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UNIVERSITE DE PARIS 8

INSTITUT FRANCAIS D'URBANISME

UNE TERRE SANS PRIX

Réfornle foncière et urbanisation au Viêt-Nam


Hanoi, 1986-2000

THESE EN VUE DE L'OBTENTION DU DOCTORAT


EN URBANISME ET AMENAGEMENT

LAURENT PANDOLFI

Sous la direction de Charles GOLDBLUM


Laboratoire Théorie de Mutations Urbaines
Mars 2001
UNE TERRE SANS PRIX

Réforme foncière et urbanisation au Viêt-nam


Hanoi, 1986-2000

Laurent PANDOLFI
REMERCIEMENTS

Mes plus sincères remerciements vont à Charles Goldblum pour son écoute attentive et la précision de ses
commentaires ainsi que pour m'avoir guidé, de Hong Kong à Hanoi, dans ma découverte des réalités urbaines de
l'Asie du Sud-Est contemporaine.

Ma rencontre avec Nguyên Qu6c Thông, à l'université d'architecture de Hanoi, fut décisive dcms mon choix
d'étudier cette ville. Pour cela et pour bien d'autres choses, je lui suis profondément reconnaissant. Je salue la
mémoire du recteur de l'université d'architecture de Hanoi, D~g Tô Tuân, qui permit mes recherches à Hanoi.
L'aide que m'apporta Nguyên Vi~t Châu, directeur de l'institut d'architecture et de construction de Hanoi, fut
également précieuse. Ce travail n'aurait pu être réalisé sans la confiance, maintes fois renouvelée, de Serge
François puis M. Seigneur au ministère des affaires étrangères.

Je suis particulièrement reconnaissant à Vincent Renard de m'avoir inlassablement conseillé et encouragé dans
mes recherches. De nombreuses conversations avec Xavier Oudin, Claude de Miras, Philippe Papin et Gérard
Osbert me permirent également de mieux appréhender la réalité de la société vietnamienne. Merci à Alain
Durand-Lasserve pour ses conseils. L'amitié et l'entraide de Fanny Quertamp et Olivier .Chabert me furent
précieuses dans mes travaux mais aussi dans les multiples aspects de la vie de doctorant à Hanoi.

Je tiens à remercier pour leur accueil chaleureux et l'attention qu'ils ont bien voulu porter-à,mes innombrables
interrogations: Dào Thj Thu Huang, Djnh 5y Chuong, Nguyên T6 Lang, Ph~m Khanh Toàn, Ph~m Minh Dé,
Pham Thanh Binh, Ph~ Trung Kiên, Phan B~ch Duang, Trà.n Hùng, Trjnh Duy Luân et Vü Thi Anh Thu. Merci
à Nicolas Osbert, Francisca Garcia-Rivas, Luc Nguyên Duong, Isabelle Urvoy et Vû Duc Tùng pour leur aide à
la conception des illustrations.

Je dédie ce travail à ma famille, en France et au Viêt-nam.

Cette thèse a reçu Je soutien du programme de bourses Lavoisier du Ministère des Affaires étrangères.
Hanoi parmi les villes de l'Asie-Pacifique.

RUSSIE

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Source: 2001 Plus, n039, p 2.

Hanoi s'inscrit dans la diagonale nord-est sud·ouest que forment les grandes villes de "Asie-Pacifique. La capitale du Viêt-nam
occupe une place médiane entre les métropoles de l'Asie de l'Est (Tokyo, Pékin, Séoul, Shanghai, Hong Kong ... ) et celles de
l'Asie du Sud-Est (Bangkok, Singapour, Kuala Lumpur, Jakarta ... ).
SOMMAIRE

INTRODUCTION

PARTIE 1. HERITAGES ET PROCESSUS INSTAURATEURS.

Chapitre 1. Propriété foncière: de l'administration mandarinale à la collectivisation


socialiste.
1. Entre tradition d'exploitation communautaire et goût pour la propriété terrienne.
2. Maîtriser juridiquement et valoriser économiquement le sol de la ville coloniale.
3. La gestion foncière socialiste et ses limites.

Chapitre 2. Hanoi, 1954-1986 : la ville non marchande.


1. Administrer l'urbanisation.
2. La production de logements: entre rêve de grandeur et misère.

Chapitre 3. La refondation juridique.


1. Le laboratoire chinois.
2. Régime foncier dual.
3. Reconnaissance a minima du droit à l'indemnisation des terrains.

Chapitre 4. Fixer le prix des terrains?


1. L'hypersensibilité du marché noir.
2. La chimère d'une valeur officielle du sol.
3. Les contradictions du calcul des indemnisations foncières.

PARTIE 2. APPLIQUER LES REFORMES.

Chapitre 5. Entre l'Etat et le peuple: la municipalité.


1. Un pouvoir municipal encadré et contesté.
2. Des coutumes populaires vivaces.
3. La lente mue de l'administration municipale.

Chapitre 6. Rapports de force fonciers.


1. Les conflits de régularisation des droits d'usage du sol.
2. La souplesse des prescriptions d'usage et de constructibilité.
3. Une procédure d'indemnisation inadaptée au nouveau contexte économique.

Chapitre 7. Parc public de logements: régulariser pour mieux privatiser.


1. Protéger les droits acquis de la politique socialiste du logement.
2. Les ratés de la privatisation des logements collectifs.
PARTIE 3. VALORISATION FDNCIERE ET FORMES DE PRODUCTION
IMMOBILIERE.

Chapitre 8. L'autoproduction : forme dominante" par défaut ".


1. Le détournement des principes du partenariat.
2. Dynamisme de la production d'initiative individuelle.
3. Utilité et limites de "autofinancement.

Chapitre 9. Le chantier du secteur de l'aménagement-promotion.


1. L'émergence du secteur.
2. La promotion immobilière: expression du " eorporatisme socialiste ".
3. Les vicissitudes de l'aménagement des quartiers résidentiels.

Chapitre 10 : Les ambitions de la promotion internationale.


1. Les ambiguïtés de l'investissement direct étranger.
2. Le jeu croisé des acteurs.
3. Immobilier de prestige: les aléas de la course à la centralité.
4. L'Eldorado des villes nouvelles.

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

LEXIQUE

TABLES DES TABLEAUX, FIGURES, CARTES, ILLUSTRATIONS ET ENCARTS

TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION

Depuis 1986, le Viêt-nam est engagé sur la VOle de réformes visant à remplacer une
économie en grande partie administrée par l'Etat par une économie multi-sectorielle
accordant une part croissante au secteur privé et aux mécanismes de marché. Affectant en
profondeur l'ensemble des activités du pays, ce changement de système économique ne
pouvait être réalisé du jour au lendemain. Une période de mutation s'ouvrit donc. Cette
période, connue sous le nom de D6i méfil, se poursuit depuis quinze ans. Contrairement
aux changements que connaissent les pays de l'Est puis 1989, cette mutation économique
n'implique pas l'abandon de l' idéolo gie communiste et le ralliement à la démocratie
libérale. Au contraire, le recours à l'économie de marché est présentée officiellement par
le Parti communiste comme une mesure nécessaire maIS transitoire dans
l'accomplissement d'une société socialiste. Cette rhétorique, destinée à préserver la
légitimité politique du Parti, n'empêche pas le gouvernement de mener de manière
concrète la libéralisation de l'économie du pays. Dès 1988, les investisseurs étrangers ont
pu s'implanter dans le pays et la petite économie privée a été encouragée. Peu à peu, tous
les secteurs d'activité ont été soumis aux lois du marché. La privatisation (dans le langage
officiel, il s'agit d' «actionnarisation ») des entreprises d'Etat a débuté et la création d'un
marché des capitaux est prévu en 2000 avec l'ouverture d'une bourse des valeurs à Hô Chi
Minh Ville? Ces réfonnes ont d'abord permis à l'économie de se développer très
rapidement (taux de croissance du PIB de 8% en moyenne entre 1988 et 1997). Le pays
est ainsi sorti de l'impasse dans laquelle la diminution puis l'arrêt de l'aide soviétique
l'avait conduit au milieu des années 1980 et a pu rej oindre dès 1995 les nations voisines au
sein de l'ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud Est).

Les villes ont joué un rôle essentiel dans le redémarrage de l'économie. Les deux grandes
villes du pays, Hanoi et HeMY, furent les véritables foyers de la croissance. Elles
attirèrent à elles seules la moitié des investissements étrangers. 3 Le niveau de vie des
citadins augmenta considérablement et un fossé se creusa avec la population rurale, au

1 Le tenne De5i mm signifie littéralement « changer pour faire du neuf». On le traduit parfois en français par
« rénovation ». Toutefois, l'expression vietnamienne ayant été adoptée telle quelle en anglais et en français, nous
préférons la conserver dans sa langue d'origine.
Nous utiliserons par la suite l'abréviation HCMV.
3 Enjanvier 1998, 1773 projets d'investissements étaient recensés' dans tout le pays. 589 étaient situés à HCMV
et 283 à Hanoi. L'attraction des deux villes est encore plus forte si l'on prend en compte le réseau de villes
moyennes situées dans leur aire d'expansion économique (voir chap. la).
point qu'en 1998 le revenu des hahitants des deux grandes villes du pays était trois fois
plus élevé que celui de la population rurale. 4 Le développement de l'écono'mie urbaine et
l'attrait exercé sur les populations rurales entraîna une augmentation substantielle de la
population des villes. Entre 1989 et 1999, la part de population urbaine dans la population
du pays passa de 20,5% à 23,5%, soit 18 millions de citadins. s En 1998, Hanoi et HCMV
accueillent à elles seules un quart de cette population. La concentration des activités
économiques et de la population dans' ces deux grandes villes engendra un double
phénomène de métropolisation et de bipolarisation urbaine (voir carte 1_1).6

La métropolisation impliquait des transformations radicales de leur cadre bâti. Sous la


pression des investissements étrangers, les centres-villes attirèrent les projets d'immeubles
de grande hauteur destinés à des hôtels internationaux ou à des bureaux d'entreprises
étrangères. Parallèlement, les franges rurales des villes étaient absorbées par l'expansion
urbaine. La population construisit, à un rythme soutenu, sur les terrains libres au sein des
villes avant de déborder sur les terrains ruraux avoisinants. Les pouvoirs publics
essayèrent de suivre le mouvement en lançant de grands programmes d'infrastructures
urbaines avec l'aide des institutions fInancières internationales et des pays étrangers. Les
mutations qui allaient s'opérer dans les deux métropoles étaient profondes. En l'espace
d'une dizaine d'années, elles devaient sortir de la léthargie dans laquelle la conception
socialiste de la ville non marchande les avait plongées pour devenir les grands centres
économiques et commerciaux du pays. C'est ce formidable défI qui fait tout l'intérêt de
l'études des villes vietnamiennes dans la période actuelle.

4 En 1998, le revenu réel par habitant était de 242 US$ pour l'ensemble de la population, celui de la population
rurale de 191 US$ et celui de la population urbaine de 549 US$. Les habitants des deux grandes villes du pays
disposaient d'un revenu de 625 US$, près de trois fois le revenu de la population rurale ( General statistical
office, 1999, p 291).
5 Recensements nationaux de 1989 et 1999.
6 Il convient de distinguer les métropoles qui sont des grandes agglomérations de la métropolisation qui est la
concentration grandissante au sein des métropoles des populations, des activités et des richesses ( pour une
discussion de la métropolisation et sa nouvelle forme, la « métapole », voir François Ascher, 1995)

2
Carte 1-1. La bipolarité urbaine du Viêt-nam.

Populelion de. ville. en 1992


Ihabllent.}
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1 992500
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100000
2000

o 100 200 km

Source: Ville~.' OfgBflIsalion dB l'espllCl1. Franck Aunac el Vu Chi DOng, maison de la oioorapnie de Montpellier, novembre 1997, planche 15.

Le Viët-nam comptait, en 1999, 76 millions d'habitants dont 18 millions vivaient dans les villes (soit 23,5%, en augmentation de 3%
par rapport à 1989). Ce faible taux de population urbaine explique que le réseau des villes du Viët-nam soit relativement peu dense.
Si l'on s'en tient aux habitants des villes sans tenir compte de ceux qui vivent dans les aires périurbaines, les deux grandes villes du
pays, HCMV (3,1 millions d'habitants en 1992) au sud et Hanoi (1 million d'habitants en 1992) au nord, concentrent à elles seules un
quart de la population urbaine. Mais leur poids est bien plus important si l'on considère les ensembles de villes moyennes qu'elles
agrègent par leur influence économique. Hué et surtout €là Nàng dans le centre constituent les seuls contrepoids à la « bi-polarité»
urbaine (au sens où l'on parle de primauté urbaine) qui caractérise l'urbanisation du pays.

3
Dans le cas de Hanoi, la situation était cependant bien différente de celle de HCMV. La
métropole du Sud n'avait été conquise par le pouvoir communiste qu'en 1975, après deux
décennies d'urbanisation intense grâce aux capitaux américains. En une dizaine d'années,
le pouvoir n'eut ni le temps ni les moyens de la transformer en ville socialiste modèle. Dès-
les prémices de l'ouverture, elle retrouva cette vigueur qui faisait de Saïgon une des plus
grandes cités commerciales de l'Asie du Sud-Est jusqu'au milieu du 20ème siècle. Cette
tradition fut renforcée par le choix politique d'utiliser HCMV comme lieu
d'expérimentation des réformes en raison de son tissu économique puissant et de la
présence d'une diaspora chinoise particulièrement apte à ressusciter les mé.canismes de
marché. AI' inverse, Hanoi rencontre les plus grandes difficultés à se débarrasser de son
passé de ville socialiste modèle. Capitale de la République socialiste du Viêt-nam depuis
1954, elle fut le lieu privilégié d'application de l'idéologie urbaine socialiste. Les réformes
du foncier et du logement y furent conduites de manière radicale dès la fm des années
1950. Lieu du pouvoir et siège de toutes les grandes administrations du pays, elle est aussi
en grande partie peuplée de salariés du secteur public. Les habitants y sont beaucoup plus
sensibles au désengagement progressif de l'Etat et peu préparés aux lois du marché. En
outre, le cadre bâti y est plus qu'ailleurs conçerné puisque la capitale possède un
patrimoine architectural et urbain unique dans le pays.

C'est en nous interrogeant, à l'origine, sur l'avenir de ce patrimoine bâti que nous avons
été amené à définir notre sujet de recherche. Au début des années 1990, l'ouverture du
Viêt-nam aux courants financiers internationaux laissait craindre qu'elle conduise à la
destruction massive du patrimoine urbain comme cela était alors le cas en Chine.? Nous
pensions rendre compte de cette question sous l'angle de la modernisation urbaine en
analysant la relation qui se créait entre un environnement physique précis (le cadre bâti de
Hanoi) et un phénomène économique particulier: les flux financiers internationaux
matérialisés sous la forme de coopérations publiques-privées. Il nous est toutefois apparu
ensuite que la question patrimoniale ne permettait pas de prendre toute la dimension des
transformations urbaines en cours. En particulier, elle nous condamnait à étudier la
question de la centralité en dehors de la relation essentielle entre centre et périphérie. En
outre, le patrimoine relève de symboliques qui puisent leurs source dans la culture -

7 Les centres de Shanghai, Shuzhou ou Pékin font l'objet de programmes de rénovation urbaine très lourds qui
conduisent à la destruction du patrimoine urbain. A propos de Shanghai, voir Françoise Ged (2000).

4
étroitement liée à l'idéologie dans le cas du Viêt-narn- du pays. Ce pan de la question nous
éloignait des aspects économiques que nous souhaitions étudier. Nous avons alors
réorienté notre recherche sur l'étude des impacts physiques des investissements étrangers à
Hanoi. Nous pensions que les effets de la globalisation allaient ~tre déterminants dans la
transformation urbaine de la capitale. Les travaux qui mettaient alors en avant
l'interrelation de l'espace et de l'économie pour expliquer les nouvelles formes urbaines
attiraient toute notre attention. 8

Notre réflexion en tennes d'impacts ne résista toutefois pas à l'expérience du terrain. Tout
d'abord, nous avons eu l'intuition que la multitude des projets d'investissements dans la
promotion et l'aménagement qui fleurissaient dans la presse économique du début des
années 1990 ne constituaient en réalité que des « déclarations d'intention» ou peut-être
des prises de positions anticipées. La crise régionale de 1997 allait confirmer nos doute sur
l'horizon de réalisation de ces projets. Plus fondamentalement, nous avons pris conscience
qu~ la manière dont les investissements étrangers agissaient sur le cadre bâti n'était pas
aussi simple que nous le pensions à l'origine. Des discussions avec des investisse)JIs sur
place ont laissé apparaître leur peu de prise sur la réalité urbaine. Si les projets
internationaux peuvent transfonner le paysage d'une ville, c'est parce que les conditions
nécessaires à leur implantation ont été modifiées auparavant pour les accueillir. Les
investissements étrangers nous sont ainsi apparus à la fois en amont comme des
« stimulants» et en aval comme des « artéfacts» du développement urbain mais pas
comme les concepteurs et les organisateurs de la transformation urbaine.

Lors des entretiens avec les investisseurs étrangers, la question foncière revenait avec
force. Le problème le plus important que posent les projets urbains étrangers à la ville de
Hanoi est en effet celui de l'attribution de terrains. Certains, allant parfois jusqu'à exiger
de véritables concessions, ont provoqué des émeutes paysannes. Nous avons alors déci-pé
de concentrer notre travail sur l'évolution du régime foncier dans sa relation à
l'urbanisation au Viêt-nam et à Hanoi en particulier, les investisseurs devenant des acteurs
parmi d'autres de cette relation.Si, pour une étude de la seule question des investissements
étrangers, HCMV est incontestablement «en première ligne », le site de Hanoi nous a

8 Les ouvrage de Pierre Veltz (1996) et de François Ascher (1995) sur le rôle des nouvelles formes
d'organisation de la production au niveau mondial dans la structuration du territoire et notamment dans
l'émergence de métapoles urbaines nous semblent constituer un cadre d'analyse utile pour comprendre le rôle
des investissements étrangers au Viêt-nam.

5
pennis de mieux saisir le phénomène de rupture que provoque la réfonne foncière avec le
régime foncier et l'urbanisme socialiste.

Des travaux antérieurs sur les villes asiatiques mettaient en lumière le rôle capital joué par.
la question foncière. La métropolisation qui gagne les grandes ville de l'Asie du Sud-Est
depuis plusieurs décennies prend des formes radicalement différentes selon les pays. Les
métropoles oscillent entre le modèle que constitue Singapour à plus d'un titre et la « crise
urbaine» qui saisit des agglomérations comme Bangkok, Manille ou Jakarta (Goldblum,
1996). Au cœur des mutations qui touchent à la structure urbaine des villes sud-est
asiatiques se trouve la question foncière: la concentration de populations, d'activités et de
richesses dans les villes provoque de nombreux conflits d'appropriation et d'usage du sol.
Dans les centres, ils opposent les acteurs du secteur, immobilier 'tertiaire international
(tours de bureaux, hôtels internationaux... ) à des populations qui ne trouvent plus à s'y
loger. En périphérie, ce sont les populations rurales qui résistent à abandonner leurs terres
au profit de projets de villes nouvelles.

Dans leur quête d'un modèle urbain organisé par cette relation centre-périphérie, dont
Singapour est l'expression la plus achevée, les pouvoirs publics se heurtent ainsi à la
« résistance» du foncier. Singapour fait logiquement figure de cas exceptionnel puisque le
foncier y fut entièrement « instrumentalisé» pour servir un objectif de planification qui
allait bien au-delà des aspects urbains. L'expropriation massive se doubla d'une
dépolitisation ~e l'espace, alors marqué par les origines ethniques de ses occupants, pour
pennettre la construction d'un nouvel ordre social (Goldblum, 1983, p 89). A Bangkok, au
contraire, l'Etat n'intervint pas dans les questions foncières lors de la croissance de la ville
à la fin des années cinquante (Durand-Lasserve, 1983). Le marché étant incontrôlé, un
processus spéculatif foncier s'enclencha, produisant une trame urbaine chaotique faite de
la subdivision des franges urbaines en milliers de lots sous-équipés et sous-occupés.
L'Etat n'eut pas de politique foncière avant le début des années 1980 car le foncier jouait
un rôle économique (placement de la petite épargne) et idéologique (pacification sociale
par la propriété) auquel il ne voulait pas porter atteinte (Durand-Lasserve, 1983, p 143 et
s.).

6
Un autre aspect des problèmes soulevés par la maîtrise du foncier est fourni par le cas de
Jakarta. Michael Leaf (1993) a mis en évidence les racines coloniales de la dualité urbaine
de la capitale indonésienne à travers l'évolution des droits fonciers. Le développement de
l'habitat infonnel sous fonne de villages urbains, ou kampung, est une résultante directe
de la non-reconnaissance des droits des autochtones à hauteur des droits des colons par la
puissance néerlandaise. La structure foncière des villes dépend étroitement de l'histoire
des sociétés; la nature des droits qui. s'y appliquent en est la trace. Ce constat de
l'influence du foncier sur les formes de l'urbanisation renforça notre conviction que la
recherche d'un type d'urbanisme nouveau pour remplacer l'urbanisme socialisme au Viêt-
nam ne pouvait faire l'économie d'une compréhension en profondeur du système foncier
urbain. 9

Au Viêt-nam, tout ce qui touche au foncier possède une très forte teneur politique. Le droit
de chacun à la terre fut au centre de la lutte révolutionnaire communiste menée contre la
puissance coloniale française à partir des années 1930. Ce fut un facteur fondamental du
ralliement des masses paysannes à la révolution. Arrivé au pouvoir, le parti communiste
appliqua les principes marxistes-léninistes de la propriété collective des terres et de leur
gestion par l'Etat. Pour ces raisons, il était impossible que le pouvoir abandonne la
propriété publique du sol lors de l'adoption des réformes. Pourtant, le développement
massif et incontrôlé de la construction individuelle et l'émergence d'un marché noir des
terrains à bâtir montraient bien la nécessité de modifier le régime foncier. Les besoins en
terrains des différents acteurs économiques de la ville ne pouvaient plus être satisfaits dans
le cadre rigide de la gestion non marchande des usages du sol. Le pouvoir devait réagir
sous peine de voir l'ensemble des transactions foncières passer dans la sphère de
l'économie informelle. Enfin, l'enjeu du foncier urbain n'est pas seulement politique et
économique mais aussi social. Non reproductible et support du logement, le sol est en effet
un bien précieux pour la population. Dans le contexte d'une économie en profonde
transfonnation, il devient même le seul patrimoine véritablement sûr. Il joue un rôle
essentiel dans les stratégies d'enrichissement et d'élévation dans l'ordre social. Au moins
autant que les décisions politiques, le comportement de la population envers le bien
foncier est détenninant dans la production de la ville. En découvrant ces multiples facettes
de la question foncière, nous pouvons mesurer l'importance que revêt le sol dans la

9 Bien que connexe, la question des terres rurales se pose de manière très différente et nous n'y ferons que très
rarement référence.

7
création d'un nouvelle forme d'urbanité au Viêt-nam, et en particulier à Hanoi, après
quarante années d'urbanisme socialiste.

Jusqu'à présent, la recherche sur les villes vietnamieIUles n'a que très peu traité de la
question foncière en tant que telle. lO Michel Prouzet et Nguyen Trong Nam Tran (1990)
ont écrit l'un des rares textes en français consacré à ce sujet. Ils pointaient avec précision
les contradictions entre l'orthodoxie des lois et le pragmatisme des acteurs. L'intérêt de
leur analyse est malheureusement réduit par le fait qu'elle eut lieu avant l'adoption de la
loi foncière fondatrice en 1993. Dans le cadre d'un ouvrage consacré aux questions
d'habitat et d'enviroIUlement urbain au Viêt-nam, Mac Laren (1997) proposa une lecture
détaillée de cette loi et montra comment elle se heurta dans sa mise en œuvre aux
comportements des particuliers et des investisseurs. En dehors de ces deux textes,
certaines recherches se sont intéressées à la réforme foncière, mais dans des contextes
spécifiques. Ce sont les travaux sur les conditions de logement des populations pauvres
qui sont les plus intéressants car ils sont amenés à définir avec précision le statut réel de
l'occupation des sols des soi-disant «squatteurs» (Harnois, 2000, Evertsz, 1997)Y
Toutefois, en se concentrant sur un aspect spécifique de la question foncière, ces travaux
ne s'interrogent pas sur son rôle dans la modification de l'urbanisation dans les villes
vietnamiennes. Des recherches ont été menées sur les aspects socio-économiques de
l'urbanisation (TIinh Duy Luân et Nguyên Quang Vinh, 1997, Parenteau, 1997;
Quertamp et De Miras, 2000) ainsi que sur les changements intervenus dans les politiques
urbaines (Nguyên, 1998) mais sans les relier étroitement à la question foncière.

La question foncière dans les villes est une réalité qui se laisse difficilement appréhender
par un seul champ disciplinaire ou une seule théorie. La principale raison en est que la
terre n'est pas un bien comme les autres. Il s'agit d'un bien unique, non produit et non
- - reproductible, qui fait l'objet d'un comportement de rente de la part de ses propriétaires. 12

10 Nous ne recensons ici que les travaux concernant la période postérieure à l'adoption des réformes. On peut
toutefois noter que de nombreux travaux contemporains d'universitaires français et vietnamiens portent sur
l'étude historique des cadastres fonciers.
Il Ces travaux s'inscrivent plus généralement dans un courant de la recherche urbaine qui voit dans le régime
foncier une cause essentielle de discrimination des populations pauvres dans les grandes métropoles des pays en
voie de développement (en Asie du Sud-Est, la Thaïlande, et Bangkok en particulier ont fait J'objet de tels
travaux, voir notamment Durand-Lasserve, 1983). Ce constat amène, les auteurs à proposer des solutions de
régularisation des occupations du sol « de fait» (Dowall 1987, Payne, 1997).
ème
12 En étudiant le prix des terres agricoles au début du 19 siècle, David Ricardo a montré, le premier, que le
prix de la terre dépendait fondamentalement du comportement de rentiers des propriétaires. Le propriétaire de la
terre jouit d'un avantage que ne possèdent pas les détenteurs d'un autre capital puisqu'il usurpe passivement

8
La science économique ne parvient pas à faire entrer totalement le sol dans des modèles de
fixation de la valeur par les mécanismes de marché 13. Le modèle de William Alonso
(1964) est celui qui a acquis la plus grande célébrité. A la fois modèle de valeur du sol et
de localisation de l'habitat. Il suppose que le marché foncier est en situation de
concurrence pure et parfaite et que les prix sont dépendants des coûts de transport entre le
centre et la périphérie des villes. Ce modèle a mis en évidence des régularités dans les
valeurs foncières des villes occidentales et il reste aujourd'hui le paradigme dominant de
la recherche en économie urbaine. Il est pourtant insatisfaisant pour nombre de chercheurs
qui contestent ses hypothèses réductrices et constatent son échec à interpréter la diversité
de la réalité des villes contemporaines (ADEF, 1990, Hoang et Wakely, 2000, p 8). Le
courant néo-marxiste de l'économie a essayé de montrer que le prix des terrains était lié
non à la concurrence sur le marché mais aux spécificités du mode de production capitaliste
(Topalov, 1973, Lipietz, 1974, Harvey, 1978). Pour ces auteurs, le sol urbain est avant tout
un support à la mise en valeur du capital productif. Ils utilisent les notions marxistes de
rente de monopole et de rente différentielle pour expliquer le tribut que prélèvent les
propriétaires fonciers sur les investissements immobiliers. Ces travaux introduisent une
dimension sociale qui est essentielle dans la compréhension de la question foncière
urbaine. En revanche, ils ne débouchent pas sur un modèle concret pennettant une
compréhension globale de l'évolution des prix fonciers (Gigou, 1982, ADEF, 1990).

Le droit rencontre les mêmes difficultés que l'économie à appréhender la réalité foncière.
En particulier, la notion de propriété foncière ne se laisse pas définir facilement. « Quand
on est propriétaire d'un terrain, on ne possède pas une chose mais seulement les droits qui
peuvent s'exercer sur un espace. Définir la propriété foncière revient donc à définir les
droits que l'on peut exercer sur le sol» (Comby, 1995, p 41). La propriété est un concept
composite qui intègre différents types de droits: « La propriété ne se réduit pas aux objets,
. . . aux possessions ou au capital pris isolément. C'est l'ensemble des relations entre le-
propriétaire d'une chose et les revendications de tous sur cette même chose»
(Kmeckeberg, 1995). Ainsi définie, la propriété s'exprime par le biais de droits de
propriété rassemblés dans ce que les théoriciens anglo-saxons appèlent un « faisceau de
,droitS» (bundle of rights). Ils constituent un ensemble de relations interpersonnelles qui

l'accroissement de valeur des terres dû aux progrès de la société (au'gmentation de la productivité agricole,
amélioration des dessertes routières).
13 Sur les différents modèles et leur pertinence, voir l'ouvrage de Jean-Jacques Granel1e, 1970, p 38 et s.

9
ont été diversement définies dans les systèmes juridiques au long de l'histoire» (Marcuse,
1996, p. 122).14 Ainsi, dans le cas de la propriété foncière, il peut exister une multitude de
droits de propriété sur un même terrain. Par exemple, dans le cas du fermage, l'exploitant
dispose des droits~ l'usage et aux plus-values mais pas les droits d'aliéner, de détruire, ni
de modifier (interdiction de construire) ...

Le prix des terrains, comme les droits de propriété, sont en réalité des conventions sociales
propres à chaque société à un moment donné de leur histoire. Le Viêt-nam se trouve
précisément à un moment où il doit redéfinir ces conventions sociales. Pour certains, il
s'agit simplement de réintroduire les mécanismes du marché foncier et de laisser
l'économie et la société s'autoréguler. C'est ce que prônaient les tenants de la
« transition» de marché. L'emploi de ce terme n'est pas neutre. La théorie de la transition
vers le marché (( theory of market transition») a été élaborée à partir des travaux de
Victor Nee (1989) sur l'effet des réformes chinoises en milieu rural. Dans une perspective
très libérale, il cherchait à montrer que l'introduction du marché avait des effets
correcteurs sur les inégalités sociales propres aux régimes socialistes et qu'une transition
la plus rapide possible vers l'économie de marché était souhaitable. Cette idée a ensuite
été reprise par les grandes organisations financières internationales pour persuader les ex-
pays socialistes d'Europe de l'Est d'adopter les principes de l'économie de marché. Pour
ces organismes, la « transition» sous-entendait qu'il n'existait qu'un seul modèle
15
économique viable pour tous, celui de l'économie libérale. L'évolution diverse des ex-
pays socialistes, et notamment des retours en arrière après l'adoption de mesures ultra-
libérales mettant en péril leur équilibre social, a montré les limites de ce raisonnement. Les
recherches portant sur les changements de régime foncier dans les ex-pays socialiste ont
également mis en lumière le poids des particularismes nationaux et le refus d~ converger
vers un modèle unique (Acosta et Renard, 1993, Prouzet, 1999). Il faut y voir une
expression de l'enracinement dans la culture et les- mentalités de chaque société des
questions qui touchent au statut de la terre. Les études sur les réformes foncières en Russie
ont révélé le poids de l'histoire et de la morale dans les difficultés actuelles à reconnaître
la propriété privée et à adapter des mécanismes de marché (Comby, Renard et Acosta,

14 John Christman (1994) les range en neuf catégories : la possession, l'usage, les droit d'aliéner, de consommer,

de modifier, de détruire, de gérer, d'échanger et le droit aux plus-values.


15 « L'objectif à long terme de la transition est le même que celui des réformes économiques ailleurs: mettre en
place une économie de marché florissante, capable de générer une amélioration durable des niveaux de vie»
(Banque mondiale, 1996, pl).

10
1992; Limonov et Renard, 1995). A l'inverse, la Chine a trouvé les moyens de préserver
le dogme de la propriété publique du sol tout ~n permettant l'apparition d'une économie
immobilière florissante dans des villes comme Shanghai ou Canton (Ged, 1995, Li Ling
Hin, 1998, 1999).

Pour répondre à notre interrogation initiale sur le rôle du foncier dans le type d'urbanisme
à venir à Hanoi, il nous a donc fallu problématiser la relation entre une ville en pleine
transformation et la redéfinition de la place' du foncier dans la société vietnamienne. Pour
cela, l'observation de la réalité nous a fourni des éléments précieux. Nous avons constaté
que les terrains vierges font, depuis la fin des années 1980, l'objet d'occupations massives
par la population, alors qu'ils sont en principe administrés par l'Etat. Le plus surprenant
est que les occupants considèrent leur terrain comme leur propriété quand bien même les
plus hauts textes juridiques du pays rappellent qu'il ne saurait y avoir de propriété privée
du sol (constitutions de 1980 et 1992). De même, la quasi-totalité des mutations foncières
concernant les particuliers se font sur le marché noir. Le marché était approvisionné par
des entreprises et organismes publics qui cherchent à tirer le meilleur parti de terrains dont
ils n'ont pas besoin. Les pouvoirs publics laissent faire. Pour un regard occidental, c'est en
quelque sorte le monde à l'envers.

En fait, s'opère sous nos yeux une redéfinition de la convention sociale sur le foncier sous
une forte pression des besoins d'urbanisation. La sécurité des transactions, le droit de
propriété sur le terrain que l'on construit et la possibilité de le revendre pour en tirer un
profit apparaissent comme les conditions nécessaires pour que se mettent en place des
logiques de production immobilières. Ces dernières ne font pas intervenir seulement les
particuliers Il?-ais tous les acteurs de la production foncière et immobilière. Les types de
productions peuvent être plus ou moins sophistiqués depuis la construction d'initiative
individuelle jusqu'à l'aménagement de quartiers résidentiels par des entreprises publiques
en passant par la petite promotioll-affairiste privée. Tous veulent que le sol rentre, d'une
manière ou d'une autre, dans la sphère marchande de l'économie. Cette nécessaire
commercialisation des terrains constitue l'enjeu majeur de la convention sociale en
gestation. Elle parcourt tous les grands débats et conflits actuels sur l'avenir des villes du
pays mais est rarement interrogée en profondeur. Notre thèse est que les compromis qui
s'élaborent actuellement dans l'allocation et la redistribution de la ressource foncière sont
fondateurs du modèle d'urbanisme vietnamien dans les décennies à venir.

Il
En fonction des différentes facettes de la question foncière identifiées plus haut, notre
problématique peut se décliner en trois temps. Le premier effet de la réforme foncière est
d'organiser les transactions des terrains urbains. La nécessité d'introduire des mécanismes
de marché sans toucher à la propriété publique de la terre pose une première série de
questions. Ensuite, le foncier joue un rôle capital dans la recomposition de la société
urbaine dans le nouveau contexte de marché. Ce sont les choix, explicites ou implicites, de
l'Etat en faveur de telles ou telles catégories sociales qu'il s'agit alors d'éclairer. Enfin, le
régime foncier est un instrument particulièrement efficace pour favoriser les types de
production immobilière permettant à l'Etat de construire les villes du pays selon les
modèles auxquels il aspire.

Pour développer notre recherche, nous nous sommes heurté à plusieurs problèmes de
méthode. Le premier tenait à la nature même de la question foncière. Si l'on estime qu'elle
relève avant tout de conventions sociales, son étude se situe au croisement de plusieurs
disciplines: le droit, l'économie, la sociologie politique, l'urbanisme. Pour autant, nous
n'avons pas adopté les modes d'investigation propres à chacune de ces disciplines. Notre
méthode est exclusivement guidée par une problématique liant très étroitement la question
foncière avec le type d'urbanisation en cours à Hanoi. En cela, notre approche est avant
tout urbanistique. Nous avons organisé notre réflexion autour de concepts et de notions qui
traversent les champs disciplinaires précités et qui éclairent les situations que nous avons
observé: droit de propriété, marché, infra-institutionnalité, rapports de forces, valorisation
foncière jalonnent et structurent notre recherche. C'est par eux que nous avons établi la
relation entre la théorie et l'étude de terrain.

-
Les premières pistes que nous avons suivies sont de caractère historique. Chaque société
possède sa propre conception de la propriété foncière. Elle s'est forgée au cours de
l'histoire du pays au gré des modifications du régime foncier. Commencer par replacer la
réforme actuelle dans la perspective de la longue durée nous a permis d'éclairer les choix
fondamentaux faits par le pouvoir, mais aussi les comportements de la population. La
durée de vie du cadre bâti n'est pas aussi longue que celle des traits de civilisation.
Néanmoins, la pression qu'il exerce sur les conditions de vie et les activités de la
population affecte également les choix politiques. Une donnée essentielle de l'équation

12
que le pouvoir avait à résoudre en 1986 était d) augmenter considérablement, et aussI
rapidement que possible, la production de logements. Pour en comprendre les raisons, un
retour sur les formes et le niveau de la production immobilière dans la «ville socialiste»
vietnamienne s'est imposé.

Pour aborder l'étude du contenu des réformes en tant que telles, nous avons choisi
d'analyser les textes juridiques. Il nous a. semblé que, dans un premier temps, l'étude des
normes pouvait fournir le cadre indispensable à la compréhension des activités des
différents acteurs. Certes, dans une période d'aussi grande mutation, les lois suivent les
pratiques mais l'important pour nous est que ces premières mettent les secondes au grand
jour et surtout leur donnent sens en les inscrivant dans un mouvement instaurateur. En
retraçant l'évolution des différents textes juridiques, nous avons recherché à la fois le sens
et le rythme de ce mouvement.

Sur les aspects historiques de notre démonstration, nous avons essentiellement eu recours
à des ouvrages publiés. Nous avons toutefois dû mener, en complément, des entretiens sur
des questions non abordées par les travaux disponibles. En ce qui concerne la période
s'ouvrant en 1986, les sources les plus importantes sont d'ordre juridique (textes de lois,
décrets ... ) et leur accès ne pose guère de problème. Leur interprétation est plus délicate en
raison de la relative confusion des textes qui les amène parfois à se contredire en cette
période de transformation rapide du cadre légal. Les sources concernant les conditions
réelles d'application des lois sont en revanche peu nombreuses et peu accessibles. Les prix
fonciers étant fixés sur le marché noir, ils ne sont jamais recensés et compilés afin de
produire une information scientifiquement constituée sur l'état du marché. Les acteurs du
marché ont tous une connaissance des prix issue de leur expérience propre et des
informations forcément parcellaires qu'ils peuvent recueillir individuellement. Cette
situation nous conduit à recourir à la méthode de l'échantillon et du sondage.

Utiles pour mettre à jour des grandes orientations, les textes juridiques ne sont toutefois
que des coquilles vides si ils ne sont pas appliqués. En abordant la question de la mise en
œuvre des lois, nous avons touché à la difficile question de l'écart entre la norme et la
réalité et donc aux formes multiples et changeantes de l'informalité. Il s'est imposé de
comprendre les raisons profondes de cette informalité et essayer de la préciser dans le

13
contexte vietnamien. Cependant, notre recherche des formes de la nouvelle convention
sociale sur le foncier nous pousse à aller au-delà du constat de la transgression de la règle
pour étudier les voies de l'institutionnalisation des pratiques informelles. C'est pour cela
que nous avons attaché beaucouR d'importance au travail de l'administration, en
particulier celle de la municipalité de Hanoi directement en charge de la gestion des droits
fonciers et de l'urbanisme. Il est alors apparu que la mise en œuvre des réformes donne
lieu à une multitude de rapports de {orees entre l'administration municipale et les
particuliers bien sûr mais également entre celle-là et d'autres administrations ou
institutions. Ces rapports de force ne doivent pas être confondus avec des rapports de
pouvoir. L'objet des conflits n'est pas le pouvoir, ils ne sont pas institués et la plupart des
acteurs ne disposent pas de la capacité de coercition, indispensable à l'exercice du
pouvoir. Leur présence sourde témoigne seulement de l'existence d'une société civile qui
ne se plie plus aux décisions de l'Etat.

Notre approche en terme de rapports de force est une façon détournée d'appréhender un
phénomène beaucoup plus complexe: la recomposition de la société urbaine sous l'effet
redistributif du nouveau système foncier marchand. Les rapports fonciers entre catégories
sociales jouent un rôle important dans cette nouvelle hiérarchisation. 16 Cependant, le
contexte politique actuel et la réticence de la population à aborder ces questions sensibles
rendent la recherche sur ce sujet délicate. Pour cette raison, nous avons choisi de mettre en
lumière le rôle du foncier dans les mouvements qui agitent la société vietnamienne par le
biais des rapports de force. Appréhender ces derniers n'en n'est pas pour autant aisé. Le
système politique ne permet pas aux acteurs d'institutionnaliser leur lutte, par exemple
sous forme associative. Les conflits ne sont jamais reconnus en tant que tels par le
pouvoir, ils ne sont pas portés devant la justice et la presse recourt aux euphémismes pour
en rendre compte. En définitive, le meilléur révélateur de ces rapport de force tient dans
l'évolution des positions officielles de l'Etat. A condition de connaître--au préalable les
points de conflit, l'analyse des décisions prises par les pouvoirs publics permet de déduire
l'état des rapport de force et leur modifications.

L'analyse de l'action publique au Viêt-nam pose ainsi la question de l'accès aux sources.
Le pouvoir entourant de secret ses décisions, il n'est pas possible d'obtenir des

16 Alain Durand-Lasserve et Jean-François Tribillon (1990) ont explicité le rôle des rapports fonciers dans les

14
informations directes sur leur préparation. En revanche, une fois les décisions prises, l'Etat
en diffuse certaines dans la presse. Bien que celle-ci soit étroitement contrôlée par le Parti,
elle nous fournit des informations précieuses sur l'action publique. Nous pensons qu'il
faut considérer les articles de presse comme la « partie émergée de l'iceberg». Ils attirent
notre attention sur une question mise à l'ordre du jour et sur la façon dont le pouvoir
souhaite que la population la perçoive. Il nous faut les décrypter tout en sachant que la
presse vietnamienne n'est pas monolithique et que chaque organe, en fonction de
l'institution qui la soutient (le Parti, l'Armée, la police, un ministère, la municipalité ... )
peut proposer des traitements différents d'un même sujet. A nous, ensuite, d'approfondir
la question par des entretiens avec des personnes bien placées dans l'appareil administratif
pour essayer de comprendre les motivations réelles du pouvoir: « la partie immergée de
l'iceberg ». Notre démonstration ne se limite pas à l'étude du fonctionnement des
institutions mais aussi à son pendant, les pratiques réelles de la population. Sur ce point, il
est plus utile de prolonger la lecture de la presse, qui fait part des pratiques informelles
tout en restant vague sur ses cause, par des études de cas de situations concrètes
rencontrées par les particuliers.!?

Bien qu'actifs dans la sphère institutio1U1elle, les rapports de force puisent leur origine
dans la sphère économique. Ils ne peuvent être compris qu'en relation avec l' enj eu
financier que constitue l'appropriation du foncier. Dans les villes, le terrain ne peut être
dissocié de son usage potentiel. C'est en fonction de celui-ci que se détermine sa valeur.
Lors de l'aménagement et de la construction du terrain, la valeur, jusqu'ici latente, du
terrain apparaît au grand jour. C'est ce que signifie l'expression « mise en valeur» du
terrain. Dans un but analytique, nous préférons utiliser le terme de « processus de
valorisation foncière ». Lors de ce processus, le sol et les capitaux circulent entre
différents acteurs économiques jusqu'à ce que le bâtiment soit construit et occupé par son
destinataire final. Les acteurs qui interviennent alors sont nombreux: propriétaires
fonciers, aménageurs, promoteurs, agents immobiliers,"aFchitectes, banques ... Il n 'y a pas
un processus mais des processus de valorisation foncière distincts selon les groupes
d'acteurs qui y prennent part. Les particuliers sont, chronologiquement, les premiers à
avoir assuré la production immobilière après l'abandon de la production étatique

sociétés des pays en voie de développement. ,


17 Etant donné la nature informelle de leurs actions, nous avons utilisé des pseudonymes pour nommer les

différentes personnes concernées,

15
socialiste. Un secteur de la promotion immobilière s'est ensuite constitué autour des
entreprises de construction nationales réfonnées. Les constructeurs étrangers ont, jusqu'à
présent, été cantonnés dans le secteur de la promotion tertiaire, mais ils pourraient
rapidement investir dans le marché très prometteur de l'habitat en changeant l'échelle de
la production de logement par la construction de villes nouvelles. Quel que soit le
processus, les acteurs doivent tenir compte, dans leur actions, des évolutions du régime
foncier. Les fonnes de l'urbanisation évoluent donc au rythme des avancées des réformes.
Mais la relation fonctionne aussi dans l'autre sens: les acteurs de l'urbanisation essayent
d'influer sur les réfonnes foncières. Ils sécurisent et donc pérennisent leurs propres
processus de valorisation foncière et ils le font dans un contexte de concurrence avec les
autres. C'est par l'analyse de ce double mouvement que nous pourrons essayer de
déterminer la dynamique urbaine qui prédominera à Hanoi dans les décennies à venir.

Nous avons été influencé par une démarche déjà utilisée dans d'autres travaux. Dans les
années 1990, un courant issu de la sociologie des acteurs, et notamment des travaux
d'Anthony Giddens, a tenté de rapprocher l'analyse institutionnelle des acteurs avec la
théorie marxiste de la production du cadre bâti (Harvey, 1978) en élaborant la notion de
land development process (Healey et Barett, 1990,1992, Gore et Nicholson 1991). Les
auteurs mettent l'accent sur l'aspect dynamique de leur approche mais précisent qu'elle
n'aboutie pas à un modèle explicatif qui pourrait être utilisé dans n'importe quelle
situation. En ce sens, chaque processus est unique. Pour chaque acteur intervenant dans un
processus, il faut détenniner les lois ou règles auxquelles ils obéissent, leurs ressources et
comment ils les accumulent et le mode de pensée servant à justifier leur stratégie. Cette
mise des acteurs au cœur de la production est fondamentale pour comprendre la
transfonnation physique des villes. Des recherches menées sur l'urbanisation des villes
chinoises ont adopté cette démarche avec succès car elle permet de saisir les
transfonnations du système d'acteurs dans ces périodes de mutations sociales (Yeh et Wu,
1996). Notre analyse des différents processus de valorisation foncière
- repose
essentiellement sur des études de cas de secteurs construits ces dernières années ou de
projets en cours. Nous essayons de choisir les quartiers où le résultat produit (le cadre bâti)
est le plus représentatif du type de valorisation foncière utilisé. Une fois le secteur choisi,
des entretiens avec les différents acteurs en présence et l;tude des documents qu'ils
produisent (projets d'aménagements, documents publicitaires, études de financement...)
constituent nos principales sources d'infonnation.

16
Définir une aire d'étude adaptée à notre travail ne fut pas chose facile. L'urbain étant notre
domaine de recherche, nous avons porté toute notre attention sur la ville de Hanoi. En
outre. la question foncière se pose de manière radicalement différente en milieu urbain et
en milieu rural. Il fallait faire un choix et nous avons opté pour l'analyse du régime foncier
urbain. Administrativement Hanoi est constituée de districts urbains, qui cOl'respondent à
la ville en tant que telle, et de districts ruraux qui s'étendent loin dans l"arrière-pays (carte
I-2). L'ensemble constitue la province de Hanoi.

Dans un but de gestion administrative, les pouvoirs publics élargissent progressivement


rétendue de la ville par la création de districts urbains. On ne peut toutefois pas s'en tenir
à cette seule définition administrative pour définir l'aire urbaine de Hanoi. De nouveaux
districts urbains peuvent contenir de nombreux terrains agricoles et, inversement, des
districts ruraux connaissent, depuis longtemps, une urbanisation, en particulier le long des
voies de communication majeures.

17
Carte 1-2. Carte administrative de la province de Hanoi en 1999.

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Source : Q-.,p Fanny. Progranvne
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UMR Regands CNR5-IRD et VTGEO.Hanol

Au sein de la province de Hanoi, l'aire administrative urbaine apparaît mineure. Les sept districts urbains ont une superficie très
nettement inférieure aux cinq districts ruraux.

18
La croissance de l'aire urbaine de Hanoi sur une longue période nous montre les directions
de l'urbanisation. Nous pouvons avoir une idée assez précise de l'étendue de la ville
existante grâce à l'observation de la continuité du bâti sur les documents géographiques.
Néanmoins, notre conception de l'urbain ne se réduit pas à l'aire bâtie. Plus que la ville
elle-même, ce sont les processus d'urbanisation qui nous intéressent ici. Or ceux-ci
consistent notamment à convertir des terres rurales en terres urbaines. Ils se jouent alors
au-delà des limites du bâti. Parce qu'il faut bien fixer une limite, nous considérons qu'ils
se situent en deçà de l'aire d'extension de l'urbanisation en 2020 par le schéma directeur
(carte 1-4). Cette dernière présente l'intérêt d'englober tous les terrains faisant l'objet de
projets d'aménagement pour les vingt années à venir.

Note: Avant d'entrer dans le cœur de la démonstration, nous voulons apporter deux
précisions sur le mode de présentation de notre travail. Nous écrivons les 'mots vietnamiens
dans l'alphabet vietnamien à l'exception de ceux utilisés couramment dans la langue
française (Hanoi, dôngs ... ). Nous proposons une traduction en français de toutes les
expressions vietnamiennes citées mais nous adoptons parfois leur traduction en anglais
lorsque celle-ci est très répandue (en particulier le nom des entreprises). Nous avons
également constitué en annexe un lexique des termes vietnamiens sur le foncier dont la
signification contient en elle-même des éléments d'ordre sémantique pouvant servir à mieux
comprendre la réalité qu'ils décrivent. Enfin, nous avons opté pour l'insertion d'encarts dans
le corps du texte afin de compléter notre démonstration sur certains points ou études de cas
connexes au raisonnement.

19
Carte 1-3. Comparaison de l'aire bâtie de Hanoi avec la superficie de Paris intramuros.

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l' Q-~;-21un

_ surface bâtie de Hanoi

___ boulevard périphérique de Paris


source: cfaptts OSbert et Gaf'C:ia..rNas (2000)

Cette comparaison relativise la dimension de la Hanoi. Bien que la ville compte plus d'un million d'habitants, son étendue spatiale
est nettement inférieure à celle de Paris in/ramuros.

20
Carte 1-4. Ville existante et urbanisation prévue pour 2020.

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Penurt>Misation don. la ptOvince de HanoI-


Sch'ma dlrecleur pour 2020
UMR Rogard. CNRS·IRD et VTGEO-Hanoi

Bien que l'application du schéma directeur en 2020 soit sujette à caution, il détermine l'aire d'extension urbaine de Hanoi dans les
décennies à venir. Elle s'étend bien au-delà de la ville existante au début des réformes en 1992 mais reste contenue dans les limites
de la province. Tous les terrains compris dans cette aire d'urbanisation future sont concemés à des niveaux divers par la réforme du
régime foncier urbain.

21
PARTIE 1. HERITAGES ET PROCESSUS INSTAURATEURS.

Pour l'observateur étranger qui se rendait à Hanoi au tournant des années 1990, la première
-
impression était celle d'une très forte activité de construction donnant, dans certains secteurs,
le sentiment d'un vaste chantier. La population construisait des maisons individuelles partout
où elle pouvait accéder à la moindre parcelle de terrain. Cette première expression de
J'urbanisation post-socialiste nous paraît à bien des égards fondatrice de la période qui
s'ouvrait.

En premier lieu, l'engouement brutal et massif pour la construction d'une maison individuelle
montrait que quarante années de gestion publique des terres et d'habitat collectif n'avaient en
rien supprimé le goût de la propriété parmi la population. Les multiples campagnes
idéologiques vantant les mérites du mode de vie socialiste n'avaient pas eu raison d'un
sentiment beaucoup plus profond. Avant d'être une notion juridique, la propriété est de nature
anthropologique. Les formes, plus ou moins prononcées, qu'elle prend sont au fondement des
l
sociétés. Des peuples « aiment» plus la propriété que d'autres. Nous avons cherché à savoir
si le dogme de la propriété collective de type socialiste trouvait ses justifications dans
l'histoire du rapport entre le peuple vietnamien et sa terre.

Le fait que la très grande majorité des constructions apparues après 1986 soient des maisons
individuelles comportait une autre interrogation. La raison de cet engouement pour le
logement devait provenir d'une pénurie profonde dans ce domaine durant la période
socialiste. Notre regard devait donc se porter sur les formes de l'urbanisme de type socialiste
mises en œuvre depuis 1954 avec un intérêt plus particulier pour la production de logement.
Ceci devrait nous aider à mieux comprendre les premières orientations de l'urbanisation de la
période des réformes puisqu'elles apparaissent comme une réaction aux manques de la
période antérieure.

En s'appropriant de sa propre initiative les terrains non-bâtis de la ville, la population devait


également influencer les décisions des dirigeants sur la réforme foncière. Cette influence était

1 Krueckeberg (1995, p 36) cite Cronon (1983) à propos de la colonisation américaine des territoires indiens:
« la différence entre les Indiens et les Européens n'était pas que les uns étaient propriétaires et les autres ne
l'étaient pas, c'était plutôt qu'ils aimaient la propriété différemment. .. Un peuple qui aimait peu la propriété

23
directe en ce qui concerne les droits des particuliers et leur aspiration à la propriété. Mais elle
était également indirecte puisqu'elle allait fonder un régime foncier dual dissociant droits des
particuliers et droits des organisations et entreprises publiques. L'Etat entendait maintenir ces
dernières -auxquels il convient d'ajouter les entreprises mixtes avec des investisseurs
étrangers - dans Wl statut de locataires fonCiers.

Enfin, la quasi totalité des transactions foncières des particuliers s'effectuaient sur un marché
noir. L'Etat souhaitait, certes, redonner une valeur aux terrains afin de rendre
économiquement viable leur aménagement mais il se refusait à laisser le marché en fixer les
prix. Pourtant, comment ne pouvait-il pas être influencé dans ses estimations « officielles»
par la valeur réelle des terrains, celle du marché noir?

avait été écrasé par un peuple qui l'aimait beaucoup ».

24
Chapitre 1. Propriété foncière: de l'administration mandarinale à la
collectivisation socialiste.

Le rapport d'un peuple à la propriété est un trait de civilisation qui est façonné par son
histoire. Il permet de comprendre, et même d'anticiper de nombreux choix politiques et
2
économiques. Pour s'en tenir à la question de la propriété foncière dans les villes, le goût
plus ou moins prononcé des peuples pour la propriété a une influence sur les modes de
régulation de l'urbanisation dont disposent les pouvoirs publics. Par exemple, l'urbanisation
maîtrisée des villes néerlandaises ne peut se comprendre sans se référer à une histoire - la lutte
contre la mer- qui a conduit la population à confier aux communes le soin de produire des
terrains à bâtir. 3 Le Viêt-nam a une relation ambiguë avec la propriété foncière car s'y mêlent
une conception quasi religieuse de la terre comme bien commun et un fort attachement à la
propriété terrienne remontant aux origines agraire de cette société. La colonisation française
provoqua les premières ruptures avec cette tradition par l'importance économique prise par le
sol urbain. Mais la modification radicale du statut de la propriété dans l'organisation socio-
économique du pays allait intervenir lors de l'avènement du régime socialiste en 1954 au
Nord-Viêt-nam. Entre 1954 et 1986, l'idéologie socialiste exigeait en effet de réaliser une
ville non marchande. La clé de voûte de cette conception urbaine était le passage, sous la
gestion de l'Etat, des terres et des bâtiments. Juridiquement, cela impliquait de réaliser
l'appropriation collective des biens fonciers et immobiliers. Pourtant, contrairement à des
opinions courantes, les droits de propriété subsistèrent. Ils furent répartis entre l'Etat et la
population selon des critères propres à la société vietnamienne.

2Comby, Renard et Acosla (1992, p 47) rapportent cette phrase écrite en 1889 par Anatole Leroy-Beaulieu:
« une révolution russe pourrait être le plus grand événement de l' histoire depuis la Révolution française ( ... )
mais alors que la Révolution française a été une révolution pour la propriété, la révolution russe se fera contre la
propriété» .
Comby et Renard, 1996, p 47.

2S
1. Entre tradition d'exploitation communautaire et goût pour la
propriété terrienne.

Bien que le «fait urbain» existât depuis les débuts de l'ère chrétienne, le Viêt-nam fut
d'abord un royaume agraire. C'est la terre agricole qui a façonné pendant des siècles la
relation du peuple au foncier. En tant que facteur d'organisation de la société traditionnelle, la
notion de propriété de la terre dans le Viêt-nam ancien a été très influencée par la civilisation
chinoise. Henri Maspero (1937, 1938) a montré que, dans la Chine ancienne, la question
d'une propriété foncière privée ou publique ne se posait pas en ces termes car l'Etat n'existait
pas sous sa forme occidentale. L'empereur, premier envoyé du ciel, avait pour mission
d'imposer l'harmonie entre les éléments naturels et les humains sur terre. L'administration
mandarinale organisait certes la distribution des terres mais la force de l'empereur ne reposait
pas sur le droit mais sur les ordres. Il les utilisait pour exprimer l'intérêt général. Ainsi, le
principe selon lequel « la terre doit nourrir les êtres» illustre l'idée que chacun avait un droit
naturel à la terre. Ni l'empereur ni les seigneurs ne pouvaient donc usurper la terre des
paysans pour leur propre plaisir. Le droit de propriété n'existait pas, mais l'occupation d'une
terre correspondait à sa possession. Ainsi, c'était l'occupation, et non la propriété, qui était
soumise à des restrictions de superficie par l'empereur, afin que chacun dispose d'une terre
selon son rang. Malgré des principes théoriques radicalement différents, dans les faits, la
conception chinoise de l'occupation aboutissait aux mêmes résultats que la propriété en
Occident. Les hauts fonctionnaires qui avaient reçu des terres de l'empereur se transformaient
en grands propriétaires fonciers. Ils louaient les terres à des fermiers qui restaient libres. En
Chine du Nord, l'administration lutta contre ces grands propriétaires en répartissant les terres
entre les paysans selon des principes égalitaires. Mais, à partir du Vnre siècle,
l'affaiblissement du pouvoir de l'empereur conduisit au déclin des terres publiques et la
notion de propriété privée proche de la conception occidentale la remplaça progressivement
(Maspero, 1937, p. 164). L'Etat ne distribua plus gratuitement les terres qui restaient dans son
domaine mais se comporta comme un grand propriétaire privé en prélevant une rente sur les
terrains loués aux paysans. Les terres n'étant plus distribuées également, la fiscalité ne porta
plus sur les familles mais sur la superficie des terres.

La même conception originelle d'une propriété collective des terres existait aussi au Viêt-
nam. «L'empereur parle, non comme le propriétaire qu'il n'est pas, mais comme le
souverain, dictant à chaque niveau de la hiérarchie les limites de ses droits d'appropriation de

26
la terre qui appartient à tous» (Maspero, 1916 et 1937). L'empereur n'était pas le propriétaire
de la terre, don du Ciel aux paysans, mais le régulateur suprême de sa distribution et de son
usage (Nguyên Duc Nhu~n, 1984, p 75). Toutefois, le fait que l'empereur décide de la
distribution des terres a conduit des juristes français de l'époque coloniale à forger le principe
du roi propriétaire et donc à prétendre que la propriété foncière était publique. Ils estimaient
ainsi que la terre d'Annam appartenait à l'empereur et que ses sujets étaient des « tenanciers
impériaux avec usufruit perpétuel» (Boudillon, 1915, p. 15). Cette conception servait
évidemment les intérêts des colons qui cherchaient à usurper la terre des paysans.

La propriété collective, loin d'appartenir pleinement à l'empereur, était répartie entre celui-ci
et les communes villageoises. Comme en Chine, ce principe trouve ses origines dans les
périodes de défrichement des nouvelles terres du royaume. Lorsqu'un village était fondé sur
des terres nouvellement défrichées, les familles fondatrices recevaient de l'empereur le droit
de les cultiver. Certains historiens ont même estimé que la propriété des communes était
4
antérieure à celle de l'empereur. Juridiquement, il convient de distinguer trois formes de
propriété collective (Boudillon, 1915, p 14). La première était constituée par le domaine
impérial. Il comprenait les terres incultes et les terres abandonnées. L'empereur les attribuait
aux villages lors de leur constitution. La seconde constituait le domaine communal. Les terres
communales étaient périodiquement réparties entre les villageois par les notables de la
commune. Le domaine communal se divisait en deux sous-catégories. Les terres ou rizières
publiques (công diê'n) provenaient de l'attribution faite aux villages lors de leur constitution
ou de donations consenties par des particuliers de leur plein gré ou sur ordre du souverain.
Elles étaient inaliénables. Les terres ou rizières communales (ban thôn diln) étaient vendues
et achetées par les villages avec leurs propres ressources. Elles étaient par conséquent
aliénables. Malgré cette distinction d'ordre juridique, il est difficile de savoir qui de l'Etat et
des villages possédait réellement le pouvoir de distribution des terres. Il semble que ce fut
toujours l'objet d'un rapport de force entre l'Etat et les communes (Papin, 1997, p 209).
L'Etat voulait les préserver pour garantir la stabilité sociale et lever des impôts ainsi que des
hommes en temps de guerre alors que les communes voulaient les vendre pour s'enrichir.

Alors que les terres collectives disparurent en Chine au VIlle siècle, elles perdurèrent au Viêt-
e
nam jusqu'au XX siècle. Il faut chercher une explication à cette exceptionnelle longévité

4 Sur les différents travaux de recherche des historiens vietnamiens sur la propriété, voir la synthèse de Georges

27
dans le rôle social que jouaient ces terres au sein de la commune vietnamienne. Les catégories
juridiques de la propriété foncière étaient, avant tout, des outils fiscaux que les notables
locaux et représentants de l'Etat se disputaient, mais ses fonnes sociales n'étaient pas
attachées à l'Etat ou aux personnes privées comme les notions occidentales de propriété
publique et privée les définissent. Elles faisaient partie d'un système social complexe qui
s'organisait au niveau de la commune. La distribution ne se faisait pas directement à des
individus, mais à des micro communautés que constituaient les familles ou les regroupements
de paysans (Giap), les quartiers, les écoles (Papin, 1997, p 219). Par ces distributions
périodiques, les élites entretenaient des relations de dons avec les différentes communautés
villageoises. Les notables tiraient ainsi une grande part de leur pouvoir de la distribution des
terres collectives. Une fonction essentielle de la propriété collective était de leur permettre
d'assurer un certain contrôle social sur la population. Dans ces conditions, on comprend qu'ils
n'avaient pas intérêt à la céder totalement à des grands propriétaires fonciers (dia chu) dont la
fortune en faisait des concurrents pour le pouvoir au sein du village. 5

Bien que le Viêt-nam présente la caractéristique d'avoir conservé le statut des terres publiques
jusqu'au XXe siècle, l'évolution sur la longue durée du régime foncier est marquée par
l'essor de la propriété privée. Elle serait apparue au plus tard au XIIIe si on la considère
comme le droit de vendre ou de céder librement (Ngô Kim Chung, 1987). En 1254, le roi Trân
Thai Tông autorisait en effet la vente des rizières publiques aux gens du peuple qui voulaient
les acquérir à titre privé. La propriété privée prit de l'ampleur au cours des siècles en parallèle
au développement de l'économie marchande et de la circulation monétaire. Elle se constituait
soit par la création de nouveaux villages dans les régions inexploitées, soit en « mordant sur le
domaine public ». Le mandarinat n'eut pourtant de cesse de vouloir limiter la superficie des
domaines privés. Les guerres favorisant la création de vastes propriétés entre les mains de
quelques uns, la paix revenue, l'empereur engageait des réformes foncières au bénéfice des
e
villages et des paysans spoliés (Nguyên Dûc Nhu~n, 1984, p 75). Au XV siècle, le code des
Lê, plus ancien code juridique connu, faisait la distinction entre la propriété collective
distribuée par les communes et la propriété privée. En 1711, une réfonne foncière interdisait
aux paysans possédant des terres privées de recevoir des terres collectives. A partir de 1722,

Boudarel (1987, p39).


5Bien que la très grande exploitation agricole ne fut jamais développée, le fermage et l'exploitation en faire-
valoir direct étaient en effet très répandus (Ngô Kim Chung, 1987, P 95 et s.). Avant 1945, les petits propriétaires
exploitants représentaient 60% de l'ensemble des propriétaires dans le Nord mais la superficie des terres leur

28
l'Etat commença à prélever l'impôt sur les terres privées, preuve qu'elles représentaient alors
une part non négligeable du territoire. L'impôt n'étant pas prélevé en fonction de la superficie
mais en fonction des propriétaires, l'Etat avait tout intérêt à limiter la constitution de vastes
domaines privés (Nguyên Duc Nhu~n, 1984, p 75). En 1850, on estime que les rizières privées
représentaient plus de la moitié des terres cultivées du Viêt-nam (Ngô Kim Chung, ibid., p.
94). Selon d'autres sources, au début du XIX e siècle, cette proportion s'élevait à 70% (Papin,
1997, P 211).

La longévité des terres collectives ne témoigne donc pas d'un rejet de la population pour la
propriété foncière mais au contraire de la volonté de l'Etat de lutter contre un goût jugée
excessif pour la possessi?n de terres pouvant déstabiliser l'organisation traditionnelle de la
société. Dans un ouvrage célèbre, Pierre Gourou voit dans l'attachement des « Annamites»
pour la propriété terrienne l'une des « raisons de civilisation» expliquant leur emprise
progressive sur les basses terres du territoire au détriment des autres groupes etlmiques
(Gourou, 1940, p 186-188). D'après cet auteur, c'est l'organisation sociale en villages qui est
à l'origine de l'attrait pour la propriété, et plus précisément le fait que le village choisisse lui-
même ses notables.
« [. ..]Les paysans annamites sont heureux de faire partie du village qui est le leur, ils
désirent y jouer un rôle politique et le moyen le plus sûr de devenir un personnage influent est
d'accéder à l'aisance, et surtout à la richesse terrienne. La passion de la terre, si vive chez
les Annamites, n'a pas pour cause le seul goût des richesses mais aussi le désir d'être parmi
les personnalités marquantes du village (p 186). »

Il établit un lien entre ces caractéristiques et l'importance du nombre de propriétaires au


Tonkin. Alors qu'en Cochinchine, on dénombrait en 1930 un propriétaire pour 15 habitants et
une moyenne de 9 hectares par propriétaire, à la même période, le delta du Tonkin comptait
un propriétaire pour 6,7 habitants et seulement 1,2 hectares par propriétaire (Gourou, 1940, p
272-273). L'auteur estime que le paysan annamite voulait être propriétaire et étendre ses
domaines parce que la richesse terrienne était la plus stable. Tout revenu excédentaire ne
pouvait difficilement être investi ailleurs que dans la terre. En outre, la thésaurisation était
dangereuse et improductive alors que la richesse terrienne était honorable. Le fait que la
propriété foncière fût directement liée au statut politique dans le village expliquait que chacun

appartenant était minime par rapport à celle des propriétaires fonciers vietnamiens et français (Henry, 1932, pp
108-109).

29
voulait acheter des terres dans son village. Or, dans certains villages, il était difficile d'acheter
des terres parce qu'elles étaient majoritairement communales ou parce que le village était
riche et la demande importante. D'après Pierre Gourou, c'est là une raison essentielle du prix
élevé de la terre au Viêt-nam. Il en résulte que beaucoup de paysans achetaient des terres en
ayant recours à l'usure. Ils devaient souvent les abandonner aux créanciers ou à des personnes
enrichies dans les villes voisines qui venaient investir leurs économies dans les rizières du
village natal.

En faisant de la propriété foncière la marque d'une société fortement structurée sur le plan
politique, Pierre Gourou attribue implicitement ce trait de civilisation à l'influence de la
Chine. Il distingue notarnrnent la société sino-vietnamienne de la société cambodgienne, où la
commune a à sa tête un représentant nommé par l'autorité supérieure et non choisi par la
population. Si l'on remonte très loin dans le temps, la notion de propriété foncière présente
donc les mêmes caractéristiques en Chine et Viêt-nam. C'est un point important à signaler
tant l'évolution des régimes fonciers chinois et vietnamien est similaire jusqu'à l'heure
actuelle.

2. MaÎtriser juridiquement et valoriser économiquement le sol de la


ville coloniale.

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, une nouvelle période de l'histoire de la propriété
foncière au Viêt-nam allait s'ouvrir avec l'arrivée des premiers colons français. La
colonisation française débuta en 1859 par la prise de Saigon. En 1862 et 1867, l'empereur
cédait par traité à la France les provinces orientales puis occidentales de Cochinchine (au sud
du Viêt-nam actuel). En 1883, il acceptait le statut du Protectorat français sur l'Annam (au
centre) et le Tonkin (au nord). Le statut de colonie de la Cochinchine était très favorable à la
France. Elle y gouvernait par décrets. En revanche, les protectorats d'Annam et du Tonkin
restaient placés sous la loi de l'empereur.

Les ordonnances de. 1888 disposaient que la loi française s'appliquait sur toutes les propriétés
foncières françaises où qu'elles se situent dans le protectorat du Tonkin. Les propriétés
vietnamiennes restaient sous le régime foncier impérial. En dehors des concessions, la
superposition de deux régimes fonciers entraînait de nombreuses difficultés. 6 L'application de

6 Nous nous référerons dans ce passage au rapport très détaillé de M. Boudillon au ministre des colonies sur la

30
la loi française nécessitait l'établissement du régime hypothécaire tel qu'il existait en
métropole. En 1889, un «Bureau de l'enregistrement, des domaines et des hypothèques» fut
établi à cet effet à Hanoi. En 1893, un arrêté étendait le régime hypothécaire français à tous
les actes passés sous l'empire de la loi française, quelle que soit la nationalité des
contractants. Les Vietnamiens souhaitant s'assurer la sécurité et la reconnaissance de leurs
titres prirent l'habitude de les faire enregistrer par les notaires français et ce, même s'ils
concernaient des terrains en dehors des concessions. Il s'agissait d'une violation flagrante des
termes de l'ordonnance de 1888. Toutefois, en 1908, l'administration dut rétablir la loi
vietnamienne dans les transactions entre Vietnamiens, car elle ne disposait pas des moyens
matériels de vérifier l'authenticité des mutations et les fausses déclarations se multiplièrent.

Parce que la coexistence de deux régimes fonciers n'apportait pas toute la sécurité juridique
nécessaire au développement de l'économie coloniale, les grands propriétaires fonciers
français réclamèrent l'instauration d'un régime foncier unifié inspiré de l'Acte Torrens du
nom du colonel britannique qui le mit au point pour l'Australie en 1845. Ce système
permettait de fabriquer la propriété «par le haut» (Comby, 1995), c'est-à-dire qu'il
permettait à l'Etat de faire table rase des droits des populations indigènes, sous prétexte qu'ils
n'étaient pas écrits, et d'attribuer des concessions aux colons. L'instrument essentiel de ce
procédé était la constitution d'un cadastre juridique. Pendant une vingtaine d'années, le débat
sur les vertus comparées du régime hypothécaire français, fondé sur le droit de la personne, et
d'un régime foncier inspiré de l'Acte Torrens, fondé sur les droits attachés au terrain, fut
permanent (Boudillon, 1915, p 190-228). Dès 1886, le résident général Paul Bert avait étudié
la possibilité d'introduire un régime foncier inspiré de l'Acte Torrens car il estimait la
juxtaposition des deux. régimes juridiques non viable à terme. 7 Mais le principal obstacle
auquel allait se heurter le pouvoir colonial dans l'établissement d'un nouveau régime foncier
était la constitution d'un cadastre juridique. Dès 1894, l'administration avait voulu établir un
cadastre, non pour constater la propriété foncière, mais pour lever l'impôt. Face aux abus et à
la spéculation, elle dut y renoncer rapidement. Malgré cette difficulté, le conseil municipal de
Hanoi proposa en 1906 d'appliquer l'Acte Torrens à la ville. La résidence générale lui fit
alors savoir que cela s'inscrivait dans un projet plus vaste d'unification du régime de

réforme foncière à mener à Indochine (Boudillon, 1915). L'auteur s'y montre favorable à un régime unifié de
propriété foncière sans pour autant renier les droits de la population indigène.
7 Paul Bert avait notamment demandé au commissaire foncier britannique des Straits Settlements à Singapour
un rapport sur l'application de l'Acte Torrens (Boudillon, 1915, p 191).

31
propriété au Tonkin, manière « d'enterrer» le projet et de mettre un terme définitif au débat
sur l'application de l'Acte Torrens.

La raison essentielle de l'échec de l'instauration d'un régime foncier sur-le modèle de l'Acte
Torrens tient dans le fait qu'il était impossible de nier les droits de la population indigène
comme cela avait été le cas en Australie. En outre, cette table rase était rendue indispensable
en Australie car il s'agissait d'une colonie de peuplement, ce que n'était pas le Viêt-nam. Au
Tonkin en particulier, la propriété foncière était trop fortement ancrée dans les mœurs pour
que le colonisateur l' attaquât de front. Ceci n'empêcha cependant pas l'administration
française de favoriser constamment les propriétaires français au détriment des Vietnamiens.
L'administration coloniale considérait en effet que les terrains abandonnés par leurs occupants
devenaient libres de tout droit. Elle mettait en avant le principe impérial selon lequel un
abandon de culture équivalait à un abandon de propriété. Les colons qui occupèrent des terres
abandonnées par les paysans en raison de la guerre devinrent ainsi propriétaires d'importants
domaines agricoles. L'interprétation juridique française était abusive. Selon le droit
vietnamien, un terrain non cultivé n'était considéré comme abandonné par son propriétaire
que s'il y consentait. Or, les paysans ayant fui devant l'armée française n'avaient pas renoncé
à leurs terres. En outre, les terres laissées en jachère n'étaient pas libres de tout droits mais
revenaient dans le domaine impérial en vue d'une prochaine redistribution. Légalement,
l'administration française n'avait donc aucun droit sur ce domaine. Elle usurpa le pouvoir de
distribution des terres de l'empereur. Les bases de la propriété française étaient, en définitive,
extrêmement fragiles et discutables dans le Protectorat.

En raison d'un peuplement ancien et de l'enracinement de la propriété privée, les colons se


heurtèrent à la résistance des paysans. 8 Ils ne purent acquérir des terres qu'auprès de paysans
pauvres acculés à la vente par de mauvaises récoltes ou par le système de prêts usuriers
(Nguyen Duc Nhu~n, 1977, p 66). Les colons utilisèrent alors le statut, soit disant public, des
terres collectives pour s'en emparer par le biais de mandarins et de notables collaborateurs de
l'administration coloniale. Ce processus d'appropriation et d'exploitation, mêlant semi-
féodalité et colonialisme, eut des conséquences dramatiques pour la paysannerie. Epuisée par

8 La différence de statut, et le fait que la Cochinchine fut également une terre de conquête récente pour les
vietnamiens (ils ne prirent Saigon aux Khmers en 16988), expliquent que les colons y eurent les coudées plus
franches pour constituer leurs domaines. En 1930,5,5% de propriétaires (français et vietnamiens) possédaient
45% des terres cultivées alors que 72% de petits propriétaires vietnamiens n'en possédaient que 15% (Yves
Henri, économie agricole de l'Indochine, Hanoi, 1930, cité par Nguyên Dûc Nhu~n. 1977, P 66).

32
la rente foncière et les intérêts usuraires, elle était condamnée à la paupérisation (Nguyên Duc
Nhu~n, ibid.).

Dans ce cadre général, le cas des terrains de Hanoi à la fin du 19 ème siècle apparaît
doublement particulier. 9 Tout d'abord, le fait urbain imposait la propriété privée. Les terrains
bâtis de la ville relevaient très largement de la propriété privée. En revanche, les terres de
culture des villages alentours étaient collectives en plus grande proportion que dans les autres
provinces (plus de la moitié des terres contre seulement un tiers dans les autres provinces).
Elles étaient souvent inondables et sous-cultivées (38% des terres autour de Hanoi étaient à la
fois collectives et non cultivées). Le fait que leur valeur d'échange fut faible explique qu'elles
restaient dans la propriété collective. En outre, l'économie d'accumulation n'étant pas encore
développée, les élites villageoises n'avaient pas d'intérêt à vendre les terres. Elles ne tiraient
pas leur pouvoir d'un patrimoine foncier mais de leur rôle dans la distribution périodique des
terres collectives (Papin, ibid., p 268). Au tournant du siècle, en une quinzaine d'années, ce
système foncier ancestral allait être radicalement transformé par l'urbanisation imposée de
force par l'administration coloniale.

Au sein du protectorat du Tonkin, Hanoi constituait un cas spécial. Dans les concessions de
Hanoi et Hài Phèmg, contrairement aux autres parties du protectorat du Tonkin, la loi française
s'appliquait à toutes les propriétés, qu'elles soient françaises, chinoises ou vietnamiennes.
C'est dans ce cadre juridique ambigu que le régime de droits fonciers fut instauré dans le
Protectorat et à Hanoi. Une première concession française fut établie au sud de Hanoi en
1875. Elle n'occupait alors que 18 hectares et abritait essentiellement des militaires et
l'administration consulaire française. C'est en 1888 que l'empereur Dong Khânh concédait,
par ordonnance, le territoire des villes de Hanoi et de Hai Phong au gouvernement français.

La limite de la conceSSIOn de Hanoi acqUlse en 1888 devait correspondre à celle de


l'extension de la ville de l'époque (Papin, 1995b). Néanmoins, dès 1890, l'administration
coloniale fixait une limite de la concession bien au-delà de la ville, créant une zone
suburbaine qui doublait presque la superficie sous son contrôle par rapport à la concession de
1888 (carte 1-1). La question de la limite de la concession était d'une grande importance
puisque le droit français ne s'appliquait qu'à l'intérieur de ses frontières. Le flou juridique

9La question des formes· de la propriété foncière dans le Hanoi coloni~l a été analysée en profondeur par
Philippe Papin CI 997). Nous nous référons à cet auteur sur cette question.

33
entretenu par les autorités coloniales sur la question des limites n'avait d'autres objectifs que
-----
de pennettre d'élargir, peu à peu, la concession au fur et à mesure des besoins
d'urbanisation. lO En 1903, lorsque la municipalité voulut étendre l'aménagement de Hanoi,
elle se heurta en effet à la barrière des terrains communaux des villages périphériques. La
Résidence supérieure du Tonkin lui céda alors les terrains vacants de son domaine ainsi que
les terrains communaux des villages, en violation du droit impérial. Devenue propriétaire
foncier légal, la municipalité chercha. tout d'abord à faire valoir ses droits sur tous les
communaux. Le tiers de ces terrains tomba dans son domaine en 1903. Mais face à la
multiplication des faux titres de propriété délivrés par les notables de quartier - les chefs de
rue- afin d'éviter l'expulsion des habitants, la municipalité changea de tactique. Elle accorda
le droit de bail aux habitants à condition qu'ils bâtissent en dur (Papin, 1997, p 294 et S.). Elle
ne cherchait en effet pas tant à se constituer un vaste domaine public qu'à mettre fin au
régime foncier des communaux, frein à sa stratégie d'aménagement urbain. En 1923, elle
renouvela cette politique en obtenant que les terrains occupés depuis plus de 20 ans par les
paysans deviennent leur propriété privée. Ce système fonctionna si bien qu'une classe de
grands propriétaires fonciers émergea. Dans un but de préservation de l'ordre social, le
Résident supérieur intervint alors pour mettre un tenne à la privatisation des communaux en
1929.

Avec la constitution d'un vaste domaine foncier entre les mains de la municipalité, la
propriété publique de droit français remplaçait la propriété collective des communaux. Ce
changement d'ordre juridique correspondait à une mutation profonde du statut économique et
social de la terre. La municipalité utilisait en effet ses terrains publics pour les lotir, les vendre
ou les louer, par l'intennédiaire de la Société Immobilière de Hanoi. Le sol entrait ainsi dans
un processus de valorisation économique, inconnu jusqu'alors. II

10 La concession de 1888 elle-même n'avait d'ailleurs pas de valeur juridique car elle ne fut jamais ratifiée par

une loi comme le prévoyaient les lois constitutionnelles de la me République. En droit, Hanoi restait sous le
régime du Protectorat (papin, ibid., p 91).
2
Il Les ventes se faisaient par adjudication. Entre 1906 et 1920, le prix de vente moyen était de 0,5 piastreslm , ce

qui était fort peu cher (papin, 1997, p 295).

34
Carte 1-1. Limites de la ville et de la concession entre 1888 et 1895,

\
\~

_ Hanoi en 1888
i'· . . . "
• Hanoi en 1895 l f
1
limite de la concession en 1890
1
_ limite de la zone suburbaine en 1899 1 j

D'après la carle de Ph"ippe Papin,


1995b, p 208.
N
o- 'K", '2.1<1n
1 l'

En 1890, la concession de Hanoi englobait déjà des terres rurales à l'ouest et au sud de la ville. En 1895, ces terres étaient en
partie bâtie et la municipalité se sentait à « l'étroit» dans les limites de 1890, La création de la zone suburbaine lui permit alors
d'étendre son contrôle sur des terres qui n'allaient être urbanisées que bien après la période coloniale.

35
Les titres de propriété délivrés par la ville constituaient un patrimoine pour leurs acquéreurs.
L'autorité qui contrôlait la terre était désormais la municipalité et elle le faisait dans son
12
intérêt propre. Les notables vietnamiens avaient perdu tout pouvoir sur ces terres. Dans le
centre de Hanoi, et sur les terres gagnées par l'urbanisation pendant la période coloniale, une
propriété privée côtoyait donc un domaine public encore très important (les communaux et le
domaine colonial représentaient encore la moitié des terres en 1937). Mais, qu'ils soient
privés ou publics, ces terrains étaient désormais intégrés dans une logique d'économie
urbaine. Les terres publiques étaient mises en vente par la municipalité en fonction des
besoins d'aménagement de la capitale.

L'action de la municipalité de Hanoi en matière d'aménagement correspond assez bien au


modèle urbain colonial défini par G. Massiah et J-f. Tribillon (1988, p19 et s.). Il se
caractérise par l'établissement d'un pouvoir urbanistico-foncier qui confond plan d'urbanisme
et plan de lotissement public, c'est à dire un plan de division du sol en propriétés distinctes
attribuées aux bénéficiaires fonciers privilégiés par la puissance publique (ibid. p 30).
Derrière la stratégie d'aménagement se cachait une politique de maintien de l'ordre. Sur ce
point, Philippe Papin (1995a) a montré comment la municipalité de Hanoi ordonna la
destruction des paillotes des habitants vietnamiens et leur remplacement par les villas
coloniales que l'on peut encore voir aujourd'hui. Sous prétexte d' hygiène publique, l'objectif
était de créer une « ville européenne» sûre. La Société immobilière de Hanoi fut le principal
responsable de la transformation de l'ancienne capitale impériale en un «petit Paris ». 13

L'autre objectif de la politique d'aménagement urbain était de permettre le passage des


terrains entre les mains des colons. Il semble qu'il fût en partie atteint, comme le montre la
répartition très inégale des terres selon les communautés (Papin, 1997, p 333 et s.). En 1921,
4000 Européens détenaient plus de terres que 100 000 vietnamiens (voir tableau 1-\.). Ils
possédaient aussi les plus larges parcelles. Une classe de propriétaires fonciers s'était
constituée essentiellement parmi les Européens mais également parmi les Chinois, ce qui peut
expliquer le rejet dont ils furent l'objet par la population après l'Indépendance. Il s'agissait

l:~ Dans la plupart des colonies, l'introduction de la terre dans la sphère marchande est caractéristique de la
gestion foncière de la puissance coloniale (Durand-Lasserve et Tribi lion, 1990, p 26). Celle-ci utilisait des actes
administratifs pour faire rentrer des territoires communautaires inaliénables dans le commerce des biens fonciers.
Ces auteurs précisent qu'il s'agissait d'ailleurs d'une des tâches « civilisatrices» de la colonisation.
1.1 Sur les relations entre architecture et politique coloniale, voir Gwendoline Wright (1991), Wright et Rabinow

(1982) et Christian Pédelahore (1983 et 1992).

36
cependant de stratégies foncières familiales qUI ne dépassaient pas un hectare.
L'investissement des vietnamiens dans le foncier était beaucoup plus limité.

Tableau 1-1. Répartition des terrains de Hanoi en fonction des communautés en


1921.

Communautés population nombre de surface Surface Surface


en 1921 parcelles "totale en moyenne des moyenne par
hectares parcelles en m 2 habitant en m 2
Vietnamiens 100000 5567 140,7 25,2 14
Chinois 2432 345 17,3 501,4 71,1
Européens 4097 766 155 2023 378
Total 106 529 6678 313 46,8 29,4
..
Source: d'apres PhIlippe Papm, 1995b, p 211.

Alors que les terrains urbains étaient définitivement intégrés à l'économie de marché pour le
plus grand profit de la population européenne, la situation en périphérie de la ville était bien
différente. Sur ces franges rurales dont l'administration française laissait la gestion aux
autorités vietnamiennes, la privatisation ou l'usurpation des communaux par les notables fut
moindre. Il y avait à cela plusieurs raisons. Tout d'abord, une partie des communaux était
louée, ce qui pouvait rapporter de un tiers à deux tiers des recettes d'un village (Papin, 1997,
p 302). Mals la raison essentielle est ailleurs: les notables de village refusaient d'abandonner
leur pouvoir de répartition des terres au profit de grands propriétaires qui seraient devenus
plus influents qu'eux. Les notables préféraient parfois détourner les communaux à leur profit
en les faisant exploiter par des journaliers à leur solde, plutôt que de les vendre légalement ou
illégalement. La ligne de démarcation entre le monde urbain et le monde rural passait en
définitive par la forme de contrôle politique exercé sur la propriété collective. En ville, elle
dépendait de l'autorité de la municipalité qui la mettait en vente au profit de stratégies
patrimoniales individuelles. A la campagne, une logique de don, fondée sur des relations
....
communautaires, persistait. A èe titre, la véritable révolution urbaine introduite par la
colonisation fut moins juridique ou économique que politique (philippe Papin, 1997, p 305).

A la veille de l'indépendance, les formes de la propriété foncière à Hanoi et sa banlieue


reflétaient à la fois les inégalités propres à la société rurale traditionnelle et celles de la société
coloniale. Les terrains urbains étaient entrés dans une économie foncière et immobilière au

37
sein de laquelle les vietnamiens étaient marginalisés. La révolution, à la fois nationale et
communiste, allait s'efforcer d'y mettre fin.

-3. La gestion foncière socialiste et ses limites.

3.1. Division et répartition de la propriété foncière.

Loin de nier tout droit de propriété, le droit foncier et immobilier élaboré dans les pays
socialistes était relativement complexe. Les travaux de recherches récents sur les villes
socialistes remettent en question la conception selon laquelle la nationalisation des terres
consista en un processus ayant fait table rase du droit de propriété. 14 Au contraire, la gestion
étatique des terres a conduit à la division de la propriété en plusieurs catégories de droits de
propriété qui ont été transférés aux organisations et entreprises d'Etat ou qui ont été laissés
aux individus. La propriété est en effet une notion composite, un «faisceau de droits»
(bundle of rights) constitué de relations interpersonnelles propres à l'histoire de chaque
peuple.. La nationalisation socialiste de l'économie conduisait à une redéfinition de ces
relations.

En théorie, la propriété publique des moyens de production devait prendre une fonne
radicalement nouvelle, rompant avec le droit « bourgeois », en passant directement sous le
contrôle des ouvriers et des paysans. Mais dans les faits, la nationalisation se fit en tennes
capitalistes puisqu'elle consista simplement à transférer les droits de propriété des personnes
privées à l'Etat en tant que personne publique (Marcuse, ibid., p. 126). C'est seulement dans
le choix entrè les biens qui devaient passer sous la propriété publique et ceux qui restaient aux
personnes que l'idéologie communiste se réalisa. Le principe était que tous les biens
susceptibles de produire des plus-values devaient revenir à l'Etat, les autres. restants, sous
certaines réserves, aux individus. La frontière pouvait passer parfois entre des biens
similaires. Ainsi, il était possible de posséder une voiture mais pas un bus, une petite maison
individuelle mais pas un immeuble d'appartement, un petit atelier artisanal mais pas une
chaîne de production (Marcuse, ibd., P 134).

14 Nous faisons référence dans ce passage à deux textes très complets sur la propriété dans les régimes
socialistes: le chapitre de Peter Marcuse sur la privatisation des terrairis résidentiels dans Cilies after Socialism,
sous la direction de Gregory Andrusz, Michael Harloe et Ivan Szeleny (1996) et le chapitre 5 de l'ouvrage de
Janos Komai (1996) consacré à la propriété dans le système socialiste.

38
En ce qui concerne la terre, la même division existait. Des trois facteurs de production que
constituent le travail, le capital, et la terre, seul le premier est considéré comme tel par les
~héoriciens marxistes. La valeur des biens résulte uniquement du travail qui les a produits. La
terre n'a donc pas de valeur tant que du travail n'y est pas « incorporé». La valeur, jugée
croissante, des -terres dans les économies capitalistes est perçue comme une exploitation
indirecte du travail qui y est engagé et le revenu du propriétaire foncier est le résultat de cette
exploitation. Dans les pays socialistes, il fallait donc nécessaire d'éliminer la propriété privée
et de réduire sa valeur à zéro. En d'autres mots, la terre devait être nationalisée. Néanmoins,
dans tous ces pays, le pouvoir tolérait également une propriété foncière que l'on peut qualifier
de personnelle, car elle était uniquement destinée à l'usage des particuliers. Elle concernait les
terrains supportant les habitations -lorsque celles-ci étaient à usage personnel- ainsi que des
jardins et des lopins destinés à l'autoconsommation des ménages ruraux. Comment cette
distinction se réalisait-elle en droit?

En termes juridiques, la notion de droit de propriété fait la distinction entre deux types de
droits: les droits d'aliénation et les droits d'usage. Cette distinction permet de comprendre la
répartition des droits de propriété d'un même bien entre plusieurs personnes physiques ou
morales. Les droits d'aliénation correspondent au droit de vendre, de louer ou de transférer la
propriété. Dans les régimes socialistes, ils revenaient entièrement à l'Etat. En revanche, les
droits d'usage étaient attribués aux entreprises, organisations, coopératives et individus sous
des conditions spécifiant l'usage qu'ils pouvaient faire de leur terrain et notamment leur droits
aux revenus tirés de l'exploitation des terrains.

En 1959, la seconde constitution (la première datant de 1946) du Viêt-nam déterminait trois
types de propriété :
• La propriété d'Etat (s6 hiiu nhà mtO'c)
• La propriété collective, (s6 hiiu tq.p the)
• La propriété personnelle, (s6 hîtu ca the). La propriété personnelle correspondait à la
propriété privée au sens occidental moins le droit de faire du profit (plus précisément de
tirer des biens des revenus ne provenant pas du travail).15 L'usage des biens devait donc
être strictement personnel. La propriété privée, au sens qu'on lui donne dans les
économies capitalistes, était abolie.

15 Le concept de propriété personnelle fut forgé en URSS lors de la rédaction de la constitution de 1936. Cela

39
Le passage des terres et des bâtiments privés sous la propriété d'Etat et la propriété collective
se fit différemment dans les villes et dans les campagnes car la population urbaine et la
population rurale n'étaient pas soumises aux mêmes contraintes. Wing-Shing Tang (1994)
voit dans le principe d'une partition de la nation en espaces urbains et espaces ruraux le
moyen de soumettre à un contrôle plus strict les terrains urbains que les terrains ruraux. Dans
une nation très largement rurale, le pouvoir hésitait à étatiser les terres des paysans. Il
préférait la formule plus souple de la propriété collective permettant d'anéantir la classe des
grands propriétaires fonciers. En ville, en revanche, il s'agissait de détruire le fonctionnement
capitaliste du marché immobilier. Ceci nécessitait le passage des terrains urbains sous la
propriété et la gestion directe de l'Etat. Avec l'aide des cadres politiques chinois, le même
principe fut adopté au Nord-Viêt-nam et à Hanoi en particulier.

3.1.1. L'étatisation des terrains et bâtiments en ville. 16

Dans les années qui suivirent l'indépendance, il n'y eut pas nationalisation des biens privés,
mais au contraire encouragement à l'investissement privé. Les chefs d'entreprises vietnamiens
étaient incités à développer leur production afin de redresser l'économie du Nord-Viêt-nam.
La politique dite de « redressement économique» dura de 1955 à 1957 (Nguyên Vinh Phuc,
1995, p 66 et s). Elle rencontra un certain succès. En 1955, on ne comptait que 18 entreprises
à Hanoi (dont 9 transférées des régions libérées pendant la guerre). En 1958, Hanoi comptait
500 foyers « capitalistes industriels» employant plus de 5000 ouvriers essentiellement dans
les biens de consommation. L'industrie privée était encouragée par l'Etat sous forme de prêts
en capital et vente de matières premières.

Durant cette période, la propriété privée des bâtiments était maintenue. En général, les
personnes qui partirent pour le sud ou pour l'étranger (environ 2 millions de personnes du
Nord-Viêt-nam) laissèrent leurs maisons à des membres de leur famille pour qu'ils les gardent

était nécessaire puisque la propriété privée avait été abolie en 1917 et 1918. Voir Peter Marcuse (1996, p 129).
16 Comme il existe fort peu de textes traitant de ces questions au Viêt-nam, nous nous sommes orientés vers des
entretiens avec les responsables de J'urbanisme de cette période ainsi qu'avec des enseignants. Nous avons
conduit une série d'entretiens avec M. Dào Qu6c Hung, historien et ancien membre du bureau de l'architecte en
chef, M. Nguyên NgÇ>c Khôi, conseiller auprès du ministre de la construction et ancien directeur de l'institut
national de la planification urbaine et rurale, M. Dinh Sy Chuong, responsable de la coopération internationale de
l'Institut d'architecture et de standardisation de la construction, M. Doàn Nhu Kim, professeur à l'école nationale
de génie civil de Hanoi et M. Nguyen Qu6c Th6ng, enseignant à l'université d'architecture de Hanoi.

40
pendant leur absence. Peu vendirent leurs maisons car ils conservaient l'espoir d'un retour
rapide. Pendant ces quelques années, la situation du logement des habitants de Hanoi fut
relativement bonne. De nombreuses maisons ayant appartenu à des Français restaient même
inhabitées.

En 1958 la politique dite de « transformation et de développement économique» fut lancée.


Elle consistait à nationaliser les entreprises en les fusionnant dans de grandes compagnies
d'Etat (voir tableau 1-2). Les chefs d'entreprises ou les commerçants, ainsi que leur famille,
devenaient des salariés des entreprises d'Etat. En ce qui concerne le commerce, la
réorganisation commença en 1956 avec la création de coopératives d'achat. Peu à peu, les
commerces privés furent intégrés dans des compagnies d'Etat. En 1965, le commerce d'Etat
rassemblait 85% des marchandises en circulation pour la vente au détail (Nguyên Vinh Phuc,
1995, p 65). Ceci eut une première conséquence sur le statut de la propriété immobilière:
dans le centre de Hanoi, la plupart des commerces étaient situés au rez-de-chaussée de
maisons individuelles. Leur nationalisation les fit passer sous le statut de la propriété d'Etat.
En revanche, les anciens propriétaires conservaient leurs droits sur le reste du bâtiment. Une
première division juridique au sein des bâtiments fut ainsi opérée.

41
Tableau 1-2. La part de la propriété publique dans l'industrie et le commerce, 1955-
1959.

1955 1959
Industrie 41,7% 91,7%
Commerce extérieur 77% 100%
Commerce intérieur 28,1% 89%
(commerce de Qros)
Commerce intérieur 20,3% 80,4%
(commerce de détail)
Source: Thnft et Forbes, 1986, p 77.

En 1960, l'Etat mis en oeuvre la « politique de transformation socialiste du logement ». Le


but de la réforme du logement était de parvenir à une utilisation socialiste du parc existant.
Cela consistait en un partage forcé des logements entre différentes familles. En matière de
droit de propriété, le partage des logements prit deux formes distinctes: la nationalisation et
les contrats entre personnes privées.

La nationalisation concernait les logements abandonnés par les personnes ayant fui le pays,
les logements mis en location (identifiés à une activité capitaliste) et les logements des
familles considérées comme bourgeoises (c'est-à-dire les entrepreneurs mais aussi les
fonctionnaires de l'administration coloniale, professeurs, docteurs ... )17. Les maisons qUi
avaient été réquisitionnées par l'armée ou le parti pendant la guerre - pour lesquelles
l'administration payait jusque là un loyer modique aux anciens propriétaires- furent également
placées sous la propriété de l'Etat sans aucune compensation. La fusion de la propriété privée
dans la propriété publique se fit selon le même principe que celle de l'industrie et du
commerce. Les propriétaires ne devenaient plus que les occupants parmi d'autres d'un bien de
l'Etat. Ils ne conservaient plus qu'une superficie de leur maison fixée en fonction des normes
officielles (entre 3, 5 et 6 m 2 par habitant). Dans le contexte idéologique de l'époque, les
propriétaires immobiliers étaient des bourgeois qui devaient désormais partager à égalité les
conditions de vie de l'ensemble des travailleurs.

Pour illustrer le processus de nationalisation, nous avons choisi de présenter le cas de M.


Minh. IB Le père de ce dernier était un riche homme d'affaire vietnamien. En 1935, il avait
acheté à un Français une maison de style européen située dans un quartier construit durant la
période coloniale. Il possédait aussi un commerce qui fut réquisitionné par l'Etat lors de

17 Les personnes qui gardaient des maisons pour le compte de personnes ayant fui furent classées dans la

catégorie « bourgeois» alors même qu'elles étaient parfois très pauvres.

42
l'interdiction du commerce privé. Sa propriété consistait en un bâtiment principal, un garage
pour l'automobile et une dépendance (voir illustration 1-1). En 1961, les cadres politiques du
quartier demandèrent à M. Minh de loger la famille de M. Hùng dans la dépendance.
Quelques années plus tard, on lui demanda de laisser une chambre de l'étage pour installer
une classe maternelle. Mais, une fois qu'il eut donné son accord, on lui a imposé une nouvelle
famille, celle de Mme HÔng. Un peu plus tard, une troisième famille, celle de M. Luân, vint
s'installer dans le garage. M. Minh ne conserva que sa pièce du rez-de-chaussée et une
chambre à l'étage. Au total, quatre familles, soit entre 15 et 18 personnes, se partagèrent la
maison. Ces familles étaient celles de jeunes cadres politiques venus des provinces voisines.
L'origine provinciale des nouveaux habitants doit être soulignée. Elle est à l'origine de bien
des conflits existants entre les anciens et les nouveaux habitants. Sans qu'ils le disent
clairement, les propriétaires critiquent le mode de vie « rustique» des familles venues de la
campagne. Au contraire, les «anciennes familles de Hanoi », celles qui ont baigné dans la
culture européenne de la colonie, sont souvent très cultivées et ont adopté un mode de vie à
1'occidental. 19

Le titre de propriété de la maison fut laissé à M. Minh bien qu'il ne possédât plus aucune
valeur. Il n'était désormais plus propriétaire -au sens de la propriété personnelle- que d'une
pièce. Le reste de sa maison était passé sous la propriété de l'Etat. Celui-ci la louait aux autres
familles. Concrètement, le service du logement (sa nhà dâ't) 20 délivrait aux familles une
attestation de « droit d'usage d'une surface de logement» (quyé'n Sil' d~tng di~n tich nhà 0)
signée de la main du président du comité populaire de Hanoi. L'attestation indiquait en
quelques lignes la superficie réservée à chaque foyer ainsi que le droit de tous aux parties
communes (salle de bain, cuisine...) lorsqu'elles partageaient une même maison.

18 Pseudonyme.
19 Voir sur ce point, les très intéressantes interviews menées auprès des résidents des villas coloniales par Anne
Koperdraat (1998, P 82).
20 Le service du logement était responsable de la gestion des logements qui n'étaient pas gérés directement par
les entreprises et les administrations. Il s'agissait de l'une des administrations les plus difficiles d'accès en raison
de son pouvoir d'attribution des droits d'usage des logements. Elle veillaient aussi au respect de ces droits et
devait résoudre les nombreux conflits intervenant entre les locataires. Sa Ilhù dût signifie service des habitations
et non service du logement et du foncier comme cela apparaît souvent dans les traductions françaises ou anglaise
(Land and Housing deparlment). L'objectifréel du sa nhà dâl étant de gérer l'ensemble des questions touchant
au logement, nous adoptons la forme simplifiée de service du logement. II existait d'autres services en charge
spécifiquement des question foncières, notamment de la gestion des terres agricoles (voir chapitre 5).

43
Illustration 1-1. Le partage forcée d'une maison entre son propriétaire et des familles
installées par les autorités publiques. Le cas de Monsieur Minh.

LA MAISON D'ORIGINE

i
1

~
1

~
li
1
i
1
1
L !
1
~ ... --

Rez-de-chaussée

- 3m

Dans ce cas précis, l'accueil de nouvelles familles n'a pas augmenté la superficie bâtie de la parcelle. la création des
logements s'est faite par transformation de l'usage des dépendances et du garage. Seul, un espace dans l'angle de la propriété
a été transformé afin de construire une dépendance commune. l'ancienne propriété de M. Minh allait connaître d'autres
modifications après 1986 sur lesquelles nous reviendrons (chapitre 7). Planches réalisées par Vû Eluc Tùng.

44
LA MAISON PARTAGEE

. 1~îf

M.H6NG

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._•.•.•. .J5CO ._ ...•.. _ ... J

Rez-de-chaussée Etage

-3m

45
Cette attestation devait donner lieu au paiement d'un loyer. Bien que très bas, il semble que la
plupart des personnes ne le payaient pas. 21

Le partage des résidences, sous la contrainte et par VOle de nationalisation, concerna


principalement les familles dites «bourgeoises ». Mais les autres familles durent aussi
accepter de partager leurs logements même si cela ne passa pas par la nationalisation. Pour
illustrer ce second type de partage des logements, nous avons choisi un autre exemple, celui
de Mme Thoa. Au début du siècle, un riche commerçant chinois possédait dans la vieille ville
une maison de style mandarinal (illustration 1-2). En 1920, il loua l'étage à lU1e famille
vietnamierme, celle de Mme Thoa. En 1940, il dut quitter précipitamment Hanoi pour rentrer
en Chine. Sa famille le rejoignit 3 ans plus tard. Elle vendit alors la maison à Mme Thoa pour
une somme modique. Entre 1945 et 1953, la maison fut abandormée par la famille de Mme
Thoa en raison des affrontements entre l'armée française et la rébellion communiste
vietnamierme. La famille se réfugia à une vingtaine de kilomètres de Hanoi, dans le bourg de
Dông Anh. Pendant cette période la maison fut occupée par les militaires vietnamiens qui
creusèrent un tunnel partant de la maison jusqu'aux grandes halles de D6ng Xuân situées à
quelques dizaines de mètres.

En 1954, Mme Thoa reprit sa maison. La famille de Mme Thoa étant très modeste, elle ne fut
pas concernée par la nationalisation des résidences bourgeoises. En revanche, elle se rendit
vite compte qu'elle ne pourrait conserver l'usage entier de sa maison sans apparaître comme
non solidaire de la politique de partage des logements. De très nombreuses familles étaient
dans ce cas. Bien qu'elles pussent officiellement conserver la pleine propriété de leur maison
car elles n'étaient ni bourgeoises ni liées à l'ancienne puissance coloniale, certaines
accueillirent des familles pauvres venues des campagnes dans une pièce de leur maison.
D'autres préférèrent demander à des proches de venir habiter avec elles, plutôt que de devoir
cohabiter avec des personnes inconnues, imposées par les autorités.

Lorsque commença la campagne de réforme socialiste du logement en 1960, Mme Thoa


invita la famille de M. Xuy€n à s'installer dans une pièce du rez-de-chaussée. Un peu plus
tard, c'est M. Ké qui vint occuper j'étage. Il fit bientôt venir M. Hài pour habiter une des deux

21Il nous a été dit qu'au début de la politique de partage des logements, une partie des loyers payés par les
familles nouvellement arrivées (10 à 20%) était reversée aux anciens propriétaires en guise de compensation.
Nous n'avons pas pu avoir confirmation de cela. Quoi qu'il en soit, cette somme était minime et la mesure fut
rapidement abandonnée.

46
pièces de l'étage. Toutes ces familles sont des provinces rurales voisines. Enfin, M. Thanh est
venu s'installer dans la cour en construisant au début une simple baraque en bambou. Il a
consolidé son habitation années après années en fonction des matériaux qu'il pouvait
récupérer. En 1975, il est parvenu à couvrir sa maison d'un toit de tuile. Contrairement aux
autres familles, il ne fut ni invité par Mme Thao ni introduit par les autorités. Il s'est imposé.
Les Vietnamiens utilisent le terme « parachutistes» (nhii'flg kt! nhây dû, voir lexique) pour
définir ces familles qui ont opportunément occupé des espaces libres (jardins, cours ... ) sans
en référer à personne. Lors des bombardements américains (sans doute à l'origine du terme)
beaucoup sont venues occuper les locaux commerciaux abandonnés par les employés d'Etat
au rez-de-chaussée des maisons.

Durant cette période, deux familles vinrent s'installer sur un terrain situé à l'arrière de la
parcelle de Mme Thoa et l'une d'elle construisit un bâtiment qui dépassa sur sa parcelle. Au
début de la décennie 1980, la parcelle de Mme Thoa fut encore réduite par un bâtiment
construit sur la parcelle voisine qui empiéta de quelques mètres sur le terrain de Mme Thoa. Il
devint rapidement une maison de passe qui fut interdite et transformée en atelier de
confection. Cette pratique de l'extension progressive sur les terrains des autres est appelée /(Jl1

chilm (voir lexique). Elle s'est développée durant les années 1970, lorsque les familles

partageant les mêmes parcelles se sont agrandies. Il fallut construire des maisons de fortune
dans les espaces inoccupés, d'où des conflits incessants entre familles. Enfin, M. Thln est
venu s'installer au milieu des années 1980 le long de l'entrée. Construit avec des matériaux de
récupérations, son logement devait être provisoire mais il s'est peu à peu consolidé. Quant à
Mme Thoa, sa famille s'étant agrandie, elle a construit en arrière de sa maison quatre petites
pièces (cuisine, sanitaires, deux chambres) dont une partie déborde sur la parcelle de la
pagode. Elle a également bâti une petite maison au-dessus de l'entrée pour y loger lin petit-fils
de Mme Thoa. Au total, ce sont donc 6 familles qui partageaient la maison et le terrain de
l'ancien commerçant chinois.

47
Illustration 1-2, Le partage d'une maison entre son propriétaire et des familles
.. invitées n, Le cas de Madame Thoa.

LA MAISON D'ORIGINE

o
.J !"
'1
lJ
Rez-de-chaussée Etage

5m

m propriété de Mme Thoa

Conformément aux principes de géomancie, la maison a été construite en fond de parcelle. On y accédait par une cour au
milieu de laquelle était aménagé un petit jardin. La parcelle voisine était occupée par une pagode. Peu à peu, le jardin en avant
de la propriété fut bâti jusqu'à disparaitre entièrement. Un boyau étroit subsiste permettant à la famille de Mme Thoa d'accéder
à la rue. Sa parcelle a également fait l'objet d'empiètements par les habitants des parcelles situées en arrière et sur le côté
gauche. Sur le plan de l'équipement, chaque famille a construit une petite cuisine dans sa piéce. Les toilettes étaient en
revanche communes. Il est intéressant de noter que la parcelle de la pagode est restée quasiment intac1e à l'exception d'un
empiètement à l'arrière des bâtiments. Planches réalisées par VÜ Eluc Tùng.

48
TRANSFORMATION

r •.
J:::i::::=:r
o
J·,
Rez-de-chaussée Etage

Sm
_ propriété de Mme Thoa

49
En droit, ces occupations étaient des transactions civiles entre particuliers. Elles étaient
considérées comme volontaires. II existait entre toutes ces personnes des contrats. écrits ou
non, sur le partage des maisons. La plupart du temps, il s'agissait de dons ou de prêts et
parfois d'échange de logements. La location put exister au début, mais elle était mal perçue
par les cadres politiques et bien souvent elle se transforma en prêt. En tout cas. l'Etat n'était
pas propriétaire de ces logements. Ils relevaient de la propriété des personnes. Théoriquement,
il était possible de vendre ou de louer les logements mais il fallait avoir une bonne raison
d'ordre personnel (déménagement, décès..) pour le faire. Les transactions n'étaient pas
officiellement interdites, mais comme elles nécessitaient l'obtention de nombreux permis,
elles étaient quasiment impossibles en pratique.

Dans les deux. exemples que nous avons choisis, chaque propriété fut entièrement partagée
selon un seul mode (la nationalisation ou le contrat entre personnes) mais il existe égal~ment

des bâtiments qui furent partagés selon les deux modes à la fois. Il était très possible qu'une
famille bourgeoise invite des proches à s'installer chez elle sous la forme du prêt d'une ou
deux pièces, puis que les autorités nationalisent le reste de la propriété et des espaces non
bâtis pour y loger des cadres politiques.

On le voit, le statut juridique des logements du parc ancien de Hanoi était extrêmement
complexe. Un très grand nombre de maisons étaient divisées entre une propriété personnelle
(pièces occupées par les anciens propriétaires) et une propriété d'Etat (pièces occupées par les
locataires). A ccci s'ajoutent ceux que l'on appelle les « parachutistes» (Nhâ'y dû, voir
lexique) ayant occupé les logements sans aucun accord, ni des propriétaires ni de
l'administration.

Nous ne disposons pas de données permettant de mesurer l'ampleur de la nationalisation du


parc ancien de logements d'une façon précise. Nous pouvons seulement estimer que la très
grande majorité des bâtiments du centre ville est passée, soit sous la propriété de l'Etat, soit
22
sous la propriété partagée entre l'Etat et les particuliers. En revanche, dans les quartiers
péricentraux, la propriété personnelle était la plus répandue car ces quartiers abritaient des
familles vietnamiennes n'appartenant pas à l'élite économique et intellectuelle de la société
coloniale.

50
En ce qui concerne les terrains non-bâtis, il furent définitivement incorporés dans la propriété
d'Etat en 1962. 23 Le marché des terrains l:rrbains n'existait plus. Seules les entreprises et les
organisations pouvaient se voir céder des droits d'usage du sol pour établir leurs activités de
production ou loger leurs salariés. Une fois un terrain attribué à un organisme, celui-ci était
responsable de son- utilisation, mais il ne disposait d'aucun droit d'aliénation. Si l'Etat
décidait de changer l'attributaire d'un terrain, une négociation s'engageait avec la direction de
l'entreprise ou de l'organisation pour lui trouver un autre terrain. Toutefois, les changements
d'attributaires des terrains en ville étaient rares. Lorsque des nouveaux besoins de terrains
apparaissaient, l'Etat préférait convertir des terrains agricoles en terrains de production. Ceci
nous conduit à nous interroger sur le statut juridique des terrains ruraux.

3.1.2. La collectivisation des terrains ruraux.

Dès 1945, le pouvoir communiste distribuait aux paysans les terres des territoires libérées du
joug colonial et abandonnées par les grands exploitants ayant fui le pays (Nguyên Duc Nhu~n,

1977, p 70). Entre 1949 et 1953, la seconde étape de la réforme agraire consista en
l'expropriation des propriétaires collaborateurs et la distribution de leurs terres aux. familles
des combattants. La troisième étape, la plus radicale, de la collectivisation des terres intervint
entre 1953 et fin 1956. Elle consistait à classer les paysans en cinq catégories en fonction de
leur richesse foncière puis à redistribuer les terres de manière équitab1e lors de séances
d'accusation publiques devant les tribunaux populaires. Les propriétaires fonciers (dia chu) de
la période coloniale se virent confisquer toutes leurs terres. De nombreuses erreurs vinrent
entacher la réforme 24 mais au total fin 1956, 800 000 hectares sur un total de deux millions
avaient été distribués à huit millions de paysans, soit 72% de la population totale (Nguyên
Duc Nbu~, 1977, P 70). A Hanoi, la réforme agraire fut lancée début 1956 et aboutit à la
distribution de plus de 100 hectares aux paysans (Nguyên Vinh Phuc, 1995, p 67 et S.).

22Certains documents vietnamiens utilisent l'expression propriété mixte.


23Circulaire 73 TIg, 1962. La notion de terrain urbain dépendait de critères administratifs. Elle correspondait
aux terrains des districts urbains qui composaient la ville au sens propre et s'opposaient aux districts ruraux de la
~ériphérie.
4 Edwin E.Moise (1983) a étudié de façon détaillée les conditions dans lesquelles s'était faite la réforme
agraire. Il a montré que de nombreuses erreurs et injustices avaient été commises dans l'urgence et sans
encadrement strict des cadres politiques. Voir aussi Nguyên Duc Nhu~n. 1977, p 70.

51
La réforme foncière apparut vite insuffisante pour permettre une augmentation rapide de la
productivité des terres. La collectivisation des terres fut alors mise en oeuvre. Elle se fit par
étapes avec, à chaque nouveau pallier, une réduction des droits fonciers des paysans (Nguyên
Duc Nhu~, 1977, p 74). Les équipes d'entraide consistaient seulement à répartir les tâches de
travail selon les compétences de chacun. Ni les terres ni les récoltes n'étaient mises en
commun. Si cette première étape fonctionnait convenablement, on passait à la coopérative de
degré inférieur. L'exploitation était collective et la gestion commune mais chacun conservait
le droit de propriété sur ses terres même quand il ne les cultivait pas. Ces coopératives
comprenaient de 10 à 30 ménages. Enfin, la dernière étape consistait en la création de
coopératives de degré supérieur ou socialiste. Elles comprenaient de 200 à 400 ménages. Les
terres et les instruments de travail étaient mis en commun. Chaque foyer ne conservait que sa
terre d'habitation (le logement et un jardin). Fin 1958, la banlieue de Hanoi comptait 30
coopératives occupant 3,87% des foyers d'agriculteurs. En 1960, on comptait 279
coopératives employant 19 521 foyers. Cela représentait 82% des terres cultivables et 89%
des familles paysannes (Nguyên Vinh Phuc, 1995).

Juridiquement, la collectivisation différait de la nationalisation. Afin de ne pas donner


l'impression aux paysans de les spolier de leurs terres, la propriété collective ne transférait pas
le droit d'aliénation des terrains à l'Etat mais à la coopérative. Les foyers ruraux conservaient
le droit d'usage des terres mais n'avaient aucun droit individuel aux revenus qui en étaient
tirés. Comme pour les logements en ville, leurs droits étaient authentifiés par une attestation
de droit d'usage. Ils étaient salariés des coopératives qui leur distribuaient les revenus en
fonction du niveau de production. te contrôle exercé sur terrains d'habitat des paysans était
moins strict qu'en ville, l'administration se préoccupant avant tout de la gestion des terres
agricoles.

La distinction entre collectivisation et nationalisation était toutefois relativement artificielle


-
car les dirigeants des coopératives étaient moins les représentants des familles que les
représentants de l'Etat. Après la situation de famine de 1978, l'Etat reprit en main la gestion
des terres. La propriété foncière collective disparut et le régime juridique des sols fut unifié
sous la propriété de l'Etat par la constitution de 1980. 25 A partir de cette date, l'Etat allouait

25La décision 201 CP du conseil des ministres, en date du 1er juillet 1980, portant sur « J'uniformité de la
gestion foncière sur l'ensemble du territoire» affirmait les principes suivants:
- la terre est la possession du Peuple, relevant de la la gestion de l'Etat,
-la gestion foncière est menée par les organisations de l'État au niveaux central et local,

52
les terres agricoles aux coopératives et individus pour une durée indéfinie. Les contrats de
production entre l'Etat et les coopératives, prévoyaient que des terres allouées aux
coopératives pourraient être sous-louées aux ménages pour leurs besoins propres.

Le mauvais fonctionnement des coopératives et leur faible production appauvrirent les


paysans. En 1971, des lopins de terres (de 360 à 500 m 2 ) furent alors cédés aux familles afin
qu'elles produisent pour leur propre consommation. Elles étaient aussi autorisées à vendre les
produits sur le marché libre. Parce que ces lopins constituaient 5% de l'ensemble des terres
d'une coopérative, elles furent appelées « terres 5% ». Cette réforme avait été introduite
également en Chine populaire dans les mêmes proportions. Le droit d'usage des paysans sur
ces terres était plus étendu que sur les terres collectives puisqu'ils avaient droit à la totalité
des revenus produits. Il restait toutefois limité car les paysans n'avaient ni le droit de les
construire ni de les sous-louer. Ils ne pouvaient bien entendu pas les vendre car le droit
d'aliénation restait entre les mains des coopératives. Officiellement, le lopin était un
complément familial du secteur coopératif. En fait, il s'agissait plutôt d'une concession, ou
d'un stratagème, du pouvoir pour faire travailler les paysans dans les rizières collectives tout
en réalisant leur rêve de petit propriétaire.

La répartition des terres 5% par les coopératives donna lieu à de nombreux conflits entre
familles en fonction de la fertilité des sols, de leur éloignement du logement et de leur origine
ancestrale. Toutefois, il semble que dans certains endroits, les paysans obtinrent les meilleures
terres des villages pour leur lopins ainsi que des proportion de 7 à 12% des terres de la
coopérative. 26 Les principes qui présidèrent à la distribution des lopins étaient aussi politiques
que pour l'attribution des logements. Ils étaient fonction du mérite et des vertus communistes
de chaque famille?7 Des anciennes familles de grands propriétaires fonciers furent ainsi
exclues de la distribution. Néanmoins, l'exclusion n'était jamais définitive. Un· comportement
particulièrement remarquable au travail pouvait leur permettre de retrouver des droits
similaires aux autres familles. Sur un plan sociologique, les dirigeants des coopératives

- la terre est classée en cinq catégories: agricole, forestière, résidentielle, spécialisée et vierge,
- l'Etat alloue la terre aux entreprises du gouvernement et coopératives sans limites de l'allocation,
- la vente de la terre est totalement interdite.
26 C'est ce que pu constater Nguyên Dac Nhu~ (1977, p 133) lors d'une visite de la coopérative de cC; Nhué en
1977.
27 Sur J'utilisation par le parti communiste de la culture confucianiste pour faire passer son message auprès des
masses paysannes, voir le très intéressant article de Shaun Kingsley Malarney (I997) , « Culture, virtue, and
political transformation in comemporary northern Viet Nam », The Journal ofAsian Studies, vol. 56,nA,
novembre 1997, pp 899-920.

53
jouaient aux yeux des paysans le même rôle que les notables de villages dans la période
précédente puisqu'ils détenaient le pouvoir de distribuer les terres et les revenus. Les
(( grandes familles» réussissaient d'ailleurs souvent à prendre la direction des coopératives.
Malgré l'environnement politico-économique de la collectivisation, l'organisation sociale
dans les villages reproduisait des schémas ancestraux.

Que ce soient les immeubles, les terrains urpains ou les terrains ruraux, leur statut juridique à
Hanoi entre 1954 et 1986 apparaît en définitive relativement confus. Il s'y mêle d'anciens
droits de propriété immobiliers et des droits d'usage du logement, des droits d'usage du sol
limités à l'utilisation du logement et d'autres tolérant la construction individuelle (dans les
villages) ou autorisant la disposition des revenus (<< terres 5% »). Dans le contexte de pénurie
de logements, leur gestion bureaucratique ne pouvait qu'encourager des stratégies et des
pratiques individuelles informelles.

3.2. Survivance de l'économie foncière et immobilière sur le mode informel.

La politique socialiste de gestion des logements condamnait le commerce de l'immobilier.


Les terrains et logements laissés à leurs anciens propriétaires ne pouvaient être vendus ou
loués dans un but de profit. Juridiquement, ceci n'interdisait pas toute transaction mais dans
les faits, il était très risqué de vendre ou de louer.

Bien entendu, les logements foumis par l'Etat étaient non commercialisables. Le droit d'usage
du logement était attaché à la personne, en fonction de ses mérites propres, et non à sa famille.
Il ne pouvait être question de considérer le droit d'usage comme un patrimoine de la famille.
Ainsi, les cadres de la Révolution qui avaient pu recevoir des logements relativ'ement vastes
(30 m 2 ) ne purent obtenir de les agrandir en fonction de l'él~gissement de leur famille. Le
droit d'usage s'éteignait à la disparition ou au départ de l'attributaire pour une autre localité.
Il ne pouvait y recevoir un nouveau logement qu'après avoir rendu l'ancien à l'administration.
Les logements laissés vacants étaient récupérés par le service du logement (scY nhà dât; qui les
réattribuait à d'autres familles.

Malgré tout, les transactions marchandes de logements et de terrains avaient bien lieu. Elles se
faisaient en catimini, « au noir », très souvent au sein d'une même famille ou entre voisins. Il

54
s'agissait plus d'un «arrangement» que d'un acte commercial. La plupart du temps, l'accord
était simplement verbal. Il existait parfois des contrats privés rédigés sur une simple feuille de
papier. Dans le parc de logements publics, l'attributaire du logement restait le même car le
changement n'était pas déclaré à l'administration. Au d:~but des annéds 1980, ce marché
souterrain se développa considérablement face à l'incapacité de l'Etat à réformer la gestion
des logements. En 1986, année de l'abandon officiel de l'économie centralisée, une étude du
gouvernement estimait que 91 % des foyers de Hanoi avaient acheté ou vendu leur logement
en dehors du circuit de l'enregistrement officiel. 28

La population vivait dans une économie très largement subventionnée. L'achat de logements
et de terrains se faisait en dehors de l' économi~. légale. Alors que dans la sphère
subventionnée, le coût d'un loyer était dérisoire (de l'ordre de 1% du salaire), il n'y avait pas
de rapport entre le niveau des prix « au noir» et celui des salaires publics. Un pas de porte
acheté au noir valait 5000 dôngs 'soit ce~t fois le salaire mensuel d'un employé ou d'un
ouvrier (Nguyên Dûc Nhu~, 1977, P 127). Les employésd'adrninistration ne pouvaient donc
pas envisager d'acheter un logement ou un terrain avec leurs seuls salaires. Ce n'est pas pour
autant que les prix immobiliers étaient très élevés. Au contraire, si l'on compare les prix des
terrains et des logements avec d'autres biens qui s'échangeaient au marché noir, ils étaient
très bas: l'achat d'un terrain dans un Village autour de Hanoi équivalait à quelques
bicyclettes, celui d'une petite maison à une motocyclette japonaise, celui d'une pièce dans une
maison de la vieille ville' à une bicyclette. Pour réunir les sornrnes nécessaires, les familles
devaient vendre leUrs biens personnels ou réunir les sommes nécessaires grâce à l'aide de
leurs familles et des amis en organisant des tontines. Mais surtout, les petits travaux au noir et
la vente de produits agricoles sur les marchés rapportaient beaucoup plus que le salaire
officiel. 29 Toutefois, la population vivait dans une atmosphère d'oppression. Toute
manifestation de richesse entraînait des interrogatoires policiers sur l'origine des ressources.
Plus on avait de l'argent et moins on le montrait. L'oppression constituait un frein bien-plus
efficace au développement du commerce immobilier que la gestion bureaucratique des droits
d'usage.

28 Citée par David Koh (2000) chapitre 5.


29 Nguyên Duc Nhuân (1977, P 127) rapporte l'exemple d'un chef de brigade qui pu construire sa maison grâce à
la vente sur le marché libre de Hanoi des légumes de sonjardin. Son salaire mensuel était de 50 dôngs mais le
produit mensuel de ses vente de 300 dôngs, soit deux fois le salaire d'un ministre.

55
En outre, les terrains comme les bâtiments ne pouvaient servir à rien d'autre qu'à se loger.
L'interdiction de construire faisait qu'il était impossible de valoriser son bien. Dans la ville,
toute personne qui commençait à construire un bâtiment était immédiatement interpellée par
les autorités. Pendant toutes les années de guerre, il était en outre interdit d'utiliser du ciment,
classé production stratégique. Seuls la construction de maisonnettes en banlieue ou
l'élargissement des anciennes maisons étaient tolérés. Ces travaux étaient réalisés avec des
matériaux de fortune (bambou, matériaux de récupération). En outre, les particuliers n'avaient
pas intérêt à investir sur un terrain sur lequel ils n'avaient aucun droit. Ils savaient leur
situation provisoire et instable.

La situation évolua durant les années 1970 lorsque l'Etat autorisa les petites activités
commerciales et artisanales pour pallier la faiblesse de la production des entreprises
publiques. Les logements dans le centre furent alors convoités en raison des activités qu'ils
permettaient. La recherche d'un logement bien situé entraîna de nombreux conflits entre
habitants. Des anciens propriétaires qui avaient accueilli des familles sans toit sur leurs
terrains dans les années 1950 entrèrent en conflit avec celles-ci lorsqu'elles refusèrent de
quitter le centre pour un logement collectif en banlieue. La population conservait en effet une
notion précise de la valeur des bâtiments et des terrains, mais cette valeur restait cachée. Les
logements publics possédaient également une valeur qui n'avait rien de comparable avec le
coût du loyer versé à l'Etat. Les familles privilégiées qui avaient obtenu un logement dans une
villa de l'ancien quartier français considérèrent leur droit d'usage comme un patrimoine et le
transmirent à leUrs descendants. Elles étaient d'autant plus attachées à ce droit qu'il était
quasiment gratuit.

En ce qui concerne les mutations de terrains internes à l'appareil d'Etat, il semble que la
valeur des terrains n'ait jamais été un élément décisif. En tout cas, elle était officiellement et
physiquement absente des transferts de droits d'usage du sol. Le fait que le terrain fût conçu
comme une ressource naturelle et non comme un moyen de production le maintenait en
3o
dehors de la sphère de la valeur économique. Aucune taxe n'était prélevée sur le droit
d'usage du sol. Elle n'aurait pas augmenté réellement le revenu national mais aurait en
revanche alourdi inutilement les coûts de production des entreprises et donné du travail
supplémentaire à l'administration.

56
Les terres agricoles étant collectivisées, leur transfert d'usage était un processus interne à
l'Etat. Lorsqu'une décision d'attribution de terrains à une entreprise ou organisation était prise
par le gouvernement, le ministère de la construction était chargé d'en déterminer
l'emplacement en fonction des schémas d'aménagement. Sa décision s'imposait aux
coopératives ainsi qu'aux autorités locales, les comités populaires de district. Les coopératives
devaient réorganiser leur production en fonction des terres perdues. Elles ne recevaient pas
d'indemnités, mais le niveau de production et leur participation au financement du budget de
l'Etat étaient réajustés en fonction de la perte subie. C'est par ce biais seulement que la valeur
économique des terrains, en l'occurrence leur rendement agricole, trouvait une concrétisation.
La question des paysans dépossédés de leurs terres se réglait ensuite au sein même des
coopératives. Il n'existait pas d'indemnisation financière des foyers paysans, mais leur statut
social était modifié? 1 Perdant leur terrain, ils perdaient aussi leur seule source de revenus
ainsi que celle de leurs enfants. En contrepartie, ils se voyaient reconnaître le statut des foyers
non-agricoles qui leur ouvrait de nombreux droits, comme celui à un emploi, à un logement, à
la scolaIjsation de leurs enfants, à une ration de riz, aux services sociaux... 11s étaient souvent
reconvertis dans les activités non agricoles des coopératives. Dans ces conditions, il était aisé
pour l'administration de récupérer des terres agricoles pour les attribuer à des entreprises, y
aménager les quartiers d'habitat collectif ou construire de nouvelles routes.

En ce qui concerne les attributions de terrains urbains entre entreprises et organisations, il est
également difficile d'identifier le rôle qu'y jouait la valeur économique des terrains. Il semble
que la question était réglée très aisément entre les différentes administrations concernées. 32 La
voie choisie était celle de la négociation. Le ministère de la construction engageait des
discussions avec la direction de l'entreprise ou de l'organisation à qui un terrain était repris
pour lui en attribuer un autre. Dans cette négociation, l'entreprise cherchait avant tout à
obtenir le plus de terrains possibles pour sa production ou le logement de ses employés. Il ne
nous a pas été possible d'identifier des comportements révélateurs de l'existence d'une valeur
cachée des terrains attribués aux entreprises. En particulier, il semble que la gestion des

30 Nous reviendrons sur la conception marxiste de la valeur qui prévalait alors dans le chapitre 3.
31 Lorsque des terres 5% étaient concernées par une mesure de récupération, les foyers paysans se voyaient
attribuer un autre terrain. •
)2 Entretien avec M. Nguyên Ng<;>c Khôi, conseiller du ministre de la construction et ancien directeur de l'institut

de la planification urbaine et rurale, 5.04.1999.

57
transferts ait été relativement rigoureuse et que le système de transactions illégales ne se soit
pas développé avant le milieu des années 1980.3~

L'histoire de la propriété foncière au Viêt-nam est faite d'une coexistence conflictuelle entre
propriété privée et collective. Si, à l'époque impériale, les terres collectives jouaient un rôle
essentiel dans l'organisation sociale, c'est· parce qu'elles servaient de garde-fou face au
mouvement de fond que constituait l'essor de la propriété privée. Le régime colonial favorisa
cette dernière dans le but d'en faire profiter avant tout des catégories de la population qui le
soutenaient. Dans les villes, l'apparition d'une économie foncière et immobilière renforça
encore le mouvement de privatisation. Ce sont les excès de celui-ci - Papparition d'une classe
de grands propriétaires dans le giron de la puissance coloniale- qui légitimèrent auprès du
peuple la collectivisation. Ce sentiment n'était pourtant pas exclusif d'un attachement à la
petite propriété terrienne. Il allait persister, mais sur un mode mineur. En collectivisant toutes
les terres, le pouvoir communiste redistribua les droits de propriété : à l'Etat les droits
d'aliénation et aux organismes publics et particuliers les droits d'usage. Cette division
abstraite de la propriété n'avait de sens que dans le contexte plus large du système de
l'économie subventionnée. Les personnes qui tenaient leur logement de leur implication dans
ce système estimaient posséder des droits comparable à la propriété. La meilleure preuve en
est le prix élevé (sur l'échelle des prix administrés) auxquels ils les vendaient sur le marché
noir. Ces droits ne constituaient toutefois qu'une étape dans le but ultime que se fixait le
pouvoir communiste : l'avènement de la ville non marchande.

33En Chine (Tang, 1994, p 409) et dans les pays de l'est, il existait des transactions parallèles entre les
entreprises « possesseurs» de terrains qui n'en n'avaient pas toute l'utilité et des « demandeurs» qui ne
parvenaient pas à en obtenir par la voie nonnale ou qui en avaient besoin rapidement. Les seconds échangeaient
des biens de productions contre les terrains des seconds. Ce système de troc palliait la rigidité et la lenteur des
mécanismes officiels tout en révélant la valeur cachée des terrains. .

58
Chapitre 2. Hanoi, 1954-1986 la ville non marchande.

L'urbanisation est un phénomène qui s'inscrit dans la longue durée. Les fonnes de
l'urbanisation actuelle de Hanoi peuvent être éclairées par leur inscription dans l'histoire
longue de la ville. Nous avons toutefois fait le choix de ne pas retracer la période coloniale de
Hanoi car, si elle fut déterminante sur I.e plan de l'aspect physique et architectural du centre
ville actuel, les conditions sociales, économiques et politiques de l'urbanisation étaient trop
liées à la colonisation pour que l'on puisse en trouver des prolongements dans la période
actuelle. 34 En revanche, les choix d'urbanisation décidés à partir de 1954 doivent influencer
les orientations actuelles soit sous la fonne de réaction violente à un passé désonnais rejeté
soit par des continuités dépassant le strict cadre des décisions politiques pour s'enraciner dans
les mentalités et les comportements, soit ,plus vraisemblablement, par un mélange des deux.

L'ère qui débuta en 1954 était à la fois celle de l'industrialisation des campagnes et de la ville
non marchande. Pour comprendre le sort qui était réservé aux villes, et en particulier à Hanoi,
il faut se replacer dans le contexte plus large de l'effort d'industrialisation du pays et de la
priorité donnée au développement des zones rurales. Quant à l'espace urbain en tant que tel, il
devait être géré en fonction de critères économiques et sociaux et avant tout pennettre la
fixation des forces productives à proximité des zones industrielles. Ceci passait par la
planification de la production et la distribution « rationnelle» des logements. Notre
interrogation initiale sur les raisons de l'engouement soudain et violent de la population pour
la construction de maisons individuelles dès l'adoption des réformes nous conduit à en
chercher les raisons dans les fonnes d'habitat et le niveau de production atteint durant la
période socialiste.

34 Sur ('urbanisation de Hanoi durant la période coloniale, voir les travaux de Gwendoline Wright (199 J), Wright
et Rabinow (1982) et Christian PédeJahore (1983 et 1992).

59
1. Administrer l'urbanisation.

1.1. La croissance de Hanoi malgré tout.

Murray et Szelenyi (1984, 1988) ont mIS en évidence le caractère « anti-urbain» des
politiques urbaines socialistes et ses conséquences sur le niveau de la croissance urbaine. Ils
ont élaboré un modèle de l'urbanisation socialiste où les évolutions de la croissance urbaine
sont directement liées à des phases dans le système économique et politique des régimes
socialistes. Ils distinguent dans un premier temps une phase de « désurbanisation »,
caractérisée par une diminution drastique de la population urbaine notamment après le
renversement de régimes coloniaux, suivie d'une phase de sous-urbanisation ou de croissance
urbaine nulle due à la mise en œuvre de modèles de développement axés sur le
développement industriel des zones rurales. Une troisième phase voit la population urbaine
augmenter en raison du recours à une croissance économique intensive (voir figure 2-1).

En analysant le cas du Viêt-nam à la lumière de ce modèle, Thrift et Forbes (1986) en ont


critiqué le caractère trop général et économico-centré. Il ne remettent pas en cause son utilité
si l'on admet que l'évolution de l'urbanisation dépend étroite des relations entre l'Etat et
l'économie. Dans les pays socialistes qui sont également des pays en voie de développement,
les auteurs pointent la faiblesse de l'emprise de l'Etat sur l'économie et mettent en avant le
poids de la société civile et des relations internationales (Thrift et Forbes, 1986, p 169).

60
Figure 2-1. Le modèle d'urbanisation socialiste de Murray et Szelenyi,

étape révolutionnaire étape bureaucratique ctape technocratique


,---------------" ----------'1
ri ------------,1
ri

REVOLUTION C!lANGEMENT POLITIQUE CHANGEMENT POLITIQUE

cheminement prévu de
l'urbamsation capitaliste

.-- ..
-,'
'

sous-urbanisation

croissance urbaine zéro

TEMPS

1 2 3
étape « révolutJonnalre » étape c bureaucralique » étape
c technocratique.
D6-ulb8nisalion gel Croissance urbaine Faibla croissance Urbanisation socialiste
révolutionnaire zéro urbaine intensive
Caractéristiques Baisse profonde de Début de baisse Pas ou peu de Croissance de la Croissance de la
d6mographlques la population de la population changement dans population urbaine population urbaine mais
urbaine urbaine la population lente ou rapide mals sans baisse drastique de
urbaine plus lente que la la popul,gUon rursle
croissa nce de
l'emploi industrlel
Mode de Propriété étatique Propriété étatique Croissance urbaine c Accumulation Croissance économique
contrOle de des moyens de des moyens de c organique., socialiste primitive., intensive, plus de capital
rèconomie par production production accent mis sur le industrialisation investi dans le
rEtaI développement accélérée aux développement
industriel ;l dépens des économique
l'intérieur de la infrastructures et ~
commune rurale l'agriculture
Composition et lutte contre les Lulle contre les ConOns internes a Hé9émonie du Emergence d'une
conflits de classes moyennes classes la bureaucratie: pouvoir central nouvelle classe pelite·
classe urbaines at moyennes classe de l'Etal, r&distributif ; classe bourgeoise grtlce Il des
conœssions aux urbaines el classe ouvriére d'Etal et classe concessions faijes p8r le
paysans. Les concessions aux relativement taible ouvriére système '&distributif :
nouveaux cadres paysa~, Les classe ouvrière
commenœnlè nouveaux cadres substantielle
former la c classe. commencent il
de l'Etat former la
c classe» de
l'Etal

Source: Thrift et Forbes (1986, p 36) d'après Murray et Szelenyi (1984)

61
L'objectif du pouvoir communiste vietnamien dès 1954 n'était nullement de « liquider la
civilisation urbaine » 35 - comme le fit ultérieurement Pol Pot au Cambodge - mais de trouver
un modèle de développement économique adapté aux caractéristiques ct ressources du pays.
La très faible industrialisation du pays et la pauvreté des masses paysannes orientèrent les
dirigeants vers un modèle d'industrialisation qui atteigne en premier lieu les zones rurales
(Nguyên Dùc Nhu~n, 1977, p 50 et s.). Outre la réforme agraire et la collectivisation que nous
avons étudiées plus haut, l'Etat entreprit la régionalisation industrielle. Il s' agissai t de
démultiplier sur tout le territoire des centres urbains industriels au sein d'unités économiques
régionales de 1 à 1,5 millions d'habitants. Le but était que chaque région puisse être autonome
économiquement et militairement. Une quinzaine de centres urbains furent ainsi crées au
Nord- Viêt-nam. Toutefois, les villes n'avaient de sens qu'en relation à la région rurale
qu'elles desservaient. C'est pour cela que chaque grande ville fut associée administrativement
à une province qui s'étendait sm toute sa région agricole. La ville de Hanoi fut ainsi intégrée
en 1961 au sein de la province de Hanoi qui possédait une zone rurale de 550 km 2 .

Cette politique mêlant étroitement développement économique et aménagement du ten'itoire


eut des conséquences importantes sur la croissance urbaine. En 1954. la colonisation ne
laissait que deux véritables villes au Nord-Viêt-Nam, Hanoi et Hai Phàng. La pal1 de la
population mbaine était de 7,4% en 1955. En une dizaine d'années, plusieurs centres urbains
furent créés. Ce mouvement de « rattrapage» se concrétisa par un rythme de croissance
urbaine relativement élevé puisque la population urbaine atteignit 11% en 1974 (figure 2-2). Il
n'y eut donc pas croissance zéro et encore moins désurbanisation comme le prévoit la
première phase du modèle Murray-Szeleniy. Le Nord-Viêt-nam semble être passé directement
à la phase de sous-urbanisation. En effet, celle-ci se définit par tille croissance urbaine
positive mais inférieure à la croissance industrielle. Or, entre 1955 et 1964, dans la même
période où la population urbaine augmentait de 4%, la croissance industrielle s'élevait à 25%
(Nguyên Dùc Nhu~n, 1977, p 105).36 Ceci laisse penser que la croissance urbaine amait pu
être plus élevée si l'Etat n'avait pas essayé de la limiter notamment en instituant le permis de
déplacement et l'obligation de résidence. Le livret de famille. 11<) klui'u (les bouches du foyer,
équivalent du hu kou chinois) était étroitement contrôlé.

3) Nguyên Duc Nhu~n (1977, P 49) insiste sur ce point en notant que le Viêt-nam ne fut jamais étranger à la
civilisation urbaine .
.16 Cette forte augmentation de la production industrielle doitloutefois être relativisée Célr elle pal1ail de très bas.

62
Figure 2-2. Le taux de croissance urbaine au Viêt-nam.

- eo r Indépendance du
chute du reg ,me
sudiste
, r créahon de la
République socialiste
1 Nord·Viêl-nam 1
1 du Viêl-nam
1
1 1
1 1
50 1 1
1 1
1 1
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CD 1
.S;
IV 4ll 1
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Sud-Viêl-nam
R 1
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1
1
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1 Nord Viêt·nam
1
10 1

SS 60 65 10 1S 80 as
I9-tS
années

Source: Thrift et Forbes, 1986, p 91.

A partir de 1965 s'ouvre une période mouvementée qui dura jusqu'en 1972. En raison des
bombardements américains sur les villes du nord, l'Etat mis en œuvre une politique de
« dispersion» qui consista à transférer les industries et les populations des villes dans les
campagnes et les régions montagneuses (Nguyen Duc Nhu~n, 1977, p 127). La population
urbaine perdit environ deux points de croissance durant ces années (figure 2-2).

Sans entrer dans les détails de la situation au Sud du pays, notons qu'en 1975, il Y eut un
véritable phénomène de désurbanisation dans les villes du Sud. Entre cette date et 1979, la
population urbaine au Sud passa de 43% il 25,6% (Nguyen Duc Nhu~n, 1984, p 84). Il faut
replacer cette diminution drastique dans le contexte de la « sur-urbanisation»

(overurbanization) conduite par les américains avant 1975 afin de couper le soutien des
masses paysannes au mouvement révolutionnaire. 37 En fait, la part de la population urbaine en
1979 revenait presque au niveau de 1960 (20%). Les autorités avaient réussit à faire « rentrer

.17 La population urbaine du Sud passa ainsi de 2.8 millions à 8 millions (et 13 millions si l'on tient compte des

réfugiés installés à la périphérie des villes).

63
au village natal» les masses de paysans qui s'étaient réfugiées dans les villes. Au total. un
million et demi de personnes quittèrent Saigon après 1975 alors que 700 000 cadres politiques
venus du nord y arrivèrent.

Après la réunification du pays. l'Etat entreprit de généraliser et de perfectionner sa politique


d'aménagement du territoire en organisant le déplacement massif de populations des régions
du nord trop densément peuplées et de S.aigon (devenue Hô Chi Minh ville) vers des zones
économiques nouvelles situés dans les montagnes, le delta du Mékong ou les hauts-plateaux.
L'objectif était double: mieux répartir les forces de travail sur le territoire en fonction des
ressources -et en fonction des intérêts militaires par la création de zones près des frontières- et
éviter que de grandes agglomérations urbaines se constituent (Nguyen Duc Nhu~n, 1977, 46).
Malgré l'importance des déplacements (3,6 millions de personnes furent déplacées entre 1975
et 1989, Papin, 1999, p 39), cette politique conduite sur un mode trop autoritaire et sans
préparation des zones de peuplement nouvelles fut un échec. Entre 30 et 40% des personnes
s'enfuirent soit vers l'étranger de milliers de (90 000 « boat people» dont les départs
culminent en 1979 et non en 1975, Papin, 1999, p 39) soit vers les grands centres urbains
provoquant le résultat inverse de l'objectif initial.

Il faut noter que cette politique de déplacement de population s'inscrivait dans un cadre plus
large de renforcement et d'extension du modèle de développement industriel des zones rurales
mis en place au Nord depuis vingt ans. Tout d'abord, le principe de l'organisation régionale
autour d'une ville industrielle fut renforcé. Chaque région devait ainsi pouvoir assurer sa
croissance de manière équilibrée et surtout autonome, autant pour des raisons économiques -
le pouvoir craignait les mouvements de population des régions pauvres vers les riches et des
campagnes vers les villes- que pour des raisons militaires. C'est pour cette raison que la
province de Hanoi fut une nouvelle fois étendue en 1978 jusqu'à atteindre 2000 km 2 avec une
population passant de 1,3 à 2,5 millions d'habitants (voir carte 2-1 et tableau 2-1). Il fallait
également « urbaniser les campagnes». L'action ne se situait plus au niveau des provinces
mais des districts, unités économiques et administratives de dix mille à quinze mille hectares
et 100 000 à 200 000 habitants. A partir de 1976, le district était conçu comme une grande
unité de production, revêtant le caractère d'un combinat agro-industriel. 38 C'est sur cette base

38Sur cene conception « industrielle» de l'espace, Nguyên Ovc Nh'uân (1984, P 81) rapporte un discours du
premier secrétaire du parti communiste, Lê Duàn en 1977 : « l'ensemble du territoire est une entreprise géante»
dans laquelle l'Etat occupe la place du chef d'entreprise et le peuple celle d'ouvrier salarié. respecté mais obligé

64
que les villes moyennes et petites, ainsi que les bourgs et les villages devaient être
réorganisés. Le chef lieu de district était transformé en « agroville » possédant ùne industrie
massivement orientée vers la transformation des productions agricoles.

Dans ce contexte particulièrement mouvementé et globalement anti-urbain, il est remarquable


de constater que la population de Hanoi s'accrut considérablement. Entre 1954 et 1965, la
croissance urbaine de Hanoi fut plus ·élevée que dans les autres villes du nord (Thrift et
Forbes, 1986, p 144). Entre 1961 et 1979, la population vivant dans la ville allait augmenter
de 40% (tableau 2-1) malgré l'épisode de la dispersion entre 1965 et 1972. Croissance urbaine
maîtrisée ou « sous-urbanisation» n'étaient pas synonyme d'égalitarisme entre les différentes
villes mais au contraire de renforcement de la primauté urbaine de Hanoi dans le Nord-Viêt-
nam. La capitale attirait beaucoup plus de populations que les nouveaux centres agro-
industriels créés dans les provinces voisines.

65
Tableau 2-1. Superficie et population de Hanoi (1942-1989).

Année Province de Hanoi zone rurale (ngoéjli thành) Zone urbaine (nQi thành)
(thành pho Hà Nôi)*
Superficie Population Superficie Population Superficie Population
(km 2 ) (hab. ) (km 2 ) (hab.) (km 2 ) (hab.) .
1942 130 300000 118 - 12 -
1954 152 530000 140 12

1960 152 643576 140 273576 12 370000


er 586 913428 549 449608 37 463820
1961 (1
redécoupage
administratif)
1969 1 164198 549 536354 37 627844
586
1974 1.378335 549 642124 37 736211
586
1979 (2"me 2 131 2 570 905 2088 1 782200 43 788705
redécoupage
administratif)
1989* 2131 3056862 2088 1 968000 43 1 088862

Dans la terminologie officielle, la province de Hanoi est appelée Ville de Hanoi (thành pho Hà NQI).
Elle comprend l'ensemble ville et zone rurale. La première est appelée ville intérieure (nQi thành) et la
seconde ville extérieure (ngoéjli thành). Jusqu'en 1954, la zone rurale était remplacée par la zone
administrative spéciale.
* Données du recensement de 1989.
Source: regroupement de statistiques émanant du service des statistiques et service de la culture de
Hanoi rassemblés dans « TL! Li$u vé sa dân Hà NQi» [documents sur la démographie de Hanoi], Kinh
té & Dô th! [économie et ville], avril 2000.

66
Carte 2-1. Les limites de Hanoi entre 1979 et 1991 et après 1991.

municipalité de Hanoi municipalité de Hanoi


enb"e 1978 el 1991 après 1991
N

-
o. 10""'

districts urbains
(étendus après 1991)
1. Hoan KI6m
2 e. Dlnh
3. Dong Da
4. Hai Ba TrvrQ
source: Farbes et Lê HOng Ké, 1996, P 78.

En 1954, la province de Hanoi s'étendait sur 152 km' dont 12 km' occupés par la ville. En 1961, les limites de "agglomération
étalent étendues une première fois (580 km') en application de la politique d'indépendance régionale vue plus haut. La
population de la province passait alors de 600 000 à 900 000 habitants. En 1978, le congrès de l'assemblée nationale opérait
un nouveau découpage administratif. Le territoire de Hanoi était alors étendu considérablement (plus de 2000 km'). 7 nouveaux
districts ruraux étaient créés (voir carte 2-1). La population de la province passait ainsi de 1,5 million à 2,5 millions d'habitants.
Le but n'était pas de préparer l'eX1ension urbaine de la capitale mais de renforcer l'autosuffisance de la province dans la
production agro-alimentaire. Les planificateurs urbains critiquèrent cette décision qui alourdissait leurs tâche. Ainsi, au
recensement de 1989, la province comprenait trois millions d'habitants pour seulement un million d'urbains. En 1991, lors d'une
réorganisation administrative de toutes les provinces du pays, la province de Hanoi allait être ramenée à 900 km'.

67
Les données sur la croissance démographique doivent être complétées par des renseignements
sur le type de population qui s'installa à Hanoi. Contrairement à un cas courant dans les pays
en voie de développement, il ne semble pas qu'il y ait eu d'exode rural massif. En 1974, la
croissance urbaine était de 3,7 % (Nguyên Duc Nhu~n, 1977, p 100). L'accroissement naturel
de 2,8% en expliquait une grande partie. L'autre partie pourrait avoir été constituée par un
phénomène propre à la capitale: l'attraction des jeunes cadres administratifs venus des
provinces voisines. Nous avançons cette hypothèse car nous avons remarqué que les partages
de logements se faisaient souvent au profit de cadres venus des provinces et rejoints peu après
par leur famille. Cette hypothèse semble être corroborée par le fait que près de 50% de la
population active de la ville était composée de membres de l'administration (y compris
personnels de santé, enseignement, culture et commerces d'Etat). Etant donné les difficultés
qu'il y avait à trouver un logement si l'on n'était pas membre de l'administration, fort peu de
paysans des villages voisins cherchaient à habiter dans la ville. Au contraire, ils préféraient
effectuer deux heures hebdomadaires de bicyclette pour venir vendre leurs produits sur les
marchés de Hanoi et habiter dans des maisons confortables plutôt que de se serrer dans
quelques mètres carrées en ville (Nguyên Duc Nhu~n, 1977, p 130). En effet, malgré une
volonté politique de contrôle des mouvements de population vers les villes, la pression
démographique fut relativement forte sur le cadre bâti de Hanoi, d'autant plus que les
bombardements américains détruisirent de nombreux logements. Pour accueillir les quelques
300 000 habitants supplémentaires en vingt ans, il fallut mettre en œuvre d'importants
programmes d'extension urbaine et de logement.

1.2. Aménager la ville socialiste.

Dans les économies planifiées socialistes, l'aménagement urbain était conçu comme la mise
en œuvre spatiale des objectifs définis par le plan économique. L'aménagement urbain
reposait donc en totalité sur la planification urbaine. Celle-ci, telle qu'elle a été importée
d'URSS en République populaire de Chine et au Viêt-nam, consistait en un exercice d'ordre
purement physique et ressortait de la compétence de techniciens, qu'ils soient architectes ou
ingénieurs. Il s'agissait d'un processus très centralisé. En Chine, lors du premier plan
quinquennal (1953-57) et du Grand Bond en Avant (1958-60), les gouvernements locaux
n'étaient pas associés à des décisions qui provenaient non du canal législatif de l'Etat mais
des instances du parti communiste par le biais de l'administration. L'espace urbain était

68
planifié par les ministères et leurs unités de production sans faire l'objet d'une réflexion
d'ordre urbanistique (Ng et Wu, 1995, p 282). Toute mesure de planification urbaine sera
même officiellement abandonnée lors de la Révolution Culturelle (1966-76). D'autre part,
l'espace urbain n'était pas appréhendé comme un objet scientifique (Tang, 1996, p 406) par la
planification économique. Cela se traduisit notamment par l'absence ou l'extrême pauvreté
des données statistiques sur la croissance urbaine.

Au Viêt-nam, les plans de développement économique et social des provinces étaient réalisés
sur des bases quinquennales et annuelles. Ils identifiaient les grands objectifs de
développement économique mais aussi ceux concernant le niveau de vie de la population. Les
besoins en terrains pour chaque secteur de l'économie étaient calculés à partir de ces objectifs.
L'institut de la planification urbaine et rurale du ministère de la construction intervenait alors
pour les transcrire en plans d'aménagement et programmes de construction provinciaux. 39
Dans les villes, il s'appuyait également sur une étude de l'état existent du cadre bâti pour
estimer les besoins en aménagement. Dans cette seconde étape, la transcription des données
économiques en programme de construction se faisait par l'usage de normes. En fonction du
niveau de production de chaque activité, celles-ci permettaient d'obtenir les mètres carrés de
terrains à aménager. Les indicateurs de niveau de vie étaient transcrits par le même moyen en
surfaces d'équipement public, d'espace vert et de logement par habitant. La troisième étape
consistait à réaliser un plan général d'aménagement urbain pour les 5 et 20 années à venir. Il
devait être ensuite réalisé par les entreprises de construction au rythme des investissements de
l'Etat.

Les grands pnnClpes de l'urbanisme socialiste ont été adoptés pour élaborer le plan
d'aménagement de Hanoi. Il fut réalisé avec la coopération de l' insti tut d'urbanisme de
Leningrad dans les années 1970 et publié en 1981 (carte 2-2). A l'époque, les aménageurs du
ministère de la construction ont remis en cause la faisabilité d'un tel projet mais sa démesure
fut voulue par les dirigeants politiques. Elle n'était pas fondée sur les réalités économiques de
la ville mais sur l'objectif politique de planifier le développement de la capitale du Viêt-nam
socialiste jusqu'à l'an 2000.

,9 Entretien avec M. Nguyên Ng9c Kh6i, conseiller du ministre de la construction et ancien directeur de ['institut
de la planification urbaine et rurale, 5.04.1999.

69
Carte 2-2 Le schéma directeur de Hanoi adopté en 1981.

~..

. .....
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".

_extension du bâti prévue en 1981 N

. . limite du bâti existant en 1992


2 km
l'
source: Antier el Palisse, 1990.

On distingue nettement le principe d'aménagement par grands blocs délimités par le quadrillage des routes. Leur disposition
concentrique est aussi une caractéristique de la planification socialiste (Hamilton, 1979) En Asie, elle se retrouve notamment
dans les plans d'aménagement de Pékin (Sit, 1996). A Hanoi, le centre du réseau concentrique fut déplacé vers le nord, de la
ville ancienne vers le lac Tây. Ensuite, on atteignait une zone de transition où les villages étaient progressivement remplacés
par les ensembles de logement. Le caractère grandiose du projet doit être souligné. L'étendue des aménagements prévus
correspondait à plus de deux fois la superficie de la ville existante dix ans après.

70
Une fois le plan d'aménagement élaboré, les instituts d'urbanisme de la ville et du ministère
de la construction réalisaient des plans détaillés au 1I2000e ou 1/1 OOOe. Ils étaient eux-mêmes
ensuite transcrits en plans de réalisation au lIS00 e. L'emboîtement des différents plans était
pensé de façon très rigide. Les plans de détail et de réalisation étaient considérés comme des
« agrandissements» du plan d' aménagement. Ils ne couvraient pas l'ensemble du territoire,
mais étaient élaborés au coup par coup en fonction de la demande des projets industriels ou
sociaux. Leur élaboration s'effectuait grâce à des normes de construction utilisées en URSS et
dans les pays de l'Est. La distinction entre' un schéma directeur, document d'ordre
prévisiOIlllel, et un plans d'occupation du sol, document de nature juridique n'existait pas dans
la planification socialiste. Elle n'était d'ailleurs pas nécessaire puisque la réalisation totale du
plan devait être l'œuvre des entreprises de construction publiques. Il n'existait pas de droit de
l'urbanisme au Viêt-nam durant cette période. Les ministères prenaient des décrets, des
directives et des instructions pour faire fonctionner l'ensemble de leur administration. Les
entreprises de construction étaient conçues comme des services au sein du ministère de la
construction. Pour chaque projet d'aménagement, une unité de gestion (bàn qudn Ly) était
constituée pour superviser l'activité des entreprises de construction et distribuer le budget de
l'Etat.

L'aménagement des terrains urbains suivait une procédure administrative très centralisée. Un
décret .important interdisait l'urbanisation de terrains agricoles de haute productivité. Seuls les
étangs, marécages et terrains peu productifs pouvaient être destinés à l'aménagement. Les
besoins en terrains des entreprises et des organisations socio-politiques devaient être justifiés
par un projet d'investissement. Leur demande d'attribution d'un terrain était ensuite soumise
au ministère de la construction. Ses services dans les provinces et les représentants politiques
locaux (les comités populaires de province) choisissaient ensuite un terrain en fonction du
plan d'aménagement provincial. Dans la plupart des cas, les terrains attribués étaient ruraux.
Ils étaient donc pris aux coopératives agricoles. -lLs'agissait d'une procédure autoritaire qui ne
rencontrait pas de résistance de la part des coopératives et encore moins des agriculteurs
puisqu'il s'agissait de changer l'usage des terrains appartenant à un même propriétaire :
l'Etat. 4o Une fois libérés, les terrains étaient aménagés par les entreprises de construction
locales sur le budget d'investissement du projet.

40La situation était différente lorsque étaient concernés des terrains destinés à la production personnelle des
paysans (voir chap.l, 3.2).

71
Dans son analyse très détaillée de la proàuction de terrains urbains en Chine entre 1949 et
1977, Wing-Shing Tang (1994) a mis en lwnière le dysfonctionnement de l'économie
planifiée en matière d'aménagement. Le terrain n'était envisagé que sous la fonne d'une
ressource indispensable à la construction.de projets dont la justification re~evait des objectifs
de production à réaliser. 41 La décision d'aménager des terrains était donc toujours consécutive
à celle d'investir. Dans ce système, il n'existait donc pas de stocks de terrains à bâtir et donc
pas de marché possible. En outre, le coût de construction des infrastructures' urbaines était
élevé et s'accroissait de manière exponentielle par rapport à l'augmentation des proj ets
d'investissements. 42 La réaction de l'Etat fut de réduire de manière drastique les budgets
d'infrastructures, ce qui eut pour conséquence que nombres de terrains affectés à des projets
ne disposèrent pas d'infrastructure.

En outre, l'organisation même de l'économie planifiée était défavorable à l'aménagement


urbain. D'une part, au Viêt-nam comme en Chine, la priorité était donnée au secteur productif
afm de mener à bien l'industrialisation du pays. De très coûteux projets de développement
industriel étaient mis en œuvre sans faire l'objet d'études financières poussées. D'autre part, il
n'était pas possible de prouver la rentabilité économique des projets d'infrastructures ou des
biens de consommation collectifs (équipements publics, logements...). Les diffiçultés pour
mesurer les coûts et les revenus de l'aménagement rendaient les investissements dans ce
secteur aléatoires. Pour ces raisons, en Chine, la rentabilité de la production d'infrastructures
était considérée comme " un objectif secondaire de la planification centralisée. Les
investissements d'infrastructure n'étaient pas intégrés dans les plans quinquelUlaux. Cela se
traduisit par l'absence d'anticipation des besoins dans ces secteurs et donc par, une pénurie
chronique, les constructions d'infrastructures et de logements «poursuivant» la croissance
urbaine au lieu de la devancer. 43 Ce travers' était encore aggravé par le temps de latence

41 Il s'agit du modèle chinois d' « aménagement par projets particuliers » ou projecr-specific d,evelopment (Wu et
Yeh, 1996, p 332). Ces projets étaient dirigés par les ministères et réalisés par les unités de travail (les danwei,
entreprises, organisations socioprofessionnelles...). Les autorités locales ne jouaient aucun rôle décisif.
Contrairement à ce qui se passait au Viêt-nam, chaque entreprise négociait directement avec les coopératives
agricoles l'acquisition des terrains, sans aucune contrainte de planification. Il n'y avait pas de différence entre
production et consommation des terrains. Les logements étaient réalisés par l'entreprise sur des terrains adjacents
aux usines.
42 Un trait caractéristique de l'économie planifiée est en effet la « soif insatiable d'investissement » des
entreprises d'Etat. Joseph Kornai (1984, pI83) l'explique par le besoin des entrepreneurs de justifier leur activité
qu'il résume sous le terme de « volonté interne d'expansion »: il faut croître. Un bon dirigeant doit être capable
d'amasser toujours plus d'investissements pour son entreprise.
4) La décision d'investir dans ces secteurs n'obéissait pas à la rationalité économique mais à un phénomène que

Kornai (1984, p 217) a qualifié de méthode du « pompier ». L'Etat ne décidait d'investir dans ce secteùr que
lorsque leur sous-production provoquait une tension sociale. Les limites de la tolérance de la population étant

72
incompressible propre à la prise de décisions concernant les irifrastructures en raison de la
multitude des parties intéressées. La planification de la production foncière et immobilière ne
fonctionnait en réalité pas sur le mode de la prévision et des programmes mais sur celui de la
gestion en urgence des crises.

Une analyse de ce système de production nous pennettra de mieux en comprendre le


fonctionnement. Nous avons choisi d' é~dier plus particulièrement le secteur du logement afin
de mieux comprendre l'engouement de la population envers ce bien essentiel après l'adoption
des réfonnes. Le logement étant considéré comme un droit fondamental des travailleurs, la
politique de l'Etat en la matière était de donner à chacun un toit. Elle se concrétisait par la
subvention intégrale de la production de logement. Il f~ut toutefois préciser que l'octroi d'un
logement construit par l'Etat était réservé aux salariés de l' administration, d~s organisations et
des entreprises d'Etat, les can bç.44 Les citadins non salariés pouvaient construire eux-mêmes
leU! logement mais ils étaient très surveillés et ils devaient se conformer aux nonnes de
superficie d'habitat en vigueur dans le secteur subventionné.- En dehors des villes, la
construction des habitations rurales était gérée par les coopératives agricoles. De fait, le
contrôle qu'elles exerçaient sur les paysans construisant leur logem,ent était'beaucoup moins
sévère qu'en ville.

Au lendemain de la guerre d'Indochine, la situation du logement était paradoxalement


meilleure que dans les années qui suivirent. Les' villes n'avaient pas été détruites lors des
affrontements militaires et beaucoup d'habitants avaient fui les villes. En 1954, Hanoi s'était
en grande partie vidée de ses habitants qui rejoignirent la France ou le sud du pays.45 Pour ces
raisons, il n'y eut pas de grande initiative de l'Etat en matière d 'habitat entre 1954 et 1965. La
politique du logement consista essentiellement en la distribution aux fonctionnaires d'Etat de
logements laissés vacants (Trinh Duy Luân et Nguyên Quang Vinh, 1997, P14). Entre 1965 et
1975, un premier programme de construction fut fmancé]Jar le budget de l'Etat mais les

atteintes, il était nécessaire « d'éteindre le feu» : les investissements devaient être réalisés avant tout dans les
secteurs où, en conséquence de j'ajournement, le coût social marginal avait atteint la limite de tolérance.
44 Les termes généraux de t6 chue (organisations) et d07l vi (unités) sont utilisés pour qualifier tous les
organismes publics. Il peut s'agir d'associations de masse (l'union des femmes, les forces de la jeunesse...) ou
professionnelles, d'associations politiques comme le parti communiste ou le front de libération de la patrie ou
bien d'institutions comme les hôpitaux, les universités ou les services d'administration ou bien encore les
entreprises publiques. Conformément à la conception de l'exercice du pouvoir dans les pays socialistes, la
multitude de ces organismes visait à "encadrer" le plus étroitement possible la population. Dans la recherche
anglo-saxonne sur la Chine, le terme d'unité de travail (work unit) es't utilisé pour défmir la même réalité.
45 On estime que dans les' armées 1960-1970, la population habitant Hanoi avant-guerre ne représentait plus que
10% de la population de la capitale.

73
bombardements américains ne pennirent pas de le mettre réellement en œuvre. Il fut suivi par
le programme national du logement mis en œuvre par le ministère de la construction et les
instituts de recherches entre 1975 et 1985. Ces programmes décennaux étaient fondés sur les
principes de distribution égalitariste quasiment gratuite des logements. De fait, à Hanoi, ville
essentiellement administrative, on estime qu'environ 80% de la production de logements
étaient entièrement pris en charge par ~'Etat. La rénovation et l'extension des anciennes
maisons étaient toutefois tolérées lorsqu'elles étaient rendues nécessaires par l'augmentation
de la taille des ménages. Une enquête menée auprès de 400 foyers en 1981 a ainsi montré que
plus d'un tiers d'entre eux avaient agrandi leur logement entre 1970 et 1980. 46 Dans ce cas, la
construction était entièrement aux frais des habitants.

Chaque année, une enquête sur les conditions de logement était menée après de la population.
Le contrôle politique exercé sur chaque habitant, notamment par le biais des listes des livrets
de famille (h9 khdu), permettait d'obtenir des données relativement précises sur les besoins en
logement. Les résultats étaient ensuite transmis au comité d'Etat au Plan qui allouait un
budget spéci,fique au ministère des fmances afin d'abonder le fonds pour le logement. Les
entreprises de construction réalisaient ensuite des bâtiments de logements collectifs grâce à ce
fonds et les remettaient au comité populaire de la ville. Parallèlement, les entreprises, les
administrations ainsi que les organisations de masse (syndicats et organisations socio-
politiques) établissaient la liste de leur personnel postulant pour un logement et les
transmettaient à leur ministère de tutelle.

Les logements étaient attribués selon une procédure bureaucratique très complexe. Lorsque
des nouveaux logements étaient construits, chaque ministère s'en voyait attribuer un certain
nombre à répartir dans son administration. Au sein de chaque organisation (une école, un
hôpital, un service administratif...), des commissions d'attril2..ution de logement se
réunissaient. Elles étaient composées des représentants du parti communiste, des syndicats et
des diverses associations socioprofessionnelles. Elles établissaient la liste des employés
postulant à un logement selon un grand nombre de critères (décorations, mérite, nombre de
membres de la famille, ancienneté...). La distribution des logements était aussi un moyen pour
le pouvoir de privilégier certaines parties de la population. Une part des logements destinée à
chaque administration était réservée aux personnes ayant joué un rôle politique important lors

46 Enquête de J'institut de sociologie en 1985, cité dans Ph(lm Khânh Toàn (1991), p7.

74
de l'indépendance. Ainsi, dans les premières années, ce furent les « révolutionnaires»
(membres du parti communiste d'avant-guerre, héros de guerre) qui se virent attribuer en
priorité des logements. Pour les autres, la superficie de logement dépendait du rang dans
l'appareil d'Etat. Les employés de l'Etat étaient classés en 5 catégories (tableau 1-3). Les
ouvners, par exemple, avaient droit à moins de superficie habitable que les personnels
qualifiés et devaient attendre plus longtemps. Une fois connu le nombre de logements
accordés à chaque administration, ceux-ci étaient distribués aux cadres selon des critères de
priorité dressés par des commissions d'attribution de logement associant des représentants de
la ville et des ministères.

Tableau 2-2. Normes d'attribution des logements publics (logements neufs).


Logements nombre de membres de la famille en fonction des catégories (voir note)
Nombre de surface A B C 0 E
pièces d'habitat
(m 2 )
1 15-16 de 2 à 4
2 20-24 de 2 à 4 de 5 à 7
2-3 28-32 de 2 à 4 de 5 à 7 de 8 à 9
3 36-40 de 2 à 4 de 5 à 7 de 8 à 9 10 et plus
3 42-48 de 5 à 7 de 8 à 9 10etplus
4 50-55 de 2 à4 de 8 à 9 10 et plus
4-5 55-65 de 5 à 7 10 et plus
5-6 65-75 de 8 à 9
5-6 75-85 10 et plus
source: Bureau du conseil des ministres, 1978, ln Ph~m Khanh Toan, 1991, p 57.
Note:
Catégorie A : les ministres et personnes de rang supérieur.
Catégorie B : les vice-ministres et personnes de même rang.
Catégorie C : les directeurs de services ou d'instituts ministériels.
Catégorie 0 : les cadres des unités de production ou des services administratifs.
Catégorie E : les personnes ne disposant pas d'un diplôme équivalent au baccalauréat, ayant 2
enfants et ayant plus de 5 ans d'activité professionnelle.
A l'exception de la catégorie E, si plus de deux membres de la famille étaient dans une même
catégorie, ils avaient droit au logement de la catégorie supérieure.

Les logements étaient généralement attribués gratuitement ou pour un loyer minime (5à 7%
du salaire de l'attributaire à Hanoi, Ph~m Khanh Toàn, i 991, P 82) destiné à l'entretien des
bâtiments par l'entreprise ou l'administration gestionnaire ou le service du logement

75
municipal. La somme des loyers perçus était très nettement insuffisante pour permettie le
maintien en état des bâtiments. En 1991, les pouvoirs publics percevaient en moyenne un
loyer mensuel de 36 dôngs par m 2 sur l'ensemble du parc public alors que le coût d_e gestion
et d'entretien du parc était estimé à 1000 dôngs par m 2 par mois (en 1989, le salaire d'un
fonctionnaire était de 30 000 dôngs par mois, celui d'un ouvrier de 40 000 dôngs). Il existait
également la possibilité pour les entreprises de construire elles-mêmes des logements
ouvriers. Ils étaient réalisés, sur des terrains spécialement affectés à cet usage, non loin des
grandes zones industrielles de la capitale.

Ce mode de production entièrement centralisé au sommet de l'Etat resta en vigueur jusqu'au


début des années 1980. Une réforme fut alors introduite pour faire face aux besoins croissants
de la population et à la réduction des ressources de l'Etat. Les entreprises et organisations se
virent octroyer directement un budget pour fmancer la construction d'immeubles destinés au
logement de leurs employés.

2. La production de logements: entre rêve de grandeur et misère.

2.1. Grands ensembles et autoconstructions de fortune.

La plupart des nouveaux quartiers résidentiels furent construi,ts en banlieue sur des terrains
récupérés sur des lacs ou des marécages en raison de l'interdiction d'utiliser de bonnes terres
agricoles. L'habitat villageois traditionnel n'était pas détruit mais intégré au sein des
nouveaux quartiers puis peu à peu construit en dur et peuplé de citadins. Sur le plan
urbanistique, il faut distinguer deux formes de production de logement: les quartiers d'habitat
collectif ou khu t~p thé' (nous utilisons par la suite l'abréviation courante à l'écrit KIT) et le
« logement en bande» pour ouvriers. La première opération de logements en bande fut celle

de Luong Yen en 1958 (illustration 2-1). Dans les années 1980, d'autres types de logements
en bande furent expérimentés. L'habitat était alors individuel et les bâtiments disposaient d'un
étage. Ces quartiers ouvriers furent construits à proximité des zones industrielles. On peut
citer celui de Làng qui accueillait les ouvriers de la zone d'industrie lourde de Hà Dông ou
ceux de Mai Huang et Truong D~nh. Leur construction était planifiée dans le cadre du plan
d'industrialisation de la capitale pour accompagner la réalisation des zones industrielles dans

76
la banlieue. La seconde forme d'habitat sous forme de grands ensembles fut la plus répandue.
L'aménagement des KTT était directement inspiré du modèle soviétique, également répandu
en Chine à la même époque (illustration 2_2).47

47 Lors du premier plan quinquennal (1953-58), un principe similaire avait été adopté en Chine pour la

construction des quartiers résidentiels. S'étendant sur 9 à 15 hectares, les complexes résidentiels de Pékin
comprenaient des bâtiments de 4 ou 5 étages en moyenne (Sit, 1996, P 469). A Hanoi comme à Shanghai, ils
furent construits en périphérie de la ville existante sur des terrains des anciens villages. Toutefois, l'échelle des
quartiers étaÏl moindre à Hanoi qu'en Chine. Le KTT le plus vaste de la capitale vietnamienne est celui de Kim
Liên avec 40 hectares alors que le xinclin de Caoyang à Shanghai s'étend sur près de 160 heclares (Ged. 1997,
planche 2.12, vol 2).

77
Illustration 2-1: Exemples de logements collectifs en bande.

4.10
X.
:1.10
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COUPE
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LUONG YEN 1958

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COUPES DES DIFFEJŒNTsTYPES D'OCCUPATION POSSIBLE

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1
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l''Lo\NS DES DIFFERENTS TYPES D'OCCUPATION POSSIBLE

GIRl TRONG 1980


source: Dynamiques urbaines, 1994, p 187.

L'opération Luang Yen_était composée de petites maisons sans étage faites de torchis et de briques sur le modèle de la
maison vietnamienne traditionnelle. Leur superficie ètait de 23 m 2 . Les services communs (toilettes et cuisines) étaient séparés
des logements par une cour. L'usage collectif des cuisines fut rapidement abandonné après l'apparition des réchauds à pétrole
pennettant à chaque famille de cuisiner dans son logement Les cuisines furent remplacées par des débarras ou locaux à vélos.
Les batiments construits en 1980 sont plus élaborés. Ils possèdent deux niveaux et permettent quatre types d'occupation. Ils
sont également séparés par des jardinets mais les espaces de services sont à l'intérieur de chaque logement

78
Illustration 2-2. Principe de planification du quartiers d'habitat collectif Giàng Va.

~-----~~T10S

_ 6OOIlollilanls

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r-7~.~5:;:~- .ICOII'Y1'l8rcea
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1. Ecole maternelle
2. Ecole-coUège
3. Centre administratif
de quartier

L-
-100",

s_O_Urc_6_:T_r_â_nH_un_g_6_I_N_g_u_yèn Quôc ThOng.1995, p 1~~_:~175: Dyn~_~~~es urbaines, 1994. p 194i1

La planification des quartiers était fondée sur les principes de l'urbanisme moderne soviétique (haut). Chaque quartier devait
être composé d'unités de voisinage possédant des d'équipements collectifs de proximité. Les unités de voisinage étaient elles-
mêmes implantées autour d'autres équipements publics et de commerces. Le quartier Giàng Vë fut conçu très clairement sur ce
modèle. Chaque unité de voisinage avait un rayon de 150 m avec une école maternelle en son centre. Quatre unités de
voisinages étaient rassemblées dans un ensemble de 500 m de rayon organisé autour d'un collège et d'un lycée. Les plans
furent ensuite réalisés en tenanl compte de la présence du lac. Les voies étaient hiérarchisées selon les mêmes principes.

79
Illustration 2-3. Le quartiers d'habitat collectif Giang Va.

Les photographies du secteur prises en 1999 permettent de constater que l'organisation du quartier est restée la même. On
aperçoit notamment le lycée ainsi que le terrain de sport En revanche, les bâtiments ont fait l'objet de modifications de la part
de la population pour agrandir leurs logements. Certains ont empiété sur les terrains publics. Photos L.P.

80
Carte 2-3. L'implantation des quartiers d'habitat collectif dans la viJJe.

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1 : Nghïa f)ô ; 2 : Giàng Vô ; 3 : Thanh Công ; 4: Trung TI!; 5: Kim L1ên ; 6 : Nguyên Công TrCr; 7 : Bach Khoa ; 8 :
Quynh Lêl ; 9 : Thanh Xuân ; 10: Tnrong f)!nh ; 11 : Tân Mal.

Les KTI sont implantés en première couronne de la ville de part et d'autre de la route circulaire et le long des grands axes
rouliers. Planifiés en même temps que les zones industrielles, ils sont souvent implantés à proximité. Certains KTT et zones
industrielles ont été conçus comme un tout. C'est notamment le cas pour Thanh Xuân au sud-ouest.

81
Nguyên Công Tnt fut le premier KTT réalisé à Hanoi. ri fut implanté en 1958 sur le tenain de
l'ancien cimetière ca1holiquc. Il existe toujours. Une seconde période s'est ouverte avec la
construction du plus célèbre KTT de Hanoi, celui de Kim Lièn. fi fut construit à partir de
1958 mais interrompu pendant les années de guerre et achevé en 1976 sur 40 hectares au sud
de la ville avec l'aide technique et fina.ncière de la Corée du Nord. Situé en dehors de la ville
de ['époque, sur des terrains marécageux, il fut le premier conçu comme un vaste morceau de
ville. Des écoles, boutiques et centres commerciaux furent construits selon le principe de
répartition par unités de voisinages.
Trois types d'immeubles de logement furent construits (illustration 2-4) :

• les appartements sont séparés des espaces de services qui sont communs à un étage;
• deux appartements se partagent les mêmes espaces de service;

• les appartements comprennent les espaces de service.

Kim Liên devint le symbole et la fielté de la construction de la ville socialiste vietnamienne.


Les hauts dirigeants de l'Etat et du pal1i y furent logés.

Pendant les années de guerres avec les Etats-Unis, entre 1965 et 1972, aucun nouveau grand
ensemble ne fut construit. Après la fin de la guerre, en 1975, l'Etat mis l'accent sur la
construction de logements. Les KIT de la troisième génération apparurent en 1979. Les pays
de l'Est et l'URSS apportèrent leur coopération dans la réalisation des KTT Giàng Va et
Thành Công. La dernière génération date du début des années 1980 avec le quartier Thanh
Xuân de part et d'autre de la route conduisant à Hà D6ng. Au total 3 500 appartements furent
construits. Entre 1981 et 1985, ll1anh Xuân a reçu 70% du budget logement de Hanoi (Ph~lm

Khanh Toàn. 1991, p 2).

Tableau 2-3. Les principaux grands ensembles de Hanoi.


KIT Kim Liên Trung Tif Quang Trung Thanh Xuân

surface de terrain 40 ha 22 ha 30 ha 28 ha
surface habitable 87548 m2 69900 m2 65500 m 2 109674 m2
nombre d'étages 4 5 5 5
Population 21 885 hab. 11 650 hab. 10900 hab. 18300 hab.
Source: Dynamiques urbaines. 1994, p 193.

82
Illustration 2-4. Plan des bâtiments des quartiers Nquyèn Công Tru et Kim Liên.

logement
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1958 NGUYEN CON TRO

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COUPE ELEVATION

1%4 KIM LIEN source: Dynamiques Urbaines, 1994. p 189.

Le KTT Nguyèn Công Tru se compose de 16 barres de 4 étages construites avec l'aide de techniciens chinois. L'agencement
des appartements repose sur la division de l'espace privé (chambres) et des espaces dits de service (cuisine, toilettes) selon
l'application du principe de la vie communautaire. Situé dans un environnement déjà urbanisé, cet ensemble était entièrement
consacré au logement.

En 1964, les batiments construits à Kim Lién montrent une évolution dans l'agencement des logements. Dans ce cas précis,
deux appartements se partagent une cuisine commune. La distribution des logements se fait par une coursive et non plus par
un sombre couloir. Des balcons ont également été ajoutés permettant d'étendre le linge et de faire la cuisine.

83
Malgré les recherches architecturales que conduisirent les architectes vietnamiens pour tenter
de créer un mode d'habitat collectif adapté à la société et au climat local, l'habitat en KTT fut
très mal considéré par la population. Ceci tient moins à la conception qui était plus aéré que
les petites maisons qu'à la pauvreté de l'équipement des logements. Les normes économiques
et techniques de production fixaient la quantité de surfaces habitables à produire. L'objectif
était d'offrir 4 m2 de surface habitable par personne. La question de l'équipement sanitaire et
des cuisines était distincte. Il s "agissait. de surfaces considérées d'utilité secondaire dont
l'usage pouvait être communautaire pour réduire les coûts de production. La population ne se
plia jamais à ces normes et les cuisines communes furent surtout appréciés par les ménagères
comme dépotoirs (Nguyên Duc Nhuân, 1977, p 128).

En raIson de la contrainte budgétaire, la réalisation des réseaux d'assainissement et


d'alimentation en eau fut limitée au strict minimum. Le sous-dimensionnement des réseaux
fut la cause de beaucoup d'inconvénients. La faible puissance des pompes à eaux faisait qu'il
était ainsi fréquent que l'eau n'arrivât pas jusqu'au dernier étage. Les normes de construction
soviétiques imposant également un espacement des bâtiments supérieur à 1,5 ou 2 fois leur
hauteur. Des jardins et parcs de jeu devaient venir s'insérer entre eux pour procurer un cadre
de vie agréable. Ils ne furent jamais aménagés faute de moyens. Les voies de desserte ne
virent jamais le jour. Ce gaspillage de terrains allait être rapidement comblé par les
constructions de la population dès les premières années de l'ouverture.

84
Illustration 2-5. Le quartier Kim Liên en 1985.

-
trame villageoise trame des KTI

_ lacs
Î l50m

source: Dynamiques urbaines. 1994. p 213.

Ce grand projet urbain donne l'impression d'avoir été « posé» au milieu de villages sans aucune relation avec eux. L'échelle à
laquelle travaillaient les urbanistes interdisait d'associer étroitement les deux trames. Cette construction par « morceaux » de la
première couronne de Hanoi a permis à la trame villageoise de perdurer dans les interstices des nouvelles zones aménagées.

85
En dehors de la production subventionnée, deux autres formes d'habitat existaient: le partage
du parc existant avant 1954 par la politique de réforme du logement présentée plus haut et la
construction individuelle de petites maisons sur des terrains vierges ou destinés aux espaces
verts. Ces deux solutions étaient jugées provisoires.

Nous avons vu comment le partage des maisons par plusieurs familles dégradait
considérablement les conditions de vie dans le parc ancien. On relevait encore, au début des
années 1990,jusqu'à la foyers dans les villas construites dans la période coloniale. La plupart
du temps, tous les occupant d'une maison devaient partager les mêmes points d'eau, cuisines
et toilettes. En outre, l'absence de travaux d'entretien des bâtiments par l'administration ou
par les habitants, qui étaient seulement locataires, conduisit au délabrement du parc ancien et
notamment des villas coloniales.

La construction de petites maisons sur des terrains inutilisés constituait le -dernier moyen de se
loger. Jusqu'en 1975, la vente de tous les matériaux de construction était contrôlée par l'Etat.
Il était impossible aux particuliers de se procurer du ciment, classé production stratégique
pour la défense du pays. Les bombardements et les déplacements de population entraînaient
toutefois la construction de petites baraques par les habitants sans toit. Il s'agissait d'habitat
48
provisoire réalisé avec des matériaux de récupération et des bambous. Après 1975, la
pression démographique et le sentiment parmi la .population que l'Etat n'assumait pas ses
responsabilités en matière de production du logement conduisirent aux premières
constructions « en dur» illégales. Dans les quartiers de KTT, les habitants commencèrent par
construire de petits appentis en bambou et torchis au pied des immeubles. Ce fut
particulièrement le cas dans le quartier Nguyên Công Tru (illustration 2-6). Si les autorités de
quartier faisaient preuve d'indécision ou d'inattention, les bâtiments étaient progressivement
construits en dur. Ils ne servaient pas à l'habitat mais à élever des volailles (pratique fréquente
durant ces années de rationnement), cuisiner ou encore ranger les bicyclettes.

48Selon Dynamiques urbaines, 1994 (p 191), cette forme d'habitat représentait 35% de la surface habitée de
Hanoi en J 975

86
Illustration 2-6. Les transformations opérées par les habitants dans les KTI.

Les habitants se sont tout d'abord appropriés les espaces libres devant l'entrée des bàtiments pour en faire des jardins privés
ou des garages. Ceux des étages supérieurs se sont appuyés sur ces constructions pour agrandir leur logement en
construisant des « cages aux tigres» (chu6ng c9P), parce qu'elles ont une armature en métal (particulièrement visible sur la
photo prise à Glàng VÔ). Plus récemment, comme le montre la photo prise dans le KIT de Nguyèn Công Tru, certains sont allés
plus loin en construisant des compartiments en dur qui montent sur la trame structurelle des barres. Photos L.P.

87
Le manque d'espace habitable conduisit aussi les habitants à faire tomber des murs dans leurs
appartements pour les agrandir. Ces constructions se firent progressivement. Dans les
quartiers Kim Liên et Trung TI!, les autorités n'avaient relevé que 51 cas de constructions
illégales avant 1982. Entre 1983 et juin 1985, elles en comptaient 90 de plus et il y en avaient
probablement 473 supplémentaires entre juillet 1985 et 1989 (Koh, 2000, chapitre 5).

Les constructions de petites maisons se multiplièrent également sur les terrains publics
vacants. Le cas le plus répandu est le suivant: des personnes construisaient de petits abris aux
abords des usines, des universités, des administrations dans le but de tirer parti de l'activité
qui y régnait. Ils y installaient des petits restaurants. Peu à peu, ils agrandissaient le bâtiment
et y ajoutaient un ou deux étages destinés à se loger. Partout ailleurs, les entreprises
acceptaient que des petites maisons soient construites sur les terrains réservés aux bâtiments
de leurs ouvriers. Il s'agissait souvent de membres de la famille de ces derniers. La population
cherchait aussi à construire sur des terrains libres des villages gagnés par l'urbanisation.

David Koh (2000, chapitre 5) a décrit avec précision comment, peu à peu, la population osa
braver les interdictions officielles. Le meilleur moyen d'échapper aux sanctions consistait à se
procurer des matériaux de construction et à construire très rapidement à l'insu des autorités
locales (les phlfong, voir chap. 5). U~e fois le bâtiment édifié, ces dernières se trouvaient dans
l'embarras car elles devaient entamer une procédure de démolition longue, complexe et
risquée. Il suffisait que les constructeurs aient des relations parmi les autorités supérieures
pour que la procédure soit interrompue ou annulée. Ne voulant pas prendre le risque de
proférer des menaces inapplicables, et donc de se discréditer, la police du phlfOng préférait
souvent ignorer les infractions. Parfois, elle réussissait, après un ou deux ans, à obtenir la
destruction d'un bâtiment mais c'était pour voir son propriétaire le reconstruire en plus grand
et plus haut juste après en clamant de son bon droit. Au regard de la situation de pénurie du
logement dans la capitale, faire détruire une habitation apparaissait en effet comme un acte
anti-social difficilement justifiable. Le pouvoir évitait de recourir à la force pour faire
appliquer la réglementation. La ligne politique définie par le parti était celle d'un Etat proche
du peuple. Il préconisait plutôt la mobilisation des masses. En 1978, il lançait la campagne
intitulée « mode de vie civilisé et nouvelle culture». Elle exhortait la population à obéir aux
règlements concernant la vie quotidienne, la santé, les transports en faisant appel à la
responsabilité et à la conscience publique (Koh, 2000, chapitre 5). Le Parti estima plus tard
que la campagne avait été un succès. Mais en fait il échouait toujours à mettre en pratique la

88
théorie de la «pénétration» de la société par la propagande. Résultat de cette tolérance
nécessaire envers le.s constructions illégales: elles constituaient en 1984 plus de 700 000 m 2
soit environ 20% du parc total de logement (sources du comité populaire de Hanoi citées par
Ph;;tm Khanh Toàn, 1991, p8).

2.2. Un niveau de production insuffisant.

La production de logements par l'Etat ne fut jamais suffisante pour répondre aux besoins de la
population de Hanoi. Elle ne fut jamais une priorité au niveau national comme le montre le
fait que le budget qui y était consacré ne dépassa jamais 5% du budget de l'Etat entre 1975 et
1980 (voir tableau 2-4.). Le tableau 2-5 montre que l'investissement dans la construction fut
toujours supérieur dans le secteur productif à celui dans le secteur non productif (logements,
équipements publics, infrastructures). En outre, au sein du secteur non productif, la priorité
donnée à la construction des logements conduisit à la dégradation des équipements publics et
des infrastructures. Entre 1981 et 1985, la part du logement dans les investissements du
secteur non productif passa de 52% à 81 %, alors que celle des infrastructures et équipements
publics diminuait de 48% à 18% (Ph;;tm Khanh Toàn, 1991, p82).

Tableau 2-4. Indicateurs indirects de la construction de logements en République


Socialiste du Viêt-nam.

Indicateurs 1976 1977 1978 1979 1980


Production de ciment par hab. (kg) 15 16,8 16,3 14,1 11,9

Investissement de l'Etat dans le logement 88,6 143,6 165 103 76


(millions de dônQs)
Investissement de l'Etat dans le 3 4 4,3 2,8 2,1
loqement (% du budQet de l'Etat)
Source: Nigel Thnft et Dean Forbes, 1986, Op.CIt., P 127.

Tableau 2-5. La répartition des investissements dans la construction à Hanoi (1955-


1985).

Période Secteur productif (%) Secteur non productif (%)*


1955-1965 53,8 - 63,3 36,7 - 46,2
1966-1975 76,2 - 88,9 11,1 - 23,8
1976-1985 57,6 - 89 11 - 32,4
*Iogement, rnfrastructures, equlpements publics.
Source: PhÇlm Khanh Toàn, 1991, P 82.

89
Toutefois, Hanoi était un cas particulier. Le nombre important de cadres politiques et
d'employés d'administration qui y résidaient Impliqua un effort budgétaire pour le logement
plus important que dans les autres villes, et notamment que dans le sud du pays. Pendant la
période du vaste programme national de logement mis en œuvre par le ministère de la
construction entre 1975 et 1985, on construisait 80 000 logements par an à Hanoi. Ce nombre
tomba à 40 000 en 1986 (ph~ Khânh Toàn, 1991, plO). Ce fut loin d'être suffisant pour
fournir un logement à tous. Le ministère de la construction estimait qu'au début des années
1990 environ 30% des cadres et employés d'Etat, essentiellement ceux Hanoi et des villes du
Nord, résidaient dans des logements publics (TJinh Duy Luân et Nguyên Quang Vinh, 1997,
p16). On mesure également le manque de logements au fait qu'il fallait attendre en moyenne
27 mois pour recevoir un logement dans un immeuble collectif à Hanoi en 1985 (phc:un Khânh
Toàn, 1991).

Nous utilisons les résultats d'une vaste enquête menée dans le cadre du programme national
pour le logement en 1981 pour tenter d'obtenir une idée assez précise des conditions de
49
logement quelques années avant la D6i méti.. Nous nous intéressons tout d'abord à la
superficie des logements, puis à leur état et enfin à leur niveau d'équipement.

L'objectif affiché par le gouvernement pendant toutes les années de production subventionnée
était de fournir 6 m2 de surface habitable (chambre + séjour) à chaque habitant de Hanoi. Le
tableau 2-6 montre qu'en réalité celle-ci stagna entre 1954 et 1984, passant de près de 5m2 à 4
rn 2 en prenant en compte l'habitat provisoire. 50 Si la production de logement à Hanoi durant

les 30 années d'économie planifiée fut insuffisante, c'est en grande partie dû au doublement
de la population. En outre, il faut rappeler que les bombardements américains de 1966 et 1972
détruisirent de nombreux logements. Selon certaines sources, en 1972,215 000 m2 disparurent
ainsi dans la ville. Un correspondant de guerre soviétique avança qu'au moins un quart des
51
logements de Hanoi et de sa périphérie fut détruit.

49Nous utilisons les principaux résultats de cette enquête présentés par Ph~ Khânh Toàn (1991), annexe A
50Dans la même période, la surface moyenne habitable par personne était de 6 m2 à HCMV) 15 m2 en Allemagne
de] 'Est et 12 m2 en URSS (Pham Khanh Toàn, 1991, p 8).
51 Nigel Thrift et Dean Forbes (1986), p 148.

90
Tableau 2-6. Population et parc de logement à Hanoi. 1954-1984.
année Population* surfaces de Moyenne par
logement (m 2 ) habitant (m 2 /hab.)
1954 370000 1 790000 4,84

1960 462000 1 800000 3,9

1984 830000 2589900 3,04


1984** 830000 3311 000 3,92
Source: comité populaire de HanoI, 1985, ln Ph~m Khanh Toan (1991), P 8.
* A partir de 1960, seule la population de la ville (nÇJi thành) est prise en compte. Les chiffres de 1960
sont cependant différents de ceux du service des statistiques (370 000 hab.)
** en incluant l'habitat auto-construit.

La répartition de la population en fonction de la surface habitable et des districts (tableau 2-7.)


confirme que la majorité de la population ne disposait que de 2 à 4 m 2 pour vivre en 1981. En
moyenne, seuls 20% de la population disposait de plus de 6 m 2 • Les différences selon les
districts étaient assez faibles. La population du district central de Hoàn Kiêm était un peu
/
plus mal logée que celle vivant dans les autres district, mais le district de D6ng Da, bien que
peu urbanisé en 1981, n'offrait pas de meilleures conditions de logement que la moyenne.

Tableau 2-7. Répartition de la surface de logement par habitants en fonction des


districts en 1981
district surface nombre total part des Part des part des Part des
totale de d'habitants habitants habitants habitants habitants
logement vivant dans vivant dans vivant dans vivant dans
(m 2 ) moins de 2 2 à 4 m 2 (%) 4 à 6 m 2 (%) plus de 6 m 2
m 2 (%) (%)
Hoàn Kiém 707015 148635 6,5 47,7 26,6 19,2
Ba DÎnh 700834 142002 2,9 44,3 32,3 20,5
Hai Bà 1 010233 215 515 2,6 47,2 32,5 17,7
Tn.tng
Dong Da 1 038021 218752 5,5 41,6 33,8 19,1
Total ville 3456 153 724905 4,3 45,1 31 6 19
Source: Programme national de recherche sur le logement, 1985, ln Ph?m Khanh Toan (1991), P
1~. .
Note: les quatre districts recensés sont les quatre districts urbains de "époque. L'étude ne porte donc
que sur le périmètre de..,. la ville au sens propre. Ces données incluent les habitations temporaires.

En revanche, les différences entre le centre et la périphérie en matière de densité résidentielle


étaient importantes (tableau 2-8). La densité de population dans le district Hoàn Kiém était de
330 habitants par hectares en 1981. Elle augmenta encore par la suite pour atteindre 360
hab./ha en 1989. Elle est essentiellement due à la concentration de la population dans les
habitations de la ville ancienne et les villas coloniales. A.l' opposé, la densité de population
des districts alentours était beaucoup plus faible. Elle n'était que de 156 hab/ha dans le district
nouvellement urbanisé de D6ng Da en 1981. Cette différence marquée entre un centre très

91
fortement peuplé et des quartiers périphériques, où la population était moins concentrée, se
retrouve dans la densité de logement. Alors qu'un hectare dans le centre ville accueillait en
moyenne plus de 1500 m 2 de logement, ce rapport diminuait de près de moitié dans les
districts voisins (740 m 2 dans le district D6ng Da). Le surpeuplement dJ centre ancien peut
être mis en relation avec le manque de terrains aménagés en périphérie. La construction des'
grands ensembles à la périphérie était ·insuffisante pour permettre des reports de densité
susceptibles de décongestionner le centre.

Tableau 2-8. Densité de population dans les districts urbains en 1981.


district superficie" Population densité - de Surfaces de densité de
population logement "Iogement
Hoàn Kiém 450 ha 148635 330 hab/ha 707015 m 2 1571 m 2 /ha
"..
Ba Dinh 1050 ha 142002 135 hab/ha 700834m 2 667 m 2 /ha
Hai Bà Tnlng 1100 ha 215516 196 hab/ha . 1 010233 m2 918 m 2 /ha.
Dong Da 1400 ha 218752 156 hab/ha 1 038021 m2 741 m 2 /ha
Total ville 4000 ha 724905 181 hab/ha 3456153 m2 864 m 2 /ha
Source: programme national de recherche sur le logement, 1985, m Ph~m Khanh Toan (1991), P 157
et c§m nang dan s6 oô th! hoa Hà n9i [vade-mecum de la population et de l'urbanisation à HanOI],
1992, p1 O." données arrondies à la dizaine près.

r
Concernant la période de construction et l'état des bâtiments, nous ne disposons pas des
données sur le logement seul mais sur l'ensemble du parc immobilier. Il est toutefois
vraisemblable que les différences entre les logements et les autres bâtiments, sur ces points
précis, aient été minimes (les logements représentaient 60% du parc immobilier dans le
district Ba Dinh et près de 50% dans les deuX' autres). La lecture des données surIes période
de construction des bâtiments amène à distinguer nettement le centre (district Hoàn Kiém) des
quartiers suburbains (tableau 2-9). En 1981, le cadre bâti du district Hoàn Ki~m datait encore
très largement d'avant l'indépendance. Seulement 16% des bâtiments avaient été construits
après 1954. En revanche, dans les trois autres districts, Ba Dinh, Hai Bà-Tnmg et D6ng Da,
plus de 70 % du parc immobilier ,fut construit après 1954. Le district Ba Dinh possède un taux
de construction anciennes plus élevé car il fut en partie aménagé durant la période coloniale.
Curieusement, la proportion du parc immobilier datant des années 1954-1960 est relativement
élevée (16%), alors qu'aucun programme étatique de construction n'avait encore débuté. Il
faut sans doute y voir la conséquence de l'autorisation de construire laissée provisoirement à
la population, en attendant l'élaboration des grands projets collectifs. La part des bâtiments
construits dans la décennie 1970 (près de 40% en moyenne) est très nettement supérieure à

92
celle des années 1960 (moins de 20%). Ceci confirme la priorité donnée à la construction du
parc des logements collectifs après la fin de la guerre contre les Américains.

-Ces données sur les périodes de construction montrent aussi que la ville s'est construite en
grande partie en gagnant sur les terrains non urbanisés. Il n'y eut pas de grandes opérations de
rénovation urbaines dans le centre. La non-reconstruction de la ville sur elle-même est à
mettre en relation directe avec l'importance du patrimoine architectural de Hanoi. La ville
coloniale a traversé les 30 années de gestion socialiste sans autre transformation que la
dégradation lente des bâtiments. L'enquête arrivait en effet à la conclusion que la moitié des
bâtiments seulement était en bon état (tableau 2-10). On retrouve la distinction entre le centre
ancien et les quartiers périphériques mais elle est beaucoup moins marquée que celle liée à
l'âge des bâtiments. Confirmation que la qualité de la construction des bâtiments édifiés après
1954 était très médiocre.

Tableau 2-9. Classement des bâtiments existants en 1981 par période de


construction
district avant 1954 1954-1960 1961-1970 1971-1975 1975-1980 total (m 2 )
Hoàn Kiém 84,9% 6,2% 3% 2,8% 3,1% 100% (1 468215)
Ba Binh 40,9% 16,7% 10,8% 16,9% 14,7% 100% (1 157 21 8 )
Hai Bà Tn.tng 25% 18,5% 19,2% 19,9% 17,4% 100% (2153314 )
8ang Ba 23,4% 14,7% 20% 16,9% 22,3% 100% (2 1 68 835)
Moyenne 27,7% 16,6% 17,7% 19,2% 18,8% (5479 367 m 2 )
Source: programme national de recherche sur le logement, 1985, ln Pht;lm Khanh Toan (1991), P
157.

Tableau 2-10. Etat du parc immobilier et niveau des réparations à entreprendre en


1981
districts bonne qualité Réparation grande à démolir Total (m 2 )
moyenne réparation
Hoàn Kiém 49,58% 44,64% 5,56% 0,22% 100% (1 468215)
Ba Binh 49,51% 38,27%.... - 10,62% 1,6% 100% (1 157218)
Haï Bà TnJng 57,68% 35,09% 5,82% 1,41% 100% (2 153 314)
8ang Ba 59,28% 33,55% 6,57% 0,61% 100% (2 1 68835)
Moyenne 55,1% 37,1% 6,79% 0,93% (5479367)
Source: Pht;lm Khanh Toàn, 1991, P 160.

Enfin, nous pouvons avoir une idée du taux d'équipement des logements par les informations
sur le niveau de raccordement aux infrastructures (tableau 2-11). Il apparaît clairement que

93
l'arrondissement de Hoàn Kiem disposait d'un taux de raccordement très nettement supérieur
aux autres car il bénéficiait encore des infrastructures construites par l'administration
coloniale. Dans les autres secteurs, les logements étaient presque tous raccordés au réseau
électrique mais le taux de raccordement au réseau d'eau potable chutait à moins de 30% et
l'existence de W.c. à 40%. Il était en effet relativement aisé et peu coûteux d'électrifier les
terrains une fois construits alors que leur raccordement aux réseaux d'alimentation en eau et
d'égout nécessitait un aménagement préalable des terrains. Sur ce point, nous avons vu que
les infrastructures étaient généralement sous-dimensionnées dans les quartiers d'habitat
collectif. Le fait que plus des deux tiers des logements des districts périphériques ne
disposaient pas d'alimentation en eau nous permet de mesurer à quel point l'aménagement des
terrains ne fut pas jugé prioritaire par les pouvoirs publics.

Tableau 2-11. Taux de raccordement des logements aux réseaux urbains.


arrondissement nombre de logements Electricité eau (%) Latrines (%)
Hoàn Kiém 8495 98% 68% 72%
Ba Dinh 9931 86% 25% 40%
Hai Bà Trvng 13852 96% 30% 42%
Dong Da 14369 97% 23% 40%
Total 46647 94% 33% 46%
Source: programme national de recherche sur le logement, 1985, cité par Phé;lm Khânh Toàn
(1991), p 161.

Réaliser la ville non marchande consistait pour le pouvoir communiste à réguler la croissance
de la population afin de pouvoir réaliser l'adéquation entre les besoins des forces de travail et
la quantité de terrains urbanisés et de logements construits. Le fait que Hanoi soit la capitale
du pays modifiait cet équilibre car le secteur administratif très développé attirait de
nombreuses personnes des provinces voisines sans leur fournir les logements nécessaires.
L'effort de production de logements entrepris après la réunification se concrétisa par la
construction de vastes quartiers d'habitat collectif. Outre des principes d'aménagement et des
conceptions architecturales inadaptées, ces quartiers souffrirent du manque d'infrastructures.
La priorité budgétaire donnée au logement était à ce prix. Certes ville non marchande aux
yeux des autorités, Hanoi était surtout ville de restrictions, de partage des logements et de
constructions de fortune. L'expérience de la pénurie et celle des moyens informels de
l'atténuer conditionnaient fortement des comportements extra-légaux qui allaient prendre leur
essor lorsque l'économie socialiste allait s'effondrer au milieu des années 1980.

94
Chapitre 3. La refondation juridique.

Il est généralement admis que l'introduction de mécanismes de marché dans l'économie


nécessite la reconnaissance préalable de la propriété privée. Ainsi, les difficultés que
rencontrent aujourd'hui les pays de l'Est dans leur réforme économique sont en grande partie
dues à l'inachèvement du cadre juridique de la propriété (Lorrain, 1995). La place que doit
prendre la propriété privée dans l'économie est en revanche sujet à débat. Les grandes
institutions financières internationales considèrent le remplacement complet du régime de
propriété socialiste par celui de la propriété privée pleine et entière comme indispensable au
développement du marché quelle que soit la nature des biens en question (Banque mondiale,
1996, pp 53-79). Les grands monopoles d'Etat, les terres, ainsi que le parc de logement
doivent ainsi être privatisés. Un autre courant de pensée estime que la propriété est un
ensemble de droits partagés entre les individus et l'Etat en fonction du mode de société choisi,
ceci aussi bien dans les économies socialistes que capitalistes. Historiquement, dans les pays
européens, la propriété ne fut jamais entièrement laissée entre les mains des individus. La
conception selon laquelle la privatisation de l'économie serait un processus uniformément
applicable visant à revenir à un état antérieur de propriété privée est donc contestable. La
question de la privatisation de la propriété dépend avant tout d'un choix politique, et même
idéologique.

Les anciens pays socialistes d'Europe de l'Est dont le modèle politique est celui des
démocraties libérales ont solennellement reconnu la propriété privée. C'était un moyen de
rompre avec le régime politique antérieur. En Chine comme au Viêt-nam, la perspective
politique est radicalement différente. Alors que la reconnaissance de la propriété privée des
bâtiments ne posait pas de problèmes, en revanche, celle des terrains s'est rapidement heurtée
à l'intangibilité du principe de la propriété étatique du sol. Nous l'avons vu, ce principè est
fondateur des régimes politiques en place. La question qui se pose dès lors au Viêt-nam, après
la Chine, est celle de la compatibilité de la propriété publique du sol avec des mécanismes de
marché permettant aux acteurs économiques d'investir dans la production du cadre bâti.

Après le tournant de 1986, le Viêt-nam se mit à la recherche d'un régime foncier préservant le
principe de la propriété collective du sol tout en donnant aux différents acteurs économiques
des droits sur leur terrain. Les dirigeants du pays s'intéressèrent alors au « laboratoire

95
chinois ». Au tout début des années 1980, en Chine, la méthode choisie pour mettre en place
la réforme foncière fut celle de l'expérimentation dans des zones économiques spéciales et les
villes côtières (Shenzhen, Shanghai, Canton...) avant la reconnaissance juridique et la
généralisation à l'ensemble du pays. Cette méthode correspond à un trait particulier-de la
politique du parti communiste chinois, visant à régler les débats théoriques par l'essai de
diverses formules. Les résultats obtenus firent l'objet d'une grande attention par les dirigeants
vietnamiens lorsqu'ils décidèrent de se lancer également sur la voie de l'économie socialiste
de marché une dizaine d'aIlllées plus tard. 52 Il convient toutefois de mesurer les limites du
modèle chinois: il indiquait la direction mais ne fixait pas nécessairement la marche à suivre.
Cette dernière dépendait trop de dOIlllées propres à la société vietnamienne et aux conditions
de l'exercice du pouvoir pour être calquée sur la méthode chinoise. En particulier, l'initiative
prise par la population vietnamieIllle de construire elle-même ses logements allait conduire
l'Etat à lui accorder un régime différent de celui des entreprises et organismes publics.
L'étude des procédures d'indenmisation est particulièrement révélatrice de la valeur juridique
exacte des droits d'usage du sol ainsi recoIlllUS.

1. Le laboratoire chinois.

Quelques années après le lancement des réformes économiques par Deng Xiao Ping en 1978,
la Chine inventait le " système économique du socialisme de marché" (Constitution de 1982).
L'ancien système mêlant économie planifiée et subventions intégrales de l'économie était
remis en question. En matière de production foncière, il apparut rapidement que le système de
l'attribution des terrains devait être sinon abandoIlllé, du moins réformé. Anthony Walker
(1991, p 68) mentionne les principales raisons qui poussèrent le gouvernement chinois à le
remettre en question:
1. L'Etat ne retire aucun profit direct de sa propriété du sol alors que les occupants ont'
désormais la possibilité de tirer des bénéfices de leurs terrains.
2. L'absence de marché foncier ne permet pas à l'administration centrale et locale de tirer
des ressources de la vente de terrains à aménager.
3. L'absence de marché foncier conduit à un usage inefficace des ressources foncières et
à un manque de flexibilité rendant difficiles les déplacements d'activité.
4. La charge de la production de logement pèse sur les entreprises d'Etat. Cela conduit à
l'immobilité des salariés et à l'absence de responsabilité de la part des occupants.
5. Le système ne permet pas d'attirer l'investissement étranger dans le secteur immobilier
car les droits des usagers du sol ou des bâtiments ne sont pas clairement définis.

52 Carlyle A. Thayer (1999) estime que le parti communiste vietnamien suivit de près les réformes chinoises sans
jamais s'en réclamer jusqu'en 1991, date de la réconciliation avec le pays qui avait été déclaré « ennemi le plus
dangereux du Viêt-nam» après la guerre éclair de février 1979.

96
La nécessité de donner des garanties suffisantes aux investisseurs étrangers sur leur terrain
allait être le déclencheur des premières réformes en matière de terrains urbains. 53 Dès 1979,
l'autorisation de créer des sociétés mixtes sino-étrangères remettait en cause l'attribution
gratuite des terrains. En 1980, il était décidé qu'elles devaient payer, en une fois, les loyers
des droits d'usage du sol (DUS). Pour la première fois, la valeur des terrains était
officiellement reconnue.

Rapidement, l'idée que l'usage des terrains devait donner lieu à une contrepartie s'étendit aux
entreprises nationales. En novembre 1981, la municipalité de la zone économique spéciale de
Shenzhen fit payer pour la première fois un droit (land-use fee en anglais) aux détenteurs de
DUS. Elle fut suivie en 1984 par Canton. Ce paiement n'était ni un loyer (lease), car la notion
delocation des 'droits d'usage des sols n'existait pas officiellement, ni un impôt (fax) car cela
aurait sous-entendu que les attributaires des terrains en devenaient les propriétaires légaux. Le
montant du paiement était fixé administrativement en fonction de la durée du bail. Au milieu
des années 1980, la pratique du droit de bail était répandue dans le tiers des villes (Zhang,
1997, P190). Néanmoins, le transfert des terrains était interdit et les droits de bail restaient le
plus souvent trop bas pour refléter la valeur des terrains. A l'opposé, ils étaient exagérément
hauts pour les étrangers et dans ce cas, ce sont surtout les municipalités qui en profitaient. Les
bénéfices tirés des terrains revenaient donc soit aux usagers soit aux collectivités locales mais
peu à l'Etat central. La réponse de ce dernier fut de remplacer le paiement des droits par un
loyer sur les DUS en 1988 (voir section 2.2) et de franchir une nouvelle étape en introduisant
les mécanismes de marché dans l'attribution des terrains. On décida d'expérimenter dans les
villes côtières (Shenzhen, Shanghai, Canton, Xianmen, Tianjin et Fuzhou) le transfert des
DUS tout en conservant la propriété entre les mains de l'Etat. Le 9 septembre 1987, à
Shenzhen, pour la première fois, les DUS pour 50 ans d'une parcelle de 5321 m 2 étaient cédés
à une entreprise au prix de 24$ le m 2 /an (Anthony Walker, 1991). La transaction s'était
effectuée par négociation entre la municipalité et les acquéreurs potentiels. Ces derniers
devaient proposer un projet de construction. Le candidat choisi par la municipalité était
ensuite invité à venir négocier le montant des DUS. Cette première expérience fut rapidement
suivie par l'adjudication d'un terrain résidentiel à une compagnie immobilière. Dans ce cas,
les candidats déposaient un projet en fonction de critèr.es préalablement définis, puis le choix

}3La réforme commença en fait par les terrains ruraux. En 1980, ils furent divisés en lots et redistribués aux
foyers paysans devant les exploiter par contrat pour les coopératives.

97
se faisait en présence de tous les participants en fonction du projet et du prix proposé. Enfin,
la première vente aux enchères eut lieu à Shenzhen le 1er décembre 1987. Dans cette
procédure, le commissaire-priseur}ndiquait la localisation, la superficie, l'usage prévu et un
prix de base. 54 La mise aux enchères fut rapidement abandonnée car elle ne permettait pas aux
pouvoirs publics de contrôler le marché. De fait, les pouvoirs publics lui préfèrent
généralement la méthode de la négociati.on. En pratique, les bases d'un marché des baux
fonciers étaient posées dès 1987. Il restait encore à le faire entrer dans le droit et à le
généraliser à l'ensemble du pays.

Parallèlement à ces expériences dans les villes côtières, un très important travail théorique et
juridique fut entrepris pour adapter le principe de la propriété étatique des terres à leur
transformation en un bien marchand. Cela donna lieu à de nombreux débats et hésitations.
Selon la parole de Deng Xiao Ping pour décrire cette période de réflexion sur la réforme
foncière, il s'agissait de "traverser un cours d'eau en marchant à tâtons sur des blocs de
pierre ,,55. Dès 1982, les économistes chinois commencèrent à explorer les conditions
socialistes dans lesquelles un loyer foncier pouvait être prélevé. La première révolution
idéologique à opérer consistait à reconnaître une valeur aux terrains urbains. Elle donna lieu à
des controverses entre les courants qui continuaient de s'appuyer sur la théorie marxiste de la
valeur et ceux qui l'abandonnaient pour adopter les principes classiques de l'économie
urbaine (van Steekelenburg, 1996, p26). En raison de l'attachement du parti communiste aux
apparences, ce sont les premiers qui l'emportèrent. A leurs yeux, lorsque Marx écrit que la
terre n'a pas de valeur, il se réfère à des terrains non équipés d'infrastructures. Dans les villes,
au contraire, les terrains ont la valeur correspondante au travail qui y a été injecté par le
processus d'aménagement. 56 Ils peuvent donc être considérés comme des facteurs de
production. Leur valeur est celle du travail qui a été nécessaire pour les aménager. Nous
reviendrons dans la section suivante sur la méthode de calcul des prix
..,.
fonciers mais il est
important de signaler dès maintenant qu'elle reste déterminée par la conception marxiste du
coût de production.

54 Il Y eu 43 candidats dont 9 étrangers. La compagnie d'aménagement de Shenzhen l'emporta aisément grâce à


son monopole sur les ventes immobilières aux Chinois d'outre-mer. Anthony Walker (1991, p 45) décrit
l'ambiance dans la salle des enchères comme frénétique. .
55 Cité par Ester van Steekelenburg (1996, p 31).
56 Des divisions existaient sur la question de savoir si c'était le terrain qui avait alors une valeur, et qui devenait
donc une marchandise échangeable en fonction du marché, ou si c'étaient les infrastructures qui avaient une
valeur. Dans ce cas, le terrain ne pouvait être considéré comme un bien marchand.

98
Une fois la valeur foncière reconnue, une seconde révolution idéologique concernait les
transactions foncières. Quelques années après le début des réformes de marché, la constitution
de 1982 avait mis fin officiellement à la propriété privée. Cette mesure n'est contradictoire
qu'en apparence. Jusqu'ici, en effet, il n'avait pas été jugé utile d'abolir la propriété -privée
puisqu'elle ne pouvait prospérer dans un régime où toute transaction était de facto impossible.
Avec le début des réformes économiques, il convenait en revanche de rappeler solennellement
que l'Etat conservait la propriété exclusive de tous les terrains. Il était vital que la propriété
foncière reste entre les mains de l'Etat car il s'agissait du dernier symbole du socialisme. Pour
certains auteurs, non seulement l'idéologie communiste était en cause mais le parti lui-même
n'aurait pas résisté à l'abandon de ce symbole (Zhang, 1997, p 192). Dans ce contexte, la
création d'un système de baux emphytéotiques ne pouvait s'opérer que par le biais d'un
compromis : la séparation des notions de propriété et de droits d'usage. Il illustre le
fonctionnement profond du nouveau régime chinois où l'idéologie et la politique sont
dissociées de l'économie.

Le concept juridique de droit d'usage du sol allait être officiellement reconnu en 1987 par le
VIle Congrès populaire. Un an plus tard, un amendement à la constitution changeait la
formulation de l'article 10 de :
"Aucune organisation ni individu ne peuvent s'approprier, vendre, acheter ou transférer
illégalement la terre. "
en:
"Aucune organisation ni individu ne peuvent s'approprier, vendre, acheter ou transl/rer
illégalement la terre. Le droit d'usage du sol peut être transféré conformément à la loi. " 7

Les paroles du professeur Wang Xianjin, directeur de l'administration foncière nationale


permettent de saisir le sens équilibré mais ambigu de cette réforme (Walker, 1991, P 40) :

" La réforme ne consiste pas à établir diverses formes de propriété foncières, c'est-à-dire la
propriété pleine et entière (jreehold) et les baux emphytéotiques (leasehold). La réforme
consiste à commercialiser les DUS et à appliquer à leurs flux les principes de loyer foncier et
les lois de la valeur. [. ..} En outre, les mécanismes de marché .ne doivent pas jouer
complètement mais conditionnellement. Non seulement il ne peut y avoir de marché pour la
vente et d'achat libre de terrains mais les flux de DUS ne doivent pas être totalement
commercialisés. Dans certains cas, la mise à disposition gratuite des DUS doit être
poursuivie. "

57 Cité par Ester van Steekelenburg (1996, p 28), voir également Yeh et Wu (1996, p 336).

99
La dernière partie de cette déclaration est capitale car elle officialise le choix d'un système
foncier dual (shuangguizhi, en anglais dual-track system). Il s'agit de la seconde disposition
centrale de la réforme foncière chinoise après la distinction de la propriété et des DUS. Elle a
été conçue comme un moyen de gérer la transition entre l'ancien et le nouveau système
d'attribution des terres. Il ne pouvait en effet être question de déclarer du jour au lendemain
que tous les terrains qui avaient été attribués gratuitement pouvaient désonnais être vendus et
achetés. L'ancienne procédure d'attribution des terres fut maintenue. En tennes juridiques, il
s'agit d'une mise à disposition administrative. Les attributaires continuent de recevoir leur
terrain par une procédure administrative centralisée. Ils peuvent l'obtenir gratuitement ou
moyennant un prix d'attribution qui ne correspond en rien au prix du marché mais dépend de
négociations avec la municipalité. Il est géneralement très bas. L'attributaire doit tout de
même financer le relogement des occupants et les biens construits sur les terrains. Les DUS
sont mis à disposition pour une durée illimitée et ne peuvent être transférés que par le même
cheminement administratif. Le droit d'aliénation reste entre les mains de l'Etat. Ces terrains
sont communément appelés " anciennes terres" pour les distinguer nettement des " nouvelle
terres ".

Le marché des nouvelles terres se divise en trois catégories. Le marché primaire est celui de
l'attribution des DUS par la municipalité aux aménageurs. Le montant des baux est fixé selon
les trois mécanismes de marché expérimentés à Shenzhen (négociation, adjudication et
enchères). La pratique a fait évoluer la location des baux vers la vente à terme puisque les
concessionnaires payent généralement en une seule fois le loyer pour la durée total du bail.
Les travaux de recherche sur le marché foncier chinois utilisent d'ailleurs l'expression" vente
des DUS" (voir notamment Li et Walker, 1996) alors qu'il s'agit officiellement d'une
transmission (churang) des DUS. Les concessionnaires peuvent ensuite céder leurs baux sur
le marché secondaire. Sur ce marché seulement, les textes officiels reconnaissent qu'il y a
transaction foncière (zhuanrang). Au début des réfonnes, il n'était pas possible de remettre en
vente les baux sans avoir réalisé le projet de construction pour lequel le bail avait été concédé.
Il s'agissait donc d'un bail à construction. Il pennettait d'éviter que les concessionnaires ne
retirent d'importants bénéfices en revendant les terrains immédiatement après les avoir
aménagés. Cette interdiction donna lieu à un important marché noir des baux. Elle fut levée en
1990. Les baux sont désonnais de nature emphytéotique. Ils sont transférables, louables et
hypothécables sans condition de construction. Toutefois, l'Etat continue d'exercer un contrôle
sur le marché secondaire afin d'éviter les phénomènes spéculatifs. Ainsi, à Shanghai, les baux

100
ne peuvent être remis en vente par leur premier destinataire qu'après qu'il ait investi au moins
25% des coûts de son projet sur le site (Li L.H., 1997,333). EnfIn, le marché tertiaire est celui
sur lequel s'échangent les terrains entre destinataires fInals. Il s'agit donc normalement d'un
marché des terrains bâtis. Le terrain étant lié au bâtiment, lui même considéré comme un bien
de consommation courant, ce marché est entièrement libre.

Le principe fondamental du système dual est qu'il ne peut y avoir de relation directe possible
entre anciennes et nouvelles terres. Seules les municipalités p'euvent récupérer les premières,
contre indemnisations, puis les injecter dans le circuit commercial des secondes. En d'autres
termes, l'Etat détient le monopole des terrains mis en vente sur le marché primaire. Toutefois,
compte tenu des nombreux cas de transfert illégaux, les pouvoirs publics adoptèrent une autre
attitude. A partir de 1992, les entreprises ou organisations disposant d'un terrain attribué
administrativement purent le convertir en bail, à condition que la municipalité ait donné son
accord et qu'une prime lui ait été versée en dédommagement de son attribution gratuite.

Il est important de noter que la création des nouvelles terres s'est faite très progressivement.
Fin 1992, elles ne représentaient que 35 km2 , soit 1 500 parcelles (Yeh et Wu, 1996, P 338).
Une autre source les estime plus nombreuses. Zhang (1997, p 194) comptabilise à la fIn de
l'année 1993, 790 km 2 convertis en " nouvelles terres" soit 44 000 parcelles. En comparaison,
les terrains urbains représentaient près de 13 000 km 2 au début des années 1990 (Yeh et Wu,
1996, p 338) et dans la seule année 1991,400 km2 de terrains urbains avaient été crées à partir
de terrains ruraux. Malgré l'imprécision des statistiques, on peut dire que la proportion des
terrains" mis sur le marché" resta faible les premières années de la réforme. La prudence des
pouvoirs publics s'explique par la volonté de ne pas entraîner une déstabilisation politique du
régime, en mettant fin de façon abrupte à la possibilité d'obtenir gratuitement des terrains.
Dans la première moitié des années 1980, la source maj eure d'alimentation en terrains urbains
continuait donc d'être la mise à disposition par la municipalité. Cette formule était encore. très
marquée par l'ancien système. Les unités de travail (entreprises et organismes employeurs)
négociaient directement avec les agriculteurs l'acquisition de leurs terres contre
indemnisations. Les municipalités ne jouaient pas un grand rôle dans ces transactions qui ne
leur profitaient pas. Elles prirent progressivement le contrôle de l'attribution des terrains en
indemnisant elles-mêmes les paysans, puis en les attribuant aux entreprises et organisations.
Cette méthode fut très employée pour les proj ets de logements car elle permettait un accès
bon marché et aisé au foncier en raison des capacités des villes à indemniser rapidement les

\01
paysans. La même méthode était utilisée pour récupérer des terrains destinés aux travaux
majeurs d'infrastructure urbaine. Alors que la méthode administrative sert les objectifs
d'intérêt public des municipalités (les logements, les routes..), celle de la mise en vente des
baux sur le marché permet surtout leur enrichissement. L'acquisition de terres agricoles pour
les louer ensuite aux investisseurs est devenue très populaire parmi les municipalités en
raisons des gains substantiels qu' elle pe~et.

Le principal inconvénient du système foncier dual est la variété de formes du marché noir
qu'il autorise. Il est en effet très rentable de faire passer illégalement une « ancienne terre» au
statut de « nouvelle terre ». Les paysans préfèrent par exemple pratiquer la location directe de
leurs terres aux entreprises plutôt que d'être indemnisés chichement par les municipalités. On
estime que l'Etat perd chaque année des dizaines de milliards de dollars dans les transactions
illégales de DUS.

Sur le plan politique, la compromission des responsables locaux dans les attributions de
terrains est également préoccupante pour l'Etat central. Il s'agit du prix à payer pour la
gestion" en douceur" de la conversion à l'économie de marché. Il ne fait en effet aucun
doute, qu'à terme, l'objectif de l'Etat est la disparition de ce système dual et la généralisation
du marché des baux fonciers. Il faudrait pour cela qu'il puisse subventionner ses entreprises et
organisations afin qu'elles aient les moyens de "racheter" les DUS initialement attribués
quasi gratuitement. Certains auteurs proposent qu'une partie des ressources issues de la
location des DUS soit utilisée à cette fin (Zhang, 1997, p 197).

A partir de l'évolution des réformes chinoises, on peut essayer de définir les grands principes
de la gestion de la production foncière urbaine dans une économie socialiste de marché. Elle
doit désormais être guidée par la valeur marchande des terres afin de mettre fin aux usages
....
irrationnels ou improductifs. La location des DUS doit permettre aux pouvoirs publics de tirer
des ressources de la terre et de l'utiliser comme capital dans le montage des opérations
d'aménagement. Mais d'un autre côté, il faut pouvoir conserver un accès aisé et peu onéreux
au foncier pour des activités privilégiées par l'Etat ou jugées d'intérêt public. Ce peut être la
construction de logements, celles d'infrastructures ou encore de zones industrielles. Enfin, et
c'est un point essentiel, seuls les pouvoirs publics doivent pouvoir alimenter le marché des
terrains urbains à partir des terres agricoles. Cette dissociation est rendue indispensable par les
différences de régime juridique et de mode de fixation de la valeur des terrains entre les

102
campagnes et les villes. En outre, elle revêt un caractère politique en évitant que les foyers
paysans ne perdent leur m,oyen de production et émigrent en masse vers les villes. A
l'exception de cette dernière mesure qui s'explique par le poids de la population rurale dans
un pays sur la voie de développement, les objectifs de l'économie socialiste de marché en
matière foncière ne sont en définitive pas très éloignés de ceux des politiques foncières dans
les économies de marché occidentales. En revanche, les moyens de leur application divergent.
en raison de conceptions politiques radicalement différentes. Nous allons voir maintenant
dans quelle mesure le Viêt-nam a suivi la formule chinoise et comment il tente de l'adapter à
ses capacités économiques et de gestion administrative propre.

2. Régime foncier dual.

Reprenons un instant l'expérience chinoise: une des raisons des réformes de la politique
foncière chinoise fut l'incapacité de l'Etat à continuer de financer intégralement la production
immobilière. La production subventionnée de logement ne permit jamais d'améliorer
substantiellement les conditions de vie de la population. La surface habitable par personne
déclina de 4,5 m 2 dans les années 1950 à 3,6 m 2 en 1978 (Shaw, 1997, p 200). En 1980, la
conférence nationale sur le logement urbain posait les bases de la réforme de la production de
logement. Le logement passait du statut de droit social à celui de marchandise. Cela signifiait
que désormais la construction, la distribution et l'usage des logements devaient obéir à la loi
de la valeur. Le prix des logements devait correspondre à son coût de production. La mise en
pratique de ce principe passa par une répartition des coûts de la construction entre trois
partenaires : l'Etat, les entreprises et organisations publiques (appelées en Chine unités de
travail) et les particuliers. En 1984, un modèle fut expérimenté dans quelques villes: Les
unités de travail finançaient un tiers des coûts de construction, l'Etat un autre tiers (ainsi que
la totalité des coûts d'aménagement) et les particuliers le dernier tiers, ce qui correspondait à
3 ou 4 années de salaire. Ce modèle connut un grand succès et fut ensuite généralisé à toutes
les villes du pays. Dans ce partenariat, les unités de travail jouent, de fait, le rôle principal.
L'initiative des particuliers est limitée à la fois par leurs moyens et par le choix politique de
favoriser la construction de logements collectifs. La production de logement est
essentiellement le fait des unités de travail pour leurs employés ou des compagnies
immobilières d'Etat pour les cadres du parti et du gouvernement. Il est important de noter
qu'elles peuvent trouver aisément les capitaux nécessaires en s'associant en joint-venture

103
avec des entreprises de promotion étrangères, en général de Hong Kong ou de Taiwan. Les
terrains destinés à un usage collectif continuent d'être attribués administrativement et quasi
gratpitement alors que les particuliers construisant eux-mêmes leur logement doivent acquérir
le terrain au prix du marché. En conséquence, le marché immobilier résidentiel individuel
n'est apparu que très tardivement dans les villes chinoises (van Steekelenburg, 1996, p 114).

Nous touchons là à une différence fondamentale avec 'la situation au Viêt-nam où c'est la
production individuelle qui domine le secteur du logement depuis une dizaine d'années. Pour
comprendre cette différence entre la Chine et le Viêt-nam, il nous faut revenir sur la période
qui précéda l'adoption des réformes vietnamiennes et notamment sur le comportement des
particuliers. L'Etat vietnamien abandonna très officiellement la politique de production de
logement de manière centralisée et entièrement subventionnée en 1990 avec le retrait du
célèbre décret 150. Toutefois, la réflexion sur une nouvelle fonnule de production était
engagée depuis plusieurs années. Comme en Chine, la pénurie de logements a conduit très tôt
le pouvoir à envisager une voie alternative à la production entièrement subventionnée. En
décembre 1982, l'Université d'architecture de Hanoi, partenaire du programme national du
logement, proposa aux pouvoirs publics de mener une expérience d'attribution de logements
individuels à la population (Ph'.lm Khanh Toàn, 1991, p 122). Elle consistait à créer des
coopératives de construction qui collectaient des fonds auprès de la population pour construire
des logements. Il est important de signaler que n'importe qui pouvait adhérer à la coopérative.
Les membres recevaient un bâtiment et devaient financer par eux-mêmes la construction des
escaliers, et l'équipement des toilettes et de la cuisine. Dans le district Hai Bà Tnrng, une
coopérative de construction réalisa ainsi 102 logements de deux étages répartis en 7
bâtiments. La participation des particuliers restait encore très limitée dans le processus de
production et surtout, les logements n'étaient pas vendus mais attribués selon la procédure
administrative en vigueur. Néanmoins, l'~xpérience connut beaucoup de succès auprès de la
population. Les ressources thésaurisées par les particuliers depuis 30 ans commençaient à
sortir et une petite production semi-privée voyait le jour.

104
Le pouvoir tira deux conclusions de cette expérience:
• Il existait des ressources financières considérables parmi la population qui étaient prêtes à
s'investir dans le logement. La généralisation de la construction de maisons sur les franges
rurales de la capitale en apporta une autre preuve. Ceci était d'autant plus important que le
pouvoir ne pouvait compter sur une diaspora prête à investir massivement dans le
logement collectif sous forme de sociétés mixtes (joint-venture) comme cela s'est passé en
Chine.
• L'investissement dans la construction risquait de provoquer l'essor d'une production
immobilière de type «capitaliste» favorable à l'ancierme classe bourgeoise qui était
parvenue à conserver ses ressources financières. II fallait donc intégrer la production semi-
privée dans le moule de la société socialiste.

Une formule mixte fut élaborée par les réformistes au sein du Parti avant même le VIe congrès
du parti communiste (celui de la Dbi maf) en 1986. Par l'ordormance de décembre 1985, le
gouvernement créait une nouvelle politique du logement conceptualisée par la formule :
" Nhà m(ae và nhân dân eùng làm" (" l'Etat et le peuple travaillent ensemble "). Cette
politique est fréquemment traduite par l'expression" coopération Etat-peuple". Nous lui
préférons celle de «partenariat» ou de «participation» pour la production de logements. 58
Certes, l'appel aux ressources de la population était confirmé et encouragé mais il s'inscrivait
dans la continuité idéologique de la politique de logement précédente. Au lieu de financer la
construction de logements pour leurs employés sur le budget de l'Etat, les organismes et
entreprises publiques faisaient appel aux fonds des particuliers. Dans l'esprit des concepteurs
de cette politique, ces entreprises et organisations d'Etat (tb ehile và don vi) devaient être les
véritables responsables de la construction au même titre que les « unités de travail» chinoises.
Jusqu'à l'adoption des réformes, elles étaient la concrétisation du principe politique
d'encadrement de la population par une multitude d'organisations sociales et politiques. Dans

la période de D6i mm, elles continuent de jouer un rôle central en matière sociale. Elles
constituent en quelque sorte le pendant socialiste de « l'économie socialiste à orientation de
marché ». Ce sont elles qui devaient financer les travaux, l'Etat se contentant de mettre les
terrains à disposition pour un prix très bas. Elles devaient reporter ensuite les coûts

58Sur la politique de partenariat, voir l'article de Pham Van Trinh et René Parenteau (1991). Les auteurs
présentent Je contenu de l'ordonnance de 1985 et la mettent en perspective avec les besoins en logement de la
population vietnamienne.

105
d'aménagement sur le prix de transfert des terrains et des logements aux particuliers. 59 Ceux-
ci n'avaient pas l'initiative de la construction. En tant que salariés ou membres
d'organisations, ils postulaient à un lot ou à un logement sur un terrain qui leur était attribué
par leur employeur. Le partenariat était ainsi réservé aux mêmes catégories de la population
que l'attribution de logements subventionnés : les cadres du parti, les salariés du secteur
public, les militaires et les ouvriers. Une sélection sur critères de mérite au travail et en
fonction des activités politiques ou syndicales achevait de favoriser les soutiens du régime
parmi la population.

Nous verrons dans la troisième partie (chap. 8) comment fonctionna réellement le processus
de production foncière et immobilière en partenariat jusqu'à son abandon en 1996. Nous
voulons seulement ici indiquer que, de fait, ce sont les individus qui prirent le dessus sur les
organisations dans la production. Une première raison tient dans le fait que ce sont eux qui
apportaient les ressources nécessaires et qu'ils choisissaient le type de construction qu'ils
souhaitaient. La construction de logements collectifs fut ainsi inexistante. En outre, la
politique de partenariat allait à l'encontre de l'organisation institutionnelle de la production de
logement. Les administrations et les entreprises restaient figées dans leur mode de
fonctionnement. Trait récurrent et fondamental de la réforme vietnamienne, ce sont les
« gens» qui prirent les choses en main et s'organisèrent au sein de chaque entreprise, de
chaque institut ou ministère pour trouver des terrains et faire construire. Les entreprises se
contentèrent de redistribuer les terrains attribués par l'Etat à leurs employés. La plupart ne
financèrent même pas l'aménagement des terrains. Dans ces conditions, ce sont les
particuliers qui prirent le relais et devinrent les acteurs essentiels de la production de
logement. C'est la récupération populaire du partenariat qui en fait un moment clé de la
politique vietnamienne. Les gens se rendirent compte qu'ils pouvaient désormais construire
librement leurs maisons, les vendre et les louer. Puisque le logement était désormais considéré
comme un bien marchand, le pendant juridique de cette réforme comprenait nécessairement le
droit de louer et d'acheter des logements et donc la reconnaissance de droits de propriété sur
les terrains. L'ordonnance de 1985 prévoyait que les particuliers puissent transmettre leur
droit de propriété, mais seulement en cas de divorce, déménagement, accident...

59 Nous reviendrons en détail sur cette procédure dans la seconde partie.

\06
La population perçut la politique de partenariat comme une reconnaissance officielle de la
production individuelle jugée illégale jusqu'alors. Elle s'engagea massivement dans les
brèches déjà existantes du système foncier administré pour acquérir tous les terrains libres. Le
mode traditionnel d'accès au foncier par achat de terrains inutilisés aux organisations ou dans
les villages périurbains prit une dimension inconnue jusqu'alors. Dès les années 1988-89, des
terrains vierges, des jardins paysans. ou encore des lacs de la capitale se résorbèrent
progressivement sous l'effet des constructions individuelles. Nous avons vu dans le premier
chapitre que la véritable entrave à la production immobilière individuelle résidait plus dans
l'oppression policière envers toute manifestation de richesse que dans les réglementations
bureaucratiques. L'oppression ayant disparu, les mécanismes de marché pouvaient" refaire
surface" et la valeur jusqu'ici cachée des biens s'exprimer pleinement. Les prix des terrains
commencèrent à monter, fin 1989, lorsque la chute du mur de Berlin laissa croire, à tort, au
retour massif des vietnamiens émigrés dans les pays de l'Est. L'émergence de ce marché
foncier" de fait" était en contradiction avec le principe politique du partenariat car il ne fut
jamais envisagé par l'Etat de mettre un terme à la gestion étatique des terrains. Ce sont les
ventes et achats des maisons qui étaient autorisés mais non celles et ceux des terrains.

Il fallait que l'Etat intervienne pour établir un nouveau régime foncier. La réforme se fit
différemment selon qu'elle concernait les terrains résidentiels des particuliers ou les terrains
destinés aux organismes et aux entreprises publics.

2. 1. Les droits des particuliers.

Bien que nous concentrions notre réflexion sur les terrains urbains, il est important de noter en
préambule que la réforme économique dans les campagnes a joué un rôle essentiel dans
l'évolution du droit foncier. Dès la fin des années 1970, les mauvais résultats de la
collectivisation et la tendance de plus en plus forte des villageois à négliger la production
collective au profit de leurs besoins propres avaient conduit l'Etat à infléchir sa politique
agricole. Entre 1979 et 1981, plusieurs décisions du comité central et du conseil des ministres
donnèrent plus d'autonomie aux foyers ruraux. Ils pouvaient conserver le résultat de leur
travail, une fois leur contrat avec les coopératives remplit. Ce ne fut pas suffisant pour rétablir
l'économie agricole et l'une des premières et plus importantes décisions de la D6i mOi fut le
décret 10 du bureau politique du parti communiste en 1988. Celui-ci stipulait que l'unité de

J07
production et d'entreprise n'était plus la coopérative mais la famille paysanne. Le Viêt-nam
importait ainsi de Chine la responsabilité des foyers paysans dans la production agricole
introduite en 1980. Les foyers ruraux se voyaient allouer des terres pour une longue durée par
les coopératives avec lesquelles ils passaient des contrats. Cette réforme impliquait de
reconnaître les droits des particuliers sur les terres qui leur étaient allouées. Ce faisant, les
responsables politiques ne faisaient que légaliser lUle pratique qui s'était développée
clandestinement (Kerkvliet, 1995, p 70 et s.).

La loi foncière de 1988 fut le premier texte de législatif adopté après le tournant politique de
la Defi mOi. Elle n'en est toutefois pas totalement imprégnée car son élaboration remonte
jusqu'en 1980. Cette année-là, la nouvelle constitution supprimait la propriété collective et
privée de la terre au profit de la seule propriété de l'Etat. Similairement à ce qui se produisit
en Chine, la suppression de la propriété privée était paradoxalement le signe que des
changements devaient intervenir dans la gestion foncière. Le début des années 1980 fut en
effet une période de remise en question des principes de l'économie administrée en raison de
mauvais résultats de la production nationale. Les débats au sein du Parti sur la nécessité et
l'ampleur des réformes à introduire dans l'économie furent intenses. 6o Le projet d'élaborer la
première loi foncière du pays Gusqu' alors, il n'existait que des directives du Conseil d'Etat,
l'équivalent du gouvernement actuel) fut pris dans ces remous politiques en 1981. Les
controverses sur la question foncière étaient telles que l'élaboration du texte dura 7 ans et que
pas moins de 70 projets furent proposés (Ngô Ba Thành, 1994). Un haut responsable de
l'administration foncière nous a décrit la période 1980-87 comme un accouchement
difficile. 61 C'est lors du VIe congrès du parti communiste en 1986 que les tenants de la
réforme l'emportèrent définitivement. Ils adoptèrent par un vote à la majorité qualifiée des 2/3
le principe fondamental du droit d'usage du sol. Il fallut ensuite rapidement introduire dans la
loi les éléments nécessaires à la reconnaissance des droits des particuliers. Le texte ayant été
écrit dans une perspective différente, il apparaît comme un texte transitoire au sens plein du
terme. Le projet de loi foncière définitif, présenté devant l'Assemblée nationale en décembre
1987, fut promulgué en janvier 1988.

60 Voir à ce sujet l'ouvrage de Gabriel Kolko (1997).


61 Entretien avec M.Ton Gia Huyên, haut responsable et ancien directeur du département général de
l' adm inistration foncière, mars 1999.

108
L'article premier de la loi énonce le principe fondamental: "La terre est la propriété du
peuple entier et soumise à la gestion exclusive de l'Etat ". Le changement décisif de la loi de
1988 avec le régime foncier précédent est qu'elle reconnaît aux usagers du sol la propriété des
fruits de leur travail et de leur investissement sur la terre. Ils peuvent les vendre et les
échanger. Mais cette propriété est différente de la propriété de la terre elle-même. Elle est
concrétisée non par un titre mais par un droit: le droit d'usage du sol. La loi introduisait pour
la première fois la notion de certificat de droit d'usage du sol mais n'en précise ni la valeur ni
le contenu. Il s'agissait de la réforme minimum pour garantir la sécurité de l'investissement
des particuliers dans leur terrain.

Liée juridiquement à la constitution de 1980, la loi de 1988 ne pouvait en effet pas renoncer
au principe de la « mise à disposition» des terrains par l'Etat. 62 La loi interdit fonnellement la
vente, l'achat et la location des terrains. Il n'existe aucune mesure concernant l'hypothèque.
Concernant les terrains agricoles, elle n'autorise le transfert des DUS que dans trois situations
particulières: lorsqu'un agriculteur quitte une coopérative, lorsqu'il y a échange de terres
entre un agriculteur et une coopérative et lorsque l'attributaire du terrain (le chef de famille)
quitte son lieu de travail ou meurt et que sa famille continue à exploiter ses terres. 63 En ce qui
concerne les terrains résidentiels, la loi ne tranche pas non plus. Elle se borne à reconnaître
qu'un bâtiment privé peut être vendu librement mais en aucun cas le terrain.

Les droits de propriété des particuliers sur leurs bâtiments furent reconnus plus facilement que
les droits fonciers. L'abandon du monopole de l'Etat en matière de logement était
définitivement reconnu par l'ordonnance de 1991 sur le 10gement. 64 L'article 1 précise que
désormais "les citoyens réalisent leur droit au logement en réalisant eux-mêmes leurs

62 L'usage du terme « mise à disposition» doit être précisé. Giao signifie littéralement livrer, remettre ou confier
(voir lexique). Il définit l'acte de distribution des terres par l'Etat. Juridiquement, la mise à disposition peut être
gratuite ou onéreuse, limitée ou illimitée. Elle doit être nettement distinguée de la location car elle opère un
transfert des droits d'usage du sol au cessionnaire qui n'existe pas dans le cas de louage de terrains.
63 Une précision doit être apportée sur la distinction entre terrains agricoles et terrains résidentiels et celle entre
terrains ruraux et urbains. La première concerne directement l'usage qui est fait du terrain par les particuliers.
C'est en fonction de ces deux usages que leurs droits divergent. La seconde catégorie est d'ordre administratif.
Sont classés terrains urbains, les terrains situés à l'intérieur des limites administratives d'un centre urbain (l'un
des critère est une population supérieure à 4000 habitants). Toutefois, cela ne signifie pas qu'ils soient tous bâtis
ou aménagés. Les terrains agricoles sur les franges des villes sont inclus dans les terrains urbains. A l'inverse,
dans les campagnes, les villages sont considérés administrativement comme terrains ruraux alors qu'ils sont
bâtis. Pour les distinguer des terrains cultivées, ils sont désignés coqune terrains résidentiels ruraux. Pour éviter
les confusions, nous utiliserons le terme de terrains urbains pour désigner les terrains réellement aménagés dans
les villes (qu'ils soient résidentiels, industriels, militaires ...) et celui de terrains agricoles pour désigner tous les
autres (y compris les terrains résidentiels des villages). De fait, à Hanoi, en matière de production foncière et
immobilière comme en matière de prix fonciers, c'est le passage entre ces deux catégories qui est essentiel.

109
résidences ou en les louant à d'autres particuliers confonnément à la loi ". L'Etat reconnaît
pleinement le droit de propriété des particuliers et des organisations sur leurs bâtiments. 65 Les
logements qui furent construits par l'Etat dans le cadre de la production subventionnée restent
propriété de l'Etat tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une privatisation selon le principe de la
vente à l'occupant. Le droit de propriété des logements est complet. Les propriétaires ont le
droit de les utiliser, de les louer, d'y séjourner temporairement, de les hypothéquer et de les
vendre (par prudence, le terme de vente n'est pas utilisé dans le texte, le législateur lui
préférant celui de « transfert du droit de propriété »). L'ordonnance rappelle enfin que les
terrains de logement sont propriété d'Etat et doivent être attribués administrativement. Il ne
pouvait en être autrement puisque l'ordonnance ne pouvait contredire la Constitution de 1980.

En 1991, le VIIème congrès du parti communiste réaffinnait la propriété du peuple entier sur
la terre mais rappelait que l'Etat devait attribuer les terrains aux particuliers et organisations
pour un usage long et stable et surtout, il décidait d'intensifier les transferts de DUS. Pour
cela, il fallait modifier la constitution. Ce fut fait en 1992. La quatrième Constitution
Cl' actuelle) intégrait au sommet de l'édifice juridique les réfonnes de la D6i mm. Dans le
chapitre cons~cré au système économique, il est écrit que la fondation de l'économie
multisectorielle " est constituée par la propriété· du peuple tout entier et celle des
collectivités" mais elle reconnaît aussi la propriété privée (article 15). Le régime de la
propriété exclusive de l'Etat est ainsi définitivement abandonné. 66 La propriété juridique des
individus et des organisations ne peut être nationalisée (article 23). Dans le domaine foncier,
la constitution rappelle que l'Etat administre la terre en fonction de la planification et de la loi.
n peut confier la terre aux organisations et individus pour un usage long et durable. Ces
derniers sont responsables de la protection, de la valorisation et de l'exploitation rationnelle
des terres. La constitution opère une révolution juridique en précisant que" l,es organisations
et particuliers peuvent céder le DUS qui leur a été confié par l'Etat confonnément à la loi"

64 Ordonnance du Conseil d'Etat du 26 mars 1991.


65 La privatisation du bâti est aussi parfois appelée \( petite privatisation» dans certains pays de l'Est (Prouzet,
1999).
66 Le code civil, adopté en 1995, précise les différentes formes de la propriété (chapitre IV, maison vietnamo-
française du droit, 1994, p 93 et s.). La propriété du peuple entier comprend en particulier les fonds de terre et les
apports en capitaux de l'Etat dans les entreprises d'Etat. L'Etat J'exerce les droits du propriétaire. L'Etat est
propriétaire des biens relevant de la propriété du peuple entier investis dans les entreprises d'Etat. La propriété
privée est classée en trois catégories: la propriété de niveau individuel (propriété d'un patrimoine suffisant pour
satisfaire aux besoins personnels de la vie), propriété du" petit capitaliste" (propriété d'un patrimoine dont une
partie est affectée à un but lucratif par perception de revenus ou d'investissement) et celle du " grand capitaliste"
(propriété d'un patrimoine dont la majeure partie est affectée à des opérations d'investissement ou de rapport).
La propriété collective, celle des organisations politiques et socio-politiques et celle des organisations sociales et

110
(article 18). Il est notable que le terme utilisé pour définir les mutations foncières est celui de
" cession" (Chuyin nhuçmg) et non de vente. Elle peut être à titre onéreux ou non (voir
lexique).
Dès lors, la voie était libre pour l'adoption d'une nouvelle loi foncière venant préciser les
modalités du transfert des DUS. Elle fut adoptée en juillet 1993. Il s'agit d'un texte
fondamental car il applique réellement pour la première fois la philosophie de la D6i mOi. en

matière foncière. Il rappelle en premier lieu l'intangibilité du principe de la propriété


collective de la terre et de sa gestion exclusive par l'Etat. Il continue de mettre les terres à
disposition des particuliers et organisations, mais peut aussi désormais les louer (article 1). Le
texte reconnaît aussi, pour la première fois, la valeur juridique du DUS. Les personnes qui
utilisent depuis longtemps un terrain sont autorisées à recevoir un certificat de DUS délivré
par les comités populaires locaux. Afm d'éviter tout conflit portant sur la personne de
l'attributaire du DUS, il est précisé que l'Etat ne reconnaît que les droits des occupants actuels
des terrains et non ceux des précédents attributaires (article 2). Le DUS des particuliers se
décompose en 5 droits (l'expression" les 5 droits" est passée dans le langage courant) :
l'échange, la cession à titre onéreux, la location, la transmission par succession et
l'hypothèque. Ces droits ne sont reconnus que dans la période de la mise à disposition des
terres et dans le respect de l'usage prescrit par l'Etat. Les terrains agricoles et terrains
d'habitat sont soumis à un régime différent. Les premiers sont mis à disposition gratuitement
pour 20 ou 50 ans selon que les récoltes sont annuelles ou pluriannuelles. 67 Ils ne peuvent être
cédés que dans trois circonstances : le déménagement, le changement de profession et
l'incapacité de travailler. Les seconds sont mis à disposition pour une durée illimitée mais
moyennant le paiement du DUS. Ils peuvent être cédés par leur attributaire sans restriction,
pourvu qu'ils continuent d'être utilisés conformément à l'usage pour lequel ils ont été mis à
disposition. Les résidents étrangers qui achètent leur logement ne peuvent pas être
cessionnaires de DUS mais seulement locataires.

Si la loi de 1993 vient confirmer la protection par l'Etat des investissements des particuliers
sur leur terre, elle juge en revanche illégales les nombreuses ventes de terrains des
agriculteurs ou des entreprises et organisations intervenues depuis 1986 et les activités de
..
petite promotion qui les ont accompagnées. L'esprit du texte reste en effet marqué par l'idée

socio-professionnelles est également reconnue comme indépendante de celle du peuple tout entier.
67 Si l'exploitant souhaite continuer ses activités sur les terres, la mise à disposition des terres est reconduite
automatiquement.

III
qu'un particulier dispose de ces droits dans la seule perspective de vivre en sécurité sur son
terrain. Il n'est censé disposer d'un terrain que pour subvenir à ses propres besoins de
logement. Il n'est pas envisagé qu'une activité de promotion individuelle apparaisse.
Concrètement, un particulier ne peut acquérir les DUS sur un terrain que s'il est devenu
propriétaire du logement construit dessus ou si une entreprise de promotion lui «transfère»
un lot à bâtir.

Tout comme en Chine, les pouvoirs publics possèdent le monopole de la création des terrains
urbanisés à partir des terres agricoles. Lorsque l'Etat autorise exceptionnellement le transfert
des DUS des terrains agricoles à d'autres usages, notamment résidentiel, il le soumet alors à
une très forte taxe. Le détenteur d'un terrain agricole qui en cède les DUS poui un autre usage
doit préalablement payer une taxe de 40% du prix officiel correspondant au nouvel usage. 68

Cette imposition s'explique par le fait qu'elle porte sur les plus-values que tirent les paysans
de la cession de leur terrain au prix d'un terrain urbain. Il s'agit d'une taxe sur la plus-value
d'urbanisation. Elle est particulièrement élevée puisque l'ancien usager avait reçu le terrain
gratuitement. Dans l'autre sens, d'un usage urbain à rural, elle n'existe pas.

La voie normale de conversion des terrains agricoles en terrains urbanisés passe par la
réintégration des DUS dans le domaine de l'Etat et leur attribution aux entreprises et
organisations. Preuve de son importance aux yeux des pouvoirs publics, cette procédure est
soumise à un régime d'autorisation spéciale du Premier ministre lorsque la superficie dépasse
1 hectare et du président du comité populaire de province dans les autres cas. Le même
contrôle politique est exercé en Chine sur le passage des terrains ruraux à urbains (Yeh et Wu,
1996, P 340). La première raison est que l'Etat souhaite maintenir un contrôle très strict sur
l'extension des villes. Comme dans tous les pays, il revient à la puissance publique seule de
définir la constructibilité des terres. Un terrain agricole ne peut être construit qu'après
l'élaboration d'un plan d'aménagement. Seconde raison: le régime foncier des terrains
agricoles reste lié à la tradition de répartition gratuite des terres par l'Etat. Ces terres
constituent le patrimoine de la nation, il n'est pas concevable qu'elles soient cédées par les
paysans aux citadins à la recherche d'un terrain à bâtir. L'enjeu est très politique. Il s'agit
d'éviter que les paysans ne soient dépossédés de leurs terres par les nouvelles classes urbaines
dont le niveau de vie est considérablement plus élevé. que celui de la population paysanne.
Toutes les précautions prises pour éviter les transactions entre terrains ruraux et urbains se

112
sont révélées insuffisantes et les terrains agricoles sur les franges de Hanoi ont abondamment
alimenté le marché noir (voir chap.4). Face à l'impossibilité de faire respecter cette mesure, il
a même été question de l'abandonner lors de la discussion sur la révision de la loi foncière à
l'Assemblée nationale en décembre 1998. Ce fut fmalement rejeté.

Il est important de signaler que la loi foncière de 1993 n'envisage le droit des particuliers sur
les terrains en ville que pour leur usage propre de logement. Cet usage est en outre réglementé
par des normes définissant les superficies attribuables en fonction de la localisation. A
l'époque, le législateur n'a pas envisagé qu'un particulier puisse avoir besoin d'un terrain
pour créer une activité économique ou commerciale privée. De fait, en ville, le petit atelier
artisanal ou le petit commerce privé sont souvent installés au rez-de-chaussée de la résidence.
Ils suivent donc le régime foncier des terres de logement. Mais avec le développement du
secteur privé, des particuliers construisent des commerces ou des ateliers de production sans
relation avec leur logemerit. Quel statut appliquer à ces activités? TI s'agit d'une lacune de la
loi de 1993. Elle n'encourage pas l'essor du secteur économique privé individuel. C'est le
point essentiel sur lequel porta la révision de la loi en 1998. 69 La principale nouveauté réside
dans la possibilité pour les particuliers de louer à l'Etat des terrains pour leurs activités
économiques et commerciales. Ils sont en fait soumis au même régime que les entreprises et
organisations (voir section suivante). S'ils payent le loyer des DUS pour la durée entière du
bail, ce qui revient à une vente à terme, ou pour de nombreuses années, ils peuvent désormais
céder les DUS à titre onéreux, les hypothéquer, et les sous-louer (article 78a). Ils disposent
également désormais d'un" sixième droit ", celui de d'utiliser la valeur du bail comme part de
capital dans une société mixte avec des partenaires nationaux.

68 Article 8, loi sur le transfert des DUS, 22 juin 1994.


69 La révision n'apporte pas de changements majeurs aux 5 droits de propriété des particuliers sur terrains de
production agricole et de résidence. Décret l7IND-CP sur les procédures d'échange, de transfert, de location, de
sous-location et de transmission par héritage des DUS ainsi que de l'hypothèque et la contribution en capital de
la valeur des DUS, 29.31999.

lJ3
Figure 3-1. Les droits d'usage du sol des particuliers.

Catégorie d'usagers Mode d'attribution des DUS Contenu des DUS


1 Particuliers cultivant un Mise à disposition gratuite Echange, location, hypothèque,
terrain agricole pour 20 ans (plantation à transmission par héritage. Les cessions
récolte annuelle et à titre onéreux sont soumises à
pisciculture) ou 50 ans conditions (changement de domicile,
(récolte pluriannuelle). changement ou cessation d'activité).
2 Particuliers occupant un -mise à disposition indéfinie Les" 5 droits" : cession à titre onéreux,
logement contre paiement.du DUS. échange, transmission par héritage,
location, hypothécable.

3 Particuliers utilisant les Location du DUS pour une - paiement du loyer sur une base
terrains pour des activités de durée maximum de 50 ans annuelle:
production ou de commerce. (maximum de 70 ans si Hypothèque et contribution au capital
autorisation du Premier d'une société conjointe nationale
ministre). autorisées dans la limite des loyers déjà
ème
payés (le « 6 » droit).
-paiement des DUS en une fois (vente à
terme) :
cession à titre onéreux, échange, sous-
location, hypothèque et contribution au
capital d'une société conjointe nationale
ou autorisés.

Il existe un cas particulier: celui des personnes étrangères. Jusqu'à une date récente, les
étrangers résidents au Viêt-nam n'avaient que le droit de louer des logements. Mais la
nécessité de relancer la demande sur le marché de l'immobilier a poussé l'Etat à les autoriser
à acheter sous certaines conditions. Depuis une décision de 2000, ils peuvent acheter des
habitations sur terrains loués par l'Etat à condition qu'ils résident au Viêt-nam. Dès qu'ils
quittent le pays, ils doivent les vendre. Ils ont l'obligation d'acheter les logements et de louer
les terrains à des entreprises publiques spécialisées, à moins de construire eux-mêmes. Le cas
des vif! kié'u (personnes d'origine vietnamienne ayant quitté le pays et résidant à l'étranger
depuis longtemps) est différent. Afin de répondre à une attente de cette population,
notamment à HCMV, le gouvernement envisageait en 2000 qu'ils puissent devenir
propriétaires d'habitations mais seulement sous la fonne d'appartements dans des immeubles
collectifs. 7o En outre, ils ne feraient pas l'objet d'un transfert des DUS mais d'evraient payer le
loyer des DUS.

La reconnaissance des DUS des particuliers sur les terres d'habitation leur procure désonnais
un droit réel de propriété. Elle était rendue indispensable au regard du développement de la
production immobilière individuelle. Mais l'approvisionnement des particuliers en terrains à

70Cette mesure dérogatoire permettant aux étrangers d'acquérir des logements uniquement dans des immeubles
d'appartements pourrait avoir été inspirée par les mêmes décisions prises d'abord à Singapour en 1976 puis en
Thaïlande en 1979 (Goldblum, 1994, pp 15 et 66) dans le but de relancer l'acti.vité sur le marché des
condominiums.

114
bâtir reste officiellement le monopole de l'Etat via les organisations et entreprises. Nous
allons voir maintenant quel type de transactions intervient entre la puissance publique et ces
institutions.

2.2. Les droits des entreprises et des organisations.

Nous traitons ici des droits des entreprises publiques et privées ainsi que de toutes les
organisations publiques ( administrations, syndicats, institutions socio-politiques ... ). Depuis
1998, il faut ajouter les particuliers qui utilisent des terrains pour la production ou le
commerce. Nous considérons ici qu'il s'agit d'entreprises privées.

La définition des droits de propriété reconnus aux entreprises et organisations nationales prit
plus de temps que celle des particuliers sur leurs terres de logement. Pour en comprendre les
raisons, il faut rappeler les conditions dans lesquelles le législateur a dû se prononcer. Après
1986, l'ensemble du secteur des entreprises d'Etat fut déstabilisé. L'arrêt des subventions
publiques conduisit les entreprises et les organisations à chercher des ressources nouvelles par
tous les moyens. L'Etat toléra pendant quelques années hi diversification des entreprises, mais
aussi des organisations sociales et politiques, dans des secteurs très rentables comme le
commerce ou la construction. Il suffisait pour cela de créer des filiales ou de constituer des
sociétés à capitaux privés avec des fonds publics. En l'absence d'une clarification des statuts
des entreprises et organisations, il était très difficile au législateur de prendre une décision
dans le domaine foncier. L'accès au terrain devait en effet être plus ou moins onéreux selon
que l'entreprise ou l'organisation prévoyait de l'utiliser dans un but d'intérêt public ou pour
son propre profit. En outre, chaque secteur de l'économie réclamait des droits fonciers
privilégiés. C'est cette instabilité qui conduisit les pouvoirs publics à retarder les réformes
concernant les institutions.

11 était pourtant nécessaire de légiférer car les entreprises ou organisations d'Etat qm


disposaient de terrains mis à disposition par le gouvernement eurent tendance à considérer
qu'elles en étaient propriétaires. La hausse du prix fonciers conduisit nombre d'entre elles à
lotir des terrains non utilisés et à les vendre aux particuliers. 71 Des institutions, comme

71Une enquête menée par l'administration locale a montré gue sur les 6420 organisations d'Etat attributaires de
6000 hectares dans la province de Hanoi, 1240 ont gaspillé, utilisé improprement ou vendu près de 500 hectares,
soit près de 10% du total. 730. Voir chapitre 6 pour un développement sur cette question.

115
J'institut de mathématique, ont été citées dans la presse pour s'être considérablement enrichies
par la vente des terrains aux particuliers. Les entreprises vendaient et achetaient également
entre elles les terrains dont elles avaient besoin. Il devenait urgent pour l'Etat de réaffirmer
son rôle de gestionnaire des terres attribuées aux organisations et entreprises.

En l'absence de réglementation nationale, le comité populaire de Hanoi prit une première


mesure en mai 1989 en publiant une réglementation temporaire sur le paiement des DUS. La
mise à disposition de terrains pour les activités de production, de commerce et de service
devait faire l'objet d'un" paiement" des DUS (littéralement tié'n quyé'n sÛ' df:lng dât, voir
lexique)72. Il n'était pas question de parler d'impôt, ce qui aurait impliqué que les terrains
étaient privés, mais l'esprit était bien celui d'un impôt. Cette initiative peut être rapprochée de
l'introduction des land-usefees dans les villes chinoises entre 1981 et 1988. Nous avons vu
que cette mesure n'était aucunement liée à la reconnaissance de droits supplémentaires aux
attributaires de terrains. Le but était d'introduire la valeur dans les transactions foncières et de
faire payer les entreprises. A Hanoi comme en Chine, l'élément détenninant dans la décision
de faire payer l'usage des terrains fut. sans doute la prise de conscience, par les pouvoirs
publics, que les transactions au marché noir entre institutions et particuliers ou entre
institutions constituaient un manque à gagner considérable pour le budget de l'Etat. 73 Les
pouvoirs publics espéraient également que les entreprises et organisations qui conservaient
des terrains dont elles n'avaient pas l'utilité immédiate les remettraient aux municipalités sans
74
demander d'indemnités.

L'obligation de payer les DUS s'appliquait en principe à tous les occupants de terrains ainsi
qu'aux nouveaux attributaires de terrains. Ils devaient signer un contrat avec le service de la
construction du comité populaire lors de l'accord de mise à disposition des terrains. Toutefois,
il semble qu'en pratique cette mesure ne concerna qu'un nombre limité d'usagers du sol. En
...
avril 1991, soit deux ans après l'entrée en vigueur de la réglementation, seuls 128 organismes
ou entreprises avaient signé un contrat et 102 avaient effectivement versé les droits (ph<;lffi
Khanh Toàn, 1991, p 92). Il fallut attendre encore 3 années avant qu'une législation nationale

72 Elle ne s'appliquait pas aux particuliers qui n'utilisaient en principe leur terrain que pour le logement.
73 En 1997, une enquête du département général des statistiques vietnamien concluait que les violations de la loi
foncière depuis 1993 représentaient approximativement 1 375 milliards de dôngs, soit environ 550 millions de
francs. Vietnam News, 4.4.1997.
74 A propos du principe de faire payer les terrains sans reconnaître aucun droit au locataire, Comby, Renard et

Acosta (1992, p50) utilisent la notion de « suzeraineté foncière », les municipalités se donnant le droit de
négocier au cas par cas le montant du paiement avec les entreprises.

116
étende le principe du paiement de DUS mais dans un contexte radicalement nouveau, celui de
la location des DUS.

L'Assemblée nationale ne s'était pas prononcée sur la question du régime foncier concernant
les institutions lors du vote de la loi foncière de 1993. Ce silence peut être interprété: la
question était trop sensible et les propositions du gouvernement risquaient de rencontrer
l'opposition des députés. Le Parti n'exerce plus qu'un contrôle limité sur l'Assemblée
puisqu'il ne compte qu'un quart des siens parmi les députés. Mais comme il garde le contrôle
de l'ordre du jour, il évite de soumettre des propositions sujettes à débat lors des séances
plénières. Elles sont renvoyées devant le comité permanent de l'Assemblée qui, lui, est
intégralement composé de députés membres du Parti. Il tranche alors les questions par la
rédaction d'une ordonnance. Ce fut le cas à propos des droits des entreprises et organisations.

Le comité permanent de l'Assemblée nationale se prononça par ordonnance en octobre


1994. 75 En février 1995, le gouvernement prit le décret d'application. 76 Comme on pouvait
s'y attendre, il fut très controversé. Il remplaçait l'ancien régime de la mise' à disposition par
la location dans tous les cas, à l'exception des terrains à usage d'intérêt public ou national
(routes, hôpitaux, écoles, travaux d'infrastructure, cimetières, siège des organisations socio-
politiques ... ). Le critère de l'exemption était explicitement un usage non créateur de profit.
Les terrains militaires étaient également exclus de la location. 77

En obligeant la grande majorité des entreprises et organisations à devenir d'un seul coup
locataires de leurs terrains, le Viêt-nam se dissociait de la réforme chinoise. Il n'adopta pas le
système transitoire des anciennes et nouvelles terres. On peut se demander quelles en furent
les raisons. Sans doute, les pouvoirs publics s'inquiétèrent de l'essor du marché noir et des
pertes financières massives que le système dual entraînait pour l'Etat chinois. Ils délaissèrent
l'option de la création d'une sphère marchande au sein de l'ancien système au profit d'une
refonte totale du système. En contrepartie, la réforme fut moins radicalement tournée vers le
marché qu'en Chine. Certes, toutes les organisations et entreprises qui utilisaient des terrains
pour des buts économiques passaient sous le régime de la location, mais les conditions de

75 Ordonnance sur les droits et obligations des organisations nationales dont Je terrain est mis à disposition ou
loué par l'Etat.
76 Décret 18/CP du 13.02.1995, définissant la mise en œuvre de l'ordonnance sur les droits et obligations des
organisations nationales dont le terrain est mis à disposition ou loué par l'Etat.
77 Le texte ne traitait pas de J'attribution des terrains pour la production agricole, forestière et piscicole.

117
cette location ne ressemblaient pas du tout à celles pratiquées en Chine. En généralisant la
location des terrains, l'Etat vietnamien rappelait avant tout qu'il demeurait l'unique
propriétaire du sol. Les baux n'étaient accompagnés d'aucun droit réel pour les locataires. Ils
ne pouvaient ni les céder, ni les échanger, ni les sous-louer. L'hypothèque n'était possible
qu'à hauteur des loyers déjà payés. Les détenteurs de baux pouvaient en revanche utiliser les
DUS comme part de capital dans les sociétés mixtes avec les étrangers. Le paiement des
loyers pour la durée totale des baux n'était pas prévu. Il s'agissait donc vraiment d'une simple
location des terrains plutôt que d'une vente à terme. Contrairement à la Chine, où dès le début
les baux furent mis en vente par négociation et adjudication, les loyers vietnamiens étaient
fixés administrativement. En fait, on restait encore dans la logique de faire payer les DUS
sans contrepartie concernant leur commercialisation.

La mesure de 1993 connut beaucoup de difficultés dans sa mIse en pratique en raison de


l'hostilité des usagers. La brutalité avec laquelle l'Etat vietnamien imposait le paiement d'un
loyer aux entreprises et organisations fut en effet très critiqué par les milieux d'affaires. 78 Ils
virent dans la réforme une mesure visant avant tout à augmenter les revenus de
l'administration. Ils la considéraient d'autant plus injuste qu'ils avaient souvent déjà
"acheté" les DUS. Pour faire face aux besoins nouveaux de terrains, les pouvoirs publics
avaient en effet accepté de transférer des terrains agricoles de la périphérie des villes aux
entreprises. Cependant, à la différence de ce qui se passe en Chine, ce ne sont pas les pouvoirs
publics mais les attributaires des DUS qui fmancent l'indemnisation des anciens habitants.
Les entreprises et organisations avaient donc, de fait, payé leur terrain. Certaines d'entre-elles
furent conduites à la faillite par l'obligation de payer le loyer, d'autres ne payèrent pas,
d'autres encore gelèrent leurs projets dans l'attente d'une nouvelle réglementation. En outre,
l'interdiction d'hypothéquer les baux au-delà des loyers déjà payés constituait un frein au
développement économique en limitant les possibilités d'emprunts d'entreprises publiques
disposant de très faibles fonds propres.

L'obligation de louer les DUS sans aucun droit de transfert du bail posait également de
nombreux problèmes aux aménageurs. Le texte ne prévoyait ni la cession ni la sous-location
des baux après construction des bâtiments. Il était donc juridiquement impossible de conduire
des opérations immobilières dont les logements étaient destinés à être vendus. La population

78 On trouve une illustration du débat qui eut lieu au sujet du décret l8/CP dans « A question of land» , Vietnam
Economie Times, mai 1995, pp 34-35.

118
étant très attachée à devenir propriétaire, c'est-à-dire à se faire céder les DUS et non à les
louer, tout projet résidentiel devenait irréalisable. Pendant plus d'un an, l'indécision des
pouvoirs publics sur la position à adopter face aux multiples contradictions du décret de
février 1995 eut pour conséquence de mettre un frein à tous les projets d'aménagement
urbain.

Il fallut attendre le mois d'août .1996 pour que le comité permanent de l'Assemblée nationale
79
revienne sur son ordonnance d'octobre 1994. Dans un entretien avec la presse, le président
de l'Assemblée nationale réswnait ainsi la nouvelle philosophie de l'Etat en matière foncière:

" Pour le développement à long terme, la location est considérée comme la mesure essentielle
à prendre. La mise à disposition et la location de la terre au Viêt-nam est fondamentalement
différente des autres pays où la propriété privée du sol est reconnue. Nous ne pouvons pas
suivre cette voie. Cependant, le système vietnamien de location peut être plus libéral avec des
contrats de bail à long terme. [ ..} Auparavant, nous avions voulu encourager la récupération
des terres gaspillées, mais aujourd'hui cette politique doit être reconsidérée. ,,80

En décembre 1996, un nouveau décret du gouvernement venait définir les droits de propriété
81
des entreprises et organisations nationales. Il corrigeait les incohérences du précédent
règlement en rétablissant la mise à disposition des terrains aux entreprises ayant des projets
d'aménagement et d'infrastructures tout en maintenant un paiement de l'usage des terrains.
Comme souvent dans la période de transition, ce texte adoptait une solution qui s'était
dégagée dans la pratique. Mais le caractère réellement novateur du nouveau reglement est
qu'il abandonne la conception du loyer des DUS comme simple outil fiscal pour la création
82
d'un véritable système de baux emphytéotiques.

79 Ordormance du comité pennanent de l'Assemblée nationale amendant et complétant certains articles de


l'ordormance sur les droits et obligations des organisations nationales dont le terrain est mis à disposition ou Joué
~ar l'Etat, 27.08.1996.
o « National Assembly Chairman Nông Duc Manh: Land leasing likely a basic measure to do business »,
Saigon Times Dai/y, octobre 1996.
81 Décret 85/CP du 17.12.1996, définissant la mise en œuvre de l' ordormance sur les droits et obligations des
organisations nationales dont le terrain est mis à disposition ou loué par l'Etat. Il fut introduit dans la loi foncière
lors de sa révision en 1998.
82 A ce propos, le texte précise bien que le paiement des DUS ne doit pas être effectué avec des crédits provenant
du budget de j'Etat. Dans ce cas, le prélèvement ne serait en effet qu'un jeu d'écriture interne à la comptabilité
des organismes publics et n'augmenterait en rien les ressources de j'Etat.

119
Il fallut attendre novembre 1998 pour que la révision de la loi foncière précise les droits des
concessionnaires. Ce pas décisif vers la commercialisation des baux fonciers a été franchi par
l'Etat dans l'intention de relancer l'économie du pays, sévèrement atteinte par la crise
financière régionale. Trois cas de figure sont désonnais possibles (figure 3-2).

1. La mise à disposition gratuite des terres.


C'est une mesure exceptionnelle. Elle est réservée aux entreprises agricoles 83 , forestières,
piscicoles et salines et aux organisations et entreprises qui utilisent les terrains pour construire
leurs propres locaux ou les utilisent pour une activité culturelle, sociale, scientifique ou
diplomatique. Elle est également appliquée aux organisations qui réalisent des projets
d'infrastructures et d'édifices publics (routes, écoles, hôpitaux, réseaux d'assainissement,
parcs...) qui sont cédés ensuite gratuitement à l'Etat. Il est interdit d'échanger, de céder, louer
les DUS. Seules les entreprises agricoles ont le droit d'hypothéquer et d'utiliser les DUS
comme participation au capital d'une société conjointe.

2. La mise à disposition des terres moyennant le paiement des DUS.


Elle est réservée aux entreprises et organisations qui conduisent des projets immobiliers de
logement ou réalisent des travaux d'infrastructure. Elles sont autorisées à céder à titre onéreux
les DUS lors de la vente des logements aux particuliers vietnamiens et peuvent également
sous-louer les DUS des terrains aménagés. Dans le premier cas, il y a transfert des DUS et
leur paiement s'apparente à un achat. L'entreprise paye en une seule fois les DUS avant de les
" revendre" une fois le terrain aménagé ou bâti. L'opération est appelée « commerce
d'infrastructures)} ( kinh doanh hçz tang) pour éviter de parler de commercialisation des
terrains (voir lexique). Cette mesure dérogatoire fut réclamée par les aménageurs et
promoteurs en raison de la volonté des particuliers de détenir les DUS et non de sous-louer le
terrain à l'aménageur.

83Parallèlement à la délivrance de DUS aux foyers ruraux, l'Etat continue de mettre des terres à disposition des
coopératives agricoles. Elles ne représentent plus qu'une minorité des attributions: environ 10% des 8 millions
d'hectares de terres agricoles.

120
Figure 3-2. Les régimes fonciers chinois et vietnamiens de l'économie socialiste de
marché.

CHINE
1
.. AncieMt's leTNj - .. NbII'tI'eIJ~s ,~"CS ..
1
MUNICIPALITE 1

1 1

-
. . . . .., dllpod.lDn de• • lTaIi'\6
0l:\IfCrW S*e'Nnt de$ DUS au pflx
MtibutlOn de. baux S-' Mgociation
UWll'foi.e ~, aéljudica~n). Vente a
lerme. ~

~
pt'f/Ntle.

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r. JM~ toOVWnt . . grandet
PIIHgO ou .-g- du bll ,1
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1 Enwpnaa et orglntsmea. En 1

on_~_<fEIot "mu_ _ liI~


lDanJtlJieof". IN pmTlOUlUl'1 dansi
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Tran&Mft des baux ..... ~ rt....tion
" - de tinvestissement (lOUa condiCiona).

Tranate" de. tNIuv .ptes "8li1aoon


de rlnYetlissemenl

usager finll PI' .':lem,*,. un


plltJculie, aChetant lift
1 iogement ou un terutin .., btilit

Vente oes 1erre.,. OC des ~.


li4(Jrch' lerti..,.,

'"
t

VIET-NAM
MISE A DISPOSITION LOCATION

1, hors marché commerce d'Infrastructures hors marché transfert des baux

1
MUNICIPALITE
1 1

1 1 1

1 1 1

I-'~~~I
1
_ des lIauI oontno loyer
........ clioposiIion clos _ _ lM conlie 'nn~1 (prix orr1Oef) Att'1tMton des bIIU)l conlie patement en une
paterne"t dei DUS lU prilc: offtciel tois des k>yei'1. Vento t terme. PoNib6e
oeQUtS d6c. 1998

l i !
_ts.. .
~s crEtIIt et foroe~ ann6es
f>o"strviunt Ioun _ _ ou
~
TflfTIln1 de cNtenM ;
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1
Entreprites OOnslrulHnt des
togements "Ou ~nllgelnt dei
te.,..6ns. blti'
l
EntNprisn .. OfV8niaaüon:s (y
l
Entrepriles et otganb.lnoM (y
~~nilmet conRNtunt ôtt ()I.M"Ig~
pul>llos (rouleo. poru. _
f.opdaux...):
.... i ClOtnprii .ntrwpna.es .·.aoaant en
}Oh1r• .,.nrur. ....c dn p.artenalf..
"t'Inger mais kJyer plu. iWeove)
r-+
compos .nttePnMS ,'as.aoaant on
joint-wnfure h'e(; Ciel panen,i...
6trIInger mai:!. ~, pilA 66eYr6)
E~ dO prOduction 011_. Tno_rt"" DUS ou prix du 1
~uacokl. sytviooM ot .. I~ ma~

i
l
ri Poroculoer. ocn."nl un lOgemenl
Ou un 101.Q bAbr
'--
Tr'IIns"" des baux. de. COndillons
non encore fotH!o

l
Vente ôes llHTatni batls au prir du
'-- ma""" -

121
Le décret de 1996 réservait d'ailleurs strictement le transfert des DUS au cas des terrains
84
destinés au logement des particuliers vietnamiens. Les terrains destinés à des activités
commerciales ainsi que les secteurs de logement pour étrangers ne pouvaient faire l'objet que
de sous-location. Cette restriction est tombée avec la modification de la_loi foncière.
Désormais le transfert des DUS ou leur sous-location sont également possibles sans aucune
indication concernant l'usage et l'usager du terrain. C'est un pas décisif vers la constitution
d'un marché des baux à construire.

Les aménageurs peuvent hypothéquer la valeur du paiement du DUS et utiliser les DUS
comme capital dans les joint-ventures avec des partenaires étrangers. La durée de l'allocation
des terrains destinés au logement est illimitée et celle des terrains d "infrastructure est limitée à
celle du projet d'investissement. La révision de 1998 fait également passer dans la législation
nationale une mesure qui fut expérimentée dans plusieurs provinces. Elle consiste à créer un
fonds pour la construction d'infrastructures et d'équipements publics à partir du paiement des
DUS. La province de Bà Ria - Vüng Tàu au sud du pays fut la première à expérimenter cette
mesure. Elle lui a permis de construire des routes et des écoles pour une valeur de 250
millions de francs. 85

3. La location des DUS.


C'est en quelque sorte la mesure de " droit commun ". Depuis 1998, la loi foncière distingue
les locataires qui payent leur loyer annuellement de ceux qui paient le loyer pour la durée
totale du bail en une seule fois. Dans le premier cas, les preneurs de baux doivent payer un
loyer annuel. Ils ne peuvent pas hypothéquer les DUS mais seulement la valeur des actifs sur
le terrain. Ils peuvent céder leurs propriétés sur le terrain mais pas le bail. Les entreprises qui
investissent dans la réalisation des zones industrielles sont autorisées par dérogation à sous-
louer les terrains aux industriels nationaux ou étrangers. Le terme du bail ne peut eXcéder 50
ans sauf autorisation spéciale du Premier ministre. Le locataire dispose toutefois d'un droit de
priorité sur la relocation des DUS à épuisement de son bail. Il est également possible aux
locataires d'utiliser le montant total prévu des loyers comme capital dans les joint-ventures.

84 En février 2000, une nouvelle modification de la loi foncière incitait les entreprises à construire des immeubles

de logemént collectifs (condominium) en les exemptant du paiement des DUS. Décret n° 04/20001 ND-CP du
~ouvemement amendant et complétant certains articles de la loi foncière, Il.02.2000.
5 Vietnam ecol1omic news, nO 44, 1998, P 38.

122
Dans le second cas, la location est assimilée à une vente à terme et à ce titre, le
concessionnaire bénéficie de droits étendus. Il peut" revendre" (céder à titre onéreux) le bail,
l'hypothéquer et les sous-louer. Le champ d'application de cette mesure est très étendu
puisqu'elle s'applique aussi aux locataires qui ont payé le loyer pour un nombre important
d'années (le texte ne précise pas combien) et à condition que la durée du bail déjà payé court
encore pendant au moins 5 ans. Il est il?portant de noter que la commercialisation des baux
est une mesure très récente qui n'a pas encore fait l'objet de mesures d'application concrètes.
Par exemple, aucun texte n'est encore venu préciser le sort des concessionnaires à expiration
du bail. 86 Il semble peu probable que les entreprises et organisations vietnamiennes disposent
des fonds suffisants pour payer un loyer capitalisé sur de nombreuses années.

La location des terrains aux investisseurs étrangers constitue un cas à part. Qu'ils créent des
\

sociétés mixtes ou des sociétés à capitaux entièrement internationaux, ils n'ont qu'une seule
possibilité : la location des DUS. Ce principe fut énoncé dès la première loi sur
l'investissement étranger de 1987 et fut confirmé par la loi foncière de 1993. La durée du bail
correspond à celle de la durée du projet d'investissement. Dans l'immense majorité des cas, le
partenaire vietnamien apporte sa part de capital dans la société sous la forme des loyers pour
S
toute la durée de l'investissement. ? Il est le locataire officiel des DUS. Une ordonnance de
l'Assemblée nationale de 1993 et un décret de 1995 sont venus préciser le contenu des droits
attachés au bail. 88 Le principe est que le terrain est loué dans le but unique de permettre à
l'investisseur de réaliser son investissement. Il est autorisé à hypothéquer les DUS mais il ne
lui est pas possible de les céder. Dans le cas où le partenaire vietnamien détenteur du bail se
retire du projet, un nouveau contrat doit être signé avec son remplaçant. Il est impossible de
sous-louer le bail sauf pour les entreprises réalisant des travaux d'infrastructure ou
aménageant des zones industrielles.

Comme son équivalent pour les entreprises nationales (décret 18/CP), ce texte ne prévoyait
pas la possibilité pour les aménageurs de projets immobiliers de céder les terrains à titre

86 Le principe du bail emphytéotique est que le preneur doit avoir amorti le coüt de son investissement dans la
durée du bail. Toutefois, les pratiques prévoient parfois l'indemnisation des concessionnaires lors de la remise
des bâtiments au propriétaire foncier (cas de la Suède). Sur ces questions, voir les articles de Caroline Deléglise
(1996) et Muriel Martinez (1998) dans Etudes Foncières.
87 Nous reviendrons dans la troisième partie sur cette mesure qui p'ermet aux entreprises vietnamiennes de
s'associer avec des partenaires étrangers sans apporter de fonds propres.
88 Ordonnance du 14.07.93 sur les droits et obligations des organisations et individus étrangers louant le terrain.
Décret II/CP du 24.01.95 détaillant les mesures de mise en ouvre de l'ordonnance sur les droits et obligations
des organisations et individus étrangers louant le terrain.

123
onéreux lors de la vente de bâtiments à des personnes vietnamiennes ou de les sous-louer lors
de la vente des bâtiments à des étrangers. Le texte n'interdisait pas formellement ces
possibilités_mais n'y faisait simplement pas allusion. Dans les premières années de l'ouverture
internationale, les projets immobiliers étrangers ont été essentiellement des immeubles de
bureaux et des hôtels pour lesquels la question ne se posait pas puisqu'ils étaient destinés à
être loués et non vendus. Cette position des autorités vietnamiennes inquiétait
particulièrement les investisseurs dans les grands projets d'aménagement urbain. Les
promoteurs indonésiens du projet de ville nouvelle Ciputra (voir chapitre 10), par exemple, ne
savaient pas comment ils allaient pouvoir vendre les maisons qu'ils destinaient à la population
vietnamienne ou aux résidents étrangers au Viêt-nam pour une longue durée. 89 En outre, ils .
envisageaient aussi de céder des lots àbâtir à d'autres constructeurs. En restreignant les droits
des étrangers, les pouvoirs publics voulaient préserver le secteur du logement de la
concurrence internationale. Comme dans d'autres domaines, ils durent revenir sur cette
position improductive dans un contexte économique où seuls les investisseurs étrangers
peuvent financer de grands projets urbains. Finalement, lors de la délivrance de la licence
d'investissement à ces grands projets d'aménagement, les autorités vietnamiennes
autorisèrent, par dérogation, ces derniers à céder à titre onéreux les DUS aux acquéreurs
vietnamiens de maisons et d'appartements et à les sous-louer aux acquéreurs étrangers à
9o
condition qu'ils résident plus de trois ans à Hanoi.

Un projet visant à étendre le droit des promoteurs étrangers à vendre des logements aux
91
Vietnamiens est à l'étude depuis 1998 à HCMV. Le système de transfert des DUS est
similaire à celui appliqué aux promoteurs vietnamiens: une fois le logement vendu, le bail est
transféré par le promoteur à l'acheteur. Mais jusqu'à maintenant, ce projet n'a pas pu être
appliqué. Un seul projet étranger d'immeuble résidentiel, le Thuan Kieu Plaza à·HCMV, a
reçu l'autorisation de vendre ses appartements. 9~ ~a commercialisation a débuté en 1999. Les
acquéreurs vietnamiens se voient transférer les DUS en même temps que l'appartement. En
revanche, les étrangers doivent attendre la fin du bail avant de pouvoir louer les DUS. Il s'agit
toutefois d'un cas exceptionnel, la licence d'investissement ayant été attribuée en 1993, avant
que le gouvernement ne décide d'interdire aux investisseurs étrangers la vente de logements.

89 Entretien avec M. David Arnsdorff, représentant du groupe Ciputra au Viêt-nam, 24.03.97.


90 Entretien avec M. Nguyên T~i, haut responsable du cabinet du gouvernement pour les questions d'urbanisme,
10.04.97.
91 «Land issues », Vietnam economic news, n029, 1999, p 7.

92 Vietnam Economie Times, 02.1999, p 21.

124
Figure 3-3. Les droits d'usage du sol des entreprises et organisations.

Caféaorie d'usaaers Mode d'attribution des DUS contenu des DUS


1 -Agences d'Etat, forces armées et Mise à disposition gratuite pour Hypothèque et participation au capital
organisations politiques et sociales, la durèe du projet. Durée d'une société conjointe nationale ou
construisant leurs bureaux ou maximum de 20 ans et 50 ans étrangère autorisée seulement dans le
utilisant le terrain dans un but de pour les activités agricoles, cas de la production agricole, forestière
défense. piscicoles et salines. et saline.
-Agences d'Etat, forces armées et
organisations politiques et sociales (Cession à titre onéreux, échange et
réalisant des projets sans but location interdits)
commercial
-Entreprises réalisant des ouvrage
d'intérêt public (routes, ponts,
écoles, hôpitaux, aéroport ... ) 7
-Organisations et entreprises utilisant
les terrains pour la production
aClricole, forestière et saline.
2 Entreprises construisant des Mise à disposition pour la Cession à titre onéreux et location
logements ou aménageant des durée du projet contre autorisés après réalisation du projet.
terrains à batir, ou réalisant des paiement des DUS. Durée Hypothèque et contribution au capital
infrastructures dans un but maximum de 50 ans pour les d'une société conjointe nationale ou
commercial travaux d'infrastructure. étrangère possible.
(maximum de 70 ans si
autorisation du Premier
ministre)

3 Entreprises et organisations autres Location du DUS pour une - paiement du loyer sur une base
que cas 1 et 2. durée maximum de 50 ans annuelle:
(maximum de 70 ans si Hypothèque et contribution au capital
autorisation du Premier d'une société conjointe nationale ou
ministre). étrangère autorisées dans la limite des
loyers déjà payés. Sous-location
possible dans le cas des investisseurs
dans l'aménagement des zones
industrielles (échange et cession à titre
onéreux interdits).

-paiement des DUS en une fois (vente à


terme) :
cession à litre onéreux, échange, sous-
location, hypothèque et contribution au
capital d'une société conjointe nationale
ou étrangère autorisés.

4 Sociétés conjointes avec un Location du DUS pour la durée Dans le cas de construction de
partenaire étranger du projet d'investissement logements et de zones industrielles, et
(max.: 50 ans). après aménagement, autorisation
dérogatoire de cession à titre onéreux
aux personnes vietnamiennes et de
sous-location aux étrangers. Hypothèque
autorisée.
(Cession à titre onéreux, échange, sous-
location interdits) .

Après une certaine hésitation sur la stratégie à adopter jusqu'en 1996, l'Etat a fmalement opté
pour un régime foncier qui ouvre la porte à un futur marché des DUS. Il lui reste cependant à
mettre en place les règles permettant à ce marché de fonctionner. Panni celles-ci, un cadre
juridique créant une procédure d'indemnisation à la fois juste et efficace est indispens~ble.

125
3. Reconnaissance a minima du droit à l'indemnisation des terrains.

La raison pour laquelle les Etats doivent recourir à l'expropriation tient dans la nécessité de
modifier unilatéralement l'usage des sols.93 Au Viêt-nam, sous le régime foncier antérieur aux
réformes, le fait que toutes les terres soient placées sous la propriété de l'Etat lui permettait de
modifier l'usage des sols sans avoir à mener une procédure d'expropriation. Il lui suffisait de
transférer l'usage des terrains d'un organisme d'Etat à un autre (voir chapitre 1). Si
juridiquement, l' expropriation n'avait pas lieu d' être, il fallait tout de même indemniser les
personnes ou les organisations pour la perte des biens construits sur les terrains transférés ou
pour la perte des récoltes dans le cas des terrains agricoles. Il existait donc une législation de
l'indemnisation.

En 1986, le comité populaire de Hanoi appliquait une réglementation intitulée « règlement


provisoire sur l'indemnisation des préjudices causés aux terrains agricoles, aux récoltes, aux
bâtiments lors de la libération des terrains pour la construction ».94 Les terrains agricoles
retirés de la gestion des coopératives étaient indemnisés pour la perte de production qu'ils
entraînaient, soit quatre années de récolte. Dans le cas du transfert de terres en propriété
personnelle des foyers paysans (les terres 5%), ils devaient s'en voir proposer de nouvelles
par la coopérative. Les occupants de logements sur des terrains récupérés par l'Etat étaient
également indemnisés de la valeur de leur logement en espèces ou matériaux de construction.
Officiellement, ce n'était pas des terrains que l'Etat indemnisait mais des moyens de
production, des bâtiments ou des logements. En plus de ces indemnisations, il existait des
subventions en raison des pertes d'emploi ou de logement pendant un certain temps. Les
paysans se retrouvant sans terre étaient généralement reconvertis dans les unités de production
des coopératives. Dans ce cas, les subventions étaient versées aux coopératives po'ur qu'elles
réorganisent leur production. Les subventions pour perte de logement étaient versées
directement aux personnes concernées.

93 Cette modification peut être rendue nécessaire pour répondre à des besoins fonciers propres à la puissance
publiques (par exemple construction d'ouvrages de défense) ou dans un but d'intérêt public (construction
d'infrastructures, résorption de l'insalubrité, aménagements de zones industrielles ou résidentielles ... ). Cette
seconde justification de l'expropriation est particulièrement importante lorsque la croissance des vi Iles nécessite
la création massive de terrains aménagés.
94 Décision 1231 QD-UB du comité populaire de Hanoi, Ban hành quy dinh tam thài vê' dê'n hù thi1t hai ruÇJng

dât, hoa mâu, công trinh trang thài gian gidi phong rniit hiing xây dung ci thành phô' Hà nôi, 26.3.1986.

]26
La procédure d'indemnisation était encadrée par les pouvoirs publics, notamment les comités
populaires de district, qui mettaient en place uii. comité d'indemnisation. C'est également la
puissance publique qui autorisait le transfert des terrains à son nouvel allocataire. La
puissance publique jouait un rôle de garant de la légalité des transferts et de la justesse des
montants transférés. Elle évitait ainsi les spoliations. Elle jouait en quelque sorte le rôle du
juge de l'expropriation dans le système français. En revanche, la relation fmancière entre
,. l'indemnisé et l'indemnisateur était directe. Le paiement des indemnités et des subventions
relevait du seul allocataire, le futur investisseur sur le terrain. Les pouvoirs publics
n'octroyaient jamais d'indemnités ou de subventions à quiconque. Il s'agit d'une
caractéristique du régime foncier socialiste. Dans un régime reconnaissant la propriété
foncière, seule la puissance publique, par le biais d'organismes publics d'aménagement, peut
conduire des opérations d'expropriation et d'indemnisation. Une fois que la puissance
publique est devenue propriétaire des terrains, elle les cède ou les concède à des investisseurs
privés. Au Viêt-nam, ce détour par l'appropriation publique ne se justifiait pas.

Avec la réfonne du régime foncier introduite par la loi foncière de 1993, les bases légales des
indemnisations devaient être entièrement modifiées. A partir du moment où l'Etat
reconnaissait le droit des particuliers et des organisations à un usage stable et durable de leurs
terrains, moyennant le paiement ou la location d'un droit d'usage du sol, il devait leur
apporter des garanties sur la sécurité de leur bien. Dans ce but, l'article 27 de la loi foncière
indiquait que: "Si nécessaire, l'Etat, dans un but de défense nationale, de sécurité nationale
ou d'intérêt public, récupère les terrains utilisés. Dans ces cas, les usagers des terrains sont en
droit d'être indemnisés pour cause de " retour à l'Etat ". Le vocabulaire a ici son importance.
L'Etat transférant les DUS aux particuliers et organisations, il se les réattribue au titre de son
droit de retour (quyén thu hai). On ne peut donc parler d'expropriation ·foncière en droit
vietnamien mais de « libération des surfaces)} (giài ph6ng mq.t bang) pour cause de retour à
l'Etat (voir lexique). Dans cet article, l'Etat s'engageait également à ne récupérer les terrains
que dans des circonstances comparables à celles prévues dans les pays reconnaissant la
propriété privée (intérêt public, défense nationale ... )

En application de la loi foncière, le gouvernement prit un premier décret sur les


indemnisations foncières en août 1994 95 , remplacé pàr un autre en 1998. 96 Ces documents

95Décret n° 90/CP du gouvernement sur les indemnisations pour dommages lors de la récupération de terrains
pour des objectifs de défense nationale, de sécurité nationale et d'intérêt public et national, 17.08 1994

127
constituent la base légale des procédures de récupération et d'indemnisation menées jusqu'à
présent. La différence fondamentale avec la législation précédente tient dans le fait que les
terrains doivent être indemnisés. En revanche, le principe de l'indemnisation par l'usager
futur est conservé.

Il existe un seul cas dans lequel il n'y a pas d'indemnisation des terrains, c'est lorsque les
usagers sont des organismes publics auxquels le terrain a été mis à disposition gratuitement,
ou qui ont prélevé le paiement (ou le loyer) des DUS sur le budget alloué par l'Etat. Dans ces
cas, on reste dans le schéma précédent où l'Etat s'engage à fournir un autre terrain et
l'organisation déplacée reçoit des indemnités pour les moyens de production ou les biens
perdus.

Les personnes occupant illégalement des terrains constituent un cas particulier. La législation
a fluctué sur leur sort. Le principe est que seules les personnes en parfaite légalité reçoivent la
totalité des indemnisations. Pour les autres, il fut d'abord décidé en 1995 par le comité
populaire de Hanoi qu'elles ne recevraient qu'une partie des indemnisations. En 1997, elles ne
recevaient pas les indemnités au titre de la récupération des terrains mais au titre de
subventions, ce qui ne changeait rien dans les faits. D'une manière générale, le fait que peu de
personnes puissent se prévaloir d'une occupation entièrement légale conduisit les pouvoirs
publics à se fonder sur la possession non contestée des terrains pour juger de leur légalité. Le
niveau des indemnités était ensuite modulé en fonction du niveau de légalité estimé. Dans le
pire des cas, l'Etat octroie une somme minimum permettant aux personnes de se reloger.

Une caractéristique de l'indemnisation des terrains au Viêt-nam est qu'elle peut prendre
plusieurs formes: un terrain, un logement ou un versement financier. Le principe de
l'échange de terrains, utilisé sous le régime d'économie administrée, n'est donc pas
complètement abandonné. Le fait que les terrains agricoles soient encore tenus à l'écart de la
sphère marchande, par le système de mise à disposition gratuite, justifie le recours à l'échange
de terrains. Ce n'est qu'en cas d'impossibilité de cette voie par manque de terres de réserve
que l'indemnisation en argent comptant s'impose. Le principe de l'échange est d'attribuer un
autre terrain de même superficie. Les différences éventuelles de superficie, entre le terrain
d'origine et le terrain attribué, sont compensées financièrement. S'il n'existe pas de réserves

96 Décret n022/ND-CP du gouvernement sur les indemnisations pour dommages lors de la récupération de
terrains pour des objectifs de défense nationale, de sécurité nationale et d'intérêt public et national, 24.04.1998.

128
foncières permettant l'échange de terrains, alors nndernnisation se fait sous forme d'une
somme d'argent. Dans la pratique, l'échange n'est possible que lorsque les superficies
récupérées sont relativement réduites car les réserves foncières des communes sont
nécessairement limitées. Dans le cas des grands projets d'aménagement ou de construction
des routes, le paiement en espèces est la formule la plus courante.

Le maintien du principe de l'échange de terrains. ou de logements en milieu urbain pose


beaucoup de problèmes en raison de l'environnement de marché dans lequel évoluent
désormais les acteurs. Il conduit nécessairement à des injustices puisque les terrains peuvent
avoir des valeurs très différentes d'un quartier à l'autre. Le décret de 1998 a pourtant
maintenu la possibilité d'échange de terrains mais en a restreint le champ d'application: pour
les terrains situés dans le centre ville et plus précisément dans les zones classées en catégories
1 et 2 du barème des prix fonciers, l'attribution d'un autre terrain n'est possible que s'il se
trouve à proximité du site ou dans un secteur de relogement dans le centre ville.

En dehors de .ce cas particulier, la solution d'offrir un lot à bâtir dans un quartier de
relogement en dehors du centre reste possible. Le relogement sous forme de terrains à bâtir a
conduit à des abus de la part des indemnisateurs. Afin de limiter les coûts, certains se
contentèrent de donner des terrains non équipés. Le décret de 1998 précise désormais que les
quartiers de relogement doivent être aménagés conformément aux normes en vigueur pour
tous les quartiers résidentiels.

L'indemnisation des terrains d'habitat peut également se faire par l'attribution d'un autre
logement. Cette solution fut adoptée au début des années 1990 à Hanoi mais dut rapidement
être abandonnée en raison des difficultés à proposer des logements de même valeur. En
revanche, la construction d'immeubles de logement collectif dans le but de reloger des
-
familles dont les maisons - sont vouées à la destruction est fortement encouragée par les
pouvoirs publics. Mais le relogement ne se fait pas sur le principe de l'échange. Les personnes
sont indemnisées en espèces de la valeur de leur logement et sont prioritaires pour l'achat
d'un appartement dans des quartiers de relogement. En fait, cette solution vise à permettre à
des familles pauvres dont les indemnités ne sont pas suffisantes pour faire construire ou
acheter une maison individuelle de se reloger. Alors qu'elle est courante à HCMV, elle n'est
pas encore entrée en pratique à Hanoi. Il faut lier cette question à celle des difficultés
rencontrées pour réaliser des quartiers de relogement dans la capitale (voir chap. 9).

129
Sur le plan des principes, l'Etat garantit donc désormais que toute spoliation de terrain doit
faire l'objet d'une indemnisation. Néanmoins, le fait qu'il conserve le principe de l'échange
d'un terrain contre un autre, montre qu'il reste encore très attaché à préserver la terre de la
sphère de l'économie marchande. Les pouvoirs publics essayent de réduire autant que
possible le recours au versement en espèces comme mode d'indemnisation car il s'agit de la
solution la plus coûteuse. En milieu urbain, ils doivent pourtant y recourir de plus en plus
souvent, car c'est le mode d'indemnisation le plus juste.

L'étude des différentes étapes de l'élaboration de la politique vietnamienne en matière de


droits de propriétés fonciers et immobiliers nous a permis de comprendre comment
l'idéologie avait peu à peu cédé devant les exigences des nouveaux acteurs de la production
du cadre bâti. Comme en Chine, l'Etat a réparti de manière très pragmatique les droits de
propriété entre lui même, les particuliers et les organismes publ{cs. A l'origine de la D6i mOi,
se trouvait l'idée que le régime n'obtiendrait sa survie qu'à condition de pennettre le
développement économique du pays et donc l'enrichissement de la population. Elle s'est
parfaitement illustrée dans les concessions de l'Etat à la population afin de lui pennettre de
construire les bâtiments qu'il n'avait plus les moyens de réaliser. Il a dû reconnaître les droits
réels de la population sur les terrains et mettre en place un système de baux fonciers favorable
aux entreprises et permettre aux aménageurs de tirer des profits de la valorisation des terrains.
Mais il reste un obstacle important à la commercialisation des DUS, c'est le refus de l'Etat
que les transactions foncières se fassent selon les prix du marché. Ceci pose une autre
question, celle de la reconnaissance de la valeur des terrains.

130
Chapitre 4. Fixer le prix des terrains?

En reconnaissant les droits d'usage du sol, l'Etat autorisait des transactions foncières sous
certaines conditions. Il fallait donc nécessairement fixer un prix à ces transactions et donc
admettre que les terrains avaient une valeur pour eux-mêmes. L'Etat refusait néanmoins que
le marché la déterminât car c'eût été faire de la terre un bien marchand comme les autres.
Pourtant, comment fixer le prix des terrains de manière rationnelle sans s'en remettre au jeu
de l'offre et de la demande?

Tout d'abord, il faut noter que les premiers prix fonciers à réapparaître n'ont pas été fixés par
j'Etat, mais déterminés par le marché noir. Ce dernier n'avait en vérité jamais totalement
disparu et il se développa spontanément lorsque l'Etat abandonna la production de logement à
la population. Outre le besoin de logement, la fin de la coercition politique sur les transactions
monétaires encouragea fortement la population à investir une épargne thésaurisée
discrètement pendant une trentaine d'années. Ceci provoqua l'émergence d'un marché
immobilier particulièrement dynamique et une envolée des prix des terrains sur le marché
nOl!.

En 1993, après que la loi foncière eût été votée, l'Etat instaura un barème de prix officiels des
terrains. Le premier objectif des prix officiels est de permettre à l'Etat de fixer le montant des
loyers ou des paiements de DUS que doivent acquitter les entreprises et organismes publics.
Les entreprises mixtes, avec des investisseurs étrangers, sont également concernées puisque
c'est l'entreprise vietnamienne partenaire qui est le locataire du terrain. Le mode du calcul du
loyer à partir des prix officiel est cependant différent pour ces dernières. Les prix officiels des
terrains concernent également les particulier~ et les acteurs privés de l'économie puisque
l'Etat s'y réfère chaque fois qu'il a besoin d'estimer la valeur des terrains qu'ils détiennent.
Ainsi, lorsqu'un particulier vend un bâtiment, le terrain qui le supporte n'est pas
officiellement vendu par la même occasion mais les DUS sont transférés au nouveau
propriétaire. La seule expression concrète de cette dissociation est que l'acheteur doit payer
une taxe sur le transfert des DUS. Cette dernière est fixée en fonction du prix officiel des
terrains et non en fonction du montant de la transaction. C'est également le prix officiel qui
s'applique lorsqu'un particulier veut hypothéquer la valeur de ses terrains. Mais c'est

131
évidemment lors de la procédure d'indemnisation que les particuliers sont très directement
concernés par la valeur officielle des terrains. L'Etat, en effet, ne veut connaître que celle-ci et
nie ainsi l'existence de prix souvent plus élevés sur le m~ché noir. Pour autant, il ne peut pas
non plus spolier les particuliers sous peine de les voir s'opposer à leuts indemnisations et
empêcher la libération des terrains.

1. L'hypersensibilité du marché noir.

La vente et l'achat illégaux de terrains non bâtis en ville et dans les villages avoisinants se
sont généralisés dès les premières années de la Ddi mOi. La quasi-totalité des constructions
individuelles de la première moitié des années 1990 se sont faites sur' des terrains achetés au
marché noir. Les principaux intervenants sur le marché noir sont donc des particuliers à la
recherche d'un terrain à bâtir. Des entreprises et des organismes publics peuvent également
venir sur le marché noir pour y vendre des terrains ou plus rarement pour en acheter.

Souvent, le marché noir des terrains à bâtir se confond avec celui, légal, des bâtiments.
Nombre de terrains sont bâtis d'une petite maison de briques, appelée catégorie 4 (câp bâ'rl)
dans le langage courant, dans le seul but de contourner l'interdiction de vendre les terrains
nus. Les coûts de construction étant très faibles, le prix de vente de ces maisons dépend de fait
uniquement du terrain. Dans le centre-ville, également, nombre d'anciens bâtiments ont été
achetés dans l'unique intention de les démolir et de reconstruire sur le terrain. Dans ce cas
aussi, le prix de la transaction est avant tout celui du terrain. Ces pratiques posent un
problème sur le plan de l'analyse car il est difficile de distinguer le marché immobilier du
marché foncier. Nous avons donc choisi de traiter conjointement des marchés immobilier et
foncier. En outre, les différences de prix ne tiennent pas tant à l'existence ou non de bâtiments
m'!-Îs àla localisation des terrains et des activités qu'ils permettent. Il est en effet important dè -
noter que c'est le même bâtiment qui fait très souvent office de logement et de commerce.
Distinguer un marché des résidences et un marché des commerces et bureaux en ce qui
concerne les biens des particuliers s'avère donc peu pertinent.

La très grande majorité des transactions se font hors du cadre légal afin de contourner
l'interdiction de bâtir des terrains nus et d'éviter de payer l'impôt sur le transfert des DUS.
Pour autant, les transactions nécessitent un minimum d'actes juridiques pour assurer les

132
vendeurs et acheteurs de l'effectivité de la vente. Les contrats de vente sont certifiés par deux
témoins (un pour chaque partie) et par l'administration de quartier (le phuèmg) qui y appose
son sceau moyennant une commi~sion informelle. Cette procédure n'a rien de comparable
avec l'enregistrement en bonne et due forme du transfert des DUS. 97 L'achat de terrains
appartenant à des entreprises ou des administrations est très courant. Une personne ayant
acquis son terrain auprès d'une entrepris~ du ministère des transports en 1995 nous a expliqué
avoir simplement signé un contrat avec l'entreprise dans lequel elle authentifiait la vente. Ce
document est suffisant pour l'acquéreur car il pourra aisément faire régulariser sa situation
ultérieurement moyennant une amende. En outre, même lorsque la transaction est légale, le
service du notariat de la ville et celui du cadastre enregistrent le changement de détenteurs du
DUS mais pas le montant de la transaction. Il en résulte qu'il n'existe pas de sources
officielles permettant de connaître les prix fonciers et immobiliers.

Le marché étant dans sa grande majorité illégal, sa caractéristique essentielle est l'opacité qui
entoure les transactions. La rencontre des vendeurs et des acheteurs se fait fréquemment par
des relations interpersonnelles familiales ou professionnelles. Il s'agit de la voie préférée par
la population car elle apporte des garanties indispensables pour des transactions se faisant
hors du cadre légal. Des personnes se font une spécialité de jouer les intermédiaires sur le
marché noir. Il s'agit d'une" profession" qui fut très lucrative dans la première moitié des
années 1990. Une autre source d'information pour les personnes cherchant à acheter un
terrain est fournie par les petites annonces de certains journaux comme Hà N9i MOi (le
Nouveau Hanoi), Mua và Ban ( Acheter et Vendre) ou encore Dâ'u Tu (Investir). On y trouve
des offres de vente de terrains dont les rédacteurs prennent généralement la précaution
d'indiquer qu'ils disposent de toutes les autorisations légales. Il faut entendre par là qu'ils
possèdent un contrat de vente prouvant qu'ils sont les réels détenteurs des terrains mais
rarement qu'ils possèdent les certificats de DUS. Enfin, il existe les .,ê.~ences immobilières,
appelées officiellement" service de consultant, d'infonnation et d'intermédiaire dans l'achat
et la vente d'habitations" (Djch Vif tU van, thông tin, môi giOi mua ban nhà da!). Elles sont
tout à fait légales. Comme toutes les entreprises, elles doivent obtenir l'autorisation de faire
du commerce. Elles sont très nombreuses à Hanoi. Quelques rues de la capitale en regroupent
beaucoup. On peut citer par exemple la rue Hoà Ma derrière la cathédrale La majorité d'entre
elles ne sont en fait que des officines ouvertes par une personne cherchant à vendre des

97 Nous développerons la procédure informelle de sécurisation des transactions dans le chapitre 6.

133
terrains ou des maisons pour le compte de relations. Dans ces petits bureaux, les transactions
sont généralement irrégulières. Une dizaine d'agences seulement sont professionnelles, c' est-
à-dire qu'elles disposent de fonds propres et de personnel. Le personnel de ces agences
importantes est parfaitement au courant de la réglementation foncière et affirme la respecter.
Ces agences prélèvent généralement une commission de 2% sur les transactions. 98
Récemment, en 2000, des banques ont également ouvert des centres de transactions
immobilières. Nous étudierons leur activités dans le chapitre 8.

Les agences immobilières sont les sources les plus précises d'information sur l'évolution des
prix mais celles que nous avons approchées n'étaient pas disposées à fournir des données
statistiques sur leurs activités. Quant aux petites annonces, elles se sont également avérées
d'un intérêt limité dans la mesure où elles sont une source d'information très hétérogène (elles
ne contiennent pas toutes les informations sur la nature des terrains, et notamment leur
localisation au bord d'une route ou en retrait), et surtout elles ne donnent des indications que
sur les prix d'appel et non sur les prix des transactions. Dans ces conditions limitées d'accès
aux informations, il ne nous était pas possible de constituer une base de données suffisamment
conséquente pour prétendre dresser une carte des prix fonciers et immobiliers et de leur
évolution. En revanche, nous disposons de nos propres sondages auprès de la population amSI
que d'enquêtes menées par l'administration foncière. Ces données sont suffisantes pour
définir les caractéristiques essentielles du marché.

Il nous faut préciser que l'unité monétaire dans laquelle est exprimée la valeur des biens
fonciers et immobiliers est le cây d'or (voir lexique). L'utilisation de l'étalon or fut longtemps
nécessaire en raison de la forte inflation et des dévaluations du dông dans les années 1980. Il
ne faut toutefois en tirer la conclusion que les transactions se font en or. En fait, c'est le dollar
américain qui est la monnaie de transaction. Ceci est important pour expliquer que la forte
,...
baisse de l'or depuis quelques années n'a pas de conséquences sur les prix fonciers et
immobiliers. En 1995, un cây valait environ 500 dollars; en 1999, il ne valait plus que 340
dollars. Les acteurs du marché réévaluent la valeur de leurs biens en. cây en fonction du dollar.

98Ces informations proviennent d'un article de presse consacré aux agences immobilières, "Djch vu môi gi6i
nhà Mt" [les agences immobilières], Kinh ut & Dô thi, 24.2.1999.

134
Figure 4-1. L'évolution des prix à la consommation entre 1987 et 1998 (%).

450,00 416,70
410,9
400,00

350,00

300,00

250,00

200,00

150,00

100,00

50,00
5,1 14,4 12,6 4,5 3,6 6
0,00 +----.---.---.------.-~~::::::~=~:::::::::t=:::==~ ...........""",;.
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

Note: il s'agit des taux officiels. En 1988, l'inflation réelle aurait en réalité été proche de 1000%.

Afin de faciliter la lecture des prix, nous avons choisi de les exprimer dans leur équivalent en
dollar américain au moment de la transaction. Ce choix s'explique par le fait que l'expression
de prix en dollar est extrêmement courante. Elle est notamment utilisée sur le marché de
l'immobilier de bureaux ou pour les logements loués aux étrangers. L'or ayant perdu de sa
valeur par rapport au dollar durant les années 1990, nous utilisons les taux de change officiels
(tableau 4-1).

Tableau 4-1. Table de conversion dollar/dông, 1990-1999.

Valeur d'un dollar US Variation annuelle


Décembre 1990 6817 dôngs
Décembre 1991 12 145 dôngs +78,15%
Décembre 1992 10555 dôngs -15,06%
Décembre 1993 10900 dôngs +3,26%
Décembre 1994 11 050 dôngs +1,37%
Décembre 1995 10970 dôngs -0,7%
Décembre 1996 11 085 dôngs +1%
Décembre 1997 12280 dôngs +10,78%
Décembre 1998 13908 dôngs +13,25%
Décembre 1999 14000 dôngs +0,66%
Source: Banque d'Etat du Viêt-nam.

135
On peut distinguer deux grandes périodes. La p'remière est celle de l'émergence du marché et
de la spéculation. Elle commença en 1989 et dura jusqu'en 1995, date à laquelle les prix
baissèrent et se stabilisèrent, marquant l'entrée dans la seconde période, la phase" adulte" du
marché.

1.1. La fièvre foncière: 1989-1995.

La valeur cachée des bâtiments et des terrains redevint effective dès le milieu des années
1980, lorsque l'Etat encouragea l'initiative privée. Mais c'est réellement à partir de 1989 que
les transactions de terrains nus se multiplièrent et que les prix commencèrent à augmenter.
Les prix restèrent excessivement élevés jusqu'en 1994. L'expression fièvre foncière (sôt dât)
est couramment utilisée pour définir cette période de prix anormalement élevés. Une enquête
menée par le service central du foncier sur l'évolution des valeurs foncières dans différents
secteurs de la ville entre 1990 et 1995 nous donne un aperçu de l'évolution du marché foncier
durant cette période (tableau 4-2).

La hausse des prix entre ces deux années fut considérable quel que soit le district considéré.
C'est dans le district central de Hoàn Kiêm que les prix ont été les plus élevés, atteignant près
de 3000 $/m2 en 1995. On estime généralement que les prix des terrains avec leur bâtiment
montèrent jusqu'à 10 câys, soit 5000 $/m2 , dans les rues les plus commerçantes de la vieille
ville. La raison en est qu'il s'agit du quartier commerçant le plus actif de la capitale. Les
parcelles étant très étroites et très allongées, elles supportent un commerce donnant sur la rue
et de nombreux logements à l'arrière et à l'étage sur le modèle traditionnel du compartiment
(voir illustration 4-2). Les anciens propriétaires ou les personnes « installées» par l'Etat sous-
louent généralement des pièces à de jeunes ménages. Le dynamisme économique de ce
quartier est tel qu'il permet aux familles qui cohabitent dans le compartiment de vivre du petit
commerce. Il faut ajouter au bâti le trottoir car c'est le lieu où ce petit commerce s'exerce. Ce
sont en réalité ces quelques mètres carrées donnant sur la voie qui justifie une grande partie
du prix du foncier.

136
Tableau 4-2. L'évolution des prix des terrains situés le long des voies principales
dans les districts urbains de Hanoi, 1990-1995.

n° de localisation 1990 1993 Début 1995 Coefficient


secteur en $/m' en $/m'. en SIm'. munlpllcateur entre
1$=5000d 1$=10000d 1$=11 OOOd 1990 et 1995
1 district Hoàn Klém :
rues Hàng Ngang. Hàng Elào. 1200 2000 2730 2,2
Bà Tri411u (secteur du lac Hoàn
Kléml
2 district Ba Dinh:
secieur Ngoc Hà 60 500 900 15
3 district Hal Bà Tnmg :
secteur TnJang Elinh, Mal HU'CIna 100 900 900 9
4 district D6ng Ela :
secteur Kim Uên : rue TnJèmg 100 150 590 5,9
Chlnh
Source. comité gouvememental des priX et le département général du foncier.

CARTE DE LOCALISATION
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UMR Regards CNRS-IRD 01 VTGEO-Hanol

137
Illustration 4-1. Occupation du foncier sur une parcelle de la vieille ville.

---------

EB

SOm '----------.---

12 11 10 9 8

o
6 et 7 5 4 3 2

Source: Urvoy et Nguyên Duong (2000, p 54 et S.) Sm

Sur cette parcelle de 3 mètres de large sur 50 m de profondeur, cohabitent sept familles, dont certaines élargies, soit 29
personnes. On distingue au total onze logements plus un commerce sur rue. Au rez-de-chaussée, M. Tinh possède un
commerce (1) ainsi qu'une pièce pour lui et sa femme (2). En général, un même pièce sert de salle de séjour, salle à manger,
coin cuisine, et de chambre (en mezzanine). Plus loin, Mme Huong a installé un petit salon de coiffure dans la pièce ou elle
habite avec son mari (3). Des toilettes collectives séparent ce bâtiment de celui du fond de la parcelle. Un logement est
inhabité (4), dans le suivant vit un couple avec un enfant (5). Deux logements ont été crée au fond de la parcelle car le bâtiment
s'élargit à cet endroit (voir plan). Mme Phuong, sœur de Mme Huong habite l'un d'eux (6) avec son mari et son enfant. Elle vit
de la fabrication de sandwichs qu'elle vend, le soir venu, sur le trottoir. Son mari est livreur pour M. Tinh. Mme Mai, son mari et
leur enfant habite l'autre pièce (7). A l'étage, se trouvent deux pièces qui sont tout ce qui resta à l'ancien propriétaire de cette
parcelle après que son bâtiment fut réquisitionné dans les années soixante. Il a aujourd'hui déménagé mais garde ces deux
pièces dont l'une sert d'entrepôt à M. Tinh (8 et 9). La pièce suivante est divisée en multiples chambres afin de permettre à M.
My, ses deux filles (qui travaillent au salon de Mme Huong) et deux de ses fils (et leurs épouses et enfants) de dormir (10). Le
troisième fils habite seul avec sa famille dans la pièce suivante (11). Deux fils de M. Tinh sont « moto-taxi» et attendent les
clients sur le trottoir. Enfin, le dernier logement est occupé par deux anciens « artistes du peuples» qui sont sans doute encore
locataires de l'Etat et leur famille (au total sept personnes). Ce sont les seuls à ne pas dépendre de l'emplacement pour leur
subsistance.

138
Dans les autres districts, en revanche, les prix des terrains étaient très bas au début de la
période, entre 60 et 100 $, mais augmentèrent entre 6 et 16 fois jusqu'en 1995. Ces
différences s'expliquent par le fait que, situés à l'origine sur les franges rurales de la capitale,
ils ont été rapidement gagnés par l'urbanisation. Le cas du secteur Ng9c Hà dans le district Ba
DInh est typique de la reconversion des anciens villages maraîchers et horticoles situés dans le
cadre naturel agréable du lac Tây, .tout en restant relativement proches du centre.
Historiquement, c'est à Ng9c Hà que les prix des terrains agricoles commencèrent à monter
dans les années 1990-1991. Les terrains de ces villages n'étant pas gérés par des coopératives
mais par les paysans eux-mêmes suivant le régime des terres 5%, il fut facile à ceux-ci de les
vendre aux citadins. Dans les années 1992-1994, les villages situés un peu plus au nord, entre
la digue et le lac, connurent le même phénomène, encore amplifié par le fait qu'ils devinrent
un secteur particulièrement prisé par les résidents étrangers.

Une telle hausse possède plusieurs raisons. Tout d'abord, l'offre légale de terrain selon la
formule du partenariat était très faible et soumise à des critères d'éligibilité restrictifs. Pour les
personnes qUl ne répondaient pas à ces critères, c'est-à-dire la grande majorité de la
population, il n'y avait d'autre choix que d'acheter des terrains sur le marché noir. La
demande étant beaucoup plus importante que l'offre, le marché tira mécaniquement les prix
vers le haut. Le marché noir des terrains fonctionna selon le modèle d'une situation de pénurie
classique dans les pays socialistes. Il doit être distingué en cela du marché noir dans les
économies de marché où le prix" au noir" est substantiellement plus bas que le prix légal car
il n'intègre pas le coût de la fiscalité.

Pourquoi la demande fut-elle subitement si élevée? Nous ne disposons pas d'études sur les
niveaux d'offre et de demande de terrains dans les villes vietnamiennes. Il peut difficilement
en être autrement dans un contexte d'informalité des transactions. Il est en revanche possible
d'identifier les raisons structurelles affectant le marché. La demande de terrains à bâtir trouve
ses fondements dans l'évolution démographique et économique de la ville. La demande de
terrains étant principalement motivée par le besoin de logement, nous nous attachons ici plus
particulièrement aux aspects démographiques.

139
Les données statistiques officielles font état ci' un accroissement de la population des districts
urbains de Hanoi de 55 000 habitants en moyenne par an depuis le début des' années 1990, soit
3% lan. Mais cette croissance n'a pas engendré une demande de terrains à bâtir importante.
Tout d'abord, le croît naturel est resté bas. Depuis le début des années 1990, la capitale
possède un des plus faibles taux d'accroissement naturel du pays: 1,3%. La politique de
planning familial mise en place en 1984 et le mode de vie citadin en sont les principales
raisons (Fanny Quertamp et Claude de Miras, 2000). Le faible niveau des naissances
intervenues dans la capitale n'a pas provoqué une demande de terrains très importante. Un
autre facteur de croissance de la population urbaine est la création de trois nouveaux districts
urbains en 1995, 1997 et 1998. Ils ont mécaniquement fait passer des populations du statut de
rurale à urbaine. Ceci n'a eu a priori aucun impact sur leurs besoins en terrains à bâtir.

Enfin, la dernière cause d'augmentation de la population urbaine est le flux migratoire. On


estime que depuis 1986, ,les flux migratoires nets (la différence entre les arrivants et les
partants) ont apporté 22 000 habitants supplémentaires à Hanoi en moyenne annuelle, soit
40% des nouveaux urbains (Centre for Population and Human Resources Studies, 1997, p3).
Pour autant, la relation entre l'arrivée de migrants des campagnes voisines avec la demande
de terrains à bâtir n'est pas évidente. Signalons tout d'abord que nous ne prenons en compte
ici que les migrants définitifs. Ils ne représentent qu'une partie de l'ensemble, l'autre partie
étant constituée de migrants saisonniers qui viennent habiter périodiquement chez leurs
parents ou amis ou dans des foyers collectifs. Ensuite, parmi les migrants définitifs, fort peu
détiennent un permis de résidence permanente (16,9% d'après l'enquête du CPHRS, p 85)
dont le but est précisément de limiter les migrations des campagnes vers les villes. La non-
détention de ce permis rend difficile la recherche d'un travail; l'accès aux soins ou la
scolarisation des enfants. Pour cette raison, les personnes ne décident de migrer à Banoi que
lorsqu'elles y ont de la famille ou des connaissances qui leur trouvent un emploi et les
.-
hébergent à leur arrivée. En 1997, deux tiers des migrants à Hanoi avaient des informations
sur les opportunités d'emploi et les conditions de logement avant de venir (CPHRS, p 91). Si
l'on ajoute à cela que cette population est très généralement pauvre (c'est la principale
motivation à la migration), on s'aperçoit que ses possibilités d'acheter un terrain et de
construire sont quasiment nulles lorsqu'elle s'installe à Hanoi. En revanche, ils ont une
influence indirecte sur le marché foncier lorsqu'ils louent des maisons. Le marché de la
location de petites maisons aux migrants est très développé à Hanoi. Elles sont souvent
construites par des particuliers à proximité de leur résidence afin de leur apporter un

140
complément de revenu. Il faut également noter que le statut et le pouvoir d'achat des migrants
augmente progressivement au fur et à mesure qu'ils vivent en ville. Après quelques années de
location, ils peuvent avoir réussi à régulariser leur situation et disposer de ressources
suffisantes pour accéder au marché foncier urbain. En définitive, la relation entre migration et
demande de terrains existe donc, mais elle est médiatisée et décalée dans le temps.

Une autre cause d'augmentation de la dèmande de terrains à bâtir pour le logement provient
de la division des foyers. Nous ne disposons pas de données statistiques permettant de
mesurer l'ampleur de ce phénomène au Viêt-nam et à Hanoi en particulier. L'indicateur du
nombre de personnes par foyer révèle une diminution constante de la taille des familles. Sur
l'ensemble du pays, celle-ci est passée de 5,22 personnes en 1979 à 4,84 personnes en 1994 et
4,1 en 1997 (Fanny Quertamp et Claude de Miras, 2000). Mais nous ne connaissons pas la
part de la baisse de la natalité et celle de la division des familles dans cette évolution. Il
semble qu'en milieu urbain, la part des familles élargies, c'est-à-dire à extension verticale
(plusieurs générations) ou horizontale (collatéraux) soit de l'ordre de 30% (Fanny Quertamp
et Claude de Miras, 2000). A Hanoi, une enquête auprès de 500 foyers conduite en 1997 a
montré que près de la moitié des familles étaient composées de 3 ou 4 personnes, les autres
comprenant 5 membres et plus. Les foyers de 1 ou 2 personnes ne représentaient que 9% de
l'ensemble (Trtnh Duy LUân, 1998, p6).

Dans la plupart des villes, et plus particulièrement à Hanoi, le poids des familles élargies doit
être replacé dans le contexte plus large du manque de logement. En raison de la pénurie de
logement dans la période de production étatique, ce ne sont pas seulement les membres d'une
même famille qui logeaient sous le même toit. Nous avons vu dans le premier chapitre
comment plusieurs familles étaient regroupées dans le même bâtiment ou sur la même
parcelle, réduisant la surface habitable à 4 m 2 et moins pour la moitié de la population de la
capitale en 1981 (cna'pitre 1). On peut faire 1'hypothèse que la demande de terrains à bâtir
dans la première moitié des années 1990 provient en grande partie de la population qui était
concentrée dans le parc ancien. Cela se traduit dans le niveau par l'augmentation substantielle
de la surface habitable dans les années 1990. Dans l'ensemble des villes du pays, elle est
passée de 8,2 m 2/personne en 1993 à 10,3 m 2/personnes en 1998 (Vietnam living standarts
survey, 1999, p 330). A Hanoi, la surface habitable en ·1997 était de 9,7 m 2/personne (TIinh
Duy LUân, 1998, p6). Seulement 26% de la population disposait de moins de 5 m2 pour se

141
loger et 30% disposait de plus de 10m2 (voir figure 4-2) . Dans les quartiers d'habitat récents,
la surface moyenne est de 13,5% contre seulement 6,8% dans la vieille-ville.

Figure 4-2. Superficie habitable moyenne par personne à Hanoi en 1997.

0,6 m 2 -2,9 m 2
6%

:5 m~-9,9 m2
42%

Note: Le calcul de la surface habitable ne prend pas en compte les espaces de service (cuisine,
toilettes ... ) et les pièces communes (séjour).

L'analyse des facteurs démographiques sur le niveau de la demande sur le marché des terrains
à bâtir permet de conclure qu'elle provient en partie d'une croissance de la population,
alimentée par les migrations et le croît naturel, et en partie de la recherche de meilleures
conditions d'habitat. Sans que nous puissions le démontrer, cette seconde part est, à notre
avis, la plus importante. Il résulte de ceci que la demande de terrains est avant tout le fait
d'une population citadine.

La hausse constante des prix fonciers a poussé beaucoup de personnes à placer le'ur épargne
dans la terre, ce qui a eu pour effet de pousser encore un peu "Plus les prix vers le haut. 99
D'autant, que parallèlement à la démarche de placement, le marché foncier a très rapidement
fait l'objet de comportements spéculatifs. Beaucoup de personnes ont anticipé le retour au
pays des vietnamiens envoyés dans les pays de l'Est et notamment en Allemagne de l'Est, une
fois le mur de Berlin tombé. Ils ont acquis des terrains dans le but de les leur revendre. Ils se
sont d'ailleurs en grande partie trompés car les vietnamiens résidents à l'étranger avaient
souvent un niveau de vie plus élevé que celui qu'ils auraient eu au Viêt-Nam. En revanche, à

99 Nous reviendrons en détail sur le poids des terres et des bâtiments dans le patrimoine des ménages lors de

142
partir des années 1991-1992, il est apparu que l'implantation d'investisseurs internationaux
générait l'arrivée d'un nombre important de résidents étrangers aux revenus très élevés. Dans
les villages de Nghi Tàm et Quàng Bâ, particulièrement prisés par les étrangers, les terrains
-
furent achetés et revendus de multiples fois par des spéculateurs. D'autres choisirent de
construire des maisons de rapport. L'offre de logements pour étrangers étant alors très faible,
les loyers atteignirent des sommets. Le m 2 dans une résidence au standard international valait
55 $ en 1995 à Hanoi contre seulement 13 $ à Bangkok (voir tableau 4-3). Le fait que le
logement soit presque aussi cher à Hanoi et HCMV qu'à Tokyo pennet de mesurer le niveau
de la surestimation des loyers pour étrangers au Viêt-nam. L'inexistence d'immeubles
résidentiels construits par des promoteurs internationaux jusqu'en 1997 plaçaient les
propriétaires vietnamiens en situation de monopole. Ces opportunités de profits poussèrent les
prix des terrains à la hausse. En 1990, les terrains valaient aux alentours de 150 $/mz. Au plus
haut de la fièvre foncière, leur prix avait décuplé (1500 à 2000 $/mZ ) à Nghi Tàm et atteint
1000 $/m2 à Quàng Bâ.

Tableau 4-3. Loyers des logements de standard international dans les grandes villes
d'Asie. 1995.

Villes Prix en $/m'


Pékin 80
Tokyo 62
HCMV 60
Hanoi 55
Phnom Penh 20
Bangkok 13,5
Kuala Lumpur 13

li n'est pas possible de lier directement le prix des terrains sur le marché noir à la demande
émanant des investisseurs étrangers, prêts à payertrès cher le terrains de leur projet, car ils
doivent l'obtenir obligatoirement par une procédure administrative et à un loyer fixé par l'Etat
(étudiée plus loin). Néanmoins, par le biais des indemnisations infonnelles qu'ils doivent
verser aux familles occupant les terrains, ils influencent fortement les prix dans les secteurs où
ils se concentrent (les rives du lac Tây ou l'ancien quartier français). On peut en avoir une
idée en comparer les prix excessifs dans ces secteurs avec ceux enregistrés dans un secteur
non touché par le phénomène de la location aux étrangers. En 1990, les terrains se vendaient

J'étude du financement de l'auto-construction (chapitre 8).

143
pour moins de 100 $/m 2 dans le village Làng Tarn situé au sud de la capitale. En 1994, ils
valaient entre 300 et 700 $/m 2 selon que le, terrain était situé sur une rue ou dans une
impasse. 1oo La hausse fut donc conséquente mais environ deux fois moins que dans les
villages dulac Tây.

Les terrains eux même sont devenus une source de revenus qui pouvait être réinvestie dans
l'immobilier. En vendant une partie de son terrain, un paysan résidant près du lac Tây pouvait
aisément construire une villa à louer aux étrangers et sa propre résidence. Avec les loyers de
la villa, il pouvait investir dans un autre terrain, et ainsi de suite. 101 Le marché foncier et le
marché immobilier s'auto-entretenaient dans un mouvement de hausse des prix toujours plus
élevée.

1.2. La stabilisation des prix.

A partir de 1995, les prix commencèrent à baisser et le commerce de terrains perdit beaucoup
de ses avantages. Il est difficile d'identifier un facteur décisif de baisse des prix. fonciers et
immobiliers. Parmi les explications les plus fréquemment avancées, la diminution de la
demande pour un prix aussi élevé est sans doute la raison de fond. C'est en effet la population
citadine la plus aisée, jusqu'alors à l'étroit dans les logements du centre, qui a alimenté le
marché durant cette période. Or cette demande était limitée. Une fois satisfaite, cette demande
. a abandonné le marché à la population plus pauvre incapable d'accéder aux prix excessifs.
Les responsables politiques et administratifs mettent en avant les premiers effets de la
politique du logement de la municipalité. En informant les habitants par les médias que des
aménageurs allaient prochainement mettre en vente des lots à bâtir à un prix inférieur au prix
du marché, les pouvoirs publics auraient ainsi permis de tirer les prix à la baisse.

Le résultat fut que les prix baissèrent en moyenne de 30% entre 1994 et 1996. Depuis lors, ils
restent stables. On estime que la déclivité des prix des terrains entre le centre et la périphérie
est de l'ordre de un à dix à Hanoi. Un terrain dans le centre vaut autour de 2000 $/m 2 contre
moins de 200 sur les franges urbaines. Il s'agit de données générales qui doivent être affinées
selon l'emplacement du terrain le long d'un axe important ou non. Dans l'ancien quartier

100 Enquête de terrain, 1998.


101 Nous analyserons en détail ce processus d'autofinancement de la construction dans le chapitre consacré à l,a.

144
français, un mètre carré de terrain comprenant une villa et son jardin qui se vendait 7 câys
(3000$) en 1994 n'en valait plus que 5 (2000$) en 1997. Dans les secteurs très spéculatifs du
lac de Tây, la baisse fut également importante. Depuis 1996, un terrain sur le grand axe de la
route de la digue s'échange pour environ 1000 $/m 2 , un terrain en bordure du lac ou sur une
voie secondaire vaut 800 $/m 2 tandis qu'à l'intérieur des villages, les prix sont de l'ordre de
300 à 400 $/m2 .

Nous avons tenté de mesurer plus précisément ces différences locales grâce à une enquête
réalisée par le département général de l'administration foncière sur les prix fonciers dans le
district D6ng Da en 1997 (tableau 4_4).102 Les transactions ont été classées selon les critères
utilisés pour fixer les prix officiels. Le premier critère concerne la dimension de la voie la plus
proche du terrain. Plus la rue est importante, plus les prix sont censés être élevés. Toutes les
rues de la capitale sont ainsi classées en quatre catégories, du boulevard à la ruelle. Le second
critère est la position et l'accessibilité de la voie par rapport au terrain. Un terrain donnant
directement sur la voie rend en effet plus rentable l'ouverture d'un commerce que s'il est situé
au fond d'une impasse. Quatre positions sont répertoriées. Dans cette étude, seules les trois
principales catégories et positions sont représentées.

Le premier enseignement que l'on peut tirer de cette étude est que les prix sont très variables,
même pour des terrains répondant aux même critères. Ceci est sans doute dû au nombre réduit
de transactions observées. Il est aussi possible que la méthode d'évaluation du prix des
terrains par estimation et soustraction de la valeur des bâtiments induisent des distorsions. On
peut également faire l'hypothèse que l'opacité du marché, signalée plus haut, ne permet pas
aux acquéreurs et vendeurs d'estimer très précisément la valeur de leur bien. Ces données
apportent toutefois la confirmation de la baisse sensible des prix. Même sur les plus grands
axes du district, les prix ne dépassent pas les 400 $/m 2 . Il semble en outre que le critère de
dimension de la voie joue moins que celui de l'accès à celle-ci. Les ten:ains situés en bordure
des voies de seconde catégorie se sont vendus plus cher que ceux situés en retrait d'une voie
de première catégorie. En outre, sur une même voie de première catégorie les prix varient du
simple au double.

production immobilière individuelle.


102 Nous tenons à remercier M. Phl;lm Minh Dé, responsable du service de l'enregistrement et des statistiques du
département général de l'administration foncière de nous avoir permis d'utiliser cette enquête.

145
Tableau 4-4. Quelques prix des terrains sur le marché dans le district Bong Ba en
1997.

Catégorie de 1 2 "
3
rues
Position 1 2 3 1 2 3 1 2 3
Prix de 32 211 316 - 344 119 239
transactions en 368 172 430
$/m' 373 538 - 102 336
175 163
251 290 - 196
193 421
409 171 - 175
248
543 - 529
240
362 - 131
253
- 236
192
- 408
Prix moyen en
SIm'
..
368 311 172 370 - 265 227 266 250
POSition 1 : terrain possedant au mOins un côte contigu a la rue.
Position 2 : terrain en bordure d'une voie d'accès à la rue d'au moins 3,5 m de large.
Position 3 : terrain en bordure d'une voie d'accès à la rue d'une largeur de 2 à 3,5 m de large.
Note: Les enquêteurs ont enregistré le prix de transactions intervenues entre le 1er novembre 1997 et
le 8 décembre 1998. Les données ont été recueillies auprès des agences immobilières. Les terrains
étant tous bâtis, la méthode de la valeur résiduelle des bâtiments a été utilisée pour obtenir le prix du
terrain seul. Les terrains mesuraient 40 m2 en moyenne, le plus large mesurant 71 m2 et le plus étroit
20 m2 .

Cette étude permet de mesurer l'importance que revêtent les activités commerçantes privées
dans l'économie vietnamienne et en conséquence dans les prix fonciers et immobiliers.
L'ouverture d'un commerce, même réduit à sa plus simple expression de dépôt de
marchandises de consommation courante ou de journaux, constitue un apport de ressources
non négligeable pour des personnes au chômage ou retraités. Tout le monde pouvant QUvri~
une boutique, un petit restaurant, un service quelconque ou encore un atelier au rez-de-
chaussée de sa maison, l'usage commercial apparaît indissociable de celui du logement dans
la structure des prix sur le marché des particuliers.

Au-delà des indications sur le pnx des terrains seuls, l'enquête nous fournit aussi des
informations sur le prix de l'ensemble terrain + bâtiment. En moyenne, les prix observés sont
de 212 $/m 2 de plancher. La quasi-totalité est comprise dans une fourchette entre 100 et 300
$ 1m 2 (tableau 4-5). Il faut rappeler que l'enquête a été menée. dans un secteur excentré de la
capitale. On peut comparer ce prix avec le prix des bâtiments dans les rues les plus
commerçantes du centre ancien qui peut atteindre jusqu'à 2000 $/m 2 •

146
Tableau 4-5. Les prix de l'immobilier dans le district Bong Ba en 1997.

rue caté position âge du superficie superficie du nombre prix de prix de vente
gorie bâtiment du terrain bâtiment d'étages vente au m 2 de
(m 2 ) (m 2 ) (US$) plancher
IIUS$/m 2 )
Tôn B(Jc 2 1 1 60 260 4 126 538 487
Thanq
Nguyen 1 2 3 50 50 1 22596 451
Ll1anQ Banq
Thai Thlnh 3 2 17 46 92 2 26392 287
Giài Ph6ng 3 3 20 40 40 1 10846 271
Trl1àng Chinh 2 3 2 50 150 3 39769 265
Trl1àng Chinh 2 1 3 30 96 3 24585 256
Thaihà 2 1 10 35 70 2 16631 238
Thaï Th!nh 3 2 2 37 111 3 26308 237
Tôn B(Jc 1 1 4 36 90 2,5 21 046 234
Thanq
Thai Th!nh 3 3 3 37 111 3 25308 228
Chùa B(>c 2 3 2 35 105 3 23861 227
Lang Trung 2 1 1 50 200 4 45192 226
Hàng B(>t 1 2 4 32 100 3 20608 206
Tây San 1 3 12 38 38 1 7592 200
Giài Ph6ng 3 3 11 50 100 2 19885 199
Thai Th!nh 3 3 1 4 20 1 3877 194
Thai Thinh 3 1 3 45 157 3,5 28923 184
Trl1àng Chinh 2 1 3 30 90 3 16615 184
Thai Hà 2 1 4 33 130 4 23500 181
Tôn B(Jc 1 2 5 35 100 3 17353 174
Thang
Tôn B(Jc 1 2 4 40 100 2,5 16993 170
Thanq
Giàl Ph6ng 3 1 3 44 160 3,5 27 115 169
Khâm Thiên 2 3 3 38 57 1,5 9400 165
Kim Mâ 2 3 1 28 130 4 21 331 164
B?ch Mai 2 3 4 60 150 3 23500 157
Lang H? 2 3 3 35 120 4 18800 157
Lê Du§n 3 3 4 45 130 3 19885 153
La Thành 3 3 2 31 ..... 124 4 18438 149
-
TnJàng Chinh 2 3 7 25 90 2 13377 149
Thai Th!nh 3 3 2 38 152 4 23138 142
Giài Ph6ng 3 2 3 71 210 3 29646 141
Khâm Thiên 2 3 3 30 60 2 8315 139
Moyenne 4,6 39 112 2,76 24293 212
Un autre marché immobilier est constitué par les appartements dans les grands ensembles
aujourd'hui mis en vente par l'Etat. Un appartement de 28 m 2 se vendait début 1998 entre 6
800 $/m 2 et 8 500 $/m 2 dans le quartier Thành Công au sud ouest de la capitale, ce qui revient
entre 250 et 300 $/m2 • Il s'agit du prix résultant de transactions entre particuliers et non du
prix auquel la municipalité met en vente ses logements. 1D3

La location est traditionnellement peu populaire parmi la population vietnamienne. Jusqu'à


ces dernières années, le marché locatif ne concernait que les populations n'ayant pas les
moyens d'acheter ou de construire leur logement. Un marché commence toutefois à se
développer avec l'apparition de jeunes cadres d'entreprises capables de payer entre 30 et 50 $
de loyer mensuel pour une maison ou un' appartement. 104 Une fonne spécifique de marché
locatif existe toutefois depuis longtemps, celui des pensions ou nhà trç. Destiné à l'origine
aux voyageurs de passage à Hanoi ou, le plus souvent, aux étudiants, ces pensions sont situées
près de la gare de chemin de fer et les gares routières ainsi qu'aux environs des universités. Le
plus souvent, le propriétaire d'une maison construit une extension pour la location. Une pièce
de 15 à 20 m 2 se loue entre 18 et 22 $ le mois. Les pouvoirs publics s'inquiètent de voir que
ce type de logement est désonnais recherché par des ouvriers venus de la campagne chercher
un travail ainsi que par des couples ne souhaitant plus partager le logement familial. 1D5

Quant au marché locatif à destination des résidents étrangers, il a également fortement baissé.
La baisse est intervenue en deux temps. Dès le second semestre 1996, les étrangers prêts à
payer les loyers excessifs du début des années 1990 se sont fait moins nombreux.
L'augmentation du stock et de la qualité des logements pennit à la concurrence de jouer. Il
faut ajouter à cela que les premiers immeubles d'appartements construits par les promoteurs
étrangers sont apparus (illustration 4-2). On en comptait une dizaine à Hanoi en ·1997. Ils
proposaient en général des appartements entre 2000 $ (studio) et 6000 $ (4 pièces). Bien que
..... -
plus chers que les logements vietnamiens, la qualité. des constructions et des services y était
très supérieure. Ils attirèrent des diplomates et directeurs d'entreprises qui recherchaient avant
tout la sécurité et le confort. Ils contribuèrent ainsi à la baisse des loyers des villas, souvent
mal conçues, construites dans les années précédentes. En juillet 1997, les experts immobiliers

1D3 Nous reviendrons sur le calcul de ce dernier prix mais on peut noter qu'il' est nettement inférieur au prix du

marché (chap.7).
104" Bouse for rent ", Vietnam economic news, n.4.1999, p33.
105 Ces informations sont contenues dans J'article" Tran tro chuyên nhà lrÇl " [Le tounnent de la question des

pensions], Kinh Té' & Dô Th!. 26.2. J999.

148
de la capitale estimaient que les loyers avaient baissé de 30 à 40% par rapport à 1996. Les
loyers des maisons de trois étages passèrent de 3000 ou 4000 $ en 1996 à 1500 ou 2000 $ en
été 1997. Les prix allaient encore chuter fin 1997 lorsque les premiers effets de la crise
financière régionale se firent sentir. D'importants contingents de résidents étrangers
originaires des pays asiatiques quittèrent la capitale lors de l'arrêt des activités de leurs
entreprises. Les propriétaires vietnamiens essayèrent de maintenir les prix des loyers durant
quelques mois mais, devant la multiplication des maisons à louer, les prix chutèrent très
fortement durant l'année 1998. En 1999, sur les 1600 logements ayant la licence permettant à
leur propriétaire de les louer aux étrangers, 1060, soit les deux tiers seulement étaient
occUpéS. 106 Une maison se négociait entre 500 et 800 $ par mois dans les villages du lac Tây
et les villas du centre aux alentours de 1000$.

Nous avons analysé les prix des terrains sur le marché noir sous l'angle de leur évolution
depuis le début des années 1990 et essayé d'en décrire les principales caractéristiques en
fonction de leur localisation. L'existence d'une forte déclivité des prix entre le centre et la
périphérie prouve que l'économie foncière « réelle» répond aujourd'hui aux critères de
l'économie de marché. Pourtant, officiellement, ce ne sont pas ces prix qui s'appliquent.

106" Tears and smiles ", Vietnam Economie News, n029, 1999.

149
Illustration 4-2. Villas et résidences pour étrangers à Qulmg Ba.

Ces deux bâtisses cossues reprenant des éléments des villas coloniales françaises constituent le « haut de gamme» de la
maison de rapport (haut). Elles sont destinées aux familles d'étrangers expatriés. Elles pouvaient se louer plus de 4000 $ par
mois avant 1996. Plus tard, de luxueuses résidences pour étrangers vinrent les concurrencer. Ici (bas), la résidence « Golden
Lodge» offrant de nombreux services et équipements aux locataires (bus conduisant les enfants à l'école, piscine ... ). Photos
L.P.

150
2. La chimère d'une valeur officielle du sol.

En établissant les prix officiels, les pouvoirs publics ont voulu préserver leur contrôle sur la
-
valeur des terrains. 107 Ce souci repose sur l'idée que le marché ne saurait constituer une
référence juste, notamment dans une période de transition marquée par les excès relevés plus
haut. Pour autant, le lien avec le marché ne pouvait être complètement rompu car il n'existe
pas d'autre moyen de fixer la valeur. Nous commencerons par étudier le mode de fixation des
prix officiels. Nous verrons ensuite comment sont fixés les loyers et les paiements des DUS
par les entreprises et organismes publics. Nous avons fait le choix de ne traiter ici que des prix
officiels concernant les terrains. Il existe également des prix officiels pour évaluer la valeur
des bâtiments (voir encart 4-1).

Encart 4-1. L'encadrement des prix immobiliers.


L'ordonnance de 1991 reconnaît aux propriétaires de logements le droit de les utiliser, de les louer,
106
d'y séjourner temporairement, de les hypothéquer et de les vendre. Désormais, chaque propriétaire
doit faire enregistrer sa propriété auprès du comité populaire au niveau du district. Les ventes doivent
être certifiées par un notaire d'Etat ou, à défaut, par le comité populaire. A propos des bâtiments en
multipropriété, il est seulement indiqué que la vente ne peut se faire qu'après accord de tous les
propriétaires. La location entre particuliers doit faire l'objet d'un contrat de bail certifié par les notaires
d'Etat. Les droits et devoirs des deux parties sont précisés en matière d'entretien du bâtiment et
d'arrêt de la location.

Les prix de vente et de location sont libres mais ils doivent être obligatoirement supérieurs à un prix
standard minimum à partir duquel l'Etat calcule la taxe sur les ventes et celle sur la location. Les taxes
que doivent acquitter les propriétaires lors de la vente ou de la location de leur logement sont
calculées à partir du prix déclaré dans le contrat de vente ou de bail. Naturellement, la population a
trouvé le moyen de contourner l'encadrement des prix en recourant massivement à la pratique du
double contrat. Un premier contrat, destiné au fisc, indique un loyer trés faible alors qu'un second,
réellement appliqué, indique le prix du marché.

Tableau 4-6: les prix minimums de vente de logements neufs (décret 61 C.P., 7 juillet 1994)

villa (catégorie) maison (caté~orie


1 12 13 14 1 12 3 /4
110 1120 1140 1200 90 Iso 55 140
en US$/m 2
Note: Ces prix sont nettement inférieurs à ceux du marché puisqu'en 1997, alors que les prix avaient
beaucoup baissés depuis 1994, les logements se vendaient encore à un prix moyen de 250 US$.

107 Le tenne « prix officiel» nous est propre. Les textes juridiques ne parlent que du prix des terrains sans autre

précision puisque l'Etat nie la réalité des prix du marché noir. Dans un but de clarté, nous distinguons les prix
officiels des prix de marché. Toutefois, il ne faudrait pas que l'expression « prix officiel» laisse penser que
l'Etat entend fixer le prix de chaque transaction foncière, notamment entre particuliers. Le prix officiel est le prix
auquel! 'Etat « estime» que doit avoir eu lieu !a transaction et il l'utilise donc comme référence pour prélever
J'impôt ou fixer le montant des indemnités.
108 Ordonnance du Conseil d'Etat sur le logement, 26.03.1991.

151
Tableau 4-7 : les montants minimums de loyers concernant les logements à Hanoi. (décret 61 C.P.! 7
juillet 1994)

villa (catégorie) Maison catégorie)


1 12 13 14 1 2 13 14
0,49 10,55 10,78 10,36 0,36 0,33 10,28 10,21
en US$/m 2 /mols
Note: à ces valeurs s'appliquent quatre coefficients allant de -0,20 à + 0,20 selon la catégorie de la
ville dans le classement national, la localisation dans la ville, l'étage où se situe le logement et les
conditions de desserte du bâtiment. Ces loyers minimums sont eux aussi largement inférieurs (de
moitié environ) au prix du marché.

Nous avons vu que la location aux résidents étrangers constitua une activité des plus lucratives pour
les particuliers jusqu'à l'apparition des immeubles d'appartements construits par des promoteurs
internationaux. Afin de retirer sa part de profits de cette manne, le gouvernement imposa un loyer
minimum spécifique sur les loyers versés par les étrangers aux propriétaires vietnamiens. Entre 1994
et 1996, la taxe qu'il prélevait sur ce loyer correspondait à environ 27% du loyer perçu par le
propriétaire pour une résidence de 150 m2 avec jardin mais pouvait s'élevait à 35% en tenant compte
de taxes additionnelles. Illustration de l'adage selon lequel trop d'impôt tue l'impôt, la pratique du
double contrat permit à ces derniers de contourner l'obstacle. C'est pour remédier à cette évasion
fiscale que le ministère des finances a publié en septembre 1996 un nouveau barème des loyers
perçus des étrangers. Signe de la méconnaissance des mécanismes de marché par les pouvoirs
publics, ils décidèrent d'augmenter brutalement le niveau des loyers minimum au moment même où
l'offre devenait abondante et les prix baissaient. Alors que les observateurs internationaux
s'attendaient à une hausse de 10% ou 15% du loyer officiel, la hausse devait être de plus de 100%.
Pour les meilleurs logements situés au centre de Hanoi et HCMV, le loyer passait ainsi de 9 US$/m 2 à
22 $/m2. En ce qui concerne les immeubles de bureaux, un loyer officiel unique de 40 $/m 2 /mois était
prévu au moment même où les loyers réels commençaient à baisser (voir chap. 10).

Tableau 4-8 : Les loyers officiels minimums pour les étrangers à Hanoi et HCMV. (décret 56 C.P. du
18 septembre 1996).

Localisation centre-ville Intermédiaire Périphérie


ancien nouveau ancien nouveau ancien Nouveau
loyer loyer loyer loyer loyer loyer
surfaces principales·
Villas 9 22 8 19,8 6 17,6
locaux indépendants 8 20 7 18 5 16
Appartement 6 10 5 9 3 8
surfaces secondaires
Villas 5 10 4 9 4 8
locaux indépendants 4 8 3 7,2 3 6,4
Appartement 3 6 2 5,4 2 4,8
autres surfaces
iardin, cour - 3 - 2,7 - 2,4
autre** - 5 - 4,5 - 4
en US$/m 2 /mols
• chambre, salon, bureau, salle à manger, cuisine, toilettes.
•• piscine, court de tennis.

Alors que le marché immobilier connaissait un net fléchissement, cette législation mit de nombreux
propriétaires en difficulté les obligeant à augmenter leurs loyers ou à abandonner la location.
Reconnaissant tacitement son erreur, le ministère déclarait rapidement que les taux pouvaient encore
évoluer. Pour expliquer cette erreur manifeste d'appréciation, le ministère des finances fit valoir qu'il
s'était basé sur une étude des prix du marché antérieure de 6 mois à la décision et qu'entre temps le

152
marché s'était retourné. Il devait finalement revoir à la baisse son barème lors des mesures
d'application de sa décision.

En distribuant aux propriétaires vietnamiens de nombreuses autorisations de location aux étrangers


alors même que la demande diminuait, les pouvoirs publics ont joué un rôle néfaste qui a conduit à la
chute des prix. En 1999, ils maintenaient un taux de prèlèvement trés élevè sur les locations. Prenons
un seul exemple. en raison de la compétition entre propriétaires pour attirer les résidents étrangers,
l'un d'eux loue sa maison pour 400 $/mois alors que le barème officiel l'estime à 600 $. Le service des
impôts réclamait au total 28% du loyer officiel, soit près de 200 $. Le propriétaire se voyait donc obligé
de reverser la moitié du loyer réel à l'Etat. Il n'avait toutefois pas d'autre choix s'il devait rembourser
des dettes.

Peu adapté sur le plan fiscal, le droit immobilier actuel reste peu précis en matière de relations
contractuelles entre propriétaires et locataires. L'ordonnance de 1991 et"le décret 61/CP ne font que
poser les bases d'un droit immobilier à reconstruire en totalité. Le gouvernement attend depuis des
années que le ministère de la construction et celui des finances lui soumettent un projet de loi sur
l'immobilier mais sans succès jusqu'à présent. Cette lacune constitue un frein important au
développement du marché immobilier en général mais est particulièrement handicapante en matière
de logement. Alors que la ligne politique incite à la construction de bâtiments de logement en
copropriété, aucun texte ne vient définir les droits et devoirs des propriétaires.

2.1. La fixation laborieuse de la valeur des terrains.

Les prix fonciers officiels s'appliquent lorsque l'Etat met à disposition ou loue un terrain à
une organisation, une entreprise ou un individu. Ces derniers doivent payer le droit d'usage ou
le loyer à la municipalité. Il est important d'avoir à l'esprit que le prix officiel des loyers ne
sont qu'une partie de la somme que doivent payer les concessionnaires pour disposer d'un
terrain. Si le terrain était concédé auparavant à un organisme d'Etat, le nouvel attributaire doit
payer des indemnités pour les bâtiments et pour les pertes de revenus durant la période de
déménagement, mais pas pour le terrain. En revanche, lorsque les DUS sont détenus
légalement -point important-, par des particuliers, le concessionnaire doit leur verser
intégralement le prix officiel du terrain comme indemnités en plus du loyer demandé par la
municipalité.

Les premières valeurs foncières officielles sont apparues à Hanoi en 1989" l-orsque le comité
populaire décida de faire payer la mise à disposition des DUS. 109 Comme noté précédemment,
il ne s'agissait pas d'un loyer mais d'un droit à acquitter. L'estimation de la valeur des
terrains était sans aucun rapport avec celle du marché des terrains urbains puisqu'elle était
établie à partir du rendement des terrains agricoles (voir figure 4-3).

109 Décision temporaire du comité populaire de Hanoi, sur le paiement des terrains pour la construction dans un
but de production, de service et de commerce, 1989.

153
Figure 4-3. Mode de calcul des loyers fonciers à Hanoi d'après la réglementation de
1989. .

cas sPêciaux

pr6. de. roUIe. i


prin~. 1
1 1

18

ca. spéciaux
!

!
pr6. des roUIes
princ;jpa~

12 1 1
1 1
1
!
cas ,p6ciaux
1

pr6S dei rouleS


princIPales ~
,.-
6

6 1

.--- 1
1
1
~

~
2
i

~
terrain. terral/l$ nouveaux centres urbains el centre Ville
1 1

Agricoles en dehOlS de raire terrains dans la zone planifi6e


urbaine planifi6e
source: comité populaire de Hanoi, 1989, in Pham Khanh Toan. 1991. P 72'

Les nombres indiquent les coefficients appliqués à "unité de base, le prix du m 2 de terrain agricole de première catégorie dont
la valeur était fixée à 7 tonnes de paddy par hectare au prix du marché au moment de la transaction. Selon que le terrain était
situé en dehors de la zone de développement urbain, à l'intérieur mais en périphérie, ou au centre, l'unité était affectée d'un
coefficient pour déterminer le' prix du terrain (cas spéciaux: Lieux trés commerçants, vieille ville ... ). Le paiement de ce droit
s'élevait à 15% de la valeur des terrains ainsi fixée. Deux cas spéciaux: si le terrain était un étang ou un terrain inondable, le
loyer était réduit de 10 à 30% pour dix ans. Si le terrain en bordure d'une grande route était situé dans le centre ancien ou le
centre commerçant de la ville, le loyer pouvait être augmenté de 30 à 200% selon les cas.

154
La valeur obtenue par ce mode de calcul ne correspond pas à celle observée sur le marché à
l'époque. En 1989, le kilogramme de paddy valant 1000 dôngs, l'unité de base était donc de
700 grammes/m2 • En prenant le cas le plus favorable d'un terrain dans le centre et en façade
d'une rue importante, on obtient le prix suivant:
700 x 18 = 12 600 dôngs/m 2
(soit un peu plus d'un dollar).

D'un autre côté, une enquête effectuée en 1991 sur 38 transactions à Hanoi montrait que le
prix du marché variait en moyenne entre 24 $/m 2 et 164 $/m 2 selon que le terrain était situé en
façade d'une route où en retrait (Ph:;un Khanh Toàn, 1991, p 94).

En novembre 1993, quatre mOlS après l'adoption de la loi foncière, un premIer barème
national des prix officiels fut publié. IIO Il distinguait 5 types de terrains:
• les terrains agricoles à récolte annuelle,
• les terrains agricoles à récolte pluriannuelle,
• les terrains ruraux résidentiels,
• les terrains ruraux résidentiels à proximité des villes, des bourgs, des carrefours routiers
principaux, des commerces, des sites touristiques et industriels,
• les terrains urbains.

Ces derniers étaient classés selon les 5 catégories d'agglomérations. Pour chaque catégorie, 4
niveaux de voies étaient défInis ainsi que 4 localisations par rapport à la voie. Nous
présentons les prix pour les villes de la première catégorie à laquelle appartient Hanoi (tableau
4-9). Toutes les rues de la capitale sont classées en 4 catégories selon leur gabarie. Une même
rue peut changer de catégorie selon les secteurs.

Tableau 4-9. Les prix officiels des terrains urbains en 1993 ($/m 2 ).
Niveau de rue Position 1 Position 2 position 3 Position 4
1 460 276 138 46
2 270 162 81 27
3 180 108 54 18
4 90 54 27 9
.
Taux de conversion 1994 : 1 dollar = 10 000 dongs.

L'année 1993 correspond à la période de fièvre foncière. Les prix dans la vieille ville
atteignaient 2000 $/m 2 alors que le maximum prévu dans le barème est de 460 $/m 2 . L'écart
est un peu moindre pour les terrains les moins chers. Ils s'échangeaient aux environs de 150

155
$/m 2 sur le marché contre 90 $/m2 au pnx officiel. Le fait que le barème officiel soit
manifestement très inférieur aux prix du marcM constitue sans doute la raison pour laquelle il
fut remplacé très rapidement. En effet, dès août 1994, le gouvernement publiait un nouveau
barème, augmentant sensiblement les prix officiels. III Les critères du décret de 1993 étaient
conservés mais l'Etat fixait désormais des prix minimums et maximums entre lesquels les
provinces et municipalités devaient établir leur prix. En outre, des coefficients multiplicateurs
allant de 0,8 à 1,2 pouvaient être affectés aux pri~ en fonction des possibilités de profits et du
niveau d'équipement en infrastructures du terrain. Les prix de 1993 devenaient les prix
minimums et les prix maximums étaient près de 3 fois plus élevés (tableau 4-10). La
municipalité de Hanoi a élaboré son barème en novembre 1994 (tableau 4-11 ).112

Tableau 4-10. Prix officiels des terrains dans les villes de première catégorie en 1994
($/m 2 ).

catégorie terrains ayant terrains ayant terrain sans terrain dans une
une façade sur une façade sur accès direct à la impasse
de rue
une route ou rue une ruelle ruelle
prix prix prix prix prix prix prix prix
mini. maxi. mini. maxi. mini. maxi. mini. maxi.
1 460 1 150 276 690 138 345 46 115
2 270 675 162 405 81 202,5 27 67,5
3 180 450 108 270 54 135 18 45
4 90 225 54 135 27 67,5 9 22,5

110 Décret 80/CP du 6.11.1993.


111 Décret 87/C.P du 17/8/1994
112 Décision 2951/ QD-UB du 8 novembre 1994.

156
Tableau 4-11. Les prix fonciers officiels en ville (i.e. à l'intérieur des districts urbains)
à Hanoi, de novembre 1994 à septembre 1997. ($/m 2 ).

localisation catégorie positions


de voies
terrains ayant terrains ayant terrain sans accès terrain dans
une façade sur une façade sur direct à la ruelle une impasse
une route ou rue une ruelle
centre ville 1 980 686 343 195
2 575 402 202 115
3 380 266 133 67,5
4 190 133 66 45

secteurs à 1 575 402 202 115


proximité du
centre
2 380 266 133 67,5
3 190 133 66 45
4 114 79 38 22,5
..
Note: la différence entre centre ville (trung tam) et secteurs a proximite du centre (c~n trung tâm) est
A

assez subtile. A la lecture des rues comprises dans chaque secteur, on peut dire que la définition du
centre-ville retenue ici correspond à l'ancienne ville coloniale. Elle englobe le district Hoàn Kiêm, la
partie est du district Ba 8inh jusqu'au mausolée Ho Chi Minh, le district Hai Bà TrLtng jusqu'au
boulevard 8é;li Co Viêt, et le district 86ng 8a jusqu'à Kim Liên au sud et Giàng Va à l'ouest (voir carte
4-2).

Les modifications intervenues entre 1993 et 1994 illustrent les hésitations des pouvoirs
publics sur la marche à suivre pour définir les prix officiels. Il semble qu'ils aient refusé, dans
un premier temps, de tenir compte des prix du marché en fixant un prix délibérément bas.
Leur position évolua en quelques mois pour rapprocher les prix officiels des prix du marché.
D'après nos entretiens avec des responsables du département de l'administration foncière,
aucune étude des prix du marché ne fut effectuée avant de fixer les prix officiels. Les
ministères concernés - finance, construction, département de l'administration foncière, plan et
investissement - se sont seulement réunis et ont arrêté le barème en fonction de leurs intérêts
et de leur connaissance intuitive du marché.

La comparaison des prix officiels fixés en 1994 avec ceux du marché en 1995 montre que les
seconds étaient entre 1,5 et 2,6 fois plus élevés (tableau 4-12). L'écart le plus grand se
trouvait dans la vieille ville où le prix officiel de 980 $ apparaît encore très nettement
inférieur aux 2000 $ constatés sur le marché.

157
Tableau 4-12. Comparaison entre les prix administrés et les prix du marché en 1995
à Hanoi ($/m 2 ).

n° Localisation prix officiels prix du marché coefficient multiplicateur


(8 nov. 1994) 1995 entre les prix officiels et
les prix du marché
1 district Hoàn Kiêm : 980 2730 2,78
rues Hàng Ngang, Hàng E>ào, Bà
Triêu (Btl Ho)
2 district Ba E>lnh : rue Ngçc Hà 380 900 2,36

3 district Hai Bà Tru'ng : 380 900 2,36


rues TnJonQ E>inh, Mai HLldna
4 district E>6ng E>a: 380 590 1,5
secteur Kim Lién: rue TnJàna Chinh
;.
Note: nous avons relevé( les priX offiCiels qUi correspondaient aux catégories des rues étudiées par
l'enquête de 1995. En ce qui concerne la position, nous avons retenu la première position, celle des
terrains en bordure de la voie.
Source: comité gouvernemental des prix et département général du foncier.

CARTE DE LOCALISATION

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UMR Regards CNRS-IRD et VTGEO-Hanol

158
Malgré, ou grâce, à cette sous-estimation, le barème national allait connaître une grande
longévité puisqu'il était toujours en vigueur en 2000. La baisse des prix du marché lui a, de
fait, donné la pertinence qui lui manquait à sa création. Ainsi, en septembre 1997, la ville de
Hanoi révisait sa grille de prix à la baisse tout en restant dans le cadre fixé par le barème de
1994 (tableau 4_13).113 Le rapprochement des prix officiels et des prix du marché s'est
effectué progressivement. Les prix officiels restent toutefois très inférieurs au niveau du
marché dans certains secteurs. Dans le centre-ville de Hanoi ou d'HCMV, une différence de
30 à 40% peut parfois exister.

Au-delà du rapprochement des prix officiels et des prix du marché, on note une évolution
dans les critères de classification utilisés. Les critères de 1994 distinguant le centre ville des
secteurs alentours manquait de pertinence et de précision. Ils ont été remplacé par un
affmement des catégories de rues (8 au total). Ce mode de détennination des prix pose
beaucoup de problèmes pratiques. On peut toutefois se demander si la recherche de critères
pennettant de " coller" aux différences de prix constatées sur le marché n'est pas vaine.

Tableau 4-13. Les prix officiels en ville (i.e. à l'intérieur des districts urbains) à Hanoi.
depuis septembre 1997. ($/m 2 ).

Catégorie Niveau Position 1 Position 2 Position 3 position 4


de rue
Catégorie 1 A 845 338 203 122
B 672 269 161 99
Catégorie 2 A 543 217 130 78
B 435 174 104 63
Catégorie 3 A 348 226 84 50
B 278 112 67 41
Catégorie 4 A 190 76 46 28
B 133 53 32 19
.
Note: 1$=11600 dongs.
Les critères de classification ont changé par rapport au barème de 1994. Les 2 secteurs centre-ville et
secteurs à proximité du centre ont disparu au profit d'une nouvelle subdivision. Les 4 catégories de
rues sont désormais divisées en 2 niveaux A et B. On obtient ainsi 8 degrés de classement des rues.
En outre, le critère de position est devenu plus précis.
Position 1 : terrain possédant au moins un côté contigu à la rue.
Position 2 : terrain en bordure d'une voie d'accès à la rue d'au moins 3,5 m de large.
Position 3 : terrain en bordure d'une voie d'accès à la rue d'une largeur de 2 à 3,5 m.
Position 4 : terrain en bordure d'une voie d'accès à la rue d'une largeur inférieure à 2 m.

IJJ Décision 35191 QD-UB du J " septembre 1997

159
Pour aller plus loin, on peut s'interroger sur l'intérêt même de conserver un système de prix
officiels. Conserver un prix bas pennet en principe de réduire les dépenses lors de
l'indemnisation des habitants, notamment lors des travaux d'élargissement des rues en ville,
mais nous verrons que cela ne se passe pas toujours ainsi en raison de l'opposition des -
personnes déplacées. D'un autre côté, le maintien d'un prix officiel bas entraîne un manque à
gagner fiscal puisque le prix officiel est utilisé comme assiette des impôts fonciers. Pour des
raisons de bonne gestion des finances publiques, il est souhaitable que les prix officiels et de
marché se rej oignent à terme.

En attendant, la coexistence de prix officiels et de prix de marché a des conséquences très


néfastes sur l'économie du pays. Prenons le cas des hypothèques de terrains. 114 Lorsque le
détenteur d'un droit d'usage du sol souhaite l'hypothéquer auprès d'une banque, celle-ci
applique le prix officiel des terrains pour en estimer la valeur. Il s'agit là d'une pratique qui
n'est pas "totalement" légale. En effet, le décret 87/CP qui fixe les prix officiels énumère
tous les cas dans lesquels ils doivent s'appliquer (calcul des impôts, loyers, indemnisations ... )
sans mentionner l'évaluation des terrains pour hypothèque. Mais il n'est pas non plus
explicitement écrit qu'il est interdit d'utiliser les prix officiels dans ce dernier cas. Les
banques ont donc pris l'habitude de les utiliser pour leurs estimations. La Banque d'Etat du
Viêt-nam a défini en 1999 une politique du crédit qui vise à protéger les banques contre
l'insolvabilité des emprunteurs. Elle précise que les prix officiels des terrains s'appliquent
pour déterminer leur valeur hypothécaire. l1S Ceci apporte une certaine garantie aux banques
puisque les prix officiels sont en général inférieurs aux prix du marché. Dans le cas inverse,
les prix du marché peuvent toutefois être utilisés. En outre, les banques n'accordent des prêts
qu'à hauteur de 70% de la valeur estimée des terrains.

Si l'on prend l'exemple d'un particulier qui souhaite hypothéquer un terrain dont la valeur sur
le marché est de 100 000 dollars mais la valeur officielle de seulement 60% de ce prix, soit
60 000 dollars, il ne pourra emprunter qu'un maximum de 42 000 dollars (70% de 60 000),
soit moins de la moitié de la valeur réelle du terrain. En revanche, dans l'hypothèse où
l'emprunteur ne pourrait rembourser ses dettes, la banque est autorisée à revendre son terrain
aux enchères, donc au prix du marché. On comprend incidemment pourquoi les particuliers ne

114 Un article de presse pose particulièrement bien ce problème: "Kh6 thé châp quyén sir dllng dâl " [Les

difficultés pour hypothéquer les DUS], Thiri Mo kinh tê'Vi~t Nam, [Le temps économique du Viêt-nam]
17.11.1999,p Il

160
recourent que très rarement au système bancaire officiel pour faire des emprunts! La réponse
des banques est de dire que la valeur marchande d'un terrain est éminemment subjective et
qu'elles ne peuvent s'appuyer dessus dans leurs estimations.

L'inadaptation des prix officiels aux mécanismes économiques pose en définitive la question
de l'absence d'une structure institutionnelle de l'évaluation foncière qui apporterait des
garanties sur la valeur marchande des terrains. Il faudra sans doute du temps avant que la
culture de marché gagne l'ensemble des acteurs économiques. En outre, déterminer la valeur
marchande d'un terrain est une question qui, même dans les pays les plus développés, reste
sujete à débats puisqu'il n'existe pas de méthode scientifique permettant une estimation
· . 116
ob~ectIve.

2.2. L'instrumentalisation des loyers fonciers.

En ce qui concerne les organismes et entreprises nationales, le prix officiel sert de base au
calcul des loyers et des paiements des DUS. Le montant annuel des loyers des DUS est fixé à
0,7% du prix officiel pour les activités commerciales, de tourisme, les télécommunications la
finance et les autres services et à 0,5% pour les activités de construction, de production et de
transport. 117 En économie foncière, ces taux constituent pour la municipalité les taux de
rendement attendus de l'immobilisation des terrains. En France, ils sont généralement de 3%
pour les projets de logements sociaux et de 5% pour les autres activités (Deléglise, 1996).
Prendre un terrain à bail pour 65 ans au taux annuel de 5% et le payer en une fois revient au
même que de payer le prix d'achat du terrain. Au Viêt-nam, dans cette hypothèse d'un bail de
65 ans, le " loyer capitalisé" ne représenterait que 10% de la valeur officielle du terrain (sans
tenir compte des réductions). Les taux vietnamiens sont donc très bas. Il s'agit sans doute
d'un choix- de l'Etat qui souhaite protéger l'appareil productif public ainsi que ses
118
administrations. En revanche, pour les provinces et les municipalités, qui sont les

115" SBV proposes new measures on loan guarantees ", Vietnam News, 15.1.1999.
116 Voir à ce sujet, la publication de l'ADEF, 1994.
117 Des réductions sont accordées lors du paiement en avance de plusieurs années dans la limite de 30% de la
valeur du bail. Durant la période de construction, les loyers sont également réduits de 50%.117 Il est également
possible aux pouvoirs publics d'exempter certaines projets du paiement des loyers lorsqu'ils sont jugés
politiquement prioritaire.
118 Dans un article s'inspirant de l'approche néo-marxiste de David Harvey, Fulong Wu (1997, p 652 et 660)
parle de « rent gap» pour décrire cette même différence entre les loyers réclamés aux entreprises publiques
chinoises et la valeur réelle des terrains.

161
principales bénéficiaires des loyers fonciers, les ressources ne sont pas à la hauteur de la
valeur réelle des terrains.

Le paiement des DUS par les entreprises construisant des logements et aménageant des
quartiers d'habitat constitue un cas particulier. Elles ne louent pas les DUS mais se les font
concéder avant de les transférer une fois bâtis. Le coût de la cession des DUS est
intégralement celui du prix officiel des terrains. Il est normal qu'elles" achètent" les terrains
puisqu'elles les" revendent" aux particuliers une fois aménagés. Toutefois, le mécanisme
administratif de cession des DUS cache en réalité un véritable marché des terrains à
aménager. Pour ces entreprises qui exercent en fait le métier de promoteur, le terrain est un
élément consubstantiel de leur production. 119 Elles ne s'installent pas sur un terrain pour
conduire leurs activités mais transforment ce terrain en un produit dont la vente conditionne
leurs bénéfices et donc la pérennité de leurs activités. Elles ne sont donc pas prêtes à
s'installer sur n'importe quel terrain que l'administration leur propose. C'est au contraire elles
qui recherchent les meilleurs terrains, soit les mieux situés et les plus compatibles avec les
produits immobiliers qu'elles veulent commercialiser. Ces terrains étant peu nombreux, les
entreprises d'aménagement et de construction entrent en compétition pour se les approprier.
Elles se retrouvent ainsi sur un marché. Le prix officiel de la cession des DUS ne peut refléter
l'état de l'offre et de la demande sur ce marché. En plus de ce prix, les entreprises négocient
secrètement des accords avec les attributaires antérieurs des terrains. Tous ces acteurs étant
des entreprises ou des institutions publiques, le marché sur lequel elles se rencontrent est de
nature éminemment politique. On ne discute pas nécessairement des sommes d'argent mais
aussi des contreparties pour obtenir tel ou tel contrat ou, par exemple, la construction de
logements gratuits pour les cadres de l'entreprise déplacée. Ces contreparties constitue le
shadow priee (prix de l'ombre ou valeur cachée) fréquent dans les économies socialistes.

Un tel marché des terrains à aménager n'existe pas forcément en permanence, il peut
apparaître à l'occasion de la mise en œuvre d'une politique sectorielle. Par exemple, la
décision prise en 1998 par le comité populaire de Hanoi de déplacer les entreprises polluantes
installées dans les arrondissements centraux de Hanoi crée de nombreuses opportunités
foncières pour les entreprises de promotion. Elles démarchent secrètement les entreprises
concernées pour reprendre leurs terrains. Une fois l'accord obtenu, les deux parties

119 Nous détaillerons la nature des activités des entreprises publiques d'aménagement et de construction dans la

troisième partie (chapitre 9).

162
demandent, toujours infonnellement, au comité populaire de Hanoi d'effectuer les transfert
administratif des DUS de l'une à l'autre.

En ce qui concerne les entreprises à capitaux étrangers, le pnx officiel des terrains ne
s'applique pas pour fixer les loyers des baux qui leur sont concédés. Les premières années de
l'ouverture aux investissements étrangers, les municipalités et le comité d'Etat pour la
coopération et les investissements (CECI, remplacé par le ministère du plan et de
l'investissement en 1996) fixaient les loyers sans référence à aucun barème. Les loyers étant
simplement négociés avec les investisseurs, des disparités et des abus ont été constatés. Les
loyers purent atteindre 43 $/m 2 par an dans le centre de HCMV contre 20$/m 2 dans le centre
de Hanoi. Ces loyers excessifs profitaient plus aux municipalités qu'au gouvernement et
constituaient un frein aux investissements étrangers. 120

Le ministère des finances élabora un premier barème de loyers de base en 1992 fixant un prix
I21
minimum de 2,25 $/m 2 et un prix maximum de 18 $/m 2 • Il furent abaissés une première fois
en dé'cembre 1994 (tableau 4-14), puis à nouveau révisés à la baisse en 1998 (tableau 4-15).

12D Bien que dans les sociétés à capitaux mixtes, Je loyer soit payé par la partie vietnamienne sous forme de

participation au capital, c'est en fait le partenaire étranger qui finance la location des terrains. Nous reviendrons
ultérieurement sur cette question dans notre analyse du fonctionnement de la production immobilière
internationale (partie 3).
121 Décision 51! TC-TCT du ministère des finances, 10.92.

163
Tableau 4-14. Les loyers des terrains urbains pour les investisseurs étrangers entre
le 1.1.1995 et le 24 février 1998 ($/m 2 /an).122
Catégorie de villes' Lover minimum Lover maximum
1 1.70 13.60
2 1,50 12
3 1,125 9
4 0,75 3

Tableau 4-15. Les loyers des terrains urbains pour les investisseurs étrangers depuis
le 24 février 1998. ($/m 2 /an).123 .

Catégorie de villes' Loyer minimum Lover maximum


1 1,00 12,00
2 0,80 9,60
3 0,60 7,20
4 0,35 4,20
5 0,18 2,16
• Les villes vietnamiennes sont classees en 5 categones, HanoI et HCMV sont les seules villes de première catégorie (voir
chapitre 5).

Le calcul des loyers s'effectue ainsi :

loyer = loyer minimum x coefficient x coefficient x coefficient


de localisation d' infrastructu res de secteur industriel

La somme de cette opération ne peut dépasser le loyer maximum. Les coefficients de


localisation sont de 3, de 2,5 , de 2 et de 1 selon que le terrain se trouve en bordure d'une
importante voie de communication avec des conditions très favorables de rentabilité de la
production ou des services (coefficient 3) ou qu'il est situé en retrait d'une voie peu passante
(coefficient 1). De manière surprenante mais foncièrement pragmatique, le niveau des prix sur
le marché noir intervient également pour déterminer le coefficient de localisation adéquat. Les
coefficients d'infrastructures tiennent compte des conditions de transport ainsi que des
réseaux électriques et d'eau potable. Les coefficients sont de 2 ;1,7; 1,4 et 1. Enfin, les
coefficients de secteur industriel visent à privilégier les industries lourdes (sidérurgie et
métallurgie, chimie, pétrochimie), la production agricole, les travaux d'équipement
(électricité, eau potable, routes, ponts ... ), les constructions d'écoles, de quartiers résidentiels,
et de zones d'activité industrielles (coefficient 1). A l'inverse, le tourisme, le commerce, les
hôtels, restaurants, activités financières et d'assurance et la promotion immobilière (à
l'exception des projets résidentiels) sont des activités jugées hautement rentables qui doivent
se voir appliquer le coefficient 2. Le coefficient 1,5 est appliqué aux autres secteurs.

122 Décision 1417-TC/TCDN du ministère des finances, 31.12.1994.


12] Décision 179-1998-QD-BTC du ministère des finances, 24.02.1998.

164
Ainsi, un projet d'hôtel dans le centre de Hanoi sur un terrain disposant de toutes les
infrastructures se voit appliquer le loyer annuel maximum :

Loyer = 1$/m2 x 3 x 2 x 2 = 12 $/m 2 .

Contrairement à ce qui se passe pour le loyer des entreprises nationales, le montant capitalisé
des loyers correspond approximativement à la valeur officielle des terrains. Un loyer de
12 $/m2 pendant 50 ans revient à 600 $/m 2 , ce qui se situe dans le haut du barème des prix
officiels des terrains.

On pourrait penser que le barème officiel limite au moins les loyers au montant maximum de
12 $/m2 • Ce n'est pas le cas car une clause prévoit que dans des conditions particulièrement
favorables de profitabilité, un accord entre les parties peut intervenir pour fixer un loyer
supérieur au loyer maximum du barème. 124 A l'inverse, des réductions de 20% du loyer
peuvent être consenties pour les investissements dans les travaux d'infrastructure ou les zones
industrielles. Le paiement en une fois de nombreuses années de loyer donne également droit à
une réduction allant jusqu'à 30%. De fait, les conditions favorables de loyers sont une mesure
très utilisée par le gouvernement pour inciter les investissements étrangers depuis qu'ils se
sont considérablement réduits dans la foulée de la crise financière régionale de 1997.

Malgré la grille et les coefficients officiels, le processus de fixation du montant des loyers
relève surtout d'une négociation entre les investisseurs, les comités populaires et le
gouvernement. 125 A ce titre, le cas des investisseurs dans l'immobilier est particulier. Les
promoteurs étrangers agissent de manière similaire aux promoteurs nationaux. Ils recherchent
les meilleurs terrains pour optimiser le taux de profit de leur opération. Ils se retrouvent ainsi
sur le marché très politique des terrains susceptibles d'accueillir une tour de bureau ou un
hôtel. Ils prennent langue avec les organismes ou entreprises détenteurs des DUS sur les sites
qu'ils convoitent et leurs proposent de créer une joint-venture immobilière. De la capacité du
partenaire vietnamien à obtenir le soutien politique du gouvernement et du comité populaire
dépend la réussite de l'opération. Pour y parvenir, le partenaire étranger doit payer un " prix
politique" aux diverses institutions concernées.

124 Article 10 de la décision 179- 1998-QD-BTC.


125 Pour détenniner les différents coefficients, il est stipulé dans les textes officiels que les comités populaires de
province ou des grandes villes doivent suivre les recommandations du ministère de l'investissement et du plan
qui peut, s'il le désire, demander l'avis du ministère des fmances.

165
Nous voudrions conclure cette section sur un problème qui devrait se poser prochainement au
Viêt-nam. Depuis la révision de la loi foncière en 1998, il est possible aux entreprises et
organismes publics de payer en une fois leur loyer sous la forme d'un droit de bail. Cette
possibilité s'accompagne d'un droit de « revente» du bail sous certaines conditions. Même si
cette pratique n'est pas encore développée, elle modifierait profondément le sens du paiement
des DUS. Celui-ci ne serait plus similaire à un prélèvement administratif déconnecté de la
valeur réelle du bien mais correspondrait à un prix sur lequel des acheteurs et des vendeurs
s'accorderaient. Comment l'Etat garderait-il le contrôle des valeurs foncières dans cette
situation? La solution adoptée en Chine est intéressante. Contrairement à l'approche
empirique du Viêt-nam, la Chine a conservé une base théorique pour fixer ses prix officiels
mais le réalisme imposa qu'elle y incorpore des composantes du prix du marché (encart 4-2).
En particulier, le coût des indemnisation est directement intégré dans le calcul du bail. Au
Viêt-nam, en revanche, le fait que le coût des indemnisations intervienne en supplément du
loyer pose problème.

166
Encart 4-2. La fixation du prix des baux fonciers en Chine.
A la différence du Viêt-nam, la Chine adopta dès le départ le régime de baux emphytéotiques
(paiement en une fois des loyers). Le prix du loyer doit donc être compris comme le prix de vente du
bail. Il existe théoriquement deux modes de fixation du prix du bail: l'adjudication et la négociation. Le
premier aboutit à un véritable prix de marché mais il n'est utilisé qu'exceptionnellement. Nous nous
intéressons donc plus particulièrement à la méthode de la négociation telle qu'elle est décrite par Ling
Hin Li et Anthony Walker (1996). Entre 1981 et 1988, les "land-use tees" étaient fixées par les
municipalités des villes côtières qui en conservaient la plus grande partie. Pour mettre fin aux abus et
aux disparités constatées, ainsi que pour retirer plus de revenus de la commercialisation des baux, le
gouvernement chinois a instauré les prix fonciers de référence (benehmark priee) en 1989. Shenzhen
fut la première ville à les établir en 1990. Le prix de référence du bail est fixé par les municipalités en
ajoutant au prix officiel des terrains (fixé par ün barème) ceux des infrastructures et du relogement des
occupants du site (indemnisations). Ce dernier prix est variable selon la localisation du terrain dans le
126
centre ou en périphérie. A partir de ce prix de référence, les pouvoirs publics et les acheteurs
potentiels évaluent le prix de base de la transaction. Ils le font séparément en tenant compte des
caractéristiques propres du terrain et notamment des contraintes d'urbanisme qui s'y appliquent ainsi
que de l'état du marché. Enfin, les deux parties comparent leur évaluation respectives et négocient
jusqu'à trouver un accord sur le prix de transaction définitif.

La fixation du prix des baux fonciers par négociation apparaît comme un long processus incorporant
des conceptions différentes de la valeur foncière. L'approche par les coOts de production reste la
méthode prédominante d'évaluation des valeurs foncières. Ceci apparaît clairement dans le calcul du
prix de référence par addition des coOts d'infrastructure et des indemnisations. L'introduction de
considérations de marché dans les négociations vise à corriger l'évaluation par les coOts de
production. Malgré cela, la procédure de négociation n'aboutit pas à un prix de marché. C'est la
conclusion à laquelle sont parvenus les travaux comparant les prix obtenus après négociation avec
ceux issus des adjudications (dans ce cas, le marché peut s'exprimer puisqu'il y a compétition entre
différents acquéreurs potentiels). A Shenzhen, les prix obtenus par adjudication entre 1990 et 1992
étaient entre 4 et 7 fois plus élevés que ceux obtenus par négociation (Ling Hin Li et Anthony Walker,
1996, p 190).

Le mode de fixation des prix fonciers en Chine répond avant tout à l'objectif politique de maintenir un
certain contrOle de l'Etat sur le marché. Il ne s'agit pas d'une objectif sans pertinence dans la période
instable de la construction de "économie de marché. En revanche, il est probable que l'écart entre les
prix obtenus par négociation et les prix de marché ne sera pas tenable longtemps. Lorsque les
détenteurs de baux les revendront librement au prix du marché, les municipalités qui ont, pour des
raisons politiques, mis en vente ces baux à des prix inférieurs au prix du marché risquent de voir se
développer les achats et les ventes spéculatifs. C'est pour cette raison qu'une municipalité comme
Shanghai conditionne la revente des baux à la réalisation d'au moins 25% des projets pour lesquels
elle les a mis en vente (Ling Hin Li, 1997, P 333).

126Le prix de référence est également utilisé pour le calcul des différentes impositions foncières. A Pékin, en
1993, le prix de transfert de DUS d'un terrain à usage commercial était fixé à 540 $/m 2 • Après addition des
différents coûts supplémentaires et coefficients, le prix de référence s'élevait à 5577 $ 1m 2 (Ling Hin Li et
Anthony Walker, 1996, pIn).

167
3. Les contradictions du ca1cul des indemnisations foncières.

C'est aux futurs usagers des terrains qu'il revient de payer les indemnités foncières. Le coût
des indemnisations vient donc s'ajouter à celui du loyer payé à l'Etat pour constituer le coût
total du terrain.
Ceci nous conduit à poser deux questions :
• Comment est fixé le coût des indemnisation,~ ?
• Si celui-ci intègre le prix du terrain, alors l'addition du coût de l'indemnisation et du loyer
foncier ne revient-elle pas à faire payer deux fois le terrains?

Dans les pays à économie de marché, l'évaluation des terrains se fait le plus souvent par la
méthode dite de la comparaison. On évalue la valeur d'un terrain à partir des ventes récentes
intervenues sur des terrains similaires situés au même endroit. C'est donc le marché qui dicte
la valeur de l'indemnisation. 127 Au Viêt-nam, la question de l'évaluation des terrains paraît a
priori sans objet puisque le prix officiel a été élaboré à cet effet. Il suffit de déterminer l'usage
du terrain et sa catégorie en fonction des différents critères objectifs (classement des rues,
distance du terrain par rapport à la voie et conditions d'accessibilité) pour obtenir sa valeur
officielle.

En principe, ce mécanisme fonctionne parfaitement en ce qui concerne les terrains urbains.


Un particulier dont la maison est vouée à la destruction par l'élargissement d'une route sera
indemnisé pour la perte de son terrain et celle de son logement. 128 Dans les faits, les personnes
contestent souvent l'évaluation officielle car elle est inférieure au prix du marché et réclament
de manière informelle des aides complémentaires. Le fossé entre les prix de marché et les prix
officiels est la source des grandes difficultés rencontrées pour libérer les terrains urbains (nous
reviendrons ~ur ce point dans le chapitre 6). En ce qui concerne les terrains urbains destinés à
un usage autre que le logement, le fait qu'ils soient cédés à bail ou contre le paiement des
DUS simplifie également l'évaluation. Les organismes ayant payé sur leurs fonds propres le
loyer pour plusieurs années sont indemnisés des loyers pour les années postérieures à la

127 Le recours au marché n'est pas une solution aussi simple qu'elle en a l'air car un même terrain peut avoir une
valeur différente selon l'usage que l'on veut en faire. "Lorsque l'on évalue un terrain, ce n'est pas le terrain que
l'on juge mais l'usage 16 plus rentable que j'on peut en faire compte tenu du droit des sols existants" (Joseph
Comby, 1994, p 9).
128 En ce qui concerne le bâtiment, le prix officiel du neuf est diminué en fonction de J'âge du bâtiment. On
obtient ainsi sa valeur résiduelle.

168
récupération des terrains. Dans le cas de la mIse à disposition onéreuse des DUS, ils sont
remboursés de la somme qu'ils ont payé. Outre l'indemnisation des terrains, les organismes
recevront des indemnisations pour les biens immobiliers et les outils de production perdus,
ainsi que des indemnités pour les pertes de production causées par le déménagement (voir·
figure 4-4).

Figure 4-4. Les composantes du coût.des indemnisations et le mode d'indemnisation


selon le type de terrain.

Indemnisation des Indemnisation des fonds Subventions Mode

~Terrains récupérés
terrains investis sur le terrains d'indemnisation

Terrain agricole. Paiement des DUS au Paiement d'une année de -Valeur de 30 kg de riz par mois De préférence
prix officiel des terres production des culturels par personne déplacée pendant échange de
agricol~s .. annuelles. Paiement de la 6 mois. terrains. Sinon,
valeur des arbres au -Formation des agriculteurs argent comptant.
moment de l'indemnisation. devant changer d'emploi.
Aide à l'augmentation de la
production sur les terrains
restants. Subventions
individuelles d'ordre socio-
politiques.
Terrain résidentiel Paiement des DUS au Paiement de la valeur Valeur de 30 kg de riz par mois De préférence,
rural. prix officiel des terres résiduelle de l'habitation. par personne déplacée pendant échange de
rurales. 6 mois. Subventions terrains.
individuelles d'ordre socio-
politiques.
Terrain résidentiel Paiement des DUS au Paiement de la valeur Valeur de 30 kg de riz par mois Dans les centres
urbain. prix officiel des terres résiduelle de j'habitation. par personne déplacée pendant ville: de préférence
urbaines. 6 mois. argent comptant ou
Subventions individuelles autre logement. En
d'ordre socio-politiques. dehors des centres,
offre de lot à bâtir
ou de loqement.
Terrain d'activités Remboursement Indemnisation des Entreprises: dédommagement Argent comptant.
des entreprises et des loyers payés en bâtiments et des des pertes de production. L'Etat s'engage à
organisations. avance ou paiement investissements effectués Indemnités pour perte d'emploi. attribuer un autre
des.DUS à condition sur le terrain. Organisations: terrain à
qu'ils aient été payés dédommagement de l'organisme
sur les fonds propres l'intégralité des frais de déplacé.
des organismes et non déplacement.
sur le budget de l'Etat.

En revanche, l'évaluation des terrains agricoles ne peut se faire en fonction du prix officiel car
contrairement aux terrains urbains, l'Etat refuse de reconnaître que les terrains agricoles
puissent avoir une valeur marchande. Il existe bien un prix officiel des terrains agricoles mais
il est extrêmement bas: entre 0,20 et 2 $/m 2 • Il s'agit d'un prix administré qui ne reflète pas la
valeur réelle des terrains. Il faut rappeler que les terrains agricoles sont attribués gratuitement
par l'Etat pour une durée de 20 ou 50 ans et que leurs mutations ne sont pas libres.
L'agriculture est désormais une activité économique privée mais elle se fait, en théorie, sur

169
des terrains situés hors de tout système commercial. C'est pour cette raison que la législation
préconise l'échange de terres comme mode d'indemnisation.

Malgré tout, lorsqu'il faut indemniser les paysans en espèces car il n'y a-pas de terrains de
remplacement, c'est le prix officiel qui est utilisé. 129 Il semble y avoir une évolution vers la
prise en compte de la valeur réelle des terrains. Le décret de 1998 applique un coefficient au
prix officiel afin de tenir compte desdifférertces de rentabilité des terrains. Le mode de
fixation de ce coefficient est à l'étude à Hanoi. Il est encore trop tôt pour savoir si cela va
déboucher sur une estimation marchande des terrains ou non. Des documents officiels
mentionnent à ce sujet la préparation d'une ordonnance de l'Assemblée nationale pour
l'année 2000.

La question des terrains ruraux dont l'urbanisation est planifiée pose une question d'ordre
théorique: faut-il indemniser les terrains en fonction de leur usage antérieur ou de leur usage
futur? Elle n'est pas propre au Viêt-nam. En France, le principe est d'évaluer les terrains au
prix de leur usage antérieur et non de leur usage futur (Thierry Vilmin, 1994, p 23). Toutefois,
la pratique révèle qu'un troisième prix se foITIÏe entre ces deux car les propriétaires souhaitent
recevoir une partie des plus-values de l'urbanisation de leurs terres. A partir du moment où les
paysans ont conscience que leurs terres vont rentrer dans l'économie urbaine et prendre
beaucoup de valeur, ils ont l'impression d'être spolié par une indemnisation au prix de la terre
agricole. Ainsi, un prix du "changement d'usage" se forme. Il peut être de 5 à 10 fois
supérieur à celui du prix agricole.

Au Viêt-nam, le principe de l'évaluation selon l'usage antérieur est également adopté. Le


décret de 1998 indique qu'un terrain qui est planifié pour être urbanisé, mais qui ne dispose
pas encore d'infrastructures, ne doit pas être indemnisé au prix officiel des terrains urbains
mais à celui de son usage actuel. 130 Le fait que le prix soit déterminé par un barème officiel ne
perm~t pas au marché de jouer pour obtenir un prix du changement d'usflge. Toutefois, des
entretiens avec des aménageurs nous conduisent à penser que ce prix existe bien mais qu'il est

129 En principe, l'Etat n'aurait aucune raison de verser ce prix aux paysans puisqu'il leur a attribué les terres
gratuitement. Il agit là par convention, cela ne lui coûte pas beaucoup.
130 Le décret précédent (1994) précisait que l'indemnisation se faisait en fo,?ction de )' usage auquel les terrains
avaient été affectés originellement. Ainsi, un terrain agricole qui avait été illégalement transformé en terrain
résidentiel était indemnisé à la valeur des terres agricoles. Considéré comme injuste par la population, il est
probable qu'il ne fut pas appliqué. A Hanoi, la mesure était prévue dans le texte d'application de 1995 mais avait
disparu dans celui de 1997.

170
l'objet de transactions informelles ou qu'il est intégré dans une autre composante des
indemnisations: les subventions pour réinsertion sociale.

La particularité des terres agricoles est qu'elles constituent le moyen de subsistance des
familles et non seulement le support d'un logement. Dans une économie de marché, le prix
des terres inclut cette donnée. Un agriculteur vend ses terres à un prix qui lui permet de
réinvestir dans un autre activité. Au Viêt-nam, le prix officiel très bas ne prend pas en compte
cette caractéristique. Elle fait l'objet d'un versement à part, sous forme de subventions à la
réinsertion professionnelle. L'attribution de subventions n'est pas propre aux terrains
agricoles. Mais en ce qui concerne les terrains agricoles, les subventions jouent un rôle
important car elles peuvent permettre de réintroduire la valeur marchande des terres dans un
calcul fondé sur des considérations d'ordre social ou politique. Leur calcul a évolué durant les
années 1990 en faveur des paysans. Il est fondé sur les profits engendrés par l'exploitation de
la terre. A partir de 1994 et jusqu'en 1997, l'Etat estimait ces profits à 3 à 5 tonnes de paddy
par hectare par an en fonction des catégories de terrains. La subvention portait sur 10 années
de récoltes. Chaque foyer se voyait donc attribuer l'équivalent de 30 à 50 tonnes de paddy par
hectare cultivé. A partir de 1997, le calcul fut effectué différemment. On estime tout d'abord
les revenus de la terre à 10 tonnes de paddy par hectare et par an. Le profit est fixé à 30% de
la valeur des revenus. Chaque foyer est indemnisé sur la base de 20 années de récoltes. On
obtient donc l'équivalent de 60 tonnes de paddy (l0 tonnes x 30% x 20 ans = 60
tonnes) , soit deux fois plus que le minimum antérieur. Une tonne de paddy valant 1 650 000
dôngs (prix du marché à Hanoi en novembre 1999), les subventions s'élèvent à 99 millions
de dôngs par hectare ( 9900 dôngs/m 2 ), soit 0,7 US$ par m 2 .

Nous avons cherché à savoir si un prix de changement d'usage des terrains agricoles pouvait
se dégager de l'agrégation des indemnités et des subventions. Pour ce faire, nous avons pu
nous procurer un document particulièrement intéressant: la liste détaillée des montants perçus
par chaque famille lors de la procédure d'indemnisation des terres agricoles situées sur le
projet de quartier résidentiel Trung Hoà, au sud de la ville, en décembre 1999 (voir tableau 4-
16).

17]
Tableau 4-16. Montant des indemnités perçues individuellement pour récupération
des terrains agricoles dans le cas du projet d'aménagement résidentiel Trung Hoà,
décembre 1999.

Type d'indem- Indemnisation Indemnisation Subvention de Subvention Total


nisation du terrain des récoltes reconversion spéciale de (dôngs/m 2 )
(dôngs/m 2 ) (dôngs/m 2 ) (dôngs/m 2 ) l'indemnisateur
Catégorie pour le terrain
de terrains (dôngs/m 2 )
agricoles (total:
57652 m2 )
Catégorie 1 19300 6000 13200 3200 41 700
(360 m2 )
Catégorie 2 16100 6000 13200 3200 38500
(45668 m 2 )
Catégorie 3 13000 6000 13200 6300 38500
(8757 m2 )
Hors catégorie 13000 6000 13200 3200 35400
(2867 m2 )

L'indemnisation des terrains se fait par simple application du barème officiel des prix fonciers.
Toutefois, il a été décidé ici de fixer au niveau de la catégorie 3 le prix des terrains de qualité moindre
(hors catégorie) alors que la réglementation prévoit encore des catégories 4 (9 800 dôngs/m 2 ),
5 (4 700 dôngs/m 2 ), et 6 (1 300 dôngs/m 2 ). On peut penser que les montants réglementaires des
catégories inférieures sont si bas qu'ils ont été refusés par les paysans. Le montant d'indemnisation
des récoltes a été fixé au montant unitaire de 6000 dôngs. Ceci peut surprendre quant on sait que les
textes définissent une méthode complexe et individualisée d'évaluation des pertes en fonction de la
nature des plantations. A moins que les quelques cinq hectares concernés aient tous été cultivés de
manière homogène. On retrouve la même simplification dans l'évaluation des subventions de
réinsertion. Elles ont été uniformément fixées à 13200 dôngs/m 2 • Ceci est un peu supérieur aux 9 900
dôngs/m 2 que nous avons obtenus par application du décret. Enfin, il apparaît une" subvention de
l'investisseur portant sur les terrains" (ChU aau tli hO trçJ vé aat). Nous pensons qu'il s'agit d'une
concrétisation des subventions spéciales qui peuvent être accordées à titre social par l'investisseur.
En fait, les textes restent suffisamment flous pour que cette subvention offre une marge de manœuvre
aux pouvoirs publics dans les âpres négociations menées avec les paysans. Dans le cas précis, on
observe que les subventions spéciales de l'aménageur sont plus élevées pour les terrains de
catégorie 3 que pour les autres. Nous n'en connaissons pas la raison mais le fait que cela conduise à
hisser le montant total des indemnités des terres de catégorie 3 au niveau de celles de catégorie 2
laisse supposer que les pouvoirs publics ont voulu éviter les tensions entre familles à propos d'une
différence de qualité des terres qui reste somme toute subjective. En définitive, le calcul des
indemnités s'avère plus simple et plus souple que la rigidité des textes officiels ne le prévoit.

Le calcul des indemnités se présente comme l'agrégat de quatre sous-montants:

montant total des indemnités = [indemnisation des terrains] + [indemnisation des récoltes] +
[subvention de réinsertion] + [subvention de "investisseur pour le
terrain]

Au total, le prix de l'indemnisation varie entre 2,5 $/m 2 (35 400 dôngs) et 3 $/m 2 (41 700
dôngs). C'est plus du double du prix officiel des terres agricoles (1,3 $/m 2 pour la première
catégorie). Est-ce comparable au prix que les paysans auraient obtenu en vendant leurs terres
sur le marché noir des terrains à construire? En dehors de la liste des indemnisations des

172
terrains agricoles, nous disposons également d'un extrait d'une liste de ventes de terrains bâtis
intervenus en 1998 dans le même secteur du projet Trung Hoà. Elle devait servir à fixer le
montant des indemnisations des terrains d'habitat. Les 53 valeurs dont nous disposons
concernent des terrains situés sur de très petites voies car ils correspondent à un habitat
villageois. On peut donc estimer que c'est à un prix similaire que les terres agricoles du
secteur auraient pu se vendre. Une première méthode obtient le prix du terrain en déduisant du
prix de vente la valeur résiduelle estimée' des bâtiments. On obtient une moyenne de 280 $/m 2 •
Une autre estimation, conduite par entretiens, donne des résultats en moyenne 10% plus
élevés avec un prix moyen de 305 $/m 2 • Ces prix sont 100 fois plus élevés que ceux des
indemnisations. Dans ces circonstances, l'hypothèse d'un prix du changement d'usage ne tient
plus. Il est certes probable que des transactions secrètes ont eu lieu entre l'aménageur et les
paysans et qu'elles augmentent substantiellement les sommes réellement perçues par ces
derniers mais il est peu vraisemblable qu'elles rejoignent le prix du marché.

Le total des indemnités payées par l'aménageur s'élève à 158 340 dollars, soit 2,7 $ en
moyenne (voir tableau 4-17). Sur ce total, la part de l'indemnisation des terrains est la plus
importante mais elle n'atteint pas la moitié du total. A la même période, l'aménageur d'un
autre projet, celui de Dinh Công, a également achevé une procédure d'indemnisation. Nous
pouvons comparer les deux projets même s'il faut noter que nous ne considérons que les
terrains agricoles à Trung Hoà et l'ensemble des terres (terrains agricoles, terres d'habitat... )
à Dinh Công. Au total, à Dinh Công, les indemnisations auront coûté 2,14 millions de dollars
pour un terrain de 35 hectares, soit 6,1 $/m 2 . C'est plus du double du montant moyen des
indemnisations du projet Trung Hoà. D'après l'aménageur du projet Dinh Công,
l'indemnisation des terrains seuls est revenue à 475 000 $, soit 22% du total. C'est une
proportion deux fois moindre que celle constatée à Trung Hoà (40%). Ceci l,aisse penser que
les paysans du projet Dinh Công ont mieux négocié les subventions que ceux de Trung Hoà.
.... -La durée exceptionnelle des pourparlers (trois ans) tend à confirmer que les indemnisés
occupaient, pour une raison que nous ignorons, une position de force dans la négociation.

173
Tableau 4-17. Coût total des indemnités versées par l'aménageur du projet
d'aménagement résidentiel Trung Hoà pour récupération des terrains agricoles.
Décembre 1999.

Dollars· %
Indemnisation des 63808 40.2
terrains (toutes
catéqories confondues)
Indemnisation des 24708 15.6
récoltes
Subventions de 54358 34.3
réinsertion
Subvention spéciale pour 15 116 9.5
les terrains
Total 158340 100
*Décembre 1999 : 1 dollar = 14 000 dôngs.

Nous retenons du mode d'évaluation des indemnisations qu'elles constituent pour l'entreprise
ou l'organisme usager futur du terrain un coût important, proche de la valeur réelle des terres
(à l'exception du cas particulier de terrains agricoles destinés à l'urbanisation). Dans ces
conditions, il est logique que, dans la plupart des cas, le montant des loyers soit extrêmement
bas. Il ne représente en fait qu'une sorte de taxe tandis que le prix réel des terrains est payé
lors des indemnisations. En revanche, dans deux cas, celui des entreprises aménageant des
terrains et celui des sociétés à capitaux étrangers, les loyers dus à l'Etat reflètent la valeur
réelle des terrains. Cela revient donc à leur faire payer deux fois le terrains: une première fois
sous forme d'indemnisations et une seconde fois sous forme de loyer ou de paiement des
DUS.

En août 1996, le décret sur la collecte des paiements de DUS et des loyers fonciers a été
modifié pour limiter les effets du double paiement dans le premier cas.!3l Il indique désormais
que les indemnisations par les entreprises aménageant des terrains doivent être déduites du
pàiement des DUS mais la réduction ne doit pas dépasser 60% du prix normalement dû. Les
entreprises doivent donc payer à l'Etat au minimum 40% du paiement des DUS en plus des
indemnités. Si les terrains récupérés sont des terrains agricoles, le double paiement n'entraîne
pas un surcoût très important pour un aménageur. En effet, celui-ci indemnise les terrains à
leur valeur agricole et paye les DUS à l'Etat au prix des terrains résidentiels périurbains, qui
est bien moindre que le prix des terrains urbains auquel il revendra les DUS une fois

131 Décret n044/CP modifiant l'article 1 du décret n089/CP sur le prélèvement des paiements des DUS et les

loyers fonciers, 3.08. J 996.

J74
aménagés. La somme du prix des terrains agricoles et du prix des terrains périurbains étant
inférieure au prix des terrains urbains, l'opération reste rentable pour l'aménageur. En
revanche, elle l'est beaucoup moins si le terrain se trouve en ville. Dans ce cas, le surcoût du
double paiement impose de réaliser une opération extrêmement profitable. Concrètement, cela
signifie qu'il est extrêmement difficile, dans la situation actuelle, de changer l'usage de
terrains dans les villes. La rénovation à grande échelle de quartiers vétustes se révélerait très
onéreuse pour une entreprise vietnamienrie de promotion.

Dans le cas des investisseurs étrangers, il n'existe aucune mesure visant à limiter l'effet du
double paiement des terrains. Cela peut s'avérer extrêmement coûteux si les terrains sont
occupés par des particuliers. A Hanoi, le cas le plus représentatif d'une telle situation est
fourni par le projet de l'hôtel Hilton. Le terrain était détenu par des ministères mais ils y
logeaient des familles de personnes importantes. Il a fallu trois ans de négociations et le
versement de très lourdes indemnités aux habitants (qui étaient pourtant logés gratuitement)
pour libérer les terrains. Ceci n'a nullement affecté le prix du loyer à verser à l'Etat de l'ordre
de 20 US/m 2 par an. On peut rajouter que les trois années de loyer durant lesquelles
l'investisseur a négocié les indemnités sont dues. C'est le coût à payer sur le marché politique
des terrains à bâtir.

Quel est le prix des terrains à Hanoi? Il n'existe pas une seule réponse mais plusieurs à cette
question apparemment anodine. Le marché noir, tout d'abord, fournit un prix que l'on peut
considérer comme la réelle valeur de référence. Il reflète les évolutions démographiques,
économiques et sociales de la ville. Son étude nous a notamment permis de mesurer
l'engouement de la population pour la construction de logements après 30 années de
restrictions. La position de l'Etat envers ces prix de marché est extrêmement ambiguë. D'un
côté, il refuse de reconnaître ces prix en fixant des prix officiels. Toutefois, il ne s'agit pas
d'un prix administré sans relation avec le marché mais d'un prix de référence qui repose
empiriquement sur la valeur du marché. A ce tit.re, on pourrait se demander comment l'Etat
aurait pu fixer la valeur des prix officiels si le marché noir n'avait existé. Paradoxalement, le
développement du marché noir l'a servi même s'il essaye toujours d'en annuler les variations
jugées, à juste titre, excessives. Le Viêt-nam s'inscrit en cela parmi les pays dont la culture
politique conduit les pouvoirs publics à corriger le marché. IJ2 Pour les particuliers,

132 Vincent Renard (1994, p 171) distingue trois catégories d'Etats face à la question de j'évaluation foncière:

175
l'évaluation du prix des terrains ne se fait pas au prix du marché mais elle en reflète le niveau,
ce qui est l'essentiel pour éviter les spoliations. En revanche, les loyers prélevés par l'Etat
auprès des entreprises et organisations sont très largement déconnectés de la valeur réelle des
terrains. Il s'agit d'un privilège qui devrait progressivement disparaître lorsquè le tissu
économique sera suffisamment solide pour supporter le poids réel du foncier. Au contraire, les
investisseurs étrangers payent le foncier au prix fort. Dans ce cas précis, l'Etat voit dans le
prix des terrains un moyen parmi d'autres de tirer le plus de ressources possibles des
investisseurs. Au total, en cherchant à utiliser les prix fonciers pour parvenir à des fins
différentes, l'Etat empêche toute lisibilité du marché. Il devra sans doute revoir entièrement sa
politique en la matière s'il souhaite encourager le développement économique du pays. Il est
en effet tout à fait possible de concilier la propriété collective des terres avec un marché
foncier.

les Etats qui acceptent la valeur du marché telle qu'elle est (Grande-Bretagne, Etats-Unis), ceux qui cherchent à
la corriger dans un but social (Espagne, France, Allemagne), ceux qui fixent de fait eux-mêmes le prix des
terrains en ayant le monopole de l'achat des terrains et en en conservant la propriété (Pays-Bas, Suède).

176
En une dizaine d'années, le Viêt-nam a opéré une mutation radicale de son droit en matière de
propriété foncière. La nécessité de garantir les investissements des particuliers et des
entreprises sur leur terrain a conduit à leur recormaître des droits réels de propriété: les droits
d'usage du sol. Leur contenu s'oriente aujourd'hui vers un régime de baux emphytéotiques au
sein duquel les particlÙiers auraient des droits de propriété très étendus sur leurs terres de
logement. Il persiste toutefois une méfiance de l'Etat envers la possibilité d'enrichissement
par la terre. Il cherche ainsi à empêcher la création de plus-values lors de la transformation
des terres agricoles en terrains à bâtir et veut limiter les transactions portant sur les baux
fonciers des entreprises. L'Etat recormaît certes des droits de propriétés réels mais entend en
conserver, au moins pour un temps, une gestion socialiste. L'histoire foncière du Viêt-nam
étant fondée sur la coexistence de terres collectives et de terres privées, il était sans doute
plus apte que d'autres à adopter un régime foncier associant ces deux formes ailleurs
exclusives l'une de l'autre.

Alors que la collectivisation de la terre avait été effectuée au nom de l'idéal communiste, le
Viêt-nam est parvenu à la préserver tout en en redéfinissant entièrement le contenu pour
permettre, le jour venu, le jeu du marché. Il s'inscrit dès lors dans un autre courant théorique
revendiquant la nationalisation des terres. Au 19 ème siècle, constatant l'iniquité sociale de la
propriété privée des terres, les théoriciens du socialisme libéral (notamment Léon Walras, voir
Granelle, 1970, p 35) proposèrent de nationaliser les terres et que l'Etat les mettent en
location par des enchères. Avec l'urbanisation croissante des société, il est apparu que la
propriété collective du sol pouvait permettre une meilleure gestion de l'usage des sols que la
propriété privée. l33 Le principal obstacle aux projets de nationalisation du sol tient dans les
risques de spoliation des propriétaires qu'elles présentent. Dans les démocraties occidentales,
134
cet obstacle ne fut jamais entièrement levé. En revanche, il ne résista pas aux réformes
foncières des régimes communistes, par définition peu enclins à protéger les droits des
propriétaires. Ce moment douloureux de l'histoire du Viêt-nam pourrait, par un retournement
de l'histoire, constituer une chance pour répondre aux enjeux de l'urbanisation dans les
décermies à venir.

133 Encore faut-il pour cela que l'administration foncière soit puissante (Archer, ] 994 ; Comby et Renard, 1996,
p 80).

177
La Chine avait montré qu'un régime communiste pouvait reconnaître des droits de propriété
sans perdre le pouvoir. C'est sans doute la plus grande leçon que retinrent les dirigeants de
Hanoi de l'expérience chinoise. La caution idéologique de Pékin aida les réformateurs à
emporter la décision. En revanche, la voie chinoise fut observée, disséquée mais pas adoptée.
« Le Viêt-nam n'est pas la Chine» entend-on souvent dire par les responsables politiques. La
manière dont le pouvoir vietnamien conduisit les réformes lui est propre. Loin des discours
sur la transition devant mener inévitablement au modèle des économies occidentales et tout
aussi éloigné de la rhétorique à but idéologique, le pouvoir a adopté une attitude
fondamentalement pragmatique. L'adage suivant nous paraît exprimer très exactement cette
attitude: « Cùng tcie biln, biln tcie thông » que l'on pourrait traduire ainsi: « Lorsqu'on est
face à l'inconnu, il faut avancer et la solution apparaît d'elle même. » 135 Cette idée que le
chemin à suivre se dévoile au fur et à mesure que l'on avance donne son sens au processus
instaurateur de la réforme foncière.

Deux caractéristiques essentielles de la réforme apparaissent alors. Tout d'abord, les


comportements des forces vives de la société sont le véritable « moteur» de la réforme. Ce
sont les gens, les entreprises, les établissements publics qui, confrontés à des besoins vitaux,
trouvent les moyens d'y répondre et montrent ainsi la voie. Ils agissent en fonction de leurs
besoins, de leurs intérêts et de leurs modes de pensée, toutes choses qui s'inscrivent dans une
durée bien plus longue que celle des lois et des décrets. De très mauvaises conditions de
logement, un goût pour la propriété jamais « éradiqué» par le pouvoir, une aptitude à
contourner les règlements les plus bureaucratiques sont les composantes essentielles du
moteur des réformes. Celui-ci allait prouver sa vigueur en s'emballant après des décennies
d'activité réduite et conduire à l' « explosion» du marché noir. A ce titre, la fièvre foncière
des années 1989-1995 doit être comprise comme une manifestation brutale, démesurée mais
temporaire du processus instaurateur. La seconde caractéristique de la réforme est qu'il existe
toujours un décalage entre le comportement des acteurs et les décisions de l'Etat, où si l'on
veut, entre la réalité et la loi. C'est le prix à payer pour changer de système économique mais
cela pose un problème de fond. Comment l'Etat peut-il gérer cet écart sans se discréditer et

134 Les Pays-bas sont certainement allés Je plus loin en ce sens en permettant aux communes de devenir
propriétaires des terrains dès qu'ils entrent en zone d'urbanisation (Comby et Renard, 1996, p 47).
lJ5 On peut rapprocher cet adage de la phrase déjà citée de Deng Xiao Ping pour exprimer l'idée que la direction
de la réforme foncière chinoise était connue mais pas le cheminement: il s'agissait de" traverser un cours d'eau
en marchant à tâtons sur des blocs de pierre» (Ester van Steekelenburg, ] 996, P 31).

]78
risquer l'effondrement du régime? Ceci revient à poser la question de l'institutionnalisation
des réformes.

179
PARTIE 2. APPLIQUER LES REFORMES.

Dans les pays d'économie libérale, les modifications de norme juridique ne se réalisent que
lorsque l'ensemble des acteurs de la société les appliquent et que leurs nouvelles pratiques
s'inscrivent dans la durée. A la phase d'instauration de nouvelles normes succède ainsi une
phase de « mise en vigueur» (expression prise ici au sens anglo-saxon d' enforcement). Pour
cela, l'Etat dispose d'un instrument e'ssentiel: l'administration. Elle a la charge de faire
appliquer les lois et de garantir à chacun le respect de ses droits. Lorsqu'il s'agit de mettre en
pratique une nouvelle législation, l'administration assure la continuité de l'Etat en adaptant le
cadre institutionnel. Dans les ex-pays socialistes, la situation est différente: l'introduction de
l'économie de marché ne peut s'effectuer sans solution de continuité, car il faut, dans le même
temps, reconstruire le cadre institutionnel sur des bases entièrement nouvelles. Il s'écoule
alors un laps de temps entre le moment où les anciennes règles ne s'appliquent plus et celui ou
les nouvelles entrent en vigueur. C'est alors le temps de l'informalité. Il est plus ou moins
longue durée selon la rapidité de l'Etat à se réformer. Selon l'organisation territoriale de l'Etat
au Viêt-nam, les compétences d'urbanisme et de gestion foncière incombent aux provinces.
Dans le cas particulier de Hanoi, elles reviennent au comité populaire de la ville. C'est donc le
fonctionnement de la municipalité qu'il conviendra d'étudier. Notre intérêt se portera sur la
nature de ses relations avec les autres organes de pouvoir ainsi qu'avec la population. Nous
observerons également comment l'administration municipale conduit sa réorganisation
interne pour faire appliquer le nouveau régime foncier.

Durant cette période de mutation institutionnelle, Dominique Lorrain (1995) estime que
l'action collective ne peut reposer que sur des règles interpersonnelles (figure II-l). Elles
seules permettent d'éviter la désintégration de l'économie lors de la transition entre les règles
formelles de l'économie hors marché et celle de l'économie de marché. Ces règles
interpersonnelles sont généralement celles qui régissent la société traditionnelle. Du point de
vue de l'Etat, elles sont illégales puisqu'en dehors du cadre juridique en recomposition.
Cependant, l'Etat ne s'y oppose pas car elles assurent un relatif ordre social que lui-même ne
peut plus garantir. Pour cette raison, elles doivent plutôt être qualifiées d'informelles.
L'informalité n'est pas l'anarchie mais au contraire une réponse appropriée à des besoins non
remplis par l'Etat. Il s'agit d'un système de normes aiternatif qui a ses propres lois et assure

181
un mInimum de sécurité aux citoyens. D~s son étude de 1Ïnformalité au Pérou, De Soto
(1994) a montré comment le système de normes informelles s'est créé dans les vides de la
législation. Malgré ses avantages, le système informel rencontre ses propres limites, surtout
lorsqu'il dure. Pour de Soto (1994, p 50). il maintient la population qui y recourt dans un
« apartheid légal ». LÏnformalité est une solution temporaire en attendant que des lois claires

et justes voient le jour. Ces dernières ne doivent pas nécessairement être inspirées des
pratiques informelles car celles-ci ont avan~ tout pour but de contourner une loi jugée
illégitime ou inapplicable mais rarement de la corriger pour la rendre optimale (Per Bergling,
1997, p 149).

Figure 11-1. Le passage à l'économie de marché.

Nature de la règle
économie économie développée
planifiée

légale 1 formelle

interpersonnelle
société traditionnelle économie en transition

hors marché marché

1 = passage direct à l'économie de marché développée . . .'


2 = négociation qui reconstruit l'économie et le cadre d'action à partir de relations Interpersonnelles.
Source: Dominique Lorrain, 1995.

L'informalité tire sa raIson d'être des dysfonctionnements du cadre institutionnel existant


mais ne peut s'y substituer. La réduction des pratiques informelles ne peut se faire que par la
réinsertion des acteurs économiques dans un cadre institutionnel nouveau. Le passage de la
règle interpersonnelle à la règle légale ne peut s'effectuer que par un processus très
particulier: la régularisation. Celle-ci peut concerner soit des actes contraires aux lois
antérieures mais conformes aux nouvelles soit des actes toujours jugés illégaux mais qu'il est
préférable de légaliser car leur maintien dans l'informalité nuit à la bonne gestion publique.
La régularisation apparaît alors comme une concession de l'Etat à la rationalisation de l'action
publique. Ce dernier cas est le plus intéressant car il témoigne des rapports de forces existants

182
entre l'administration et les acteurs. La plupart des acteurs ont intérêt à obtenir une
régularisation de leur situation. Toutefois, le statu quo de l'iriformalité profite plus à certaines
catégories de la population ou institutions qu'à d'autres. Celles-là n'ont pas intérêt à la
régularisation. Nous essayerons de définir les ressorts de l'informalité foncière au Viêt-nam
et les rapports de forces qui s'instaurent lorsque l'Etat entreprend de régulariser les
occupations et les usages du sol.

La modification du droit s'accompagne, au Viêt-nam d'une inflexion de la politique en


direction des forces du marché et du désengagement de l'Etat. Les bénéficiaires d'une
position privilégiée dans l'ancien système craignent de la perdre dans le nouveau. En étudiant
les transformations de la politique du logement, on peut observer clairement les tensions
sociales que provoque la conversion aux mécanismes de marché et les modifications de la
politique redistributive de l'Etat. La privatisation à grande échelle du parc de logements
publics va en effet à l'encontre des droits acquis par certaines catégories de la population. Sur
ce point, la situation de Hanoi est particulièrement délicate en raison de l'importance du parc
public de logements que gèrent la municipalité et les diverses entreprises et organisations
publiques.

183
Chapitre 5. Entre l'Etat et le peuple: la municipalité.

Au Viêt-Nam, les compétences en matière d'urbanisme et de gestion foncière appartiennent


aux provinces. Dans le cas particulier de Hanoi, le niveau provincial est confondu avec le
niveau municipal. La municipalité de Hanoi est donc un acteur-clé pour notre étude de
l'institutionnalisation des nouvelles normes foncières. Nous allons essayer de délimiter
l'étendue du pouvoir et des ressources dont dispose cet acteur dans le système politique
vietnamien. A Hanoi, en particulier, la municipalité est placée dans un contexte politique où
de multiples institutions (Parti, Armée, gouvernement, grandes entreprises) viennent
concurrencer son POUVOIr.

Administration territoriale, la municipalité est responsable de la bonne application des lois par
la population. Elle dispose pour cela de deux administrations de rang inférieur: le district et le
quartier. La relation qui lie l'Etat à la population dépend étroitement de la manière dont ces
autorités locales exercent leur pouvoir. Elles sont notamment confrontées aux pratiques
informelles. Après avoir recherché l'origine de ces pratiques, nous essayerons de déterminer
comment ces administrations de proximité les « gèrent ».

Enfin, la municipale mène une réorganisation en profondeur de son administration pour


s'adapter aux réformes du régime foncier et de l'urbanisme. Elle doit abandonner son
organisation centralisée et bureaucratique pour répondre aux besoins des acteurs privés, tout
en mettant en place des outils de contrôle efficace. Toutes les institutions ayant une force
d'inertie propre qui les conduit à freiner les changements, cette mutation ne peut s'effectuer
du jour au lendemain.

1. Un pouvoir municipal encadré et contesté.

Le territoire vietnamien est divisé en trois nIveaux d'administration territoriale chacune


constituées d'une assemblée élue par la population, le conseil populaire, et d'un organe
exécutif, Je comité populaire dont les membres sont élus par le conseil populaire (voir figure
5-1 ).

185
'0
00

ETAT CENTRAL

Villes sous administration Provinces


directe de "Elal
(Hanoi, HCMV, Hai Phong)
ID
CU
oc
o
.....
oc
....
2 ~
Districts ruraux Districts urbains
~
Capitales pro_inciales
(thilnh phOtth! d t/nh Iy) f--- ~
Districts ruraux
(huy.n)
1--
(huy~n) (qu~n).
c el villes (lhi d)
o
~

.....~
.~
c Bourgs el bourgs Communes rurales
Bourgs el bourgs
E 1Communes rurale. 1 centraux Quartiers urbains Quartiers urbains Communes rurales centraux (Xii)
"0 (xii) (lh! Wn& !hi IrSn ( phlXlng) ( phutJng) (d) (!hi IrSn& lhi trSn
cu huy~n Iy) huy~n Iy)

ID
"0
X
::J
cu
ID
o~
Zones
c urbaines
en
ID
-l
~
1
l{)

~
::J
0:
i.L
Le niveau provincial comprend soixante proVinces et quatre municipalités placées sous
l'autorité directe de l'Etat central. Les villes de Hanoi, HCMV, Hài Phàng et Dà Nang ont en
1
effet le statut de ville-province. La municipalité de Hanoi n'a donc d'interlocuteur de rang
supérieur que le gouvernement.

Le niveau des districts est composé des arrondissements ruraux des provinces (huyfn), des
arrondissements urbains (quçîn) de villes-provinces, ainsi que des villes chef lieu de provinces
(par exemple Huê) Les districts sont au nombre de 569. Ils ont joué un rôle capital dans la vie
des populations à l'époque de la collectivisation. C'est au sein du district que devait être
réalisée « l'urbanisation des campagnes» essentiellement par l'implantation d'industries dans
les chef-lieux de districts (Nguyên Duc Nhu~n, 1977, p 54; 1990) car il coordonnait les
activités des différentes coopératives. Aujourd'hui, parce qu'il n'a plus de raison d'être
spécifique, il est remis en cause par de nombreux analystes du système administratif
vietnamien (Leroy, partie II, chapitre 2). Le district urbain dans les villes-provinces peut être
comparé par sa taille et son rôle à un arrondissement des grandes villes françaises. C'est à
HCMV que les districts urbains sont les plus puissants. Ils disposent notamment de leurs
propres entreprises de constructions pour réaliser des projets d'aménagement et immobiliers.
Le rôle essentiel du district urbain est de relayer auprès des institutions locales (écoles,
organisations municipales ... ) les décisions de la municipalité. Il doit aussi veiller au respect
de la loi par les administrés et informer la municipalité des infractions constatées.

Il est important de souligner que malgré le nom de Ville de Hanoi, la circonscription


administrative municipale englobe à la fois 800 000 agriculteurs vivant dans les districts
ruraux et 1,7 millions de citadins dans les districts urbains (voir tableau 5-1). La coupure entre
le monde rural et le monde de la ville ne se situe pas au niveau municipal mais à celui des
districts. La municipalité se doit donc de mener de front une politique rurale et une politique
urbaine. A ce titre, la croissance urbaine de la capitale a pour conséquence l'augmentation du
nombre de districts urbains et la diminution de la superficie des districts ruraux (voir carte 5-
1).

1 Dans le cas de Hanoi, la dénomination officielle de la province est d'ailleurs Ville de Hanoi (rhành phô·Hâ
Nçi).

187
Carte 5-1. Districts urbains et phuèJng de Hanoi en 1999.

r-.
, .. /
.~"'j"-
Légende
• • • • terrains de districts
urbains créés avant 1995
districts urbains
\ Dong Anh crées après 1995

~.
districts ruraux

/ ..... ...... limites des districts


urbains avant 1995
~ limites de districts
( limites de phuong
limites de provinces
/
\ Tu Liem

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r A partir des fonds de carte de : Quertamp FaonY1>fogramrne


1
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N
.....
"
Périurbanlsalion daN Ja province de Hanoi·
UMR Regards CNRS-IRD el VTGEO-Hanol
l' o 2km

Les trois nouveaux districts urbains ont été constitués en associant d'anciens phuong à des communes rurales. Le qu?n Tây Hé
a été créé en 1994 en rassemblant une partie du qu?n Ba 8inh et une partie du huy~n 8ông Anh pour répondre aux besoins de
gestion de ce secteur très fortement urbanisé lors de l'explosion de la construction individuelle au début des années 1990. Le
21 novembre 1996, le gouvernement décidait de la création d'un sixième quç/n, Thanh Xuân. Ses onze quartiers s'étendent sur
plus de 900 hectares au sud de la ville pour une population de 117 863 habitants. Un septiéme qu?n, Cau Giay, a vu le jour en
juillet 1997. Il est situé à l'ouest de la ville. Au total, entre 1994 et 1997, la superficie des districts urbains a presque doublée
passant de 40 km' à 77 km'. La ville s'étendant vers l'Ouest, c'est le district rural de TÙ' Liêm qui a le plus perdu de superficie.
En ce qui concerne les phtJiJng , on distingue une évolution de leur dimension et formes depuis la ville ancienne, petits et aux
formes irrégulières, jusqu'à ceux nouvellement créés dans les nouveaux districts de l'ouest, vastes et géométriques. Les
différences de dimension sont dues à la nécessité de placer un nombre équivalent d'habitants sous l'administration d'un
phl1àng.

188
Tableau 5-1. Répartition de la population dans la province de Hanoi.

1996 j1998
1

Districts urbains 1 082400 1 149600 1211100 1 344300


Districts ruraux 1 245000 1 246300 1 256 100 1 195100
. .
Par act/v/tés urbames ou rurales .
Urbains 1 221 200 1 291 600 1 384200 1 477 500
Ruraux 1114200 1 104300 1 083000 1 061 900
Par emploIs agncoles ou non.
Hors agriculture 1 583900 1 628500 1 667400 1 724100
Agriculture 751 500 767400 799800 815300
Total

1 12 335 400 12 395 900 12 467 200 12 539 400 1

Au recensement de 1999, source la plus exacte, la population de Hanoi était de 2 672 122 habitants
( 1 531 126 dans les districts urbains et 1 140996 dans les districts ruraux ).

Jusqu'en 1998, la population vivant dans les districts ruraux était supérieure à celle des districts
urbains. La création de deux nouveaux districts urbains en 1997 et 1998 a contribué à inverser cette
situation. Toutefois, les districts urbains comptent des habitants dont les activités sont considérées
rurales et réciproquement. Si l'on tient seulement compte des activités, la population de Hanoi est
majoritairement urbaine et en voie d' « urbanisation» rapide (+250 000 urbains entre 1995 et 1998).
Enfin, on peut noter que la population uniquement ou majoritairement employée dans le secteur
agricole ne représente qu'un tiers de la population totale mais que cette proportion est stable depuis
1995. Ceci est certainement dû au fait que des migrants d'autres provinces viennent travailler dans le
secteur agricole à Hanoi.
Source: Annuaire du service de la statistique de Hanoi. 1999.

Le troisième niveau d'administration territoriale correspond aux communes rurales (xâ), aux
bourgs de province (th/ trân) dans les districts ruraux et aux quartiers (phuàng) dans les
districts urbains. Il existe dans la capitale] 10 phuàng avec chacun leurs élus et responsables
politiques (voir carte 5-1). Ce dernier échelon administratif ne s'étend guère au-delà de
quelques kilomètres carrés et n'englobe que quelques milliers d'habitants à Hanoi. Les
autorités de phuàng sont au contact direct de la population. Elles sont omnipréseo..t~s dans la
vie quotidienne des habitants. En tenant à jour un panneau officiel, elles les informent des
décisions administratives de l'Etat ou de la municipalité. Elles organisent localement les
relations entre l'Etat et la population. Par exemple, lors de l'émission d'un emprunt par le
gouvernement en 1999, ce sont les autorités de phuèrng qui ont organisé les collectes auprès de
la population. Elles disposent également d'un commissariat de police qui veille à la sécurité
du voisinage. Le rôle de la police de phuèrng est essentiel car elle seule sait avec précision
l'identité et les activités de tous les habitants du quartier. Elle tient à jour le rôle d'état civil

189
qui sert notamment au prélèvement des impôts. Elle règle également à l'amiable la plupart des
conflits de personnes. Elle assure ainsi une petite justice locale qui présente l'énorme
avantage de ne pas engorger les tribunaux.

Tableau 5-2. La classification économique des centres urbains.

Population Densité de Part des secteurs Niveau Villes


(hab.) population d'activités non d'infrastructures
(hab/km') agricoles % et d'équipements
publics
Catégorie 1 Au moins 1 Au moins Au moins 90% et un Complétement Hanoi et Hô Chi Minh Ville,
million 15000 trés haut niveau de réalisé Hàl Phàng
production industrielle

Catégorie 2 Entre 350 000 et Au moins Au moins 90% et un Bien établi Vûng Tàu
1 million 12000 haut niveau de Biên Hàa
production industrielle
f)à Nàna
Catégorie 3 Entre 100 000 et Au moins Au moins 80% et Partiellement 12 centres urbains: en
350000 10000 production industrielle construit périphérie de Hanoi (Gia
relativement Lâm. Hà E>ông) et HCMV +
développée Hué.E>à Lat. Can TheJ...
Catégorie 4 Entre 30 000 et Au moins Au moins 70%, En cours de 25 villes
100000 8000 centre de production construction
provincial
Catégorie 5 Entre 4 000 et 30 Au moins Au moins 60%, Peu développé Tous les autres centres
000 6000 centre de production urbains provinciaux.
du district

En plus de l'organisation administrative territoriale, les centres urbains sont classés en cinq catégories
selon leur dimension et en fonction de critères d'urbanisation (voir tableau). Cette classification n'a
pas de vocation administrative mais économique. Lors de l'élaboration des plans économiques
annuels et quinquennaux, elle sert à délimiter les niveaux d'investissement de l'Etat dans les
infrastructures urbaines. Les critères de classement sont relativement imprécis en matière de niveau
d'infrastructure et de niveau d'industrialisation. Ils permettent aux pouvoirs locaux de négocier
l'inscription de leurs villes dans telle ou telle catégorie. " s'agit là d'un enjeu d'importance pour une
ville. Ainsi, la compétition entre les deux grandes villes du centre que sont Huê et f)à Nang a
provisoirement tourné à l'avantage de cette dernière lorsqu'elle est passée dans la catégorie 2 au
détriment de l'ancienne capitale.

Une clé d'explication des relations entre Etat central et provinces est fournie par l'histàire et
notamment les trente années de guerres entre] 945 et ] 975 L'administration fut organisée
dans cette perspective. Cela signifie tout d'abord que la relation entre les deux est fondée sur
l'ordre. L'Etat central est l'unique source de.pouvoir. Il délègue les tâches d'application à ses
représentants à l'échelon provincial. Les autorités provinciales étant mises en place et
étroitement contrôlées par l'Etat central, leur autonomie est une autonomie de gestion et non
de décision. On est ainsi officiellement dans un schéma de relative déconcentration et non de
décentralisation des pouvoirs. Cette relation du haut vers le bas est fondamentale. Elle a

190
notamment assuré l'unité du pays dans une période difficile. Mais elle est contrebalancée par
une autonomie fonctionnelle. En effet, toujours dans une perspective de guerre, il fallait que
les provinces coupées de l'Etat-major de la capitale puissent alors s'auto-administrer et
organiser la résistance (Leroy, partie II, chapitre 3). De cette relation, les autorités de
provinces ont tiré une habitude de relative indépendance envers le centre qui se perpétue
aujourd'hui.

L'organisation du pouvoir dans les provinces est copiée sur le modèle de l'Etat central avec
une assemblée et un gouvernement local. Le conseil populaire est une assemblée élue par le
peuple (mais les candidats sont choisis directement ou indirectement par le Parti et les
organisations de masse). Il a la charge de relayer les lois au niveau local et de prendre des
décisions d'application lorsque la loi lui délègue cette compétence. Il est sunout chargé de
donner une dimension politique à l'action publique. Le comité populaire est l'exécutif de cette
assemblée. Il est élu et contrôlé par elle. Il est organisé en différents services techniques. Le
comité populaire est également directement responsable de l'application des décisions
gouvernementales et décrets ministériels. C'est le principe de la double subordination.
Comme l'explique C-E Leroy (1999, partie II, chapitre 3),« le fait que les comités populaires
soient à lafois "les organes exécutifs des conseils populaires" et "les organes administratifs
locaux de l'Etat" implique que leurs présidents possèdent une double qualité: en tant que
président du comité populaire, il est une autorité politique responsable devant le conseil
populaire et, en tant que chef de l'exécutif de la province, il est une autorité administrative
responsable devant le Premier ministre». Cette double «casquette» fait du président du
comité populaire de province ou de grande ville un homme clé dans le système politique
vietnamien. Il doit notamment trouver des solutions aux conflits qui opposent l'Assemblée
nationale, via le conseil populaire, au gouvernement sur l'application de la politique nationale
(voir figure 5-2).

191
Figure 5-2. La double organisation du pouvoir.

Constitution de la République
socialiste du Viêt-nam

DOMAINE EXECUTIF

Lois et ordonnances Gouvernement

---- ----
Nonnes et __ ------ ----
__ ---~--instnJetions déconcentration administrative

.--- ---- ----


Nomme et contrôle
Comité populaire de province

~~,,~~~~~~~~"""'~~~'
~---------~------------, ~-~~-~~~~~'

résolutions
,,--------------------------------- r-----------~---------___;
Conseil populaire de commune Comité populaire de commune
et de quartier f-------------~ et de quartier

....-- --
-- --
Organisations de masse

élection

Le peuple

Source: d'après Denis A Rondinelli et Lê Ngoc Hung, 1997, p 609.

192
De la capacité des hommes politiques locaux de s'appuyer alternativement sur l'un ou l'autre
dépend leur autonomie. A Hanoi, où le gouvernement est omniprésent, le comité populaire
peut difficilement échapper à son contrôle. En revanche, dans les provinces éloignées, comme
à HCMV, jl est préférable de prendre des mesures répondant aux souhaits des élus locaux.
Une stratégie consiste à demander un délai de quelques semaines au représentant du ministère
concerné avant d'informer le gouvernement d'une initiative locale pour améliorer un décret
lacunaire. Si l'initiative donne de bon~ résultats, le gouvernement ne sanctionnera pas et
encouragera l'initiative locale. Dans le cas inverse, l'expérience sera abandonnée. Il résulte de
ces pratiques certaines différences dans l'application des politiques de l'Etat selon les
provinces. Dans telle province, par exemple, la politique d'investissement et de construction
sera conduite par le service du plan et de l'investissement, dans telle autre ce sera le service
de la construction qui en sera responsable.

De fait, nombre de lois et décrets sont interprétés différemment selon les provinces ou les
administrations. Une enquête du service de la justice à Hài Phong révéla, il y quelques années,
qu'un tiers des règlements locaux étaient en contradiction avec les textes qu'ils étaient censés
appliquer (Bergling, 1999, p 153). Très souvent, la cause de l'infraction à la réglementation
réside dans les avantages financiers que les administrations peuvent en retirer. Nombre
d'institutions s'engagent dans des activités très rémunératrices mais sans véritable lien avec
leur fonction officielle. Des collectivités locales peuvent également prendre des décisions
autonomes en matière d'imposition. Ce fut la raison essentielle d'une très violente révolte
paysanne contre les autorités locales en 1997 dans la province de Thâi Blnh.

La source de ce problème se trouve au sem de l'organisation du système administratif


vietnamien. En vertu du principe de centralisme démocratique, le Parti est « la force unique
qui dirige l'Etat et la société ». D'après C-E. Leroy (1999, partie II, chap. 2}, l'application de
ce principe tend à diluer le pouvoir de décision en!fe plusieurs organes de l'appareil de l'État:
« Les organes de l'appareil administratif n'apparaissent ni hiérarchisés ni centralisés, mais
simplement collectifs car divisés. Si une parcelle de pouvoir existe, il est difficile de trouver
son représentant au sein de l'appareil administratif de l'État et il serait plus efficace de se
retourner vers les instances du Parti ». Philippe Papin va plus loin en émettant l'hypothèse
que les conflits permanents au sein de l'appareil d'Etat, notamment entre le gouvernement et
l'Assemblée, sont intentionnels car ils permettent au Parti de se poser en conciliateur et de
garantir seul le bon fonctionnement de l'Etat (Papin, 1999, p 125).

]93
Les élites locales, et notamment le président du comité populaire de province, apparaissent
alors comme les réels détenteurs du pouvoir. Egalement cadres du Parti, ils savent jouer de
leur relations dans l'appareil d'Etat pour obtenir le soutien à leur politique. Ils doivent
également être attentifs aux revendications locales car leur réélection en dépend. On le voit, il
est en définitive difficile d'isoler des mécanismes de pouvoirs entre l'Etat central et les
provinces. Chaque cas est un cas particulier. Certaines provinces disposent de fait de
véritables pouvoirs décentralisés lorsque le président du comité populaire est une forte
personnalité capable de parler d'égal à égal avec les ministres.

L'élaboration du budget des provmces est l'occasion de multiples négociations et


marchandages qui illustrent bien la nature ambiguë des relations qui unissent les provinces et
le pouvoir central. Les provinces commencent par élaborer leur budget prévisionnel. Pour
cela, elles doivent appliquer les normes fixées par le ministère des finances pour chaque type
de dépense. Les nonnes sont les mêmes pour toutes les provinces. A partir de ces propositions
de budget, les négociations commencent sur la répartition des impôts collectés dans la
province entre le budget national et le budget provincial. Les provinces tentent d'en conserver
le montant nécessaire au financement de leur budget. Le ministère des finances, de son côté,
peut utiliser son pouvoir de décision du partage des impôts pour revoir à la baisse le budget
des provinces (Trinh Duy Luân, 1996, P 184).

A Hanoi, la situation est la suivante. La municipalité conserve environ 20% des impôts locaux
et nationaux pour son budget et reverse le reste au budget national. Une partie des impôts
reversés au budget national lui sont ensuite redistribués par le ministère des finances mais ce .
dernier peut alors exiger qu'ils aillent à tels types de dépenses plutôt qu'à tels autres. Depuis
1998, la municipalité a obtenu de conserver l'intégralité de certains impôts locaux, et
notamment les loyers ronciers des entreprises et l'impôt foncier des particuliers. Si la
municipalité n'a aucun pouvoir de décision en matière d'impôts, elle peut en revanche décider
de prélever des « droits}) (droits d'enregistrement des véhicules, droits de péage, revenus des
loteries ... ). Le niveau de ces droits se négocie avec le ministère des finances. Pour l'exercice
2000, les recettes totales provenant des impôts nationaux et locaux du budget prélevés en

194
1999 s'élevaient à 807 millions de dollars. Sur cette somme, la municipalité disposait de 157
millions de dollars pour son budget, soit 19,5%.2

Figure 5-3. Comparaison des recettes du budget national dans la circonscription de


Hanoi et des recettes du budget municipal.

900
800
700
~
~ 600
0
"C
Cl
500
"C
VI 400
c:
g 300
E 200
100
0
1995 1996 1997 1998 1999

o recettes nationales. recettes municipales

On note une évolution différencièe entre les recettes du budget national provenant des impôts
prélevés à Hanoi et les recettes du budget municipal. Alors que les premières évoluaient
régulièrement à la hausse jusqu'en 1998, date à laquelle le ralentissement de l'activité économique se
fit sentir sur les impôts, le budget municipal connut une forte hausse en 1997, avant d'être ramené en
1998 en dessous du niveau de 1996. Une modification dans la répartition entre les impôts conservés
au niveau local et ceux destinés au budget national est peut-être à l'origine de cette anomalie.
Source: Hanoi statistical department et décision 04 NQ/ND du conseil populaire de Hanoi sur les
recettes et dépenses du budget de la ville de Hanoi en 2000, 25.01. 2000.

Outre les contraintes pesant sur l'élaboration du budget et les prélèvements, la municipalité ne
dispose jamais d'une totale liberté d'action dans l'utilisation du budget. Au-delà d'un certain
montant de dépenses, elle doit obtenir l'accord au moins tacite du gouvernement. Par
exemple, elle est tenue de déclarer au ministère des finances et à celui aù plan et de
l'investissement le montant qu'elle pense percevoir des loyers et impôts fonciers et les
dépenses auxquelles elle va les affecter.

" Données officielles publiées dans la décision 04 NQIND du conseil populaire de Hanoi sur les recettes et
dépenses du budget de la ville de Hanoi en 2000, 25,01. 2000

195
Toute l'action publique locale est tributaire du rapport de force existant entre les comités
populaires de province et l'Etat central. A Hanoi, le fait que les responsables ministériels et
ceux des services municipaux soient en contact quasi permanent réduit considérablement
l'autonomie de ces derniers. Le service de la construction de Hanoi est ainsi situé à une
centaine de mètres du ministère de la construction. Ce dernier peut exercer sur lui une tutelle
beaucoup plus forte que sur les autres provinces (voir figure 5-4).

Figure 5-4. L'organisation territoriale du ministère de la construction.

.-
'------1
ADMINISTRATION MINISTERE DE LA CONSTRUCTION 1
CENTRALE - directions centrales
- instituts (planification urbaine et rurale, standardisation de la
1
construction .... )
- compagnies centrales (construction, immobilier, matériaux
de construction, bureaux d'études)

ADMINISTRATION Provinces Villes sous administration


PROVINCIALE ~ directe de l'Etat
~
<l:
g: services de la construction: architecte en chef (nommé
V)
~ conjointement avec
~ -services techniques et adm. le Premier Ministre) pour Hanoi et
Q
<l:
UJ - instituts HCMV.
...J
...J - entreprises de construction services de la construction
~ provinciales
2

ADMINISTRATION bureaux de la construction représentants de l'architecte en chef


dans les districts ruraux dans les districts urbains de Hanoi et
DE DISTRICT HCMV
et les villes provinciales

bureaux de la construction
dans les districts ruraux et urbains

ADMINISTRATION équipes de la construction


DE QUARTIER OU
'V
DE COMMUNE

196
Ce n'est pas seulement le poids des ministères qui pèse sur la marge d'autonomie de la
politique municipale à Hanoi. Le Parti est également omniprésent dans le processus de
décision local. C'est en réalité lui qui arbitre les conflits entre élus locaux et ministères. En
tant que capitale de la République socialiste du Vi~t-nam, Hanoi se doit d'avoir une attitude
irréprochable en matière idéologique et politique. Ceci conduit nombre de responsables
administratifs municipaux à ne prendre aucune initiative en faveur des mécanismes de
marché. Ce n'est pas le cas à HCM,'! car il existe un consensus entre le Parti et le
gouvernement pour en faire le lieu de toutes les expérimentations.

L'Armée est également un très puissant pOUVOIr dans l'Etat. Elle s'est organisée
territorialement en zones plus larges que les provinces. Ainsi le responsable militaire d'une
zone dispose d'une véritable indépendance envers les présidents populaires des provinces
(Papin, 1999, p 128). Le poids économique de l'Armée est considérable mais mal connu. En
1998, un article de presse faisait état de plus de 191 unités militaires impliquées dans des
activités proprement économiques sur l'ensemble du territoire. Soixante d'entre elles étaient
associées à des investisseurs étrangers pour un investissement total de quatre milliards de
francs. Elles sont particulièrement présentes dans le secteur de la construction. Dans ce
secteur, les entreprises conjointes entre l'Armée et les promoteurs étrangers ont dégagé 500
millions de francs de chiffres d'affaires en 1997 (cité par Papin, 1999, p 128). Détentrice de
très nombreux terrains dans -et autour de- Hanoi, elle est, si l'on peut dire, le plus grand
propriétaire foncier de la capitale. Les conflits avec la municipalité, officiellement seule
responsable de la gestion foncière, sont permanents. Il a fallu attendre 1998 pour que le
comité populaire obtienne gain de cause et que l'Armée accepte de rendre peu à peu les
terrains qu'elle n'utilisait pas à des buts strictement militaires. Entre-temps, nous le verrons
plus loin, elle a utilisé ses meilleurs sites pour monter des opérations immobilières avec des
investisseurs étrangers, qu'elle rassure par son pouvoir, ou pour distribuer des terrains à bâtir
à ses cadres qui les ont souvent revendus sur le marché noir. ..,.

Enfin, il faut mentionner le rôle des grandes entreprises d'Etat qui orit leur siège à Hanoi.
Dans les années 1990, le gouvernement les a utilisées pour renforcer le pouvoir de
l'administration centrale. Les entreprises qUI n'avaient pas disparu lors des grandes
restructurations des années 1980 ont été réorganisées en grands groupes industriels. Dans
chaque secteur industriel existent aujourd'hui des grands groupes qui sont très étroitement

197
contrôlés par le gouvernement. Ils ont tendance à fonctionner comme un « Etat dans l'Etat ».
Leur poids économique est si important pour le développement des provinces qu'ils peuvent
aisément refuser de se plier à des décisions locales. Ceci explique notamment l'extrême
difficulté que rencontre la municipalité de Hanoi pour obtenir des grandes entreprises d'Etat
qu'elles payent leurs loyers fonciers.

2. Des coutumes populaires vivaces.

Nous cherchons dans cette section à comprendre comment a pu se créer un hiatus entre les
lois et la pratique de la population tel que la quasi-totalité des transactions foncières et des
constructions se fassent en dehors du contrôle de l'administration municipale. Pour cela, il
nous faut revenir aux sources de l'informalité: la nature des relations entre l'Etat et la
population au Viêt-nam. Il s'agit d'une question à la fois culturelle, sociale et politique
extrêmement complexe. Nous allons essayer d'y répondre de manière d'abord synthétique
puis analytique. Il s'agit tout d'abord de tracer les grandes lignes de la relation Etat-société à
travers l'histoire du pays en essayant d'en repérer des constantes. Ensuite, nous nous
pencherons avec précision sur le fonctionnement d'un échelon administratif essentiel pour
comprendre le rapport de l'Etat avec ses administrés à Hanoi: le quartier ou phl1èrng.

Durant la période impériale, l'Etat restreignait son contrôle sur la population à la sécurité et à
la fiscalité. Le rôle de la loi était de régir ces relations verticales entre l'Etat et les individus
(Bergling, 1997, P 141), mais non d'organiser la vie sociale. Les relations horizontales entre
personnes étaient abandonnées aux notables villageois. Il faut y voir l'influence du
confucianisme qui pose le principe selon lequel les hommes de vertu doivent gouverner au
destin de leur communauté. Un partage existait de manière tacite entre l'Etat et les 'notables
locaux. Prenons l'exemple des activités économiques :...I:e code des Lê] contenait quelques
mesures sur la propriété, les contrats et l'héritage. Il s'agissait toutefois moins pour l'Etat de
donner un cadre juridique à l'activité économique que de s'assurer que des terres ou des
revenus n'échappaient pas à la taxation, Le reste de la vie économique était régulé par les
élites villageoises. Les liens de familles et la forte pression sociale de la communauté

3Libérés de la tutelle chinoise en 1428, les rois Lê cherchèrent immédiatement à consolider leur dynastie en
exerçant un contrôle étroit sur les terres et les personnes. Les premiers textes juridiques portèrent ainsi
exclusivement sur les moyens d'exercer ce contrôle. Le premier code juridique connu sous le nom de « code des

198
villageoise suffisaient à mInImISer le rIsque commercial sans qu'il y ait besoin d'une
législation élaborée.

La coexistence d'une sphère juridique d'Etat avec une sphère coutumière corpmunale est
souvent illustrée par le proverbe selon lequel "les lois du royaume cèdent à la coutume du
village" (Phép vua thua lç làng). Ce serait toutefois une erreur de penser qu'il s'agissait de
deux sphères de légalité impennéables et concurrentes. Philippe Papin (1999, p 75 et s.)
défend au contraire l'idée qu'elles étaient poreuses et complémentaires. Certes, les mandarins,
représentants de l'Etat dans le pays, ne se rendaient dans les villages que lors de leurs
tournées pour lever l'impôt et rendre la justice et le reste du temps, ce sont les notables qui
faisaient respecter la loi. Cependant ces derniers étaient étroitement contrôlés par les
mandarins qui détenaient notamment le droit de révoquer les chefs de village. En fait, les
seuls domaines dans lesquels les mandarins n'intervenaient pas étaient les fêtes, les
cérémonies et la petite justice locale. En outre, il faut souligner que mandarins et notables de
villages avaient les mêmes références politiques. Jusqu'au XVIIIe siècle, les chefs de villages
se recrutaient par concours parmi les anciens employés du mandarinat. La culture littéraire
. était le principal critère de sélection. Par le biais du savoir, l'Etat imposait ainsi son idéologie.
« En réalité, si l'Etat n'éprouvait pas le besoin d'un contrôle direct et constant sur les
villages, c'était parce qu'il constituait lui-même, en tant que pourvoyeur d'emplois et
détenteur de la doctrine, l 'horizon de référence du paysan. Si l'on ose dire, le villageois
s' « étatisait» de l'intérieur. »(Papin, 1999, p 76).

Tout allait changer avec la colonisation. La France allait imposer la loi de la Ille République
dans le pays. Ceci se fit plus ou moins brutalement selon les régions. 4 La conception française
du droit, telle qu'elle était enseignée à l'Ecole de droit de Hanoi, eut également un impact réel
sur l'élite urbaine du pays. En revanche, la coupure avec la vie du village allait être profonde.
Les villageois ne se reconnurent plus en des chefs qui ne tiraient plus leur pouvoir de leur
savoir mais de l'obédience au régime colonial (Papin, 1999, p 85). Le lien subtil qui liait la
vie communautaire au droit de l'Etat était rompu. La population connaissait certes les lois
françaises mais elle ne s'y pliait que si cela rencontrait son intérêt. En outre, le fait que deux

Lê » fut publié aux alentours de 1468. Il était essentiellement consacré à la collecte de l'impôt, à la sécurité et au
respect de l'ordre social.
4 Le statut de colonie de la Cochinchine la plaçait directement sou~ la loi française. Au Tonkin, le régime du

Protectorat laissait plus d'indépendance à l'empereur mais dans les faits, J'autorité était celle du Résident
Général. C'est seulement en Annam que J'empereur restait le titulaire véritable de l'autorité.

199
nonnes de droits, celle de la France et celle de l'empereur, coexistaient sur la plus grande
partie du territoire, pennettait à la population dejouer de l'une et l'autre selon les situations.

Minée de l'intérieur par sa perte de légittmité, la force de la loi allait être anéantie par le
régime communiste. La suspicion révolutionnaire envers les concepts juridiques occidentaux
ainsi que la volonté de mettre fin à l'empire conduirent le gouvernement à interdire l'usage
des lois coloniales et impériales en 1955 (Bergling, 1997, P 142). En 1960, une grande
réfonne de la justice fut lancée. Le ministère de la justice et le Collège de la loi furent abolis
et la période marquée par une inflation réglementaire. Le gouvernement dirigeait par décrets,
ordonnances et instructions. L'adoption du modèle économique et politique de l'URSS allait
influencer profondément la substance des lois et le fonctionnement de la justice. Le droit était
désonnais dit par le Parti. Celui-ci prenait des résolutions et des décrets qui concernaient tous
les domaines de la vie sociale et économique. C'est lui qui assurait la cohérence du corpus
juridique. Les décisions de justice s'appuyaient également sur la position du Parti. En matière
économique, le droit laissa place à un système administratif très bureaucratique dans lequel
chaque décision nécessitait un accord fonnel à chaque étape de la procédure. La tradition
vietnamienne résista toutefois à la « soviétisation» sur quelques aspects. L'importance de la
conciliation dans le règlement des conflits en est un bon exemple. Il faut aussi signaler que le
secteur de l'économie d'Etat resta relativement modeste par rapport à d'autres pays
socialistes.

D'après la doctrine communiste, la relation entre l'Etat et le peuple s'effectue selon les
principes du centralisme démocratique. Le premier principe est que l'Etat et le Parti doivent
imposer l'idéologie communiste à tous les niveaux de la société. L'appareil d'Etat, les
organisations de masse et la propagande doivent parvenir à « pénétrer» la population. Pour
cela, une double structure pYramidale de l'Etat et du Parti descend depuis le sommet de l'Etat
jusqu'à la population. C'est le sens du tenne « centralisme» dans le.,. çentralisme
démocratique. Le second principe est que le peuple doit pouvoir faire entendre ses
revendication légitimes jusqu'au sommet de l'Etat par le biais de représentants élus. L'Etat
doit ainsi pouvoir adapter aux circonstances particulières des lois et décisions de caractère
nécessairement général. C'est le versant « démocratique» du régime. Dans les fait, l'Etat
vietnamien a toujours rencontré des difficultés à imposer sa politique et a dû progressivement
concéder des zones de libre organisation de la population qui sont à l'origine de pratiques
infonnelles.

200
Dans les campagnes, le Parti essaya à plusieurs reprise d' « infiltrer» r institution communale
car il savait qu'elle était le cœur de la résistance des paysans à la loi de l'Etat. Il tenta, dans un
premier temps d'imposer des membres du Parti à la tête des organisations de notables
villageois. Puis, les jugeant appartenir à un temps révolu, il tenta sans succès véritable de les
éliminer pour les remplacer par des organes qu'il contrôlait, comme celui du Front de la
Patrie, jugés plus modernes et plus en accord avec l'idée de société socialiste (Leroy, 1999,
partie II, chapitre 2). La situation de guerre a joué un rôle dans la résistance des communautés
villageoises. Ne pouvant financièrement et matériellement faire appliquer ces décisions sur
tout le territoire, l'Etat laissait la population s'organiser elle-même, notanunent sur le plan
social. L'organisation villageoise, fondée sur l'entre-aide, apparut comme une bOIlle solution
de remplacement à une politique socialiste difficilement applicable. Progressivement, les
communautés villageoises comme le thôn (hameau) se virent recoIllaître des pouvoirs de libre
administration. L'Etat dut ainsi tolérer des petites activités individuelles privées qui
échappaient à la mainmise des coopératives agricoles.

Dans les villes, la situation était très différente car l'organisation sociale structurée autour de
la commune villageoise n'y a pas d'équivalent. Jusqu'en 1975, Hanoi était administrée par un
système de conseils et de comités populaires au niveau municipal et dans les districts. En
dessous du district, Hanoi était divisée en 185 petits secteurs (tiê'u khu) de dimension
inférieure aux phuèmg actuels (Koh, 2000). En 1975, cette unité territoriale fut élevée au rang
d'échelon administratif. En 1980, les administrations de petits secteurs furent transformées en
administrations de quartier, les phuèmg, composées d'un conseil et d'un comité populaire.
Contrairement à la situation dans les campagnes, cette nouvelle unité administrative ne
correspondait à aucune réalité sociale. La population des villes n'est pas soudée par
l'appartenance à une communauté comme cela est le cas dans les villages. Il semble que la
véritable Justification de la création d'un échelon administratif supplémentaire doive être
cherchée ailleurs.

La rhétorique socialiste voyait dans les plïuèmg l'expression du «droit de gouvernement


collectif du peuple ». En fait, l'Etat espérait disposer d'un outil supplémentaire pour assurer la
mobilisation de la population à sa politique (Koh, 2000). Il fallait également pouvoir adapter
les lois aux conditions réelles de vie de la population. La société socialiste nécessitait, en

201
effet, l'exécution de multiples tâches administratives visant à encadrer la vie quotidienne de la
population: la distribution et le rationnement de la nourriture, la gestion des logements
collectifs, la diffusion de la propagande ... Pour cela, il fallait être au plus près du peuple. Les
phu/mg étaient donc un maillon essentiel dans la relation entre l'Etat et ses administrés. Ils
devaient à la fois veiller à la cohésion nationale autour des principes communistes et à la fois
permettre leur application en fonction des besoins réels de la population. Rapidement,
l'administration de quartier allait fonctionner de manière bureaucratique. Les comités
populaires s'émancipèrent de la tutelle des conseils populaires pour administrer les affaires
locales de façon discrétionnaire. Le manque de moyens de l'Etat ne permettant pas de les
rémunérer suffisamment, les fonctionnaires de quartier recoururent massivement à la
corruption. Il se créa ainsi une zone d'ombre dans l'exercice du pouvoir. Lors de l'adoption
des réformes économiques, la population allait s'engouffrer dans cette faille, en particulier
pour contourner toutes les mesures qui visaient à limiter ses activités marchandes.

La relation qUI existe désormais entre la population et les autorités de quartier est
profondément ambiguë. Elle ne consiste pas en une application stricte de la loi mais en celle
de normes sociales tirant leur légitimité ailleurs que dans le droit. Plusieurs travaux ont
montré comment l'exercice réel du pouvoir au niveau local repose en fait sur un socle moral
et culturel traditionnel (Malamey, 1997, Koh, 2000). Quelques expressions populaires
peuvent aider à en comprendre le sens. La «sentimentalité de voisinage» (tinh cdm fang
giê'ng) en est une première. Elle exprime l'idée qu'il faut prendre en considération les souhaits
et les intérêts des voisins avant de décider d'une action. L'aphorisme «la paix dans le village»
(hoà cd fàng) révèle un goût pour la résolution des conflits de manière amicale. Il s'agit de
donner à chacun quelque chose de façon qu'il n'y ait ni gagnant ni perdant. « Considérer
l'harmonie comme un bien précieux» (di hoà vi quy) reflète également cet idéal de concorde
même si cela doit se faire au détriment des droits individuels de chacun. Les autorités locales
peuvent d'autant moins ignorer ces traits de la société vietnamienne dans leur exercice du
pouvoir qu'elles sont en contact étroit avec la population. Les représentants administratifs
locaux sont des habitants du quartier qui sont également tenus par des liens de solidarité
envers les autres habitants. Beaucoup de personnes préfèrent rencontrer le président du comité
populaire du phzdmg chez lui, parfois en présence de ses parents, plutôt que dans son bureau.

De fait, les autorités locales cherchent généralement à obtenir un règlement des conflits en
amont des procédures administratives proprement dites. Elles utilisent pour cela des

202
conciliateurs, les chefs de td (tô' trLtOng).5 Elus par les habitants sur proposition du comité
populaire de phuèmg, les chefs de td ne font pas partie de l'administration et ne sont pas
rémunérés par l'Etat. Leur devoir est d'être constamment présent dans leur quartier et d'avoir
une connaissance « de terrain» des familles qui y vivent. Les autorités de phuèmg essayent de
choisir une personne qui entretient de bonnes relations avec ses voisins. Il s'agit très souvent
d'une personne retraitée, souvent un ancien cadre de l'Etat. Elle organise des réunions dès
qu'un conflit de voisinage survient. C'est seulement si un accord à l'amiable n'est pas trouvé
qu'elle fait appel aux autorités du phuèmg.

En définitive, les administrés attendent de leurs responsables qu'ils agissent en tenant à la fois
compte des sentiments, des droits et des intérêts de chacun. Il s'agit de décider de manière « à
la fois juste et sentimentale» (co ly co ûnh). Malarney (1997) a montré comment certains
responsables locaux n'adoptant pas cette attitude tolérante envers la population pouvaient
perdre tout crédit politique, alors même qu'ils avaient toujours été soutenus par l'appareil du
Parti. Toutefois, en général, les responsables administratifs locaux monnaient d'autant plus
facilement leur tolérance envers les écarts à la loi qu'ils ont besoin de subsides pour vivre.

La relation entre l'Etat et la population doit passer à travers ces différents filtres imposés par
la coutume. Il en découle des pratiques informelles que nous préférons qualifier d'infra-
institutionnelles car elles ne sont pas totalement en dehors du cadre légal mais résultent de
l'application négociée du droit entre les autorités locales et la population. Il faut d'ailleurs
bien voir que ces pratiques sont parfaitement connues des échelons supérieurs du pouvoir et
notamment du Parti. Elles sont tolérées car elle fournissent bien souvent la meilleure forme
d'application de lois élaborées sans souci de la réalité sociale. Il est probable qu'elles
persisteront tant que le régime n'aura pas évolué vers une plus grande reconnaissance des
droits individuels. A ce titre, il faut signaler que si l'ouverture économique du pays a conduit
à engager une réforme profonde du droit vietnamien, el~ ,n'a eu jusqu'à présent que peu
d'impact en matière de droits et libertés individuels (voir encart 5-1). En période de transition,
ce sont ces pratiques infra-institutionnelles qui viennent combler le vide créé par le décalage
entre l'évolution rapide du droit et la lente mutation de l'administration.

5 Au dessous du niveau du phuèmg existent deux sous-niveaux d'organisation territoriale: le cum et le Id.
N'ayant aucun rôle politique ou administratifs, ils ne sont pas représentés par des comités et des conseils
populaires. En général, le phuèrng est divisé en 8 ou 9 c~m. C'est à ce niveau que les élections locales sont
organisées, que sont menées les campagnes de planning familial ou de vaccination. A son tour, le cum est divisé
en Id. Ce dernier rassemble les habitants en petits comités de quelques douzaines de familles.

203
Encart 5-1. La mutation inachevée du droit vietnamien.

A partir de 1986, la reconnaissance du rôle des acteurs privés dans l'économie et l'appel aux capitaux
étrangers nécessita l'élaboration de nouvelles lois. Il fallait garantir la sécurité de capitaux et de
transactions qui n'étaient plus gérés par la planification .économique centralisée. L'Etat vietnamien a
donc dû entreprendre une refonte complète de son système juridique et administratif. Comme le
précise Per Bergling (1997, p 140), ceci ne consiste pas seulement en une « déréglementation» ou
« débureaucratisation », mais aussi en un processus de « re-réglementation» qui mette en place les
lois capables de promouvoir le marché. Le Viêt-nam est aujourd'hui dans cet entre-deux où les lois et
les pratiques administratives de l'économie planifiée cèdent peu à peu la place à une réglementation
en phase avec le marché. .

Le retour à la législation pré-communiste pour créer le nouveau droit est une solution adoptée par de
nombreux pays de l'Est. Au Viêt-nam, ce retour est impossible. Le droit impérial était rudimentaire en
matière économique et sociale car l'empire a toujours considéré le commerce comme une activité peu
vertueuse et source de désordre. Il n'a jamais produit des lois élaborées sur les transactions et les
disputes (Bergling, 1997, p 149). Quant au droit colonial français, qui pourrait représenter une source
de continuité, la principale difficulté est ici politique: le droit fra[1çais a longtemps représenté
l'impérialisme et l'oppression du peuple vietnamien dans le discours idéologique de l'Etat. Les
pouvoirs publics ont préféré adopter une attitude très pragmatique visant à s'inspirer de diverses
législations étrangéres pour fonder un système juridique proprement vietnamien. Si le droit français
est amplement sollicité pour les questions de justice civile, le droit anglo-saxon est préféré pour
réglementer les activités économiques et le commerce. Toutefois, l'influence occidentale est très
souvent médiatisée par l'inévitable exemple chinois. L'influence du droit chinois est certainement la
plus importante aujourd'hui car elle permet d'assimiler des éléments normatifs occidentaux dans le
cadre politique qui reste socialiste. La loi sur les investissements de 1987, le décret sur les transferts
de technologie et, bien sûr, la loi foncière, sont très nettement inspirés des lois chinoises. Il ne faut
pas déduire de l'élaboration de nombreuses lois que le Viêt-nam devient un Etat de droit sur le
modèle occidental. Le pouvoir reconnaît la nécessité des lois pour encadrer les activités économiques
mais refuse de considérer leurs implications politiques. Per Bergling (1997, p 151) explique que c'est
la valeur instrumentale de la loi qui est reconnue par le pouvoir mais non sa valeur substantielle car la
dépolitisation du système juridique est une question très controversée. Ainsi, les lois contiennent de
nombreuses références à des principes comme celui de « l'intérêt de l'Etat» ou des « intérêts
socioculturels ».

Il faut aussi insister sur le rôle que joue le Parti dans l'élaboration des lois. Avant les réformes, il
définissait le cadre de l'action publique par ses résolutions, décrets et autres actes administratifs. Il
s'est progressivement effacé pour laisser ce rôle à l'Assemblée nationale. Elle vote les lois et peut
amender ou abroger des textes réglementaires subalternes. La loi sur l'élaboration des textes de loi
du 12 novembre 1996 fait de la commission des lois de l'Assemblée l'organe essentiel en matière
législative. Dans les faits, la situation est différente. L'Assemblée ne se réunit que deux fois par an
pour des sessions d'un mois. Elle est constituée de députés qui ne possèdent pas toujours les
compétences suffisantes pour apprécier des questions juridiques complexes (Bergling, 1997, P 154).
Lorsque des projets de loi contiennent des mesures jugées sensibles par le Parti, celles-ci ne sont
généralement pas soumises au vote en session plénière mais laissées à l'appréciation du Comité
permanent de l'Assemblée. Celui-ci est entièrement composé de députés à la dévotion du Con:ùt~
central du Parti, ce qui n'est pas le cas de la majorité des députés -un quart seulement sont aussi
membres du Comité central du Parti (Papin, 1999, p 119). Le comité permanent est situé au centre du
système politique vietnamien. Il est le véritable initiateur des lois. A travers lui, le Parti exerce son
pouvoir sur l'appareil d'Etat.

Le pouvoir de l'Assemblée est en outre concurrencé par le pouvoir réglementaire du gouvernement..


Par l'usage des règlements, le gouvernement profite du caractère très général des lois pour les
appliquer selon sa propre conception. Le fait que les lois soient peu détaillées est, par ailleurs,
souvent justifié. Le manque de connaissance des concepts juridiques adaptés à l'économie de
marché et surtout la crainte de figer les choses dans un période de grande mutation en sont les
raisons principales (Bergling, 1997, P 153). Dans d'autres domaines, les lois ne sont tout simplement
pas élaborées et le gouvernement légifère par décrets. C'est notamment le cas de la construction et
de l'urbanisme.

204
3. La lente mue de l'administration municipale.

Avec l'abandon de l'économie centralisée et le recours aux capitaux privés, les provinces et
municipalités des grandes villes sont devenues responsables de leur propre développement
socio-économique. Ce fut un choc pour l'administration territoriale. Ses fonctionnaires
n'étaient absolument pas formés à la gestion des affaires locales (Trinh Duy Luân, 1996, p
186). En outre, l'appareil administratif était organisé sur un mode bureaucratique soudain
obsolète. A Hanoi, le comité populaire municipal a alors entamé une transformation profonde
de son organisation administrative. Il lui a fallu peu à peu créer des nouvelles structures
capables d'encadrer les multiples activités des acteurs privés.

En raison de son inertie propre, la transformation de l'administration locale ne se fit pas par
remplacement de services existants par des nouveaux mais par superposition d'une nouvelle
structure sur l'ancienne. Le comité populaire retira des compétences aux anciens services pour
en créer de nouveaux dans une autre perspective (figure 5-5). Il s'ensuivit une certaine
confusion de tâches administratives, bien souvent doublée de conflits d'ambitions
personnelles. Le mouvement s'inverse aujourd'hui avec la volonté de fusionner les services
concurrents.

205
Figure 5-5. L'évolution de l'administration du comité populaire de Hanoi en matière
d'urbanisme, de construction et de gestion foncière et immobilière.

~---------------- ------- ---- --- - - - - - -


Avant 1992

/ COMITE POPULAIRE 1

1 1

seNice
f de 1 1 seNice du service de
la construction logement geslion des
1 lerres agricoles

1992 -1995
-----------------------------------------

COMITE POPULAIRE

seNice Bureau de leNice de gestion


de la construction J'architecte en chef des terres agricoles

1995-1999
------------------------------------------
J COMITE POPULAIRE
1

1 1

1 seNice
de la conslnJclion 1 1 bureau de
J'erchitecte en chef
1 IleNice du
logéll)enl
1 1 seNice de 1
J'administration foncière

Depuis 1999
- -- ------------ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -- ---
COMITE POPULAIRE

leNice bureau de seNice de J'administration


de la cons\NClion l'architecte en chef fonciere et du logement

206
3.1. Le rôle contesté du Bureau de l'architecte en chef.

Avant les réformes, le service de la construction était seul responsable de l'exécution des
directives de l'Etat en matière de planification urbaine, d'architecture, de construction sur le
territoire de Hanoi. En son sein, la division de l'administration de l'urbanisme était en charge
de la procédure d'attribution des terrains aux organisations et entreprises. Le service de la
construction avait sous son contrôle l'institut d'urbanisme de la ville (vifn thiêt kê' quy hoçu..:h
my dl;tng). Ce dernier ne détenait pas de rôle décisionnel. Il fonctionnait comme un bureau
d'étude chargé de réaliser les plans d'aménagement des nouveaux quartiers et faisait des
recommandations sur la localisation des constructions lors de l'instruction des demandes
d'attribution de terrains. L'essor de la construction privée dès la fin des années 1980 posa
rapidement la question du contrôle de la construction de bâtiments réalisés en dehors du
circuit des compagnies de construction centrales ou municipales. En réponse, le Premier
ministre décida en 1991 la création du Bureau de l'architecte eh chef , avec pour mission
l'élaboration de la planification et de la réglementation urbaine à Hanoi. 6

La tâche essentielle du Bureau de l'architecte en chef en matière de planification urbaine est


l'élaboration du schéma directeur de la ville. Afin de mener à bien cette tâche, l'institut
d'urbanisme de la ville fut placé sous son autorité hiérarchique lors de sa création. Mais il doit
également coopérer avec l'agence de planification du ministère de la construction, l'institut
de la planification urbaine et rurale (INPUR). 7 Le mode d'approbation des différentes étapes
d'élaboration du document est assez complexe. Il doit tout d'abord être approuvé par le
comité populaire puis par le ministre de la construction et enfin par le Premier ministre. A
chaque étape, il doit être modifié pour tenir compte des exigences de chacun. En 1999, le
Premier ministre a adopté le schéma directeur pour 2020 dont une première version fut
élaborée par le Bureau de l'architecte en chef et l'INPUR en 1996. Il a donc fallu trois ans de
..,. -
navette entre les différents services locaux et nationaux pour aboutir au résultat final.

Pour réaliser le schéma directeur ainsi que tous les plans des nouveaux quartiers ou
d'aménagement des abords des nouvelles routes, le Bureau de l'architecte en chef dispose
d'un budget annuel voté par le comité populaire. Il le répartit ensuite sous forme de contrats

6 Un Bureau de l'architecte en chef fut également crée à HCMV.

207
d'étude avec différents organismes de planification urbaine. Il peut s'agir de l'institut
d'urbanisme ou de bureaux d'études divers. Le Bureau de l'architecte en chef répartit les
travaux en fonction des possibilités de chacun, de l'enjeu du projet et surtout de
considérations politiques. Ainsi, en 1998, la planification du quartier Ba DInh où sont situés
l'Assemblée nationale et le mausolée Hô Chi Minh est revenue à l'institut de recherche en
architecture du ministère de la construction. Pour les documents de planification moins
prestigieux, le Bureau de l'architecte en chef peut faire appel à des instituts créés au sein des
universités de construction ou des bureaux d'études comme l'institut de recherche en
teclmologie et développement urbain de la corporation SENA. Selon leur imp'ortance, les
plans sont approuvés soit par le président du comité populaire (plans d'aménagement des
districts) soit par son adjoint à l'urbanisme et la construction (plan d'aménagement de
quartier).8 Par ailleurs, la tutelle technique du ministère de la construction sur les travaux de
planification urbaine est concrétisée par une décision ministérielle de 1993. 9 Cette dernière
fixe les différentes étapes de réalisation d'un document de planification. Le Bureau de
l'architecte en chef n'agit donc que dans les limites étroites des documents supérieurs
approuvés par le ministère ou le Premier ministre. Son autonomie en matière de planification
urbaine s'avère en définitive très relative.

En répartissant les tâches de planification entre différentes institutions, l'architecte en chef


évite de supporter seul la responsabilité des documents produits. L'inconvénient de cette
pratique est qu'elle favorise l'émiettement des informations entre une multitude de bureaux et
d'institutions. La tâche la plus difficile pour les responsables de projets de planification est de
parvenir à réunir tous les documents et les informations nécessaires à leur projet. Ils y
parviennent bien souvent en recourant à leurs relations. Un réseau de connaissances, qui
remonte souvent à la même promotion universitaire, leur pennet de travailler bien plus
efficacement que les relations strictement professionnelles. Sur ce point, une innovation en
matière d'organisation institutionnelle doit ici être signalée. Depuis quelques années, le
gouvernement a pris l'habitude de créer des comités d'organisation, ou steering committees
(ban chi &;10), pour toutes les questions transversales à plusieurs ministères ou
administrations. Un comité d'organisation de la planification urbaine et de la construction à
Hanoi (ban chi dr;zo quy hor;zch và xây dt!rLg thù dô Hà NQi) a ainsi été crée en 1998 dans le but

7 L'INPUR est le service responsable de la planification urbaine pour tout Je pays. Il réalise la très grande
majorité des schémas directeurs des villes.
8 Les projets de zones industrielles doivent être approuvés par le ministre de la construction.
9 Décision 322IBXD-DT du 28 décembre 1993 sur J'élaboration des projets d'urbanisme et de construction.

208
de mettre en œuvre les orientations du schéma directeur. Son président est le vice Premier
ministre en charge de la construction. Des vice-ministres et le président du comité populaire
de Hanoi sont ses vice-présidents. Ce comité ne se réunit qu'occasionnellement pour entériner
des décisiQns. L'organe pennanent et exécutif du comité est le bureau du comité
d'organisation (wIn phong ban chi dçzo) placé sous la présidence de l'architecte en chef. Ce
bureau deviendra certainement dans les années à venir une institution-clé de l'urbanisme à
Hanoi.

La seconde responsabilité assignée au Bureau de l'architecte en chef est de délivrer les deux
documents administratifs nécessaires à la construction: le certificat d'urbanisme et le permis
de construire. Les plans détaillés du schéma directeur constituent la base légale de la
délivrance de ces documents. Le certificat d'urbanisme est un document essentiel dans la
détermination des droits à construire attachés à un terrain. Avant d'entreprendre l'élaboration
du projet d'architecture, tout particulier ou organisme doit demander ce certificat au Bureau
de l'architecte en chef. Avant 1995, le département de la construction, puis le bureau de
l'architecte en chef, délivraient des" agréments d'urbanisme» (planning agreement) qui
comprenaient des prescriptions en matière d'usage du sol, de hauteur des bâtiments, de
prospect et de densité de la construction. Depuis 1995, le certificat d'urbanisme y ajoute des
prescriptions en matière d'infrastructù.Î:es nécessaires, du type d'architecture, des
emplacements de stationnement, des espaces verts, des mesures de protection de
l'environnement et le respect de nonnes anti-incendie.

Une fois le proj et de construction élaboré, le Bureau de l'architecte en chef donne son
autorisation au commencement des travaux en délivrant le pennis de construire. Il doit obtenir
au préalable l'accord du ministère de la construction dans les secteurs particulièrement
sensibles comme le quartier Ba Dinh, les abords du lac Hoàn Kiém ou les environs du grand
théâtre. En revanche, afin d'accélérer la procédure, des représentants de l'architecte en chef
auprès des comités populaires de district sont autorisés à délivrer les pennis de construire
pour les bâtiments d'une surface de plancher inférieure à 200 m 2 et situés sur des petites
voies. C'est l'échelon du phuimg qui est chargé de vérifier la confonnité des travaux au
pennis de construire. Il est important de noter que les autorités de phuimg n'ont en revanche
aucun droit à délivrer les pennis de construire alors qu'elles le font couramment (voir chapitre
6).

209
L'obtention d'un penms de construire auprès du Bureau de l'architecte en chef est
particulièrement difficile et aléatoire pour la population. Avant 1997, il fallait au candidat à la
construction rassembler quatorze documents émanant de divers services administratifs. La
lenteur de cette procédure explique en grande partie le choix de l'illégalité fait par les
particuliers en attendant une régularisation ultérieure. Début janvier 1997, le Bureau a
simplifié la procédure de délivrance des permis de construire et à renforcer les prérogatives de
son service dans ce domaine. Il ne faut désormais plus que deux documents: le certificat de
droit d'usage du sol et le titre de propriété du bâtiment en cas de réparation. Malgré cela,
l'action du Bureau de l'architecte en chef en matière de délivrance des permis de construire
est particulièrement critiquée au sein de l'appareil d'Etat et du Parti. Par sa lenteur à les
délivrer, il est rendu responsable des constructions désordonnées qui ont recouvert le sol de la
capitale. On lui reproche également de ne pas être assez strict et de ne pas intervenir
rapidement lorsque des travaux sans permis sont en cours. Il est aussi jugé trop accommodant
avec des projets immobiliers, notamment internationaux, qui sont contraires aux règles fixées
par le schéma directeur. En définitive, c'est sa capacité à faire respecter les droits à construire
qui est contestée. 10 Il est possible que ces critiques de plus en plus précises servent à préparer
un nouveau changement.

L'urbanisme réglementaire pourrait être prochainement confié au service de la construction.


Ce serait une « revanche» pour ce service qui a vu ses fonctions réduites après la création du
Bureau de l'architecte en chef. Il a toutefois préservé un rôle important en exerçant un
contrôle sur les coûts de construction des projets financés sur le budget de l'Etat. Il administre
également les nombreuses et lucratives entreprises de construction de la municipalité. Les
entreprises de construction municipales sont en effet intégrées au sein même du service de la
construction. L'intrication d'un service administratif financé par le budget municipal avec des
entreprises disposant de leurs propres capitaux pour fonctionner peut surprendre. En fait, les
ressources résultant des activités des entreprises servent en partie à fmancer lès fonctions
administratives du service et notamment à payer des salaires supérieurs au niveau officiel de
la fonction publique locale. Cette confusion des rôles nuit à la fois à la bonne gestion des
entreprises, qui doivent financer des activités non rémunératrices, et à l'exercice des tâches
administratives, suspendues aux bons résultats des entreprises. La municipalité semble avoir
décidé de couper les liens qui unissent le service aux entreprises en regroupant, début 2000,

10 Nous reviendrons en détail sur ce point particulier dans le chapitre suivant.

210
toutes ses dernières dans une entreprise générale de développement de la construction (T ô'ng
công ty phal triln xây df!ng Hà Nrli)·

3.2. Conflits de compétences pour la gestion foncière et immobilière.

Avant les réfonnes, le service du logement (s6 nhà dât) était responsable de la gestion et de
l'entretien du parc immobilier d'Etat ainsi que de la délivrance des autorisations d'usage du
sol à des fins résidentielles en ville. Al' époque, la gestion des terrains urbains était une
question interne à l'appareil d'Etat. La population ne se voyait jamais attribuer un terrain mais
un logement, le plus souvent dans un immeuble collectif. L'attribution des terrains aux
entreprises et organisations se faisait également par négociations entre le ministère concerné
et le secrétariat du comité populaire.

Tout allait changer avec l'adoption de la politique de partenariat pour le logement à la fin des
années 1980. Elle consistait en l'attribution des terrains à bâtir aux employés du secteur
public. Il fallait donc que l'administration leur délivre un certificat de droit d'usage du sol. En
1993, la loi foncière généralisait le principe de la délivrance de certificats de DUS à tous les
occupants de terrains. Ces certificats pouvant être librement transférés avec les bâtiments,
l'administration devait également enregistrer les différentes transactions afin de tenir à jour le
registre des détenteurs de DUS. Il fallait donc réorganiser de fond en comble l'administration
foncière.

Il n'y eut pourtant aucune innovation institutiOImelle majeure jusqu'en 1995. Jusqu'à cette
date, la gestion des DUS urbains fut de fait répartie entre plusieurs services qui délivraient,
non des certificats de DUS, mais des attestations qui devaient servir à obtenir ces certificats
lorsque les conditions de leur délivrance seraient fixées. Le service du logement continuait de
fournir des attestations d'usage du sol lorsque les terrains étaient déjà-bâtis. En ce qui
concerne les terrains à bâtir, le service de la construction, puis le Bureau de l'architecte en
chef à partir de 1992, distribuaient les attestations de DUS lorsqu'ils avaient eux-mêmes
supervisés le lotissement d'un terrain par un organisme public. En fait, ils se contentaient de
délivrer des attestations collectives de DUS à tous les attributaires de lots à bâtir distribués par
un même organisme. Cette répartition des compét~nces entre trois services compliquait
singulièrement la gestion foncière urbaine. En outre, nous le savons, la majeure partie de la

211
construction individuelle se faisait en dehors du cadre légal. Or, aucun service n'avait pour
fonction de contrôler et d'interdire les ventes de terrains non bâtis. Le service de la
construction et le Bureau de l'architecte en chef étaient incompétents puisque les transactions
foncières s'effectuaient sans plans de lotissement. Quant au service du logement, il n'avait
aucun rôle à jouer en matière de terrains non bâtis.

En 1995, une nouvelle administration foncière fut créée pour combler cette lacune. Il existait
depuis longtemps un département général de la gestion du sol agricole (t6ng ClfC qudn li rU(lng
OOt), organisme de rang ministériel, chargé de faire coïncider la planification de l'usage des
sols agricoles avec les objectifs de production fixés par les plans économique. Il exerçait une
tutelle administrative sur les services de gestion des terres agricoles (sa qudn li rUtlng dât) au
niveau des provinces. C'est cette administration qui fut transformée pour devenir le
département général de l'administration foncière (t6ng ClfC dia chinh) et, au niveau provincial,
le service de l'administration foncière (sa dia chinh).ll

Cette administration est à la fois responsable de la gestion des terres rurales et urbaines. Elle
doit notamment effectuer régulièrement des relevés cadastraux, fixer conjointement avec
d'autres ministères les prix officiels de chaque catégorie de terrains, enregistrer et délivrer les
certificats de DUS et recevoir les plaintes pour infractions à la loi foncière et les résoudre. 12
Dans les provinces et les grandes villes, les services de l'administration foncière ont
également pour fonction d'élaborer des plans d'utilisation du sol à 5 ou 10 ans. Il s'agit de
déterminer les besoins en terres des différentes activités et de délimiter des zones pour
chacune. Ces plans d'utilisation des sols doivent être élaborés en étroite relation avec les
schémas directeurs.

Traditionnellement, l'administration foncière est très contrôlée par le pouvoir politique. Ceci
s'explique par le fait q~e la gestion des terres est une question particulièrement sensible dans
un pays encore très majoritairement rural. Seuls les présidents de comités populaires de
niveau provincial peuvent signer les attestations d'usage du sol. Officiellement, ils exercent ce
pouvoir sous le double contrôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement. Mais en
réalité, les responsables politiques locaux utilisent fréquemment leurs prérogatives pour

"Dia chinh est un tenne ancien qui signifie le cadastre. Toutefois, ici, il doit être entendu au sens large
d'administration des questions foncières. La traduction anglaise de t6ng c'!-c d,a chinh est d'ailleurs general
department ofland administration.

212
constituer leur clientèle politique et asseoir leur pouvoir. L'administration foncière ne joue
alors qu'un rôle technique. Ceci est moins vrai en milieu urbain où la complexité des
situations accroît l'autonomie de l'administration vis-à-vis du politique.

Depuis quelques années, il existe un débat au sein du pouvoir sur la question de savoir si
l'administration foncière doit se contenter d'un rôle de technicien ou doit intervenir dans les
choix d'attribution des terrains. Face aux pratiques clientélistes des responsables politiques
locaux, le gouvernement souhaite renforcer les pouvoirs de l'administration foncière. En
1998, il avait introduit dans le projet de loi modifiant la loi foncière le remplacement du
département général de l'administration foncière par un ministère des questions foncières.
Bien que de rang ministériel, le département général ne possède pas l'autorité, le personnel et
les moyens fmanciers d'un ministère. Par cette réforme, le gouvernement aurait alors pu
exercer un contrôle plus strict sur la gestion foncière des élus locaux. Cette proposition a été
retirée du texte final lors de sa rédaction par la commission des lois de l'Assemblée ou par les
députés en séance plénière. Il semble donc que le Parti ait préféré tenir des fonctionnaires à
l'écart des décisions en matière foncière, peut-être parce qu'il ne les contrôle pas autant que
les élus locaux.

Le service de l'administration foncière de Hanoi fut crée en 1995 à partir du service de


gestion des terres agricoles. Il reçut du service de la construction la commission de l'usage
des sols ainsi que l'entreprise des mesures cadastrales. Service récent, il souffre de l'absence
de formation de ses cadres à leur nouvelle mission. Formés pour la plupart à l'université
d'économie agricole, ils ne sont pas coutumiers des mécanismes économiques propres aux
marchés fonciers urbains. La nomination d'un architecte à la tête du service signifi'e pourtant
que l'on attend de lui qu'il remette de l'ordre dans la gestion des terrains urbains. Pour cela, la
fonction essentielle du service de l'administration foncière est d'enregistrer' les transferts de
DUS et de délivrer à cette occasion des certificats de DUS. Il est également chargé de
régulariser toutes les transactions intervenues avant 1995.

Avant d'aborder les détails de la procédure de régularisation (chap. 6) , il convient de


souligner dès à présent que le service de l'administration foncière n'a pu mener à bien cette
mission en raison de l'obstruction du service du logement. Ce dernier disposait en effet des
archives concernant les attributions de terrains résidentiels à Hanoi jusqu'au début des années

12 Décret nO 88/CP sur la gestion et l'usage des terres urbaines, 17,08.1994.

213
1990. Il détenait donc les informations indispensables pour certifier l' occupation des terrains.
Il s'opposa au transfert des archives et entendit conserver sa main mise sur la gestion des
droits d'usage résidentiels. Le conflit ouvert entre les deux administrations conduisit la
municipalité à les fusionner. Entre un service du logement au fonctionnement très
bureaucratique et un service de l'administration foncière faible car récent mais organisé sur un
mode adapté au nouveau contexte politique, le comité populaire trancha pour le second. En
avril 1999, il absorba le service du logement" pour devenir le service de l'administration
foncière et du logement (sJ dia chfnh - nhà dât).

Dans le même temps, une autre transformation s'opérait. Le service du logement avait crée
depuis le début des années 1990 une multitude d'entreprises de construction immobilières. A
l'origine il s'agissait des entreprises chargées de l'entretien et des réparations des immeubles
collectifs. Elles furent transformées en promoteurs immobiliers afin de générer des ressources
supplémentaires pour le fonctionnement du service. On retrouve le même schéma que pour le
service de la construction et ses entreprises. La solution fut similaire. Les entreprises
immobilières du service du logement ont été séparées de la nouvelle administration pour être
rassemblées en janvier 2000 dans la compagnie générale d'investissement et de
développement du logement de Hanoi (T6ng c6ng ty ddu tu và phat triln nhà Hà Nrli) connue
sous le nom anglais de Hanoi housing development and investment corporation.

La latitude d'action dont dispose la municipalité pour gérer les affaires locales paraît en
définitive bien étroite. D'un côté, le Parti et le gouvernement surveillent tous ses faits et
gestes et les administrations centrales, l'Armée et les grandes entreprises la défient
ouvertement lorsque sa politique va à l'encontre de leurs intérêts. D'un autre côté, elle ne peut
faire appliquer ses décisions par la population qu'à travers le filtre de pratiques infra-
institutionnelles incontournables. Si l'on ajoute à ceci que l'administration municipale est
... -
déstabilisée en son sein par sa nécessaire réforme, on imagine aisément qu'elle rencontre
nombre de difficultés à mener à bien sa mission d'institutionnalisation de la réforme foncière.

214
Chapitre 6. Rapports de force fonciers.

La première des tâches des pouvoirs publics en matière foncière est de garantir les droits de
propriété des personnes et des organisations sur leur terrain. Puisque l'essence de ce droit est
la faculté de le céder, la fabrication de la propriété doit porter sur la sécurité des mutations.
Ceci passe par la création d'un système d'enregistrement juridique donnant date certaine aux
transferts et interdisant qu'un même droit puisse être cédé successivement à deux personnes
différentes. Bien qu'elle ne soit pas strictement nécessaire, la tenue d'un cadastre vient
renforcer la connaissance qu'ont les pouvoirs publics de la propriété sur leur territoire. 13
L'infonnalité de la très grande majorité des transactions foncières à Hanoi soulève à ce sujet
beaucoup de questions. Comment les acteurs du marché noir parviennent-ils à sécuriser leurs
transactions? Comment la municipalité peut-elle entamer une action de régularisation, seul
moyen pour elle de détenir les infonnations nécessaires à la garantie légale des droits d'usage
du sol?

Garantir les droits d'usage du sol n'est pas suffisant, il faut également définir leur contenu des
droits en fonction des objectifs d'aménagement de la ville. Il s'agit de fixer des contraintes à
l'usage ou à la construction des terrains selon des critères issus des documents de
planification urbaine. Ceci passe par l'élaboration d'outils réglementaires comme les plans
d'occupation du sol ou les pennis de construire. Dans le cas des terrains destinés à des projets
immobiliers confiés à des promoteurs, la municipalité doit pouvoir fixer les droits à construire
associés au bail foncier. C'est le développement apparemment incontrôlé de la construction
dans la capitale qui nous semble devoir alors être expliqué.

Au delà de ces deux aspects de gestion foncière, il existe une intervention de la municipalité
sur la natUE...e et le stock des terrains de la capitale. Les besoins en terrains des différents
acteurs économiques exigent en effet de les alimenter régulièrement en nouvelles terres
urbanisables. Ceci est d'·autant plus nécessaire lorsque la croissance économique est forte et
que la pression sur les terrains urbains est élevée. Pour transfonner massivement, et de
manière cohérente, des terrains agricoles en terrains à bâtir, la municipalité doit
nécessairement disposer de procédures d'indemnisation foncière efficaces.

13 Joseph Comby (1995, P 30) montre que les vieux pays européens n'ont pas eu besoin de créer des cadastres

pour sécuriser les transactions foncières. Les cadastres furent crées lorsque les Etats voulurent percevoir des
impôt sur les mutations.

215
1. Les conflits de régularisation des droits d'usage du sol.

Pour des raisons idéologiques, le Viêt-nam a choisi de créer un régime foncier fondé sur
l'attribution et la location de droits d'usages du sol et non sur la propriété pleine et entière.
D'autres exemples de pays ayant fait ce choix montrent qu'il implique une gestion publique
des terres particulièrement efficace. Selon Ray Archer (1994, p 22 ), le système des baux
emphytéotiques ne donne de bons résultats que s'il est mis en œuvre par une administration
très compétente. Il impute ainsi le succès de l'urbanisation de Hong Kong moins à la
spécificité de son régime foncier qu'à la capacité des pouvoirs publics à s'adapter aux
exigences du marché foncier. Il estime donc que si les gouvernements des anciens pays
socialistes ne souhaitent pas ou ne peuvent pas mettre en place une administration foncière
efficace, il est préférable d'opter pour le régime de la pleine propriété.

Depuis le milieu des années 1990, l'Etat vietnamien tente d'introduire un mode de gestion des
droits fonciers adapté aux nouvel environnement économique. Pour ce faire, il a entamé un
processus d'enregistrement des mutations et des occupations foncières. Le problème de
l'enregistrement des droits est différent selon qu'il s'agit de terrains résidentiels, de terrains
agricoles exploités par les familles paysannes ou de terrains alloués aux entreprises et
organisations. Dans le premier cas, les pouvoirs publics se heurtent à la généralisation du
marché noir qui les conduisent à mettre en place une procédure de régularisation. En ce qui
concerne les terrains agricoles, l'Etat doit entériner les partages consécutifs à la
décollectivisation. Enfin, dans le troisième cas, c'est la gestion économiquement rationnelle
des baux fonciers qui est en question.

1.1. Terrains de logement individuel: vers une régularisation par


reconnaissance des droits existants.

La garantie des droits des particuliers sur les terrains résidentiels est la plus complexe à mettre
en œuvre. 14 L'ampleur des transactions intervenues sur les terrains urbains depuis l'ouverture
économique a conduit à multiplier les propriétaires" de fait" sans que l'administration n'ait

14Bien que la question touche les villes comme les villages, nous restreindrons ici notre analyse au milieu
urbain.

216
eu le temps de s'adapter. Il fallut attendre le vote de la loi· foncière de 1993 pour que l'Etat
s'engage à garantir pleil'iement les droits de particuliers sur leurs terrains de logement mais
aussi à confirmer l'interdiction d'acheter et de vendre des terrains nus. Or, ce n'est qu'en
199.7 que le comité populaire de Hanoi lança la procédure d'enregistrement des droits d'usage
du sol (DUS), soit 10 ans après les premières mesures d'encouragement de la population à
construire par elle-même. Il ne faut pourtant pas en déduire que les particuliers qui acquirent
des terrains avant 1997 ne disposent d' él;ucune sécurité sur leur terrain. Si cela était le cas, les
transactions n'auraieBt pas pu avoir lieu. Il nous faut donc commencer par comprendre
comment fonctionne en pratique la garantie des droits des particuliers sur leur terrain. Nous
verrons ensuite les multiples difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour tenter
régulariser la situation. Nous avons appuyé notre étude sur des enquêtes menées dans le
phLtèrng Giap Bat, situé en limite d'urbanisation à l'extrême sud de la ville.

1.1.1. Des pratiques infra-institutionnelles astucieuses.

La reconnaissance des droits de propriété par les Etats comporte deux aspects distincts.
Fondamentalement, il s'agit de réaliser un enregistrement des mutations foncières par la tenue
d'un registre. Mais la plupart des Etats accompagnent cette procédure juridique d'une mesure
d'ordre fiscal car ils soumettent les transactions au paiement de taxes - c'est dans ce but qu'ils
élaborent des cadastres. Sur ces deux aspects, comment agissent les pratiques infra-
institutionnelles?

En ce qui concerne tout d'abord l'enregistrement des mutations, il faut dissocier la situation
des rares personnes ayant obtenu leurs terrains par la voie légale du partenariat et celles qui
ont acheté au marché noir. Dans le cas des premières et jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi
foncière en octobre 1993, les documentS délivrés par l'administration étaient en fait des
attestations d'usage du sol. En l'occurrence, le Bureau de l'architecte en chef délivrait
collectivement des DUS aux attributaires de terrains aménagés par un même employeur. Lors
d'enquêtes menées dans le phLtèrng Güip Bat, nous avons demandé à des habitants d'un
quartier aménagé par leurs employeurs de nous montrer les attestations de DUS. 15 Ils
détiennent un document de leur employeur indiquant le numéro et la superficie du lot attribué

15 Pour une présentation de cette enquête et du lieu choisi, voir partie 2.

217
à chaque employé. Il y est indiqué que ce document autorise son détenteur à utiliser le terrain
pour y construire sa maison. Le permis de construire est également collectif car tous les lots
doivent être bâtis selon les mêmes normes. Interrogés sur leur confiance dans ces documents,
les habitants estiment que la décision de leur employeur de leur attribuer un lot constitue une
garantie suffisante de leurs droits. En outre, comme ils supposent que la délivrance des
certificats des DUS sera conditionnée au paiement d'une taxe, ils ne procéderont à
l'enregistrement de leurs droits que s'ils y sont forcés.

La situation des personnes ayant acheté illégalement leur terrain est différente. Elles ont eu
recours à la certification des contrats de vente par les autorités du phuèrng. Prenons un
exemple pour mesurer la valeur de ce mode infra-institutionnel de sécurisation des droits.
Une propriétaire à Giap Bat, que nous appellerons ici Mme Huyén, a bien voulu nous
expliquer son cas et nous fournir les documents en sa possession. Elle a acheté un terrain en
1994 dans le village Làng Tarn. A l'origine, ce terrain appartenait à une famille paysanne
habitant depuis des générations dans le village. Au début des années 1990, le chef de famille a
divisé son terrain en deux. Il en a laissé une partie à son fils et vendu l'autre à une personne
étrangère au village que nous appellerons M. Trung. Un bâtiment étant situé sur chaque lot, il
a respecté la fiction juridique de la vente d'un logement alors qu'il vendait en fait le terrain.
M. Trung n'a pas construit son terrain mais l'a divisé en deux lots dont la limite passe au
milieu du bâtiment. En 1994, il a vendu un lot avec son « morceau» de bâtiment à Mme
Huyên. Il a effectué une opération très rentable car il a vendu au plus haut de la fièvre
foncière. Elle a acheté l'ensemble pour 45 cây soit 290 $/m 2 . Il est important de noter que ni
l'un ni l'autre n'ont acheté le terrain dans le but de le bâtir et encore moins d'y habiter. Mme
Huyên pensait à l'époque que les prix fonciers allaient continuer de monter et espérait
revendre le terrain plus cher qu'elle ne l'avait acheté. Les prix ayant baissé, elle se contente
de louer gratuitement le bâtiment en contrepartie de l'entretien du jardin. En 1999, les deux
....
terrains n'ont connu aucune modification.

Il existe un contrat privé entre M. Trung et Mme Huyén. Il s'agit d'une simple feuille de
papier écrite à la main et signée par les deux parties sur laquelle figure le montant exact de la
transaction. Mme Huyén a ensuite voulu faire certifier la vente auprès du phuèrng. On lui a
remis un formulaire du service du logement et du foncier intitulé requête de vente et d'achat
de logement (don xin mua bân nhà). On y demande de donner une justification à la
transaction (décès, déménagement... ) ainsi que d'indiquer leurs conditions de logement

218
anCIennes (pour l'acheteur) et nouvelles (pour le vendeur). L'administration entend aInSI
vérifier que les transactions ne s'effectuent pas dans le seul but de faire un placement
rentable. Comme c'est justement la raison de la transaction, Mme Huyên, M. Trung et
l'ancien propriétaire.. se sont entendus pour déclarer que la transaction est intervenue entre
l'ancien propriétaire et Mme Huyên. L'opération de M. Trung est ainsi dissimulée. L'ancien
propriétaire a déclaré avoir vendu pour cause de déménagement et Mme Huyên a déclaré ne
pas avoir de logement et vivre avec s~s parents (ce qui est par ailleurs vrai, mais n'est pas
contradictoire avec la volonté de faire un placement immobilier). En outre, ils n'ont pas
déclaré le montant exact de la transaction (45 câys) mais seulement 5 câys. Cela permettra de
réduire le montant de la taxe sur le transfert des DUS le jour venu. Enfin, l'ancien propriétaire
disposant d'un titre de propriété (giây ch{(ng nhtj.n quyê'n sif hiiu ruqng dât) délivré à son père
par la mairie de Hanoi en 1956, Mme Huyên peut apporter la preuve de l'origine de son
terrain. C'est un élément qui pourra s'avérer déterminant lors de la régularisation de sa
situation.

La déclaration de vente et d'achat est donc entièrement fausse. Pour obtenir le tampon du
phuèmg, il a fallu payer un dessous de table. Dans ce cas précis, il s'élevait à un cây soit 2%
de prix de vente payé par l'acheteur. Astucieusement, le responsable du phuèmg n'a pas
certifié le document dans son ensemble, c'est-à-dire la vente, mais seulement le fait que le
nom du vendeur indiqué sur le document était bien celui du propriétaire de la maison (donc du
terrain) et qu'il n'y avait pas de disputes. Il est important de noter que ce document n'a
certainement jamais été reçu par le service de l'administration foncière. Il permet seulement
aux deux parties de détenir un document d'aspect officiel.

On peut noter ici que le but premIer recherché par les autorités locales est d'éviter les
usurpations et les disputes. Elles traitent la question des mutations foncières sous l'angle de
l'ordre social même si cela doit se passer par des entofS~s à la loi. Il faut rapprocher cette
attitude du contrôle policier des individus. Dans chaque phuèmg, le commissariat de police
détient un registre parfaitement précis et actualisé des habitants. Chaque citoyen vietnamien
doit en effet se faire enregistrer auprès de la police locale pour obtenir son livret d'Etat civil,
le hq khdu. Techniquement, ce mode de garantie de droits est relativement fiable pour
sécuriser la propriété. Les autorités du phuèmg connaissent en général très bien les occupants
des terrains même si cela est plus difficile dans les zones récemment gagnées par

219
l'urbanisation. Il existe cependant de très nombreux cas de litiges fonciers qui sont dus à des
relations conflictuelles au sein de mêmes familles qui échappent aux autorités locales. 16

Si les pratiques infra-institutionnelles s'avèrent relativement efficaces pour garantir un aspect


du droit de propriété, la sécurité des habitants sur leurs biens, en revanche, elles atteignent
leurs limites lorsque l'économie marchande se développe car elles freinent l'introduction des
biens fonciers et immobiliers dans des circuits financiers complexes. En particulier, les
attestations de voisinage ne sont plus suffisantes lorsqu'il s'agit d'hypothéquer les biens
auprès des banques. Certaines banques commerciales acceptent de prêter sur la foi de
certificats émis par les autorités de phuàng, mais elles intègrent le risque pesant sur la
légitimité du propriétaire dans la durée et le taux d'intérêt des emprunts. La mobilisation de
fonds par l'hypothèque n'est pas impossible mais elle est peu attractive (sur les exigences du
système bancaire vietnamien, voir chapitre 8).

Les pratiques infra-institutionnelles posent également de très nombreux problèmes dans les
relations entre les personnes privées et les pouvoirs publics. Un problème essentiel est celui
du respect des restrictions à la propriété fixées par la loi, mais ignorées par les autorités de
quartier. Nous avons bien vu que celles-ci ne considèrent pas la vente d'un terrain non bâti
comme illégale dans la mesure où un semblant de légalité est respecté (par exemple
l'existence d'une petite maison en brique sur le terrain) et que le vendeur est légitime. Or, la
politique foncière élaborée par la loi de 1993 repose sur le principe que seuls les terrains bâtis
peuvent faire l'objet de transactions entre particuliers. Les contrôles des phLtàng n'ont en
aucune manière empêché l'urbanisation massive de tous les terrains non bâtis de la capitale où
de ses abords qui n'étaient pas directement sous le contrôle de l'Etat. La justice est également
embarrassée pour traiter les nombreuses plaintes portant sur des litiges fonciers entre
particuliers. Depuis l'adoption du nouveau code civil en 1994, ces derniers sont encouragés à
porter leurs cài1flits devant les tribunaux. Il est toutefois nécessaire de se fonder sur des
documents administratifs légaux pour que la plainte soit recevable. La justice ne se substitue
pas à l'administration dans la tâche de régularisation.

Mais le problème le plus embarrassant pour l'Etat est celui de la fraude fiscale. Il convient de
distinguer ici deux types d'impôts, ceux portant sur la détention des biens et ceux portant sur

16 La presse s'en fail abondamment l'écho sans doute pour montrer les limites des pratiques informelles et

220
les transactions. Au Viêt-nam, les premiers consistent en des impôts sur les DUS et sur les
biens immobiliers (voir tableau 6-1). Les phLtèmg connaissant parfaitement les propriétaires
réels sur leur territoire, ils tiennent à jour un rôle d'imposition qui contient les deux
informations indispensables: le nom du propriétaire et la superficie du logement et du terrain.
Lorsque le percepteur de la ville vient sur place, il utilise ce rôle pour prélever les impôts
fonciers. Ces impôts sont d'un montant relativement bas: une dizaine de dollars par an
prélevés tous les 6 mois par le service Il).unicipal des impôts. Ils sont en général bien acquittés
par la population. En 1996, on estimait le taux de perception des impôts fonciers à 80% dans
le paysl? L'impôt sur les biens immobiliers n'est pas prélevé, l'Etat en faisant grâce à la
population jusqu'à présent.

Tableau 6-1. Les impôts et taxes portant sur le foncier urbain et l'immobilier.

Impôt ou taxe Raison du prélèvement Assuietti Assiette


Impôt sur la propriété Propriété d'une maison. Propriétaire du logement Prix officiel des bâtiments
immobilière. Depuis son instauration, cet
impôt n'a jamais été prélevé.
Impôt sur les DUS Usage de terrains Détenteur des DUS Prix officiel des terrains.

Taxe sur le transfert des DUS Vente d'une maison avec Vendeur Avant le 1.01.2000 : 20% du
terrain résidentiel. prix officiel des terrains lors de
la première transaction puis
5% en cas de revente.
Depuis le 1.01.2000 : 4% du
prix officiel des terrains
urbains (2% pour les terrains
ruraux)
Prélèvement de gestion Coût de gestion pour Bénéficiaire des documents. Forfaitaire
administrative "administration foncière.
-délivrance du certificat de
DUS
-travaux de certification des
changements d'usager,
d'usage et de dimension d'un
terrain
-établissement d'un dossier
contenant les documents
obligatoires et les cartes à la
demande du détenteur du
terrain
Prélèvement pour Achat d'un bien immobilier ou Acheteur 1% de la valeur de marché du
l'enregistrement de la foncier: terrain et du logement (si la
propriété (phI tnJiJc bi{J ) Comme les automobiles, les valeur de marché ne peut être
motos, les armes à feu, les estimé, ce sont les prix
terrains et les logements sont officiels qui s'appliquent).
assujettis au paiement d'un
droit d'enregistrement.

encourager il la régularisation.
17 Vietnam Investment Review, 21-27.10.96.

221
En ce qui concerne les transactions foncières, jusqu'en 2000, leur imposition était
particulièrement lourde au Viêt-nam pour des raisons d'ordre politique. En prélevant 20% du
prix officiel des terrains lors des transactions, l'Etat espérait les restreindre au strict minimum
et éviter ainsi la «marchandisation» des DUS. Cette fiscalité très lourde provoqua une
évasion fiscale considérable. "Trop d'impôt tue l'impôt". Le ministère des finances estimait
en 1996 que seulement 26% des sommes dues au titre de la taxe sur le transfert des DUS
étaient réellement perçues. Une autre raison de l'évasion fiscale tenait dans le fait qu'il
revenait au vendeur et non à l'acheteur de la payer. Ceci était peu cohérent avec le fait que
c'est l'acheteur qui a intérêt à disposer d'un terrain en règle et non le vendeur. Il semble que
le ministère des fmances ait pris conscience de ces deux erreurs. En septembre 1999, il a
soumis à l'Assemblée nationale une demande de révision de la législation réduisant le
montant de la taxe à 5% et pennettant au vendeur comme à l'acheteur de la payer. 18 En
définitive, l'Assemblée nationale fixa le montant de la taxe à 4% pour les terrains autres
qu'agricoles. En outre, elle annulait une mesure qui interdisait toute régularisation de la
situation: l'occupant d'un terrain ayant fait l'objet de multiples transactions sans paiement de
la taxe devait payer l'ensemble des sommes dues par ses prédécesseurs. Avec cette réfonne, il
ne payerait plus que pour la dernière transaction. Cette évolution de la fiscalité foncière
constitue un bon exemple du rapport de force opposant l'Etat à la population en matière
d'impôt. Si l'impôt est trop élevé, il conduit immédiatement à des pratiques infonnelles et
l'Etat doit ensuite le diminuer.

A la taxe sur le transfert des DUS s'ajoutent une taxe sur l' emegistrement de la propriété et
des frais administratifs. Les transactions immobilières doivent également être emegistrées
auprès d'un notaire d'Etat (ordonnance sur le logement de 1991). Mais la certification de
celui-ci n'a aucune valeur en ce qui concerne la propriété foncière. Le notaire ne. fait que
certifier le contrat de vente du bâtiment. Il ne garantit en aucun cas qu'il n'existe pas d'autres
-
personnes prétendant avoir des droits sur le terrain concerné. Cet emegistrement permet
surtout à la municipalité de prélever une droit sur la mutation.

« Sùa d6i Lu~t thue chuyên QSDD », [Amender la loi sur la taxe de transfert des DUS], Thài Mo Kinh të'Viêt
18
Nam, 15.09.1999.

222
1.1.2. Une procédure administrative contestée.

Les bases de la régularisation des droits fonciers et immobiliers furent posées par
l'ordonnance sur le logement de 1991 et la loi foncière de 1993. En 1994, le gouvernement
précisa la procédure de distribution des certificats de DUS résidentiel (giây chUng nhq.n quyé'n
sU' dl;lng dât 0) et des titre de propriété du logement (giây chUng nhq.n quyê'n sa hùu nhà 0) en
zone urbaine. 19 L'ensemble constitue ce que l'on appelle couramment le livret rouge (sb do,
voir lexique). La délivrance de ce livret rouge devait permettre de régulariser tous les droits
fonciers acquis depuis 1954 par une procédure administrative. Le Viêt-nam a donc choisi de
fonder la propriété des particuliers « par le bas »20, c'est-à-dire en confortant les droits acquis
des occupants: « La loi décide que tous les occupants de terrain dans telle ou telle situation
disposeront désormais de tels droits, ou seront affranchis de telle redevance, ou de telle
contraintes d'usage, ou de telle restriction à la cession de leurs droits. » (Comby, 1995, p 30).

Un décret stipule que la responsabilité de la régularisation revient aux services de


l'administration foncière des comités populaires de province et de grandes villes. Nous avons
vu que ce service ne fut crée à Hanoi qu'en 1995. C'est finalement en septembre 1997 que le
comité populaire prit la décision de lancer la procédure de régularisation avec pour objectif
d'accomplir la tâche avant l'an 2000. Cette procédure pose de nombreux problèmes que nous
pouvons répartir en trois types d'interrogations:
• Qui est le détenteur légitime du terrain?
• Quels sont l'usage et les dimensions du terrain?
• Quel est le coût de la régularisation et qui doit le payer?

a) Qui....e st le détenteur légitime du terrain?

En 1996, le service de l'administration foncière mena un projet pilote dans les deux phuèmg
de Kim Liên (quartier d'habitat collectif) et Lang Thuong (en limite d'urbanisation) pour
déterminer le nombre de personnes qui disposaient des documents légaux d'occupation des

19 Décret 60/CP sur les droits de propriété des logements et les droits d'usage du sol résidentiels dans les aires
urbaines, 5 juillet 1994.
20 Joseph Comby (I995, P 30) distingue un mode de fabrication de la propriété « par le bas» reposant sur la loi
et la prescription d'un mode de fabrication « par le haut» reposant sur J'attribution par l'Etat de concessions de
manière souvent arbitraire comme ce fut le cas dans de nombreuses colonies.

223
terrains. Une décision ultérieure du comité populaire de Hanoi énumère pas moins d'une
dizaine de documents émis par diverses administrations à différentes périodes qui constituent
21
les documents légaux. Deux types de documents en sont exclus: les titres de propriété
datant de l'époque coloniale et les documents certifiés par les autorités de quartier. Le résultat
de l'enquête est sans appel (voir tableau 6-2). Près de 100% des personnes ayant acquis des
terrains avant 1993 ne possèdent pas les documents légaux. Après cette date, la proportion
descend à 93%.

Tableau 6-2. Part des foyers occupant légitimement leur terrain et leur logement et
possédant les documents légaux d'usage du sol et de propriété des logements dans
les phllèJng de Kim Liên et Lang ThLtC1ng (1996).

Période d'acquisition du terrain et du logement


Avant le Entre le Après le 15.10.1993
18.12.1980 18.12.1980 et le
15.10.1993
Usage légitime du 54,3% 33,6% 10,8%
terrain et des
logements (pas de
dispute, conformité
aux règlements
d'usage du sol)
Possession de tous les 1,1% 0,2% 6,9%
documents légaux

Note: Le 12 décembre 1980 correspond à l'entrée en vigueur de la constitution de la république


socialiste du Viêt-nam unifié. Elle mettait fin officiellement à la propriété privée. Le 15 octobre 1993 est
la date d'entrée en vigueur de la loi foncière actuelle.
La légitimité de l'occupation des logements et des terrains diminue avec le temps. Nous y voyons la
conséquence du développement du marché noir à partir de la fin des années 1980. Parmi les
transactions intervenues après 1993, seuls 10% des foyers occupent et utilisent les terrains
conformément à la réglementation urbaine. La proportion de foyers disposant des documents légaux
est encore plus faible. Pour les personnes occupant leur logement depuis plus de 30 ans, cela peut
s'expliquer par sans doute par la perte des documents et les bouleversements des années de guerre.
Bien que très faible (7%), la proportion est plus élevée depuis 1993. C'est le résultat timide des
premières délivrances des attestations par les services municipaux.
Source: " Slow-down in land and housing rights n, Vietnam Economie News, 2-8.1.1998.

A la lecture de ces résultats, il àpparaissait que l'enregistrement des droits de propriété ne


pouvait se faire qu'après une procédure quasi générale de régularisation des occupations. Le
décret gouvernemental fixe la procédure de régularisation. 22 Pratiquement, elle est réalisée par
un formulaire du dossier de régularisation distribué aux habitants. Il est intitulé" tableau de
déclaration de l'enregistrement des logements et des terrains résidentiels" (ban kê khai dang

21Décision 3564/QD-UB sur l'enregistrement des maisons et des terrains et la délivrance des certificats de
propriété des logement et des certificats de DUS résidentiel dans la ville de Hanoi, 16.9.1997.

224
kY nhà a và dâ't 0'). La municipalité de Hanoi a commencé l'enregistrement dans certains
quartiers de la ville. En avril 1998, les services du comité populaire du phuèmg Giap Bat ont
demandé aux chefs des de voisinage (les tô' trudng) de distribuer les fonnulaires de
régularisation aux qt!.elques 2447 foyers ayant des logements privés.

Les infonnations demandées sont les suivantes:


• l'adresse de la parcelle,
• le nom du propriétaire et de l'occupant actuel (ainsi que celui de leur mari et femme) avec
leur date de naissance,
• la description du logement: nombre d'étages, catégorie du bâtiment, superficie habitable,
superficie de jardin, année de construction, la possession ou non d'un pennis de construire
• la description des dimensions du terrain: le numéro cadastral de la parcelle et sa
superficie.
• La déclaration sur l'origine de l'usage du terrain. Il s'agit d'indiquer tous les documents
officiels concernant le terrain et le bâtiment. Il est également demandé d'inscrire tous les
changements intervenus et qui interviendront sur la propriété du bâtiment et l'usage du
terrain.

Elaboré avec l'aide d'experts étrangers, ce fonnulaire pennet de recueillir toutes les
infonnations nécessaires à l'établissement d'un registre des propriétés et de leurs mutations.
Cette tentative de mise à plat des droits de propriété a néanmoins pour effet indirect de faire
ressurgir de nombreux conflits jusque-là étouffés. Le critère essentiel de la régularisation est
en effet l'absence de disputes entre prétendants de droits sur un même terrain. On aurait pu
imaginer qu'une instance judiciaire d'arbitrage des conflits soit constituée à cet effet. Il n'en a
rien été. La justice est tenue à l'écart du règlement des litiges portant sur la régularisation
puisqu'elle ne peut trancher les conflits que sur la base de documents légaux. 23 L'Etat préfère
s'en remettre aux pratiques infra-institutionnelles en utilisant les documents certifiés par les
phuèmg et les copies des déclarations d'impôt. Ce n'est pas une mauvaise .solution dans la
mesure où les autorités locales sont parfaitement au fait des situations dans leur
.....
circonscription. Notre point de vue est que le pouvoir connaît le caractère" explosif" de cette
question et préfère la régler en usant de la contrainte sociale que font peser les autorités de
quartier sur la population plutôt que de l'exposer sur la place publique en créant une instance
judiciaire. Pour beaucoup de maisons situées dans le centre ancien de Hanoi, les

22 Décret 60/CP sur les droits de propriété des logements et les droits d'usage du sol résidentiels dans les aires
urbaines, 5 juillet 1994.
23 Le projet de révision de la loi foncière en novembre J 998 prévoyait que le recours aux tribunaux serait
désormais possible sans documents légaux mais ce point de la réforme a été finalement écarté.

225
revendications des familles qui avaient fui en 1954 ou qui ont vu leurs biens réquisitionnés
par l'Etat empêchent toute régularisation des droits sur les terrains. La question est liée à
l'absence de législation fixant le sort des habitants actuels des logements réquisitionnés (voir
chap.7).

Il n'existe pas seulement des conflits entre particuliers mais aussi, plus embarrassant pour la
municipalité, des conflits entre pouvoirs locauX. Lors de nos enquêtes dans le phuèmg Giap
Bat, nous avons constaté que ses limites administratives ne sont pas complètement fixées.
Jusqu'en 1973, le village Làng Tarn appartenait à la commune (xâ) Thinh Li~t du district rural
Thanh Tri. En 1973, un redécoupage administratif le rattacha au district Hai Bà Tnmg sous la
forme d'un nouveau phuèmg. Mais des terrains situés au sud du village étaient exploités
depuis toujours par des agriculteurs de la commune de Thinh Li~t. ils refusèrent d'abandonner
leurs terres à la coopérative du phuèmg, et depuis, continuent de les exploiter. Cette querelle
territoriale se double d'un contentieux fiscal puisque l'impôt sur les terres agricoles appliqué
dans le phuèmg (district urbain) est 32 fois plus élevé que dans la xii (commune rurale). Il est
impossible de régulariser la situation des habitants sur ces terrains sans tranchèr de fait pour
l'une ou l'autre partie. Cette situation est loin d'être exceptionnelle: dans les campagnes
environnantes, de nombreux cas de la sorte ont également été provoqués par les
regroupements de terres lors de la collectivisation puis leur re-division lors de la
décollectivisation des terres agricoles après 1988. Le cas du phuèmg Giap Bat montre à quel
point la volonté de l'Etat de régulariser une fois pour toutes les droits fonciers engendre des
effets pervers en faisant ressurgir tous les conflits irrésolus depuis de nombreuses années.

b) Quels sont l'usage et les dimensions du terrain?

Nous avons dit que les autorités de quartier disposaient d'un rôle d'imposition précisant la
~ -
superficie de chaque parcelle. C'est suffisant pour établir le montant de l'impôt mais
insuffisant pour établir avec précision les limites de chaque parcelle. Les conflits entre voisins
sur quelques mètres carrés étant très courants, la municipalité a souhaité subordonner la
délivrance des certificats de DUS à l'établissement d'un cadastre précis. Jusqu'aux années
récentes, l'administration ne disposait que de très anciens plans cadastraux. Dans le centre,

226
c'était encore bien souvent le cadastre de la période coloniale qui était exhibé lorsque les
24
investisseurs étrangers s'intéressaient à un terrain.

Depuis 1995, le servIce de l'administration foncière a entrepris d'actualiser le cadastre de


Hanoi avec des moyens perfectionnés. Le plll(à71g Giap Bat a été cadastré en octobre 1996.
Des employés du service de l'administration foncière sont venus relever les limites des
parcelles moyennant le paiement de 100 000 dôngs (50 francs) par les occupants. Après que
les arpenteurs aient effectué les relevés des terrains, chaque foyer s'est vu remettre un procès-
verbal de fixation des limites et des repères de la parcelle (biêll hàll xac dillh rallh giôi, mô('
giÔ'i thua dâ't). Mme Huyên nous a remis son procès-verbal (voir illustration 6-1).

Bien que techniquement performante, la réalisation du nouveau cadastre de Hanoi se heurte à


quelques erreurs de méthode. 25 Les limites des terrains publics, et notamment des voies, ne
sont pas portées sur les planches cadastrales. Ceci permet aux particuliers d'empiéter sur la
voie publique. Un autre obstacle important est de nature institutionnelle. Le service de
l'administration foncière ne se charge en effet que de réaliser le cadastre des terrains
résidentiels. La gestion des terrains des administrations publiques et des entreprises dépend de
services internes à leur ministère. Le cadastre est donc incomplet et le cloisonnement des
services rend difficile le partage des informations.

2~ Lorsque les travaux commençaient, on s'apercevait que le terrain était en fait plus petit. Dans le cas de projets
enjoint-venture, c'est tout l'équilibre financier du projet qui était à revoir car la participation vietnamienne au
capital de la société consiste dans le loyer des DUS, lui-méme dép~ndant de la superficie des terrains (voir
chapitre 10).
25 Nous remercions M. François Charbonneau, professeur à l'institut d'urbanisme de Montréal, de nous avoir
donné des informations précieuses sur cene question.

227
Illustration 6-1. Etablissement d'un procès-verbal cadastral en vue de la
régularisation dans le phllèJng Giap Bat.

CONC HOA X" 1101 C1IÛ NGH 1A VI t.T NHI


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xAe DI NB RIINII CI ÔI. M6c G1Ô 1 TIIÛ" nA,.
Heô'I/1 \ lui. 0' 7 nAm JOOfJ .,Jè lïén liant! kltao sûl xc.c (linh 1"onh ~16:
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nom de roccupante du terrain
~.·n·,);\1 vnc al L.i so ~hil r/i et duonJ: phb 1 ;;;'.~ Ti/br
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Il signature de rocc~ante
du terrain

1 .~
sgnature du =-"'~j'" .. -
.:--.- • ~)'" ... -;,-'0/
président du comité populaire CI •." . '
duphuong

Outre le nom de la propriétaire et l'adresse du terrain, sont indiqués les noms des arpenteurs (1) et ceux des propriétaires de
terrains mitoyens (II). Ces demiers doivent signer le relevé en même temps que la propriétaire afin de s'assurer de l'absence de
conflit. On peut noter que les bâtiments ne figurent pas sur les relevés. Ces derniers sont effectués à l'aide de bornes
géodésiques. De l'avis d'un expert international coopérant avec la municipalité sur le cadastre, les relevés sont effectués avec
un bon niveau de fiabilité et de précision. En bas du document figure la signature de l'arpenteur, celle du cadre du phLlàng en
charge du cadastre et celle du président du phtJàng avec son sceau. Il semble que l'établissement du procès-verbal ait duré
plus d'une année. La date des relevés dans ce cas est le 3 juillet 1996 mais la date de certification par le phLlàng est le 31
octobre 1997.

228
Le cadastre réalisé se contente de déterminer la situation existante. Il servira de base à la
délivrance des certificats de DUS. Mais avant cela, les pouvoirs publics entendent imposer
des principes minimums d~aménagement urbain. L'Etat n'est en effet pas prêt à délivrer des
certificats de DUS aux habitants qui ont bâti illégalement car il faudrait alors ultérieurement
les indemniser pour réaliser les routes et espaces publics indispensables à tout quartier
résidentiel. 26 Nombre de quartiers construits par la population ne disposent que de conditions
minimales d'hygiène publique (voir chap. 8). Les voies de desserte sont notablement
insuffisantes et souvent il s'agit de simples chemins de terre d'à peine un mètre de large. Le
décret gouvernemental prévoit la réalisation de plans détaillés d'usage du sol avant toute
régularisation. Les plans détaillés du schéma directeur au niveau du district doivent poser les
grands principes des améliorations à apporter dans chaque phuèmg. Ceci implique que chaque
district dispose d'uri plan d'aménagement, ce qui est loin d'être le cas. En juin 1999, un seul
district urbain (celui de Câu Giây) disposait d'un plan d'aménagement conforme au nouveau
schéma directeur (voir section 3.2.). Les plans des autres districts furent achevés fin 1999.

A partir de ces plans établis à l'échelle 1/2000, la municipalité souhaite élaborer des plans au
1/500 ou 11200 dans chaque quartier afin de connaître avec précision les terrains touchés par
les modifications du cadre bâti. Dans le cadre de l'expérience menée dans les phuèmg Kim
Liên et Lang Thu9'I1g, la ville dressa les plans de l'existant et les plans d'aménagement des
quartiers (voir carte 6-1) . Mais en dehors de ces cas expérimentaux et des secteurs où des
grands projets immobiliers ou d'infrastructures sont en cours, aucun quartier de la capitale ne
dispose de ces plans. Pour compliquer un peu plus les choses, les plans détaillés du schéma
directeur ont été établis sur d'anciens fonds de carte. Il faut donc dans chaque quartier
entreprendre d'élaborer une carte du bâti existant. Nous avons vu que le plan cadastral ne
contient pas les informations nécessaires à ce travail puisque ni les bâtiments ni les routes, ni
les terrains non résidentiels n'y figurent. Ainsi, dans le phuèmg Giap Bat, le service municipal
de l'administration foncière a commencé, en juin 1999, l'élaboration d'une carte de l'état
existant du bâti qui doit seulement permettre au BAC de tracer au mieux les voies de desserte

26 La municipalité entend également faire respecter un point de la réglementation que nous n'avons pas abordé
jusqu'à présent. Une superficie maximale de terrain résidentiel est fixée pour chaque foyer. Au centre ville et
jusqu'au second boulevard de ceinture (les quatre anciens districts-urbains), chaque foyer ne peut prétendre à
plus de 120 m2, à l'exception des héros de la révolution qui peuvent disposer de 150 m 2 . En dehors de ce secteur,
les limites sont respectivement de 180 m 2 et 220 m 2 . Cela ne signifie pas que les familles ayant construit leur
maison sur des terrains trop grands vont devoir les détruire en partie mais que les superficies excédentaires
seront enregistrées comme terrains de jardins, et seront indemnisées, le cas échéant à cette valeur agricole.

229
en fonction de l'habitat existant. Ce n'est qu'après sa réalisation qu'un plan d'aménagement
du quartier sera réalisé et que les certificats pourront être délivrés.

En sus de la lenteur de réalisation du cadastre, ces plans d'aménagement de chaque secteur


ralentissent encore le processus de régularisation. Pour sortir de l'impasse actuelle, la
municipalité a proposé au gouvernement une mesure exceptionnelle susceptible d'accélérer la
régularisation. La municipalité propose que les certificats soient délivrés en retranchant des
terrains la superficie nécessaire à l'élargissement des voies existantes au gabarit de 3,5 m.
Ainsi, lors de la construction des voies, il ne sera pas nécessaire d'indemniser les habitants
pour la destruction de quelques mètres carrés de leur maison?? Cette mesure laisse supposer
que les nouveaux aménagements ne consisteront qu'à élargir les voies existantes. Cela est
contraire aux plans d'aménagements et paraît bien insuffisant au regard de l'inexistence
d'espaces verts et de loisir dans les quartiers résidentiels autoconstruits.

Le manque de plans cadastraux actualisés existe dans toutes les villes du pays. En mai 2000,
le département général du cadastre reconnaissait que seuls 35% des terrains urbains du pays
étaient couverts (soit 400 000 hectares). Se rendant compte que ce retard ne permettra pas
d'achever la régularisation avant la fin 2001, comme exigé par le gouvernement,
l'administration du cadastre a obtenu de n'effectuer qu'une régularisation a minima sur les
terrains non encore couverts par les plans cadastraux. Sur ces terrains, elle délivre un simple
certificat de droit d'usage du sol ( de couleur rouge). Sur les terrains déjà couverts,
l'administration connaît avec précision l'emplacement et l'usage des bâtiments et peut
délivrer les certificats de propriété du logement et les certificats d'usage du sol résidentiel (de
couleur rose). D'après le directeur adjoint du département de l'administration foncière, cette
dissociation est une solution temporaire?S A terme, les deux certificats devront ne faire qu'un.

27 La destruction des morceaux de bâtiments le long des voies élargies est une pratique courante qui permet à
l'Etat de ne pas avoir à indemniser la totalité des surfaces bâties. Cela n'est rendu possible que parce que les
bâtiments sont généralement de forme très allongée.
28 « Se don giàn hoa thù tl,lc nhà Mt »[vers une simplification des procédures foncières], Thài Mo kinh tê'Vi~t

Nam [le temps économique du Vietnam], 8.5.2000.

230
Carte 6-1 . Plan de l'état des lieux et plan d'aménagement du phuèJng Lang Thl1dng.

plan actuel plan d'aménagement

kh appro..

~ N

_ entreprises, organismes publics E3" lacs, étangs

• villages lImmII lotissements

CJ terres agricoles, rizières _ équipements publics

sourca: InsliM d'urbanisme de Hanoi, décembre 1996.

Ce phlfiJng a sans doute été choisi comme cas expérimental pour la diversité de ses usages du sol. La partie ouest est couverte
de villages et de rizières ou de cultures maraîchères tandis que l'est est divisé en vastes parcelles d'entreprises publiques et
d'organismes publics divers. Le plan d'aménagement perce de nouvelles voies et élargit les anciennes. Les parcelles des
entreprises publiques sont moins touchées que les zones villageoises car elles étaient déjà disposées le long des quelques
voies existantes. Des équipements publics sont installés à la place des terres agricoles au centre du phlfiJng. Des secteurs
destinés à des projets de logements en bande sont également prévus.

231
c) Quel est le coût de la régularisation et qui doit le payer?

En 1999, le comité populaire de Hanoi a achevé l'enregistrement des quelque 185 743 foyers
faisant l'objet d'une régularisation (toutes les personnes ayant une propriété privée sans
certificat de DUS). L'étude des dossiers d'enregistrement doit conduire à la délivrance des
certificats sous certaines conditions. Pour les habitants qui réussissent à prouver leur
occupation légitime et dont le terrain n'est pas touché par des projets d'amélioration des
infrastructures, la délivrance des DUS est possible à une ultime, mais fondamentale,
condition: le paiement des DUS.

Le pnnclpe posé par le gouvernement en 1994 est en effet que seuls les habitants qUi
disposent de tous les documents officiels certifiant leurs droits sur les terrains sont enregistrés
sans avoir à payer autre chose que des frais d'enregistrement. En revanche, tout occupant qui
ne peut être enregistré sans avoir recours à la procédure de régularisation est jugé usurpateur
d'un terrain de l'Etat et doit donc lui payer les DUS au prix officiel des terrains. Nous avons
vu que cela concerne la quasi-totalité de la population.

En 1996, le gouvernement réajusta sa position après ~olr pns conscience que certaines
personnes occupaient tout à fait légitimement leurs terrains mais ne disposaient pas ou plus
des documents officiels?9 Les familles occupant leurs logements et terrains depuis un période
antérieure à 1980 sont désormais exemptées de paiement des DUS puisque à l'époque ils
n'étaient pas payants. Si le terrain est occupé depuis une période située entre 1980 et 1993, les
foyers doivent payer 20% du prix officiel. Enfin, l'occupation de terrains depuis 1993 est
régularisée après paiement intégral du prix officiel puisque la loi foncière était entrée en

vigueur.

Toutes les expériences de régularisation menées jusqu'ici concordent sur le fait que la grande
majorité de la population concernée refuse de se plier à ces conditions. Lors de la tentative
expérimentale de régularisation menée à Kim Liên et Ling ThUQllg en 1996, 3 850 dossiers de
régularisation furent délivrés. 2 539 ont été remplis et retournés par les habitants. Après
enquête du service de l'administration foncière, le président du comité populaire a accepté de
signer 442 certificats qui étaient conformes au nouveau plan d'aménagement et ne faisaient

29 Décret 45/CP amendant l'article 10 du décret 60/CP sur les droits de propriété des logements et les droits

d'usage du sol résidentiels dans les aires urbaines, 3.8.1996.

232
pas l'objet de disputes, soit un quart des demandes. Mais seuls 21 certificats ont été délivrés à
leurs destinataires. Dans les 421 autres cas, les habitants refusèrent de payer les DUS.

Examinons la situation dans le phuèmg Giap Bat. En ..avril 1999, le chef de tél a réuni les
habitants pour discuter des conditions de régularisation fixées par le comité populaire. Les
foyers occupant un terrain non disputé, et situé sur des terrains qui ne devraient pas être
réaménagés, pourraient être régularisées. Conformément à la réglementation municipale, les
personnes ayant acheté des terrains après 1993 devraient payer la totalité des DUS, c' est-à-
dire acheter une seconde fois le terrain, cette fois-ci à l'Etat. Comme les autres personnes dans
le même cas, Mme Huyên a refusé ces conditions. Elle dispose d'un document prouvant
qu'elle a agi légalement en achetant un logement disposant d'un jardin à un autre particulier,
qui lui-même dispose d'un titre de propriété valable puisque délivré par une institution de
l'Etat socialiste. Elle n'a pas « envahi» un terrain public et ne voit pas pourquoi elle devrait le
payer à l'Etat. Elle reconnaît avoir fait une fausse déclaration et serait prête à payer une
amende pour infraction à la loi foncière, mais refuse de payer une seconde fois son terrain. En
outre, elle a déjà payé 5 millions de dôngs en dessous de table au comité populaire du phuèmg
pour obtenir une certification officieuse de son achat. Ce sont les mêmes personnes qui lui
réclament aujourd'hui plusieurs dizaines de millions de dôngs au nom de la procédure de
régularisation. Même les personnes occupant leur terrain en toute légalité, comme celles qui
se sont fait allouer un terrain par leur employeur dans le nouveau quartier résidentiel aménagé
à côté du village, refusent de se faire enregistrer pour ne pas avoir à payer les frais
d'enregistrement. Au total, sur les 2500 foyers usagers du sol à titre privé dans le phuèmg
Giap Bat, 98,93% ont refusé de se faire régulariser. 3o

Face à cette situation de blocage, la municipalité a essayé d'assouplir sa position. Un premier


pas en ce sens a été effectué en avril 1998 avec l'application de coefficients allant de 0,5 à 0,9
aux prix officiels lors de la délivrance des DUS. 31 Des coefficients plus ou moins élevés sont·
affectés à chaque rue selon que les prix du marché y sont élevés ou non. Cela revient en
général à diminuer d'un ou deux millions de dôngs (de 500 à 1000 francs) la valeur du mètre
carré. Ce geste fut loin d'être suffisant. Quelques mois plus tard, le comité populaire allait

JO « Qua viéc kê khai dé câp s6 do à phl1àng Giâp Bât» [Encore beaucoup de travail pour J'enregistrement en vue

de la délivrance des livrets rouges dans le phl10ng Giâp Bât], Kinh tê'&D6 thi, 14.7.1999.
JI Décision 6/QD-UB du comité populaire de Hanoi sur la fixation des prix des terrains lors de la vente de
logements de l'Etat aux locataires actuels et la délivrance de certificats de DUS et de propriété des logement
dans la province de Hanoi, 25.4 .1998.

233
plus loin en proposant que le paiement soit échelonné sur plusieurs années ou même qu'il
n'intervienne que lors du transfert ou de la location du terrain. On voit que la municipalité ne
peut revenir sur les exigences du gouvernement mais essaie de trouver une formule plus
favorable à la population. En août 1999, elle autorisait officiellement le paiement par annuités
des DUS. 32 Mais le détenteur des DUS ne peut exercer ses droits (transférer, transmettre par
succession, louer, hypothéquer, utiliser comme participation au capital d'une entreprise)
qu'après avoir payé la totalité des DUS. Le comité populaire prenait également toute une série
de mesures pour faciliter et accélérer la procédure de délivrance des certificats. Pour cela, les
phLtàng doivent désormais constituer un conseil d'enregistrement des logement (Hçi dong

diing kY nhà 6). En revanche, il n'y avait aucune innovation pour réduire le coût de la

régularisation.

En mars 2000, le service de l'administration foncière et du logement donnait des premières


statistiques sur les sommes à payer par les particuliers (tableau 6-3) et laissait entendre que
personne n'était prêt à payer un prix si élevé. Il reconnaissait aussi que la fixation des prix
était une tâche ardue, souvent sujette à modification, et qui occupait pas moins de 80% du
temps du personnel des comités de délivrance des certificats mis sur pied dans les districts.

Tableau 6-3. Montant des prélèvements à payer pour la régularisation des transfert
de DUS à Hanoi.

Nature du prélèvement minimum Maximum


taxe sur le transfert des DUS 18 $ 7000 $,
la taxe sur l'enregistrement de la 36 $ 5800 $
propriété
le paiement des DUS 11 $ 42800 $
, ..
Note: Il s'agit des montants reels obtenus par 1administration. L'ecart entre les minimums et les
maximums est dû au fait qu'ils ne sont pas divisés par la superficie des terrains. Il faut ainsi
comprendre que les personnes occupant les terrains les plus modestes devraient payer les prix
minimums et celles disposant des plus grandes superficies les prix maximums. Le fait que le paiement
des DUS soit inférieur aux taxes pour les terrains les plus petits et très nettement supérieur pour les
terrains les plus vaste tient au fait qu'il ne s'agit pas d'une taxe, nécessairement plafonnée, mais du
paiement des terrains au prix officiel.
Source: « Gian nan « sô oô» [« Les livret rouges :une tâche ardue »], Kinh té fJô th! [Economie et
ville]. 13.03.2000.

Actuellement, les pOUVOirS publics ont une conception purement administrative de la


régularisation: il faut que chacun dispose d'un document légal définissant ses droits sur un

32 Décision 69/1999/QD-UB du comité populaire de Hanoi concernant J'amendement du règlement


d'enregistrement des logements et des terrains résidentiels et de délivrance des certificats de propriété des
logements et des certificats de DUS sans la circonscription de Hanoi, 18.8.1999.

234
terrain dont nul ne conteste l'occupation et l'usage. Mais en soumettant la reconnaissance de
ces droits au paiement des DUS à l'Etat, ils refusent de reconnaître l'existence du marché
noir. Dans une réelle logique de régularisation, ce ne sont pas seulement les occupation des
terrains, mais aussi les transactions qui en sont à l'origine qu'il s'agit de régulariser. Pour
cela, il est indispensable que les autorités reconnaissent que les terrains ont déjà été payés et
qu'ils n'acceptent que de prélever une amende pour infraction à la loi foncière. C'est le pas
décisif qu'elles se refusent à franchir car il reviendrait à reconnaître officiellement qu'un
marché foncier a existé, au moins temporairement, au Viêt-nam.

Au total, en juin 1998, dans tout le pays, ce sont 41 000 certificats qui avaient été distribués,
soit 2% de l'ensemble des foyers urbains. C'est à HCMV que la régularisation fonctionnait le
mieux puisque 30 000 certificats y avaient été délivrés. En comparaison, la municipalité de
Hanoi n'avait signé que 1000 certificats de DUS, dont 189 seulement ont été payés par les
attributaires sur un total de 185 000 particuliers propriétaires d' un logement. 33 En octobre
1998, le directeur du service de l'administration foncière de Hanoi estimait que, dans l'état de
la réglementation existante, il faudrait dix ans pour régulariser tous les foyers de Hanoi. Au 31
décembre 1999, 7158 certificats avaient été délivrés, soit 3,8% du total. 34 Devant la lenteur
de la procédure, le gouvernement imposait au comité populaire un plan de régularisation
visant à régulariser 50% des foyers en 2000 et l'autre moitié en 2001.

Pour comprendre la meilleure 'situation de HCMV par rapport à Hanoi, il faut revenir sur le
rôle néfaste du conflit qui a longtemps opposé le service du foncier et du logement au service
de l'administration foncière. Dans un rapport au conseil municipal en juillet 1999, le comité
populaire identifiait précisément l'inefficacité de ses services comme l'une des causes de son
retard dans la procédure de régularisation. En juin 1999, le comité populaire de HCMV a opté
pour une méthode radicale qui pourrait bien être reprise à Hanoi si elle s'avérait efficace. La
Ville a lancé une campagne de déclaration de l'occupation des terrains et des logements par la

33 Le cas des personnes devenant propriétaires par l'achat d'un logement à l'Etat est différent. Ces personnes ne

sont pas comptabilisées dans les particuliers à régulariser. En fait, leur régularisation ne pose pas de problèmes.
En acquérant le logement, elles reçoivent également le certificat de DUS. Afm d'inciter à l'achat de logements
d'Etat, le certificat de DUS est gratuit pour les employés du secteur public et donne droit à de fortes réductions
pour les autres.
34 Il se pourrait que le nombre de certificats payés par les familles soit encore moindre. Les données dont nous
disposons sont étrangement floues sur ce point. En ce qui concerne ·Ies certificats délivrés selon la procédure du
décret 60/CP (la plus contraignante car soumise au paiement intégral de DUS), c'est le nombre de certificats
signés (kY) par le comité populaire qui est donné. En revanche, pour les certificats délivrés presque toujours
gratuitement lors de J'achat d'un logement d'Etat, c'est le nombre de certificats délivrés (câ'p) qui est fourni.
Thbl Mo kinh tê'Viçt Nam [le temps économique du Vietnam], 26.1.2000.

235
population. Dans un délai de deux ou trois mois, tous les propriétaires potentiels doivent
remplir les fonnulaires de demande d'enregistrement. Ceci ne règle nullement la question du
coût de la régularisation mais constitue toutefois une avancée dans la reprise en main de la
question par l'administration municipale. En février 2000, le comité populaire de HCMV
préparait une décision sur la délivrance des certificats de DUS prévoyant des possibilités de
paiement par annuités. Il est probable que l'on va donner les certificats contre un engagement
à payer plus tard, peut-être lors de la cession des DUS à un autre particulier. Une fois que
l'obstacle du coût officiel de la régularisation sera levé, celle-ci ne pourra être mise en œuvre
que lorsque l'Etat pourra leur garantir une procédure simple, rapide et sans coût informel
élevé.

Alors qu'à l'origine, la procédure de régularisation visait à relancer le marché sur des bases
saines, la position actuelle des pouvoirs publics a pour conséquence de diminuer fortement
l'activité du marché. Jusqu'en 1997-98, la possession d'une simple attestation signée par les
autorités de quartier suffisait à garantir aux acheteurs qu'ils disposaient de tous les droits de
propriété sur leur terrain. Depuis que la population sait que, tôt ou tard, il faudra payer pour la
régularisation, les acquéreurs potentiels veulent acheter des terrains et des logements
parfaitement en règle. Dans le cas où le vendeur est pressé de vendre et qu'il n'a pas le
certificat de DUS, il n'a d'autre choix que de concéder une diminution du prix de vente. Mais
dans la majorité des cas, le vendeur n'est pas tenu de vendre immédiatement. Il peut très bien
attendre une évolution de la réglementation. En outre, dans le cas où il occupe son terrain
depuis une période antérieure à 1993, il est probable que le coût de la régularisation sera
minime. Beaucoup d'éventuels vendeurs attendent donc d'être régularisés avant de passer à
l'acte. La conséquence n'est pas tant une diminution des prix que la réduction considérable
des transactions dans les zones d'habitation anciennes, c'est-à-dire dans le centre:-ville. En
revanche, les acheteurs sont généralement pressés d'acquérir leur logement. Ce rapport de
force dans l'échange en leur défaveur fait qu'ils sont prêts à payer tout de suite le prix de la
régularisation. En outre, ce sont eux qui ont le plus intérêt à ce que le terrain soit en règle, et
non les vendeurs. A condition que les pouvoirs publics s'orientent vers une diminution du prix
de la régularisation jusqu'à ne constituer qu'une faible proportion du prix de vente, on
pourrait imaginer que ce soit l'acheteur qui paye la régularisation en même temps que
l'enregistrement du transfert de propriété.

236
1.2. Terrains agricoles: spéculations et arrières pensées.

La délivrance de DUS sur les terrains agricoles est une question connexe à la problématique
du marché foncier urbain car nombre de terres agricoles actuelles sont destinées à être
urbanisées dans les années à venir. Comme nous l'avons signalé plus haut, les terres agricoles
ont un statut juridique différent des terres urbaines ainsi que des terres d'habitat villageois.
Elles sont cédées gratuitement aux familles paysannes pour une durée de 20 ou 50 ans selon le
type de culture. Deux mois après l'adoption de la loi foncière de 1993, le gouvernement fixait
les détails de la délivrance des DUS aux paysans sur les terres agricoles. 35

Après avoir longtemps refusé d'appliquer ce décret, le comité populaire de Hanoi a décidé de
ne délivrer les DUS que dans 41 communes les plus excentrées de la province. Fin 1998, la
quasi-totalité des familles avaient reçu les certificats. Dans ces communes, la régularisation ne
posait pas trop de problèmes. L'exode rura} y étant important, les disputes sur les terrains sont
rares. Les mutations y sont également très rares car l'influence de l'économie urbaine ne s'y
fait pas sentir. Dans ces secteurs, si les paysans vendent une partie de leur terres, c'est pour
construire leur propre habitation mais non pour investir dans la promotion immobilière
illégale.

En revanche, le comité populaire refusait toujours de délivrer les certificats de DUS dans les
77 communes qui constituent la périphérie immédiate de la ville. La raison invoquée est
qu'elles sont situées dans l'aire d'extension future de la ville fixée par le schéma directeur.
Cela signifie qu'à court ou moyen terme, la municipalité devra entreprendre de convertir les
terrains agricoles en terrains urbains. C'est particulièrement vrai dans les districts Tù Liêm et
Dông Anh où devrait être aménagée une vaste ville nouvelle à l'horizon 2020 (voir chapitre
10). Dans la perspective de négociations difficiles pour le déplacement des familles
paysannes, la ville refuse de leur donner une preuve tangible et irréfutable de leurs droits
fonciers. Il faut préciser que jusqu'ici, les droits de chacun ne sont inscrits que sur un registre
communal, ce qui permet toutes sortes de falsifications et d'arrangements de la part des
autorités locales sans que les paysans n'aient les moyens légaux de s'y opposer. Dans ces
communes périurbaines, les ententes entre les élus locaux et les familles qui constituent leur
soutien politique sont courantes pour tirer des plus-values de la construction de nouvelles

237
routes ou zones d'aménagement. Le système traditionnel des registres encourage les décisiçms
arbitraires puisque aucun litige foncier ne peut être porté devant la justice en l'absence de
certificats de DUS.

Il n'est pas sûr qu'en maintenant ainsi les paysans dans le flou juridique, la municipalité aurait
pu s'épargner des conflits violents lors de la récupération des terres. Elle ne faisait au
contraire que renforcer le ressentiment de ces derniers envers les autorités. En outre, l'absence
de titres fonciers fait le jeu d'une catégorie de personnes spécialisées dans la " chasse" aux
plus-values d'urbanisation. Dès qu'un projet de route ou d'aménagement urbain est prévu, ils
achètent les terrains aux paysans et les revendent en de multiples lots, avec la complicité des
élus locaux qui ont tout à gagner de la multiplication des prétendants à des indemnités. En
définitive, c'est la municipalité ou l'investisseur du projet d'aménagement qui sort perdant.

Néanmoins, la position du comité populaire n'était pas tenable très longtemps car elle allait à
l'encontre de la loi. En 1998, le comité populaire a donc proposé au gouvernement une
36
solution intermédiaire. En ce qui concerne les communes dont le schéma directeur prévoit
l'urbanisation avant l'an 2000 (6.310 hectares), il proposait de n'autoriser la distribution de
terres que pour une durée de 1 à 3 ans et de ne délivrer aucun certificat de DUS. Dans les
communes dont l'urbanisation est prévue après 2000, il suggérait de délivrer des certificats de
DUS dont la durée de validité dépendrait du programme de conversion des sols en terrains
37
urbains. La réponse du gouvernement fut négative : si la réalisation de projets
d'aménagement résidentiel ou de parcs industriels planifiés n'est pas prévue dans les années à
venir, il faut délivrer les certificats de DUS à la population. La solution du certificat
provisoire était donc rejetée.

En août 1999, le service de l'administration foncière commença la procé,pure de délivrance


des DUS agricoles avec pour seule exception les terrains de projets à réaliser rapidement.
Dans ce cas, il ne délivrait pas les certificats mais faisait quand même payer les loyers
fonciers. L'objectif était d'achever la régularisation avant le 1er janvier 2000. Néanmoins, dès
octobre, la presse s'est faite l'écho des nombreuses difficultés rencontrées et du retard

35 Décret 64/CP sur la cession des terrains agricoles aux familles les utilisant depuis longtemps conformément
aux objectifs de production agricole, 27.9.1993. .
36 Rapport 63ill-UB du Comité populaire au Conseil populaire de Hanoi à propos de certains problèmes dans la

gestion et l'usage des terrains dans la province de Hanoi, 15.7.1998.

238
probable de la régularisation. Les raIsons avancées pour expliquer ce retard sont les
suivantes: le partage injuste des terres entre familles lors de l'abandon de la gestion par les
coopératives et le fait qu'elles aient été distribuées dans certaines communes en fonction du
nombre de personnes actives du foyer et dans d'autres en fonction du nombre total de
membres du foyer (application du contrat 10). On peut noter que ces raisons étaient aussi
valables pour les communes excentrées et qu'elles ont pu être résolues. Mais le contexte
social dans lequel intervient la régularisation des terres agricoles à proximité de la ville est
beaucoup plus tendu. Il existe sur ces terrains de très nombreuses transactions plus ou moins
légales dans la perspective de retirer des plus-values de l'urbanisation prochaine. Pour la
première fois en mars 2000, la presse laissait entendre que les difficultés de régularisation
provenaient aussi des perspectives de développement urbain. Les résultats obtenus montrent
clairement que les zones en retard dans la régularisation sont celles où l'urbanisation est
venue interférer dans l'économie rurale (voir tableau 6-4).

Tableau 6-4. La progression de la régularisation foncière agricole en fonction des


districts à Hanoi.

Etape 1 : Elaboration du plan Etape 2 : Distribution des Etape 3.: Délivrance des

~
Districts
de distribution terres certificats de DUS

Sée Son Entre 94% et 100% des 11 communes 6 communes


communes

8ông Anh Entre 94% et 100% des 17 communes aucune commune


communes

Gia lâm Plan inachevé dans 5 6 communes 6 commLWleS


communes

Tl! liêm 50% des communes aucune commune aucune commune

Thanh Tri 44% des communes 4 communes aucune comm4ne

Note: Nous avons classe les districts ruraux des plus elorgnes aux plus proches de la Ville. La
corrélation entre la proximité et la progression de la régularisation apparaît ~ettement. Les deux
districts situé au sud du fleuve.... rouge (Tu Lîêm, Thanh Tri) dans la zone d'extension naturelle de la
ville sont particuliérement en retard. Le district Soc SClO, à l'extrémité nord de la province et très peu
atteint par les activités urbaines est en revanche le plus avancé.
Source: « Câ'p giây chung nh(m quyén st! d/,mg èlâ't nông nghÎ~p, té;lÎ sao ch?m ?)} [ Comment
expliquer la lenteur de la délivrance des certificats de droit d'usage du sol agricoles ?], Kink té' èlD th!
[Economie et ville], 10.032000.

Directive nO l8/1999/CT-TTg du 1.7.1999 sur les mesures à prendre pour permettre d'act.ever la délivrance des
37
DUS agricoles, forestiers et ruraux avant l'an 2000.

239
Les districts de Tù Liêm et de Thanh Tri, situés au sud et à l'Ouest de Hanoi, sont
particulièrement touchés par des transactions illégales dans la perspective de leur
urbanisation. 38 Dans certaines communes, on a pu observer des «changements de mains»
suspects. Ainsi, des ouvriers d'entreprises d'Etat ayant été licenciés à la suite des
restructurations industrielles du début des années 1990 ont trouvé un moyen de s'assurer une
retraite confortable en se faisant attribuer des parcelles de rizières par les comités populaires
de communes moyennant contreparties financières. Ils ne travaillent pas nécessairement ces
rizières, préférant les louer à des paysans sans terres, et attendent que les procédures
d'indemnisation des projets d'aménagement leur rapportent les dividendes de leur
« investissement ».39 Le comité populaire de commune joue un double jeu dans ce rapport de
force: il encourage la vente des terres moyennant le paiement de dessous de table et de plus
sera le principal bénéficiaire d'éventuelles indemnités. En effet, la distribution des indemnités
se fait au travers du comité populaire qui les répartie ensuite entre les familles et en conserve
une partie pour la restructuration de l'économie locale (voir section 3 de ce chapitre). Bien
entendu, ce partage se fait en fonction des intérêts propre des élus. On peut également citer
une autre pratique consistant à convertir à grande échelle des terrains de rizières en terres de
vergers afin de prétendre à une indemnisation plus élevée.

Nous avons également eu écho d'un autre phénomène original: des courtiers en terrains
viennent acheter en sous-main des terrains agricoles en périphérie de la capitale. Souvent
endettés, les paysans acceptent de signer des contrats reconnaissant le transfert de leurs droits
aux courtiers contre un acompte. Les paysans n'ont pas le droit de vendre des terrains mais la
loi pourrait changer et les courtiers prendre possession de leurs biens au plein jour. Ils
spéculent en quelque sorte sur l'évolution du droit foncier. En outre, en cas de récupération
des terres pour des travaux d'utilité publique, les paysans s'engagent à transférer leurs
indemnités aux courtiers.

1.3. Terrains d'activités: la fronde des entreprises et organisations publiques.

Officiellement depuis 1994, la plupart des entreprises et organisations doivent payer le droit
d'utiliser les terrains, soit sous forme de loyers dans le cas de la location des DUS soit sous

38 Je tiens à remercier Fanny Quertamp et Olivier Chabert pour leur précieuses informations sur les transactions
en cours dans les zones périurbaines de la capitale.
39 Cette pratique est décrite par Chabert et Rossi (à paraître en 2000).

240
forme de droits dans le cas de la mise à disposition. Rappelons que sauf exception (projet
d'infrastructure, paiement en une fois du loyer. .. ), elles n'ont pas le droit de sous-louer ou de
transférer les DUS. Si elles ont besoin de terrains, elles doivent en faire la demande au comité
populaire qui leur attribuera un terrain avec, à leur charge, l'indemnisation des ayants droit.

Dans les faits, il en va bien autrement. Une pratique courante des entreprises d'Etat consiste à
louer des locaux ou des terrains à des. entreprises privées. Comme ces terrains sont souvent
bien situés dans la ville, les entreprises publiques réclament un loyer nettement supérieur à
4o
celui qu'elles payent à la municipalité. Une pratique courante des entreprises et
organisations qui sont localisées dans le centre est de déménager vers la périphérie et
d'utiliser les anciens terrains pour réaliser des projets immobiliers. Le statut d'une entreprise
industrielle ou d'une organisation publique leur interdisant de réaliser de telles opérations,
elles commencent par créer une filiale dans la construction ou le tourisme. Elles doivent
ensuite obtenir le changement d'affectation d'usage du terrain et son attribution à leur filiale.
Ceci s'obtient par négociations informelles avec les pouvoirs publics. Il suffit ensuite de
trouver un investisseur étranger intéressé par le terrain pour créer une joint-venture. C'est
ainsi que de nombreux projets immobiliers internationaux ont été construits dans le centre de
Hanoi. Une autre méthode consiste pour la filiale à construire elle-même. La pertinence de ces
investissements par rapport à l'état du marché immobilier n'est pas toujours une question
41
importante pour l'entreprise ou l'organisme public.

Enfin, si les particuliers ont pu facilement acquérir des terrains au marché noir au début des
années 1990, c'est aussi parce les organisations et entreprises d'Etat les ont largement
approvisionnés. La vente des terrains destinés. aux activités propres des organismes publics
sous forme de lots à bâtir pour leurs employés était généralisée.

40 A l'occasion de la révélation du refus de deux petits entrepreneurs privés de quitter les terrains qu'ils louaient
à une entreprise municipale de produits métalliques alors que leur bail était expiré depuis une année, on
apprenait qu'ils louaient des ateliers de 148 m 2 et 273 m 2 pour un loyer de 200 dollars mensuels. Incidemment,
J'un n'avait pas de licence industrielle et l'autre était enregistré dans un immeuble de logements collectifs.
L'affaire a été révélée dans un journal municipal alors que la police leur avait ordonné depuis 8 mois de restituer
les terrains sans qu'ils obtempèrent. « Xù Iy nghiêm Vl,l chay y chiém gifr tr,1] phép m~l bàng sàn xuât cùa Công
ty Kim khi Thang Long)} [Régler l'affaire de la rétention illégale de terrains de production de la compagnie de
produits métalliques Thàng long ], Kinh tê' & dô thi [Economie et ville], 15.03.2000.
41 L'intérêt pour un directeur d'entreprise publique de réaliser un projet immobilier sur son terrain réside pour

une bonne part dans la commission occulte qu'il recevra de l'entreprise de construction contractée. Voir chapitre
9.

241
En même temps qu'elles enfreignaient massivement la loi, les organisations et entreprises
refusaient de payer les loyers et les mises à disposition des terres. Alors que depuis juin 1990,
le comité populaire de Hanoi est censé leur faire payer les attributions de terres, quasiment
aucun revenu ne fut perçu avant février 1992. Une enquête menée par le parquet populaire a
révélé que sur 7,6 millions de m 2 de terrains attribués par le comité populaire de Hanoi entre
1992 et juin 1994, près d'un tiers (2 millions) l'ont été à titre gratuit en infraction à la
réglementation 42 . Sur les deux millions de mi distribués illégalement, un tiers provenait de
demande du service du logement et du foncier, le reste du service de la construction et du
bureau de l'architecte en chef.

En avril 1996, le premier ministre publiait une importante directive à destination de tous les
43
organismes publics en matière d'usage des terrains. Il commençait par dresser le constat de
toutes les entorses à la réglementation: usage non conforme aux activités de l'organisme,
vente et achat de terres, non-paiement des DUS, occupation illégale de terrains ... Il rappelait
ensuite que toutes les organisations devaient remplir un contrat de bail ou de mise à
disposition avec les comités populaire de niveau provincial et payer les DUS. Ceci confirme a
contrario que nombre d'entreprises et d'organisations se refusaient jusqu'alors à verser leur
contribution foncière au budget de l'Etat. La directive identifie clairement la pratique de
lotissement par les entreprises pour leurs employés comme la source majeure de dilapidation
des terres publiques. Elle impose l'arrêt de ces pratiques et les remplace par la réalisation de
quartiers résidentiels par les seules entreprises de construction, suivant des plans dûment
ratifiés par les comités populaires. Le ton de ce texte est très ferme mais il se présente comme
une pétition de principe sans indiquer les mesures précises à prendre en cas d'infraction. Il se
contente de dymander à toutes les provinces de lui remettre un rapport sur les infractions
constatées avant de prendre des dispositions contraignantes. Le comité populaire .de Hanoi
s'exécuta et dressa en 1998 un bilan précis des infractions (tableau 6-5).

42 Les infonnations suivantes proviennent de l'article « People's committee probed over land fiddles », Vietnam
lnvestment Review, 12-18 juin 1996.
43 Directive 245-Dg du premier ministre sur les tâches urgentes à entreprendre concernant la gestion et l'usage
des terrains par les organisations qui louent où'disposent de terrains de l'Etat, 22.4.1996.

242
Tableau 6-5. Infractions des organismes publics à la législation foncière dans la
circonscription de Hanoi (1998).

Districts urbains de Hanoi Districts ruraux de Hanoi Ensemble de la


circonscription de Hanoi

Orc~anismes Superficie organismes superficie orClanismes superficie


Terrains non 108 39 ha 126 146 ha 234 185 ha
utilisés
Terrains loués ou 250 32 ha 67 21 ha 317 53 ha
utilisés
contrairement aux
activités
Vente de lots pour 371 80 ha 319 171 ha 690 251 ha
le logement
individuel
Total des 729 151 ha 512 338 ha 1241 489 ha
infractions
..
A la date du rapport, Il eXistait en tout 6420 organismes publics utilisant 6000 hectares soumis à la
location ou la disposition des DUS dans la province de Hanoi. La proportion d'organismes concernés
par les infractions serait donc proche de 20% et les terres concernées représenteraient 8% du total.
Bien que considérable en soi, cette proportion est sans doute inférieure à la réalité. En ce qui
concerne les infractions, on note que plus de la moitié (51 % des terres et 55% des organismes)
concernent la vente de lots à bâtir aux particuliers. Ceci confirme nos suppositions sur l'alimentation
du marché noir par les organismes publics. Vient ensuite le gel des terrains (39% des terres et un
quart des organismes). C'est une pratique beaucoup plus fréquente en milieu périurbain et rural qu'en
ville. En milieu urbain, les entreprises n'ont pas intérêt à geler des terres dont la valeur est très élevée
tandis qU'à la périphérie, elles attendent d'être gagnées par l'urbanisation pour les céder. Enfin, la
location et l'usage non conforme des terrains représentent seulement 10% des terrains mais plus d'un
quart des organismes et sont à peu près également répartis entre ville et campagne.
Source: rapport du comité populaire de Hanoi sur la gestion foncière, juin 1998, également « Giây tèJ
so hCtu, van càn nhiéu vuéJng mac [encore beaucoup d'entraves à la délivrances des droits de
propriété], ThèJi bao Kinh Té Vi~t Nam [Le temps économique du Viêt-nam], 15.04.1998.

Dans un rapport déjà cité 44 , le comité populaire propose plusieurs solutions pour accélérer la
régularisation de la situation. En ce qui concerne les terrains inutilisés ou utilisés
contrairement aux activités des organismes, il proposait que ces derniers établissent de
nouveaux projets d'utilisation des terrains. S'ils s'y refusaient après un certain délai, la
municipalité récupérerait les terrains contre l'indemnisation des éventuels bâtiments et
investissements réalisés sur le site (à condition qu'ils n'aient pas été finan~és sur des crédits
de l'Etat) et les attribuerait à d'autres organismes. Dans les cas les plus flagrants, la
municipalité a chargé des inspecteurs du gouvernement de récupérer les terrains. Cela
concernait 30 organismes et 23 hectares. En juin 1998, seuls 8 hectares avaient été récupérés.
Dans tous les cas, la municipalité exigeait que les organismes qui ne rendent pas les terrains
acquittent les DUS. Elle entendait ainsi mettre un terme au gel des terrains.

44 Rapport 63nT-UB au Conseil populaire de Hanoi à propos de certains problèmes dans la gestion et l'usage

des terrains dans la province de Hanoi, l5.7.1998.

243
Dans un entretien publié dans la presse, le vice-président du comité populaire de Hanoi . 1

recoIll1aissait que ces mesures étaient difficilement applicables sans le soutien du


gouvernement. 45 Il faut en effet bien considérer que la plupart des -organismes concernés ne
relèvent pas de l'administration locale mais de l'Etat central. Le rapport de force entre une
très grande entreprise d'Etat et la municipalité est rarement en la faveur de cette dernière. Le
cas des terrains du ministère de la défense illustre à ce titre la difficulté de la municipalité à
disposer du contrôle effectif de l'usage des terres dans sa circonscription. Pour des raisons
historiques, l'Armée dispose d'immenses terrains dans et autour de Hanoi. Elle en a profité
pour convertir des zones entières en quartiers de logements pour les militaires, qui se sont
empressés d'en revendre une partie au marché noir. Pour ses activités propres, l'Année est
exemptée de paiement des DUS mais le comité populaire estime que la création de quartiers
résidentiels ne fait pas partie des activités militaires et entend donc soumettre les habitants au
paiement des DUS. La municipalité souhaite en fait que les terrains lotis soient rendus par
l'Armée et rentrent dans le droit commun. Cette dernière s'y est longtemps refusée mais
depuis 1998, il semble que le gouvernement ait arbitré en faveur de la municipalité et que
l'Armée soit prochainement obligée de s'exécuter.

La capacité de la municipalité à distribuer les baux fonciers aux entreprises de façon


économiquement ratioIll1elle tout en dégageant d'importants revenus publics apparaît très
faible au regard de la situation actuelle. Les entreprises et les organisations publiques adoptent
un comportement similaire aux particuliers en établissant un rapport de force avec la
municipalité sur la question du paiement des droits fonciers. En 1997, le comité populaire
avait perçu 13,5 millions de dollars de l'attribution des DUS. Elle fit mieux en 1998 puisque
pour les 6 premiers mois elle avait déjà prélevé 13 millions de dollars, auxquels sont venus
s'ajouter 7,6 millions de la régularisation des organismes en infraction avec la loi foncière,
soit plus de 20 millions de dollars au total. Les recettes tirées de ces impôts fonciers abondent
le budget municipal dans une proportion non négligeable puisqu'à titre de comparaison, en
2000, le budget municipal s'élevait à 157 millions de dollars.

Que ce soit en matière de droits des particuliers ou des organisations, la municipalité de Hanoi
n'est pas encore parvenue à mettre sur pied un mode de· gestion foncière perfonnant.

45« Giây là S0 hw, viin càn nhiêu wang mile», [ Encore beaucoup d'entraves à la distribution des droits de
propriété], Thbi hélo Kinh tê'Vièt Nam », 15.4.1998.

244
Toutefois, après des années de confusion et sous la pression du gouvernement, elle est en train
de reprendre progressivement la situation en main. La norme légale devrait peu à peu
supplanter les pratiques informelles. En ce qui concerne les droits des particuliers, le dernier
obstacle qui s'y oppose est le refus de l'Etat de reconnaître la légitimité de ces pratiques dans
une période où la population n'avait d'autre choix que d'enfreindre la loi pour se loger de
manière décente.

2. La souplesse des prescriptions d'usage et de constructibilité.

En milieu urbain, on achète moins une surface de terrain que les droits de la valoriser qui y
sont attachés. Ces droits sont limités par un ensemble de contraintes. Celles-ci portent d'une
part sur l'usage du terrain et d'autre part sur les conditions de sa construction. A ce titre,
l'expression marché des droits à construire doit être préférée à celle de marché des terrains.
Pour que ce marché des droits à construire fonctionne parfaitement, il est nécessaire que la
réglementation de l'urbanisme définisse clairement et précisément ce que l'on peut faire et ce
que l'on ne peut pas faire sur un terrain. Pour cela, l'administration s'appuie généralement sur
le schéma directeur de la ville pour élaborer des plans d'occupation du sol, qui eux-mêmes
servent à délivrer des certificats d'urbanisme et des permis de construire.

La planification urbaine de la période de transition est concrétisée à Hanoi par les schémas
directeurs de Hanoi de 1992 et de 1999. La première tâche du schéma directeur est de
transcrire spatialement les besoins en usage du sol des différentes fonctions urbaines. Ces
besoins sont estimés en fonction des objectifs de développement socio-économique de la
capitale. En ceci, la procédure est comparable à celle adoptée pour la réalisation des
documents de planification occidentaux. L'originalité de la planification vietnamienne tient
dans la rigidité des prescriptions de construction. On peut y voir une sUrvivance de la période
~ ~.

d'économie administrée. Le plan du schéma directeur (au 1/10 000) est divisé en une
cinquantaine de zones pour lesquelles sont fixées des contraintes de constructibilité (carte 6-
2). Chaque zone se voit affecter une densité moyenne de construction, un nombre moyen
d'étages et un coefficient d'occupation du sol. Une fois le schéma directeur adopté par le
Premier ministre, il revient au plan détaillé de chaque district (échelle 112000) de préciser ces
contraintes de droit à construire. Le système est le même que précédemment: chaque zone est

245
subdivisée en une centaine de sous-zones. Pour chacune d'elles, les urbanistes doivent fixer
les 3 contraintes de construction afin de rester dans la fourchette définie par le plan au
1110 000. Un système aussi rigide ne peut pas fonctionner correctement. Lors de l'élaboration
des plans de détails, les urbanistes se rendent souvent compte de l'impossibilité de respecter
les normes du niveau supérieur car celles-ci ont bien souvent été déterminées sans
connaissance approfondie du secteur. Le schéma directeur doit alors être modifié. Afin de
permettre ces modifications, qui sont très nombreuses et d'importance, le Premier ministre ne
ratifie que les grands principes du schéma directeur et attend avec prudence que les plans
détaillés soient achevés pour l'adopter définitivement. La procédure prend un certain temps.
Un premier projet de schéma directeur à l'horizon 2020 fut présenté au Premier ministre en
1996. Fin 1998, il en a adopté les grands axes. En juin 1999, les districts urbains étaient tous
couverts par des plans détaillés mais il restait encore à couvrir les districts ruraux.

Les plans détaillés sont en quelque sorte des agrandissements du schéma directeur. Ils doivent
répartir les différents usages du sol en tenant compte des grandes orientations du schéma
directeur. Les urbanistes doivent intégrer des équipements publics, dessiner le tracé des
nouvelles voies ou encore désigner les secteurs à aménager. Mais il existe un second aspect
des plans de détail qui concerne la réglementation urbaine proprement dite. Outre les cartes, le
plan détaillé contient en effet des réglementations (quy chê) qui précisent les conditions de
réalisation du nouvel aménagement. Par exemple, si une école doit être construite dans telle
zone, elle devra accueillir tant d'élèves, occuper tant de superficie ... Si une zone contient un
lac, il est indiqué qu'une voie publique de telle dimension devra en faire le tour. Les
bâtiments à protéger sont également identifiés. Cette réglementation doit servir de base à
l'élaboration de plans d'aménagement au 11500. Ces plans ne sont pas élaborés pour toute la
ville mais seulement au cas par cas. La raison peut en être un projet d'investissement
immobilier ou le percement d'une nouvelle voie ou encore la nécessité d'adopter une
réglementation très stricte (cas du plan de protection du patrimoine de la ville ancienne). Ce
sont enfin ces plans détaillés qui doivent servir à établir les permis de construire et les
certificats d'urbanisme.

246
Carte 6-2. Une des trois zones du district Dong Da et ses sous-zones.

N
l'
50 m

Le médaillon présente une des trois zones du district. Elle est affectée d'une densité de construction comprise entre 50 et 55%,
un nombre moyen de niveaux entre 2,5 et 3 et un COS de 1,25 à 1,65 par le schéma directeur de la ville. Elle a ensuite été
divisée en 162 sous-zones. Dans chacune de ces sous-zones, ces trois critères sont à nouveau fixés de manière à ce que leur
moyenne correspondent aux critères de la zone. Dans l'ex1rait reproduit ici, les secteurs résidentiels ont été affectés d'un
nombre moyen de niveaux de 3, d'un COS de 1,2 et d'une densité de construction de 40%. Les secteurs d'activités peuvent
être plus densément construits (COS de 1,75, nombre d'étages de 3,5 et densité de construction de 50%).

247
2. 1. La défiance des particuliers.

Légalement, les certificats d'urbanisme et les permis de construire ne peuvent être délivrés
sans la détention des certificats de DUS. Mais comme la quasi-totalité de la population n'en
dispose pas, le BAC accepte toutes les demandes à condition que le contrat de vente soit signé
par le phuèmg et qu'il garantisse l'absence de disputes sur le terrain. D'après un responsable
du BAC interrogé à ce sujet, la frontière entre les personnes qui demandent les certificats
d'urbanisme et les permis de construire et celles qui s'en dispensent ne passe pas entre
détenteurs réguliers et irréguliers des DUS mais dépend plutôt de l'impact du bâtiment sur le
paysage urbain. Une personne qui achète un bout de terrain de jardin au cœur d'un village n'a
aucun intérêt à effectuer les démarches officielles car personne ne viendra inspecter sa
construction. A la rigueur, comme nous avons pu le relever lors d'enquêtes à Giap Bat, elle se
" couvrira" en demandant aux autorités du phuàng de lui délivrer un permis de construire de
complaisance. En revanche, l'acquéreur d'une parcelle en bordure d'une voie importante aura
intérêt à respecter les droits de construire sous peine d'inspection du Bureau de l'architecte en
chef lors des travaux.

Comme pour beaucoup d'autres questions, le respect des normes de construction dépend du
rapport de force entre les pouvoirs publics et la population. L'estimation courante selon
laquelle 75% à 90% des bâtiments construits à Hanoi depuis l'ouverture du pays ne disposent
pas de permis de construire indique clairement en faveur de qui penche la balance. En 1992,
la municipalité pensa renforcer son contrôle en la matière en transférant les pouvoirs
d'inspection des construction du service de la construction des districts à la police des phuong
(Koh, 2000, chapitre 5). Elle pensait que les policiers locaux, par leur connaissance précise de
leur quartier, étaient plus à même d'intervenir pour arrêter les constructions illégales. C'était
une erreur car leur proximité des administrés les exposait largement à la corruption et à
l'indulgence. Signe de son impuissance, la municipalité faisait marche arrière deux ans après
en retransférant les pouvoirs d'inspection au niveau du district, sans plus de succès. Il faut
également signaler que les particuliers étaient peu dissuadés par le prix à payer pour avoir
construit sans permis: 30 à 50 dollars en 1995. La même année, on estimait à 12 000 le
nombre de constructions illégales dans les quatre districts urbains de la capitale ( Koh, 2000,
chapitre 5).

248
A notre connaissance, il existe un seul cas où le rapport de force entre l'administration et les
particuliers s'est inversé au détriment de ces derniers. Il s'agit de « l'épisode de la digue» en
1994. Tout commença quelques années avant lorsque la municipalité décida de construire une
route sur la digue qui protège Hanoi des crues estivales du fleuve rouge. Comme partout où
une nouvelle route est construite, des personnes s'empressent d'acheter au noir les terrains
adjacents et de les construire. La digue fut ainsi rapidement recouverte de maisons, de
restaurants et de bars. Or elle est non .constructible en raison des risques de fragilisation que
lui font courir les fondations des bâtiments. Une inspection des services municipaux montra
que sur les 300 bâtiments construits, 230 n'avaient aucune forme d'autorisation (Koh, 2000,
chapitre 5). Alors que seul le Bureau de l'Architecte en Chef est autorisé à délivrer les permis
de construire, les 70 autres disposaient d' « agréments» émanant du service de la
construction, du district ou du quartier. Pour justifier ces agréments, les autorités de district et
de phuong avaient appliqué astucieusement un règlement municipal autorisant, dans certains
cas, la régularisation des constructions illégales sur des terrains publics. Ce règlement pose
toutefois comme condition à la régularisation que les bâtiments soient situés sur des terrains
constructibles. Sans demander au ministère compétent, celui de l'agriculture et de l'irrigation,
si la digue était ou non constructible, ils régularisèrent les constructions contre le paiement
d'amendes qu'ils conservèrent pour eux (une procédure pénale ultérieure montra qu'un vice-
président du comité populaire du district concerné préleva notamment une amende d'environ
700 dollars).

La gravité de la menace que ces constructions faisaient peser sur la ville toute entière poussa
46
le gouvernement à intervenir dans les affaires municipales. Fin 1994, la municipalité
ordonna l'arrêt des constructions. Preuve du peu de crédit que la population accorde à ces
menaces en temps ordinaires, les personnes concernées promirent de s'exécuter mais
intensifièrent les constructions discrètement. Après six menaces d'intervention, la
municipalité envoya des équipes de démolition qui détruisireflt. les parties des bâtiments
situées trop près du dévers de la digue.

La municipalité ne pouvant contrôler les construction illégales, elle est a fortiori impuissante
à faire respecter les règlements limitant la dimension des bâtiments. La meilleure illustration
de ceci nous semble donnée par les transformations intervenues dans la ville ancienne (appelé

46 Un élément aggravant aux yeux du pouvoir était que nombre de constructions étaient des bars « karaokés »

servant d'hôtels de passe.

249
aussi quartier des « 36 rues et corporations »). La volonté politique de protéger le patrimoine
architectural 47 de ce secteur a toujours existé même s'il a fallu attendre 1995 pour que le
ministère de la construction interdise officiellement les constructions de plus de quatre étages
ou seize mètres. 48 La ville ancienne est aussi le centre traditionnel du commerce-et de
l'artisanat de la capitale. Nous avons vu que le prix des terrains y est très élevé (au maximum
5000 $/m 2 sur les rues les plus commerçantes au sommet de la fièvre foncière 49).

Face à cette pression foncière considérable, les autorités publiques n'ont jamais réussi à
imposer le respect des contraintes de construction. En 1999, un règlement de protection du
secteur a été élaboré par la municipalité. Il ramène la hauteur maximale à douze mètres (trois
niveaux) en bordure des voies et à seize mètres (quatre ni veaux) à l'intérieur des parcelles. Il
introduit également des limites de densité de construction sur toutes les parcelles et un
coefficient d'occupation des sols pour les bâtiments publics sur des parcelles de plus de 300
m 2 • Cette amélioration de la précision des droits à construire a peu de chances d'être efficace
en l'absence d'un contrôle plus strict des constructions par les autorités de quartier et de
district. 50 Depuis quelques années, une très grande partie des anciennes maisons du quartier
ont été détruites et des bâtiments de commerce ou des" mini-hôtels" de cinq ou six étages
avec toit plat et antennes paraboliques les ont remplacées (illustration 6-2). Dans certains cas,
les propriétaires ont pris la précaution de demander un permis de construire au Bureau de
J'architecte en chef mais ne s'y sont pas conformés. Ce sont les autorités du phuàng qui sont
chargées de veiller au respect des normes de construction. Elles préfèrent fermer les yeux sur
des «erreurs de construction» qui leur permettent de prélever ensuite des amendes
exorbitantes pour dépassement de hauteur. Lorsque les inspecteurs du Bureau de l'architecte
en chef viennent vérifier l'application du permis d.e construire, il est trop tard.

47 Pour une étude détaillée et illustrée du patrimoine architectural et urbain du quartier, voir Hoang Huu Phê et
Nishimura Yukio (1990).
48 Décision 70IBXD du ministère de la construction sur la protection, la restauration et l'aménagement de la ville
ancienne de Hanoi, 30.3.1995. .
49 Ce prix inclut le bâtiment mais dans une proportion marginale puisque J'objectif de l'acquéreur est souvent de
le détruire et de construire du neuf.
50 Décision 45/ 1999/QD-UB du comité populaire de Hanoi sur le règlement provisoire de la construction, de la

protection et de la restauration dans la ville ancienne de Hanoi, 4.06.1999.

250
Illustration 6-2. Deux « mini hôtels}) construits sans respect des limitations de
hauteur dans le quartier des 36 rues.

Ces deux bâtiments font partie des nombreux « mini hôtels» érigés grâce à des complaisances des autorités locales. Seule
leur forme étroite et allongée rappelle qu'ils ont été construits sur une parcelle ancienne qui devait abriter à l'origine une
succession de petits bâtiments d'un ou deux niveaux et de courettes. L'architecture de l'un des bâtiments est visiblement
inspirée de celle du Grand théâtre construit pendant la période coloniale. L'autre montre l'intérêt qu'il y aurait à adopter
prochainement un plan de protection qui interdise l'usage de certains matériaux (notamment le verre et l'aluminium) pour
construire les façades. Photos L.P.

251
2.2. La négociation permanente avec les promoteurs.

Rappelons qu'il n'existe pas encore de marché des DUS mais seulement des procédures
d'attribution selon des prix officiels. A fortiori, il ne peut être question de marché des droits à
construire. Les pouvoirs publics mettent à disposition ou louent un terrain qui est par nature
adapté à l'activité prévue. Il ne peut donc y avoir de conflit entre les contraintes de
constructibilité et la nature du projet.

Il est toutefois un secteur particulier où l'investisseur recherche d'abord un terrain et propose


ensuite un projet, c'est celui de l'immobilier. Pour un promoteur, un terrain représente avant
tout le nombre de mètres carrés de bureaux, de chambres ou de logements qu'il permet de
construire. La nature de son projet dépend donc directement des coefficients d'usage des sols
et les limites de densité de construction qui s'appliquent sur son terrain. Or, ces contraintes
sont absentes du calcul du loyer foncier (il ne fait intervenir que des conditions d'équipement
et de profitabilité du terrain). Cette lacune s'explique par le fait que les normes de
construction, fixées de manière très rigide, sont souvent inapplicables en pratique. Elles
servent en fait à une négociation entre les pouvoirs publics et les investisseurs. La question
que l'on peut alors se poser est la suivante: la négociation constitue-t-elle un mode de
fixation des droits à bâtir qui assure un bon fonctionnement de l'économie immobilière tout
en préservant le contrôle des pouvoirs publics sur le cadre bâti ?

Nous proposons de répondre à cette double question en prenant pour exemple les
investissements étrangers dans l'immobilier situés dans le centre de la capitale. A Hanoi et au
Viêt-nam en général, la quasi-totalité des grands projets immobiliers est en effet portée par
des investisseurs étrangers associés en société mixte (ou joint-venture) avec des partenaires
vietnamiens. Autre caractéristique des projets immobiliers, ils sont localisée dans l'hyper-
centre des grandes villes. Hanoi n'échappe pas à cette règle. Ceci entraîne une situation
conflictuelle entre les intérêts des investisseurs et les pouvoirs publics qui entendent protéger
le patrimoine architectural et urbain du centre historique. Le rôle fondamental des droits à
construire est justement de réguler ces conflits par le droit.

Pour le gouvernement, le respect des plans d'usage du sol semble une question subalterne par
rapport à l'enjeu d'un investissement étranger. Avant même que la municipalité n'ait à se

252
prononcer sur la conformité des projets aux plans d'usage du sol, la délivrance de la licence
d'investissement par le ministère du plan et de l'investissement signifie de fait que le
gouvernement donne son accord à la réalisation du projet sur le site proposé. La commission
qui étudie les demandes de licences comprend des responsables du ministère de la
construction spécialement chargés d'évaluer les aspects constructifs des projets. Au début des
années 1990, les investisseurs n'eurent aucun mal à se faire délivrer des licences
d'investissement pour des projets de tours de 15 étages en plein cœur de l'ancien quartier
colonial. A cette époque, la nécessité absolue pour le gouvernement d'attirer les investisseurs
étrangers fit passer au second plan les préoccupations de protection du patrimoine. En outre, il
n'existait aucune réglementation précise définissant les droits à construire dans le centre.

En 1996, la perspective de voir plusieurs projets immobiliers défigurer le centre ancien poussa
le Premier ministre à approuver un plan de protection des abords du lac Hoàn Kiêm (carte 6-
3). Il fut définitivement adopté par le comité populaire en janvier 1997. Il contient quelques
mesures patrimoniales mais dans l'ensemble il est plutôt favorable à la transformation du
secteur. 51 Les conditions dans lesquelles ce document a été adopté pennettent de comprendre
l'ambiguïté de son contenu. Il devait en effet répondre à deux exigences différentes. Les
opposants aux projets avançaient des arguments de nature patrimoniale et réclamaient la mise
en place d'un plan de protection qui conserverait le cadre bâti en l'état. La position de la
municipalité était tout autre. Elle tenait à réaliser la rénovation du centre ville grâce aux
capitaux étrangers et ne pouvait accepter des mesures trop contraignantes. Le document final
essaya de tenir compte de ces deux exigences.

51 Décision n. 45/QD-UB portant sur la réglementation de la construction d'après le plan d'aménagement du


secteur h6 g/((1J1I et de ses alentours, 6.01.1997.

253
Carte 6-3. le plan d'aménagement du secteur Ho Guam et de ses alentours

..... zone de protection niveau 1

zone de protection niveau 2

§ sites de projets immobiliers


projetés ou en construction

o périmètre de rénovation
urbaine autorisée

comité populaire

cathédrale

r.-
.,
i

\
\
.
banque centrale

poste centrale

site du Hanoi Plaza


N

r
100m source: plan détaillé du secteur Ho guom et de ses environs
ministère de la construction - comité populaire de Hanoi,1996.

Le plan interdit de modifier les monuments historiques et contrôle étroitement les modifications portées à des bâtiments de
valeur patrimoniale reconnue. Parallèlement, il délimite quatre îlots pouvant faire l'objet d'une rénovation lourde. Ils sont
aujourd'hui occupés par des bâtiments publics construits dans les années 70 et 80 (Poste, Mairie). Les seize autres îlots
peuvent être rénovés dans le respect de contraintes de construction assez peu claires. Des valeurs maximales de coefficients
d'usage des sols, de densité de construction et de nombre d'étages moyennes sont fixées au niveau de t'îlot. D'autres
contraintes sont fixées en fonction de la nature du bâtiment à construire: un bâtiment à usage culturel doit se tenir à un COS de
2 alors qu'un immeuble de bureaux ou de commerce dispose d'un COS de 3,5. Dans les faits. la seule mesure qui soit
réellement contraignante pour les promoteurs est la fixation d'une hauteur maximale de 16 ou 20 mètres pour les façades sur
rues et de 24 mètres (6 niveaux) à l'intérieur des îlots (page suivante).

254
_ limitation de hauteur à 16 m

limitation de hauteur à 20 m
limitation de hauteur au point
CJ le plus élevé du monument à
proximité

immeuble 63
Ly Thai To

Grand
Théâtre

l' Hôtel Hilton


100m source; plan détaillé du secteur Ho guom et de ses environs
ministère de la construction - comité populaire de Hanoi.1996.

255
Illustration 6-3. Vues sur deux sites stratégiques pour la protection du patrimoine
urbain à Hanoi.

Les rues menant à la place du Grand Théâtre (haut) sont celles dont les bâtiments font l'objet de plus de protection mais
également celles qui concentrent le plus de projets immobiliers en cours. C'est sur ce site sensible que les velléités des
pouvoirs publics en matière de protection patrimoniale seront jugées dans les années à venir. La partie située à l'est du lac
(bas) est vouée à la rénovation en raison de la médiocre qualité de l'architecture qui y fut construite dans les années 70 et ao.
Le risque est de les voir remplacer par des bâtiments modernes qui, par leur hauteur, seraient bien plus néfastes pour le
paysage urbain. Photos L.P.

256
Bien que timide, ce plan introduisait pour la première fois des critères légaux concernant la
définition des droits à construire. Immédiatement après cette décision, le ministère de la
construction soumettait au premier ministre une liste de 15 bâtiments non conformes au plan
-approuvé. Treize d'entre eux étaient des projets immobiliers étrangers construits ou en cours
de réalisation. Le premier ministre ordonna la révision des permis de construire. De longues
négociations commencèrent alors avec les investisseurs. Pour ces derniers, il s'agissait de
négocier afin que les révisions successives des droits à construire ne portent pas trop atteinte à
la rentabilité des projets pour que les bailleurs de fond ne se retirent définitivement. Les
investisseurs de l'hôtel Hilton (Caisse centrale des caisses d'épargnes françaises) et ceux du
63 Ly Thai To (Manolis et Hong Kong Land) acceptèrent la révision de leur projet. Il surent
négocier pour que le plan de protection n'entraîne pas de trop lourdes conséquences sur la
rentabilité de leur projet. La négociation se déroule avec les membres du Conseil de
52
l'architecture et de l'urbanisme de Hanoi. La pratique veut que l'investisseur ait usé de
moyens très persuasifs pour s'assurer de la décision finale du Conseil. Il ne peut en être
autrement lorsqu'un projet a déjà été préparé depuis deux ou trois ans et que son financement
est trouvé. Le rapport de force, et le « principe de réalité », sont en faveur des investisseurs.
Sans doute, des négociations peuvent avoir lieu sur la forme et l'emplacement du bâtiment
afin de conserver au Conseil de l'architecture et de l'urbanisme son utilité mais, dans le fond,
la constructibilité du terrain ne peut être remise en cause. Dans la pratique, il semble que la
hauteur maximale d'un nouveau bâtiment dans le périmètre protégé ne soit plus de 16 mètres
mais de 30 mètres au niveau de la dernière corniche visible.

Cette flexibilité dans la fixation des droits à construire n'empêche pas que certains projets
puissent être interrompus ou définitivement abandonnés. Lorsqu'en 1994 l'architecte en chef
exigea la réduction du programme du Hanoi PIazza, le promoteur Dragon properties ne put
convaincre ses bailleurs de fond de la rentabilité du nouveau projet et chercha à se désengager
du projet en vendant ses parts. Un~ -année plus tard, en décembre 1995, une entreprise de
construction internationale basée à Bangkok, Christiani&Nielsen (C&N), devenait
l'actionnaire principal de Dragon properties avec un autre investisseur Vietnam Fund, basé à
Hong Kong. C&N était très proche du pouvoir thaïlandais puisque son actionnaire majoritaire
était le King ofThailand's Crown Property Bureau. Mi 1996, la direction de C&N stoppait le

52 .
L'architecte en chef convoque ce comité rassemblant les plus hauts responsables administratifs en matière
d'architecture lorsqu'un projet de construction présente un enjeu particulier pour J'environnement urbain de la

257
projet après aVOIr pns connaIssance du marché immobilier de Hanoi, et notamment de la
surproduction de bureaux. Elle demandait de modifier le programme afin de réduire la
superficie de commerces et de bureaux et d'augmenter celle d'appartements. Le projet devait
alors être construit et achevé en 1998. Ce ne fut pas le cas car C&N annonça des pertes pour
1995 de 35 millions de $, essentiellement en raison de mauvais investissements en Europe de
l'Est, et elle fut rachetée par le groupe Siam Shindhorn. Ce dernier procéda à un nouveau
changement de programme inverse au précédent. Officiellement, ces dernières modifications
ne concernaient que l'espace intérieur du projet, ce qui évitait de renégocier le pennis de
construire avec l'architecte en chef. En juillet 1997, la crise financière thaïlandaise suspendait
la réalisation du Hanoi PIazza et, en octobre 1998, le comité populaire de Hanoi annonçait le
retrait définitif de l'investisseur étranger et son remplacement au sein de la joint-venture par
l'un des plus grands groupes du bâtiment vietnamien, l'entreprise Vinaconex. Au total, dix
amendements ont été apportés au pennis de construire, les premiers à la demande de
l'architecte en chef, les autres à la demande des repreneurs. Pendant cinq ans, le Hanoi PIazza
n'a été qu'une friche urbaine de plus de 4000 m 2 en plein centre de la capitale. Deux cents
employés de l'ancien magasin d'Etat ont également attendu de retrouver leur emploi.

En avril 2000, le comité populaire de Hanoi demanda à la joint-venture vietnamienne de


soumettre à l'avis de la population deux propositions d'architecture du bâtiment. C'est la
première fois qu'une telle démarche de consultation était organisée à Hanoi. Le comité
populaire cherchait à faire oublier l'opacité qui entoura ses décisions concernant les multiples
révisions du permis de construire. La consultation eut lieu entre le 18 et le 25 avril 2000 et
permis de recueillir 262 opinions. 53 194 optèrent pour une proposition qui combinait une
façade de 4 niveaux (les 16 mètres réglementaires) avec un bâtiment de 6 niveaux (23,2
mètres) légèrement en recul. Cet arrangement avec la norme permis d'obtenir une surface de
plancher de 18 800 m 2 • Une fois cette proposition adoptée, les travaux purent enfin
commencer en mai 2000.

Cet exemple montre bien qu'il est difficile de n'imputer l'échec des projets étrangers qu'au
revirement des pouvoirs publics. La révision des droits à construire est en effet intervenue
dans un contexte économique défavorable. A partir de 1995, les investisseurs ont pris

capitale. Ses 15 membres prennent connaissance du projet lors d'un exposé des représentants des investisseurs,
font part de leurs objections puis se réunissent à huis clos pour voter sur la délivrance du certificat d'urbanisme.
53 « KhèJi công xây dung Trung tâm thl1ang mai Tràng Tién » [Le début des travaux au centre commercial Tràng
Tién ], Thèri h60 kinh tê'Vifjt Nam [Le Temps économique du Viêt-nam], 1.5. 2000.

258
conscience de la probable surcapacité en chambres d'hôtels et en bureaux dans le centre de la
capitale. Certains demandèrent d'eux-mêmes une révision de leur pennis de construire afin de
réduire leur capacité ou de modifier leur programme. D'un autre côté, le fait que tout soit
toujours négociable aggrava certainement la situation d'investisseurs déjà en difficulté. La
négociation pennanente paraît a priori avantager les promoteurs qui souhaitent modifier leur
projet lorsque des retards dans la construction les amènent à reconsidérer leur programme à la
vue des évolutions du marché. Mais c~est aussi un inconvénient lorsqu'ils doivent emprunter
auprès de banques étrangères qui ne reconnaissent ni les certificats de DUS ni les pennis de
construire vietnamiens comme des garanties suffisantes. L'insécurité des investissements est
particulièrement handicapante lorsque les promoteurs connaissent des problèmes financiers et
souhaitent revendre leur participation dans le projet. Les racheteurs potentiels évaluent
financièrement le projet essentiellement en fonction de son programme, le terrain n'étant pas
en soi considéré comme un patrimoine. Si le programme peut être modifié à tout moment par
l'architecte en chef, il est difficile de garantir au racheteur la valeur du projet. Les
tergiversations sur les droits à construire n'ont pas, à elles seules, conduit à la modification ou
l'abandon des projets mais elles ont certainement accentué les difficultés des projets dont le
montage financier n'était pas solide.

Cette présentation nous amène à conclure que l'absence de transparence et de sécurité


juridique des prises de décision concernant les droits à construire dans le centre-ville ne
favorise pas une régulation efficace du marché immobilier. Le net ralentissement des
investissements internationaux dans ce secteur depuis 1997 n' y est pas étranger. La
municipalité ne réussit pas à imposer totalement les limites de droits à construire fixées par les
documents de planification. En dehors du centre-ville, les investisseurs ont beaucoup plus de
facilités à imposer les modifications aux plans détaillés du schéma directeur.

La faible emprise de l'administration sur l'usage et la construction des terrains ne lui j:>ennet
pas de réguler efficacement le marché des droits à construire. C'est en définitive le rapport de
force qui s'établit entre le détenteur du terrain et l'administration qui décide des contraintes
posées à la construction. Dans ces conditions, chaque cas est un cas particulier. Ceci vaut
également pour les promoteurs professionnels. De leur capacité à négocier et à choisir le bon
interlocuteur au sein de l'appareil d'Etat dépend la réussite de leur projet.

259
3. Une procédure d'indemnisation inadaptée au nouveau contexte
économique.

Le développement économique et urbain d'une ville dépend beaucoup de la capacité de la


puissance publique à libérer des terrains pour des activités nouvelles. Dans les pays en voie de
développement, un aspect essentiel de la gestion foncière publique consiste à convertir
massivement des terres agricoles périurbaines en terrains résidentiels ou industriels. Pour cela,
il faut que la puissance publique dispose d'un arsenal juridique lui permettant de transférer
rapidement les droits de propriété d'un usager à un autre. Nous avons vu précédemment
comment l'Etat vietnamien a été amené à élaborer une nouvelle réglementation de la
« récupération» de terrains pour raisons d'intérêt public et à lui fixer un prix. Le principal
changement concerne la reconnaissance du principe de l'indemnisation des terrains en tant
que tels. Nous allons maintenant examiner quels sont les mécanismes institutionnels mis en
place par l'Etat pour mener les procédures de récupération de terres.

3.1. Une procédure administrative qui n'assure pas une bonne protection du
droit de propriété.

La manière dont un Etat s'approprie des terrains privés pour des causes d'utilité publique
constitue un bon indicateur du niveau de protection du droit de propriété dans le pays en
question. La garantie par la puissance publique des droits de propriété, serait-ce sous la forme
partielle de droits d'usage du sol, exige qu'elle s'engage à ne s'approprier les terrains d'autrui
que contre juste indemnisation. En France, l'Etat est seul compétent pour déclarer d'utilité
publique les expropriations. Les initiateurs des expropriations sont l'Etat, les collectivités
locales, leurs groupements et les établissements publics ayant compétence d'aménagement.
La mise en œuvre de' l'expropriation est souvent confiée à des sociétés d'économie mixte
locales ayant des compétences d'aménagement et dans lesquelles les personnes publiques ont
une participation majoritaire. Ce n'est qu'une fois les terrains passés sous la propriété
publique qu'ils peuvent faire l'objet de vente ou de concession à des investisseurs privés. En
imposant le recours à la puissance publique, le droit protége ainsi les propriétaires contre les
investisseurs. Mais le monopole de l'expropriation par la puissance publique pourrait
également conduire l'administration à abuser de son pouvoir pour ne pas évaluer les
indemnisations de manière impartiale. Afin d'éviter de telles atteintes au droit de propriété, le

260
juge judiciaire, juge de l'expropriation, est seul à décider du montant des indemnisations.
Dans un Etat de droit, la séparation des pouvoirs apporte ainsi aux personnes privées des
garanties indispensables sur la protection de leur droit de propriété.

Au Viêt-nam, l'encadrement juridico-administratif des récupérations de terres est très


différent. La question de la médiation de la puissance publique ne se pose pas puisque la terre
est placée sous la gestion unique de IlEtat. Ce sont les comités populaires de province ou de
villes sous administration directe de l'Etat qui sont chargés de cette gestion. Ils sont donc les
seuls à avoir compétence pour ordonner la récupération de terres. Mais cette compétence des
autorités provinciales est purement juridique. Si elles seules décrètent les procédures de
récupération, ce ne sont pas elles qui financent les indemnisations et récupèrent les terrains. Il
faut rappeler ici que durant la période d'économie administrée, les changements d'affectation
des terres étaient décidés en fonction des besoins propres à la réalisation des plans
d'investissement de chaque ministère. Les terrains devant faire l'objet de changement
d'usages étaient déterminés par les plans d'aménagement provinciaux élaborés par les
ministères du Plan et de la construction. Le rôle décisionnel des autorités provinciales et
municipales était donc restreint. Elles se contentaient d'autoriser légalement les organismes
publics investisseurs à disposer de terres et veillaient à ce que les investisseurs indemnisent
correctement les personnes et organismes usagers des terrains récupérés. La récupération était
un processus interne à l'appareil d'Etat: les terrains n'étaient pas récupérés par les autorités
provinciales pour être ensuite transférés aux investisseurs mais directement transférés d'un
organisme à l'autre. Ce principe est encore valable aujourd'hui.

Lorsqu'un terrain est mIS à disposition ou loué par le comité populaire de Hanoi à une
organisation ou une entreprise, il n'est donc jamais libre de droits. La décision d'attribution
du bail ne prend effet qu'après que les usagers antérieurs des terrains aient perçu une
indemnisation de la part du concessionnaire. Le rôTe-du comité populaire consiste à encadrer
la procédure d'indemnisation afin de veiller au respect de la loi. Pour cela, un organisme ad
hoc est crée pour chaque procédure de récupération. Le conseil d'indemnisation (Htli dô'ng
dên bù thiçt hçli gidi ph6ng m(Lt hO.ng) a pour tâche de conduire la procédure d'indemnisation. Il

261
est généralement constitué au niveau du district. 54 Il est présidé par le président ou le vice-
président du comité populaire du district et comprend obligatoirement:
• le chef du bureau des finances du district,
• le président du comité populaire de la commune ou du quartièr dans lequel se situe le -
terrain,
• un représentant du Front de la Patrie du district,
• l'investisseur sur le terrain,
• un représentant des personnes bénéficiaires des indemnités.

Le rôle du conseil d'indemnisation est d'établir un plan d'indemnisation en deux parties. La


première fixe le montant total des indemnisations et subventions à payer par l'investisseur. La
seconde fixe le montant que doit recevoir chaque personne ou organisme dont le terrain est
récupéré. Sa première tâche est de rassembler toutes les déclarations des usagers concernant la
superficie et la nature de leurs terrains et biens. Le conseil doit ensuite vérifier ces
informations et établir le montant des indemnisations en présence des représentants des
usagers et de l'investisseur. Pour cela, le conseil se réfère aux critères fournis par les services
administratifs en application de la réglementation. Le service de l'administration foncière
vérifie la légalité de l'occupation des terres, leur dimension et fixe leur prix. Le service de la
construction est chargé de déterminer la valeur résiduelle des bâtiments.

Jusqu'en 1998, le plan du conseil d'indemnisation était simplement soumis à ratification du


président du comité populaire municipal pour être exécutoire. L'investisseur devait alors
payer les indemnités. Si des personnes s'estimaient lésées dans le calcul des indemnités, elles
avaient quinze jours pour porter plainte auprès du comité populaire municipal. Celui-ci
donnait sa réponse dans le délai d'un mois. Le décret de 1998 a introduit une nouveauté en
obligeant le conseil d'indemnisation à déposer son plan auprès d'un conseil de l'évaluation
(Hçi dong thâ'm d?nh). Celui-ci est composé du directeur du service municipal des finances et

des prix et d'un représentant du service de l'administration foncière. D'autres membres


peuvent être ajoutés selon l'ampleur du projet. La mise en place de ce conseil vise à guider le
président du comité populaire dans l'appréciation du plan d'indemnisation. Le conseil dispose
de vingt jours pour donner son accord au plan proposé.

54 Dans le cas de projets de grande ampleur, Je conseil d'indemnisation est établi au niveau municipal. Dans ce

cas, il est présidé par le représentant de la direction du comité populaire municipal et le directeur du service des
finances et des prix (vice-président). Les autres représentants sont les mêmes que dans le cas du district.

262
Malgré cette amélioration, la procédure d'indemnisation reste une procédure de nature
administrative et non judiciaire. Le texte de 1998 indique que si recours il y a, il doit se faire
devant" l'agence d'Etat compétente ", sans autre précision. Il n'existe pas au Viêt-nam de
juge de l'indemnisation sur le modèle français. Pour régler la question nécessairement
conflictuelle des indemnisations, la tradition politique vietnamienne préfère la prise de
décision en commun.

3.2. Une procédure mal appliquée.

Les textes semblent faire de la libération des sols une procédure très normalisée ne laissant
pas place à la contestation. Dans la réalité, toutes les opérations d'indemnisation donnent lieu
à des conflits entre les pouvoirs publics et les particuliers. Ceci est valable dans tout le pays. 55
Le rôle des comités populaires de province est essentiel dans la gestion des opérations. Ce
sont eux qui ont la responsabilité politique d'effectuer les indemnisations. A Hanoi, le comité
populaire rencontre beaucoup de difficultés pour réaliser cette tâche. Nous allons essayer d'en
expliquer les raisons.

La première difficulté à laquelle se heurte la municipalité concerne le comportement des


autorités de district et de quartier lors des procédures. Nous avons vu que la garantie de juste
indemnisation repose seulement sur un emboîtement de décisions administratives par
lesquelles les niveaux administratifs supérieurs sont censés contrôler les niveaux inférieurs. Il
suffit que ce contrôle ne soit pas suffisamment exercé pour que des malversations soient
commises. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne les terrains ruraux en périphérie de
la capitale. Les responsables des indemnisations tirent parti de l'ignorance des paysans pour
détollfQer.des sommes qui leur reviennent. Une pratique courante des comités populaires de
district consiste à falsifier les déclarations sur la nature des cultures en remplaçant des rizières
par des vergers. Cette modification se fait évidemment à leur plus grand profit et non à celui
des paysans.

55Des exemples précis sont régulièrement cités dans la presse ou à la télévision. Citons, entre autres, " Land
disputes dogging infrastructure projects ", Vietnam Investment Review, 4-10.05.1999.

263
Le détournement des subventions de réinsertion professionnelle est également fréquent. Au
début des années 1990, les textes prévoyaient que la majeure partie des subventions revenait
aux administrations locales pour qu'elles organisent la réinsertion professionnelle des
paysans. Ceci a conduit fréquemment à des détournements de fonds au profit des membres
des comités populaires. Ces irrégularités ont provoqué des manifestations de violence de la
part des paysans. La plus célèbre est la révolte des paysans contre un projet de golf situé près
de la route de l'aéroport. Sous cette pression, 'Ia réglementation évolue aujourd'hui vers le
versement intégral des subventions aux personnes concernées. En 1997, la réglementation en
vigueur à Hanoi spécifiait que 20% des subventions revenaient aux communes et que le reste
était versé aux paysans pour augmenter leurs capacités de production sur les terres qui leurs
restaient. 56 En 1998, un nouveau texte indiquait que la totalité des subventions pouvait être
57
reversée aux paysans. Cette évolution revêt beaucoup d'importance pour les paysans car les
subventions sont d'un montant plus élevé que les indemnisations du prix des terres ou des
pertes de production. L'évolution actuelle semble donc aller dans le sens d'une plus grande
justice tout en abolissant une source d'enrichissement illégale des autorités locales.

En dehors des cas de détournements de fonds, la plupart des conflits entre pouvoirs publics et
particuliers portent sur le montant des indemnités. En particulier, l'évaluation des terrains à
partir du prix officiel s'avère difficilement applicable. Nous avons vu dans le chapitre 4 que
les prix fonciers officiels restent inférieurs aux prix du marché, notamment dans les zones
urbaines. En 1997, l'élargissement de la rue Kim Ma (district Ba Dlnh) a mis en lumière le
rapport de force existant entre la population et les autorités. Les personnes habitant sur les
terrains à récupérer refusèrent d'être indemnisées au prix officiel des terrains qui était
d'environ 500 $/m 2 . La municipalité refusa de modifier ce prix car cela aurait conduit à
remettre en question la légitimité de tous les prix officiels. Finalement, la solution consista
faire payer la différence entre le prix officiel et le prix du marché par le comité populaire de
..,.
district sous forme de subvention. La municipalité posa càmme condition que le district utilise
pour cela des fonds qui ne provenaient pas du budget d'Etat. D'après des informations
difficilement vérifiables, il semble que certaines personnes furent indemnisées à hauteur de
900 $/m 2 . Notons qu'afin de limiter au maximum le coût des indemnisations, la municipalité
ne récupéra que la surface de terrain strictement nécessaire à l'élargissement de la route. On
peut ainsi remarquer le long des routes récemment élargies des bâtiments qui ne mesurent

56 Décision n° 3528/QD-UB du comité populaire de Hanoi en application du décret n° 90/CP, 13.09.1997.


57 Décision n020/QD-UB du comité populaire de Hanoi en application du décret n022/CP, 30.06.1998.

264
plus que cinq ou dix mètres de profondeur contre vingt avant l'élargissement (voir illustration
6-5).

Un second exemple de percement de VOle en milieu urbain pern1et de soulever un autre


problème. Dès que le projet d'élargissement de la route Ling Trung (district D6ng Da) fut
connu, les terrains en bordure de la voie existante, jusqu'alors maraîchers ou occupés par des
organismes publics, furent rachetés par des habitants de la ville et couverts de baraques et
d'échoppes (illustration 6-4). Les objectifs de ces derniers étaient plus d'obtenir une forte
indemnité que de disposer d'un bout de terrain le long du nouveau boulevard. Toutes ses
occupations étaient illégales. Officiellement, la municipalité pouvait faire valoir cette
illégalité pour ne pas indemniser ces personnes. Elle dut néanmoins engager une procédure
d'indemnisation. Même si elle a peut-être réussi à limiter le montant des indemnités, elle a
perdu au moins deux ans dans son programme de construction.

La pratique reste donc celle d'une négociation entre tous les occupants et les responsables du
projet. La population le sait bien. Il est ainsi devenu courant à Hanoi de voir des travaux de
construction de nouvelles routes stoppés par quelques maisons dont les occupants refusent les
propositions d'indemnisation des autorités. Se créent alors les célèbres « chicanes hanoienne »
consistant en une brusque déviation et un resserrement soudain de la route (illustration 6-5). Il
s'agit généralement de personnes qui, habitant de longue date sur les lieux, sont en droit
d'exiger le montant maximum d'indemnités. Si elles ne disposent pas de tous les documents
&

prouvant la légalité de leur occupation, elles en ont la légitimité, et c'est ce qui compte le plus
dans la situation actuelle.

265
Illustration 6-4. Le boulevard Lang Trung avant et après l'élargissement de la voie.

Avant l'élargissement de la voie, on note l'omniprésence de petits commerces construits à moindre coOt (toits de tôle) venus
s'adosser à des bâtiments permanents en arrière plan. Parmi les commerces, on dénombre entre autres un karaoké, un bar, un
garage, un rèparateur de montres, un petit restaurant et un « salon» de coiffure. Tous ces commerçants « opportunistes»
réussirent à se faire indemniser avant de laisser place à l'une des nouvelles avenues larges et entretenues qui donnent un
visage moderne à la capitale. Photos L.P.

266
Illustration 6-5. Les aspects inattendus de la conduite des indemnisations foncières
sur l'avenue Bai C6 Viêt.

Co
Lors de l'élargissement de l'avenue 8'i1i Vi~t, les maisons n'ont pas été détruites mais seulement « rognées» afin de limiter
le montant des indemnisations. La question de savoir si les logements restent vivables ne semble pas avoir été posée.
Une chicane dans le prolongement de l'avenue: le percement de l'avenue étant interrompu, la route fait un brusque virage sur
la gauche pour s'engager dans un « goulot» de trois mètres de large et sortir vingt mètres plus loin sur une autre avenue.
Photos L.P.

267
Dans ces conditions, le coût des indemnisations en milieu urbain s'avère beaucoup plus élevé
que la législation le prévoit. Ce sont les projets d'extension de route qui en pâtissent le plus.
En 1999, le service des transports et des travaux publics publiait le programme de création de
routes nouvelles dans la ville de Hanoi jusqu'en 2020. Le coût des indemnisations était estimé
à 400 millions de dollars, soit plus de 40% de l'ensemble des dépenses. 58 Nous pouvons
également citer le projet de parc de loisirs D6ng Da qui fut approuvé en juillet 1998 et qui est
actuellement stoppé en l'absence de solution pour indemniser quelque 1000 familles habitant
depuis toujours sur le site ou venues s'installer illégalement ces dernières années.

Outre les aménagements de vome ou d'espaces verts qu'elle finance directement, la


municipalité est aussi impliquée dans la procédure d'indemnisation de tous les projets
d'investissements dans sa circonscription. Nous avons vu plus haut que son rôle est de
faciliter l'adoption d'un plan d'indemnisation qui satisfasse à la fois l'investisseur et la
population. L'intérêt de l'investisseur est de parvenir le plus rapidement possible à un accord.
Pour cela, il est prêt à payer plus que le montant officiel. En revanche, le comité populaire
municipal n'a pas intérêt à ce que les deux autres parties s'entendent sur un prix plus élevé
que le prix officiel. Ceci conduirait au renchérissement du prix réel des terrains et alourdirait
un peu plus le budget des aménagements futurs. La municipalité impose donc à l'investisseur
de mener les négociations sur la base du prix officiel. Pour sortir de l'impasse, les
investisseurs entament alors des négociations discrètes en coulisse avec chaque famille à
indemniser. La représentation très politique du conseil d'indemnisation n'est alors qu'une
façade. A ceci s'ajoutent des négociations entre les investisseurs et les membres des comités
populaires locaux, ces derniers voulant d'une façon ou d'une autre tirer un profit de
l'opération. Outre les cas de malversations relevées plus haut, nous avons eu connaissance du
cas dans lequel l'aménageur d'un quartier résidentiel avait financé les travaux de voirie des
communes concernées comme signe de bonne volonté.

Le résultat de toutes ces négociations est que la plupart des projets d'investissement se
perdent dans une procédure interminable. Il semble que la situation soit particulièrement
grave à Hanoi où l'on estime qu'il faut en moyenne trois ans pour mener à bien une procédure
d'indemnisation à terme. En novembre 1999, la presse révélait que la moitié des
investissements dans la construction et l'aménagement prévus pour cette année n'avaient pu

58 « Dinh huong dàu tu giao thông Hà Nôi» [orientations de l'investissement dans les transports à Hanoi], Thili
hâo killh lê'Viiil Nam (Le Temps économique du Viêt-nam). 20.11.1999, p 7.

268
être mis en œuvre en raison de conflits portant sur les indemnisations. 59 Il semble que des
tensions au sein même de l'administration soient à l'origine de ces difficultés. En juillet 1999,
le Vice-Premier ministre avait pourtant réuni tous les services municipaux concernés pour
trouver des solutions à la mauvaise gestion des procédures. Il avait notamment demandé à la
municipalité de renforcer son contrôle sur les autorités locales. Tous les mois, un rapport doit
être fait au gouvernement sur l'avancement des procédures. Le vice Premier ministre a
également demandé à la municipalité de réaliser des quartiers de relogement à l'intérieur
comme à l'extérieur de la ville. Ceux-ci doivent comporter des secteurs de lots à bâtir ainsi
que des immeubles d'habitat collectif. Hanoi est très en retard sur HCMV dans la réalisation
de ces quartiers. Un des premiers secteurs de grande envergure réalisé à l'intérieur de la ville
est celui de Dén Lù. La seconde phase du projet a été approuvée par le comité populaire en
novembre 1999. Il devrait pouvoir accueillir 500 foyers dont la moitié seront des personnes
relogées. Ceci ne signifie pas nécessairement qu'elles recevront ce logement en échange de
celui qui disparaîtra. En ville, la politique d'indemnisation actuelle est plutôt favorable à
l'indemnisation en espèce des propriétés et à des propositions d'achat de nouveaux logements
dans les quartiers de relogement. L'existence d'un parc de logements peu chers constitue
surtout un élément en faveur des pouvoirs publics dans les négociations avec les familles
déplacées.

On peut imaginer qu'une meilleure gestion des procédures d'indemnisation au sein même de
l'administration municipale pourrait remédier aux difficultés actuelles. Mais il nous semble
que le problème de fond est ailleurs. Tant que les indemnisations seront versées par les
usagers futurs du terrain et non par la municipalité, celle-ci ne pourra exercer un contrôle réel
sur la procédure. Il y aura toujours des négociations parallèles entre investisseurs et familles
déplacées qui interfèreront avec la procédure officielle. Il semble qu'une évolution se dessine
sur ce point.

3.3. Vers une prise en charge totale des indemnisations par la municipalité.

Le principe de l'indemnisation par l'usager futur paraît de moins en moins adapté aux
exigences de l'aménagement urbain dans un contexte d'économie de marché. Nous avons vu
à quel point le discours officiel d'une procédure standardisée et unifiée sous la direction des

59 « Compensations for Hanoi land 'bogged' », Vietnam fnvestment Review, 1-7.11.1999.

269
provinces ou municipalités des grandes villes ne doit pas faire illusion. Le fait que chaque
investisseur doive négocier avec les usagers les indemnités renchérit le prix des terrains ainsi
que les délais de réalisation des projets. Ceci nuit au développement économique des villes.
Ensuite, le lien juridique étroit entre un investissement et un terrain à indemniser ne permet
pas à plusieurs investisseurs de partager un même terrain. Enfin, et plus fondamentalement,
les municipalités des grandes villes ne seront maîtres du développement urbàin que
lorsqu'elles seront capables de convertir elles-mêmes de grandes étendues de terrains
agricoles en terrain urbain. Elles pourront alors mettre en vente des baux aux entreprises et
promoteurs sans que ceux-ci n'aient à passer l'épreuve de la libération des terrains. C'est une
condition indispensable à l'essor d'un marché transparent des baux fonciers.

Il est intéressant de se tourner une nouvelle fois du côté de la Chine pour voir quelle solution
fut adoptée. Anthony Gar-on Yeh et Fulong Wu (1996, p 339 et s.) ont clairement mis en
évidence l'évolution du mode d'indemnisation chinois. Comme au Viêt-nam, la plus grande
partie des terrains à urbaniser est attribuée par les municipalités à des unités de travail
(entreprises et organisations) qui se chargent d'indemniser les paysans. A l'origine, les
municipalités ne jouaient aucun rôle dans ces opérations autre que celui d'approuver
l'attribution des terrains. Depuis 1978, elles ont créé des services de l'administration foncière
qui supervisent les opérations d'indemnisation.

Ce mode onéreux et lent de changement d'usage des terrains est rapidement apparu un
handicap pour le développement des villes. Les municipalités ont alors obtenu d'indemniser
elles-mêmes les paysans puis de transférer les terrains aux investisseurs. Elles sont bien mieux
placées que les investisseurs pour négocier rapidement et à moindre coût avec les paysans. A
l'origine, cette procédure fut mise en œuvre pour permettre la réalisation de· quartiers
résidentiels, par les entreprises immobilières des municipalités, à un coût réduit. Elle
- .
permettait aussi de distribuer un même terrain à plusieurs investisseurs sans multiplier les
procédures. Elles permettait également aux municipalités d'agir très en amont, alors même
que les futurs investisseurs n'étaient pas connus. La pression exercée par les occupants des
terrains lors des négociations sur le montant des indemnités en était considérablement réduit.

Mais les municipalités ont également rapidement compris l'intérêt qu'elles pouvaient tirer de
l'acquisition de terrains ruraux à bas prix et de leur revente sous forme de baux

270
emphytéotiques. Aujourd'hui, la récupération des terrains par l~s municipalités est le mode
de création de terrains à urbaniser le plus populaire en Chine. Il est particulièrement destiné
aux activités de commerce ainsi qu'aux industries. La plupart des" clients" de ces terrains
sont des investisseurs étrangers.

C'est au regard de cette évolution qu'il faut considérer deux articles particulièrement
intéressants du récent décret vietnamien sur la récupération des terrains pour cause d'utilité
publique. Les articles 34 et 35 du décret d'avril 1998 introduisent timidement des mesures qui
vont dans le sens de la réforme chinoise. Le premier spécifie que si les usagers futurs du
terrain ne peuvent être déterminés au moment de la récupération des terrains, c'est le comité
populaire de rang provincial qui doit payer les indemnisations. Les dépenses effectuées
doivent être ensuite remboursées par les différents attributaires des terrains. Une brèche est
donc ouverte dans le principe du paiement des indemnités par l'usager futur.

Le problème se pose alors de la nature de l'organisme en charge des opérations de


récupération pour le compte des comités populaires. L'article 35 apporte la réponse suivante:
les comités populaires peuvent assigner la responsabilité d'effectuer les indemnisations à des
entreprises ayant compétence pour effectuer le commerce d'infrastructure (aménagement de
terrains et leur transfert à des particuliers ou des promoteurs). Les entreprises de construction
des ministères et des provinces se voient ainsi confier un rôle similaire à celui des
établissements publics d'aménagement et des sociétés d'économie mixte françaises.

Le décret distingue deux cas de figure:


1. S'il s'agit seulement d'effectuer les indemnisations pour le compte des comités
populaires, les entreprises doivent se faire rembourser lors de l'attribution des terrains aux
usagers finals. Comme souvent, la pratique avait déjà conduit à expérimenter cette
fonnule. Ainsi, à Hanoi, en 1998, la municipalité rencontra des difficultés pour achever
l'achèvement d'une voie sur 300 mètres donnant sur le boulevard D?i C6 Viçt en raison
de l'existence de maisons sur le tracé. Le principe selon lequel seules les entreprises
d'aménagement sont autorisées à négocier des indemnisations fut appliqué de façon tacite.
La municipalité fit appel à l'entreprise Housing and Urban Development du ministère de
la construction pour mener les négociations sur le relogement des familles. L'entreprise
fut ensuite remboursée par la municipalité puisque le terrain n'était destiné à aucun
investisseur.

271
2. Si les entreprises aménagent les terrains pour les commercialiser ensuite, le coût des
indemnisations doit alors être considéré comme une partie du coût de l'aménagement des
terrains et doit être intégré dans le prix de transfert des terrains aux particuliers ou de
sous-location des baux aux promoteurs. Dans ce dernier cas, il s'agit en fait de projets
d'investissement confiés à des entreprises d'aménagement. Les premiers quartiers
aménagés sur ce mode sont en cours de ré~ilisation à Hanoi. Comme en Chine aux débuts
des réformes, ils sont avant tout destinés à construire des logements à moindre coût.

La grande nouveauté introduite par le décret de 1998 consiste en ce que désormais les comités
populaires de provinces ou de grandes villes peuvent décider de leur plein gré de conduire des
opérations de libération des terrains puis les concéder à divers investisseurs. Elles contrôlent
ainsi l'ensemble de la chaîne de la conversion de l'usage des sols. Il faudra étudier dans le
futur l'usage qui sera fait de ce droit à Hanoi mais il nous semble porteur d'une plus grande
autonomie de la municipalité par rapport à l'administration centrale, notamment vis-à-vis du
ministère du Plan et de l'Investissement. Notons que si l'indemnisation des terrains par les
comités populaires se développait, le rôle d'arbitre qu'ils sont censés jouer dans l'évaluation
des indemnisations serait remis en question. L'évolution en faveur de l'économie de marché
devrait nécessairement s'accompagner de la mise en place de garde-fous judiciaires pour
protéger les intérêts des usagers du sol.

Les difficultés de la gestion foncière municipale illustrent parfaitement la situation de


négociation permanente qui prévaut dans les situations de recomposition institutionnelle. Que
ce soit en matière de garantie des droits de propriété, de fixation des droits à construire et de
fixation des indemnisations, les pratiques infra-institutionnelles jouent un r<lle décisif en
assurant un fonctionnement minimum de l'Etat. En revanche, elles ont des effets très néfastes
en matière sociale car elles entravent l'action redistributive de l'Etat et elles nuisent à des
actions en faveur .de l'intérêt commun, comme la protection du patrimoine. La municipalité
est consciente de ces risques mais elle est confrontée à des problèmes qui la dépassent
largement car elle est prise en tenaille entre les ordres de l'Etat central et la résistance de la
population.

272
Chapitre 7. Parc public de logements: régulariser pour mieux
privatiser.

Bien que le statut des biens immobiliers ne concerne-pas directement la gestion foncière, il
l'affecte en milieu urbain dans la mesure où la procédure de régularisation des droits fonciers
est couplée avec celle de l'occupation des bâtiments. Les problèmes les plus importants
concernent le parc public de logements. 60 Les villes vietnamiennes possèdent en effet un très
important parc de logements appartenant à l'Etat dans lequel la mauvaise gestion des droits
d'occupation durant la période socialiste rend difficile la fixation de droits immobiliers précis.
A Hanoi, le parc public de logements est plus important que dans les autres villes du pays. On
peut estimer que durant les trente années d'économie administrée les logements étaient
partagés en part à peu près égales entre la propriété publique et la propriété personnelle. Le
parc public était constitué des maisons réquisitionnées par l'Etat au nom de la politique
socialiste du logement et des logements construits dans les quartiers d'habitat collectif. En
1989, il représentait encore 48% de l'ensemble des logements (la propriété personnelle
s'élevait à 47% et les 5% restants se partageaient entre les propriétés collectives, religieuses
ou inconnues, Ph~ Khânh Toàn, 1991, p 6). En 1995, le parc de logements publics dans
l'ensemble de la circonscription de Hanoi (districts urbains + districts ruraux) comptait encore
4,5 millions de m 2 pour un total de 12 millions, soit une proportion de 37,5% (voir tableau
7-1). Plus de 140 000 foyers étaient logés dans des bâtiments publics.

60A côté du parc public, l'Etat reconnaît pleinement la propriété 'privée des logements (ordonnance sur le
logement du Conseil d'Etat, 26.03.199 1). Leurs propriétaires peuvent les vendre, les louer, les donner et les
prêter sans autre contrainte que de payer des impôts calculés selon un barème de prix officiels (voir chap. 4,
encart 4-1).

273
Tableau 7-1. Indicateurs du parc de logement à Hanoi en 1995.
Superficie (m 2 ) %
Parc total de logements 12 millions 100%

Parc public 4,5 million (140000 foyers) 37,5% -


dont:
Immeubles collectifs 2,4 millions 20%
..
Source: « nha cha ngllol thu nh~p thâp» [ logements pour les bas revenus], Thoi bao Kinh té Viêt
nam [le temps économique du Viêt-nam], 20.3.200q. .
Toutes les données que nous utilisons correspondent à l'ensemble de la circonscription de Hanoi. En
ce qui concerne la ville elle-même (les districts urbains), la part des logements publics était plus
importante: 2,9 millions de m2 pour un total de 4,8 millions de m2 de logements en 1994 (soit 60%) en
1994. Il faut relever la spécificité de Hanoi car en moyenne nationale, les logements publics ne
représentent que 30% de l'ensemble des logements. (<< Chllong trinh phBt trién nhà éi cua Hà N{)i 6én
nt:lm 2000 và 2010» [le programme de développement du logement à Hanoi pour l'an 2000 et l'an
2010], Xây dl/T1g [revue construction], novembre 1997, p 9).

Un processus de régularisation des droits d'occupation est un préalable indispensable pour


réintégrer ces bâtiments dans le circuit économique fonne!. Ceci peut prendre la fonne de
contrats de location confonnes au nouveau droit immobilier et accompagnés de loyers
correspondant à la valeur réelle des biens. Mais les pouvoirs publics vietnamiens cherchent
également à se débarrasser d'un parc de logements dont le financement coûte très cher. Dans
la plupart des cas, le but ultime de la régularisation des droits des locataires est de leur vendre
leur logement. Le gouvernement décida de la mise en vente des logements publics en 1994. 61

Le sort des logements construits massivement par les entreprises d'Etat est l'une des questions
les plus sensibles dans la période de transition dans les ex-pays socialistes. La privatisation
des logements d'Etat est la solution préconisée par la Banque mondiale aux gouvernements de
ces pays. C'est une réponse simple et rapide à l'incapacité des finances publiques à supporter
les coûts de gestion et d'entretien des logements. Toutefois, la mise en œuvre de cette
politique induit des conséquences sociales lourdes. Elle peut conduire à fragiliser une
population qui ne dépensait jusque là presque rien pour le logement. 62 Judith Bodnar (1996) a
mis en évidence des situations personnelles difficiles et des traitement inégalitaires lors de la
privatisation des logements à Budapest. Face aux risques sociaux, certains pays ont choisi la
voie médiane de la municipalisation. En 1991, la Hongrie a fait ce choix du transfert de la
propriété d'Etat à la propriété municipale (Renard, 1995). Les municipalités sont chargées par
l'Etat de gérer et de vendre les logements collectifs en introduisant les mécanismes de
marché. Sur le plan théorique, en effet, l'introduction des prix du marché n'est pas

61 Décret n061 ICP portant sur la vente, J'achat et le commerce des logements, 5.07.1994.

274
incompatible avec la gestion publique des logements. L'essentiel est d'assurer une fluidité du
marché, qu'il soit locatif ou en accès à la propriété. Le Viêt-nam a fait le choix de la
privatisation et a suivi les conseils de la Banque mondiale qui estime que la transfonnation du
droit à bail en droit de propriété est une manière simple et équitable de privatiser. Elle nuance
toutefois ce propos en reconnaissant que dans certains pays « les droits du locataire hérités de
l'aire de la planification centralisée sont beaucoup plus forts que les droits à bail et [qu'ils]
représentent en fait des droits de propriété transmissibles. » (Banque mondiale, 1996, p 75).
Nous savons que c'est le cas au Viêt-nam.

Le parc public est géré en partie directement par les bureaux de l'administration centrale
(63%) et en partie par le service du logement et de l'administration foncière du comité
populaire de la ville (37%) (voir tableau 7-2). Mais seul ce dernier service est habilité à
vendre les logements à leurs occupants. Les autres organismes gestionnaires doivent lui
transférer leurs immeubles. C'est donc le comité populaire qui se retrouve aujourd'hui en
première ligne pour mener la privatisation.

Tableau 7-2. Répartition des logements publics en fonction de l'organisme


gestionnaire. Hanoi. 1995.

Organisme gestionnaire Nombre de ménages Superficie (m 2 )


Service du logement de Hanoi 65 000 1 800 000

Bureaux des administrations et 75 020 2449700


des entreprises
Dont ministère de la Défense 20 000 800 000

Total 140 020 4249700


.. "
Source: service du logement et de l'administration fonclere de HanoI. 1998

Que ce soit en matière de régularisation des droits des occupants ou en matière de vente des
habitations, la situation est très différente selon qu'il s'agit de bâtiments construits avant 1954
et passés par la force dans le domaine public ou qu'il s'agit d'immeubles construits après
1954 dans le cadre du programme de production de logements à destination des salariés du
secteur public. Dans le premier cas, la question se pose de savoir s'il faut reconnaître les
droits des anciens propriétaires ayant abandonné ou ayant dû céder leurs biens. Les bâtiments
étant généralement des maisons individuelles de type colonial dans lesquelles vivent plusieurs
familles, leur mise en vente est également très complexe. En outre, certaines bâtisses sont

62 En France, Je budget logement représente 20% du revenu des ménages français,

275
d'une grande valeur et l'Etat cherche plutôt à les conserver dans son patrimoine et à les mettre
en location. Dans le second cas, les logements construits après 1954 sont essentiellement des
immeubles d'habitation collectifs sans grande valeur et d'un coût d'entretien et de gestion
élevé. L'Etat cherche à les vendre à leurs occupants aussi vite que possible. Le mouvement de
privatisation est cependant entravé par le désordre régnant dans la gestion des contrats de
location.

1. Protéger les droits acquis de la politique socialiste du logement.

En ce qui concerne le parc antérieur à 1954, le premier objectif de la municipalité est de


régulariser la situation juridique des occupants de logements qui appartenaient à des
personnes privées et qui furent occupés totalement ou partiellement par d'autres personnes ou
des organismes publics sous des formes multiples (occupation de maisons abandonnées,
location, dons ou prêts des propriétaires mais aussi appropriation de force par l'Etat). Le
second objectif est de trouver les moyens de tirer le plus de ressources de la vente ou de la
location de ce patrimoine immobilier souvent de grande valeur mais partagé par de nombreux
occupants.

1. 1. Droit au logement contre droit de propriété.

La reconnaissance de la propriété privée des logements par l'ordonnance sur le logement en


1991 imposait de régulariser la situation des personnes partageant les mêmes habitations ou
ayant occupé des maisons abandonnées en vertu de la politique socialiste du logement. Il faut
rappeler que jusqu'aux années 1970, la population pensait que le partage des habitàtions était
une solution provisoire en attendant que l'Etat construise massivement des logements pour
tous. La générosité poussa nombre de familles à donner ou prêter une partie de leur maison ou
un bâtiment annexe à des familles sans toit. Dans d'autres cas, les propriétaires louèrent ou
prêtèrent une partie de leur maison à des organismes publics, par exemple pour ouvrir une
salle de classe ou accueillir un bureau du comité populaire de quartier. Avec le temps, il
apparut que les familles ou organismes occupant à titre provisoire des pièces ou bâtiments y
resteraient définitivement. Elles disposaient pour cela du soutien des autorités politiques
locales. Les relations s'envenimèrent à l'occasion de l'élargissement des familles et donc de

276
l'augmentation des besoins d'espace. Certaines familles qui avaient prêté ou loué des
logements et souhaitaient se les voir restituer portèrent plaintes auprès de l'administration,
sans succès. Les pouvoirs publics refusèrent également de rendre les logements occupés par
des organismes publics sous prétexte qu'il n'y avait pas d'autre lieu disponible. Enfm se
posait la délicate question des maisons qui furent laissées par leurs propriétaires à la garde de
proches ou qui furent simplement abandonnées et occupées par d'autres familles. Ces
dernières refusèrent de déménager au retour des propriétaires.

La question vint une première fois sur le devant de la scène politique lors de l'adoption du
code civil par l'Assemblée nationale en 1994 mais elle fut esquivée. Le code civil stipule
simplement que la totalité des disputes concernant l'occupation des logements avant 1991
doivent être réglées. Quelques mois plus tôt, un décret sur la vente des logements d'Etat
renvoyait également à une décision ultérieure du Premier ministre la question des logements
revendiqués par les anciens propriétaires. Pour sortir de l'impasse, le ministère de la justice
soumettait fmalement un projet de loi sur la régularisation des transactions civiles intervenues
avant 1991 à l'Assemblée nationale en mai 1997. 63

Ce projet de loi ne concernait que les transactions ayant fait l'objet d'un contrat (écrit ou non)
entre particuliers ou entre particuliers et organismes publics. La question des logements
passés de force (donc sans contrat aucun) sous la propriété de l'Etat n'était pas posée. Les
premiers débats portèrent sur la façon de régler les multiples disputes qui existaient entre
familles cohabitant sous le même toit. Il semble que sur toutes ces questions, une majorité de
députés se prononçait pour la restitution de leurs droits aux anciens propriétaires. Ils
s'interrogeaient sur la façon de le faire: restitution pure et simple ou indemnisation. La
seconde solution paraissait moins conflictuelle mais posait beaucoup de problèmes d'ordre
technique (comment fixer le montant des indemnisations ?).

Mais le véritable débat était ailleurs. La plupart des députés étaient conscients que la
reconnaissance des droits des anciens propriétaires dans les relations contractuelles passées
entre eux ou avec des organismes publics allait nécessairement conduire les personnes dont

63 Nous disposons de deux articles de presse de l'époque qui relatent le contenu des débats qui se déroulèrent
alors: " House ownership issue likely to re-ignite heated National Assembly debate ", Vietnam News, 25 avril
1997. "National Assembly fails to resolve simmering house ownership disputes", Vietnam News, 10 mai 1997.

277
les maisons avaient été réquisitionnées par l'Etat à réclamer les mêmes droits. Les députés
exigeaient donc un traitement global et politique de l'héritage de la politique socialiste du
logement. Or le projet de loi était muet sur cette question. Certains députés demandèrent alors
que soit clairement indiqué dans le texte que l'Etat ne reconnaîtrait jamais les --droits des
propriétaires ayant fui pour des raisons politiques le Nord en 1954 et le Sud en 1975 (parmi
ces derniers, 90 000 " boat people" dont le départ culmine en 1979). D'autres allaient plus
loin en demandant qu'aucun des logements requisitionnés par l'Etat après 1954 ne soit
restitué à son ancien propriétaire. Selon le propos de l'un des députés, la réforme socialiste du
logement était un « fruit de la Révolution» sur lequel on ne pouvait revenir. Mais d'autres
députés estimèrent, au contraire, que des injustices avaient été commises lors de la réforme et
que les victimes devaient se voir restituer l'intégralité de leurs habitations. Ils mentionnaient
les enseignants formés par les Français, les chirurgiens et docteurs ou encore les petits
commerçants.

Les débats durèrent toute une semaine. Deux jours avant la clôture de la session, un projet qui
semblait recueillir l'unanimité des députés fut soumis au vote. Les députés adoptèrent les sept
premiers chapitres de la loi le jeudi 8 mai 1997 et devaient voter les deux derniers chapitres le
lendemain. Or pendant la nuit, certains d'entre eux s'aperçurent que le texte n'était plus
favorable aux droits des anciens propriétaires mais au contraire reconnaissait implicitement
les droits des occupants, y compris les occupants illégaux. Ils refusèrent de voter les derniers
articles de la loi. Le gouvernement retira son projet. Le centre de presse de l'Assemblée
déclara simplement que les députés exigeaient qu'une solution globale et durable du problème
soit proposée ultérieurement par le gouvernement.

Lorsque l'Assemblée nationale ne parvient pas à un accord, c'est toujours le Parti qui tranche
en dernier ressort. En mai 1998, le bureau du comité central du Parti (Ban chl dÇIO trung
/fang) prit une résolution sur la politique à conduire en matière de logements et de terrains
résidentiels. 64 Ce texte étant difficilement accessible, nous n'en connaissons pas le contenu
mais il est probable qu'il décidait de la politique à suivre pour régler la question des
transactions de logement intervenues avant 1991. Trois mois plus tard, le comité permanent
de l'Assemblée nationale prenait la résolution n058 qui fixait les principes de régularisation

64 Résolution (cong van) n018fTTr-BCD-QLN du bureau du comité central du Parti du 19.5.1998.

278
des transactions intervenues avant 1991. 65 Il est probable que ce texte est proche de celui que
certains députés refusèrent de voter en mai 1997.

Contrairement à ce que demandaient les députés, l'ordonnance ne traite pas des biens passés
de force sous la propriété de l'Etat. Le décret d'application de la résolution pris par le
gouvernement en avril 1999 est très clair sur ce point66 : outre les logements ayant fait l'objet
d'une transaction civile dont l'une des parties est une personne/organisation étrangère ou
vietnamienne d'outre-mer et les logements qui n'étaient pas des habitations lorsqu'ils firent
l'objet d'un transaction civile, le texte exclut les logements qui furent" placés sous la gestion
de l'Etat par sa décision ou pour mettre en œuvre la politique de réforme socialiste du
logement et des terrains et la politique de réforme de l'industrie et du commerce capitaliste
privé ainsi que la politique de gestion des maisons dont les propriétaires étaient absents". Il
faut entendre par là :
• Les logements 67 qui étaient mis en location à l'époque;
• Les logements prêtés par (ou empruntés à) des personnes "sujettes à la
réforme" (industriels, commerçants ... ) ;
• " Les logements des organisations ou individus appartenant à l'administration et
l'armée des régimes antérieurs [régime colonial et régime mis en place par les
Américains au Sud-Viêt-nam entre 1954 et 1975] ainsi qu'à des partis politiques
réactionnaires. " ;
• Les logements donnés ou " attribués" à l'Etat pour qu'il les gère sous quelque
forme que ce soit. Il s'agit ici des logements qui furent cédés par la population
sous la pression des autorités;
• Les logements confisqués, réquisitionnés par les forces armées ou achetés de force
par l'Etat;
• Les logements de personnes ayant fui vers le Sud-Viêt-nam ou ayant habité dans
d'autres localités durant la guerre, ces logements ayant été gérés par l'Etat ou
attribués à d'autres usagers en tant que maisons abandonnées par leurs
propriétaires.

Enfin, le gouvernement prenait la précaution de préciser que les logemerits qui auraient été
réquisitionnés sans relation avec la réforme socialiste du logement étaient également exclus
de la restitution. En revanche, les logements que des personnes, exerçant des activités jugées
comme bourgeoises lors de l' indépendance (commerçants, mais aussi professions libérales,

65 Résolution (Nghf quyét) n05 8/1998/ NQ-UBTVQH 10 du Comité permanent de l'Assemblée nationale sur les
transactions civiles portant sur le logement intervenues avant le 1.07.1991, 20.08.1998.
66 Décret nO 25/1999/ND-CP sur le mode de restitution des logements, les loyers de pré-restitution des logement
et les procédures d'établissement de la propriété des logements d~après les prescriptions de la Résolution (Nghf
quyêt) n058/1998/ NQ-UBTVQH 10 du Comité permanent de l'Assemblée nationale sur les transactions civiles
portant sur le logement intervenues avant le 1.07.1991, 19.04.1999.
67 Rappelons que la notion de logement ne comprend pas seulement des bâtiments dans leur intégralité mais
aussi des pièces, ou des bâtiments annexes (garages, dépendances ... ).

279
professeurs ...), durent accepter de partager avec d'autres familles n'étaient pas exclus, car ils
ne furent pas appropriés par la force.

On peut s'interroger sur la signification du refus du pouvoir de traiter de la question des


logements appropriés de force par l'Etat. Faut-il voir dans ce refus une fin de non-recevoir
définitive aux personnes et organisations spoliées? Ce n'est pas sûr. Contrairement à ce que
demandaient certains députés en 1997, aucun texte ne précise que les logements spoliés ne
seront jamais rendus à leurs anciens propriétaires. La question est peut-être en suspend. 68n

nous a été dit que les Etats-unis seraient engagés dans des négociations avec les autorités
vietnamiennes pour qu'elles restituent les logements confisqués à des personnes ou
organisations américaines après la chute de Saigon en 1975. Le fait que certains bâtiments
ayant été confisqués soient exclus de la procédure de vente à leurs occupants actuels (voir 3.2)
pourrait signifier qu'ils seraient, à certaines conditions, rendus à leurs anciens propriétaires.
Malgré la persistance de ce doute, on voit que le Viêt-nam se démarque nettement de la
plupart des ex pays socialistes qui ont adopté le principe de la restitution des biens spoliés à
69
leurs anciens propriétaires. Cette décision rappelle que le Viêt-nam reste une république
socialiste malgré les réformes économiques et qu'il ne saurait être porté atteinte aux « fruits
de la Révolution ».

L'objectif unique de l'ordonnance est donc de régulariser toutes les transactions civiles
(locations, ventes, prêts, échanges, dons) ainsi que les occupations d'habitations abandonnées.
Ces transactions peuvent avoir eu lieu entre particuliers ou entre particuliers et organismes
publics. Nous avons vu plus haut, qu'avec le temps, de nombreuses disputes opposèrent les
anciens propriétaires aux occupants qui refusèrent de quitter les logements souvent loués ou
prêtés ou confiés aux soins de proches. Deux légitimités s'opposent sur le mode de règlement
de ces· disputes. Depuis 1991, nombre d'anciens propriétaires font valoir leur droit de

68 Un cas particulier est celui des anciens propriétaires vietnamiens ayant fui le pays et qui ont décidé de revenir.
Ils cherchent à récupérer leurs anciens biens contre de fortes sommes d'argents payées aux occupants et le
versement d'indemnités à la municipalité. Il ne s'agit pas d'un droit à la restitution mais du « rachat» du
bâtiment. Nous n'avons pas eu connaissance de tels procédés à Hanoi mais ils existent à HCMY et ont même été
le sujet d'un film vietnamien en 1999 (chung cu [immeuble d'habitat collectif]).
69 Les anciens pays socialistes se répartissent en deux groupes selon qu'ils ont opté pour la restitution des
logements à leurs anciens propriétaires (la plupart des pays de l'Est) pour leur indemnisation monétaire ou en
nature (Russie et Hongrie). Généralement, la légitimité des droits des anciens propriétaires spoliés sur leur bien
fait que la solution de la restitution est choisie. Moralement souhaitable, cette solution entraîne de nombreux
litiges qui ne peuvent être réglés que par des tribunaux compétents et des textes clairs. Cest le cas dans
l'ancienne Allemagne de l'Est mais pas dans les autres pays de l'Est (Renard, 1993b, p 17). De l'autre côté, le
choix de l'indemnisation induit moins de bouleversements en matière de droit mais pose le problème de
l'évaluation des montants d'indemnités.

280
propriété sur leurs biens. Ils rappellent qu'ils n'ont jamais vendu leurs logements mais ont
seulement accepté d'héberger des familles dans le besoin. Très souvent, cela s'est fait de
façon purement informelle, sans signature de contrat. A cette légitimité, les occupants
opposent leurs droit à un logement au nom de la politique socialiste de l'Etat. Rappelons qu'à
l'époque, le partage des logements se faisait sous la pression des autorités. Les familles qui
vinrent partager les habitations d'autres familles estimaient alors disposer d'un droit à être
logé. Avec le temps, elles ont considére ce droit comme acquis.

L'article premier de la résolution nous éclaire sur l'esprit dans lequel le législateur entend
régulariser les transactions :

« Il faut encourager et respecter l'entente des parties engagées dans les transactions;
valoriser la tradition d'unité, d'amitié et d'affection les uns pour les autres et d'entraide au
sein du peuple; éviter la dilapidation des richesses et éviter que l'esprit matérialiste se
développe lors des revendications de restitution des logements. »
et
« Il faut protéger les droits et les intérêts légaux des parties, l'intérêt de l'Etat et l'intérêt
public. Lors du règlement des disputes, il faut considérer avec soin le cas des personnes qui
ont participé à la révolution, des personnes qui bénéficient de la politique sociale ainsi que.
des personnes pauvres qui n'ont pas d'autre choix que de louer ou d'emprunter des
logements. »

Alors qu'il n'est fait aucune mention explicite au droit de propriété, c'est l'aspect social de la
question qui est mis en avant. Nous allons voir comment cela se concrétise dans les différents
cas de figure. Par ailleurs, la résolution privilégie l'entente entre les parties. Les solutions
qu'elle donne ne doivent s'appliquer qu'en cas de disputes. Notons également qu'elle vise à
régulariser les transactions sur la base des contrats intervenus entre les deux parties lors du
partage des habitations. Lorsque aucun contrat écrit n'existe (ce qui est très fréquent), les
deux parties doivent prouver qu'il y a bien eu transactions entre elles. Nous présentons tout
d'abord les différents cas de figure concernant les transactions entre particuliers a'Vant
d'aborder celles concernant des organismes publics.

•:. Les transactions entre particuliers.

A) En cas de location, il existe trois possibilités:


1. Le contrat de location est expiré au moment de l'entrée en vigueur de la résolution (1998):
l'ancien propriétaire ne reprend (après un préavis de trois mois) l'intégralité de son

281
logement que s'il peut proposer un autre logement à l'occupant actuel ou si ce dernier
possède un autre logement ou dispose des moyens d'en acquérir un. En dehors de ces
deux conditions, l'ancien occupant peut reprendre son bien si lui-même ne dispose pas de
conditions de logement satisfaisantes. Dans le cas où il n'aurait pas de logement, il a droit
de reprendre totalité ou partie de son ancien logement. Si sa famille vit dans moins de 6
m 2/personne, il a le droit de venir habiter dans une partie de son ancien logement. Dans
tous les autres cas, l'occupant actuel conserve la location du bâtiment mais celle-ci doit
faire l'objet d'un nouveau contrat de bail selon les conditions et les loyers en vigueur en
1998.
2. Le contrat arrive à son terme après l'entrée en vigueur de la résolution (1998) mais avant
le 1er juillet 2005 : l'ancien propriétaire reprendra son bien sans conditions après cette
date.
er
3. Le contrat arrive à son terme après le 1 juillet 2005: l'ancien propriétaire reprendra son
bien sans conditions à expiration du contrat.
4. Le contrat ne précise pas de terme à la location: le logement reviendra à l'ancien
propriétaire en 2005 sauf s'il apparaît un des cas prévus dans le point 1. (l'ancien
propriétaire ne dispose pas de suffisamment de place pour se loger, il peut fournir un
logement à l'occupant actuel ... )

La résolution privilégie ici très largement le critère du droit au logement sur celui du droit du
propriétaire à disposer librement de son bien.

B) En cas de prêt, la résolution est moins défavorable à l'ancien propriétaire. Si la durée du


prêt est expirée, il reprend son bien sans conditions. Si elle n'est pas expirée, il reprend son
bien à la fin du contrat. Si la durée du prêt n'est pas fixée par le contrat, l'ancien propriétaire
reprend son bien après un préavis de 6 mois, mais il doit accepter de louer une partie de sa
maison à l'occupant actuel si celui-ci n'a pas la possibilité de se loger ailleurs. S'il refuse de
louer, il ne reprendra sa maison qu'en 2005.

C) En cas de vente, de don ou d'échange ou de transmission par héritage, la résolution vise à


régulariser les transferts de propriété. S'il n'y a pas de disputes, le transfert de propriété est
effectué immédiatement. En cas dispute, le principe de la régularisation est que tous les
contrats signés (même ceux non conformes à la législation de l'époque) doivent s'appliquer
entièrement si une partie a rempli les conditions fixées mais pas l'autre. Si aucune partie n'a

282
rempli les conditions fixées, le contrat est jugé nul et non avenu. Cette mesure est très
défavorable aux personnes qui durent accepter de donner une partie de leur maison sous la
pression des autorités. Les personnes accueillies se voient aujourd'hui reconnaître un droit de
propriété. Il faut souligner ici que les logements sont souvent des pièces ou des dépendances
d'une même maison. Reconnaître le droit de propriété des familles cohabitantes revient à
diviser la maison en plusieurs propriétés. C'est ensuite aux personnes de s'entendre entre elles
pour se racheter les pièces si elles veulent devenir les uniques occupants des maisons. On
aurait pu imaginer que l'Etat mette au point un plan de relogement des familles afin de ne
laisser qu'une famille par maison.

D) Le cas des maisons laissées à la garde de proches lors des départs forcés pose un problème
particulier. Nous avons vu que certaines maisons abandonnées avaient été réquisitionnées par
l'Etat mais d'autres furent également occupées par des particuliers. Parfois, les propriétaires
quittèrent leur domicile en signant une procuration avec des membres de la famille ou des
amis pour qu'ils gardent leur bien pendant un certain temps. La résolution distingue le cas des
départs sans procuration et avec procuration.

Si l'ancien propriétaire n'a pas signé de procuration, la maison revient à ses parents, son
épouse ou son mari ou ses enfants si ceux-ci ont conservé le logement. Si aucun des membres
de la famille n'a continué d'habiter dans la maison abandonnée, alors l'occupant actuel peut
en devenir propriétaire s'il l'occupe sans interruption depuis plus de 30 ans. Dans le cas
inverse, le bien devient propriété de l'Etat qui peut le louer ou le vendre à un prix privilégié à
l'occupant actuel.

En cas de procuration, si sa durée court au-delà de 1996, date d'entrée e.n vigueur du code
civil, ou si il n'y avait pas de durée fixée, ce sont les dispositions du code civil qui
s'appliquent.
Si la durée de la procuration expirait avant 1996, il faut distinguer trois cas:
1. Si l'ancien propriétaire avait officiellement fait une demande de restitution avant 1996,
alors lui, ou ses héritiers, se voient restituer son bien.
2. Si l'ancien propriétaire n'avait pas fait de demande officielle de restitution, mais que ses
parents, épouse ou mari ou enfants ont continué d'.occuper le logement, il leur revient.
3. S'il n'y a ni héritiers dans le cas 1, ni membres de la famille occupant le logement dans le
cas 2, alors celui-ci revient à l'occupant actuel à condition qu'il l'occupe sans discontinuer

283
depuis trente ans. Dans le cas inverse, le bien devient propriété de l'Etat qui peut le louer
ou le vendre à un prix privilégié à l'occupant actuel.

On voit ici encore que le droit des anciens propriétaires à reprendre leur bien est fortement
limité et soumis à des conditions. Il existe pourtant une exception: dans le cas des logements
qui furent abandonnés parce que leurs propriétaires participèrent activement à la révolution ou
à la résistance, ces derniers ou leurs héritiers doivent se voir restituer leur bien. Toutes les
raisons pour lesquelles les logements ont été abandonnés ne se valent donc pas. Le texte
introduit ici une distinction de nature politique.

Enfin, une dernière précision est assez étonnante: dans tous les cas où l'occupant actuel ne
devient pas le propriétaire du logement, il doit recevoir une indemnité" adaptée" pour àvoir
gardé et protégé la maison. Il est difficile de savoir ce que le rédacteur du texte entend ici par
indemnité adaptée. Il ne s'agit pas, en droit, d'indemniser l'occupant actuel pour la perte de
son logement mais dans la pratique cela pourrait fort bien être le cas.

E) En dehors des transactions proprement dites, la résolution apporte aussi une réponse de
principe à la question des travaux d'agrandissement ou même à la construction de nouveaux
bâtiments effectués par l'occupant. Dans le cas des locations, prêts et dons, elle pose le
principe de l'indemnisation des travaux réalisés par l'occupant si l'ancien propriétaire n'avait
pas signifié son désaccord. Dans le cas où un nouveau logement aurait été construit par
l'occupant sans l'opposition de l'ancien propriétaire, il peut continuer à l'habiter et en devient
propriétaire. Si la maison a été détruite et reconstruite avec l'accord écrit de l'ancien
propriétaire ou sans qu'il ne porte plainte avant 1996, il doit indemniser l'occupant actuel de
la valeur résiduelle de la nouvelle maison avant d'en reprendre possession. S'il a porté
plainte, il doit indemniser une partie seulement de la valeur résiduelle de la maison. Il n'est
pas précisé comment se calcule cette partie. Dans le cas des maisons abandonnées par leurs
propriétaires, la résolution est encore plus favorable aux occupants car elle ne prévoit pas que
l'ancien propriétaire ait pu porter plainte. Il est considéré comme ayant abandonné son bien et
doit payer intégralement tous les travaux réalisés en son absence. Notons enfin que toutes les
indemnisations doivent se faire au prix du marché au moment du règlement, ce qui est très
favorable aux occupants.

284
.:. Les transactions entre particuliers et organisations publiques.

En ce qui concerne la régularisation des ventes, des échanges, des dons et des transmissions
par héritage, les mesures sont semblables aux transactions entre particuliers. En revanche, en
matière de location, les organismes publics qui occupent des logements cédés par des
particuliers bénéficient de conditions encore plus favorables. Il faut distinguer le cas ou les
logements continuent d'être utilisés comme tels du cas où ils sont utilisés pour des activités
administratives, de commerce ou de production. Les organismes publics ont en effet pu
utiliser les bâtiments pour y loger leurs membres ou pour y mener leurs activités. Dans le cas
où les pièces ou bâtiments seraient toujours utilisés comme logement, la résolution applique
les principes de la location entre particuliers. En revanche, s'ils sont utilisés pour les activités
de l'organisme, celui-ci peut en rester locataire jusqu'en 2002, quelle que soit la situation de
logement de l'ancien propriétaire. Si le contrat de bail est expiré, l'organisme doit signer un
nouveau contrat de bail. Notons que les montants des baux que doivent payer les organismes
d'Etat sont nettement inférieurs à ceux que doivent payer les particuliers. Pour les locataires
qui sont des particuliers, le loyer est situé entre 4 900 dôngs/m 2 (0,35 $/m 2) pour les villas de
catégorie 1 et 7 800 dôngs/m 2 (0,55 $/m2) pour celles de niveau 4. Lorsque que le locataire est
un organisme public, le loyer est compris entre 2500 dôngs/m 2 (niveau 1) et 5500 dôngs/m 2
(niveau 4). L'Etat préserve ainsi ses services d'une restitution de leurs biens avant 2002 et
leur accorde un prix de location très favorable. La restitution après 2002 s'applique également
pour les prêts de logements.

En outre, dans le cas où les organIsmes doivent rendre les maisons à leurs anCIens
propriétaires, ils ne sont pas tenus de le faire par la restitution du bâtiment. A la différence des
transactions entre particuliers, les organismes publics peuvent proposer un. autre logement ou
verser des indemnités. Pour cela, le décret d'application prévoit que l'Etat mettra gratuitement
à disposition des anciens propriétaires des logements ou des terrains à bâtir. Un fonds pour la
restitution des maisons doit également être créé dans le budget de l'Etat afin de financer les
indemnisations. Il est très probable que les organismes publics qui occupent des villas dans le
centre de Hanoi ou de Hô Chi Minh Ville opteront pour l'indemnisation des anciens
propriétaires. En revanche, la plupart des anciens propriétaires préféreraient se voir restituer
leur maison que de recevoir un lot de terre à la périphérie de la ville. Sans parler de la valeur
affective attachée par les anciens propriétaires à leurs biens, les termes de l'échange ne sont
pas équitables.

285
En définitive, il nous semble évident que dans le rapport entre le droit au logement et le droit
de propriété, la balance penche nettement du côté du premier. Le droit de propriété n'est
jamais reconnu sans restriction. En revanche, l'occupation des logements donne droit à des
multiples compensations et peut même valoir droit à la propriété. Rappelons que ce choix ne
faisait pas l'unanimité des députés en 1997 puisque beaucoup mettaient en avant le principe
de la restitution de leurs biens aux anciens propriétaires. En outre, l'Etat s'octroie des
conditions de restitution beaucoup plus favorables que celles concédées aux particuliers.

Le décret d'application de la résolution fut publié par le gouvernement en avril 1999. Il fixe la
procédure à suivre par les personnes concernées pour régulariser leur situation. Chaque partie
doit constituer un dossier de régularisation et le soumettre au comité populaire de province.
La résolution s'applique également à tous les cas portés devant la justice qui n'ont pas encore
trouvé de dénouement. Le comité populaire commença à appliquer ce décret en décembre
1999. Il faudrait pouvoir mener des études détaillées du traitement des différentes situations
pour savoir comment la résolution sera appliquée. A propos de la réforme du droit de
propriété dans les pays de l'Est et la Russie, Peter Marcuse (1996, p 180) estime en effet qu'à
long terme, c'est le fonctionnement de la justice qui dira si elle constituera un fondement
solide à la protection des droits privés. Mais jusqu'à maintenant, la justice vietnamienne
n'accepte de reconnaître les plaintes qu'en se fondant sur des documents délivrés par
l'administration. La recherche de tous les documents, plus ou moins officiels, susceptibles de
prouver l'occupation légitime des terrains et des logements constitue une véritable épreuve
pour la population. L'arbitraire de l'administration peut en effet resurgir à cette occasion.

En interdisant la restitution des logements réquisitionnés par l'Etat pour des raisons
politiques et en limitant celle des logements occupés par des particuliers, le pouvoir a rappelé
que les valeurs au nom desquelles les transactions avaient eu lieu sont toujours en vigueur. Le
Viêt-nam reste toujours une République socialiste. Il s'agit d'une différence fondamentale
avec les pays de l'Est engagés dans une transition à la fois politique et économique.

286
1.2. La vente des vil/as à tous leurs occupants.

Le but de la régularisation des transactions antérieures à 1991 est d'identifier les différents
locataires afin de pouvoir leur vendre ensuite leur logement. Parmi ces logements figurent les
célèbres « villas coloniales» de Hanoi. Schématiquement, les villas coloniales se composent
d'un grand bâtiment à un étage ou deux étages, de dépendances, d'un garage et d'un jardin.
L'ensemble occupe entre 200 et 400 m 2 de terrain. Les enquêtes des services administratifs
font état de 84% des villas partagées entre plusieurs farnilles. 7o Dans ce cas, le nombre moyen
71
de familles par villa varie de 4 à 10. De nombreux changements d'usage des bâtiments ont
été opérés par leurs occupants sans que la question de la propriété publique ou mixte ne pose
problème. La tendance actuelle est à la conversion des villas en locaux commerciaux ou en
bureaux (figure 7-1).

Figure 7-1. Evolution de l'usage des villas dans le quartier colonial·français.

usages des villas en 1986 usage des villas en 1997

'.
358

10 résidentiel • non·résidentiel 1 10 résidentiel • non-résidentiel 1

Source: Anne Koperdraat, 1998, p 71.

Les villas possèdent une grande valeur pour le patrimoine architectural de la capitale mais
également une grande valeur financière (illustration 7-1). Ce sont ces deux éléments qui ont
conduit les pouvoirs publics à mettre au point une politique de gestion du parc en deux volets.
Un premier volet comprend les villas qui sont exclues de la vente. Outre les bâtiments qui ne

70 « Sale ofHanoi's state villas ends in capital failure », Vietnam Investment Review, 16.08.1999.

287
servent plus de logements, il peut s'agir des bâtiments qui sont occupés par des familles mais
dont la valeur immobilière est trop élevée pour que l'Etat accepte de les vendre (voir tableau
7-3). Toutes les villas qui occupent plus de 500 m 2 de terrain et disposent d'une façade sur
une rue sont exclues de la vente. Elles sont situées essentiellement sur les boulevards Ly
Thuèmg Ki~t et Trân Hung D<;to. L'ancien quartier résidentiel des hauts cadres de
l'administration coloniale française, le quartier Ba Dinh possède également de très
nombreuses villas. Beaucoup sont occupées par des hauts cadres du Parti. Elles sont
également exclues de la vente.

Tableau 7-3. Le parc de villas coloniales à Hanoi.

Nombre total de villas 791

Villas étant occupées par des services 200


administratifs et des organismes publics
pour leurs activités.

Villas louées à des particuliers mais 252


exclues de la vente en raison de leur
valeur

Villas mises en vente 341

71« Hà Nôi ban biêt thl! cho dân » [Hanoi vent les villas à la population], Dâu lU [Investissement], novembre
1997.

288
Illustration 7-1. Exemples de bâtiments mis en vente.

Les maisons mises en vente sont situés sur des voies secondaires. Elles sont souvent de petite dimensions. Beaucoup d'entre
elles ont été construites par des Vietnamiens et non des Français. Dans les deux cas présentés ici, on peut constater qu'elles
sont bien entretenues par leurs occupants. Ce n'est pas toujours le cas. Photos L.P.

289
Illustration 7-2. Exemples de bâtiments exclus de la vente.

Les villas exclues de la vente sont plus cossues que celles mises en vente. Dans le quartier Ba E>inh. elles furent construites
pour de hauts cadres de l'administration coloniale et furent transformées en ambassades des pays frères ou en bureaux des
organisations socio-politiques. Photos L.P.

290
En ce qui concerne ces bâtiments les plus précieux, un plan mis au point depuis 1996 prévoit
que l'Etat reloge les locataires actuels dans des immeubles d'appartements et rénove les villas
pour les louer à des entreprises ou organisations internationales. Jusqu'à présent, quelques
demeures ont été rénovées. Le meilleur exemple est celui de la rénovation du n° 41 rue Ly
Thuàng Ki~t. TI Y a quelques années, le service de la construction de Hanoi a passé un contrat
avec la Housing and Urban Development Company du ministère de la construction. 72 pour
qu'elle construise un immeuble de huit logements pour les familles qui occupaient cette villa
et qu'elle la rénove pour accueillir une ambassade. Depuis son installation, l'ambassade verse
un loyer à l'entreprise qui en conserve une partie pour rembourser son investissement dans le
projet et en reverse la majeure partie à l'Etat qui en reste l'unique propriétaire. Toutefois, ce
type d'opération très fructueuse pour les pouvoirs publics a été abandonné assez rapidement
faute de demande. Bien que rénovées, les villas coloniales s'avèrent en effet peu adaptées
pour servir de bureaux et surtout leur entretien coûte nettement plus cher qu'un bureau dans
une tour. Depuis 1996, les immeubles de bureaux se multiplient à Hanoi et les villas n'attirent
plus les investisseurs étrangers. L'Etat et la municipalité n'ont toutefois pas perdu l'espoir que
la situation évolue et ils entendent conserver ce patrimoine potentiellement très rémunérateur.

Le second volet comprend les villas qui sont mises en vente (341 au total). L'objectif des
pouvoirs publics est ici de parvenir à se séparer au plus vite des villas. Ils espèrent qu'une fois
devenus propriétaires, les occupants entreprendront de rénover les bâtiments. La municipalité
envisage d'utiliser les revenus tirés des ventes pour construire des logements destinés à
accueillir les locataires des villas qui ne sont pas vendues. En 1998, le comité populaire
estimait que ces revenus permettraient de construire environ 550 appartements de 50 m 2 de
plancher et 50 maisons de 120 à 150 m 2 de plancher.

En s'appuyant sur la résolution du Parti qui pose le principe de la vente aux locataires actuels,
.....
le Premier ministre a défini les principes de la vente des villqs de Hanoi en septembre 1998. 73
Les conditions juridiques de la vente sont simples. Tout occupant d'une partie ou de la totalité
d'une villa ou logeant dans un bâtiment annexe situé sur le terrain de celle-ci peut devenir
propriétaire. Les locataires actuels doivent acheter leur logement et le droit d'usage du sol.
Les propriétaires d'origine n'ont rien à payer. Il existe des circonstances dans lesquelles la
vente est interdite: les bâtiments annexes qui sont jugés incompatibles avec la mise en valeur

72 Voir présentation de cette entreprise de promotion immobilière dans le chapitre 9.

291
des villas ne sont pas vendus et devront être détruits après que la municipalité ait trouvé une
solution de remplacement. Dans ce cas, les DUS sont distribués mais non les titres de
propriété du bâtiment. En ce qui concerne les terrains occupés illégalement (c'est-à-dire sans
attestation du service du logement), le règlement prévoit que les terrains devront faire l'objet
de régularisation ou de sanction sans autre précision.

Comment s'effectue le calcul du prix de vente? Chaque famille achète la superficie qu'elle
occupe privativement (essentiellement les chambres). Les espaces communs (escalier, couloir,
cuisine commune... ) sont répartis entre chaque occupant proportionnellement à la surface
privative qu'ils occupent. Le prix de vente est calculé à partir du prix officiel des bâtiments
neuf réduit en fonction de l'ancienneté du bâtiment (en général, 50 à 60% du prix du neuf).
Les habitants de logements inconfortables (garages, sous-sols, dépendances ... ) ne payent que
la moitié du prix obtenu. En ce qui concerne le terrain bâti, si le bâtiment est occupé par une
seule famille, elle doit payer 40% du prix officiel des terrains pour obtenir le DUS. Si
plusieurs familles cohabitent dans le même bâtiment, elles payent chacune 10% de ce prix. Le
coût des terrains utilisés en commun est réparti entre les familles.

Enfin, et c'est un caractère important de la politique de privatisation vietnamienne, il existe


toute une série de réductions du prix de vente en fonction du statut socio-politique des
familles. Les héros de la révolution et veuves de guerres bénéficient d'exemptions ou de
réductions sur les DUS. 74 Les cadres de l'Etat voient leur prix de vente diminué de 100 000
dôngs (50 FF) par année de travail, ceux de l'armée de 180 000 dôngs (90 FF). En cumulant
plusieurs avantages, un haut cadre, héros de la Révolution, peut très bien acheter sa villa de
400 m 2 , qu'il occupe seul depuis trente ans, pour 100 000 $ alors qu'elle vaut 700 000 $ sur le
marché. On comprend ici que la vente des villas ne remet d'aucune façon en cause le statut de
privilégiés accordé par l'Etat et le Parti à leurs membres en matière de logement.

En 1999, un an après le début de la mise en vente, le premier bilan de l'opération dressé par le
service du logement et de l'administration foncière était guère encourageant. Sur les quatre-
vingt dix maisons qui étaient mises en vente pour la première année, six seulement avaient été
vendues pour une somme totale de 164 000 $ (soit un prix moyen pour chaque villa de

73Décision 189/1998/QD-TTg du 28.9.1998 sur la vente des villas dans la ville de Hanoi.
74Décision 118 TTg du 27.02.1996 sur les aides financières en matière de logement pour les personnes ayant
servi la Révolution.

292

·l
41.000 $).75 En avril 2000, le service annonçait que quatre autres villas avaient été vendues.
Le rythme des ventes étaient donc particulièrement lent. En outre, seulement vingt-six autres
villas avaient fait l'objet d'une évaluation. Leur valeur totale s'élevait à 500 000 $. On peut
déduire de ces chiffres que le prix de vente moyen par bâtiment se situe entre 20 000 et
30 000 $, ce qui est bien inférieur au prix du marché.

Cela reste pourtant insuffisant pour inciter les locataires à acheter. Une raison officielle
avancée est l'existence de nombreux conflits entre les familles occupantes. Pour donner une
idée de ces problèmes, nous reprenons l'exemple de la maison de M. Minh. La maison de M.
Minh est considérée comme une villa de catégorie l, bien qu'elle soit de dimension modeste.
Avant l'adoption des réfonnes, quatre familles se répartissaient la maison, les dépendances et
le garage (voir chapitre 1). Avec l'essor de l'économie du début des années 1990, la situation
connut trois changements (illustration 7-3).

» Tout d'abord, la famille de M. Hùng, qui loge dans une ancienne dépendance, a monté une
activité de lavage des motocyclettes. Tout le côté de la rue est d'ailleurs occupé
aujourd'hui par cette activité qui s'avère très rémunératrice, surtout dans le centre-ville.
Sur le plan physique, ce service commercial occupe tout le trottoir devant la maison ainsi
que l'entrée. En outre, M. Hùng a fait creuser un réservoir dans l'allée qui permet
d'accéder au garage et au bâtiment principal car il craignait de manquer d'eau. Ces
craintes s'avérèrent injustifiées mais M. Hùng en profita pour installer sa salle à manger
avec la télévision sur la dalle du réservoir et ainsi privatiser un espace qui était collectif. Il
a bien demandé leur autorisation aux autres habitants, mais par pure forme d'après M.
Minh. Lorsqu'un cas comme celui-ci se présente, ce qui est fréquent, c'est
l'incontournable comité populaire de quartier qui est chargé de régler l'affaire. En général,
le responsable de la police duphLtèmg essaie d'obtenir l'accord des deux tiers des chefs de
famille, quitte à demander des compensations pour les parties qui s'estiment lésées. C'est
ainsi que fonctionne la "colocation" dans cette situation très originale sur le plan
juridique. Il faut noter que cette solution présente beaucoup d'avantages dans le contexte
actuel où il serait illusoire de vouloir s'appuyer sur des textes juridiques pour régler les
conflits. Le médiateur du phuèmg est souvent un policier qui ne réside pas dans le quartier,
il est donc libre de pressions, mais s'il fait bien s.on travail, il rend régulièrement visite à
toutes les familles de son secteur, ne serait-ce que pour accompagner le percepteur. Il est

75 « Sale of Hanoi's state vilJas ends in capital failure », Vietnam lnvestment Review, 16.08.1999.

293

1 _
donc capable de "sentir" la situation et de donner un arbitrage équitable. Il y a toutefois
une limite à l'impartialité de cette justice de proximité. M. Minh estime qu'il ne peut rien
contre l'avis de la police car il sait que son statut d'ancien riche propriétaire ne lui vaut
pas la sympathie des cadres politiques de son quartier. Il préfère contenir son ressentiment
en attendant des jours meilleurs. Paradoxalement, la légitimité révolutionnaire de
M.Hùng, qui vit toujours dans quelques mètres carrés au fond du jardin pour un loyer de
1,5 dollar, lui vaut la tolérance de la police de quartier pour mener à bien son activité qui
n'a plus rien de communiste.

~ Le second changement intervenu est également relativement fréquent: il s'agit de la vente


d'un morceau de terrain à l'occupant d'une parcelle mitoyenne qui a besoin de s'agrandir.
En 1998, M. Luân a vendu l'ancien garage de M. Minh, dans lequel il vivaitavec toute sa
famille, au propriétaire de la parcelle situé à l'arrière. Ce dernier a en effet transformé son
ancienne maison traditionnelle en un restaurant haut de gamme. Il avait besoin du terrain
de M. Luân pour construire sa cuisine. M. Luân lui a vendu les 24 m 2 de son logement
pour 30 câys (soit 340 $/m 2). En fait, M. Luân n'a fait que revendre au propriétaire du
restaurant son attestation de droit d'usage du sol ainsi que le contrat de location du
logement. C'est désormais le restaurateur qui acquitte le loyer de 2 dollars par mois auprès
du service du logement. La transaction n'a fait l'objet d'aucune déclaration au service du
logement ni à celui du cadastre. Bien entendu, la transaction s'est faite sans l'accord de M.
Minh qui voit son ancienne propriété amputée de son garage.

~ Enfin, le troisième changement intervint en 1998 lorsque la famille de M. HÔng, qui


occupait les pièces de l'étage a décidé de déménager. M. Minh a alors demandé à sa nièce,
Mme Lân, de venir s'installer avec lui. Elle a racheté la pièce de Mme HÔng au prix du
marché: 32 câys pour 25 m 2 soit 430 $/m 2 •

294
Illustration 7-3. Les changements intervenus sur la parcelles de M. Minh depuis les
réformes économiques.

rez-de-chaussée étage

,
;

~
N ~
1

'., SERVICE MOTO


",

perspective

Le service de lavage de motocyclette occupe toute l'entrée de la maison. Une petite maison en tôle a même été construite au-
dessus de l'entrée pour permettre aux employés de M. Hùng, venus de la campagne, de dormir le soir, M, Hùng a également
peu à peu transformé l'emplacement du réservoir en véritable salle à manger « sans les murs» équipée d'une télévision, d'un
ventilateur et même d'une affiche (photographies page suivante ). Planche réalisée par Vü 8Ctc Tùng. Photos L.P,

295
296
Désormais, ce sont les membres d'une même famille qui habitent sous le même toit. Le but de
M. Minh est de racheter peu à peu l'intégralité de sa maison. Il a également l'intention
d'entrer en contact avec le propriétaire du restaurant situé à l'arrière de sa parcelle pour
négocier le rachat de son garage. Il envisage de le laisser en location gratuite quelques années
en guise de dédommagement et de le récupérer ensuite. Paradoxalement, il estime que la
vente du garage au restaurant lui facilite la tâche car il sera bien plus facile de racheter son
" garage-cuisine" que s'il avait eu à négocier le départ d'une famille entière du " garage-
logement ". Il nous faut mentionner ici le côté affectif de l'entreprise de M. Minh. Très âgé, il
n'agit pas tant pour lui que pour sa descendance. Il tient à tout prix à lui léguer dans son
intégralité la propriété qu'il a hérité de son père. Pour cela, il n'a pas d'autre solution que de
racheter pièce par pièce sa demeure. Les autres habitants le savent et négocieront
certainement au meilleur prix lors de leur déménagement.

L'évolution intervenue dans la maison de M. Minh n'a rien d'original. On pourrait multiplier
les exemples de ce type. Nous avons voulu montrer à quel point les locataires de l'Etat se
comportent comme les propriétaires de leur logement. Ils peuvent revendre les attestations de
logements au prix du marché sans que les services administratifs n'interviennent. Ceci
explique leur peu d'empressement à devenir les propriétaires officiels en achetant leur
logement à l'Etat. Si l'ancien propriétaire veut reprendre entière possession de son ancienne
villa, c'est aux autres familles qu'il doit racheter ses pièces et non au propriétaire légal, l'Etat.

En définitive, la vente des villas à leurs locataires ne fait que régulariser une situation de fait
au détriment des anciens propriétaires. On aurait pu imaginer que les familles habitant dans
des logements étroits et inadaptés auraient reçu des indemnisations plutôt que de se voir
délivrer un titre de propriétaire d'un garage ou d'un cabanon de jardin. Mais ceci aurait
implicitement favorisé l'ancien propriétaire. L'Etat a préféré laisser les familles s'arranger
entre-elles. Dans ce cas, c'est la loi du marché qui s'impose. Il est probable que peu à peu le
marché se chargera de faire passer les villas sous la propriété d'une seule personne ou
entreprise car ce n'est qu'à cette condition qu'elles reprendront toute leur valeur. Ce serait la
meilleure solution en terme de protection du patrimoine architectural car elle éviterait que
chaque propriétaire d'un « morceau» de villa n'entreprenne de le transformer sans l'accord
des autres. Des cas de ce types existent déjà et aboutissent à des résultats pour le moins
surprenants (illustration 7-4).

297
Illustration 7-4. Transformation de bâtiments habités par plusieurs occupants.

~~ ~-:- - 1. .on_ ".;

"',,,n'' ' lU rr-rlltitftlmUnUlU

Les transformations subies par ces deux villas de la rue yét Kiêu illustrent à l'extrême le danger de la division des bâtiments. La
construction d'un compartiment au milieu de la villa fit sensation lorsqu'un photo fut publiée dans la presse en anglais. Sans
doute est-ce l'intervention des pouvoirs publics qui empêcha que le reste du bâtiment fût transformé mais il était trop tard. Dans
le second cas, la moitié d'une villa a été entièrement transformée. Il est à craindre que l'autre moitié connaisse le même sort
lorsque le garagiste aura accumulé les mêmes ressources que son voisin. Photos L.P.

298
2. Les ratés de la privatisation des logements collectifs.

Nous nous intéressons ici aux logements des immeubles d'habitations collectives. Des
logements individuels furent également construits par l'Etat durant les 30 ans de production
étatique de logement mais ils ne représentent qu'une faible part de l'ensemble.
L'Etat a décidé de les vendre à leurs locataires. Nous aborderons successivement les
modalités de la privatisation à Hanoi et les obstacles rencontrés en raison du poids des droits
acquis des occupants actuels.

2.1. Encourager l'achat des logements.

L'état des immeubles de logements est en général très mauvais. D'après une étude menée par
le service du logement début 1999, 53 immeubles sur 400 au total avaient des toitures percées,
s'étaient affaissés ou fissurés. 76 Une autre source estimait que 3 892 appartements (soit 107
000 m 2) étaient très gravement délabrés. 77 En 1997, une enquête du département général de la
statistique sur les conditions de logement à Hanoi montrait que 60 à 70% des logements
avaient dépassé la durée pour laquelle ils avaient été construits, c'est-à-dire généralement 30
ans. Au total, on estime que seulement 30% du parc collectif existant peut continuer à être
utilisé dans les années à venir.

En terme d'économie immobilière, la situation actuelle conduit à un gaspillage important de


ressources foncières (voir figure 7-2) en ne permettant pas une estimation réelle de la valeur
des immeubles. La seuJe solution pour y remédier est d'évaluer les immeubles à leur valeur de
marché afin de produire des ressources suffisantes pour leur rénovation ou l'investissement
dans la construction neuve.

76 D'après « nhà cho nguèri thu nh~p thâp » [ « logements pour les bas revenus »j. Thèli Mo Kinh té'Viçt nam [le

temps économique du Viêt-nam], 20.3.2000. Dans le quartier Thành Công, construit sur un ancien lac, des
immeubles se sont affaissés de 70 cm. Parmi ceux-ci, J'immeuble B7 défraie la chronique dans la presse locale
depuis qu'il menace de s'effondrer. Le service du logement envisage de déménager les habitants dans un autre
inuneuble pendant la reconstruction. Voir « Së da bo khu nhà B7 Thành Công» [U L'abandon de l'immeuble B7
Thành Công "], Kinh tê' & db th; , 19.7.1999. .,'
77 « SÙa chfra nhà khô hem xây m6i » [« Rénover les logements est plus difficile que de construire du neuf»],
Thdi Mo Kinh tê'Viçt Nam, 24.1 1.1999.

299
Figure 7-2. Les dysfonctionnements de l'économie immobilière hors marché.

valeur

valeur du site libéré

valeur altérée du site

l.-----.."......<=:..------......I..-------~;;.......;..._----____4temps

source: L.H. Li, lIrt>lWlland relonn in Ch/na, 1999.

Le moment le plus favorable à la destruction et à la reconstruction des immeubles est lorsque leur valeur correspond à celle du
site libéré, c'est-à-dire libre de toute construction. En économie de marché, les deux lignes se croisent en un temps t. Au-delà
de ce point, les bâtiments ne génèrent que des revenus de plus en plus réduits en raison de coOls d'entretien croissants. Mais
lorsqu'il est impossible de déterminer la valeur exacte des bâtiments existants et des usages alternatifs, on s'achemine vers un
moment n où la valeur des bâtiments est nulle, c'est-à-dire qu'il faut obligatoirement les détruire sous peine d'effondrement. La
reconstruction ne commence qu'à un temps r, soit plusieurs années après le moment l. Entre les deux, d'importants revenus
immobiliers ont été perdus.

La stratégie adoptée pour inciter les locataires à acheter repose essentiellement sur une forte
incitation financière. Les pouvoirs publics ont augmenté les loyers en 1995. Ils restent
toutefois relativement modestes: 1470 dôngs/m 2 par mois. Le loyer d'un logement de 53 m 2
au premier étage d'un immeuble collectif en 1998 était ainsi d'environ 5,5 US$. Pour un
employé, la part du loyer dans son revenu annuel est de l'ordre de 5%.79

Parallèlement à la hausse des loyers, la municipalité a mis en vente les logements à des prix
particulièrement intéressants. Le prix de base est le prix officiel des logements neufs auquel
s'ajoute une portion du droit d'usage du sol, lui aussi fixé par le barème officiel. Toutefois,
cela n'aurait pas grande signification de faire la somme des deux pour estimer les prix de
vente car celui-ci dépend fondamentalement du statut économique et social de l'acheteur. La
politique de privilège envers les serviteurs de l'Etat veut en effet que les employés du secteur

300
d'Etat bénéficient d'une remise de 100 000 dôngs par année de travail et ceux de l'armée de
180 000 dôngs. Des réductions supplémentaires s'ajoutent en fonction des récompenses
administratives ou politiques diverses ou du statut de héros de la Révolution. 79

Prenons un exemple significatif. M Thành est un ancien haut cadre de l'Etat qui habite avec sa
femme, son fils et sa belle-fille dans un appartement du quartier d'habitat collectif de Giàng
Va. Son appartement est constitué d'une grande chambre de 24 m 2 et d'une petite de 10 m 2
ainsi que d'une salle d'eau et d'une cuisine. Il a acheté cet appartement en 1998 au prix
dérisoire de 4 millions de dôngs soit un peu plus de 300 $. Ce prix est très inférieur au prix de
vente mais il tient compte de toutes les réductions dont bénéficient les locataires. M Thành et
sa femme ont en effet travaillé 40 ans pour l'Etat et leur fils et belle-fille 20 ans. En outre, M
Thành possède plusieurs décorations du Parti. Pour 300 $, il a accepté d'acheter
l'appartement.

Cette politique de très bas prix a ainsi permis à la municipalité de vendre quelques milliers de
logements depuis 1996. Mais il faut bien voir que cette politique a des inconvénients. Ce sont
essentiellement les appartements dans les immeubles en meilleur état qui sont rachetés par
leurs locataires. Leur achat à bas prix constitue une très bonne opération pour les acquéreurs.
Or le parc de logement public est en très grande partie constitué de bâtiments vétustes. Une
fois que tous les bâtiments en bon état auront été vendus, il restera tous les autres. En effet, il
est probable que la population n'achètera jamais des logements qu'elle sait voués à la
destruction dans quelques années. D'après certaines informations, les logements situés dans
les plus anciens quartiers d'habitat collectif ne sont pas achetés par leurs occupants.

Déjà en 1999, le service du logement et de l'administration foncière exprimait ses craintes


face au ralentissement des ventes. A cette date, soit quatre ans après le début des ventes,
'seulement Il % des logements avaient été vendus (voir figure 7-3). Au total, la vente des

78 Rappelons que dans un pays développé comme la France, le poids du logement dans le revenu des ménages est
de J'ordre de 20%.
79 Il est difficile de mesurer le poids des mesures de faveur pour service rendu à la patrie dans l'économie de la
vente des logements d'Etat. Il faudrait pour cela connaître précisément le nombre des personnes concernées aux
divers titres. En mars 2000, le comité populaire de Hanoi faisait savoir qu'il avait environ 2000 personnes ayant
été reconnues comme participants actifs à la révolution avant 1945 (<< HÔ tra nhà à cho can bç hoat dçng cach
mang tnIac nam 1945 », [ subventions au logement pour les personnes ayant participé à la Révolution avant
1945 J, Kinh tê'Dô th.! [Economie et villeJ,13.03.2000). Parmi celles-ci, toutes n'occupent pas un logement
d'Etat. Sous réserve de connaissance des effectifs des autres catégories de personnes favorisées, la faible
proportion de personnes concernées nous amène à penser que ces mesures d'ordre politique n'influent pas
beaucoup sur le niveau des revenus tirés de la vente des logements publics.

301
logements publics a rapporté un peu plus de 20 millions de $ (voir tableau 7-4). Nous ne
disposons pas du montant des ventes pour les seuls logements dans les immeubles d'habitat
collectif mais il est probable qu'elles représentent la très grande partie des ventes totales.

Figure 7-3. Vente des logements publics à Hanoi depuis 1995 Cy compris les maisons
individuelles).

4500000
4000000
3500000
CIl
3000000
......
'Q)

III
u 2500000

-
CIl
...
Q) 2000000
-<Il
E 1500000
1000000
500000
0
1995 1996 1997 1998 6.1999

I-+-Iogements à vendre -logements vendus 1

Tableau 7-4. Revenus tirés de la vente des logements d'Etat Cy compris les maisons
individuelles). Hanoi. 1995-1999.

Année Superficie (m') Revenu des ventes


(conversion en $ 1999)
1995 2500 71428
1996 23308 1 142 857
1997 133850 7000000
1998 203261 6857 142
1999 ùusqu'en juin) 129608 4516428
Total 492527 20855504

Pour essayer de relancer le mouvement des ventes, la municipalité prit quelques initiatives.
Jusqu'à récemment, elle ne mettait pas en vente les logements situés sur les sites à forte valeur
potentielle, par exemple en bordure des grands axes ou des làcs. Elle souhaitait peut-être les
conserver pour y réaliser ultérieurement des nouveaux projets immobiliers. Il semble qu'elle

302
ait changé d'avis afm de réaliser son plan de privatisation et dégager des revenus dont elle a
besoin rapidement. Mais le principal obstacle à la privatisation est constitué par les milliers de
contrats de ventes illégaux effectués entre particuliers. Si la municipalité veut parvenir à
vendre l'ensemble du parc de logements public, elle doit nécessairement associer la
privatisation avec un processus de régularisation du statut des occupants actuels.

2.2. Pas de vente sans régularisation.

Pour comprendre l'enjeu de la régularisation, il nous faut éclairer au préalable les différentes
pratiques infra-institutionnelles des occupants des immeubles colleCtifs. Il faut préciser tout
d'abord qu'ils évoluent dans un contexte de désengagement prolongé de l'Etat dans
l'entretien des immeubles. Le parc public est géré en proportion à peu près égale par des
entreprises du service municipal du logement implantées dans chaque district et par les
8o
entreprises et organisations à qui ils ont été distribués pour y loger leurs employés. Dans ce
dernier cas, les locataires ne payent pas de loyer car le logement fait partie des avantages
qu'ils ont à travailler dans le secteur d'Etat. Pour les locataires de la municipalité, un loyer
purement symbolique était prélevé jusqu'au milieu des années 1990. Il ne permettait pas de
constituer les ressources nécessaires à l'entretien des bâtiments. En outre, d'après certaines
sources, une partie des fonds était utilisée à d'autres fins, notamment à l'augmentation des
· d'" . .
Sal aues es lonctlOnnalres.
81

En l'absence de fmancements publics, les habitants se sont organisés astucieusement pour


autogérer les immeubles de logement. Les familles logeant au même étage d'une travée se
succèdent à tour de rôle pour exercer les fonctions de chef d'étage (tâng truang ). Elles
inscrivent sur un tableau noir installé à l'étage les tâches d'entretien hebdomadaires que
-
doivent effectuerèhaque famille. Elles veillent à la réalisation de ces tâches. Lorsque des
réparations doivent être effectuées, les familles de l'étage se cotisent pour rassembler les
fonds nécessaires. Si des conflits interviennent entre familles, le chef d'étage en réfère au chef
de voisinage (tô' truang). Chaque travée d'immeuble collectif possède un chef de voisinage. Il
est responsable de l'application des décisions administratives diverses (il possède à cet effet

80 La production subventionnée de logement s'est éteinte au début des années 1990. Depuis 1993, l'Etat ne
propose plus d'appartements aux employés d'Etat mais une subvention pour le logement avec laquelle ils sont
censés acheter des terrains ou des logements au prix du marché.
81 Vietnam urban sector strategy study (1995), P 28.

303
un autre tableau noir) mais il joue aussi le rôle d'arbitre des multiples conflits survenant entre
locataires. Cette organisation communautaire sur des bases traditionnelles présente l'énonne
avantage d'assurer la gestion au quotidien des immeubles de logement en l'absence de
réglementation sur la colocation.

Les services municipaux n'ont pas seulement abandonné l'entretien et le règlement des
conflits internes à la gestion communautaire. Ils ont également perdu le contrôle des
attributions de logements. Nous avons vu dans le premier chapitre que l'attribution ne
concernait que les employés et cadres du secteur d'Etat, et panni ceux-ci, en priorité, ceux qui
exprimaient concrètement leur obédience au pouvoir. A partir du moment où il fut possible
d'acheter librement son logement ou de faire construire sa propre maison, nombre de familles
qui vivaient dans des logements publics déménagèrent. Elles ne déclarèrent pas leur départ au
service du logement mais vendirent leur logement en sous-main ou le mirent en location. Ce
phénomène concerne particulièrement les derniers étages car ce sont les moins confortables
(coupures d'eau courante fréquentes, chaleur, pas d'ascenseur ... ). Des jeunes couples à la
recherche d'un premier logement bon marché sont des acquéreurs fréquents de ces logements.
Quant aux locataires, ce sont souvent des étudiants venus de provinces rurales ou des migrants
temporaires ou illégaux. Pour ces derniers, qui ne possèdent pas les permis de résidence à
Hanoi, il n'y a pas d'autre choix que d'acheter ou louer un logement au noir.

Ce ne sont pas les appartements eux-mêmes qui sont ainsi vendus ou loués mais les certificats
de résidence ou contrats de location. Il s'agit évidemment d'une fiction juridique. Les
acheteurs sont les "propriétaires de fait" de leur logement. Selon une procédure déjà
rencontrée en matière de terrains, ils font simplement certifier par le phuàng que le vendeur
est bien le locataire actuel et qu'il dispose bien d'un contrat de location. Ceci est 'nécessaire
car le contrat de 10catiQ.l1 est rarement rédigé au nom du vendeur mais à celui du locataire
d'origine auquel il a lui-même acheté le logement. La détention de cette attestation et du
contrat de location original sont les deux pièces suffisantes à l'occupation du logement.
Chaque mois, le responsable local du service du logement vient prélever le loyer sans autre
difficulté. En 2000, le comité populaire estimait à environ la 000 les foyers concernés par
cette pratique.

Le prix de vente des contrat de location est comparable à celui des logements sur le marché
privé. L'inconvénient d'avoir parfois à payer un loyer n'influe pas beaucoup sur les prix de

304
vente car les loyers restent très bas. On se trouve donc dans la situation étonnante de
logements vendus à leur prix du marché entre particuliers mais ne procurant quasiment
aucune ressource à leur véritable propriétaire, l'Etat. Ceci provoque des phénomènes
surprenants- de logements très bien entretenus et équipés de matériel très moderne (air
conditionné, Hi-Fi, ordinateurs ... ) par leurs occupants alors que les bâtiments eux-mêmes
sont en état de décrépitude avancée et menacent de s'affaisser.

Pour mettre fin à ces pratiques « baroques» sur le plan de la gestion d'un parc immobilier, la
municipalité décida de les réintégrer dans l'économie formelle. Depuis 1999, les entreprises
gérant le parc de logements de la municipalité acceptaient de les vendre à leur occupant même
si celui-ci n'était pas le détenteur officiel du bail. Il lui fallait fournir un document de la police
du quartier certifiant son domicile ainsi que le contrat signé avec l'ancien détenteur du bail.
En l'absence de modalités précises de régularisation, son coût se composait de versements
informels. En mars 2000, le comité populaire intervenait pour fixer les conditions de la
régularisation. L'occupant du logement pouvait se voir délivrer un authentique contrat de
location à condition de payer une amende d'un montant de 1% de la valeur officielle de
l'appartement et des DUS. Le but recherché par cette mesure de légalisation de l'occupation
des logements est de pouvoir les introduire à leur tour dans le processus de privatisation.

Dans le même ordre d'idées, la municipalité a accepté de vendre des logements qui avaient
82
été agrandis par leurs locataires sans aucune autorisation. Il s'agit d'un cas extrêmement
fréquent pour les appartements en rez-de-chaussée. La vente est possible à condition que les
extensions ne perturbent pas l'aménagement général du quartier. Les logements qui empiètent
trop sur les voies ne sont pas régularisés.

En dehors de la question des logements à régulariser, la municipalité tente d'améliorer la


procédure administrative de vente des logements: Elle a adopté en 1999 un plan fixant à 26
jours la durée de traitement d'une demande d'achat. 83 Elle précise également le rôle de chaque
service concerné. En revanche, il est un domaine dans lequel la « re-réglementation» se fait
attendre, c'est celui des conditions juridiques des ventes et du statut de copropriété. Il existe
des possibilités de paiement par annuités mais elles sont peu prisées par la population car la

82 Décision 63 QD-UB du comité populaire de Hanoi sur les conditions d'aménagement et d'architecture des
bâtiments lors de la vente des logements d'Etat, 31.07.1999.
83 Décision 57 QD-UB du comité populaire de Hanoi sur la procédure de vente des IQgements d'Etat,
14.07.1999.

305
municipalité refuse de reconnaître le transfert de propriété de l'appartement tant que la totalité
des loyers n'a pas été payée. La population n'ayant pas confiance dans l'administration, et
réciproquement, le paiement différé ne pourra se faire que si un texte vient fixer les conditions
précises d'accès à la propriété.

Il persiste enfin une cause de blocage supplémentaire qui ne dépend pas de la municipalité.
Les entreprises et organismes employeurs gérant les logements ne transfèrent pas rapidement
les immeubles au service du logement pour qu'il les mette en vente. Fin septembre 1999, un
peu plus de 600 000 m 2 de logements gérés par les organismes publics avaient été transférés
au service du foncier (source: service du foncier et du logement). Cela ne représente que 25%
des logements gérés par les organismes publics en 1995. Parmi les organismes qui refusent
encore de remettre leurs immeubles, le ministère de la défense pose un problème particulier
puisqu'il loge plus de 20 000 militaires dans 40% des logements qui doivent encore être
transférés.

Mais toutes ces améliorations de l'environnement juridique des ventes ne répondent pas à la
question de fond: que faire de la très grande majorité des immeubles qui sont en très mauvais
état et que leurs occupants refusent d'acheter? La Chine s'est trouvée confrontée au même
problème, il y a quelques années, lorsque les grandes villes ont constaté l'échec d'une mise en
vente des logements à prix modique. En réponse, certaines municipalités ont adopté une
démarche radicalement différente. Shanghai constitue sans doute le meilleur modèle de
privatisation du parc des villes chinoises (L.H.Li, 1999). Le plan élaboré en 1991 consiste en
un doublement des loyers, la création d'un fonds pour le logement et la vente des logements à
leurs occupants sous forme de bons pour le développement du logement. Le fonds pour le
logement est copié sur le modèle de l'épargne forcée mise en place à Singapour dans les
années soixante (Goldblum, 1997, p 191). Chaque personne doit y déposer environ 5% de son
~ .....

salaire, les entreprises et l'Etat y participent également à part égale. Les banques utilisent ce
fond pour prêter à taux préférentiel aux entreprises réalisant de nouveaux logements. Le
système des bons permet directement aux entreprises et organismes gestionnaires de
rassembler des fonds pour la construction de nouveaux immeubles. Les logements anciens ne
peuvent être vendus qu'aux locataires actuels et un taux préférentiel est accordé aux familles
lors de l'achat de logements neufs. Afin de compenser la hausse des loyers et les souscriptions
obligatoires, une subvention de 2% du salaire des occupants est introduite. Elle est annulée
dès que le locataire déménage pour un logement du parc privé. Dans d'autres villes (Yantai,

306
par exemple), la vente des logements se fait par le mécanisme dit de bons de privatisation ou
vouchers pratiqué dans certains pays de l'Est (République Tchèque, Russie ... ). Les locataires
achètent ces bons selon un montant calculé en fonction d'une superficie habitable, d'un loyer
et d'un salaire moyens et peuvent les utiliser pour acheter tout ou partie de leur logement ou
un logement neuf. Le but est de forcer les occupants d'appartements trop vastes à changer
pour des plus petits et à pennettre à ceux qui manquent d'espace d'en acheter des plus
grands. 84

Ces deux mécanismes pennettent de financer astucieusement la production de logements


neufs par la vente des anciens. En fait, en rachetant son logement à l'Etat, le locataire ne
devient pas seulement propriétaire d'un vieux logement mais acquiert aussi des droits
privilégiés sur l'achat d'un nouveau logement. Ainsi, l'Etat ne brade pas ses anciens
logements et réunit les fonds nécessaires à la construction de nouveaux. Il est probable que le
Viêt-nam devra tôt ou tard suivre cette voie. En avril 1999, la municipalité a fait un premier
pas dans cette direction en créant le fonds pour le développement du logement alimenté en
partie des recettes des privatisations et les loyers des DUS et taxes foncières. Ce fonds est
destiné à distribuer des prêts à taux préférentiels aux aménageurs et promoteurs publics. Pour
la première année, il a été doté d'un budget de 30 milliards de dôngs (2,1 millions de dollars).
Les structures se mettent peu à peu en place pour pennettre au système de financement du
logement neuf par la vente de l'ancien de fonctionner. Il faudra certainement attendre encore
quelque temps avant la mise en place de relations étroites entre entreprises, banques et
administrations.

Contrairement à certains anciens pays socialistes d'Europe de l'Est, le Viêt-nam ne condamne


pas les atteintes au droit de propriété portées au nom de la politique socialiste du logement. Il
tente au contraire de préserver le principe du droit de tous au logement en protége'!Jlt les
droits acquis de la population. Mais cette position rigide répond avant tout à des objectifs
d'ordre idéologique: il faut préserver les fruits de la révolution. Elle est nécessaire au
discours politique pour contrebalancer le véritable tournant d'ordre économique que constitue
la vente des logements d'Etat. Dans les faits, l'Etat a abandonné depuis longtemps sa
politique socialiste du logement en laissant se développer un marché des locations de
logements publics. Il tente aujourd'hui de réorganiser son action en vendant à bon prix les

84 Dans les pays de l'Est, ce système se heurte à la récupération des bons par des réseaux bien organisés qui

307
logements anciens pour financer la construction de nouveaux. Cette réorientation est rendue
difficile par l'absence de mécanismes institutionnels pennettant une transition « en douceur»
du parc ancien au nouveau. Jusqu'à maintenant, la population refuse de payer seule le coût de
cette réfonne. Dans le rapport de force qui les opposent aux pouvoirs publics, les locataires ne
sont pas tous aussi bien armés. A côté de tous ceux qui ont profité des réfonnes de marché
pour s'enrichir tout en préservant un droit au logement quasiment gratuit, il y a ceux qui ont
toujours vécu dans l'économie subventionnée et qui pourraient être les laissés pour compte
d'une privatisation sans accompagnement social.

peuvent les utiliser ensuite pour spéculer sur le marché libre (Renard, 1993, p 15).

308
La mise en vigueur du nouveau régime des droits d'usage du sol est particulièrement difficile
à Hanoi. Contrairement à ce que prescrivent les textes, le pouvoir en ce domaine n'est pas
détenu par la seule municipalité. Il est en partie accaparé par des institutions de rang supérieur
(parti, gouvernement, Armée, grandes entreprises ... ) et de rang inférieur (comités populaires
de district et de quartier). Déjà amputée d'une partie de son pouvoir, la municipalité a
également été diminuée par l'obsolescence soudaine de son mode d'administration. Elle
n'avait d'autre choix que de laisser s\nstaurer des pratiques fondées sur un socle culturel et
moral stable. A ce titre, les pratiques infra-institutionnelles montrent à quel point la notion de
droit foncier est un convention sociale. Il ne saurait être déconnecté des pratiques réelles des
acteurs sociaux sans prendre le risque de l'inapplication pour cause d'illégitimité politique:
interdire la vente et la construction de terrains vierges à une population qui avait vécu des
dizaines d'années dans 5 ou 6 m 2 était totalement illégitime. Le pouvoir eut l'intelligence et le
pragmatisme de le reconnaître en tolérant les pratiques illégales.

Il cherche aujourd 'hui à reprendre les choses en main par le biais de la régularisation. Il se
heurte à des résistances car l'institutionnalisation de la nouvelle norme présente le grand
inconvénient de figer des situations qui étaient jusqu'ici très mouvantes. En effet, dans cette
période de rapports de force et négociations permanents entre population et institutions et
entre ces dernières se joue une partie importante de la recomposition de la société
vietnamienne. C'est dans ces moments troubles des statuts sociaux privilégiés se perdent ou
s'acquièrent. Les objectifs de l'Etat sont peut-être plus lisibles dans la réforme de la politique
du logement qu'en matière de gestion foncière. Il tente de protéger ses soutiens de la période
antérieure (fonctionnaires, militaires, cadres politiques ... ) fortement désavantagés par leur
habitat dans des logements publics depuis que le marché immobilier est florissant. Toute la
difficulté de la réforme du logement tient dans la nécessité d'introduire ces garde-fous
sociaux, mais aUSSI politiques, sans entraver la voie vers la conversion aux mécanismes
de marché.

On ne peut toutefois comprendre tous les rapports de Jorce que nous avons mis à jour dans
cette phase d'institutionnalisation que si l'on en mesure l'enjeu réel: la répartition des gains
financiers issus de l'investissement massif de tous les acteurs économiques dans la
construction du cadre bâti.

309
310
PARTIE 3. VALORISATION FONCIERE ET FORMES DE
PRODUCTION IMMOBILIERE.

En milieu urbain, l'acquisition des droits de propriété sur un terrain n'est bien souvent que le
premier événement dans une chaîne d'actions qui aboutissent à la construction d'un bâtiment
et à son occupation par son destinataire final. L'aménagement et la construction du sol
consistent ainsi en un processus de valorisatIon foncière au cours duquel des capitaux
circulent entre différents acteurs économiques. Dans un pays en pleine reconstruction comme
le Viêt-nam, le montant des capitaux attirés dans l'aménagement et l'immobilier est très
élevé: en 1998, les investissements dans la construction et l'immobilier représentaient] ] %
du PIB. Tous les acteurs de la vie économique sont tentés de retirer des profits de cette
manne, que ce soit par la vente de terrains, par leur construction, par l'attribution de prêts ou
par toutes sorte de prestations de services (architecture, conseil juridiques, publicité ... ). Il
n'existe pas un modèle d' yse de portée universelle permettant de déterminer la nature des
processus de valorisation foncière. Patsy Healey (199], 1992) conclut son étude des
différents modèles proposés en reconnaissant que chaque processus est unique, car il dépend
des acteurs en présence et des contraintes propres à chaque pays (système financier et
bancaire, cadre juridique). Il souligne que pour analyser les processus de production, il est
indispensable d'accorder une grande place aux acteurs en essayant de déterminer les lois ou
règles auxquelles ils obéissent, leurs ressources (et comment ils les accumulent), leurs modes
de pensée (leurs perceptions et leurs motivations) et leurs stratégies.

Notre objectif n'est pas seulement de mettre à jour des processus de production foncière et
immobilière, mais aussi d'en dégager des tendances pour l'urbanisation des années à venir. Le
double contexte de la transition économique accélérée et de la croissance urbaine rapide nous
impose en effet d'avoir une vision dynamique. On ne construit plus de la même façon et avec
les mêmes moyens dix ans après les réformes que dans les années qui suivirent leur adoption.
Peu à peu, au rythme des réformes politiques, les terrains sont intégrés dans des processus de
production marchands.

En observant l'ensemble de la production immobilière au Viêt-nam et à Hanoi en particulier,


nous en avons dissocié trois formes principales résultant de deux découpages successifs. Il
nous est tout d'abord apparu qu'il fallait distinguer la production des particuliers de celle des

311
1
entreprises. Parce que la première se fait souvent en marge de la légalité, elle fonctionne
grâce à des relations de nature interpersonnelle et le circuit du capital s'y révèle en général
très court. Al' opposé, la production des entreprises intègre de nombreux acteurs. Elle
nécessite un cadre institutionnel adapté et des mécanismes économiques sophistiqués pour
pouvoir lier les acteurs entre eux.

Dans le cas particulier du Viêt-nam, il nous est apparu qu'un second découpage devait être
fait au sein de la production des entreprises selon qu'elle est le fait d'investisseurs étrangers
ou d'entreprises vietnamiennes. Il existe tout d'abord une différence dans le cadre juridique
puisque les entreprises étrangères ne disposent pas des mêmes droits fonciers que leurs
homologues vietnamiennes. Ensuite, le poids financier des projets étrangers est très nettement
supérieur aux capacités des entreprises vietnamiennes. Enfin, parce qu'elles appartiennent
pour la plupart à l'Etat, ces dernières ont des modes d'action, des motivations et des stratégies
bien différentes des grands groupes internationaux. L'Etat leur confie notamment la
responsabilité de développer une production massive de log nts dont une partie destinée
"

aux populations à revenus modestes. Les entreprises étrangères se spécialisent au contraire


dans les segments les plus rentables du marché immobilier en construisant des immeubles de
bureaux, des hôtels et des immeubles de logements destinés à une clientèle étrangère.

Un chapitre sera consacré à l'analyse du processus de valorisation foncière dans chacune de


ses trois différentes formes pré-établies de production du bâti. Nous procéderons par études de
cas sur des sites choisis aussi judicieusement que possible. L'insertion d'encarts, résumant les
études de cas, est aussi une occasion d'introduire des éléments parfois périphérique à l'étude
elle-même, mais révélateurs du « climat» dans lequel évoluent les acteurs.

1 Cette distinction se retrouve fréquemment dans les recherches sur la production immobilière. Dans son étude
sur Mexico, Peter Ward (1990, p 42) distingue ainsi la petite production individuelle (<< petty development ») de
la production « industrialisée» (<< industrialized development »). Dans ce dernier cas, nous préférons utiliser
l'expression production des entreprises.

312
Chapitre 8. L'autoproduction : forme dominante « par défaut ».

La production de maisons individuelles, souvent associées à des petits commerces ou des


services en rez-de-chaussée, est le phénomène urbain le plus marquant depuis l'ouverture
économique du pays. Sa diffusion à tous les terrains libres de la capitale, de manière
progressive depuis le centre jusqu'aux franges rurales, est facilement observable. Elle pose
pourtant des problèmes de définition. ~e terme d'habitat populaire indique que la population,
les particuliers, sont les acteurs essentiels de cette production mais présente l'inconvénient de
mettre en même temps l'accent sur le caractère modeste des constructions. Or, au Viêt-nam, la
population a construit aussi bien de petites maisons que de luxueuses villas de rapport. Les
termes anglais de « petty commodity» ou « selfhelp construction» contiennent la même
ambiguïté. L'expression « do-it-yourselj building activity » utilisée par William Logan (1994,
p 66) pour décrire la construction de logements à Hanoi nous semble la plus adéquate. Nous
ne la traduisons pas par autoconstruction car ce terme fait référence à un mode de construction
particulier qui n'a pas cours dans les villes vietnamiennes où ce sont de petites entreprises
privées de maçonnerie qui effectuent les travaux. A l'opposé, l'auto-promotion implique une
activité organisée et permanente, qui existe mais ne correspond qu'à une partie de la réalité
observée. En définitive, le terme d'autoproduction nous semble traduire le plus fidèlement
l'idée que les particuliers sont leurs propres maîtres d'ouvrage.

L'autoproduction est le processus de valorisation foncière le moins élaboré. Il est surtout


utilisé dans les pays en voie de développement en raison de la faiblesse de l'industrie de
l'immobilier. D'une manière générale, l'autoproduction comporte trois grandes étapes (voir
figure 8-1). L'acquisition des terrains est le premier stade. Elle se fait soit par achat avec les
revenus propre des particuliers soit par occupation de fait ou « squat». La seconde étape
consiste en la construction du bâtiment en faisant appel à de la main d'œuvre bon marché, le
....p.lus souvent hors du circuit officiel de l'économie de la construction. Enfin, parfois après une
inévitable opération de régularisation des droits de propriété par l'Etat, l'habitation est
équipée d'infrastructures en échange du paiement d'impôts et de taxes.

313
~

1
Squat: -paiement de protection 1 Force de travail louée 1
- pots de vins 1 1 ~ 1 Equipement
des terrains
1 1

1
............ ..........•
~

ACQUISITION
DU TERRAIN
1
---------------------~
TERRAIN BATI/ :
NON 'BAli :
1 ••••••••• J; •••••••.••• :
......
c 1 ()
ID
E
ID 1 ~.
I~
0:
o
:J
\J
Achat: - épargne Matériaux de construct~ 1 Achat légal des
- part du revenu hebdomadaire 1 ~ terrains
C
o
r Déchets recyclés
Paiement des impOts
...... 1 autorisations
U
:J
\J
e 1
o 1
......
:J
CO
r Usage limité de
1 matériaux industriels 1
Taxes
infrastructures
..
\J en cours
ID
\J 1
o 1
E Phase de régularisation/légalisation
ID
......J
"r"

CO
1
TEMPS .......
~
:J
cr source: d'après Peler Ward (1990), p 43.
u:::
Avant d'analyser en détail comment l'autoproduction à Hanoi se rapproche ou diverge de ce
schéma général, il est important de souligner son poids considérable dans la production du
.
bâti en général et du logement en particulier, dans la capitale. Entre 1991 et 1998, plus d'un
miÏlion de mètres carrés de logements furent ainsi construits dans la capitale (figure 8-2).2
L'autoproduction fut toujours plus de deux fois supérieure à la production des entreprises de
construction et de promotion durant les années 1990. Sa proportion dans l'ensemble oscilla
entre 60 et 70% de la production totale à Hanoi.

Figure 8.2. Evolution de la production de logement à Hanoi. 1981-1998*.

400000 ~---------------------------

350000 +----------------------------
300000 + - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -___

~(1)
250000 +---------------------~
E
(1)
~ 200000
(1)
"C
Ë 150000

100000 +------"
50000 -'----

O+--r--~-~-_r___,r__~-_r_-..._____.,r____r-...,..._-..__........,.-
-...,____l ........
1981 19821983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1991 19921993 1994 1995 1996 1997 1998

Cl production par les entreprises • production par les particuliers

Période Production des Production des Total construit (m 2 )


. particuliers (m 2 ) entreprises (m 2 )

1981-1989 283871 712218 996089


1991-1998 1 274639 512666 1 787305

* l'année 1990 est manquante.


Source: Ministère de la construction (période 1981-1989), Hanoi statistical yearbook (années 1995 à
1999) et service des statistiques de Hanoi.
Note: La production par les entreprises regroupe ici les logements construits par les différents
organismes publics nationaux et municipaux sur le budget d'Etat ou par les entreprises de
construction avec des capitaux privés ou étrangers. La hausse soudaine de la production individuelle
relevée en 1998 est étonnante. Elle semble corroborée par le fait que le nombre de permis de
construire délivrés cette année-là par le bureau de l'architecte en chef fut nettement supérieur aux
autres années. Une explication peut venir d'un nombre élevé de ventes de terrains en 1997 en raison
de la baisse des prix. Le dégonflement du stock de terrains serait suivi de nombreuses mises en
chantier. Pour attester cette hypothèse, il faudrait avoir des données sur le volume des transactions.

2 En comparaison, les statistiques officielles donnent un stock global de logements de 12 millions de m 2 en 1997

315
Ces chiffres sont d'autant plus surprenants que l'Etat chercha toujours à limiter
l'autoproduction. Lorsqu'il concéda aux p~iculiers la possibilité de construire leur logement
en 1986, c'était dans le cadre contraignant de la politique de partenariat (voir chapitre 3).
L'Etat entendait conserver ainsi le contrôle, et les bénéfices financiers, du processus de
valorisation foncière. Non seulement la popu~ation allait parvenir à détourner le partenariat à
son profit, mais elle allait s'engouffrer dans la brèche ouverte dans le monopole étatique de la
construction pour développer une autoproduction spontanée qui allait dépasser toutes les
autres formes de production immobilière.

1. Le détournement des principes du partenariat.

Au début des réformes, l'aménagement et le lotissement de terrains pour le logement


individuel furent menés selon le principe de la politique de partenariat. L'Etat attribuait des
terrains aux organismes publics qui les aménageaient et les transféraient à leurs employés
pour qu'ils y construisent. Conceptualisée dans les premiers temps des réformes, cette
formule restait très empreinte d'idéologie socialiste (elle est désignée en vietnamien sous
l'expression" Nhà mtac và nhân dân cùng làm " : " l'Etat et le peuple travaillent ensemble"
3
sous-entendu pour construire les 10gements ). Elle visait à éviter la commercialisation des
4
terres tout en attirant les ressources privées dans l'immobilier. Le partenariat se situait
également dans la continuité de la politique du logement antérieure, à savoir celle du droit de
tous les employés du secteur d'Etat à un logement. Tous ces principes impliquaient une bonne
gestion administrative. Il fallait gérer des indemnisations, transférer'des droits d'usage du sol,
planifier et aménager des quartiers. Toutes choses qui requièrent l'intervention de
J'administration. La cause fondamentale des dérives que nous allons énoncer maintenant tient
~

dans ce que l'administration allait être incapable de maîtriser le processus de production. Elle
allait en laisser la conduite aux différentes entreprises et organismes publics. Nous passons en
revue les grands principes du partenariat pour comprendre comment ils furent transgressés par
les différents acteurs du processus de production. Etant donné que cette production fut
officiellement abandonnée en 1996, nous en parlons au passé.

à Hanoi.
J La méthode fut utilisée pour la construction d'autres types d'infrastructures.

316
1.1. Concentration urbaine.

Le premIer principe du partenariat était de réaliser de nouveaux quartiers d'habitat par


extension de la ville. Il fallait dédensifier le centre ville. La plupart des terrains non bâtis que
la municipalité destinait à la politique de partenariat étaient donc les terrains agricoles
périphériques exploités par les coopératives. Rappelons que le comité populaire de Hanoi
possède le monopole de l'utilisation des terres car elles appartiennent au domaine public. En
effet, lorsqu'en 1988, les terres agricoles furent distribuées aux exploitants, ce ne sont que les
droits d'exploitations qui leurs ont été transférés. 5 Les coopératives restaient les détentrices du
droit d'aliénation des DUS. Elles seules peuvent transférer les DUS à un autre organisme.
Lorsque les coopératives furent dissoutes parce que leurs terres étaient gagnées par
l'urbanisation, c'est le comité populaire de Hanoi qui en récupéra les droits d'usage.

Concrètement, la conversion des terres agricoles en terres à bâtir devait s'effectuer ainsi: la
municipalité fennait les coopératives ou les amputait d'une partie de leurs terrains. Tous les
terrains qui n'étaient pas propriété personnelle des foyers paysans pouvaient alors être mis à
disposition des organismes publics. Le choix des entreprises, des instituts et autres services
qui recevaient un lot s'effectuait par un processus de négociation entre les administrations et
la municipalité. 6 La mise à disposition des DUS aux organismes publics donnait lieu au
paiement du prix officiel des terrains à la municipalité. Mais le transfert ne devenait effectif
qu'après indemnisation de la coopérative et de ses membres. Chaque organisme public
attributaire d'un terrain devait mener une procédure d'indemnisation avec la coopérative.
Durant celle-ci, la coopérative agricole était officiellement l'unique interlocuteur des
. 7
orgarusmes.

4 Une politique similaire avait été conduite en URSS dans les années 1960 (Di Maio, 1974, pp 109-110).
Nommée « travail pour le logement », elle devait permettre d'augmenter significativement la production de
logement.
5 Les terres des coopératives furent redistribuées aux employés en application du décret n° 10 du bureau politique
du Parti faisant du foyer paysan j'unité d'exploitation agricole. A Làng Tarn, les surfaces aquatiques furent
réparties entre les différents membres de la coopérative selon le principe suivant: chaque personne active du
foyer (ngu07 lao d9ng chinh) a reçu l,5 sào et les personnes dépendantes (ngu07 an theo) 0,5 sào (un sào égale
360 m2 ).
6 Nous n'avons pas réussi à déterminer selon quels critères tel service plutôt que tel autre recevait un terrain pour
loger ses employés. Il est probable que la personnalité des directeurs jouait un rôle non négligeable.
7 Puisque les coopératives conservaient les droits d'aliénation, ce sont elles qui devaient être indemnisées de la
perte de leurs terres. Ensuite seulement, elles redistribuaient des indemnités à leurs employés.

317
Récupérer des terrains auprès des paysans étant certainement une des actions les plus délicates
à mener, les organismes préférèrent rechercher des terrains encore libres. Dans les premiers
temps, le nombre considérable d'étangs, de lacs et de terrains non cultivables leur permirent
de se faire attribuer des terrains sans recourir à l'indemnisation. Mais peu à peu, ces terrains
en quelque sorte" libres de tous droits" se raréfièrent et il fallut trouver d'autres solutions.
Or, beaucoup organismes disposaient déjà de très vastes terrains non bâtis pour leurs activités.
On peut citer par exemple les compagnies de construction qui disposaient de terrains pour
entreposer leurs matériel, les entreprises de transport qui possédaient de vastes parcs pour
leurs véhicules ou encore le cas particulier du ministère de la défense qui gérait de très vastes
terrains d'entraînement militaires autour de la capitale. Enfin, de très nombreuses entreprises
possédaient des hangars ou terrains de stockage ou même de terrains dont elles n'avaient
aucun usage. A l'époque de la planification centralisée, elles avaient demandé et obtenu ces
terrains pour développer leurs activités. Mais elles n'avaient jamais reçu les crédits
d'investissement nécessaires. De très nombreuses friches industrielles existaient ainsi dans la
ville.

Il fut beaucoup plus simple pour ces organismes de lotir tous les terrains dont elles n'avaient
pas réellement besoin pour leurs activités plutôt que d'engager la procédure d'indemnisation.
Cette transformation "en interne" de terrains de production en terrains résidentiels était
contraire à la démarche officielle. Les organismes publics auraient dû rendre à la ville les
terrains inutilisés pour qu'elle les affecte à d'autres activités. Ils ne le firent pas car ils étaient
soutenus par leur hiérarchie au sein des ministères qui les protégeait des menaces de la
municipalité.

Celle-ci dut admettre son incapacité à récupérer les terrains. Lorsque les terrains se .trouvaient
dans une zone qu'elle destinait à l'usage résidentiel, elle autorisa parfois leur changement
d'usage et accorda à l'organisme la mise à disposition des DUS. Les terrains devenaient alors
légalement constructibles par les employés. Dans d'autres cas, les organismes lotirent les
terrains sans aucune démarche officielle ni le moindre paiement. Ce fut spécialement le cas de
l'Armée. Plus grand détenteur de terrains à Hanoi, cette institution pu réaliser des quartiers
résidentiels entiers en dehors de toute procédure administrative. L'Armée ne paya aucun droit
ni aucune taxe sur ses terrains. Le conflit avec la municipalité' tourna en 1998 à l'avantage de
cette dernière. Elle obtint de l'Armée qu'elle rembourse la municipalité des taxes non payées
sur les terrains résidentiels aménagés.

318
1
En vendant à leurs salariés les terrains dont elles disposaient, les organisations publiques
firent des opérations très rentables. Une exception célèbre est celle de l'institut de
mathématique. Composé de scientifiques éminents et aux multiples relations dans les pays
étrangers, cet organisme a utilisé ses terrains pour y construire des villas luxueuses, afin de les
louer aux invités et résidents étrangers.

Le fait que les organismes aient pu lotir les terrains dont ils disposaient dans la ville eut une
conséquence essentielle sur le développement physique du cadre bâti. Alors que la procédure
originale visait la dédensification et l'extension de la ville par absorption progressive des
terrains ruraux, le lotissement des terrains des organismes au sein même de la ville existante
conduisit au " remplissage des vides" et non à des reports de densité en périphérie.

Il est important de noter que les dirigeants des organismes se seraient heurtés au refus des
salariés si ils avaient purement et simplement vendu les terrains sur le marché noir. Le rapport
de force au sein des organismes faisait qu'ils devaient partager les gains des opérations avec
leurs salariés. Ceux-ci pouvaient en effet aisément tirer des bénéfices de l'attribution. C'est la
seconde dérive du partenariat.

1.2. Perméabilité aux lois du marché.. . noir.

Un objectif du partenariat était de maintenir les terrains hors de la sphère marchande grâce à
une procédure d'attribution administrative. Les organismes employeurs transféraient les DUS
aux employés au prix coûtant. Il ne s'agissait en aucun cas d'une vente mais d'une procédure
administrative qui visait à réaliser l'objectif socialiste du logement pour tous. La sélection des
employés attributaires de lots était une affaire interne aux organismes publics et entreprises.
-
Le logement faisant partie des avantages qu'offre un emploi dans le secteur public, c'étaient
souvent les responsables syndicaux ou les personnes en charge de la gestion des ressources
humaines qui se chargeaient de cette mission.

Le premier critère de sélection était évidemment de ne pas disposer déjà de bonnes conditions
de logement. Ensuite, certains lots étaient généralement réservés en priorité aux cadres
dirigeants. Pour les autres, la sélection se faisait suivant les critères suivants:

319
• nombre d'années de travail au sein de l'organisme;
• niveau de contribution aux activités de l'organisme;
• personnes disposant de privilèges de nature politique: héros ou veuves de guerre,
invalides, héros de la révolution ...
• récompenses: décorations, mérite ...

Chaque personne obtenait un nombre plus ou moins élevé de points. Cette procédure donnait
souvent lieu à des conflits entre postulants. Une fois le choix des personnes effectué, se posait
la question du choix de la distribution des lots. Selon la configuration des terrains, tous les
lots ne présentaient pas le même intérêt: ceux situés en bordure des grandes routes étaient
plus prisés que ceux en retrait. Bien souvent, c'est la solution du tirage au sort qui était alors
choisie pour départager les candidats. L'organisme employeur attribuait ensuite les terrains
aux personnes sélectionnées. Elles recevaient une décision de leur employeur leur attribuant le
terrain. Cette décision individuelle se fondait sur la décision d'attribution collective des
terrains par la municipalité au service employeur. Il ne s'agissait en rien d'un certificat de
droit d'usage du sol personnel.

La compétition pour être attributaire d'un terrain selon cette procédure était d'autant plus vive
que le coût était bien inférieur au prix des terrains sur le marché noir. Pour fixer le montant à
payer par chaque personne, chaque organisme divisait simplement les coûts de préparation de
l'opération par la superficie mise à disposition. Le coût de préparation de l'opération pour un
organisme comprenait les éléments suivants:
• paiement de la mise à disposition à la municipalité;
• indemnisation des coopératives et de leurs membres;
• financement des travaux de préparation du site;
• paiements informels.

Nous ne disposons pas d'informations suffisamment précises pour détailler le coût de chacune
de ces opérations. Elles ont varié avec le temps et surtout en fonction de chaque site. Mais, il
est certain qu'in fine le coût pour l'usager était bien inférieur au prix du marché. Nous
pouvons citer, à titre d'exemple, le cas d'une employée du ministère de l'intérieur qui se fit
allouer en 1991 un terrain de 41 m 2 à Giap Bat (voir étude de cas, infra, 2.2.) au prix de 5
millions de dôngs. Si l'on estime la valeur du dollar de l'époque à 12 000 dôngs, elle n'a payé

320
que 416 $, soit la $/m 2 . C'est dérisoire en comparaison du prix du marché que l'on peut
estimer alors entre 200 et 400 US$/m 2 • Socialement, le partenariat permettait à l'Etat de
mener une action redistributive du foncier vers les catégories sociales qu'il entendait
privilégier et, sur le plan idéologique, il respectait le principg. que les terrains ne devaient pas
être source de profit. La coexistence de cette sphère non marchande d'accès au foncier avec
la sphère du marché noir allait toutefois provoquer des échanges entre les deux qui ont
détourné la participation de ces objectifs initiaux.

Nous avons vu que la procédure de sélection de personnes recevant un terrain visait à


s'assurer qu'elles avaient bien un besoin réel de logement. Mais parce que les critères de
sélection étaient relativement flous et aP2liqués de manière bureaucratique, il était aisé de les
contourner par la négociation. En usant de leur influence au sein de l'organisme, certaines
personnes parvenaient à se faire attribuer des terrains alors qu'elle possédaient déjà un
logement confortable. Elles pouvaient alors le reve~dre sur le marché noir à un prix nettement
supérieur à celui de l'attribution. Les personnes qui avaient réellement besoin d'un logement
neuf pouvaient également choisir de revendre leur lot plutôt que de le construire. Elles
continuaient d'habiter dans un logement étroit, mais avaient effectué une opération
extrêmement rentable. Des petits promoteurs se faisaient une spécialité de prospecter les
zones nouvellement aménagées à la recherche des personnes souhaitant revendre leur lot. Il
était également très fréquent que les attributaires d'un lot le construisent dans le but de mettre
la maison en location à des résidents étrangers. La construction de maisons de rapport se
développa particulièrement dans les quartiers prisés par les étrangers.

Un médecin habitant sur un terrain attribué au ministère de l'intérieur à Giap Bat nous a ainsi
expliqué comment il l'acquit sur le marché noir. Une de ses connaissances travaillant pour le
ministère avait reçu un lot mais souhaitait le revendre. Elle avait pris au préalable la
précaution d'y construire une petite maison en brique et tuile, afin de donner une apparence
de légalité à la transaction. Le médecin acheta le terrain en 1994 pour 27 000 $, soit 60 fois le
prix de l'attribution administrative à l'employée du ministère en 1991 pour un lot voisin.

Toutes ces formes de passage de la sphère administrée à la sphère du marché nOIr


permettaient des prises de bénéfices importantes aux personnes attributaires de terrains. Parce
que les cadres des organismes bien insérés dans le système politique étaient les mieux placés
pour recevoir des terrains, le partenariat leur fut particulièrement favorable. Le partenariat

321
profitait ainsi aux organismes en leur permettant de valoriser des terrains inutilisés en les
lotissant mais surtout elle profitait aux personnes elles-mêmes en leur permettant de les
revendre sur le marché.

En définitive, la véritable victime de ce détournement du partenariat était la municipalité, et


derrière elle l'Etat. La municipalité perdit le contrôle de l'usage des terrains urbains et les
ressources fiscales du budget local, mais aussi national, qui y étaient liées. Il nous a été
rapporté que lors de la mise en place de la politique de partenariat, les comités populaires des
grandes villes perçurent les dangers qu'il y avait à confier aux administrations et grandes
entreprises publiques l'aménagement des terrains résidentiels. Le comité populaire de Hanoi
aurait préféré réaliser lui-même des projets d'aménagement. Le poids des grands organismes
d'Etat dans le système politique vietnamien leur permit de s'y opposer et de se comporter
comme les véritables "propriétaires" de leurs terrains. L'incapacité de la municipalité à
réaliser rapidement de très nombreux quartiers résidentiels fut également un élément en
faveur de la construction en interne par chaque organisme public. Elle avait également
l'avantage de s'inscrire dans la ligne idéologique ancienne de l'offre de logement par l'Etat
via ses entreprises et organisations.

1.3. Une production d'inégale qualité: le cas de Giap Bat..

Un dernier principe du partenariat était la production d'un environnement bâti de bonne


qualité. Les quartiers devaient être convenablement aménagés. Ils devaient se composer
d'immeubles collectifs de logement construits par les organismes publics et de maisons
individuelles bâties par les particuliers sur des terrains aménagés par ces mêmes organismes. 8
Les plans de lotissement étaient généralement élaborés par des services du minist~re de la
construction ou de la municipalité. Ils étaient ensuite visés par le bureau de l'architecte en
chef ou le service de la construction et faisaient l'objet de délivrance de permis de construire.
Les particuliers se chargeaient alors de construire leurs logements et les organismes
employeurs devaient veiller à l'installation des réseaux, ainsi qu'à la construction
d'immeubles collectifs.

8 Originellement, il y avait cinq formes de partenariat. La première consistait à construire des immeubles
collectifs avec des fonds collectés par les entreprises et organismes d'Etat auprès de leurs employés. La seconde
consistait à aménager des quartiers d'habitat individuel. Les organisations aménageaient les terrains et
attribuaient les lots à bâtir aux employés. Les autres formes concernaient la rénovation de 1'habitat ancien.

322
Tout d'abord, il faut noter que la construction d'immeubles collectifs ne fonctionna jamais.
Les particuliers refusèrent de payer sans avoir des garanties sur la réalisation de ces logements
et sur la durée de construction. Ensuite, il n'y avait pas de demande pour ce type de
logements. Les particuliers aspiraient à un logement individuel et non à un appartement dans
un immeuble collectif. La très mauvaise réputation des immeubles construits durant la période
précédente comptait pour beaucoup dans cette attitude. Les terrains mis à disposition des
organismes ne furent donc pas construits par ceux-ci sous forme d'immeubles collectifs, mais
simplement lotis et transférés aux employés qui se sont chargés ensuite de les aménager et les
construire.

Il nous faut ensuite nous pencher en détail sur le mode d'aménagement des quartiers pour
comprendre pourquoi leur qualité urbaine s'est avérée médiocre. Nous avons mené une
enquête dans un quartier résidentiel construit sur ce mode. 9 Le quartier de Giap Bat a été
aménagé sur l'étang qui s'étend au sud du village Làng Tarn. Il est situé au sud de la capitale,
le long de la route nationale n O l (carte 8-1). En 1991, le comité populaire de Hanoi décidait
de transformer un étang piscicole situé dans le phuimg Giap Bat en quartier résidentiel. Le
projet d'aménagement avait été élaboré par l'institut d'urbanisme de la ville. Un secteur de
2,6 hectares situé au nord était destiné à des organismes publics selon le principe du
partenariat. Dans la partie sud, les terrains étaient mis à disposition d'un aménageur public
pour qu'il les lotisse et bâtisse selon la procédure du commerce d'infrastructure que nous
étudierons ultérieurement ( projet B5, chapitre 9). La coexistence de deux formes de
production dans le même secteur a été un facteur décisif dans notre choix de ce site comme
étude de cas.

9Nous nous appuyons pour cela sur des entretiens menés avec tous les acteurs concernés entre avril et juin 1998.
Ces travaux ont fait l'objet d'une publication en anglais (Pandolfi, à paraître en 2000a).

323
Carte 8-1. Le phl1è1ng Giap Bat

N
t
100 m

e zone de densl11catlon vtllageolse

• dlsposttlon des lots 6 b011r dans le quartier resldentlel

r [Il] emprise foOOère de la gare rou11ère sud

sec1eur en construction

1§;:~llacs. étangs

324
1.3.1. Le lotissement des terrains.

Dans le secteur nord, huit organismes reçurent des terrains à aménager en partenariat entre
1991 et 1995 (voir tableau 8-1). Certains organismes ont été proposés par la mUIÙcipàlité,
d'autres sont venus se renseigner sur le projet et ont posé candidature. La coopérative agricole
a également obtenu un secteur pour loger ses membres.

Dans les contrats de mise à disposition, la municipalité précisait la part des terrains qui était
consacrée aux réseaux d'infrastructure. En moyenne, ils devaient occuper près de 40% de la
superficie des terrains. Notons qu'il s'agit des infrastructures concernant directement le
lotissement. Il n'était pas prévu de demander aux organismes de consacrer des terrains à des
espaces publics ou à de futurs équipements publics comme des écoles. Ceux-ci devaient être
construits selon une procédure différente du partenariat. C'est un point important à souligner,
le partenariat s'en tenait à la stricte production de logements. Il n'existait pas de lien financier
permettant de financer par la vente des terrains de logement les nécessaires équipements
publics du quartier.

Avant de pouvoir lotir, l'organisme employeur devait faire réaliser un plan de lotissement par
le service de la construction jusqu'en 1992 ou par le Bureau de l'architecte en chef ensuite.
Nous présentons ici un extrait du plan de lotissement d'un terrain mis à disposition du
ministère de l'intérieur (illustration 8-1). Il fut établi par le service de la construction en mars
1992.

La volonté de réaliser un nombre maximum de lots est une caractéristique commune à la


politique de partenariat. Face à la pression des organismes publics, la municipalité n'a pas
réussi à réserver des surfaces suffisantes pour les espaces non bâtis ou la voirie. Des cas
particuliers sont ceux des terrains destinés aux hauts responsables d'organismes
particulièrement puissants au sein de l'appareil d'Etat. Dans ce cas, les lots sont à la fois plus
larges et mieux desservis qu'ailleurs. Ainsi, à Giap Bar, les terrains attribués à l'institut de
stratégie et de prospective, rattaché au gouvernement, ont été divisé en larges lots qui ont
permis de construire des bâtiments imposants (illustration 8-2). L'accès en voiture de chaque
bâtiment est assuré.

325
Tableau 8-1. Liste des organisations attributaires de terrains à Giap Bat

Nom de l'organisme Surface Surface réservée Surface totale


constructible aux infrastructures allouée
(m 2 ) (m 2 )
C(Jc ky thu~t 1- BQ NQi V(J 2347 1400 3747
Service technique 1-
ministère de 1 intérieur
Công ty công trlnh giao 3228 1620 4848
tMng 3
Compagnie des ponts et
chaussées 3
Vi~n dl! béo chién IllÇJC 2150 2038 4188
Institut de la prévision et de
la stratéqie
B~nh vi~n Vi~t Duc 2247 1337 3584
Hôpital Viêt Duc
Trllàng TH Vi~t Duc 2247 1296 3543
Ecole Viêt Duc
Công ty Biên Pha Sông ? ? 1285
Compagnie Biên Pha Sông
Truàng PTTH Ly Thllàng 1515 1163 2678
Ki~t
Ecole Lv Thllàng Kiêt
HTX nông nghi~p Giap Bat 1706 1215 2921
Coopérative agricole Giap
Bat

Total 15440 10069 26794

326
Illustration 8-1. Plan et vue, du lotissement du terrain attribué au service technique
n01 du ministère de l'intérieur à Giap Bat.

- .......
1 i
~ !
;:, ~ i
--t-Jl' i ! !

47000

- 10m source: setvice de la construction de Hanoi

Sur ce terrain de 3 800 m', les terrains réservés aux infrastructures représentent en fait 1200 m' soit 32%. Ils correspondent
pour l'essentiel à la voirie externe. Chaque terrain attribué à un organisme comprend en effet la moitié de la largeur des voies
qui l'entourent. Les surfaces destinées à la voirie, à l'intérieur du lotissement proprement dit, sont réduites au strict minimum. La
rangée centrale dispose d'une voie de 2,5 m de large comme seul moyen d'accès et d'ensoleillement. Ceci permet de
concentrer une soixantaine de lots dont la majorité de 11 mètres sur 3,7 mètres, soit 40,7 m'. La forte demande de lots émanant
des employés a conduit le ministère à demander au service de la construction que le lotissement comprenne un nombre
maximum de lots. Ceci s'est effectué au détriment de la voirie. donc de l'environnement de l'habitat. Photo L.P.

327
Illustration 8-2. Le lot de l'institut de stratégie et de prospective à Giap Bat.

L'entrée dans le lotissement est marquée par deux bornes. Le nom de l'institut est apposé sur l'une d'elles. La largeur de la voie
permet d'y passer en automobile. Les lots ont été découpés de manière à permettre la construction de villas cossues avec petit
jardin. Photos L.P.

328
1.3.2. L'équipement des terrains.

Les lots furent ensuite transférés aux employés sans aucun aménagement. La question du
fmancement des infrastructures est la principale pierre d'achoppement de la production en
partenariat. Al' origine, les organismes employeurs comme les employés pensèrent que cette
tâche revenait à l'Etat, c'est-à-dire aux services municipaux. Bien que n'obtenant pas
d'engagement précis de ceux-ci, ils se lancèrent malgré tout dans la division et la distribution
des lots. Très souvent, c'est la terre qui semblait essentielle à la population. Il fallait tout faire
pour obtenir un terrain, la question des réseaux se réglerait plus tard.

Dans quelques rares cas, des orgarusmes fortunés partagèrent avec leurs employés
l'équipement des terrains. Dans le cas étudié ici, les employés ne payèrent que pour
J'indemnisation des terrains et le comblement du lac. Les organismes ne réalisèrent donc pas
les infrastructures et les particuliers construisirent leur logement sur des terrains sans voirie ni
canalisation d'eau. On peut constater le même phénomène dans la plupart des quartiers
construits sur le mode du partenariat.

A Giap Bat, c'est seulement une fois que tous les employés eurent pris physiquement
possession de leurs terrains qu'ils firent installer les réseaux. Les permis de construire
précisaient que le réseau d'égout et d'alimentation en eau devaient être réalisés avant de
commencer à construire. Ils ne tranchaient pas le conflit entre les employés et les organismes
puisque les deux pouvaient les financer. En revanche, les travaux devaient être réalisés par
une entreprise spécialisée. Les employés se cotisèrent donc pour financer l'installation du
réseau d'eau. D'après les entretiens que nous avons eus avec plusieurs d'entre eux, ils
payèrent chacun un million de dôngs (environ 90 $) pour l'installation de la canalisation
principale par la compagnie des eaux de Hanoi. Dans ce cas précis, il semble que les
organismes se contentèrent de servir d'intermédiaires entre les particuliers et la compagnie
des eaux. La participation des habitants ne fut pas suffisante pour acheter une canalisation
répondant aux normes. Ceci posera des problèmes lorsque les besoins de chacun
augmenteront. La situation a pu être différente dans d'autres secteurs. Tout dépendait de la
puissance financière des organismes employeurs et des négociation avec leurs employés.
Dans certains cas, les organismes acceptèrent de finan~er une partie des travaux. En ce qui
concerne le raccordement de chaque maison au réseau d'eau, le propriétaire le finance
intégralement et fait appel à des petites entreprises privées spécialisées dans l'installation des

329
canalisation. Parfois, ce sont les ouvriers construisant la maIson qui s'en chargent. Le
raccordement au réseau électrique, techniquement plus facile et moins onéreux, posait peu de
problèmes même s'il devait être impérativement effectué par la compagnie d'électricité
municipale avec installation du compteur.

Eau comme électricité étant des besoins vitaux, ils furent toujours rapidement installés dans
les lotissements. En revanche, la construction de routes goudronnées ou cimentées reste
souvent en suspend. Parce qu'il était toujours possible de circuler sur un chemin de terre, ni
les particuliers ni les organismes n'étaient pressés de payer pour la construction des routes. A
Giap Bat, en 1999, soit 8 ans après les premières constructions, la voirie n'était pas toujours
réalisée. Responsable de l'environnement du quartier, le comité populaire du phLtèfng tenta de
parvenir à un accord entre les différentes parties. Dans un entretien qu'il nous a accordé, son
président nous a fait part d'une initiative en ce sens. Il a réuni en 1997 les différentes
organisations et les représentants de la population (le chefs de tô) pour mettre en place un
fonds commun pour la réalisation des routes. Les habitants devaient l'abonder à hauteur de
50% et les organisations et le comité populaire apportaient l'autre moitié des fonds. Les
habitants ont refusé cette proposition.

D'une manière générale, la population refuse de payer pour les infrastructures publiques, que
ce soit sous forme d'impôt local ou de participation aux travaux au cas par cas. On retrouve
ici la question de la défiance de la population envers son administration et l'Etat en général.
La pratique de la corruption, les détournements de fonds sont trop fréq~ents pour qu'il en soit
autrement. Pour autant, il ne faut pas croire que la population refuse tout simplement de
participer à l'œuvre collective. Elle est prête à y contribuer à condition d'avoir des garanties
sur l'usage des fonds et le résultat. Pour ce faire, les habitants préfèrent utiliser les petites
communautés de voisinage. On retrouve ici le goût de la population vietnamienne pour les
micro communautés où tout le monde se connaît et se contrôle. Très souvent, les quelques
familles d'un même t6 se cotisent pour faire installer les équipements dont elles ont besoin.
Elles s'adressent ensuite directement au service ou à l'entreprise responsable. Afin de
s'assurer de la bonne réalisation des travaux, une personne est chargée d'en surveiller
l'exécution.

330
Illustration 8-3. La réalisation inégale de la voirie dans le guartier Giap Bat.

Ces deux photos ont été prises à quelques centaines de métres l'une de "autre. la différence d'aménagement est frappante.
Dans un cas, la route est goudronnée, des trottoirs construits et des arbres plantés. Rien de tout cela dans l'autre cas. Dans le
premier cas, l'organisme attributaire ou ses employés ont accepté de payer pour l'aménagement, pas dans le second. Photos
L.P.

33\
Cette solution coûte souvent moins cher que de s'en remettre aux organismes ou à
l'administration locale, car elle limite les démarches administratives et donc les paiements
informels. En outre, la population est assurée de recevoir ce pour quoi elle a payé. C'est une
version inédite de la formule de « l'usager-payeur ». Le revers de la médaille est que la
qualité des infrastructures varie considérablement d'un quartier à l'autre selon le niveau de
ressources des habitants.

1.3.3. La construction des logements.

Dans les premières années du partenariat, les particuliers firent construire eux-mêmes leurs
maison. Ils disposaient pour cela d'un permis de construire délivré individuellement mais
concernant tous les lots attribués à un même organisme. Les permis de construire délivrés en
1992 pour le lot attribué au ministère de l'intérieur fixaient la hauteur de tous les bâtiments à
deux niveaux (3,3 mètres par niveau). Ils ne furent pas respectés et un troisième, et parfois, un
quatrième niveau furent ajoutés.

Nous avons interviewé une des premières personnes à avoir fait construire, en 1992. Il s'agit
d'une employée du ministère de l'intérieur qui est également la chef de tô'. Sa maison est
typique d'une construction très bon marché que la politique de partenariat rendait possible
(voir tableau 8-2). La charge foncière est très faible grâce à la procédure administrative. Les
dimensions réduites du bâtiment (une pièce + cuisine + chambre sur un demi-étage) et le
faible coût de la construction (une équipe de maçons venus de la campagne ont effectués les
travaux au prix de 50 $ 1m 2 ) ont permis à cette employée peu fortunée d'avoir un logement
pour 4000 $. La construction de la maison s'est faite en à peine deux mois. La propriétaire mit
deux ans à rembourser les emprunts contractés auprès de proches pour financer les travaux.

Tableau 8-2. Opération de construction d'un lot attribué en partenariat.

Superficie Coût en US$ Pro~ortion


DUS 41 m2 416 10 %
Construction 60 m2 3000 76%
Réseau d'eau et 300 8%
électricité
Taxes, paiements 200 6%
informels
Total 3916 100%

332
Il est intéressant de comparer cette opération avec celle du médecin ayant racheté son lot à
l'attributaire d'origine (tableau 8-3). Elle se situe sur le même terrain attribué au ministère de
l'intérieur. L'employé attributaire a simplement fait construire une petite masure (uj'p b6n)
afin de pouvoir revendre le terrain légalement. En 1994, au sommet de la fièvre foncière, le
médecin lui a racheté le terrain pour 27 000 $, La part de la charge foncière s'en trouve
considérablement augmentée. Alors qu'elle était de 10% dans le cas précédent, elle est ici de
63%, ce est qui similaire aux opérations de construction non planifiée. Le coût de construction
est de l'ordre de 120 $/01 2 de plancher, ce qui correspond à une construction de bonne qualité.
La maison possède trois niveaux. Au total, elle a coûté un peu plus de 40 000 $, ce qui est un
prix moyen. Le médecin a beaucoup emprunté aux amis et à la famille et s'est" serré la
ceinture" (" That [lmg buç5c bl!ng ") pour rembourser en quatre ans.

Le second cas étudié est beaucoup plus fréquent que le premier. A vrai dire, la petite
construction populaire ferait plutôt figure d'exception lorsque l'on traverse les quartiers
construits sur le mode du partenariat. Ils présentent souvent une homogénéité sur le plan du
bâti renforcée par une monotonie due au découpage parcellaire. L'autre aspect commun à ces
quartiers est l'impression d'inachèvement laissée par les voies non goudronnées.

Tableau 8-3. Opération de construction après revente au noir d'un lot attribué en
partenariat.

Superficie CoOt en $ proportion


Achat du terrain (et de la 41 01 2 27270 63%
masure)
Construction 120m 2 15450 35%
(incluant le coût de démolition
de la masure)
Réseaux 300 1%
Taxes et paiements informels 400 1%
Total 43420 100%

333
Illustration 8-4. Vues de trois types de constructions dans le quartier Giap Bat.

La première construction (haut) est ce que l'on appelle une maison de « quatrième catégorie» en référence à la nomenclature
du ministère de la construction. Son propriétaire l'a construite à un coût minimum avec l'intention de pouvoir revendre
légalement son lot puisqu'il a été bâti. Le futur acquéreur s'empressera de la détruire et de construire un compartiment de trois
ta
ou quatre niveaux. La seconde maison (centre), celle de la chef de (au premier plan), paraît bien petite par rapport à sa
voisine. Le plus souvent les propriétaires attendent d'avoir assez de moyens pour ajouter un ou deux étages supplémentaires.
Enfin, la maison du médecin (bas), donnant sur le plan d'eau, a été construite sur quatre niveaux avec les matériaux les plus
chers. Photos L.P.

334
Dans les années 1994-1995, prétextant de la mauvaise qualité de l'environnement bâti ainsi
réalisé et de la mauvaise qualité des infrastructures, la municipalité imposa aux organismes la
réalisation des travaux d'infrastructure et la construction du gros œuvre par ses compagnies de
construction. Au delà de l'amélioration des caractéristiques physiques des quartiers, il
s'agissait aussi de permettre aux entreprises de construction publiques d'intervenir sur le
marché de la construction individuelle jusque là dominé par les petites entreprises de
construction privées. Ces dernières n'e supportant pas les mêmes contraintes en matière de
rémunération de la main-d' œuvre, elles proposaient des tarifs nettement inférieurs aux
compagnies publiques. ID Cette évolution préfigurait la réalisation intégrale des quartiers
résidentiels par les entreprises de construction (voir chap. 9). C'était une dernière tentative
avant l'abandon définitif en 1996. Au total, le partenariat n'atteint pas ses objectifs ni sur le
plan foncier (dédensifier le centre), ni sur le plan politico-social (éviter la marchandisation des
terrains et permettre le logement des salariés à bas revenus) ni encore sur le plan urbanistique
(réaliser des quartiers bien équipés).

2. Dynamisme de la production d'initiative i~dividuelle.

Nous entendons par production d'initiative individuelle, la construction de bâtiments par les
particuliers sans autorisations préalable des pouvoirs publics. Elle se distingue en cela de
l'autre forme d'autoproduction que constitue le partenariat.La construction de petites maisons
en briques dans une cour ou un jardin existe de longue date. Pendant la période d'économie
planifiée cette production était tolérée par les pouvoirs publics à condition qu'elle demeure à
l'échelle individuelle (voir chap. 1). C'est ainsi que le centre de Hanoi s'est peu à peu densifié
par rajouts sur les parcelles anciennes dans les années 1970 et 1980. Mais c'est surtout sur les
marges de l'urbanisation, dans les villages qui entouraient la capitale, que ce phénomène se
manifestait. Avec la reconnaissance officielle de la construction individuelle en 1986, cette
forme d' autoproduction put se faire au grand jour.

La dimension spatiale de la production d'initiative individuelle s'impose d'emblée à


l'observateur. Elle est présente partout dans la ville et semble désordonnée. Pourtarlt, il existe
des contraintes spatiales qui commandent cette extension urbaine. De celles-ci dépend la
structure physique des aires résidentielles autoproduites. Il faut donc s'interroger sur l'usage

2
10 En 1998, les entreprises publiques demandaient entre 120 et 150 $ par m de plancher construit alors que la

construction privée coûtait environ 100 $/m 2 .

335
d'origine des terrains, leur statut juridique, leur localisation dans la ville et le type de
constructions qu'ils supportent après conversion en terrains urbains. En étudiant en détail le
processus de production, nous voyons apparaître différents acteurs. La fréquence de leur
intervention dans certains sites, leur stratégie économique et leurs ressources permettent d'en
dégager quelques figures typiques.

2.1. Le (( grignotage » des terrains publics et la matrice villageoise.

Un premier point à souligner est la capacité des pouvoirs publics à contenir l'autoproduction
en dehors des terres agricoles qui étaient ou sont encore gérées par des coopératives. Ces
vastes étendues de terrains étaient réservées aux projets en partenariat (avec les difficultés
vues plus haut) et sont désormais destinées à accueillir des projets d'aménageurs (voir
chapitre 9). On touche ici à un paradoxe de l'autoproduction : bien qu'elle soit onmiprésente
dans le paysage urbain, en terme de superficie, elle ne concerne qu'une partie limitée des
terrains périurbains : les terrains publics inoccupés et les terrains villageois. 11

Les premiers terrains susceptibles d'être bâtis spontanément sont les terrains que l'Etat
attribue à des entreprises ou des organismes publics pour leurs activités. Jusqu'à la fin des
années 1990, l'imprécision de la législation foncière et le fait que les terrains leur étaient
attribués gratuitement ne contribuaient pas à ce que les organismes publics portent une grande
attention à la surveillance de leur « domaine ». Des familles sans toit purent alors installer de
petites paillotes sur les limites de ces terrains. Il pouvait s'agir de logements mais très souvent
cela commençait par l'installation d'un simple stand de boissons ou d'un petit restaurant.
Situés à l'entrée des entreprises, des administrations ou encore des universités, ils visaient la
clientèle des ouvriers, employés et étudiants du site. Peu à peu, les échoppes devinrent des
constructions en dur et des étages d'habitation furent édifiés. Ce type d'occupation des
terrains publics a considérablement diminué depuis que les entreprises doivent payer des
loyers et que chaque mètre carré vaut cher sur le marché noir.

Il Quertamp et de Miras (2000) soulignent cette capacité de l'Etat à conserver le contrôle de l'extension urbaine.
Ils voient dans le poids qu'exerce l'Etat sur l'urbanisation par des politiques sectorielles contraignantes (natalité,
migration, foncier) ou entraînantes (investissement étranger, infrastructures) une particularité de Hanoi.

336
La deuxième catégorie de terrains que les particuliers recherchent sont ceux que l'Etat
n'attribue à aucun organisme, car il veut les conserver nus de toute construction. On peut citer
en premier lieu les espaces non bâtis à l'intérieur des quartiers d' habi tat collectif. Certains
KTT ont été plus touchés que d'autres par ce phénomène (illustration 8-5). Les abords des
édifices techniques d'infrastructures comme les terrains le long des voies ferrées, les
périmètres de sécurité autour des pylônes électriques ont également été construits I2 ... Enfin, il
faut citer les abords des cours d'eau et des multiples lacs de la capitale. Les petits lacs sont
progressivement comblés et construits. En dix ans, de 1990 à 2000, le nombre des lacs de
Hanoi est ainsi passé d'une quarantaine à une vingtaine. La surface totale des lacs est passée
de 800 à 600 hectares. On estime que le plus grand lac de Hanoi, le lac Tây a perdu 40
hectares sous l'effet de la construction individuelle. t3

Un cas particulier est celui des abords du lac Thanh Nhàn. Ce sont en majorité des personnes
pauvres venues des campagnes voisines qui sont venues s'y installer. Elles occupent des
terrains qui n'ont pas été construits car la municipalité les destinent à un grand parc paysager
mais manque de capitaux pour le réaliser. Ce cas a fait l'objet d'une étude universitaire en
1996 (Evertsz, 1996). Il en ressort que les habitants n'ont aucun espoir d'habiter longtemps
sur les lieux qu'ils occupent. Ils savent pertinemment qu'ils devront partir un jour où l'autre et
n'investissent pas dans leur construction. En outre, ceux qui tentent d'effectuer des travaux de
consolidation ou d'agrandissement sont immédiatement sommés par les employés de
l'entreprise chargée de l'aménagement du lac de présenter leurs titres d'occupation du sol et
permis de construire, qu'ils ne possèdent évidemment pas. En raison de cette insécurité, ce
secteur attire surtout des activités illicites et concentre de nombreuses personnes cherchant à
échapper à la police. C'est pour cette raison que la population distingue ce quartier des autres
en le stigmatisant par l'usage du terme xom liê'u ou villages de l'audace (voir lexique).14

12 Dans le district de Gia Lâm, des familles ont construit leur maison autour des pylônes électriques. A l'intérieur
du bâtiment, elles ont couvert le pylône par un coffrage en bois.
13 « Illegal construction threat existence of Hanoilakes )1, Vietnam Investment Review, 27.03.2000.

14 L'autre xom lié'lI célèbre de Hanoi est ChlIong DlIong. Il se situe entre le Fleuve rouge et la digue qui protège
la ville des crues. Nathalie Hamois (2000) a étudié la constitution' de ce quartier à partir de la venle de terrains
par les responsables de l'entreprise qui les cultivai!. Peu à peu, les occupations furent « légalisées» par les
autorités locales.

337
Illustration 8-5 , L'occupation des terrains publics dans les quartiers d'habitat collectif.

- l00m

source: Osbert et Garcia Rivas, 2000, p 146,

Cette carte du bâti dans le quartier Thành Công en 1985 et 1992 montre un renversement du rapport pleins/vides dû aux
constructions individuelles entre les barres d'origine,

338
Le point commun à toutes les formes d'occupation des terrains publics présentées jusqu'ici
est qu'elles se font de manière progressive, sans violence mais avec la complicité plus ou
moins ouverte des autorités de quartier. Les phénomènes d' « invasion» massive de terrains
publics par des migrants venus des campagnes sont très peu nombreux à HanoL ls La terre y
étant un bien très rare et donc source potentielle d'importants revenus, il est difficilement
imaginable que ses détenteurs officiels se laissent déposséder sans réagir. Ils préfèrent la
vendre. En outre, il existe des raisons économiques et sociales à l'absence d'invasion de terres
publiques et à la construction de "bidonvilles". L'exode rural reste très limité
quantitativement et qualitativement peu producteur de bâti en raison de son caractère
I6
transitoire et/ou illégal.

L'autoproduction d'initiative individuelle ne gagne pas seulement les terres publiques mais
aussi, et surtout, les terres relevant de la « propriété personnelle»: jardins autour des
maisons, terrains occupés par des activités artisanales ou agricoles privées (horticulture,
travail du bois...), mares et étangs à usage familial ... Nous avons vu que l'Etat n'a jamais
revendiqué ses droits officiels de propriétaire sur ces terrains à condition que leur usage reste
personnel. S'ajoutent à ces terrains privés, les lopins de terres attribués par les coopératives
agricoles à chaque foyer paysan pour son auto-consommation à partir des années 1970.
Officiellement, les paysans n'avaient qu'un droit d'exploitation sur ces terrains. Ils ne
pouvaient les vendre ou les bâtir. Mais, de fait, ils ont obtenu d'en faire un libre usage et les
ont massivement vendus dès que la construction individuelle fut encouragée. La multitude de
villages semi-urbanisés qui constituent, avec les grands ensembles, les quartiers péricentraux
de la capitale disposaient d'un fonds considérable de terres non bâties facilement
constructibles. Une particularité de Hanoi est qu'une fois sorti du centre-ville, on se retrouve
tout de suite en présence d'un tissu villageois.

15 Hemando de Soto (1994, p 27 et s.) a décrit avec précision les phénomènes d'invasions foncières organisées à
Lima. Il s'agit là de réelles formes institutionnalisées d'accès au foncier pour des populations sans terres venues
des campagnes.
16 Voir chapitre 4. Notons que la situation de Hô Chi Minh Ville semble sur ce point en décalage avec celle de

Hanoi. Des quartiers de bidonvilles se sont constitués tout autour de la ville dans les années 1960 sous le régime
sudiste pro américain. Les conditions historiques (guerre, politique américaine de sur-urbanisation) ont provoqué
un afflux de populations qui se sont installées où elles ont pu (lé long des arroyos, bien souvent) et continuent
d'y vivre malgré les plans de relogement de la municipalité. Sous réserve d'étude plus poussée, il nous semble
qu'il s'agit là d'un héritage de l'histoire du pays plutôt que d'une forme actuelle de production foncière et
immobilière.

339
Les villages allaient être le support essentiel de la production d'initiative individuelle du début
des années 1990. Il nous faut nous interroger ici sur la nature de ces villages. A Hanoi, ils ne
sont pas l'apanage du monde rural. Ils appartiennent également au milieu urbain (carte 8-2).
L'ancien Hanoi s'est constitué par assemblage de villages urbains qui étaient autonomes les
uns des autres (Papin 1997). Autour de ce noyau central, qui correspond à l'actuel quartier des
36 rues et corporations, existaient des villages péri-urbains. Ils étaient eux-mêmes le résultat
de l'atomisation d'une unité rurale intermédiaire entre la ville et la campagne, les thon. Leur
développement socio-économique, en raison de leur proximité de la ville, leur donnait en effet
un statut particulier qui n'était ni celui des unités typiquement urbaines (les phu:èmg) ni celui
des unités rurales (les xal. Toute l'histoire du développement urbain de la capitale est celle de
l'absorption progressive de ces villages péri-urbains par la ville. Point capital: cette
absorption ne s'est pas faite par destruction de la structure socio-économique ni physique des
villages, mais par son assimilation. Vivant depuis toujours à l'interface du monde rural et du
monde urbain, les villages ont pu s'adapter aisément à l'urbanisation.

Il résulte de ce processus historique original deux caractéristiques de l'urbanisation


contemporaine de Hanoi. Tout d'abord, il existait encore jusqu'à la fin des années 1980 des
villages à l'immédiate proximité du centre de la capitale. Les quartiers résidentiels péri-
centraux, les KTT, ont été construits dans les vides de cette trame villageoise, le plus souvent
sur des lacs comblés. On passait ainsi directement de la trame typiquement urbaine du centre-
ville à celle des villages. Ceci signifie qu'il existait au sein même de la ville des réservoirs de
terrains appartenant à la population et susceptibles d'être intégrés dans le circuit de
l'autoproduction.

340
Carte 8-2 . Les villages de Hanoi.

-------- vole urbaine

- - - route nationale

-+--+- voie ferrée

_ dislricts urbains de Hanoi

_ villages

._.~
--_._----_.,_._-~-- ... _.~-,-- _._-------~--="-""'"ÇL-----"
A partir de la carte de Osbert et Garcia-Rivas (2000) .
Fond de carte: Quertamp Fanny - programme périurbanisation dans la province de Hanoi
UMR Regards CNRS-IRD el VTGEO-Henol

En dehors du centre de la ville, les villages sont omniprésents sur le territoire de Hanoi. Ils ne sont pas situés le long des grands
axes routiers, postérieurs à leur création, mais en bordure des cours d'eau et des lacs rappelant le rôle fondamental constitué
par l'eau dans la structuration du paysage de Hanoi.

341
Ces villages ayant perdu leurs terres et rizières, ils étaient insérés dans l'économie urbaine.
Sociologiquement parlant, on n'était plus tout à fait dans le monde rural. La population vivait
en partie de cultures maraîchères et piscicoles provenant des jardins et étangs intégrés dans le
village et en partie d'artisanat ou de petits services pour le habitants du centre. Le village de
Kim Liên, par exemple, était ainsi réputé pour ses coiffeurs. Certains villages étaient
spécialisés depuis longtemps dans une production horticole ou artisanale particulière, travail
de la soie, travail du bois... dont les débouchés étaient en ville. Lorsque nous parlons
d'espace villageois, nous ne faisons donc pas référence au monde rural mais à une forme
particulière d'habitat résidentiel et d'activités plus ou moins reliée à l'économie urbaine selon
la proximité de la ville. Dans bien des cas, les villageois partageaient leurs activités entre un
emploi en ville et leur petite production agricole ou artisanale individuelle.

Au delà de ces caractéristiques communes, il existe bien des différences entre les villages.
Pour les illustrer, nous proposons de comparer la situation de deux village: celui de Quàng
Ba, village de culture horticole sur la presqu'île du lac Tây et le village Làng Tarn situé sur les
franges urbaines sud de la capitale.

La culture des fleurs et des arbres d'ornement est une activité traditionnelle des villages de la
presqu'île du lac Tây en raison de la qualité des terres sur la presqu'île. Leurs productions
sont renommées dans tout le pays. Durant la période d'agriculture collective, chaque village
possédait une coopérative agricole. Paradoxalement, à cette époque, les paysans étaient plus
pauvres que dans d'autres secteurs car ils ne disposaient pas de grandes surfaces de rizières.
Les productions horticoles n'étaient pas plus rémunératrices que les autres car leur prix était
fixé administrativement. Dans le village Nghi Tàm, par exemple, chaque foyer paysan ne
cultivait que 200 m2 , y compris son lopin 5% généralement consacré à l'auto-consommation.
Pour survivre, nombre de familles cherchaient une seconde activité en ville. Les enfants
allaient également chercher un travail dans l'administration.

En 1989, la majorité des familles du village Nghi Tàm ne travaillait plus dans l'agriculture. La
fermeture des coopératives agricoles des villages Tây HÔ et Nghi Tàm fut alors décidée. Le
fait qu'elles ne géraient quasiment aucune terre de rizières justifiait leur fermeture. En
revanche, dans le village Quàng Ba, qui disposait de beaucoup de rizières, la plupart des
habitants travaillaient encore dans la coopérative. Celle-ci ne fut fermée qu'en avril 1999. Les
terres de cultures horticoles furent redistribuées aux salariés pour qu'ils les exploitent à leur

342
compte. Ceci allait dégager un important fonds de terres disponibles pour l'urbanisation
d'initiative individuelle. En outre, la structure foncière en parcelles de jardins insérées dans le
tissu urbain villageois rendait ces terres facilement aménageables (illustration 8-6). En
revanche, les grandes surfaces de rizières ne furent pas redistribuées mais transférées par la
municipalité à des projets d'activités touristiques.

Làng Tarn est un village ( 6000 habitants en 1989) qui est situé à l'extrémité sud du district
Hai Bà Tnmg, sur les franges rurales de la ville. La plus grande activité du village était
l'agriculture. La coopérative agricole employait encore 400 personnes en 1989. Les autres
habitants avaient des emplois dans l'administration ou le petit commerce. Les employés de la
coopérative agricole cultivaient des rizières situées dans les communes voisines de Dinh Công
et Thinh Li~t (district rural Thanh Trl). Chaque famille employée par la coopérative disposait
en outre de petites parcelles de 24 m 2 destinées à l'auto-production (terres 5%). Une autre
activité importante était la pisciculture sur l'étang de 18 hectares qui s'étendait au sud du
village. Contrairement aux villages du lac Tây, les habitants du villages ne disposaient pas de
beaucoup de terres privées autour de leurs résidences. Seuls de petits jardins et des mares
insérées entre les maisons constituaient les terres potentiellement constructibles de manière
spontanée (illustration 8-6).

Selon leur localisation et leurs activités, les villages allaient connaître un processus de
production immobilière différent impliquant des acteurs différents. D'une manière générale,
on peut dire que les villages les plus proches du centre et les mieux situés allaient faire l'objet
d'une forte spéculation et d'une construction résidentielle de haut standing tandis que ceux
qui étaient plus éloignés allaient connaître une production que nous pouvons qualifier de
" populaire ".

343
Illustration 8-6. La structure foncière du village horticole Quàng Ba et du village Làng
Tarn.
QUANG BA

N
Î

LANG TAM

N
Î

A Quàng Ba, la trame villageoise apparaît peu serrée sur cette photographie aérienne prise en 1992. Les grandes parcelles de
jardins sont clairement visibles. Elles sont situées à proximité directe des maisons (toits en blancs), au sein même du village. A
l'inverse à Làng Tàm, la photographie aérienne permet de constater la densité du bâti dans le village. Il n'existe pas de
parcelles non bâtis au sein du village. Seules des mares pourront être comblées pour être ensuite bâties. L'étang allait être
récupéré par la municipalité pour y réaliser le projet résidentiel Giap Bat dont nous avons étudié une premiére partie plus haut.

344
2.2. Le monde des intermédiaires.

2.2.1. Les propriétaires vendeurs.

Les premiers acteurs à intervenir dans la transformation des terrains sont les vendeurs. Eux
seuls décident de la superficie et de la forme des terrains entrant dans le processus de
production d'initiative individuelle. Etant donné que les terrains sont généralement
d'anciennes terres de cultures ou de jardins situées dans les villages péricentraux, les vendeurs
appartiennent souvent au monde rural ou semi-rural vivant à l'interface de la ville et de la
campagne.

Au cours de nos enquêtes, nous avons constaté la fréquence d'une subdivision des terres en
lots à bâtir par les vendeurs. L'origine de ce phénomène tient dans la volonté du vendeur de
construire également pour lui-même ou ses proches sur une portion de son terrain. Afin de
financer cette construction, il vend préalablement l'autre portion de son terrain.

Cette opération peut prendre des formes différentes selon le secteur considéré. La forme la
plus courante est celle rencontrée dans le village Làng Tam (tableau 8-4 et illustration 8-7).
Dans ce secteur où les prix fonciers sont peu élevés, ils est possible de construire une maison
de taille moyenne avec le résultat de la vente d'un lot de 40 m 2 . Les superficies disponibles
étant restreintes et les acheteurs peu fortunés, la dimension des lots est souvent très faible.

Tableau 8-4. Opération d'une division foncière par le propriétaire-vendeur à Làng


Tarn.

Superficie Prixlm 2 Total


Vente d'un lot de terrain 75 m2 300 $ 22500 $

Construction sur le terrain restant 150 m2 de 70 $ 10500 $


plancher
Bénéfice 12500 $

345
Illustration 8-7. La subdivision parcellaire par le propriétaire-vendeur à Làng Tarn.

20000

. . . . . . . . . . . . ..
....
....
............. .
........ ..... .

.... . ...
.. ..
.....
... ..
. . . . . . 4' .

10000 5000 5000

5m Document réalisé par Nguyên Quôc Thông

Dans Je cas étudié, le propriétaire divise son jardin en deux parcelles. La première est vendue à une personne extérieure au
village et le résultat de la vente permet de financer la construction d'une maison destinée aux enfants sur la seconde. Dans ce
cas, le lot mesure 75 m'et couvre très largement le coût de la construction. La photographie montre au premier plan ce qui fut
longtemps le paysage type du village avec de petites masures couvertes d'un toit de tuile en pente au bord d'un étang et un
petit jardin. A l'arrière, les murs en béton des maisons hautes et étroites construites dans les interstices du bâti villageois
dépassent. (photo L.P.)

346
Il est intéressant de comparer cette subdivision avec celle répandue dans les secteurs où les
prix fonciers sont plus élevés et les superficies disponibles plus importantes. C'est
particulièrement le cas dans le village Quàng Ba. (tableau 8-5 et illustration 8-8). Les
propriétaires de champs bien situés ont pu vendre des lots à très bon prix et financer ainsi la
construction de maisons de rapport.

Tableau 8-5. Opération d'une division foncière par le propriétaire-vendeur dans le


village Quàng Ba.

Etapes Superficie Prixlm 2 Prix


1. vente de deux 225.2 =450 900 $/m 2 405000 $
lots
2. construction ? ? 50000 $
d'une maison de (loyer annuel: 24
rapport (type villa) 000 $)
3. construction 40000$
d'une nouvelle
résidence
Bénéfice 315000$

D'une manière générale, le coût d'installation des réseaux d'eau et d'électricité rentre pour
une faible part dans le coût total de l'autoproduction d'initiative individuelle. Très souvent,
les terrains sont situés dans ou autour de villages et il suffit de prolonger de quelques mètres
les réseaux existants pour disposer d'un terrain équipé. Dans le village Nghi Tàm, lorsqu'une
cinquantaine de familles décidèrent de "convertir" leurs champs en villas pour étrangers,
elles durent financer l'installation d'une canalisation de quelques centaines de mètres depuis
la route digue jusqu'à leurs terrains. Elles désignèrent un responsable qui collecta les fonds
nécessaires et se rendit à la compagnie municipales des eaux. Celle-ci n'a pas officiellement
pour fonction d'installer les réseaux d'eaux à la demande des particuliers, mais elle peut le
faire contre le paiement d'une forte somme" de la main à la main". Elle le fit pour ces
familles de Nghi tàrn contre la 000 $, soit 200 $ par famille. Les familles ont également fait
goudronner le chemin menant à leurs terrains.

Les stratégies des propriétaires visant à auto-financer la construction de logements pour leur
famille par la vente de lots conduit à l'émiettement du parcellaire et à sa densification
maximale, chaque mètre carré étant destiné à être construit. D'autres acteurs peuvent
intervenir ensuite pour accentuer ce phénomène.

347
Illustration 8-8. La subdivision parcellaire par le propriétaire-vendeur dans le village
Quang Ba.

·. .. . . . .. . . . .. . ... .
~ .ti.
· .,
·.. . .

\00000
. . . . .
.
l rthll
~ =1~2=50=OO~~~==U~=2:::::5::00=0:::;:'=2=50~O=O=I~
100000 .
20m
document réalisé par Nguyên Quôc Thông

La valeur des terrain et leur dimension permettent aux propriétaires de mener des opérations de subdivision plus élaborées.
Nous avons rencontré le cas suivant: une famille d'horticulteurs a divisé son champ en quatre parts. Elle a vendu les deux parts
les plus éloignées de sa maison et a fait construire une maison de rapport pour étrangers sur une troisiéme. Elle a pu couvrir le
coût de la construction en deux années de loyers. Enfin, elle a fait construire sa propre maison sur la quatrième parcelle. La
photographie montre au premier plan l'organisation traditionnelle du territoire avec une petite maison entourée de champs de
mandariniers. A l'arrière plan, la valorisation du foncier a conduit à l'apparition de maisons de rapport destinées à être louées
aux étrangers. Photo LP.

348
2.2.2. Les courtiers fonciers.

La terre ayant constitué un mode de rémunération de l'épargne très attractif dans la première
moitié des années 1990, elle fut particulièrement convoitée par des personnes qui ne
cherchaient pas à construire mais à spéculer. Nombreux sont ceux qui peuvent acheter un
terrain en espérant qu'il prendra de la valeur mais certaines personnes se sont spécialisées
dans l'achat et la revente. Cette catégorie d'acteurs pose un problème de définition car ses
activités sont variables, informelles, diversifiées. A l'inverse du promoteur, leur but n'est pas
de construire les terrains (même si parfois ils le font), mais de les revendre le plus vite
possible. On pourrait les définir aussi comme des «affairistes fonciers ». La langue
vietnamienne utilise le terme de thau dât pour ceux qui font des affaires en achetant et
vendant des terrains et thau xây dlfng pour ceux qui construisent également des bâtiments
pour les vendre ou les louer (voir lexique). Ils sont très difficilement identifiables car ils
agissent toujours dans l'ombre étant donné l'illégalité qui entoure leurs pratiques. Il est
également délicat d'en donner une représentation unique. Le courtier d'un secteur est souvent
un ancien habitant du lieu à l'époque où ce n'était encore qu'un champ ou des jardins.
Possédant un circuit de financement propre, il a acheté massivement toutes les terres aux
autres familles lorsqu'elles furent gagnées par la ville. Il a ensuite vendu lot par lot les terrains
à des familles citadines. Très souvent, cette activité n'est pas sa profession principale. Notons
également que nous avons souvent rencontré des femmes dans ce rôle. Ne travaillant pas mais
disposant de fonds importants provenant de leurs familles, elles gèrent de manière très
professionnelle leur stock de terres.

L'intervention des courtiers sur le marché contribue à renchérir les prix tout en accentuant la
division foncière, car ils achètent des grands terrains qu'ils r.e,:endent en petits lots. Il n'est
pas rare que certains se doublent de petits promoteurs. Dans le village Làng Tarn, les achats et
ventes de terres dans un but strictement financier ont été courants. Nous avons rencontré le
cas suivant: en 1992, un villageois vend son terrain de 140 m 2 à un courtier venu de la ville
au prix de 200 $/m 2 soit 28 000 $. Le courtier divise le terrain en deux lots de 70m 2 et en
revend un au prix de 290 $/m 2 en 1994, soit 20300 $. Le courtier a fait un bénéfice de 6300 $
sur la vente du premier lot mais il n'a pas réussi à vendre le second avant la baisse des prix fin
1995.

349
Un autre exemple d'intervention d'un intermédiaire: nous avons rencontré M. HÔng, petit
fonctionnaire à la retraite. En 1975, M. Hong a acheté un terrain agricole de 160 m 2 à une
habitante du village. Il habitait alors avec sa femme dans un immeuble collectif voisin. En
1992, il se décida à construire. Ne disposant pas des moyens de le faire il fit savoir dans son
entourage qu'il était prêt à céder une partie de son terrain en échange de la construction d'une
maison sur le terrain restant. Quatre personnes se présentèrent et M. HÔng choisit finalement
M. Dûng, électricien, en raison de son expérierice dans des projets similaires. M. HÔng céda
60 m 2 à M. Dûng. En 1993, celui-ci fit construire deux petites maisons, une pour M. HÔng et
une pour son propre compte. Il la revendit plus tard 20 000 US$, dégageant un bénéfice de
6000 US$ dans l'opération (voir tableau 8-6).

Tableau 8-6. opération d'un intermédiaire à Làng Tarn.


Superficie Prixlm 2
Acquisition du terrain 60 m 2 Gratuit 0
Construction des deux 100 m 2 .2 = 200 70 $ 14000
Maisons d'un étaqe

Revente de la première maison 100 200 $ 20000


Bénéfice 6000 $

Le point commun aux opérations du village Làng Tarn est leur modestie. EUes sont sans
comparaison avec celles ayant eu lieu dans les villages du lac Tây dans les années 1993-1995.
La figure la plus connue de l' " affairiste foncier" se rencontre en effet dans les secteurs les
plus spéculatifs de la capitale. Ils ont fortement contribué à la hausse des prix et à la division
parcellaire. Il nous a été dit que dans un secteur du village Quàng Ba une centaine de famille
d'agriculteurs possédait des terres à la fin des années 1980. Après achat des parcelles et
subdivision par des affairistes, on recensait plus de 400 " propriétaires" dix ans plus tard. Ces
affairistes fonciers sont souvent de riches commerçants de la vieille ville qui ont massivement
investi dans la terre lors de la hausse des prix. Certains se contentèrent d'acheter et de
revendre les terrains en lots, mais d'autres visaient le fructueux marché de la location aux
étrangers.

Une autre activité très prisée par les affairistes fonciers consiste à spéculer sur la construction
des nouveaux axes routiers. Ce fut un phénomène très répandu à Hanoi au début des années
1990. Ils commencent par obtenir des informations confidentielles auprès des services
municipaux ou ministériels sur le tracé des grandes voies de communication. Ils vont ensuite

350
rencontrer les paysans cultivant les terres concernées. Parfois ils les achètent en sous-main:
ils signent un contrat de vente avec l'exploitant qui prendra effet lorsque les terrains seront
passé du statut de terrain agricole (non transférable) à celui de terrain urbain. 17 Dans d'autres
cas, ils n'achètent pas les terrains, mais convainquent les paysans de les diviser en lots à bâtir
en les assurant de leur trouver des acquéreurs une fois la route construite (illustration 8-9). Ils
se rémunèrent alors sur la vente. C'est moins profitable mais aussi moins risqué.

Les projets de tracé des nouvelles voies étant souvent flous ou soumis à plusieurs hypothèses,
les courtiers portent leur dévolu sur plusieurs terrains répartis autour du projet de tracé afin
d'être sûr qu'au moins un sera touché par la route. Acheter plusieurs -petits terrains plutôt
qu'un grand est aussi un moyen d'éviter d'éveiller les soupçons des autorités. Pour les mêmes
raisons, une fois la route construite, le courtier revend très rapidement les lots pour aller
investir ailleurs. Officiellement, il n'apparaît pas dans les transactions. Parfois le courtier se
double d'un constructeur de maisons de rapport.

2.2.3. Les constructeurs de maisons de rapport.

Le constructeur d'immeubles de rapport est un individu disposant d'une fortune propre et qui
la place dans la construction d'immeubles à louer. 18 Parce qu'il s'agit d'une activité de nature
privée ne relevant pas d'un statut professionnel ou d'une branche industrielle, la construction
d'immeubles de rapport prit très rapidement son essor au Viêt-nam dès l'encouragement de
l'économie privée. Un phénomène conjoncturel y participa également: l'arrivée massive
d'étrangers et l'absence totale de logements adaptés à leurs goûts. La construction
d'immeubles de rapport fut à l'origine destinée uniquement aux résidents étrangers. 19 A
Hanoi, il semble que les fonds proviennent de séjours à l'étranger, et notanunent dans les
anciens pays de l'Est ou l'ex-URSS.

17 Olivier Chabert et Georges Rossi (à paraître en 2000) ont mis en lumière ces activités.
18 Ce particulier fortuné maître d'ouvrage existait en Francejusqu'au début du siècle (Voir J-J. Granelle, 1998).
Il fut peu à peu remplacé par le promoteur en même temps que se développait la copropriété.
19 D'autres types, beaucoup moins fructueux, d'immeubles de rapport se sont développés depuis. On peut citer la
construction de petites maisons très mal équipées destinées à être louées à des étudiants venus des provinces
lointaines ou à des migrants temporaires. Dans ce cas-là, le constructeur peut être" monsieur tout le monde". Il
suffit d'avoir un petit jardin à l'arrière de sa maison et d'y construire une maison à 5000 $.

351
Illustration 8-9. Les opérations des courtiers fonciers le long des nouveaux tracés
routiers.

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j J~I f-
o
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Ln
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.......................
.
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.....
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___------\--l._L-.JL---L.-.--J
i
gr ----
~I j 1
25000 - 10m
20000 ~1~7=5=00~ 15000
Document réalise par Nguyèn Quôc Thông

Le paysan vend ses terrains en bordure du futur tracé (en pointillé sur la première image). Le courtier divise ensuite les lots et
les revend ou les fait bâtir. La photographie illustre comment ces procédés aboutissent à des paysages surprenants
d'alignements de compartiments le long des nouvelles voies (ici la route menant à Hàl Phong) alors qu'il n'y a encore que des
rizières alentours. On remarque à l'arrière des bâtiments de petites maisons proches du cours d'eau qui devaient constituer le
seul habitat avant la construction de la route. Photo: Decoster et Klouche , 1997, P 49.

352
Il n'existe pas de portrait-type du constructeur de maisons de rapport. Quiconque dispose de
terrains et de fonds importants peut pratiquer cette activité. Beaucoup de constructeurs ont
d'ailleurs débuté en construisant une seule maison sur un terrain qui appartenait à un membre
de leur famille. Beaucoup avaient même l'intention de venir y habiter après quelques années
de mise en location. Mais l'activité s'avéra si profitable qu'ils réinvestirent dans une autre
villa, etc... Lorsque le constructeur dispose de quatre ou cinq villas et qu'il n'a plus le temps
de les gérer parallèlement à son activité professionnelle, c'est très souvent son épouse qui
prend le relais. Parmi les constructeurs, nous avons rencontré des hommes d'affaires, des
architectes ou ingénieurs de construction, ainsi que des responsables politiques. Un cas
symptomatique est celui d'un architecte responsable de la délivrance des permis de construire
pour le district Tây Hô. Les plus riches de ces affairistes sont devenus des personnalités
marquantes de la vie économique hanoienne. En 1998, un article de presse citait Messieurs
Tong, H9P, Xiêm, Vng, Liêu et Canh comme des affairistes immobiliers dont les revenus
annuels s'élevaient de 50 000 à 60 000 $, soit 100 fois plus que le revenu annuel moyen. 20

Dans les secteurs pour étrangers, des villas se louaient généralement entre 3000 et 5000 $ par
mois mais les loyers pouvaient monter jusqu'à la 000 $ pour une villa dans l'ancien quartier
français. Hanoi était classée durant cette période parmi les villes les plus chères de la région
pour le logement de bonne qualité. Si l'on essaie d'analyser le comportement du constructeur
de maisons de rapport, c'est la simplicité du raisonnement et l'inexpérience qui sont les traits
les plus notables. L'objectif premier est d'effectuer un bon placement. Il vise donc le marché
de la location aux étrangers en construisant des villas. Le montant des investissements (terrain
+ bâtiment) peut varier entre 100 000 et 200 000 $. Avec un loyer net de 3000 $ par mois,
l'investissement peut être rentabilisé en quatre ans. Un constructeur ne raisonne absolument
pas comme un promoteur. Il pense qu'il suffit de trouver un terrain bien situé et de construire
la plus grande maison dessus pour attirer les étrangers. Il ne cherche pas à connaître les
besoins en logement de ces derniers et n'apporte aucune importance à l'architecture intérieurè-
comme extérieure de la maison. Au début des années 1990, ce manque d'analyse fut sans
grande conséquence puisque n'importe quelle maison de dimension comparable aux standards
étrangers trouvait preneur. En revanche, à partir de 1996, le départ de nombreux étrangers et
la surcapacité entraînèrent la perte de nombreux constructeurs. De manière assez symbolique,

20" Property bubbJe bursts ", Vietnam News, 31.3.1998.

353
devant l'incapacité de louer des maisons mal conçues, ils finirent par venir les habiter eux-
mêmes.

Il n'existe pas une, mais des formes de production d'initiative individuelle. Dans certains cas,
elle conduit à « l'entassement» de maisons étroites et sans lumière dans les villages péri-
urbains, dans d'autres elle donne naissance à des quartiers de villas pour étrangers qui peuvent
y accéder en automobile. Le seul point commun à ces types de production est qu'ils se font
par « grignotage» progressif des terrains non bâtis des franges urbaines et par densification de
l'habitat existant. L'autoproduction ne conduit pas à un développement urbain extensif en
tâche d'huile mais plutôt à une transformation intensive de tous les espaces déjà intégrés dans
l'économie urbaine. Telle quelle, la production d'initiative individuelle apparaît nuisible à un
développement urbain cohérent de la ville car ce dernier nécessite dédensification
résidentielle.

En revanche, sa vigueur en fait un mode de production du bâti efficace et apprécié de la


population que l'Etat aurait tort d'ignorer. Il semble se dessiner une évolution intéressante sur
ce point. En novembre 1999, le Bureau de l'architecte en chef de HCMV prenait une décision
autorisant les particuliers à aménager eux-mêmes les infrastructures de desserte des
logements sur des terrains d'une superficie maximum de la 000 m 2 ?1 Le monopole des
entreprises publiques en matière d'équipement des terrains était brisé. Les personnes
disposant d'un terrain, qu'ils destinent à la construction et la vente de logements, doivent
seulement soumettre les plans d'équipement des réseaux et de lotissement au bureau de
l'architecte en chef avant de réaliser les travaux. Si cette expérience se généralisait, la
production du bâti au Viêt-nam connaîtrait une évolution majeure en permettant le
développement de la promotion immobilière privée.

21 Circulaire (win hàn) 13679 guidant la réalisation de la cession de terrains pour la construction de petits

ensembles de logements, 12.11.1999. Voir « Tu nhân xây dung ha tâng nhà ci» [les particuliers construisent les
infrastructures des logements], Thài hQo kinh tê'Viêt Nam [le temps économique du Viêt-nam], 11.12.1999.

354
Illustration 8-10. Des secteurs urbanisés par l'autoconstruction d'initiative individuelle
(secteur Ngoc Khanh).

L'image du haut montre une valorisation maximale du foncier en bordure d'une voie à l'entrée ouest de la ville. La régularité des
lots et leur alignement laisse deviner l'intervention d'un courtier foncier. En revanche, à l'arriére la densification s'est faite de
manière chaotique. Sur l'image du bas, on perçoit au premier plan le reste d'un habitat villageois (toits de tuiles à deux pentes)
entre les compartiments. Photos L.P.

355
3. Utilité et limites de l'autofinancement.

En raison du coût des terrains et de celui de la construction, l'autoproduction, qu'elle soit en


partenariat ou d'initiative individuelle, draine des sommes considérables. La construction peut
être plus ou moins rapide, coûteuse et complexe selon la dimension et la qualité du bâtiment.
Il est impossible d'établir une typologie de la construction individuelle tellement ses formes
sont variées. Nous avons préféré présenter trois cas qui couvrent l'ensemble du prisme de la
production privée. Pour chacun, nous avons estimé le coût des principaux postes de
l'opération. Les coûts de construction sont aisément chiffrables car ils font l'objet d'un
barème. Tout dépend de la qualification de l'entrepreneur auquel on s'adresse. En ce qui
concerne le réseau d'eau, nous n'incluons que le coût de raccordement à la canalisation
principale et le paiement du compteur auprès de la compagnie municipale. Il faut parfois
ajouter le coût d'installation d'une nouvelle canalisation lorsque le terrain est éloigné des
zones d 'habitat existantes. Enfin, des paiements informels à la police du quartier chargée
d'inspecter les travaux sont obligatoires. S'y ajoute le coût du permis de construire, le cas
échéant. C'est un poste difficilement quantifiable mais le principe est que le coût est
proportionnel à la valeur du bâtiment.

Le premier cas concerne les très petites maisons construites par des familles peu fortunées
dans le seul but d'avoir un toit. Il peut s'agir de jeunes couples qui vivaient chez leurs parents,
de familles venues des campagnes ou de personnes à faible revenu. Ils ne font pas appel à un
architecte sauf s'ils désirent obtenir un permis de construire. Dans ce cas, le travail de
l'architecte consiste seulement à établir les plans du bâtiments, il ne suit pas le chantier. Dans
les autres cas, un technicien est chargé de dresser les plans, de recruter de la main d'œuvre (de
jeunes ouvriers venus des campagnes qui travaillent à la journée) et suivre le chantier. Les
caractéristiques du bâtiment et les coûts de construction peuvent être estimés comme suit:

Tableau 8-7. Coût de construction d'une petite maison par un particulier.


Superficie Prix au m2 de CoOt total Proportion
. plancher
Construction et 40 m 2 (1 ou 2 35 $ 1400 $ 80%
équipement intérieur niveaux)
Réseaux (eau, 200 $ 11%
électricité ... )
Taxes et paiements 150 $ 9%
informels
Total 40 m 2 44$ 1750 $ 100%
PriX 1999 1$= 14000 dôngs

356
Une telle maIson de moms de 2000 $ peut être construite en un ou deux mois. Il est
intéressant de comparer le coût de la construction avec celui du terrain afin de déterminer la
part du foncier dans l'opération. On ne peut toutefois pas raisonner en matière de prix fonciers
comme en coût de construction car le prix de la terre est extrêmement variable selon les
périodes et les localisations. Prenons l'exemple de la construction d'une petite maison sur un
ancien terrain de jardin dans un village de la périphérie de Hanoi. Une telle opération dans les
années 1993-1995, en période de fièvre foncière, avait un coût total (terrain + bâtiment) de
15 000 $ dont 90% dus au prix du terrain, En 1999, le coût de l'opération avait diminué de
45% en raison de la baisse des prix fonciers. Ceci révèle la prééminence des terrains dans le
processus de production individuelle. Leur valeur excessive explique la faible superficie du
terrain. Il est très rare qu'un lot dépasse les 50 m2 pour la petite production individuelle. En
outre, la quasi totalité du terrain est construite. Les jardins sont réduits à leur plus simple
expressIOn.

Tableau 8-8. comparaison du CQût du terrain et du bâtiment pour une petite maison
.ln d"d 'd eux D'é'no d es d'ft'
IVI ue Il e a 1 eren tes.
1993-1995 1999
Coût unitaire Coût total Proportion Coût unitaire Coût total Proportion
2
Terrain 2
300 $/m de 13500 $ 88% 150 $/m de 6750$ 79%
(45 m2 ) terrain terrain
Bêtiment 44 $/m 2 de 1 750 $* 12% 44 $/m 2 de 1 750$ 21%
(40m )2
plancher plancher
Total 15250 $ 100% 8500$ 100%
..
* Par sImplifIcation, nous assocIons les priX de la construction de 1999 avec le priX de
terrains en 1993-95. Cela a peu de conséquences car le prix de la construction est resté
relativement stable durant cette période.

Prenons maintenant le cas de maison de ville de dimension et de qualité moyenne, On les


trouve plus souvent situées le long des voies de communication que dans les anciens villages.
Elles sont également très fréquentes dans les nouveaux quartiers résidentiels péri-centraux.
Dans ce cas là, un architecte dessine les plans du bâtiment. Une petite entreprise de
construction le réalise sous le contrôle d'un teclmicien spécialement embauché par le
propriétaire. Il s'agit généralement d'un proche ou d'une personne de confiance car il doit
veiller à la bonne exécution des travaux. C'est une tâche essentielle en raison de la faible
qualification des ouvriers dans les petites entreprises privées.

357
Tableau 8-9. Coût de construction d'une maison de ville.
Superficie Prix au m 2 de Coût total Proportion
plancher
Construction et 200 m2 (3 ou 100 $ 20000 $ 97%
équipement intérieur 4 niveaux)
Réseaux (eau, 300 $ 1,5%
électricité ... )
Taxes et paiements 300 $ 1,5%
informels
Total 250 124 $/m 2 20600 $ 100%
Pnx 1999. 1$=14000 dOngs

La construction d'un maison de ville coûte en général autour de 20 000 $ et dure entre 6 et 8
mois. Le bâtiment peut être" monté" en deux mois seulement étant donné la simplicité de la
structure constructive mais l'aménagement intérieur et les finitions sont longs. Ce type de
bâtiment est fréquemment construit sur des terrains bien situés et donc assez onéreux. Durant
la période de fièvre foncière, le coût total (terrain + bâtiment) d'une telle opération était
proche de 70 000 $ avec une charge foncière de 70%. En 1999, la charge foncière était
descendue à moins de 50% pour une opération de près de 40 000 $.

Tableau 8-10. Comparaison du coût du terrain et du bâtiment pour une maison de


VI'II e
a'd eux peno
' . d es d'ff'
1 eren t es.
1993-1995 1999
Coat unitaire Coût total Proportion Coût unitaire Coût total Proportion

Terrain 800 $/m 2 de 48000 $ 70% 300 $/m 2 de 18000 $ 47%


(60 m2 ) terrain terrain
Bâtiment 124 $/m 2 de 20600 $* 30% 124 $/m 2 de 20600 $ 53%
(200 m2 ) plancher plancher
Total 68600 $ 100% 38600 $ 100%
* Prrx 1999

Le dernier cas que nous présentons est celui des villas luxueuses. Leur propriétaire peut y
habiter ou très souvent les louer à des résidents étrangers. La procédure de construction est
semblable à celle des maisons de ville: recours à un architecte et à une entreprise de
construètion privée. La durée de construction d'une villa est d'un an au moins. La dimension
du bâtiment nécessite souvent l'obtention d'un permis de construire ou à défaut un important
paiement informel auprès des autorités de quartier. Il faut toutefois relativiser. Cette somme,
que nous estimons ici à 700$, ne rentre que pour une très faible part dans le coût de la
construction. Dans les premières années de l'ouverture, ces villas étaient construites sans
recherche et aménagées souvent de façon peu conforme au' normes internationales. Elles

358
pouvaient pourtant être louées très cher en l'absence d'offre par des promoteurs
internationaux.

Tableau 8-11. Coût-de construction d'une villa luxueuse.


Superficie Prix au m 2 de Coût total Proportion
plancher
Construction et 400 m 2 (3 ou 200 $ 80000 $ 98,5%
équipement intérieur 4 niveaux)
Réseaux (eau, 300 $ 0,5%
électricité... )
Taxes et paiements 700 $ 1%
informels
Total 400 200 $/m 2 81 000 $ 100%
.
PriX 1999. 1$=14000 dongs

Nous avons choisi ici les maisons les plus luxueuses. Une villa peut être construite pour 40
000 $, tout dépend de la qualité de la construction, et notamment des finitions. Le coût de
construction est environ trois fois plus élevé que pour une maison de ville. Si l'on prend
l'exemple d'une villa construite dans un village du lac Tây en période de forte hausse des prix
fonciers, l'opération totale se monte à 280 000 $ dont 70% sont dus au coût du terrain. Ce
coût peut paraître très élevé, mais en estimant le prix du loyer demandé à un étranger à 5000 $
par mois, il fallait moins de cinq ans pour que cette opération commence à dégager des
bénéfices.22 Ce n'est donc pas un hasard si c'est dans les villages du lac Tây que l'on trouve la
plus forte concentration de maisons à louer aux étrangers (40% de l'ensemble des maisons).
En 1999, la construction d'une telle villa revenait plus cher que l'achat du terrain.

Tableau 8-12. Comparaison du coût du terrain et du bâtiment pour une villa de luxe à
deux perlo
' . des d'ff'
1 eren t es.
1993-1995 1999
Coût unitaire Coût total Proportion Coût unitaire Coût total Proportion

Terrain 1000 $/m 2 200000 $ 71% 500 $/m 2 de 100000 $ 55%


(200 m2 ) de terrain terrain
Bâtiment 202,5 $/m 2 81 000 $* 29% 202,5 $Im~ 81 000 $ 45%
(400 m2 ) de plancher de plancher
Total 281 000 $ 100% 181 600 $ 100%
*prlX 1999

Au total, le coût de l'autoproduction s'avère très élevé, essentiellement en raison du prix des
terrains. Si l'on estime que le revenu moyen des habitants de Hanoi est de 600$ par an, on

22 Un mécanisme similaire s'observait à Jakarta dans les années 1980. Les promoteurs demandait le paiement de
trois années de loyer en avance, ce qui leur permettait d'investir immédiatement dans une autre construction.

359
mesure à quel point le logement demande un effort financier considérable à la population. Elle
dispose de deux moyens pour financer sa production: le recours à l'épargne et l'emprunt.

Une étude récente portant sur l'épargne des ménages vietnamiens nous pennet de mesurer son
rôle dans le financement de l'autoproduction. L'enquête conduite en 1997 dans tout le pays et
auprès de populations aux niveaux de revenus .différents pennet de se faire une idée précise
des placements des particuliers (voir tableau 8-13). Elle montre la relation existant entre le
niveau de revenu des différentes classes de la population (classées en cinq quintiles) et le
couple épargne-investissement. En moyenne, le taux d'épargne est de 28%, ce qui n'est pas
très bas. Il apparaît nettement que cette épargne est majoritairement investie dans le logement
et les terres et non dans les valeurs monétaires. Ceci est vrai quel que soit le niveau de
revenus. Les ménages à très hauts revenus investissent ainsi des sommes très importantes
dans le foncier et l'immobilier, ce qui prouve qu'il s'agit de l'investissement le plus rentable.

Tableau 8-13 . Eparqne et investissement des ménaqes en fonction du niveau de


revenu. 1997 (en US$).
Quintile 1 Quintile 2 Quintile 3 Quintile 4 Quintile 5 Toutes
classes
REVENU COURANT 279,7 577 854,4 1456,5 3083,7 1249,6

EPARGNE 114,8 234,8 259,4 432,9 870,3 382.3


Epargne courante 110,7 217,5 239,8 419,7 801 357,6
(taux d'éparc:lne) (39,6%) (37,7%) (28,1%) (28,8%) (26%) (28,6%)
Cadeaux 4,1 17,3 19,6 13,2 69,3 24,7

INVESTISSEMENT 114.8 234,8 259.4 432,9 870,5 382.3


Investissements dans 124,8 193,1 262,7 333,2 962 375
les terrains et
bâtiments (90%) et les
biens d'équipement
(10%)
Placement en actifs -10 41,7 -3,3 99,7 -91,5 7,3'
monétaires (or, $ .. )
. . .
Note: Nous avons convertis les .Qonnees du dongs au dollars, au taux officiel de 1997 : 1$= 11 600
dôngs. -
Ce tableau fournit tout d'abord des indications sur le niveau de revenu des ménages, ce qui est plus
pertinent que le salaire dans le cas du Viêt-nam (les classes sont constituées par quintiles de dépense
pour refléter le statut des revenus sur le long terme). L'épargne égale l'investissement puisque tout ce
qui n'est pas consommé est considéré comme investi. L'épargne est constituée de l'épargne courante
à laquelle on ajoute les « cadeaux », pratique très répandue au Viêt-nam. Cette épargne trouve à
s'investir soit dans des biens durables (à 90% des terrains et des bâtiments, voir tableau 8-15), soit
dans des placements financiers. Ici, les seconds sont nettement plus importants que les premiers (les
données négatives dans les actifs monétaires correspondent à des dettes).
Source: Watanabe et Ono (1998, p 139). Enquête réalisée entre le ~ 5 avril et le 15 mai 1997 auprès
de 1788 ménages dans tout le pays par la méthode de l'interview.

360
Dans les années 1990, les banques offraient des taux de rendement de l'épargne à peine
23
supérieurs à ceux de l'inflation. Pour ces raisons, le système bancaire ne draine qu'une très
faible partie de l'épargne des ménage. Le ratio épargne/PIB s'est accru entre 1991 et 1995
mais reste relativement bas: 6,4% en 1991 et 18,5% en 1995 (ministère du plan et de
l'investissement, juillet 1996).24 En 1998, le représentant de la Banque mondiale à Hanoi
estimait ainsi que moins d'un quart de l'épargne des ménages était placée dans les banques, le
reste étant investi majoritairement dans le foncier et l'immobilier. 25 Le marché foncier a
drainé de nombreux capitaux qui ne trouvaient pas à s'investir dans l'économie du pays. En
l'absence de marché des capitaux et en période de restructuration industrielle,
l'investissement dans la terre était de beaucoup le plus rentable et le plus rapide à produire des
liquidités. La hausse continue des prix fonciers laissait penser que l'achat de terrains
constituait un placement très rentable. Dans cette période, on ne laissait pas passer
l'opportunité d'acheter un terrain même si l'on n'en avait pas besoin pour soi-même. Une
donnée structurelle de l'économie vietnamienne est que l'épargne populaire se porte sur la
terre et l'immobilier au détriment des actifs monétaires. Ceci a des conséquences sur le
financement de l'économie en général en limitant la capacité d'investissement des banques.

On retrouve le très fort effet de drainage de l'épargne par le foncier dans l'examen du
patrimoine des ménages. Plus de 80% de celui-ci était en effet constitué de terrains et de
logements en 1997 (voir tableau 8-14). Il semble en outre que ce soient les terrains et non les
bâtiments qui soient les plus recherchés. Une telle proportion, sans rapport avec les besoins
réels, laisse craindre aux experts financiers qu'une bulle foncière se soit constituée dans le
patrimoine des ménages lors de la fièvre foncière et que la baisse des prix ne 'rende leur
situation financière périlleuse (Watanabe et Ono, 1998, p 140). D'autres données montraient
que ce phénomène était aussi valable pour les ménages ruraux que les ménages urbains, même
s'il est légèrement pl)ls accentué chez ces derniers (ibid, p 183).

23 En 1998, le taux de rendement était de 12% alors que l'inflation réelle tournait autour de 10%. Le gain réel
était donc seulement de 2% par an. En 1998, le meilleur placement était dans le dollar qui s'apprécia de 18%
cette année-là.
24 D'après les estimations officieuses des milieux d'affaires, il était de 19% en 1999.
25 Vietnam Investment Review, 02.11.1998.

361
Tableau 8-14. Patrimoine des ménages en fonction du niveau de revenus. 1993-
1997
Quintile 1 Quintile 2 Quintile 3 Quintile 4 Quintile 5 Toutes Toutes
classes- classes-
1997 1993
PLACEMENTS 91,7 245,6 357,9 644,5 1358,5 539,8 107,6
(5,9%) (7,1%) (7%) (6,5%) (6,6%) (6,6%) (70%)
Dollars 0,1 0,8 0,0 0,4 24,2 5,1 5,7
Or 24,0 92,8 180,1 272,7 229,0 159,8 67.6
Compte à vue (dônQs) 1,9 3,3 16,9 46,7 251.0 64,0 12,1
Autres monnaies et valeurs 65.7 148,7 160,9 324,7 854,3 310,9 22,2
financières
BIENS DURABLES 1446,4 3180,9 4736,9 9174,6 19219,9 7554,1 46,1
(94,1%) (92,9%) (93%) (93,5%) (93,4%) (93,4%) (30%)
BâUmenls et terrains 1249,3 2815,1 4223,4 8234,3 17222,9 6751,1 30,9
(1993: bâtiments seulement)
Biens d'équipements, biens de 197,1 365,8 513,5 940,3 1997 803 15,2
consommation durables,
slocks, autres.
PATRIMOINE TOTAL 1538,2 3426,4 5094,9 9819 20578,4 8093,9 153,6
(100%) (100%) (100%) (100%) (100%) (100%) (100%)
Part des maisons et terrains 81,2% 82,2% 82,9% 83,9% 83,7% 83,4% 20,1%
dans le patrimoine total
(1993 : bâtiments seulement)

En 1997, la part des placements dans le patrimoine des ménages est considérablement inférieure à
celle des biens durables (plus de 90% du total quel que soit le niveau de revenu). Les terrains et les
bâtiments représentent à eux-seuls plus de 80% du total. En milieu urbain, leur part est légèrement
supérieure à la moyenne nationale. Ces rèsultats contrastent nettement avec les résultats de l'étude
de 1993 (30% seulement pour les biens réels et 20% pour les maisons). En particulier, le fait que cette
année-là les terrains n'étaient pas comptabilisés peut expliquer le passage de 30$ à 6751$ de la
valeur du patrimoine foncier et immobilier. Ceci laisse penser que ce sont les terrains et non les biens
immobiliers qui drainent le plus l'épargne de particuliers. On note également que les placements en or
sont plus courants que ceux en dollars tout en restant en fin de compte relativement bas. On peut faire
l'hypothèse que l'important stock d'or et de devises thésaurisé durant les années d'économie
administré s'est déjà massivement investi dans le foncier et l'immobilier
Note: En US$. Nous avons convertis les données du dôngs au dollars au taux officiel de 1997 : 1$=
11 600 dôngs. Les classes sont constituées par quintiles de dépense (sauf pour les données sur les
zones urbaines). Les résultats obtenus par une précédente enquête en 1993 sont ajoutés. Point
important, les terrains n'étaient pas comptabilisés cette année-là pour des raisons que nous ignorons.
Source: Watanabe et Ono (1998, p 183).

Il est souvent avancé, dans les milieux économiques, l'idée selon laquelle le très important
stock d'or thésaurisé durant les années d'économie planifiée se ?erait massivement investi
dans la terre et la pierre au début des années 1990. Ce serait un facteur détermi.nant pour
expliquer la fièvre foncière de ces années-là. La comparaison de donn~es de 1993 et de 1997
sur le stock d'or des ménages nous apporte quelques éléments intéressants qui vont dans le
même sens (Watanabe et Ono, 1998, p 134). Un premier constat est que la proportion de
ménages possédant un stock d'or reste de J'ordre de 30% entre 1993 et 1997. 26 Mais on
observe un phénomène étonnant: ce ne sont pas tout à fait les mêmes ménages qUI
possédaient de l'or en 1993 qui en possédaient encore en 1997. 63 % des ménages qw

26 Le stock global d'or a toutefois augmenté car les ménages possèdent plus d'or en 1997 qu'en 1993. Durant ces
années, environ 30 tonnes d'or étaient importées chaque année. La production nationale est estimée à moins
d'une tonne (Watanabe et Ono, 1998, p 136).

362
détenaient de l'or en 1993 n'en détiennent plus en 1997 et 28% de ceux qui n'en avaient pas
en 1993 en disposent en 1997. Il est particulièrement intéressant de noter que ce déplacement
du stock d'or s'est effectué au détriment des villes et au profit des campagnes. En effet, en
1993, la proportion des ménages urbains qui possédaient de l'or (63%) était trois fois
supérieure à celle des ménages ruraux (20%). En 1997, la part des premiers avait décliné de
63% à 29% alors que celle des seconds avait augmenté de 20% à 32%, conduisant à une
homogénéisation villes/campagnes. On ne peut pas tirer de conclusions définitives de cette
évolution mais elle laisse penser que les citadins, disposant d'un important stock d'or, l'ont
investi dans les terrains et l'immobilier, ce que reflète leur patrimoine de 1997. Une partie de
cet or a pu ensuite alimenter les réseaux informels de financement et parvenir dans les
campagnes.

En dehors du recours à leur épargne, les ménages ont la possibilité d'emprunter. Il n'existe
pas de données très nombreuses sur le rôle que joue le crédit dans le fmancement de
l'autoproduction . Nous avons pourtant la chance de pouvoir utiliser à nouveau les résultats de
l'enquête de l'agence japonaise de coopération internationale sur l'épargne et l'investissement
des ménages (Watanabe et Ono, 1998). Elle démontre très clairement que les particuliers
recourent massivement au crédit informel et très peu aux institutions bancaires (tableau 8-16).
Les trois quarts des dettes contractées le sont en dehors du circuit officiel de fmancement. Les
proches et la famille constituent la source la plus importante de financement (plus de la moitié
des dettes) et elle est majoritairement sans intérêts (un tiers des dettes). Ces résultats sont
valables quel que soit le niveau de revenu des ménages. Malheureusement, nous ne disposons
pas de données spécifiques au milieu urbain.

363
Tableau 8-15. Composition des dettes des ménages par types de prêteurs. 1997.
Quintile 1 Quintile 2 Quintile 3 Quintile 4 Quintile 5 Moyenne
toutes classes
Banques et autres 28,2 29,1 29,9 14,6 22,5 22,8
institutions
financières
Tontines 0,3 1,4 1 0,6 1,9 1,2

Sans intèrêt 0,3 1 0,3 0,5 1,8 1


Avec intérêt 0 0,4 0,7 0,1 0,1 0,2
Parents, amis, 49,8 44,2 54,9 67,6 55,4 56,8
etc.
Sans intérêt 35,5 28,4 23,6 52,9 33,8 36,8
Avec intérêt 14,2 15,8 31,4 14,7 21,6 19,9
Vendeurs 10,7 9,2 6 8,8 14,4 10,7

Gouvernement 3,5 4,9 2,1 0,7 4,4 3,1


(programmes
d'aide)
Prêteurs privés 7,6 11,3 6 7,7 1,3 5,4

Total des dettes 100 100 100 100 100 100


(valeurs absolues (129,6) (126,1) (192,5) (328,3) (472,5) (250)
en dollars, 1$=11
600 dônÇls)
En %.
La composition des dettes en fonction du prêteur révèle l'importance du recours au crédit informel.
56% des dettes ont été contractées envers des parents et de la famille, dont 36% sans intérêt.
Viennent ensuite les dettes auprès des banques (moins d'un quart des dettes en moyenne). Les
ménages pauvres (quintile 1, 2 et 3) sont plus endettés que la moyenne auprès des banques. Le
recours aux vendeurs et aux prêteurs privés est relativement faible. Enfin, les tontines (les hÇJ et hUI)
ont quasiment disparu après avoir été un mode courant de financement sous la période d'économie
administrée.
Source: Wanatabe et Ono, p 182. Enquête réalisée entre le 15 avril et le 15 mai 1997 auprès de 1788
ménages dans tout le pays par la méthode de l'interview.

Particulièrement intéressant pour notre étude, l'enquête révélait également que tous les crédits
contractés pour l'achat de terrains et de biens immobiliers l'étaient en dehors du réseau
officiel (Wanatabe et Ono, p 140)27. Le financement de la production foncière et immobilière
par le système bancaire officiel étant encore embryonnaire, la population se tourne vers le
crédit inform~l. Les prêts entre proches font l'objet d'un simple contrat privé sans passage
devant notaire. Les prêts de grosses sommes se font généralement contre des intérêts. Il est
fréquent qu'une clause du contrat mentionne le droit du créancier à s'approprier un bien
(souvent une motocyclette ou une maison) en cas de non remboursement. En cas de défaut de
paiement du créditeur, le créancier peut saisir la justice. Les garanties sont toutefois faibles,
notamment dans le cas où l'emprunteur a gagé un même bien auprès de plusieurs prêteurs. Il
ne faut pas croire que le crédit informel remplace le financement institutionnel. En raison des

364
risques encourus, il ne porte généralement que sur de petites sommes. Le recours aux proches
pour financer la construction d'une maison est très fréquent mais il intervient toujours en
complément des ressources propres de l'emprunteur. Il faut également signaler la réticence
traditionnelle de la population à s'endetter lourdement.

Les emprunts auprès de prêteurs privés (souvent des bijoutiers privés) se font à des taux plus
élevés que les taux bancaires. Les particuliers construisant pour habiter recourent le moins
possible à ces prêteurs. Ce sont surtout les affairistes et les constructeurs de maisons de
rapport qui recourent à cette formule. Ils empruntent au mois à un taux d'environ 2% par
mois, soit 24% par an. C'est le prix à payer lorsque l'on ne dispose pas de suffisamment de
garanties pour emprunter auprès des banques officielles.

Certaines banques commerciales acceptent de prêter à hauteur de 60% de la valeur des biens
hypothéqués lorsque l'emprunteur possède un nombre important de propriétés. Le taux
d'intérêt était en 1997 de 1,25% par mois pour les prêts à 6 mois et de 1,35% pour les prêts à
2 ans. Les constructeurS de maisons de rapport qui ont la chance de posséder suffisamment de
propriétés pour pouvoir emprunter auprès des banques se livrent parfois à une activité très
rémunératrice consistant à emprunter à 16% auprès de ces dernières puis à prêter à d'autres
investisseurs au taux de 24%. Le fait que le financement de l'immobilier local se fasse très
largement en dehors du circuit bancaire officiel a évité que le retournement du marché en
1996-1997 ne provoque de faillites retentissantes parmi les banques. La plupart du temps, les
emprunteurs ont dû vendre leurs biens gagés et faire appel au réseau familial pour les aider.
Une autre pratique courante d'affairistes fonciers, qui sont également cadres d'entreprises
publiques, consiste à contracter un emprunt auprès des banques au nom de leur entreprise
mais en réalité pour leur propre compte. Beaucoup d'opérations immobilières à Hanoi ont été
financées ainsi. Lorsque le marché s'est retourné, les emprunteurs n'ont pas été touchés mais
les dettes de leurs entreprises se sont alourdies?8 Enfin, il existe une source de financement de
la construction qui provient des devises apportées par les Vietnamiens vivants à l'étranger, les
Vi~t héu. Il est notoire que l'argent sale de la maffia vietnamienne d'URSS et des pays de
l'Est s'est massivement investi dans l'achat de terrains sur les rives du lac Tây et la
construction de maisons de rapport.

27 Malheureusement, le tableau illustrant ce phénomène n'était pas disponible lors de l'édition des résultats en
1998.
28 Ce qui n'est pas très grave pour elles, voir chap. 9, encart 9-1.

365
Pourquoi le système bancaire officiel est-il quasiment exclu du financement des crédits
fonciers et immobiliers des particuliers? Il existe tout d'abord des raisons propres au système
bancaire vietnamien. Il est l'héritier d'un système bancaire constitué durant les années
d'économie administrée pour financer uniquement les investissements productifs étatiques.
Cette tradition est encore très forte. La politique bancaire actuelle du gouvernement est
d'orienter en priorité les capitaux vers l'industrie, la construction d'infrastructures et
l'agriculture. Les grandes banques étatiques sont avant tout organisées pour faire crédit aux
entreprises publiques (voir encart 8-1).

Encart 8-1. Le système bancaire vietnamien.


Avant le début des réformes, le système bancaire vietnamien se résumait à une seule banque: la
banque d'Etat du Viêt-nam jouait à la fois le rôle d'une banque centrale et d'une banque commerciale.
L'essentiel des crédits étaient orientés vers le secteur productif de l'économie. En 1988, la réforme
bancaire donnait naissance à un système diversifié. En dehors de la banque d'Etat, quatre banques
commerciales publiques étaient crées. Ces quatre banques (auxquel!es vinrent s'ajouter deux
banques spécialisées dans "aide sociale) représentent 70% des crédits et 80% des actifs bancaires
du pays. Une cinquantaine de banques commerciales à actions (dont des banques pour le logement)
représentent 10% des activités bancaires du pays. En 1990, peu après leur création, certaines mirent
en place des systèmes d'épargne pyramidale proposant des taux d'intérêts particulièrement élevés
aux particuliers. Après avoir failli détruire le système bancaire, elle furent fermées en 1990. En 1997,
alors qu'elles s'étaient développées de manière incontrôlée et peu transparentes, nombre d'entre-
elles furent conduite au bord de la faillite par les retombées de la crise régic.nale sur leurs opérations
risquées. L'Etat dut intervenir pour les soutenir. Dèsormais, il détient au moins 30% des parts de ces
banques. Il existe également une vingtaine de succursales de banques étrangères installées dans le
pays ainsi que des banques en joint-venture. Enfin, au niveau local, un millier de caisses de crédit
populaires collectent leurs fonds localement.

Ainsi constitué, le système bancaire vietnamien s'est adapté à l'évolution de l'économie et a permis de
ramener dans le pays un taux d'inflation bas et favoriser la croissance de l'économie. Il possède
toutefois encore beaucoup de faiblesses. Le fait qu'environ 20% des dettes des banques soient des
dettes arriérées révèle leur fragilité et les risques de faillite. En 1996, une enquête du programme des
nations unis montrait qu'environ 70% des crédits contractés dans le pays l'étaient en dehors du
système bancaire officiel. Les particuliers, notamment, préfèrent emprunter à des prêteurs privés
pratiquant des taux d'intérêts plus élevés mais moins exigeant sur la destination des fonds. D'une
manière plus générale, il faut noter que la plupart des transactions se font en liquide et que l'.usage du
chèque n'est pas encore développé.

En matière de logement, la politique bancaire décourage les prêts individuels pour l'achat de
logements au profit des prêts aux grandes entreprises de construction. Trois banques pour le
développement du logement ont été créées à cet effet dans les premières années de l'ouverture
à Hanoi (Habubank en 1989), HCMV et Hai Phong. Il s'agit de banques commerciales à
actions dont les actionnaires sont majoritairement des entreprises de construction. Leur
fonction première n'est pas de financer la construction privée, mais la production de logement

366
par les entreprises publiques de construction et de promotion. A Hanoi, la banque pour le
logement Habubank ne propose pas de taux attractifs pour rachat de logements. En outre, elle
ne propose pas de taux préférentiels à des particuliers pour l'achat d' un logement dans les
nouveaux quartiers pourtant construits par les entreprises de construction actionnair~s. Les
banques pour le logement n'ont guère réussi dans leur mission. La banque de Hai Phong a fait
faillite et celle de Hanoi se réoriente désormais vers des activités hors du secteur du logement.
Seule la banque de HCMV est en c~arge du programme de développement du logement du
comité populaire (Nomura research institute & IUTD, p 120).

Ensuite, il est important de rappeler que les particuliers déposent peu d'argent dans les
banques, ce qui réduit d'autant leur capacité à emprunter. Rappelons que les banques ne
reçoivent probablement qu'un quart de répargne totale de la population. Elles obligent donc
les emprunteurs à hypothéquer les biens pour obtenir des prêts. L'illégalité des transactions
foncières, l'absence de droits de propriété des terrains clairement reconnus et le double
mécanisme de prix fonciers officiels et de marché ne permettent pas aux prêts hypothécaires
de se développer. Dans ces conditions, il est très difficile d'hypothéquer son terrain pour
financer la construction de sa maison.

Les banques sont enfin très réticentes à prêter aux particuliers en raison des risques encourus.
Ceci est particulièrement vrai pour le crédit fonciers et immobilier. Au début des années 1990,
certaines banques commerciales étatiques ou à actions ont essayé de tirer parti de la forte
demande de liquidités engendrée par un marché foncier et immobilier très actif. Elles n'ont
pas hésité à s'associer à des chefs d'entreprises ou des hauts dirigeants de l'Etat dans des
opérations de spéculation ou de construction de maisons de rapports. A Hanoi, c'est dans les
villages du lac Tây que ce cas de figure est le plus fréquent. Avec la baisse des prix des
terrains et des loyers pour étrangers en 1996-1997, nombre de banques se sont ensuite
retrouvées avec des mauvaises créances. Comme les prêts avaient généralement été
accompagnés de corruption de la part des emprunteurs, beaucoup sont actuellement sous les
verrous. D'après un chef de téf du village Nghi Tàm, rien que dans ce village, quatre" grands
propriétaires" ont connu ce sort ces dernières années. En 1997, le gouvernement conduisit
une réforme du système bancaire afin de reprendre un certain contrôle sur ces banques
commerciales qui s'étaient engagées dans des opérations douteuses.

367
Les banques ont pourtant trouvé ces dernières années le moyen de tirer profit des importantes
sommes d'argent que draine le marché foncier et immobilier sans prendre de trop grands
risques. Elles ont ouvert des centres de transactions dont la vocation est d'offrir des services
aux vendeurs et acheteurs. La banque pour développement du logement de Hanoi (Habubank)
en a ouvert un en janvier 1997. Il prend en charge les fonnalités de transactions, se porte
garant des hypothèques sur les maisons auprès d'autres institutions de crédit et apporte sa
garantie lors de paiements en plusieurs fois. Il peut dans certains cas accorder un prêt à
l'acheteur. Il est limité à 30% de la valeur de la transaction ou 1 milliard de dôngs' (environ
70 000 $). Dans ce cas-là, la banque conserve en sa possession les documents légaux de la
transaction, y compris les certificats d'usage du sol et les titres de propriété de la maison. En
cas de défaut, elle la confisque. La durée du prêt est de seulement une année. En 1998, la
banque ne rencontrait pas beaucoup de succès puisque seulement 3 a dossiers de transactions
avaient été déposés à son centre de transaction nO!. (Nomura research institute, 1999).

Les choses évoluèrent début 2000 avec le redémarrage du marché immobilier de la capitale.
Toutes les banques cherchent désormais à ouvrir des centres de transactions immobilière pour
tirer partie de la reprise. Les deux premières sont des banques commerciales originaires de
HCMV. La Saicombank et la banque commerciale d'Asie ont ouvert des succursales à Hanoi
au printemps 2000. Elles proposent des services équivalents de conseil immobilier,
d'assistance juridique (elles essaient notamment de coopérer avec le service de
l'administration foncière et du logement pour obtenir gratuitement la légalisation des ventes
intervenues durant les années 1990). La banque commerciale d'Asie accorde des prêts en or
au taux d'intérêt de 0,4% par mois sur 5 ans. La Saicombank propose des taux d'intérêt de
0,8% par mois pour les emprunts en dôngs et 0, 4% par mois pour les emprunts en or
(emprunt à moyen terme). En 2000, le taux d'un emprunt en dông est donc de 9,6.% par an
avec un taux d'inflation qui était de l'ordre de 4% en 1999. Le taux d'intérêt réel se situe donc
autour de 5%.
-

368
Tableau 8-16. Activités du centre de transactions immobilières de la Habubank.
Service Commission
1 Paiement de l'achat et de la vente de biens immobiliers par 2%
l'intermédiaire de la banaue
2 Assistance partielle à l'achat et la vente 7$
1. enregistrement des ventes et des achats par
l'intermédiaire de la banque.
2. Achat et vente par l'intermédiaire des listes de la banque.

3 Informations sur la léaislation du marché immobilier aratuit


4 Informations sur le niveau des prix sur le marché immobilier aratuit
5 Préparation des documents légaux
1. transfert de propriété -214 $
2. élaboration des documents nécessaires à la transaction -en fonction de la valeur
du bien.
6 Assistance financière partielle au paiement des biens
immobiliers
1.Montant total du prêt: -inférieur à 30% de la
valeur du bien
2.Durée totale du prêt: -un an

3.Taux d'intérêt: ·taux courant de la


banque
7 Autres services
1. accès à la liste des biens à vendre dans les districts 0.7 $
urbains de Hanoi.
2. accès à la liste des biens à vendre dans les districts ruraux 1$
de Hanoi
Source: Nomura research Instltute & IUTD, P 113.

DepUis son ouverture, le centre de transaction immobilières de la Banque commerciale à


actions pour le développement du logement de HCMV a géré pour 18,7 millions de dollars?9
Si l'on fixe le prix moyen d'une propriété à 30 000 US$, ceci ne représente guère plus de 600
transactions. La plupart des transactions concernaient des maisons d'un prix inférieur à
35 000 US$ (voir tableau 8-18). La moitié des logements achetés (56%) étaient destinés à être
habités par l'acquéreur, le reste à être loué ou conservé comme patrimoine.

..,.

29"53700 luqng vàng thanh tOéin qua NH" [53 700 câys d'or liquidés par la banque], ThèTi Mo khinh têViêt
Nam [le temps économique du Viêt-nam], 30.10.1999.

369
Tableau 8-17. Montant total des transactions réalisées par le centre de transaction
immobilières de la Banque commerciale à actions pour le développement du
logement de HCMV.

Montant des transactions Part des transactions


Moins de 20 600 $ 24 %
Entre 20 600 $ et 35 000 $ 32 %
Entre 35 000 $ et 70 000 $ 24%
Entre 70 000 $ et 105 000 $ 5%
Entre 105 000 $ et 175 000 $ 16%
Plus de 175 000 $ 0%
Source: .. 53 700 luçmg vang thanh toan qua NH" [53 700 câys d'or de transactions pour la banque].
ThOi Mo khinh té Vi~t Nam [le temps économique du Viêt-nam], 30.10.1999.

Les sommes considérables que draine l' autoproduction depuis plus de 10 ans échappent
presque totalement au réseau bancaire. Le fmancement du logement exige des durées de
remboursement trop longues et des taux d'intérêts trop bas pour intéresser les banques
vietnamiennes en l'absence d'une épargne-logement substantielle. Se faisant, elles se privent
des revenus que pourraient rapporter ces prêts.

Depuis une dizaine d'années, l'autoproduction est la forme dominante de production de


logement dans les villes vietnamiennes en général et à Hanoi en particulier. Incapable de
financer la construction de logements, l'Etat a peu à peu abandonné cette activité à la
population. Cela lui a permis d'éviter la banqueroute à la fin des années 1980 mais le revers
de la médaille est que l' autoproduction a prospéré, produisant unè- manne financière
importante dont l'Etat n'a pu retirer que des « miettes ». Si l'on y regarde de près, l'Etat a tout
d'abord perdu ou dilapidé son patrimoine foncier. Ses terrains occupés par les particuliers ont
été vendus sur le marché noir sans qu'il n'en retire aucun bénéfice jusqu'à présent (il faudra
attendre l'évolution de la procédure de régularisation des DUS pour savoir si l'Etat parviendra
finalement à contraindre les particuliers à lui verser un dédommagement) et ceux occupés par
les organismes et entreprises publiques ont été attribués à des individus au sein de ces
organisations sans rapport à leur valeur marchande. Ces derniers se sont enrichis en les

370
revendant sur le marché noir, mais l'Etat, une fois encore, n 'y a rien gagné. Le fait que les
transactions foncières soient effectuées souvent sans paiement de la taxe sur le changement
d'usage des sols vient ajouter aux pertes de l'Etat. En matière de construction ensuite, les
entreprises étatiques n'ont pas eu accès au marché de l' autoproduction, monopolisé par les
petites unités privées. Ce sont autant d'activités et donc de profits perdus pour le secteur
étatique. Enfin, le système bancaire d'Etat est quasiment absent du financement de
l'autoproduction en raison du manque. de garanties qui l'entoure. Il ne peut donc pas drainer
l'épargne logement de la population ni tirer de bénéfices de prêts au logement.

Toutes ces pertes financières se doublent d'une perte de nature « socio-économique)} avec le
non contrôle de la conversion de l'usage des sols. En période de forte croissance urbaine, la
construction anarchique de zones d'habitat sans reports de densité vers la périphérie a
sérieusement contribué à dégrader la qualité de l'environnement urbain. Les mauvaises
conditions d'habitats créées pendant les dix dernières années constituent un héritage de la
politique de réfonnes qui sera lourd à assumer pour les générations futures. Pour toutes ces
raisons, l'Etat essaie de reprendre le contrôle de l'autoproduction et surtout de la concurrencer
par une fonne industrialisée de production de logements qu'il contrôle entièrement.

371
372
Chapitre 9. Le chantier du secteur de l'aménagement-promotion.

L'arrêt des subventions étatiques à la fin des années 1980 sonna le glas du mode de
production socialiste de la ville. Tout le secteur éc~nomique de la production immobilière
était à reconstruire sur des bases nouvelles. La fonnule du partenariat ne pouvait être qu'une
solution temporaire pour pallier l'absence de ressources des entreprises de construction.
L'objectif de l'Etat était de créer un secteur de l'aménagement-promotion qui soit capable de
porter les grands projets urbains nécessaires au développement des villes du pays. La
première transfonnation était d'ordre juridique: il fallait que les entreprises puissent tirer des
ressources du foncier. Ce fut chose faite en 1996 avec la mise au point du «commerce
d'infrastructures» ( kinh doanh ht(l tang ). L'expression pennet opportunément d'éviter de
30
parler de commercialisation des terrains. Concrètement, les entreprises de construction-
promotion « achètent» les DUS à la municipalité, indemnisent les ayants droit, et
« revendent» le terrain aménagé ou bâti aux particuliers à un prix officiellement de marché. 31
La rupture avec la production entièrement subventionnée et attribuée aux particuliers sur
critères socio-politiques était consommée. Désormais, les entreprises aménagent des terrains
et construisent des bâtiments qu'elles commercialisent sur le marché. Mais comme toujours
dans la transition vietnamienne, la tradition et les habitudes institutionnelles anciennes
viennent interférer avec les mécanismes de marché pour produire des résultats ambigus.
L'analyse en détail du processus de valorisation nous pennettra de mesurer son niveau de
mutation vers l'économie marchande.

Il existe deux moyens pour constituer. un secteur d'activité économique: la création


d'entreprises nouvelles ou la reconversion d'anciennes entreprises. Les pratiques qui régissent
le secteur dépendent beaucoup de cette alternative, Des acteurs ayant une tradition
professionnelle ancrée hors du champ de la nouvelle activité ont tendance à y reproduire leurs
habitudes. Des acteurs récemment apparus tenteront, à l'inverse, d'initier de nouvelles
pratiques. Nous reviendrons dans un premier temps sur la constitution du secteur afin de
cerner le comportement et les ressources des acteurs.

30 Il s'agit aussi d'une référence à la théorie marxiste de la valeur qui évalue le prix des terrains au coût du travail
qui y est incorporé lors de la construction des infrastructures (voirie et réseaux).
31 Lors de l'analyse de l'évolution juridique de régime foncier urbain (chapitre 3), nous avons montré comment
les entreprises aménageant des lotissements obtinrent Je droit de transférer librement les DUS des terrains
équipés aux particuliers (décret 85/CP du 17 .12.1996).

373
Une difficulté d'appréhension des activités d'aménagement et de promotion réside dans le
fait qu'elles recoupent plusieurs échelles spatiales et dépendent de logiques urbaines
différentes. La promotion immobilière participe à la reconstruction de la ville sur elle-même.
En raison du manque de terrains et de la densité d'habitat du cadre ancien, il ne peut s'agir
que d'opérations portant sur quelques milliers de mètres carrés de terrain et centaines
d'habitants. Avec l'aménagement de quartiers résidentiels et commerciaux en limite de
l'urbanisation actuelle, on passe à une autre échelle, celle d'une dizaines d'hectares et de
quelques milliers d'habitants. On change également de logique urbaine: il s'agit d'étendre la
ville en permettant des reports de densités d'habitat du centre vers la périphérie. Nous
essaierons de comprendre comment fonctionne le processus de production à chacune de ces
deux échelles.

1. L'émergence du secteur.

L'abandon de la production immobilière subventionnée par l'Etat à la fin des années 1980
entraîna une désorganisation de toute l'économie de la construction. Ne bénéficiant plus d'un
fmancement intégral par les crédits d'Etat, les entreprises publiques durent entamer une
reconversion vers les activités les plus profitables du marché. Elles s'intéressèrent ainsi à la
production immobilière et notamment au logement. Sur ce marché en pleine croissance, elles
se heurtèrent à la concurrence de toutes sortes d'organismes publics qui profitaient de
l'absence de réglementation pour créer des filiales de construction ou de promotion. L'Etat
rétablissant peu à peu son contrôle, nous assistons à la structuration d'un secteur de la
promotion dont nous allons tenter de tracer les grandes lignes.

1. 1. Des acteurs reconvertis.

Le gouvernement entend limiter l'entrée du secteur de l'aménagement-promotion. Il est


nécessaire pour une entreprise voulant exercer dans ce secteur d'obtenir le droit de se faire
attribuer des terrains dans le but de les aménager et les construire. Ceci n'est possible que si
J'activité principale de l'entreprise est la construction. Dans les années 1988-1992, nombre
d'organismes publics et d'entreprises contournèrent cette contrainte en créant des filiales
spécifiquement destinées à la construction. Des organisations de masse (les jeunesses du Parti,
les syndicats ... ), des administrations, des établissements publics (universités, hôpitaux) et

374
surtout des grandes entreprises publiques créèrent leur entreprise de construction dans le but
de profiter de l'effervescence du marché. Ceci pennettait à tous ces organismes de trouver des
ressources dont ils avaient fort besoin pour compenser l'arrêt ou la restriction des crédits
publics. Il s'en sui\:'it une prolifération de petites entreprises de' construction dont l'Etat eut
beaucoup de mal à contrôler les activités et notamment l'accès aux terrains. En 1992, face au
développement anarchique de la construction, l'Etat interdit la constitution de filiales de
construction. Désonnais, les entrepris~s ou organismes publics qui souhaitent faire construire
des logements pour leurs employés sont dans l'obligation de passer un contrat avec une
entreprise de construction. Cette pratique est en outre restreinte à des immeubles séparés ou à
de très petites opérations.

Toutes les entreprises auxquelles l'Etat reconnaît le statut de constructeur ou de promoteur


constituent les acteurs réguliers du secteur. Il s'agit d'entreprises qui exercent de façon
continue le métier de promoteur et d'aménageur. Une première caractéristique de ces
entreprises est qu'elles sont en quasi-totalité des entreprises publiques. Les entreprises privées
de construction existent, mais elles ont souvent peu de capitaux. La situation est un peu
différente à HCMV où un secteur de promotion privée posséderait déjà 20% des parts de
marché de la construction de logement (voir figure 9-1 ). A Hanoi, il existe également une
entreprise de promotion à capitaux mixtes, TOGI, dont le capital est détenu par une banque à
actions. Mais il s'agit d'un cas de figure exceptionnel. Cela pourrait évoluer avec le début de
l'actionnarisation (qui ne signifie pas toujours privatisation) de certaines entreprises
publiques. Une première entreprise de promotion immobilière a été privatisée à HCMV en
2000. L'Etat possède désonnais 30% du capital, les salariés 20% et des investisseurs autres
(publics et privés) 50%.32

32« Công ty DTKD nhà ban 50% v6n cho c6 dông bên ngoài» [ une entreprise de promotion immobilière vend
50% de son capital à des actionnaires extérieurs], Thi>i Mo kinh té Vi4t nam [le temps économique du Viet
Nam],23.02.2000.

375
Figure 9-1. La structure de l'offre de logements à Hanoi et HCIV1V (en%).

80

70

GO

50

40

30

20

10

0
Hanoi HCMV

o entreprises publiques. promoteurs-investisseurs privés 0 particuliers

Il s'agit d'une estimation donnée par les services du logement des deux villes en 1998. Les
entreprises privées de HCMV apparaissent nettement plus actives qu'à Hanoi où les entreprises
publiques réussissent à conserver un quasi monopole. Dans les deux cas, il faut relativiser le poids de
la production industrielle par rapport à la production individuelle. •
Source: Nomura research institute, 1999, p 95.

Dominant le secteur, les entreprises publiques sont les héritières des deux catégories
d'entreprises essentielles pour la production du bâti dans la période socialiste: les entreprises
de construction et des entreprises de gestion du parc de logements public. Les plus grandes
entreprises de construction sont de niveau national, c'est-à-dire qu'elles sont gérées en direct
par le ministère· de la construction. Lors de la constitution des corporations industrielles en
1994 pour concentrer et consolider le tissu industriel du pays, des corporations de
construction furent crées. Elles dépendent non plus d'un ministère mais du Premier ministre.
Parmi les entreprises « poids lourds» du secteur, on peut citer la Hanoi Construction
Corporation (qui malgré son nom relève de l'Etat et non de la municipalité de Hanoi), Licogi
(spécialisée dans les matériaux de construction), Vinaconex (compagnie qui réalise des
projets à l'étranger), la Thang Long Bridge Construction Company etc 33 ... La forte autonomie
de gestion dont elles disposent les rend difficilement « manipulables» par les pouvGirs
publics. et notamment par les provinces et municipalités. En outre, le fait qu'elles soient 11:1

très important contributeur fiscal et qu'elles pèsent lourdement sur le marché local de l'emploi

ii Nous adoptons ]a traduction anglaise du nom des entreprises de construction car c'est SOLIS celui-ci qu'elles

sonl le plus connues. Nous donnons également la version vietnamienne quand cela èsl possible.

"76
leur donne des arguments pour tenir tête aux pouvoirs locaux. Les provinces et municipalités
disposent également de leurs propres entreprises de construction. Elles sont placées sous
l'autorité du service provincial de la construction. A Hanoi, nombre d'entre elles ont été
regroupées dans la Hanoi Construction Development Corporation (T6ng công ty phat triln
xây df!ng Hà N9i).

Les provinces, villes et parfois districts vietnamiens possèdent également des entreprises
« d'investissement et de développement du logement» (công ty dau tu và phat triln nhà) ou
des entreprises « d'affaires et de développement du logement» (Công ty kinh doanh phat
triin nhà) qui sont en fait des promoteurs publics spécialisés dans le logement. Ces
entreprises ont été créées à partir des anciennes entreprises de gestion et d'entretien du parc de
logements publics des collectivités locales. Une fois les immeubles construits par les
entreprises de construction, ce sont elles qui étaient censées assurer les travaux de réparation
et l'attribution des logements aux familles. Ces entreprises n'existaient pas au niveau central.
La production de logements par le niveau central étant déléguée au niveau de chaque
organisme employeur, celui-ci était censé en assurer lui-même l'entretien et la gestion. C'est
pour cette raison historique qu'il n'existe pas au niveau central d'entreprises de promotion
immobilière consacrées au logement.

A Hanoi, au printemps 2000, plusieurs entreprises municipales de construction ou d'entretien


de logements ont été regroupées et associées à quelques entreprises de construction
municipales dans la compagnie générale d'investissement et de développement du logement
de Hanoi (T6ng công ty dau tu và phat triln nhà Hà N9i) connue sous le nom anglais de
Hanoi Housing Development and Investment Corporation. La compagnie générale dispose
d'un capital total de 18 millions de dollars dont près de la moitié apportée par une seule
entreprise, la compagnie d'investissement et de construction de Hanoi ( 8 millions de
dollars).34 En-comparaison, les neuf entreprises municipales de construction de logements qui
lui sont associées pèsent beaucoup moins lourd: entre 100 000 dollars et 2 millions de dollars
chacune. Parmi celles-ci, les entreprises de construction de logements créées par quatre
districts de Hanoi possèdent un capital allant de 100 000 à 300 000 dollars chacune.

34 Il s'agit des capitaux déclarés en 1998. Sources du comité populaire de Hanoi.

377
A côté de ces acteurs réguliers, existent des acteurs que nous définissons comme
occasionnels. Ce sont les entreprises ou organismes publics qui disposent d'un terrain libre et
souhaitent monter un projet immobilier pour le valoriser. Leur terrain provient très souvent
d'une délocalisation sur un autre site ou dans un autre immeuble. Au lieu de retourner
l'ancien terrain à l'administration municipale, elles obtienne1)t de le conserver comme forme
de dédommagement, notamment lorsqu'elles quittent le centre pour la périphérie.

Bien qu'il s'agisse de structures collectives, elles agissent en réalité suivant une logique
similaire aux particuliers construisant des maisons de rapport. Elles peuvent soit s'associer
avec des partenaires étrangers (voir chapitre la) soit être seules maîtres d'ouvrage du projet.
Visant avant tout le rapport, les entreprises ou organismes d'Etat se spécialisent dans la
promotion et investissent en particulier dans les immeubles de bureaux, les hôtels, les villas
ou appartements pour étrangers. Très souvent, leur méconnaissance du métier conduit les
promoteurs occasionnels à des investissements non réfléchis et finalement peu rémunérateurs.
Nombre de mini-hôtels construits par des organisations publiques sans étude du marché du
tourisme sont aujourd'hui très peu actifs. Des immeubles d'appartements pour étrangers
conçus sans attention pour leurs goûts ne se portent pas mieux. Une explication à ce manque
de pertinence des investissements de ces promoteurs occasionnels peut provenir de l'intérêt
réel recherché. Très souvent, les dirigeants d'une entreprise d'Etat ou d'un organisme public
voient dans la réalisation d'un projet immobilier l'occasion de percevoir des revenus illicites
lors du passage des contrats de construction. La rentabilité de l'investissement les préoccupe
beaucoup moins puisqu'ils ne manipulent « que» de l'argent public. A ce titre, ces affairistes
publics doivent être distingués des affairistes privés qui sont, eux, très intéressés au succès de
leur projet.

1.2. Un certain manque de métier.

L'intérêt des entreprises de construction pour l'aménagement et la promotion est récent. Elles
y trouvent un intérêt dans la mesure où cela implique des travaux de construction. Elles y ont
recours en particulier lorsque les contrats de construction sont rares et qu'il faut solliciter la
demande. Mais lorsque les chantiers sont nombreux, les grandes entreprises de construction
peuvent faire passer les projets d'aménagement au second plan. Ne dépendant pas

378
fondamentalement de l'activité d'aménagement, elles sont également peu sensibles aux
pressions et incitations des pouvoirs publics dans ce secteur. Il s'agit de l'une des raisons des
difficultés rencontrées par la municipalité de Hanoi pour faire réaliser son ambitieux
programme d'aménagement urbain et de construction d'immeubles de logements. Quant aux
anciennes entreprises municipales de gestion du parc de logements publics, elles tirent avant
tout parti de leur accès privilégié à des terrains pour dégager des ressources essentielles à leur
fonctionnement. D'une certaine manière, elles ont parfaitement réussi leur reconversion
puisque celles-ci, ainsi que leurs cadres, sont réputés s'être fortement enrichis grâce à leur
nouvelle activité.

En définitive, dans aucun des cas, il n'apparaît une véritable tradition du métier d'aménageur-
promoteur. Il existe encore moins une segmentation du secteur qui révèlerait sa maturité. Il
n'existe pas d'entreprises spécialisées dans la promotion haut de gamme ou le logement bon
marché, ou encore dans l'immobilier de bureau ou l'aménagement. A notre connaissance, il
n'existe à Hanoi qu'une seule entreprise dont la vocation soit explicitement l'aménagement et
la promotion, la Housing and Urban Development Company (Công ty phat tri!n nhà và dô
thi), en abrégé: HUD. Nous avons choisi de présenter de façon détaillée les différentes étapes
de sa constitution car elles montrent bien comment un acteur a pu s'adapter au nouveau
contexte économique tout en conservant « un savoir-faire» datant de la période précédente.
Ce n'est sans doute pas un hasard si ses projets d'aménagement sont les premiers à voir le
JOur.

Les origines de HUD remontent à 1984. Elle fut créée sous la forme d'une unité de gestion du
ministère de la construction pour aménager les abords de la route nationale lA au sud de la
ville. Cette route, qui conduit à HCMV via Huê, fut élargie en 1985 par une entreprise de
travaux publics du comité populaire de Hanoi. L'unité de gestion des travaux de la route 1A
(Ban quan ly công trinn -nhà a duèmg lA) n'était pas une entreprise mais un bureau du
ministère rassemblant une trentaine de personnes. Elle ne possédait pas de capitaux propres.
Ses ressources de fonctionnement provenaient du ministère. En ce qui concerne
l'investissement, le rôle de l'unité de gestion consistait à gérer le budget de l'Etat investi dans
la construction le long de la route. Elle élaborait les programmes et plans d'aménagement,
sélectionnait les entreprises de construction et leur attribuait les capitaux prévus. Elle était
aussi responsable de l'indemnisation des habitants. Une fois les travaux de construction
achevés, elle attribuait les bâtiments à leurs destinataires. A cette occasion, elle acquit une

379
expérience dans l'aménagement, et notamment la libération des terrains et le relogement, qui
lui fut utile plus tard lorsqu'elle se spécialisa dans la réalisation de projets urbains.

Dans les premières années de la D6i mOi, l'unité de gestion de la route 1A connut de graves
difficultés financières en raison du resserrement du budget de l'Etat. Les salaires étaient payés
avec beaucoup de retard. Le ministère de la construction décida en 1989 de transformer
l'UIÙté de gestion en une société d'aménagement. Ses statuts précisent qu'elle se consacre
essentiellement à la réalisation de projets d'aménagement et de logement. Juridiquement, elle
a abandonné le statut d'unité de gestion pour celui d'entreprise. Depuis cette période, elle ne
reçoit plus aucun financement du budget d'Etat pour son fonctionnement mais elle conserve
les capitaux versés antérieurement par l'Etat contre versement d'un impôt (voir encart 9-1).
Elle ne tire ses revenus que des opérations qu'elle, réalise. Entre 1989 et 1992, HUD concentra
encore la plus grande partie de ses activités le long de la route nationale lA. Alors qu'elle
devait financer la construction d'immeubles de logements pour le compte d'organismes
publics, l'abandon des subventions étatiques la conduisit à vendre les bâtiments à des
entreprises qui les ont transformés en hôtels. Grâce à ses ventes, elle put augmenter ses fonds
propres. Bien que consacrée à l'aménagement, HUD a obtenu un statut dérogatoire pour
constituer deux filiales de construction. Cette mesure avait pour but de permettre à la société
de vivre des activités de construction pendant la phase de préparation de projets
d'aménagement. Elle s'est associée avec la Banque de l'agriculture pour construire un
immeuble de bureaux de onze étages, aujourd'hui vide. Elle a aussi construit ses propres
bureaux ainsi que des logements pour ses employés, toujours le long de la route nationale.

Peu à peu, grâce à la bonne insertion de son directeur dans le milieu du pouvoir, HUD a réussi
à obtenir un très fort soutien de la municipalité, du gouvernement et surtout du Parti.
Bien que l'entreprise soit placée sous la tutelle du ministère de la construction, son directeur a
réussi à noùer des relations de confiance avec la municipalité. Cette dernière apprécie
particulièrement ses compétences dans le déplacement et le relogement d'habitants. A la
demande de la municipalité, HUD a ainsi effectué le relogement des habitants de la villa
na 41, rue Trân Hung D~o 35. En 1998, la municipalité a fait appel à HUD pour mener à bien
la délicate tâche de libération des terrains d'un tronçon de la route Vân Hô. La construction
d'une route de 360 mètres aboutissant sur un grand boulevard de la capitale ( D~i Ct> Vi~t )

35 Cette opération rentre dans le cadre du plan de la municipalité de ne pas vendre les villas des rues Trân Hung
Dao et Ly Thl1àng Ki~t à leurs occupants mais de procéder elle même à leur rénovation. Voir chap.7

380
était bloquée sur les 60 derniers mètres par les habitants du boulevard. La compagnie de
travaux publics construisant la route n'ayant pas les moyens ou l'expérience pour procéder à
l'indemnisation des habitants, HUD fut chargée de mener les négociations et de finir la route.
Il s'agit d'activités annexes pour l'aménageur mais elle lui servent avant tout à obtenir de la
part de la municipalité des gratifications pour service rendu sous forme de soutien à ses autres
projets.

Une activité très rémunératrice pour toutes les entreprises de construction est l'association
avec des partenaires étrangers. HUD a réussi à s'imposer comme partenaire vietnamien dans
deux opérations immobilières en joint-venture. En juillet 1995, elle a crée Vinapon
Development Company Ltd avec 5 partenaires japonais emmenés par une filiale de la banque
Michinoku, pour construire une tour de bureaux et d'appartements près du zoo de Hanoi (la
V-Tower). En septembre 1996, HUD signait un autre contrat de joint-venture avec les
compagnies japonaises Nissho Iwai Corporation et Rinkai. Le projet consistait à construire un
immeuble d'appartements réservés aux résidents japonais dans un quartier aménagé par HUD
à Giap Bat.

Depuis février 1998, HUD ne possède plus qu'une seule filiale de construction. Elle
abandonne peu à peu cette activité pour se consacrer à l'aménagement et la promotion. Pour
ce faire, elle abrite un cabinet de conseil, Design and Investment Consultants Enterprise. Il est
chargé de préparer les programmes et les plans des opérations. En novembre 1998, une
nouvelle étape a été franchie avec la constitution d'une filiale spécifiquement chargée de la
promotion: Housing Development aÎld Trading. Elle fonctionne comme tout promoteur. Elle
est chargée de trouver des terrains à aménager, de monter juridiquement les opérations, puis
de vendre les terrains aménagés ou les bâtiments aux particuliers ou entreprises. La quatrième
filiale a été créée en janvier 1999 et consacre ses activités à l'aménagement de zones de loisirs
....
(Xi nghiçp dlch v~ vui chai gidi tri). Elle commencèra par aménager les rives du lac Linh

Dàm, plus important projet actuel de HUD.

Depuis quelques années, l'objectif de la direction était d'obtenir le statut de corporation afin
de pouvoir conduire toutes les activités de réalisation d'un projet urbain depuis la conception
jusqu'à la construction et la commercialisation. C'est chose faite depuis le 2 juin 2000, jour
où le ministère de la construction transforma la Housing and Urban Development Company
en Housing and Urban Investment and Development Corporation (Tô'ng công ty dâu tu phal

381
triln nhà và dô thi) . Pour augmenter son poids fmancier et étendre son domaine d'action,
HUD a absorbé dans cette compagnie générale des entreprises de construction de Hanoi ainsi
que des provinces de Hà Tây et Thanh H6a. Elle dispose ainsi d'un capital de 302 milliards de
dôngs dont 112 milliards appartenant à l'Etat. Sa mission reste la même: aménager des
nouveaux quartiers d'habitat et des zones industrielles.

Cette « success story» montre comment le' secteur de l'aménagement-promotion s'est


constitué par reconversion d'anciens acteurs et non par reconstruction d'un nouveau système
d'acteurs. En particulier" le cordon ombilical reliant les administrations aux entreprises sous la
gestion socialiste ne fut ainsi jamais définitivement coupé. Les relations privilégiées que
conservent les entreprises avec leur administration d'origine sont essentielles pour
comprendre leur fonctionnement. Elles peITI1ettent notamment d'assurer la stabilité de leur
situation financière en les approvisionnant régulièrement en contrats. L'interdépendance entre
la sphère économique et la sphère politique qui en découle est un trait marquant des
économies socialistes de marché vietnamienne et chinoise. Margaret Pearson (1997) utilise le
teITI1e de « corporatisme socialiste» pour définir cette relation ambiguë entre le politique et
l'économique en Chine. La mutation économique s'est effectuée dans un temps trop rapide
pour que les relation interpersonnelles qui relient les dirigeants des entreprises aux
responsables administratifs soient effacées. Bien au contraire, ce sont ces liens étroits qui
peITI1ettent à ce système hybride entre plan et marché de fonctionner.

2. La promotion immobilière: expression du « corporatisme


socialiste ».

Nous avons choisi de n'étudier que la production de logements car la promotion imrt10bilière
se développe surtout dans le sec~eur résidentie1. 36 La production de logements par les
entreprises s'effectue selon un processus complexe faisant intervenir une multiplicité
d'acteurs appartenant à des secteurs d'activités aussi différents que la banque, l'architecture,
le bâtiment ou la publicité (voir figure 9-2). L'une des tâches essentielles du promoteur est de
coordonner ces différents acteurs. Il peut être défini comme « une personne physique ou
morale dont la profession ou l'objet est de prendre, de façon habituelle et dans le cadre d'une

36L'immobilier de bureau, de commerce et de service est soit autoconstruit en même temps qu'un logement
lorsqu'il s'agit d'activités individuelles, soit construit directement par Je destinataire (administration ou

382
organisation permanente, l'initiative de réalisations immobilières et d'assumer la coordination
des opérations pour l'étude, l'exécution et la mise à disposition des usagers de programmes de
construction» 37,

Le métier de promoteur s'est constitué historiquement pour lever deux contraintes


fondamentales qui pèsent sur la production du cadre bâti: un financement à long terme et un
approvisionnement régulier en terrain!, (Christian Topalov, 1974 et J-J Granelle, 1998).
Vient ensuite le temps de l'installation des infrastructures et de l'élaboration du programme
de l'opération. L'exercice consiste à équilibrer le budget en élaborant un programme
permettant de couvrir le coût des travaux d'infrastructures et de dégager une marge de profit.
Enfin, l'étape de la commercialisation peut prendre la forme de lots à bâtir, de bâtiments ou
d'appartements et peut donner lieu à des conditions financières adaptées aux ressources des
éventuels acquéreurs (figure 9-2).

Nous allons reprendre en détail ces quatre moments clés du processus de production pour
comprendre comment les promoteurs vietnamiens parviennent à évoluer dans un
environnement institutionnel où l'interrelation de la sphère économique et de la sphère
politique entraîne une certaine confusion entre l'action des pouvoirs publics et celle des
entreprises.

entreprise d'Etat) associé à une entreprise de construction. L'immobilier tertiaire supérieur est jusqu'à
maintenant le quasi-monopole des investisseurs étrangers.
37 Définition de la Fédération française des promoteurs-constructeurs, citée par J-J Granelle (1998, P 26).

383
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0- source Peler Ward, 1990, p 43.
ü:
2.1. Financement par précommercialisation.

Sur un plan analytique, le promoteur est un « acteur social qui assure la gestion d'un capital
monétaire dans sa phase de transfonnation en produit immobilier» (Jean-Jacques Granelle,
1988, p26). Christian Topalov (1974, p. 275 et s.), des travaux dont cette définition est
inspirée, a montré que ce capital ne pouvait provenir entièrement des fonds propres des
entreprises. La période de production des bâtiments étant très longue, la rotation du capital (de
la fonne argent à la fonne bâtiment puis de la fonne bâtiment à la fonne argent) s'effectue
lentement. Il n'est pas possible pour les entreprises d'immobiliser une quantité importante de
capitaux aussi longtemps. Elles doivent faire appel à un « capital de circulation », c'est-à-dire
qu'elles doivent avoir recours au préfinancement de leur production. On distingue trois
grandes sources de financement d'une opération d'aménagement et de promotion: les fonds
propres du promoteur (mais aussi ceux de ses investisseurs partenaires dans le « tour de
table »), les emprunts bancaires et les fonds issus de la précommercialisation. 38

Les entreprises publiques vietnamiennes utilisent ces trois sources de financement auxquelles
vient s'ajouter une quatrième: les crédits d'Etat. Bien que l'Etat ait arrêté de financer le
budget des entreprises publiques (voir encart 9-1), il peut leur accorder ponctuellement des
fonds pour financer des travaux d'infrastructure. Ces fonds ne sont pas entièrement gratuit car
les entreprises doivent payer un impôts de 3,6% sur leur montant. Les crédits d'Etat sont une
source très minoritaire de financement des activités des entreprises. Il y a une forte
concurrence entre elles pour y avoir droit et ils sont plafonnés à 10% du plan de financement
d'une opération.

38 En France, entre 1986 et 1990, dans la période ascendante du cycle de l'immobilier, les fonds propres
représentaient 10%, les emprunts 40 à 70% et la précommercialisation 20 à 50%. Après le retournement des
marchés, les banques ont exigé une participation sur fonds propres de 20% et un certain niveau de
précommercia1isation (1-1. Granelle, 1998, p 30).

385
Encart 9-1. La gestion des entreprises publiques vietnamiennes.

Dans le système de la planification centralisée, la Banque de l'Investissement et du Développement


distribuait le budget de l'Etat aux entreprises publiques en fonction d'un plan annuel d'activités agréé
par le ministère des finances. Avec l'abandon de l'économie subventionnée, les entreprises publiques
durent assurer seules leur fonctionnement. Pour ce faire, elles gardèrent les capitaux alloués
antérieurement par l'Etat et purent conserver les ressources tirées de leurs activités après avoir
acquitté plusieurs impôts. Elles continuent toutefois de pouvoir bénéficier de crédits budgétaires
accordés parcimonieusement par "Etat.

Chaque année, les entreprises soumettent au ministère des finances un programme d'activités pour
l'année à venir indiquant notamment leur chiffre d'affaire et le montant des impôts qu'elles envisagent
de payer. En se basant sur ce rapport, le ministère des finances leur fixe un plan financier. Dans la
pratique, les entreprises minimisent souvent leur niveau d'activités afin de pouvoir déclarer à la fin de
l'année un accomplissement du plan de plus de 100% qui leur vaut les félicitations de leur
administration de tutelle. A Hanoi, le service du plan et de l'investissement est chargé de contrôler la
réalisation des plans des entreprises publiques municipales.

Les impôts que doivent acquitter les entreprises publiques sont les suivants:
- Impôt sur les bénéfices: 32% des bénéfices réalisés.
- Jusqu'à "exercice 1998, il existait une taxe sur le chiffre d'affaire. Elle était de 4% pour les
aménageurs mais de 10% pour les activités commerciales. Elle fut remplacée en 1999 par la TVA. Le
taux de TVA pour les aménageurs et les constructeurs de logements fut fixé à 5%. En avril 2000, le
ministère des finances la réduisait de 50% afin d'encourager la construction d'infrastructures et de
logements.
- L'impôt sur le capital d'Etat: l'Etat considère que les capitaux qu'il laissa aux entreprises publiques
après "abandon de l'économie administrée lui appartiennent. A ces capitaux d'origine, viennent
s'ajouter les fonds que l'Etat accorde aux entreprises publiques pour des dépenses prioritaires. Il
prélève annuellement un impôt de 3,6% sur ces capitaux.

Le reste des bénéfices réalisés doit également être attribué à des postes de dépenses fixés par l'Etat.
50% doivent aller à un fonds de réinvestissement. 10% à un fonds de réserve, 5% à un fonds de
précaution pour payer des allocations chômage aux employés arrêtant leurs activités. Le reste est
destiné à des primes salariales et à des dépenses collectives (voyages d'entreprises ... ).

Notons que la planification économique ne fut pas abandonnée avec l'adoption des réformes. Elle
existe toujours et pourrait être comparée au Plan dans la France des années d'après-guerre. Seul le
flux financier entre l'Etat et ses entreprises s'est considérablement réduit. Toutefois, si "Etat ne
subventionne plus que très rarement les entreprises publiques depuis 1989, il parvient à les alimenter
en capitaux par une voie détournée. Les entreprises publiques qui ont besoin d'acheter des biens de
production (machines ... ) à des entreprises étrangères leurs demandent généralement de financer leur
achat par l'emprunt. Les entreprises étrangères tenant à passer le cOl'1trat demandent à des banques
(qui appartiennent souvent à leur même groupe industriel dans le cas de entreprises japonaises)
d'accorder un prêt à l'entreprise vietnamienne. La banque accepte à condition que l'Etat vIetnamien
se porte garant du remboursement du prêt par son entreprise. Les entreprises refusant de
rembourser, leur dette passe dans la dette publique extérieure du Viêt-nam. Cette _dernière étant
régulièrement ré-échelonnée par les pays donateurs d'aide internationale et le FMI, les entreprises
peuvent ainsi continuer d'investir sans payer. (Nous remercions Gérard Osbert, formateur de l'Union
européenne auprès du ministère du plan et de l'investissement pour ces informations).

386
Le recours aux fonds propres varie selon les entreprises. En général, les entreprises publiques
vietnamiennes ne disposent pas de beaucoup de fonds propres. Le rôle de l'emprunt bancaire
apparaît donc à la fois indispensable et crucial pour le bon déroulement d'une opération. Les
conditions d'accès à ces emprunts et leur coût pour les entreprises dépendent de l'efficacité du
système de financement bancaire du pays. Les banques vietnamiennes accordent des prêts aux
promoteurs au même taux que pour toutes les autres activités. Ce taux était de 12% par an en
1998 avant de passer à 10,2% en 2000. En outre, il s'agit généralement de prêts à court tenne.
A côté de ces prêts « nonnaux » existent des prêts « aidés» destinés à aider les entreprises à
réaliser des projets de logement pour les personnes à bas revenus.

Enjuillet 1999, un fonds pour le développement du logement (Quy phat tritn nhà athành phô'
Hà N9i) a été créé à Hanoi pour accorder des prêts aidés aux entreprises réalisant des projets
résidentiels dans la capitale. Il est abondé par la vente des logements publics et par une partie
des loyers fonciers. En 1999, pour sa première année, le fonds a géré un capital de 2 millions
de dollars. Ce faible montant, ajouté à des difficultés dues à l'inexpérience pour réaliser la
sélection des projets aidés, n'a pas encore réellement pennis à ce fond de constituer un
partenaire financier solide des promoteurs. Il devrait toutefois monter en puissance dans les
années à venir. Le taux d'intérêt « aidé» était de 0,8% par mois début 2000 (soit 9,6% par
an). Cela n'est pas encore suffisamment bas pour les entreprises conduisant des projets de
logement. Elle considèrent actuellement qu'elles devraient pouvoir emprunter à un taux de 6
ou 7% par an pour pouvoir réaliser des logements bon marché. Il faut rapprocher ces
difficultés de financement du logement social à la faible capacité du réseau bancaire à drainer
l'épargne des ménages. Dans cet environnement financier défavorable, la plupart des
promoteurs essaient de financer leurs opérations par la précommercialisation (tableau 9-1).

387
Tableau 9-1. Nombre de projets recourant aux différentes sources de financement à
Hanoi.

Précommer- Fonds Emprunts Crédits Nombre total


cialisation propres bancaires d'Etat de projets
Projets d'aménagement 11 1 4 10 11
de grands quartiers
résidentiels et mixtes 100% 9% 36% 90%
Petites opérations de 21 7 2 3 24
promotion.
87.5% 29% . 8% 12.5%

Note: Il s'agit des projets adoptés dans la province de Hanoi avant juillet 1997. La plupart d'entre eux
sont financés par plusieurs sources de financement. La quasi totalité des entreprises recourent à la
précommercialisation. Les grands projets ont un accès plus facile aux crédits d'Etat (66%) que les
petites opérations de promotion (12,5%) car ils comportent des travaux d'infrastructures plus lourds.
En raison de poids de l'investissement, ils doivent également recourir plus aux emprunts. Enfin, le
recours aux fonds propres et plus fréquent pour les petites opérations.
Source: Chuong Trinh Phat Trién nhà d cùa Hà N(Ji dén nam 2000 và 2010 [programme de
développement du logement à Hanoi pour les années 2000 et 2010]. Comité populaire de Hanoi,
février 1998.

L'aménageur HUD nous a donné une idée de la répartition des sources de financement qu'il
recherchait lors du montage d'une opération. 39 Il cherche tout d'abord à financer 10% de
l'opération par les crédits d'Etat. C'est le taux maximum que peut atteindre un crédit d'Etat
dans une opération d'aménagement. Il essaie ensuite de limiter le recours à l'emprunt à 20%.
Au-delà de ce seuil, le coût de remboursement pèse trop lourd sur les charges financières du
budget de l'opération. On mesure ici les faiblesses du réseau bancaire vietnamien. En France,
dans les années de forte activité du marché immobilier, les emprunts représentaient entre 40 et
4o
70% du plan de financement d'une opération. La précommercialisation et les fonds propres
doivent permettre de financer les 70% restants. Dans une opération qui se vend bien,
l'aménageur peut éviter d'engager ces fonds' propres.

Le recours massif à la précommercialisation doit être souligné car il rencontre d~s limites.
Tout d'abord, ce financement dépend beaucoup du succès de l'opération. Ensuite, et surtout, il
ne permet de mooiliser des fonds que tardivement, les particuliers ne s'engageant
financièrement que lorsque le projet est en cours de réalisation. Les études et surtout les
indemnisations doivent être [mancées par d'autres moyens. Ces deux contraintes fortes
conduisent les entreprises à limiter leur investissement dans les projets (ou à les découper en
sous-projets s'ils sont de grande dimension) et à se concentrer sur les produits pour lesquels
existe une forte demande qui doit être solvable immédiatement..

39 Entretien avec Phl;lm Trung Kién, directeur du service du développement, HUD, avril 2000.
40 Cité par J-J GraneIle, 1998, p 31.

388
2.2. Soutien déterminant des pouvoirs publics dans l'accès au foncier.

L'accès régulier à des terrains est vital pour l'activité d'une entreprise de promotion. Les
critères de choix des terrains sont leur emplacement et leur coût. Ces deux critères influant
l'un sur l'autre, l'entreprise cherche touj ours la meilleure localisation au moindre coût. Il
41
s'agit de la préoccupation essentielle des promoteurs.

L'accès des promoteurs aux terrains passe nécessairement par la libération des sols, condition
de leur valorisation. A condition que le promoteur ne soit pas lui-même le propriétaire du
ème
terrain (comme cela fut le cas à Paris au 19 siècle lorsque que les propriétaires se
transformèrent en rentiers immobiliers), il se heurte à la résistance des propriétaires et au
régime de la propriété foncière. L'articulation du capital et du terrain est donc un rapport de
42
force entre propriétaires et promoteurs. Dans le cas des petites opérations, la recherche de
terrains passe en général par le démarchage de terrains auprès des propriétaires. Pour les
grandes opérations, la puissance publique s'associe aux investisseurs pour « fabriquer» des
terrains en élaborant de vastes programmes d'aménagement urbain. 43

Au Viêt-nam, ce rapport foncier entre propriétaires et investisseurs n'existe pas


officiellement. Les entreprises ne peuvent pas se livrer au démarchage de terrains auprès de
leurs propriétaires. Elles sont seulement censées postuler à la réalisation de projets proposés
par la municipalité en fonction d'objectifs socio-économiques et de développement spatial.
Depuis l'adoption des réformes, cette procédure administrative verticale se double d'une
activité horizontale de concurrence entre les entreprises pour trouver des terrains disponibles
(voir figure 9-3). Elles prennent langue discrètement avec les occupants de terrains afin
d'obtenir leur accord formel de transfert des DUS. Une fois les deux parties tombées d'accord
sur les compensations financières officielles (les indemnisations) et informelles que versera le
promoteur, ce dernier élabore un projet qu'il soumet ensuite à la municipalité. La relation
entre la procédure administrée et la réalisation de projets est de nature complexe et souvent à

41 En France, 44% des promoteurs classent le coût du foncier au premier rang des facteurs préoccupant qui

affectent la rentabilité d'une opération. La durée de la commercialisation vient ensuite avec 40%. Enquête
FNPC-1997 in J-1. Granelle, 1998, p 3I.
42 Christian Topalov (1974, p 282) défmit ainsi l'articulation qui s'opère alors entre le capital et le terrain: il
s'agit de « transformer sans cesse une valeur d'usage fonctionnant principalement comme bien patrimonial ou
instrument de travail des producteurs non capitalistes en marchandise, et d'opérer cette transformation de telle
sorte que le capital de circulation s'approprie la plus large part possible de la rente différentielle créée par le
nouvel usage du sol ».
43 Cette alliance du capital et de la puissance publique est au cœur de l'analyse de Christian Topalov (1974) sur
la production de logement en France. Il y voit une expression du capitàI1sme monopolistique d'Etat.

389
double sens. Ainsi, on peut dire que le schéma directeur est en partie élaboré de manière à
intégrer les projets d'aménagement antérieurs des entreprises. Mais en même temps, les
entreprises proposent des projets dans des secteurs qu'elles savent, souvent par indiscrétions,
destinés à passer en statut urbanisable.

Si, officiellement, les entreprises ne se font pas concurrence sur un marché des terrains mais
sur celui des projets, c'est en fait leur capacité à disposer du foncier qui est déterminant. A
Hanoi, le marché des terrains disponibles pour les entreprises est de nature éminemment
politique sur fonds d'opposition entre entreprises dépendantes de l'administration centrale et
entreprises municipales. La concurrence est particulièrement vive sur les projets immobiliers
de petite dimension (4 ou 5 hectares maximum). Le comité populaire de Hanoi privilégie
ouvertement ses entreprises en les aidant dans leur recherche de terrains. Le ministère de la
construction en fait de même avec les siennes.

Trouver un terrain bien situé est une garantie quasi certaine de succès pour les promoteurs.
L'étude de cas concrets d'opérations montre clairement que c'est sur la différence entre le
coût d'accès au terrain et celui auquel ils le revendent une fois aménagé que les promoteurs
dégagent leur marge de profit. En effet, si l'Etat participe peu au montage financier des
projets, il apporte une aide considérable en maintenant le coût d'accès au foncier des
promoteurs à un niveau beaucoup plus bas que celui du marché. Le montant officiel des
indemnisations reste très faible malgré une hausse conséquente au milieu des années 1990
devant le mécontentement des agriculteurs. Quant au paiement des droits d'usages du sol, il
correspond à la valeur officielle des terrains et non à celle du marché et donne lieu à de
multiples arrangements dont le plus fréquent est son report après le commencement de la
commercialisation des terrains. Dans ces conditions, la poids du foncier dans les opérations
est extrêmement faible par rapport à sa valeur réelle.

390
Figure 9-3. Les deux dimensions de l'attribution des projets d'aménagement-
promotion.

PLANIFICATION ECONOMIQUE

critères: croissance économique et croissance démographique

Schéma directeur Programmes municipaux sectoriels

Localisation des projets en fonction de Ex : programme du logement:


leur secteur (logement, industrie. Objectifs: ml de plancher nécessaires
services, loisirs ... ) en 2010 et 2020

Sélection puis
approbation des projets
par la municipalité

k-- ..---:

i
Soumission à la municipalité des projets pour lesquels les négociations ont abouties

-------- _.._-_.---- ..._ ...--_.."'.- -_._.........."---


'" -- _. __._-_.-.---,
1 Négociations informelles entre les entreprises d'aménagement-promotion, les

~
utOritéS locales (district, quartier et commune ) et les détenteurs des DUS du sols
(résidents. cultivateurs, entrepnses polluantes devant se déplacer dans les zones 1

Industnelles .. ) ,
,:
r=o~--r=f--~~~~~---r---1j

La dimension verticale correspond à la procédure hiérarchique de sélection des projets par l'administration. La dimension
horizontale représente la compétition entre entreprises pour trouver des terrains et faire accepter les projets par les pouvoirs
publics.

391
Beaucoup d'opérations se montent sur d'anciens terrains de culture sur les franges rurales de
la ville. Le promoteur entre en relation avec les coopératives agricoles qui détiennent les DUS
lorsqu'elles cessent leurs activités. Ces négociations peuvent être menées d'autant plus
rapidement qu'elles se déroulent entre deux organismes municipaux. Par exemple, l'opération
Hào Nam a été réalisée par la compagnie immobilière du district D6ng Da (Công ty kinh
doanh nhà qu(m Dôflg Da) sur un terrain détenu antérieurement par la coopérative agricole
du même district (illustration 9-1). Dans ce cas, il est évident que les tractations ont été
facilitées. Les arrangements se sont sans doute aussi fait au détriment des employés de la
coopérative.

Le programme municipal de déplacement des entreprises ayant des activités polluantes vers
des zones industrielles périphériques constitue une autre source de terrains pour les
promoteurs. La réalisation du plan a commencé en 1999. 13 entreprises devaient déménager
durant l'année 2000. Les terrains qu'elles occupent étant souvent situés dans les quartiers
péricentraux de la capitale, ils sont particulièrement attractifs pour les promoteurs. Lorsqu'une
entreprise déménage, une procédure administrative de modification de l'usage du terrain
(d'industriel à résidentiel ou public) doit être conduite. Elle aboutit à l'attribution des DUS à
un autre organisme chargé d'y réaliser un projet d'investissement. La municipalité sélectionne
les projets qu'elle estime les plus adaptés et transfère les DUS au prix officiel des terrains. 44
Les promoteurs intéressés par la reprise des terrains interviennent en amont de cette procédure
pour négocier directement avec l'entreprise le transfert des DUS (voir encart 9.2). Les
autorités étant d'une manière ou d'une autre «intéressées» au transfert, la procédure
administrative de sélection est ensuite une pure formalité. Selon la procédure officielle,
l'entreprise doit être alors être indemnisée par le promoteur. L'indemnisation ne porte pas sur
le terrain (dont elle est locataire) mais sur les actifs du site (bâtiments) et le coût de
l'interruption de la production (indemnités de chômage temporaire par exemple). Afin d'aider
et aussi d'inciter les entreprises à déménager, la municipalité leur accorde également des
conditions de location très favorables dans les zones industrielles. Toutefois, ceci est loin de
compenser la perte subie sur la valeur réelle (ici, la valeur cachée) du terrain puisque
l'entreprise abandonne un terrain valant cher, car bien situé, pour un terrain bon marché dans

44 Toutefois, dans le cas de terrains d'une valeur particulièrement élevée, les DUS peuvent être concédés après
adjudication. Nous n'avons eu cormaissance que d'un seul cas d'adjudication à Hanoi, lors de l'attribution des
terrains près du lac Tây pour la construction d'un parc aquatique en 1999. Les conditions troubles dans
lesquelles s'est déroulée la procédure ont abouti à la démission d'un vice-premier ministre.

392
Illustration 9-1. Le quartier Hào Nam.

Bien que d'usage agricole, ce terrain est situé dans un quartier résidentiel proche du centre ville. Il constitue une opportunité
foncière exceptionnelle pour le promoteur. Ayant acquis les droits sur une partie de ce terrain en 1994, il aménagea une
cinquantaine de lots. En 1999, il vendait les derniers lots au prix de 350 $/m'. Photos L.P.

393
plus sensibles que cela se traduit par du « cash» échappant à la comptabilité officielle. Pour le
promoteur, ces liquidités ne sont qu'une partie du prix à payer pour obtenir le terrain. Il les
inscrit dans la colonne dépenses de son bilan à côté des indemnités. Son travail consiste
ensuite à réaliser un programme compensant ces dépenses.

2.3. La recherche du moindre coût.

Une fois trouvées les sources de financement et obtenu le terrain, les promoteurs élaborent un
plan d'aménagement et un programme répartissant les différents types de produits. Ils doivent
être adaptés à la nature du terrain, et notamment à sa localisation, et à la demande qui
s'exprime si possible sous forme de préfinancement. L'opération doit également contenir des
terrains destinés aux commerces et des terrains à vocation non commerciale comme les
espaces verts et les équipements publics. Le plan d'aménagement s'adapte ainsi au type
d'opération que souhaite réaliser le promoteur sur son terrain. Un terrain situé près du centre
ou dans un secteur particulièrement favorable donnera lieu à un opération orientée vers le
logement haut de gamme avec un niveau d'infrastructures et d'équipements élevé. A
l'inverse, une opération visant les catégories moyennes de la population contiendra des
produits meilleur marché desservis par un réseau d'infrastructures minimum.

Dans une économie où la promotion immobilière est développée, il existe une multitude de
types d'opérations en fonction de la part de financement aidé de l'Etat, de la clientèle visée ou
de la localisation. Ce qui frappe lorsque l'on étudie les opérations réalisées à Hanoi, c'est leur
concentration dans un seul et unique segment du marché: l'aménagement de lots à bâtir de
maisons individuelles desservies par un réseau d'infrastructure et d'équipement réduit au
strict minimum.

En consultant la liste de toutes les opérations programmées ou réalisées par les entreprises du
service municipal de la construction en 1999, on constate que cinq opérations sur un total de
24 comprennent des immeubles collectifs et une seule est entièrement constituée d'immeubles
collectifs. Le choix du logement individuel au détriment du collectif s'explique assez
facilement. Les promoteurs estiment généralement que la seule demande qui pourrait exister
pour le logement collectif émane de populations au niveau de revenus trop bas pour les

394
intéresser. Il existe cependant quelques signes d'une demande potentielle pour des
45
appartements luxueux dans des immeubles collectifs.

En général, les promoteurs choisissent de commercialiser des lots plutôt que de construire les
bâtiments. Il existe plusieurs raisons à ce choix. Tout d'abord, les futurs acquéreurs préfèrent
faire construire eux-mêmes leur maison. Outre une plus grande liberté dans la conception du
bâtiment, ils y trouvent un intérêt financier. Le recours à de petites équipes de construction
privées leur revient moins cher que de passer contrat avec les promoteurs qui sont souvent
eux-mêmes des entreprises de construction d'Etat. Ensuite, il faut souligner la possibilité de
construire le bâtiment en plusieurs étapes. La structure constructive simple et le toit plat
pennettent en effet d'ajouter facilement des étages au fur et à mesure que les finances des
ménages le pennettent. La construction par étape constitue en quelque sorte une alternative en
l'absence de système de crédit bancaire sur le long tenne. En outre, un des inconvénients
majeurs de la construction pour les particuliers, l'obtention du pennis de construire, a été
levée en 1999. Désonnais, un particulier achetant un terrain à un promoteur dont le
lotissement a été approuvé par le Bureau de l'architecte en chef n'a plus besoin de pennis de
construire. Il doit seulement se confonner aux nonnes de construction imposées par le
promoteur (celles-ci restent assez générales pour pennettre une construction individualisée).

Toutefois, dans certains cas, les promoteurs choisissent de construire le gros-œuvre. Il s'agit
d'opérations particulièrement bien situées dont ils savent à l'avance qu'il les vendront très
facilement. Dans ce cas-là, la construction leur pennet de dégager des profits supplémentaires
sur le prix de vente du bâtiment. La construction du gros-œuvre dans les opération B5 à Giap
Bat, 20 Tnrcmg D!nh ou Hoa Nam relève de ce calcul. Lorsque les opérations sont situées le
long de grands boulevards, c'est souvent la municipalité qui exige la construction du gros-
œuvre pour des raisons d'esthétique urbaine.

45 " existe un début de production d'immeubles collectifs afin de répondre à des besoins bien particuliers. Nous
l'analyserons dans la section suivante consacrée aux grandes opérations. dans lesquelles le logement collectif est
appelé à jouer un rôle crucial.

395
Illustration 9-2. Le projet B5 à Giap Bat

Cette opération consiste en l'aménagement et la construction de 28 maisons individuelles en bande dans le secteur sud du
nouveau quartier de Giap Bat (la construction du secteur nord selon le mode du partenariat a été étudié dans le chapitre 8). Le
projet a été réalisé par la compagnie HUD et achevé en avril 1998. HUD a décidé de construire le gros œuvre et de laisser les
acquéreurs effectuer les travaux de second œuvre et de finition. Le programme distingue 5 types de logements pour une
surface totale de plancher de 5600 m 2 . Le plan de financement de l'opération repose en grande partie sur le préfinancement.
Les fonds propres de HUD et les crédits d'Etat sont peu élevés.

La réalisation de l'opération s'est déroulée en deux ans d'avril 1996 à avril 1998. Il a fallu une année pour négocier la libération
des terrains avec les occupants. Ce long délai s'explique par le fait que des familles habitaient des maisons sur des terrains
gagnés sur l'étang et vivaient de la pisciculture. Les premiers travaux de terrassement ont pu commencer en septembre 1997.
Sur les 28 maisons de l'opération, HUD n'en a construit que 10. Le reste a été bâti par l'entreprise de construction Hanoi
Construction Corporation (HCC). En avril 1998, les travaux de gros-oeuvre étaient terminés et les nouveaux propriétaires
achevaient de construire leur maison. L'opération s'est révélée être un succès. Avant même que les travaux ne commencent,
HUD avait vendu l'ensemble des logements. Cela lui a permis de respecter sont plan de financement et de ne pas recourir à
l'emprunt. Afin de s'assurer de la prévente des bâtiments, HUD a consenti des conditions très avantageuse aux acquéreurs.
L'opération fut mise en vente au prix de 2,2 millions de dOngs le m 2 de plancher, soit environ 170 $/m 2 .

Les bâtiments sont situés en bordure du plan d'eau aménagé également par HUD. Le fait qu'une seule rangée de bâtiments
soit construite entre deux voies permet de disposer de deux façades sur rue et d'améliorer l'éclairage naturel. Au moment de la
mise en vente, l'unité de l'opération est manifeste. Tous les niveaux sont alignés. Le quatrième niveau n'est que partiellement
couvert afin de ménager une terrasse donnant sur le plan d'eau. Six mois plus tard, on constatait la disparition de cette unité
sous l'effet des travaux de second œuvre et de finition de chaque propriétaire. Ces demiers n'ont pas tenu compte des
prescriptions du contrat de vente qui interdisait de faire des travaux augmentant la superficie habitable ou modifiant nettement
le style du bâtiment. La plupart des nouveaux propriétaires ont couvert la terrasse pour obtenir un troisième étage. Photo L.P.

396
Illustration 9-3. Le projet 20 Tnidng Dinh.

l'
-
15m

source: HUD

Après le succès de l'opération 85, HUD a pu réaliser en 1999 un second projet résidentiel sur les anciens terrains d'une
fabrique de verres industriels en retrait de la rue TnJdng 8!nh. Situé dans un quartier résidentiel très actif, ce projet possède le
grand avantage d'être situé le long d'une future grande route rectifiant et élargissant le tracé de la rue TnJdng 8jnh actuelle.
HUD a d'ailleurs financé les travaux de la portion de route située sur son périmètre opérationnel. La municipalité a exigé que le
promoteur réalise le gros-œuvre des bâtiments afin d'éviter les ruptures dans l'alignement des façades. En raison de la bonne
localisation, le promoteur a visé la clientèle aisée en construisant des maisons plus vastes que d'ordinaire. Il a mis les DUS en
vente au prix de 270$/m 2 et les bâtiments au prix de 60 $/m 2 de plancher. L'opération s'est vendue extrêmement rapidement.
Photo l.P.

397
Le choix du « tout maison individuelle» est un puissant facteur d'uniformisation des
opérations. Elles sont toutes dessinées sur le même schéma très simple de voies étroites
desservant des îlots constitués de rangées homogènes de lots à bâtir. Le gabarit des voies est
très inférieur aux standards internationaux. Ces plans d'aménagement maximisent la surface
de terrain bâti au détriment de la voirie et des espaces verts. Cela permet d'augmenter les
recettes de la vente des terrains tout en réduisant les coûteuses dépenses d'infrastructures.
Dans le quartier Nam Thành Công, par exemple, les plans d'origine prévoyaient des voies
larges mais l'entreprise responsable du projet les révisa promptement face à la forte demande
de lots (voir encart 9-2). Finalement, la voirie ne représente plus que 12% de la superficie du
quartier, ce qui en fait encore un des quartiers les mieux équipés de la ville. La plupart des
promoteurs estiment sans doute que des voies principales de 3 ou 4 mètres de large et des
voies secondaires de 1,5 ou 2 mètres suffisent à donner à leur opération une valeur bien
supérieure à celle de la production individuelle dans les anciens villages. Les terrains réservés
aux espaces verts sont très rares ou inexistants. Le fait que l'aménagement des lotissements
soit confié à des entreprises professionnelles ne garantie pas nécessairement la bonne qualité
des travaux. Il nous a été rapporté par plusieurs sources que dans le vaste quartier Hoàng Cau,
dont l'aménagement avait été réparti entre plusieurs entreprises de construction, les travaux de
comblement d'un lac avaient été mal effectués et que la construction de bâtiments massifs
entraînait des affaissement du terrain.

Dans les petites opérations, les équipements publics ne sont pas nécessaires. En revanche,
lorsque le projet atteint quelques milliers d'habitants, la construction d'écoles et de bureaux
de l'administration de quartier est imposée par le bureau de l'architecte en chef. Le promoteur
aménage les terrains et les transfère gratuitement à l'Etat. En contrepartie, la municipalité ne
prélève pas le paiement des DUS sur ces terrains. Ces équipements étant imposés par les
pouvoirs publics, les promoteurs sont contraints de les insérer dans leur projet mais ils se
contentent du strict minimum. En ce qui concerne les commerces de proximité, il sont laissés
à l'initiative des particuliers qui ouvrent un commerce au rez-de-chaussée de leur logement.
Dans les grands quartiers, un marché où un magasin d'Etat sont parfois construits.

En réduisant ainsi les coûts d'équipement et en profitant d'un accès au foncier bien moins
cher que le prix du marché, les promoteurs réussissent sans difficultés à mettre leurs
opérations sur le marché à un prix très compétitif. Officiellement, ils sont libres de fixer les

398
« prix de vente de terrains» (il faut entendre prix de transfert des DUS) ainsi que de choisir
les acheteurs. Cette orientation vers le marché s'est effectuée progressivement comme le
montre l'exemple du quartier Nam Thành Công (voir encart 9-2). Toutefois, même lorsque la
vente est dite « libre », nous pensons que les promoteurs subissent des pressions des pouvoirs
publics pour fixer un prix nettement inférieur à celui du marché (voir tableau 9-2) . Durant les
années de fièvre foncière, l'objectif officiel était de « tirer» les prix du marché noir à la
baisse. D'une manière générale, les pouvoirs publics vietnamiens tiennent toujours à
46
maintenir les prix sous leur contrôle.

Tableau 9-2. Comparaison des prix de vente des terrains aménagés par les
promoteurs et des prix des terrains sur le marché noir.

Projet Année de Prix de vente Prix du marché noir


commercialisation (m 2 de terrain) estimé (m 2 de terrain)
Nam Thành Cônq 1994-96 250 $ (prix 1996) 600 $
Giap Bat (B5) 1998 170 $/m 2 de plancher 350 $ (terrain seul)
(terrain+qros œuvre)
Hào Nam 1999 350 $ 500 $
20 TnJong Dinh 1999 270 $ (terrain seul) 350 $
On remarque un rapprochement des pnx avec le temps. CecI est dû en partie à l'augmentation du
coût des indemnisations payées par les promoteurs (la libération des terrains à Nam
Thành Công et Giap Bat a été réalisée avant l'augmentation des indemnisations en 1997). Mais c'est
surtout la baisse des prix sur le marché noir depuis 1996 qui explique ce rapprochement.

Sans qu'il soit possible de savoir s'il s'agit du but recherché, les opportunités qu'engendre la
commercialisation inférieure au prix du marché profitent souvent directement aux personnes
qui ont une influence plus ou moins directe sur la fixation des prix. Ainsi, lors de la mise en
vente d'une des première opérations, le secteur B5 à Giap Bat, des hauts responsables de
l'administration, dont l'accord était nécessaire pour réaliser le projet, ont pu "réserver" des
maisons avant que la mise en vente officielle ne débute. Les maisons dont l'orientation était
particulièrement favorable au regard de la géomancie furent très prisées. Six mois après la
mise en vente des bâtiments, on pouvait aisément reconnaître ceux qui avaient été acquis par
privilège car ils étaient les seuls à n'être pas occupés, leurs acquéreurs cherchant à les
. du march'e. 47
reven dre au prIX

46 En Chine, les prix de transfert des DUS sont également soumis à une négociation entre entreprises de
promotion et municipalités.
47 Dans ce cas précis, les contrats de vente précisaient qu'il était interdit de revendre les bâtiments avant d'avoir

achever les construction. Le promoteur a constaté les infractions mais il n'avait évidemment aucun intérêt à s'y
opposer.

399
Encart 9-2. Une forme transitoire entre logement politique et marché: le quartier Nam
Thành Công.

Ce quartier est un exemple unique à Hanoi de l'expérimentation du commerce d'infrastructures dès


1992. Pour comprendre cette spécificité, il faut retracer l'histoire de sa programmation. Ce quartier
devait être une extension vers le sud du quartier d'habitat collectif Thành Công construit au milieu des
années 1980 (Nam Thành Công signifiant Thành Công Sud). L'objectif du projet était de construire
des logements pour les employés des services et des entreprises municipales. Le service de la
construction de Hanoi en était le maître d'ouvrage. Les plans d'origine prévoyaient la construction
d'immeubles collectifs de 4 ou 5 niveaux, d'une école et d'un lycée.

Le projet était particulièrement attractif pour un promoteur puisqu'il s'étendait sur 6 hectares le long
d'un grand boulevard à l'intérieur de la ville. Il disposait ainsi d'un réseau existant de communications,
d'équipements publics et de services. Le projet fut confié en 1988 à l'Urban Infrastructure Investment
and Development Company (Công ty oau
tll và pMt trién héil fang dô thI) du service municipal de la
construction. La coopérative de pisciculture qui occupait le site fut indemnisée pour se reconvertir. A
l'époque, la compagnie de construction put acquérir les 6 hectares pour un coût très bas car la
législation en vigueur fixait des indemnités extrêmement faibles. Elle construisit trois immeubles
d'habitat collectif jusqu'en 1991. Leur construction fut entièrement subventionnée par la municipalité.
Ils furent ensuite attribués à des entreprises ou services municipaux pour qu'ils y logent leurs
employés.

Entre-temps, l'arrêt des subventions d'Etat intervenu en 1989 ne permettait plus à l'entreprise de
continuer à construire suivant le plan initial. Elle modifia entièrement l'économie du projet afin d'en
faire un quartier de maisons individuelles. Le plan d'aménagement fut remanié afin de permettre de
réaliser un nombre maximal de lots à bâtir. " fut approuvé en 1992 par le ministère de la construction.
Afin de contenir le plus de lots possible, la voirie fut réduite à 3,5 m de large pour ne constituer que
12% de la superficie totale et deux petites places ont été aménagées.

Illustration 9-4. Le plan de lotissement du quartier Nam Thành Công.

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document. LP.

Nous avons choisi l'un des deux secteur disposant d'un petit espace vert (au centre). Tout autour, des ensembles de lots de 4
mètres sur 12 ont été assemblés. Ils sont desservis par des voies de 3,5 métres mais le secteur est lui·même relié aux autres
secteurs du quartier par des voies plus larges ( 9 mètres de large).

400
L'originalité de ce quartier tient dans son mode de commercialisation. Destiné à l'origine aux cadres
de l'administration municipale, il se devait de remplir sa vocation « politique» en leur accordant des
terrains à bas prix. Pour ces personnes, et pour elles seules, la formule du partenariat fut adoptée. La
seule différence avec les autres quartiers réalisés sous forme de partenariat tenait dans le fait qu'une
48
entreprise de construction se chargeait de réaliser les travaux d'infrastructure. Elle reporta le coüt
des travaux sur le prix de l'attribution des lots mais le coüt total pour les employés municipaux resta
extrêmement bas (45 $/m 2 en 1992 et 75$ 1m 2 en 1996 alors que des terrains similaires
s'échangeaient 400 ou 500 $/m 2 au marché noir durant cette période). L'entreprise pouvait se
permettre de commercialiser les terrains à bas prix car elle les avait quasiment obtenus au prix de la
terre agricole.

Point particulièrement intéressant dans cette opération: l'entreprise ne se contenta pas d'un rôle
d'intermédiaire entre les organismes employeurs et les salariés mais elle obtint de pouvoir
commercialiser une partie des lots en dehors de la procédure de l'attribution sur critères socio-
politiques. Aux dires des responsables de l'entreprise, n'importe quel particulier put se faire attribuer
un lot dans le quartier pour un prix allant de 120 US$ sur une petite voie à 250 US$ (prix 1996) sur le
grand axe Thaï Hà. Ces prix restaient nettement inférieurs - d'un tiers environ - à ceux du marché noir.

La formule du « commerce d'infrastructure» était ainsi inaugurée à Hanoi. Elle restait toutefois encore
marquée par ses origines. Officiellement, seules les capacités financières entraient en ligne de
compte dans le choix des acheteurs. En fait, les conditions de vente étaient si favorables à un moment
où aucun quartier de ce type n'existait que la plupart des terrains furent largement « confisqués» par
la nomenklatura locale.

Un troisième mode de commercialisation fut expérimenté: l'entreprise construisit le gros œuvre


(fondations, murs, toiture et escaliers) pour les acheteurs. Cette formule fut peu utilisée car elle ne
permettait pas aux acquéreurs de construire progressivement leur maison selon l'état de leurs
finances. L'entreprise construisit également quelques immeubles collectifs le long de la rue Thai Hà.

Tableau 9-3. Les trois modes de commercialisation des terrains du quartier Nam
Thành Công.

Modes de commercialisation Prix de vente* Répartition


des ventes**
Transfert des terrains selon la Selon la localisation: 75 $/m 2 , 90 $/m 2 , 50%
procédure du partenariat 110 $/m 2 , 130 $/m 2 .

Transfert des terrains équipés Sur route extérieure: 250 $/m 2 20%
selon un prix négocié avec la Sur grande voie intérieure: 150 $/m 2
municipalité Sur petite voie intérieure: 120 $/m 2
2
Vente des bâtiments en gros 100 $/m de plancher. Prix moyen. 30%
œuvre
..
*Les différents pnx ont ete obtenu par entretien avec un responsable de l'entrepnse et des résidents. Il
ne s'agit pas du barème intégral et exact des prix (prix 1996).**La répartition entre les trois modes de
commercialisation est un ordre de grandeur fourni par un responsable de l'entreprise.

En 1999, dix ans après les premiers coups de pioche, le quartier Nam Thành Công abrite environ
10.000 habitants. La bonne localisation, la qualité des infrastructures et les conditions de vente très
favorables ont assuré le succès du quartier. L'expérimentation à laquelle il a donnée lieu en matière
de commercialisation s'est avérée être un succès et posait les bases de l'activité de promotion. Seule
peut-être, sa réputation parmi la population d'être le lieu de résidence d'une certaine élite politique et
économique rappelle que sa commercialisation ne se fit pas vraiment sur un marché composé de
vendeurs et acheteurs libres.

48 Nous avons vu que l'absence de ces infrastructure était le point faible de la formule du partenariat (chapitre 8).

401
Illustration 9-5. Vues du quartier Nam Thành Công.

/
/
/
1
/
1

Comparé à d'autres quartiers aménagés ultérieurement, l'aménagement du lotissement Nam Thành Công est de très bonne
qualité (haut). Le long de la grande route Thai Hà, l'entreprise construisit son propre siège ainsi que des immeubles collectifs
avec des rez-de-chaussée destinés au commerce (bas). Les pas de porte sont occupés par de petits commerce ainsi que par la
rédaction du journal municipal depuis janvier 1999. En revanche, deux ans après leur achèvement, Jes appartements sont
toujours vides. La médiocre qualité des constructions et l'absence de structure de gestion (gardiennage, entretien) sont
particulièrement dissuasifs malgré la bonne localisation. Cet échec contraste avec le succès de la commercialisation des lots
individuels. Il met en lumière l'inexpérience des entreprises de construction dans la promotion immobilière d'immeubles
collectifs. Photos L.P.

402
L'activité de promotion immobilière est émergente au Viêt-nam. Les entreprises qui la
pratiquent sont des entreprises d'Etat anciennement spécialisées dans la construction
d'infrastructures urbaines ou d'immeubles de logement. La plupart conduisent leurs
opérations de manière encore très rudimentaire. Leur principal objectif est d'obtenir des
terrains à un prix très bas par l'entremise des pouvoirs publics et à les transférer aux
particuliers après un investissement minimum dans l'aménagement. Des opérations plus
sophistiquées impliquant la construction des bâtiments et l'aménagement d'espaces verts ou
de loisirs sont encore très exceptionnelles. Les promoteurs réussissent toutefois à vendre
aisément leurs produits grâce à des prix de vente très inférieurs au prix du marché noir des
terrains. La puissance publique leur apporte une aide considérable en maintenant des prix
d'indemnisation des terrains agricoles ou des friches industrielles sans rapport avec leur
valeur marchande. En ce sens, il apparaît clairement que les entreprises s'enrichissent au
détriment des paysans vivant encore à l'intérieur de la zone d'expansion urbaine ou sur ses
franges. L'Etat et la municipalité les favorisent car l'augmentation rapide du parc de
logements, dans une capitale où les conditions de logements restent très mauvaises, constitue
un objectif prioritaire. Toutefois, les besoins en la matière sont beaucoup trop élevés pour que
les petites opérations suffisent à les satisfaire. C'est la raison pour laquelle les pouvoirs
publics ont opéré un changement d'échelle en mettant en place un programme
d'aménagement de grands quartiers résidentiels.

3. Les vicissitudes de l'aménagement des quartiers résidentiels.

Entre 1990 et 1992, la municipalité de Hanoi et le ministère de la construction élaborèrent un


nouveau schéma directeur pour la capitale à l'horizon 2010. 49 Le document définitif
prévoyait une extension de la ville vers l'ouest et vers le sud. La plupart des terrains étaient
destinés à l' habitat. Ils étaient desservis par une boulevard de ceinture (appelé boulevard
circulaire nO 3). Ce boulevard reliait également les principales zones industrielles entre elles
mais, pour la plupart, ces dernières existaient déjà, le schéma se contentant de les étendre.

49 Sur le cadre institutionnel de la planification urbaine à Hanoi, voir chapitre 4.

403
Carte 9-1. Le schéma directeur de 1992

centre ville

terrains résidentiels existants

terrains résidentiels prévus pour 2010

zones industrielles

espaces verts
N
écho approx.
2 km
t
!: ' ......-; ..•.

:~'"

Les nouveaux terrains destinés à l'habitat s'étendent à "ouest et au sud de la ville. Le boulevard de ceinture et trois grandes
voies radiantes (ouest, sud-ouest et sud) en forment l'ossature. Les principales zones industrielles se situent au même niveau,
ce qui, à terme, posera problème. Notons que le nord du fleuve est quasiment délaissé à l'exception de Gia Lâm ( nord-est).

404
Modeste par son échelle et peu prospectif, ce schéma apparaît a posteriori comme un
document de transition. Très inspiré du schéma directeur élaborée au début des années 1980
avec l'aide de l'institut d'urbanisme de Leningrad, il semble avoir été réalisé dans l'urgence.
Son seul véritable intérêt était de localiser les secteurs devant accueillir les nouveaux quartiers
d'habitat afin de permettre des reports de densité depuis le centre ancien vers la périphérie.
Un objectif prioritaire était de dédensifier le centre de la capitale. L'écart de densité
résidentielle entre les quartiers centraux de la ville et la première couronne était très élevé
(carte 9-2). Lors du recensement de 1989, le district Hoàn Kiém était le plus peuplé de Hanoi
avec 36 210 hab/km 2, soit entre 15 et 25 fois supérieur à la densité de districts périurbains
comme Gia lâm (1 483 hab/km2) au nord ou Thanh tri (2 097 hab/km 2) au sud. En 1998,
malgré la création de trois nouveaux districts urbains, l'écart restait considérable (figure 9-4).

Carte 9-2. Densité démographique dans les districts urbains de Hanoi en 1994.

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.. Légende:
habitant par hectare
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\
.1 o moins de 100
\ .'
I!J 101-200
\ l .201-500
.501-700
• plus de 700

[==:J Fleuve et lacs

Î
2km

source: Ministère de la construction.

Les densités sont calculées par phllèJng. Elles montrent une déclivité concentrique depuis les quartiers de la vieille ville vers
l'extérieur. Les directions historiques du développement de la ville, vers le sud-ouest, se retrouvent également. Dans le centre,
un phllèJng présente une densité de moins de 100 habitants/ha. Il s'agit du secteur où sont rassemblées les grandes institutions
de l'Etat (assemblée nationale, ministères ... ) ainsi que Je mausolée Hô Chi Minh et la place Ba Dinh.

405
Figure 9-4. Les densités d'habitat par districts à Hanoi en 1998.

45000
1854
40000

35000

30000
Ë
~ 25000
CIl
.J:J
~ 20000

15000

10000

5000

0
Hoan Dong Hai Ba Ba Thanh Cà Tày Tu Thanh Gia Dong Soc
Kiêm Da Trung Dinh Xuân Giay Hô Liem Tri Lâm Anh Son

Source: Osbert et Garcia Rivas, 2000, p 26.


_ Districts urbains anciens
Nouveaux districts urbains (après 1994)
o Districts ruraux

L'urbanisation d'initiative individuelle à l'œuvre depuis 1988-1989 menaçait de gagner les


terres agricoles péri urbaines et de déstabiliser l'équilibre social des communautés rurales.
Pour parvenir à maîtriser l'urbanisation dans les nouvelles zones résidentielles planifiées par
le schéma directeur, la municipalité décida d'un ambitieux programme d'aménagement de
quartiers résidentiels par les grandes entreprises de construction. Dans un second temps, les
difficultés économiques et l'inexpérience de la réalisation de tels projets allaient conduire à
une réduction drastique des programmes et des investissements.

3.1. Priorité à la déconcentration résidentielle.

Pour réaliser la déconcentration du centre, tout en limitant les débordements dans les zones
rurales, la priorité fut donnée à des quartiers pouvant accueillir un nombre très important
d'habitants. Le nom qui fut donné à ces quartiers, « khu I/hà 6 t~Îp tnl/lg » (quartiers d'habitat
concentré) est significatif des attentes des pouvoirs publics.

406
Le premier principe d'aménagement était de construire des quartiers d'hahitat collectif avec
des immeubles d'au moins cinq niveaux. 50 Le choix de la forte densité résidentielle (rapport
habitants/superficie aménagée) ne devait pas conduire, comme dons les quartiers
autoconstruits à une densité de construction (rapport terrains construits sur superficie
aménagée) trop élevée. Au contraire, le second principe d'aménagement était de créer des
quartiers de logements disposant d'un cadre de vie agréable et moderne. Le niveau
d'infrastructures et celui des espaces. verts devaient correspondre aux critèrcs d'aménagement
internationaux. La voirie, en particulier, devait être entièrement construite, ct non laissée aux
soins des habitants. Les carences des quartiers d'habitat collectif construits dans les années
1960 à 1980 ne devaient pas se reproduire. Des activités commerciales. des équipements
publics et des lieux de loisirs devaient être intégrés dans les projets afin d'en assurer la
convivialité. En revanche, les industries polluantes devaient être implantées à distance des
quartiers d'habitat.

La phase d'élaboration des projets commença en 1993-94. La municipalité mena en parallèle


la conception des plans et des programmes des nouveaux quartiers cl la recherche de
partenaires pour les réaliser. En ce qui concerne la première tâche, l'Institut d'urbanisme
réalisa des études de préfaisabilité à l'échelle 112000 consistant dans lu transposition des
orientations du schéma directeur dans les projets. A partir d'un état des lieux des usages du
sols et des infrastructures existantes, l'institut fixait les normes d'aménagcment du ministère
de la construction. En appliquant ces normes au terrain, il en déduisait un préprogramme de
construction (encart 9-3). Il donnait également des orientations sur la forme hlltie en fixant des
indicateurs de densité de construction, le COS et le nombre moyen d'étagcs. Dans la plupart
des cas, les études de faisabilité ne comportaient pas de prévision détaillée de
l'investissement nécessaire ni de calendrier de réalisation. Un montant towl d'investissement
était toutefois calculé à partir des prix et des normes de la construction données par le
ministère de la construction.

50 En mai 1995, à l'issue d'une réunion avec les services concernés (architecte en chef, service des travaux
publics, du cadastre, de la construction), le président du comité populaire de Hanoi fixai! Ion g,rands principes qui
devaient gouverner à j'élaboration des 6 nouveaux secteurs urbains de la capitale (Trung Y~lI.Trung Hoà-Nhân
Chfnh,Yên Hoà, Djnh Công. c6 Nhué-Xut\n La et Sài D6ng) : communiqué de la réunioll SlIr III planification de
la construction des nouveaux secteurs urbains à Hanoi [Thông hcio cU(JC h9P vé" qI/Y hO(J('Ii\l7y dt:tng ccie khu phô'
mOi tai thành pM' Hà Nqi] , comité populaire de Hanoi, n. 80 TBIUB, 5.06.1995.

407
Encart 9-3. Les pré-programmes d'aménagement des quartiers Sài Dong ( district de
Gia Lâm) et Dinh Công (district Thanh Tri).

Tableau 9-4. Les normes d'aménagement du projet du quartier Sài Dong

Normes d'usage du sol


Superficie moyenne de terrain 22 m'/pers.
Dont superficie de terrain dans les secteurs résidentiels:
LOQement 10.5-13 5 m'/pers.
Ecoles matemelles et primaires 1,9-3,2 m'/pers.
Collèaes et lycées 3-4 m'/pers.
Equipements publics 0,3-0 6 m'/pers.
Espaces verts 1-1,5 m'/pers.
Routes
.. .
(étude de falsablhte au 1/2000 de l'mstltut d'urbantsme, mars 1995).
3,8 m'/pers.

En utilisant les normes ci-dessus, "institut élabora plusieurs options de programme et en choisit une:

Tableau 9-5. Le pré-programme d'aménagement choisi pour le projet du quartier Sài


Dong
Usage des sols Superficie (ha) %
LOQement dont: 9,62 39,3
bâtiments de Qrande hauteur 6,73 70
bâtiments de pelite hauteur 2,89 30
Routes 5 20,4
Industries non polluantes 0,52 2,1
Ecoles maternelles et primaires 0,94 3,8
CollèQe et lycée 1,21 4,9
Equipements publics 2,38 9,7
Espaces verts 1,6 6,5
Infrastructures techniques 3,2 13,1
Superficie totale de terrain dans la zone à aménager 24,47 100

Tableau 9-6. Le pré-programme du quartier Dinh Công.


Usage des sols Superficie %
(ha)
LOQement dont: 15,6 44,6
Bâtiments de grande 9 57,7
hauteur (> 5 étaQes)
Bâtiments de pelite 6,6 42,3
hauteur (3 étaQes)
Routes 10 28,6
Equipements publics 2,2 6,3
Ecoles maternelles et primaires 1,5 4,3
Collège et lycée 1,7 4,9
Bureaux 0,8 2,3
Industries non polluantes 1,2 3,4
Infrastructures techniques et parkings 0,8 2,3
Espaces verts 1,2 3,3
Superficie totale 35 100.0
...
(Etude de falsablhte au 1/2000 de l'Institut d'urbantsme en decembre 1994.)
Dans ces deux projets, la part de terrain réservée aux routes est beaucoup plus élevée que dans les
projets conduits par les promoteurs (20% et 28% contre environ 10%). Avec 40% de l'usage total des
sols, le logement apparaît clairement comme la fonction dominante de ces quartiers. Le choix de
l'habitat collectif transparaît dans le rapport entre bâtiments de grande hauteur et bâtiments de petite
hauteur (70-30 et 60-40) Les équipements publics, et notamment les établissements scolaires
occupent également une place importante.

408
Tableau 9-7. Les cinq grands indicateurs des projets Sài Dong et Dinh Công.
Sài 8ông 8inh Công
Population totale 20400 hab. 16528 hab.
Superficie de IOClement - 297500 m'
Densité de construction Entre 35 et 45 % 38,1
nombre moyen d'étages (y 3,8 niveaux 5 niveaux
compris rez-de-chaussée)
COS Entre 0,62 et 2,25 1,9

Tableau 9-8. Principaux indicateurs d'aménagement des projets élaborés par les
entreprises de construction nationales.

Nom du projet densité de coefficient nombre moyen


construction d'usage du sol d'étages (y
(%) compris rez-de-
chaussée)
Trunq Yên 40 2,0 5
Trung Hoà-Nhân Chfnh 40 2 5
Yên Hoà 40 1,4 3,5
Dinh CônÇJ 38,4 1,9 5
Linh Dàm 40 ? 5
Sài Donq 38-45 0,62,2,25 3,8

Les indicateurs de densité d'occupation du sol faible et d'un COS assez élevé transcrivent le choix
d'un urbanisme moderne composé d'immeubles de plusieurs étages et conservant beaucoup
d'espace non bâti. Notons toutefois que dans le cas du projet Sài Dong, l'étude de faisabilité se
contentait de fixer une fourchette pour ces indicateurs.

Tableau 9-9. Estimation de l'investissement du projet Sài Bang contenu dans l'étude
de faisabilité au 1/2000
Libération des terrains 7,6 millions de $ 18%
(25$/m 2 . 300 000 m2 )
Construction 29,2 millions de $ 70%
Infrastructures 5,4 millions de $ 12%
Total 42,2 millions de $ 100%
..
Cette estimation, dont le calcul n'était détaIllé et Justifié nulle part, ne pouvait donner qu'un ordre idée
des sommes nécessaires et servir aux pouvoirs publics dans leur recherche des investisseurs.

Officiellement, à cette étape de la préparation des projets, le choix de l'investisseur qui les
réaliserait n'était pas fait. Lorsqu'il s'est agi de trouve.t çes structures économiques pouvant
« porter» financièrement les projets, le gouvernement et la municipalité se tournèrent vers
leurs plus grandes compagnies de construction. Ils n'avaient en réalité pas d'autre choix. Il
semble que les pouvoirs publics aient cherché à créer un établissement public d'aménagement
pour la capitale, mais le contexte juridique et économique de l'époque ne le permettait pas.
Les grandes entreprises de construction présentaient au moins l'avantage de disposer d'une
surface fmancière suffisante pour réaliser ces projets d'envergure.

409
Il nous est difficile de connaître avec précision la ·nature des négociations qui se déroulèrent
alors. 51 Il semble que les entreprises de construction ne furent pas très enthousiastes pour
répondre aux demandes de la municipalité. Le poids considérable des investissements et les
perspectives lointaines et peu sûres de profits dans une période où le marché noir et
l'autoconstruction étaient florissants les conduirent à adopter une position en retrait. Au
contraire, le comité populaire essayait de peser de tout son poids pour les persuader de
s'engager dans les projets.

Un cas particulier est constitué par l'entreprise HUD qui n'est pas une entreprise de
construction mais un aménageur-promoteur public. Sa vocation étant de réaliser de tels projets
d'aménagements, elle accepta d'en réaliser deux: Dtnh Công et Linh Dàm. 52 Plus ou moins
forcées d'accepter des projets, les autres entreprises entrèrent en concurrence pour obtenir
ceux d'entre-eux qui étaient les mieux situés. Elles cherchèrent à recevoir les projets situés au
nord de la ville, secteur à fort potentiel de développement sur le long terme. L'aménageur
HUD, pesant bien moins lourd que les grandes entreprises de construction, nous a dit avoir été
évincé de cette lutte et avoir dû se contenter de proposer des projets dans la partie sud de la
ville, nettement moins attirante car facilement inondée et fortement industrialisée. Un cas
particulier est celui de l'investisseur indonésien Ciputra qui négocia dès 1993 la réalisation
d'une « cité nouvelle» sur plus de 300 hectares au nord-ouest de la ville. C'est l'entreprise de
construction Hanoi Investment and Infrastructures du service de la construction qui obtint de
s'associer avec lui. 53 Cette entreprise, spécialisée dans la construction de voirie, est l'une des
plus puissantes et des plus expérimentées sous l'autorité du comité populaire. Elle réussit
facilement à s'imposer dans ce projet. A l'opposé, il est notoire que la très puissante
entreprise générale de construction du ministère de la construction, Vinaconex, ne fut pas
satisfaite du projet qui lui fut dévolu. En effet, le projet Trung Hoà-Nhân Chinh combinait
l'inconvénient d'être situé au sud de la ville avec celui d'un habitat villageois déjà présent qui
compliquait la planification et la libération des terrains. Elle aurait préféré avoir les mains
libres sur un terrain plus éloigné.

51 Nous avons toutefois pu obtenir des infonnations lors d'entretiens avec des responsables d'entreprises
concernées et des représentants de la municipalité.
52 C'est d'ailleurs elle qui proposa au comité populaire le projet de Linh Dàm dès 1992. Il fut ensuite inséré dans
le schéma directeur. Notons toutefois qu'il ne s'agissait pas d'un projet à vocation entièrement résidentielle
comme les autres mais à plusieurs composantes: logement, loisirs et bureaux.
53 Nous analyserons ce projet dans la section sur les projets de la seconde période car, malgré sa préparation
précoce, il relève d'une conception différente de celle des projets de la première génération.

410
Illustration 9-6. Le projet Dinh Công.

types de logements

1 1 logements de 3 niveaux

_ logements de 5 niveaux

_ _ _ logements de 9 niveaux et plus

industries
écho approx. N
l00m
T

jardin public
~:....._.,.,...---"~~--"'7 centre scolaire

cenlre de ccmmerces

~t-"""';-014- industries

bureaux, administration
hôtel

Source: institut d'urbanisme de Hanoi, mai 1996.

Ce plan était inclus dans l'étude de faisabilité en 1996. En ce qui concerne le logement, une division entre immeubles de
logements de grande hauteur, de moyenne hauteur et maisons individuelles est effectuée. Les proportions des immeubles de 5
niveaux et de 3 niveaux étaient équivalentes. Les grands immeubles de logements étaient déjà situés le long du boulevard sud
et les secteurs de lotissements plus en retrait. Le logement occupait près de la moitié de la superficie. La voirie et les
équipements publics couvraient respectivement 34% et 12% des terrains. Le choix d'une densité de construction faible (37,6%)
était lisible dans les nombreux espaces verts séparant les ensembles de bâtiments dans chaque zone et dans la réalisation
d'un vaste jardin public.

41 J
De même, le projet Trung Yên, voisin du précédent, fut imposé à son aménageur. Finalement,
en 1996, sept grands projets étaient élaborés et distribués à quatre entreprises municipales et
trois entreprises du ministère de la construction. La taille moyenne des projets est de 32
hectares et leur coût moyen est de 18 millions de dollars (voir tableau 9-10). Aucune structure
collective d'aménagement qui aurait permis aux entreprises de mettre en commun leur
capitaux n'ayant été mise sur pied, elles allaient partir à la recherche de financement en ordre
dispersé.

Tableau 9-10. Les principaux projets d'aménagement adoptés entre 1993 et 1996.

nom du projet Entreprise aménageur Superficie Population Montant


totale d'investissement
(hectares)* (millions de $)**
1 Trung Yên Urban infrastructure 37 17500 21,6
development Co.
(municipalité)
2 Trung Hoà-Nhân Vinaconex (ministère 29 20400 ?
Chinh de la construction)
3 Yên Hoà Civil construction Co. 39 9000 15,38
(municipalité)
4 Dinh Công HUD (ministère de la 35 16500 22
construction)
5 Linh Dàm HliD (ministère de la 36 19000 19,23
construction)
6 D~i Kim- Dinh Hanoi Housing 24,5 ? 13,57
Công development and
investment corporation
(municipalité)
7 Sài Dong Construction Co. n03 24 20400 19,28
(municipalité)
"
* Nous ne tenons pas compte des terrains déJa urbanisés ni des surfaces aquatIques qUi sont Insérés
dans le périmètre des projets.
** Il s'agit de l'investissement que doit réaliser l'entreprise pour libérer les terrains et construire les
infrastructures. Les coûts de construction des. bâtiments sont exclus car ils ne seront pas totalement
pris en charge par l'aménageur, ce dernier faisant appel à des « investisseurs secondaires ».

412
Carte 9-3. Localisation des projets de grands quartiers résidentiels.

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'-.\
\\,-------y
"
\ (
- - - vole urbaine

- - route nationale

-+--+- voie ferrée

_ districts urbains de Hanoi

o projets résldenUels

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Périurl>aniSlllion dans la I1I'OVln~ Q!! HaI1Qi--
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i
._~~. __

UMR Regards CNRS-IRD e\ VTGEO.Hanol

1. Yên Hoà ; 2. Trung Yên ; 3. Trung Hoà-Nhân Chinh ; 4. D!nh Công ; 5. L1nh Dàm ; 6. Sàl Dong.

La plupart des projets sont situés entre le second et le troisième boulevard périphérique (ce dernier étant inachevè), Ils
s'inscrivent dans la continuité du bâti et suivent sa direction historique vers le sud-ouest. Au nord du fleuve, un seul projet est
prévu en accompagnement du développement de la zone industrielle de Gia Lam.

413
3.2. Mirage des financements étrangers et recours aux « forces internes ».

Le principe adopté par le gouvernement pour la réalisation des projets est que chaque
entreprise maître d'œuvre est responsable du financement de l'intégralité des travaux dans le
54
périmètre du projet. Le gouvernement limite l'apport du budget d'Etat au financement des
seuls travaux d'infrastructures, extérieurs aux projets, et notamment aux grandes voies de
communications.

Dès le milieu des années 1990, l'envergure des projets, entre 15 et 20 millions de dollars pour
l'aménagement, conduisit les aménageurs à chercher des partenaires financiers. En outre, les
aménageurs n'avaient pas l'intention de construire seuls tous les immeubles prévus dans leurs
projets. Ils devaient trouver les futurs promoteurs auxquels ils sous-loueraient ou
transféreraient les DUS. Afin de faire entrer ces promoteurs dans le projet dès le début, les
aménageurs cherchèrent à monter des « pools d'investisseurs» qui recevraient des lots à bâtir
en échange de leur participation. 55 Ils espéraient qu'une partie de ces promoteurs seraient
étrangers.

Une autre solution consistait à rechercher un partenaire étranger pour monter une joint-
venture qui deviendrait l'aménageur du projet. Il semble qu'aveuglés par l'arrivée massive
d'investisseurs étrangers dans le pays depuis le début des années 1990, les aménageurs n'aient
pas perçu l'inadéquation de leurs projets avec les critères financiers des investisseurs
étrangers. Ils ont commis une erreur d'appréciation en pensant que des grands programmes de
logements pourraient intéresser ces derniers. Alors que les entreprises proposaient des
quartiers d'habitat collectif au sud de la ville, les promoteurs internationaux cherchaient à
aménager des centres d'activités tertiaires et résidentiels haut de gamme réservés au moins en
partie aux étrangers vers nord de la capitale le long de l'autoroute de l'aéroport. Le fait que
Ciputra ait refusé de s'associer sur un projet existant et ait proposé à la place une ville

54 Le cadre juridico-financier des grands projets est celui du commerce d'infrastructures. L'attributaire du projet
doit financer seulles indemnisations et l'aménagement des terrains. Il doit, ensuite, payer les droits d'usage du
sol à la municipalité. Le paiement des DUS se fait soit sous forme de paiement des DUS pour les terrains de
logement, soit sous forme de loyer pour les terrains à usage commercial et de service. Les terrains destinés aux
infrastructures sont alloués gratuitement par la municipalité. Cette exemption s'étend aussi aux terrains destinés
aux bâtiments et équipements publics (écoles, hôpitaux, bureau de l'administration locale...). Une fois aménagés,
ces terrains sont récupérés gratuitement par les administrations.
55 Ainsi, la Hanoi Construction Corporation, promoteur du projet « village international Thàng Long» a
constitué un société à actions avec les investisseurs institutionnels vietnamiens intéressés au projet. C'est la
première expérience de ce type à Hanoi. Il est toutefois impossible de financer le projet sur le marché des
capitaux puisque la création de celui-ci est régulièrement repoussée par le gouvernement.

414
nouvelle ostensiblement destinée aux résidents étrangers ou aux personnes vietnamiennes très
aisées exprime bien le décalage entre les attentes étrangères et les propositions vietnamiennes.
Quelques investisseurs étrangers vinrent prendre connaissance des projets proposés par les
compagnies vietnamiennes mais refusèrent finalement de s'y associer. Aucune entreprise de
construction ne réussit à s'associer avec un investisseur étranger pour l'aménagement de l'un
des grands quartiers résidentiels en périphérie.

En l'absence de capitaux étrangers, la réalisation de tous les projets était suspendue.


Lorsqu'on les interrogeait, les entreprises disaient être en discussion avec les autorités des
communes rurales concernées par les projets pour élaborer un plan d'indemnisation. Elles
reportaient ainsi la responsabilité du blocage des projets sur les paysans qui demandaient trop.
Il est difficile de déterminer le vrai du faux dans ce discours. Nous avons suivi depuis 1996 la
procédure d'indemnisation du projet Dinh Công et il semble bien, dans ce cas précis, que les
autorités communales aient joué un rôle néfaste dans l'avancement du projet. En 1996,
l'aménageur HUD avait déjà entamé les négociations sur les indemnisations mais il se heurta
à l'inadaptation de la réglementation en vigueur à l'époque. Tout d'abord, cette dernière fixait
un montant d'indemnités très bas. Au début des années 1990, les paysans les acceptèrent. La
montée de leur mécontentement coïncida avec le début des négociations à D!nh Công. Ils
refusèrent les montants officiels, ce qui conduisit HUD à mettre en place un système parallèle
de compensation. Au passage, les autorités communales exigèrent de très importantes
rémunérations informelles. En 1998, les discussions étaient pratiquement achevées lorsque le
décret 22/CP sur les indemnisations entra en vigueur. En augmentant substantiellement le
montant officiel des indemnisations et en interdisant toute compensation parallèle, il venait
remettre en question toutes les négociations précédentes. Dans ce cas précis, les
indemnisations ralentirent véritablement le projet. En comparaison, le projet Linh Dàm put
être commencé dès 1998 alors qu'il fut élaboré par HUD ultérieurement au projet D!nh Công.
Les négociations s'y déroulèrent plus sereinement, sans doute ""aussi parce que le projet était
plus éloigné de la ville.

Les velléités de HUD à conduire ses projets ne furent pas partagées par les entreprises de
construction. Celles-ci suspendirent toute action dans l'attente de financements. Un cas
extrême est celui du projet Trung Hoà-Nhân Chfnh. Devant l'attentisme de son aménageur,
l'entreprise générale de construction Vinaconex, la municipalité lui a retiré une partie des

415
terrains alloués. 56 Environ un quart des terrains ont été récupérés et alloués à une vingtaine
d'organisations gouvernementales pour qu'elles les attribuent à leurs hauts dirigeants. En fait,
il semble que ce soit le gouvernement qui ait fait pression sur Vinaconex pour qu'elle cède
ces terrains, par ailleurs particulièrement bien situés le long d'une nouvelle route. Ceci a
rompu l'économie générale du projet puisqu'à l'origine ces terrains devaient accueillir des
quartiers d'habitat collectif et des équipements publics et qu'ils sont aujourd'hui entièrement
occupés par des maisons individuelles.

En 1999, le gouvernement accentuait sa pression sur les aménageurs. Nous pensons que c'est
la situation économique du pays qui le poussa à agir ainsi. En contre coup de la crise
financière asiatique de 1997, il y eut une baisse sensible de la croissance économique en 1998
(elle passa de 9,3% en 1996 à 8,8% en 1997 et chuta à 5,8% en 1998). Parallèlement, les
banques se trouvèrent dans une situation inédi~e: elles disposaient de très nombreuses
réserves mais ne parvenaient pas à les injecter dans l'économie. Outre le ralentissement de
l'activité dans le pays, il existe une cause spécifique à cette situation. Face aux risques de
faillite de plusieurs banques en 1997, le gouvernement réforma le système bancaire (voir
encart 8-3). Il imposa aux banques de restreindre de façon drastique leurs prêts aux entreprises
publiques. Le refus de ces dernières de rembourser leurs emprunts était en effet à l'origine de
nombreuses faillites bancaire. Alors que la situation économique exigeait de relancer
l'économie par tous les moyens, les banques se voyaient dans l'impossibilité d'injecter des
capitaux dans l'économie par la voie traditionnelle. En exigeant des entreprises de
construction qu'elles réalisent leurs grands projets, le gouvernement voyait une solution
alternative pour relancer l'économie via le bâtiment. L'importante publicité faite autour de
tous les projets de la capitale dans la presse nationale depuis 1999 constitua à ce titre un effet
d'annonce du gouvernement en direction de la population. 57 En effet, l'Etat ne disposait pas
des moyens de construire seul ces projets. En annonçant périodiquement l'aménagement
prochain des quartiers résidentiels de Hanoi, il tentait avant tout de mobiliser l'épargne des
ménages qui dormait dans les banques. C'est le grand changement dans le plan de réalisation
des projets: l'espoir de financements étrangers était définitivement abandonné et il fallait
désormais faire appel aux forces internes (n9i /1/(.'), c'est-à-dire, une fois de plus, aux
ressources des particuliers.

56Les contrats d'allocation des DUS prévoient en effet que, passé un délai de 12 mois, le comité populaire peut
récupérer les DUS aux investisseurs qui ne mettent pas en œuvre leur projet.

416
Cette réorientation vers la construction individuelle des projets était en fait vivement
demandée par les aménageurs. Ils voulaient réduire leurs investissements et profiter de la
demande forte de terrains bien aménagés. Pour le gouvernement qui céda finalement, cette
modification était la reconnaissance implicite d'un échec: le système fmancier et bancaire
vietnamien n'est pas encore suffisamment développé pour porter seul des investissements
aussi massifs que ceux exigés pour le développement urbain. En faisant appel au financement
direct par la population, l'Etat réduisait en effet considérablement ses ambitions urbanistiques.
Il autorisait les aménageurs à commercialiser les terrains non bâtis en laissant le soin de la
construction aux particuliers. C'était le prix à payer pour essayer de relancer l'économie du
bâtiment dans la capitale.

On peut imaginer que la perspective de quartiers dominés par des immeubles d'habitat
collectif doive laisser la place à la construction de maisons individuelles selon le modèle des
petits quartiers résidentiels aménagés par les entreprises de promotion immobilière. Ce n'est
qu'en partie vrai car le gouvernement n'abandonna pas totalement ses prétentions et posa des
garde-fous lorsqu'il autorisa la révision de tous les plans d'aménagements des projets
résidentiels de la capitale en 1999. Il posa comme condition aux modifications des projets
qu'elles ne touchent pas aux grands principes d'aménagement fixés dans les études de
faisabilité au 112000 et approuvés par le premier ministre. Concrètement, ceci signifie que les
limites des projets, leur superficie, la répartition des usages du sol, les grands travaux
d'infrastructure et la population totale ne pouvaient être modifiés.

Les révisions portèrent donc essentiellement sur la structure du bâti. Dans le quartier D!nh
Công, les immeubles collectifs de petite hauteur qui devaient être construits par des
promoteurs ont été remplacés par des alignements de lots de maisons ·individuelles. Il est
important de noter que les tours d'appartements collectifs de dix étages destinées au logement
"'-
des catégories sociales à bas revenus n'ont pas été touchées par les modifications. Le
gouvernement imposa de conserver le volet social du projet. Toutefois, sur l'ensemble du
projet, le rapport habitat individuellhabitat collectif s'est inversé au détriment du second.
D'un point de vue général, l'architecture générale du projet est inchangée. Les routes
principales sont conservées ainsi que les équipements publics. En revanche, lorsque l'on

57 L'inauguration du premier projet, la phase 1 du projet Linh Dàm (projet moins orienté vers l'habitat collectif
que les autres, il put débuter avant les autres) en 1998, donna lieu à une importante campagne de presse en
faveur des nouveaux quartiers résidentiels de la capitale.

417
rentre dans le détail de l'aménagement de chaque bloc du projet, on s'aperçoit qu'ils ont été
traités chacun comme une petite opération de promotion. On retrouve partout le même
alignement des lots desservis par des voies étroites (illustration 9-7).

En passant de l'immeuble de logements collectifs à la maison en bande, les révisions ont


modifié la densité de construction et la haut~ur des bâtiments. Les données que nous
possédons sur le projet Trung Yên en rendent compte (tableau 9-11). La densité de
construction est passée de 40 à 50% tandis que la hauteur moyenne diminuait de 5 à 4
niveaux. Cette augmentation de la surface bâtie au sol se fait principalement au détriment de
la voirie et des espaces publics de proximité -places, parcs, jardins.

Tableau 9-11. Les modifications critères d'aménagements du quartier Trung Yên.


Critères d'aména~ement Projet approuvé en 1996 Projet révisé en 1999
Nombre d'habitants 17500 17500
Superficie de terrain 179600 179600
C.G.S 2,13 2,10
Densité de construction 43,4 54
Moyenne du nombre de niveaux 5,32 3,9
Superficie de plancher 349100 349052

Les effets de la révision des projets furent immédiats. En mettant de côté le cas un peu
particulier de la première phase du projet Linh Dàm qui ne nécessitait pas de modifications et
qui put débuter dès 1998, tous les autres projets furent réellement mis en route après leur
révision. En février 2000, l'aménagement du projet D!nh C6ng commençait. Deux mois plus
tard, 27 hectares du projet Trung Yên étaient mis en chantier. Le projet Yên Hoà était en
phase d'indemnisation en avril 2000, alors que les aménageurs des projets Trung Hoà-Nhân
Chinh et Sài D6ng préparaient les études de faisabilité au 1/500. Cette soudaine accélération
du rythme de préparation des projets montre bien, a posteriori, que l'obstacle des
indemnisations des paysans n'était pas aussi insurmontable que le laissaient entendre les
aménageurs.

418
Illustration 9-7, Le lotissement de deux zones du projet 8inh Công après révision,

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IV
source: HUD

Dans la zone entièrement destinée à des maisons attachées (haut), la densité de construction d'élève à 63,8% Contrairement à
ce qui se fait dans d'autres lotissements, tous les bâtiment ont deux ouvertures sur des voies. Ceci est important pour assurer
l'ensoleillement de toutes les pièces. Les voies de desserte sont assez larges (4 mètres + trottoirs) et celles reliant les blocs
entre eux mesurent 10 mètres. Une autre zone (bas) est majoritairement réservée aux villas avec jardin, ce qui fait baisser la
densité de construction à 40,1%. Les parcelles des villas mesurent 220 m 2 dont 75 constructibles.

419
Comme cela était prévisible, la commercialisation des lots individuels a rencontré un succès
immédiat auprès de la population. Début 1999, dans la première phase du projet Linh Dàm,
appelée Nord Linh Dàm, 80% des terrains destinés à la construction de villas furent vendus
avant même que l'aménagement ne soit terminé. HUD a transféré les lots de terrain de 150 à
200 m 2 au prix de 160 $/m 2 alors que le prix de revient devait être de 110 $/m 2 • Elle a ainsi
pu vendre ses lots à un prix inférieur à ceux du marché tout en dégageant une large marge
bénéficiaire. Ceci a été rendu possible par l'acquisition des terrains à un prix nettement
inférieur à ceux du marché. Elle a en outre financé l'aménagement par la
58
précommercialisation. La demande excédant largement l'offre, l'aménageur put se permettre
de favoriser les clients qui acceptaient de lui confier également les travaux de construction de
leur maison.

Le succès du second projet de HUD, D!nh Công, fut encore plus immédiat. Sur ce site plus
proche de la ville que le précédent, l'aménageur mit en vente les lots équipés au prix moyen
de 215 $/m 2 • Début février 2000, alors que l'aménagement des terrains venait de débuter, 60%
des lots étaient vendus. Fin mars, les 100 lots de villas du projet étaient vendus et seuls
quelques uns des 900 lots de maisons en bandes restaient à acquérir. Cette forte
précommercialisation a permis à HUD de financer l'ensemble du projet sans recourir à
l'emprunt bancaire.

Si ces premières opérations s'avèrent de réels succès économiques, elles posent question sur
leur finalité sociale. En aidant les promoteurs à acquérir des terrains à bas prix, les pouvoirs
publics entendaient permettre l'émergence d'une production de logement bon marché qui
viendrait saper l'autoproduction d'initiative individuelle et le marché noir des terrains. Or, il
n'a pas échappé aux observateurs qu'une grande partie des lots mis en vente dans ces
opérations a été achetée par des intermédiaires précisément dans le but de les revendre au prix
du marché.

58 Le paiement s'effectue en trois fois. 50% du prix à la signature du contrat, 45% lors de la reception du terrain
et du permis de construire et les 5% restant lors de "enregistrement

420
Illustration 9-8. Le début des constructions à Linh Dàm et Dinh Công.

Le projet nord -Linh 8àm (haut) est le premier à Hanoi où les infrastructures furent achevées avant Que les bâtiments ne soient
construits (photographie prise début 1999). On aperçoit en arriére plan les premiéres constructions dans le secteur réservé aux
villas. A 8!nh Công (bas), en juin 2000, trois mois après la mise en vente des lots, les premières maisons apparaissaient déjà.
L'ambition de construire des immeubles d'habitat collectif sur ce site paraissait totalement oubliée. Photos L.P.

421
Plus fondamentalement, l'ambition des pouvoirs publics en lançant ce programme de
nouveaux quartiers d'habitat était de fournir des logements à toutes les catégories de la
population, et notamment aux catégories à bas revenus. 59 Parce qu'Hanoi concentre près de
60% des fonctionnaires d'administration centrale, la question du logement des personnes à
bas revenus y est particulièrement sensible. Après plusieurs années d'abandon total de l'aide
au logement, la municipalité a décidé en 1998 qu'entre 10% et 30% des surfaces de logement
des nouveaux quartiers résidentiels seraient destinées aux bas revenus. Les immeubles de
logements collectifs prévus dans les programmes des nouveaux quartiers leur étaient
spécifiquement destinés.

Pour mesurer les difficultés rencontrées dans la réalisation de cet objectif, nous avons choisi
d'étudier un cas particulier. Le premier immeuble destiné aux bas revenus a été construit en
1999 dans le projet Nord Linh Dàm. Il s'agit d'un immeuble de 8 étages appelé
provisoirement « CT4 ». La municipalité et le gouvernement firent pression sur l'entreprise
HUD pour qu'elle le construise dès le début du projet. Le bâtiment est constitué de 4 types
d'appartements de 2 à 5 pièces (50 m 2 à 122 m 2) et de commerces de 20 m 2 en rez-de-
chaussée pour une surface totale de 13 300 m 2 •

Pour cette première expérience d'immeuble de logement, l'aménageur a monté son budget
avec ses fonds propres et des prêts bancaires à un taux d'intérêt aidé de 0,81% par mois (basé
sur le prix de l'or pour annuler les effets de l'inflation) sur une durée de 3 ans. Ces conditions
de prêt restant coûteuses, HUD a obtenu de la municipalité une exemption du paiement des
droits d'usage du sol. La construction de l'immeuble a coûté au total près de 28 milliards de
dôngs, soit 2 millions de US$ (voir tableau 9-12). Grâce à l'exemption de paiement des DUS
et à une procédure d'indemnisation des terrains agricoles très favorable, l'acquisition du
terrain ne représente que 4% du prix de revient total. Toutefois, son aménagement nécessita

59 Le terme de « bas revenus» (thu nhrjp thap) doit être explicité: au Viêt-nam, il comprend les employés de la
fonction publique (enseignants, personnel de santé, employés de bureau ... ), les militaires et les« familles
politiques» (gia dinh thuçc di4n chinh sach) qui ont joué un rôle dans la résistance ou la guerre pour la
libération du Sud. Les salaires ou revenus de ces catégories socio-politiques étant faibles, l'Etat mène une action
en leur faveur à travers la politique pour le logement des personnes à bas revenus. Toutefois, ils ne sont
aucunement assimilables à la population pauvre. Le ministère du travail et des affaires sociales estime que les
personnes à bas revenus sont celles dont les revenus ne dépassent pas un tiers du revenu moyen annuel qui était
de 310 dollars en 1999 (Circulaire 03/1999fIT-LDTBXH, 9.01.1999 sur la révision du critère de pauvreté). A
Hanoi, où le niveau de vie est deux fois plus élevé que la moyenne nationale, l'Etat estime qu'une personne
ayant des bas revenus gagne entre 25 et 30 dollars par mois. C'est beaucoup plus que le revenu des personnes
pauvres, généralement vivant dans les campagnes ou migrants illégaux. Ces dernières ne sont pas visées par la
politique du logement.

422
des travaux importants qui portèrent la charge foncière à 17% du coût total. Même si il s'agit
du coût de revient et non d'un prix de vente, cela reste très peu en comparaison avec la charge
foncière que supportent les particuliers acquérant leur terrain au marché noir. 61 En revanche,
le coût de construction reste élevé par rapport à celui pratiqué par les petites entreprises
privées. Il s'explique par le coût de main d'œuvre, plus élevé pour les entreprises publiques,
et par les équipements techniques (ascenseur...) dont il a fallu pourvoir l'immeuble.

Tableau 9-12. Coût de construction de l'immeuble d'appartements collectif CT 4 à


Linh Dàm. (estimation).

Poste de dépense Dollars %


Acquisition du terrain (uniquement le coût 92077 4%
des indemnisations)
AménaQement 286462 13%
Travaux de construction 1 739231 81%
Frais financiers, d'étude et de gestion 43077 2%.

TOTAL 2160846 100%

La localisation du site en milieu agricole explique le faible montant des indemnisations et celui
beaucoup plus important de l'aménagement Mais, ce sont les travaux de constructions qui coûtent le
plus cher (plus de 80% du total).

Illustration 9-9. L'immeuble de logement collectif CT 4 de Linh Dàm.

La vue de l'immeuble avant la fin des travaux permet de noter son mode constructif très simple et peu onéreux (armature en
bèton, remplissage en briques). Le rez-de-chaussée est destiné aux commerces et aux stationnement des motocyclettes.

61 Pour ces derniers, le terrain représente souvent autant ou plus que le coût de la maison (voir chapitre 8).

423
Au total, le coût au mètre carré s'élevait à 162 $/m 2 (2 160 846/13 300). Agissant pour des
raisons d'ordre politique (lancer le logement social à Hanoi), l'aménageur accepta de le
vendre à prix coûtant: 162 $/m2 (2,1 millions de dôngs/m 2 ). Un appartement de 72 m 2
revenait ainsi à Il 600 $. A priori, il s'agit d'un prix très intéressant puisque les appartements
dans les anciens immeubles d'habitat collectif se vendaient plus cher (11 300 dollars pour un
appartement de 30 m 2 à la même période). En outre, HUD proposait un mode de paiement
, l'e sur troIS
eta . ans. 61

En 1999, l'inauguration de l'immeuble fut l'occasion pour les plus hauts responsables de
l'Etat et du Parti de démontrer l'efficacité de la politique du logement envers les bas revenus.
Pourtant, l'opération allait s'avérer être un échec. Fin 1999, seuls 56 appartements sur 144
avaient été directement vendus à des particuliers. Devant l'impossibilité de vendre les 88
appartements restants, HUD demanda à la municipalité de trouver une solution. Finalement,
les appartements furent achetés par le service des transports du comité populaire de Hanoi
pour y reloger des personnes déplacées lors de la construction de nouvelles routes. 62 Il est
probable que le prix d'achat fut inférieur à celui proposé aux particuliers, mais cela constitua
une moindre perte pour HUD.

Comment expliquer l'échec de ce premier immeuble collectif destiné aux bas revenus? Il
existe tout d'abord des raisons financières. Les conditions d'emprunts (0,8% par mois
remboursables sur trois ans) sont jugées insuffisantes par tous les aménageurs pour parvenir à
un prix de vente susceptible d'attirer les personnes à bas revenus. Si l'on conserve l'exemple
de l'immeuble CT4, on s'aperçoit que l'achat d'un appartement de 72 m 2 représente plus de
19 années de salaire d'une famille dont les deux parents gagnent 25 dollars par mois chacun.
L'étalement sur trois ans du paiement mais avec un taux d'intérêt de 4,5% ne réduit pas
beaucoup l'effort financier demandé à la famille (voir tableau 9-13).

61 Un premier mode de règlement se fait en deux temps: 5% lors de la signature du contrat et 95% lors de la
réception de l'appartement. Le second mode de paiement permet un règlement étalé dans le temps. 30% du
règlement est effectué lors de la réception de l'appartement et le reste s'effectue en trois ans au cours de l'or sur
le marché à un taux d'intérêt de 4,5% par an.
62« On hl) d~p nhl1l1g thiêu _._ mrcrc », [« De beaux appartements, mais ... sans eau »], ThiYi hao kinh I/Vi41 nom
[le temps économique du Viet Nam], '5.12.1999.

424
Tableau 9-13. L'effort financier à réaliser par une famille à bas revenus pour acheter
un appartement de 72 m2 dans l'immeuble CT4 de Nord Linh 8àm.

Part à payer Prix à payer Années de salaire des


deux parents
Année 1 30% 3480 $ 6 années de salaire
Année 2 35% 4060 + 182,7 (4,5% de 4060) =4242,7 $ 7 années de salaire

Année 3 35% 4060 + 182,7 (4,5% de 4060) -4242,7 $ 7 années de salaire


total 100% 11 965 $ 20 années de salaire

Si l'on se place du point de vue d'une famille à bas revenus, l'offre de HUD n'est pas très
attirante. Pour elle, le moyen le moins cher d'acquérir un logement reste encore
l'autoconstruction d'une petite maison sur un terrain acheté au noir (entre 5000 et 8000 $ pour
une maison de 45 m 2). En outre, il sera toujours possible de construire un étage
supplémentaire lorsque la famille s'agrandira.

Le premier constat que l'on peut tirer de l'expérience de l'immeuble CT4 est que les prix des
aménageurs-promoteurs ne sont pas encore assez bas pour réellement intéresser les catégories
défavorisées. L'objectif politique du projet, produire des logements bon marché, n'a pas été
atteint. Mais, pour l'aménageur, cet objectif politique n'était pas essentiel. Peu lui importait le
63
niveau de revenu des acheteurs, pourvu qu'il vende ses appartements. Le véritable échec de
HUD dans ce projet, c'est d'avoir construit un immeuble peu attractif pour quelque
population que ce soit, et notamment les catégories sociales plus aisées. Il faut sans doute en
chercher les raisons dans la mauvaise qualité des produits proposés. Les appartements ont été
très maladroitement conçus et équipés du strict minimum (nous avons pu le constater par nous
même lors d'une visite d'un appartement). L'existence d'un ascenseur, largement mise en
valeur par BUD, n'a pas suffi à attirer les clients. L'aménageur a ensuite commis une erreur
dans sa gestion du calendrier des travaux. Lorsque les premières familles s'installèrent dans
l'immeuble, elles ne trouvèrent pas d'eau car la canalisation qui devait raccorder l'immeuble
au réseau principal n'était pas achevée. Des camions citernes durent ravitailler les familles

63 Il est en effet fréquent dans les pays en voie de développement, et parfois dans les pays développés, que les
politiques du logement envers les pauvres manquent leurs cibles et profitent à des catégories sociales un peu plus
aisées. Nous avons pu observer ce phénomène à Hô Chi Minh ViJJe où les immeubles collectifs construits pour
reloger les populations pauvres vivant sur les canaux, sont aujourd'hui occupés par une population plus aisée.
Ces nouveaux occupants ont racheté les appartements des populations relogées qui ont préféré tirer profit de leur
nouveau logement en le revendant immédiatement beaucoup plus cher (Sebastien Wust (2000) a mis en évidence
le surendettement de ces familles relogées pour expliquer ce comportement). En outre, certaines entreprises de
construction ont obtenu de réserver une partie des logements à des clients « normaux» auxquels elles les ont

425
pendant quelques mois. Le prix de l'eau ainsi acheminée fut beaucoup plus élevé que le prix
normal. Révélé par la presse, cet épisode n'améliora pas l'image de l'immeuble. 64

Tirant les conclusions de cet échec, HUD a refusé de construire, dans les mêmes conditions,
les immeubles de logement collectif prévus dans son autre projet, le quartier D!nh Công. Elle
a préféré restituer gratuitement à la municipalité les deux hectares de terrains aménagés à cet
effet. Ce transfert n'étant pas prévu dans le programme de réalisation, la décision fut prise par
le Premier Ministre début 2000.

La construction des immeubles collectifs dans les grands projets résidentiels apparaît
suspendue à la réponse qui sera donnée à une question plus vaste, celle des moyens de
réalisation d'une véritable politique du logement social à Hanoi. Depuis l'échec de
l'immeuble CT4, les aménageurs-promoteurs demandent au gouvernement de leur accorder
des moyens de financement préférentiels. L'exemption des DUS ne leur paraît pas une
mesure suffisante comme le cas de l'immeuble CT4 l'a montré. Une entreprise de
construction municipale, qui s'est lancée dans des opérations à caractère social, demande de
pouvoir emprunter auprès du Fonds municipal pour le développement du logement au taux de
0,3% par mois (3,66% par an indexés sur le cours de l'or) avec une durée de remboursement
de 7 ans. 65 HUD, pour sa part, n'exclut pas de construire à nouveau des immeubles bon
marché mais elle demande que l'Etat lui octroie des prêts à taux privilégié (3,6%/an) et à
longue échéance, 20 ou 25 ans. Elle envisage alors le mode de règlement suivant: 1% du prix
lors de la signature du contrat, 30% lors de la réception de l'appartement, et le restant réglé en
20 ou 25 ans à un taux d'intérêt de 3,6%/an. En proposant un crédit sur 20 ans, le promoteur
pourrait compenser l'absence d'institutions bancaires spécialisées dans le prêt au logement. 66
A notre connaissance, jusqu'à présent, aucun promoteur n'a proposé de construire des
immeubles locatifs. Les conditions de financement les obligent à un retour sur investissement

vendus au prix du marché. Etant donné qu'elles avaient bénéficié de conditions très favorables (exemption de
paiement des DUS), elles ont paradoxalement tiré un grand profit d'opérations dites « sociales ».
64 « Càn hl? dep nhl1I1g thiéu ... nuac », [« De beaux appartements, mais ... sans eau »], Thài hao kinh lê'Vi?l nam

[le temps économique du Viet Nam], 15.12.1999.


65 Cas des projets de construction de deux immeubles pour fonctionnaires à bas revenus (322 rue Minh Khai et
228 Duàng Lang) par l'entreprise de construction n O l du service de la construction.
66 Un dernier aspect auquel le promoteur doit trouver une solution en l'absence de cadre institutionnel est la
réglementation de la copropriété. Chaque foyer devra prévoir un budget pour financer l'entretien et la
surveillance des bâtiments. HUD propose qu'un bureau de gestion soit élu tous les ans ou deux ans par les
propriétaires dans chaque bâtiment. Il sera chargé de veiller au bon déroulement de la vie communautaire. Il est
en outre prévu de réserver des pièces au rez-de-chaussée pour les réunions entre copropriétaires.

426
rapide qui exclut cette possibilité. En outre, ils n'ont pas l'intention de supporter les coûts de
gestion et d'entretien des immeubles.

Il est probable que ce seront les grands travaux d'extension de la ville, et notamment la
construction de nouvelles routes, qui pousseront les pouvoirs publics à mettre au point une
politique réellement efficace de logement bon marché. Le lien entre travaux d'infrastructures
et politique de logement de masse est évident. Comme ce fut le cas à HCMV, la perspective
de devoir reloger des milliers de personnes déplacées conduit d'ores et déjà les pouvoirs
publics à trouver des solutions peu onéreuses. Ce n'est pas un hasard si l'organisme Overseas
Economie Cooperation Fund (devenu depuis Japan Bankfor International Cooperation), qui
supervise les déboursements de l'aide financière japonaise pour le développement des
infrastructures urbaines, a lancé en 1999 une vaste étude sur les possibilités d'augmenter les
capacités de logement de Hanoi et HCMV à brève échéance (Nomura Research Institute et
Institute for Urban Technology and Development, 1999). Alors que les premiers immeubles
spécifiquement destinés au relogement à HCMV furent construits au milieu des années 1990,
ils commencent à peine à voir le jour à Hanoi (voir encart 9-4).

Le bilan que l'on peut tirer de la réalisation des premIers projets de grands quartiers
résidentiels à Hanoi est mitigé. Certes, leur réorientation vers la construction individuelle a
enfin permis qu'ils voient le jour et procurent à la population des terrains à bâtir bien équipés
àun prix moins élevé qu'au marché noir. Pour les pouvoirs publics, c'est un début de solution
globale à la construction d'initiative individuelle qui s'est répandue depuis le début des
années 1990. En revanche, l'ambition initiale de construire des quartiers d'habitat collectif sur
les principes de l'urbanisme international censés donner une image moderne de Hanoi a dû
être abandonnée. Quant à l'objectif politique d'offrir des possibilités de logements à toutes les
catégories de la population, il est aujourd'hui en suspend. En ne raisonnant qu'en termes de
besoins et production de logements, les pouvoirs publics excluaient le recours aux capitaux
dégagés par les activités industrielles et tertiaires, seul financement possible pour de grandes
opérations d'urbanisme. Toutes ces erreurs, dues à l'inexpérience, ont été perçues et ont
donné lieu à une nouvelle réflexion qui allait aboutir à une seconde génération de projets
d'aménagement.

427
Encart 9-4. Dam Trâu, le premier quartier d'habitat collectif destiné au relogement à
Hanoi.

Le quartier couvre six hectares et se compose d'une vingtaine d'immeubles de logement collectif (571
appartements) et d'équipements publics de proximité. Cas exceptionnel pour Hanoi, aucun
lotissement de maisons individuelles n'est prévu. La nécessité de trouver des terrains à la fois près du
centre et très peu onéreux a conduit à choisir un site particulièrement défavorable. Le nouveau
quartier sera enclavé entre la digue, doublée d'une voie rapide quasiment infranchissable sans
l'aménagement d'un tunnel, et le fleuve. Les terrains sont donc facilement inondables lors des crues
du fleuve. Ce projet nous amène en penser que si les pouvoirs publics recherchent systématiquement
les terrains les moins habitables pour y construire les quartiers de relogement, cela risque d'entraîner
à moyen terme un processus de ghettoïsation sociale.

Illustration 9- 10. Un des premiers immeubles construits du projet Dam Trâu.

La recherche du moindre coût a conduit le promoteur à concevoir des immeubles de 5 niveaux, desservis par des escaliers
extérieurs dans l'esprit des anciens immeubles de KIT. La seule innovation tient dans la séparation entre les trois niveaux
supérieurs (consacrés à des appartements autonomes) et les deux niveaux inférieurs organisés en duplex permettant de
commercialiser des appartements avec un rez-de-chaussée destiné au commerce et un étage destiné à l'habitation, reprenant
ainsi le principe du compartiment. Photo L.P.

La production foncière et immobilière des entreprises dans un environnement de marché est


naissante au Viêt-nam. Ses acteurs ont du mal à se défaire des habitudes acquises durant la
période de production subventionnée. La relation hiérarchique entre l'Etat et les entreprises
n'est pas rompue mais évolue vers une forme typique du corporatisme socialiste « à la
chinoise ». Margaret Pearson (1997, p 35 et s.) estime que le clientélisme formel
qu'entretenait l'Etat avec ses entreprises n'existe plus depuis qu'il a perdu son pouvoir de

428
distribution des ressources au bénéfice du marché. Mais le marché est synonyme d'incertitude
pour les entreprises. Pour s'en protéger, elles cherchent le soutien informel du pouvoir
politique. Le « clientélisme informel» est la nouvelle relation dans laquelle l'Etat est parvenu
à installer les entreprises. Lui seul peut leur garantir la stabilité par un approvisionnement
régulier en contrats.

En ce qui concerne le secteur très concurrentiel de la promotion immobilière, les entreprises


s'adossent à leur administration de tutelle pour emporter les projets mais aussi pour obtenir
les terrains à bas prix. Ceci est de moins en moins vrai depuis que la population, et les
paysans d'abord parce que premiers visés, veulent retirer une part du « gâteau» de la
valorisation foncière. Dans ce jeu à trois, chacun doit désormais trouver son intérêt. Dans le
cas contraire, c'est le blocage comme ce fut le cas pour les projets d'aménagement autour de
la capitale jusqu'à ce que l'Etat fasse d'ultimes concessions aux entreprises. Dans cette
situation où chacun tient l'autre, l'arrivée de ces « corps étrangers» que sont les investisseurs
internationaux provoque des convoitises qui viennent encore exacerber les tensions.

429
430
Chapitre 10 : Les ambitions de la promotion internationale.

Le troisième processus de valorisation foncière que nous avons identifié à Hanoi est celui que
cônduisent des sociétés de promotion-construction étrangères. Elles sont essentiellement
concentrées dans le secteur de la production immobilière tertiaire supérieure : construction
d'immeubles de bureaux, d'hôtels ou de résidences répondant aux normes de qualité
internationale. L'immobilier tertiaire supérieur supposant des capitaux et des technologies
dont ne disposent pas encore les entreprises vietnamiennes, les promoteurs étrangers
dominent très largement ce segment du marché. Ils ont pu commencer à s'implanter au Viêt-
nam au début des années 1990, après qu'une loi de 1987 eut autorisé les investissements
directs étrangers.

L'originalité de la production internationale est en effet qu'elle trouve ses sources de


financement hors du Viêt-nam. Elle est en quelque sorte « portée» par le flux des
investissements directs étrangers. Ce sont eux qui par leur volume, leur origine géographique
et leurs objectifs de rentabilité orientent le niveau et les formes de la production immobilière
internationale. Nous consacrons la première section de ce chapitre à définir leurs
caractéristiques au Viêt-nam et à Hanoi.

Ces capitaux sont autant de ressources qu'un certain nombre d'acteurs économiques se
partagent durant le processus de production. Ces acteurs sont divers, certains sont étrangers,
d'autres vietnamiens, certains directement impliqués dans les opérations d'autres simplement
intermédiaires. Ceux qui jouent le rôle le plus important sont les promoteurs. Mais ce terme
recouvre des réalités bien différentes: il peut s'agir de grandes sociétés de promotion,
d'entreprises du bâtiment de dimension internationale ou de grands groupes financiers. Selon
les cas, ces acteurs n'ont pas la même approche du marché, les mêmes contraintes de
....
production et de rentabilité. L'étude pour chaque type d'acteurs, de ses ressources, ses intérêts
et ses stratégies sera le second temps de ce chapitre.

Les deux sections suivantes seront consacrées au processus de valorisation en tant que tel. A
l'instar de la production nationale, nous distinguons la promotion immobilière de
l'aménagement urbain. La promotion s'effectue sut un cycle court et est très étroitement liée à
l'évolution du marché immobilier local. Nous tenterons de comprendre comment fonctionne

431
cette activité très « capitalistique » dans un environnement d'économie socialiste de marché.
En changeant d'échelle pour étudier les projets d'aménagement de zones d'urbanisation
nouvelles apparaît une logique de développement urbain dominée par les relations logement-
industrie-infrastructures. La réalisation de ces projets nécessite des montants
d'investissements très élevés dans un montage financier impliquant des partenaires privés et
publics. Pour cela, un cadre institutionnel et juridique sophistiqué doit pouvoir être élaboré.
Tous les grands projets internationaux d'aménagement urbain de Hanoi ne sont actuellement
qu'en phase de préparation. Nous allons donc devoir restreindre notre étude aux projections
actuelles et aux difficultés rencontrées pour les faire aboutir.

1. Les ambiguïtés de l'investissement direct étranger.

Nous commençons par définir la notion d'investissement direct étranger (IDE) et mesurer son
poids dans le commerce mondial avant d'envisager la situation au niveau du Viêt-nam puis à
l'échelle de la ville de Hanoi. Nous mettrons alors l'accent sur le montant et l'origine des IDE
qui alimentent le marché immobilier de la capitale.

1.1. Montée en puissance dans les flux de capitaux internationaux.

Les investissements directs étrangers sont une forme spécifique de capitaux. Les
investissements de firmes étrangères au pays d'accueil sont définis par la notion
d'investissement direct à l'étranger (IDE).67 D'après la définition du FMI, un IDE « est
effectué dans le but d'acquérir un intérêt durable dans une entreprise exerçant ses activités sur
le territoire d'une économie autre que celle de l'investisseur, le but de ce dernier étant d'avoir
un pouvoir de décision effectif dans la gestion de l'entreprise ». Le terme d'intérêt durable
permet de distinguer les IDE des investissements de portefeuille qui s'effectuent so~s ~orme

de participation dans une société afin d'obtenir un revenu financier mais sans contrôle
nécessaire de l' entreprisè investie.

67 Ce passage sur l'IDE est tiré de l'ouvrage de Denis Tersen et Jean-lue Brieourt (1996).

432
En pratique, les IDE recouvrent quatre opérations, à savoir:
• La création d'une nouvelle entreprise, ou l'extension des capacités de production d'une
entreprise appartenant à l'investisseur;
• La prise de participation sup~rieure au seuil de 10% ou 20% selon les pays dans le capital
d'une entreprise déjà existante (on considère qu'avec une participation supérieure à 10 %
du capital de la société investie, on passe d'un investissement de portefeuille à un
investissement direct. Cette mesure reste néanmoins largement arbitraire, le pouvoir de
décision ne se limitant pas à la part de la participation.);
• Les flux financiers entre affil-iés d'un même groupe: avances de trésorerie, prêts,
augmentations de capital;
• Les bénéfices réinvestis à l'étranger.

Si l'essor de l'IDE date du milieu des années 1980, il faut remonter au 19 ème siècle pour en
trouver les origines. A cette époque, le Royaume-Uni était pratiquement le seul investisseur à
l'étranger. Il profitait de son réseau bancaire international, de sa première place financière
mondiale et des débouchés naturels offerts par l'Empire (puis le Commonwealth en 1922).
Jusqu'à la seconde guerre mondiale, les puissances coloniales et les Etats-Unis détenaient la
quasi-totalité du stock mondial d'IDE. En ce qui concerne les pays d'accueil, l'Amérique
latine attirait le tiers et l'Asie le quart de l'IDE en 1938. De 1945 à 1973, le développement de
l'IDE (il progressa à un rythme deux fois plus élevé que la croissance mondiale dans les
décennies 1950 et 1960) était lié à la suprématie de l'économie américaine et notamment de
ses multinationales. En réaction à cette « recolonisation », les pays en voie de développement
mirent en place des réglementations restrictives à l'entrée des IDE (autorisations au cas par
cas, limitation du rapatriement des bénéfices, interdiction des prises de participation
majoritaires). Dans les années 1970 et jusqu'en 1985, l'IDE connut un ralentissement. Les
pays en voie de développement lui substituent un fmancement par recours à l'endettement,
favorisé par des taux d'intérêts très faibles ou négatifs en raison de l'inflation. Cette politique
déboucha en 1982 sur une crise de la dette généralisée, à l'exception notable de l'Asie du
Sud-Est. Durant cette période, c'est l'Europe occidentale qui attira le plus d'investissements
grâce à sa forte croissance et sa stabilité économique. A partir dè 1985, on assista à un
développement sans précédent de l'IDE en liaison avec le phénomène de la mondialisation.
Les processus de déréglementation des marchés financiers aboutirent à une réduction des
obstacles aux IDE. Les progrès techniques, dans les télécommunications notamment, ont
accru le degré de liberté des entreprises en termes de choix de localisation et les accords
régionaux d'intégration économique (CEE, ASEAN ...) ont levé les entraves à la circulation
des capitaux intra-communautaires. Du point de vue des entreprises, la firme mondiale, ou
globale, devenait le moteur de l'IDE.

433
A mesure que les investissements internationaux se développaient sous l'effet du progrès
technologique et de la libéralisation économique, ils se diversifiaient. Chronologiquement, on
peut les regrouper sous quatre formes:
• les filiales:
Jusqu'aux années 1970, c'est la forme principale d'investissement à l'étranger. C'est la
formule choisie par les pays développés, et notamment les multinationales américaines, pour
investir dans les pays en voie de développement ne possédant ni technologie ni savoir-faire.
• les transplants:
Au cours des années 1980, les entreprises japonaises de l'automobile recouvrirent à ce mode
particulier de création de filiales pour contourner les réglementations restrictives des marchés
américains et européens. Les transplants se distinguent fondamentalement des autres fonnes
d'IDE par leur faible insertion dans l'économie du pays d'accueil.
• les fusions-acquisitions:
Ce sont des opérations par lesquelles une entreprise prend le contrôle d'une autre entreprise
en acquérant au moins 50% de son capital. Il s'agit du moyen le plus rapide pour pénétrer un
marché étranger. L'acquisition d'une finne étrangère facilite notamment l'accès aux
commandes publiques, en profitant de l'expérience de l'entreprise en matière de procédures
administratives et d'appels d'offres.
• les joint- ventures (sociétés mixtes):
Une entreprise crée en commun avec une entreprise étrangère une société mixte située à
l'étranger, dont chacune détient le capital dans des proportions voisines (de 50/50 à 70/30).
Les joint-ventures se sont développées au cours des années 1970 lorsque les pays en voie de
développement ont voulu mieux contrôler les investissements des multinationales
occidentales. Cette formule de la joint-venture s'est étendue aux pays de l'OCDE dans les
années 1980. Elle est aujourd'hui la forme d'IDE la plus répandue dans les pays à économie
planifiée en transition. Il s'agit en effet d'un moyen politiquement acceptable d'attirer les
capitaux étrangers. C'est en Chine que la proportion des joint-ventures est la plus élevée, avec
les deux-tiers des opérations récentes.

434
Figure 10-1. Flux entrants et sortants d'investissements directs à l''étranger (1980-
1994).

250
CD USA+ Canada
flux sortants
(3) CEE ................
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Vl
Jij
CD
CD
Autre Europe

Japon
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]0
80 2 3 4 5 6 7 8 9 90 2 3 4

250
CD USA flux entrants

200
(3) Europe

Vl
CD Asie en développement

Jij
'0 150
"0
CD Autres pays développés

ID
"0
Vl
CD AutresPED
"0
ro 100
'E

80 2 3 4 5 6 7 8 9 90 2 3 4

source: FMI, in Veltz, p 95,

Les flux sortants permellent de déterminer l'origine des IDE. A partir des années 1990, les entreprises de l'Europe
communautaire investissent massivement à l'étranger mais d'abord en Europe même comme le montre le tableau des flux
entrants, Ce mouvement est sans doute lié à l'ouverture des marchés européens. L'autre mouvement remarquable est
l'augmentation des IDE en provenance du Japon à partir des années 1987-1988 jusqu'en 1991 puis leur légére diminution
ensuite, La montée en puissance des IDE sortant des USA à partir de 1989 est également notable, Juste aprés l'Europe
communautaire (pour les raisons vues plus haut), les principaux pays destinataires de l'IDE sont les pays de l' « Asie en
développement », sans doute d'abord la Chine et les « dragons» de l'Asie du Sud-Est mais également le Viêt-nam,

435
En Asie du Sud-Est. les investissements direct étrangers ont été la source maJeure de
financement privé de l'économie dans les années 1990 de\'ant les imestissements de
portefeuille et les prêts privés (figure 10-2). Ceci est \Tai quel que soit le pa:-s, à J'exception
de la Birmanie pour raison d'embargo international (tableau 10-1). Malgré les effets de la
crise économique régionale de 1997. les IDE entrants dans les pays sud-est asiatiques avaient
doublé en 1998 par rapport à 1990 (des données antérieures à la crise de 1997 auraient
renforcé le poids des IDE). La relation entre IDE et l'aide publique au développement
(abréviation anglo-saxonne: ODA) est fonction du niveau de développement du pays

concerné. Il semble que les IDE prennent le relais de l'ODA au fur et à mesure que
r économie du pays se développe. Ainsi, au Cambodge et au Laos, rODA reste supérieure
aux IDE en 1998. Au Viêt-nam, la relation s'est inversée entre le début et la fin de la

décennie. Dans les autres pays de la région, les IDE sont très nettement supérieurs à l'ODA.

Fiqure 10-2. Evolution des flux de capitaux privés à long terme entrants dans les
pays d'Asie du Sud-Est, 1990-1998.

25000

20000

15000

10000

5000

-5000
IDE inv. de portefeuille prêts privés

1-1990019981

En millions de dollars
Note: Le seuil de passage de la catégone investissements de portefeuille à celle d'I DE est de 10%
(critère Banque mondiale) Le solde négatif des prêts pnvés en 1998 est essentiellement dû aux
répercussions de la cnse économique règionale en IndonéSie (voir tableau 10-2)
Source site internet de la Banque mondiale, 2000

436
Tableau 10-1. Répartition des flux de capitaux à long terme dans les pays de l'Asie
du Sud-Est. 1990-1998.

IIDE Inv. de Prêts privés 'Total capitaux ODA


,, portefeuille : privés
1990 1998 1990 11998 1990 1998 Î990 1998 1998
1 i i
Singapour
1
5575 7218 - 1· - - , - - 1
1

Thaïlande 2444 6941 365 1709 1 593 -826 ! 4402 7824 676
1 1
Indonésie 11093 -356 338
1
109 1804 -3512 i 3 235 1-3 759 1244
1

Philippines 530 1713 395 605 -286 269 639 2587 528
1
1
1
Malaisie 2333 5000 ·946 1
278 -617 3017 770 8295 198
1 1
Viêt-nam 16 1200 0
!a a -368
1
16 832 713

Birmanie 161 70 0 -8 83 ! 153 153 27


/0 1
1

Cambodge 0 121 0 0 0 -3 0 118 713


1 1
Laos 6 46 0 0 0 0 6 46 166
1
TOTAL 12158 21 953 152 2701 2486 -1340 ,- - 4266
. '

En millions de dollars.
Singapour, la Thaïlande et la Malaisie sont les grands bénéficiaires des IDE, Viennent ensuite
J'Indonésie et les Philippines. On relève l'importance de la récession en Indonésie aux valeurs
négatives des flux de capitaux privés en 1998 (essentiellement dû au rapatriement de capitaux) ainsi
qu'au niveau de l'aide internationale représentant un quart de l'aide à "ensemble des pays de la
région. Le Viêt-nam apparaît dans une position transitoire avec, en 1998, un quasi équilibre entre les
flux de capitaux privés et l'aide internationale.
Source: site internet de la Banque mondiale, 2000.

1.2. Versatilité de l'implantation au Viêt-nam.

L'appel aux investissements étrangers est l'une des composantes majeure de la Ddi moi avec
l'abandon de la planification économique. Alors que le programme de réformes économiques
ne fut élaboré qu'en 1989, le gouvernement adopta une loi sur l'investissement étranger dès
1987. 68 L'exemple de la réforme chinoise, en grande partie financée par l~s capitaux étrangers
provenant de -ou transitant par- 'Hong Kong, joua certainement un grand rôle dans ce choix.
La loi vietnamienne est d'ailleurs très inspirée de la loi chinoise. Toutefois l'attitude de l'Etat
vietnamien envers les investisseurs étrangers fut plus linéaire que la politique du " stop and
go" adoptée par le pouvoir chinois depuis 1979 (Freeman, 1994, p 78). Lorsqu'elle fut
adoptée en 1987, la loi vietnamienne était, sur le papier. la plus favorable aux investisseurs
étrangers parmi les pays de r Asie du Sud-Est, ainsi que parmi les anciens pays socialistes.

68 Loi sur l'investissement étranger au Viét-nam, 29 décembre 1987 Elle fut amendée à plusieurs reprises. La
dernière modification date de mai 2000.

437
Ceci est révélateur de J'importance qu'attachait l'Etat à l'investissement étranger dans la
période de transition.

La stratégie du pouvoir vietnamien était de créer des enclaves juridiques avec des privilèges et
des restrictions spécifiques aux investisseurs étrangers (Pham Van Thuyet, 1996, chapitre V.).
L'investissement direct à l'étranger était canalisé par trois formes d'entreprises: les joint-
ventures, les contrats de coopération économique et plus récemment les entreprises à capitaux
100% étrangers. De fait, jusqu'en 1998, la plupart des investissements étrangers prenaient la
forme de joint-ventures. Ceci répondait au souci du pouvoir de conserver le contrôle des
activités étrangères sur son sol et s'inscrivait dans la tendance mondiale des flux de capitaux.
Depuis cette date, le retrait relatif des investisseurs amène le gouvernement à accepter un plus
grand nombre d'investissements entièrement étrangers.

La loi de 1987 a permis d'ouvrir le pays aux premiers investisseurs étrangers. Après 10 ans
d'ouverture, l'investissement enregistré total s'élevait à 33 milliards de dollars. Ils
représentaient 10% du PIB et 20% de l'investissement national en 1999 (figures 10-3 et 10-4).
En comparaison avec les autres pays socialistes en transition, cette proportion est relativement
faible. En 1993, les investissements étrangers représentaient 30% du PIE en Chine et Hongrie
(figure 10-5).

Figure 10-3 : Evolution de la part de l'IDE dans le PIB du Viêt-nam.

14
11,7
12
10
8
~
0

6
4
2
0
1992 1993 1995 1996 1997 1998 199!:l

Note. il s'agit des investissements enregistrés


Source. Vietnam Economie News, n052, 1998,p 11; Statistical yearbook, 1998, general statisticaJ
office, statistical publishing house, Hanoi, 1999, p 18.

438
Figure 10-4. Evolution de la part de l'IDE dans l'investissement total (en %).

1995 1996 1997 1998 1999

• secteur étatique œsecteur non-étatique 0 secteur à capitaux étrangers


Après une forte baisse au début des années 1990, la part de l'investissement du secteur étatique est
en progression constante depuis 1995 alors que celle du secteur non-étatique (assimilable au secteur
privé) a diminué de 26% à 20% du total. L'investissement étranger a nettement diminué (de 32% à
18% entre 1995 et 1999). Les répercussions de la crise économique asiatique expliquent cette
diminution pour les années 1988 et 1999.
Source: Kinh té 1999-2000 [bilan économique 1999-2000], Thai Mo kinh té Vi~t Nam [Le temps
économique du Vietnam], mars 2000, p 9.

439
Figure 10-5. La part de l'IDE dans le PIS de quelques pays socialistes en transition
(en %).

35 ..,----:---....,---,----=-:----;:,--~-=--"':---------.

30 -+-~--'--­

25+----
20 4---~~

15 +----:.----.;:...-....

10 -1-----
5 -+--..-.;.~~-

o -f--

• Viêt-nam Il Chine ~ Hongrie


D Pologne ml Rép. tchèque. Russie

Même si le poids des IDE dans le PIS du Viêt-nam allait passer de 3,5% en 1993 à 11 % en 1999,
l'ouverture du pays aux IDE doit être relativisée à la lecture de ce graphique et notamment du poids
des IDE dans le PIS chinois (30%).
Source: Sanque mondiale, 1996, Oe l'économie planifiée à l'économie de marché. Rapport sur le
développement dans le monde, Washington, p 78.

La stratégie vietnamienne des enclaves a eu le mérite d'attirer les premiers investissements


alors que le cadre juridique était encore inadapté. Jusqu'en 1997, il semble que l'attrait des
investisseurs pour un pays neuf où les forts profits étaient assurés à ceux qui arriveraient les
premiers l'emporta sur leur répulsion pour l'environnement institutionnel (voir figure 10-6).
Après cette date, les investissements chutèrent rapidement. En fait, les investissements
auraient diminué dès 1996 si le gouvernement n'avait pas opportunément attribué deux
licences à deux grands projets d'aménagement urbain le 31 décembre 1996. 69 Le
retournement s'est donc effectùé bien avant la crise économique régionale qui débuta en
juillet 1997 après la forte dévaluation du Bath thaïlandais. Les causes du recul de
l'investissement étranger sont avant tout internes au Viêt-nam. L'euphorie du début des
années 1990, fondée sur la croyance dans une croissance extrêmement rapide de l'économie
vietnamienne et l'ouverture des marchés locaux, s'évanouit face à la saturation de nombreux
marchés, dont l'immobilier de bureau et l'hôtellerie considérés jusqu'alors comme des

Le premier de ces projets. City horse, à HCMV s'est vu retiré sa licence en 1999 et le second, Ciputra (2,1
69

milliards de dollars) n'avait toujours pas commencé en 1999.

440
« pompes à dollars» par les investisseurs. Au delà de cet aspect conjoncturel sur lequel nous
reviendrons, c'est l'incapacité ou le refus du gouvernement à réformer en profondeur
l'appareil d'Etat et certaines législations qui dissuada les investisseurs. Un chiffre clé à cet
égard est le taux de réalisation des investissements (investissement enregistré cumulé/
investissement réalisé cumulé). En 1998, il était officiellement de 40%, ce qui le situe dans la
moyenne des pays voisins. Le maintien par le gouvernement de licences à des proj ets
virtuellement abandonnés et d'autres manipulations statistiques font douter les experts
internationaux de ce chiffre. 7o Ils estiment que le taux réel serait plutôt de l'ordre de 30%.
Mais ce taux moyen dissimule de grandes différences selon les secteurs d'activités. Ainsi, le
taux de réalisation entre 1994 et 1998 pour l'immobilier ne serait que de 14% alors que pour
le gaz et le pétrole, il s'élèverait à 80% et serait de 35% pour l'industrie légère et de 36% pour
la production agricole. 7 ! Une autre donnée intéressante pour mesurer l'efficience des IDE est
la durée moyenne de mise en œuvre d'un projet. Il faut officiellement de 5 à 6 ans pour un
projet de taille moyenne (l0 millions de dollars) pour achever la construction et commencer à
fonctionner. Cette durée est encore plus longue pour les projets plus importants. 72 La longueur
de la période de préparation révèle le point faible de la politique publique envers
l'investissement étranger: la procédure administrative. La crise économique régionale ne fit
qu'accentuer cette tendance à partir de fin 1997.

70 Ainsi, une des raisons du départ du représentant du FMI du pays en 1999 est la controverse portant sur le

montant des investissements réalisés en 1998. Alors que le gouvernement affichait 1,7 milliard de dollars, les
experts du FMI l'estimait seulement à 700 millions de dollars.
71 « Ministry to locate source of disbursement leakage », VIR, 15.05.2000.

72 « Eleven years ofFDI», Vietnam Economie News, n° 52,1998, P Il.

441
Figure 10-6. Les investissements étrangers au Viêt-nam (1988-1998).

10 .....-----::'---=-----~-;----=:---:-~-:-:-----:-...,....--_:__----__,

9
8
...
VI
.!!! 7
o
'tl 6
(l)
'tl 5
VI
...
'tl 4
~ 3
E 2
1
o
1988- 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
1990

• investissements enregistrés 0 investissements réalisés

L'investissement enregistré représente l'ensemble des capitaux que les partenaires s'engagent à
investir dans la réalisation de leur projet. Il s'agit du montant indiqué dans la licence d'investissement
de la joint-venture. L'investissement enregistré est aussi appelé investissement total. Il inclut les
capitaux étrangers et les capitaux vietnamiens. Toutefois, les capitaux vietnamiens sont souvent
fictifs. Le partenaire vietnamien ne disposant le plus souvent pas de capitaux suffisants, il apporte sa
part de capital sous forme du loyer des DUS qui ne sera payable que lorsque l'investissement sera
réalisé Ce sera la J-V et non le seul partenaire vietnamien qui payera alors le loyer. L'investissement
réalisé est le montant de capitaux réellement utilisés dans le processus de production.
Source: Ministère du Plan et de l'Investissement.

Une analyse des IDE en fonction des pays d'origine montre que 70% des investissements
étrangers proviennent de pays asiatiques (figure 10-7 et tableau 10-2).73 L'impact de la crise
régionale fut donc fort sur le niveau de l'investissement étranger. Toutefois, la part de
l'investissement étranger dans l'économie étant relativement faible (20% de l'investissement
national, 10% du PIE), le pays ne connut pas une détérioration brutale de son économie
comme ce fut le cas dans les pays voisins. Sur un plan sectoriel, il est notable que la
production du cadre bâti, au sens large, est le domaine de prédilection des investisseurs
étrangers. Si l'on cumule la construction d~mmeubles de bureaux, celle d'hôtels (en intégrant
certes les activités touristiques autres que la construction), celle de logements et
l'aménagement de quartiers résidentiels, on obtient 34% de tous les investissements (figure
10-8). Pour comparaison, 1'investissement da.!lS l'industrie lourde, cible pourtant privilégiée
par le gouvernement, ne s'élève qu'à 18%. Les investissements dans l'immobilier furent

ï3 Notons que le « palmarès» des plus grands investisseurs est quasiment identique depuis j'ouverture du pays.
Seuls les Etats-Unis sont apparus après 1996, année de la levée de l'embargo sur les relations commerciales avec
le Viêt-nam.

442
particulièrement touchés par la saturation du marché dès 1995 et par la crise asiatique ensuite
(figure 10-9).

Figure 10-7. Les plus grands investisseurs étrangers au Viêt-nam.

Part des Investissements enregistrés cumulés jusqu'en septembre 1999

Source: Vietnam Economie Times, novembre 1999, p 31.

Tableau 10-2. L'investissement étranger au Viêt-nam par pays.


Pays Nombre de 1nvestissement 1nvestissement Chiffre
projets enregistré réalisé d'affaires
Sinqapour 207 6525 1 345 1 123
Taiwan 402 4488 t852 1 694
Japon 265 3628 1 655 1 762
Corée du Sud 212 3213 1270 2019
Hong Konq 197 2550 1 251 903
Iles vierqes (G.8.) 74 1 757 483 101
France 96 1 388 431 648
Malaisie 62 1 342 1 050 356
Etats-Unis 75 1 144 365 180
Thaïlande 76 1 067 438 359
Total 10 premiers 1 666 27107 10144 9149
investisseurs
Total investisseurs 2064 33153 13651 12296
. .
En millions de dollars. Novembre 1998.

443
Figure 10-8. Investissements étrangers au Viêt-nam par secteurs d'activités.

Investissements enregistrés cumulés jusqu'en 1998.


Source: Ministère du Plan et de l'Investissement, in Vietnam Economie News, n° 52, 1998, P 11.

Figure 10-9 : Investissement étrangers enregistrés dans l'immobilier résidentiel et


hôtelier au Viêt-nam.
3000 70

2500 60
...
VI

~ 50
0 2000
'C
ClI
'C
40
VI 1500
t:
0 30
1000
E 20
...
ClI
500 10

0 0
1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998*

_ montants d'investissement -+- nombre de projets

*8 premiers mois. Dollars courants.


Ces données n'incluent pas les projets de bureaux ni les grands projets d'aménagement urbain
(Ciputra, City Horse)
Source: Vietnam Investment Review, 28.09.1998.

444
Il est intéressant de comparer les montants d'IDE avec les autres sources de financements
extérieures: l'aide officielle au développement (ODA) et les crédits commerciaux. En 1996,
l'IDE représentait la rp.oitié des capitaux étrangers dans le pays. En 1997 et 1998, sa part
atteignait les deux-tiers avant de chuter en 1999 à environ 30% : la balance des paiements
enregistrait avec retard la baisse des investissements en 1998. Entre 1988 et 1998, 35
milliards de dollars d'IDE ont été ~nregistrés et 13 réalisés. En comparaison, entre 1993 et
2000, l'ODA était deux fois moins élevée: 15 milliards promis pour 6 milliards réalisés. Nous
disposons de données plus complètes et homogènes en ce qui concerne les investissements
dans les infrastructures du pays (voir tableau 10-3). Depuis 1996, l'IDE y apparaît également
comme la source majeure de capitaux extérieurs, alors qu'il s'agit d'un secteur privilégié de
l'ODA. Les crédits commerciaux représentent une part minime des capitaux importés.

Tableau 10-3. Origine des capitaux investis dans les infrastructures du Viêt-nam
entre 1996 et 2000 (en dollars).

Sources IDE ODA Crédits Total


domestiques commerciaux
22 milliards 8 milliards 5 milliards 1 milliards 36 milliards
61% 22% 13% 3% 100%
.. ..
La notion d'Infrastructures utilisée ICI est extensive. Elle comprend les transports, l'alimentatIon en eau
potable, l'irrigation mais aussi la protection des forêts et la lutte contre la pauvreté.
Source: « Infrastructure bill tallies up to $36 billion ». Vietnam Investment Review, 5-11.06.2000.

Sur un plan géographique, la très grande partie de investissements étrangers se concentrent


autour des deux métropoles du pays (carte 10-1). Jusqu'au premier semestre 2000, les
provinces situées autour de HCMV attiraient 57% des projets et 48% des investissements
enregistrés. 74 Elles constituent le pôle industriel et pétrolier du pays. Les trois provinces
autour de Hanoi (le « triangle de croissance» Hanoi-Hai Phèng-Quang Ninh) arrivaient en
seconde position avec 20,5% des projets et 30% des investissements. Grâce à un projet de
raffinerie, les provinces du centre parvenaient à attirer 5o/O""des investissements. Le delta du
Mékong n'en recevait que 2,8% et les montagnes du Nord 0,74%. Sans entrer dans les détails,
on peut noter deux évolutions majeures:
• la suprématie du sud sur le nord est en diminution (77% contre 22% en 1988 et 50%
contre 45% en 1996).

74« Beyond Hanoi, economic hub, FDI totals dive», VIR,5.06.2000.

445
Tableau 10-4. Répartition relative de l'IDE par grandes régions (1988-1996).

Région 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Nord 22.28 30.33 30.26 17.34 52.88 39.31 40.39 29.45 45.11
Centre 0.09 0.56 2.38 2.30 5.49 1.63 4.58 4.17 4.25
Sud 77.63 69.12 67.36 80.36 41.62 59.06 55.03 66.37 50.64
Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Source: Quertamp et De Miras, 2000, ( tableau 8 ).

• La concentration des investissements dans les provinces de HCMV et Hanoi est en forte
diminution au profit des provinces voisines (tableau 10-5). Il faut sans doute y voir une
combinaison de la saturation, notamment en terrains, des villes et une montée en
puissance de la politique d'aménagement du territoire. On peut également mettre en avant
le fait que les investissements des premières années comportaient de nombreux projets
immobiliers nécessairement attirés par le centre des agglomérations.

Tableau 10-5. Évolution de la part des IDE localisés dans les provinces de Hanoi et
HCMV par rapport à leur région.

Année 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Province 98.34 83.71 85.43 82.24 68.55 75.5 62.14 42.95 67.48
Hanoi/Région
Nord
Province 94.37 95.24 68.22 54.52 73.64 81.7 58.48 52.07 43.94
HCMV/Région
Sud
Source: Quertamp et De Miras, 2000, ( tableau 9 ).

446
Carte 10-1. La localisation géographique des investissements étrangers en 1998.

6ŒO
01IlOO !CIOO

Montant des Investissements


<en millions de S)
100lX'1

Nombre de projets

ql
S89 9000

@ 283

68
\Cw)}
4000

1000

100

100 200 300 II,m

source: Weissberg, 1999, fig 2.

La carte du nombre de projets permet de mesurer l'ampleur de la bipolarisation géographique des investissements étrangers.
Au delà de ce premier constat, c'est la domination du sud qu'il faut noter. A elle seule, HCMV attirait 589 des 1 773 projets
enregistrés jusqu'en janvier 1998, Hanoi en accueillant 283, soit deux fois moins. La carte des montants d'investissements
confirme ces orientations même si un rééquilibrage se fait en faveur du nord et que la région centre apparaît plus favorisée.

447
1.3. Hanoi : attirance pour la production immobilière.

Les investissements étrangers à Hanoi ont connu une évolution similaire à celle du pays avec
une croissance jusqu'en 1996 puis une diminution ensuite (figure 10-10). Notons qu'en
termes de projets, la courbe s'inversa dès 1995. Le taux de réalisation sur la période 1989-
1997 est de 33%, légèrement inférieur à la moyenne nationale. Les pays qui investissent le
plus à Hanoi sont Singapour, la Corée du Sud et le Japon (figure 10-11). Si l'on compare ces
données avec les données nationales, on constate que la suprématie des pays asiatiques y est
légèrement moindre. Taiwan apparaît nettement sous-représenté à Hanoi, car ses investisseurs
privilégient traditionnellement HCMV en raison de l'existence d'une très ancienne
communauté chinoise dans la métropole du sud. Inversement, la Corée du sud est
surreprésentée à Hanoi. Ce pays a en effet fait le choix stratégique de s'implanter dans le nord
du pays où la concurrence est moins rude et où il dispose de forts appuis politiques. Sur un
plan sectoriel, les projets immobiliers et d'aménagement urbain représentent plus de 60% des
investissements (figure 10-12). Il s'agit d'une part considérable que la municipalité souhaite
voir diminuer fortement au bénéfice de l'industrie pour ne représenter plus que 24% en 2010
(figure 10-13). La tendance récente est d'ailleurs à un rééquilibrage en ce sens. En 1999, la
part des investissements dans l'industrie (33%) dépassait pour la première fois celle des
investissements dans l'immobilier (31%). Plus que l'intervention des pouvoirs publics, c'est
la surproduction sur le marché de l'immobilier qui a conduit à cette réorientation. 75

Il faut relativiser le poids des investissements étrangers dans l'économie locale. Bien que leur
part rapportée au PIB régional de Hanoi soit en constante augmentation, elle n'était que de
11% en 1998 (figure 10_14).76 Le degré d' « ouverture)} aux capitaux étrangers de l'économie
de la capitale était moindre que celui de HCMV (16% du PIB en 1998). Entre 1989 et 1997,
seulement 17 000 emplois furent créés par les entreprises étrangères de la capitale et elles
contribuèrent au budget de l'Etat pour 233 millions de dollars (tableau 10-8). La proportion
des recettes de budget national provenant de taxes et impôts acquittés par ces dernières
représentent moins de 10% des recettes totales de la province (figure 10-15).

75 « Chairman sheds light on Hanoi's five-year plan », VIR,27.03.2000.


76 Le PIB pour chaque province est soumis à caution. En raison du coût de l'opération, les provinces ne le
calculent pas chaque année mais l'augmentent du taux de croissance national.

448
Figure 10-10. Evolution de l'investissement étranger à Hanoi (1989-1999).

3000 ==-r- 70
2500 60
.l!l
l:
50
~OOO
o
~ 40
III
:a1500
"C
al
"C
30
~1000
20
E
500 10

o o
1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

_ inv. enregistré c=J inv. réalisé --+- projets

La courbe du nombre de projets permet de corriger l'effet du projet Ciputra de 2 milliards de dollars
adopté en décembre 1996. En réalité, c'est dès 1994 que le nombre de projets commence à diminuer
à Hanoi. L'année 1998 est manquante.
Sources: Vietnam Economie News, n° 52, 1997; « Its official: investment record worst in seven
years », Vietnam Investment Review, 27.03.2000.

Figure 10-11. Répartition des investissements étrangers à Hanoi par pays d'origine.
Malaisie
2%

Australie
6%

Thanande
7%

Japon
10%

Investissements enregistrés cumulés 1989-1997. Source: Hanoi, potentia/s and opportunities for
foreign investment, Comité populaire de Hanoi, Hanoi, 1998, p 22.

449
Figure 10-12. Les investissements étrangers à Hanoi par secteurs.

autres
banque et finance 2%
1%

immobilier (hôtels,
bureaux,
appartements)
27%

aménagement urbain
35%

Source: Hanoi, potentials and opportunities for foreign investment, Comité populaire de Hanoi, Hanoi,
1998, p 22.

Figure 10-13. Les objectifs de la municipalité de Hanoi en matière de répartition de


l'investissement étranger par secteurs d'activités.

2010

2000

1997

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%
o industrie • aménagement urbain
ml transports et communication • immobilier
o agriculture et sylviculture Il banque et finance
Pour l'année 1997, il ne s'agit pas des objectifs mais de la réalité des investissements enregistrés. Les
deux milliards de dollars du projet de ville nouvelle de Ciputra expliquent l'importance du secteur
aménagement urbain. A terme, la municipalité entend privilégier l'industrie et les transports.
Source: Hanoi, potentials and opportunities for foreign investment, Comité populaire de Hanoi, Hanoi,
1998, p 22.

450
. '. ,". ';'
".;:;" ,

Figure 10-14. Comparaison du PIS du secteur à investissement étranger avec le PIS


total dans la province de Hanoi.

2000
1800
1600
~ 1400
~
ë 1200
"t:J
~ 1000
th
C 800
.2
'E 600
400
200
o
1995 1996 1997 1998

o PIS total. PIS du secteur à investissement étranger

1998 : prévisions. En dollars courant.


Les données sur les PIS provinciaux sont sujettes à caution car il est peu probable qu'il soit
entièrement calculé chaque année. Alors qu'à Hanoi, le PIS du secteur international ne représente
que 10%, il était de 16% en 1998 à HCMV (805,7 millions de dollars pour un PIS total de 4894 millions
de dollars).
Source: Socio-economic statistical data of 61 provinces and cities in Vietnam, Statistical publishing
house, Hanoi, 1999, p 157.

Figure 10-15. Comparaison des recettes du budget national dans la province de


Hanoi et dès recettes provenant du secteur économique étranger (1997-1998).
900
800
~
~ 700
o 600
"t:J
Cl> 500
"t:J 400
th

:-_2 300
200
E 100
o
1997 1998
o recettes nationales
• recettes provenant du secteur économique étranger

a
En dollars courants. La contribution des entreprises capitaux étrangers au budget de l'Etat dans la
province de Hanoi est d'un poids relativement faible (de l'ordre de 8%).
Source: Hanoi statistical department, 1999.

451
Tableau 10-6. Données sur l'investissement étranger à Hanoi.

Données 1989-1997
Nombre de projets ayant reçu 300
une licence 1

Investissement enreqistré 7289 millions de dollars


Investissement réalisé 2 435 millions de dollars
! Taux de réalisation 33%
i Emplois salariés 17 000 personnes *
Chiffre d'affaire 2 022 millions
Contribution au budget de l'Etat 233 millions
1 (impôts et taxes)
* Il s'agit de l'emploI cumule sur 8 ans. C'est tres peu en comparaison avec les 400 000 salariés du
secteur public à Hanoi en 1998.
Source: Hanai, patentials and appartunities far fareign investment, Comité populaire de Hanoi, Hanoi,
1998, p 22.

Afin d'analyser en détaille poids de la production tertiaire internationale dans l'ensemble des
investissements étrangers, nous nous servons d'une liste arrêtée par le comité populaire en
novembre 1996. Ce document est le plus riche en informations que nous ayons pu nous
procurer. Il recense l'ensemble des projets étrangers à Hanoi, l'investissement enregistré,
l'investissement réalisé et le chiffre d'affaires réalisé jusqu'au 13 novembre 1996. Nous avons
analysé seulement les projets en joint-venture, laissant de côté les projets à capitaux 100%
étrangers et les contrats de coopération économique (20% des projets et 25% des
investissements à eux deux) car ils ne concernent pas les investissements immobiliers.

Nous avons sélectionné les investissements dans l'immobilier entendu au sens large, c'est-à-
dire la construction d'hôtels, de bureaux, de résidences et de nouveaux centres urbains. Cette
liste commence avec le premier investissement étranger en septembre 1989. Il s'agit de la
rénovation de l'hôtel Métropole. Elle est arrêtée en novembre 1996. Le plus important projet
d'investissement immobilier à Hanoi, la ville nouvelle du groupe indonésien Ciputra pour un
montant projeté de 2,1 milliards de dollars, n'apparaît pas car il reçut la licence
d'investissement le 30 décembre 1996. Par son montant d'investissement, ce projet
modifierait les statistiques de l'année 1996 ainsi que le rang de l'Indonésie dans les premiers
pays investisseurs et le poids des investissements dans l'immobilier par rapport à l'ensemble
des investissements. 77 Les données statistiques obtenues à partir de ce document sont
résumées dans le tableau 10-7.

77 La délivrance de la licence à Ciputra au dernier jour de l'année 1996 répondait au souci du gouvernement de

masquer la forte chute des investissements étrangers cette année. Nous estimons que, paradoxalement, son

452
Tableau 10-7. Investissements immobiliers et ensemble des investissements à
Hanoi.

Investissements dans ensemble - des part des


l'immobilier (US$) investissements en investissements
joint-venture (US$) immobiliers dans le
total.
1nvestissements 2 086,5 millions 3 112,3 millions 67%
enreqistrés
investissements 491,4 millions 909,9 millions 54%.
réalisés
taux de réalisation 23,55 29,23
nombre de projets 74 197 37,5%
(du 1.09.89 au 11.13.96)

Figure 10-16. Part des investissements immobiliers dans l'ensemble des


investissements à Hanoi.

autres inv.
33%

inv. immobiliers
67%

Note: investissements enregistrés Uoint-venture uniquement) cumulés jusqu'en novembre 1996.

Ces premiers résultats mettent tout d'abord en lumière le poids considérable des
investissements immobiliers dans l'ensemble des investissements à Hanoi dans la périàde
considérée (figure 10-16). Près des deux tiers des capitaux enregistrés et plus de la moitié de
ceux réellement investis concernent ce secteur. Ceci peut s'expliquer, d'une part, par le fort
déficit de bâtiments aux normes internationales dans la capitale, malS aUSSI par
l'effervescence du marché immobilier en Asie au début des années 1990. Une autre
explication réside dans le fait que le montant d'investissement pour un projet immobilier est

absence dans notre liste permet de donner une image plus juste du poids des investissements étrangers à Hanoi

453
plus élevé que la moyenne. Ainsi, en nombre de projets, la part des investissements dans
l'immobilier est ramenée à un peu plus d'un tiers seulement.

Une autre indication fournie par ce tableau est le taux de réalisation des investissements qui
est de 29% pour l'ensemble des investissements et de 23% pour ceux dans l'immobilier. Ce
taux ne doit pas être considéré de façon absolue mais comme le taux obtenu au 13 novembre
1996 pour les investissements déclarés entre t989 et 1996. Le taux moyen n'est pas très
pertinent. Etant donné qu'un projet est réalisé sur plusieurs années, il est évident que ce taux
est très faible pour ceux enregistrés en 1996. On peut toutefois conclure de la comparaison
entre les deux taux que les projets immobiliers rencontrent un peu plus de difficultés - donc
requièrent plus de temps- que la moyenne pour être mis en œuvre.

Si l'on excepte la rénovation de l'hôtel Métropole en 1989, les activités immobilières


étrangères à Hanoi ont réellement débuté en 1991 (figure 10-17). C'est entre les années 1993
et 1995 qu'elles ont été les plus importantes, un record de 25 projets étant atteint en 1994. La
chute s'amorce en 1995 et un effondrement se produit en 1996 (3 projets). Les montants
d'investissement enregistrés viennent confirmer ces variations: 84% des capitaux immobiliers
ont été enregistrés entre 1993 et 1995. La lecture des investissements réalisés confirme les
années d'expansion immobilière mais vient les relativiser fortement. Une partie des projets
déclarés en 1994 et 1995 n'avait pas encore pu débuter en novembre 1996 en raison des
difficultés de libération des terrains. Mais il est aussi certain que nombre de projets enregistrés
ces années là ne verront jamais le jour.

jusqu'en 1996.

454
Figure 10-17. Evolution annuelle des investissements immobiliers à Hanoi, 1989-
1996.

800 30

700
25
600
~ 20
C'll, 500
o
oc S
.g 400 15 .~
o
li)
c
."c.
,2 300
'Ë 10
200
5
100

a a
1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

_ inv. enregistrés c=J inv. réalisés au 13.11.96 ~ nombre de projets

(du 1.09.89 au 11.13.96).

Pour étudier la répartition des investissements immobiliers selon le pays d'origine (figures
10-18, 10-19 et tableau 10-8), nous avons effectué les regroupements par pays en fonction des
investissements enregistrés et réalisés afin de comparer l'efficience des pays investisseurs.
Des pays comme la Thaïlande et Taiwan qui ont un montant d'investissements enregistrés
relativement faible le compensent par un taux de réalisation très élevé (40% et 36%). Trois
pays rassemblent près des deux-tiers de l'ensemble des investissements réalisés (Singapour,
Hong Kong et la Corée du Sud).78 Le Japon est aussi très présent. L'i'mmobilier étranger à
Hanoi est donc principalement asiatique (près de 80% des investissements enregistrés). Face à
cette suprématie asiatique, la France apparaît comme le premier investisseur non asiatique.

Ainsi, les trois traits caractéristiques de l'investissement étranger que nous retrouvons aussi
bien au niveau national qu'au niveau de la ville de Hanoi sont la prédominance des entreprises

78 Il faut toutefois relativiser le poids de Hong Kong, et dans'une moindre mesure de Singapour, car ces deux
territoires sont des places financières à partir desquelles des capitaux d'origine diverses s'investissent dans le
reste de l'Asie du sud-est.

455
asiatiques, l'importance de l'investissement dans l'immobilier et enfin une progression
constante jusqu'en 1995-96 puis une chute brutale. Cest dans ce triple contexte macro-
économique qu'il nous faut analyser le comportement des acteurs.

Figure 10-18. Répartition par pays d'origine des investissements immobiliers


enregistrés à Hanoi.

Philippines
3%

France
5%

Hong Kong
12%

Figure 10-19. Répartition par pays d'origine des investissements immobiliers réalisés
à Hanoi.

Thailande .
France 0/ Talwan
4 /0 3%
8%
autres pays
Malaisie 6%
7%

Corée du sud
18%

Hong Kong
18%

(investissements arrêtés en nov. 96)

4'i6
Tableau 10-8. Les projets immobiliers à Hanoi par pays d'origine.

investissement Part du pays dans Capital taux de Nombre


1989-1996 l'investissement total réellement réalisation de
Investi projets
-
1 Singapour 621 241 013 29.77 131 402860 21.15 14

2 Hong Kong 243 031 603 11.65 87257148 35.90 19

3 Japon 236301 940 11.33 45685487 19.33 8

4 Corée du Sud 198200 000 9.50 87151 000 43.97 2

5 Malaisie 116987110 5.61 35221 500 30.11 6

6 France 112869400 5.41 40 328 560 35.73 3

7 Grande-Bretagne 103 000 000 4.94 400 000 0.39 1

8 Philippines 58 000 000 2.78 58 000 0.10 1

9 Indonésie 57542 000 2.76 8619377 14.98 1

10 Australie 52 090 000 2.50 100 000 0.19 1

11 Thailande 49949 000 2.39 19995 000 40.03 2

12 Bermudes 46431 043 2.23 4377 859 9.43 2

13 Pays-Bas 45980 000 2.20 2209 000 4.80 2

14 Taiwan 42220 000 2.02 15577705 36.90 4

15 British Virgin Isl. 35131 000 1.68 a 0.00 2

16 Islande 18 000 000 0.86 5 045 270 28.03 1

17 Pologne 15600 000 0.75 a 0.00 1

18 Panama 15500 400 0.74 6378 075 41.15 1

19 Cayman Islands 15232400 0.73 a 0.00 1

Jersey 2625 000 0.13 995 000 37.90 1


20
-.
21 Chine 600 000 0.03 600 000 100.00 1

Total 2086531 909 491 401 841 23.55 74

En US$. Investissements cumules 1989 - 13.11.1996.

Il est notable que cinq « paradis fiscaux» (Bermudes, Îles vierges britanniques, Panama, Îles Cayman
et Jersey) figurent parmi les vingt premiers investisseurs dans l'immobilier à Hanoi.

457
2. Le jeu croisé des acteurs.

Tous les projets immobiliers financés par les investisseurs étrangers prennent la forme de la
société mixte oujoint-venture. Il faut donc distinguer, dans l'analyse, les partenaires étrangers
et les partenaires locaux. Mais bien souvent, entre les deux, s'immiscent des personnes
servant d'intermédiaires qui jouent un rôle essentiel.

2.1. Essai de typologie des intervenants étrangers.

Les investisseurs étrangers dans la promotion internationale sont relativement nombreux à


Hanoi. Rappelons que 74 projets étaient recensés dans toute la province fin 1996. Si l'on
exclut les projets non réalisés ou en attente, on peut estimer à une trentaine les sociétés
réellement actives sur le marché. La promotion immobilière internationale ne peut exister que
grâce à des moyens fmanciers importants. Très rares sont les entreprises qui peuvent à la fois
réaliser un produit immobilier et le financer. Nous avons ainsi pu constater qu'il existait à
Hanoi deux niveaux d'acteurs étrangers dans l'immobilier. Les premiers sont les
« opérateurs» du projet. Ils sont installés sur place et sont facilement identifiables. Les
seconds sont les investisseurs dans les projets. Ils sont en retrait de la scène puisqu'ils ne
gèrent que des flux financiers, mais apparaissent immédiatement comme les véritables
« maîtres» des projets lorsque l'on discute avec les opérateurs. 79

2.1.1. Les opérateurs des projets: les figures du promoteur. 80

a) Les professionnels de la promotion internationale.

Il s'agit des entreprises dont J'activité principale est la promotion immobilière. Elles ne sont
que trois à Hanoi et présentent le trait commun d'être installées depuis longtemps au Viêt-
nam et de développer plusieurs projets.

Hong Kong Land représente la figure classique du promoteur en Asie du Sud-Est. La société
appartient au groupe Jardine, l'une des entreprises à l'origine de la fondation de Hong Kong.

79Nous nous appuyons dans cette section sur des entretiens avec des responsables d'entreprises étrangères et
avec des consultants immobiliers internationaux, notamment Chesterton Petty Vietnam.

458
Ce consortium, dont la direction est britannique, détient aussi la Hong Kong Bank. Hong
Kong Land est un aménageur public crée en 1889 par la couronne britannique. En 1998, il
81
employait 600 personnes et son actionnariat était en majorité privé. La solidité de ses
finances permet à Hong Kong Land d'élaborer une stratégie commerciale sur le long terme. 82
Contrairement à beaucoup d'autres promoteurs, le groupe ne vend que très rarement ses
bâtiments. Il s'assure de la rentabilité de ses projets en investissant systématiquement dans
l'hyper-centre (notion anglo-saxonne de prime location) des grandes capitales asiatiques.
Conformément à ce principe, il a construit au Viêt-nam deux immeubles de bureaux dans le
centre de Hanoi, le Central Building, inauguré en 1995, et le 63 Ly Thai To achevé en 1998 à
proximité du Grand Théâtre.

Straits Steamship, filiale du consortium singapourien Keppel, fut le premier promoteur


international à construire à Hanoi. Elle réalisa en 1994 l'International Business Centre,
premier immeuble de bureaux de niveau international à apparaître dans le centre de Hanoi.
Keppel est l'une des quelques multinationales qui se sont développées grâce à la construction
des infrastructures urbaines de la cité-Etat de Singapour. Elle est très proche du pouvoir et la
holding publique Temasek détenait 35% de son capital en 1996. La construction navale, son
activité d'origine, constituait encore plus de la moitié du chiffre d'affaires cette année là. Le
groupe s'est diversifié dans les infrastructures urbaines. Il est très présent dans la ville
nouvelle de Suzhou en Chine. Straits Steamship est sa filiale de promotion immobilière. Elle a
notamment construit des immeubles aux Philippines et en Birmanie. Outre l'International
Business Centre, elle est en train de construire un immeuble de grande hauteur dans le centre
de Hanoi, la tour de bureaux de la Banque d'Etat du Vietnam.

80 Voir définitions du promoteur, chapitre 8.


81 La société est enregistrée à la bourse de Londres mais la plupart de ses actions sont commercialisées à
Singapour. Son patrimoine s'élevait en décembre 1997 à 8,8 mi lliards de dollars et elle disposait de plus d'un
milliard de dollars de liquidités. Elle détient 12 immeubles dans le centre de Hong Kong (quelque 5 millions de
m2 de bureaux et de commerces). Elle est divisée en deux divisions: Hong Kong Land China investit à Hong
Kong et en Chine. Elle détient notamment 40% de la China Water Company. Hong Kong Land International
Holding développe ses activités immobilières à Singapour, au Vietnam, en Indonésie et aux Philippines (source
Hong Kong Land).
k2 Entretien avec Simon Craig, Hong Kong Land, septembre 1998.

459
Illustration 10-1. L'immeuble 63 Ly Thaï Ta.

Il s'agit d'un immeuble de bureaux de huit niveaux de 7000 m 2 de plancher. Le rez-de-chaussée est réservé à des commerces.
Le groupe Manolis&Compagny Asia Limited, investisseur privé américain est à l'origine du projet. Il eu l'opportunité de
développer ce site et rechercha un promoteur associé. En 1994, il s'associa avec Hong Kong Land. Cette société a également
un projet immobilier touristique avec la compagnie Hastec au lac de l'ouest. le Doan Ket West Lake village. Quand à Hong Kong
Land, nous avons vu qu'elle possédait déjà l'expérience de la promotion au Viêt-nam avec le Central Building construit en 1995.
Le comité central du Front de la Patrie possédait des bureaux sur le terrain du projet. " utilisa une de ses entreprise, Chan Hung
Polimex, comme partenaire de lajoin/-ven/ure.

L'investissement total est de 19,7 millions de dollars. Il est apporté par Manolis et Hong Kong Land. Cette dernière dispose de
suffisamment de fonds propres pour financer le projet mais préfère recourir à l'emprunt pour des raisons de gestion financière.
Contrairement à certains groupes chinois, Hong Kong Land n'a pas toujours recours à la banque de sa société mère, la Hong
Kong and Shanghai Bank. Le capital légal de la joint-venture est apporté à 50% par chaque partenaire. Au moment de la
construction, le loyer foncier était légèrement inférieur à 20 US$/m 2/an.

La libération du terrain fut assez rapide car le partenaire vietnamien disposait des DUS sur la totalité du terrain. Les travaux de
destruction commencèrent en février 1996. Le bâtiment détruit était un immeuble colonial d'un étage. La commercialisation a
commencé en mars 1998. Fin 1998, trois locataires dont la Japan Business Association et Nippon Telegraph and
Telecommunication Corporation (NTI) a signé un bail de trois ans. NTI était auparavant locataire de "autre immeuble de Hong
Kong Land, le Central Building. Photo L.P.

460
Illustration 10-2. L'International Business Centre.

Cet immeuble de 8 niveaux, dont un en sous-sol et 3 en retrait de la rue a été réalisé par Straits Steamship, filiale du groupe
singapourien Keppel. Il s'agit du premier bâtiment étranger édifié dans la rue Trang Tien. Il reçu sa licence d'investissement en
1991. Le partenaire local est une de nombreuses librairies de la rue Trang Tien. Elle appartient au comité populaire de Hanoi.
L'ancien bâtiment a été détruit en octobre 1994 . Le nouveau a été conçu par un architecte singapourien et les travaux conduits
par l'entreprise de construction Contech, basée à Hong Kong mais détenue par Keppel. Deux entreprises vietnamiennes ont
effectué les travaux de finition. Photo L.P.

La troisième entreprise de promotion est également singapourierme. Il s'agit de Liang Court.


Elle a notamment construit les tours jumelles Hanoi towers (appartements, bureaux et
commerces). Un grand aménageur public de Singapour, Pidemco Land, a acquis 51 % des
parts de Liang Court en 1999.

Il est remarquable que ce soient de grands groupes immobiliers de Singapour et de Hong


Kong qui soient les seuls professiormels présents à Hanoi. Très liés à l'histoire de la
construction de ces deux métropoles internationales, ces promoteurs sont de puissants
vecteurs de leur modèle d'urbanisation au Viêt-nam. Leurs liens très étroits avec la puissance
publique et les autorités politiques les servent également dans le contexte vietnamien où
l'économique et le politique sont profondément imbriqués.

461
D'après un responsable de Hong Kong Land, la faible représentation des promoteurs sur le
marché de Hanoi peut s'expliquer en partie par les difficultés rencontrées pour financer les
83
projets. Le financement d'un projet est toujours constitué par des prêts bancaires. Or les
banques étrangères refusent de gager leurs prêts sur du patrimoine au Viêt-nam, comme la
84
détention des DUS. Les promoteurs doivent hypothéquer des immeubles qu'ils détiennent
dans d'autres pays.85 En cas d'échec, ils perdent et le projet vietnamien et leur immeuble à
l'étranger. Ceci explique la réticence des grandes sociétés de promotion à s'implanter dans le
pays.

b) Les entreprises de construction ou « builders ».

Au Viêt-nam, il est obligatoire pour un investisseur de recourir à un appel d'offre pour


sélectionner le constructeur des bâtiments. Les contrats de gré à gré et les accords entre
investisseurs et constructeurs sont interdits. Cette mesure vise à favoriser les entrepreneurs
vietnamiens. Elle devrait normalement empêcher les associations entre investisseurs et
constructeurs internationaux. Malgré cela, les grandes opérations immobilières internationales
sont souvent " sous contrôle". Cela signifie qu'il y a entente préalable entre les investisseurs
et une compagnie de construction. La méthode est simple: les contrats d'appel d'offre sont
ainsi formulés qu'ils favorisent l'entrepreneur associé.

Ce contournement de la loi s'explique par les intérêts communs des investisseurs et des
entrepreneurs. Lorsqu'un investisseur dispose d'une opportunité pour monter un projet
immobilier, il cherche souvent à s'associer avec une entreprise de construction avec laquelle il
a déjà construit dans d'autres pays. A l'inverse, une entreprise de construction qui cherche à
construire au Viêt-nam peut monter un projet immobilier dans le seul but d'obtenir un contrat
de construction. C'est le cas de l'entreprise française Campenon Bernard. Sa direction
86
Bâtiment Export est spécialement chargée de ces activités en amont de la construction. La

&) Entretien avec Simon Craig, Hong Kong Land, septembre 1998.
&4 Bien que légalement la société mixte soit responsable du remboursement des emprunts, les banques ajoutent
toujours une clause au contrat stipulant qu'en cas de non paiement, c'est au partenaire étranger de rembourser.
&S Un cas particulier est celui des constructeurs japonais qui sont associés avec une banque de leur groupe. Celle-

ci leur octroie des prêts à des conditions très favorables telles qu'un long délai avant remboursement.
&6 Elle a été crée après que les activités de promotion-construction eurent été abandonnées pour avoir conduit les
sociétés à de lourdes pertes lors de la crise de l'immobilier en Europe au milieu des années 1990. Depuis, le

462
stratégie développée au Viêt-nam consiste à rechercher d'abord les opportunités de
construction puis à créer le produit immobilier. Le pari est que les coûts de montage du projet
(études techniques, projet architectural, tour de table des investisseurs) seront compensés par
les profits tirés de la construction du projet.

Le projet de l'hôtel Opéra Hilton est le seul projet de Campenon Bernard à Hanoi. A l'origine,
c'est le promoteur-constructeur français CBC qui avait monté le projet. Victime de la crise de
l'immobilier en Europe au début des années 1990, il a été racheté par Campenon-Bernard.
Depuis lors, le sigle CBC inscrit sur la licence d'investissement signifie Campenon Bernard
Construction sans avoir donné lieu à la rupture du contrat de partenariat initial. 87

La rénovation de 1'hôtel Métropole par l'entreprise de construction française FEAL


International ( appartenant également au groupe Société Générale des Eaux) répond à la
même logique. En 1989, l'entreprise a eu l'opportunité d'obtenir le contrat de rénovation de
1'hôtel Métropole. Elle a ensuite trouvé des financements auprès de la banque française
Indosuez et d'une filiale de la banque mondiale, International Financial Cooperation. En
1994, l'extension du bâtiment fut décidée par FEAL. L'investisseur de cette seconde tranche
fut le groupe Indotel qui rassemble sept membres dont un des plus importants groupes
financiers américains, Tempelton Asset Management. 88

groupe Société Générale des Eaux, auquel appartient cette entreprise, a décidé de se recentrer sur la construction.
Entretien avec Philippe Chambraud, Direction bâtiment export, Campenon Bernard SGE, mai 1998.
87 La procédure de délivrance des licences étant longue et coûteuse pour l'investisseur et le ministère du plan ne
souhaitant pas rompre trop facilement les contrats de joint-venture, cet arrangement avantageait les deux parties.
88 Entretien avec Robin Holdsworth, cabinet de consultants Brooke Hillier Parker, chargé de la
commercialisation de bureaux du Métropole, septembre 1998.

463
Illustration 10-3. L'hôtel Opera Hilton.

Il s'agit d'un projet à deux composantes:


un hôtel quatre étoiles de 279 chambres, soit 23 667 m2 de plancher sur un terrain de 5363 m 2 ;
un immeuble de bureaux de 5986 m 2 de plancher sur un terrain de 1917 m 2 situé en face de l'hôtel.

A l'origine de ce projet se trouvait une entreprise française de construction, la Compagnie Générale de Bâtiment et de
Construction (CBC). Elle avait réalisé entre autre deux bâtiments dans le quartier de la Défense à Paris: le siége de la Société
Générale et l'immeuble du CNIT. Elle a, au début des années 1990, l'opportunité de construire sur ce terrain situé a quelques
mètres du plus prestigieux monument de Hanoi, le grand théâtre. Elle intervint alors comme un investisseur-constructeur: elle
investit elle-même dans le projet qu'elle veut construire. Elle passe un contrat de partenariat avec Hilton International pour
assurer l'exploitation de "investissement sur 30 ans. Il reversera chaque année une partie de ses bénéfices au constructeur. Le
prestigieux groupe hôtelier s'engaga dans ce projet car il correspondait à sa politique d'implantation dans l'hyper centre des
grandes villes. Les deux partenaires créerent la SARL hôtelière de l'Opéra, En janvier 1993, ils s'associèrent dans une joint-
venture avec la compagnie Toserco (Tourism Service Company) du comité populaire de Hanoi. Le loyer des droits d'usages du
sol et les bâtiments existants ont été estimés à près de 20 US$/m 2 en 1993. Cela correspondait au montant maximum autorisé
par le ministère des finances. La localisation prestigieuse du terrain explique ce montant bien que l'investisseur estime qu'il
fallait surtout atteindre les 30% de participation vietnamienne au capital légal par la location des DUS.

En 1998, aucun des deux partenaires d'origine n'est plus partie prenante du projet. La CBC avait été rachetée par la société
Campenon-Bernard, membre du groupe Société Générale des Eau. La direction du groupe décide de rester partenaire du projet
de Hanoi. Hilton, qui est déjà associé avec Campenon-Bernard dans d'autres pays, maintient son partenariat. Nous avons vu
plus haut que Campenon Bernard ne s'engageait plus financièrement dans ses projets mais faisait appel à des investisseurs
institutionnels. Pour ce projet, le financement est en grande partie apporté par la Caisse Centrale des Caisses d'Epargnes. Une
banque allemande ainsi que la Société Générale complètent le groupe des investisseurs. L'investissement enregistré lors du
dépôt de la licence était de 58,5 millions de dollars, il a étè porté depuis à 63 millions. Quand au partenaire vietnamien, il s'est
avéré incapable de mener à bien la procédure d'indemnisation des habitants. En 1996, le comité populaire de Hanoi remplaça
Toserco par la compagnie de l'hôtel 8ông Loi. L'hôtel fut achevé en 1999 tandis que les travaux de l'immeuble de bureaux
n'avaient pas encore commencé en 2000. Photo L.P.

464
Illustration 10-4. L'hôtel Métropole.

L'hôtel Métropole fut construit à l'époque coloniale par des architectes français. Il fut longtemps le plus prestigieux hôtel de
Hanoi. Après l'indépendance, il ne fut pas entretenu et se délabra. En 1989, l'entreprise de construction française FEAL
International ( groupe Société Générale des Eaux) proposa de le rénover. Elle obtint le soutien politique de l'ambassade de
France. La banque française Indosuez et une filiale de la banque mondiale, International Financial Cooperation, financèrent le
projet. Le groupe Accor, gérant de l'hôtel, n'entrait que pour une petite part dans le capital initial. La cornpagnie du Cornité
populaire Hanoi Tourisrn et l'entreprise Unimex furent choisis comme partenaires. Le contrat de joint-venture fut signé en 1989.

Les travaux de rénovation eurent lieu en 1991 et s'achevèrent en avril 1992. L'hôtel connut un tel succès que l'investissernent
fut rentabilisé en 9 rnois. L'extension du bâtirnent fut alors décidée par FEAL. L'investisseur de cette seconde tranche est le
groupe Indotel qui rassernble 7 rnernbres dont un des plus irnportants groupe financier arnéricain, Ternpelton Asset
Managernent. " a beaucoup investi dans l'immobilier au Viêt-narn et notarnment dans une résidence de luxe de Hanoi, le
Mayfair. Accor est aussi présent dans Indote!. Le nouveau bâtirnent fut ouvert en 1997 (notre photographie). " dispose de 109
chambres et de plus de 5000 rn 2 de bureaux. Photo L.P.

Pour une entreprise de construction, la rentabilité à long terme de l'exploitation du projet ne


constitue pas l'élément le plus déterminant. Son objectif est que l'opération se fasse afin de
tirer des revenus de la construction du projet. Ce sont les partenaires financiers qui exigent un
niveau de rentabilité élevé. Toutefois, dans le cas où l'entreprise n'obtient pas le contrat de
construction malgré la mise sous contrôle du projet, elle peut toujours s'associer aux autres
investisseurs en transformant ses coûts d'étude en parts de capital. Dans ce cas elle se
comporte comme tout investisseur et attend une forte rentabilité du projet.

465
Les grands groupes de construction sont peu présents sur le marché vietnamien car ils
n'obtiennent pas suffisamment de contrats pour justifier le maintien d'un personnel expatrié
sur place. Par exemple, le groupe Bouygues ne s'intéresse pas au marché vietnamien jugé peu
sûr et peu rentable. Il a construit un seul bâtiment à Hanoi, le centre de conférences
internationales, car il était financé par le gouvernement français à l'occasion du sommet de la
francophonie en 1997.

La filiale de construction du conglomérat industriel sud-coréen Daewoo a bâti le premier


complexe tertiaire à Hanoi regroupant une tour de bureaux, un hôtel et un immeuble
d'appartements. Daewoo espère que ses investissements dans l'immobilier lui permettront
ultérieurement d'être privilégié par le gouvernement pour développer son industrie
automobile et de biens d'équipements.

Illustration 10-5. Le complexe immobilier Daeha.

Le complexe est situé à l'entrée ouest de la ville, à proximité de plusieurs lacs. Au centre, l'hôtel, à gauche l'immeuble
d'appartements et à droite, l'immeuble de bureaux. Photo L.P.

466
2.1.2. Les financeurs des projets: les investisseurs.

Ce sont des acteurs essentiels de la production immobilière tertiaire à Hanoi. Bien qu'ils ne
jouent pas un rôle direct dans la construction, ils sont les partenaires indispensables des
promoteurs et des constructeurs puisqu'ils leurs apportent tout ou partie des capitaux
nécessaires à la réalisation des projets. Il s'agit d'acteurs difficilement accessibles et aux
modes de fonctionnement très divers.

On peut tout d'abord discerner les investisseurs de capital risque. Typiquement, il s'agit de
gérants de fonds de pensions. On peut citer le fonds d'investissement américain Manolis,
partenaire de Hong Kong Land dans l'immeuble 63 Ly Thai To ou encore l'un des plus
grands groupes financiers américains, Tempelton Asset Management, financeur majoritaire de
l'extension de l'hôtel Métropole. L'autre grand hôtel du centre, le Hilton, a été financé en
grande partie par la Caisse centrale des caisses d'épargnes françaises. Une banque allemande
ainsi que la Société Générale sont également membres du groupe des investisseurs. Le Press
Club a également été financé par des capitaux-risques localisés au Luxembourg.

Les grands investisseurs imposent des règles strictes aux promoteurs immobiliers en échange
de leurs capitaux. La première contrainte est la recherche d'une rentabilité élevée. Le Viêt-
nam étant l'un des pays au monde où le risque d'échec d'un projet est le plus grand, il est
normal que les investisseurs exigent des taux de profits très élevés. A Hanoi, le taux de retour
interne exigé sur 10 ans est généralement de 25%.89 En comparaison, à Paris, où le placement
est très sûr, il n'est que de 4 ou 5%. Les capitaux qui viennent s'investir dans l'immobilier au
Viêt-nam sont donc motivés avant tout par une opportunité de très forte rentabilité et non par
une volonté de placement sur le long terme. Ceci explique en partie la volatilité de ces
capitaux constatée en 1995, lorsqu'ils se retirèrent subitement du marché vietnamien.

89Le taux de retour interne est la part du capital remboursée chaque année. Il est généralement calculé sur une
durée de 10 ans afin que les premières années d'exploitation qui produisent peu de profits soient compensées
par les suivantes. Le taux de retour interne sur 10 ans est calcu lé ainsi:
somme des bénéfices sur une durée de 10 ans / 10 x 100
capital investi

467
Illustration 10-6 . Le Press-club.

La société française de services touristiques installée au Viêt-nam, Exotissimo, a eu l'occasion de s'associer avec l'association
des journalistes du Viêt-nam pour construire un nouvel immeuble à la place de l'ancienne salle de réunion de l'association. Les
droits d'usage du sol étaient entièrement détenus par l'association des journalistes du Viêt-nam. Le bâtiment qui fut détruit
datait d'une dizaine d'année et ne possédait pas d'intérêt patrimonial. En revanche, une villa coloniale que l'association louait a
été conservée, le nouveau bâtiment venant l'entourer. L'association apporta sa part de capital sous forme de DUS et de la
valeur estimée de son bâtiment (dont la partie française finança la destruction). L'ensemble fut estimé équivalent à un loyer de
17 US/m 2/an.

La libération du terrain ne posa pas de problèmes puisque l'association était détentrice des DUS. En revanche, le projet pris 6
mois de retard en raison de l'imprécision du cadastre. Le cadastre de cette partie de la ville n'a pas été remis à jour depuis la
période coloniale ( le terrain portait encore le nom du propriétaire français). D'après ce D'après ce document, le terrain mesurait
582 m2 • C'est sur cette base que fut calculé le montant du loyer des DUS et donc la participation vietnamienne. Après
vérification sur place, il mesurait en réalité 602 m2 , ce qui augmentait la part de capital vietnamienne de 500000 $ à 517 350 $.
Consécutivement, Vietnam holding S.A. augmenta aussi sa participation afin de conserver la parité 75%/25%. L'investissement
total s'élève à 6,5 millions de dollars.

Deux tiers du bâtiment sont désormais consacrés à des restaurants, un club et des salles de conférences, le dernier tiers
restant accueillant des bureaux. Si la commercialisation des bureaux au loyer de 30$/m 2 par mois est difficile, en revanche, la
location des salles de conférence et de réunion fonctionne bien. Photo L.P.

468
Une autre exigence des investisseurs est la possibilité de se désengager de projets à n'importe
quel moment. Elle se combine souvent avec la recherche d'une localisation des fonds dans un
paradis fiscal pour conduire à la constitution de sociétés-écrans. Ainsi, les partenaires du
projet 63 Ly Thai To (Hong Kong Land et l'investisseur américain Manolis) ont créé une
société mixte aux Bermudes, paradis fiscal, qui permettait en outre de contourner l'embargo
américain sur les investissements au Viêt-nam. Les investisseurs dans le projet du Press Club
ont également constitué une société holding au Luxembourg. Cette pratique de la société
holding présente l'intérêt maj eur de pouvoir « revendre» l'affaire avant que le contrat de
joint-venture soit arrivé à terme. La loi vietnamienne interdit en effet le changement de
partenaire étranger lors de l'exploitation d'un projet d'investissement, généralement prévue
pour 20 ou 30 ans. Or, les investisseurs peuvent poursuivre une logique visant à rentabiliser
au maximum leur investissement sur une dizaine d'années puis le revendre pour aller investir
ailleurs. En créant une société-écran, ils peuvent la revendre à d'autres investisseurs sans que
le partenaire du contrat de joint-venture ne soit modifié. Parmi les paradis fiscaux que l'on
peut repérer sur la liste des pays d'origine des investissements étrangers immobiliers à Hanoi,
on trouve les Bermudes, les Îles vierges britanniques, Panama ou encore les Îles Cayman.
Cette pratique nous amène à reconsidérer le poids des pays asiatiques, et notamment Hong
Kong et Singapour, dans l'investissement immobilier au Viêt-nam. Une partie des projets
licenciés à des sociétés localisées dans ces pays au régime fiscal très favorable sont en réalité
financés par des capitaux nord américains ou européens. Ceci est logique étant donné que les
flux de capitaux à l'échelle mondiale proviennent en très grande majorité de ces régions.

En marge de ces investisseurs de capitaux-risques, existent des investisseurs dont la


motivation n'est pas toujours le profit maximum. Certains projets immobiliers de Hanoi,
caractérisés par leur piètre qualité et l'ignorance de la situation du marché, laissent penser aux
experts des cabinets de consultants qu'ils ont surtout pour but de blanchir de « l'argent sale ».
Dans ce cas, le but premier de l'investissenr.est de reconstituer son capital, le profit vient
après.

2.2. La diversité des partenaires vietnamiens.

Contrairement aux investisseurs étrangers, les partenaires vietnamiens des projets immobiliers
ne sont quasiment jamais des entreprises de construction ou de promotion. Nous connaissons
un seul exemple d'entreprise publique de construction associée dans des projets immobiliers.

469
Il s'agit de la compagnie du ministère de la construction Housing and Urban Development qui
a réalisé l'immeuble d'appartement Jana garden à Giap Bat avec l'entreprise japonaise Nissho
Iwai Corp. et la tour de bureaux V- Tower à Thù L~ avec 5 ou 6 partenaires japonais dont la
Rinkai Construction Company. Ces deux projets sont situés en périphérie de la ville et il
semble que le but recherché par les partenaires japonais était d'obtenir des contrats de
construction pour la Rinkai Construction Company, entrepreneur dans les deux projets.

L'absence d'entreprises de construction dans le montage des projets immobiliers tertiaires


s'explique par la nécessité pour le partenaire vietnamien de détenir les DUS sur le site du
projet. Il est légalement possible pour une entreprise vietnamienne de s'associer dans un
projet dont elle ne détient pas le foncier mais le coût de libération des terrain est alors très
élevé. Le cas de l'Opéra Hilton est devenu un exemple célèbre des difficultés rencontrées
dans les opération montées avec un partenaire ne disposant pas des DUS. En janvier 1993, le
comité populaire de Hanoi a associé la compagnie de tourisme Toserco (Tourism Service
Company) dans le projet. Il s'agit de l'une des deux compagnies, avec Hanoi Tourism, créées
par ·la municipalité dans le but de s'associer aux investisseurs étrangers dans les projets
touristiques. Elles n'ont cependant pas de compétence dans le montage d'opérations
immobilières. Le comité populaire dut remplacer Toserco par la compagnie de l'hôtel Dong
Loi en 1996 car elle ne parvenait pas à achever l'indemnisation des occupants après 3 ans de
négociation. Cette société appartenait aussi au comité populaire. Significativement, le
changement de partenaire vietnamien n'exigea pas le dépôt d'une nouvelle licence car
l'institution de tutelle restait la même. Derrière ses sociétés de tourisme, le comité populaire
apparaît comme le véritable partenaire de l'investisseur. Son rôle fut d'ailleurs capital dans la
procédure d'indemnisation. Les bâtiments étaient occupés par trois familles de fonctionnaires
du ministère des finances, du commerce et des transports. Un accord fut finalement trouvé
pour que les familles soient relogées sur un terrain appartenant à l'institut d'économie dans le
quartier universitaire Bach Khoa, hors du centre-ville. L'institut d'économie disposait du
terrain mais pas des compétences et des moyens de construire un immeuble de logements. Le
comité populaire demanda à la compagnie immobilière HUD, encore elle, de s'associer avec
l'institut dans cette opération. La compagnie effectua les études et finança la construction des
logements. Elle fut ensuite remboursée par le comité populaire sans aucune marge de profit.
Ce n'est pas le partenaire vietnamien qui finança cette opération mais le partenaire français.
Campenon-Bernard dépensa au total 2,5 millions de dollars dans la libération des terrains.

470
Cette expérience malheureuse persuada les investisseurs étrangers de s'associer avec les
détenteurs des DUS du site convoité.

Les premiers investisseurs étrangers au début des années 1990 prisaient particulièrement les
terrains détenus par l'Année. Celle-ci avait l'avantage de détenir de très nombreux terrains,
notamment sur la rive sud du lac Tây, où plusieurs projets de « resort» japonais et américains
furent construits. En outre, son poids -au sein de l'appareil d'Etat rassurait les investisseurs sur
sa capacité à faire accepter le projet et à le mener à terme. La reconversion de l'Année dans
les affaires depuis l'ouverture est un fait notoire. En 1998, plus de 191 unités militaires étaient
impliquées dans des activités proprement économiques sur l'ensemble du territoire. Soixante
d'entre elles étaient associées à des investisseurs étrangers pour un investissement total de
quatre milliards de francs. Elles étaient particulièrement présentes dans le secteur de la
construction. Dans ce secteur, les entreprises conjointes entre l'Armée et les promQteurs
étrangers ont dégagé 500 millions de francs de chiffres d'affaires en 1997 (cité par Papin,
1999, p 128).

Tous les terrains situés dans le périmètre restreint de l'hyper-centre « appartiennent» à des
organismes d'Etat. Ce sont eux qui deviennent les partenaires du projet derrière les sociétés
filiales. On peut citer l'association des journalistes du Viêt-nam, partenaire dans le Press club
ou encore la compagnie Agrexport partenaire de l'Opera Trading Center. Cette dernière est
une entreprise d'Etat florissante grâce à sa position d'intermédiaire obligatoire dans les
activités d'exportation agricole. Le cas du 63 Ly Thai To est un peu différent. Le terrain
appartenait à l'organisation politique du Front de la patrie. L'imbrication des pouvoirs
politiques et économiques au Viêt-nam fait que le Front de la patrie possède des entreprises.
Panni elles, Chan Hung Polimex, crée en 1990 pour mener des activités d'import-export avec
les pays de l'Asie du sud-est, a été choisie comme partenaire.

Les objectifs poursuivis par les partenaires vietnamiens dans les projets immobiliers sont
avant tout financiers. Ils n'ont aucune expérience dans l'immobilier et n'interviennent pas
dans le choix de l'architecture ou du programme. La plupart du temps, le partenaire étranger
conduit seul l'opération. Un trait caractéristique des entreprises ou organismes d'Etat
engagées dans des projets immobiliers est leur relatif désintéressement à la réussite du projet.
Ceci n'est pas seulement vrai pour les projets en partenariat avec des étrangers mais d'une
manière générale pour toutes les entreprises ou organisations publiques dont l'activité

471
principale n'est pas l'immobilier. Contrairement aux particuliers vietnamiens qui investissent
leur propres capitaux, les dirigeants des entreprises publiques ne prennent pas de risques
personnels. En revanche, ils sont très attirés par la capacité d'un projet immobilier à leur
procurer des revenus occultes. Les passassions de contrats de construction sont autant
d'occasions de versements illicites.

2.3. Le rôle opaque des intermédiaires.

La plupart des projets immobiliers internationaux au Viêt-nam trouvent leur ongme dans
l'action de personnes importantes bien que peu visibles, les intermédiaires. Ils se chargent de
faire le lien entre les investisseurs étrangers, venus reconnaître le marché lors de courtes
missions, et les entreprises vietnamiennes peu habituées aux pratiques des milieux d'affaires
étrangers.

La présence de ces intermédiaires sur le marché de la promotion internationale s'explique par


l'opacité de l'environnement institutionnel dans lequel évoluent les acteurs économiques.
L'information sur les opportunités d'investissements et la résolution de toutes les contraintes
administratives pour pouvoir « entrer» sur le marché ont un coût non négligeable dans tous
les pays du monde: ce sont les coûts de transaction. Le Viêt-nam est certainement l'un des
pays au monde où les coûts de transaction sont les plus élevés pour les investisseurs étrangers.
La moindre demande d'autorisation donne lieu au paiement de taxes et à des versements
informels. Il est fréquent de perdre une année et de dépenser un million de dollars en
recherche de partenaires et ouverture d'un bureau de représentation (étape longtemps
obligatoire pour pouvoir avoir une activité dans le pays) avant même d'avoir obtenu la licence
d'investissement.

Dans ce contexte, les personnes qUI possèdent des réseaux de relations leur permettant
d'obtenir des informations et de faciliter le montage d'opérations disposent d'un « capital»
aisément rentabilisable. Ils sont surtout présents à HCMV où les affaires sont plus prospères
et le contrôle politique moins sévère qu'à Hanoi.

472
Bien que ce métier implique d'être particulièrement « visible» dans les milieux d'affaires, les
activités des intennédiaires sont très difficiles à cerner puisqu'elles ne laissent généralement
pas de trace officielle. Nous avons toutefois pu distinguer deux types d'intermédiaires.

Les premiers sont des «facilitateurs» d'affaires. Leur rôle et leur engagement dans le
montage des projet est très limité. On compte parmi eux beaucoup de Vietnamiens résidents à
l'étranger, les Vi~t kiêu, qui tirent parti de leur réseau de relations au Viêt-nam et à l'étranger.
En matière de projets immobiliers, leur principal objectif est de persuader des entreprises ou
organisations vietnamiennes disposant de terrains dans des sites particulièrement attractifs de
s'associer avec un investisseur étranger dans un projet. Ils se rémunèrent généralement par
une commission de 3% sur le montant des contrats. Jusqu'au milieu des années 1990, les
facilitateurs d'affaires ont réussi à persuader beaucoup d'investisseurs institutionnels
(banques, fonds de placement) de se laisser tenter par un placement risqué, donc très rentable,
à Hanoi. Pour citer un exemple déjà vu, le projet du Press Club fut présenté au directeur de
l'agence de tourisme française Exotissimo par un de ces facilitateurs.

Un second type de personnes joue un rôle beaucoup plus important dans le montage des
projets. Ce sont les apporteurs d'affaires. Ils trouvent des terrains, négocient avec l'usager
vietnamien sa participation dans un projet immobilier et réalisent toutes les procédures
jusqu'à la signature de la licence d'investissement. Il ne leur reste ensuite qu'à revendre la
«package joint-venture» à un véritable investisseur. Ceci n'est possible que parce que le
ministère du plan et de l'investissement ne vérifie pas si l'apporteur d'affaires dispose bien
des capitaux qu'il prétend investir dans le projet. Cette pratique en dit long sur l'absence
totale de contrôle du gouvernement sur la fiabilité des partenaires étrangers. 90

Les premiers apporteurs d'affaires sont apparus à HCMV au début des années 1990. Des
hommes d'affaires taiwannais ou hongkongais ont monté des j;irlt-ventures immobilières
dans le seul but de revendre leurs parts à des promoteurs à la recherche de terrains en prenant
une commission de 10 ou 20%. A Hanoi, Peter Purcell, homme d'affaires américain, fut
certainement l'apporteur d'affaires le plus célèbre et le plus talentueux. Il monta nombre de
joint-ventures immobilières avant de les revendre à des investisseurs. Il est également à
l'origine du plus grand « gâchis» de la capitale en ayant persuadé en 1993 l'entreprise de

90 Il est en outre tout à fait possible de signer un contrat d'investissement sans apporter en même temps les fonds
de roulement de la joint-venture.

473
construction Christiani&Nielsen, basée en Thailande, de détruire un grand magasin français
construit dans les années 30 à proximité du Grand théâtre pour y construire le Hanoi PIazza
(voir chap. 6). Un autre apporteur d'affaire est à l'origine de l'immeuble de bureaux, 63 Ly
Thai To, construit par Hong Kong Land. Il a monté une joint-venture avec le Front de la
patrie, détenteur des DUS, avant de céder l'affaire à Hong Kong Land et Manolis. Il a
conservé des parts dans le projet pour se rémunérer. Ces apporteurs d'affaires se sont
considérablement enrichis dans ces activités intennédiaires.

La présentation des différents acteurs de la production immobilière internationale à Hanoi


nous a pennis de mettre àjour des comportements et des logiques d'action diverses. Les trois
types d'acteurs identifiés ne sont toutefois pas porteur chacun d'un mode de production
particulier. Au contraire, ils sont la plupart du temps associés dans un même projet. Un
apporteur d'affaires peut très bien revendre son projet à une entreprise de promotion qui
recherchera ensuite des partenaires financiers et un entrepreneur. C'est l'ensemble des
relations entre ces acteurs qui fonne le système de production tertiaire international. La trait
commun à tous ces acteurs est leur implication dans la production d'un bien particulier: un
immeuble. Cette activité de «producteur de bâti» possède ses propres règles qu'il nous faut
maintenant analyser.

3. Immobilier de prestige: les aléas de la course à la centralité.

Dans le monde entier et particulièrement en Asie du Sud-Est, l'immobilier tertiaire supérieur


«détennine les nouvelles formes de fabrication de la centralité urbaine, ses nouvelles
fonctions et ses nouveaux usages fonciers» (Goldblum, 1996, p 182). A Hanoi, les
immeubles d'activités tertiaires supérieures sontles prin~ipaux agents de la transformation du
centre-ville depuis j'ouverture du pays aux investissements étrangers. Ils imposent leurs
caractéristiques physiques (immeubles de grande hauteur) ainsi que leurs fonctions propres.

Nous essayons d'analyser comment les promoteurs internationaux mènent leurs activités à
Hanoi, c'est-à-dire comment ils conçoivent, organisent, réalisent et commercialisent des
produits immobiliers. L'organisation de la production immobilière exige tout d'abord un .
approvisionnement régulier en sols. Elle se heurte alors à un obstacle car le sol est un bien
non reproductible et monopolisable. Ces caractéristiques se concrétisent par l'existence d'une
rente pour les propriétaires fonciers et donc d'un coût élevé de « libération du sols» pour les

474
promoteurs (voir chapitre 8). De la façon dont les promoteurs étrangers parviennent à lever
l'obstacle foncier à Hanoi dépend le niveau de la rente et la rentabilité de leurs produits.

La seconde tâche du promoteur est de trouver des capitaux de circulation qui permettent de
préfinancer la réalisation des produits immobiliers. 91 Il doit pour cela faire appel à des
investisseurs. Mais ceux-ci posent comme condition à leur engagement un niveau et une durée
de retour sur investissement plus ou moins élevé selon le risque pris. C'est le niveau des prix
de commercialisation et la durée de celle-ci qui déterminent les taux de profits envisageables.
Ceci dépend du marché de l'immobilier local et de l'appréciation que s'en font les différents
acteurs.

3.1. Le marché atypique de la contribution au capital de la joint-venture.

Le premier critère de choix des terrains pour les promoteurs est leur localisation. Etant donné
la nature de leurs produits, ils cherchent avant toute chose à être localisés dans le centre ville
et, si possible dans le centre d'affaires de la capitale (voir carte 10-2).

Pour beaucoup d'investisseurs, la localisation dans l'hyper-centre ou prime location


fonctionne comme une assurance de profits rapides et importants. Hong Kong Land applique
ce principe à la lettre. Le 63 Ly Thai To est situé au coeur du nouveau centre d'affaires de
Hanoi et il étudie un autre projet à une centaine de mètres, toujours sur la place du grand
théâtre. L'ouverture du 63 Ly Thai To au plus fort de la récession économique asiatique
92
n'inquiète pas le promoteur. Il maintient ses loyers plus élevés que ses concurrents et choisit
ses locataires selon une politique à long terme. Sa localisation idéale lui assure la rentabilité
de l'investissement. A son ouverture, il s'est donnée un an et demi pour louer l'ensemble du
bâtiment. Un autre intérêt de la localisation centrale, c'est la diversification des usages du
bâtiment qu'elle permet. L'extension de l'hôtel Métropole a été réalisée de façon à pouvoir
accueillir aussi bien des chambres d'hôtel que des bureaux. En 1993, le Press club devait être
un immeuble de bureaux. Son promoteur a prévu assez rapidement la saturation du marché
des bureaux pour transformer son programme. Les deux tiers du bâtiment sont désormais
consacrés à des restaurants, un club et des salles de conférences.

91 Sur la notion de capital de circulation, voir chapitre 9.


9~ Entretien avec Simon Craig, Hong Kong Land, septembre 1998.

475
Carte. 10-2. Les produits immobiliers étrangers à Hanoi.

Fond de 'Carte: Quertamp FalVlY -Progranwne


P6l1urbanltatlon 4110118 provtnoe de Hanoi--

Le centre de Hanoi est le lieu d'implantation privilégié des investisseurs étrangers dans l'immobilier tertiaire. Ils sont concentrés
tout particulièrement dans l'hyper-centre, c'est-à-dire dans un secteur du lac Hoàn Kiém et du Grand Théâtre. En 1998, on
comptait 10 projets immobiliers internationaux dans ce périmètre. Ces projets rassemblent plus de 200 millions de dollars
d'investissement enregistrés. Si on compare ces chiffres avec ceux que nous possédons pour 1996, ils représentent près de
15% des projets immobiliers de Hanoi et environ 10% des montants investis. Ils occupent au total plus de deux hectares dans
"hyper-centre, Cette concentration de projets dans un périmètre aussi étroit met en lumière le rôle de centre tertiaire qu'il est
appelé à jouer dans les années à venir.

A ce critère de localisation qui est commun à tous les pays du monde vient s'ajouter un critère
plus spécifique au Viêt-nam. Etant donné qu'il doit créer la joint-venture avec le détenteur des
DUS, le promoteur cherche à trouver un terrain détenu par une entreprise ou un organisme
ayant des compétences minimum pour l'accompagner dans le projet. 93

93 Nous avons vu qu'un terrain dont les DUS ne sont pas détenus par le partenaire de la J- V perd beaucoup de sa
valeur aux yeux de l'investisseur. La perspective d'une procédure d'indemnisation longue et coûteuse va à
l'encontre de la recherche de rentabilisation rapide.

476
Une fois le terrain et les partenaires choisis, l'investisseur étranger doit se faire attribuer les
droits d'usage. Il se heurte alors au statut de la propriété du sol propre à chaque pays. Dans les
pays où existe un régime de pleine propriété, il doit acheter le terrain. Dans les pays ayant un
régime de baux emphytéotiques, -il le loue pour une longue durée. Au Viêt-nam, la formule est
encore différente. Les investisseurs ont la possibilité légale de louer les terrains s'ils financent
le projet à 100% mais dans le cas où ils doivent s'associer avec un partenaire local dans une
joint-venture (cas obligatoire de fait.pour les projets immobiliers), c'est le partenaire local qui
loue les terrains au nom de la joint-venture. Pour comprendre cette spécificité, il faut revenir
sur le montage des joint-ventures.

Lors de la constitution de la société mixte, chaque partenaire apporte sa part au fonds de


roulement (appelé aussi capital légal) de la société. Le montant qu'apportent les deux
partenaires est essentiel dans le fonctionnement de la société car la répartition des voix au
conseil d'administration ainsi que le partage des profits -mais aussi des pertes de la société
mixte sont proportionnels aux parts des deux partenaires dans le fond de roulement. Le
gouvernement fixe généralement la participation minimum du partenaire vietnamien à 30% du
capital légal. Ceci ne lui donne droit qu'à 30% des profits mais il est généralement prévu
d'augmenter cette part jusqu'à 50% après une quinzaine ou une vingtaine d'années.

Etant donné que le partenaire vietnamien dispose très rarement des fonds nécessaires, il est
autorisé à apporter sa contribution au fond de roulement sous forme du paiement des loyers
des terrains pour la durée du projet. Dans les faits, la constitution du fonds de roulement de la
société mixte se fait en fonction de la valeur des DUS. Imaginons le cas d'un terrain mesurant
1000 m 2 , dont le prix officiel est de 12 $/m 2/an. Par ailleurs, la durée de l'investissement est
de 40 ans. Le montant cumulé des loyers, et donc la part de capital du partenaire vietnamien,
est alors:

1000 x 12US$ x 40 ::: 480000 US$ 94

En fait, le partenaire vietnamien ne paye jamais la totalité des loyers puisqu'il ne dispose pas
des fonds nécessaires. Il contracte simplement un dette envers l'Etat. Lorsque la valeur du
terrain est élevée, l'investisseur étranger fixe son niveau de participation de façon à ce que le

94Nous avons volontairement simplifié le calcul car les actifs existants sur le terrain (généralement des
bâtiments) rentrent également en compte dans le capital de la partie vietnamienne.

477
partenaire vietnamien franchisse juste la barre des 30%. Il Ya intérêt dans la mesure où la part
des profits issus de l'activité de la joint-venture revenant à chaque partenaire est identique à
leur part dans le capital de la société. Le montant total et la répartition du capital au sein de la
joint-venture sont alors les suivants:

Montant total: 1 600 000 US$


Partenaire étranger: 70% de 1 600 000 US$ = 1 120 000 US$
Partenaire vietnamien: 30% de 1 600 000 US$ = 480 000 US$

Il peut arriver à l'inverse que les terrains soient trop petits pour que leur valeur atteigne un
niveau suffisant pour alimenter le fond's de roulement à hauteur de 30%. Lorsque des
bâtiments existent déjà sur le site, il est fréquent que le partenaire vietnamien essaie alors de
parvenir à la barre des 30% en surestimant leur valeur. Il s'agit d'une pratique d'autant plus
choquante pour les partenaires étrangers que ce sont eux qui doivent financer la destruction
des bâtiments pour faire place à leur projet.

Autre pratique, lorsque la barre des 30% n'est pas franchie, le partenaire étranger accorde un
prêt à son partenaire pour lui permettre de franchir la barre des 30%.95 Afin de ne pas trop
s'endetter, la partie vietnamienne peut demander que le prêt soit remboursé par ses bénéfices
dans lajoint-venture. 96 Notons enfin que la contribution vietnamienne sous forme de loyer
handicape les investisseurs étrangers dans le financement de leur projet car les banques
étrangères refusent de reconnaître la valeur des DUS. Le partenaire français du Press Club
s'est ainsi porté garant de la totalité des emprunts de la joint-venture à l'étranger alors qu'il
n'était tenu légalement qu'à se porter garant d'une proportion égale à sa participation au
capital légal. Dans d'autres projets, les banques stipulent dans le contrat d'emprunts qu'elles
se retourneront uniquement contre le partenaire étranger en cas de non remboursement.

A priori, les investisseurs étrangers semblent « perdallts » dans un mode de constitution des
joint-venture qui leur fait indirectement donner des capitaux à la partie vietnamienne. Comme
un promoteur étranger le précise, " ceci est contraire au principe des affaires selon lequel on
partage les profits mais pas le capital ". Les investisseurs acceptent cependant ce partage
parce qu'ils n'ont souvent pas le choix devant l'absence de fonds du partenaire vietnamien et

95 Cas exceptionnel, l'investisseur du Press Club a obtenu de maintenir la pàrticipation vietnamienne au niveau
des 600 m2 de DUS, c'est-à-dire 25%. Il affirme avoir bien négocié sur ce point, avantagé par la faible dimension
du terrain et par J'absence de capitaux de l'association des journalistes.

478
le refus du gouvernement d'autoriser des investissements 100% étrangers dans les secteurs
lucratifs comme l'immobilier. Mais l'investisseur se plie aussi à ces pratiques car il prévoit de
réaliser des profits compensant largement les capitaux mis dans le montage du projet. Le
partage des profits entre partenaires constitue le véritable enjeu des projet de joint-venture. Il
dépend de l'évolution des rapports de force à l'intérieur de chaque projet. La plupart des
contrats de licence prévoient une augmentation régulière de la part des profits revenant au
partenaire local au fur et à mesure de l'exploitation du projet. La répartition de départ du
fonds de roulement ne joue alors plus. D'un autre côté, l'investisseur étranger attache
beaucoup d'importance à la durée du contrat d'exploitation du projet. Plus elle est longue,
plus il peut espérer des profits importants.

En somme, le partenaire étranger ne paie pas les loyers des terrains mais consent à partager
les profits de son investissement à hauteur de la valeur des loyers. En d'autres termes, le prix
du foncier qu'il doit consentir au propriétaire du terrain, in fine l'Etat, ne se matérialise pas
par un montant de location des terrains mais par le versement annuel d'une part des bénéfices
au partenaire. Les deux facteurs qui déterminent la rente foncière que le promoteur concède à
l'Etat sont donc la part des bénéfices qui revient au partenaire vietnamien et la durée de la
participation du partenaire étranger à la société.

On voit bien que par ce mécanisme les deux partenaires sont intéressés à ce que le terrain
produise le maximum de profits. L'offre et la demande de terrains s'accordent donc selon un
mécanisme de marché. D'un côté, les organismes d'Etat cherchent à s'associer dans des
projets immobiliers qui permettront la valorisation maximale de leur terrain; de l'autre, les
promoteurs recherchent les terrains au plus fort potentiel en terme de localisation, de coût de
libération, de niveau d'infrastructures et de surfaces constructibles. Le· fait que le prix des
loyers ne reflète qu'imparfal.tement ce potentiel ne change rien au raisonnement économique
des partenaires. Ils se rencontrent sur un marché foncier qui n'est pas régulé par les prix mais
par les perspectives de profit. L'absence de promoteurs vietnamiens dans notre périmètre
d'étude est la preuve a contrario de l'existence du marché des terrains dans le centre. Ces
deniers sont d'une valeur potentielle si élevée que seuls les investisseurs étrangers se les
attribuent et exercent, par de leur puissance financière, un effet d'éviction à l'encontre des
promoteurs locaux. Le risque est donc moins cehii d'une sous-valorisation des terrains que

96 En cas d'indemnisations des éventuels ayants droit sur le terrain, c'est le partenaire vietnamien qui les finance
mais toujours grâce à un prêt entre partenaires.

479
d'une sur-valorisation par la construction de bâtiments aux dimensions excessives au regard
de leur environnement.

Une autre question est de savoir si ce marché foncier où l'économique se mêle au politique
réagit à l'évolution des prix de l'immobilier comme dans les pays à économie de marché.
Pour le savoir, il faut adopter une approche dynamique liant le coût du foncier à l'évolution
du marché immobilier.

3.2. L'articulation des prix fonciers avec les prix immobiliers.

Nous voulons mettre en évidence le rôle qu'a pu jouer le mode complexe de formation des
prix fonciers dans le premier cycle de l'immobilier international depuis l'ouverture du pays en
1989. 97

Le marché immobilier international comprend trois grandes composantes: les immeubles de


bureaux, les hôtels et les immeubles d'appartements et résidences individuelles. Les
professionnels étrangers de l'immobilier à Hanoi distinguent souvent le marché international
du marché local car ni les produits proposés ni les prix ne sont pas comparables. Pour eux, le
marché immobilier international se définit comme l'ensemble des bâtiments construits par des
investisseurs étrangers et destinés à des étrangers. Il serait toutefois inexact de considérer que
ce marché se comporte comme un corps étranger dans le contexte de l'économie immobilière
de la capitale. Ceci supposerait que les produits immobiliers créés par les promoteurs
étrangers sont principalement destinés à une clientèle étrangère et que celle-ci ne recherche
que les produits internationaux. Dans les faits, l'offre internationale est en concurrence avec
l'offre locale. Dans la période d'émergence du marché immobilier, les entreprises
vietnamientres ne pouvaient construire des immeubles aux normes internationales sans la
technologie étrangère. Ceci est de moins en moins vrai et les promoteurs étrangers doivent
désormais tenir compte de la concurrence locale. Si l'on se place du côté de la demande, les
relations entre les deux marchés sont plus évidentes. Nombre d'entreprises et d'organisations
internationales qui louaient d'anciennes villas coloniales à des organismes publics ont

97Nous utilisons ici le vocabulaire utilisé traditionnellement en science économique (l-l. Granelle, 1998, p 26).
On appelle cycle la succession de phases d'expansion et de récession de l'activité. L'expansion trouve sa fin
avec un retournement conjoncturel ou crise. La crise est suivie d'une phase de récession au terme de laquelle
intervient une reprise, suivie d'une nouvelle expansion.

480
déménagé dans des immeubles de bureaux de standard international. Le même phénomène se
produit dans le secteur résidentiel où le marché des immeubles d'appartements de standard
international a porté atteinte au fructueux commerce de location de maisons particulières aux
étrangers. Il est rare, en revanche, que des entreprises ou des familles vietnamiennes disposent
des ressources suffisantes pour constituer une demande locale de produits immobiliers
étrangers.

Les travaux scientifiques sur l'analyse des marchés fonciers et immobiliers mettent en
évidence leur articulation (voir notamment l'ouvrage de Jean-Jacques Granelle et Thierry
Vilmin, 1993) . Celle-ci est de nature complexe car elle varie selon la nature des produits
(logement social, immobilier de bureau... ), le type d'acteurs (promoteurs ou aménageurs), la
localisation des terrains (centre ou périphérie) et l'état du marché immobilier. Dans le cas qui
nous intéresse ici, celui de terrains situés dans les centres urbains et destinés à des produits
immobiliers tertiaires, il semble que ce soit le «compte à rebours du promoteur» qui
s'impose (Vilmin, 1993 ; Comby 1996). Ce dernier commence par estimer un prix de sortie de
son opération (c'est-à-dire le prix auquel il commercialisera son bâtiment) puis en déduit tous
les coûts afférents à la réalisation du bâtiment, la marge de profit et les taxes afm d'obtenir le
prix qu'il est prêt à payer pour acquérir le terrain (la charge foncière brute acceptable par m2 ).

Il s'ensuit une négociation avec les propriétaires des terrains qui dépend beaucoup de l'état du
marché immobilier. Si le marché est dans une phase de hausse, le promoteur sera prêt à
concéder un prix du terrain plus élevé que prévu car il maintiendra des perspectives de profit
élevées. En revanche, en période de baisse des prix, il transposera la diminution du prix de
sortie sur le prix d'achat du terrain. En fait, ce dernier baissera plus que proportionnellement
car les coûts de construction ne sont pas compressibles et la baisse doit donc être reportée en
grande partie sur le foncier. Ce mécanisme a des conséquences importantes non seulement sur
..,.
le niveau des prix fonciers mais aussi sùr l'évolution des marchés immobiliers et apporte
notamment des éléments pour analyser les cycles qui les caractérisent. 98

98 Il ne faut toutefois pas en conclure que ces mécanismes propres aux marchés suffisent à en expliquer toutes les
évolutions. Vincent Renard (1993a) a par exemple mis en évidence le rôle de facteurs extérieurs au marché
immobilier dans l'explication des bulles spéculatives aux Etats-Unis et au Japon.

481
3.2.1. 1989-1995 : Les prix de l'immobilier tirent les prix fonciers vers le haut.

Jusqu'en 1994, l'offre de produits immobiliers internationaux à Hanoi était quasiment


inexistante. Aucun immeuble de bureau n'avait encore été construit, seul l'hôtel Métropole
répondait aux exigences hôtelières internationales et les étrangers résidents dans la capitale se
logeaient dans des villas louées aux particuliers vietnamiens. Les bureaux de représentation
des entreprises et les premières sociétés de services louaient aussi des villas coloniales. La
rareté de l'offre et le contrôle de celle-ci par des sociétés d'Etat spécialisées dans la location
de villas aux étrangers faisaient de Hanoi une des villes les plus chères en Asie (voir tableau
10-10). Il faut ajouter à cette surévaluation des loyers que la qualité des locaux était nettement
inférieure aux produits des autres capitales régionales. Les villas coloniales, notamment,
n'étaient guère adaptées à un usage de bureau et impliquaient des coûts d'entretien élevés.

Tableau 10-9. Les loyers de bureaux dans les villes d'Asie du Sud-Est en 1993.

Villes US$/m 2 /mois


1 Honq Konq 65
2 Sinqapour 50
3 Taipei 45
4 Hanoi 35
5 HCMV 30
6 Kuala Lumpur 28
7 Banqkok 20
8 Diakarta 17
Source: The property market in VIetnam, Richard Ellis (Thallande), Vietnam Fund Management Co.
Ud (Hong Kong), février 1993, p 22.

Tableau 10-10. Les loyers de résidences dans les villes d'Asie du Sud-Est en 1993.

Villes US$/m 2 /mois


(3 chambres)
1 Hong Konq 5000-7000
2 Sinqapour 3700-4400
3 Hanoi 3000-5000
4 Banqkok 2200-3600
5 HCMV 2000-4000
6 Diakarta 2000-3000
7 Taipei 1800-2600
8 Kuala Lumpur 1600-2800

Source: The property market in Vietnam, Richard Ellis (Thailande), Vietnam Fund Management Co.
Ud (Hong Kong), février 1993, p 22. 0

482
Dans ces conditions de mveau zéro de l'offre internationale, tous les promoteurs et
investisseurs étrangers spécialisés dans l'immobilier tertiaire étaient persuadés de pouvoir
louer très cher leurs produits. Pour eux, le problème n'était pas de trouver des locataires mais
de construire, c'est-à-dire de trouver les terrains, les partenaires locaux et d'obtenir une
licence d'investissement. En outre, il fallait être les premiers à « sortir» les projets afin de
profiter de l'absence de concurrents. Une course aux terrains les mieux situés s'ensuivit. Entre
1992 et 1995, pas moins de 65 projets immobiliers reçurent une licence d'investissement
(tableau 10-11). La compétition fut particulièrement rude entre les grandes chaînes hôtelières
internationales. Hilton, Accor, Sheraton ont tous voulu construire des hôtels à forte capacité.

Tableau 10-11. Les projets d'investissement immobiliers étrangers à Hanoi. 1989-


1995
1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Montant 47,8 1 85 110 510 727 528 75
d'investis-
sements
Nombre de 1 1 4 7 15 25 18 3
projets
. .
Investissements enregistrés en millions de dollars.
Source: comité populaire de Hanoi.

Dans cette période d'euphorie, le calcul des promoteurs était très simple. Les loyers des
surfaces de bureaux oscillaient entre 30 et 40 $/m 2/mois. Etant donné que l'on était en période
d'expansion du marché et en tenant compte de l'inflation, ils estimaient leur prix de sortie à
50$.99 A un tel prix, ils étaient prêts à payer très cher le terrain. Les prix des terrains
augmentèrent donc très fortement. Une première indication sur ce prix est donné par le niveau
des loyers officiels concédés par l'Etat aux partenaires étrangers. Jusqu'en 1992, les loyers
étant simplement négociés avec les investisseurs. Ils purent atteindre 43 $/m 2/an dans le centre
de HCMV et 20$/m 2/an dans le centre de Hanoi. Le ministère des finances élabora un premier
barème de loyers de base en 1992 fixant le loyer maximum de 18 $/m 2/an. IOO La preuve que
-
les investisseurs étrangers payèrent cher le droit d'occuper les terrains est fournie par les
conditions d'exploitation des projets. Il est difficile de les connaître avec précision mais
certaines indications comme la durée très restreinte de la période d'exploitation en commun
avant le retrait du partenaire étranger (15 ans pour le Métropole en 1989, 25 ans pour le Press

99 Entretien avec Alastair Orr Ewing, directeur de Chesterton Vietnam international property consultants, janvier
2000.
100 Décision 51/ TC- TCT du ministère des finances, 10.92.

483
Club en 1993) et une participation vietnamienne aux bénéfices supérieure ou égale à 30%
montrent que le rapport de force était en faveur des partenaires locaux.

A partir de 1994, il apparaissait clairement que l'on se dirigeait vers une cnse de
surproduction. Les projets allaient toutefois continuer d'être accordés massivement en 1995. Il
existe plusieurs raisons à ce comportement apparemment irrationnel des promoteurs. Il faut
tout d'abord mettre l'accent sur le manque d'informations, et donc leur coût, pour les
investisseurs. Les premiers consultants immobiliers internationaux ne se sont implantés à
Hanoi qu'en 1995 et 1996. Avant cette date, il était difficile de réaliser des prévisions fiables.
On peut ajouter à cela le manque de professionnalisme de promoteurs et d'investisseurs dont
très peu sont spécialisés dans l'immobilier. Ils ne prirent pas assez tôt la mesure d'un marché
très fragile soumis aux aléas des réformes économiques du pays. Par exemple, le groupe
Accor, qui gère l'hôtel Métropole, n'entrait que pour une faible part dans le capital initial du
projet (les principaux partenaires étaient la société de gestion de capital risque Elysées
Investissements et le promoteur-constructeur français(FEAL). En 1994, Accor est intervenu
pour faire modifier le programme de l'extension de l'hôtel que le promoteur avait élaboré
sans tenir compte du marché hôtelier de la capitale. Les chambres furent transformées en
bureaux à la dernière minute. Comme Accor, certains investisseurs eurent conscience, dès
1994, du risque de surproduction mais il était alors trop tard pour se désengager. Ils avaient
déjà dépensé souvent plus d'un million de dollars en recherche de partenaires et ouverture
d'un bureau de représentation et ils ne pouvaient plus reculer. Beaucoup ont préféré
poursuivre leurs projets, en modifiant et réduisant les programmes, plutôt que de les passer
par pertes et profits.

3.2.2. 1996-2000. Le frein à la baisse des prix fonciers retarde la reprise.

Le retournement conjoncturel du marché immobilier intervint en 1996 lorsque les projets


engagés entre 1991 et 1994 commencèrent à être commercialisés. Les prix immobiliers des
bureaux comme des appartements baissèrent légèrement en 1996 puis chutèrent de moitié en
1997 (figure 10-20).

484
Figure 10-20. Loyers de bureaux et des appartements de standard international à
Hanoi.

60.,.,....,..-=-- 80
70
50 ;::=::::,;;;;;
60
40+-~~
50 +=;;;=;.=::;;::;~;;;;:.;::;::::::o:

40
30
20
20
10+-~~
10~~
O~""";;~ o +-~;.;;,.;...;=..;.;.,;.;;..=....:.;;,..:....;,.:;;:::::

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

I-+-Ioyers réels des bureaux (S/m'mois) 1 -+-Ioyer réel des appartements (S/m'/mois)

Les loyers de bureaux passèrent de 50 à 30 $/m 2 en 1997 et ceux des appartements de 60 à 30 $/m 2 .
La chute intervenue en 1997 doit être replacée dans le contexte de la crise financière asiatique.
Nombre de sociétés asiatiques installées à Hanoi ont réduit ou stoppé leurs activités depuis fin 1997.
Ceci a provoqué une contraction imprévue de la demande de bureaux et de logements internationaux.
Les prix se stabilisèrent en 1999 au niveau de 20 $/m 2 .
Note: Le loyer réel est le loyer obtenu après négociation entre le propriétaire et le locataire.
2000-2001 : estimations.
Source: Chesterton Petty Vietnam Ltd, in Vietnam Business Journal, février 1999.

Pour mesurer l'ampleur de la récession, il est utile de compléter la connaissance du niveau des
loyers par celle des taux de vacances (rapport entre la surface disponible et la surface totale du
bâtiment). Dans le centre de Hanoi, le taux de vacance est passé de 7% en juin 1996 à 43% en
décembre 1997. En 1998, il était monté à 46% (tableau 10-12). Les bâtiments vietnallÙens
avaient un taux de vacance légèrement plus faible (34%) que ceux réalisés par les étrangers
(48%) mais ils offraient généralement moins de surfaces. En ce qui concerne les projets
étrangers, si l'on exclut de la liste des projets qui venaient d'ouvrir et avaient un taux de
vacance de 100%, le taux de vacance moyen se situait entre 20 et 30%. _

485
Tableau 10-12. Offre de surfaces de bureaux internationaux et taux de vacance à
Hanoi.

numéro Nom du projet surface disponible stock total en Taux de vacance


- en mars 1998 (m 2 ) mars 1998 (m 2 ) (%)
PROJETS ETRANGERS (J-V)
1 City Gate 600 1983 30
2 Central Buildinq 100 3653 3
3 Metropole phase 2 1690 5600 30
4 HITC phase 1 2000 7600 26
5 1nternational Centre - 6500 -
6 Daeha Business Centre 5562 18540 30
7 Hanoi Tower Centre 2240 7500 30
8 Nguven Du buildinq 752 2250 33
9 Hanoi Tungshing Square 1325 7000 19
phase 1
10 Press Club 1250 1250 100
11 Prime Centre 6725 6725 100
12 Hanoi Central Hotel 9000 9203 98
13 63 Lv Thai To 6900 7100 97
14 Horison Hotel 1140 1150 99
15 Meritus Westlake 4500 4500 100
Sous-total proiets étranqers 43784 90554 48
PROJETS 100% VIETNAMIENS
16 Da Tuonq 70 2300
17 Vinaconex 2768 2768 100
18 Binh Minh Hotel 450 1050 43
19 Toi Tre 114 1914 6
20 35 Hai Ba Trung 0 1534 0
21 Hanoi Office Buildinq 215 1500 14
22 Mefrimex Buildinq 500 1680 30
23 IBC Buildinq 1600 3200 50
24 MESC Office Buildinq 750 3100 24
Sous total proiets vietnamiens 6467 19046 34
TOTAL 50251 109600 46

Ce tableau rassemble l'ensemb!e des bâtiments susceptibles d'intéresser un client étranger. Il s'agit
donc d'une image de la promotion de bureaux de niveau international. 24 immeubles étaient
répertoriés dont 15 réalisés par des investisseurs étrangers, soit plus de 80% des surfaces existantes
en mars 1998. L'immobilier de bureau de niveau international apparaît ainsi très largement dominé par
les produits étrangers. Ce marché représentait environ 100 000 m2 en 1998 à Hanoi, ce qui est
relativement peu en comparaison avec les autres métropoles régionales et HCMV. A Jakarta, 300000
m2 de bureaux étaient construits annuellement et 250 000 à Bangkok au milieu des années 1990.
Dans tout le Viêt-nam, il était prévu que 350 000 m2 de bureaux de standards international soient
réalisés entre le second semestre 1996 et 1998. ...
Source: Leasing offices in Hanoi. Guidance notes, supp/y ana/ysis and summary detai/s, Chesterton
Petty Ltd (Vietnam), Research Department, mars 1998.

Ces taux de vacance de l'ordre de 30% ne doivent toutefois pas masquer une situation plus
mauvaise. En effet, les taux de vacance ne permettent pas toujours de mesurer l'état du
marché car certains promoteurs réussissent à les maintenir «artificiellement» bas en
acceptant de louer leurs bâtiments à des prix très nettement inférieurs au marché. C'est
notamment le cas des immeubles qui ne sont pas situés dans l'hypercentre ou dont la qualité

·186
de la construction est médiocre. Afin de limiter les pertes, ils proposent des loyers
excessivement bas.

Pour comprendre la situation dans laquelle se trouvent réellement ces promoteurs, il faudrait
connaître les revenus réellement générés par les bâtiments. A défaut, une indication peut nous
être fournie par le niveau des réductions concédées par les promoteurs. Pour cela, nous
disposons de données détaillées sur le" niveau des loyers de bureaux proposés et réels en 1998
(tableau 10-13). On observe que le loyer réel moyen était estimé à 24 $ par mois en moyenne.
C'est deux fois moins que les loyers observés au début de la décennie mais cela reste toutefois
relativement élevé par rapport aux pays voisins. A Bangkok, à la même période, soit six mois
après le début de la crise financière et immobilière, les loyers étaient tombés à 10 ou 12 $ par
mois. La difficulté des promoteurs à louer leurs bureaux se lit dans le taux de réduction des
loyers qu'ils acceptaient après négociation. Il était de l'ordre de 23%. Il est notable que les
immeubles situés dans l'hyper-centre (International centre, 63 Ly Thai To, Tungshing square)
sont les seuls qui aient pu maintenir des taux de réduction inférieurs à 20%. Le Central
building ne faisait aucune réduction pour la bonne raison qu'il n'avait plus de surface à louer
mais cela a été obtenu au prix d'une réduction de 50% par rapport aux loyers de 1996.

487
Tableau 10-13. Loyers des immeubles de bureaux à Hanoi (mars 1998).

Nom de l'immeuble loyers affichés loyers réels taux de


(US$/m 2 /mois) estimés réduction
- (US$/m 2 /mois)
City Gate 23 18 22
Metropole Hotel phase 2 35 28 20
International centre 35 30 14
Daeha Business Centre 35 25 29
Hanoi Tower 35 26 26
Hanoi Tunqshinq Square 30 25 17
Prime Centre 30 20 33
63 Lv Thaï To 38 30 21
Nguyen Du buildinq 30 20 33
Hanoi Central Hotel 35 20 43
Press Club 35 25 29
Central Buildinq 35 35 0
Meritus Westlake 25 18 28
HITC Buildinq 25 20 20
Moyenne 31.8 24.3 23.6

Ces données doivent être lues avec quelques précautions. Le loyer affiché est le loyer proposé par le
promoteur au client. Le loyer réel estimé est le loyer obtenu après négociation. Chesterton s'appuie
sur la connaissance de certains loyers réels dans chaque immeuble pour extrapoler sur l'ensemble
des loyers de l'immeuble. Dans les faits, chaque client peut obtenir un loyer différent en fonction de la
durée du bail, de la surface occupé, de sa réputation ou encore de ses activités lorsque le promoteur
souhaite en privilégier certaines. Ensuite, il s'agit des loyers bruts. Pour connaître le prix réellement
payé par un client, il faut ajouter les charges (entre 4 et 7 $) et les impôts. Le propriétaire d'un
bâtiment doit en effet acquitter un impôt sur le chiffre d'affaire. L'impôt sur les loyers s'éléve à 10% du
revenu brut et celui sur les charges à 4%. Le propriétaire reporte le montant de l'impôt sur le loyer
sous forme de coût additionnel. C'est en définitive le locataire qui acquitte "impôt. Le report de l'impôt
sur le locataire est une illustration du rapport de force existant sur le marché de Hanoi. Jusqu'en 1996,
l'offre de bureaux était si faible que les propriétaires pouvaient, en plus de loyers surévalués, se
décharger de l'impôt sur leurs clients. Cette pratique s'est pérennisée depuis. Elle disparut le 1er
janvier 1999 avec le remplacement de la taxe sur le chiffre d'affaire par la taxe sur la valeur ajoutée.

Calcul des loyers des bureaux avant le 1.01.1999.

Exemple d'un bureau de 100 m 2 montant du loyer (US$ par


mois)
lover affiché 5000
impôt sur le CA du loyer 555,55 (10% de 5555,55)
Charqes 100
impôt sur le CA des charqes 4,16 (4% de 104,16)
loyer total 5659,72
CA: chiffre d'affaires.

D'autre part, à Hanoi, les loyers sont calculés sur la surface hors œuvre nette (SHON) et non sur la
surface hors œuvre brute (SHOB) comme à HCMV. Cette particularité unique au Viêt-nam s'explique
par le fait que les premiers promoteurs installés dans la capitale venaient de Singapour, où la SHON
est utilisée, alors qu'ils venaient de Hong Kong, où la SHOB sert de référence, dans la métropole du
sud (en outre, dans cette dernière ville, le principe est que tout l'espace d'un immeuble peut être loué
aux clients. Par exemple, si ces derniers désirent un bureau de 50 m 2 , le loyer sera fixé sur 55 m2 afin
d'inclure une partie des espaces communs -ascenseurs, toilettes, halls... ) Ces différences de calcul
remettent en cause l'opinion générale selon laquelle les loyers sont beaucoup moins chers à HCMV
qu'à Hanoi. Ce n'est pas toujours le cas.
Source: Leasing offices in Hanoi. Guidance notes, supp/y ana/ysis and summary detai/s, Chesterton
Petty Ltd (Vietnam), Research Department, mars 1998.

488
Toutes ces données montrent clairement que nous sommes en présence d'une crise de
surproduction. Dans ce cas de figure, la reprise ne peut intervenir que lorsque le stock de
surfaces disponibles est pratiquement réduit à zéro. Ce moment intervient plus ou moins
rapidement selon l'ampleur de la surproduction. Or, en raison du délai de 3 à 4 ans entre le
dépôt des licences et la sortie des produits sur le marché, nombre d'immeubles sont venus
encore augmenter le stock de surfaces disponibles à Hanoi entre 1997 et 1999 (figure 10-
21).101 En ce qui concerne le marché de l'hôtellerie, la situation apparaît encore plus grave
que pour les bureaux et les appartements. Il est flagrant que les investisseurs ne réalisèrent pas
que ce secteur ne pourrait se développer que parallèlement à l'équipement du pays en
infrastructures. Il n'anticipèrent pas du tout le tassement puis la baisse de la fréquentation par
les touristes étrangers (figure 10-22). Deux grands projets d'hôtels furent interrompus après
que les bâtiments eurent été en partie construits. Il s'agit du Sheraton et du Grand Hanoi Lake
View. Leur carcasse vide sur les bords du lac Tây témoigne de la mauvaise fortune de leurs
promoteurs (illustration 10_7),102

10\ Au delà des chiffres bruts, il faut également noter que le contenu de l'offre était parfois inadapté à la nouvelle

demande. Ainsi, en matière d'appartements, jusqu'en 1998, les promoteurs continuaient de proposer de petits
appartements pour hommes d'affaires, alors que la demande provenait essentiellement de familles de cadres
expatriés résidants depuis longtemps à Hanoi.
\02 Les taux d'occupation des grands hôtels de Hanoi sont difficiles à connaître avec précision car les différents

gérants utilisent l' « intox » en les surévaluant largement. Il semble que le taux d'occupation varie entre 10 et
20% dans ces grands hôtels. La situation est meilleure dans les petits hôtels qui accueillent une clientèle moins
fortunée et notamment des touristes locaux, dont le nombre est croissant.

489
Illustration 10-7. L'hôtel Sheraton et le Grand Hanoi Lake View.

L'hôtel Sheraton (haut) est un projet du groupe malaisien Faber et de la Hô tây corporation qui appartient au comité des
finances et de gestion du Parti. Il s'agit d'un projet de 80 millions de dollars qui devait ouvrir en 1997 et offrir 299 chambres. Il
fut arrêté en 1997 alors que la crise financière touchait durement la Malaisie. Le partenaire étranger fit savoir qu'il ne pouvait
plus payer les 13-15 millions qui manquaient pour finir le projet. En 2000, le contractant pour la construction Gamvico a fait
savoir à la presse qu'il n'avait pas été entièrement payé et qu'il menaçait de retirer les équipements installés dans l'hôtel s'il
n'était pas payé rapidement. Dans le même temps, le partenaire étranger envisageait de vendre tout ou partie de sa
participation au projet. La partie vietnamienne conservait sa part. Le Grand Hanoi Lake View (bas) est également à vendre.
Personne n'étant plus intéressé à ouvrir des hôtels, ses promoteurs essayent de persuader des ambassades ou même des
hôpitaux privés de s'y intéresser. Photo L.P.

490
Figure.10-21. Stock de bureaux et d'appartements de standard international à Hanoi.

160000 1600 ~~~

140000 1400

120000 1200

100000 1000

80000 800

60000 600
40000 400 -+,-=-,~

20000 200
o o -t==r=:
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

I-+- bureaux (m 2
) 1
I-+- appartements 1
Le stock de bureaux et d'appartements a continué de croitre fortement après 1996, et ce, jusqu'en
1999. 90 000 m2 de bureaux et 800 appartements furent ainsi mis en location entre ces deux dates.
2000-2001 : estimations.
Source: Chesterton Petty Vietnam Ltd, in Vietnam Business Journal, février 1999.

Figure 10-22. Fréquentation touristique à Hanoi.

800000
700000
600000
~ 500000
c
§ 400000
l!!
~ 300000

200000
100000
O-r==
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

!-étrangers C nationaux 1

Source: comité populaire de Hanoi, service du tourisme.

491
Un agent immobilier pense qu'il ne pourra pas trouver des bureaux pour ses clients à un prix
aussi bas que celui de fin 1999. Il prévoit la reprise pour l'année 2000 ou 2001. On voit ainsi
se dessiner une structure cyclique où la durée entre les deux extrêmes que sont la crise et la
reprise est de 4 ou 5 ans. Une étude menée par une agence de consultants internationaux tend
à montrer que cette durée est proportionnelle au niveau de développement du marché
immobilier. Moins le marché est développé et plu? elle est longue. Ainsi, les retournement de
tendance interviennent en moyenne tous les 1,5 ans à Hong Kong et tous les 3 ans en
Malaisie. Les coûts de transaction et la durée des procédures sont certainement des facteurs
explicatifs de ce phénomène. Il faut rappeler que le marché vietnamien est très récent, peu
volumineux.

Figure 10-23. Hypothèse de configuration du cycle des prix de l'immobilier


international à Hanoi.

60

50

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::l 40
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1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

1-prix constatés l:l hypothèse 1

Ce graphique n'a pas d'autre but que d'inscrire les évolutions du marché immobilier constatées entre
1993 et 1999 dans une logique de cycle long. Les estimations de prix après 2000 sont purement
hypothétiques.

Un autre élément qui intervient pour accélérer ou retarder la reprise est le prix des terrains.
Elle ne s'amorce que lorsque que les prix immobiliers permettent de payer le foncier au
niveau auquel il est descendu pendant la récession. L'analyse des marchés immobiliers et

492
fonciers tend à montrer qu'en période de récession, les prix fonciers ne baissent pas autant
que les prix immobiliers et retardent ainsi la reprise (Vilmin, 1993, p 181).

Lors de la crise de 1996, on ne constata pas de changement significatif dans la politique


foncière envers les investisseurs étrangers à Hanoi. Ce sont surtout les répercussions de crise
financière asiatique qui poussèrent le gouvernement à assouplir sa position en 1998. La baisse
conséquente des investissements étrangers (-80% entre 1996 et 1998) le conduisit à prendre
des mesures incitatives. Il y eut tout d'abord une baisse des loyers en février 1998 (le loyer
maximum passait de 13,6 $/m2 à 12 $/m 2). Il faut ajouter à cela des mesures ponctuelles de
réduction de 30% des loyers selon le type d'activités et le non paiement des loyers tant que la
société mixte n'est pas réellement entrée en activité. La valeur des loyers diminuant, c'est de
fait la participation vietnamienne à la joint-venture qui est réduite. Ceci se concrétise par un
partage des bénéfices plus avantageux pour le partenaire étranger.

En ce qui concerne plus spécifiquement la réponse à la crise de l'immobilier international, une


mesure radicale était à l'étude en novembre 1999 : l'autorisation des investissements 100%
étrangers dans l'immobilier. 103 Dans ce cas, la « capture des profits» par le partenaire local
via les loyers fonciers disparaîtrait, l'investisseur louant les terrain en son nom propre. Le
ministère du plan et de l'investissement, à l'origine de cette proposition, laissait entendre que
les premiers projets à en bénéficier pourraient être les joint-ventures existantes dont le
partenaire étranger souhaite continuer d'exploiter seul son immeuble. On touche ici à un sujet
qui est au cœur des débats dans les milieux d'affaires depuis 1998. Le ralentissement de
l'activité économique a eu une conséquence imprévue sur le mécanisme de contribution au
capital des joint-ventures sous forme de DUS. Nous avons vu que les partenaires vietnamiens
ne payaient pas les loyers mais contractaient des dettes envers l'Etat et parfois envers la partie
étrangère. Ils espéraient les rembourser sur leur part des bénéfices. Or, beaucoup de joint-
venturès sont actuellement en mauvaise posture et font des pertes. Les partenaires vietnamiens
ne peuvent donc plus rembourser leurs dettes. La réponse des partenaires étrangers ne s'est
pas faite attendre. Ils ont racheté tout ou partie des parts de capital de leur partenaire. Les
premiers rachats ont eu lieu en 1998 dans l'industrie des biens de consommation. Le projet du
MPI vise à permettre de les étendre au secteur de l'immobilier.

103 « Hotels, offices gear for divorces », Vietnam investment review, 15-21.1.1999.

493
Sans aller jusqu'à racheter intégralement les parts de leurs partenaires, nombre d'investisseurs
étrangers dans l'immobilier ont saisi l'occasion de lïnversion du rapport de force au sein de
la société mixte pour réduire le coût du foncier. Ainsi, en 1999, Hong Kong Land a ramené la
part de son partenaire dans l'immeuble 63 Ly Thai To de 30 à 20% car ce dernier ne pouvait
pas rembourser un prêt entre partenaires. Une autre pratique consiste à profiter de l'occasion
d'un nouveau prêt pour négocier une extension de la durée de vie de la société. En 1998,
Campenon Bernard a procédé à une augmentation de capital afin de financer la construction
d'un immeuble de bureaux complétant son projet hôtelier avec Hilton (projet « revendu»
depuis). Il en a profité pour négocier une extension de la durée du projet. Il repousse ainsi sa
"sortie du projet" et espère compenser les mauvais résultats actuels par des années
d,exp 1"
OltatlOn supp 1'ementalres.
. 104

Par le rachat des parts de leur partenaire, les investisseurs prennent en quelque sorte leur
revanche. En réduisant les droits du partenaire aux bénéfices, ils réduisent considérablement
le poids réel du foncier dans leur opération. Afin d'éviter que ce phénomène se généralise, le
gouvernement a accepté en août 1999 de reculer le paiement des DUS par les partenaires
vietnamiens de sociétés n'ayant pas encore fait de profits. IDS Il est également prévu que la
partie des loyers que le partenaire local n'est pas en mesure de payer soit tout simplement
annulée. Des voix s'élèvent parmi les investisseurs étrangers pour faire remarquer que cela
nécessite une indemnisation de lajoint-venture pour perte de capital (voir encart 10-1).

104 Il faut mettre cette pratique en relation avec la durée du retour sur investissement. Dans les pays où le risque

d'investissement est important, les investisseurs exigent un retour sur investissement très rapide. Au Viêt-nam, il
s'est avéré souvent plus long que dans les autres pays de la région. Avant même le déclenchement de la crise
asiatique, il était estimé à 7 ans alors qu'il est en moyenne de 3 ans dans les pays voisins.
105 Décision 3532/TC-QLCS du ministère des finances, août 1999. Voir « Ailing lVs receive land lease breaks »,

Viefl1am inveSfment reviell', 2-8.08.1999

494
Encart 10-1. Valeur des DUS = contribution au fonds de roulement?

Depuis que les partenaires vietnamiens des joint-ventures ne peuvent plus rembourser les dettes
contractées auprès de l'Etat au titre du paiement des loyers fonciers, nombre d'interrogations sur la
nature -de la contribution vietnamienne au fonds de roulement des sociétés sont apparues. La joint-
venture dispose d'un droit d'occupation du sol. Il est inscrit dans sa licence d'investissement qui
précise également sa durée. En fonction de ce droit d'occupation du sol, le partenaire vietnamien
passe un contrat de location avec l'Etat auprès duquel il contracte une dette à l'occasion. C'est donc
le partenaire local qui est seul responsable du paiement ou du non paiement des loyers. Un très
intéressant article rédigé par John Dicks (cabinet de conseil juridique Freehill, Hollingdale & Page)
publié dans la Vietnam Investment Review (3-9.01.2000, p 18) sous le titre « land-use right as capital
contribution, the land-use right conundrum » pose parfaitement le problème:

Toute réduction du montant du loyer bénéficie au partenaire vietnamien et non à la joint-venture. Le


bénéfice que retire le partenaire vietnamien de cette baisse doit être transféré au bénéfice de la joint-
venture puisque le partenaire vietnamien a apporté le loyer comme contribution au capital de la joint-
venture. La question n'est pas tranchée.

Que se passe-t-il lorsque que le partenaire vietnamien ne peut pas payer sa dette envers l'Etat? La
loi dit que le droit d'occupation de la joint-venture disparaît en cas de faillite de celle-ci mais aussi en
cas de faillite de la partie vietnamienne. Dans ce dernier cas, la solution peut être de remplacer la
partenaire vietnamien par un autre. Mais seules les compagnies d'Etat sont autorisées à contribuer au
capital des joint-ventures sous forme de loyer des DUS. Dans ces cas, qu'advient-il du contrat de
location des DUS? La question se pose également si la joint-venture est transformée en société à
capitaux 100% étrangers. La pratique montre que le gouvernement insiste alors pour qu'un nouveau
contrat de location, au nom de la joint-venture cette fois, soit signé. Toutefois, pendant la durée
d'exploitation de la joint-venture, l'Etat, à travers le partenaire vietnamien, a perçu des profits sur la
base du paiement effectif des DUS. Comment obliger alors l'ancien partenaire en faillite à payer les
loyers dûs? Un défaut de paiement pourrait signifier une expropriation d'actifs. L'Etat devrait donc
intervenir pour indemniser le partenaire étranger ou il se mettrait en contradiction avec la Constitution
du pays.

En fait, toutes les difficultés proviennent du fait que la loi semble considérer que la valeur des DUS et
la contribution du partenaire vietnamien au fond de roulement sont une seule et même chose,
suggérant que ce dernier peut, dans certaines conditions retirer sa contribution comme s'il la
possédait encore. C'est ignorer deux points. Tout d'abord, la loi interdit que le fond de roulement soit
réduit. Si l'Etat autorise un retrait ou une diminution des DUS, il doit les remplacer. Ensuite, une fois
que les DUS sont apportés par le partenaire vietnamien au fonds de roulement, ils appartiennent à la
joint-venture et non plus au contributeur. Les joint-ventures sont des entreprises ayant un statut légal
propre. Les droits des propriétaires sont de partager les profits et de diriger les activités de la société.
Ils n'ont pas de droits sur des actifs particuliers de la société, ils possèdent seulement une partie de
celle-ci considérée comme un tout.

La solution préconisée par l'auteur de l'article est de reconnaître la nature véritable des DUS. La joint-
venture devrait louer les terrains en son nom avec une obligation de paiement. Le partenaire
vietnamien doit payer la totalité des loyers en--échange de sa participation au projet. Il pourrait le faire
soit immédiatement soit en contractant une dette envers l'Etat. Mais, désormais, l'actif « valeur des
DUS» appartiendrait à la joint-venture et non plus au partenaire vietnamien. Le terrain ne serait plus
lié à la situation financière de ce dernier. S'il ne pouvait plus rembourser ses dettes, cela n'affecterait
pas le droit d'occupation de la joint-venture. En cas de liquidation du partenaire vietnamien, l'Etat
devrait intervenir pour rembourser le partenaire étranger à hauteur des loyers qui n'auraient pas été
payés. L'avenir dira si le gouvernement prendra la décision de revenir sur une formule qui lui a permis
de retirer une manne considérable des investissements ètrangers sans apporter les moindres
capitaux.

495
Comme dans les économies de marché occidentales, la réduction du pnx foncier n'est
toutefois pas sans limites. Il existe un seuil au-dessous duquel le propriétaire des terrains, en
l'occurrence l'Etat, au Viêt-nam, estime qu'il est préférable de ne pas descendre. C'est sans
doute la raison pour laquelle le gouvernement, parallèlement à sa tentative d'endiguer le
mouvement de rachat des parts vietnamiennes, tente de relancer l'activité immobilière
tertiaire par d'autres moyens. Un premier moyen est d'autoriser les personnes étrangères à
acheter des logements au Viêt-nam. Un projet pilote à HCMV ne concerne que les
Vietnamiens résidents à l'étranger, les Vi~t kiêu, mais pourrait être étendu à l'ensemble des
étrangers à l'avenir. 106 Le souci du gouvernement est d'éviter que cette ouverture soudaine à
une nouvelle demande estimée forte (au moins dans à HCMV) ne provoque une envolée des
prix des logements. Un autre moyen d'inciter les investisseurs étrangers à reprendre leurs
activités immobilières dans le pays consiste à les autoriser à vendre, et non plus seulement à
louer comme c'est la cas actuellement, leurs produits immobiliers. C'est une revendication de
longue date des promoteurs de logements. Seuls quelques grands projets d'aménagement
résidentiel ont obtenu ce droit à titre dérogatoire. Sa généralisation à l'ensemble du secteur
immobilier international devrait rassurer les investisseurs étrangers. Ceux-ci ne sont en effet
pas seulement sensibles au montant des baux fonciers mais aussi à leur contenu, c'est-à-dire
aux restrictions qu'ils comportent quant à l'usage des terrains. Un projet est à l'étude à
HCMV depuis 1998. J07 Il vise à autoriser les promoteurs étrangers à vendre des logements
aux Vietnamiens. Le système de transfert des DUS est similaire à celui appliqué aux
promoteurs vietnamiens: une fois le logement vendu, le bail est transféré par le promoteur à
l'acheteur. Mais jusqu'à maintenant, ce projet n'a pas pu être appliqué.

En définitive, la récession du marché immobilier entraîne bien une diminution des pnx
fonciers sous une forme ou sous une autre. Cette diminution ne profite pas seulement aux
nouveaux entrants sur le marché, mais également aUQ investisseurs déjà présents. On peut
donc conclure que les prix fonciers, malgré leur caractère virtuel, répondent bien à des
mécanismes de marché. Les pouvoirs publics ne peuvent faire autre chose que d'assouplir les
diverses contraintes administratives pesant sur les investisseurs pour espérer relancer au plus
vite le marché immobilier.

106« Govl allows Viét ki6u 10 buy hou ses al home», Vietnam news, 2.03.2000. Voir aussi chapitre 2.
J07 « Land issues», Vietnam economic news, n029 . 1999, p 7.

496
Le processus de valorisation foncière en matière de promotion immobilière apparaît en
définitive très complexe et peu lisible en raison de la nature très politique du marché des
droits d'usage du sol. Seuls quelques investisseurs ayant intégré son mode de fonctionnement
très particulier parviennent à conduire leurs opérations avec succès. Mais le nombre des
projets ayant échoués ou qui survivent assez artificiellement devrait conduire les pouvoirs
publics à clarifier les règles du jeu même si cela doit se faire au prix d'une perte de la rente
foncière qu'ils s'octroient jusqu'à présent.

4. L'Eldorado des villes nouvelles.

Au milieu des années 1990, la forte croissance économique soutenue par les investissements
étrangers allait révéler les limites de la planification urbaine adoptée en 1992. En particulier,
le flux des investissements étrangers entraînait une importante demande de terrains de la part
de grands groupes industriels asiatiques intéressés à construire des zones industrielles autour
de la capitale. Plusieurs projets concernaient également l'aménagement de zones
résidentielles. Si, comme nous l'avons vu, les investisseurs se détournaient des projets
d'habitat collectif pour Vietnamiens, en revanche, ils étaient particulièrement intéressés à
réaliser des zones résidentielles et commerciales de luxe pour la population expatriée et les
Vietnamiens les plus fortunés. Si l'on aj oute à ceci les propositions d'aménagement de centres
de loisirs et des inévitables terrains de golf, ce sont tous les terrains périurbains de la capitale
qui étaient convoités par les investisseurs étrangers.

En réponse à cette pression sur le sol périurbain, le ministère de la construction et la


municipalité engageaient un processus de révision du schéma directeur en avril 1996.\08 Il
s'agissait en réalité d'une refonte complète du schéma directeur de .1992. La perspective
n'était pJ:1s 2010 mais 2020. En 1998, un nouveau schéma directeur fut proposé. Il fut
définitivement adopté début janvier 2000 par le Premier Ministre. Le changement le plus
important concernait l'échelle de la planification. Alors que le document de 1992 restait limité
à la ville existante et à ses environs (soit 1000 km 2 comprenant 1,7 millions d'habitants en
2010), le nouveau document englobait tous les terrains dans un rayon de 30 à 50 kilomètres
(soit 7860 km 2 englobant 4,5 millions d'habitants en 2020). C'est la crainte d'un exode rural
massif en direction de la capitale en contrepoint de sa croissance économique qui conduisit à

108 Rapport n° 26 UBTP-BXD, Contenu des principes d'aménagement de Hanoi pour j'an 2020, 24 avril 1996.

497
ce changement d'optique. Hanoi fut replacée dans son contexte régional et un équilibre
démographique fut recherché entre la ville existante et son extension d'un côté (2,5 millions
d'hab.) et la création de pôles de fixation de population dans des villes provinciales situées à
une trentaine de kilomètres (1,5 millions d'hab.).

L'objectif n'était plus seulement la déconcentration résidentielle, comme en 1992, mais une
expansion urbaine considérable afin de créer une ville où la population jouirait de beaucoup
d'espace (dans la ville existante, la surface construite par habitant passait de 52m 2/hab. en
2010 prévus en 1992 à 100m2/hab. en 2020). Le parti d'une ville aux larges avenues et aux
espaces publics nombreux était clairement indiqué. Il s'agissait de donner à Hanoi la
dimension internationale d'une capitale-métropole d'un pays de 100 millions d'habitants.

Si l'on met de côté les villes d'équilibre régional, l'expansion de Hanoi était prévu dans deux
directions (carte 10-3). La première, dans la continuité de la ville existante, sur la rive droite
du fleuve, consistait à créer un nouveau centre urbain dans le district T"Ù' Liêm (700 000 hab.
en 2020). Mais, c'est de l'autre côté du fleuve, dans le district D6ng Anh qu'une ville
nouvelle d'un million d 'habitants en 2020 était planifiée. Le changement était radical par
rapport au schéma directeur de 1992 où ce secteur était essentiellement destiné aux loisirs. Le
choix de l'extension vers le Nord peut surprendre dans la mesure où le fleuve Rouge constitue
une barrière naturelle au développement urbain. C'est pour cette raison que l'extension de
Hanoi depuis le début du siècle s'est faite vers le sud à l'exception des quartiers du district
Gia Lâm dans le prolongement immédiat des deux ponts qui enjambent le fleuve. Le choix du
développement septentrional peut s'expliquer par le fort caractère inondable des terres situées
au sud du fleuve. Au nord, les terres sont mieux protégées des inondations et également moins
fertiles, ce qui les destine plus naturellement à l'urbanisation. Mais il faut sans doute chercher
la véritable raison dans la « géographie administrative» de la province de Hanoi. L'extension
-
vers le nord présente en effet l'avantage de permettre un rééquilibrage en faveur des districts
du nord beaucoup plus pauvres que ceux du sud. Il permet surtout de contenir le
développement urbain à l'intérieur des limites administratives de la province et donc de ne
pas se heurter ['obstacle d'une coopération inter-provinciale
à qUI alourdirait
' 1-
considérablement toutes 1es demarcucs a d" .
mInIstratlves. 109

109 Ces arguments nous ont été exposés par M. Nguyên Van Thinh, vice directeur du bureau du comité

d'organis;rion de la planification urbaine et de la construcrion à Hanoi (ha/1 chi dao q'uy hoach và xây dung Ih1l
dô Hà Nôi), 23.05.2000

498
Carte 10-3. Le schéma directeur de Hanoi pour 2020.

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Légende simplifiée
• œntre ville
1-.__ ~. \
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_ zone de développement
limité
terres d'habitat
_ zones industrielles
centres commerciaux ~. CONO COtta
•_ et d'affaires
parcs, espaces verts.
stades
villages urbains
N
l'
- 2km
.'1 source: Ministère de la construction
,
Une zone de développement limité s'étend jusqu'au second boulevard périphérique. Elle vise à protéger le patrimoine urbain de
la capitale en restreignant les possibilités de construction d'immeubles de grande hauteur. L'objectif est aussi de dédensifier le
centre. Au delà du second boulevard périphérique, les anciens villages sont englobés dans un nouveau tissu urbain
majoritairement résidentiel. Le second centre de Hanoi est localisé à l'ouest du lac Tây. Une troisiéme couronne comprend des
espaces verts (au sud-ouest) et des zones industrielles, Le nord du fleuve est entièrement urbanisé. Un centre urbain est situé
à 80ng Anh. Tout au nord, un ensemble industriel et résidentiel est également prévu à proximité de l'aéroport international.

499
Certes, le schéma directeur_de 1992 pêchait pas manque d'ambition mais les propositions de
1996 allaient bien au-delà d'un rééquilibrage. Elles exprimaient une volonté de modification
profonde de l'image de Hanoi depuis une capitale aux dimensions somme toute modeste
(moins d'un million d'habitant dans la ville centre en 2000) vers une métropole de plus de 4
millions d'habitants. Il faut sans doute en chercher les raisons dans la volonté d'un
rééquilibrage en faveur de Hanoi pour ne pas laisser HCMV devenir la seu1e métropole
économique du pays.

Une première version du schéma directeur pour 2020 fut proposée dès 1998. Elle intégrait la
seconde génération de projets urbains. Par rapport à la génération du schéma directeur de
1992, il y ad' abord une différence d'échelle de l'aménagement mais il y a aussi une nette
évolution du contenu de l'expansion urbaine. En 1992, la priorité était de pennettre la
déconcentration de l'habitat vers la périphérie. La construction de nouveaux quartiers de
logements était considérée comme le moteur du développement urbain. En 1998, ce n'est plus
seulement le développement de l'habitat mais aussi celui des activités économiques (industrie
et services) et les grands travaux d'infrastructures qui étaient jugés essentiel. Les villes
nouvelles devenaient l'instrument privilégié du développement urbain. 110

Dès l'engagement de la révision du schéma directeur en 1996, la voie était donc libre pour
tous les projets d'aménagement proposés par les investisseurs étrangers. Ces projets n'étant
toujours pas entrés en phase de réalisation, nous n'avons pu en réaliser une analyse
économique et urbanistique fine. En· revanche, les discussions et les négociations qui se
mènent depuis quelques années nous semblent constituer une bonne illustration des difficultés
qu'il ya à confier aux investisseurs privés étrangers le soin de planifier et gérer l'urbanisation
de morceaux entiers de ville. Nous commençons par étudier la conception urbanistique des
principaux projets de la capitale avant de nous pencher sur les problèmes particuliers que pose
aux pouvoirs publics le recours à des capitaux extérieurs

1JO Charles Goldblum (1998, P 80) voit dans les villes nouvelles la caractéristique commune des prétendants sud-
est asiatiques à l'entrée dans le « club» des nouveaux pays industrialisés ainsi qu'un signe de l'intégration du
développement urbain dans la stratégie de diversification des grands « conglomérats» économiques.

500
4.1. « Villes intégrées» ou désintégration de la ville ?

Il existe autour de la capitale trois grands projets d'aménagement urbain, l'aménagement du


promoteur indonésien Ciputra, la zone Bac Thang Long et la ville nouvelle proposée par le
groupe coréen Daewoo. Bien que de contenus et d'échelles différentes, ces trois projets sont
conçus comme des « villes» en tant que telles.

4.1.1. le projet Ciputra de ville internationale.

En 1992, M. Ciputra, à la tête du cinquième groupe industriel indonésien, faisait partie d'une
délégation d'investisseurs de l'archipel venus prospecter le marché vietnamien lors d'une
visite du président Suharto. La légende veut qu'il ait eu l'idée de créer une ville nouvelle lors
du trajet le conduisant de l'aéroport au centre-ville, en traversant les rizières à l'ouest du lac
Tây.111 Il proposa alors au gouvernement et au comité populaire de Hanoi de construire une
ville nouvelle de 100 000 habitants, la « Citra Lake City», sur 392 hectares entre le lac et la
route de l'aéroport. Quelques années plus tard, la population totale du projet fut ramenée à 60
000 habitants puis à 45 000.

Michael Leaf (1994, p 352) a montré comment les grands groupes industriels indonésiens,
créés au début des années 1970, s'étaient tournés très rapidement vers la promotion
immobilière. Ils y trouvaient des débouchés nouveaux et très profitables. Leaf cite Ciputra
comme l'un des groupes les plus engagés dans cette activité. Le groupe fut crée en 1981. En
1990, il regroupait ses activités immobilières dans la holding Ciputra Development. Ciputra
construit essentiellement des ensembles pavillonaires, des golfs, des hôtels et des immeubles
en copropriété (condominium) en Indonésie, Malaisie et Singapour (voir illustration 10-8). En
1989, il a été choisi par le gouvernement indonésien pour réaliser une ville nouvelle de 600
000 habitants au nord-ouest de Jakarta.

III Entretien avec David Arnsdorff, représentant de Ciputra pour le projet de ville nouvelle, 24.03.1997.

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Carte 10-4. Localisation des trois plus importants projets internationaux
d'aménagement.

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2 : Bac Thang Long
3 : Ville nouvelle Daewoo

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NriUtbanlIallon donIla pr<Mnoo do Hanoi-
UMR R.,gards·CNRS4RD 01 VTGEO-Hanol

A eux trois, ces projets ont une superficie supérieure aux districts urbains de Hanoi. Ils sont situés au nord et à l'ouest de la
capitale, secteurs voués au plus grand développement dans les décennies à venir en raison des infrastructures permettant des
liaisons internationales par air (aéroport international) et par mer (autoroute conduisant au port de Hài Phàng),
Note: Un secteur du projet Bllc Thang Long est désormais intégré dans celui de ville nouvelle de Daewoo.

502
Illustration 10-8. Vues des villes nouvelles de Ciputra en Indonésie.

Ces deux photographie tirées d'une brochure publicitaire de Ciputra montrent les deux formes d'habitat privilégiées par
l'aménageur: Les tours de logements collectifs et l'habitat pavillonnaire en bande. Comme pour le projet de Hanoi, on note la
présence d'un parcours de golf entourant les quartiers résidentiels. Photos: Ciputra.

503
Entre 1992 et 1996, Ciputra élabora son projet. Plutôt qu'une véritable ville, il s'apparente en
fait à une gigantesque programme d'immobilier résidentiel et commercial (voir tableau 10-
14). L'industrie en est totalement exclue et les quelques équipements publics sont très
clairement destinés à la population expatriée ou vietnamienne très aisée (école et hôpital
international). L'orientation vers les usages du sol les plus rentables conduisit à dessiner un
parcours de golf au milieu des résidences. Il est vrai que le golf fut ajouté après que les
autorités vietnamiennes eurent refusé un premier projet qui ne comprenaient pas assez
d'espaces verts ... Il s'agit en réalité de créer une ville dans la ville, une enclave de prospérité
autosuffisante. 1 12

Tableau 10-14. Les usages du sol du projet Citra West Lake City.
usage du sol Superficie (ha) %
Résidentiel, 176,8 45,08
dont:
- villas ( individuelles et accolées) 89,4) (22,82)
- commerces sur rue 4,7) (1,21)
- appartements publics· 6,8) 1,73)
- tours de logements 27,4) (6,9)
- usaqe mixte (commercial) 17,3) (4,42)
- voirie de desserte locale 31 ) (7,91)
Commerces 61,8 15,78
Equipements publics 14,9 3,8
Centrale électrique 3,6 0,94
Espaces verts 72,7 18,54
dont:
- terrain de golf 65,8) (16,78)
- parcs 0,6) (0,13)
-lacs 6,3) (1,61)
Voirie 62,1 15,85
TOTAL 392,2 100
...
• Le terme appartements publics (publIC apartments) parait étrange. Il est utilise sans autre précision.
Peut-être s'agit-il de logements construits par des entreprises publiques vietnamiennes?
Source: Citra Westlake city, Hanoi, n.d.

Le projet Ciputra nous semble la parfaite illustration du concept urbanistique de la « ville


intégrée» ( bundled city), né aux Etats-Unis et qui s'est développé en Asie du Sud-Est dans
les années 1990 (H. W. Dick et P.J. Rimmer ,1998). Dans les années 1980, les promoteurs
immobiliers ont découvert qu'en construisant des complexes associant hôtels, bureaux,
centres commerciaux et restaurants, ils augmentent la rentabilité de leur investissement car

112 « Citra West Lake City est un concept de ville autonome (self-conlained) pour le logement, les affaires et le
commerce et disposant d'un parcours de golf sous forme de ceinture verte qui crée un centre de sport et de loisir
pour les habitants de la nouvelle ville ainsi que pour la population de Hanoi », Citra Westlake city, Hanoi, n.d

504
chaque activité « nourrissait» les autres en leur faisant profiter de leur clientèle. En termes
économiques, ils internalisent les externalités (Dick et Rimmer, 1998, p 2312). Le principal
problème posé par ces projets intégrés est leur coût très élevé. Pour «sécuriser» leurs
investissements, les promoteurs sont dans la nécessité de s'assurer qu'ils attireront une
clientèle nombreuse dans ces complexes commerciaux et de bureaux. La solution qUI
caractérise les projets des années 1990 sur les marges des métropoles asiatiques consiste à
acquérir de vastes superficies de terrains pour y construire des ensembles résidentiels et
commerciaux: les villes intégrées (figure 10-24). Un pas supplémentaire est franchie dans
l'internalisation des externalités : les services et commerces proposés incitent les clients à
acheter un logement dans la ville et les nouveaux propriétaires constituent une clientèle
captive pour les commerces et les services. Sur ce principe, un promoteur qui dispose de 10
hectares peut construire un quartier, de 100 hectares, un ensemble urbain et de 1000 hectares
une ville nouvelle.

En dehors de l'aspect intégré, la caractéristique de ces projets réside dans l'importation du


modèle américain des enclaves (<< gated communities ») pour réaliser les secteurs résidentiels.
Le modèle de l'urbanisme pavillonnaire associant villas et jardins est le plus prisé par les
promoteurs. Or, il crée des espaces de faible densité ouverts sur l'extérieur et donc très peu
sûrs. La solution consiste à instaurer un contrôle de l'accès aux zones résidentielles et des
patrouilles de polices privées. Originellement conçu dans le contexte d'insécurité propre à la
société américaine, ce modèle fut d'abord utilisé en Asie du Sud-Est pour sécuriser les
quartiers d'expatriés (Dick et Rimmer, 1998, p 2312). Il est aujourd'hui destiné à rassurer les
classes moyennes émergentes, principale cible des promoteurs, face aux dangers que
constituent les catégories de la population vivant encore dans la pauvreté.

505
Figure 10-24. Les modèles de villes semi-intégrées et intégrées,

~
~
PUBLIC SPACE

ville semi-intégrée

AESIOENT:J L:MMERCIAL

~
~
PU8LIC SPACE

ville intégrée
source: Dick et Rimmer, 1998, p 2313

L'évolution vers la ville intégrée se fit en deux temps, Dans la ville semi-intégrée, les zones résidentielles et les complexes
commerciaux sont distincts et reliés par des voies de communication qui autorisent la mulliplicité des choix des lieux de
consommation, L'espace public reste structurant. Dans la ville intégrée, les zones résidentielles sont étroitement associées aux
zones commerciales tout en étant spatialement distinctes, L'ensemble est placé sous la gestion d'un promoteur, L'espace public
est repoussé sur les marges de la ville,

506
Le projet Ciputra de Hanoi est également conçu sur ce modèle des « gated communities »
(illustration 10-9). En 1998, nous avons pu assister à une présentation du projet par ses
promoteurs indonésiens. Ils mirent l'accent sur la fonne urbaine des quartiers pavillonnaires
tournés sur eux-mêmes et dont l'accès était limité. La conception du plan d'aménagement
érigeant une barrière de protection grâce à des tours de logement et de commerce de 20-30
étages autour des quartiers pavillonnaires participe également de ce concept d'enclave. 1l3
Ceci concerne aussi bien les quartiers pour expatriés «( compounds ») que les quartiers pour la
population vietnamienne (illustration 10-9). 114 Cette ville nouvelle apparaît en effet
largement orientée vers les catégories sociales les plus aisées au détriment des besoins de la
1
grande partie de population. 15 Avec un tel projet, Ciputra envisageait un taux de retour sur
investissement de 21,3% après les 15 premières années nécessaires à l'achèvement de la
construction du projet Gusqu'en 2010). C'était évidemment compatible avec les exigences des
investisseurs dans l'immobilier (ils attendent généralement un taux de retour compris entre
18 et 25% sur 7 à 10 ans).

113 Le terme d'enclave rappelle la composition de la ville coloniale. Dick et Rimmer (2000, p 2318) notent à ce

propos que cet urbanisme de sécurité n'est pas neuf dans les villes d'Asie du Sud-Est puisqu'il rappelle
l'urbanisme ségrégué de la période coloniale. Aujourd'hui, il se fonde sur le statut et la richesse.
114 En 1998, Ciputra envisageait que 30% des 45 000 habitants de « vi Ile» soient des étrangers. Summary reporl

oflhe Soulh Thang Long new lown projeci « Cipulra Hanoi inlernalional city projeci )J, Cilra wesllake city
developmenl co. IId, 1998, P 3.
115 En 1997, les aménageurs prévoyaient de vendre les plus petites résidences (DUS compris) au prix de 60 000
US$.

507
Illustration 10-9. Le projet Ciputra.

parcours de golf

lours de logements
résidences pour
expalrlés

maisons
individuelles
en bande

1
i

1
centre commercial:
services, bureaux, hôtels

1
1
N centre d'exposition
1 et de conférences

Î tours de bureaux
el de commerces
villas
11 .
ech approx.

L: 500m
source: Ciputra école intemationale
hôpital intemational

La plus grande partie du site est destinée au logement: immeubles d'appartements, habitat pavillonnaire en bande pour la
population locale à l'ouest; résidences et villas plus particuliérement destinées aux résidents étrangers à l'est. Situé de part et
d'autre d'un axe nord-sud reliant la ville à l'aéroport, le quartier des affaires occupe tout "ouest du site. Il comprend des
immeubles de bureaux et des hôtels. Notons, que dans les plans d'origine, le terrain s'étendait jusqu'au lac Tây. Le projet fut
modifié en 1997 et les terrains en bordure du lac furent destinés à un quartier administratif.

508
4.1.2. Le projet résidentiel et industriel Bâc Th~ng Long.

Un peu plus au nord, de l'autre côté du fleuve rouge, le projet Bik Thang Long s'inscrivait
dans la même logique. 116 La demande de construction d'une zone industrielle par le groupe
japonais Sumitomo est à l'origine de ce projet. Les terrains situés au nord du fleuve rouge ont
très tôt intéressé les industriels car ils sont au centre du plus important nœud de
communication de la capitale formé par le fleuve, la route conduisant à l'aéroport, celle
conduisant au port de Hai Phong et la voie ferrée. Ces infrastructures majeures sont
indispensables aux industries qui destinent leur production à l'exportation.

Destinée à accueillir les entreprises étrangères, cette zone industrielle de 300 hectares
devaient entraîner d'importants besoins de logements de la part des cadres expatriés. C'est en
grande partie pour répondre à cette demande qu'un groupe d'investisseurs américains proposa
de réaliser un vaste secteur d'habitat de 273 hectares. Afin de contourner l'embargo américain
sur les investissements au Viêt-nam, les investisseurs créèrent en Thaïlande la société
Northbridge exclusivement destinée à réaliser ce projet. Sans surprise, le programme proposé
associait zones de villas, résidences de luxe, piscines et cours de tennis (voir illustration lO-
10). En 1996fdeux autres investisseurs se joignirent au projet en proposant des aménagements
de loisirs offrant les perspectives de rentabilité les plus importantes. Le groupe coréen
Daewoo souhaitait réaliser un parcours de golf autour des étangs Vân Tri. Quant à S.A.S., un
groupe thaïlandais spécialisé dans l'immobilier et dirigé par un ancien premier ministre, il
envisageait un projet à la fois résidentiel et sportif de 300 hectares incluant la construction
d'un hippodrome.

Afin de mettre en cohérence ces différents projets, le gouvernement chargea l'agence


d'urbanisme vietnamienne SENA de réaliser J'étude de faisabilité du projet Bac Thang Long.
En juillet 1996, elle soumis une étude de faisabilité d'un pôle d'activités, de loisirs et
d'habitat s'étendant sur 2640 hectares (carte 10-5). Spatialement, ce projet s'articulait
clairement autour des grandes infrastructures urbaines et de la zone industrielle. L'habitat puis
les loisirs étaient disposés en ceinture autour de ce pôle d'activité.

116 « Nord Thang Long» à la fois en référence à l'ancien nom de la capitale à l'époque impériale (Thang Long)

el au ponl Thang Long qui enjambe le fleuve rouge et permet de relier Hanoi à l'aéroport. Il est l'édifice majeur
autour duquel s'organise ce pôle d'activité.

509
Carte 10-5. Le projet Bac Thang Long.


~
~
centres urbains

gare de marchandise
..... limites du projet

zone d'investissement
prioritaire
N

Î
1 km
source: Sumitomo 1

La zone est traversée du nord au sud par une route et une voie ferrée reliant Hanoi à l'aéroport. Au sud, le fleuve sépare le
secteur de Hanoi et au nord et à l'est, les étangs et terrains inondables sont transformés en aires de sports et de loisirs. Le
centre névralgique du projet est la gare de marchandise installée au centre du secteur. Un vaste complexe urbain l'entoure.
Notons que le secteur immédiatement au nord de la zone industrielle Sumitomo est prévu pour accueillir les ouvriers et
employés des entreprises de la zone.

510
Illustration 10-10. Le quartier résidentiel Northbridge dans le projet Bac Thang Long

Cette photographie de la maquette du projet Northbridge permet de constater la qualité de l'environnement proposé aux cadres
des entreprises de la zone industrielle. Les résidences et les villas sont disposées au milieu d'espaces verts et de terrains de
sport. Près de la route menant à l'aéroport, en bas à droite, sont implantées les activités commerciales et des bureaux. Source;
Northbridge.

Sur le plan urbanistique, l'intérêt de ce projet est de reposer sur une relation étroite entre
industrie, infrastructures et habitat. En particulier, il s'agit d'une première tentative pour
établir le lien entre emploi et habitat dans les nouvelles zones urbanisées de la capitale.
Jusqu'à présent, en effet, la question de l'habitat des ouvriers travaillant dans les zones
industrielles est restée sans réponse. Il existe aujourd'hui cinq zones industrielles destinées
aux entreprises étrangères à Hanoi. En 1999, elles employaient 3538 personnes dont 78 cadres
étrangers. La zone industrielle Sài D6ng B était la plus développée avec 2500 ouvriers
vietnamiens. 70 à 80% d'entre-eux provenaient d'autres localités et étaient obligés de louer
des logements dans les villages voisins. ll7 L'absence d'engagement de l'Etat dans le
financement des logements pour ouvriers explique cette situation préoccupante. Pour y pallier,
les gérants de zones industrielles avaient demandé au gouvernement en 1998 une révision de
leur contrat les autorisant à construire des logements ouvriers au sein même des zones
industrielles. Ils estimaient que l'impossibilité de garantir aux entreprises le logement de leurs

117 « Where do 1Z workers live? », Vietnam Economie News, n029, 1999. Cette situation n'est pas particulière à
Hanoi. Dans la province du sud Blnh DlJang où existent sept zones industrielles, ce taux était de 86% en 1998,
« HOllSing a growing worry for 1Z workers », Viet Nam News, 9.11.1998, p12.

511
ouvners les désavantageait par rapport aux zones industrielles des pays voisins." 8 Le
gouvernement reconnut que la construction de logements devait aller de pair avec celle des
zones industrielles mais refusa qu'elle se fasse au sein de ces dernières. Il prit simplement une
décision incitative en fixant le loyer foncier minimum pour les investisseurs étrangers qui
construiraient des logements pour ouvriers. 119

L'insuffisance de cette mesure et peut-être, plus profondément, la faible activité des zones
industrielles de Hanoi jusqu'à présent n'ont pas permis le développement de programmes de
120
logements pour ouvriers. Lorsque les zones industrielles accueilleront de nombreuses
entreprise étrangères, il faudra trouver pour la population ouvrière de réelles solutions de
logement. C'est dans cette perspective qu'il faut replacer l'articulation du projet Bac Thang
Long autour d'une grande zone industrielle et de secteurs résidentiels.

4.1.3. Le projet de ville nouvelle proposé par Daewoo.

Daewoo a une stratégie d'implantation à Hanoi qui va bien au-delà d'un parcours de golf. Au
début des années 1990, le groupe coréen poursuivait une stratégie d'implantation sur les
marchés encore peu concurrentiels où il cherchait à prendre des positions solides grâce à des
appuis politiques. C'est pour cette raison qu'il décida d'investir massivement dans
l'électronique et l'automobile à Hanoi au moment où tous les investisseurs préféraient
s'implanter à HCMV. En 1996, Daewoo décida d'investir 150 millions de dollars dans la
construction d'une zone industrielle en partenariat avec l'entreprise d'électronique de la
capitale, Hane!. Le conglomérat coréen noua à cette occasion des relations étroites avec le
secrétaire général du parti communiste, DÔ Muài, et le maire de Hanoi, ancien directeur de
Hane!.

Parmi ses investissements à l'étrangers, Daewoo donnait une place importante à l'immobilier.
Il avait créé pour cela une filière de construction-promotion, notamment très active en Asie

118 « Cali for change as zones fail to attract tenants », Vietnam Investment Review, 5.10.1998. La Chine,

l'Indonésie et la Thaïlande ont adopté des modèles de zones industrielles totalement différents qui intègrent des
quartiers d'habitat et des équipements publics (écoles, hôpitaux ... ).
119 Décision 53/1998 du premier ministre, entrée en vigueur le 10< juillet 1999.
120 Les cinq zones industrielles de Hanoi n'hébergeaient en mars 2000 que dix entreprises pour un chiffre

d'affaire de 150 millions de dollars. Trois d'entre elles, des joint-venture entre la compagnie d'électronique
Hanel avec Orion, Sumitomo et Daewoo représentaient 91 % du chiffre d'affaires de l'ensemble. « Trong làng

512
centrale. A Hanoi, il obtint le droit de réaliser le premier grand projet immobilier de la
capitale (64 millions de dollars) en 1993. Le complexe Daeha - comprenant une tour de
bureau, un hôtel cinq étoiles et un immeuble d'appartements pour étrangers - fut achevé en
1996. En 1994, il poursuivait cette démarche en proposant le golf qui allait être intégré dans le
projet Bac Thang Long. En août 1996, alors que les propositions du ministère de la
construction sur la révision du schéma directeur de Hanoi n'étaient pas encore officiellement
connues, il proposait opportunément de réaliser une ville nouvelle sur la nouvelle aire
d'extension de la capitale au nord du fleuve Rouge à l'étude dans le nouveau schéma
directeur. Le secrétaire général du Parti et le maire de Hanoi apportaient ouvertement leur
soutien au projet. La « ville nouvelle de Hanoi» (Hanoi New Town) était née.

L'objectif de Daewoo était d'être à la tête d'un groupe d'investisseurs qui seraient associés
avec l'Etat vietnamien dans une société mixte d'aménagement de ville nouvelle. Dans cette
optique, il devait élaborer un projet particulièrement attractif pour les capitaux privés
internationaux. Il développa alors le concept de Hanoi comme un « centre (hub city) du
village global au 21 ème siècle »YJ Il s'agissait de hisser Hanoi au niveau de Séoul, Shanghai,
Los Angeles ou encore Paris. A destination des partenaires vietnamiens, il s'agissait de faire
de Hanoi le centre des activités économiques, financières, et culturelles du Viêt-nam au
détriment de HCMV.

Afin de créer cette image de métropole internationale, Daewoo choisit des consultants de
renommée mondiale pour élaborer le projet. Le consultant en ingénierie urbaine américain
Bechtel fut chargé de réaliser le schéma directeur en coopération avec SOM (cabinet
américain de consultants en urbanisme déjà impliqué dans le projet de Saigon sud), le cabinet
d'architecture de Rem Koolhass (OMA) et les ingénieurs japonais de Nikken Sekkei. Le
résultat de leur étude fut rendu public fin 1997. L'aménagement de près de 8000 hectares était
prévu pour accueillir un million d'habitants en 2040 (illustration 10-11). La dimension "'"du
projet peut paraître a priori un handicap pour un seul aménageur. Au contraire, Dick et
Rimmer (1998, p 2315) montrent dans leur étude des villes nouvelles satellites de Jakarta que
les promoteurs sont conduits à voir « toujours plus grand» pour augmenter les économies

cac khu công nghi~p Hà N9i )} [Dans le ventre des zones industrielles de Hanoi ], Kinh té' & Dô thi [ Economie
& Ville], 17.3.2000.
121 L'objectif du projet était ainsi défini: « A bold vision and a strong leadership will serve as the catalystfor

sustained, social and economic growth and the realization ofHanoi 's role as a global hub for Asia )}, in Bechtel,
preliminary master plan, decembre 1997, P 2- 1.

513
d'échelles. Ainsi, alors que dans les années 1980, les plus grands projets ne dépassaient pas
500 hectares (Citra Garden: 480 ha), les projets les plus récents atteignent 5000 à 6000
hectares (Lippo Cikarang) et même 30 000 hectares. 122 La contrepartie de la course à la taille
tient dans l'augmentation proportionnée au risque. Tous les projets ne verront pas le jour. 123

Conçu par des consultants américains, le projet organise la ville nouvelle autour de deux
centres urbains situés de chaque côté du fleuve.' Les villages actuels sont reconvertis en sites
touristiques. La conception urbaine est très inspirée du modèle de la ville intégrée étudié plus
haut. Sur ce point, on peut noter que le rôle du cabinet de consultants américain dans la
transposition du modèle urbain de la ville intégrée. Dick et Rirnmer (1998, p 2317)y voient un
effet de l'influence qu'exerce la culture américaine sur les hommes d'affaires asiatiques ainsi
que l'intérêt partagé pour un urbanisme sécuritaire dans des sociétés fortement différenciées
économiquement. Plus prosaïquement, nous pensons également que le groupe coréen Daewoo
sert de « cheval de Troie}) à des investisseurs nord-américains qui choisissent les concepteurs,
et choisiront certainement les constructeurs, du projet de Hanoi. Daewoo souhaitant être le
principal partenaire privé au sein de la structure d'aménagement, il recherchait la rentabilité
du projet la plus élevée. En 2000, une étude de faisabilité financière laissait envisager un taux
normal de retour sur investissement à 7,5% mais estimait qu'il pourrait atteindre 21,2% dans
le meilleur des cas (calculé sur les 20 ans nécessaires à l'aménagement). 124

122 Sur la conception des villes nouvelles de Jakarta et leur rôle dans l'urbanisation du pays, voir Goldblum,
1998).
123 En 1997, les projets approuvés autour de Jakarta concemaient 90 000 hectares mais seuls 13 300 hectares
étaient construits (Dick et Rimmer, 1998, p 2314).
124 Feasability sludy on Ihe Hanoi new lown developmenr projecl, Hanoi People Committee & Korea
International Cooperation Agency, avril 2000, p 40.

514
Illustration 10-11. Le projet de ville nouvelle proposé par Daewoo et 8echtel.

N
éch approx.
Î

Cette simulation de photographie aérienne permet de mesurer l'ampleur du projet. On peut notamment repérer le lac Tây tout
au bas de l'image. Afin de lutter contre les crues du fleuve rouge et en raison des étangs existants, le réseau hydrographique
est particulièrement développé. En revanche, "image semble exagérer "importance des espaces verts. Les deux grands pôles
du projet sont le Central business district de 8ông Anh (au centre) et le centre international de Tu Liêm à l'ouest du lac Tày.
Notons que ce projet prévoit la construction d'un nouveau pont sur le Fleuve rouge pour porter l'axe routier central nord-sud.
L'extension vers le nord-est est réservée à une grande zone industrielle.

515
Illustration 10-12. Le projet de centre international à Tu Liêm.

source: Bechtel (préparé pour Daewoo ),preliminary master plan, 1997

Le secteur de Tu Liêm devrait être réalisé dans la première phase. Préparé de longue date par les ingénieurs japonais de
Nikken Sekkei, ce secteur s'organise le long d'un axe est-ouest. Les immeubles de bureaux et les centres commerciaux sont
disposés en premier rideau. Leur très grande hauteur vise à donner un aspect radicalement moderne à ce qui devrait
certainement devenir le second centre de Hanoi dans les décennies à venir. Au delà de ces immeubles, s'étendent les aires
résidentielles de moyenne densité séparées par des lacs.

En assemblant les projets Ciputra, Bac Thang Long et la ville nouvelle proposée par Daewoo,
c'est l'ensemble de l'aire d'extension de Hanoi telle que redéfinie en 1996, qui était ainsi
couverte de projets étrangers dès 1997. Ils pouvaient être inclus dans le schéma directeur
défmitivement adopté en 2000. Toutefois, ils sous-entendaient un partage des charges et des
profits entre les investisseurs et l'Etat qui n'allait pas de soi.

4.2. Des garanties économiques et juridiques encore insuffisantes.

Fortement dépendants des capitaux privés internationaux, ces grands projets urbains exigent
un cadre institutionnel garantissant la rentabilité du capital. Dans les pays développés, la
concession de travaux publics permet d'associer des investisseurs privés et des Etats dans la
construction d'infrastructures. Depuis le début des années 1990, le Viêt-nam tente d'adopter
la forme ango-saxonne de la concession de travaux publics: les contrats de B.OT. (Build-

516
Operate-Transfer). II ne parvient toutefois pas encore à proposer aux entreprises étrangères un
cadre juridique suffisamment sûr et des perspectives de rentabilité suffisantes pour qu'elles
s'engagent dans ces contrats. En l'état actuel, les rares projets de B.O.T. que les investisseurs
étrangers accepteraient de financer sont les centrales hydro-éléctriques ou les stations
d'épuration. 125 Le cadre juridique pour réaliser des projets d'aménagement étant limité aux
sociétés mixtes entre entreprises vietnamiennes et étrangères, les investisseurs ont tenté de le
faire évoluer sur des bases expérimentales en faveur de leurs intérêts. Alors que les
négociations étaient engagées, la crise économique asiatique de juillet 1997 allait révéler la
fragilité et la volatilité des capitaux privés internationaux.

4.2.1. La suspension du projet Ciputra.

Le projet Ciputra ne nécessita pas de montage public-privé puisqu'il s'agissait en réalité un


gigantesque programme immobilier de 2,1 milliards de dollars 126, entièrement financé par des
fonds privés. La formule de la joint-venture lui convenait parfaitement. En décembre 1996,
Ciputra constitua la Citra West Lake City Development Compagny Limited entre une
entreprise de construction d'infrastructures du comité populaire de Hanoi (Hanoi Technical
Infrastructure Construction Company) et une filiale de la Ciputra Construction Corporation
localisée à Singapour (Singaporean Planning Investment and Development Corporation).127
La part du partenaire vietnamien dans le capital de la société était fixée à 30% (apportés sous
forme de loyer des DUS). Ciputra devait apporter un capital de départ de plus de 500 millions
de dollars pour financer l'aménagement du projet. Le groupe envisageait d'emprunter plus de
200 millions pour réunir cette somme. Des informations non confirmées nous laissent penser
que des grands groupes d'investissement américains étaient intéressés à prêter cette somme à
Ciputra. Le reste de l'investissement devait être financé par des investisseurs immobiliers
partenaires et les particuliers. Pour rentabiliser cet investissement, le groupe indonésien
négocia une durée totale d'exploitation du projet de 50 ans durant laquelle 70% des profits lui
reviendraient. 128

125 La construction de la première centrale hydro-éléctrique sous forme de B.OT avec des partenaires étrangers
était à l'étude en mai 2000. « BOT bidders encourages in hydro sector», Vietnam lnvestment Review, 15-
21.05.2000.
126 Il s'agit du montant total d'investissement du projet et non du coût de l'aménagement.
127 Nous avons vu dans le chapitre 8 que l'attribution de la licence d'investissement à Ciputra en décembre 1996
était quelque peu prématurée. Le gouvernement voulait surtout « gonfler» artificiellement les statistiques
annuelles de l'investissement étranger afin de masquer leur première baisse depuis l'ouverture du pays.
128 Ces données sont tirées de l'étude de faisabilité du projet réalisée en octobre 1995.

517
Dans cette configuration, la fiabilité financière de l'opération reposait entièrement sur ses
perspectives de commercialisation. C'est pour cela que la principale exigence de Ciputra, lors
de l'attribution de la licence d'investissement en 1996, était d'obtenir une dérogation à
l'interdiction faite aux investisseurs étrangers de vendre des immeubles construits sur leurs
129
projets. En ne leur autorisant que la mise en location, l'Etat vietnamien réduit nettement le
rythme de retour sur investissement et les liquidités (le « cash flow ») produites par le projet.
Pour atteindre son but, Ciputra adopta un discours fondé sur la coopération avec les pouvoirs
publics. Il proposait que son projet soit l'occasion d'expérimenter de nouvelles formes de
commercialisation foncières et immobilières. Cette attitude visait à favoriser des négociations
difficiles avec le gouvernement sur des questions aussi sensibles. La politique de Ciputra fut
payante puisqu'il obtint une dérogation lui permettant de vendre les logements aux
Vietnamiens et aux étrangers à condition qu'ils résident plus de trois ans à Hanoi.

Fondé sur des perspectives de profits très élevées, le projet allait être sévèrement remis en
question par la crise financière asiatique en juillet 1997. L'Indonésie fut très durement
touchée par la défiance des investisseurs internationaux et s'enfonça dans la récession
économique et les turbulences politiques qui menèrent à la démission du président Suharto en
1999. Sans doute, Ciputra, qui comme tous les grands groupes industriels indonésiens, était
proche du pouvoir, connut de grandes difficultés durant cette période. Mais il faut également
noter que le fort ralentissement de la croissance économique au Viêt-nam, et notamment la
chute des investissements étrangers, ne constituaient plus un contexte favorable pour le
lancement du projet. Ciputra négocia alors avec le gouvernement vietnamien un délai de
quelques années pour commencer son projet.

Après trois ans d'interruption, les représentants de Ciputra revinrent à Hanoi au début de
j'année 2000 pour reprendre leur projet sur de nouvelles bases. Face à l'impatience des
pouvoirs publics, et notamment du comité populaire de Hanoi, qui menaçait de demander le
retrait de la licence d'investissement, ils devaient trouver le moyen de temporiser tout en
donnant l'impression de commencer le projet. Ils annoncèrent ainsi la construction d'un
premier quartier comprenant une école internationale financée par les Nations Unies et des

129 Selon la loi, ces derniers doivent en effet revenir à la partie vietnamienne de la joint-venture à expiration du

contrat. C'est J'une des entraves juridiques à la liberté de commerce la plus critiquée par les promoteurs
immobiliers étrangers. Ordonnance sur les droits et obligations des organisations étrangères et individus Jouant
des terrains au Viêt-nam, 14.07.1993. Voir chapitre 3.

518
immeubles de logement. Ce projet, dont la rentabilité était garantie par l'engagement financier
des Nations Unies, permettait opportunément de débuter le projet sans altérer ses perspectives
de profit.

Mais, sur le fond, l'ensemble de l'économie du projet était revu à la baisse. Ciputra ne
s'engageait plus à investir massivement 500 millions de dollars mais proposait que
l'investissement se fasse peu à peu' en fonction des opportunités de commercialisation des
terrains. 130 Cette formule réduisait considérablement les perspectives de profit rapide du
projet. Mais en contrepartie du démarrage du projet, Ciputra obtint du gouvernement une
131
réduction de moitié du loyer des terrains. Le groupe indonésien avait également essayé
d'obtenir une extension de la durée d'exploitation du projet mais apparemment sans succès.

L'évolution du projet de Ciputra est très représentative de l'attitude des investisseurs


étrangers venus à Hanoi au début des années 1990 en pariant sur une croissance économique
extrêmement forte et donc sur des profits importants. Parce qu'entièrement financé par les
capitaux privés internationaux, ce projet constituait également une aubaine pour les autorités
vietnamiennes. Mais il révéla sa faiblesse lorsque les perspectives économiques
s'assombrirent. Aujourd'hui, l'attitude attentiste de Ciputra et notamment sa volonté
d'investir au coup par coup laissent planer des doutes sur la qualité d'urbanisation, et
notamment sur la construction des infrastructures. On peut cependant penser que cette
expérience conduira Ciputra à réorienter le projet vers les besoins réels de la population
vietnamienne afm d'attirer ses ressources financières.

4.2.2. Le fort soutien du Japon au projet Bac Thang Long.

En ce qui concerne le projet Bàc Thang Long, sa dimension et le coût des infrastructures à
réaliser ne permettait pas de le réaliser par les seuls capitaux privés. Sumitomo, Daewoo et
Nothbridge constituèrent des joint-ventures pJopres à leur projet en 1996 et 1997. Sumitomo,
qui avait déjà entraîné Northbridge dans le sillage de sa zone industrielle a alors joué un rôle
déterminant dans la décision du gouvernement japonais d'octroyer un prêt de plus de 100
millions de dollars pour la réalisation des infrastructures du projet en 1997. Il s'agit du
premier projet d'aménagement urbain à Hanoi dont le montage financier associe des

130 « Largest project to go ahead step by step », Vietnam Investment Review, 21.02.2000.

519
investissements étrangers avec une aide publique au développement (ou ODA, Official
Development Assistance). Toutefois, le lien étroit qui existe entre r engagement des fonds
publics et privés n'est pas concrétisé formellement par une structure de décision englobant
l'ensemble des partenaires.

Le déclenchement de la cnse régionale allait montrer la fragilité des investissements


étrangers. Le groupe thailandais S.A.S. renonça à son projet et Northbridge suspendit le sien
après avoir négocié un délai de commencement des travaux avec le gouvernement. Si la partie
strictement immobilière du projet Bâc Thang Long fut ainsi mise entre parenthèse par la
détérioration de la situation économique locale et régionale, en revanche, le cœur du projet
constitué par la zone industrielle et les infrastructures fut épargné. Sumitomo commença
l'aménagement d'une première phase de sa zone industrielle sur 120 hectares en mai 1998.
Elle fut achevée en juin 2000 et l'industriel japonais aurait reçu des engagements de location
de 30% des lots, notamment par des entreprises japonaises et américaines. 132

Le gouvernement japonais octroya son prêt ODA de 122 millions de dollars 133 par
l'intermédiaire de son fonds destiné à la coopération internationale, l'OECF (Overseas
Economie Cooperation Fund devenu depuis Japan Bank for International Cooperation,
JBIC). Ce fut un cabinet d'ingénieurs japonais, Nippon Koei, qui fut chargé de faire les études
134
détaillées du projet en 1998. Une première phase comprenant le tracé de deux routes et la
construction d'une usine d'épuration fut commencée en 1999. Associé au service municipal
des transports, Nikkon Koei prépara les indemnisations et élabora les dossiers d'adjudication
des travaux qui ne devraient pas manquer de revenir à des entreprises de construction
japonaises en 2000. Le lien étroit existant entre Surnitomo et le gouvernement japonais
permet d'associer investissements privés et aide publique. A lui seul, le Japon assure, de
manière jusqu'ici informelle, la solidité et la cohérence financière du projet. Le Japon est le

131 Celui-ci passait de 0,85 S/m 2/an à 0,42$/m 2/an.


132 Sumitomo est le groupe industriel étrangers qui possède le plus de projets d'investissements à Hanoi (20 pour

une valeur de 150 millions de dollars).


133 Sur ce total, Je gouvernement vietnamien apporta les 15% minimum requis par ce type de prêts

internationaux.
134 Il est intéressant de noter l'engagement poussé du Japon dans le financement des infrastructures. Depuis le
début des années 1990, J'agence de coopération pour le développement J1CA (Japan international Cooperation
Agency) concentre ses efforts sur les travaux d'infrastructure à Hanoi. Elle a notamment élaboré le schéma
directeur des transports en 1996. La décision du gouvernement japonais de financer les travaux d'infrastructure
du projet Bâc Thfmg Long s'inscrit dans la suite logique de ces travaux préparatoires.

520
premier prêteur d'aide ODA au Viêt-nam devant la Banque mondiale et la Banque asiatique
pour le développement. 135

Le schéma d'aménagement urbain qui se met progressivement en place dans le projet Bac
Thang Long nous semble appelé à se développer dans la décennie à venir. Certes, ce projet ne
doit son début de concrétisation qu'à l'engagement financier conséquent du gouvernement
japonais mais il est probable que le. relais sera pris plus tard à la fois par les investisseurs
étrangers (secteurs résidentiels, de commerces et de services de niveau international) et l'Etat
vietnamien (logements ouvriers) lorsque les conditions économiques seront plus favorables.

4.2.3. Les déconvenues de Daewoo.

Par son coût estimé à 40 milliards de dollars en 1998, le projet de ville nouvelle proposé par
Daewoo ne pouvait faire l'économie d'un solide cadre institutionnel associant l'Etat et les
partenaires privés. Une étude de la Banque mondiale préconisait un engagement du budget
d'Etat à hauteur de 15% du coût du projet, complété par l'aide publique au développement
pour 25%.136 Ces fonds publics devaient servir à financer les grands travaux d'infrastructures
nécessaires dans la première phase du projet. Les 60% restant étaient laissés à la charge des
investissements privés et leur proportion était amenée à augmenter avec le temps pour
remplacer le financement ODA.

Les exemples des villes nouvelles de Shuzhou et de Pudong mises en chantier en Chine
montrent qu'il existe deux solutions pour associer les partenaires publics et privés dans de tels
projets. 137 La première consiste à impliquer fortement des partenaires étrangers dans la
direction même du projet. La ville nouvelle de Shuzhou est ainsi un projet conjoint des
gouvernements chinois et singapouriens qui délèguent à un établissement d'aménagement
-
l'autorité sur un territoire de 7000 hectares. Il gère l'ensemble des procédures administratives
relatives à l'investissement dans les domaines industriels, commerciaux et de services publics.

135 Comme les investissements direct étrangers, les prêts ODA ne sont pas insensibles à la situation économique
du pays. Le taux de déboursement des projets ODA est ainsi très faible au Viêt-nam. Seulement 49% de l'aide
promise sur la période 1993-1999 furent effectivement déboursés (contre 60% attendus). Au total, les prêteurs
internationaux ont promis 13 milliards de dollars d'aide (Vietnam Economie News, n02, 2000, p 2).
136 The Hanoi new town project, a Vietnam government-private sector partnership for urban development,
Russel 1. Cheetham, Banque Mondiale, 12 décembre ] 998. .

521
Cet établissement agit en liaison étroite avec une joint-venture composée de 20 sociétés
singapouriennes, de 4 sociétés internationales et de Il entreprises publiques chinoises. Cette
délégation spéciale de compétences par l'Etat chinois à des structures mixtes n'est possible
que parce qu'il existe un accord avec le gouvernement de Singapour sur les fmalités
économiques et politiques du projet. Conçu comme une extension de Shanghai, le projet de
Pudong est, quant à lui, avant tout un projet du gouvernement et de la municipalité. Ils sont de
très forts contributeurs financiers à l'aménagement de la zone. Le rôle imparti aux
investisseurs étrangers est celui d'investisseurs secondaires, mais ils disposent de très
importantes concessions pour s'implanter à Pudong. Ces deux projets montrent bien le choix
qui est donné aux gouvernements dans leur relations avec les investisseurs étrangers. Soit ils
leur demandent d'investir massivement dans la conception et la réalisation du projet, et alors
ils doivent accepter leur implication dans l'administration même du projet, ou bien ils
assurent, par l'investissement public, la base financière du projet et recherchent l'équilibre du
projet par l'attraction des investisseurs privés.

Lorsque la négociation sur le statut de la ville nouvelle fut engagée, Daewoo afficha
clairement sa préférence pour une solution de type Shuzhou : la création d'une zone spéciale
dans laquelle s'appliquerait une législation différente de celle en vigueur dans le reste du
pays.138 En particulier, la réglementation des baux fonciers devait être beaucoup plus
favorable aux investisseurs étrangers qu'elle' ne l'était. Le conglomérat coréen demandait
également au gouvernement de l'exempter du paiement des DUS et des indemnisations
139
foncières dans les premières années du projets. Des réductions d'impôts pour les
promoteurs qui viendraient construire dans la ville nouvelle étaient également sollicitées.
Toutes ces mesures étaient présentées comme indispensables pour attirer les investisseurs
étrangers.

Le projet d'une zone spéciale nécessitait qu~elle soit placée sous l'autorité du Premier
ministre et non du comité populaire de Hanoi. L'implication du gouvernement était jugée
indispensable pour permettre d'adopter un cadre juridique adéquat et de garantir l'engagement
du budget de l'Etat et l'orientation des crédits ODA vers la ville nouvelle. Sur le modèle de

137 Les informations sur ces deux projets sont fournies en annexe de l'étude de la Banque mondiale: The Hanoi
new town project, a Vietnam government-private sector partnership for urban development, Russel J. Cheetham,
Banque Mondiale, 12 décembre 1998.
138 Hanoi new town development and investment, summary report, Hanoi new town -task force team, mai 1998,

p 14.

522
Shuzhou, Daewoo proposa un organigramme de maîtrise d'ouvrage à quatre niveaux dans
lequel l'établissement et la société mixte d'aménagement constituaient les éléments essentiels
(voir figure 10-25). La direction de l'établissement d'aménagement (Development Authority)
était nommée par le Premier ministre et devait comprendre des représentants de tous les
ministères concernés par le projet. L'établissement était une structure administrative
vietnamienne en charge des réglementations spécifiques à la zone, des indemnisations, de la
délivrance des licences d'investissem"ent et des permis de construire. Elle gérait également les
fonds publics investis dans la zone. La société mixte d'aménagement (Development
Corporation) était conçue comme une joint-venture comprenant des entreprises publiques et
privées vietnamiennes et des investisseurs étrangers. Daewoo insistait sur la nécessité de la
représentation du gouvernement au sein de la société par l'intermédiaire du ministère des
finances. La répartition du capital entre secteur public et privé n'était pas précisée mais elle
devait répondre aux exigences des investisseurs étrangers. Parmi ceux-ci, Daewoo souhaitait
être l'actionnaire majoritaire. La société était responsable de la gestion économique de la ville
nouvelle. Dans un premier temps, elle devait réaliser les travaux d'infrastructures puis elle
devait ensuite attirer les investisseurs par une stratégie marketing adaptée.

139 Ibid, P 2' "

523
Figure 10-25. Organigramme de la ville nouvelle proposé par Daewoo.

Premier Ministre

Comité d'orga~isation

,
Ministère de la .. Etablissement d'aménagement Comité populaire de
construction Hanoi

,
Société mixte d'aménagement

Investisseurs individuels

Construisent et transférent au comité populaire


de Hanoi

-
source: Hanoi new lown deve/opment, summary report. Hanoi new lown-/ask (orr:e leam. mai 1998, p 16.

524
Considérant le système juridique et l'organisation administrative vietnamienne
insuffisamment orientés vers l'économie de marché, Daewoo proposait en définitive de créer
une administration propre à la ville nouvelle. Il s'agissait également de lutter contre
l'informalité, la corruption et la bureaucratie. 140 La présentation de la Banque mondiale sur la
ville nouvelle mettait d'ailleurs en avant les contributions d'ordre institutionnel dont
pourraient bénéficier les pouvoirs publics pour conduire l'urbanisation du pays.141 Elle voyait
opportunément dans la ville nouvelle un moyen d'orienter la gestion foncière vers l'économie
de marché et de développer la propriété privée des logements.

La réaction du gouvernement à cette proposition associant une forte emprise des investisseurs
étrangers, et notamment de Daewoo, sur la gestion du projet et un discours politique
radicalement favorable aux forces du marché fut ambiguë. Il constitua en 1998 un comité
d'organisation de l'aménagement et de la construction de Hanoi sous présidence d'un vice-
premier ministre et de nature interministérielle. Cependant, ce comité d'organisation étant
chargé de l'aménagement de toute la capitale, il signifiait en fait le refus du gouvernement de
créer une administration spéciale pour la ville nouvelle. Le bureau du comité d'organisation,
son organe permanent et exécutif, fut d'ailleurs placé sous la présidence de l'architecte en
chef de la ville et non sous celle du gouvernement. 142 Ce choix exprime clairement la volonté
des pouvoirs publics de gérer la construction de la ville nouvelle au niveau municipal. Ils
semblent ainsi s'orienter plutôt vers une solution où l'Etat conserverait l'ensemble de ses
prérogatives. Le fait que ce projet concerne la capitale du pays le rend très politique et ne
permet pas d'en laisser l'initiative à des investisseurs étrangers. La contrepartie doit donc être
un fort engagement de l'Etat vietnamien dans le financement du projet. Ce dernier pourrait
provenir en grande partie de l'aide publique au développement. Le rythme de réalisation de la
ville nouvelle serait certainement plus lent mais sans doute aussi plus sûr que s'il reposait en
grande partie sur les-capacités d'investissement de Daewoo.

Le conglomérat coréen connut en effet de graves difficultés financières suite à l'effondrement


143
de l'économie coréenne en 1997 et 1998. Comme la plupart des autres chaebols, Daewoo a

140 Ibid, P 14.


141 The Hanoi new town project, a Vietnam governmenl-private sector partnership for urban developmenl,
Russel J. Cheetham, Banque Mondiale, 12 décembre 1998, p 22.
142
11 comprend une division chargée de l'aménagement de la ville existante et une autre de la ville nouvelle.
143 Le conglomérat avait en grande partie financé sa croissance sur J'endettement grâce à ses liens étroits avec les
banques et le gouvernement coréen. En septembre 1999, on estimait ses dettes nationales et internationales

525
adopté une stratégie de développement axée sur la course à la taille et au volume. Pour
financer ses investissements expansionnistes, il a recouru à l'emprunt et non à
l'autofinancement. Ceci a été possible en raison de relations étroites entre les banques et
l'industrie coréenne. Ainsi, fin 1997, les 30 plus grands conglomérats coréens avaient un taux
d'endettement de 519% contre 193% au Japon, 154% aux Etats-Unis. En 1998, Daewoo était
le plus endetté d'entre-eux avec un taux d'endettement de 526% devant LG: 355%,
Sarnsung : 276% et Hyundai : 449%.144

Ayant financé les études préparatoires du projet pour près de trois millions de dollars l45 ,
Daewoo chercha une solution pour conserver ses intérêts dans le projet sans continuer de le
financer. Il obtint le soutien du gouvernement coréen. Celui-ci décida de financer les études
sur la ville nouvelle par le biais de ses fonds pour la coopération internationale. En juillet
1999, le projet de ville nouvelle était ainsi officiellement transféré à l'agence de coopération
internationale coréenne, Koika. Daewoo se plaçait ainsi en position d'attente. En avril 2000,
pour montrer sa volonté de continuer le projet, il conduisit une nouvelle étude financée par
Koika. 146 La principale modification résidait dans l'échelle de l'investissement, qui était
réduite à 29 milliards au lieu de 40, et dans la durée du projet, 20 ans au lieu de 40. Le coût de
l'aménagement du projet (acquisition foncière et construction d'infrastructures) était estimé à
quatre milliards de dollars. Ce nouveau projet devrait être présenté fin 2000 au gouvernement.

Aussi bien du côté du gouvernement que du côté coréen, il semble que les initiatives prises
jusqu'à présent visent à masquer un position attentiste. Les conditions économiques et
politiques (depuis le retrait de DÔ Muài de la direction du parti communiste en 1998, Daewoo
a perdu son plus fort soutien au projet) ne sont aujourd'hui pas réunies pour que le projet voit
le jour. En revanche, sur le plan urbain, le projet d'aménagement réalisé par Daewoo et
Bechtel a été officiellement approuvé et est pris en compte dans l'élaboration des documents
de planification à l'échelle des districts. Il constituera sans doute la base du développèment
urbain futur de Hanoi.

(notamment auprès d'institutions américaines) à près de dix milliards de dollars. Asian Wall Street Journal,
29.07.1999
\44 Le courrier de la Corée, 4.09.] 999.

145 Le chiffre communément cité est de un milliard de dollars (<< Crucialfacelifi slatedfor old Hanoi », Vietnam

/nvestment Review, 12-18.7.1999) mais des sources proches du projets esti~ent le coût réel des études trois fois
plus élevé.
146 Feasability study on the Hanoi new town development project, Hanoi People Committee & Korea

International Cooperation Agency, réalisée par Daewoo corporation, Dasan Consultants, Han-A urban research
institute et CB richard Ellis, avril 2000.

526
Il est difficile de prévoir comment vont évoluer les projets d'aménagement des investisseurs
étrangers dans les années à venir. Il leur manque actuellement un socle financier stable, et non
pas fluctuant au gré des difficultés rencontrées par tel ou tel investisseur. Seule la mise sur
pied d'un établissement mixte d'aménagement pourrait y parvenir mais cela supposerait qu'un
cadre institutionnel liant l'Etat et les investisseurs étrangers dans un intérêt commun soit mis
en place. Comme toutes les réfomies actuelles, ceci ne se fera que par expérimentations
successives. Le Viêt-nam n'a pas encore acquis l'ingénierie institutionnelle suffisante pour
pouvoir réaliser des projets de ville nouvelles à l'instar de ces voisins de l'ASEAN. Au delà
de cet aspect, on peut noter que le phénomène des villes nouvelles est indissociable de
l'émergence de classes moyennes aisées sous le double effet de l'industrialisation et du
salariat (elles sont estimées à un tiers de la population de Bangkok, Kuala Lumpur ou
Djakarta, Dick et Rimmer, 1998, p 2311). La réorientation des projets de Hanoi en direction
de la population locale après la réduction drastique des investissements étrangers permettait
de sauver la viabilité des projets mais en repoussait l'horizon.

L'entrée des investisseurs étrangers dans l'économie du pays s'est faite parallèlement au
lancement des réformes. L'Etat sut leur apporter les garanties minimums pour qu'ils soient à
l'abri d'un éventuel « retour en arrière» du régime. L'engouement qui saisit les investisseurs
internationaux pour le pays au début des années 1990 est à ce titre un incontestable succès de
ses dirigeants. Mais, dans ce cas précis, le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien? La société
vietnamienne n'était pas prête à « digérer» une arrivée massive de capitaux après des années
de gestion des manques. Un personnel encore mal formé à l'économie de marché et un cadre
institutionnel en pleine recomposition ne permettait pas de gérer convenablement la situation.
La bulle des investissements se dégonfla d'elle-même après quelques années. Le phénomène

-
fut particulièrement accentué en ce qui concerne les projets immobiliers. Les multiples
entraves à la réalisation des projets agirent comme des filtres. Ce fut bénéfique puisqu'au bout
du compte seuls les investisseurs réellement solides et expérimentés restèrent.

Comme toute crise, la crise financière asiatique eut en effet des effets salutaires. Elle acheva
d'assainir le marché et poussa le gouvernement à prendre des mesures favorables aux activités
des investisseurs étrangers. Les décisions prises pour relancer la production immobilière après
1996 montrent que les dirigeants sont désormais guidés par des préoccupations de marché
même si leur mode d'intervention reste bureaucratique. Lorsqu'ils auront trouvé les moyens

527
de gagner définitivement la confiance des milieux d'affaires internationaux, ils pourront
mettre en œuvre les grands projets d'aménagement urbain qu'ils appellent de leur vœux
depuis de nombreuses années.

528
Les trois processus de valorisation foncière que nous venons d'étudier ont chacun leur
système d'acteurs et leur mode de fonctionnement propre. Les particuliers parviennent ainsi à
construire sans rendre de compte à l'Etat. Celui-ci encourage les opérations des entreprises
publiques car il parvient à les maintenir dans une forme de clientélisme qui lui assure des
retombées importantes. Enfm, les investisseurs étrangers, malgré les nombreuses concessions
qu'ils doivent faire à leurs partenaires, sauront négocier au mieux l'engagement de leur
puissance financière considérable. Ces modes de valorisation ne sont pas hermétiques les uns
aux autres. Au contraire, ils sont en forte concurrence pour jouer un rôle prépondérant dans le
grand chantier que sera l'urbanisation de Hanoi dans les décennies à venir. L'aspect physique
de la ville dépendra beaucoup du partage qui s'effectuera. Il semble que la domination de
l'autoproduction depuis le début des années 1990 soit en train de s'estomper progressivement
au profit des opérations des promoteurs et aménageurs publics. L'Etat rétablit ainsi peu à peu
son contrôle sur l'urbanisation, mais il doit dorénavant en partager les gains financiers avec la
population. Attirés par l'importance des «nouveaux marchés» et soutenus par leurs
gouvernements, les grands investisseurs internationaux sont en train de «marquer» leurs
positions. Il est intéressant de noter que bien loin des querelles idéologiques, les investisseurs
américains sont particulièrement présents, parfois confortablement abrités derrière des
entreprises coréennes, indonésiennes ou thaïlandaises -ceci ne fait que refléter leur
domination sur la scène économique internationale mais montre, s'il en était encore besoin, le
pragmatisme des dirigeants vietnamiens. Etant donné l'importance de la terre dans la société
et l'économie vietnamiennes et les rapports de force qui s'y concentrent, il est probable que le
type d'urbanisation qui s'imposera sera celui qui permettra la plus juste répartition des profits
de la valorisation du foncier entre tous les acteurs. Il est en devenir.

529
530
CONCLUSION

Au cours de notre recherche sur le rôle du foncier dans la redéfInition des formes de
l'Urbanisation à Hanoi entre 1986 et 2000, nous nous sommes attachés à comprendre et
expliciter la réalité que nous observions. Nous voudrions achever ce travail en reprenant le
résultats de nos différentes analyses pour les inscrire dans une réflexion prospective.

\ ", Le régime foncier urbain vers lequel tend le Viêt-nam est incontestablement fondé sur la
propriété collective des terres. Ce serait un grave contresens de croire que le Viêt-nam
s'oriente vers un système de propriété pleine et entière qui ne dirait pas son nom. Certes, les
particuliers jouissent de droits d'usages du sol ayant tous les attributs de la propriété (échange,
location, cession à titre onéreux, prise d'hypothèque, transmission par succession). Il faut y
voir une manifestation de l'attachement traditionnel de la population à la propriété foncière.
Dans une période où la propriété privée était officiellement honnie, l'Etat avait déjà dû tenir
compte de ce trait de civilisation en concédant des lopins de terres à usage privatif (les terres
5%) au sein des coopératives agricoles. Il y était contraint s'il ne voulait pas que l'expérience
collectiviste soit un fiasco. Cette attitude pragmatique du pouvoir se concrétisa une seconde
fois lorsqu'il apparût au milieu des années 1980 que seule la population détenait les moyens
de prendre le relais d'une production étatique de logements moribonde. Une fois encore, le
recours à l'initiative privée passa par une entorse au dQgme de la propriété collective des
terres. En garantissant, « entre les lignes» dès 1988 puis explicitement en 1993, que les terres
de logement des particuliers ne pouvaient leur être confIsquées, le pouvoir faisait une
concession indispensable à la population pour qu'elle investisse ses propres ressources dans la
construction de logements. On relève ici l'avantage fondamental de la propriété privée sur la
propriété collective: elle seule «rassure» les citoyens contre les atteintes à leurs droits
fondamentaux par l'Etat. Elle est en cela particulièrement utile dans les pays où l'Etat de droit
n'est pas encore établi et/où la pui5sàI1ce publique ne dispose pas d'une administration
suffIsamment probe et efficace pour s'attirer la confiance de la population.

Cette concession à la propriété privée est toutefois très limitée. Elle ne concerne que les terres
d'habitat. L'objectif est uniquement d'autoriser un marché des logements incluant les terrains
qui les portent. Pour cela, les particuliers disposent en fait d'un bail foncier perpétuel qu'ils
payent, lors de l'achat d'un logement, sous forme d'un impôt sur le transfert des droits

531
d'usage du sol. Afin d'augmenter le stock des terres destinées au logement, l'Etat autorise les
transactions sur les droits d'usage du sol des terrains à bâtir mais il entend en contrôler
étroitement le volume et les prix en exerçant un monopole sur la converSIOn des terres
agricoles et d'autres activités en terres d'habitat.

Hors de ce cas particulier des terres de logement, l'ensemble des transactions foncières sont
appelées à s'inscrire progressivement dans un système de baux emphytéotiques. Bien
qu'empruntant une voie légèrement différente de celle suivie par la Chine, la réforme
vietnamienne devrait également aboutir un marché des baux fonciers. L'observation des
évolutions sur ces dix dernières années montre que ce sont les forces du marché qui poussent
l'Etat à agir en ce sens. Sur ce point, on peut souligner le rôle important joué par la crise
financière régionale de 1997-98. C'est en réponse aux difficultés rencontrées par les
entreprises que l'Etat franchit l'étape décisive en introduisant la possibilité d'acheter et de
vendre des baux dans la loi foncière de 1998. Autre exemple de la pression qu'exercent les
acteurs de l'économie sur le régime foncier: face aux difficultés rencontrée.s par les
entreprises publiques pour financer des projets immobiliers résidentiels, l'Etat envisage de
concéder aux investisseurs étrangers qui s'associeraient avec elles le droit de « vendre)} aux
acquéreurs de logements les droits d'usage du sol -et non plus à de sous-louer. Si l'on associe
à cette mesure, la possibilité prochaine qu'une catégorie spécifique d'étrangers, les Vi4t kié'u,
puisse devenir propriétaires de logements, on obtient tous les éléments qui permirent l'essor
du modèle d'urbanisation des villes d'Asie du sud-est fondé sur l'immeuble résidentiel en
copropriété (le « condominium}}) tel qu'il fut inauguré au milieu des années 1970 à Singapour
avant d'être adopté en Thaïlande (Goldblurn, 1987, 1994).

La convention sociale sur le foncier qui s'élabore depuis quinze ans recherche un équilibre
entre les caractéristiques de la société vietnamienne. D'un côté, l'Etat préserve sa capacité
d'intervention dans la gestion des ressources foncières et notamment dans la conversion des
terres agricoles en terres d'urbanisation. Il s'agit d'un axe crucial de la politique vietnamienne
dû au poids démographique d'une population paysanne, déjà fragilisée, qui ne vit que de la
terre. D'un autre côté, les particuliers jouissent d'une sécurité et d'une liberté de transaction
sur leurs terres de logement égale à celle des régime de pleine propriété. Le dynamisme
propre à l'initiative individuelle, autre richesse du pays, trouve ainsi à s'exprimer. Ce n'est
pas l'un des moindres paradoxes du Viêt-nam que la construction pragmatique d'un cadre
juridique adapté aux besoins du pays s'accompagne, dans la réalité, d'un véritable « désordre

532
foncier ». Entre les deux se situe la sphère de l'institutionnalisation. Ici, surgit une difficulté
majeure: les régime de propriété collective des terres exigent une gestion publique « lourde»
que seuls des Etats disposant d'une administration compétente et efficace peuvent mettre en
œuvre. On touche alors au « talon d'Achille» du régime foncier vietnamien. Dans ses
relations avec la société civile, l'administration se heurte au filtre de l'infra-institutionnel. La
population n'ayant pas confiance en l'administration, elle adopte une attitude mêlant défiance
et conciliation envers des autorités focales aisément consentantes. L'accord s'opère toujours
au détriment de l'intérêt public. Dans ces relations avec les entreprises, l'administration est
victime du « clientélisme informel» qui régit, plus largement, les rapports entre les élites du
pouvoir et celles de l'économie. Ces deux déviances sont typiques des sociétés qui
recomposent leur modes d'organisation sociale. L'Etat y est « faible» car il ne peut s'appuyer
solidement sur un système juridique en pleine mutation. La situation inconfortable dans
laquelle se trouve la municipalité de Hanoi pour faire appliquer la loi foncière en est
l'illustration.

Il ne s'agit sans doute que d'une étape mouvementée dans l'histoire du pays mais elle est
fondatrice de l'ordre qui lui succédera. Profitant du chaos, les acteurs économiques et sociaux
tentent d'arracher à l'Etat des droits et des statuts sociaux privilégiés avant que l'heure de la
remise en ordre ne soit venue. L'issue probable du rapport de force actuel sur la régularisation
des droits d'usages du sol des particuliers montre comment ses derniers sont en passe de
légaliser, et donc de pérenniser, des occupations foncières originellement illégales. C'est aussi
dans la lutte -parfois violente- que les paysans ont acquis une hausse substantielle des
indemnisations foncières. Les corps constitués ont également tenté d'acquérir ou de protéger
des privilèges. On peut citer la confrontation qui opposa longtemps l'Année à la municipalité
de Hanoi sur la question des lotissements qui furent érigés sur des terrains militaires. Cédant à
des catégories émergentes de la société (les commerçants, les petits promoteurs privés ... ),
l'Etat tente de protéger celles qui furent son soutien pendant trente ans. Cela s'observe
nettement dans la législation sur le droit au logement. L'Etat ne peut décemment pas, sans
quelques compensations, retirer à des personnes des logements attribués pour « service rendu
à la cause révolutionnaire» sous prétexte de bonne gestion du marché immobilier. Le tissu
social est en train de se recomposer autour du nouveau cadre juridique.

Les premiers signes du nouveau type d'urbanisme apparaissent dans les deux grandes villes
du pays. Après quelques déboires à mettre sur le compte de l'inexpérience, les entreprises de

533
construction nationales élaborent des projets de quartiers résidentiels particulièrement
attractifs pour la population. Les grands investisseurs internationaux dans l'aménagement et
les infrastructures urbaines se positionnent également sur ce marché prometteur. L'immobilier
tertiaire supérieur impose, d'ores et déjà, ses fonnes exclusives dans le centre des métropoles
vietnamiennes. Les terrains y sont objet de concurrence entre investisseurs internationaux sur
un marché invisible mais bien réel. L'urbanisme de « blocs» et de « buildings» pré-
conditionne l'image des Central business district en gestation. « L'élimination de
l'hétérogénéité morphologique, sociale et économique» à l'œuvre dans les centres des
métropoles d'Asie du Sud-Est (Goldblum, 1996, p 183) résulte en partie de ces processus de
valorisation foncière hautement capitalistique. La périphérie des grandes villes pourrait
également se couvrir de villes nouvelles, vaste aires résidentielles privatives et réservées à'
des catégories sociales privilégiées. La population chassée du centre, et trop pauvre pour
accéder à ces nouvelles zones résidentielles, serait alors confinée dans les quartiers sous
équipés qu'elle construisit elle-même dans la précipitation durant les années 1990. Nous
avons vu en quoi les fonnes d'habitat sur ces anciennes terres villageoises et ces terrains pris
à l'Etat peuvent combiner le pire et le meilleur. Délaissés par la frange la plus riche de la
population, ils pourraient connaître un processus accéléré de paupérisation.

Le grand défi des villes vietnamiennes dans les années à venir consistera sans doute à trouver
les voies pour échapper aux périls de la « ville à deux vitesses» auxquels sont déjà
confrontées la plupart des métropoles de l'Asie du Sud-Est (Goldblum, 1996, p 185). La
solution viendra peut-être de la reconversion de l'autoproduction individuelle en une fonne
légale et améliorée. Dans ses aspects actuels, dominés par l'infonnalité, l'autoproduction nous
semble en effet condamnée à des usages marginaux (accueil temporaire de migrants
ruraux ... ). En revanche, elle pourrait prendre la forme de petites opérations de remembrement
et de rénovation de l'habitat qui protégeraient les quartiers construits dans les années 1990 de
la « ghettoÏsation ». Elle pourrait également constituer un mode d'aménagement des terrains
conquis par l'urbanisation en étant intégrée au sein des projets d'aménagement des entreprises
nationales et internationales.

Ces scénarios laissent à penser que, quinze ans après les premières réfonnes économique, une
première phase de l'urbanisation vietnamienne se clôt. Elle a vu la reprise de l'économie
s'accompagner de l'instauration d'un régime foncier favorable aux forces du marché. La
nouvelle ère qui s'ouvre est celle de l'industrialisation. Portée par les investissements

534
étrangers, elle devrait consolider une crOlssance économique, jusqu'à présent fortement
adossée au secteur des petites activités de service. Industrialisation signifie également
croissance de l'emploi salarié et émergence d'une classe moyenne ayant de fortes exigences,
autant quantitatives que qualitatives, en matière de logements. Sur le plan spatial, après la
concentration des constructions dans les interstices des villes existantes et sur leurs franges, la
période qui s'annonce sera celle de l'extension urbaine.

Dans cette nouvelle configuration de l'urbanisation au Viêt-nam, une redéfinition de l' « objet
foncier» s'imposera. Depuis 1986, celui-ci est passé d'une logique administrée à une logique
monétaire puis à une logique marchande. Toutefois, les dynamiques individuelles de
valorisation du sol selon des modalités informelles ou tout au moins incontrôlées (marché
noir, spéculation, découpage excessif des parcelles) restent fondées sur une conception
traditionnelle de la terre comme patrimoine. Sans que cette conception ne disparaisse, avec
l'industrialisation, le foncier deviendra de plus en plus le support d'une production de nature
proprement capitaliste. Des recherches ultérieures portant sur la stratégie des grands groupes
industriels étrangers et nationaux, des ~anques et des élites politiques dans leur prise de
contrôle du foncier, notamment dans les zones péri-urbaines, devraient permettre
d'appréhender cette mutation. Par ailleurs, le rôle de levier que joue la détention du foncier
dans l'ascension de certaines catégories sociales -soutenant ainsi la croissance urbaine-
mériterait également d'être étudié sous cet angle nouveau. Les terrains d'investigation
seraient les deux métropoles du pays, Hanoi et HCMV, mais il pourrait s'avérer fructueux,
dans une perspective comparative, de se tourner une fois encore vers la Chine où Shanghai,
Canton et Pékin sont entrées de manière frénétique dans l'ère de l' « urbanisme socialiste de
marché ».

535
BIBLIOGRAPHIE

La bibliographie rassemble tous les ouvrages, articles ou autres documents écrits (à


l'exception des textes réglementaires) auxquels nous avons fait référence dans le cours du
texte. Il ne s'agit donc pas de tous les documents que nous avons pu consulter lors de notre
recherche. Nous avons classé les réf~rences par rubrique thématique et à l'intérieur de chaque
rubrique par ordre alphabétique du nom de l'auteur. Le choix des rubriques découle de la
définition de notre sujet de recherche. Ainsi, les deux grandes « entrées)} de la bibliographie
sont les travaux sur le foncier et ceux sur le Viêt-nam. Nous les avons ensuite déclinés des
aspects généraux aux aspects particuliers que nous avions à traiter. Ainsi le thème du foncier
est divisé selon ses aspects théoriques, les travaux de recherche appliquée et les travaux
concernant les villes socialistes et les réformes de marché. Pareillement, le thème Viêt-nam
est divisé selon le contexte politique, économique et social depuis 1986, l'histoire des villes et
de la propriété foncière au Viêt-nam et les villes vietnamiennes contemporaines. Dans ces
deux dernières rubriques, la ville de Hanoi est plus particulièrement représentée étant donné
qu'elle est le site de notre recherche. Une rubrique sur les villes de l'Asie du Sud-Est a
également été insérée pour replacer le Viêt-nam dans son contexte régional. Nous avons
classé les coupures de presse à part. Ce choix s'explique tout d'abord parce qu'elles n'ont pas
pour la plupart, d'auteurs identifiés, ce qui ne permet pas de les classer comme les autres
documents. Ensuite, elles sont écrites soit en langue anglaise soit en langue vietnamienne et
publiées pour la plupart dans des journaux vietnamiens, ce qui les rend peu accessibles.
Toutefois, elles peuvent s'avérer utiles à des chercheurs qui se rendraient au Viêt-nam. En
outre, la presse locale et nationale constitue une sources très utile en raison du nombre très
réduit d'ouvrages ou d'articles de revues scientifiques sur l'urbanisme au Viêt-nam.

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II. Articles de journaux.

Les principaux titres que nous avons consultés sont les jou;TIaux économiques écrits soit en
anglais soit en vietnamien (le plus intéressant de ces derniers étant, d'après nous, le ThOi bâo
kinh tê'Viçt Nam). Afin de suivre les infonnations concernant l'action de la municipalité de
Hanoi, nous avons dépouillé le journal Kinh tê&Dô thi publié par le comité populaire de
Hanoi depuis le 1er janvier 1999. Les articles ont été classés par ordre alphabétique dans des
rubriques reprenant des grands thèmes de notre recherche.

549
Liste des journaux répertoriés:
-Dau ur : Investissement,

-Kinh té' & Dô thi : Economie et ville,


-ThèJi bao kinh tê'Viçt Nam: Le temps économique du Viêt-nam,
-Saigon Times Daily,
-Vietnam lnvestment Review,
-Vietnam Economie News,
-Vietnam Economie Times,
-Vietnam News.

1 . La réforme foncière et le marché des terrains.

« A question ofland », Vietnam Economie Times, mai 1995, pp 34-35.

« Dich Vl.,l môi gi6i nhà dat » (les agences immobilières], Kinh té' & Dô thi, 24.2.1999.

« House for rent »,Vietnam eeonomie news, nA.1999, p33.

« Kh6 the chap quyên su dl,mg dat» [Les difficultés pour hypothéquer les DUS J, ThOi bao
kinh tê'Viçt Nam, 17.11.1999, p 11.

« Land issues», Vietnam Economie News, n° 29,1999, P 7.

« National Assembly Chairman Nông Dûc M~nh: Land leasing likely a basic measure to do
business », Saigon Times Daily, octobre 1996.

« Property bubble bursts », Vietnam News, 31.3.1998.

« Sua d6i Lu~t thue chuyên QSDD » [Amender la loi sur la taxe de transfert des DUS] », Thài
bao Kinh tê'Viçt Nam, 15.09.1999.

« Tears and smiles», Vietnam Economie News, n029, 1999.

« Tran tro chuyên nhà 1r9» [Le tourment de la question des pensions], Kinh T ê' & Do Thi,
26.2.1999.

2. L'action municipale en matière foncière.

« Compensations for Hanoi land 'bogged' », Vietnam lnvestment Review, 1-7.11.1999.

« Dinh hu6ng dâu tu giao thông Hà Nôi» [Orientation de l'investissement dans les transports
à Hanoi], Thài bélo kinh lê'Viêt Nam, 20.11.1999, p 7.

550
« Giay tà sb hüu, vân càn nhiêu wang mâc », [Encore beaucoup d'entraves à la distribution
des droits de propriété] Thài bao Kinh téTift Nam, 15.4.1998.

« Khài công xây dtp1g Trung tâm thlIong m<;ii Tràng Tiên» [Le début des travaux au centre
commercial Tràng Tiê'n], Thèli bao kinh té'Viçt Nam, 1.5.2000.

« Land disputes dogging infrastructure projects », Vietnam lnvestment Review, 4-10.05.1999.

« People's committee probed over land fiddles », Vietnam lnvestment Review, 12-18 juin
1996.

«( Qua vi~c kê khai dê cap s6 do a


phlIàng Gilip Bat» [Encore beaucoup de travail pour
l'enregistrement en vue de la délivrance des livrets rouges dans le phuimg Giap Bat], Kinh té'
& Dô thi, 14.7.1999.

« Se don giiin hoâ thu tl;lc nhà dat »[vers une simplification des procédures foncières], Thài
bao kinh té'Viçt Nam, 8.5.2000.

« Xù 19 nghiêm Y1;1 chây y chiê'm gifr traI phép m~t bang san xuat cua Công ty kim khi Thàng
Long» [Régler l'affaire de la rétention illégale de terrains de production de la compagnie de
produits métalliques Thàng long], Kinh thé' & Dô thi, 15.03.2000.

3. La gestion du parc de logements publics.

« Hà NQi Mn bi~t th\! cho dân» [Hanoi vent les villas à la population], Dau tu, novembre
1997.

a
HÔ trq nhà cho can bQ hOl;lt dQng cach ml;lng trlIéic nâm 1945, [Subventions au logement
pour les personnes ayant participé à la Révolution avant 1945], Kinh té' & Dô thi, 13.03.2000.

« House ownership issue likely to re-ignite heated National Assembly debate », Vietnam
News, 25 avril 1997.

« National Assembly fails to resolve simmering house ownership disputes », Vietnam News,
10 mai 1997

« Nhà cho nglIài thu nh~p thap » [Logements pour les bas revenus], Thài bao Kinh té' Viçt
Nam, 20.3.2000.

« Sale of Hanoi's state villas ends 10 capital failure », Vietnam lnvestment Review,
16.08.1999.

« Se da bo khu nhà B7 Thành Công» [L'immeuble B7 du quartier Thành Công sera


abandonné], Kinh té' & Dô thi, 19.7.1999.

« Sùa chfra nhà kh6 hon xây mm » [Rénover les logements est plus difficile que de construire
du neuf], Thài bao Kinh té'Viçt Nam, 24.11.1999.

551
4. La construction.

« Can hç, ô~p nhung thiéu .,. mr6c », [De beaux appartements, mais ... sans eau»], Thài béLO
kinh té Vi?t nam, 15.12.1999.

« Công ty DTKD nhà ban 50% vôn cho cb dông bên ngoài» [ une entreprise de promotion
immobilière vend 50% de son capital à des actionnaires extérieurs], Thin. bao kinh té' Vi?t
Nam, 23.02.2000.

« Illegal construction threat existence of Hanoi lakes», Vietnam lnvestment Review,


27.03.2000.

« Tu nhân xây dt,mg h~ tâng nhà à» [les particuliers construisent les infrastructures des
logements], Thèri. bao kinh téVi?t Nam, 11.12.1999

5. Les investisseurs étrangers et leurs projets immobiliers, d~ zones


industrielles et de ville nouvelles.

« Ailing JVs receive land lease breaks », Vietnam lnvestment Review, 2-8.08.1999

« Beyond Hanoi, economic hub, FD1 totals dive », Vietnam lnvestment Review, 5.06.2000.

« Call for change as zones fail to attract tenants », Vietnam lnvestment Review, 5.10.1998.

« Chairrnan sheds light on Hanoi's five-year plan », Vietnam lnvestment Review, 27.03.2000.

« Crucial facelift slated for old Hanoi », Vietnam lnvestment Review, 12-18.7.1999.

« Eleven years of FD1 », Vietnam Economie News, nO 52, 1998, pli.

« Govt allows Vi~t kiéu ta buy houses at home », Vietnam News, 2.03.2000.

« Hotels, offices gear for divorces », Vietnam lnvestment Review, 15-21.1.1999.

« Housing a growing worry for 1Z workers », Viet Nam News, 9.11.1998, p12.

« Land-use right as capital contribution, the land-use right conundrum », John D1CKS,
Vietnam lnvestment Review, 3-9.01.2000, p 18.

« Largest project to go ahead step by step », Vietnam lnvestment Review, 21.02.2000.

« Ministry to locate source of disbursement leakage », Vietnam lnvestment Review,


15.05.2000.

« Trong long d.c khu c6ng nghi~p Hà Nç,i » [Dans le ventre des zones industrielles de Hanoi],
Kinh té' & Dô thi, 17.3.2000.

« Where do 1Z workers live? », Vietnam Economie News, n029, 1999.

552
LEXIQUE

Termes techniques et expressions courantes concernant la question foncière.

Ce lexique ne rassemble pas les termes vietnamiens de l'urbanisme ou concernant les aspects
fonciers. Nous avons seulement regroupé ici quelques termes qui expriment la spécificité des
pratiques vietnamiennes concernant la question foncière. On peut classer les entrées du
lexique en deux catégories. Les définitions des termes techniques, notamment dans le domaine
juridique, visent à préciser le sens de mots qui n'ont parfois pas d'équivalent en français. Les
termes et expressions langagières courantes expriment la réalité sociale de la question
foncière. En particuliers, certaines expressions imagées sont venues mettre un nom sur des
pratiques informelles caractéristiques.

Chuyln nhuf!1Zg : aliénation, notamment d'une propriété. Il s'agit du terme utilisé par le droit
vietnamien pour définir les mutations foncières qui ne sont ni des échanges (chuyin ddi) ni
des attributions administratives (giao, voir plus bas). L'aliénation peut être gratuite (donation)
ou onéreuse (cession à titre onéreux ou vente). Au Viêt-nam, les transactions foncières entre
particuliers ne peuvent être des" ventes" (bém) de terrains, puisqu'ils n'en n'ont pas la pleine
propriété, mais des" cessions à titre onéreux des. droits d'usage du sol" (chuyin
nhuçng quyé'n su dl.mg Mt). Celles concernant sur les terrains portant des logements (OOt à)
sont légales, les autres non (voir aussi quyé'n su dL!ng dât).

Cây: Il s'agit de l'ancienne monnaie de compte chinoise, le taël, qui équivalait à 36 grammes
d'argent. Le Viêt-nam utilise le taël d'or (cây vàng) qui équivaut à 37,5 grammes d'or. Le
dixième de cây est le chi qui est une unité de mesure du poids de l'or et des métaux précieux
utilisée par les bijoutiers. Les transactions ne se font plus guère en or mais le fait que des
termes utilisés par cette profession le soient encore aujourd 'hui révèle leur rôle dans le
commerce de l'argent et de la monnaie. Lorsque des personnes ont besoin rapidement de
liquidités, elles vont souvent gager leurs biens (par exemple des motocyclettes) chez les
bijoutiers. Ces derniers font également du change contre les dollars américains à des taux plus
intéressants que les banques.

Gidi phông mij.t biing : " libération des surfaces ". Ce terme signifie la libération des terrains
de tous les droits qui y sont attachés. Il est couramment utilisé pour désigner l'équivalent des
procédures d'expropriation dans les pays reconnaissant la propriété privée des terres (voir
aussi thu h6i).

Giao: livrer, remettre ou confier. Ce terme était utilisé dans la période d'économie
administrée pour définir l'attribution de terrains par l'Etat à des organisations publiques. Cette
voie existe toujours pour certaines activités privilégiées mais est remplacée dans la plupart des

553
cas par la location (cho thué) par l'Etat des droits d'usage du sol. L'attribution peut être
gratuite ou onéreuse. Toutefois, dans ce dernier cas, il ne faut pas la confondre avec la
location des terrains. Lors de l'attribution, il y a en effet transfert effectif des droits d'usage du
sol à l'organisme, ce qui signifie qu'il peut par exemple les louer ou les céder à titre onéreux.
C'est notamment le cas pour les aménageurs et les promoteurs qui cèdent les droits d'usage du
sols aux particuliers après avoir équipé les terrains. Dans le cas de la location, ceci a
longtemps été impossible jusqu'à ce que la législation évolue récemment vers un régime de
baux emphytéotiques.

Kinh doanh hl!- tâng: commerce d'infrastructures. Terme officiel pour désigner l'équipement
des lots à bâtir par les aménageurs-promoteurs et leur cession aux particuliers. Les
infrastructures concernées ici sont les infrastructures techniques (hÇl tâ'ng ky thuq.t, en français,
on utilise l'expression voirie et réseaux divers ou VRD). Elles doivent être distinguées des
"infrastructures sociales" (hÇl tâ'ng xii hçi) qui sont les équipements publics et sociaux
(écoles, dispensaires, centres culturels, sportifs, de loisirs ... ). Il nous semble que la fiction
selon laquelle les promoteurs créent et vendent des infrastructures et non des terrains à bâtir
vise à maintenir le sol hors de la sphère marchande. Il est en outre intéressant de rapprocher
cette définition de la conception développée par les théoriciens chinois lors de l'adoption des
réformes de marché. Pour eux, en effet, le sol n'a pas de valeur en soi, mais il en acquiert une
lorsque du travail y est incorporé sous forme d'équipements.

Lân chilm : invasion progressive. Il s'agit d'une pratique très répandue qui consiste pour une
personne disposant déjà d'un terrain à empiéter par petites avancées successives sur des
terrains voisins. Il peut s'agir de terrains d'autres particuliers ou le plus souvent de terrains
publics comme les abords de sécurité des digues, des rivières, des voies ferrées... Le point
important de cette action est qu'elle part d'un terrain dont on est" propriétaire", ce qui la
distingue de l'occupation" parachutée" (voir nhâ'y dù ).

Nhtiy dù : parachutiste. il s'agit d'un détournement du verbe sauter en parachute pour illustrer
de façon imagée l'occupation de terrains libres par des personnes étrangères au secteur.
Durant la guerre, des bâtiments abandonnés par leurs propriétaires furent également occupés
de cette façon qui rappelle le squat anglo-saxon. Après l'encouragement de l'Etat à la
construction individuelle, beaucoup de terres publiques inutilisées furent ainsi occupées,
donnant parfois naissance à des xom lilu (Li infra). .

Quyén su dl;lng dât : droit d'usage du sol. Alors que le détenteur de ce droit est simplement
défini comme" l'utilisateur du sol" (ngLtOi. sU' d~ng dât) par les textes réglementaires, il nous
est arrivé de rencontrer dans la presse l'expression assez surprenante de " propriétaire du droit
d'usage du sol" (chu quyln sU'd~ng dât). Le seul propriétaire du droit d'usage du sol est bien
sÛT l'Etat (ou plutôt" le peuple tout entier" d'après la constitution). Cet amalgame montre à
quel point la reconnaissance des droits d'usage des particuliers sur leurs terrains a été perçue
dans la conscience collective comme la reconnaissance de la propriété foncière.

554
sd do: livret rouge. Il s'agit en fait d'un dossier de couleur rouge distribué à toutes les
familles. Il doit contenir les deux documents prouvant la régularité de l'occupation des
terrains et des bâtiments: les certificats de droits d'usage du sol résidentiel (giây chLtng nfujn
quyé'n sU d~ng dât a) et les certificats de propriété du logement (giâ'y chLtng nhç.n quyé'n sif hilu
nhà if). Dans la pratique, ~n l'attente de l'achèvement de la procédure de régularisation, les
familles rassemblent dans ce livret tous les documents de plus ou moins grande valeur légale
qui pourraient prouver leur droits (titres de propriété de l'époque coloniale, contrats de vente,
certificats du phuàng... ). On utilise le terme sô' do dans le langage courant pour désigner
l'ensemble de ces documents.

Sôt ddt: fièvre foncière. Il s'agit sans doute d'une traduction de l'expression anglo-saxonne
landlever. Dans les années 1990-1995, cette expression désigna la hausse excessive des prix
des terrains sur le marché noir.

Thau dât et thau xdy dl!flg : il s'agit des personnes qui font des affaires avec l'achat et la
vente de terrains (thtiu dât) ou avec la construction puis la vente ou la mise en location de
bâtiments (thtiu xây d'!ftg). Ces termes n'ont rien de péjoratifs, ce qui rend peu pertinente leur
traduction par affairistes fonciers et immobiliers. D'un autre côté, il faut nettement les
distinguer des entreprises d'aménagement et de promotion immobilière. Ces personnes
agissent pour leur propre compte et ont souvent un autre emploi leur servant de " paravent ".

Tiê'nsu dl.mg ddt, thuê su dl;lng ddt et thul su dl;lng ddt: il s'agit de trois termes à
l'orthographe très proche mais qui recouvrent des réalités différentes. Tié'n su d~ng dât est
"l'argent de l'usage du sol ". C'est le paiement que doivent effectuer les organismes publics à
l'Etat en contrepartie de l'attribution par celui-ci de terrains (voir giao). C'est un paiement en
une seule fois. C'est l'équivalent des land-use fees mises en place entre 1981 et 1988 dans
certaines villes chinoises. Thuê su d~ng dât est le loyer de l'usage du sol acquitté tous les ans
par les organismes qui sont assujettis au régime de la location des terrains depuis l'adoption de
la loi foncière en 1993. Enfin, thuê'sud~ng dât est l'impôt sur l'usage des terrains. Il concerne
essentiellement les terrains de logement des particuliers. fI est prélevé tous les six mois.
Notons que les versions anglaises des textes juridiques utilisent les respectivement les termes
de (land-use right) levy, rent et fax.

Thu hÔl : recouvrement ou récupération. C'est le terme juridique utilisé lorsque l'Etat reprend
ses droits sur des terrains pour cause d'intérêt public et moyennant indemnisation des anciens
occupants. L'Etat exerce alors son droit de retour (quyé'n thu haï). C'est l'équivalent de
l'expropriation foncière dans les pays reconnaissant la propriété privée des terres.

X ôm liê'u: de xom: hameau et lié'u: l'audace, le risque. Ce terme désigne des groupes
d'habitations concentrant des personnes aux activités illicites (voleurs, trafiquants de drogue,
prostituées ... ). Toutes sortes de personnes qui ont l'audace de braver la loi. En ce sens, on
pourrait parler de " coupe-gorges" ou quartiers mal famés. De tels quartiers sont très peu
nombreux à Hanoi et parfaitement identifiés par la population (1'un est situé sur les rives du
fleuve rouge à Chuong Duong et l'autre sur les rives du lac Thanh Nhàn). Mais ce terme est

555
parfois utilisé dans un sens plus large. Parce qu'à l'origine, ces quartiers furent construits
illégalement sur des terrains publics par des familles sans toit venues des campagnes,
l'expression xom liê'u est passée dans le langage courant pour désigner de manière ironique
tous les quartiers construits sur des terrains publics sans aucune autorisation, même s'ils sont
habités par des personnes aux activités tout à fait respectables.

556
TABLES DES TABLEAUX, FIGURES, CARTES, ILLUSTRATIONS ET ENCARTS

TABLE DES TABLEAUX

CHAPITRE 1.
Tableau 1-1. Répartition des terrains de Hanoi en fonction des communautés en 1921 p 37
Tableau 1-2. La part de la propriété publique dans "industrie et le commerce, 1955-1959 p 42

CHAPITRE 2
Tableau 2-1. Superficie et population de Hanoi (1942-1989) p 66
Tableau 2-2. Normes d'attribution des logements publics (logements neufs) p 75
Tableau 2-3. Les principaux grands ensembles de Hanoi P 82
Tableau 2-4. Indicateurs indirects de la construction de logements en République Socialiste du Viêt-
nam · · .. ·· .. · · p 89
Tableau 2-5. La répartition des investissements dans la construction à Hanoi (1955-1985) p 89
Tableau 2-6. Population et parc de logement à Hanoi. 1954-1984 p 91
Tableau 2-7. Répartition de la surface de logement par habitants en fonction des districts en 1981.p 91
Tableau 2-8. Densité de population dans les districts urbains en 1981.. p 92
Tableau 2-9. Classement des bâtiments existants en 1981 par période de construction p 93
Tableau 2-10. Etat du parc immobilier et niveau des réparations à entreprendre en 1981 p 93
Tableau 2-11. Taux de raccordement des logements aux réseaux urbains p 94

CHAPITRE 4
Tableau 4-1. Table de conversion dollar/dông, 1990-1999 p 135
Tableau 4-2. L'évolution des prix des terrains situés le long des voies principales dans les districts
urbains de Hanoi, 1990-1995 p 137
Tableau 4-3: Loyers des logements de standard international dans les grandes villes d'Asie.1995.p143
Tableau 4-4. Quelques prix des terrains sur le marché dans le district Dong Da en 1997 P 146
Tableau 4-5. Les prix de l'immobilier dans le district Dong Da en 1997 p 147
Tableau 4-6: les prix minimums de vente de logements neufs (décret 61 C.P., 7 juillet 1994) p 151
Tableau 4-7: les montants minimums de loyers concernant les logements à Hanoi, (décret 61 C.P., 7
juillet 1994) p 152
Tableau 4-8 : Les loyers officiels minimums pour les étrangers à Hanoi et HCMV. (décret 56 C.P. du
18 septembre 1996) P 152
Tableau 4-9. Les prix officiels des terrains urbains en 1993 ($/m 2 ) p 155
Tableau 4-10. prix officiels des terrains dans les villes de première catégorie ($/m 2 ) p 156
Tableau 4-11. Les prix fonciers officiels en ville (i.e. à "intérieur des districts urbains) à Hanoi, de
novembre 1994 à septembre 1997. ($/m 2 ) p 157
Tableau 4-12. Comparaison entre les prix administrés et les prix du marché en 1995 à Hanoi
($/m 2 ) p 158
Tableau 4-13. Les prix officiels en ville (i.e. à l'intérieur des districts urbains) à Hanoi, depuis
septembre 1997. ($/m 2 ) •..••••.••.•••....••.......••..•......••...••...•.••......•..•..••••....•••. : .........•...•..•••.• p 159
Tableau 4-14. Les loyers des terrains urbains pour les investisseurs étrangers entre le 1.1.1995 et le
24 février 1998 ($/m 2 /an) '" P 164
Tableau 4-15. Les loyers des terrains urbains pour les investisseurs étrangers depuis le 24 février
1998. ($/m 2 /an) P 164
Tableau 4-16. Montant des indemnités perçues individuellement pour récupération des terrains
agricoles dans le cas du projet d'aménagement résidentiel Trung Hoà, décembre 1999 P 172
Tableau 4-17. Coût total des indemnités versées par "aménageur du projet d'aménagement résidentiel
Trung Hoà pour récupération des terrains agricoles. Décembre 1999 p 174

CHAPITRE 5
Tableau 5-1. Répartition de la population dans la province de Hanoi P 189
Tableau 5-2. La classification économique des centres urbains p 190

557
CHAPITRE 6. '
Tableau 6-1, Les impôts et taxes portant sur le foncier urbain et l'immobilier"", .. " """ "" "'"'''' P 221
Tableau 6-2. Part des foyers occupant légitimement leur terrain et leur logement et possédant les
documents légaux d'usage du sol et de propriété des logements dans les phuèJng de Kim Liên et Lang
Thl1<;1ng (1996) " "" .. " """ " .. ".""."."."." .. "". " """"."."."." "". """". ""p 224
Tableau 6-3. Montant des prélèvements à payer pour la régularisation"des transfert de DUS à
Hanoi " " " .. " "." .. "" .. "."" .. " " .. " '" " .. " " " " P 234
Tableau 6-4. La progression de la régularisation foncière agricole en fonction des districts à Hanoi.
." "".". " " ". " " " " " '" P 239
Tableau 6-5. Infractions des organismes publics à la législation foncière dans la circonscription de
Hanoi (1998)." ... " ..... ""." ....... "."."."."."." .... " .. "." .... "."." .. " ... "."." ..... "" ....... " ....... P 243

CHAPITRE 7
Tableau 7-1. Indicateurs du parc de logement à Hanoi en 1995" ...... """" ......... ""."."" ... " ....p 274
Tableau 7-2. Répartition des logements publics en fonction de "organisme gestionnaire. Hanoi.
1995" " ". " .. " " " ". " " ." . " " " " " " ". " . ". p 275
Tableau 7-3. Le parc de villas coloniales à Hanoi. "" " .. "" " ".p 288
Tableau 7-4. Revenus tirés de la vente des logements d'Etat (y compris les maisons individuelles).
Hanoi. 1995-1999"." .. " " " " .. " " p 302

CHAPITRE 8
Tableau 8-1. Liste des organisations attributaires de terrains,à Giap Bat..."" " " p 326
Tableau 8-2. Opération de construction d'un lot attribué en participation " " p 332
Tableau 8-3. Opération de construction après revente au noir d'un lot attribué en participation p 333
Tableau 8-4. Opération d'une division foncière par le propriétaire-vendeur à Làng Tam" ...... " p 345
Tableau 8-5. Opération d'une division foncière par le propriétaire-vendeur dans le village Quàng
Ba " " .. " " " " " " " .. " " " " P 347
Tableau 8-6. opération d'un intermédiaire à Làng Tam "." " " " "" ". p 350
Tableau 8-7. Coût de construction d'une petite maison par un particulier " " " p 356
Tableau 8-8. comparaison du coOt du terrain et du bâtiment pour une petite maison individuelle à deux
périodes différentes "." " P 357
Tableau 8-9. Coût de construction d'une maison de ville" ". P 358
Tableau 8-10. Comparaison du coût du terrain et du bâtiment pour une maison de ville à deux
périodes différentes , '" P 358
Tableau 8-11. Coût de construction d'une villa luxueuse " "" .. " .. "" " P 359
Tableau 8-12. Comparaison du coût du terrain et du bâtiment pour une villa de luxe à deux périodes
différentes" "." " " "." " " " p 359
Tableau 8-13. Epargne et investissement des ménages en fonction du niveau de revenu. 1997 (en
US$) ". " " " , " " " " " ". " " " " p 360
Tableau 8-14. Patrimoine des ménages en fonction du niveau de revenus. 1993-1997 p 362
Tableau 8-15.Composition des dettes des ménages par types de prêteurs. 1997. " " p 364
Tableau 8-16. Activités du centre de transactions immobilières de la Habubank " "." P 369
Tableau 8-17. Montant total des transactions réalisées par le centre de transaction immobilières de la
Banque commerciale à actions pour le développement du logement de HCMV , '" '" p 370

CHAPITRE 9
Tableau 9-1. Nombre de projets recourant aux différentes sources de financement à Hanoi .... ".p 388
Tableau 9-2. Comparaison des prix de vente des terrains aménagés par les promoteurs et des prix
des terrains sur le marché noir. , , '" '" P 399
Tableau 9-3. Les trois modes de commercialisation des terrains du quartier Nam Thành Công p 401
Tableau 9-4. Les normes d'aménagement du projet du quartier Sài f)ong "" .. "" p 408
Tableau 9-5. Le pré-programme d'aménagement choisi pour le projet du quartier Sài f)ong p 408
Tableau 9-6. Le pré-programme du quartier f)!nh Công P 408
Tableau 9-7. Les cinq grands indicateurs des projets Sài f)ong et f)!nh Công p 409
Tableau 9-8. Principaux indicateurs d'aménagement des projets élaborés par les entreprises de
construction nationales p 409
Tableau 9-9. Estimation de "investissement du projet Sài f)ong contenu dans l'étude de faisabilité au
1/2000 , '" '" " P 409

558
Tableau 9-10. Les principaux projets d'aménagement adoptés entre 1993 et 1996 p 412
Tableau 9-11. Les modifications critères d'aménagements du quartier Trung Yên p 418
Tableau 9-12. Coût de construction de l'immeuble d'appartements collectif CT 4 à Linh Dàm.
(estimation) p 423
Tableau 9-13. L'effort financier à réaliser par une famille à bas revenus pour acheter un appartement
de 72 m2 dans l'immeuble CT4 de Nord Linh Dàm ,. '" p 425

CHAPITRE 10
Tableau 10-1. Répartition des flux de capitaux à long terme dans les pays de l'Asie du Sud-Est, 1990-
1998 , '" '" '" '" '" p 437
Tableau 10-2. L'investissement étranger au Viêt-nam par pays p 443
Tableau 10-3. Origine des capitaux inves'tis dans les infrastructures du Viêt-nam entre 1996 et 2000
(en dollars) P 445
Tableau 10-4. Répartition relative de l'IDE par grandes régions (1988-1996) p 446
Tableau 10-5. Évolution de la part des IDE localisés dans les provinces de Hanoi et HCMV par rapport
à leur région '" , , p 446
Tableau 10-6. Données sur l'investissement étranger à Hanoi. '" '" p 452
Tableau 10-7. Investissements immobiliers et ensemble des investissements à Hanoi p 453
Tableau 10-8. Les projets immobiliers à Hanoi par pays d'origine p 457
Tableau 10-9. Les loyers de bureaux dans les villes d'Asie du Sud-Est en 1993 P 482
Tableau 10-10. Les loyers de résidences dans les villes d'Asie du Sud-Est en 1993 P 482
Tableau 10-11. Les projets d'investissement immobiliers étrangers à Hanoi. 1989-1995 p 483
Tableau 10-12. Offre de surfaces de bureaux internationaux et taux de vacance à Hanoi p 486
Tableau 10-13. Loyers des immeubles de bureaux à Hanoi (mars 1998) P 488
Tableau 10-14. Les usages du sol du projet Citra West Lake City p 504

TABLE DES FIGURES

CHAPITRE 2
Figure 2-1. Le modèle d'urbanisation socialiste de Murray et Szelenyi , '" P 61
Figure 2-2. Le taux de croissance urbaine au Viêt-nam '" p 63

CHAPITRE 3
Figure 3-1. Les droits d'usage du sol des particuliers p 114
Figure 3-2. Les régimes fonciers chinois et vietnamiens de l'économie socialiste de marché p 121
Figure 3-3. Les droits d'usage du sol des entreprises et organisations P 124

CHAPITRE 4
Figure 4-1. L'évolution des prix à la consommation entre 1987 et 1998 (%) p 135
Figure 4-2. Superficie habitable moyenne par personne à Hanoi en 1997 p 142
Figure 4-3. Mode de calcul des loyers fonciers à Hanoi d'après la réglementation de 1989 p 154
Figure 4-4. Les composantes du coût des indemnisations et le mode d'indemnisation selon le type de
terrain , ., , '" '" P 169

Introduction Partie 1.
Figure 11-1. Le passage à l'économie de marché P 182

CHAPITRE 5
Figure 5-1. Les niveaux de l'administration territoriale p 186
Figure 5-2. La double organisation du pouvoir. '" , , P 192
Figure 5-3. Comparaison des recettes du budget national dans la circonscription de Hanoi et des
recettes du budget municipal. p 195
Figure 5-4. L'organisation territoriale du ministère de la construction p 196
Figure 5-5. L'évolution de l'administration du comité populaire de Hanoi en matière d'urbanisme, de
construction et de gestion foncière et immobilière , p 206

559
CHAPITRE 7
Figure 7-1. Evolution de l'usage des villas dans le quartier colonial français P 287
Figure 7-2. Les dysfonctionnements de l'économie immobilière hors marché p 300
Figure 7-3. Vente des logements publics à Hanoi depuis 1995 (y compris les maisons
individuelles) '" '" '" '" , , '" ,.. , , '" p 302

CHAPITRE 8
Figure 8-1. Le mode d'autoproduction du logement. , p 314
Figure 8.2. Evolution de la production de logement à Hanoi. 1981-1998 '" P 315

CHAPITRE 9
Figure 9-1. La structure de l'offre de logements à Hanoi et HCMV (en%) p 376
Figure 9-2. Le processus de production de la promotion de logement. , p 384
Figure 9-3. Les deux dimensions de l'attribution des projets d'aménagement-promotion '" .. p 391
Figure 9-4. Les densités d'habitat par districts à Hanoi en 1998 P 406

CHAPITRE 10
Figure 10-1. Flux entrants et sortants d.'investissements directs à l'étranger (1980-1994) p 435
Figure 10-2. Evolution des flux de capitaux à long terme entrants dans les pays d'Asie du Sud-Est,
1990-1998 p 436
Figure 10-3 : Evolution de la part de "IDE dans le PIS du Viêt-nam p 438
Figure 10-4. Evolution de la part de l'IDE dans "investissement total (en %) , , p 439
Figure 10-5. La part de l'IDE dans le PIS de quelques pays socialistes en transition (en %) P 440
Figure 10-6. Les investissements étrangers au Viêt-nam (1988-1998) p 442
Figure 10-7. Les plus grands investisseurs étrangers au Viêt-nam P 443
Figure 10-8. Investissements étrangers au Viêt-nam par secteurs d'activités p 444
Figure 10-9. Investissement étrangers enregistrés dans l'immobilier résidentiel et hôtelier au Viêt-
nam p 444
Figure 10-10. Evolution de l'investissement étranger à Hanoi (1989-1999) p 449
Figure 10-11. Répartition des investissements étrangers à Hanoi par pays d'origine '" P 449
Figure 10-12. Les investissements étrangers à Hanoi par secteurs , .. , p 450
Figure 10-13. Les objectifs de la municipalité de Hanoi en matière de répartition de l'investissement
étranger par secteurs d'activités p 451
Figure 10-14. Comparaison du PIS du secteur à investissement étranger avec le PIS total dans la
province de Hanoi. P 451
Figure 10-15. Comparaison des recettes du budget national dans la province de Hanoi et des recettes
provenant du secteur économique étranger (1997-1998) p 451
Figure 10-16. Part des investissements immobiliers dans l'ensemble des investissements à
Hanoi , , , , , .. , '" '" , '" '" ., , '" '" p 453
Figure 10-17. Evolution annuelle des investissements immobiliers à Hanoi, 1989-1996 p 455
Figure 10-18. Répartition par pays d'origine des investissements immobiliers enregistrés à Hanoi.p 456
Figure 10-19. Répartition par pays d'origine des investissements immobiliers réalisés à Hanoi. p 456
Figure 10-20. Loyers de bureaux et des appartements de standard international à Hanoi. p 485
Figure 10-21. Stock de bureaux et d'appartements de standard intemational à Hanoi. :.. p 491
Figure 10-22. Fréquentation touristique à Hanoi P 491
Figure 10-23. Hypothèse de configuration du cycle des prix de l'immobilier international à Hanoi p 492
Figure 10-24. Les modèles de villes semi-intégrées et intégrées , , p 504
Figure 10-25. Organigramme de la ville nouvelle proposé par Daewoo , , p 524

TABLE DES CARTES

INTRODUCTION
Carte 1-1. La bipolarité urbaine du Viêt-nam p3
Carte 1-2. Carte administrative de la province de Hanoi en 1999 , p 18
Carte 1-3. Comparaison de l'aire bâtie de Hanoi avec la superficie de Paris intramuros p 20
Carte 1-4. Ville existante et urbanisation prévue pour 2020 '" '" '" , .. , '" '" p 21

560
CHAPITRE 1
Carte 1-1. Limites de la ville et de la concession entre 1888 et 1895 '" P 35

CHAPITRE 2
Carte 2-1. Les limites de Hanoi entre 1979 et 1991 et après 1991 '" p 67
Car]e 2-2. Le schéma directeur de Hanoi adopté en 1981 , p 70
Carte 2-3. L'implantation des quartiers d'habitat collectif dans la ville ,. '" '" p 81

CHAPITRE 5
Carte 5-1. Les districts urbains de Hanoi en 1999 p 188

CHAPITRE 6
Carte 6-1. Plan de l'état des lieux et plan d'aménagement du phuèJng Ulng ThlfÇ1ng p 231
Carte 6-2. Une des trois zones du district Dong Da et ses sous-zones '" p 247
Carte 6-3. Le plan d'aménagement du secteur Ho GUCJm et de ses alentours '" p 254

CHAPITRE 8
Carte 8-1. Le phuèJng Giap Bat , , '" P 324
Carte 8-2. Les villages de Hanoi. '" '" p 341

CHAPITRE 9
Carte 9-1. Le schéma directeur de 1992 '" , '" '" p 404
Carte 9-2. Densité démographique dans les districts urbains de Hanoi en 1994 p 405
Carte 9-3. Localisation des projets de grands quartiers résidentiels , p 413

CHAPITRE 10
Carte 10-1. La localisation géographique des investissements étrangers en 1998 p447
Carte 10-2. Les produits immobiliers étrangers à Hanoi '" p 476
Carte 10-3. Le schéma directeur de Hanoi pour 2020 '" '" p 499
Carte 10-4. Localisation des trois plus importants projets internationaux d'aménagement. .. '" P 502
Carte 10-5. Le projet Bac Thâng Long , , '" .,. '" p 510

TABLE DES ILLUSTRATIONS.

CHAPITRE 1
Illustration 1-1. Le partage forcée d'une maison entre son propriétaire et des familles installées par les
autorités publiques. Le cas de Monsieur Minh , ., , p 44
Illustration 1-2. Le partage d'une maison entre son propriétaire et des familles" invitées n. Le cas de
Madame Thoa , '" '" P 48

CHAPITRE 2
Illustration 2-1. Exemples de logements collectifs en bande , P 78
Illustration 2-2. Principe de planification du quartiers d'habitat collectif Giàng Vo p 79
Illustration 2-3. Le quartiers d'habitat collectif 13iàng Vo '" , '" '" p 80
Illustration 2-4. Plan des bâtiments des quartiers Nguyèn Công Tru et Kim Liên p 83
Illustration 2-5. Le quartier Kim Liên en 1985 '" , .. , p 85
Illustration 2-6. Les transformations opérées par les habitants dans les KTT p 87

CHAPITRE 4
Illustration 4-1. Occupation du foncier sur une parcelle de la vieille ville p 138
Illustration 4-2. Villas et résidences pour étrangers à Quàng Ba P 150

CHAPITRE 6
Illustration 6-1. Etablissement d'un procès-verbal cadastral en vue de la régularisation dans le phuèJng
Giap Bat. p 228

561
Illustration 6-2. Deux" mini hôtels" construits sans respect des limitations de hauteur dans le quartier
des 36 rues p 251
Illustration 6-3. Vues sur deux sites stratégiques pour la protection du patrimoine urbain à Hanoi. p 256
Illustration 6-4. Le boulevard Lang Trung avant et après l'élargissement de la voie p 266
Illustration 6-5. Les aspects inattendus de la conduite des indemnisations foncières sur l'avenue Dai
Co Vi$t. , , , '" :-: '" ,.. P '267

CHAPITRE 7
Illustration 7-1. Exemples de bâtiments mis en vente p 289
Illustration 7-2. Exemples de bâtiments exclus de la vente p 290
Illustration 7-3. Les changements intervenus sur la pê;lrcelles de M. Minh depuis les réformes
économiques " , " '" '" P 295
Illustration 7-4. Transformation de bâtiments habités par plusieurs occupants p 298

CHAPITRE 8
Illustration 8-1. Plan et vues du lotissement du terrain attribué au service technique n01 du ministère de
l'intérieur à Giap Bat. , , '" , , '" ." ., , P 327
Illustration 8-2. Le lot de l'institut de stratégie et de prospective à Giap Bat. · p 328
Illustration 8-3. La réalisation inégale de la voirie dans le quartier Giap BaL p 331
Illustration 8-4. Vues de trois types de constructions dans le quartier Giap BaL p 334
Illustration 8-5 . L'occupation des terrains publics dans les quartiers d'habitat collectif p 338
Illustration 8-6. La structure foncière du village horticole Quàng Ba et du village Làng Tam p 344
Illustration 8-7. La subdivision parcellaire par le propriétaire-vendeur à Làng Tam p 346
Illustration 8-8. La subdivision parcellaire par le propriétaire-vendeur dans le village Quàng Ba p 348
Illustration 8-9. Les opérations des courtiers fonciers le long des nouveaux tracés routiers p 352
Illustration 8-10. Des secteurs urbanisés par l'autoconstruction d'initiative individuelle (secteur NgQc
Khanh) p 355

CHAPITRE 9
Illustration 9-1. Le quartier Hào Nam p 393
Illustration 9-2. Le projet B5 à Giap Bat. p 396
Illustration 9-3. Le projet 20 Tn.tClng D!nh p 397
Illustration 9-4. Le plan de lotissement du quartier Nam Thành Công p 400
Illustration 9-5. Vues du quartier Nam Thành Công p 402
Illustration 9-6. Le projet Dinh Công p 411
Illustration 9-7. Le lotissement de deux zones du projet Dinh COng après révision p 419
Illustration 9-8. Le début des constructions à Linh Dàm et D!nh COng p 421
Illustration 9-9. L'immeuble de logement collectif CT 4 de Linh Dàm '" p 423
Illustration 9-10. Un des premiers immeubles construits du projet Dam Trau p 428

CHAPITRE 10
Illustration 10-1. L'immeuble 63 Ly Thai To P 460
Illustration 10-2. L'International Business Centre p 461
Illustration 10-3. L'hôtel Opera Hilton p 464
Illustration 10-4. L'hôtel Métropole P 465
Illustration 10-5. Le complexe immobilier Daeha p 466
Illustration 10-6. Le Press-club , '" p 468
Illustration 10-7. L'hôtel Sheraton et le Grand Hanoi Lake View P 490
Illustration 10-8. Vues des villes nouvelles de Ciputra en Indonésie p 503
Illustration 10-9. Le projet Ciputra p 508
Illustration 10-10 Le quartier résidentiel Northbridge dans le projet Bac Thàng Long P 511
Illustration 10-11. Le projet de ville nouvelle proposé par Daewoo et Bechtel p 515
Illustration 10-12. Le projet de centre international à Tù Liêm p 516

S62
TABLE DES ENCARTS

CHAPITRE 4
Encart 4-1. L'encadrement des prix immobiliers , p 151
Encart 4-2. La fixation du prix des baux fonciers en Chine P 167

CHAPITRE 5
Encart 5-1. La mutation inachevée du droit vietnamien P 204

CHAPITRE 8
Encart 8-1. Le système bancaire vietnamien p 366

CHAPITRE 9
Encart 9-1. La gestion des entreprises publiques vietnamiennes __ '" p 386
Encart 9-2. Une forme transitoire entre logement politique et marché: le quartier Nam Thành
Công p 400
Encart 9-3. Les pré-programmes d'aménagement des quartiers Sài Dong ( district de Gia Lâm) et Dinh
Công (district Thanh Tri) P 408
Encart 9-4. Dâm Trau, le premier quartier d'habitat collectif destiné au relogement à Hanoi. p 428

CHAPITRE 10
Encart 10-1. Valeur des DUS = contribution au fonds de roulement ? p 495

563
564
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION p1

PARTIE 1. HERITAGES ET PROCESSUS INSTAURATEURS p 23

Chapitre 1. Propriété foncière: de l'administration mandarinale à la


collectivisation socialiste P 25

1. Entre tradition d'exploitation communautaire et goût pour la propriété terrienne p 26


2. Maîtriser juridiquement et valoriser économiquement le sol de la ville coloniale p 30
3. La gestion foncière socialiste et ses limites p 38
3.1. Division et répartition de la propriété foncière , .P 38
3.1.1. L'étatisation des terrains et bâtiments en ville p 40
3.1.2. La collectivisation des terrains ruraux P 51
3.2. Survivance de l'économie foncière et immobilière sur le mode infonnel. p 54

Chapitre 2. Hanoi, 1954-1986 : la ville non marchande p 59

1. Administrer l'urbanisation p 60
1.1. La croissance de Hanoi malgré tout. , .. , '" P 60
1.2. Aménager la ville socialiste , '" '" P 68
2. La production de logements: entre grandeur et misère P 76
2.1. Grands ensembles et autoconstructions de fortune '" P 76
2.2. Un niveau de production insuffisant. p 89

Chapitre 3. La refondation juridique p 95

1. Le laboratoire chinois p 96
2. Régime foncier dual. p 103
2.1. Les droits ,des particuliers , P 107
2.2. Les droits des entreprises et des organisations , p 115
3. Reconnaissance a minima du droit à l'indemnisation des terrains p 126

Chapitre 4. Fixer le prix des terrains ? P 131

1. L'hypersensibilité du marché noir p 132


/.I.La fièvre foncière: 1989-1995 p 136
1.2. La stabilisation des prix p 144
2. La chimère d'une valeur officielle du sol. p 151
2.1. La fixation laborieuse de la valeur des terrains : p 153
2.2. L'instrumentalisation des loyers fonciers p 161
3. Les contradictions du calcul des indemnisations foncières '":- p 168

PARTIE 2. APPLIQUER LES REFORMES p 181

Chapitre 5. Entre l'Etat et le peuple: la municipalité p 185


1. Un pouvoir municipal encadré et contesté p 185
2. Des coutumes populaires vivaces p 198
3. La lente mue de l'administration municipale p 205
3./. Le rôle contesté du bureau de l'architecte en chef. P 207
3.2. Conflits de compétences pour la gestion foncière et immobilière p 211

565
Chapitre 6. Rapports de force fonciers P 215

1. Les conflits de régularisation des droits d'usage du sol. p 216


1.1. Terrains de logement individuel: vers une régularisation par reconnaissance des droits
existants p 216
1.1.I.Des pratiques infra-institutionnelles astucieuses P 217
1.1.2.Une procédure administrative contestée p 223
a) Qui est le détenteur légitime du terrain? p 223
b) Quels sont l'usage et les dimensions du terrain? p 226
c) Quel est Je coût de la régularisation et qui doit le payer? p 232
1.2. Terrains agricoles: spéculations et arrières pensées p 237
1.3. Terrains d'activités: la fronde des entreprises et organisations publiques P 240
2. La souplesse des prescriptions d'usage et de constructibilité p 245
2.1. La défiance des particuliers p 248
2.2. La négociation permanente avec les promoteurs p 252
3. Une procédure d'indemnisation inadaptée au nouveau contexte économique p 260
3.1. Une procédure administrative qui n'assure pas une borme protection du droit de propriété p 260
3.2. Une procédure mal appliquée P 263
3.3. Vers une prise en charge totale des indemnisations par la municipalité p 269

Chapitre 7. Parc public de logements: régulariser pour mieux privatiser. .... p 273

1. Protéger les droits acquis de la politique socialiste du logement. p 276


1.1. Droit au logement contre droit de propriété p 276
1.2. La vente des villas à tous leurs occupants p 287
2. les ratés de la privatisation des logements collectifs p 299
2.1. Encourager l'achat des logements p 299
2.2. Pas de vente sans régularisation p 303

PARTIE 3. VALORISATION FONCIERE ET FORMES DE PRODUCTION


IMMOBILIERE p 311

Chapitre 8. L'autoproduction : forme dominante" par défaut " P 313

1. Le détournement des principes du partenariat.. p 316


I.I.Concentration urbaine p 317
1.2.Perméabilité aux lois du marché noir p 319
I.3.Une production d'inégale qualité: le cas de Giap Bat. p 322
1.3 .1. Le lotissement des terrains P 325
1.3.2.L'équipement des terrains p 329
1.3.3. La construction des logements : P 332
2. Dynamisme de la production d'initiative individuelle p 335
2.1. 2.1. Le" grignotage" des terrains publics et la matrice villageoise P 336
2.2. Le monde des intermédiaires p 345
2.2.I.Les propriétaires vendeurs P 345
2.2.2.Les courtiers fonciers p 349
2.2.3.Les constructeurs de maisons de rapport P 351
3. Utilité et limites de l'autofinancement... '" P 356

Chapitre 9. Le chantier du secteur de l'aménagement-promotion p 373

1. L'émergence du secteur P 374


I.I.Des acteurs reconvertis p 374
1.2.Un certain manque de métier p 378

566
2. La promotion immobilière: expression du " corporatisme socialiste " p 382
2.I.Financement par précommercialisation , P 385
2.2.Soutien déterminant des pouvoirs publics dans l'accès au foncier. P 389
2.3. La recherche du moindre coÛt. p 394
3. Les vicissitudes de l'aménagement des quartiers résidentiels '" p 403
3.1. Priorité à la déconcentration résidentielle '" P 406
3.2. Mirage des financements étrangers et recours aux forces internes" P 414

Chapitre 10 : Les ambitions de la promotiorl internationale p 431

1. Les ambiguïtés de l'investissement direct étranger p 432


1.1. Montée en puissance dans les flux de capitaux internationaux p 432
1.2.Versatilité de l'implantation au Viêt-nam p 437
1.3. Hanoi: attirance pour la production immobilière " '" P 448
2. Le jeu croisé des acteurs p 458
2.1. Essai de typologie des intervenants étrangers p 458
2. 1. I.Les opérateurs des projets: les figures du promoteur p 458
a) Les professionnels de la promotion internationale , P 458
b) Les entreprises de construction ou " builders " P 462
2.1.2. Les [manceurs des projets: les investisseurs P 467
2.2. La diversité des partenaires vietnamiens p 469
2.3. Le rôle opaque des intermédiaires p 472
3. Immobilier de prestige: les aléas de la course à la centralité p 474
3.1.Le marché atypique de la contribution au capital de lajoint-venture p 475
3.2. L'articulation des prix fonciers avec les prix immobiliers P 480
3.2.1. 1989-1995 : Les prix de l'immobilier tirent les prix fonciers vers le haut. p 482
3.2.2. 1996-2000. Le frein à la baisse des prix fonciers retarde la reprise p 484
4. L'Eldorado des villes nouvelles , , P 497
4.1." Villes intégrées" ou désintégration de la ville ? p 501
4.1.1. Le projet Ciputra de ville internationale P 501
4.1.2. Le projet résidentiel et industriel Bâc Thang Long '" P 509
4.1.3. Le projet de ville nouvelle proposé par Daewoo P 512
4.2. Des garanties économiques et juridiques encore insuffisantes p 516
4.2.1. La suspension du projet Ciputra p 517
4.2.2. Le fort soutien du Japon au projet Bac Thang Long p 519
4.2.3. Les déconvenue5 de Daewoo P 521

CONCLUSiON p 531

BIBLIOGRAPHIE p 537

LEXiQUE p 553

TABLES DES TABLEAUX, FIGURES, CARTES, ILLUSTRATIONS ET


ENCARTS p 557

TABLE DES MATIERES p 565

567
RESUME

Depuis 1986, le Viêt-nam a abandonné l'économie administrée pour se convertir


progressivement à l'économie de marché. Cette mutation entraîne une refonte complète du
régime foncier et, au-delà, de l'ensemble des pratiques et conceptions sociales envers la terre.
L'objet de cette thèse est d'analyser cette transformation afin d'y trouver les éléments
fondateurs d'un nouveau mode d'urbanisation des villes vietnamiennes. L'étude porte en
premier lieu sur les conditions de l'instauration du nouveau régime foncier et notamment la
mise en place progressive d'un système de baux fonciers. Toutefois, les pratiques précédant
les lois, nous avons été amené à nous interroger sur le fonctionnement de l'informalité. Tirant
parti d'un accès mal réglementé à la ressource foncière, certaines catégories sociales et corps
constitués tentent d'acquérir des position privilégiées dans la société urbaine en
recomposition. Dans cette période de redémarrage de l'économie et de forts besoins en
terrains urbains, le foncier s'avère en effet un investissement particulièrement rentable. Nous
avons identifié trois modes de valorisation foncière (autoproduction, aménagement-promotion
national et international) qui se sont constitués au fur et à mesure que les possibilités de
commercialisation des terrains étaient précisées. Depuis 1986, la terre est entrée tant bien que
mal dans la sphère marchande. La volonté de l'Etat de conduire l'urbanisation par le biais de
villes nouvelles financées par les capitaux internationaux implique désormais que le sol
devienne le support d'une production de nature proprement capitaliste.

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