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SOCIOLOGIES D'INTERVENTION
www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harrnattan1@wanadoo.fr
~L'Harrnattan,2006
ISBN: 2-296-01829-7
EAN: 9782296018297
Jean DUBOST
ANALYSE SOCIALE ET
SOCIOLOGIES D'INTERVENTION
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris
FRANCE
L'Hannattan Hongrie Espace L'Harmattan Kinshasa L'Harmattan Italia L'Harmattan Bnrkina Faso
Kooyvesbolt Fac. .des Sc. Sociales, Pol. et Via Degli Aliisti, 15 1200 logements villa 96
Adm. ; BP243, KIN XI 10124 Torioo 12B2260
Kossnth L n. 14-16
Université de Kinshasa - RDC ITALIE Ouagadougou 12
1053 Budapest
Du même auteur
Ouvrages
Goguelin P., Cavozzi J., Dubost J., Emiquez E., (1971),
Laformation psychosociale dans les organisations, Paris,
PUF.
Dubost J. (1987), L'intervention psychosociologique,
Paris, PUF.
Contribution au Vocabulaire de psychosociologie,
Toulouse, Érès, 2002.
Dubost J. (2006), Psychosociologie et intervention, Paris,
L'Harmattan.
Préface... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
1
Titre français: Intervention et changement dans l'entreprise, Paris,
Dunod.
2
Voir le débat entre E. Jaques et G. Amado dans le n° 6-7, Printemps
1997, de la Revue Internationale de Psychosociologie (devenue en
2006 Nouvelle Revue de Psychosociologie, publiée aux éditions Érès).
3
Voir son article dans n° 10-11 (1999) de la Revue Internationalede
Psychosociologie.
8
Deleuze et F. Guattari qui introduisait la «schizo-
analyse»: une conception inspirée de la thérapie des
psychoses - et non des névroses. Les premiers ouvrages de
G. Lapassade et de R. Lourau concernant «l'analyse
institutionnelle» et la « socianalyse » les précédaient de
peu d'années. La revue Connexions, créée aussi en 1972
par l'ARIP\ consacrait l'année suivante ses numéros 6 et
7 aux courants institutionnels. Le texte repris ici
introduisait le n° 7 en cherchant à reconstituer le
cheminement des notions d'institution, d'analyse ou
d'analyseur pour souligner leurs différences de sens selon
le champ d'utilisation ou les positions théoriques et
politiques des auteurs. Le débat engagé se poursuivait
encore dans le n° 8 et, toujours en 1973, R. Castel publiait
Le psychanalysme, « une première interprétation
d'ensemble de la psychanalyse à partir de ce qu'elle
récuse: son rapport au pouvoir ». Malgré les critiques
souvent sévères adressées par ailleurs aux
institutionnalistes, ceux-ci ont cependant exercé une
influence que je trouve positive en renforçant la place ou
la présence du sociologique dans le cadre de la formation
ou de l'intervention.
Le troisième texte du présent volume contribuait à
un numéro un peu plus récent de Connexions qui faisait le
point sur différents courants psychosociologiques
jalonnant la période 1959-1968-1980. Mon article
concernait une innovation de Touraine: son recours à
l'intervention pour repenser les méthodes de recherche de
la sociologie de l'action. Bien qu'il arrive parfois que
l'auteur compare son rôle à celui du psychanalyste, la
relation qu'il établit avec les acteurs d'une lutte sociale est
évidemment tout à fait étrangère à la méthode freudienne
4
ARIP: Association pour la Recherche et l'Intervention
Psychosociologiques, née en 1959.
9
même s'il s'agit d'inviter les militants à faire l'analyse
sociale de leur mouvement avec l'aide des interprétations
des chercheurs qui orientent le travail « vers la découverte
du sens le plus profond de l'action ». En outre, Alain
Touraine revendique pour sa méthode visée et capacité
démonstrative, une position épistémologique aussi proche
que possible de l' expérimentalisme. Pourtant les modalités
adoptées et la situation qu'elles forment la tirent
objectivement et avec force vers une démarche clinique.
L'évolution suivie par les chercheurs du CADIS5 sur des
nouveaux terrains d'étude renforce cette situation et
s'éloigne de la référence expérimentale. Ainsi, F. Dubet6
explique que son objet est « la subjectivité des acteurs »,
« la conscience qu'ils ont du monde et d'eux-mêmes» ; il
« étudie des représentations, des émotions, des conduites
et les manières dont les acteurs en rendent compte» ; le
chercheur doit «suivre les postulats d'une sociologie
"phénoménologique", "compréhensive"»; «Il est vrai
que ce projet nous rapproche de la psychologie ». « On ne
pourra pas se résoudre toujours à séparer totalement la
psychologie abstraite des sociologues de la psychologie
clinique des psychologues ». Un psycho sociologue
français ne peut regretter de lire ce qu'il disait et faisait
déjà il y a plus d'un demi-siècle dans la foulée des
chercheurs américains et britanniques. Il n'est pas sûr pour
autant que les exigences propres à la logique clinique
soient prises en compte au CADIS. Les psychosociologues
aussi ont mis parfois du temps à les reconnaître et à les
accepter. Par exemple en croyant que le fait pour le
chercheur de s'installer dans une approche en extériorité
5
Le Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologique, créé par
Touraine.
6
Dubet F. (1994), Sociologie de l'expérience, Paris, Seuil. Les
citations sont prises p. 98 et pp. 256-258.
10
permet d'obtenir « l'étude objective de la subjectivité des
acteurs» ; qu'elle permet aussi d'ignorer son implication,
le rôle joué par sa propre subjectivité, ou les phénomènes
de transfert et de contre-transfert. Pour le plaisir
d'emprunter le langage de Dubet, je dirais qu'un tel état
d'esprit révèle l'inadéquation de la subjectivité du
chercheur aux attentes «objectives» de la situation
clinique.
Le dernier texte de ce recueil introduisait un numéro
d'Education permanente (décembre 1992) consacré à
« L'intervention du sociologue dans l'entreprise»; il
propose un schéma typologique où l'on peut situer
facilement chacun des trois courants abordés ici. On peut
l'utiliser aussi plus finement pour suivre le processus
d'une intervention, la façon dont elle est conduite à tel ou
tel moment. Elliott Jaques, par exemple, engage son
travail à la Glacier Metal conformément aux critères du
second type, on peut même dire qu'il le fonde de façon
exemplaire. Mais on peut se demander aussi s'il n'évolue
pas vers le troisième type, à partir de quel moment et pour
quelles raisons? Ou encore vers le premier type à d'autres
périodes?
Mai 2006
11
1
14
Contre la position technocratique, une approche
« collaborative» (1947)
9
Adam Curle, « Transitional Communities and social Re-
connection », Human Relations, l,let 1. 2,1947.
10Elliott Jaques, « Social Therapy Technocracy or Collaboration? »,
Journal of Social Issues, III, 2; 1947.
15
« psycho-sociologue », on note également une position
ambivalente; il éprouve des sentiments de puissance liés
au fait que les techniques qu'il connaît et juge valables
sont inconnues du demandeur, et des sentiments d'anxiété
et d'impuissance, car la société lui dénie la possibilité
d'avoir accès aux problèmes sociaux que lui-même sait
pouvoir traiter.
E. Jaques ne met pas en doute la réalité du savoir du
spécialiste en sciences sociales ni les avantages que
pourraient en tirer théoriquement la société; ce qu'il
dénonce plutôt, c'est le danger d'une orientation
technocratique prétendant agir pour ou sur les gens, plutôt
qu'avec les gens.
Face à une requête énoncée en termes de «dites-
nous quoi faire» qui recouvre trop fréquemment, dit
Jaques, une attitude défaitiste inconsciente, un désir sous-
jacent de fuir ses responsabilités, une difficulté à faire face
à une situation complexe et désagréable, il est tentant,
pour celui qui est appelé, de prendre la responsabilité «
juste pour une courte période» ou de déposer après étude
un rapport diagnostic, assorti ou non de préconisations.
Mais en agissant ainsi, l'intervenant bloque à un degré
plus ou moins grand, chez le système-client la possibilité
de développer de nouveaux rôles qui lui permettraient de
faire face lui-même à ses propres problèmes. Il entretient
une dépendance continue à son égard sans possibilité
d'émancipation, suscite un ressentiment compréhensible à
l'égard de la science sociale, une confusion née des
conseils donnés sans moyens pour les appliquer. Outre les
réactions d'hostilité que l'approche technocratique en
milieu industriel déclenche chez les travailleurs, la
direction reste elle-même fréquemment insatisfaite.
De fait, le rôle que Jaques tente de définir oppose
son approche aussi bien à celle du mouvement issu des
travaux américains d'Elton Mayo et Dickson qu'à celle de
16
la psychologie industrielle anglaise, à l'attitude de
l'ingénieur en organisation ou de l'expert, qu'à celle
qu'adoptent traditionnellement les travailleurs sociaux, les
éducateurs ou les enseignants. La voie que propose Jaques
à la psychosociologie est d'adopter une visée de thérapie
sociale, de rendre l'organisation cliente capable de
s'approprier la connaissance et les techniques des sciences
sociales dans le but de faire face de façon plus adéquate à
ses propres problèmes. « La collaboration est dirigée vers
le renforcement des tendances positives et l'élimination
des facteurs qui entravent le bon fonctionnement!!. »
Elle exige de la part du consultant le respect de trois
conditions:
- conserver une attitude objective malgré le caractère
puissant des émotions se développant dans les groupes,
sans perdre pour autant sa spontanéité,
- impliquer dès le début du processus la totalité des
individus et des groupes qui seront éventuellement
affectés par les résultats, sous peine d'engendrer l'anxiété
de ceux qui sont tenus à l'écart et d'accroître les tensions
intra-groupe,
- garder l'esprit ouvert à tous les aspects d'un problème
social et obtenir l'accord sur la neutralité du consultant à
l'égard de tous.
Le processus type par lequel la réponse à une
demande de conseil peut se traduire est analysable en trois
étapes:
a) la reconnaissance du problème: dès le stade du premier
examen, l'équipe appelée en consultation doit impliquer
immédiatement toutes les parties; c'est au travers de la
constitution d'un «planning group », comprenant des
Il
Article cité: l'auteur s'appuie surtout dans ce texte sur son
expérience d'intervention dans l'armée britannique (sélection des
officiers) durant les années de guerre.
17
représentants de toute la communauté et l'intervenant lui-
même, que les éléments de départ pourront être dégagés.
Le travail réalisé par cette première instance et qui amorce
la participation de l'organisation à son propre traitement,
permettra souvent de découvrir que l'énoncé de la
première demande en cachait d'autres, et qu'il faudra aller
au-delà de ces symptômes. Cette étape peut prendre une
journée ou de nombreux mois;
b) l'étude (ou l'action) pilote: à partir des résultats du
premier examen, il devient possible d'engager sous le
contrôle du «planning group» une action à petite échelle
destinée à recenser et à éprouver la validité de techniques
susceptibles d'être appliquées à des problèmes plus vastes.
Cette phase permet à la communauté de se familiariser
avec les méthodes nouvelles et de réaliser les conditions
qui permettront à terme d'aboutir à «sevrer»
l'organisation du, ou des, consultants;
c) la réalisation du projet: prise en charge par
l'organisation elle-même des techniques et du processus
thérapeutiques. L'étude-pilote a permis d'impliquer un
nombre de personnes assez élevé, les tensions de groupe
ont pu être suffisamment réduites pour que les
responsables de l'organisation puissent se passer
davantage des consultants. Ceux-ci, placés un peu à
l'écart, peuvent encore donner un avis et aider à éclairer
les difficultés qui peuvent surgir.
Enfin, la voie proposée par Jaques met au centre de
l'approche « collaborative» le problème de l'ambivalence,
les phénomènes de transfert et l'interprétation des
résistances.
Les problèmes variés qui surgissent inévitablement
aux différents stades ont peut-être une signification
majeure pour l'organisation. Ils tendent à faire apparaître
des attitudes ambivalentes à l'égard du processus de
traitement. D'une part, il y a le désir d'une amélioration,
18
de la résolution de tensions, du développement de
nouvelles techniques; d'autre part, il y a la crainte que le
traitement ne soit plus pénible que le problème. Le désir
de conserver les anciens comportements, même s'ils sont
sources d'ennuis, risque de balancer celui de créer de
nouveaux rôles que les individus ou l'organisation ne se
sentent pas encore prêts à adopter, même si simultanément
on a le sentiment que ceux-ci constituent un progrès.
L'ambivalence envers le traitement, trait de la thérapie
individuelle, est probablement un phénomène constant de
la thérapie sociale. Dans un cas comme dans l'autre elle
est dirigée sur le thérapeute.
Ce processus connu sous le terme de transfert est
utilisé en psychanalyse comme base de la thérapie; Jaques
pense que l'on peut de même s'en servir en sociothérapie.
Ainsi le transfert des sentiments positifs sur le consultant
et la psychosociologie rend possible le traitement social,
ces sentiments reflètent le désir de changement et peuvent
être interprétés comme tels. D'autre part, le transfert
négatif sur les intervenants des réactions d'hostilité et de
ressentiment suscitées par les anxiétés liées à l'idée des
changements possibles ainsi que les frictions entre les
personnes et les groupes se reflètent dans les résistances à
la collaboration.
Ces résistances se traduisent par exemple par des
questions apparemment innocentes, mettant à l'épreuve les
bonnes intentions du consultant, le fait de le reléguer à
l'écart en l'absorbant par des détails insignifiants, de le
désarmer par un excès d'enthousiasme dans le but
d'émousser sa perception critique et de miner son statut
d'indépendance, ou encore dans le fait qu'un membre du
groupe se mette à dépendre de lui, absorbant son temps et
son énergie en le mettant aux prises avec un problème
personnel. Le refus tout net de coopérer est plus rare qu'on
pourrait s'y attendre; les mécanismes de défense
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exprimant le désir de désarmer l'intrus, ressenti comme
menaçant la sécurité de l'organisation et usurpant les rôles
des membres du groupe peuvent prendre toutes sortes de
formes subtiles. Mais, pour Jaques et pour Wilsonl2, le
maniement de ces résistances est crucial; le changement
social peut s'accomplir seulement dans la mesure où les
résistances sont analysées et surmontées au travers du
comportement de transfert sur le thérapeute.
Si l'on admet l'importance de ces mécanismes
inconscients, si l'on doit reconnaître dans les réactions aux
intervenants la part de résistance au changement et se
proposer comme tâche de démasquer efficacement ces
transferts pour permettre aux membres du groupe de
procéder à l'examen du changement requis et de leurs
propres rôles dans la nouvelle situation, alors la formation
psychanalytique des intervenants devient la condition
nécessaire au succès de l'intervention. C'est la meilleure
garantie que les phénomènes de transfert ne soient pas pris
à la légère et l'assurance que le consultant prenne en
compte et traite toujours les tensions liées à sa propre
présence.
Par l'interprétation des résistances de groupe,
conclut Jaques dans ce texte de 1947, le thérapeute peut
réaliser ce rôle «collaboratif» et neutre; il participe au
changement social ni en manipulateur ni en ingénieur,
mais en clarificateur qui aide le groupe à rendre
manifestes ses tensions internes, de telle sorte que celui-ci
puisse faire face lui-même à ces tensions dans les
meilleures conditions.
12
ATM. Wilson, « Implications of Medical Practice and Social
Casework for Action Research », J of Soc. Issues, vol. III, n° 2, 1947.
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