Sunteți pe pagina 1din 11

See

discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/286948187

Narrations touristiques et fabrique des


territoires. Quand tourisme, loisirs et
consommation réécrivent la ville

Book · April 2015

CITATIONS READS

0 4

3 authors, including:

Nathalie Fabry Benjamin Pradel


Université Paris-Est Marne-la-Vallée 49 PUBLICATIONS 18 CITATIONS
75 PUBLICATIONS 104 CITATIONS
SEE PROFILE

SEE PROFILE

All in-text references underlined in blue are linked to publications on ResearchGate, Available from: Benjamin Pradel
letting you access and read them immediately. Retrieved on: 23 September 2016
Editeur : L’Œil d’Or
Collection : Critiques & Cités

Narrations touristiques et fabriques des territoires. Quand


loisirs, tourisme et consommation réécrivent la ville.

Introduction
(pp.1-8)
Du concept de narration touristique et de son application à l’analyse des territoires urbains

FABRY Nathalie., PICON-LEFEBVRE Virginie. PRADEL Benjamin,

Quel est le point commun entre le parc Disneyland Paris, le projet Euro Las Vegas à Madrid,
la cathédrale Notre-Dame de San Juan de Los Lagos au Mexique, le Festival International de
Jazz de Montréal, le magasin Louis Vuitton de Tokyo et le port Edouard Herriot de Lyon ? Ce
sont des lieux et des évènements dévolus au tourisme et aux loisirs. Ils sont considérés par les
parties prenantes de la fabrique de la ville comme des leviers d’aménagement, de valorisation
et de développement économique des territoires. Ils reflètent la tendance du tourisme et des
loisirs à peser sur l’évolution des espaces, temps et usages des villes grâce à leur capacité à
attirer et retenir des flux de visiteurs.

L’hypothèse est celle de l’effacement de la dichotomie touriste et habitant dans la ville par la
production de lieux, d’infrastructures et d’événements sous l’action de certains acteurs
économiques, politiques et culturels qui élaborent des narrations touristiques à destination de
ces deux populations considérées dans leur faculté à consommer la ville et ses activités.

Les contributions réunies dans cet ouvrage pluridisciplinaire (économie, sociologie,


géographie, architecture, communication) explorent cette question au travers de terrains de
recherche internationaux et d’objets urbains variés. Elles rendent compte, à différentes
échelles, de l’importance de cette narration qui non seulement reconfigure la fabrique et les
pratiques de la ville à court et moyen terme, mais oriente aussi ses trajectoires à long terme.
Ainsi, des récits, des mises en scène, des images et des symboles distillés dans l’urbain font
bouger des individus, des habitants et des touristes, mais aussi des opérateurs des politiques
d’aménagement urbain et des acteurs économiques. Les narrations touristiques deviennent un
moteur des pratiques urbaines et rendent compte d’un processus de diffusion des logiques
touristico-ludique dans l’organisation et l’expérience de la ville.

Les narrations touristiques s’observent dans le rapprochement des discours et des projets des
acteurs traditionnels de l’aménagement avec ceux des acteurs du tourisme et des loisirs. Elles
les mobilisent et les fait travailler ensemble en tant que parties prenantes aux intérêts devenus
convergents dans la production et la mutation des économies urbaines. Le résultat opératoire
débouche sur des lieux urbains hybrides. Pour partie, ces lieux naissent de l’intégration des
activités et symboles touristiques et ludiques aux espaces de vie quotidienne (gares, centres-
villes, centres commerciaux, ports, etc.). Pour une autre partie, ils sont des productions ad hoc
(musées, parcs à thème, nouvelles gares dédiées, quartiers d’habitation) mélangeant les

1
fonctions urbaines. La narration touristique rend alors compte du partage, par un système
d’acteurs, de représentations conjointes qui orientent leurs actions sur et dans le tissu urbain et
en influencent leur devenir.

Mais les narrations touristiques s’observent aussi dans la transformation des usages de la ville
et l’émergence de nouvelles pratiques (tourisme de luxe, tourisme de shopping, tourisme
d’affaires). Le tourisme et les loisirs influencent le récit collectif sur la ville et déclenchent
des usages en thématisant l’expérience urbaine, hybridant les pratiques, modulant la demande
et colorant l’animation sociale. L’individualisation et la différenciation des pratiques sociales
soutenues par la mobilité et les technologies de l’information, brouillent les frontières entre
loisirs, tourisme, culture. Elles font se rencontrer plus facilement les différentes populations,
soutiennent l’émergence de nouvelles pratiques et participent de l’urbanité. Les narrations
touristiques de la ville influencent les pratiques de la ville qui, en retour, en renforce la
visibilité dans l’environnement urbain.

Les narrations touristiques participent d’une hybridation des logiques traditionnelles séparant
la ville ordinaire et quotidienne de la ville ludique et touristique. Nous revenons en préambule
sur ces dynamiques de fusion et de diffusion du tourisme et des loisirs dans la ville, pour
approfondir ensuite le concept de narration touristique et présenter enfin, la structure de
l’ouvrage.

Transformation de l’économie urbaine et diffusion des logiques touristico-ludiques


Le capitalisme avancé, la post industrialisation, le postmodernisme, en transformant la
manière dont les villes sont perçues et vécues (Gravari-Barbas, 2000)1 ont influencé la nature
de l'économie, allouant au tourisme et aux loisirs une place centrale dans la compétition
urbaine. La concurrence urbaine repose de manière accrue sur une économie tournée vers le
tertiaire (services, commerces, communication, etc.), et le tourisme, comme les loisirs, en sont
un secteur important (Boyer, 2003) 2 . L’économie devient également plus symbolique,
valorisant la dimension immatérielle des territoires (Lash et Urry, 1994)3 dans l’attraction des
flux de biens, d’information et de personnes. Le tourisme et les loisirs sont alors convoqués
dans des logiques de City Branding et de Marketing urbain pour créer des « images
identifiantes » (Augé, 1994)4 capables de distinguer les villes comme destinations désirables,
visibles et attractives sur des critères autant fonctionnels que symboliques (cadre de vie,
animation sociale, architecture, etc.). L’économie est aussi plus présentielle et les dépenses de
consommation sont envisagées comme un nouveau moteur du développement local (Terrier,
2007)5. Le visiteur et son pouvoir d’achat, qu’il soit touriste, excursionniste ou de passage,
devient une ressource à capter grâce à une offre de consommation et de divertissement variée
et différenciée au cœur d’une néo-économie de l’entertainment.

Dans ce cadre et à côté des logiques productives traditionnelles, l’attractivité et la centralité


urbaine (Pradel, Padeiro, Aguilera, 2013)6 reposent sur des aménités autant matérielles, que

1
Gravari-Barbas M., 2000, La ville festive. Espaces, expression, acteurs, Habilitation à Diriger les Recherches,
Universite d’Angers, vol.1, 322 p.
2
Boyer M., 2003, "Le tourisme en France", Editions EMS, Paris
3
Lash S. et Urry J., 1994, Economies of Signs and Space, Londres : Sage publication, 368 p.
4
Augé M., 1994, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris : Aubier, 107 p.
5 Terrier, C., (dir.), Mobilité touristique et population présente – Les bases de l’économie présentielle des

départements, Paris, Direction du Tourisme, 2007.


6
Pradel B, Padeiro M et Aguiléra A, 2014, « Paris sera toujours paris : Réflexions sur la centralité dans la
métropole francilienne », Métropoles [En ligne], 14 | 2014, mis en ligne le 24 juin 2014, consulté le 28 octobre
2014. URL : http://metropoles.revues.org/4923
2
symboliques et expérientielles, pour attirer les visiteurs, retenir les habitants et en capter de
nouveaux. Beaucoup de ces aménités concernent aussi bien le tourisme que les loisirs (Cazes,
1992)7, la centralité reposant sur des offres qui se regroupent, se recoupent et deviennent
interdépendantes au sein d’un modèle de développement en partie renouvelé où « les
frontières entre économie culturelle, économie de la connaissance, économie créative se
chevauchent » (Liefooghe, 2010)8. Le tourisme et les loisirs deviennent alors des leviers de
valorisation urbaine, signalant un cadre de vie attractif, animé et divertissant, visant à attirer
l’investissement des entreprises qui y sont associées de près ou de loin (cinéma, musique,
industries du luxe, publicité, design, mode), des employés au fort pouvoir d’achat pour faire
tourner l’économie locale (transport, commerce de détail, immobilier) et des visiteurs locaux
et étranger (musées, événements festifs, patrimoine).

Les logiques touristiques et ludiques se déploient alors au-delà de leurs périmètres


traditionnellement identifiés. Il ne s’agit plus seulement de mettre en valeur des sites, musées,
monuments, parcs et patrimoine mais de tisser des réseaux denses, d’espaces et d’expériences
de consommation de la ville et de services sur un calendrier de plus en plus soutenu. D’une
urbanisation autrefois fortement marquée par les logiques du travail et du quotidien, les
distinguant spatialement et temporellement de celles des loisirs et du tourisme, se déploie une
urbanisation intégrant toujours plus intensément ces dernières. Devenues une composante
essentielle des politiques urbaines, elles percolent les choix d’aménagement, de
requalification ou de gestion des lieux, articulent leurs temporalités avec celles de la vie locale
et influencent les rythmes festifs, marquent l’expérience sensible de la ville en y distillant les
symboles de leur présence. Les termes de disneylandisation, muséification,
événementialisation, touristification rendent compte de l’influence du phénomène sur la vie
locale, soulignent de nouveaux conflits entre la ville qui dort, qui travaille et celle qui
s’amuse, questionnent la nature des intérêts en jeu.

Leur présence intense dans la ville et à des échelles multiples est à la hauteur des bénéfices
qu’un ensemble d’acteurs de plus en plus hétéroclite et formant peu à peu système entend en
tirer. Les acteurs publics et privés portent un nouveau regard sur le tourisme et les loisirs,
intéressés par ses retombées et impacts tant économiques que politiques et symboliques. Des
structures spécialisées au sein des instances locales se développent comme les bureaux des
événements ou festivals (Paris, Bruxelles, Lyon, Montréal) ou des offices régionaux de
développement du tourisme rassemblant des représentants des sphères politiques,
économiques ou associatives. Les acteurs traditionnels de l’aménagement se saisissent de la
problématique touristique dans les projets urbains au côté des professionnels et entreprises du
secteur qui s’y engagent comme nouvelles parties prenantes. De leur capacité
d’investissement découle souvent leur influence sur l’urbanisme en période de crise des
finances locales (France), sur les modèles d’aménagement public-privé (Canada) ou face au
peu de considération des autorités pour la chose (Mexique). Dans ce cadre, les loisirs et le
tourisme sont des activités solvables et des ressources économiques de choix pour les
territoires.

Comprendre ce mouvement nécessite de dépasser les analyses désormais classiques sur les
stratégies événementielles et surtout culturelles des villes. L’ouvrage identifie ainsi différents
foyers de diffusion du tourisme et des loisirs dans l’urbain, depuis ses lieux traditionnels
jusque dans l’architecture ou la forme urbaine. Il souligne l’extension des logiques de la

7
Cazes G, 1992, Fondements pour une géographie du tourisme et des loisirs, Bréal, Paris
8
Liefooghe C, 2010, « Economie créative et développement des territoires : enjeux et perspectives de
recherche », Innovations, 31, 181-197
3
consommation touristique et de loisirs à des objets urbains qui, traditionnellement peu
porteurs de ces activités, sont saisis par elles. Il explique et rend compte de la multiplication,
de l’intégration et des logiques des acteurs de l’économie du divertissement au sens large dans
la production des villes et tente d’en saisir les conséquences sociales et spatiales pour les
villes.

La convergence des activités de loisirs et du tourisme en ville


Cette diffusion ou « infusion », pour reprendre l’expression de Michel Lussault (2007) 9 ,
participe de l’évolution vers la fusion du tourisme et des loisirs qui, si elle n’est pas nouvelle,
s’accélère et se renforce. Engageons nous ici avec précautions dans un rapide retour
historique sur le lien entre urbanisation et développement du tourisme et des loisirs.

L’idée qu’en dehors du travail existent d’autres activités susceptibles de définir positivement
l’individu est une idée moderne (Prost, 1985)10. Elle s’incarne d’abord dans une « classe des
loisirs » relevant d’une élite aristocratique (Veblen, 1899)11 pour se diffuser à l’ensemble du
corps social et marquer peu à peu les villes de son emprunte à partir de la fin du XIXème
siècle. Au 19ème siècle les moments de loisirs populaires en ville se réduisent surtout aux
festivités au même titre que dans les espaces ruraux (fêtes des Saint Patrons, Fêtes
républicaines, etc.) et les lieux de la vacance réservés à l’aristocratie et la bourgeoisie se
localisent hors des grandes villes. Ce sont les territoires de montagne et les hauts sommets
vantés dans les écrits de Rousseau. Ce sont les villes du littoral, mais aussi les villes
thermales, qui attirent et grandissent avec les premières dynamiques climatiques et
thérapeutiques, permises par le développement du chemin de fer. En parallèle, c’est à cette
époque que la compagnie Cook propose ses premiers voyages dans les grandes villes
d’Europe et du Moyen-Orient à une classe moyenne qui met ses pas dans ceux des premiers
touristes issus de la classe aristocratique. Le phénomène grandissant des grandes expositions
universelles puis la création des Jeux Olympiques au début du XXème participent déjà de
l’impact du tourisme et des loisirs sur l’urbanisation.

Le XXème siècle sera marqué par la démocratisation lente mais concrète du tourisme et de
l’accès aux loisirs et de son lien grandissant avec l’urbanisation. Déjà, dans les années 20-30
en Italie, Mussolini construit des autoroutes pour permettre aux touristes nationaux de
s’identifier à la beauté de l’Italie, et entreprend des travaux historiques plus ou moins
contestables pour renforcer le pittoresque des grandes destinations touristiques comme Sienne
ou Florence. En France, les premières stations de montagne apparaissent avec notamment
Courchevel avant que le choc des congés payés en 1936 et la démocratisation de l’automobile
ne renforcent le mouvement d’urbanisation du littoral et de la montagne en multipliant les
destinations accessibles (Picon-Lefebvre, 2004).12 Mais le tourisme et la démocratisation des
loisirs explosent surtout après la seconde guerre mondiale et ses privations dessinant trois
périodes marquantes (Durand et Jouvet, 2003). Les années 1950-1975 sont celles de
l’explosion de la consommation et de la croissance d’une demande pressante, indifférenciée,
marquée par le droit aux loisirs développé par la critique marxiste et travaillant à une
uniformisation des pratiques touristiques avec comme prototype le tourisme balnéaire. C’est
la fuite des villes vers des refuges symboliques que sont les espaces littoraux et de montagne.

9
Lussault M., 2007, « Le tourisme un genre commun », in Duhamel P. ; Knafou R., Mondes urbains du
tourisme, Paris : Belin, pp. 333-349

10
Prost A., 1985, Histoire de la vie privée, Paris, Le Seuil, t.5
11
Veblen T., 1899, The theory of the leisure class, Penguin books, New York
12
V Picon-Lefebvre, 2004, “Picturesque or Sublime ; Flaine and Avoriaz”, in Tourism and Landscape, GAM ,
Graz architecture magazine, 1, 26-37
4
De nouvelles stations de montagne et balnéaires vont être construites sur des modèles urbains
innovants si ce n’est futuriste (Picon-Lefebvre, 2004)13 pour accueillir les grands départs et en
ville le tourisme se développe autour de quantité d’itinéraires balisés, d’édifices
remarquables, de lieux patrimoniaux, de services localisés et de sites cartographiés.

La fin du siècle voit l’irruption de nouvelles techniques d’information qui permettent la


recherche du meilleur rapport qualité prix et une concurrence accrue des destinations. Le
développement des départs multiples de moyens et courts séjours et des loisirs de proximité
lié notamment à celui de la mobilité replace la ville comme lieu important des activités de
tourisme et de loisirs. Les pratiques excursionnistes, les courts séjours (City breaks), le
tourisme d'affaires ou encore le tourisme culturel s’y déploient, permises par le
développement des infrastructures routières d’abord et, dans l’aviation, des offres charters
puis low-cost. Ces dynamiques rencontrent au même moment le développement de politiques
festives et culturelles qui, dans les années 1980-1990 (festivals, fêtes, manifestations),
participent de l’animation des centres villes en réaction avec l’étalement des périphéries et la
pauvreté de leur offre ludique et culturelle.

Peu à peu, émerge un « tourisme diversifié de masse » qui reflète à l’importance prise par les
loisirs dans la vie des individus, la recherche accrue de la qualité, voire du luxe,
l'individualisme, le poids sans cesse croissant des médias, la révolution internet et l’accès à
une mobilité décuplée. Si ce phénomène suscite le développement d'une demande plus
diversifiée, ces facteurs lient de plus en plus les catégories tourisme et loisirs entre elles en
ville et acte leur développement conjoint. Et si « rien ne permet d’affirmer qu’au cours du
XXIe siècle la corrélation entre le développement du tourisme et celui des loisirs sera assurée,
ni surtout qu’elle puisse se résumer à un simple lien linéaire et positif »14 (Durand et Jouvet,
2003) la société urbaine s’est engagée dans une redéfinition de la valeur des loisirs, incluant le
tourisme, les intégrant pleinement au développement des villes.

Les villes s’engagent dans une course à la différenciation qui participe paradoxalement d’une
certaine homogénéisation urbaine, notamment dans les centres où les espaces publics se
piétonnisent et s’homogénéisent, les boutiques et franchises internationales se multiplient, les
patrimoines sont réinterprétés au dépend des figures singulières pour promouvoir une image
facilement compréhensible et susceptible d’être reprise par les campagnes publicitaires.

Le rapprochement des pratiques de loisirs et de tourisme


Les limites des concepts de tourisme et de loisirs sont alors interrogés (Williams, 2004)15 pour
rendre compte de ces logiques hybrides fondées sur des activités hétérogènes qui ne
constituent pas une « industrie » bien identifiée (Boyer, 2003) au service de catégories de
consommateurs spécifiques. La dichotomie entre la figure du visiteur, touriste ou
excursionniste, et celle de l’habitant, s’efface peu à peu dans des espaces multifonctionnels au
profit de la figure de l’usager consommateur aux pratiques diversifiées, qu’il soit de passage,
de séjour ou résident. La fusion des activités de loisirs et touristiques dans une économie du
divertissement accompagne autant qu’elle alimente une évolution des pratiques sociales qui
fait débat. En sociologie par exemple, les recherches sur le loisir sont plus importantes que

13
V Picon-Lefebvre, 2009, « La montagne des touristes et des vacanciers », in D. Rouillard, dir. Imaginaires
d’Infrastructure, L’Harmattan, Paris,145-157.
14
Durand H. et Jouvet F., 2003 « Le temps du Tourisme triomphant » in : Spindler J., (Coord.), Le Tourisme au
XXIe siècle, Paris, l’Harmattan, coll. Tourismes et sociétés
15
Williams S., 2004, Critical Concepts in the social Sciences: Tourism, Routledge, London, New York
5
celles sur le tourisme ce qui implique pour John Urry (1994) 16 une dichotomie entre les
concepts. Mais la confusion demeure dans la distinction entre tourisme, loisirs et recréation
(Demen-Meyer, 2005)17 d’autant plus que les pratiques autrefois différenciées dans l’analyse
s’entremêlent. L’acte d’achat se transforme en acte de loisir dans une société plus hédoniste
(Lipovetsky, 2004 18 ), la fête devient un produit de consommation (Garat, 2005) 19 , la
démarcation entre loisir et fête s’estompe (Crozat et Fournier, 2005) 20 , les loisirs et le
tourisme deviennent culturels (Cousin, 2006)21, le patrimoine récent se met en tourisme et
devient le support d’activités de loisirs (Colin, 2013) 22 . Sans acter la totale fusion entre
pratique touristique et ludique, on peut toutefois identifier une tendance au décloisonnement
des deux sphères d’activité et interroger ce qui meut les populations dans leurs pratiques.

Le tourisme définit les activités déployées par les personnes au cours d’un voyage et d’un
séjour dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel à des fins de loisirs, pour
affaires et autres motifs selon l’Organisation Mondiale du Tourisme. Mais les loisirs
deviennent de plus en plus des machineries à dépaysement et les pratiques ludiques de
proximité motivées par la recherche d’une rupture d’avec le quotidien. Les lieux et activités
de loisirs doivent aujourd’hui offrir de l’inhabituel dans les environnements locaux sous
forme d’enclaves ludiques ou de surgissement de l’extraordinaire dans l’ordinaire.
L’engouement des villes pour les plages estivales temporaires le long des fleuves semble
répondre à cette tendance en offrant des loisirs de proximité singeant les pratiques littorales
touristiques (Pradel et Simon, 2012) 23 . Ces lieux qui sont des fantasmagories au sens
d’Anthony Giddens (1994)24 ou « simulacres » suivant le terme de Jean Baudrillard (2004)25
cherchent à produire du dépaysement dans le proche.

L’habitant, exprime une demande d’activités de loisirs qui rejoint les besoins et demandes des
visiteurs extérieurs dans des lieux partagés tandis que ces derniers recherchent de plus en plus
une expérience authentique de la vie locale. Les citadins louent alors leurs logements aux
touristes de passage désireux de s’ancrer le temps de leur séjour dans une vie de quartier. Le
touriste d’affaires pratique un habiter polytopique qui s’imbrique avec les mobilités
touristiques et celles des résidents permanents (Cristofle, Fabry, Morschl, 2013) 26 . Les
touristes en viennent à consommer la ville ordinaire alors que l’expérience intense de la ville
est un des éléments recherchés dans des loisirs de proximité par ses habitants, friands de

16
Urry J., 1994, "Tourism, travel and the modern subject", in Book Tourism, travel and the modern subject,
Routledge, London, 141-151
17
Demen-Meyer C., 2005, « Le tourisme : essai de définition », Management & Avenir, 3, 7-7
18
Lipovetsky G., 2004, Les Temps hypermodernes, Paris : Grasset,
19
Garat I., 2005, « La fête et le festival, éléments de promotion des espaces et représentation d'une société
idéale », Annales de géographie, 643, 265-284
20
Crozat D. et Fournier S., 2005, « De la fête aux loisirs : événements, marchandisation et invention des lieux »,
Annales de géographie, 643, 307-328
21
Cousin, S., « Le “tourisme culturel”, un lieu commun ambivalent », Anthropologie et Sociétés, 30, 2, 2006,
153-173

22
Colin C., 2013, Patrimoine du présent, fondements et limites : les équipements producteurs d’électricité dans
les vallées de la Loire et du Rhône, thèse de doctorat en géographie, Université Paris-Est.
23
Pradel B. et Simon G., 2012, « Paris-Plages ou la mise en scène de la distance : des référents touristiques dans
l’univers « quotidien » ? », Espace et Société, 151, 69-84
24
Giddens, A, 1994 Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan.
25
Baudrillard J., 2004, Simulacres et simulation, Paris : Galilé
26
Cristofle S., Fabry N. et Morschl J.M., 2013, « Le tourisme de réunion et de congrès : Paris, une métropole en
compétition », in Gravari-Barbas M. et Fagnoni E. (éditeurs), Métropolisation et tourisme. Comment le tourisme
redessine Paris, Paris, Belin, collection Mappemonde
6
nouveautés et d’inédit. Le tourisme, au même titre que les loisirs, participent de la fabrique
d’une urbanité contemporaine (Stock et Nahrath, 2012)27.

Du concept de narration touristique


La diffusion et fusion du tourisme et des loisirs dans la ville est donc portée par une offre de
consommation élargie dans des lieux de plus en plus multifonctionnels et des pratiques
hybrides aux contours changeant. Nous proposons ici de saisir ce mouvement traversant
l’ouvrage par le concept de « narration touristique » pour analyser la place grandissante que
prennent le tourisme et les loisirs dans la constitution des pratiques et lieux urbains. Les
contributions originales de cet ouvrage rendent compte du déploiement de narrations
touristiques du quotidien des villes pour attirer les touristes et d’une narration des événements
dans les espaces touristiques pour attirer la consommation de loisirs des habitants. Le
tourisme et les loisirs deviennent les sujets d’un récit et d’une nouvelle « grammaire urbaine »
(Lévy, 2005)28. S’il est parfois difficile de cerner jusqu’à quel point la production de la ville
est orientée par les projets et pratiques touristiques et ludiques en dehors de certains
périmètres, le concept de narration touristique doit permettre de mieux appréhender le
phénomène.

La narration touristique désigne habituellement la mise en récit des voyages rendant compte
de l’expérience du locuteur. Ici, elle désigne l’inscription d’un imaginaire du tourisme et des
loisirs dans la ville sous formes de signes qui s’interprètent comme le résultat d’un récit
touristico-ludique qui alimente les discours et les logiques qui organisent l’urbain. Le
tourisme et les loisirs, en tant que champ d’activité et de pratiques spécifiques, alimentent une
construction discursive de l’espace.

Ces signes se révèlent à nous par l’expérience sensible de la ville lorsqu’ils s’inscrivent dans
les espaces concrets et dans les discours et intentions de ceux qui prennent part directement à
leur élaboration et qui objectivent le signifié en lui donnant la forme d’un outil
programmatique de la transformation urbaine. Ils dévoilent et alimentent la complexité des
relations et interdépendances entre tourisme, loisirs et quotidienneté en accolant dans une
même sphère de référence plusieurs types d’activités et de pratiques pour la production d’un
même signifiant. Ce signifiant est alors la finalité opératoire de l’action du tourisme et des
loisirs sur la ville.

Les contributions de l’ouvrage analysent ces signes en décryptant différentes formes


matérielles et symboliques (signifiant) des signifiés relatifs au référentiel touristico-ludique
qui produit la ville. Elles analysent la logique du signifié caché derrière et la nature des
acteurs qui les diffusent et les cristallisent dans la pierre. Elles soulignent la manière dont ces
signes et les dynamiques qui les constituent modifient la perception et l’expérience des villes.
Mis bout à bout, ces signes forment un récit qui modifie les lieux : le développement de
boutiques de souvenirs en centre-ville, une signalisation spécifique à destination des touristes
dans les transports. Ce récit marque de ses intonations le tempo de la vie locale : l’irruption
d’un groupe de visiteur étranger dans une rame de métro, la Fête de la Musique. Il soutient
une partie de l’expérience sociale par les interactions, échanges qu’il engendre comme lors
des conflits entre les usagers d’une boite de nuit et les habitants d’un quartier.

27
Nahrath S et Stock M., (dir.), 2012, « Urbanité et tourisme », espaces et sociétés, 151/4
28
Lévy A, 2005, « Formes urbaines et significations : revisiter la morphologie urbaine », Espaces et sociétés
4/122, 25-48
7
Les dimensions spatiales, temporelles et sociales de ces narrations ne sont pas exclusives,
leurs frontières sont poreuses et se chevauchent mais elles marquent, de façons les plus
visibles et pérennes aux plus mineures et labiles, les manières de fabriquer, pratiquer mais
aussi de lire la ville.

La narration touristique, une fabrique de la ville


Le concept de narration touristique permet de décrypter l’inscription du tourisme et des loisirs
dans l’urbain via l’analyse des signifiants concrets de ce référentiel (architectures,
événements, espaces publics, etc.) et des discours des acteurs qui les produisent et
l’alimentent. La narration touristique rend alors compte de la manière dont les activités du
tourisme et du loisir peuvent être le moteur de certains acteurs du fait urbain. Elle s’entremêle
et se stratifie avec d’autres récits portant l’acte d’aménagement, ceux de la qualité du cadre de
vie, de la solidarité sociale, de la mobilité ou du développement économique. Marie Delaplace
et Julie Perrin montrent comment les gares TGV de Marne-la-Vallée Chessy et TGV-
Futuroscope ont été envisagées comme des points d’entrée des parcs à thème de Disneyland
Paris et du Futuroscope de Poitier. La narration touristique s’inscrit dans les projets
d’infrastructure de transport et en influence l’édification, mais également dans les formes
architecturales et urbaines. Virginie Picon Lefebvre analyse en ce sens la diffusion des
conceptions architecturales et des imaginaires de la ville portée par l’entreprise Disney sur
l’urbanisation autour des parcs à thèmes du même nom. Nacima Baron et Antonio Clave
décryptent l’aventure avortée du projet d’aménagement d’Euro Las Vegas en Espagne
notamment à travers les velléités de toute puissance d’un investisseur privé dans la production
d’un morceau de tissu urbain tourné vers l’industrie du loisir et du tourisme.

Les dynamiques interrogent la valeur des réalisations à la lumière des attentes et des besoins
des habitants, le discours économique soutenant une narration touristique et ludique de la
ville. Benjamin Pradel interroge alors comment l’argument du tourisme culturel et du
développement local qu’il est censé apporté est aux racines d’une festivalisation de Montréal
et de transformation du Quartier des Spectacles en vaste zone immobilière, repoussant les
artistes locaux et petits commerces traditionnels aux franges du quartier. La ville ne se réfère
plus seulement au quotidien des habitants et n’en sert plus uniquement ses logiques et les
interdépendances entre tourisme, loisir et développement urbain ne vont pas sans créer de
nouvelles tensions, conflits et interrogations (Clarimont et Vlès, 2010)29 sur les rapports entre
habitants et visiteurs, économie mondiale et identité locale, déplacements touristiques et
mobilité quotidienne.

La narration touristique, une pratique de la ville


La narration touristique n’est pas seulement le fait de discours portés et objectivés dans des
projets urbains et se révèle aussi sur un mode plus implicite. Ce second niveau de la narration
touristique rend compte de l’inscription du tourisme et des loisirs dans l’urbain via l’analyse
des pratiques sociales et usages de l’espace. La prise en compte de ces pratiques dans la
fabrique de la ville alimente le premier niveau de narration, celle du projet et des
transformations urbanistique des villes. Ainsi, la narration touristique s’objective dans la
distinction de catégories de touristes reposant sur la nature des activités qui justifient le
déplacement. Devenant des cibles à capter par la ville et le marché, des mises en scènes et
mises en intrigues leurs sont proposées, participant au renforcement des catégories, voire de
stéréotypes qui influencent l’organisation urbaine voire l’identité des sociétés locales.

29
Clarimont S. et Vlès V., 2010, « Espaces publics touristiques urbains et développement durable : principes
d’aménagement, usages et tensions. Une analyse à partir du cas de Barcelone (Espagne) », Urbia, 10, 11-28
8
David Navarrete Escobedo et Alma Pineda Almanza analysent la nature et la croissance du
tourisme religieux à San Juan de los Lagos au Mexique et la manière dont il transforme en
profondeur l’économie, l’architecture et la vie locale, hors de tout contrôle des autorités. Entre
consommation, loisirs et ferveur, le tourisme religieux produit une forme de cacophonie
urbaine interrogeant le devenir de la culture locale. Benjamin Pradel, Gwendal Simon et
Dominique Lefrançois montrent comment le « touriste Disney » influence la gestion du
réseau de transport parisien et l’expérience de la mobilité quotidienne par le décalage qu’il
produit dans l’espace socialement réglé de la ligne et des rames du RER A. Quant à Nathalie
Fabry et Sylvain Zeghni, ils soulignent l’importance prise par le tourisme d’affaires au sein
des parcs à thème. Ils interrogent alors les stratégies déployées par Disneyland Paris pour en
capter les flux qui diversifient l’activité première de l’entreprise en offrant une expérience
urbaine hybride entre travail, loisirs et tourisme. Li Fang, quant à elle, interroge l’articulation
entre le tourisme et le luxe, soulignant l’émergence d’activités de « tourisme de luxe » et d’un
marketing porté par de grandes entreprises internationales proposant des expériences à la
croisée des chemins des événements et des boutiques spécifiques. Enfin, Clément Colin
analyse l’appétence des collectivités locales pour l’ouverture inédite de lieux urbains à la
visite. Des ports urbains encore en activités deviennent, le temps d’une journée ou d’une
soirée, un espace illuminé, animé, festif, où le labeur se met entre parenthèse pour accueillir la
vacance, la déambulation et la flânerie des visiteurs comme des habitants (re)découvrant des
lieux proches sur un mode ludique.

Ainsi, le tourisme et les loisirs modifient l’expérience urbaine dans des types de coprésence
qu’ils engendrent et dans le développement de pratiques que cherchent à stimuler et capter les
économies locales en proposant de nouvelles aménités, récits, images, symboles dans la ville.
Le tourisme de luxe, religieux, d’affaires et les loisirs de proximité sont des activités qui
distillent chacune un récit touristique différent et parfois contradictoire au cœur des espaces
ordinaires qui, transformés pour renforcer leur présence, donnent corps à ces récits par des
symboles et des images adéquates.

La narration touristique, une lecture de la ville


Le concept de narration touristique est heuristique pour analyser ce qui meut les parties
prenantes de la fabrique urbaine et ce qui attire les touristes dans la ville. Il permet de rendre
compte d’un ensemble complexe composé de discours, de projets, de pratiques et d’images
qui s’objectivent dans l’analyse. La narration touristique comme fil rouge permet de combiner
les approches des phénomènes urbains du point de vue de leurs fonctions et celles du point de
vue de leurs valeurs signifiantes. Le concept n’a pas la prétention de résoudre totalement le
conflit qui oppose ces deux approches (Barthes, 1967)30, mais la narration touristique cherche
à les réunir sous une même bannière thématique : les analyses des fonctions et des valeurs
touristico-ludiques portées par les édificateurs de la ville est enrichie par les analyses des
manières dont elles sont aussi interprétées et produites par les individus et leurs pratiques.
« La ville n’est pas seulement un objet ou un instrument, le moyen d’accomplir certaines
fonctions vitales ; elle est également un cadre de relations inter-conscientielles, le lieu d’une
activité qui consomme des systèmes de signes » (Choay, 1965)31.

Il faut reconnaitre aux travaux rassemblés ici un certain pouvoir performatif, contribuant à
alimenter voire produire de la narration touristique de la ville. Ils participent d’une lecture de
l’urbain orientée par une volonté de questionner et rendre compte de l’influence des pratiques
touristico-ludiques sur la ville. La narration touristique rend compte d’une logique de

30
Barthes, R., 1967 (rééd.) « Sémiologie et urbanisme », in L’Aventure sémiologique, Paris, Seuil, p261-271,
31
Choay, F, 1965, L’Urbanisme. Utopies et réalités. Une anthologie. Paris, Le Seuil
9
constitution du tourisme et des loisirs en tant qu’objets communs à un champ de recherche
interdisciplinaire des rapports étroits qu’il entretient avec l’analyse spatiale et plus
particulièrement urbaine. Le concept peut être considéré à ce titre comme le résultat d’une
dynamique réflexive de la recherche sur le lien entre tourisme, loisirs et espace urbain.

La narration touristique se déploie ainsi à trois niveaux de sens intriqués dans l’ensemble des
contributions qui doivent permettre au lecteur de relier les textes les uns aux autres dans une
continuité analytique. Cette grille de lecture transversale qui permet d’aborder les logiques
des fabriques et des pratiques de la ville touristico-ludique dans les différentes contributions
se décline dans les trois parties de l’ouvrage. La première partie porte sur la diffusion du
tourisme et des loisirs dans les logiques de projet d’édification de la ville à long terme, ses
infrastructures, son architecture ou sa trame. La seconde partie analyse les logiques de court
terme d’événementialisation des villes et leur influence sur le devenir des lieux qui les
accueillent, notamment des espaces ouverts. La troisième partie appréhende l’émergence de
pratiques touristique liées à des activités spécifiques (tourisme de luxe, d’affaire, de parc à
thème) et l’influence qu’elles ont sur l’organisation des lieux et de l’expérience urbaine.

Le lecteur est ainsi invité à développer un double niveau de lecture en emportant avec lui le
concept de narration touristique dans l’exploration de chacune des parties de l’ouvrage.

10

S-ar putea să vă placă și