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3f
a UlnZalne
littéraire du 1 er au 15 octobre 1970
De Caulle
la fin d'une époque
Mauriac
poète
SOMMAIRE
Un visionnaire
I.A QUINZAIN.
1 La Guerre
Coll. Le Chemin
Gallimard éd., 290 p.
.
sent épuisées les richesses du cessante et sans merci, à laquelle des cités modernes, contre le ci- ler en éclats les vitrines, abattent
thème. Quant aux personnages, se livrent tous les éléments qui toyen béat et gavé des sociétés les poteaux de signalisation, met-
une jeune fille, Bea B. et un la constituent - l'humanité y fi- de consommation. Elle habite le tent le feu aux voitures, sacca-
gent les antres à paperasses el, se retournent contre nue, ce ne pourrait être après aux fétiches et aux fantômes que
sous le pavé, croient retrouver la elles·mêmes pour s'autodévorer? tout que le dépouillement par le le bon plaisir des princes qui nous
plage. Le monstre attendrit leur En dépit de son thème. Le Clézio serpent mythologique d'une peau gouvernent veut faire passer pour
chair à coups de gourdin et les fait confiance aux hommes qui qui a trop servi, afin d'en revêtir la réalité... (Les artistes) tentent,
avale, les choses reprennent leur luttent pour leur pain, leur une nouvelle. Un monde s'écrou· par.delà les fétiches et les fan-
cours qui mène au néanl. champ, leur maison, au sourire le, la vie continue. tômes du pouvoir, de la consom-
Mieux qu'aucun autre, Le Clé· d'une jeune fille, au rire d'un Le Clézio perçoit cette perma· mation et de l'idéologie, de dé-
zio sait nous parler de la Ville. enfant. Tout pénétré de sagesse nente réalité de choses, quelque couvrir la réalité, l'homme dé-
Elle hante ses rêves et nourrit ses bouddhique, il contemple la vie obscurcie qu'elle soit par les fu· formé et son alternative. » Fût.ce,
obsessions. Mieux qu'aucun autre, d'un regard surplombant et la mées de la société industrielle, ajouterons.nous, sans qu'ils aient
il nous montre la longue bête voit dans ses métamorphoses. son renouvellement constant, et il besoin de croire à un homme bon
aux multiples anneaux qui rampe « Quand il y a la guerre, c'e!t que sait qu'elle n'est pas en elIe·même et parfait, ou se laissent séduire
sur l'autoroute et, quand il nous quelque cho!e en en train ,r appa· agressive, que tout dépend de par les sirènes du réalisme. 1 e
installe à un carrefour particuliè. raître... La terre a commencé l'homme et des rapports qu'il en· Clézio prouve qu'on y parvient
rement animé ou sur l'escalier hier... La jeune!$e et la beauté tretient avec elle. Son discours de plus sûrement par la seule mise
roulant d'un Prisunic, nous con· !ont continuelle!... Il y a de! mil- Cassandre justifie en fin de en œuvre des obsessions et des
templons, fascinés et effrayés, ce lier! de cho!e! qui veulent venir compte ce propos de l'esthéticien rêves, par le regard plongeant ou
que nous avons perdu l'habitude et qui cherchent à renver!er le! marxiste Ernst Fischer (1): infiniment détaché du visionnaire.
de voir. Nous sommes dans l'an· ob!tacle!... » «Aujourd'hui comme hier, ce Maurice Nadeau
(1) Dans un recueU d'essais à pa-
tre de Gorgone, ou chez Pluton. Cet optimisme n'est jamais sont l'art et la littérature qui s'op. raltre prochainement aux Lettres Nou-
Aussi la satire qu'il fait de la plus patent que dans la peinture posent avec le plus d'opiniâtreté velles (Denoël) .
Au Seuil A la radio
A partir du lundi 5 octobre, sur
On fait grand cas, aux éditions du France Culture, tous les matins de
Seuil, du nouveau roman de Marle 8 heures à 9 heures, • Les chemins
Suslnl: C'était cela notre amour. de la connaissance., renouvelant les
C'est bien diune·· histoire d'amour recherches de l'Heure de la Culture
qu'il s'agit et le titre annonce bien française, présenteront une suite de
la couleur; mals l'originalité de ce grandes enquêtes dont le caractère
livre, considéré comme le meilleur commun est de jeter un pont entre
qu'ait écrit jusqu'Ici l'auteur de Plein les diverses disciplines (histoire, lit-
soleil, de la Fiera et d'un Pas d'hom- térature, ethnologie. psychanalyse)
me, est de jouer sans cesse de sub- sur lesquelles se fonde une nouvelle
tils chassés-croisés entre le temps science de l'homme. A chacune de
passé et le temps retrouvé, le Paris ses séries seront consacrées dix à
de mal 1968 et le Paris de la Libé- douze émissions.
ration, les peines d'amours perdues Le lundi, Michel Tournier, dont le
et l'obsession de la fldélité à soi- dernier roman • Le roi des Aulnes.
même. apparaît comme un des grands livres
de la saison, évoquera • Le Sahara,
désert vivant. et Claude Michel Ja-
Photographie extraite àe l'ouvrage Chez Gallimard lard inaugurera le 5 octobre • L'en-
cyclopédie ou la confession d'un siè-
société de consommalion n'est· du détail, dans la longue contem· cle. par un entretien avec Michel
Chez Gallimard, Robert Merle pu- Butor. Le mardi, Pierre Jeannin, pro-
elle qu'une des pièces du procès plation du plus humble objet, blie, avec Derrière la vitre, un roman fesseur aux Hautes Etudes, racontera
qu'il intente à un régime depuis poussée jusqu'à l'extase. L'herbe sur l'Université qui se présente dans • Du sac d'écus a!J compte en
plus longtemps établi, à des for· et le caillou y figurent, mais éga· comme une sorte de radioscopie de banque. l'histoire de l'argent et
lement ce qui est sorti de l'intel· la jeunesse et des enseignants ayant, Yves Cazaux, récent auteur de • Gull·
ces autrement plus puissantes que pour toile de fond, la journée du laume le Taciturne., analysera dans
celles de la classe dominante. Ré· Iigence et de la main de l'hom· 22 mars 1968 à Nanterre, revécue • Aux sources de la liberté moderne,
gime que dès le quaternaire me: la pyramide de béton, une heure par heure. le XVI' siècle. la naissance de la
l'homme a établi dans ses rap· roue de camion avec ses puissants Chez le même éditeur, quatre poè- pensée politique engagée en France
rayons d'acier tenus serrés par tes modernes, ayant en commun le et aux Pays-Bas au temps de l'huma-
ports avec la nature afin de goût des jeux combinatoires, le Mexi- nisme. Le mercredi, Jacqueline Sorel
l'exploiter et de la domestiquer. de!! boulons bien placés, l'avion cain Octavio Paz, l'Italien Eduardo et Joseph Amegboh aborderont avec
Forces que l'enfant apporte avec qui file en sifflant dans l'azur Sangulnettl, l'Anglais Charles Tom· • Mémoire d'un continent: Panorama
lui en naissant et qui visent à vierge, la voiture à la coque pro- IInson et le Français Jacques Rou- de l'histoire africaine. un domaine
baud se sont réunis pour ressusciter à peu près Ignoré de nos contempo-
écraser les autres, s'il devient filée et au capot luisant, l'allu· une forme poétique collective qui fut rains, la relation de l'Europe et du
femme, par le charme et l'envoû- mette, le bouton. TI admire les en extrême faveur au Japon entre le continent noir avant la colonisation,
tement, s'il devient homme adul· mille et une formes d'une créa· VII' et le XV' siècle: le renga. Ils et Gilles Lapouge traitera d'un thème
te, par le commandement. Toute tion continue et il croit celle-ci nous donnent ainsi, précédé d'une particulièrement actuel: • L'homme
introduction de Claude Roy, un grand encombré •. Le samedi, Harold Portnoy
forme d'expression, y compris capable de s'opposer aux forces poème moderne à quadruple réso- poursuivant ses recherches psycho-
celle de l'artiste, est violence. La de destruction qu'elle porte en nance: Renga. En octobre, paraîtront pédagogiques étudiera • Le Psycholo-
douce beauté est pernicieuse en son sein. La vraie guerre Ile dé· aussi un recueil de poèmes, adaptés que dans le monde moderne. et
ce qU'elle fait plier le genou. roule entre le bien et le mal, en- du japonais, de Jacques Roubaud: le Claude Mettra dans • Gueux, men-
Sentiment des choses et une sélec- diants et vagabonds. explorera la
tre Ormuz et Ahriman. La «fin tion des poèmes écrits par Octavio
Faut·i1 attendre que les forces proche» dont il annonce la ve· Paz entre 1957 et 1968 à quoi s'ajou-
mythologie de l'errance, d'Œdipe.: Il
Jack Kerouac. ..
4
ROMANS
L/amour-ogre
PRANÇAIS
1
Michel Tournier tout d'abord accepter le monde sexe, (le roman lui est dédié), la
Le Roi des Aulnes adulte, il s'acquitte de ses fonc- justice frappe. Tiffauges risque
Gallimard, éd., 400 p. tions mais en homme éteint, en une peine de vingt ans de travaux
somnambule, dont l'enfance est forcés pour un viol qu'il n'a pas
la lancinante nostalgie. La guerre commis, dont l'idée ne l'effleure
Michel Tournier avait eu l'au- seule le délivrera. Et, paradoxa. même pas, tout à ses voluptés
dace pour ses débuts de choisir un lement, la captivité qui le con· bien à lui mais, hélas, assez con-
grand sujet, une histoire univer- duira au terme d'un itinéraire fuses au regard extérieur pour
sellement connue, de se mesurer complexe dans une napola, une autoriser la méprise et le faire
à une aventure exemplaire et de de ces écoles paramilitaires des· condamner.
la réécrire pour son propre comp- tinées aux enfants du Ille Reich : Rien de semblable ne le mena·
te. Etonnons·nous davantage de quatre cents élèves qui, à la fa· ce plus à Kaltenborn. Si le fou
ce titre : Vendredi ou les Limbes veur de l'effondrement de l'Alle· persévérait dans sa folie, il de·
du Pacifique qui donnait à Ven- magne tomberont peu à peu en viendrait sage affirme Blake dans
dredi, au sauvage et à l'enfant, son pouvoir. un de ses proverbes d'enfer. Il
l'enfant·sauvage, la première pla- Entre le collège de Saint-Chris· sera enfin donné à Tiffauges de
ce et pouvait avertir le lecteur tophe, où Tiffauges a fait toute!' vivre selon un système sans doute
perspicace d'une conversion radio ses études comme interne et la perverti, mais parfait et cohé-
cale dans la manière d'aborder le na pola de Kaltenborn, des ana· rent, qu'il réussira à opposer à
mythe, de traiter d'une recon- logies vont surgir, des liens se l'ordre du monde avant de suc·
quête du monde, qui appartient nouer, des accords s'établir. Ain· comber : un système qui le libère.
depuis deux siècles au fond de si déjà, dans Miracle de la Rose, Bonheur de courte durée ! Tif-
rêves de l'Occident, d'en recon· Jean Genet, du bagne d'enfants fauges recrute pour la napola. Il
sidérer la démarche et peut-être de Mettray à la centrale de Fon- parvient à la faveur d'un pro-
de briser avec elle. tevrault, quelques années plus visoire relâchement de la disci-
Livre de charme, d'un humour tard, rencontrait son destin. Mais pline, dû à la défaite allemande,
savoureux et d'un lyrisme qui alors qu'il cherchait d'une prison à transformer Kaltenborn, le
n'excluait pas un engouement à .l'autre à se charger de tous les château de l'ogre, en un parc
pour la plus stricte exactitude, péchés du monde et à mener à d'enfants, où ne demeurent que
jusqu'à se servir d'un vocabulaire bien sa quête d'une sainteté ré- les plus jeunes. Et, somme toute,
technique d'une extrême rigueur prouvée, Tiffauges poursuit une nomme lui-même le pIege photo- nous aurions à faire à un bon
dans le récit des diverses opéra- confirmation de sa nature féeri· graphique et dont il use et abu· géant: il aime dormir sur une
tions-survie du naufragé - sui- que et monstrueuse d'ogre, qu'une se, lui assure le pouvoir despo- literie bourrée des cheveux de ses
vant en cela l'esprit encyclopédi- parenthèse d'une dizaine d'an- tique: la possession des proies protégés après la tonte, à bouil-
que du XVIII" siècle, dont le ro- nées passées hors des murs, dans enfantines convoitées. Il est une lir avec eux dans l'immense chau.
man n'allait pas sans se réclamer, la vie courante, en se pliant à source de joie plus vibrante: dron que simule la salle de dou-
ne serait-ce que pour mieux le une activité sans bonheur: celle celle qui consiste à porter l'en- che, à partager leur sommeil de
contrecarrer et en moquer les li- de garagiste, avait occultée. fant, la phorie, du nom même de plomb, préfigurateur d'un autre
mites, Michel Tournier ne visait Déjà, vers la fin de cette pé- Christophe, le passeur, le géant sommeil, mortel celui-là, à goû-
à rien moins qu'à opérer une très riode, le héros était parvenu de porte-Christ. Si elle se révèle ou ter avec volupté au miel que sé·
personnelle réconciliation avec le tâtonnement en tâtonnement à re· non une manière d'aimer, elle crète le fond de leurs oreilles.
mystère du règne enfantin, plus joindre l'enfance. Mais il ne diffère en tout de la volupté or- La question, bientôt, se pose de
inconnu que le règne végétal ou s'agissait point tant comme chez dinaire étroitement et obscène- l'innocence de Tiffauges. Ne se
animal (écrivait Jean .C(J(:teaü). un Salinger, de continuer à par- ment localisée: vague de béati- montre-t·il pas par trop sensible à
Speranza, l'île de Robinson, pou- Ier un langage qu'on devrait avoir tude, qui irrigue les couches les cette dépersonnalisation des en·
vait assez bien figurer quelque oublié, de se mouvoir au cœur plus profondes, les extrémités les fants, à cette déspiritualisation,
.vel't paradis de l'enfance redé- d'un domaine dont la clef aurait plus lointaines. Ce n'était pas à leur masse collégiale indiffé-
. couverte, ou gagnée pour la pre· . été égarée et de se persuader que une titillation égrillarde et limi- renciée, sans âme pour particula-
.. fois, au terme d'un long le pacte n'a point été rompu dans tée, c'était une hilarité unanime riser et alléger cette chair ano-
détour et avec toute la faim inas- l'amour et l'abjection ave·c un cer· de tout mon être. La trémulation nyme dont il rêve et qu'il veut
souvie d;un adulte. Le Roi des tain état de Non, pour Tif- de Robinson dans l'île de Speran- rendue à sa pureté native, au
Aulnes, le s·econd roman de Tour- fauges, se sentir à l'aise avec les zao poids brut? Et s'il distingue quel.
nier, est d'une autre qualité, beau- enfants, de plain.pied avec eux, On conçoit certaine angoisse de ques sujets, il reste lucide sur cet·
coup plus douloureux et tendu : ne suffit pas ; se découvrant ogre, Tiffauges. Son identification avec te élection. Ce ne sont pas des
l'Amour-Ogre dévore tout ce qu'il seule une véritable appropriation Weidmann qu'on guillotine sur individus: qu'en ferait-il? Mais
touche. S'il déguste l'enfance, pourra momentanément l'apai. ces entrefaites : même poids, mê- de vivants symboles, enfants de-
c'est en la détruisant, même à ser. Diverses pratiques ne peu- me taille, même date de naissan- venus leur propre signe. Des por-
son corps défendant. vent manquer d'en découler, le ce, également gaucher, un air de te-drapeaux tout au plue! Et
Abel Tiffauges, le héros du li· mettant sur la bonne voie. ressemblance qui ne se discute l'emblème-humain (le Komman-
vre, nous apparaît moins, en ef- D'abord le regret de l'atmosphè- pas, voilà qui n'est pas pour le deur de Kaltenborn, le révèle ou
fet, comme un anarehiste pris au re épaisse et confinée des dor- rassurer. Il a beau se tourner vers le rappelle à Tiffauges) est pro-
piège du fascisme (selon le prière toirs, de leur densité, de leur sa- cette image du héros phorique : mu au sacrifice, à l'holocauste
d'insérer), que de l'enfance, mais turation, le pousse à errer autour Raspoutine, guérisseur du tsare- suprême, à la destruction précisé-
d'une enfance embrigadée, mobi- des collèges à l'heure des récréa· vitch Alexis, assassiné pour s'être ment de son humanité. Enfin
lisée, tout entière soumise à tions. Il enregistre sur des ban- opposé au déchaînement de la l'enfant mort se révèle pesanteur
l'Etat·- en l'occurrence l'AIle- des magnétiques tous les cris qui guerre de 1914 et avoir prêché inouïe, chair plus grave, plU5
magne nazie. Tiffauges ne peut montent d'une cour. Ce qu'il scandaleusement l'innoncence du marmoréenne: la dernière ten·
I.a Q!!'.u'ne Littâ'aJre du 1'" au 15 octobn 1970 5
• Michel Tournier
Expériences
tation de TiBauges? Et, bien sûr, rade, une chienlit, qui n'offrent Jean Bouvier-Cavouret Didier Pemerle
devant les cadavres mutilés, dé-
chiquetés, méconnaiMables du
massacre des innocent8, par quoi
Be termine l'eXÏlltence de la na-
pola, il aura bien du mal à re-
plO8 que lettres et chiBres, vidés
de Bens véritable, démonétisés,
une absurde et sanglante parade
de drapeaux et d'emblèmes SOO8
quoi défi)e une masse humaine
1 La deuxième per.onne
Coll. c l'Ecart :t
Laffont éd., 192 p.
1
AIIÏle devant mon
décor de tempête
Coll. c l'Ecart :t
Laffont éd., 152 p.
,trouver les lingou charnels qu'il vouée à la perdition par des si-
voudrait charger sur ses épaules. gnes archaïques et vains qui ne Ce récit relève-t-il de la scien·
Mais si toute condensation, toute sont plO8 là que pour la forme, Jean Bouvier-Cavoret annonce ce fiction, de l'essai politique, de
eoncentration, au sens où il l'en- privés de fond et de toute charge son propos: il n'imagine pas la pataphysique ou de la pensée
tend, aboutiMait aU camp- de con- réelle. Tiffauges ne proteste pas, d'autre vocation à la littérature automatique? Il nous entraîne
centration? Cette découverte ne entre 88 masse d'enfant8 indiBé- que celle d'effectuer une plongée dans une Afrique imaginaire. La
lui Bera pas épargnée. Ephraim, renciée et Be8 trois porte-drapeaux dans l'inconsCient. Le titre de ville de Douala a été reconstruite
l'enfant juif, l'enfant porte-étoile, en qui se résume l'essence enfan- son livre s'entend ainsi: la sur le plan de Paris, ce qui per-
qu'il recueillera évanoui dans un tine, trop occupé à ne pas perdre deuxième personne est celle qui, met à Didier Pemerle des cocas-
f088é durant la débâcle, la lui l'équilibre. entre l'introspection et le compor- series de ce modèle: c Crabu re-
révèle. Ce trop bref survol ne saurait tement, construit le discours de tient deux chambre. à fhôtel
en aucun cas rendre compte, des l'auto-analyse. Le livre n'a donc Crillon, après quoi il fait quel-
TiBauges est une victime des
multiples pouvoirs du Roi des pas pour objet de relater une psy- que. pa. 'OUI les palmier. pour
signes. Il se croit l'objet d'atten- Auln.e&, ce livre qui s'exprime aus-
chanalyse mais bien d'être, lui- retenir une table chez Maxim'.o :t
tions spéciales, singulières, et il si par des rapport8, toute une
même, une psychanalyse. Plus tard, du reste, Paris sera à
Be veut voué à attendre des sym-
architecture complexe et fatale son tour reconstruite, c par souci
boles un éclaircÏ88ement sur Be8 de symétries, d'inversions, de
d'économie:t, sur les plans de
démarches ultimes. En proie au permutations, de superpositions.
Douala. La terre elle-même n'est
démon de l'analogie, toute erreur Maître d'un registre verbal pres-
plus celle que nous connaissons :
d'interprétation des signes risque que trop riche, mais plO8 que Le péril
un hydrotome, c'est-à-dire une
de lui être fatale. De là découlent
dans le premier livre de l'auteur, boule d'eau, s'est envolé du pôle
pendant la drôle de guerre, son s'inscrivant avec plus de sponta-
L'application de ces principes nord et s'est écrasé sur la lune,
ref08 et son incapacité d'appren- néité et de naturelle aisance dans
u'est pas toujours convaincante. les mB88es glaciaires des pôles
dre l'alphabet télégraphique, le mouvement de la phrase, ce
L'auteur nous avertit, un peu augmentent au point qu'on craint
ces .igne. corwen.tion.nels, ab- Becond roman no08 parle, en ou-
trop souvent d'ailleurs, que sa de voir la terre basculer sur son
.traits, futilu. En revanche, il Be tre, sur tOO8 les tons : le pamphlé-
tentative est audacieuse, scanda- axe, les océans s'assèchent et pour-
révèle un excellent sapeur c0- taire ou le satirique: les Ecriu
leuse et qu'elle ne va pas sans riMent...
lombophile: les pigeons voya- .in.iltres, ce journal écrit de la
péril. Le plO8 grand péril est Dans ce décor d'apocalypse dé-
geurs lui apparai88ent comme des main gauche, où Tiffauges se dé: 'peut-être celui de l'ennui qui sai- risoire, des personnages s'affai-
porte-8ignes vivant8 et palpitant8.
couvre en s'opposant à tout ce sit le lecteur: cette longue pro- rent. Leurs tâches sont déroutan-
C'est assez dire qu'il redoute tout
qui l'entoure et l'empêche; le menade, dans les limbes de l'in- tes. L'humanité utilise-des tech·
écart trop grand, qui risque d'en-
comique farfelu de la drôle de conscient, parmi les brumes et niques avancées pour aMurer sa
traiDer une rupture dangereuse, guerre; le récit d'aventure: la
les leurres, n'avère pas sa né- survie: si la séchesse 's'étend, on
entre le symbole et la matière, la cabane Canada où le héros dé-
cessité. Ou nous entraîne sur les songe à renouveler l'atmosphère
forme et le contenu. Il ne s'atta-
'robe quelques heures chaque fleuves du c moi:t le plO8 pro- en distillant les cadavres, encore
che qu'à une réalité signifiante.
jour au camp de prisonniers et fond, dans une lumière grise, sans que ceux des vieillards produi-
Et, s'il Be lie à la PrUBse orien- .
se rasBemble en vue d'un chaleur ni éclat et parmi des pay- sent, malheure08ement, bien peu
tale, s'il y voit sa patrie d'élec-
destin ; le féerique d'un Perrault sages indéfinis. Des thèmes appa- de vapeur d'eau. Dans les solitu-
tion, c'est qu'elle lui devient rai88ent et s'entrecroisent: celui
qui serait allé j08qu'au bout de des africaines, une usine est
c pays des e88ences pures:t, où ses hantises dans un univers de de la mort, celui de l'amour qui vouée, dans le plO8 grand secret,
SOUI la lumière hyperboréenne
cruauté (la description de G0e- associe à une femme toutes les à vider le crâne des indigènes et
froide et pénétrante tous le. .ym- ring, de Be8 fastes et de ses bat- femmes et toutes les femmes, à remplacer les cervelles par un
boles brillent d'un éclat inégalé. tues monstrue08es) ; le lyrique : bien sûr, à la mère, celui enfin de appareillage électrique, des ma-
N'en doutons pas! Cette forme,
la napola peuplée d'enfant8 la mémoire qui, pour Jean Bou- quis se forment, des batailles ont
Beule et sans contenu, .qui Be lè-
blonds, de Jungmannen, dignes vier-Cavouret, est celle des siè· lieu. Ces quelques exemples indi·
verait c comme un vide fier dres-
successeurs des bOYlI-Scout8 de cles abolis, celle de tous les an- quent le ton de l'ouvrage: féérie
sé:t, que Sartre dénonce comme Savonarole, monde clos, que l'on cêtres qui préparaient, de science de l'horreur, délire verbal, aboli-
l'aspiration-limite de Genet, voilà croirait fermé à la pénétration certaiue et aveugle, la venue de tion de toute logique: Fred et
la peur, la hantise de TiBauges. d'un adulte et sur quoi la Ben- l'auteur de ce récit. Celui-ci nous Grabu, les deux héros de cette
Et le piège auquel il se retrouve- sualité de Tiffauges parvient à affirme que son effort a pour des- épopée saugrenue, peuvent bien
ra pris. ouvrir des portes mystérieuBe8 sein c de .ortir du labyrinthe de se tuer, ils demeurent en vie et
l.e 'Kommanaeur 'lIe Ka1ten- pour s'y introduire en frande; la .ubjecrit1ité:t. Il est pOMible le don d'ubiquité semble être un
horn, ce vieux PrUB8ien féru de l'épique enfin: l'écrasement de que, pour l'auteur, ce but ait en des trait8 des hommes et des fem-
sciences héraldiques, l'avait assez l'Allemagne nazie et Tiffauges effet été atteint. Reste à savoir mes de cette terre imaginaire. Le
averti. L'Apocalypse commence portant l'enfant juif, l'étoile de s'il suffit, pour se hi88er à l'ob- récit de Didier Pemerle est très
lorsque le symbole n'est plO8 les- David, comme une image de par- jectivité, de supprimer toute al- bref, il ne compte que cent qua-
té par rien, que le signe acquiert don, au milieu du massacre des lusion au réel, tout personnage et rante-huit pages: sans doute l'au-
'IOn autonomie, échappe à la cho- Innocent8, sur lequel Be8 yeux toute histoire. La lecture de ce teur a-t-il senti qu'il pouvait
lle ,symbolisée, la prend lui-même s'ouvrent enfin : la beauté à faire curieux roman de la vie mentale difficilement poursuivre son expé-
en ,Charge, la dét1ore. L'Allemagne peur. ne permet guère de l'aMurer. rience au-delà.
iliizie, une caricature, une masca- Jean-Marie Magnan CL. C.L.
,6
L'aventure d'écrire
1
Camille Bourniquel permis. C'est du moins ce qu'on ro, qui traverse sa vie et celle des la Doute d'être le 1lU-
Sélinonte croit. Mais aussitôt l'antonymie autres sans jamais s'arrêter nulle jet de son propre discours ? Maïa
ou la Chambre Impériale sonore fait entendre en contre- part, voyageur sans bagages et l'écrivain ne doit-il pas se résou-
Le Seuil éd., 256 p. point le son grave et sombre, sans destination, est pourtant fas- dre à n'être indéfiniment que le
-ante, déjà lourd des pesanteurs ciné par Atarasso. L'archéologie sujet d'un discours perdu? c Ces
«Parfois un simple mot... Le d'orage, et d'un goût de cendre. apparaît ici comme un premier mots, tous ces mots... étaieRt-iû
livre annonce ainsi d'entrée le La main gauche vient porter le maillon de la chaîne qui va nous les miens ? Qui pose la question,
lieu de son émergence et le véri- trouble, laissant pressentir que conduire à la question de l'écri- ici? Est-ce Géro qui parle? Ou
table sens de son propos. Camille cette toute possibilité du livre se ture, une sorte de réécriture de le narrateur, qui fait, au début du
Bourniquel est de ceux qui savent heurte à son impossibilité même. l'histoire (mais écrit-on jamais livre, la rencontre de Géro daDII
ce qu'écrire veut dire: en cette Où le nom clair de Sendra laisse une histoire pour la première une salle d'hôpital, fasciné par ce
alliance toujours incertaine entre apparaître son ombre de Cendre. fois ?), par ce déchiffrement mi- grand gaspilleur de dons qui Il'est
les exigences du récit et la rigueur Où le nom de Géro, le (h) éros nutieux des palimpsestes de pier- si bien laissé déposséder de ..
de la langue. L'histoire, on y re- du livre, s'annule déjà du Zéro res que sont les villes enfouies : seule chose à laquelle il se llOit
viendra. Mais il importe d'abord qu'il recèle. Géro-Zéro: «le si- c ... passant au peigne fin des dé- justement donné : un livre. c Cee-
de repérer le lieu où elle se donne gne creux de la numération de· bris, des tessons couverts d'écri- te aventure, dit le narrateur,
à lire ; de dire que le propos du vient aussi bien le symbole d'un ture ». Sendra sera le second mail- suis-je celui qui la raconte, ou
romancier passe ici d'abord par manque (absence de chiffre, donc lon, forçant le passage de la est<e moi qui rai vécue?» Oa
celui de l'écrivain, que pour ra· de valeur) que celui d'une pléni. fouille assyrienne à la fouille semt tenté de répondre que c'est
conter l'histoire, il la faut d'abord tude (les décimales) et peut deve· d'écriture, ramenant à la ques- la même chose. Cette question,
80umettre à la souveraineté des nir aussi le symbole de linfini tion de l'écrivain. Et d'ab9rd à chacun peut se la poser, à chaque
mots, que le récit s'ordonne dans C'est bien ainsi que nous sera Géro. maillon de la chaîne qui se déve-
un espace qui ne peut être repéré présenté Géro: l'homme de tou- L'ayant attiré dans la maison loppe ici: Atar88llO écrivant ses
et balisé qu'à se frotter d'abord tes les possibilités mesurées à d'Atarasso, elle va l'amener à re- livre!! de pierres, sur le terrain,
aux mots dont il va s'énoncer. l'impossibilité qui les englobe tou· transcrire les carnets de notes de Géro écrivant Ilur Atar88llO, le IUU'-
Telle est la partie qui se joue tes - et justement écrivant un son père, notes qui n'ont d'autre rateur racontant l'histoire de Gé-
là, sur les multiples portées d'une livre. intérêt qu'archéologique, la véri· ro, et l'écrivain faisant ce livre
partition dont les premières pa· table écriture de l'archéologue nommé Sélinonte, le nom même