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10 MAI 12

Hebdomadaire Paris

Surface approx. (cm²) : 334


14 BOULEVARD HAUSSMANN N° de page : 6
75438 PARIS CEDEX 09 - 01 57 08 50 00

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La peur du progrès
ESSAI Une analyse de l'entrée de la France et de la
Grande-Bretagne dans la modernité industrielle.

L'APOCALYPSE JACQUES DE SAINT VICTOR


JOYEUSE. UNE

C
HISTOIRE DU RISQUE HACUN a plus ou moins
TECHNOLOGIQUE entendu parler de cette
De Jean-Baptiste histoire Dans les annees
Fressoz Le Seuil 1830, lorsque le chemin
312 p 23 € de fer apparut en France,
l'académie de medecine de Lyon
aurait demande si les nouveaux
moyens de transport n'allaient pas
porter des atteintes graves a la reti-
LMUUU.tl'ït
JOïLtllC ne des voyageurs '
C'est un des arguments préfères
des « technophiles » pour ridicuh
ser toute critique émise a rencontre
d'une invention contestée Or, il
s'agit d'une pure « legende urbai-
ne », comme on dit aujourd'hui ll
n'y aurait jamais eu d'académie de
medecine a Lyon et les critiques
émises a l'égard des chemins de fer
n'étaient ni plus ni moins que des
plaintes judiciaires contre les com
pagnies qu'on soupçonnait de faire
des economies au détriment de la
securite des voyageurs
Hitler se servira dans Mem Kampf
d'un argument semblable pour ridi-
culiser les experts en évoquant un
mystérieux rapport de 1835 du col
lege medical de Bavière conseillant
d'interdire les chemins de fer car ils
pourraient causer un « delinum
furiosum » Evidemment, le rapport
bavarois était aussi une pure mven
lion Ces petites fatales sont desti
nees a delegitimer tout discours
s'inquiétant, a plus ou moins juste
titre, des conséquences humaines

SEUIL Eléments de recherche : LES ÉDITIONS DU SEUIL : maison d'édition, toutes citations (1/2)
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Jean-Baptiste Fressoz montre bien


comment s'est construit
un discours visant à occulter
toutes les controverses
autour des risques Iles aux progres
de la societe Industrielle. CORBIS

On procéda habilement en usant de


techniques nouvelles pour faire
« passer la pilule » du progres la
question des polices sanitaires et
urbaines joua par exemple un grand
rôle dans ce processus rassurant
Fressoz évoque un paradoxe
assez étonnant tandis que le
« darwinisme social » cherchait a
convaincre les reformateurs que la
societe ne devait pas s'écarter de
« l'ordre naturel », l'idéologie du
progres affirmait qu'il était en
revanche tres aise de transformer
l'ordre du monde
d'un progres technique Or, comme moins passionnant de comprendre controverses qui émergèrent autour II faut admettre qu'aujourd'hui
le montre fort bien l'historien Jean- ce qu'il appelle « la production des risques et des nuisances lies au les « ontologies anxiolytiques »
Baptiste Fressoz, dans cette Histoire scientifique et politique d'une certaine progres de la societe industrielle destinées à rendre toute remise en
du risque technologique, d'une lectu- inconscience modernisatnce » Au fond, la lecon principale de ce cause impossible paraissent s'être
re facile, ces manipulations font D autant qu'il montre le lien étroit livre, qui procede par petites lou- entierement renversées , l'anxiété a
partie d'une entreprise tres ancien entre ces questions et la production ches, ce qui rend toute généralisa change de camp Elle est devenue
ne destinée a occulter les cense philosophie politique (fin XVIII e lion un peu hâtive, c'est que l'Occi l'arme de ceux qui remettent en
quences de « trois siècles d'un XIX e siècle) a l'époque des vaccins, dent n'a jamais ete aussi cause toute forme de progrès Le
modernisme frénétique » des machines, des usines chimiques « scientiste » qu'on a bien voulu le titre de ce livre en témoigne a
et des locomotives Les avantages laisser croire Les penseurs du contrario Peut on encore parler
Transformer procures par ces progres sont XIX e siecle ont tres rapidement eu d'apocalypse joyeuse apres Tcher-
l'ordre du monde connus de tous La n'est pas le pro conscience des risques technologi nobyl et Fukushima •" II semble plu
L auteur a indéniablement un pen pos de l'auteur II cherche a nous ques Le positivisme a joue non tôt que notre quotidien soit encore
chant pour une certaine ecologie montrer comment s'est construit un comme source d'aveuglement, maîs (pour combien de temps 9 ) celui
militante maîs il n'en demeure pas discours visant a occulter toutes les comme politique de manipulation d'une trivialité désenchantée •

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12 SUDOUESTDIMANCHE
20 MAI 2012
WWW.SUDOUEST.FR

L’AlgérierendhommageàWardaal-Jazaïria

Société Des centaines d’Algériens ont défilé hier au Palais de la culture d’Alger devant
la dépouille rapatriée d’Égypte de Warda al-Jazaïria,l’une des grandes
cantatrices du monde arabe,décédée au Caire jeudi,d’une crise cardiaque. AFP

L’ENTRETIEN DU DIMANCHE

L’histoire cachée des périls


Selon Jean-Baptiste Fressoz, les bienfaits de la technologie sont discutés
depuis les débuts de la révolution industrielle. Mais l’industrie a toujours gagné
RECUEILLI PAR 1820 et pour le nucléaire en France
JEAN-DENIS RENARD à partir des années 1970 ?
jd.renard@sudouest.fr Dans les deux cas, le discours de la
Nationesttrèsprésent.Lenucléaire
« Sud Ouest Dimanche ». Vous a été présenté comme une
démontrez dans votre livre prouesse nationale, une technolo-
« L’Apocalypse joyeuse » que la cri- giequipermettraitl’indépendance
tique contre le risque technologi- énergétiqueetlareconstructionde
que n’est pas l’apanage des temps laFrance.Onaàpeuprèslesmêmes
modernes. Pourquoi les controver- argumentssurlegazd’éclairage:le
ses qui accompagnent la révolu- retard français par rapport à l’An-
tion industrielle ont-elles laissé si gleterre,l’implicationnécessairede
peu de place dans les mémoires ? l’Étatpourlerattraper.Unénorme
Jean-Baptiste Fressoz.Principale- gazomètreconstruitàParisestpré-
ment parce que les historiens ont senté comme « un monument de
pris le parti des innovations qu’ils l’industrie nationale ». La gloire ré-
étudiaient.Lesoppositionsdel’épo- volutionnaireetd’Empire,baséesur
queontétéprésentéescommedes les succès guerriers, se transforme
résistances,unmotissuduvocabu- alorsetdevientunegloirescientifi-
lairemécaniquequirenvoieàl’idée que,techniqueetindustrielle.Dans
d’une tendance naturelle au «pro- lesdeuxcas,passéetcontemporain,
grès».Danscetteoptique,ceuxqui les opposants utilisent un argu-
s’opposaient étaient des réaction-
naires,desirrationnels,desgensas- « Les historiens ont
sez peu intéressants en somme.
N’oublions pas que l’histoire des pris le parti des
techniquesenFranceestannexéeà innovations qu’ils
l’histoire de l’économie. Les seules
questionsquel’onaposéesétaient étudiaient. Les
relativesàl’histoiredelacroissance oppositions ont été
économiqueetdudéveloppement.
D’où le parti pris technophile. Les présentées comme
historiens ont ainsi pu écrire l’his-
toire de l’industrie chimique en des résistances » Jean-Baptiste Fressoz : « Aujourd’hui encore, la façon dont on prend en compte ‘‘l’incertitude’’
France sans jamais faire allusion à me paraît assez légère. » PHOTO EMMANUELLE MARCHADOUR
lapollution. ment assez proche du principe de
précaution.Seloneux,latechnolo- SES DATES technologiesdedifférentesgénéra-
Vous décrivez deux siècles de collu- gieestrelativementsûremaiss’ily tionsproduisentdesaccidentsqui
sion entre la sphère politique, la
haute administration, l’industrie et
les experts. Ce pacte n’a-t-il jamais
acatastrophe,elleseraterrible.Les
normesdesécuriténesuffisentpas,
il faut donc interdire. Et dans les
Historien du risque technique étaient forcément imprévisibles
puisqu’ils surviennent à partir de
technologiespostérieuresàl’étude
été remis en cause ? deuxcas,lesopposantsmettenten 1977. Naissance à Clamart, en ré- 2012. Il publie « L’Apocalypse desrisques.Aujourd’huiencore,la
Au moment de la Révolution fran- causelegouvernementquisemble gion parisienne. joyeuse. Une histoire du risque façon dont on prend en compte
çaise se crée un complexe État/in- prêtàprendrecerisque,àlegaran- technologique » au Seuil. Il balaie, « l’incertitude » me paraît assez lé-
dustrie/savants.Ilestliéàlaproduc- tirsansenavoirlesmoyens. 2009. Déjà diplômé de l’École nor- pour ce faire, l’histoire de la vacci- gère.
tiondeguerre,celledelapoudreet male supérieure, il décroche son nation antivariolique comme celle
celledescanons,parexemple.Ilya Vous faites référence au prix donné doctorat d’histoire à l’École des de la production chimique et du Des experts climatiques indiquent
eudifférentesphasesdanscetteal- à la Nature par les tribunaux au hautes études en sciences sociales. transport ferroviaire. Il prépare une aujourd’hui que les mesures pour
liance.L’unedesplusintéressantes XIXe siècle face aux dommages de Il est maintenant maître de confé- histoire des savoirs climatiques aux maintenir le réchauffement clima-
concernelapériodelaRestauration la production de soude. La notion rences à l’Imperial College de Lon- XVIIIe et XIXe siècles, à paraître pro- tique sous les 2 °C au XXIe siècle
(NDLR : 1814-1830). Le gouverne- fait-elle écho aux travaux actuels dres. chainement. sont insuffisantes. N’est-ce pas
ment ultra-royaliste qui arrive au de l’économiste britannique Nicho- une nouveauté par rapport à ces
pouvoiren1822remetencauseles las Stern sur l’économie du change- savants dont vous démontrez
accordsentrel’administrationpré- ment climatique ? grandes raisons d’être optimiste à «L’alerte qu’ils légitimaient avant tout la
cédente et les grands industriels, Contrairement à ce que les écono- l’heureactuelle. politique industrielle ?
qu’il s’agisse du gaz d’éclairage ou mistesdel’environnementpréten- environnementale Tout à fait. Le GIEC (Groupe inter-
delamachineàvapeur.C’estunmo- dent à propos des crédits carbone Quand les Autorités de sûreté nu- lancéeparcertains gouvernementald’expertssurlecli-
mentdecrise.Maisoninventealors ou des droits à polluer, la financia- cléaire prescrivent de revoir les mat)commeplusgénéralementla
de nouvelles techniques pour en risationdel’environnementaexis- standards de sécurité après Fu- savantsauXIXe scienceécologiquesontenrupture.
sortir. Il en va ainsi de l’apparition tédèslesdébutsdelarévolutionin- kushima, n’y a-t-il pas une évolu- n’estpasparvenue C’est relativement nouveau. Mais
de la « norme de sécurité ». Pour fi- dustrielle. Le principe de ces tion par rapport à la confiance on constate aussi que le thème du
nir, l’État a été tout au long du mécanismes n’a rien de nouveau. aveugle en la technologie ? àinfléchirlesmodes changement climatique s’impose
XIXe siècle non seulement un pro- J’aivoulumontrerque,loind’avoir Jenesuispassûrqu’ilyaitchange- dès le XIXe siècle. On s’interroge
moteur des techniques, mais le empêchélespollutionsauXIXe siè- mentdeparadigme.Dansleurrap- deproduction» alors sur les liens entre déforesta-
créateurd’uncadrelégalpourque cle, ce mode de régulation les a ac- port sur le gaz d’éclairage en 1823, tionetclimat.Ils’agitdecontrover-
cestechniquesprospèrent. compagnées. les académiciens essaient d’antici- que malgré toute l’ingéniosité des ses nationales dont le gouverne-
per les événements les plus étran- experts anglais et français, malgré ment s’inquiète. Pourtant, l’alerte
Y a-t-il des similitudes entre le ré- Ce n’est pas très rassurant sur la gesetlesplusimprobables.Ilsenvi- les avertissements des opposants, environnementale lancée par cer-
gime d’exception qui prévaut pour période actuelle… sagent la prise de contrôle d’un l’improbablegagnetoujours. L’évé- tainssavantsauXIXe sièclen’estpas
la construction des gazomètres Cen’estpasrassurantdutout!Leli- gazomètre par des révolutionnai- nementquel’onn’imaginaitpasfi- parvenue à infléchir les modes de
(les réservoirs du gaz utilisé pour vre est globalement pessimiste, res,parexemple.Onaaujourd’hui nit par advenir. Sur le cas du gaz production. Va-t-onlefairemainte-
l’éclairage public) dans les années mais je ne crois pas qu’il y ait de deuxcentsansderecul.Etl’onvoit d’éclairage, on constate que des nant?Cen’estpasditnonplus…
JAN/MARS 12
Trimestriel

25 RUE DE FECAMP Surface approx. (cm²) : 542


75012 PARIS - 01 46 28 70 32

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Recensions
L'Apocalypse joyeuse comme le vaccin contre la sort des fabnques était pour
variole teste sur les esela\es ainsi dire a la merci d un voisin
« Contrairement au reve noirs les orphelins ou encore inquiet ll fallait établir des regles
sociologique d une teehnoscience I adoption du gaz d eclairage a cet égard Des regles tres
maîtrisée dun progres en pente de ville emaille de nombreux souples dont I application est
douce I histoire dc la technique accidents On trouvera un récit facilitée par la suppression des Jean Baptiste Pressez
est celle de ses coups de force exposant le developpement de corporations et des parlements LApocalypse joyeuse
et des efforts ultérieurs pour les I industrie chimique Lne nouvelle locaux (p 153) Cet ouvrage fait Seul 2012 320pages
normaliser Voici la these de reglementation environnementale etat des résistances soulevées 23 €
ce remarquable ouvrage rédige adaptée au developpement de par exemple par I industrie de la
par I historien Jean Baptiste I industrie chimique, cst adoptée soude tres polluante a laquelle
Pressez maitre de conferences en 1810 Flic cst mise en œuvre se sont opposes de nombreux
a I imperial College a Londres et justifiée de la sorte par le medecins Au XlAe siecle remonte
qui expose I entree de la France ministre Chaptal « Depuis que la desinmbition face au progres
et de I Angleterre dans I cre les arts chimiques ont fait des technique le risque technologique
industrielle (fin XVITIc XIX progres etonnants ( ) des est alors impose au nom du
siecle) II détaille différents plaintes s élevaient de toutes part progres un etat d exception
exemples de ces coups de force et les tribunaux prononçaient permanent
et de leurs effets collatéraux de maniere arbitraire ( ) le

Manifeste pour les jardins Manifeste peicutant et argumente et economique la distinction


méditerranéens emaille de photographies Louisa entre I utile et I agréable voire le Louisa Jones Manifeste
Jones d origine canadienne et beau est moderne (p-il) Comme pour les jardins
Pourquoi une pelouse alors que auteur d ouvrages sur les jardins Van Gogh et Cézanne en leur méditerranéens Actes
le jardin méditerranéen est vert contemporains et méridionaux temps Tout le monde admire Sud 2012 144 pages
toute I annee ' Pourquoi un dresse un clogc du jardin paysan les artistes anonymes qui ont 23 €
jardin purement decoratif alors du midi vernaculaire productif cree les ensembles harmonieux
que le jaidin paysan traditionnel et adapte a son milieu C est aussi des campagnes traditionnelles
regorge de belles variétés > le plus beau ' Ce beau jardin que nous avons du mal a égaler
Pourquoi des plantes qui ont du midi n est j miais purement aujourdhui (p 31)
besoin d eau I ete > Dans ce ornemental il est utile nourricier
La fabuleuse
histoire
du nom
des poissons
Histoire du nom des signifie pointe désignant ainsi la montrent souv eut ce qu ils ont
poissons premiere nageoire dorsale Quant de singuliers et parfois poétique
au thon dit albacore il devrait en Le poisson lune en français est
Vous apprendrez tout I origine toute logique designer le thon appelé poisson soleil en anglais
de jOO noms de poissons en blanc (alba) or il désigne en fait (sunnsh) ' Par Henriette Walter
francais et dans d autres langues le thon jaune Le Rémora se fixe professeur emente de linguistique Henriette Walter Pierre
Quèlques exemples pour vous sous les autres poissons et parfois et Pierre Avenas ingénieur Avenas Histoire du nom
mettre en bouche I e grondin sous la coque des navires grace a des Mines déjà coauteurs de des poissons Robert
désignant au 16e siecle un sa ventouse inora en latin signifie Lktonnante histoire des noms Laffont 2011 495 pages
cochon a ete nomme ainsi en retard les anciens pensaient que des mammifères (Robert Laffont 24 €
raison de ses grognements qui ses habitudes retardaient les 2003) ct Mystérieuse hilton e du
lui permettent de communiquer bateaux I a baudroie vient du nom des oiseaux (Robert Liffont
avec ses semblables ' Le bir vient provençal qui vem dire crapaud en 200*0
d une racine inde europeenne qui raison de sa physionomie Les noms

Histoires d'eaux africaines Pourquoi ' Parce que le puits est de luniversite catholique de
« I arbre a palabres des femmes Louvain il a rédige un ouvrage
II était une fois un missionnaiie et rendre le puisage plus efficace profond et plein d humour sur son
qui pour libérer les femmes d un et plus rapide revient a diminuer experience et ses déconvenues a
village africain de leur fastidieuse un temps precieux consacre a propos de projets d amelioration
corvée d eau avait décide de echanger des nouvelles Mike ct de developpement des ouvrages
rendre plus performant le sv sterne Smgleton qui fut ce missionmire hydrauliques en Afrique De quoi
de pompage manuel en y ajoutant des Peres Blancs dans une premiere comme I auteur le fait avec ces
un treuil Echec total Les femmes vie est devenu depuis lors tres « essais d anthopologie impliquée M ke Smgleton Histoires
ne savaient pas s en servir Ou critique du developpement remettre en cause la notion même cl eaux africaines
plutôt ne voulaient pas s en servir Aujourd hut professeur cmerite de « developpement Academia Bruylant 2010
400 pages 32 €

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L'ÉCOLOGIE, UNE IDÉE PAS Sl NOUVELLE

• L'ÉCOLOGIE NE DATE PAS


DES ANNÉES 1970 • LES PREMIÈRES
CRAINTES SUR LA NATURE DATENT
DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE
• MAIS LE CAPITALISME A TOUJOURS
SU LES DIGÉRER
Par Weronika Zarachowicz Illustrations Matthew Richardson

La calotte nordique qui fond peu à peu, soixante mille per- Mélenchon. Tandis qu'à l'étranger elle subit le même mou-
sonnes qui se donnent la main contre le nucléaire en une vement de recul depuis l'échec de la conférence de Copen-
étonnante chaîne humaine le ll mars dernier... Ces infos hague sur le changement climatique, en 2009. Alors, l'éco-
sont reléguées aux pages intérieures des journaux, tandis logie est elle vouée à vivoter aux marges des débats dès que
que, signe de temps moroses, Nicolas Sarkozy convie Claude la situation économique tourne mal? Pourquoi donc en
Allègre, l'idole des climato-sceptiques, au premier rang de sommes-nous là ? Et si, pour comprendre la crise environ-
son rassemblement de Strasbourg, le 22 mars. En France, au nementale et les blocages contemporains, il fallait aussi,
moment de la presidentielle, la question verte a disparu du par-delà les explications conjoncturelles, en pister les ra-
débat politico-médiatique, excepté chez Eva Joly et Jean-Luc cines plus lointaines?
Jusqu'ici peu d'historiens se sont aventures sur les terres
écologiques, largement devancés par les sociologues, les
philosophes, les scientifiques, voire les économistes. Mais
les temps changent. Dans la haute pile des ouvrages écrits
sur la question verte, des historiens revivifient sérieuse-
ment la glose écolo : non, l'écologie n'est pas née dans ces
années 1970 si souvent mythifiées par l'imaginaire militant.
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Certes, les seventies regorgent d'immenses penseurs écolo
d'une actualité toujours brûlante tels Ivan Illich, André Gorz,
Cornélius Castoriadis ou Jacques Ellul (auquel Jean-Luc Por-
quet vient de consacrer une belle relecture). Certes, la pre-
mière coopérative bio de France - Prairial -, les grandes
ONG - Greenpeace, les Amis de la Terre... - ont émergé à
cette époque. Tout comme les premières manifs contre
l'installation de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à monde par la science. L'ouvrage, exhumé grâce à Jean-Bap- A
Nantes (dès 1971!), l'aventure collective du Larzac... ou tiste Fressoz, est dû à un avocat passionné de science, Eu- L'Apocalypse
L'An oi, œuvre oubliée de Gébé, Doillon, Resnais et Rouch, gène Huzar. Première critique du progrès fondée sur le ca- joyeuse, une
et «premier film sur la décroissance heureuse» (1973), rap- tastrophisme, il fit un énorme tapage à l'époque. Lamartine, histoire du risque
pelle l'équipe de la revue Silence dans L'Ecologie en 600 dates. Dickens, Flaubert ou Verne l'ont lu et y ont fait référence. technologique,
« Mais arrêtons dépenser que nous sommes les premiers à Pourquoi? Parce que son oeuvre saisissait, comme le dit de Jean-Baptiste
avoir conscience des risques produits par les techniques mo- Fressoz, « des aspects essentiels de la révolution technoscienti- Fressoz, éd du
dernes!», tempête Jean-Baptiste Fressoz. Dans lapocalypse fique du premier xixe siècle». A commencer par les craintes Seuil, 320p., 23€.
joyeuse, cet historien des sciences livre une captivante en- nées avec la société industrielle : la destruction de la nature, Les Marchands
quête sur les pouvoirs politique, économique, scientifique, la perte de paysages qui fondent notre identité, mais aussi la de doute,
qui, au tournant des xvm 6 et xixe siècles, nous ont fait peur sanitaire portée par les chambardements techniques de Naomi Oreskes
prendre « le chemin de l'abîme », malgré les innombrables op- et leurs pollutions. «La destruction moderne des environne- et Erik M Conway,
positions qui, très tôt, ont accompagné l'essor des technos- ments ne s'est pas faite comme si la nature ne comptait pas, in- éd Le Pommier,
ciences. «Dans cent ou deux cents ans, le monde, étant sil- siste Fressoz, mais au contraire, dans un monde où régnaient 524P,29€.
lonné de chemins de fer, de bateaux à vapeur, étant couvert des théories qui faisaient de l'environnement le producteur de L'Ecologie
d'usines, de fabriques, dégagera des billions de mètres cubes l'humain»: l'homme, son corps, sa santé sont le produit de en 600 dates,
d'acide carbonique et d'oxyde de carbone, et comme les forêts la nature, et il la modifie à son tour. C'est la théorie des cli- éd Le Passager
auront été détruites, ces centaines de billions [de mètres mats au xvm6 siècle ; et, un siècle plus tard, toute la pensée clandestin/Silence,
cubes] d'acide carbonique et d'oxyde de carbone pourront écologique issue de l'essor du capitalisme « chimique » et dé- 84p., 126
bien troubler un peu l'harmonie du monde. » Ces phrases pro- veloppée par les grands penseurs matérialistes, Karl Marx
phétiques datent de... 1822 et sont extraites de La Fin du en première ligne, qui critiquent l'épuisement des sols et la
pollution urbaine! Résultat, le xixe
siècle est traversé de controverses
considérables : la déforestation et ses
conséquences climatiques, la vaccina-
tion et ses effets sur l'espèce humaine,
l'industrie chimique et la transforma-
tion de l'atmosphère, les chemins de
fer et les catastrophes...
Un long cortège de mobilisations qui,
l'une après l'autre, pas à pas, forgent
l'identité politique de la question écolo-
gique. Et qui amènent Jean-Baptiste
Fressoz à jeter un sacré pavé dans la
mare des sociologues et philosophes de
«la société du risque», théorie au-
jourd'hui dominante. Que disent donc
ces penseurs, menés par l'Allemand
Ulrich Beck? Que les risques auraient
changé de nature, étant issus de la mo-
dernisation elle-même, et que nos socié-
tés s'interrogeraient désormais sur les
effets secondaires du progrès technique.
Bref, nous serions les premiers à déve-
lopper une conscience environnemen-
tale après trois siècles d'un modernisme
supposé frénétique, technophile et
ignorant de l'environnement... «Selon
ce mouvement, critique Jean-Baptiste
Fressoz, nos maux écologiques constitue-
raient l'héritage de la modernité elle-
même.» Celle-ci commençant dès «la
science grecque, qui conçoit la nature
comme soumise à des lois extérieures aux
intentions divines; le christianisme en-

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Page 3/3
suite, qui invente la singularité de l'homme au sem de la crea
non » Puis la revolution scientifique, qui voit la nature comme
une mecanique inerte qu il faut dominer Problème «en re
mettant tout en cause, ce récit ne s'attaque a rien » II oublie lola
lement les pouvoirs, les idéologies et les illusions de reglemen
tationquiontconduitainstallerlarevolutiontechnoscientifique
Bref, c'est un récit « politiquement moffensif»
Car pourquoi nos societes ont elles délibérément décide tees par les premiers chemins de fer, il cite un rapport de
de braver les critiques jusqu a nosjours ' « On ne peut penser l'Académie de medecine de Lyon de 1835, selon lequel le tram
la destruction moderne des environnements sans penser les fatiguerait la vue, causerait avortements et troubles nerveux
mutations du pouvoir, souligne Jean Baptiste Pressez L'm Technique classique, permettant de ridiculiser des craintes
dustriahsation chimique du début du xixe a ete rendue pas actuelles a l'aune d angoisses passées totalement absurdes et
siblegrâceala transformation politique post révolutionnaire de clore un debat passionne sur la place de l'homme dans la
Ces usines extraordmairement polluantes et la nouvelle regu nature Sauf que nous sommes face a un mythe ' «II ny a
laiton environnementale furent imposées par le gouvernement nulle trace du rapport de l'Académie de medecine de Lyon men
au nom de la prospérité nationale, contre l'intérêt des citadins bonne par Dominique Lecourt, précise Jean Baptiste Fressoz,
et au profit d'une petite clique de manufacturiers tres proches et cette institution, d'ailleurs, n'existe pas »
du pouvoir » L'historien enquêteur avance rigoureusement Ces strategies de dénégation ecolophobes, on les trouve
l'argument d'une modernisation technologique menée par a la pelle dans un autre livre precieux aux allures de polar,
petits coups de force, par «petites de écrit par deux historiens des sciences américains Avec le
La lutte contre smhibitwns» - nouvelles réglementa magistral Les Marchands de doute, Naomi Oreskes et Erik
lions, nouveaux pouvoirs de l'exper Conway nous éclairent sur les techniques de desinforma
le changement lise pour définir les bonnes pratiques lion pratiquées outre Atlantique par les reseaux scienti
climatique conduira productives, liberalisation progres fiques et industriels (tabac, energie, petrole ), dont les ra
sive de lenvironnement, qui devient cines idéologiques penchent tres a droite Le but de ces
inévitablement à peu a peu objet de transactions finan lobbies ? Defendre la liberte economique contre les assauts
réorganiser le système cieres Et avec un seul but imposer les des écologistes, vus comme de nouveaux «ennemis de l'in
technosciences comme seuls outils legi teneur », sortes d'avatars contemporains du communisme
économique et tunes, malgre la conscience que l'on Et eviter toute reglementation de sante publique ou envi
politique dans une avait de leurs dangers ronnementale qui nuirait a leurs intérêts Une veritable
D'où en creux, a travers cette his guerre menée a coups de millions de dollars et de vrais faux
direction opposée à loire du risque technologique, une debats aux allures scientifiques, qui n hésite pas a jouer de
celle du libre-échange nouvelle démonstration de la formi la malhonnêteté intellectuelle et qui consiste a mer en bloc
dable capacite du capitalisme a incor la réalité du trou de la couche d'ozone, des ravages environ
porer les critiques, et a les digérer Car les époques se sm nementaux dus aux pluies acides et, plus récemment, du re
vent et se ressemblent Au XIXe siecle comme aujourd'hui, chauffement climatique Derrière ces manœuvres impla
le capitalisme ne distingue pas spontanément les problèmes cablement détaillées par Ndomi Oreskes et Erik Conway se
sociaux ou environnementaux qu'il entraîne La critique dessine un autre enseignement majeur mieux que qui
- ou la catastrophe ' - le force a justifier ses pratiques, voire conque, les ultralibéraux américains ont compris la menace
a les améliorer pour conforter sa légitimité et continuer a idéologique que représente le changement climatique pour
se developper, jusqu'en 2012 C'est dire la piquante actuali la doctrine capitaliste Mieux que la gauche américaine
te d'une telle demarche historique Car repohtiser l'histoire jusqu'ici, ils ont compris que la lutte contre le changement
de l'écologie, comme le propose Jean Baptiste Fressoz, c'est climatique conduisait, inévitablement, a reorganiser le sys
se donner plus d'outils pour discerner les signes contempo teme economique et politique dans une direction radica
rams d'une logique techno scientifico capitaliste a l'œuvre lement opposée a celle du libre échange et de la mondialisa
ALIKE depuis trois siècles G est décrypter, par exemple, le rôle tion une meilleure redistribution de la richesse, des impôts
Jacques Ellul, joue par les termes «soutenable» ou «durable» dans Tex plus élevés, plus d'intervention étatique, de la regulation
l'homme qui avait ploitation toujours plus intensive de la nature « Ces notions Et ils sont prêts a tout pour eviter cela
presque tout se sont transformées en un puissant anxiolytique a destination L'un des derniers exemples en date de cette desinforma
prévu, des consommateurs consciencieux», critique Fressoz Les en tion est paru le 27 janvier dernier dans le Wall Street Journal,
de Jean LucPorquet trepnses en ont vite compris l'intérêt et la souplesse, tout sous la forme d'une tribune cosignée par seize scientifiques -
ed Le Cherche comme pour la « certification environnementale »,«canlse dont Claude Allegre - appelant a « ne pas paniquer au sujet du
midi 362 p 18€ mit toujours possible de trouver un label garantissant la dura rechauffement climatique» Slogan repris a l'unisson, pour la
Vingtième Siecle. butte de leurs pratiques» Témoin le bois de plantation pro presidentielle américaine de 2012, par tous les candidats du
L'Invention duit apres la destruction au napalm de forets primaires en parti republicain «Le rechauffement climatique n'existe pas
politique de Tasmame, et qui réussit a recevoir un ecolabel (PEFC) ' C'est juste une excuse pour imposer plus de contrôle gouverne
l'environnement, Maîs c'est aussi mieux déchiffrer les nombreuses tech mental» (Rick Santorum), «dépenser des milliards [ ] de dal
revue n°ll3 niques de déni, a l'heure ou la vague anti ecolo refleurit, et les lars pour essayer de reduire les emissions de CO2 nestpas une
janvier mars 2012 replacer dans un indispensable contexte idéologique Quand, bonne solution » (Mitt Romney) Gardons nous donc de tout
ed Les Presses au début des annees 2000, en plein debat sur les OGM, le phi optimisme naïf les prétendus « debats » technologique et
de Sciences Po losophe des sciences Dominique Lecourt dénonce les «btoca ecologique ont beau fleurir aujourd'hui, et les catastrophes
266 p 20 e tastrophistes» en se référant aux craintes irrationnelles susci se repeter, nos societes n'ont du passe tire aucune leçon •
SEUIL Eléments de recherche : LES ÉDITIONS DU SEUIL : maison d'édition, toutes citations (1/2)
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07 MARS 12
Quotidien Paris
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164 RUE AMBROISE CROIZAT Surface approx. (cm²) : 220
93528 SAINT DENIS CEDEX - 01 49 22 73 29 N° de page : 23

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PHILO
DE CYNTHIA FLEURY

La désinhibition
moderne
Saurions-nous dater l'entrée de la réflexion critique et, d'autre part, sa revendication pseudo-pragmatique
sur le progrès dans le débat public? Certains et fataliste de l'organisation sociale. Fressoz cherche
diraient Tchernobyl, d'autres remonteraient à l'usage également à comparer les différentes régulations du nsque
de la bombe atomique de la Seconde Guerre mondiale, (par la norme technique, par les recours auxtnbunaux, par
d'autres au renouveau lancé par la révolution génétique la surveillance administrative, par les assurances). Lautre
et nanotechnologique, d'autres encore à l'entrée dans point essentiel, souligné par l'histonen, est l'émergence
la modernité industrielle couplant les vaccins aux usines conjointe à l'impératif technologique d'un « pouvoir doux »,
chimiques et aux locomotives. Qui aurait raison' censé convaincre plutôt que de forcer par la manifestation
Les moins complaisants d'entre nous, ceux qui de la raison et de sa capacité anticipatnce et calculatnce
ne reconnaissent aucune exceptionnalité réflexive « Le souverain allié à la science assume donc une fonction
de la période actuelle, selon l'histonen des sciences ontologique. Sa vraie puissance est celle d'imposer des
Jean-Baptiste Fressoz (I) significations en mesure de réduire la fracture ouverte par
l'innovation. » ll n'est alors nullement étonnant que, lors
En avril 1855, Huzar fait paraître la Fin du monde de la controverse sur l'inoculation (milieu du XVIIIe siècle),
par la science, première critique du progrès fondée sur plusieurs grands textes politiques paraissent De fEspnt
le catastrophisme, qui ferait pâlir d'envie tout scénanste (Helvétus, 1758), Du contrat social (Rousseau, 1762);
hollywoodien: ne nsque-t-on pas de déplacer le centre de /e Traité des délits et des peines (Beccana, 1764) « // ne
gravité de la Terre et de produire un basculement sur son s'agit pas d'une simple coïncidence, poursuit Fressoz:
axe à force d'en extraire tonne après tonne le charbon ? la controverse portait précisément sur ce qui était au
Fressoz voit à travers Huzar la preuve que la modernité cœur de la philosophie utilitanste en gestation, à savoir
positiviste n'a jamais été dans l'illusion du progrès maîs la possibilité de faire du calcul individuel des nsques et
a sciemment décidé de passer outre les nsques encourus des avantages le fondement d'une morale publique. » Là
Quant à la notion de nsque, il faut attendre le XVIIe siècle, encore, Bentham (1802) prendra l'exemple de l'histoire
avec le développement de la statistique, pourvoir le de l'inoculation en Grande-Bretagne pour démontrer les
nsque compenser financièrement les dangers du monde vertus d'un gouvernement doux' «Aurait-on dû établir
Auparavant, la notion existait, l'inoculation par une loi directe "> Non, sans doute (...)
Pour Frpssnz empruntée à l'arabe nzq on aurait porté l'effroi dans une multitude de familles.
( la part que dieu attnbue Cette pratique est devenue universelle (...) parla
« ltla tecnmque
v, • "
à cnaque homme )l); mais discussion publique de ses avantages »
a laçonné était confinée à l'univers du
sa régulation commerce et de l'assurance À lire Fressoz, le mythe de la société réflexive
bien plus que (XNe). La force de la thèse se fissure quelque peu, la modernité se donnant à lire
l'inverse » de Fressoz est de
montrer comme les « transformations successives des modes
comment « la technique a de désinhibition moderne » La société de consommation
façonné sa regulation bien en étant, hélas, une des plus caracténstiques
plus que /"inverse » et de rappeler au passage le chiasme
qui caractérise l'épopée libérale à savoir, d'une part, sa (I) LApocalypse joyeuse Une histoire du nsque technologique.
revendication transformatrice et illimitée de la nature Éditions du Seuil, 2012.

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26 AVR 12
Hebdomadaire Paris

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N° de page : 6-7

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Le risque
cT« Apocalypse»
a l'air industriel

JEAN-BAPTISTE FRESSOZ L'Apocalypse logies de la vapeur et du rail. Dans tous les cas, les
joyeuse. Une histoire du risque éec/ino/ogique débats et les résistances furent nombreux, les
Seuil, 316 pp., 23 € contemporains furent conscients des nuisances,
des dangers, des désastres potentiels, «les risques
n 1855, l'avocat Eugène Huzar publie la

E
de l'ère industrielle furent immédiatement majeurs».
Fin du monde par la science, étonnant La rupture de métabolisme que constituait le nou
opuscule dans lequel il explique com- veau rapport ville-campagne, la question des
ment un certain type de progrès, «qui «choses environnantes», des excréta urbains, de la
marche à l'aveugle», peut conduire à la préservation des ressources, furent même de véri-
catastrophe. Et si l'extraction de charbon déplaçait tables obsessions du premier XIXe siècle. Mais au
le centre de gravité terrestre ? Et si le creusement temps de la réflexivité succéda celui de la normali-
des canaux interocéaniques perturbait les courants sation: le recours aux normes techniques, aux
maritimes ? Multipliant les questions de ce type, procédures de régulation, à l'hygiène publique,
Huzar recommande l'établissement d'une gouver- aux polices sanitaires et urbaines, produisit de fa-
nance ou «édiïité planétaire» pour légiférer sur ces çon calculée «un savoir désinhibiteur» destiné à
points. Jean-Baptiste Fressoz connaît bien Eugène faire accepter la modernité technologique.
Huzar, qu'il a réédité en 2008 (éditions Ere). Il En étudiant comment l'administration réduisit les
élargit aujourd'hui la réflexion dans l'Apocalypse critiques pour qu'advienne l'ère industrielle,
joyeuse, un livre tiré de sa thèse et dans lequel il l'ouvrage démontre que la modernité technique
défend une idée forte : l'Europe n'a pas attendu fut d'emblée réflexive et beaucoup moins aveugle
l'ère postmoderne pour penser le risque techno- qu'aveuglée. L'invention de la norme technique
logique ; les acteurs triomphants du positivisme portait en elle la victoire du nouveau complexe
et de la révolution industrielle ont perçu et pesé les étatico industriel. L'auteur insiste en conclusion
risques du progrès, mais ils ont passé outre. sur le «chiasme» destructeur qui se mit alors en
L'auteur s'adosse pour cela à six études de cas, six place : on commença à penser la société comme
controverses environnementales datant des an difficile, voire impossible à transformer, alors que
nées 1750-1850. Certaines relèvent de la modernité la nature était à l'inverse considérée comme maî-
médicale - l'inoculation de la petite vérole au mi trisable et modifiable. Le gouvernement des hom-
lieu du XVIII e siècle, puis la vaccination anti- mes qui en résulta s'employa à «ajuster le monde
variolique à la fin du siècle -, d'autres des formes à l'impératif technologique». Il est toujours celui qui
neuves de l'industrialisme du XIXe siècle : l'intro régit nos sociétés.
duction du gaz d'éclairage, les usages de la soude DOMINIQUE KALIFA
(qui ravageaient champs et moissons), les techno

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Aux racines de l’inconscience écologique 22/05/12 11:54

Aux racines de l’inconscience écologique


28 avril 2012 | Par Jade Lindgaard - Mediapart.fr

Ruse de l’histoire ou hasard du calendrier : alors que l’écologie politique française perd en
influence et en poids électoral, paraissent ces temps-ci d’importants livres pour qui s’intéresse
aux liens entre environnement, économie et démocratie. Ils reflètent l’intensité du travail
intellectuel désormais en cours dans les universités pour comprendre les rapports –
complexes – entre humains et non humains : Carbon Democracy de l’Américain Timothy
Mitchell sur les effets du pétrole sur la démocratie moderne, Fixing the Sky de James Fleming
sur les utopies technicistes du climat, Marchands de doute d’Erik Conway et Naomi Oreskes,
tout juste traduit en français, qui raconte la guerre des climato-sceptiques contre l’intervention
de l’Etat ou encore le récent livre d’un historien français de l’environnement, Jean-Baptiste
Fressoz : L’Apocalypse joyeuse.

Erudit et précis, cet ouvrage revisite l’histoire du risque


technologique au prisme de quelques grandes
controverses qu’il a suscitées depuis le XVIIIe siècle :
l’inoculation de la variole, la régulation des pollutions de
l’industrie chimique au XIXe, l’introduction de l’éclairage
public au gaz, et, dans une moindre mesure, le chemin
de fer.

La thèse de l’auteur est que, contrairement aux idées


reçues, nos récents ancêtres n’étaient pas d’invétérés
progressistes aveugles aux dommages écologiques de
leurs inventions industrielles. Mais que, bien au contraire,
l’innovation technologique s’est constamment heurtée à
des résistances sociales (critiques scientifiques, méfiance
des médias, réactions citoyennes…), elles-mêmes mues
par le souci de l’air, de la nature ou de la protection des
citadins contre les risques d’accident. Or ces oppositions
au progrès des techniques ont été systématiquement
balayées par de savants dispositifs administratifs,
savants et industriels qui ont autorisé et, au fond, rendu
légitimes des pollutions et des activités à risque pour leur
environnement. Ainsi, « l’histoire du risque technologique
(…) n’est pas l’histoire d’une prise de conscience, mais l’histoire de la production scientifique
et politique d’une certaine inconscience modernisatrice ».

Pour Jean-Baptiste Fressoz, cette histoire démontre que la norme régulatrice s’est adaptée à
la technique, et non l’inverse. Autrement dit, il y a eu inversion du rapport de force entre la
règle commune censée protéger tout un chacun et les besoins de l’industrie, parce qu’elle
incarnait à la fois le progrès civilisationnel et la promesse d’un enrichissement pour l’élite.
C’est déjà en soi une forme d’injustice, ou du moins, une sérieuse entaille dans la glorieuse
histoire de la technologie.

file:///Users/jeanbaptistefressoz/Desktop/Recensions%20de%20l'Apo…yeuse/Aux%20racines%20de%20l’inconscience%20écologique.webarchive Page 1 sur 4


Aux racines de l’inconscience écologique 22/05/12 11:54

"Combustion de varech", Denis Diderot et Jean Le Rond d'Alembert (dir), Encyclopédie, op.cit., Recueil de planches, pl. XVII.

Mais l’auteur pousse plus loin encore le raisonnement, et tente de cerner les conséquences
culturelles, ou même anthropologiques, de cette victoire des facteurs de risque sur ceux qui
voulaient s’en prémunir. Il fait alors des emprunts à la psychologie et parle de « désinhibition
moderne » ou encore d’« ontologies anxiolytiques ». Car au fil des ans, les réglementations
environnementales nous ont rassurés, malgré toutes leurs limites. La modernité a ainsi
fabriqué en nous de l’inconscience, voire de l’ignorance, et nous a rendus vulnérables. C’est
ainsi que nous avons laissé le monde s’ajuster à l’impératif technologique, tout en nous
imaginant l’inverse. D’où ce beau titre d’« apocalypse joyeuse », oxymore (selon le sens
commun du terme) qui veut décrire notre situation actuelle de pollueurs heureux, plus ou
moins ignorants.

« Désinhibition moderne »

Ces arguments offrent une critique explicite des thèses très influentes d’Ulrich Beck et
Anthony Giddens pour qui, à la modernité polluante, s’oppose la modernité réflexive et sa
conscience du risque, source d’espoir. Mais pour Fressoz, cette vision « dépolitise l’histoire
longue de la dégradation environnementale » car « remettant tout en cause », elle ne
s’attaque plus à rien. « La modernité n’est pas ce mouvement majestueux et spirituel dont
nous parlent les philosophes. Je voudrais au contraire la penser comme une somme de petits
coups de force, de situations imposées d’exceptions normalisées. La modernité fut une
entreprise. »

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Aux racines de l’inconscience écologique 22/05/12 11:54

Maxime Vernois, "De la main des ouvriers et des artisans", AHPML, 2e série, vol.17, 1862 (extrait de "l'Apocalypse joyeuse")

Ce piège anxiolytique de la modernité continue de nous étreindre aujourd’hui, pointe Jean-


Baptiste Fressoz. On le retrouve notamment dans l’éternel reproche adressé aux écologistes
de vouloir en revenir « à la bougie », qui rejoue la même rengaine, opposant les tenants
d’une industrialisation raisonnable et donc inévitable à leurs opposants, caricaturés en
réactionnaires trop émotifs.

Cet exemple illustre l’autre apport conceptuel de


L’Apocalypse joyeuse. Livre historien, il ne se contente pas
pour autant de reconstituer le récit de l’acceptation sociale
des dégradations environnementales. Il esquisse aussi une
théorie plus générale du gouvernement indirect par le risque.
Autrement dit, le souci du risque technologique – avec tous
ses angles morts et ses contradictions, une nouvelle fois –
ne fonderait pas seulement une régulation publique mais
aussi une manière d’exercer le pouvoir. Ce régime indirect
passerait en partie par l’intériorisation, par les citoyens, des
nouvelles normes créées par la poussée de la technique.
Elle agirait ainsi dans la formation d’un nouveau type
d’acteur politique. « Le risque devait produire une société
d’individus libres et rationnels, libres de choisir le risque et
obligés de le prendre car rationnels », écrit Fressoz, au sujet
de la querelle au XVIIIe siècle autour de l’inoculation de la
variole. De la même façon qu’il existe un gouvernement néo-
libéral qui fabrique littéralement un nouveau sujet politique,
tel que théorisé par exemple par Pierre Dardot et Christian
Laval dans La Nouvelle Raison du monde, et « épuise » le régime démocratique, il existerait
aussi un gouvernement par le risque.
file:///Users/jeanbaptistefressoz/Desktop/Recensions%20de%20l'Apo…yeuse/Aux%20racines%20de%20l’inconscience%20écologique.webarchive Page 3 sur 4
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aussi un gouvernement par le risque.


Selon cette lecture, l’argument du risque accompagne la pénétration de la raison néo-libérale,
puisque les deux registres partagent l’insistance sur la responsabilité de l’individu face à
l’insécurité provoquée par l’innovation. C’est sans doute la partie la moins développée du livre
– déjà dense – et la plus frustrante car elle touche à des enjeux cruciaux de notre société
contemporaine. Mais on peut facilement imaginer que le travail du chercheur sur ce sujet ne
s’arrêtera pas avec cette publication. Quel meilleur champ d’investigation que notre pays
nucléarisé ? Ces questions étaient déjà au cœur d’un ouvrage séminal des années 1990,
Agir dans un monde incertain (par Yannick Barthe, Michel Callon et Pierre Lascoumes).

Lignes à haute tension, téléphones portables, travailleurs du nucléaire...

Surtout, la balle est désormais dans le camp des écologistes. Car si l’histoire de la prévention
des risques environnementaux montre que la norme s’est soumise aux impératifs
technologiques, c’est toute une philosophie de la précaution qu’il faut revisiter. Peut-on faire
autrement ? Cela dépend-il des rapports de force ? De luttes sociales ? D’un meilleur partage
du savoir ? D’une plus grande participation des profanes aux débats techniques ? La logique
de la démocratie participative est-elle suffisante ? C’est le passionnant apport du livre de
Fressoz.

Et là encore, on peut s’en servir pour revisiter l’histoire immédiate. Si le Grenelle de


l’environnement a autant déçu, ce n’est donc pas seulement à cause de l’instrumentalisation
politicienne dont il a fait l'objet et des fluctuations opportunistes de Nicolas Sarkozy. Les
tendances sont plus profondes : comment, dans ce contexte, repenser le rapport aux
technologies, aux promesses qu’elles portent ? Par exemple, aujourd’hui, la voiture
électrique, les lignes à haute tension, les téléphones portables, les travailleurs du nucléaire,
les OGM, le captage et le stockage du carbone ? L’Apocalypse joyeuse n’apporte absolument
aucune réponse à ces interrogations. Mais il les reformule avec une rage savante et
entraînante. En cela, c’est une nécessaire invitation à repenser notre histoire écologique et
les actions qui en découlent.
URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/240412/aux-racines-de-l-inconscience-ecologique

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biMensuel

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75194 PARIS CEDEX 04 - 01 48 87 48 58 Surface approx. (cm²) : 709
N° de page : 23-24

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Technologie
et Modernité
Jean-Baptiste Fressoz expose la vivacité des controverses autour des risques
et des nuisances qui accompagnèrent l'entrée de la France et de la Grande-
Bretagne dans la société industrielle. Plus profondément, en se situant dans
la longue durée d'une histoire bi-séculaire, son ouvrage restitue une enquête
approfondie sur les manières de penser l'agir technique et celles surtout
de « l'imposer comme seule forme de vie légitime ». La démonstration est
convaincante : le grand siècle du progrès ne fut pas seulement technophile,
mais aussi celui d'une première prise de conscience de l'entrée des sociétés
industrielles dans certains risques qu 'il s'agissait aussitôt de relativiser.
JEAN-PAUL DELÉAGE
JEAN-BAPTISTE FRESSOZ défini par la naissance et la filiation ». La nature
L'APOCALYPSE JOYEUSE contractuelle du lien politique justifiait de nou-
Une histoire du risque technologique velles contraintes politiques, ainsi ce décret de juin
Seuil, coll. « L'univers historique », 312 p., 23 € 1793 rendant obligatoire la vaccination de tous les
enfants dont les parents dépendaient des secours
es premiers chapitres traitent de la biopolitique publics. La vitalité des corps devenait essentielle
L des corps et d'abord de la célèbre controverse
de l'inoculation de la petite vérole, maladie qui
dans l'affrontement entre la Nation et l'Europe
d'Ancien Régime coalisée à ses frontières.
tuait une personne sur sept en Europe au Pris dans leurs contradictions, l'État impérial et
xvm6 siècle. La mise en œuvre de la technique de ses successeurs se refusèrent cependant à toute
l'inoculation permit « d'étendre la rationalité pro- politique coercitive puisqu'il fallut attendre 1902
babiliste à la vie elle-même ». Après l'émergence pour que la vaccination soit obligatoire. C'est à
de la casuistique du risque en Nouvelle Angleterre, l'intérieur des hospices que se livra la guerre des
puis en Grande-Bretagne, en France, les propa- preuves et des contre-épreuves et c'est dans ce
gandistes de l'innovation « utilisèrent justement les contexte qu'intervient « la grande innovation des
probabilités pour réordonner l'autorité dans le vaccinateurs : la définition graphique de la
corps politique ». Ainsi, en 1754, le géomètre vaccine » ; avec l'invention d'un nouveau code gra-
Charles-André de La Condamine lit à l'Académie phique, nous entrons au cœur du pouvoir médical,
des sciences un mémoire salué par Grimm comme « là où il s'exerce en silence, au moment où le
une révolution en ce qu'elle qualifie l'expertise langage n'est pas encore déposé sur les choses ».
probabiliste comme fondement d'une bonne L'image vaccinale n'est pas en effet une copie de
médecine et relativise la puissance du corps la nature, mais une interprétation de cette dernière.
médical face à celle du jugement public. Chaque Avant les vaccinateurs, jamais un tel coup de force
inoculé contracte librement un risque au bénéfice n'avait été réalisé par les médecins : la définition
de la collectivité ; encore fallait-il des techniques d'une maladie par son image. La différence essen-
de la preuve et de pouvoir pour qu'advienne la tielle entre inoculation et vaccine tient en ceci : à
société de la vaccination. C'est à la Révolution l'inverse de l'inoculation, qui avait poussé à réor-
française qu'il revint d'inscrire la biopolitique dans ganiser la représentation des relations entre Dieu,
un nouveau dispositif d'administration de la la nature et la politique, l'expertise vaccinale, pré-
société. Alors que le roi était le ministre de Dieu sentée comme une simple technique de prévention
sur terre, les gouvernements révolutionnaires du risque, séparait science et politique, et elle fut
devinrent les dépositaires de la souveraineté paradoxalement la condition première de l'accep-
nationale, « c'est-à-dire d'un ensemble biologique tation de la vaccine, puis « derechef celle du chan-
gement d'échelle de l'humanité ».
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N° de page : 23-24

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L'environnement n'est pas une notion récente. de la vivacité des controverses suscitées à cette
Ainsi passe-t-on de l'idée de circumfusa (ou choses occasion car la plupart des récits ne retiennent que
environnementales) de l'Ancien Régime, c'est-à- les étranges aberrations des opposants qui « offus-
dire de toutes les choses environnementales natu- quent la raison (2). » Tous les récits ignorent le
relles ou artificielles, à un cadre libéral de régu- motif principal des oppositions, à savoir le risque
lation des conflits « fondé sur la simple d'explosion des gazomètres implantés au milieu de
compensation financière [...] compensant des zones très denses d'habitations. Bien seul fut le
dommages réclames par les voisins des indus- chimiste Clément-Desormes à lancer l'alerte : « À
triels. » Les choses environnementales deviennent moins d'un débat public qui attire l'attention et le
l'objet d'une nouvelle ligne comptable dans la concours d'un grand nombre de personnes, on ne
gestion des entreprises. Et, comme le souligne peut parler [à propos du gaz d'éclairage] d'un
Fressoz, l'environnement est intégré au processus jugement assuré. » Plus globalement, dans l'Europe
de libéralisation/marchandisation du capitalisme de la première industrialisation, la gestion du risque
industriel, à l'instar de ce qu'avait démontré Karl s'organise très différemment suivant les pays, mais
Polanyi dès 1944 en affirmant que la production la même conséquence est partout visible. En
dans une société de marché « suppose tout bon- libérant l'énergie des limites forestières, le gaz issu
nement la transformation de la substance naturelle du charbon de terre « a désinhibé la consomma-
et humaine de la société en marchandise (I). » Ce tion énergétique et a finalement ouvert la voie à la
qui est désormais enjeu, c'est la régulation post- carbonification de l'atmosphère ». La norme tech-
révolutionnaire des « établissements classes » dont nique de sécurité répondait donc à la première
des savants comme Chaptal furent les initiateurs exigence de protéger le capital industriel en conte-
et les régulateurs, car, écrit Fressoz, « les exigences nant le risque et en le légalisant ; la seconde fut d'in-
du capital ne tolèrent plus les incertitudes de la tégrer les nouveaux objets de la révolution indus-
police », l'état d'incertitude et l'indécision eter- trielle dans l'anthropologie juridique. Dans cette
nelle de la régulation environnementale d'Ancien perspective, la norme technique joua un rôle essen-
Régime, accusée de décourager les entrepreneurs. tiel. Appuyée sur cette dernière dont la perfection
Décret de 1810, construction étatique du marché était garantie par l'administration, « la norme visait
chimique, réorganisation des illégalismes envi- à produire des sujets responsables ». Il fallait donc
ronnementaux, imposition d'un premier hygié- à cette fin « rendre la technique aussi prévisible que
nisme avant 1850 jouèrent un rôle fondamental les lois de la nature », d'où notamment l'effort pour
pour imposer l'industrialisation en dépit de son rendre sûres les machines à vapeur. Là où le phi-
« cortège de pollutions ». Au milieu du siècle losophe Adam Ferguson soutenait que la perfection
s'opère un basculement complexe. Les hygiénistes de l'atelier consistait à en faire une machine dont
montrent le rôle de la misère morale et matérielle les pièces seraient des hommes, Marx voyait déjà
dans les maladies des artisans ; le passage de la la réduction des différences entre mécanisation de
topographie médicale à l'enquête hygiéniste s'ef- l'homme et humanisation des machines comme
force d'administrer la preuve que l'usine, en dépit « un symptôme du désordre du capital transformant
de ses incommodités, ferait advenir une société l'ouvrier en accessoire vivant de la machine ». Les
prospère et donc une population en bonne santé : chemins de fer furent l'objet d'une régulation spé-
« grâce à Phygiénisme, le libéralisme avait cifique, car il ne s'agissait plus seulement de
conquis les choses environnementales ». Et le machines, mais de réseaux complexes de machines
Dictionnaire des idées reçues de Flaubert définit de grande extension spatiale. En France, la loi du
« fabrique » par « voisinage dangereux ». Mais le 15 juillet 1845 soumit l'espace ferré à des règles
libéralisme était aussi devenu l'administrateur des de police exceptionnelles : « le sabotage est puni
compensations financières des dommages envi- de mort [...], les maladresses, inattentions, négli-
ronnementaux. Quels en furent les effets tech- gences et inobservations du règlement sont passi-
niques et sociaux ? Les « ouvriers fantômes [...], bles de 6 mois à 5 ans de prison ». Cette loi de
soumis à la logique capitaliste de la maximisation police fut complétée par une réglementation tech-
des rendements » subirent d'inimaginables souf- nique très stricte avec une ordonnance de novembre
frances, notamment par une rotation rapide des 1846. Dans l'idéologie dominante de l'époque, les
effectifs pour renouveler la main d'oeuvre exploi- romans de Jules Verne exprimèrent la nouvelle
tée à mort, littéralement. représentation occidentale du monde, « celle
La technique a vraiment fait son entrée dans d'une Europe technologique sûre dans un monde
l'espace public avec l'innovation du gaz d'éclairage, barbare et dangereux », justifiant par là même l'ac-
mais il n'a pas été rendu compte de la richesse et ceptation des risques de la modernité.

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N° de page : 23-24

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Dans sa conclusion, Pressez met en lumière les assurer la durabilité de leurs propres affaires.
origines bi séculaires du chiasme spécifique de L'ouvrage de Jean-Bernard Fressoz apporte la
notre société libérale et technologique : « d'un puissance d'un éclairage historique remarqua-
côté nous transformons radicalement la nature blement documenté sur la réalité des dispositifs
quand de l'autre nous proclamons l'impossibilité qui ont produit la désinhibition à l'égard de la
de modifier la société ». Il y a bien là tout un consommation effrénée des produits ordinaires de
projet anthropologique soutenu sans complexe la technoscience moderne.
par le néolibéralisme contemporain. Il est Cet ouvrage passionnant permet de repérer les
d'autant plus regrettable que, dans ce contexte, racines historiques des contradictions socio-éco-
le monde intellectuel se soit désintéressé des logiques de notre modernité. Par sa rigueur, il
conditions matérielles de la production. Des administre la preuve de la puissance d'un travail
esprits imbus d'un savoir économique vulgaire scientifique qui n'hésite pas à s'engager sur le
ont même imaginé la possibilité d'une croissance terrain difficile de la confrontation des idées poli-
dématérialisée et affranchie de toute détermina- tiques. En effet, « c'est à cette condition que nous
tion matérielle. En fait, les discours postmodernes pourrons sortir de l'étrange climat actuel de
sur le dépassement des limites entre nature et joyeuse apocalypse. » I
culture « n'ont fait qu'entériner le projet moderne
de maîtriser la nature ». Ainsi, l'oxymore du 1. Karl Polanyi, La Grande Transformation ( 1944),
développement durable est aujourd'hui « un Paris, Gallimard, 1983, p. 70.
puissant anxiolytique à destination des consom- 2. Louis Figuier, Les Merveilles de la science,
mateurs consciencieux », ce que des entrepre- 1872.
neurs calculateurs ont su s'approprier pour

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