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DES
H A LL U C IN A TIO N S
OUVRAGES DE L'AUTEUR
Autres ouvrages :
HALLUCINATIONS
PAR
Henri EY
TOM E II
M ASSON E T Cie, É D IT EU R S
120 , Boulevard Saint-Germain, PARIS (6e)
= = *973 = =
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tous pays.
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Imprimé en France
TABLE DES MATIÈRES <*>
TOME n
CINQUIÈM E P A R TIE
(*) La table des matières générales est placée en tête du tome premier.
VI TABLE D ES M A T IÈ R E S
Pages
Rappel historique (860). La structure névrotique obsessionnelle et
phobique, et la fonction du réel (862)^ Description clinique des
phénomènes hallucinatoires, des obsessions et des phobies (863).
Les cas-limites (borderlines) de la névrose obsessionnelle et de la
paranoïa (871).
Les Hallucinations dans l’hystérie.................................................................. 874
Les Hallucinations dans la grande névrose au temps de Char
cot (874). La structure hallucinatoire de la névrose hystérique (876).
SIX IÈ M E P A R TIE
THÉORIES PATHOGÉNIQUES LINÉAIRES
G é n é r a l it é s ................................................................................................................... 899
C h a p it r e p r e m ie r . — M o d è le m é c a n i s t e ...................................................... 903
Concepts fondamentaux.............................................................................. 904
Développement de la théorie de l’excitation hallucinogène des neu
rones s e n s o rie ls .......................................................................................... 910
Fondements théoriques (911). Les théories mécanistes classiques de
l ’Hallucination (917).
Exposé critique des effets hallucinogènes des lésions « irritatives »
localisées et des expériences d ’ « excitation » é le c tr iq u e ........................ 924
Les lésions « irritatives » localisées des organes, voies et centres sen
soriels (925). Les excitations électriques expérimentales (937). Les
expériences d ’excitation électrique des organes des sens (937). Les
expériences d ’excitation faradique des centres corticaux visuels et
auditifs (943). Les stimulations électriques expérimentales du lobe
temporal (948). Indépendance relative de la production hallucinatoire
et des systèmes spécifiques (954).
L ’application de la théorie mécaniste aux délires hallucinatoires . . 959
Théorie mécaniste généralisée des Hallucinations et des Psychoses
hallucinatoires............................................................................................... ^61
Théorie mécaniste des Hallucinations et des Psychoses hallucina
toires (G. de Clérambault) (962).
Théorie mécaniste restreinte de la genèse élémentaire des Hallucina
tions et des Psychoses hallucinatoires...................................................... 971
Évolution vers un modèle architectonique................................................ 974
Pages
Évidence de la manifestation de l’inconscient par- l’Hallucination . . 988
La manifestation des affects inconscients dans les « Expériences
hallucinatoires délirantes » (990). La projection des affects incons
cients dans les Psychoses délirantes et hallucinatoires chroni
ques (994). La projection des affects inconscients dans les Éidolies
hallucinosiques (1008).
Théorie de la projection de l’inconscient comme condition nécessaire et
suffisante de l’Hallucination........................................................................1013
La satisfaction hallucinatoire du désir et la constitution des premiers
phantasmes (1016). La théorie économique de la projection hallu
cinatoire (1022). Théorie « topique » de la projection hallucina
toire (1040).
Nécessité d ’un complément au modèle linéaire de la projection du
désir dans l ’H a llu c in a tio n ........................................................................1050
Structure négative de l’Hallucination (1051). Mise en défaut de
l’épreuve de réalité (1057).
LE MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Pages
sation anti-hallucinatoire des organes des sens (1159). Intégration
et subordination des organes des sens dans l’organisation du corps
psychique (1174).
Pages
HU ITIÈM E P A R T IE
C h a p it r e III.— L es p s y c h o t h é r a p i e s ..................................................1375
Psychothérapies individuelles (1376). Psychothérapies de groupe
et psychothérapie institutionnelle (1383).
Le x iq u e ..............................................................................................................1439
B ib l io g r a p h ie générale ......................................................................................1451
In d e x a l p h a b é t iq u e d e s n o m s d ’a u t e u r s ........................................................1503
In dex a l p h a b é t iq u e d e s m a t iè r e s 1533
C IN Q U IÈ M E P A R T IE
LES HALLUCINATIONS
DANS LES PSYCHOSES
ET LES NÉVROSES
LES HALLUCINATIONS
DANS LES PSYCHOSES AIGUËS
N ous avons exposé dans notre « Étude » sur la Mélancolie {Étude, n° 22,180-
185) l ’essentiel des données cliniques et historiques de ce problème. Nous nous
en tiendrons ici à deux faits : le désert désolé du mélancolique et le désir de la
m ort. L ’Hallucination retentit dans ce désert comme l ’appel de la mort. La crise
de « mélancolie franche aiguë », surtout dans sa forme anxieuse, com porte une
telle altération du monde où se projettent menaces, châtiments et catastro
phes, (1) que le mélancolique perçoit (Hallucinations psychosensorielles de l’ouïe
et plus rarem ent de la vue) les mauvais objets dont son angoisse et sa peur
peuplent le monde extérieur ou le monde intérieur de son corps et de sa pensée.
Michea et Baillarger notaient que dans 60 % des cas, il y a des Hallucinations et,
bien entendu, le contingent de ces phénomènes hallucinatoires a crû encore
quand on y a fait entrer la masse des Hallucinations corporelles ou cénestopathi-
ques qui sont comme les sensations mêmes de la mélancolie vouée à lafatalité d ’un
anéantissement du corps ou de sa possession par de mauvais objets introjectés
(Mélanie Klein). Certains auteurs parfois ont décrit comme une forme « halluci
natoire spéciale » (J. Rubenovitch et E. Toulouse, 1897) les cas où les fausses
perceptions (voix, visions) occupent le premier plan du tableau clinique ou
sont vécues avec une intensité particulière. Le syndrome d ’influence (H. Codet,
1923; E. Minkowski, 1933) s’y rencontre assez souvent. Comme le faisait
remarquer Séglas, ce sont en effet beaucoup plus souvent q u ’on ne le dit des
Hallucinations psychiques et surtoutjjsychom otrices que l ’on rencontre dans
le délire mélancolique. Et il en avait donné, des exemples jdans la célèbre
« Leçon » q u ’il consacra aux « Hallucinations dans la mélancolie » (1895).
Il est classique également de rappeler que parfois les impulsions suicidaires
sont vécues dans la Conscience mélancolique comme des « voix impératives »,
to u t de même que les syndromes d ’influence ou d ’automatisme psycho-moteur
(1) Mais les formes dites « atypiques » ou « symptomatiques » sont bien plus encore
saturées de délire hallucinatoire. A titre d ’exemple, on pourra se rapporter à la pro
jection de la culpabilité sur autrui considéré comme « bouc émissaire » au cours
d ’une « Alkohol Halluzinose » (N. S c h i p k o w e n s k y , « Schuld und Sühne », Sympo
sium de Vienne, 1968).
M A N IE 715
sont liés aux idées délirantes de possession ou de dam nation, plus rarem ent de
négation (1).
Depuis quelque 20 ou 30 ans, toutes les études phénoménologiques ou
psychanalytiques de la mélancolie (L. Binswanger, E. Minkowski, V. E. von
Gebsattel, E. Straus, H. Tellenbach, etc.) ont pour ainsi dire rendu fami
lière l ’expérience mélancolique des altérations du temps et de l ’espace vécus.
L'étude et les observations de E. Minkowski (Le temps vécu, 1933, 295-327)
constituent une contribution importante à l ’analyse du vécu hallucinatoire des
états dépressifs (syndrome d ’automatisme mental). Malgré l ’interprétation
« associationniste » que l ’auteur en propose en considérant que la série hal
lucinatoire et la série mélancolique sont en quelque sorte « juxtaposées »,
les cas rapportés sont intéressants. A la fin de l ’ouvrage la phénoménologie
de l ’espace « noir » comme lieu de l ’Hallucination, même s’il ne s’agissait
pas dans le cas rapporté (p. 382-383) d ’une mélancolie, permet d ’apercevoir
l’infrastructure temporelle des expériences délirantes et hallucinatoires à tona
lité anxieuse.
L ’école psychanalytique (Freud, Abraham , Mélanie Klein), en souli
gnant l ’introjection ou l ’internalisation et la projection des objets libidinaux
dans la conduite de deuil qui constitue le fond de la mélancolie, fait pour ainsi
dire entrer dans l ’expérience mélancolique, comme dans un cauchemar, VHal
lucination du châtiment attendu et infligé (Sur-Moi) — de l ’objet perdu — ou de
la Destrudo menaçante quand la libido se retire du monde des objets pour
se retourner contre la sphère des pulsions libidinales. M. Ostow, The psycho-
logy o f melancoly, New York, H arper 1971.
(1) De nombreux travaux ont montré l’altération du champ perceptif des mélan
coliques. Mentionnons simplement celui de K. H a u s s (1970) qui, dans son livre
« Emotionnalität und Wahnwahrnehmung », fait état de recherches tachistoscopiques
montrant la continuité des phénomènes illusionnels et hallucinatoires dans les dépres
sions exogènes ou endogènes. -
716 P SY C H O SE S AIGUËS H ALLU C IN ATO IRES
« de la rêverie. Lui aussi est une activité sans, but, dépend de l ’imagination
« créatrice et réalise aussi une tendance. Il est essentiellement reproducteur,
« mais il com porte souvent en plus, comme le dit Queyrat (Les jeux des enfants),
« une part de perception illusoire des choses : l ’enfant qui joue anime et per
ce sonnifie les objets inanimés, réalise les abstractions, m étamorphose la
« réalité en transform ant les personnes...
« Les malades, dont l ’expansivité est augmentée p ar l ’excitation générale,
« par l’exaltation affective, jouent leur rêverie comme jouent les enfants. Les
« maniaques sont les comédiens de leur im agination, ils réalisent le cours
« changeant de leurs divagations, fo n t l ’enfant, le médecin, le grand person-
« nage, mais restent en général présents. Ce qu’on appelle le délire maniaque,
« n ’est q u ’un conte que le m aniaque se fait à lui-même et q u ’il joue pour les
« autres, un jeu dont il s’amuse, parfois une plaisanterie dont il mystifie son
« entourage. Mais il ne croit guère à la personnalité q u ’il s’attribue alors même
« q u ’il en joue le rôle; il n ’a pas foi dans son délire, sa conviction n ’est q u ’appa-
« rente et bien facile à ébranler.
Ainsi, jeux dialogués, fabulations, pantomimes, altercations, injures par
tagent la Conscience m aniaque en opposant au pôle de sa subjectivité celui
d ’une objectivité imaginaire. Celle-ci peut être vécue non pas comme projec
tion dans le monde des objets, m ais à l ’intérieur du Sujet lui-même comme
une projection orgiastique du désir. Les délires d ’inspiration divine, de pos
session diabolique ou de communication surnaturelle, sont particulièrement
fréquents dans cette expérience expansive où les relations intersubjectives
sont exhaussées jusqu’au niveau d ’une cohabitation érotique ou d ’une com
munication surnaturelle avec les forces du Bien ou du Mal. Et, en effet, l ’exal
tation maniaque engendre des expériences de sympathie, de télépathie, de
rapports intimes, des illusions prophétiques de clairvoyance, de toute-puis
sance ou de frénésie sacrée qui font vivre au Sujet comme un orgasme, un don,
une extase ou une merveilleuse surabondance de grâces, sa propre manière
de désirer, de se surpasser, de sortir de lui-même, d ’être embrasé par la flamme
d ’un enthousiasme sans bornes. Séglas avait, là encore, noté que le délire m ania
que s’exprimait fréquemment par des anomalies hallucinatoires du langage
intérieur (Hallucinations psycho-motrices, impulsions verbales, hyperendopha-
sie). Sa malade, Mme B... p ar exemple, entendait (dans son inspiration au
niveau de l’épigastre et comme une inspiration surnaturelle) la voix d ’un
esprit, voix intérieure q u ’elle sentait dans sa poitrine et avec laquelle elle ne
cessait de dialoguer.
Dans l ’état de déstructuration du Champ de la conscience de type maniaque,
dans ce vertige et ce tourbillon où tous les vécus de la Conscience prennent des
qualités de vitesse, d ’alacrité, de volatilité, d ’euphorie et d ’insouciance, les
expériences délirantes et hallucinatoires qui s’imposent au Sujet dans le m ou
vement incoercible du vécu sont affectées d ’un caractère de volatilité, de
rapidité et de légèreté qui fait dire au clinicien qu’il s’agit de « Pseudo-hallu
cinations », d ’ « Hallucinations psychiques », d ’imagination ou de fabulation,
comme si le m aniaque se jouait de son délire hallucinatoire en l ’évaporant
M A N IE 719
« Si les Hallucinations sont absentes quand l ’état maniaque est pur, elles font leur
« apparition en même temps que les tendances délirantes. Et qu’on ne se méprenne
« pas sur ce que j ’appelle tendances délirantes. Il ne s’agit pas là de convictions indé-
« racinables, de délire confirmé; il s’agit de constructions imaginaires souvent fugaces,
« qui sont formées sous le coup de fouet de l ’exaltation intellectuelle, associées sou-
« vent à un sentiment d ’euphorie et de plénitude et qui n ’emportent pas une foi bien
« profonde en leur objet. Les Hallucinations sont marquées au sceau de cet état.
« Tout d ’abord, elles sont mobiles, kaléidoscopiques : ce sont des visions changeantes,
« des propos décousus, qui reflètent la rapidité du cours des pensées et des représen-
« tâtions. Ensuite, elles n ’ont pas un caractère très net d ’objectivité. Les malades les
« distinguent fort bien des perceptions vraies. Beaucoup même les situent dans leur
« tête. En somme, elles sont proches parentes des représentations mentales ordi-
« naires, de ces visions indécises que nous avons tous lorsque nous nous abandonnons
« au cours de nos rêveries. Ce n ’est que faute d ’une meilleure expression et par ana-
« logie que les malades disent : « je vois », ou « j ’entends ». Enfin, elles n ’entraînent
« pas une conviction bien forte en leur objet. Le plus souvent ces malades exagèrent :
« au fond d ’eux-mêmes ils savent fort bien qu’il n ’y a rien de réel derrière tous ces
« mirages. Ou bien encore, leur croyance est intermittente : elle subit les oscillations
« de leur exaltation. D e temps en temps, une plaisanterie, une saillie indiquent qu’ils
« ne sont pas dupes eux-mêmes des jeux de leur imagination.
« ... Le simple énoncé de ces caractères montre bien qu’il ne s’agit pas là d ’Halluci-
« nations confirmées. Ce sont des ébauches, des embryons d ’Hallucinations. Si
« l’Hallucination est une perception sans objet, il manque au phénomène que nous
« décrivons id la plupart des caractères de la perception : il n ’en a ni l’intensité ni
« l’objectivité. Néanmoins, il se distingue de la représentation mentale ordinaire par
« ce fait que son origine n ’est pas complètement méconnue. Il se tient donc à mi-che-
« min entre l ’image mentale complètement réduite et l’Hallucination vraie; il montre
« à l ’observateur une Hallurination à l’état naissant ».
Mais pour si « fausses » que soient réputées être ces Hallucinations (ces
« Pseudo-hallucinations »), elles sont pour nous des Hallucinations, car il
ne nous suffit pas bien sûr d ’introduire l ’imaginaire dans l ’activité hallucina
toire pour la supprimer.
Dans une excellente étude parue récemment (1970), J. Gillibert a approfondi
avec une grande pénétration la structure dynamique de la manie. Quand il
considère le maniaque comme le « Démiurge » q u ’il croit, en effet, être devenu,
quand il souligne que c’est la syntaxie de l’être double qui s’efface ou plutôt
s'inverse dans l ’orgasme du M oi qui jouit de sa toute-puissance, quand il
assimile la crise de manie à ce que le rêve contient d ’exaltation narcissique,
d ’autarcie absolue, ou encore lorsqu’il discerne dans la manie l’anthropo
720 P SY C H O SE S AIGUËS H ALLU C IN ATO IRES
Cette malade, Georgette L., 48 ans, présentait des « bouffées délirantes poly
morphes » à forme nettement paroxystique. Voici comment elle décrivait ses crises,
véritables états hypnoïdes de quelques heures et parfois de quelques jours dont elle
gardait un souvenir assez précis pour les raconter (certaines crises d’impulsivité colé
reuses étaient amnésiques).
Elle dit elle-même : « I l y a des périodes de 3 ou 4 jours pendant lesquelles je me
« transforme ; je prends en moi différentes personnes. J ’ai envie de sauter. Je retourne
« à de nombreuses années en arrière ». Par exemple, le 3 août 1931, elle dit : « Les
« années ont passé comme si c’était l ’espace de quelques heures... Je répète des conver-
« sations d ’autres personnes, je ne sais lesquelles... Je ne sais plus où je suis. Me
« voilà encore repartie ! Je voudrais vous dire mon ennui, je ne peux pas... On dirait
« que j ’ai du dégoût de tout... Je vais rester une journée entière comme si j ’étais
« dégoûtée de la vie... J ’avais beaucoup de choses à vous demander... D m ’est impos-
« sible de suivre une conversation... J ’ai l’impression que je vais intercaler des phrases
« qui n ’ont rien à voir avec la question... C’est comme si j ’occupais la place d ’une
« autre... Je ne dis pas que j ’ai la personnalité d ’une autre personne, mais presque
« par moments... J ’ai fait des réflexions avec une voix dure qui n ’était pas la mienne...
« Je ne retrouve plus ce que j ’étais. On dirait que tout mon être est dominé par une
« volonté... L’atmosphère change brusquement... C’est comme un souvenir. Je suis
« comme sous la sensation d ’une personne, d ’une foule qui serait près de moi. »
Nous pouvons grouper schématiquement l ’ensemble des troubles tels qu’il se
présentent dans ces états qui durent, répétons-le, deux ou trois jours.
1° Impression d ’asthénie, sentiment d ’incomplétude et d ’irréalité. — Elle se sent
vidée de sa spontanéité, inerte. « Je vis le cerveau terne... Je n ’ai aucune pensée, je
suis fatiguée. La pensée m ’échappe. Je suis fatiguée, lasse, faible, fébrile. Je me sens
engourdie. Je ne peux pas arriver à faire un effort. Je ne puis pas arriver à finir ce que
je faisais. Il me semble que je n ’arriverai pas au bout. » Sentiment de rêve éveillé.
« Je ne puis pas me rendre compte si je rêve ou non (Elle a acheté d ’ailleurs des livres
sur les rêves pour chercher à s’expliquer ces états). »
L a clinique n o u s offre quo tid ien n em en t des exemples de ces crises de déper
sonnalisation aiguës o u subaiguës. Elles se caractérisent av an t to u t p a r des
m odifications de la som atognosie, des im pressions de changem ent e t d ’étran
geté, des cénestopathies. Le thèm e déliran t y est p o u r ainsi dire seulem ent vir
tu e l (hypocondrie, influence, auto-accusation, voire négation); le vécu de ces
illusions de tran sfo rm atio n , de transfiguration de l ’im age corporelle étan t
essentiellem ent vague d ans leu r thém atique m algré l ’intensité des im pressions
éprouvées, to u t com m e so n t égalem ent vagues e t vertigineuses les im pressions
S Y N D R O M E S D E D É P E R SO N N A U SA T IO N 723
Mlle Marguerite L... Pendant les premiers jours de son hospitalisation, elle se
montre très excitée, turbulente. Pleurs et gémissements fréquents. Préoccupations
hypocondriaques. L ’insomnie, la fuite des idées, la logorrhée, la gesticulation, l’éner
vement, complètent ce tableau d ’état mixte. Mais ce qui domine le tableau clinique,
c’est le délire hallucinatoire. Celui-ci s’exprime dans ses attitudes, ses conversations
avec des interlocuteurs imaginaires. Elle est en communication constante avec les
médecins qui lui parlent par transmission de pensée. Ce sont, dit-elle, des conversa
tions incessantes, tout à la fois amoureuses, politiques et religieuses. C ’est un échange,
un « commerce » continuel. Ces communications ne sont pas seulement verbales,
elles constituent des contacts affectifs et parfois de véritables relations sexuelles.
« Je suis en communication avec tout le monde ici... Toutes mes pensées sont en
« communication... Je suis en communication avec ma mère, avec mon neveu et
« d’autres personnes de Bordeaux... Tout ça n ’est pas clair. Est-ce seulement une
« impression ? Est-ce vrai ? J ’ai la certitude. Mon cerveau fonctionne d ’une façon
« anormale, alors j ’entends des bruits. Ce ne sont que malédictions, imprécations,
« accusations. J ’ai fini par contaminer par la syphilis tous mes parents en donnant
« seulement une poignée de main. C ’est peut-être possible. Je ne puis rien faire ni
« penser sans être en communication. Lisait-on dans un cerveau autrefois ? Je
« l ’ignore. Moi, je ne connais pas la pensée des autres, mais j ’ai l ’impression que l ’on
« sait les miennes. Ces communications ne sont pas des voix, ou plutôt oui, ce sont
« des voix. Pour certaines, je reconnais les voix, pour d ’autres, non. C ’est
« très embrouillé. Pour l’instant, j ’entends le Dr. M. de Bordeaux qui me dit : « Oui,
« vous êtes en communication avec moi ». Quand je pense personnellement « je dis »,
« « je viens » quand cette pensée vient avec « nous ». »
Voici com m ent elle a alors raconté cette « expérience vécue » p endant
plusieurs m ois :
hallucinosiques par les auteurs qui croient pouvoir séparer cette activité per
ceptive hallucinatoire de l ’expérience délirante* qui l ’encadre), que ces expé
riences de dédoublement hallucinatoire et d ’automatisme mental sont le plus
souvent notées comme une « réaction exogène ».
Mais sous le nom de « Schizophrénies aiguës », ou à la rigueur (par une
concession qui ne prive pas cette notion de l ’ambiguïté inhérente à ce terme),
dans les « états schizophréniformes » tels q u ’on les observe par exemple dans les
encéphalites épidémiques ou q u ’on les note plus généralement dans toutes les
psychoses « aiguës » ou « critiques » (que l ’on a de bonnes ou mauvaises raisons
de rapporter à une étiologie toxi-infectieuse, hormonale, émotionnelle, etc.),
le clinicien est fréquemment confronté avec ces « épisodes délirants et hallu
cinatoires », ces « bouffées délirantes » ou ces « délires épisodiques et poly
morphes des dégénérés », comme disait V. Magnan. De tels états délirants
(deliriöse Z ustände) ressemblent en effet aux délires hallucinatoires schizo
phréniques ou les annoncent, similitude ou pronostic sur lesquels se fonde cette
désignation. Si l ’on sait cependant que 50 % de ces états appelés « Schizophré
nies aiguës » ne se reproduisent pas, et que pour ceux dont l ’accès se reproduit, il
ne se répète qu’une fois sur deux (1), il est bien clair qu’un problème clinique
s’impose : celui des critères cliniques qui nous perm ettent de faire le diagnostic
et le pronostic de ces syndromes hallucinatoires, de ces expériences délirantes de
dédoublement relativement à l ’évolution d ’un processus schizophrénique chro
nique et déficitaire (2). Le début soudain, l ’absence de tempérament schizoide
ou de troubles préschizophréniques dans les antécédents, le caractère plus
« oniroïde » (ou, si l ’on veut, moins lucide, moins dogmatique, moins « à
froid » de l ’activité délirante et hallucinatoire), l’analogie au contraire plus
grande du délire hallucinatoire avec l ’expérience du rêve, son exagération dans
les phases para-hypniques sous l ’influence des drogues hallucinogènes ou
au cours des narco-analyses, la continuité du vécu délirant hallucinatoire
de l ’état de veille avec l ’activité onirique nocturne, le caractère « scénarique »
des voix peuvent peut-être constituer des symptômes certes non pathogno
moniques, mais assez significatifs d ’un pronostic favorable, c ’est-à-dire du
caractère aigu de l’évolution de ces Psychoses hallucinatoires appelées juste
ment aiguës par F. Fam arier (1899).
On peut dès lors, et dans cette perspective, donner aux « b o u ffé e s d é li
r a n te s » ou aux « d é lir e s p o ly m o r p h e s » de M agnan, une autonomie relative
correspondant à ce niveau. Ce délire polymorphe mélange, en effet, les thèmes
(persécution, influence, expériences mystiques, mégalomaniaques, éroti
ques, etc.) qui s’enchevêtrent avec la diversité des « mécanismes » imaginatifs,
pseudo-hallucinatoires ou hallucinatoires. Mais il est bien évident que cette
osmose du subjectif et de l’objectif où se fusionnent le rêve et la réalité « à
l ’horizon même » où le soleil couchant ou le crépuscule rendent indistinctes
leurs frontières; cette compénétration de la sphère onirique du désir et de ses
fantasmes dans ce qui reste de réalité (juste assez pour servir d ’écran à l ’ima
ginaire) est essentiellement hallucinatoire. Ces délirants hallucinent leur « rêve »
dans leurs expériences délirantes qui pour être plus fabulatoires, parlées et
jouées que dans l ’immobihté, le silence et la passivité de l’expérience vécue par
le rêveur pendant son sommeil, n ’en constituent pas moins comme une vapeur
de rêve qui embrume le Cham p de la conscience et le sature d ’images. Voici
une auto-observation que nous avons publiée il y a bien longtemps (1934)
avec Claude, Dublineau et Rubenovitch et que nous donnons à titre d ’exemple
de cette expérience oniroïde ici, à thématique érotico-mystique et à mécanisme
tout à la fois interprétatif, imaginatif, intuitif et hallucinatoire :
(1) C’est cette confusion qui est généralement commise quand on a précisément
confondu onirisme et confusion. Certains auteurs (Ach. D e l m a s ) ont parlé cependant à
leur sujet d ’ « onirisme pur » pour marquer qu’ils sont moins confusionnels ou
inconscients que les états de rêve ou de cauchemar pathologique de la confusion
mentale. C ’est à eux que devait spécialement songer R é g is quand il décrivait le délire
onirique comme un « état second », c’est-à-dire en effet comme un état crépusculaire.
728 P SY C H O SE S AIGUËS H ALLU C IN ATO IRES
Prophètes » : elle s’étend brusquement de tout son long sur le cadavre, colle les lèvres
à sa bouche et souffle de toutes ses forces « pour lui insuffler la vie ». Le garçon
d ’amphithéâtre l’écarte enfin. Elle résiste. Les autres personnes frappées de stupeur
sortent pour appeler à l’aide. Le garçon court chercher du renfort. Restée seule, elle
s’enferme et se rappelle alors l ’épisode de saint Julien le Pauvre guérissant un lépreux
en se substituant à lui. Elle décide sur-le-champ de se substituer au mort pour lui don
ner la vie. Elle le découvre, elle-même se dévêt entièrement, et au moment où elle
allait lui passer sa tenue d ’infirmière on pénètre de force dans l’amphithéâtre. On lui
arrache le corps qu’elle étreignait. A ce moment précis, elle croit reconnaître dans ce
cadavre un jeune Cubain qu’elle avait soigné et qui était mort 18 mois auparavant.
Elle avait pour lui un sentiment très prononcé que ses principes religieux avaient vite
fait dévier vers un plan idéaliste. Le cadavre avait pris soudain la même position que
prenait le Cubain quand il priait avant sa mort : donc c’était lui.
« Elle nous a dit depuis en parlant de cette période qui a duré cinq ou six jours :
« Je fabriquais des histoires avec tout. Je me croyais enceinte. Les lumières de la rue
« m’ont excitée d ’une façon épouvantable. Les étincelles des tramways, il me sem-
« blait que c’était des rayons intra-violets. La lueur intermittente au passage des
« tramways me paraissait sanctionner ce que je disais comme s’il y avait correspon-
« dance. J ’ai vécu la fin du monde. Je croyais qu’il y avait la guerre. Je m ’imaginais
« que l ’on pouvait se marier comme on voulait, que ma sœur pouvait se remarier,
(c Les pensées défilaient... J ’ai cru un instant que j ’étais dans un couvent, que des
« événements affreux allaient se déclencher. L’état de raison s’est présenté brusque-
« ment. » _
« On crut avoir affaire à une personne perverse qui se serait livrée à une mani
festation de nécrophilie et on la dirigea sur la Salpêtrière. Elle demeura un mois chez
le Dr. C r o u z o n , se comportant comme une maniaque. Son état persistant, elle fut
internée. Notons qu’elle ne paraissait pas confuse et qu’elle était bien orientée... Dans
les derniers jours de janvier, L... était calme, avec dans le service une activité adaptée.
Elle n ’aimait pas qu’on l’interrogeât sur les faits passés. Néanmoins, quand elle
consentait à décrire son état antérieur, elle insistait spontanément sur l’impression
qu’elle avait éprouvée de vivre « comme dans un rêve ». Les idées lui venaient en
trop grande abondance; elle les prenait pour des réalités; elle sentait intuitivement,
entre les choses, les personnes et les situations des relations significatives (valeurs
symboliques, interprétations, reconstruction de l ’ambiance, remaniement des valeurs
de réalité, impressions de présages, de comédies, de collusions, de compénétration
des choses et des gens, élaboration de fictions, d ’aventures, etc.). Un tel état, au dire
de la malade, dura en tout quatre à cinq jours. D ’ailleurs, en l’interrogeant avec
soin, on s’aperçoit qu’elle a présenté au moins une fois, lors de la mort d ’une belle-
sœur il y a cinq ans environ, un état spécial, différent du précédent mais qui déjà l’avait
rivement frappée : « J ’ai été à l ’enterrement, je marchais sans faire de bruit. J ’étais
« absorbée... sans être prise par ma pensée; c’était le vide autour de moi... le Vide et
« le Silence... ». Cet état dura deux jours dont L... a gardé le souvenir très précis,
insistant sur la sensation de néant qu’elle éprouva à ce moment. Cela rappelait l’état
d ’oraison mais s’en différenciait cependant. Une autre fois, elle eut subitement un
jour l’idée que, même quand on a été « prise par le Bon Dieu »... « même après avoir
passé par ces moments délicieux, on peut encore pécher ». A ce moment elle eut
l’impression de tomber dans le néant, « la vie lui faisait subitement peur ». Enfin,
assez souvent il lui arrivait de « tomber dans le vague ». Elle a alors la sensation de
ne plus pouvoir « rattraper ses pensées pendant quelques heures ou même un jour
730 P SYC H O SE S AIGUËS H ALLU C IN ATO IRES
entier ». Les idées qui lui viennent alors « sont infinies ». Il lui faut « se faire violence
pour sortir de ces états qui confinent à l’extase et dans'lesquels elle s’évade sans perdre
complètement pied ».
Nous avons pu rappeler plus haut que ce sont les « ivresses » et les « expé
riences » toxicomaniaques ou expérimentales des toxiques hallucinogènes qui
constituent la référence naturelle à laquelle nous renvoient les expériences de
dépersonnalisation ou de dédoublement hallucinatoire; c ’est encore aux effets
de l’intoxication, et notam m ent de Y intoxication alcoolique que, pour ainsi dire,
est liée l ’histoire de Vonirisme et des états confuso-oniriques (1).
La fameuse description du Délire alcoolique onirique que nous devons à
V. M agnan doit être rappelée ici ( D e l'alcoolisme, 1874, p. 50-56) :
« Il est sans cesse en mouvement, déplace tout autour de lui, cherche dans tous les
coins, regarde derrière les portes, ramasse à terre les objets imaginaires qu’il secoue
et rejette aussitôt, appuie et frotte les pieds sur le sol comme pour écraser des insectes,
passe la main devant la figure et souffle comme pour repousser des fils, des poils, des
cheveux, porte la main vivement sur sa cuisse et, ramenant son pantalon, il serre avec
force pour écraser, dit-il, une grosse araignée noire qui se glisse entre la peau et le
pantalon. Il regarde à travers la fenêtre. « C ’est, dit-il, la bande de la Place Maubert,
« déguisée en ours avec des flas-flas. Il y a une cavalcade avec des lions, des panthères
« qui regardent et font des grimaces; il y a des petits enfants déguisés en chien ou
en chat. » Il aperçoit Emilie, puis deux hommes qui le menacent... Il se baisse tout
effrayé. Ils le visent, dit-il, avec leurs fusils; ils veulent le tuer parce qu’il leur a pris
la fille. Il répond à des camarades, il les appelle, il entend des disputes et veut y courir.
On parvient avec peine à fixer son attention; ses mains, ses pieds sont sans cesse en
mouvement pour saisir ou repousser des animaux, des objets de toutes sortes. Le
visage est couvert de sueur, la peau est modérément chaude, la température donne
38°2, le pouls est large et paisible (80 pulsations), la langue est humide (V. Magnan,
De l’alcoolisme, 1872, p. 50).
« Elle a des frayeurs, elle entend la fusillade des soldats pénétrant dans sa maison
pour la tuer, elle se lève, prend la lumière, regarde de tous côtés, puis se rassure, se
remet au lit disant à sa fille : « que je suis bête, je croyais qu’il y avait quelqu’un ».
(1) L asègue, D elasiauve, R égis , M agnan , C haslin , G arnier , sont les grands
classiques de cette Pathologie (cf. mon Etude n° 8). On trouvera dans les articles de
I. F einberg et de M. M. G ross et coll. {in K eu p , 1970) une étude de ces Psychoses,
d ’un style, bien sûr, assez différent mais tout aussi intéressant.
732 P SY C H O SE S AIG U ËS H ALLU C IN ATO IRES
La lumière une fois éteinte, avec l’obscurité les Hallucinations reviennent. Elle essaie
d ’abord de porter son attention sur d’autres objets. Elle ferme les yeux et s’efforce de
s’endormir. C ’est en vain. Tout à coup, elle entend la voix de ses parents, les gémis
sements et les cris de sa fille que l’on entraîne; elle s’élance hors du lit, heurte vio
lemment les meubles, court à la fenêtre et l ’on parvient à grand peine à la maintenir.
Le délire persiste jusqu’au matin. Elle voit des fantômes, des oiseaux, des trames de
fil viennent se poser sur son visage, des serpents glissent sur son lit, elle voit des incen
dies, elle entend un bruit épouvantable dans la rue où l ’on massacre ses parents.
Elle reste dans un état d ’angoisse inexprimable jusqu’au jour où les Hallucinations,
sans disparaître complètement, laissent quelques instants de repos. La nuit suivante, les
mêmes phénomènes se reproduisent et la malade est amenée à l’asile le 2 Avril 1872.
« A son arrivée, elle est en proie aux Hallucinations les plus variées : tous les sens
sont le siège de troubles hallucinatoires si nombreux que l’on trouve chez elle en quel
que sorte le délire de plusieurs alcooliques. Elle se montre, tantôt maniaque, tantôt
mélancolique, tantôt stupide et en quelques heures elle se présente sous différents
aspects. Comme il est rare d ’observer un délire aussi varié, nous allons classer d ’après
les sens qui en étaient le siège les troubles hallucinatoires que nous trouvons pêle-mêle
dans nos notes prises suivant le délire de la malade.
« Vue : Elle voit des toiles d ’araignées sur le mur, des cordages, des filets avec des
mailles qui se rétrécissent et s’allongent. Au milieu se montrent des boules noires
qui se renflent, se diminuent, prennent la forme de rats, de chats qui passent à travers
des fils, sautent sur le lit; puis elle voit des oiseaux, des visages grimaçants, des singes
qui courent, s’avancent, rentrent dans la muraille. Sur la fenêtre, dans la salle, elle
aperçoit des poulets qui s’enfuient et qu’elle cherche à rattraper. Sur tous les toits
des maisons voisines apparaissent des hommes armés de fusils, à travers un trou du
mur elle aperçoit le canon d’un révolver braqué sur elle, elle voit des incendies de
tous les côtés. Les maisons s’effondrent et s’écroulent; tout disparaît au milieu de ce
tumulte. Elle voit massacrer son mari et ses enfants. Un instant après, les arbres sem
blent danser et sont couverts de globes de toutes les couleurs qui reculent, grossissent
et diminuent ; par moments, d ’immenses feux diversement colorés éclairent
l’horizon.
« Ouïe : Elle entend la voix de sa fille, de son mari qui crient au feu, à l’assassin,
qui appellent au secours. On l’injurie, on l’appelle crapule, vache, etc. On la menace;
elle doit y passer, on a déjà coupé ses enfants en morceaux; on va tout brûler; elle
entend les cloches, la musique, un bruit de machine à côté de sa chambre; puis des
chants, des bruits confus.
« Odorat : Elle sent, dit-elle, le soufre, le vitriol; ses draps sont empoisonnés, la
couverture sent le pourri.
« Goût : Ce qu’on lui donne est aigre, gâté; on veut l’empoisonner. Ça a un goût
de vitriol, quelque chose qu’elle ne peut pas dire, le poison.
« Sensibilité générale : Elle sent des piqûres sur le ventre, quelque chose de pesant
sur la peau, une bête froide et mouillée se traîne sur ses cuisses, elle lui plonge un dard
dans la chair, elle sent les mouvements en dedans des jambes, les griffes d ’un animal
qui se plantent dans le dos.
comme eux enfin, ils gardent souvent implantées dans leur esprit... quelques idées
fausses isolées, obsédantes, reliquat d ’une des conceptions principales de leur rêve
hallucinatoire... Ce qui achève de prouver enfin l’identité de nature du délire (onirique)
et des états seconds, c’est qu’on peut fréquemment intervenir dans celui-là comme dans
ceux-ci par Vhypnose suggestive... Cet ensemble morbide fait de confusion mentale et de
délire onirique est vraiment caractéristique. »
stores et des fleurs richement colorés, q u ’il assistait à une scène en relief qui
se déroulait dans une rue où il voyait sa femme et sa belle-sœur avec lesquelles
il liait conversation, q u ’il déclarait « ici on est à l ’Étoile, ce n ’est pas un hôpi
tal, c’est une pharmacie », ou q u ’il identifiait un infirmier comme un préparateur
qu'il connaissait et le médecin comme un client dans sa boutique, toutes ces
fabulations ne peuvent pas ne pas entrer dans le cadre de l ’imaginaire perçu dans
l'instantanéité ou la kaléidoscopie hallucinatoire d ’une fausse réalité. De même
encore (obs. 13) lorsqu’une malade korsakovienne présentant un « délire de
mémoire » (paraissant symptomatique également d ’une tum eur temporale)
était entourée, étant à l ’hôpital, de ses voisins et, entendant un bruit dans
la salle, s’écriait « touche rien Nadette ! » ou « c’est votre fils qui culbute toutes
ses affaires », et lorsqu’il se croyait dans son village pendant son séjour hos
pitalier, l’Hallucination onirique et la fabulation se confondaient pour coïncider
dans le vécu, fût-il furtif, d ’une situation imaginaire. Certes, les faux souvenirs,
les fausses reconnaissances, les interprétations, la désorientation, peuvent se
distinguer des Hallucinations dans l ’inventaire clinique des symptômes, mais
qui peut nier q u ’elles y renvoient nécessairement comme au vécu même d ’une
perception sans objet ? On ne peut rien gagner pour l ’étude des Hallucinations
en général à perdre la structure hallucinatoire de ces troubles de l ’expérience
vécue quand ils s’inscrivent précisément dans le bouleversement korsakovien
du Champ de la conscience.
— Si nous n ’avions pas déjà — à propos de la pathologie cérébrale — exposé
le problème des relations de l ’activité hallucinatoire avec VÉpilepsie, ce serait
ici qu’il faudrait placer l ’étude de cette affection. En effet, tout ce que nous
venons de dire des Psychoses aiguës trouve son cadre naturel et le plus signi
ficatif dans la pathologie de l ’épilepsie qui est bien cette maladie cérébrale qui
démontre les relations des diverses manières de délirer et d ’halluciner avec la
désorganisation de l ’organisation fonctiorinelle du cerveau. Tout comme, en
effet, nous n ’avions cessé de nous référer dans ce chapitre à l’action des Hallu-
linogènes nous aurions pu constamment insister sur les faits psychopatho
logiques que l ’épilepsie dévoile aux yeux du clinicien en engendrant les plus
typiques déstructurations du Cham p de la conscience. B nous suffit bien sûr
ici. pour ne pas nous répéter, de renvoyer le lecteur à ce que nous avons lon
guement exposé sur le potentiel hallucinogène du processus comitial.
•
* *
L'intérêt de tous les faits qui constituent la masse clinique des aspects
hallucinatoires et délirants des Psychoses aiguës est donc essentiellement de
nous montrer comment la décomposition du Champ de la conscience engendre
les expériences délirantes et hallucinatoires. Elles nous permettent de considérer
que si elles sont toujours et nécessairement des projections de l ’Inconscient,
elles dépendent dans leur déterminisme étio-pathogénique des divers niveaux
et structures de l’inconscience dans laquelle tombe le sujet. C ’est pourquoi,
740 P SY C H O SE S AIG U ËS H ALLU C IN ATO IRES
N O T IC E B IB L IO G R A P H IQ U E (1)
W erniCKB (C.). — Lehrbuch der Gehirnkrankheiten, B inswanger (L.). — Ueber die Ideenflucht. Arch
Aaccel, Fischer, 1881. suisses de Psych., 1931-1932.
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délire mais un rêve. Archives de Médecine, 1881 1932.
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M agnan (V.). — Leçons cliniques, 1887-1889. Arch. suisses N . et Psych., 1935.
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Thèse, Paris, 1888. Thieme, 1952.
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B onhoeffer (K.). — Die akuten Geisteskrankheiten turation de la Conscience et Psychoses aiguës, Paris,
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R égis (E.). — Précis de Psychiatrie■4e édition. gangsyndrom. Archives suisses Neuro-Psy., 1961,
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wirtheit. Die oneiroide Erlebnisformen, Berlin, Sprin M ouren (P.), T atqssian (A.) et coll. — L ’hallucinose
ger, 1924. éthylique. Ann. M éd. Psych., 1965, / , 251-263.
Jaspers (K.). — Psychopathologie générale, trad. fr. R einer (Fr.l. — Das Syndrom der optischen Hailuzi-
de la 3e édition, Paris, Alcan, 1928.1 nose. Stuttgart, Thieme, 1970.
(1) Naturellement, on trouvera dans la bibliographie des travaux parus sur les
Hallucinations depuis 1950, de nombreuses références se rapportant à ce chapitre.
C H A P ITR E I I
LES HALLUCINATIONS
DANS LES PSYCHOSES
DÉLIRANTES CHRONIQUES (1)
(S C H IZ O P H R É N IE S . D É L IR E S SY STÉM A TISÉS.
D É L IR E S F A N T A S T IQ U E S )
(1) Ce chapitre pourrait constituer, non pas une nouvelle édition, mais une
reprise totale du petit ouvrage que nous avons publié en 1934 « Hallucinations et
Délire ». Le lecteur pourra intituler avec nous ce chapitre « Délires et Hallucina
tions ».
(2) Pour P. M. L e w i n s o h n (in K eup, 1970), 85 % des Hallucinés sont des Délirants,
mais 35 % seulement des Délirants sont des Hallucinés... Je suis d ’accord sur le
premier point mais pas sur le second.
742 P SYC H O SE S CH RO N IQ U ES H A LLU C IN A TO IR E S
I. — L E « D É L IR E C H R O N IQ U E »
(Évolution historique et logique)
1° L a d if f é r e n c ia tio n d e s e s p è c e s d e D é lir e s c h r o n iq u e s d a n s
V éco le f r a n ç a i s e e t d a n s l ’é c o le a lle m a n d e à la f i n d u X I X e s iè c le . —
Malgré ses contradictions et ambiguïtés, il est assez facile de saisir le sens
général de l ’évolution des concepts classiques en France et en Allemagne sur
ce point capital (1).
En Allemagne, Kraepelin et son école ont été sensibles au mouvement général
de détérioration de l ’activité psychique qui incline cette masse délirante vers un
(1) On pourra se rapporter sur ce point à mon article dans VEncyclop. Méd.-
Chirur. (1954) « Groupe des psychoses chroniques et des psychoses délirantes chro
niques (Les organisations vésaniques de la personnalité). Généralités », 37.281A-10,
et notamment au « graphe » qui l’illustre. J ’ai également exposé l’historique des
rapports du Délire chronique et des Schizophrénies dans mon rapport au Congrès
de Zurich, 1957 — et dans m on article sur « Les problèmes cliniques des Schizo
phrénies », Évolution Psychiatrique, 1958.
E y . — Traité des Hallucinations, u. 25
744 P SY C H O SE S CH RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
La Maladie
<( Délire chronique » Conception française
(Auteurs classiques Conception de K r a e p e l in classique d'espèces
du X IX e siècle) multiples et distinctes
l re Phase :
Interprétation Paranoïa Délires passionnels
Inquiétude Délires systématisés
Pas d'Hallucinations Délires d ’interprétation
2e Phase :
Hallucinations de l’ouïe Paraphrénie systématique Psychose hallucinatoire
et de la sensibilité géné chronique
rale
3e Phase :
Idées de grandeur Paraphrénies c o n fa b u la - Délires d ’imagination
Mégalomanie toire et fantastique
4e Phase :
Déficit intellectuel Forme p a ra n o ïd e de la Forme paranoïde de la
(Démence secondaire ou Démence précoce Démence précoce
vésanique) (Schizophrénies paranoïdes) Schizophrénie
/
glios, est plus simple q u ’il ne le paraît et nous permet d ’envisager maintenant
en pleine clarté le problème des Hallucinations dans le genre de ces Psychoses
délirantes chroniques et pour chacune de ses espèces.
Or, formuler ainsi le problème nosographique et clinique de ce genre de
maladies mentales qui constituent le noyau même de l ’aliénation, c ’est non
pas seulement poser au centre de cette aliénation le problème du Délire (der
« W ahn », au sens plein du m ot en allemand), mais celui des Hallucinations.
2° L e s e s p è c e s d e D é lir e r é d u i t à d e s p h é n o m è n e s p r i m a i r e s o u
à d e s m é c a n is m e s é lé m e n ta ir e s . — Revenons encore à cette idée que le
Délire constitue un genre et que, dans ce genre, est centrale l ’Hallucination
et bien sûr ! l ’Hallucination verbale telle que nous l ’avons nous-même enten
due (cf. supra, p. 212 et sq.) comme la voix du Délire.
L ’aliénation, sous son aspect le plus authentique, est essentiellement
représentée p ar cette transform ation radicale de la personne qui se trans
forme en objet. En objet de son désir certes, ce qui revient à dire que le déli
ran t objective dans son monde et dans son propre Moi le Ça qui devrait rester
le sens et non l ’objet de son désir. Prendre ses désirs pour des réalités ou sa pen
sée pour celle d ’un autre, c ’est naturellement halluciner ou délirer à ce point où
précisément le délire et l’Hallucination se confondent pour faire entendre au
Sujet quelle révolution s’est opérée dans ses rapports avec le m onde; soit que le
« pauvre Moi » soit lui-même refoulé jusqu’au fond de lui-même comme un objet
extérieur de ce monde où il n ’occupe plus q u ’une place exiguë et — à la limite
nulle — soit que ce monde, au contraire, soit devenu esclave de sa propre
pensée et de sa propre puissance. Tels sont, en effet, les mouvements centri
pètes et centrifuges que découvrent la Psychanalyse (Freud, M. Klein, etc.),
les analyses existentielles ou structurales du Délire en général (L. Binswanger,
E. Minkowski, Kuhn, K. Conrad, etc.). Les analyses les plus approfondies
de la Psychiatrie contemporaine rejoignent ainsi les premières intuitions
des grands auteurs classiques en consacrant le fond existentiel commun de
l ’aliénation en tant q u ’elle se manifeste en clinique p ar le Délire hallucina
toire évoluant comme une tragédie de l ’existence dans une perpétuelle oscil
lation entre la persécution et la mégalomanie. Il n ’est pas absurde de se
rappeler à ce sujet le vieux concept de « Monopsychose » (1) (qui soulignait
précisément l ’unité profonde de l ’aliénation mentale), et il est moins absurde
encore de parler comme certains cliniciens avisés (P. Guiraud) de la « Maladie
délirante ». Mais il doit rester bien entendu que lorsque les uns et les autres
et des points de vue les plus divers nous saisissons le problème des Délires
(1) Cette idée maîtresse (Leit idee, dit W. J a n z a r i k , 1959) d ’une « Einheitspsy
chose » a été reprise en considération par K. M e n n i n g e r , B. L l o p is (1954) et par
moi-même (depuis 1938), cent ans après que Z e l l e r et N e u m a n n l’eurent avancée.
Elle garantit en effet contre les excès de la nosographie kraepelienne des entités.
C’est à elle que revient, me semble-t-il, A. G r e e n (La problématique de la Psychose,
1969), comme moi-même y recours.
M É C A N ISM E S ÉLÉM E N TA IR E S E T ESPÈCES D ÉLIR A N TE S 147
(1) Bien sûr, nous avons déjà dans cet ouvrage à deux reprises, à propos des
modalités structurales de l ’Hallucination (p. 438-441) et à propos des Psychoses aiguës
(p. 715-742), longuement mis en évidence que le Délire, dans son fond, n ’est pas toujours
expérience vécue comme dans le. rêve mais est aussi — en relation avec l’alchimie
des images du rêve — « idéation ».
748 P SY C H O SE S C H RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
Bien sûr, cette irruption idéique ne peut être envisagée que comme une pro
jection idéo-affective tant il est évident que la conviction qui s’attache à l ’idée
délirante plonge ses racines dans le désir, la passion, l ’attente, et plus généra
lement le système pulsionnel. C ’est, en tout cas, de cette manière, que la plu
part des auteurs français parlent de l ’irruption idéo-affective du délire et notam
ment dans les psychoses passionnelles (délires de jalousie, érotomanie, etc.)
là où, précisément, les postulats de l ’exigence affective empruntent leur
force de conviction et d ’action à la dynamique affective. Mais le souci, là encore,
de séparer le délire passionnel de la passion normale a nécessairement entraîné
les auteurs à lier cette irruption ou ces intuitions à des phénomènes dont l ’auto
matisme et l ’incoercibilité constituent les caractères essentiels (comme dans
le phénomène obsessionnel ou compulsipnnel, ou encore le mécanisme des
« idées fixes » névrotiques). G. de Clérambault est l ’auteur français qui est
allé le plus loin à cet égard — jusqu’à rapprocher, sinon identifier, ce méca
nisme idéo-affectif aux phénomènes d ’automatisme mental proprem ent hal
lucinatoire. C ’est ainsi q u ’en 1933 il insistait sur le fait que les Psychoses
dites interprétatives com portent de nombreux mécanismes autres que l ’inter
prétation. Et aux « mécanismes » déjà mis en évidence, à savoir imagination
et intuition, il ajoutait les « pseudo-constats stéréotypés et incoercibles ».
C ’est « sur la base » de ces pseudo-constats indéfiniment répétés, sur « ce socle »,
disait-il, que s’élève la statue du délire. Il faut lire ces pages admirables de
l ’œuvre de G. de Clérambault (II, p. 647-654) pour comprendre jusqu’où
a pu aller son interprétation mécaniciste du délire d ’interprétation. Mais
nous devons indiquer ici comment cette genèse du délire devait aboutir à
une explication caduque (mais non à une description superflue) du Délire
puisqu’elle ne l’explique, en définitive, que par lui-même ou en le rédui
sant à n ’être q u ’un corps étranger. Le livre de R. Targowla et J. Dubli-
neau (1) met en évidence ce procédé ou ce processus de l’idée délirante qui
s’impose par elle-même sans rectification possible, comme une sorte de révé
lation ou de découverte q u ’aucun jugem ent ou aucune critique ne peuvent
mettre en question. C ’est naturellement, là encore, prendre la partie pour le
to u t ; car s’il est bien vrai que l’idée délirante se manifeste sous cette forme
en quelque sorte monolithique (eingliedrich disent, comme nous le verrons,
les auteurs allemands), il est non moins évident que les conditions de la consti
tution même de cette éruption idéo-affective verbale, c ’est précisément la
condition négative ; le trouble qui la libère (au sens jacksonien de « release »).
Nous pouvons d ’un seul regard comprendre et limiter à leur juste impor
tance toutes ces études « atomistes » de l ’école française sur la production
du « Délire chronique ». Toutes n ’expliquent le délire que p ar une tautologie
qui le font naître de lui-même ; car l ’Hallucination, l ’interprétation, l ’imagi
nation ou l ’intuition ne sont pas des « éléments » du délire mais des effets
IL — LES HALLUCINATIONS
DANS LES DIVERSES ESPÈCES DE DÉLIRES CHRONIQUES
* *
non plus ne donne pas raison à ceux qui se font d ’eux l ’idée d ’hommes morts
(de corps sans organes, c ’est-à-dire sans vie), « machines désirantes » englobant
d ’ailleurs tous les hommes dans la même absence, le même vide et le même
vice : le néant de toute organisation, de toute conscience et de toute raison.
Pour nous, les délirants, ces hommes que seule la Psychiatrie a à prendre en
charge, ils ne sont justem ent pas comme les autres. Ils sont ces grandes et
tristes figures de l’Aliénation non pas générale mais individuelle, celle de
l ’homme pourri dans les viscères de son « corps psychique ». Les Psychiatres
les font « leurs », non point pour les traiter en objets mais pour en faire les
sujets de leur propre angoisse et de leur propre responsabilité. C ar ce ne sont
pas les philosophes (qu’ils s’appellent J.-P. Sartre, M. Foucault ou G. Deleuze),
ce ne sont pas des idéologues qui, mieux que nous, qui, hélas ! n ’y parvenons
que rarement, sauront résoudre le problème existentiel du Délire, du Délire qui
n ’est jam ais une solution pour n ’être toujours q u ’une fausse solution.
Bien sûr, il est facile aux beaux esprits de surenchérir sur l ’étem el retour
du thème de l ’irréalité de la réalité. Mais, justement, nos Délirants (les vrais
Aliénés et non pas tous les hommes qui font des folies ou font les fous) ce sont
des malades de la réalité. Ils sont là, devant nous, comme pour nous rappeler
par le vide q u ’en eux a creusé le Délire, ce q u ’est la réalité, c ’est-à-dire la loi de
notre existence. Que pour ceux qui considèrent que la Conscience est incons
ciente, que la Déraison est la suprême raison, il n ’y ait pas plus de Réalité que
d ’irréalité, et que nos Délirants soient des machines merveilleuses et génialement
montées, cela va de soi. Mais pour nous, comme pour ces malheureux dont
nous avons essayé de déchiffrer le secret et de délivrer le destin, la Réalité
perdue, par le Délire nous apparaît, dans ce manque tragique, être la loi
même de l ’existence. Le Délire est une dém onstration ab absurdo de la fausseté
de la thèse des sophistes qui nient la réalité. Nos quinze Personnages Délirants
nous rappellent à l ’ordre de la réalité.
Parmi les quelques centaines de grands délires que nous avons longuement obser
vés avant l’ère thérapeutique ou en tout cas dans la spontanéité de leur évolution,
soit à Sainte-Anne d ’abord (à la Clinique de la Faculté), puis à Bonneval, quinze
ont été pour nous pendant les quarante années où nous n ’avons cessé de penser aux
rapports du Délire et des Hallucinations, non pas seulement des sujets privilégiés
d ’observation mais de véritables compagnons d’études. Pour la plupart d ’entre eux
nous avons été intimement mêlé à la constitution de leur Délire, à leur milieu fami
lial et social, jusqu’à partager en grande partie leur fantasque et phantasmique exis
tence. Il ne s’agit pas de donner ici un résumé (d’ailleurs impossible, presque
aussi impossible qu’est l’illustration de l ’Hallucination) de leur Délire ; encore
moins s’agit-il de décrire les caractères structuraux dont ont été frappées ces figures
numismatiques du Délire mais simplement de silhouetter la physionomie et l ’histoire
de ces Délirants qui n ’ont cessé, sous nos yeux, d ’entrelacer ce qu’ils ont perçu pour
l ’avoir trop craint ou désiré à ce qu’ils ont perdu de raison pour s’être aliénés hors
Q U IN Z E PER SO N N A G E S D É LIR A N TS 761
(1) Les catégories de l ’imaginaire dans la vie psychique et leurs rapports avec la
réalité de la personne font l’objet d ’une dialectique difficile que certains sophistes ont
su, par d ’habiles prestidigitations, confisquer au profit d ’une image de soi « pure
ment littéraire ou théâtrale », celle d ’un masque ou d ’un rôle... J ’ai eu l’occasion, à
ce sujet d ’analyser l ’œuvre de P ir a n d e l l o (Allocution présidentielle au Congrès de
Milan qui a disparu dans les C. R. de ce Congrès comme dans une trappe merveilleu
sement pirandellienne, en substituant à mon propre nom le nom d ’un autre... On en
trouvera le texte intégral, in Évolution Psychiatrique, 1971, n° 3, sous le titre « Piran
dello ». Les Personnages et la Réalité ou le Moi n ’est pas l’Autre ). J ’ai ainsi montré que
l’on pouvait précisément tirer de cette représentation des personnages du théâtre piran-
dellien, une tout autre idée que celle du Moi-fiction, reflet des autres. Si, en effet,
l’usage de l ’imaginaire nous permet de disposer d ’histoires ou de personnages dans
l’espace imaginaire (Chacun sa vérité...), il existe une fatalité de l’imaginaire incon
sciente dont nous subissons les fantasmes dans la fiction du rêve et dans celle de la
folie, et dont nous ne pouvons nous libérer qu’en recouvrant notre liberté d ’imaginer
(c’est le thème d ’Henri IV, du même auteur). La réalité de la personne pour autant
que chacun de nous en est l ’auteur (c’est, à mon avis, le seul sens de l’angoisse méta
physique des Six Personnages telle que, il y a 50 ans je l’ai si intensément ressentie),
n ’est ni réductible à la fiction librement imaginée qui fait de nous un personnage des
autres (et de nous-mêmes considérés comme de simples auteurs), ni à cet enchaîne
ment à l’imaginaire (à l’inconscient, c’est-à-dire à l’autre) qui constitue l ’aliénation
de la maladie mentale. Les Quinze personnages dont nous allons retracer en quelques
coups de crayon l’histoire, sont des personnes qui, en s’aliénant, ne sont devenues que
les personnages d ’une fiction, c’est-à-dire des Délirants.
762 P SY C H O SE S C H RO NIQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
Nos Quinze personnages représentent des cas tous typiques de Psychose hallu
cinatoire chronique (car même si dans le premier groupe l’Hallucination paraît céder
le pas à l’interprétation, celle-ci est encore une forme de perception délirante à type
noético-aifectif), mais l’évolution et la structure de ces psychoses hallucinatoires ne
sont pas les mêmes pour ces quinze histoires exemplaires de Délire chronique.
On remarquera que ces délires se sont pour ainsi dire cristallisés, de telle sorte
que leur forme hallucinatoire statu nascendi et parfois paroxystique ou cyclique s’est
fixée essentiellement dans un système convictionnel inébranlable.
Telles sont les cariatides sur lesquelles nous avons tenté par la convergence de
notre regard et de notre réflexion de dresser l’architrame du temple des délires et
des Hallucinations. Ce sont ces personnages que, tout en en observant des centaines
d ’autres, nous n ’avons jamais perdu de vue pour qu’ils demeurent toujours au centre
même de notre perception des « perceptions-sans-objets-à-percevoir ». Car c’est par
eux qu’a commencé et fini, pour nous, la connaissance que nous avons pu acquérir
en quarante ans des rapports du Délire et de l ’Hallucination.
tions sociales étant profondément troublées. C ’est sur ce fond de troubles cycliques
que s’édifia un délire hallucinatoire d ’abord (avec expérience de persécution, Hallu
cinations de l ’ouïe, sensation de transformation corporelle), puis essentiellement
interprétatif. Le travail du délire constitua le type même d ’une systématisation pseudo-
raisonnante. L’élaboration riche et solidement construite de ce délire d’interprétation
se développa sur un thème de filiation (il était le petit-fils d ’un prince Bonaparte,
étant bâtard de Persigny). Cette aliénation de sa personne occupa vingt ou trente ans
de son existence : accumulation de preuves et de documents, recherche de symboles,
démonstration par des signes « évidents ». A la fin de son existence (vers 55 ou
60 ans), il était parvenu à une certitude pour ne pas dire à une béatitude parfaite. Il
avait enfin tout prouvé... commeen témoignait, disait-il, lafleur de lys qu’il avait dans
le dos et qu’il « percevait », peut-on dire, sans la voir, interprétation « hallucinatoire »
par le caractère absolu du sceau sensoriel qui sanctionnait à la vue de tous la vérité
qu’il avait toute sa vie su percevoir dans tous les événements historiques les circons
tances quotidiennes de sa vie, dans ses grimoires, ses archives, comme il avait su
percevoir dans tous les signes et tous les appels qui lui étaient mystérieusement adres
sés ou déchiffrer les secrets que recélait la vérité de l’Histoire commune et de la
propre histoire de sa personne. Il mourut à l ’âge de 67 ans dans la satisfaction d’un
triomphe total sur ses ennemis dont il avait déjoué, nous disait-il, les complots grâce
à sa lucidité et son extra-lucidité... Ainsi la majeure partie de l’existence de cet homme,
intelligent, disert et charmant s’était-elle passée à composer un roman, mais un roman
dont les péripéties étaient par lui perçues comme les seuls événements de son existence
entièrement falsifiée au point que rien n ’entrait dans le champ de sa perception qui
ne portât le signe d ’une « réalité » cachée mais par lui mise au grand jour.
T h é r è s e S. G... — C’est vers l ’âge de 27 ans que cette femme d ’origine paysanne
mais de très bon niveau intellectuel, fine, malicieuse, active, de caractère syntone,
a présenté un an après son mariage des idées de persécution et de jalousie. Après
4 ans de « méditation délirante » le début de possession érotique, d ’influence
magique et démoniaque s’est constitué à partir d ’expériences oniriques durant
son sommeil. Le délire, en effet, s’est construit sur ses rêves devenus pour elle source
d ’information et d ’expériences irrécusables d’une supra-réalité. La forme halluci
natoire de cette fiction fantastique a été évidente pendant une dizaine d ’années
(de 1935 à 1945). Le personnage persécuteur nommé « Parent » est l ’auteur des viols
et des agressions psychiques « inimaginables » qu’elle subit. Ce sont des « crimes
royaux ». La source d ’information, ce sont des voix d ’invisibles innombra
bles qui connaissent toutes ses pensées, la font parler et corrompent son sang
en lui injectant leur venin. Dans la suite c’est l’Administrateur de l’hôpital qui a
remplacé « Parent » augmentant encore la persécution fantastique par ses raffi
nements pervers. Vers cette époque le délire (1945-1948) se métamorphosa pour
devenir en effet tout à fait fantastique avec un partage du monde en deux ordres
d ’événements : le monde symbolique de l ’eau (celui des rêves, des voix et de la magie
noire, de la sexualité) et le monde de la réalité quotidienne dans laquelle, internée
depuis 35 ans, elle s’est enkystée dans une routine stéréotypée. Elle vit sans vouloir
absolument en sortir (en s’opposant de toutes ses forces à toutes les méthodes et
toutes les entreprises thérapeutiques) dans ce monde délirant où a sombré son exis
tence tout en conservant un sens aigu de la conception de la réalité et de ses lois.
Mais elle vit dans un « au-delà » d’où elle est inexpugnable.
(1) On en trouvera des extraits dans mon article « La psychiatrie devant le Sur
réalisme », in Évol. Psych., 1948, 4, p. 3-52.
Q U IN Z E PER SO N N A G E S D É LIR A N TS 769
persécution devint un délire fantastique cosmique. Pendant les années où nous avons
pu l’observer, il se montrait d ’une solennité grandiose, ayant acquis la physionomie
de Dieu le Père, la figure la plus majestueuse de l’iconographie religieuse. Il avait
des cheveux blancs, une large et soyeuse barbe blanche, un visage lumineux et des yeux
d ’un bleu céleste. Il trônait littéralement dans son lit au milieu de ses innombrables
feuillets où il entassait, plans, schémas, calculs et prophéties. Il était devenu vraiment
« Dieu », le Tout-Puissant qui daignait à peine jeter un regard sur les misérables
« créatures médicales ». II entrait souvent en extase et puisait ainsi dans la force cos
mique l’inspiration prophétique dont il consentait parfois à prodiguer les divines
inspirations. Il régnait vraiment sur le monde. Tous les événements tournaient autour
de lui. Un matin, après le bombardement d ’une ville voisine, interrogé sur ce qu’il
avait entendu il s’indigna que ce pauvre petit médecin eût l’audace de prétendre
avoir entendu des explosions que seul, lui, pouvait entendre. Il mourut dans cette
omnipotence fantastique de cachexie à l’âge de 69 ans.
M arie B. I... — Fille de petits bourgeois parisiens, elle s’est mariée à l’âge
de 30 ans. Elle ne tarda pas à présenter un délire très actif de persécution avec Hallu
cinations multisensorielles, expériences délirantes vives et répétées. Dès cette
première effervescence délirante le mari se transforma en persécuteur, et le délire
essentiellement hallucinatoire avec recrudescences oniriques nocturnes d ’abord devint
assez rapidement fabulatoire. Une série de scènes et de faux souvenirs se substitua
à la trame de l’existence réelle par l’effet d ’une fabulation rapide puis stéréotypée.
C’est ainsi que les événements du mariage furent recouverts par une suite abraca
dabrante d ’aventures burlesques et rocambolesques. Elle se disait informée (infor
mations à caractère le plus souvent hallucinatoire acoustico-verbal et psychique)
qu’elle était l’épouse d ’Hitler, puis plus tard de Staline. Après une longue phase
(dix ans) de ce délire hallucinatoire assez bien systématisé, elle devint tout à fait
autistique et incohérente. De plus en plus désordonnée dans son comportement,
770 P SY C H O SE S C H RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
inadaptée à la moindre vie sociale, elle ne vit depuis vingt-cinq ans que dans et par
les scènes stéréotypées de sa pauvre existence. Elle s’y réfère sans cesse, ajoutant
seulement quelques détails à l’imbroglio dont elle défend avec conviction et véhémence
la véracité. L ’ensemble a subi une transformation de plus en plus mégalomaniaque,
les héros de son monde s’étant divinisés et sa malheureuse existence de recluse aban
donnée par tous les siens est vécue actuellement (trente-cinq ans après son internement
et sa métamorphose délirante) comme une merveilleuse aventure qui se situe hors
du temps, de l’espace et de l’histoire, dans la dimension proprement fantastique d’un
monde cependant étroitement circonscrit à quelques faux souvenirs anecdotiques,
comme des images d ’Épinal. Sa personne a véritablement subi une transformation radi
calement autistique. Somme toute, elle a parcouru très rapidement toutes les étapes
du fameux « délire chronique » des auteurs classiques, et elle est parvenue en brûlant
ces étapes à la phase de mégalomanie et de « démence vésanique ». Encore faut-il
ajouter que l’affaiblissement, la « Verblödung », n ’est, au terme actuel de l’évolution,
que relativement peu marqué.
M arie T. L... — Née en 1901, maîtresse-servante d’un petit bourgeois qui l’épousa
après quelques années de concubinage, Madeleine présenta à l ’âge de 34 ans un
délire (en 1935) de persécution et d ’influence à thèmes mystiques et érotiques (expé
riences délirantes oniroïdes avec excitation psychique). Pendant plusieurs années
ce délire correspondit à la description classique française de « la psychose hal
lucinatoire chronique » avec syndrome d ’automatisme mental très riche (dialogues
hallucinatoires constants, voix, transmission de pensée). Mais vers 1942 le délire
subit une véritable métamorphose fantastique, manifeste dans sa conduite et son
accoutrement (maintenant ce n ’est plus moi qui suis hypnotisée, c’est moi qui
hypnotise). Ses excentricités d ’attitude et de langage révélaient sa mutation mégalo-
maniaque. Princesse du Sahara et impératrice de Thénanie, elle traitait avec hauteur
et dédain tout le personnel de la Clinique qui devait être à ses pieds. Le délire de toute-
puissance phallique et d ’hermaphrodisme lui conférait une identité multiple (je suis
dame-jeune fille, monsieur et bébé. J ’ai l’âge d’un homme de quarante ans. Je suis
une banque et à la tête d ’une banque il y a un homme. Mes organes sont des deux
côtés par transformation automatique en homme et femme). A ces fantasmes de trans
formation sexuelle s’ajoutait celui du merveilleux corporel (Je suis un fœtus qui
n ’est pas né, un fœtus chez une mère. Moi mon corps d ’homme est chez ma mère. Je ne
suis pas née complètement. Je suis des morceaux). Elle partit un soir d ’hiver, en 1958,
où il gelait à — 20°. Pendant longtemps il fut impossible de la retrouver et on la
crut morte. Nous apprîmes qu’elle avait été internée dans un hôpital psychiatrique
de la région parisienne quelques jours après sa fugue. Depuis lors le délire fantas
tique n ’a pas cessé mais ne s’est pas enrichi. Par contre, elle est capable d ’une assez
bonne adaptation à la vie sociale du service où elle est encore hospitalisée.
*
* *
C ’est donc en ne cessant de tenir sous notre regard cette « galerie des
tableaux cliniques » que nous allons faire une sorte d ’exposé, ou plutôt, de
« survol » des structures délirantes qui form ent les trois grandes espèces du
genre Délire chronique, pour tâcher d ’en dégager la physionomie et l’évolution
hallucinatoires.
Nous disons bien trois et non pas quatre (chiffre correspondant aux quatre
phases du fameux Délire chronique), car les « espèces intermédiaires » dont tous
les auteurs français et allemands qui se sont appliqués à l ’étude approfondie
de ce problème ont senti la nécessité constituent une masse qui, malgré sa
relative hétérogénéité, peut se contracter en une seule espèce. D ans la mesure
où, tirant la leçon de ce que nous avons établi plus haut sur la nécessité de
substituer un point de vue dynamique aux points de vue statiques traditionnels
et classiques, nous entendons pour examiner le problème de la structure hal-
772 P SYC H O SE S CH RO NIQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
lucinatoire des délires chroniques les classer -selon leur mouvement évolutif
(dont l ’Hallucination est pour ainsi dire l ’index), c’est bien trois grandes caté
gories de Délires chroniques que nous devons décrire et non pas une (comme
font tan t de paresseux Psychiatres amateurs de simplification) et non pas cinq
ou six ou plus (comme font tant de Psychiatres trop amateurs de la multiplicité
des formes cliniques).
(1) Il nous est souvent arrivé de préférer à Paranoïa le terme de Délire systématisé,
et à celui de Paraphrénie celui de Délire fantastique. Mais toute la Psychiatrie doit
tan t à la nosographie kraepelienne qu ’il nous paraît juste — même si nous n ’acceptons
pas les entités rigides que le grand Psychiatre allemand entendait décrire — de repren
dre les mots et les intuitions mêmes qui ont permis à K raepelin de mettre de Vordre
dans le cadre des Délires chroniques et qui peuvent nous permettre d ’y ajouter main
tenant un sens.
Q U IN Z E PER SO N N A G E S D É LIR A N TS 773
G R O U P E D E S S C H IZ O P H R É N IE S
detti (1955) a fait une étude très approfondie des relations de l ’Hallucination
des schizophrènes avec leur « état de Conscience » et nous pouvons en quelques
mots résumer la longue et pénétrante analyse du cas relaté par G. Benedetti.
Son observation, comme sa psychothérapie, m ontrent en effet que le trouble
de la Conscience dans la schizophrénie se situe à un autre niveau que celui qui
caractérise ce que nous appelons la déstructuration du Champ de la conscience.
C ’est-à-dire q u ’il consiste essentiellement en une rupture de la communication
au niveau de la désorganisation de l ’être conscient (aliénation de la personne).
La voix accusatrice est le porte-parole de l ’Autre que le Moi entend en n ’enten
dant pas être ce qu’il a à être. De sorte que c ’est à un deuxième degré encore
un trouble de l ’être conscient; sans détriment en effet des troubles de la
Conscience que l ’on observe aussi et fréquemment au niveau de la déstructu
ration de la Conscience, comme y avait insisté Berze. La désorganisation de
l’être conscient apparaît encore comme le fondement de « l’état hallucinatoire »
schizophrénique, ou, si l ’on préfère, la « manière-de-ne-pas-être-au-monde » du
schizophrène. — Enfin, nulle part peut-être ailleurs que dans les manifestations
de l ’autisme schizophrénique les Hallucinations ne sont aussi foncièrement
ambivalentes en ce qui concerne le lieu où se déroulent les événements vus,
entendus ou sentis; ce lieu étant pour ainsi dire tout à la fois extérieur dans le
monde des objets et intérieur dans la propre pensée et le corps du Sujet. —
Même si elles sont parfois « greffées » (Hallucinations réflexes) sur des bruits
extérieurs (O. P. Vitrogradova, 1969), les « voix » des schizophrènes sont des
apparitions ou des voix d ’un autre monde. Les expériences déjà anciennes (1928)
de K. Zucker (1) sont, à cet égard, fort intéressantes. Tandis que chez les sujets
en état d ’expérience hallucinatoire aiguë il y a une sorte de confusion entre per
ceptions vraies et fausses, le schizophrène distingue parfaitem ent tous les bruits,
odeurs, courants électriques, etc., artificiellement produits de ses voix, de ses
impressions nauséabondes, de ses fluides... Il y a là une indication très intéres
sante vis-à-vis du problème du diagnostic entre les Hallucinations des Schizo
phrènes et celles des Délirants aigus (Rappelons les analyses de J. Wyrsch (1937
et 1939) à ce sujet; nous y reviendrons plus loin en exposant sur le même sujet
le travail de J. Glatzel, 1971). Récemment aussi, M. Alpert et K. N. Silvers(1970)
sont revenus sur ce problème du diagnostic particulièrement im portant, en
com parant ce qui se passe chez 35 alcooliques et chez 40 schizophrènes. Ils ont
mis en évidence la fréquence plus grande des Hallucinations acoustico-verbales
chez les schizophrènes, fait bien connu, mais aussi sur le fait q u ’elles se pro
duisent plus facilement dans la solitude.
Pour ce qui est des diverses variétés de troubles psycho-sensoriels (Sinn
wahrnehmungen, Sinnestäuschungen) ou des diverses Hallucinations ou Pseudo-
E. Vercellino, 1966, etc.) ne se rencontrent pas seulement dans les phases aiguës
ou processuelles, mais ils se manifestent aussi au fur et à mesure que s’accentue
le « déficit » schizophrénique (J. Berze).
(1) K. Z ucker. Archiv für Psychiatrie, 1928, 83, 706-754.
SC H IZO P H R É N IE S 777
ces voix sont généralement peu localisées ou localisables, que, somme toute, elles
n'appartiennent pas au monde de la réalité, q u ’elles ne sont au fond les voix
de personne, comme si le schizophrène pouvait par son ambivalence et dans
son autisme tout à la fois s’entendre lui-même parler avec la conviction abso
lue que le « je », ni les deux autres personnes (le toi et le il) du discours
n'existent plus.
(1) W. T hiele, « Ueber das Wesen der Leibgefühlstörungen bei des Schizophrenien».
Fortschr. N. Psychiatrie, 1971, 39, 279-287, travail d’inspiration très voisine du point
de vue neurobiologique de P. G uiraud sur l’athymhormie.
780 P SY C H O SE S C H RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
une caroncule et mes fibres je ne sais pas où ». Si nous insistons sur cette
surcharge de fantastique verbal, c ’est q u ’elle fait partie de l ’expérience sensible
elle-même pour autant que celle-ci est plus infiltrée d ’abstrait que de vividité
sensorielle. Sans doute verrons-nous ailleurs (à propos des paraphrénies) le
fantastique idéo-verbal déborder encore plus largement le cadre de la déper
sonnalisation immédiatement vécue. Les phénomènes de dépersonnalisation
chez les schizophrènes ont toujours ce halo imaginaire baroque qui les pro
longe ou les dissout dans des illusions d ’identification (fausses reconnaissances,
sosies, transitivisme) ou de fusions « mystiques » avec la nature (délire cosmo
logique, panthéistique, etc.) (1).
Cette profonde ambiguïté de l ’expérience schizophrénique, tout à la fois
« sensible » et « imaginaire », a suscité d ’innombrables travaux sur les rapports
de ce « rêve » avec son support sensoriel (« cénesthésie » ou « schéma cor
porel »). Nous pouvons rappeler ici à titre de référence et de documentation
quelques travaux qui ont repris au cours de ces dernières années le problème
du « vécu » somatique de la dépersonnalisation, des distorsions cénesto-
pathiques ou somatognosiques des schizophrènes (G. E. Harris, 1962 ;
H. P. Remenschik et U. H. Talso, 1963 ; C. Gentili et coll., 1965 ; S. Follin,
1965 ; J. Eicke, 1965 ; A. Saavedia, 1965 ; C. Zanocco et G. P. Guéraldi,
1966 ; A. K. Aufriev, 1969 ; G. Bogliolo et coll. 1969 ; A. Rizzo et
coll. 1969 ; etc.). 11 nous suffit ici de noter que, cliniquement la déper
sonnalisation chez les schizophrènes est le vécu d ’un processus morbide du
malade qui tend vers le délire ; en devenant persécuté, halluciné, négateur,
le schizophrène retrouve une pseudo-réalité, une pseudo-personnalité « dans
la mesure où le monde imaginaire remplace et joue le rôle du monde
réel » (Follin, 1950). De telle sorte que l’expérience de dépersonnalisation ne
peut être interprétée chez ce genre de malade, selon nous, que comme la
manifestation d ’une déstructuration de la Conscience et notam m ent de la struc
ture de l ’espace vécu de la représentation des images (Henri Ey, 1954). Mais
s'ajoute à cette déstructuration, comme son complément proprem ent schizo
phrénique, le bouleversement fantastique du monde autistique.
Nous devons souligner sans crainte de le répéter, que l ’activité délirante et
hallucinatoire lie inextricablement le vécu au pensé et au parlé dans cette rhap
sodie hallucinatoire dont le corps est le thème. Expérience parfois burlesque
ou tragi-comique comme dans les propos du malade de Minkowski (Le temps
vécu, p. 299) ou étrangement elliptique comme dans la fulgurance de cette
phrase : « On m ’a coupé les cheveux jusqu’à la racine du langage ». Tel est,
en effet, le monde autistique schizophrénique q u ’il vit sur tous les registres
des sens, de la pensée et du discours la singularité d ’une relation essentiel-
ainsi sous forme d ’états oniroïdes (notamment dans les fameuses expériences
délirantes et hallucinatoires de la fin du monde) au début de l ’évolution, se
reproduit au cours des « poussées aiguës », soit sous forme de crises de stupeur
ou d ’agitation catatonique, soit d ’états crépusculaires de type hystéro-épilep
tique, soit encore d ’états maniaques ou dépressifs typiques, etc.
Mais l ’Hallucination visuelle apparaît parfois (et plus souvent que les autres)
sous forme d ’ « Éidolies hallucinosiques » (1). Bleuler (p. 84) fait allusion à des
cas de ce genre qui ne sont pas en effet tout à fait exceptionnels. Ce sont sou
vent des figures ou des images « incongrues », « irréelles » et sans enchaînement
délirant. D ’après E. L. Bliss et L. D. Clark (in West, p. 99), il s’agit le plus
souvent de figures banales et monochromes; elles s’observent surtout au début
de la psychose ou parfois dans les phases subaiguës ou dans la période hypna-
gogique. Dans le travail de D. A. Frieske et Wilson (1966) par exemple (pris
parmi bien d ’autres), sur 50 schizophrènes, 13 cas de crises d ’Hallucina-
tions visuelles brèves ont été enregistrés. Ces « Hallucinations visuelles »
décrites par les auteurs de ce travail sont considérées par eux comme des
« hallucinoses » en raison des caractères nettement sensoriels (couleur 84 % —
intensité 62 % — mouvement 70 % — perspective 96 % — clarté 82 %).
Certains malades (nous verrons q u ’ils entrent plutôt dans le groupe des
paraphrénies, des psychoses hallucinatoires chroniques ou des Délires d ’ima
gination) ont des visions étranges et des imageries cosmiques. Il s’agit surtout
de « Pseudo-hallucinations » à forte charge narrative ou imaginative qui ont
ouvert les yeux du schizophrène sur les splendeurs surnaturelles, l ’Histoire ou
l’Archéologie de l ’humanité, ou encore les mystères de la création et de la
copulation portant, comme le Président Schreber, jusqu’à l ’origine de l ’horizon
du monde le spectacle de leur fantastique « prévision », etc. Autrement dit,
toute l ’imagerie fantastique de Hiéronymus Bosch à Salvador Dali passe devant
les yeux du schizophrène comme un rêve réfracté dans son autisme. Parfois
et peut-être plus spécifiquement encore, il s’agit d ’étranges visions internes,
de photographies, ou de films, ou d ’images multipliées à l ’infini dans un jeu
de miroirs où se reflètent les mots, les pensées et les personnes. Elles em pruntent
dans leur modalités d ’implication ou de multiplication tendant à l ’infini des
mouvements multidimensionnels et kaléidoscopiques qui inversent radicalement
la fonction même de la vision, qui, braquée sur les profondeurs du Sujet,
devient perception de la pensée plutôt que perception des objets dans l ’espace.
Nous devons signaler aussi que « les troubles des perceptions » en général,
c’est-à-dire les troubles de la Gestaltisation perceptive ont été mis en évidence.
Certains auteurs insistent sur le fond de distorsion fonctionnelle des activités
perceptives (H. J. Eysenk, G. W. Granger et J. Brengelman, 1957; M. Wer-
theim er et C. W. Jackson, 1957; T. E. Weicowicz et G. Witney, 1960; D. Sha-
kow, 1960; etc.). Les rapports des Hallucinations auditives avec la surdité ont
été parfois soulignés (cf. à ce sujet le travail de O. P. Vetrogradova (1969) sur
les conditions d ’audition des schizophrènes hallucinés, et celui de K. L. Alsthü-
ler (1971) qui a fait une étude statistique des rapports de la surdité avec les
formes paranoïdes schizophréniques) (1). P ar contre, la plupart des cliniciens
sont d ’accord pour souligner le contraste entre l ’importance des Hallucinations
délirantes des schizophrènes et l ’intégrité des fonctions perceptives (R. W. Payne,
1958; R. Cooper, 1960; P. Matussek, 1963; M. Boss, 1963). Généralement, en
effet, avec M atussek ou Boss, on considère que c ’est à un niveau supérieur (la
construction symbolique) que se situe l ’activité hallucinatoire. C ’est au fond ce
(1) Dans le même ordre de recherches, nous devons rappeler de quel intérêt peut
être l’étude des Hallucinations hypnagogiques (M. Anderson, 1956 ; C. M cD onald,
1971) et les investigations sur le rêve et le sommeil des schizophrènes et plus géné
ralement l’électroneurophysiologie (cf. notre article « Disorders of consciousness »,
in Handbook Clinical Neurology, III, p. 127, 1969). Un récent travail de T. O kuma
et coll. (1970), étudiant les rêves et les phases de sommeil rapide, mérite d’être noté
parmi tant d’autres récemment publiés. Les travaux que nous avons poursuivis
pendant plusieurs années à Bonneval avec C. Lairy, M. Barros, L. G oldsteinas, etc.,
seront exposés plus loin (p. 1262 et sq.).
SC H IZO P H R É N IE S 785
rapport à une sorte de pensée « à côté ». Ils sont des manifestations de l ’activité
psychique (idées saugrenues, idées délirantes, Hallucinations, interprétations,
sentiments d ’influence, aberrations affectives, impulsions) qui, sur le plan
du comportement, traduisent la singularité en quelque sorte « autochtone »
du travail de dissolution qui sape la personne du Schizophrène incipiens.
Nous retrouvons ici le fameux « ohne Anlass » du Délire primaire, ou encore
ce « quelque chose » de si insolite que sont les « acting-out » des schizophrènes,
ou du tragique qui surgit dans la fulguration de « crimes immotivés ». Dans
tous ces cas, il s ’agit d ’une irruption, tantôt par « à-coups », tantôt lente et
progressive, d ’expressions manifestes soudaines ou paradoxales d ’un contenu
latent qui n ’est plus seulement inconscient et caché (comme l ’Inconscient
de tout être normal), mais qui apparaît comme tel c ’est-à-dire comme une
plage d ’intentionnalité « à part », « à côté » et déjà « autistique » — une
sorte d ’ombre oblique qui s’allonge et se multiplie à mesure que décline la
clarté dans le crépuscule de l ’existence. Dans cette forme ou cette phase de
début, les idées délirantes de persécution, d ’empoisonnement, de suggestion,
de modifications ou de préoccupations corporelles occupent p ar leur fréquence
et leur aspect caractéristique le premier plan du tableau clinique. Et, bien
entendu, ces idées délirantes « primaires » (1), ces interprétations dogmatiques,
ces « illuminations », ces voix ou ces « transmissions de pensées », toutes ces
modalités hallucinatoires du délire statu nacendi annoncent déjà p ar vagues
successives l’immersion dans l’autisme. Dans ce premier acte du dram e schizo
phrénique, les Hallucinations sont d ’ailleurs souvent dissimulées, vagues, et
le Sujet éprouve surtout des sentiments d ’étrangeté nuancés, soit d ’ironie,
soit d ’indiflférence, soit d ’agressivité. Le vécu et l’énoncé s’entrelacent pour
form er la tram e insolite et informulable d ’événements hétéroclites, bizarres
ou énigmatiques qui se déroulent dans son corps et dans sa pensée, comme
en dehors de lui-même. L ’Hallucination apparaît bien alors comme la préface
du Délire — préface écrite p ar le premier énoncé du Délire —•comme un délire
en filigrane qui ne s’offre que p ar profils, fussent-ils fulgurants, ou par esquisses
furtives.
Dans les formes aiguës, la Schizophrénie — nous l ’avons souligné déjà —
commence p ar une sorte de tremblement de terre psychique (le « trém a »
de K. Conrad). C ’est peut-être dans ces formes de début que les expériences
délirantes et hallucinatoires sont le plus typiques ; elles sont parfois elles-mêmes
précédées de ces signes avant-coureurs que sont les Hallucinations hypnago-
giques (M. Anderson, 1956; C. M cDonald, 1971). Tous les auteurs qui se sont le
plus occupés de la clinique et de la psychopathologie de la Schizophrénie ont
senti la nécessité de décrire ces « crises », ces « poussées aiguës initiales », mais
(1) N ous avons souligné précédem m ent que l’idée délirante « prim aire » en tan t
que W ahneinfall (intuition délirante) présentait nécessairem ent la form e hallucinatoire
d ’une perception irrécusable, de telle sorte que les analyses de G . d e C lérambault
et de l ’école allem ande (W . G ruhle e t K . S chneider ) se recoupent.
SC H IZO P H R É N IES 787
aussi les difficultés quasi inextricables q u ’elles opposent à une bonne description
empirique et théorique de la Schizophrénie. Si, en effet, la forme de début
que nous venons de rappeler va pour ainsi dire de soi dans la description de
cette psychose endogène par excellence pour l ’école classique, ou de la régres
sion archaïque par excellence pour l ’école psychanalytique, le bouleversement
de la vie psychique (disons tout simplement du Champ de la conscience) de
ces schizophrénies aiguës incipiens pose de redoutables problèmes de dia
gnostic et de pronostic incessamment débattus. Disons à ce sujet que l’on voit
alors se constituer dans ces cas quelque chose qui est très analogue, sinon
identique, à ce que nous avons déjà rencontré et décrit dans les « psychoses
délirantes aiguës ». De telle sorte, que les signes qui permettent d ’établir la
nature schizophrénique de ces épisodes délirants sont conjecturaux pour la
bonne raison que dans ces crises la schizophrénie n ’étant pas, comme nous
l ’avons écrit (1957), au commencement mais à la fin, n ’apparaît que dans la
transparence incertaine d ’une problématique probabilité car le processus ne
se confirme que dans une certaine proportion (50 %) d ’après notre statistique
de 1955 qui coïncide avec celles de M. Bleuler (1948).
Après ce rappel des incertitudes pronostiques, nous devons souligner aussi que
tous les cliniciens ont essayé de caractériser ce q u ’il y a de « déjà schizophrénique »
dans ces « schizophrénies aiguës » ou conjecturales. On a insisté en faveur du
diagnostic de Schizophrénie sur le caractère schizoide ou « prépsychotique » sur
le début lent et progressif, sur le caractère non réactionnel à l ’égard des événe
ments (toujours le fameux « ohne Anlass »), le caractère plus abstrait et peu scé
nique de l ’activité délirante et hallucinatoire, sur l ’inconscience de la maladie
(J. Wyrsch), etc. Somme toute, le problème se centre sur la structure profonde de
ces états oniroïdes. Beaucoup d ’auteurs classiques, répétons-le, ont (avec Krae
pelin) insisté sur l ’absence des troubles de la Conscience dans ces « poussées
aiguës », mais la chose est bien loin d ’être claire ; il nous semble plus vrai de
dire que dans ces expériences délirantes et hallucinatoires primaires la prédo
minance du syndrome de dépersonnalisation et surtout du syndrome d ’autom a
tisme mental, des phénomènes et des thèmes d ’influence surtout quand ils sont
exprimés dans une structure idéo-verbale insolite (et parfois hermétique) avec
recours aux expressions énigmatiques, aux néologismes, aux formulations
symboliques, paraissent être un indice du travail serpigineux de dissociation,
de Spaltung, par lequel s’organise le monde autistique. Follin (1963) à qui
nous devons d ’excellentes observations et des réflexions approfondies sur
ce sujet, insiste sur l ’absence d ’ « angoisse objectivante », c ’est-à-dire sur le
fait que dans ces schizophrénies aiguës manque l ’homogénéité du vécu qui
cristallise ou agglutine 1’ « épreuve oniroïde » des états hystériques ou des psy
choses aiguës dans un terrible mouvement d ’angoisse. Nous reviendrons
plus loin sur les fameuses descriptions de J. Wyrsch (1937 et 1949), sur celles
de K. Conrad, (1958) et sur le récent travail de J. Glatzel (1971) à propos des
modalités de l ’évolution du processus schizophrénique. Disons simplement
ici que la constitution même de l ’existence autistique schizophrénique semble
exiger plus profondém ent cju’une déstructuration du Champ de la cons
788 P SY C H O SE S CH RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
processus idéo-délirant dont les Hallucinations de toute espèce sont les mani
festations cliniques. Plus profondément encore, les*phénomènes p ar lesquels se
manifestent les péripéties de ce voyage au centre de soi-même, de cet ensevelis
sement de l ’existence que constitue la Schizophrénie en tant q u ’elle est une
métamorphose de toute la vie de relation, un mode d ’aliénation, l’Halluci
nation constitue dans les formes particulières, que nous avons décrites plus
haut, le signe le plus authentique et quasi pathognomonique.
C ’est ce que nous allons mieux voir encore en m ettant à jo u r les relations
q u ’affecte ce Délire autistique avec les modalités de l ’expérience, de la connais
sance et du travail hallucinatoires. Car, bien sûr, ce que démontre l’analyse
structurale de la Schizophrénie ce n ’est pas q u ’elle est basée sur des méca
nismes simples ou des phénomènes isolés, mais plutôt q u ’elle est une modi
fication fondamentale de la vie de relation qui transform ant l’être dans le
monde (le Dasein) du Sujet qui devient schizophrène passe par des phases
successives de constitution de VEigenwelt. Cette aliénation de la personne
implique une révolution de son système de la réalité dont les divers aspects
hallucinatoires sont les effets... et non, bien sûr, les causes !
(1) Pour moi, bien sûr, la science a une valeur, celle d ’une cumulation progressive
du savoir par quoi, précisément, elle se distingue des idéologies métaphysiques ou
politiques et des productions esthétiques.
(2) C ’est ce que j ’ai tenté de montrer dans mon livre sur « La Conscience »
en étudiant les rapports renversés et inversés dans la maladie mentale entre
l’Inconscient et l ’être conscient dont, ici, le délire schizophrénique en nous ren
voyant essentiellement à l ’Hallucination nous fournit le modèle privilégié et qui nous
autorise peut-être à répéter spécialement encore ce que nous avons déjà établi sur
les rapports du Délire et de l ’Hallucination (p. 741-758).
(3) Rappelons encore que le symptôme secondaire de B leuler (le délire et l ’Hal
lucination) correspond au symptôme positif de J ackson , comme le symptôme pri
mitif de B leuler correspond bien au trouble négatif de J ackson (cf. mon travail
au Congrès de Genève-Lausanne, 1946).
SC H IZ O P H R É N IE S 795
L ’une, qui est fournie au patient par le « pathos » subi, c ’est l’expérience déli
rante pour autant q u ’elle est (comme l’exprime Follin en traduisant mal selon
nous « Erlebnis » p ar le m ot épreuve) essentiellement une modification déli
rante du vécu. L ’autre, q u ’il fournit lui-même pour autant q u ’il engage dans
la constitution d ’un monde délirant l ’Inconscient « retourné » de sa propre
personne. Cette « part positive » du délire qui constitue sa manifestation cli
nique la plus évidente, c ’est ce que après Bleuler on a appelé l ’autisme
dont l ’activité représente le contenu effervescent des phases « florides »
du processus : elle porte le sens, c ’est-à-dire l ’intentionnalité hédonique du
Délire. A cet égard, l ’Hallucination répond à ce besoin tout à la fois narcis
sique et de réinvestissement objectai. L. L. Havens (1962) a très bien analysé
cette fonction en quelque sorte libidinale de l’Hallucination des schizophrè
nes : elle tient compagnie, elle est la voix du com pagnon ou la communica
tion encore maintenue avec le monde des objets virtuellement investis dans
ses seules « imagos ».
Mais tandis que dans les Psychoses aiguës le délirant (comme le rêveur)
n ’engage sa personne q u ’au niveau de son inconscience, de la déstructuration
du Cham p de sa conscience, ici, pour que la Schizophrénie se constitue comme
telle, il faut que le schizophrène y engage sa personne au niveau de l’inconscience
de soi, c’est-à-dire de sa propre aliénation. C'est cette double et complémentaire
manière d'être inconscient qui fa it du processus schizophrénique le modèle
le plus complet du Délire. C ar celui-ci n ’est pas ici seulement une manière
de cheminer vers le rêve, mais encore une manière de mettre au service de
l'A utre ce que le Moi ne veut plus être.
A cette double dimension du processus schizophrénique correspondent
des formes d ’Hallucinations différentes. Dans les phases aiguës (1), quand la
structure négative caractéristique des expériences délirantes domine, les per
ceptions délirantes se rapprochent un peu de ce que l ’on voit dans les psy
choses délirantes aiguës (syndrome de dépersonnalisation, Hallucinations
corporelles, sentiment d ’influence et parfois — mais plus rarement — Hallu
cinations visuelles) ; les expériences délirantes de fin du monde, l ’atmosphère
fantastique du vécu, la perplexité, l ’angoisse, l ’impression de mystère ou de
terreur constituent le fond délirant et hallucinatoire du « trém a » que Conrad
a si bien décrit ; mais l ’importance des Hallucinations acoustico-verbales
et du syndrome d ’automatisme mental, les formulations verbales insolites
(néologismes, propos énigmatiques et abstraits) annoncent assez souvent
(mais pas toujours !) le processus schizophrénique. Celui-ci s’instaure avec
la dissociation schizophrénique (la Spaltung) qui met en mouvement le pro
cessus discursif, le processus idéo-verbal du travail délirant dont les Halluci
nations sont les symptômes les plus objectifs. On voit alors les malades attirés,
sinon perdus dans leurs rêveries, attentifs aux discours hallucinatoires, aux dialo
gues qui le portent à discourir avec l’autre q u ’il est resté au centre de lui-même.
De telle sorte que c ’est effectivement au niveau du négativisme, de l ’ambivalence,
de l ’introspection, des troubles de la communication avec autrui que le schizo
phrène paraît ne plus pouvoir percevoir que par le « sixième sens » qui établit
hallucinatoirement sa relation avec l’autre monde. Et à mesure que ce travail
autistique se poursuit jusqu’à effacer la forme hallucinatoire du délire au
profit de fabulations thématiques ou des formulations abstraites, l ’Halluci
nation se dégrade pour finalement tom ber dans les formes vides du soliloque.
Autrement dit, les diverses formes d ’Hallucinations indexent les modalités
de production du délire. En passant du « délire-état » au « délire-idée », celui-ci
impose une modification radicale de la moralité hallucinatoire. D ’abord expres
sion d ’un vécu qui (et cela est plus particulièrement sensible dans les Hallu
cinations corporelles et psychiques) ne parvient que difficilement et métapho
riquement à s’exprimer, l ’Hallucination se charge ensuite de tout le dynamisme
d ’un délire qui, en se verbalisant, travaille toujours plus loin des données des
sens réduits au silence et, par contre, jusqu ’à l ’extrême formalisme de signifiants
désincarnés dans le discours de l’Autre.
Le processus schizophrénique en tan t q u ’espèce pour ainsi dire privilégiée
du « Délire chronique » est, répétons-le là encore, la forme la plus authentique
de l ’aliénation.
Il nous permet de saisir au travers les transform ations que subissent les per
ceptions hallucinatoires des schizophrènes que le Délire schizophrénique par
court toutes les étapes de l ’existence délirante. Il se rapproche des psychoses
délirantes aiguës dans ses phases initiales ou évolutives ; il se manifeste par
des interprétations ou des Pseudo-hallucinations quand le schizophrène super
pose à la réalité une doublure d ’imaginaire ou q u ’il maintient encore assez
de contact avec la réalité pour n ’admettre que p ar le canal des sens la méta
morphose de la réalité. A la période d ’état, ayant rom pu les amarres qui le
retenaient encore dans le système de la réalité et de la coexistence, il constitue
un monde autistique où l ’Hallucination perd ses qualités propres de référence
perceptive pour être transformée en pure idéation ou intuition fabulatoire
quand le Sujet, se transform ant si radicalement en cet Autre q u ’il finit par
être, disparaît lui-même comme Sujet et objet d ’une impossible communication.
Telle est la phénoménologie du processus schizophrénique (le contresens
ontologique de l ’existence et l ’aliénation du Moi) qui fait entendre au Schizo
phrène ses voix, le seul écho q u ’il puisse recueillir de son monde évanescent.
Ce processus est bien une réelle désorganisation de l ’être, et non pas, comme
A. de Waelhens (1972) l ’a reproché à E. Bleuler, une artificielle projection des
phantasmes de la Psychiatrie, ou, comme l ’ont dénoncé D. Cooper ou R. Laing,
une projection du pouvoir iatrogène du Psychiatre. Plût au ciel q u ’il en fût
ainsi, et q u ’en disparaissant la Psychiatrie fasse disparaître la Schizophrénie !
LES DÉLIRES SYSTÉMATISÉS (PARANOÏA)
Sérieux et Capgras ont dressé un tableau très complet de toutes les inter
prétations délirantes que G. D rom ard définissait, répétons-le, comme « des infé
rences d'un percept exact à un concept erroné ». Ces interprétations sont des
jugements faux qui attribuent à la réalité une valeur imaginaire qui la dotent
d ’une signification qui ne vaut que pour le Sujet mais qui a pour lui valeur
de vérité absolue. De telle sorte que Sérieux et Capgras avaient hésité un
moment à appeler ce type de délire « Délire de signification » car, disaient-ils,
la devise de l ’interprétateur peut être « tua res agitur » devise que, bien sûr,
l ’halluciné peut également prendre pour emblème.
Ils rapportent d’abord une observation (p. 11-24) d ’une malade très méfiante
qui craignait d’être empoisonnée par son beau-père et trompée par son mari. Elle
se mit à interpréter tout et rien. Disait-on une phrase banale (« Voilà ce que c’est
que de prendre les choses à l’envers »), cela veut dire que son mari a eu des rapports
homosexuels avec un de ses amis. Une lettre arrive-t-elle en retard, c’est qu’elle a été
interceptée. Son mari la fait espionner, pratique un trou dans le mur pour l’épier.
Il la pousse au suicide, ou encore tente de se débarrasser d ’elle pour épouser une
autre femme. Internée, elle prétend qu’une infirmière a cherché pendant la nuit
à l’étrangler. Revenue chez elle, son mari la photographie mais fait exprès de gâcher
la plaque de son appareil ou ne réussit qu’une photographie qui la représente noire
comme une négresse. Si son mari jette une allumette, c’est pour la désigner comme
étant, elle, dangereuse. Il l’entend marcher la nuit pour surprendre la bonne. Elle
accuse son médecin de l'hypnotiser. Elle est constamment 1’objet de tentatives d'empoi
sonnement et d ’attentats multiples. Elle interprète le nom des infirmières. Si on lui
écrit « nous désirons ta guérison », elle remarque que le point terminal est d ’une gros
seur inusitée, cela veut dire « nous ne désirons point ta guérison ». Elle scrute aussi
tous les écrits, les articles de journaux. Une infirmière s’appelle Mme Viste « or,
dans le jeu de whist il y a un mort ; on veut donc la faire mourir ». Elle déchiffre
constamment les hiéroglyphes qui composent à ses yeux les menus faits de son exis
tence. Et au terme de cette observation, Sérieux et Capgras concluent que le Délire
est toujours à base d ’interprétation. « Jamais d’Hallucination » sont les trois mots
qui concluent cette observation. Et il est bien vrai que le Délire ici se développe et
se construit sur le plan du jugement, des idées erronées, des comparaisons hasardeuses
et des déchiffrements aussi conjecturaux que péremptoires plutôt que sur des percep
tions altérées. Mais même si l ’Hallucination n ’est pas présente comme trouble
psychosensoriel avec ses attributs « sensoriels » d’une fausse perception, elle est à
l ’arrière-plan, à l’horizon de l’existence, comme pour transformer ses détails les plus
futiles en événements fulgurants ou prodigieux. La puissance de l ’Hallucination
est là comme un pouvoir diffus de transmutation des mots et des choses ; elle méta
morphose, comme le roi Midas, la banalité perçue en or du Délire : « Je crains,
écrivait une des malades, (lettre reproduite p. 55) d’être menacée de mort et d’enlève
ment, « d’être enfermée de force dans un fiacre pour me conduire dans une maison
close, comme on me l’a déjà fait ». Disons donc à propos de cette observation « prin-
nolde », comme pour moins se prêter à une distinction aussi radicale que celle de
K r a e p e l in .
P A R A N O IA 807
(1) J ’ai entendu dire (dit un de mes malades qui se nomme Gérard) « Salut Gérard »..
Or le salut est dans la fuite. Donc, c’est bien une poursuite puisqu’ils m ’obligent
à fuir. Le hasard de la clinique qui nous fournit cet exemple le jour même où nous
rédigeons ce chapitre, nous permet certainement de saisir la variété des discussions
sur l ’Hallucination et l ’interprétation quand l’une et l ’autre n ’ont de sens et d ’exis
tence que par le délire qui les enveloppe. Et c’est bien ici le délire qui parle dans son
accent d ’origine...
E y. — Traité des Hallucinations, h . 27
808 P SY C H O SE S CH RO NIQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
les auteurs, a appris par cœur un livre analogue à la clé des songes pour connaître
la signification des objets (épingle veut dire infirme — parapluie, protection —
balai, changement. — Une fille se croit regardée par une actrice, c ’est q u ’elle
est sa fille) ;
c) les événements im portants, les chagrins domestiques, les deuils, les
mauvaises affaires, sont arrangés dans le sens des idées de persécution et
grandeur (C ’est pour lui venir en aide que le roi d ’Angleterre voyage ; les
guerres sont rapportées à sa responsabilité personnelle) ;
d ) les mots. Car le discours p ar ses manques, ses lacunes, ses ambiguïtés,
ses tropes est toujours là pour offrir à l’interprétant l’occasion d ’exercer ce qui,
somme toute, constitue à la fois l ’essence du langage et de son délire : l’inter
prétation. Voici les exemples que donnent Sérieux et Capgras :
Une phrase, si anodine soit-elle, suffit à faire naître les suppositions les plus
hardies. « Il faut bien qu’elle le connaisse », dit-on à l’une, en lui montrant
un portrait : celui de son père assurément, un puissant monarque. Un autre entend
dans la rue une femme dire à un enfant « tu es bien coiffé », dans un magasin un
employé demande « il n ’y a pas d ’araignées au plafond » ; autant d ’allusions à sa
prétendue folie. Se promenant avec sa fiancée, il surprend dans la conversation de
deux individus ces mots bien significatifs : « Elle ne sera pas pour toi ». « Vogue et
chavire » chante-t-on devant lui. Des dialogues entiers, détournés de leur sens, pro
voquent des conceptions délirantes. Une malade écoute sa mère et son oncle chuchoter
ceci : « Nous sommes arrivés trop tard, le testament était fait. — Oui, si elle ne meurt
pas... c’est une mauvaise affaire pour nous... ». Ces paroles se gravent dans sa mémoire;
les rapprochant de la mort récente d ’un évêque, elle conclut que, fille de cet évêque,
ses prétendus parents veulent la faire mourir pour dérober son héritage.
Parfois l’expression perçue prend un sens emblématique ; de véritables jeux de
mots constituent autant d ’arguments aux yeux de l ’interprétateur. Coq signifie
orgueilleux ; poire, imbécile ; on lui présente une brosse, « il peut se brosser » ;
on lui offre du riz, « on se rit de lui » ; on lui tend un mètre ; serait-il le maître ?
Parle-t-on de peau ou de gruyère : sa femme est « une peau, une grue d ’hier » ; un
individu nommé Lafay s’asseoit à côté de lui : l ’accuse-t-on d ’un crime ? ( il l ’a fa it).
Une malade prétend qu’une infirmière est payée pour la faire disparaître, elle et une
autre pensionnaire : elle l ’entend en effet fredonner la « chanson du roi de Thulé »
(tue-les).
Ces interprétations basées sur des similitudes de sons, sur des à-peu-près, des
calembours, sont assez caractéristiques. Elles utilisent jusqu’aux noms propres
des personnes de l’entourage. Une de nos pensionnaires, femme intelligente (obs. I)
nous parle un jour de « rapprochements bien intéressants ». « A l ’époque, dit-elle,
du viol (prétendu) de ma fille, j ’ai souvent répété le nom de celle-ci : Marie. Or en
arrivant à la maison de santé, j ’apprends qu’une infirmière s’appelle Marie Potin » :
allusion aux potins qu’on lui reprochait de faire à propos de sa fille. « Autres faits
curieux, ajoute-t-elle, ma belle-mère causait un jour dans une chambre voisine avec
mon mari ; je l ’ai entendue dire : « mon fils, elle devient dangereuse, je compte sur
son internement » et elle le répéta trois fois. Or il y a une surveillante qui s’appelle
« Mme Conté ». Enfin mon mari me disait souvent quej’avais des « voix » et j ’apprends
qu ’une infirmière est originaire de la Savoie ». Le Docteur Mauclaire vient l'examiner ;
encore un nom significatif : sa situation n ’est pas claire !
P A R A N O IA 809
(1) Il en est ainsi pour tout acte perceptif qui consiste en un décodage de l ’infor
mation. Mais tandis que chez le Sujet normal — et quelles que soient ses illusions
et erreurs en quelque sorte anodines — c’est à un code commun qu’il se réfère en
percevant tel ou tel objet, le délirant (et ici l’interprétant pour autant qu’il se rapproche
précisément de l ’halluciné) traite l’information que lui fournissent les canaux senso
riels selon un code singulier superposant son secret au code commun auquel il affecte
de se tenir.
810 P SYC H O SE S CH RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
même à leurs sentiments : tel d ’entre eux, surpris de n ’éprouver aucune affection
pour sa mère, en conclut qu’il n ’est pas son fils. Lés actes répréhensibles commis
antérieurement sont attribués à des suggestions.
Il n ’est pas jusqu’aux manifestations dues aux émotions, à la fatigue, à l ’épui
sement nerveux qui ne soient interprétées. Un de nos malades remarque que chaque
fois qu’il est examiné par un magistrat, il perd tous ses moyens, balbutie, n ’arrive pas
à s’expliquer : que lui fait-on prendre dans ce but ? Veut-on le faire passer pour atteint
de paralysie générale ? Un autre ne peut concevoir sa pusillanimité ; on doit projeter
sur lui des rayons spéciaux qui ont la propriété de donner l’illusion de la peur.
« Pourquoi suis-je nerveux, irascible, excité ; ou bien ahuri, hébété, incapable
de rien dire ? Comment se fait-il que certains jours j ’écrive avec difficulté, comme si
on me retenait la main ? Parfois, moi instituteur, je fais des fautes d’orthographe !
Est-ce l ’hypnotisme, la suggestion ? D ’autres fois, je ne puis détacher mon regard
des lampes électriques. Pourquoi ai-je un jour tourné autour d ’un puits et me sen-
tais-je poussé à m ’y jeter ? Magnétisme, assurément ! ». Divers interprètent des
troubles neurasthéniques ou psychasthéniques. Marandon de Montyel a publié
une observation qui paraît être un cas de délire d ’interprétation édifié sur des troubles
neurasthéniques, que le malade croit occasionnés par des individus soudoyés pour
l’empoisonner, le troubler dans ses études et ses travaux.
Dans d ’autres cas les épisodes délirants aigus (états de dépression, accès hallu
cinatoires, etc.) apparaissent parfois au cours du délire d ’interprétation, sont bien
considérés par le Sujet lui-même comme des accès de folie, mais il les attribue à un
empoisonnement ou à des suggestions.
Certains vont jusqu’à interpréter leur délire rétrospectif : il n ’est pas naturel
de se remémorer ainsi les moindres faits passés ; on agit sur eux pour qu’ils puissent
se souvenir des plus petites peccadilles.
Enfin un certain nombre de conceptions délirantes empruntent aux rêves du
sommeil normal des chimères acceptées sans modification ou dénaturées. Un mys
tique justifie son appel à la tiare par les terreurs nocturnes de son enfance ; il pré
dit les événements politiques pour les avoir vus en songe. Une Allemande, nom
mée Katzian, eut ainsi la révélation qu’elle n ’était pas une Katzian : elle vit dans
un rêve son père nourricier en prison, ayant à sa droite un chien, symbole de la fidé
lité, à sa gauche un chat, symbole de la fausseté ; elle est donc une fausse Katzian
(Katz, chat en allemand).
comporte quelques faits exacts, mais la broderie est en grande partie œuvre de l ’ima
gination.
Enfin, Sérieux et Capgras notent que par son dynamisme interne le délire
aboutit à une véritable transform ation de la réalité (c’est le monde renversé,
un labyrinthe inextricable) (1) (v. p. 60). On pourrait dire que l’interprétation
n ’est que la pseudo-image du rationalisme en érigeant en système ce que le
délire porte dans ses prémisses.
(1) Il faudrait ajouter ici à cette description de la progression d ’un délire qui
s’engendre lui-même (selon le mot de J.-P. F alret) les travaux de C apgras et de
ses élèves sur les illusions de Sosie et les méconnaissances systématiques qui, en effet,
constituent un renversement de toutes les perspectives de l’existence (et non pas
seulement des perspectives sensorielles) au point d ’aboutir à une sorte de monde
proprement artificiel comme chez notre malade (Louise S. F... cf. supra, p. 769) qui
ne percevait rien qui ne soit faux... « Comme vous jouez bien la comédie ! Vraiment,
quels acteurs vous êtes, on dirait des Médecins... Et ces fausses infirmières avec leurs
fausses seringues et leurs faux uniformes, on croirait qu’elles sont vraies. C ’est très
ressemblant... Et le cloître de ce faux hôpital, je sais bien que c’est un faux cloître.
U n ’y a qu’à gratter un peu en passant les piliers... C ’est du carton-pâte. Mais c’est
vraiment bien fait, on dirait un vrai cloître... » Et tout était ainsi fabriqué, truqué.
Elle seule par sa clairvoyance détenait la vérité d’un monde auquel elle contestait
toute réalité...
812 P SY C H O SE S C H RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
Ce que fait l ’interprétation délirante, en effet; c’est ce que fait, mais en sens
contraire, l ’interprétation psychanalytique (1).
L ’analyste découvre que le délire en tant que signifiant manifeste la signifi
cation du désir ; le délirant découvre dans le signifiant constitué en rébus par
la forme elliptique des relations que soutiennent entre eux les éléments de sa
« réalité délirante », un sens qui projette hors de lui (qui objective) ce q u ’il ne
peut lui-même ni être, ni avoir, ni assumer. Et, par là — et c’est tout le paradoxe
du délire — l ’interprétation emprunte le sens les voies et moyens de son être
conscient (ou raisonnable) pour délirer en tournant le dos (comme dans l’inter
prétation par notre m alade Jean R... « de la fleur de lys dans le dos ») à la
« réalité » de son Inconscient. C ’est bien pourquoi l’interprétation apparaît
bien alors, comme le disaient Sérieux et Capgras, comme le signe même de
la folie raisonnante. De telle sorte que si nous pouvions dire plus haut que
l ’interprétation est aussi délirante que l ’Hallucination, c’est bien parce q u ’elle
ouvre la porte à un délire qui sous les apparences de la Raison énonce la Dérai
son des idées que nous appelons précisément délirantes. L ’interprétation est le
type même d ’une sublimation de l ’Inconscient qui, au contraire des sublimations
normales et par le truchement de la fiction déréelle fait dépendre plus étroitement
le Sujet de son Inconscient qu’il ne l’en détache. L ’interprétation est la voie
royale de l ’aliénation. Et pour autant q u ’elle en constitue le halo ou l ’anticipa
tion, elle enveloppe l ’Hallucination.
Et nous découvrons alors le monde délirant comme un monde de signes,
de symboles, de phantasmes ou d ’imaginaire qui ajoute une imposture de plus
à celle de l ’Hallucination, celle d ’une fausse vérité qui entend non pas seu
lement être entendue par les oreilles du Sujet mais faire entendre raison à tous
les autres. Tout se passe dans ce monde des interprétations comme si le D élirant
mettait au service de son Délire les ressources de sa Raison « intacte » dans sa
forme, mais aliénée dans son fonds. D ’où le recours constant et abusif aux
signes et déchiffrements qui, cessant d ’être des moyens, deviennent les fins
d ’une relation avec le monde essentiellement hiéroglyphique.
Ce qui, du point de vue séméiologique, constitue la réalité propre du
Délire d ’interprétation (ou si l’on veut, de la Paranoïa dont il constitue le
(1) Aimée avait, dès l ’âge de 32 ans, présenté une « bouffée délirante » avec idées
de persécution, de jalousie, illusions, interprétations, Hallucinations (On l ’accusait
de vices extraordinaires, toute la ville était au courant de sa conduite). Dans le déve
loppement ultérieur du délire, J. L acan note, en les résumant (p. 276), « que les inter
prétations font partie de tout un cortège de troubles de la perception et de la repré
sentation qui n ’ont rien de plus raisonnant qu’un symptôme : des illusions de la
perception, des illusions de la mémoire, des sentiments de transformation du monde
extérieur, des phénomènes frustes de dépersonnalisation, des Pseudo-hallucinations
P A R A N O IA 817
L ’évolution générale du Délire se fait donc selon les règles d ’une confection
qui tend à se parfaire et à s’achever. Somme toute, à se clore. Et, en effet,
des Délires qui parfois se construisent pendant des années parviennent à une
sorte de chef-d’œuvre d ’architecture ou à la composition d ’une symphonie
ou, plus simplement, à un rom an de cape et d ’épée, d ’un rom an noir, d ’un
rom an policier ou d ’espionnage. Quand le délire est arrivé à s’organiser selon
un ordre intérieur qui dispose tous ses signifiants en fonction de son signifié
idéo-affectif central ou de sa « Key expérience », il s’achève alors comme se
parfait une toile d ’araignée. Il ne disparaît pas ou presque jam ais complè
tement, mais il s’arrête et, à la fin de son existence paranoïaque, le délirant
ne vit plus que dans le souvenir de cette biographie imaginaire qui se distingue
du monde autistique par sa pénétrabilité, sa narrativité et sa relative plausi
bilité, toutes dimensions qui manifestent la perfection du travail d ’annulation du
Délire p ar la construction cohésive, sinon cohérente, du travail délirant.
Nous verrons plus loin qu’il existe des formes évolutives atypiques, véri
tables formes de passage entre les trois grandes espèces de Délire chronique.
Rappelons que les anciens auteurs allemands parlaient de Paranoïa aiguë
(Westphall), et que l ’on a décrit des « Paranoïas abortives » (Gaupp, 1900),
lorsque le système à peine constitué se résorbe, ou meurt à peine est-il né.
— Certains cas ont, eux, une évolution plus ou moins cyclique avec des
épisodes aigus ressemblant à ce que l ’on observe dans les schizophrénies
incipiens, aux états oniroïdes des psychoses délirantes aiguës. — Parfois aussi,
l ’évolution de ces délires affecte avec les psychoses périodiques des rapports
profonds ; c’est ce que les Classiques français appelaient le Délire systématisé
« secondaire ». Mais tout ceci nous conduit précisément à envisager le problème
nosographique de ces délires.
Les psychoses passionnelles sont celles qui sont dominées p ar une idée
prévalente, ou plutôt une passion (revendication, jalousie, érotomanie).
C ’est d ’elles que G. de Clérambault disait q u ’elles se développent « en
P A R A N O IA 819
6° L e p r o c e s s u s d u s y s tè m e d é lir a n t e t ses r a p p o r ts a v e c l ’H a l
lu c in a tio n . — Bien sûr, tous les Psychiatres peuvent le constater dans leur
expérience clinique quotidienne, les Délires systématisés contrastent avec
les délires schizophréniques par le fait q u ’ils sont mus par un puissant m ou
vement idéo-affectif (1) qui se développe avec un minimum de référence à l ’expé
rience hallucinatoire. En paraissant si peu « hallucinatoires » et si peu dépendre
(1) Nous avons laissé de côté dans cette analyse formelle de la Paranoïa tout son
« contenu » affectif (qui est pourtant essentiel pour la compréhension de la psychose),
c’est-à-dire la projection même de l’Inconscient tel que depuis les analyses de F reud
(cas Schreber) et les innombrables travaux de l’école psychanalytique (F erenczi,
A braham , M. K lein , Stercke , etc.) nous ont permis de mieux saisir le sens de la Para
noïa. Nous retrouverons ce problème fondamental plus loin et nous l’envisagerons
dans sa généralité quand nous étudierons les conceptions psychodynamiques des
Hallucinations. Notons simplement ici que les exposés de S chiff (1935) et ceux de
N acht et R acamier (1958), et les travaux de J. L acan (1933-1965) permettent aux
lecteurs français de comprendre avec ces auteurs l’énorme appoint de l ’école freu
dienne au problème de la projection de l ’Inconscient dans le système paranoïaque.
PA R A N O IA 821
direction qui, une fois pour toutes, m étamorphose la personnalité. En effet, une
fois la nouvelle direction prise elle dure, et le Sujet développe sa personnalité sur
cette nouvelle base comme dans le cas d ’un simple développement de la per
sonnalité. Mais il s’agit pourtant d ’une transform ation totale qui a quelque
chose d ’hétérogène (heterogene Umwandlung), bien q u ’elle se développe
comme un enchaînement fortem ent articulé. Jaspers emploie l ’expression « ein
weitgehunder, rationaler und einfühlbarer Zusammentrang » (une liaison pro
gressive rationnelle et intuitivement compréhensible) pour désigner cette cohé
rence interne du travail délirant mais qui ne cesse pas d ’être une déviation
fondamentale de la trajectoire de la personne. Ce « pro cessus psy c h iq u e » d e
J aspers co n stitu e e n q u elq u e sorte le m o d èle même d e l a P sychose pa r a
comme nous le verrons plus loin (7e Partie, chap. II).
n o ïa q u e ,
Le « processus physico-psychotique », lui, se caractérise p ar un boule
versement qui accentue l’hétérogénéité de l ’orientation nouvelle et qui, au lieu
d ’être pour ainsi dire univoque, est chaotique car il manifeste l ’irruption de
multiples et nouveaux facteurs hétérogènes, et il se développe pour ainsi dire
pour son propre compte (Parallelprozess) et, de ce fait, il est réfractaire aux
relations de compréhension : c ’est à ce type de processus que correspond
l ’évolution schizophrénique.
Ajoutons enfin que plus tard, dans la « Psychopathologie générale », Jaspers se
référant à la fameuse distinction de Dilthey entre « Verstehen » et « Erklären »
oppose le « développement de la personnalité » en tant q u ’il est, sinon
entièrement conforme, du moins suffisamment susceptible d ’une analyse des
relations de compréhension c ’est-à-dire d ’une compréhension intersubjective des
motifs (1), dans tous les cas où la vie psychique est troublée, c’est-à-dire
justement quand les phénomènes de toutes sortes portent le sceau d ’une
incompréhensibilité qui correspond précisément au bouleversement du
« processus », q u ’il soit psychique ou q u ’il soit physico-psychotique.
Nous gagnons, nous semble-t-il, à cette exégèse de la fameuse doctrine jas-
périenne du processus de confondre l ’erreur qui est généralement commise
lorsqu’on se demande « si dans la conception de Jaspers » tel délire est ou un
développement de la personnalité ou un processus ; car pour Jaspers tous
les Délires sont processuels. Mais en distinguant deux modalités du processus
d ’aliénation, la conception de Jaspers nous permet de considérer que la Para
noïa qui n ’est précisément pas un simple développement de la personnalité
s’établit sur le modèle de ce processus psychique qui, par une « greffe parasi-
il y a déjà bien longtemps dans la structure de ces Délires leur nature proces-
suelle « au sens de Jaspers ». Sans doute ne se référait-il pas au « processus
physico-psychotique » comme l ’appelait Jaspers en songeant probablement,
en 1910, à ce que l ’on commençait d ’appeler à cette époque le processus schizo
phrénique, mais plutôt à ce que Jaspers appelait « processus psychique », terme
qui a paru donner aux interprétations psychogéniques (Kehrer, J. Lacan, etc.)
un semblant de justification malgré l’avis explicite et motivé de Jaspers. C ’est
bien cette structure formelle incompréhensible dans ses fondements (1) qui
caractérise le Délire chronique systématisé malgré toutes les apparences de
rationalisation du Sujet et malgré l ’évidence des formations réactionnelles
secondaires ou compréhensibles aux yeux de l ’observateur qui les interprète
parfois très au-delà de la « compréhension » commune mais jusqu’à un certain
point seulement, ce point de non-retour où commence le « vrai délire » pour
si peu délirant q u ’il paraisse ou veuille paraître... Ce sont tous ces caractères
d ’incoercibilité, de fixité, d ’incorrigibilité, d ’hétérogénéité que le clinicien
observe qui constituent la form e dans laquelle se présente cette conversion du
système de la personnalité quand il devient un système de l’irréalité.
égard. Elles montrent, en effet, comment dans les cas pour ainsi dire les plus purs
(ceux des psychoses passionnelles) le délire ne se développe que dans et par cette alté
ration de la personne. Et que peut-être une altération ou une aliénation de la personne
qui n ’inverse pas « hallucinatoirement » les rapports du Sujet à son monde ?
828 P SY C H O SE S CH RO N IQ U ES H ALLU C IN ATO IRES
L E S D É L IR E S C H R O N IQ U E S F A N T A S T IQ U E S
(P A R A P H R É N IE S )
autres. Les efforts — à vrai dire un peu laborieux de Dupré et Logre (1) — pour
ériger le mécanisme imaginatif en modalité spéciale de la production délirante se
montrent assez vains. Le mécanisme imaginatif, dit Dupré, se distingue de l’Hallu
cination en ce que celle-ci est un phénomène sensoriel (qu’il n ’est justement pas),
et de l ’interprétation en ceci que l’interprétation est un raisonnement (qu’elle n ’est
pas toujours ou qu’elle est si peu). Finalement l’imaginatif utilise, dit-il, le procédé
du poète et l’interprétant celui du savant. Après s’être rapidement essoufflé dans cette
recherche d ’un critère sûr, Dupré ajoute : « Il est bien entendu d ’ailleurs que cette
distinction entre le délire hallucinatoire, interprétatif et imaginatif que nous venons
de faire un peu pour le besoin de la cause, est une distinction quelque peu schématique
et en partie artificielle (p. 98). On ne pourrait que s’étonner que les Psychiatres
français aient cependant assez facilement accepté cette espèce de Délire si, d ’une
part les observations souvent pittoresques (et écrites d ’un style si alerte par Dupré
et par Logre) n ’avaient fait illusion ; et si, d ’autre part, la charge de délire fantas
tique introduite dans ces études cliniques de l’imagination déchaînée n ’avait touché
une réalité clinique, celle des paraphrénies. Dans la mesure même où nous recherchons
ici une forme de Délire chronique qui ne coïncide ni avec la Schizophrénie, ni avec
la Paranoïa, ces fameux délires d ’imagination se réduisent donc aux Délires fantas
tiques pour autant qu’ils entrent dans cette espèce avec les caractéristiques que nous
devons leur reconnaître.
L es « P sychoses hallucinatoires chroniques » de l ’école française. —
Pour ce qui est de la Psychose hallucinatoire chronique, elle a connu en France un
succès moins étonnant pour, somme toute, consacrer par la conception traditionnelle
classique de l’Hallucination considérée comme un élément générateur du délire.
Depuis G. Ballet et jusqu’à G. de Clérambault (il suffit de se rapporter dans les
Manuels classiques du début du xxe siècle à la nosographie du Délire selon « l’école
française »), ce cadre nosographique a été adopté. Outre la raison théorique que
nous venons d’indiquer, il faut discerner encore les raisons de ce succès dans le
souci des Psychiatres français de décrire des formes de maladies mentales toujours
plus « isolées » et dans leur répugnance à accepter les grandes synthèses de l’école
allemande. Hors de ces raisons en quelque sorte théoriques, on n’en peut guère
voir d ’autres proprement cliniques. Car ce ne sont certainement pas les exigences
de la clinique qui imposent l’évidence d ’un tel groupement hétéroclite à intercaler
entre le Délire d ’interprétation et les Délires paranoïdes de la Schizophrénie.
La description que Gilbert Ballet a fournie de la Psychose hallucinatoire chro
nique (1911) est assez sommaire, comme toutes celles d ’ailleurs que l’on retrouve dans
tous les Manuels et Traités (2). Il s’agissait d ’ailleurs pour lui de dresser en « entité »,
face à la Démence Précoce, l 'ensemble des délires chroniques et des délires des dégénérés
qui se construisent par la systématisation des Hallucinations, des idées de persécution
et des idées de grandeur (vieux thème antérieur justement à la synthèse kraepelienne).
Il insistait sur trois caractères fondamentaux : le délire est fondamentalement hal-
la communication même qui unit le délirant à son monde séparé de la réalité, s’enkyste
ou se spécialise dans une fonction d ’information sans objet, point imaginaire où
sa production devient poétique ou mythologique. Et, dans ce cas, la psychose hal
lucinatoire chronique est un Délire fantastique.
Autrement dit, les Hallucinations ne sont rien par elles-mêmes, ou se réduisent
à un dénominateur commun insignifiant, si le clinicien ne sait pas les remettre à leur
place dans un contexte structural qu’une trop superficielle considération empêche
précisément de saisir.
Disons encore que l ’isolement théorique artificiellement introduit dans la masse
des phénomènes hallucinatoires est rendu aisé dans deux conditions cliniques fré
quentes. Tantôt la « Psychose hallucinatoire chronique » apparaît en effet, comme
constituée récemment et d ’emblée (point sur lequel insistait tant G. de Clérambault),
alors qu’une anamnèse soigneuse montre que ce que l’on peut prendre pour la base, le
commencement ou le « socle » du Délire constitue plutôt l'effet d ’une maturation,
d ’un travail délirant déjà ancien. Tantôt, ce que l’on prend pour des phénomènes hallu
cinatoires élémentaires et isolés (pour être les formes d’automatisme mental les plus
pures et les plus simples dans leur expression clinique, en quelque sorte schématique)
sont des séquelles d ’une longue évolution d ’un Délire — souvent schizophrénique
ou fantastique — enkysté, comme vidé de sa substance. Lorsque le délire est réduit
à ce « point » qu’il ne paraît constitué que par des éléments simples, ces « éléments »
ne sont pas justement là comme les atomes ou les détonateurs du Délire. Au terme
de l’évolution dont ils sont comme les résidus, des îlots ossifiés ou momifiés, ils sont
plutôt comme les rejetons encore vivaces qui survivent à l’extinction de l’activité
délirante.
Telles sont, du point de vue clinique, les raisons qui permettent de considérer que
cette construction d’un cadre nosographique appelé « Psychose hallucinatoire chro
nique » est artificielle, superflue et même dangereuse, si on entend par là qu’en rédui
sant tous ces Délires à des éléments simples elle risque d ’en masquer la multiplicité,
la complexité et la structure évolutive, abusivement vouée à une sorte de mécanique
fatalité.
Il pourrait sembler paradoxal que dans un ouvrage consacré aux Hallucinations
nous nous débarrassions précisément et si lestement de la fameuse « Psychose hallu
cinatoire chronique ».
Cela serait, en effet, incompréhensible si nous avions de bonnes raisons de penser :
1°) que les Hallucinations sont le produit de l’excitation des centres sensoriels ; —
2°) que ces troubles sensoriels engendrent automatiquement le délire ; — 3°) que cer
taines psychoses hallucinatoires seraient caractérisées non pas seulement par la
fréquence de ces phénomènes mais par leur seule présence, le Délire étant pour ainsi
dire contingent (le socle hallucinatoire qui attend la statue délirante, disait G. de Clé
rambault). Mais ces trois propositions — constituant justement le dogme de l’auto
matisme mental du Maître du Dépôt — sont fausses. Ce qui définit le Délire hallu
cinatoire, c ’est la structure même du Délire qui manque à une conception de
l ’Hallucination, qui la réduit à un dénominateur commun mythique, sa sensorialité.
Voilà pourquoi l’école française, en s’enrichissant de tous les apports de l’analyse
structurale et psychodynamique du Délire, doit sans regret perdre cette illusion noso
graphique. Elle peut s’en consoler d ’autant plus facilement que les écoles étrangères
(allemande et anglo-saxonne) ne sont pas plus estimables pour fourrer le Délire chro
nique sous toutes ses formes (et même le délire aigu) dans le « caput mortuum » schizo
phrénique. Notre position est differente des unes et des autres en ce que précisément ce
834 PSYCHOSES CHRONIQUES HALLUCINATOIRES
que nous recherchons en nous référant aux études les plus approfondies des cliniciens
de toutes les écoles, c’est à saisir la structure des espèces de Délires chroniques qui ne
sont ni aussi artificielles que le laisseraient supposer la conception française, ni aussi
homogènes que le laissent entendre les Psychiatres du monde entier. Autrement dit,
il faut repenser le problème, et c’est ce que nous tentons de faire depuis quarante ans
et que nous avons continué de faire ici en nous avançant sur le « pont aux ânes » de
la Psychiatrie : la structure hallucinatoire des Délires chroniques.
(1) Nous préférons désigner ces Délires chroniques par le terme de « fantastique »
plutôt que par le terme trop pédant de « paraphrénie ». Cela revient d ’ailleurs à dési
gner l ’élément de ce groupe par le sous-groupe qui en constitue le noyau (Para-
phrenia fantastica).
DÉLIRES FANTASTIQUES (PARAPHRÉNIES) 835
Le Délire, dit Kraepelin, se développe ensuite en recourant sans cesse à des méta
phores, à des conceptions tout à fait illogiques, <( à des idées chimériques qui témoi
gnent d’un jeu insensé et sans but d ’une imagination qui va à l ’aventure » (Une auto
mobile est entrée dans son oreille, dit l’un ; — cet homme a changé de sexe et est
« enceint » ; — cet autre croit qu’il existe une agence internationale de disparition au
moyen d ’ascenseurs d’hôtels qui descendent des souterrains ; — pour celui-là il fut
repêché dans le fleuve de l’Amazone enduit de salive, rapetissé par un appareil, plâtré,
devenu Christ, Paris, Eve et Moïse, Alexandre le Grand ; — pour tel autre, il y a
une machine à saucisses pour égorger des milliards d ’hommes, etc. Les fabulations
paramnésiques jouent un grand rôle dans cette production du Délire. Mais en même
temps qu’ils racontent ces histoires extraordinaires, ces délirants sont parfaitement
capables de soutenir normalement une conversation. Dans la phrase terminale, il
y a bien un certain degré d ’affaiblissement (Verblödung) mais, dit Kraepelin « je
connais aussi des cas où après une ou plusieurs dizaines d ’années il ne pouvait être
question, malgré les idées fantastiques les plus étranges du monde, du moindre
degré de faiblesse intellectuelle ».
se détache du délirant. Disons plutôt q u ’il paraît s’en détacher, q u ’il a pour
fonction de s’en détacher ; car, bien sûr, il ne cesse de signifier son Désir,
mais non pas seulement celui d ’atteindre son objet sur le mode imaginaire,
mais un désir d ’imaginaire plus absolu, celui de créer un mode imaginaire,
le désir de transform er par sa propre parole le monde en monde merveilleux
et littéralement fantastique. U n paradoxe est un des traits les plus caractéris
tiques de cette existence délirante : pour si fantastique que soit le Délire, le
délirant se contente de le « dire », de l’écrire (1) (de le croire aussi par un actè
de foi qui le situe dans l ’au-delà de la réalité) et parfois dans son langage mer
veilleusement métaphorique, mais sans cesser de s’adapter à la vie réelle et de
disposer du langage commun.
P ar là, la structure de ce Délire fantastique apparaît avec ses caractéristiques
structurales propres. L ’idéologie mythologique avec ses thèmes, idées, élucubra
tions et fabulations infinies, est enveloppée dans une atmosphère extra-tempo
relle et extra-spatiale, élargissant ses dimensions jusqu’à l ’infinité et l’éternité
qui constituent les dimensions hyperboliques de sa grandeur mégalomaniaque, ou
d ’absurdité absolue. C ’est ainsi que le Délire reprend généralement à son compte
les grands « archétypes », les mythes que l ’humanité a sécrétés sur les thèmes
éternels de ses origines et de ses fins (fabuleuses naissances et maternités, guerre
des dieux, puissance éternelle, métamorphoses, manichéisme). Plus souvent
encore, c ’est sur un registre plus modeste que le Délire se développe en em prun
tant ses conceptions et ses images d ’Épinal à la sorcellerie, aux « sciences psy
chiques », à l ’Histoire, à la Bible, quand ce n ’est pas seulement au catéchisme...
Mais toujours, c’est en tan t que « vision personnelle » d ’un monde personnifié
que naît et s’enrichit sa fantasmagorie. C ’est encore comme une sorte de méga
lomanie que les thèmes privilégiés reprennent et magnifient les phantasmes
sexuels (comme dans le cas du Président Schreber), ces phantasmes qui gonflent,
en les symbolisant à l ’infini, les relations hallucinatoires du Délirant avec les
imagos du phallus, de la création, de la puissance et de la fécondité. Le Délire
fantastique est, à cet égard, comme le fameux volet du « Jardin des Délices »
où Bosch a peint en images cosmiques et mythologiques tous les phantasmes
sexuels de l ’humanité. Le Délirant fantastique compose ainsi, lui aussi, à la
mesure de ses moyens, une vaste fresque poétique en déroulant ses phantasmes
dans sa fantasmagorie idéologique.
La personne du Délirant se volatilise dans ce monde de fiction, sauf tou
tefois sur un point : c ’est que, s’identifiant aux métaphores et péripéties du
Les extraits de l ’observation de la malade Dup... publiée dans mon livre « Hal
lucinations et Délire » (p. 139-142) et des écrits de la malade Blanche T... qui illus
trent (p. 29) notre étude sur « La Psychiatrie devant le surréalisme » peuvent donner une
idée de la prodigieuse fécondité de ces délires. On en trouvera des exemples aussi
dans la thèse de Clerc «Les Délires fantastiques », Paris, 1926 et dans bien des observa
tions publiées avec le diagnostic de paraphrénie, de psychose paranoïde, de délire
d ’imagination. Le Délirant qui a peut-être été le plus étudié depuis qu’il existe une
science psychiatrique, le fameux cas du Président Schreber, nous paraît être un
exemple typique, non pas de ce que l ’on a appelé sa Paranoïa ou sa Démence
paranoïde, mais de la Paraphrénie fantastique.
Percevoir im plique imaginer et parler (1). Mais, bien sûr, imaginer et parler
contiennent virtuellement l ’Hallucination. Ce thème longuement développé
au début et tout au long de cet ouvrage nous permet m aintenant de mieux
comprendre les rapports qui soutiennent Hallucination et délire fantastique.
Au début et dans les phases évolutives de cette espèce de Délire — comme
dans toutes les formes de Délires chroniques — les expériences délirantes
primaires sont vécues sur un mode hallucinatoire (voix, syndrome d ’auto
matisme mental, Hallucinations corporelles et cénesthésiques, sentiments
d ’influence et de transform ation, etc.). L ’irruption du Délire suit, pour ainsi
dire, le canal d ’information psycho-sensoriel et psychique (On me dit... On
me fait savoir, penser ou agir... On agit sur mon corps, etc.). Ainsi apparaît
ce « double » ou déjà cet « au-delà de la réalité ». Ainsi s’ouvre la fenêtre sur
l’Inconscient et le monde de ses désirs et de ses phantasmes.
Mais à la période d ’état, quand le délire fantastique s’est constitué comme
tel, VHallucination est partout et nulle part.
Partout, car rien n ’est dit ou pensé qui ne soit le récit ou la fiction d ’aven
tures qui, intéressant le Délirant en tant que créateur et centre de sa fantas
magorie, ne se réfléchisse sur l ’expérience et la représentation de son corps, sa
pensée et sa personne. D ’où l’aspect pseudo-hallucinatoire (c’est-à-dire médiatisé
dans la pensée) de cette « idéologie » qui ne rêve sur le plan des idées que de
(1) Tel est le monde de la perception humaine. Peut-être pouvons-nous dire que
l ’équivalent du percevoir chez l ’animal implique une coalescence du souvenir et de
l’agir telle qu’elle rend trop exigy l’espace psychique nécessaire au rêve et à l’Hallu
cination.
842 PSYCHOSES CHRONIQUES HALLUCINATOIRES
(1) « Comment pouvez-vous, docteur, me dire que vous avez entendu cette nuit
un bombardement qui était pour moi seul et que je pouvais seul entendre ? », nous
DÉLIRES FANTASTIQUES « PARAPHRÉNIQUES » 843
dans le mode de production du délire que le délire travaille, comme pour extraire
de ses voix, de ses communications et de ses expériences corporelles, le fantas
tique qui les transforme de moyens en fin, en instruments d ’une toute-puissance
ou d ’une sum aturalité absolues. Mais même dans le cas de ces « paraphrénies
enkystées » ou résiduelles, l ’Hallucination se perd dans le dédale des idéologies
au point que le clinicien y perd, lui, si l ’on peut dire, « son latin » !
L a « voix » qui annonçait le délire, cette voix qui avait éclaté comme la
trom pette du Jugement Dernier, comme le signe en quoi se concrétisait d ’abord
la production imaginative comme pour en authentifier l ’objectivité, cette
voix m aintenant couverte p ar sa diffusion et répercutée dans ses échos infinis
même se confond avec ce q u ’elle exprime et, cessant d ’être signifiante ou por
teuse de messages, elle s’évanouit dans le monde q u ’elle a fait apparaître, ou
plutôt, q u ’elle a une fois pour toutes révélé. U n des caractères cliniques les
plus évidents — noté dans la description de Kraepelin — c’est, en effet, la
référence au fa u x souvenir, c’est-à-dire à une Hallucination rétrospective ou,
plutôt rétroactive, qui restitue comme perçu et vécu mais perdu dans le passé,
un événement prodigieux et comme étemel. Mais tout aussi aisément, la fiction
se projette prophétiquement dans l ’avenir ou l’éternité, ou dans un monde
sans mouvement, hors du temps et de l ’espace où l’Hallucination ne peut plus
se situer avec les indices d ’objectivité que l ’Halluciné et le Psychiatre réclament
d ’elle. Le premier pour affirmer que ce qu’il dit il l ’a entendu vraiment. Le
second pour affirmer que l’halluciné entend bien ses voix, mais seulement
comme l ’écho de son désir.
Telles sont tout à la fois l ’impossibilité clinique (l’impossibilité pour
l ’Hallucination d ’être identifiée par le Psychiatre) et la possibilité infinie
(la possibilité d ’ouvrir la voie du délire aux voix de l’au-delà fantastique)
que représente cette structure hallucinatoire fantastique qui se perd dans la
fabulation. Peut-être pouvons-nous ici écouter un instant cette voix du délire
sans voix pour n ’être que la voix, c ’est-à-dire le langage même du Double
ou de l ’Autre devenu maître du monde.
Voici un fragm ent de l ’œuvre fantastique du délire de Blanche T..., de ce
chef-d’œuvre qui est pour nous comme le paradigme de ce Nouveau Monde
découvert et sans cesse recouvrant celui qui, comme une peau de chagrin,
se rétrécit, celui de la réalité :
« Plusieurs continueront à me manger étant dedans ; c’est inutile de continuer
« à me détacher en me tranchant, je n ’ai que davantage de souffrances, je me dégage
« moi-même comme je peux sans couper par le liquide que j ’ai dans ma Bouche qui
« réussit à dissoudre les métaux qui ne sont pas des mêmes sortes et à m ’en séparer
« et à détacher les Fils Télégraphiques vivants et d ’autres Fils qui s’adaptent quel-
« quefois troublent les communications, il faut éviter de toucher les mains aux bles-
« sures aux chairs des autres créations qui sont en lambeaux. J ’avais aussi à vous
disait le lendemain d ’un bombardement hélas ! très réel, un grand délirant fantasti
que qui, s’identifiant à la toute-puissance de Dieu, avait épousé dans son regard,
son visage et son maintien l’image merveilleuse de Dieu le Père.
844 PSYCHOSES CHRONIQUES HALLUCINATOIRES
« dire qu’il y a des liquides parmi les malades qui attaquent et qui rongent les bons
« Métaux qui ont servi aux Médecins pour faire des opérations ou aux chirurgiens.
« Je sais que des métaux m ’ont été retirés pour en faire des Aiguilles pour me vacci-
« ner, car je l’ai senti et il y en a qui ont fait des calices et des ciboires et des services
« à thé en chine avec mon métal mélangé de la matière de mon Squelette, quand les
« livres de celui qui se disait Jean Timothée (son père) vont dessus ; c’est affreux
« le supplice que j ’endure sur ma Poitrine du côté droit, c’est de cet endroit que ma
« vie a été retirée pour en faire des Services à thé ou à café, mon île Formose est
« dévastée en grande partie. Ce Jean Timothée est dessus et est dans l ’Océan Paci-
« fique, j ’ai sa photographie reproduite par mes yeux sur du Parchemin entre la
« Chine et l’île Formose ; je puis vous la montrer si vous désirez sur la ligne du tro-
« pique du Cancer... Ils ont vu faire des Plans de Bateaux et d ’autre chose, c’est
cc affreux d ’être touché par la Soudure autogène, les bons et les mauvais Métaux
« ont été soudés ensemble dans beaucoup de Ports de Guerre et dans d ’autres endroits
« et pendant des années il y a des créations qui sont martyres et forcées de vivre avec
« ceux qui leur font souffrir de Siècle en Siècle, les Corps se reforment dans les Ports
« de Guerre dans les doubles ou triples fonds ou quadruples fonds et sont mis en
« contact avec des ennemis qui font toutes sortes d’abominations dessus. Les Ports
« qui sont vus sur le Paradiso Gloria n ’appartiennent pas aux mauvais esprits qui
« ne cessent de vouloir les attraper comme étant les Propriétaires... »
Le genre des Délires chroniques, en tan t q u ’il existe entre eux une certaine
unité, apparaît dans «le transform ism e» des espèces que nous venons de décrire.
Car dans ce domaine théorique tout le monde a raison. Les uns parce que,
attentifs au genre, ils se détournent de ses espèces ; les autres, parce que, plus
attentifs aux différences des espèces, ils oublient ce qui fait leur unité. La cli
nique est là pour rappeler les uns et les autres à l ’ordre naturel qui fait de chaque
espèce de délire chronique une forme d ’existence mais qui peut se modifier, qui
peut changer de structure et de sens.
Ce sont précisément ces transformations trop peu connues (par les uns
parce q u ’elles ne leur paraissent pas être très importantes — par les autres
parce q u ’ils les tiennent pour des « erreurs de diagnostic » dont, somme toute,
ils s’accommodent assez bien) que nous devons m aintenant envisager. Ceci
nous permettra, en conclusion de cette étude des relations des Délires et des
Hallucinations, de préciser les sens et la structure de celles-ci et de ceux-là.
Si, en effet, nous ne considérons l’Hallucination ni comme un phénomène
simple, (un « atome ») qui serait l ’élément générateur du délire ni comme un
épiphénomène, contingent de certains délires, si nous l ’envisageons plutôt,
comme une modalité fondamentale de la structure délirante, il faut bien alors
que les structures délirantes, c’est-à-dire les modalités propres de l ’Hallucina
tion et du Délire, se substituent, dans la clinique approfondie des délires,
à leur découpage séméiologique et nosologique traditionnel. Il faut notam m ent
que les m utations structurales que nous allons envisager nous fassent appa
raître les modalités du délire dans ses rapports avec l’Hallucination, car la
modification structurale q u ’implique le passage d ’une espèce à l ’autre porte
essentiellement sur les relations du Délire et des Hallucinations. Si un délire
se systématise, ce n ’est q u ’en ajoutant à l’Hallucination l’enchaînement dis
cursif d ’une syntaxe imaginaire. Et s’il tombe dans la désagrégation autistique,
c ’est en vidant l’Hallucination du délire qu’elle contenait pour devenir un
galimatias verbal. Si enfin le Délire s’élève ju sq u ’à devenir une création mytho
logique, c’est pour porter à sa puissance infinie le fantastique que maintenait,
dans les limites d ’une fausse perception, l ’Hallucination.
Nous allons d ’abord exposer une statistique, ou plutôt l’inventaire d ’un
matériel clinique que nous avons classé dans notre Service (service de Femmes
qui comprend un très grand nom bre de Délirants chroniques dont la plupart
ont été internées pendant une ou plusieurs dizaines d ’années).
Il s’agit d ’un (1) « matériel clinique » ancien et ayant évolué spontanément
Longueur
Nombre Age de début d ’évolution
moyen moyenne
S chizophrénies....................... 80 (50 %) 32 20
Délires systématisés . 55 (33 %) 40 15
Délires fantastiques . . . . 27 (17 %) 32 25
Si nous examinons chacun des groupes form ant les trois grandes espèces
de délires, nous pouvons constater d ’abord que leur développement évolutif
a une tendance pour ainsi dire naturelle à tom ber dans la schizophrénie (ce qui
justifie l ’idée de les rassembler toutes dans ce cadre), mais que ce développement
n ’est ni fatal ni même très fréquent. C ar si la « schizophrénisation » paraît
être comme la force d ’inertie, à laquelle obéit le processus délirant chronique,
elle n ’est pas toujours irréversible et fixe — et l ’on voit des Schizophrénies
évoluer, en effet, vers une guérison complète ou plus souvent incomplète, ou
encore évoluer vers un délire fantastique, ou encore se cristalliser dans un délire
systématique. Si l ’on étudie, en effet, ce mouvement évolutif dans son ensemble,
dans ses mouvements de restauration comme dans ses mouvements d ’aggra
vation, il apparaît clairement que, comme nous l ’indiquions au début de cette
étude, les diverses espèces de délires représentent les phases de la maladie
délirante dans sa généralité, et dès lors on voit que le Délire systématisé et
le Délire fantastique représentent des cicatrisations ou des arrêts de la marche
du Délire vers la schizophrénie et sa démence vésanique.
Tel est, nous semble-t-il, le mouvement évolutif qui dans la masse des Délires
chroniques consacre, et la relative autonomie de chaque espèce c ’est-à-dire du
plus grand nom bre de cas qui entrent dans sa définition, et la relative unité
qui porte certains cas, soit à se désagréger davantage, soit à triom pher du pro
cessus de désagrégation qui les menace. Autrement dit, dans cette perspective
dynamique la maladie délirante, l’aliénation, nous apparaît tout à la fois
comme u n processus de destruction et un processus de restauration qui, alter
nant et se com binant, font de cette aliénation non pas une sorte d ’évolution
toujours irréversible et incurable, mais une forme d ’existence qui tend à
848 PSYCHOSES CHRONIQUES HALLUCINATOIRES
Séolas et Baret dans un mémoire d ’une extrême importance, « L’évolution des Hal
lucinations », Journal de psychologie normale et pathologique, 1913.
(1) Dans le sens de maintenir et de maîtriser.
852 PSYCHOSES CHRONIQUES HALLUCINATOIRES
natoire comme des fenêtres ouvertes sur l ’Inconscient. Dès lors q u ’éclate ce
cadre hallucinatoire la mégalomanie se donne libre cours et le Délire court
à sa fin. Peut-être faudrait-il ici dans ce cas que n ’avait pas explicitement prévu
Jaspers, parler d ’un processus métapsychotique pour bien m arquer que ce qui
distingue et définit cette espèce de Délire chronique, c’est qu’il fait éclater le
D élire hors du cadre des expériences et idées délirantes primaires pour se consti
tuer en prodigieuse production secondaire, celle d ’un Délire qui s’engendre
lui-même, par lui-même, par l ’effet d ’une toute-puissance absolue du principe
de plaisir qui exige l ’infinité d ’un monde fantastique à côté d ’un monde débor
dant le principe de réalité (1).
Ainsi, l ’Hallucination sous toutes ses formes, depuis le vécu des expériences
délirantes ju sq u’à l’irruption du syndrome d ’automatisme mental, des fausses
*
* *
*
* *
N O T IC E B IB L IO G R A P H IQ U E
(1) J ’ai examiné ce problème dans mon travail Névroses et Psychoses (Acta Psycho-
therapeutica, 1964,1, pp. 193-210), puis dans mon livre La Conscience, et enfin, tout
récemment au Colloque du XIIIe*Arrondissement, Paris, 1972.
856 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
(1) C’est en effet une étrange conception de la névrose que se font tant de Psy
chiatres influencés par certains théoriciens de la Psychanalyse quand ils définissent
celle-ci comme une défense (et, ajoutent-ils, réussie) contre la psychose. Cela revient
à dire, en effet, que tous les hommes sont névrosés pour être tous menacés par les
forces de l ’Inconscient contre lesquelles lutte le « pauvre Moi ». Et plus celui-ci serait
fort et bardé de défenses, plus il serait névrotique... Il suffit, pour ne pas s’abandonner
à cette illusion, de ne pas oublier qu’il y a un fonctionnement normal et normatif
de « l’appareil psychique ». De telle sorte que c’est la défaillance de l’Ego conscient
et non pas la force de ses défenses qui le fait tomber dans la Psychose. Un névrosé
n ’est pas un homme qui se défend bien contre la Psychose, mais qui, au contraire,
s’en défend mal et déjà se laisse envahir par elle.
NÉVROSES ET PSYCHOSES 857
une scission, un clivage (Spaltung) du Moi qui investit sur un mode symbolique
un morceau de réalité (ein Stück der Realität), he fétichisme comme la phobie
correspondent à de tels mécanismes. Autrement dit, Freud se rapproche
de P. Janet et de Bleuler (En même temps, d ’ailleurs, que du point de vue
psychothérapique, l’indication des cures analytiques profondément modifiées
rapprochait encore les Névroses des grandes Psychoses narcissiques). Si la
névrose n ’apparaît pas altérer la réalité comme on le répète sans cesse, elle va
à la fois plus loin et moins loin que la Psychose. Moins loin, car elle n ’atteint
la réalité que sous sa forme la plus problématique, celle du Sujet. Plus loin,
car elle adultère radicalement le système des valeurs de l ’homme, sa liberté.
Cela nous explique deux choses, ou si l ’on veut, cela nous permet de sur
m onter deux apories qui constituent le fond du problème. La première, c’est
que la clinique des névroses va nous faire apparaître ce quelque chose qui
sera toujours semblable à l ’Hallucination du Délirant sans toutefois se confon
dre avec sa manière de n ’être plus au monde. D ’où la nécessité d ’analyser le
sens même de l ’angoisse contre laquelle le Sujet lutte en faisant de son existence
un martyre ou une duperie. — La seconde, c ’est que le théoricien se croira tou
jours fondé à voir avec Mélanie Klein dans la névrose une défense contre la
psychose, comme si quelqu’un dont le Moi par sa fonction même reste capable
de ne pas succomber à la tentation d ’établir son monde sur le principe de plaisir
et ses dérivés, était déjà un Moi aliéné du seul fait que son aliénation serait
chez lui comme chez tous les hommes, virtuelle. Le névrosé est déjà struc
turalem ent engagé dans l ’aliénation de sa personne morale, en ce sens q u ’en
lui le problème éthique, devenu affreusement insoluble, ne peut se résoudre
que dans la production de symptômes et d ’artifices.
Nous en avons assez dit pour comprendre tout à la fois que l’Hallucination
projette son ombre sur les névroses et q u ’elle n ’est chez le névrosé que l ’ombre
d ’elle-même pour n ’être justem ent perçue que comme l ’ombre d ’un objet. D ’où
les caractères « pseudo-hallucinatoires », ou « représentatifs » ou « imaginatifs »
que les Classiques ont toujours reconnus aux « Hallucinations » (toujours en
effet entre ces guillemets) des névrosés (1). Mais nous devons aller plus loin en
m ontrant que ces Pseudo-hallucinations elles-mêmes se meuvent, ou plus
exactement se jouent à un niveau d ’irréalité qui pour n ’être pas celui de la
« fausse réalité » du Délire (même quand celui-ci affecte sa forme « pseudo
hallucinatoire ») ne cesse pas pourtant d ’apparaître sur le plan des objets
imaginaires. Les Pseudo-hallucinations dans des névroses ne sont pas, en effet,
identiques aux Pseudo-hallucinations des délirants. C ar les Pseudo-hallucina
tions des Délirants, si elles paraissent fausses parce q u ’elles ne vont pas jusqu’à
la perception (sensorielle) des objets, n ’en accomplissent pas moins leur tâche
(1) Si à l’inverse des Psychiatres classiques les Psychanalystes sont plus enclins
à tenir compte de l ’Hallucination du névrosé (pour autant qu’elle manifeste une régres
sion vers la satisfaction hallucinatoire du désir du nouveau-né), c’est précisément
parce qu’ils sont plus indifférents aux structures formelles qui interdisent de ne voir
dans la psychose qu’une névrose qui s’est « décompensée », et qu’ils voient inver
sement dans l ’Hallucination du névrosé le prototype même de l’Hallucination du
délirant.
LES HALLUCINATIONS
DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE
ET LES PHOBIES
Nous allons ici grouper les Obsessions et les Phobies, car malgré leur struc
ture différente (pensée compulsionnelle et hystérie d ’angoisse) il s’agit de formes
de névroses qui se ressemblent par le fait même q u ’elles sont en rapport direct ou
indirect avec l ’angoisse vécue : la phobie est, comme on la définit classiquement,
une « crainte systématique », un tabou ayant un objet bien défini — tandis
que l ’obsession, plus compliqué, consiste à déplacer et à entretenir sur le plan
des conduites magiques, l ’angoisse. « Se faire peur » (phobie) ou « se m arty
riser » (obsession) sont des conduites névrotiques qui sont en rapport avec les
mêmes m otivations anxiogènes inconscientes, même si elles se projettent dans le
contenu manifeste du tableau clinique sous forme d ’expression symbolique de
l ’angoisse ou de stratégie des défenses contre l ’angoisse. Dans les deux cas,
l ’imaginaire objective le conflit inconscient, la névrose étant le processus même
de fabrication des fa u x objets q u ’exige l ’angoisse du névrosé.
R a p p e l h isto riq u e.
C ’est bien dans ce sens que M orel (1866) parlait de « Délire ém otif »
pour mettre l ’accent sur le trouble affectif fondamental, et que Wille (1881),
Séglas (1892), Friedman (1903) se firent les défenseurs de la nature affective
de ces phénomènes. Par contre, à cette même époque la Psychiatrie classique
s ’intéressant spécialement « à la nature intellectuelle » des délires systématisés
tenait les idées obsédantes pour des idées fixes ou prévalentes et, naturel
lement, les rapprochait de la Paranoïa reductoria (Morselli, 1885) ; tandis
que Hack Tuke (1894) parlait d ’ « imperatives ideas », Tam burini d ’idées
incoercibles ou que W emicke les désignait comme « idées autochtones »,
tous ces auteurs m ettant ainsi l ’accent sur le caractère pour ainsi dire « mono
maniaque » de l ’idée obsédante considérée, somme toute, comme un « délire
abortif » (Meynert, 1877). Mais c ’est surtout Westphal (1877) qui se fit le
malheureux défenseur de cette théorie « intellectualiste ». Peu à peu cependant
s’imposa la thèse de la nature essentiellement affective de ces phénomènes.
Faut-il rappeler que pour Mickle (1896) ils étaient caractérisés par les « trois D »:
Doubt, Dread, Deed, qui mettaient en évidence les structures dynamiques
du doute, de la crainte et de l ’action? En France, A. Pitres et E. Régis, dans
HALLUCINATIONS — OBSESSIONS — PHOBIES 861
leur ouvrage classique (Les obsessions et les impulsions, 1902) se firent les cham
pions de la genèse affective de ces phénomènes névrotiques. Rappelons leur
définition, car elle permet précisément de lier dans leur aspect hallucinatoire
les idées obsédantes et les phobies : « L ’obsession est un syndrome mental
« caractérisé par l ’apparition involontaire ou anxieuse dans la conscience de
« sentiments et de pensées parasites qui tendent à s’imposer au Moi, évoluant
« à côté de lui malgré ses efforts pour les repousser, et créant comme une disso-
« d atio n psychique dont le dernier terme est le dédoublement de la personnalité ».
Ce développement incoercible et parasitaire du système idéo-affectif devait
nécessairement poser le problème de ses rapports avec le Délire systématisé
pour autant q u ’il constituait dans le cadre de la paranoïa kraepelinienne un
type de délire chronique, et plus tard le problème de ses rapports avec la schizo
phrénie pour autant q u ’il aboutissait à une dissociation psychique.
Mais le destin de la névrose obsessionnelle et des phobies ne devait pas être
compromis par les menaces nosographiques qui s’exerçaient sur ses frontières,
et avec les travaux de Freud sur la névrose obsessionnelle et la phobie ces m oda
lités typiques de névrose devaient être universellement reconnues.
Si nous insistons sur ces origines du concept, c ’est que d ’emblée il pose
le problème de ses rapports avec le Délire et les Hallucinations. A cet égard,
la diversité des opinions des auteurs est intéressante à souligner. Pour J.-P. Fal-
ret et M agnan, l ’obsession ne passait jamais, ni au Délire, ni à l ’Hallucination.
Par contre, soit parce q u ’ils soutenaient la thèse intellectualiste (Westphal),
soit parce q u ’ils réduisaient obsessions et idées prévalentes à un même processus
mécanique (Tamburini, Buccola), soit parce q u ’ils ramenaient l’obsession et
l ’Hallucination à un même phénomène affectif (Séglas, F. Raymond,
F. L. Arnaud, A. Pitres et E. Régis et plus tard H. Claude), soit encore parce
q u ’ils leur reconnaissaient un trouble commun (P. Janet), beaucoup d ’auteurs
ont souligné la possibilité, sinon la fréquence, de la transform ation ou de la
progression de l ’obsession vers l ’Hallucination.
On trouvera un exposé complet de ces divergences d ’opinions dans notre
article publié avec H. Claude (1). D ans cet article, soucieux de rapprocher
l ’Hallucination du Délire et de l ’obsession, comme pour mieux faire saisir leur
mécanisme affectif, somme toute, leur psychogenèse, nous m ontrions que
l ’obsession assez fréquemment em pruntait la forme hallucinatoire q u ’elle tire
de la force même des affects q u ’elle projette... Par contre, G. C. Reda et
E. Paretti (1958) ont, comme de coutume, contesté le caractère « vraiment hallu
cinatoire » de ces phénomènes. L ’essentiel pour nous est ici de m ontrer que le
problème se pose souvent mais q u ’il ne peut être résolu que par un approfon
dissement de la structure du Délire et des Névroses obsessionnelles.
L a s tr u c tu r e n é v ro tiq u e obsessionnelle e t p h o b iq u e
e t la fo n c tio n d u réel.
Que nous nous référions aux longues analyses de P. Janet sur les
altérations psychasthéniques des sentiments du réel, ou aux analyses, d ’u n style
phénoménologique, de von Gebsattel, ou plus simplement à ce que la
clinique nous montre chaque jour, il est bien évident que c’est sur le registre
de l ’imaginaire que se meuvent la névrose compulsionnelle (obsession) et
l ’hystérie d ’angoisse (phobies). D ans la névrose obsessionnelle, comme l ’a
si bien m ontré S. Leclaire (1), le doute constitue comme un halo d ’ombre
qui est l ’atmosphère propre au défaut d ’engagement et de sécurité de l ’obsédé.
Il flotte dans un monde symbolique et spécifiquement verbal placé, tout entier
et indéfiniment, sur le registre de l ’interrogation. C ’est ce que souligne éga
lement un travail de H. Feldman (2) qui, lui, à propos des phobies note
les dimensions imaginaires de la situation phobique. Tous les sentiments
que Janet a si longuement étudiés (sentiments et conduites de l ’irréel, d ’étran
geté, de vide et du vertige, etc.) participent de cette atmosphère où l ’obsédé
psychasthénique flotte comme dans son milieu artificiel. Une telle évidence
s’impose même aux yeux des observateurs les moins enclins aux analyses
phénoménologiques ou psychanalytiques (cf. par exemple P. Marchais (3)
pour qui l ’obsession est un mode imagé de penser). Même quand la phobie
paraît si étrangement partielle, que la peur ne s’attache q u ’à un objet —
et souvent précisément « dérisoire » ou « enfantin » — elle communique avec
un monde d ’images ou de phantasmes qui la diluent dans l ’existence. Elle
occupe ainsi le monde du phobique jusqu’à l ’infini de son horizon (forme
obsessionnelle pantophobique) ou seulement en quelque point de son centre
(phobie systématique). Le monde extérieur recule (il est refoulé ou désinvesti),
comme pour accueillir cet imaginaire que le névrosé produit, soit pour s’obli
ger à avoir peur, soit pour entretenir par son existence indéfinie le réseau inex
tricable de ses jeux de miroir, de ricochets ou de cascades infinies où se volatilise
sans fin, sans trêve ni merci l’angoisse dont il a le mortel besoin.
A utant dire que dans cette structure d ’irréalité où son existence est condam
née à vivre, ou plutôt à mourir, l’objet de ses phobies ou de ses idées obsédantes,
et to u t le contexte de phantasmes que fait lever à chaque instant sa perpétuelle et
haletante alerte, l ’obsédé dans le désert de cette réalité se fait apparaître les
mots, les idées et les choses qui sont comme les instruments de son supplice
et à la seule condition de réserver entre eux et lui la distance d ’un espace ima
ginaire proprem ent obsessionnel. Car, bien sûr, ce qui porte à la puissance hallu
cinatoire l’idée fixe ou l ’obsession, ce n ’est pas comme les Classiques l ’imagi
naient la force de l ’idée, ou comme les Psychanalystes l ’interprètent la force
refoulée du désir, mais la modalité même de constitution d ’une atmosphère
existentielle qui se tient comme dans l’entre-deux proprem ent hallucinatoire du
réel et de l’imaginaire, dans l’espace phantasm ique d ’un monde livré aux tour
ments d ’une stérilité absolue, et dont la « fixité des idées et les émergences de
l ’Inconscient » sont fatalement les objets crépusculaires.
E t c ’est bien ainsi que devant le Psychiatre ou à côté du Psychanalyste
le névrosé obsédé ou phobique livre ses obsessions ou ses phobies sans cesser
de se livrer lui-même à la magie noire et hallucinante des objets compulsionnels.
Ceux-ci s’imposent à lui dans les jeux interdits ou sévèrement prescrits des
phantasmes auxquels il ne peut échapper q u ’en se soum ettant plus encore à leur
contrainte, cette « contrainte p ar corps » qui le soustrait à sa liberté comme à la
réalité du monde. Comme Freud le notait (1924), la perte de la réalité est
comme la fin vers laquelle court le névrosé, comme si effectivement elle n ’était
là seulement que comme une sorte d ’idéal sans fin et non point comme la
rupture immédiate et consommée que « réalise » le schizophrène avec la réalité
q u ’il fuit. C ar tel est, en effet, le mouvement de la névrose obsessionnelle ou de
l ’hystérie d ’angoisse qu’il tend à s’étendre dans et par la recherche perpé
tuelle, active et renouvelée de cette fin qui exige une véritable stratégie sans fin :
ce siège que l’obsédé se fait à lui-même, q u ’il pose à l’intérieur même de sa
propre citadelle.
Tel est le milieu existentiel que, comme l ’araignée sa toile, l ’obsédé sécrète
sur le plan de l ’imaginaire et dans lequel il s’englue. C ’est dans ce monde que
les « objets » de ses obsessions deviennent des perceptions sans objet, mais
aussi sans réalité. Ainsi, l ’émergence de l ’imaginaire a, répétons-le, dans
la névrose obsessionnelle et phobique, une structure hallucino-névrotique essen
tiellement « pseudo-hallucinatoire » qui se meut dans l’atmosphère du doute
et de l’artifice, mais aussi — est-il besoin de le souligner — dans une forme de
factice radicalement différente de celle des illusions éidoliques.
a ) Les phobies. Les phobies d ’objet ne sont justem ent des phobies que si
la peur engendrée par la perception ou la représentation vive de ce tabou-fétiche
est assez forte pour faire plus peur que la réalité q u ’il symbolise. C ar avoir
peur d ’un chien enragé ou d ’une pelote d ’épingles, c’est multiplier à l ’infini
la crainte naturelle q u ’inspire le danger de la rage ou la peur de se piquer;
c ’est gonfler la menace de tout ce q u ’elle représente symboliquement d ’autre.
Ce fait qui avait certainement échappé aux anciens auteurs a été admirablement
analysé par Freud, notam m ent à propos de ces phobies d ’objet que sont encore
les phobies d ’animaux. L ’histoire du petit Hans, celle de l’Homme aux rats
et celle de l'Homme aux loups sont avec tous leurs détails dans la mémoire
de tous les Psychiatres dignes de ce nom. Aussi nous contenterons-nous d ’en
rappeler ici l’essentiel (1).
Le petit H ans (1909) a eu pour ainsi dire deux analystes : Freud et son propre
père qui a fourni au Maître Psychanalyste tout le matériel sur lequel ensemble ils
ont travaillé. Hans déjà appelait sa phobie, sa bêtise. Cette bêtise consistait à avoir
peut d ’être mordu par un cheval blanc. A Gmunden, disait l ’enfant, il y avait un cheval
qui mordait. La vision du cheval apparaissait donc comme un souvenir, un imagi
naire, mais plus fort que toute réalité perçue. Et lorsqu’un soir il alla rejoindre ses
parents dans leur lit, c’est, dit-il, qu’il y avait dans la chambre une grande girafe
chiffonnée, « et la girafe, dit-il, a crié que je lui avais enlevé la « chiffonée ». La « chif-
fonée était couchée par terre dans son phantasme et il l’a prise dans sa main. Elle
a cessé de crier et alors je me suis assis sur la girafe chiffonnée ». Il assure qu’il n ’a pas
rêvé mais pensé tout ça. Il eut peur un autre jour des voitures de déménagement et des
chevaux qui ont un mors dans la bouche. Le travail d ’interprétation a consisté à
retrouver le contexte de ce texte décousu et le sens de cette phobie pour des objets
insignifiants. C’est la situation œdipienne que manifeste son contenu, le cheval c’est
son père; la girafe chiffonnée, c’est sa mère, et c’est tout naturellement aux phantasmes
de ses « faire-pipi » et de ses « loumfs » (excréments) que se trouve liée l ’angoisse de la
castration. Réduit à ce schéma qui ampute toute l’analyse de ses incroyables richesses,
la chose pourrait paraître dérisoire si, depuis lors, des milliers d ’analyses n ’avaient
montré que la phobie plonge bien ses racines dans les plaisirs et les terreurs infantiles.
Mais nous retiendrons de cette scène primitive de la genèse psychanalytique que la
phobie de cet enfant, par la puissance interne de ses désirs refoulés, conférait à ses
phantasmes plus de réalité que toutes les réalités. Tout en demeurant, comme il
disait, une bêtise, la phobie dans sa configuration objeetale s’imposait pourtant à lui
comme la plus dure réalité. Le petit Hans, revu à l’âge de 19 ans, était un beau jeune
homme qui avait tout oublié de ses phantasmes et angoisses infantiles.
L’H omme aux loups (1918) fit une véritable « névrose infantile » (2). Le grand
intérêt de cette analyse merveilleuse est aussi dans l’emboîtement des formes
qu’implique sa structure. C’est, en effet, au cours de l’analyse que sont venus les
souvenirs des phantasmes infantiles et le fameux rêve des loups blancs qui renvoie
lui-même à un souvenir infantile de lecture du Petit Chaperon rouge et d ’un
conte Le loup et les sept chevreaux, puis enfin à un souvenir oublié de « scène
primitive » (le coït a tergo) de ses parents en passant par l’étrange Hallucination néga
tive du doigt coupé qu’il avait vécue dans un rêve. Aucune observation n ’est peut-être
aussi démonstrative de cette continuité de la vie inconsciente qui, par ses ramifications
et ses stratifications, constitue l’histoire phantasmique des névroses, leur préhistoire,
leur archéologie. De telle sorte qu’il n ’est peut-être pas étonnant que dans ce cas
comme dans tant d ’autres, malgré le travail psychanalytique le mieux fait du monde,
les arborescences de ce noyau d ’imaginaire aient pu ultérieurement pousser leurs
rejetons et cela — comme nous y insisterons plus loin — jusqu’aux confins du Délire.
M adeleine aurait eu dès l’âge de 9 ans des visions et des impressions de surnatu
rel, mais, dit Janet, il semble qu’il y ait dans ses « souvenirs » un efFet de délire rétros
pectif. Très aimée, très douce, de faible santé, elle était un « cœur simple », très sage,
très pieuse. Au moment de sa première communion, son journal exprime sa joie et elle
se voue à l ’amour de Dieu : « Sans cesse il pense à moi comme je pense à lui. Je veux
un entretien avec lui continuellement ! » A partir de l ’âge de 11 ans, elle présenta des
crises d ’engourdissement et de « véritables crises d ’extase », d ’« immobilité heureuse ».
Après la puberté se sont développées des idées obsédantes (scrupules, obsession de
propreté et de pureté).
Elle quitta brusquement sa famille et se rendit en Allemagne pour se placer comme
institutrice, puis revient en France pour y exercer de misérables métiers en prenant
soin d ’échapper aux recherches de sa famille. Son existence de pauvre fille lui valut
des démêlés avec la police. Arrêtée à Paris, elle déclara s’appeler Madeleine Le Bouc,
car elle avait choisi ce nom en se considérant comme l ’amante du Christ et le bouc
émissaire des péchés du Monde. Et à 23 ans, elle fut envoyée à Saint-Lazare. Ces
tribulations la troublèrent peu. Elle soigna pendant six mois une vieille femme can
céreuse et qui présentait des troubles mentaux. Pendant toute cette première partie
de sa vie, les troubles névropathiques de sa jeunesse avaient beaucoup diminué.
Vers l’âge de 37 ans, commencèrent des « accidents bizarres » ; troubles fonction
nels divers, troubles de la marche, contractures, etc. Elle entra alors à la Salpêtrière
et devint l ’objet de longues et minutieuses observations de Janet. En suivant le cours
de sa vie, celui-ci classa ses observations en « cinq états principaux » : un état M’équi
libre qui est devenu presque constant à la fin de sa vie ; — un état de consolation qui
était « l ’état le plus remarquable » et capable en s’accentuant de parvenir à l’extase ;
Si nous avons insisté sur cette observation plus justem ent célèbre p ar
l’extrême richesse des analyses de l ’auteur que par les caractéristiques cli
niques somme toute banales, c’est pour bien m ontrer que dès que l’on appro
fondit l’équilibre psychique, la pensée compulsionnelle, la fonction de l ’ima
ginaire des obsédés, du même coup se dévoile le caractère phantasmique et
(1) L ’état d ’équilibre terminal mérite, en effet, d ’être spécialement noté (p. 175-
177). Si Madeleine est restée à la fin de sa vie une vieille fille dévote, sa vie religieuse,
sa foi et ses pratiques se sont normalisées et ont perdu précisément le caractère « per
sonne] » et « absolu » dit P. Janet qui caractérisait ses conduites névrotiques.
868 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
— Il est donc bien évident que les névroses obsessionnelles et phobiques (les
hystéries d ’angoisse) avec leurs frayeurs, leurs inhibitions, leurs manies, leurs
sentiments psychasthéniques, leurs rituels, somme toute, toutes les techniques
compulsionnelles d ’érotisation masochiste de l’angoisse, ne cessent de faire
apparaître, pour en jouir, l ’objet même de leur dégoût, de leur répulsion ou de
leurs désirs inconscients. Telle est, en effet, la structure imaginative compul-
sionnelle qui, faisant de l ’objet de l ’obsession un objet imaginaire et spécifi
quement subjectif, se distingue p ar là du délire hallucinatoire (fût-il même,
comme nous l ’avons vu et le reverrons encore, pseudo-esthésique) sans cepen
dant pouvoir en être non plus radicalement séparé.
Rien d ’étonnant dès lors que les auteurs et les cliniciens obsédés eux-mêmes
par l’analogie hallucinatoire des obsessions —- ou l’analogie obsessionnelle
des Hallucinations — aient remarqué que l ’obsession sous ses formes phobiques,
idéatives ou impulsives se présente aussi sous forme hallucinatoire quand,
disent-ils généralement, elle aboutit à la fameuse transform ation sensoriale
de 1’ « idée-force » ou plutôt de 1’ « idée forcée ». C ’est ainsi que dans les tra
vaux anciens (surtout français, allemands et italiens) on a souligné de nom
breux aspects hallucinatoires des obsessions (Buccola, 1886 ; Séglas, 1892 ;
Larrousine, 1896 ; Meuriot, 1903 ; Pitres et Régis, 1902 ; Lowenfeld, 1904 ;
B. Leroy, 1907 ; A. Ceillier, 1922 ; L. Redalié, 1926).
En feuilletant ce vieil album de la Psychiatrie classique, nous y pouvons
consulter à loisir le florilège de l ’obsession hallucinatoire ou de l ’Hallucination
obsédante... Tout d ’abord, on ne manque guère de noter que les phobies d'objet
bien entendu consistent à se représenter avec tous les attributs d ’une présence
terrifiante, les couteaux, épingles, carottes, et pour aller jusqu’aux objets les
plus dérisoires et les plus neutres ou éloignés de toute préoccupation intrin
sèque à leur sens, des bobines de fil ou les pneus de bicyclette. Quand la phobie
d ’objet est celle d ’objets animés, nous avons affaire, comme dans les fameux
cas de Freud, aux phobies de petites bêtes (araignées, mouches, rats, souris) ou
de grands animaux (chevaux, chiens, lions, girafes, etc.) qui hantent et parfois
occupent le champ perceptif jusqu’à parfois le remplir de toute l ’angoisse des
déplacements symboliques qu’ils représentent. Quand il s’agit d ’animalcules
parasites (gale, petits vers), il est encore bien plus évident que leur présence
sur ou sous les téguments ou dans le corps ne peut se manifester que par les
sensations q u ’ils provoquent (1). Nous touchons ici à un point extrême de
l’Hallucination névrotique qui se présente sous forme d ’une conversion
(1) Cf. ce que nous avons dit plus haut à propos des délires ectozoïques (chapitre
Hallucinations tactiles, p. 246-248).
HALLUCINATIONS — OBSESSIONS — PHOBIES 869
(1) Parfois on observe des états d’angoisse avec dépersonnalisation qui consti
tuent une véritable anxiété phobique, comme dans les cas signalés par M. R oth et
M. H arper (1962) au cours d ’une Épilepsie temporale.
870 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
Les choses sont d ’ailleurs aussi peu claires quand l’idéation obsédante
se présente sous son aspect directement libidinal, quand le malade de M euriot
avait la représentation de langues de feu sur son pénis ou que celle de M agnan
devait s’imaginer et nommer « le trou du c... du Pape »; et que, à longueur
de journée, le psychiatre entend exprimer les obsessions qui fixent l’angoisse,
les préoccupations et les occupations de son patient sur le corps, ses fonctions
et sa conjonction sexuelle. Il est bien évident encore que sous les apparences
d ’une signification simple et « crûment » directe l ’obsession ne laisse affleurer
à sa surface représentative ou perceptive que ce qui lui sert encore de truchement,
de déplacement ou d ’instrum ent pour son angoisse inconsciente. Tel était bien
le cas de cette jeune religieuse que nous avons longtemps analysée et qui était
obsédée par les carottes et les chats dans une représentation d ’autant plus
terrifiante qu’elle était consciente du sens sexuel de ces symboles ; elle les faisait
surgir constamment dans sa vie, à la chapelle comme au confessionnal ou dans la
rue. Les images obsédantes manifestaient non seulement, bien sûr, ses désirs et
ses souvenirs infantiles sexuels, mais surtout — et ce qui était vraiment incons
cient — la situation œdipienne qui transparaissait dans le désir de communi
quer ainsi avec le chat de sa mère par la propre et fétichiste carotte phallique
dont son obsession ne cessait de la pourvoir sans jam ais cesser de lui apparaî
tre comme l ’insaisissable et fuyant objet de son impossible désir.
Mais, nous n ’en finirions pas de raconter nos histoires cliniques ou celles
des autres qui sont au fond toujours les mêmes, celles d ’une coalescence auto
matique et compulsionnelle entre la phobie et ce que Hesnard (1) appelait
la « philie », englobant le plaisir défendu et le plaisir de souffrir ; somme toute,
la fusion compulsionnelle du plaisir et de la douleur, du désir et de l ’angoisse
dans le martyre complaisamment engendré et entretenu de l ’obsédé. Car,
comme le soulignait A. Green (2), si l ’obsession est le bu t d ’une régression
de la structure de la libido, elle est aussi un investissement destructif de l’inves
tissement érotique. Elle s’exerce donc, pourrions-nous dire, comme au deuxième
degré de la puissance de l’imaginaire qui, même s’il se présente sous forme
hallucinatoire, n ’a de cesse ni de repos q u ’il n ’ait porté dans son « Grübelsucht »
(besoin insatiable d ’interminables ruminations) sa représentation phantasmique,
non pas jusqu’à la réalité absolue de l ’idée délirante mais jusqu’à l ’irréalité
absolue et infinie de l ’idée obsédante. C ’est en ce sens que l ’on pourrait dire
que les Hallucinations obsessionnelles sont des « Hallucinations négatives »,
non pas pour faire disparaître les objets mais pour incorporer leur représen
tation dans les objets de la réalité psychique comme des reflets symboliques
des réalités existentielles.
(1) H esnard (A.), La phobie et la névrose phobique, Paris, éd. Payot, 1961.
(2) G reen (A.), Névrose obsessionnelle et Hystérie. Leurs relations chez Freud et
depuis. Rev. fr. de Psychanalyse, 1964, 28, p. 679-716.
BORDERLINES — OBSESSION ET PARANOIA 871
L es H a llucinations da n s la g ra n d e névrose
au te m p s de C harcot.
« Un carton moitié blanc et moitié vert sur une de ses faces, complètement blanc
sur l’autre, porte à son centre, sur les deux faces, un point destiné à immobiliser
le regard. Vous fixez pendant une demi-minute la face blanche-verte, puis, retournant
le carton, le point central de la face complètement blanche. Vous voyez sur la moitié
qui correspond à la surface verte une teinte rouge qui n ’est autre que l ’image consécu
tive définitive, et sur l’autre moitié la teinte verte, complémentaire. L’image consécutive
rouge a donc développé, par induction, la sensation du vert dans une partie de la
rétine qui n ’a été impressionnée que par du blanc. Cette expérience que l ’on peut
varier de différentes manières, de façon à bien établir qu’il ne s’agit pas d ’erreurs
de jugement mais bien de sensations positives, démontre que toute impression de
couleur se traduit par une modification plus ou moins persistante des éléments ner
veux qui donnent lieu à l’image consécutive, et que cette modification détermine dans
les parties non impressionnées une modification de sens contraire qui développe la
sensation complémentaire par un phénomène analogue à ce qui se passe dans un corps
que l ’on aimante ».
Or, 1* « image hallucinatoire » a la propriété de provoquer les mêmes effets de
contraste que la sensation. Si, par exemple, nous disent les mêmes auteurs (Binet
et Féré), on présente à une malade en état de suggestion une feuille de papier divisée
en deux parties par une ligne et qu’on lui donne sur une des moitiés l’Hallucination
du rouge, elle accuse sur l’autre moitié la sensation du vert complémentaire. Si la
sensation du rouge persiste après le réveil, celle du vert persiste également. Cette expé
rience permet évidemment de conclure que Vimage hallucinatoire se comporte abso
lument comme une sensation réelle.
Binet et Féré ont objectivé également la sensorialité de l’Hallucination suggérée,
et voici comment ils relatent leur expérience :
On prie le Sujet en état de somnambulisme de regarder avec attention un carré
de papier blanc au milieu duquel on a marqué un point noir afin d ’immobiliser son
regard ; en même temps on lui suggère que ce carré de papier est coloré en rouge ou
en vert, etc. Au bout d ’un instant, on lui présente un second carré de papier qui pré
sente aussi au centre un point noir ; il suffit d ’attirer l ’attention du Sujet sur ce point
pour que, spontanément, il s’écrie que le point est entouré d ’un carré coloré, et la
couleur qu’il indique est la complémentaire de celle qu’on lui a fait apparaître par
suggestion. Cette couleur complémentaire est l’image négative laissée par l ’Hallu
cination colorée ; elle dure peu de temps, s’efface, se perd, meurt, comme disent les
malades ; elle a bien les allures d ’une image négative ordinaire ».
Binet et Féré font remarquer : Cette expérience est une réponse péremptoire à ceux
qui croient encore à une simulation générale. On ne peut soutenir qu’une femme
hystérique qui sait à peine lire et écrire connaît sur le bout des doigts la théorie des
couleurs complémentaires. Nos malades ont toujours répondu juste ; et de plus, ce que
nous tenons à faire observer, c’est qu’elles ont répondu juste dès la première expérience.
réalité qui s’y prête par les ambiguïtés que nous lui connaissons (cf. ce que nous
avons dit plus haut des perceptions somatiques et de la somatognosie) (p. 267) :
celle du corps. Et là, quand l ’hystérique s’hypnotise sur les fonctions et l ’ana
tomie de son corps, la fausse réalité qui exprime son désir de paraître pose
le masque le plus difficile à démasquer, car le « je sens », « je ne puis pas remuer
mes jambes », « je ne vois pas » ou encore « mon corps est habité », sont des
signifiants où se cristallise dans le réduit inexpugnable de ses défenses le désir
de l ’hystérique caché dans son déguisement corporel. Ainsi, l ’hystérie de conver
sion est bien la forme la plus pure de l ’hystérie, mais aussi celle sous laquelle
se présentant comme un phénomène isolé, elle met en jeu toute la structure
imaginaire de l ’hystérie. Autrement dit, c ’est par la vieille hystérie que doit
se comprendre cliniquement — comme historiquement Freud l ’a comprise —
la nouvelle hystérie, celle du « pithiatisme » ou de 1’ « hystérie de conversion
psycho-somatique ». Telle est l ’unité de cette structure qui lie le désir à son
expression dans l’hypnose de l’auto-suggestion phantasmique. L ’Hallucination
hystérique est la manifestation de cette régression qui lie le désir à son objet,
qui retrouve la fonction archaïque de cette relation d ’objet. Mais nous devons
dire aussi que — et nous retrouverons ce fait quand nous étudierons les concep
tions psychanalytiques de l ’Hallucination — cette relation si simple et si
massive est prise dans une structure négative qui ne pose l ’objet hallucinatoire,
c ’est-à-dire la perception sans objet, q u ’à la condition même d ’une distorsion
diffuse du monde de la réalité et des valeurs, celle que tous les cliniciens de
l ’hystérie ont reconnue au cc caractère » de l ’hystérique, c ’est-à-dire à sa mytho
manie. Certes, comme nous venons de le souligner, le délire et l’Hallucination
entrent constamment dans les manifestations cliniques de l ’hystérie, mais dans
le monde imaginaire, factice et fabulatoire de l ’hystérique le délire et l’Hallu
cination sont eux-mêmes des phénomènes falsifiés, comme nous l ’avons fait
déjà remarquer. L ’Hallucination de l ’hystérique ne pose pas l ’objet là où il
n ’y en a pas; elle pose les objets sans réalité dans un monde pour lui soumis
au principe du plaisir. Elle n ’est pas seulement une perception sans objet pour
lui deux fois impossible, mais essentiellement une perception de l ’objet de son
désir sur la scène de son existence. L ’Hallucination hystérique traverse la réalité
non pas comme le rêve qui la pose, mais comme l’art qui la déjoue.
Elle n ’en demeure pas moins à cataloguer dans le groupe des Hallucinations
délirantes, dans la mesure même où l ’Hystérie contient beaucoup de Délire et,
à ce titre, entre dans les fameux « états-limites » où la structure névrotique et
psychotique ne peuvent pas se distinguer radicalement.
avenue. Le fait désagréable est refoulé par une censure sans exemple ailleurs. Elle
seule sait faire des censures presque immédiates. Intolérante au réel, à un certain
réel moyen, il y a en elle un « Non » puissant, un refus sauvage d ’être comme
on croirait qu’elle est ». (H. M ichaux , Connaissance par les gouffres. Éd. Galli
mard, Paris, 1961, p. 269-271).
880 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
(1) Le lecteur pourra compléter ce que nous allons dire sur l ’hystérie en se rappor
tant à notre étude déjà ancienne parue dans «La Gazette des Hôpitaux », nos 47 et 48,
1935.
(2) On consultera pour la mise au point de tous les problèmes anciens et actuels
de l’Hypnose, l ’ouvrage de M. G ill et M. Brenman « Hypnosis and related States »,
Int. Univ. Press, New York, 1959 ; — celui de L. Wolberg, a Medical Hypnosis »,
2 vol., Grune et Stratton, New York, 1948 ; — et celui de L. Chertok, « L'Hypnose »,
Masson et Cie, 1963.
(3) Depuis que l’Abbé F aria (1819) avait parlé de sommeil lucide, certains auteurs
ont admis l’assimilation de l’hypnose au sommeil (Schilder, K retschmer, etc.).
Certaines études E. E. G. récentes ont opposé les auteurs russes (Vadenski) en faveur
généralement de cette assimilation et les auteurs américains (G ill et Brenman) qui
la tiennent, ou pour conjecturale, ou pour partielle. C ’est généralement à cette conclu
sion que la plupart des auteurs aboutissent (Bellak, 1955 ; Chertok et K ramarz,
1959) ou se rallient. On trouvera dans mon article « Troubles de la conscience en
Psychiatrie » dans le « Handbook o f Neurology » (1968), ou dans le travail de N. J. W il
son (Dis. Nerv. Syst., 1968, 29, p. 618-620), un exposé de ce problème.
HYPNOSE ET HALLUCINATIONS 881
(1) Cf. le récit de cet hypnotiseur hypnotisé qui n ’était autre qu’Eugène Bleuler
(in A. F orel, Hypnotismus, 1911) et H. F. Ellenberger, The Discovery on Unconscious,
1970, p. 116).
(2) Nous devons noter à ce sujet une véritable révolution (cf. dans le livre de Cher-
tok le chapitre « Hypnotisabilité ». Si l ’on tenait, du temps de Charcot et de J anet,
l’hystérique pour être essentiellement hypnotisable, on a fini par s’apercevoir qu’il
l ’est moins qu’on le croyait ; mais cela, comme nous le verrons plus loin, ne modifie
pas le fait que la névrose hystérique a des rapports évidents avec l ’hypnose pour être
une sorte d ’état d ’hypnose, en quelque sorte spontanée.
882 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
(1) Cette symétrie est remarquablement illustrée dans son petit livre sur « Les
Névroses » (1909).
884 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
l ’homme normal, pour si puissant que soit le libre mouvement de son ima
gination.
Disons donc que ce qui caractérise l ’hystérie, c ’est 1’ « idée fixe »; comme
ce qui caractérise la névrose compulsionnelle c ’est l ’obsession ou la phobie,
quels que soient les fantasmes complexuels inconscients que les uns et les autres
manifestent. Dès lors, l ’idée fixe nous apparaît comme une forme de l ’imagi
naire caractérisée par la force que l ’image ou le système d ’images tirent de
leur « isolement », de cette séparation à l ’égard de l ’ensemble de la vie psychique
qui consacre son excentricité (1). Ce qui est im portant dans l ’idée fixe, ce n ’est
pas l ’idée en tan t que signification, que « donnée de sens », mais sa fixité.
Et si nous envisageons m aintenant le problème de l ’Hallucination en tant
que manière pour l ’idée fixe de se manifester dans sa représentation, nous allons
voir que cette structure imaginaire de l ’Hallucination hystérique constitue bien
une modalité très particulière de l ’halluciner, car l ’objet q u ’elle pose demeure
pour la conscience de l ’hystérique un imaginaire (2) pris dans la duplicité
même, dans la théâtralité (3) de son existence.
Pour illustrer cette structure propre à l ’Hallucination hystérique, nous
devons nous rapporter à une des observations de P. Janet à l’occasion de
laquelle ce M aître de 1’ « Automatisme psychologique » a donné la mesure
de sa perspicacité et de ses talents psychothérapiques.
Observation de J ustine (4). Justine est arrivée à la Salpêtrière en 1890 ; elle était
dans un état d ’angoisse extrême. Elle avait peur du choléra (5) et faisait des attaques
d ’hystérie avec l ’idée fixe de cette maladie. Cette idée se rapportait à un événement
ancien (6). Sa mère était garde-malade et elle l ’aidait parfois à ensevelir les morts.
(1) Des cas comme ceux rapportés par F. P. M c K egney (1967) et considérés par
lui comme relevant d ’une conversion hystérique ne sont certainement pas rares. Ce
sont ces cas où l ’Hallucination peut en imposer pour être une Éidolie alors qu’il s’agit
d ’un mécanisme d ’isolation névrotique.
(2) Imaginaire très différent de celui des phantéidolies hallucinosiques avec
lesquelles on l ’a parfois confondu ; car si l ’hallucinosique pose ses Hallucina
tions entre les parenthèses de la réalité à l ’égard de laquelle elle ne figure que comme
une image sans importance existentielle, l’hystérique fait de son idée fixe « excentrique »
le centre hallucinatoire de son existence imaginaire. Les deux ordres de phénomènes
sont, non pas identiques, mais différents, et même absolument symétriques, l ’un étant
un « véritable » accident de la perception, l ’autre étant la perception « imaginaire »
d ’une réalité falsifiée.
(3) Cf. à ce sujet l ’étude de P. C. R acamier « Hystérie et Théâtre », in Évol. Psych.,
1952, p. 260-289.
(4) J anet (P.), Névroses et Idées fixes, I, p. 156-212.
(5) Une telle observation peut naturellement être rapprochée davantage de l ’hys
térie d ’angoisse (phobie) que de l’hystérie de conversion.
(6) L’événement auquel s’est arrêté J anet est un événement auquel ne se serait
pas arrêté F reud qui aurait recherché par-delà cet incident la « scène » traumatique
infantile.
886 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
C’est dans cet office qu’elle aperçut à 17 ans les cadavres de deux cholériques. C ’est
cette image qui entra dans son subconscient, y acquit une force qui la projetait dans
les crises d ’hystérie que Janet décrit ainsi :
« U suffit, pour provoquer des manifestations intelligentes, de déterminer des
« phénomènes en rapport avec ceux que la malade perçoit encore, d ’entrer pour
« ainsi dire dans le rêve. Au moment où Justine s’écrie : « Le choléra, il va me pren-
« dre... » je lui réponds : « Oui, il te tient par la jambe droite », et la voici qui retire
« violemment sa jambe droite. De cette façon, on arrive, avec un peu de patience,
« à provoquer des réponses et à causer même avec la malade : « Où est-il donc ton
« choléra ? — Là, vous voyez bien, ce mort tout bleu, comme ça pue ! ». Quand
« on en est arrivé à ce point, on peut diriger l’esprit lentement sur d ’autres sujets
« et causer un peu de choses et d ’autres. Il est vrai que la conversation va être fré-
« quemment interrompue par des contorsions et des cris de terreur, mais elle sera
« bientôt de plus en plus complète. A la fin de l ’attaque, Justine ne se souvient pas
« plus de la conversation intercalée que du délire lui-même. Ce sont là des phéno-
« mènes bien connus sous le nom de somnambulisme, qui vont nous permettre d'entrer
« plus avant dans la connaissance de l’attaque elle-même. Dans les premières expé-
« riences, nous étions obligé de provoquer l ’attaque avant de faire naître cet état
« somnambulique, plus tard il fut possible de supprimer presque complètement les
« convulsions du début et de provoquer le somnambulisme plus directement. »
P. Janet pratiqua la méthode des associations libres en faisant affluer à la conscience
de la malade tout un système d’images :
« Ce sont d ’abord des images visuelles : deux cadavres, dont l ’un surtout est
« visible au premier plan, « un pauvre vieux tout nu, vert et bleu »; des images olfac-
« tives, une odeur infecte de putréfaction; des images auditives : « on sonne les morts,
« on crie : choléra, choléra »; des images kinesthésiques qui se manifestent par les
« crampes, les cris, les vomissements, la diarrhée. Toutes ces images ont une origine
« bien nette, elles représentent toutes les sensations que cette femme a pu éprouver
« par rapport au choléra. »
C’est ce système d ’images cristallisées dans l ’idée fixe que P. Janet entreprit de
diviser et de transformer en lui substituant une autre « figuration plus pittoresque
et moins dramatique : celle d ’un général chinois ! :
« Au lieu de les supprimer, je me bornais à les modifier par une sorte de substi-
« tution. Ainsi j ’ai cherché à transformer l’aspect des cadavres et surtout j ’ai passé
« plusieurs séances à les habiller. L’Hallucination d ’un vêtement, puis un autre,
« réussit assez bien ; enfin le cadavre principal parut affublé du costume d ’un général
« chinois que Justine avait vu à l ’Exposition. Le succès fut surtout complet quand je
«. parvins à faire lever et marcher le général chinois, il n ’était plus terrifiant et mêlait
« à l’attaque un élément comique de l’effet le plus heureux. Il est inutile de raconter
« par le détail plusieurs transformations du même genre qui tendaient toutes au même
« but, décomposer l’idée de choléra et la rendre méconnaissable. Sous cette influence,
« la maladie se transformait très rapidement, les crises devenues très incomplètes
« n ’amenaient plus de vomissements ni de diarrhée, elles ne consistaient plus qu’en
« quelques cris mêlés d ’éclats de rire. Chose singulière, mais que j ’ai notée déjà fré-
« quemment, les cris cessèrent de se produire pendant le jour et n ’apparurent plus
« que pendant la nuit. Il semblait, si l’on peut faire cette supposition, que l ’idée
« subconsciente de choléra était trop faible pour apparaître au milieu des sensa-
IDÉES FIXES ET PERSONNALITÉS MULTIPLES 887
« tiöns et des idées de la veille, mais qu’elle développait plus facilement à la faveur
« du sommeil. Justine pendant la nuit avait des mouvements de terreur, des convul-
« sions, appelait au secours, etc. Une dissociation plus avancée, la substitution de
« rêves suggérés réduisirent encore ces cauchemars et la maladie semblait considé-
« rablement réduite au moins sous cette première forme. »
P. Janet entreprit ensuite une nouvelle étape dans la dislocation de l’idée fixe,
celle de sa destruction sur le plan verbal :
« Je transformai par suggestion le mot cho-lé-ra en nom propre du général chinois.
« Je laissai la main écrire automatiquement la première syllabe cho, puis je la dirigeais
« et lui faisais finir le mot chocolat. Je déterminai par suggestion des paroles automa-
« tiques, des mots commençant par co, comme coton, coqueluche, cocorico. Ce dernier
<( terme détermina même une Hallucination spontanée, celle d ’un coq que la malade
« voyait apparaître dès qu’elle commençait à penser aux mots commençant par co.
« Nous n ’osons pas insister sur la description de ces procédés et d ’autres du même
« genre qui sont très utiles, mais qui paraîtront un peu enfantines. Nous dirons, pour
« notre excuse, que la pédagogie ne nous a pas encore indiqué beaucoup de procédés
'< pratiques pour décomposer et détruire les souvenirs. Au milieu de toutes ces Hal-
« lucinations, de toutes ces paroles automatiques, Justine arrive à s’embrouiller
« complètement. Quel est donc ce mot qui me tourmentait, disait-elle, je le
« cherche depuis huit jours, il se sépare, je ne peux plus le rassembler, c’est co... coton,
« non, c’est cho lé ra, c’est un mot étranger. Qu’est-ce qu’il signifie ? »
Tel était le cas d ’Achille dont nous pouvons rappeler l’histoire que l ’on
trouvera également dans « Névroses et Idées fixes"» (p. 375-406) :
« le réveil. Il se sentait soulagé, délivré de cette puissance intérieure qui lui enlevait
« la libre disposition de ses sensations et de ses idées. Il devenait sensible sur tout
« son corps, il retrouvait tous ses souvenirs, bien plus il commençait à juger son délire.
« Au bout de peu de jours il avait fait assez de progrès pour rire de son diable et il
« expliquait lui-même sa folie en disant qu’il avait lu trop de romans. A ce moment
« il faut remarquer un fait curieux : le délire existait encore pendant la nuit. Achille
« endormi gémissait et rêvait à des tortures infernales : les diables le faisaient monter
« à une échelle qui s’allongeait indéfiniment et au bout de laquelle se trouvait un
« verre d ’eau ou bien ils s’amusaient encore à lui enfoncer des clous dans les yeux.
« Le délire existait aussi dans l’écriture subconsciente et le diable se vantait ainsi
« de reprendre bientôt sa victime. Ces procédés nous montrent donc encore les der-
« nières traces du délire qui pourrait persister à notre insu. Il est bon d ’en tenir compte,
« car un malade abandonné à ce moment ne tarderait pas à retomber dans les mêmes
« divagations.
« Grâce à des procédés analogues, les derniers rêves furent transformés et bientôt
« ils disparurent complètement. J ’ai constaté à ce moment un fait sur lequel j ’ai déjà
« souvent attiré l ’attention, c’est que les somnambulismes et l’écriture automatique
« diminuèrent aussi en même temps. Le malade n ’eut plus un oubli aussi complet
« après les somnambulismes, il n ’était plus aussi anesthésique pendant les écritures
« subconscientes. En un mot, après la disparition de l ’idée fixe, l’unité de l’esprit
« se reconstituait ».
De tels cas peuvent paraître nous éloigner de l ’Hystérie pour nous rap
procher des Délires systématisés. Et cela est bien vrai, car nous rencontrons
ici ce point de contact sur lequel nous avons déjà insisté (notamment au début
de ce chapitre) entre Névroses et Psychoses. Les rapports cliniques entre la
Paranoïa, les Délires d ’influence médiumnique ou de possession et les idées
fixes hystériques sont là pour nous le rappeler. Mais dans ces idées fixes hysté
riques — pour si hallucinatoires ou pseudo-hallucinatoires q u ’elles soient —
l ’imaginaire se joue sur le plan de l ’imagerie, et c’est précisément ce jeu que
déjoue le clinicien en traitant son malade comme un hystérique et en réussissant
à rompre l ’auto-suggestion par sa contre-suggestion. Et c ’est cette structure
« psychoplastique » de l ’idée fixe qui la distingue justem ent de l ’idée délirante
dont nous avons vu q u ’elle est essentiellement irréductible, et à un jeu du Sujet et
au jeu du psychothérapeute. Telle est, en effet, la forme même de ces idées
fixes et de leur aspect hallucinatoire que constituent leur facticité, leur théâ
tralité, somme toute, leur plasticité (1).
(1) C’est dans le sens de ces analyses classiques (P. J anet) de l’idée fixe que S. F ol-
lin, J. Chazaud et L. Pilon ont publié trois cas de « Psychoses hystériques » (Évol.
Psych., 1961, p. 257-286), en insistant sur le fait que les Hallucinations y étaient mar
quées d ’un signe de « presque » (ou de « comme si »), tandis que l’ensemble de cette
modalité « psychotique » d’hystérie se joue la comédie dramatique d’un « sujet à la
« recherche de son personnage dans son identité sexuée et sa filiation œdipienne ».
Dans sa récente étude, P. A. Martin (1971) sur les Psychoses hystériques indique
(p. 747) qu’elles comportent des Hallucinations (cf. aussi l’article deM. H. H üllender,
Amer. J. Psych., 1964, 120, pp. 1-066-1074).
890 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
Nous pouvons ici faire état d ’un cas que la « clinique quotidienne » nous a
donné d ’observer au moment même où nous rédigions ce chapitre. Il s’agit
d ’une jeune fille de 20 ans qui a brusquement présenté un « syndrome hallu
cinatoire avec automatisme mental ». Elle a senti et entendu « la machine »
d ’un contremaître de son usine la prendre à partie. Il lui parle, connaît sa
pensée, l ’attire, la viole aussi. Dès q u ’elle passe dans son « rayon d ’action »,
elle est soumise à des rapports intimes qui la bouleversent et q u ’elle se sent
obligée d ’accepter même chez elle, et notam m ent lorsqu’elle s’étend sur le lit
de ses parents. A u cours de l’observation et de la psychothérapie, elle a ressenti,
alors q u ’elle est hospitalisée et p ar conséquent loin de la machine, des sensations
voluptueuses, et son bras s’est engourdi ou paralysé comme si, dit-elle, elle
était empêchée de s’en servir pour participer aux rapports qui lui sont imposés.
Le symbolisme de la machine, le mécanisme évident de projection de la libido,
les orgasmes éprouvés sous l ’influence de la machine hallucinatoire — alors
que dans les relations sexuelles « normales » elle était frigide — la configuration
délirante parfaitem ent claire limitée dans ses contours scéniques et dans la
répétition stéréotypée d ’une situation érotique si manifestement désirée et
refoulée, constituaient un ensemble de symptômes qui s’ordonnaient concen
triquem ent à un complexe affectif fondamental. Sans doute lorsqu’on parle
du Délire, ou d ’une Psychose hallucinatoire systématisée abortive ou résiduelle,
vise-t-on une constellation de troubles hallucinatoires ou d ’idées délirantes
caractérisées p ar la simplicité schématique des phénomènes d ’automatisme
mental (Hallucinations psychiques, écho et devinement de la pensée, Halluci
nations corporelles et spécialement génitales). Mais le caractère de ce scénario
découpé ici, à l ’emporte-pièce dans l ’existence de la jeune fille est si manifeste
ment symbolique et si caricaturalement expressif d ’une libido qui s’investit vio
lemment sur des images hallucinatoires, et plus aisément sur elles que dans les
relations réelles, que ces phénomènes de possession érotique nous ont fait
poser le diagnostic d ’une idée fixe hystérique plutôt que celui d ’un Délire
systématisé ou schizophrénique. Car ici, la fixité du « système » n ’a pas paru
être celle d ’un « système délirant » précisément irréductible et inébranlable,
mais plutôt celle d ’un drame, d ’une scène se jouant dans la sphère de la repré
sentation, pour tout dire, dans cette atmosphère de théâtralité dont nous venons
de rappeler q u ’elle est la structure névrotique par excellence. Et c ’est bien à ce
degré d ’approfondissement que doit aller le diagnostic clinique — le diagnostic
mais aussi le pronostic et le traitem ent — pour saisir ce q u ’il peut y avoir
d ’hystérique dans cette imagerie hallucinatoire où s’exprime jusqu’à s’y épuiser
la satisfaction du désir. L ’évolution même des troubles, leur rapide disparition
sous l ’influence d ’une psychothérapie « cathartique » nous ont montré que
nous n ’avons pas eu tort de poser le diagnostic d ’hystérie et de traiter cette
névrose comme telle.
La morale à tirer de cette histoire — et certainement de centaines d ’autres
semblables — c’est, non pas comme on ne cesse de le dire ou le proclamer
que ces cas m ontrent la psychogenèse du Délire et des Hallucinations, mais
que la névrose comporte, comme la psychose, une certaine manière de délirer,
ÉTATS CRÉPUSCULAIRES HYSTÉRIQUES 891
(1) Nous avons essayé de combler cette lacune dans notre étude sur les Troubles
de la Conscience (texte anglais) paru dans le Handbook o f Neurology (1968). Si l ’école
allemande oppose ainsi cette conscience hypnoïde agglutinée ou cristallisée dans son
892 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
(1) En écrivant ce chapitre sur les Hallucinations des Névroses, comme le cha
pitre précédent sur les Hallucinations des Délires chroniques, nous avons obéi aux
enseignements de la clinique en ce sens que l’Hallucination nous est apparue « sur
le tas », sur le terrain de la clinique, comme la clé de voûte de toute la psychopathologie
pour autant qu’elle gravite tout entière sur le problème de la réalité dans ses rapports
avec le désir ou, si l ’on veut, celui de l ’objectivité dans ses rapports avec ses affects.
Nous avons été ainsi entraîné par la clinique même de l ’Hallucination à esquisser
une fois de plus notre propre conception des Psychoses chroniques et des Névroses.
Par là, le travail que nous venons de faire — comme nous l’avons fait déjà dans notre
livre sur « La Conscience », et aussi dans notre « Manuel » en collaboration avec
P. Bernard et Ch. Brisset ou encore au Colloque du XIIIe à Paris (1972) — s’il ne
nous dispense pas des « Études » que nous nous proposons toujours de consacrer
aux Psychoses chroniques et aux Névroses, en découvre par anticipation le sens géné
ral. De sorte que si nous ne pouvons pas mener à bonne fin la série de nos « Études »
qui sont pour nous l ’essentiel de notre œuvre psychiatrique, même si elles n ’étaient
pas achevées, elles seraient pour ainsi dire déjà contenues, ici et là, dans leur premier
développement « embryonnaire ».
894 NÉVROSES ET HALLUCINATIONS
celui-ci sape les fondements mêmes de la réalité; de telle sorte que l ’Hallucina
tio n des névrotiques apparaît spécifiquement dans un au-delà de la réalité
qui ne comporte, ni perception, ni objet.
Mais la création d ’un monde névrotique artificiel ne saurait pas non plus
être tenue pour radicalement différente de la substitution d ’une autre réalité
à la réalité (Freud), de la création du monde délirant ; car l ’un comme
l ’autre sont des manières de ne pas être au monde, dans le Délire en substi
tuant l’imaginaire à sa réalité, dans la Névrose en surchargeant d ’imaginaire
s a réalité. Le Délire et l ’Hallucination « travaillent » à se soustraire dans
l ’aliénation de la personne au système de la réalité; la Névrose et ses Halluci
nations travaillent dans la falsification du personnage à altérer le système
des valeurs, c’est-à-dire de fausser le mouvement de sa liberté.
N O T IC E B IB L IO G R A P H IQ U E (1)
B inet et F éré (Ch.). — Le magnétisme animal, Paris, F ollin (S.), Chazaud (J.) et P ilon (L.). — Cas
éd. Alcan, 1888. cliniques de Psychoses hystériques. ÉooL Psych.,
J anet (P.). — Névroses et Idées fixes, 1898. 1961, 260-286.
P itre et R égis. — Les obsessions et les impulsions, H ollister (M. H.) et H irsch (S. J.). — Hysterical
Paris, éd. Doin, 1902. Psychosis. Amer. J. o f Psychiatry, 1964,120, 1066-
F reud (S.). — Cinq Psychanalyses, 1909-1915. 1076.
C laude (H.) et E y (H.). — Hallucinations, Pseudo- A lexander (L.), B arber (T. X.). — In « Origin and
Hallucinations et Obsessions, Ann. Méd.-Psycho., mechanisms o f Hallucinations » (W. Keup, New York
octobre 1932. Plenum Press, 1970, p. 156-180).
O rne (M. T.). — Hypnotically indices Hall., in West E llenberger (H. F.). — The discooery o f Unconscious,
(Symposium, Washington, 1958, C. R. Grune et New York Basic, Books, 1970.
Stratton, 1962). M artin (P. A.). — Dynamic Considération o f the
R eda (G. C.) et P a r e it i (E.). — Le allucizioni nella hysterical Psychosis. Amer . J. o f Psychiatry, 1971,
psi e nevrosi obsessional. Rio. sper. di Freniatria, 148, 745-772.
1958, p. 588-617.
(1) On trouvera dans les travaux que nous citons ici la bibliographie la plus impor
tante jusqu’en 1950, puis dans la Bibliographie des « travaux sur les Hallucinations »
à la fin de cet ouvrage, les travaux qui se rapportent à ce sujet de 1950 à 1971.
SIX IÈ M E P A R T IE
THÉORIES PATHOGÉNIQUES
« LINÉAIRES »
(M O D È L E S M É C A N IS T E E T P SY C H O D Y N A M IQ U E )
GÉNÉRALITÉS
n ’apparaît jam ais que comme l ’effet négatif de' leur déstructuration. De telle
sorte que tout naturellement après avoir contesté la validité des théories étiopa
thogéniques, mécanistes et psychodynamiques de la « projection hallucina
toire », nous serons amené à formuler une conception organo-dynamique de
l ’Hallucination qui tienne compte de Y architectonie de l’être psychique
to u t entière construite contre l’illusion des images. Car si l ’Hallucination n ’est
pas « chez l ’hallucinant » une image intensifiée ni p ar la seule « ecphorie
de ses engrammes », ni par la seule vivacité de son désir, elle est toujours
pour lui et les autres une « manière-de-n’être-plus-au-monde-de-la-réalité »
qui suppose une désorganisation totale ou partielle de l ’acte perceptif.
Les théories « mécanistes » de l ’Hallucination se réduisent en fin de compte
à la doter d ’un objet fabriqué par l’excitation des centres nerveux. Elles détrui
sent l’Hallucination pour l’expliquer en dotant d ’un objet la « perception sans
objet ». De telle sorte que l ’Hallucination ne com porterait aucune anomalie
de l’expérience et de l’ordre de la réalité pour n ’être q u ’une perception fondée
sur les propriétés physiques de la mécanique corporelle et spécialement céré
brale, thèse incompatible bien entendu non seulement avec la manière délirante
de « n ’être-plus-au-monde-de-la-réalité », mais aussi avec la manière « éido-
lique » de ne plus s’accorder avec le système de la réalité.
Les théories « psychogéniques » également, mais en sens inverse, « scoto-
misent » (parfois inconsciemment, mais parfois systématiquement) dans les
théories générales de l’Hallucination la « manière-de-n’être-plus-au-monde-de-
la-réalité ». N ’être plus au monde de la réalité c’est bien, en effet, en un certain
sens, adhérer aux phantasmes du désir, être enraciné dans sa « volonté de puis
sance » ; et c’est bien là la condition originaire de l ’existence pour autant qu’elle
est tout entière dirigée p ar les forces « affectives » — au sens le plus large du
terme — du Sujet. Mais c ’est aussi une manière d ’être nécessairement fantas
magorique ou utopique, car l ’existence humaine (1) ne commence précisément
que par la constitution du système de la réalité. De telle sorte que, en thèse
générale, invoquer la « régression » vers le principe du plaisir ou la satisfaction
hallucinatoire du désir pour rendre compte de « la perception sans objet »,
c ’est se condamner à ne voir le phénomène (l’apparition) hallucinatoire que
dans sa virtualité affective certes toujours, exigible d ’une théorie générale
de l’Hallucination, mais toujours révocable pour ne jam ais rendre compte
de son passage à l’acte même du percept et, en définitive, à sa fausse « réalité ».
C ar l’Hallucination et le Délire ne sont rien ou ne sont que des maladies de la
réalité irréductibles à la pure et commune finalité du désir.
Tel sera le sens général de l ’exposé des deux thèses qui ne cessent de s’oppo
ser dans les discussions sur l’étio-pathogénie de l ’Hallucination ; chacune
d ’elles m anque d ’ailleurs l ’essentiel de l ’Hallucination (l’une en la basant
sur un objet « réel », l ’autre en en faisant un objet du désir). Dès
(1) En tant qu’être au monde, c’est disposer d’un modèle personnel de son monde
(La Conscience, P. U. F., 1963).
GÉNÉRALITÉS 901
MODÈLE MÉCANISTE
(1) Ce chapitre écrit en 1968, puis révisé en 1972, reproduit le travail que nous
avons publié avec H. C laude (« Hallucinose et Hallucination. Les théories neuro
logiques des phénomènes sensoriels », Encéphale, 1932, 27, p. 576-620) ; — le
mémoire que j ’ai publié dans l'Évolution Psychiatrique (« Les problèmes physiopa
thologiques de l ’activité hallucinatoire », 1938, n° 2, p. 1-74). Nous reprenons donc
ici un travail commencé il y a 40 ans. Nous pensons que sa lecture pour être vraiment
efficace doit comporter la connaissance des travaux parallèles qui s’inscrivent en
contrepoint de cette longue réflexion : ceux de P . S chröder qui, dans sa critique
du point de vue mécaniste d ’Henschen (« Ueber Gesicht halluzinationen bei orga
nischer Hirnleider », Archiv f. Psych., 1925, 73, p. 276-308), va à peu près dans le
même sens que les nôtres ; — le chapitre que Pierre Q uercy a consacré à ces pro
blèmes (La neurologie de l’Hallucination, dans son ouvrage « L'Hallucination » (2 vol.,
Paris, Alcan, 1930) où il soutient la théorie d ’Opsiphile qui tend à se rapprocher du
modèle linéaire mécaniste) ; — le mémoire de G. de M orsier (Revue Oto-neuro
ophtalmologique, 1938) qui constitue la somme la plus monumentale de faits et
d’analyses pouvant à ses yeux justifier la théorie mécaniste de l’Hallucination ; —
le livre de R. M ourgue (« Neurobiologie de l'Hallucination. Essai sur une
variété particulière de désintégration de la fonction », 1932, Bruxelles, éd. M. Lamer-
tin); — les C. R. du Symposium de Washington (L. W est, 1962); — le travail de
S. M ellina et R. V izoli (1968); — les récents articles de G. de M orsier (1969); —
les C. R. de la réunion de New York (W. K eup , 1969) publiés sous le titre « Origin
and Mechanism of Hallucinations ». On trouvera une documentation considéra
ble sur l’ensemble des problèmes psychologiques et neurophysiologiques de la
projection hallucinatoire dans tôus ces travaux.
Ey. — Traité des Hallucinations. H. 30
904 LE MODÈLE MÉCANISTE
CONCEPTS FO N D A M E N TA U X
comme elle a été explicitée par Descartes lorsque dans le « Traité des passions
de l'âme », art. 26), il les attribuait au « cours fortuit », des esprits animaux.
Malebranche (Recherche de la vérité, tome II, chapitre I), en tan t que repré
sentant mécanicisme cartésien le plus rigoureux, ne pouvait m anquer de
noter que l’âme qui est touchée normalement surtout par les objets extérieurs
peut être impressionnée p ar l ’agitation interne des esprits animaux : « Il arrive
« quelquefois dans les personnes qui ont les esprits animaux fort agités par
« des jeûnes, par des veilles, par quelque fièvre chaude ou par quelque passion
« violente, que ces esprits remuent les fibres intérieures de leur cerveau avec
« autant de force que les objets extérieurs, de sorte que ces personnes sentent
« ce q u ’elles ne devraient qa'imaginer et croient avoir devant leurs yeux les
« objets qui ne sont que dans leur imagination ». Et il insistait encore sur cette
théorie quantitative de l ’Hallucination par l’excitation anormale des sens en
soulignant que « cela montre bien que les sens et l ’imagination ne diffèrent
que du plus et du moins » (p. 42).
Plus tard, Boerhaave (1762) reprenait à peu près les mêmes idées quand il
disait dans ses « Prœlectiones » : « Omnes hi nervi excitant eosdem sensus sine
actione alla objecti externi ». Boissier de Sauvages (1768) faisait dépendre
l’Hallucination « a fortiori vividorique fluidi nervei refluxu spontaneo, seu sine
objecti externiprœsentia sed ob motum in organi fibris, arteris, fluidisve excitatum
a causa intrinseca ». Mais de même que Boerhave invoquait aussi une condition
déficitaire, celle du sommeil ou d ’un état analogue, Boissier de Sauvages consi
dérait également q u ’une condition négative devait elle aussi intervenir et il
invoquait le défaut d ’attention « a defectis attentionis ad omnes circumtantias
quce errorem fugaret » (p. 166).
Nous n ’en finirions pas de rappeler ici tout ce que les médecins, philosophes
et naturalistes ont dit et redit sur cette intensification mécanique de l’image (1).
Répétons et soulignons encore à propos des opinions de Boerhaave et de Bois
sier de Sauvages que nous venons de rappeler, que, à peine formulée, cette thèse
a été généralement dans l ’esprit des auteurs, atténuée par l ’idée d ’une autre
condition de phénomène hallucinatoire, celle d ’un dysfonctionnement, d ’un
trouble, d ’une « méiopragie » fonctionnelle. Et d ’emblée en examinant la doc
trine mécanique de l’excitation des nerfs et des centres nerveux nous pouvons
prévoir q u ’en fin de compte elle n ’a pu résister à la critique — parfois de ses
adeptes, sinon de ses propres auteurs — car la causalité mécanique de l ’inten
sité de « Pimage-devenant-hallucinatoire » ne peut pas être tenue pour une
bonne théorie de la perception sans objet, pour la bonne raison q u ’elle en fait
la perception d ’un objet physique qui stimule de l ’intérieur les organes des
sens, les nerfs ou les centres sensoriels, c ’est-à-dire q u ’elle vise l ’Hallucination
là où elle n ’est pas, ou en tout cas là où elle n ’est pas essentiellement (dans la
Nous devons en effet bien comprendre (cf. note supra, p. 83) que la notion
d ’intensification de l ’image telle qu’elle est classiquement utilisée par les théories
linéaires, en entrecroise précisément les lignes. D ’où la confusion de toutes les discus
sions sur les rapports de l’image et de l ’Hallucination, toujours les mêmes depuis 1855
(cf. supra, p. 90-92) jusqu’à la réunion de New York sur l’origine et le mécanisme des
Hallucinations (cf. in Keup, 1970, spécialement les contributions de S. J. Ségal, p. 103-
114; de R. Rabkin, p. 115-125; de S. Bauer, p. 191-204). La thèse de la théorie quan
titative postule celle d’une homogénéité de tous les phénomènes perceptifs et hallu
cinatoires; la thèse de la discontinuité postule celle d ’une hétérogénéité totale entre
perception et Hallucination. Autant dire qu’aucune de ces deux thèses n ’est soute
nable jusqu’à ses extrêmes conséquences.
Si nous revenons une fois encore sur ce que nous avons dit à ce sujet dans le
chapitre « Historique » de la Première Partie (1), c’est pour souligner que sous la
nous reprendrons plus loin à notre compte. Ceci doit être bien précisé, car la
plus grande confusion règne dans l ’usage de tous ces concepts.
D É V E L O P P E M E N T D E LA T H É O R IE
D E L ’E X C IT A T IO N H A L L U C IN O G È N E
D E S N E U R O N E S S E N S O R IE L S
Quand les neurones sensoriels sont excités par des Stimuli qui ne proviennent
pas des messages q u ’ils reçoivent normalement des objets extérieurs (ou de ces
objets intérieurs que sont les diverses parties du corps qui font partie aussi du
monde des « objets »), ils se déchargent en produisant des effets analogues sinon
identiques aux sensations perçues. L ’Hallucination est le produit de cette
excitation inadéquate des neurones sensoriels qui reproduit la sensation en
intensifiant l ’image qui en représentait le souvenir, la trace mnésique. De telles
propositions théoriques sont communément énoncées et incessamment répétées
dans tous les traités de psychologie, de neuro-physiologie ou de psychopatho
logie en accord, comme nous l’avons vu, avec un courant continu de philosophie
empiriste, associationniste et sensationniste qui place l ’image et la sensation aux
deux extrémités d ’une même chaîne neuronale. De telle sorte que le courant
qui va de l’une à l ’autre peut s’inverser selon q u ’il va de la perception vers
le souvenir, ou de la trace mnésique vers la sensation, et que c’est précisément
par cette réversibilité pure, simple et idéale, que se trouve consacrée la para
phrase neurophysiologique de la psychologie associationniste. Il suffit, en
effet, de dire q u ’un stimulus physique (électrique ou mécanique) d ’excitation
des neurones sensoriels reproduit le même effet sensorio-perceptif que produit
le stimulus (message d ’information) venant de l ’objet extérieur, que la sen
sation croît comme le logarithme de l ’excitation, que celle-ci soit adéquate
ou inadéquate, ou bien de dire que l’image d ’un objet peut devenir si intense
q u ’elle reproduit la sensation dont l ’empreinte était gardée dans la mémoire
pour dire toujours la même chose. Et c’est toujours le même discours « scienti
fique » qui est, en effet, ainsi tenu en se référant aux conceptions neurophysiolo
giques de la sensation, de la perception ou de la mémoire. C ’est le même lan
gage qui, en effet, dans cette « paraphrase » (c’est-à-dire dans le jeu de mots
de ce double sens) fait de la trace mnésique, de l ’engramme, la fin de la sen
sation et le commencement de l ’Hallucination. O r ce langage n ’est pas seulement
analogique ou hypothétique, il se révèle être celui d ’une mystification en posant
plus de problèmes q u ’il n ’en résout en postulant l ’identité de l’image et de la
sensation, ou ce qui revient au même, que les engrammes contenus dans
la substance nerveuse peuvent sous l ’effet d ’une stimulation quelconque
produire des sensations (dites alors hallucinatoires pour n ’être pas pro
voquées par le stimulus « physiologique »). C ’est précisément à souligner le
caractère arbitraire ou artificiel de cette hypothèse que nous devons nous
employer.
F o n d e m e n ts th éo riq u es.
a) L’énergie spécifique des nerfs. — D ans son Traité (2), Johannes M ül
ler, le célèbre physiologiste allemand, a énoncé pour introduire l’étude de la
physiologie des sens un certain nom bre de principes qui forment la loi de l'éner
gie spécifique des nerfs de la sensibilité.
Les sensations des divers sens tirent leurs qualités particulières des
(1) Elle vient plus facilement à l’esprit, car elle s’appuie tout simplement sur
cette évidence que percevoir quelque chose qui n ’est pas là actuellement, c’est évidem
ment faire appel à un objet absent, c’est-à-dire passé, pour rendre compte de la fausse
perception. Mais cette évidence ne comporte pas comme une autre évidence que cette
fausse perception dépende seulement et nécessairement de l ’intensification mécanique
des engrammes.
(2) J. M üller, Handbuch der Physiologie des Menschen, Koblentz, 1844, éd.
Hœscher, trad. fr., éd. Baillière, 184S. Nous avons déjà eu l ’occasion (cf. supra, p. 80)
de faire allusion aux idées de Müller qui constituent en effet un aspect fondamental
de toute théorie mécaniste de l’Hallucination. Nous y reviendrons plus loin, notam
ment à propos de la théorie dès sensations de H elmholtz (p. 1125-1132).
912 LE MODÈLE MÉCANISTE
d ’inform ation perceptives dont les qualités sensorielles paraissent être plutôt les
effets que les causes (1).
L a spécificité des organes des sens ne peut évidemment pas être mise en
doute, mais peut-être peut-on dire que ce qui apparaissait à la psychophysio
logie du xixe siècle comme des « données », des « propriétés » sensorielles en
quelque sorte « atomiques » apparaît plutôt comme l ’effet d ’une organisation
plus « moléculaire », ou « molaire », c’est-à-dire adm ettant une élaboration
infiniment plus complexe et dynamique des éléments qui concourent à l ’ana
lyse perceptive et au traitem ent de l ’information.
N ous reprendrons assez longuement plus loin quand nous examinerons
pour notre propre compte l ’ensemble du problème des rapports entre « sensa
tion » et « perception », l’exposé critique de la théorie de l ’énergie spécifique des
nerfs (cf., p. 1125-1143). Mais nous devons souligner ici l ’importance des
réflexions que Er. Straus a consacrées à ce problème (2). Pour lui, le processus
vital, psychophysiologique, en quoi consiste l ’activité des organes des sens
ne saurait se placer sous la catégorie de la causalité physique en récitant le
« Credo » de la Psychologie objective (dont Lashley a rappelé les six articles
au Hixon Symposium de New Y ork en 1951). Or, c’est à une véritable confusion
entre cette causalité et celle de l ’intentionnalité que répond la confusion entre
l ’idée d ’excitation et l ’idée de sensation {Empfindung). On ne saurait méconnaître
ce fait, que le signal n ’est en aucune façon une excitation mais essentiellement
une réponse (p. 147-162). On ne saurait encore moins considérer que des excita
tions soient des objets (Reize sind keine Gegenstände)... Cet « épiphénoména-
lisme » (qui consiste à ne considérer pour ainsi dire le problème de la perception
par les organes des sens que par le petit bout de la lorgnette) peut rendre compte
(quelle que soit la réalité des tonalités spécifiques qui entrent dans la perception)
de l’acte même de percevoir, lequel permet précisément de « voir » ou d ’entendre
au travers — et presque en dépit — des éléments sensoriels en eux-mêmes
insignifiants. Nous paraphrasons ainsi et en peu de mots la critique que la
phénoménologie, PAktpsychologie et la Gestaltpsychologie n ’ont jam ais cessé
de faire à la théorie de l ’énergie spécifique des nerfs pour autant q u ’elle assimile
objet, stimulus et sensation, critique qui apparaîtra plus radicale quand nous
reprendrons to u t le problème de la fonction des organes des sens et des centres
psycho-sensoriels.
Ceci nous conduit à nous demander ce que signifie la notion d ’énergie
spécifique des nerfs appliquée • aux centres sensoriels ou psychosensoriels
cérébraux. La « spécificité » tient-elle à l ’organe périphérique, au nerf, au
centre nerveux ou à l ’analyseur considéré dans sa totalité ? J. Muller tenait
cette question pour insoluble et se bornait à indiquer que certaines parties
(1) C’est dans ce sens, par exemple, que Pradines parle du rôle instrumental
de la qualité (Psychologie générale, I, p. 319-453).
(2) On retrouvera le même leitmotiv dans le « Gestaltkreis » de V. von Weiszacker
(1939) et dans la a Phénoménologie de la Perception » de M erleau-Ponty (1945).
914 LE MODÈLE MÉCANISTE
du cerveau participent aux énergies spécifiques (1). Il semble bien que ce qui
apparaissait comme le privilège des « récepteurs »', c’est-à-dire leur excitabilité
spécifique a été ensuite attribué aux neurones des centres sensoriels et
même psycho-sensoriels. Inversement aussi, le pouvoir de synthèse ou d ’élabo
ration des données perceptives attribué spécifiquement à l ’écorce cérébrale
par la neuro-physiologie classique paraît devoir aussi descendre jusqu’à la
périphérie des organes des sens dans la mesure où ils ne sont pas seulement
des récepteurs, mais des filtres sélectifs, qui déjà à ce niveau opèrent des choix
et traitent de l ’information. Cela revient à dire q u ’un analyseur fonctionne
comme un tout dans l ’exercice de son intégration intrasystémique, comme
il est également connecté dans sa relation intersystémique avec les autres centres
sensoriels. La spécificité de l ’énergie sensorielle q u ’il comporte est tout à la
fois diffuse dans tout l’appareil psychique et central et en liaison fonctionnelle
avec les modalités spécifiques de l’énergie sensorielle des autres sens, notam m ent
par le mécanisme des transferts d ’association du conditionnement.
(1) Nous avons déjà examiné ce problème à propos notamment des études de
neurophysiopathologie de la mescaline (cf. supra, p. 637) et tout particulièrement
en exposant le travail de Zador (1930).
(2) Le mémoire de G. F ritsch et E. H itzig (Ueber die elektrische Erregbarkeit
des Grosshirns) fut publié dans les Reichert's und am Bois-Reymond Archiv, 1870
(p. 300-332). Ce sont surtout les travaux de H itzig qui sont importants. Il les a publiés
dans son livre Untersuchungen über das Gehirn, Berlin, 1874. On trouvera dans le
monumental ouvrage (hélas ! peu connu et peu accessible) de J. Soury , Le Système
nerveux central, Ed. Carré et Naud, Paris, 1899, p. 1017-1538, l’exposé le plus complet
et le plus passionnant des recherches de ces physiologistes et de tous les autres à qui
nous devons nos meilleures connaissances à cette époque des « centres cérébraux »
(David F errier, Munk, H enschen, Monakow, etc.).
L'EXCITATION NEURO-SENSORIELLE 915
sensoriels sur laquelle s’est édifiée la théorie de l ’excitation sensorielle des cen
tres d ’images. Il est intéressant à cet égard de noter les embarras et les hésitations
de l ’école classique italienne qui s’est la plus illustrée dans l ’élaboration de ce
modèle mécanique de l ’Hallucination produite par une irritation des centres
sensoriels. Pour Tamburini (1876), la lésion irritative des organes, voies et cen
tres sensoriels constitue une cause suffisante de l ’Hallucination. Plus tard (1882),
après les travaux de Séglas sur les Hallucinations psycho-motrices, il a insisté
sur la notion de centre « sensori-moteur », et proposé l ’hypothèse que l ’irri
tation des images motrices était nécessaire à la projection des images sensorielles
dans l ’espace. Sensible à la critique (1) de Jolïroy (1896) et à la difficulté posée
p ar l ’unilatéralité des centres sensoriels spécifiques, Tanzi (1903) reprit l’idée de
Cajal sur la bilatéralité et la symétrie topographique des centres perceptifs oppo
sées à l ’unilatéralité des centres primaire et secondaire proprem ent mnésiques,
pour expliquer que l’Hallucination engendrée par l ’irritation des centres sen
soriels n ’était hémianopsique ou unilatérale que tout à fait exceptionnellement.
D e p ar ailleurs, Tanzi insiste sur le fait que l ’Hallucination ne peut pas être
tenue seulement pour une « représentation spasmodique », et il adm et que
« sensation » et « Hallucination » « font bon ménage ». « De cette manière,
ajoute-t-il assez curieusement, les Hallucinations arrivent à acquérir une indi
vidualité propre. Par leur provenance transcorticale ce sont d ’anciennes
représentations, par leur déterminisme pathologique ce sont des associations
aberrantes extraordinaires, régressives ». Quels que soient les ajustements et
réajustements du modèle mécanique de l ’excitation des centres sensoriels (aussi
bien chez Wemicke que chez G. de Clérambault), la logique même du système
conduit, ou à une paraphrase neurologique absurde (2), ou à une m utilation
également absurde du phénomène hallucinatoire. Nul mieux que M ourgue
n ’a montré que ce dogme de l ’excitation pathologique des centres d ’images
est en contradiction avec la phénoménologie des Hallucinations même les
plus simples car il s’agit de phénomènes de résonance im pliquant leur
connexion avec des systèmes à fonctions multiples : « horizontalement »
à des analyseurs sensoriels synchrones, mais aussi « verticalement » à la
sphère des instincts et de leurs mouvements. Disons donc tout simplement
en nous excusant de répéter ici ce qui est devenu une sorte de banal leitmotiv
(mais dont l’enseignement n ’est pas épuisé) que, à l ’idée d ’une trace mnésique
emmagasinée statiquement dans l ’espace cérébral, s’est substituée l ’idée d ’un
système plus dynamique plus organisé et multidimensionnel, c ’est-à-dire une
idée incompatible avec la simplicité du mécanisme d ’ « ecphorie » des
engrammes. Le cerveau n ’est pas un dépôt d ’images, d ’où le deux ex machina
de l ’excitation tirerait l ’Hallucination p ar la mise à feu de cette poudre
« engrammée », entreposée dans les magasins de l’écorce cérébrale. Les
« centres sensoriels » ne sont pas des dépôts d ’images; ce sont des analyseurs
perceptifs qui extraient du monde extérieur l ’information nécessaire à l ’expé
rience actuelle du Sujet et qui règlent dans son monde intérieur (du champ
représentatif interne dans le sens où G. Fr. Gothlin, 1927, rappelle Mourgue,
parlait d ’un champ interne) la form ation autom atique des images qui satis
font aux exigences pulsionnelles de ses désirs. Autrement dit encore, les
« centres sensoriels » ne sont jam ais en repos; ils sont toujours en mouve
ment, et le modèle mécaniste qui fait appel à une source supplémentaire
de propulsion de l ’image est, pour ainsi dire, et, à tout le moins, superflu. C ar
nous devons en effet le souligner pour terminer ces préliminaires, l ’image
en tant que représentation de la donnée sensible étant toujours prête à livrer
et délivrer les qualités sensorielles q u ’elle implique, cette profusion virtuelle
et infinie des mouvements internes qui sont comme l ’incessante respiration
de l’être psychique, rend effectivement superflu le concept même d ’excitation
des centres d ’images lesquelles sont toujours prêtes à se décharger. Nous ver
rons qu’en définitive le problème de l ’Hallucination est celui de la décharge
d ’un système énergétique toujours chargé plutôt que de sa charge par excitation
pathologique.
Mais n ’anticipons pas trop et contentons-nous ici pour introduire correc
tement le débat de l ’avoir préfacé par ces deux réflexions liminaires sur la
notion d ’énergie spécifique des nerfs et sur celle de centre d ’images, c’est-à-dire
sur les concepts fondamentaux qui lient l 'intensité de l’image à Yecphorie des
engrammes au sens de Richard Sémon (1908). Car, en effet, dire que l ’Hallu
cination est une image intensifiée et q u ’elle résulte de l ’excitation de l ’énergie
sensorielle contenue dans les nerfs ou les centres cérébraux sensoriels, c ’est
la même chose — la même erreur.
A vrai dire, elles sont presque toutes anciennes (1), tout au moins en tan t que
formulation explicite de la théorie de l ’excitation mécanique des nerfs et des cen
tres d ’images, mais l ’esprit mécaniciste— même s’il ne se risque guère à produire
un schéma systématique d ’explication basé sur les postulats de la mécanicité que
nous avons exposés plus haut — cet esprit ne cesse de renaître de ses cendres
comme nous l ’avons tant de fois rappelé dans cet ouvrage. Aussi, les cliniciens
sont-ils souvent bien plus « mécanistes » q u ’ils ne le croient ou ne le disent en
recourant constamment à des concepts comme l ’explication de l ’Hallucination
par des lésions irritatives du cerveau ou des voies sensorielles, plus souvent encore
en affirmant la nature sensorielle primitive de l ’esthésie hallucinatoire dans
l ’Hallucination « vraie », ou encore et surtout en adm ettant la genèse du Délire
(1) Cf. supra, p. 904 et sq., où au début de ce chapitre nous avions rappelé les
théories anciennes de style empirico-sensationniste (M alebranche, B oissier de Sau
vages , etc.).
918 LE MODÈLE MÉCANISTE
à partir d ’Hallucinations... Mais ceci dit qui vise à rappeler que les Modernes
ne sont pas tellement différents des Anciens, c’esf bien en effet dans les vieux
modèles que nous allons trouver les prototypes des théories mécanistes « par
excellence » de l ’Hallucination.
T out d ’abord, l’idée de rechercher dans l ’excitation nerveuse la cause des
Hallucinations a fourni la théorie physiologique périphérique défendue par
E. Darwin, Burdach et J. Müller au début du xixe siècle, puis par Calmeil.
Ce dernier, dans l ’article « Hallucinations » du dictionnaire de Médecine (1836)
écrivait : « On peut supposer, en théorie, q u ’il existe des Hallucinations symp-
« tomatiques et que le système nerveux périphérique est le point de départ
« des Hallucinations les plus variées et peut-être les plus nombreuses... Pour
« des causes qui restent impalpables, sous l ’influence de la calorique, de l’élec-
« trique, d ’un fluide animal, ne peut-il pas s’effectuer dans les organes des
« sens et alors que les agents placés au dehors n ’y sollicitent plus aucun ébran-
« lement, des modifications intestines à celles qui y ont pris naissance
« lorsqu’en réalité ces excitants matériels agissent sur eux par leur nature
« et leur contact ? » (p. 547).
Mais au cours du xixe siècle, c’est comme nous l ’avons souligné vers les
centres que l ’excitation neuronale hallucinogène va se déplacer dans les théo
ries physiologiques de l ’Hallucination. Ce fut d ’abord les centres sous-corti
caux que les auteurs désignèrent comme siège des excitations anormales
dont l’Hallucination serait l’effet. Foville en 1829 écrivait que les Hallucinations
sont liées à la lésion des parties nerveuses intermédiaires aux organes des
sens et au centre des perceptions. Christian dans son article du Diction
naire Dechambre cite encore les opinions de Bergmann, de Hildesheim et
Schrœder van der Kolck à la même époque. J. Luys (1865) dans ses Recherches
sur le Système nerveux central insistait sur le fait que la couche optique est
le lieu où toutes les impressions périphériques viennent se concentrer; de telle
sorte q u ’il en avait tiré une théorie de l’Hallucination (Traité des maladies
mentales, 1885, p. 396-399) où il faisait jouer le principal rôle à l ’éréthisme des
noyaux thalamiques, tandis que les idées délirantes qui se superposent aux
Hallucinations ne se constituaient, à ses yeux, que si au processus proprem ent
sensoriel s’ajoutait l’éréthisme des centres idéatoires corticaux : « Suivant,
« écrivait-il, que ce seront les régions centrales thalamiques de nature senso-
« rielle qui résonneront le plus fort, la manifestation symptomatique reflétera
« principalement le caractère d ’éléments qui lui auront donné naissance
« — et suivant que ce sera la sphère psychique qui sera le plus en période d ’éré-
« thisme, le processus perdra rapidement le caractère sensoriel pour devenir
cc une conception systématisée, fixe... ne gardant que des traces atténuées de
« ses premières impulsions pathogéniques » (p. 397).
L ’importance des centres corticaux sensoriels et sensori-moteurs ne
cessant de s’imposer, ils ne tardèrent pas à acquérir leurs titres de noblesse
dans le royaume des Hallucinations au cours de la célèbre discussion de 1855
à la Société Médico-Psychologique notam m ent avec l ’intervention ultime de
Parchappe. Celui-ci a eu le dernier m ot dans cette mémorable controverse
THÉORIES MÉCANISTES CLASSIQUES 919
Mais c’est avec l’école italienne (A. Tamburini, Luciani, E. Tanzi) que
s’est naturellement constitué le prototype du modèle mécaniste de l ’Hal
lucination considérée comme un symptôme d ’excitation des centres d ’images,
comme une « é p il e p s ie s e n s o r ie l l e ».
En 1881 ( Revue Scientifique), Tamburini (5) écrivait : « La cause fondamen-
« taie des Hallucinations est un état d ’excitation des centres sensoriels corti-
(1) Riv. P. n. e. m. (1904). Il y répétait sans le savoir ce qu’avait déjà dit Freud
(1895).
THÉORIES MÉCANISTES CLASSIQUES 921
que de fortes critiques aient été opposées à cette naïve et simpliste « mythologie
cérébrale ». Joffroy, par exemple (Les Hallucinations unilatérales, Archives
de Neurologie, 1896), a parfaitem ent critiqué la notion de lésion irritative ou
d ’excitant électrophysiologique. « Si une lésion cérébrale, dit-il, détruit un
« centre, elle se traduit alors symptomatiquement par la suppression
« de la fonction ; si elle ne fait que l ’irriter, elle modifie son fonctionnement (1),
« donne lieu à une exagération ou une perversion de la fonction... mais jamais
« le cerveau étant normalement constitué ne donnera lieu à une Hallucination »,
M ais même si d ’excellents esprits (dont certains avaient succombé, ainsi que
nous l ’avons rappelé, à la facilité de cette naïve hypothèse, tels Ritti et
Séglas) se sont toujours dressés contre cette interprétation simpliste, pas
que cette théorie paraphrase (2) n ’a jam ais cessé d ’exercer a été telle q u ’elle
tives des mots de M. G. de la l re temporale font surgir des images motrices d ’arti
culation associées... et voilà que notre malade parle... Comme le dit en termes modérés
J. P. F alret à la fin de la discussion de cette communication à la société Médico-Psy
chologique : « L ’auteur suppose établi a priori ce qu’il faudrait démontrer... ».
(1) Toute l’œuvre du grand neurophysiologiste et clinicien suédois S. E. H enschen
(Pathologie des Gehirns, 7 vol., 1890-1922), et notamment un de ses derniers travaux
« Uber Sinnesempfindung und Vorstellung aus anatomisch — Klinischen Gesicht
punkte », Acta medica Scandinavica, 1923, 57, p. 458-502, s’inspira du plus pur esprit
« mécaniste », en ce sens qu’il s’en tient constamment et intégralement aux proposi
tions qui constituent, comme nous l’avons vu, le modèle linéaire dont l’excitation
neuronale constitue l’essentiel.
(2) N iessl von Mayendorf, « Die halluzinatorische Zustände der Veranlagten »,
Arch. f Psych., 1922, p. 518-329 — « Uber den Hirnmechanismus der halluzina
torischen Wahnbildung ». Congrès d ’Innsbrück, C. R. in Zentralblatt Neuro-Psych.,
1925, 40 — « Uber der Prinzipien des Gehirn mechanik », 1926, Stuttgart, éd. Enke.
(3) Ferdinand Morel, neuro-psychiatre suisse, grand admirateur du Maître
de l ’Infirmerie du Dépôt G. de C lérambault. On trouvera dans son livre « Intro
duction à la Psychiatrie neurologique », éd. Masson, Paris, et Roth, Lausanne, 1947,
l’exposé de sa méthodique contribution aux études sur l’Hallucination.
(4) G. de Morsier est, comme le fut F. Morel, un des adeptes les plus enthou
siastes du Dogme de l’Automatisme Mental. Sa contribution la plus importante au
problème des Hallucinations est représentée par son substantiel Mémoire sur « Les
Hallucinations » systématiquement confié à une revue spécifiquement neuro-oto
ophtalmologique (Revue d'oto-neuro-ophtalmologie, 1938, 16, p. 241-352). Les récents
et intéressants travaux (1967, 1669, 1971) montrent avec quelle vigueur et quelle
constance G. de Morsier entend demeurer fidèle à ce modèle théorique.
THÉORIES MÉCANISTES CLASSIQUES 923
général comme le délire dont elle est au contraire une cause — elle est l’effet
d ’une excitation des organes, voies et centres sensoriels. Et tout naturellement,
l ’Hallucination a été étudiée par ces auteurs en choisissant les cas d ’Éidolies
hallucinosiques symptomatiques de lésions centrales ou périphériques.
Nous pensons avoir ainsi montré en exposant les échantillons les plus divers
des diverses théories mécanistes classiques, que si parfois sous la pression des
faits elles s’infléchissent, elles n ’en demeurent pas moins — par leur cohé
rence même — tenues de se conformer au modèle fondamentale de l ’intensifi
cation des images produites par l’excitation neuronale. Pour nous qui avons eu
tan t de mal à l ’admettre, nous comprenons bien que cette position doctrinale
est inconfortable et que ses doctrinaires peuvent être tentés de l ’abandonner,
car (comme nous allons le voir), les faits mêmes auxquels elles se réfèrent
doivent contraindre les doctrinaires du modèle linéaire mécaniste à l’aban
donner... pour se rapprocher (comme nous le verrons plus loin), d ’u n modèle
architectonique basant l ’Hallucination non plus sur une excitation mécanique
mais sur une désorganisation fonctionnelle.
E X P O S É C R IT IQ U E D E S E F F E T S H A L L U C IN O G È N E S
D E S L É S IO N S « IR R IT A T IV E S » L O C A L ISÉ E S
E T D E S E X P É R IE N C E S D ’« E X C IT A T IO N » É L E C T R IQ U E
Outre bien entendu le présupposé doctrinal qui suggère l’idée d ’une inten
sification hallucinatoire de l’image qui serait l ’effet de Stimuli nerveux anor
maux, le modèle mécaniste de la genèse de l ’Hallucination se réfère à un certain
nom bre de faits im portants. Nous devons résumer ici tous ceux (que dans
cet ouvrage nous avons, pour la plupart, déjà exposés) qui ont servi à l ’édifica
tion, sinon à la validation du dogme de la mécanicité. En règle générale, tout
rattachem ent empirique d ’une Hallucination à forte composante cc sensorielle »
à une lésion bien « localisée » des nerfs et centres sensoriels passe assez faci
lement pour une vérification de l’hypothèse mécaniste. C ’est que, effectivement,
comme nous venons de le voir dans le paragraphe précédent, la théorie de
l ’excitation neuronale est née à une époque où les localisations des fonctions
nerveuses postulaient une mosaïque de fonctions partielles et d ’atomes psy
chiques qui imposaient pour ainsi dire nécessairement l ’idée q u ’à la stimulation
de tel point de l’espace cérébral correspondaient tels phénomènes psychiques
et, en l’espèce, que, à l’irritation des centres sensoriels correspondait comme un
signe local, l ’intensification de l ’image qui devenait par l ’intensité de son « esthé-
sie » hallucinatoire. Comme on ne s’interrogeait guère sur le processus patho
génique auquel correspondait l ’apparition du phénomène hallucinatoire, il
paraissait plus simple de le réduire à un mécanisme simple : celui de l ’excitation,
c ’est-à-dire de l ’ébranlement des nerfs ou des centres. De telle sorte que les faits
qui m ontrent à l’évidence q u ’il existe une relation entre les lésions périphériques
ou centrales des analyseurs perceptifs et l ’apparition de phénomènes hallucina
toires, ont été tout naturellement inscrits au crédit de la théorie de l ’exci
tation neuronale. Le fa it q u ’en portant un courant électrique sur telle ou telle
partie du tissu nerveux qui forme les récepteurs, voies et centres sensoriels
ou produit des phénomènes hallucinatoires, a été également — et bien plus
facilement encore — porté au crédit de l’interprétation de l’apparition de l ’Hal
lucination par l ’effet de stimulation spécifique exercé par l ’excitation électrique.
Ce sont donc ces deux ordres de faits que nous devons m aintenant envisager,
en rappelant et en accentuant ce que nous avons déjà eu l’occasion de dire
en rapportant plus haut la remarque si pertinente de Joffroy (1896), savoir
q u ’il ne suffit pas q u ’une Hallucination soit causée p ar une lésion spontanée
ou expérimentale (y compris l ’application d ’un courant électrique) pour que
soit démontrée par là la théorie de l’excitation neuronale, car il restera encore
à se demander si une lésion ou un trouble de désintégration partielle ne peut
s’interpréter que par le concept d ’excitation.
Comme nous l ’avons déjà noté en exposant les théories mécanistes clas
siques du xixe siècle, l’origine périphérique des Hallucinations s’est d ’abord
imposée à l ’esprit de beaucoup de philosophes et de cliniciens et non des
moindres (Darwin, Bürdach, J. Müller, Calmeil). L ’ouvrage de V. U rbant-
schitsch (1908) (1) doit être signalé comme une des plus importantes contri
butions à cette thèse. Puis à mesure que se sont développées les connaissances,
sur les centres cérébraux sensoriels, tout naturellement la théorie de l’excitation
neuronale a glissé vers les centres psycho-sensoriels (1). Dès lors nous devons
examiner ici deux ordres de faits : 1°) les lésions périphériques (des organes
des sens et des voies c ’est-à-dire les lésions qui atteignent les récepteurs
(rétine — membrane basilaire et organe de Corti — corpuscules cutanés, etc.)
ou les deuxièmes neurones de relais diencéphaliques (voies optiques et
acoustiques relayant dans les corps genouillés — voies de la sensibilité cons
tituant le lemnisque médian et la voie spino-thalamique, etc.) — 2°) les lésions
centrales, c’est-à-dire celles qui atteignent, soit les centres spécifiques primaires
de projection des messages sensoriels, soit celles qui atteignent les centres
secondaires d ’élaboration et d ’association (aires 17, 18 et 19 pour les centres
visuels occipito-pariétaux; aire gyrus transverse et aires 20 et 21 pour les centres
acoustico-temporaux — aires pariétales supérieures 5 et 7 pour la somato-
gnosie — aires somesthésiques primaires 1, 2 et 3 pour les perceptions tactiles—
aires olfactives rhinencéphaliques de l ’espace perforé antérieur de l ’amygdala
et du cortex prépiriforme).
(1) A nglade (1927) a très justement fait remarquer que même « refoulée dans
le cerveau » la théorie de l’origine périphérique des Hallucinations restait aussi
périphérique...
(2) Nous l’avons déjà fait à propos des Éidolies hallucinosiques en général (p. 353
et sq. et p. 365 et sq.), des Hallucinations visuelles (p. 1140-1150), des Hallucinations
acoustico-verbales (p. 227 et sq.), des Hallucinations corporelles (p. 282 et sq.) et
dans mon chapitre consacré à l’Isolement sensoriel (p. 702 et sq., p. 705 et sq.
et p. 1371 et sq.).
LES « LÉSIONS IRRITATIVES HALLUCINOGÈNES » 927
troubles de la vue et éprouva les mêmes phénomènes (Il voyait une multitude
d ’objets fantastiques tout en reconnaissant son « illusion »). Pour G. de M or-
sier, ce syndrome ne serait pas caractéristique, comme on le dit le plus
souvent, de 1’ « état hallucinosique » causé par les lésions périphériques, mais
la conséquence de lésions toujours centrales. Ceci nous paraît capital à noter car
11 s’agit, comme nous le verrons, d ’un aspect fondamental du problème qui
nous occupe ici. Quoi q u ’il en soit, nous retrouvons dans l ’auto-observation
d ’un autre philosophe et physicien genevois, Pierre Prévost, publiée par le
fameux philosophe et psychologue genevois, Ernest Naville, le même type
d ’activité hallucinatoire sans lésions oculaires. Le cas rapporté en 1923 (et
dont nous avons cité (p. 125) et citerons (p. 1317 et sq.) de larges fragments par
H. Flournoy) était celui d ’un vieillard qui, lui, présentait une cataracte bilaté
rale (1) avec une réduction de l ’acuité visuelle à 1/20 pour l ’œil droit et à 1/6
pour l ’œil gauche. Disons donc que le « Syndrome de Charles Bonnet », même
si — et c ’est bien probable — il ne dépend pas exclusivement de lésions périphé
riques, se rencontre chez les vieillards et souvent chez les vieillards présentant
des lésions des organes récepteurs (D ’après les statistiques de G. de M orsier
lui-même, sur 18 cas présentant ce syndrome typique, on notait au moins
12 cas de lésions oculaires). Et c ’est ce fait qui a évidemment frappé tous
les auteurs qui ont publié des cas semblables. A commencer tout d ’abord (1899)
par W. Uthoff (2) qui en a rapporté 4 cas (choroïdite avec dans le scotome posi
tif, Éidolies hallucinosiques — énucléation d ’un œil et ophtalmie sympathi
que, images d ’anges, de nuages et d ’oiseaux — choroïdite avec scotome central
positif et « vision d ’un policier »).
Mais depuis lors les observations des ophtalmologistes et neurologues
sont très nombreuses. Nous en avons rappelé un certain nom bre dans le
chapitre consacré aux Éidolies hallucinosiques et dans l’étude de la désaffé
rentation clinique à la fin du chapitre que nous avons consacré à l ’isolement
sensoriel. On en trouvera un inventaire très complet, soit dans l ’article de
H. Hécaen et J. Badaracco (Évol. Psych., 1956), soit dans le mémoire de
J. J. Bürgermeister, R. Tissot et J. de Ajuriaguerra (1965) et celui de J. de Aju-
riaguerra et G. Garrone (1965). Deux faits doivent, à notre avis, être considérés
comme établis par toutes ces observations. Le premier, c’est que l’imagerie
tem ps de Félix Plater (1625), ou plus près de nous, de Boissier de Sauvages (1768)
et de Erasme Darwin (1801) les médecins rapportaient tout naturellement aux
affections des fibres nerveuses qui forment les nerfs. C ’est à Régis (1882), puis
à Urbantschitsch que l ’on attribue généralement le mérite des fameuses des
criptions précises de ces phénomènes dont Calmeil (1840), puis Koppe (1867)
avaient pressenti l ’intérêt. Tandis que pour Esquirol, comme nous l’avons noté
au début de cet ouvrage (cf. supra, p. 79 et sq.), il y avait lieu de séparer ces
« illusions des sens » dans lesquelles « la sensibilité des extrémités nerveuses est
altérée », des Hallucinations. Vers la fin du XIXe siècle — et certainement par
le truchement de l ’hypothèse de l ’excitation neuronale — les deux catégories
se sont trouvées correspondre, et beaucoup de cliniciens ont été d ’accord pour
décrire des Hallucinations d ’origine périphérique p ar lésion des récepteurs
auditifs (otites, oto-spongiose, presbyacousie, névrites du nerf acoustique).
D ’assez nombreuses observations ont été publiées entre 1885 et 1910 (celles
de Cozzolino, 1887; Toulouse, 1892; Bechterev, 1903; de Mabille, 1903; de
V. Urbantschitsch, 1908 ; de Escat, 1908 ; de Stransky, 1911 ; de Klienberger,
1912). Nous en avons rapporté quelques exemples, soit dans notre travail de
1938, soit dans les chapitres précédents. Rappelons q u ’il s’agit généralement de
bruits endo-auriculaires, parfois unilatéraux que le Sujet entend comme une
sensation « brute » sonore plus ou moins intense (avec ses caractéristiques
de timbre, de hauteur de rythme), ou de sons plus complexes (verbaux
ou musicaux). L a constance, la durée, l ’absence du jugement de réalité
et le déficit permanent de l ’audition, sont la règle. A cet égard, il ne fait
pas de doute que ces phénomènes hallucinatoires entrent dans le cadre
des Éidolies acoustiques. Nous pouvons même ajouter, acousticoverbales. Il
arriverait même, si nous en croyons une observation de Régis (Encéphale,
1881), que la lésion otitique provoque un syndrome hallucinatoire à type
« automatisme mental » (troubles qui guérirent en même temps que
l ’otite...).
Après le travail critique de Lugano (1), on a noté un déclin de l ’intérêt
des chercheurs. Cependant, depuis cette époque bien d ’autres observations
et études ont été publiées (Claude, Baruk et Henri Ey, 1932; C ourbon et Cha-
poulaud; Gelma et Singer, 1951 ; Kämmerer, C ahn et Dorey, 1958) ; certains
travaux doivent être signalés pour leur importance ou pour leur actualité.
Car si le problème a été bien posé dès 1903 par J. Séglas à propos des Hallu
cinations unilatérales de l ’ouïe, et à la même époque par S. Bryant (1907)
qui soulignait la grande importance psychique des affections de l’oreille, ou
encore par un autre oto-rhino-laryngologiste G. Bergreen (1919), il a été repris
dans le mémoire de P. Ottonello (1930) et plus récemment dans l’article de
H. Hécaen et R. R opert (1963), puis dans le travail de J. D. Rainer et coll.
(in Keup, 1969) sur la « phénoménologie » des Hallucinations dans la surdité.
temps (1911) une observation qui eut ses années de célébrité. Il s’agissait d ’Hal-
lucinations (disons Éidolies hallucinosiques) unilatérales par ramollissement
sylvien de l’hémisphère droit. Les lésions vasculaires temporales produisent,
bien sûr, beaucoup plus souvent des syndromes aphasiques quand elles atteignent
l'hémisphère dominant, mais l ’Hallucination acoustico-verbale figure fort
rarement dans le syndrome de désintégration du langage. Le cas d ’Arnold Pick
(rapporté dans une leçon de Wemicke et dont R. M ourgue fait mention p. 116)
est intéressant à ce sujet puisqu’il s’agissait d ’une aphasie sensorielle et que le
malade présenta ensuite des Hallucinations de l ’ouïe à caractère paraphasique.
Les cas de F. Sanz (1922) et de Klein (1924) m ontrent que des syndromes
artériopathiques à type d ’aphasie peuvent s’accompagner aussi d ’écho de la
pensée (de Gedankenlantwerderi). Ainsi, au cours des lésions vasculaires céré
brales nous voyons les phénomènes acoustico-verbaux apparaître avec un halo
de troubles — ici l ’atmosphère aphasique analogue à l ’agnosie visuelle ou
de l ’hémianopsie (1) quand ce n ’est pas pour les unes comme pour les autres
l ’atmosphère onirique (cf. plus loin p. 1298 du chapitre Hallucinations et affec
tions cérébrales), soit autant de troubles irréductibles à la notion d ’excitation.
Généralement les auteurs estiment soit que les Hallucinations sont
rares dans la symptomatologie des affections vasculaires cérébrales (F. Stern,
1930), soit q u ’elles se présentent cliniquement dans une atmosphère d ’oni
risme ou, comme disent les Psychiatres allemands, de « optische Halluzi-
nose » (F. Reimer, 1970). C ’est surtout dans les cas d ’artério-sclérose des
petits vaisseaux (U. de Giacomo, 1952) que s’observent ces états confuso-
oniriques qui constituent le fond de l ’activité hallucinatoire. Il arrive aussi
que ces expériences délirantes hallucinatoires débutent ou soient accompa-
pagnées de phénomènes éidoliques et spécialement phantéidoliques (les cas
rapportés par F. Reimer). Mais q u ’il s’agisse de l’un ou l ’autre aspect de ces
diverses variétés d ‘Hallucinations, il suffit de se rapporter aux détails de l ’obser
vation clinique pour se convaincre q u ’elles sont toujours secondaires à un
déficit partiel ou global.
(1) Nous devons rappeler, en effet, que les Hallucinations unilatérales de l’ouïe
ne sont pas l’apanage des lésions périphériques et qu’il existe des phénomènes d ’hémi-
acousie corticale (Lund, 1952) équivalant aux troubles hémianopsiques dans les
lésions occipitales.
LES « LÉSIONS IRRITATIVES HALLUCINOGÈNES » 933
Kleist, et comme K. P. Kisker (1960) l’a depuis lors encore souligné, il est
probable que c’est avec la pathologie du tronc cérébral que sont en rapport
ces expériences délirantes hallucinatoires souvent paroxystiques ou transitoires.
— Mais c’est surtout à la pathologie des tum eurs cérébrales que le pro
blème des Hallucinations d ’origine centrale a été rattaché depuis le début
du siècle, et c’est en effet au fur et à mesure que s’est développée la neuro
chirurgie que quantité d ’observations ont été publiées depuis celles de Kennedy,
Cushing, Clovis Vincent et David il y a 40 ans. Nous avons déjà consacré
une étude approfondie à ce problème (cf. supra, p. 466-474) après l ’avoir
deux fois déjà exposé en 1932, puis en 1938; aussi pouvons-nous nous per
mettre de ne dire ici que l ’essentiel. Cet essentiel étant pour nous de m ontrer
inlassablement que l ’Hallucination, même sous sa forme éidolo-hallucinosique,
n ’est pas seulement un phénomène de simple excitation de neurones, fussent-ils
corticaux. L ’hypothèse d ’une « irritation » produite par un méningiome ou un
gliome est éclipsée par l ’hypothèse plus immédiatement vérifiable, sinon plus
évidente, que la lésion produit d ’abord un trouble fonctionnel dont l ’appa
rition de l’Hallucination n ’est que l’effet. Voilà pourquoi la dém onstration déjà
faite plus haut et que nous poursuivons ici consiste à m ontrer avec les obser
vateurs eux-mêmes que les processus expansifs cérébraux produisent d ’abord
des troubles ou syndromes déficitaires dont les figures hallucinatoires ne sont
que les effets plus ou moins directs. Et cela est tellement vrai que, comme nous
venons de le voir pour les traumatismes cranio-cérébraux, c'est généralement
par l'épilepsie que passe la pathologie hallucinatoire des tum eurs cérébrales.
Par l ’épilepsie, mais aussi, quoique plus rarement, par les syndromes d 'agnosie
ou de déficit perceptif que la tum eur engendre.
La grande question qui se pose est évidemment de savoir si le siège de
la tum eur a une influence sur la production des Hallucinations.
Si nous nous rapportons à ce que nous avons déjà dit à ce sujet, on peut
dire q u ’en ce qui concerne les tum eurs occipitales (le plus souvent occipito-
temporales d ’ailleurs), les Hallucinations visuelles sont celles que l ’on observe
le plus sans aucun doute sous forme d ’Éidolies hallucinosiques, soit « élémen
taires » (protéidolies), soit « complexes » (phantéidolies), toutes étant caractéri
sées par la distorsion morphologique et fonctionnelle propre à ces images. Nous
l’avons déjà noté (cf. supra, p. 472), sur 93 cas d ’Hallucinations visuelles
observées dans des cas de tumeurs cérébrales diverses (Hécaen et Aju-
riaguerra, Tarachov, Campana, etc.), dans 15 cas seulement il s’agissait de
tumeurs occipitales. Par contre, les autres Hallucinations sont rares dans ce cas.
Il convient de noter, en se rapportant aux observations que l ’on ne manque
jam ais de citer (cf. supra, p. 466) et dont la plupart ont été faites — parfois
hâtivement et sans analyse clinique suffisante — par les neuro-chirurgiens, que
ces phénomènes se présentent comme des Éidolies dont la « figure » se détache
d ’un « fo n d » de déficit perceptif (troubles de l ’orientation, de la mémoire ou
de la reconnaissance des formes visuelles ou des couleurs, troubles opto-
cinétiques, etc.) dont le champ hémianopsique constitue la structure lacunaire
LES « LÉSIONS IRRITATIVES HALLUCINOGÈNES » 935
la plus évidente. On ne saurait non plus méconnaître le fait que c’est plus
souvent comme aura psycho-sensorielle que les Hallucinations se pré
sentent.
R é p a r t it io n d e s d if f é r e n t s t r o u b l e s h a l l u c i n a t o i r e s p a r o x y s t iq u e s
SELON LE SIÈGE DE LA TUMEUR
H allucinations
visuelles . 5(6,25) 0 0 10(13,33) 1 (1,33) 6(24) 8(13,11) 6(7,05)
H allucinations
auditives . 1(1,25) 0 0 6(8) 0 0 2(3,29) 0
H allucinations
gustatives 0 0 0 4(5,33) I (1,33) 0 0 0
H allucinations
olfactiv es. 1(1,25) 0 0 7(9,33) 1 (1,33) 0 0 0
H allucinations
som atogno-
siq u e s. . 0 0 0 1(1,33) 6(8) 1(4) 0 0
(1) Toute excitation galvanique appliquée sur le globe oculaire provoque des
phosphènes. G. de M orsier a rappelé les expériences de C harousek (1928) qui a
provoqué des sensations de bruit par excitation mécanique de la cochlée — et celles
de M ann (1911) et de R amadiçr et D avid (1927) qui ont provoqué également des
acouphènes par excitation galvanique de l ’organe de Corti.
938 LE MODÈLE MÉCANISTE
N ous ferons état ici de quelques travaux qui nous ont paru particulièrement
intéressants, qui sont le plus souvent cités et que nous avons attentivement
étudiés.
Les phosphènes ont été décrits depuis longtemps (Schwarz, 1890; Finkel-
stein, 1892; Helmholtz, 1911 les ont spécialement étudiés). Rapidement on a
distingué les phosphènes rapides élémentaires (phosphènes préliminaires) cor
respondant, d ’après Bourguignon (1926), à l ’excitation de la partie de la rétine
sous-jacente à l ’électrode ou l ’excitation diamétralement opposée (le siège de
ces phénomènes a été rapporté p ar lui aux cellules bipolaires) — et des phos
phènes durables correspondant à de fortes intensités qui apparaissent à l’empla
cement de la tache aveugle et qui se manifestent à l ’excitation cathodique sous la
forme d ’un petit cercle brillant (lorsqu’on coupe le courant cathodique le
phénomène réapparaît) dont l ’image inverse s’observe lorsque l’électrode
différente sert d ’anode.
Les deux articles d ’Alexei I. Bogoslowski et J. Ségal (1) donnent une
description détaillée des phénomènes visuels engendrés p ar le passage du cou
rant électrique dans l ’œil. Ils ont étudié les phosphènes sur eux-mêmes et 6 autres
sujets en notant les effets de l ’excitation anodique et cathodique, de l’applica
tion ou de la suppression du courant, etc. Ces expériences ont eu lieu « dans
une chambre noire mais faiblement éclairée par une lampe à lumière de jo u r ».
Ils distinguent, comme Bourguignon, les phosphènes paraliminaires rapides
et les phosphènes toniques. Les premiers ont un seuil bas et n ’apparaissent q u ’à
la fermeture et à l ’ouverture du courant et com portent deux phénomènes :
l’un naissant toujours dans la partie temporale du champ visuel ; — l ’autre
dans la région de la rétine opposée à l’électrode différenciée— Pour A. I. Bogos
lowski et J. Ségal, ce premier type de phosphène répond aux lois d ’excitation
des nerfs périphériques, les seconds n ’apparaissent q u ’à des intensités beau
coup plus grandes de l ’ordre de 1 milliampère; ils ne com portent pas de m ou
vements stroboscopiques. Les auteurs, pour les expliquer, rappellent les tra
vaux de Barron et Matthews (1938) et de H. Pieron et J. Ségal (1938) qui ont
établi la non-validité de la loi du tout ou rien dans l ’activité des centres nerveux.
Analysant les conditions dans lesquelles apparaissent ces phosphènes toniques
qui subissent, eux, la polarité du courant, ils pensent que c ’est l ’excitation des
éléments radiaires (cellules sensorielles avec leur neurite et cellules bipolaires)
qui entre en jeu. Aux fortes intensités l’excitation cathodique se manifeste
par l ’obscurcissement de la moyenne partie du champ visuel, tandis que les
effets lumineux se manifestent au voisinage de la fovéa. On arrive, disent les
auteurs, à une explication satisfaisante de ces phénomènes en adm ettant que
le phosphène prend naissance dans les éléments radiaires de la rétine et en
tenant compte du parcours des lignes de force à l ’intérieur de l ’œil. En conclu-
sion (conclusion qui annonce les travaux ultérieurs sur l ’antagonisme des sys
tèmes photorécepteurs, cf. à ce sujet R. Jung, 1967), les auteurs pensent que
le « neurone » serait le siège de deux fonctions : l ’une stimulante et l ’autre
inhibitrice, trouvant normalement un état d ’équilibre dans lequel l ’action
inhibitrice subirait plus facilement l ’action du courant. Autrement dit, si nous
avons bien compris et notam m ent en nous rapportant à ce q u ’écrivent très
explicitement A. I. Bogoslowski et J. Ségal (p. 115) sur la prédominance de la
« fonction bloquante » sur la « fonction stimulante », ils considèrent que le pro
cessus d ’excitation réalise plutôt une rupture de l’équilibre fonctionnel, une
désorganisation de l ’ordre représenté à ce niveau « inférieur » de l ’élaboration
des messages sensoriels par la prévalence du processus d ’inhibition.
La monographie de J. Clausen (1) rend compte des travaux q u ’il a fait
aux U. S. A. en recherchant le seuil de la « sensation papillotante » et non pas
la sensation lumineuse tout court. Le phosphène périphérique présente un seuil
croissant entre 20 et 70 Hz. Lorsqu’il est fovéal ou périfovéal, il accuse la même
allure quelle que soit la couleur du fond éclairé. Dans la phosphène périphé
rique l ’augmentation du niveau d ’adaptation fait m onter le seuil quand la
stimulation varie de 5 Hz à 20 Hz. L ’intérêt pour nous le plus grand de cette
étude, c’est q u ’elle montre et démontre que l ’application d ’un courant alter
natif sinusoïdal produit d'abord un désordre dans la continuité et la stabilité
du courant d ’inform ation et que, de p ar ailleurs, l ’apparition de phosphènes
n ’est pas plus séparable du courant spontané d ’information lumineuse que du
courant électrique expérimental.
D ans son mémoire sur le siège de l ’excitation électrique de l ’œil humain,
G. S. Brindley (2) étudie précisément les relations entre l ’apparition du phos
phène produit par l ’application des diverses électrodes conjonctivales (simples
ou circulaires) chez lui-même et deux autres Sujets, et leur inhibition p ar la
pression des globes oculaires. Il rappelle, en effet, les travaux anciens de Fin-
kelstein (1894) et ceux plus récents de C. I. H owarth (1954) entre autres, qui
ont montré que le seuil d ’excitation était plus élevé dans l ’œil soumis à la pres
sion. De par ailleurs, G. S. Brindley n ’adm et pas que ces phosphènes soient en
% relation avec l ’excitation des fibres optiques ; elles lui paraissent liées à l ’acti
vité des cellules bipoaires — Dans son article de 1962 (3), le même auteur fait une
description détaillée des papillotements (beats) que produisent à basse et à haute
fréquence les courants alternatifs. Ces « beats » se produisent lorsque ce courant
Quant aux travaux sur l ’excitation électrique expérimentale chez les animaux,
ce n ’est évidemment que par référence à l’expérience subjective des phosphènes
c ’est-à-dire des sensations éprouvées par les hommes dans des conditions ana
logues qu’elles peuvent nous servir à éclairer le problème qui nous occupe. Mais
qu’il s’agisse des expériences faites par R. Granit, K. Motokawa, W. K. Noell,
H. K. Hartline et F. Rotlif, G. S. Brindley, etc., etc., chez les grenouilles, les poissons
ou les mammifères sur des rétines isolées et parfois après la mort de l ’animal
(G. van den Bos, J. de Physiologie, Paris, 1966, p. 357-363), ils reviennent toujours
à l ’étude du rétinogramme et des potentiels évoqués pour déterminer l’origine et les
trajets des messages que compose l ’excitation électrique sur le clavier de l’équilibre
physiologique, photique ou scotopique. Nous ne dirons un mot que du plus
remarquable d ’entre eux : le mémoire de D. R. Crapper et W. K. Noell (1963) (1).
Ces auteurs ont provoqué chez des lapins anesthésiés et curarisés de brèves stimu
lations transrétiniennes de 5 mis et mesuré l’activité des décharges des cellules gan
glionnaires isolées (bursts, c’est-à-dire groupement de spikes). Ils ont pu montrer
comment l ’efficacité du courant électrique dépend de l’alternance ou de l’antagonisme
des phases d ’inhibition et d’excitation même à ce niveau élémentaire. Autrement dit,
là encore, comme ne le rappelions plus haut, l’excitant électrique n ’agit pas en fonc
tion d ’un simple mécanisme d ’excitation, mais en modifiant l ’ordre ou l ’équilibre
fonctionnel sur lequel il exerce son action pathogène. Autrement dit encore, l ’excitation
ne produit ses effets hallucinogènes sur les cellules nerveuses sensorielles que si
celles-ci « veulent » bien les recevoir, ou plus exactement, que si leur ordre fonctionnel
est vulnérable ou tend à l’inertie hallucinatoire. Nous exposerons dans le chapitre IV
de la 7e Partie ce que nous entendons par là.
concerne les phosphènes. Mais, bien entendu, depuis les expériences de R. G ra
nit (1955-1959) qui ont permis de connaître la systématisation de trois groupes
de fibres (sans effet « off » avec exclusivement effet « off » et avec effet tout
à la fois « on » et « off »), l’analyse des potentiels évoqués permet de suivre
les messages dans le nerf optique. On recueille les potentiels évoqués après
stimulation photique de la rétine, mais aussi il y a déjà longtemps (W. H . M ar
shall et coll., 1942) ou plus récemment (M. A. Lennox, 1958) après stimulation
électrique des nerfs. Les potentiels évoqués transmis les plus vite sont recueillis
dans la couche IV de l'area striata. Mais bien entendu, là encore, l’efficacité
de l ’excitation électrique du nerf est inséparable du flux d ’information lumi
neuse actuel, latent ou précédent...
— Quant aux « excitations du corps genouillé » elles consistent essentiel
lement en excitations photiques (R. L. de Valois et coll., 1958). Cependant
si l ’on stimule électriquement les couches A et A.1 (G. H. Bishop et
M. H. Cläre, 1955) on constate que ces cellules du relais géniculé projettent
directement au cortex, tandis que la couche B projette par un relais thalamique,
mais ce ne sont là que des indications sur les voies de conduction des messages.
De telles expériences ne nous ont pas paru présenter beaucoup d ’intérêt
pour la démonstration du pouvoir hallucino-photogène de l ’excitation élec
trique géniculée.
Nous devons faire au sujet de toutes ces recherches sur l ’excitation des
organes récepteurs et des premiers relais du système perceptif visuel encore
deux remarques sur la « spécificité » de l ’activité d ’un analyseur perceptif.
Cette notion ne peut pas être prise au pied de la lettre, car, d ’une part l’acti
vité de l ’organe sensoriel (la vision que nous avons prise comme centre de
nos réflexions critiques) est soumise à une régulation par le système réticulaire
(J. H. Jacobson, 1959, a mis en évidence l’influence de la formation réticulée
chez les chats et les singes par les fibres récurrentielles qui la transm ettent aux
corps genouillés), et aussi à des stimulations labyrintho-acoustiques qui sont
capables (et ceci est im portant pour comprendre certains faits de photopsies
chez les aveugles, notam m ent ceux qui ont été observés par H. Jacob, 1949)
d ’agir sur l’activité du système visuel spécifique. Rappelons à ce sujet que
H. Ahlenstiel (1949) a confirmé les observations anciennes de H. Aubert
(Physiologie der Netzhaut, Breslau, 1865) sur le rôle que jouent les Stimuli
acoustiques dans l ’éclosion des « Weckblitze » et des « Schreckblitze » dans
l ’occlusion des yeux, et par conséquent sur le fond d 'Eigengrau qui est la per
ception de l’équilibre de deux systèmes de photo et de scotoréception. Tout
cela doit entrer en ligne de compte pour nous faire comprendre une fois pour
toutes que même à ces niveaux élémentaires la notion d’excitation sensorielle
hallucinogène est trop simpliste pour être prise en considération. Nous
saurons tirer parti de ces faits et de ces réflexions to u t à la fin de l ’exposé
de notre propre conception organo-dynamique des protéidolies (cf. plus loin,
p. 1321-1338).
EXCITATIONS ÉLECTRIQUES EXPÉRIMENTALES 943
cinations complexes sont d ’un autre ordre, en ce sens q u ’elles sont des « réactions
psychiques » d ’origine temporale (Ferrier Lectures, 1946).
C ’est ce leitmotiv que W. Penfield n ’a cessé de développer. Dans son petit
volume « The excitable cortex in consciousness Man » (1938), il précise que
l ’application d ’un courant électrique interfère avec la capacité du patient
d ’assurer le fonctionnement norm al de l ’aire corticale intéressée, et q u ’il
active à distance des dispositifs neuro-ganglionnaires avec lesquels l’aire corti
cale est connectée. Le premier effet du courant est 1’ « electrical interférence »
et le second 1’ « electrical activation » (2). Quoi q u ’il en soit, W. Penfield
(1) Ce schéma que nous empruntons à G. d e Morsier (1938, p. 257) a été établi
par cet auteur d ’après les résultats des excitations électriques obtenus par F oerster,
P e n f ie l d , P ôtzl, U rban et H o f f .
(2) Autrement dit, l ’excitation électrique est ici présentée comme un phéno
mène entièrement mécanique s’enfonçant comme un coin dans une zone fonc-
EXCITATIONS ÉLECTRIQUES EXPÉRIMENTALES 947
souligne que cette stimulation corticale appliquée aux aires spécifiques de pro
jection ne provoque que des réponses élémentaires (pour nous des protéidolies).
— Pour ce qui concerne le cortex visuel, l’excitation de la calcarine provoque
des lumières, des formes colorées ou noires en mouvement ou stationnaires
qui apparaissent généralement dans le champ visuel contro-latéral. L ’exci
tation des aires secondaires du lobe occipital produit les mêmes effets mais les
phénomènes hallucinatoires élémentaires peuvent apparaître dans le champ
visuel du même côté ou des deux côtés. — Pour ce qui est de l ’excitation du
cortex auditif, les stimulations électriques des circonvolutions d ’Heschl pro
voquent des sensations sonores, de bruits, de bourdonnements, de sifflements,
de sonnerie. Les sujets se plaignent seulement d ’être un peu sourds. Lorsque
ces phénomènes (Hallucinations ou surdité) sont latéralisés, ils apparaissent
dans le champ acoutisque contro-latéral. L ’excitation des centres acoustico-
verbaux provoque donc des « sensations » de caractère élémentaire des sons
et des bruits. Cependant, W. Penfield et P. P erot (1963), en excitant le cortex
tem poral (T l au voisinage de l’insula et des circonvolutions de Heschl), ont
provoqué des sensations acoustico-optiques. Mais pour W. Penfield, il s’agit
plutôt alors d ’un phénomène élémentaire que d ’une « expérience » complexe
comme celles qui sont vécues comme nous le verrons par l ’excitation en pro
fondeur du lobe tem poral. De même lorsque, avec Rasmussen (1950), ils
« excitent » les centres du langage, ils constatent une inhibition de la phonation
quand l ’excitation porte sur les deux hémisphères et des troubles aphasiques
(aphasie arrest) dans l’excitation de l’hémisphère dominant.
W. Penfield a le plus grand souci de réduire l ’importance de ces phénomènes
hallucinatoires produits p ar l ’excitation des centres primaires (et secondaires)
de projection spécifique des divers sens au niveau de l ’écorce, car, selon lui,
les centres sensoriels corticaux ne sont eux-mêmes que des relais (W ay-stations)
des afférences qui doivent converger vers le véritable système d ’intégration
centrencéphalique (Les schémas p. 11 et p. 14 du « The excitable cortex in
conscious Man » sont à cet égard parfaitem ent clairs). Nous pouvons ajouter
que le plus évident effet de ces excitations sont des symptômes négatifs.
Avant de passer à l ’exposé des excitations électriques du lobe tem poral
et des enseignements q u ’on peut en tirer avec W. Penfield, nous devons nous
arrêter un instant pour bien réfléchir à l’interprétation que la théorie de l ’exci
tation neuronale hallucinogène peut faire de cette première catégorie de faits.
Il nous paraît évident pour tous ceux qui peuvent en prendre connaissance
comme nous avons essayé de le faire en entrant dans le détail de l’expérimenta
tion et de ses effets, que : 1°) ces faits rejoignent très exactement ceux que nous
avons exposés plus haut quand nous avons rappelé l ’essentiel de la sym ptom ato
logie hallucinatoire des lésions cérébrales soi-disant « irritatives ». L ’identité des
tionnelle saine et ne dépendant pas par conséquent d ’un trouble qui pourtant paraît
bien nécessaire pour que précisément le phénomène d’interférence puisse se produire
là où il est physiologiquement, (normalement) impossible...
948 LE MODÈLE MÉCANISTE
à tout ce qui s’est passé dans leur enfance). D ’après lui, l ’activité hallucinatoire
propre aux structures profondes du lobe tem poral réalise essentiellement une
modification de l ’expérience vécue qui nous renvoie à la pensée du rêve. Soit,
en effet, q u ’il s’agisse des « experimental Hallucinations » ou <c experimental
Responses » (appelées encore p ar l ’auteur « psychical Hallucinations »), ou des
« Interprétative illusions » ou « Interprétative responses » (appelées encore par
l ’auteur « psychical Illusions »), il s’agit essentiellement d ’ « ictal Hallucina
tions » qui apparentent (s’ils n ’identifient pas !) les phénomènes hallucinatoi
res produits par l ’excitation de 1’ « Interprétative Cortex », c’est-à-dire du
lobe temporal (surfaces supérieure et latérale) (cf, figure 5) aux « dreamy
States ».
Mais l’observation la plus complète est celle de M. M., jeune femme de 26 ans.
La stimulation électrique fut pratiquée (Square wawe Generator 60 cycles, 2 milli
secondes) et appliquée de telle sorte, que la patiente ignorait si et quand on pro
cédait à l’excitation. Ce n ’est que lorsque le courant fut intensifié jusqu’à 2 à 3 volts
que l ’on atteignit le seuil des réponses du « cortex interprétatif ».
— Stimulation en IL « J ’entends quelque chose de familier, mais je ne sais pas
ce que c’est ».
— Nouvelle stimulation en 11 (sans avertissement). « Oui, Monsieur, je pense
que j ’ai entendu une mère appeler son petit garçon quelque part. Il me semble que
c’est arrivé il y a déjà des années ». Sur demande de s ’expliquer, elle ajoute : « C’est
tout près de l’endroit où je vis ».
Avertie qu'elle allait recevoir une nouvelle stimulation, mais on ne fait pas passer
le courant : la patiente n ’accuse aucune impression.
— .Nouvelle stimulation en 11 : « Oui, j ’entends les mêmes sons familiers. Il me
semble que c’est une femme qui appelle la même femme. Ce n’était pas dans le voi
sinage. Il me semble que c’était dans la cour et la scierie ». Elle précise plus tard qu’il
s’agissait d ’un incident qui lui était arrivé au cours de son enfance mais dont elle se
serait bien souvenue sans cette excitation électrique.
— Stimulation en 12 : « Oui, j ’ai entendu des voix le long de la rivière, quelque part
une voix d ’homme et une voix de femme qui appelaient ». Lorsqu’on lui demande
ensuite comment elle avait pu savoir que ces voix provenaient de la rivière, elle dit :
« Je ne sais pas. Il me semble que c’était une rivière dont j ’étais proche quand j ’étais
enfant ».
—■Interrogée sur ce qu'elle éprouvait (mais sans stimulation), elle répond :
« rien ».
— Stimulation près de 13 (sans avertissement). Elle s’écrie : « Oui, j ’entends
des voix. Tard dans la nuit près d ’une fête quelque part quelque chose comme un
cirque ambulant ». Après que les électrodes aient été retirées, elle dit : « J ’ai juste vu
beaucoup de grands camions dont on se sert pour garder les animaux ».
— Nouvelle stimulation en 11 ( 15 minutes plus tard) : « Maintenant il me semble
entendre de petites voix, des voix de gens s’interpelant d ’un bloc de maison à l ’autre
quelque part. Je ne sais pas où, mais cela m ’est familier. Je ne peux pas voir les maisons,
mais il semble que ce soit des maisons vétustes ».
— Stimulation en 14 : « Toute cette affaire me semble familière ».
— Stimulation en 15. Elle accuse une légère impression de familiarité et le sen
timent qu’elle savait « ce qui allait arriver bientôt ». Elle ajoute : « Comme si j ’avais
déjà connu cette situation, et je pensais que je savais exactement ce que vous alliez
faire ensuite ».
— Stimulation en 17 (en profondeur). Quand l ’électrode atteint 1 cm de pro
fondeur : « Oh ! J ’ai eu le même souvenir très, très familier dans un bureau quelque
part. J ’ai vu des tables de bureau. J ’étais là et quelqu’un m ’appelait, un homme penché
sur son bureau avec un crayon à la main ».
— Interrogée sans stimulation, elle dit qu’elle ne ressent rien.
952 LE MODÈLE MÉCANISTE
Or, à cet égard, deux ordres de faits viennent tout naturellement tempérer
ce « zèle mécaniste » et cette théorie qui décalque le modèle linéaire mécaniste
sur les modèles anatomiques. C ’est tout d ’abord que le lien entre Hallucination
et systèmes spécifiques perceptifs n ’est pas aussi étroit que l ’exige le modèle
mécaniste. C ’est ensuite le fait que la paraphrase neurologique qui décalque
sur un mode quantitatif le plus ou moins complexe de l’image hallucinatoire
sur les positions élémentaires ou périphériques et sur les positions centrales
des analyseurs perceptifs ne coïncide pas avec les faits.
(1) H. H ead. Certain mental changes that accompany visceral disease. Brain,
1901, 24, n° 3. — R. M o u r g u e expose très longuement ce travail dans sa Neuro
biologie de l'Hallucination, p. 143-159.
(2) Cf. G. d e M o r s ie r . Les Hallucinations { 1938, p. 306-310) et surtout l ’ouvrage
de M o u r g u e (notamment p. 186-204) dont toute la théorie repose sur ces faits.
(3) Les travaux de M. E. S c h e ib e l et A. B. S c h e ib e l {in West, Hallucination, 1962)
et de Hernandez P e o n {J. o f nerv. and ment. Diseases, 1965) auxquels nous
nous référerons plus loin (p. 1300) font état de considérations plus théoriques que
cliniques, les seuls faits envisagés étant ceux que nous venons de rappeler.
(4) W. F r e e m a n et J. W il l ia m s (/. o f nerv. and mental Diseases, 1952,116, p. 456-
462) ont émis l’hypothèse que le noyau amygdalien joue un rôle dans la production
des Hallucinations auditives pour autant qu’elles comportent une composante motrice.
L’amygdala « transformerait les activités idéiques apparemment intégrées dans le
lobe frontal dans un complexe de schèmes moteurs intéressant la musculature vocale ».
Ayant réalisé une amygdalectomie chez 5 malades hallucinés de l’ouïe, ils ont obtenu
un « succès apparent chez 4 d ’entre eux ». Les auteurs soulignent l ’homologie entre
les Hallucinations et le « sonar » des cétacés et des chiroptères... — L’exposé
H. K l ü v e r (1960, in West) sur la fonction hallucinogène des troubles du système
limbique souligne l’importance du système limbique dans la pathogénie hallucinatoire.
(5) R o s e n t h a l , Arch.f. Psych., 1934; M ü n z e s , Arch.f. Psych., 1934.
(6) J. L h e r m t it e , 1922, L. v a n B o g a e r t , Encéphale, 1926 et J. belge de Neuro., 1927.
K. K l e is t , 1934. A. D o n a u et I. S a n g u in e t t i , 1953.
(7) Bien entendu pour, les auteurs qui soutiennent la thèse mécaniste de l ’exci
tation primaire des voies et des centres sensoriels (G. d e M o r s ie r , par exemple,
p. 275-280 de son mémoire sur les Hallucinations, 1938), il s’agit toujours dans tous
ces cas d ’excitations indirectes ou à distance...
956 LE MODÈLE MÉCANISTE
E n groupant to u t ce que nous avons déjà dit dans cet ouvrage sur l ’action
hallucinogène des « excitants » chimiques (comme dit G. de Morsier), non seu
lement la mescaline ou le L. S. D., et ce que nous avons déjà dit dans cet ouvrage
sur l ’action hallucinogène des « excitants » chimiques (comme dit G. de M or
sier) non seulement la mescaline ou le L. S. D., et ce que nous venons d ’établir
sur la symptomatologie hallucinatoire des lésions nerveuses périphériques ou
centrales et sur les expériences des stimulations électriques, nous pouvons
préciser que les analyseurs perceptifs fonctionnent comme un sélecteur d ’images
dont ils représentent « la mémoire», c’est-à-dire la virtualité des représentations
sensorielles et dont il règle l ’actualisation, c ’est-à-dire l’intégration dans les
actes de conscience de l’expérience actuellement vécue. Un tel dispositif implique
une sensorialité pour ainsi dire infiniment qualitative de souvenirs et d ’images
possibles et une sensorialité indéfiniment quantitative selon les niveaux de
l ’activité perceptive dont se charge l ’analyseur perceptif de tel ou tel organe
des sens. Cela revient à dire que ce qui doit être expliqué par une théorie de
l ’Hallucination, ce n ’est pas la production d ’images qui, elles, sont toutes là
virtuellement dans la profondeur de la mémoire et des pulsions qui sont comme
les moteurs de l ’appareil de projection perceptive (ce sont les phantasmes
virtuels des auteurs allemands dont nous avons déjà fait état) — mais c’est
l ’actualité q u ’elles prennent, c’est-à-dire leur détermination temporo-spatiale.
Cette actualité dépend, d ’une part, de l ’automatisme des changements fonction
nels qui se produisent sous l ’influence des Stimuli extérieurs ou des influx cen
trifuges de l’intentionnalité, mais plus globalement elle dépend encore de l’inté
gration de ce matériel éidétique dans la hiérarchie du réel, intégration réglée
par la structuration du Champ de la conscience. Dans une telle perspective —
à peine esquissée ici puisque nous la reprendrons plus loin — il y a lieu de dis
tinguer les désintégrations de l ’analyseur au niveau de la sensorialité (c’est-à-dire
de l ’actualisation des images qui se chargent des qualités sensibles), et ce
sont les phénomènes dits « primitifs » (ou protéidolies) — le plan des désinté
APPLICATION AUX PSYCHOSES HALLUCINATOIRES 959
Le « modèle mécanique » dont nous exposons ici les thèses (et les contra
dictions) est rarement explicité dans sa plus extrême rigueur : le dogme de la
mécanicité de l ’Hallucination. Pour bien en saisir le sens et les contresens,
notam m ent en ce qui concerne les rapports pathogéniques entre Hallucinations
960 LE MODÈLE MÉCANISTE
et Délire, nous devons clairement distinguer pour,ainsi dire deux degrés dans
l ’usage théorique qui en est fait.
L a thèse de la mécanicité généralisée de T Hallucination prend à son compte
les trois propositions essentielles du dogme : organicité, caractère proprem ent
primaire de l ’Hallucination et production mécanique p ar l ’excitation neuro
sensorielle. Celle-ci y est considérée, en effet, comme le produit d ’une exci
tation mécanique, comme un phénomène élémentaire (basal ou nucléaire),
comme l ’effet d ’un processus organique.
L a thèse de la « mécanicité restreinte » peut se formuler par la mise entre
parenthèses de la théorie de l ’excitation mécanique des nerfs ou des centres
nerveux sensoriels. Elle se borne alors à poser l’organicité et l ’élémentarité
du phénomène hallucinatoire sans aller jusqu’à considérer que le « mécanisme »
de l ’Hallucination soit réductible à une simple excitation mécanique (1).
Ce schématisme théorique pourrait paraître bien abstrait, de pure construc
tion artificielle et totalem ent sans objet, si la théorie des Hallucinations n ’était
pas confrontée avec le problème fondamental, le problème des rapports avec le
Délire. Pour la thèse mécaniste intégrale, le dogme de la mécanicité géné
ralisée de l ’Hallucination va si loin que le Délire (comme une statue) repose
sur l ’Hallucination (qui en constitue le socle) et que l ’Hallucination n ’est
rien d ’autre q u ’une sorte d ’atome d ’objet matériellement fabriqué par la
physique atomique cérébrale. — Quant à la thèse de la mécanicité restreinte
(celle qui est le plus généralement acceptée pour n ’être point aussi intrépide)
elle se borne à reprendre l ’idée que l ’Hallucination est bien à la base du
Délire hallucinatoire, q u ’elle en est la cause nécessaire et suffisante et q u ’elle
représente le phénomène hallucinatoire comme un trouble localisé dans la
perception irréductible cependant à un simple mécanisme d ’excitation sen
sorielle. L ’Hallucination est pour elle plutôt une molécule q u ’un atome.
En exposant successivement ces deux formes, l ’une absolue et l ’autre
relative de la thèse de la genèse mécanique des Hallucinations, nous verrons
plus clairement que le modèle linéaire mécanique confronté avec le délire
hallucinatoire est radicalement inadéquat, soit parce q u ’il réduit le délire
à une production mécanique d ’Hallucinations, soit parce q u ’il le réduit
à des éléments sensoriels, c ’est-à-dire dans les deux cas, parce q u ’il supprime
du délire, le délire. D e telle sorte q u ’en examinant l ’application de la thèse
mécaniste aux Délires hallucinatoires, nous allons trouver l ’occasion d ’une
dém onstration p ar l ’absurde de sa thèse, soit dans sa forme intégrale (théorie
mécaniste généralisée des Hallucinations et des Psychoses hallucinatoires),
soit dans sa forme atténuée (théorie mécaniste restreinte de la genèse élémentaire
des Hallucinations et des Psychoses hallucinatoires). C ’est que, en effet, dans
Nous avons en vue ici — le Dogme — qui reprend à son compte l’intégra
lité des trois propositions (organicité, production mécanique des symptômes,
caractère élémentaire ou basal et production mécanique de l’Halluci
nation). La thèse de l ’organicité s’oppose à tout ce qui peut être « psycho
genèse », « idéogénèse », « facteur affectif », « réaction sociogénique » dans
la pathogénie de l ’Hallucination et des psychoses délirantes hallucinatoires.
Il s’agit bien de phénomènes physiques, c ’est-à-dire sans sens et sans motifs
(« ohne Anslass »). L a thèse élémentariste ou atomiste pose l ’Hallucination
comme un phénomène simple qui se suffit à lui-même et qui, p ar conséquent,
peut se produire hors du Délire et qui, lorsqu’il se trouve coexister, avec lui,
n ’en dépend pas mais peut occasionnellement l’engendrer. La thèse de la méca-
nicité interprète l ’Hallucination comme l ’effet d ’une excitation neuronale, c ’est-
à-dire d ’un mécanisme physique. Telles sont, encore une fois, articulées entre
elles les propositions fondamentales d ’un modèle linéaire mécaniste intégral que
nous pouvons appeler théorie mécaniste généralisée de l’Hallucination dans ses
rapports avec le délire. Rappelons q u ’il s’agit pour nous d ’un modèle linéaire
car il repose sur l’hypothèse que l ’image (ou l ’idée) devient perception lorsque
l’influx nerveux va de la trace mnésique passée à la sensation actuelle. Il s’agit
bien aussi d ’un modèle mécaniste puisqu’il postule que c’est l’excitation méca
nique des engrammes qui les transform e purement et simplement en sensations.
Enfin, il s’agit bien d ’une théorie mécaniste généralisée puisque, une fois définie,
l ’Hallucination comme un phénomène élémentaire et mécanique celui-ci est
considéré comme un atome auquel se réduit en dernière analyse tout état hal
lucinatoire, soit q u ’il se présente sous forme d ’Hallucinations isolées, soit q u ’il se
développe sous forme d ’Hallucinations délirantes. On comprend bien que —
comme nous le soulignions plus haut et comme nous ne cesserons pas de le
répéter — c ’est autour du problème du Délire que s’ordonne la théorie patho
génique mécaniste de l’Hallucination et tout simplement pour le supprimer.
C ar avec le dogme de l’automatisme mental de G. de Clérambault nous abou
tissons, non pas à une explication du Délire mais à une suppression du Délire
remplacé, en un certains sens, p ar le Délire du théoricien. Le propre d ’une théo
rie mécaniste appliquée à la clinique de l ’Hallucination est, en effet, de les
séparer du Délire, de n ’en faire que le « socle » d ’une statue qui ne peut s’ériger
que sur cette base mais qui peut aussi bien ne pas s’élever sur le piédestal; la
portion délirante de l ’automatisme m ental est contingente, dit G. de Cléram
bault. D e telle sorte que l ’Hallucination n ’étant pas elle-même Délire, elle est
« perception-sans-objet », mais pourtant encore « perception-d’un-objet »
962 LE MODÈLE MÉCANISTE
Nous devons, en effet, maintenant bien comprendre quelle attitude adopte ici
G. de Clérambault (et nécessairement tous les théoriciens du modèle mécaniste)
à l’égard des relations de l’Hallucination (ou plus généralement du Syndrome d ’auto
matisme mental) et du Délire. Nous parvenons ici à l ’extrême pointe de la théorie
mécaniste, au point où elle devient une théorie mécaniste généralisée du Délire. En
un mot, l’interprétation mécaniste des relations entre Hallucinations et délire consiste
à dire que l ’Hallucination ne dépend pas du délire, mais que le délire peut dépendre
de l’Hallucination, elle-même assimilée purement et simplement à un phénomène
physique neuronal. D ’un côté, en effet, le syndrome d ’automatisme mental est présenté
comme une structure mécanique d’arrangements neuronaux qui pullulent ou proli
fèrent comme une néoplasie sans altérer le psychisme, ou en tout cas sans dépendre
du délire. D ’un autre côté, lorsque Hallucinations et délire existent, celui-ci paraît
être constitué par une réaction secondaire, par une construction en quelque sorte
contingente sur la base des phénomènes hallucinatoires élémentaires. Dans les deux
cas, ce qui est important ce sont les mécanismes d’automatisme mental en tant que
processus neurologique. Mais voyons tout cela de plus près.
Le « fait primordial » pour G. de Clérambault, ce n ’est pas l’état du trouble psy
chique qui engendre le délire, et secondairement l’Hallucination ; c’est l’Hallucination
elle-même en tant qu’elle est réductible à un phénomène d ’automatisme mental.
« Le fait primordial, écrit le doctrinaire de l’Automatisme mental dès 1920, c’est
justement l’automatisme mental » (p. 464), et il poursuit : « L’Automatisme est si
« bien le phénomène Primordial que sur cette même base des Délires Secondaires
« très variés peuvent s’édifier. Dans cette conception, la portion hallucinatoire
« (sensitive, sensorielle, motrice) des Délires dits de Persécution est fondamentale,
« primitive » (p. 465). Et de ce phénomène d ’automatisme basal, G. de Clérambault
en fait la clé de voûte de tout délire. Même les « Délires interprétatifs s’édifient sur un
mécanisme automatique et incoercible » (1933). De ce mécanisme automatique il a dit
qu’il était à l’égard du délire « comme le socle qui attend la statue ». L’Hallucination
est à cet égard une néo-production, un corps étranger qui naît, comme la Minerve
casquée, du cerveau de l’halluciné lequel n ’est pas un délirant, car le délire n ’est que
la réaction obligatoire d ’un intellect raisonnant (1) et souvent intact (1920, p. 459).
— Nous touchons ici du doigt la contradiction qui éclate dans toute théorie méca
niste de l’excitation neuronale hallucinogène en ce qui concerne les relations de
l ’Hallucination et du délire. Car si l ’Hallucination n ’est pas délirante elle doit se
décrire comme telle, c’est-à-dire comme une Éidolie hallucinosique, car « à lui seul
(ce mécanisme automatique) ne suffit pas, contrairement à ce que pensait G. de Clé
rambault, à engendrer l ’idée de persécution » (1920, p. 466) — et si l ’Hallucination
est délirante, il faut choisir entre deux hypothèses : ou bien faire dériver le délire de
l ’intensité de l’Hallucination, ou bien considérer le délire comme une superstructure
ou une réaction intellectuelle occasionnelle et contingente ou, comme il dit, secondaire.
Comme nous venons de le rappeler, dans les premières années de l ’élaboration du
dogme, G. de Clérambault a penché pour cette hypothèse qui conduit tout simplement
à considérer que les patients atteints de psychose hallucinatoire chronique ne
délirent que « a minima ». Dans la suite, et dans la logique même de la thèse méca
niste, il a considéré que l’automatisme mental était créateur du délire : et c’est
sa théorie de l’auto-construction mécanique du Délire. Cette auto-construction est
décrite dans l ’exposé dogmatique comme une complication graduelle en étendue
et en quantité de l ’automatisme mental, de telle sorte que la description de cette cons
truction mécanique remplace, comme nous le disions plus haut, le délire qu’elle expulse
en prétendant l ’expliquer. Suivons le développement de cet embryon délirant qui naît
ex nihilo du mécanisme automatique sensitif ou sensoriel. Il s’agit, en effet, d ’une véri
table histogenèse, ou plutôt, d ’une tératogénèse qui monte de l’Hallucination vers
le délire comme un dispositif néoplasique, une pensée parasitaire : « L ’irritation non
« seulement élargit ses zones, d ’influence mais s’avance elle-même portée par des
« lésions histologiques, dans un trajet serpigineux, projetant des prurits dispersés
« puis de plus en plus confluents. A l ’ensemble des connexions physiologiques consti-
« tuant ce réseau normal, base matérielle notre personnalité, se juxtapose et se substi-
« tue un réseau second graduellement plus étendu et plus compact... (D ’où consti-
« tution) d ’une personnalité seconde (qui) n ’est pas une zone définie du cerveau
« (mais qui) est un système d ’association constitué par des irradiations fixées, super-
« posées ou intriquées aux systèmes antérieurs normaux. La Personnalité seconde
« commence à l’Écho de la pensée et aux non-sens, elle s’achève par des Hallucina-
« tions... (Elle) est constituée par une sélection à l’envers... L’idée de persécution
« est spontanée, automatique, en quelque sorte inévitable ; elle est le résultat méca-
« nique d ’une Sélection Péjorative avec Amplification... L’idée de persécution est
(1) Pour l ’halluciné, « son Hallucination » est un objet qui entre dans son champ
perceptif (il faudrait que je sois fou pour ne pas y croire) ; et pour G. de C léram
bault, l ’Hallucination ne comporte non plus ni erreur, ni délire.
966 LE MODÈLE MÉCANISTE
« d ’origine mécanique » (p. 564-566). Et c ’est ainsi qu’éclate l ’absurdité d ’une pareille
conception mécaniste. Celle-ci, en définitive, fait'créer par l ’automatisme mental,
un robot, un automate à l’intérieur de la personne de l ’halluciné qui garderait, somme
toute, sa cohésion et sa raison (cf. notamment les pages 565 à 572). « La Personnalité
« prime exerce sa sagacité, elle continue et perfectionne la systématisation (p. 566)
« elle « survit » (p. 570). La base de la personnalité prime, écrit G. de Clérambault
« (p. 570) n ’est pas détruite mais seulement diminuée ». Autrement dit, l’halluciné
est physiologiquement, sinon anatomiquement (1) coupé en deux comme le dit son
Délire ; et c’est la réalisation de cette métaphore ou de ce discours délirant qui consti
tue l ’explication mécanique par l ’automatisme mental tel que le concevait G. de Clé
rambault. Rapportons-nous à ses derniers écrits pour y lire : « La Personnalité seconde
« est faite des résultats accumulés de dérivations incessantes et innombrables. Ces
« dérivations sont de causes mécaniques et obéissent à des lois mécaniques (p. 565)...
« L ’accroissement spontané du délire sous forme idéo-hallucinatoire s’explique par
« l ’extension de cette dérivation qui a engendré le syndrome même ; elle constitue
« cette idéation autonome et parasite que nous appelons une Personnalité seconde.
« Le réseau second, résultat pour une part de frayages préétablis, pour une autre
« de frayages factices, doit être d ’un rendement idéique à la fois logique et absurde ;
« La facilité des frayages qui produit de l’imprévu dans les objets de pensée produit
« aussi des dissidences dans les directives ; la pensée seconde ne saurait reproduire
« exactement la pensée prime... (elle) est la même que ferait surgir, si elle devenait
« jamais possible, une électrisation subtile des zones psychiques (2) (p. 598).
Tel est, en effet, le dernier mot de la théorie mécaniste généralisée des Hallu
cinations et du Délire réduite à des phénomènes d’automatisme mental eux-mêmes
produits par l’excitation neuronale des centres psycho-sensoriels...
(1) L euret, dans ses Fragments psychologiques sur la folie (1834, p. 182-184),
confie que « pour expliquer ces deux individus dans une seule personne » tels que le
Délirant les décrit et les vit, il avait « imaginé, dit-il, de les placer chacun dans un
« lobe du cerveau, en raison, ajoute-il, de ce « strabisme de l’entendement ». Cepen-
« dant, cette idée ne résista pas à sa propre critique » : « Mais une grande diffi-
« culté, ajoute-t-il, les dialogues intérieurs ne s’établissent pas seulement entre deux
« individus, ils s’établissent entre trois et beaucoup plus. Quelquefois, c’est une
« foule, une cohue... Deux lobes ne sauraient suffire à tout ce monde. Mon explica-
« tion ne valait rien » (p. 185).
(2) Souligné par l ’auteur. Nous savons, après les expériences d ’excitation élec
trique du cortex ou des régions sous-corticales, que celles-ci, d ’après W. P enfield,
sont bien loin de produire du Délire pour ne libérer et actualiser que des souvenirs...
ou des images à structure éidolo-hallucinosique.
DOGME DE LA MÉCANICITÉ (DE CLÉRAMBAULT) 967
(1) G. de C lérambault était passé maître dans ces exercices de style que consti
tuait pour lui la rédaction de ces fameux certificats. Je le vois encore, massif, ramassé,
compact, à sa table de travail, écrivant, méditatif et renfrogné. C’était un homme d ’une
grande violence de pensée retenue dans les figures elliptiques de son discours.
(2) G. D eleuze et coll. (1972) exaltant avec lyrisme l’assomption jubilatoire de
cette consommation du Délire par toute « machine désirante » (Anti-œdipe, p< 29-50).
E y. — Traité des Hallucinations . n. 32
968 LE MODÈLE MÉCANISTE
\
l ’ensemble de la vie psychique jusqu’au moment où, à la fin de son évolution,
il tend à tomber dans « la démence vésanique ». C ’est bien ce trouble foncière
ment négatif qui a imposé et justifié l ’idée de dissociation, ou la notion de
processus psychique, ou physico-psychotique au sens originaire des premiers
travaux de Jaspers (cf. supra, p. 821). Et si les délires systématisés qui
paraissent se développer dans la lucidité et où toutes les ressources psy
chiques intactes du Sujet paraissent rebelles à cette interprétation, c ’est
parce que le Délire n ’est pas pris à sa racine, n ’est pas étudié à sa naissance,
ni dans la phase évolutive de son développement ni dans l ’agonie de sa fin,
comme J. P. Falret l ’avait si bien vu. En tout cas, jam ais le clinicien ne peut
accepter de réduire une psychose hallucinatoire délirante à une mosaïque d ’ato
mes qui ne s’intégreraient pas dans une déstructuration de l ’être psychique, une
régression ou une désorganisation de la personne. Le Délirant et l ’Halluciné
ne souffrent pas seulement de mots ou de choses, de corps étrangers inclus
dans leur cerveau, car même s’ils le disent (et ils disent en effet toujours cela),
ce n ’est pas vrai dans la mesure même où ils délirent, c’est-à-dire dans la
mesure où ils se situent hors des normes (du sillon) de la pensée, en l’ob
jectivant dans l ’étendue.
La Clinique ne saurait non plus se prêter à une interprétation mécanique
de l ’Hallucination et du Délire qui, en les réduisant à des éléments nucléaires,
exclut de leur genèse toute appartenance à la vie émotionnelle et affective du
Sujet. Et c’est là peut-être une des plus grandes difficultés q u ’a rencontrée la
théorie de l ’automatisme mental. C ’est en tout cas un des reproches qui le lui
ont le plus été fait (1) car il est d ’une évidence éclatante. G. de Clérambault
le sentait bien lorsqu’il a tenté en 1927 de se soustraire à cette critique en exa
m inant « le rôle de l ’affectivité dans les Psychoses hallucinatoires chroniques »
(p. 580-587). Mais pour lui, le « Processus Fondam ental » émane « à titre orga
nique » des couches psychologiques les plus profondes ; il ne fait q u ’orienter
les systèmes émotionnels et affectifs préexistants. L ’affectivité, a-t-il écrit,
manœuvre certes les idées mais elle a été manœuvrée avant de manœuvrer
elle-même : le fait de sa résurrection est l ’œuvre d ’une force extérieure, et cette
force est d ’ordre organique. Certes, on peut bien voir là comme une tentative
d ’abandonner ce que le Dogme de la Mécanicité pouvait avoir d ’excessif ou de
caricatural; et ici la pensée de G. de Clérambault — comme lorsqu’il parle
de la Personne seconde comme étant hypersexuelie (p. 566) — se rapproche
de la notion de régression (2) mais sans s’y attarder. Car il est essentiel pour
(1) C’est le sens des polémiques que C laude et son école (Ceillier, puis
moi-même), et les psychanalystes n ’ont cessé d ’entretenir contre le « Dogme ».
(2) Bien sûr, à cette exigence de penser le Syndrome d'Automatisme mental
avec son halo de trouble négatif ou ses marques d’un processus régressif,
G. de C lérambault a parfois répondu mais seulement occasionnellement. Il lui
arrive de parler de la juxtaposition de symptômes négatifs aux thèmes positifs (il a
soin d ’ailleurs de spécifier que les phénomènes négatifs ne figurent « qu’à dose diluée »
(p. 599), c’est-à-dire de percevoir le halo de la dissolution, concept qu’il écartait sys-
DOGME DE LA MÉCANICITÉ (DE CLÉRAMBAULT) 969
tématiquement pour être antinomique à celui d ’excitation, car pour lui le négatif et
le positif se juxtaposent sans que le second dépende jamais du premier.
(1) La chose est plus particulièrement évidente dans son Mémoire sur les Délires
chloraliques (1909) où tout le « delirium » disparaît au profit d ’une prolifération d ’élé
ments sensoriels qui fourmillent, pullulent, s’associent ou se juxtaposent. La somp
tuosité et la description ne parviennent pas à remplacer ce qui lui manque : l’atmo
sphère onirique.
970 LE MODÈLE MÉCANISTE
T H É O R IE M É C A N IS T E R E S T R E IN T E
D E L A G E N È S E É L É M E N T A IR E D E S H A L L U C IN A T IO N S
E T D E S PSY C H O SES H A L L U C IN A T O IR E S
expliquer le tout par la partie; — 2°) que, par contre, l ’application de cette
notion constitue un usage abusif de la théorie mécaniste lorsqu’elle s’applique
aux Hallucinations délirantes qui, constituant une altération globale du système
de la réalité, ne sauraient être réduites à un mécanisme élémentaire, fût-il
interprété comme une désintégration ou une dissolution des fonctions.
Ceci est à nos yeux capital pour deux raisons. L ’une, c ’est que les auteurs et
parfois les théoriciens les plus rigoureux ne voient pas ce q u ’il y a de commun
dans l’explication « mécaniste » de l ’Hallucination par l’excitation des centres
d ’images (c’est-à-dire la thèse de la mécanicité) et l’explication « réductionniste »
du Délire (c’est-à-dire l ’altération de la totalité de la vie psychique) p ar l ’Hal
lucination (c’est-à-dire une altération partielle des fonctions peiceptives). —
L ’autre, plus im portante, c’est que la critique du modèle mécaniste vaut
non seulement pour l’interprétation de tous les Délires et des Hallucinations
par le processus d ’excitation neuronale, mais aussi pour la réduction du
délire à l ’Hallucination en général. Ces deux raisons n ’en font d ’ailleurs q u ’une
qui est la thèse même de l ’explication du Délire p ar une causalité mécani
que, laquelle est tantôt prise dans son acception la plus extrême (production
par excitation mécanique), tantôt prise dans un sens plus laxiste (production
p ar un « mécanisme » partiel). Considérer en effet une « causalité mécanique »
d ’un phénomène psychique, c ’est tout à la fois réduire le psychique au phy
sique et faire dépendre un ensemble de ses parties. « Mécanicité » et « Élé-
mentarité » sont les deux postulats fondamentaux et les deux aspects fonc
tionnels de tout modèle linéaire mécaniste de l ’Hallucination. Réduire celle-ci
à une intensification sensorielle de l ’image par l ’excitation neuronale (méca
nicité) ou réduire le Délire à l ’Hallucination considérée comme un phénomène
basal et nucléaire dit « générateur » (atomisme), c ’est faire usage du même
modèle qui réduit l ’Hallucination à n ’être q u ’un accident mécanique. Et,
dès lors, nous voyons bien que c’est dans son application à ce problème fon
damental des relations du Délire et de l ’Hallucination que se tient et souvent
se cache la théorie mécaniste restreinte des Hallucinations.
Telle est, en elïet, la théorie mécaniste de la Psychose hallucinatoire,
qui, même restreinte, en considérant comme basal et élémentaire un « m
de désintégration fonctionnelle » (et non d ’excitation) fait dépendre le délire
de ce mécanisme élémentaire et partiel. Cette interprétation du Délire par
ces « inferiora » en faisant de lui une mosaïque de parties juxtaposées coupe à
sa racine toute possibilité q u ’il ait un sens (sauf à faire du sens, du désir, comme
G. Deleuze, une mécanique).
Cette forme atténuée, abâtardie ou seulement implicite du modèle méca
niste linéaire, rend compte de l ’idée délirante p ar la « libération » secondaire
à une désintégration des fonctions perceptives (par un effet de « release »)
de l’image qui, parvenue au degré de sa « transform ation sensorielle » (régres
sive) entraîne en elle-même et seulement p ar elle la certitude d ’un délire engendré
p ar elle et croissant avec elle. Cette forme « réductionniste » ou « élémen-
tariste » de la théorie mécaniste de l ’Hallucination est la plus répandue.
Ce modèle linéaire en quelque sorte mineur hante encore les travaux et
THÉORIE MÉCANISTE RESTREINTE 973
É V O L U T IO N V E R S U N M O D È L E A R C H IT E C T O N IQ U E
toire (que visent les notions d ’ « état prim ordial du délire » de M oreau (de
Tours) ou d ’ « expérience délirante » de Jaspers) sont assez évidentes pour mani
fester la régression et le bouleversement psychique qui les déterminent.
Enfin, pour ce qui est du processus idéo-verbal et des Hallucinations noético-
affectives des délires chroniques, si leur organicité n ’est pas aussi évidente
(1’ « écart organo-clinique » ne perm ettant aux manifestations délirantes et
hallucinatoires que d ’être qu’indirectement rattachées à un substratum
biologique, génétique ou cérébral), elle n ’en demeure pas moins plausible
sinon probable du fait même de l ’analyse clinique qui, là aussi, met en évi
dence le « processus psychique » ou « physicopsychotique » dont nous pou
vons dire avec Jaspers que le travail idéo-verbal des systèmes, des mythes ou
des rêveries autistiques sont l ’effet. Nous avons justifié ce point de vue
(cf. p. 743-750) et repris p ar là l ’opinion de tous les cliniciens qui depuis
Lasègue, Falret et M agnan jusqu’à Bleuler, Mayer-Gross, P. Janet, Binswanger,
P. Guiraud, E. Minkowski, etc. n ’ont cessé de décrire le Délire chronique dans
ses formes les plus authentiques, et plus particulièrem ent dans ses formes
schizophréniques, comme une aliénation de la personne qui ne peut se conce
voir que comme un processus de désorganisation de l ’être psychique.
Ainsi, pour nous l ’hypothèse d ’une « organogenèse » du Délire et p ar consé
quent des Hallucinations q u ’il engendre est validée p ar l ’approfondissement
même de la sémiologie, par l ’analyse structurale (1), l ’étude de l ’évolution et
aussi p ar les corrélations significatives qui peuvent être établies entre les Psy
choses hallucinatoires d ’une part, et par les affections cérébrales ou les anomalies
héréditaires d ’autre part.
Mais cette thèse est dans la théorie mécaniste poussée à une manière d ’absur
dité en faisant dépendre si directement les symptômes (Délire et Hallucinations,
Éidolies) d ’un processus physique q u ’ils sont eux-mêmes considérés comme des
objets physiques et, pour tout dire, mécaniques. De telle sorte que, en soulignant
le caractère organiciste de tout modèle mécanique, nous devons aussi apercevoir
q u ’il représente une forme excessive de l ’organogenèse du Délire et des Hallu
cinations : il peut être réfuté dans sa mécanicité mais non dans son organicité.
Ce n ’est pas parce q u ’il est impossible d ’interpréter la clinique des Hallu
cinations et du Délire en se référant au modèle mécaniste, ce n ’est pas parce que
la théorie mécaniste intégrale est insoutenable, que toute conception organo-
génétique (plus dynamique dans le sens des travaux de E. et M. Bleuler) le
serait également. Ainsi la conception intégrale de G. de Clérambault ne cor
respond pas aux faits cliniques, mais en tant que conception organique de
la « maladie délirante » (dans ses formes hallucinatoires notamment) nous
paraît parfaitem ent fondée, comme l’a montré depuis que le M aître de l ’Infir
merie Spéciale du Dépôt a disparu l ’importance thérapeutique (et par consé
quent pathogénique) de la chimiothérapie des Hallucinations et du Délire.
Modèle réflexologique (I. Pavlov) (1). — Nous aurions dû consacrer un long chapitre
à l’application du modèle R. C. à l’Hallucination, mais nous nous contenterons d ’en
faire ici l’exposé le plus concis. Il nous suffira de rappeler que les études expérimentales
sur l’activité d’analyse et de synthèse des hémisphères cérébraux a permis à I. Pavlov
d ’établir comment le dynanisme de l’écorce cérébrale, par le jeu des liaisons tempo
relles (ou diachroniques) qu’il permet (réflexes inconditionnés R. I. sur lesquels se
greffent ou se montent expérimentalement des réflexes conditionnés R. C. primaires,
secondaires, etc.), organise des « stéréotypes dynamiques » (unités fonctionnelles).
Il s’agit là d’interactions qui constituent une véritable dialectique de l’excitation et
de l’inhibition (2). La notion d’inhibition (soit « externe » liée aux signaux, soit
« interne » liée à la dynamique des inductions réciproques positives ou négatives et
aussi à l’extinction par l’habituation ou l’épuisement) apparaît, dans la théorie
réflexologique, prépondérante (comme l’avait déjà, en 1863, compris I. M. Sechenov).
Aussi est-ce à cette modalité pathologique d ’inhibition que I. Pavlov (Lettre à P. Janet
publiée dans le Journal de Psychologie norm, et patho., 1933, p. 249-254) tend à ratta
cher le « sentiment d’emprise », et plus généralement d ’ailleurs, tous les phénomènes
psychopathologiques qui lui semblent rattachables aux états d’inhibition ultra-para
doxale (états de sommeil ou d’hypnose). L’extension de la théorie du « deuxième sys
tème de signalisation » (I. Pavlov, Ivanov, Smolensk, etc.) et l’intégration de la moti
vation (P. K. Anokhine, D. N. Uznadzé, etc.) dans la régulation et la différenciation
du conditionnement a, tout à la fois, étendu et compromis l’application du modèle
réflexologique aux phénomènes hallucinatoires (E. A. Popov, 1948). Pour mécaniste
qu’apparaît ce réductionnisme des Psychoses hallucinatoires à un mécanisme d’inhibi
tion, celui-ci, moins simpliste que le mécanisme de simple excitation, ouvre la voie à
une conception plus dynamique, même pour les phénomènes les plus élémentaires.
représente la part subsistante des niveaux inférieurs non altérés dans la consti
tution des symptômes.
C ’est R. Mourgue (1932) qui a le plus profondém ent analysé l ’Hallucination
définie essentiellement par sa projection spatiale et considérée p ar lui comme
un phénomène d ’isolement fonctionnel (Isolier-ungsymptom au sens de
H. M unk (1909)). Ce trouble hallucinatoire à structure partielle, il l ’appelle
« Hallucination vraie » alors que pour nous il est radicalement séparé des
modalités hallucinatoires les plus complètes qui sont essentiellement délirantes
(et par conséquent l ’effet d ’une dissolution globale des niveaux d ’intégration).
Quoi q u ’il en soit, c ’est bien des Hallucinations « compatibles avec la raison »
q u ’il s’agit (1) et qui seules, en effet, sont susceptibles d ’une interprétation par
la notion de désintégration partielle.
(1) Qu’il s’agit pour nous, car pour M ourgue (par un paradoxal recours chez
ce doctrinaire anti-mécaniste à la thèse élémentariste qu’il n ’a cessé de combattre)
ce qu’il appelle « Hallucination vraie », c’est-à-dire essentielle, est un phénomène
d ’isolement au sens de M unk , c’est celle que l’on rencontre aussi et surtout, dit-il,
dans les Psychoses. Autrement dit et par une incroyable inconséquence, il a repris
à son compte la thèse élémentariste de la mécanicité restreinte ou explication du tout
par la partie.
ÉVOLUTION VERS LE MODÈLE ARCHITECTONIQUE 979
sentation, car « la dépersonnalisation » est une condition nécessaire mais non suffi
sante de l ’Hallucination » (p. 79-93).
Ayant ainsi mis en évidence le trouble négatif qui conditionne selon lui l ’apparition
de l’Hallucination, c’est-à-dire sa projection dans l’espace, il se tourne maintenant
vers les conditions neurobiologiques de la composante motrice. Car, bien sûr, ce
mouvement qui extériorise l’image, il n ’est pas « mécanique », mais il est vital étant
celui de l’instinct. Seulement, au lieu de se rapporter à l ’œuvre de Freud sur les pul
sions libidinales inconscientes, R. Mourgue a préféré rester cantonné dans un espace
cérébral vivifié par l’intégration des engrammes dans l’instinct, dans la « Hormé »,
grâce à la médiation des centres organo-végétatifs (1). De telle sorte que s’il y a ecphorie
des engrammes, ce n ’est pas selon la thèse mécaniste parce qu’il y a excitation méca
nique des influx nerveux cérébraux, mais parce qu’il y a mobilisation des instincts,
« irruption des hormetères » (2) dans la sphère de l ’orientation, c’est-à-dire, soit
d ’impressions et émotions antérieures accumulées, soit d ’archétypes.
Mais le paradoxe de la position de R. Mourgue éclate lorsqu’il admet implicitement
que 1’ « Hallucination vraie » définie très justement par lui comme un phénomène de
désintégration fonctionnelle est comme le modèle auquel peut se réduire l ’Hallucina
tion délirante. Par là, cet « anti-mécaniste » a succombé lui-même à la tentation de
la thèse élémentariste des théories mécanistes de l’Hallucination !
Nous aurons l ’occasion plus loin (7e Partie) d ’exposer quelques modèles
pathogéniques qui se rapprochent de cette manière de voir et sont inspirés, soit
de la Gestaltpsychologie, soit de la référence au phénomène sommeil-rêve.
Nous insisterons particulièrement sur les travaux de E. A. Popov (1941) de
P. Wormser (1950), de L. West (1962), des Scheibel (1962 et 1969), de D. Lan
ger (1964), de R. Hernandez Peon (1965), de I. Feinberg (1969), de T. M. Itil
(1969), etc. qui tous tendent à soustraire la pathogénie fonctionnelle des H al
lucinations même « élémentaires » à la théorie de l ’excitation sensorielle
spécifique.
C ’est que, effectivement, voir la condition fondamentale de l ’Hallucination
même dans sa forme la plus élémentaire (c’est-à-dire au niveau des Éidolies
hallucinosiques) dans une désintégration ou dissolution fonctionnelle, c ’est
restituer à l ’Hallucination son « sens » le plus profond, celui du désir — et son
« contresens » à l’égard de la réalité. Et, p ar là, reprise et corrigée à la racine
même de son illusion, la théorie mécaniste ne peut que disparaître au profit
d ’une conception plus profonde et mieux adaptée à la clinique même des caté
gories et de l ’évolution des phénomènes hallucinatoires. Dès lors, en effet, que
le problème est exorcisé, q u ’il est expurgé de son hypothèque mécaniste, il
N O T IC E B IB L IO G R A P H IQ U E
Sur les théories mécanistes de la N eurobiologie
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C H APITRE I I
MODÈLE PSYCHODYNAMIQUE
(LA CONCEPTION PSYCHANALYTIQUE)
Nous devons à propos de ce deuxième modèle linéaire qui fait passer le désir
à l ’image (sa représentation symbolique) et celle-ci à l’Hallucination, opérer le même
travail critique qui nous a conduit à révoquer en doute la notion d’excitation neuro
nale hallucinogène.
(1) C ’est précisément cette racine « hallucinophilique » que nous avons extraite de
l ’action des drogues « hallucinogènes » (cf. supra, p. 680).
984 MODÈLE PSYCHO DYNAMIQUE
Nous devons mettre ici en évidence ce que l’on pourrait appeler (par référence
au fameux « appareil hystérogène » de Bernheim) l’appareil hallucinogène psy
chique qui est « monté » à l’intérieur même de l’organisation psychique. Ce sont
ses manifestations qui constituent les apparences ou illusions hallucinatoires qui
font partie de l ’exercice même de la vie de relation pour autant qu’elle met enjeu
le principe de plaisir contre le système de réalité, sans cependant comme dans l’Hal
lucination consacrer ou consommer l ’absolue dépendance de celui-ci à celui-là.
Tantôt, en effet, c’est dans le paroxysme émotionnel d ’un affect actuel qui remplit
et polarise le champ de la conscience, dans la peur, dans la joie ou le ravissement
que ce qui est attendu par l’avidité ou la crainte exaspérées entre dans le champ
perceptif. Et, naturellement, tout le monde pense aux « mirages » du désert qui
surgissent devant les yeux de ceux qui ont soif, ou aux figures sensibles qui
peuplent la « nuit des sens » des mystiques (1). Encore faut-il pour que les images
qui figurent le désir, la crainte ou l’extase, somme toute, l’exaltation des affects
portés à leur plus vive ou plus sublime puissance, encore faut-il pour que ces images
soient « perçues » qu’elles ne soient pas seulement vécues comme la représentation
de ce que le Sujet désire ou craint — qu’elles ne soient pas seulement comme l’expres
sion ou la manifestation de sa subjectivité. Autrement dit, pour qu’un instant — et
parfois très fugace et plus souvent encore conjectural — les naufragés du radeau de
la Méduse voient un navire à l’extrémité de l ’horizon ou des mets à l ’extrémité de
leur faim, pour que la Carmélite en oraison perçoive la voix de Dieu, il faut bien que
ce « quelque chose » ou ce « quelqu’un » se détache du Sujet pour s’objectiver dans
l ’Hallucination.
Et c’est ainsi qu’intervient cette deuxième condition en quelque sorte commune
à tout pouvoir hallucinogène de l ’affect, c’est que sa représentation ne devient per
ception que si le « quelque chose » hallucinatoirement perçu, c’est-à-dire faussement
perçu, se produit à l ’insu du Sujet. Tant que ayant soif je me représente un verre
de bière, ou que espérant apercevoir enfin quelqu’un que j ’attends ou que priant Dieu
je tente de capter son regard ou sa grâce, ou que succombant à la tentation je crains
d ’être possédé de l’esprit du mal, c’est encore moi qui joue à me faire plaisir ou à me
faire peur sans que rien de l'objectivité de la perception n ’ajoute à mon désir ou à ma
crainte autre chose qu’une illusion. Et c’est bien, en effet, ainsi que tous les hommes
de tous les temps et de tous les pays ont toujours vu et senti que le rêve en échappant
au pouvoir de contrôle du Sujet est le modèle même d ’un objet hallucinatoire pour
se présenter au Sujet devant lui, hors de lui et malgré lui. Disons qu’il n ’est et ne devient
hallucinatoire que précisément parce qu’il surgit (comme du monde extérieur jaillit
l ’objet perçu) du monde inconscient, c’est-à-dire en se présentant précisément comme
un objet qui n ’appartient pas au Sujet. L ’Hallucination n ’entre dans la conscience
qu’à la condition de la déjouer.
Ces quelques réflexions inspirées seulement de l’attitude naturelle ou du bon sens,
nous ont paru indispensables pour rappeler ici en abordant cette vaste « tarte à la
crème » des théories psychogéniques de l ’Hallucination, que si aucune Hallucination
Disons en tout cas et tout d ’abord que les théories psychogéniques de l ’H allu
cination se réduisent toutes a leur « affectivogenèse » qui rejoint, bien sûr, dans ce
qu’elle a de plus sûr la célèbre phrase de l’Éthique (Livre III, 1) : « Le désir est l’essence
de l’homme ». Toutes les discussions sur la causalité psychique des maladies mentales
en général et des Délires ou des Hallucinations en particulier, reviennent nécessairement
à substituer l’idée d ’une « cause finale » à celle d ’une « cause efficiente », à trouver
« un sens » là où la causalité mécaniste voit un « accident ». Or, la causalité finale
de l’Hallucination (comme du Délire et des maladies mentales plus généralement)
coïncidant nécessairement dans sa force, son sens et sa fin avec l’intentionnalité pro
fonde du Sujet, c’est bien à ce radical « conatif », « hormique », « affectif », « pul
sionnel » (si l ’on ne veut pas dire instinctif) de l ’être qu’est, en définitive, dans son
« ultima ratio » rapporté le mouvement générateur de l’Hallucination. Toutes les
autres « explications » psychogénétiques en dérivent ou s’y rapportent. Qu’il s’agisse
en effet de « réaction » aux situations vitales, de « suggestion » ou de « facteurs cul
turels » dont ces diverses variations ou anomalies socio-psychogéniques sont réputées
être les causes — tous ces facteurs se réduisent à ce commun dénominateur, c’est-à-dire
la force du sens et, en dernière analyse, l’intentionnalité du Sujet mue par le désir
spontané provoqué ou contrarié. Dire en effet que c’est « par réaction » à une situation
difficile ou dangereuse que le persécuté halluciné s’entend menacé par ses voisins,
ou que ce délirant mystique entend des voix sous l’effet d ’une auto-suggestion ou
d ’une représentation religieuse collective, ou encore que tel paysan inculte ou tel
« primitif » se sent ensorcelé du seul fait de sa participation aux croyances de groupe,
c ’est dans tous les cas, nier purement et simplement l’Hallucination (le Délire et
plus généralement la maladie mentale) pour la rapporter essentiellement à un modèle
de projection affective qui tire sa force des représentations collectives communes
à la culture du groupe.
Le sens de l’examen critique du « modèle psychogénique » que nous allons pré
senter est donc clair. Il s’agira pour nous de montrer que la force du désir c’est la
virtualité hallucinatoire immanente à l’humanité tout entière, mais non la condition
nécessaire et suffisante de l’apparition des phénomènes hallucinatoires proprement dits.
c iE N T (1). Disons donc que tout ce qui est vécu et représenté dans et par la Conscience
est en relation avec la sphère de l’Inconscient tout aussi réellement qu’avec le monde
extérieur. Autrement dit, l'être conscient est cette modalité de l'être psychique qui
médiatise les relations entre sa subjectivité inconsciente etfermée et le monde de la réalité
indéfiniment ouvert. De telle sorte que nous ne parlons pas d’un acte ou d ’un phénomène
(sentiment, idée, représentation, affect) « conscient » qui serait séparé de la vie incon
sciente par une « barre » absolue (schéma tactique et momentané trop vulnérable
dans la théorie freudienne pour en constituer une position doctrinale fondamentale),
mais de modalités de notre pensée, ou de notre comportement, ou de notre sensibilité
dont nous ne connaissons jamais l ’entière détermination et dont nous ne sommes
jamais les maîtres absolus. Ce que nous pouvons dire de ces objets inconscients,
dits aussi internes, de la vie psychique, c’est qu’ils peuvent « passer » dans le discours
et la vie quotidienne du Sujet, le langage étant pour le Sujet — comme pour les autres
— la seule façon d ’exprimer son inconscient dans le jeu du montrer et du cacher
les choses qu’il entend dire ou taire par le jeu des mots.
Mais le Champ de la conscience en tant que lieu et configuration de l’expérience
actuellement vécue n ’implique pas seulement cette poussée des affects inconscients
qui sont comme les forces et les sources de l ’auto-mouvement de l’être; il se construit
précisément selon un ordre, une légalité à quoi correspond ce que l ’on appelle
le système de la réalité et des valeurs. Tout ce qui entre dans ce champ est le produit
d ’une opération tout à la fois additive ou soustractive qui intègre les forces de
l ’Inconscient dans la direction qu’assure le Sujet en tant qu’être conscient. Dès lors,
la perception de l ’imaginaire dans les formes supérieures, dans les superstructures
de l ’être conscient (dans le champ du microscope même impatiemment ou hasar
deusement regardé par le savant, comme dans le champ passionnel où s’enga
gent l’idéal ou le désir du Sujet) est d ’autant plus impossible qu’il s’agit de ces
exercices de haute voltige opérationnelle de l ’être conscient qui l ’emportent au-delà
de lui-même. Plus un Sujet est polarisé dans l ’exercice de sa raison, de sa réflexion
ou de son examen de conscience, plus il tourne le dos à l ’illusion. Car, en définitive,
la dialectique de sa recherche de la vérité, le mouvement transcendant de la sublima
tion et le parti-pris d ’aller au-delà du possible exigent que l ’impossible soit possible.
Et ce n ’est pas parce que l’homme a le pouvoir merveilleux et proprement créateur
de transformer le monde de sa réalité, de reculer les limites de l ’impossible, que dans
le mouvement même de sa « progression » il prend ses désirs pour des réalités, car le
sens même de son progrès c’est de ne faire passer son désir ou son idéal dans la réalité
que dans la mesure — oui, dans la mesure — où il a pu accéder à une nouvelle forme
de réalité. C’est donc le sens même de l’être conscient que d ’être toujours l’agent
d ’un ordre formel de la réalité, c’est-à-dire de s’opposer à prendre purement et sim
plement ses désirs pour des réalités et notamment dans l’exercice le plus élevé de son
attention, de sa réflexion ou de son action, de ne pas prendre pour objet réel le Sujet
(le thème) du Sujet qui le pense.
Ainsi en est-il de ces formes de l ’existence humaine qui déjà nous font passer
à une autre modalité de l’être conscient, celle de la structure transactuelle du déve
loppement de la personnalité. La passion ici pour autant qu’elle est « axe » du Sujet
conscient de lui-même, qui se sent fanatiquement, frénétiquement, violemment, incoer-
(1) Je résume ici en quelques mots ce que je reprendrai plus loin et que j ’ai déjà
largement exposé dans le livre « La Conscience », 2e édition, 1968.
LES FORCES AFFECTIVES INCONSCIENTES 987
ciblement vindicatif, jaloux, amoureux, idéaliste, la passion est une force composée
de sentiments fortement conscients jusqu’à s’exaspérer dans une polarisation exclu
sivement dirigée vers son objet. Plus généralement encore, les systèmes de croyances,
de conception du monde, d ’idéal de soi, de conviction religieuse ou politique qui
forment pour chacun de nous la cristallisation ou la trajectoire de ce que la personne
veut et entend être pour « se réaliser », pour conquérir sa place dans son monde et pour
transformer le monde selon son idéal en quoi « se sublime » son désir, tout cet « appa
reil » d ’idées et de croyances est animé par les forces motrices reconnues, c’est-à-dire
assumées par le Moi qui sont naturellement reprises par ce qui en lui demeure
d ’inconscient.
Un tel mouvement dialectique de l’être conscient, soit qu’il survole dans sa
propre expérience l’imaginaire, soit qu’il arrache à ce qui au fond de lui est autre
que ce qu’il peut être, un tel mouvement de « progression » ne peut et ne doit admettre
la réalité de l’objet du désir qu’en fonction du « règne des possibilités », c’est-à-dire
d ’un système de valeurs qui distribue la passion, la croyance et la conception du monde
dans une hiérarchie probabiliste d ’espoirs, d ’illusions, de déceptions et, pour tout dire,
de risques et de chances convenablement évalués dans leur probabilité. Somme toute,
tel est l’appareil anti-hallucinatoire de la Conscience, de la raison ou du système de
la réalité qui s’érige contre la satisfaction hallucinatoire du désir (cf. plus loin p. 1016).
Et c’est précisément de ce conflit entre désir et réalité que naît la possibilité de toute
Hallucination. C’est parce qu’il y a une dialectique de l’être conscient et de son
Inconscient qu’il y a un risque hallucinatoire. Celui-ci ne provient pas seulement
de la force du désir mais de la vulnérabilité du système des valeurs (logiques ou de
« réalité », morales ou d’interdiction) qui le contrôlent.
Dans un tel schéma (qui est celui de Freud comme nous le verrons) des rapports
de l ’être conscient et de son Inconscient, nous comprenons bien que jamais l’Hallu
cination (la « transformation sensoriale » de l ’image ou de la représentation) n ’apparaît
à l ’extrême pointe de l’attention, de la vigilance, fût-ce de l’attente passionnée, autre
ment que pour disparaître à ce point de la trajectoire où le désir touche sans l’atteindre
son objet. Elle n ’apparaît pas non plus comme le seul effet de l ’intensité d’un mou
vement passionnel ou convictionnel (autrement que comme une illusion précaire
pour n ’être que celle d ’un espoir ou d ’un désespoir insensé, ou encore d ’un acte de
foi quand elle est par exemple celle d ’une foule présente ou représentée qui se rue sur
l ’objet de son commun désir). Le désir ne devient jamais réalité pour un être dont
la Conscience se constitue précisément comme le gardien de la réalité ou, si l’on veut,
des possibilités qui excluent le monopole du désir. Elle n ’apparaît que lorsque pré
cisément les forces et les formes de l’être conscient encore assez solides pour exercer
leur fonction d’interdiction ne sont plus assez fortes pour éviter la transgression de
la loi : l’Hallucination apparaît alors en effet pour ce qu’elle est, l’apparition même
de l’Inconscient. De telle sorte que visant cette apparition la thèse qui se borne à poser
que l’Hallucination est un bourgeon de l ’Inconscient est, en ce sens, fondée.
Mais si l’Inconscient est une condition nécessaire de l’Hallucination, il n ’en est pas
une condition suffisante.
Telles sont les réflexions préliminaires qui doivent éclairer l’exposé de la thèse
psychogénique, et plus particulièrement psychanalytique, de la psychodynamique
pure de l ’Hallucination.
N ous devons encore en ajouter une autre qui nous est imposée p ar les
excès mêmes de la théorie freudienne portée à une manière d ’absurdité. Si,
988 MODÈLE PSYCHODYNAMIQUE
en effet, il était vrai que tout dans la vie psychique est Inconscient, que tout
y est même mécanique (la « machine désirante et parlante »), il est clair que
l ’Hallucination perdrait à la fois tout sens et toute possibilité d ’être ce q u ’elle
est, c’est-à-dire une défaillance personnelle, une fa u te contre la Loi de la Réalité
dont l’être conscient est le garant, sinon le gardien.
I. — ÉVIDENCE DE LA MANIFESTATION
DE L’INCONSCIENT PAR L’HALLUCINATION
S’il est peut-être vrai que (comme l ’a écrit Brill (1) à ce sujet) les « Psychia
tres ordinaires » (ordinary Psychiatrists) basent l ’Hallucination sur rien (per
ception sans objet), ils ne la basent pas moins — comme les Psychanalystes —
sur la réalité psychique ( R ealität) et, en dernière analyse, sur le désir du Sujet.
Lorsque les « classiques » évoquaient les « causes morales », la « volonté du
Sujet », les « passions » ou les croyances et les idées dans « l ’exercice involontaire
de l ’imagination », ils étaient déjà jadis et par avance d ’accord avec les psych
analystes d ’aujourd’hui en basant l ’Hallucination non pas sur rien, mais
sur ce quelque chose qui est dans ce quelqu’un q u ’est le Sujet qui halluciné.
Il suffit de se rapporter, p ar exemple, au fameux article de Christian dans le
Dictionnaire Dechambre (p. 78 et p. 99) pour se rendre compte que la « pro
jection hallucinatoire » de tout ou partie du Sujet dans un statut d ’objectivité
y est exposée à propos de situation d ’états émotionnels ou de traumatismes
psychiques. La vivacité des sentiments et des passions (comme y avait insisté
Esquirol à propos des illusions qui étaient pourtant, pour lui, des troubles
essentiellement « sensoriels » et non « psycho-sensoriels ») est explicitement
considérée comme cause « morale » ou psychologique de l ’Hallucination :
« A la répétition incessante ou à l’action prolongée d ’une même impression
« externe correspondent les impressions normales répétées, la concentration
« extrême de l ’attention sur une même idée ou une même impression m orale;
« c’est ainsi q u ’agissent les idées fixes, les passions fortes, les grandes préoccu-
« pations, les remords, l ’ambition, l ’exaltation religieuse ». E t tout naturel
lement, les exemples tirés de l ’histoire et des légendes de la vie des anachorètes,
des saints, des génies et généralement des « hommes illustres » (Luther gra
vissant à genoux l ’escalier de Pilate à Rome et entendant éclater à ses oreilles
une voix de tonnerre « le juste vivra p ar la foi » — ou Brutus dans sa tente
la veille de la bataille de Philippe — ou encore le « Démon de Socrate » et
1’ « Amulette de Pascal »), sont parm i cent autres les « armoiries » classiques
(1) Brill, Lectures o f Psychanalytic Psychiatry, New York, 1949, éd. Krapf,
p. 69. « Pour les psychiatres ordinaires, l ’Hallucination est basée sur rien, mais d ’un
point de vue psychanalytique c’est une projection de l’extérieur du propre vécu (feel-
ing) du patient ».
MANIFESTATIONS HALLUCINATOIRES DE L'INCONSCIENT 989
Sans doute, là aussi, les philosophes leur avaient déjà montré la voie, et non seu
lement ceux d ’inspiration platonicienne (2) pour qui le dynamisme de l’esprit repose
sur le fond affectif de l’âme — ou ceux d ’inspiration plus orientale pour qui l ’anéan
tissement de l’esprit délivre l ’âme des besoins du corps, mais aussi plus près de nous
ceux qui comme les Cartésiens ou Leibniz ont pourtant porté au plus loin la distance
qui sépare la perception de ses soubassements corporels ou affectifs. Chez Spinoza
par exemple'est reprise la doctrine affective des images (cf. notamment XVII de la
Deuxième Partie de l’Éthique et beaucoup moins nettement dans la fameuse lettre
de Peter Balling sur les Hallucinations hypnagogiques). Car si, comme nous l’avons
noté précédemment, de Descartes à Malebranche jusqu’à G. de Clérambault se
tend le même fil théorique de la mécanicité hallucinatoire, nous trouvons dans la
théorie même de l’imagination l ’affirmation de la profonde unité qui lie le mouvement
des passions à celui des images. Chez Leibniz — philosophe de l ’Inconscient avant
les lettres de noblesse dont Freud devait le doter — l ’âme, objet de la psychologie
des profondeurs, suffit par l’attraction qu’elle exerce sur 1’ « imaginaire » à déterminer
les formes hallucinatoires qui sont l ’effet d ’une causalité non pas efficiente mais défi
ciente (nous reprendrions bien sûr à notre propre compte cette idée leibnizienne).
Mais il n ’en a pas moins insisté à plusieurs reprises sur les forces affectives qui
engagent le rêveur et l’halluciné dans les erreurs de ses sens (3). Si nous rappelons ici
la doctrine leibnizienne de l’Hallucination (interprétation des signes par l ’âme archi
tectonique), c’est pour bien marquer la « négativité » du phénomène hallucinatoire
dans la « scénographie » des objets, mais aussi pour marquer l’introduction de
l’Inconscient, ne fût-il que « leibnizien » dans le problème de l’Hallucination.
(1) Étudiés par F. L elut qui, en dernière analyse, dissolvant les « Hallucinations »
dans les représentations collectives, les croyances et influences culturelles, en venait
à nier l’existence de l’Hallucination...
(2) La tradition aristotélicienne ne s’écarte pas non plus tellement de cette exigence
affective de l ’erreur des sens.
(3) Encore une fois, nous renvoyons au premier tome de l’ouvrage de P. Q uercy,
« L ’Hallucination », éd. Masson, Paris, 1930. On y trouvera un exposé touffu et
confus de la théorie de la perception de l ’image et de l’Hallucination chez Spinoza
et Leibniz.
990 MODÈLE PSYCHODYNAMIQUE
Mais, bien sûr, si les Cartésiens ont été gênés dans leur théorie de l’Hallucination
par leur « intellectualisme » — malgré les concessions que nous venons de mentionner
— par contre, tout le courant de la pensée « romantique » après le Siècle des Lumières
et notamment du romantisme allemand, a orienté la psychopathologie de l’Hallu
cination en l’ouvrant sur les profondeurs de l’Inconscient dont elle émerge. L’école
psychiste allemande (E. Leupold, August Eschenmayer, Friedrich-Ed. Benèke et
surtout Gustav Carus) plus ou moins solidaires de la philosophie de Schelling et de
Novalis, mais aussi de Goethe, d ’Herbart, de Schopenhauer et surtout de Nietzsche, a
constitué notamment « l ’épistémé » où s’est élaborée la doctrine freudienne de l’Incon
scient destinée à dépasser l’Inconscient seulement « leibnizien », de N. von Hartmann.
C ’est (cf. H. F. Ellenberger, 1970, pp. 262-278, et notamment à propos de Nietzsche,
pp. 271-278) dans cette ambiance philosophique dont il a seulement connu et reconnu
la partielle influence en ne la rapportant qu’à Th. Lipps (1883) qu’à germé le génie
de Freud. Fechner (1848) par son mémoire sur le « Lustprinzip » du comportement
avait lui aussi préparé le terrain où devait germer la découverte freudienne, celle d ’un
Inconscient, réservoir des pulsions, forme motrice des phantasmes, pour autant qu’ils
satisfont dans le « processus primaire » à un principe de plaisir indépendant du système
de la réalité. Car, en effet, c’est bien en posant le problème de la psychogénie affective
inconsciente de l ’Hallucination qu’on le formule le plus clairement tout en laissant
bien entendu en suspens sa solution.
c’est-à-dire q u ’il est une projection scénique, figurative et expressive des pul
sions inconscientes pour être effectivement habité par le désir du rêveur.
Ce qui a pu devenir si évident (même aux yeux des plus aveugles ou
aveuglés) à propos du sens symbolique du rêve qui pourtant est toujours
raconté sinon vécu comme une absurdité, cette évidence est tout aussi évidente
pour tous ces « tableaux cliniques » que nous appelons les « expériences déli
rantes et hallucinatoires ». Nous nous sommes suffisamment expliqué sur ce
point plus haut (p. 383-405) pour n ’avoir pas non plus à y revenir. Mais
nous devons cependant souligner que pour autant q u ’il s’agit dans ces « états »
d ’une expérience actuellement vécue de l ’imaginaire, cet imaginaire apparaît
dans sa « forme hallucinatoire » comme la consécration par la voie des sens,
du sens du désir. Consécration dite précisément « perceptive » pour conférer
au vécu le caractère sacramentel, le signe sensible de la réalité à cela ou celui
qui peut enfin jaillir, parler, se faire entendre, se m ontrer et même s’imposer
comme objet de spectacle, de vision, de communication, d ’expériences cor
porelle, etc. Mais cette consécration n ’est justement possible q u ’à la condition de
tirer son miracle d ’une inconsciente m utation qui seule permet à l ’Inconscient de
devenir conscient sous les espèces du symbole et de la figuration métaphorique.
Cela dit ici, pour souligner ce que nous avons dit plus haut (cf. supra, p. 397-404)
sur l’impossibilité radicale d ’une théorie purement psychogénique des expériences
hallucinatoires et pour amorcer ce que nous expliciterons plus loin, savoir que le
symbolisme inconscient du rêve ou des expériences délirantes s’il est irrécusable
est également insuffisant à nous fournir une théorie de la causalité des phénomè
nes hallucinatoires. Ceux-ci remplissent bien tous les tableaux cliniques du vécu
délirant en accomplissant leur fonction de satisfaction du désir, mais ils exigent
pour se constituer comme tels une distorsion du système de la réalité, des
« processus secondaires » qui form ent l ’être conscient.
Mais cette importante réserve étant faite, il va de soi que rien ne peut être
énoncé du vécu et de son interprétation des expériences délirantes et hallu
cinatoires qui ne vise la fabrication de ce qui se présente sur les divers écrans
sensoriels comme une production d ’imaginaire soumis plus ou moins direc
tement au principe du plaisir et à ses représentations que règlent les inves
tissements libidinaux, les forces pulsionnelles plus ou moins intriquées. Il fau
drait plutôt dire à ce sujet que par l’effet des symbolismes, des déguisements
et des occultations qui se cachent dans les signifiants idéo-éidético-linguistiques,
la cause finale, l ’intentionnalité, la visée de sens (qui sont comme le mou
vement de la projection en tant q u ’elle est expression, q u ’elle est la flèche
qui porte, mais en les déplaçant, les exigences du signifié) demeurent presque
toujours conjecturales et problématiques. N on seulement parce que le brouil
lage du texte est l ’œuvre même de ce q u ’il reste encore de conscience (d ’inves
tissement du système Cs, disait Freud) au Sujet pour exiger que ce qui ne doit
pas être mis à jo u r demeure obscur, mais encore parce que, aux énigmes, hiéro
glyphes, rébus et ruses d ’un Inconscient condamné au mensonge ou au silence,
s’ajoutent l’opaque absurdité, l’om bre portée sur ses contenus p ar la soustraction
à ses divers degrés d ’inconscience de ce que l ’ordre de l ’être conscient apporte
992 MODÈLE PSYCHODYNAMIQUE
(1) Dans la « Traumdeutung », F reud dit « que tous les rêves ne peuvent pas être
interprétés », et que « tous les rêves les mieux interprétés gardent souvent un point
obscur. On remarque là, dit-il, un nœud de pensée (ein Knoten von Traungedenken,
dit exactement le texte) que l’on ne peut défaire... C’est l’ombilic (der Nobel) du rêve,
le point où il se rattache à l’Inconnu (der Unerkannten) » (p. 432-433 de la trad. fr.
par I. M eyerson, P. U. F., 1950). Comme le souligne encore F reud dans le même
passage, l’expérience onirique (la pensée du rêve) constitue un réseau inextricable,
de telle sorte que « le désir » du rêve qui lui donne son sens surgit « d ’un point plus
épais de ce tissu comme le champignon de son mycélium ». Pour lui, l’interprétation
du rêve si elle se heurte certes à ce qu’il considère comme une résistance active et
intentionnelle, se heurte aussi au sommeil. C’est d’ailleurs dans ce passage de la
« Psychologie du processus du rêve » qu’il discute sans les rejeter totalement les
conceptions de H. Silberer. C’est, pensons-nous, à ce reste d ’inintelligibilité que
correspond le « fa it primordial » que les altérations de l ’EEG du sommeil lent, du
sommeil rapide et de leurs phases intermédiaires permettent peut-être déjà d ’objec
tiver (cf. plus loin, p. 1262 et sq.).
(2) Cf. les deux textes de F reud : L’Inconscient et le « Complément de la théorie
du rêve » dans la Métapsychologie.
INCONSCIENT ET EXPÉRIENCES HALLUCINATOIRES 993
Il est très remarquable de noter que vers la fin du xixe siècle et au début
du x x e siècle branchés (souvent, mais pas toujours), sur le courant freudien
les cliniciens du délire et des Hallucinations ont aperçu le rôle que joue dans
ces phénomènes l ’intensité des sentiments et l ’inconscience du rapport qui les
lie aux Hallucinations. A cet égard, l ’apport clinique de J. Séglas (1) mérite
d ’être particulièrement signalé. On sait combien il fut longtemps attaché
à la pensée mécaniste du « stupide xixe siècle », et que pendant longtemps
il contribua à « atomiser » les Hallucinations psychiques, psycho-motrices, etc.
(p. 86 et 203). Mais vers 1905, le M aître incontesté de la Psychiatrie française
à cette époque, commença à s’intéresser à propos du Délire et des phéno
mènes d ’influence (Hallucinations psycho-motrices, Pseudo-hallucinations
verbales, Hallucinations corporelles, etc.) à la psycho-dynamique du Délire,
c ’est-à-dire à sa relation évidente avec le désir érotique q u ’il satisfait
inconsciemment.
Vers la même époque, mais cette fois en relation directe avec la doc
trine freudienne et plus spécialement par sa collaboration avec Maeder et
C. G. Jung (2), Eugène Bleuler (1911) dans sa conception de la Schizophré
nie (3) établit une théorie générale de l ’Hallucination et du Délire qui a mis en
évidence : 10 le caractère « secondaire » (c’est-à-dire l ’effet du processus prim itif
de dissociation) de tous les délires et de toutes les Hallucinations des schizophré
nies ; — 2° leur fonction de projection symbolique des complexes inconscients.
(1) Cf. spécialement ses deux belles observations d ’amoureuses de prêtre : celle
publiée avec Barat en 1913 (Un cas de délire d ’influence, Annales Médico-Psycho
logiques, 2, p. 183-201) et celle publiée dans le Journal de Psychologie en 1922 (intitulée
justement « Une amoureuse de prêtre »), p. 720-735.
(2) L ’ouvrage primordial est, à cet égard, le livre de C. G. J ung , « Ueber die Psy
chologie der Dementia praecox », Hall, 1907, qui n ’a — pas plus que celui de E. Bleu
ler — jamais été traduit en français.
(3) A. de W aelhens (1972), ébloui par les reflets « heidegerriens » de certains écrits
psychanalytiques, est bien injuste (p. 17) pour ce grand Psychiatre et cette grande
œuvre dont l’importance égale, pour la Psychiatrie, celle de H. J ackson pour la Neu
rologie.
INCONSCIENT ET PSYCHOSES CHRONIQUES 995
(1) L’Hallucination — pas plus que le rêve — ne représente pas toujours un « wish
fulfilment » (J. M. H ill, J. o f nerv. and ment. Diseases, 1936, 83, 405-421), mais elle
est toujours la manifestation de'l’Inconscient.
996 MODÈLE PSYCHO DYNAMIQUE
(1) L’éternel retour du modèle mécaniste se manifeste quand on prend des mots
pour des choses, que le sens disparaît dans son instrument signifiant et que l ’homme
est englouti dans la « machine désirante ». De G. de C lérambault à G. D eleuze,
en passant par J. L acan, le cercle vicieux se referme. Nous y reviendrons plus loin,
mais déjà les extrapolations auxquelles ont donné lieu les analyses du Président
Schreber vont nous permettre de suivre ce « processus ».
(2) Denkwürdigkeiten einer Nervenkranken, édité à Leipzig par Oswald M utze
(1903). Il n ’existe pas de traduction française de ce fameux ouvrage. Ida M acalpine
et R. H unter ont publié une traduction en anglais chez Dawson à Londres en 1935.
(3) Les « psychanalytische Bemerkungen über einer autobiographisch beschrieben
Fall von Paranoia (Dementia paranoides) » de F reud, ont paru dans le Jahrbuch
für psychoanal, und psychopatholo. Forsch. (1913, 3), cf. volume VIII des « Gesam
melte Werke ». La traduction française par Marie Bonaparte et R. L œwenstein
LE CAS SCHREBER 997
a paru dans la Rev.fr. de Psychanalyse en 1932 (n° 1) et figure aussi dans les « Cinq
Psychanalyses » publiées en 1954 par les P. U. F. (p. 263-324 de la 2e édition, 1966).
Outre ce Mémoire fondamental, le cas Schreber a fait l’objet de nombreuses études
et discussions dont j ’indique ici les principales : M. K aten, Psychanal. Quarterly, 1949;
M. K aten, « Schreber’s Hallucination about the « little Men », Int. J. Psychoanal.,
1950, 31, p. 32-35; H. N unberg, Discussion of M. K aten, Int. J. Psychoanal, 1952,
33, p. 454-456 ; W. G. N iederland, « Three Notes on the Schreber Case », Psychoanal.
Quart., 1951, 20 , p. 579-591; Ida M acalpine et R. H unter, Commentaires des
« Mémoires de Schreber », éd. Dawson, Londres, 1955; F. Baumayer, « The Schreber
Case », Int. J. Psychoanl., 1956; W. F airbairn, « The Schreber Case », Brit. J. med.
Psycho., 1956, 29 , p. 113-117; S. N acht et P. R acamier, « La théorie psychanalytique
des Délires », Rev.fr. de Psychanal., 1958,22 , p. 418-532, dont l’annexe est consacrée
(p. 509-518) au cas Schreber; J. L acan, « Du traitement possible de la psychose »,
La Psychanalyse, volume 4 (séminaire de l ’année 1955-1956). Ce texte entièrement
axé sur le cas Schreber figure dans les Écrits (1966), p.531-583;M. K aten, « Schreber’s
Hereafter », Psychoanal. Studies o f thechild, 1959, 14; W. N iederland, « Notes on
the 5 cases », Psychoanal. Quart., 1959, 28, p. 571-591; W. N iederland, « Schreber
father and son », Psychoanal. Quart., 1959,28, p. 151-159; R. B. W hite, « The mother
conflict in Schreber’s psychosis », Int. J. Psychoanal., 1961, 42, p. 55-73; Symposium
sur « Reinterpretation o f the Schreber Case », C. R. parus dans Vint. J. Psychoanal.,
1963, 44, p. 90-223 : Communications de P. M. K itay, de A. C arr (Paranoïa et
cas Schreber), W. N. N iederland (antécédents biographiques de Schreber ), J. N yder
(Schreber le parricide et le masochisme paranoïde), de R. B. W hite (le cas Schreber,
une conception psychosociale) et de G. D eleuze et coll. (Anti-CEdipe, 1972, p. 18-27).
998 MODÈLE PSYCHODYNAMIQUE
(1) Les « arguments » biographiques en quelque sorte « objectifs » sur les problèmes
du « choix objectai », puis du « choix de la psychose » sont généralement de peu de
poids car les antécédents de M. Schreber étaient peu connus de F reud (la mastur
bation, l’échec relatif de sa vie conjugale, l’admiration portée à son père, etc.).
M. K atan (1953) a identifié la relation Schreber-Flechsig à celle « homosexuelle
primitive » du jeune Schreber avec son frère (1959 et 1963). D ’autres ont trouvé la
clé de l ’énigme dans la situation œdipienne inversée (fixation et soumission au Père)
qui est fortement soulignée. Nous verrons que Mme M acalpine, puis J. L acan
et enfin G. D eleuze, se sont employés à enraciner la Psychose de Schreber plus
profondément et bien au-delà de la trinité « œdipienne ».
E y. — Traité des Hallucinations, n. 33
1000 MODÈLE PSYCHODYNAMIQUE
(1) Et tout cela est vrai, comme est vrai aussi le supplément d’interprétation
par lequel il nous a semblé que R. B. W hite (1963) revient à une théorie de la paranoïa
qui se rapprocherait plutôt de celle de l’école allemande du temps de K ehrer, de
Kretschmer ou de celle de J. L acan de 1932 (rôle des événements dans l’existence
du Président réévalué à la lumière des concepts « psycho-sociaux »).
(2) J. L acan. D ’une question préliminaire à tout traitement possible de la psy
chose (Séminaire, 1955-1956). Ce texte fondamental a paru dans « La Psychanalyse»,
vol. 4, et est reproduit dans les « Écrits » (1966), p. 531-583.
1002 MODÈLE PSYCHO DYNAMIQUE
circonscrite par les rapports du Désir à ses Signifiants. Car — et pour la théorie
générale de l ’Hallucination que nous soumettons ici à notre incessante question,
cela est capital — c ’est en effet parce que l’Inconscient de l ’homme est situé
au cœur de son existence et non pas seulement au fond du Sujet, que le rêve,
l ’Hallucination et le délire sont possibles (1). Et c ’est dans cet espace et dans
ce langage qui en composent les parties que doit être articulée la relation
du délirant (singulièrement du Président Schreber) avec le trou, la forclusion
(et non p ar la frustration réelle ou l ’image du père réel) du nom du Père pour
autant q u ’il porte dans sa fonction signifiante le phallus, non pas seulement
comme instrum ent de production et de reproduction mais comme la Loi
même du phallocentrisme, de cette fonction imaginaire, pivot du procès
symbolique qui parachève dans les deux sexes la mise en question du sexe.
Il n ’est peut-être pas inutile m aintenant et ici de donner quelques extraits
de la « m antique » lacanienne, non point certes comme pour, en les détachant
de leur contexte, les obscurcir encore plus que de raison, mais pour saisir
le mouvement entraînant de la pensée entraînée elle-même p ar le délire q u ’elle
essaie d ’atteindre (p. 235).
La Verwerfung sera donc tenue par nous pour forclusion du signifiant. Au point
où, nous verrons comment, est appelé le Nom-du-Père, peut donc répondre dans
(1) Rappelant (p. 574) ce qui fut un instant de notre dialogue de 1946, J. L acan
à ce sujet répète ce qui entre nous peut passer pour un accord : « L’être de l’homme
non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme
s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté ».
LE CAS SCHREBER 1003
l ’Autre un pur et simple trou, lequel par la carence de l’effet métaphorique provoquera
un trou correspondant à la place de la signification phallique ( 1 ).
Le travail d ’interprétation du Psychanalyste n ’est évidemment pas sans
rapport avec le travail d ’interprétation du délirant puisque l ’un et l ’autre
ont dans cette perspective le même objet : la découverte d ’une vérité qui
se cache. M ais on peut dire aussi que leur travail est diamétralement opposé,
car pour le psychotique halluciné cette vérité c ’est l’objectivité, la réalité de
ce qui lui apparaît être perçu comme « Wirklichkeit ». Pour Je psychana
lyste, c ’est cette « réalité » ( Realität) qui contient le symbole, la réalité du
contenu latent. Dès lors, nous pouvons mieux comprendre la perplexité
de Freud lorsqu’il a écrit à propos justem ent de son analyse du Président
Schreber. « L ’avenir dira si la théorie contient plus de folie que je ne vou
drais, ou la folie plus de vérité que d ’autres ne sont aujourd’hui disposés à le
croire » (2). C ’est que la vérité du délire ne peut être que le ressort de son
illusion et non point, bien sûr, cette illusion elle-même. C ar lorsque Freud,
Macalpine, White ou Lacan analysent le symbolisme du Délire, c ’est-à-dire
creusent dans l ’épaisseur des images, ou découvrent les plans superposés de
leur archéologie, ou poursuivent dans leur jeu de miroir leurs doublets
phantasmiques, ils ajoutent le Délire au Délire, ils le prolongent et, en quel
que sorte, le .multiplient dans la mesure même où ils se situent sur un plan
d ’imaginaire soustrait (soustrait chez tous plus ou moins, mais chez Lacan d ’une
façon absolue) à la référence à la réalité, c ’est-à-dire, en dernière analyse,
privé pour se définir dans la seule dimension de l ’Inconscient, de l’ordre de la
conscience et du système de réalité, ordre hors duquel il n ’a alors aucun sens.
Car pour si ingénieuses, lyriques et poétiques que soient les explications par
les seules instances de l ’Inconscient, elles restent comme cet Inconscient
lui-même, mythiques. Les Psychanalystes pensent en « Primaires » quand ils
dit encore Tausk sur le rêve des machines de ces délirants influencés, qu’ils
appartiennent au cadre de la paranoïa ou à celui de la schizophrénie. Or,
comme Freud l ’avait déjà noté pour les rêves, les machines représentent tou
jours les organes génitaux. Tausk ajoute alors ceci — peut-être d ’ailleurs
discutable — que « la machine » représente toujours l’appareil génital du Sujet
lui-même, de telle sorte que son fonctionnement est toujours le symbole d ’une
manipulation masturbatoire.
Et nous passons ensuite à l ’exposé du fameux cas de Nathalie A. Il s’agissait
d ’une jeune fille de 31 ans, ancienne étudiante en philosophie, qui depuis six ans
se trouvait disait-elle sous l ’influence d ’un appareil électrique « fabriqué à Berlin
malgré l ’interdiction de la police ». Cet appareil, de la forme d ’un corps humain,
exerce son influence sur la malade elle-même, sa mère et ses amis, hommes
ou femmes. Il lui semble que l’appareil employé pour les hommes serait un
appareil mâle, tandis que celui qui fonctionne pour influencer les femmes
serait un appareil féminin. Le tronc, d ’après le dessin q u ’elle en fait, a la forme
d ’un couvercle de cercueil ordinaire tendu de velours; les membres et la tête
sont difficiles à préciser dans leur position et leur forme. L ’intérieur est consti
tué par des batteries électriques dont le dispositif reproduit probablement
celui des organes internes de l ’homme. Quant aux persécuteurs qui manipulent
l’appareil, ils provoquent des odeurs répugnantes, des rêves, des pensées, des
sentiments et parfois même des sensations génitales. Mais il semble que depuis
quelque temps l’appareil ait perdu ses organes et fonctions sexuels.
L ’interprétation que Tausk donne de cette figuration de l’appareil à influen
cer est que cetappareil représente symboliquement le corps même delà patiente,
le corps entier en tan t q u ’objet narcissique de sa libido et en tant q u ’objetpar
conséquent d ’une fixation homosexuelle à son propre objet ainsi « objectivé ».
Le corps to u t entier est ici symboliquement assimilé à l ’organe génital (l’homme
tout entier est pénis dans les représentations infantiles). Le corps que se repré
sente N athalie n ’a pas d ’organes sexuels, c ’est-à-dire est privé de l ’organe sexuel
phallique ; p ar ses courbes, son contenu de batteries figurant des enfants,
il est bien ce corps féminin ou maternel par excellence que le malade projette
pour se défendre, pour rejeter la conscience même de son homosex ualilé refoulée.
Si nous avons dit ici quelques mots de cette observation célèbre, c ’est
parce q u ’elle nous permet, comme le cas Schreber, de poser à partir de ce
symbolisme enfin rendu évident grâce à la perspicacité de Freud, que la pro
jection de l ’homosexualité répond tout à la fois à une satisfaction d'un plaisir
inconscient recherchée dans et p ar l ’objet imaginaire (ici le propre corps
manipulé par la patiente elle-même) et de la nécessité de le projeter hors de
soi, de le nier comme sien en l ’attribuant aux autres, et ici à cet autre qui
n ’est même personne mais une sorte d ’objet absolu, celui du désir et de sa
résistance également inconsciente.
(1) Nous verrons plus loin que malgré son ingéniosité à se tenir sur le registre
de l’imaginaire, la construction « optique » de la projection dans le système de J. L acan
a beaucoup de mal à se dégager de cette physique amusante... » (Écrits, p. 671-683).
(2) Il faut bien, en effet, que cesse un jour cette course au trésor caché, au
« complexe » générateur de la psychose, cette extraction d ’une dent, fût-elle trouée,
qu’est aux yeux des naïfs — fussent-ils dûment analysés — l’extraction du complexe
inconscient responsable de la psychose, du Délire ou de l ’Hallucination.
(3) G. C. Z apparoli (1967), dans son livre consacré à la psychanalyse du Délire,
souligne l ’insuffisance de l’explication analytique appliquée au délire et aux halluci
nations. Nous verrons plus loin*que c’était l’opinion de F reud...
1008 MODÈLE PSYCHO DYNAMIQUE
(1) Cf. plus haut (p. 61-63) ce que nous avons déjà dit sur la théorie des fan
tasmes et mouvements virtuels dans la perception et les phénomènes hallucina
toires.
INCONSCIENT ET ÉIDOLIES HALLUC1N0S1QUES 1011
perception, le sens même de cette « kinésie » animée par les forces de l ’instinct
et les pulsions libidinales.
U n autre aspect du dynamisme biopsychique qui sous-tend la projection
de ces Éidolies hallucinosiques a été spécialement étudié par l ’école de Vienne.
C ’est en effet à Pötzl et Hoff que nous devons de très intéressants travaux sur
l ’incorporation au travail du rêve et aux images hallucinatoires des souvenirs
ou perceptions inconscientes. Le « phénomène de Pötzl » (1) consiste préci
sément dans le fait que les parties de figures exposées au tachistoscope qui ne sont
pas remarquées par le Sujet, passent en tout ou partie dans le contenu manifeste
du rêve et des Hallucinations. Marcel Foucault (1906), puis Urbantschitsch
(1908) avaient déjà observé (2) le même fait qui a été depuis soumis à de nou
velles expérimentations par Ch. Fisher (1959) au Mount-Sinai Hospital à New
York. L ’observation clinique permet parfois de constater le même fait.
P ar exemple, dans deux observations publiées p ar Engerth, Hoff et Pötzl,
il s’agissait d ’Hallucinations hémianopsiques dont les images se constituaient
de fragments non perçus dans le champ aveugle. Tout se passe donc comme si
un même travail inconscient présidait à l ’élaboration de l ’image hypnagogique des
Phantéidolies hallucinosiques et du rêve. Aussi peut-on dire q u ’il s’agit là d ’un
travail qui n ’intéresse que le Pré-conscient au sens freudien du terme. De telle
sorte q u ’ici, les Éidolies hallucinosiques comme les images hypnagogiques
ne représenteraient que le travail de dramatisation concrète de la conscience
imageante. Et c ’est en effet dans ce sens en quelque sorte « cassirerien » que
Herbert Silberer (3) avait interprété la floculation sensorielle de l’imagination
et des idées pendant l ’assoupissement, puis dans le sommeil. C ’est bien, en
effet, ce degré d ’inconscience qui — comme nous le faisions remarquer plus
haut — ajoute à la dynamique des pulsions ce qui constitue négativement
leur actualisation hallucinatoire, leur « figuration ». Mais c ’est selon une
autre dimension encore, celle-là positive, que s’élabore ce travail de l ’im a
ginaire pour autant q u ’il projette dans les images les charges affectives de
l’Inconscient. Cet aspect significatif de la projection intentionnelle et profon
dément affective de telles imageries saute pour ainsi dire aux yeux de l ’obser
vateur. Ce monde des images (comme dans les observations de Flournoy ou
de Ahlenstiel rapportées plus haut, p. 125) ou ces apparitions de formes optiques,
acoustiques, etc., dans u n espace intermédiaire à l ’imaginaire et au réel sont
en effet dotés d ’une sorte de coellïcient affectif fondamental qui varie depuis le
jeu, l ’érotisme et le plaisir esthétique jusqu’au comique ou au tragique de
figurations abracadabrantes ou de scénarios de cauchemars. De telle sorte
que même lorsque la représentation est perçue par le Sujet comme « dépourvue
de sens », l ’engagement inconscient du Sujet qui s’y complaît ou s’en tourm ente
(1) Otto P ötzl, Exp. erregte Traumbilder in ihrer Beziehungen zum induekts
Sehen. Zisch, f d. g. N. P„ 1917, 37, p. 278-349.
(2) Marcel F oucault, L ’évolution du rêve pendant le sommeil. Revue Philo.,
1904 et Le Rêve, Alcan, Paris, 1906.
(3) Herbert Silberer, Jahrb. f. Psych., 1909.
1012 MODÈLE PSYCHO DYNAMIQUE
est plus évident que l ’insignifiance par lui attribuée à ces signifiants. Ceux-ci
d ’ailleurs dans les zoopsies, l’héautoscopie, les mouvements rythmiques, les
enchevêtrements de formes et les constructions et les superpositions d ’objets
baroques, reprennent facilement leur droit à dire quelque chose en laissant
découvrir dans l ’imbroglio du rébus et des formes brouillées le symbolisme
des objets et des situations. C ’est que, au cours même de l ’évolution des idées
et des philosophies que nous retracions plus haut au début de ce chapitre, il y a
longtemps que les hommes ont pressenti ce que Freud a découvert, savoir que
le rêve (et avec lui les Hallucinations et ces fragments hallucinatoires que sont
les éidolies hallucinosiques) reflète, non pas le monde ou l ’histoire, mais la
profondeur de l’individu, intuition que l ’on trouve chez Luis Vives au xvie siècle,
comme chez Sir Thomas Browne au xvne siècle.
— Mais ceci est encore vrai pour ces fragments encore plus élémentaires
(les phénomènes primitifs, les protéidolies) que sont les « phosphènes »
ou les « acouphènes ». Car, même à ce niveau d ’imagerie dont on souligne
généralement le caractère « parasite », « incohérent », « élémentaire », les figu
rations acoustiques (parfois cependant acoustico-verbales), visuelles (parfois
cependant scéniques ou cinématographiques) jaillissent de la profondeur de
la vie inconsciente. Elles sont vécues comme telles p ar le Sujet qui en est
« conscient », c’est-à-dire qui garde à leur égard une certaine distance ou les
m et entre parenthèses ; elles peuvent ainsi être soumises à l ’interprétation
symbolique des observateurs. Tous les auteurs qui s’en sont occupés depuis
Johan Müller ont noté que leur caractère « fantastique » et souvent esthétique
manifestait leur symbolisme, c ’est-à-dire une certaine manière d ’exprimer
dans le langage des images des tendances instinctivo-affectives profondes (esthé
tiques, mystiques notamment). C ’est dans ce sens que Herbert Silberer (1)
pensait que cette modalité d ’apparition hallucinatoire devait faire l’objet
d ’une herméneutique plus profonde q u ’il opposait à l’interprétation « psych
analytique » en l ’appelant « anagogique ». Ce courant de signification en
quelque sorte plus profond, plus archaïque et plus spécifique q u ’individuel,
c ’est précisément cette modalité d ’inconscient « jungien » qui trouve en effet
sa justification dans ce symbolisme des formes inscrit dans les profondeurs
de l ’âme humaine. Le travail de M. von Knoll (1958) dont nous avons déjà signalé
l ’intérêt (p. 379) doit être particulièrement rappelé ici. Il s ’est attaqué au sym
bolisme des phosphènes (lueurs entoptiques, formes lumineuses et géométriques,
éclairs, scintillements, disques, étoiles). Ceux-ci peuvent être reproduits, comme
on le sait depuis Volta, par l’excitation électrique du nerf optique et de la rétine
(cf. supra, p. 937-948 et plus loin, p. 1285-1288), mais aussi p ar des sub
stances chimiques (L. S. D. mescaline) et p ar des conditions psychologiques
(privation sensorielle, méditation, émotion, etc.). Cependant, l ’auteur se
réfère spécialement à l ’interprétation q u ’en donne U. Ebbecke (1945)
qui fait intervenir dans l ’éclosion de ces images spontanées leur signification
(1) C ’est F reud qui rappelle pour le réfuter ce point de vue, in « Traumdeutung »
(trad. fr., p. 432).
LES MÉCANISMES DE PROJECTION 1013
B. — T H É O R IE D E L A P R O JE C T IO N D E L ’IN C O N S C IE N T
C O M M E C O N D IT IO N N É C E S S A IR E E T S U F FIS A N T E
D E L ’H A L L U C IN A T IO N
reprend à son compte (1). Si tout est image, si les objets sont des images,
il n ’y a pas de problème de l ’objectivation des images. Sans doute est-ce
un peu forcer les choses que de réduire l ’esprit des psychanalystes à une telle
position métaphysique « prim aire », mais tel est bien l ’esprit de leur système
de l ’irréalité phantasmique de la réalité ou de l ’exclusivité à peu près absolue
de la réalité psychique. Nous allons essayer cependant d ’extraire des écrits de
Freud et de la littérature psychanalytique l ’essentiel d ’une théorie de l ’Hallu
cination qui peut se résumer d ’un m ot dans sa cohérence logique : la pro
jection de l’Inconscient par le retour du refoulé constitue la condition nécessaire
et suffisante de VHallucination. Nous allons tenter de mettre un peu d ’ordre
dans cette thèse éparse dans les écrits de Freud et des psychanalystes en exa
m inant successivement : 1° la théorie de la perception hallucinatoire du désir
(point de vue dynamique) ; — 2° la théorie énergétique du rêve comme satis
faction du désir et la théorie économique de la projection paranoïaque de
l ’introjection des objets dans la réalité psychique (point de vue économique) ; —
et 3° la théorie topique des instances de l ’appareil psychique dans ses rapports
avec la projection hallucinatoire (point de vue topique). Pour donner plus
de cohésion à l ’ensemble de ces divers aspects théoriques de l ’Hallucination,
nous devons indiquer q u ’ils se recoupent tous pour construire un modèle essen
tiellement spatial, c’est-à-dire postulant un espace homogène dont les diverses
parties sont les lieux de déplacement des images selon l ’intensité (investissements
« économiques » ou « énergétiques ») de leurs charges libidinales. C ’est à cette
homogénéité de l ’espace que correspond en quelque sorte la flèche (le schéma
linéaire) qui en parcourt l ’itinéraire du foyer du désir à l ’objet de sa satisfaction.
Mais, bien sûr, la théorie ne peut pas tenir sa gageure, et en se compliquant la
ligne va devenir de plus en plus labyrinthique jusqu’à perdre le fil de ses expli
cations.
Tels sont donc les caractères de la thèse générale de cette théorie psycho
génétique, de ce modèle linéaire de la causalité psychique de l ’Hallucination
qui est devenue une sorte de leitmotiv, d ’une idée généralement reçue et, pour
tout dire, de « poncif » de la littérature psychanalytique courante. Ce recours
à la projection d ’un affect inconscient est aussi constamment employé q u ’injus
tifié dans la masse des petits écrits (et souvent même des gros ouvrages) de
la production psychanalytique. L ’idée est en effet assez simple pour être sédui
sante et sans que l ’on ait à s’embarrasser de la complexité même de la vie
(1) Le thème de l ’irréalité de la réalité est pour ainsi dire constant dans toute la
littérature psychanalytique dans la mesure même où le processus secondaire est « effec
tivement » secondaire... Parmi cent autres, l’ancien travail de Ch. de M ontel, l ’Hallu
cination de la réalité « (Archives suisses de N. P., 1933,32, p. 346-351) » est, à cet
égard, très typique, comme plus récemment ceux par exemple de David Beres, « Per
ception, Imagination et Réalité », Rev.fr. de Psychanalyse, 1961, notamment p. 655;
de D. Braunschweig (1971); les rapports et discussions sur le Fantasme {Rev. fr. de
Psychanal., 1971); le livre de S. L eclaire (1971), celui de A. de W aelhens, etc.
Nous retrouverons ce problème à la fin de ce chapitre (p. 1062-1065).
1016 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
psychique réduite à quelque « complexe ». A la. réunion qui eut lieu en 1933 aux
Rives de Prangins et à laquelle je présentais un rapport sur les Hallucinations,
H. Floum oy exposa aussi le problème des Hallucinations du point de vue psych
analytique (texte paru dans les Archives suisses de Neuro, et Psych., 1933, 32,
p. 294-309). Ce texte écrit par un psychanalyste connu pour son sérieux et sa
prudence nous a toujours paru représenter la « position moyenne », sinon
mineure, des psychanalystes, même ceux d ’aujourd’hui. Il rappelle d ’abord
que pour Freud l ’Hallucination est l’effet d ’une excitation interne. Cette
excitation provient de l’intensité du désir et de l ’intensité de son refoulement.
Il donne un exemple clinique (cas publié par lui dans la même revue (1919,
17, p. 187)). Il s’agissait d ’une jeune fille qui ayant été séduite présenta ensuite
une Hallucination (prise à la gorge par un fantôme, elle voyait sur ses mains
des taches de sang). Et Flournoy écrit : « L ’excitation, l ’origine interne à laquelle
la censure ne perm ettrait pas de s’extérioriser a donc rétrogradé jusqu’à
l ’image de la perception d ’où a découlé l ’Hallucination ». H. Flournoy insistait
aussi sur le fait que la réalisation d ’un désir peut également satisfaire un désir
de quelque chose de désagréable. Il rappelle l ’exemple de Jekels (.Intern. J.
o f Psychoanalysis, 1915, p. 3-37). Mlle N. se plaint de l ’odeur désagréable de
camphre que dégage une autre jeune fille G. Or, Mlle N. a comme pensionnaire
un nègre dont G. se plaint de l’odeur... Des « exemples » de ce genre pullulent
dans toute la littérature psychanalytique. Il faut bien avouer que de pareils
coups de sonde dans l ’Inconscient demeurent quelque peu superficiels, tan t
p ar leur caractère banal que par leur interprétation conjecturale, sinon gra
tuite.
Freud a été l ’instigateur génial de cette théorie de l ’Hallucination-satisfac-
tion du désir. Mais il en a aussi perçu les limites (comme nous le verrons dans
la dernière partie de cet exposé), se m ontrant plus clairvoyant une fois de plus
que ceux qui ont porté cette exigence exclusive du désir dans la projection
hallucinatoire jusqu’à l ’incorporer et la fixer dans la constitution du refou
lement originaire.
Nous devons pour éclairer tout le développement qui va suivre et les réserves
finales que nous imposera par son mouvement même la dialectique freudienne, nous
devons insister sur l’économie générale de la théorie de l’Hallucination dans le fameux
Entwurf einer Psychologie (trad. fr. dans la Naissance de la Psychanalyse).
Cette théorie de l’Hallucination qui la fait dépendre exclusivement de la force
du désir ou des charges libidinales dont sont investies les « représentations » est à bien
des égards, répétons-le, la même que celle que les théories mécanistes ont basée
sur l ’intensité des images. Et c’est bien en effet dans VEntwurf c’est-à-dire dans ce
fameux écrit de Freud qui reflète la « Naturphilosophie » de l’époque et du pays où
est née la Psychanalyse, que l ’on trouve comme l ’écho de l ’application de la conser
vation de l’énergie (R. Mayer, Helmholtz), une formulation complète (et non pas seu
lement esquissée) d’une neuropsychologie entièrement dominée par une conception
énergétique du Système Nerveux. On peut prendre connaissance dans l ’ouvrage de
E. Jones (trad. fr. L'œuvre et la vie de S. Freud, I, pp. 422-432) comme dans le livre
de H. F. Ellenberger (1971) de l ’ambiance des études médico-physiologiques dans
laquelle Freud fut élevé (Brücke, Meynert, Fechner, etc.) et qui exerça une influence
décisive sur lui au moment où il écrivit cette fameuse « Esquisse ».
Freud distingue d ’abord deux systèmes neuronaux : l’un composé de neurones
perméables, inaltérables, à charge réversible et tels que le courant d ’excitation le
traverse sans les modifier (système 9 ou proprement sensori-moteur) ; — l’autre composé
de neurones imperméables, altérables et comportant des différences de frayages sous
l’influence des excitations précédemment subies (système ij; ou mnésique correspondant
à l ’écorce cérébrale. Le système 9 reçoit les excitations exogènes; le système est, lui,
sans contact avec le monde extérieur et répond seulement aux incitations internes.
On peut dès lors imaginer que les phénomènes conscients exigent l ’intervention d’un
troisième système (cùN) composé de neurones perceptifs qui confèrent les qualités
sensorielles aux représentations. Ce système (encore appelé W(u)) est seul capable
de créer les impressions conscientes de qualités. Le fonctionnement de cet appareil
psychique (dont la description a été en partie seulement reprise dans le chapitre VII
de la Traumdeutung) implique donc une sorte d ’écoulement en sens unique du sys
tème 9 vers le système tp, puis vers le système W(<o).
Quant à la dynamique de ce courant psychique, elle dépend du principe général
de constance (ou d’inertie ou de plaisir), en ce sens que les charges des systèmes neu
ronaux s’accompagnent de sensations de déplaisir (Unlust) et que leur décharge
s’accompagne de sensations de* soulagement et de plaisir conformément aux consi-
1018 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
C ’est donc dans la fameuse (( Esquisse » (p. 402 à 404 des Gesamt- Werke) que
Freud note que dès l ’origine c ’est l ’état de besoin ou de détresse (Hilflosigkeit)
qui constitue l ’expérience primaire. C ’est à cet « état de manque » que corres
pond l 'expérience de satisfaction (Befriedungserlebniss) qui ne peut être obtenue
que par l’action spécifique (succion) capable de supprimer la tension. Mais
désormais cette satisfaction est liée (c’est au fond déjà l ’établissement du
réflexe conditionnel) à la représentation, sinon de l ’objet, du moins des mou
vements destinés à l ’obtenir. Et c ’est bien ainsi que dans l ’Esquisse d ’inspira
tion nettement neurophysiologique cette liaison est envisagée (p. 403). Elle
lie le désir aux mouvements efficients qui permettent d ’obtenir satisfaction,
et lorsque cette tension du désir (Wunschbelebung) atteint le même degré
que dans la perception, elle entraîne l ’Hallucination (p. 404). Car, ajoute Freud,
une fois enclenchée l ’action réflexe, l ’illusion ne saurait m anquer de venir.
Mais cette « expérience de satisfaction » n ’est pas seulement liée à l ’image
motrice, elle doit être liée au souvenir (traces mnésiques qui dans F « Esquisse »
sont liées aux systèmes des neurones ^). Désir, mouvement vers l ’objet, sou
venir de la satisfaction ne font q u ’un dans cette « protoexpérience ». C ’est
une expérience purement « subjective », ou comme dira Freud (Introduction
au Narcissisme, 1914), originairement « narcissique » (si l ’on entend p ar là
cette phase « anobjectale » de l ’expérience primaire de satisfaction). Dans cette
expérience, satisfaction réelle (le sein est là) ou satisfaction hallucinatoire
(le sein n ’est pas là) sont confondues et, pour ainsi dire, également submergées
DYNAMIQUE 1019
dans l ’intensité du désir. Mais le désir pris dans la répétition de son accomplis
sement hallucinatoire (Einfüllung) accède à la valeur du phantasme. C ar la
décharge q u ’exige le principe même d ’inertie pour laisser transform er le dépla
cement en plaisir, s’effectue à l ’intérieur même de ce qui ne représente en effet,
dans le système freudien, que le processus « primaire », celui d ’une sorte d ’auto
satisfaction fondamentale en circuit fermé. C ’est ainsi que se monte à l ’inté
rieur du Sujet un appareil de satisfaction, de décharge qui se réfléchit sur les
« phantasmes » du désir, c ’est-à-dire sur l’articulation du désir avec son appa
reil symbolique (Wunschphantasie). La première constitution de l’objet pul
sionnel (Trois Essais sur la théorie de la sexualité, 1905) dépend donc essentiel
lement de cet appareil de « perceptions internes », de ce champ de réalité
psychique, de ce monde du symbolique que Freud constamment dans ses
œuvres considère comme une source de « Stimuli » bien plus importants,
et en tout cas bien plus difficiles à combattre ou à neutraliser que les excita
tions qui parviennent des objets extérieurs jusqu’à la surface de l ’appareil
perceptif.
Mais, bien sûr, ce fonctionnement interne et pour ainsi dire « à vide » de
l ’appareil psychique représenté par le « processus primaire » doit bien trou
ver son point d ’impact avec ce qui ne sera plus seulement objet absolu du désir
mais objet possible du désir. Comme le fait rem arquer D. Widlöcher (1964),
le processus secondaire doit alors en tan t que régi par le principe de réalité,
entrer en jeu pour accéder à la rationalité de l ’objet. Celui-ci cesse d ’être
seulement objet de désir pour être objet de la problématique du désir et de la
réalité. C ’est-à-dire que l ’expérience de la satisfaction hallucinatoire du désir
doit nécessairement se heurter au problème de la présence ou de l ’absence
de l ’objet. E t c ’est précisément dans le jeu de cache-cache (le fameux jeu fan-
tasmique « Dort und Da » du jeune enfant (dont parle Freud au début de
« Au-delà du principe de plaisir », trad. fr. p. 13-17), de l ’absence et de la présence,
ou plus exactement de la maîtrise de l’absence par la présence de l ’objet ima
ginaire, que se constitue la séparation de l'objet interne qui est celui du désir
et qui n ’est perçu q u ’à l ’intérieur de soi (même s’il est susceptible de s’objec
tiver dans le jeu des phantasmes), et de l ’objet externe qui n ’appartient pas au
Sujet, de telle sorte que la satisfaction du désir p ar cet objet réel est aléatoire
et, en définitive, dépend d ’autre chose qui appartient au monde des objets.
Mais ce monde des objets ne cesse jamais lui-même d ’être objet du désir,
d ’être en connexion avec celui des objets psychiques internes. Toute l ’école
psychanalytique (de Freud et Férenczi jusqu’à Mélanie Klein, D. W. Win-
nicot et S. Isaacs, etc.) a toujours insisté avec raison sur le fait que la per
ception des objets extérieurs passe par les phantasmes, somme toute, que per
cevoir c ’est aussi et nécessairement « phantasmer ». C ’est que « processus
primaire » et « processus secondaire », en dépit de la théorie freudienne de la
« séparation radicale » de l ’Ics et du Cs, sont anastomosés. Les phantasmes,
en effet (cf. notam m ent « Les trois essais sur la sexualité »), ne sont pas absents
du processus secondaire qui remplit une fonction régulatrice (rendue possible
par la constitution du Moi). Ceci est très nettement indiqué déjà dans l'Esquisse
1020 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
(1) Un bon exemple d ’abstractionnisme sémantique de cette sorte peut être donné
— parmi des centaines d'autres — par le travail de H. R acker (1959), à cet égard
vraiment « exemplaire ».
(2) On peut lire à ce sujet dans les Neue Folge der Vorlesungen (1932, pp. 101-102
des G. fV.) : « Die Trieblehre ist so Zusagen unsere Mythologie. Man nimmt so viele
und so verschiedenartige Triebe an als man eben braucht einen Geltung Nach-
ahmungsgeselligkeitstreebe und vielen der gleichen mehr » (La théorie de pulsion
est pour ainsi dire notre mythologie, etc.). Et F reud insiste sur l’usage de commodité
que l’on peut faire à ces « pulsions » qui se prêtent complaisamment aux mélanges
que l ’on peut en faire sans pourtant cesser de s’imposer comme quelque chose de
rigoureux (ernsthaftig) et de puissant (Gewaltig).
(3) J. G illibert. Interprétation, 1968, 65-79.
1022 THÉO M E PSYCHANALYTIQUE
(1) Pour ne citer ici qu’un des derniers travaux, le livre de Sami Ali : De la pro
jection, Paris, Payot 1970, 273 p.
ÉCONOMIQUE 1023
(1) F reud en a fixé dans sa lettre à F liess du 12 juin 1900, la date, très précisément
au 24 juillet 1895...
(2) Les textes de F reud qui sont fondamentaux sur cet aspect lui-même fonda
mental de la doctrine psychanalytique, sont traduits en français : « L ’Esquisse »
(in Naissance de la Psychanalyse); — L'interprétation des rêves (P. U. F., 2e édition,
la trad. d ’I. M eyerson, 1950 et nouvelle édition révisée par D. Berger, 1967); — le
mémoire « Sur les rêves » (trad. fr. H. Legros, Les Documents bleus, 1925); — et le
« Complément métapsychologique de l ’étude des rêves » (Métapsychologie, trad.
fr. M. Bonaparte et A. Bernier, éd. Gallimard, 1952, p. 162-188).
1024 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
non pas les instincts, non pas les pulsions mais les constellations phantasm i-
ques qui forment, comme nous l ’avons vu, la géographie affective de la réalité
psychique interne, ce sens ne peut plus être contesté depuis q u ’a été démasquée
son apparition déguisée. Les principales difficultés que Freud a eu lui-même
à vaincre, il les a dominées. Tout d ’abord pour ce qui concerne l ’absurdité
apparente et en quelque sorte « extérieure » et insignifiante des scènes du rêve
(c’est l ’explication du sens du rêve qui forme les chapitres II à VI de U inter
prétation des rêves), c’est leur interprétation en tant que symboles, c ’est-à-dire la
découverte des procédés et des fonctions d ’occultation (condensation, déplace
ment, figuration, etc) qui a permis à Freud de déjouer cette première difficulté. —
Une seconde difficulté s’est présentée à propos de la thèse qui en fait précisément
la réalisation d ’un désir (chapitre III). C ar si, bien entendu, il existe des rêves
de commodité (Bequemlichkeitsträume) et des rêves de réalisation simples
chez l ’enfant (simple Wünscherfüllungen), c’est-à-dire des rêves dépourvus
d ’énigmes (sie geben keine Rätsel zur lösen), la plupart des rêves au contraire
dissimulent leur fonction hédonique en neutralisant ou déplaçant leur moti
vation affective. Pour dém ontrer que tout rêve est désir réalisé et q u ’il n ’est pas
d ’autres rêves que des rêves de désir (p. 103, trad. fr.), il faut alors recourir
à un travail en profondeur qui est justem ent le travail d ’interprétation des
rêves, c ’est-à-dire la restitution du vrai sens falsifié et transposé des images
qui le composent, c’est-à-dire découvrir plus profondém ent encore la nature
infantile des désirs que le rêve accomplit (1). — Une troisième difficulté est
tout naturellement apparue, celle des rêves qui sont pénibles, saturés d ’angoisse
(cauchemar). Le rêve dans ces cas ne peut être interprété comme simple satis
faction (Befriedegung) ou accomplissement (Erfüllung) du désir, car il faut alors
traverser la crainte ou la peur pour découvrir le « vrai désir » q u ’il dissimule ou
qui s'inverse lorsque le désir est celui de l 'évitement ( Abwendung y), ou la recherche
d ’un effet désagréable qui retourne le désir contre lui-même. Et c ’est tout natu
rellement en recourant au concept de refoulement, c ’est-à-dire à la répression
(et non à la suppression) de la pulsion que la figuration même du cauchemar
peut nous paraître encore répondre à un désir en satisfaisant tout à la fois
la pulsion et la contre-pulsion également exigeantes. C ’est en effet à la structure
conflictuelle de la dynamique du désir que se réfère l ’interprétation du rêve
comme satisfaction ou accomplissement du désir. A cet égard Freud indique
que l’expression du « vrai désir » peut être dissimulée, soit par la surdétermi
nation du rêve pris dans les soucis récents d ’une peur diurne (2), soit par l ’inter
vention du désir qui n ’est plus celui de la pulsion mais celui du Moi (plus tard
Freud dira du Sur-Moi).
(1) Ce désir infantile peut être lui-même dissimulé dans un « Ersatz » de scènes
primitives modifié par transposition d’éléments récents.
(2) Ces résidus, dit-il (G. W., p. 566, trad. fr. par M eyerson, p. 460 et trad. fr-
révisée par D. Berger, p. 477), jouent le rôle d ’entrepreneur (Unternehmer) véhi
culant le sens des rêves mais n ’en disposant pas comme le vrai propriétaire (Kapi
talist) du fonds inconscient.
ÉCONOMIQUE 1025
(1) Il y a, dit F reud, à la fin de la Traumdeutung (p. 623 du texte allemand in G. W.)
une connexion intime et bilatérale entre censure et conscience (eine innige und zwei
seitigen Zusammenhang zwischer Zensur und Bewusstsein).
(2) A. G arma propose une interprétation métaphorique de la régression du
processus hallucinatoire : l’attraction par la lumière ouvrirait les yeux de l’halluciné
comme, à sa naissance, se sont ouverts ses yeux à la lumière du monde (A. G arma,
1969, p. 492, de son article sur la théorie freudienne de l ’Hallucination du rêve).
1026 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
russe qui « caviarde » les journaux de la frontière dit Freud plus loin) son pou
voir de contrainte. C ’est dans ce sens (p. 540 à 547 des G. W., p. 440 à 446
de la trad. fr. de I. Meyerson et p. 456 à 461 de la trad. fr. de D. Berger) que
le processus psychologique du rêve se déroule dans son mouvement « rétro-
gradient » à la limite du processus primaire (l’Inconscient pour ainsi dire absolu,
c ’est-à-dire le monde des objets phantasmiques et des représentations objectales)
et du processus secondaire (l’activité de la censure, du Moi, de la Conscience et
des représentations verbales). Mais il est — il devrait paraître — évident que si
le processus primaire est pour ainsi dire constant dans sa force de projection, le
processus secondaire comporte, lui, des variations et notamment, tout au moins,
une diminution de sa puissance qui livre aux exigences de l ’Inconscient les
pensées du rêveur ou, plus exactement, permet au refoulé de réapparaître mais
à la condition d ’obéir aux lois de la censure. La sévérité de la censure ne dépend
pas seulement de la vigilance de la conscience qui a pour fonction de refouler,
mais plutôt de cette modalité de modification de la vigilance qui, perm ettant
au refoulé d ’apparaître, lui impose de se dissimuler, c’est-à-dire de disparaître
en même temps q u ’il apparaît. La censure ou le refoulement exerce en effet une
double répression : une, directe, sur les désirs inconscients; — l ’autre, indirecte,
p ar sa tolérance au symbolique (par une permission ou un amendement de sa
loi). Cette dialectique compliquée de la censure, Freud la résume d ’un m ot :
la régression. Celle-ci implique que ce n ’est pas p ar un mouvement de projection
progrédiente que le rêve (ou Hallucination) réalise, satisfait ou accomplit le
désir, mais que les images hallucinatoires du rêve ne tirent leurs forces de
projection que des mouvements rétrogrédients qui tout à la fois les portent à
l ’extrémité sensorielle de la voie d ’association psychique (au lieu de les porter
vers l’extrémité motrice) et en arrière vers les souvenirs infantiles (1). E t voici
Freud parvenu à la croisée des chemins. Ou bien il va mettre l’accent sur le
processus de régression en tan t qu’amoindrissement de la conscience, ou bien
il va faire de cette régression elle-même l ’objet d ’un désir, d ’un investissement
libidinal. C ’est cette seconde solution q u ’il choisit (quitte beaucoup plus tard
dans VErgränzung (1916) à la remettre en question).
Si, comme nous y insisterons plus loin, la théorie du rêve, accomplissement
du désir, est en définitive celle du « retour du refoulé » lequel exige un boule
versement de la vie psychique, celui-ci fait nécessairement appel à une concep
tion énergétique ou économique des charges et décharges qui la soumettent
au principe de constance et au principe de plaisir. E t p ar là Freud est ramené
à son point de départ, « régressant » du plan herméneutique au plan énergétique
comme le fait justem ent remarquer P. Ricœur (De Vinterprétation, p. 95-118).
Il devait, en effet, se trouver entraîné à donner plus d ’importance aux instances
inconscientes, au processus primaire et à la dynamique des investisse
ments pour expliquer la production du rêve (et des Hallucinations). Et c’est
ainsi que, en définitive, au lieu de rechercher (comme il le fit plus tard ainsi
(1) Angel G arma (1969) est revenu récemment sur la conception freudienne du
rêve et de l’Hallucination. Il rappelle à ce sujet que l ’épreuve de réalité est liée à
l ’exercice de l’activité motrice. C ’est vrai dans une certaine mesure mais dans un
sens très restreint seulement, car la mise en activité des schémas psycho-moteurs et
idéo-verbaux si elle comporte une composante motrice ne s’y réduit pas. Mais laissons
ce qui n ’est dans le copieux et sérieux travail de G arma qu’un détail, pour souligner
plutôt le sens qu’il a entendu donner à la révision de la théorie économique de F reud.
Il s’agit, dit-il, d ’opérer un renversement (reversai) de la thèse freudienne de désin
vestissement du monde extérieur, de la réalité. Pour A. G arma, ce n ’est pas la défail
lance de la « cathexis » sur le système perception-réalité qui est à l’origine du caractère
hallucinatoire du rêve. Le jugement de réalité posé par le Moi à l’égard de quelque
chose de réel, c’est-à-dire d ’exogène, ne provient ni de l’épreuve musculaire de la
réalité ni de la « contre-cathesis », mais du fait que les phénomènes internes ou psy
chiques sont spontanément moins contrôlables par le Moi, c’est-à-dire, en définitive,
« plus réels » pour être plus rebelles encore que les objets extérieurs à l ’action du
Sujet conscient. Autrement dit, pour G arma comme généralement pour l ’illusion
solipsiste impliquée dans l’absence de théorie de la perception, de l’être conscient
et de la réalité de la doctrine freudienne « extrême » pour ne pas dire « extrémiste »,
le rêve et l ’Hallucination constituent la réalité la plus solide... celle qui comble la
béance fondamentale du désir. Pour employer les expressions de A. G arma, l’Ego
dreaming vaut bien l’Ego waking; le rêve vaut l’existence !
ÉCONOMIQUE 1029
place pour autre chose que des changements d ’états internes ou des renversements
de sens. C ’est ainsi que le « dedans » et le « dehors » ne sont jamais, ne peuvent
jam ais être que la direction, le sens que prend la marche du désir vers ou contre
son objet. Si nous insistons encore ici sur cette obligation de symétrie exigée
par la structure ou le système clos des chaînes de signifiants, c ’est pour bien
éclairer l ’importance et l ’enjeu du mécanisme inconscient de la projection
quand cette projection — au sens psychanalytique le plus strict — est la réjec-
tion, l ’expulsion, la dénégation et, en définitive, la dénégation des phé
nomènes psychiques qui, ne devant pas appartenir au Moi, sont objectivés
dans le monde extérieur, attribués aux autres, et plus généralement extériorisés
ailleurs comme une chose, quelque chose ou quelqu’un d ’autre. C ’est préci
sément de ce « mécanisme » que le Délire hallucinatoire nous offre le modèle.
Par un curieux paradoxe (que nous avons tenté de détruire dans le chapitre
que nous avons consacré aux Psychoses hallucinatoires chroniques), c ’est
dans le cadre de la Paranoïa (psychose réputée non hallucinatoire !) que le
mécanisme de projection au sens que nous venons de rappeler a été particuliè
rement étudié par les écoles psychanalytiques (depuis Freud (1), Abraham,
(1) F reud a très tôt aperçu l’importance de la projection en tant que procédé
de défense (Abwehr) dans la Paranoïa. Notamment le « manuscrit H » du 24 juin 1895
intitulé « paranoïa », utilisé pour la publication des « Weitere Bemerkungen über der
Abwehr- Neuropsychosen (Neurol. Zentralblatt, 1896) — et le « manuscrit K » du 1er jan
vier 1896 qui, intitulé « Abwehr-rteurosen » comporte un assez long développement
sur la Paranoïa. La traduction française de ces textes se trouve dans « La naissance
de la Psychanalyse », p. 98-102 et p. 135-136. La date de ces premières études sur le
procédé de défense paranoïaque explique que sous le nom de Paranoïa, F reud visait
(comme dans son analyse ultérieure du Président Schreber) des formes « paranoïdes »
de Psychoses délirantes chroniques dont la situation nosographique à l ’égard des
Schizophrénies est encore discutée. Pour lui, en tout cas, elles se rencontrent dans
la Paranoïa comme dans les confusions hallucinatoires (Halluzinatorische Ver
wirrtheit). Il s’est efforcé dans un petit tableau (dont un fac-similé du manuscrit
figure dans l ’édition allemande, p. 123) de distinguer l’état hallucinatoire aigu (affects
et contenus de représentations intolérables ne paraissant pas, étant maintenus éloignés
caractère agréable des Hallucinations qui favorisent la défense et satisfont le patient)
— de la Paranoïa qui est un mode pathologique de défense dont l’affect (l’angoisse,
la peur) et le contenu représentatif (le thème délirant) confèrent au Délire hallucinatoire
le caractère d’hostilité ressentie par le Moi qui doit s’en défendre. La Paranoïa et la
Confusion hallucinatoire, ajoute encore F reud, sont deux psychoses d ’opposition
ou de justification (Trotz- oder Justamentspsychosen). La « relation à soi » (Eigen
Beziehung) que reprendra plus tard le « délire de relation » de K retschmer est,
(précise F reud en 1895, analogue aux Hallucinations de la confusion, car, en effet
pourrions-nous dire avec lui cent ans après lui) l ’interprétation ou la fausse perception
des délirants systématisés projettent à l’extérieur ce que le Sujet ne peut supporter
comme venant de lui-même, tandis que dans la Confusion (expériences délirantes et
Hallucinations) le Sujet projette dans le monde des objets les images qui symbolisent
son désir. Si nous avons donné un tel développement à cette note « historique »,
c ’est pour bien montrer combien dès le début de son œuvre psychiatrique F reud , en
ÉCONOMIQUE 1031
c ) L a « p r o je c tio n » (é je c tio n ), m é c a n is m e in c o n sc ie n t « p a r
ex c ellen ce » d u d é lir e h a llu c in a to ire d e p e r s é c u tio n e t d ’in flu en ce.
— Nous employons ici le terme de projection dans le sens qui lui est réservé
par l’école psychanalytique, c ’est-à-dire non pas au sens large d ’une projection
d ’affects inconscients dans l’expérience ou le travail du délire telle que nous
l ’avons précédemment et globalement envisagée, mais stricto sensu, comme
mécanisme d ’éjection qui projette hors de soi, à l ’extérieur de soi, dans le
monde des objets, ce que le Moi ne peut tolérer dans sa « propriété ». Comme
nous venons de le rappeler, ce mouvement de projection est symétrique à celui
que depuis Ferenczi on nomme « introjection ».
Cette distinction a été reprise par Freud dans le « Destin des pulsions »
(Triebe und Triebschiksal, 1915). Comme il l ’avait déjà nettement indiqué
(.Manuscrit G de janvier 1895) en esquissant pour la première fois la théorie de
la perte de l ’objet dans la mélancolie, c ’est à cette dynamique de l ’objet disparu
q u ’il a spécialement appliqué le mécanisme de Yintrojection. Celle-ci est dès
lors devenue avec les travaux d ’A braham (1924), puis plus tard avec ceux
de Mélanie Klein (1946-1955) sur la position paranoïde schizoide, le procédé
phantasmique de l’identification par incorporation du bon objet, comme la
projection est devenue essentiellement celle de la réjection des mauvais objets.
Enfin, to ut naturellement, ces mouvements d ’incorporation et de digestion,
d ’expulsion et de rejet ont été mis en relation sur le plan symbolique avec
les phantasmes de l ’incorporation orale et de l ’excrémentation. C ’est ainsi
q u ’un dispositif basal, celui d ’un mécanisme inconscient réglant la frontière
de ce qui entre pour y avoir été incorporé dans la propriété libidinale du Moi
(y compris bien sûr l ’image introjetée du Sur-Moi) et ce qui doit en sortir,
s’est trouvé placé à la charnière même de l’intérieur et de l’extérieur (3).
Mais, comme nous l’avons déjà fait remarquer pour le mécanisme symé
trique homologue mais inverse de la satisfaction hallucinatoire du désir, il
s’agit là dans la théorie psychanalytique classique d ’objets purement phan-
tasmiques dont les mouvements, les déplacements, les mutations, les ren
versements et les intrications sont de l ’ordre symbolique. C ’est dire que, là
(1) « Tandis que le paranoïaque, écrivait-il, expulse de son Moi les tendances
« devenues désagréables, le névrosé cherche la solution en faisant entrer dans son Moi
« la plus grande partie possible du monde extérieur en en faisant l ’objet de fantasmes
« inconscients. On peut donc donner à ce processus en opposition avec celui de la
« projection, le nom d ’ « introjection ».
(2) Rien ne saurait mieux montrer à quelles paraphrases superflues et contradic
toires s’oblige une théorie des sentiments qui les enferme dans une circulation fermée,
hermétique et exiguë où les changements de sens vont tellement de soi qu’ils sont,
pour ainsi dire, laissés à la discrétion de celui qui, les analysant, gagne à tout coup.
(3) Bien sûr, on ne peut pas ne pas voir que les points de vue énergétiques et
topiques interfèrent constamment, car « l’intérieur » et « l’extérieur » c’est bien sûr
aux pulsions du Moi et à celles du Ça que ces lieux renvoient.
ÉCONOMIQUE 1033
(1) Je continue à penser que « récusation » traduit mieux Verwerfung que « for
clusion », terme plus magique certes, mais qui implique une sorte de contingence de
temps sous-entendant que le droit du désir est périmé.
1034 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
paranoaïque (pour encore une fois nous en tenir à ce q u ’ici peut être considéré
comme le dénominateur de toute psychose délirante chronique systématisée,
schizophrénique ou fantastique, etc.) se confond, elle, avec la fonction même
du Moi, c ’est-à-dire sa constitution en système de défenses (cf. plus loin p. 1046)
contre les processus primaires, contre le monde des objets phantasmiques de
l’Inconscient.
On peut même en se rapportant aux études psychanalytiques contem
poraines dire que l ’agent de cette éjection, de cette expulsion, se confond avec
l ’instance même du Sur-Moi. C ’est ainsi que S. N acht et P. C. Racamier
interprètent l ’Hallucination et le Délire comme la manifestation du Sur-Moi
en objet (disons un « autre » étranger). Le changement de direction, ou d ’inten
tionnalité de la voix entendue ou de l ’ordre reçu, est à cet égard tout à fait
manifeste de la substitution de l ’Autre à celui qui en lui-même et à lui-même
commande ou interdit. Mais cette sévérité du Sur-Moi objectivée, elle est
elle-même recherchée comme un consentement en dernière analyse hédonique
sinon narcissique, en tant que satisfaction dans la soumission au commande
ment et à la domination. Le rôle, ou plutôt, la fonction du Sur-Moi dans la
projection délirio-hallucinatoire, a été très fortement souligné p ar Freud,
notam m ent dans « Das Ich und Das Es » (1923) (p. 282 et p. 210 de la traduction
française). Ce Sur-Moi exerce son commandement p ar l ’instrum ent de la
parole : l ’ordre. De telle sorte que le Sur-Moi a une structure auditive en
tan t que représentation de l ’ordre syntaxique et sémantique que véhicule le
commandement. La voix persécutrice c ’est la voix de l ’accusation et de la
condam nation prononcées p ar le Sur-M oi (cf. à ce sujet Neue Vorlesungen
G. W., XV, pp. 70-78 et trad. fr. Nouvelles Conférences, pp. 90-94).
Tel est le schéma fondamental de la « structure » économique ou hédo
nique du Délire et, bien entendu, de l’Hallucination sous toutes ses « formes »
(voix, phénomènes d ’influence, Hallucinations corporelles, etc.) et à tous ses
« degrés » (Hallucinations, Pseudo-hallucinations, perception ou interpréta
tions délirantes, illusions). Elle répond à une nécessité interne, à une m aturation
inconsciente, à une germination des désirs qui s’agitent dans le mouvement
brownien du processus primaire, dernier m ot de la psychogenèse pure. En effet,
tout est dès lors ramené à un modèle linéaire (fût-il un court-circuit ou une
boucle de réverbération) inverse de celui du désir hallucinant son objet, celui
du désir refoulé inversant, en l ’hallucinant, son objet désormais interné. Et
c ’est par le principe général de la dynamique du plaisir-déplaisir, c ’est-à-dire
en conformité de l ’équilibre économique des pulsions inconscientes et de leur
représentation symbolique dans la conscience que la théorie freudienne rend
compte, en ne faisant jamais appel à autre chose qu'au jeu interne des pulsions
et instances inconscientes, de la projection hallucinatoire et délirante de l'objet
du désir inconscient devenu objet de la répulsion ou de l'angoisse du M oi dans
le monde des objets. Somme toute, la projection dans le monde de l ’autre et des
autres ne dépendrait rigoureusement que des « objets » de la réalité psychique.
Or, il n ’y a pas, il ne peut pas y avoir de problème de l ’Hallucination quand
il n ’y a pas de problème de la connaissance et de la réalité.
ÉCONOMIQUE 1035
d ) In tr o d u c tio n d u c o n c e p t é c o n o m iq u e d e « r é g r e ss io n ». —
Nous verrons plus loin que Freud a lui-même senti la nécessité (dans son
Mémoire intitulé justem ent « Metapsychologische Ergänzung, etc., 1916) de
faire appel à quelque chose d ’autre. C ’est que, comme nous l ’avons longue
ment souligné (p. 801), le « travail délirant et hallucinatoire » même lorsqu’il
aboutit à une claire systématisation ou q u ’il projette un certain ordre et une
certaine unité dans la psychose, com porte à l’analyse structurale un « reste »,
un « halo » d ’impénétrabilité à quoi correspond le caractère « processuel »
qui est généralement reconnu à ces Psychoses délirantes et hallucinatoires
chroniques p ar les Psychiatres, et non moins généralement renié (par une
« Verneinung » toute explication causale) p ar les Psychanalystes. Ce n ’est
précisément que lorsqu’on envisage la masse des Délires chroniques — ainsi
que nous l ’avons fait — q u ’apparaît comme dénominateur commun de la diver
sité évolutive du travail délirant le bouleversement psychique qui paraît
d ’abord absent de certaines de ses formes (dites précisément systématisées
ou paranoïaques). La généralité de la maladie délirante et hallucinatoire
chronique, avons-nous dit, comporte nécessairement la marque de ce « pro
cessus », évident dans les formes schizophréniques, et, malgré ses intermit
tences ou sa discrétion, encore perceptible dans l ’évolution de toutes les
Psychoses délirantes et hallucinatoires chroniques. Car, comme nous l ’avons
établi toutes les fois que nous avons approfondi les rapports du Délire et
de l ’Hallucination (cf. 3e Partie, p. 383), celle-ci ancre effectivement le
Délire même le plus « clair » dans un processus correspondant « au processus
psychique » de Jaspers, notion absolument rebelle à toute psychogenèse inté
grale définie elle-même par le seul développement (hédonique et, en fin de
compte, narcissique) de la personnalité. Il ne suffit pas en effet pour nier
valablement le processus primaire ou prim ordial de se saisir d ’un monde
ÉCONOMIQUE 1037
Bien sûr, la réduction pure et simple des. Délires (et des Hallucinations)
à un complexe d ’homosexualité refoulée ne saurait satisfaire à la complexité
même des cas (cf. supra, p. 994), et on a fait souvent remarquer que certains
homosexuels conscients de leur homosexualité parfaitem ent assumée n ’en
étaient pas moins délirants, tout de même que le délire de persécution et la
projection de fantasmes hallucinatoires ne sont pas toujours réductibles au radical
phantasmique de l ’inversion du choix objectai. G. E. G ardner (1931), H. R. Klein
et W. A. Horwitz (1949), S. Arietti (1955) et Ida Macalpine et R. H unter (ceux-ci
à propos, nous l’avons vu, de l’interprétation du cas du Président Schreber)
ont par exemple contesté que la fixation libidinale au même sexe constituât le
noyau spécifique de la paranoïa (1). Mais il n ’en reste pas moins que plus géné
ralement le problème œdipien se reflète précisément dans la projection délirante
et hallucinatoire, tant en ce qui concerne le développement de l ’agressivité,
les positions de soumission ou de révolte, l’identification à la puissance pater
nelle ou à la passivité féminine, l ’angoisse de la castration que les sentiments
de culpabilité incestueuse.
Mais on comprend que la « régression » de la libido à ce stade pré-œdipien
puisse imposer au système relationnel du délirant et de l’hallucinant avec ses
objets projetés ou hallucinatoires une symbolique fantasmique plus archaïque.
C ’est, en effet, au stade sadique, anal et au stade oral, c ’est-à-dire à la phase
de constitution de la réalité pour autant que des objets extérieurs sont perçus
dès lors comme hors du champ libidinal du désir, c’est à ces phases des premiers
échanges entre le « dedans » et le « dehors » que nous renvoie tout naturellement
la symbolique du délire et des Hallucinations. Le délirant halluciné, en pro
jetant hors de son corps et de son M oi les objets, reproduit et inverse le mou
vement originaire de la perception du monde extérieur. Celle-ci ne s’est établie
que du jo u r où le nourrisson se heurte aux objets qui lui résistent pour n ’être pas
à sa disposition. Le délire hallucinatoire fa it des objets en les expulsant, comme
le nourrisson établit sa première relation d ’agressivité avec un objet extérieur
sur le modèle des excréments q u ’il produit (Jelgersma, J. H. W. van Ophuisjen
et H. Stârcke ont publié une série de travaux de 1918 à 1920 dans Y International
Journal o f Psychoanalysis dans lesquels ils ont noté et explicité le complexe
sadique-anal et la symbolique de l’érotique anale dans le mécanisme de la
projection délirante et hallucinatoire.
Avec Mélanie Klein, c ’est plus loin encore, dans les premières relations
(1) Position plus exactement appelée par elle « paranoïde-schizoïde » pour l ’opposer
à « la position dépressive ».
1040 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
(1) Pour G. D eleuze et coll. (1972), seule l ’aspiration du Désir fabrique tous
les « objets » du monde « réel » (c’est-à-dire de la seule « Realität » psychique).
TOPIQUE 1041
rieure à soi-même étant le seul fondement objectif de tout jugem ent prédicatif
du réel pour autant q u ’il n ’est pas le sujet même du Cogito). Si nous ouvrons ce
paragraphe en rappelant ces idées générales, c’est que précisément le modèle
« topique » de l’appareil psychique est pour ainsi dire l ’instrument de la théorie
psychanalytique de la projection hallucinatoire. On pourrait même dire q u ’il
n ’a été construit que pour rendre compte de la nécessité et de l’excellence des
fonctions qui se disputent les « lieux » psychiques pour régler la « mise au
point » de l ’image comme projetée p ar une lanterne magique (1).
Nous allons voir dans l ’exposé de ses diverses « topiques » que Freud en
« réalisant » les lieux psychiques, c’est-à-dire en les juxtaposant dans l ’espace
où se déplacent les « objets » de la « Realität » (réalité psychique), a réduit
l ’Hallucination à n ’être qu’un point ou une propriété de cet espace, c ’est-
à-dire à perdre toute possibilité d ’existence en se confondant avec la généralité
des mouvements qui traversent les parties de l ’appareil psychique. Car l ’hé
térogénéité et la hiérarchie des formes et des structures de l ’appareil psy
chique disparaissent dans l ’homogénéité d ’un espace qui les confond. Certes,
l ’Hallucination appartient à cet espace imaginaire, mais elle n ’apparaît que
dans et p ar sa rupture avec l ’espace de la réalité, le système de la réalité.
Le schéma « topologique » de l ’appareil psychique si nécessaire non seu
lement pour résoudre mais tout simplement pour poser le problème de l’Hal
lucination, est, en effet, dans la doctrine freudienne rendu inutilisable par son
immersion totale dans l ’Inconscient. L a théorie des instances, ou des fonctions,
ou des lieux psychiques, en effet, à mesure q u ’elle s’est développée a de plus en
plus tourné le dos aux formes d ’intégration et de construction de l ’être psychique
pour faire basculer celui-ci presque tout entier dans un Inconscient qui s’est
trouvé topologiquement disposé dans l ’ordre même qui était refusé à l ’être cons
cient. Et, comme nous allons le voir, la topique d ’abord submergée (jusqu’en
1920) p ar l’énergétique, puis reprise dans la deuxième topique sous forme d ’ins
tances (idéale, critique ou autre) au lieu de représenter les relations de l ’Ics
et du Cs, a « personnifié » et « chosifié » les instances de l’Inconscient. La
première topique a institué les instances qui composent l ’appareil psychique
en machine à faire des images; la deuxième topique a métamorphosé ces
lieux psychiques en idoles. Le sens général de l ’opération ne saurait nous
échapper avant même que nous l ’exposions : il s’agit de « paraphraser »
en termes de déplacement, d ’opposition dans l ’espace, les mouvements et
situer dans la fonction symbolique. Mais cette fonction même par le « vis-à-vis »,
les « complexes », le transitivisme qu’elle implique, cloisonne le champ du désir.
Et, au fond, une topique de l’appareil psychique, qu’elle le réduise à ne fonctionner
que dans les mouvements de l ’Inconscient ou qu’elle se réfère à un modèle architec
tonique des rapports Conscient-Inconscient, est imprescriptible pour toute théorie
de la causalité des phénomènes psychiques. C’est, croyons-nous, parce qu’il manque
au modèle « freudien » en général et à celui de J. Lacan en particulier une autre
dimension, celle de la réalité et de la conscience qui la construit, que ce modèle se
condamne à ne viser qu’une série infinie d ’images sans que jamais puisse sortir de ces
palais de glaces ou de ces jeux de miroirs du Musée Grévin, ou des illusions d ’optique,
cet autre chose qu’est une « Hallucination ». En absorbant les « instances » des valeurs
(Sur-Moi) et de la réalité (Moi) dans ce monde purement symbolique, en supprimant
par conséquent (c’est le sens même du texte de Lacan) l’idée d ’instance, le monde
de la réalité tombe tout entier dans le monde de l’imaginaire. Il n ’y a naturellement plus
de «place » alors, ni pour la perception, ni pour l’Hallucination. Celle-ci disparaît
dans la prestidigitation de J. Lacan comme dans toutes les chausse-trapes dans
lesquelles une conception purement inconsciente de l ’être psychique fait tomber
le problème de son apparition.
TOPIQUE 1043
les conflits qui projettent p ar leur seule force l ’imaginaire dans le réel (lui-
même imaginaire ou, si l ’on veut, sans réalité). Il s’agit plus simplement
encore de faire une théorie de la projection qui s’effectue uniquement dans
l’espace symbolique interne, seul objet de la topologie. Somme toute, la
métapsychologie topologique se borne à réfléchir la projection sur elle-même et
par conséquent à ôter son sens à l ’Hallucination, et plus généralement au
Délire.
La première topique préparée et dans bien des points déjà annoncée en 1895
dans les « Études sur l’hystérie » (avec la collaboration de Breuer qui paraît avoir
été déterminante à cet égard), dans 1’« Esquisse » et les « Lettres à Fliess » (1)
à la même époque, cette première topique a été surtout exposée dans la « Traum
deutung » (chapitre VII, p. 440-468 de la trad. fr. de I. Meyerson).
C ’est évidemment du rêve q u ’il est question dans ce fameux exposé de la
P S, S; Préc.
Mais nos perceptions laissent dans notre appareil psychique une trace de
souvenirs (S). Tandis que les premières tranches de ce dispositif fonctionnel
plus près de P ou système externe ne garde pour ainsi dire pas de mémoire
mais fournit à la constance la multiplicité en qualités sensibles (ergibt fü r
unser Bewusstsein die ganze Mannigfaltigkeit der sinnliches Qualitäten),
nous devons considérer toute une série d ’éléments (S) qui sont dotés de mémoire
et de la capacité de s’associer, ce sont des souvenirs inconscients. Il y a une sorte
d ’antagonisme entre ces souvenirs inconscients sans qualité sensible et le sys
tème P (celui de la conscience). Les deux systèmes s’excluent Tun l ’autre.
Mais si nous nous tournons m aintenant vers le rêve, nous devons admettre
q u ’il est composé de deux parties : Tune qui critique et est en relation avec
le principe directeur de notre vie éveillée, et l’autre qui subit la critique qui
lui interdit l ’accès de la conscience. En considérant les systèmes (Systemen)
qui correspondent à ces instances (Instanzen), nous appellerons « Pré
conscient » le dernier des systèmes qui débouche directement sur l ’extrémité
TOPIQUE 1045
lement le rêve correspond au désir du dorm eur de protéger par son rêve son
sommeil, comme nous l ’avons vu). L ’essentiêl de cette conception des ins
tances des lieux psychiques réside en ceci, que la notion de localité psychique
implique une sorte d ’exclusion de chaque partie par l ’autre, de telle sorte
que le « passage » de l ’image à la perception, de la représentation à l ’Hallu
cination, du désir à sa réalisation symbolique se résoud à un simple
déplacement (Verschiebung) équivalent à une transposition (Entstellung).
Somme toute, la multiplicité des lieux, la répartition spatiale de l ’ordre
symbolique, a pour fonction de permettre une explication purement m éta
phorique du rêve et de l ’Hallucination; et la théorie se réduit à une vaste
« paraphrase » qui laisse sans explication, et la facticité du rêve et celle de
l ’Hallucination tout en nous perm ettant d ’en avoir une compréhension satisfai
sante. Mais il est bien évident que le rêve et l ’Hallucination ne peuvent se
réduire à leur sens, à l ’intentionnalité, fût-elle inconsciente, du Sujet. Car
si par la facultativité même de ses investissements en dorm ant ou en déli
ran t l’hoir me ne faisait que se déplacer à son gré (fuir, éviter, contourner,
se fixer à, se diriger vers ou gagner telle ou telle partie de la « Fiktion »
topique), on ne voit vraiment pas quelle différence il pourrait y avoir — hors
de ces déplacements hypothétiques — entre celui qui veille ou celui qui
dort, celui qui perçoit la réalité et celui qui halluciné.
(1) The concept of stimulus barries its review and reformation as an adaptive
Ego function. Inter. J. o f Psychoanalysis, 1971, 52, 243-257-
1048 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
cet autre q u ’il serait seulement s ’il était voué à n ’être que ce q u ’il paraît seule
m ent être quand on en fait une « pauvre chose » quand on le tue.
Le Sur-Moi représente la fonction réprouvée, déjà dévolue du Moi, mais
qui s’oppose au Ça à la manière d ’u n « juge ». C ’est q u ’il est en effet comme
un Tribunal de grande instance qui applique sévèrement la loi, celle des exi
gences et des interdits parentaux. La notion de Sur-Moi n ’a jamais pu non plus
très clairement être explicitée pour la bonne raison q u ’une partie de ce Sur-Moi
est un Sous-Moi ou un Contre-Ça (qui correspond à l ’introjection des interdits
cedipiens et à l’angoisse de castration); tandis que l ’autre partie semble plus
naturellement s’incorporer au Moi en tant q u ’il est agent de la défense contre
le Ça... (1).
Il est clair que cette nouvelle catégorisation des parties, ou lieux, ou instances
qui composent la personne (réduite à n ’être q u ’un composé inconscient des
conflits intra-systémiques) tombe comme la première sous le coup de la cri
tique que nous avons faite plus haut, savoir que ce champ intrasubjectif repro
duit le système de relations intersubjectives (d’où son caractère anthropom or
phique loué p ar les uns et dénoncé par les autres) et, somme toute, pose
schématiquement le problème de la projection délirante et hallucinatoire
plutôt q u ’il ne le résoud.
La chose est particulièrement sensible à propos du Sur-Moi. Cette instance
qui représente en effet la « voix de la conscience » (cf. supra, p. 216), elle
est bien celle qui parle quand l ’halluciné s’entend accusé et condamné. Les
voix, ne cesse-t-on de répéter, sont la voix du Sur-Moi. Déjà Freud comme
nous l ’avons rappelé, avait insisté sur la structure verbale et notam m ent audi-
tivo-verbale (préceptes, ordres, conseils, etc.) de la fonction du Sur-Moi.
S. Nacht et P. C. Racamier (p. 486) ont particulièrement insisté sur l’im
portance de la projection hallucinatoire du Sur-Moi qui va pour ainsi dire
de soi si le Sur-Moi est fait de l ’incorporation des paroles, des ordres, des
blâmes, des menaces et de la sévérité des parents. A u début du paragraphe
q u ’ils consacrent au mécanisme de la projection en tan t que propriété réifiante
dont le Sur-Moi assure u n usage parfait, ils rappellent une observation publiée
par S. N acht (1934). Cette m alade présentait une psychose hallucinatoire à
tonalité dépressive. Ses Hallucinations, ses voix lui reprochaient d ’avoir des
rapports incestueux avec ses fils et d ’avoir un am ant qui serait le vrai père de
ces fils... Or, dit S. Nacht, ces faits « étaient exacts » (tout au moins pour ce
qui concerne l’infidélité). Une culpabilité consciente, poursuit l ’observateur,
commença alors à ravager l ’existence de cette femme. Les voix hallucinatoires
n ’avaient pas tout à fait tort. Plus exactement, elles prononçaient tout haut
des reproches que la malade s’était longuement adressés tout bas elle-même...
Cette assimilation des voix du Sur-Moi, soulignée ici p ar des auteurs qui ont
(1) Naturellement, j ’ai développé tous ces points de vue dans « La Conscience »,
et notamment dans la partie consacrée au problème de l ’Inconscient et à l’appareil
psychique dont j ’ai proposé une révision sinon un renversement.
TOPIQUE 1049
(1) C ’est ce qu’a très bien vu Erwin Straus quand il dénonce ce solipsisme comme
le plus grand défaut (schwerster Mangel) de la Psychanalyse (von Sinn der Sinne),
2e édition, p. 58.
NÉCESSITÉ D'UNE PROFONDE RÉVISION 1051
Comme nous l ’avons déjà plus haut indiqué, le trouble négatif impliqué
dans le concept de régression devrait aller de soi, car il devrait paraître évident
à tous ceux qui en font usage que le processus de régression est équivalent à celui
de désorganisation pour impliquer q u ’à un mouvement de progrès se substitue
une force rétrograde contraire. O r — et tout spécialement dans la théorie de
la projection hallucinatoire — la doctrine freudienne de la régression impose
paradoxalement l ’idée d ’un phénomène positif. Nous devons bien nous expli
quer sur ce point d ’abord avant d ’examiner comment dans les textes freudiens
(ou psychanalytiques en général) cette position est constamment abandonnée
pour être en effet insoutenable autrem ent que p ar u n excès de zèle pour le
modèle linéaire qui, unissant le désir à l ’objet, se doit de considérer la percep
1052 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
intense pour projeter une perception — 2°) à l ’interpréter comme une solution
économique d ’un problème libidinal, comme un effet de la stratégie du désir.
C ’est dans ce sens que l ’on parle constamment (1) de l ’Hallucination comme
un bourgeon (Abkömmling) de l ’instinct ou de l ’Inconscient, et que c ’est
la force de l ’imago et des fantasmes qui, sollicitant la satisfaction du désir p ar
son objet hallucinatoire, est appelée le mécanisme de régression vers des formes
inconscientes ou primitives des exigences du principe de plaisir.
Or, toute l ’argumentation que nous avons développée dans cet ouvrage
nous permet de révoquer en doute, tout à la fois le caractère partiel du
phénomène hallucinatoire (car l ’Hallucination fragmentaire n ’étant pas
complètement hallucinatoire, n ’est q u ’une Éidolie hallucinosique dont pré
cisément la psychogenèse est exclue) et le caractère en quelque sorte non
spécifique (non pathologique) de ces phénomènes dits abusivement hallucina
toires, alors q u ’ils se présentent chez tous les hommes comme une illusion
(contrôlée) du désir, fût-il inconscient. Nous touchons précisément p ar cette
dernières remarque au fond de la critique de cette régression purement libi
dinale et intentionnelle (économique) à quoi on accorde si allègrement un pou
voir « hallucinogène ». Car, en effet, dans la mesure même où le réservoir pul
sionnel de l ’Inconscient est chez chacun infini et chez tous commun, l ’intensité
du complexe affectif (pas plus que dans les théories mécanistes, nous l ’avons
vu, l ’intensité des images) si elle est une condition nécessaire n ’est certainement
pas une condition suffisante pour halluciner. E t si halluciner ce n ’est que
« régresser » au fur et à mesure des besoins et des circonstances, c’est-à-dire
replonger ou basculer dans les anachronismes du temps passé ou dans les
rétrospectives du temps perdu, on ne saurait sans abus parler, ni de régres
sion, ni d ’Hallucination. Où est, en effet, la « régression » quand elle n ’est
pour ainsi dire que la constance de la mémoire affective et la fixité de
tendances affectives ? Où est l ’Hallucination si le phénomène ainsi appelé
n ’est que le rappel autom atique d ’un souvenir ou d ’une habitude ?
Disons plutôt que cette interprétation, encore une fois linéaire de l ’Hallu
cination p ar la résurgence ou la force d ’une constellation affective inconsciente,
c ’est-à-dire passée mais jam ais dépassée, ne se soutient q u ’au regard d ’une
effet, c’est déjà dans les « Études sur l ’Hystérie » (et sous l’influence de Breuer) puis
dans 1’« Esquisse de Psychologie scientifique » que se trouve la racine commune de
cette interprétation en quelque sorte mécanique de l’Hallucination par une excitation
« régrédiente » (rückläufige) de l’appareil perceptif. Il suffit d’ajouter que cette exci
tation n ’est qu’une excitation libidinale pour obtenir le trait d’union qui unit la
théorie mécaniste de l ’Hallucination au xixe siècle à la théorie psychogéniste de la
régression au xxe siècle.
(1) J ’ai déjà signalé (supra, p. 1007) par exemple comme typique de cette manière
de voir, soit le rapport que H. F lournoy présente sur « Le problème des Hallucina
tions du point de vue psychanalytique » à la réunion de la Société Suisse de Neuro
logie et de Psychiatrie à Prangins en 1933, en même temps que j ’y présentais moi-
même une de mes premières études sur les Hallucinations.
1054 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
ung » nous voyons apparaître une théorie de la régression qui dépasse de beau
coup cette conception un peu naïve.
A propos du caractère « régrédient » du rêve dont il rappelle que
Albert le G rand l ’avait déjà souligné (comme plus tard en 1916 il rappellera
également la thèse analogue d ’Aristote), Freud a bien soin de nous mettre en
garde contre l’illusion que peut engendrer l’usage de cette notion (nous n ’avons
fait que donner un nom, écrit-il, p. 446, de la traduction française de Meyerson)
à un phénomène inexplicable. « C ar il ne s ’agit pas du tout de confondre le pro
cessus régrédient du rêve avec le mouvement rétrograde que constitue par
exemple dans la veille le retour en arrière par la fonction de la mémoire, ou
de quelque acte complexe de représentation vers la matière première mnésique
qui est à sa base ». Le travail du rêve (Traumarbeit) tel q u ’il a été décrit au cha
pitre VI de la Traumdeutung, consiste à instaurer ces modes de pensée carac
téristique du processus primaire ou inconscient : condensation (Verdichtung),
déplacement (Verschiebung), régression vers la pensée figurative (Rücksicht
a u f Darstellbarkeit) et élaborative secondaire (sekundäre Bearbeitung) inter
venant pour constituer le rêve en son récit. Or, ce travail n ’est possible que grâce
à une modification du processus psychique habituel. « C ’est, ajoute Freud,
probablem ent cette modification qui permet l ’investissement du système de
la perception ju sq u’à la pleine vivacité sensorielle, en suivant une marche inverse
à partir de penser. Et il convient, dit-il, d ’appeler régression le fait que dans
le rêve la représentation retourne à l ’image sensorielle d ’où elle est sortie ».
Comme pour mieux préciser encore son idée quant à l’originalité de cette
régression dans le rêve (et les états psychopathologiques analogues), Freud
revient à plusieurs reprises sur les caractéristiques propres à la pensée onirique en
tant q u ’elle est figurative, q u ’elle est un mode de figurabilité (Darstellbarkeit),
c’est-à-dire en fin de compte, une modalité de la vie psychique qui manifeste
une perte du pouvoir facultatif de l ’abstraction. Cette référence à la conception
« silberienne » de l’activité psychique symbolico-onirique revient sans cesse
sous la plume de Freud comme pour mettre en évidence q u ’il y a trois
types de régression, une régression topique (dans le sens des schémas que
nous avons reproduits plus haut) c ’est-à-dire d ’u n mouvement régrédient
au travers d ’une succession de systèmes (de lieux) psychiques que l’excitation
parcourt selon une direction normative — une régression temporelle caracté
risée par le retour à des formations psychiques passées — et une régression
formelle (1) caractérisée p ar la substitution de modalités psychiques d ’expres
sion et de figuration du milieu inférieur aux processus de différenciation
caractéristique du processus secondaire (2), et lorsque Freud nous dit à
ce sujet que ces trois sortes de régression « n ’en font pourtant qu’une au
2° L a m is e e n d é fa u t d e l ’é p re u v e d e r é a lité .
Freud l’a très fortement soulignée dans le texte de 1916 (in Metapsychologie)
auquel nous allons principalement nous référer : « l ’Hallucination doit être plus
q u ’une réviviscence régressive des images mnésiques appartenant elles-mêmes
à l’Ics » (1). Nous avons déjà très longuement rappelé ce texte pour nous essentiel
(in 3e Partie, chap. II, p. 397). Il impose l’idée comme elle s’est imposée à l’es
prit de Freud à ce moment-là, puis à J. Lacan et à A. de Waelhens ces dernières
années, savoir que la projection de l 'Inconscient refoulé (originaire ou secondaire)
ne constitue pas une théorie de l ’Hallucination, et tout spécialement de l ’Ex
périence délirante et hallucinatoire. Il ne peut être question en effet, comme
nous venons de le voir, de considérer que la régression est réductible à une
pulsion ou à un complexe pulsionnel. Il faut, au contraire, dire que la projection
pulsionnelle ne parvient à l ’Hallucination que par l ’effet de la régression. Et
c’est bien, en effet, cette théorie qui apparaît, transparaît et même s’affirme dans
cette fameuse « Metapsychologische Ergänzung zur Traumlehre » écrite certaine
ment bien avant sa parution en 1916 (Zeitschrift fü r Psychoanal). Certes, ce
(1) Die Halluzination nuns also mehr sein als des regressive Belebung der an sich
ubw. Einnerungsbilder (G. W., X, p. 422).
1058 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
texte com porte bien des obscurités ou des hésitations, mais il montre
comment la théorie freudienne de l’Hallucination implique nécessairement
q u 'autre chose que la force des pulsions, la disposition hallucinatoire positive,
doit intervenir pour que l ’Hallucination se produise; car, écrit Freud, l’appari
tion des images mnésiques nettes n ’implique pas que nous les prenions à aucun
mom ent pour des perceptions réelles (reale Wahrnehmungen)... Et c ’est ainsi
que s’introduisent dans la théorie de Freud des notions capitales de Realität
prinzip (principe de réalité) et de Realitätprüfung (épreuve de réalité). Nous
préférerions recourir pour désigner ce que ces deux notions ont de commun,
au terme qui lie (toujours dans la Métapsychologie) l ’épreuve de la réalité
à un « dispositif », F « Einrichtung », que Freud rapporte au seul système
Conscient-Préconscient. Car par là (et cela est fondamental pour nous dans
le problème pathogénique de l ’Hallucination comme plus généralement pour
l ’articulation de notre propre psychopathologie générale avec la doctrine
freudienne) est formellement reconnue la nécessité d ’un complément à la théorie
linéaire de la projection, celui d ’une théorie de la destruction de l ’être conscient.
temps : « la réalité c'est ce qui s'oppose aux choses » n ’est qu’un petit truc dans la
manipulation habile de la prestidigitation verbale.
Parmi tous ces travaux sur l ’épreuve de réalité parus dans ces dernières décades,
signalons : celui de M. Baiint (J. med. Psychol., 1942), les commentaires de J. Laplanche
et J. B. Pontalis (sous les rubriques Épreuves de réalité — Principe de réalité — Moi-
réalité), l’article de Marvin Hurwich (On the concept of reality testing, Intern. J. o f
Psycho-anal., 1970, 51, 299-311) et l’exposé de A. Garma (Genesis y contendo pri
mordial de la alucinacion onirica, RevistadePsicoanalisis, 1969, Buenos Aires, 489-552,
et spécialement, 496-509). M. Balini souligne quelques fonctions de l’épreuve de réalité :
discrimination du dehors et du dedans — attribution de la cause de la sensation —
sens du stimulus et réaction adaptative à la sensation perçue. M. Hurwich reprend à
son tour l’habituelle analyse de la fonction du réel envisagée comme la discrimination
perceptive des objets internes et des objets externes. Freud ayant insisté sur le désin
vestissement du monde des objets extérieurs dans le rêve et la psychose, A. Garma
insiste inversement sur le fait que ce que le Moi a le plus de peine à dominer (pendant
le sommeil, comme dans la psychose onirique), c’est ce qui se passe à l’intérieur et qui
apparaît alors comme objet perçu à l’extérieur de soi. B est impossible de comprendre
pourquoi il y aurait opposition de ces thèses puisque toutes les deux, comme celles
que reprennent constamment les psychanalystes, consistent à ne voir la perception
du réel que sur le modèle de la perception répondant à un stimulus externe. Mais la
perception est un acte qui se saisit tout à la fois des phénomènes qui apparaissent dans
la réalité intérieure ou extérieure, non pas seulement pour les disposer dans un espace
homogène mais pdur les distribuer dans les catégories du réel qui, toutes, impliquent
que le réel n ’est pas dehors ou dedans, mais ce qui fait face — du dehors ou dedans —
au Sujet. De sorte que la perception de l’objet extérieur n’est pas constante dans tout
acte perceptif, et que la perception de l ’objet intérieur (les pensées et images automa
tiques) fait également partie de l’acte perceptif. L’Hallucination ne résulte pas de
l ’inversion du mouvement de la perception externe objective; elle résulte de l’inca
pacité de distinguer dans l ’acte perceptif lui-même ce qui est objectif (interne ou
externe) de ce qui est subjectif (interne ou externe); car il y a dans chaque acte per
ceptif une proportion diverse mais constante d ’objectivité et de subjectivité. Soit que
je regarde cet arbre et que je ne le vois pas ou que je le prenne pour un homme, soit
que je discoure avec moi-même en me faisant apparaître la voix de mon propre dis
cours, toute perception n ’est pas séparation absolue (tout ou rien) de l ’extérieur et
de l’intérieur mais opération de distribution des valeurs de réalité. Autrement dit, la
théorie de la perception du réel postulée par Freud et ses disciples encourt tous les
reproches que l’on peut faire à une théorie associationniste de la perception. Cela ne
l’empêche pas d’être valable quand elle met l’accent sur l'opération de l’épreuve de
réalité pour autant qu’elle assure le sujet contre l’erreur de l’hallucination. Mais cette
transformation dont la nécessité était apparue à Freuden 1916dans le texte auquel
nous allons revenir rend bien vaines ces discussions comme celles auxquelles nous
venons de faire allusion sur la réversibilité (les investissements et contre-investisse
ments) des « objets » externes ou internes dont le rapport de Denise Braunschweig (1)
consacre l’inanité. Même quand elle se cache dans la redondance d’une glose savante
qui ne peut, pensons-nous, tromper personne d ’autre que celui qui a déjà souscrit
aux simpitemelles ritournelles d ’une recherche acrobatique d ’une « vérité » constam
ment niée ou déniée. Comme les prédictions des horoscopes, les explications psychana-
lytiques sur les phantasmes et la réalité ne sont jamais que les cercles magiques dans
lesquels elles s’enferment pour « se sécuriser ». Car, bien sûr, il est aussi facile de
réduire l’horreur de la réalité du Moi et des valeurs à un système de défenses incon
scientes que de réduire les « voyants » de la réalité et du monde dont cha
cun a conscience à des pulsions narcissiques, prégénitales, ou, dans les deux cas, à
des constellations astrologiques...
Les quatre « objets » fondamentaux (1), selon J. Lacan, ne peuvent évidemment
que faire partie de cet espace phantasmique constituant seulement, dit S. Leclaire
(Démasquer le réel, Le Seuil, 1971), le « réseau littéral » tissé selon les principes de
l’économie libidinale pour se substituer ou faire place à l’innommable voilé. Mais à
peine, bien sûr, décrite cette réalité symbolique bouchant le trou de l’espace perdu du
désir — à peine démasqué ce que S. Leclaire laisse entendre comme le réel ( Wirklich-
keit), que le Psychanalyste se prend lui-même nostalgiquement à se déprendre de cette
fausse réalité (Realität), à telle enseigne qu’il ne peut se définir lui-même que comme
celui qui « en définitive tient compte du réel »... Comprenne qui pourra !
La claire vision d ’un double système psychique (Ics-Cs) dont l’un est
antagoniste de l ’autre (c’est-à-dire de la réalité ontologique même de l’être
psychique), n ’a certes jam ais été perdue de vue p ar Freud. Et dans Y Esquisse
{comme dans L a lettre 105 à Fliess), il est bien indiqué précisément à propos
des états hallucinatoires que ceux-ci sont régis non plus p ar la réalité mais par
la réalisation du désir (Naissance de la Psychanalyse, p. 246, et E. Jones, La
vie et l'œuvre de S. Freud, trad. fr., 1958, tome I, p. 396). C ’est q u ’il est déjà
question naturellement du point d ’impact du nouveau-né, être de désir, avec
la réalité dans Y « Esquisse » (trad. fr. p. 338) quand il y est noté que l ’absence
de l ’objet contraint le nourrisson à ne plus se contenter de son image mnésique
hallucinatoire. Autrement dit, si l ’être tend d ’abord et fondamentalement à la
satisfaction de son désir par le plaisir, Y objet est là comme pouvant ne pas être
là ; et c’est cette déhiscence de l ’objectivité p ar rapport à la subjectivité qui est
bien évidemment pour tout le monde (on n ’a pas attendu Freud pour s’en
apercevoir) qui crée le monde de la réalité pour autant q u ’il s’oppose aux seules
exigences du principe de plaisir. Tandis que dans le chapitre VII de 1’ « Inter
prétation des rêves » la théorie de la conscience (et de la réalité) est pour ainsi
dire repoussée au deuxième plan, le système Cs-Précs étant considéré comme
une sorte d ’annexe sensorielle de l ’appareil psychique tout entier organisé par
e t pour le jeu des images, des représentations et des souvenirs inconscients, en
1911 parut un écrit (2) qui montre que, comme le nouveau-né se heurte à la
(1) Le sein, l’excrément, le regard, la voix. Pourquoi pas aussi le sperme, le sang
et les larmes ? Lorsqu’on prétend établir une cosmologie anatomique de la « réalité »,
•on se demande pourquoi des morceaux aussi « sophocléens » ou « shakespeariens »
d u corps dramatique de l’Homme n ’y figurent pas ? C’est que tout simplement à ce
petit jeu, jouer c’est souffler.
(2) Formulierungen über der zwei Prinzipien der psychischen Geschehens (Jahrbuch
für Psychoanalyse, 1911), in G. W. VIII, p. 230-238. Nous ne connaissons pas de
traduction française de ce mémoire.
ÉVOLUTION VERS UN MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE 1061
réalité, la théorie psychanalytique est confrontée elle aussi avec elle. Freud fait
allusion dans cet écrit à la perte de la fonction du réel de Janet, et par là indique
quel pont peut être désormais jeté (même si personne parm i les psychanalystes
n ’a jamais voulu en emprunter la voie) entre la théorie rigoureusement psy
chogénique et la conception organo-dynamique de l ’appareil psychique et
de sa désorganisation. Le névrosé, dit Freud dans ce travail, a tendance à se
retrancher de la vie réelle (realen Leben), à se détourner d e là réalité (der
Wirklichkeit zur entfernen), car il la trouve insupportable. Ce même phé
nomène de fuite de la réalité (Verleugnung) se retrouve dans certaines Psychoses
et particulièrement dans les Psychoses hallucinatoires, comme l ’avait déjà
pressenti Griessinger (1). Cela revient à dire que dans tous les cas c ’est le prin
cipe de plaisir (Lust, Unlustprinzip) qui régit ces symptômes névrotiques et
psychotiques. Comme cela avait été exposé dans « L ’interprétation des rêves »
l ’état d ’équilibre étant rom pu par le besoin, ce qui est désiré n ’entre que dans
la sphère de la représentation et sous forme « hallucinatoire » (comme dans le
rêve dont la réalité est niée par le rêveur à son réveil)-. Or, le principe de réalité
c ’est précisément une m utation, une sublimation (Aufhebung), du principe de
plaisir qui permet de tenir compte des objets de la réalité pour les utiliser dans
l ’exercice différé et calculé des modalités de satisfaction qui cherchent dans la
réalité les satisfactions possibles. Mais dans tout ce mémoire, la suspension du
principe de réalité dépend pour Freud uniquement d ’un abandon intentionnel
du Sujet. La note p. 231 est à cet égard importante puisqu’elle y rappelle que
l’état de sommeil ne se constitue comme négation de la réalité q u ’intentionnelle-
ment par le désir de dormir. Pour Freud, la substitution du principe de plaisir
au principe de réalité ne dépendrait au fond que du bon vouloir, des investis
sements facultatifs, ou plus exactement, des mouvements intentionnels du
Sujet (2). M ais cette manière de traiter le phénomène hallucinatoire comme
l’effet positif d ’une intentionnalité inconsciente ne pouvait pas ne pas trouver
dans l ’esprit même de Freud sa propre contradiction. D ’où la reprise néces
saire du problème dans le texte de 1916 qui est pour nous d ’une importance
capitale.
Le texte « Metapsychologische Ergänzung zur Traumlehre » (1916) (3) nous
paraît avoir une importance fondamentale car, sans rompre définitivement
bien sûr, avec les postulats essentiels de sa théorie de l ’intentionnalité
(1) J ’ai complété cet exposé critique au Colloque de Paris (xme Ait .), 1972.
(2) Erwin Straus (p. 58) souligne, en effet, que les investissements dépendant
du seul principe du plaisir du Sujet dont il dit « er mag sich verhalten wie er will
(il se comporte comme il veut), se comporte comme il veut avec ses investisse
ments et désinvestissements qui lui font plaisir dans sa théorie, comme le psychana
lyste dans ses interprétations.
(3) Nous citons le texte allemand tel qu’il se trouve in G. W., tome X. Sa traduction
française a été faite par Marie Bonaparte et A. Berman et a paru in Rev. fr. de
Psychanalyse, 1936 et dans « Métapsychologie », Gallimard (12e édition, 1952, p. 162-
188).
1062 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
inconsciente absolue, Freud semble avoir là plus que partout ailleurs senti
le besoin d ’introduire avec la notion de principe de réalité et l ’épreuve de réa
lité une nouvelle — ou en tout cas plus im portante — dimension de l ’appareil
psychique, celle de l’être conscient, pour la compréhension du fait que tous
les hommes ne sont pas hallucinés et que certains le sont.
Le mémoire commence p ar un rappel de la fonction hédonique du rêve
et du sommeil. Celui-ci satisfait le narcissisme prim itif en retirant le Sujet
presque totalem ent du monde — celui-là est une satisfaction hallucinatoire
du désir (halluzinatorischen Wünschbefriedigung). Dans cette première partie
du texte il est surtout question du « narcissisme » (en tant, bien sûr, que prin
cipe du principe de plaisir), c ’est-à-dire de l’interprétation du sommeil et du
rêve en tant q u ’ils répondent à l ’appel d ’un désir de désinvestissement objectai.
Mais ce désinvestissement n ’est pas total, et notamment les « restes diurnes »
vont être mobilisés (devenus les « entrepreneurs » du rêve) par leur investissement
p ar la sphère des désirs profonds inconscients, car il y a, souligne Freud, une
sorte d ’abaissement de la censure entre les et Précs pendant le sommeil. Nous
voyons donc que l ’utilisation des résidus diurnes introduit dans la formation
du rêve ce quelque chose qui est emprunté à l ’actualité des événements récents
et des motifs conscients et ne dépend pas seulement du désir inconscient qui
fournit au rêve son « capital ». Ce « Traumwünsch » fondamental, c ’est-à-dire
cette force de pulsion qui est à la disposition du désir refoulé (comme il l ’a
montré dans « L'interprétation des rêves » peut, soit faire irruption dans le Cs
(et c ’est l ’idée délirante réalisant le désir hors du sommeil) — soit se réaliser
dans les mouvements comme dans le somnambulisme — soit prendre un
chemin différent qui constitue la voie de la régression. Autrement dit, la voie
hallucinatoire qui conduit le désir à son objet se complique de tout le travail
d ’élaboration du rêve où collaborent le désir inconscient et les modalités de
la pensée consciente.
D ’emblée, ce supplément « à la théorie du rêve » montre donc q u ’il y a
une sorte de coopération entre la finalité inconsciente et les modalités conscientes
de l’expérience et de la pensée. Freud indique justem ent que le processus de
form ation du rêve doit être envisagé selon trois phases (ou trois composantes).
Dans un premier temps, le processus ébauché p ar le Pcs est renforcé p ar l ’Ics,
et les restes diurnes sont investis de charges pulsionnelles inconscientes. Dans
un deuxième temps s’instaure la force du désir proprem ent inconscient qui va
doter le rêve de son sens. Enfin dans un troisième temps, le processus ébauché
dans le Pcs et renforcé p ar l ’Ics retrouve son chemin à travers l’Ics vers la
perception qui s’impose alors à la conscience. C ’est ce troisième temps qui
constitue la régression (1).
II s’agit bien d ’une « régression topique » (topische) qu’il ne faut pas confon-
(1) Nous avons déjà vu plus haut que la régression topique dont il est question
ici introduit une nouvelle dimension dans la formation des rêves (et du délire hallu
cinatoire). Nous pensons cependant utile d ’y revenir encore ici en exposant ce texte
capital.
ÉVOLUTION VERS UN MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE 1063
(1) F reud insiste alors sur l’exclusion des représentations verbales dans le travail
profond inconscient du rêve. Toutes les pensées qui entrent en effet dans le rêve pro
viennent du matériel fourni par les résidus diurnes, c’est-à-dire le Pcs.
(2) A vrai dire, la pensée de F reud reste flottante à cet égard, et il finit par admettre
p. 420, G. IV., et p. 178 de la trad. fr.) que la phase hallucinatoire de la Schizo
phrénie est composite (zusammengesetzter) et correspondrait essentiellement à une
tentative pour réinvestir les représentations verbales.
E y. —• Traité des Hallucinations, n. 35
1064 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
Nous avons déjà fait référence explicite précédemment (1) à ce que dans ce
Mémoire de 1916 Freud a écrit sur l’importance des stiuctures de la conscience
pour l’organisation de la vie psychique conformément au principe de réalité.
Il faut, dit Freud, en revenant à la satisfaction hallucinatoire primitive (qualifiée
dans le texte par le mot Fiktion, traduit assez légèrement par celui d’hypothèse
dans la traduction française), il faut bien penser que l’insuccès de la représen
tation de l ’objet se substituant à l’objet réel doit inciter le Sujet de cette expé
rience primitive à créer une organisation (Einrichtung qui est le terme repris
à plusieurs reprises dans le texte) qui permette de distinguer une perception
hallucinatoire du désir d ’une vraie perception d ’objet réel... Et c’est ici qu’inter
vient la fameuse « épreuve de réalité » ( Realitätprüfung) assurée par ce dispo
sitif ou cette organisation. Or, il vient à l’esprit de Freud dans la suite de sa
réflexion cette idée — que pour notre propre compte 50 ans après lui nous ne
cessons de reprendre — que l’épreuve de la réalité n ’est possible que si une orga
nisation de la vie psychique est possible, c’est-à-dire si nous assimilons cette
organisation à celle de l’être conscient. Ce n ’est pas nous qui le disons en effet
mais Freud lorsqu’il écrit « wir nun daraus gehen das dritte unserer psychischen
Systeme das Systeme Bw welche wir bisher von Vbw nicht scharf gesondert
haben, näher zu bestimmen » (G. W., X., p. 422-423) (2), et il insiste en disant,
« nous devons faire du système Cs le point central (Mittelpunkt) de notre intérêt
(Interesses) (3). Un peu plus loin, Freud dit, « c’est bien la fonction de l’être
conscient (le Cs) qui assure la différenciation entre l’intérieur et l’extérieur et
qui exerce l’épreuve de réalité grâce à son organisation » (Einrichtung). Et
enfin, comme pour mieux assimiler encore l’exercice de l’épreuve de la réalité
en conformité avec le principe de réalité par le Cs, c’est au Moi en tant qu'éla
boration du Cs qu’est rattachée l’épreuve de réalité. On ne saurait donc être
plus explicite. Ce qui nous protège contre l ’Hallucination c ’est, dirions-nous,
la structure de l’être conscient et notamment l’organisation du Moi. C’est ainsi,
que pour terminer Freud dit que dans la psychose hallucinatoire de la démence
précoce, celle-ci n ’est rendue possible que lorsque le Moi du malade est suffi
samment désagrégé pour que l’épreuve de la réalité ne suffise plus à empê
cher l ’Hallucination....
Nous n ’avons pas besoin d’insister davantage; mais qui pourrait nier que
(1) Une première fois à propos des « Expériences hallucinatoires » (p. 400)
et un peu plus haut à propos de la notion de régression (p. 1057).
(2) Nous devons déterminer plus précisément maintenant ce qu’est le système Cs
que nous n ’avons jusqu’ici pas nettement distingué du système Pcs. (p. 181 de la
trad. fr.).
(3) Nous rétablissons ici la traduction du texte freudien dont le sens est adultéré
par la traduction française. Pour le psychanalyste convaincu qui a traduit cet article,
cette affirmation par F reud lui-même, de l’importance du système Cs a pu paraître
assez géniale pour être édulcorée, et la traduction de M. B onaparte et de A. B erman
fait dire simplement à F reud « il faut attendre de pouvoir faire du système Cs l’objet
spécial de notre étude ».
ÉVOLUTION VERS UN MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE 1065
(1) C’est peut-être à cette intuition que correspond la note de F reud qui dit
(p. 423 du texte allemand des G. W.) qu’une vraie tentative pour expliquer l’Hallu
cination devrait s’appliquer, non à l’Hallucination positive mais bien plutôt à l ’Hallu
cination négative.
(2) Cf. mon texte, in C. R. Colloque de Paris (xme Arr., 1972).
1066 THÉORIE PSYCHANALYTIQUE
*
* *
Pour nous, il ne fait pas de doute que S. Freud a très bien compris la néces
sité de donner (de redonner) une importance capitale dans la théorie même
de l’Inconscient à l ’instance refoulante. Or, celle-ci ne peut pas être seulement
une machine thermodynamique, encore moins un système hydraulique fonc
tionnant comme pompe refoulante ou exerçant sa pression dans la tuyauterie
ou les systèmes de connexions d’une « machine désirante » régie seulement
par le jeu aléatoire des pistons mus par les vides de la « psycho-machine »
telle que se la représentent G. Deleuze et F. Guattari par un effort d ’imagi
nation génial (littérairement génial, dans le style d ’Albert Jarry).
Si l’œuvre de Freud a un sens — et quel sens ! — c’est bien d ’avoir montré
que l ’Homme n ’est pas, ne peut pas être seulement être de désir, car il ne peut
rien faire ni rien penser qui ne le tienne dans la condition du rêve ou de la
Psychose, c’est-à-dire de l’Hallucination absolue si les forces de l’Inconscient
ne sont pas refoulées. Oh ! pas seulement et immédiatement du dehors par
la Société, mais par l’organisation même du corps psychique en tant qu’être
conscient. D ’où l’importance déjà progressive de la substitution à la théorie
du « refoulement originaire » (qui n ’a strictement aucun sens pour réduire
précisément l’homme à n ’être qu’une machine haletante, poussive et gémis
sante) d ’une « Egopsychology » (1) dont on peut dire qu’elle répond au vœu
même de S. Freud (G. W., X, 422). C ’est effectivement l’être conscient, le Moi (2)
qui constitue, nous allons le voir — comme nous l’avons vu dans notre ouvrage
sur la Conscience — la forme même et la loi du système de la réalité qui n’asser
vissent pas l’Homme mais, le libérant (Aufhebung) de son Inconscient, permet
tent sa liberté et le protègent contre l’aliénation hallucinatoire de son existence.
Il n ’y a ni réalité ni hallucination sans cette incorporation du Système de la
réalité qui constitue l’organisation du corps psychique en être conscient puisant
sa source, mais aussi son sens, dans sa relation avec YInconscient. C’est ce que
nous allons expliciter maintenant.
(1) Cf. par exemple l ’importance donnée par Thomas F reeman ou J. A rlow
et Ch. B reusch (Int. J. Psychoanalysis, 1970) à 1’ « ego defect » dans la Psychose.
(2) C’est pourquoi le Moi, en tant que négation transcendentale de la positivité
du désir inconscient, se définit généralement (et souvent avec les attributs mêmes
du Sur-Moi ou idéal du Moi) par ses défenses (On compte 14 fonctions de défenses
dans l ’exposé de la « Classical Psychoanalysis » de J. E. M ack et E. V. Semrad
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I
SEPTIÈME PARTIE
LE MODÈLE
ORGANO-DYNAMIQUE
LES Q U A TR E TH ÈSES F O N D A M EN TA LE S
D’U N E TH É O R IE O R G A N O -D Y N A M IQ U E DE L’H A L L U C IN A T IO N
(1) Le lecteur voudra bien se rapporter au chapitre que nous avons consacré
à cet aspect crucial de la psychopathologie dans la « Psychiatrie der Gegenwart »,
1963 (écrit en français et traduit en anglais dans Philosophy and Psychiatry, éd. Sprin
ger, 1969), ainsi qu’à mon rapport au Congrès de Madrid (1966), C. R. Excerpta
Medica, tome 1 ,1968 — et texte complet in Évolution Psychiatrique, 1970, pp. 1-38 —
qui a été reproduit dans le n° 1,1970 de « l’Évolution Psychiatrique ».
1072 MODÈLE ORGANO-D YNAMIQUE
Ces quatre thèses sont liées entre elles; car dire que l’appareil psychique
« contient » l’Hallucination, c’est dire que celle-ci n ’apparaît que comme
1074 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Conviction semble-t-il, bien fragile pour être par avance (p. 174) ébranlée
quand l’auteur, à propos de ce que H usserl et M erleau -P onty ont écrit sur la
« certitude perceptive », consent à admettre que l’existence du monde perçu ou dans
le cas présent du réel est en deçà et au-delà de toute contestation possible.
CHAPITRE PREM IER
LE MODÈLE ARCHITECTONIQUE
DE L’ORGANISATION PSYCHIQUE
ANTI-HALLUCINATOIRE
1° L ’idée d ’organisation
chez les ph ilosoph es, les biologistes e t les psych ologues.
(1) Fr. J acob, La logique du vivant, 1970 (p. 115-126), dans son chapitre sur
l’organisation, a fait l’exposé le plus vivant de cette logique du vivant. Une telle
logique fait passer d ’une logique purement formelle, d ’un plan morphologique,
à la logique opératoire et créatrice. La vie psychique, plus même que la vie tout
court, passe constamment du « dessin » du corps à son « dessein », l’un se
réfléchissant sur l ’autre. Il n’est peut-être pas paradoxal — et encore moins déri
soire — de constater que la lecture de la « Biologie humaine » (Flammarion,
1917) de J. G rasset, tirée de la philosophie médicale de l’école montpelliéraine
(celle de B arthez et de R. M ourgue ), est encore d’un grand intérêt, et même
d ’une grande actualité.
I. ARCHITECTONIE (GÉNÉRALITÉS) 1077
(1) K rüger (F.), Zur Philosophie und Psychologie der Ganzheite, éd. Springer, 1953.
(2) H artman (N.), Kategoriete Gesetze, Philos. Anz., 1925-1926,1, p. 202; Philoso
phie der Natur. Abriss der speziellen Kategorienlehre, Berlin, 1950.
(3) Bleuler (E.), Naturgeschichte der Seele, 1921 ; Die Psychoid als Prinzip der
organischen Entwicklung, éd. Springer, 1925.
(4) H offmann (H . F.), Die Schichttheorie, éd. Enke, 1935.
(5) R othaker (E.), Die Schichten der Persönlichkeit, 5e édition, Bonn, 1952.
(6) Spranger (Éd.), Die Ursichten des Wirklichkeits bewusstsein, 1934.
(7) L ersch (Ph), Die Aufbau des Persönlichkeit, I e édition, éd. Barth, 1956.
1078 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) L evin (Max), H. Jackson views o f mentation, Archiv. Neuro-Psych., 1933, 30,
p. 848.
(2) M asserman (J.), Principles o f dynamic Psychiatry, Philadelphie, 1946.
(3) S chlesinger (B.), Higher cerebral fonctions and their Clinical Disorders,
New York, éd. Grune et Stratton, 1962.
(4) Sauf à mécaniser le désir comme le font G. D eleuze et F. G uattari
(1972).
I. ARCHITECTONIE (H. JACKSON) 1081
(1) Au Symposium sur « Brain Mechanisms and learning » (C. R., 1961), il a fait
une communication sur « D arwin and concepts of Brain Mechanisms ».
(2) Pour ce qui est des quatre principes fondamentaux qui, pour J ackson , régissent
l’évolution et la dissolution des fonctions nerveuses (principe de l’évolution ou, si
l’on veut, de la génétique structurale de l’organisation du Système nerveux central ;
— principe de la dissolution, c’est-à-dire du retour du plus organisé au moins orga
nisé ; — principe de la distinction dans la symptomatologie des affections nerveuses
de ce qui revient aux troubles négatifs et aux possibilités positives subsistantes ; —
principe de la distinction des dissolutions globales ou uniformes et des dissolutions
partielles), on les trouvera exposés dans notre mémoire, Encéphale, 1938, et plus loin
dans le quatrième chapitre de cette Partie.
(3) N ous devons à W. R iese de très im portants com mentaires sur la doctrine
de J ackson , particulièrem ent « Hughlings Jackson,s doctrine o f consciousness » (1954)
1082 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
et « The sources o f Jackson Neurology » (1956). Ces deux articles ont paru dans le
Journal o f nerv. and mental Diseases. Cf. plus loin p. 1227 ce que nous disons de
l’influence des idées de Jackson sur la Psychiatrie anglo-américaine.
(1) H. J ackson est né en 1834. Il fit ses études à York, notamment avec H. Th. L ay-
cock qui fut plus tard professeur de Médecine à Édimbourg. Lui-même vint à Londres
en 1839 et hésita un moment à abandonner la Médecine pour la Philosophie. H ut
chinson à qui nous devons ce renseignement nous dit qu’il parvint à le persuader
de continuer la carrière médicale. Il travailla au National Hospital de Queen Square,
puis au London Hospital. Son œuvre écrite est immense. En 1931, James T aylor ,
Gordon H olmes et F. M. R. W alshe ont publié les principaux morceaux choisis
de son œuvre « Selected Writings o f John Hughlings Jackson », 2 vol., éd. Hodder et
Staughton, Londres, 1961.
(2) Rappelons que les fameuses « Cronian Lectures » sont de 1884. On en trouvera
la traduction française par Pariss dans les Archives Suisses de Neurologie et de Psy
chiatrie, 1921-1922. Quant au mémoire intitulé « Factors o f Insanity » dans lequel
exceptionnellement H. J ackson s’occupe de Psychiatrie, il a paru en 1894 et on en
trouvera la traduction dans la Monographie que nous avons publiée avec J. R ouart
dans l 'Encéphale (1936).
/. ARCHITECTONIE (H. JACKSON) 1083
(1) W alshe (Sir Fr.), The brain-stem concemed as the highest level, etc. Brain,
1957, 80, p. 510-559.
(2) Max L evin , The mind Problems as H. Jackson doctrin if by concomitance.
Amer. J. o f Psychiatry, 1960, p. 718-722 et Consciousness and the highest cerebral
centers. Journal o f Ment. Sciences, 1960, p. 1398-1404. The levels of the nervous
System and the capacity to fonction indépendant. J. o f new and ment. Diseases, 1961,
p. 75-79. The notion of Psychiatry research with reflection of the research of Freud
and Jackson. Amer. J. o f Psychiatry, 1962, 119, p. 4044-09.
/. ARCHITECTONIE (H. JACKSON) 1085
Sir Ch. Sherrington (1) a été un des maîtres d’œuvre, un des plus grands
architectes de l’édification structurale du système nerveux. D ’abord intéressé par
les expériences de Goltz sur les chiens décérébrés, il appliqua son observation
et ses expériences à l’étude des automatismes réflexes. Et après avoir étudié la
coordination des mouvements et avoir saisi que ces mouvements s’articulaient
conformément à des principes d ’organisation ( the movements are not mean-
ingless) à leur signification fonctionnelle. C ’est le déroulement de l’action qui
s’intégre dans un temps où elle articule ses parties et non seulement dans
la configuration spatiale qu’elle parcourt qui constitue la loi de cette organi
sation. Et ainsi Sherrington, rejoignant Jackson, a montré admirablement
que même à ce niveau inférieur le plan d ’organisation à quoi correspond
la notion d’intégration dirige les mécanismes neuronaux. C ’est en ce sens
qu’il a pu dire, comme nous l’avons déjà noté, que le pur réflexe est une abstrac
tion, car ce que le neurophysiologiste observe c’est un arrangement plus
complexe et plus significatif. La structure discontinue du système neuronal
et les seuils d ’excitation de la transmission intersynaptique constituent, sou
ligne-t-il comme H. Jackson, seulement la base physique de cette intégration.
Son ouvrage « The intégrative action o f the nervous System » (lre édition
en 1906, 2e édition en 1947) est un monument de clarté et de précision. Le sys
tème nerveux peut être étudié à trois points de vue, sur le plan des neurones, sur
le plan de leurs connexions (de la conduction) mais aussi sur le plan de l’intégra
tion. Celle-ci ne résulte pas de ses parties ou de ses constituants, ni de leur trans
mission, ni de leur corrélation avec le milieu interne, mais elle constitue même
au niveau de « simple réflexe » une combinaison de réflexes isolés. C’est sur une
grande quantité de faits précis et minutieusement analysés (temps de latence
de la conduction nerveuse après l ’excitation, post-décharges, phénomènes de
sommation et d ’irréversibilité, sens de la conduction, etc.) qu’il a construit sa
théorie de l'intégration nerveuse. Tous ces faits montrent constamment la
subordination des éléments et mécanismes partiels à une configuration qui
implique l’intervention constante d ’un contexte multineuronique. C’est ainsi
que la moelle épinière a une action intégrative qui se manifeste par son apti
tude à former des réponses motrices appropriées en tenant compte de la totalité
des afférences qui convergent (Il a montré l’interaction de plusieurs réflexes
(1) Charles Scott Sherrington est né à Londres en 1857. Il a fait une carrière
de physiologiste, d ’homme de laboratoire et d’expériences, entièrement appliqué
à l ’étude du Système nerveux. Il a travaillé d ’abord au Brown Institut (ce fut l ’époque
de ses travaux mémorables sur le syndrome de décérébration, l’intégration de l’appareil
réflexe sur la base des connexions synaptiques de ses éléments). Puis il fut nommé à la
chaire de Physiologie d ’Oxford. Sir C. S . S h e r r i n g t o n est mort à l’âge de 95 ans
en 1952 après avoir obtenu le Prix Nobel de Médecine en 1932 (prix qu’il partagea
avec A drian ).
1088 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
sur une voie terminale, comme par exemple le guadriceps). Il se dégage de cette
étude de la combinatoire dynamique que réalise le processus d ’intégration,
que celle-ci peut opérer, soit une coordination de réflexes alternes (par exemple,
réflexe d’extension croisée et réflexe myostatique d ’un muscle extenseur contro
latéral), soit une corrélation des réflexes antagonistes (par exemple, inhibition
réciproque des réflexes de flexion unilatéral s’y opposant).
Il est intéressant de suivre le développement de ses idées sur l ’intégration
dans les segments inférieurs jusqu’à leur application aux niveaux supérieurs.
Pour lui, en effet, l’intégration telle qu’il la découvre par l’analyse même de
la coordination des mouvements, est une modalité de synchronisation qui
accorde dans le temps les figures qui la composent. Pourtant, comme il le
montre par exemple pour la station debout ou la vision binoculaire, il
préférait l’idée de centre spatial à l’idée d ’un système fonctionnel. Disons de
suite que, sauf quand à la fin de sa vie il a consenti à faire une sorte de saut
dans l’abîme métaphysique à l’attirance duquel il avait toujours résisté, disons
que ce qui caractérise la pensée de Sherrington c’est tout à la fois sa concep
tion vivante et gestaltiste du réflexe et son extension aux centres supérieurs.
Par là, Sherrington adopte assez exactement la même position que
Jackson.
Le livre sur 1’ « Intégration nerveuse » (The intégrative action of the nervous
System) ne fait guère remonter son étude des processus d ’intégration au-delà
des structures mésencéphaliques du cervelet et des centres oculo-moteurs.
Cependant, de fil en aiguille — selon la conception même de l’équipotentialité
segmentaire du système nerveux qui reprend tout au moins dans ses principes
la théorie anatomique de Jackson — il est conduit, à propos de la vision bino
culaire et à propos des combinaisons longitudinales entre les réactions du cortex
et de la moelle (en revenant sur la rigidité décérébrée), à présenter dans le der
nier chapitre de son livre un schéma du système général d ’intégration. Il fait
jouer au cervelet le rôle d ’un centre (« ganglion, dit-il ») du système proprio-
ceptif, tandis que le cerveau est l’organe de contrôle opérationnel ou volontaire
qui s’exerce par les « distance receptors » qui lui sont subordonnés.
La théorie de Sherrington coïncide non seulement avec celle de Jackson, mais
on peut dire qu’il a accentué encore la théorie d’une structure purement sen-
sori-motrice du cerveau, celle que précisément à la même époque Bergson
tenait pour acquise et qui lui faisait dire que le cerveau est un organe régulateur
des mouvements et rien que cela... On comprend que, au physiologiste à qui
nous devons tant sur les structures dynamiques de l’intégration des fonctions
motrices, on ne puisse guère reprocher d’avoir ainsi formulé une théorie de
l’intégration sensori-motrice généralisée. On peut dire d’ailleurs de ce point
de vue que c’est bien en effet sur ce modèle que la neurophysiologie classique
(et il faut certainement ajouter celle de nos jours) s’est toujours basée. Tout
le problème est de savoir ce que devient le « psychique » dans l ’organisation
même du système nerveux. Sherrington aurait pu dire qu’il est ce que Head
devait appeler la « vigilance », l’intégration elle-même, ce qui eut été vrai mais
seulement incomplètement. Car ce qui, en effet, pourrait valoir pour la psy-
I. ARCHITECTONIE (SHERRINGTON) 1089
choïde animale inférieure (ou la moelle), ne peut valoir également pour les
highest levels de la conscience de l’homme, laquelle ne peut se définir comme inté
gration qu’à la condition de remplir ce mot d’un contenu réel. Or, le contenu
réel du mot « intégration » à son niveau le plus élevé étant pour Sherrington
le mouvement (dans ses relations avec les récepteurs aux divers niveaux du
système nerveux), il n ’y avait dans son système pas de place pour la pensée
et la conscience. Nous voici à nouveau dans l’impasse à laquelle une concep
tion trop spatiale (1) de la superposition des fonctions nerveuses accule ses
tenants, même les plus géniaux. Si le système nerveux n ’est qu’une superpo
sition de centres ou de ganglions qui contrôlent les mouvements, ou bien
l’esprit est seulement ce mouvement, ou bien il est hors de ce mouvement, il le
double, il est juxtaposé à lui, il coexiste avec lui, et le cerveau est seulement son
organe instrumental.
Si l’ouvrage « The intégrative action o f the nervous System » ne prenait pas
nettement position sur ce problème, dans sa conférence prononcée en décem
bre 1938 à l’Université de Cambridge sous le titre « The brain and its mecha-
nisms », il affirmait, dans une conclusion dramatique pour le monde des psycho
logues et physiologistes qui voyait en lui « le philosophe du Système nerveux »,
qu’il n’y avait aucune claire relation entre le corps et l’esprit. C ’est qu’il était
en train de préparer ses « Gifford Lectures » (2) qui ont formé le gros ouvrage
« Man on his Nature » paru en 1940. C ’est dans ce livre que Sherrington, au
terme de sa longue carrière de physiologiste, éprouva le besoin de méditer
sur le problème qu’il s’était pour ainsi dire interdit d ’aborder. Dans ces confé
rences « Sir Charles » s’entretient — comme dans un dialogue de Platon —
avec ce personnage, à ses yeux prestigieux, Jean Femel (il l’appelle « notre
Femel »), ce médecin philosophe, physiologiste et astronome français du
xvi® siècle. Ce grand esprit de la Renaissance professait que la vie est un
principe qui réside dans le corps mais n ’en fait pas partie; conformément
aux contradictions qu’implique cette position cela ne l’empêchait pas de pro
clamer que la physiologie et la psychologie sont une même chose en se référant
à Aristote...
Ce sont naturellement les mêmes ambiguïtés qui vont se retrouver dans
l’œuvre de son admirateur. D ’une part, le cerveau y est présenté comme un
organe semblable à une machine comme, dit-il, l’automate de Descartes,
et naturellement il se réfère par là aux fondements mêmes de son œuvre phy-
(1) Parmi les principaux ouvrages publiés en France, nous signalerons ceux de
Laurent C ouffignal (dès 1933), et notamment sur Les Machines à penser (1952);
celui de P. de L atil , La pensée artificielle, Gallimard, 1954; celui de G. Th. G uilbaut ,
P. U. F., 1954; celui de P. C ossa, Masson, 1955; celui de L. Brillouin , Science
et théorie de l ’information, Masson et Cie, 1959; celui de R. R uyer , La cybernétique
et l’origine de l’information, Flammarion, 1954.
(2) K. Steinbuch , Automat und Mensch, 3e éd., Göttingen, Springer, 1965.
(3) G. B ouligand , Revue Philosophique, 1962, p. 261-267.
1094 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Sans doute, dit-il, les ingénieurs qui construisent des machines ont un but
bien précis, et ces machines sont supérieures “pour ce qui est de l’exécution
d ’un programme précis et partiel — même s’il est susceptible de développe
ment — à la « mécanique du cerveau » (capacités multipliées de l’infini du
traitement de l’information — économie de temps — régularité excluant les
défaillances humaines. Mais tous les travaux publiés depuis 1950 (surtout
ceux qui se basent sur les premières constructions « digitales ») tentant l’appli
cation de la Cybernétique à la Biologie n ’ont aucune valeur du point de vue
biologique ou physiologique (p. 462).
Nous devons nous borner ici à la critique que R. Jung a adressée du point
de vue de la neurophysiologie aux modèles cybernétiques. Certes, dit-il, il y a
bien quelque chose d ’analogue entre le stockage (Dataspeicherung), l’élabo
ration des données ( Dataverarbeiten) et la fonction de reconnaissance (Erkenn
ungsleistung) des machines électroniques et l’activité nerveuse. Mais la compli
cation des modèles construits ou théoriques ne peut suffire à leur identification
pure et simple avec les processus cérébraux.
— En ce qui concerne l’activité nerveuse supérieure, ni les modèles tech
niques des réflexes conditionnés (M. Gozzano et coll., 1951), ni la « tortue»
de Gray-Walter, ni les « matrices » de K. Steinbuch ne fonctionnent sur
des bases identiques à l’apprentissage des êtres vivants. C’est que l’informa
tion dans l’organisme ne s’effectue que par un processus de choix et d ’intégra
tion (p. 450). Comme l’a souligné Steinbuch lui-même, la quantité d ’infor
mation (approximativement évaluée à 1011bit/seconde à l’entrée d ’un computer
et 107 bit/seconde à l’entrée dans le cerveau) est infiniment plus petite
(16 bit/seconde) à 1’ « entrée » du champ perceptif vigile et attentif. Autrement
dit, il y a comme une raison inverse entre la finalité d’une machine à calculer
et la finalité des fonctions cérébrales. Celles-ci travaillent pour reproduire
à l’infini un travail de multiplication qui absorbe le plus d’informations pos
sibles conformes à un plan préalable (p. 450). Il est donc parfaitement vain
de chercher à établir un modèle cybernétique des fonctions du « highest level »
comme la conscience (p. 452-456) considérée selon une expression qui revient
souvent chez les neuro-cybernéticiens, sous sa forme « nébuleuse ». La
conscience ne peut être pour les cybeméticiens qu’un modèle du monde
extérieur en fonction duquel se calculent tous les comportements adaptatifs.
Cette idée d ’une identification de l’esprit à la machine incessamment reprise
depuis Spinoza, soit par la théorie de l’isomorphisme du cerveau et de la pensée,
soit par l’hylozoïsme qui identifie la matière à la vie, expulse nécessairement
la conscience pour autant qu’elle ne peut subsister ni dans son identification
avec la matière, ni dans son exclusion de l’organisme. Le modèle cybernétique
en la plaçant hors de l’organisation la détruit. Nous transposons ici plutôt
que nous ne traduisons exactement le texte de R. Jung, mais croyons-nous
sans en altérer l’idée directrice. Il n’hésite pas, en effet, à écrire (p. 455) que
le problème machine-conscience n ’est pas plus facile à résoudre que le pro
blème de l’âme et du corps.
Ce que nous venons de dire des « fonctions nerveuses supérieures » envisa
I. ARCHITECTONIE ET CYBERNÉTIQUE 1097
(1) J ’ai critiqué les concepts de la psycho-physiologie de P avlov dans mon travail
« La Réflexologie de Pavlov et la Psychiatrie » (É vol. P sy c h ., 1947, p. 197-279) en contes
tant une neuro-physiologie qui reprenait à son compte les vieux concepts de la psy
chologie associationniste. Une véritable neurophysiologie de l’activité nerveuse supé
rieure doit mettre l’accent non sur le « conditionné » mais sur la structure opératoire
du « conditionnem ent ».
(2) On trouvera dans l ’article de A. D. Z ourabachviii (S o v ie t P sy c h o lo g y , 1968-
1969, 7, p. 21-31) et dans celui de I. T. B zhalava (même revue, p. 48-55), un exposé des
idées de l’école géorgienne (D. N. U znadze ) qui intègre le « set » (ustanovska) dans
les « mécanismes cybernétiques ». Dans son récent travail (É volu tion P sych ia triq u e,
1971, IV, p. 489-495), A. D. Z ourabachvili a rappelé la nécessité d’introduire le
Sujet (la personne) dans la pyramide des niveaux dynamiques de l’appareil psychique.
1098 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
dantes d’une multiplicité de facteurs dont l’effet est ainsi modulé (Regelung).
Mais la grande erreur de la Cybernétique est de réduire toutes les fonctions
du S. N. C. à un même plan, de les traduire dans une sorte d ’ « espéranto »
commun à toutes les sciences (p. 464). Autrement dit, de n ’être pas sensible
à l’architectonie impliquée, dirions-nous avec Fr. Jacob, dans la logique de
l’être vivant et plus spécialement de l’être psychique (1).
— Dès lors, on n’est pas trop étonné à la lecture de ce travail immense d’expo
sition et de réflexion, de trouver dans ses prolégomènes mêmes (fait si excep
tionnel qu’il mérite je pense à tous et plus spécialement des autres Neuro
physiologistes une particulière attention) une référence explicite à un système
philosophique comme pour être une véritable métaphysique de la hiérarchie
des formes : celui de Nicolaï Hartmann. Le chapitre de Neurophysiologie qu’a
écrit R. Jung dans la « Psychiatrie der Gegenwart » ne comporte pas moins
de 575 pages et commence par un paragraphe intitulé « Neuro-Physiologie
und Psychiatrie in der Schichtstruktur des realen Welt » (p. 336-350) (Neuro
physiologie et Psychiatrie dans leurs rapports avec une structure architectonique
— ou par niveaux ou couches — du monde réel). On le voit, ce neurophysiologue
n’a pas peur de la métaphysique, ou plus simplement il n ’entend pas en faire
comme tant d’autres qui en font tout autant mais sans le savoir. C’est donc
dans cette introduction à tous les problèmes de la neuro-physiologie qu’il
expose la nécessité — celle-là même que nous essayons depuis si longtemps
d ’établir — d ’un modèle architectonique. Pour lui, les « Kategorienlehre » de
Nicolaï Hartmann (2) constituent la philosophie qui s’adapte le plus naturel
lement à l’organisation même de l’ontologie de la vie psychique qui s’ordonne
comme l’organisme par rapport à l’idée d ’une hiérarchie des structures de la
réalité et de ses lois. Les couches fondamentales et superposées de la réalité sont
pour Nicolaï Hartmann l’ordre proprement moléculaire ou anorganique, l’ordre
vital, l’ordre psychique et l’ordre socio-spirituel. C’est dire que ces catégories
de réalité n ’offriraient guère d’originalité pour n ’être qu’un lien commun
repris par la plupart des modèles architectoniques (cf. supra). Mais ce qui
est fondamental dans cette manière de penser le monde dans ses rapports
avec l’organisme vivant et de cet organisme vivant avec l’organisme psy
chique, c’est que la loi de subordination des couches inférieures ou couches
supérieures n’exclut pas l’action des couches inférieures sur les couches supé
rieures. Chacune de ces « couches » (Schichten J a sa propre légalité et sa parti
cularité, mais les couches supérieures sont dépendantes des inférieures. Autre-
ment dit, celles-ci sont la condition non suffisante mais nécessaire des couches
qui leur sont supérieures. Ce point de vue longuement explicité dans l’œuvre
de Hartmann est assez largement exploité dans le texte de Richard Jung
pour qu’en puisse être utilisée la riche substance pour le domaine de la Neuro
physiologie, de la Psychologie et de la Psychopathologie. Ce point de vue
est de nature précisément à nous permettre une solution des rapports de l’âme
et du corps (en renvoyant dos à dos monisme et dualisme), et aussi (point
sur lequel Richard Jung n’a pas porté son attention) sur les rapports de l’Incons
cient à l’être conscient et notamment dans la dialectique du devenir conscient
par YAufhebung (sublimation) qui, sans rompre par son mouvement l’adhé
rence avec les instances du désir jusqu’à faire de l’être conscient un Sujet
absolument transcendental — lui permet de gagner, malgré cette dépendance,
une relative autonomie — de s’ouvrir par la conformité même à l’ordre de sa
connaissance et de son action à l’ordre de sa liberté.
Il paraît donc évident que l’organisation du S. N. C. ne s’accommode pas
d ’une interprétation purement mécanique (anatomique, histologique ou molé
culaire) de sa constitution et de son fonctionnement. Car il n’est pas vrai que
l’esprit le hante seulement comme un fantôme ou qu’il se réduise lui-même
à n ’être que le jeu fortuit d ’une combinatoire de ses éléments, ou que la trans
mission « in-put »-« out-put » (autrement dit réflexe) d ’information, ou
seulement leur transformation en messages. De toutes les organisations de
l’être vivant, le cerveau est précisément organisé selon un plan d ’organisation
qui en fait l’organisme même de l’autonomie de l’individu. De telle sorte que
l’esprit, la finalité et le sens qui l’animent sont tout à la fois incorporés dans
l’ordre spatial ou physique de sa mécanique, de telle sorte aussi que son action
à tous les niveaux intègre le corps dans cette forme d ’esprit qu’est sa manière
d’être conscient. La conscience est coextensive à la vie de relation, c’est-à-dire
à l’activité du système nerveux. Le Mémoire (1) de M. Audisio (1968) doit nous
servir en quelque sorte de conclusion; il cherche à tirer du développement
de la Biologie un modèle psychobiologique cybernétique qui, sans se confondre
avec les mécanismes macromoléculaires du monde physique, emprunte à
l’autorégulation et, en dernière analyse, à la finalité et à la liberté, le principe
de son organisation logique. Même si cette idée débouche, dit M. Audisio,
plutôt que sur une impasse sur un vertige, pour nous, c’est elle qui doit animer
la recherche comme l’ontolige même du corps psychique. Comme y insiste
fortement Cl. Blanc (2), elle constitue l’ossature du modèle téléologique d ’un
organisme humain, d ’un existant d ’abord vivant.
B. — ÉPISTÉM O LO G IE
E T O RG A N ISA TIO N D U CORPS PSYCHIQUE
(1) François J acob, La logique du vivant. Paris, Gallimard, 1970. Cf. spécialement
D. 114-125, 287-306 et 320-345.
I. ARCHITECTONIE — LOGIQUE DU CORPS PSYCHIQUE 1101
(1) C ’est ce point au-delà duquel toutes les « métaphysiques » sont possibles
qui constitue la limite du savoir vraiment objectif, celui qui, en l’espèce, tout en les
opposant rapproche nécessairement deux biologistes à idées philosophiques si oppo
sées : par exemple, Fr. J acob et P. P. G rasse (Toi, ce petit dieu, éd. Albin Michel,
Paris, 1971).
1102 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
avec un quelque chose qu’il a réellement éprouvé, s’articule une série de phé
nomènes qui prolongent et compliquent cette subjectivité radicale et proprement
intuitive : tout ce qui dans la vie psychique se constitue entre les deux pôles
de la pensée et de l’impression sensible. Et c’est précisément le monde des
images pour autant qu’elles sont médiatisées et véhiculées par le langage
ou qu’elles sont représentatives des impressions sensorielles dont elles
gardent le souvenir, qui forment dès lors cette étrange et spécifique réalité
interne qui pour chacun de nous vaut peut-être plus que toutes les vérités
abstraites ou la réalité du monde des objets mais qui, en dernière analyse,
est une réalité psychique (Realität) sans réalité (ohne Wirklichkeit). C ’est
encore à cette réalité psychique si intime qu’elle ne peut en aucune manière
se montrer et se démontrer qu’est rattachée une réalité plus paradoxale encore
qui est celle de quelque chose qui n ’est ni vécu, ni ressenti, ni su, et qui est
l’Inconscient, réalité qui ajoute alors à son paradoxe ce comble du scandale
logique (le même que celui de l’Hallucination) qu’est le droit de n ’être reconnu
comme réel que par un autre, sans, bien entendu, que la certitude de l’autre
soit jamais, ne puisse jamais dépasser le degré de probabilité que figure son
interprétation. Nous dirons donc que lorsque l’appareil psychique ou le corps
psychique fonctionne replié sur lui-même et selon les mécanismes ou les lois
de son propre « Eigenwelt » (de son monde propre et fermé), la réalité vécue
(ou interprétée) est une réalité qui est incorporée à la sphère de l’intentionnalité
du Sujet. Il en est alors pour l’homme, dans l’exercice de ce monde de connais
sance intuitive, comme pour l’insecte dont la larve connaît d ’ « instinct »
l’objet à consommer ou à éviter. Dans cette modalité de connaissance qui
tout naturellement nous renvoie à l’expérience esthétique (et non pas à l’esthé
tique transcendantale kantienne qui n ’a qu’un rapport très indirect avec le
jugement ou l’émotion du beau), à l’expérience poétique ou à l’expérience
mystique. Il est bien vrai, en effet, que ce sont dans nos entrailles que se forment
les phantasmes et les fulgurances de cette réalité en quelque sorte sacrée. Dans
l’avant-propos de cet ouvrage au sujet de Yexpression comme création, nous
avons rappelé ce que nous devons particulièrement nous rappeler ici : la théorie
de la création des images (de ce « réel littéral ») chez Nietzsche ou chez Husserl.
On sait de quelle admirable façon G. Bachelard a particulièrement mis en
lumière cette germination poétique d ’une réalité interne par laquelle, comme
une fleur, pousse la réalité du savoir.
Mais le modèle architectonique du corps psychique est là comme pour nous
dévoiler que ce « savoir », cette « connaissance » si directement liée à la sphère
affective et pulsionnelle de notre être, cette connaissance qui est là comme
pour éclairer notre existence d ’une lumière intérieure et plus encore pour la faire
flamber d ’un feu qui ne soit ni la lumière apollonienne, ni le feu prométhéen
— que cette « connaissance » est celle dans laquelle et par laquelle l’être se
consume dans sa solitude, son ipséité. Car si l’homme était voué à cette moda
lité de connaître, tout comme si l’animal était lié aux seules formes préformées
de son savoir instinctif, il n ’y aurait aucune possibilité, ni pour l’un, ni pour
l’autre, d ’exister, c’est-à-dire de changer. Disons donc que la modalité même
1104 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) De telle sorte qu’attribuer aux animaux (même aux plus inférieurs) une apti
tude à connaître, c’est à la fois leur accorder une modalité d ’intelligence (fût-elle
celle seulement de learning ou de l’acquisition de l’expérience) et une aptitude à manier
ces signes (fût-ce seulement dans leur conditionnement). C’est ce qu’avait très bien
vu le grand Henri F abre quand il superposait à l ’instinct le discernement (cf. le
chapitre que j ’ai écrit sur ce sujet dans la Psychiatrie animale, Paris, éd. Desclée de
Brouwer, 1964, p. 11-40).
1106 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
avec les exigences d’un irrationnel immanent, nous ne faisons rien d ’autre que
d ’incorporer dans les structures, les infrastructures et les superstructures de l’être
conscient les modalités de notre connaissance telles qu’elles constituent notre
expérience et qu’elles reflètent puis complètent notre organisation.
Et lorsque nous prenons pour objet de notre savoir sur la connaissance,
c’est-à-dire comme objet de notre recherche épistémologique la problématique
même de la réalité telle qu’elle se joue par-delà l’expérience actuelle dans le
système des valeurs logiques et morales, nous devons bien nous garder de poser
que celles-ci sont assez claires et évidentes pour éclipser toutes les connaissances
embryonnaires et obscures qui les cernent ou les contaminent. Car le monde
des « Idées » n ’est pas de ce monde. Et même si les Mathématiques en tant
que modèle de ces idées pures ont une valeur d ’objectivité en quelque sorte
idéale pour ne participer que d’un formalisme parfaitement abstrait, chacun
sait que la Science ne se détache pas de l ’esprit des Savants comme un fruit
mûr sans une maturation (le plus généralement collective) que l’on retrouve
toujours à l ’origine des éclairs du génie comme des longs exercices de sa métho
dique patience. C ’est que la pensée humaine la plus « vraie », la plus « logique »
— comme l’action humaine la plus idéale ou la plus morale au point où pré
cisément la Raison pratique vient, avec Kant, valider la Raison pure — ne
peut jamais être sans se développer sans un travail cumulatif d ’épuration ou de
sublimation qui n ’est rien d’autre en effet que le triomphe laborieux de la
Raison sur l’irrationnel. Car l’irrationnel, il est chez l’adulte, fût-il savant,
toujours actif. Aucun homme — à moins de cesser de l ’être — ne peut s’en
décharger. Et nous devons bien reconnaître que le problème de la connaissance
implique nécessairement une double vérité : celle de l’image (et par-delà l’image
du désir et par-delà le désir des fins dernières ou éternelles de l ’Homme) et
celle de la réalité (et par-delà la réalité, le savoir objectif et les hommes qui
le conçoivent). Autant dire que les modalités objectives de la connaissance
(les modalités de l ’activité nerveuse supérieure pour autant qu’elle en condi
tionne et règle l’exercice) font bien partie de l’organisation même du corps
psychique, mais seulement comme une partie qui, fût-elle « au sommet », ne
peut jamais se séparer radicalement des modalités proprement subjectives du
sentir, des affects et des pulsions (1). De telle sorte que les fonctions supérieures
(disons corticales pour simplifier et en étant conscient de cette « paraphrase
neurologique » que nous tenons d ’ailleurs pour validable sinon valide mais
seulement en partie) n’exercent jamais leur pouvoir d’intégration sans
qu’entre dans leur propre activité une finalité qu’elles reçoivent comme un
choc en retour de la sphère des pulsions.
Mais il y a plus : non seulement les démarches de la pensée rationnelle
(1) E. M eyerson, Id e n tité e t R é a lité , 1908. D e l ’application dan s les scien ces, 1921.
(2) L. B runschvicg , L ’expérien ce hum aine e t la cau salité p sych iq u e, 1921 —
D e la connaissance d e so i, 1931.
(3) G. B achelard , L e n ou vel e sp r it scientifique, 1934.
(4) En allemand, le mot S e e le ne correspond pas exactement au mot âme et
implique, en effet, beaucoup de significations que, en français, nous réservons
à l’usage métaphysique du mot « cœur »... Par contre, G e ist a bien le sens d ’Esprit
en tant que forme transcendantale de la connaissance.
1108 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
sur les deux positions métaphysiques dites, l’une empiriste (1) et l’autre idéaliste.
Autant dire que pris dans cette antinomie radicale de la Raison, nous devons
avec Kant et comme ceux qui, après lui, ont cherché à fonder la connaissance
sur un socle fonctionnel commun au mouvement de réception qui nous vient
du monde et du mouvement de préhension par lequel nous le saisissons. La
phénoménologie husserlienne notamment peut être considérée, comme le sou
ligne Merleau-Ponty (p. xn de son Avant-Propos de la Phénoménologie de
la perception), comme une recherche de ce fondement qui apparaît dans la
liaison que l'intentionnalité opérante (fungierende Intentionalität) noue entre
la représentation et la perception pour fonder l’unité naturelle et antéprédica-
tive du monde. C ’est évidemment à ce mouvement de pensée (tel qu’on le
retrouve encore par exemple chez Hegel lorsqu’il définit la « compréhension
phénoménologique » comme saisie génétique d’une intentionnalité qui se
dépasse pour retomber dans la manière d’exister laquelle se manifeste par la
propriété des objets rangés, dans l’ordre d ’un monde tout à la fois réel et idéal),
c’est à ce mouvement que se rattache toute l’évolution des idées sur les prin
cipes et la critique de la connaissance (gnoséologie) dans les philosophies et
les sciences modernes. Nous pouvons dire à cet égard que la position empiriste
adoptée par le sensationnisme de Locke ou de Condillac et plus généralement
encore la pensée positiviste du xrxe siècle (pour autant qu’elle entendait se
fonder uniquement sur l’expérience, c’est-à-dire sur la sensation, ses mesures
et les mesures de la réalité des choses qu’elle impliquait comme seul moyen
de connaissance valide) — que cette position empirico-sensationniste a été
largement battue en brèche par les philosophies et l’épistémologie des temps
modernes. Celles-ci ont tout naturellement réintroduit les structures mathé
matiques et logiques dans la connaissance et non pas seulement dans la connais
sance mathématique soumise aux lois de la logique pure et de la formalisation
(Bourbaki, Cantor, Whitehead, Russell, Camap, Godel, etc.). — La notion
de « Gestalt » a assumé d ’ailleurs la même fonction pour autant qu’elle implique
en effet (2) l’entrelacement fondamental du Sujet à l’objet dans la structure
noético-noématique du réel telle qu’elle apparaît dans les « Ideen » ou les
« Logische Untersuchungen » de Husserl.
On peut même dire avec Piaget (cf. Les Mécanismes perceptifs, 1961,
chap. VII et VIII) que toute réflexion épistémologique approfondie récuse
tout dualisme radical entre l’expérience et la déduction pour ne considérer
que le caractère opérationnel de la connaissance (qui exige une orchestration
que nous avons en effet conduit nos analyses de l’actualité du vécu pour montrer
que l’expérience se constitue non pas sur la base de phénomènes sensoriels
élémentaires ou d ’information fournis par les organes des sens, mais plutôt
sur ce « sensorium commune » où le sentir spécifique de chacun d’eux se fond
et s’articule avec les structures noématiques de l’expérience globale pour
constituer la réalité vécue. A cet égard, « percevoir » ou « avoir-conscience-
de-quelque-chose » sont équivalents. Car la connaissance sensible, sensorielle
ou perceptive est placée pour ainsi dire entre les parenthèses d ’une connaissance
et d ’une signification qui les dépasse, même si elle les implique.
guement développé ailleurs (1), mais nous devons rappeler que pour nous « la
conscience » n ’est ni une fonction simple, ni quoi que ce soit (deus ex machina
ou instance pontificale) qui pourrait être pris pour « quelque chose » ou
quelqu’un (comme le démon de Maxwell) simplement placé au sommet
de l’espace qu’occupe le système nerveux central. Pour nous, l’être conscient
est un organisme constitué lui-même par une stratification fonctionnelle
ou opérationnelle dont chaque niveau supérieur dépend du niveau inférieur
qui en est la condition nécessaire mais non suffisante. De telle sorte que
cette série de « formes » superposées mais aussi impliquées constituent des
couches fonctionnelles liées par la totalité de l’intégration. Seule leur désinté
gration pathologique laisse apparaître ce que leur intégration fait disparaître.
C’est effectivement de l’ordre introduit par l ’observation dans le désordre
de la psychopathologie que, ayant pu tirer un modèle architectonique de
l’être conscient, nous pouvons maintenant nous y référer valablement. Nous
sommes en mesure, en effet, d ’utiliser l’essentiel de cette « découverte » des
structures de l’être conscient qui, après tout, n ’était peut-être pas plus faciles
à mettre à jour que celle de l’Inconscient puisque, au fond, c’est le propre de
la Conscience non seulement d ’avoir toujours affaire à l ’Inconscient, mais
encore d’être elle-même inconsciente de ses propres opérations. Autrement dit,
si les contenus de conscience paraissent seuls la constituer, leurs structures
et invariants formels qui en règlent le mouvement ne peuvent apparaître
qu'après une « réduction » phénoménologique. Une fois celle-ci opérée,
nous pouvons discerner ce qui s’ajoute à l’activité des organes des sens pour
constituer l ’expérience actuellement perçue dans le champ de la conscience,
expérience où se réfléchit le système du Moi dans sa relation constante avec
la réalité de son monde.
Dans notre ouvrage sur « la conscience » nous avons longuement exposé :
1° que la disposition facultative d ’un modèle personnel de son propre monde
caractérise l’être conscient — 2° que celui-ci en tant qu’être conscient de
quelque chose (champ de la conscience ou organisation de l'actuellement
vécu) ou en tant que conscience d ’être quelqu’un (système du développement
historique et axiologique de l’Ego) doit faire l’objet de deux descriptions
phénoménologiques : l’une synchronique et l’autre diachronique.
Notre description phénoménologique des structures de l’être conscient (2)
nous a conduit, en effet, à exposer la temporalité qui en constitue
l’essence dans le double mouvement synchronique et diachronique de sa
direction.
sur ce point dans notre ouvrage sur la Conscience — l ’être conscient ne peut
pas être considéré comme purement subjectif pour être précisément l’être de la
problématique de la réalité, c’est-à-dire l ’être pour qui il est question de son
être... Ou cela ne veut rien dire, ou cela veut dire que l’être conscient en tant
que Sujet appartient aussi et nécessairement au monde des objets (et cela
vaut évidemment pour son corps qui est aussi un corps physique). C’est le
déplacement de la ligne de démarcation qui sépare ce qui dans et par son orga
nisation est objectif et subjectif qui correspond à ce niveau de déstructuration
essentiellement hallucinatoire de l’expérience délirante, de dédoublement,
de dépersonnalisation ou d’influence. Car, bien entendu, entendre des voix,
se sentir possédé, violé, exposé à être vu par quelqu’un, etc., c’est bien tou
jours avoir l’expérience hallucinatoire d ’une objectivation (d’une projection)
de sa propre intentionnalité. C’est rejeter dans la perception de l’autre, dans
le monde des autres hommes ou des choses, l’objet de ma dénégation (ce
que je ne suis, ni ne pense, ni ne veux).
C ’est cette déstructuration de l ’espace vécu que visait Merleau-Ponty
quand il a écrit : « Ce qui garantit l’homme sain contre le délire ou
l ’Hallucination, ce n ’est pas sa critique, c’est la structure de son espace ».
— Enfin, à un niveau plus élevé de déstructuration laissant par consé
quent intactes (la « partie subsistante » disait H. Jackson ; autrement
dit, ce qui encore subsiste de possibilité d’exclure l’irréalité de la réalité)
les infrastructures des niveaux inférieurs que nous venons de rappeler,
« se situent » les expériences délirantes et hallucinatoires de type clinique
maniaco-dépressif qui correspondent à un déséquilibre (souvent appelé
« thymique ») des forces qui composent le champ du présent : celui d ’une
structure essentiellement temporelle, ou plus exactement, « temporelle éthique »
en ce sens que les forces qui entrent en conflit pour tirer l ’actualité du vécu
sont une régression dans le passé, soit vers une progression dans l’avenir,
sont les mouvements mêmes du désir, désir de destruction ou désir de toute-
puissance. De telle sorte que c’est bien à l’expérience mélancolique ou maniaque
que correspondent les modalités cliniques de ce niveau de déstructuration
du champ de la conscience. Et — contrairement à ce que la Psychiatrie clas
sique nous a enseigné en oubliant ce qu’elle avait d’abord elle-même établi —
les crises ou états de manie et de mélancolie comportent, bien sûr, des expé
riences hallucinatoires : celles de l’anéantissement, de la fatalité, de la faute
avec leurs voix accusatrices et leurs diaboliques menaces de damnation, comme
aussi celles de l’expansivité, de l’élation, de l’inspiration et de la possession
dionysiaque ou divine. En apparaissant dans les tableaux cliniques que nous
avons en vue ici, cette activité hallucinatoire est prise dans la masse rétractée
d’une rétrogression vers un passé jamais révolu ou dans le mouvement
progredient d ’un espace ou d’une anticipation qui se précipite hors du
temps dans l’infinité des possibles. Par là se dévoile cette structure, ou si l’on
veut, cette infrastructure du champ de la conscience qui règle les mouvements
de sa temporalité en accordant les pulsions libidinales uniquement soumises
au principe de plaisir aux exigences du principe de la réalité et de cette forme
1118 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Si dans nos précédentes « Études » sur la conscience et ses troubles nous avons
négligé cet état névrotique crépusculaire du champ de la conscience (que l’on trouve
notamment dans les grandes sidérations, les réactions émotionnelles, dans ce que l’on
appelle souvent les « états crépusculaires psychogènes »), nous y avons au contraire
insisté dans notre article du Handbook of Neurology (tome n i, paru en 1969).
I. ARCHITECTONIE — LE CORPS PSYCHIQUE 1119
(1) C’est en quoi la thèse que « le Moi c’est l ’Autre » est vraie, mais seulement
en partie, car elle ne correspond qu’à une demi-totalité du Moi qui ne se constitue
1120 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
qu’en devenant lui-même, c’est-à-dire en cessant d’être l’autre qu’il n ’a pas à être
seulement. Voilà pourquoi, exposant l’esthétique métaphysique et théâtrale de
Pirandello, j ’ai placé en sous-titre de ce texte paru récemment (Évolution Psychia
trique, 1971, 429-444) la formule « Le Moi n ’est pas l’Autre » ; car il serait temps
d ’en finir avec cette mythologie et cette prestidigitation qui escamotent la réalité
du Moi en ne lui octroyant qu’un statut spéculaire de phantasme ou de fantôme...
(1) Cf. ce que nous avons déjà exposé des mouvements virtuels ou les phantasmes
directs ou indirects dans la perception dans la conception, de K lages et de Palagyi.
Nous y reviendrons encore plus loin (p. 1151-1155).
I. ARCHITECTONIE — LE CORPS PSYCHIQUE 1121
le système de valeurs idéales qui entrent dans sa propre réalité, dans la pro
fondeur de sa conscience. Et c’est en ce sens que nous avons pu dire que non
seulement le Moi n ’est pas constitué par son énergie ou sa genèse incons
ciente, mais que le Sur-Moi, tout au moins en tant qu’il est conscient en tant
qu’idéal du Moi, fait partie du Moi en lui assignant ses fins dernières.
D. — LA FO N C TIO N E T LE SENS
DES ORGANES DES SENS
(STRUCTURE D E LA PERCEPTIO N)
Nous avons déjà eu l ’occasion de nous demander (quand nous avons posé
le problème général de l’Hallucination, p. 58, puis quand nous avons appro
fondi la désintégration hallucinatoire de la perception engendrée par les
hallucinogènes et notamment à propos de la mescaline, p. 653, ou encore
plus haut, p. 1107 à propos de la connaissance sensible), quel est le sens des
organes des sens, quelle est leur fonction dans une théorie générale de la
perception, c’est-à-dire dans leurs rapports avec la vie psychique ? Bien entendu,
nous n ’avons pas pu éviter de parler à plusieurs reprises à ce sujet du vieux — et
peut-être éternel — combat que se livrent l’empirisme sensationniste et l’idéa
lisme intellectualiste : celui-ci réduisant l’activité des sens à la pensée et celui-là
ramenant la pensée aux sensations originaires. Nous avons vu et verrons plus
loin encore que la « sensation » (Empfindung) se situe à un niveau de vécu
qui n ’implique qu’une connaissance précaire et toujours révocable pour être
trop immergée dans une subjectivité radicale. Pour Descartes, la sensation
était révoquée en doute pour être au contraire trop du côté de la « res externa ».
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1123
(1) C’est J. von K ries (A llgem ein e Sinnesph ysiologie, Leipzig, 1923, p. 194-196)
qui a exposé avant V. von W eiszacker et Er. Straus la critique la plus exhaustive
de la notion d ’énergie spécifique des nerfs. Nous avons déjà (cf. supra, p. 911) fait
état de la révision de ce concept par les neuro-physiologistes eux-mêmes. Nous ver-
ron plus loin que « la sensation » aux yeux de Erwin Straus comme de M. M erleau-
P onty ne peut pas être considérée comme un élément simple, un atome spécifique
correspondant aux propriétés sensibles, mais plutôt comme une modalité de la vie
de relation du Sujet à son monde (d’ailleurs imprescriptible par la réalité du lien qu’elle
établit entre ce qui est dans le monde et le « Moi » qui sent, éprouve les modalités
de ce lien qui se noue dans les organes des sens). De telle sorte que l’énergie spécifique
n ’est pas la cause des sensations, n ’est pas le moyen spécifique par lequel la rela
tion du Sujet à son monde se lie dans des structures qui ne sont justement pas
« élémentaires ». Nous noterons ici que les expériences de Ivo K öhler (Lehrbuch
d e s experim en ta lle P sych o lo g ie, 2e édition, 1968, p. 61-62) montrent que l’excitation
galvanique appliquée à l’oreille (probablement par ses effets vestibulaires) produit
aussi des sensations visuelles, gustatives ; dans quelques cas de surdité, il a noté
des phénomènes acoustiques... '
1124 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
excités; — 3°) il en est de même pour une même cause externe; — 4°) les sen
sations propres à chaque nerf sensoriel peuvent être engendrées par diffé
rentes causes externes ou internes ; autrement dit, la sensation spécifique
d ’un nerf sensoriel peut être suscitée par différentes catégories de Sti
muli; — 5°) la sensation consiste en la transmission à la conscience, non d ’une
qualité ou d ’un état des objets extérieurs mais d ’une qualité ou d ’un état
d ’un nerf sensoriel, qualité qui diffère avec chacun des nerfs sensoriels (éner
gie sensorielle); — 6°) un nerf sensoriel ne paraît capable de fournir qu’une
catégorie déterminée de sensations et ne peut être remplacé par un autre; —
7°) les causes des différentes énergies des nerfs sensoriels résident-elles dans
les nerfs eux-mêmes ou bien dans la région du cerveau ou de la moelle auxquels
ils se rendent? C ’est ce que l’on ignore, mais il est certain que les régions cen
trales des nerfs sensoriels dans le cerveau, indépendamment des conducteurs
nerveux, sont capables de donner des sensations bien définies — On ne pouvait
pas plus nettement exprimer que l’organe des sens (réduit essentiellement
à son nerf sensoriel) est l’organe des sensations spécifiques et que, par
voie de conséquence, les centres sensoriels sont dotés eux-mêmes d ’une éner
gie spécifique proprement sensorielle. Lorsque Helmholtz a repris cette théorie,
il l’a poussée encore plus loin en admettant une spécificité des qualités sen
sorielles dans la spécificité des organes des sens. Mais, bien sûr, réduire l’acti
vité des organes des sens à produire des qualités sensorielles élémentaires quels
que soient les Stimuli auxquels elles répondent, n ’exclut certes pas le rôle du
stimulus somme toute toujours nécessaire, qu’il soit interne ou externe. De
telle sorte qu’à cette théorie atomistique ou élémentariste des sensations
devait nécessairement correspondre la psycho-physiologie de la sensation
qui la liait à un quantum d’énergie. D ’où l’extraordinaire développement des
mesures et des lois qui lient la sensation à l’intensité des Stimuli qui l’engendrent,
comme si en dernière analyse elle ne pouvait être traitée que comme un phéno
mène physique. La loi de Weber qui lie au niveau d ’intensité la différence
juste perceptible et la loi de Fechner qui énonce que la sensation croît comme
le logarithme du stimulus, ont donné lieu à des formulations ou à des rectifi
cations algébriques et expérimentales innombrables. On en trouvera un exposé
très impressionnant dans l’ouvrage de Pieron (Sensation, guide de la vie, 1945,
p. 207-364 — ou dans l’article de R. N. Dejong sur la Sensation (Handbook
Cl. Neurology, I, 80-113, 1969). Mais quels que soient les perfectionnements
introduits dans le traitement mathématique des rapports entre Stimuli et
sensations (1), quelles que soient aussi les mesures électriques des potentiels
évoqués, les problèmes du sens, ou si l’on veut de la nature ou de la fonction de
l’organe des sens dans la sensation ne sont pas résolus, et encore moins celui
de l’importance de la sensation dans la perception. C’est que la mécanique
(1) Stevens (1968) a m ontré q u ’au lieu de choisir la courbe de fonction loga
rithm ique em pruntée aux travaux de B ernoulli (1877), la courbe d ’une fonction
de puissance proposée par C ramer dès 1728 paraîtrait plus adéquate à l ’expression
de la grandeur de la sensation fonction de la grandeur du stimulus.
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1125
ou la physique des sensations qui constitue sans nul doute une condition de
la transmission des signaux ne peut rendre compte de leur transformation
en messages.
Et c ’est précisément cette nécessité d ’une révision — d ’une révolution —
de la conception psychophysique des organes des sens qui a inspiré à
J. J. Gibson une conception de la perception basée elle-même sur une théorie
de l’information qui n ’admet pas l’hypothèse d ’éléments ou une propriété sen
sorielle à la base de l’activité des organes des sens. C’est que, bien sûr, depuis
Fechner, avec les plus importants travaux de Neuro-physiologie des sen
sations que nous devons à Hering, à von Kries, à Adrian, et plus récemment
à R. Granit (1955) ou à Richard Jung (1961), l’idée que l’activité des organes
des sens pourrait se réduire à celle de simples récepteurs a perdu beaucoup
de sa force, point sur lequel E. Küppers (1971) a insisté tout récemment
encore. Nous avons déjà noté (p. 57-67) au début de cet ouvrage, qu’une
conception plus dynamique de la perception et par conséquent de l’inté
gration de l’organe périphérique dans des structures fonctionnelles plus éle
vées (Bergson, Husserl, Erwin Straus, Merleau-Ponty, etc.) ne cessait de
gagner du terrain.
Comme nous aurons l’occasion de revenir encore sur l’architectonie des
activités sensorielles dans l’architectonie plus globale de la vie psychique, il
nous suffira d ’exposer ici, d’abord la théorie d ’une sensorialité spécifique
et proprement physique des nerfs sensoriels de Helmholtz (malgré les réserves
qu’elle comporte d’ailleurs dans l’esprit même de son auteur), puis la théorie
de J. J. Gibson qui réintègre la « sensorialité » dans une activité perceptive
plus globale et moins spécifique.
riste qu’il oppose aux théories intuitionnistes (ou nativistes). Car pour lui
c’est au niveau des impressions sensorielles, c’est-à-dire de l’expérience acquise,
automatique et inconsciente, que se situe l’essentiel du vécu de la perception
qui saisit les objets du monde extérieur, mais peut, aussi, les ramener (dans
les illusions ou le jeu des images) à leur modèle. C ’est donc à un mécanisme
nerveux fondamental que se ramène l’acte perceptif. Celui-ci, dans la conception
de Helmholtz, ne saurait être interprété comme un phénomène idéique, noéti-
que ou mnésique (hypothèse, dit-il à plusieurs reprises, inutile) car la percep
tion est essentiellement avant et après tout donnée des sens. L ’image, qu’elle
provienne des objets ou de leur représentation, est toujours la même en tant
que figuration de l’objet.
L ’impression acoustique et la possibilité même d ’une harmonie musicale
se fondent sur la physique des trains d ’ondes sonores et de leurs intervalles
selon des lois mathématiques. Quant à l’œil, il doit être considéré comme
(1) Cette étude de la perception en général se termine par cette phrase : « Si à côté
de tel ou tel sens nous disposons d’autres sens, à côté de la fonction intellectuelle
il n’existe aucune autre fonction analogue. De telle sorte que si nous sommes inca
pables de concevoir quelque chose nous ne pouvons pas imaginer qu’elle existe ».
Mais l à s’arrête la théorie de l’articulation du concept et du percept dans la pensée
d 'H e l m h o l t z , car s’il estime que le concept est nécessaire à la formation légale de
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1129
( I
[ Lumineuses Sensations de brillance (1). Très fine
J
MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Appareil Environ 100 nuances (ou tonalités) paraissant \
visuel j chj.omatjques réductibles aux fondamentales, nécessaires et / o lJg e ' Très fine
suffisantes pour engendrer par leurs combinai- ( er '
sons toutes les nuances élémentaires. ) eu'
Environ 4 500 tonalités réductibles à une combinaison de hauteur absolue Nulle (le lieu d’excitation dans
Appareil ( II avec des communautés d’harmoniques (conditionnant la parenté des le limaçon pouvant condi
auditif | Tonales (2) « notes » dans les différentes octaves). tionner la qualité tonale).
t Flagrant (floral).
Appareil ( III Nombre mal déterminé d'odeurs réductibles à un ) Fruité (éthéré). Nulle
olfactif | Olfactives certain nombre de fondamentales (3). j Empyreumatique.
[ Caprylique.
; Sucré.
Appareil l IV Nombre indéterminé de saveurs, réductibles à \ Salé.
Moyennement fine
gustatif j Gustatives 4 fondamentales. j Acide.
f Amer.
A) De tact (4).—Impressions relevant — sans dis- ) p
tinction précise — de plusieurs systèmes récep- / '- '° in t a c e r e s "
teurs, dont deux cutanés et un appartenant aux > —f 1? 11'
i V appareils profonds de soutien (muscles, os apo- ( ép acemen s eu a- Fine
Appareils) Mécaniques névroses). ) n s'
tactiles \ B) De piqûre. — Impressions caractéristiques de i p. „
« pointu » et affectées d’un appoint douloureux j “lclure-
!\ vi
Thermiques
Deux catégories d’impressions à
teurs :
systèmes récep- j de chaud,
1 de froid. Fine
de position et de dé
placement
articulaire,
Appareils l VII Trois catégories d’impressions à systèmes de force de contrac- Assez fine
tactiles | Kinesthésiques récepteurs différenciés : tion muscul.,
de résistance (trac-
tion tendineuse).
( sens de la verticalité
De direction de la pesanteur Très fine
(1) Les « leucies » comprenant la série des échelons de gris, entre le blanc et le noir, se présentent bien comme des qualités lumi
neuses, particulières, attribuées aux objets et relativement indépendantes de la brillance ; mais ce ne sont pas des qualités élémentaires :
ce sont des impressions complexes, fondées sur la relation entre l’éclairement reçu par les objets et celui qui est restitué par une
réflexion diffusante.
(2) Le timbre n’est pas une qualité élémentaire, mais représente une perception complexe de « forme sonore », se définissant par
un spectre sonore (donnant la composition des éléments de fréquence définie avec leur intensité auditive propre qui constituent le son
complexe). Le son complexe a une tonalité prédominante (dont la « saillie » est plus ou moins accentuée); il apparaît comme ample ou
grêle, clair ou assourdi. En l’absence de tonalité prédominante, il devient un bruit. La « vocalité » est un aspect du timbre.
(3) La composition à 3 fondamentales est proposée par Stefanini, à 6 par Hering, à 8 par Wartenberg, à 9 par Zwaardemaker.
Nous indiquons les 4 fondamentales proposées par Crocker et Anderson dans leur essai expérimental.
(4) Les qualités communes de rugueux ou poli, dur ou mou, moelleux ou rèche, etc., sont des complexes perceptifs d’exploration
avec des composantes kinesthésiques.
1131
1132 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
alors ces illusions sont considérées comme telles, c’est-à-dire qu’elles ne nous
trompent pas (même les enfants et les animaux, souligne Helmholtz, ne sont
pas dupes de ces illusions). Ainsi est particulièrement défini le niveau proprement
sensoriel de l’activité perceptive. Ce « niveau » (terme que n ’emploie jamais
Helmholtz d ’ailleurs) correspond par conséquent à une sorte de logique par
tielle et inconsciente de la reconnaissance des impressions sensorielles qui,
« faussées » dans le mécanisme des conclusions inductives automatiques et
inconscientes, sont rectifiées par l ’exercice du jugement. Par là, la théorie
de Helmholtz apparaît bien comme le type même d’une théorie sensorielle
de la perception admettant pourtant l’intervention psychique active à deux
niveaux, celui de ce que l’on appellera plus tard la « Gestaltisation » et celui
du contrôle qu’exerce le jugement de réalité sur les « presentibilia ».
Mais, bien sûr, ce qui a prévalu dans les développements ultérieurs de
la physiologie des sensations et à l’abri même de l ’instance du jugement rela
tivement à laquelle est sous-jacente celle des activités sensorielles, c’est pré
cisément l’étude des « sensations » comme telles, c’est-à-dire considérées
comme des phénomènes en quelque sorte mécaniques produits par les chocs
(les Stimuli) que subissent les neurones sensoriels. D ’où l’extraordinaire
prolifération de travaux de physiologie des sensations d ’une ponctualité
méritoire mais généralement artificielle.
Ceux-ci ont d’abord porté sur l’étude physique des données sensorielles,
puis sur les mesures de seuil différentiel, de discrimination et de réponses,
de conditionnement et de comportements, des effets du champ relativement
à telle ou telle qualité ou quantité de Stimuli — et enfin, sur les mesures élec
triques (chronaxies, variations des potentiels, cheminement des potentiels
évoqués) propres à établir les faits mêmes des lois de la transmission des
messages sensoriels. Somme toute, après Helmholtz, l’organe des sens a été
considéré essentiellement comme un récepteur de Stimuli sensoriels qu’il
recueille comme données sensorielles. L ’organe des sens est l’organe qui four
nit à la perception ses éléments de base « sensoriels ».
*
* *
mécanique. Et c’est précisément dans cette perspective que s’est placé J. J. Gib-
son pour substituer à la base sensorielle de la perception une base d ’information
aussi solidement implantée dans 1’ « array » du monde des objets perçus que
dans la cc pick-up-information » constituée par l’organe des sens. Dès lors
celui-ci cesse d'être un pur récepteur pour être un prospecteur.
Le sens général de l’ouvrage (Thesenses consideredasperceptual System, 1968)
de J. J. Gibson déjà connu pour son fameux livre « The perception o f the Visual
World » (1952), est que la « sensation » n ’est pas une donnée primitive de la
« perception », que celle-ci la dépasse et ne l’implique même pas ; car percevoir
c’est essentiellement découvrir, détecter quelque chose, c’est-à-dire saisir l’objet
dans une information qui ne peut être assimilée purement et simplement à la
réception de qualités sensorielles. Celles-ci sont bien celles que les Stimuli pro
voquent sur les cellules réceptrices des organes des sens, mais la perception
est effectuée non pas sur ces éléments épithéliaux mais par l’organe des sens
dans sa totalité psycho-sensori-mötrice (1). Par là, J. J. Gibson se rattache
(répétons-le pour souligner encore l’unité et la puissance de ces mouvements
théoriques) à la Gestaltpsychologie — comme à H. Bergson et à la phénomé
nologie de la perception, ou encore à Y. von Weiszäcker ou à M. Merleau-
Ponty. Il s’écarte pour autant de la fameuse psychophysiologie des sensations
de J. Müller, Helmholtz, Wundt ou Titchener. Tel est bien, en effet, le but qu’il
poursuit dans son ouvrage et qui est de démontrer que la perception ne saurait
se confondre avec l’élément en quelque sorte anatomique et passif de la sensa
tion qu’isole la psychologie expérimentale. Une autre idée maîtresse développée
par J. J. Gibson est que l’acte de perception ne consiste pas dans un supplément
ajouté par la mémoire des images emmagasinées dans le cerveau mais dans un
acte de sélection qui puise dans le champ même du monde des objets les « for
mes » ou les synthèses d ’information (pick-up-information). Car pour lui —
comme pour Husserl — c’est bien la réalité que s’implante la perception,
mais non point en recrutant ses Stimuli mais en prenant possession de l’infor
mation qui exige la coopération du Sujet et de l’Objet pour sa formation.
C’est donc naturellement dans les invariants formels du monde des objets
tels qu’ils résultent de la constance de leur relation objective-subjective que
doit être situé le processus même de la perception et non dans le jeu hypothé
tique, sinon mythique, des « images et de leur élaboration mnésique et céré
brale ». La même critique qui peut s’adresser à une certaine Gestaltpsychologie
vient ici à l’esprit, celle d ’un retour — subreptice — à l’empirisme et au réa
lisme pourtant combattus par Gibson. Car, en dernière analyse, c’est l’invariant
de l’ordre des objets (array) qui, bien qu’il réponde à l’attente du Sujet,
constitue le « perceptum » ; le Sujet ainsi introduit dans la perception comme
agent de détection demeure cependant exclu de l ’acte perceptif lui-même
qui s’institue dans l’organe des sens, dans la « pick-up-information ». Tant
il est vrai qu’aucune théorie de la perception ne peut être exclusivement ni
« objectiviste » ni « subjectiviste », puisqu’il lui faut tenir compte de la réalité
des objets, même si celle-ci est fatalement prise dans un système de réalité
lié au désir et à la culture du Sujet. De même que, comme nous l’avons vu à
propos de Helmholtz, aucune théorie sensationniste des Stimuli ne peut
exorciser de son subjectivisme la sensorialité spécifique qui scelle la réalité
du perçu.
Un des points les plus intéressants de la théorie de Gibson est son analyse
de la notion de « Stimuli ». Il ne s’agit pas de considérer la perception
comme dépendant de Stimuli optiques, acoustiques, électriques, etc., qui
excitent (input) l’organe des sens à réagir (output), car dans la perception
naturelle — celle que Husserl et Merleau-Ponty d’ailleurs complètement
ignorés, semble-t-il, de l’auteur ont pris pour modèle anthropologique de
la perception — ce sont des arrangements humains de l’ordre objectif qui
sont perçus comme par l’effet d ’un boomerang. La « pick-up-information »
est un « animate environment » (pp. 6-30).
Quant à l’aspect proprement actif de la perception, il est constitué essen
tiellement par la provocation du stimulus. Car « the action-produced stimu
lation is obtained not imposed » (p. 31). Dans son sens latin, le mot « stimulus »
implique qu’il est un aiguillon, un déclencheur de l’action (par contre, en
anglais, le mot « still » implique une certaine passivité qui s’applique plus par
ticulièrement au récepteur sur lequel le stimulus exerce son action). Le sti
mulus n ’est pas la cause de la perception; il est l’effet obtenu (input
obtained) par l’attention et l’investigation qui sont la fonction même du
« pick-up » (de la sélection, du filtrage) qui caractérise l’information perceptive.
La perception n’est pas corrélative de la sensation, et l’auteur s’en prend
constamment au dogme de l’énergie spécifique des nerfs de J. Müller, car une
chose est de percevoir un objet (ou plus exactement un ordre d’objets) et
autre chose d ’avoir des sensations. Le niveau exact du système perceptif
est celui de l’organe des sens, tandis que le niveau des qualités sensorielles
est celui de l’anatomophysiologie des cellules réceptrices (p. 49-58). L ’examen
des divers « organes des sens » (p. 59-250) est alors envisagé dans la perspective
d ’une composante intentionnelle et motrice de l’acte perceptif et de sa dyna
mique incompatible avec la théorie considérant les organes des sens comme
de simples « charnels » d ’information ou de simples récepteurs d’énergie phy
sique.
/. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1135
pas activement à sa formation. Dans le deuxième cas, les illusions sont d ’origine
interne et proviennent d ’une mauvaise structuration du processus de spécia
lisation du «pick-up » de l’information, comme lorsqu’une excitation électrique
par exemple dérègle le « scanning » et la sélection discriminative de l’infinité des
Stimuli possibles (C’est ici que Gibson rejoint (1) la conception jacksonienne
ou organo-dynamique de 1’ « Hallucination » ou de l’illusion périphérique
à leurs niveaux les plus élémentaires qui, comme nous le verrons plus loin,
n ’est pas directement liée à une excitation sensorielle mais à une désintégration
fonctionnelle de l ’organe des sens lui-même). Et il termine l’exposé de la
« déficient perception » par cette remarque : si les illusions de la première
catégorie (ambiguïté ou distorsion des ensembles perceptifs naturels ou arti
ficiels) trouvent leur cause dans le monde externe ou physique des objets,
celles de la seconde catégorie (sensations consécutives, post-images* images
provoquées par une stimulation électrique) relèvent d ’un mécanisme interne.
Et il ajoute à la fin de ce chapitre qu’il s’agit alors de ces cas peu compréhen
sibles (little understood) d ’excitations purement internes du système nerveux
parmi lesquelles doivent être rangées les Hallucinations...
Malgré quelques contradictions fondamentales, malgré quelques obscuri
tés qui demeurent sous l’apparente et didactique clarté de l’exposé, nous retien
drons de cet ouvrage : 1°) que la psychophysiologie de la perception s’est
résolument détournée de la théorie de J. Müller et Helmholtz qui avait orienté
toutes les études de laboratoire sur les Stimuli, les sensations, les données sen
sorielles; — 2°) que la dynamique de l’acte perceptif apparaît au niveau même
de l’organe des sens comme une « information » dans le sens de ce mot qui
le rapproche de la « Gestaltung », tout en dépouillant celle-ci de sa structure
noético-mnésique pour en faire un acte spécifique de constitution de l’ordre
des objets en relation avec l’ordre objectif dans lequel, pour apparaître,
il s’incorpore ; — 3°) qu’un tel objectivisme se rapproche du behaviorisme
et pour autant s’éloigne du subjectivisme, c’est-à-dire de toute théorie de
la perception qui accorde beaucoup d ’importance psychique dans l’élabora
tion de la perception. Mais c’est justement dans ce retour à la réalité de
l ’expérience perceptive sans recours à des sensations élémentaires que nous
découvrons l’intérêt de cette nouvelle neuro-physiologie des organes des sens.
Car, en définitive, s’ils sont ainsi considérés comme des détecteurs — et nous
préférons dire des prospecteurs — ils cessent d’être des récepteurs sans cesser
toutefois d ’être en prise directe sur le monde des objets. Tant il est vrai que
l’organe des sens est en quelque sorte l’instrument organique chargé de dépasser
par sa dialectique fonctionnelle la contradiction impliquée dans l’acte vital de
la perception : l’action réciproque et respective du Sujet et de l’objet dans
l’expérience sensible. Certes, en ce sens « la sensorialité » est bien impliquée
dans tous les actes de conscience (y compris, bien sûr, la perception sous toutes
ses formes et à tous ses degrés), mais elle ne doit pas être regardée comme la
propriété d ’une fonction élémentaire et encore moins comme un élément
simple, une sorte d ’atome de la vie psychique, comme le voulait la psycho
logie associationniste du siècle dernier.
(1) Malgré, bien sûr, les concessions q u ’HELMHOLTZ, nous l ’avons vu, a été obligé
de faire en introduisant dans cette mécanique une instance de jugem ent qui p o u r si
inconscient q u ’il se le représente garde quelque apparence d ’une instance intellectuelle,
o u si l’on veut, intellectualiste.'
1138 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
décoder. Une fois lancés les messages, c ’est-à-dire les « signifiants » constitués
dans l’ordre interne du Sujet par correspondance à l’ordre externe des
« objets », ils circulent au travers des relais neuroniques (noyaux cochléaires,
olivaires et trapézoïdes, tubercules quadrijumeaux inférieurs, cors genouillés
médians). Au niveau des centres corticaux auditifs se produit une analyse
complémentaire des fréquences, c’est-à-dire une différenciation de « fréquences
caractéristiques » (Tasaki, p. 1158-1951). Cette analyse corticale des bandes de
fréquence exige une action « inhibitrice » qui exige elle-même un choix. « Des
résultats particulièrement intéressants ont été apportés, écrit à ce sujet V. Bon
net (Traité de Physiologie de Kayser, Neurophysiologie, (p. 718), par
l’étude... de l’abolition par un son pur de fréquence variable... Dans ce
cas, un effet inhibiteur est observé lorsque sa fréquence est choisie (1) aux
extrémités de la bande qui active la cellule nerveuse étudiée ». Il tombe sous le
sens en effet que ces transmissions et transformations de l’influx nerveux sont
« encadrées » (R. Ruyer) par le sens qu’ils véhiculent; l’appareil sensoriel
est un champ dynamique régulateur « indépendant des rails nerveux » (Koflfka).
gron » que constitue un système perceptif est une sorte d ’homonculus qui, comme
le démon de M axwell , exécute les opérations nécessaires au bon exercice de sa fonc
tion. Au cœur de ce déterminisme se découvre sa finalité, point sur lequel un neuro
physiologiste spécialiste de la perception comme R. J u n g ( ou un biologiste comme
Fr. J acob) ne cessent d’insister. Aux métaphysiciens et à la foi (théiste ou athée)
de s’en accommoder...
(1) Ce « choix » constitue le fond du problème du « hasard et de la néces
sité » au niveau des « synapses », puisque dans ces « points of decision » intervient
« fatalement » la finalité de l’organisme, si l’on ne veut pas dire l’intentionnalité
du Sujet.
(2) Cf. plus loin, p. 1164, un exposé plus complet du Système perceptif visuel
(cf. aussi supra, p. 938 et 1133):
1140 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
alors que les axones tapissent la face interne de la rétine pour constituer le
nerf optique. La rétine périphérique est structurée comme ta rétine centrale.
Et, effectivement, comme lorsque nous avons mis en évidence le premier niveau
de « coding » ou de transformation du signal en message dans la cochlée, nous
observons que ce que l’on appelle généralement un organe périphérique du
récepteur sensoriel, c’est déjà un « centre de triage et de choix ». Sans doute
la sensation lumineuse ne peut se produire que si le récepteur absorbe la lumière
(et c’est l’étape photochimique de transformation de la rhodopsine qui prend
son origine dans les bâtonnets dont dépend la vision scotopsique), mais la per
ception visuelle ne dépend pas de cette réaction chimique pour, au contraire,
n ’apparaître qu’en l’encadrant en l’intégrant.
L ’électrorétinogramme de rétines complexes (Granit) a mis en évidence
les potentiels d ’action des cellules ganglionnaires. Et, à cet égard, la distinction
entre processus photopsiques et scotopsiques se retrouve. Lorsque le stimulus
lumineux dure 1 ou 2 secondes, la réponse peut affecter soit le type « on »
(volée d’influx brève correspondant à l’impact du stimulus), le type « off »
(volée d’influx après un temps de latence après cessation du stimulus) et un
type « on » et « off ». Cette micro-électrophysiologie rétinienne a permis de
découvrir dès ce niveau « périphérique » des phénomènes d ’intégration spa
tiale et temporelle; somme toute, un cc codage » de l’information.
Dans son mémoire sur la Neurophysiologie et la Psychiatrie (Psychiatrie
der Gegenwart, p. 516-517), R. Jung met en évidence 5 types de réactions des
neurones corticaux à la stimulation lumineuse de la rétine. Les neurones de
type A ne réagissent pas à la stimulation binoculaire. — Les neurones de type B
correspondent aux neurones « on » de la rétine; ils sont activés par la lumière
et inhibés par l’obscurité. — Les neurones de type C sont inhibés aussi bien par
la lumière que par l’obscurité. — Les neurones de type D correspondent, comme
nous venons de le rappeler, aux neurones « off » de la rétine et sont inhibés
par la lumière et activés par l’obscurité. — Enfin les neurones E correspondent
aux neurones « on-off » de la rétine et sont activés aussi bien par la lumière
que par l’obscurité. Les deux grands systèmes fonctionnels antagonistes (B. Sys
tème répondant à la lumière et D. Système activé par l’obscurité) constituent
donc écrit R. Jung, p. 517, un jeu antagoniste d ’excitation et d ’inhibition
réciproques, c’est-à-dire une auto-régulation qui se rencontre dans l’ensemble
du Système de perception visuelle (im ganzen Sehsystem).
Quant à la vision des couleurs (1), nous allons voir que la vision chromatique
n ’est plus tout à fait envisagée à partir de propriétés élémentaires simples comme
du temps de Young et de Helmholtz qui proposaient un triangle fondamental
de couleur, ou de Hearing qui préconisait un schéma tétrachromatique avec
quatre fondamentales réunies en deux couples de couleur antagoniste. Plus
tard, on recourut en effet à un schéma polychromatique à nombre variable
de couleurs (7 dans la théorie de Edridge-Green, 1929), puis à un nombre
illimité dans les théories de la variation continue de la qualité chromatique
avec la longueur d’onde (1). Du point de vue photochimique, la vision de couleur
implique l’intervention de photopigments de cônes qui a fait l’objet d ’études de
chimie pigmentaire guidée par la microspectrophotométrie. A ce sujet, on s’est
demandé si la sensibilité spatiale est corrélative au nombre de photopigments
en cônes, et si chaque cône contient un ou plusieurs pigments (Marks, 1963;
Brown et World, 1964). Il ne fait pas de doute en tout cas qu’à ce niveau les
radiations chromatiques s’engagent dans des canaux d ’information dans la
mesure même où ils se transforment en potentiels électriques. Mais ce que
nous voulons souligner encore d’après R. L. de Valois et I. Abramon (1966),
c’est que même à ce niveau il existe un « feed-back control » entre les différents
types de récepteurs; l’idée qui consisterait à placer la spécificité de la vision
chromatique dans les Stimuli, se heurte à l’énorme complexité d’élaboration
et de filtrage que la rétine (comme la cochlée) peut et doit assurer.
Disons encore à propos de ces deux seuls appareils sensoriels spécifiques
dont nous exposons la texture essentielle, qu’il est très remarquable que l’on
trouve à des niveaux différents (la cochlée et les circonvolutions de Herschl — la
rétine et Y area striata) des structures de contrôle, de coding, de sélection, de
modulation et de différenciation de codages analogues. Cela résulte notamment
de ce que dit Richard Jung à propos de l’analogie des inhibitions réciproques
entre les neurones « on » et « off » de la rétine et les neurones B et D dans les
neurones corticaux (cf. supra). Somme toute, l’organe des sens périphériques
constitue avec les centres sensoriels corticaux et les relais intermédiaires un
appareil de réception, de filtrage des Stimuli (un certain ordre naturel) spécia
lisé pour certaines catégories (un certain ordre extérieur) de propriétés phy
siques, chimiques ou électromagnétiques du monde extérieur. Cette analyse
est nécessaire à la transformation de ces signaux en messages sensoriels,
c’est-à-dire en informations codées selon une catégorie (ordre humain) imposée
à l’ordre naturel. Aussi p e u t - o n p a r l e r d ’u n ana lyseur p e r c e p t if d o n t
l ’o r g a n e des sens est aussi bien a u cen tr e q u ’a la p é r iph é r ie ; car c’est
photométrie des cônes isolés permettra de faire des progrès dans la chimie pigmentaire
des récepteurs.
(1) Cf. TheEye de H. D avson, New York, Acad. Press, 1962 et la revue générale
de R ussell, L. de V alois et I. A bramov {Ann. Rev. of Psychology, 1966, 17, p. 337-
362); celle également de H. R ipps , in Ann. Rev. Psychology, 1969. Il faut aussi se
rapporter au Symposium sur la vision des couleurs (Foundation Ciba, C. R., éd. Chur
chill, Londres, 1965) et naturellement à l’ouvrage collectif sur la Rétine (sous la
direction de B. R. Straatsma, 1970).
1142 MODÈLE ORGANO-D YNAM1QUE
Ainsi, l’organe des sens ne paraît pas être entièrement réductible dans sa
fonction à une théorie quantique (1) ou énergétique de l’activité de ses seuils
sensoriels ou de discrimination des formes. Des modèles psychophysiologiques
ont été dès lors proposés pour s’adapter à sa fonction d ’adaptation (notamment
à sa fonction de détection et de choix). Ainsi, I. Pollack (2) a souligné l’intérêt
de la théorie de l’information et de la « signal-detection » (3) pour autant qu’elles
permettent de se référer à un modèle « molaire » (on peut dire hiérarchisé)
de l’organisation sensorielle. Et c’est bien par ces modèles, ou plus exactement
par les limites imposées à leur usage (cf. par exemple la critique de R. Green
et M. C. Courtis, 1966 ; celle de R. Jung, 1967 ; de E. Küppers, 1971, etc.)
que nous débouchons maintenant sur les aspects proprement dynamiques,
opérationnels et sélectifs des appareils sensoriels. Car, bien sûr, ceux-ci com-
(1) M. A. B ouman dans son article « History and Present Station of quantum
theory in vision » (Sensory, Communication, 1961, p. 377-402) montre, me semble-t-il,
que la notion de seuil demeure en deçà de la théorie quantum-statistique.
(2) I. P ollack , « Developments in Psychophysics with implications for sensory
Organization » (Sensory Communication de W. A, R osenblith 1961, 89-98).
(3) R . R uyer dans son livre « La Cybernétique et la théorie de l’information » (1954)
a depuis longtemps fait justice de cette nouvelle physique électronique des sens... sans
sens ! — M. A udisio (Evol. Psych., 1968) a rappelé judicieusement que la cyberné
tique de niveau macromoléculaire ne saurait convenir au niveau de la direction du
traitement de l’information.
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCPETIFS 1143
(1) Cf. plus loin (p. 1149) la note où nous explicitons le sens de cette notion.
(2) J. G aito (1964), par exemple en parlant de la fonction sélective des organes
des sens, souligne précisément cette valeur transitive et active et non pas seulement
passive ou réceptrice.
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1145
Maine de Biran qui le tenait pour le « fait primitif » du « sens intime » (Essai sur
les fondements... 1859); de telle sorte qu’il considère que le pivot du système
perceptif c’est la fonction d ’attention qui « fixe les organes mobiles comme
l’ouïe ou le toucher sur l’objet présent ». Depuis lors, cette intuition d ’une
« force motrice » propulsive de l’action ou de la pensée (qui était, disait
H. Jackson, le rêve de l’action) est devenue une idée directrice de toute science
de l’organisation de la vie psychique. On la retrouve, bien sûr, chez tous les
« psychistes » et « romantiques » du xixe siècle, puis chez William James
comme chez Bergson ou Ribot. Ensuite, elle s’est pour ainsi dire enfoncée
jusque dans les automatismes idéatifs et perceptifs, les schèmes moteurs (Berg
son), les attitudes motrices (Binet, Ribot), dessinant dans l’action qui l’ordonne
et la prépare la finalité de l’acte perceptif (1).
Nous avons déjà fait allusion plus haut à l’importance des effecteurs dans
la perception (cf. p. 62, l re Partie). Nous pouvons rappeler ici également les
travaux de D. O. Hebb (Organization o f Behavior, 1949) et sa théorie de la
séquence des phases qui relie la reconnaissance ou leaming des mouvements
oculaires nécessaires pour explorer les objets. Le travail de S. J. Freedman
(Bel-Air, 1964) est du point de vue de l’expérimentation visuo-motrice et audi-
tivo-motrice particulièrement remarquable. Il expose avec quelle ingéniosité
de méthode comment la perception a pu être empêchée par le non-usage du
mouvement (celle-ci étant, bien sûr, requise par exemple pour le redressement
du champ visuel dans l’expérience de Stratton) : il a mis en évidence l ’inversion
du système sensori-moteur (labyrintho-auditif) à l’aide de son pseudophone.
L’étude de H. L. Teuber (1972) portant sur la composante kinétique de la
présentation, de la compensation et de la représentation en tant qu’actes
nécessaires à la perception est aussi fort intéressante. Les expériences de Richard
Held et coll. doivent retenir plus particulièrement l’attention en raison de
l’ingénieux dispositif expérimental qui permet de mettre en évidence le rôle
des mouvements actifs et des mouvements passifs dans l’adaptation de la visée.
C’est d’ailleurs sous la présidence de H. L. Teuber que le Colloque sur la fonc
tion du regard (C. R. 1971) a apporté d’importantes contributions à ce pro
blème (G. C. Lairy, A. Dubois-Poulsen, B. Weiss, S. Shanzer, R. Held du
Massachusetts Institute of Technology, A. Rémond, etc.).
— Mais les travaux de V. von Weiszâcker (2) sur l’acte biologique de la per
ception sont à cet égard déterminants. Percevoir, dit-il, est une auto-activité,
c’est un auto-mouvement, car « je me meus en me faisant apparaître des mou
vements ». La fonction de perception (en allemand Wahr-nehmen implique que
quelque chose est pris dans sa perception) est donc une fonction essentiellement
active, une véritable préhension. Elle fait partie des fonctions de l’organisme
(1) L’ouvrage de R. M ourgue (1932) est tout entier orienté par l’hypothèse
d’une structure psycho-motrice de la perception et de l’Hallucination (cf. p. 94-115
spécialement).
(2) « Der Gestaltkreis » (Le cycle de la structure), trad. fr. M. F oucault , Desclée
de Brouwer, Paris, 1958, p. 38-60.
1146 MODÈLE ORGA NO-D YNAMIQ UE
(1) Le livre de R. F rances (1962) contient l’essentiel de ce qu’il nous est néces
saire d’exposer ici (p. 179-226). Les travaux de psychophysiologie animale sont innom
brables sur ce point, notamment sur les conditionnements opérants et les seuils de
discrimination perceptive qui sont fonction des appétits. Signalons les études de
J. S. B rüner (1951) et de L. P ostman (1953) sur la genèse de la perception. Des
travaux analogues ont mis en évidence des facteurs affectifs dans l’acte perceptif
chez l’homme dans la perception des grandeurs (B rüner et Goodman, 1947 ; S chäfer
et M u rphy , 1943, etc.) ou dans la décision perceptive ou des effets de clôture des
1148 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Mais cette motivation implicite qui projette la perception dans le sens d’un
affect, cette fonction à'expectation (J. S. Brüner, 1951) ou d’ « awarenese » qui
assurent à la perception sa dépendance à l’égard des Stimuli internes, si elle
est bien connue et depuis fort longtemps (cf. ce que nous avons déjà dit de la
projection affective des émotions, des sentiments et des complexes affectifs
dans la perception, cf. plus haut) a fait l’objet plus particulièrement d’études
sur les mécanismes inconscients, sur la microgenèse inconsciente, notamment
sur les inhibitions et les « défenses » d ’origine affective. Ce sont L. Postman,
Brüner et MacGinnies (1948) qui ont dans une série de travaux lié pour ainsi
dire le concept de vigilance et de défense, liaison dont nous avons fait dans notre
étude de l’être conscient le sens même de l’action législatrice de la conscience.
Leurs expériences par les tests d ’association verbale et à l’aide du tachistoscope
ont montré objectivement l’importance des répulsions et interdictions
inconscientes dans le mécanisme de la reconnaissance et du seuil de percep
tion. La « perceptual defence » est devenue une sorte de leitmotiv des travaux
américains sur la perception. On la trouvera exposée dans la revue générale
de D. E. Johannsen (1967) qui s’attache à montrer de quelle dimension « nou
velle » les recherches expérimentales ont doté la psychologie de la perception.
Le travail de Ch. W. Eriksen (1965) constitue aussi un excellent exposé de
travaux (presque toujours, là encore, sur la perception verbale et sur la base
de la théorie de l’analyse du comportement de défense de Bollard et Mil
ler, 1950) qu’il a publiés avec plusieurs collaborateurs sur l’implication des
tendances affectives inconscientes dans la perception, c’est-à-dire la reconnais
sance des objets qui appartiennent bien évidemment au monde objectif,
mais d ’abord aux « sets » ou aux « patterns » qui forment les conditions et
l’exigence de l’information.
Ce point de vue est si « rebattu » et, pourrait-on dire, si galvaudé que nous
n ’estimons pas nécessaire d ’y insister (1). Non point parce qu’il est sans impor-
tance, mais plutôt parce que son importance est si évidente que l’on se prend
à déplorer tant d ’efforts — parfois superflus — de sa démonstration scienti
fique...
Il est à peine besoin également de souligner que cette propulsion affective
représente les tendances vitales du mouvement qui constitue la perception,
comme elle nous permet de saisir par anticipation l’autre dimension de la pros
pection perceptive, celle de l’infrastructure de la perception que nous allons
maintenant envisager.
(1) Ce terme a été employé par M ac C leary et L azarus (1949) dans un sens très
spécialisé, pour désigner une corrélation partielle entre deux systèmes de réponses
notées dans leurs recherches sur les réponses électrodermographiques. Ensuite, É r i k -
sen a repris le terme pour désigner encore une corrélation partielle entre réponse
verbale et réponse motrice. Mais, naturellement, ces corrélations partielles ont fait
dire à M ac C leary et à L azarus que par subception il fallait entendre « un processus
par lequel une sorte de discrimination est faite par le Sujet lorsqu’il est incapable
d’en faire une qui soit consciente... » Ainsi ces expériences ont-elles renvoyé leurs
auteurs à la notion même de frange subliminale ou subverbale, au fond, à ce que l’on
appelle souvent la préperception. On consultera sur ce point les 3 ou 4 pages que
R. F rances consacre à cette notion. Dégagée de son sens originaire (stricto sensu),
elle nous paraît assez heureusement désigner bien sûr ce que F reud appelait le Pré-
Conscient de la Perception mais aussi ce qu’il en séparait et qui constituait à ses
yeux l’Inconscient, car pour nous le concept négatif d’inconscient ne peut qu’englo
ber tout ce qui peut se réunir dans cette négation et qui est aussi ce qui hante la per
ception, l’environne ou la dirige eii paraissant en être exclu.
1150 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) On lira à ce sujet parmi cent autres, d’abord les travaux de E. J. G ibson (1953-
1963) et l’ouvrage de R. F rances, «L e développement perceptif» (1962) et, bien entendu,
l’importante contribution de P iéron , « La sensation guide la vie » (1955). « La psycho
logie expérimentale » et son rapport au Symposium de l’Association Psychologique de
Langue Française (1955). K . U le et S. G udmund (1970) ont consacré un livre à l’ana
lyse des facteurs « génétiques » du développement perceptif. Plus récemment (in
Neuropsychologie de la perception visuelle).
/. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1151
(1) Nous savons bien, et nous y reviendrons, qu’elle ne constitue pas seulement
un point dans l’espace mais un foyer fonctionnel qui peut s’adapter...
(2) Nous devons naturellement ici faire état des études de psychologie génétique
de H. W allon comme de celles des Gestaltistes behavioristes et opérationnalistes
et génétistes (cf. A. G urw itsch , Théorie du Champ de la Conscience, 1957).
u
1152 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
[
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1153
Piaget. — Et, c’est bien ainsi, en effet, que dans la perspective génétique
J. Piaget nous a montré comment le montage des mécanismes perceptifs
suivait l’évolution des structures opérationnelles : celles qui fournissent la
connaissance des transformations d ’une configuration à l’autre et celles
des structures figuratives qui fournissent la connaissance de ces états eux-
mêmes. Pour lui, il y a une incessante et réciproque interaction entre les
schèmes sensorimoteurs pré-représentatifs (isomorphes et réversibles) et
la constitution de cadres médiats, schèmes, cadres conceptuels des struc
tures opératoires qui assurent par leur mobilité et leur niveau d ’abstraction
l’exercice logique des activités perceptives proprement intellectuelles. Comme
il le précise à la fin de son ouvrage « Les Mécanismes de la Perception » (1961),
la perception ne peut pas se confondre à son niveau propre avec celui de
l’intelligence, mais la perception préfigure en quelque sorte dès ses origines
génétiques la construction des schèmes opérationnels dont l’exercice abou
tit à une logique notionnelle des transformations opératoires (classification,
sensations, transformations spatiales, cinématiques, etc.). A la perception
appartient l’aspect figuratif de la connaissance : à l’intelligence appartient
son aspect opératif. Et, en définitive, si la perception n’est pas toute l’intel
ligence il n’y a pas de perception réductible à une simple sensation car elle
implique toujours des actes de connaissance figurative. Il suffit de rappeler
ainsi les principales idées de Piaget sur l’épistémologie génétique de la per
ception pour marquer du même coup sa solidarité avec la « Gestaltpyscho-
logie ». Pour autant, en effet, que celle-ci a visé les éléments figuratifs du
champ perceptif, ou plus exactement la configuration des formes ou spec
tacles perceptifs rassemblés par les seuls effets de champ, elle a introduit
une nécessaire organisation intrinsèque des qualités sensorielles. Or, une
telle organisation dans sa légalité renvoie à la finalité même, c’est-à-dire au
sens, c’est-à-dire au Sujet (au « Gestalter » de la « Gestalt »). Et c’est en effet
par l’éclat de Vinsight, de YEinstellung ou, pour parler français, de l’intuition
intellectuelle, que se forme la forme de l’objet perçu. Car, bien sûr, c’est
l’école de Leipzig avec F. Krüger qui a raison quand il fait dépendre comme
1156 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Nous devons encore revenir, pour les compléter, sur les réflexions que
nous avons déjà faites plus haut. Parler de sentir ou de sensation, ou d'organe des
sens, ou d’expériences sensibles, c’est toujours se référer à ce qui est commun à
toutes « les manières-d’être-au-monde » par quoi s’instaure hic et nunc la commu
nication du Sujet avec son monde. Or cet hic et nunc passe nécessairement par
les limites de l’exiguïté temporelle et spatiale qui circonscrit le « sentir » dans
une modalité de la vie de relation dont le corps est le lieu et l’instrument néces
saire. Disons donc que sentir, avoir des sensations ou vivre une expérience
sensible, c’est pour le Sujet essentiellement faire entrer le monde dans son corps.
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1157
commune » (1). Si l’expérience ne donne pas les sens comme équivalents, Yunité
de sens se réalise tout de même transversalement puisqu’on retrouve entre eux
quelque chose d ’analogue à ce qui se passe pour la vision binoculaire qui subor
donne un œil à l’autre. Cela prouve que l’unité de l’expérience n ’est pas une
unité formelle mais une organisation autochtone (note p. 270). C ’est dans cette
« couche originaire » et commune du sentir que se lient « l’unité du Sujet et
l’unité intersensorielle de la chose » (p. 276). Telle est l’expérience sensible
qu’elle est une expérience irréfléchie et antéprédicative qui ne se constitue que
sur un fond de monde (p. 279). « La perception synesthésique, précise-t-il
encore, est la règle, et si nous ne nous en apercevons pas, c’est parce que le savoir
scientifique déplace l’expérience et que nous avons appris à voir, à entendre et
en général à sentir pour déduire de notre organisation corporelle et du monde
tel que le conçoit le physicien, ce que nous devons voir, entendre et sentir ».
Autrement dit, il y a quelque chose d’artificiel, mais non pas certes d ’arbitraire
dans la diversité spécifique des sens car ils exercent par leur conjugaison la
« synergie » nécessaire à la constitution de l’expérience sensible, à YEmpfindung
qui est comme la manière de toutes les relations sensorielles du Moi avec son
monde comme c’est l’auto-mouvement qui est le mouvement de l’unité des
sens et qui en coordonne les synergies.
rience. Ce fond commun, ce bruit de fond ou bruit blanc (noise dans la théorie
de l’information) a précisément, comme nous l’avons souligné plus haut,
une fonction inverse au bruit de fond d’une machine électronique d’information
puisqu’il a lui-même un sens qu’il porte et comporte comme le murmure de
la vie, le sens des sens.
Les sens établissant la communication avec le monde des objets, ils ont pour
fonction de nous ancrer dans la réalité objective. Cette fonction de « garde-fou »
qui règle notre adaptation au monde des objets et fait de nos yeux, de nos
oreilles, de notre odorat, etc., les instruments les plus précis à l’aide desquels
nous mesurons les degrés et les qualités de la réalité des choses et plus
généralement même de tout ce et de tous ceux qui sont hors de nous, pour
constituer la « dure réalité » qui est à la fois autre que nous-mêmes et com
mune à nous tous. Toute perception comporte donc un conflit entre ce que
nous avons appelé la frange subliminale de la perception et la saisie d ’un objet
dans la réalité de ses quanta et de ses qualités sensibles par quoi il fait partie
de ce qui, hic et nunc, apparaît dans un rapport d ’altérité foncière et proprement
temporo-spatiale avec le Sujet que je suis. Or, ce conflit, en quelque sorte interne,
n ’apparaît dans l’activité des appareils sensoriels qu’à la réflexion et au savoir
car les organes des sens n ’étant pour « l’attitude naturelle » ou le « bon sens »
que de simples récepteurs de choses, celles-ci entrent par eux dans la conscience
sans aucune difficulté comme si les données des sens, étant simplement unilaté
rales et centripètes, s’imposaient d ’elles-mêmes. Mais il n ’en est pas ainsi, et
tout ce que nous venons d’exposer précédemment de la complexité et de
l’architectonie fonctionnelle de l’activité des sens nous montre que l’appareil
sensoriel est construit et fonctionne pour poser et résoudre la problématique
de la perception qui est précisément dans son fond de départager ce qui est du
monde objectif et ce qui est du Sujet. La démonstration ou, si l’on veut, la mani
festation de cette complexion fonctionnelle, elle nous est donnée par l’analyse
de plusieurs faits qui démontrent la vulnérabilité ou, si l’on veut, la potentialité
hallucinatoire « contenue » dans l ’exercice « physiologique » des organes des
sens.
II. Si les organes des sens en tant que récepteurs constituent une sorte de
bourgeon somatique du monde physique, ils sont surtout en tant que p r o s
p e c te u r s des « filtres sélectifs » destinés non pas seulement à recueillir les
informations mais à les prendre et à les former. Ce travail s’établit déjà par
les cellules de la cochlée ou de la rétine qui sont, comme nous l’avons souligné
(plus haut p. 1137), des « centres nerveux ». Les signaux y sont transformés en
messages, en ce sens que désormais ils ne sont transmis vers les centres où s’éla
bore l’adaptation des réponses qu’à la condition d ’être déjà un langage codé
qui programme ces réponses. Or, la codification de ces messages suppose, et
1
/. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1163
(1) C’est encore au « télégraphe Morse » que se réfère la construction des machines
d’information « digitale », par opposition aux dispositifs capables d’information
« analogique », comme nous l’avons vu précédemment (p. 1094).
(2) Cf. le chapitre « Vision » (C. K ellerschohn et J. C. P ages), in Traité de Phy
siologie de K ayser (1963), et Quantum theory in vision par M. A. Bouman (in Sen
sory, Communication de R osenblith, 1961) et les ouvrages de J. J. G ibSon (1952-
1968) et de R . L. G regory (1966), de B. R . Straatsma (ouvrage collectif 1970).
(3) Cf. le chapitre « Audition » de V. Bonnet , in Physiologie de K ayser et Neural
Mechanisms of auditory discrimination par W. D. N eff, in « Sensory Communica
tion » de R osenbuth , 1961.
1164 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
% /------------------- \ /------------------- s
(1) N ous avons déjà insisté bien des fois dans cet ouvrage su r les nouvelles orien
tations de la neurophysiologie sensorielle qui adm ettent une plus grande partici
pation des com posantes non spécifiques (instinctives, motrices, énergétiques) dans
la perception sensorielle (cf. notam m ent K lüver , 1965). N ous retrouverons d ’ailleurs
ce problèm e plus loin, l ’ayant déjà traité à propos des modifications plus dynam istes
du m odèle linéaire dans la théorie mécaniste (cf. p. 976 et sq.).
(2) E n tant qu'instrum ent d ’analyse, il est intégré dans le système des connexions
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1171
que les organes des sens servent au Sujet pour communiquer au travers des
« chanals » de leur organisation propre avec le monde extérieur et à incorporer
dans son expérience les informations qu’il n ’en reçoit qu’en les prenant. Mais
cela revient à dire aussi et surtout que la f o n c t i o n a n t i - h a l l u c i n a t o i r e
assurée.ainsi par les analyseurs sensori-perceptifs consiste essentiellement à
pourvoir à l’alimentation du Sujet en information et que c’est cette alimen
tation extraite du monde extérieur qui l’assure contre le danger hallucinatoire
qui le guette à l ’intérieur de lui-même. Ainsi voyons-nous croître le danger
hallucinatoire toutes les fois qu’est perturbé, ou empêché, Varousal sensoriel
propre à chaque système perceptif. C’est bien, en effet, à quelque chose
d ’analogue à l ’éveil cortical qui se produit lorsque les yeux s’ouvrent à la
lumière ou les oreilles aux sons au niveau des « récepteurs spécifiques »,
lorsque leur organisation fonctionnelle permet alors aux Stimuli de se trans
former en messages d ’information (1). Il suffit, par contre, d ’observer ce qui se
passe lorsqu’un trouble, une lésion ou une circonstance extérieure (naturelle
ou expérimentale) empêchent la transmission et la transformation des sti-
muli, c’est-à-dire coupent la voie des afférences, ou plus exactement des infor
mations. Lorsque la fonction réceptrice ou informatrice des appareils sensorio-
perceptifs ne peut s’exercer, lorsqu’un déficit du flux et de la qualité des
informations ne fournit plus les aliments nécessaires à sa fonction anti-halluci
natoire, on voit alors (les fameuses expériences d 'isolement sensoriel ou le syn
drome du bandeau des ophtalmopathes opérés, ou encore tous les compléments
ou substitutions d’imaginaire qui se glissent comme des fantômes dans l’ob
scurité, dans le crépuscule ou dans la nuit des organes des sens) que, là où
fait défaut cette prise directe sur la réalité des choses par les sensations, c’est
une vapeur de fantasmes inverses ou indirects (Palagyi, Klages) qui tend à la
remplacer.
Si maintenant nous envisageons l’organe des sens (ou mieux le système
perceptif) éveillé, c’est-à-dire capable de se porter sur l’objet qu’il vise, nous
devons bien le considérer comme prospecteur. Si l’organe des sens joue un
rôle dans l ’analyse de la réalité objective, il apparaît aussi comme représentant
du Sujet, c’est-à-dire plus ou moins directement lié à la sphère de ses désirs ou, en
tout cas, de son intentionnalité. Sa fonction anti-hallucinatoire ne peut donc être
que plus vulnérable dans ce mouvement qui projette en effet le Sujet dans
l’objet et tend, par conséquent, à éclipser la réalité au profit du désir. Mais,
bien sûr, à ce niveau aussi nous allons être confrontés comme au niveau pré
cédent à des jeux de forces ou de fonctions antagonistes, car la propulsion
qui fait prendre à la perception la direction de l’objet visé par le Sujet, cette
propulsion est elle-même fondamentalement composée de deux forces qui
s’équilibrent. On peut et on doit appeler l’une, l’Inconscient (ou la sphère
du désir soumis au principe de plaisir), et l’autre le Conscient (ou le système
de la réalité). Et c’est à ce niveau, en effet, de l’encadrement subjectif de la
perception, de l’incorporation de l’objet perçu dans le vif du Sujet qui le perçoit,
que l’activité des organes sensoriels s’intégre dans le mouvement général de
l’être conscient que nous avons décrit plus haut et qui font l’objet du para
graphe suivant. Comme nous nous proposons de préciser un peu plus loin
les rapports d ’intégration et de subordination que les organes des sens sou
tiennent avec lui, soulignons donc ici seulement l’importance de l’articulation
de l’activité des organes des sens et des structures de la conscience (R. Ruyer,
1937). Car c’est évidemment ici à un palier supérieur et proprement perceptif
de l’activité des appareils sensoriels, au niveau du dynamisme même de la
projection comme moteur de l'analyse perceptive et du jugement (comme
conclusion de la synthèse perceptive) que nous avons affaire.
Pour ce qui est de la projection des affects, des instincts, et plus généralement
de la motivation dans l’analyse perceptive, nous pourrions seulement répéter
ce que nous en avons déjà dit plus haut en mettant en évidence la frange subli
minale inconsciente de l’acte perceptif en tant qu’il est essentiellement prospec
teur. Mais nous devons encore insister sur un point capital : c’est que dans
l’acte perceptif qu’effectue l’analyseur spécifique, pour si fortes que soient
les forces inconscientes qui attirent le sens des sens hors de la réalité vers le
rêve, l’imaginaire et le fantasme, la perception n ’accomplit son analyse de
I. ARCHITECTONIE — LES SYSTÈMES PERCEPTIFS 1173
(1) Celle-ci ne saurait se réduire, soulignons-le encore une fois, comme l’ont
admirablement montré le philosophe R. Ruyer, le neurophysiologiste allemand
Richard J ung ou les réflexions de M. Audisio (1968), à des montages cybernétiques
ni de type « digital », ni même de type « analogique ».
I. ARCHITECTONIE — PORTÉE DE CETTE PREMIÈRE THÈSE 1175
— Nous pouvons dès lors mieux comprendre encore quelle vue nouvelle sur
la perception — et par voie de conséquence sur l’Hallucination — comporte
ce modèle architectonique de l’organisme psychique dont les appareils sensori-
perceptifs sont des instruments. La perception, en effet, ne peut s’accommoder
des schèmes linéaires qui la réduisent à la simple trajectoire (pour si compliquée
ou complexifiée qu’on l’imagine) qui lie le désir à son objet, ou à la simple et
réversible transmission d ’un stimulus interne vers un centre sensoriel. Ces
modèles sont radicalement impuissants à rendre compte de l’Hallucination
tout bonnement parce que celle-ci se confond dès lors naturellement avec toute
image qui normalement réalise un désir, ou avec une excitation sensorielle
quelconque parmi l ’infinité des Stimuli possibles qui ne cessent de provoquer,
d’après la théorie même, la sensibilité spécifique des organes des sens. Nous le
verrons plus clairement encore plus loin : la notion d’une excitation de quelque
nature qu’elle soit supprime de l’Hallucination la structure négative qui l’en
gendre et « banalise » de ce chef toute Hallucination en la confondant avec le
simple effet d ’une excitation libidinale ou mécanique, c’est-à-dire en la rédui
sant au mécanisme normal de la production des images ou des sensations.
Or, la perception n ’est justement pas Hallucination; elle est organisée sur
un plan anti-hallucinatoire, et c’est l’altération de cette organisation qui a pour
effet le phénomène hallucinatoire. Celui-ci ne peut surgir que d ’une altération
de l’acte perceptif. Dans la mesure où, en effet, la perception n ’est réductible
ni à la projection d ’une image (thèse idéaliste), ni à la réception spécifique des
qualités (ou plus exactement des quantités) que lui envoient les Stimuli du
monde extérieur (thèse réaliste), elle est précisément cette opération par quoi
s’équilibre et se compose la rencontre du Sujet et de son monde dans l ’actualité
de l’expérience sensible.
Ainsi en remettant à leur place et en renvoyant à leur instrumentalité les
fonctions des organes des sens, nous n’entendons précisément pas les arracher
à la totalité du sens de l ’organisme en les abandonnant à n ’être eux-mêmes
que l’objet de connaissance et d’expériences physico-mathématiques. Car si
nous disons que les organes des sens sont les instruments (des ustensiles au sens
heidéggérien du terme), ce n ’est pas pour les définir comme des ensembles méca
niques ou des machines électroniques (1). Nous entendons au contraire sou
ligner que ce sont parmi les organes les plus nobles (pour faire partie précisé
ment du système nerveux dont ils ne sont que des bourgeons), ceux en qui la vie
psychique cherche un perpétuel et précaire équilibre entre ce qui l’attire vers
l’irréalité du rêve et ce qui la contraint à garder le contact le plus immédiat
(1) Car, bien sûr, si nous les définissons comme « désirantes », ces machines
cesseraient d’être des machines. '
1176 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
possible avec la réalité de l’existence. Les organes de sens sont des micro-orga
nismes psychiques, ce sont des corpuscules dü corps psychique.
*
* *
(1) General System Theory (W. G ray, F. J. Dura, et N. D. Rizzo), Boston, Little
Brown, 1969, 480 p., cf. p. 33-60.
CHAPITRE II
(1) Nous employons ce terme rare mais classique (en sociologie depuis D u r
pour désigner l’Hallucination comme une anomie, une anomalie absolue. Nous
k h e im )
l’opposons au terme « psychonome » qui désigne, selon Q u e r c y , 1’ « Hallucination
normale », c’est-à-dire, pour nous, une « Pseudo-hallucination ».
1178 MODÈLE ORGANO-DYNAM1QUE
gination que tous les hommes ont à leur disposition ou que certains (soit qu’ils soient
des fous ou des génies) portent à ses plus extrêmes degrés de perfection (dans la création
artistique ou dans l’exaltation mystique de l’extase ou du ravissement); — que l’Hallu
cination ne diffère de l’image que par son intensité, par la transformation sensoriale
de l’idée qu’elle peut engendrer (Lelut);—et enfin que l’Hallucination peut être« phy
siologique », c’est-à-dire normale. Et, effectivement, au milieu du xixe siècle (notam
ment lors de la fameuse discussion de 1855 à la Société Médico-Psychologique),
Bûchez, Peisse, Brierre de Boismont, A. Garnier et (dans une autre discussion aussi
fameuse sur l’analogie du rêve et de la folie à la même époque) Bousquet se sont faits
les champions de la nature imaginative de l’Hallucination, thèse soutenue déjà par
Lelut dans son ouvrage célèbre (1846), et plus anciennement encore par Boissier de Sau
vages qui rattachait l’Hallucination à la « perception imaginaire ». Dans son article
« Hallucinations normales et pathologiques », Bernheim {Encéphale, 1913) nous
rappelle, bien sûr, que pour Taine ( L ’In telligen ce, p. 317) l’Hallucination qui semble
une monstruosité (c’est en ce sens que nous parlons de sa structure « anomique »)
est la trame même de notre vie mentale, car, a-t-il écrit aussi (p. 23), on peut définir
notre état d’esprit pendant la veille comme une suite d'Hallucinations qui n’aboutissent
pas. Cette « hallucinabilité » que Bernheim reconnaît aux Sujets normaux et aux Sujets
pathologiques est donc et ne peut être qu’une virtualité. Et tout le problème de l’Hal
lucination vraie ou pathologique c’est précisément celui du passage à l ’a c te de cette
potentialité. Autrement dit, toutes les discussions sur l’identité de l’image (1) et de
la perception de l’Hallucination normale et pathologique escamotent purement et
simplement le problème des Hallucinations. En Allemagne, sauf pour les « Roman
tiques » de l’école « psychiste » (Reil, Heinroth, C. W. Ideler, E. Feuchtersieben,
C. G. Carus, etc.), les Psychiatres du xixe siècle furent plus ouverts à la thèse inverse.
— La thèse qui pose la « n atu re p rim itiv e m e n t sen sorielle » de l'Hallucination distin
gue aussi radicalement que possible l’Hallucination de l’image, de la représentation ou
du souvenir. Tous les auteurs qui l’ont soutenue ont été particulièrement sensibles
à la pathologie des centres et organes sensoriels et à 1’esth ésie, c’est-à-dire à la vivacité
des propriétés sensibles du vécu hallucinatoire par quoi précisément l’Hallucination
se distingue de l’image. Les corollaires de cette thèse sont tout naturellement : que
l’Hallucination est très différente de l’image qu’elle ne saurait se confondre avec
l’exercice de l’imagination pour si vive qu’elle soit, et qu’elle exige pour sa consti
tution une condition pathologique, de telle sorte qu’elle ne saurait être assimilée à un
phénomène « physiologique » ou « normal ». Cette thèse — la plus répandue dans
les diverses écoles psychiatriques anciennes et modernes — fut soutenue en 1855 par
Maury, Baillarger, Michea, Parchappe, et elle n’a jamais cessé d’être soutenue (depuis
Ritti jusqu’à P. Quercy et, bien sûr, G. de Clérambault). Mais comme l’a si judicieuse
ment fait remarquer Mourgue, cette « sensorialité » de l’Hallucination (et sa « para
phrase » par la théorie de l’excitation des voies et centres sensoriels) en même temps
qu’elle fonde l’Hallucination sur une « sensation réelle » la détruit. Et cela est si évi
dent qu’à peine définie comme un phénomène primitivement sensationnel et assimilée
à la perception d’un objet réel, l’Hallucination disparaît, soit complètement aux yeux
des théoriciens les plus rigoureux en se heurtant à la définition même d’une perception
sans objet, puisque, en définitive, elle est perception d’un stimulus seulement inadéquat,
soit partiellement en ce sens qu’une telle interprétation ne peut s’appliquer en tout
état de cause qu’à une partie seulement des Hallucinations et non pas aux phénomènes
dits pseudo-hallucinatoires ou Hallucinations psychiques ou Hallucinations pseudo-
esthésiques, etc.
Et voilà pourquoi la fameuse distinction entre Hallucination sensorielle ou psycho
sensorielle dite « vraie », ou « Hallucination psychique » dite encore « Pseudo
hallucination », est là comme pour nous montrer, même quand elle nous est proposée
par des Cliniciens de la valeur de Baillarger ou de K. Jaspers (pour ne parler que de
deux auteurs qui, d’un siècle à l’autre, ont compromis le concept d'Hallucination),
pour nous montrer donc qu’il est impossible sans aboutir à la nier, d’attribuer à
l’Hallucination des concepts comme ceux d’image ou de sensation, car jamais l’Hallu
cination proprement dite ne peut être réduite à être, ou une image, ou une sensation.
Nous devons conclure de ces réflexions que les deux perspectives selon
lesquelles le regard du Clinicien, s’il s’en tenait à l’une ou l’autre de ces perspec
tives, lui ferait nécessairement manquer l’Hallucination. Car ce qui étaye l’une
et l’autre thèse, c’est précisément une double illusion : celle de l’intensité
des images qui la porterait jusqu’à leur « réalisation » objective; — et celle
qui considère l’image comme le simple reflet d ’un objet du monde extérieur.
Comme nous allons le voir en reprenant ici ce qui est un des leitmotive
de ce « Traité », ces « hallucinations psychonomes » ou normales sont de
fausses Hallucinations (1) pour autant qu’elles sont des phénomènes confor
mes aux lois mêmes de la perception. Celle-ci, en effet, ne consiste pas seule
ment à enregistrer des Stimuli mais à se porter à leur devant et à les choisir,
(1) Peut-être devons-nous ici prier le lecteur, une fois de plus, de prendre lui-même
conscience de la nécessité lorsqu’on manipule les concepts d’Hallucination « vraie »
ou « fausse », lorsqu’on essaie de catégoriser les Hallucinations, de ne pas perdre de
vue que le groupe des phénomènes hallucinatoires est divers, sinon hétéroclite. Clas
siquement, on distingue mal les Hallucinations de ce que nous appelons, nous, les
Pseudo-hallucinations (pour n’être que des illusions normales de la perception).
Et, dès lors, on réserve paradoxalement le terme de « Pseudo-hallucination » générale
ment à cette partie, à cette énorme partie du genre « Hallucinations » caractérisées
par le caractère psychique ou pseudesthésique de la représentation hallucinatoire,
soit plus rarement aux phénomènes éidolo-hallucinosiques. Ceux-ci, par contre, sont
considérés par certains auteurs comme les « vraies » Hallucinations (R. M o u r g u e ).
On voit bien qu’à partir du moment où la césure n’est pas établie entre les fausses
hallucinations normales (pour nous, si l’on peut dire, véritables pseudo-hallucina
tions) et les phénomènes hallucinatoires pathologiques le concept même d’Hallu
cination est soumis à des contradictions qui en rendent l’application absurde.
1182 MODÈLE ORGANO-D YNAMIQ UE
P lanche IV
Illusion de Thompson.
I
P lanche V
O
POGGENDORF
o
O
B O U R D O N -TITC H E N ER
PARALLELOGRAMME DE SANDER
O —<
Figure de Brentano pleine
Figures en T
ges géométriques et colorées qui surgissent parfois devant ou dans les yeux
comme des représentations des tissus et des vaisseaux de l’œil (Ahlenstiel,
1956 et 1962).
A un niveau supérieur de l’organisation psychophysique de l’acte perceptif,
nous rencontrons l ’objet privilégié de la « Gestaltpsychologie », c’est-à-dire
la production de formes autochtones qui sont en quelque sorte à mi-chemin
de la projection intentionnelle du Sujet percevant et de la configuration objec
tive du perçu. Ce sont des « objets » si singuliers et si ambigus que la Gestalt
psychologie elle-même s’est partagée en deux selon que ses théoriciens ont mis
l’accent avec l’école de Gratz (von Ehrenfels et Meinong) sur l’intentionnalité
organisatrice de la force, ou avec l’école de Berlin (Koffka, Köhler, Wertheimer)
et les behavioristes opérationnalistes anglo-saxons sur la configuration objec
tive dans la constitution des « Gestalten ». Ces « formes » sont des unités orga
niques, sinon des structures au physique, qui s’assemblent par la liaison autoch
tone (intégration à l’unité de ségrégation) de leurs parties. Ce sont elles que nous
voyons surgir là où certains psychophysiologiques naïfs s’attendaient à saisir
des « sensations élémentaires ». Rappelons ici le mot de von Kries (1923)
(les sensations élémentaires sont des fictions) qui est devenu, nous l’avons
vu, le leitmotiv de la psychophysiologie contemporaine de la perception.
Quoi qu’il en soit, c ’est par ce pouvoir constitutif d ’ensembles qu’appa
raît la capacité pour le Sujet (Gestalter) d’extraire des formes du monde objec
tif en s’y conformant certes, mais pour lui-même les former. De sorte que
la perception implique comme nous l’avons vu une sorte de pouvoir de création
d ’une réalité qui n’est jamais littéralement la même que celle des objets dans
l’espace (selon le fameux principe de constance, du « monde objectif »), mais
une réalité à la mesure (en quelque sorte « hallucinatiore ») du pouvoir de
création du Sujet. Sans doute tout ce que l’on a écrit, tous les schémas que
l’on nous a montrés dans tous les manuels sur les ambiguïtés de la figure et du
fond (figures de Rutoni) et des effets de contraste (figures de Koflfka), sur les illu
sions de grandeur (Müller-Lyer et Poggendorff), de relief, de perspective, de
divers mouvements apparents (alpha, bêta ou gamma de Kenkel, gamma-pi de
Kanisza) ou consécutifs (Nachbewegung ou after-movment), ne fait qu’illustrer
la fonction sélective et organisatrice de l’activité perceptive qui ne peut, en effet,
rien permettre aux percipiens qui ne soit un ordre composé pour le perceptum.
Mais la constitution de la forme même, si elle se présente le plus généralement
comme contraignante et en tout cas prégnante (bonne forme), laisse au « per
cepteur » la faculté parfois de l’inverser et toujours de la tenir pour une réalité
artificielle. C ’est justement en quoi la théorie de la perception de la Gestalt
psychologie vise ce qui, dans la perception, en constitue l’infrastructure for
melle.
Les « paréidolies » sont les plus typiques de ces constellations qui obéissent
comme dans le Rorschach à la projection intentionnelle du Sujet. La perception
découpe et découvre des figures des bonnes formes dans un entrelac informe,
ou en tout cas désordonné de lignes, de dessins ou de formes colorées et enche
vêtrées (voir la tête d’un ange ou un perroquet dans le dessin d ’un papier teint).
1186 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) « Œil en trop », si l’on veut y voir l’organe d’une dimension surnuméraire,
ou superflue et mythique de la réalité; — « Œil en miroir », si l’on entend priver son
regard du pouvoir d’exercer sa visée et sa prévision sur les choses et le condamner
seulement à les refléter.
IL HÉTÉROGÉNÉITÉ (ANOMIE) DES HALLUCINATIONS 1187
Illu sio n s e t croyances. — Il en est tout autrement dans une autre caté
gorie de phantasmes où l’illusion imaginaire perd son caractère d’illusion
pour entrer dans une autre réalité « surnaturelle » ou métaphysique. Il s’agit
de ce que l’on pourrait appeler les illusions métaphysiques lorsque, par exemple,
un homme superstitieux ou un spirite exalte son imagination jusqu’à se faire
apparaître des visages, des figures ou des scènes, ou entendre des voix, ou se
sentir envoûté ou ensorcelé, etc., la projection qui porte à son extrême puis
sance la force de son imagination crée non plus seulement des images mais
métamorphose ces représentations en objets « réellement » surréels, métapsychi-
ques, télépathiques ou magiques. Mais dire que l’effet de cette « auto-sugges
tion » par les croyances ou la foi en un monde surnaturel ou métapsychique
est une Hallucination, c’est renverser le sens même du phénomène hallucina
toire. C’est précisément parce que l’adepte, le croyant, le fanatique projette
avec les seules ressources de son imagination les contenus mythiques du système
de la réalité qui est commun au groupe social ou religieux auquel il appar
tient (1) que l’illusion effacée comme telle à ses propres yeux par sa foi en deve
nant collective par référence au jugement de la masse, du clan ou de la secte,
contredit son caractère hallucinatoire. Car, rappelons-le, l’Hallucination est
une « perception-sans-objet-à-percevoir », c’est-à-dire une perception qui
échappe au précepte de la loi et la transgresse. Or, ici, sur le plan du jugement
de réalité, si la loi commune impose la croyance aux esprits, la participation
de chacun à cette croyance institue la validité de l’objet, de telle sorte que la
« perception-sans-objet-à-percevoir » n ’est plus qu’une « perception-sans-
objet-naturel ». Le phénomène change, répétons-le, de sens pour ne pas pou
voir être une Hallucination engendrée par la désorganisation pathologique du
corps psychique individuel et pour être seulement un reflet du système méta
physique religieux, spirite ou magique de la communauté. Cette communauté
peut être de taille plus ou moins grande, mais elle se définit par la référence
explicite de la participation de chaque individu à son système de croyance
(c’est-à-dire à son système de la réalité) qui prescrit les règles de ce que l’on
(1) Appartenir à un groupe social c’est bien incorporer à soi la structure culturelle
propre à ce groupe. Mais c’est l’incorporation individuelle d’une représentation qui
constitue cette appartenance. Car ni l’état civil, ni la position sociale, ni telle initiation
religieuse ne peuvent être seuls le signe de cette appartenance. Il faut pour s’incorporer
à un groupe social se l’incorporer, c’est-à-dire assumer ces croyances qui définissent
la communauté culturelle. Hors d’une analyse suffisante de la situation culturelle, tout
diagnostic entre fausse hallucination (c’est-à-dire effet de groupe) et vraie Halluci
nation (c’est-à-dire effet d’une désorganisation de l’être psychique ou de ses instru
ments psycho-sensoriels) est lui-même illusoire.
1190 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Naturellement, les Psychiatres d’enfants se sont beaucoup penchés sur ces
problèmes (cf. par exemple les observations de L. Michaux et coll., 1956; de K an-
ner, 1957; de M. F. Weiner, 1961; de L. Eisenberg, 1962; etc.). Mais ce sont surtout
les Psychanalystes (M. K lein, R. D iatkine et S. Lebovici, 1954; etc.) qui ont étudié
le monde des phantasmes de l’enfant en relation avec la projection hallucinatoire.
Parmi les travaux anciens sur ce problème, nous devons citer la thèse ancienne
de Bouchut (Paris, 1886); l’article de la même époque de P. Moreau (Encéphale,
1885); le travail de M. Sherman et B. J. Beverly, J. abnormal and social Psycho-
logy, 1924,19, p. 165-178; l’article de M. Levin, « Auditory Hall in non psychiatrie
Children », Amer. J. Psych., 1932; celui de L. Bender et Lipkowitz, « H. in Childer »,
Amer. J. Orthopsych., 1 940, 10, p. 471-490; puis celui de J. L. D espert, « Delusional
and hallucinatory expérience in Children, in Amer. J. Psych., 1948,104, p. 528-287;
et ceux de S. Lebovici et R. D iatkine, 1954; L. Eisenberg, 1958; L. Michaux et
coll., 1956; M. F. Weiner, 1961 ;.L. Eisenberg, 1962; M. Mannoni, 1967; F. D olto,
1971. — On trouvera la bibliographie après 1950, à la fin du « Traité ».
1194 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Ce mot nous fait toucher à un problème crucial : La liberté est un mouvement
libre, c’est-à-dire qui exige une prise de conscience Réfléchie ou, ce qui revient au même,
une démarche opérationnelle qui garantit sa conformité à la « logique » du Sujet.
En ce sens, la liberté est le contraire de ce « libre mouvement » que vise généralement
le concept d ’automatisme ou d’échappement au contrôle (de « libération » des ins
tances inférieures ou inconscientes).
IL HÉTÉROGÉNÉITÉ (ANOMIE) DES HALLUCINATIONS 1195
« anomiques ». Disons que dans la masse hétérogène des faits rapportés par
les Sujets au cours des situations expérimentales hallucinogènes, il y a des
phénomènes hallucinatoires et d’autres qui ne le sont pas.
On ne doit donc pas dire que puisque tous les hommes peuvent être hallu
cinés dans certaines conditions pathogènes, les Hallucinations sont des phé
nomènes normaux. Mais plutôt il convient de tirer de tous les faits que nous
venons de rappeler qu’il faut que, spontanément ou expérimentalement, la vie
psychique se désorganise sur le modèle des expériences hallucinomimétiques
pour que surgisse dans ces conditions pathologiques l’Hallucination en tant
que phénomène « anomique ».
Nous venons de faire ce qu’aucun auteur qui a écrit sur les Hallucinations
n ’a jamais fait, à notre connaissance, d ’une façon systématique, ou plus
exactement, logique. Nous avons, en effet, évacué de la masse de toutes les
modalités possibles et imaginables de perceptions erronées, les erreurs des
sens proprement « physiologiques » (en employant ce mot dans le sens de
« normales » ou, plus exactement avec Quercy, de « psychonomes »). Ces
variations introduites sur le thème de la réalité et de la fiction par l’exercice
de la perception elle-même sont des écarts de la moyenne, des variations en
quelque sorte statistiques qui relèvent de l’activité même des appareils psycho
sensoriels ou de leur fonction d ’adaptation aux situations exceptionnelles.
Nous avons vu plus haut, en tentant de comprendre leur sens et leur fonc
tion, que les « systèmes perceptifs » sont construits pour assurer chez
l’adulte éveillé une fonction anti-hallucinatoire. Or, c’est encore à la loi
de leur organisation qu’obéissent tous les phénomènes que nous venons
d ’exposer (et dont nous avons enfin débarrassé le champ proprement dit de
l’Hallucination vraie, c’est-à-dire vraiment pathologique). Reste donc à défi
nir maintenant avec plus de précision en quoi consistent les structures anomiques
des phénomènes hallucinatoires, c’est-à-dire à poser les principes et la possibilité
d ’un « diagnostic positif » de l’Hallucination.
cination. Revenons encore une fois sur cette question que nous nous sommes
tant de fois posée : celle de l’Hallucination chez les sujets normaux. C’est une
question ambiguë ou qui, en tout cas, implique des réponses ambiguës. Si l’on
entend dire qu’un homme tout à fait normal peut avoir des Hallucinations,
cela revient à dire que son imagination, toutes les erreurs et illusions de sa
perception sont hallucinatoires et, par voie de conséquence, que les phéno
mènes que l’on appelle Hallucinations ne sont rien d’autre que l’usage ou
l ’abus « normal » de l’imagination. Si l’on entend dire au contraire que tout
homme normal peut « souffrir d ’Hallucinations », cela ne peut pas vouloir
dire autre chose que ceci, savoir : que l’Hallucination est d’elle-même un phé
nomène pathologique simple et univoque, une « maladie » tellement différente
de l’activité psychique normale qu’elle peut y apparaître sans la troubler,
qu’elle peut s’y inclure comme un corps étranger. De telle sorte que lors
qu’on discute — et le plus souvent on se dispute — sur cet épineux problème on
a bien raison, car non seulement tout le problème des Hallucinations en dépend
mais encore tout le problème de la raison et de la folie, et finalement, tout le
problème des valeurs humaines qui changent, en effet, radicalement de sens si
l ’on assigne la même valeur à la santé mentale qu’à la maladie mentale. Tel est
l’enjeu de ce jeu infernal !
Or, pour sortir de ces ambiguïtés ou de ces contradictions il faut et il suffit
de poser clairement le problème du normal et du pathologique. Un homme
normal n ’est pas seulement un homme moyen, un homme comme les autres,
et la maladie n ’est pas seulement un corps étranger inclus dans l’organisme.
L’Homme normal est l’individu capable de s’adapter à la communauté du
groupe en y préservant sa faculté d ’être et de faire ce qu’il entend être et faire
par l’usage de ses propres qualités physiques, psychiques et morales. — La
maladie est toujours une altération de ces capacités physiques, psychiques ou
morales qui empêche l’individu de s’adapter à la fonction réelle et idéale qu’il
entend assumer. Autrement dit, c ’est d ’un point de vue normatif que doivent
être définis le normal et le pathologique et non pas relativement à un point de
vue statistique d’écart de la moyenne. Autrement dit encore, la « normalité »
de Vhomme n'a pas de Imites supérieures contrairement à l'idée courante que
l'on se fait de la norme comme d'une moyenne « médiocre » ou platement confor
miste, pour ne pas dire grégaire. — Si maintenant nous voulons revenir à
l’essentiel de notre propos, nous devons dire que la maladie mentale en
général et la maladie hallucinatoire en particulier se distinguent des moda
lités de variation statistique ou adaptative de la vie psychique par les anomalies
de la structure formelle de tous les actes qui concourent à la perception dont
nous avons, dans le chapitre précédent, proposé le modèle architectonique
anti-hallucinatoire et dont nous avons décrit dans le paragraphe précédent les
modalités de simples variations psychonomes communes. Or, à cet égard,
l’application du concept impliqué dans le rêve doit nous donner la clé de
l ’énigme. On va, en effet, répétant que le rêve est un phénomène normal
(statistiquement) alors qu’il est le prototype même d’une anomalie psy
chique (structuralement). Sans doute — et les beaux esprits de notre époque
II. HÉTÉROGÉNÉITÉ (ANOMIE) — CARACTÉRISTIQUES 1199
dans la réalité, ni dans l’irréalité, c’est vivre sur un mode radicalement différent
de l’expérience commune même quand celle-ci tolère — et on peut dire
qu’elle la tolère constamment — une forte charge d ’irrationnel ou d ’ima
ginaire.
Rêver, c’est percevoir des objets internes (qui sont effectivement des objets,
mais imaginaires et sans statut d’objectivité), c’est-à-dire prendre pour objet
de l’expérience vécue les images qui se présentent dans une altérité qui, pour
être celle de « quelque chose » qui fait irruption au fond de soi, est radicalement
différente de l’altérité des choses du monde (y compris les objets proprement
humains du monde culturel, de la « Mitmenschenheit »). L ’irruption est le mode
même de l’apparition hallucinatoire en tant qu’elle réalise la coupure du
courant co-existentiel.
Rêver, c’est encore être fasciné par le déroulement des événements oniriques
au point qu’aucune interrogation, aucun doute, aucune distance critique, aucune
possibilité de récuser l’absolu du vécu ne peut s’interposer entre le Sujet et
la représentation de son rêve. Tel est le caractère asséritif absolu de cette
coalescence du Sujet et de l’objet de sa connaissance, en quelque sorte rêvée
à jamais, au moment de son irréelle actualité.
Rêver enfin, c’est être suspendu à la qualité sensible, à la structure éidé-
tique (ou noétique) des images qui jamais, fussent-elles peintes par Vélasquez
ou Odilon Redon, n ’atteignent la plénitude et la rutilance de leur esthésie.
Non point que personne (et le rêveur lui-même) ait pu ou puisse jamais photo
graphier (ou même reproduire) ces qualités sensorielles, mais parce que celles-ci
n ’en sont pas moins incorporées dans ce qui est vu, senti, dans l’événement
onirique comme dans une réalité plus absolument sensible ou concrète qu’intelli
gible. Ce caractère d ’une sensorialité ineffable, intrinsèque et à jamais incommu
nicable, soustrait encore plus radicalement la perception du rêveur à toute
assimilation avec celle de l’homme éveillé pour que, précisément, la perception
des objets et de leurs qualités sensibles entre dans la problématique de l’exis
tence.
E x tra n é ité , In co ercib ilité, A s s é ritiv ité e t E sth ésie sensorielle, telles
sont les caractéristiques phénoménologiques ou formelles du vécu du rêve.
Si quelqu’un s’étonnait que nous ne fassions pas mention de son caractère
symbolique, nous lui ferions certainement remarquer que la psychodynamique
du rêve ne saurait se confondre avec sa phénoménologie. Celle-ci d ’ailleurs
constituant la meilleure manière d’accueillir et de justifier celle-là dans le
concept général d ’une régression qui nous ramène, en effet, à notre point de
départ. Car, bien sûr, les modalités intrinsèques, idiopathiques et possibles
de l’expérience onirique, celles qui entrent dans le contenu même des images
qu’elles armorialisent du sceau même du rêve, ne sont possibles (passant d ’une
virtualité potentielle à une actualité désormais imprescriptible) qu’à la condi
tion — même si, caduques, elles doivent tomber dans l’oubli — qu’une méta
morphose, une révolution, s’opèrent pour permettre au dormeur de rêver, de
mettre son monde à l’envers, de le mettre sur l’orbite du symbole.
IL HÉTÉROGÉNÉITÉ (ANOM IE) — CARACTÉRISTIQUES 1201
taires qui visent seulement à compléter tous ceux que nous avons faits au cours
de cet ouvrage, que ce phénomène en apparence si simple (l’esthésie des Hal
lucinations verbales notamment) ne peut pas être séparé de son contexte par
quoi, en définitive, l’esthésie n ’est pas, ne peut pas être niée, mais doit être
au contraire alfirmée (avec l ’halluciné lui-même) à la seule condition d’être
« placée » dans et par l’absurdité même du discours délirant dans lequel elle
est prise et dont elle tire l’affirmation de la sensorialité à laquelle il se réfère.
contient plus son Inconscient. Il faut pour que se produise une Hallucination
comme pour que se produise un rêve, un processus en troisième personne, ici, le
sommeil, là, un processus de désorganisation du corps psychique qui, comme
nous l’avons vu, est structurée sur un plan architectonique essentiellement
anti-hallucinatoire pour être soumis au système de la réalité que chaque
Homme construit dans son existence en accord avec les autres, c’est-à-dire
par le moyen ou le « medium » des institutions ou de la Société auxquelles
il appartient. Nous pouvons peut-être répéter ici pour lui donner toute sa force
ce que nous avons déjà écrit plus haut : l ’H allucination est a la logique de
l ’être psychique ce qu ’est le cancer a la logique de l ’être vivant.
Voilà pourquoi nous avons proposé plus haut de compléter cette définition
classique, et en quelque sorte caricaturale, en ajoutant à « perception sans
objet » ces deux mots « à p e r c e v o ir ». Supplément verbal, redondant ou
dérisoire peut-on penser, sauf à se rappeler que « à percevoir » est ici un infi
nitif dont la préposition « à » énonce fortement un rapport impératif de conve
nance ou de possibilité. Dans les locutions comme « un livre à lire », un « médi
cament à prendre », la préposition « à » lie le complément logique ou naturel
de l’action à sa prescription ou à sa recommandation; elle établit le sens de
l’adéquation d’utilité, ou de licitation, ou de possibilité de l’objet à l’intention
du Sujet. Bien plus, lorsque nous disons à des niveaux humains différents
mais structuralement analogues « un amour sans objet à aimer », « une élection
sans candidat à choisir » ou, à la banque, « une perception sans argent à per
cevoir », l’énoncé implique une négation qui annule ou tient pour impossible
l’action (on ne peut pas aimer sans aimer quelqu’un — on ne peut pas élire
quelqu’un sans faire un choix — on ne peut pas percevoir de l’argent sans
encaisser). Lorsque nous ajoutons ainsi à la première partie (« perception
1206 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
pathologiques et, par voie de conséquence, par les structures mêmes de son
objet, la maladie mentale (dont l’Hallucination est la clé de voûte), elle
fonde la Psychiatrie comme une science naturelle et non pas une science de
la culture ou des relations humaines sans incorporation dans le corps psychique
lui-même incorporé dans le corps de chaque individu.
parlons ici de perception sans objet il faut entendre qu’il s’agit au contraire
d ’objets (images, situations, langage), mais soustraits au jugement catégoriel
de la réalité. Le champ naturel de l’Hallucination étant précisément la « réalité
psychique » qui subit électivement par la prestidigitation du sortilège hallu
cinatoire, une transmutation (elle devient réalité objective), disons que ce qui
est important dans la notion de « sans objet » ce n’est pas qu’il n ’y ait pas
d ’objet de la visée perceptive (car il y en a toujours dans tout acte de conscience
qui est nécessaire conscience de « quelque chose »), mais que le statut d ’objecti
vité a perdu son sens, qu’il n’y a plus de problématique de la réalité, ou ce qui
revient au même, que l’irréalité est admise à entrer dans le champ du réel...
Autrement dit, lorsque par cette expression « perception sans objet » on entend
opposer l’illusion à l’Hallucination cela n ’a pas de sens, car un halluciné pour
être halluciné n ’est pas soumis à l’obligation « épistémologique » (prescrite
par les définitions médico-psychologiques) de ne rien percevoir dans son champ
perceptif des objets du monde extérieur (ce qui est manifestement impossible
même dans les conditions expérimentales de l’isolement sensoriel) qui puisse
servir de prétexte à son Hallucination; il faut et il suffit pour être halluciné
que l’hallucinant prenne tout ou partie de lui-même (ou son corps, ou ses
pensées, ou ses désirs) pour un objet extérieur à lui-même, que celui-ci soit
ou ne soit pas en rapport contingent avec le monde des objets. Nous verrons
plus loin l’importance de cette révision pour ce qui concerne la classification
des catégories hallucinatoires.
CLASSIFICATION NATURELLE
DES HALLUCINATIONS
(1) Nous appelons organisation (conformément à ce que nous avons établi dans la
première thèse explicitée dans le chapitre premier de cette Partie) l’intégration du
corps physique dans le corps psychique.
1212 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
latent psychique, mais l’actualisation de celui-ci implique que cesse une autre
latence, la désorganisation de l’être psychique.
Sans nous laisser entraîner dans des considérations épistémologiques,
qu’il nous soit permis de rappeler qu’une classification n ’a de sens que pour
autant qu’elle présente le tableau de ses genres et de ses espèces par référence
à une certaine idée directrice, à un plan, à un ordre.
Or, l’ordre naturel qui peut et doit nous permettre la science et la classifi
cation des maladies mentales (1), c’est l’ordre même que l’être conscient établit
dans la vie de relation. Il n ’est pas question, certes, de faire de l’homme un
« singe nu », car les hommes en tant qu’ils sont hommes ne peuvent justement
pas ne pas faire partie des structures sociales, et que l’ordre même de leur
être conscient pour si incorporé qu’il soit dans leur animalité obéit à une
certaine loi (Lévi-Strauss). Mais celle-ci n’est point seulement promulguée par
l’ordre social de telle sorte qu’elle leur serait en quelque sorte extérieure et
imposée par la répression sociale, mais elle est incorporée dans l’ordre même
de leur organisation car le fonctionnement même du corps psychique est lié
au Système nerveux central qui exige le principe même de subordination et
d ’intégration des fonctions qu’il contrôle en tant que système législatif de la
réalité mais qui permet aussi à chaque individu de n ’être pas seulement
« conditionné » mais de pouvoir échapper au conditionnement.
C’est à la désorganisation de cette organisation personnelle, à ce désordre
(qui se substitue à l’ordre de la vie de relation), que correspondent les mala
dies mentales. Et c’est dans ce tableau naturel des maladies mentales tiré de
l’ordre même, c’est-à-dire des structures synchronique et diachronique de
l’être conscient, que nous pouvons clairement apercevoir et décrire les espèces
des maladies mentales, non point comme des « entités » absolues et rigides
comme Kraepelin se les représentait ou nous les présentait, mais dans leur
« physionomie typique ». Or, dans cette perspective le problème de la classifi
cation des Hallucinations s’inscrit tout naturellement, car l’Hallucination est
une anomalie de l ’incorporation de l’être et non pas une simple image réflé
chie de et par son milieu.
Trois grandes catégories d ’Hallucinations ont fait l’objet des études clas
siques, comme nous l’avons vu (cf. supra, p. 77-80 et p. 907). Tout d ’abord,
les « Hallucinations compatibles avec la raison », ensuite les « Hallucinations
(1) Je fis dans le pays même de Linné en 1963 une conférence sur ce sujet qui est
restée inédite, tout au moins en français, a paru, en français, dans les Actapsychiatrica
scandin., 1965, 41, 471-477.
III. LES DEUX MODALITÉS D'HALLUCINER 1213
vemenls qui sont « perçus » dans l’esprit ou dans les fonctions sensori-motrices
du corps ». Nous devons rappeler à ce sujet la longue liste des « Hallucinations
pâles » (Hagen) opposées aux « Hallucinations vives » (1) mais intérieures
(Kandinsky), des Hallucinations des souvenirs ou Reperzeptions Halluzinationen
(Kahlbaum), des Hallucinations et Pseudo-hallucinations psychomotrices
(Séglas), des autoreprésentations aperceptives (G. Petit). Tous ces phéno
mènes sont caractéristiques de la difficulté posée par la définition de l’Hallu
cination comme trouble sensoriel primitif, car ils obligent à considérer comme
« Pseudo-Hallucination » l’immense majorité des phénomènes qui ne corres
pondent à la définition « stricto sensu » abusivement étroite, sinon radicalement
fausse. On comprend que G. de Clérambault ait recueilli dans son « syndrome
d ’automatisme mental » toute la masse de ces Pseudo-hallucinations en consa
crant leur caractère, à ses yeux, le plus authentiquement hallucinatoire :
l’automatisme mental. Il est bien vrai que les Hallucinations des délires chro
niques et spécialement des schizophrénies consistent le plus souvent en expé
riences ou idées délirantes d ’influence, de suggestion, etc., c’est-à-dire en
phénomènes « d ’objectivation psychique ». La pensée, en tombant dans la
catégorie des « objets » extérieurs au Sujet (autres personnes ou monde phy
sique), devient effectivement un objet non pas, comme on le dit classiquement,
« pseudo-hallucinatoire » mais tout simplement hallucinatoire si on renonce
à la définition trop excessive de l’Hallucination qui exige qu’elle soit un phéno
mène « sensoriel » ayant tous les attributs de la perception d’un objet réel
dans l’espace.
Mais cette « catégorie » pseudo-hallucinatoire pose encore d’autres pro
blèmes aussi épineux et même insolubles. C’est ainsi que si avec Kandinsky
on souligne l’extraordinaire richesse esthésique (la profusion de couleurs,
la prodigieuse netteté de contours, la luminosité, l ’éclat des tons et des harmo
niques) de ces Pseudo-hallucinations, on est bien embarrassé en adoptant
ce seul critère de l’intensité ou de la vividité vécue pour les distinguer des
F. idolies hallucinosiques qui ont une tout autre structure, un tout autre contexte.
La plupart des auteurs qui ont écrit sur les Hallucinations (et encore récemment
G. Sedman, 1966 et Reda, 1966) ne manquent pas de tomber dans cet embarras
dont ils ne sortent qu’en faisant une énumération hétéroclite de phénomènes
appelés « pseudo-hallucinatoires ». Inversement, lorsqu’on réduit la phéno-
(1) C’est au fond ce que fait K. J aspers dans sa Psychopathologie générale quand
il dresse le tableau comparatif des « Vorstellungen » (représentations) et des « Wahr
nehmungen » (perception), les premières étant caractérisées par le caractère de vividité
et de corporéité (Leibhaftigkeit) de l’objet perçu, et les secondes par le caractère
imaginaire (Bildhaftigkeit) de la représentation. Monsieur de La Palice n’aurait
pas mieux dit. Et on comprend que K ronfeld (Wahrnehmungsevidenz und Wahr
nehmungstrug, Monatschr. f Psych. und Neuro., 1928, 6, p. 361) ait eu beau jeu de
critiquer ces critères si superficiels en leur substituant celui de «jugement de réalité »
qui, en effet, remet en question ces différences « sensorielles » ou « représentatives »
secondaires et, au fond, artificielles.
1216 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) J ’ai bien souvent fait remarquer dans les divers chapitres qui composent
ce Traité, que la réduction de l’Hallucination à une image intensifiée (ou dans
le problème qui nous occupe le concept de la Pseudo-hallucination défini comme une
« représentation » pour si vive qu’on se la figure ou qu’on se la donne) revient à effa
cer toutes les limites de l’Hallucination vraie ou pathologique et des phénomènes
illusionnels psychonomes dont l’exercice même de l’imagination est le type. Ainsi
n’était-il pas étonnant qu’au temps de Baillarger , puis de Séglas et enfin de M asse-
lon , de Ch. B londel ou de P. Q uercy , on se soit disputé éperdument sur la thèse
de la continuité Hallucination-Image-Imagination qui aboutit à nier l’Hallucination,
ou sur celle de la discontinuité Hallucination-Image qui fonde le concept même
d’Hallucination sur sa sensorialité, ce qui est une autre façon de la nier. 11 est remar
quable que lorsque C. W eischenk (1952) examinant à son tour les rapports entre Illu-
sion-Hallucination-Perception fut d’abord tenté de soutenir la thèse d’une « homony
mie » entre les illusions normales et les Hallucinations des Schizophrènes; mais il se
convertit au point de vue que nous développons ici (en se référant naturellement
à la fameuse distinction établie par K ehrer entre Verstehen comprendre et Erklä
ren expliquer) en nous racontant le cas d’une jeune fille qui entendait la voix hallu
cinatoire d’un personnage hallucinatoire (qui lui parlait en anglais) et qui, après élec
trochoc, avait perdu la « naïveté » de sa croyance délirante. Ce fait pour ainsi dire
quotidien montre bien que même lorsqu’il y a des mobiles psychologiques somme toute
communs et pour nous tous compréhensibles, c’est tout de même un processus hétéro
gène qui intervient, et pour engendrer, et pour faire cesser l’Hallucination...
(2) Lorsqu’on voit des « mouches volantes » elles sont vues dans l’espace. Ce phé
nomène est-il le prototype de l’Hallucination vraie ?
III. LES DEUX MODALITÉS D'HALLUCINER 1217
(1) L’image du double est, par exemple, une sorte d ’image virtuelle hallucinatoire
qui, pour être à peu près constante chez l’enfant et très fréquente chez les individus
(génies, artistes) qui se livrent au démon de l’introspection (le Démon de Socrate...
cf. L elut , 1836), peut être considérée comme normale puisque aussi bien elle représente
l’image autoscopique et narcissique de soi qui accompagne comme son ombre le corps
psychique dans toutes ses démarches. On pourra consulter sur ce problème (outre les
travaux que nous avons déjà cités p. 131), l’article « Doubles » rédigé par A. E. C row -
ley dans 1’ « Hastings Encyclopédie of Religion », Londres; — le livre de R. T ymons,
« Doubles in literary Psychology», Cambridge-Bowen, 1949; — les travaux de J. ToDDet
K. D ewhurst (1955) ; — le petit volume de M. M icorey, « Fantôme et doubles » (1960).
Rappelons encore les exemples constamment cités de M usset, G oethe, Jean-Pierre R ic h
ter , d ’ANNUNzio, etc. Il est bien certain qu’il y a une grande différence entre la person
nification imaginaire, visuelle ou verbale du Moi chez tout homme qui pense et qui
parle et l’apparition hallucinatoire et formelle de ce double telle que, par exemple,
elle est perçue par G oliadkine (D ostoieyvski lui-même) dans la fameuse nouvelle
« Le Double ». Et nous touchons encore du doigt ici le sophisme qui tend à réduire
l’Hallucination à n’importe quelle image et la perception même l’image elle-même,
c’est-à-dire en fin de compte à confondre le réel et la fiction. Le Double peut bien,
en effet, se décrire dans la littérature, comme il ne cesse de hanter la mythologie mais
il ne « se prend » au piège de l’Hallucination que dans les conditions individuelles
de la pathologie psycho-sensorielle au sens large du terme (Hallucinations délirantes
et Éidolies hallucinosiques). Hors de ces conditions l’image du double (comme celle
de Dieu ou de la mort) flotte dans l’existence sans floculer en vraie Hallucination.
121« MODÈLE ORGANO-DYNAM1QUE
La classification dont nous avons tout au long des chapitres de cet ouvrage
tracé les contours logiques et cliniques, cette classification peut et doit main
tenant être présentée dans un tableau très simple.
Variations normales
DE LA PERCEPTION
H allucinations
(pseudo
hallucinations)
Ions ces aspects imaginatifs ou ces erreurs des sens chez les sujets vraiment
normaux des Pseudo-hallucinations (ce que P. Quercy appelait d ’un mot trop
ambigu encore : Hallucinations psychonomes), étant bien entendu que l’on
ne saurait employer ce terme pour désigner quelque Hallucination pathologique,
que ce soit et bien sûr pas même celles qui se caractérisent par leurs attributs
plus ou moins « psychiques ».
Les Hallucinations (c’est-à-dire les phénomènes hallucinatoires patholo
giques, et eux seuls), nous les avons définies non pas par leur qualité sensible
ou le contenu éidétique ou sémantique qu’elles représentent, mais par le
processus même qui les engendre. C’est ainsi qu’au terme de longues analyses
et de multiples tâtonnements dont on peut à chaque page de ce livre suivre
à la trace la démarche parfois hésitante et compliquée mais en définitive ferme,
nous avons pu proposer cette définition qui n ’est, ni purement descriptive,
ni verbale, ni non plus tautologique : l ’H a l l u c in a t io n c ’est l ’a c te in c o n
s c ie n t PAR LEQUEL LE SUJET DÉSORGANISÉ DANS SON CORPS PSYCHIQUE EST DUPE
d ’une perception sans objet a percevoir (cf. supra, p. 21-25 et p. 45-52).
Le « corps psychique » dont nous avons si longuement décrit l’architec
tonie, est un « appareil d’intégration » qui constitue l’organisation même de
l’être conscient, et c’est la désorganisation des structures synchroniques ou
diachroniques de l’être conscient que reflètent les Hallucinations délirantes.
A cet égard, il convient de distinguer deux grandes catégories d ’Halluci-
nations délirantes selon qu’elles dépendent des formes des délires qui sont les
effets d’une déstructuration des structures synchroniques du champ de la
conscience (expériences hallucinatoires délirantes) — ou qu’elles manifestent
une désorganisation (une aliénation) des structures diachroniques de l’être
conscient, c’est-à-dire du système de la personnalité (projection idéo-verbale
du travail délirant) que nous pouvons désigner comme Hallucinations noético-
affectives (1).
Quand le « corps psychique » n ’est désorganisé qu’au niveau de ses « organes
des sens » (au sens large bien entendu) comprenant les récepteurs (qui sont
aussi des sélecteurs et des prospecteurs) et les centres (analyseurs perceptifs
spécifiques), c’est-à-dire lorsqu’il n ’est désintégré que dans l’instrumentalité
de ces organes, cette désorganisation produit des « Éidolies hallucinosiques »
qui sont les fameuses « Hallucinations compatibles avec la raison » mais, bien
sûr, incompatibles avec le fonctionnement normal des organes et centres psy
cho-sensoriels.
La désintégration « éidolo-hallucinosique » se produit au niveau de l’orga
nisation des messages sensoriels » dont l’information est brouillée dans
(1) Si nous avons préféré ce terme rébarbatif à tant d’autres aussi rébarbatifs,
c’est peut-être pour nous rappeler que ce sont des phénomènes hallucinatoires qui
se prêtent le mieux à la thèse de « Noéphème » de P. Q uercy (pour admettre le plus
d’intellectualité ou de « discurvité ») — mais aussi et surtout pour lier, par cette
expression, les termes de croyance de projection affective et de travail intellectuel qui
constituent le noyau phénoménologique de ce type d’Hallucination.
1222 MODÈLE 0RGAN0-DYNAM 1QUE
— Après avoir établi à quel ordre se référait le désordre représenté par les
diverses catégories d'Hallucinations, nous devons maintenant envisager la
pathologie de ces « désordres ». Car il est bien vrai que si l’Hallucination paraît
toujours être une « apparition » (cette manière pour l’irréalité de paraître
réelle), nous ne pouvons nous contenter pour l’expliquer de recourir par une
sorte de pétition de principe à cette pure et simple apparition. Celle-ci exige
d’être considéiée comme l’effet d’une éclipse ou d’un crépuscule de la réalité
ou, plus exactement, d’une désorganisation du système de la réalité qui est inté
gré dans l’organisation même de l’être conscient et dans ses bourgeons péri
phériques que sont les organes des sens ou, plus exactement, les « systèmes
perceptifs spécifiques ». Et c’est ce que nous allons maintenant envisager pour
présenter les phénomènes hallucinatoires dans leur pathogénie.
CHAPITRE IV
LA CONDITION NÉGATIVE
DES PHÉNOMÈNES HALLUCINATOIRES
(LES PROCESSUS H A LLU CINO GÈN ES)
Nous avons, dès l’Avant-Propos, dans toutes les parties de cet ouvrage,
dénoncé l’erreur qui consiste à considérer l’Hallucination en tant que symptôme
positif (manifestant l’activité restante) sans la faire dépendre du trouble
négatif. Disons ici et une fois pour toutes, que l’Hallucination constitue tou
jours et nécessairement une production, mais une production qui échappe au
contrôle de l’être conscient, ce qui n’est jamais le cas pour la « creativity » (1)
esthétique ou poétique. Nul plus que nous n’est sensible à la donation de
sens, à l ’activité, à l’intuition qui implique toute Hallucination même dans sa
forme éidolique; mais nul moins que nous ne peut consentir à confondre
Phalluciner avec la libre création de l’esprit.
L’Hallucination apparaît « positivement » comme une figure, mais elle
se présente sur un fond sur lequel elle se détache. De telle sorte que le véritable
problème pathogénique de l’Hallucination est de savoir quelles relations cau
sales lient la figure au fond. Sa solution exige que soit établie d ’abord l’organi
sation même du champ qui seule régit les rapports structuraux et génétiques
des parties au tout. Cela revient à dire que la manifestation positive de la figure
(sa configuration hallucinatoire) est une apparence vécue par l’halluciné,
comme un objet réel qui est là, irrécusable et inconditionnel, comme un absolu
de vécu ou de perçu, tandis qu’au regard du clinicien et spécialement du patho
logiste, elle est un symptôme, un signe, qui ne se manifeste pas seulement par
son apparition mais qui manifeste par son apparition un arrière-fond dont il est
l’effet. Et, en fin de compte, c’est le problème du fond, ou de l’arrière-fond, ou
de la couche originaire d’où émerge l’Hallucination qui est l’ultime question
à laquelle doit répondre une théorie pathogénique de l’Hallucination.
(1) S. F. B auer (in K eup , 1970) reprend tout naturellement à son compte cette
illusion qui consiste à confondre le sens « adaptatif » ou « homéostasique » du symp
tôme à la puissance de création de la pensée.
1224 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
A. — L E M O D È L E « JA CK SO N IEN » D E LA N É G A T IV IT É
D U TROUBLE HA LLU CINA TOIRE
De telle sorte que sa vraie causalité s’exerce par le processus même de désorga
nisation, c’est-à-dire de régression, de déstructuration, de désintégration, tous
concepts négatifs visant le désordre qui détruit l’ordre, l’architectonie du corps
psychique. Tels sont le sens et l’importance que nous avons toujours entendu
donner à la conception de Hughlings Jackson donc il faut bien comprendre
qu’elle n ’est pas un simple elfet de mode ou de hasard, un simple reflet d ’un
évolutionnisme « dépassé ». H. Jackson a visé le processus pathologique dans
son mouvement même, dans son sens qui est essentiellement celui de la désorga
nisation de l’organisme vivant, et pour la Psychopathologie la désorganisation
de l’organisme psychique.
Nous ne pouvons pas (ni ne voulons) ici reprendre le mémoire que nous avons écrit
avec J. Rouart (1) il y a plus de trente ans sur l’importance de la conception de Hugh
lings Jackson. Le lecteur y trouvera (notamment dans les notes de la première partie)
de larges extraits des trois fameuses « Croonian Lectures » (1884) publiées cette même
année sous le titre « Évolution and Dissolution of the nervous System » (in Selected
Writings publiés par Taylor à Londres, éd. Hodder et Stougthon, 1932, II, p. 45-75).
Ce texte fondamental fut précédé dans l’œuvre de l’illustre neurologue anglais par
un premier mémoire « On some implications of dissolution of the nervous System »
publié en 1882 (in Selected Writings, II, p. 29-44), suivi de « Remarks on évolution
and dissolution of the nervous System » publié en 1887 (in Selected Writings, Il
p. 76-118). Mais pour avoir une idée aussi complète que possible de la pensée de
H. Jackson sur les maladies mentales, il faut se rapporter à son travail « The factors
of insanities » paru en 1894 (in Selected Writings, II, p. 411-421). C’est l’exposé de
ce mémoire qui doit maintenant ici compléter le modèle architectonique jacksonien
que nous avons présenté plus haut (p. 108)). Nous ne craignons pas de rappeler ici
pour en éclairer le sens l’essentiel de la théorie générale de Jackson.
Une « affection nerveuse » ne peut se comprendre et s’expliquer, nous l’avons vu
que si l’on dispose d’un schéma hiérarchisé des centres et fonctions nerveuses, car l’idée
même de dissolution suppose d’abord celle d’évolution (nous préférons, quant à nous,
le mot et le concept d’organisation). Cette hiérarchie nous montre une « superposi
tion » des structures anatomo-physiologiques dont les plus inférieures sont les plus
fixes et spécifiques, et les plus élevées sont les plus labiles et les plus personnelles (Prin
cipe de l’évolution ou de la hiérarchie des fonctions nerveuses) (1).
« ne voit pas une mouche ») (1). L’état mental est évidemment double : négatif et
positif. Les illusions constituent le côté psychique (the psychical sidé) d’états parti
culièrement élaborés, et H. Jackson semble admettre (comme Baillarger, cf. plus loin)
que les phénomènes illusionnels impliquent une sorte de participation automatique,
mais très active, des irradiations psychosensorielles. Autrement dit (et nous l’avons
souligné dans la note 11 de notre traduction de 1936), H. Jackson sur ce point en
conférant à la part positive une importance qui lui fait prendre le pas sur la part
négative, en vient à réintroduire une certaine charge d’excitation (irritation, dit-il,
ou irradiation) positive (2) dans le déterminisme de l’illusion. Mais cette hésitation
dans la théorie, cette tendance à dévier de ses principes essentiels (en donnant une
importance quasi démesurée au travail positif de l’illusion et de l’Hallucination qui,
affirme-t-il, doivent être à cet égard rapprochées) est rapidement compensée lorsque
dans la suite (p. 27) du Mémoire (partie non traduite par nous en 1936) il réintroduit
la notion de négativité dans la structure même de l’élément positif. Il dit à ce sujet que
la « positive condition est elle-même double, car « it is abnormal States : one imperfect
by deficit and perfect by excess ».
L’idée directrice qui a animé la plupart des grandes œuvres classiques sur
l’Hallucination est qu’elle est une partie ou un effet du Délire. Elle apparaît
donc secondaire à ce trouble général qui, sous le nom de Délire, englobe
une grande diversité de tableaux cliniques aigus ou chroniques plus ou moins
hallucinatoires et considérés eux-mêmes comme secondaires (positifs) par
rapport au processus (négatif) générateur, et plus ou moins analogues au Rêve.
Tel a été, en effet, le thème des plus grandes discussions sur la nature de l’Hal
lucination et sa pathogénie.
(1) Cela revient à dire, me semble-t-il, que voir un rat qui n’existe pas c’est nier
en même temps l’infinité virtuelle de tous les « objets » possibles; c’est ne faire appa
raître le rat que dans et par la suppression du contrôle qui maintient l’infinité des
possibles dans une égale improbabilité d’actualisation.
(2) La positivité étant ce qui reste sain (healhy), cela revient dès lors à ne plus rendre
compte du caractère pathologique de l’Hallucination.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — ESQUIROL, BAILLARGER 1231
(1) On trouvera dans mon travail — déjà cité dans le chapitre Histoire des idées —
sur « Esquirol et le problème des Hallucinations », un exposé (1939) de la conception du
grand aliéniste français (cf. supra, p. 79-84).
(2) « Il existe une certaine forme de délire dans lequel les individus croient, tantôt
par un sens, tantôt par un autre, tantôt par plusieurs à la fois, percevoir des sensations...
Ainsi un homme en délire entend parler, interroge, répond, discute, se fâche, entend les
harmonies célestes, les chants des oiseaux, un concert, et personne ne lui parle et nulle
voix n’est à sa portée; tout autour de lui est dans le plus profond silence. Celui qui est
en délire, celui qui rêve, ne pouvant commander à son attention, ne peut la diriger
ni la détourner de ces objets fantastiques; il reste livré à ses Hallucinations, à ses
rêves... Chez celui qui rêve, les idées de la veille se continuent pendant le sommeil,
tandis que celui qui est dans le délire achève pour ainsi dire son rêve quoique tout
éveillé... (Maladies mentales, 1838, p. 189).
(3) N aturellem ent J. P. F alret, le grand adversaire des m onom anies, p rit sur
ce point le contrepied de la position d ’EsQuiROL. D ans sa pénétrante et classique
analyse d u travail du D élire, il m ontre précisém ent que celui-ci ne peut être réduit
à un phénom ène simple.
(4) J. B aillarger . Mémoire à TAcadémie de Médecine, 1842 (C. R., p. 273-515)
et Recherches sur les Maladies mentales, Paris, Masson, 1853, p. 169-315.
1232 MODÈLE ORGANO-D YNAMIQ UE
ajouter qu’anticipant sur nos propres conclusions, BaiUarger admet que lorsqu’il y a
des « éléments sensoriels », ceux-ci sont causés par un trouble des organes des
sens (101). Pour montrer que l’Hallucination ne peut pas être un phénomène primi
tivement sensoriel (allant du dehors au dedans, dit-il) Baillarger accumule les argu
ments, car quand les sens sont anormalement excités ils ne provoquent que des sen
sations élémentaires (le fait que plusieurs sens sont intéressés exclut un phénomène
simplement sensoriel — le fait que les Hallucinations « reflètent » pour ainsi dire
les « idées délirantes »). Tous ces faits constituent, dit-il, des objections insolubles
à la théorie purement sensorielle.
La première thèse, c’est que le genre qui groupe toutes les espèces de maladies
mentales, est toujours caractérisée par un « bouleversement intérieur » (un proces
sus au sens de Jaspers, notion dont nous usons constamment). Ce bouleversement
interne, le clinicien ne peut l’atteindre que par une sorte d’introspection expérimen
tale (ou en recourant à une analyse existentielle de notre « rencontre » avec le délirant).
La seconde thèse générale de Moreau (de Tours), c’est que — contrairement à la
doctrine des monomanies — il n’y a pas d’idées fixes, d’idées délirantes ou d’Hal-
lucinations partielles. « Car tous les phénomènes du « délire sans exception tirent
« essentiellement leur origine de l’excitation, modification qui au point de vue psy-
« chologique on doit regarder comme identique à l’état de rêve ordinaire » (p. 181
du « Haschich »).
La troisième thèse, c’est l’importance de l’état d’excitation (correspondant assez
exactement malgré les apparences sémantiques du terme avec l’état de dissolution
de H. Jackson). « C’est, dit-il, un état tout ensemble de vague, d’incertitude, d’oscil-
« lation ou de mobilité des idées, qui se traduit souvent par leur incohérence. C’est,
« ajoute-t-il, une désagrégation, une véritable dissolution du composé intellectuel »
(p. 36 du « Haschich »).
Enfin, quatrième thèse, cet état constitue le <cfait primordial ». « Plus j ’appro-
« fondis ce singulier état de demi-sommeil, plus je suis porté à le regarder comme
« le type de celui que l’on est convenu d’appeler délire d’aliénation mentale (p. 277).
« C’est lui qui est à la base du délire et des Hallucinations que provoque le haschich ».
En ce qui concerne les Hallucinations, Moreau (de Tours) insiste (p. 350-353)
sur leur caractère de subordination à l’état primordial dans un passage que nous
devons citer largement :
« A nos yeux, l’aliénation mentale constitue un mode d’existence à part, une
« sorte de vie intérieure dont les éléments, les matériaux ont nécessairement été puisés
« dans la vie réelle ou positive, dont elle n’est que le reflet et comme un écho intérieur.
« L’état de rêve en est l’expression la plus complète; on pourrait dire qu’il en est
« le type normal ou physiologique. A quelques égards, l’homme en état de rêve
« éprouve au suprême degré tous les symptômes de la folie : convictions délirantes,
« incohérence des idées, faux jugements, Hallucinations de tous les sens, terreurs,
« paniques, emportements, impulsions irrésistibles, etc. etc. Dans cet état, la conscience
« de nous-même de notre individualité réelle, de nos rapports avec le monde extérieur,
« la spontanéité, la liberté de notre activité intellectuelle sont suspendus ou, si l’on
« veut, s’exercent dans des conditions essentiellement differentes de l’état de veille.
« Une seule faculté surgit et acquiert une énergie, une puissance qui n’a plus de limites.
« De vassale qu’elle était dans l’état normal ou de veille, l’imagination devient souve-
« raine, absorbe pour ainsi dire et résume en elle toute l’activité cérébrale; la folle
« du logis en est devenue la maîtresse. De ces données générales il résulte : 1° qu’il
« n’existe pas, ainsi que nous l’avons dit précédemment, à proprement parler, d 'Hal
it lucinations, mais bien un état hallucinatoire-, 2° il faut voir dans les Hallucinations
« un phénomène psychologique très complexe qui n’est, pour ainsi dire, qu’un côté,
« une face de l’activité de l’âme vivant de la seule vie intra-cérébrale; 3° l’état hallu-
« cinatoire comprend nécessairement tout ce qui, dans l’exercice des facultés morales,
« a trait aux sens spéciaux, à la sensibilité générale externe et interne. Dans cet état,
« identique (au point de vue psychique) à l’état de rêve, l’âme livrée tout entière
« à la vie intérieure, diversement impressionnée dans ses facultés auditives, visuelles,
« tactiles, transporte dans la vie réelle ou extérieure les produits ou créations de son
« imagination et se persuade avoir entendu, vu, touché, comme dans l’état ordinaire,
« tandis que, en réalité, elle n’a fait qu’imaginer, voir, entendre et toucher. Dans l’état
« ordinaire ou normal, s’imaginer être impressionné de telle ou de telle manière,
« diffère essentiellement d’être impressionné réellement. Mais il n’en est pas ainsi
« quand nous sommes en état de rêve; car alors plus de différence aucune, et le rêveur
« est aussi réellement impressionné que l’homme qui est en état de veille. Ce qui est
« vrai de l’état de rêve l’est également de l’état de folie hallucinée où les sensations
« sont aussi vives, j ’ai presque dit aussi réelles que dans l’état sain. Comme le rêveur,
« l’halluciné n’entendra pas seulement des sons qui auront autrefois frappé son oreille,
« mais il entendra des discours plus ou moins suivis. Dans l’état normal, penser c ’est
« parler intérieurement; dans le cas où se trouve l’halluciné, c’est parler haut; car
« l’âme ne peut alors parler sa pensée sans l’entendre en vertu de l’état particulier
« où elle se trouve, état dans lequel toutes les créations de la faculté imaginative
« prennent nécessairement des formes sensibles. Quand donc nous pensons, nous
« parlons mentalement. Nulle idée ne s’éveille en nous si ce n’est par l’intermédiaire
« du signe écrit ou sonore qui le représente. Que l’on s’étudie avec soin, et l’on
« reconnaîtra sans peine que, quand nous pensons, nous entendons en quelque sorte
« les sons des paroles ou des mots qui traduisent notre pensée; nous les entendons
« d’une certaine manière, en imagination, cela est vrai; mais on sent qu’il n’y a pas
« loin de là à la réalité. L’Hallucination, ou plutôt l’erreur de l’halluciné, se rappor-
« tera donc à ses propres pensées, à celles principalement qui le préoccuperont davan-
« tage, sur lesquelles son attention aura été concentrée. Il pensera, c’est-à-dire, jugera,
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — J. P. FALRET 1237
de rêve (p. 383-384). L’Hallucination est le rêve des sens extérieurs, comme les
idées fixes, les convictions délirantes sont le rêve de l'intellect... « (p. 252) ».
(1) J’ai dans le livre « Mélanges », livre jubilaire en hommage à P. J anet (publié
par Édouard P ichon en 1949) mis en évidence les affinités de la pensée de P. J anet
et de la pensée de H. J ackson.
(2) Henri Ey : « La notion d’automatisme », Évolution Psychiatrique, 1932, n° 3.
(3) Le caractère artificiel ou purement énergétique du modèle de P. J anet lui
a souvent été reproché. Je crois que ce que l’on appelle son caractère artificiel c’est
tout simplement le degré d’abstraction où cet esprit merveilleusement concret a voulu
s’élever sur le plan purement théorique. Je crois que ce que l’on appelle sa tendance
« énergétique » (la même que l’on reproche à F reud particulièrement en tant
qu'auteur de la fameuse « Esquisse » de 1895 en l’accusant de « biologisme »)
est plus apparente que réelle dans le système « janétien ». C’est précisément sur ce
point que j ’ai insisté (« Force et faiblesse des concepts génétiques et énergétiques dans
la psychopathologie de P. J anet », Bulletin de Psychologie, novembre 1960, p. 50-55) en
essayant de montrer que les concepts de « tension psychologique » et de « hiérarchie
des fonctions » se prêtaient peut-être mieux à une interprétation empruntant son idée
directrice aux concepts de la cybernétique et de la théorie de l’information que des
principes de la « thermodynamique »; somme toute, que l’organisation de la vie
psychique doit être envisagée plutôt sur le modèle de l’anabolisme que sur celui du
catabolisme. Le modèle janétien implique à mon sens l’idée essentielle et primordiale
d’une auto-construction dont quelque jour l’étude de la mémoire non pas spécifique
(celle du plan de l’organisme) mais profondément personnelle (celle du plan même de
création du Moi) éclairera les conditions mêmes de la formation, c’est-à-dire des
signifiants s’engendrant eux-mêmes à partir de « signifiés-clés », du codage du pro
gramme psychique propre à chaque personnalité et dépassant son programme géné
tique vital.
1240 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Quoi qu’il en soit des critiques, des réserves ou de notre propre adhésion
à l’essentiel de l’appareil théorique de P. Janet,*il nous paraît d’une telle impor
tance que l’on nous excusera d’y insister ici plus particulièrement pour rendre
un particulier hommage à ce grand Maître de la Psychopathologie (1).
(1) Je reproduis ici une grande partie du texte de mon article « La conception
de J anet sur les Hallucinations et les Délires », Évolution Psychiatrique, 1950, p. 437-
448. Le récent ouvrage de H. F. E llenberger (1970) complétera heureusement cet
exposé puisqu’il a consacré une importante partie de son livre à la vie et à l’œu
vre de ce Maître de la Psychopathologie.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PIERRE JANET 1241
« nouvelle. Ce qui nous détermine à placer au premier rang dans cette hiérarchie
« l'action volontaire qui modifie réellement le monde donné, c’est que nous avons vu
« cette action constamment troublée chez bien des malades et dès le début.
« ... L'attention est une opération qui est située très haut également parmi les
« fonctions du réel. C’est l’attention qui nous permet de percevoir les choses réelles.
« Son degré le plus élevé et par conséquent le plus fragile, c’est l’opération qui nous
« donne la notion du réel, c’est-à-dire qui détermine la certitude et la croyance.
« ... En dessous de cette opération de croyance à l’existence réelle des objets,
« l’attention trouve encore des difficultés, moins graves peut-être, dans la complexité
« du spectacle offert à nos sens, dans la perception intelligente de la lecture, de
« l’audition, simplement dans la perception intelligente d’une situation donnée »
(p. 479-480).
Les deux opérations, action volontaire et attention concourent par leur activité
propre à constituer une opération synthétique « qui résume probablement tous
les précédents », c’est la formation dans l’esprit du mouvement présent. « Il y a une
faculté mentale que l’on pourrait appeler la présentification » (p. 481).
C’est là une des originalités de la psychologie de Janet d’avoir mis en évidence
cet ensemble d’opérations par quoi nous vivons un moment présent, forme extrême
de notre capacité à saisir le réel sous son aspect maximum, rien n’étant psychologi
quement plus réel que l’instant que nous vivons.
Au-dessous de ces opérations qui correspondent à la fonction du réel, il en existe
d’autres que l’on peut grouper sous la désignation de « l’activité désintéressée ».
« Ce sont les mêmes opérations psychologiques simplement dépouillées de ce qui
faisait leur perception, c’est-à-dire l’acuité du sentiment du réel ».
Au-dessous encore de ces conduites désintéressées se trouvent des modes de
pensée (et par conséquent de conduites internes) qui constituent les opérations repré
sentatives. « L’opinion populaire place à un niveau élevé dans la hiérarchie des
« opérations mentales proprement dites les opérations qui portent sur les idées et
« non sur les objets, les moralistes ont eu déjà bien souvent le sentiment que cette
« opinion était erronée. 11 nous faut pour le comprendre lutter contre un vieux préjugé
« de l’enfance, c’est que l’abstrait nous paraît plus difficile que le concret » (p. 483).
Et Janet de remettre alors à leur véritable place les images, les rêveries et les raison
nements vides qui encombrent l’activité humaine et jouissent de la plus flatteuse
et fausse réputation : On saisit dans des passages comme celui-ci de l’œuvre l’esprit
bien français de Janet, légèrement ironique, mêlé à la sagesse de l’esprit socratique.
Enfin au niveau inférieur se trouvent des opérations mentales encore plus basses :
les émotions vides et les mouvements musculaires inutiles. Lui-même résume dans
ce tableau cette hiérarchie des fonctions du réel (p. 488).
action habituelle
du présent
action dans le sentiment j d’unité
II. A ctivité désintéressée
de liberté
perception sans certitude et avec le sentiment vague
du présent.
mémoire représentative
Ï imagination
raisonnement abstrait
rêverie.
(1) Histoire d’une idée fixe. Névroses et Idées fixes, tome I, p. 156-212.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PIERRE JANET 1243
ouvrages de Janet sont remplis entre 1890 et 1910 de faits semblables (1). Il s’agit
dans ces cas de perceptions scéniques auxquelles s’attache une croyance particulière.
Ce sont des spectacles, des aventures analogues à celles qui sont vécues par la conscience
du rêveur. Ce sont des « perceptions de situation ou de réminiscence » qui constituent
des systèmes psychologiques ayant leur loi propre d’organisation. Ce sont des
« conduites narratives » beaucoup plus que des perceptions véritables, des « imitations
de perceptions » qui dépendent d’un trouble général portant particulièrement sur la
mémoire et qui détermine déjà des modifications considérables de la croyance (2).
Mais si nous passons à l’examen des Hallucinations des délirants influencés,
nous nous trouvons en présence de troubles différents. Chez ces malades lucides,
ni confus, ni rêveurs, s’agit-il véritablement de « perception sans objet » ? Sans doute
ces Hallucinations ont des caractères (immédiateté, extériorité, certitude) qui sont
des attributs de la perception. Mais cette « certitude » est bien particulière, le caractère
systématique et exclusif de la perception fait défaut, la localisation est souvent vague,
beaucoup de malades suppriment même le caractère essentiel de la perception : l’exté
riorité. Les Hallucinations manquent souvent paradoxalement du caractère de pré
sence, d’actualité (elles ont été éprouvées). Il semble s’agir beaucoup plus d’un récit
d’Hallucinations que de perceptions sans objet. Enfin le caractère irruptif de la per
ception si essentiel à cet acte de fonction du réel manque souvent. Les voix sont atten
dues plutôt qu’entendues, elles répondent à une attente, à un besoin, elles ont un carac
tère affectif personnel « qui a été, dit Janet, très bien noté par M. Claude ». Les malades
commencent par donner un sens aux voix, puis ils ne leur en donnent plus. En fait,
les Hallucinations « anidéiques » (G. de Clérambault) sont une illusion du malade
qui n’est pas toujours conscient du sens, de la valeur symbolique des voix. Par exemple,
un malade candidat entendait murmurer : « collé ! collé ! » et il prétendait « ne pas
comprendre ce que ce mot peut bien signifier ! ».
L’Hallucination du persécuté ou du favorisé ne se présente donc pas comme une
illusion de perception ou de réminiscences. Quelles sont les conduites psychologiques
à quoi correspondent ces expériences délirantes, car ce sont bien les conduites ou
croyances qui sont altérées ? L’Hallucination des délirants est essentiellement un acte
faussé de croyance.
« La possibilité de réduire l’activation des tendances à des degrés très inférieurs,
« à de simples attitudes, la possibilité d’exprimer les divers actes par des signes, par
« le langage qui diminuent énormément le mouvement, ont donné naissance à des
« représentations, à des formules verbales issues en réalité des actes primitifs, mais
« en apparence très différentes d’eux. Toutes sortes d’influences, en particulier l’inven-
« tion des conduites de la mémoire, celle des conduites <Ju secret et du mensonge
« ont énormément développé ce langage inconsistant, puis 3 a été nécessaire d’établir
« de nouveau un lien entre ces représentations, ces formules verbales intérieures et
« individuelles et les actes externes des membres seuls capables d’efficacité physique
« et sociale. Par l’intermédiaire des pactes et des promesses se sont constituées les
« diverses formes de la croyance : les représentations, les formules verbales ont pris
« divers degrés de réalité suivant qu’elles étaient plus ou moins rattachées à des actes
« présents ou futurs. Quand cette union peut déterminer un acte immédiat qui est
« tout de suite rattaché à cette formule verbale, il s’agit de la volonté. Ce mot, à parler
(1) Les cas d’Irène, de Justine, etc... Névroses et Idées fixes (1898).
(2) Les croyances et les Hallucinations (Revue Philosophique, 1932, 278-291).
1244 MODÈLE O RGA NO-D YNAMIQ UE
« rigoureusement, ne devrait être employé que pour des actions précédées ou accompa-
« gnées par la formule verbale de l’acte et par une affirmation qui unit la formule
« à l’action. Quand l’acte ne peut pas être exécuté immédiatement en raison de
« l’absence de certaines conditions nécessaires, l’affirmation de l’union entre la for
ce mule verbale et l’action détermine des croyances.
« Au début, pendant une période du développement que j ’ai appelée le stade
« asséritif, cette croyance reste une action simple, toujours la même. Le retour à ce
« stade détermine l'affirmation immédiate, forte, brutale, sans nuances, que l’on retrouve
« dans les suggestions, dans certaines impulsions, dans le délire psychasthénique.
« Cette affirmation simple donne aux formules verbales un caractère important,
« Y être, l’existence.
Mais il y a un stade sus-jacent à ces conduites de croyances asséritives, c’est le
stade des conduites intentionnelles. Elles fondent non pas l’existence d’objet mais
l’existence de rapports sociaux basés sur l’intention prêtée à autrui par rapport à soi.
Les malades restés ou revenus à ce niveau (p. 308) parlent indifféremment du passé
et de l’imaginaire comme de ce que nous appelons le présent et le réel.
Il y a donc toute une hiérarchie de demi-réalités (le « presque réel », le « demi-réel »,
le « presque non-réel ») qui correspondent à ces conduites (cf. notamment le tableau
de la page 314-315). Les « Hallucinations symboliques » sont intéressantes à examiner
de ce point de vue. Elles sont pour ainsi dire intermédiaires entre le simple stade de
l’obsédé à idées prévalentes et celles du délirant. Le malade transforme ses représen
tations en symboles qui « contiennent déjà plus d'affirmation » que la simple idée obsé
dante. La réalité du symbole se rapproche en effet de celle du passé (p. 312). C’est
une affirmation d’un acte d'invention que le Sujet semble présenter comme un fait
du passé (1).
Un autre aspect de la conduite délirante et hallucinée, c’est la valeur « d'examen
de conscience » des voix (2). L’examen comporte nécessairement l’examinateur et
l’examiné, et le malade qui transforme son « examen de conscience » en voix ne joue
plus à la fois les deux rôles dans une sorte d’ambiguïté de conduite intermédiaire
qui est propre à notre conduite interne (3), il passe complètement dans le rôle de
l’examiné. Comment s’opère cette « objectivation sociale », ce renversement d’atti
tude ? C’est ici qu’intervient la théorie générale de la baisse de la tension psychologique
qui engendre une gêne dans les conduites et un trouble dans les sentiments fondamen
taux qui constituent la base des délires.
3° La pathologie des sentiments dans le délire des persécutions (4)
« Le délirant c’est un individu qui place mal sa parole dans la hiérarchie des degrés de
réalité » (La force et la faiblesse psychologique, p. 15). Telle est la thèse fondamentale
que tout le travail de P. Janet a consisté à replacer dans les diverses perspectives de
sa psychologie des conduites, des sentiments et des degrés du réel. Ce qui définit le
délire c’est en effet la croyance attachée à l’imagination, c’est prendre pour du réel
ce qui n’est que de l’imaginaire (un cas particulier de cette formule générale correspond
à l’Hallucination). Dès lors, le trouble auquel correspond le délire est un trouble ana-
logue à celui des névroses, c’est un trouble dans les fonctions psychologiques dont la
hiérarchie constitue une série d’actes tendant à croire le réel et à s’adapter à lui.
Tout dérèglement de cet appareil psychique a pour résultat une dérégulation des
fonctions, c’est-à-dire la production de sentiments anormaux (cf. ce que nous avons dit
plus haut sur la conception des sentiments régulateurs de l’action). C’est dans cette
perspective que sont envisagés notamment les délires de persécution qui expriment
les sentiments d’angoisse et d’automatisme correspondant à une imperfection de
l’activité psychique d’adaptation au réel.
Les sentiments communs « d’une grande banalité » qui sont particulièrement déve
loppés chez le persécuté sont les sentiments d 'intimidation, de jalousie et de haine.
Mais c’est le sentiment d’emprise et d’imposition qui est le trouble fondamental. Il faut
le rapprocher dès sentiments d’incomplétude de l’action et de tous les sentiments de
privation qui expriment une certaine impuissance. C’est ainsi que le phénomène de
vol dé la pensée exprime cette incapacité foncière à être maître de sa pensée. Le sen
timent de pénétration est déjà comme amorcé dans le sentiment de présence, il s’accuse
dans le devinement de la pensée, dans le sentiment de dédoublement.
Quel est le sens de toutes ces expériences d’intrusion, de mécanisation, de conver
sations avec autrui ? C’est celui d’un commerce social perturbé. Ce sont les rapports
sociaux de malade avec la pensée des autres, ce sont les situations et les actes sociaux
du langage et du comportement qui sont altérés.
A cet égard, y a lieu spécialement le phénomène d’objectivation sociale inten
tionnelle.
Dans les crises de psycholepsie, l’intimidation, la surprise, la fatigue, l’effort
prolongé déterminent des épuisements et amènent des régulations dépressives. Les
sentiments de viol et d’incomplétude, de dévalorisation, de sécheresse, d’inintellection,
d’automatisme, de dépersonnalisation, d’éloignement, de mort, d’irréel, etc., ont tous
quelque chose de commun. Si le sentiment de vide exprime pour ainsi dire par avance
la déchéance de la vie psychique, il exprime pour ainsi dire par avance la résultante
de tous les sentiments déréglés et conduit au délire de persécution, c’est-à-dire à un
bouleversement de la situation du malade, de sa pensée, de sa volonté et de son exis
tence par rapport aux intentions d’autrui, à la réalité sociale. Le phénomène d’objec
tivation intentionnelle est un phénomène de projection qui rapporte à autrui le malaise
introduit par la maladie dans les relations interhumaines. Ce malaise est une régression.
« Prenons tout de suite un exemple dans un acte social d’un degré plus élevé
« où ce caractère de la collaboration est plus visible, je veux parler de l’acte, essentiel
« dans la société, du commandement et de l’obéissance. Cet acte est essentiel, car
« la plupart des actes sociaux sont au fond des actes de commandement et d’obéis-
« sance : les demandes, les prières ne sont que des commandements sous une forme
« atténuée, les interrogations sont des commandements de langage, les questions sont
« des commandements de l’acte de secourir qui dérive de l’acte d’écarter, les ensei-
« gnements pratiques sont des commandements de l’acte d’enseigner, car le plus
« souvent le professeur apprend à professer. Comprendre le commandement et
« l’obéissance, c’est comprendre le plus grand nombre des actes sociaux.
« Un acte commandé est un acte divisé en deux parties, ces deux parties étant
« exécutées par deux individus différents. Il n’y a pas d’exemple d’une conduite sem-
« blable quand il s’agit d’actes élémentaires réflexes ou perceptifs; cette forme est pro-
« pre aux conduites sociales qui semblent avoir pour but de développer les conduites
« d’ensemble, parce que ces conduites où se réunissent plusieurs individus ont plus
« d’efficience que les conduites isolées. Mais il ne faut pas croire que la division de
1246 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
« l’acte soit complète et que chaque individu n’exécute absolument que la moitié
« de l’acte total. Chaque individu en réalité fait l’acte tout entier, mais il fait les deux
« parties de l’acte à des phases différentes de l’action. Le chef pousse jusqu’à la
« consommation la partie initiale et laisse la seconde partie à la phase de l’érection,
« le Sujet met à la phase de consommation la seconde partie et laisse la première
« à la phase de l’érection.
Ainsi, l’acte de commander implique celui d’obéir. Il en est de même pour le lan
gage où parler c’est entendre, ou encore d’actes d’initiative ou d’actes inspirés, du
don et du vol, du montrer et du cacher, etc... El s’agit dans tous les cas d'actions
doubles tout à fait caractéristiques des actions sociales, c’est-à-dire de celles qui sup
posent un rapport entre le Sujet et un « socius ».
Or, ce sont ces actions sociales les plus élevées dans la hiérarchie des actions qui
sont perturbées. D ’où la subjectivation et l’objectivation pathologique qui sont vécues
comme sentiments d’imposition (sentiment d'Hallucination, de présence, de substi
tution et de pénétration, de devinement, d’écho de la pensée, de dédoublement).
Tous ces sentiments ou leurs nuances témoignent d’une dégradation des conduites
qui convergent vers la construction de la personnalité. Cette personnalité s’élabore
dans les actions sociales de la pensée et c’est l’altération de cette couche d’activité
qui entraîne l’altération, l’aliénation de la vie psychique.
Pendant que P. Janet développait inlassablement son œuvre (de 1890 à 1940),
le mouvement de résistance contre « l’atomisme psychophysiologique » (à l’abri
du dualisme cartésien, cf. notre Étude n° 3 du tome I de nos Études Psychia
triques) ne cessait pour ainsi dire pas et il serait trop long d ’en marquer ici
les multiples aspects cliniques et doctrinaires. Rappelons cependant que les
œuvres de Delasiauve, de Chaslin ou de Régis s’inscrivent dans la même lignée
(avec bien des hésitations ou des contradictions notamment pour ce dernier). La
conversion de Séglas abandonnant le mécanisme classique vers 1905 pour faire
dépendre les formes hallucinatoires du fond délirant et des dispositions affectives
doit être particulièrement soulignée pour être le plus souvent méconnue (cf. la
préface qu’il a écrite pour notre livre « Hallucinations et Délire », 1934).
L’ouvrage de Ch. Blondel (« La conscience morbide », Paris, Alcan 1913) qu’il est
devenu paraît-il de bon ton de décrier, l’ouvrage de Ch. Blondel constitue un
tournant décisif de tout le mouvement psychiatrique anti-mécaniste (1) de cette
époque. Sa critique de l’atomisme psycho-physiologique y est exhaustive. Si ses
analyses se sont heurtées comme à un « numinosus » indéchiffrable à l’Incons
cient, c’est bien parce que pour Freud lui-même, l’Inconscient se définit comme
une sphère d ’intentionnalité qui est rebelle à la verbalisation. De telle sorte que
l’on pourrait sans trop d’audace considérer que les analyses de la Conscience
morbide rejoignent celles de l ’Inconscient freudien pour autant que celui-ci
(1) Car même si Ch. B londel a fort mal compris la Psychanalyse, il a réagi comme
F reud lui-même contre le mécanisme absurde dans la Psychopathologie du délire et
des Hallucinations qui régnait au début du siècle (Gilbert Ballet, Rrrri, W ernicke,
H enschen , etc.). Nous avons relevé plus haut dans le chapitre Ier de cette Septième
Partie, en l’exposant, le mépris injustifié dans lequel on tient « La Conscience Mor
bide » (cf. supra, p. 387-389).
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PIERRE JANET 1247
ne se prête pas à une compréhension directe et pour autant ainsi que, lorsqu’il
se manifeste dans le délire, c’est encore le délire qui l’enveloppe comme le som
meil enveloppe le rêve...
La plupart des Psychiatres français de la première moitié du xxe siècle ont
été très attachés à l’idée que le « Délire » constitue non pas un événement
mais un bouleversement de l’existence. On peut se rendre compte tout au long
de la psychopathologie française (depuis le livre de Vaschide et Vurpas (1902)
iusqu’au Rapport de P. Guiraud au 1er Congrès Mondial de Psychiatrie de
Paris, 1950) de la constance de cette conception « processuelle » du Délire.
Les études de Ch. Blondel sur la « Conscience morbide » (1913), celles de
G. de Clérambault sur 1’ « Automatisme Mental » (1910-1930), celles de
Mignard (1924) sur la « Subduction mentale morbide », celles de A. Hesnard
(1923) sur la « Néoproduction morbide », celles de E. Minkowski sur le « trouble
générateur » {Le Temps vécu, 1933), nos propres contributions à 1’ « Histoire
naturelle » du Délire, constituent une élaboration commune malgré leur diver
sité du concept d’organogenèse du Délire et par conséquent des Hallucinations
délirantes.
Nous voudrions ici particulièrement insister sur la conception de P. Gui
raud. Ayant longtemps travaillé et tant de fois discuté avec lui depuis plus de
quarante ans, nous avons pu grâce à lui apprendre à « déchiffrer » le Délire,
c ’est-à-dire à comprendre qu’il est indéchiffrable et « incompréhensible » pour
se développer dans un mouvement inconscient dont aucune analyse du sens
ou des motifs ne peuvent rendre compte d’une façon exhaustive. La « maladie
délirante » est pour lui un processus « xénopathique », disons, un état d ’aliéna
tion qui s’inscrit en faux contre l’organisation de la vie psychique et spécifi
quement au niveau des instincts. La maladie délirante est une irruption des
instincts. C ’est elle qui, dans la perspective même des travaux de C. von
Monakow et R. Mourgue, constitue « la composante primordiale maladive ».
L ’ensemble des images, des souvenirs, des idées qui forment cette coulée
volcanique de Délire lui fournit son dynamisme infra-logique propre.
Cette notion d ’un « processus biologique » nous paraît conforme à la cli
nique du Délire sous toutes ses formes, et sur ce point nous pouvons tomber
d ’accord avec P. Guiraud malgré sa prédilection pour le concept d’excitation
(terme même, on s’en souvient, qui avait été proposé par Moreau de Tours)
qui nous paraît superflu puisque c’est le mouvement même des forces « ossi-
tiques » qui constitue chez tous l’excitation nerveuse ou libidinale inhérente
à la vie.
Pour ce qui concerne la théorie des Hallucinations de P. Guiraud, nous
avons été toujours très réservé. Quand en 1925 (dans son fameux article paru
dans VEncéphale, « Les Délires chroniques. Hypothèses pathogéniques contem
poraines ») il pensait pouvoir réduire, comme G. de Clérambault, le délire
hallucinatoire et notamment les délires d’influence à des troubles de l’intégra
tion des afférences cénesthésiques, nous ne pouvions pas le suivre dans cette
voie. De même lorsqu’il estimait avec P. Quercy que l’esthésie hallucinatoire
constitue le phénomène primitif. Par contre, dans la « Psychiatrie générale »
1248 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Cf. à ce sujet le livre de Gerhard S chorsch « Zur Theorie der Halluzinationen »,
Leipzig, éd. Barth, 1934, notamment p. 12-30 et p. 44-56.
(2) Cf. la bibliographie des travaux de P. S chröder que nous avons placée en
raison de son importance dans la Bibliographie des grands travaux sur l’Hallucina
tion à la fin de cet ouvrage.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — STRUCTURALISME ALLEMAND 1249
(1) Nous avons à titre exceptionnel reproduit une de ces phantéidolies pour
démontrer précisément dans quelle atmosphère onirique fleurissaient les étranges
figures du fantastique.
1250 MODÈLE O RGA NO-D YNAMIQUE
(avec ses anamorphoses), ou l’art brut (avec ses déformations naïves et vrai
ment déchirantes) aiment à se représenter et à présenter, c’est-à-dire l’insolite,
ici bien capable en effet de couper le souffle, mais de couper non seulement
celui de l’halluciné mais celui de Braque fabriquant son tableau ou celui des
spectateurs du « Jardin des Délices »...
Les études sur le fond négatif de l’Hallucination « fondent » les caractéris
tiques des formes de la figure positive en découvrant leur contexte, l’état du
délire primordial au sens de Moreau (de Tours). Nous verrons que le problème
qu’elles laissent en suspens (qui des Hallucinations délirantes sans rapport
apparent avec un trouble de la Conscience ?) demeure et que, par conséquent,
nous aurons à la reprendre.
P hénoménologie (1). — Nous avons presque constamment au cours de
cet ouvrage — et bien plus encore dans notre livre « La Conscience » — fait
référence à la Phénoménologie qui, de Hegel à Husserl, puis à Heidegger, a
trouvé chez nous son écho le plus sonore chez J.-P. Sartre et M. Merleau-Ponty.
La première partie de l’exposé du Modèle organo-dynamique (dont nous
cherchons ici à suivre la trace et la trame du savoir qu’il exige) nous a donné
l’occasion de souligner que, pour nous, la Phénoménologie ne pouvait trouver
son point d ’impact en Psychopathologie qu’en visant en deçà de l’apparition
des essences (sorte d’éidétique transcendentale psychopathologique) l’appa
rition de l’existant en tant qu’incorporé à son corps et incorporant son monde.
Sans doute la Phénoménologie peut-elle demeurer dans la région originaire
d’une éidétique transcendentale qui peut, et, en un certain sens, doit demeurer
dans le règne des essences; mais elle a aussi à se poser ou à laisser poser des
questions, non seulement sur la « mondanité » mais aussi sur la « naturalité »
de l’Homme. Dans son ouvrage (« La Psychiatrie phénoménologique », 1963)
et son rapport au Colloque de Bonneval (« L’Inconscient », C. R. parus en
1966, éd. Desclée de Brouwer), G. Lantéri-Laura a fort bien accentué cette
interrogation, ou mieux encore, a contraint la Phénoménologie d ’y répondre
si elle veut éviter un intellectualisme logico-mathématique vers lequel Heidegger
risque de l’entraîner (structuralisme ou symbolique pour lesquels A. de Wael-
hens, dans son livre sur la Psychose, marque quelque inclination). Ce qui fait
la valeur de l’œuvre de M. Merleau-Ponty, c’est précisément d ’être, pourrait-on
dire, une phénoménologie de Vincorporation du sens à laquelle a correspondu
(1) Et, bien sûr, moins encore dépendante de l’expérience des «données senso
rielles » de l’école de Gratz. Cf. sur les rapports de la phénoménologie et de la Gestalt
psychologie, le dernier chapitre du livre de G. L antéri-L aura et surtout l’ouvrage
de A. G urevitsch , Théorie du champ de la conscience.
(2) P. H âberlin écrit dans un article que L. Binswanger qualifie (1955) de remar
quable (« Objekt der Psychiatrie », Arch. suisses Psych. Neuro., 60,132), que les mala
dies mentales sont des somatoses, alors que seules les névroses devraient être consi
dérées comme des névroses, c’est-à-dire des maladies véritablement psychiques ou
psychoses... (p. 259 de VIntroduction à l'analyse existentielle, textes traduits en français
en 1971).
(3) Les progrès de la Psychiatrie dépendent dans une forte proportion de l’effet
d’échange de la recherche matérielle et objective et de la réflexion transcendentale
sur son essence en tant que science (ibid., p. 263 : ce sont les dernières lignes de ces
textes traduits).
E y . — Traité des Hallucinations, n . 41
1252 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
et de l’imaginaire, etc. De telle sorte que pour nous, la prétention souvent pro
clamée par ces phénoménologues et anthropologues de répudier tout « natu
raliste », recours à l’idée de processus n ’est qu’illusion. Ils se dupent eux-
mêmes en croyant ne pas faire appel quand ils parlent, par exemple, « du réel
hallucinatoire du signifiant forclos », d ’un bouleversement des structures onto
logiques du corps psychique. Car lorsqu’ils s’imaginent être dans le symbo
lique, c’est encore dans la réalité de son apparition ou la disparition de sa réalité
qu’ils se trouvent nécessairement : c’est-à-dire dans la région proprement psy
chopathologique du processus délirant.
Bien des fois au cours de ces chapitres nous avons été projetés au centre
même du problème de l’hallucinogenèse, mais cette fois c’est vraiment « l’heure
de la vérité », et nous voici maintenant confrontés à l ’ultime difficulté concep
tuelle qui empêche généralement de saisir le genre hallucinatoire, c’est-à-dire
la totalité des espèces qui le composent.
La révolution copernicienne dans la science des Hallucinations dépend du
renversement de sa formule classique : l’Hallucination n’est pas le produit
d’une excitation (positive), elle est l’effet d’une dissolution (négative) — elle
n ’est pas ce qu’elle paraît être, quelque chose « en plus », elle est ce qu’elle est
en paraissant être ce qu’elle n’est pas, quelque chose « en moins ». Elle est une
illusion qui porte en elle-même la marque d ’une altération formelle de la réalité.
Ce qu’il y a au fond de l’Hallucination, ce n’est pas plus un appel ou un contre-
appel de désir, qu’une production mécanique de sensations, mais une « faille »
dans le système de la réalité représenté par l’organisation de l’être conscient.
C’est à cette dernière démonstration que nous devons maintenant consacrer
les pages qui doivent achever l’exposition, sinon la démonstration, du modèle
théorique organo-dynamique.
Par là, en effet, nous extirperons jusqu’à sa racine l’erreur qui consiste
à quelque niveau que ce soit, pour quelque catégorie d'Hallucination que
ce soit (1), à admettre la notion d’excitâtion sensorielle (ou tout autre concept
analogue qui ne considère l’Hallucination que dans sa positivité. Comme nous
venons de le faire remarquer plus haut, la plupart des auteurs, même s’ils ont
désespérément lutté contre l’idée d’une « sensorialité primitive », d’une irri
tation des centres d ’images, d ’une « esthésie neuronale », d’un « éréthisme »
(1) A condition, bien sûr, qu’il s’agisse d’une véritable Hallucination, c’est-à-dire
d’un phénomène pathologique qui se soustrait à la « norme », c’est-à-dire à la loi
de la « réalité commune ».
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PROCESSUS DE DÉSORGANISATION 1253
que nous devons employer les derniers efforts qu’il nous reste à faire
pour achever l’édification de notre modèle théorique appliqué à l’ensemble
des phénomènes hallucinatoires.
La pathogénie propre aux diverses catégories hallucinatoires (Hallu
cinations délirantes comprenant expériences hallucinatoires et Hallucinations
noématico-affectives — et Éidolies comprenant phantéidolies et protéidolies)
suppose que nous disposions d’un modèle général de la désorganisation hal
lucinogène du corps psychique et des systèmes perceptifs qui en sont les ins
truments. Et c’est précisément cette théorie (que nous avons développée dans
notre ouvrage sur la Conscience (1964), dans notre Rapport au Congrès de
Madrid (1966) et dans les diverses Parties de cet ouvrage, qui doit nous per
mettre de mettre de l’ordre dans la connaissance du désordre hallucinatoire
en le rapportant précisément aux modalités d ’organisation de l ’être cons
cient qui n ’est rien d’autre que le Sujet accordant son propre modèle de la
réalité au système de la réalité légalisé par la pensée commune, par la commu
nication qui le lie aux autres.
C’est seulement parce que nous avons élargi jusqu’au point extrême où il
fallait la porter, que la théorie des rapports du sommeil et du rêve (du conscient
devenant inconscient et de l’Inconscient émergeant dans la Conscience) dans
une théorie généralisée de leur relativité, peut par cette hypothèse patiemment
et systématiquement élaborée nous permettre d ’aborder enfin le problème du
désordre radical (anomie) que l ’Hallucination représente dans la généralité des
phénomènes hallucinatoires quelles qu’en soient les espèces.
Nous l’avons déjà dit en commençant à formuler les propositions qui s’arti
culent pour former le modèle architectonique organo-dynamique de l’Hal
lucination, celui-ci doit consister pour nous non seulement à découvrir l’ordre
naturel des phénomènes hallucinatoires mais à mettre peu à peu de l’ordre
dans le désordre des esprits de tous ceux trop nombreux hélas ! qui, comme
saisis de vertige sont tombés dans le piège de l’Hallucination. Celle-ci se présente
en effet, tantôt comme une unité générique et tantôt comme une multiplicité
d ’espèces sans que, faute d ’une idée directrice sur l’organisation anti-halluci
natoire de l’architectonie psychique, ne puissent s’apercevoir clairement les simi
litudes, les différences et l’articulation de ces phénomènes entre eux. Peut-être
la clarté que nous avons déjà essayé d ’introduire par les laborieuses pages
dialectiques de cet ouvrage va-t-elle éclater plus évidemment maintenant que
nous pouvons saisir, en la considérant dans sa véritable et unique perspective,
(celle des effets positifs secondaires à une condition négative), la pathogénie
de toutes les catégories et variétés d’Hallucinations.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DÉLIRIO-HALLUCINOGÈNE 1255
ne veut rien dire si elle n ’ancre pas la pathologie de l’être conscient dans sa
généralité dans la pathologie générale de l’organisme dont le corps psychique
dépend (1).
Une grande partie des tableaux cliniques où se mêlent inextricablement
délire et Hallucinations, loin de permettre de « déduire » le Délire de l’Hallu
cination montrent que l’Hallucination n’est qu’un aspect « secondaire » (un
effet) du délire. Tous les cliniciens admettent à ce sujet des « états hallucina
toires », des expériences délirantes de dépersonnalisation, etc., tous concepts
qui établissent la primordialité de l’état délirant sur l’Hallucination. Ceci les
a conduits généralement (et tel a été d ’abord et surtout le fruit de l’observation
des grands cliniciens classiques) à considérer qu’une grande partie des états
hallucinatoires sont « symptomatiques » (états confuso-oniriques, psychoses
hallucinatoires aiguës, Delirium, « wahnhafte Züstände, etc.) d ’affections
somatiques et spécialement cérébrales.
Cependant, cette notion de Délire hallucinatoire symptomatique se heurte
à une autre masse clinique de faits, ceux où l’état de délire paraît lui-même pri
mitif, et on parle alors de psychoses « endogènes » ou « constitutionnelles ».
On a certes raison de considérer que ces Psychoses délirantes qui constituent
Yaliénation mentale (par excellence, dirions-nous, si nous ne craignions pas de
valoriser par ce superlatif la notion de maladie mentale en la portant au niveau
d’une sorte de génie !) sont des Psychoses qui manifestent la désorganisation
du Moi pour autant qu’il assure l’autonomie de sa personne et le système de
la réalité de son monde. Mais on a tort de considérer que « endogène » veut dire
« sine materia », car tout nous porte à croire que dans les cas de « Schizophré
nies », de « Délires chroniques » ou de « Paranoïa », le Délire a un substratum
— fût-il indirect et peut-être intermittent — organique. C ’est ainsi que la plu
part des Cliniciens ont parlé ou parlent à leur sujet d ’affections dégénératives,
métaboliques, héréditaires, chromosomiques ou d ’affections neuro-hormo
nales, etc. Nous voudrions à cet égard rappeler les principaux arguments qui
s’imposent pour valider l’organogenèse de ces « maladies délirantes et halluci
natoires ».
La considération d’un processus cérébral déterminé, quand en sont suivis
et bien étudiés les effets psychopathologiques, conduit en effet presque toujours
sinon nécessairement à constater qu’il engendre non seulement toute la série
des niveaux des psychoses aiguës mais aussi des formes délirantes et halluci
natoires chroniques. Et il s’agit là d ’une donnée de fait capitale dont nous pou
vons souligner (comme nous l’avons déjà fait dans la quatrième Partie)
la constante véracité à propos, notamment, de l’épilepsie et de l’encéphalite
épidémique.
Nous ne pouvons pas ici faire un exposé des innombrables travaux et statistiques
(Massen-statistiken) de l’Institut de Münich, des écoles Scandinaves ou des études
génétiques de F. J. Kallmann, et encore moins de reprendre à notre compte certains
calculs des risques héréditaires ou du taux de convergence de la concordance des
jumeaux monozygotes avancés entre 1925 et 1950. Il faudrait pourtant être bien légers,
(1) Il doit paraître évident à tout Psychiatre qui a assez d’expérience clinique
que la Psychopathologie de l’épilepsie englobe nécessairement quantité de cas de
Délires chroniques, de Psychoses hallucinatoires, de Schizophrénies et aussi de Névro
ses. En ce qui concerne les aspects névrotiques de l’épilepsie, il est à peine besoin
de rappeler les affinités hystéro-épileptiques, les aspects conflictuels de la per
sonnalité épileptique, les phénomènes compulsionnels et les états d’angoisse hypo
condriaque des comitiaux, etc.
1258 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
ou bien ignorants pour ne pas en tenir compte. Nous rappellerons simplement, pour
nous référer à quelques travaux récents, que pour E. Zerbin-Rüdin (Arch. f Psych.,
1967, 210, p. 340-372) les recherches généalogiques familiales confirment l’étiologie
génétique des psychoses schizophréniques (c’est-à-dire des malades délirants et
hallucinés qui forment la masse des Psychoses chroniques hallucinatoires). Le
tableau I (p. 340) est parfaitement éloquent en ce qui concerne le risque héréditaire.
Quant à la concordance de la schizophrénie chez les jumeaux monozygotes
(591 couples), elle est de 56 % contre seulement 15 % parmi 1 290jumeaux bivitellins.
W. J. Pollin et coll., Amer. J. o f Psych. (1965), tient également la concordance schizo
phrénique pour trois fois supérieure chez les monozygotes que chez les dizygotes.
Si ces chiffres montrent que l’hérédité n ’est pas fatale, ils montrent aussi qu’on ne
saurait l’écarter de la pathogénie «endogène» des formes psychiatriques hallucina
toires. L’aliénation de l’homme échappe à la loi, au programme vital de la nature et
elle ne saurait être confondue avec celle plus honteuse, certes, mais aussi moins
pathogène, qu’exercent sur l’individu les lois institutionnelles de la Société.
(1) C’est ainsi que C. W eischenk après avoir envisagé qu’il n’y avait pas d’hétéro
généité entre les illusions normales et les Hallucinations des Schizophrènes et après
avoir révoqué en doute la notion du « ohne Anlass » (en se référant à la fameuse
critique du concept d’incompréhensibilité par F. A. K ehrer , Der Verstehen und
Begreifen in der Psychiatrie finit par indiquer que même s’il y a des mobiles affectifs
il faut se rendre compte qu’il y a autre chose à la base d’un délire hallucinatoire d’une
jeune fille qui entendait la voix lointaine d’un bien-aimé mais ne l’entendait plus après
un électrochoc. De même, P. M atussek à propos d’une très belle observation (1952),
celle de son malade R., tout en admettant que les perceptions des Schizophrènes sont
particulièrement et anormalement exaltées (anormalen Hervortreten) se voit peu à peu
contraint d’admettre que parallèlement à cette perception en elle-même non patho
logique et même plus discriminative, s’établit un courant de troubles négatifs (parallel
sehends Lockerung) qui se situe, dit-il (1963), au niveau de la « Symbolbewusstsein ».
Il pense qu’il s’agit d’ « eine Lockerung des natiirlischen Wahrnehmungszusammenhan-
gen bei gleichzeitiger Herauspaltung einzelner Wahrnehmungsbestandtheit » (relâ
chement des fonctions naturelles des synthèses perceptives avec en même temps
émancipation d’éléments perceptifs isolés).
(2) Il s’agit d’un article de Ch. M elman paru dans « Silicet », 1968, n° 1, intitulé
« Étude sur l’Hallucination » (p. 120-131). Comme dans cette revue, quelque peu
ésotérique, les auteurs sont tous anonymes, nous avons eu un peu de difficulté à
identifier l’auteur, mais nous croyons y avoir réussi.
1260 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Il s’agit d’abord de faire l’inventaire des troubles de la perception chez les « malades
mentaux » (schizophrènes ou névrotiques) par comparaison avec les cas de lésions orga
niques cérébrales et avec les normaux. Il n’est pas fait mention spécialement du problème
des Hallucinations. Mais malgré le caractère un peu flottant de ce travail à l’égard
du problème qui nous occupe, et surtout l’absence de catégorisation clinique des faits
rapportés, nous pensons qu’ici au moment où nous rassemblons les arguments en
faveur d’une désorganisation du corps psychique dans les psychoses délirantes et
hallucinatoires, il est important que nous prenions acte de ces recherches qui, pour
si conjecturales qu’elles soient ou vaines qu’elles puissent paraître, n’en comportent
pas moins un intérêt, ne fût-ce que méthodologique. Pour D. Langer, si on se réfère
aux analyses factorielles de Thurstone (1944) et aux travaux de H. J. Eysenck, ou plus
généralement aux recherches inspirées par la Gestaltpsychologie (différenciation
de la figure et du fond, oscillation de la configuration d’une perspective à l’autre,
influence des configurations perceptives antécédentes, etc.), on se borne alors à une
comparaison de la perception chez les « organiques » ou les « non-organiques »
mais à un niveau trop bas pour qu’elle puisse viser les troubles perceptifs de niveau
proprement psychopathologique. Et, effectivement souligne D. Langer, ces études
versent dans une sorte de paraphrase cérébrale des troubles envisagés selon les prin
cipes de l’isomorphisme de W. K öhler (comme par exemple lorsqu’on fait état avec
Thomas et Stewart, 1957 de « steady state » cortical électrique pour expliquer la dédiffé
renciation figure-fond), ou que l’on interprète en termes neuro-physiologiques la
capacité de saturation (satiability) ou la tendance au nivellement et à l’équipotentialité
des réactions par des Stimuli divers.
Il semble donc que tous ces travaux trouvent en eux-mêmes leurs limites et leurs
contradictions (p. 37), et que ce soit dans une « autre perspective » (pour nous pas
tellement différente) qu’il faut chercher les principes d’une méthode de comparaison.
Et D. Langer se tourne vers les théories de la perception qui font appel à la fonction
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DÉLIRIO-HALLUCINOGÈNE 1261
E xposé des travaux d ’EEG sur le sommeil et le rêve dans les P sychoses
délirantes (1). — A l’origine deux types de sommeil ont été différenciés chez le Sujet
lent et les phases de mouvements oculaires dans les états confusionnels et délirants »,
Symposium « Activité onirique et conscience », Lyon, décembre 1965, in « Rêve
et conscience » Paris, 1968, P. U. F . 17 — L airy (G. C.), Barte (H.), G oldstei-
nas (L.) et R idjanovic (S.), « Sommeil de nuit des malades mentaux. Étude des
bouffées délirantes », in « Le sommeil de nuit normal et pathologique. Étude électro-
encéphalographique ». Électroencéphalographie et Neurophysiologie clinique. Nouvelle
série (vol. n° 2), éd. Masson, Paris, 1965, p. 353-381. 18 — L airy (G. C.), G oldstei-
nas (L.) et G uennoc (A.), « Les troubles du sommeil chez les malades présentant des
syndromes confusionnels et démentiels », Revue Neurologique, 1966, t. 115, n° 3,
p. 498-507. 19 — R idjanovic (S.), « Problèmes physiologiques et psÿchopatholo-
giques du sommeil des vieillards », Thèse, Paris, 1963. 20 — S alzaRulo (P.),
V idal (J. C.) et B arros F erreira (M. de), « Étude polygraphique des phases inter
médiaires du sommeil des malades mentaux comparées aux phases de mouvements
oculaires », Rivista sperimentale di Freniatria, vol. XCII, fase. II, 30 Aprile 1938,
p. 476-496. 21 — V idal (J. C.), « Étude électroencéphalographique et clinique de
la phase intermédiaire au cours du sommeil de nuit des malades délirants aigus et
choniques et du Sujet normal », Thèse, Lyon, 1966. 22 — Beauroy (R. P.), « A pro
pos d’une observation psychiatrique », Thèse, Paris, 1969, 182 pages.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PROCESSUS HALLUCINOGÈNE 1265
les signes objectifs d’éveil comportemental, le contact ne s’établit qu’après une longue
période d’un état que l’on pourrait comparer à un état somnambulique au cours
duquel tous les symptômes morbides apparaissent dramatiquement amplifiés. Dans
les états aigus, l’angoisse est au maximum et colore, plus encore qu’à l’état de veille,
la symptomatologie confusionnelle ou délirante; les expériences relatées alors n’ont
rien de commun avec le rêve, ce sont des vécus d’angoisse ineffable, de morcellement
ou de transformation corporelle associés à des sentiments douloureux d’impuissance
motrice, de chute, dans le vide, etc. Autre différence avec les réveils en phase de
mouvements oculaires, les malades réveillés en phase intermédiaire doutent ou nient
qu’ils ne soient endormis, mais le lendemain ces épisodes, même verbalisés pendant
la nuit, sont recouverts d’amnésie. Dans les états chroniques, ces différences s’estom
pent, l’angoisse est moins vive, les rêves et les thèmes délirants moins bien exprimés
lors des réveils en cours de nuit; les difficultés de contact et d’extériorisation persistent
lors des réveils en PI.
Les formes de passage d’un niveau à un autre dans l’évolution d ’une même
psychose ou sous l’influence d ’un même processus, constituent la démonstra
tion empirique de cette hypothèse solidement établie sur l’expérience clinique
des « psychoses délirantes aiguës » (Études psychiatriques, tome III).
— Mais il n’en est pas ainsi. Ou tout au moins il ne paraît pas en être ainsi.
Sauf à nous résigner à diviser ce que le genre hallucinatoire unit, nous devons
donc nous demander si malgré l’apparence les formes du délire qui se carac
térisent par leur lucidité, leur discursivité, leur travail idéo-verbal et même leur
construction raisonnante dans l’ordre et la clarté d’un champ de la conscience
bien organisé, si ces formes de délires dits « systématiques » ne sont pas réduc
tibles au modèle fondamental de la désorganisation de l’être conscient. Comme
ce renversement de tendance est difficile ei qu’il se heurte à une longue et lourde
tradition, nous devons nous attendre à ce que l’exposition et la démonstration
de cette partie capitale de notre thèse de la « structure négative » de l’Hallu
cination soient particulièrement difficiles.
Rien, en effet, ne paraît plus évident aux non-cliniciens, aux mauvais clini
ciens ou aux contestataires systématiques du fait psychopathologique, que
l’absence de processus; c’est-à-dire de structure formelle hétérogène au déve
loppement normal de la personnalité chez tant de délirants raisonnants, d ’une
lucidité effrayante et dont le Délire se développe dans l’ordre et la clarté.
C ’est cette évidence que nous devons ébranler en ouvrant les yeux de ceux qui
ne le voient pas ou ne veulent pas le voir, que les Délires chroniques, les Psy
choses par excellence, tels que nous les avons longuement étudiés dans notre
5e Partie, manifestent sous leur apparente clarté et au-delà de leur compréhen
sibilité (qui les assimile aux croyances, aux passions, aux imaginations que Ton
observe chez tous les hommes) un bouleversement des infrastructures de la
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DÉLIRIO-HALLUCINOGÈNE 1271
Nous pouvons être brefs ici sur ce problème déjà longuement analysé
{supra, p. 756 et 821). Mais nous devons préciser la structure négative de ce
processus délirio-hallucinogène, — puis nous demander ce qu’il peut encore
avoir de commun avec le phénomène sommeil-rêve pourtant si évidemment
éloigné, voire absent du tableau clinique.
Pour ce qui est du premier point, nous devons revenir encore (1) sur la notion
de « processus » telle qu’elle a été exposée par K. Jaspers (et depuis lors si souvent
contestée par Kehrer, J. Lacan, P. Matussek, Hâfner, A. de Waelhens (2), etc.).
Nous devons rappeler que dans sa conception originale et originaire (3), K. Jas
pers admettait trois formes d ’existence : l’une appelée « développement psy
chique de la personnalité » qui n’est rien d’autre que l’auto-construçtion du Moi
à partir des événements de l’existence et en fonction de son système de valeurs
accordées à celle des autres. Cette forme de développement de l ’être conscient (4)
(1) Cf. sur tous ces points, la revue générale de G. H uber , Zbl. Neuro., 1954.
1274 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) « Man stösst, wie immer heim echten Wahn an eine Mauert) (On se heurte
toujours dans le vrai délire à un mur) dit Kurt Schneider pour qui « Wo wirklich
Wahn ist, hört das charakterogene Verstehen auf und wo man verstehen kann, ist
keine Wahn (là où il y a un vrai délire la compréhension caractérogénique s’arrête,
et là où on peut comprendre il n ’y a pas de Délire). Pour si désagréable ou peu heu
ristique que soit cet axiome, il doit être tenu pour le principe même de la dure réalité
psychopathologique, unique objet de la science psychiatrique, car c’est la fonction
même de la Psychiatrie que d ’avoir affaire à ce pathologique. C ’est aussi son seul
mérite que de pouvoir s’en tirer avec succès. Sinon, en effet, « pourquoi des Psy
chiatres » ?
(2) G. de C lérambault, « Sur le mécanisme fonder de certains délires interpré
tatifs ». Congrès des Aliénistes de Rabat (1933).
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PROCESSUS HALLUCINOGÈNES 1275
(1) C’est bien le moment crucial de souligner que pour nous les « Pseudo-Hallu
cinations » (Hallucinations psychiques) sont tout simplement des Hallucinations.
(2) Cf. sur ce point « La Conscience », 2e édition, 1968, p. 278-282 et p. 416-421,
et surtout mon Rapport au Congrès de Madrid (1966) dont le texte intégral a été publié
dans l'Évolution Psychiatrique, n° 1, 1970.
1276 MODÈLE O RGA NO-D YNAMIQUE
Tout ce que nous venons de dire et répéter sur le fond délirant plus ou
moins apparent sur lequel apparaissent les configurations hallucinatoires, doit
maintenant être envisagé précisément avec une particulière attention pour les
cas inverses de ceux que nous venons d’exposer et où les Hallucinations
n ’apparaissent être qu’un phénomène isolé élémentaire et par lui-même « déli-
riogène ». Les principaux faits cliniques qui posent ce problème théorique
répondent aux concepts de Psychose hallucinatoire chronique, dans l’école
française et jusqu’à un certain point de Paraphrénie (E. Kraepelin) ou à'Hallu-
zinoze (Wernicke) dans l’école allemande.
Nous pouvons ici encore recueillir le fruit de nos précédentes analyses
cliniques (p. 830-834) : celles qui nous ont déjà permis de décrire ces divers
types d ’ « états hallucinatoires » dont on serait tenté de dire qu’ils sont « sans
délire » ...— et celles, pathogéniques, (p. 962-974) qui nous ont permis de réfuter
la thèse d ’une production mécaniste d ’atomes hallucinatoires. Tout parti
culièrement lorsque nous avons exposé le « modèle linéaire mécaniste » nous
avons indiqué qu’un des corollaires, sinon un des postulats, de la pathogénie
mécanique du phénomène hallucinatoire consistait à considérer l’Hallucina
tion comme un phénomène d ’excitation idéo-sensorielle élémentaire qui serait
si peu l’effet du Délire qu’il en serait au contraire la cause.
Si nous envisageons d ’abord les cas appelés (ou plus exactement ne sont
plus guère ainsi appelés) « Paraphrénies » par l’école allemande, nous pouvons
rappeler qu’à nos yeux ils représentent une production importante de Délires
chroniques (environ 20 %). Ils ont une évolution spontanée vers ce que nous
avons appelé la « diplopie fantastique » parce que le délirant y partage son exis-
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE — PROCESSUS HALLUCINOGÈNES 1277
— Quant aux cas appelés « H alluzinoae » (1) par C. Wernicke (1900) et qui
ont été spécialement décrits par l’école allemande dans l’intoxication alcoolique,
le travail de P. Mouren, A. Tatossian et coll. (1965) expose en termes très clairs
le problème. La « conscience hallucinosique », disent-ils assez paradoxalement,
est une organisation (et non une désorganisation) de la conscience, refusant de
souscrire à notre propre conception de la déstructuration du champ de la
conscience on ne sait pas trop pourquoi), car ils font état du travail de Bash (1957)
sur la psychopathologie des psychoses symptomatiques où cet auteur, dans la
perspective même où nous nous plaçons, décrit des troubles de l ’intensité, de
l’extension et de la Gestaltisation des configurations de la conscience; et nous
disons bien dans la même perspective que la nôtre, car, en dernière analyse, tout
en admettant des dissolutions systématiques locales et parallèles, c’est en fin de
compte la « Gestaltzerfall » qui constitue pour ces auteurs le fond même du trou
ble, dé la régression qui fait tomber l’organisation du champ de la conscience
à un niveau délirant et hallucinatoire. « Hallucinatoire », cela est évident, mais
« délirant » est, pour nous, un aspect phénoménologique aussi évident si par déli
rer nous devons dans ce cas entendre (dans le sens même du terme « delirium ») le
fond d’un imaginaire vécu qui fait le lit à la configuration perceptive, c’est-à-dire
à l ’Hallucination. Il ne fait pas de doute en effet que tous ces « états d'Hallu
zinose » (dont P. Schröder, 1925-1930, a fait une étude critique très approfon
di) Gf. l’exposé du problème et les descriptions que nous avons déjà eu l’occasion
de présenter dans cet ouvrage (p. 221-222 et p. 242 et p. 450, notamment).
1278 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
positive, réactionnelle et hédonique. En cela, c’est bien l’idée que s’en faisait
Eugène Bleuler que confirme notre expérience comme celle de Manfred Bleu
ler (1972).
Pour Bleuler, en effet, le processus dont la nature organique lui paraît
incontestable engendre directement les signes primaires (c’est-à-dire les troubles
négatifs au sens de H. Jackson), mais aussi les réactions ou les productions idéo-
affectives (l’autisme, le Délire et les Hallucinations notamment) qui corres
pondent à la symptomatologie « positive » de H. Jackson se greffent sur ces
troubles négatifs. Tout se passe en effet dans ce « groupe de Schizophrénies »
comme si l’état de dissociation (trouble des associations, Spaltung, etc.) engen
drait seulement indirectement la série des symptômes secondaires qui « consti
tuent l’essentiel du tableau clinique », c’est-à-dire des manifestations qui en
forment la symptomatologie la plus riche et parfois « floride ». Autrement dit,
pour E. Bleuler comme pour H. Jackson ou comme pour nous-même, affirmer
que la condition négative de la maladie (le processus de désorganisation) est
primordiale n’empêche pas de considérer que l’ensemble des symptômes ne
sont pas des produits directs et en quelque sorte mécaniques du processus
pathogène. C’est bien dans ce sens en effet que s’impose l’entrecroisement
nécessaire de la perspective du « Erklären » (processus) et du « Verstehen »
(symptomatologie positive ou secondaire), et c’est en ce sens que je disais
(1957) que le processus schizophrénique est tout à la fois une impuissance et
un besoin. L ’explication processuelle nous permet de saisir les modalités
régressives ou désorganisées de la conscience et de l’existence où s’engagent
nécessairement les forces inconscientes de la personnalité. Car, bien sûr, et
Bleuler le dit très explicitement, le processus de désorganisation schizophré
nique aboutit à l’organisation d’une vie autistique (délirante et hallucinatoire)
qui est analogue à celle du rêve qu’engendre le sommeil. Elle consiste à substi
tuer le « processus primaire » de l'Inconscient (Freud) au « processus secon
daire » de l’activité de l’être conscient. C’est sur ce modèle de la relativité des
troubles secondaires aux troubles primaires, des troubles positifs aux troubles
négatifs qu’ont porté toutes les discussions sur la nature du processus schizo
phrénique (J. Berze, W. Mayer-Gross, E. Minkowski, J. Wyrsch, A. Storch,
P. Matussek, etc.). Et même lorsque sous l’influence des écoles psychanaly
tiques on a une tendance (1) avec R. D. Laing (1960), A. de Waelhens (1972)
ou G. Deleuze (1972) à oublier et même à nier le concept fondamental d’un
processus générateur négatif (2) pour ne s’intéresser qu’aux modalités des
investissements libidinaux (3), le concept de régression est là, non point seule-
ment comme une clause de style (si brillant et imagé, soit-il), mais comme pour
exprimer Je fait même d ’un trouble fondamefttal de l’organisation et du déve
loppement de la vie psychique des schizophrènes.
On comprend que dans cette conception pathogénique de la maladie le
Délire en soit d’abord la manifestation fondamentale et que l’Hallucination
en soit ainsi l’expression « secondaire ». Effectivement, analyser la pensée
du schizophrène et l’organisation autistique de sa personnalité, c’est mettre
en évidence avec E. Bleuler, avec J. Wyrsch ou L. Binswanger que
« sa-manière-de-n’être-pas-au-monde » le fait vivre dans un autre monde. De
telle sorte que l’interférence et l’osmose de plus en plus profondes de l’imagi
naire et du réel créent une irréalité dont le Délire constitue l’horizon et les Hal
lucinations les qualités temporo-spatiales des objets symboliques, « objets »
de l’autistique « Eigenwelt » (J. Wyrsch) avec lesquels le Sujet entre dans une
relation radicalement falsifiée ou purement phantasmique.
D ’où naturellement l’énorme importance des analyses et travaux (1) sur la
perception des Schizophrènes et leurs Hallucinations (Wahnwahrnehmungen)
que nous devons tout particulièrement à l’école allemande et aussi à
l’école psychanalytique (Freud ; C. G. Jung, 1901; Ferenczi, 1911; V. Tausk,
1919; Mélanie Klein, 1920-1947; R. Sullivan, 1924-1945; Federn, 1943;
M. A. Sechehaye, 1947; Schultz-Henke, 1952; J. N. Rosen, 1953; F. Fromm
Reichmann, 1952-1954; S. Nacht et P. C. Racamier, 1958; A. H. Modell
(1962, in West); G. Pankow, 1969, etc.). Et nous n’en finirions pas d’énumérer
ici les innombrables études psychopathologiques ou psychanalytiques qui
mettent en évidence le trouble primordial de la pensée, la régression narcissique
et le retrait des investissements libidinaux chez les Schizophrènes. Car, en
effet, au regard de la théorie freudienne l’Hallucination en tant que relevant
d’une force inconsciente du désir, ou au regard d ’une conception (plus proche
de la nôtre) comme celle de Federn qui rend compte de l’omnipotence du prin
cipe archaïque du plaisir par la faiblesse du Moi, l’Hallucination est tout natu
rellement l’effet de la régression phantasmique que manifeste tout déüre. Il s’agit
d ’une telle masse de travaux convergents et si connus que nous ne croyons pas
nécessaire d’insister sur le fait que l’Hallucination des Schizophrènes (en
quelque sorte spécifiquement « entendue » par la communication des voix ou
éprouvée comme une mécanisation ou une transformation du corps) est
évidemment dépendante de l’ensemble du bouleversement schizophrénique
qui tend à substituer au système de la réalité (à la perte de la réalité) une autre
réalité, un au-delà ou un en deçà de la réalité dans lequel s’institue sur le plan
autistique de l’imaginaire la communication hallucinatoire (Er. Straus, 1962,
in C. R. du Symosium de Washington par West). C’est d’une défaillance, ou
d’une déchéance (Verfallen) de la présence au monde que la voix se ferait
(1) C’est autour de la notion de « Defekt » que l’on se bat depuis K raepelin .
Pour E, B leuler (1911), la « schizophrenische Verblödung » n’est pas une démence
— Pour M. B leuler (1972), les « Endzustände » sont moins déficitaires qu’il ne le
paraissait il y a 50 ans — Pour A. de W aelhens (1972), c’est un mythe, et pour
G. D eleuze la Schizophrénie c’est la plus pure, la plus puissante force de cet « ali-
quid » qu’il nomme la machine désirante. Après avoir observé pendant 50 ans des
centaines de Schizophrènes, j ’ai pu exposer plus haut que c’était pour moi le pro
cessus organo-dynamique de la Schizophrénie (cf. supra, p. 745-800 et p. 845-850).
1282 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) N ous nous référons ici à ces faits et à ces travaux d ’après H. H écaen et J. de
A juriaguerra , « Méconnaissances et Hallucinations corporelles », 1952, p. 283-292.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES ÉlDOUES 1283
(1) C’est pour mémoire que nous faisons allusion ici au modèle linéaire psychana
lytique; car, bien entendu, lorsqu’il s’agit d’Éidolies hallucinosiques (malgré qu’elles
aient pu être parfois interprétées dans certains cas ambigus comme des « Pseudo
hallucinations » hystériques et le plus souvent de simples illusions affectives et rap
prochées des illusions psychonomes), le caractère pathologique éclate avec tant
EY. Traité des Hallucinations, il. 42
1284 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Ce que nous avons exposé plus haut sur le modèle jacksonien de la disso
lution des fonctions et la critique constructive de Richard Jung, nous montrent
que les fonctions neurophysiologiques ne peuvent se résoudre à une struc
turation physico-mathématique et que les processus nerveux sont intégrés
dans un plan d ’organisation, dans un ordre qui doit nous permettre de pour
suivre ce plan de l’organisation de la logique morphologique et physiologique
du système nerveux jusque dans les « fonctions les plus élémentaires » des
connexions synaptiques qui intègrent l’information (c’est-à-dire la sélectionnent)
au niveau de l’organe des sens et des centres spécifiques cérébraux.
giste américain R. W. Girard) que sont les réseaux dendritiques des synapses.
Les expériences de microphysiologie sont à cet égard très intéressantes à suivre.
Par exemple l’étude si minutieuse faite par R. Granit (1963), par G. S. Brind-
ley (1955 et 1962), par H. K. Hartline (1949 et 1969), etc., D. R. Cropper et
W. K. Noell (1963) ont montré que l’excitation photique ou électrique des
cellules de la rétine ne s’exerce pas « mécaniquement », c’est-à-dire comme une
stimulation exogène pure et simple, car elle rencontre un dispositif fonctionnel
où s’équilibrent des phases d ’inhibition et de facilitation. De telle sorte que,
dès ce premier relais synaptique ganglionnaire et même au niveau propre
ment glio-neural des cellules horizontales et bipolaires, il existe déjà un certain
ordre de réponses en quelque sorte préalables à l’action du stimulus. Tout se
passe comme si à ce niveau des premières synapses le stimulus ne pouvait agir
par lui-même, le seuil et l’efficacité de son action étant limités par l’ordre phy
siologique auquel il est expérimentalement appliqué (cf. supra, p. 1156 et
p. 1178).
Ainsi, même à ce niveau des fonctions élémentaires neuronales (I) et
contrairement aux modèles purement mécaniques — y compris les modèles
cybernétiques comme nous y avons insisté plus haut en nous référant aux études
de R. Jung, de H. K. Hartline, de G. S. Brindley, de A. J. Bogolowski et
J. J. Segal, etc. (cf. supra, p. 937-942) — le système nerveux n ’apparaît pas seu
lement comme un réseau de fils électriques, même pas d’ondes électromagné
tiques transmettant l’information. Il représente, ou plutôt, construit un ordre,
celui de la réalité qui exige non seulement l’application d’un programme_géné-
tique, mais encore que celui-ci réserve une part facultative d ’adaptation,
c’est-à-dire de finalité propre à sa vie de relation personnelle.
Dès lors, nous pouvons bien dire que l’idée d’excitation mécanique (ou
d ’excitation électrique) portée sur un système organisé a bien peu de chances
d ’y produire un « message », l’injection d’une telle stimulation inadéquate
dans un système finalisé ayant une infinité de « chances » par contre de détruire,
ou tout au moins de gêner non seulement la circulation mais encore la formation
de l’information que seule l’organisation du système nerveux permet. R. Jung
insiste tout spécialement sur ce point. Il nous rappelle un très intéressant tra
vail de J. F. Tönnies (2) qui, effectivement pour l’époque (1949), est déjà très
représentatif de ce que l’on pourrait appeler les tendances organo-dynamiques
de la Neurologie, en ce sens que pour lui tout le S ystème n erv eu x c en tra l
EST ORGANISÉ ET DIRIGÉ DANS LE SENS DE LA LUTTE CONTRE L’EXCITATION. Autre
ment dit — nous y avons particulièrement insisté à propos des structures du
highest level de la conscience — l’organisation de ces niveaux supérieurs est
(1) G. van den Bos (/. de Physiologie, 1966, p. 337-363) a même montré que post
mortem l’activité électrique de la rétine continuait pendant un certain temps à être
automatiquement réglée.
(2) J. F . T önnies. Die Erregungsteuerung in Zentralnervensystem. Erregungs
fokus der Synapse und Rückmellung Funktionsprinzipien. Archiv Psych. und
Nervenheil., 1949, 182, p. 478-535.
1288 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Nous devons à P. L äget (J. de Psychologie, 1970, p. 133-149) une excellente
étude des codes et codages en neurophysiologie sensorielle qui peut heureusement
compléter ce que nous avons déjà exposé plus haut (p. 1092) quand nous avons une
première fois esquissé la psycho-physiologie des organes des sens. Il s’agit d’une inter
prétation très stricte (c’est-à-dire conforme à la théorie de l’information de Shannon )
qui a bien du mal, bien sûr, à se débarrasser du pouvoir de décision, c’est-à-dire de
l’acte opératoire essentiel de la perception (F. B resson, « L a place de la décision dans
l ’activité psychique », J. de Psycho., 1963, 60, p. 37-61 ; — Y. B aumstiler, « Peut-on
parler de décision dans la perception ? », Bulletin de Psycho., 1969-1970,23, p. 56-62).
Sans doute peut-on toujours diluer la « motion » ou la décision dans un appareil
statistique, mais Y. B aumstiler après avoir critiqué la « théorie des seuils », montre
que la théorie de la décision statistique de Tanner et Sivets permet, somme toute
(et si je Fai bien compris), d’introduire l’activité du Sujet dans l’acte perceptif... (de
réconcilier H elmholtz et P ieron avec H ering et Er. S traus !).
(2) Lorsque la lumière constitue une « patterned light stimulation », comme par
exemple une organisation de contraste, on dit qu’il s’agit d’une configuration, d’un
« pattern » qui forme une information.
(3) P. G uiraud , « Représentation et Hallucination », Paris Médical, 1932, 2.
p. 120-125.
1290 MODÈLE O RGA NO-DYNAMIQUE
continu de toute la surface du corps qui constitue l’écran tactile ». Il en est ainsi
pour tous les sens : pour chacun, il existe un « champ de silence » qui constitue
comme la potentialité de conquérir l’espace ambiant, le monde des objets.
Et ce fond n’est pas, remarque avec profondeur le neurophysiologiste
Richard Jung (1), le simple « white noise » de machines électroniques car il est
lui-même signifiant ; ce « tonus » sensoriel physiologique est en effet vivant et
représente l’infinité des stimulations endogènes : la constance de l’inconscient
désir de percevoir quelque chose, ou plus radicalement encore, le désir qui
tient, même fermé, l’organe des sens éveillé.
Si nous prenons cette expression (organe des sens) non pas seulement pour
la partie dite périphérique mais pour la totalité des structures transanato
miques qui assurent l’intégration d’un système perceptif spécifique, l’organe
des sens nous apparaît littéralement bombardé de Stimuli provenant de l’envi
ronnement, des structures spécifiques propres au récepteur (aux stimulations
proprioceptives) et aux stimulations internes qui, effectivement, ne cessent pas
de faire interférer les Stimuli externes aux phantasmes virtuels dont ils sont
l’occasion réciproque.
La notion d ’ « excitant physiologique » doit donc être tout à la fois étendue
à toutes les simulations externes, proprioceptives et internes sans que l’action
d ’un stimulus quelconque soit jamais ni nécessaire ni suffisante pour déclencher
la perception. Ceci bien précisé, nous pouvons admettre que trois «patternings »
sont possibles, c’est-à-dire susceptibles d ’affecter à un train de Stimuli un coeffi
cient d ’information : les formes provenant de l’environnement — les formes
provenant du milieu prppre à l’organe des sens — les formes provenant de la
représentation de phantasmes virtuels qui hantent (ou doublent) l’activité
perceptive.
Et c’est effectivement à cette architectonie transanatomique que nous conduit
alors le schéma d’un système perceptif (ou organe des sens) tel que nous
l’avons décrit (çf. p. 1143-1175), mais tel qu’il doit ici nous être rappelé pour
nous permettre d’engager le difficile problème pathogénique des Éidolies
vers une solution.
Nous devons décrire un organe des sens comme un appareil à trois dimen
sions. La première étant constituée par la codification des informations spé
cifiques provenant du milieu extérieur et de l’organe même; — la seconde par
la régulation non spécifique de son activité; — et la troisième par la constante
intervention des phantasmes virtuels dans l’acte perceptif.
(1) C’est cette modalité d’activité noétique automatique que H elmholtz, nous
l’avons vu, appelait le « jugement inconscient de la perception ».
1292 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
travers des trois grands relais synaptiques parvenant aux centres spécifiques sen
soriels, ne change ni de sens ni de structure en transportant les signaux au tra
vers de leur transformation en messages jusqu’aux centres spécifiques pri
maires. De sorte que l’area striata est bien une « rétine corticale », comme la
rétine est déjà un centre d ’analyse ou de codage perceptif. Nous soulignerons
dans un instant l’importance de ce point de vue transanatomique pour la
compréhension surtout des Hallucinations élémentaires (phosphènes, figures
géométriques, sons, etc.), c’est-à-dire des protéidolies que l’on observe dans
les lésions cérébrales.
L ’ « organe des sens » (au sens large qui englobe tout l’analyseur percep
tif) nous apparaît alors dans son véritable sens, celui de l’organisation de
son fonctionnement. Il est essentiellement un appareil de transformation, de
codification des Stimuli externes et internes qui entrent dans un système d ’infor
mation objectif A quelque niveau que nous considérions cette transformation,
elle est essentiellement une « mise en forme » de l ’information extraite du
monde des objets au sens large du terme par l’intentionnalité du Sujet qui est
l ’auteur de « toute Gestaltisation ».
/
IV PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES ÉIDOLIES 1295
lui, doit de ne pas être. Pour tout dire, elle est l’ombre de tout objet et forme
le contraste ou le complot que, pour paraître, doit dominer l’objet à percevoir.
Nous avons déjà assez insisté (suivant ainsi le courant de pensée qui va de
Maine de Biran à H. Bergson, mais aussi de Ch. Féré, T. Ribot à J. Stein,
V. von Weizsâcker, etc.) sur l’importance des phantasmes virtuels de tout
acte perceptif pour nous borner ici à rappeler que les organes des sens — si
nous les envisageons seulement dans leur portion périphérique — sont des
appareils à distinguer non pas des qualités sensorielles élémentaires entre elles,
mais les contours qui séparent le réel de l’imaginaire, ce qui naturellement
suppose que celui-ci est toujours là aussi infiniment présent par le flux de ses
images que celui-là est toujours aussi infiniment présent par le flux de ses
Stimuli.
B. Bipolarité du système perceptif
(1) Le travail de M. J. H orow itz (1964) est à cet égard très intéressant (çf. plus
loin, p. 1300).
(2) J. P. Villamil. El papel del campo sensorial externo en la genesis
de las alucinaciones visuales. Arch. de Neurobiologia, 1933, p. 81-98,
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES ÉIDOUES 1297
vit aussi des figures de couleur sombre et de signification imprécise, des scènes
désagréables aussi qu’il revivait dans son imagination, disait-il. Exaspéré il
décida de se suicider et se tira un coup de pistolet qui provoqua une fonte
purulente des globes oculaires. Avec leur disparition les phénomènes halluci
natoires disparurent. Mais quand il mourut l’autopsie montra qu’il avait un
tuberculome du lobe occipital gauche. Il y a bien dans ce cas (comme dans
d ’autres où, inversement, la désafférentation sensorielle, spontanée ou expé
rimentale produit des phantéidolies) de quoi alimenter la querelle des partisans
de l’origine « périphérique » ou centrale des Hallucinations !
Inversement, en effet, les stimulations électriques temporales ne produisent
des Hallucinations complexes (W. Penfield), c’est-à-dire des phantéidolies, que
lorsque précisément elles paraissent provoquer non pas une irritation des
centres supérieurs mais une dérégulation de la fonction réel-imaginaire qui fait
partie intégrante, nous l’avons vu, de tout système perceptif.
De telle sorte que ce n ’est jamais à une excitation d ’engrammes et confor
mément à leur ordre de superposition que peut être constamment et spatia
lement rapportée une image hallucinatoire complexe ou une image halluci
natoire élémentaire. Cette nouvelle manière de considérer (Ed. V. Evarts, 1958,
in West) le problème des rapports des Hallucinations, et particulièrement des
Éidolies hallucinosiques avec les conditions pathologiques du cerveau et des
organes des sens, s’impose semble-t-il de plus en plus dans la mesure même où
on donne beaucoup plus d ’importance pour la formation de l’image halluci
natoire à une condition négative (désintégration du champ perceptif, altération
de l’arousal perceptif) qui peut se produire à des niveaux anatomiques très
différents, alors que ce sont des régimes d’activité plus ou moins dégradés de
l’ensemble ou des divers systèmes fonctionnels que dépendent les symptômes
positifs qui en manifestent la dégradation. En cessant d ’apparaître comme un
phénomène purement positif créé par une excitation mécanique, PÉidolie hallu-
cinosique (se rapprochant en cela de l’ensemble des Hallucinations) apparaît
comme un phénomène de bas niveau fonctionnel qui ne dépend pas directement
et nécessairement de sa localisation à tel ou tel étage du système nerveux central.
Cela rend vaine la querelle que G. de Morsier n’a jamais cessé d ’entretenir
avec les partisans de l’action pathogène des lésions périphériques, car celles-ci
peuvent être hallucinogènes (et à divers niveaux) au même titre que des lésions
cérébrales. L ’hypothèse théorique proposée par M. E. Scheibel et A. B. Schei-
bel (1958) faisant jouer un rôle capital à la formation réticulée dans la modu
lation des seuils au niveau des synapses (dendrites et éléments post-synaptiques)
de tous les niveaux du système perceptif, mérite une particulière attention (1).
L ’apparition de n-o-b (sensory phenomene, « non object bound ») est, pour eux,
l’effet d ’une altération fonctionnelle portant sur le seuil d ’activité dendritique
(1) Nous avons exposé à plusieurs reprises (p. 363, 462, 552, etc.) les observa
tions et interprétations portant sur le rôle du centrencéphale, du système limbique et
du système activateur ascendant
1298 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) Il est assez remarquable que dans leur monographie {Argomenti di Neurofisio-
logia clinica, 1968) S. M ellina et R. V izioli consacrent un petit chapitre aux « bases
neurophysiologiques des Hallucinations » ne se référant qu’aux travaux du Sympo
sium de Washington (E. V. E varts, L. W est et les Scheibel) qui ont ensemble
orchestré le thème que nous reprenons ici.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES ÉIDOLIES 1301
R. Hernandez Peon prend acte d ’abord des deux modalités (unanimement recon
nues de sommeil : le sommeil lent sans rêve et le sommeil rapide (PMO en français et
REM) en anglais) avec des mouvements oculaires et avec activité onirique. Pour lui,
l’hypothèse dualiste de M. Jouvet ne doit pas être retenue car le mécanisme hypnogène
est toujours et nécessairement en rapport avec les structures mésencéphaliques qui jouent
tout à la fois le rôle d ’activation et d ’inhibition de l’écorce. Mais encore faut-il bien
entendre que la veille se caractérisa elle-même par l’activation de l’inhibition corticale
(c’est-à-dire, au fond, du processus de différenciation et de désynchronisation propre
à l ’arousal et à la vigilance). De telle sorte q u ’il est assez facile de jouer sur les mots
en admettant dans le sommeil lent sans rêve (ou sommeil léger) une désinhibition du
cortex — et un recrutement actif des noyaux thalamiques — lorsque l ’inhibition ascen
dante, provenant du mésencéphale, est relâchée, comme ils sont au contraire inhibés
par les neurones hypnogènes (p. 630) au fur et à mesure que progresse l’inhibition
hypnogène et le recrutement bulbo-pontin des neurones inhibiteurs. Il se produit
alors une sorte de renversement (is produced with a faster rising sloge) du processus
de synchronisation, c’est-à-dire la fin du sommeil lent. Tel est le modèle moniste des deux
variétés de sommeil que propose R. Hernandez Peon (1). Cela revient à dire en clair
que pour lui toute la régulation du régime sommeil-rêve se passe au niveau mésencépha-
lique, ce qui, en effet, est bien probable. Plus intéressante est à nos yeux la remarque
que fait R. Hernandez Peon en rappelant l ’idée première de Berger, à savoir que ce qui
caractérise l’activité corticale du cerveau éveillé, de Varousal, c ’est précisément l’inhibi
tion. Et à condition, comme nous avons eu l ’occasion de le faire remarquer à plusieurs
reprises, de ne pas confondre ce processus d ’inhibition (qui n ’est rien d ’autre que
celui de la différenciation, c’est-à-dire des exercices de la pensée, qui se construit en
fonction de ses règles) avec celui d ’un ralentissement ou d ’un freinage, il est bien
exact de dire que le sommeil « nivelle » (c’est-à-dire supprime) les inhibitions sélectives
(1) En exposant plus haut les recherches qu’avec C. L airy j ’ai dirigées (Psycho
physiologie du sommeil et du rêve, à paraître prochainement, Paris, éd. Masson), j ’ai
eu soin d ’indiquer (cf. supra, p. 162) q u ’avec les travaux de D . F oulkes , de R. J. B er
ger , de I. F einberg , etc., les rapports entre phases de sommeil rapide avec PMO,
rêve et activité hallucinatoire n ’étaient pas aussi simples qu’on le croyait il y a quelques
années (K leitman , D ement, etc.), de telle sorte que, à cet égard, R. H ernandez P eon
se rapproche davantage et par anticipation à l ’opinion de D . F oulkes , de R. J. B er
ger et de I. F einberg , et de la nôtre.
1302 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
Si encore une fois nous avons donné ici une telle importance à ce Mémoire
de pure interprétation spéculative écrit par un neurophysiologiste, c’est bien
pour montrer qu’aussi et surtout les modèles architectoniques des niveaux
d ’organisation et de hiérarchie des régimes dü système nerveux central s’impo
sent, même à ceux qui sont les plus enclins aux interprétations mécanistes
électroneurophysiologiques et les obligent à penser leur théorie de l’Halluci
nation dans la perspective même où nous nous plaçons ici, en examinant
précisément les phénomènes hallucinatoires (Éidolies) qui paraissent pourtant
le moins s’y prêter.
Malgré le caractère conjectural de telles conceptions, leur convergence ne
peut manquer d’être impressionnante en indiquant la direction qu’ont prise
les nouvelles théories de l ’Hallucination (le plus souvent étudiées par les neuro
physiologistes sous la forme qui leur paraît la plus sûre, c ’est-à-dire la plus isolée,
c’est-à-dire proprement éidolique). Il ne s’agit plus, en effet, depuis J. Stein,
V. von Weizsâcker, de mettre en évidence la vertu hallucinogène de l ’excitation
des nerfs et des centres sensoriels, mais la désintégration fonctionnelle qui libère
le monde des images dans un champ ou une partie du champ perceptif.
A cet égard, la référence à Yisolement sensoriel revient sans cesse comme le
leitmotiv de cette nouvelle orientation de la pathogénie « négative » de l ’Hal
lucination même élémentaire (cf. p. 709 et 977-980). C’est qu’en déconnectant
les systèmes perceptifs on réalise une condition expérimentale essentiellement
négative de l ’apparition des images hallucinatoires. Revenons donc sur ce
que nous avons exposé sur la « Perceptive deprivation », sur la désaf
férentation pathologique ou expérimentale, et arrêtons-nous un peu à la
considération des faits plus probants ou les plus patents. Ils doivent nous
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PH A NTÉID OLIES 1303
perm ettre d ’envisager dans une perspective féconde la pathogénie des Éidolies.
Il est bien certain que lorsque nous ferm ons les yeux ou que nous nous
bouchons les oreilles, o u que nous som m es dans l ’obscurité, ou bien dans un
vacarm e affreux, c ’est-à-dire toutes les fois q u ’u n cham p perceptif est incapable
d ’assurer sa fonction d ’inform ation, c ’est la fonction de l ’im aginaire qui ap p a
raît, ou ce qui revient au m êm e, la virtualité des « Stimuli » internes que contient
la m ém oire ancienne ou récente des systèmes perceptifs. A telle enseigne que,
p a r exem ple, o n a p u prétendre, nous l ’avons vu, que les phénom ènes halluci
natoires provoqués p a r la cc sensory deprivation » n ’étaient q u ’une pure imagi
n atio n actualisée p a r l ’occlusion des canaux d ’inform ation, sinon amplifiée
p a r la suggestion. Il en serait dans ces cas com m e p o u r l’expérience à nous tous
com m une lorsque nous im aginons d ’a u ta n t plus que nous som m es m oins
sollicité o u intéressé p a r les Stimuli, p a r les messages, c ’est-à-dire les exigences
du m onde extérieur.
M ais là o ù com m ence vraim ent, nous l ’avons vu, la pathologie hallucina
toire de l ’isolem ent sensoriel, c ’est lorsque précisém ent les phénom ènes ne peu
vent plus être réduits à ce p u r je u altern atif d u réel et de l’im aginaire. E t nous
avons vu que dans l’isolem ent sensoriel se produisait, en effet, un « état hypnago-
gique » qui constituait la toile de fond sur laquelle se détachaient deux ordres
de phénom ènes, fait su r lequel m ettent précisém ent l ’accent G. Ferrari,
L. G iordani et C. F. M uscatello dans lé m ém oire q u ’ils viennent de
publier (1971). — T o u t d ’abord, et assez rarem ent, des visions scéniques cor
respond an t aux phantéidolies, visions qui ne sürviennent que dans une désorga
nisation d u cham p p ercep tif qui n o n seulem ent ne reçoit plus les Stimuli phy
siologiques habituels m ais qui subit un bouleversem ent assez profond po u r
faire surgir des im ages de rêve alors que le C ham p de la conscience n ’est pas
entièrem ent désorganisé. — Ensuite, e t c ’est le cas le plus fréquent, apparaissent
des lueurs, des form es, des flammes, des figures fulgurantes, scintillantes ou
géom étriques (protéidolies) qui paraissent correspondre à la substitution des
Stimuli proprioceptifs d ’organe des sens, aux messages sensoriels qui ne sont
plus reçus ni m êm e, ou com m e nous le verrons, réceptibles.
Ainsi s ’im pose et se vérifie l ’idée que lorsque nous voulons appliquer le
m odèle organo-dynam ique de notre théorie des H allucinations aux fameuses
H allucinations « élém entaires », c ’est encore sur un fond en quelque sorte
« nocturne » ou « silencieux » de désorganisation du système perceptif q u ’elles
fusent o u éclatent, com m e c ’est du fond des ténèbres du sommeil que se déta
chent les im ages du rêve ou, plus exactem ent, com m e c ’est du crépuscule hypna-
gogique de l’assoupissem ent que s’installent, que jaillissent les images du
demi-sommeil.
II. — P A T H O G É N IE DES É ID O L IE S
Envisagées dans leur ensem ble, les Éidolies sont caractérisées p a r la struc
tu re « partielle » du trouble négatif qui les engendre et p ar la structure incongrue
1304 MODÈLE ORGANO-D YNAMIQ UE
de leu r sym ptom atologie positive. N ous entendons p ar là que les images hallu
cinatoires se p résentent com m e des objets contingents rebelles à un encadrem ent
« logique » o u « réel » dans lequel ils sont facultativem ent pris p o u r ce q u ’ils
so n t (Si je vois u n ange traverser m on cham p visuel com m e une m ouche volante
qui ap p araît certes à m on regard, lequel p eu t toutefois s’en déprendre). N ous
devons nous expliquer encore sur ce p o int en précisant que les Éidolies p arais
sent cliniquem ent engendrées p a r des troubles fonctionnels (« W andelfunktion »
dans le sens de V. von W eizsâcker et E. Bay) partiels (même si dans bien des cas
il existe u n fond global de troubles, com m e, p ar exemple, dans certaines obser
vations publiées p a r K . C onrad, P ollak et K ahn, 1962; A nastosopoulos, 1962,
I. et E. G loning et H . Hoff, 1968, etc) et que la production éidolique que ces
troubles engendrent est vécue p a r le sujet et observée par le clinicien com m e des
« fragm ents » anorm aux d ’une activité perceptive troublée, soit dans un sys
tèm e perceptif seul, soit dans plusieurs sphères sensorielles fonctionnellem ent
liées m ais toujours d ’u n niveau « inférieur » à celui de l ’organisation totale du
cham p perceptif. Elles apparaissent dans la zone périphérique » (1) des expérien
ces d u Sujet qui les éprouve sans les intégrer au M oi et à son système de réalité.
Ainsi l’étude que nous allons entreprendre de la genèse des deux grandes
catégories d ’ « Éidolies » est rendue possible et même aisée p a r l’analyse struc
turale que nous en avons déjà faite (cf. Troisième Partie). N ous savons en effet
quels sont leis caractères que ces phénom ènes doivent posséder p o u r orienter
le m odèle théorique que nous recherchons. Cette analyse structurale antérieure
et que nous avons p u vérifier ensuite en étudiant les m anifestations halluci
natoires de type éidolo-hallucinosique des affections cérébrales, de l ’épilepsie,
de l ’action des hallucinogènes, perm et en effet, et perm et seule de dégager une
fois p o u r toutes l’idée que ces Éidolies sont bien des « H allucinations » (ce
concept étan t visé dans sa généralité, c ’est-à-dire en ta n t que fausse perception
o ù le Sujet s ’objective en to u t ou partie), m ais de bien singulières H allucina
tions puisque le Sujet en objectivant quelque chose de ce qui lui appartient en
pro p re l ’aliène sans lui-m êm e s’aliéner. N ous sommes donc nécessairement
renvoyé à la considération qui nous est suggérée p ar les faits eux-mêmes :
q u ’il s’agit de troubles essentiellem ent neurologiques (2). Si, en effet, on définit
l ’objet de la N eurologie o u de la Pathologie nerveuse « stricto sensu » p a r le
syndrom e de désintégration instrum entale de relation (paralysie, troubles du
to n u s ou de l’équilibre, syndrom es sensori-m oteurs, aphasie, agnosie, etc.) en
(1) Étant bien entendu que ne doivent pas être confondus le sens « spatial » et le
sens « existentiel » du mot « périphérique ».
(2) Cf. mon Rapport au Colloquerde Bonneval de 1943 publié (éd. Hartman, Paris)
en 1947, et les controverses qui m ’opposèrent à l’époque à J. de A juriaguerra
et à H. H écaen . Peut-être la réflexion sur ce thème a-t-elle permis ou permettra-t-elle
aux Neurologues et aux Psychiatres de s’apercevoir que la position que je défendis
était la seule qui puisse permettre de distinguer ce qu’il y a de commun et ce qu’il y a
de distinct entre Neurologie et Psychiatrie, c ’est-à-dire à lever l’hypothèque qui pèse
sur la généralité des problèmes théoriques et pratiques de la Psychiatrie.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PH A NTÉID OLIES 1305
1° P a th o g é n ie d e s p h a n té id o lie s .
B lo c a g e e t in v e r s io n d u c o u r a n t d ’in fo r m a tio n .
Les organes des sens, les divers systèmes perceptifs de perception (cf. p. 1125-
1175) sont organisés dans une certaine direction qui est essentiellem ent cen
tripète. C ’est-à-dire que même si les analyseurs perceptifs ne peuvent être consi
dérés seulem ent com m e des « récepteurs » p o u r être aussi des « prospecteurs »,
les courants de l’inform ation qui convergent vers le Sujet et les messages q u ’ils
transcrivent (1) sont estam pillés p a r lui de la valeur d ’une réalité objective.
M ais com m e nous l ’avons égalem ent et longuem ent vu, à ce co u ran t s’oppose
u n co n tre-courant perm anent, celui d u flux des phantasm es, ce pouvoir kaléi
doscopique de l ’esprit d o n t p arlait J. F. W. H erschel (1866) à l’époque mêm e
(1) Cf. ce que nous avons déjà exposé dans le premier chapitre de cette Partie à pro
pos de la théorie de J. J. G ibson et plus généralement sur la théorie de la communica
tion et de l’information depuis les travaux d ’A drian et de S hannon . Rappelons aussi
ici l ’intérêt de l ’exposé q u ’en a fait P. L äget (1970).
1306 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
structure tem poro-spatiale, celle d ’une image ou d ’une scène qui ne se situent
nulle p a rt p o u r être mises entre les parenthèses d u déroulem ent tem porel ou
hors de l ’ordre spatial de l’expérience com m une.
Le caractère « artificiel », « insolite », « irréel » de ces figurations phantéido-
liques est d ’ailleurs plus frap p an t encore que celui qui s’attache au rêve. C ar
le rêve ne peut q u ’être im m édiatem ent vécu m ais ne peut être représenté que
secondairem ent et dès lors son irréalité s’évapore p o u r ainsi dire avec son
souvenir ou le jugem ent rétrospectif qui n ’en fait q u ’un rêve. Les phantéidolies
en se p ro d u isan t dans des conditions de présentation et de représentation
qui p o u r si fulgurantes ou insolites q u ’elles soient, dans leur encadrem ent
tem poro-spatial s’im posant com m e des images extraordinaires ou « abracada
b rantes », révèlent précisém ent l ’originalité de ce travail de rêve partiel qui
constitue leur com m un dénom inateur, m ais d ’u n rêve extraordinairem ent
incongru, ab erran t et déconcertant. C ’est à cette caractéristique form elle que
se réfèrent d ’ailleurs la p lu p a rt des auteurs qui se sont particulièrem ent inté
ressés à la désorganisation d u cham p perceptif (P. Schilder, O. Pötzl, K . C onrad,
et plus récem m ent J. M . B uchard, 1965). Com m e nous l ’avons vu notam m ent
à pro p o s des études de J. Z ad o r sur la mescaline, ces « H allucinations scé
niques » ém ergent de l ’im agination et sont po u r ainsi dire indépendantes des
perceptions encore existantes (pas toujours com plètem ent com m e nous le ver
rons plus loin). M ais il est bien vrai q u ’elles ont tendance à se dérouler dans une
sphère supra- o u trans-sensorielle o ù s’enchevêtrent les qualités spécifiques des
divers sens et o ù p o u r u n m êm e système perceptif elles ont tendance à se super
poser (à l’inverse des protéidolies) aux structures anatom o-physiologiques en
d éjouant leur ordre p roprem ent fonctionnel. Ainsi les visions phantéidoliques
les plus caractéristiques occupent to u t le cham p visuel sans égard p o u r la vision
m aculaire o u la répartitio n des parties d u cham p visuel, la m obilité des globes
oculaires, l’occlusion o u l ’ouverture des paupières, etc.
Enfin, une condition fondam entale de l ’ap parition des phantéidolies, c ’est
l ’inversion d u co u ran t d ’inform ation (de « centripète » devenu « centrifuge »,
c ’est-à-dire ten d an t vers zéro), elle p e u t se form uler en disant que le blocage
de l'inform ation, c'est-à-dire la suspension plus ou moins totale des communi
cations qu'assurent les messages perceptifs, entraîne ( comme dans le sommeil)
l ’inversion du flu x d'imagerie.
Il arrive toutefois que ce co u ran t « phantéidolique » s’établisse même
q u an d les sens restent encore ouverts sur le m onde extérieur. C ’est q u ’il existe
alors un certain degré d ’obnubilation de la Conscience (comme dans le « deli
rium », I. Feinberg), ou u n certain « clouding o f sensorium » (M . M . G ross et
coli.) (1). M ais le plus souvent, et en to u t cas dans les form es les plus typiques
de l’activité phantéidolique, celle-ci se p ro d u it quand la désafférentation
« ferm e » les organes des sens o u les soustrait à l’attraction du m onde extérieur.
(1) Cf. dans les C. R. de New York (1969) publiés par W. K eup (1970), les deux
contributions de I. F einberg et de L. M. G ross et coll.
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PH A NTÉID OLIES 1309
Le récit que nous fo n t les épileptiques de leurs « au ras sensorielles » (L. M ar
chand et J. de A juriaguerra, Épilepsies, 1948, p. 24-27) et les fam euses descrip
tions p a r H . Jackson de la crise de l ’uncus et des « dreamy States » (que nous
avons rappelées plus h au t, p. 359) concordent (W. C. W eber et R. Jung, 1940;
O. PötzJ, 1949; M . A udisio, 1959 et dans n o tre Étude n° 26 sur les auras, p. 526-
550) p o u r nous m ontrer com m e dans le cham p de conscience en voie de dislo
cation, dans ce crépuscule de l ’inform ation qui annonce (comme le phénom ène
hypnagogique annonce le sommeil) le travail du rêve, surgissent ces messages de
l ’au-delà de la réalité, c ’est-à-dire ces form es hallucinatoires à structure spéci
fiquem ent phantéidolique. C ar il s’agit, en effet, de rêves abortifs, de « m icro-
dream s » (M . J. H orow itz et J. A dam s, 1968) d o n t Y enchaînement scénique ne
se réduit q u ’à quelques im ages ciném atographiques quand il ne se fixe pas dans
une sorte d ’im m obilité p h otographique avant de disparaître de l ’expérience
vécue et d u souvenir o ù il a d u m al à se survivre.
L ’im portance du « Centrencéphale » (W. Penfield), des form ations limbiques
(H . K lüver, 1958; M . J. H orow itz, J. A dam s et B. R utein, 1968), d u système
activateur ascendant (M . E. et A. B. Scheibel) ou du « Dream System » (R. H er
nandez Peon) dans la participation de ces événem ents de rêves partiels ou
abortifs n ’est plus à dém ontrer depuis que ta n t de travaux o n t été publiés
après les prem ières observations de H . Jackson sur les données pathologiques
et expérim entales que la neurophysiologie et la neuropathologie contem po
raines o n t accumulées. L a p ro fo n d eu r d u lobe tem poral et les form ations
lim biques paraissent bien constituer u n carrefour d ’intégration de la m ém oire
et de la m otivation instinctivo-affective qui fo u rn it son cadre tem porel ou
extra-tem porel au déroulem ent des événements perceptifs, c ’est-à-dire à leur
actualisation encadrée. C ’est au dérèglem ent de l ’ordre tem poro-spatial de
l’expérience vécue au niveau des systèmes perceptifs spécifiques que correspond
l ’éclosion des phantéidolies.
N ous pouvons ra tta c h e r à ce groupe de phantéidolies d ’autres « crises hallu-
cinosiques » com m e celles que l ’o n a décrites sous le nom d ’hallucinose pédon-
culaire (cf. p. 151, 362-363, etc.).
est plus nettement indiqué. Cet homme de 60 ans, tabétique, a présenté après un ictus
un syndrome de la calotte pédonculaire. Il s’est cru dans sa chambre transformée
en wagon qui était en rapport avec un service d ’avion. Il voyait un pylône entouré
d ’une spirale, il s’enroulait autour d ’un pylône et arrivait à un paysage d ’Arabie.
Sur la table une boîte se transformait et devenait deux petits bonshommes qui se
promenaient sur une plage...
N ous pou rrio n s faire des réflexions du même genre en ce qui concerne
l’élab o ratio n phantéidolique dans la sphère acoustico-verbale ou dans la sphère
som atognosique. Il suffit d ’ailleurs au lecteur de se rap p o rter aux descriptions
que nous avons faites de ces phénom ènes hallucinatoires (notam m ent dans
les Deuxièm e et Q uatrièm e P arties de cet ouvrage) p o u r s’en convaincre.
Il nous p a ra ît donc évident que la pathogénie de ces « phantéidolies ictales »
d o n t l’a u ra de l ’épilepsie tem porale constitue le prototype requiert un m éca
nism e de dérégulation de la fonction de vigilance p o u r au ta n t q u ’elle im plique
une intégration de l’expérience actuelle dans u n ordre tem porel qui règle l ’évo
catio n du passé et assure l ’exclusion de l ’im aginaire hors de l ’actualité de
la perception.
dolies hém ianopsiques qui ay an t été le plus étudiées peuvent nous fournir l’occa
sion d ’une analyse pathogénique plus approfondie. M ais il va sans dire que
le même type éidolo-hallucinosique se retrouve dans les syndrom es som ato-
gnosiques ou acoustico-verbaux, com m e nous l ’avons souligné to u t au long des
D euxièm e, Troisièm e e t Q uatrièm e Parties de cet ouvrage. Il n ’est pas rare, en
effet, que les Éidolies acoustico-verbales (au cours des auras ou des syndrom es
de surdité verbale) affectent u n caractère de signaux abracadabrants qui sont
analogues aux m étam orphopsies o u kaléidoscopies visuelles. M ais c ’est sur
to u t sous leu r form e hém ianopsique que nous allons observer ces phénom ènes
d ’une im portance cruciale p o u r la pathogénie des Éidolies en général p o u r
au ta n t que, com m e disait P. Schilder, elles fo n t « le rêve des sens » (the dream s
o f the senses).
Bien entendu, la p lu p a rt des études faites sur ces « H allucinations hém ianop
siques » p o rten t sur l’hém ianopsie latérale hom onym e (1) qui concerne l’hémi-
cham p controlatéral, la zone de vision m aculaire éta n t généralem ent respectée.
D e telle sorte q u ’il s’agit d ’un trouble fonctionnel, d ’une lacune de l ’inform a
tio n perceptive qui p o rte uniquem ent sur ce que O. Pötzl appelait la vision
indirecte (Indirekten Sehen) et qui constitue la vision périphérique, c ’est-à-dire
un cham p perceptif où norm alem ent déjà il y a une grande perte d ’inform ation.
C ’est vers 1880 que l’on commença à s’intéresser aux rapports de l ’Hallucination
visuelle et des hémianopsies. Seguin (1886) croyait que les Hallucinations ne pouvaient
apparaître que dans le champ aveugle. Pick décrivit un cas où les images hallucinatoires
ne se présentaient que dans le quadrant hémianopsique et qui représentaient des images
dont il ne voyait que la partie supérieure. La monographie d ’Eskirschen (1911), puis
celle de Wilgrand et Saenger (1917) ont permis de fixer un certain nombre de points :
il existe des Hallucinations dans le champ voyant, les hémi-Hallucinations dans les
hémianopsies passent par le point de fixation, etc. Henschen (protagoniste de la théorie
mécaniste de l’Hallucination) a établi que les Hallucinations hémianopsiques persistent
dans le champ aveugle malgré la destruction complète de la calcarine et qu’elles appa
raissent à l ’occasion de foyers occipitaux qui laissent complètement intact le champ
visuel. Autrement dit, pour lui ces Hallucinations hémianopsiques ne dépendent pas
du trouble négatif, de la lacune, mais de l’excitation mécanique des neurones senso
riels. Depuis lors, on n ’a cessé de publier des cas d'Hallucinations hémianopsiques
fort hétérogènes, les unes remarquablement monotones ou fixes, les autres intermit
tentes et variées, les unes ne se produisent que dans le quadrant aveugle du champ
visuel, les autres se produisent aussi — ou exclusivement — dans les parties voyantes
du champ. Nous pensons que c ’est faute d ’établir une distinction exacte entre phantéi-
dolies et protéidolies que tous ces faits défient toutes les tentatives d ’interpré
tation. Aussi précisons-nous que nous visons dans cette interprétation pathogénique
de ces « phantéidolies » que celles qui tout en se produisant initialement ou exclusi-
(1) Naturellement, pour le problème qui nous occupe nous devons souligner spé
cialement q u ’il existe des hémianopsies en quadrant et des seetomes hémianopsi
ques (déficit en « îlots » sous forme généralement de coins à pointe dirigée vers la
fovea).
1314 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
vement dans le champ aveugle peuvent aussi le déborder notamment quand — éven
tualité fréquente — elles apparaissent au cours de troubles paroxystiques, c ’est-à-dire
q u ’elles se présentent alors comme analogues ou identiques aux phantéidolies ictales
dont nous avons noté plus haut q u ’elles prenaient inversement parfois un caractère
hémianopsique.
du « préconscient ». O. P ötzl (1) fit alors une étude très m inutieuse (notam m ent
d u fam eux cas d u m alade O bzut) des rap p o rts avec les restes visuels de la vision
indirecte (Seheresten), c ’est-à-dire des figurations concrètes qui rem placent les
processus d ’abstraction de l ’identification des objets au cours des agnosies.
Il n o tait dès ce m om ent-là que si l ’exposition tachistoscopique de courte durée
n ’était p as perçue (étant objet d ’agnosie) p a r le Sujet norm al, elle donnait lieu
à une réap p aritio n « hallucinatoire » d ’u n souvenir chez les agnosiques et chez
les alcooliques atteints d ’ « Halluzinose » (au sens de K . W ernicke). L ’expo
sition de longue durée, p a r contre, ne p ro d u it p as d ’im age hallucinatoire
com m e si, effectivement, p o u r q u ’une « véritable » agnosie et une « véritable »
H allucination se produisent un certain tro u b le de l’identification est nécessaire.
Paul Schilder (2) en 1933, considérant que l’agnosique est dans la situa
tion que réalise l ’expérience tachistoscopique, souligne que toute perception
« contient » des franges ou des instances sublim inales qui sont com m e le « rêve
des sens » (the dream o f senses). Les post-im ages (images consécutives) consti
tu en t une m anifestation de ce « re to u r d u m al-perçu » sous-jacent à la percep
tion.
M ais, bien sûr, si ce travail de rêve est évident dans la lacune hém ianopsique
(ou dans le « q u a d ran t » ou le « scotom e » agnosique où l ’inform ation ne peut
pas se form er), il est aussi l ’expression d ’u n m onde d ’images inconscientes (3).
E t c ’est dans ce sens que Ch. Fisher (1959) (à peu près au m om ent où Sche-
vren et Z uborsky (1958) publiaient leur travail sur l’incorporation des images
tachistoscopiques dans le rêve) étu d ian t les effets de la stim ulation visuelle
sublim inale sur le rêve, les im ages e t les H allucinations, a repris l ’expérim en
tatio n tachystoscopique d u « phénomène de P ö tzl » et a m ontré quel coup de
sonde dans la sym bolique de l ’Inconscient il représentait. C ar les images qui
se form ent selon les lois form elles (déform ation, condensation, etc.) du rêve,
m anifestent aussi les tendances profondes e t latentes de l’Inconscient. C ’est
ce qui, p a r exem ple, était déjà devenu « m anifeste » dans l’observation de la
femme hém ianopsique de H off qui p ro jetait sa pro pre image narcissique parée
des plus beaux ato u rs dans la partie aveugle ou agnosique de son cham p visuel.
U n au tre aspect im p o rtan t de ce m icrofilm onirique, c ’est le caractère
discontinu et dysm orphique de l’im agerie phantéidolique, car le travail du rêve
s’exerçant soit su r des scories, soit su r des reliquats, soit sur des télescopages
tem poro-spatiaux, ce travail partiel d u rêve déform e les form es de sa repré-
(1) Le fameux cas princeps de Ch. B onnet , celui de son aïeul âgé de 89 ans, malgré
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PH A NTÉID OLIES 1317
« En janvier, dans notre salle à manger, le soir, je vis d ’abord une figure très
« belle, très régulière, paraître sur la boiserie. Peu à peu cette figure se trouvait enca-
qu’il fût « en pleine santé », paraissait avoir des phantéidolies à caractère hémianop-
sique (il voyait presque toujours ses « figures » dans la moitié gauche de son champ
visuel).
(1) C ’est dans ce sens que nous avons dit que le rêve n ’était pas seulement le
gardien mais le prisonnier du sommeil.
(2) Cf. à ce sujet les réserves que nous avons faites plus haut en nous rapportant
aux critiques qui. ces dernières années, ont été adressées à l’assimilation un peu trop
simpliste des phases PMO au rêve. Celui-ci étant plus généralement la « pensée du
sommeil » (Aristote) est toujours virtuellement contenu dans l’organisation du corps
psychique et du système perceptif (cf. supra).
1318 MODÈLE ORGANO-D YNAMIQUE
« drée d'un cadre de fleurs et le personnage était toujours placé du côté gauche,
« jamais au milieu du tableau. Ce tableau commençait à se mouvoir du côté gauche,
« faisait le demi-parcours de la salle et retournait à son lieu de départ. Souvent
« c’était une dame superbe, avec une toilette très riche et toujours de bon ton, rien
« d ’extravagant. Le cadre ovale, fait de fleurs, se faisait autour d ’elle, puis le tout
« se mettait en mouvement et parcourait la moitié de la salle, toujours à mi-hauteur
« de la boiserie.
« ... Ce soir au parc « Mon Repos », un massif de verdure était venu se placer
« à quelque dix mètres de nous; une sorte de lucarne était placée vers le milieu de la
« hauteur, à cette lucarne était un visage de femme; tout à coup le massif se mit
« en mouvement et vint jusqu’au jet d ’eau. Au mur où nous étions, trois autres petits
« massifs se sont mis aussi en marche et allèrent jusqu’à trente ou quarante mètres
« de là. Je vis des voitures et des bicyclettes passer à toute vitesse à travers les
arbres.
« Ce soir, jour de Pâques, un petit oiseau minuscule quitte ma table et va direc-
« tement à la cloison; là, il monte à mi-hauteur, se place sur une riche nacelle et sou-
« dain c ’était une jeune dame qui se change, elle aussi, en un homme vulgaire qui
« a plutôt l ’air d ’un brigand; puis, au-dessus, se trouvent d ’autres dames qui
« descendent. Et nacelle et personnages finissent par disparaître.
« Dans l ’après-midi, je regardais à travers la vitre, dans le jardin, et je vis une
« nacelle genre nouveau : quatre ouvertures aux quatre côtés; cette nacelle traversa
« la prairie, monta à la hauteur des arbres, puis redescendit, et les personnes chan-
« geaient comme par enchantement.
« U n insecte gros comme un crabe espagnol court sur mon tapis puis monte avec
« une vitesse modérée jusqu’au plafond, là il suit le plafond jusque vers le milieu
« de la salle, se dirige vers la fenêtre où une sorte de draperie en mousse verte s’étend
« le long de la boiserie. Il arrive au milieu, puis il part en suivant la boiserie et fait
« le tour de la chambre, il atteint le haut de l’autre fenêtre donnant aussi sur le jardin.
« Une sorte de nacelle (ou plutôt forme voiture) s’arrête au haut de la fenêtre et,
« pendant quelques secondes, elle reste là; j ’aperçois en dehors quelques lignes
« vertes formant un dessin vague; elles se multiplient; il y a donc là un travail. La
« voiture et les deux personnages qui sont dedans semblent assister au travail qui
« se fait. J ’ai oublié de dire que l'insecte, en arrivant à cette toile verte, s ’est transformé
« en une dame qui s’est mise en route avec cette voiture; je dis voiture, car je voyais
« des roues tourner. Le travail fini au dehors, le tout disparaît dans les airs.
« ... Toute la journée j ’ai vu des personnages partout où je me trouvais. Au coucher
« du soleil, ceux qui sortaient dans le jardin (et ils étaient nombreux) étaient parfois
« d ’une grande beauté. Une dame, dans une charmante petite nacelle se mit en mou-
« vement. Elle se retourna pour chercher un complément à son esquif. C ’est un bal-
« daquin tout or et d ’un brillant étincelant. Dehors, la nacelle s’agrandit et la dame
« se trouva accompagnée de trois autres plus jolies les unes que les autres. Après
« s’être tenues en face de moi comme pour me saluer, elles se retournèrent et la nacelle
« fila dans les airs avec une grande vitesse.
« Une scène des plus grandioses que j'a i vues : une dame ravissante sort avec une
« petite et disparaît par la fenêtre dans les airs. Je m ’approche de la fenêtre et je vois
« deux dames dans une nacelle qui semble être de ouate pailletée d ’or; elles s’élèvent,
« redescendent, puis la nacelle s’agrandit et forme un dôme au-dessus de la personne.
« Au milieu de cet amphithéâtre lumineux, différentes dames sont vues : les unes vêtues
« de rouge, les autres de bleu, des nuances très agréables à l’œil. Alors ce sont cinq
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PROTÉIDOLIES 1319
« ou six nacelles, ou plutôt cinq ou six nuages, si je puis m ’exprimer ainsi, qui évo-
« luent dans les airs.
« Ne reconnaissant pas un passant à deux pas, je distingue nettement ces per-
« sonnages dans les airs, comme quand je voyais très bien, et je vois les traits de la
« figure et les détails des toilettes.
« ... Hier soir, j ’entre au salon, je vois une figure voilée; elle glisse le long des
« tableaux qui sont contre le mur et, arrivée près de la porte, elle prend une sorte
« de toile or et argent. Elle monte en haut de la boiserie pour aller jusqu’à la porte
« vitrée qui donne dans le jardin. Là, elles sont trois et je leur fais signe de revenir
« à la porte de la salle à manger; elles m'obéissent aussitôt, passent par la porte et
« entrent dans la salle. Alors ces différentes choses sont changées en un tout que je
« ne puis décrire et qui, arrivé dehors, se développe et forme une charmante nacelle
« avec une jeune dame seule, vêtue d ’une robe poussière d ’or brillant, toute la nacelle
« de même. Elle s’élance à perte de vue dans les airs. C ’est merveilleux de hardiesse
« et de vitesse. Elle disparaît.
« Hier soir, une nouvelle série de nacelles a commencé à paraître sur la boiserie
« de ma chambre. Elles sont d ’une grande beauté et d ’une richesse infinie. Elles étaient
« généralement remplies de personnages très animés, aux costumes les plus superbes
« et toujours variés, aux couleurs les plus chatoyantes; la nacelle est généralement
« recouverte d ’une sorte de baldaquin poussière d ’or, d ’argent, de diamants et de
« fleurs formant un tout harmonieux, et d ’une beauté sans pareille.
« J ’ai continué mes observations sur les sortes de petits tapis composés d ’agglo-
« mérations de points verts de la couleur de la plante sur laquelle ils se trouvent.
« Cela ressemble aux tapis faits au crochet et les points sont plus ou moins grands
« selon la longueur des feuilles sur lesquelles ils se trouvent. Plus la plante est grande,
« plus la toile a des ronds transparents au milieu. Ce qu’il en sort est très varié : dans
« l’une d ’elles, une dame s’est développée et la toile a rejoint une masse verte qui
« flottait au-dessus des arbres; la dame s’est posée dessus et cet amas devint
« une jolie barque de verdure. Elle avait la coiffure d ’un autre âge et paraissait très
« spirituelle et très gaie; arrivée au jardin, elle répondit par une révérence à ma ques-
« tion et me fit savoir par des chiffres très visibles q u ’elle est née en 1024; je n ’ai
« pas obtenu le nom du pays.
« Hier soir, j ’ai vu défiler sur la boiserie de ma chambre les plus beaux paysages
« que l'on puisse rêver. C ’était des vues de ponts jetés sur un bras de mer avec une
« perspective dans le lointain de rivages enchanteurs tels que j ’aurais voulu les voir
« plus longtemps, tant ils me ravissaient. Ce lointain bleuâtre était tellement beau,
« ce vaporeux si bien nuancé d ’après la distance, les collines, les villes, tout cet ensem-
« ble était d ’un parfait qui défiait les pinceaux des plus grands artistes de toutes
« les époques.
« ... Je fus témoin d ’un spectacle incroyable pour ceux qui n ’ont pas ce triste don,
« ce sens comme vous voudrez l’appeler, ce phénomène : je vis à côté de toutes les
« plantes, de toutes les fleurs, de toutes les herbes, de petits personnages minuscules,
« avec des toilettes différentes, c ’étaient des personnages que je n ’avais pas pris pour
« leur donner l ’occasion de se développer et qui, pendant que je faisais le tour de
« la maison, pour rentrer souper, se sont délivrés eux-mêmes et sont allés se répandre
« dans les airs ou circuler dans le jardin (Toutes ces vies latentes se réveillent et se
« mettent en mouvement. C ’est le monde le plus curieux). »
1320 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) J. M. Burchard (1965) à qui nous devons une des plus pénétrantes études
sur la structure des troubles de la perception visuelle, conduite d ’ailleurs très exac
tem ent dans l ’axe organo-dynam ique de n o tre p ropre conception, J. M. B urchard
fait cette rem arque que le blocage de l ’inform ation et l ’élévation des seuils perceptifs
ne sont pas exactement proportionnels aux conditions d ’apparition des images hal
lucinatoires.
(2) H . H ead, Définition de la vigilance, in Aphasia, tome I, p. 495-497. Le
comportement psychique et somatique dépend de l’état de vigilance (state of vigilance)
du système nerveux. Et cela vaut pour tous les niveaux et systèmes fonctionnels de
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PROTÉIDOLIES 1321
2° P a th o g é n ie d e s p r o té id o lie s .
L e s d é fo r m a tio n s d e l ’in fo r m a tio n .
(1) Et bien plus évidemment encore dans les troubles illusionnels du schéma cor
porel.
(2) Point sur lequel nous avons à plusieurs reprises insisté et que signale égale
ment R. J ung (p. 553).
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PROTÉIDOLIES 1325
(1) G. Sedman (1967) a parfaitement souligné, en rappelant les idées et les obser
vations de J. J. H oppe (1888) et de M. J. H orowitz (1962), que la structure interne,
les tissus et appareils de l ’œil fournissent le matériel de certaines images hallucinatoires.
(2) « Images objectives », se rapporter au tableau des protéidolies que nous avons
placé plus haut dans le chapitre sur les Éidolies.
1326 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
sent, selon certains auteurs, lors de l’occlusion.des yeux (1), m ais le phénom ène
est loin d ’être constant. Il convient de n o ter aussi q u ’interviennent dans la
constitution de la configuration des facteurs « résiduels » ou « scoriaux » qui
peuvent en différer l ’ap parition. Le fait cité p ar G . de M orsier (apparition
d ’u n essaim de m ouches devant l’œil atteint de kératite lorsque l ’œil sain était
ferm é) p a ra ît relever de ce m écanism e constant en quoi consiste l ’élaboration
de ces im ages figuratives fugaces, des résidus ou des scories de la perception.
Les im ages consécutives, perceptions incom plètes, souvenirs récents et incon
scients, en tren t électivem ent dans la com position de ces protéidolies proches
en cela des phantéidolies.
Parfois ces protéidolies figuratives fugaces accom pagnent le m ouvem ent des
yeux. Parfois aussi elles affectent une form e m onoculaire ; il s’agit alors, bien sûr,
de protéidolies sym ptom atiques de lésions d ’un seul œil ou d ’une seule oreille,
c ’est-à-dire des fam euses Éidolies unilatérales d ’origine périphérique. M ais la
« n o tio n mêm e de scotom e positif » c ’est-à-dire d ’habillage im aginaire des tro u
bles de la perception (H . H écaen et R. R opert, 1959 et 1963) peu t s ’appliquer
aux im ages qui peuplent les tro u s du cham p perceptif que celui-ci, soit au niveau
des centres corticaux ou q u ’il soit au niveau de ces centres que sont encore les
organes des sens (2). C ’est F. M orel qui ayant entrepris l’étude des H allucina
tions m onoculaires des alcooliques (1929) les décrivit ensuite (Encéphale, 1932,
puis Ann. M éd.-Psyèho., 1937) com m e des H allucinations ayant un aspect
figuré. Elles présentent, en effet, une certaine configuration (parfois tache de
la taille d ’une m ain ou figurant u n oiseau, une punaise, une tête d ’épingle, etc.).
L ’assem blage de petits élém ents fixes et punctiform es y est fréquent. L a texture
de ces taches hallucinatoires est légère et pulvérulente (nuage, fum ée, etc.).
Ce scotom e p o s itif se détache parfois en no ir sur le cham p visuel. Parfois il est
blanc m at ou blanc gris o u p eu t présenter des m élanges ou des changem ents
de couleurs. Il n ’est jam ais périphérique, ni hém ianopsique, ni en q u adrant.
D e telle sorte que F. M orel pensait q u ’il s ’agissait d ’une localisation rétrobul-
baire bilatérale; il ten ait ces images hallucinatoires (scotom e positif) p o u r liées
à des « excitants réels » (« ceux le long desquels glisse le regard : le bo rd d ’une
p o rte, d ’une fenêtre, le co rd o n d ’une sonnette ») ou à des phénom ènes opto-
cinétiques. Il les considérait co m m e« l ’effet d ’une perturbation, passagère dis
continue de la fonction visuelle com parable au phénom ène de contraste, affec
ta n t le centre d u cham p visuel (aire m usculaire). Si nous revenons ici encore
sur cette étude m inutieuse de F. M orel, c ’est p o u r em prunter précisém ent à un
au teu r qui est resté to u jo u rs très attaché à l’idée d ’une « pathogénie m écanique »
des phénom ènes hallucinatoires, l ’interprétation de tels phénom ènes élémen-
taires dans le mêm e sens que la nôtre. A cette réserve près p o u rta n t que nous
restons, q u a n t à nous, dans la cohérence d ’une théorie de la négativité géné
ralisée de la pathogénie hallucinatoire sous toutes ses form es, mêm e celles de
plus en plus « élém entaires » que nous allons envisager.
Ces protéidolies figurées p a r leur structure « élém entaire » même, c ’est-à-dire
par l ’absence d ’enchaînem ent oniro-scénique, nous paraissent devoir être
rapprochées des phantéidolies m ais aussi des protéidolies purem ent géomé
triques e t ornem entales d o n t la thém atique stéréotypée est purem ent form elle
et que n o u s allons m aintenant exposer.
2° L e s p r o té id o lie s g é o m é tr ic o -o r n e m e n ta le s a b s tr a ite s . —
N aturellem ent, elles o n t toujours frappé tous les observateurs mêm e les
plus anciens (Joh an n M üller et m êm e Jérôm e C ardan au x v ie siècle).
O n pense toujo u rs évidem m ent à pro p o s de ces phénom ènes aux « visions »
fantastiques, m ais les mêmes « form es » apparaissent aussi dans la sphère
acoustico-verbale notam m ent où le rythm e ou la mélodie représentent po u r
l ’analyseur acoustique quelque chose d ’analogue aux symétries et harm onies
ornem entales des configurations visuelles. C ’est to u t de même essentiellement
de ces dernières d o n t nous allons p arler ici.
D ’ab o rd en rapp elan t ce que nous avons déjà dit de leur « m orphologie »,
rapp orto n s-n o u s une fois encore à l ’étude vraim ent exhaustive q u ’en o n t faite
H . A hlenstiel e t R. K auffm ann (1952-1953) et q u ’ils o n t résum ée dans leur
tab leau très suggestif (p. 515 de leur m ém oire de 1953 reproduit supra, p. 340).
N aturellem ent, ces auteurs évoquent eux aussi (et ici com m e p o u r les ph an
téidolies d o n t ils ne les distinguent pas) les « im ages élém entaires » qui surgis
sent pend an t la période hypnagogique (1). Il s ’agit, disent d ’ailleurs tous
les auteurs, d ’im ages endogènes sans ra p p o rt avec le cham p perceptif
actuel.
On peut décrire des figures géom étriques et stylisées généralem ent simples
(cercles, spirales, cristaux, grilles, sphères, etc.), parfois colorées, lum ineu
ses ou scintillantes. M ais elles peuvent aussi assem bler leurs éléments dans
des ensem bles architecturaux ou décoratifs (escaliers, colonnades, enchevêtre
m ents d ’arceaux, superpositions de m otifs végétaux ou m onum entaux). P ar
fois il s ’agit de chiffres, de lettres en caractères orientaux. T an tô t elles sont
im m obiles, ta n tô t anim ées de m ouvem ents vertigineux ou au contraire lents,
à direction unique ou pendulaire. Le plus souvent elles sont très mobiles
et changeantes (kaléidoscopie, m étam orphopsie). Parm i les form es styli
sées les p lu s fréquentes, on note les dessins de tapis orientaux ou des figures
sym boliques (hexagones e t figure dite « M andala » ou « Y an tra ») qui
sont du p o in t de vue de la sym bolique archaïque particulièrem ent intéres-
santés (I. C aruso (1), R. Bilz, 1950, H. Ahleijstiel et R. K auffm ann, 1952). D e
telles protéidolies peuvent parfois laisser après elles des images consécutives
de couleurs com plém entaires (H . H ein, 1927). Enfin, il arrive com m e au cours
des intoxications p a r les hallucinogènes (cf. p. 523 et p. 582-587) que l ’intensité,
la vivacité, la richesse des couleurs, la prodigieuse éclosion des m ouvem ents
qui s’engendrent constituent u n véritable spectacle féerique, une débauche de
couleurs, de poussières d ’or, d ’arcs-en-ciel d ’une nuancée ou brillante lum i
nosité. I. Feinberg (in K eup, 1970) a noté q u ’elles subsistaient, mêm e les yeux
éta n t fermés. M ais nous devons rappeler à ce sujet que généralem ent la perm éa
bilité aux Stimuli spécifiques (lum ière informelle) est une condition de cette im a
gerie. E t si elle ap p araît parfois les yeux étan t fermés, il convient de nous ra p
peler une observation de U. Ebbecke (D ie kortikale Erregung, 1919) qui, prian t
u n Sujet de se représenter u n as de trèfle ou de pique les y e u x étant ferm és,
déclarait voir u n as de carreau ou de cœ ur si on le soum ettait à un éclairage
rouge transpalpébral. Cette observation scientifique rejoint d ’ailleurs celle
que to u t le m onde p eut faire en éta n t réveillé p ar la lumière. L ’im portance que
nous accordons à ces faits est considérable car la protéidolie de ce type, p o u r si
auto chton e q u ’elle paraisse, adm et aussi une inform ation si vague soit-elle venue
d u m onde extérieur. D e telle sorte que lo rsqu’il s ’agit des kaléidoscopies colo
rées qui se succèdent com m e u n film de m étam orphoses, les protéidolies se ra p
prochent des phanto-paréidolies que nous avons décrites plus h au t dans la
m esure m êm e o ù il ne s’agit plus d ’images sim plem ent géom étriques ou élé
m entaires m ais déjà d ’une création esthétique. C ’est que p a r le jaillissem ent de
gerbes lum ineuses o u d ’étincelantes étoiles, ou l’éclosion de maladies, elles
figurent les feux d ’artifice de l’Inconscient.
L a fonction sym bolique de ces représentations (I. C aruso, 1948 ;
M . von K roll, 1958; M . M. Stern, 1961 ; D . E. Sperling, 1961, etc.), c ’est-à-dire
leur caractère archétypique (Jung), p a ra ît assez évidente. Lorsque surgissent de
pareilles im ages avec une si rem arquable régularité du fond de l’expérience
visuelle la plus som m aire (la m oins verbalisée), elles nous fo n t apparaître
le m onde originaire des form es. E t même si dans une certaine mesure
com m e dans les phénom ènes entotiques ou entoptiques la structure anatom o-
physiologique de l ’organe des sens en soutient la construction, il est évident
que de telles im ages ne sont pas réductibles au simple effet d ’une excitation
fortuite des nerfs ou de l ’épithélium réceptif des organes des sens.
Quelle idée pouvons-nous dès lors nous faire de la production de ces form es
éidoliques si stylisées ou archaïques si nous exceptons des explications possibles
celle de l ’excitation des neurones sensoriels qui les réduit à des phénom ènes
p urem ent physiques ? N ous devons bien souligner, en effet, ici (et cela sera
mêm e encore vrai p o u r les « esthésies » plus inform es d o n t nous parlerons plus
loin) que dans le sillage mêm e des travaux de neurophysiologie auxquels nous
avons fait plus h a u t allusion (A drian, G ran it, H odgkin, Ecclès, R. Jung, etc.),
que l ’excitation des neurones ne p ro d u it jam ais d ’effet que sous condition q u ’un
certain nom bre de facteurs qui (constituant les param ètres de l ’excitabilité)
la ren d en t possible. A utrem ent dit, considérer l’apparition de ces images élé
m entaires com m e u n effet de l ’excitation anorm ale des éléments neuro-épithé
liaux des organes récepteurs (rétine, m em brane cochléaire, etc.), c ’est n o n pas
résoudre m ais supprim er le problèm e.
P u isq u ’à p ropos des protéidolies les plus élém entaires, que nous allons
exam iner dans le p rochain paragraphe, nous reprendrons une dernière fois la
critique d u concept d ’excitation hallucinogène, contentons-nous ici de rappeler
ce que nous avons déjà d it dans les divers chapitres de cet ouvrage (à propos des
H allucinations des divers sens, puis en exposant la structure des phénom ènes
éidoliques, et encore lorsque nous avons étudié les phénom ènes éidolo-hallu-
cinosiques des affections cérébrales et des intoxications hallucinogènes, ou enfin
dans le chapitre sur l ’exposé critique du modèle m écanique de la pathogénie des
H allucinations et to u t au long de cet exposé de notre conception organo-dyna-
m ique, notam m en t à propos de la structure des organes des sens, des expériences
d ’excitation électrique, des récepteurs e t des centres sensoriels, etc.). E t ce que
nous avons ainsi si souvent et parfois longuem ent exposé dans toutes ces parties
de l’ouvrage peut se résum er en deux form ules fondam entales : les phénomènes
éidoliques ne sont pas les effets directs d'une excitation neuronale hallucinogène
positive ; — les phénomènes éidoliques ne sont p as l'apanage de lésions périphé
riques de l'analyseur perceptif. D e telle sorte que les protéidolies envisagées ici
sous leur form e géom étrico-ornem entale (dans la sphère visuelle) ou sous leur
form e rythm ique, m élodique ou m êm e som m airem ent verbale (dans la sphère
acoustico-verbale) doivent être considérées dans les lacunes ou éclipses de
tel ou tel champ d'inform ation perceptive, comme constituant les « bonnes
form es » qui parviennent encore à se fo rm er dans le désordre temporo-spatial
du flu x perturbé de l'information. O n com prend que ces configurations éidolo-
hallucinosiques soient com m e des im ages où se cristallisent ou s ’harm onisent
les scories sensorielles (com m e dans la fo rm ation des images fulgurantes hypna-
gogiques) chargées des symboles esthétiques ou poétiques (le feu, les étoiles,
l’or ou les accords harm oniques, voire syntaxiques). Ce ne sont pas des étin
celles électriques m ais des éclairs surgis des profondeurs de l’Inconscient qui
éclatent dans leur explosion.
form es figurées (car ces « form es » so n t dites précisém ent si élém entaires q u ’elles
doivent p lu tô t être désignées com m e « am orphes ») m ais avec u n m axim um de
qualités sensibles brutes. L a désintégration du cham p perceptif qui p araît les
con d itio n n er est celle o ù seule une inform ation en quelque sorte insignifiante
(p o u r être d ’une p robabilité infinie) p eu t jaillir des profondeurs proprioceptives
qui fournissent aux divers organes des sens leur « m atériel » en quelque sorte
spécifique (1). De sorte que la phénom énologie de ces lueurs entoptiques, de
ces photopsies, de ces acouasm es, de ces protéidolies somesthésiques,
com porte toujours une d isproportion flagrante entre la sensation vécue avec
ta n t d ’esthésie e t sa form e (zigzags, éclairs, lueurs, sons à tim bre ou à rythm es
saugrenus) laquelle dem eure, en quelque sorte, purem ent m étaphorique p o u r ne
pas pouvoir précisém ent s’identifier dans une cristallisation conceptuelle. N ous
som m es ici parvenus ju s q u ’au niveau ou à la profondeur où naissent les m ou
vem ents p a r lesquels s’engendrent non pas les form es (les Gestalten), m ais selon
la désignation de K . C onrad, les préform es (Vorgestalten), ou encore selon
H usserl, les form es originaires (Urbildungen) de l ’expérience sensible, du
« s e n tir » (Empfindung) en quelque sorte absolu.
(1) C ’est ainsi, en effet, que doit s’interpréter la loi de l’énergie spécifique,
c ’est-à-dire non pas comme une loi physique mais comme la modalité de l’organisation
vitale par laquelle se lie l ’activité propre de l ’organe des sens à la sphère instinctivo-
affective (cf. supra, p. 1147).
(2) Je retiens le terme d ’entotique par symétrie avec le terme endoptique, bien que
certains auteurs (G. de M orsier et M orel) le réservent plutôt aux bruits d ’origine
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PROTÉIDOLIES 1331
M ais nous devons m ain ten an t après avoir exposé ces faits nous dem ander
com m ent ils en tren t dans n o tre conception générale du trouble négatif géné
rateu r de to u te H allucination ? Ici, au niveau des protéidolies, nous nous
trouvons en présence d ’H allucinations si élém entaires si près des illusions
des sens qui laissent intactes toutes les fonctions psychiques, si purem ent
«sen so rielles» , que, répétons-le, la ten tatio n est grande (1) de les livrer à la
théorie de l ’excitation neuronale. M ais ce serait une façon de résoudre le p ro
blème en le supprim ant, car l’idée m êm e d ’une excitation hallucinatoire même à
ce niveau, nous l’avons déjà vu plus h a u t en exposant les expériences d ’excita
tion de la rétine et du n e rf optique, est insoutenable.
L ’excitation électrique des cellules réceptrices ou des fibres nerveuses
tran sm ettan t les messages codés dans les systèmes synaptiques des prem iers
relais sensoriels ju s q u ’aux deuxièmes systèmes dendritiques de transform ation
et de m odulation des deuxièm es synapses puis aux troisièm es systèmes corti
caux, a p p araît aux yeux de beaucoup de cliniciens et de neurophysiologistes
directem ent hallucinogène. E t p o u r nous en tenir une fois encore principalem ent
aux « phosphènes » de la vision com m e « photogènes ». N ous rappellerons ce
que nous avons déjà exposé plus h au t (chap. I de la Sixième Partie) les expé
riences d ’excitation de la rétine et d u n e rf optique chez l ’hom m e, les seules
musculaire ou vasculaire (bruits subjectifs mais parfois aussi objectifs rythmés par
les pulsations).
(1) Tentation à laquelle P. Schröder (1925-1927) semble avoir succombé en
croyant aussi faire la part du feu, c’est-à-dire en abandonnant à la pathogénie de
l’excitation neuronale ces seules Hallucinations élémentaires comme pour mieux
protéger les Hallucinations délirantes de cette interprétation.
1332 MODÈLE ORGANO-D YNAMIQUE
qui peuvent effectivem ent perm ettre d ’appréhender dans une observation p sy
cho-physiologique (R . Jung) l ’objectivité de ces phénom ènes. D e ces études
et observations, nous pouvons m aintenant tirer ici to u t le p arti nécessaire à
une hypothèse valable (si n o n validée) sur la genèse de ces phénom ènes « les
plus élém entaires ».
L ’idée que l ’excitation électrique des nerfs, des cellules réceptrices ou
sensorielles déclenche l ’énergie spécifique de ces structures en produisant une
sensation lum ineuse requiert, p o u r être logique avec elle-même, que cette
excitatio n produise « ex nihilo » la sensation hallucinatoire. E t c ’est bien ainsi
que l’application de couran ts continus ou alternatifs (comme des excitations
m écaniques) sur les globes oculaires, la rétine ou le n erf optique, suffit, pense-
t-on, à provoquer l ’excitation sensorielle qui p ro d u it l ’im pression sensible
(Em pfindung).
O r ce n ’est pas « e x nihilo » que l ’excitation de la rétine (p our nous référer
spécialem ent aux expériences chez l ’hom m e que nous avons exposées plus h au t
et que nous devons ici rappeler) provoque l’imagerie hallucinatoire.
T o u t d ’ab o rd la rétine est u n centre complexe d o n t les diverses couches
(élém ents récepteurs aneuraux, cellules am acrines, horizontales, bipolaires,
ganglionnaires) co n stituent a u ta n t d ’organes de codage, c ’est-à-dire de choix
e t de tran scrip tio n des inform ations. D e telle sorte que l ’appareil rétinien a déjà
une certaine autonom ie de fonctionnem ent qui se m anifeste p ar le réglage de
couples fonctionnels antagonistes, notam m ent du B-System et du D-system
selon la term inologie de R. Jung (réglage qui lui-même se présente verticalem ent
aux divers niveaux de l ’analyseur perceptif visuel), dans l ’équilibre des éléments
nerveux (ou même extra-nerveux selon certains expérim entateurs) photorécep
teurs et scotorécepteurs (cf. supra, p. 1164). M êm e si l ’activité rétinienne
com porte u n processus suivant la loi du to u t ou rien au niveau de ces chim io-
récepteurs, elle est réglée p a r u n processus électronique à décrém ent (m odu
latio n dentritico-synaptique). Si la vision des couleurs (longueurs d ’ondes
déterm inées) élabore des messages à des niveaux plus élevés (R. L. de Valois, 1958-
1963) q u ’au prem ier p lan p roprem ent chim ique ou pigm entaire (cônes), elle n ’en
est pas m oins déjà sélectionnée aux niveaux les plus périphériques de l ’appareil
rétin ien neuro n al (G . Svaetichin, 1956-1965; K . M otokaw a, 1957; R. G ranit).
Ensuite l’appareil récepteur spécifique n ’est jam ais vide, il est en constant
équilibre (d o n t VEigengrau est la m anifestation d ’u n constant électrotonus
en tretenu p a r les incitations antagonistes photoscopiques et aussi p a r l ’inces
sante stim ulation endogène).
Enfin la rétine p o u r si spécifique que soit son activité dans la codification
des ondes lum ineuses est elle-même soumise à une régulation récurrentielle
p ro v en an t de la form atio n réticulée (J. H . Jacobson).
De telle sorte que to u te excitation électrique, portée sur une quelconque
des stratifications fonctionnelles qui la constituent, ne tom be pas sur une absence
totale d ’excitation.
L ’étude d u rétinogram m e, c ’est-à-dire des m anifestations électriques
q u ’engendre la lum ière absorbée (R. G ranit, 1959), perm et de m esurer l ’extra
IV. PATHOGÉNIE NÉGATIVE DES PROTÉIDOLIES 1333
ordinaire com plexité des phénom ènes qui se déroulent, et cela dans les couches les
plus superficielles de la rétine (à l ’exclusion des cellules ganglionnaires), com m e
si l’activité recueillie m anifestait le travail de facilitation et d ’inhibition réci
proque qui, au niveau des prem iers systèmes dendritico-synaptiques des cel
lules bipolaires, organise déjà les messages visuels.
N ous pensons donc que même à ce niveau et dans cette structure « ponc
tuelle » des protéidolies nous devons appliquer notre conception générale de
l ’architectonie de l’être psychique et spécialem ent de celle de l’organe des
sens. N ous devons tire r en effet de ce modèle deux idées directrices qui doivent
nous p erm ettre de réduire au modèle organo-dynam ique de la dissolution des
fonctions ce qui p ara ît lui être irréductible.
— L a prem ière de cette idée si largem ent exploitée p ar l ’école allem ande
de 1930 (W. M ayer-G ross, J. Stein, J. Z ador, M . Palagyi, L. Klages, etc.), c ’est
que la perception se déroule dans u n ordre tem porel qui règle la form e même
de la réalité perçue, c ’est-à-dire l ’encadrem ent tem poro-spatial qui lui assigne sa
place exacte dans l’expérience de la perception des objets à percevoir. Or, lors
q u ’on étudie attentivem ent la désintégration des fonctions vitales et in ten tio n
nelles du m ouvem ent (J. Stein, 1928; R. M ourgue, 1932; V. von W eizsâcker,
1334 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) H. Bergson dans Y Évolution créatrice (in Œuvres, coll. La Pléiade, p. 725-802) en
critiquant ce modèle du « temps homogène et physique » (c’est-à-dire confondu avec
l ’espace géométrique), a très bien discerné que le temps de l’organisme ne se prête
pas à une pareille mécanique. Je pense qu’en reprenant ici un point de vue commun à
H. Bergson, à M. M erleau-Ponty, à V. von W eizsâcker et à R. J ung , je situe le
dynamisme de la perception dans la réalité de son mouvement.
IV. PATHOGÉNIE NÉGAVIVE DES PROTÉIDOLIES 1335
L a deuxième idée com plém entaire de la précédente peut se form uler ainsi :
les protéidolies sont engendrées p ar le nivellem ent de l’inform ation ou, si l’on
veut, le désordre de l ’inform ation.
En exposant les idées de J. J. G ibson sur l ’application de la théorie de l ’infor
m ation à l’étude de l’organisation du système perceptif, nous avons pu nous ren
dre com pte que l ’acte perceptif ne se prête, ni à une in terprétation purem ent
idéaliste qui supprim erait de la perception sa fonction de com m unication avec le
réel, ni à une in terp rétatio n em pirico-sensationniste qui supprim erait de la per
ception son pouvoir de choisir. C ’est que, en définitive, un organe des sens, ou
plus exactem ent u n appareil psycho-sensoriel envisagé dans sa totalité et sa
hiérarchie de structure, est essentiellem ent u n dispositif de sélection, car l ’infor
m ation ne p eu t parvenir à son b u t q u ’après avoir été codée (1) ; la physiologie
des sens ne p eu t plus être pensée en term es simples ou simplistes de stimuli-
réponses. O r il est bien évident que l ’inform ation ne peut se constituer en unités
utilisables que si l ’encodage et les décodages sont possibles au travers des relais
et étages synaptiques au travers desquels l’inform ation p o u r se transm ettre doit
se transform er. M ais que p e u t être une info rm atio n qui ne p eu t pas se form er,
ou une inform ation qui se perd ou se déform e, sinon une inform ation qui a perdu
la capacité de se présenter et d ’être prise dans u n ordre de probabilité qui ne soit
ni une p robabilité tellem ent probable ni une probabilité tellem ent aléatoire
que dans les deux cas elle cesse d ’être une info rm ation ? L ’inform ation, en
effet, dans u n « système finalisé d ’em blée » com m e dit R. R uyer, p o u r être
perçue, c ’est-à-dire p o u r avoir une valeur de réalité (dans le sens où W. Jam es
disait que ce qui est réel c ’est ce qui est im p o rtan t, disons « actuellem ent »
(1) Cf. sur ce point W. D. K eidel (1961), R. J ung (1961) l’article de Dieter L an
ger (1964), celui de P. L äget (1970), etc.
1336 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
(1) R. T issot qui a écrit à ce sujet un clair et profond développement sur la notion
de perte de l’information (in Symposium de Bel-Air, 1961, C. R. par J. de A juria-
guerra, Genève, éd. Georg et Cie, 1962, p. 192-194) souligne que cette « extraction »
peut aussi bien se référer aux intuitions a priori de K ant qu’à la notion de schème
de Rüssel Brain.
(2) Les termes anglais de « set » et allemand d ’ « Einstellung » désignent cette
opération qui centre sur son sens la constitution de ce « pattern » ou de cette « Gestalt ».
Si nous sommes ainsi obligé de recourir à d ’autres mots que des mots français, c ’est que
hors la tradition qui va de M aine de Biran à H. Bergson, la psychologie française a peu
recouru à de tels concepts « dynamiques » ou « opérationnels ».
IV. PATHOGÊNIE NÉGATIVE DES PROTÉIDOLIES 1337
lem ent de l ’info rm atio n ren d ainsi égalem ent probable l ’efficacité de l ’infinité
des Stimuli proprioceptifs que de l ’infinité des Stimuli passés ou présents du
m onde des objets. O n ne d o it jam ais perdre de vue, en effet, q u an d on veut
ab order la pathogénie de ces « riens » protéidoliques, que la nécessité d ’une
excitation hallucinogène simple et à la m esure de la simplicité apparente du
phosphène o u de l ’acouphène, des photopsies com m e des sensations ento-
tiques, est to u t bonnem ent superflue. Si la perception, com m e nous n ’avons
cessé de le rép éter to u t au long de ce Traité des Hallucinations, est sélection,
si l ’organisation même d u système nerveux central et des « systèmes perceptifs »
a p o u r fonction de délim iter l’extension (proprem ent épileptique) des excita
tions neuronales, il est évident que ce n ’est pas en ajo u tan t une excitation sup
plém entaire à l’infinité des Stimuli exo- et endogènes d o n t sont bom bardés les
récepteurs sensoriels, que l ’on p eut rendre com pte de l ’ap p arition ne fût-ce
que d ’u n zigzag lum ineux, d ’une lueur entoptique ou d ’u n sifflement dans les
oreilles. Il fa u t et il suffit p o u r que surgisse cette lum ière ou ce son q u ’u n des
excitants infinim ent possibles devienne fortuitem ent efficace, c ’est-à-dire
échappe à l ’ordre de l’org an isatio n tem poro-spatiale du cham p perceptif.
D ’où le caractère « endogène », « autochtone » des sensations élém entaires
qui jaillissent de l ’espace interne, des profondeurs de l ’organisation même du
système perceptif qui les contient, si le hasard et l ’entropie s’introduisent dans
le système perceptif p o u r d onner à to u s les Stimuli possibles externes ou internes
la mêm e « chance » d ’être perçus sans avoir le d ro it d ’être choisis p ar le filtre
sélectif des organes des sens.— P o u r ce qui est du m onde intérieur des stim ulations
internes c ’est-à-dire d u m onde des im ages, nous savons bien que (répétons-le)
p o u r R. Ju n g VEigengrau (ce fond clair-obscur neutre et virtuel) n ’est pas un
simple « white noise » com m e dans une m achine électronique, m ais q u ’il est et
représente la finalité profonde et obscure de l ’être, de telle sorte que de l ’infinité
des possibles qui constitue sa constante virtualité surgit l ’éclatante fulguration
(lum ière o u son) de la sensibilité et du sens des organes des sens.
N ou s pouvons bien dire que les protéidolies ne so nt pas, com m e nous le sou
lignions plus h au t, des étincelles physiques m ais le p ro d u it de la germ ination et
de l ’éclosion sym bolique des m ouvem ents qui à l ’intérieur même de l’être pous
sent celui-ci à les vivre (Erlebnis) sinon à les percevoir. Ce sont des coups de b o u
to ir de l ’Inconscient qui pren n en t dans le cham p perceptif la place des objets à
percevoir, c ’est-à-dire de ceux qui p o u r le Sujet o n t une valeur d ’inform a
tio n. Ce so n t des « form es » vides d ’ « inform ation ».
— N ous en avons d it peut-être tro p en n ’en disant pas assez. C ar cette esquisse
théorique p o u rra paraître hasardeuse. D ’autres sau ro n t mieux que nous la p o r
te r au niveau d ’un m odèle valable que nous avons pu seulem ent, à la m esure
de nos tro p faibles connaissances, esquisser. M ais peut-être le lecteur convien-
dra-t-il avec nous au term e de ce long exposé de la théorie organo-dynam ique
de l ’H allucination, que celle-ci p eu t aller ju s q u ’au b o u t, ju sq u ’à la racine de
to u tes les m odalités d ’H allucinations et mêm e ju s q u ’à la com préhension et
l’exphcation des phénom ènes êidoliques et, p arm i eux, même ju s q u ’à l ’expli
1338 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
SENS G ÉN ÉR A L
D E LA TH ÉO RIE O R G A N O -D Y N A M IQ U E
D E S HALLUCINATIO NS
les autres organogènes (externes) en mêlant naïvement l’idée que ce qui est vécu dans la
réalité psychique pourrait être radicalement séparé de ce qui est perçu de la réalité
objective — c ’est donc, bien sûr, par la négative que nous pouvons répondre à cette
question. — La troisième question était celle du sens et de la nature des relations qui
unissent les anomalies de la perception et le délire hallucinatoire; nous y avions déjà
répondu nettement avec H. C laude en séparant ce que nous avons dans cet ouvrage
encore plus nettement distingué : Éidolies hallucinosiques (compatibles avec la raison)
et Hallucinations délirantes. — La quatrième question « Quelle théorie générale peut-on
appliquer à l’ensemble de ces anomalies ? » supposait pour y répondre que, d ’une part
on tienne compte de la diversité des phénomènes hallucinatoires et que, d ’autre part,
on puisse fournir un modèle théorique assez général pour s ’appliquer, d ’une part aux
Éidolies hallucinosiques, et d ’autre part aux diverses modalités d ’Hallucinations déli
rantes : d ’où la nécessité d ’un modèle organo-dynamique qui peut seul mais à des
niveaux divers s ’appliquer à l ’ensemble des phénomènes hallucinatoires, tandis que les
modèles mécanistes ou psychogénistes sont manifestement incapables de nous faire
accéder à une théorie générale de l’Hallucination. — La cinquième question « Un pro
cessus organique est-il toujours à la base de la perception interne ou externe ? » était for
mulée encore une fois comme si une psychogenèse était possible pour les Hallucina
tions psychiques et délirantes, ce qui, nous l’avons vu, nous a paru dans la suite
manifestement faux; qu ’il s’agisse en effet d ’Hallucinations psychiques ou psychosenso
rielles, d ’interprétations ou d ’illusions, pour autant q u ’elles sont l’effet du délire, c ’est-
à-dire d ’une déstructuration du champ de la conscience, ou d ’une régression, ou d ’une
aliénation du Moi, elles sont toujours conditionnées par une désorganisation du corps
psychique qui est lui-même incorporé dans le corps par son origine, son développement
et son intégration. Et ce n ’est q u ’après que nous avons pu expliciter les structures
synchroniques et diachroniques de l’être conscient, que nous avons pu généraliser
l’idée d ’une désorganisation nécessaire de l’être ou du devenir conscient (La
Conscience, 1964). — La sixième question « Les anomalies de la perception interne et
externe dépendent-elles directement et exclusivement d ’un processus? » appelait déjà
dans mon esprit à cette époque une réponse négative : 1’ « écart organo-clinique »
impliqué dans la pathologie jacksonienne de la maladie, c ’est-à-dire la composition
mixte de tout phénomène hallucinatoire qui doit être envisagé dans sa négativité
d ’abord mais dans sa positivité également, est bien là comme pour nous garantir
que la projection hallucinatoire si elle dépend d ’une désorganisation de l ’organisme
psychique est mue par les forces psychiques les plus exigeantes, c ’est-à-dire les plus
inconscientes. — Enfin à la septième question « Quelle classification des délires hallu
cinatoires peut-on établir ? », nous sommes maintenant en mesure de répondre après
nos études structurales sur les psychoses délirantes hallucinatoires aiguës et chro
niques ; il me semble que depuis 1935 nous voyons, ou en tout cas je vois ou je crois
voir plus clair dans ce problème nosographique tel que je l’ai exposé dans la troisième
Partie de cet ouvrage.
Somme toute, malgré le caractère, je le répète, un peu anachronique et parfois
confus des questions posées, malgré leur « incohérence » (au moins relative) qui rend
difficile d ’y répondre comme je le réclamais avec cohérence, je pense pouvoir dire que
1340 MODÈLE ORGA NO-D YNAMIQUE
que F reu d a fait de ces m ots) de l ’H allucination que nous avons constam m ent
entendu saisir dans et p a r ses m odalités d ’apparition. C ’est q u ’il y a réalité et
réalité. Celle qui est la plus sûre — m êm e si le cogitatum d u Cogito ne se pré
sente ou ne s’effectue que dans la relation qui lie le Sujet qui pense au m onde
de l ’im pensé — c ’est la réalité des phénom ènes psychiques. M ais en ta n t q u ’ils
ne tirent leur réalité que de l ’organisation corporelle qui les incorpore dans la
to talité d ’une perception de la « Realität » et de la « W irklichkeit », toute réa
lité ne p eu t pas être mise entre parenthèses m ais doit être explicitée. D ans
l ’épistém é o u le « Z e itg e ist» d ’une époque qui volatilise to u te réalité ju s q u ’à
la dissiper dans la nébuleuse des m ots, des relations verbales abstraites ou des
institutions culturelles qui va n on seulement ju s q u ’à nier les choses, la nature,
l ’objectivité d u m onde et d u savoir — m ais qui va m êm e ju sq u ’à soum ettre
encore la réalité psychique au vitriol d ’une destruction to u t aussi corrosive;
dans ce m onde où il n ’y au rait ni m oi, ni personne, ni corps, ni esprit, m ais
seulem ent d ’évanescentes représentations fantom atiques là où seule une
sorte de phantasm e de l ’esprit, reflet des m ots, devrait régner sur ce m onde
désert et les êtres désincarnés, il n ’y a plus de place po u r la réalité, po u r
l ’ontologie de l ’être dans sa chair et dans ses os, dans son anatomie.
Oui, voilà le grand m o t lâché ! C ’est contre l ’anatom ie, c ’est-à-dire l ’orga
nisation même de l’être ju s q u ’à et y com pris celle du « corps psychique »
de chaque hom m e en ta n t q u ’exem plaire unique de l ’espèce que l ’esprit de
ce tem ps conteste, com m e si le corps de chacun de nous n ’était et ne p o u
vait être que le corps social auquel il appartient. Le « réalism e » de notre
conception de l ’H allucination et plus généralem ent de n o tre conception de
la Psychiatrie s’érige avec force contre la magie d ’une prestidigitation qui
entend escam oter l ’autonom ie, c ’est-à-dire la corporéité même de l ’organism e
vivant et pensant. C ar c ’est dans cette chair que le phénom ène hallucinatoire
ap p araît, c ’est-à-dire dans la désorganisation finie de l’être et non dans les vicis
situdes lointaines et infinies de l ’aliénation de la société. P o u r ex-centrique
que soit la présence de l ’hom m e à son m onde, il est to u t entier concentré à l’inté
rieur e t dans l ’ordre de son corps. Les deux prem ières thèses de notre conception
organo-dynam ique doivent être jo intes à cet égard com m e p o u r mieux affirmer
de quelle sanglante blessure ou de quelle syncope du « corps psychique » se
form e l’H allucination. E n ta n t que phénom ène de désintégration individuelle,
elle est et ne p eu t être que l ’effet d ’une ru p tu re de l ’organism e psychique
o rd o n n ateu r de sa réalité. E t c ’est en quoi elle est, en ta n t que l ’effet le plus
« sym ptom atique » de la m aladie m entale, constitutive d ’une réalité falsifiée
dans et p a r sa propre fabrication. L ’halluciné récuse la réalité q u ’il s’est orga
nisée dans et p a r son p ro p re « corps psychique » p o u r lui substituer l’irréalité
qui s’élève dans le désordre de son seul désir. N ous ne pouvons que répéter
j ’ai par cet ouvrage non pas seulement répondu à ces questions mais posé avec plus de
netteté le problème général de l’Hallucination pour tenter de lui donner une solution
clinique et théorique satisfaisante.
RÉFLEXIONS TERMINALES 1341
ici ce qui est venu sous n o tre plum e à plusieurs reprises dans les divers cha
pitres de cet ouvrage : l ’H allucination contrevient a la logique du
PLAN D’ORGANISATION DE LA VIE PSYCHIQUE COMME LE CANCER TRANSGRESSE LA
LOGIQUE DU VIVANT.
Et, en effet, l ’H allucination loin d ’être cette chose, ce son, ce fluide, cette
luminescence que certains neurophysiologistes o n t cru q u ’elle était, est essen
tiellem ent une pulsion vitale m ais anarchique. D ans la pathologie des sens
elle confère précisém ent une « donnée de sens » aux figures qui ne s’engendrent
que dans ce sens. E t c ’est en quoi nous touchons, com m e nous y avons ta n t de
fois insisté dans les divers chapitres de ce livre, au problèm e de l ’Inconscient
dans ses relations avec l ’H allucination. L ’H allucination est toujours la voix
de l’Inconscient. Sans Inconscient il ne p o u rrait pas y avoir d ’H allucination
puisque l ’H allucination a p p araît com m e le phénom ène, l ’épiphanie de
l ’Inconscient. D isons mêm e que l ’H allucination est inconsciente deux fois
p o u r p ouvoir être engendrée p a r deux m ouvem ents du « devenir inconscient ».
T an tô t, en effet, elle ap p araît au Sujet sur la scène du cham p de sa conscience
en le c a p ta n t au piège de sa fausse réalité. T an tôt, elle ap p araît à celui qui
écoute l’énoncé de l’A utre q u an d le M oi a perdu sa propre parole.
D ans les deux cas, bien sûr, se révèlent et la force de l ’Inconscient et la
faiblesse de l ’Ê tre conscient qui a perdu la propriété de ses propriétés garantie
p ar la législation de sa constitution... Tel est p o u r nous le rap p o rt véritablem ent
organique de l’Inconscient à l’Ê tre conscient qui, s’inscrivant dans le phéno
mène hallucinatoire, découvre son sens : la subordination de l ’Inconscient
soumis au principe du plaisir à l ’Ê tre conscient ord o n n ateu r du principe de
réalité. L ’H allucination n ’a p p araît que lorsque ce ra p p o rt de subordination
s ’inverse.
U ne conception exactem ent freudienne ne p eut pas dire autre chose que
ce que F reu d a dit, soit en p a rla n t de la Régression, soit en p arlan t de l ’épreuve
de la réalité. L ’épreuve de la réalité, dit-il, est une fonction essentielle du M oi
conscient, dans son fam eux « Com plém ent à l ’interp rétation des rêves » (1916),
ainsi que nous l ’avons m inutieusem ent étudié (cf. supra...). Q uant à la notion
de régression, elle n ’est pas seulem ent u n de ces « m écanismes » véritablem ent
enfantin (1) p a r lesquels ta n t de disciples o u faux disciples de F reud expliquent
l’H allucination (comm e l ’acting-out, le lapsus, la contestation ou la révolte, etc.)
p a r une régression de pulsions partielles ou de scènes anachroniques des évé
nem ents excrém entiels ou orificiels de la prem ière enfance, m ais en lui faisant
produire l ’objet des désirs prim itifs. L a régression, le m ouvem ent de désorga
nisation de l ’être psychique qui engendre l ’H allucination est p o u r nous infi
nim ent plus global et p roprem ent ontologique. Si le « vouloir dire » de la rep ré
sentation éclate dans la p ro d u ctio n de signes indicatifs qui déjà conduisent les
(1) J ’emploie ici le mot enfantin pour marquer ce qu’ont de puéril les inter
prétations sur la régression aux stades infantiles du développement et surtout à son
segment prégénital.
1342 MODÈLE ORGANO-DYNAMIQUE
THÉRAPEUTIQUE
DES HALLUCINATIONS ”
(*) Je remercie chaleureusement m on Assistant, le D octeur François B o h a r d , qui a bien voulu m ’aider
à rassembler la docum entation nécessaire à la rédaction de cette dernière partie, à un m om ent où je croyais
devoir y renoncer.
l y a quelques années encore la conclusion d ’u n Traité des Hallucinations
Sédiment d'hospitalisation
chronique......................... 133 (45 % ) 68 (34 o/o) 40 (15,5 o/o)
nine d ’E ure-et-L oir (95000, 90 000 et 112000), nous avons obtenu les tau x
de 0,60 % p o u r la période 1921-1937, de 0,40 % p o u r la période de 1938-
1954 et de 0,50 % p o u r la période de 1955-1967. Ce taux de m orbidité
ap p araît d onc assez constant. A u tau x le plus élevé correspond l’ère « asi
laire » et n o n « thérapeutique »; le tau x le plus faible correspond à la
période des événem ents de guerre 1939-1945.
Si le taux de m orbidité de ces m alades délirantes et hallucinatoires graves
paraît dim inué (quand on le rap p o rte au nom bre des entrées il est successi
vem ent de 36 % , 16 % et 9 % ), il est p ratiquem ent à peu près constant
(0,60 % , 0,40 % , 0,50 % ).
P o u r ce qui est de l ’action thérapeutique, nous devons faire deux rem ar
ques : l’une concernant la chim iothérapie, l’autre les effets globaux de toutes
les thérapeutiques actives et conjuguées.
1° L a sédim entation que nous pouvons appeler délirante ou hallucinatoire
était passée de 45 % à 34 % déjà avant l ’introduction des neuroleptiques
(les sorties éta n t passées p en d an t cette période de 6 à 30 %).
2° L a conséquence de to u s les m oyens thérapeutiques, chim iothérapiques,
biologiques, psychothérapiques et institutionnels, perm et, m algré la constance
de la m orbidité de « réad ap ter » 67 ° / de délirants chroniques, m ais ce taux
doit être dim inué de près de la m oitié si l’on tien t com pte que sur 169 m alades
sorties, dans les 12 dernières années, environ 80 o n t besoin de soins ou vivent
dans des conditions sociales précaires. De sorte que 120 m alades sur 252
ont, m algré to u s nos soins, évolué défavorablem ent. R appelons que dans
notre statistique de 1957 (Évol. Psych., 1958, p. 166), statistique qui p o rtait
sur 172 m alades graves observées pend an t 24 ans, le taux des évolutions
favorables se situait entre 25 et 30 %. Ce taux a donc été p o rté à 50 y ,
m ais avec beaucoup d ’efforts.
N ous pouvons reprendre la phrase que Brierre de B oism ont écrivait dès
le début de son chapitre X IX , p. 604 en note (1) : « Il ne fau t pas perdre de
« vue que l ’H allucination com pliquant le plus ordinairem ent une des form es
« de l ’aliénation, ce que nous disons souvent d u traitem ent s ’appliquera aux
« deux m aladies ». Oui, le traitem ent de l ’H allucination risque, en 1973 comme
en 1852 (et p o u r la mêm e profonde e t naturelle raison), de se confondre avec
la généralité de la thérapeutique en Psychiatrie.
Très som m airem ent p o u r ne pas tro p allonger encore cet ouvrage en lui
ajo u tan t le supplém ent thérapeutique que p o u rta n t il exigerait, nous allons
exposer en quoi la thérapeutique des H allucinations de nos jo u rs peu t être
si différente de celle employée au siècle dernier. Ces progrès sont encore
difficiles à chiffrer et ces m odes d ’action difficiles à déchiffrer p o u r la simple
raison que les catégories naturelles d u phénom ène hallucinatoire que nous
avons mises en évidence dans cet ouvrage n ’éta n t pas prises en considération,
les indications e t résultats thérapeutiques rap p ortés dans ta n t de revues,
d ’articles, de com m unications et d ’ouvrages depuis une trentaine d ’années,
sont à peu près inutilisables. I l fa u t en effet p o u r traiter correctem ent de ce
E y. — Traité des Hallucinations, il. 44
1348 THÉRAPEUTIQUE
sujet avoir to u t sim plem ent une connaissance approfondie — et qui m anque
généralem ent — d u problèm e des H allucinations, et n o tam m ent ne pas estim er
que la m eilleure faço n de « tra ite r » les H allucinations c ’est de considérer
q u ’elles n ’existent pas... ou ce qui revient a u m êm e, q u ’elles doivent être
« traitées » com m e les illusions, les convictions et les erreurs com m unes à tous
les hom m es si m êm e p o u r certains elles ne doivent pas être l ’objet d ’u n culte
p articulier p o u r le génie q u ’elles m anifesteraient et q u ’il serait vraim ent
fâcheux de supprim er... M ais laissons là tous ces sophism es. N ous allons
successivem ent exposer ici :
1° Les traitem ents anciens des H allucinations.
2° Les thérapeutiques neuro-biologiques (thérapeutiques de choc, m édica
tions hallucinolytiques).
3° Les psychothérapies.
4° Les diverses indications de conduites thérapeutiques selon les diverses
catégories d ’hallucinations o u de syndrom es hallucinatoires.
CHAPITRE PREMIER
m ais celles-ci éta n t interrom pues dit-il, des. fantôm es de to u te espèce vinrent
l ’assaillir. L ’a u te u r expose aussi l ’observation d ’un halluciné qui accusait un
« m o n treu r » d ’anim aux de faire des propositions m alhonnêtes à sa fem m e;
« s ’é ta n t élancé sur lui, il le vit changé en cheval puis rapetisser à vue d ’œil, ce
qui ne l ’a pas em pêché, dit-il, de le tu e r ». Brierre de B oism ont le tra ita éner
giquem ent, lui fit raser la tête, placer trente sangsues le long de la suture
sagittale, e t le lendem ain o n le conduisit au b ain ; l ’addition de pu rg atif fit
merveille e t h u it jo u rs après « il avait retrouvé l ’usage de ses facultés intel
lectuelles ». U n au tre aliéné, rap po rte-t-il encore, qui croyait avoir avalé le
diable e t qui lui é tait resté dans l ’estom ac, refusait p en d an t plusieurs jo u rs de
satisfaire aux besoins de la n ature de crainte de le libérer m ais Ferrier « trio m
p h a » de sa résolution en lui ad m in istrant un émétique.
N ous n ’osons pas tro p insister sur le côté dérisoire de ces thérapeutiques
médicales, m ais il est certain q u ’à cette époque l ’em ploi des ém étiques (1), des
bains, des douches, de l ’irrigation continue, constituaient, dit Brierre de
B oism ont, d ’utiles ressources « qui devaient être soumises cependant à quelques
règles ». Il semble que lui-m êm e p référât l’irrigation continue : « l ’eau tom be
p en d an t des heures entières en u n m ince filet ou arro so ir sur la tête du m alade
placé dans le bain »; p e n d a n t l’irrigation, il « harcelait » le p atien t qui très sou
vent dem andait grâce (2).
Il convient de rappeler d ’ailleurs que vers cette mêm e époque, M oreau
(de T ours) fu t le p ro m o teu r de la thérapeutique m édicam enteuse des H alluci
n ations. Il préconisa l ’em ploi d u Datura sur le fondem ent d ’une sorte de
théorie hom éopathique puisque le D a tu ra est un hallucinogène qui était déjà
co n n u com m e tel : il préconisait des doses m odérées d ’extrait de sucre épuré
de Stramonium. Vers la même époque, ajoute notre auteur, M . M itivier eut
l ’idée d ’a tta q u e r les H allucinations p a r électricité; il o b tin t trois ou quatre
guérisons en im p lan tan t des aiguilles dans la m em brane du tym pan. Baillarger
v oulut expérim enter sur lui-m êm e la m éthode et il a vu, dit-il, passer devant
ses yeux de nom breuses étincelles bleuâtres, ce qui p erm ettait naturellem ent
(au n o m d u principe de l ’énergie spécifique des nerfs !) de penser que des
irritatio n s sensorielles pouvaient être à la fois hallucinogènes et hallucinolyti-
ques...
E n ce qui concerne le traitem ent moral, Brierre de B oism ont rappelle « la
p a rt im m ense » que pren n en t les idées dans la p ro d u ctio n des H allucinations.
« O n com prendra, ajoute-t-il, com m ent c ’est à elles q u ’il fau d ra recourir p o u r
« la guérison de la fausse sensation qui fait le to u rm en t des hallucinés. A cet
« hom m e qui croit q u ’il est changé en théière, à celui-ci qui s ’im agine q u ’on
« lui a reto u rn é la tête, vous contenterez-vous de donner des tisanes, des pur-
« gatifs, des m édicam ents quelconques ? C om m ent triom pherez-vous p a r un
LES THÉRAPEUTIQUES
NEURO-BIOLOGIQUES (1)
I. — LES T H É R A P E U T IQ U E S DE C H O C
Dès que l ’on pra tiq u a des cures de « pyrétothérapie » ou de « chocs colloïdo-
clasiques » (huile soufrée, abcès de fixation, injections de nucléinate de soude,
(1) Pour ma part, j ’ai conseillé des cures à comas peu nombreux et interrompus
à la fois par le resucrage et une application d ’électrochoc.
INSULINOTHÉRAPIE 1355
(1) Plût au ciel que C erletti et Bini eussent baptisé leur méthode « électroplexie »
plutôt que de la rendre vulnérable par le terme même de « choc » aux criailleries
q u ’a suscitées cette pratique si efficace et si anodine, à la condition d ’être sagement
appliquée et bien contrôlée !
1356 THÉRAPEUTIQUE
lem ent des phénom ènes psychologiques qui suivent le post-électrochoc (1958).
L ’observation m inutieuse de travail de reconstruction sur lequel Delm as-
M arsalet (1943) avait insisté perm et de suivre et mêm e de prévoir les progrès
de l ’action hallucinolytique. Celle-ci est assez souvent très rem arquable, m ais
ta n t q u ’elle se p ro d u it dans la phase am nésique elle ne d o it pas être tenue
p o u r acquise. A u contraire, c ’est le m om ent d ’instituer, com m e nous y insis
terons plus loin, une psychothérapie très active (1). O n trouvera naturellem ent
dans les ouvrages généraux de thérapeutique biologique psychiatrique déjà
cités plus h a u t et les travaux plus spéciaux de C erletti et Bini bien sûr et
d ’ab o rd , de L apipe et R ondepierre (1943), de J. D elm ond et R . E btinger et
R . W arteld an s Y Encyclopédie (1954 et 1964), des observations qui ne perm ettent
p as de d o u ter de l ’efficacité de cette thérapeutique « révulsive » ou « stressante »
sur les phénom ènes hallucinatoires. D ans les cas où les expériences délirantes
so n t saturées d ’angoisse, d ’excitation, et que l ’activité hallucinatoire y est vécue
avec une forte charge ém otionnelle, onirique ou dépressive, il est honteux que
certains Psychiatres aient honte de guérir ces m alades par ce moyen.
N aturellem ent, l’électrochoc, héritier de la convulsivothérapie cardiazolique
de von M eduna, a été m odifié lui-même dans sa technique. N ous avons déjà
souligné l ’im portance que nous attachions à la convulsivothérapie sous n ar
cose et à la curarisation p o u r assurer le contrôle m édical de la « sism othérapie ».
O n a aussi préconisé une « b rie f stim ulus therapy » en reco u ran t à des
q uantités m oindres d ’électricité (von B raunm ühl) ou à l ’utilisation d ’ondes
carrées (L iberson, Offner). Les « électro-absences » o n t été vite abandonnés
en raison de leur caractère pénible p o u r les patients. L a technique progressive
dite de glissade (Tietz, 1945), Y électronarcose (P aterson, 1944; A nglade,
1951 e t R ondepierre, 1952, etc.), les applications bipolaires à localisation
variable (H olzer, 1942; H assler, 1953) ou Y application bipolaire unilatérale
(Im p o stato et Pacello, 1952; L ancaster, 1958; M artin et coll., 1965; Lévy,
1968; G iacom o d ’Elia, 1970, etc.) p ro v o q u an t une hémicrise convulsive, sont
a u ta n t de m oyens « critiques » p o u r rom pre puis restaurer l ’hom éostasie et
le processus de désynchronisation de l ’activité nerveuse supérieure. La corré
latio n de ces techniques avec les phénom ènes hallucinatoires n ’est généralem ent
p as signalée. C ependant, M . F akler, Es Islam et A. A hm ed, M . E. Erfan (1970)
o n t consacré une étude aux effets de l ’électrochoc unilatéral sur les Délires et
les H allucinations des schizophrènes. Il semble que com pte ten u de l’im por
tance des m écanism es am nésiques d ans la régression de l ’activité délirante et
(1) Je puis ici rappeler un cas auquel j ’ai déjà fait allusion dans cet ouvrage. Celui
d ’une jeune femme qui, subitement, au cours de l ’orgasme sexuel eut la révélation
q u ’elle était l ’immaculée Conception. Elle ne cessa pas pendant plusieurs mois
d ’être possédée par Dieu, en communication avec lui qui parlait par sa bouche.
Quand elle parvint dans mon service, toutes les ressources thérapeutiques furent
mises en jeu et notamment électrochocs et psychothérapie de groupe que je diri
geais moi-même. Après une phase « amphibole » d ’hésitation, elle prit d ’abord de
la distance à l’égard de ses Hallucinations jusqu’à les déjouer et en rire...
CONVULSIVOTHÉRAPIE 1357
Il — P S Y C H O -C H IR U R G IE
Les lobotom ies (leucotom ies d ’Egas M oniz) recom m andées déjà en 1891
p a r B urk h ard t, rép o nd en t à l ’idée que le cerveau est entretenu dans les m aladies
m entales en éta t d ’irritatio n constante p a r des im pulsions qui auraient leur
source dans les lobes p réfrontaux... C ’est donc contre cet « éréthism e » ins
tinctif, com portem ental, délirant ou hallucinatoire que vers 1940 (W. Freem an
et W atts), puis de nom breux neuro-chirurgiens anglo-saxons, puis français,
allem ands, italiens, etc., o n t proposé de tra ite r les m aladies m entales graves
(1) Les rédactions (1954 et 1969) des chapitres sur les « Thérapeutiques biolo
giques en Psychiatrie » du tome III de la Psychiatrie de l'Encyclopédie médico-chirur
gicale, fournissent une documentàtion très complète sur ces tentatives thérapeutiques.
1358 THÉRAPEUTIQUE
(1) Pour ma part, je prescrivis cette opération chez environ 50 malades de 1947
à 1959. Si j ’en excepte les premiers cas qui étaient des schizophrénies déficitaires dont
le pronostic était vraiment fatal, je puis dire que sur les 30 autres cas, j ’ai constaté
10 succès absolument inespérés et qui se sont maintenus. Parmi ceux-ci notamment,
trois grands délires hallucinatoires autistiques ont disparu. Une de mes lobotomisées,
atteinte d ’une psychose hallucinatoire schizophrénique depuis plusieurs années,
exerce la fonction de professeur de mathématiques après des études qu’elle fit après sa
lobotomie. Par contre, hélas, j ’eus la peine de perdre des suites opératoires une jeune
schizophrène (cf. la thèse de mon élève Cl. I gert , Paris, 1954).
PS YCHOCHIRURGIE 1359
(T alairach, 1949) des noyaux thalam iques. T outes ces interventions n ’ont
guère ap p o rté de progrès au traitem en t des diverses m odalités hallucinatoires.
Le travail de H irose (1966) perm et de se faire une bonne idée des divers travaux
et des observations personnelles de l ’au teu r sur les topectom ies (orbito-ventro-
m edial untercutting). Il ne se réfère p as spécialem ent — comme la p lu p art des
auteurs — au problèm e qui nous occupe, m ais nous pensons que sur les 10 cas
(sur 28) de schizophrénies qui sem blent avoir bénéficié de cette intervention,
il devait bien y avoir quelques délires hallucinatoires. L ’auteur, en to u t cas,
préfère cette technique aux « closed blind lobotom ies » classiques — Les tra
vaux récents de G. L azorthes, L. G ayral et coll. (1971), de R. Ström -O lsen et
S. C arüole (1971) et de D . Kelly, C. J. W alter et coll. (1972) perm ettent de
se faire une idée des nouvelles techniques qui sous contrôle stéréotaxique
paraissent poser de nouvelles indications psycho-chirurgicales.
L 'amygdalectomie, c ’est-à-dire des destructions bilatérales de l ’am ygdala
(noyau am ygdalien d u système lim bique), a été pratiquée chez 5 m alades p a r
J. M . W illiam s e t W. F reem an (1952). J. M . W illiam s a rap p o rté ensuite trois
observations d ’hallucinations auditives chez des délirants chroniques (schizo
phrènes) ; dans un de ces cas, il a observé une « com plète rém ission » des phéno
m ènes hallucinatoires. H . C h itan o n o h (1966), q u an t à lui, relate 7 cas d ’am yg
dalectom ie stéréotaxique appliquée avec succès à des H allucinations olfactives
chez des schizophrènes.
Si tou tes ces interventions n ’o n t p as eu d ’effets hallucinolytiques constants,
on a noté p a r contre parfois des effets hallucinogènes post-opératoires. M ais
généralem ent il s’agit d ’états confuso-oniriques ou correspondant aux états
d ’hallucinose aigus (au sens de W ernicke), c ’est-à-dire d ’expériences hallu
cinatoires transitoires (W eysenbeck, 1950).
N ous l ’avons déjà souligné, dès 1845 M oreau (de Tours) cherchait une
sorte de m édicam ent, sinon spécifique du m oins à action particulièrem ent
sélective sur 1’ « état prim ordial d u délire hallucinatoire », et com m e antidote
(1) On se rapportera pour suivre et compléter l ’exposé succinct que nous faisons ici
de la chimiothérapie hallucinolytique, aux grands ouvrages de J. D elay et P. D eni-
ker (1961), du Groupe Lyonnais de Thérapeutique psychiatrique (A chaintre ,
B alvet, etc., 1963), à l’article de B risset et R idard , « Chimiothérapie », in Encyclo
pédie Médico-Chirurgicale, rédaction de 1962 au livre de A. D imascio et coll. (1970),
au petit livre pratique et commode qui vient d ’être publié sous la direction de J. S u t -
ter (1971), à l’ouvrage de O. V inar et coll. (1971), etc. Pour ce qui est de l ’action
hallucinolytique des médications psychotropes, cf. spécialement la thèse de L. P ilon
(Paris, 1959) et celle de J. M. Bouchard (Paris, 1968) et le mémoire de P. B orenstein
et G. B lis (Société Moreau (de Tours), 24 juin 1963). On trouvera plus loin la biblio
graphie plus complète de ces ouvrages. Signalons que d ’innombrables communi-
1360 THÉRAPEUTIQUE
cations ont été faites à la Société Médico-Psychologique et aux Congrès annuels des
Neurologues et Psychiatres de langue française depuis 1953, principalement par
D elay, DENiKERet coll., par les psychiatres lyonnais (L ambert, Broussole, G uyotat ,
Vermorel, etc.), par l ’école de Strasbourg (K ämmerer et ses élèves), celle de M ar
seille (Sutter et ses élèves) et encore par A. Soulairac , par L. F ours , M. H enne, etc.
(1) Je me suis souvent demandé si l’Ellébore blanc (connu surtout par les quatre
grains du fabuliste) n ’avait jamais été étudié comme psychotrope. La Vératrine qui
est son alcaloïde n ’est guère connue que par son action sur la contraction musculaire.
(2) On trouvera dans la Psychiatrie homéopathique de M. N icolas (Doin, 1968)
tout un chapitre sur la thérapeutique homéopathique des Hallucinations. Nous ne
pouvons pas reproduire ici la liste des trente-quatre remèdes préconisés par les homéo
pathes contre les Hallucinations (Bitterlin , C hiron , V annier , etc.). Outre la Bella
done, le Cannabis, l’Opium et la Stramonium qu’on s ’attendrait bien sûr à trouver
dans la microthérapie médicamenteuse, on y trouve des substances plus mystérieuses :
Calcarea carbonica, Chalidomum, Ignatia, Kali Carbonicum, Lac Canicum, Petroleum,
Platina, Tarentula, etc. Pour les états de « dédoublement », K ent recommande la
Baptisca, le Cannabis, le Thuya, etc.
MÉDICATIONS HALLUCINOLYTIQUES 1361
et coll. (1954) reco u ru ren t aussi à la procaïne en espérant son action halluci-
nolytique. A la même époque, P. G u y o t (1953) te n tait l ’infiltration du lobe
tem po ral gauche p a r des infiltrations novocaïniques et n o tait la disparition des
H allucinations auditives dans u n cas de Psychose hallucinatoire chronique
ancienne.
D ’au tre p a rt, l ’em ploi des m édications antiparkinsoniennes associées aux
hypnotiques con n ut entre 1950 et 1953 une certaine vogue. T andis que les
narcothérapies (type m éthode de Kläsi) continuaient à être utilisées notam m ent
en Suisse (m élange d it « C loettal ») et que le « Somnifène » était plus large
m ent em ployé en France au cours des années précédentes (H enri Ey), on p ra
tiq u a des cures de som m eil potentialisées com m e thérapeutique de l ’angoisse, de
l ’agitation et aussi des réactions névrotiques (1) et délirantes. L a thèse de
M . P. de L acroix-H erpin (1954) et la m onographie de H. F au re (2) rendent
com pte des efforts thérapeutiques entrepris dans n o tre service. Avec H . B érard
d ’ab o rd puis avec la collaboration de H . L ab o rit (3), nous avons pratiqué à ce
m om ent-là des hibernations très profondes chez certains schizophrènes. Il est
possible que nous n ’ayons pas persévéré assez systém atiquem ent dans cette tech
nique p o u rta n t bien m aîtrisée. N ous avons gardé l’im pression que Vhibemo-
thérapie sous form e de « cure sédative rapide » (perfusion du mélange de
L aborit, c ’est-à-dire Largactil-D olosal-Phénergan) pendant plusieurs heures
d u ra n t 4 à 5 jo u rs, constitue une excellente m éthode de guérison de l ’activité
délirante hallucinatoire de l ’angoisse et de l ’excitation des Psychoses aiguës.
N ous y insisterons plus loin.
C ’est précisém ent dans cette atm osphère (4) de recherches et de tâto n n e
m ents q u ’a p p aru ren t les « ganglioplégiques » (H . L aborit) appelés p a r J. D elay
et P. D eniker les « neuroleptiques », c ’est-à-dire des substances psychotropes
agissant sur la régulation intersynaptique d u système cérébro-spinal com m e du
système nerveux autonom e. E t com m e nous allons le voir, peu à peu on s’aper
çu t de leur action hallucinolytique assez rem arquable non pas p o u r constituer
une m édication spécifique des H allucinations bien sûr, m ais p o u r constituer
une thérapeutique im p o rtan te des Psychoses délirantes et hallucinatoires aiguës
et mêm e de certaines phases ou form es de Psychoses hallucinatoires et chro
niques.
(1) Il est important de citer ici le travail récent de P. Loo, J. Sauvage et S. Saba,
« La cure de sommeil », Ann. méd.-psychol. Fr., 1971,2, p. 367-390.
(2) H . F aure , Cure de sommeil collective et psychothérapie de groupe, Paris,
Masson et Cie, 1958.
(3) Cf. à ce sujet m on article sur l ’hibernation en psychiatrie dans l ’ouvrage
collectif publié par L aborit et H uguenard , Pratique de Thibernothérapie en chirurgie
et en médecine, 1955.
(4) Le livre que A. E. C aldwell (1970) a consacré à l’histoire de cette découverte
française doit être spécialement mentionné. J ’en ai fait une longue analyse dans la
Presse Médicale (1971).
1362 THÉRAPEUTIQUE
1° L e s d e u x « n e u r o le p tiq u e s j>>p r in c e p s : la r é s e rp in e
e t la c h lo r p r o m a z in e .
(1) C ’est généralement per os que la Réserpine est administrée, mais la voie intra
musculaire peut être aussi employée (ampoule de 2,5 mg, répétée 2 et même 3 fois
par jour). Tous les auteurs sont d ’accord pour ne pas associer à ce traitement la
convulsivothérapie. L ’association avec les neuroleptiques doit être prudente, les
effets extrapyramidaux tendant à s’additionner (L ambert).
(2) Les contributions de H. E y et H. F aure , de H. B érard , de Mlle D eschamps,
de J. A ngel , de F au et C hateau , de Bobon (première partie des C. R. du Colloque
sur la Chlorpromazine, Encéphale, 1956) témoignent de cette première orientation
de l’usage du 4560 RP.
MÉDICATIONS HALLUCINOLYTIQUES 1363
(1) Je me permets de citer quelques lignes de cette communication qui ayant paru
dans les C. R. du Colloque à la rubrique « Mode d'administration » a échappé à
l’attention des Cliniciens. Notamment, J. D elay et P. D eniker n ’ont pas paru se
la rappeler en établissant la riche bibliographie de leur livre (1961).
(2) La référence de cette communication (p. 440 des C. R.) ne figure pas non plus
dans la bibliographie générale établie par J. D elay et P. D eniker à la fin de leur livre
Méthodes chimiothérapiques en Psychiatrie (1961).
1364 THÉRAPEUTIQUE
2° L a g é n é r a tio n d e s n o u v e a u x « n e u r o le p tiq u e s ».
(1) Pour J. D elay et P. D eniker , les neuroleptiques sont caractérisés par leur
« action psycholeptique » (c’est ce que j ’appelle un concept vague ou tautologique)
MÉDICATIONS HALLUCINOLYTIQUES 1365
(Sigwald et coll., 1956; D eshaies et coll., 1959) ne s’est pas révélée d ’un pouvoir
anti-hallucinatoire o u anti-délirant particulièrem ent intéressant. P a r contre, son
association avec les neuroleptiques incisifs a des effets souvent rem arquables
com m e nous le verrons plus loin.
2. — L a Thioridazine (M elleril) n ’a pas, nous semble-t-il, d ’action très effi
cace su r les Psychoses délirantes et hallucinatoires ou dans les Délires p a ra
noïdes schizophréniques. C ependant, Rém y (1959), Schnetzler (1962) avaient
signalé l ’action favorable de la Thioridazine dans certaines Psychoses délirantes
et hallucinatoires. J. M ans e t coll. (1963), P. Petit et coll. (1964), P. C arrer et
S. C arrer-S aint Père (1964) o n t confirm é dans une certaine m esure ces espoirs,
m ais la p lu p a rt des auteurs em ploient alors de hautes doses.
P o u r la p lu p a rt des Cliniciens qui o n t expérim enté cette m édication, elle
s ’adresse su rto u t aux form es anciennes de schizophrénie, aux Psychoses à form e
anxieuse o u avec troubles du com portem ent d o n t elle contribue à favoriser la
resocialisation (G uennoc et B ohard, 1966; P. Borenstein, 1967; Soulairac
et coll., 1967, etc.).
Plus récem m ent a été expérim enté (M . Blanc et coll., 1970) u n nouveau
neuroleptique, le T P N 12 qui ne p a ra ît pas avoir beaucoup plus d ’influence sur
l ’activité délirante et hallucinatoire que la Thioridazine (Melleril).
MÉDICATIONS HALLUCINOL YTIQUES 1367
L ’a za c y c lo n o l (fr e n q u e l) .
L e s u lp ir id e (d o g m a til).
L ’o x a flu m a s in e .
L e s a sso c ia tio n s.
LES PSYCHOTHÉRAPIES
(1) Névroses et Idées fixes, et notamment, comme nous y avons déjà insisté dans
cet ouvrage, l ’étude et la désintégration de l’idée hallucinatoire, du choléra... et sur le
développement de la Psychiatrie le grand ouvrage de H. E llenberger (1970).
(2) La grande césure se situe entre le normal et le pathologique et il est fréquent
d ’observer que beaucoup de Psychiatres et de Psychanalystes si vétilleux en ce qui
concerne cette frontière soient si rigoureux quand ils posent diagnostic ou indication
thérapeutique radicalement différents entre les cas où les « Moi » sont névrotiques
et les cas où les « « Moi » sont psychotiques... (cf. supra, p. 855-860).
1376 THÉRAPEUTIQUE
P s y c h o th é r a p ie s in d iv id u e lle s .
(1) A cette réserve près que depuis quelque temps — pour des raisons assez
faciles à comprendre — les Psychanalystes (pas tous !) ne prétendent plus guérir...
et prétendent même que la maladie mentale (le pathologique) n ’existe pas, ou encore
en tant que solution « métanoïaque » (R. D. L aing ) et source de créativité (H) doit
être sauvegardée... Toutefois, dans cet exposé, nous allons oublier (avec beaucoup
d ’entre eux) que les Psychanalystes ont renoncé à guérir.
(2) Cf. par exemple The dynamicsof Psychiatrie therapy de Sauver -F orner (M ont
réal, éd. Thomas, 1961). P. A. L ambert et coll., La relation médecin-malade au cours
des chimiothérapies psychiatriques, Paris, éd. Masson, 1965. Réunion annuelle de
l ’Évolution Psychiatrique (1966), rapports de Ch. Brisset, C. K oupernik , A. G reen ,
C. B lanc , sur le thème « Psychopharmacologie et Psychothérapie ».
PSYCHOTHÉRAPIE — PSYCHANALYSE 1377
(1) Des efforts, comme ceux si sérieusement entrepris par P. F edern, S. N acht,
S. L ebovici, R. D iatkine, H. R osenfeld, etc., méritent d ’être soulignés, connus et
poursuivis.
(2) Parmi tant et tant d ’exemples publiés — et combien de plus nombreux encore
qui ne le sont pas — de ces « psychanalyses interminables » sinon impossibles, nous
pourrons citer celui de J. A. Carpinacci (1971).
PSYCHOTHÉRAPIE — PSYCHANALYSE 1379
(1) L ’extraction du mal par l’exorcisme ou l’hypnose (modèle dont dérive direc
tement la psychanalyse freudienne) a toujours hanté l’esprit des hommes et plus
particulièrement du « guérisseur » et du « thaumaturge ». Après les Magnétiseurs,
les Hypnotiseurs se sont emparés des Névrotiques (souvent Psychotiques). P. J anet
à cet égard a été un maître dans l’art d ’exorciser le délire hallucinatoire... L ’hypnose
peut sûrement dans certaines formes psycho-névrotiques de la « Maladie délirante »
être bienfaisante. Elle a toujours été plus ou moins systématiquement ou complè
tement appliquée. Récemment encore, D. G ruenewald (1971) montrait que dans les
cas de « double personnalité », c’est-à-dire de « dédoublement de la personnalité »
(confinant au domaine de la Psychose ou coïncidant avec lui) une psychothérapie
se rapprochant des méthodes hypnotiques pouvait être indiquée.
1382 THÉRAPEUTIQUE
läge, peinture, dessins et, bien sûr, théâtre). Cf. spécialement I. J akab, Psychiatry
and Art, New York, Karger, 1964; Psicopatologia dell’espressione, Il Verri, n° 15,
1964 (revue éditée à Milan, éd. Faltrinelli); C. T his et G. R osolato, Plastothérapie
des psychotiques en milieu hospitalier, ConfiniaPsychiatrica, 1964,7, p. 45-64; R. Vol-
mat, L'art psychopathologique, P. U. F., 1966; Symposium sur Art et Psychanalyse,
C. R. Paris, éd. Mouton, 1968.
(1) A vrai dire, la Behaviourtherapy est essentiellement appliquée aux névroses
(cf. A. Y ates (1971) ou les rapports de J. R ognant et de G. F. G oldwurm au Congrès
des N et P de langue française, Milan, 1970). Mais bien des cas traités ou traitables
selon le modèle psychothérapeutique dérivé de la réflexologie sont à considérer.
(2) Cf. sur les psychothérapies de groupe M. J ones the Therapeutic community
(New York, Booles 1953), l ’article de R. D iatkine, E. K estemberg et S. Lebovici
dans l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale Psychiatrie (1955) et celui de R. Barande,
R. D iatkine, E. K estemberg, S. Lebovici et J. Simon dans la rédaction de cet article
en 1960; le C. R. du Séminaire international de Psychothérapie de groupe (Directeur
1384 THÉRAPEUTIQUE
(1) Colloque de Bonneval sur la Psychogenèse des Névroses et des Psychoses (1946),
1390 THÉRAPEUTIQUE
LA THÉRAPEUTIQUE
DES DIVERSES CATÉGORIES
D ’HALLUCINATIONS
I. — T H É R A P E U T IQ U E DES EX P ÉR IEN C E S D É L IR A N TE S
E T H A L L U C IN A T O IR E S
(S Y N D R O M E S DE D É S T R U C T U R A T IO N D U C H A M P D E L A C O N S C IE N C E )
25 % 22 % 33 % 20 %
Lorsque des cas de ce genre fo n t l ’objet d ’une dem ande (le plus souvent
de la famille m ais quelquefois aussi des patients eux-mêmes qui n ’en sont pas
à un paradoxe près) que p eu t satisfaire u n traitem ent am bulatoire, au cabinet
du praticien ou en dispensaire, le traitem en t le plus expéditif, le plus souvent
efficace (à la m esure de l ’ancienneté et de la p ro fo n d eu r des expériences hallu
cinatoires), consiste à user des « neuroleptiques centraux » (Largactil, 200 mg
et Prochlorpérazine 50 mg, Trifluopérazine 100 mg, Fluphénazine 100 ou
150 mg o u B utyrophénones 8 à 10 mg). L ’application de la m éthode de « dépôt »
de substance à effet retard (œ nanthate ou décanoate de fluphénazine) rend
naturellem ent de grandes services p o u r les cas où les patients ne peuvent pas
être assez longuem ent et souvent suivis. M ais nous préférons de beaucoup
l’adm inistration p a r voie orale plus facile à doser et à associer à divers autres
neuroleptiques.
Il ne fau t pas croire que les neuroleptiques incisifs soient les seuls à
em ployer dans les traitem ents am bulatoires p o u r psychose délirante et hallu
cinatoire incipiens ou m ineure, le recours aux Neuroleptiques sédatifs n otam
m ent à la Lévom éprom azine (100 à 150 mg) est indiqué dans les cas où préd o
m inent inquiétude, excitation et anxiété. Il ne fau t pas hésiter non plus à
1394 THÉRAPEUTIQUE
D isons à cet égard que l’on a tro p systém atiquem ent abandonné, soit l ’ «électro-
plexie», soit la « petite insuline » d o n t l ’efficacité et l’innocuité ne devraient faire
de doute p o u r personne, autres quelques fanatiques (justifiés dans leur in tran
sigeance p a r les abus de certains psychiatres presse-bouton ou des insulineurs
tro p systém atiques). Il est à cet égard bien évident q u ’il est inutile et même
absurde de soum ettre ces expériences délirantes et hallucinatoires à une cure
de Sakel en règle sous prétexte q u ’il s’agit de « schizophrénies » même
si on tem père la gravité d u pro n o stic en les appelant « schizophrénies
aiguës ».
hallucinatoire tous les traitem ents m édicam enteux (1). Là encore la Trifluo-
pérazine, la C hlorprom azine, la P rochlorpérazine, la T hiopropérazine, l’Aza-
cyclonol et les B utyrophénones nous paraissent particulièrem ent efficaces.
C ependant si ces m édications so n t dispensées et dépensées larga manu, il
semble utile de préciser que c ’est en étan t étroitem ent intégrées dans une
conduite psychothérapique, q u ’elles trouvent leur meilleure indication, c ’est-
à-dire q u ’on obtient avec elles les meilleurs succès.
T andis q u ’il y a quelques années encore nous ne disposions que de la
convulsivothérapie o u de la m éthode de Sakel (qui restent selon Sutter et Scotto
(1971) particulièrem ent indiquées) p o u r rom pre le cours de ces évolutions chro
niques, on p eu t dire que c ’est un des grands avantages des chim iothérapies
que d ’avoir m is entre nos m ains u n puissant m oyen de rem édier au néfaste
travail du délire en m arche vers sa naturelle chronicité, surtout quand cette
tendance est encore potentialisée p a r le milieu institutionnel aliénant.
Cela revient à dire, bien sûr, que la réinsertion dans la vie fam iliale, sociale et
professionnelle et to u s ses degrés o u substituts « sociothérapiques » doivent
être m is en œuvre p o u r rom pre le cercle vicieux qui est en train de s ’installer
entre le désir fantasm ique e t hallucinophile et l’écroulem ent des structures de
la réalité. C ’est dire, nous y reviendrons plus loin à propos des Schizophrénies,
que la thérapeutique des Psychoses de ce type et à ce stade de leur évolution,
d o it être to u t à la fois « biologique » et « psychologique ».
N o u s devons insister encore sur la nécessité de traiter toujours très sévè
rem ent (c’est-à-dire très sérieusem ent) e t p ar tous les m oyens d o n t nous venons
d ’esquisser ici les indications, ces « expériences délirantes et hallucinatoires
aiguës », m êm e q u an d elles nous paraissent d ’après les meilleurs critères clini
ques constituer des « crises »réversibles et de bo n pronostic. N ous pouvons ra p
peler la petite investigation conduite dans m on service avec Cl. Igert et Ph. R ap-
p a rd (1957) co m p aran t 43 cas de Psychoses aiguës de to u tes espèces no n traitées
(cas anciens) et 76 cas de Psychoses aiguës traitées à cette époque (1956)
su rto u t p a r les m éthodes biologiques « classiques »; dans le prem ier groupe,
15 cas (35 % ) ont évolué vers des schizophrénies graves et chroniques et 14 cas
(soit égalem ent 18 % ) o n t eu une évolution fâcheuse. Là encore, nous sou
lignons le caractère de réduction globale de la masse psychiatrique qui
constitue évidem m ent un index de l ’action anti-hallucinatoire des thérapeuti
ques dans la m esure m êm e o ù le plus grand nom bre de ces Psychoses aiguës
com portent des expériences délirantes e t hallucinatoires.
II. — T H É R A P E U T IQ U E
DES P S Y C H O S E S H A L L U C IN A T O IR E S C H R O N IQ U E S SY STÉM A TISÉES
technique. C ela revient à dire que plus souvent q u ’on le croit, les « psychothé
rapies individuelles d ’in spiration analytique » sont recom m andables. Si elles
ne sont p as plus recom m andées c ’est que les cas paraissent si difficiles et
exigent ta n t de savoir-faire, que même si elle est posée, l’indication est le plus
souvent refusée p a r celui qui doit en prendre la responsabilité plus encore
que p a r le d élirant récalcitrant (on dit résistant). P a r contre, la psychothé
rapie de groupe à form e « dram atique » ou seulem ent « verbale » (1) englobe
o u devrait utilem ent englober, dans la p lu p art des milieux institutionnels, des
délirants hallucinés de ce ty p e; e t non pas seulem ent parce que le rôle q u ’ils
peuvent jo u e r dans la dynam ique de groupe peu t être profitable à l ’ensemble
m ais aussi parce q u ’eux-m êm es peuvent en tirer bénéfice à la condition expresse
toutefois que jam ais de tels m alades ne soient traités sans un complément ou une
interférence de psychothérapie individuelle. U ne longue expérience de cette
psychothérapie de groupe nons perm et de le recom m ander vivement.
M ais une au tre : indication « prim ordiale » correspondant précisém ent à
1’ « é ta t prim ordial » q u ’engendre le développem ent du « processus psychique »
(Jaspers) ou d u travail d u délire (J. P. F alret), c ’est celle des « thérapeutiques
biologiques ». C om bien G . de C léram bault à cet égard — m ais, bien sûr, à cet
égard seulem ent (2) — avait raison en pressentant déjà (comme l’école alle
m ande de Jaspers ou l ’école de H eidelberg) que la thérapeutique des Psychoses
« à base d ’autom atism e m ental » ne pouvait se concevoir que dans des m éthodes
régulatrices de l ’activité d ’intégration d u Système N erveux C entral. Certes, là où
il im aginait un processus cortical « localisé ou serpigineux », nous sommes
confrontés à des troubles de régim e cérébral de régulation de l’activité supérieure
de la vie de relation, m ais il est évident que les diverses thérapeutiques neu
robiologiques hallucinolytiques d o n t nous avons dressé plus h a u t l ’inventaire
constituent une vérification des hypothèses sur la natu re « organique » (orga-
nism ique ou organo-dynam ique) de ces Psychoses hallucinatoires systématisées.
Il est bien difficile de faire u n bilan et de faire un choix, ou de recom m ander
telle ou telle m éthode. M ais ce qui est certain c ’est que l ’introduction de toutes
ces m éthodes dites « neurobiologiques » o n t modifié incontestablem ent le
pronostic et les m odalités de réinsertion sociale de ces m alades (cf. la statis
tique générale que nous avons rap p o rtée plus h au t et qui m ontre la résorption
e t la réad ap tatio n sociale d ’u n certain nom bre de m alades de ce genre) qui, il y a
50 ans, « cultivaient » leur délire dans les institutions asilaires, ou mêm e il y a
30 ans dans des m aisons de santé o ù ils recevaient parfois u n traitem ent
purem ent psychothérapique (1).
Les « méthodes de choc » sont généralem ent peu employées et il n ’y a pas
lieu de les recom m ander, sau f dans l ’éventualité de « délire secondaire à des
crises de type m aniaco-dépressif (électroplexie ou électro-narcose) ou dans
certaines phases évolutives avec activité hallucinatoire irréductible p a r les
m oyens m édicam enteux (insulinothérapie).
Q u an t à la « leucotomie », si elle a parfois donné des résultats spectaculaires
(W. Freem an, L. A nglade, M . R iser et J. L aboucarié entre 1948 et 1955), elle
a été considérée dès cette époque com m e inefficace dans les Psychoses halluci
natoires de ce type (notam m ent p a r P. Puech e t p a r L. Singer). O n n ’en parle
plus guère actuellem ent. N ous avons cependant signalé plus h a u t des travaux
récents qui m o n tren t q u ’on ne saurait je te r l ’anathèm e sur ces m éthodes
psychochirurgicales d o n t on a certainem ent abusé m ais q u ’on ne p eu t non
plus dogm atiquem ent proscrire (G . L azorthe, J. L aboucarié, W . Sargant, etc.).
C ’est la chimiothérapie qui constitue la m éthode de choix p o u r le traitem ent
de ces Délires chroniques. R appelons à ce sujet que les neuroleptiques les plus
hallucinolytiques sont, semble-t-il, la C hlorprom azine et la R éserpine, et sur
to u t les neuroleptiques incisifs : Prochlorpérazine, T hiopropérazine et
Trifluopérazine... Bien sûr, to u te la série des m édications plus ou m oins an ti
hallucinatoires (A zacyclonol, Butyrophénones, Fluphénazine, Sulpiride, Oxa-
flumazine, etc.) sont employées larga manu, et l ’usage de plus en plus répandu
du traitem ent p a r l’œ nanthate ou le décanoate de fluphénazine (« en dépôt »,
c ’est-à-dire dans sa form e « retard ») p araît su rto ut recom m andable p o u r sa
com m odité, si l ’o n en croit les statistiques publiées (Psychoses hallucinatoires
en France, de Schizophrénies paranoïdes aux U. S. A. ou en Allemagne, etc.).
Voici le schém a thérapeutique que nous p roposent P. Borenstein et C. Olie-
venstein (1971, in Psychopharmacologie de Sutter). Le traitem ent d ’attaque
s’effectuera p a r injections intram usculaires, soit de neuroleptiques sédatifs
(C hlorprom azine 150 à 200 mg, Lévom éprom azine 100 à 150 mg), soit p ar
neuroleptiques incisifs (T hiopropérazine 30 m g, H alopéridol 30 mg, F luphé
nazine 120 à 150 m g avec naturellem ent association d ’un correcteur. D ans les
cas de « délire sensitif » de K retschm er, ils reco m m andent selon Sutter et coll.
de recourir à l ’A m itryptiline et p o u r les cas à évolution insidieuse (p. 348) que
« les indications psychothérapiques sont à l ’heure actuelle restreintes », ils
préconisent un traitem ent chim iothérapique à fortes doses (Thiopropérazine
30 mg I. M . et 125 mg per os; Fluphénazine 100 à 150 mg I. M ., 400 à 500 mg
per os; H alopéridol 3 à 6 m g I. M ., 6 à 15 mg per os; Sulpiride 400 à 800 mg
I. M. et 600 à 1 200 mg per os.
G énéralem ent les thérapeutes préfèrent les « associations » de m édicam ents.
(1) L ’inverse est d ’ailleurs vrai, et quand de 1932 à 1950 on pratiquait E. C.,
insulinothérapie et chimiothérapie sans complément psychothérapique, on n ’obtenait
que très peu de succès.
1400 THÉRAPEUTIQUE
Celles com prenant tou tes sortes de com binaisons. C ’est le « péché m ignon » de
to u s les psychiatres. P o u r notre p a rt, c ’est à l ’association d ’u n neuroleptique
incisif (Prochlorpérazine) et d ’u n neuroleptique sédatif (Lévom éprom azine)
que nous donnons après une longue expérience la préférence. N ous avons
récem m ent publié (H . Ey et F. B ohard, 1970), les résultats d ’une pratique
assez satisfaisante p o u r que nous la recom m andions. E t c ’est précisém ent
dans ces psychoses délirantes et hallucinatoires à forte charge affective et à
intense tension passionnelle que nous avons obtenu nos meilleurs succès.
Que le problèm e de la Psychothérapie analytique institutionnelle se pose to u t
particulièrem ent dans cette catégorie de cas, résulte du fait q u ’il s’agit de Délire
à réactions antisociales qui s ’accom m odent m al de la « cure libre » m algré les
m eilleures conditions sociothérapiques q u ’elle com porte. Q uand nous disions
plus h a u t que la vigilance thérapeutique du passage des psychoses aiguës à la
chronicité co n stituait une sorte de « p o n t aux ânes » de la thérapeutique
psychiatrique, nous pouvons ajo u ter que le problèm e de l ’encadrement théra
peutique de ces D élirants systém atisés (Psychoses hallucinatoires chroniques —
P aranoïa) constitue une des plus grandes difficultés de la pratique psychiatrique.
Peut-être faut-il à cet égard recom m ander la prudence p lu tô t q u ’un excès de
« libéralism e » si celui-ci n ’est pas rigoureusem ent contrôlé dans et p ar une
institution hospitalière o u extra-hospitalière à base de responsabilité médicale
bien organisée : l’optimum de liberté laissée au malade dépend lui-même de la
responsabilité que doit assumer personnellement le médecin, m êm e s ’il doit la
partager avec le collectif soignant. C ’est en to u t cas la règle à laquelle nous avons
voulu nous conform er p o u r nous libérer, nous et nos m alades, d u carcan
asilaire sans to m b er dans les ridicules et dangereux excès d ’une « thélém isa-
tio n » rabelaisienne o u d ’une plus m oderne « hippisation » des services publics
o u M aisons de Santé psychiatriques.
III. — T H É R A P E U T IQ U E DES FO RM ES H A L L U C IN A T O IR E S
DES S C H IZ O P H R É N IE S
(1) Nous nous référons peu aux travaux étrangers dans ces chapitres thérapeutiques
car nous avons voulu exclure les problèmes que posent dénominations et dosages de
médicaments. Signalons toutefois que le récent livre de Sutter et coll. (1971) permet
de se reconnaître dans ces équivalences. Pour ce qui est de la psychopharmacothérapie
des schizophrénies, on consultera le chapitre de F eldstrin dans le Clinical Handbook
and Psychopharmacology, A. Di M ascio, M. Schader et coll. (1970) et les articles de
L. E. H ollister Amer. J. Psychiatry, 1970, p. 127-188) ou des collaborateurs de
a Modem Psychiatrie Treatment », T. P. D etré et H. G. J arecki, 1971, p. 122-152.
1402 THÉRAPEUTIQUE
société, etc., pour ne pas voir ce qui est cependant bien le plus évident, à savoir :
que c ’est le schizophrène en tant qu’il est ou est devenu schizophrène qui ne
peut (1) établir la communication avec autrui ni avec lui-même. La nécessité
d’une existence hallucinatoire s’impose donc comme un obstacle trop souvent
insurmontable à ce style de traitement.
De sorte qu’il est habituel pour ne pas dire rituel d’accompagner toutes
entreprises psychothérapiques à long terme, individuelles ou collectives, d ’admi
nistration des n eu ro lep tiq u es in cisifs à doses et associations variées. On peut
dire à cet égard que c’est cette intrication du « traitement physique » et du
« traitement moral » qui est devenue la méthode thérapeutique la plus fréquem
ment pour ne pas dire constamment employée sans d ’ailleurs que le complé
ment chimique au traitement moral soit toujours une garantie d’efficacité
dans les cas pour le moins difficiles à guérir (2).
— Mais nous devons maintenant aborder la question des méthodes théra
peutiques dans les phases de dissociation schizophrénique (déficit schizophré
nique avec stupeur, stéréotypies, mutisme, négativisme, incohérence idéo-
verbale) qui correspondent aux descriptions kraepeliniennes de la Dementia
Præcox. Ici « les jeux sont faits » sous l’effet de la maladie ou par les mauvaises
conditions de l’institution (asilaire ou de type asilaire qui existent encore même
dans beaucoup d ’hôpitaux ou maisons de santé « modernes »). Le malade,
soit dès l’invasion de l’affection (hébéphrénie), soit après une longue évolution
(forme hébéphréno-catatonique et paranoïde) a rompu (ou a perdu) tout son
système de relation avec autrui et la réalité. On le dit alors tout à fait « régressé »,
replongé dans les stades primitifs de sa vie infantile et même intra-utérine.
L ’apathie, l’indifférence, la perte du contact avec le monde extérieur, dominent
le tableau clinique. On comprend qu’un très grand nombre d ’essais théra
peutiques doivent être entrepris pour aider ces schizophrènes à se « resocialiser »,
à s’animer, à « reprendre le contact vital » avec les autres et le monde.
Les méthodes employées d’abord (insulinothérapie, leucotomie, convul-
sivothérapie), même si elles ont réussi dans quelques cas, ne sont plus guère
employées dans cette « forme » ou cette « phase » du processus schizophrénique.
De même, malgré quelques succès obtenus par de patients psychothérapeutes
et analystes, les psychothérapies individuelles offrent si peu de chances qu’elles
ne peuvent être recommandées qu'exceptionnellement.
Dès lors, ce « matériel clinique » est devenu l’objet presque privilégié d ’une
multitude d ’expérimentations chimiothérapiques. La plupart des « statis
tiques » publiées à propos de tel ou tel neuroleptique comportent au moins
(1) J ’ai souvent dit et répété que le processus schizophrénique ne pouvait se défi
nir que comme un besoin (le désir inconscient du retour au sein maternel de régres
sion fusionnelle narcissique) mais aussi comme une impuissance (processus négatif
primaire).
(2) Ce sont les cas qui dans notre statistique représentent le résidu ou le sédiment
que, pour si grand qu’il soit, notre zèle (voire notre « fureur ») thérapeutique ne peut
encore résorber.
1404 THÉRAPEUTIQ UE
la moitié de cas de ce genre. C ’est que tout paraît à cet égard permis ou com
mandé. Et on ne compte plus les cas de « schizophrénies graves » soignées
par des doses importantes et continues de neuroleptiques (1). Nous n ’entendons
pas faire ici le procès d ’aucun et encore moins de ceux qui ont espéré souvent
contre toute espérance. D ’autant moins d ’ailleurs qu’une certaine efficacité
de ces diverses drogues (Thiopropérazine, Trifluopérazine, Fluphénazine injec
table) en justifie l’emploi. Tous les auteurs — et le collectif soignant en général
particulièrement sensible à une plus grande docilité au moins des réactions
agressives ou impulsives et à « plus de contact » chez les malades dont il a
la charge — sont d’accord pour trouver que ces médications ont transformé
notamment l’atmosphère des services hospitaliers. Mais nous ne so m m e s p a s
d 'a c c o r d a v e c c e tte in d ica tio n d e d o se s p a r fo is m a ssive s e t con tin u es d e n euro
lep tiq u es in cisifs ou sé d a tifs ch ez ce s Schizophrènes e t cela p o u r tro is raisons.
La première, c’est que l’organisation sociothérapique d ’un service (2) peut
parfaitement dans ces cas parvenir aux mêmes résultats ou en tout cas en ne
recourant qu’à des doses minimes ou intermittentes de neuroleptiques. La
deuxième c’est que la fonction de « camisole chimique » qui paraît dévolue à
cette chimiothérapie abusive n ’atteint en effet que le comportement extérieur de
certains schizophrènes et a peu d ’action sur le processus, c’est-à-dire la produc
tion des troubles majeurs (dont notamment l’activité délirante et hallucinatoire
dans ces cas est enfouie et comme invulnérable sous la carapace d’une indiffé
rence — ou d’une « résistance» extrême). La troisième enfin, c’est que le « syn
drome des effets secondaires », c’est-à-dire les troubles extrapyramidaux (les
dyskinésies bucco-linguo-faciales, l’hypertonie, le tremblement, les troubles
neuro-végétatifs) et l’obésité, posent un grave problème à la conscience du
médecin. Est-il en effet permis de « bourrer » de tels malades d ’une telle quantité
de neuroleptiques qui les rendent monstrueux tant du point de vue de leur psy
cho-motricité que de leur embonpoint ? Et, en définitive, est-il bien vrai comme
l’ont avancé certains auteurs que le prix de la guérison devait se payer d ’une telle
rançon ? Sans doute, J. Delay et P. Deniker ont-ils judicieusement défini le
groupe des « neuroleptiques » par leur effet sur le système extrapyramidal (3).
Sans doute y a-t-il quelque chose de vrai dans la nécessité dans certains cas de
(1) Je m ’étonne souvent que dans les cas où prédominent la stupeur, l’athymhormie
et l’indifférence, on s’obstine à prescrire et même à accroître les neuroleptiques —
fussent-ils « incisifs » alors que la prescription des thymoanaleptiques (Imipramine)
tricycliques et même néo-analeptiques (amphétamines, neuro-stimulants) me paraît
dans ces cas particulièrement indiqué.
(2) Je rappelle que dans la statistique de mon service, déjà avant 1954, j ’avais
supprimé agitation, impulsivité et désordre (et par conséquent moyens de contention),
et avais obtenu une réduction de 50 % du « résidu » des psychoses schizophréniques
exigeant l ’hospitalisation (cf. tableau supra, p. 1346).
(3) Nous devons savoir gré à P. A. L ambert et P. Broussolle (1963), Actualités
de thérapeutique psychiatrique (p. 232-258) d ’avoir tenté d ’établir des critères neuro
physiologiques de l’action commune des « Neuroleptiques » autres que la production
du syndrome extrapyramidal (activité antiapomorphine, action cataleptisante).
THÉRAPEUTIQUE DES ÉIDOLIES HALLUCINOSIQUES 1405
IV. — T H É R A P E U T IQ U E DES É ID O L IE S H A L L U C IN O S IQ U E S
dies, tout traitement de ces « fausses maladies » est considéré comme une
agression. Sauf, bien sûr, les méthodes « relationnelles » réputées inoffensives...
Pour nous médecins qui employons les moyens thérapeutiques que justifie
la fin (la guérison) à la seule condition que notre savoir nous permette d’en
assurer Y entière responsabilité, nous ne saurions souscrire à cette idée que seule
la thérapeutique dite relationnelle, analytique, psychothérapique, ne doit pas
engager notre responsabilité. Pour nous, c ’est celui qui peut seul faire le diagnos
tic différentiel et étiologique de la « maladie », fût-elle et à plus forte raison
« mentale », qui doit prendre la responsabilité de son traitement; car que celui-ci
soit biologique ou qu’il soit psychologique, il peut toujours, soit par excès,
soit par défaut, comporter des risques.
Ceci dit, nous savons bien que tout acte thérapeutique doit être prudent et
essentiellement respectueux de la personne, surtout si celle-ci est en elle-même
malade. Les vrais Psychiatres n ’ont pas besoin de recevoir de leçons des faux
Psychiatres.
*
* *
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1416
EXTRAITS DU
JO U R N A L D’ U N E H A L L U C IN É E
Mlle Denise Cl., 57 ans, est un professeur de piano qui habite avec sa mère
dans la région de Melun. Très cultivée, sensible, pieuse, elle a présenté à partir
de l'âge de 35 ans une psychose délirante hallucinatoire (à évolution schizo
phrénique cyclique) qui l'a conduite dans plusieurs maisons de santé et hôpitaux
psychiatriques. Nous l'avons observée il y a quelques années et pendant plu
sieurs années alors qu'elle était en plein délire fantastique (paraphrénie). Sa
réadaptation sociale paraissait alors irrémédiablement compromise, sinon impos
sible.
Cependant, depuis dix ans, elle vit avec sa mère en Seine-et-Marne dans une
symbiose affective parfaite. Elle a une vie sociale normale. Cette transformation
inespérée paraît bien être due à l'action favorable des neuroleptiques (qu'elle
prend régulièrement mais à doses assez faibles). Nous avons relaté en effet
(cf. 5e Partie) que les Psychoses fantastiques représentant une sorte de « cicatrisa
tion » en évoluant guère spontanément vers une « restitutio ad integrum » ( 1). Elle
est très bien adaptée aux conditions de son existence familiale, fréquente des amis
et, malgré certaines lubies, elle a un comportement accordé aux exigences de la
réalité à laquelle pourtant elle superpose un monde fantastique hallucinatoire qui
interfère constamment avec les menus événements de son existence. Ce sont ses
« Hallucinations » qu'elle a entrepris, il y a quelque temps, de décrire dans son
« Journal ». Ce journal ne comporte pas de dates ni de précision sur l'ordre
chronologique des scènes ou des propos qui sont ainsi présentés souvent hors des
lieux ou du temps commun. Elle l'a écrit il y a quelques années, puis brusquement
l'a arrêté et nous l'a confié. Il comporte 57 pages de grand form at dont nous ne
donnons ici que de larges extraits.
Comme elle parle sans cesse de « ses Hallucinations » ou de « ses Délires »,
un observateur ou un lecteur superficiel pourrait être tenté, en raison du carac-
(1) Cf. « Les Écrits d’un paraphrène » publiés par G. U sunoff et K. Z aimov (Ann.
Méd. Psycho., 1972,1, 327-356) témoignent d ’un travail de « création » qui a dépassé
le stade proprement hallucinatoire de ces délires en quelque sorte métaprocessuels.
1418 APPENDICE
... A la maison, il est temps de dire mes prières avant le dîner. Pendant que je prie,
la petite fille se précipite vers moi : « Je suis folle, me dit-elle, ne fais pas attention ! »
Elle enferme mon sein dans une espèce de mâchoire tenant à une sorte de boîte en os,
puis elle revient le libérer, puis elle revient l’enfermer, ceci plusieurs fois de suite,
enfin le libère complètement.
Pendant le dîner je pense, le phénomène qui est derrière moi (tantôt un petit
bonhomme, tantôt une petite fille, tantôt un petit bonhomme laissant passer un
morceau de la tête de la petite fille) déclare : « Ce n ’est pas toi qui as pensé cela,
c’est moi... puis : ah ! non, c’est bien toi... un temps... mon étoile pâlit ».
Dimanche matin :
En m ’éveillant, je ressens une sensation très désagréable. Une étoffe est mélangée
à ma peau sur la poitrine, une espèce de culotte avec quatre petites jambes retournée
dans la peau. On dirait que les Hallucinations m ’envoient des effets de plus en plus
difficiles à décrire.
Maintenant j ’ai quelque chose sur le sein gauche, un petit moule comme ceux que
j ’ai décrits bien fiché à la pointe du sein, j ’essaye sans résultat de le faire tomber par
la pensée, la petite fille vient le retirer mais il est toujours là, elle recommence ce geste
plusieurs fois.
Je me rends donc à la messe avec cette incommodité, pendant la Sainte-Commu
nion j ’informe Notre-Seigneur de ce qui se passe et il me fait penser à mon journal et
aussitôt le petit moule se détache.
Nous avons trois de nos élèves à déjeuner pour souhaiter la fête de maman qui
se nomme Anne.
Dominique arrive avec une belle robe blanche et une plante verte. Phanphan,
comme toujours, en joyeux gaillard. Dommage qu’il soit si petit, il a quatorze ans
JOURNAL D'UNE HALLUCINÉE 1419
Mercredi :
Hier, tandis que je décrivais la fête de dimanche je subis un assaut; ce fut d ’abord
le petit bonhomme qui me planta la plante verte dans la poitrine, puis quand je cessai
d ’écrire je vis devant moi une espèce de plateau de théâtre, on le souleva et il en sortit
des sexes virils; en même temps je sentis ma poitrine se dégager comme si, malgré
la distance, elle eût été enfermée dans le plateau, dans un amas de chair et avec un
sexe viril planté dedans.
Puis, pendant le dîner, la petite fille planta un sexe viril entre mes deux pieds
comme s’il était la conclusion de tout le corps en me disant ignominieusement :
« Je vais te faire jouir tout le corps et après ta chair coulera. » Sur ce, le petit
bonhomme de se précipiter et d’actionner le sexe viril en direction de la petite fille
qui se retourne complètement et se vexe. (Elle n ’est faite que d’une matière fluidique.)
■
— « Ah ! tu es vexée, dit le petit bonhomme, ça t ’apprendra à souhaiter cela
aux autres ! »
— « Je me sens toute drôle dit la petite fille, j ’ai joui de tout le corps, tu ne pourrais
pas me remettre comme j ’étais avant ? Mais j ’y songe, ajoute-t-elle, méchamment,
si je suis une partie de son cerveau, alors c’est son cerveau qui a joui ».
— « Mais non, imbécile, fait le petit bonhomme, tu es bien une partie du cerveau
mais tu es en dehors ».
— « On pourrait aussi la faire jouir du cœur », poursuit la petite fille empêtrée
dans sa damnation, phrase qu’elle redira à plusieurs reprises.
Chaque matin, en m ’éveillant, je sens quelque chose de désagréable sur la poi
trine; c’est tantôt une énorme main d ’homme épaisse et vulgaire qui se retire de la
poitrine quand je me dresse sur mon séant; tantôt une espèce de broche en chair enfon
cée dans ma chair que la petite fille vient retirer. Ici une explication est nécessaire :
la veille au soir, j ’avais remis à maman ma combinaison pour qu’elle y fasse un
petit point; or, sur cette combinaison, était épinglée une médaille. Dès que je fus
dans ma chambre les jérémiades commencèrent.
— « Voyons, il y avait bien une médaille sur une combinaison, maintenant la
combinaison et la médaille sont dans l’autre pièce ».
— « Donc, elle n ’a plus de protection, donc j ’attaque », dit la petite fille.
— « Mais non, imbécile, objecte le petit bonhomme, elle n ’a jamais de protection
la nuit, comme les autres soirs. »
— « Ah ! non, les autres soirs je vois la combinaison et la médaille sur la chaise
et je sais que ça lui appartient tandis que ce soir je ne vois rien ».
C ’est sans doute ce qui m ’a valu d ’avoir une broche dans la chair; la petite fille
a voulu m ’appliquer directement la médaille sur la peau.
Quand le petit bonhomme et la petite fille sont à côté l ’un de l’autre, ils se mettent
un morceau de boîte crânienne" au-dessus de la tête; parfois le petit bonhomme dis-
1420 APPENDICE
paraît mais le morceau de boîte crânienne reste à sa place, c’est-à-dire que la petite
fille a un morceau de boîte crânienne qui dépasse.
C’est la fête de saint Alphonse de Liguori, fondateur de l ’archiconfrérie de Notre-
Dame du Perpétuel Secours dont je fais partie. Cette icône me protège depuis mon
enfance, elle était dans la chambre que j ’occupais avec ma sœur. Elle nous avait été
donnée par Marie C., une espagnole, amie de Maria, la marraine de ma sœur. Pendant
que j ’écris ces lignes, je suis couverte d ’obscénités et d ’ordures.)
— « Ne fais pas attention je suis fou, dit le petit bonhomme, tu le fais exprès de
me choquer dans ce sens là ! »
Pour la fête du saint je vis un amas de chair compacte de la grandeur d ’un homme,
sans bras ni jambes, avec dans le haut deux traits représentant deux yeux fermés
pour simuler le visage.
... La boîte crânienne et le plateau de théâtre ont disparu. Vous croyez que j ’en
suis quitte ? Jamais de la vie !
De temps en temps j ’aperçois un morceau de boîte crânienne devant la poitrine
et le plateau de théâtre est soigneusement poussé contre moi, bêtise, vexation, je ne
sais, sans doute parce que j ’ai dit que les opérations se faisaient à distance. En effet,
je ne comprends pas bien comment une opération faite à deux mètres de moi peut
correspondre avec ma poitrine.
Un autre jour. Il m’est sorti de la poitrine un énorme sexe féminin grossi dix fois.
Il m ’est sorti également un cubitus, un cygne dont le bec jaune me rappelle une
Hallucination qué j ’ai eue à Divonne après m ’être promenée au bord du lac, du liquide,
des sexes, etc.
Samedi.
En m ’habillant je m’aperçois que j ’ai perdu ma médaille, j ’en mets précipitamment
une autre qui représente un calice ; immédiatement les Hallucinations changent de
forme et de méthode. La petite fille disparaît pour faire place à une espèce de plumet
noir, souple, fait de brins de fourrure légers comme ces boas que l’on met au cou des
enfants.
Ce plumet se lance sur ma poitrine plusieurs fois en criant : « Je rentre dans le
cœur ».
— « Tu vois cette médaille-là n ’est pas si forte que l’autre, avec l’autre je ne pou
vais pas attaquer le cœur ».
— « Mais qu’est-ce que tu veux qu’elle y fasse, imbécile, puisqu’elle l’a perdue ! »
— « Je sais bien, mais je montre quand même ce que je peux faire ».
Le soir je me rends chez le bijoutier et trouve une médaille conforme sur une face
à celle que j ’ai perdue et qui est la reproduction de celle que je portais sur moi avant
de la faire bénir. (J’ai dû la retirer parce que le petit bonhomme tripotait mes sens,
je l ’avais choqué, paraît-il. Il veut dire que je lui ai rappelé l’époque où je portais
déjà cette médaille et où j ’étais la proie d ’Hallucinations mystiques et sensorielles,
il y a de cela une bonne vingtaine d ’années.)
Je remets donc sur moi la médaille non bénite. Et voici que le petit bonhomme
et la petite fille se mettent à faire des bonds dans la pièce comme des possédés; ils
sautent d ’un point à un autre et passent comme une flèche au-dessus de ma tête.
— « Ce n ’est pas la médaille que tu avais à la dernière consultation, par conséquent
cette consultation n ’est plus valable. Nous allons prendre le médecin précédent »,
puis, ayant « essayé » : « Ah ! non, c’est bien ce médecin-là ».
JOURNAL D ’UNE HALLUCINÉE 1421
— « Mais comment se fait-il que tu n ’aies pas la médaille que tu avais le jour de
la consultation ? » Et ainsi de suite... et ainsi de suite... ainsi de suite.
Le matin j ’ai des sensations épouvantables, impossibles à décrire. Tantôt on me
retire une énorme main rougeâtre de la poitrine; tantôt c’est comme un amas de
décombres.
Parfois je me sens mieux; je m ’aperçois alors que la petite fille vient de lâcher le
pistil d ’une fleur rosacée qui se trouve à quelque distance de moi.
Aujourd’hui, la petite fille m ’a présenté un sexe féminin plus de cinquante fois,
elle m ’a dit aussi : un cly... dans le cœur.
... J ’ai écrit au secrétariat du Rosaire pour obtenir un bulletin, mais le petit
bonhomme m ’a hanté les sens et j ’ai dû déchirer ma lettre.
Dimanche le petit bonhomme me fait subir la damnation du Rosaire; il est hallu
ciné de roses avec d’énormes épines et d ’un petit poussin; mysticisme de saint Domi
nique (Le saint a rêvé qu’il arrivait au ciel et qu’il ne voyait aucun de ses fils; il en
était tout contrit quand il les aperçut groupés en poussins sous le manteau de la
Vierge.)
Il me sort aussi de la poitrine et du front des branches de rosier et un petit poussin.
Maintenant c’est au tour de la petite fille de m ’en envoyer; elle m ’en fourre dans
la bouche ainsi qu’une énorme épine qu’elle me plante dans le palais.
Ensuite elle prend un amas de chair simulant un cœur et elle l’entoure d’épines
et de roses.
Hier pendant que j ’écrivais, la petite fille est venue placer ses mains sur les épaules
et un peu plus tard mon corps s’est fendu en deux de la tête aux pieds et comme si
j ’étais debout et chaque côté représentait un bloc de terre. En même temps, il me sort
du centre du corps une énorme machine en fer que je remets par la pensée préci
pitamment.
De la boîte crânienne sort une voix qui se dit être « le cerveau » : « ne fais pas
attention à ce que je fais, je suis complètement fou ! »
« Mais comment que ça se fait que je parle ? Les cerveaux ça ne parle pas habi
tuellement ! »
Il vient examiner mon crâne :
— « Ah ! c’est parce que je me projette au dehors ! », ou encore :
— « Un souffle, un rien me détraque (si je ne place pas mes deux chaussons l’un
à côté de l’autre, mon crayon toujours au même endroit, etc., etc.) alors quand il
s’agit d ’une chose plus importante, tu comprends. Il ajoute : « Je suis toujours
clément, ne fais pas attention à ce que je dis ».
Ensuite il appelle Satan; il feint d’être de la plus grande intimité avec lui : « Dis
donc, mon vieux ».
II arrive que le petit bonhomme l ’appelle aussi et lui donne toutes sortes de rensei
gnements à mon sujet.
Après quoi il m ’explique que c’est l’appréhension qu’il a de l’appeler qui fait
qu’il l ’appelle, ou encore qu’il veut dire : l ’antinomie, car il croit qu’une dévotion
est contre une autre dévotion.
Il a aussi de nombreuses conversations avec la petite fille, laquelle a pris l’habi
tude de sauter en se réduisant dans mes flacons de médicaments avant que je remette
le couvercle.
Aujourd’hui la petite fille est remplie de trombones (ces agrafes dont on se sert
pour réunir plusieurs feuilles de papier), elle m ’en fourre partout.
.1422 APPENDICE
Je pense avec tristesse que je vais avoir bien du mal à assister à la messe du Cœur
Immaculé de Marie ce soir avec une Hallucination pareille.
Je me souviens alors que j ’ai trouvé le texte de cette messe dans un propre de Paris
dont je me servais autrefois au temps où j ’avais des accidents mystiques et je me dis :
« Après tout, cette messe se trouve peut-être dans mon missel quotidien, et, en effet,
elle s’y trouve et ce n ’est pas le même texte. Je range donc le propre de Paris dans lequel
se trouve aussi la fête du Bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort qui fut
canonisé depuis.
— « Bien sûr, s’écrie le petit bonhomme, tu as laissé deux images dont une mira
culeuse comme signet à sa page et cela l’a miraculé, et c’est pourquoi elle n ’agit plus
sur nous. »
(Pendant que j ’écris cela, il fait des excréments sur l’image de la Vierge.)
Je m ’aperçois alors que le petit bonhomme fait le bas du corps d ’un dominicain
avec d ’énormes souliers comme si celui-ci était assis.
A l’église il se déchaîne brusquement contre moi ainsi que la petite fille, tandis
que celle qui est dans mon dos se déplace et va les morigéner, irritant saint Michel
Archange.
Puis le petit bonhomme se place à quelques mètres derrière moi et fait un domini
cain gigantesque avec une jupe d ’au moins six à huit mètres de tour; cette vision
s’élève jusqu’à la mi-hauteur de l’église.
Pendant ce temps, la petite fille insulte le tabernacle dans l ’espoir que Notre-
Seigneur Jésus-Christ en sorte et vienne me secourir.
... Au retour à la maison le petit bonhomme et la petite fille menacent de m ’atta
quer parce que j ’ai été gourmande.
— « Tu ne comprends pas que l’on peut t ’attaquer si tu manges trop ou de trop
bonnes choses. C ’est cela que tu ne comprends pas, on ne le fait pas exprès ».
— « Autrement dit vous faites Dieu ».
Ils paraissent interloqués : « Ah ! oui, on fait Dieu ».
(Pendant que j ’écrivais la phrase précédente, ils m ’ont crié : « Attention, tu nous
parles, ça va faire un troisième nous-mêmes » et ils essayent de transformer mon visage
en le leur, ainsi que mon corps.)
Au bout d ’un instant ils reprennent :
— « C’est parce qu’on a peur que Dieu sévisse, on sévit d ’avance ». Suit une série
de manifestations dont je ne me souviens plus. Manifestations accompagnées de
reproches (ce doit être l’auto-moral dont parle le docteur de Divonne-les-Bains).
— « Viens voir le coucher de soleil, me crie maman. Regarde, on dirait un énorme
poisson ». D ’autres soirs, le soleil descend derrière les arbres, rond comme une lune
ou bien le ciel est uniformément rose bonbon fondant.
(Pendant que j ’écris ces lignes je ressens un profond malaise. « On t ’a reliée à
Satan », me crie la petite fille.)
Jadis nous allions l’été à Find’Oise et nous ne manquions pas de regarder chaque
soir le coucher du soleil sur les coteaux de Triel.
Je me dispose à me reposer; la petite fille vient se coucher sur mon oreiller; quand
je m ’étends elle se retire précipitamment.
Le piquet de fourrure a réapparu ; il se lance dans la bouteille d ’eau et en ressort
quand je me verse de l’eau ou bien d ’un geste prompt le petit bonhomme vient l ’en
retirer.
Je ne vois ni n ’entends plus le petit bonhomme et la petite fille mais je sens leur
présence par une espèce de hantise qu’ils exercent sur moi, comme s’ils voulaient
JOURNAL D'UNE HALLUCINÉE 1423
m’hypnotiser en même temps la petite fille qui est derrière moi me présente l’idée
du suicide et je tombe dans le désespoir.
Qui a connu des désespoirs aussi profonds ?
Je lutte contre eux de toute mon âme, mais les souvenirs les plus tristes de ma vie
me reviennent.
Il me sort des mains de la poitrine, de longues mains fines comme celles d ’un
prêtre.
Il me sort aussi le pommeau d ’une épée, la petite fille s’en empare et dégaine,
après quoi elle fait virevolter la lame autour de ma tête puis elle se tranche le cou.
Je pense à ma mère, je pense : « Elle va bientôt mourir et je m ’angoisse ». Le soir
quand je prépare le tilleul elle laisse tomber le livre qu’elle lisait sur les couvertures
et s’endort. Je la regarde et vois qu’elle respire.
... Le soir la petite fille se transforme en un énorme bras qu’elle approche de ma
taille pendant que je dis mes prières; ce bras éclate, elle le remet; il éclate de nouveau
et ainsi de suite. J ’applique la méthode habituelle et le bras s’éloigne de moi et bientôt
il ne reste plus qu’un morceau de bras comme un biceps soufflé.
Le lendemain matin, à mon réveil, je sens quelque chose qui m ’incommode la
poitrine; c’est le morceau de bras qu’on m ’a enfoncé au-dessus de la ceinture.
J ’allais écrire : à la ceinture, mais je réfléchis que ce n ’est pas tout à fait exact;
la petite fille me le fait observer aussi. J ’écris donc : au-dessus de la ceinture. Alors
la petite fille déclare : « Tu m ’as obéi », puis quelques instants après : « ah ! non ».
Il y a devant moi des espèces de carrés comme des blocs de chair; on les ouvre
et il en sort un sexe viril et toutes sortes de choses qui semblent me compléter, parfois
le sexe viril est lâché par une main.
La petite fille a fait une machine infernale, sans doute parce que j ’ai récité les
litanies du Saint Nom de Jésus. Elle me menace avec distance. Elle m ’a aussi placé
sur la tête une espèce de cartonnage. Ce matin, à la messe, elle a rapproché la machine
infernale et a placé dessus une énorme poulpe noire dont les bras gigantesques me
menaçaient.
... Hier, pendant que j ’écrivais la petite fille est entrée tout entière dans mon sein.
Après quelques essais plus ou moins positifs elle s’est retirée quand j ’ai retiré ma
robe.
J ’ai jugé prudent de cesser de réciter les litanies du Saint Nom de Jésus, la grande
poulpe noire a disparu. Par contre, le petit bonhomme en a un bras avec lequel il
essaye de me couper en deux. Comment faire alors ? Que décider ?
Le petit bonhomme et la petite fille disent qu’ils ne sont plus au niveau du psy
chiatre depuis que j ’ai consulté la doctoresse parce que j ’avais des étouffements.
Hier matin en m ’éveillant, j ’ai eu une impression épouvantable. Puis quand je
me suis mise sur mon séant une énorme main (à cet instant on m ’interrompt : ce
n ’est pas une main, c’est une main fermée, disons un poing, non ce n ’est pas un poing
c’est une main fermée et je songe au procès de Jésus devant Ponce Pilate, les Juifs
crient : Ne mets pas « C’est le roi des juifs ») sort de ma poitrine.
Le petit bonhomme et la petite fille font les instruments de la Passion : une énorme
couronne d ’épines, des clous, une croix. On me met la couronne d ’épines sur la tête :
— « Puisque tu te prends pour Jésus-Christ », disent-ils très vexés et ils cherchent
s’ils ressemblent aux juifs ou aux pharisiens.
Pendant que j ’écris ces lignes la petite fille sort de ma poitrine un énorme Christ.
... Quelquefois il y a une légion de démons au-dessus de sa tête et d’autres fois
une légion d ’anges au-dessus de la mienne.
1424 APPENDICE
Il y aussi le baiser sur la bouche. Je sens quelque chose sur mes lèvres comme si
on leur appliquait un voile léger, je ne sais pas cômment me débarrasser de cette
impression.
On m ’a jeté une grande nappe de lumière sur la tête dont les bords s’étendent
jusqu’à l ’autre bout de la pièce.
— « Ce n ’est pas de la lumière », objecte la petite fille (c’est une lumière opaque),
ces « bêtes » là traduisent à peu près dit le petit bonhomme.
Le phénomène qui est derrière moi m ’auto-suggestionne pour que je cesse d ’écrire.
Le petit bonhomme a essayé de retirer la nappe de lumière; il est passé dessous,
est monté sur la table, puis sur mon épaule d ’où il a dégringolé.
Quand j ’étais soignée par le docteur L. le petit bonhomme et la petite fille avaient
pris la manie de traverser le cahier sur lequel j ’écrivais, manie qui réapparaît quel
quefois.
— « Denis, viens voir, ça vaut la peine ! » C’est maman qui m ’appelle.
— « Regarde ce ruban blanc dans le ciel, cela part d ’un avion, regarde comme
il est haut ».
... Le petit bonhomme est entré dans les « Match », c’est-à-dire dans le système
de défense que l’on m ’a indiqué pour calmer les Hallucinations quand elles ont
une crise.
... Les Hallucinations font des tas de choses qu’il m ’est difficile de relater : d ’abord
on me pousse à ne rien faire ou bien à cesser d ’écrire, ou bien la petite fille confond
le présent ouvrage avec la loi des magazines; je veux dire qu’elle fait la réaction du
journal sur le magazine de sorte que je ferme celui-ci et vais me coucher avec un
voile sur la tête et un énorme sexe viril le soutenant.
Pendant que j ’écris cela la petite fille place une énorme bête devant mon front à une
dizaine ou une quinzaine de centimètres.
Il y a aussi la corde monacale légèrement rentrée dans mon côté qu’on me retire
en me la passant par-dessus la tête.
Parfois de la boîte crânienne sort (non pas sort, part me crie-t-on) une petite fille
qui se dépêche comme si elle avait quelque chose de très important à faire.
L ’autre soir la petite fille m ’a attaquée violemment, puis elle s’est transformée
en plusieurs petits bonshommes qui éclataient chaque fois qu’ils voulaient s’élancer
contre moi ; puis ils se calmèrent et une autre petite fille se détraqua, je lâchai Match
pour Point de Vue-Images qui ne fonctionna pas comme d ’habitude, car au lieu
d ’agir sur la petite fille il agissait sur moi, essayant de me délivrer des maléfices.
Le petit bonhomme (on me souffle : et la petite fille) m ’a menacée parce que j ’ai
mangé une côtelette dans le gigot jeudi ; il avait peur que Dieu sévisse. Il est vrai que
la semaine dernière, j ’avais négligé d ’en acheter (on me souffle : deux fois) pour me
dominer, mais cette semaine étant la semaine des Quatre-Temps on fait maigre mer
credi, vendredi et samedi; on peut donc s’offrir une côtelette le jeudi, d ’ailleurs le
petit bonhomme et la petite fille m ’attaquent aussi sur les Quatre-Temps, alors je ne
comprends plus.
Tout est embrouillé. Grande pagaille hier soir, la petite fille me hante la poitrine
comme si elle allait m ’attaquer. Nouvelle série d’éclatements. Je me défends avec
Point de Vue-Images et tout à coup je vois la petite fille sortir de ce magazine tandis
que dans mon dos tout se détraque. C ’est-à-dire que le personnage qui est dans mon
dos et présente l’homme de terre duquel sort d’immenses libellules avec des antennes
d ’au moins un mètre cinquante.
JOURNAL D'UNE HALLUCINÉE 1425
Bien que les Quatre-Temps soient terminés, la petite fille continue à attaquer pour
« voir si les magazines fonctionnent », cela devient une obsession.
En jouant du piano j ’ai réentendu : « Je suce le nerf du cœur », puis presqu’aussitôt
sucoc ud fren el ecus ej.
Pendant une des opérations il m’est arrivé sur la poitrine sous le sein gauche
un amalgame des feuilles de Match comme quand on passe les feuilles d ’un livre sur
son pouce et cela me fait comme une angoisse.
Le petit bonhomme et la petite fille (qui parfois devient un piquet de fourrure)
ne sont pas toujours d ’accord.
Le petit bonhomme veut que je raconte ses crises depuis a jusqu’à z et la petite
fille ne veut pas.
Il y a aussi beaucoup d ’autres choses à relater mais elles passent si vite devant moi
que je ne parviens pas à les retenir.
Le plus désagréable pour moi est quand ils se mettent à m ’attaquer à tour de rôle,
la petite fille cesse brusquement (« regarde l’heure, veux-tu, me dit un troisième
personnage, parce que j ’en tombe malade »), alors le petit bonhomme se déclenche :
— « Malheureusement... », dit-il, et ce mot est comme les prémices de plusieurs
manifestations dans lesquelles je relève des obscénités; puis il cesse tout à coup décla
rant qu’il a trouvé une position. Alors le troisième personnage apparaît :
— « Si tu cesses je vais me manifester », dit-il ou plutôt dit-elle, car c’est plutôt
un personnage féminin avec une tête en bonnet d ’âne. Et je me demande pourquoi
et qui décrète que lorsqu’une des manifestations cesse une autre doit recommencer,
car cela est horriblement fatigant.
Parfois quand l’un des manifestants vient de me jouer un bon tour, il va se regarder
dans la glace qui lui renvoie une expression un peu idiote.
... Durant tout le goûter on m ’appuya sur la poitrine me provoquant un malaise;
puis de retour à la maison, le soir le petit bonhomme reprit son idée fixe de m ’atta
quer pour voir si les magazines fonctionnent (si elle met magazine au singulier je
n ’attaque pas, mais si elle met magazine au pluriel, j ’attaque) et pour se dominer il
installa avec la petite fille des espèces de petites bonnes rondes sous un immense drap
de lumière. J ’avais devant moi à la hauteur du front une espèce de bête représentant
Satan vaincu par saint Michel.
Tout à coup la bête se transforma en phénomène que j ’ai dans le dos et s’écria :
« Mais je ne peux pas rester ainsi devant, ce sont les autres (on me souffle : les deux
autres) qui m ’ont mise en bête devant elle, je dois regagner ma place dans le dos ».
— « Il n ’y avait que moi » dit la tête de la petite fille habituellement située dans le
giron de l ’autre.
Pour l ’équilibre il faut que les Hallucinations soient placées ainsi : assez loin
devant moi le petit bonhomme et la petite fille, puis dans mon dos un personnage
qui n ’est ni homme ni femme mais qui parle au féminin et qui laisse dépasser un
morceau de tête d ’une petite fille.
Je me suis éveillée dans le courant de la nuit. J ’ai pensé : « C’est le mois du
Rosaire qui commence ».
Immédiatement le personnage qui est dans mon dos remua et me tint éveillée.
On essaya aussi de tomber dans ma poitrine.
Le matin le petit bonhomme annonça : « c’est parce que je te dirige au nom du
Rosaire que tu t ’es accidentée ».
Au mois d ’août j ’avais écrit au Secrétariat du T. S. Rosaire pour obtenir un
1426 APPENDICE
bulletin mensuel comme j ’en recevais autrefois. On me répondit qu’il fallait que je
m ’adresse à un Père dont on me donna l’adresse. 'J’écrivis donc à ce Père et laissai
la lettre sur ma table. Alors le petit bonhomme commença à me hanter les sens
jusqu’au moment où il approcha sa main de ma pudeur. (« Ça c’est dégoûtant, dit le
personnage qui est dans mon dos pendant que j ’écrivais, mais ce n ’est pas
moi. »)
Effrayée, je déchirai ma lettre pensant qu’il valait mieux me priver de bulletin
plutôt que d ’être obligée de me faire radier, mon inscription datant de plus de
trente ans.
... Le personnage qui est dans mon dos s’est élancé dans la pièce avec toute une
fantasmagorie (t’es sûre que c’est bien ce mot là ?) pour rejoindre la petite fille en
criant : « Je délire, je délire ! ».
En même temps il me sort de la poitrine toutes sortes de choses hétéroclites :
du liquide, des mains, des os, un personnage tout entier que je ne peux pas bien
discerner. Puis la petite fille approche de moi une planche en métal garnie de moules,
après quoi il y a du poil sur ma poitrine comme s’il allait me sortir un singe.
Pendant que je disais mes prières hier (aux mêmes intentions, que la veille), le
petit bonhomme s’écria : « Je tiens de nouveau l’axe du Rosaire, c’est moi qui dirige ».
Puis, après le dîner, tandis que ma mère faisait la lecture à haute voix, il perdit cet
axe sous prétexte qu’on ne lisait pas le même texte que la veille.
Puis tout à coup je vis un ours près de moi qui disait : « J ’ai faim de chair humaine,
j ’ai faim de chair humaine ».
... Donc l’ours m ’avala la tête du côté droit depuis la racine des cheveux jusqu’au
milieu de la joue. Puis le petit bonhomme aussi présenta l ’ours et je me sentis menacée,
alors la petite fille l’approcha de moi et le plaçant à ma droite me dit : « Je vais le
laisser là, sinon j ’attaquerai ».
Ce matin, tandis que je ne dormais pas, il y eut tout un bruit de cliquetis dans la
pièce et sur ma poitrine, puis je vis une main énorme et rougeâtre (un poing, dit la
petite) et tous les bruits se résorbèrent.
Tout ce que je fais me pèse, c’est comme une perpétuelle auto-suggestion. Cela
commence le matin quand je me coiffe, comme si on me disait : « arrête, arrête, tu ne
peux pas te coiffer, c’est trop fatigant, fais la chose suivante ». La chose suivante est
les courses le matin, pour l’alimentation, l’auto-suggestion recommence : « tu ne
pourras jamais faire toutes ces courses, laisses-en ! ». La chose suivante est le lit à
faire, l ’auto-suggestion devient terrible : « Laisse cela, laisse cela, tu ne peux pas le
faire ». C ’est aussi comme si on me disait : fais la chose suivante, tu verras, tu pourras
la faire; puis quand je suis dedans : tu vois tu ne peux pas.
Tout à l’heure pendant que je faisais mon repas j ’ai eu un malaise, le petit bon
homme m ’a dit : « C’est moi qui me suis coupé ». Entendons par là, « qui suis trop
fatigué pour pouvoir continuer ». Autrefois, dans les rues de Paris, le soir au moment
où les voitures et les gens ont l’air de perdre la tête, j ’entendais : « C ’est le Président
de la République qui s’est coupé ». D ’autres fois, alors que j ’étais prise d ’une espèce
de désarroi j ’entendais : « C’est le docteur qui s’est coupé », et cette explication me
rassurait.
Hier pendant que j ’écrivais, il m ’est sorti des tas de choses du front : de grands
entonnoirs, une espèce de cataplasme et tout le cerveau. De la poitrine, il m ’est sorti
également du liquide, un bec et un cou de cygne (je n ’ai pas discerné le corps), une
espèce de tuyau tout neuf rattaché à une plaque de métal et à un appareil que je ne
discerne pas bien non plus.
JOURNAL D'UNE HALLUCINÉE 1427
saute sur moi, me rentre dans la bouche, saute dans mon verre, dans la bouteille
d ’eau minérale et jusque dans mon seau hygiénique-.
Parfois, quand je vais m ’étendre, le petit bonhomme se couche avant moi sur
l ’oreiller. Je deviens neurasthénique. Ce n ’est que lorsque je me relève et qu’il saute
à terre que je me souviens qu’il était là. L ’autre jour il m ’a tenue dans le dos, quand
il a lâché prise, le personnage qui est derrière moi s’est étendu de tout son long sur
mon dos pour me protéger.
... Le petit bonhomme et la petite fille, ont mélangé leur masse fluidique. Je ne les
distingue plus l’un de l’autre. C ’est moi qui attaque fait l’un; non c’est moi, fait
l ’autre espérant me mystifier.
Pendant le déjeuner la petite fille m ’envoie un gros ver blanc dans la bouche,
elle m ’en envoie à chaque bouchée, le petit bonhomme vient me le retirer.
— « Cesse de faire cela », dit-il.
— « Mais je ne peux pas m ’en empêcher, répond-elle, j ’ai attrapé une idée fixe ».
Elle en met aussi dans mon verre, je remarque que si je dois attendre que le petit
bonhomme vienne le retirer pour boire ce n ’est pas logique, j ’en suis donc réduite à
avaler le ver ou à faire quelque chose qui n ’est pas logique.
(Sur cette dernière phrase la petite fille grimace et essaye de me faire grimacer.)
— « Ce n ’est pas que ce n ’est pas logique, dit le petit bonhomme, c ’est que je te
dirige ».
La petite fille m ’embrasse puis se salit devant moi. Il arrive souvent que la petite
fille et le petit bonhomme se salissent ainsi pour me nuire ou contre Dieu.
— « Arrête, arrête, on s’arrangera ! » Ce qui signifie : cesse d ’écrire et on s’arran
gera pour ne pas faire d ’hallucinations. Et moi je traduis : cesse d ’écrire et tu auras
des Hallucinations et tu seras obligée de lire des magazines (Un magazine, me souffle
la petite fille qui est superstitieuse).
Quand le petit bonhomme me dirige au nom du Rosaire, la petite fille se mani
feste. Pour qu’elle se calme, il faut qu’elle me dirige aussi mais alors je tombe dans
la tristesse. Actuellement, elle dirige ma mère. Pour cela elle étend une espèce de
fluide dans la direction ou dans la direction de ce qui, pour elle, la représente et elle
s’immobilise. (Ne mets pas « elle s’immobilise », me dit la petite fille, je vais croire
que je ne peux plus bouger. Mets plutôt : elle se tient tranquille. Puis presqu’aussitôt
après, se tournant vers moi, elle ajoute : ne fais pas attention à ce que je te dis.)
Hier soir (comme j ’hésitais, « écris », crie le petit bonhomme sinon elle t ’atta
quera disant que tu n ’as pas écrit), remue-ménage. La petite fille court dans la pièce,
elle a de gros biceps, elle éclate plusieurs fois en voulant m ’attaquer. Je prends les
magazines. Avec le premier, elle se calme, avec le second elle fait l’homme de terre et
toutes sortes d ’horripeaux :
— « Je me suis choquée contre la reine d’Angleterre et la comtesse de Paris »,
dit-elle, faisant allusion à une période de ma vie où j ’ai beaucoup déliré sur ces deux
personnes, soit que le traitement homéopathique que je suivais à ce moment-là m ’ait
produit cet effet, soit à cause des grandes grâces que j ’avais reçues de l’Église.
Au sujet des magazines, il y a quelque chose qui n ’est pas très clair. C’est justement
avec le magazine qui parle des rois et des reines que j ’obtenais le meilleur résultat
quand j ’étais à Divonne. Oui, mais maintenant ce n ’est pas le médecin de Divonne,
c’est le médecin de P. qui nous a redonné cette indication, disent le petit bonhomme
et la petite fille.
Je pense : « Alors autant de médecins autant de méthodes ».
JOURNAL D'UNE HALLUCINÉE 1429
« Tu crois que je vais me calmer ? » (Pendant que j ’écris je reçois une forte pression :
cesse d’écrire, cesse d’écrire, puis on me pousse à: regarder l’heure qu’il est.)
Au moment précis où le petit bonhomme se calme, la petite fille se déclenche :
« Malheureusement je crois que cela va me prendre », dit-elle. J ’ai recours au magazine
avant d’aller à la messe.
La petite fille se place dans une position assez convenable. Néanmoins je dois
continuer après la messe jusqu’à ce qu’elle se calme tout à fait et le petit bonhomme
aussi.
— « Tu m ’as obéi, c’est moi qui te dirige », s’écrie la petite fille.
La direction consiste à me passer autour du cou un lasso fait d ’une corde de
moine et à serrer jusqu’à ce que le cou soit complètement tranché sous l’effet d ’une
illusion.
Nous sommes restées trois jours sans pendulette ce qui m ’a laissée dans le vague
ainsi que les Hallucinations. L’autre soir, le petit bonhomme s’est incommodé. Je
dus prendre Match. Arrivée à la réclame pour le champagne où l’on voit le portrait
de la veuve Cliquot, je tournai la page. Quelques pages plus loin j ’entendis le petit
bonhomme réclamer : pourquoi qu’elle a passé la page de la veuve Cliquot ? disait-il.
(Il le répète au moins vingt fois.)
— « C ’est parce que c’est une réclame qu’elle a déjà vue », dit bénévolement le
personnage qui est dans mon dos.
— « Mais moi je reste toujours à la veuve Cliquot. »
— « Tu sais bien qu’elle passe toujours les réclames quand ce sont les mêmes ».
Puis ce fut au tour de la petite fille de geindre :
— « Mais pourquoi qu’elle a passé la page de la veuve Cliquot ? »
Mêmes explications. Aussi grand fut mon étonnement de constater que le person
nage qui est dans mon dos se déclenchait lui aussi :
— « Mais pourquoi qu’elle a passé la page de la veuve Cliquot ? »
— « C ’était bien la peine de nous donner toutes ces explications », dit le petit
bonhomme.
— « Cela me prend aussi », déclara l’autre.
Mais je vis que moi aussi j ’allais me poser la question tandis que le portrait de la
veuve Cliquot se dessinait devant moi, j ’ouvris le magazine à cette page. Puis je conti
nuai à partir de l ’endroit où je m ’étais arrêtée.
— « Mais ce n ’est pas ça qu’il faut faire, me cria le petit bonhomme. Il faut
repasser tout, depuis la veuve Cliquot ». Je me gardai bien de l ’écouter, mais le len
demain, voyant que ça n ’avait pas l’air de s’arranger et énervée, je pris le magazine
à la fin et le parcourus à l ’envers en remontant jusqu’à la veuve Cliquot, puis à
l’endroit; de nouveau les Hallucinations criaient : on se dédouble, tu avais raison,
il ne fallait pas nous écouter ! » Aussi bien ne les avais-je pas écoutés, j ’avais simple
ment constaté le désastre et que le portrait de la veuve Cliquot s’était placé devant
mon front et que de ce front même allait partir une interrogation.
Le petit bonhomme a fait un homme en sang coagulé et j ’ai dû me défendre
contre lui.
Puis il y a eu aussi l’affaire du pou. La petite fille a vu un pou, puis plusieurs poux.
— « C’est ça, je vais en voir plein la pièce », déclare le petit bonhomme. Et il a
« essayé ». Tout un angle de la pièce se remplit de poux. « Ah ! non », dit-il, constatant
que le reste est vide.
JOURNAL D'UNE HALLUCINÉE 1431
La petite fille met un pou sur mon corsage, une pincée dans ma bouche (Pendant
que j ’écris cela, le petit bonhomme vient me mettre lui aussi un pou dans la bouche.)
... Dans mes prières j ’ai pensé : « Tu me fais l’effet d ’une bête ». Aussitôt la petite
fille se mit à faire un ours grandeur nature. Puis l’ours s’approcha de moi, ouvrit sa
gueule et engouffra ma tête, après quoi il se recula un peu, rouvrit sa gueule et la
referma avant de m ’avoir complètement libérée, ce qui m ’irrite, cela va de soi. Enfin
il rouvrit sa gueule, de nouveau et je pus enfin dégager ma tête.
(Pendant que j ’écrivais, je reçus une poussée violente comme si on me disait :
« Renonce, renonce à écrire ». Et j ’ai toutes les peines du monde à continuer. D ’ailleurs
tout me pèse, tout m’est une corvée épouvantable.) Le petit bonhomme n ’a pas cessé
de m ’attaquer sur cette dernière phrase. Je vais donc préciser : tout me pèse depuis
le moment où je me lève jusqu’au moment où je me couche (charogne, dit le petit
bonhomme), sauf pendant les repas et au moment de mon repos (recharogne me
redit tout bas le petit bonhomme). Hier soir, quand il m ’a attaquée, il a passé son
doigt dans un faux col figuré et a secoué la tête plusieurs fois comme s’il avait le cou
trop serré. Après quoi il a fait déborder la chair du cou du soi-disant faux col.
J ’ai coupé la crise avec Match.
La petite fille est montée sur des échasses. Elle atteint le plafond, puis tout à coup
elle redescend à la hauteur normale en me criant « Ça va mieux, ça s’arrange ».
Hier soir à l’église, alors que j ’assistais à la messe de la Présentation de la Bien
heureuse Vierge Marie, la petite fille qui est dans le personnage qui est dans mon
dos sauta dans l’église et fit un énorme démon et se mit à manœuvrer e
Ainsi s ’achève l ’écrit de Mlle Denise, brusquement, sans qu’elle ait terminé
le mot qu’elle écrivait, comme pour témoigner nous semble-t-il qu’un Délire de
cette sorte n ’a pas de fin. Sa « guérison » consiste le plus souvent — quand elle se
produit — à faire coïncider chez le Délirant les « résidus nocturnes » de son
Délire avec son « rêve diurne ». Bien sûr, des centaines de pages sinon des volumes
pourraient être écrits pour exposer l ’herméneutique du symbolisme de ce Délire
ou son analyse existentielle. Peut-être le Traité des Hallucinations qui s ’achève
par cette illustration — la seule possible qui puisse se reproduire dans le discours
de l'halluciné — peut nous permettre d ’en faire l ’économie. Il nous a permis
en effet d ’établir un modèle où les faits cliniques, sans perdre leur originalité
propre, trouvent leurs exactes dimensions et perspectives. L ’Hallucination n ’appa
raît, en effet, répétons-le, dans ce point final que lorsque la « mise au point » de
l ’imaginaire se substitue à la mise au point de la réalité, lorsque, comme dans ce
cas, le regard de l ’homme sur son monde traverse le prisme de son Délire, ou
même reflète seulement son doublet indéfiniment dédoublé et redoublé.
:
ANNEXE
TABLE DES CONCEPTS-CLÉS
Nous nous sommes constamment servis de « concepts » que l’on retrouve dans
tous les écrits fet toutes les discussions des Anciens et des Modernes, des Philosophes
et des Savants, des Psychiatres et des Psychanalystes, etc.
Pour en éclairer le sens et chercher, dans leur articulation, la cohérence d ’une
« hypothèse scientifique » ou, comme on le dit aujourd’hui, d ’un « modèle », nous
allons en examiner quelques-uns qui nous paraissent les récapituler tous.
Notre table comprend 14 Concepts.
L’Objet Le Sujet
L’Autrui Le Moi
L’Inconscient La Conscience
Le Symbolique La Pensée abstraite
L’Imaginaire Le Réel
L’Expression La Création
L’Automatisme La Volonté
On remarquera :
1° Que tous ces concepts forment des couples antinomiques.
2° Qu’ils évoquent, chacun et tous, des problèmes métaphysiques vertigineux
sinon insolubles.
3° Que n ’y figure pas le concept de langage car nous le verrons il subsume tous les
autres.
Nous allons d ’abord les expliciter en développant leurs significations implicites.
Il est bien évident que, sous chacun des mots qui vont constituer le texte de cette
exposition, le lecteur n ’aura pas de peine à reconnaître les positions et les noms des
grands Philosophes ou des grands Systèmes de pensée qui se cachent sous cette appa
rente simplicité.
Nous ne recourrons pas une seule fois à la citation d’un de ces noms prestigieux
ou obscurs, laissant au lecteur le soin, sinon la satisfaction, de les découvrir par son
propre savoir.
I. — LES A N T IN O M IE S DE L A R A IS O N
Les sept couples de concepts que nous allons définir ne peuvent se définir chacun
que par son contraire, c’est-à-dire que, s’excluant réciproquement, ils se lient.
1434 TABLE DES CONCEPTS-CLÉS
1° L’O bjet et le Sujet. — L’Objet en général est la chose qui fait partie du
monde, de ce qui, « en soi », se présente nécessairefnent dans une contexture, disposée
dans l’espace et le temps, selon un ordre qui s’oppose au Sujet en lui posant le pro
blème de sa connaissance et en imposant à son action sa nécessité. Par là, le Sujet
apparaît comme l’agent de cette saisie du monde des Objets dont il se sépare en s’en
emparant : il n ’est « existant » que par la distance qu’il réserve entre les Objets
et lui.
L ’Objet et le Sujet sont donc face à face et inconciliables dans leur dualité : l’Objet
est autre que le Sujet. Ils se renvoient, pourtant, l’un à l’autre : l’un formant le monde
des Objets et l’autre l’expérience de « l’être-au-monde ». Le Sujet est au milieu de
l’existence dont le monde des Objets constitue « le milieu naturel ».
II. — P O S IT IO N S C O N T R A D IC T O IR E S R É S U L T A N T DE L’IN C O H É R E N C E
D A N S L ’EM PLO I DE CES C O N C E P T S
Il suffit de jeter un coup d’œil sur la table des concepts antinomiques que nous
avons dressée, pour percevoir quel risque de dualisme ontologique c’est-à-dire quelle
absurdité il comporte. Prenez tous les concepts de la colonne ordonnée par rapport
à la notion d ’objet et séparez-les de tous les concepts de la colonne ordonnée par
rapport à la dynamique du Sujet et vous avez d ’un côté la position dite empirico-
matérialiste et de l’autre la position dite idéaliste et transcendantaliste.
1436 TABLE DES CONCEPTS-CLÉS
III. — L A S O L U T IO N D IA L E C T IQ U E
DE L’O R G A N IS A T IO N D U CORPS P S Y C H IQ U E
E T D E SA D É C O M P O S IT IO N
Il est bien évident que si l’on accepte plus ou moins explicitement un point de vue
dualiste, la Psychiatrie n ’existe pas et ne peut pas exister — soit que pour la position
1438 TABLE DES CONCEPTS-CLÉS
(1) C ’est ce que j ’ai souligné dans mes discussions notamment avec S. F ollin
et L. Bonnafé lors du colloque de Bonneval (1946) sur la Psychogenèse des névroses
et des psychoses (C. R., Paris, Desclée de Brouwer, édit., 1950, p. 200-203). Les pages
que Jacques M onod (Le Hasard et la Nécessité, p. 37-45) consacre aux positions
idéologiques et dialectiques me paraissent aller dans le sens delà même démonstration.
LEXIQUE
DES TERMES FRANÇAIS ET ÉTRANGERS
AMBIGUS, INUSITÉS OU NÉOLOGIQUES
Schém a corporel. — Terme général qui désigne l ’image de son propre corps et,
par extension, l’image de soi. Son usage doit être réservé à la représentation et à
la perception de l ’ordre spatial des diverses parties (partes extra partes) du corps.
Cela revient à dire qu’il faut distinguer les Hallucinations délirantes corporelles
qui correspondent au sens général de la perception et de l’image de soi, et les
Éidolies (Somatoéidolies) que l’on désigne effectivement en Neurologie comme
troubles asomatognosiques.
Schizophrénie. — Psychose à évolution chronique (ce qui ne veut pas dire incurable)
caractérisée par sa tendance à la désorganisation autistique des rapports du Moi
au monde de la réalité. Cette Psychose délirante comporte non seulement dans sa
forme dite paranoïde une activité hallucinatoire, surtout acoustico-verbale, mais
aussi, et selon les phases de l’évolution, un syndrome hallucinatoire où prédo
minent les voix, les délires d’influence et les Hallucinations corporelles. L’évolu
tion typique de cette Psychose se fait vers un déficit schizophrénique, mais elle est
susceptible de réversibilité (même si l’on a soin d ’écarter de ce cadre la plupart des
Psychoses délirantes aiguës abusivement appelées Schizophrénies aiguës).
Spontanément, 10 % des schizophrénies évoluent vers des psychoses fantas
tiques — 5 % se réduisent à des délires systématisés — et environ 30 % peuvent
présenter d’excellentes et stables rémissions.
Sensory deprivation . — V. Isolement sensoriel.
Sociogenèse. — Conception de la maladie mentale qui la fait dépendre de facteurs
situationnels, éthologiques ou épidémiologiques, soit en la réduisant à n ’être que
l’effet du micro-milieu pathogène (relations intersubjectives familiales, événements,
conflits, etc.), soit en la réduisant à n ’être qu’un aspect général de l’aliénation de
la condition humaine, c’est-à-dire de la répression qu’exerce sur l’individu la
Société (v. Antipsychiatrie).
S om ato-éidolies. — Phénomènes hallucinatoires corporels caractérisés par la
désintégration partielle du schéma corporel.
Som atognosie. — V. Schéma corporel.
Stru ctu re e t structu ralism e. — L’usage du terme « Structure » consacre une
réaction contre l’atomisme psychologique. La notion de structure implique celle
d ’un système de parties articulées dans une totalité et survivant à ses transforma
tions. Totalité et constance désignent les attributs fondamentaux de la structure.
Les structures physiques sont l’objet d’une science des transformations possibles
au sein d’un système réel (réalité objective). Les structures mathématiques cor
respondent aux actes et modèles opératoires logiques qui s’appliquent à la cohé
rence du système ou à son maintien, opérations isomorphes à l’esprit des opéra
teurs. En linguistique, la structure est essentiellement l’organisation synchronique
du discours (R. de Saussure), mais pose des questions au structuralisme trans-
formationnel (N. Chomsky). En Psychologie et en Psychiatrie, il y a lieu de dis
tinguer deux types de structures : l’une, dynamique et intentionnelle qui anime
1’ « Aktpsychologie » et la « Gestaltpsychologie » en ordonnant la totalité des élé
ments par rapport à son sens (structuralisme de l’école allemande, Dilthey et
Brentano) — l’autre, algorithmique ou formaliste qui fait apparaître les formes
constantes prises dans leur propre objectivité, et (tout comme la Sociologie consi
dère les structures sociales comme transculturelles et transhistoriques) entraîne
le « structuraliste » à les traiter comme une combinatoire purement symbolique.
LEXIQUE 1449
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(1) Dans cette bibliographie ne figurent pas certains travaux dont la référence se trouve dans l’intérieur de
l’ouvrage (se rapporter à l ’I n d e x d e s a u te u rs ). Par contre, exceptionnellement, quelques travaux qui figurent
dans cette bibliographie ne sont pas mentionnés dans le corps de l’ouvrage, en particulier divers travaux
récents qui n’ont pu être consultés.
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A ntopol W., 557. B a il l a r g e r J., 80, 82,83-85, 354, 365, (704).
A nzieu B., 1386. 91, 92, 93, 138, 145, 174, B a r u k H., 254, 255, 333,
A ppenzeller O., 285, 286, 193, (193), 205, 217, 221, 336, 354, 356, 365, 459,
325. 387, 451, 454, 714, 750, 465, (466), 469, 471, 472,
A fter J. T., 550, 561, (562). 901, 907, 956, 974, 975, (487), 497, (497), 502,
A ranson, 569, 576. (980) , 1072, 1180, 1181, (508), 553, 577, 611, 929,
A rbousse -B astide J. C. 1207, 1213, 1214, 1216, 1358, 1365, 1381.
(1415). 1230, 1231-1233, 1253, Baruk J., 451.
A rdis J. A., 651. 1263, 1309, 1350. B a sa g lia F., 792, 1386,
A r ie t i S., 13, 667, (781), Bailly-Salin P., (587). 1389, (1410).
1038, 1176. B a ir H. J., 468. B ash K. W., 222.
A r l o w J., 1052, 1066. Baldi F., 455. Basowitz H., 1148.
A r n a u d F. L., 861. Balduzzi E., 251, (264). Bateman K., 548.
A r n e A. L., 876. M., 361, (377),
B a l d w in B a u d o n J., 471, (471).
A r n h e im R., 104. 492, 494, 552, 935, 953, B a u er S. F., 1223.
A r n o l d O.H., 550, 571, 578. (981) . Bauer S., 906.
A r n o l d G., 547, 554. Balestrieri A., 521, 593, Baumgardt E., 112-113.
A r n o u l d F., (1414). 606, 607, (1412). Baumgartner G., 1334.
A r o nso H., 554, 576. Balini M., 1059. B a u m stil er Y., 1289, (1289).
A r sen i C., 324. B a l in t , 458, 1059. B ay F., 475, (479), (487),
A sf eld , 574. Ball, 46, 190, 747. 933, 1195, 1291, 1294,
A struc L., 13-(13). Ballerini A., 501, (501), 1304, 1322.
A strup C., 485, (485), 804. 504, (504). Bazanïe A., 12.
A tschkova M., 576, 579. B a ll etG., 261, 315, 450, B eams A. L., 63, 1148.
A ttneave F., 1135. 723, 744, 818, 830, 919, B ea r d A. W., 501, (501),
A twell A., 672. 1246. 502, 503-504.
A uber, 702. Balling Peter, 68, 989. B eaur oy R. P., 1264.
A u b er t M., 229, 930, 1331. Balvet P., 314, (315), 354, Beaussart L., 1262.
A u b in B., 44. 780, 1359, (1412), (1413). Becher D. I., 560.
A ubin H., 308, 465. Bancaud J., 102, (102), Bechterev, 496, 929.
A u b in M., 324. 1171. B e c k A., 494, (494).
A u d is io M,, 254,(254), 255, Banton A., 284, 323. Be c k e r A. M., (545), 554,
(360), 361, (491), (508), Barahona F ernandes H. J., 571.
1099, (1099), (1142), 1174, 272, 323, (1411). Becker J., (1413).
1288, 1310, 1369. Barande I., (1067). Beckett-L ang , 462.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1505
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B ek en y G. v o n , 122, 123, (912), 978, 1010, 1076, Blackly P. H., 522, 531,
164, 338, 338, 358, 361, 1077, 1088, 1092, 1105, (582).
1138, 1163, 1286, 1312. 1112, 1125, 1133, 1143, Blake R., 60, 63.
Bellak L., 259, 880. 1145, 1150, 1153, 1154, B la n c C., 928, (1099), 1288,
B e l l a n g e r J. L., 509. 1248, 1295, 1 5 5 4 , 1336. 1376.
B e l l e r in i A., 266. Berheman-T essier Fr., 504. B la n c M., 1366.
Belsanti R., 579. B e r in g e r K., 159, 245, 257, B l a n k H. H., 698.
B elsasso M., 284, 286, 805. 568, 616, 6 2 6 , 634, 636, B la t t A. M., 525, (543).
Bem H. S., 323. 637, (658). Bleandonu G., (1410).
Benassy P., 324. B e r l in L., 576. B le u le r E., 93, 94, 95, 118,
Be n d a Ph., 5 6 7 -5 7 0 , 571, B er m a n A., (400), 1061, 192, 214, 218, 222, 375,
573, 576, 578, 580, 585, 1064. 393, 431, 442, 443, 449,
(590). Bernard Cl., 1100. 458, 467, 478, 480, 725,
Bender H., 101, (101), 665. B er n a r d P., 759,893, (1415). 744, 756, 7 7 4 -7 7 5 , 777,
B en d e r L., 172, 548, 1 1 9 2 , Berner C., 804. 779, 783 , 7 8 4 , 789, 7 92-
1193. B e r n er P., 804, 805, 824. 793, 794, 795, 799, 8 0 4 ,
B en d e r M. B., 114, 151,284, Be r n h eim F., 607, 984. 8 1 7 , 826, 835, 852, 858,
(347), (357), 363, 466, 468, B e r n h e im H., 1180, (1180). 881, 974, 975, 976, 994,
469, 470, 471, 935, 936, Bernheim M., 607. 1000, 1039, 1077, (1077),
1334. Bernick N., 697. 1255, 1278, 1 2 7 9 , 1280,
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Benon R ., 477, 480, 933. B ex to n W. H., 110, 685, Bload, 286.
B en son D. F., 284, 325. 688, 6 8 9 , 700. Block K ., 608.
B ensoussan P. A., 513, 526, B ib b R. E., 582. Block W., 608.
528,565,584,1370,(1415). Bickford R. G., 494. Blofeld J., 676.
B en t e D., 324, 554. Bidon , 931.
Benton A., 324. B ie l s c h iw s k y , 122.
Blo n d el Ch., 96, (269),
294, (294), 380, 384, 3 8 7 -
Benzi M., 602. B ie r e r , 1384.
3 8 9 , 394, 1202, 1216, 1246,
Bequart P., 1388, (1409), Bies C., (1412). 1247, 1402.
(1410). Bignall K. E., 165.
Berard H., 1362. Bignani , 449. Blondel F., (1413).
Berard M. J., 548. B il z R. D., 138, 1309, 1328. Blood A. M., 284.
Berber T. X., 661. Binder H., (222), 449, (740). Blough D. S-, 560.
Bercel N. A., 573. B in e t , 61, 108, 169, 8 7 5 , Blum R. H., 531.
B e r c h t o l d R., 239, 246, (875), (895), 978, 1010, Boakes R. J., 517.
247, (248). 1145. Boardman W. K., 569.
B er d e B. von, 556. B in g l e y T., 492, (492). B obon J., (1414).
Beres D., 1015. B i n i , 1355, 1356. B obon P., 526, (1362).
Berg R. F., 276. B in s w a n g e r L., 28, 95, 96, Bockmukl K., 323.
Bergener M., (487). 159, 215, 393, 3 9 4 , 4 1 4 , Bodin , 705.
Be r g e r D., 1023,1024, 1025, 443, 715, (740), 746, 756, B o er h a v e , 79, 172, 905.
1026. 761, 775, 777, 791, 7 97, Bogliolo G., 781.
B er g er H., 335, 336, 930. 852, 975, (1078), (1250), B o g o slo w sk iA. I., 9 3 9 -9 4 0 ,
B er g er R., 548,1262, (1262), 1 2 5 1 , 1255, 1256, 1 2 80- 1287, 1333.
9 4 1 -9 4 2 ,
1301, 1302. 1281, 1380. B o h a r d F., (243), 738, 1366,
B e r g er o n M., 494, 494. Bion W. R., 1384. 1373, 1400, (1414), (1415).
B er g le r E., 297, 324. B ir n b a u m , 453, 661, 1248. B oissenot Y., 1263, (1263).
Bergmann B., 918. Bishop G. H., 942. B oissier J. R., 5 1 2 , 5 1 7 -5 1 8 ,
Bergouignan M., (1412). B is h o p M. P., 1412. 545, 549, 554, 557, 558,
B er g r ee n G., 929. Bitter W., (668). 561, 1372.
1506 INDEX ALPHABETIQUE DES AUTEURS
B u s c a in o G. A., (545), 550, C a rgnello D., 96, 132, 150, C havany J. A., 361.
551, 556, 564, 646, 1357. 151, 362, 364, 554. C hazaud J., (889), (895).
B u sc a in o L. V., 578. C a r lisle S., (1412). C h ee k F. E., 547.
B u s c a in o V. M., 103, 165, C aro D., 554. C herpillod C., 708.
(232), (352), (377), (486), C a r o n M., 484, (487). C hertok L., 371, (880).
555, 646. C arp T., 324. C hiaramonti, (498).
Buscher H., 323. C a r p in a c c i J. A., 1378, C h i b o n P ., 548, (1495).
Busemann H., 478, (478). (1410). C h il d e r s R., (1414).
Buser P., 613, (613). C a r r A., 997. C h ir o n , 1360.
Busman A., (487). C a r r e r P ., 1366, (1415). C h it a n o n d h FI., 256, 1359,
Busscher J. de , 357. C a r re re J., 1372, (1416). (1411).
B usse , 114. C a r r e r -S a in t -P ère S ., 1366, C h o lden L. S., 549, 571,
Bussopulos W. von , (464). (1415). 573, 579, (590), 657.
Butler R. A., 1163. C a r re tt e P., 455. C h o p r a G. S., 526, (543).
Buttollo W. H., 1357, C a r r ic k J. E. L., 1367. C h o p r a R. N., 526, (543).
(1411). C a r r o u g es M., 1005. C h r ist ia n J., (98), 918, 988.
B u y t e n d ijk F. J. J., 62, C a r u c c i G., 830. C hristiansen A., 575.
271, 1110, 1132, 1146. C a r uso I., 1 0 0 9 , (1309), C h r ist o p h e J., 254,334, 361.
B y r d R. E., 684. 1328, (1328). C hweitzer A., 613, 614.
B zh a l a v a I. T., (1097). C assassuce J., (1415). C hwelos N ., 571, 615.
C a ssir e r , 66, 454, 1105. C icéron, 79.
C a st a ig n e P., 357. C iganek L., 102.
C a st ell a n i A., 146. C ima, 1282.
C C a st eln a u B. d e , 907. C issler K. R., 13.
C a tt el l J.' P., 324, 572, 657. C it r o l o R., 314, 324.
C abaleiros G oas M., (232). C a tsar a s , 916, 921. C la r e M. H., 942.
C abanis, 82. C a ze n eu v e J., 604, (604). C la r k D. H., 1410.
C a h e n R., 1380. C a z u l l o C. L., (495). C la r k L. D., 528, (543),
C a h n J., 525, 549. C a z z a t o G., 505. 550, 556, 690, 694, 783,
C a h n R., 354, 929. C e il l ie r A., 382, 383, 868, 1196, (1410).
C a in J., 258, 455, 465. 872, 968, 9 9 6 , 1202. C la u d e H., 7 2 , 93, (98),
C a l a p ie t r a , 500. C en a c -T h a l y H., 315, 324. 159, 208, (218), (318), 3 2 9 ,
C a l d o n a z z o C ., 501, (501), C e r l ett i A., 513, 549, 550, 333, 334, 336, 352, 354,
504, (504). 551, 556, 557, 592, 1355, 363, 365, (376), (377), 382,
C a ldw ell A. E., 1361, 1356. 383, 453, 456, (456), 457,
(1412). C e r n y M., 207, 777. (457), 459, (459), 4 6 2 -4 6 3 ,
C allao M onferrer, 521. C h a b e r t F., (1263). (463), 469, 480, (486), 497,
C allieri B., 456, 1293. C h a bo r a J., 166. (497), 500, 5 0 7 , (507), 615,
C almeil L., 447, 907, 918, C haigneau H. (1409), 7 21, 727, 767, 818, 832,
925, 929. (1410). 836, 8 6 1 , 872, (895), 929,
C alverley D. S., 881, 882. C h a k m a t o v N. F., 484, (962), 968,996,1202,1243,
C a m e r o n D. E., 1261. (484), (487). 1339, 1354.
C a m p a n a A., 466, 469, 471, C h a m p io n C ., 1372. C la u sen J., 112, 113, 120,
472, 487, 9 3 4 . C h a n d l e r A. L., 579. (162), 370, 560, 9 4 0 , 1333.
C ampanella G., 248. C h a p o t G., (1414). C laveland S., 278, 323.
C ampbell N. K ., 592, 1192. C h a p o u l a u d J., 375, (375), C lément J., 1373.
C amus, 117, 269, 297, 807. 929. C lé r a m b a u l t G. d e , 5 5 ,
C ancrini L., 593, (599). C h a p r a G. S., 526, 528. 8 7 -8 8 , 89, 90, 91, 93, 124,
C anguilhem G., 856. C h a ra l a m p o u s K. D., 607, 127, 147, 1 5 4 -1 5 8 , 161,
C anner , 494. 608. (161), 184, 192, 194, 197,
C annon W. B., 268, 609. C h a r c o t , (205), 287, 8 7 4 , 2 0 8 -2 1 2 , 213 , 218, 220,
C antril H., 61. 881. 221, 225, (232), 241, 2 4 3 -
C a pg r a s J., 89, 223, 260, C h a r o u s e k , 937. 2 4 4 , (248), 261, 339, 366,
480, 505, 7 4 4 , 7 4 9 -7 5 1 , C h a r p e n t ie r , 1362. 371, 382, 384,389,396,
753, 801, 8 0 2 -8 1 1 , 814, C h a r p ig n o n L., 882. 397, 4 0 8 , 409,4 2 2 , 443,
815, 816, 851, 995. C h a r r io t G., (1414), (1415). 447, 455, 465,486,513,
C a p r o n H., (1414). C h a s l in , 142, 425, 501, 502, 520, 523, 625,704,723,
C a r c a sso n n e P., 480. 731, 1246. 725, 7 52, 754,773,786,
C a r d a n J., 1327. C h a sseg u et -S m ir g e l J., 13, 801, 8 0 2 -8 0 3 , 804, 818,
C ardenas d e Sahagun B., (13;, 270, 274, 323. 819,820,822,827,8 3 0 -8 3 4 ,
602. C h a t e a u , 120, 1362. 846, 901, 909, 916, 922,
C ardone S., 324. C h a u c h a r d P., 557. 923 , 9 6 2 -9 7 4 , 980, (980),
E y. — Traité des Hallucinations. II. 49
1508 INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
989, 996, 1 0 0 3 , 1178,1180, C o r r a d i M., 284, 324. D a um ezon G., 209, 736,
1202, 1203, 1207, 1215, C o r sin o G. M., 1407, (1412). 1358, 1387,(1409), (1411).
1234, 1239, 1243, 1247, C orven M. A., 775. D a u ty R., (1412).
1273, 1274, (1274), 1 2 7 8 , C ossa P., 319, 324, 367, 491, D a v id M ., 178, 185, (185),
1350, 1353, 1360, 1372, (1093), 1381. (367), 466, 467, 934, 937,
1397, 1398. C osta E., 469, 517. 1358, (1411).
C linco A. A., 252. C o st er m a n J., 1148. D a v id so n G. M., 251, 259,
C lisbee F. M., (543). C o t a r d , 3 0 1 -3 0 2 , 406, 415, (264).
C luny Cl. M., (672). 431, 500, 761. D avidson P. W., 314, 325.
C n a pk e n s R., (1414). C o u f f ig n a l L., 1 0 9 3 -1 0 9 4 . D avis H., 1138, 1286.
C obbold, 655. C oulonjou R ., 178, (367). D avis J. M., 615,685, (1412).
C oche R., 1406. C o u r b o n P., 375, (375), 929. D avis R., 456, 561.
C oc het-D eniau M., 278. C o u r t a u l d A., 684. D av so n H., 1141, (1141).
C o c h in J., 607, 608, 611. C o u r t o is A., 459, 460, (460). D ay J., 579.
C odet H., 714. C o u r v il l e C . B., 367, 468, D eak G ., 285, 286.
C ohen M. M., 547. 487, 935. D echambre, 747.
C ohen N., 692, 693, 696, C ozzolino , 929. D ecobert S., (1409).
699. C r a ig K. W., 469. D ecourt G., 336, 1043.
C ohen S., 513, 519, 544, 547, C ra m er A., 86, 187, 204, D efer B., 526, 530, 543.
548, 559, 563, 565, 567, (231), 705, 1124, 1218. D eglon J. J., 660.
568, 569, 570, 571, 573, C r a p p e r D. R., 9 4 1 , (941). D ejean C. H., 354.
576, 577, 578, 579, 580, C r em ieu x A., (460). D e je r in e , 915.
582, 584, (590), 632, 657, C r est , 1388. D e jo n g R. N., (1124).
709. C r in is M. d e , 231, 1078, D elahousse J. L., 290.
C ohn R. C., 324, 365. (1078). D ela sia u v e , 83,95,
135, 142,
C o if f u B.,
482, (482), (487). C r it c h l e y M., 42, 270, 284, 221, 330, 3 8 5 , 4 2 5 , 449,
1367, 1402.
C o ir a u l t , 319, 325, 335, (335), 357, (508), 731, 1235, 1255,
Colbert J., 275. 361, 456, 493, (493). 1246.
C ole J. O., (1412). C r o c k e r , 1131. D elattre J., 1382.
C olis, 453. C r o c k e t R., 513, 579, (590), D elaunay J., (1415).
C ollard J., (1414). (605), 658. D elay J., 159,465, 481, 513,
C ollbach E., 531. C r o n e - M u s z e b r o c k A., 530, 549, 553, 554, 5 6 7 -
C ollins V. J., 559. 285. 5 7 0 , 571, 573, 578, 580,
C o llom b H., 308, 324, 1371, C ronholm B., 284, 285, 286. 585, (590), 591, 592, 601,
(1415). C ropper D. R., 1287. 606, 609, 6 2 5 -6 3 4 , 635,
C o lm a n S., 931, (931). C rouzon , 729. (658), 738, 1282, 1353,
C olmart Ch., 1373. C r o w l ey A., 69, (69), 1217. 1355, 1357, 1 3 5 9 -1 3 7 1 ,
C olom b D., 606, (606), C u a n d e r a , 592. 1381, 1404, (1411), (1412),
1354. C u b a J. M., 456. (1413) , (1414).
C o n n o ly F. H., 251, 260. C uel, 354. D el b ec k e , 363.
C o n r a d K., 132, 138, 152, C u jo Ph., 1372, (1415). D e l et er , (456).
239, 246, 247, (248), (319), C u l u e r , 818. D el e u z e G., 213, 216, 399,
347, 394, (448), (449), 483, C u r t is D. R., 561. 661, (681), 760, 773, 792,
(486), 490, 746, 755, 756, C u s h in g FI., 151, 254, 361, 793 , 8 1 4 , 838, 8 5 6 , (967),
777, 7 8 5 - 7 8 9 , 791, 7 9 5 -7 9 6 , 447, 466, 467, 470, 934, 971, 972, 996, 997, 999,
799, 850, 1000, 1078, 9 3 5 , 9 4 3 , 953, 1296. 1 0 0 3 , 1040, 1065, 1066,
(1078), 1304, 1308, 1330. C utner M., 573. (1067), 1080, 1092, 1102,
Conte C , 451, 1364. 1152, 1228, 1 2 7 9 , 1 2 8 1 ,
C ook L., 575. 1378, 1380.
C o o per D., 800, 1271, 1 3 8 6 , D D elgado J. M., 494.
(1410). D ell P., (268), 518, 552,
C ooper H. A., 570. D a c q u in o G., 152, 472. 1292.
C o o per R., 784, 1259, 1271, D’A g o st in o E., 593, (599). D elmas A., 501, 727.
1389. D a kley R. S., 574. D elmas-M arsalet P., 1356,
Copcevitch, (461). D a l b ie z , 977, 1383. (1410).
C o ppola C. F., 504, (504). D alle B., 1370, (1415). D elmont J., 1356.
C ordier J., (499). D a ll iso n B., (1410). D eltour G. H., 609.
C or-M ordret M., 1368, D aly J., 607, 610. D emailly A., 528.
(1414). D a r io t is , (1412). DEMANGEAT M., (1412).
C ornie, 178. D a r o n d e l A., 1370. D emay J., (122).
C ornu F., (1412). D a u b e , 257. D emay - L aula n (M m e),
C ornw ell, 701. d ’A u l n a y J., 1354, 1355. (1414) .
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1509
D em en t W. C., 425, (649), E. v o n , (458), 667,
D o m ar us E
1027, 1262. 781, 1311.
d e M o n t m o l in G., 61. D omino E. F., 286, 323. E asson W. M., 276, 323.
D en b er H. C. B., 579, 606, D onat, 705. E bbecke U., 116, 1012, 1328.
607, 609, 616, 636, 657, D onati A., 363, 374, 456, E b t in g e r R., 239, 246, 247,
1363, 1382, (1414). 954, 955. (248), 481, (481), 1355,
D e n g l e r H. J., 609. D onati O., 151, 470, 1293. 1356, (1410), (1411).
D en h a m J., 1367. D o n g ie r M., 258, (264), E c cles J. C., 9 3 7 , 1333.
D e n ik e r P., (512), 513, 514, 469. E ccles O., 654, 1285, 1328.
522, 525, 527, 531, 565, D orey R., 1354, (1411). E cheverra, 499.
584, 1282, 1353, 1355, D orolle, 500. E ck M., 1178.
1 3 5 9 -1 3 7 1 , 1404, (1412), D orpat Th. L., 285. E ckes J., 554.
(1413), (1414), (1415). D orseg M., 1058. E conomo, 457.
D e n is , 1203. D o u ssin et P., 1360, (1412). E dert, (303).
D enker C. B., (1412). D o u st W. A., 579. E dinger , 250.
D eny, 269, 297, 807. D rambarean, 63. E d m u n d J., 468, 469, 935.
D eren H., 935. D r et ler J., 46, 459, (459), E d w a r d s A. E ., 519, 559,
d e r Beek M., 284, 285. (486). 563, 577.
D eron, 7 1 6 -7 1 8 , 720. E fross D. H., 525.
D reyfuss L., (1413).
d e R opp R ., 530. E g o z c u e J., 548.
D r il l V.A., 553, 611.
D esbois Mlle A. M., 1405, E hranmayer, 272.
D romard G., 750, (750),
(1411) . 751, 806. E hrenfels C. von, 1185,
D esch a m ps A., (1413). 1248.
D roysen, 1225. E hrenwald H., 283, (323).
D escham ps Mlle, 497, 500,
D ublineau J., 203, (203), E ic k e D., 324, 781.
1362, 1381. (497), 727, 752, (752).
D esclaux P., 451, (465). E igelhardt D., 579.
D ubois-P oulsen A., 1145. L., 71, 112, 172,
E isen b er g
D eshaies G., 1366, (1413).
D u b o is -R e y m o n d , 1126. 1191, 1192, 1193.
D eshon H. J., 578.
D esmedt J. E., 1292. Duc N., 287, 1370. E itinger , (485).
D esmond-M orris, 29.
D ucham pM., 399, 1004. E kbom K., 151, 2 3 9 , 243,
D esoille, 1382. D uchêne H., 1 3 5 8 , 1 3 8 7 , 2 4 6 -2 4 7 , (248), 362.
(1411). E lder J. T., 553.
D esper t J. L., 71, 172,1 1 9 2 ,
(1193). D ugas, (294), 296, 317, E l ia G., (1411).
D etre T. P., 1353, 1357,
(323). E lisalde B., (1414).
1396, 1401, (1411), (1412). D uhl F. J., 1176. E lkes J. L., 563.
D eu t sc h H., 1009. D umas G., 64. E ll en b er g er H. F., (98),
D eutsch L., 1311. D umont S., 1292. 876, 8 8 1 -8 8 3 , 884, 887,
D evereux G., 1187. D u p a in M. L., 308, 501, (895), 990, 995, 1017,
D ewhurst K., 44, 132, 501, (501). (1027), (1067), 1240, 1250,
(501), 1217. D u po n t J., 1031. 1375, 1380.
D upont M., (1414). E n g e l m e ie r , 1355.
D ewort M ., 357.
D upotet J., 882. E n g e r t h G., (162), 284, 334,
D iatkine R ., 71, 455, 1 0 5 2 ,
D upouy R ., 154. 350, 356, 358, 363, 931,
1193, 1378, 1 3 8 3 -1 3 8 8 ,
1011, 1314.
1 4 0 2 , (1409). D u pré E., 153, (238), 2 3 9 ,
300, (323), 339, 371, (377), E pen J. H. van, (1415).
D iederichs A., (1414). E p p e J. P., 568, 1368, (1414).
D ieschofer K., 518. 466, 506, 738, 751, (751),
753, 8 2 9 -8 3 0 . E pstein A. W., 287, 325,
D igo R ., 1370. 493, (493).
di M asc io A., 1359, 1401, D upuis R ., 456.
E rfan M. E., 1356, (1411).
(1412) . D urand Ch., 1 8 6 ,2 0 9 , (232),
(264). E r ik se n C. W., 61, 63, 1148,
D imitz L., 457. 1149.
D ischotsky N. I., 548. D urand V. J., (264), 545, E r ik so n E. H., 1001, 1058.
D itchburn R. V., 62. 553, (590), 784, 1363. E r m e n t in i A., 505.
D itman K. S., 565, 570. D urand de Bousingen R., E secover H., 124.
D ivry P., (1414). 481, (481). E sk u c h e n R., (161), 361,
D ix o n G. E., 606. D u r a n d in M. C., 592, 601. 1313.
D ix o n J. J., 277. D u r c k h e im , 387. E spier M. L., 455.
D o ane B. K., 110, 685, 686, D u r e u x J. B., 287, 324, 493, E spin a s A., (1414).
690, 691, 692. (493). E s q u ir o l J. E. D.,
71, 78,
D o e p f n e r , 553. D urham N. C., (665). 84, 85, 87, 97, (98),
7 9 -8 2 ,
D ollard J., 1148. D uvoisin R. C., 455. 190, 373, 379, 716, 801,
D o lt o Fr., 1052, 1193. D uyckaerts Fr., 856. 802, 956, 988, 1006, 1072,
1510 INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
1178, 1213, 1214, 1231, F eldm an M., 114, 151, 152, F o l l in S., (294), 314, (323),
1323, 1349. 347, 363. 324, 422, 501, (501), 5 0 2 -
E ssig C. F., 124. F e l d m a n n H., 479, 480, 862, 5 0 3 , 505, 781, 787, 799,
E stabrooks G. H., 877, 881. (862), 936. 878, (889), (895), 1 3 9 0 .
E sv a n J., 501, (501). F e l d s t r in , 1401. F o n t E., 502.
E urieult M., (1414). F elice P. de , 170, (509). F ontaine, 568.
E v a l d , 1311. F elsinger J. M. von, 576. F o r c e L., 501, (501).
E v a n s J. H., 286, 324. F ender D. H., 62. F o r el A., 881.
E vans L. T., 561. F erdiere G ., 1234. F o r r e r G. R., (172), (545),
E v a n s Ph., (1226), 1227. F ere Ch., 61, 108, 287, 8 7 5 , 551, 702, 1192, 1193.
E v a rts E . V., (98), 553, 561, (875), (895), 931, 1295. F o r r e r R. D., (545), 551,
690, (981), 1297, 1300. F e r e n c z i S., 215, 793, 820, 1357.
E w a l d G., 456, 461. 999, 1019, 1 0 3 1 , (1067), F o r ster E., 112, 159, 634,
Ey H., 6 7 , 1 9 4 , 7 9 1 , 8 4 5 -8 4 6 , 1280. 638, 639.
8 5 5 , 929, 9 6 2 , 1 1 9 9 , 1 2 6 3 - F erguson S., 490. F ortineau J., (474).
1269, 1304, 1 3 3 8 -1 3 3 9 , F e r l in i G., 153, (1415). F o u c a u l t M., 108, 607, 656,
1346, 1363, 1388, 1390, F e r n e l , 78. 667, 760, 1011, (1011),
1 3 9 3 -1 3 9 4 , (1409), (1414). F er r a r i G., 708, 710, 1303. 1076, (1145), 1314.
Voir p. 1501 les travaux F erreira G oes J., (1412). F o u k s L., 1 3 6 0 , 1 3 6 7 -1 3 7 0 ,
de l’auteur. F er r ie r D., 89, 911, 914, (1412), (1414), (1415).
E y se n c k H. J., 3 7 5 , 784, 915, 946, 1350. F o u lk es D., 737, 1262,
1260, 1 2 6 1 , 1282, 1383, F erro M ilone F., 412, 472. (1262), 1301, 1309.
(1409). F e r r u s , 387, 1233. F o u lk es S. H., 1384.
E ysenk Ph., 63. F euchtwanger , 475, 1180. F o u q u e t P., 25, (543), 1387.
E zriel H ., 1384. F euillet C., (1411). F ourment, 701.
F iamberti, 1357, 1358. F ournial P., (1414).
F F inder J., 318. F o u r n ie r , 453.
F in k M., 1355. F oville, 802, 918.
F a b in g H. D., 549, 607, F inkelstein, 940. Fox R. P., 935.
1371, (1415). F in n e s o n , 284. F raisse P., 63, (63), 1184.
F aillace L. A., 513. F is c h Fr., 520. F r a nc es R., 60,61,65, 1 1 4 7 ,
F airbairn W., 997. F is c h e r G. H., 475, 478, 1 1 4 9 , 1 1 5 0 , 1156.
F a k h r E l -I slam M., (1411). (487), 933. F rank J., 1384.
F akler M., 1356. F ischer O., 357. F r a n k L., 493.
F a l c o n e r M. A., 493, (493), F is c h e r R., 12, 128, 5 6 6 , F r a n k e E. A., 456.
504. 567, 577, 596, 608, 671, F r a n k l V. E., 1 3 8 0 , (1380).
F a lr et J. P., (46), 81, 92, 95, 1218. F raser T. M., 684.
221, 222, 223, 381, 387, F r aske D. A., 375.
F ish F., 515.
393, 406, 4 0 8 , 409, 410, F isher Cl., 1 0 1 1 , 1027, 1 1 9 5 ,
F recourt J., 1388, (1410).
428, 4 3 0 -4 3 1 , 434, 435, F redericks J. A. M., 324,
1315.
(435), 440, 443, 451, 716, F r e d e r k in g W., 579, 615.
F isher S., 271,275, 277, 278,
742, 7 4 3 , 756, 801, 802, 323, 324. 657.
811, 821, 824, 861, 871, F reedm a n A. M., 1067,
F iske D. W., 684.
907, 922, 968, 975, 1006, F it z g e r a r d Roy G., 698,
1377.
1231, 1 2 3 8 , 1274, 1398. F reedm a n D. X., 513, 517,
702.
F arnarier F., (723), 726. 521, 545, 548, 574, 606.
F iu m e S., 495, 504, (504),
Fau , (1362).
120, F r ee dm a n S. J., 245, 279,
505. 686, 688, 690, 691, 693,
F aure H., 71, 216, 239, 246,
247, (248), 1360, (1360), F ield S. P., (275). 694, 695, 699, 707, 708,
1398.
F lataker L., 553, 574. 709, 1143, 1145, 1196,
F l e c k U., 247, (464). 1336.
F avory, 354.
F l e s c h ig , 953, 1086, 1295. F reem an H., 579, 657.
F echner G. T„ 990, 1017,
F l o u r n o y H., 117, 125, 169, F r eem an T., (1066), (1410).
1018.
F ed ern P., 297, 315, 323, 350, 927, 958, 1 0 1 1 , 1 0 5 3 , F reem an W., 118, 238, 955,
777, 1079, 1 2 8 0 , 1378, (1067), 1316, 1317. 1357, 1358, 1359, 1399,
(1409). F l o u r n o y Th., 121, 134, 1406, (1411).
F e d id a P., 22, (266), (273), 180, 334, 344, 366, 927. F r e n c h , 369.
(274), 324. F oerster O., 165, 269, 287, F r e n k e l -B r u n s w ic k R., 63.
F einberg L, 449, 731, 736, 294, 356, 361, 462, 476, F res I., 513.
737,782,979,1262, (1262), 643 , 9 4 4 -9 4 5 , 946, 953, F r et et , (106), 192, (192).
1301, 1308, 1328. 1296. F r e t ig n y R., 1382, (1410).
F e l d M., 113, 579. F I ogel, 58. F r eu d A., 1047, 1193,(1463).
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1511
F reud S., 7, 13, 56-57, 67, G amps, 1364, (1413). G erminano G., 790.
93-94, 96, 109, 126, 133, G andiglio G ., 412,473,825. G eronimus L. H., 550.
144, 174, 196, 208, 215, G anne, 354. G erstmann J., 283, 284,
227, 250, 253, 263, (263), G antheret F., 323. 319, 324, 451, 453, (486).
274, 298, 309, 315, 320, G antt W. H., 606, 611, 613. G eschwind N., 284, 325.
360, 370, 388, 395, 397- G arattini S., 513, 525, 528, G esell A. L., 1016.
404, 414, 443, 669, 715, (1412). G esmano G., 315, 501, (501),
746, 753, 757, 777, 793, G ardeil Père, (673). 504, (504).
814, 816, 820, 828, 832, G ardet L., (674). G estring C. F., 561.
851, 855-859, 861, 863, G ardner G. E., 1038, (1038) G hetti V., 513, (1412).
(864), 865, 867, 868, 869, G ardner L. M., 708. G iacomo U. de , 482, (482),
871, 879, 883, 884, 885, G argeon A., (1413). 932.
888, 895, (895), 908, 920, G arma A., 1025,1028, 1059, G iacomo d ’E lia , 1356.
969, 978, 983-1067, (1067), (1067). G iannelli A., 495, 506.
1079, 1081, (1084), 1104, G arner W. R., 1135. G iannini A., 323,458, (458).
1120, 1149, 1158, 1191, G arnier A., 907, 1180. G iarman N. J., 517, 518,
1226, 1238, 1239, 1246, G arnier P., (152), 523, 731, 545.
1248, 1279, 1280, 1288, 736. G ibbs, 466.
1309, 1314, 1340, 1341, G arrone G., (229), 702, G iberti F., 549, 579.
1377, 1378, 1380, 1386. 703-706, 927. G ibson E., 60, 1150.
F reund , 79. G artside I. B., 323. G ibson J. J., 55, 58, 61, 66,
F rey von, 235, 236, 654. G astaldi G., 231, 514. 102, 104, 654, 1112, 1123,
F ried G. H ., 557. G astaut H., (249), 255, 493, 1125, 1133, 1134, 1135,
F riedman A. P., 477, (477), (493), 519, 531, 554, 677, 1136, 1143, 1145, 1161,
933. (677), 1262. 1163, 1261, 1322, 1334-
F riedmann, 860. G atian G., 909. 1335.
F rieske A., 775, 783. G aupp , 500, 804, 817, 826, G ibson W., 684.
F ritsch G., 911, 914, (914), 851. G iesler D., 1262, (1262).
943, 948. G autheret F., 269, 324. G il l M . M ., 698, (880).
F rölich , 1334. G autz , 606. G illespie H. K., 528.
F romm E., 1380. G ayral L., 1358, 1359, G illibert J., (13), (414),
F romm-R eichman F., 315 1368, 1370, (1411), (1412), 719 - 720, 1021, (1021),
1280, 1377, 1378, 1402, (1415). (1067).
(1409). G eblewitz E., 613, 614. G ilmore J. B., 877, 881.
F rongia N., 550, 556. G ebsattel V. E. von , 715, G inestet D., 565, 1364.
F rontini G., (1412). 862. G insborg B. L., 62.
F rosch J., 1058. G ediman H. K., 1047. G ion C ondrau , (545).
F uhrman A., 690, 699. G edo J. E., 13. G iordani L., (710), 1303.
F uller J. L., 611. G eertsma R. H., (274), 324. G ioscia V. G., 581.
F urstner C., 229, 484, 705. G eiger R. S., 556. G iovanni-R ossi P., 493.
F usswerk J., 1381-1382. G eisler A., 548. G irard H ., 159.
F uster 1. M., 521, 563, 574. G ekière F. Mme, (1415). G irard P., 1373, 1416.
G elb, (358). G irard R. W., 1287.
G ellman Ch., 279, (279), G iraud G., (544), 564.
G 929. G ittleson N. L., 251, 260,
G elma E., 187, (187), 367, 293, 323.
G abrio B. W., 608. 371, 375, (377), 929. G iudicelli A., 725.
G achkel V., (1456). G emelli A., 503. G lass G. S., 565.
G addum J. H., 514, 517, 549, G endrot A., 530. G latzel J., 191, 225, (232),
556, 609. G enest P., 548. 293, (297), 324, 329, (713),
G ager, 528. G enil -P errin , 804, 1037. 776, 787, 795, 798, (798).
G aillard A., 229, (365), G entili C , 324, 781. G lees P., 785.
706, 930, 1331. G en tis R .,792, 1386, (1410). G loning 1., 123, 132, 151,
G aillard J. M., (271), 325, G eorgi F., 1097. 152, 242, 270, 319, 325,
484, (484). G erard H. P., 606, 609, 335, 338, 339, 363, 1296,
J., 1144.
G a it o 625-634, 635, 658. 1304, 1335.
G al P., 469, 935. G éraud J., 1358, 1368, G loning K., 132, 151, 152,
G alambos R., 1292. (1411). 242, 270, 319, 325, 335,
G alanter A., (1079). G eretzoff, (249). 338, 339, 363, 1296, 1304,
G allet H., 915. G erle B o ., 1363. 1335.
G alton F. Sir, 684. G erman, 935. G nanck R., 502, 505.
G amper, 246. G ermano G., 324. G nirss F., (601).
1512 INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
H aug K., 294, 296. H enle, 269. H och P. H., (293), (377),
H augaard N., 610. H enne M., 1360, 1363, 1364, (508), 549, 550, 551, 572,
H aumonte M. T., 1371, 1370, (1413). 573, 578, 579, 607, 636,
(1414) , (1416). H enneman, 268. 649, (981), 1261, 1293,
H auptman, 361. H enning G. B., 254. 1353, 1354, (1411).
H auss K ., 715. H e n r ic Mlle, 568. H ochberg J. E., 63.
H avelock E llis, 616, 629, H en r y G. W., 466, 471, 472, H oche A., (138).
630, 657. (487). H ochley J. E., (60).
H avens L. L., 799. H enry J., (1414). H ochman J., 792, 1386,
H awkins J. R., (1415). H en s c h e n J. S., (162), 470. 1389.
H dalcova, (464). H en sc h e n S. E., 54,112,361, H o d g k inA. L., 654, 1285,
H ead H., 234, 270, 319, 447, (486), 641, 914, 915, 1329.
(955), 978, 1320, 1333. 922, 924, 931, 932, 936, H œ r r J., (79).
H ea to n J. M., 277, 324, 698. 1246, 1296, 1299, 1305. H ofer G., 382.
H ebb D . O ., 111, 685-687, H e r d e r J. G., 1157. H off H., 117, 122, 123, 150,
695, 699, 710, 1145, 1196. H ergraeve H ., 1371. 152, (162), 165, 242, 283,
H ec a en H., 102, (102), 120, H e r in g E., 912, 1095, 1125, 334, 350, 356, 358, 363,
132, (132), 150, (150), 151, 1131, 1142, 1289, 1334. 367, 470, 554, 571, 578,
162, 177, 178-179, 180, H e r m a n C. B., 579, 657. 931-932, 946, 1011, 1304,
183, 185, 186, 229-230, H ermann G., 358. 1314, 1315, 1335.
231, 232, 282, 283, 284, H ermann K., 456. H o ffe r A., 159, 511-520,
285, 286, 287, 288, 290, R., 361,
H è r n a n d e z -P eo n 544, 545, 546-566, 568,
293, 321, 337, 338, 347, 1292, (1293), 1300, 1307- 569,570-577,573,575,576,
352, 355, 359, 363, 364, 1302, 1310, 1317, 1322. 578, 579, 581, (590), 592,
365, (367), 367, 368, (368), H er o n W., 684, 685-710, 593, (601), 605, 607-615,
(377), 456, 466, 467, 468, 1196. 616, 621, 636, 647, (658),
469, 470, 471, 472, 473, H e r p in Th., 255, 508. 702, 1382.
477, (486), (487), 493, H e r sc h el J. F. W., 117, H o ffm a n J., 110, 284, 285,
(493), 702, 705, 927, 928, 915, 1305. 550.
929, 933, 935, 936, 937, H eschl, 365, 1299. H o ffm a n n H. F., 1077,
958, 1171, 1282, (1282), A., 390, 870, (870),
H esn a r d (1077).
1304, 1307, (1312), 1316, (1067), 1247, 1250. H o fm a n n A., 545, 592.
1326, 1358, (1411). H ess R., 138, 151, 364, 456, H o fm a n n F. B., 655.
H e f fn e r E., (464). 1311. H ofstein Fr., 582.
H effter A., 605, 606, 610. H ess W. R., 1095, 1333. H o l d e n J. M. C., 552.
H eidelberg, 392, 974, 1398. H esser, 268. H ole G., 1187, 1190.
H eider F., 705. H eurtier, (1414). H oley T. J., 551.
H eider G., 705. H eu y e r G., 451, 455, 497, H ollen O., 285.
H eilbronner K., 497. 500. H o ll e n d e rM. H., 259,
H eim R ., 591, (591), 592, H ev ero ch , 361. (264), 784, (889).
(601). H ey c k H. von, 138, 364, H o ll ist er L. E., 507, 511,
H eimann H., 513, 1237. 456, 1311. 513, 516, 525, 526, 527,
H eimburger R. P., 325. H eyman H., 606. 528, (543), 551, 560, 573,
H ein H., 1328. H eyward H ., 792, 1386. 574, 578, (601), 627, (895),
H e in r ic h K., 474, 1370, H ichin , 268. 1401.
(1415) . H id d em a F., 297, 324. H olmboe R., 485, 804.
H e in r o t h , 1180. H ildesheim, 918. H olmes G., 1082.
H e in t e l H., 132, 152, 456, H ill J. M., (774), (995). H o l m g r e n , 1164.
479, (479), 933. H im w ic h H .E., 517, 549, H olst E. v o n , 1095.
H eld J. F., 584. 552, 554, 607, 611, 612, H olstein C. M., 547.
H eld R., 698, 1145. 614, 1357, 1371, (1411). H o lt R. R., 279, 647, 684,
H el m c h en H., 804. H im w ic h W. A., 519, 1354, 690, 692, 698.
H e l m h o l t z H. L. F. v o n , 1357. H o l z e r , 1356.
16, 59, 66, 80, 112, 663, H inage C. F., 513. H olzman Ph. S., (274), 324.
911, 937, 939, 1017, 1123, H ir a pa y a L., (279). H onigswald , 1251.
1124, 1125-1132, 1133 H ir o se S., 1359, (1411). H o pe J. M., 191, 222, 450.
1134, 1137, 1141, 1142, H irsch M. W., 554. H o p p e J. J., 1325.
1146, 1156, 1164, 1289, H irsch S. J., 895. H orn , 454, 484.
1291, 1300. H it z i g , 89, 911, 914, (914), M. J., 116, 323,
H o r o w it z
H emon G., 284, 287. 943, 948. 560, 928, 952, 1296, 1300.
H enderson W. B., 285, 287. H o a g l a n d H ., 518, 554, 1310, 1325, 1335.
H endrick , 297. 556. H o r r a x , 935, 953.
1514 INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
H orsley St., 1381. 1091, 1092, 1117, .1145, 755, 756, 819, 820, 8 2 1 -
H orval I., 778. 1170, 1 2 2 5 -1 2 3 0 , 1231, 825, 822, 823, 824, 827,
H orwitz W. A., 1038. 1234, 1238, 1239, 1253, 847, 851, 891, 968, 974,
H osko M. J., 611. 1255, 1257, 1258, 1262, 975, 1118, 1178, 1181,
H oussait A., (1415). 1278, 1279, 1293, 1295, 1214, 1 2 1 5 , 1225, 1234.
H ouston F., 672. 1299, 1300, 1306, 1310. 1250, 1 2 5 1 , 1253, 1259,
H o w a r t h C. 1., 940, 1333. J acob A., 455. 1269, 1 2 7 2 -1 2 7 5 , 1275,
H o w e n , 466. J acob E., 1369. 1398, 1402.
H oyos K. v o n , 479, (479). J acob Fr., 6 6 9 , 7 0 7 6 , 1 0 8 0 , J aubert P., 548.
H ubel D . H ., 701. 1094, 1 1 0 0 , 1 1 0 1 . J aval, 122.
H u b erG., (382), 394, (448), J acob H., 483, (483), (487), J ay M., 122.
(753), 779, (1272), (1273), 704, 907, 942, 954. J ean-Sedan C. W., 703.
(1280). J acobs G. H., 102. J ekels L., 1016.
H uger, 804. J acobs R., (1414). J el g er sm a , 1038.
H u g o n e n q H ., (1414). J acobsen E., 518. J enik F., 1097.
H u g u e s D., 528. J acobson E., 1031, (1031). J odelet F., 170.
H u g u e n a r d , 1361, 1362. J acobson J. H., 561, 942, J oel E., 527, (527).
H u ig h e R., (348). 1332. J oensch E. R., (162).
H u m p h r e y N. K., 1167. J acquin , 453. J o ffr o y , 451, (455), 916,
H u n t e r R. C. A., 317, 324, J aegg F., 622. 921.
996, 997, 1001, 1038. J aehn M., (374), 478. J o h a n n s en D. E., 1148.
H u n t e r W.,
613, 614. J aensch E. E., 64, 1 14, J ohnson D. R ., 528.
H u r s t L. A.,
551. (1078), 1216. J o h so n J. B., 574, 591.
H u r v ic h M.,
1059. J aensch W., 1 1 4 , 1078,1216, J ones A., 698.
1082.
H u t c h in s o n , J ahrreiss W., 449. J ones E., 13, 216, (1017),
H y d e R. W.,513, 518, 572. J akab I., 783, 1383. (1060), (1067).
J akob H., 462, (462). J ones M., 1383,1389, (1409).
J akobson R ., 188. J o n g H. d e , 608, 611.
I J ameison G. R., 466, 471, J o u v e , 1307.
472, (487). J o u v et M., 425, 612, 977,
I deler C. W., 1180. J anet P., 28, 71,95,108,147, 1292, 1301, 1317.
I gert C., 568, 704, 1358, 1 9 6 , (196), 215, (231), 262, J o v in o , 553.
1396, 1407, (1409). 296, 298, 299, 317, 318, J uba A., 1293, 1311.
I mberciadori E., (462). 384, 391, 412, 428, 431, J udd L. L., 548.
I mpostato, 1356. 826, (826), 851, 861, 8 6 2 , J u il l e t P., 1354, 1373,
I nglis J., 690. 8 6 5 -8 6 8 , 869, 871, 874, (1411).
Inouye T., 207, 777. 880, 881, 8 8 2 -8 9 5 , 901, J uliusburger O., 271, 324.
I ntroma F., 478. 975, 1010, 1061, 1076, Jung C. G., 777, 953, 9 9 5 ,
I onasesco V., 493, (493). 1077, 1118, 1188, 1 2 3 9 - 1013, 1039, 1 1 4 0 -1 1 4 2 ,
I rwin S., 548. 1 2 4 8 , 1255, 1375, 1381. 1280, 1379.
I sakower, 1315, (1315). J anssen P. A. J., 1368. J u n g R., 55, 61, 62, (62),
I sbell H., 516, 525, 549, J ansson B., 777. 103, (103), (162), 254, 358,
572, 573, 593. J antz H., 608. 4 9 0 -4 9 1 , (494), 495, (508),
I slam E., 1356. J anzariP W., (448), (485), (653), 654, 9 3 7 -9 4 1 , 981,
Israël L., 736. 713, 746, 756, 795, 797, 994, 999, 1078, 1 0 9 5 -1 0 9 6 ,
I ssaacs S., 672, 1019. (797), 798, 799, 805, 813, 1097, 1098, 1099, 1125,
I t il T., 552, 554. 821, 852, 1274. 1133, 1139, 1140, 1141,
J arecki H. G., 1353, 1357, (1142), 1154, 1164, 1167,
1396, 1401, (1411), (1412). 1168, 1170, 1171, 1174,
J J ares O., (601). 1226, 1284, 1286, 1287,
J arvik L., 548. 1288, (1290), 1292, 1310,
J a c kso n C. W., 150, 151, J arvik M. E., 285, 554, 560, 1324, 1328, 1329, 1332,
688, 697, 7 0 2 -7 0 3 , 784, 575. 1334, 1335, 1337.
931, 1196. J arvis J. H., 285. J urquet-M aillet A., (1413).
J a c k so n H., 254, 3 4 9 -3 5 0 , J asfield P., 574. Jus A., 504, (504).
359, 360, 364, 402, 431, J asper H. H., (508), 950. J ustin -Besançon J., 1372.
447, 468, 473, 4 8 9 -4 9 1 , J aspers K., 68,96,106,(117),
495, (508), 612, 709, 748, 189, 218, 219, 221, 381,
793, 794, 914, 948, 949, 382, 383, 384, 3 9 1 -3 9 2 , K
953, 977, 978, 1 0 7 1 , 1077, 395, 396, 407, 410, 4 1 2 ,
1078, 1079, 1081, 1 0 8 1 - 430, 4 3 2 , 4 3 8 -4 4 1 , 443, K aberlah, 480.
1 0 8 6 , 1087, 1088, 1090, 477, 501, 740, 748, 7 53, K afkalides A ., 579.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1515
K agan, 369. K elly D., (1412). K lüver H., 355, 364, (377),
K ahlbaum K ., 55, 86, 89,92, K endel, 1185. 569, 616, 6 2 6 -6 2 7 , 636,
145, 447, 919, (980). K enna J. C , 324, 493, (493), 637, 652, (658), 9 3 5 , 955,
K ahn A., 499, (499), 508, 497, 569. 1170, 1 2 9 3 -1 2 9 4 , 1302.
1014, 1304. K ennedy F., 254, 466, 9 3 5 , K n ig h t J., 525, 527, 1140.
K a h n R. L., 114, (357). 1296. K n o l l M. v o n , 112, 113,
K aïla M., 738. Kent , 1360. 127, 150, 348, 367, 370,
K a k o n , 257. K erneuzet P., (1414). (377), 1012.
Kalant O. J., (543). Keschner M., 471. K œ c h l in Ph., (1409).
K alberer F., 592. K estemberg Mme, (1409). K offa, 705.
K alinowski M., 676. K estemberg E., 1383, 1 3 8 4 . K o ffk a K., 1139, 1185,
K alinowsky L., 1354, 1355, K ety S. S., 610. 1248.
(1411). K eup W., 52, (486), 516, K ofman S., (13).
Kallensohn , 1139. 523, 699, 1279, 1308. K ohler I., (1123).
K allmans F. J., 1257. W., 113, 124, 1185,
K ey B. J., 521, 555, 574. K ö h le r
K amaluddin S., 273. K haldi A. I., 551. 1248, 1251, 1260.
K äm m erer Th., 229, 736, K han R., 1158. K olb L. C., 270, 284, 285,
1355, (1380). K ieffer C. M., 273. 286, 324.
K andel E. J., 697.
K ielholz , 1355. K olle K., (448), 791, 804,
V. K ., 14, 86,
K a n d in sk y
K ies M. W., 551. 836.
(98), 106, 136, (161), 339, K illiam E. K., 552. K o n o r s k i , 977.
341, 344, 430, 906, 976, K illiam K. F., 552. K o n u m a M., 2 5 , 725.
(980), 1187, 1188, 1215. K inross-W right J., (1413).
K andisky, (981). K onzett H ., 601.
K ipfer , 254. K o ppe, 229, 705, 929.
K anizsa G., 1185. K ireboth, 1293.
K anner L., 1193. K oraluck O., 708.
K irkegaard G., (1413). K orchin S. J., 1148.
K ant F., 527.
K ischer M., 466. K orn W., (457), 459, 474.
K a n t O., 1282.
K isker K. P., 477, 934. K ornetsky C., 554, 977.
K a n z e r M. G., 469, 470, K issel P., 284, 324. K o r n m u l l e r , 611.
935. K itay P. M., 997.
K aplan H. L., 1066. K ors, 568.
K lages I., 251, 257, 2 5 9 -2 6 0 , K orte F., 525.
K aplan M., 998, 1377. (264).
K aplan de N o u r A., 324.
K otz Ph., 323.
K ardiner A., 1187. K lages W., 241, 246, (248), K o u p e r n ik C., 1376, (1410),
K arkous E., (1411). 251, 257, 2 5 9 -2 6 0 , (264), K ovarik J., (601).
K arli P., 509. 363, 779, 876, 1010. K r a e p e l inE., 93, 135, 174,
K a r tsson J. O., 702. K lee G. D., 152, 526, 549, 191, 221, 223, 2 2 9 , 257,
K ashima N. G., 528. 554, 567, 572, 573, 574, 260, 329, 434, 435, 448.
K ast E., 559, 568. 576, 577. 449, (449), 450, 458, 483,
K a ta n M., 997, 999. K lein F., 453, 525. 484, 485, 502, 706, 725,
K a t z D., (233), 1110. K lein H., 186, 231, 1038. 7 4 3 -7 4 5 , 772, 774, 775,
K a t z Ph., (248), 285, 287. K lein Mélanie, 13, 71, 216, (775), 777, 787, 789, 791,
K auffman D., (1414). 297, 315, 714, 715, 746, 795, 8 0 1 -8 0 4 , 806, 820,
K a u ffm a n n R., 112, 117 793, 820, 858, 1015, 1017, 829, 8 3 4 , 835, 836, 843,
120, (162), 229 planche I 1019, 1020, 1031, 1032, 851,974,1211,1212,1276,
(348), 370, 1 1 9 4 , 1291, 1038, 1 0 3 9 , (1067), 1192, 1281.
1300, 1325, 1 3 2 7 , 1328, 1193, 1280, 1 3 7 7 , 1378, K rafft-E bing , 499, 803.
1335. (1409). K ramarz P., 880.
K ayser Ch., (102), 235, 249, K lein R., 287, 319, 367. K r a m pf e r , 530.
653, 1139. K leinman M. L., 63. K ranz , 643.
K ayser H., (248). K leist K., 151, 152, 185, E., (294), (323), (458),
K r a pf
K eaber A., 1388. (185), 230, 447, 456, 4 7 5 - 502, 527.
K eeler M. H., 542. 4 7 7 , 478, 479, 483, 4 8 5 , K rause F., (77), 112, 235,
K e h r er F . A., 94, 394, 821, (486), (487), 720, 738, 788, 268, 9 4 3 .
825, 836, 1001, 1037, 818, 8 2 0 , 932, 9 3 3 , 934, K reis W., 151.
1216, 1259, 1272, 1273. 955, (980), 1037, 1178. K retsc hm er E ., 93, 94, 191,
K e id e l W. D., 1335. K leitmann, 425. 260, 804, 8 1 8 , 826, 995,
K eith S., 573. K lemperer E., 1382. 1001, 1030, 1037, 1078,
K eller D. L., 553. K lienberger, 366, 929. (1078), 1273, 1399.
K eller M., 1369. K limer K ., 1282. K ries J. v o n , 54, 233, 654,
K ellerschohn C., 102, K lines K., 314. 912, (1123), 1125, 1164,
(1163). K lopp H. W., 120, 347. 1185, 1294.
1516 INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
K r il lA. E., 561, 562, 702, L a d a m e , 466. L ashley , 913, 914, 1086.
1196. L a fo n M. R., 151. L a t il P. d e , (1093).
K ripnner S., 673. L a f o r a , 356, 931. L a t o u r H., (544), 564.
K ris E., 13, (13), 1001. L a g a c h e D., 2 0 6 -2 0 7 ,
(231), L a u b e r H. L., (377).
K r is c h G., 496, (496). 443,822,826,1041,(1067). L a u n a y L, 451, 1365.
K rishaber, 269, 294, 317, L ä g e t P., 1 1 3 8 , (1289), L a u r a s A., (495), (1410).
(323). 1305, 1335. L a v ie J. C., (270), 277, 324.
K r is p in -E x n e r K., 120. L a i G., 1 3 9 0 . L a v il le C., 1372.
K r o be r A. L., (1410). L aignel-L avastine M., 456. L a y c o c k H. Th., 1082,1228.
K roll M. von, 1328. L a in e B., (1412), (1414). L a z a r u s R. S., 63, 1149.
K ronfeld A., 26, 28, 35, L a in e E., 290, 319, 325. L a z o r th e s G., 1358, 1359,
3 4 1 , (341), 1248. L a in -E n t r a l g o P., 1 0 7 5 . 1399, (1411).
K rüffmuller K ., 1097. L a in g R. D., 777, 792, 793, L eary Timothy, 2 4 5 , 5 0 9 ,
K rum pf J., 478, (487). 800, 1271, 1 2 7 9 , 1 2 8 1 , 534, 565, 566, 5 7 4 , 5 8 1 ,
K rus D. M., 579. 1376, 1 3 7 9 , 1 3 9 6 -1 3 8 7 , 584, 5 8 5 -5 8 7 , 6 0 0 , 6 5 9 ,
K ru se W., 1368, (1414), (1409). 676, 681.
(1415). L a ir y G. C., 736, 737, 784, L e B ea u J., 113, 361, 1358.
K rüver H., (1293). (1067), 1145, 1262, 1 2 6 3 - L ebedev V. L, 662.
K ryashev V. J., 613.1 1 2 6 9 , (1301). L ebel J. J., 672.
K ryspin-E xner K ., 357,485. L amache, 497, 500. L e b o v ic i S., 71, 315, 777,
K u a m b a c h , 836. L a m a n d J. C., (1415). 1 1 9 3 , (1377), 1378, 1383,
K u b ie L. S., 13, 274, 324, L am b ert P. A., 1353, 1360, 1 3 8 4 -1 3 8 8 , 1402.
1381. 1362, 1 3 6 5 -1 3 7 1 , 1372, L eb o w its B. Z., 286, 513.
K ubzansky P. E., 684, 685, 1 3 1 6 , 1396, 1404, (1412), L e Bras R ., 371.
688. (1413), (1414), (1415). Lebrun Y., 324.
K u ffler S., 1164, 1334. L ambo, 277. L ec l a ir e S., 1 4 7 -1 4 8 , 777,
K uhn R., 393, 395, 746, L a m i, 165. 862, (862), 865, 1015,
(1078), 1250, 1 3 8 0 . L ammers H. J., (249).
1060.
K ü l p e , 1248. L amponi S., 1282.
L amy H., 357, 931. L ecom te M. G., (1414).
K umpf J., 933.
L e c t u r e , 946.
K ü p p e r s E ., 1125, 1142, L a n c a s t e r , 1356.
L ec u y er R., (1415).
1249, 1333. L ancelot M., 582, 584,
K urland A., (1415). 659, 672, 673, 676, 681. L ee P. A., 509.
L efevre E., (1414).
K u t z n a s o v O. N., 662. L andis C., 560.
L eff J. P., 1196.
K w in t -G ross , 458. L a n d o l t H., 497, 499.
L a n d o n G. M., 567, 577, L e G a ll a is P., (1412).
L eg e n n e J., 702.
593, 671.
L L a n g J. L., (264), 1261. L eger Y., (1415).
L e g g e r i C., 705.
L a n g e I., 804, 836.
L a n g e r D. v o n , 979, 1 2 6 1 - L e g o u x J. P., (164).
L abhardt F., 1363, (1413).
1 2 6 1 , 1299, 1335.
L e g r a in , 740, 802.
L a b ia t i , 242.
L e G r a n d Y., 102.
L a b o r it H., 553, 1 3 6 1 -1 3 6 2 , L a n g fe l d t G., 147, 458,
L egros H., 1023.
1394. 464.
L a n g l e y , 268. L eg u e n Cl., (150), 456.
J., 1354, 1355,
L a b o u c a r ié
L a n g s R. J., 519, 587. L e G u il l a n t L., 480, 1387.
1358, 1368, 1399, (1411),
L e G u in e l N., (273), 324.
L a c a n J., 216, 275, 397, 443, L angwilt D. I., (270).
L e h m a n , (643), 1003.
451, 461, (461), 773, 777, L a n n o is , 465.
804, 816, 820, 821, 822, L anter R., 579. L e H uche , 480.
825, 995, 996, 997, 998, L a n t e r i -L a u r a G ., 1250-
L eib , 267.
999, 1 0 0 1 -1 0 0 2 , 1003, 1251, (1413). L eid e r m a n P., 687, 690, 691,
1006, (1007), 1033, 1 0 3 5 . L anz U. von , 550. 699, 709.
1037, 1 0 4 1 -1 0 4 2 , 1057, L a p ip e , 1356. L e ig h t o n A. H., 1187.
1060, 1067, 1225, 1251, L a pl a n c h e J.,216, 1004, L ejeu n e -L a u r ia t E., (1415),
1271, 1272, 1 2 7 3 , 1378, (1031), 1049, 1 0 5 4 -1 0 5 5 , L e L ea n n e c A. M., (1415).
1380, 1390. 1058, 1059, (1067), 1377. L e l o n g P., 98, 443, 1202.
L a c assin P., 1355, (1411). L a po r te Y., 235, (235), 236. L e l u t F., 68, 71, 79, 81, 92.
L acoste G., (1413). L a r r o u s in e , 868. 105, 172, (172), 907, 989,
L a c o u r t J., 1368, 1369, L asègue Ch., 81, 92, 142, 1180, 1187, 1213, 1217.
(1414). 152, 221, 222, 223, 406, L e M a g n e n J., (249).
M. P.,
L a c r o ix - H e r p i n 422, 425, 4 4 9 , 523, 731, L e m a ir e , 602.
1361, 1394, (1409). 7 3 5 , 736, (740), 7 4 3 , 802, L emos M., 230, 288, 931.
L a c ub e P., 471, (471). 975, 1214. L emoyne L , 165.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1517
L em perier e T., 593, (601), (377), 447, 456, 462, 480, L u g a r e si E., (495), 501,
(1414). 484, (674), 954, (955), (501), (508).
L engerman R. R., 509. (981), 9 5 4 -9 5 5 , 1 3 1 0 . L u k ia n o w ic z N., 105, 132,
L ennox M. A., 942. L ib er so n W., 613, 614, 1356. 317, 324, 1282.
Le N y J. F., 977. L ic h t e n s t e in I., 550. L u k in o v ic h N., 554.
L enz H., 497, (497). L id e l l , 977. L u n d M., 254, 932.
L e o n h a r d K., 138, 151, 363, L ie b a l d t G., 151, 241, 246, L unn V., 131-132, 283, 284,
457, (461), 462, (486), 775, (248). 285, 287, 324.
7 8 8 , 1293. L iébault A., 882. L uquet P., 13, (13), (274),
L epoire J., 286, 287. L iebert R. S., 560. 297, 317, 324.
L ereboullet J., 284, (1413). L il ly J. C., 110, 615, 684, L uys J., 89, 447, 918.
L e r i A., 702. 685, 6 8 7 , 690. L y a g er T., (1413).
L e r ic h e , 287, 1360. L indberg B. J., 1282. L y c k o w it z FI. H., 172.
L e R oy, 112. L indemann E., 606, 1381. L yet R., 192, (192).
L eroy B., 138, (162), 174, L indqvist, 283.
868, 1309, 1327.
1010, L in d lsey D. B., 701, 707.
L eroy Cl., 494, (494), (1456). L in d sl ey O. R., 207.
L eroy E. B., 262, (264). L in n L., (703). M
L eroy R., 453, (486). L insenn R., 667.
L etailleur M., (1413). L in t o n H. B., 587. M a b il e a u J. F., 522, 526.
L eu b u sc h e r , 89. L in t o n R., 1187. M abille, 366, 929.
L e u l ie r , 465. L ip k o w it z , 1192, (1193). M a c a l p in e L , 996, 997, 999,
L eupold E., 990. L ip p M. R., 529, 531. 1001, 1003, 1038.
8 8 , 92, 802,
L eu ret, 8 5 , L ip p m a n C. W., 324, 357, M acario M., 308.
966, 1349, 1350, 1353, 492, 507. M acC leary R. A., 1149.
1375. L ip p s Th., 111, 990. M acD ougall J. C., 1377.
L eveque M ., (1411). L ittré K. D., 557. M a c G innies , 63, 1148.
L evi K., 1282. L ittré , 79. M ac G r o u g h J. L., 521.
L e v in M., 172, 207, 1080, L itwin C. H., 600. M achoulam R ., 525.
(1080), 1082, 1084, (1084,) L evinson H., 227. M achover S., 113, 114.
1192, (1193), 1227, (1227), L l o p is B., 746. M ack J. E., 1066, 1141.
1259. L lo y d D. R., 235. M acL ay W. S., 630.
L ev in e A., 554, 575. L o -C a sc io G., 138, 1009, M acP herson J., 1178.
L evine S., 574. 1282, 1309. M acrovitch R. L, 1282.
Levitan H. L., 270, 324. L oegren L. B., 297. M adekovitch G., 453.
L evy A., 1388. L cewe S., 526. M adow L., 6 8 3 -7 1 0 , 1262.
L evy E. Z., 688, 692, 697, L œ w e n s t e in R., 356, 868, M a d r é Mme J., (1413).
1196. 943, 944, 996, 1001. M a e d e r , 994.
L evy G., 362, 374, (374). L o fg e n L . B ., 317, 324. M a g n a n V., 89, 92, 93, 142,
L evy R., 1356. L o g a n C. R., 549. 152, 190, (205), 221, 223,
L evy-Schoen A., (103). L o g r e B., 258, 506, (751), 255, 425, 447, 4 4 9 , 450,
L e w inB. D., 1009. 829, 830, 876. 451, 5 2 3 , 713, 7 2 6 , 727,
L e w inK., 798, 1079, (1079). L o h m a n n , 643. 7 3 1 -7 3 3 , 736, (740), 743,
L e w inL., 158, 5 0 9 , (509), L o n g -L a n d r y Mme, 1203. 802, 803, 834, 861, 871,
604, 616. Loo H., 513, 528, 584. 907, 975.
L ewinsohn P. M., 741. Loo P., 1361. M a g o u n H. W., 552, 1081,
L ewis A. B., 293, 324. L oomis, 139. 1084.
L ewis I. M., (308). L o p e z I bor J. J., 323. M a h l G. F., 953, 1299.
Lewis J. L., 609. L o p e z Z a n o n A., 241, 246, M ahler D. J., 521.
L e w is N., (293), 324. (248). M ahon , 579.
L e y r it z J., 329, 352, 371, L oras O., (138). M ahoudeau, 254, 1367.
(377). Lorente de N o , 1095, 1285. M aier Fl. W., 513.
L eyritz M. M., (1414). Loughmann W. P., 548. M a il l a r d J., 530.
L eyser , 458. L ower R. B., 297, 324. M a in e T. F., 677, 1389.
L h er m it t e F., 553, 554, L owett J. W., 576. M aïo D. d e , 2 4 9 , 2 5 1 , 2 5 2 -
1310. L u b in A., 690. 253, 255, 257, 258, 259,
J., 64, 107, 120,
L h e r m it t e L uby E., 513. 260, 264, 784.
122, 131, 132, 133, 138, L ucena J., (543). M airet, 822.
150, 1 5 1 , (162), 241, 270, L u c ia n i , 915, (915), 919. M aison M., (1415).
287, 290, 3 0 8 , 319, 321, L u d w ig A. M., 574, 708, M akang M a M bog M.,
(323), 329, 338, 350, (352), 710. 1187.
354, 157, 363, 364, 374, L ugano , 929. M alam ud N., 469, 470, 474.
1518 INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS
Seglas J.,8 6 , 89, 92,93,116, Siegman A. W., 64, 1148. Sommer R., 63, 314,1148.
147, 189, 1 9 0 , 193, 2 0 4 - Sieper H., 525. Sonmereich C., (1412).
206, 207, 208, 211, 213, Sigg B. W., 531, (543). Sormani J., 481.
218, 219, (219), 220, 221, Sigwald J., 362, 455, 1363, Soulairac A., 1 3 6 0 , 1366,
2 2 3 , 229, (231), 269, 297, 1364, 1366, (1413). 1371, (1371), (1413).
3 0 1 - 3 0 2 , 304,3 0 7 -3 0 8 , 319, Silberer H., 635, 992, Soule M., 1377.
329, 339, 366, 382, 383, (1011), 1012, 1063, 1309. Souriac P., 256.
406, 410, 428, 443, 455, SlLBERMAN, 165, 367. Soury J., (335), 358, 904,
483, 484, 705, 714, 718, Silverman A. J., 694. (914), 930.
723, (740), 744, 753, 778, Silvers K. N., 191, 192. Spalding J. M. K., 455.
(803), 818, 851, 860, 861, Silverstein A. B., 576, 577. Spann W., 475.
868, 871, 872, 901, 916, Simmel E., (1409). Spanos N., 877, 882.
919, 921, 929, 974, 978, Simmel M. L., 284, 285. Spath E., 605.
(980), 9 9 4 , 1215, 1216, Simon J., 1383. Specht L. B., 606, 611, 804.
1218, 1250, 1296. Simon P. Max, 907. Spector E., 608.
Seguin , 931, 1313. Singer L„ 367, 376, 929, Sperling O. E., 1009, 1328.
Selbach H., 456,1293,1311. 1399. Spiegel J. P., 297, 324.
Selecki B. R., 325. Sinisi C., 504, (504). Spielmann J. P., (1413).
Selvini M. P., 270, 317, 324. Sivadon P., 1 3 8 7 . Spinks G. S., 674.
Semelaigne, 371. Sivick A., 501. Spitz R. A., 1017.
Semerari A., 133. Sizaret , 1370. Spoerri T. H., 225, 778.
Sem-J acogsen C. W., 554. SjOERASME, 549. Sprince H., 550.
Semon R., 917. Skinner , 177. Springaris M. G,, (543).
Semrad E. V., 1066. Sklar-W einstein A., 672. Srnec J., 554.
Serafetinides, 493, (493), Skurko T., (464). Staborinski J., 698.
504, 1368, 1373. Slater E., 502,5 0 3 -5 0 4 , 505, Stace W. T., 674, 676.
Serci M., (601). 779, (1411). Stafieri J. R., 324.
Sergeer G. V., 1357. Slater I. H., 557. Stahl G. E., 1125.
Sérieux, 89, 92, 93, 223, 230, Slavson G. R., 1 3 8 4 , (1409). Stanley W. J., (1414).
260, 451, 468, 505, 723, Sloane B., 579. Stanton J., 284.
744, 7 4 9 -7 5 1 , (749), 753, Slocum J., 684. Starcke A., 820, 1031, 1038.
801, 8 0 2 -8 1 1 , 814, 815, Slotta K. N., 607, 636. Stare F. A., 1196.
816, 851, 935, 995. Smart R. G., 548. Stark L. H., 574.
Serin , (453). Smirnoff V. N., 1004, 1014. Stcherbak, 288, 337.
Serko H., 159, 485, 616. Smith S., 691, 697. Steck H., 457, (457), 460,
Shader M., (1412). Smyth G. E., 285, 287. (463), (486), 820.
Shafer R., 63, 1049, 1147. Smythies J. R., 45, 64, 266, Stefanini, 1131.
Shagan C., 573. 271, 275, 323, 514, 516, Stefaniuk B., 560, 575.
Shakow D., 177, 777, 784. 519, 553, 558, 578, 579, Stein H ., (162).
Shannon C. E., 1 0 9 3 , 1094, 605, (605), 6 1 0 , 612, 613, Stein J., 119, 159, 236, (236),
1138, 1305. 628, 636, 1282. 347, 564, 627, 628, 637,
Shapiro Th., 323. Snejnevsky A. V., (981). 638, 646, 647, 648, 6 5 4 -
Shaw E. N., 513, 514, 517. Snow L. H., 6 8 3 -7 1 0 , 1262. 6 5 6 , (658), (912), 1110,
Shentoub S. A., 270, 274, Snyder S. H., 63, 525, (543), 1113, 1248, 1295, 1203,
323. 550, 1148. 1322, 1333.
Sherman M., 1192, 1193. Société de P sychologie mé Steinbuch K., 1092, 1093,
Sherrington Sir C. S., 978, dicale, 486. (1093), 1096.
1080, 1081, 1 0 8 7 -1 0 9 2 , Soghani, 616. Steiner, 502.
1092, 1097, 1113, 1127, Sogliani G., 572. Stenberg H., 513.
1286, 1333. Sokamoto K., 545. Stengel, 484.
Sherwood J. N ., 573. Sokoloff L., 551. Stenver H. W., 362, (362),
Shimitzu A., 207. Sollier, (131), 132, 147, 363, 364.
Shiranashi H., 554. 269, 297. Steriade M., (101).
Shirley, 1017. Solms H., 547, (1410). Stern F., 482, (482), 932.
Shmatko N. S., (1489). Solomon D., (543). Stern M. M., 1009, 1328.
Shurley J. T., 255, 279, 615, Solomon Ed., 530. Stern W., 59, 1109.
685, 686, 687, 689, 694, Solomon P., 110, 135, (207), Stevens J. R., (495), 503.
699. 615, 684, (684), 6 8 5 -7 1 0 , Stevens S. S., 254, 1124.
Shy G. M., 473. 1196. Stewart H., 1260.
Sichel C., 118. Solomon R. C., 513. Stewart O., 604.
Sidel , 703. Sommenstein, 998. Stewart P., 254.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1525
W engerter K., 357. W ilson K., 151, 254, 256, YAP P. M., 273, 323.
W erner H ., 270. 288, 338, 357, 3 6 0 -3 6 1 , Y ates A. J., 1383, (1410).
W ernicke C., 5 5 , 72, 87, 89, 375, 491, (508), 935. Y oung H., 1127.
91,116,152,153, 191,212, W ilson N. J., (880).
221, 242, 247, 257, 269, W ilson R. E., 513, 573.
293, 2 9 4 , (323), 3 2 9 , 339, W ilson W. P., 775, 783. Z
371, 391, 440, 443, 447, W inkler W., 284, 286.
448 , 449, 450, 452, 456, W innicot D. W., 266, 270, Z achner R. C., (677).
457, 464, 477, 523, 636, 324, 1014, 1017, 1019. Z ador J., 159, 344, 373, 562,
725, 734, (740), 831, 860, W inter C. A., 553, 574. 599, 630, 633, 634, 637,
907, 915, 916, 932, 9 7 6 , W ispe, 63. 651, 652, 654,
6 3 8 -6 5 0 ,
993, 1214, 1246, 1248, W itman C. W., 1146. (658), 702, 703, 914, 9 5 6 -
1277, 1305, 1315, 1359. W itney G., 784. 9 5 7 , 1010, 1219, 1308-
W ertheimer M., 784, 1185, W itt P. N., 553, 575. 1324, 1333.
1251, 1261. W ittkower E. D., 308, 324. Z agdoun R., (814), 1003,
W est L. J., (55), (110), 124, W ittkowsky L., 355, 479, Z aimov K., (1417).
285, (486), 553, (558), 579, (479), 481, (481), 933, Z ambranchi, 246.
612, 636, 683, 686, 690, 1293. Z ambrano M., 513.
781, 783, 979, (981), 1262, W olbach A. B., 606. Z angwill O. L., 478.
1299, 1300. W olberg L., (880), 1375. Z anocco G., 324.
W estertep, 824. W olf G., 455. Z apparoli G ., 1006.
W eston W. J., 481. W olfensberger, 191, 449, Z arattini F., (1487).
W estphal, 451, 453, 454, 450. Z azzo B., 275, 276, 323.
860. Z eller, 746, 1237.
W olff D., 736.
W etzel A., 730. Z ellweger H., 547, 548.
W olff E., 116, (116), 122,
W exler D ., 709. Z erbin-R üdin E., (1258).
1 3 7 , 329, 3 4 1 , 361, (377).
W exler P. H., 687. Z iambianchi A., (248).
W eyer E. G., 1163. W olff P. O., 527, 530. Z ibetti A., (486).
W olinetz E., 113, 165, 361. Z iehen, 120.
W eyl B., (545).
W olner M., 1150. Z ielen V., 324.
W e y s e n b e c k H ., 1359,
W olstenholm G. E. W., ZlGLER E., 276.
(1411).
525, 527, (543). Z illig G., 477, (477).
W heatley A. H. M., 609.
W oLtring L. M., 271, 323. Z ingerlé , 955.
W hite J. C., 284.
W hite R. B., 997, 1001, W ood J. D., 610. Z io lk o H. U ., 111, 114, 117,
W oodbury M. A., 1389. 858.
1003.
W oods L. A., 607, 608, 611. Z iskind E., 354, 690, 6 9 7 -
W hitlock F. A., 481. W oolley D. W., 513, 514,
W iart Cl., 599. 699, 1196, 1316.
517, 553, 556, 592. Z latan B. D., (482).
W idlocher D., 572, (590),
W oolsey C. N., 235, 236. Z ourabachvili A. D., 1 0 9 7 .
1019.
W orld , 1141. Z sigmond E. K., 592.
W ieck H. H., 480, (480), W ormser P., 979,1299,1322. Z ubek J. P., 110-111-135,
738, 740. W right G. H., 272, 273, 683, 684, 6 8 5 -7 1 0 , 1196.
W ieckewicz , 314. 323. Z ubiani A., 253.
W iener N ., 1 0 9 2 , 1100. W undt , 976, 1133, 1248. Z ubin J., (293), (377), 649,
W iesel T. N., 701, 702. W yke M., 738. (981), 1293, 1353.
WlESER S. VON, (248). W yrsch J., 95, 1 9 1 -1 9 2 , 214, Z ubini J., 1261.
W ik i .fr a ., 531, (543), 614, 222, 225, 394, (448), 457, ZUBORSKY, 1315.
626. 725, 775, 776, 778, (778), Z ucker K., 159, 339, 630,
W ilbrand , 476, 915, 931, 783, 7 8 7 , 7 9 1 -7 9 2 , 7 9 6 -7 9 7 , 633, 634, 636, 637, 638,
1313. 798, 852,1279,1 2 8 0 ,1 3 9 3 , 649, 652, (658), 775, 776,
W ilhelm , (1413). 1401. (776), 1 2 0 1 , (1201).
W ilkens B., 124, 549. W yss M. A., 547, 548, 549, Z uckerman M., 111, 683,
W ilkin M., 1370. 550, 5 6 5 , 582, (590). 688, 690, (692), 693, 694,
W ill O. A., 1377. 696, 697, 6 9 8 -7 0 2 , 707,
W ille, 860. (707).
W illiams D ., 335. Z uk G., 284, 287.
W illiams H. L., 690. Z ullinger G., 246, (248).
W illiams J. M., 118, 238, Y Z utt J., 42, 96, 103, 2 6 7 ,
955, 1359, 1406, (1411). (267), 271, (308), 324, 394,
W illonger, 152. Y ahr M., 455. 395, (395), 756, 804, 821.
W ilmann C. W., (102). Y amada T., 549, 550. Z wandemaker, 254, 1131.
1528 INDEX ALPHABETIQUE DES AUTEURS
M alebranche N. de, 79, P ascal, 172, 266, 659, 667, Spinoza , 6, 67, 68, 109, 989,
(905), 917, 989. 907, 988, 1381. 1076, 1096.
M arcel G., (681). P laton, 6, 667, 1075, 1089, Spranger Ed., 1077, (1077),
M aritain J., 671, 676, 679, 1108. 1248.
680. P lotin , 667, 1075. Straus Ervin. Voir table
M arx K., 6, (653), 912,1076, P radines M., (913). générale des auteurs.
1285. Stuart M ill , 1129.
M erleau-P onty M. Voir
table générale des auteurs. R
M eyerson E., 1107. T
M onod J. Voir table géné
rale des auteurs. R ibot Th. Voir table géné T aine H., 68, 82, 109, 269,
M orris D ., 29. rale des auteurs. 294, 904, 908-909, 977,
M ounier E., 1077, 1078, R icœur P., 4, 323,681,1026, 1180.
(1078). 1121. T heilard de C hardin ,
R obert W., 1027, (1027). 1076.
R othaker E., 1077. T illette, (681).
N R oussel R .,.29. T olman E. C., 1079, (1079).
R ussel B., 275, 1108.
N abert J., (681). R uyer R. Voir table géné
N avratil M., 117. rale des auteurs. V
N ewton , 13. Sartre J. P. Voir table géné
N ietzsche F., 29, 668, 990, rale des auteurs. Vaihinger Hans, 876.
1103, 1107.
N ovalis, 990.
W
S
O W aelens A. de . Voir table
Scheler Max, 58, 1078, générale des auteurs.
O ppel , 112. (1078). W atts A., (667), 674, 676,
O rigène, 674. Schelling F. W., 667, 681, 681, 1358.
990, 1076. W atson J. E., 1079, (1079).
SCHERNER K. A., 1027, W hitehead A. N., 1108.
P (1027). W olfson L., 213, 216, (793),
Schopenhauer A., 667, 990, 1003, (1469).
P alagyi M., 8, 28, 31, (31), 1086, 1129.
62, 103, 168,648,654,655, Socrate, 71, 172, 659, 904,
1010, 1112, 1120, 1152- 928. Z
1154, 1157, 1164, 1172, Spencer H., 1077, 1081,
1333. 1082, 1085. Z enon, 1076.
B C E
E r n st M ix . 3. 29, 312.
Bach , 179. C alderon, 1128.
Baudelaire, 107, 154, 245, C ezanne, 14. E sc h e r M. C., 3, 246.
334-335, 534, 581. C hagall, 29.
Beethoven, 179. C hamisso, 132. F
Blake William, 657, 659, Cocteau J.. 581.
672. Colette, 13. F laubert G., 106.
1530 INDEX ALPHABETIQUE DES AUTEURS
G M Q
G autier T., 153-154, 534. M agritte, 3. Queneau R., 838.
G insberg A., 659, 676. M allarmé S., 107. Q uincey T. de , 154.
G œthe , 132,267,1121,1217. M alraux A., 14-15, 29-30,
G ogh van , 29. 672. R
M aupassant Guy de , 132.
M ichaux H., 107, 159, 245, R edon O., 1200.
H R embrandt, 107.
535-538, 581, 597-598, 616,
H amlet, 659. 622, 623-624, 629, 657, R ichter J. P., 1217.
H ölderlin , F r., 29. 878-880. R imbaud A., 107, 581.
H uxley A., 509, 574, 584, M olière, 121. R obe-G rillet , 660.
616, 627, 657, 659, 676, M usset A. de , 132, 1217. R odin A., 14.
6817 1285. R olland Romain, 298.
N S
K
N erval G. de , 29, 107. Shakespeare, 107, 1121,
K afka, 308, 600, 660.
1158.
K andinsky (le peintre), 14.
Shelley, 132.
K lee Paul, 14. P Steinbeck, 132.
Sw ift , 120, 122.
L P icasso P., 14, 29, 127.
P irandello , 761, 1120. V
L awrence M., 603. P oë E., 13, 132.
L éonard de Vin c i , 274. P roust M., 251, 256. Velasquez, 14, 1200.
G uyon (Madame de), 501. Saint A ugustin , 501, 667. R uusbroec J. van, 674.
A chille (P. J anet), 888. D enise (Henri E y), 1417- Le petit H ans (F reud), 865-
1431. 866.
Berbiguier (Pinel), 77, 78, D olin (K andinsky), 1188. L ’homme au loup (F reud),
83, 96, 371, 1213, 1219, 865-866.
1342, 1418. Étudiant (M ariller), 106. L ’homme aux rats (F reud),
864.
Clérambault G. de (auto H a l lu c in o g èn es(auto
observation), 704. observations de R ouhier , J ean-P ierre (Henri E y ) , 498.
Colette (M. Bouvet), 298. de H enri M ichaux , J... M adame (Henri E y ) ,
Q uercy , C ohen, Timothy 331-333.
D elbeuf (auto-observation), L eary, etc.). Cf. le chapi J ustine (Pierre J anet), 885-
106. tre : Hallucinogènes. 887.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS 1531
L ullin Ch. (aïeul de Ch. 481, 1213, 1219, 1349, Vieillard (observation de
Bonnet) (Ch. Bonnet) 1418. Th. F lournoy) (H. F lour
Cf. Index alphabétique noy), 117, 169, 350, 958,
des matières à : Syndrome P sychologue (H. A hlen- 1011, 1053, (1067), 1316,
de Charles Bonnet. steil), 180-183. 1317.
Villamil (cas de), 957.
M adeleine (Pierre J anet), Q uinze personnages déli
866-867. rants (Henri E y), 760-
Voss Lola (Binswanger),
M üller J. (auto-observa 771.
797.
tion), 161. P résident Schreber, 215,
783, 793, 820, 838, 839,
Naville E. (auto-observa 995, 996-1005, 1038. W est Ellen (Binswanger),
tion), 344, 483, 927. 1281.
N icolaï (auto-observation), U rban Suzanne (Binswan - W olfson L., 216, 1003,
77, 78, 83, 96, 330, 371, ger), 797, 1281. (1469).
(■
J
t
INDEX ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES
L e s m o ts p r é c é d é s d 'u n a s té r is q u e re n v o ie n t a u L e x iq u e . L e s m o ts p r é c é d é s d e d e u x a s té
ris q u e s re n v o ie n t à la T a b le d e s c o n c e p ts -d é s . L e s n o m b re s c o m p o s é s en ita liq u e s r e n v o ie n t a u x
p a s s a g e s le s p lu s im p o rta n ts.
C onscientes (H.). — Voir É idolies. D elirium tremens, 25, 131, 449, 523.
C onsécutives (I mages). — Voir P ost- D énégation, 1033 sq.
images. D épersonnalisation, 292 sq., 417 sq., 497,
C o r p o r e l l e s (H.), 2 6 4 sq. (tout le chapitre), 721 sq., 779 sq., 862, 1115 sq. — Voir
337, 3 6 8 sq., 4 1 7 sq., 493,497, 559, 568 sq., aussi C orporelles (H.), N évroses, Schi
599, 629, 691 sq., 7 7 9 sq., 809, 842. zophrénie .
** C orps psychique (O rganisation, A rchi D ermatozoïque (Syndrome), 246 sq.
tectonie). D iscussion de 1855 (Société médico-
— l re thèse organo-dynamique, 1 0 7 4 sq. psychologique), 82 sq., 907.
(tout le chapitre). D ésafférentation. — Voir I solement sen
— Intégration des organes des sens dans le soriel.
« corps psychique », 1 1 2 2 sq. — Voir aussi D ésir (E xpression et P rojection du ). —
C o n s c ie n c e , I n c o n s c i e n t , O r g a n o - d y n a Voir P sychodynamique (M odèle).
m iq u e ( M o d è l e ) , S y st è m e s p e r c e p t i f s . ** D ésorganisation, D éstructuration du
C réation (C réativité), 4 sq., 2 8 sq., 541, corps psychique.
5 7 4 sq., 6 6 5 sq., 1230. — Voir aussi — Désintégration des Systèmes perceptifs :
N égatif et P ositif, P rocessus. Éidolies, 329 sq.
C r o y a n c e (H. et). — Désorganisation du Moi, 428 sq., 741 sq.
— Composante affective des H. noético- — Désorganisation et phénomènes halluci
affectives, 4 0 5 sq., 4 2 8 sq., 1242 sq., natoires, 56 sq., 438 sq. (tableau), 1176 sq.
1255 sq. — Déstructuration du champ de la Con
— Projection affective. — Voir A f f e c t iv it é . science, 383 sq., 715 sq.
— Projection inconsciente, 9 8 3 sq., 9 9 4 sq., — Pathogénie organo-dynamique des H.
1 0 1 6 sq. — Voir aussi C o l l e c t iv e s (H.), délirantes, 1223 sq.
C u l t u r e l s ( F a c t e u r s ) , P r o je c t io n , S u g — des Éidolies, 1283 sq. — Voir aussi
g e s t io n . C o r ps p s y c h iq u e , N é g a t if et P o s it if .
** Culture , C ulturels (F acteurs), i ii , ** D éterminisme, 1436.
64, 6 8 sq., 1 0 7 sq., 5 2 9 sq., 5 8 0 sq., 6 7 0 sq., D ouble (Image du ), H éautoscopie, 69,
6 8 0 sq., 8 8 0 sq., 1 1 8 6 sq., 1 2 5 5 sq. — Voir 131 sq., 290, 318 sq., 479, 1217.
aussi A nomie, C royances, N ormal et * D reamy state (C rises de l ’uncus), 151,
P athologique, P ossession, Sorcellerie. 254, 359 sq.
C ybernétique, 1 0 9 2 sq., 1 2 8 8 sq. — Voir D rogues. — Voir H allucinogènes.
aussi I nformation et P erceptifs (Sys
tèmes).
E
D
* É cart organo-clinique (M odèle or
D édoublement (E xpériences d e ), 419 sq., gano-dynamique), 975, 1227, 1275. —
723. Voir N égatif et P ositif.
D éfenses (P rocédés d e ) , 191. É cho d e la pen sé e , 106, 192, 209 sq., 963 sq.
D éfenses (P sychanalyse), 856, 1 0 2 2 sq. — E cmnésie, 950.
Voir aussi Inconscient, P sychodynami É conomique (M étapsychologie freu
que (M odèle). dienne), 1022 sq.
D éfinition d e l ’H allucination , xii , 21 sq., É corce cérébrale. — Voir C entres cor
37, 4 5 sq., 1 2 0 5 sq. ticaux .
D élirantes (H.). — Voir E xpériences E cphorie. — Voir E ngrammes.
délirantes et N oético-affectives (H.). E. E. G.
* D élire et R apports du délire et des — E. E. G. et Hallucinogènes, 527, 554, 555,
H allucinations. 593, 611, 654, 677.
— Historique, 77 sq., 222, 3 8 2 sq., 7 2 3 sq., — Perception, 1170, 1171.
7 4 3 sq. — Sommeil, Rêve et Psychoses, 736, 737,
— Généralités, 77 sq., 3 8 3 sq., 7 4 3 sq., 1197 sq., 1262 sq. — Voir aussi R ê v e ,
1 2 5 5 sq. Sommeil, Vigilance .
— Expériences délirantes et Déstructuration ** Ego. — Voir Moi.
du champ de la Conscience, 3 8 3 sq., * É idétiques (Images), 114.
713 sq., 1 2 5 4 sq. * É idolies hallucinosiques.
— H. noético-affectives et Désorganisation — Classification (Phantéidolies et Protéido-
du Moi, 4 2 8 sq., 7 4 7 sq. (tout le chapitre), lies), 344 sq.
1 2 7 0 sq. — Définition, 71, 72, 73, 115, 143. 329.
■— H. sans délire. — Voir É id o l ie s h a l l u c i - 344 sq., 1216, 1220 sq.
NOSIQUES. — Diagnostic, 370 sq.
1536 INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES
— Objet et Sujet dans la Perception, 58 sq., * P aréidolies, 116, 117, 350, 351, 1317.
1107 sq. — Voir aussi I mages, P erception, P ariétal (L obe), 235, 268 sq., 282 sq., 287,
P rojection. 473, 936.
O bsessions (H. et), 860 sq. P arkinson (S. de), 457 sq., 1311.
O ccipital (L obe), 102 sq., 115 sq., 356 sq., P assionnels (D élires), 818, 819, 822 sq.
469 sq., 915, 928 sq., 931, 934, 944 sq. — P athologie cérébrale, 150 sq., 230,
Voir aussi Systèmes perceptifs, Visuelles 282 sq., 293, 447 sq.
(H.). — Désafférentation (Isolement sensoriel),
OCULOGYRES (CRISES), 461, 1311. 699 sq.
Œ dipe (C omplexe d ’), 216, 864 sq., 995 sq., — Encéphalites, 450 sq.
1052, 1065. — Épilepsie, 489 sq.
O lfactives (H.), 249 sq. — Lésions vasculaires, 482 .
O néirophrénie (von M eduna), 458. — Sénescence cérébrale, 483 sq.
142sq.,422sq.,
O n ir is m e , O n i r o ï d e s ( É t a t s ) , — Toxiques hallucinogènes, 509 sq. (tout
726 sq., 1265, 1269. — Voir aussi E x p é le chapitre III de la 4e Partie).
r ie n c e s DÉLIRANTES, PSYCHOSES HALLUCI — Traumatismes cranio-cérébraux, 475 sq.
NATOIRES AIGUËS. — Tumeurs cérébrales, 466 sq. — Voir
** O ntologie, O ntogenèse, 1075 sq. aussi M écaniste (M odèle), O rgano -
(tout le chapitre premier de la 7e Partie). dynamique (M odèle), P rocessus.
— Voir aussi C orps psychique et O rgano- P athogénie , P athogéniques (C onceptions).
DYNAMIQUE (MODÈLE). — Généralités, 53 sq., 899 sq.
O phtalmopathies (H. et), 148 sq., 353 sq., — Historique, 79 sq.
562, 641 sq., 702 sq., 925 sq., 1316 sq. — Modèle mécaniste, 903 sq.
O pium , 154. — Modèle organo-dynamique, 1069 sq.
* O psiphile (T hèse
d ’) d’après P. Q uercy , — Modèle psycho-dynamique, 983 sq.
749, 1203. — Voir aussi E sthésie. PÉDONCULAIRE (Hallucinose) , 151, 362 sq.,
O rganes des sens. — Voir Systèmes per 462, 954, 1310.
ceptifs. *, **, P erception.
O rganisation. — Voir C orps psychique, — Problèmes généraux, 58 sq., 1107 sq.,
1075 sq. (tout le chapitre premier de la 1159 sq., 1175.
7e Partie). — Systèmes perceptifs, 1122 sq., 1284 sq.,
*, **, O rgano-dynamique (M odèle). 1288 sq., 1298 sq.
— Historique, 57 sq., 94 sq., 1225 sq., — Virtualité hallucinatoire de la perception,
1230 sq. 68 sq., 104 sq., 168 sq., 276 sq., 1180 sq. —
— Thèses fondamentales, 1073, 1338 sq. Voir aussi E xcitation , Sensation.
— l re Thèse, Architectonie du « corps Périphérique ou C entrale (L ocalisation)
psychique », 1075 sq. des H. — Voir C entrale.
------ Architectonie des Systèmes perceptifs, P ersécution (D élire de), 215, 305, 436,
1122 sq. 743 , 760 sq., 774 sq., 805 sq., 830 sq.,
— 2e Thèse, Anomie (hétérogénéité patho 964 sq., 996 sq., 1029 sq.
logique) des H., 1178 sq.; définition ** P ersonnalité. — Voir Moi.
explicitée de l’H., 1205 sq. P eyotl. — Voir M escaline.
— 3e Thèse, Deux grandes catégories : * P hantasmes. — Voir I maginaire, I ncon
H. délirantes et Éidolies, 1211 sq. scient et Symbolique.
— 4e Thèse, Pathogénie négative primor * P hantéidolies.
diale des phénomènes positifs hallucina — Définition, 348 sq.
toires, 1223 sq. — Voir aussi M écaniste — Description clinique et Diagnostic, 125,
(M odèle), P rocessus, P sycho-dynamique 150, 180, 184 sq., 376, 461, 462, 490 sq..
(M odèle). 649, 693, 948 sq.
(H. et), 178,183,228 sq., 365 sq.,
O t o p a t h ie s — Pathogénie, 1008 sq., 1303 sq. — Voir
705 sq., 928 sq., 1296, 1329 sq. aussi É idolies et P rotéidolies.
OXAFLUMAZINE, 1372. P hénéthylamines, 511, 512, 605.
P hénoménologie.
— Hallucination, 45 sq., 96 , 339 sq., 393 sq.,
P 411 sq., 662 sq., 756 sq., 797, 821 sq..
841 sq., 850 sq., 1250 sq., 1270 sq.
P a l in o p s ie , 183. — Voir P o s t - im a g e s .
P hobies (H. et), 863 sq.
P a r a l y s ie g é n é r a l e , 400 s q . P hosphènes, 111 sq., 646 sq., 939 sq..
* P a r a n o ïa . — Voir S y s t é m a t is é s ( D é l ir e s ). 1321 sq. — Voir aussi P rotéidolies.
* P a r a p h r é n ie s . — Voir F a n t a s t iq u e s P hotopsies. — Voir P hosphènes.
( D é l ir e s ). P iaget (J.), 60, 1104, 1108 sq., 1155, 1161.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 1541
Imprimé en France
IMPRIMERIE BARNÉOUD S. A.
LAVAL (Mayenne)
N° 6643. — 7-1973