L’appellation « langue de spécialité » est un hypéronyme excessif dans la
mesure où il n’est pas question d’une langue à part, mais d’une terminologie et d’une syntaxe spécifique, assortie d’une organisation discursive propre. L’appellation étant désormais consacrée dans l’enseignement, il n’y a plus lieu de discuter son bien-fondé. Mieux vaut tenter de cerner la nébuleuse qu’elle désigne.
Les spécialités sont diverses, plus ou moins techniques, et en constante
évolution. Leurs unités terminologiques - pour simplifier nous parlerons de termes - s’organisent autour de noyaux durs réellement spécialisés. Les termes ont donc vocation à être d’abord très techniques, majoritairement monosémiques et compréhensibles des seuls spécialistes. Les termes peuvent aussi être des néologismes spécifiques à notre modernité, répondant à un besoin de compréhension et donc de dénomination pour des situations ou des comportements nouveaux repérés par les sciences du social. Ces termes peuvent dériver dans une langue commune plus ou moins médiatisée, participant d’un continuum entre langue commune et langue spécialisée. Et enfin, la langue commune peut s’inspirer les terminologies de spécialité pour créer des termes qui renvoient à autre chose qu’à des concepts scientifiques ou techniques.
Le travail des terminologues qui élaborent des collections terminologiques
dans des domaines porteurs est reconnu comme indispensable. Celui des traducteurs professionnels ne l’est pas moins, mais il est infiniment plus délicat et les expose davantage. Il ne s’agit pour eux, apparemment, que de faire correspondre des collections terminologiques disponibles d’une langue à l’autre. Mais différents niveaux linguistiques interviennent dans cette opération : morphologie, syntaxe, sémantique, pragmatique pour identifier les ambiguïtés liées au contexte de l’énonciation. Le vrai travail des traducteurs est d’adapter une nomenclature logique de concepts d’une langue source à une langue cible. Tant que l’on reste dans le noyau dur des spécialités, la correspondance se fait facilement.
Dès que la spécialité commence à se répandre dans la langue courante, c’est
très souvent que les traducteurs sont confrontés à la distinction fondamentale en linguistique entre les concepts et les signifiés. Bien qu’ils ne théorisent pas sur la non coïncidence des concepts et des signifiés, leur responsabilité est néanmoins d’acclimater des termes avec bon sens à leur langue et à leur public. Ceux qui travaillent dans un cadre institutionnel ont l’habitude de se concerter pour proposer des termes conformes aux procédés de formation lexicale de leur langue. Tous se préoccupent de la norme linguistique, qu’ils contribuent à faire évoluer.