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Conférence de presse ECF

EDITORIAL........................................................................................................................................................... 3
CONFERENCE DE PRESSE DU 1-10-82 L’école de la cause freudienne à Bruxelles International Press
Center ..................................................................................................................................................................... 4
LE DISCOURS PSYCHANALYTIQUE ET LE GROUPE Éric Laurent ........................................................ 12
LA STRUCTURE PSYCHOTIQUE ET L’ECRIT Serge André ....................................................................... 31
INTRODUCTION A LA JOURNEE INTER-CARTELS Maurice Krajzman ................................................. 49
Topologie et psychose Alexandre Stevens ......................................................................................................... 51
Langue primitive et lalangue Monique Kusnierek............................................................................................. 53
Sans titre José Cornet.......................................................................................................................................... 56
Athalie Yves Depelsenaire .................................................................................................................................. 58
L’amour dans la folie n’est pas folie de l’amour Christian Vereecken ............................................................. 60
Objet perdu et "épreuve" de la réalité Alfredo Zénoni ....................................................................................... 63

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EDITORIAL
"L’ennui avec la psychanalyse, c’est qu’elle invite à
l’ambition",, disait M. Silvestre récemment (Quarto
III). Trace laissée au niveau de sa diffusion par le
discours qui lui a préexisté dans la structure, à savoir
le discours du maître. La partie n’est pas jouée, ce
dont témoigne Quarto, de diffuser en même temps
les productions de cartels et les travaux
d’enseignements.
Du côté du cartel, le terme de production oblige.
Celui qui parle discourt d’abord, c’est un fait de
structure. Aussi acte-t-il ce qui dans le discours
psychanalytique s’articule aux trois autres discours.
Le cartel interroge par là le savoir dans son
élaboration même du fait de l’Autre.
Notre enseignement de clinique psychanalytique
quant à lui se propose outre la diffusion des théories
de Freud et de Lacan, d’en démontrer la rigueur et
de tenter la transmission de celle-ci.
Les difficultés inhérentes au fonctionnement en
cartel et l’apparition d’un croissant appétit
d’enseigner "à ses risques" témoignent d’une
tension, voire d’une distorsion entre ces deux types
d’élaboration du savoir.
Ainsi ce numéro de QUARTO présente-t-il des
travaux d’enseignements et des productions de
cartels. Les hasards de la diffusion font que la dite
tension se trouve être enserrée par une intervention
d’Eric Laurent sur les effets de groupe et
psychanalyse, et le texte d’une interview sur la
même question, adressé à QUARTO par J.D. Nasio.

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CONFERENCE DE PRESSE DU 1-10-82 L’école de


la cause freudienne à Bruxelles International Press
Center
JEAN-PAUL GILSON : Je vais introduire ce débat à local à Bruxelles. Je crois qu’il est bien clair que
la parole : Antonio Di Ciaccia m’a, en effet, cette inauguration entérine ce fait qu’il y a
demandé de le faire et je trouve assez piquant de effectivement à Bruxelles de nombreux
voir mes amis journalistes interroger d’autres psychanalystes qui se situent dans le sillage de
personnes que moi et leur adresser des questions l’enseignement du docteur Lacan, qui ont souhaité
insidieuses sans que je sois mis en demeure de donc se rattacher à l’école qui a été sa dernière
devoir y répondre. initiative institutionnelle et qui se manifeste à
Ces autres personnes sont ici : il y a Colette Soler, Bruxelles par de nombreuses activités dont vous
qui est directrice de l’École de la Cause freudienne, trouvez l’information par cette farde de presse.
il y a Jacques-Alain Miller, qui est secrétaire du Je soulignerai une deuxième : c’est que c’est une
directoire et responsable de l’édition des œuvres de école qui a été créée après la dissolution de la
Lacan, il y a Michel Sylvestre, secrétaire de la première école et, à partir de là, on peut se poser la
bibliothèque de l’École de la Cause à Paris, il y a question de savoir quel sens donner encore à une
Paul Duquenne qui est psychanalyste à Bruxelles, école quand le docteur Lacan n’est plus là pour la
Monique Liart et Serge André de Bruxelles. Ils vont soutenir de son enseignement. Arrêtons-nous sur ce
répondre à vos questions. Nous avons voulu cette point car je crois que nous pouvons simplement
journée pour rendre hommage, et le rendre répondre à cette question, de façon tout à fait claire,
publiquement, à Jacques Lacan, mort il y a un an, et à savoir que l’enseignement du docteur Lacan, bien
signaler aux Belges l’existence, ici en Belgique, de que sa personne nous manque, n’a pas fini de
cette École de la Cause qu’il choisit et adopta après produire ses effets, de produire ses enseignements si
bien des dissensions. Nous avons constitué à votre je puis dire, aussi bien dans le domaine de la
intention une farde de presse que vous avez pu direction de la cure psychanalytique, de la clinique,
prendre à l’entrée et qui reprend les informations que de la formation des psychanalystes. Et il me
essentielles concernant le fonctionnement de cette semble que le sens premier de cette école,
École. Vous y trouverez une approche des théories effectivement en se référant à cet enseignement,
de Freud, des théories de Lacan, et quelques c’est de poursuivre dans la voie d’en produire les
exemplaires des publications de l’École de la Cause effets.
freudienne à Paris et à Bruxelles. La conférence de JACQUES-ALAIN MILLER : Nous ne sommes pas
presse se déroulera en français puisque nos hôtes dans le lieu que nous inaugurons. Nous sommes
viennent de France. Les personnes qui seraient dans un lieu passe-partout, qui a tout à fait sa
d’expression néerlandaise pourront poser leurs commodité et ses avantages, mais nous sommes
questions en néerlandais, nous pourrons les traduire. dans un lieu passe-partout pour inaugurer un lieu qui
Je donne maintenant la parole à Colette Soler. ne l’est pas, c’est un lieu bien défini, dont nous
COLETTE SOLER : Quelques mots simplement, espérons que l’École de la Cause freudienne en
pour ouvrir cette rencontre et inviter aux questions, Belgique pourra fortifier son identité. Ce lieu, c’est
qui, j’espère, ne seront pas toutes insidieuses. Vous le 80 de la rue Tenbosch à Bruxelles-Ixelles, qui va
savez sans doute que Jacques Lacan, depuis 64, à donc être le second siège de l’École de la Cause
savoir depuis la date de la création de l’École freudienne, après celui qui est ouvert dans le 6ème
freudienne, a toujours souhaité que ses élèves soient arrondissement de Paris. Il est remarquable que cette
réunis dans une école. Aujourd’hui, cette école, c’est École fasse cet effort et soit en mesure de le faire un
l’École de la Cause freudienne, créée en janvier an après le décès du docteur Lacan, puisque c’est ça
1981, après la dissolution de l’ancienne école. notre conjoncture. Ce décès pouvait se traduire par
Je noterai deux particularités de l’École de la Cause la dispersion des élèves du docteur Lacan. Au
freudienne. D’abord une que j’évoque en premier contraire, nous sommes en mesure, un an après,
puisque nous sommes à Bruxelles. Il est en effet d’affirmer l’extension de son enseignement. C’est là
visible pour vous que c’est une école franco-belge. un témoignage qui permet d’interroger aussi ce qui
Nous sommes ici à l’occasion de l’inauguration du s’est passé un an après la mort de Freud. Qu’est-ce

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qui s’est passé après la mort de Freud ? Des choses de ses thèses, mais essayer d’avancer dans la même
très différentes parce que Freud a eu le désir de tenir voie. C’est sans doute une entreprise vitale pour la
réunis ses élèves dans une institution internationale. psychanalyse, elle qui reste vitale dans la zone
C’est là quelque chose, en définitive, de tout à fait d’influence de Lacan, alors qu’il est sensible qu’elle
surprenant, qu’il ait d’emblée affirmé la dimension connaît un arrêt décadent, une décrépitude dans les
internationale de l’analyse. Il n’a pas voulu la limiter zones qui ont été celles de l’influence de cette
à des frontières et en même temps, il a voulu donner psychologie du Moi, par exemple, qu’il y a un
à ce monde une direction, un exécutif central qui dessèchement dont on se demande pourquoi il n’a
s’est trouvé déporté à cause de la seconde guerre pas été plus rapide, vu la pauvreté foncière qui
mondiale aux Etats-Unis. Par rapport à cela, il est inspire la pratique de ce courant. Cette vitalité
sensible que l’influence de l’enseignement de Lacan suppose évidemment qu’on ne pense pas que la
a été, avant tout, européenne. Après la mort de survie de la psychanalyse passe par son
Freud, ses élèves se sont divisés en deux courants homogénéisation à l’idéologie ambiante. C’est la
principaux. Premier courant, qui est toujours tentative des psychologues du Moi, de ces analystes
majoritaire dans la psychanalyse dans le monde, il qui se disaient psychologues du Moi, ça a été en
ne faut pas l’oublier, c’est le courant de la définitive de rendre la psychanalyse homogène à ce
psychologie du Moi. Le second, c’est le courant qui qui se développait alors, à ce qui s’est développé
a eu pour chef de file Mélanie Klein, c’est le courant comme soi-disant scientifique et qui, sur le plan
qu’on peut appeler "des relations d’objets" et ils ont universitaire, mondialement, a évidemment toute son
failli en venir à une scission, dès après la mort de importance. Le pari de Lacan a été, au contraire,
Freud, au début des années 40. Ils ne sont restés unis d’accentuer la spécificité de l’expérience analytique,
que par la grâce des bons offices des Anglais dans lui donner même sa structure propre, sans s’occuper
cette association internationale. Par rapport à ça, d’aucun syncrétisme. Je crois qu’on peut dire, si
Lacan est un marginal. Je crois que nous n’avons pas Lacan s’est nourri de multiples apports scientifiques,
à avoir peur du mot. C’est un marginal, il se trouve littéraires, il y a une chose qui est tout à fait à
simplement que la marge a un petit peu grossi et que l’opposé de son orientation, c’est le syncrétisme. Au
la marge a eu tendance à manger le texte. Mais contraire, c’est l’accent mis sur le particulier de
enfin, nous sommes dans cette marge et, au fond, l’expérience analytique. Et si, à cet égard, il y a une
nous y tenons d’une certaine façon. Une marge, volonté d’extension de la psychanalyse, dont
singulièrement, qui s’est aussi marquée par la témoignent les contacts que nous prenons de pays à
volonté de fidélité à Freud. Lacan, en effet, n’a pays, c’est une extension de ce particulier-là et pas
voulu annoncer aucune novation par rapport à Freud. un syncrétisme. Alors nous essayons donc de
Le singulier même, c’est ce qui a fait sa marginalité, préserver cet enseignement, je viens de dire
a été sa volonté de retour authentique à pourquoi. Nous essayons aussi de préserver une
l’enseignement de Freud. Le caractère est institution propre des élèves de Lacan.
irréfutable, si on voit ce qu’on fait les gens de la On entend même maintenant que cette internationale
psychologie du Moi, ces analystes qui se sont serait tout à fait disposée à reconnaître Lacan
recommandés de la psychologie du Moi. On peut comme un très grand psychanalyste, maintenant
prendre pour repères certains ouvrages New-yorkais, qu’il est mort. Récemment, dans un article anglais
assez récents, de ce courant. Cela vraiment consiste issu de cette internationale, on pouvait lire que,
à considérer que Freud est arrivé à une théorie depuis Freud, Lacan était le psychanalyste le plus
scientifique, avec son livre "Le Moi et le Ça" de original. Autrement dit, on ne demande pas mieux
1923, quand il divise l’appareil psychique entre Ça, que de ranger maintenant les ouvrages de Lacan
Moi, Surmoi et que tout le reste est caduc. Ils n’y dans la bibliothèque de l’internationale comme ceux
vont pas par quatre chemins, ils balancent par dessus d’un fils prodigue dont on s’apprête à reconnaître
bord les trois quarts de l’œuvre de Freud. Alors, qu’il a été un psychiatre tout à fait classique dans sa
après la mort de Lacan, qu’essayons-nous de faire jeunesse, reconnu par ses pairs et ses supérieurs,
dans cette École de la Cause freudienne ? D’abord, qu’il a fait tous ses grades dans l’internationale,
nous essayons de préserver l’enseignement de Lacan avant de suivre son propre chemin. Eh bien, nous,
dans son intégralité, ne pas faire comme ces héritiers nous essayons d’empêcher ce qui certainement
de Freud qui ont commencé à l’amputer de la plupart s’appellerait une récupération. Bien sûr, il y a de
de ses œuvres, le préserver dans son intégralité et le quoi récupérer Lacan c’est-à-dire qu’il y a à manger
préserver dans son orientation, ce qui, après tout, ne chez Lacan, pour tous ces analystes. Je vois le
veut pas dire simplement le répéter, répéter l’énoncé processus se faire en Amérique Latine où l’influence

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de Lacan est très grande. Nous voyons les analystes licencié en philosophie, à une interprétation des
de l’internationale, le C.P.I., essayer de se frotter un textes de Lacan, que j’ai même réalisé une série
petit peu de Lacan pour revitaliser leur influence. Il d’émissions sur ce thème, sur les thèmes lacaniens,
faut empêcher cette récupération parce que ici à la radio, dont j’ai même défendu certains
l’enseignement de Lacan, sa théorie suppose une thèmes dans mon mémoire, ce qui a suscité dans le
pratique cohérente, une pratique incompatible avec cercle des philosophes, ici, en Belgique, de drôles de
celle qui se fait dans l’internationale. Elle suppose questions. Quand j’ai constaté à un moment donné
en particulier que respecter la structure de que l’École était en dissolution, en 79, j’ai donc
l’expérience analytique est tout à fait différent que suivi un peu le cours des choses, que ce soit dans
de respecter des standards uniformes de cette "Le Monde" ou d’autres quotidiens. Aujourd’hui, si
pratique. Il y a en effet un vieux débat qui dure sur la vous présentez votre école à la presse, c’est déjà
standardisation ou non de la séance analytique. La étonnant, comme vous dites dans un lieu qui n’est
thèse de Lacan est que cette durée mérite d’être pas un lieu ?
variable. Et, il faut bien le dire, variable en baisse, C. SOLER : Votre deuxième question consistait à
par rapport à ces soi-disant standards ! demander si nous ne prenons pas le même risque que
L’inconscient, ça ne se confond pas avec la mise en l’annafreudisme. Quel est ce risque ?
état de relaxation, voire d’endormissement du LE JOURNALISTE : Celui de l’institution.
patient (sommet atteint par le fait que le patient se J. — A. MILLER : Pour la première question, je me
mettrait à dormir sur le divan). La pratique de Lacan permets de rectifier vos dates. Lacan a créé une
est cohérente avec une autre idée de l’inconscient. première école en 64, le 5 janvier 80, il a décidé de
Voilà pourquoi nous considérons comme la dissoudre. Pour qu’elle soit effectivement
récupération vulgaire le fait de continuer une dissoute, les membres durent accepter de voter cette
pratique standardisée tout en essayant de se référer dissolution, ça s’est fait le 27 septembre 1980. A la
de l’inconscient. Voilà pourquoi nous tenons à une suite de cette dissolution, que voyons-nous
institution spécifique lacanienne et dans l’inspiration aujourd’hui ? Il y a, d’une part, l’école qu’il a créée
freudienne. Voilà pourquoi nous faisons cette École en janvier 1981, qui s’appelle l’École de la Cause
de la Cause freudienne. Je dirais même qu’en freudienne et qui fonctionne depuis lors avec un
Belgique, il y a peut-être des raisons spéciales de certain nombre d’anciens membres de la première
s’apercevoir de ça. Je crois que si un certain nombre école, et un certain nombre de membres qui ne
de membres de l’école belge de psychanalyse a faisaient pas partie de cette première école, qui ont
quitté cette école, l’ont quittée au moment où cette adhéré depuis. Évidemment, cette école, la seconde
école a finalement voulu placer Lacan sur le même école, qui a été créée par Lacan, ne rassemble pas
plan qu’un certain nombre d’épigones de Freud. tous les membres de la première école. Sans ça,
Pour un certain nombre d’élèves de Lacan, ça s’est d’ailleurs, on se demande pourquoi elle aurait été
trouvé être insupportable et c’est pourquoi, en dissoute. Cette deuxième école ne rassemble qu’une
définitive, nous avons fait avec eux, à l’appel de partie des membres de la première école. Alors si
Lacan, une seule école, des deux côtés de la vous voulez dire qu’il y a une division entre la partie
frontière. Nous pensons que, par le fait que de des membres qui est dans cette nouvelle école et
nombreux belges se sont trouvés élèves de Lacan, ceux qui n’y sont pas, je suis d’accord avec vous.
nous n’avions pas là à tenir compte, malgré les Cette école ne prétend pas regrouper tous les
difficultés, des barrières nationales. membres de la première école. Cela dit, ces autres
UN JOURNALISTE : 1. Vous cochez, me semble-t- membres, qui continuent de pratiquer, enfin,
il une division ? Pourquoi ? Est-ce qu’elle existe en auxquels nous souhaitons bonne santé et plein
Belgique aussi, comme en France ? 2. Et deuxième succès, ne se sont pas pour l’instant regroupés dans
chose, est-ce que vous ne risquez pas la même chose une autre institution concurrente. Il est vrai, et cette
que l’annafreudisme ?… /… nouvelle est toute récente, que, depuis l’été et cette
Je ne sais pas si mes collègues ici présents sont au rentrée, il semble exister une petite tendance chez
courant des faits qui se sont déroulés après la ces anciens collègues, à créer chacun pour son
dissolution de l’École freudienne, mais il se fait compte un groupe. Ainsi notre estimée collègue
qu’en ce moment à Paris, il y a deux centres ou Maud Mannoni vient de créer un groupe "Maud
écoles qui s’appellent lacaniennes ou freudiennes.… Mannoni". En juillet dernier, un autre de nos
/… collègues a créé le groupe "x". Et on peut s’attendre
Évidemment le journaliste a le droit de ses sources, vraisemblablement à ce qu’il y ait comme ça,
cependant je vous dit que j’ai accédé, en tant que effectivement, un grand nombre de petits groupes,

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qui aussi sont faits par d’anciens membres. Mais je Les textes fondateurs de l’école sont les textes de
crois que je suis au plus près de la vérité objective en Jacques Lacan de 64 et de 67, en quelque sorte, les
disant qu’actuellement, il y a une école depuis 1981 textes essentiels. Pour ce qui est plus précisément du
qui est celle que Lacan a fondée et qu’à côté de cela, fonctionnement, disons que le principe, la novation
on verra même dans les années qui viennent institutionnelle par rapport à l’école ancienne, c’est
différents groupes dont, je crois, ni l’étendue, ni le ce que Lacan a appelé la permutation, c’est-à-dire
travail, n’est comparable pour l’instant avec celui de que les instances de l’école sont construites sur ce
l’École de la Cause freudienne. Mais c’est bien principe que les responsabilités et charges sont
délicat ce que vous me demandez de faire, nous temporaires. C’est vrai du conseil, du directoire,
sommes venus dans un état d’esprit positif, non pas c’est vrai de toutes les instances. Pour ce qui est de
polémique, qui consistait à présenter notre travail. Si l’enseignement, que vous évoquiez aussi, la situation
vous me demandez trop précisément mon avis sur ce est tout à fait différente de ce qu’elle était du temps
que font les autres… où le docteur Lacan poursuivait son séminaire.
LE JOURNALISTE : Vous avez bien répondu. Je C’est à l’abri de ce vaste enseignement qui a duré
voudrais préciser ma deuxième question qui était pendant des années que se situaient, en quelque
assez brève. Par institution, en tant que critique, je sorte, toutes les autres tentatives d’enseignement. Je
suppose qu’il faut entendre institution, ou bien ne suis pas loin personnellement de considérer que
scientifique, ou bien autre. Parce qu’il me semble, le seul enseignement dans l’École freudienne, c’était
d’après ce que j’ai étudié de Lacan, que l’institution l’enseignement du docteur Lacan, même s’il y avait
ne lui allait pas si bien. Son enseignement est en des groupes de travail ailleurs, autour d’autres
effet spécifique, c’est-à-dire (on l’a reproché personnes. Actuellement, nous sommes privés de cet
parfois) pas du tout scientifique, mais poétique, enseignement qui drainait tous les autres. Le
littéraire, et c’était une des causes de la scission principe qui a été retenu, et qui a été indiqué par le
internationale entre l’annafreudisme et Lacan, pas docteur Lacan, est que quiconque enseigne, le fait à
de son enseignement. Est-ce que vous ne risquez pas ses risques et librement si je puis dire, sans qu’on l’y
cette institution en tant qu’école ? sollicite, ni qu’on l’en empêche. Autrement dit,
UN AUTRE JOURNALISTE : J’ai une autre d’une certaine façon, notre position vis-à-vis de
question à poser. Qu’en est-il de l’expérience de l’enseignement, c’est que chacun peut, voire doit,
l’école, de son fonctionnement, de ses procédures, s’essayer à manifester quelque chose de ce rapport
des enseignements de la dissolution d’une école à l’enseignement.
puisqu’il y a relance de l’école ? MONIQUE LIART : A la suite de ce que Colette
C. SOLER : Je vais commencer par dire quelques Soler vient de dire, lorsque nous nous sommes
mots à propos de cette dernière question. Car la trouvés à quelques-uns à faire un choix, c’est-à-dire
question précédente est une question très large qui à quitter une institution où Lacan n’avait plus sa
pose le problème de ce qu’il y a de singulier dans place puisqu’il était comme ça réduit à la place d’un
l’expérience analytique, avec une institution qui, quelconque parmi toute une série d’auteurs
disons, risque de collectiviser en standardisant. Si je analytiques, psychanalystes. La première chose que
traduis comme ça. nous avons tenté de mettre sur pied, c’est un
Je commence par l’autre question qui est plus enseignement, en mesurant bien sûr la limite
limitée. Si je vous ai bien suivi, vous voulez savoir à qu’avait cet acte puisque, comme dit Colette Soler,
quoi cette École actuelle de la Cause freudienne dans l’enseignement, chacun n’engage que lui-même
peut être considérée comme une contre-expérience et non une école. Comme nous n’avions pas nous-
institutionnellement. J’emploie le terme de la contre- mêmes une longue expérience ou certains
expérience en tant que citation. C’est le terme que pratiquement pas d’expérience d’enseignement à
Lacan lui-même a employé lorsqu’il a effectivement l’école belge de la psychanalyse, nous avons
appelé à la création de cette école, "tenter une demandé l’appui de la section clinique à Paris qui a
contre-expérience". Alors sur le plan du été créée par Jacques-Alain Miller, en marge de
fonctionnement, puisque vous posez cette question, l’École freudienne. La première année,
je crois qu’il y a un certain nombre de choses qui l’enseignement dont le thème était la phobie, a été
demeurent semblables et un certain nombre de assurée par cette équipe de la section clinique de
choses qui sont changées. Ce qui demeure Paris. Cet enseignement a eu lieu au "Vieux Saint-
semblable, ce qui n’a pas changé, et qui, par Martin", de façon artisanale. Maintenant les choses
exemple, se trouve dans l’annuaire que l’École de la s’organisent un peu et certains d’entre-nous
Cause vient de sortir, ce sont les textes fondateurs. participent à cet enseignement. Le programme de

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l’année dernière a porté sur la psychose. psychanalystes ont une tendance un peu naturelle à
L’enseignement de la théorie sur la psychose de ne pas faire des institutions et ce qu’il attendait des
Lacan n’est pas complet, Lacan a donné des psychanalystes, ce n’est pas du tout qu’ils fassent
indications qui restent encore mystérieuses pour des institutions, c’était qu’ils fassent ce qu’il appelle
nous-mêmes. C’est à travers ces questions laissées une école. Je crois que ce n’est pas pour rien que ce
par Lacan que nous essayons de questionner la terme d’école a toujours été accentué dans ce qui
pratique de la cure du psychotique. Cette année, s’est fait autour de Lacan et je crois qu’il faut mettre
après un enseignement théorique sur la psychose, ça en rapport, par exemple, avec un petit texte de
nous allons essayer de reprendre des études de cas lui, généralement méconnu, qui est "Prière
de la direction de la cure du psychotique. Le docteur d’insérer" qu’il a fait mettre au dos de la couverture
Lacan n’a pas laissé lui-même d’études de cas. Il a des Écrits. Je ne me souviens plus par cœur du texte
travaillé la psychose à travers les écrits de Schreber mais la première phrase dit, en somme, ceci : "Il
comme Freud l’avait fait d’abord. Le docteur faut avoir lu ce recueil dans son long pour se rendre
Duquenne a traduit les écrits de Schreber, Lacan a compte que s’y poursuit un seul débat. Quel est ce
travaillé cette thèse dans un premier temps de son débat ? C’est le débat des lumières". Et je crois que
enseignement. Il est revenu sur la question de la ce terme d’école, qu’on peut en quelque sorte
psychose beaucoup plus tard dans un texte sur opposer à celui d’institution, prend sa raison d’être
Joyce. Lacan n’a jamais publié aucun de ses travaux dans le fait que, pour Lacan, la psychanalyse relève
sur la psychose, donc nous nous trouvons un peu à d’une démarche logique, une démarche sur laquelle
court d’indications sur le traitement de la psychose. il faut faire la lumière. Pour faire la lumière sur ce
Alors, cette année, toujours en collaboration avec qui est la psychanalyse, il faut précisément essayer
les enseignants de la section clinique de paris, nous de s’organiser autrement que dans ce qu’on appelle
nous proposons de travailler un peu les textes de la généralement une institution. Je crois que c’est un
littérature anglo-saxonne où l’on trouve aspect qui est à souligner et auquel on est attentif
énormément de cas de psychoses. Et la question qui aussi bien à Paris qu’à Bruxelles. C’est pourquoi
va se poser pour nous, à savoir la question de savoir dans le groupe qui se forme à partir de cet
en quoi nous nous différencions, à travers le enseignement, on accentue tellement cet aspect de
discours de Lacan, d’une certaine manière de l’enseignement précisément.
considérer la psychose, le diagnostic de psychose ne C. SOLER : Un petit mot simplement sur la question
se basant pas toujours sur les mêmes critères, cela de l’institution en la prenant au sens large, je pense,
reste un débat qui sera ouvert cette année. En telle que vous l’employez, vous incluez École dans
dehors de ça, un enseignement se fait à la rue l’Institution.
Tenbosch où chacun peut proposer des séminaires, LE JOURNALISTE : Non, non, c’était bien comme
groupes de travail en rapport avec ce travail de la je dis : scientifique.
psychose ou d’autres thèmes. C. SOLER : Quand même, je vais faire simplement
CHRISTIAN DEMOULIN : Un petit mot pour une remarque. Il est certain que si Lacan a été,
signaler que le travail de l’École de la Cause ne se comme Jacques-Alain Miller l’a dit, marginal et
fait pas uniquement à Bruxelles et, qu’en fait, il y a reste marginal par rapport au grand courant de la
des analystes rattachés à cette école également à psychologie du Moi, il faut dire que sur le plan de
l’intérieur du pays. Je dois ajouter que cette année, l’institution, s’il s’est trouvé hors de l’institution
à Liège, nous avons débuté un enseignement public internationale, ça n’est pas de son fait. Il n’a à
sous forme de conférences. Le premier cycle de aucun moment semblé considérer, c’est-à-dire qu’il
conférences est organisé en dehors des séminaires, l’a considéré après coup, il n’a jamais laissé
sous le titre "Aspects de l’enseignement de Lacan", entendre que son enseignement était tel qu’il ne
où nous avons invité notre collègue de Bruxelles, pouvait pas voisiner dans l’institution. Donc il faut
Serge André, à venir donner ce premier cycle de quand même noter qu’il n’a jamais non plus poussé
conférences, mais qui n’est que le début d’une à l’éparpillement des psychanalystes. Vous savez, le
volonté des Liégeois notamment de mettre sur pied psychanalyste tout seul face à son expérience, ça n’a
un enseignement de psychanalyse rigoureux en jamais été la position du docteur Lacan et je crois
province. que c’est bien pour ça que il en a créé une autre.
SERGE ANDRE : Je vais reprendre la question de C’est-à-dire qu’il y a une certaine fonction de
l’institution, parce que je crois que, s’il y a quelque l’institution comme cadre et comme soutien de
chose de remarquable chez Jacques Lacan à ce l’élaboration du travail des psychanalystes.
sujet, c’est au fond qu’il a très bien repéré que les

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RACHEL FAJERSZTJAN ; C’est sûrement en ce localisés autour de ça, des spécialistes de ce point-
sens qu’il a tellement insisté sur le travail en cartels là : spécialistes du border-line, spécialiste du self,
et les permutations régulières. Je crois enfin ces choses comme ça. Évidemment, on pourrait
qu’effectivement, il allait tout à fait à l’encontre de souhaiter quand même qu’il ne s’agisse pas que
l’analyste qui travaille tout seul. chacun trouve sa petite spécialité, il s’agit à chaque
MICHEL SILVESTRE : Une remarque sur cette fois de reprendre dans son ensemble le corpus
question de l’institution, l’institution des analystes. théorique. Ce qui, là, demande un autre type de
C’est qu’habituellement, si des analystes pouvaient relation précisément institutionnelle que de simples
avoir cette tendance à fabriquer (des institutions, relations professionnelles ou corporatistes.
c’est pour des raisons techniques). JACQUES-ALAIN MILLER : Quelqu’un a demandé
Ce n’est pas pour rien, par exemple, que pourquoi on s’adressait à la presse.
l’internationale, les ouvrages qu’ils ont pour former Je n’ai pas l’impression que cette salle grouille de
les analystes s’appellent "techniques de la journalistes. Mais enfin, c’est le principe, bien
psychanalyse". Alors que, évidemment à l’École entendu, qui compte, c’est le principe d’avoir tenu à
freudienne, ensuite l’École de la Cause freudienne, s’exprimer dans un centre international de presse.
je pense que le souhait de Lacan était de tourner le Je trouve intéressant de justifier ce choix. D’abord
dos tout à fait à ce motif d’institution et en trouver en remarquant que la presse ne nous a pas attendus
un autre. Alors, il y a d’abord effectivement les pour s’intéresser à la psychanalyse, en général,
remarques qui sont devenues célèbres, à savoir pour les plus mauvaises raisons. Il est normal
qu’après tout, l’analyste a à décider tout seul s’il qu’elle ait fait un grand écho à la dissolution de
veut pratiquer la psychanalyse. Après tout, tout le l’École freudienne de Paris, un écho encore plus
reste c’est de l’aménagement. En tout cas, une grand au décès du docteur Lacan. Enfin, il faut bien
institution n’a pas tellement à y mettre de barrières. dire qu’en général il faut du fracassant, voire du
C’est tellement juste qu’il a remarqué une ou deux scandaleux pour qu’on parle de psychanalyse dans
fois que lorsqu’il a énoncé ces remarques, c’était les journaux. Je parle au moins pour la presse
plutôt pour faire une constat. Seulement, c’est un française. Je ne suis pas renseigné sur la presse
peu évidemment dire "le roi est nu". Il y avait une belge. Alors, puisque la presse s’occupe à l’occasion
sorte de pratique clandestine d’analystes qui de psychanalyse, nous pouvons justifier de nous
s’installaient comme ils voulaient et néanmoins les adresser à elle, au moment où il s’agit de
institutions gardaient, proclamaient une sorte de l’ouverture d’un lieu de travail qui s’est fait sans
rigueur de la professionnalisation. Pourquoi ça ? subvention d’aucun établissement d’état français ou
Évidemment, si on retire ce motif, la belge et où on pourra trouver une bibliothèque et
professionnalisation, aux institutions, les analystes des instruments de réflexion qui ont été réunis par
sont bien embarrassés parce qu’en effet, il ont de les membres de l’École de la Cause freudienne
plus grandes difficultés habituellement à démontrer, comme par un certain nombre de personnes qui ont
justifier, expliciter et à authentifier leur pratique et bien voulu cotiser pour cette création. Et après tout,
leur profession sur autre chose que sur une sorte de il est légitime d’appeler l’attention de la presse pour
rituel corporatiste. Alors évidemment, c’est un petit un événement de cet ordre. Je dirai deuxièmement
peu face à cette question que nous sommes, il me que la psychanalyse est vouée à une dimension du
semble que c’est un peu ça que désigne votre terme privé et qu’une certaine discrétion convient aux
de scientifique. Au fond, comment une institution psychanalystes. Lacan, qu’on imagine comme un
d’analystes peut apporter quoi que ce soit à un personnage très répandu, s’en est toujours tenu à
analyste d’autre, enfin exclu, que soient une certaine discrétion comme on peut le voir si on
exclusivement les filières professionnelles. C’est songe qu’il a publié son premier livre de
aussi la raison qui explique qu’il s’agit d’une École psychanalyse, un recueil d’articles, à l’âge de 65
de la Cause freudienne et non pas une institution ou ans. Ce n’était pas un petit maître pressé, le docteur
un institut que déjà, après tout, on se soucie de la Lacan, pressé de faire connaître son nom. On le
cohérence du soutien théorique, parce que dans le constate aussi lorsqu’on s’aperçoit que les deux
même temps où les analystes se précipitent dans des seuls documents filmés qu’ont ait de lui, c’est
institutions, ce qu’on constate, c’est que, en tout cas, "Télévision" qu’on verra ce soir, qui a été réalisé en
les analystes qui écrivent, qui publient 1973, il avait 72 ans déjà, vraiment, à l’initiative
l’internationale, on constate souvent qu’après un d’un jeune cinéaste qui s’appelle Benoît Jacquot et
certains temps, ils élaborent un petit point de la qui s’est trouvé le demander au docteur Lacan. Le
théorie et en quelque sorte ils restent complètement docteur Lacan l’a eu à la bonne, il l’a trouvé

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sympathique et il a bien voulu le faire pour lui faire s’adressent à nous pour une formation qui
plaisir. La seule autre trace filmée, est un interview concernerait certains problèmes. Ce que vous dites
donné à la télévision belge, spécialement à là, c’est une personne qui souffre, oui, bien sûr, et
Françoise Wolf, et dans les années 70 parce que pour l’instant il faudra encore faire certains pas en
sans doute, elle l’avait gentiment demandé aussi. On avant pour y répondre. C’est-à-dire que le travail
ne peut donc pas dire que le docteur Lacan est d’une formation théorique a été d’abord mis en
quelqu’un qui soit monté sur l’estrade. Même pour œuvre, que d’autres questions sont tout aussi
son œuvre, il a péché par excès de discrétion plutôt importantes.
que par un appel tapageur. Alors il nous semble que, JACQUES-ALAIN MILLER : Pas plus la rue
puisque la psychanalyse est effectivement vouée à Huysmans que la rue Tenbosch ne sont des
une certaine discrétion sociale, il n’est pas mauvais, dispensaires, des centres d’hygiène mentale.
lorsque l’occasion se présente, d’appeler l’attention Néanmoins, dès lors qu’on ouvre un lieu où se
du public sur l’ouverture d’un lieu, puisque c’est ça débattent des questions de psychanalyse, il est
qui nous rassemble, qui n’est pas seulement destiné certain que ne viennent pas seulement des gens dans
aux psychanalystes. Ceux sont des lieux qui sont, un but d’érudition, d’étude. Viennent aussi des gens
par cette institution, mis à la disposition du public qui veulent connaître la liste des analystes qui
en général, et en particulier les bibliothèques qui existent dans tel ou tel endroit, dans d’autres villes et
seront réunies seront accessibles aux étudiants peuvent là trouver des indications. Je crois
comme aux personnes qui pourraient le désirer. qu’évidemment, il y a dans la tâche d’une école,
Donc, ces deux raisons me paraissent justifier que, quelque chose qui concerne, comme l’a dit Di
pour l’ouverture du local, nous ayons souhaité que Ciaccia, la formation des analystes. C’est un aspect
la presse soit informée. qui ne concerne pas le public. Si, tout de même,
UNE JOURNALISTE : Je veux souligner la parce que, fort heureusement, la profession de
difficulté, lorsqu’on a affaire à un public plus large, psychanalyste n’est pas réglementée. Il n’y a pas de
d’expliquer ce qu’est, ce que va représenter, en quoi diplôme d’état. La formation est donc assurée par en
va consister cette ouverture. Même si le journaliste a fait par des associations des psychanalystes eux-
vu ce que cela représente, c’est difficile de le faire mêmes. Quelle que soit la présence des analystes
passer à un public large. dans les universités, en France dans le département
ANTONIO DI CIACCIA : Moi je dirais qu’il y a au de psychanalyse de l’université à Paris VIII, on n’y
moins deux aspects. Un aspect qui concerne la délivre pas de diplôme de psychanalyse autorisant à
formation des analystes qui est évidemment très exercer la psychanalyse. C’est donc un titre qui est
difficile à faire passer. Mais il y a aussi un aspect libre. Nous essayons donc dans cette école d’assurer
qui est clinique. La plupart de nous, analystes, nous une formation analytique qui soit conforme à ce que
sommes très près de la clinique. Il y a une clinique nous pensons être l’essence de la découverte de
psychologique qui domine, il y a une clinique Freud. Il est trop long d’en détailler le caractère
psychiatrique. Or, il y a, même à faire, une clinique spécifique. C’est à la fois une formation pratique et
psychanalytique. C’est tout un aspect du travail qui théorique, dont on peut dire que celle de Lacan a eu
se fait, qui ne concerne pas seulement une "élite" du succès, qu’il est sans doute, en France, l’homme
mais qui est un savoir allant au-delà de quelques qui a formé le plus d’analystes, peut-être le tiers de
personnes. Cela souligne que nos locaux sont ceux qui exercent en France dans toutes les
accessibles, sont ouverts et qu’en effet il y a associations, pas seulement la sienne. C’est de cette
beaucoup de monde, pas nécessairement analyste, formation que nous nous occupons. Cela intéresse le
ou ne voulant pas le devenir, mais qui se questionne public qui doit savoir à qui il s’adresse lorsqu’il va
avec nous sur certaines choses. demander une analyse. Il est important qu’il
UNE JOURNALISTE : Pour quelqu’un qui n’est pas apprenne la différence entre une analyse
intéressé, ni branché sur cette question, c’est peut- psychologique, une psychothérapie et une
être difficile ? Est-ce que, par exemple, quelqu’un psychanalyse à proprement parler. D’autre part, cette
qui viendrait dans un centre de santé mentale et qui école est un lieu de croisement entre des disciplines
a une difficulté, qui souffre, peut être envoyé à ce très différentes, d’apparences très différentes. Il y a
centre chez vous ? chez les analystes, un souci pour la chose littéraire,
A. DI CIACCIA : Ça c’est une très bonne question. pour les disciplines scientifiques, en particulier chez
Oui, c’est vrai que nous avons beaucoup de Lacan, pour les mathématiques, la logique
problèmes à répondre par rapport à ça. C’est mathématique, un intérêt pour la linguistique et
évident que, déjà depuis deux ans, des gens souvent Lacan a réussi à susciter un intérêt pour la

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psychanalyse chez les praticiens de ces différentes


disciplines, ce qui fait qu’aussi bien à Paris, mais je
l’ai vu aussi à Buenos-Aires, c’est le cas aussi à
Bruxelles, il se trouve qu’une école de psychanalyse
peut être le lieu de croisement assez singulier entre
ces disciplines. La rue Tenbosch pourra être un tel
lieu à Bruxelles.

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LE DISCOURS PSYCHANALYTIQUE ET LE
GROUPE
Éric Laurent
(Débat avec Eric Laurent à propos de la constitution Revenons donc à la question d’aujourd’hui : le
de l’École de la Cause freudienne – Bruxelles, le 17 discours psychanalytique et le groupe. Le discours
mai 1981) psychanalytique comme lien social – on l’a déjà dit
Monique Liart : Eric Laurent nous parlera ce matin et redit – ne concerne que deux personnes :
du discours psychanalytique et du groupe. Je l’ai l’analyste et l’analysant. Rien de semblablé ne lie les
invité à parler d’un sujet à son choix. Vos questions psychanalystes entre eux. Le groupe cependant est
qui rencontreraient nos préoccupations actuelles qui un fait, un fait de rassemblement. Le groupe a des
sont celles de la mise en forme de notre travail effets aliénants que Lacan a tenté de supprimer au
analytique et de la recherche du meilleur maximum en proposant certains modes de
fonctionnement possible avec l’École de la Cause. fonctionnement. Il a proposé le cartel qui
C’est dans ce même cadre que j’avais demandé à fonctionnant comme toute formation de
Michel Sylvestre 1 la semaine passée de parler. Il l’inconscient qui se respecte se fonde sur le fait qu’il
nous a aidés à mieux situer la place de faut être au moins quatre pour qu’il y ait travail
l’enseignement dans la question de la formation de analytique. Quatre plus un, a dit Lacan. Ce serait le
l’analyste. On a pu mieux voir, il me semble, la nombre maximum où on pourrait encore penser se
semaine dernière, mieux démarquer, la nécessité de trouver dans le discours analytique. Second mode de
deux types d’enseignement : l’un dont fonctionnement que Lacan propose c’est l’effet de
l’interlocuteur est le médecin, le psychiatre et qui tourbillon, et ensuite la passe.
justifie donc un enseignement de clinique La passe qui est le dispositif par lequel l’analysant
psychanalytique ouvert à tous ; un autre dont rend compte à la communauté des analystes du
l’interlocuteur serait en quelque sorte le supposé savoir qu’il a acquis de son analyse et de la fin de
savoir, c’est-à-dire la formation de l’analyste, son analyse, en tant que la fin de l’analyse est le
enseignement ouvert à tous également mais plus passage du psychanalysant au psychanalyste. La
particulièrement quand même aux psychanalystes. passe, je le répète encore comme je l’ai dit la
Cet enseignement est la raison d’être d’une école de semaine dernière, n’est donc pas à prendre, comme
psychanalystes. Dans le cadre de ce même certains le disent ici, comme une jambe de bois de
questionnement, il est demandé à Jacques-Alain psychanalyse interrompue. La passe concerne la fin
Miller de nous parler de la fin de l’analyse et de la de l’analyse. Ce n’est pas un moyen de terminer son
passe 2 . Il 1e fera lors de son prochain passage le 28 analyse.
juin. Il a parlé brillamment de cette question pendant Comment ces dispositifs peuvent-ils faire barrage
quelques soirées de Delenda à Paris. Je lui ai aux effets de groupe ? C’est, je suppose, ce dont Eric
demandé tout spécialement de parler de ce thème. Le Laurent va nous parler ce matin. Il s’agit, me
texte de Jacques-Alain Miller me paraît être en semble-t-il, de faire en sorte que le fonctionnement
quelque sorte le texte fondateur de l’École de la entre les analystes soit habité le plus possible… soit
Cause freudienne. Enfin…, l’histoire dira si j’ai habité du même réel que celui auquel l’analyste a à
raison mais ce texte ne fut en tout cas pas sans faire dans la cure. Il n’y a pas de dedans et de
conséquences puisqu’une série de démissions lui ont dehors. C’est là, à ce moment-là, qu’on pourrait dire
été contemporaines. La fin de l’analyse est en effet qu’on échappe aux effets de groupe, c’est quand le
une question théorique cruciale actuellement. Et sur fonctionnement entre analystes serait habité de ce
ce point se démarqueront inévitablement dans même réel qui est celui de l’inconscient, qui est celui
l’avenir ceux qui suivent Lacan jusqu’au dernier de la cure. Lacan, dans le discours à l’E.F.P., disait
terme de son enseignement. Tout cela ne sera visible que le réseau qu’il souhaitait pour sa proposition
évidemment que dans un après-coup. d’octobre 67 était celui de l’expansion de l’acte
analytique. C’est le seul espoir d’ailleurs pour que se
1
Voir Quarto n°III. réalise un autre souhait : que la fin de l’analyse
2
Voir Quarto n°VII. liquide réellement la prégnance narcissique et la ruse
compétitive (ce sont deux termes qui sont repris à la

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proposition d’octobre). La dissolution, comme je l’ai rappeler – vous avez annoncé hier que vous en
dit l’autre jour, est peut-être une chance que Lacan parleriez et je suppose que vous ferez ça mieux que
nous a donnée pour que l’expansion de l’acte moi – il faut quand même rappeler que Lacan en a
analytique ait lieu. Je pense qu’elle a eu lieu en dénoncé les leurres possibles. L’analyse
quelque sens. Donc que le discours entre les interminable qui en est un modèle bien connu et qui
analystes peut s’en trouver modifié. L’acte n’est rien d’autre que la remise en jeu constante du
analytique est cet acte qui ne se boucle qu’à être symptôme, répétition signifiante qui est la marque
passé par une perte. Perte de cette signature qui vise d’une analyse menée du côté du signifiant
à faire de l’acte une propriété. C’est en quoi l’acte uniquement, où donc est absent le lieu de l’analyste
analytique rejoint la dimension du sujet. Le sujet, dit comme coupure dans le réel. Un autre leurre est
Lacan, le sujet dans la psychanalyse il y est mis en l’analyse interrompue, qui est le plus souvent simple
acte. C’est bien sûr du sujet de l’inconscient qu’il fixation sur un trait d’identification, identification
s’agit là. Le sujet du conscient, le sujet du cogito, hystérique à l’analyste. Lacan propose une autre fin
qui est le sujet du faire, du vouloir faire, a basculé d’analyse qui est celle de la traversée du fantasme
dans quelque chose qui est plus proche de l’acte fondamental, c’est-à-dire une cure qui comporte une
manqué que de l’acte conscient. Le reste de fin réelle. Réelle au sens où c’est un changement de
l’opération est une inscription qui est corrélat du structure qui est visé, au sens d’une perte de quelque
signifiant qui a opéré, mais non la signature d’un chose comme un bout de réel. Je suppose qu’Eric
individu auteur de l’action. Ce type de Laurent va en parler.
fonctionnement met quelque lenteur à s’établir entre Ces semblants de fin d’analyse sont probablement
nous. Il n’y a rien d’étonnant à cela. C’est là que je une des raisons de l’échec de la passe à l’école
voudrais amener la question de la formation de freudienne. Cela nous met devant une question
l’analyste, de notre formation. C’est en rapport à éthique que nous ne pouvons écarter. Il est inutile de
cette dimension d’acte précisément qu’une école se rappeler je crois que l’on ne peut mener une analyse
distingue d’un groupe. Une école a une seule fin, plus loin qu’au lieu où on a mené la sienne propre.
celle de la formation des analystes. Je marque là La panne des groupes psychanalytiques est liée à
mon étonnement devant le fait que ce point fasse cette question. Ce point de l’éthique de la
tellement résistance chez certains ici. Qu’est cette psychanalyse prend toute son importance pour nous
résistance sinon, on pourrait dire, une autosuffisance qui en sommes au point de commencer quelque
qui porterait ceux-là à croire que leur formation à chose qui ne pourra pas ne pas s’appeler une école,
eux est terminée. Car se préoccuper de la formation si nous tenons notre place d’analyste. Le contraire
de l’analyste c’est d’abord se préoccuper de la serait le signe et le risque de notre échec. École non
sienne propre. La psychanalyse en intension ne peut pas au sens d’institution locale mais au sens de prise
faire l’objet d’un tel refoulement alors qu’on se de responsabilité de la chose analytique. La passe est
donne tant de prétention du côté de la psychanalyse la seule garantie que nous pouvons donner à nos
en extension : conquête de l’université, des milieux analysants. Il n’y en a pas d’autre. Car si la
psychiatriques… Tout ça est très bien à condition dimension du semblant est constitutive même du
qu’on ne perde pas de vue que le réel qui nous discours de l’analyste, l’analyste tenant dans le
occupe et qui occupe toute la pensée de Lacan, toute semblant la place de l’objet a, il ne peut être une
sa théorie comme on dit, c’est ce qui se passe sur le justification à ce que le semblant s’empare à ce point
divan : c’est l’inconscient. de tout le fonctionnement qui régit la formation de
Il ne faut pas si rapidement oublier cette phrase de l’analyste. Semblant de fin d’analyse, semblant
Lacan dans la proposition d’octobre : "Retirez savoir faire un analyste, formule donnée par
l’Œdipe et la psychanalyse en extension devient Jacques-Alain Miller au forum pour désigner le
toute entière justiciable du désir du président didacticien… et le didacticien n’est pas si loin de
Schreber." Or la psychanalyse en intension, que nous ici en Belgique.
questionne-t-elle sinon la fin de l’analyse et la passe. Je terminerai en questionnant la formulation de
C’est ça que je disais l’autre jour quand j’ai employé Lacan dans la proposition d’octobre mais surtout
le mot "cursus" qu’on m’a reproché. Le chemin que dans le discours à l’E.F.P., du fait qu’il parle
Lacan nous propose c’est la fin de l’analyse. Pas beaucoup du non analyste. Il me semble que ce
n’importe quelle fin mais la passe. C’est la seule terme est employé souvent de façon erronée. En
chose qui pour moi est recouverte par ce terme en relisant le discours à l’E.F.P., il m’a semblé de plus
tout cas, si ça peut faire ambiguïté pour certains ici. en plus qu’il fallait entendre ce terme de façon
A propos de la fin de l’analyse il faut quand même positive et que le côté péjoratif serait du côté de

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l’analyste justement. Il me semble que quelques je pense que c’est de ce côté-là qu’on peut interroger
années plus tard après son séminaire Encore, Lacan les rapports entre un analyste et une école. Et doit
aurait pu dire le pas-tout-analyste opposé au tout- faire groupe… la question est des effets de groupe et
analyste. Le non-analyste n’est pas dans ce texte, il du groupe analytique.
me semble, l’équivalent de l’universitaire puisque D’après ce que Lacan nous dit, et il nous le dit
Lacan dit bien qu’il est analysant et même praticien. explicitement, il n’y a aucune nécessité de faire
L’analyste serait donc du côté du tout. Je situerais ce groupe pour des analystes. Je souligne d’abord
point de bascule du côté de celui qui se prendrait "aucune nécessité" puisqu’il semble que ce qui
pour un analyste. Jacques-Alain Miller avait dit ici circule comme citation de Lacan c’est : nettoyé de
qu’on ne pouvait qu’espérer que l’ère du pas-tout- toute nécessité de faire groupe. C’est assez curieux
analyste pouvait commencer, que le temps de la comme déplacement de la phrase de Lacan. Alors
fonction phallique, de la jouissance phallique de ma question, ma double question, est celle-ci : y a-t-
l’analyste était terminé et qu’on était mis devant la il pour l’analyste nécessité à faire groupe ? Y a-t-il
question du pastout-analyste. Il me semble que c’est pour l’analyste nécessité à faire école ?
bien cette question-là que questionne la passe. Le Je reprends la première partie de la phrase d’Eric
passage à l’analyste, au tout-analyste d’une certaine Laurent qui est "c’est parce que l’analyste est seul
façon, se paye d’un oubli. C’est un fait de structure. dans sa pratique". Qu’est-ce que ça veut dire
La fin de l’analyse qui est coupure opérée dans le "l’analyste est seul dans sa pratique" ? Il est seul en
réel de la structure conduit à un changement de tant que divisé dans l’acte analytique, simultanément
structure. C’est une autre manière d’appeler la coupé de sa fonction et par sa fonction. Cette
guérison. Lacan est revenu sur ce terme de guérison division, effet de la chute de l’objet a, situe la place
lors d’une des dernières communications qu’il a faite du réel dans la cure. Cette certitude est ce qui permet
à un des derniers congrès de l’école freudienne. à l’analyste de ne pas reculer devant son acte. La
Guérison, on peut dire qu’il y a dans la mesure où il question qui se pose à cet endroit est la suivante :
y a un état de souffrance qui est disparu quand d’où l’analyste tient-il cette certitude. Lorsqu’on dit
même. L’effet inévitable en est l’oubli de ce qui était que l’analyste est seul dans sa pratique, est-ce qu’il
avant. Et la passe serait me semble-t-il cette ascèse le dit au nom de son expérience ? Par exemple qu’il
que Lacan nous demande, que Lacan demande au est seul dans son fauteuil ou je ne sais quoi. Ou bien
pas-tout-analyste, une ascèse qui est en fait une lutte est-ce qu’il le dit au sens où Lacan nous dit : il suffit
à mort contre l’oubli de ce qui était avant, l’oubli de qu’un s’en aille pour que tout se défasse. En d’autres
cette souffrance – il est quand même plus termes lorsqu’on parle de seul dans sa pratique je
confortable de l’oublier. Il nous demande de ne pas pense que ça se réfère effectivement à la seconde
l’oublier pour que puisse être théorisé ce temps de formulation, donc à une certaine manière de
passage de l’avant à l’après la coupure. C’est ainsi concevoir le rapport au réel. Alors je reprends la
que je définirais la passe. question autrement. A quel réel cette pratique fait-
Bien, je pense que Pierre Malengreau avait quelques elle référence ? Or il semble bien que suivant les
questions à poser à Eric Laurent, effets que cela produit ce ne soit pas du même réel
Pierre Malengreau : qu’il s’agisse. Suivant qu’il y a effet de groupe ou
On ne peut pas dire qu’une analyse ça fasse du bien, suivant qu’il y a détermination à vouloir faire école.
on peut le regretter mais en tout cas c’est comme ça. Je souligne le mot "faire école" parce que entre faire
Mais est-ce pour ça que les analystes se donnent tant groupe et faire école il y a une différence
de mal du côté des effets de groupe à vouloir faire d’importance, que faire école est en soi une
école ? Je n’ai pas fait de texte alors je vais plutôt métaphore. Quand je dis que ce n’est pas le même
interroger Eric Laurent sur une phrase qu’il a réel qu’est-ce que cela veut dire. Est-ce le réel d’une
prononcée au Forum, phrase qui va me servir de expérience subjective ? Alors on sait bien que se
prétexte pour poser mes questions. Alors je la cite, je raccrocher à cela est ce qu’il y a de plus facile. C’est
l’enlève du contexte mais je la cite : "C’est parce ce qui permet d’ailleurs en utilisant des mots comme
que l’analyste est seul dans sa pratique qu’il ne peut désêtre, traversée du fantasme et des tas de trucs
être le seul et doit faire groupe". Je crois que je cite comme ça de faire justement groupe. Dans la mesure
justement. Je vais utiliser cette phrase pour où on se réfère uniquement au réel d’une expérience
interroger le "c’est parce que…" et interroger le "il subjective il en découle nécessairement des effets de
ne peut être le seul ET doit faire groupe". Je pense prestance. Il y a un autre réel que l’on peut mettre en
que cette phrase comprend trois termes. L’analyste avant qui est le réel en tant qu’il implique de l’Autre.
est seul dans sa pratique, un. Il ne peut être le seul ;

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La question se pose à cet égard. Comment se fait-il d’une élégance rare (ça permute, en tournant
que l’on glisse d’un réel à un autre ? Disons-le simplement, quatre lettres), c’est maintenant
autrement. Comment se fait-il que le glissement l’entreprise structuraliste la plus achevée de l’œuvre
puisse s’effectuer de la nécessité de faire école aux de Lacan, ces quatre discours. Réduire la richesse, la
impasses de vouloir faire groupe ? Je pense qu’on diversité, la bigarrure de ce qui se dit à quatre, et
peut répondre un peu à cette question. C’est quand strictement autour d’un dispositif d’une simplicité
les analystes se placent au niveau du réel comme radicale, c’est sûrement – il appelle ça lui-même
impossible à supporter, c’est-à-dire comme ainsi, dans Radiophonie le moment où il présente ces
référence à la clinique et à la subjectivité d’une textes – des schèmes structuraux. Vous voyez ça !
certaine manière. S’en tenir à cela ça produit Schèmes structuraux ! Schème c’est un terme
nécessairement des effets de groupe. C’est en tout kantien, on met structural derrière et on obtient ces
cas ce qu’on constate actuellement. Par contre, à petits quadripodes qui circulent, donc on se demande
mon avis, quand les analystes se placent au niveau exactement jusqu’où a-t-il voulu aller… Cette
du réel comme impossible à dire, il semble bien que entreprise structurale, au fond, lui-même qu’a-t-il
la rivalité de groupe n’ait plus cours. Ça produit, à visé là ?
mon sens à cet endroit un effet d’école et non plus En plus pourquoi a-t-il attendu 1972 pour parler du
de groupe. Alors qu’est-ce qui fait que l’on glisse de discours psychanalytique ? Il aurait pu en parler
l’un à l’autre, ça me paraît une question tout-à-fait avant. Après tout le docteur Lacan pratique la
ouverte. Pour paraphraser pour terminer une phrase psychanalyse depuis 1936. Ça aurait pu lui venir à
de Lacan, ce qu’il nous dit de la réalité, je le dirais l’idée avant de parler du discours psychanalytique.
pour le groupe. Le groupe est ce que, c’est ce qui Nous ça nous vient tout naturellement maintenant.
permet aux analystes de continuer à rêver… On se demande pourquoi dans les années 50 il ne
Eric Laurent : parlait pas du discours psychanalytique. Eh bien, il
Alors moi je vais effectivement, pour me changer un n’en parlait justement pas du tout. Il parlait du
petit peu d’hier soir, plutôt que d’enchaîner sur un discours concret par exemple, mais il ne parlait
autre exposé, je vais répondre aux questions que jamais de la psychanalyse en tant que discours. Si on
vous avez bien voulu me poser, suivre un peu le fil relit par exemple le séminaire sur les psychoses
que vous avez centré. L’un, Monique Liart, mettant (bientôt on va pouvoir le relire puisqu’il va être sous
l’accent sur la question de la passe comme étant la une forme lisible et présentable édité par Jacques-
clé de la question de la garantie – voir même dans Alain Miller, alors qu’il est pour l’instant sous forme
votre expression : la passe comme seule garantie – et d’un tissu de photocopies pratiquement illisibles
d’autre part la façon dont Pierre Malengreau tellement c’est mal pris), on avait une opposition…
saisissait ces rapports de l’école et du groupe. Il parle de discours concret en tant que c’est
Au fond qu’est-ce que Lacan a dit quand il a dit qu’il simplement le poids de ce qui s’est dit depuis
y avait un discours psychanalytique ? Qu’est-ce que toujours qui fait que l’Autre est présent là réellement
ça veut dire ? Le discours psychanalytique comme dans le discours concret. Le discours concret c’est
lien social… donc nous transmettons ça, mais enfin beaucoup plus le poids de la culture et de la connerie
il ne faut pas oublier le moment de surprise quand, ambiante, tout ce qui nous tombe sur les épaules. Et
lors des années 70, il a expliqué que le discours est la psychanalyse c’est plutôt le contraire, ce qui vient
un lien social. Surprise générale. Quand même en opposition à ce discours concret. La
partout ailleurs personne ne pense que le discours est psychanalyse, c’est une opération de trouée dans le
un lien social. Tout le monde pense qu’il y a des discours. Le discours concret c’est le poids de ces
liens sociaux – on parle – mais qu’enfin ça n’est tout mots, comme dit Mallarmé, ces mots qui circulent
de même pas le discours qui détermine le lien social. comme des monnaies usées de main en main et plus
Et de quel lien social s’agit-il, en plus ? Parce que personne ne sait ce que ça veut dire, plus personne
tout de même ces quatre discours sont complètement ne sait ce que c’est, mais c’est là, ça pèse. Et
baroques. De considérer que les quatre discours qui l’opération de l’analyste est plutôt de repérer des
font lien social à notre époque sont le maître, effets qui enfin fragmentent le mur du langage, ce
l’hystérique, l’universitaire et l’analyste, c’est mur qui fait que nous répétons des mots en ne
absolument surprenant. De réduire, de considérer sachant plus ce que c’est, en faisant en sorte que ça
qu’après tout, tout ce qu’il y a d’expérience concrète ne nous fait plus rien et qu’ils s’accumulent comme
– il dit même tout ce qu’il y a d’expérience possible des briques pesant sur notre langué. Là on a plutôt
de notre temps – se réduit à quatre, et en plus avec une opposition, à un moment donné, entre la
un dispositif d’une simplicité d’une robustesse et pratique de la psychanalyse et ce discours concret.

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Et puis pendant ensuite très longtemps Lacan n’a pas hésitations, dans tout ce qu’il a pu amener, dans tout
parlé du discours psychanalytique. ce que lui-même proposait avec ce discours autour
Surprise générale, nous arrivons après 70 dans de quoi il a réservé les articulations du tranchant de
"L’envers de la psychanalyse". Le docteur Lacan là ce qu’il appelle discours.
explique un certain nombre de choses et il soit tout Alors premièrement pourquoi est-ce que l’utilisation
armée la catégorie de discours complètement par Lacan du terme discours est le contraire de ce
modifiée par rapport à la façon de l’utiliser dans les que l’on appelle en linguistique un discours. C’est le
années 50 et en plus de façon très trompeuse si on lit contraire parce que l’écriture du discours inclut un
ça rapidement. Parce que tout de même, on pense terme, irréductible à toute la linguistique qui est le
qu’il utilise "discours" exactement comme s’il était terme d’objet a. Les quatre discours s’écrivent avec
par exemple lui linguiste. La linguistique utilise trois termes plus petit a. Or ce terme "discours", si
l’exprèssion "le discours". Or il est certain que par Lacan a attendu trente ans avant de parler de
rapport à la linguistique, le sens que donne Lacan à discours psychanalytique, c’est qu’il a fallu d’abord
"discours", c’est strictement l’opposé. C’est-à-dire qu’il élabore la logique des formations de
que l’utilisation qu’il donne au mot discours est une l’inconscient. Un sujet c’est ce qui est représenté par
utilisation qui est absolument l’opposé point par un signifiant pour un autre. Ça s’écrit avec ces trois
point de ce qui s’utilise en linguistique comme S → S2
discours et il l’explique dans les textes de l’époque. termes-là. 1
S
Les textes de l’époque, il me semble qu’il en a… Je
commente cette expression, les textes de l’époque, Ensuite dans les années 60, il a développé la logique
puisque sur les discours, cette question du discours, du fantasme qui, elle, s’écrit avec ces deux termes-
on a tendance à penser qu’en somme il n’y a que des là :
séminaires de Lacan non publiés, les grands textes S◊a
de Lacan comme le séminaire sur "d’un discours qui
ne serait pas du semblant" ou "l’envers de la Corrélation du sujet et de l’objet. Et ça n’est
psychanalyse" ; ce sont des séminaires non publiés, qu’après avoir élaboré et la logique du signifiant et
encore à être publiés et donc au fond nous n’aurions la logique du fantasme, qu’après seulement il a
pas de textes de Lacan. Ça je pense qu’il faut se élaboré la logique du discours qui conjoint à la fois
défendre de cette illusion, les séminaires de Lacan deux types de logique qui sont différentes, celle du
sont des essais, des tentatives,… ça varie d’une signifiant et celle du fantasme. Qu’est-ce qui fait que
leçon à une autre, il essaie plusieurs voies, plusieurs c’est le contraire de ce qu’on appelle en linguistique
types de…, on a vu hier soir une notation, par la un discours ? C’est que ça insère dans son écriture
suite abandonnée, le rapport de poinçon entre deux même le discours, ça insère un point de jouissance,
signifiants. Bon, il essaie des choses et les un point réel alors que l’opération linguistique
abandonne. Et par contre il écrit des textes où il consiste essentiellement à vider la langue de cet
réserve effectivement ces points et par rapport à ce objet, la vider de son poids de réel, autrement dit de
qu’il entend comme discours il y a des textes son poids de jouissance. Qu’est-ce que ça veut dire
publiés. Les textes publiés sont "Radiophonie". La ça ? J’ai dit quelques allusions hier, mais ça veut
septième question de "Radiophonie" posée par dire essentiellement… Qu’est-ce que nous révèle le
Georgin, c’est une réponse à, c’est une introduction rêve ? Le rêve nous révèle que le travail de
à la catégorie de discours, point par point. Il y a l’inconscient c’est uniquement la jouissance elle-
aussi "l’étourdit", "Télévision" où la catégorie de même, ce qui s’obtient de la jouissance dans le rêve,
discours est utilisée sans arrêt. "Télévision" est un c’est le chiffrage. Freud parlait de ce Lust Gewin, le
texte qui se lit et qui ne peut se lire que comme plus-de-jouir, qui s’obtient dans le mot d’esprit, le
commentaire de ce qu’est le discours rire qui nous soulage. Lacan parle dans "l’instance
psychanalytique. Et par rapport à ce que disait Pierre de la lettre", dans les textes de 56 comme "la
Malengreau, il est certain que, je n’ai pas psychanalyse et son enseignement", il parle du mot
"Télévision" là, mais l’un des points c’est une d’esprit, de la joie du mot d’esprit qui nous fait
dialectique entre la définition qu’il donne du partager de la dominance du signifiant, qui nous
discours entre la page 26 et la page 50 où il y a deux permet de surmonter les significations les plus
définitions très amusantes et contradictoires, d’un lourdes à porter de notre destin. Je rappelle ce bout
certain point. On reprendra ça. Ces textes-là sont de phrase dans laquelle effectivement, on voit que ce
publiés et c’est à partir de ces textes qu’on peut chiffrage de la jouissance (qui nous permet de
relire les séminaires et saïsir dans toutes ses supporter les significations les plus lourdes du destin
de chacun) ne s’opère que par ce chiffrage du rêve

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qui est le plus-de-jouir même. Et c’est dans ces développe et donc tout le début du texte "l’Étourdit"
années-là c’est dans "Télévision" dans de Lacan est pour montrer que déjà lui conteste ça. Il
"Radiophonie", que Lacan réinterroge l’articulation est impossible de réduire – c’est à un prix
de la jouissance et de la chaîne signifiante : c’est le considérable que les linguistes opèrent cette
grand texte qui réinterroge complètement son œuvre réduction – de ramener le rapport entre deux phrases
par rapport par exemple à ce qui a été fixé un à une logique en arbre et non pas à une logique
moment dans "l’instance de la lettre". Il est certain d’enveloppement.
qu’entre "l’instance de la lettre" et "Radiophonie" il Ce qui fait que le discours de Lacan c’est
y a des points absolument à côté, repris, de absolument à l’opposé de ce que les linguistes
divergence qui sont à élaborer. dégagent du discours, c’est qu’effectivement lui le
Alors le point à souligner c’est que la linguistique prend donc comme l’unité de base alors que c’est
aidant… allant de son rapport à la jouissance, pour la linguistique une forme tout-à-fait mineure.
ensuite constitue des unités. Comme disait Milner, le La linguistique du discours est une linguistique à
désir du linguiste, après, peut se ramener à aimer la faire. Là c’est effectivement le prendre au contraire
langue (dans son petit livre "l’amour de la langue" pour ce par quoi on commence, ce qui fait l’unité,
publié au Seuil). Donc Milner, qui est un éminent lui restituer son poids de réel, et en plus, troisième
linguiste et qui a suivi l’enseignement de Lacan, point, le discours vient à la place de quoi… ? Le
parle très bien dans ce livre-là de l’opération terme "discours psychanalytique" vient à la place de
linguistique. Comment s’opère le vidage de ce réel- ce qui se répétait habituellement de l’opposition :
là de la jouissance, du réel de l’opération signifiante. pratique et théorie. Le discours est le mot de Lacan.
Ça a des effets réels, ça a des effets de jouissance. Comme disait Miller, c’est qu’effectivement quand
Comment est-ce qu’on peut opérer ce type de on a un certain type de mots de Lacan, il faut
vidage ? Un certain savoir dans l’opération du toujours voir non seulement le sens que ça a, en
linguiste. A partir de là le linguiste se demande quoi opposition à quoi ça vient – par exemple en quoi le
aimer. En particulier, on le sait, la linguistique, elle, discours là vient en opposition à un discours dans la
tout simplement, distingue différents niveaux. Il y a linguistique – mais à la place de quoi ça vient à
la linguistique du mot, de la phrase, des formes l’intérieur de ce qui se disait d’habitude sur la
simples, des formes qui ne sont pas des phrases, qui question. L’opposition standard c’est toujours
sont à l’intérieur même des phrases. Il y a toute une praxis-théorie… voir théorie clinique et tutti quanti.
étude du type qu’est-ce que le proverbe ? Est-ce que Le discours vient là essayer d’opérer un
c’est une phrase, est-ce que c’est un autre type de… déplacement. Pavé dans la mare ! Pourquoi ? C’est
Qu’est-ce qu’une locution dans une langue ? Ce sont qu’effectivement le discours ça n’est pas du tout une
des éléments bizarres. Et il y a des unités un peu forme narrative, ce n’est pas ce que les
plus grandes : le discours. Ce type d’unité un peu psychanalystes disent. LE DISCOURS, C’EST UN
englobante où on sait que les grands succès de DISPOSITIF A TRAITER UN RÉEL. Donc c’est la
l’analyse linguistique, le savoir qui s’obtient, est contraire de ce qu’on pense intuitivement (ça veut
essentiellement un type de savoir qui s’obtient sur le dire avec des préjugés) de ce qu’on appelle un
mot, qui a sa place… On a appris des choses sur le discours. Le discours n’est pas un blabla, le discours
savoir qu’il y a dans le mot. On sait qu’au niveau de c’est un dispositif à traiter du réel. L’inconscient, dit
la phrase il y a un certain nombre de succès. Mais Lacan, a existé depuis toujours, avant la
les succès obtenus par la linguistique dépassent psychanalyse. Ça c’est un point sur lequel – par
rarement la phrase. Il n’y a pas de grands succès exemple il dit ça dans Télévision – il y a des
obtenus par la linguistique sur les formes un peu moments où il a longuement hésité et ensuite il y a
plus amples que celles de la phrase. Ça reste à des moments où il dit le contraire. Il a longuement
démontrer un type de savoir qui s’obtient… La hésité. Il y a toute une pente de Lacan d’insister sur
linguistique chomskyenne, qui a taillé son chemin le caractère d’artefact de la psychanalyse, que c’est
certes, en rejetant un peu la linguistique européenne, un artefact complet, et qu’après tout l’inconscient
les écoles européennes, la linguistique chomskyenne n’aurait nulle autre existence que les effets qu’on
est une linguistique de la phrase. Et tout le savoir obtient dans le dispositif qu’on appelle une
que Chomsky sait de la langue est un savoir qui psychanalyse. Ça c’est la pente artificialiste. On
s’opère sur la phrase. Déjà le rapport de deux construit un dispositif d’expérience, on obtient des
phrases entre elles pose des problèmes très effets à l’intérieur, et l’illusion c’est de croire qu’il y
importants. Chomsky les traite en ramenant ça à une a une réalité en dehors du dispositif de l’expérience
question d’arbre et de logique d’arbre qui se elle-même. Ça c’est une pente.

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Et l’autre pente c’est que au moment où il élabore la termes. Pourquoi se donner le mal de distinguer
doctrine des discours dans son œuvre, où il modifie l’écriture du fantasme de l’écriture du discours ?
un peu un certain nombre de points, un paysage de C’est pour ça qu’encore il faut se fier aux écrits de
son œuvre, Lacan souligne qu’après tout Lacan. C’est le moment où il a présenté au monde, si
l’inconscient ça existait depuis toujours, ça se faisait je puis dire, ses quatre discours, qu’il les a écrits
entendre depuis toujours. Il y a toujours eu des dans "Radiophonie". Eh bien ça inscrit dans les
façons d’entendre l’inconscient. Comme il dit, la quatre discours deux relations qui sont l’impuissance
médecine a toujours su qu’elle soignait avec des et l’impossible, et qu’il considère comme
mots. Surprise ! Quand même. Ça ne va pas absolument cruciales à présenter et à expliquer. Ce
absolument de soi de dire ça. L’inconscient a qui ne va pas de soi. Si vous lisez les séminaires, ce
toujours eu ses prêtresses, ses pythies, ses n’est pas comme ça qu’il a commencé à parler dans
Cassandre. Quelqu’un parlait du savoir traditionnel les séminaires de la question des discours. Mais au
hier soir… Il y a toujours eu une façon dont moment où il doit resserrer ça et présenter la
l’hystérie s’est fait entendre. Le point sur lequel il fonction de ces discours, puisque la question de
insiste est que la psychanalyse, le discours Georgin est en somme : oui, on voit bien, Freud a
psychanalytique est une pratique qui vient mettre parlé de trois pratiques impossibles (éduquer,
l’inconscient au travail d’une façon nouvelle dans gouverner, psychanalyser), et vous, vous parlez de
l’histoire. quatre discours. Alors Lacan dit qu’effectivement il
Dans "Télévision", il a cette formule étonnante : y a une bonne orientation à comprendre que lui, il
« l’inconscient, dit-il, ça n’est que plus visible dans n’a parlé de discours qu’en tant qu’ils ont chacun,
un discours qui est l’hystérie – et il ajoute : ça va qu’ils visent tous, un point d’impossible… à traiter.
sans doute étonner… apparemment ça n’a étonné Freud a effectivement abordé dans ses textes
personne parce que bien entendu on le savait depuis gouverner, éduquer, psychanalyser, qui se retrouvent
toujours. L’inconscient, en fait, n’est visible dans ses dans le discours du maître, de l’universitaire, et du
effets patents que dans le discours hystérique. C’est psychanalyste. Lacan a distingué soigneusement la
une surprise. Pourquoi est-ce que c’est dans quatrième pratique impossible, l’hystérie, comme
l’hystérie qu’on a production, mise au jour de une pratique qui vise à l’impossible de faire désirer.
l’inconscient. Alors on voit l’intérêt, pour traiter ce Faire désirer le maître et l’amener à s’intéresser au
type de question, de distinguer ce qui est de savoir. Il s’agit d’une pratique impossible. On a
l’inconscient et ce qui fait que dans la psychanalyse effectivement le grand exemple de ça, c’est Socrate
tout n’est pas de l’inconscient. L’objet ça n’est pas se démenant comme un beau diable, allant tirer les
de l’inconscient. Chez Freud, il y a toujours eu, en maîtres, les sortir de chez eux, allant chercher les
particulier à partir de 1920, une distinction dans la maîtres grecs pour les intéresser au savoir. Les
deuxième topique entre le "ça" et l’inconscient. Et maîtres se foutent du savoir. Ça ne les intéresse pas
dans sa reprise du texte sur la "Lettre volée", à la fin du tout et le travail de l’hystérique c’est
(parenthèse des parenthèses "), Lacan distingue effectivement d’aller les chercher partout et un en
précisément le sujet de l’inconscient et le ça comme mettant un coup, pour les intéresser l ça. D’où
il dit" logistiquement disjoints ". Chez Freud c’est l’appel, la façon dont l’hystérique appelle
simple, le ça c’est le silence des pulsions ; et effectivement la production du savoir. Et c’est
l’inconscient Lacan le définit comme le discours de crucial chez Lacan que la position hystérique. Il a pu
l’Autre. Alors si on croit que le ça et l’inconscient, utiliser le terme pour Socrate, il l’a aussi bien utilisé
c’est pareil, on a une contradiction majeure. C’est le pour Hegel, comme le sublime hystérique… Il
silence ou c’est le discours ! considère que le travail équivalent du travail de
C’est aussi qu’il est corrélé à un lien où c’est le Socrate à l’égard du maître antique, Hegel l’a fait à
silence, c’est l’objet qui lui n’obéit pas à la logique l’égard du maître moderne, le capitaliste. Il a été
du signifiant. On peut faire beaucoup de choses avec tirer le capitaliste. Au fond Marx a réussi à intéresser
un objet, mais ce qu’on ne peut pas c’est se faire le capitaliste au type de savoir qui pouvait se
représenter par un objet auprès d’un signifiant. Ça dégager de son expérience. Ce discours inscrit
non ! Ça s’arrête. Quand l’objet arrive ça fait trou chacun des modes 'un type de rapport d’impossible.
dans la chaîne signifiante. Mais attention, dit Lacan, Freud en quelque sorte a
Mais pourquoi après tout Lacan a-t-il jugé utile insuffisamment spécifié en quoi il s’agit vraiment
d’écrire ces quatre termes. II aurait pu simplement d’un impossible ou de l’impuissance. Est-ce qu’on
écrire le fantasme. Puisque écrire le sujet comme ça est impuissant à analyser, impuissant à gouverner,
pour le corréler à un objet, ça inclut ces quatre impuissant à éduquer, ou est-ce que c’est vraiment

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impossible ? Qu’est-ce que l’impuissance ? alors il y a ça, plus l’obscénité imaginaire, on


L’impuissance ça s’écrit avec le symbolique dans obtient… d’où on peut toujours espérer le réduire.
l’écriture du fantasme. La dimension de Alors la phrase d’après c’est : "La remarque présente
l’impuissance est corrélative de l’écriture même du de l’impossible du groupe psychanalytique est aussi
fantasme qui écrit cette façon dont le phallus articule bien ce qui en fonde, comme toujours, le réel. Alors
ensemblé le sujet et l’objet. Le fantasme n’écrit pas on dit, bon… c’est de l’effet imaginaire, ou c’est du
l’impossible. Ce que le fantasme écrit c’est réel ? Évidemment on voit que, toujours, il faut un
l’impuissance, c’est ce qui fait qu’il y a une petit peu se rompre au dispositif lacanien, tout
inadéquation de la structure du sujet et de l’objet et phénomène s’aborde dans le symbolique,
qu’il n’y a pas de jouissance ultime, que à l’être l’imaginaire et le réel… ensuite en mélangeant un
parlant la jouissance est interdite comme telle – c’est peu.
une phrase de monsieur Lacan. La corrélation de ce Il y a une part du groupe qui est l’effet imaginaire,
chiffrage et de l’objet ne s’articule pas avec une qui est l’obscénité imaginaire, et il y a une part mais
parfaite résolution, avec une adéquation, c’est que cruciale, c’est qu’il y a un effet de réel dans le
l’expérience freudienne suppose la castration, groupe.
suppose que jàmais, comme le dit Freud, il n’y a de Et lorsque vous parliez, Pierre Malengreau, lorsque
tendance, il n’y a de ganze sexualtrebung, il n’y a vous disiez tout à l’heure qu’il n’y a pas de nécessité
pas d’unité, il n’y a pas de un qui vienne de la pour les psychanalystes à faire groupe, il me semble
sexualité. C’est toujours partiel, c’est toujours une qu’en quelque sorte, la phrase de Lacan qui est : il
rencontre manquée. Et au fond le fantasme est un est impossible que les psychanalystes forment un
dispositif qui accommode l’au-delà du principe de groupe… il note "l’impossible est aussi bien ce qui
plaisir et le plaisir, qui les lie ensemble, mais en fonde comme toujours le réel". C’est-à-dire qu’il
articulés autour de la question de l’impuissance. y a un type de nécessité au moins entendu là à ce
Tandis que ce que va écrire le discours c’est que l’impossible à ce que les psychanalystes fassent
effectivement des fonctions d’impossible. C’est pour groupe, en détermine le réel. Alors qu’est-ce que ça
ça que "Radiophonie" est essentiellement consacré veut dire ? Il distingue d’un côté, effectivement
pendant quatre pages à expliquer point par point l’impossible du groupe qui en fait en même temps le
l’articulation de l’impuissance et de l’impossible. réel, qui en fait sa nécessité, et de l’autre côté le
Alors voilà le premier point que je voulais dire, c’est fameux "lien social nettoyé d’aucune nécessité de
en quoi le discours ça n’est pas le discours groupe" qui est le discours, qui s’oppose. Comme le
linguistique, en quoi c’est un type de dispositif lié rappelait Monique Liart d’un côté, maintenant on a
à… pourquoi on dit quelque chose de plus quand on bien travaillé ça, on a la psychanalyse en intension.
écrit ça que quand on écrit simplement le fantasme Une psychanalyse c’est le discours. C’est le seul
ou quand on écrit simplement la chaîne signifiante. endroit où il n’y a pas de groupe, c’est entre
Autrement dit le discours vise un certain type de l’analysant et l’analyste. Et ensuite dès qu’on
réel. Alors, une fois qu’on a dit ça qu’est-ce qu’on commence à allier deux psychanalystes ensemble on
dit ? Ce qu’on a dit d’abord c’est qu’on ne peut pas commence à avoir un groupe. Bien.
concevoir l’opposition effet de groupe – effet de Et on a deux types de réel. D’un côté le discours
discours comme simplement une opposition analytique traite, est un dispositif à traiter un certain
symbolique – imaginaire. C’est la première type de réel, celui de la jouissance. Et de l’autre côté
conséquence. On ne peut pas espérer considérer que on a un type de réel particulier du groupe. Alors
les effets de groupe sont des effets imaginaires et comment articuler les deux ? Si on ne pense pas ça
qu’on va les traiter avec du symbolique qu’est le comme simplement traiter de l’imaginaire par du
discours. Parce que le discours ça implique une part symbolique et qu’on a deux modes de l’impossible,
de réel. Premier point. comment est-ce qu’on articule les deux ? Il me
Le deuxième point c’est que le groupe aussi ça a un semble qu’il y a deux choses pour l’articuler. Il y a
type de réel. On peut parler du groupe en termes deux moyens, au moins deux dialectiques qui
imaginaires. Puisque Pierre Malengreau a cité cette articulent l’un à l’autre.
page 31 de l’Étourdit, après tout prenons ça comme La première c’est que le discours psychanalytique se
vademecum. Il y a, première ligne, "je dirai que je déduit, s’opère, à partir de ce discours du maître qui
mesure l’effet de groupe à ce qu’il rajoute est la formule la plus simple pour écrire
d’obscénité imaginaire à l’effet de discours". Là on l’inconscient. L’envers de ce discours du maître
se dit, bon voilà, l’effet de discours ça doit être du c’est le discours analytique qui effectivement
symbolique, ça cause donc c’est du symbolique ;

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a →S l’analyste n’ait pas comme un cocon… ne soit pas


s’écrit : L’analyste est en position d’agent comme un coq en pâte dans le discours
S2 // S1
psychanalytique. Le discours psychanalytique ça
comme objet. Il surmonte le savoir en position de
n’est pas ce que disent les psychanalystes ne serait-
vérité. Le sujet… on a l’inversion par rapport à
ce que pour une chose donc : "les psychanalystes
l’écriture du fantasme que maintenant nous
résistent à la psychanalyse", c’est aussi une des
connaissons mieux. Et il y a production d’un
phrases de Lacan, c’est des tas de variations, et ces
signifiant maître. Le maître au lieu d’être agent
tas de variations sont liées à… ça s’écrit simplement
comme dans le discours du maître se retrouve
de la façon… l’agent, le petit a comme agent.
produit à la fin. Et avec une relation d’impossible
Déjà c’est une illusion de penser que comme sujet
entre les signifiants. D’ailleurs il faudra consacrer du
on est l’agent de quoi que ce soit, illusion hystérique
temps à examiner ça, mais comme je voudrais
de se poser comme sujet, d’être traversé par les
répondre à un certain nombre de questions pratiques
effets de sujet – penser qu’on est responsable en
je laisserai ça. Simplement, c’est ce qui fait que le
quoi que ce soit de ça c’est une illusion. Mais alors
savoir analytique se met à travailler sans maître. Le
comme objet ! Se mettre comme objet en causant la
marteau sans maître… il y a une pièce comme ça. Le
division de l’autre…
marteau sans maître c’est la répétition analytique, le
savoir qui fonctionne sans maître. Il est déconnecté Quelle histoire ! L’analyste recule à occuper cette
de ce signifiant maître. Autrement dit le savoir position qui va l’éjecter sans cesse.
analytique ne s’autorise d’aucun Nom-du-Père. Question :
C’est toujours le même type d’opération. Il y a dans Rapport entre l’obscénité et l’horreur de l’acte de
le dispositif analytique quelque chose qui fait qu’il y l’analyste ? Est-ce la même chose ?
a une mise au travail du savoir, nouvelle, et jamais Eric Laurent :
vue dans l’histoire avant, où s’opère une mise au Alors je ne crois pas que ce soit analogue mais je
travail sans maître. Ça ne peut se faire que par un crois que c’est le premier point d’articulation
dispositif lié à un acte qui est qu’un agent vienne effectivement entre le groupe et le discours, c’est
occuper cette place-là, la place du semblant de que c’est parce que l’analyste ne se loge pas avec
l’objet, dans le discours. bonheur à cette place qu’il est éjecté vers le groupe.
Alors où est le point ? Le point c’est qu’une fois que Si l’analyste arrivait à se loger à la place qu’il doit
ça s’écrit comme ça il y a un certain nombre de occuper, posément, il n’y aurait alors là aucune
conséquences, un certain nombre d’effets, d’écrire le raison qu’il aille en retrouver d’autres analystes. S’il
discours comme ça. arrivait à être ce fameux psychanalyste non identifié,
Le premier effet c’est que cette place-là (a) n’est pas solitaire, le loup, dépositaire du savoir absolu, etc…
une place confortable. L’analyste, c’est pour ça que Bon, bref : le psychanalyste artiste. Tous les artistes
c’est crucial dans la doctrine de Lacan et il y a des en effet sont chacun un loup pour l’autre, tout le
tas de variations de cela, a un rapport d’aversion monde considère que tout ce que font les autres est
avec cette place-là. un tissu de merde et que chacun est habité par une
Il dit aussi : l’analyste a horreur de son acte. grande vérité qu’il doit exprimer et chacun est
L’analyste recule devant son acte Il y a des tas de torturé par cette vérité qu’il doit exprimer. On
façons dont Lacan dit ça. Lacan a beau marteler ça à pourrait très bien avoir des analystes comme ça,
partir disons de la fondation de l’E.F.P., des textes l’analyste qui de temps en temps arrive à faire
des années 65-66 où il a commencé à mettre ça en groupe comme quelquefois quelques artistes
place, puisque c’est corrélé avec la mise au point de ensemble encore font des groupes transitoires, très
l’objet a. Je pense que Jean Clavreul était moins peu, très vite dispersés.
familier des textes après 65 et que c’est ce qui fait L’artiste se loge à une place qui au contraire est la
que ça l’a beaucoup surpris, qu’il s’est tout-à-fait sienne et qu’il habite. Il est évident que l’analyste,
indigné :… mais non, pas du tout, l’analyste n’a pas lui, dans son discours, qui est une pratique, un
horreur de son acte… Ça peut effrayer des dispositif à traiter du réel, il ne peut y être à cette
psychanalystes de leur dire des choses pareilles. place qu’avec un inconfort central. Évidemment
Alors il a fallu la petite mise au point pendant la c’est une des choses qui le pousse à aller en
dissolution. Ça nous a tout de même valu un acquis rencontrer d’autres. C’est ce que conclut Lacan à la
théorique au milieu de tout ce micmac de groupe. fin de cette page 31, c’est comme ça qu’il faut le
Lacan a précisé bien qu’il est très important lire : "comment l’objet (a) en tant qu’il est
effectivement dans sa doctrine que l’analyste n’ait d’aversion au regard du semblant où l’analyse le
pas un rapport de réconciliation avec son acte, que situe (le semblant c’est la place de l’agent, en haut à

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gauche ; il est aversion, c’est-à-dire que ça ne ça les vaisseaux commençant à se dessiner sous la
s’occupe pas, c’est une place dans laquelle on ne se peau que ce narcissisme contemple lui-même… on
loge pas), comment ne supporterait-il d’autre confort se dit que cette espèce de vampirisation qu’offrait
que le groupe". Et il ajoute, au paragraphe l’analysant de l’analyste est un peu trop réaliste…
précédent, il parle du groupe : "Ce n’est pas là on voit un objet un peu dégoûtant.
l’important, ni qu’il soit difficile à qui s’installe d’un De l’autre côté on a un analyste sud-américain,
même discours de vivre autrement qu’en groupe, – Grünberg, qui est un kleinien de Buenos-Aires, qui
c’est ce qu’y appelle…" (voilà ce qui est difficile lui explique beaucoup plus que l’identification à
c’est qu’il y a un appel du discours vers le l’analyste doit être conçue comme un phénomène
groupe.) »… c’est qu’y appelle, j’entends : à ce plus abstrait. C’est le style plutôt idéal opposé au
rempart du groupe, la position de l’analyste telle style réaliste ; ce serait plutôt le style symboliste de
qu’elle est définie par son discours même. l’affaire : c’est l’identification à une fonction
'Donc, la difficulté c’est dans cette page 31 de analyste. A la fin de l’analyse on s’identifie à une
l’Étourdit, Lacan la définit bien, la difficulté c’est fonction analyste. Alors ça c’est la même chose mais
qu’il y a un appel du discours vers le groupe. Voilà en termes plus abstraits : les vaisseaux commencent
le premier point. Comme ce n’est pas supportable, à s’estomper, on a beaucoup plus un corps diaphane
on va se reloger dans le groupe. On va y trouver marchant au bord de… un idéal. Mais enfin tout de
dans le groupe, au milieu des déchirements, des même il s’agit de la même chose. L’analyste se
rapports d’énamoration, de la bagarre de la vie de retrouve logé soit dans sa fonction analyste, soit au
groupe. Ça au moins on sait ce qu’on fait, là on est milieu de ses vaisseaux bien irrigués ; il se trouve
tranquille. C’est un type de vie. La vie de groupe ça logé là dedans qu’il y baigne.
s’oppose à la mortification opérée par le rapport du Moyennant quoi quand on a ça d’un côté, voilà la
sujet au signifiant. Alors quand vous me disiez : quel doctrine de la fin de l’analyse dans le discours I.P.A.
rapport y a-t-il entre le pourquoi le psychanalyste est très récent (printemps 79 publié en 80), vous
seul dans sa pratique et comment c’est connecté au regardez de l’autre côté un livre qui s’appelle
groupe, eh bien voilà pourquoi. Ce rapport du "L’identité du psychanalyste" qui a été publié sous la
groupe et du discours c’est au fond que l’analyste houlette de Widlöcher coprésident de
seul, comme objet, effectivement à cette place-là il l’internationale avec Serge Lebovici (c’est sorti en
s’en va pour retrouver un petit peu le confort du France l’an dernier aussi).
groupe. On voit très bien là qu’il y a deux types de C’est un colloque des têtes pensantes de
doctrine qui corrèlent ensemble le groupe et le l’internationale qui se sont réunies pour définir ça :
discours. Ou bien comme Lacan on pense qu’il y a voilà, dans le monde moderne où les analystes font
un rapport foncier de non réconciliation à la fin des tas de choses, des analyses partout dans les
d’une analyse et c’est ça qui fait la nécessité du institutions, où l’analyste à temps plein du temps de
groupe telle qu’elle est articulée là, ou bien on a la Freud est terminé, où les gens ne font plus de la
solution I.P.A. La solution des institutions I.P.A., psychanalyse dix heures par jour – comme vous le
c’est au contraire de dire que la fin de la savez aux Etats-Unis les trois quart des
psychanalyse est la réconciliation de l’analyste avec psychanalystes n’ont pas plus de trois patients…
la psychanalyse. C’est ce qu’on appelle c’est des chiffres à garder en mémoire. Quand on
l’identification à l’analyste. Et si vous lisez les voit toutes ces publications, il y a une analyse de ça
rapports au congrès de 1979 à New-York de très intéressante que j’avais lu pour Ornicar dans un
l’internationale sur la fin de l’analyse – puisqu’il y a petit article. Il y a des rapports inquiets du chiffrage
eu trois grandes séances consacrées à la fin de du nombre de patients chez les analystes : il n’y a
l’analyse avec des rapports d’orientation pour la que 20 %des psychanalystes qui ont plus de cinq
société, on expliquait aux gens, aux sociétaires, patients aux Etats-Unis. Voyez où nous sommes en
comment ils avaient à penser un petit peu cette Europe. On dit, la psychanalyse est partout aux
question – c’est très intéressant parce qu’on voit Etats-Unis, mais avec leur système de cinq fois par
alors que l’identification à l’analyste on en a la façon semaine une heure etc… on a des analyses qui
la plus bête si je puis dire, la plus réaliste plutôt, durent deux ans… la somme d’expérience qui leur
comme style au sens de Chamfleuri. Le réalisme est passée par les mains est assez limitée. Alors ces
c’est donné par Serge Lebovici qui explique que psychanalystes qui sont la plupart du temps partout
l’identification à l’analyste se fait avec le dans les institutions, qui travaillent comme
narcissisme bien vascularisé de l’analyste. Alors cet psychiatres, psychologues, qu’est-ce qui fait leur
objet de l’analyste bien vascularisé, on voit comme identité ? Qu’est-ce qui fait qu’ils transportent avec

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eux sous leur semelle quelque chose de la un peu trop à ce que dit son analyste on essaye de le
psychanalyse ? C’est une question à partir du calmer. Si l’analysant sort de là en pensant qu’une
moment où pendant des années l’I.P.A. s’était donné idée n’en vaut pas une autre, que par exemple son
comme doctrine : un psychanalyste est celui qui psychanalyste peut avoir raison plus que d’autres,
effectue une cure-type. A partir du moment où on que on peut dire oui ou non… ça c’est encore un
voit bien que la cure-type s’est modifiée de plus en exalté du transfert… il faut qu’il aille se refaire
plus, on prend des précautions. On sanctifiait analyser pour qu’il soit un peu dégoûte de son
toujours le coup de goupillon donné à la cure-type analyste : soit il faut le calmer et on le prend dans le
qu’on respecte… génuflexion devant la cure-type et groupe, et on lui explique : mais votre analyste mon
puis on dit : oui ! Mais avec les borderline il faut vieux c’est une opinion, des opinions il y en a plein,
changer, avec les enfants psychotiques il faut il y a de la vérité partout. On essaye d’obtenir à la
changer, avec les patients qu’on a maintenant… fin un type d’indifférence du psychanalyste, une
ouf ! Vous savez les patients qu’on a maintenant ne sorte de domestication du transfert par le groupe.
sont plus névrosés, ils sont tous bizarres, donc il faut Dans ce colloque sur l’identité du psychanalyste on
inventer. On a de plus en plus de mal à définir le insiste beaucoup là-dessus. Il y a de très beaux
psychanalyste comme celui qui distribue le passages où par exemple Limentani qui est le
sacrement cure-type. C’est de plus en plus difficile. président de la société anglaise dit : oui, nous avons
Il faut qu’il invente, il faut qu’il trouve de nouveaux une nostalgie de la psychanalyse de ceux qui ont
sacrements. A partir de ce moment-là, on se connu Freud directement ou Mélanie Klein
demande quelle est l’identité du psychanalyste. C’est directement ou Jacques Lacan ; nous n’avons plus
une question de Widlöcher qui est le plus que des échos, mais qu’est-ce que ça a été d’être en
dialecticien – tout le monde est de culture analyse avec quelqu’un qui invente la psychanalyse ;
européenne et a lu Hegel ; entre les sud-américains c’est pas pareil d’être en analyse chez des gens qui
et les français ils partagent ça – explique que partout sont plus sur un plan d’égalité ; il y avait un côté
ailleurs tout le monde effectue sa profession au nom hors pair alors on ne peut plus qu’imaginer cela…
d’un Moi-idéal. Pour être un bon médecin il faut Ce qu’on voit c’est que le groupe essaye d’introduire
avoir un idéal de médecin, et quand on a un idéal de une tempérance, un tempérament des relations de
médecin il y a des livres… les médecins peaufinent transfert un peu exalté et d’autre part de calmer ceux
leur idéal, les livres de Jean Bernard, de Hamburger qui se prendraient un peu trop pour des analystes,
sont faits pour donner ce qu’est l’idéal du médecin ceux qui croiraient que l’identification à l’analyste
moderne ; ça se renouvelle selon les époques… Il y ça amène effectivement à ce que Pierre Malengreau
a une littérature pour ça, pour mettre au point le moi- a souligné qui est se prendre pour le seul. Alors là la
idéal du médecin. Ça se met au point. Par rapport à fonction du groupe est très utile, c’est le calmer.
ça le psychanalyste c’est quelqu’un qui lutte contre On voit qu’il y a deux doctrines. Si on considère que
ses identifications. Comme il est dialecticien, il dit la fin de l’analyse installe plutôt un type de confort
que l’identité du psychanalyste c’est précisément sa et d’élation narcissique, alors c’est du groupe que
lutte contre toutes les identifications à un moi-idéal. s’introduit l’inconfort. Ou bien le contraire, si on
Voilà, sa positivité c’est en fait une négativité. pense qu’il y a un inconfort foncier à la fin de
Ce que ça a d’intéressant si on relie ensemble les l’analyse, comme le pense Lacan, que l’analyste ne
rapports sur la fin de l’analyse de 1979 et celui sur se réconcilie pas, alors c’est le confort qui vient du
l’identité du psychanalyste de 1980 c’est qu’on voit groupe. On a deux doctrines différentes mais qui
que ça définit un accord d’articulation entre le toutes les deux articulent nécessairement la place du
discours et le groupe. La psychanalyse en intension groupe et du discours, de la psychanalyse en
d’après l’I.P.A. aboutit à une réconciliation de intension et de l’articulation dans le groupe.
l’analyste à sa place. On en tire comme corrélation Deuxième point. Il me semble que néanmoins la
qu’il doit lutter contre tous les phénomènes question ne se résoud pas là de l’articulation du
imaginaires d’identification. Là, le groupe c’est discours et du groupe. C’est la question que posait
précisément ce qui l’aide à lutter. Effectivement si Monique Liart de la passe comme garantie ou Pierre
une analyse termine à la fin dans un moment Malengreau des rapports de l’école et du groupe.
d’élation narcissique, c’est-à-dire où on se prend C’est ceci. L’analyste donc va s’inscrire à cette
pour un analyste puisqu’on s’identifie à l’analyste, place-là dans le discours. On a utilisé le premier
on en perd les effets et premièrement les effets de effet de discours sur qu’est-ce que c’est que se
transfert. Dans l’I.P.A. on est spécialement méfiant ; mettre là. Mais il y a un deuxième effet c’est que le
à partir du moment où quelqu’un commence à croire savoir en position de vérité dont va être dépositaire

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l’analyste est corrélé à l’objet a. Le fait qu’il soit a qu’il comprend. Chacun n’apprend comme le dit
corrélé à l’objet a qui, lui, fait que l’analyste n’est Freud que ce qu’il peut apprendre. Autrement dit,
pas représenté par cet objet auprès d’un signifiant, ça chacun n’apprend que ce qui est corrélé à l’objet de
fait l’impossible à dire de la fin de l’analyse. son désir. C’est pas avec l’intelligence que nous
L’analyste certes a recueilli un savoir mais comme apprenons. Nous n’apprenons qu’avec ce qui nous
Lacan le dit à la fin du discours à l’E.F.P. les donne la mesure des choses ; c’est cet objet qui nous
analystes sont dépositaires d’un savoir qu’ils ne fait donner du sens. Le sens des choses ça peut être
peuvent pas dire aux autres analystes. Il y a un type l’objet a et l’analyste s’il se contente d’être celui qui
d’impossiblé à dire que ne traite pas le discours se tient dans son coin habité par une vérité, le vrai
psychanalytique. Puisque déjà normalement le masque de ça c’est pas tellement le savoir en
discours psychanalytique est un dispositif qui position de vérité mais le corrélat en est que l’objet
transforme le réel en tant qu’impossible à supporter vient là faire bouchon. On a là ces analystes qui
en réel en tant qu’impossible à dire. C’est une réduisent toute chose, l’expérience humaine, à la
transformation. Faut le faire déjà ! C’est le seul mesure de ce qui est leur objet. Alors que
discours qui fait ça : prendre l’impossible à normalement l’analyste doit pouvoir occuper cette
supporter, le mettre dans un dispositif et fabriquer de place qui est non pas la mesure de son petit objet a
l’impossible à dire. L’impossible à dire fait que ou de l’objet en tant que pour lui il pourrait lui
l’analyste en fin de parcours est en position d’avoir appartenir ; mais il doit pouvoir causer la division du
du mal à dire aux autres de quoi il est dépositaire. sujet, de ce qui fait plutôt comme une mesure du
A ce moment-là, après tout si l’analyste s’en sujet du signifiant en tant que lui le fait comme une
contente, puisqu’il y a un type d’impossible à dire, mesure. La chaîne signifiante elle est pour tout le
c’est parfait, c’est l’analyste seul donc, dépositaire monde. Le type d’effet du sujet, ou le sujet comme
de cette vérité, de ce savoir en position de vérité, qui effet est ce qui fait lien. Il s’agit que l’analyste au
ramènerait à la vérité, et on a l’analyste habité par contraire… Une des façons de lire la traversée du
une vérité qui bien entendu le dépasse comme tout le fantasme, une des façons de lire ça, cette façon dont
monde. Dès qu’on est habité par une vérité ça vous ça s’écrit dans le fantasme qui normalement articule
dépasse. Autrement dit ça peut donner ce gentil petit le sujet et l’objet dans le sens que ça s’articule en
délire que peut être la position de se croire habité par sens inverse dans la ligne du haut du discours
une vérité. Et ça donne cette position des anglais qui psychanalytique, la traversée du fantasme c’est en
ont considéré de concevoir un groupe, ce qu’on a partie ça, que l’analyste puisse se mettre à la place
appelé le middle group en Angleterre au milieu du de l’objet pour tout un chacun, pour ceux qui
déchirement entre annafreudiens et kleiniens, qui viennent s’adresser à lui.
était après tout… à chacun son petit délire, La question c’est de savoir si ce groupe s’articulé là,
l’important c’est de ne pas trop se gêner les uns les il faudrait distinguer je crois d’un côté la passe
autres, soyons des citoyens anglais, habeas corpus comme un dispositif qui vise à restaurer, restituer ce
pour tout le monde, et on les met à côté les uns des moment à franchir, ce moment où se constitue un
autres et tout le monde délire. Du moment que ça ne type d’impossible à dire. La constitution, à la fin de
gêne pas le voisin, respectez la liberté des autres et l’analyse, de la mise de l’analyste à cette place-là
on ne vous ennuie pas. Il est évident qu’il y a une implique une chute dans le discours. Il ne faut pas se
pente à déduire de ce rapport-là du discours, de dire représenter par cet objet auprès du sujet du transfert.
le groupe comme ça. Ce n’est pas tout-à-fait le Ça implique un type de chute, et la passe vise à une
confort du groupe, ça n’est pas l’organisation du expérience de restitution de ce mouvement.
groupe en tant que réseau d’identifications Il n’y a pas de métadiscours. C’est ce qui fait que
imaginaires autour d’un moi-idéal qu’on met au l’exaltation de la passe comme le culmen de
point, c’est autre chose. l’expérience analytique c’est une foutaise. Ça c’était
C’est effectivement plutôt la singularité, l’analyste ce que François Perrier avait essayé d’articuler avec
singulier, mais telle que ça ne communique pas. l’histoire de l’analyse quatrième où il y aurait un
L’ennuyeux c’est qu’on a à ce moment-là l’analyste analyste de l’analyste. Au moment où Lacan a
qui se met à être corrélé à ce qui est la mesure à ce proposé la passe, il ne disait pas du tout : il ne faut
moment-là de sa vérité : c’est cet objet, qui devient pas que ça cause entre analysants, il faudrait un
alors encombrant. Parce que après tout cet analyste analyste de l’analyste… plutôt mettre ça entre
est lesté de son objet a et l’objet a c’est avec ça que analystes. Et ça fait des métadiscours. Il y aurait
lui aussi bouche comme tout le monde la castration l’analyste de l’analyste et un analyste de l’analyste
et c’est avec ça qu’il comprend. C’est avec son objet de l’analyste et en avant on fait une chaîne de… On

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n’arrivera jamais à dire le tout d’une analyse. Alors imaginairement le seul, c’est effectivement un des
c’est pas un métadiscours. C’est un type de dispositif points qui sont cruciaux et qu’il s’agit de traiter.
qui vise à un moment donné à saisir les conditions Mais comment ? Une fois qu’on a dit ça, bien…
de ce passage-là. Ça n’empêche pas l’arrêt. Ça Alors là on voit qu’il y a une deuxième fonction du
n’empêche pas la production de l’analyste à cette groupe qui n’est pas une fonction de type conforme,
place-là avec un type de cliquet en utilisant le terme qui est une fonction d’être celui à qui ça s’adresse,
de Klauswitz, de processus imaginaire. A un ce groupe, qu’un analyste explique en quoi le savoir
moment donné, ça s’arrête et la passe consiste à dont il s’estime dépositaire, ce savoir qui concerne
saisir ce moment là et à saisir non pas tellement à sa relation avec le psychanalysant… n’est-ce pas je
quoi a servi une psychanalyse mais plutôt de quoi prends le discours analytique, bien sûr il y a toujours
elle s’est servie. Non pas à quoi ça lui a servi, si on a l’écriture et de l’analyste et de l’analysant. Ça
modifié le symptôme, si ça a… les gens s’expliquent suppose… c’est pas une personne qui est là, il y a au
en long et en large et en travers sur leur fantasme, moins les deux individus biologiques que sont
voire même, comme on le souhaitait, qu’ils l’analyste et l’analysant. Il faut que l’analyste puisse
expliquent leur vie sexuelle au passeur… comment rendre compte devant d’autres analystes que c’est
ils se débrouillent dans la vie… Ce qui serait plutôt bien au nom de cet objet qu’il parle. Lacan
l’important c’est qu’ils saisissent de quoi dans cette commence Télévision en disant : si je parle pour des
expérience ils se sont servis. Quel a été le type de psychanalystes ça n’est pas parce que je me prends
savoir qui a été en jeu. Et alors c’est là où pour un analyste, il explique, je parle au nom d’un
effectivement, dans la mesure où ce savoir est objet, et non pas au nom du père, je parle au nom
corrélé à un objet, l’analyste qui est en fait un type d’un objet, ce qui effectivement est en position
de savoir – c’est un type de savoir donc : d’agent dans le discours psychanalytique. Qu’est-ce
l’impossible à dire – peut se transformer, peut se que quelqu’un peut dire de ce qui a été l’objet
restituer imaginairement en : je suis le seul à être impossible à dire de sa jouissance. C’est ça que la
dépositaire d’une vérité. Et la solitude profonde qui psychanalyse lui a permis de savoir. Eh bien, au nom
est liée au fait que l’objet ne se représente pas dans de cet objet l’analyste doit s’adresser à d’autres et
la chaîne signifiante… C’est ça la solitude de cette qu’il doive dire si c’est bien au nom de cet objet-là
pratique analytique, la solitude profonde, c’est que si qu’il parle. C’est ce qui fait le deuxième point
il est vrai que l’objet n’obéit pas à la logique du d’accrochage de la dialectique du discours et du
signifiant il y a une solitude de l’analyste qui occupe groupe, et la contradiction entre les pages 26 et 50
cette place de l’objet. Il ne peut pas être représenté de Télévision. Page 26 Lacan dit : je dis bien, le
par ça dans une chaîne, voilà où est la solitude. La discours psychanalytique c’est le lien entre un
reprise imaginaire, la restitution imaginaire qui analysant et un analyste, c’est une pratique. Et page
s’opère de ça c’est : eh bien je suis le seul ! Et ça 50, il dit : "Le discours ne peut se soutenir d’un seul.
donne : je suis le seul, et évidemment après, avec la J’ai le bonheur qu’il y en ait qui me suivent. Le
logique des professions délirantes : je suis le seul, discours a donc sa chance."
oui, mais il y a lui, il y a lui, il y a lui… Et alors quoi, d’un côté il explique que, au contraire,
Ce que Lacan a visé à empêcher ou à traiter c’est ça met en jeu foncièrement un seul analyste et un
cette reprise imaginaire qui se produit analysant, et de l’autre côté il explique que le
nécessairement, de la traiter par la passe. Comme discours a sa chance parce qu’il y en a d’autres qui
dispositif. Non pas : je suis le seul dépositaire, mais le suivent. Est-ce que ça veut dire que le discours a
d’arriver dans un dispositif qui vise à opérer – de sa chance parce qu’il y a le groupe ? Alors qu’il
nouveau un dispositif de lien symbolique – d’opérer passe son temps à dire que la psychanalyse… lui, il
ce lien que ne puisse se dire en quoi ça a été non pas n’est pas pour l’expansion du groupe, il ne considère
le seul, mais en quoi il y a un type de solitude pas que c’est les sociétés analytiques qui
effectivement qui s’est constitué autour de cet objet. transmettent la psychanalyse. Comme il le dit, lui il
Qu’est-ce qui fait que justement on arrête son est – c’est ce que Monique Liart a rappelé – pour
analyse, que quelque chose s’est modifié, qu’il y a l’expansion de l’acte analytique.
de nouveau constitution de ce type de solitude : L’expansion de l’acte analytique, c’est l’expansion
comment est-ce que ça peut se restituer dans une du discours psychanalytique en tant que c’est un
expérience humaine, autrement dit une expérience dispositif pratique. Ça veut dire l’extension du fait
de parole. Alors ce lien de passage de la solitude qu’il y a plus d’analystes qui engagent d’autres
foncière dans la pratique, qui est cette solitude liée à sujets, les analysants, dans une expérience.
l’objet qui ne peut pas se représenter, à L’expansion du discours psychanalytique c’est pas

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le fait qu’on parle de la psychanalyse dans les psychanalyse et le marxisme étaient de fausses
journaux. L’expansion du discours psychanalytique, sciences qui se caractérisaient de ceci, c’est qu’on ne
c’est qu’il y ait l’expansion de l’acte, c’est qu’il y ait pouvait jamais à un moment donné trouver une
effectivement plus d’analystes. Et pas, comme les expérience qui, si elle ne marche pas, serait fausse.
gens le souhaitaient, simplement plus d’analystes Et il expliquait : la science est un discours qui
médiocres. Plus d’analystes à la hauteur de leur comme la philosophie, a à voir avec la vérité.
tâche. Alors on se dit : il y a quand même un Simplement la philosophie, elle, elle procède du vrai
problème. Comment articulez-vous ça, Docteur ? dans le vrai, alors que la science procède du faux
D’un côté vous dites "seul" et de l’autre côté vous dans le vrai. C’est-à-dire que la science est une
dites : il faut qu’il y en ait qui me suivent pour qu’il activité où ce qu’on cherche à produire n’est pas la
y ait groupe. Eh bien il me semble que justement ce splendeur du vrai ; on ne cherche pas à atteindre les
n’est possible d’articuler ça – et ça c’est le beautés de la splendeur du vrai, on cherche à
deuxièmement – qu’avec cette fonction du groupe l’atteindre par les dessous de l’expérience qui rend
qui est de faire preuve que l’analyste ne délire pas… fausse une théorie et qui permet ensuite de rejeter
qu’il ne se sent pas habité d’une vérité dans laquelle progressivement vers le vrai. On atteint le vrai par le
il va faire valoir ça, autrement dit que à l’égal du faux. D’où la modestie etc… Et au fond
paranoïaque encombré de sa vérité ou de sa religion, l’épistémologie de Popper a tenu disons jusqu’en
il faut absolument qu’il en prenne d’autrès dedans 1960 où est arrivé, vous le savez, le dénommé Kühn
pour faire secte. qui en 1962 a publié la structure de la révolution
C’est l’exotérisme nécessaire, c’est-à-dire que de la scientifique où il dit : Popper a tort, finalement la
passe tombe un certain enseignement. Ça s’élabore. science, oh là là, ça n’a que très peu de rapport avec
D’où l’extension mise sur la question de le vrai ; quelquefois la science a rapport avec le vrai
l’enseignement du fait que l’analyste doit dire, doit et alors c’est une catastrophe ; c’est-à-dire quand ça
dire ce qu’il a appris de son expérience, dans quoi a rapport avec le vrai ça produit des révolutions
tout ça s’est corrélé à l’expérience analytique, en scientifiques, mais globalement la science n’a
quoi ce qu’il dit est lié à ça. C’est ce qui fait que absolument pas rapport avec le vrai, elle a rapport
dans Télévision Lacan commence en disant : je parle avec l’habitude. Les scientifiques font des
au nom de l’objet et aux psychanalystes qui expériences parce que c’est l’habitude. Ça tourne, la
m’écoutent. Quand il dit qu’il se met en position machine marche, c’est des automatons, il appelle ça
d’analysant lorsqu’il fait ça et toujours en parlant des paradigmes, lui. Il y a un type d’automatisme, un
quand même au nom de l’objet, ça veut dire type de représentation du monde que se fait le
qu’effectivement il suppose qu’il doit y avoir au scientifique. Il est persuadé que son activité est
moins un psychanalyste dans la salle, c’est-à-dire absolument scientifique tant qu’il fait ça. Puis, à un
quelqu’un qui lui dise : "là ce que vous dites, c’est moment donné, on ne comprend pas pourquoi, c’est
sûr que ça ne vient pas de l’expérience analytique ; absolument bénéfique. Et à partir de ce moment-là,
vous ne pouvez pas avoir appris ça dans l’expérience ça a plus de rapport en somme avec le vrai. Ça a
analytique." Il faut qu’il y en ait au moins un qui paru très convaincant aux autres, par exemple dans
puisse dire ça : "Il y a quelque chose de l’expérience toute cette épistémologie anglo-saxonne. C’est parti
qui va contre, là, ce que vous dites". Eh bien, c’est ensuite pour montrer dans les exemples très concrets
ce qui est effectivement ce que l’analyste a d’un d’histoire des sciences autour de Galilée, autour de
public, et la fonction du groupe est là qu’il y ait Newton, comment effectivement il y a des
d’autres analystes pour pouvoir donner cette changements complets, du jour au lendemain, sans
dimension, je dirais, cette dimension de la preuve qu’on comprenne pourquoi. Ce rapport
dans le discours analytique. Alors, en quoi cette d’articulation du sujet de la science avec la vérité,
dimension de la preuve n’est pas absolument une des automatismes avec les rencontres, ça a été
dimension simplement de groupe, une dimension élaboré par Lakatos qui a élaboré un concept qu’il a
purement imaginaire ? Pour se poser cette question, appelé programme – ce qui est articulé c’est les
il faut – Serge André m’a parlé de l’effet Bourbaki automatismes et les rencontres –, et puis ça se
dans le groupe – je dirais que là plutôt, il faut aller termine dans un livre un peu plus amusant de cette
voir ce que l’histoire des sciences nous donne école-là, de. Fayeraben) qui est un élève de Lakatos
comme repères. et qui a écrit un livre qui s’appelle Contre la
Qu’est-ce qu’était l’histoire des sciences en 1930 ? méthode, que je vous conseille de lire, c’est amusant.
Vous savez que Karl Popper se moquait beaucoup Ce livre présente l’histoire des sciences comme un
de la psychanalyse, et qu’il considérait que la foutoir de première grandeur, en expliquant qu’en

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somme la science ne progresse pas du tout par le est celui en même temps de la preuve, de faire
faux ; quand la science abandonne des théories elle reconnaître ce qui est dit comme appartenant
ne sait pas trop pourquoi elle-même, que d’ailleurs effectivement à l’expérience scientifique. En ce
toute la théorie abandonnée resurgit cent ans ou sens, la phrase de Lacan : "il y en a qui me suivent et
deux cents ans après, repeinte à des couleurs le discours a donc une chance", c’est de faire
nouvelles mais foncièrement suivant la même appel… – c’est une deuxième corrélation entre
orientation ; que c’est par des effets de groupe que le l’analyste et le groupe, qui est cette fonction à
discours scientifique progresse. Pour tout dire, il l’intérieur, cette fonction de reconnaître que ce que
montre effectivement que Galilée a réussi à imposer dit un analyste provient bien du discours
sa théorie parce que c’était le meilleur psychanalytique, de l’expérience psychanalytique
propagandiste ; il montre – c’est irrésistible par elle-même, qu’il y a enfin la preuve. L’articulation
moments, comique – Galilée rusant avec les de ça, c’est la première phrase de la fondation de
institutions en place, rusant avec le droit pour faire l’E.F.P. : "Seul comme je l’ai été dans mon rapport à
passer ses idées. Il arrive à réaliser que la soi-disant la cause psychanalytique, je fonde". Comme
coupure épistémologique qu’introduit Galilée autour faisaient remarquer les gens à l’époque : mais
de lui, c’est au fond un effet de groupe : il arrive à pourquoi est-ce que Lacan dit qu’il est seul, etc ;
produire un effet de discours à partir du fait qu’il se autour de lui il y avait plein d’élèves, il y avait une
met en position dans le groupe de collectiviser le vingtaine de personnes ; donc pourquoi seul ? Seul
scientifique autour de son idée. parce que c’est bien parce qu’il y a ce type de
C’est intéressant parce que il y a le texte de Lacan de solitude-là par rapport à l’objet. Que néanmoins il y
66 qui s’appelle La science et la vérité, à la fin des a à fonder, c’est-à-dire faire reconnaître que le
Écrits, où il est clair que Lacan a lu Popper et K savoir, l’objet au nom de quoi il parle et le savoir qui
Kühn. C’est un texte où il a cette phrase très s’en est déposé en cette position-là, revient bien,
énigmatique : "La science forclôt la vérité". C’est provient bien de cette expérience analytique ; et cela
une surprise quand même, parce que dire une phrase suppose qu’il y ait d’autres analystes qui puissent
pareille c’est le contraire de la logique popperienne. eux aussi pouvoir dire : "Non, là ça ne provient pas
De dire "la science forclôt la vérité" c’est le de l’expérience ; ça n’est pas au nom de cet objet
contraire : pour Popper elle la réintroduit que vous parlez, c’est au nom de bien autre chose' !
constamment. Et on voit bien le dispositif dans Nous avons donc deux types de dialectique : d’un
lequel Lacan pense ça, qui est plutôt de considérer côté, entre ce qu’on peut appeler le confort de
que si justement elle forclôt la vérité, quand ça groupe premier point : fonction de nécessité, qui a sa
revient de temps en temps, quand ça fait retour, ça place, et qu’il faut traiter d’une certaine façon. Et
produit une catastrophe, ça produit une révolution deuxièmement : une nécessité qui est celle de la
scientifique. Mais sinon l’activité, le discours preuve et qu’il s’agit de traiter autrement. On peut
scientifique en tant qu’il marche, est effectivement voir à ce moment-là comment s’articule dans ce que
un type de traitement de la vérité qui consiste à… vous disiez le groupe et l’École. On voit que d’un
d’y forclore cette place. Il y a des choses à faire pour côté le groupe, c’est ce qui apparaît plutôt être
écrire en termes lacaniens le discours scientifique, corrélé au premier type de nécessité : le confort du
puisque de temps en temps il le tire dans ses rapports groupe ; deuxièmement, l’école c’est plutôt ce qui
avec l’hystérie, comme appel au savoir, et de l’autre est lié au second type de nécessité d’articulation :
côté il le tire vers la psychose, de temps en temps, en prouver que ce dont vous témoignez relève bien du
faisant jouer cette forclusion à l’intérieur du discours discours analytique et non pas du discours de
de la science. l’hystérie, non pas du discours universitaire, non pas
On voit en tout cas comment l’épistémologie du discours du maître. Voilà en quelque sorte la
moderne, au cours disons de ces quinze dernières façon dont on pourrait articuler ces points.
années, a pu mettre en valeur une fonction du groupe Au Forum j’avais proposé de montrer que dans ces
qui n’est pas corrélée strictement à la vérité et qui en statuts de l’École de la Cause freudienne, il y avait
même temps, nécessairement joue une fonction à trois dispositifs à traiter des effets de groupe : le
l’intérieur même du discours de la science, celui qui cartel, l’aléatoire et le transitoire. Le cartel pour
a l’air d’être le plus nettoyé des difficultés, des traiter un peu la question de si l’analyste se retrouve
nécessités de groupe. Eh bien justement, dans éjecté, le cartel sert à quoi ? Le cartel n’est quand
l’activité scientifique, l’épistémologie et l’histoire même pas le groupe idéal de la psychanalyse ! On
des sciences modernes montrent à quel point les pourrait concevoir le cartel comme ce qui
nécessités de groupe importent, mais sur un plan qui idéalement définirait la société psychanalytique. Si

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on dit : "Ce cartel est l’unité de base de l’École Deuxièmement, le sort comporte éminemment ce
freudienne", est-ce que ça veut dire que dans les caractère, Lacan le rappelait : l’amour aussi c’est un
groupes humains, il y en a un idéal, le cartel ? Que phénomène lié au sort, ça tombe sur la tête de
tout devrait être un cartel : remplacer les familles par chacun. C’est pas au choix, l’amour ; on ne choisit
des cartels, comme on voulait dans les années 68 pas l’objet d’amour, ça c’est une blague ; tout le
remplacer les familles par les communautés ; monde le sait bien alors… Ça a sa limite. Il y a un
remplacer tout mode d’association par un cartel ? type de réel qui est lié là : toute personne au sort
Qu’on serait dans le discours psychanalytique à peut être en même temps objet d’énamoration. Ça on
partir du moment où on serait en cartel ? Là je pense ne traite pas tous les effets imaginaires, le tirage au
que c’est un type d’utopie psychanalytique. Si on sort. Donc il y a le choix, qui reste une fonction
pense bien qu’il n’y a pas de réconciliation possible importante, simplement, on peut le supposer, que
entre l’analyste et le discours analytique – il n’y en a transitoire ; du moment que ça ne reste pas à tout
pas – il n’y a pas de groupe idéal. Par contre ce jamais, quelqu’un de choisi ne reste pas pendant
qu’on peut faire, c’est supposer que le groupe vers quinze ans, vingt ans, comme ça s’est fait à l’E.F.P.,
lequel l’analyste est éjecté, il vaut mieux que ce soit il y a eu là une position vraiment tout-à-fait
le cartel en tant qu’à la fois c’est un groupe, c’est-à- courante.
dire qu’il donne ce réconfort de groupe, et qu’en Maintenant, qu’est-ce qui fait en somme que tout de
même temps c’est un lien de travail, et que dans le même je ne pense pas que la passe puisse absorber
cartel s’articulent plutôt les deux modes possibles, si toute la question de la garantie ? C’est que, après
je puis dire, des contradictions des types, des tout, Lacan a distingué entre la passe et la garantie :
nécessités de groupe : la nécessité de groupe et la il y a eu une commission de la garantie et une double
nécessité d’école ; qu’un des lieux de ces commission de la passe, qui sont distinguées. La
contradictions est le cartel. Mais ça n’est pas non garantie est en somme ce qui vient vis-à-vis de
plus un lieu de réconciliation entre le groupe et le l’extérieur. Il avait distingué le fait que quelqu’un
discours. Il y a aussi un point d’impossible dans le peut très bien témoigner dans la passe et essayer de
cartel. C’est pas un dispositif idéal, c’est-à-dire il saïsir, témoigner de quoi s’est servie sa
comporte son point d’impossible, il comporte son psychanalyse, et en témoigne de façon convaincante,
cliquet, il comporte ses limites. Va c’est un point. instructive, mais ça n’implique pas qu’il exerce la
Parce que sinon on pourrait concevoir la société psychanalyse. Il y a là deux fonctions à distinguer :
psychanalytique comme une sorte de fédération de ce registre de la garantie envers l’extérieur qui est un
cartels. Je vous disais que les événements politiques type de reconnaissance de l’institution comme un
en France font qu’on peut avoir tendance à avoir minimum qui est la régularité de la pratique ; à
comme idéal de société des fédérations de clubs qui distinguer, dans la mesure où ça met en jeu la
avaient formé la ligne C.D.S. ; ça c’est comme ça pratique même, de l’expérience de la passe qui, elle,
que Mitterrand a fait le come-back dans le n’implique pas que celui qui s’y est soumis et qui est
socialisme ; enfin une fédération de clubs à un nommé A.E. exerce la psychanalyse. C’est ce qui
moment donné, au moment où il était viré de fait même obstacle à ce qu’il y ait cursus. Parce que
l’institution qui était la sienne au moment où l’état sinon il y aurait le cursus qui serait : premier grade
major de centre droit du P. S. tenaît le parti. Alors on A.M.E. comme la garantie ; deuxième grade : : on
ne va pas faire des fédérations de clubs, qui seraient devient l’analyste de son expérience-même, c’est
simplement baptisés cartels ! Donc, il y a le cartel épatant, et ça serait l’équivalent du… simplement, il
comme un type d’organisation où évidemment se y a le didacticien de sa propre expérience. C’était
traite cette contradiction mais ça, ça a sa limite. l’amusette qu’a construit Lacan : au lieu des gens
Le deuxième point, c’est l’aléatoire et le transitoire. qui se gargarisaient du terme de didacticien, ils
L’aléatoire parce qu’il y a le tirage au sort des séries. feraient mieux d’être didacticiens de leur propre
Mais le tirage au sort, lui aussi, est un dispositif qui expérience, d’expliquer ce qu’ils ont appris dans
n’est pas seulement symbolique. Il y a un type de l’expérience, plutôt que s’occuper de faire semblant
réel dans le tirage au sort. Il y a non seulement de pouvoir la passer aux autres.
l’effet imaginaire qu’il faut pour tirer au sort, Monique Liart : J’avais dit : garantie face à
constituer un corpus, c’est-à-dire qu’on ne tire pas l’analysant.
au sort n’importe quoi, on tire au sort sur un type de Eric Laurent : Exactement. C’est pour ça
séries, d’ensembles, au nom de quoi on le constitue. qu’effectivement ce que vous…
Là on introduit immédiatement des dispositifs de Monique Liart : C’est pas tout-à-fait dans le sens de
type limite et avec des corollaires imaginaires. garantie telle qu’elle est reprise dans le statut.

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Eric Laurent : Exactement. C’est-à-dire qu’il faut l’effort de Lacan est de réintroduire la possibilité
effectivement la garantie, la garantie face à qu’il y en ait un qui dise non dans le dispositif
l’analysant ; et deuxièmement : la garantie vis-à-vis analytique. Simplement, pour nous, ça n’est pas un
de l’extérieur. locuteur silencieux, c’est lié à un dire.
Monique Liart : Oui. Yves Depelsenaire : La question portait sur le
Eric Laurent : Et en ce sens ce que vous disiez de la rapport entre les quatre discours tels qu’ils sont
garantie face à l’analysant, effectivement la passe formalisés dans le séminaire L’envers de la
c’est la garantie que le didacticien ne fait pas psychanalyse et ce qui était déjà présent dans le
semblant de pouvoir former un analyste, mais qu’il texte La science et la vérité, c’est-à-dire quatre
s’occupe lui-même d’expliquer en quoi il a été, si je modes de discours : la magie, la religion, la science
puis dire, dépositaire d’un certain savoir de quoi et l’analyse.
s’est servie son analyse. Didacticien de sa propre Eric Laurent : Mais oui. Ça c’est un des points. On
expérience, ça permet de soulager un peu l’analysant répète : le discours analytique, l’hystérie, etc… Il y
de l’image du didacticien qui, au lieu de se en a quatre… sans voir que Lacan à des moments a
préoccuper de sa propre expérience, veut se dit il y en a quatre, pas les mêmes, en changeant
préoccuper à tout prix de l’expérience de son complètement de point de vue, ça n’expliquait pas
analysant. Qu’il s’en occupe lui-même. En ce sens- du tout… La science et la vérité c’est pas du tout ce
là, ce que vous disiez, c’était une garantie de qu’il écrit trois ans après. La science et la vérité est
soulagement. Mais c’est à distinguer de la garantie formulé avant la proposition du 9 octobre. Avant
envers l’extérieur qui doit être aménagée. toute élaboration finale, de l’écriture finale qu’il a
C. Vereecken : On pourrait peut-être dire que, après donnée à son expérience sur la fin de l’analyse ; et
tout, la mise en place de la passe, on peut exprimer l’écriture du discours analytique suppose la façon
cela comme ça, ce n’est pas parce que la dont il a cogité ça au moment de la proposition de la
psychanalyse n’est pas falsifiable au sens de Popper passe. Il a reformulé des pans entiers de son
que le psychanalyste n’a pas à faire ses preuves, et enseignement pour aboutir à cette proposition.
ce mode de preuve étant justement, disons, mise sur Surtout que quand il proposait quelque chose, c’est
pied peut-être à partir de là. Je veux dire à partir du pas en l’air. Il a remodelé un certain nombre
fait que probablement ce discours poppérien nous d’acquis de son enseignement tel qu’il était en 66, et
donne une idée de ce qu’il faut élaborer justement comme il le dit, essentiellement sur l’accent, le
nôtre propre mode de preuve. déplacement de la fonction de l’objet a. On peut dire
Eric Laurent : Absolument. Je suis tout-à-fait que la fonction de l’objet a apparaît dans La science
d’accord. C’est précisément le défi qu’il relevait et la vérité, puisqu’il essaie de déterminer des
dans La science et la vérité. La nécessité de l’École discours. Il appelle ça des discours effectivement.
est corrélée à inventer un type de mode de preuve, et Mais la magie comme discours… il considère que la
qui ne soit pas le pèse-personne selon le célèbre truc science est venue à bout de ça. On pourrait faire des
de "qu’est-ce que vous valez, mon vieux ?", mais de corrélations de type la magie et l’hystérie ; on sait
mettre ça à l’épreuve dans un dispositif qui permette bien que par la sorcière ça n’est pas sans vase
quand on parle au nom de l’objet a que quelqu’un communicant. Il est certain que dans la science tel
puisse dire non. Parce qu’après tout, la falsification, qu’il le dit là, il faut voir quels sont les rapports
c’est que quelqu’un dise non. Simplement, pour entre science-hystérie, science-université, etc. La
nous, ça n’est pas la nature qui dit non. Vous savez, religion, comment la situer ? Il y a des points
Popper pense qu’à un moment donné l’expérience communs entre la religion et l’université. Il y a des
qui dit "faux", c’est la nature qui dit "non". On a tas de points par lesquels on pourrait montrer
essayé de concevoir la nôtion de la référence comme comment ça se connecte. L’université est née du
dans un système de théorie de jeux, dans lequel la discours religieux, elle est née de la théologie, elle
nature est un des deux joueurs ; que ce proposant est est née de la mise en pratique d’un certain savoir.
d’un côté le type qui énonce une phrase, et c’est la Quand même, les grandes universités sont venues au
nature qui répond oui-non. Popper, d’une certaine monde au XIIe siècle. Alors il y a des connexions ;
façon, son interlocuteur, c’est la nature qui répond donc il ne s’agit pas de dire que c’est absolument en
non lors de l’expérience. Eh bien nous, ce n’est pas rupture, mais il y a des grands déplacements. Et quel
la nature, mais il faut un autre psychanalyste qui se est le point ? C’est qu’effectivement entre temps il
lève et qui dise non. Et la publicité de la passe est réélabore la fonction de la place de l’objet a pour le
cruciale, la publicité de ses résultats est cruciale pour discours analytique, fonction qui est déjà mise en
qu’il puisse y avoir du non. Ça c’est sûr. Au fond, place à la fin du séminaire XI ; l’objet a surgi à la fin

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du séminaire XI en 64. C’est un peu modifié en 66, que Lacan avance, c’est : qu’est-ce qui est alors
et ça trouve sa forme dans la proposition du 9 l’analyse, eu égard à ce refoulé qui existe depuis
octobre 67, forme stable, qui implique des toujours ? Il dit : "rien qu’y produire le trou".
conséquences de remaniement après-coup, qui sont Mettons : a. Alors il ajoute : "Cela me paraît
de réécrire ces rapports du sujet à l’objet, dans ce confluer à la mort". Alors, c’est là la remarque que
qu’il appelle la façon dont le sujet dépose, dépose je ferais, c’est que entre Si et a, ce que vous appelez
les armes, cède et est prêt à céder la cause de son la solitude, c’est ce qui conflue à la mort, là où
désir. Ne pas céder sur son désir ! On a réinterprété Lacan ajoute : "Là-dedans je suis seul". Alors, c’est
ça comme ne pas céder la cause du désir, c’est du pas étonnant que à partir du moment où les analystes
style "je veux faire ce que je veux et personne ne se regroupent – et c’est là la question que je posais
m’en empêchera ; eh na ! » tantôt sur l’obscène – l’obscène qui apparaît c’est :
Évidemment, si l’analyste sait le type de cage Lacan, est-ce que tu es crevé ou pas ? C’est-à-dire
narcissique qui aboutit à ce que le sujet "ça c’est qu’on lui demande de faire la preuve de son rapport
moi, ça c’est moi", il est persuadé que c’est lui et il à la mort, et on le lui demande assez crûment, il faut
n’en démord pas, et que si on y touche c’est son être dire. Alors, est-ce que c’est possible, est-ce qu’on
même qui est en jeu ; évidemment on ne peut pas peut jamais échapper à l’obscène de demander à
absolument considérer que c’est un succès quelqu’un, à un analyste, de témoigner de son
considérable. C’est l’analyse comme poussant au rapport à la mort, voilà la question…
narcissisme. Comme on voit que le désir c’est Eric Laurent : Ça c’est un point crucial. C’est que, si
absolument le contraire du narcissisme, on se dit : là vous voulez, dans les Écrits par exemple, il y a toute
il y a quand même un truc. Qu’est-ce que c’est "ne une série de formules – et c’est à refaire, il n’y a pas
pas céder sur son désir" ? Dans le texte La science et eu de textes réécrivant ça systématiquement, mais en
la vérité, il explique : ne pas céder sur son désir, tout cas je veux essayer ; je ne peux pas tout dire en
c’est ne pas céder sur la cause du désir comme même temps. C’est très clair que l’analyste à la
insupportable, ne pas céder sur le fait que ça place de l’objet a, ça n’est pas dans les Écrits c’est
s’adresse à personne, que l’analyste a à occuper cette pas dans la tranche de l’enseignement de Lacan dans
place-là, avec ce rapport d’aversion. Et avec ce les Écrits. Par contre, ce qui est dans les Écrits tout
rapport d’aversion il faut qu’il l’occupe, et dès qu’il le temps et depuis le début, l’analyste dès le départ
s’en éloigne, ce n’est plus de l’analyse. Elle peut Lacan ne le situe pas dans une expérience de
faire beaucoup de choses, l’analyse, comme l’a réconciliation heureuse avec la chaîne signifiante.
montré Lacan dans sa pratique, à partir du moment Même au moment où il parle de l’analyse en termes
où on ne fait pas la eure-type et qu’on se détermine de réconciliation à la fin – parce qu’il parle comme
par sa place strictement. On peut faire beaucoup de ça aussi, dans L’instance de la lettre, il parle de
choses. Bizarre. L’important, c’est qu’on sache que réconciliation finalement avec le destin impossible,
si par contre on cède là-dessus, c’est-à-dire qu’on est et de réconciliation avec l’inscription dans la chaîne
prêt à remettre, comme la science – dans La science signifiante – toujours il note qu’il y a un point, c’est
et la vérité, il montre qu’il y a cette fonction de que la mort en est la limite. Et ça c’est dès les années
forclore la vérité dans la mesure où… là il prend la 50. Il y a tous les termes qui seront de Lacan donnés
science plutôt du côté universitaire – à partir du pour l’analyste à la place de l’objet ; dans les. Écrits
moment où il considère qu’à remettre la cause du vous trouvez l’analyste à la place de la mort. Et la
désir on a le savoir en tant qu’immortel. Et là ce qui mort en tant qu’elle échappe, en tant qu’elle est autre
est crucial, c’est la connexion du savoir et de la chose que l’inscription dans la chaîne signifiante. Un
mort. point de silence foncier. Quand il dit dans sa lettre
… de janvier, rappelez-moi, c’est une lettre de
Je voudrais ajouter quelque chose. C’est entre a et S. décembre ? C’est le 23 octobre… Alors dans cette
Je vais reprendre simplement une feuille que Lacan lettre, effectivement, ça conflue à la mort ; le "seul"
nous a envoyée puisque c’est une lettre qui date de la corrélation de a avec le sujet, cette place-là,
d’avant la fameuse affaire M…, et qui est tout-à-fait occuper cette place, en faire semblant, est un des
prémonitoire de ce qui allait se passer. C’est assez points cruciaux dans son enseignement. Avant de
frappant parce que cette lettre est tout-à-fait parallèle dire "faire semblant d’objet a", il disait "l’analyste
à ce que vous avez développé. C’est-à-dire, Lacan fait le mort", par exemple. Ça vers la tranche des
dit : "Il y a du refoulé toujours". C’est quasiment années 50 ; ça se disait sous la forme "L’analyste fait
dire : l’inconscient, ça existe depuis toujours, le mort". Maintenant, à un moment donné, ça a
seulement l’élaborer, ça se fait dans l’analyse. Ce basculé ; il a élaboré autrement, la notion du

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semblant. C’est un des points aussi où il y a du discours scientifique "est une façon de traiter la
beaucoup de choses à apprendre à essayer de saisir mort par calcul des probabilités. Et il conclut :" Il y a
qu’est-ce qu’il e voulu dire en élaborant ce machin ; néanmoins, de notre temps "-l’expression" de notre
saisir vraiment ce qu’il a voulu comprendre avec : temps "est très importante parce que le temps c’est
qu’est-ce que c’est que le semblant ; ça c’est à faire. après tout… les quatre discours, dit-il, se partagent
Occupe cette place-là, c’est effectivement là où ça l’expérience de notre temps. C’est exactement le
conflue à la mort. Le discours de la science quand il même mot qui revient pour les quatre discours ;
dit par exemple dans le discours de la vérité, pour comment un temps se partage de l’expérience du
reprendre ça dans La science et la vérité : vous non-rapport sexuel. Qu’est-ce qu’on met à la place
savez, une des façons de déposer la cause de son de la jouissance, en tant que foncièrement plus-de-
désir, c’est de remettre la mort… de se réfugier dans jouir. Alors :" il y a des gens qui se refusent à
la figure du savoir comme une figure de l’éternel. contracter une assurance-vie. C’est qu’ils veulent de
De même que c’est une autre figure que de remettre la mort une autre vérité qu’assurent déjà d’autres
la cause de son désir à Dieu ; et pour la magie de discours ". C’est très important puisqu’au fond il
toute façon… C’est exactement comme ça que dans dit : il n’y a pas de désir de savoir. Ça il l’a dit de tas
L’étourdit il reprend ce rapport de la psychanalyse et de façons. Mais par contre, quand même, on peut
de la mathématique, et du sujet de la science. vouloir de la mort une vérité. C’est là où
Qu’est-ce qui fait que l’analyste ne doit pas lui en l’opposition savoir-vérité est restituée.
quoi ce n’est pas le discours de la science : c’est que Ceci est la transcription par Anne Lysy et Alexandre
nous on ne peut pas se remettre à ce savoir en tant Stevens d’un enregistrement et n’a pas été relu par
qu’agent éternel. C’est page 32, c’est l’autre côté de Eric Laurent.
ce qu’il dit, et il dit la chose suivante : "Ce n’est pas
moi qui vaincrai, c’est le discours que je sers, je vais
dire pourquoi." Point. Et ça commence, première
phrase : "Nous en sommes au règne du discours
scientifique". Et qu’est-ce que c’est que le discours
scientifique, comme il dit, cette histoire… Et la
phrase d’après – procédons au Champollion comme
ça toujours – "sentir de là où se confirme ma critique
(…) de l’universel de ce que l’homme soit mortel".
Voilà le rapport de la mort et de la science ;
comment est-ce que la science traite le rapport à la
mort, et avec ce que nous avons appris depuis Freud
que la jouissance est corrélée de façon foncière à la
mort. Alors, comment on traite ça ? Eh bien : "Sa
traduction dans le discours scientifique, c’est
l’assurance-vie. La mort, dans le dire scientifique,
est affaire de calcul des probabilités. C’est, dans ce
discours, ce qu’elle a de vrai." D’abord, c’est une
phrase compliquée parce qu’il dit que la science
forclôt la vérité, et en fait il y a quand même la
vérité puisque… C’est ce qui fait qu’on doit faire
attention quand on raboute Lacan à ne pas faire des
Frankensteins. Il y a des hésitations de Lacan sur des
points ; il prend les choses d’un biais, d’un autre.
Faut pas asséner "Lacan a dit que", parce qu’à ce
moment-là toujours… Là ce n’est pas l’analyste qui
se lève pour dire "non", votre savoir n’est pas
l’expérience analytique ", mais on se lève et
quelqu’un dit" non, il a dit que ". Et on a deux
citations contradictoires, et comme on n’a pas
l’orientation qui les relie, ça devient des monstres.
Quand même donc, sans trop comprendre, on voit la
corrélation essentielle :" Nous en sommes au règne

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LA STRUCTURE PSYCHOTIQUE ET L’ECRIT


Serge André
CONFÉRENCE A L’ENSEIGNEMENT DE appuyée, chez FREUD comme chez Lacan, sur
CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE le 6 février l’analyse d’écrits et non sur la relation de cures
1982 comme cela a été le cas pour l’hystérie, l’obsession
On a souvent émis, tant du côté des littérateurs que et la phobie. C’est par la lecture des Mémoires du
de celui des psychiatres et des psychanalystes, l’idée Président Schreber que FREUD a inauguré une
qu’il existerait un lien particulier entre la folie et théorie psychanalytique de la paranoïa ; c’est par la
l’écrit. lecture qu’il fait de FREUD et de Schreber, que
On constâte en effet qu’un bon nombre de Lacan, vingt ans après s’être penché sur les écrits
psychotiques se livrent à une activité d’écriture, et d’Aimée, en arrive à établir les lignes principales
que leurs écrits se signalent assez souvent par d’une structure psychotique – qu’il oppose à la
quelques particularités dont on aimerait rendre structure hystérique. Et c’est encore un écrit, à
raison en épinglant un style spécifique qui serait savoir l’œuvre de James JOYCE, qui fournit à
celui de la folie à l’œuvre. Lacan, après un nouveau saut de vingt ans,
Ceci ne veut pas dire, cependant, ni que tous les l’occasion de formuler, en 1975, une nouvelle
psychotiques écrivent, ni que tous ceux qui le font se avancée dans le champ de la psychose.
fassent remarquer par quelque anomalie de leur Cet intérêt pour l’écrit dans la psychose, ou pour la
production. psychose dans l’écrit, constitue d’ailleurs le véritable
J’ai moi-même eu l’occasion de suivre, au cours de point de départ de l’œuvre de Jacques Lacan,
ma pratique psychanalytique, trois cas de psychose puisque c’est lui qui formait le thème de ses tout
dans lesquels l’écrit tenait une place capitale pour le premiers travaux, avant même qu’il n’aborde la
sujet, mais je n’ai pas estimé être en mesure d’en psychanalyse. "Écrits inspirés : schizographie" en
tirer de conclusion générale qui dégage LA fonction 1931, le cas Aimée de sa thèse de 1932, et son
de l’écrit dans la psychose. articlé de 1933 sur "Le problème du style et la
L’affirmation commune d’une affinité entre la folie conception psychiatrique des formes paranoïaques
et l’écrit reste donc à vérifier et à justifier par de l’expérience", témoignent de la sensibilité de
rapport aux axes que nous pouvons aujourd’hui Lacan dès cette époque à une analogie entre
définir comme ceux d’une structure clinique de la l’expérience de la création du style et l’expérience
psychose. Quant au style des écrits que nous livrent paranoïaque. La lecture de ces travaux dégage les
les sujets psychotiques, je crois qu’il vaut mieux points principaux de l’analogie :
d’emblée faire notre deuil d’un style de la folie. Il y 1) le surgissement d’une signification qui s’impose
a un monde entre les textes d’un Antonin ARTAUD, au sujet : le phénomène élémentaire dans la
les Mémoires du Président Schreber, et les paranoïa, l’inspiration chez l’écrivain ;
gribouillages de telle patiente qui inscrit 2) le rapport du sujet à une syntaxe qui guide son
littéralement la voix de sa mère sur l’image discours et règle la relation intersubjective, ainsi que
spéculaire des corps dont elle m’offre le dessin. Sur FREUD le montre dans son article sur Schreber ;
ce point je pense que nous devrions suivre 3) enfin, l’importance de l’adresse dans les deux
l’indication que Lacan nous donne implicitement : cas ; l’écrivain n’étant pas moins perplexe que le
en effet, en 1933 – dans l’article intitulé "Le paranoïaque quant à la signification de son produit et
problème du style et la conception psychiatrique des quant à sa position subjective à son égard,
formes paranoïaques de l’expérience"-, comme en l’existence s’impose d’au-moins un lecteur qui fasse
1966 – dans le petit texte qui ouvre les Écrits –, c’est arrêt à ce que ces deux béances se prolongent à
sur LE style, et non sur UN style singulier, qu’il l’infini.
attire notre attention. Je me demanderai donc, non On ne peut pas négliger non plus – et je clôturerai
pas si la folie a un style à elle, mais s’il y a quelque ainsi cette liste de points de repères bibliographiques
chose de commun entre l’élaboration d’un délire – de prendre en compte le fait que Lacan a
psychotique et l’élaboration du langage que nous délibérément confié au "Séminaire sur la lettre
appelons le style. volée" le soin d’introduire le lecteur à ses Écrits, et
Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer que que ce texte nous invite à distinguer deux versants
l’approche psychanalytique de la psychose s’est de la lettre : celui où elle se définit de circuler, de

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suivre son trajet propre – c’est le versant signifiant pouvoir que la psychanalyse formule à partir de la
de la lettre –, et celui où, détournée de son trajet, névrose.
mise en souffrance, elle se change en ordure – C’est là son côté impeccable, sa rigueur. Elle fait
traduisons : en objet "a"-et symptomatise son preuve en ce sens que c’est elle, par exemple, qui
détenteur. Une autre perspective s’ouvre ici dans assure le psychanalyste que l’inconscient est bien,
l’approche de l’écrit, qui consiste à le situer comme littéralement, extérieur au sujet, ou encore que parler
dispositif de capture de l’objet a, jusqu’à en endosser de structure en psychanalyse nécessite que l’on
le statut de déchet, de litter (c’est sans doute ce qui distingue les registres de l’imaginaire, du
amène Lacan à parler de poubellication). symbolique et du réel. C’est pourquoi, non
A considérer ce détour qui donne à la lettre valeur de seulement le psychanalyste est là dans son domaine,
l’objet a autour duquel se cristallise le symptôme du mais plus encore je dirais qu’il a besoin de se
sujet, nous devrions nous demander si une affinité confronter à la psychose, car celle-ci est pour lui,
entre l’écrit et la psychose se vérifie également sur avant tout, un enseignement,
ce plan. Avec cette conséquence, que Lacan a marquée
Pour donner une indication très rapide allant dans jusque dans le titre même de son article des Écrits
cette voie, on se souviendra que c’est à JOYCE que "D’une question préliminaire à tout traitement
Lacan empruntait, en 1956, cette idée de la possible de la psychose", que la question du
métamorphose de la lettre : l’aphorisme "a letter, a traitement de la psychose se trouve mise en suspens.
litter", cité à la page 25 des Écrits, est tiré de La cure du psychotique consistera d’abord à lui faire
JOYCE. Et c’est à propos du même JOYCE que part de la leçon que nous tirons de son discours. Ceci
Lacan avancera, dans son Séminaire "Le Sinthome", implique que nous voulions bien nous laisser
que l’écriture – ou, plus exactement, l’ego de enseigner par lui, et ensuite que nous mettions en
l’écrivain – a pu servir de symptôme le protégeant réserve la fonction d’interprétation avec laquelle
de la folie, alors même que, selon Lacan, la structure nous opérons dans la névrose – puisque la première
de JOYCE était marquée de cette carence du Nom- chose que nous apprend la psychotique c’est qu’il
du-Père qui forme la cause d’une structure manque de ce signifiant "ultime" qui est à chaque
psychotique. fois mobilisé dans l’interprétation (je renvoie ici à la
Interroger le rapport de l’écrit à la psychose suppose ligne directrice de l’exposé que Zénoni nous a
donc que l’on situe le phénomène psychotique par présenté la fois passée).
rapport au signifiant, et par rapport à l’objet a, donc La thèse centrale de Lacan dans le Séminaire c’est
que l’on précise ce que veut dire le terme de que la psychose est une structure, que cette structure
structure dans le champ de la psychose, et ensuite se révèle dans le discours du délirant, et qu’elle
que l’on examine comment le fait d’écrire peut correspond à un certain rapport du réel, du
modifier, ou tendre à modifier, les données de cette symbolique et de l’imaginaire. Cela veut dire que la
structure. J’annonce ainsi les deux axes de l’exposé psychose n’est pas à prendre pour un accident (il n’y
dans lequel je vais m’engager : a pas de "moments psychotiques", comme on dit
1) quelle est la structure freudienne de la psychose ? parfois), ni comme une virtualité qui serait inscrite
2) comment cette structure apparaît-elle dans en tout homme (ne devient pas fou qui veut), ni
l’écrit ? comme l’exagération, ou au contraire l’extinction,
Je m’appuierai dans ce travail sur une lecture de de certains traits du caractère (il ne suffit pas d’être
FREUD et de Lacan, bien entendu, sur les Mémoires orgueilleux à l’excès pour être paranoïaque).
du Président Schreber, et sur quelques fragments de C’est d’ailleurs de là que Lacan prend son départ dès
discours de sujets psychotiques en analyse. la troisième page de la première leçon du Séminaire,
I – Une structure psychotique lorsqu’il critique le terme de constitution
Si nous considérons le Séminaire sur les psychoses, paranoïaque et rejette la notion d’un caractère
dont nous avons depuis peu une version lisible, je paranoïaque – notion sur laquelle s’appuient la
crois que la première chose à souligner c’est que plupart des diagnostics. On se rappellera que cette
Lacan fonde, en raison, le domaine de la critique constituait déjà l’un des objectifs de sa thèse
psychanalyse sur l’abord qu’il opère de la psychose. de 1932 où il opposait à l’approche constitutionnelle
Loin de considérer – comme le veut une idée la nôtion de personnalité. Ici, rappelant brièvement
préconçue trop souvent colportée par les où en était la conception de la psychiatrie française à
psychanalystes eux-mêmes – que la psychose l’époque de ladite thèse, il trace le tableau suivant :
formerait une exception échappant au savoir et au "Un paranoïaque c’était un méchant, un intolérant,
un type de mauvaise humeur, orgueil, méfiance,

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susceptibilité, surestimation de soi-même. Cette rouge n’était-elle pas, en réalité, de couleur verte ?
caractéristique faisait le fondement de la paranoïa – Ou bien, au niveau de l’imaginaire, on tâchera de
quand le paranoïacide était pas trop-paranoïaque, il mettre en évidence une réaction du sujet à la couleur
en arrivait à délirer."(Sém III, 13) rouge, on étudiera le phénomène comme un cas de
L’idée d’une structure psychotique, il la promeut mimétisme semblable à ceux que l’on observe chez
cependant en s’appuyant sur la psychiatrie, ou au les rouges-gorges par exemple. Ou bien, au niveau
moins sur un certain courant de la psychiatrie. En du symbolique, on se demandera quelle place
effet, c’est dans une relecture de paranoïa qu’il la occupe le signifiant "auto rouge" dans le langage du
trouve – paranoïa dont il dit que "dans l’ordre des sujet.
psychoses il reste absolument indispensable", et dont Et toute la question que pose la psychose se
il retient deux notions : celle d’automatisme mental ramènera, au fil du Séminaire, à saisir comment,
et celle de phénomène élémentaire. C’est à propos chez le psychotique, un signifiant extrait du discours
du phénomène élémentaire que Lacan avance sa (auto rouge) apparaît dans le réel (la rue), en
thèse fondamentale, à la page 28 du Séminaire : déclenchant la réaction imaginaire d’une régression
"J’ai souligné avec fermeté que les phénomènes au stade du miroir. Sur ces trois plans une
élémentaires ne sont pas plus élémentaires que ce perturbation apparaît : perturbation du réel, qui se
qui est sous-jacent à l’ensemble de la construction met à parler au sujet ; perturbation du symbolique,
du délire. Ils sont élémentaires comme l’est, par où la présence d’un trou entraîne une prolifération
rapport à une plante, la feuille où se verra un certain du signifiant cherchant à le combler ; perturbation de
détail de la façon dont s’imbriquent et s’insèrent les l’imaginaire, où ce que j’appellerai avec Lacan le
nervures – il y a quelque chose de commun à toute la second narcissisme (celui de l’Idéal du moi, du
plante qui se reproduit dans certaines des formes qui schéma des deux miroirs) se trouve envahi et
composent sa totalité. De même, des structures submergé par le premier narcissisme (celui du moi
analogues se retrouvent au niveau de la composition, idéal, du stade du miroir), avec ses effets de
de la motivation, de la thématisation du délire, et au morcellement et d’abolition suicidaire.
niveau de phénomène élémentaire. Autrement dit, Alors quelle est cette structure de la psychose qui
c’est toujours la même force structurante, si l’on articule les perturbations que je viens de situer ?
peut s’exprimer ainsi, qui est à l’œuvre dans le Cette structure se donne toute entière dans le
délire, qu’on le considère dans une de ses parties ou discours du délirant, et c’est pourquoi la clinique
dans sa totalité. psychanalytique de la psychose est avant tout une
L’important du phénomène élémentaire n’est donc clinique du signifiant. Cette clinique va donner aux
pas d’être un noyau initial, Le point parasitaire, deux énoncés fondamentaux de Lacan –
comme s’exprimait De paranoïa à l’intérieur de la "l’inconscient est structuré comme un langage", et
personnalité, autour duquel le sujet ferait une "l’inconscient c’est le discours de l’Autre" – une
construction, une réaction fibreuse destinée à vérification, une authentification telles que l’on
l’enkyster en l’enveloppant et en même temps à pourrait se demander si la psychose ne nous présente
l’intégrer, c’est à dire à l’expliquer, comme on dit pas comme un inconscient à ciel ouvert. Mais c’est
souvent. Le délire n’est pas déduit, il en reproduit la aussi une clinique de l’objet a, dans la mesure où le
même force constituante, il est, lui aussi, un discours délirant met en évidence une urgence pour
phénomène élémentaire. C’est dire que la notion le sujet à se protéger d’une jouissance qui l’envahit.
d’élément n’est pas à prendre autrement que pour Je vais tâcher de dégager ces deux versants de la
celle de structure (…) "(Sém. III, p. 28). clinique de la psychose, en saisissant la structure
Et ce phénomène élémentaire – soit ce fait que le psychotique comme :
sujet se sente l’objet d’une signification qui parcourt 1) un rapport du signifiant au signifié qui nous est
le monde qui l’entoure –, Lacan le rapporte dès la révélé dans l’hallucination verbale
première leçon du Séminaire à la triade du réel, du 2) une relation du sujet à l’Autre où le premier se
symbolique et de l’imaginaire. Un sujet a vu passer trouve amené à devoir faire la loi au second ;
une auto rouge dans la rue ; il est sûr que ce n’est 3) un rapport du sujet à la jouissance où le délire
pas par hasard, que ce n’est pas pour rien qu’elle est tente de tenir lieu du fantasme qui n’a pu s’édifier
passée justement à ce moment-là. Cette auto a une pour le sujet.
signification, mais il est incapable de préciser Je n’aborderai pas ici la question de la cause de cette
laquelle. Il y aurait trois manières d’aborder ce structure – la forclusion du Nom-du-Père – dont j’ai
phénomène. Ou bien, sur le plan du réel, on retracé la lente découverte par Lacan, au cours de
s’interrogera sur la perception du sujet : cette auto mon séminaire de cette année, ni celle des effets de

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ladite structure – la régression topique au stade du appelle "les petites voix du tram". Il m’explique fort
miroir. bien que ces voix ne sont "en réalité" rien d’autre
II – l’hallucination verbale que les grincements et les cliquetis de la voiture,
Il me paraît essentiel de souligner tout d’abord que mais il observe aussi qu’il est le seul parmi les
tant dans le Séminaire sur les psychoses que dans passagers à les entendre comme lui les entend. Ce
l’article sur la Question préliminaire, Lacan prend n’est donc pas la réalité matérielle, sonore, des bruits
pour point de départ de son travail non pas du tramway qui forme l’hallucination, mais bien la
l’approche freudienne de la paranoïa, mais qu’il portée que ces bruits ont pour lui. Il s’agit, dit-il,
épingle comme le terme majeur du savoir d’"une sorte de parole sans sonorité", d’"un
psychiatrique : la notion d’hallucination. Et, dans les sifflement ultrasonique", d’un "petit vent électrique".
deux textes, ce n’est qu’après avoir remanié Il lui arrive de le capter lorsqu’il est chez lui, et il me
fondamentalement la portée de ce terme, après avoir confie cette découverte tout à fait saisissanté et qui
en quelque sorte établi un concept psychanalytique fait le point je crois sur la théorie psychosensorielle
de l’hallucination, qu’il se tourne vers FREUD pour de l’hallucination : il a branché un oscilloscope dans
en reprendre les élaborations au point où celui-ci les sa chambre et il constate que l’appareil enregistre
avait laissées avec ses articles sur le Président des pointes régulières de un millivolt ; mais
Schreber et sur la perte de réalité dans la névrose et l’étonnant, me dit-il, ce n’est pas que ces pointes
la psychose. existent, c’est qu’il les sente et qu’elles aient tant
Alors que la psychiatrie – et aussi bien la psychiatrie d’effet sur ses pensées. Autrement dit, ce que le
contemporaine que la classique : voyez le discours de ce patient démontre c’est que même à
monumental "Traité des hallucinations" de Henri vérifier la présence d’un support matériel perceptif
EY, paru en 1973 – considère l’hallucination comme de l’hallucination, ou son absence, on n’explique
une erreur de la perception, et, de là, s’engage dans rien de son mystère pour le sujet qui me dit bien que,
une classification psychosensorielle de ces bruit réel ou irréel, son malaise tient à un au-delà de
phénomènes (hallucinations auditives, visuelles, sa perception ; son malaise provient de ce que ces
tactiles, olfactives), Lacan, lui, rapporte bruits et ces pointes semblent lui dire quelque chose,
l’hallucination au signifiant et à la signification. En de ce qu’au-delà du son s’ouvre pour lui le champ
somme, ce que le psychotique hallucine, ce sont des d’un ultrason qui le concerne.
mots, ou même pas – il n’est pas nécessaire que les C’est en ce sens que Lacan avance, dans Parti – de
mots soient formulés comme tels –, ce peut être sur la Question préliminaire, que l’hallucination est
simplement, radicalement, la présence d’une parole, verbale. Cela veut dire que lorsque le psychotique
avec cette précision qu’elle se révèle présente là où nous dit entendre des voix, il est tout à fait
elle ne devrait pas être. En voici deux exemples. secondaire de savoir s’il les perçoit avec ses
Un patient, dans son délire paranoïaque, me confie oreilles ; son entendre relève de l’entendement, de la
les messages que lui adresse ce qu’il désigne comme compréhension et de l’incompréhension, plutôt que
la voix de Dieu. Il s’entend dire à tout bout de de la réception d’un son. Notons, par parenthèse, que
champ : "Et celui-là, qu’il soit châtré de par la si le sujet, à l’occasion, nous parle de son
volonté de Dieu !", message le plus souvent abrégé – hallucination comme d’un phénomène visuel,
je reviendrai sur cette abréviation dans un moment – acoustique, etc., il peut se faire que ces sensations ne
en "Et celui-là…". Ou, lorsqu’il pense trouver un soient que la conséquence d’un verbe singulier qui
peu de répit au harcèlement de la voix en s’installant s’impose à lui. Ainsi, dans le chapitre VI des
à la table d’un café, voici qu’en quelques minutes Mémoires d’un névropathe, Schreber nous décrit la
tous les consommateurs attablés à son voisinage se splendeur des "visions" de fin du monde qui lui
mettent à parler de lui, et dans leurs chuchotements échoient au cours de la période de son délire qu’il
il commence à distinguer des mots comme appelle le "temps sacré" de sa vie ; mais il précise
"saligaud !", ou "c’est le prince", "il s’est de aussitôt qu’à cette époque ses voix l’appelaient "le
nouveau masturbé". Voyant".
Un autre, que je situerai plutôt comme schizophrène, Lacan distingue, dans le Séminaire, trois types de
me fait part d’hallucinations qui semblent moins phénomènes hallucinatoires – au sens de
directement verbales dans leur contenu, en ce sens l’hallucination verbale. Il regroupera les deux
qu’elles ne formulent pas même un mot, mais une premiers dans l’article sur la Question préliminaire.
simple opposition phonématique. Ainsi lorsqu’il 1) L’intuition ou le néologisme, où un mot s’impose
voyage en tramway-ce qu’il doit faire à chaque fois au sujet comme un mot plein, inassimilable et
qu’il vient à sa séance –, il est en butte à ce qu’il irremplaçable, chargé d’une signification massive et

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obscure qui ne renvoie à aucune autre signification. formule où la présence de l’Autre se fait sentir, mais
Par exemple, les mots de la "langue fondamentale" en tant qu’elle laisse tomber le sujet. La
de Schreber, ou le verbe "galopiner" repéré par signification, ici, est mise en suspens, la pensée
Lacan au cours d’une de ses présentations de principale, comme dit Schreber, se dérobe ; cette
malades. Ici, c’est à la Signification avec un grand S pensée principale, Lacan nous indique, dans l’article
que le sujet est confronté, à l’énigme que provoque sur la Question préliminaire, qu’elle n’est rien
la signification lorsqu’elle envahit le signifiant au d’autre que ce qui représenterait le sujet.
point que le sujet n’en distingue plus le caractère de C’est trois types de phénomènes hallucinatoires
signifiant. Remarquons que le terme de repérés dans le Séminaire sur les psychoses, sont
"néologisme" n’implique pas, dans l’usage qui en est repris dans la Question préliminaire, deux ans plus
fait ici, que le mot soit nouveau ou étranger par tard, et il importe de souligner le nouvel angle
rapport à la liste du dictionnaire ; bien souvent la d’approche du phénomène psychotique que révèle
locution sera néologique dans son emploi, sans cette reprise. En effet, autant dans le Séminaire
1/être dans sa forme. J’ai ainsi connu un patient pour Lacan tend à décrire ces types d’hallucinations dans
qui le mot "truqué" avait, durant une certaine le cadre de la problématique de la signification,
période, acquis cette valeur énigmatique qui autant dans la Question préliminaire il les situe par
caractérise le "néologisme" hallucinatoire. rapport au signifiant et à la loi psychanalytique du
2) La formule ou la ritournelle, où s’observe plutôt signifiant, à savoir qu’un signifiant représente un
la signification vide. Le signifiant, ici, est sujet pour un autre signifiant.
complètement déchargé de son effet significatif, il Ce glissement s’explique par le fait qu’entre le
tend à se réduire à un pur et simple bruitage. On en Séminaire et la Question préliminaire, Lacan a écrit
trouve un exemple dans les serinages des oiseaux "L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la
miraculeux de Schreber, à propos desquels il écrit : raison depuis Freud". Dans ce dernier article, il
"ils n’ont pas la moindre compréhension de ce qu’ils montre que c’est le signifiant qui s’introduit dans le
viennent de dire ; ces phrases apprises par cœur, ils signifié et y induit l’effet de signification – règle
les débitent sans connaître la signification des mots ; qu’il illustre par ce schéma :
ils ne sont apparemment pas plus hauts en
intelligence que les oiseaux ordinaires qu’on
rencontre dans la nature" (Mémoires 174).
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Autrement dit, ces serinages ne sont pas différents


des pépiements des oiseaux ordinaires (signification
nulle), sauf en ceci qu’ils provoquent le sujet Ce qui veut dire, pour aller vite, que seul le
Schreber. signifiant S, au-dessus de la barre, permet au sujet,
placé devant les portes de l’isoloir, de choisir
3) Les phrases interrompues, dont Schreber nous a
d’emprunter la porte de droite ou celle de gauche,
livré une observation remarquable, notamment dans
c’est-à-dire de se déterminer comme homme ou
le chapitre XVI de ses Mémoires. J’ai évoqué il y a
femme et d’inscrire cette différence dans le réel.
un instant ce patient qu’une voix divine accostait le
plus souvent par les mots : "Et celui-là…" ; on Or, de la manière dont Lacan présentait les choses
trouve chez Schreber un énoncé semblable au dans le Séminaire, on aurait pu croire que dans le
chapitre XXII des Mémoires : "Ne faut-il pas que langage délirant c’était l’inverse qui se produisait.
celui-là ?" ; en note, Schreber précise : Ce que Lacan y désigne comme "érotisation du
signifiant", le processus par lequel "le signifiant se
"Celui-là, c’est évidemment toujours de moi qu’il
charge de signification" se présente dans le
s’agit dans cette formule comme dans bien d’autres
Séminaire comme un passage du signifié vers le
du même genre. Il faudrait peut-être achever :" Cet
signifiant. S’il avait maintenu cette façon de voir
homme-là seul qui nous intéresse encore (nous, les
après avoir écrit l’instance de la lettre, il aurait fallu
rayons) ". Que l’on affecte d’ignorer mon nom, cela
en conclure – et cela aurait été contraire à la thèse de
paraît bien être de propos délibéré, dans cette
fond du Séminaire – que le langage délirant n’est pas
illusion dont on contribue à se bercer que j’aurais
le même que celui du névrosé, que les lois du
enfin – le moment tant attendu ayant bien dû finir
signifiant sont doubles selon qu’on est dans la
par arriver – perdu toute conscience de ma propre
névrose ou dans la psychose.
identité" (Mémoires, note 109, p. 233).
L’article sur la Question préliminaire devait donc
Dans le Séminaire sur les psychoses (p. 319) Lacan
resituer les phénomènes hallucinatoires par rapport
avance que le modèle de ces phrases interrompues
aux règles du processus signifiant mises au jour dans
serait : "Tu es celui qui me…", c’est-à-dire une

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L’instance de la lettre. C’est ce qu’il fait en particulière sous laquelle ce signifiant s’impose au
distinguant les phénomènes de code et les sujet. Le signifiant de l’hallucination se présente au
phénomènes de message. Lacan ne dit plus que c’est sujet comme un signifiant arrêté, gelé, un signifiant
la signification – pleine ou nulle – qui s’impose au dont il ne peut d’abord rien faire (et à ce titre, le
sujet, dans le néologisme ou la ritournelle, mais que signifiant psychotique se situe à l’opposé du
c’est le signifiant, comme tel, qui y est communiqué signifiant phobique, lequel est un signifiant à tout
au sujet : phénomène de code en ce sens que le sujet faire). C’est un signifiant, oui, mais dont les
s’y trouve informé des mots, des signifiants-clefs qui caractéristiques sont :
composent ce que Schreber appelle la "langue 1) qu’il ne circule plus, qu’il est sorti de sa chaîne
fondamentale", soit le code de langage de son (de sa "langue fondamentale"), et
interlocuteur. Quant à l’effet de signification, qui 2) qu’il est rencontré par le sujet dans le réel.
semble surgir comme primaire par rapport au Autrement dit, c’est un signifiant qui a perdu sa
signifiant, il est bien un effet de ce dernier, et s’il a matérialité immatérielle de signifiant, c’est un
l’air d’être là d’abord, c’est qu’il tient à la nature signifiant qui s’est changé en ce que Lacan appelle
même du signifiant que son effet de signification une lettre. Et c’est au sujet dès lors qu’échoit la
soit anticipé. Quant aux phénomènes de message tâche de remettre cette lettre en circulation, de la
(les phrases interrompues), ce qu’ils laissent en retransformer en signifiant ; c’est à cette tâche que
suspens doit également être repéré comme un Schreber s’attelle dès le moment où il se met à
signifiant : si "un signifiant représente le sujet pour prendre des notes et à essayer d’expliquer le sens et
un autre signifiant", ici l’autre signifiant, les relations des termes de la langue fondamentale,
précisément, fait défaut, laissant le sujet dans une c’est-à-dire à tenter de les connecter entre eux, de les
béance. Le message de l’Autre est tronqué après le replacer dans leur chaîne.
premier signifiant, à charge pour le sujet de prendre Ce repérage de la fonction de la lettre dans
sur lui de le compléter du second signifiant l’hallucination permettrait peut-être de jetér quelque
nécessaire à ce qu’il soit représenté dans le lumière sur l’affirmation, combien énigmatique, que
message ; s’il ne veut pas tomber purement et FREUD lance dans son article sur "L’inconscient",
simplement dans le trou ouvert par la coupure du lorsqu’il écrit que le schizophrène traite les mots
message tronqué, il doit s’engager dans ce comme des choses. Qu’est-ce qu’une lettre, sinon
"challenge", cette "épreuve d’endurance", selon les une façon de traiter un signifiant comme une chose ?
termes de Schreber, où il doit lui-même fournir une Mais aussi cela nous offre la possibilité la plus
part du message de l’Autre, de telle sorte qu’il y immédiate de formuler ce qui constitue à la fois une
assure son existence de sujet. convergence et une divergence de l’écrit et de la
Alors, pour ma part, je dois dire que ces deux psychose. Car si l’on peut dire que l’écrivain et le
repérages successifs – par rapport au processus psychotique ont tous deux affaire au signifiant et à la
imaginaire de la signification dans le Séminaire, par lettre, et plus précisément au point de basculé où le
rapport aux lois symboliques du signifiant dans signifiant se transforme en lettre et vice versa, leurs
l’article sur la Question préliminaire – ne me élaborations respectives se développent en des sens
paraissent pas encore suffisants pur cerner ce que contraires : l’écrivain – le poète en tout cas – se sert
nous repérons dans la clinique du psychotique. Je du signifiant pour fabriquer une lettre – et c’est
crois que nous devons ici faire un pas de plus et je d’ailleurs ce qui le contraint ensuite à publier, c’est-
pense d’ailleurs que les développements de à-dire à remettre la lettre en circulation afin d’éviter
l’enseignement de Lacan après la Question l’effet de symptôme que produit la lettre lorsqu’elle
préliminaire nous indiquent la direction dans est détenue –, alors que le délirant tente, lui, de
laquelle faire ce pas : celle du rapport du sujet à la refaire de la lettre de l’hallucination verbale un
jouissance, et du bout de réel qui est intéressé à cette signifiant – et, pour lui, c’est à l’intérieur même de
jouissance. Mais aussi bien cette direction était-elle cette élaboration que peut prendre place une
tracée dès avant le texte sur la Question préliminaire, éventuelle publication d’écrit en tant qu’essai de
plus précisément : dès le Séminaire de la lettre remettre la lettre en circulation.
volée. III – la relation du sujet à l’autre
En effet, que l’essence du phénomène hallucinatoire Le deuxième axe que le Séminaire sur les psychoses
tienne à ce qu’un signifiant – plutôt qu’une permet de dégager dans la structure psychotique, se
signification – soit communiqué comme tel au sujet, révèle dans la relation que le sujet délirant entretient
réclame, à mon sens, une précision supplémentaire ; avec l’Autre – grand A – en tant qu’au-delà du
il faut aussi rendre compte de la modalité partenaire. Et ici aussi nous avons à considérer la

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reprise que Lacan opère de cette problématique dans Or, dans le Séminaire sur les psychoses, Lacan
son article sur la Question préliminaire. avance que cette dimension de l’Autre en tant que
Dans le Séminaire, Lacan pose une distinction entre primordialement reconnu, est absente de la parole du
ce qu’il appelle la structure de la reconnaissance (qui délirant. Il va jusqu’à dire que :
est illustrée par le schéma L), et la structure de "dans la parole délirante, l’Autre est exclu
l’allusion propre à la psychose. véritablement" (Sém. III, 64).
La structure de la reconnaissance veut dire que "il y a, dans la psychose, exclusion de l’Autre où
lorsque je m’adresse à un autre, c’est toujours, au l’être se réalise dans l’aveu de la parole" (Sém. III,
niveau le plus radical, pour me faire reconnaître de 182).
lui – non pas pour me faire reconnaître en tant que Cette thèse est à l’origine de l’idée, énoncée à la
son semblable, son alter ego, mais pour faire page 285 du même Séminaire, selon laquelle l’entrée
reconnaître la dimension de ma parole, de la foi à dans la psychose serait liée à une prise de parole du
accorder à la parole en tant que telle, quoi qu’elle sujet, c’est-à-dire à l’évocation de cette dimension
dise. Je fais appel à un au-delà de l’autre pour être de l’Autre.
reconnu moi-même dans ce qui me fonde à parler. Par conséquent, si nous supprimons l’Autre du
Ceci implique évidemment que, de ma part, cette schéma L, il reste ce trépied :
dimension de l’Autre soit préalablement reconnue,
ou au moins supposée. Ainsi l’émission du message
que j’adresse à mon partenaire est toujours doublée
d’une réception où se formule l’enjeu même de
l’émission, à savoir que je sois reconnu comme QuickTime™ et un
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fondé à parler. L’émission constitue en réalité une


réception du message de l’Autre.
L’exemple que Lacan donne souvent de cette
relation d’inversion du message : "Tu es ma
femme", ou celui qu’il commente dans le C’est ce schéma à trois pôles qui décrirait la
Séminaire : "Tu es celui qui me suivras", montre que structure de discours que Lacan appelle "structure de
la seule réponse à ce genre d’énoncé, c’est "Je suis l’allusion" et qu’il oppose à celle de la
celui (ou celle) que tu dis". Cette réponse comporte reconnaissance (voir Sém. III, 63). Il en donne une
implicitement la reconnaissance que "je dise" ; sous illustration avec le cas d’une psychotique qui,
le "tu" de "tu es ma femme", il y a un "je" qui se croisant son voisin de palier, se l’entend dire :
détermine comme sujet de ce "désormais je suis "Truie !", alors qu’elle-même pensait à lui dire : "Je
celui qui l’a dit" qui forme le véritable enjeu du viens de chez le charcutier". L’analyse subtile que
message. fait Lacan de cet échange montre que le message de
Bien entendu, cette relation est cachée, inconsciente, la patiente, "je viens de chez le charcutier", ne vise
car elle rencontre l’obstacle que constitue la relation nullement un au-delà de l’autre, mais qu’il concerne
imaginaire d’ego à alter ego – relation imaginaire un en deçà d’elle-même, en deçà qu’elle ne peut
qui a pour conséquence que l’échange des conjoints qu’entendre surgir du réel sous la forme du "Truie I"
que je viens de rapporter : "Tu es ma femme" – "Je qu’elle reçoit du voisin.
suis celle que tu dis", se bornera généralement à un
"Je ne suis pas ton boy !" – "Et moi, je ne suis pas ta
secrétaire !".
Cette structure de reconnaissance inconsciente, au- QuickTime™ et un
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delà de la relation imaginaire, est illustrée par le


schéma L :

Ce qu’elle reçoit du petit autre c’est donc son propre


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message, celui qu’elle ne peut reconnaître elle-même
et qu’elle indique, sans le savoir, en disant "Je viens
de chez le charcutier". Quel est ce "Je" qui sort de la
charcuterie ? L’énoncé fait allusion, dit Lacan, à ce
qui fait la certitude fondamentale de ce sujet, que
l’on pourrait exprimer par "Je suis un cochon

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découpé". En effet, la patiente s’était enfuie de chez redoublement parlant du Nom-du-Père, Lacan le
elle, croyant que son mari et sa belle-famille se définit comme :
proposaient de la découper en morceaux. On "le signifiant qui dans l’Autre, en tant que lieu du
pourrait construire un schéma semblable dans le cas signifiant, est le signifiant de l’Autre en tant que lieu
du Président Schreber à partir du mot "Luder !" de la loi" (Écrits, 583). Ce qui signifie, non pas qu’il
(pourriture ! ou carogne !) qu’il s’entent lancer par y a deux Autres – il n’y a pas d’Autre de l’Autre –,
Dieu lorsqu’il lui apparaît en cette unique nuit de mais que, dans l’Autre, doit se distinguer le lieu du
l’été 1894 qu’il relate au chapitre X de ses signifiant et le lieu de la loi, et que cette distinction,
Mémoires. "Pourriture !" qui serait à mettre en ce clivage de l’Autre, dépend de la présence en ce
relation avec ce passage où il se décrit par ces mots : lieu du signifiant particulier qu’est le Nom-du-Père.
"Je suis le premier cadavre lépreux et je mène un Il faut que s’ajoute à la mère – en tant que la mère
cadavre lépreux" (Mémoires, 87). est le lieu de la symbolisation primordiale du fort/da,
de la présence/absence, du + /-, du signifiant en tant
qu’il est non-identique à lui-même – un signifiant
troisième par rapport à la symbolisation primordiale,
QuickTime™ et un
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qui permette de dégager plus qu’une opposition
primaire + /-, une loi qui réglemente ladite
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opposition.
On voit donc que le Nom-du-Père, en tant que
signifiant de la loi, ne fait pas autre chose par
(Je risque ici ce "J’ai été ch… par ma mère" comme rapport à la batterie signifiante primordiale, que
énoncé de la certitude fondamentale de Schreber, en permettre cette opération du groupement par trois (le
fonction d’une série d’allusions que l’on trouve dans "ternaire symbolique") que Lacan met au principe
les Mémoires.) des addenda au Séminaire sur la lettre volée.
Montrer, comme il le fait dans ces addenda, que l’on
peut dégager des lois de succession dans une suite
aléatoire de + et de – à partir du moment où l’on
QuickTime™ et un
décompresseur TIFF (non compressé)
sont requis pour visionner cette image.
considère dans la série les groupes de trois signes
successifs ( + + + , + - + , – + -, + + -, – – + ), c’est
exactement mettre en application sur une chaîne
formelle la propriété combinatoire que le signifiant
Cependant, la reprise de cette question du rapport du de la paternité introduit, au niveau de l’inconscient,
sujet délirant à l’Autre dans l’article sur la Question dans le trésor des signifiants.
préliminaire, impose une révision fondamentale de Ce dédoublement, cette division de l’Autre se laisse
cette structure de l’allusion qui se dégage du d’ailleurs lire dans le schéma R que Lacan produit
Séminaire. En effet, dans ce deuxième texte il n’est dans le texte sur la Question préliminaire. Rappelons
plus question d’une exclusion de l’Autre 1 , mais que ce schéma se construit à partir du schéma L
d’un non-redoublement. Cette correction est décomposé en deux triangles, et qu’il est basé sur la
marquée dans une petite phrase de la page 578 des distinction des deux narcissismes que Lacan avait
Écrits dont on n’a pas encore tiré toutes les déjà posée dès ses premiers séminaires (dans le
conséquences : schéma des deux miroirs). En effet, la ligne ale du
"Pour aller maintenant au principe de la forclusion schéma L est ici dédoublée en un ligne mi qui
(Verwerfung) du Nom-du-Père, il faut admettre que illustre le narcissisme du stade du miroir (moi-image
le Nom-du-Père redouble à la place de l’Autre le spéculaire), et une ligne
signifiant lui-même du ternaire symbolique, en tant I-M qui représente, elle, le deuxième narcissisme,
qu’il constitue la loi du signifiant" (Écrits, 578). celui qui prend sa source dans le symbolique, dans
Et à la dernière page de cet article on trouve encore l’identification à un trait de l’Autre.
ce petit bout de phrase qui précise ce qu’est ce
1
Bien qu’un passage du Séminaire (p… 291) soutienne explicitement le
contraire ("Les phénomènes parlés hallucinatoires qui ont pour le sujet un
sens dans le registre de l’interpellation, de l’ironie, du défi, de l’allusion,
font toujours allusion à l’Autre avec un grand A, comme à un terme qui est
toujours présent, mais jamais vu et jamais nommé, sinon de façon
indirecte"), c’est la thèse dominante du Séminaire.

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passant par le fantasme, mieux : comme assurée par


le fantasme.
Que se passe-t-il, dès lors, dans la psychose si la
forclusion du Nom-du-Père y empêche que ce
QuickTime™ et un
redoublement de l’Autre ait lieu ? C’est ce que je
vais maintenant examiner, et cela formera le
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troisième axe de la structure psychotique. Si l’Autre


n’est pas dédoublé, divisé, en lieu du signifiant et
lieu de la loi, en N et en P, nous pouvons conclure
de ce qui précède que le champ du fantasme ne peut
s’établir comme assurant la relation entre le sujet et
Le point M représente ici la mère en tant qu’elle est l’Autre. C’est bien ce défaut que le sujet délirant
pour l’enfant le premier Autre, l’Autre de la tente de colmater car, comme je vais le développer,
symbolisation primordiale du fort/da, et en même le délire a précisément pour fonction de prendre la
temps – c’est du moins la thèse du Séminaire sur le place du fantasme qui na pu se mettre en place pour
Relation d’objet –, un autre avec qui l’enfant établit le psychotique. Et c’est à partir de ce repérage et des
une relation imaginaire. Cette double polarité, quelques observations que j’ai proposées sur la
symbolique et imaginaire, apparaît dans le fait que fonction de la lettre, que j’irai ensuite à la
ce point comporte deux lettres : un a minuscule conclusion en montrant comment, pour Schreber en
(c’est l’autre imaginaire), et un M majuscule (c’est tout cas, l’écriture des Mémoires tend à réaliser une
la mère symbolique). traversée de ce tenant-lieu de fantasme, c’est-à-dire
Ce que je veux souligner maintenant dans ce à renverser la position subjective qu’il y occupe ; on
schéma, c’est que la fonction paternelle, inscrite en pourra alors s’aventurer jusqu’à cette question – qui
P, se présente comme un dédoublement par rapport à est exactement ce que Lacan a tenté de mettre en
M : il y a deux points du schéma qui indiquent une place avec son Séminaire de 1976 sur JOYCE – qui
position de l’Autre – M en tant que lieu du signifiant consiste à se demander si, effectuant une traversée
ou de la symbolisation primordiale, et P en tant que de son délire par l’écrit, Schreber n’en devient pas,
lieu de la loi ou du groupement par trois du au terme, le symptôme.
signifiant. IV-le délire comme équivalent du fantasme
Ce dédoublement de l’Autre entraîne des effets qui Ce qui précède permet déjà de concevoir que la
sont : position subjective – au sens lacanien, soit du sujet
1) d’une part, au niveau de l’imaginaire, la en tant qu’il n’a d’existence que représenté par un
constitution d’un triangle par l’apparition d’un signifiant pour un autre signifiant – du psychotique
troisième point : le point ϕ qui désigne l’emblème est une position plus que précaire dans le cadre du
du phallus sous lequel le sujet, désormais, participe à phénomène hallucinatoire.
la relation imaginaire, c’est là un effet imaginaire du En effet, si, comme je le soutiens, c’est bien à une
symbolique : la signification phallique représente au lettre que le psychotique se trouve confronté dans le
fond dans le schéma R, l’aboutissement de la flèche phénomène de code (néologisme et ritournelle),
qui, dans le schéma L, part de A vers S ; l’hallucination le place dans une situation où il n’est
2) d’autre part, on voit se constituer, au centre du pas de sujet possible, du moins tant que la lettre
schéma, une zone où l’imaginaire et le symbolique n’est pas remise en circulation, retransformée en
se chevauchent, zone que Lacan nomme quadrangle signifiant. Car une lettre ne peut représenter,
de la réalité et dont il précise dans une note ajoutée supposer, le sujet : elle représente tout au plus
en 1966, qu’il est le tenant-lieu du fantasme. quelque chose, comme un signe. A priori, c’est donc
Autrement dit, le schéma R nous permet de en tant que quelque chose, et non entant que sujet,
concevoir que la métaphore paternelle qui dédouble que le psychotique se trouve désigné par la lettre de
le lieu de l’Autre en M et P, et son effet de l’hallucination.
signification phallique, ont pour conséquence de C’est dans cette direction qu’il faudrait, je crois,
délimiter et de tenir en place le champ du fantasme, réexaminer ce que Lacan, dans le Séminaire, appelle
c’est-à-dire le champ de la réalité par lequel le sujet la structure de l’allusion. S’il y a allusion, au lieu de
se met à l’abri du réel. La relation du sujet à l’Autre reconnaissance, ce n’est pas parce que l’Autre et
n’est plus ici conçue simplement comme rencontrant absent. L’Autre est bien là pour le psychotique,
l’obstacle de la relation imaginaire, ainsi que le comme pour le névrosé. Ce n’est pas tellement le
proposait le schéma L, mais elle est décrite comme point de départ du message qui est mis en question

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dans l’allusion, c’est son point de visée : point de part, une allusion massive à l’être du sujet, à sa
visée qui n’est pas un sujet de la parole comme dans substance d’objet a de l’Autre, et, d’autre part, un
la reconnaissance, mais quelque chose. Ce n’est pas manque de représentation dû au manque d’un
d’ex-sistence qu’il s’agit ici, dans l’allusion, mais signifiant métaphorique qui supposerait l’existence
d’être, soit de ce qui fait la substance même du sujet du sujet de la parole-défaut de représentation qui a
et que Lacan nomme objet a. pour conséquence que, de ce côté également, le
Le phénomène de code ne laisse au délirant que la psychotique est offert à la position d’objet a.
position d’être objet a de l’Autre. Il me semble que Eh bien, l’œuvre du délire, nous allons l’observer
nous pouvons interpréter en ce sens un petit passage avec Schreber, c’est précisément un essai de
de l’article sur la Question préliminaire – ce qui est construire une métaphore – la "métaphore délirante"
d’autant plus remarquable qu’à l’époque de ce texte – de façon à ce que le sujet ne soit pas laissé à
Lacan n’avait pas encore inventé le concept d’objet l’abandon dans la position d’objet a que lui assigne
a. C’est un passage où il reprend le cas de cette l’hallucination, mais que cette position soit au moins
femme qui s’était entendu dire "Truie !" par son contrebalancée par une autre : celle de sujet, S, et
voisin de palier ; il se conclut par ces mots : qu’ainsi se trouve restaurée l’oscillation qui est au
"Au lieu où l’objet indicible est rejeté dans le réel, principe du fantasme : S◊a .
un mot se fait entendre, pour ce que, venant à la Le point de départ de l’odyssée du Président
place de ce qui n’a pas de nom, il n’a pu suivre Schreber c’est un fantasme qui véritablement lui
l’intention du sujet, sans se détacher d’elle par le tombe dessus en automne 1893 : il lui vient à l’esprit
tiret de la réplique : opposant son antistrophe de "l’idée que tout de même ce doit être Lue chose
décri au maugrément de la strophe restituée dès lors singulièrement belle que d’être une femme en train
à la patiente avec l’index du je, et rejoignant ainsi de subir l’accouplement" (Mémoires, 46). Rien de
dans son opacité les jaculations de l’amour, quand, à plus banal, de plus courant que ce fantasme. Et
court de signifiant pour appeler l’objet de pourtant Schreber ne peut s’y faire. Il nous dit en
l’épithalame, il y emploie le truchement de avoir été troublé de la façon la plus étrange et ajoute
l’imaginaire le plus cru." Je te mange… – Chou ! que si cette idée, étrangère à toute sa nature, lui était
"$Tu te pâmes… – Rat !" (Écrits, 535) venue en pleine conscience, il l’aurait rejetée avec
Quant aux phénomènes de message (les phrases indignation.
interrompues), j’ai déjà relevé que le manque de la Or, il est frappant que tout le délire qui s’ensuit, du
pensée principale dont ils sont affectés, signifie début jusqu’à la fin, n’est qu’une tentative de
précisément la mise en suspens d’une représentation reformuler autrement ce fantasme initial. Ceci
du sujet par le signifiant pour un autre signifiant. signifie qu’à l’automne 1893, le quadrangle de la
Cette interruption du message venant de l’Autre, ce réalité s’est trouvé mis en question pour Schreber et
"système du couper-la-parole" comme dit Schreber, qu’il est apparu qu’il ne tenait pas. La construction
réalise littéralement l’opération du "laisser-en-plan" du délire essayera ensuite de le tenir en place.
dont Schreber se sent constamment menacé.
L’Autre, loin de le reconnaître, le laisse tomber.
Par ailleurs, Lacan fait remarquer dans le Séminaire,
à propos de ces phrases interrompues, que "même
quand les phrases peuvent avoir un sens, on n’y QuickTime™ et un
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rencontre jamais rien qui ressemble à une


métaphore" (Sém. III, 247). Or, tous les
développements qu’il fait à propos de la métaphore
dans les chapitres XVII et XVIII de ce Séminaire –
et dont il reprendra l’essentiel dans son article sur
"L’instance de la lettre" – veulent justement établir La forme féminine, qui apparaît en m (au niveau du
que la métaphore pour le psychanalyste n’est pas 1er narcissisme), est en conflit violent avec l’amour-
une comparaison (comme le disent les linguistes), propre viril à partir duquel Schreber s’indigne en I
mais une identification. La métaphore réussit dans la (au niveau du 2ème narcissisme). Pour que cette
mesure où le signifiant qui se substitue à l’autre forme féminine soit soutenable, fantasmatiquement,
occupe la position de sujet de la phrase. Elle a donc pour lui, il faudrait que le trouble qu’elle provoque
pour fonction de faire exister le sujet du signifiant. en i puisse trouver sa raison dans l’image phallique :
Ainsi on voit se dégager au niveau du phénomène rien de plus courant, après tout qu’un homme
hallucinatoire deux positions subjectives : d’une s’imagine un peu féminisé, un peu travesti, si c’est

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par amour du phallus dont l’image la plus classique une double tension : une tension imaginaire i-m, et
est la forme du corps féminin. Mais voilà, rien ne une tension symbolique MI, le délire tentant de
répond du côté du phallus, pour Schreber. Et s’il contenir entre ces lignes le désastre qui se produit de
court se réfugier chez sa mère, quelques jours après chaque côté de la relation m-M, de la relation de
avoir conçu ce fantasme, c’est sûrement pour trouver Schreber à Dieu, de par la béance et du Nom-du-
une protection contre ce trouble qui l’a envahi ; il Père dans le symbolique, et de la signification
n’y trouve sans doute pas le réconfort qu’il espérait, phallique dans l’imaginaire.
puisqu’il tente, la nuit même, de mettre fin à ses
jours – prémière illustration de ce qui formera un
leitmotiv de son délire, à savoir que l’Autre le laisse
tomber.
De là, ne pouvant se soutenir de la signification
phallique et se sentant conduit à disparaître par M, la
mère, Schreber ne peut plus ressentir le trouble QuickTime™ et un
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initial que lui a causé son fantasme de féminisation,


que de deux manières : ou bien il se transformera en
sentiment de l’imminence de sa propre mort, ou bien
il va se développer en une jouissance non réglée par
la référence au phallus, soit cette jouissance que
Lacan, plus tard, appellera la jouissance de l’Autre.
A l’autre coin du schéma, au point I, point de l’Idéal
du moi, l’indignation qui se manifeste traduit une Du côté de l’imaginaire, le combat de Schreber est
identification virile qui ne peut se soutenir d’aucune un combat contre la jouissance non-phallique, la
référence au signifiant du père. C’est pourquoi jouissance sans loi qui lui échoit en i – et qui va
Schreber ne peut que recourir à la notion toute jusqu’à gonfler sa poitrine et donner à sa peau une
conventionnelle, voire grotesque, de son "sens douceur féminine. A cette jouissance sans loi, qu’il
moral" et de sa "bravoure virile". On a là une appelle la volupté, il va opposer ce qui apparaît dans
illustration d’un trait que l’on observe très souvent les Mémoires comme la jouissance légitime des
chez les sujets psychotiques, à savoir leur idéal âmes après la mort, et qu’il appelle la béatitude.
purement conformiste. Nous pouvons, je crois, ramener cette polarité à celle
Les deux points d’appui, P qui fondent le qui oppose jouissance de l’Autre – qui est hors-loi et
capitonnage du fantasme dans les registres de dans le corps – à jouissance phallique – qui est
l’imaginaire et du symbolique, faisant défaut, réglée (par l’ordre de l’univers) et hors-corps
Schreber, dans son délire, est amené à tenter de les (puisqu’elle est réservée aux âmes). Il s’agit pour
mettre en place avec ce dont il dispose, c’est-à-dire Schreber de passer d’une position où il est
avec les deux narcissismes. Ainsi, c’est dans la ligne littéralement l’objet de la jouissance de Dieu, à celle
de tension i-m qu’il doit essayer de mettre en place où il pourra profiter, lui, de la jouissance que la loi
un substitut du phallus ; cet essai le plongera de l’ordre de l’univers permet aux âmes. Nous allons
évidemment dans un conflit imaginaire où il devra voir que ce combat suppose une autre lutte, sur le
se débattre entre des identifications mortifères et versant symbolique, dans laquelle Dieu soit en
morcelées, et d’autres, plus glorieuses peut-être, quelque sorte ramené à la raison par Schreber, c’est-
mais comportant l’éviration. Par ailleurs, c’est avec à-dire soumis à nouveau à l’ordre suprême de
une opposition (plutôt qu’une ternarité) symbolique, l’univers.
celle qui joue en I et M, qu’il aura à mettre en place Dans ce combat imaginaire entre deux jouissances,
une instance qui impose la loi à M, ce Dieu tout l’éviration réclamée par les voix est d’abord
capricieux, et cela l’engagera dans une véritable ressentie par Schreber comme attentatoire,
épreuve d’endurance intellectuelle et morale où il outrageante. Il est vrai qu’elle se présente alors
sera tantôt menacé d’idiotie, et tantôt dépositaire de comme la condition à ce que Schreber soit
l’ordre de l’univers, mais jamais assuré d’être transformé en putain féminine et livré à des
reconnu par sa parole. hommes. Sur ce point, la construction du délire va
Ceci nous amène au schéma I par lequel Lacan écrit consister à retourner complètement le sens de cette
la structure de la psychose. La figure de ce schéma éviration : d’outrage elle va devenir un sacrifice,
n’est rien d’autre que le quadrangle de la réalité tel consenti par Schreber comme la condition nécessaire
que je viens de le présenter, tiré aux quatre coins par à la restauration de l’ordre de l’univers. Par ce

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sacrifice glorieux – qui est l’équivalent délirant qui l’univers) le conflit d’intérêts qui est né pourra
prend la place laissée vacante en Schreber accède à trouver une issue satisfaisante ". (Mémoires, 230,
cette place que Lacan désignera plus tard, à propos 231 et 232).
de JOYCE, comme celle du rédempteur, et qui, dans Du côté du symbolique, le combat de Schreber a lieu
le cas de Schreber, se présente comme la place de la entre les deux pôles du deuxième narcissisme, M et
Vierge, épouse de Dieu et mère d’une humanité I, ici en opposition et dans lesquels on peut
régénérée – c’est-à-dire rien moins que La Femme, distinguer le lieu du langage et celui de la loi.
achèvement de la métaphore délirante du phallus. Le Dieu auquel Schreber a affaire dans son délire, –
On voit donc se dégager un strict parallélisme, dans Lacan le fait remarquer, comme Schreber lui-même
ce revirement du délire, entre le sort assigné au sujet le dit –, ce Dieu n’est que langage. Avec cette
et ce qui vient pour lui à la place du phallus et de la précision qu’il est le langage de la symbolisation
castration, ainsi que la jouissance qui en découle : primordiale, du premier Autre qui s’impose au sujet,
La construction du délire de Schreber du côté du à savoir la mère. En effet, les traits ne manquent pas
phallus dans les Mémoires qui autorisent à situer le Dieu de
Schreber à la place de la mère, à commencer par une
EVIRATION : outrage → sacrifice alternance présence/absence,
SORT DU SUJET : putain → la Vierge rapprochement/éloignement vis-à-vis duquel le
fˇminine
Président semble se trouver dans la position de la
bobine du jeu du fort/da.
JOUISSANCE : voluptˇ → bˇati tude
A cette alternance une loi devrait s’imposer afin que
SCHEMA I : point i point m le sujet ne soit pas simplement livré au caprice de
l’Autre. Et c’est sans doute cette nécessité d’une loi
qui peut expliquer pourquoi le Dieu schrébérien est
En effet, nul mieux que Schreber lui-même
marqué d’une bipartition ; celle-ci ne me paraît pas
n’explique comment ce revirement implique que la
suffisamment expliquée par l’évocation du
jouissance tombe sous le coup de la loi. Il faut lire à
fractionnement imaginaire qui frappe tour à tour
ce sujet les pages 229-232 et 269 des Mémoires, par
toutes les entités qui habitent le délire. Car c’est dès
exemple, dont j’extrais ces quelques lignes :
le début que le Dieu de Schreber est doublé. J’y
"Dieu exige un état constant de jouissance, comme lirais, pour ma part, une tentative de réaliser ce que
étant en harmonie avec les conditions d’existence Lacan, dans la Question préliminaire, appelle le
imposées aux âmes par l’ordre de l’univers ; c’est redoublement de l’Autre du ternaire symbolique.
alors mon devoir de lui offrir cette jouissance, pour Mais ce n’est qu’une tentative et elle échoue. Car
autant qu’elle puisse être du domaine du possible loin que le Dieu supérieur (Ormuzd) fasse la loi au
dans les conditions actuelles, attentatoires à l’ordre Dieu inférieur (Ariman), il apparaît bien vite que ces
de l’univers, et de la lui offrir sous la forme du plus deux Dieux se chamaillent et se poussent l’un l’autre
grand développement possible de la volupté d’âme. du coude pour occuper la première place :
(…) "Le Dieu inférieur et le Dieu supérieur recevaient les
… la personne humaine, précisément, n’est pas née noms (et ces désignations ne sont pas de mon cru,
pour la seule jouissance, et faire de la pure et simple mais viennent des voix) d’Ariman" postérieur "et
volupté le but unique d’une existence me paraîtrait Ormuzd" postérieur "pour autant que chacun d’eux
aussi monstrueux qu’au reste des hommes. se trouvait en situation d’être évincé à la seconde
(…) place par les efforts soutenus de son homologue
Tout mon art de vivre, dans ces conditions pour se pousser sur le devant de la scène ; ce qui se
démentielles qui sont désormais celles de mon produisait en alternance d’innombrables fois dans la
existence (…) consiste donc à trouver une voie même journée"(Mémoires, 160).
moyenne où les deux partis, Dieu et la créature, Ce sera donc à Schreber lui-même de faire en sorte
puissent tant bien que mal cheminer de conserve ; qu’une loi s’impose à ce Dieu qui est toujours prêt à
c’est dire que cet art de vivre consiste à trouver un se faire dépendant de sa créature pour en tirer une
compromis (…) jouissance. Et c’est là la source d’u nouveau
(…) déchirement pour le Président. Car en rappelant sans
… dans la relation entre Dieu et moi, la volupté est cesse Dieu à son devoir de respecter l’ordre de
devenue une chose "pieuse", c’est-à-dire qu’on doit l’univers, c’est-à-dire en essayant de le remettre à sa
la considérer comme le meilleur moyen par lequel place de Dieu, Schreber ne peut faire autrement que
(dans des conditions contraires à l’ordre de d’assumer lui-même cette place laissée vacante, et

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de défaire ainsi d’une main ce que l’autre tente de d’après ce que je défends, Dieu pourrait recouvrer la
construire. Il est donc amené, pour porter remède au faculté de remplir les tâches qui lui incombent en
fait que Dieu se met en contradiction avec lui-même, vertu de l’ordre de l’univers" (Mémoires, 236).
à se faire à son tour le lieu de cette contradiction :… Aussi, si Schreber parvient finalement à sauver son
pour me servir ici d’un oxymoron, dans le combat de intégrité intellectuelle, et, par le fait même, à sauver
Dieu contre moi, c’est Dieu lui-même que j’ai eu à Dieu lui-même, ce n’est là qu’une réalisation
mes côtés puisqu’on peut dire que j’ai été en précaire car l’ordre de l’univers n’est pas vraiment
situation de porter ses propres attributs et d’être rétabli, et c’est aussi une réalisation qui a son prix :
investi de ses propres pouvoirs, armes qui furent cette "maladie des nerfs" dont il veut bien
celles, effectives, de ma défense personnelle reconnaître l’existence et qui constitue le sacrifice
"(Mémoires, note 35, p. 65). qu’il fait pour échapper à l’idiotie. On peut noter ces
II y a là un conflit inextinguible dont la solution polarités symboliques du délire dans un tableau qui
restera à l’état d’espoir : "l’espoir de devenir le serait à mettre en regard de celui que j’ai proposé
Médiateur" entre Dieu et les hommes, comme il le pour le versant imaginaire :
formule dans les Compléments aux Mémoires (cf. La construction du délire de Schreber du côté du
Mémoires 270). Cette position de Médiateur Nom-du-Père
correspond au niveau symbolique, à la position de
Vierge sur le plan imaginaire. ENONCIATION : langage → loi
Il s’agit, dans ce combat, de rappeler Dieu en somme SORT DU SUJET : laissˇ en → mˇdiateur
à la loi que le langage doit respecter dans la
plan
communication intersubjective : celle de la
SOUFFRANCE : idiotie → honneur viril
reconnaissance, alors même que tout semblé fait,
dans le langage de Dieu, pour rendre le sujet idiot. SCHEMA I : point M point I
La lutte que Schreber mène pour la loi est aussi une
lutte contre l’idiotie, – idiotie qui, sur le plan
symbolique, équivaut à la position de putain On peut dès lors reprendre le schéma I et en
féminine vers laquelle il se sentait mené sur le plan expliciter davantage les quatre pôles afin d’en faire
imaginaire. Mais la référence à la métaphore ressortir l’essai d’équivalence avec le fantasme. Si
paternelle faisant défaut, il ne peut se réclamer que nous reportons aux quatre coins de ce schéma,
de son droit à maintenir ses facultés intellectuelles respectivement :
ou son honneur. Et finalement ce qu’il obtient, c’est ∠ en i, la volupté ou jouissance de l’Autre,
moins que Dieu accepte de se ranger à la loi de ∠ en m, la béatitude ou équivalent délirant de la
l’ordre de l’univers, que cette demi-mesure sur jouissance phallique,
laquelle se clôturent les Mémoires : Dieu se laisse ∠ en M, le langage de la symbolisation primordiale,
persuader que le Président n’est pas idiot, et donc ne du premier Autre qu’est la mère,
doit pas être "laissé en plan", mais avec pour ∠ en I, la loi de l’ordre de l’univers dont Schreber
conséquence que Dieu est encore plus dépendant de se fait le porteur.
lui – au point que Schreber en vient à se demander On voit que la tentative de dédoublement de l’Autre
ce qu’il adviendra de Dieu après sa mort à lui : que produit le délire (en I et M) correspond à une
"L’autre face de ma réflexion concerne la question tentative de diviser la jouissance pour le sujet. Et
de savoir ce que, dans l’éventualité de mon décès, c’est par le moyen de cette double division que le
Dieu – s’il m’est permis de m’exprimer ainsi – irait délire veut replacer la relation de Schreber à son
à devenir. Il est incontestable pour moi, de par tout Dieu, soit la relation m-M, dans un cadre qui
ce que je viens d’exposer, que toute la situation où ressemble à celui du fantasme.
Dieu se trouve aujourd’hui engagé, à la face de la Cette relation m-M, le début du délire de Schreber
terre entière et de l’humanité vivant sur cette terre, nous la présente comme soumise à une intermittence
repose entièrement sur les rapport singuliers qui sont dans laquelle Schreber oscille de la position de proie
nés entre Dieu et ma personne. Si la mort devait à celle de chose abandonnée : la ligne m-M est
entraîner la disparition de ma personne, il constamment soumise à une variation qui la
s’ensuivrait à coup sûr une modification dans la raccourcit (lorsque Dieu vient se fondre dans le
situation actuelle ; (…) Peut-être, poussé par la corps de Schreber), ou qui l’allonge à l’infini
nécessité, devra-t-on alors se résoudre à prendre (lorsque Dieu se retire au loin). La métaphore
certaines mesures qu’implique le retour à l’ordre de délirante a pour but de stabiliser, de fixer cette
l’univers (…) C’est seulement par cette voie que, oscillation, et de faire de la relation de Schreber à

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Dieu quelque chose qui s’approche d’une sorte de l’enfant est pris comme objet d’une jouissance, est
mariage de raison. Comme le dit Schreber à la fin de transformée en relation d’un sujet représenté par le
ses Mémoires, signifiant du phallus, à l’Autre en tant que la loi du
"il n’y a en fin de compte qu’une chose à faire, c’est, désir y est signifiée :
dans le cadre des conditions qu’impose la force
Nom − du − Père Désir de la mère NDP ⎛⎜
A ⎞
d’attraction que j’exerce, essayer de se rendre ⎟
⋅ ⎝ Phallus ⎠
réciproquement l’existence aussi agréable que Désir de la (x)
possible" (Mémoires, 287). Cet effort du délire vers mère (signifié au sujet)
la production, d’une part, d’un substitut au phallus
(La Femme), et, d’autre part, d’un substitut à la loi Ce passage d’objet d’une jouissance opaque à sujet
de l’ordre de l’univers), s’oppose à la menace, d’un désir menant à la jouissance phallique, est
fondamentale pour Schreber, d’être laissé en plan, symbolisé dans cette formule par le passage de (x) à
menace par laquelle se trouve désignée la position Phallus, correspondant au dédoublement de l’Autre
primaire que Dieu assigne à Schreber celle d’objet a. qui s’y produit entre la mère et A.
En effet, sur les deux versants, imaginaire et Une petite note de Lacan, à la fin de l’article sur la
symbolique, de la structure que révèle le schéma I, Question préliminaire, nous confirme d’ailleurs que
nous voyons se dessiner une lutte entre deux c’est bien de mettre un terme à la position d’objet a
positions : être l’objet a de Dieu, ou exister en tant de la mère qu’il s’agit dans l’effet du Nom-du-Père
que sujet dans cette relation. pour l’enfant : "Ce que l’analyse découvre est tout
Du côté i-m, c’est l’objet a connoté de sa valeur de autre chose. Ce n’est pas sa guenille, c’est l’être
jouissance : Schreber apparaît là comme incarnant même de l’homme qui vient à prendre rang parmi les
littéralement – et jusqu’au gonflement de son corps déchets où ses premiers ébats ont trouvé leur
– le plus-de-jouir de Dieu. Il est, au point i, le corps cortège, pour autant que la loi de la symbolisation où
dont Dieu ne peut se passer, l’objet irrésistible grâce doit s’engager son désir, le prend dans son filet par
auquel Dieu a découvert la volupté jusque là la position d’objet partiel où il s’offre en arrivant au
inconnue de lui. monde, à un monde où le désir de l’Autre fait la loi"
Du côté MI, c’est plutôt la valeur de déraison dans le (Écrits, 582).
langage qui est mise en évidence. Ce côté insensé, ce Et c’est parce que quelque chose de son être se perd
trou par rapport à la signification où Schreber est dans cet effet de la métaphore paternelle, que
placé par le dégoisage des voix, se manifeste dans la l’enfant pourra ensuite rêver de le retrouver dans son
crétinisation dont il est menacé tout spécialement fantasme, et s’identifier
aux moments où il lui arrive de ne "penser à rien" – ∠ ce qui n’est pas la même chose que d’être
formule qui s’éclaire, je crois, si on la met en rapport ∠ à cette part perdue de lui-même, comme cause de
avec celle que Lacan développe dans son Séminaire son désir.
sur la logique du fantasme : "là où je ne pense pas, je
2 •L’écrit dans son rapport au délire
suis".
J’ai commencé cet exposé en faisant remarquer qu’il
Ainsi, cette position d’objet a que j’ai tout à l’heure
ne me paraissait pas possible de dégager une
essayé de dégager dans le phénomène de
fonction de l’écrit dans la psychose. En effet, si,
l’hallucination – à partir de la notion de lettre dans la
comme je vais le montrer, l’écrit, pour Schreber, est
structure de l’allusion –, se vérifie comme la
une manière de lutter contre l’hallucination, il arrive
position primaire du psychotique dans toute la
fréquemment que l’écrit du psychotique fasse partie
structure du délire. Celle-ci va se tisser dans
du procèssus même de l’hallucination : les écrits
l’oscillation entre l’avenir glorieux d’un nouveau
inspirés ont souvent la même structure et la même
sujet – sous la métaphore de la Vierge –, et la
portée que les paroles imposées de l’automatisme
déchéance présente de son être – comme corps offert
mental.
à la jouissance de l’Autre, ou comme esprit
Ainsi, le patient qui s’entendait menacer de
abandonné par le signifiant. C’est donc bien le
castration par une voix divine, se plaignait
balancement du fantasme entre S et a que nous
également de ce que cette voix lui commande
retrouvons dans le délire.
d’écrire. Si bien qu’écrire avait pris pour lui le
Dès lors, la formule que Lacan donne de la
même sens qu’être châtré, et qu’il tâchait d’éviter
métaphore paternelle se laisse relire comme
tout contact avec l’écriture, allant jusqu’à détruire
indiquant que le père est celui qui sort l’enfant de
les instruments d’écriture qui lui tombaient sus la
cette position d’objet a de la mère. Par le Nom-du-
main, et à déchirer les livres qui se trouvaient chez
Père la relation primitive de l’enfant et de la mère où

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lui ou chez son amie. Ce jeune homme était entré par exemple – que les Mémoires de Schreber se
brusquement dans la psychose après avoir écrit un signalent à l’attention par leur extrême qualité
poème – l’unique poème qu’il ait jamais composé. littéraire : il est un fait que lorsqu’on a ouvert ce
Ces quelques vers, qu’il m’avait apportés en venant livre, on ne peut plus le lâcher. Octave MANNONI
chez moi pour la première fois, ne contenaient en s’interroge longuement pour savoir dans quel genre
eux-mêmes rien de particulièrement délirant. Mais littéraire classer les Mémoires ; finalement il les
ils avaient été pour lui la source d’une jouissance compare aux récits de voyages. Pourquoi pas ? Là
qu’il me décrivait comme une jouissance infinie et n’est pas la question, me semble-t-il ; le "genre
énigmatique : "c’est comme si j’avais découvert que littéraire" et le style sont deux choses qui ne se
j’étais un trou", me disait-il. Et depuis cette recouvrent pas nécessairement, et c’est la question
découverte, il sentait que les autres, à commencer du style que nous avons à poser ici, c’est-à-dire, en
par son père et son frère, voulaient le transformer en dernière analyse, la question de la lettre et de ses
femme et, dans ce but, le harcelaient à longueur de rapports au signifiant.
journée en disant "elle" pour parler de lui, ou en Ces Mémoires ont nécessité un énorme travail de la
échangeant dans son dos des propos à double sens. part de leur auteur. Schreber a commencé par jeter
Ce processus de féminisation imposée se doublait quelques notes sur des bouts de papier, puis il s’est
d’une suite d’associations qui n’est pas sans évoquer mis à les consigner dans un petit agenda ; ensuite, à
une des grandes inquiétudes du Président Schreber. partir de 1897, il a tenu un véritable journal en ordre,
En effet, le livre pour lequel ce patient avait le plus dit-il, et simultanément a entrepris les premiers
d’admiration, et ce déjà avant que sa psychose ne se essais d’un brouillon pour de futurs Mémoires dont
déclenche, était "l’idiot de la famille" de Sartre. Or, il avait conçu le plan brouillon qui figure dans un
dès le moment où la jouissance féminine s’empara cahier brun qu’il intitule "Ma vie" ; il y ajoute, à
de lui avec son premier poème ce livre se mit à partir de la fin 1897, de petites études consignées
prendre une signification bien particulière pour lui et dans des carnets à part ; enfin, c’est durant l’année
devint le moteur d’une structure d’allusion. 1900 qu’il rédige les Mémoires à proprement parler,
N’oublions pas que FLAUBERT, dont SARTRE à quoi il ajoutera une série de Compléments qu’il
tente de reconstituer la problématique dans "L’idiot rédige en 1901 et 1902. A plusieurs endroits,
de la famille" s’est rendu célèbre en déclarant : Schreber fait allusion au soin qu’il a apporté au style
"Madame Bovary, c’est moi". Mon patient de ses Mémoires, et aux multiples révisions qu’il y a
constituait une chaîne dans laquelle écrire, devenir apportées (v. Mémoires, 158, 164-165, 192 note 98,
une femme, et être idiot (et plus spécifiquement 274 note 118b notamment).
l’idiot dans la famille), devenaient des termes Nul doute que ce soin apporté à la rédaction
synonymes. témoigne de l’enjeu que Schreber plaçait en ce
On voit dans ce cas que l’écriture serait à placer au texte : c’est ce qu’il appelle son honneur, ou sa
point i du schéma I, au point où se produit la virilité qui sont en cause, ainsi que l’issue du combat
jouissance non phallique qui réduit le sujet à être contre l’idiotie qu’il poursuit contre les voix. Il
l’objet de l’Autre. Nous allons découvrir que pour exprime d’ailleurs cet enjeu de manière tout à fait
Schreber, au contraire, l’écriture des Mémoires doit explicite dans plusieurs passages des Mémoires :
être mise en relation avec le pôle I de ce schéma, et "Tout ce à quoi mes efforts peuvent prétendre, c’est
donc que l’écrit schrébérien s’oppose à donner au lecteur le sentiment qu’il n’a pas affaire
diamétralement à la position d’objet "a" dans aux pures chimères creuses d’un malheureux malade
laquelle le place le phénomène hallucinatoire. mental" (Mémoires, 199). "Il (l’auteur) croit avoir en
Il faut souligner, tout d’abord, que l’écriture des même temps démontré par le présent mémoire
Mémoires d’un névropathe accompagne et soutient qu’effectivement, des cas peuvent se présenter où la
la reconstruction du délire. En effet Schreber clarté de la pensée logique, et juridique en
commence à écrire au moment où il sort de la particulier, n’est pas altérée par les prétendues idées
période que les chapitres 6 et 7 de ses Mémoires délirantes (…)" (Mémoires, 293, note 127). Et cette
nous décrivent comme celle de la mort du sujet. démonstration de son intégrité intellectuelle est
Pendant celle-ci, il n’écrivait pas : d’ailleurs ce qui forme le cœur de l’argumentation
"Je croyais l’humanité toute entière engloutie, par du recours qu’il introduit contre le jugement
conséquent prendre des notes n’aurait eu aucun d’interdiction dont il a fait l’objet.
sens" (Mémoires, 67). Mais il ne faudrait pas négliger que, ce faisant,
Ensuite, je crois qu’il convient de reconnaître – et Schreber a été amené à manier la lettre, à travailler
ce, contrairement à ce que pense Octave MANNONI le rapport de la lettre et du signifiant, et plus

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spécialement à manier la lettre de ses hallucinations. qui se font entendre –, je me rends à l’opinion de M.
Or, à propos de la relation de son écrit à l’Expert, une concentration d’esprit comme celle
l’hallucination, il nous livre une confidence qui me qu’exige la présidence d’une audience, la
paraît capitale ; elle apparaît en deux endroits des participation aux débats, etc., me serait rendue très
Mémoires (p. 222 et 331) : difficile" (Mémoires, 331).
"Le galimatias des voix est encore constamment pris L’écrit constitue donc, pour Schreber, un abri à
dans des remaniements ; et, depuis le moment l’égard de l’hallucination. Le sujet Schreber
relativement récent où j’ai commencé à rédiger le n’occupe pas, dans son écrit, la même position vis-à-
présent travail, il a connu de nombreuses vis des voix, que dans sa parole où il est contraint de
transformations. Les formules jadis à l’honneur, leur répliquer ou, au moins, de les couvrir par des
notamment celles par lesquelles on se rappelait à répétitions, des comptages, etc. Cela tient sans doute
mon bon souvenir lorsque s’annonçait en moi à ce qu’au niveau de l’écrit, Schreber se dédouble, se
« pensée de ne penserà rien", n’ont plus guère leur divise : il y a, d’une part, le héros de la geste
place. De surcroît, le ralentissement du tempo de la mémorable, celui que l’hallucination désigne comme
parole est allé en s’amplifiant depuis la description occupant la place d’objet "a" de Dieu, et, d’autre
que j’ai pu en faire au chapitre XVI, de telle sorte part, il y a le narrateur qui relate les aventures de ce
que le parler des voix dans ma tête ne mériterait plus héros et les efforts démentiels qu "il fait pour s’en
guère le nom que de chuintement, à l’écoute duquel sortir vivant.
j’aurais le plus grand mal à discerner des mots, si Mais – et ceci est plus important encore que cette
malheureusement, est-il besoin de le dire ?, je ne banale division de celui qui écrit –, en relatant ses
connaissais d’avance, au souvenir que j’en garde, les hallucinations, Schreber est aussi amené à replacer
propos absurdes que je dois me résigner à y chaque terme de la "langue fondamentale" dans une
reconnaître pour ne les avoir que trop entendus chaîne dont il découvre et élabore les connections.
"(Mémoires, 222). Dès lors, ces termes ne sont plus pour lui les pures
Et dans son recours en appel il tient l’argumentation lettres en souffrance qu’ils étaient dans le
suivante : phénomène hallucinatoire, ils retrouvent un statut de
"Selon moi, tout le monde peut reconnaître que je signifiants qui représentent Schreber auprès de son
suis capable de répondre à toutes les exigences que lecteur. Et d’ailleurs on s’aperçoit que Schreber
l’exercice de mon ancienne profession de juge d’un n’est pas insensible à la perte qui résulte de ce
tribunal de grande instance réclameraient de moi changement de valeur du mot halluciné, puisqu’il
pour ce qui est d’exprimer ma pensée par écrit ; je note à plusieurs endroits que les Mémoires ont aussi
crois pouvoir me fier à mes capacités pour rédiger pour fonction de conserver le souvenir, qui tend à
un travail écrit ou pour rédiger tout jugement, etc., disparaître, de ces phénomènes hallucinatoires. S’il
de façon satisfaisante, même à propos d’un litige faut s’efforcer d’en garder le souvenir, c’est que la
relativement épineux. Car, devant toute expression lettre s’efface, que le signifiant tend à reprendre sa
écrite de la pensée, les miracles sont impuissants ; circulation.
certes, la paralysie miraculeuse des doigts peut Je renvoie à ce propos aux pages 162 et 283 des
parfois rendre l’écriture difficile, mais elle ne la rend Mémoires. Schreber en arrive même à dire que la
jamais impossible, et je peux facilement venir à bout perspective de pouvoir démontrer la réalité des
des tentatives qui sont faites pour disperser ma miracles s’estompe, en sorte que : "j’en suis réduit à
pensée lorsque j’ai le loisir de m’exprimer par écrit l’espoir qu’il subsistera à l’avenir tout de même
et de rassembler suffisamment mes esprits. Tout ce encore suffisamment d’éléments pour offrir à
que j’ai pu écrire depuis le moment où j’ai eu à ma l’investigation scientifique quelques points de
disposition le matériel nécessaire et où je me suis repère"(Mémoires, 283).
senti l’envie de m’en servir, témoigne d’un homme Enfin, dernière raison par laquelle nous pouvons
dont l’esprit est toujours absolument clair à tous expliquer que Schreber n’est plus halluciné : le
moments, depuis toujours, et même aux premiers projet des Mémoires renverse la position de
temps de ma maladie. Il en va tout autrement, en récepteur du message dans laquelle Schreber est
revanche, lorsqu’il s’agit d’exprimer verbalement placé par l’hallucination. Par l’écrit, il redevient
ma pensée. Là, les miracles qui s’exercent sur les émetteur, et émetteur d’une parole qui suppose une
organes de la respiration et ceux de la parole, et la préalable reconnaissance d’un Autre, en l’espèce son
dispersion de la pensée, ont un effet excessivement lecteur.
importun. Et comme en même temps subsiste le fait Tout ceci ne veut pas dire que ce soit par l’écriture
que je suis absorbé par les hallucinations – les voix que Schreber "guérit" de sa folie, mais que l’écrit

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appuie et assure la tentative de guérison qui est à adresses différentes (dans les trois petits textes
l’œuvre par l’écrit, de restaurer le pale du fantasme introductifs qui précèdent le corps des Mémoires
qui fait contrepoids à a, soit le pôle S. Il s’agit que la proprement dites). Et c’est en examinant ces
position d’objet "a" que l’hallucination lui donne adresses que l’on peut souligner les limites que
vis-à-vis de Dieu ne l’absorbe pas complètement, Schreber rencontre dans la tentative de
mais le divise. Le résultat de cette tentative est subjectivation que comporte son écrit.
précaire : Schreber, sorti de l’asile et réintégré dans Il s’adresse ainsi au lecteur en tant qu’homme de
ses droits par le tribunal en 1903, sera ré-interné en science, au professeur Flechsig, et à sa femme ; il
1907 et finira ses jours à l’asile de Leipzig. Mais on met de la sorte en jeu sa reconnaissance par un
peut déjà noter cette précarité au niveau des Autre, sa position dans le transfert, et son identité
Mémoires, en tout cas au niveau de leur sexuée. Je ne m’étendrai pas ici sur l’adresse au
présentation : en effet, l’adresse que Schreber professeur Flechsig, car cela nécessiterait une longue
inscrira en tête de son livre au moment de sa discussion sur la question, encore fort nébuleuse en
publication, témoigne de la difficulté qu’il a de se psychanalyse, du transfert du psychotique. Quant
trouver un Autre véritable, et donc de se tenir à une aux deux autres (au lecteur et à sa femme),
position subjective. remarquons qu’elles sont situées par Lacan dans le
En effet, il nous reste à examiner cette question : schéma I comme ce qui fait, en quelque sorte, limite
pourquoi Schreber publie-t-il ses Mémoires ? et en à l’extension infinie du champ du délire :
quoi cette publication est-elle en rapport avec la
structure du délire ? Nous avons d’autant plus de
motifs de nous intéresser à cet aspect de l’écrit que
la première phrase des Mémoires est celle-ci :
"A l’origine de ce travail, je n’avais pas en tête de le QuickTime™ et un
décompresseur TIFF (non compressé)
sont requis pour visionner cette image.

publier".
Je crois qu’avec cette question nous touchons à ce
qu’on pourrait appeler la limite du "pouvoir
thérapeutique" de l’écrit. Un écrit reste un écrit,
c’est-à-dire reste une lettre, la lettre qu’il devient dès
le moment où il est achevé. Les Mémoires ont beau
replacer les lettres de l’hallucination dans une chaîne L’adresse à sa femme pose évidemment un problème
signifiante, il n’empêche que cette chaîne délicat puisqu’il s’agit pour Schreber d’expliquer à
s’interrompt avec le dernier mot du livre et que, le cette brave dame qu’il est occupé à se transformer en
livre une fois bouclé, c’est tout son texte qui reste là, femme (i-m sur le schéma I), mais qu’il n’en a pas
en plan, comme une lettre en souffrance. D’où la moins gardé sa virilité intacte (point I du schéma).
nécessité, structurale, que les Mémoires, en tant que On voit bien là éclater la contradiction entre les deux
livre, soient mises en circulation, qu’elles soient narcissismes : dans l’un il est femme, et dans l’autre
publiées afin que Schreber-le narrateur se décolle de il est homme.
Schreber-le héros. L’enjeu de la publication tient à "Je dois m’imposer une particulière discrétion par
cette coupure qu’elle institue entre le sujet-écrivant égard pour ma femme, à qui je conserve entièrement
et son être qui a pris substance de livre ; c’est là une l’ancien amour. Il se peut que j’y aie manqué au
problématique qui touche tout écrivain, et c’est la cours d’entretiens de vive voix et dans des
raison pour laquelle Lacan préfère parler de communications écrites, par ma sincérité exagérée.
poubellication, signifiant par là que l’écrit, une fois Ma femme ne peut évidemment pas me suivre
bouclée la concaténation signifiante qu’il élabore, se entièrement dans tous les développements de ma
change, comme par enchantement, en déchet, en pensée ; il doit lui être difficile de me conserver
ordure dont il importe que le sujet-écrivant se l’amour et la prévenance du passé, quand elle entend
débarasse. Reste à vérifier si Schreber parvient que je suis tout préoccupé de l’idée de ma
effectivement à s’en débarrasser. transformation possible et prochaine en femme. Je
D’autre part, la publication des Mémoires doit peux le déplorer, mais je n’y puis rien changer ; là
également être mise en relation avec le fait que, aussi, je dois me garder de toute sentimentalité
comme tout psychotique, Schreber se situe hors- fausse" (Mémoires, 152, note 76).
discours, hors-lien social. Exclusion à laquelle il se FREUD avait fait remarquer, dans son article sur le
montre particulièrement sensible puisqu’il fait Président Schreber, qu’"il est facile de comprendre
figurer en tête de son ouvrage pas moins de trois que la seule présence de sa femme exerçait sur

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Schreber une influence protectrice contre le pouvoir promouvoir un sujet divisé par la jouissance qui le
d’attraction des hommes qui l’environnaient" (Cinq traverse, cette tentative rencontre cependant une
psychanalyses, 293). Je pense que si Lacan situe le limite que la publication des Mémoires met en
"aime sa femme" dans son schéma I, c’est qu’il le évidence. Car il suffirait que la femme du Président
considère moins comme une défense contre disparaisse, ou que son lecteur se conduise
l’homosexualité inconsciente, que comme désignant effectivement comme l’homme de science à qui il
en la femme de Schreber celle qui, en l’absence de fait appel, pour que la division subjective soit
référence au signifiant paternel, fut la seule, aux annulée, que I se rabatte à nouveau sur i, que le
pires moments du délire, à garantir à Schreber une narrateur soit de nouveau englouti par le héros.
identification virile. C’est donc parce qu’il a Tirons-en cette leçon que le sort subjectif du
toujours sa femme que Schreber, en dernière psychotique qui nous propose ses écrits dépend – au
analyse, peut encore se dire un homme ; c’est elle, moins en partie – de la lecture que nous en faisons :
finalement, qui, à la place du père manquant, assure un aspect du transfert psychotique s’y trouve mis en
le point I du schéma, ce point à partir duquel acte.
Schreber entreprend la construction de son délire et
la rédaction de ses Mémoires. On saisit donc
combien cette construction est fragile. D’ailleurs ce
n’est sans doute pas un hasard si l’effondrement
définitif du Président, en 1907, se produit quelques
jours après que sa femme soit frappée d’aphasie.
Quant à l’adresse au lecteur, par laquelle la
dimension de l’Autre devrait être évoquée, on
remarquera qu’elle est aussitôt rabattue sur une
adresse à l’homme de science que Schreber
convoque pour qu’il vérifie sur son corps les
gonflements mammaires, l’affinement de la peau et
la féminisation de la texture nerveuse qui prouvent
l’insertion dans le réel de sa transformation en
femme. C’est donc une adresse qui échoue à viser
l’Autre au travers du lecteur, et qui, finalement
condamne Schreber à rester enfermé dans son
délire ; cela, Octave MANNONI l’a bien vu,
lorsqu’il souligne qu’en se plaçant au niveau de la
réalité des phénomènes de féminisation, Schreber
rejoint au fond la position du psychiatre. Et ce qui
est plus fondamental encore que cette prise dans une
relation duelle avec le psychiatre, c’est que, dans la
mesure où il s’adresse à la science, Schreber exclut
toute position subjective à l’égard du lecteur car,
comme Lacan l’a souligné dans son article "La
science et la vérité", il n’y a pas de sujet de la
science. Et finalement, c’est donc bien dans l’axe
qui va de i (sa jouissance féminine) vers a (où il est
laissé tomber par le créateur), que doit être située
l’adresse au lecteur de Schreber. Car ce qu’il
demande au langage de la science ce n’est rien
d’autre que de faire sur son corps une observation
expérimentale du rapport sexuel. Et même s’il se
sépare suffisamment de ce corps pour en parler dans
les termes les plus précis, il y reste attaché par ce
qu’il appelle ses "croyances fondamentales".
En conclusion, si l’écrit, pour Schreber, accompagne
et soutient la restauration de la double polarité du
fantasme que le délire met en place, s’il tend à

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INTRODUCTION A LA JOURNEE INTER-


CARTELS
Maurice Krajzman
27 juin 1962 qui fasse ce qu’on appelle le leader ou le führer ou le
J’ouvrirai cette journée inter-cartels – qui est la caudillo ou le raïs ou tout ce qu’on veut.
seconde du genre à Bruxelles, – par quelques Le cartel se donne comme une nécessité, comme une
remarques. hypothèse de travail qui nous vient de l’expérience,
Et d’abord que cette journée s’inscrit comme de la pratique, de la clinique, et qui exige d’être
témoignage de ce que à Bruxelles (et même en risquée vers le dehors.
Belgique), des analystes et des non-analystes Ce que je vous propose de soutenir c’est cette
participent à cette tentative de "rendre raison" (C. formule que P. Martin a eue à la journée des cartels
Soler) à la pratique de la psychanalyse autrement de l’EFP en avril 1975 et que C. Soler reprend dans
qu’en participant du discours du maître, du discours le tout récent catalogue des cartels de l’E.C.F.
universitaire ou du discours de l’hystérique. Tous (publié voici 2 ou 3 mois) que le cartel "n’est pas
présents dans la communauté des analystes. une réunion de gens qui proposent simplement une
Au sein de ces groupes minima désignés par Lacan rencontre d’échange d’idées, bien moins encore un
comme organes de base de l’Institution (ex EFP) et lieu d’enseignement direct ou magistral", il est (et
formalisés avec soin, il est bon, je crois, de rappeler ceci est tiré du texte de fondation, en 1964, de
que le risque est précisément de ne rien risquer au l’EFP) le lieu d’une élaboration soutenue.
dehors. A charge de chacun d’en trouver le chemin, à charge
C’est pourquoi la formalisation qui était en chantier du plus-un de faire en sorte d’y réserver une issue.
avant la dissolution de janvier 80 se doublait, se Vous savez que le plus-un (appelé aussi plus-une),
complétait après celle-ci de quelques indications Lacan le réfère directement au nœud borroméen et
concernant le fruit, le produit, la production que le cartel, dans cette perspective, est formalisé
Autrement dit, l’effet de colle propre au groupe se dans l’écriture (logogriphe) X + 1. La référence au
voyait contré non seulement par le dispositif lui- nœud borroméen s’explique de telle manière que
même (la minimalité de 4 et la limite supérieure de "c’est à retirer cet un qui dans le nœud borroméen
ce nombre, le plus-un appelé à une fonction plus est quelconque, qu’on obtient l’individualisation
précise, le tirage au sort pour les permutations). complète, c’est-à-dire que de ce qui reste – à savoir
Vais aussi par la proclamation, ferme et insistante de du X en question – il n’y a plus que l’un par un".
la part de Lacan que "aucun progrès n’est à attendre, L’année dernière, A. Lysy se demandait ici même si
sinon d’une mise à ciel ouvert périodique des une des fonctions du plus-un dans un cartel ne serait
résultats comme des crises de travail". pas de lier et/ou délier. Et dans ce cas, de lier qui et
C’est très précisément sur ce point que le cartel quoi, et qui à qui.
marque son originalité en regard de l’enseignement Délier les langues – j’espère que ça se fera
et des séminaires tels qu’ils se pratiquent ailleurs aujourd’hui mais peut-être faut-il lorgner du côté du
(ailleurs dans l’institution). Ce n’est évidemment pas sujet, de ce que Lacan nous indique que le sujet est
qu’il faille discréditer ces enseignements. C’est, au toujours un "un en plus", produit du discours –
contraire, que ceux-ci n’ont de fonction comme concrétion de la chaîne signifiante.
transmission et comme avancée dans la théorie de la Alors il n’est pas tellement étonnant de l’entendre
psychanalyse qu’à s’arrimer, à se suspendre au poser la question de savoir (question posée à P.
discours analytique. Kahn) s’il n’y aurait pas, par hasard, un plus-un dans
Le cartel, comme dispositif analytique, au même les déclarations de chacun, si le discours ne
titre que la cure ou la passe (c’est déjà heureux "que tournerait pas autour d’un pivot, qui serait le pivot
la balle passe" disait Lacan, qu’au moins pour un de tout un chacun – Personne ? personne
moment on tienne la balle). C’est à propos des imaginaire ? personne réelle ?
cartels ? Ce serait absurde d’affirmer cela, du groupe Ici il faudrait peut-être poser que le sujet, en tant
que Lacan disait ça et que dans un petit groupe, c’est qu’un un en plus toujours en fuite n’a de cesse de
un habitus, c’est habituellement toujours le même et "réaliser".
que tout le monde est très heureux qu’il y en ait un

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N’en serait-il pas ainsi pour le plus-un d’un cartel ?


Toujours réalisé ? et réalisé dans le sujet supposé
pivot (SSP), le support ?
La formule de Malengreau que le plus-un est chargé
"d’interroger le rapport de chacun avec ce qu’il dit"
s’inscrirait assez justement dans cette perspective.
Les égards du sujet à son dire serait aussi une bonne
formule.
Pour en revenir au cartel proprement dit – et pour
me résumer – je dirais que le cartel, comme
dispositif mis en place par Lacan, "s’avance" sur
deux questions :
La première : comment sortir de ce qui, du
fonctionnement de tout groupe se cristallise en un
certain nombre de nécessités (leader, hiérarchie,
bouc émissaire, racisme ou encore, égalité de façade,
ni Dieu ni maître et autres camouflages). Comment
nouer ce nouveau lien social dont parlait Lacan.
Comment le nouer dans la logique du discours
analytique. Ou encore : comment mettre en place les
conditions de faire surgir l’art de produire les
nécessités d’un autre discours que celui de
l’Hystérique, du maître ou de l’université puisque
aussi bien, pour Lacan, la logique, c’est précisément
l’art de produire une nécessité de discours.
La deuxième : concerne la question du produit, de la
production du cartel. Elle est liée à la notion de
travail en psychanalyse qui est elle-même liée à la
cure et au transfert. On a parlé de transfert de travail.
Pourquoi pas.
De même que l’axe imaginaire d’une relation soi-
disant duelle sera "menée" par l’analyste vers un
repérage symbolique, de même s’agit-il de ménager
(mais ça ne fait pas du plus-un un manager) un
produit qui vienne à se dire – ou à s’écrire.
Voilà, je tenais à vous faire part de ces quelques
réflexions mais la réunion d’aujourd’hui n’a pour
but ni de rechercher comment les cartels se
constituent et fonctionnent en Belgique, ni
d’interroger la fonction proprement dite du cartel, ni
de cerner la position du plus-un, mais d’en goûter les
fruits. De quelques-uns d’entre eux du moins, parmi
ceux qui ont travaillé les psychoses.

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Topologie et psychose
Alexandre Stevens
Je voudrais tenter de parler de la psychose ai Par contre la double boucle ne peut pas s’inscrire
écrivant de la topologie. Le danger ce serait de (sans recoupement) sur une sphère. Il y faut soit un
construire avec la topologie une sorte de modèle tore soit un plan projectif. Sur le plan projectif ce
métapsychologique, qui fasse "image". Je me trajet est celui de la coupure qu’y fait Lacan (cf.
limiterai donc à quelques remarques dans une séminaire "Identification").
tentative d’écrire la psychose en écriture Bon alors je prendrais les choses de ce côté-ci :
topologique. Ceci comme produit du travail d’un quelles différences ça fait d’inscrire un trajet sur une
cartel qui s’appelait justement : "Topologie et sphère ou sur un plan projectif ? Quelles
psychose". implications ça a, topologiquement, pour ce trajet
Je partirai du trajet des voix dans la psychose ; à lui-même. Pour ça je vais faire un détour dans le
dessiner topologiquement, où ça nous mène ? trajet de mon exposé.
Dans le séminaire III (p. 64) Lacan dit ceci : "Il y a Je voudrais tenter d’articuler ça autour de ce que
deux façons de parler de ce sujet que nous sommes Pierre Soury a avancé à propos de la frontière et de
radicalement, c’est – soit de s’adresser vraiment à la coupure (cf. texte de Soury dans Quarto III et
l’Autre, grand A, et d’en recevoir le message qui cours de Soury publié par l’E.C.F.).
vous concerne SOUS une forme inversée –" ça peut La frontière sépare. Elle est aussi traversée, lieu de
s’écrire en un trajet en double boucle, c’est-à-dire en transgression. (Le type logique en est les cercles
8 intérieur : d’Euler). Une coupure coupe la surface. Elle n’est
pas nécessairement une frontière parce qu’elle ne
sépare pas nécessairement mais elle peut en être une.
Sur le plan ou sur la sphère la coupure est toujours
une frontière. Sur le tore par contre il peut y avoir
QuickTime™ et un
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des coupures qui ne sont pas frontière.

"-soit d’indiquer sa direction, son existence, sous la


forme de l’allusion." ça c’est le trajet des voix dans frontière
la psychose ; Lacan ajoute : "Le circuit se ferme sur Sur la bande de Moebius la coupure médiane est
les deux petits autres qui sont la marionnette en face aussi une frontière, de même que la coupure en huit
d’elle, qui parle, et dans laquelle résonne son intérieur sur lé plan projectif.
message à elle, et elle-même qui, en tant que moi,
Remarquez cependant que Lacan ajoute quelque
est toujours un autre et parle par allusion". Au fond
chose à ces notions de frontière et de coupure, c’est
c’est là un trajet de simple aller-retour du type :
que la coupure ça a à voir avec la structure de la
surface, ça modifie cette structure. Pour la bande de
Moebius la coupure moebienne est la structure de la
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sont requis pour visionner cette image.
bande de Moebius. Une fois coupée… la bande de
Moebius c’est ce qui manque, c’est l’écartement des
lèvres de la coupure. De même sur le plan projectif
la coupure en huit intérieur est aussi une frontière
Ces deux trajets ça ne peut pas s’inscrire sur les mais de surcroît elle modifie la structure et elle
mêmes surfaces. Ce trajet aller-retour, autour d’une "repère" donc la structure du plan projectif.
allusion ça s’inscrit très bien sur une sphère : un tour En effet de cette coupure sont issus deux éléments
de boucle et le "retour". hétérogènes : la bande de Moebius et le disque
De ce que l’autre lui fait signe assure le psychotique autotraversé ou cône en huit (dont il y en a deux
que comme sujet il y est… mais il faut que l’autre possibles, en miroir). C’est une coupure qui
soutienne ça en permanence. (cf. voix chez Schreber provoque de l’hétérogène.
qui sont continues, Schreber p.).

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de la sphère et du plan projectif. Il n’y a pas de


passage progressif entre les deux ; il n’y a pas de
point limite ou la sphère devient un plan projectif.

Plan projectif
Il me semble que c’est même cela qui caractérise la
coupure par rapport à la frontière : la coupure cause
de l’hétérogène alors que la frontière sépare de
l’homogène.
Alors voyons ce qui se passe d’une coupure sur la
sphère… une coupure y donne deux calottes
sphériques. Hors le fait qu’il ne s’agit plus d’une
surface (il en est de même pour le plan) : il s’agit
toujours d’une surface à deux faces et orientable.
Tout ce que ça fait c’est d’y mettre un bord, c’est-à-
dire une frontière. On peut bien dire en effet que sur
une sphère, comme sur un plan la coupure n’a pas
d’autre caractéristique que la frontière… ou : sur la
sphère il y a échec à la coupure. C’est une coupure
qui ne laisse que de l’homogène (les deux calottes
sphériques sont topologiquement identiques et elles
sont homogènes à la sphère).
Remarquez que pour la psychose si le trajet des voix
peut s’écrire sur une sphère, la sphère est là une
écriture de ce que la coupure du signifiant échoue
dans la psychose.
Une frontière ça ne concerne pas la structure, ça fait
seulement opposition intérieur-extérieur.
Il y a une autre différence entre frontière et coupure :
c’est le graphe dual. C’est-à-dire qu’à toute frontière
correspond l’image (le "dual"… duel) d’un autre
chemin (d’une autre frontière). Ces deux lignes
correspondantes répondent à une logique de
l’image : ainsi dans un paysage à la ligne des
sommets correspond la ligne des vallées, ou encore,
à la frontière franco-belge correspond la ligne des
douanes ou le chemin des fraudeurs.
Il y a aussi un graphe dual de la coupure mais ce
graphe ne vaut que tant que la coupure se trouve
dessinée comme chemin, chemin pour les ciseaux…
une fois la coupure effectuée, l’hétérogène qu’elle
introduit "efface" le graphe dual.
Ce graphe dual est là écriture de ce que Lacan
appelle, à propos de l’hallucination, l’écho
imaginaire. (Écrits, p. 391).
Si je propose la sphère comme surface où peut
s’écrire le "trajet" des voix dans la psychose, avec
les implications que ça fait, il y a encore une autre
implication, qui se trouve sur le schéma I de Lacan :
qu’il n’y a pas de point de passage progressif du
schéma R au schéma I. Le Nom-du-Père y est ou n’y
est pas, quelque chose peut y suppléer mais il ne
peut pas y être un peu. Nous retrouvons ça à propos

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Langue primitive et lalangue


Monique Kusnierek
Dans le séminaire sur Les Psychoses (p. 71, 72), et ne se soutient que du malentendu, de l’équivoque
Lacan utilise l’expression "langue primitive" pour de lalangue. Lalangue et mathème sont, dit-il liés et
désigner la langue au sein de laquelle continue à c’est d’ailleurs le versant logique de lalangue qui
vivre "le passé de la parole du sujet". Ce passé qui a intéresse la psychanalyse.
à être refoulé pour l’établissement du discours C’est notamment dans le texte sur "Le savoir du
commun, se trouve chez le psychotique, subsister psychanalyste" (entretiens de Ste Anne 71-72) que
comme tel, à ciel ouvert, porté par une langue Lacan évoque ce versant logique de lalangue et c’est
particulière, primitive. de ces entretiens que je me servirai essentiellement
Lacan évoque, en l’occurrence, l’usage que fait un pour la suite de ce travail. Au début de ces
malade de son dialecte corse, dialecte que des entretiens, il dit :
circonstances exceptionnelles ont fait "fonctionner "L’inconscient, ai-je dit, est structuré comme un
pour ce sujet dans des conditions qui accentuent langage, lequel ?… Le langage dont il s’agit, comme
encore la fonction de particularisation propre à tout j’ai pris le temps, le soin, la peine et la patience de
dialecte". l’articuler, c’est le langage où l’on peut distinguer le
Cette expression "langue primitive" m’a, quant à code du message, entre autres. Sans cette distinction
moi, évoqué le mot de Lacan, "lalangue". Mon minimale, il n’y pas de place pour la parole. C’est
travail suivra le fil des questions suscitées dans ce pourquoi quand j’introduis ces termes, je les intitule
décours. Qu’en est-il de lalangue ? C’est la question de" Fonction et champ de la parole et du langage ".
que je poserai dans un premier temps pour en revenir Pour la parole, c’est la fonction, pour le langage,
ensuite à la langue primitive. Quelle lumière c’est le champ".
lalangue jette-t-elle sur la langue primitive, sur la Quelques pages plus loin : "Pour le champ…, c’est
langue des psychotiques ? aussi ce qui est constitué par lalangue, ce qui est
Lalangue, il me paraît difficile d’en parler. C’est que constitué de réel".
lalangue, cela échappe, cela excède à toute Dans ces entretiens, il passe du langage à lalangue,
définition. De lalangue, on ne peut faire le tour. concernant le champ, sans en dire plus. Sans doute
C’est le registre des équivoques, on ne peut les peut-on se référer au séminaire "Encore" pour saisir
ranger une fois pour toutes dans un ensemble clos, il ce passage. A la page 126 de ce séminaire :
y en a toujours de nouvelles prêtes à surgir. "Si je dis que le langage est ce comme quoi
Lalangue, comme le dit Milner, indique ce lieu par l’inconscient est structuré, c’est bien parce que le
lequel une langue est essentiellement, non seulement langage d’abord ça n’existe pas. Le langage est ce
différente des autres langues, mais aussi qu’on essaie de savoir concernant la fonction de
essentiellement autre à elle-même (Milner, l’amour lalangue… Si l’on peut dire que l’inconscient est
de la langue). structuré comme un langage, c’est en ceci que les
Lalangue, d’autre part, se loge en un point fort dense effets de lalangue, déjà là comme savoir, vont bien
de la théorie lacanienne, point vers lequel au-delà de tout ce que l’être qui parle est susceptible
convergent plusieurs notions clefs, notamment la d’énoncer. C’est en cela que l’inconscient, en tant
vérité, le réel, la castration… et il n’est pas simple qu’ici je le supporte de son déchiffrage, ne peut que
d’articuler entre elles ces différentes notions. se structurer comme un langage, un langage toujours
Lalangue, encore, ce mot choisi pour désigner le hypothétique au regard de ce qui le soutient, à savoir
registre des équivoques, je voudrais relever, à la lalangue".
suite de Lacan, qu’il s’agit d’un lapsus, d’un mot qui Lalangue serait donc ce vaste champ, cette étendue
joue justement sur l’équivoque, et qui s’avère, en inexplorée pour laquelle les mots manquent et dont
cela, bien révélateur du style de Lacan qui essaie de le langage essaierait de savoir quelque chose, et ceci,
maintenir l’équivoque à l’encontre de la au moyen, par la fonc tion de la parole.
compréhension. Fonction et champ de la parole et du langage.
Mais cela ne peut être avancé sans souligner l’effort De quoi parle-t-elle donc cette parole qui pourrait
parallèle chez Lacan pour faire passer sous forme de nous apprendre quelque chose sur ce champ Eh bien
mathèmes, c’est-à-dire par des lettres sans la parole, dit Lacan : "… définit la place de ce qu’on
signification et sans donc équivocation ce qui court appelle la vérité".

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Il dit "définit la place de la vérité" et non "définit la psychanalyse ne nous apprend pas ça, mais qu’est-ce
vérité". C’est différent. La place de la vérité se réfère qu’elle dit, parce qu’elle ne fait que le ressasser ".
à la manière dont la vérité surgit et elle surgit sur le Cette parole qui nous laissait espérer quelque savoir
mode du semblant, de l’équivoque, la vérité a une sur les hommes et les femmes, elle ne nous apprend
"structure de fiction". donc rien.
"A la vérité, dit-il, la vérité ne dit vérité – pas à "C’est ça, poursuit-il, que j’énonce quand je dis qu’il
moitié – que dans un cas : c’est quand elle dit" je n’y a pas de rapport sexuel pour les êtres qui parlent.
mens ". C’est le seul cas où l’on est sûr qu’elle ne Parce que la parole telle qu’elle fonctionne, dépend,
ment pas, parce qu’elle est supposée le savoir. Mais est conditionnée comme parole par ceci que le
autrement, c’est-à-dire Autrement avec un grand A, rapport sexuel, il lui est très précisément, comme
il est bien possible qu’elle dise tout de même la parole, interdit d’y fonctionner d’aucune façon qui
vérité sans le savoir. C’est ce que j’ai essayé de permette d’en rendre compte… il n’y a certainement
marquer de mon S(A)". pas de rapport sexuel parce que la parole fonctionne
S(A) vient ici, juste à propos, pour illustrer que c’est à ce niveau qui se trouve, de par le discours
bien le versant logique de lalangue auquel psychanalytique, être découvert comme spécifiant
s’intéresse la psychanalyse, selon Lacan. Je poursuis l’être parlant, à savoir l’importance, la prééminence
le texte : dans tout ce qui va faire à son niveau, du sexe le
"Donc la vérité en question dans la psychanalyse, semblant, semblant de bonshommes et de bonnes
c’est ce qui au moyen du langage, par la fonction de femmes…"
la psychanalyse, par la fonction de la parole, C’est-à-dire que cette vérité qui a structure de fiction
approche, mais dans un abord qui n’est nullement de se retrouve, se redouble, s’inscrit dans sa fiction en
connaissance, mais, je dirais, de quelque chose ceci qu’elle est énoncée, ou plus exactement que de
d’induction, au sens que ce terme a dans la son énonciation tombe un S, un semblant d’homme
constitution d’un champ, d’induction de quelque et un semblant de… '‘.
chose qui est tout-à-fait réel, encore que nous n’en On ne sait rien concernant le champ de lalangue, le
puissions parler que comme des signifiants. Je veux réel des hommes et des femmes sinon que leur
dire qui n’ont pas d’autre existence que celle du parole fonctionne à ce niveau de semblant, ce qui est
signifiant". une autre manière de dire la castration.
L’utilisation du terme induction plutôt que de J’en reviens maintenant à la langue primitive et
connaissance est important. Il faut entendre cette rappelle que Lacan introduit cette expression par
induction à la manière de ce qui est induit par la laquelle il évoque le langage des psychotiques, à
métaphore "qui fait surgir un sens qui en dépasse de propos d’un homme qui a vécu, dit-il, toute son
beaucoup les moyens", c’est l’induction, le enfance entre des parents extrêmement refermés sur
surgissement de quelque chose auquel on ne leurs propres lois et usant exclusivement du dialecte
s’attendait pas. Si les mots manquent pour dire ce corse. Des parents qui se querellaient constamment,
qu’il y a à dire, les mots en disent plus aussi qu’on toujours en dialecte corse, et ceci à propos de "la
ne sait, disent autre chose que ce qu’on veut dire. crainte de voir arriver la femme, l’objet étranger".
Et Lacan se pose ensuite la question suivante : "Mais Il saute aux yeux que ces querelles avaient pour
de quoi est-ce que je parle ?" objet la question du non rapport sexuel. Mais
De quelle vérité dont on sait déjà qu’elle a structure comment celle-ci est-elle, en l’occurrence, abordée ?
de fiction parle-t-elle cette parole concernant le La signature psychotique au cœur du discours de ce
champ de lalangue ? malade s’inscrit, selon Lacan, dans l’impossibilité
"Eh bien, de rien d’autre que ce qu’on appelle en pour cet homme, une fois hors de son milieu
langage courant des hommes et des femmes. Nous familial, à parler le dialecte de son enfance. Il existe
ne savons rien de réel sur ces hommes et ces femmes chez lui une séparation radicale entre le monde de sa
comme tels, car c’est de ça qu’il s’agit, il ne s’agit famille où l’on parle le dialecte corse et le monde
pas des chiens et des chiennes. Il s’agit de ce que extérieur où l’on parle le discours de tout le monde,
c’est réellement que ceux qui appartiennent à chacun le discours commun. Son dialecte ne peut entrer en
des sexes à partir de l’être parlant". circulation avec le discours commun, il fonctionne
Eh bien, poursuit-il, nous ne sommes pas à propos comme un néologisme. Cet homme dispose d’une
de ces hommes et de ces femmes : langue particulière, idiomatique pour dire ces choses
«
… capables d’articuler la moindre chose dans de son passé.
lalangue qui ait le moindre rapport avec ce réel. Si la Dans cette suite, je pense à David, un enfant
psychotique de 14 ans dont la préoccupation

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principale à chaque séance est de fixer le rendez-


vous suivant ou de chercher un message à faire
passer, message qu’il griffonne sur un bout de
papier. Il ne sait cependant ni lire, ni écrire, il ne
connaît pas l’heure. Il est impossible avec lui de
fixer, pour de bon, un rendez-vous. Ce qu’il dit là,
ne peut entrer en circulation avec mon propre
discours pour produire de la signification, il ne peut
à ce sujet équivoquer avec moi par la parole.
Qu’est ce que ces rendez-vous qu’il me fixe, ces
messages qu’il griffonne ?
C’est, me semble-t-il, une tentative, un appel à faire
comme si, justement, les rendez-vous ne se rataient
pas, comme si les messages passaient, un appel à
basculer du côté de l’équivoque, du semblant.
Dans la mesure en effet, où le signifiant devient
lettre dans le néologisme, se fiche, ne se nourrit plus
de la circulation dans une chaîne signifiante, il n’y a
plus d’équivoque possible.
Me voilà arrivée au terme que j’ai posé à ce travail
et il me semble, à cet endroit, pouvoir tirer la
conclusion suivante : de ne pouvoir équivoquer,
faire semblant et ceci, comme le répète de manière
insistante David, concernant précisément ce que
Lacan appelle le réel des hommes et des femmes,
c’est là un enseignement que l’on peut tirer, à propos
de la langue des psychotiques, lorsqu’on confronte
celle-ci à ce que dit Lacan de lalangue.

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Sans titre
José Cornet
Dans le langage, notre message nous vient de SEUL dans ce rapport de CONCERNEMENT avec
l’Autre, sous une forme inversée ; preuve à nouveau cette chose vraiment unique, problématique dit
quand je dis à Coddens que du cartel sur la Lacan, qui nous est donnée non pas sous le titre du
Verneinung, quelqu’un, voire plusieurs parleront fou, ce n’est pas un titre un fou, c’est cette chose qui
aujourd’hui, quand je lui précise qu’en cartel, nous résiste. Ce fil, il passe par ce qu’il y a d’angoissant
avons trouvé qu’un titre ne seyait pas – pas dans l’angoisse. Au fil de ma plume, me voilà plutôt
nécessairement en tout cas – à la présentation du satisfait des signifiants qui viennent là de s’inscrire ;
produit d’un cartel. Me revient et revient donc au si mes catégories sont au point, ils y s’agit du
cartel sur le programme : nouage du symbolique et du réel, l’imaginaire étant,
J. Cornet : sans titre. Ça me convient, puisque c’est pour cette fois, hors course.
ainsi. Me voilà donc avec sur les bras une question Ma contribution ici à la hâte m’a empêché de
de titres, c’est-à-dire, – je suis un familier de Bloch reconsidérer les contributions du cartel dans son
et von Wartburg – une question d’inscription (c’est entier, pour en présenter globalement les résultats de
le sens du latin titulus), question d’un acte écrit qui travail qui me sont propres, et les crises de travail
établit un droit. Ce n’est donc pas au titre d’analyste qui en furent pourtant monnaie courante. Mains
que je vous parle, ce titre, je ne l’ai pas. Est-ce là nues, je vous communique donc, au coup par coup,
préambule de pacotille à notre questionnement de la quelques points qui m’importent, en suite du cartel,
psychose ? Pas seulement. dans ma pratique et aussi dans l’orientation donnée à
Quand Lacan en 1967 s’adresse à des psychiatres mon travail plus théorique.
pour leur faire un petit discours, et pour les orienter Le premier se déduit de l’article duquel je fais
dans ce qui fait le centre de leur champ, c’est-à-dire référence en préambule. Vous m’avez entendu
le fou, le psychotique comme on dit maintenant, il y soutenir dans l’enseignement clinique qu’une
va tout droit, Lacan, mettant en cause la psychanalyse ne pouvait pas être appliquée, non pas
titularisation en escalier, je veux dire la hiérarchie de au sens de s’appliquer hors de son champ de
titres qui viennent s’interposer entre le psychiatre et patients, dans l’art ou la littérature par exemple,
le fou, cela créant ni plus ni moins ce qu’il mais au sens de s’appliquer à lire dans l’écoute
prénommera le mal du siècle à venir, presque le analytique les avatars de mathématisations qu’on
nôtre maintenant, à savoir la ségrégation. pouvait faire à partir de mathèmes de Monsieur
Je le cite plus ou moins (le texte auquel je me réfère Lacan, sans en rien connaître du moindre effet de
et qui parcourt Bruxelles n’ayant pas été style par quoi un graphe est amené, et, ajouterai – je
contresigné, c’est un texte qui s’adresse aux maintenant, sans avoir rien connu, au sens même
psychiatres mais aussi bien aux psychanalystes qui claudélien du connaître, de la pratique analytique de
pullulent dans la salle) : "Messieurs les nazis, vous Monsieur Lacan. (Quarto VI, 61). Ce petit article de
pourriez leur en avoir une reconnaissance 67, à ma lecture, cursive il est vrai même si répétée,
considérable, ont été des précurseurs et ont d’ailleurs désaiguillerait cette assertion que j’ai tenue et qui
eu tout de suite, un peu plus à l’est, des imitateurs, reste mienne en ce moment, de ce que je soutienne
pour ce qui est de concentrer les gens, c’est la notamment de là l’éthique de mon acte à chaque
rançon de cette universalisation pour autant qu’elle cure analytique. Pour dire vite, là où Lacan rejette
ne résulte que du sujet de la science". Endroit où toute visée de compréhension (à quoi je souscris tout
Lacan invite les psychiatres à se réveiller, à se à fait), il a des formulations qui contrediraient "ma"
départir de leur tranquillité et de leur position. Formulations qui inviteraient à se servir de
endormissement pour dire ce qu’ils pourraient avoir ses mathèmes, hors compréhension bien sûr (et
à dire sur les effets de ségrégation, sur le sens forcément), mais même (ou presque), si mon
véritable que ça a. souvenir est bon, à titre expérimental. (mes
Donc, pour en revenir au rase-mottes, pas de titres à parenthèses successives témoignent de ce que Lacan
interposer entre le fou et nous, mais plutôt une s’adresse d’abord à des psychiatres, n’y s’agirait-il
invitation de Lacan à nous laisser guider par ce petit pas de propédeutique à l’analyse ?
fil que chacun a à trouver Reste qu’à cette lecture et jusqu’à avoir plus avant
travaillé le "dernier" Lacan, hors compréhension,

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engagement, maîtrise, plus grande chance se trouve


d’y entendre et d’y faire place au discours
psychotique. C’est là un point de crise de travail
pour moi.
Deuxième remarque, succincte : toujours à nouveau
revient à propos de l’analyse lacanienne, notamment
avec les psychoses, le mot de danger : c’est
dangereux. Un travail me paraît à faire d’une
articulation du danger avec le risque, sans lequel
n’existe aucune vie. Toujours quand tombe ce mot
de danger, il me paraît également nécessaire de
l’articuler avec la question de l’inévitable : histoire
d’un réel en jeu, dans le travail de mise en texture
symbolique de ce qui foire dans les actages
imaginaires. Y a-t-il là nouvelle formulation de la
question de l’éthique ?
Troisième remarque : jamais, si ce cartel n’avait
existé ni ne s’était effectivement dévoué à un travail
de passe, notamment grâce au plus-un de fonction, je
ne me serai engagé dans une consultation
d’adolescents, dans le service universitaire de Saint-
Luc (centre de guidance). Je m’y suis engagé sur ce
dessein de Ph. Van Meerbeek d’écouter ce qui se
passe à cet âge (de passage, voire de passe) à travers
les grilles topologiques de J. Lacan. Et pour mon
engagement, j’ai dit explicitement mon intérêt pour
tenter d’y entendre dans les dits psychotiques à
l’adolescence. Ph. Van Meerbeek fait pour le
moment thèse de ce que le discours psychotique à
l’adolescence est en fait dans les quatre discours
formalisés par Lacan discours hystérique. Mon
interrogation et travail dans les années à venir
témoigneront de ceci : y a-t-il à l’adolescence
repérage de la forclusion du nom du père ? Est-ce là
passage obligé pour tout adolescent ? Ma
communication ne témoigne pas directement des
résultats ni des crises de travail du cartel. Ajouterai-
je : hors guerroyages imaginaires, la dissolution dite
par Lacan est encore à faire, à poursuivre ; dans le
cartel où j’étais jusqu’à demain, cette question n’a
jamais été évacuée. Au plus vite, j’espère, vraiment
sans gaieté de cœur, un fonctionneront de cartel à la
Lacan, c’est-à-dire, AU HASARD.

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Athalie
Yves Depelsenaire
Roland BARTHES, dans son admirable essai "Sur orientation, une promesse de sens différente se fait
Racine", a montré quelle ironie était à l’oeuvre dans jour. "Le signifiant ne fait que donner l’enveloppe,
"Athalie", l’ultime tragédie du poète. Œuvre de le récipient de la signification, il la polarise, la
commande écrite comme sa pièce précédente structure, l’installe dans l’existence" (p. 295). Il faut
"Esther" pour un établissement d’éducation de pour que la signification se boucle, rétroactivement,
jeunes filles, "Athalie" semble témoigner du que nous soyons parvenu au terme de l’énoncé –
glissement définitif et peu expliqué de Racine, l’Éternel-comme ne le montre pas seulement ce
revenu au théâtre après dix années de silence, vers la premier vers, mais l’ensemble de la scène. Ce dont
bondieuserie. Mais il n’en est rien : jusqu’au bout le un linguiste, d’être précisément suspendu à la
monde du "doux" 1 Racine est celui d’une violence découpe du signifiant, ne risquait guère de s’aviser.
débridée, non médiatisée, et la réconciliation de Nous voyons en cette scène 1, Abner, un des
l’enfant et du père, célébrée dans les derniers vers officiers principaux des rois de Juda, entrer donc
d’"Athalie", ne s’imagine pas sans le meurtre de la dans le temple de Jérusalem où se tient Joad le grand
mère et autres bains de sang funestes à l’horizon. prêtre. Il lui fait part de ses craintes de voir ce
Ainsi BARTHES dégage-t-il une théorie racinienne dernier refuge de la loi mosaïque bientôt balayé par
de la rédemption inversée : l’homme se fait coupable Athalie, poussée par le traître Mathan. Joad tout en
pour mériter rétroactivement les coups de Dieu. Il le remerciant, stigmatise sa passivité. Abner exprime
sauve Dieu, le justifie dans son caprice et sa alors tout son abattement : les Hébreux ont
méchanceté en commettant la faute à laquelle son désespéré de Dieu après les meurtres perpétrés par
sang le pousse. En dépit de l’évidence, avec une Athalie sur sa propre postérité, meurtres qui ont mis
complète mauvaise foi, le héros racinien s’apaise en fin à la lignée de David. Rien ne leur rendrait
assimilant le Père au Bien absolu. l’espoir sinon quelque miracle Joad, énigmatique, lui
C’est la première scène d’Athalie cependant qui à annonce alors un signe prochain de Dieu.
notre surprise, offre à Lacan dans son séminaire En suivant ligne à ligne le trajet du signifiant, Lacan
"Les psychoses" (1) le paradigme de la fonction montre comment dès cette scène le dénommé Abner,
pacificatrice du signifiant du Nom du Père. Ceci sans qu’aucune révélation ne lui ait pourtant été
n’est pas sans enseignements quant aux limites faite, a été hameçonné par Joad d’une manière telle
implicitement déjà apportées à cette époque à ce que qu’à la fin du dialogue, sa situation subjective s’est
Lacan semble accréditer : le pacte de la parole, complètement renversée, et qu’il est devenu lui-
l’Autre comme garant de la bonne foi. Pas toute la même "l’amorce à laquelle Athalie va se prendre". Il
jouissance, loin s’en faut, est prise dans les rôts de la laisse le "zèle" dont il se parait pour se joindre à la
métaphore paternelle, et dès 56 donc le ver est dans "troupe des fidèles", à l’ensemble de ceux
le fruit de la réconciliation dans le symbolique. reconnaissables à ce trait sans équivoque de la
Comme l’écrivait Kierkegaard dans son Journal, fidélité qui est un insigne de Dieu lui-même : ce
"Moise ne vit Dieu que de dos. Cela signifie qu’il "Dieu fidèle en toutes ses menaces", Dieu sinistre et
n’y a pas de pacte en avant". vengeur et dont la crainte pourtant débarrasse de
Lacan est retenu d’abord par la première phrase, le toutes les autres craintes. "Je crains Dieu, cher
premier alexandrin : Abner, et n’ai point d’autre crainte".
"Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel". La crainte de Dieu, c’est dans ce texte le point
D’être inaugurée par un "oui", cette phrase montre autour duquel, au-delà du champ des significations,
déjà toute sa complexité (Andromaque et Iphigénie le discours s’articule dans tout son progrès. La
ont le même départ) : "oui" à l’occasion veut dire un masse flottante des significations vient s’amarrer,
"non" ou un "peut-être", un oui en tête de phrase vient converger pour s’éclairer rétroactivement
suggère toujours quelque "mais" à sa suite. Mais on autour de ce "point de capiton".
pourrait aussi bien s’arrêter à "je" ou à "viens", c’est Qu’est-ce que cette crainte de Dieu ? Lacan note que
un caractère essentiel du signifiant que de n’être l’histoire culturelle de ce signifiant mériterait d’être
jamais isolable. A chaque terme de la phrase, une retracée, et que la substitution de celui-ci à la crainte
des dieux est bien autre chose qu’une invention de
1
Cf. Séminaire, Livre III, chapitre 21, p. 293 à 306 (leçon du 6 juin 56 : "Le curé : elle fonde l’amour porté à un signifiant là où
point de capiton").

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des terreurs multiformes et délocalisées régnaient rétroactivement prennent une signification phallique.
sans partage ; bref elle suscite le désir comme Nous sommes au lieu de passage du signe au
défense contre la jouissance. Il y a là assurément signifiant. C’est en quoi il ne convient, cet Idéal du
quelque chose qui touche très directement Racine. Si Moi, à produire ce pur signifiant du Phallus. Même
la crainte de Dieu hante "Esther" et "Athalie", la si rétroactivement les insignes du père s’avèrent
"colère des dieux" est un signifiant majeur de toutes phalliques, le Phallus lui-même n’est pas un insigne
ses tragédies antérieures de "La Thébaïde" à du Père. On ne peut davantage dire l’inverse, bien
"Phèdre". qu’évidemment c’est une aspiration, comme cela se
Pour contraignante qu’elle soit, la crainte de Dieu, note dans le plus grand nombre des cas à l’entrée en
d’un être qui ne peut exercer ses sévices que par les analyse, précisément de ce que l’analyste est le plus
maux qui sont déjà là, est le contraire d’une crainte : souvent mis au départ en position d’Idéal du Moi.
c’est le tour de passe-passe qui lie à l’imaginaire et Rien que de très logique là dedans : puisqu’il vient
au symbolique le réel déchaîné proprement, et en donner à l’énoncé de l’analysant son minimum de
écarte le sujet. Ainsi voyons-nous Abner sortir du sémantisation en tant qu’il est supposé savoir la
temple sans plus trembler au nom d’Athalie, ses signification des symptômes.
craintes muées en un courage déterminé : "lorsque "Oui, je viens dans son temple adorer l’Eternel" :
l’aiguille du matelassier entrée au moment" Dieu c’est par quoi commence un peu toute analyse, soit
fidèle en toutes ses menaces "ressort, c’est cuit, le de ce qui ne sera rien d’autre que le tour de ce lieu
gars dit" je vais me joindre à la troupe des fidèles de nouage qui d’abord resserré ainsi sur I, se trouve
"(p. 303). desserré pour se reconstituer au retour du point où
Ce capitonnage de la signification autour d’un l’Autre manque, une fois écartées les figures
signifiant primordial évoque à Lacan l’image d’une imaginaires du Père dont se remparde le sujet.
partition musicale pour rendre compte de ce qui se La seule chose qu’un analyste puisse garantir sans
joue dans cette scène. Déjà dans le Séminaire 1, lui mauvaise foi, n’est-ce pas précisément que l’analyse
était venue l’image d’une portée comme plus a une fin, autrement dit qu’il n’y a nulle raison pour
adéquate à formaliser le discours que la division que ce air quoi se boucle la signification, le Père,
saussurienne du signifiant et du signifié, insuffisanté soit identifié à l’Éternel ?
quoique fondamentale. Nous retrouverons cette
portée deux ans plus tard dans l’enseignement de
Lacan sous la forme du graphe de "Subversion du
sujet et dialectique du désir" où sont déployés les
mécanismes de la rétroaction signifiante.
A l’époque du Séminaire III, un certain nombre de
termes qui seront alors différenciés en leurs
fonctions, sont encore condensés, comme Lacan lui-
même en a déjà le sentiment en faisant remarquer
ceci, que la crainte de Dieu est quelque chose de très
voisin de l’idée du Père. C’est bien que ce n’est pas
tout à fait la même chose tout de même.
La fonction paternelle c’est de signifier le phallus et
de corréler le désir au signifiant du manque dans
l’Autre. Or si ce vers quoi Lacan se dirige à travers
"Athalie", c’est bien entendu le Nom du Père, sans
doute du point de vue du sujet Abner, serait-il plus
juste de lire en la crainte de Dieu l’instance de
l’Idéal du Moi et de sa matrice, le trait unaire. Ce
n’est pas pour rien que FREUD a découvert celui-ci
à partir de l’amour porté au dictateur.
L’Idéal du Moi se constitue à partir des "insignes du
père"(Voir Les formations de l’inconscient). Le
terme d’insigne est là pour nous faire sentir que si
l’identification primordiale au père est identification
symbolique, elle s’opère tout de même au départ
d’éléments empruntés à l’imaginaire qui

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L’amour dans la folie n’est pas folie de l’amour


Christian Vereecken
A l’orée de ce propos je dois une excuse au lecteur : n’est en rien qualifiée à prétendre y occuper une
il ne retrouvera pas ici un compte-rendu exact de place.
l’intervention prononcée à la journée des cartels ; Richard de Saint Victor nous réserve une surprise :
c’est que l’effort d’écriture que promeut c’est précisément sur l’amour qu’est bâti un des
heureusement "Quarto" ne saurait pour moi se raisonnements destinés à fonder en bonne logique ce
limiter à la simple mise par écrit ; ainsi un prétendu mystère trinitaire. Soit : Dieu étant
développement sur Nerval a pris depuis des infiniment parfait ne peut aimer que d’un amour
proportions trop importantes pour être inclus dans la infiniment parfait, qui s’adresse à un être de même
trame de cet exposé, il sera publié dans "Litura" ; je qualité. Il ne peut donc en aucun cas aimer une
l’ai remplacé par quelques considérations sur créature (quand je vous dirais que Marie n’avait pas
l’érotomanie, présentées auparavant dans le cadre de ici sa place…). Pour que cet amour infiniment
la formation permanente, et qui rendront, je l’espère, parfait se manifeste, il lui faut donc un autre Dieu à
les choses plus compactes. aimer, disons même un autre-Dieu, et telle est la
Mon point de départ se situe dans un passage du nécessité d’où est issue le Fils. Dès lors le Saint-
séminaire sur les psychoses, celui que Jacques-Alain Esprit vient prendre la place du signifiant tiers, le
MILLER a intitulé avec bonheur "Folie de l’amour" médiateur nécessaire pour que tout amour, de par sa
(p. 286 à 289). On y trouve cette affirmation peu nature narcissique (et le narcissisme divin qui nous
banale que, pour comprendre quelque chose à la est ici décrit ne manque vraiment pas de sel), ne
psychose, il est nécessaire de s’informer des théories débouche pas tout de suite dans les affres de
médiévales de l’amour et notamment celles qui sont l’affrontement imaginaire. Tout ceci est vraiment
dites extatique et physique. Voilà une des ces pierres plein de bon sens : on a beau être Dieu le Fils, il ne
d’attente qui jalonnent tout l’œuvre de Lacan ; je faut pas s’imaginer qu’on soit le phallus pour autant.
tâcherai de prolonger et d’illustrer quelque peu ce Rassurante est aussi l’impossibilité ici affirmée
propos surprenant. d’être aimé (e), comme créature, de Dieu : une sainte
Pour éclaircir, tout d’abord, un point de Lydwine de Schiedam parmi d’autres mystiques,
bibliographie, j’indiquerai que celui qui a opéré la peut nous donner une petite idée de l’horreur que
dite distinction est un nommé ROUSSELOT (à ne comporte la chose. Mais ceci n’implique nullement
pas confondre avec un abbé homonyme) dans son pour le mystique qu’est lui aussi Richard de Saint
ouvrage "Pour une théorie de l’amour au Moyen Victor, que la créature n’aie nul accès à l’amour
Age". Malheureusement l’intérêt que peut susciter divin. Seulement pour ce faire elle devra sortir
un tel titre est resté, faute d’avoir encore mis la main d’elle-même, s’arracher à la relation imaginaire
sur ce bouquin, platonique, et je ne pourrai me interpréterons-nous, (sortie, c’est le sens même
référer à cette référence. d’extase), et se fondre dans le divin afin d’aimer en
Ce n’est pas plus mal d’aller directement aux textes, Dieu, voire même comme Dieu. On reconnaîtra ici
sans doute : ouvrons donc le traité "De la Trinité" de cet accent de grandeur qu’avec nos critères mesquins
Richard de Saint Victor (publié aux éditions nous jugerions volontiers sacrilège, surtout si nous
"Sources chrétiennes"), c’est une référence qui n’est nous imaginons athées, cet accent de Maître Eckhart
pas inconnue aux familiers du séminaire "Encore". ou d’Angélus Silésius exhortant leur lecteur à être
Il convient de préciser dès l’abord que l’amour en l’égal de Dieu, voire à le surpasser.
question est l’amour divin, et que les théologiens qui Décidément ces extatiques étaient des gens très
ont pris sur eux de l’explorer n’ont que des rapports bien ; le seul inconvénient est que leur voie n’est
très lointains avec les théoriciens de l’amour dit plus guère praticable. Ceci ne nous empêchera pas
courtois. Certes quelques poètes ont bien récupéré de tenter de repérer sur le graphe du désir, le trajet
les formes littéraires propres à ce dernier courant en propre à l’amour extatique.
mettant tout bonnement à la place de la dame, la Nous mettrons ce Dieu des mystiques en S(A), et la
Vierge Marie. Mais il n’est pas besoin de faire créature sur l’axe i(a) à m. Je proposerai en outre de
remarquer que cette figure ne fait pas partie de la représenter l’extase par une inversion du sens de la
Trinité, et que, même étant admis que Dieu c’est). flèche i(a) →m. Ce qui nous donne :
Femme, la pauvrette, malgré sa fabuleuse virginité,

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En pointillé le trajet de l’amour extatique. On voit de pratiques sociales désuètes. Mais il faut bien
qu’il évite le fantasme. garder à l’esprit que cette rencontre se produit entre
des phénomènes qui ont des causes différentes : la
Passons maintenant, plus rapidement car elle est
folie de l’amour n’est pas l’amour dans la folie, et
moins utile à notre propos, à la théorie dite physique
encore convient-il de les distinguer toutes deux de la
(qui n’a rien à faire, on s’en doute, avec la pratique
folie amoureuse (que l’amour soit une espèce de
de ce que nous appelons amour physique).
folie est quelque chose qui se sait depuis toujours),
L’inventeur n’en est autre que Thomas d’Aquin. Il
sans quoi on tombe dans le travers de ces psychiatres
suit un présupposé exactement inverse de celui du
descendants d’Esquirol pour qui il suffirait d’être un
prieur de Saint Victor : Dieu aime abondamment les
peu trop passionné pour débarquer en plein délire,
créatures, et même il les aime à la façon dont une
voire de ceux qui vont jusqu’à demander à la folie
créature en aime une autre, et dès lors on peut en
de les éclairer sur l’énigme de l’amour. Il existe bien
aimant (en tout bien, tout honneur et toute charité
sûr une catégorie de malades qui se prêteraient à ce
chrétienne s’entend) une créature participer de
genre de considérations, ce sont les mélancoliques,
l’amour divin ; qui est donc pour Saint Thomas,
mais je n’insisterai pas ici sur les raisons qui doivent
réciproque. Certes les sentiments le sont toujours,
pousser à distinguer, si ce n’est à détacher, le groupe
mais l’amour, et si l’on prend le risque de le
de la mélancolie des autres psychoses.
qualifier de divin, n’est-il pas aussi bien plus qu’un
On ne peut en tout cas être d’accord avec un
sentiment, une force naturelle ?
François PERRIER qui dans son article sur
Enfin, je ne puis me défendre de l’impression que le l’érotomanie, paru dans "Le désir et la perversion",
Dieu de l’aquinote ressemble fâcheusement au Père va jusqu’à postuler de l’examen de cette affection la
Noël. Ceci se traduirait sur le graphe, toujours en solution du logogriphe amoureux, et du côté féminin
pointillé : encore bien.
Sans vouloir prétendre éclaircir les mystères de
l’érotomanie, dont le moment déclenchant reste
parfaitement obscur, je voudrais indiquer en quoi
elle présente une illustration saisissanté de ce que
Lacan avance de l’amour dans la psychose. Pour ce
faire il nous faudra corriger quelque peu FREUD ;
(On trouvera des l’hypothèse qu’il émet du rejet d’un choix d’objet
extraits de textes sur l’amour dans le petit livre du homosexuel à la base de toute psychose est
père CHENU sur Thomas d’Aquin, aux éditions du particulièrement mal venue en ce qui concerne
Seuil). l’érotomanie, où un tel choix peut du reste être
Bien sûr les choses ne sont pas aussi simples partout. patent, comme c’est le cas d’Aimée. Du reste
Ainsi Dante nous décrit-il un amour indéniablement l’amour n’a pas de sexe. La question que pose
l’érotomane n’est pas tant de savoir si son amour est
extatique, mais adressé d’abord à une créature qui,
platonique ou non, comme s’y est un peu aveuglé
de signifiant en signifiant finit par se hisser à l’ordre
DE paranoïa, qui reste malgré tout un de ceux qui a
du divin, sans se confondre évidemment avec Dieu
apporté les observations les plus décisives de cette
lui-même. Les mystiques musulmans, eux, utilisent
psychose dite passionnelle, mais bien celle de
volontiers comme tremplin un amour terrestre qu’ils
l’étrange objet à quoi il s’adresse ; et encore ne
transposent eux aussi au ciel, mais avec cette
devrions-nous les dire "objet", puisqu’il n’est que
différence que l’objet s’y évanouit d’ordinaire.
trop clair que l’objet est du côté du malade, mais
Laissons là ces subtilités, et venons-en à nos
plutôt "autre", un autre, nous indique Lacan, toujours
psychotiques. Contrairement à ce qu’affirment
dans son séminaire (p. 53), "tellement neutralisé
beaucoup du haut de leur cuistrerie, Lacan, dont tout
qu’il est grandi aux dimensions mêmes du monde" ;
l’œuvre démontre qu’il savait ce que veut dire aimer,
cas particulier, on le voit, du télescopage du
reconnaît bien que le psychotique est capable
prochain dans un Autre absolu caractéristique de
d’amour, voire d’un amour suprême, mais bien
toute psycho Je proposerai de traduire ceci par la
singulier dans son adresse : c’est qu’il ne vise pas un
formule : "ce n’est pas lui que j’aime, c’est Lui qui
être mais un pur signifiant qui, de surcroît, effet de
m’aime". Que ce Lui puisse être chef de bureau ou
la forclusion, se dérobe. Cet amour mort avant
roi d’Angleterre (s’il m’aime c’est qu’il n’est pas un
d’avoir vécu rejoint, ainsi qu’il indique, dans son
con) est secondaire, et l’important n’est pas que sa
pathétique comme dans son abjection, la folie de
position élevée flatte la mégalomanie du sujet, mais
l’amour même, telle qu’elle se connote des déchets

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que, du moment que l’autre n’est plus qu’une ombre,


la recherche désespérée d’un qui incarnerait le
signifiant suprême, et qui s’évanouit dans les arrière-
mondes, ne puisse s’arrêter qu’à un personnage jugé
de tous éminent, et encore peut-elle culminer jusqu’à
se fixer à Dieu lui-même. Nous avons ainsi rattrapé
nos mystiques de tout à l’heure. Le psychotique a
une relation amoureuse à l’Autre qui est de nature
indéniablement extatique, mais, contrairement à
Richard de Saint Victor il affirme que Dieu peut
aimer la créature : et qu’avais-je besoin d’aller
chercher Lydwine de Schiedam alors qu’un nommé
Schreber (Lacan a caractérisé tout un pan de son
délire d’érotomanie divine) nous démontre à
longueur de pages quel genre d’abomination cela
peut être.
Ceci nous fera peut-être comprendre l’intrigante
inversion de l’aimant (car tout le monde sait bien
que c’est le sujet érotomane qui aime, sauf lui) en
aimé comme un cas particulier de l’effet de pousse-
à-la-femme dans la psychose, puisque c’est
généralement, à tort ou à raison, à la femme qu’on
attribue la position d’aimée. Y a-t-il d’ailleurs rien
de plus surprenant, quand l’érotomanie se déclare
chez l’homme, que le caractère de timidité virginale
de cet amour, qui peut fort bien se manifester chez
des sujets qui sont par ailleurs de vieux saligauds ?
Une dernière remarque : si l’on veut vérifier le bien-
fondé de ce que j’avance, il convient de ne pas
confondre l’érotomanie vraie, psychotique, de
pseudo-érotomanie de transfert, soit la conviction
bien arrêtée que l’analyste est amoureux de
l’analysant, qui peut surgir de maniements
maladroits de l’objet, particulièrement chez les
hystériques.
Pour terminer, j’indiquerai, référence à reprendre
plus tard, qu’un écrivain a saisi mieux que d’autres
ce que peut être l’amour du psychosé, et jusqu’au
rôle que l’énamoration peut jouer dans l’éclosion du
délire : Balzac dans son "Louis Lambert", dont on
peut s’étonner qu’il n’ait pas plus titillé les
analystes.

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Objet perdu et "épreuve" de la réalité


Alfredo Zénoni
Lors du dernier exposé, j’avais essayé de vous comme une dimension intégrante, pas seulement
montrer le passage de la conception aristotélicienne, d’une certaine classe d’énoncés, mais de tout
classique, de la vérité – comme correspondance énoncé, quel qu’il soit. On ne peut décider de la
entre le jugement et la réalité (entre les "parties" du valeur de vérité d’un énoncé qu’en prenant en
jugement et les "parties" de la réalité) – à une compte, outre son "contenu propositionnel", ce qu’il
conception de la vérité comme impliquant le est comme acte de discours, sous quel mode, avec
discours. Il nous était apparu ce statut paradoxal de quelle "force illocutionnaire", à partir de quels
la vérité comme fonction qui relève de l’énonciation présupposés il est énoncé. "Palerme n’est pas la
d’un énoncé c’est-à-dire qui ne tient pas sa garantie capitale de la Sicile" est un énoncé dont la valeur de
de la réalité, d’une correspondance avec une réalité vérité change suivant qu’il est dit dans un cours de
présupposée, mais de la parole elle-même. géographie ou dans un discours dénonçant le
Comme le souligne Lacan par le repérage de l’Autre pouvoir international de la mafia. Outre ce qu’il dit :
comme lieu de la parole, le passage du signe – tel le référent ou l’état de choses qu’il décrit, un énoncé
qu’il peut aussi fonctionner dans le monde animal – montre en même temps ce qu’il est, il revient sur lui-
au signifiant est précisément ce qui introduit la même, il se réfléchit. Cette inclusion par l’énoncé du
dimension de la vérité 1 . Un indice, une trace, un fait de son énonciation, qu’on pourrait représenter
signe cessent d’être tels pour fonctionner comme par une boucle qui s’ajoute à la relation de l’énoncé
signifiants dès le moment où ils peuvent tromper, (x) à l’état de choses (y) qu’il décrit : s>x y, viendrait
pas seulement être feints, mais se faire prendre pour donc compléter ce que l’énoncé dit par un sens qu’il
feints alors qu’ils sont "vrais". Seulement avec cette ne dit pas – qui est impliqué, sous-entendu 3 .
possibilité de feindre de feindre peut s’ouvrir la Seulement, ce que cette analyse du discours me
question quant à la vérité d’un signe ou d’un énoncé. paraît méconnaître, c’est que non seulement
La simple "correspondance" ou pas avec une l’énonciation ne constitue pas un deuxième énoncé
signification ou une donnée de la réalité ne garantit ou un deuxième acte de communication, mais
pas, ne dit pas, comme telle, dans quel sens cette qu’elle se sous-entend précisément de ne pas
correspondance doit être entendue. "Tu dis que tu pouvoir être prononcée ou entendue. C’est
vas à Cracovie pour que je croie que tu vas à précisément parce que l’énoncé ne peut dire sa
Lemberg. Mais je sais bien que tu vas vraiment à vérité, son acte énonciation, qu’il se situe dans la
Cracovie, pourquoi alors mentir ?" dimension de la vérité – et non pas dans celle du
Le jugement de vérité (dire qu’un énoncé ou un récit signe naturel. Toute transformation du sous-entendu
sont vrais) ne porte pas sur la correspondance en entendu ne fait que creuser un sous-entendu
comme telle avec la réalité, mais sur le rapport nouveau au cœur de l’entendu. La boucle par quoi
qu’entretient avec cette correspondance le sujet qui un énoncé revient sur lui-même ne fait que dessiner
la dit. Comme l’écrit SAFOUAN dans un une nouvelle boucle qui lui est extérieure.
commentaire de BRENTANO, "le jugement de L’énonciation traduite en énoncé relance la question
vérité est un témoignage qui dit que le sujet dit de l’énonciation de celui-ci, manifestant ainsi
vrai" 2 , il porte sur l’énonciation de l’énoncé. l’irréductible altérité de la dimension de la vérité. La
Faisant suite à l’exposé publié dans Quarto 6, ce vérité s’ouvre comme dimension du discours à
texte a été écrit dans le cadre du séminaire sur la l’instant même où elle manque de manifestation.
Verneinung. A nous en tenir à ce rapport d’exclusion interne de
Je vous ai rappelé comment cette fonction de l’énonciation à l’énoncé, le sens apparaît se déplacer
l’énonciation a été progressivement isolée et indéfiniment vers un point inaccessible toujours en
valorisée dans les analyses des philosophes du excès par rapport à l’énoncé, et toujours manqué. Le
langage et dans la linguistique, jusqu’à apparaître déchiffrement d’un énoncé ou d’un texte étant lui-
même fait du chiffrage d’un autre énoncé ou d’un
1 autre texte, il se produit dans un mouvement réflexif
J. Lacan, Écrits, p. 807.
2
Le style de l’enseignement et le sens de sa vérité. Lettres de l’École
3
freudienne, 25 (II). Une reconnaissance plus explicite que dans Brentano Je suis ici l’exposé qu’en donne F. RECANATI dans La transparence et
de cette "non-identité de l’être d’une pensée avec son être vrai" se trouve l’énonciation. Paris, Seuil. Ce point est amplement développé dans l’article
formulée également dans un texte de FREGE sur la négation (Écrits de Scilicet, cité plus haut.
logiques et philosophiques, Paris, Seuil).

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ou "méta-langagier" qui reste inéluctablement est du côté des illusions – soit qu’il déforme
intérieur au langage. Ça ouvre à la dérive indéfinie l’objectif, soit qu’il le contienne. La dimension
du sens, – à une autolecture disséminée, inachevée jusqu’à présent élidée dans la compréhension du
du langage et de l’écriture – ou à l’acceptation de la freudisme, c’est que le subjectif n’est pas du côté de
finitude de l’interprétation et de sa détermination celui qui parle. C’est quelque chose que nous
indéfiniment recommencée 4 . rencontrons dans le réel" 5 .
L’Autre du discours analytique, l’Autre qu’introduit Aussi, captivés par ce même mirage, on a pu
Lacan opère une transformation de cette valorisation considérer que l’accent mis par Lacan sur la parole
du sens comme horizon toujours reculé, ou comme (par contraste avec l’objectivation du discours
horizon préalable de compréhension, qu’il soit médical/psychologique) privilégiait la dimension
historique ou transcendantal. Bien qu’il ne soit pas "performative" du langage par opposition à la
sans rapport avec cette figure imaginaire – au niveau dimension "constative", entendue comme rapport à
de ce que FREUD appelle la pensée pré-consciente, la réalité, aux "états de choses", aux objets. La
soit le langage qui se balade "au dehors", en tant torsion que le discours lacanien fait subir à cette
qu’il fait la trame du monde des choses et la configuration mentale du discours s’appuie sur la
doublure discursive de l’expérience – l’Autre que découverte freudienne d’un autre statut de l’objet.
Lacan écrit dans son enseignement est d’abord Un objet qui est cerné par le langage, non pas
l’Autre du signifiant. Et en tant que cet Autre, il se comme le correspondant extérieur de la
démontre traversé par une limite, qui n’est pas la représentation (éventuellement insaisissable,
limite du déchiffrement mais, comme Lacan le dit "nouménal", mais dans le rapport de la
dans le séminaire Les non dupes errent, une limite représentation à elle-même, dans le rapport de la
interne au chiffrage lui-même. représentation à son origine, ou, en d’autres termes,
L’articulation signifiante opère dans le discours dans le rapport de l’énoncé à lui-même, au lieu de
analytique en tant que, au travers des effets de sens l’énonciation – que le petit schéma de RECANATI
produits par la discordance entre signifiant et désigne par la boucle "réflexive" de l’énoncé sur lui-
signifié, elle met en acte le tour d’un incontournable même : x_y
qui l’enchaîne. Toute une dimension de D’une façon moins pathétique que dans l’écriture de
l’enseignement de Lacan opère ici une l’écriture disséminée, la discordance du signifiant et
transformation des frontières imaginaires de la du signifié, le surplus ou le "surmoins" du signifiant
pensée – dans le fil même de ce qui est le dispositif sur le signifié, se trouvent écrits dans le graphe de
freudien de la cure : la mise en place d’une Lacan comme le double croisement de deux vecteurs
énonciation "indifférente" à ces frontières. à tout instant de la chaîne, en deux points, "l’un,
L’incidence de l’énonciation et le "surplus" qu’elle connoté A, est le lieu du trésor du signifiant, ce qui
implique dans la signification d’un énoncé ne se ne veut pas dire du code, car ce n’est pas que s’y
produisent pas dans le champ de la connaissance, conserve la correspondance univoque d’un signe à
mais dans le champ même du discours. De là on a pu quelque chose, mais que le signifiant ne se constitue
conclure que le propre du discours analytique serait que d’un rassemblement synchronique et
de prendre en compte la dimension de l’expérience dénombrable où aucun ne se soutient que du
que la pratique "cognitive" (ou scientifique) du principe de son opposition à chacun des autres.
langage exclurait, à savoir la dimension "subjective" L’autre, connoté s (A), est ce qu’on peut appeler la
de la vérité (en tant qu’opposée à la dimension ponctuation où la signification se constitue comme
"objective"). Dimension qui est alors conçue dans le produit fini" 6 .
cadre des oppositions qui polarisent le savoir intuitif Cellule minimale de la parole (de ce qui se dit dans
de l’être pensant : intellectuel-affectif, cognitif- ce qui s’entend) où viennent se croiser la diachronie
émotif, logique-poétique, etc… et la synchronie de la chaîne, l’effet de sens qu’elle
Or, dès les premiers temps de son séminaire, Lacan produit – en tant que chaîne signifiante – ne trouve
est là dessus très tranchant. Voici, par exemple, un pas à s’assurer dans une correspondance biunivoque
passage du séminaire sur Les psychoses : "Quand on établie par le code, mais dans un point constamment
parle du subjectif, et même quand ici nous le anticipé dans sa scansion rétroactive (chaque terme
mettons en cause, toujours le mirage reste dans anticipant ceux qui le suivent et recevant son sens
l’esprit que le subjectif s’oppose à l’objectif, qu’il rétroactivement des termes qui l’auront suivi). Et
4 5
Je me suis largement inspiré de l’article de S. ZIZEK, les malentendus du Les Psychoses, p. 210-211.
métonymisme, Ornicar ?, n°24, p. 201-219 6
J. Lacan, Écrits, p. 806.

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c’est pourquoi la chaîne signifiante se module à tout dans une intériorité de plus en plus intérieure, ou qui
moment – moment de futur antérieur – dans un sous- est purement et 'simplement transposé dans le renvoi
entendu anticipatif et rétroactif qui est lié à la nature indéfini des représentations.
du signifiant, à sa structure différentielle. Schéma
Acoustique ou visuelle, la chaîne signifiante se Or, ce renvoi indéfini d’énoncé à énoncé va trouver
produit dans un circuit de bouche à oreille, où le une limite, non pas dans un terme final qui ne peut
sujet se trouve anticiper, aller au devant de ce qui est lui-même qu’être un terme de la chaîne (un
dit ("parler" ce qui se dit) et revenir sur le dit pour signifiant surdéterminé, un énoncé ambigu), mais
l’entendre. précisément dans le mouvement de retour sur lui-
Il se produit là un lien entre l’ouïr et le parler qui même, par quoi un énoncé évoque le fait de son
tient à la nature du signifiant et non pas à la énonciation.
modulation sonore, une voix qui n’est pas auditive Pas moyen de produire un énoncé qui n’inclue dans
de sa nature, mais qui se produit comme 1 "élément" sa signification le sous-entendu de son énonciation,
de la chaîne signifiante, tout en étant distinguée 7 . pas moyen de produire un énoncé qui ne se
La nature du signifiant, la nature de A comme trésor 'réfléchisse "lui-même. Mais à inclure ainsi son
des signifiants, est ce qui fait que la chaîne énonciation dans l’effet de signification qu’il
signifiante se déroule dans cet élément de la voix, produit, un énoncé se boucle sur Un trou dans le
qu’à chaque point de la chaîne la signification se signifiant, sur une exclusion interne à l’Autre qui va
trouve "suggérée", "sous-entendue", "soufflée". faire limite à la succession indéfinie des énoncés.
Mais cette voix manque elle-même de trait sonore, Tout signifiant renvoie à un autre signifiant, ne vaut
elle ne se prononce pas elle-même. Elle creuse la que de son renvoi à un autre. Et c’est pourquoi le
différence du signifiant aux autres, tout en tombant "signifié" d’un signifiant ne peut être qu’un autre
hors du signifiant, hors de la distinction S/s qui se signifiant, l’effet de signification n’étant que le
capitonné dans la phrase. Le paradoxe étant que si la produit rétroactif d’un enchaînement de signifiants.
voix est ce qui supporte le capitonnage de la phrase, Mais vouloir réfléchir sur ce produit pour en donner
elle se situe au-delà de l’Autre, elle en est la "véritable" signification oblige à passer par une
intérieurement extérieure. Effet de la structure de autre chaîne signifiante, produisant elle-même
l’Autre en tant que lieu du signifiant, c’est cette voix rétroactivement un effet de signification. La non
même qui découpe rétroactivement dans l’Autre le codification du signifiant suscite la nécessité de cette
défaut qui le marque. Là où elle vient supporter "réflexion" de l’énoncé sur son énonciation, mais la
l’articulation rétroactive dé la signification, elle possibilité de signifier cette énonciation manque au
vient en même temps se détacher du signifiant et signifiant. En tant qu’il parle, un sujet ne peut faire
incarner l’impossibilité du signifiant à se signifier que de s’avancer toujours plus dans la chaîne des
lui-même. C’est là, en ce point A, où la voix s’exclut énoncés. Mais comme il n’y a pas d’énoncé qui ne
de l’Autre, où l’exclusion interne du signifiant par soit pas sans rapport à son énonciation, on peut dire
rapport à lui-même s’incarne dans une voix, que que tous les signifiants sont représentatifs du sujet
s’enracine pour un sujet parlant la question de au sens où FREUD dit que tous les rêves sont
l’énonciation, ou plutôt qu’il s’enracine comme sujet "égoïstes", en ceci que le rêveur est représenté par
de l’énonciation en tant que question. les différents éléments du rêve. Cependant, il n’y a
Énoncer l’énonciation d’un énoncé (supposons pas dans le signifiant la possibilité de représenter
qu’on l’énonce par un "je dis") pose la nécessité cette "représentation" du sujet, le rapport de l’énoncé
d’un nouvel énoncé qui dirait l’énonciation du "je à son énonciation, si ce n’est par une autre
dis" et ainsi de suite, à l’infini 8 . Dans cette ligne de représentation, par un autre énoncé. D’un côté, tous
fuite se fonde l’imagination d’un sujet qui se retire les signifiants représentent le sujet, d’un autre côté la
représentation de cette "représentation" ne peut se
7
Je ne puis ici que renvoyer aux pages des Écrits (532-533) et du séminaire
produire que dans une indéfinie répétition de ce qui
sur les Psychoses (154-155) pour un développement plus serré. Il a été le représente. En s’avançant dans la parole un sujet
repris récemment par J.-A… MILLER dans son cours à la Section ne peut qu’élider chaque fois ce qu’il ne peut pas
Clinique.
8
L’explication de l’énonciation par un "je dis" sur le plan de l’énoncé laisse
savoir, le nom de ce qu’il est en tant que sujet de
subsister toute entière l’ambiguïté de cet énoncé, le sous-entendu de sa l’énonciation. Si tous les éléments du rêve
production. "Je dis que l’empereur est un âne"(variation de l’exemple représentent le rêveur, de n’être que comme
donné par FREUD dans l’Homme aux rats) peut sous-entendre que je suis
en train de dire cela, niais que je ne l’affirme ou ne le pense pas. Toute représenté par eux, le rêveur n’a comme
position énonciative, à être exprimée par un verbe qui est supposé la représentation "propre" que nulle représentation,
traduire, se trouve irrémédiablement… trahie (manquée par la traduction et
évoquée dans ce manque même). exclu de la chaîne même de ce qui le représente.

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Dire que tous les signifiants sont représentatifs du C’est l’impossibilité pour quelque chose d’être ce
sujet et dire que dans le signifiant, il n’y a pas de quelque chose et de l’inscrire en même temps " 9 qui
signifiant "propre" du sujet, c’est situer deux fait que l’inscription de cette impossibilité est déjà
conséquences de la structure du signifiant dont autre chose que l’impossibilité initiale. Et l’"
l’équivalence ne va pas sans produire un écart, un impossibilité initiale cesse d’exister comme telle, à
résidu. "Pas d’énoncé sans énonciation" et "pas être inscrite, mais elle n’est pas signifiée : elle se
d’énoncé de l’énonciation" peuvent certes conduire à répète. Une chose n’est égale à elle-même qu’en
une dérive indéfinie des énoncés et susciter l’image différant déjà d’elle-même, par la vertu d’une
d’une frontière infranchissable (qui suppose répétition qui inscrit la même chose en la ratant
immédiatement un au-delà), d’une aliénation comme telle. Écrire que a = a, c’est écrire une chose
indépassable (qui suppose immédiatement un état de qui n’est égale à elle-même qu’après coup, et qui, au
"libération" jamais atteint). Mais ce qui vient faire départ, n’est déjà pas "la même" 10 . Dans le
limite à cette dérive du langage n’est pas l’au-delà signifiant quelque chose ne peut être identifié que
du langage (que seraient la vie, la réalité, le corps, la par autre chose, un nom ne peut nommer qu’un nom
sensation, ou, dans les sciences, le fait observable) qui le précède, si bien que la nomination est comme
mais un en deçà dans le langage, lorsque le langage telle la répétition de l’impossibilité de partir d’un
se ferme à lui-même. Non pas un obstacle à sortir du "pas de nom" qui diffère déjà du pas de nom qu’il
langage, mais une limite à la possibilité même du nomme. Toute nomination se reporte d’un nom,
langage de tout saisir en se saisissant lui-même. celui qui la nomme sans pouvoir se nommer lui-
Limite du réel dans le symbolique qui se démontre même.
précisément là où la fonction de vérité ne s’assure A être identifié dans le signifiant – dans le signifiant
pas d’une "sortie" du langage, vers l’expérience ou comme différence absolue – le sujet ne peut qu’être
la réalité, mais de l’articulation même du discours exclu de cela même qui l’identifie, caché sous le
ramené à sa combinatoire signifiante la plus signifiant et y émergeant comme disparu. Le trait
élémentaire et la plus serrée. Sans suivre ici les unaire qui l’identifie n’étant que différent de soi,
différents paliers de la "pratique logicienne" où dans ce rapport du signifiant à lui-même, le sujet ne
Lacan repère cette convergence vers un impossible peut être représenté que par une répétition de S1 où
qui se marque dans la mesure même où le langage chaque fois l’autre signifiant, celui qui est à la fois
veut être articulé comme un champ consistant, terme de la relation (S1 →S2) et signifiant de cette
rappelons seulement quelques moments de ce relation même (S2 =S1 → S2) s’exclut du champ 11 .
parcours. Or, si le sujet ne se trouve apparaître que dans cette
Le passage du signe au signifiant instaure la vérité "aliénation" sans jamais pouvoir rencontrer un
dans un lieu Autre, Autre aussi par rapport à la signifiant "propre", il rencontre à l’endroit de son
connaissance. Dès qu’il s’agit de vérité, le discours identification dans l’Autre une perte qui se démontre
est impliqué – et, comme nous l’avons dit, cette intérieure à la "perfection" même de l’Autre. Son
vérité ne peut être ramenée à ce qu’on imaginerait être perdu de par son aliénation ne passe pas tout
être une correspondance entre la pensée (énoncée) et entier dans le champ de l’Autre, car dans sa
la chose, mais est dimension de l’énoncé en tant complétude même l’Autre est troué d’un impossible
qu’il implique une énonciation. Dès qu’une chose qui limite l’aliénation.
est posée comme telle, dès qu’elle est ce qu’elle est, L’articulation signifiante portée à son maximum de
identifiée, elle est déjà dans la répétition du consistance, en tant qu’elle pourrait se construire
signifiant. Son inscription, la pose déjà comme comme un champ complété du signifiant qui pourrait
différente d’elle-même, "altérée" par la marque qui rendre compte du fonctionnement du signifiant lui-
l’identifie. Saisie "avant" cette détermination elle est même, bute sur un impossible. Revenir sur lui-même
inscrite comme indéterminée, déterminée comme le signifiant ne peut le faire qu’en incluant une perte
non inscrite, ce qui fait que son indétermination qui le décale de lui-même. Là où il se signifie lui-
initiale cesse d’être à s’inscrire comme telle. Entre le même, le signifiant diffère de lui-même de toute
rien de l’∅et son inscription dans l’{∅}, il y a un l’identité qui s’y soustrait et qui est faite d’aucune
intervalle d’impossibilité. ∅"identifié" diffère déjà différence qualitative. Cette identité vidée de toute
de lui-même et ce décalage initial est compté à son substance et qui manque au signifiant qui se signifie
tour comme {∅, {∅}}, ce dernier s’inscrivant dès
9
lors comme une troisième marque. Ce qui donne Prédication et ordination, in Scilicet 5, P. 64.
10
[{∅, {∅}}, {∅, {∅}}], comme quatrième marque. Ce point est amplement développé dans l’article de Scilicet, cité plus haut.
11
Voir l’exposé précédent, dans Quarto n°6.

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lui-même est la perte interne au lieu du signifiant. le commencément, un "retrouver"(wiederfinden)


De l’impossibilité qui limite l’ordre signifiant, non l’objet dont la perte est ce qui institue le trouver
en tant que soumis aux aléas de la "vérification", dans l’épreuve de réalité 12 . Car c’est cette perte
mais en tant que la vérité pourrait y être assurée de d’un "éprouvé" originaire, d’une correspondance
son articulation même, se produit une perte qu’on non répétitive, qui institue l’ordre signifiant comme
pourrait appeler la chose du signifiant. Perte qui se distinct de la jouissance 13 . Et c’est dans cette perte
répercute partout où l’ordre signifiant s’incorpore, à qui se répercute dans les divers registres du
chaque endroit où la boucle du signifiant se referme "sensorium", que l’énonciation consiste, reste oublié
pour en répéter l’impossible identité. du signifiant, hors-signifiant. Voix, par exemple,
Alors, si un énoncé ne saurait avoir comme lieu de vidée de toute substance esthétique, qui choit du
vérité que le lieu où se produit la parole (lieu autre corpus signifiant, de la corporéité phonique ou
que la connaissance), la topologie de ce lieu est telle auditive de ce qui se dit, et se découpe dans l’Autre
que la vérité et le savoir (S2) s’y disjoignent comme ce qui lui ek-siste. Sans la perte de cet objet
radicalement (et leur conjonction se retranche de au lieu de l’Autre, rien ne ferait arrêt à l’aliénation
l’Autre, dans le réel). C’est en tant que l’énoncé ne du sujet, la vérité et le savoir coïncideraient : l’ordre
peut trouver dans l’Autre la marque de la vérité, signifiant serait le lieu d’un savoir absolu, sans
qu’il inclut son énonciation comme point qui fausseté et sans fiction possibles.
s’exclut de l’Autre. Comme nom de l’énoncé, point L A PHYSIQUE DU DISCOURS
d’où il est dit, savoir de sa vérité, l’énonciation est Jean-David Nasio
leur défaut dans l’Autre, ce qui troue l’Autre. Aussi,
Ce texte – produit à l’étranger en août dernier –
le sujet du signifiant, supposé par le signifiant, s’il
correspond bien à ce que j’entends dire aujourd'hui
n’advient que dans l’Autre, il rencontre dans l’Autre
à propos de la dissolution. Ce dernier mot n’y est
l’impossibilité à s’y aliéner totalement, se réalisant
pas une seule fois mentionné. Étant de la partie, je
comme la chose qui s’éjecte de l’Autre. Le signifiant
crois avoir assez dit sur la crise dans notre milieu.
qui le représente ne peut se savoir qu’à se boucler
Actuellement, la même raison qui me détermine à
sur une perte interne, sur un intervalle que rien ne
n’être inscrit – pour l’instant – dans aucune des
saurait remplir dans le signifiant. A ce rien du
institutions récemment créées, justifie aussi cette
signifiant hors signifiant, qui décomplète l’Autre, se
façon d’aborder le problème de la dissolution sans
réduit la garantie de la vérité quand l’Autre se ferme
en parler directement. Si un enseignement doit être
sur lui-même, sur un savoir qui se sait.
tiré de la dissolution, il concerne essentiellement le
L’énonciation, qui est pourtant ce sans quoi l’énoncé
rapport du psychanalyste à la masse et au pouvoir.
ne saurait se situer dans la dimension de la vérité,
La question que la dissolution pose et qui –
reste exclue de l’Autre, elle choit de tout signifiant
insistante – a traversé toutes nos crises, est : en quoi
comme sa chose perdue. Séparé de l’Autre, le sujet
la fonction analytique rend-elle nécessaire et en
de l’énonciation a lieu hors de lui-même, hors du
même temps impossible, que les analystes
corps symbolique, il est cette chose exclue de
constituent un groupe ? Et, à l’inverse : en quoi le
l’Autre où le signifiant l’identifie. Comme je de
groupe et ses avatars interpelle-t-il le travail de
l’énonciation, il est exclu qu’il s’inscrive dans
l’analyste ? C’est de ces questions dont traite ce
l’Autre, il est la chose exclue du signifiant à chacune
texte.
de ses occurrences, de ses tentatives pour retrouver,
en la ratant, cette chose qu’il exclut du fait même de A.P. Nous aimerions vous poser le problème de la
son inscription. formation analytique, et des fonctions de
Au bout de la chaîne, là où la représentation l’institution, le pourquoi du besoin de créer une
trouverait la satisfaction de sa fonction, quelque institution psychanalytique, et son lien à ce qui se
chose qui lui "correspondrait", quelque chose qui passe en France actuellement.
serait en même temps sa propre inscription, une
12
perte de structure se produit : la chose étant tout ce à S. FREUD, Die Verneinung, texte et traduction dans Quarto, n°6, p. 28.
13
quoi se réduit la consistance du signifiant, la marque "De même qu’on sait que la connaissance a erré en physique, tant qu’elle a
voulu s’insérer de quelque départ esthésique, – qu’est restée nouée la
de la vérité. Cette chose perdue, cette perte de théorie du mouvement, tant qu’elle ne s’est pas dépêtrée du sentiment de
"contact" avec la chose identique à son inscription, l’impulsion, – que c’est seulement au retour du refoulé des signifiants,
qu’est dû qu’enfin se livre l’équivalence du repos au mouvement
préfixe l’enchaînement des représentations d’un uniforme, de même le discours de l’hystérique démontre qu’il n’y a aucune
wieder répétitif. LI"épreuve de réalité" n’aura jamais esthésie du sexe opposé (nulle connaissance au sens biblique) à rendre
compte du prétendu rapport sexuel"(Lacan, Radiophonie, Scilicet 2/3, p.
été un "trouver dans la perception réelle un objet 90).
correspondant à ce qui est représenté", mais depuis

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J.D.N. Avant de s’interroger sur les fonctions de régler notre expérience. Pour interroger le réel de
l’institution, je voudrais situer le rapport entre l’expérience – cette part voilée dont nous parlions –,
l’analyste dans l’expérience et l’analyste dans la pour se permettre de croire et de douter de l’analyse,
communauté analytique. Pourquoi les bref pour tolérer le poids d’une vérité qui nous
psychanalystes ont-ils ce besoin d’être ensemble, de affecte ou d’un acte qui nous sidère, il faut le
se réunir sous l’emprise d’une sorte de fureur référent stable de ce que nous nommons en théorie,
grégaire ? Ce n’est pas le caractère solitaire de son l’idéal du moi. La question "comment opère la
travail qui pousse l’analyste au groupe mais je crois psychanalyse ?" ou ce qui revient au même, le Sujet
plutôt deux faits, deux raisons inhérentes à la nature – supposé – Savoir des analystes, ne se soutient, ne
même de son expérience, l’une liée à l’acte, l’autre se pose qu’à la condition d’un idéal qui permette de
au savoir. la poser. Or, cette référence idéale 3 ne s’inscrit que
D’une part, l’analyste découvre avec horreur 1 que dans la mesure d’une communauté précise, je veux
ce qu’il fait peut avoir un effet, c’est-à-dire que la dire nommée (et avec histoire) des psychanalystes.
psychanalyse opère. Même si dans une analyse les Le problème aujourd’hui, en France et ici même, ce
actes et leurs effets sont chose rare, il suffit qu’il en n’est pas tant un problème d’organisation, que le
ait un pour que l’analyste s’arrête et recule avec une problème d’un idéal analytique qui n’est plus en
horreur motivée devant ceci concernant l’acte place. Tant qu’elles ne retrouveront pas une certaine
analytique : non seulement qu’il est allé trop loin, stabilité, nos interrogations non seulement cesseront
qu’une limite a été déplacée rendant la relation avec d’être partagées avec d’autres, mais surtout elles
son analysant désormais différente, mais que ce saut, deviendront de plus en plus marginales par rapport
ce faire devenu acte, il l’a accompli sans le savoir. au contexte social.
Sans savoir que c’était un risque, c’est-à-dire sans A.P. Pourriez-vous développer plus le problème de
savoir que son intervention pouvait produire des l’escroquerie ?
effets imprévisibles dans le réel d’une vie, et sans J.D.N. Quand, en 1977, Lacan a lancé sa formule à
savoir non plus – tout au moins dans le moment Bruxelles "Notre pratique est une escroquerie", il a
même de poser l’acte – qu’une telle intervention ne surpris mais aussi soulagé beaucoup de gens. Il
vient pas de lui, n’est pas son acte à lui, mais acte s’agit de situer cette phrase dans son contexte : la
analytique. Il est difficile de se faire à cette idée que psychanalyse est une escroquerie, du moins
l’interprétation que nous prononçons n’est pas à considérée à partir de la confrontation de l’analyste
nous mais le retour en nous, dans une vérité, du avec le réel de son expérience. Ce réel fuit, et même
savoir refoulé chez l’analysant 2 . si c’est à partir de cette fuite que notre pratique se
Voilà ce que le psychanalyste ne sait pas et soutient, l’analyste ne pourra jamais de ce fait
n’apprendra qu’après-coup et avec horreur ; occuper la place qui lui revient dans une analyse. La
l’horreur de reconnaître que son action comporte psychanalyse et une escroquerie dans la mesure où,
toujours une part qui lui reste à lui-même voilée. Il quel que soit le psychanalyste, il ne sera jamais à la
est saisi alors par le doute, la suspicion, par la hauteur de sa tâche. L’analyste est toujours quelque
question de savoir si ce qu’il fait n’est pas une chose d’autre que la place de l’analyste, il y a
gigantesque escroquerie, et par le sentiment que les comme une discordance foncière entre analyste et
jugements qu’il porte sur son action ne sont en place d’analyste. Pourquoi ? Parce que la place de
définitive que le prix qu’on paie pour tenir sa l’analyste dans une analyse est celle de la cause, du
fonction. moteur de la cure. Ce qui veut dire que la place de
Vous voyez l’acte suscite l’horreur et l’horreur l’analyste dans une analyse est le lieu de l’objet
appelle au savoir, à vouloir savoir. Vouloir savoir comme chose inerte, comme chose perdue. Or,
quoi ? Savoir comment opère la psychanalyse. Or, occuper cette place de l’objet est impossible pour la
pour savoir il faut les autres, les semblables. raison que le psychanalyste, lui, est un être parlant.
Tant qu’il parlera il ne pourra pas occuper la place
Comment opère la psychanalyse ? Ce n’est pas une
de l’objet. Pour y remédier il n’y a que le silence,
question qu’on peut soutenir tout seul, il faut les
autres et plus que les autres, des idéaux sur lesquels 3
Référence idéale qui n’est pas à confondre avec l’analyste idéal. Autant les
idéaux éthiques sont nécessaires au travail analytique, autant l’image de
1 l’Analyste Idéal est pernicieuse. De la même manière que La femme
Il y a un texte important "Discours à l’E.F. P", dans lequel Lacan fait
mention de l’horreur de l’acte Scilicet n°2/3, pp. 18 et 29. Cf, aussi le n’existe pas, il n’y a pas d’analyste universel, il n’y a que des analystes.
séminaire de "L’acte psychanalytique", leçon du 24 janvier 1968.
2
L’acte analytique n’est pas à nous certes, mais il suffit qu’il soit posé pour
qu’il y ait un psychanalyste.

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semblant majeur de l’objet a 4 . Le sentiment terme de "formation" jusqu’à affirmer qu’il ne


d’imposture découle donc de la reconnaissance qu’il l’avait jamais écrit.
n’est pas à la place que les signifiants lui assignent. A.P. Pourquoi refuser le terme de formation ?
Mais il y a une autre raison encore qui peut J.D.N. Parce qu’il implique toute une conception de
provoquer la suspicion d’escroquerie. C’est ce que la transmission de la psychanalyse qui suggère que
l’on pourrait appeler le paradoxe de l’acte analytique la psychanalyse s’apprend et que le savoir est
qui consiste en ceci : avec la règle fondamentale et transmissible. Je ne suis pas si sûr que
en instaurant les conditions propres à l’expérience l’enseignement transmette un savoir, l’enseignement
d’analyse, divan, fauteuil, rites, etc, l’analyste incite n’est pas la transmission d’un savoir. Quand il y a
l’analysant à une seule chose : parler. Or il suffit que effectivement transmission on devrait parler alors de
l’analysant dise le premier mot pour qu’il commence production d’un savoir, c’est-à-dire, non pas
à trouver une raison suffisante à ce qu’il dit ; ou, en transmission d’un savoir textuel, référentiel, de
d’autres termes, pour qu’il instaure – à son insu – théorie, mais production d’un savoir inconscient. Je
l’Autre comme quelqu’un qui sait. Je dis et si je ne m’explique : quand je dis production d’un savoir, je
sais pas ce que je dis, peu importe, quelqu’un sait. pense au fait que la transmission de l’analyse se fait
Le paradoxe est celui-ci : le dispositif analytique dans l’expérience, c’est-à-dire dans l’expérience
"incite" l’analysant à accorder foi à l’Autre du d’être affecté par la vérité du patient, l’oublier et la
savoir, mais le psychanalyste lui sait que, de toutes laisser revenir en tant qu’autre vérité sous la forme
manières, à la fin, cet Autre du savoir n’est qu’une d’une interprétation, par exemple. Que la vérité du
fiction à destituer et que lui-même ne deviendra que patient revienne dans une autre vérité chez l’analyste
les débris de cette statue du savoir. C’est ainsi implique la production d’un savoir.
qu’apparaît le soupçon d’imposture, "j’ai trompé en
A.P. Ceci dit, restera à éclaircir un point : et ceux
incitant le patient à instituer l’Autre pour ensuite lui
qui veulent transmettre ou enseigner la
démontrer que ce à quoi" je "l’ai poussé est
psychanalyse sans en avoir l’expérience ?
premièrement inexistant, fictif, et deuxièmement
aboutit à la destitution de l’Autre du savoir, J.D.N. Il s’agit de deux points différents. Une chose
opération dont je deviens le déchet". est d’enseigner la psychanalyse, une autre de croire
que l’enseignement forme le psychanalyste. Que
A.P. Comment liez-vous cela à la nécessité d’une
l’enseignement soit une condition de la transmission
institution ?
de l’analyse ne signifie pas que l’enseignement soit
J.D.N. A quoi sert une institution ? Quelles sont ses ce qui fait qu’il y ait du psychanalyste. Pour qu’il y
fonctions ? C’est vrai que l’idée classique, ait du psychanalyste, il faut l’analysant, mais pas
traditionnelle, est qu’une institution psychanalytique seulement celui que nous écoutons, mais celui que
a pour fonction la formation. Certes. Les institutions nous avons été. Quand je disais que la transmission
accomplissent cette fonction comme elles le s’accomplit dans l’expérience d’être affecté par la
peuvent ; surtout avec beaucoup de ruptures. En vérité de l’analysant, on peut aussi concevoir cette
France particulièrement, ces ruptures se sont vérité comme ayant été dite (mi-dite) lors de
produites justement en raison de critères de l’analyse du propre analyste. Être affecté par la
formation à adopter : la formation est toujours le vérité signifie que plus tard et dans un autre lieu, la
prétexte, authentique ou non, qui motive la crise. même vérité sera dite. Si vous m’avez suivi, on peut
Or je ne crois pas que la formation soit la fonction comprendre qu’une interprétation par exemple
principale d’une institution ni que la formation se renferme aussi bien le dire refoulé de l’analysant à
réalise dans une institution. J’espère vous l’avoir fait qui l’interprétation s’adresse, que le dire refoulé de
sentir tout à l’heure : l’institution n’est pas à penser l’analyste quand il était analysant lui-même. J’utilise
comme servant à ceci ou à cela, elle est un effet, un l’expression "dire refoulé", je devrais employer le
effet à l’horizon – Lacan aurait dit psychanalyse en terme savoir, savoir refoulé ou savoir inconscient
extension –, d’une conjoncture interne au discours entendu comme la chaîne de dires refoulés, de
analytique entre l’acte et le savoir. Je pense, comme signifiants si vous voulez. En disant "savoir" j’évite
d’autres, que la formation ne se fait que dans du même coup une autre erreur, celle d’assigner une
l’expérience de l’analyse. C’est pour cette raison, je appartenance au "dire refoulé" ; avancer par exemple
crois, que Lacan s’est toujours opposé à utiliser le comme je viens de le faire : "dire refoulé de
l’analysant". S’il s’agit du dire refoulé, il ne peut
4
Ajoutons : qu’il fasse silence, qu’il sache juger sur son action ou qu’il appartenir à personne et n’a d’autre statut que
rencontre ses semblables dans une organisation, tout ceci ne suffit pas pour
tenir adéquatement sa fonction de psychanalyste.

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comme maillon de la chaîne signifiante appelée le mot dit survient si à propos et si opportunément
savoir. que ce mot paraît savoir le temps et la place
Alors quand nous disions que la transmission de la auxquels il devait être énoncé et produire un ratage.
psychanalyse correspond à la production d’un On reconnaît ceci facilement dans le mot d’esprit où
savoir, je l’entends comme le savoir qui vient quand l’on dit – intempestivement, sans savoir – le mot
une vérité est dite (mi-dite). juste au moment juste pour que tous rient et soient
surpris, y compris celui qui le dit. La question vient
A.P. S’agit-il du savoir et de la vérité de l’analyste ?
aussitôt : qui, alors, savait que c’était à ce moment
J.D.N. Enfin j’insiste, c’est une erreur de dire : vérité précis qu’il fallait dire tel mot ? Avec cette question
ou savoir "de l’analyste" ou "de l’analysant". La je passe à la deuxième raison pour appeler
vérité peut être dite par l’un ou par l’autre des l’inconscient un savoir. La relation d’un signifiant :
partenaires, peu importe, la question est que quand le mot d’esprit dans l’occasion – avec les autres
elle est là, le savoir inconscient lui ex-siste. signifiants, est une relation "sage". C’est-à-dire que
Le couple vérité – savoir est une relation de termes la chaîne est articulée de telle manière que, à un
paradoxaux que Lacan reprend à la philosophie certain moment, survienne une vérité. La question
hégélienne en lui donnant un sens absolument fait écho à celle de Newton. Newton se demandait
différent. C’est un rapport paradoxal parce qu’il comment il était possible que, dans le champ
s’agit d’une relation entre la vérité en tant qu’une et gravitationnel, les masses sachent se maintenir à la
le savoir en tant que chaîne ; avec les symboles bonne distance, ni trop loin pour ne pas se séparer
lacaniens on pourrait dans une première définitivement, ni trop près pour ne pas se détruire.
approximation identifier S1 avec la vérité et S2 avec Je crois que la question newtonienne a dû inspirer
le savoir. La vérité est une et le savoir a tous les Lacan pour qualifier l’inconscient de savoir. Les
autres signifiants. Cette relation entre un signifiant et signifiants autres, S2, savent s’enchaîner à la bonne
les autres signifiants et une relation délicate, distance pour ex-sister à l’un d’eux, celui qui va
difficile. Dans la célèbre formule "un signifiant dehors, qui sort comme limite, dans notre exemple le
représente le sujet pour un autre signifiant", le mot dit.
clé et délicat est le "pour", un signifiant "pour". Afin A.P. quand on demandait à Newton comment les
de penser le paradoxe vérité-savoir et rendre compte éléments ont ce savoir de l’attraction et de la
de ce "pour", Lacan propose de recourir à la répulsion, il répondait : "Dieu le sait".
topologie de la bouteille de Klein. Suivant le tracé
J.D.N. "Dieu le sait", c’est aussi la réponse du
de cet objet topologique on rendra compte de ce qui
névrosé face à l’événement au cours de l’analyse. Il
signifie que 52, le savoir, ex-siste à S1, la vérité.
veut savoir quelle est la raison de son symptôme.
A.P. Pourriez-vous mieux dire ? Dans un premier temps la réponse implicite à sa
J.D.N. Je disais que transcrire le couple vérité-savoir question serait : "il doit savoir", l’analyste doit
par S1/S2 c’était une première approximation. En fait savoir. Et puis il y a un autre degré de la
il serait plus juste d’avancer, de penser la vérité supposition : non seulement l’analyste sait mais il
comme un lieu et le savoir comme un lien, comme est la raison même, il est le savoir tout court, en un
une chaîne. Cette différence ainsi conçue dépend mot, il est l’inconscient. Ainsi l’analyste vient à la
d’une autre notion, celle de discours. Je n’irai pas place du Sujet – supposé – Savoir, non seulement
plus loin. Mais de toute manière, quel que soit le dans le sens où le patient suppose que l’Autre sait –
discours, le couple vérité-savoir sera toujours un à mon avis c’est une mauvaise traduction de la
couple paradoxal. formule Sujet-supposé-Savoir –, mais plutôt parce
A.P. Je pensais à deux façons de concevoir le savoir. que le patient met l’analyste à la place du savoir ;
D’un côté le savoir de la théorie dont vous avez plus que de lui attribuer un savoir, il l’identifie au
parlé au début de cet entretien en termes de savoir et, à l’inverse, fait du savoir un sujet. C’est
jugement sur l’action analytique, et d’autre part, le toute la différence entre la supposition du patient et
savoir lié à la vérité. Pourquoi utiliser le même la supposition que fait la théorie analytique. La
mot ? Pourquoi affirmer que le refoulé est un théorie analytique suppose aussi qu’il y a un savoir,
savoir ? mais ce savoir est le lieu de la chaîne de signifiants
refoulés, appelé inconscient. Le patient, au contraire,
J.D.N. C’est Lacan et non pas Freud qui appelle fait de ce lieu un sujet et il le nomme. Bien entendu,
l’inconscient un savoir. Et ceci pour plusieurs cette supposition n’est pas nécessairement pensée ou
raisons. Voici à mon avis les deux principales. imaginée par l’analysant. Et encore, en général, le
D’abord quand le patient dit sans savoir ce qu’il dit, long d’une cure, il arrive même le contraire : le

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patient doute, il doute et se méfie du savoir de son analytique comme une coupure, comme la mise en
analyste. Non, la supposition de l’Autre du savoir, jeu de ces quatre instances que nous convenons pour
du Sujet – supposé – Savoir, est une supposition l’instant d’appeler psychiques, nous retrouvons la
structurale, c’est-à-dire qu’elle est inhérente au fait proposition de Freud écrite peu avant de mourir, de
même de parler. Tant qu’il y aura un dire et une penser l’appareil psychique étendu dans l’espace
écoute, il y aura l’Autre comme raison suffisante. physique. Pendant un temps je comprenais mal le
A.P. ça me fait penser qu’il n’y aurait pas un sens d’une telle thèse. Maintenant je me dis que
analyste qui écoute mais plutôt une écoute penser l’appareil psychique dans l’espace est un
constitutive au dire du patient. mode de penser l’expérience, ou si vous voulez, de
penser le discours. Faire l’expérience d’un dit
J.D.N. Je traduirai votre propos par la question
signifie la création d’un espace psychique à
suivante : Faut-il un analyste pour qu’un tel effet se
extension physique. L’expérience du dit, la mise en
produise ? S’il suffit qu’on dise "je" pour que le
jeu du savoir, la perte de l’objet et l’effet du sujet
principe de Raison suffisante se mette en route
signifient débrider l’appareil psychique de tout
jusqu’à l’aboutissement de l/Autre du savoir, reste à
subjectivisme et l’étendre dans l’espace de l’entre-
se demander si l’écoute est une condition
deux, de l’intervalle entre le sujet et l’Autre. Ceci
indispensable. Reprenons la formule : si l’écoute est
étant dit, s’ouvrent une série de problèmes : que
constitutive au dire du patient, faut-il ou non
faut-il comprendre sous le terme d’"espace" ? Si
quelqu’un qui écoute ? Ou encore, en allant plus
l’appareil psychique s’étend dans l’espace il n’y a
loin, faut-il l’écoute pour qu’il y ait de l’inconscient,
plus aucune distinction entre le dedans et le dehors.
pour que le couple vérité-savoir se noue ? Je crois
De quel espace s’agit-il ? Et comment comprendre le
que oui, l’écoute conditionne l’inconscient au point
concept d’appareil chez Freud à la lumière du
que nous devrions inverser les termes de
concept de discours chez Lacan ? Certes, on pourrait
l’interrogation et poser Y a-t-il de l’inconscient sans
se servir de la topologie et dire que la physique du
écoute ? 6 C’est pour moi une question insistante qui
discours c’est la topologie et même étudier le
ne cesse de se formuler et me renvoyer à d’autres :
rapport dedans/dehors avec le cross-cap, mais le
quelle est la place de l’analyste ? A quoi sert
chantier reste encore très ouvert.
l’analyste ? Ou bien, comme nous le disions au
début, comment la psychanalyse opère-t-elle ? A.P. : Encore un mot sur la transmission :
qu’entendez-vous par mathème ? Et, d’une manière
Nous revenons ainsi au concept de place de
générâle, quel rapport établissez-vous entre l’acte
l’analyste et une foule de questions surgissent : qui
analytique et le mathème ?
est celui qui est derrière nous ? Qu’est-ce que c’est ?
Une image, une voix, un morceau de corps ? Est-il le J.D.N. D’abord, mettons-nous d’accord sur le terme
destinataire de mes demandes, la raison de mes de mathème (HEIDEGGER). Pour Lacan, le
demandes, ou encore, le style de mes demandes ? mathème est un écrit, une composition de symboles
écrits qui se transmet de feuille en feuille, malgré les
L’écoute, c’est toutes ces instances réduites aux
différents sens de sa lecture. Disons-le tout de suite,
termes qui composent la matrice logique de
cette écriture ne véhicule pas un sens, mais relance,
l’expérience, du discours analytique : S1, S2, l’objet
relaye la limite de la théorie eu égard au réel. Quel
a et S. Si l’on appelle le S1 être de vérité, S2, être de
réel ? Le seul réel en jeu dans la psychanalyse ; celui
savoir, le "a", être de jouissance et le S, parlêtre, le relatif au sexe et qui se formule : il n’y a pas de
psychanalyste en position d’écoute occuperait en se rapport sexuel. Précisons déjà qu’il ne suffit pas
déplaçant chacune de ces places, selon qu’il est en d’affirmer : le rapport entre deux signifiants, soi-
silence ou qu’il interprète. Mais ce que je voudrais disant sexuels, est réel parce qu’impossible. La
souligner est ceci : que ces quatre instances psychanalyse a une autre prétention, démontrer, avec
n’appartiennent à aucun des deux partenaires un écrit, que cet impossible est indémontrable. Une
analytiques ; comme si entre le patient et l’analyste chose est d’affirmer que le réel du sexe est
s’installait, au-dessus d’eux, grâce à eux, et à leur impossible à démontrer ; une autre, de démontrer
insu, un énorme appareil psychique – pour employer cette affirmation.
un terme freudien – une gigantesque et monstrueuse
Or, les mathèmes justement cherchent à convertir cet
tête qui les englobe et les exclut. Si nous acceptons
énoncé presque axiomatique – "il n’y a pas de
de concevoir le discours analytique, le lien social
rapport sexuel"-dans une suite d’écrits. C’est
6 pourquoi je crois tout d’abord que le mathème, avant
J.-P. DUPONT détache la même phrase dans son article "Controverse
entre Freud et Jung, A propos de la psychose", Quarto, n°2, Bruxelles, de transmettre un sens ou un concept, est une façon
1981. d’écrire la limite, le bord qui cerne le réel

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psychanalytique, c’est-à-dire le sexe. Je m’explique : l’analyste se disant "à quoi j’ai servi, de quoi j’ai
prenons l’exemple de la formule du fantasme : servi, quelle sorte d’objet j’ai été, et pour quelle
S◊a avec ces trois symboles la psychanalyse dit tout satisfaction ?"
ce qu’elle peut affirmer à propos de l’incidence du A.P. Pour terminer, je voudrais que vous repreniez
sexe dans l’inconscient. Bien entendu, elle le dit en la participation de l’analyste dans la cure, sa
l’écrivant. Or, au-delà de cette limite écrite, au-delà présence si vous voulez.
de ce sigle appelé mathème, il n’y a qu’un J.D.N. C’est vrai que le terme "présence" n’est pas
impossible à dire. Ceci étant, rien n’empêche de bon. Je vous demanderai de le mettre entre
déplacer la limite, je veux dire rien n’empêche de guillemets, ça été un mot très critiqué par Lacan,
modifier ou agrandir la formule. Au contraire c’est même s’il l’utilisait quelquefois. Nous pourrions
le travail qui nous reste à faire. opposer la "présence" de l’analyste à la "présence"
Mais il y a une autre remarque que je voudrais de la vérité dont nous avons parlé. Un type de
préciser, inspirée par un mot de FREUD adressé à "présence" est la présence de l’analyste sur la scène
JUNG en 1911 7 . Il écrivait ceci : "Pouvez-vous du monde, et vous conviendrez que, dernièrement,
faire quelque chose de cette formule : le symbole est elle devienne trop importante. Il y a beaucoup de
le substitut inconscient du concept dans la "présence", beaucoup de livres, beaucoup de
conscience, la formation du symbole, le degré congrès, conférences et voyages. Nous sommes
préliminaire à la formation du concept, de même aujourd’hui devant le phénomène d’une sorte de
que, de façon analogue, le refoulement est le degré présence massive de l’analyste dans la scène du
préliminaire à la formation du jugement ?". A monde culturel et j’enlève ce mot "culturel", j’ajoute
première vue, si nous suivions cette proposition, commercial. Or, cette "présence" est inversement
nous devrions nous dire que le mathème, en tant que proportionnelle à la qualité du jugement de
symbole écrit, est l’instance de la lettre dans l’analyste sur son action. Soyez certain que plus
l’inconscient tandis que le sens de sa lecture est une grande sera sa présence, pus grand sera le défaut de
instance inconsciente. En vérité si nous tordions la sa théorie.
phrase de FREUD nous ne devrions plus dire que le La "présence de la vérité" est d’une toute autre
symbole écrit est inconscient, mais qu’il constitue – espèce ; c’est la présence du patient ou plutôt, la
sous la forme de la lettre (7) tracée sur une feuille ou présence du symptôme comme être de vérité. Ces
un tableau noir – le retour dans le réel d’une deux "présences" s’opposent radicalement, plus la
inscription abolie dans l’inconscient. C’est à présence sur la scène du monde augmente, plus nous
reprendre. nous éloignons du cas, de la "présence vérité". Cette
Enfin, reste la question sur le rapport mathème/acte dernière ne se joue pas dans l’espace du théâtre,
analytique. Parmi les effets de la théorie – et en dans l’espace topographique, c’est plutôt dans
particulier des mathèmes – dans le travail avec nos l’espace topologique, c’est-à-dire – comme nous
patients, il y en a un qui me semble le plus lié à la l’avions mentionné – une présence définie
contingence de l’intervention du psychanalyste, à topologiquement en relation au savoir inconscient.
savoir : une question, une bonne question. Si tant est Si "présence" de l’analyste il y a, elle devrait se
qu’il y ait un "savoir-faire" en psychanalyse il définir précisément à partir de la vérité, des effets de
consisterait en un "savoir s’interroger". Toute la la vérité sur lui et sa place.
difficulté de l’analyste est là : se formuler la 5 Lacan formule une question semblable : "Ici parenthèse (sic), l’inconscient
question qui pourrait transformer l’impuissance face implique-t-il qu’on l’écoute ? A mon sens, oui. Mais il n’implique
sûrement pas sans le discours dont il ex-siste qu’on l’évalue comme
à la vérité – au symptôme par exemple – en un savoir…" $Télévision ", pp. 26, Seuil.
impossible à dire. Prenons le cas de ce mathème du
fantasme S◊a et la question qui en dérive. On
pourrait se servir d’une telle écriture pour repérer au
cours de la cure ces moments dans lesquels
l’analyste vient occuper partiellement la place de
l’objet a. Mais le mathème n’est pas un guide et sa
question n’est pas une recherche de savoir. Il s’agit
d’une interrogation qui n’attend pas forcément la
réponse, elle se limite à ponctuer l’expérience ;
7
Le cas exemplaire du mathème est celui de l’objet "a", ou encore, la lettre
"a" avec laquelle Lacan nomme son objet.

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