Encyclopédie Médico-Chirurgicale 11-048-B-10

11-048-B-10

Atteinte cardiaque au cours de l’infection

par le virus de l’immunodéficience humaine
C Chapelon-Abric

Résumé. – L’atteinte cardiaque au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
représente une complication fréquente au stade de syndrome de l’immunodéficience acquise (sida), rarement
à l’origine du décès. Le plus souvent, il s’agit d’une cardiomyopathie asymptomatique spécifique de
l’infection, découverte parfois devant des modifications électrocardiographiques et surtout des altérations de
la fonction systolique et/ou diastolique du ventricule gauche. Les atteintes péricardique et endocardique sont
exceptionnelles. Les traitements cardiologiques (médicaux et/ou chirurgicaux) et anti-infectieux doivent être
discutés et proposés en fonction de chaque cas.
© 2000 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : cardiomyopathie, sida, péricardites, endocardites, dysautonomie.

Rappel sur le syndrome
de l’immunodéficience humaine
acquise (sida)
Le sida fut individualisé en 1981 chez les homosexuels. Bien que la
maladie soit à déclaration obligatoire depuis 1986, seuls 85 % des
patients au stade sida sont déclarés [18] . La dernière enquête
épidémiologique, réalisée entre 1983 et juin 1998, révèle que près de
50 000 cas de sida ont été déclarés, le profil montrant une diminution
des nouveaux cas à partir de 1994. Cette diminution est maintenant
moins nette, avec une incidence annuelle de 1 900 cas ; incidence
très forte dans la région Île-de-France et Antilles-Guyane. En France,
les cas de sida s’observent maintenant surtout chez les hétérosexuels
(37 %) qui devancent les homosexuels (31 %) et les toxicomanes
(18 %). Cette épidémie est particulièrement nette chez les personnes
d’origine étrangère ou en situation de précarité et concerne surtout
des patients ignorant, dans la majorité des cas, leur positivité. Le
nombre de grossesses chez les femmes VIH positives est de 800 par
an, avec diminution importante du nombre d’enfants infectés de
14 à 5 % du fait du traitement par zidovudine pendant la grossesse.
La dynamique de l’épidémie de l’infection sera véritablement
connue lorsque les premiers résultats de la déclaration obligatoire
de toute sérologie positive sera fournie (en vigueur depuis le 6 mai
1999, dans 22 départements).
Le diagnostic repose sur la présence d’anticorps anti-
lymphadenopathy associated virus (LAV) ou anti-VIH-1. La positivité
du test enzyme linked immunosorbent assay (Elisa) doit être
obligatoirement confirmée par un deuxième prélèvement Elisa et
Western-Blot.
Le bilan initial inclut :
– la mesure des lymphocytes CD4 pour définir le statut
immunitaire ;
Catherine Chapelon-Abric : Praticien hospitalier, centre hospitalier universitaire Pitié-Salpêtrière, service de
médecine 2, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.
– l’estimation de la charge virale, élément fondamental avec les CD4
pour apprécier le pronostic par mesure de l’acide ribonucléique
(ARN)-VIH plasmatique (en copies/mL) ;
– la recherche de co-infections, notamment hépatites (sérologie
virale B, virale C ± polymerase chain reaction (PCR) hépatite vira-
le C) ; toxoplasmose ; cytomégalovirus, syphilis ± intradermo-
réaction 10 U à la tuberculine ;
– la réalisation d’une radiographie de thorax et d’un examen
gynécologique chez la femme avec frottis.
Tout ceci permet de décider du traitement antirétroviral et du
traitement préventif des infections opportunistes. Une prise en
charge psychologique et sociale du patient et de son entourage est
indispensable pour le suivi et l’adhésion aux traitements.
Généralités sur l’atteinte cardiaque
Les contaminations transfusionnelles, notamment lors de chirurgie
cardiaque et par l’extension à des populations non considérées à
risque, font que les cardiologues peuvent suivre des patients
contaminés ou bien être amenés à évoquer cette affection devant
des signes cardiologiques.
L’atteinte cardiaque au cours de l’infection par le VIH est
d’expression variable, fonction de sa localisation (myocardique,
péricardique et/ou endocardique) et de son mécanisme, parfois
plurifactoriel. Chez un même patient, il peut être difficile de faire la
part entre une cause infectieuse, tumorale, toxique, médicamenteuse
ou carentielle.
L’augmentation de la prévalence des atteintes cardiaques, souvent
asymptomatiques [11], croît avec la diffusion de l’infection par le VIH
au cours des dernières années et le dépistage précoce, notamment
par l’échocardiographie. Les études nécropsiques, mais aussi
échocardiographiques, confirment la fréquence élevée de l’atteinte
cardiaque, en particulier au stade de sida avéré. La prévalence
échocardiographique est de 28 % contre 13 % chez des sujets-
contrôles africains [46]. Les études nécropsiques, sans tenir compte de
l’ethnie, retrouvent des lésions myocardiques, péricardiques ou
endocardiques dans 24 % [13] à 55 % [8] des cas.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Chapelon-Abric C. Atteinte cardiaque au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris,
tous droits réservés), Cardiologie, 11-048-B-10, 2000, 4 p.
11-048-B-10 Atteinte cardiaque au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine
À ces atteintes devenues maintenant classiques, il faut y ajouter les
cas de dysautonomie, d’hypertension artérielle pulmonaire et les
atteintes cardiaques iatrogènes.
Atteinte myocardique
PRÉVALENCE
La prévalence de l’atteinte myocardique a été déterminée par les
études autopsiques et est notée dans 42 % [30] à 80 % des cas [52, 59], et
ce quels que soient le type histologique et la cause. La
cardiomyopathie est l’expression la plus fréquente, observée dans
50 à 70 % des cas autopsiques [1, 29, 53], sa présence étant non corrélée
à une infection opportuniste.
Dans la très grande majorité des cas, la cardiomyopathie est
asymptomatique [11, 53], mais peut être dépistée précocement par
échocardiographie [40]. L’étude prospective de Barbaro [5] illustre
parfaitement ces données. Sur une cohorte de 952 patients
séropositifs asymptomatiques, suivis en moyenne pendant plus de
60 mois, une cardiomyopathie dilatée échographique a été dépistée
chez 8 % des patients, soit une incidence annuelle de 15,9/1 000.
Cette incidence était plus élevée chez les patients ayant un taux de
CD4 inférieur à 400/mm 3 et recevant de la zidovudine,
thérapeutique non mise en cause par Roy et al [53].
MYOCARDITES AU VIH
Histologiquement , il existe le plus souvent une infiltration
[29]
lymphohystiocytaire, constituée principalement de lymphocytes
CD3 et CD8 [ 2 9 ] , associée ou non à une nécrose des fibres
myocardiques [1, 8, 52, 59]. Les foyers de nécrose prédominent au niveau
de la paroi libre du ventricule gauche [1]. Il s’agit d’une myocardite
spécifique du VIH, comme en témoignent la présence d’antigènes
VIH dans les cultures de myocytes obtenus par biopsies
endomyocardiques [12] et les techniques d’hybridation avec présence
de séquences d’acide nucléique VIH in situ au cours des
myocardites aiguës [24, 29].
La présence de nécrose en bandes de contraction est plus rare [8, 52],
notée chez des patients non toxicomanes ou n’ayant pas
d’hyperstimulation adrénergique. Il en est de même pour les foyers
de nécrose myocardique multiples, disséminés, et ne correspondant
pas à un territoire coronarien précis [52, 59] et les foyers de fibrose
interstitielle.
Récemment, Barbaro [7] a démontré qu’il existait, au cours des
cardiomyopathies du sida, une expression significativement plus
élevée de tumor necrosis factor alpha (TNFa) et d’inducible nitric oxide
synthethase (INOS), par rapport à un groupe cardiomyopathies
idiopathiques, expression inversement proportionnelle au taux de
CD4.
MYOCARDITES NON VIH
¶ Myocardites infectieuses
Dans 15 à 17 % des cas, il est possible d’observer une myocardite
infectieuse [1, 8, 13, 52] , parfois sans atteinte endocardique ou
péricardique sous-jacente [30]. Les agents pathogènes les plus souvent
en cause sont : Toxoplasma gondii [8, 30, 36, 52, 57] ; Aspergillus fumigatus
[27, 31]
; Cryptococcus neoformans [8, 13, 36, 37] ; cytomégalovirus [1, 36, 59] ;
Candida albicans [36] ; Mycobacterium avium [1, 36] et tuberculosis [36].
Enfin, citons des myocardites à cocci à Gram positif [1] : Histoplasma
capsulatum ; coccidiose (Isospora belli) [36], Staphylococcus aureus [32] et
Sarcocystis hominis [8].
¶ Myocardites carentielles
Bien entendu, chez les sidéens, une myocardite carentielle, en
particulier à sélénium [15], peut s’observer. Cette cardiomyopathie
2
Cardiologie
sans micro-organisme peut être suspectée devant un taux bas de
sélénium sanguin, et prévenue par un traitement substitutif [15]. Le
poids du cœur est corrélé cliniquement à l’état de cachexie.
CLINIQUE
Dans moins de 10 % des cas [1, 34, 45, 59], la cardiomyopathie est
symptomatique, responsable d’un tableau non spécifique de
cardiomyopathie dilatée.
Les myocardites cliniques sont alors responsables d’une insuffisance
cardiaque congestive [14] ou globale [12, 13, 24, 34], d’évolution
fulminante [37], subaiguë [9] ou progressive [12, 13], exceptionnellement
révélatrice [42]. Elles évoluent souvent dans un contexte de fièvre et
de syndrome inflammatoire [38], parfois associé à des troubles du
rythme ou de la conduction [35]. Rarement responsables du décès
[1, 36, 52]
, les myocardites cliniques et/ou échographiques représentent
en principe un élément de mauvais pronostic [28, 29, 42], excepté dans
l’étude récente de Longo-Mbenza [43].
PARACLINIQUE
¶ Électrocardiogramme
Il peut mettre en évidence une tachycardie sinusale [8], des anomalies
non spécifiques du segment ST et de l’onde T [42]. La présence d’une
arythmie ventriculaire est signalée dans 15 à 30 % des cas. L’étude
comparative de Barbaro [6] entre cardiomyopathie idiopathique et
cardiomyopathie VIH montre une fréquence élevée des extrasystoles
ventriculaires grade IV de la classification de Lown dans le groupe
VIH, cela étant corrélé à la présence d’une altération de la fonction
systolique et diastolique et à la présence de cultures positives de
myocytes dans près de 90 % des cas.
¶ Radiographie
Une cardiomégalie est rarement notée [12, 21, 39].
¶ Échocardiographie
L’échographie cardiaque, faite systématiquement, est pathologique
dans 28 à 88 % des cas [8, 21] : résultats qui diffèrent en fonction des
critères retenus et de la gravité des patients étudiés. Les principales
anomalies sont une diminution de la fraction de raccourcissement
[8, 40, 43]
, une dilatation ventriculaire gauche, une élévation de la
pression télédiastolique avec ou sans diminution de la fraction de
raccourcissement [2] , une hypokinésie [8, 21] , un épanchement
péricardique [8, 21]. Les études prospectives échocardiographiques
soulignent la présence fréquente (10 à 42 %) d’un dysfonctionnement
ventriculaire gauche chez les patients asymptomatiques au stade de
sida, en particulier chez ceux ayant une lymphopénie CD4 positive
inférieure à 100/mm3 et une antigénémie positive sans anticorps P24
détectables.
¶ Examens isotopiques
La scintigraphie au gallium [22, 28, 39, 40] peut parfois dépister
précocement une cardiomyopathie, mais son absence de spécificité
et de sensibilité rend difficile une approche prospective.
Actuellement sont en cours d’étude les résultats de scintigraphies
aux anticorps monoclonaux antimyosines marqués à l’indium 111 [60].
Atteinte péricardique
Elle est observée dans 8 % [11] à 20 % [8, 13] des cas des études
autopsiques. Exceptionnellement, elle peut s’exprimer par une
tamponnade [19, 21, 33, 56] et révéler l’infection par le VIH. La ponction
montre un exsudat, pauvre en lymphocytes, en rapport avec une
péricardite fibreuse sans particularité [13, 52]. En Afrique noire, le sida
est la principale cause de péricardites séreuses.
Cardiologie Atteinte cardiaque au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine
La péricardite peut évoluer vers la constriction, imposer un
drainage [23] , voire conduire à une péricardectomie (Lewis).
L’inefficacité du geste chirurgical doit faire craindre une atteinte
myocardique sous-jacente. Les agents pathogènes impliqués dans les
péricardites au cours de l’infection par le VIH sont : Mycobacterium
avium ou tuberculosis [46, 52, 56, 59], Nocardia asteroides [33],
cytomégalovirus [ 5 9 ] , cryptocoque [ 4 5 ] , staphylocoque [ 5 8 ] et
toxoplasmose [25].
Atteinte endocardique
L’atteinte endocardique, notée en moyenne dans 8 % [11] à 13 % des
cas est, curieusement chez ces patients immunodéprimés,
exceptionnellement d’origine infectieuse [52]. Le risque d’endocardite
infectieuse est cependant plus marqué chez les sujets VIH positifs
toxicomanes [49, 55]. Dans ce groupe, les endocardites ont certaines
particularités : atteinte fréquente du cœur droit ; souvent à
Streptococcus viridans ; durée de l’intoxication supérieure à 5 ans ;
leucopénie plus nette. En revanche, la mortalité ne diffère pas en
fonction du statut VIH. Ces endocardites peuvent être traitées avec
succès médicalement, notamment les endocardites à salmonelles [20].
Les lésions marastiques [13, 52] peuvent intéresser les quatre valves [13]
et être à l’origine d’embolies systémiques [13].
Dysautonomie
Depuis les deux premières publications de dysautonomie,
hypotension orthostatique [26] et syncopes au cours de ponction
pleurale [17], des études prospectives ont permis d’apprécier cette
pathologie [10, 51]. Une dysautonomie, diagnostiquée grâce à l’étude
de la fréquence cardiaque en fonction de la position du corps, de
l’épreuve de Valsalva, d’un test au froid et d’un mental test, est
présente de façon modérée, chez la majorité des patients,
indépendamment du taux de CD4. Cette hypersensibilité
autonomique est d’évolution lente [10] et asymptomatique.
Localisations cardiaques
des lymphomes
L’atteinte cardiaque des lymphomes est rare [16, 54, 59] et découverte le
plus souvent fortuitement lors de l’autopsie [16], principalement au
niveau de l’endocarde et du myocarde. Exceptionnellement, elle est
symptomatique [ 3 , 4 ] : insuffisance cardiaque ; épanchement
péricardique ; défaillance cardiaque irréversible, troubles de la
conduction ; tamponnade.
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Manifestations cardiaques
de la maladie de Kaposi
La présence d’un « Kaposi » cardiaque est notée au cours des études
autopsiques dans 13 % des cas [13, 52, 59], dans le tissu graisseux sous-
épicardique adjacent aux artères coronaires principales.
Hypertension artérielle pulmonaire
Depuis 1987, l’association VIH-hypertension artérielle pulmonaire
chez des patients à VIH est connue et ce quel que soit le mode de
contamination [47] . Elle survient indépendamment du statut
immunologique et de l’évolution. L’hypertension pulmonaire ne
présente aucune particularité clinique ou paraclinique par rapport
aux hypertensions pulmonaires « idiopathiques ». La réponse aux
drogues vasodilatatrices et le pronostic de ces hypertensions sont
également identiques.
Atteinte cardiaque d’origine iatrogène
Les antiviraux représentent un facteur de risque cardiovasculaire
majeur du fait des troubles métaboliques qu’ils induisent,
notamment le diabète, une hypertriglycéridémie et
hypercholestérolémie aux dépens de la low density protein (LDL)
cholestérol. Ceci impose un contrôle des autres facteurs de risque
(tabac, stress), un régime approprié et la recherche d’antécédents
familiaux de maladie cardiovasculaire. La toxicité cardiaque de la
FDDA (lodénosine) est encore méconnue.
Certains traitements peuvent être à l’origine de troubles cardiaques.
Il en est ainsi du pentamidine iséthionate (Lomidinet) [48, 60] et de
l’interféron alpha-2 [14].
Le pentamidine iséthionate, utilisé chez les sidéens dans le
traitement des pneumopathies à Pneumocystis carinii, peut engendrer
des troubles du rythme graves : torsades de pointes avec
allongement de QT régressif à l’arrêt [60] ; tachycardie ventri-
culaire [48], probablement majorée par la prescription simultanée
d’antimoniate de méglumine (Glucantimet).
L’interféron alpha-2 peut provoquer une cardiomyopathie
inconstamment régressive à l’arrêt des thérapeutiques [14].
Conclusion
Les manifestations cardiaques du sida sont rarement symptomatiques et
à l’origine du décès. Néanmoins, il convient de les rechercher, car
certaines peuvent bénéficier d’un traitement approprié.
L’absence d’une thérapeutique virale spécifique dirigée contre le VIH ne
doit surtout pas faire reculer les décisions thérapeutiques, car des
progrès notables, en particulier dans le traitement des infections
opportunistes, ont été réalisés. Tous ces patients doivent bénéficier des
traitements cardiologiques spécifiques médicaux ou chirurgicaux.
Références ➤
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11-048-B-10 Atteinte cardiaque au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine
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