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La conquête

de l’espace
Hubert Curien

L
a conquête de l’espace est l’un des faits mar- et de la diffusion de l’information, elle a apporté
quants du XXe siècle. Psychologiquement, une nouvelle respiration, au rythme plus soutenu
elle a donné aux hommes la joie d’une et parfois aussi de teneur plus profonde. Elle a exa-
emprise nouvelle sur le monde, l’un des coups de cerbé les affrontements jusqu’à la renormalisation :
boutoir significatifs dans le mur de l’impossible la guerre froide était aussi une lutte de prestige sur
ou, au moins, de l’inconnu. Socialement, par le Terre comme dans l’espace (voir encadré 1).
développement explosif des télécommunications Économiquement, elle a provoqué de nouvelles
compétitions et conduit à des coopérations origi- 133
nales. Les relations Europe-Amérique ont dû être
Encadré 1
définies dans ce champ nouveau. Les Européens
La préhistoire des activités spatiales
n’ont pas à regretter leurs prises de position sou-
vent marquées du sceau d’une nécessaire fermeté.
Avant d’analyser l’histoire et de conjecturer le futur des
activités spatiales,quelques mots sur la « préhistoire ».Limitons- Les techniques spatiales sont bien loin d’être
nous à l’évocation de 4 pionniers universellement reconnus : devenues routinières. Elles restent, dans de nom-
• Robert Esnault-Pelterie (Paris 1881-Nice 1957), l’inven- breux domaines, un moteur essentiel de progrès,
teur, entre autres, du « manche à balai » des avions, s’inté- tant en électronique et informatique qu’en méca-
resse dès 1907 à la théorie de la propulsion par réaction et nique et énergétique. La maîtrise de l’espace sera
aux possibilités offertes par les fusées pour les missions
interplanétaires ; longtemps encore, sans doute, un passage obligé
• Robert Goddard (Worcester 1882-Baltimore 1945) lance pour un développement ambitieux.
à Worcester (États-Unis) en 1926 la toute première fusée,
très modeste, à ergols liquides ;
• Herman Oberth (Hermannstadt 1894-Nuremberg 1989)
publie à Munich en 1929 le premier véritable traité d’as-
tronautique. Il sera aux côtés de Wernher von Braun aux 1. Technique et politique
États-Unis de 1955 à 1960.
• Serguei Korolev (Jitomir 1906-Moscou 1966), Ukrainien,
réalise en 1933, la première fusée soviétique à propergols
liquides. Constamment perfectionnée, la fusée de Korolev, URSS-ÉTATS-UNIS :
Zermiorka, sera le fer de lance du programme spatial sovié- LA GUERRE FROIDE POUR LA SÉCURITÉ
tique.
ET LE PRESTIGE
Cette préhistoire se termine vers 1945. Les fusées alle-
mandes V2, mises au point par Wernher von Braun et son Les deux superpuissances, États-Unis et URSS,
équipe à Peenemunde, sont les véritables précurseurs directs
des lanceurs spatiaux. Avec la guerre froide allait vraiment devaient tout naturellement s’intéresser spéciale-
s’engager la lutte pour l’espace. ment à deux secteurs où les démonstrations de
puissance et de prestige avaient des vertus de haute
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visibilité : la maîtrise de l’armement nucléaire et Défense est supérieur au budget civil géré par la
la conquête de l’espace. Les États-Unis, enrichis NASA. En 1983, le président Reagan lance
de quelques compétences notoires issues notam- l’« Initiative de défense stratégique » (IDS) connue
ment d’Allemagne, se savaient bien placés en vue aussi sous le nom de « guerre des étoiles ». Il s’agit
de l’aventure spatiale. L’URSS, quant à elle, béné- pour les États-Unis d’éliminer, notamment à par-
ficiait d’une base technique solide et disposait d’un tir de systèmes spatiaux, toute menace de missiles
régime politique tel qu’une activité déclarée prio- balistiques intercontinentaux. En 10 ans, plus de
ritaire ne pouvait connaître aucune sorte d’obs- 30 milliards de dollars ont été consacrés à l’IDS.
tacle ou de réticence interne. L’encadré 2 énumère Le programme en tant que tel a été abandonné en
les étapes essentielles de la compétition spatiale 1993. Il a alimenté, au cours de cette décennie, une
soviéto-américaine. On y voit que les Soviétiques activité de recherche et développement très béné-
ont marqué les premiers points : satellisation de fique pour un grand nombre de laboratoires et de
Spoutnik avant celle d’Explorer, mise en orbite de firmes industrielles. En effet, la conception d’un
Youri Gagarine avant celle de John Glenn. L’honneur bouclier efficace protégeant les États-Unis contre
américain ne pouvait pas être une troisième fois d’éventuelles agressions aériennes et spatiales exi-
bafoué. Ce sera un Américain qui marchera le pre- geait le développement de connaissances nouvelles
mier sur la Lune. De juillet 1969 à décembre 1972, aussi bien en électronique qu’en optique et en
6 vaisseaux Apollo ont permis à 12 astronautes science des matériaux, ainsi que l’invention de sys-
d’aller sur la Lune et de ramener sur Terre, pour tèmes originaux en télécommunications, automa-
analyse, près de 400 kilogrammes de roches tismes, détection et guidage.
lunaires.
L’opinion internationale n’établit pas alors véri- LA FRANCE ET L’EUROPE
tablement de classement entre les deux super- FACE AUX DEUX SUPERGRANDS
puissances spatiales. Chacune a son style et ses
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spécialités. Mais, si le prestige est la motivation La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne,
première retenue par les observateurs, les objec- l’Italie pouvaient nourrir des ambitions légitimes
tifs militaires sont évidemment très présents. En dans la participation au développement des tech-
URSS, tout le support technique spatial est mili- nologies spatiales. Mais quelle politique ces nations
taire, ainsi que la formation des cosmonautes. Aux devaient-elles adopter face à la bipolarisation dra-
États-Unis, le budget spatial du département de la conienne du secteur ? Pour l’Allemagne de l’après-
guerre, la réponse paraissait univoque : mettre en
valeur ses acquis techniques en collaboration avec
Encadré 2 ses voisins européens de l’Ouest et faire confiance
Les jours de gloire de l’URSS aux Américains en cas de nécessité. La France
et des États-Unis gaullienne ne pouvait tenir exactement ce langage.
À quoi bon, par exemple, développer des satellites
• 4 octobre 1957 : Premier satellite artificiel, Spoutnik 1 si nous n’avions pas, aussi, la maîtrise des lanceurs
(URSS). pour en assurer la mise en orbite ? L’indépendance
• 31 janvier 1958 : Premier satellite américain, Explorer 1
(États-Unis). française ou européenne est incompatible avec
• 12 avril 1961 : Premier homme satellisé, Youri Gagarine l’existence de maillons manquants.
(URSS). En 1962, la France met en place un établisse-
• 20 février 1962 : Premier vol orbital américain, John Glenn
(États-Unis). ment, le Centre national d’études spatiales (CNES),
• 21 juillet 1969 : Débarquement sur la Lune de Neil pour assurer la conduite des grands programmes
Armstrong et Edwin Aldrin (mission Apollo 11, États-Unis). nationaux et des participations aux programmes
• 19 avril 1971 : Mise en orbite de la première station spa-
tiale, Saliout 1 (URSS). internationaux. Pierre Auger en est le premier pré-
• 14 mai 1973 : Mise en orbite de la première station spa- sident. Il a une vision internationale tout autant
tiale américaine, Skylab. que nationale. Il œuvre donc pour l’instauration
• 17 juillet 1975 : La poignée de main dans l’espace, jonc-
tion dans l’espace d’un vaisseau Apollo (États-Unis) et d’un quasi concomitante d’un organisme international,
vaisseau Soyouz (URSS). l’ESRO (European Space Research Organiza-
tion), qui concevra et réalisera des satellites scien-
La conquête de l’espace

tifiques de bonne qualité, orientés vers les par Europa. Or plus d’espoir d’Europa, mais pas
recherches sur le géomagnétisme et l’ionosphère. encore d’Ariane… Le consortium a donc acheté
Mais qu’allait-on faire pour les lanceurs ? Les au fournisseur de fusées américaines, en s’enga-
Français étaient déjà engagés dans un programme geant toutefois à ne faire aucun usage commercial
de vecteurs militaires qui devait conduire à la fusée des satellites Symphonie : les Américains, qui avaient
Diamant lancée à partir de 1965. Mais ils souhai- un monopole dans ce secteur, ne pouvaient y renon-
taient aussi développer un lanceur plus lourd, pour-
quoi pas en coopération européenne si les condi-
tions d’utilisation n’entraînaient pas de contrainte Encadré 3
politique. Ainsi naquit le programme Europa confié La France et l’Europe dans l’espace
à un second organisme spatial européen, l’ELDO
(European Launcher Development Organization) • 1965 (26 novembre) : Mise en orbite du premier satellite
français Astérix (A1) au moyen du lanceur Diamant à par-
(voir encadrés 3 et 4). tir d’Hammaguir. La France devient la troisième puissance
spatiale, après l’URSS et les États-Unis.
• 1968 (avril) : Le centre spatial de Kourou (Guyane) est
L’ÉCHEC D’« EUROPA » opérationnel.
MÈNE AU SUCCÈS D’« ARIANE » • 1974 (19 décembre) et 1975 (27 août) : Lancement (par
une fusée américaine en raison de l’échec du programme
Le lanceur envisagé devait être constitué d’un européen de fusées Europa) de 2 satellites franco-allemands
de télécommunications Symphonie.
premier étage britannique, d’un deuxième français • 1977 : Lancement de Météosat 1, premier satellite météo-
et d’un troisième allemand. Il devait être lancé de rologique européen.
Woomera en Australie. En 1966, le programme fut • 1979 (24 décembre) : premier lancement de la fusée
Ariane.
réorienté vers la construction d’un lanceur plus • 1982 : Jean-Loup Chrétien séjourne 7 jours à bord de la
puissant, Europa II, qui partirait de Kourou. Tous station orbitale Saliout 7.
les essais à Woomera et le premier lancement en • 1985 : La sonde européenne Giotto lancée par Ariane sur-
vole la comète de Halley.
1971 à Kourou furent infructueux. Ce fut la crise. • 1986 (22 février) : Lancement du premier satellite de la 135
Il est vrai que la conception et la réalisation d’Europa série Spot, pour l’observation optique de la Terre (France,
tenaient plus, apparemment, des méthodes prati- avec la collaboration de la Suède et de la Belgique).
• 1991 (17 juillet) : Lancement du premier satellite de la
quées il y a quelques millénaires pour l’érection série ERS pour l’observation radar de la Terre (Agence spa-
de la tour de Babel que de celles que requiert la tiale européenne).
conduite à bonne fin d’un programme technolo- • 1992 (10 août) : Lancement par Ariane du satellite océa-
nographique franco-américain Topeix-Poséidon.
gique délicat. • 1995 : Mise en œuvre du satellite ISO (Agence spatiale
Europa est alors abandonné. Sous l’impulsion européenne) pour l’astronomie infrarouge.
des Français, un nouveau départ est pris qui conduit • 1998 : Arianespace conserve sa position mondiale pré-
dominante sur le marché des lancements en orbites géo-
à la famille Ariane dont le premier lancement de stationnaires.
Kourou, le 24 décembre 1979, est parfaitement
réussi. La construction d’Ariane avait été saine-
ment organisée. Le CNES était le maître d’œuvre,
agissant par délégation de l’ESA, la nouvelle Encadré 4
Agence spatiale européenne qui avait regroupé Institutions françaises et européennes
l’ESRO et l’ELDO. La société Aérospatiale était
l’architecte industriel pour l’ensemble de la fusée. • 1962 : CNES, Centre national d’études spatiales (France).
• 1964 : ESRO, European Space Research Organization, et
La France avait pris à sa charge 64 % du finance- ELDO, European Launcher Development Organization.
ment, l’Allemagne 20 %. Plus de 50 sociétés indus- • 1975 : ASE-ESA, Agence spatiale européenne qui prend
trielles européennes étaient impliquées. le relais de l’ESRO et de l’ELDO.
• 1980 : Arianespace (commercialisation des lanceurs euro-
Le programme Ariane s’est mis en place dans péens).
un contexte politique intéressant. Allemands et • 1982 : Eutelsat (organisation intergouvernementale euro-
Français avaient formé en 1967 un consortium afin péenne pour la mise en œuvre, l’exploitation et l’entretien
d’un secteur spatial de télécommunications).
de construire en coopération deux satellites de télé- • 1986 : Eumetsat (organisme intergouvernemental euro-
communications, nommés symboliquement péen pour l’exploitation de satellites météorologiques).
« Symphonie », qui auraient dû être mis en orbite
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cer pour le seul bénéfice de la vente de deux fusées. Tableau 1


Les satellites Symphonie, réussite technique mais Contributions des États-membres au budget de
échec commercial, furent donc lancés d’Amérique, l’Agence spatiale européenne (budget 1999, en %)
confirmant ainsi le point de vue français : l’Europe
ne pourrait jouir d’une véritable indépendance spa- Programmes Programmes Total
tiale, politique et commerciale, qu’en disposant de obligatoires optionnels
ses propres moyens de lancement. Autriche 2,35 0,98 1,34
Belgique 3,41 6,08 5,38
LA FRANCE DANS L’EUROPE Danemark 1,63 0,91 1,10
Finlande 1,07 0,46 0,67
France 19,56 32,62 29,23
Les scientifiques européens peuvent légitime- Allemagne 24,77 25,27 25,14
ment se prévaloir d’avoir été les pionniers dans la Irlande 0,58 0,14 0,25
construction de l’entité Europe. La recherche au Italie 14,28 13,68 13,83
temps présent exige dans bon nombre de secteurs Pays-Bas 4,35 3,39 3,64
Norvège 1,48 0,75 0,94
des investissements lourds et rapidement obsoles- Espagne 7,05 3,61 4,50
cents. Des exemples particulièrement évidents sont Suède 2,65 2,62 2,63
la physique des particules et les sciences de Suisse 3,85 3,18 3,36
Royaume Uni 12,95 6,33 8,05
l’Univers. Le CERN (Centre européen de
recherches nucléaires), créé en 1952, est l’arché- Total 100 100 100
type de tels organismes internationaux. Il est Total en mil-
liards d’euros 0,589 1,678 2,267
exploité en commun par les physiciens de 20 pays
européens et leurs associés et invités du reste du
monde. L’Europe s’est ainsi placée dans une situa-
tion de compétition équilibrée et fructueuse avec son intérêt pour les programmes optionnels, et tout
l’Amérique. Aucun pays européen n’aurait pu rai- spécialement le programme Ariane. La délégation
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sonnablement, à lui seul, se doter d’accélérateurs française au conseil de l’ESA est dans une posi-
à un tel niveau de performance. Le succès du CERN tion qui requiert quelque habileté pour conjuguer
a été pour beaucoup dans la mise en place, une la défense légitime des acquis nationaux et la volonté
dizaine d’années plus tard, des organismes euro- d’assurer la cohésion du puzzle européen. Mais ce
péens dédiés à l’espace. Mais l’affaire était là moins problème n’est pas seulement celui de l’espace !
simple, car plus directement impliquée dans les Le Conseil de l’ESA s’est réuni les 11 et 12 mai
intérêts économiques et industriels de chacun des 1999 au niveau ministériel pour définir les pro-
partenaires. Chaque État-membre était non seule- grammes à mener dans les 10 ans à venir.
ment désireux de pouvoir, grâce à l’étiquette L’encadré 5 résume les dispositions essentielles
« Europe », accéder à la cour des Grands, mais arrêtées à l’occasion de cette réunion.
aussi de ne pas se laisser abusivement dominer par
les plus volumineux de ses associés européens.
À l’Agence spatiale européenne, qui groupe
14 États-membres, les contributeurs principaux 2. L’espace au quotidien
sont, dans l’ordre, la France, l’Allemagne, l’Italie
et la Grande-Bretagne (voir tableau 1). Le statut Aujourd’hui l’espace est une réalité non seule-
de cette Agence comporte, d’ailleurs, une dispo- ment scientifique et politique mais aussi indus-
sition louable. Les programmes gérés sont de deux trielle. Les applications sont d’un usage quotidien
types : obligatoires ou optionnels. Les contribu- pour nos contemporains. Deux domaines essen-
tions au financement des programmes obligatoires tiels sont exploités, outre l’exploration scientifique
sont calculées au prorata du PNB de chacun des de l’Univers : les télécommunications et la ges-
membres. Celles des programmes optionnels sont tion rationnelle de la planète Terre. Pour mettre en
ajustées selon l’intérêt de chaque État pour chaque œuvre de tels programmes, il faut disposer de
projet. Le fait que la France soit la première dans moyens de transports de la Terre vers l’espace. La
la liste des financeurs de l’ESA est la marque de maîtrise du présent et la prospective dépendent
La conquête de l’espace

fondamentalement du développement des vecteurs L’orbite géostationnaire possède un intérêt essen-


destinés à la mise en orbite des satellites. tiel pour les satellites de télécommunication ou
d’observation globale de la Terre : cette orbite équa-
LES LANCEURS SPATIAUX toriale circulaire à 36 000 kilomètres est telle que
la vitesse angulaire du satellite est égale à celle de
Nous avons rappelé les initiatives françaises et la rotation de la Terre. Le satellite apparaît donc
européennes qui nous ont amenés à occuper, avec fixe aux utilisateurs terrestres. Pour atteindre le
les fusées de la famille Ariane, une place de pre- plus économiquement possible cette orbite
mier plan sur le marché mondial des lancements « GEO », il est avantageux d’effectuer le lance-
commerciaux. Quel est l’état présent de la concur- ment à partir d’une base équatoriale. Les tournants
rence ? dans l’espace sont très coûteux en énergie, donc
Aux États-Unis, outre la navette spatiale, les lan- en masse de carburants. Kourou, situé au voisi-
ceurs Delta de Boeing et Atlas de Loockheed- nage immédiat de l’équateur, présente ainsi, pour
Martin sont actifs sur le marché. Ces deux com- ce type de lancement, un avantage de 17 % sur Cap
pagnies préparent, avec l’aide de l’US Air Force, Canaveral. Le tableau 2 dénombre les satellites
de nouveaux modèles moins onéreux, qui seront géostationnaires commerciaux mis en orbite en
en compétition avec Ariane 5. Les fusées russes 1998. On y constate le succès d’Arianespace sur
sont aussi bien présentes. Soyouz a été repris en ce marché. Il ne paraît pas impossible que, dans
main avec succès par la société euro-russe Starsem l’avenir, les Européens proposent à des opérateurs
(voir encadré 6). Proton est commercialisé en joint- de fusées autres qu’Ariane d’effectuer des tirs à
venture par Lookheed-Martin (États-Unis) et partir de la base guyanaise si des arrangements
Krounichev (Russie). Les Chinois et les Japonais intéressants peuvent être conclus (voir encadré 5).
procèdent aussi à des tirs commerciaux. À défaut de disposer de territoires équatoriaux
Deux exigences s’imposent à l’industrie des lan- idoines, une autre solution consiste à acheminer
ceurs : la qualité des bases de lancement et la diver- sur l’océan une base flottante. C’est ainsi que les 137
sification des produits. Américains ont réalisé un pas de tir sur une plate-
forme, et procédé à un tir démonstratif de la fusée
ukraino-russe « Zenith » dans l’océan Pacifique
Encadré 5 en mars 1999. L’opération est nommée tout natu-
Le programme spatial européen rellement Sea Launch. La faisabilité de ce type de
à long terme lancement est démontrée. Reste à en prouver les
mérites économiques. Ceci pourrait aussi intéres-
Le Conseil de l’Agence spatiale européenne, réuni au ser les Japonais dont la base de Tanegashima n’est
niveau ministériel les 11 et 12 mai 1999, a pris les décisions pas dans une situation géographique idéale.
suivantes :
Quant aux Chinois, dont l’activité spatiale est
• mise en place du programme « Planète vivante » pour très respectable, ils proposent à la clientèle leur
l’étude de l’environnement. Les sciences de la Terre se his-
sent ainsi à un niveau comparable aux sciences de l’Univers
dans le programme de recherches spatial ;
• renforcement de l’industrie européenne des lanceurs, avec
financement du programme Ariane 5 Plus. Le petit lanceur Tableau 2
Vega fera l’objet d’une action à définir ; Satellites géostationnaires commerciaux mis en
• lancement du programme Galileo, en coopération avec
l’Union européenne pour le téléguidage des moyens de orbite en 1998
transports à terre, sur mer et dans les airs ;
• développement des systèmes de télécommunications. La Nombre Lanceur Société de commercialisation
télémédecine et le télé-enseignement feront l’objet d’un du lanceur
intérêt soutenu ;
• partenariat dans la Station spatiale internationale ; 13 Ariane Arianespace (Europe)
• le programme scientifique est confirmé. 6 missions nou- 3 Atlas Joint-Venture
velles sont mises à l’étude.
Cette réunion a confirmé la cohésion européenne en
3
3
Proton
Delta
}
ILS Loockheed-Martin + Krounichev
(États-Unis + Russie)
Boeing (États-Unis)
matière de politique spatiale civile.
2 Longue Marche China-Great-Wall
RAMSES 2000

fusée « Longue Marche » qui a réalisé au total à des engins partiellement, voire totalement, réuti-
6 lancements en 1998. Mais il n’est pas inutile de lisables est, bien sûr, toujours actuelle. L’expérience
rappeler que les États-Unis pratiquent une poli- de la navette spatiale américaine n’a pas été, à ce
tique de restriction sur les quotas et les licences propos, financièrement convaincante, mais d’autres
d’exportation vers la Russie et la Chine. Les voies sont à l’étude. Il est clair, en tout cas, que les
constructeurs américains de satellites doivent obte- technologies de l’aéronautique et de l’espace sont
nir de leurs autorités une licence d’exportation de plus en plus solidaires. Une fusée réutilisable,
pour effectuer le lancement en territoire étranger. un peu comme un avion de ligne, serait en prin-
Cette politique est aussi susceptible de gêner, ne cipe idéale. Mais est-ce vraiment économiquement
l’oublions pas, le développement commercial des possible ?
lanceurs européens. Les lanceurs Ariane ne pour- En tout cas, la tendance à une surveillance plus
raient se satisfaire du marché européen. Il est utile stricte de la non-pollution de l’espace ne pourra
de rappeler à ce propos que l’Europe investit 5 fois que s’affirmer. Les lanceurs classiques, non réuti-
moins d’argent dans le spatial civil et 20 fois moins lisables, sont sources de « débris » disséminés dans
dans le spatial militaire que les États-Unis. Des l’espace qui ne sont pas sans danger pour les satel-
politiques d’alliances ne sont donc pas à récuser lites. L’ONU a constitué un groupe d’études à ce
pour l’avenir. La société Arianespace, qui gère les propos et diverses organisations, telle l’Académie
intérêts industriels et commerciaux de la famille internationale d’astronautique, ont produit des rap-
des lanceurs Ariane, sera d’autant mieux placée ports qui, sans être dramatiquement inquiétants,
pour des discussions de cette nature dans l’avenir méritent d’être pris au sérieux. La réglementation
qu’elle pourra disposer d’une gamme de lanceurs sur les débris est un des aspects du droit de l’es-
diversifiés et toujours aussi performants. pace, activité en plein développement1.
La diversification des moyens de lancement est
une obligation de plus en plus claire. On peut pré-
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voir un rythme d’une trentaine de satellites géo- Encadré 6
stationnaires à lancer chaque année, dont près de Un exemple de nouvelle société
la moitié pourrait dépasser 4 tonnes, la masse des internationale proposant des moyens
moins volumineux se situant autour de 2,5 tonnes de lancements spatiaux : STARSEM
(un bon profil pour réaliser des lancements doubles).
D’autre part, le marché de lancement des essaims STARSEM est le fruit d’un partenariat innovateur entre
de petits satellites de télécommunication est en l’agence spatiale russe RKA, le centre spatial de Samara
(Grande-Bretagne),Arianespace et Aérospatiale-Matra. Les
développement rapide bien que l’enthousiasme lanceurs exploités sont de la famille Soyouz, diversifiés en
récent pour ce mode de télétransmission soit, 3 versions. Les équipes de construction de ces fusées peu-
semble-t-il, en voie de modération. Pour répondre vent se prévaloir du lancement réussi de 1 600 missions
depuis 1967.
à tous les besoins, il sera donc nécessaire d’offrir
Le rapprochement Est-Ouest permet à STARSEM de béné-
une gamme de lanceurs dont la capacité s’étage ficier des capacités commerciales développées par le pro-
entre la mise en orbite d’engins d’une dizaine de gramme européen Ariane. D’autre part, plusieurs éléments
tonnes en orbite géostationnaire et de l’ordre de la des nouveaux lanceurs Soyouz sont issus du système Ariane
(la coiffe, par exemple).
tonne en orbite basse (« LEO » : Low Earth Orbit)
ou moyenne pour les constellations de petits satel- STARSEM peut réaliser, de Baïkonour, une douzaine de
lancements par an. 3 lancements ont déjà été effectués. Les
lites. Pour Arianespace et l’Agence spatiale euro- performances sont de l’ordre de 5 tonnes en orbites basses
péenne, cela implique un effort de développement ou moyennes, bien adaptées à la mise en place de constel-
dans les deux extrémités du spectre : un lanceur lations de petits satellites. En orbite de transfert géosta-
tionnaire, les performances sont de l’ordre de 1,2 tonne.
lourd « Ariane 5 Plus » et un petit lanceur « Véga ». Dans la mesure où ces lanceurs opèrent dans des gammes
Ces deux projets sont inscrits dans la program- non concurrentes d’Ariane, un accord pourrait être trouvé
mation (Ariane 5 Plus avec fermeté, Véga sous pour les lancer de Kourou.
quelques conditions).
Peut-on, d’autre part, prévoir un changement
radical dans les techniques de réalisation de lan-
ceurs ? L’idée de passer des lanceurs consommables 1. Voir Lafferranderie et Crowther (1997).
La conquête de l’espace

L’ESPACE AU SERVICE les mérites techniques de ce programme, il convient


DE LA COMMUNICATION de souligner son intérêt politique au moins sous
deux aspects : d’une part, il évite que se mette défi-
Les deux ou trois dernières années de la décen- nitivement en place un monopole américain dans
nie 1990 marquent un tournant dans les activités un secteur comportant des activités modernes ;
spatiales orientées vers la communication. d’autre part, son développement implique une par-
La téléphonie mobile s’oriente, en particulier, ticipation financière à parts égales de l’ESA et de
vers l’usage de constellations de petits satellites l’UE. Cette coopération entre une agence de carac-
en orbite basse, telles qu’Iridium et Globalstar. tère technique et la Commission européenne illustre
Cette nouvelle technologie a d’ailleurs entraîné un les rôles respectifs de deux entités, l’une technique
changement de comportement des industriels. et l’autre politique, qui conjuguent leurs partici-
L’ampleur des programmes et des travaux de pations pour réaliser un programme dont l’usage
recherche et de développement sous-jacents conduit est en particulier justifié par une politique euro-
à des partenariats mondiaux entre les grandes com- péenne de non-dépendance.
pagnies américaines, japonaises, russes et euro- Il y a 10 ans encore, le financement des satel-
péennes. C’est plus de 600 satellites (en constel- lites de télécommunications (au sens large) pro-
lations ou géostationnaires) dont la construction venait très majoritairement de sources gouverne-
est prévue pour les 5 ans à venir (1999-2003). La mentales. Aujourd’hui les banques et les fonds de
mise en place des constellations conduit à des pensions sont devenus des acteurs importants. Cette
études originales non seulement sur la structure tendance nouvelle se confirmera certainement si
des satellites, mais aussi sur la gestion coordon- les programmes-phares tels qu’Iridium et Globalstar
née de tous ces engins évoluant dans l’espace. s’avèrent des succès non seulement techniques
Notons aussi la tendance générale, due en parti- mais aussi financiers. Mais les experts s’accordent
culier à la dérégulation, à la prise en main par les à prédire que les sources publiques de financement
grandes compagnies industrielles du triple métier sont encore indispensables pour l’essor de ce sec- 139
d’investisseur, de constructeur et d’opérateur. teur-clef du développement de la société moderne.
Après la télévision, la radiodiffusion numérique
par satellites est sur la voie d’un développement LA TERRE SOUS SURVEILLANCE :
prometteur. Pour la radio comme pour la télévi- UNE GESTION RATIONNELLE
sion, les satellites, notamment géostationnaires, DE NOTRE PLANÈTE
constituent le vecteur idéal pour desservir une
population très dispersée. Des systèmes tels Que serait aujourd’hui un dispositif de défense
qu’Arabsat, Afristar et bientôt Rascom répondent qui ne disposerait pas de systèmes de surveillance
à ces besoins, et bien d’autres sont à l’étude. par satellites ? À quoi bon entretenir des armées
Pour les systèmes de transit de télécommuni- aveugles ? Le National Reconnaissance Office
cations très concentrés, destinés par exemple aux (NRO) américain dispose, dit-on, d’un budget
relations transocéaniques entre zones de grande annuel de 6 milliards de dollars. Au temps de sa
densité de population, les liaisons par câbles en splendeur des années 70 et 80, l’URSS lançait
fibres optiques restent très compétitives. Les dis- chaque année une centaine de satellites dont les
cours entendus naguère sur la prédominance défi- deux tiers étaient destinés aux programmes de sécu-
nitive et universelle des satellites sur le câble étaient rité. L’Europe est encore trop modeste dans ce
évidemment mal fondés. domaine2. La France, avec deux partenaires, l’Italie
Enfin, très proche des technologies de la com- pour 14 % et l’Espagne pour 7 %, a mis en place
munication et du transport de données, celle de la un satellite militaire d’observation, Hélios. Pour
localisation et du guidage des mobiles de toute aller plus loin en Europe, il serait très souhaitable
nature, sur terre, sur mer ou dans les airs, prend que l’Allemagne s’engage résolument dans un pro-
un remarquable essor. Le système américain GPS gramme commun. L’Europe spatiale militaire ne
est universellement connu et pratiqué. Les Russes
ont mis en place le réseau GLONASS. L’Europe
lance un programme nommé Galileo-Sat. Outre 2. Voir Blamont (1999).
RAMSES 2000

connaît pas, à présent, le succès de l’Europe spa- en 1993, il porte des altimètres extrêmement sen-
tiale civile. Les événements politico-militaires sibles, français et américains, qui dressent des cartes
récents dans les Balkans ont apporté une nouvelle de la surface des océans avec une précision de
démonstration d’un quasi-monopole américain en l’ordre du centimètre. Les creux et les bosses à la
matière d’observation stratégique et tactique. surface des mers sont le reflet à la fois du relief
Dans le domaine de l’observation civile, l’Europe sous-marin, des variations de la gravité terrestre
fait, en revanche, bonne figure. Le satellite fran- et des courants chauds ou froids. Jason sera le suc-
çais Spot, dont le premier exemplaire a été mis en cesseur de Topeix-Poseïdon.
orbite en 1986, s’est situé d’emblée à un niveau Mais les engins d’observation les plus familiers
global de performances au moins égal à celui des du grand public sont les satellites météorologiques
satellites civils américains Landsat. Le cinquième géostationnaires qui nous envoient régulièrement
exemplaire, Spot 5, qui sera lancé en 2001, four- des images de la couverture nuageuse de la Terre.
nira des images avec une résolution de 3 mètres Eumetsat (European Organization for the
au sol sur un champ large de 120 kilomètres. Depuis Exploration of Meteorological Satellites), orga-
1986, plus de 6 millions d’images ont été archi- nisme intergouvernemental créé en 1986, a pour
vées et sont accessibles aux utilisateurs. La société mission la mise en place, le maintien et l’exploi-
Spot-image en assure la commercialisation. La tation des systèmes européens de satellites météo-
règle généralement adoptée pour la fixation du rologiques opérationnels, en liaison avec
prix de vente de ces produits est la couverture du l’Organisation météorologique mondiale (OMM).
coût opérationnel du système, les dépenses d’in- Eumetsat exploite les satellites géostationnaires
frastructure restant à la charge du financement Météosat et, à partir de 2002, 3 satellites EPS
public. (European Polar System) en orbite polaire basse.
Spot est un système essentiellement français, Peut-on être optimiste sur les progrès des pré-
avec une participation de la Belgique et de la Suède. visions météorologiques dans les décennies à venir ?
140
L’Allemagne n’avait pas souhaité s’associer à ce Oui, mais pas triomphaliste. L’acquisition des don-
projet et l’ESA n’avait donc pu l’inscrire dans ses nées et leur traitement numérique continueront,
programmes. Une fois de plus, la fermeté fran- certes, leurs remarquables progrès. Mais les équa-
çaise en politique spatiale a permis de prendre tions qui régissent l’aérodynamique ont, par nature,
place sur un créneau important. Depuis, l’ESA a une très grande sensibilité et une forte tendance à
engagé et réussi un autre programme d’observa- la divergence. Quelle que soit la qualité des modèles
tion systématique de la Terre, non pas dans le de simulation, ils s’écartent très vite de la réalité
domaine visible, mais dans celui des ondes radar. s’ils ne sont pas fréquemment recalés sur l’obser-
Les satellites ERS1 et ERS2, lancés en 1992 et vation. Des prévisions météorologiques sûres à
1995, permettent des observations très originales, l’échéance d’un mois ne sont pas pour demain !
notamment sur les faibles déformations de la sur- L’étude des variations climatiques à long terme
face du globe dans les zones sismiques. bénéficie considérablement des observations par
Le satellite Envisat de l’ESA est destiné à l’étude satellites menées dans des programmes très variés.
de l’environnement. Il embarquera plus d’une dou- Les Français et les Russes étudient le bilan radia-
zaine d’instruments destinés à mesurer les para- tif global de la Terre. Un partenariat de la France
mètres les plus divers qui conditionnent l’envi- avec le Japon permet la mesure globale du rayon-
ronnement terrestre. Ce satellite très chargé est nement solaire réfléchi par l’atmosphère et par la
certainement le dernier en son genre. La tendance Terre. À quel rythme la Terre est-elle susceptible
actuelle est orientée vers la construction de satel- de se réchauffer ? Nous en saurons bientôt plus, et
lites plus spécifiques qui conduisent à des temps avec plus de certitude.
de réalisation plus raisonnables et à des prix moins L’environnement méditerranéen ne présente pas
élevés. un bilan de santé catastrophique. Il est cependant
Le satellite franco-américain Topeix-Poseïdon jugé fragile et sensible aux rejets de la population
est exemplaire à bien des titres. Il est le fruit d’une riveraine tout autant qu’à la pollution provenant
collaboration franco-américaine (CNES-NASA) du trafic maritime. L’observation satellitaire est un
parfaitement ouverte et confiante. Lancé par Ariane outil privilégié pour l’étude des équilibres et des
La conquête de l’espace

évolutions environnementaux dans cette région. cependant beaucoup d’experts s’accordent pour le
Avec l’accord des pays riverains, l’Union euro- fixer aux environs de 0,5 milliard de dollars). Après
péenne soutient un important programme d’étude avoir considéré avec condescendance les Européens
et de surveillance des écosystèmes. La prévention qui persévéraient dans l’exploitation et le perfec-
des catastrophes naturelles ou anthropiques est étu- tionnement des lanceurs de la famille Ariane, les
diée en liaison avec les autorités chargées de la Américains sont revenus à la fabrication de lan-
protection civile. Ces initiatives centrées sur la ceurs classiques. Ce qui ne fait oublier à personne,
zone méditerranéenne constituent un bon exemple cependant, la nécessité de concevoir, pour l’ave-
de coopération régionale au service des popula- nir, des lanceurs de nouvelle génération, moins
tions qui sont exposées aux mêmes types de dan- onéreux et toujours plus sûrs.
gers. Les autorités responsables du développement Deuxième usage d’engins du type navette :
des techniques spatiales sont de plus en plus atten- embarquer des expériences scientifiques ou tech-
tives à aller au devant de ce type de besoins. niques qui bénéficient des « conditions spatiales ».
Il s’agit essentiellement de profiter du fait qu’à
bord d’un engin satellisé sur une orbite stable, la
force centrifuge due au mouvement équilibre exac-
3. Rêves et réalités tement la force d’attraction terrestre. C’est donc,
à bord, l’état d’apesanteur. En fait, les petites per-
DES HOMMES EN ORBITE turbations dues en particulier aux déplacements
des opérateurs dans l’habitacle font qu’il est plus
Depuis Youri Gagarine, un demi-millier correct de parler de microgravité plutôt que d’ape-
d’hommes et de femmes ont été satellisés. Avec la santeur.
station Mir, succédant aux Saliout, les Soviétiques, De nombreuses expériences ont déjà été réali-
maintenant les Russes, sont devenus les champions sées à bord des stations spatiales et des navettes.
des séjours de longue durée en orbite. Depuis 1981, Les énergies mises en jeu par la pesanteur dans la 141
les Américains exploitent leurs navettes spatiales. matière sont cependant faibles, comparées, par
Les Européens ont participé à ces programmes, exemple, aux énergies de liaisons interatomiques.
par la présence à bord d’astronautes ou de cos- Malgré l’apparence souvent spectaculaire de l’état
monautes (le premier fut Jean-Loup Chrétien à d’apesanteur, le comportement intrinsèque de la
bord de Saliout) et par la fourniture du laboratoire matière n’est pas essentiellement modifié et il faut
Spacelab construit par l’Agence spatiale euro- s’intéresser à des aspects très spéciaux de l’étude
péenne (avec une forte participation allemande) des matériaux pour trouver un intérêt évident à la
pour être embarqué dans la navette américaine. suppression de la pesanteur : comportement au
La navette spatiale américaine peut être consi- voisinage des points de transition ou dans des états
dérée sous deux aspects. D’abord comme un outil critiques, élaboration de cristaux très fragiles, effets
pour la mise en orbite de satellites. La NASA avait de surface... D’ailleurs un certain nombre d’ex-
pensé qu’un engin en grande partie réutilisable périences de ce type en apesanteur peuvent être
pourrait être plus économique pour le lancement réalisées, avec des contraintes de temps certes beau-
de satellites de toute nature qu’une fusée classique coup plus restrictives, dans des tours où les échan-
non réutilisable. C’est la raison pour laquelle, dès tillons sont observés en chute libre ou à bord
les années 70, ils ont concentré l’essentiel des d’avions manœuvrant en ménageant des temps,
moyens consacrés au transport spatial sur ce type nécessairement brefs, de vol en chute libre.
d’engins, dont le pionnier a été lancé en 1981. Il Il serait exagéré de prétendre que les études
s’est avéré que le concept de navette habitée comme faites jusqu’à présent sur la matière placée en état
moyen de lancement universel était économique- d’apesanteur aient permis des découvertes cru-
ment erroné. Le surcoût dû à la sécurité de l’équi- ciales. Cependant, tout récemment, des expériences
page embarqué est considérable ; l’exploitation et de physique très fondamentale ont été proposées
l’entretien de ces vaisseaux de l’espace est prohi- sur la relativité générale et la détection des ondes
bitif pour un usage de routine (il est difficile d’éva- gravitationnelles. Pour ces thèmes d’expériences,
luer le coût intégré d’un vol de la navette spatiale, l’utilisation de l’espace est un apport considérable
RAMSES 2000

en raison des grandes distances et des variations premières priorités scientifiques ? L’ESA accepta
de potentiel gravitationnel que l’on peut y exploi- donc l’offre de participation présentée par la NASA.
ter. Il lui en coûtera quelques centaines de millions
Une expérience particulièrement originale vient d’euros par an, le prix d’une solidarité américano-
d’être proposée par une équipe française (École européenne qui ne sera pas, espérons-le, sans pro-
normale supérieure, Paris). Il s’agit de placer en voquer quelques retombées.
microgravité des atomes refroidis à l’extrême. Ainsi
privés de tout échange et de toute interaction DES HOMMES SUR LA LUNE
externes, ces atomes émettent des radiations lumi-
neuses de longueur d’onde parfaitement définie. La Lune est notre proche voisine, à 384 000 kilo-
Comme la mesure précise du temps est fondée sur mètres seulement. Un satellite naturel à une dis-
celle des longueurs d’onde, on peut espérer réali- tance à peu près 10 fois supérieure à celle qui nous
ser ainsi des horloges 10 ou même 100 fois plus sépare de l’« orbite géostationnaire » que nous
précises que celles que les physiciens ont déjà mises peuplons avec nos satellites artificiels de com-
au point. La précision dans la mesure du temps munication et d’observation. Les missions habi-
n’est pas seulement une coquetterie de savants. tées américaines Apollo, de 1969 à 1972, ont consti-
C’est aussi la clef des techniques de compression tué l’exploit du siècle dans l’espace. Mais les
de l’information dans les systèmes de télécom- Soviétiques ont aussi inscrit à leur actif de nom-
munications. breuses missions, certes non habitées, mais fruc-
Mais c’est sans doute vers la biologie et, plus tueuses : ils ont, en particulier, déposé sur le sol
précisément, la physiologie que l’intérêt principal lunaire les véhicules téléguidés Lunakhod qui ont
se porte dans la définition des programmes de parcouru des dizaines de kilomètres.
recherche à bord de vaisseaux spatiaux. L’étude du Parmi les opérations lunaires récentes, la mis-
comportement d’organismes vivants en apesan- sion d’observation réalisée par le satellite améri-
teur est tout à fait originale. La verticale est une cain Clémentine, en 1994, mérite d’être citée. Cette
142
référence essentielle pour les êtres évolués. Plus sonde, conçue dans le cadre de l’IDS, a été réali-
de pesanteur, plus de verticale. La physiologie en sée en moins de deux ans, pour un coût relative-
apesanteur est une nouvelle discipline, très pro- ment modeste, en coopération entre le départe-
metteuse. Si on veut se préparer pour l’avenir à ment de la Défense et la NASA. Le satellite était
des missions spatiales habitées lointaines et longues, destiné non seulement à observer la Lune, mais
par exemple vers la planète Mars, il est impératif aussi à tester de nouvelles technologies pour des
de connaître le comportement physique des futurs satellites militaires. L’opération Clémentine est
passagers. ainsi considérée par les spécialistes comme exem-
Au lendemain de la chute du mur de Berlin, la plaire à de multiples points de vue.
NASA a proposé aux Russes la construction en Mais a-t-on l’intention d’implanter sur la Lune,
commun d’une station habitée internationale, à dans un futur plus ou moins proche, une base habi-
laquelle seraient associées toutes les nations ayant tée permanente ? Quel serait l’intérêt d’une telle
une compétence et une ambition spatiales. Cette aventure ? La Lune peut constituer une base idéale
International Space Station est, il faut bien le dire, d’observation astronomique. Le manque d’atmo-
le fruit plus d’une réflexion politique que d’un sphère supprime tout écran à la totalité du spectre
besoin scientifique urgent. Les autorités améri- électromagnétique. La gravité et la sismicité sont
caines ont souhaité, avec cette initiative, apporter faibles : on dispose ainsi d’un socle parfait pour
au monde la preuve spectaculaire que la guerre implanter des collecteurs de rayonnements de très
froide était bien finie et que, main dans la main, grande taille. La face cachée de la Lune est, de
Américains et Russes proposaient à l’humanité plus, protégée de tous les rayonnements parasites
une coopération pacifique impliquant les techno- émis par la Terre. Un observatoire sur la face arrière
logies les plus raffinées. L’Europe pouvait-elle se de la Lune aurait donc de multiples atouts. Mais
mettre en retrait sous le seul prétexte, hélas très les progrès incessants de la robotique sont tels que
pertinent, que la construction d’un engin aussi coû- l’on peut s’interroger sur la nécessité de la pré-
teux ne pouvait pas être classée parmi les toutes sence permanente d’opérateurs. Pour l’instant, il
La conquête de l’espace

ne semble pas que les agences spatiales aient consti- Huygens-Cassini vers Titan, principal satellite de
tué des dossiers précis et chiffrés sur un tel projet Saturne, qui présente d’intéressantes analogies
qui devrait d’ailleurs, pour des raisons politiques avec la Terre. Pour sonder les mystères de l’espace
plus encore peut-être que financières, être large- profond, le télescope spatial Hubble – développé
ment international. Mais la préparation d’un accès et exploité en coopération entre la NASA et l’ESA,
facile à la Lune est l’un des arguments régulière- lancé en 1990, révisé en orbite en 1993 de manière
ment avancés par les promoteurs de stations spa- habile et efficace – est la providence des astro-
tiales en orbite autour de la Terre, qui pourraient physiciens.
servir de relais, et de base d’entraînement, à d’éven-
tuelles installations lunaires.

MARS, LE NOUVEAU PARI 4. « Faster, Better,


Mais, en termes de pari, d’exploit, de rêve,
Cheaper »
l’homme sur Mars pourrait bien être la nouvelle Pour convaincre, il n’est pas inutile d’user de
visée glorieuse dans l’ascension vers l’espace au formules accrocheuses. On le sait bien à la NASA,
cours du XXIe siècle. Dans 40 ans, 30 si tout va dont l’administrateur Dan Goldin résume en un
bien ? En attendant, nous avons tant à apprendre trinôme lapidaire les impératifs qu’il s’est fixés :
encore sur cette planète qui a pu ressembler à la « Faster, better, cheaper ». Cette formule, tous les
Terre dans un passé lointain. Sans se laisser entraî- responsables spatiaux sont prêts à l’adopter pour
ner dans des déclarations aventurées, il est rai- définir le contenu, le coût et le calendrier de leurs
sonnable d’affirmer que, dans le système solaire, programmes. Cela vaut tout autant pour les auto-
Mars est le candidat le plus plausible à l’appari- rités du secteur public œuvrant avec des moyens
tion d’une forme de vie il y a plusieurs milliards gouvernementaux, que pour les responsables indus-
d’années. triels en charge des intérêts de leurs compagnies.
143
Chacun a suivi avec émotion et passion les évo- Better, c’est quasiment une évidence dans un
lutions du petit robot mobile américain sur le sol secteur concurrentiel et qui est toujours l’une des
martien : la mission Pathfinder a été un énorme locomotives du progrès technique dans l’industrie
succès médiatique en même temps qu’un superbe de pointe. De la science des matériaux à l’élec-
exploit technique. Pour les années qui viennent, tronique, de l’informatique à la gestion des sys-
plusieurs programmes martiens ambitieux sont en tèmes complexes, il n’est pas de discipline qui ne
préparation. L’ESA propose la mission Mars- soit sollicitée pour la conception et la mise en œuvre
Express qui pourrait être lancée en 2003, pour éta- de systèmes spatiaux. Encore faut-il que le légi-
blir avec précision la cartographie chimique et time souci de ne pas prendre de trop grands risques
minéralogique de la planète. La NASA met beau- en innovant radicalement ne constitue pas un frein
coup d’espoir dans le programme Mars Sample à l’imagination.
Return qui devrait ramener sur Terre, en 2005, des Faster : sommes-nous donc si pressés ? Oui. Le
échantillons pertinemment récoltés sur le sol mar- temps de mise en œuvre de programmes nouveaux
tien. Les planétologues français participeront au dans l’espace (calculé de la naissance de l’idée à
choix des sites de récoltes et à l’analyse des échan- la mise en œuvre de satellites en orbite) peut être
tillons ramenés. Cette mission de retour d’échan- actuellement, sans scandale, de l’ordre de 10 ans ;
tillons martiens est ambitieuse. Elle est cruciale réduire ce délai (à 2 ans par exemple) serait sou-
pour la connaissance de Mars et de son évolution. haitable, et tellement plus conforme au rythme
Si Mars, notre voisine, est l’un des principaux d’évolution constaté, en tout cas souhaité, dans la
points de mire de nos contemporains dans l’ex- plupart des secteurs industriels les plus actifs.
ploration du système solaire, les autres planètes et Vitesse accrue, mais sans précipitation déraison-
leurs satellites, leurs comètes et, avant tout, le Soleil nable : les échecs coûtent chers.
lui-même ne sont pas négligés. L’ESA, par exemple, Et nous voilà tout naturellement conduits au
scrute le Soleil avec son satellite-observatoire Soho ; cheaper. Les systèmes spatiaux sont chers. Sans
elle a lancé avec la NASA une mission dite doute peut-on, au moins partiellement, l’expliquer
RAMSES 2000

par leurs fortes connexions historiques, et encore programmes-phares, tel le programme Apollo, dont
actuelles, au domaine militaire, où le souci des prix l’échec eût été une catastrophe politique pour les
n’a pas toujours été considéré comme la priorité États-Unis, faisait raisonner dans une échelle de
absolue. Les exigences de sûreté, de discrétion valeurs assez différente de celle qu’une compa-
peuvent constituer des facteurs de renchérissement gnie commerciale prend en compte vis-à-vis de sa
de matériels destinés, en partie, à la défense. Mais clientèle. Par boutade, un collègue américain pro-
la diversification et le développement rapide, que posait, il y a une quinzaine d’années, d’utiliser
nous avons décrits plus haut, des systèmes spa- l’« Unité astronomique » (UA) non seulement,
tiaux à usage civil font que la concurrence s’est comme il est d’usage, pour exprimer la distance
fortement accrue et que les clients en dernier res- de la Terre au Soleil, mais aussi pour mesurer le
sort attendent des services qui soient non seule- prix des grands programmes spatiaux. Dans cette
ment toujours plus accessibles et fiables, mais aussi acception nouvelle, une UA représenterait le prix
plus économiques. du programme Apollo (de l’ordre de 80 milliards
L’évolution générale des prix dans le secteur de dollars actualisés). Voilà une méthode de rela-
technique de la communication et de l’informa- tivisation des prix qui présente un certain intérêt,
tion constitue une référence. Pourquoi les coûts au moins psychologique.
des systèmes spatiaux ne pourraient-ils suivre une Une activité spatiale moins onéreuse, à échéance
évolution de même nature ? On entend aujourd’hui plus courte, toujours aussi stimulante pour le pro-
couramment affirmer que le prix des lancements grès du savoir et du savoir-faire, et qui poursuive
au kilo de satellite mis en orbite3 devrait rapide- sa vocation de transformateur de rêves en réali-
ment diminuer de moitié (passer de 20 000 à tés : voilà un objectif ambitieux et réaliste pour le
10 000 dollars par kilo de satellite en orbite géo- siècle nouveau. Au XXe siècle, l’homme a dansé
stationnaire). Sans, bien sûr, que le taux moyen de sur la Lune. Quelles heureuses rondes préparons-
réussite ne diminue ! Les taux d’assurance qui ont nous pour demain ?
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connu des pics à 17 % sont maintenant bien infé-
rieurs à 10 %. Ce souci des coûts n’a jamais été
absent dans la définition de la politique spatiale.
Mais il faut dire que l’exceptionnelle ampleur des 3. Les satellites géostationnaires pèsent quelques tonnes.

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