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Revue des Études Grecques

Les nourritures de l'âme. Essai sur la fonction nutritive et séminale


dans la biologie d'Aristote
Serge Margel

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Margel Serge. Les nourritures de l'âme. Essai sur la fonction nutritive et séminale dans la biologie d'Aristote . In: Revue des
Études Grecques, tome 108, Janvier-juin 1995. pp. 91-106;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1995.2643

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1995_num_108_1_2643

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Résumé
L'étude sommaire et schématique que nous proposons d'engager a pour enjeu principal le rapport
d'implication entre la nourriture assimilée par un être vivant et l'élaboration séminale d'un germe de
reproduction, tel qu'il est décrit dans les deux premiers livres de la Génération des animaux d'Aristote.
Notre essai tentera tout d'abord d'exposer 1) en quoi consistent les conditions nutritives de la formation
du sperme et 2) comment ces conditions doivent s'articuler pour impliquer par cette formation, une
différence fonctionnelle des sexes ; après quoi, il s'agira de démontrer 1) que cette différenciation est
inscrite dans le principe calorifique et animal de la nourriture et 2) que l'introduction d'une âme
intelligente dans le processus de la génération du vivant n'est possible que par l'auto-effacement d'un
tel principe.

Abstract
The short and schematic study that we propose to bring forth pivots on the relationship existing
between food assimilated by a living being and the seminal elaboration of a germ of reproduction, as
described in the two first books of Aristotle's The Generation of Animals. Our essay will try to expose 1/
what are the nutritional conditions for the production of sperm and 2/ how these conditions have to be
thereby articulated in order to lead to a functional difference of the sexes. Subsequently, we are going
to prove 1/ that this differentiation is inscribed in the caloric and animal principle of food and 2/ that the
introduction of an intelligent soul in the process of the generation of the living being is not possible but
for the self-effacement of such a principle.
Serge MARGEL

LES NOURRITURES DE L'ÂME

Essai sur la fonction nutritive et séminale

dans la biologie d'Aristote

L'étude que nous nous proposons d'engager a pour enjeu


principal le rapport d'implication entre la nourriture assimilée par
un être vivant et l'élaboration séminale d'un germe de
reproduction, tel qu'il est décrit dans les deux premiers livres de la
Génération des Animaux d'Aristote. — Notre essai tentera, tout
d'abord, d'exposer en quoi consistent les conditions nutritives
de la formation du sperme et comment ces conditions doivent
s'articuler pour expliquer, par cette formation, une différence
fonctionnelle des sexes ; après quoi, il s'agira de démontrer que
cette différenciation est inscrite dans le principe calorifique et
animant de la nourriture et que l'introduction d'une âme
intelligente dans le processus de la génération n'est possible que par
l'auto-effacement d'un tel principe.

Première partie
La séminalité du sperme

A. La définition et la fonction du sperme


I) La nature du sperme
La génération des êtres vivants (των ζωών της γενέσεως), telle
qu'elle se définit dans les traités biologiques d'Aristote, ne sau-

REG tome 108 (1995/1), 91-106.


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rait se penser sans une théorie de la semence (σπέρμα). Non
seulement, en effet, ce liquide séminal constitue (effectivement) la
source où se forment par synthèse les êtres naturels (εκ τούτου μεν
γαρ τα φύσει γινόμενα συνίσταται), la femelle et le mâle (το θήλυ και
το άρρεν), mais encore et surtout il détermine (causalement) la
raison pour laquelle la femelle et le mâle peuvent se concevoir
comme les principes mêmes de la génération (άρχαί της γενέσεως).
«C'est parce que (τω), nous dit Aristote, cette partie est sécrétée
par la femelle et par le mâle (άποκρίνεσθαι το τοιούτον μόριον άπό
του θήλεος και του άρρενος), et parce que cette sécrétion s'effectue
en eux et hors d'eux (εν τούτοις ... και έκ τούτων), que la femelle et
le mâle sont des principes de la génération»1.
La nature de la semence, son τί έστιν2, consisterait de ce fait à
produire non pas directement des êtres doués d'organes
spécifiques et de fonctions appropriées à leur génération, mais
uniquement des principes distincts et différenciés — principe
moteur (της κινήσεως) pour le mâle et principe matériel (της ύλης)
pour la femelle3 — capables d'agencer (comme tout principe) les
conditions premières d'une opération finalisée. Or parmi les
animaux qui émettent du sperme, la teneur séminale et génitale
qu'implique la production de ces principes ne tire pas sa
fonction distinctive du fait qu'elle soit issue ou non, comme le
croyait Empédocle, des différentes parties du corps4, mais elle
se détermine en fonction d'une symétrie ou d'une assymétrie qui
devra s'établir entre ce qui vient de la femme et ce qui vient de
l'homme (άλλ' εν τω σύμμετρον ή άσύμμετρον εΐναι το άπό της
γυναικός και του ανδρός)5. Autrement dit, c'est la mesure et par
conséquent ce en quoi (ω)6 ou encore ce par le procédé de quoi
devra s'articuler le premier mélange (πρώτον μίγμα) 7 des produits
émis par la femelle et ceux émis par le mâle qui déterminera la

(1) De la génération des animaux. Texte établi et traduit par P. Louis, Paris,
1961, I, 2, 716a 10-12.
(2) Cf. Ibid., 18, 724a 15.
(3) Ibid., 1, 716a 6.
(4) Sur la critique et la réfutation des thèses d'Empédocle, voir ibid., 18 (en
entier).
(5) Ibid., 18, 723a 30.
(6) Dans la Métaphysique, texte grec établi par W. Jaeger, Oxford, 1957,
traduction française par J. Tricot, Paris, 1966, 1,1, 1052b 20, Aristote définit la
mesure (τό μέτρον) par une telle attribution déterminante et causale.
(7) Gén. an., I, 18, 724b 17.
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capacité séminale du sperme à développer les principes distincts
de la génération.
Bien que le sperme constitue la source des principes
générateurs, il n'est pas en lui-même une donnée d'origine ; au
contraire sa constitution propre le définit comme un produit8,
comme une phase — aussi déterminée que déterminante — d'un
processus où se mélangent, à la mesure d'une élaboration
embryonnaire et nutritive, les sécrétions de la femelle et du
mâle. Aussi le sperme ne pourra produire ces principes qu'en
fonction du rôle qu'il se verra attribuer au sein d'un tel
processus. Dès lors que le sperme, par conséquent, doit s'agencer sémi-
nalement par rapport au développement articulé et finalisé
qu'implique la réalisation (embryonnaire) de ce processus, sa
fonction (των έργων αύτοΰ)9 productrice sera précisément de se
donner et de se poser lui-même comme un premier produit de
nutrition.

II) Le sperme et la nourriture


Quelle est donc la première conditon (ή πρώτη) pour que le
sperme puisse séminalement s'agencer comme un moment
nutritif du processus embryonnaire ? Il est nécessaire (ανάγκη), nous
fait entendre Aristote, que tout ce qui se trouve dans les corps
(εν τω σώματι) appartienne soit aux parties qui s'y développent
selon la nature (ή μέρος είναι των κατά φύσιν), qu'elles soient anho-
méomères ou homéomères, soit aux parties qui s'y développent
contre nature (ή των παρά φύσιν), telles que les excroissances
(φυμα), soit aux restes (περίττωμα), c'est-à-dire aux déchets de la
nutrition (το της τροφής υπόλειμμα), soit aux produits de
dissolution (σύντηγμα), partant à la sécrétion (άποκριθέν) qui s'opère à
partir de facteurs de croissance et résulte de la décomposition
hors nature (υπό της παρά φύσιν αναλύσεως), soit encore aux
aliments eux-mêmes (τροφή v) 10.
Or le sperme ne sera ni une partie intégrante et naturelle du
corps, puisque à partir de lui aucun organe et aucun composé ne
pourra directement se former. Il ne devra pas non plus se définir
comme une anomalie (πήρωμα) ou un être contre nature, tels les

(8) C'est un produit d'une nature particulière, car il est produit de manière à
ce qu'il puisse, en son état, reproduire l'organisation qui l'aurra ainsi produit.
(9) Ibid., 724a 16.
(10) Ibid., 724b 23-26.
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produits de dissolution, car la nature elle-même lui doit son
développement. Étant donné, d'autre part, que la nourriture est
issue du dehors (έπείσακτον) et tirée des produits du monde
extérieur, le sperme qui lui se voit naître à l'intérieur du corps devra
nécessairement se définir comme un reste (ανάγκη άρα περίττωμα
είναι). Et puisque tout reste, nous l'avons vu, doit s'entendre
comme un résidu ou un déchet alimentaire, le sperme deviendra
non pas une nourriture au sens propre, mais un reste de
nourriture (τροφής περίττωμα)11.
Toutefois, précisera Aristote, tout résidu provient soit d'une
nourriture qui ne peut plus servir, soit d'une nourriture
utilisable (ή αχρήστου τροφής έστιν ή χρησίμης). Ce qui est inutile, non
seulement n'apporte plus rien à l'organisme, mais encore, dans
des cas d'excès, peut lui être particulièrement nuisible (μάλιστα
κακοΰται) ; alors que ce qui est utilisable représente
manifestement le contraire (έναντίαν) 12. Par voie de conséquence, il aurait
été difficile de penser le sperme comme un reste de nourriture
inutile. Non seulement Aristote nous affirme qu'il est le plus
utile des résidus (χρησιμώτατον), mais il est encore le plus achevé
ou le dernier produit (το έσχατον), celui d'où sort immédiatement
chaque partie (έξ οΰ ήδη γίνεται εκαστον των μορίων) 13. Cette thèse,
Aristote la soutiendra à l'aide de trois témoignages (μαρτύρια) 14.
1) L'affaiblissement (απελθόντος) qui suit la moindre émission de
sperme se manifeste comme si le corps était privé du produit
final de la nourriture 15 ; 2) le sperme ne se trouve ni chez les
enfants, car la croissance utilise la nourriture jusqu'à son
dernier reste, ni parmi les vieillards, qui n'ont plus assez de force et
de chaleur pour engager l'élaboration du sperme, ni enfin chez
les malades, à cause de leur faiblesse 16 ; et 3) les personnes
grasses (πίονες), qu'elles soient des hommes ou des femmes, sont
moins fécondes et possèdent moins de sperme que les autres, car
chez elles le reste de nourriture s'est transformé en graisse (το
περίττωμα γίνεσθαι πιμελήν) 17. La nature première du sperme, son
τί έστιν, peut donc se définir comme le dernier produit d'un reste

(11) Ibid., 724b 26 -725a 3.


(12) Ibid., 725a 4-7.
(13) Ibid., 725a 12.
(14) Nous suivons les exemples avancés par S. Byl, Recherches sur les grands
traités biologiques d'Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, 1980, p. 140.
(15) Gén. an., I, 18, 725b 6-8.
(16) Ibid., 725b 19-32.
(17) Ibid., 725b 32 -726a 6.
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de nourriture utile ; sa fonction (των έργων αύτοΰ) productrice et
séminale nous le confirmera.

B. Le sperme et le mouvement cocteur du reste


I) La coction séminale
Si le reste de nourriture, que fut le sperme, devait être encore
utilisable sans se consommer comme un produit alimentaire, il
fallait toutefois qu'il soit assimilable au procès nutritif dans
lequel il s'inscrivait. En effet, l'utilité de ce reste confère à sa
fonction séminale la capacité de se rendre à son tour
consommable — selon la modalité spécifique de l'opération engagée —
par le développement embryonnaire.
Dans le cas très précis du sperme et de son déploiement
séminal, le déroulement de la consommation s'effectue sous la forme
d'une cuisson (πέψις). La semence du mâle aurait pour fonction
génératrice de cuire les matières qui se trouvent dans le corps de
la femelle ; «c'est par sa puissance (τη δυνάμει), nous dit Aristote,
que le sperme du mâle (το του άρρενος σπέρμα) fait subir une
certaine transformation à la matière et à la nourriture qui est dans
la femelle (την εν τω θήλει ύλην και τροφήν ποιάν τίνα κατασκευάζει).
Cette action, le sperme ayant été introduit le dernier (ενδέχεται
ποιεΐν το ύστερον), peut l'exercer en fournissant de la chaleur et en
réalisant une cuisson (έπεισελθον έκ του θερμάναι και πέψαι)»18. Or,
pour que le sperme puisse se concevoir d'une part comme l'issue
logique et organique d'un reste de nourriture utile, et d'autre
part comme l'élément combustible capable d'alimenter une
cuisson, il est de fait nécessaire que la matière de ce reste ait déjà
elle-même subi une certaine opération coctrice 19. Cette
puissance (δύναμις), cette capacité à recevoir puis à transmettre la
coction du reste déterminera, nous le verrons, la fonction
distinctive ou la différenciation des principes sexuels.
D'où provient cette première coction? Et si elle vient du
corps propre comment alors 1) concevoir ses divers degrés de
chaleur comme un mouvement différentiel du reste de
nourriture, et 2) déterminer ce mouvement comme une différenciation
des sexes? Qu'y a-t-il dans ce qui constitue et agence opéra-
tionnellement le mouvement de cette cuisson du corps (cette
source coctrice) qui puisse cuire le reste utile de la nourriture de

(18) Ibid., 21, 730a 14-17.


(19) Cf. ibid., 19, 726a 6.
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telle manière que ce résidu devienne une semence capable de
cuire à son tour une matière en vue de réaliser l'opération
génératrice et reproductrice qu'impliquait le mouvement de cette
cuisson? Déterminer la modalité cinétique de la cuisson du
corps nous obligeait de ce fait à définir le sens même de sa
finalité.

II) La transmission codrice du reste.


La coction, d'une part, a pour cause une certaine chaleur (εστί
δή θερμού μεν πέψις), nous disent les Météorologiques d'Aristote20;
elle est issue d'un mouvement de feu qui se trouve dans
l'humidité des corps (ή δέ πέψις γίγνεται άπο του εν τω ύργω πυρός)21.
D'autre part, son mouvement constitue un véritable
achèvement (τελείωσις) ; il achemine les capacités naturelles d'un corps
jusqu'à ce qu'il atteigne la perfection de ce qu'il est en lui-
même. «La coction est un achèvement (πέψις μεν ούν έστι
τελείωσις), poursuivra l'auteur, causé par la chaleur naturelle
propre d'un objet (υπό του φυσικού και οικείου θερμού) à partir des
qualités passives opposées (έκ των αντικειμένων παθητικών),
lesquelles ne sont autres que la matière propre à l'objet donné
(ταΰτα δ' έστιν ή οικεία έκάστω ΰλη). Une fois la coction effectuée
(όταν γαρ πεφθη), en effet, la chose a atteint sa perfection
(τετελείωται) et elle est devenue elle-même (τε και γέγονεν)»22.
Dans le cas de la nutrition, le mouvement finalisé de la
coction aura pour but de transformer et donc d'assimiler le
nutriment (ώ τρέφεται) ou le liquide séminal (γονή) en être-nourri
(τρεφόμενον) ou en embryon (κύημα)23; il devra par conséquent
faire en sorte que ce qui se donne à cuire soit déjà préparé et
disposé de telle manière qu'il puisse — qu'il ait la capacité de —
réaliser le projet que lui imposait la source calorifique de son
opération. — La finalité qu'implique le mouvement cocteur de
la nourriture est une digestion (πέπανσις) 24 par transition intesti-

(20) Météorologiques. Texte établit et traduit par P. Louis, Paris, 1982, IV, 2,
379b 12.
(21) Ibid., 3, 380b 16.
(22) Ibid., 2, 379b 18-21.
(23) C'est la modalité de ce passage ou de cette transformation (μεταβολή) qui
détermine la spécificité des opérations métaboliques du corps vivant.
(24) Météo., 2, 379b 12. A propos de la digestion, conçue comme une espèce
particulière de cuisson, on se reportera à l'ouvrage de P. Louis, La découverte de
la vie. Aristote, Paris, 1975, p. 128-129.
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nale, et la finalité du reste de nourriture est une génération
(γένεσις) par différenciation sexuelle. Pour que la digestion ait
lieu, il faut donc et il suffit que l'agencement du mouvement
cocteur de la nourriture entre le nutriment et l'être-nourri soit
déterminé par la domination de la matière ou de l'humidité qui
se trouve dans ces éléments (δταν κρατηθη ή ύλη και ή ύγρότης)25,
et donc par une force propre aux organes de l'opération. Par
contre, ce qui détermine l'agencement du mouvement cocteur
du reste de nourriture ne trouvera pas sa source dans le circuit
organique du corps ni même dans la chaleur qu'il implique,
puisque ce résidu reste et demeure précisément à l'écart de
l'organisation nutrive, digestive et intestinale du corps vivant.
Jamais son mouvement ne se définira par les seules lois de pui-
sance et de chaleur du métabolisme et de la circularité du sang,
mais il s'agencera au contraire par ce qui constitue la source
pneumatique (πνευματικός) ou gazeuse des diverses modalités
calorifiques dont ces lois sont issues. Cette source de chaleur,
nous le verrons, maintiendra une origine commune entre le
sperme, le sang et le pneuma.

C. La chaleur pneumatique du reste


I) Le sperme et le sang
La chaleur fécondatrice, dont jouit le corps organisé des êtres
vivants, cette chaleur gazeuse d'où provient la coction, peut
non seulement se développer quantitativement en degrés
calorifiques différents, mais elle peut encore se répandre disons
effectivement en modalités calorifiques distinctives. Elle pourra en
effet se modaliser — selon une articulation qui lui est propre —
de manière à cuire la nourriture consommée, d'une part,
lorsqu'il s'agit du nutriment lui-même, en vue 1) de permettre à
l'estomac (κοιλία) d'opérer une digestion (πέπανσις) et 2) de
transformer le suc nourricier achevé (εσχάτη τροφή) issu de cette
opération en produit sanguin (αίματος) capable d'alimenter chacune
des parties du corps vivant26. Cette première modalité
calorifique aura donc pour fonction de diffuser dans les organes
(διαδίδοται εις τα μόρια)27, et au travers des vaiseaux (οχετοί;

(25) Météo., 379 b 32.


(26) Sur la transformation de l'aliment par la digestion de l'estomac et la
production du sang nourricier, voir Les parties des animaux, texte établi et
traduit par P. Louis, Paris, 1956, IV, 4, 678a 3-20. Cf. P. Louis, op. cit., p. 130-131.
(27) Part, an., 678a 8.
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αγγεία) qui leur sont appropriés28, le sang produit à partir du suc
nourricier de la digestion. D'autre part, lorsqu'il s'agira du reste
de cette nourriture, la chaleur fécondatrice se modalisera en
vue 1) de cuire et de rendre fécond (ποιεί γόνιμα) ce résidu et 2) de
lui permettre, par cette fécondation coctrice, de transformer sa
puissance séminale en une action motrice capable d'animer les
matières menstruelles (καταμήνια) avec lesquelles il devait se
mélanger. Cette seconde modalité calorifique, par conséquent,
aura cette fois pour fonction de répandre (έκκρίνειν) 29, non pas
une substance — tel le sang dans le cas du nutriment — , mais
une force susceptible de former ou d'informer une matière au
cours d'un processus de génération.
Le sang et le sperme constituent donc deux types de nutrition
ou deux genres de diffusion nutritive propres à la chaleur
fécondatrice. D'un côté, la nourriture devenue sang maintient et
conserve la substance organique du corps, d'un autre côté, le
reste de nourriture devenu sperme produit et agence la force
séminale d'un embryon. Du seul fait que le sperme ne relève pas
uniquement d'un reste de nourriture, mais d'un résidu de la
nourriture devenue sang (βτι τής αιματικής αν εΐη περίττωμα τροφής
το σπέρμα)30, il implique l) une certaine analogie (άνάλογον) avec
le sang ; celle de pouvoir, grâce à la puissance de sa coction,
produire une alimentation du vivant, et en même temps 2)
manifeste une distinction (άποκρίκεται) envers le sang; celle qui
lui confère, par cette même coction, la possibilité de produire
une génération du vivant31. Or qu'y a-t-il dans la spécificité
résiduelle de ce reste, dans sa composition première, qui lui
permette de s'agencer séminalement selon une telle modalité
calorifique? En quoi ce reste doit-il consister intrinsèquement pour
être disposé et préparé à réaliser le projet que lui commandait la
chaleur de sa cuisson? Et enfin, de quelle manière sa coction
peut-elle se comporter pour mettre en relation et rapporter sa
cause calorifique et son effet embryonnaire?

(28) Cf. Part, an., III, 4, 668a, 14. Sur l'organisation circulaire des vaisseaux
sanguins, on consultera en particulier l'article de M. Roussel, «Physique et
biologie chez Aristote», in Revue des études grecques, 93, 1980, p. 19.
(29) Cf. Gén. an., IV, 1, 765b 10.
(30) Ibid., I, 19, 726b 9-10.
(31) Ibid., 726b 4-7.
1995] LES NOURRITURES DE L'ÂME 99

II) Le sperme et le pneuma


Les éléments qui composent le sperme, les unités qui
développent ce résidu en semence féconde (γόνιμα) seront agencées,
par conséquent, en fonction du mode calorifique qui en
détermine la cuisson. Or cette chaleur composante, cette âme (ψυχή),
capable d'introduire dans le reste nourricier de l'aliment un
principe de la vie (ζωτικήν αρχήν)32, capable donc 1) d'inséminer
dans le corps apprêté de ce reste une force séminale et 2) de lui
fournir les moyens d'agir (de réaliser la forme d'une matière) par
la force qui se trouve inscrite en lui (εργάζεται τη δυνάμει τη ένούση
εν αύτω)33, cette chaleur première, dite naturelle, ce principe
animant se répand dans les corps — par l'intermédiaire du
sperme — sous la forme d'un gaz, qu'une longue tradition sans
doute pythagoricienne nommait le pneuma (πνεύμα).
Aristote, fidèle à bien des égards, comme on le sait, aux
notions issues de cette école34, nous affirme «qu'il y a toujours
dans le sperme (πάντων μεν γαρ έν τω σπέρματι ενυπάρχει) ce qui
rend les semences fécondes (όπερ ποιεί γόνιμα είναι τα σπέρματα),
c'est ce qu'on appelle la chaleur (το καλούμενον θερμόν). Or cette
chaleur n'est ni du feu ni une force de ce genre (τοΰτο δ' ού πυρ
ουδέ τοιαύτη δύναμίς έστιν), mais le pneuma emmagasiné dans le
sperme et dans l'écumeux (άλλα το έμπεριλαμβανόμενον έν τω
σπέρματι και έν τω άφρώδει πνεύμα), ainsi que la nature contenue dans
ce pneuma (και ή έν τω πνεύματι φύσις) et qui est analogue à
l'élément astral (άνάλογον ούσα τω των άστρων στοιχείω)»35. Si l'on
en croit l'auteur, il y aurait donc dans la force de cet air chaud,
dans cette chaleur aussi bien solaire qu'animale (ή δε του ηλίου
θερμότης και ή των ζώων)36, de quoi cuire suffisamment et de
manière appropriée ce reste de nourriture pour en faire un
liquide séminal (γονή) capable d'opérer une génération.
La finalité du mouvement pneumatique et astral de la cuisson
du reste — son insémination ou son devenir séminal — serait 1)

(32) Cf. ibid., II, 3, 737a 5. Sur la chaleur de l'âme comme principe du vivant
chez Aristote, nous renvoyons au très bel article de H. Ioannidi, «Qu'est-ce que
le Psychique», in Philosophia, 15-16, Athènes, 1985-1986, spec. p. 241.
(33) Gén. an., 2, 736a 27.
(34) Sur l'héritage aristotélicien du pneuma, voir J. Moreau, L'âme du monde
de Platon aux stoïciens, Paris, 1939 (nouv. éd. Hildesheim 1981), p. 138, n. 5.
(35) Gên. an., 3, 736b 33-737a 1.
(36) Ibid., 737a 3 ; cf. G. L. Duprat, «La théorie du πνεύμα chez Aristote», in
Archiv fur Geschichte der Philosophie, XII, 3, 1899, p. 307.
100 SERGE MARGEL [REG, 108
de rendre possible la force génitale d'une opération
reproductrice et 2) d'impliquer, par cette même force, un ordre, une
organisation principielle et un organe support ou porteur du principe
vital (ζωτικήν αρχήν) de cette orgaisation, donc un certain
agencement capable d'effectuer ou de réaliser (εργάζεται) l'opération
en question. Cette mise en ordre ou cette organisation séminali-
sante du reste par le pneuma, en introduisant les fonctions
d'organe approprié (τι μόριον) ou encore des instruments du corps
(όργανα... του σώματος)37 susceptibles d'agencer les principes de
la génération (άρχαί της γενέσεως), cette pneumatisation séminale
du reste de nourriture déterminera les conditions de possibilité
d'une organisation productrice qu'Aristote nommait sexuelle, et
qu'il analysait, en reprenant une expression de Démocrite,
comme une différenciation (sexuelle) entre la femelle et le mâle
(την διαφοραν του θήλεος και του άρρενος)38.
La chaleur animante et gazeuse du pneuma aura donc non
seulement, nous l'avons vu, la faculté de différencier modale-
ment et d'agencer spécifiquement la nourriture consommée par
le corps, soit, lorsqu'il s'agit du pur nutriment, en le
transformant sous la forme du sang, soit, lorsqu'il s'agit du reste de la
nourriture, en lui fournissant la force féconde d'un liquide
séminal, mais elle aurait encore et en même temps la capacité de
différencier qualitativement ou fonctionnellement le mode coc-
teur sur lequel devait s'articuler séminalement l'organisation
productrice de la génération, ou de la formation embryonnaire
d'un être vivant : d'un côté en introduisant 1) un principe
matériel (της ΰλης) voué à fournir la matière première du mélange des
produits de sécrétion, et 2) un organe apprêté et disposé à
recevoir cette matière, soit l'utérus (ή υστέρα), et d'un autre côté en
introduisant 1) un principe moteur (της κινήσεως) capable de
mettre en forme et d'organiser cette matière et 2) l'organe qui
convient à la projection du liquide porteur de la puissance
motrice, soit le pénis (ό περίνεος)39. Aussi est-ce cette
introduction coctrice finalisée des principes et des organes génitaux par
différenciation fonctionnelle, cette cuisson du reste par
différenciation sexuelle, qu'il nous faut dès maintenant examiner.

(37) Gén. an., I, 2, 716a 25; cf. ibid., IV, 1, 766a 5-6.
(38) Ibid., 764a 8.
(39) Ibid., 766a 4-5.
1995] LES NOURRITURES DE L'ÂME 101
Deuxième partie
L'animalité du sperme

A. La différence sexuelle du reste


Afin de déterminer, en premier lieu, l'articulation par laquelle
la chaleur pneumatique de la coction du reste de nourriture
devra s'organiser (s'agencer organiquement) en vue d'effectuer
l'opération génératrice qu'elle implique, afin de définir ensuite 1)
la manière avec laquelle cette modalité coctrice devra élaborer
un organe (un outil ou un instrument)40 capable d'opérer cette
génération et 2) en quoi cette instrumentante doit
nécessairement se distinguer selon diverses fonctions pour être
opérationnelle et parlant sexuellement efficace, afin donc d'atteindre de
telles définitions, il nous faut approfondir le rapport réciproque
entre le sperme et le pneuma. — S'il est vrai que la chaleur
pneumatique peut, en cuisant le reste déchu de l'aliment,
différencier sexuellement sa qualité de résidu et donc distinguer sa
propre fonction en lui attribuant — à chaque fois selon cette
distinction — un rôle spécifique et un organe approprié, il
faudra et suffira que le développement de cette différenciation
fonctionnelle et sexuelle puisse se différencier de telle manière
qu'au sein d'une relation, heureuse ou malheureuse, fortuite ou
nécessaire, entre ces fonctions le premier mélange (πρώτον μίγμα)
produit et sécrété par leur organe respectif soit capable de
reproduire, sous la forme organisée d'un embryon, l'organisation
créatrice du pneuma, qu'Aristote appelait parfois feu créateur
(φυσικού πυρός)41.
Non seulement les fonctions sexuelles se définissent et se dis-
tiguent par rapport à la forme de l'appareil dans lequel devra se
régir, à chaque fois différemment, la coction pneumatique du
reste, mais elles se déterminent encore et surtout par rapport à
la nature précisément dynamiquue de cette coction. Le principe
qu'Aristote appelait masculin (άρρεν) sera capable de cuire
jusqu'à son terme, de réaliser et d'épurer42, le reste de nourriture

(40) La fonction du mâle et de la femelle sont comparées à la fabrication


instrumentale, ibid., I, 22, 730b 5-23.
(41) De la Respiration, in Petits traités d'histoire naturelle, texte établi et
traduit par R. Mugnier, Paris, 1965, 8, 474b 12. Cf. J. Moreau, op. cit., p. 139.
(42) Sur la pureté (καθαρόν) du sperme, cf. Gén. an., I, 20, 728a 27 et IV, 1,
735b 36.
102 SERGE MARGEL [REG, 108
élaborée ou le résidu alimentaire devenu sang, il pourra donc
maintenir dans la puissance de sa force motrice, et sous la forme
de son liquide séminal (γονή), l'âme ou la chaleur originaire et
créatrice de pneuma. Le principe féminin (θήλυ), quant à lui,
sera incapable d'opérer la coction, d'épurer et de séminaliser le
reste ou le résidu sanguin de l'aliment, il ne pourra par
conséquent que maintenir la matière nutritive du sang, sous la
forme de menstrues (καταμήνια), et se laisser informer par le
mouvement générateur du principe masculin. «Mais de plus,
nous dit Aristote, le mâle et la femelle (το άρρεν και το θήλυ) se
distinguent par une certaine puissance ou une certaine
impuissance (διώρισται δυνάμει τινί καΐ αδυναμία) ; en effet, ce qui est
capable de réaliser une coction (το μεν γαρ δυνάμενον πέττειν), de
former par synthèse (και συνιστάται) et d'émettre un sperme qui
contienne le principe de la forme, c'est le mâle (τε και έκκρίνειν
σπέρμα έχον τήν αρχήν του είδους άρρεν) (...)· Au contraire, ce qui
sert de réceptacle (το δε δεχόμενον), mais ne peut donner une
forme ni émettre du sperme, est la femelle (αδυνατούν δε συνι-
στάναι και έκκρίνειν θήλυ) ; comme de plus toute coction agit par le
chaud (ετι ει πάσα πέψις εργάζεται θερμω), il est nécessaire aussi
que chez les êtres vivants (ανάγκη και τών ζώων) les mâles soient
plus chauds que les femelles (τα άρρενα τών θηλέων θερμότερα
είναι)»43.
Selon les propos de l'auteur, par conséquent, s'il y a deux
sexes différents, s'il existe dans le règne du vivant deux
fonctions distinctes pour élaborer l'opération d'un embryon, si donc
une différence sexuelle est organiquement possible et
logiquement nécessaire, c'est parce que tout ce qui vit ou se développe
dans et par un corps, tous les êtres vivants, ne sont pas capables
de produire jusqu'au terme de son épuration (sa séminalisation)
la cuisson du reste de nourriture. La différenciation
fonctionnelle des sexes tirerait de ce fait son origine aussi bien génitale
que génératrice d'une différenciation coctrice du reste. C'est
pourquoi ce qui anime la nature pneumatique de cette coction,
l'âme qui meut de sa chaleur divine (θείον) et astrale (άστρικόν) le
développement des principes différenciés de la génération ne
pourra se reproduire sous la forme d'un principe du vivant (ζωτι-
κήν αρχήν) par le lien (accidentel) des fonctions sexuelles de ce
reste, qu'elle avait elle-même permis de distinguer.

(43) Ibid., IV, 1, 765b 8-17.


1995] LES NOURRITURES DE L'ÂME 103
B. Le sperme, l'âme et l'intellect
I) La formation animale du pneuma
Or, comment un animal, un être vivant, un être doué d'âme
et d'intelligence, peut-il naître d'une simple semence? Si la
cause motrice, dont se meut l'embryon, est fournie dès le
principe par le sperme, la semence qui l'anime jouera le rôle d'une
cause efficiente aussi bien externe qu'interne, sans même qu'une
seule des parties de l'être en formation soit contenue en acte
dans le sperme. De ce point de vue, la reproduction est
semblable aux mouvements des automates (αύτομάτοις) ; lorsqu'elle
est au repos, elle possède une capacité déterminée à se mouvoir,
mais lorsqu'une cause externe intervient le mécanisme se
déclenche et exécute le mouvement prévu par la disposition
déterminée de sa puissance, même après que la cause externe ait
rompu le contact. «Les parties de l'embryon se trouvent en
puissance dans la matière (ένυπαρχόντων δ' έν τη ύλη δυνάμει των
μορίων), nous dit Aristote ; quand se déclenche le principe du
mouvement (όταν αρχή γένηται κινήσεως), c'est comme ce qu'on
admire dans les automates (ώσπερ έν τοις αύτομάτοις θαύμασι), une
succession d'événements se produit (συνείρεται το εφεξής)»44.
Ainsi, donc, le sperme, dans sa fonction spécifique et
différenciée, déclenche un mouvement capable d'animer, de former et
d'organiser, sous l'aspect d'un être précisément organisé selon le
principe vital et pneumatique de cette animation, une matière
qui contient en puissance chacune des formes que le générateur
réalise. «Puisque le sperme, affirme l'auteur, est un reste, et
qu'il est mû d'un mouvement identique à celui par lequel le
corps s'accroît à mesure que s'y distribuent les parties de la
nourriture définitivement élaborée (κινουμένου κίνησιν τήν αυτήν
καθ'
ήνπερ το σώμα αυξάνεται μεριζομένης της εσχάτης τροφής),
lorsqu'il pénétre dans l'utérus (Οταν ελθη ε'ις τήν ύστέραν), il synthétise
(συνίστησι) et met en mouvement le résidu de la femelle (και κινεί
το περίττωμα το του θήλεος) et lui imprimant le mouvement dont il
est lui-même mû (τήν αυτήν κίνησιν ήνπερ αυτό τυγχάνει κινούμενον
κάκεΐνο)»45. Or, après avoir exposé avec beaucoup de clarté le
mécanisme de la reproduction, Aristote se posait alors la
question suivante : «Le sperme contient-il une âme, oui ou non?

(44) Ibid., II, 5, 741b 6-9.


(45) Ibid., II, 3, 737a 18-22.
104 SERGE MARGEL [REG, 108
(πότερον δ' έχει ψυχήν το σπέρμα ή ου ;)»46 ; et si le sperme ne peut
comporter une âme qu'en puissance, comme l'auteur l'affirmera
plus bas47, comment alors, dans son passage à l'acte par le
contact de la cause efficiente et de la cause matérielle, le premier
mélange produit pourra-t-il impliquer les nombreux degrés de
puissance et de réalisation propres à cette âme?
Sans entrer dans le détail d'une évolution qui nous mènerait
trop loin, l'on peut dire toutefois que le principe vital de l'âme
se répand dans les corps de toutes substances vivantes, plantes
ou animaux, selon une hiérarchie déterminée48. Le premier
aspect sous lequel se forme ce principe est la faculté nutritive (το
θρεπτικόν) ; c'est une fonction (έργον) naturelle (φύσει) et
nécessaire (ανάγκη) à tout être achevé (τελείου), animal ou plante (ζώου
και φυτοϋ)49. Vient ensuite la faculté sensitive (την αίσθητικήν),
par laquelle l'embryon deviendrra un animal (καθ' ην ζφον), une
bête ou un homme50. Et enfin, la dernière des facultés de l'âme,
celle qui venait à la fin du processus de génération (της γενέσεως
τέλος), manifeste la spécificité de chaque être (το δ' ϊδιόν έστι τό
εκάστου)51 ; c'est la faculté de l'intelligence (την νοητικήν),
l'intellect ou la raison (δ νους), propre à l'humanité de l'homme. Cette
ultime faculté de l'âme, en réalisant et en achevant le
programme ou le projet de l'opération coctrice et pneumatique de
la génération, entretient-elle encore une quelconque relation
avec la différenciation sexuelle du reste de nourriture?

II) La restance du sperme, ou la raison de l'intellect


Cette question difficile, cet embarras des plus extrêmes
(άπορίαν πλείστην), sur lequel nous aimerions terminer notre
étude, cette question de l'origine externe et divine de l'intellect
semble, dans le texte d'Aristote, se lier au destin du reste, au
reste du reste de la nourriture avalée. Bien que l'intellect
constitue la dernière forme des facultés de l'être vivant et détermine

(46) Ibid., I, 735a 4-5.


(47) Ibid., 735a 6-8.
(48) Pour les questions que pose la hiérarchisation de cette évolution, nous
renvoyons à l'étude très précise de P. Moraux, «A propos du νους Θύραθεν chez
Aristote», in Autour d'Aristote, Louvain, 1955, spec. p. 266-271.
(49) Gén. an., II, 1, 735a 17. Cf. De l'âme, texte établi par J. Jannone et
traduit par E. Barbotin, Paris, 1966, II, 4, 416a 18.
(50) Gén. an., 3, 736b 1-2.
(51) Ibid., 736b 3-5.
1995] LES NOURRITURES DE L'ÂME 105

par là-même la spécificité humaine du vivant, son apparition


dans le cours de la génération ne doit rien au développement
matériel et physiologique de l'organisation du corps. Pour Aris-
tote, en effet, les thèses du De anima nous le démontraient
parfaitement, l'intellect est séparé du corps (χωριστός του
σώματος)52; aucun des organes corporels ne peut intervenir
directement dans le déploiement de son activité. Or, comment
l'apparition d'une faculté qui n'est pas déterminée, dans sa
fonction spécifique, par la génération organique d'une matière
vivante peut-elle se manifester non seulement au terme, mais
encore comme le terme du développement somatique d'un être
vivant qui possède cette faculté53? D'où provient l'intellect et
comment entre-t-il dans le corps, s'il se tient à l'écart du procès
différentiel de la coction du reste de nourriture?
L'intellect est issu du dehors (νους θύραθεν), nous dit Aristote ;
puisque toutes les facultés de l'âme qui se rapportent à la
matière, d'une manière ou d'une autre, sont organiquement
commandées par l'évolution séminale du résidu de la nourriture,
«reste donc que l'intellect seul vienne du dehors (λείπεται δη τον
νουν μόνον θύραθεν έπεισιέναι) et que seul il soit divin (και θείον είναι
μόνον) »54. Or cette venue du dehors, cette introduction divine
d'une extériorité n'aurait jamais eu lieu et n'aurait même
jamais été possible si le corps ou le reste du reste cuit et pneu-
matisé de la nourriture, si le corps de son liquide séminal (της
γονής σώμα), n'avait pu, au terme générateur de son élaboration
et au dernier degré de l'achèvement des facultés de l'être vivant,
s'effacer, se dissoudre (διαλύεται) et à nouveau se pneumatiser
(και πνευματοΰται). «Quant au corps du liquide séminal (το δε της
γονής σώμα), dans lequel se véhicule le principe de l'âme (έν φ
συναπέρχεται το τής ψυχικήν αρχής), quelque chose de ce principe
est séparé du corps (το μεν χωριστον ον σώματος) des êtres dans
lesquels se trouve impliqué un élément divin (Οσοις έμπεριλα-
μβάνεταί τι θείον) — tel est justement ce qu'on appelle intellect
[τοιούτος δ' εστίν ό καλούμενος νους] — tandis que l'autre partie en
est inséparable [το δ' άχώριστον]), ce corps du liquide séminal se
dissout et se pneumatise (τοϋτο το σώμα τής γονής διαλύεται και
πνευματοΰται) » 55.

(52) De l'âme, III, 4.


(53) Cf. P. Moraux, op. cit., p. 267.
(54) Gén. an., 3, 736b 27-29. Cf. De l'âme, II, 2, 413a 4.
(55) Gén. an., 737a 7-11.
106 SERGE MARGEL [REG, 108
Autrement dit et enfin, si ce qui reste comme matière du reste
de la nourriture élaborée n'avait pu, dans le conduit séminal où
se voit transporté le principe psychique du pneuma,
littéralement s'évaporer et retourner sous la forme du pneuma, si le
reste du reste, ou sa restance, n'était pas finalement destinée à
s'effacer sous la forme d'un gaz des plus légers, à s'évincer hors
du corps dans lequel il s'était constitué, si donc pour finir cette
matière devait rester et demeurer un reste auquel il ne reste plus
rien à féconder ni rien à qui donner une âme, aucune part du
principe de l'âme n'aurait pu se séparer de son corps séminal, et
aucun intellect n'aurait pu librement disserter. Comme si
l'impossibilité de rester un reste nourricier du corps devait fonder
les conditions de possibilité d'une nourriture divine de l'âme.

Serge Margel.

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