienne, comme par
neige, mais Janvier en est l'été aux surabondantes fructi- delà le matérialisme quaternaire d'Aristote, à un matéria-
fications glacées. C'est alors l'apothéose et le déchaînement lisme plus sensuel, plus affectif. Car finalement ce qui fonde
jusqu'à Mardi gras, puis de nouveau le lent reflux et la la matière, c'est toujours quelque chose qui résiste à
remontée vers les cimes pour ne laisser à la terre et à la l'idéalisme conquérant. La matière n'est pas une pensée, un V
vie terrestre que quatre à cinq mois de répit. La neige est esprit momentanément figé, mais bel et bien l'obstacle qui
une mer qui ne roulerait qu'une lente marée équinoxiale et arrête et étonne la pensée. Se moquer de la logique, c'est
annuelle, abandonnant sur des plages noires et vertes les ce qui permet à la matière de recevoir les qualités les plus
étoiles de l'edelweiss, et les anémones de terre. Elle a donc diverses, les plus contradictoires et les plus extraordinaires.
bien pour nous l'éternelle présence d'une matière, au même Bachelard a raison de considérer la matière comme
titre que la terre, l'air, l'eau ou le feu. Car c'est déjà une poétique, alors que seul l'esprit est « scientifique ». La neige
pensée élaborée et préscientifique que de réduire au apparaît donc comme un obstacle épistémologique, c'est-à-
nombre quatre les matières .primordiales. Il y a, sous-jacente dire une matière qui ne se laisse pas classer et mépriser en
à la théorie des _q uatre éléments, toute une. combinatoire de tant que simple eau gelée. Car il est ridicule pour la cons-
qualités, du chaud, du froid, du sec et de l'humide, et peut, cience matérialiste et manuelle de dire que l'on fait des
être même une vague ambition mathématique avec la boules avec de l'eau, et les boules de neige sont radicale-
tetrakys des pythagoriciens, véritable quadrature du monde. ment distinctes des mottes de terre, fades, sales, non imma-
La théorie des quatre éléments est déjà un système d'expli- culées et brûlantes aux doigts comme celles de la neige.
cation alors que la véritable pensée de la substance est plus Seul le montagnard sait bien dire les litanies qualitatives
ingénue que ce scientisme préscientifique : elle ne sait pas de la neige : elle est poudreuse et coule en rigoles pulvé-
compter, pas même jusqu'à trois ou quatre. La vraie valeur rulentes entre les blocs de glace, elle est croûteuse et se
pour une pensée naïvement élémentaire c'est l'obsession et déchire comme du carton, elle est toilée, hostile comme
l'intensité. C'est aussi l'universalité, car toute pensée un miroir d'acier, elle est béton qui construit des séracs
élémentaire se veut à la fois charmeuse comme le rêve chaotiques, ou encore « soupe » des brûlants midi de mai.
subjectif et secret, mais exprimable comme le discours ·Elle se fait « grésil » que le gicleur du vent injecte, corrosif,
public et rationnel. Telle se manifeste l'expression artis- entre lunettes et cagoule; elle se fait givrage d'étoiles
tique de la neige : elle peuple le folklore nordique et slave, impalpables,
. .
ou flocons lents et mouillés, ou encore le 0ael
l'estampe japonaise, la peinture chinoise, la légende thibé- prmtamer la transforme en larges facettes de borate céleste.
taine ()U lapo11e, l'œuvre de Breughel ou de Samivel, ·elle va Mais c'est surtout dès que cette neige s'intériorise et conta-
même jusqu'à. inspirer l'Africain qui rêve des Djinns de mine la pensée poétique qu'elle devient intéressante pour le
l'Atlas ou avec Hemingway, chasseur équatorial, elle se pose psychologue. C'est par l'œil et par l'oreille à la fois qu'elle
avec tout son mystère sur le Kilimandjaro. entre dans la conscience poétique. A vrai dire l'expérience
Prenons pour exemple ce morceau de neige qui vient d'être sonore de la neige est liée à un processus tactile et kiné-
tiré de l'hiver, il n'a pas encore perdu la froideur de la sique : c'est la mollesse, fa lenteur, la doucem· de la neige
glace . qu'il contient, il retient encore quelque chose de qui contient son silence. «Plume dans le vent ·», «duvet»,
l'odeur de sapin, de fart et de fourrure qui forment son « ouate », «laine » « cendre », sont les expressions banales
cortège, il est mol, il est blanc, il est froid, ... enfin toutes de l'amortissement sonore de la neige. Les caractères visuels
- les choses qui peuvent distinctement faire connaître un sont plus purs ·d'autres ingérences sensorielles : c'est
corps, se rencontrent en celui-ci. Mais voici que pendant évidemment la blancheur qui triomphe, qualité si notoire
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qu'elle fait presque corps avec la définition même de la neige, allusion textile, et Verhaeren pousse plus loin l'image enve-
blancheur « étincelante », « immaculée », « infinie », cou- loppante et douce :
vrant et ouvrant l'espace par le haut comme par le bas, et il
n'y a pas loin de ces images de la blancheur envahissante Avec la mousse, avec la laine
et «marmoréenne» aux images plus intellectualisées du Que tu répands de plaine en plaine
« manteau » et du «linceul » ; enfin ce sont les images Neige silencieuse et doucement amie
astrales de la neige, suggérées tant par l'aspect microsco- Des maisons, au matin, dans le calme endormies ...
pique de l'étoile de neige que par la solitude lunaire de la
haute montagne. Tout ce qui était claquements de bottes et de sabots et
rumeur de roues se tait, seuls subsistent, doués d'une signi-
fication nouvelle, les rires des enfants qui se lancent les
boules. «Amortit» et « étouffe » disons-nous, car le son

* est étranglé jusque dans la gorge du voyageur. La tyrolienne


que glapit le montagnard bien calfeutré dans son chalet
n'est qu'une compensation. Le blizzard de la piste sait clore
Il est difficile de séparer ces images poétiques de la neige, le bec au plus bavard. D'où la réflexion horrifiée de
qui s'imbriquent les unes dans les autres pour former des Mme de Sévigné, d'ordinaire si loquace: «Nous ne respi-
constellations ou des complexes d'images. Ce qui montre rons que de la neige!» La neige se fait bâillon, et. force,
que toute analyse, surtout psychologique, est toujours artifi- pour ainsi dire, au bâillon, car tel est bien le « cache-nez »
, cielle. Le silence de la neige est tellement primordial qu'il ou la « cagoule » qui ne laisse dépasser que narines et
lance immédiatement l'imagination vers «l'effrayant silence lunettes. Elle force aussi à boucher les oreilles, et toutes
des solitudes infinies » et vers le cortège intersteilaire des les coiffures de neige, du « serre-tête » à la « casquette
images cosmiques. On peut observer ce glissement, bien norvégienne» sont à « oreillettes » . Mais quittons ces mes- '
gênant pour l'analyste, chez l'alpiniste Georges Rivai! : quineries vestimentaires pour les contemplations moins
« Silence absolu de la neige... tel qu'il régnera encore utilitaires des neiges plus radicalement silencieuses de la
lorsque toute vie sera abolie, ou plutôt tel qu'il devait régner haute ·montagne. Ici le calme prend un aspect sacré. Ce
avant toute vie ... » Il nous faudra . rogner tous ces harmo- n'est que 'la mauvaise neige du printemps qui gronde en
niques célestes du silence, ou tout au moins les mettre entre avalanche, et juste ce qu'il faut pour faire apprécier le
parenthèses, si nous voulons recueillir le silence neigeux à silence qui environne le grondement. Les avalanches de
l'état pur. Le méditerranéen Valéry a bien saisi cet aspect poudreuse s'infiltrent pernicieusement et en secret ne font
insolite de la neige : pas plus de bruit qu'un papier froissé. Ecoutons encore
Quel silence, battu d'un simple bruit de bêche! Rivai! : « La neige que .je ne vois pas continue de couler en
Quel pur désert tombé des ténèbres sans bruit silence, les torrents se sont tus : Silence. Les avalanches
Vint effacer les traits de la terre enchantée ... bloquées par le froid ont cessé de tonner dans les cou-
Et la fondre en un lieu sans visage et sans voix ... loirs : Silence ... » Etudions de.plus près le mécanisme psycho- ·
logique de cet hypersilence de ce « silence absolu ». C'est
La neige se révèle d 'abord au citadin qui s'éveille comme ici que l'on observe un phénomène de renforcement des
une privation, comme une gêne qui subtilise les bruits fami- images par la convergence d'atlas sensoriels différents : la
liers ou les transforme en abolissant la bande sonore du blancheur est l'équivalent plastique du silence. Toute obscu-
bruitage ordinaire de l'univers. Le silence est privation du rité est peuplée de bruits, toute ténèbre est peuplée de
sens monotone et bavard du monde. C'est pour cela que la gémissements et de grincements de dents. Il n'y a rien de
neige est si souvent comparée à du coton, à quelque chose tel que la nuit noire pour garnir de crissements et de frôle-
qui amortit et étouffe. Mais déjà sous «coton» point une ments inquiétants la plus lointaine solitude. Or lorsqu'il
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MERCVHE DE FRANCE-1-VIII-1953

neige il ?e fait jamais nuit : car la neige est phosphores- méprise revêt une sorte de constance historique, pourquoi ·
cente, meme sous Je ciel plombé d'un minuit de tempête. refuser l'être à la permanence et à la ténacité? Que l'on
Le soleil de minuit, la claire nuit polaire sont autant m'entende bien. Je ne pense pas qu'à chacun convienne sa
impression psychologique que constatation cosmographique. vérité, mais qu'il y a autant d e vérités que d'intentions
QueJJe translucidité d'aquarium que Je clair de June sur la fortes. Car il n'y a pas de véritè que de l'adéquation de
montagne ouatée! Rimbaud nous dit en un vers magnifique- l'esprit à la chose, mais aussi une vérité prophétique de
ment absurde : l'adéquation de la chose à l'esprit. II y a une r éalité du
songe et du mensonge qui vaut bien celle de la vérité objec-
J'ai rêvé la nuit verte a11x neiges éblouies.
tive. Le seul péché consiste à confondre ces deux axes de
Rien n'est plus présent que la douce et infinie lumière la pensée et d·e fai re une science poétique et une poésie
dans une nuit de neige apaisée. C'est ce que nous suggère scientifique. Autrement dit, le se ul péché en cc monde est le
encore Je poète : péché de confusion, celui du philosophe systématique et
celui du littérateur «à thèse » ... La claire-nuit-silencieuse-de-'
0 neige lumineuse m1 travers de notre âme!
musique que nous révèle la neige n'est donc qu'une méta-
(Verhaeren.) ·
physique du silence : un silence qui entre en nous par tous
Vérité spéciale de la poésie qui fait dériver la lumière non les sens, bien Join du silence mesquin des physiciens et des
d'u~e qualité physique de l'objet, mais de l'émotion psycho- laboratoires d'acoustique. C'est ce silence renforcé que l'on
logique. On ne sait qui est lumineux, de la chose neigeuse peut appel~r un méta-silence, par delà les définitions du
ou de l'esprit qui la rêve. Lumière de nuit de solstice! Et dictionnaire. Silence suprême de la méditation du monta-
n.ous poursuivons de paradoxe en paradoxe : jamais ce gnard qui ·r ejoint la . contemplation supra-physique d'un
stlence de nuit lumineuse n'a été aussi bien rendu que par Pascal «Une chose dont la présence m'envahit; le silence ...
une chanson : le fameux Noël allemand « Stille Nacht hei- face à face avec l'inscrutable silence. Non pas Je silence"'
Iig~ Nacht... > .Mais ici il faut faire Je point, car Ja ps~cho­ bref, mitigé, de la vie des plaines mais le Silence Absolu» .
log1e nous fait toucher à l'essence même de Ja poésie : (ijivail). La neige apparaît donc bien dans sa qualité acous-
méditant sur la neige, comme Rimbaud dans son sonnet des tique comme une matière poétique, et par là comme un
voyelles prétendait que Je E de l'alphabet était tremplin métaphysique. Remonte-pente vers l'absolu, ell e
nous révèle cependant une forme particulière de cette abso-
Blanc lance des glaciers fiers ... luité, C'est un absolu de vide et de silence. Peut-être tou-
Nous en arrivons à dire qu'un silence est blanc ou qu'une chons-nous là à un des caractères fondamentaux de la
clarté est silencieuse, et comme Corneille à parler des rêverie neigeuse : elle est rêverie négatrice, elle est anti-
clartés de l'obscurité, ou éncore comme Gœthe de Ja thèse et par là, nous verrons, bouleversement de conversion.
musique silencieusement sidérale. C'est que Ja vérité Valéry nous parle de cet «effacement» qu'est la neige, et
poétique est d'un autre genre que la vérité scientifique et lui fait écho l'explorateur polaire de Poncins, qui, à bout
utilitaire. La psychologie nous permet d'atteindre en chacun d'épithètes, ùit de la neige : «Elle défait tout. » Le silence
de nous les charmeuses erreurs des liaisons absurdes. Le est défaite du bruit et de Jal voix, défaite de la vie aussi, .
psychologue est l'auxiliaire du poète. Parce qu'il sait, comme car le silence est emblème du repos mortuaire, défaite sur- ·
le poète, que la méprise est pain plus délicieux et aussi tout de l'agitation et peut-être seulement de la vanité de la
quotidien que l'adéquation objective. La logique du poète vie. Sil eµce de l'illuminé et du trappiste ... neige du char-
n'est plus celle du physicien, elJe est peut-être. logique de treux et de l'ermite. Mais voilà que nous nous laissons aller
l'être plus que du connaître. Le poète se veut mage, ou du à toutes les harmoniques de cette glissante matière poétique.
moins prophète. La magie de son verbe fait naître la réalité, Tant il est difficile de parler raisonnablement de matières
la · rencontre. En témoignent les expériences de Breton ou qui sont essentiellement déraison. Et tant la tâche du
de Char. Car si les «erreurs> ont leur charme et si la psychologue est honteuse; psychologie, constante consulta-
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tion prénuptiale de la poésie, pseudo-science et verbiage de des chaises percées versaillaises ou de l'orientalisme à bon
cuistre! Psychologie absolument androgyne, et qui n'a pour marché des alcôves second-empire. Ce n'est pas un r_eprochc
mission que d'afficher l'exemple, à ne pas suivre, de ses que nous faisons au poète, car la poésie chromatique est
inhérentes contradictions. Psychologie qui n'a de valeur légitime, mais c'est un simple « distingo » entre les genres
que médiatrice et monitrice du sens commun vers le sens poétiques. La poésie de la blanchet~r est plus r arement
scientifique ou poétique. Revenons donc pour l'instant à exprimée, comme d'ailleurs celle du silence. La coule~ff es:
cette fonction de la défaite et du néant que possède la neige sensualité, en témoigne un de nos plus grands c~~onstes :
et le « général hiver ». Car la neige ne défait pas que les « beaux bleus, beaux rouges, beaux jaunes, maheres qm
sons, mais encore les couleürs et leur audace luxuriante. remuent le fond sensuel des hommes » (A. Matisse). La p~u­
part du temps la conscience habituée aux saveurs .o~an~.ees
des nourritures terrestres s'irrite devant la purete a l etat
* pur. «L'admiration de la montagne est une inventio~ du
protestantisme ... » et Gide ajo~te mé~hamment : , « S1 de
Nous avons déjà établi le rapport de renforcement . 9ui l'arbre la montagne fait un sapm, on iuge\ cc qu ~Ile peut
existe entre le silence et la lumière. Mais à son tour, si nous faire de l'homme. Esthétique et moralité de comfères ... »
voulons examiner attentivement cette notion de blancheur, Gide n'a jamais dû s'a~enturer bien h~ut, ~ar y aur~it v~
la voici qui file vers des significations poétiqu_es, morales que la montagne et la neige défont le sapm lm-meme. L est~e­
et religieuses. Car cette blancheur est vraiment trop super- tique et la moralité qui convient au-dessu~ de d e~1~ mille
lative, Valéry ébloui par mètres est celle d'une étoile et non plus d un comfere. L~
Cette ample candeur sourdement augmentée conifère n'est qu'une ridicule survivance terrestre, tache q~.i
Où le regard perdu relève quelques toits ... s'arcboute noire contre le grand effacement blanc, Nathanael
qui sait mal cacher sa nostalgie de Noël et sa quêt~ du
fait écho à Rilke : désert sans cesse entravée par les mirages et l~s saveurs de.s
Tout cet éclat se gonfie épanoui ... oasis. Car si le mot blancheur appelle la notion de puret~,
cette dernière est phonétiquement proche du terme durete.
Regard perdu, pensée éperdue devant une blancheur trop Tel est bien le héros helvétique que Schiller met en scène,
aveuglante. La neige veut arracher la conscience aux dou- et qui ·répond avec une âpre pureté : « Oui, enfant, il vaut
ceurs nuancées de la vision, facilement elle se fait aveu- mieux avoir dans le dos des glaciers que _des homn~es .
glante : petit grésil piquant qui cisaille les yeux, flocons méchants ... » Pure et dure sont des rimes parfaites. Le poete
qui « grenaillent » selon le mot de Rilke, et surtout aveugle- pour atteindre la blancheur de la ·neige doit se garder de
ment du glacier, jet direct de soleil reflété par des myriades
la facile tendresse :
de microscopiques miroirs astéroïdes. L'épithète qui vient
Je m'éveille, attendu par cette n eige f'rnî che
sous la plume de G. Keller est « blendend », éblouissante, et ·
Qui me saisit au creux de ma chère chaleur.
le Bateau ivre de Rimbaud rêve, lui aussi, de «neiges
Mes yeux trouvent un jour d'une dure pâleur
éblouies ». Voici un caractère qui va inquiéter le poète jus-
Et ma chair langoureuse a peur de l'innocence ...
qu'à en faire ou un religieux ou un ennemi de la neige et de
la montagne. C'est ce recul devant la grande négation Seuls les très grands poètes, et peut-être seuls les très
blanche des formes et des couleurs que manifeste l'hostilité grands hommes, avouent sans orgueil déplacé cette peur des
classique tant que romantique à l'égard des «monts ascèses nécessaires. Et Char, le chef de bande, ajoute en s~s
affreux », de leurs précipices et de leurs glaciers. La poésie · éclatants -Matinaux son verbe net à la prudence trop doml-
aime à rester ménagère, potagère, exubérante comme un lette du citadin Valéry :
carré de choux, un panier de carottes, mais elle se méfie des Ah! la neige est inexorable
déserts trop absolus. Trop souvent le poète est au niveau Qui aime qu'on souffre à ses pieds

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Qui veut que l'on meure glacé le vaste neve, · ouvre son infini effrayant contre la finitude
Quand on a 1Jéc11 dans les sables ... humaniste et l;lûcheronne de la forêt. C'est ce que la sensi-
bilité d'un Rilke démasque sous la blancheur hypertrophiée :
Oui cette blancheur implique un renoncement; d'instinct, Le jour trop blanc prend un aspect d'é ternité .. .'
Verhaeren la taxe de «blanche cendre ». Mais la distance du
sable désertique au désert de neige est moins grande que Comme Jean-Marc Bernard le remarque dans . Le Haut-Viva-
celle qui va de l'oasis jusqu'au dépouillement neigeux. rais l'hiver: « Malgré soi on devient la proie de la médita-
L'intuition d'un Baudelaire réunit subtilement les images de tion... dans de pareils déserts tout paysan devient anacho-
la dureté: rète. Le catholicisme prend un air fermé ... ».
Tel est bien le fond du malaise qu e ressent le poète ter-
Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, restre devant le domaine de la neige : non seulement sa
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour ... blancheur se veut pureté et ascèse morale, mais encore
exige une gravité religieuse, ou mieux une foi; lorsque Char
aux images du sphinx, du désert aérien et de la pureté
neigeuse: s'écrie devant «l'inexorable » neige
Rien que le vide et l'avalanclte
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris. La détresse et le regret...
J'unis zm cœ11r de neige à la blancheur des cygnes ...
on peut dire, qu'il atteint la « sécheresse » extrême du
Valéry a raison de taxer la neige de «pur désert » ; si le désert, ultime pointe de la poésie au devant auroral des
sable du désert est un infini extérieur où les sens se perdent genèses et de la foi.
dans la chaleur et où se « cuit» la sensibilité, la neige, La neige veut une adoration religieuse. C'est ce que
hostile, mordante, barricade la conscience dans un désert · reproche au pays de Rousseau le renégat Gide. Le chant
intérieur. Mais la solitude désertique subsiste. Le sage choral alpin, même s'il est profane et célèbre le petit chalet
recherche aussi bien le désert de sables et de rocs de· la ou le beau sapin, a un aspect de cantique. La neige c'est la
thébaïde que le délaissement glacé de l'Himalaya. En grande Vierge immaciîŒe et glacée au delà de la vie, mais
témoigne la tradition thibétaine et indoue. Et chez nous gardienne de la vie, comme nous le verrons tout à l'heure.
Bruno et Bernard de Menthon. Il est nécessaire de nous Toute l'histoire d e la Vierge Mère et de l'immaculée-Concep-
arrêter un instant à cette image du désert prélude à toute tion est complexuellement neigeuse. Religieusement la neige
apocalypse. Le désert est le lieu des conversions et des trans- est pour le montagnard Nanda-Dévî ou Anapurna. La par-
formations. C'est. au désert de Patmos que Jean détruit ce faite · blancheur garantit la parfaite sainteté. D'ailleurs la
monde, et que germe · la Jérusalem céle"ste. Le désert de blancheur éclatante est attribut directement divin : le Christ
neige, comme tous les déserts, est farouche résistance puri- transfiguré a des vêtements d'un éclat neigeux, et le terme
ficatrice aux séductions de · la terre. V-0ici que le désert de mésopotamien qui signifie divinité, « dingir » ' veut aussi
neige nous trace des voies jaillissantes et multiples : il nous dire clair, brillant, de même que l'akkadien « ·e nu ». Dyaus
· indique une ascèse morale, une transcendance religieuse et Varuna sont avant tout des dieux lumineux~ Non pas lueur
dépassant la poétique de la neige, et surtout ~ vù.l.e èssen- solaire, mais éclat céleste, présolaire, comme le fait remar-
tielle ! - une radicale apocalypse qui dialectise et fulmine quer Mircéa Eliade. Le pèlerfuage aux sources ne trouve
le terrestre. Maryse Choisy a bien raison d'opposer le Désert finalement le désaltérement originaire qu'à travers l'éblouis-
à la Forêt : « Pour les inçlous en effet ... l'infini est une .vertu sant désert du névé. Dans l'univers de l'hiver la pensée se
absolue, la vertu de la continuité, la vertu dominante dit recueille et devient angélique, loin des exubérances char-
désert : désert de sable, désert de neige ou .désert de ciel... » neiles de l'été. L'éblouissement de la blancheur et du froid
Le sens profond de la blancheur désertique et de la négation n'autorise ·a ucune distraction de soi-même. Vertu incanta-
des couleurs familières et finies est donc l'infinitude. La toire de l'hiver avec ses anges et ses légendes, et Noël au
poétique de la neige est indicatrice d'une religion. Le pack, cœur de tous ces enchantements!
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d'hiver donne une exceptionnelle audace au bureaucrate


timoré. Et qui ne risquerait pas, à la ville, de sortir le soir

* sans cravate et sans chapeau de peur du rhume et des


convenances, risque vingt fois par jour de se rompre les os
en un débraillé inédit et proférant de joyeux jurons, lors-
Négatrice des nuheurs et des couleurs terrestres, la silen- qu'il est délivré par la neige du conservatisme quotidien.
cieuse blancheur nous révèle donc le caractère profondé- Saint-Exupéry le reconnaît lui-même : « Dans la neige on
ment dialectique de la neige. La neige sera la grande trans- perd . tout instinct de conservation ... » Là où il est interdit
formatrice. Et cela en tous les domaines : la neige nous de ' jeter- des pierres, la neige autorise qu'on lance des
délivre du sol aux ténèbres et aux gemmes trop multiples. boules. La partie de luge prime les devoirs. Le plaisir
Elle « défait» le terrestre _d e la terre, qu'elle nivelle en un miraculeux de là neige prime le Devoir tout court. ·
point tel qu'on ne reconnaît plus l'arcosse et l'éboulis recou-
Transformation pour l'homme signifie renaissance. Mais la
verts du seul tapis vraiment magique, vraiment transfigura-
clarté du Phénix nécessite la cendre, nécessite la mort. La
teur. Elle défait méthodiquement l'arbre qu'elle déguise en
neige va joindre ici le grand mythe cyclique de l'hiver.
polypier de givre, qu'elle durcit en fer forgé de diamants.
L'arbre est transformé, emprisonné en ce mystérieux « See-
Le printemps adorable a P.erdu son odeur!
baum » que décrit Keller, et la plainte de l'ondine, c'est la
Et le temps m'engloutit minute par minute
plainte de l'arbre charnel « purifié» par la neige :
Comme la neige immense un corps pris de roideur ...
Des profondeurs surgit l'arbre du lac (Baudelaire.)
Jusqu'à son faite durci par la glace.
Grimpée sur les branches l'ondine ...
Avec un gémissement étouffé, Elle est «manteau» qui recouvre pour plus tard découvrir,
De-ci, de-là, elle tâte la prison glacée ... elle est tombe passagère qui se veut berceau. Autre aspect
paradoxal qui n'est plus fait pour nous surprendre. Dans
La neige brise sans pitié celui qui a osé garder ses feuilles le rituel druidique la mort hivernale s'associe à la grande
et ses regrets de l'été. Sauf le sapin, bien sûr, qu'elle se fête du solstice porteuse des germes ultimes de la saison :
contente de ridiculiser en chaperon blanc tant soit peu la gluante baie du gui toujours vert et la rutilante boule du
obscène, ou au contraire de magnifier en arbre de Noël, roi ·h oux. Maîtresse de dialectique la neige nie la terre pour. la
des forêts ... parce que sacré par le désert. Mais c'est au-des- mieux affirmer, pour la révéler grasse, noire, gorgée de sève
sus de la limite ·des arbres, là où la neige arrête fa végéta- parmi les premiers crocus du printemps. Si elle apparaît
tion que les transformations deviennent plus puissantes : les comme tombe, c'est pour mieux mûrir le renouveau. L'accord
animaux eux-mêmes, « blanchots » et lagopèdes, s'estompent sur ce point est universel, que ce soit le paysan qui dans
dans une livrée neigeuse. Véritable vacance de la terre qui sa sagesse fait collaborer la couverture de neige à la fécon-
redonne la joie à la •tristesse ascétique du gel. Le citadin dation souterraine du blé, que ce soit un simple rimeur
détendu par les sports d'hiver troque la componction de comme E. Reynaud qui nettement associe les images ambi-
l'adulte contre les plus extravagants et puérils accoutre- valentes:
ments. Notaires transformés en cow-boy's, professeurs rede-
venus potaches, milliardaires mués en vagabonds. Comme Il neige ......... ... . ... .. .... ... ..... .... .. .
toute transformation la neige se manifeste par un renverse- Tel un marbre descend lentement sur la tombe
ment des habitudes et des valeurs les plus quotidiennes : Décembre est-ce la mort? Non, tout est bien vivant:
elle est le petit fléau qui autorise à la dame de l'entresol, La neige, sans tarir, désaltère et féconde
d-istante et précieuse, d 'échanger quelques mots avec le La terre où, sourdement, germe la moisson blonde;
balayeur au nez couperosé et à l'haleine alcoolisée. Le sport Et sur l' Alpe sauvage elle se fait berceau ...
(;28 ~IEHCVHE DE FHANCE-'-1-VIII-l!l5il PSYCHANALYSE DE LA NEIGE 629

Que ce soit Verhaeren qui dit, en un plus beau langage, à sont ceux mêmes qu'inspirent une eau tempétueuse et torren-
peu près la même chose : tielle. La neige marque seulement sa différence élémentaire
0 neige d'avec l'eau en solidifiant celle-ci d'une façon ironique, en
Qui réchauffes et qui protèges . la disqualifiant en banquise aussi raide que de la plaine ou
Le blé qui lève à peine ... en morve de glace. Car si la neige défait de toutes ses forces
Recouvre notre toit et frôle nos fenêtres ... la terre, elle n'en est pas moins hostile à toute confusion
possible avec la trivialité de l'eau. Elle est une eau intégra-
que ce soit Cocteau qui en une image fort belle chante la lement lustrale, elle est l'épithète même du Baptême comme
fécondité de « ce coup de poing de marbre » qu'est la boule le sous-entend Rimbaud :
de neige ... ou encore que ce soit G. Keller qui dans «Pre-
Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers ...
mière Neige » nous dit, reprenant la métaphore du fructueux
tombeau : Quant à l'air, la neige en usurpe facilement les moyens et
Pure neige, blanche neige, ô neige les images. Le flocon, avant d'effacer la tei:re, est élément
Recouvre ces deux tombes semi-aérien. Avant d'être lainage, coton, ou manteau étouf-
Afin que l'âme pousse fant, la neige plane en duvet ou. en plumage :
Tranquille et fraîche dans ,le repos hivernal Il neige! L'on dirait comme lln fi.let mouvant,
Bientôt viendra le renouveau printanier Et fait d'un blanc duv et qui tourbillonne et tombe.
L'éveilleur de l'amour ... Quel est donc dans le ciel, cette chaste colombe
Qui laisse dérober sa plume par le vent?
Enfin Supervielle, plus sobre, condense ces images :
Je sens l'effort du gazon murmure gentiment Emile Rey naud. La n eige est plume
Pour ne mourir sous la neige ... d'une colombe Saint-Esprit qui s'insurge contre toute maté-
rialité trop Jourde. Keller associe l'image de la neige posée
La neige est donc initiation naturelle au mystère de la vie. à celle de l'aile fermée :
Elle est alchimie vulgarisée, enfermant la conscience dans
Pas un coup d'aile ne bat à travers le monde
le délicieux silence d'une tristesse pétillante de joie, d'une
Calme et éblouissante la blanche neige gît ...
mort qui couve le germe. Négatrice par nature, ses images
dépassent en ambivalence les images de n'importe quel autre Cette épiphanie de la neige nous indique déjà son carac-
élément. Résolument anti-terre, la neige va annexer autant tère céleste fondamental. L'aile est moyen d'ascension et
qu'il se peut toutes les images des éléments non terrestres déjà voyage vers les étoiles. D'ailleurs ne dirai_t-on pas que
· qui à quelque degré s'opposent à la terre. Erosion méta- les flocons planent, et remontent même, sans jamais tomber?
physique la neige va assimiler tous les agents d'érosion. Il faudrait placer en cet endroit une étude approfondie de
Pour transformer la Babylone terrestre en .térusalem, tous la vitesse aérienne que révèlent les sports de neige. Dans les
les moyens sont bons, raz de marée comme ouragan et pluie romans de nos grand-mères c'est toujours la troïka qui est
d e feu. La neige saura se congeler dans le fleuve lentement affublée des. adjectifs évocateurs du vol. Ce que le terrien
millénaire du glacier. ;L'érosion glaciaire est la lourde cons- demande avant tout au ski comme au patinage c'est une
tatation scientifique d 'un processus alchimique. La compa- aisance d'oiseau. Les virevoltes. de la nage sont bien mes-
raison des séracs aux «vagues » de la mer est trop banale quines à côté de la fulgurance du slalom, précise comme le
pour que l'on s'y arrête. Les dunes du désert ou les mou- gobage d'une hirondelle. Et que dire du saut de compétition,
tonnements de la «mer de glace» sont si proches des houles Hermès planant sans artifice - car deux longues semelles
de !'Océan! Rien n'y manque : ni les embruns détachés des de bois ne sont pas une machine! - sur des dizaines de
corniches, ni les galets des moraines. Quant aux termes dont mètres. Dans ce domaine la chute tant abhorrée est vaincue,
se servent les montagnards pour décrire l'avalanche, ce non pas que l'on ne tombe point, mais la chute n'est jamais
PSYCHANALYSE DE LA NEIGE 631
630 MERCVRE DE FRANCE-1-VIII-1953

suivie de l'écrasement des chutes terrestres, elle est rebon- froid et la chaleur douillette du lit, n'étaient que de simples
dissement, elle est imprévu, généralement comique. Mais la esquisses poétiques d'un réveil bourgeois. Opposition. vul-
neige sait se faire complice également de l'air violent. La gaire de la neige envahissante et des chaleurs domestiques
tempête du vent ne prend sa matérialité que par la neige, ténues et envahies :
la vraie tempête c'est le blizzard. De même que l'air véri- Où le regard perdu relève quelques toits
table, celui que l'on respire réellement, c'est l'air des cimes .. .. ... ... .., ............................. .
qui donne seul aux poumons cette impression de plénitude A peine offrant le vœu d'une vague fumée ...
glacée. Air· des sanatoria qu_e valorisent les expériences de
Pasteur. Air pur qui selon Supervielle est «la cime nei- Rilke fait un pas de plus dans Je sens d'une valorisation
geuse de l'air ... », Tandis que la neige ne faisait que mimer thermique de la neige. La neige n'est plus seulement l'anti-
l'eau tout en gardant ses distances, elle semble annexer thèse triviale des moiteurs de l'alcôve, elle devient la cause,
l'air : plus l'élément est résolument anti-terrestre, plus la · le prétexte du foyer et du feu: pa~. d'hiver'. pas ?e ch,~­
neige s'en approche. L'air est plus subtil que l'eau qui déjà minée· pas de cheminée pas de feu. S 11 est vrai de dire qu il
'compose en la boue avec la terre. Mais où nous allons voir n'y a 'pas de fumée sa'ns feu, on petit également soutenir
naître les plus profondes images · poétiques de la neige, c'est qu'il n'y a pas de feu sans froid :
lorsque nous allons la confronter avec la chaleur et avec le
feu.
Les chemins blancs deviennent silencieux
Et plus intimes les chambres familières
L'horloge chante et les enf anis tressaillent .. .
Car dans le poêle l!ert une bûche a craqué .. .
*
Rien ne semble, du point de vue d'une physique du sens
La n eige revalorise l'âtre . et le coin du feu. Baudelaire
retrouve à la neige et à l'hiver la même vertu de conver-
·commun, plus antithétique que la neige et que le feu. Rien
n'est plus proche du point de vue poétique. L'absurdité du sion:
rapprochement des termes de chaleur et des termes de neige Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones
fait la profondeur même de telles images poétiques. Si nous Je fermerai partout portières et volets
arrivons à montrer .que la neige, qui pour une conscience ...Je serai plongé dans cette volupté
commune n'est que froidure opposée à la chaleur du feu, se ...De tirer zm soleil de mon cœur, et de faire
confond poétiquement avec la fonction lustrale du feu et de De mes pensers brûlants une tiède atmosphère ...
la chaleur, notre hypothèse psycho-poétique de la neige
essentiellement anti-terre se trouvera justifiée. Çar des trois Le mythe du Pè~e Noël et le culte de la cheminée n'a pu
éléments restants le feu est le plus farouchement- purifica- prendre naissance qu'au cœur de l'hiver neige~x. La neige
teur des souillures terrestres. Le baptême de l'air n'est qu'un chasse vers l'âtre et les rêveries du foyer. La neige engendre
passe-temps frivole et tarifé en nos aérodromes, le baptême la bûche de Noël. Le culte du feu est bien Je culte du renou-
de l'eau n'est que celui d'un précurseur. Le Baptême par le veau par excellence : flamme dans la nuit d'hiver, lueurs
feu est le seul baptême définitif, celui de la Pentecôte, celui dans la nuit de décembre, bonne nouvelle du solstice. Cepen-
également qui divinement purifie les lèvres du prophète. dant la métaphore de· la neige et du feu peut encore s'appro-
Nous allons assister au lent décollement des métaphores fondir. Car il y a plusieurs sortes de chaleur, celle animale
superficielles et «naturelles » de la froide neige qui et terrestre d es réveils fril eux, celle déjà plus élaborée des
contredit la « chère chaleur» pour atteindre des métaphores pétilfoments de la flamm e, enfin celle des illuminations et
plus profondes, plus culturelles et psychologiques de la des enthousiasmes. Le poète peut alors, pour composer sa
neige chaude lumière, feu sacré. En effet, les belles images réalité absurde, faire appel soit aux souvenirs ingénus de .
de Valéry, toutes chargées de l'opposition entre la dureté du l'enfance, aux petites mains brûlées par la neige, aux pom-
632 PSYCHANALYSE DE LA NEIGE 633
MERCVRE DE FRANCE- 1-VIII-1953

m~ttes rougies par la fougue de la lutte et l'exaltation de la d'antithèses, ce qui prouve que le surréel poétique n'est bien
ghssade, soit aux méprises possibles de la .l umière et du feu. qu'au delà des thèses, au delà des borgnes appréciations de
Po?r le sens commun, pas de fumée sans feu, pour le médi- tous les jours. Le poème de Verhaeren que nous avons déjà
tatif pas de feu sans froid; un pas de plus : pour le poète cité est plein de l'image paradoxale de la flamme neigeuse, et
pa~ de lumière sans chaleur, sans vague chaude d'action de associe explicitement « réchauffement» et «résurrection » :
grace et d'exaltation. C'est alors que peut naître l'image Neige
ab~u~de, le paradoxe, matière même de la métalogique Qui réchauffe et qui protège
poehque, que nous donne cette fois Anna de Noailles : ·
Le matin lumineux semble llne cliaude neige ... Et soudain par le seuil et la porte pénètre
Avec tes flocons purs et tes dmisantes flammes
Et voici que se serre davantage pour nous toute l'absurde 0 neige lumineuse au lravers de notre âme
cohére~~e du développement poétique des images neigeuses : Neige qui réchauffe encore nos derniers rêves
nous ehons partis d 'un silence renforcé par la blan- Comme du blé qui lève! ...
cheur, et la nuit devenait lumineuse, voici encore plus para-
doxalement. que cette. blancheur lumineuse que nos sens Nous venons donc de boucler le cycle poétique des images
s~ve~t pertme~ment etre froide, devient chaude au cœur.
élémentaires de la neige, tout .processus poétique se blo-
J msiste une fois de plus sur ce point, car il nous permet quant par une métaphore contradictoire. Cependant le jeu
pe~t~être d'at~eindre l'essence de la poésie. Un moment complet des métaphores de la neige : lumière, silence, soli-
poehque survient chaque fois que le sensualisme à la vue tude désertique au delà de- la terre, pureté reconquise au
cour.te e~t p:ofondément blessé. 'La « chaude neige » fait creuset de l'incandescence .. , etc ... appelle une image qui en
cortege a « l obscure clarté», à la « noirceur du lait» à soit un symbole complet. De même que les images de la
« l'?ran~e. bl~ue ». et au «cadavre exquis». Lorsque l'objet terre viennent se condenser dans un symbole végétal :
rahonahse VICtoneusement anéantit la sensation stupide on rameau d'olivier, gerbe d'épis ou pampres de vigne, de même
P~~t pa~ler. de science; lorsque c'est l'émotion et l'affecti-
que l'air se condense dans l'aigle· qui plane et l'eau dans le
:ite SU~Jechve ou collective qui vient contredire la plate poisson, la chevelure ou la ligne· serpentine, la neige a besoin
1mpress10n sensorielle abêtie par la routine et l'utilité on a d'un symbole qui fixe ses significations mouvantes.
cette fois affaire à la poésie. Au-devant de la banale blan-
ch~ur de l~ neige la science lance les formules de la congé-
lation de l eau et le processus moléculaire de la cristallisa-
tion, la p~ésie la~ce la fulgurante chaleur du baptême et de
la super-f~condahon de la flamme, l'une et l'autre écrasant
*
L'image symbolique de la neige c'est l'étoile. D'abord
les pl~tes images. des quotidiennes sensations. Les surréalistes parce que le cristal de neige a une forme étoilée, qui étonne
ont bien compris cette nécessité d'au-delà, de surréel que toujours l'observateur et l'émerveille par une prodigieuse
veut la poésie, et ce n'est pas par hasard que se retrouve fines~e du dessin et de la ciselure. Ensuite le silence appelle
da~s un . expo~~ théorique de leur doctrine poétique et toujours des comparaisons sidérales : reprenons la citation
!
metaphys1que image de la glace jointe, consubstantielle, à de Rivai! que nous faisions plus haut .: « le silence absolu ...
c~lle du feu : ecoutons Breton qui dans le Second Manifeste Tel qu'il régnera encore lorsque toute vie sera abolie, ou
declare que le surréalisme est « l'anéantissement de l'être plutôt tel qu'il devait régner avant toute vie ... » La neige
~~ un brillant intérieur et aveugle, qui ne soit pas plus comme toute matière dialectique se place dans les instants
l am~ ?e la glace que celle du feu ». Crevel est encore plus transitoires, vers les· au-delà et les en-de.çà du monde ter-
. exphcite dans Les pieds dans le plat : « Les coritraires la restre. De Poncins précise cette sensation du vide primor- ·
· glàce et la flamme brûlent d'un même feu; le monde s'~m­ dial des espaces intersidéraux : .« Le ciel et la terre d'une
brase à coup de cristaux et d'incendies ». Le monde s'embrase même matière ... » Une terre célestifiée, un ciel terrifié, ce
634 MERCVRE DE FRANCE-1-VIII-1953 PSYCHANALYSE DE LA NEIGE 635

sont bien là définitions de l'étoile. Egalement viennent ren- l'idéogramme mésopotamien qui se prononce « dingir », le
forcer cette im,pression l'aspect lunaire du paysage de haute Dieu lumineux », et qui s'écrit en une figure étoilée. Un
montagne : dénudé de toute végétation, recouvert d'une symbole, nous en voyons un exemple, est un complexe non
monotonie aveuglante et précise, sous un ciel violet foncé seulement de sensations, mais de significations affectives
qui semble privé d'atmosphère, tout paysage de haute mon- multiples, et d'un véritable apprentissage culturel. Le sym-
tagne évoque la solitude transparente des surfaces lunaires bole c'est la conjonction étroite de la nature et de la culture.
sinon stellaires. D'ailleurs l'étoile n'est-elle pas l'anti-terre Le symbole de la neige c'est l'étoile où viennent confluer le
par ~xcellence? On oppose toujours à un point de vue ter- sTieiice, la géométrie hexagonale, la lumière, la pureté, l'apo-
restre le point de vue de Sirius. Combien de « fins du monde » . calypse, la brûlure, la fulgurance, et la chanson populaire.
sont prédites comme accomplies par. l'étoile, que ce soit Etoile des neiges. Mais le symbole stellaire est si puissant
dans Flammarion, dans le film «futuriste » américain, ou qu'il suffit de son apparition pour suggérer la présence de la
encore que ce soit cette fameuse Etoile absinthe de l' Apoca- neige en un poème où la neige est à peine. citée. Telle est
lypse. Supervielle joint les images de mort à celle d'astres l'obsession de l'étoile dans le poème de Cocteau « Le Cama-
neigeux: rade» :
Ce nuage est traversé par: le vol des forêts mortes
Ce coup de poing de marbre était boule de neige
Et cela lui étoila le cœur;
Sous le givre sidéral ...
Et cela étoilait la blouse du vainqueur,
Il n'est pas de semaine où un quelconque hebdomadaire Etoila le vainqueur noir que rien ne protége ...
ne nous annonce une très prochaine collision avec une
Coup de poing fulgurant comme une étoile filante, et sacra-
comète ou un astéroïde. On suppose que notre fin dernière
lisant comme une foudre jupitérienne :
sera sidérale puisque notre commencement fut cette fameuse
nébuleuse primitive. Dangereuse science que celle des fins Ces coups de poing durs des boules de neige
et des origines, dans laquelle la physique laplacienne côtoie Que donne la beauté, vite au cœur, en passant. ..
de trop près la poésie! Il ést donc naturel que l'intention
anti-terrestre de la neige rejoigne la rêverie de l'étoile. Cet étoilement n'est pas sans rappeler à notre mémoire
L'étoile n'est d'ailleurs jamais aussi brillante · que pendant l' « étoile de sang» d'Apollinaire. Quoique l'image de
la nuit d'hiver. L'étoile ne luit bien que dans le désert, «l'étoile» soit une image de forme, éclaboussure de sang,
parce qu'elle ne .luit véritablement que pour celui qui a brisure de vitre ou blessure du crâne, l'image de
quitté la terre et ses délices. Richesse révolutionnaire du «l'étoile» s'attache cependant plus à la substance et à sa
pauvre en esprit. L'étoile est le domaine du marin, du pasteur teinture qu'à la forme. Qui dit étoile dit luminescence, et à
de Judée, du montagnard et du royal mage. Keller ramasse travers la clarté de l'étoile joue dans notre inconscient la
magnifiquement les épithètes imaginaires de la neige dans blancheur de la voie lactée. La neige participe à toute
la strophe déjà citée. Il associe .Je repos de.l'aile, la s·plen- pensée galaxique. L'œil étonné qui scrute le ciel au téles-
deur calme de la neige, la tempête figée et apaisée par )e cope voit neiger des milliards d'étoiles. C'est alors que
froid et la voûte des étoiles (Sternenzelt) : s'introduit sous le symbole une cosmogonie galaxique :
Pas un coup d'aile ... l'étoile devient substance primitive, originaire du monde.
Pas un nuage ne pend de la voûte étoilée Age d'avant le temps où rien n'était séparé, où tout était
Pas une vague ne bat sur l'onde pétrifiée ... magma latescent. La « nébuleuse primitive », expression
magique, phosphorescente et solitaire. Viennent converger
A l'Epiphanie, l'étoile coïncide avec l'hiver, le solstice et le en une philosophie de la neige et la clarté doucement supra-
feu. Elle est l'étoile du matin de la Jérusalem. L'étoile est terrestre des astres, et les réminiscences des nébulosités
épiphanie de l'anti-terre, en témoigne encore une fois hivernales. Qui n'a jamais eu l'impression, dans la brume
636 MERCVRE DE FRANCE-1-VIIl-1953 PSYCHANALYSE DE LA NEIGE 637

d'hiver, sous Ja. bourrasque de neige, d'être dans la nébu- sion » essentielle d'où nous ·é tions partis · pour rêver cette
leuse originelle? D'être calfeutré dans une position défini- étude. La neige est ·consacrée matière, et même substance
tive ët èssenfielle? C'est peut-être de cette impression que par le philosophe, le montagnard ou l'explorateur polaire.
naît tout le charme discret des estampes japonaises tou"tes Car la neige est obstacle à notre activité comme à notre
cernées de brumes et de neiges, et dans lesquelles l'es objets, . affectivité attiédie. L'explorateur parle encore la même
les personnages, isolés comme des comètes, prennent une langue que le métaphysicien : « Pour nous, là-haut, la neige
importance substantielle. Objets coupés de tontes relations est un labeur sans fin ... C'est une chose qu'il faut sans cesse
avec les autres, et par là même intensifiés, substantifiés. De déblayer avec la pelle ... C'est la chose dont il faut se garer
Ponçins l'explorateur, retrouve dans le Grand Nord l'imagi- · sans cesse.» Comme l'être, la neige est «l'en-soi » qui barre
nation d'une steppe intersidérale, glacée et amorphe, où les la piste au projet du «pour-soi», elle se fait obstacle à la
gaz se solidifient en un froid fondamental. Monotonie indé- m arche, comme pétrification au désir. Marche titubante de
finie, blancheur grisâtre et sourde à force d 'être immense, Guillaumet perdu dans les Andes que nous raconte Saint-
, tel est peut-être le nirvana originaire que la neige propose Exupéry. Marche compacte de l'explorateur : «Elle rend la
' à la méditation. Non seulement elle serait anti-terre mais marche toujours pénible... Ou vous glissez dessus, ou vous
encore « avant-terre », matière primordiale. Ecoutons de butez dedans comme un vieux cheval... » Elle entrave même
Poncins :· « Le ciel et la terre d'une même matière ... pour le projet du repos terrestre : «Chaque fois qu'elle drift elle
moi c'est une chose grise, indéfinie; sans dimension, sans remplit l'iglu à croire qu'on vous en jette des p elletées en
couleur, un monde atone. Pas de ligne d'horizon pour récon- pleine figure ... » Le fait de l'obstacle, de l'autre m'atteint en
forter l'œil, pas de lointain ... » Voilà bien la rêverie installée plein cœur, le fait de la neige, encore plus opaque, me gifle
par la sensation même au cœur de la voie lactée, en cette le visage. C'est iei que nous retrouvons le caractère négatif
substance neutronique d'où jaillira l'univers et ses coÙleÙrs ... de cet être. Tout obstacle est-· négation, tout être est néanti-
sant pour un être autre que lui... Si le pour-soi est néanti-
sant par essence, il n'en a pas moins les moiteurs et les

*
Après sa trajectoire symbolique et stellaire, la neige nous
douceurs de l'existence, alors que l'en-soi, tout massif qu'il
soit, n'en apparaît pas moins comme celui qui estompe,
défait, efface et contrecarre le projet de ma libre expansion.
apparaît donc avec une étrange puissance d'évocation de Ja Mais voici que le philosophe s'enhardit, la dialectique le
substance. De poétique qu'elle était elle devient philoso- pousse à la lutte, héroïque il chausse les skis. «Le but est
phique. De petite antithèse sensuelle, chargée d'appels de faire quelque chose avec cette neige. » Le sport, et jus-
moraux et esthétiques, elle extrapole une vaste cosmogonie. qu'à l'humble bonhomme de neige est : « transformation
Elle ~'efface plus seulement la terre et ses mirages, elle d'un milieu du mond·e en soutien de l'action ». Mais le
constitue le monde ... et même elle constitue l'Etre. Voyons philosophe diffère profondément du poète ... Le sport n'était
s'avancer vers elle le Philosophe chétif, au pas mal assuré, pour celui-ci que jouissance de la vitesse pure,. copulation
mais magnifique : «Le champ de neige est saisi par la vue, avec l'absolu. L'ambition philosophique est plus impéria-
comme symbole de l'Etre... Il représente l'extériorité pure, liste. Le poète ne voulait que saisir le surréel par delà les
la spatialité radicale ... » et s'accordant avec l'explorateur le contradictions, le philosophe · veut réduire ces contradic-
philosophe continue : « ... Son indifférenciation, sa monotonie tions, dominer l'une par l'autre. Impérialisme réaliste plt1"
et sa blancheur manifestent l'absolue nudité de la substance· tôt que surréalisme poétique : «Le sens du ski ... n'est pas
l·1 es t l' en-soi. qm. n ' est qu ' en soi...
. Son immobilité solide' seulement de me permettre des déplacements rapides ...
exprime la permanence et la résistance objective de l'en-soi· c'est aussi de me permettre de posséder ce champ de ..neige :
son opacité et son imperméabilité... me fascine comme l~ le parcours est activité synthétique de liaison, d'organisa-
pure ap1~arition du non-moi ... » Cette « fascination » que tion ... » L'avarice de l'avoir remplace les générosités extati-
Sartre frileux et métaphysicien éprouve confirme l' « obscs- ques du donner et de l'être. Le philosophe ne se donne pas,
638 MERCVRE DE FRANCE-1-VIIl-1953 PSYCHANALYSE DE LA NEIGE 639

il prend et il possède ou il retient. Vieille mentalité fécale poétique est nécessité de substantification. On comprend
des pensées ontologistes. Totalitarisme sado-masochiste de alors que la poésie soit la véritable alchimie, loin des « épi-
tous les systèmes, ontologie aux interdits précis comme une thètes qui pourrissent » , comme le dit encore G. Lely. C'est
dissection d'entomologiste. «Je suis celui qui informe Je là qu'est toute la différence entre les rimes d'E. Reynaud,
champ de neige, par la libre vitesse que je me donne. » rafistolées d'adjectifs, et l'image du verbe de Supervielle.
Orgueil d'informer, de marquer, et à la limite, de salir. Le Mais pour atteindre ces « matières primordiales » il faut
philosophe recherche l' être, le poète en est pénétré et se inverser la psychanalyse de purification scientifique que
moque des formes au profit des jouissances. Et voici que préconise Bachelard, il faut s'enfoncer dans le magma des
s'étage une vérité de plus, sur un axe inédit de notre pensée. délires et des rêveries et s'écarter des voies rectilignes de
A la vérité du faire de la science « nouménotechnique », la raison. Il faut pour cela repousser le scientisme déjà
à la vérité de l'être surréel de la poésie, vient s'ajouter la élaboré des classifications quaternaires et autres de la
vérité de l'inquiétude et de la quête d'un avoir toujours matière. , Il faut" ne pas vouloir « guérir l'esprit de ses
métaphysique. Vérités antagonistes, parce que la pensée erreurs », c'est-à-dire de ses irrationnalités. Et Bachelard, le
jalouse se referme à l'exclusion · de toute autre sur l'une scientifique, a raison d'équilibrer son œuvre. d'épistémolo-
d'elles seule. Toute pensée sérieuse est toujours fermée, ce giste par un certain poids de malsaine curiosité pour
sont les matières qui viennent l'ouvrir. Seul l'obstacle d"e la l'obstacle épistémologique. L'axiologie - c'est-à-dire l'étude
matière, des expériences et des fortuites rencontres, vient de ce qui nous tient à cœur, de . ce que nous « avons dans la
briser la solitude systématique de la pensée. La matière est peau» - vient contrebalancer l'épistémologie. L'angélisme
leçon d'humilité pour les orgueilleuses exclusives de l'esprit. est tin produit de fidéalisme scientifique. Le rôle de la vraie
Encore une fois ces vérités ne sont point pirandelliennes, philosophie est de coordonner les valeurs disjointes, les
mais cardinalement écartelées, comme les points géographi- · intentions ennemies. Car la philosophie n'est ni roman
ques des intentions de l'esprit. Toute vérité est subversive, d'anticipation scientifique ni enlisement schizophrénique.
et seule une doctrine de la subversion peut ~tre celle de la Elle est sagesse terrestre. Elle sait pour cela faire place, à
vérité totale. Ce qui fait la cohérence des pluralités épar- côté de la science exacte et idéale, aux intimités de la poésie
pillées de la pensée c'est la volonté de révolte polémique et de la mythologie. Toute sagesse qui n'a pas son grain de
qui les propulse. La substance de l'esprit c'est finalement folie n'est pas véritablement humaine. L'humanisme authen-
l'éclatement nucléaire de la liberté. tique est celui qui sait faire la part de la faiblesse et de tout
ce qui est erreur aux yeux de la science. Il faut de tout pour
faire un homme.
*
Telles sont les leçons que l'on amasse en méditant la
neige. Et finalement la neige, au même titre que l'eau, l'air,
le feu et la terre, au même titre que beaucoup d'obstacles
qui émerveillent l'esprit, nous apparaît bien constituer une
authentique matière. Elle possède bien cette majesté que
G. Lely exige d e la matière poétique, « c 'est-à-dire la signi-
fication humaine la plu s générale ... », et dont on retrouve la
trace sur tous les plans de la rêverie, même le plan philo-
sophique. Si nous suivons le profil d'intensité des images
poétiques, c'est-à-dire si nous recherchons la vraie poésie,
nous observons qu'elle se trouve lorsque les images se maté-
rialisent et lorsque l'expression se substantifie. La nécessité
76~ l\ŒRCVRE DE FRANCE-l-VIII-Hlf1:J
,t
Hommag-e à. un professeur. - Le Mercure rend compte d'autre
part (p. 694, ci-dessus) du livre de Jacques Lusseyron, Et la lumière
fut. Dans ce récit robuste d'une expérience qui aurait pu être
effroyable, nous lisons cet hommage d notre collaborateur -
J.-F. Angelloz, que l'auteur dans son enfance avait eu comme pro-
fesseur d'allemand au lycée Montaigne :
<Nous l'appelions tous <monsieur>, sans nous Mre consultés. Il
« était le seul de nos maftres auquel cet honneur ftH faît, non par
«crainte du reste, mais par respect. Je ne sais plus dire clairement TABLE DES SOMMAIRES
« aujourd'hui en quoi son enseignement était admirable. Mais je me
«rappelle encore ma joie, chaque semaine, en enlrant dans sa DU TOME CCCXVIII
«classe. La voix de cet homme avait une chaleur et une dignité
«familière qui me rassuraient. J'emportais chez moi les mots alle-
« mands qu'elle avait prononcés. Je les répétais dnns le silence. Ils
«me semblaient peser et vivre. Au déld de leur signification, ils N• 1077. - 1er JllAI 1953
« existaient encore. M. Angelloz employait presque toujours la
ALAIN •••• • • • • • • • • • • • • • • • · ' ••
K . X. Rous.~el ............... . ..... · ·
« méthode directe. Chaque semaine, il nous faisait apprendre une YVES BONNEFOY •... • • .. · · • · • • • Vrni lieu, poème . . . ...... . .... ·· - · · · -16
« poésie. Ces poésies, je les sais encore. Elles soni: mes derniers sou- CLARISSE FRANCILLON • .••.• • • • Entrevue, nouvelle . . .. .. . ... -. . . . ' :. · · 20
L. J . AUSTIN •• • •• • • • • • • • • • • • •
Paul Valéry compose « De Ctmel tei-e 47
« venirs fidèles de l'école. Parfois, il apportait un phonographe et marin » (fin) ..... .. ._ . . ...... . .. · · ·
"' nous faisait entendre des chansons populàires, des Noëls alle- J eanne au Buisson, poem c ......... . . 73
JEAN-FRANÇOIS CHAJJR U'1. . . . . . . A Berlin en 1951 (fin) . . . . . . . . . . . . . . . 76
FERNAND LEPRBTI'B .• ·•••••••••
« mands : Stille Nacht, heilige Nacht. .. Je ne me souviens pas
«d'avoir jamais connu envers lui un autre sentiment que celui de MERCVRIA/,E. - PIEHl\E MAC ORLAN, d e l'Acad émie ~o;cqsÏ~t ~ Lf1r~
« la reconnaissance ..> de Paris, p . 1~! · - Lettres, 104. - '1AU~C~ ~1~iii~. p~\18
p. LÛCIE . .:_
DussANE : Theatre, p. 115. - . JEAN ~~~Z. :Musique 131. - YVEs FLo• p.
MAZAUR.IC :. Arts, p. 1~~6 --~".!. D~~LI.OZ ": Lettres' germaniques, p. 140.
RENNE • Disques, p . . L. ttres 'anglo-saxonnes p . 148. - JEAN BONNEROT :
- JACQUES VALLETTE • e i'i ' • u· toire p 162 - s DE •
Bibliothèques, Pu·t~!?5. i - Gilorg~s ~o=~!E~~E~uLA~ : 1.{stitut et sociétés
SACY : Histoire era re, P· · • Nature p 177 _ Dans la Presse,
savantes, p. 174. - MAJlCEL ROLAND • ' . .
p. 181.
GAZETTE. - D e passant de s a<gon,
· p:;ir Geor gcs Duhamel. - Da mort
_ Compléments sur
de Racliilde. - Ducien Maury. - Em<le Magne.
Cliristian B eck. - Au M e1·cure de France.

N• 1078. - 1er JUIN 1953

GEORGES DUHAMEL •• •• • . • • • • · • • Adiw ci Racltilde . . . ........... .... . 193


. de l 'A cadémie français e.
. LEWIS PADGETT. , •• , • • •..• • •; • Tout smoualcs étai ent les borogoves . 195
Présentation de Stephen Spriel •
ANDRÉ LEBOIS .. .. ..... .. ..... [,a poésie d e Pierre Albert-8 1ro 1.... 239
PIERRE ALBERT-BIROT. . . . . . . . . . Dix poèmes à la mer . .....••...•.... 246
SALAH STETIÉ ... .... ......
HENRI GUILLEMIN ...... · · · · · · ·
~~~i~aù;~·c~· ' (J~. R.1,;,.;,";,;,i:::::::::: 256
261
HAYMOND JEAN..... . . . . . . . . . . . Quatre poèmes . . .. .. .. . .......... .. . 274
PIERRE GA:UROY. • . • • . • • • . . . • • • Terres froid es . . .. ......... .. ... . ... . 277
MERCVRIA/,E ·- PIERRE MAC OULAN , de l'Academi e Goncourt : Le Mols
de Pari~, p. 294." ----:. ~!AURICE NADEAU .: CL_et~res, pp.
NEIX • Poésie p 30v -
' • .. e
JEAN QUEVAL • 1nema, • .
320 - .J -F. ANGELLOZ : Lettres germaniques, p. 323. - RENE
:u·
~ :En;k 1~i:.~::1~A;

Mus1.qun'1P1· . 331 - JACQUES VALLETTE : Lettres anglo-saxonnes,


LYR •
p 336 - e gFERNAND
que, p. . . Ili t• t•
CHAPOUTHIER : C1v sa ion an .1que, .
p 346 - RAYMOND
. ; té t
s~nw.-'e : Orient, p . 351. - ROBERT LAULAN : Institut et SoCI~ ~-~avanJs,
p. 356. - MARCEL JlOLAND : Nature, p . 360. - ACHILLE CUY . p 1 osop e,
p . 365.
GAZETTE. _ Le livre du jour: « Les Caves du Vatican», par Henri
Cottez. - /,e Grand Prix Natioilal des Dettres.
764 l\IERCVHE DE FHANCE- 1-VIII-1 % 3

N ° 10i9. - ter JUILLET 1953

E. M. FORSTER .. . . ....... . ... . Ge que je crois . ...... ... . . . . . ... ... .


.JACQUES PERRET . . . . .. •. . . . . . . . 385
ARMAND LANOUX . . . .. • . . . . . . . .
Milnœucent et la mort du chevnl . . . . 396
La. Licorne joue de l'orgu e dans le
Jardin , poeme ........... ... . . ... . . 419
MICHEL CRESSON . . . . . . . . . . • . , .
RENÉ DUMESNIL . .. . . . . . . .. . . . .
Panama , Pacifique, Marquises ...... . 429
Serge Prokofiev .. . ...... .. . ..... ·... . . 44.1
l\IARCEL MITHOIS , .. .. .. ..• , .. . Se fior Presidenle, n o uvell e ..... . .. . . 458

ROBERT SPEAIGRT . . . . . . . . . . . . .. .
PAUL ARNOLD... . .. ..... . . . . . •
*
R éfl ex ions s ur « Othello » . . . . . . . . . .
Esotérisme du « Conte d'hiv er ». . . . .
478
494
MERCVRIALE. - PIERRE MAC ORLAN, de l'Académie Goncourt: Le Mois
de Paris, p. 513. - Lettres, p. 516. - DUSSANE : Théâtre, p. 518. - JEAN
QUEVAL : Cinéma, p. 521. - LUCIE MAZAURIC : Arts, p. 528. - RENll
DUMESNIL : Musique, p . 532. - J.-F. ANGELLOZ : Lettres germaniques, p. 53i.
t
- ZACQUES VALLETTE : Lettres anglo-saxonnes, p . 544. - NINO FRANK :
Italie, p. 551. - ROBERT LAULAN : Institut et Sociétés savantes, p. 558. - 1
MARCEL ROLAND : Nature, p. 561. - Dans la Presse, p . 565. - W. T. DANDY :
Variétés, p. 565. .t
GAZETTE. - L'Etat et la Vie des mots, par Jea n Bonnerot. - Girau-
doux el «Siegfried», par Jean Brunea u . - «Christian Science ». - A
propo.• des «Compléments sur Christian Beck », par Michel Décaudin.
An Mercure de France.
1
·j

N ° 1080. - 1•• AOUT 1953


VILLIERS DE L'ISLE-ADAM ... , ...
Sous la Commune : Tableau de Paris. 577
Présentation
necque.
de J.-H.
ANDRt DE RICHAUD ... .... , . ..•
Rur-
1 1
Retour au pays natal . . ... . ... . . . .. . 599
JEAN DYPRtAU ...... .. , . , , •. , .
GILBERT DURAND . . . . . . . , . .. .. ,
Inventaire de l'A rche , poènws ..... . 612
Psychanalyse de la neige . .... .. . ... . 615 î
1'IARCEL ROLAND . . . . . , . . . . . , . . ,
Paul Valéry, Sete et la mer .. ... . . .. .
ANDRt-PAUL BASTIEN .... .. . ..• Poëmes ......... . . . . ... . .. . .. ... .. . 640
'
RAYMOND SCRWAD .. . ..... . ... . Zoroastre, proph ële de l'Iran ... .. . . . 649
.JOHANNES TIELROOY . . , , .. , .. , • 651
Maurice Barres et les Be1111x-Arts , .. . 664
. MERCVRIALE. - PIEURE MAC onLAN, de l'Académie Goncourt: Le Mois
de Paris, p . 683. - MAURICE NADEAU : Lettres, p . 686. - JEAN QUEVAL :
Cinéma, p . 696. - RENÉ DUMESNIL : Musique, p. 705. - J.-P. ANGELLOZ :
Lettres germaniqlies, p . 709. - JACQUES VALLETTE : Lettres anglo-saxonnes,
p . 717. - GEORGES MONGRÉDIEN : Histoire, p. 721. - S. DE SACY : Histoire
littéraire, p . 730. - noeEnT LAULAN : Institut et Sociétés savantes, p. 738.
- R.-L. WAGNER : Linguistique, p . 741. .- ACHILLE OU Y : Philosophie, p. 750.

·!

L e Directeur-Gérant : PAUL HARTMANN. l 1


Imprimé en Fra.nce
TYPOORAPBIE FIRMIN · DlDOT ET ch, - MESNIL (EURE). 22 0
Dépôt légal : 3• trimestre 1953.

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