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LA DÉCONSTRUCTION ET LE PROBLÈME DE LA VÉRITÉ

Author(s): François Mary


Source: Les Études philosophiques, No. 2, Philosophie transcendantale, phénoménologie,
déconstruction (Avril 2013), pp. 221-238
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/42773115
Accessed: 15-10-2018 15:02 UTC

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LA DÉCONSTRUCTION
ET LE PROBLÈME DE LA VÉRITÉ

Quel traitement Derrida réserve-t-il au problème de la vérité ? Cette ques-


tion se pose avec ďautant plus d'acuité que Ton tient parfois sa pensée pour une
forme de scepticisme postmoderne. Or, pour émettre un jugement sur ce point,
il faut tout d'abord définir clairement le concept en contexte derridien puis,
surtout, déterminer le sens de l'attitude déconstructrice à l'égard de la vérité.
Cette démarche se heurte à trois difficultés. Tout d'abord, si le concept
en question tient une place importante chez Derrida, il est rarement consi-
déré en lui-même de manière approfondie. Il faudra donc reconstituer cer-
tains aspects importants de sa définition, tout en montrant comment elle
s'articule avec le projet déconstructeur. Ensuite, notre auteur déploie dans un
premier temps une critique radicale, mais adopte ensuite une position plus
ouverte. Il conviendra par conséquent de penser à la fois la distinction des
deux moments et leur unité. Enfin, l'enquête est confrontée à une tension
entre deux strates de discours et devra clarifier leur sens et leur rapport.
On proposera d'abord une présentation sommaire de la déconstruction
(I), qui permettra d'étudier le traitement de la vérité en commençant par la
critique de l'idée traditionnelle (II), pour examiner ensuite l'émergence d'un
autre rapport au vrai (III). Enfin, nous nous concentrerons sur la tension qui
vient d'être évoquée, pour répondre précisément à la question posée (IV).

/. Eléments de déconstruction

Selon Derrida, la « métaphysique1 » serait structurée par certaines oppo-


sitions fondamentales, et il présente sa « stratégie générale » comme un
traitement de celles-ci par renversement et neutralisation 2. Parmi les opposés

1. Nous emploierons ce terme pour désigner le champ d'application habituel de la


déconstruction.
2. Ce premier moment de notre enquête s'appuie largement sur la « stratégie générale
de la déconstruction », présentée dans trois textes : Positions , Paris, Minuit, 1972, p. 57 sa. (et
p. 56 pour l'expression) ; Marges , Paris, Minuit, pp. 392-393 ; enfin, La Dissémination , Paris,
Editions du Seuil, 1972, pp. 9-12.
Les Études philosophiques , n° 2/2013, pp. 221-238

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principaux, citons la présenc


justice ou bien l'économie et
chisés, et la compréhension
du traitement déconstructeur
qui désigne une dynamique
antithétiques mais indissociab
ment de domination impers
assujettir l'autre4. Celui-ci, X
qui s'offre au pouvoir du prem
L'association de ces deux dy
que des oppositions, dans laq
stricte, l'un d'eux apparaissa
ou plus autonome5. Il faut
niveaux. La hiérarchie elle-m
terme subordonne l'autre, et
distinction et de la hiérarch
service d'un sujet. Celui-ci ent
que de l'opposition pour maî
à l'altérité - et cet effort d'ap
comme telles.
Le renversement consiste à m
est illusoire, parce que l'aut
tralisation établit que ce der
en effet les opposés à une in
deux8. Cette instance est 1'«
et donc de l'opposition ; il s
rance » ou de 1'« archi-écritur
tuent un « compromis origi
tout en leur interdisant de se
déconstructeur reconduit l'op
représentation métaphysique
cation même. Soulignons un

3. Ce concept semble dater de Si


ce qu'il recouvre est plus ancien.
4. Marges, pp. XIII-XV.
5. Positions , p. 57 : « Dans une
affaire à la coexistence pacifique d
termes commande l'autre (axiologi
6. Donner le temps* Paris, Galilé
7. Voyous , Paris, Galilée, 2003, p
8. Cf. Positions , p. 41 : au niveau
[...] deviennent non pertinentes » ;
9. Cf. De la grammato logie, p. 20
aussi d'aboutir. Eue est donc l'orig
forgé encore.
10. Positions , p. 58. Parfois, néanmoins, la contamination originaire n apparaît que comme
un entre-deux sans nom propre.

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La déconstruction et le problème de la vérité 223

neutralisation ne doit pas conduire à traiter les opposés de manière égale, car
cela reviendrait à ignorer l'appropriation, et donc à en accepter tacitement
les effets11. Il faut donc maintenir le renversement, même lorsque la contami-
nation originaire a été repérée, c'est-à-dire accorder un privilège compensa-
toire permanent au terme dominé12. Le double geste que Ton vient de décrire
sape l'appropriation sur les deux plans où elle s'exerce, car en subvertissant
le rapport hiérarchique interne à l'opposition, il résiste au projet subjectif
de maîtrise reposant sur ce rapport. Ultimement, le sujet est destitué de sa
souveraineté non seulement parce que les objets et procédures sur lesquels
il essaye de la fonder sont instables, mais encore parce qu'il est lui-même
constitué par une ex-appropriation lui interdisant l'hégémonie qu'il reven-
dique13. La déconstruction est donc, dans sa structure essentielle et ses motifs
les plus fondamentaux, une résistance à l'appropriation comme maîtrise
régulatrice14.
Prenons comme exemple la voix et l'écriture, opposition centrale parce
qu'elle révèle parfaitement le privilège de la présence, que Derrida tient pour
un trait essentiel de la métaphysique. Dans l'expérience que le sujet fait de
sa propre voix, le signifiant semble coïncider parfaitement avec le contenu
exprimé et donne le sentiment d'un signifié appréhendé sans médiation.
Celui-ci apparaît comme une présentation de la « chose même » (qu'il
s'agisse en dernière analyse du sens ou du référent15), c'est-à-dire comme une
expérience directe de l'être dans le concept16. La phone est ainsi la matrice de
toutes les figures du logos , ou « signifié transcendantal17 ». Cette idée fonda-
mentale désigne un savoir archétypique garanti, soit qu'il s'efface jusqu'à se
confondre avec son objet, soit qu'il le rassemble de façon pleinement maî-
trisée18. Le terme de « logocentrisme », dès lors, désigne toute configuration
intellectuelle dans laquelle on suppose l'objet de la connaissance approprié
d'avance à celle-ci. L'étant, la réalité ou le sens y sont conçus comme fon-
cièrement intégrés à une structure ontologique et/ou idéale, qui les rend
pleinement disponibles pour le savoir. Le privilège de la voix traduit donc
la recherche d'une présence de la chose même comme norme, assurance et
source de maîtrise dans le discours théorique19. L'écriture, par contraste, est
un signe qui paraît complètement séparable du contenu auquel il renvoie.
Elle implique une distance par rapport à la chose même, qui lui interdit la

11. Marges , p. 392 ; La Dissémination , pp. 1 1-12 ; Positions , p. 57.


12. Cela consiste notamment a nommer I indécidable d apres le terme dominé, cf. La
Dissémination , p. 10.
13. Points de suspension, Paris, Galilée, 1992, pp. 283 et 285.
14. C'est pour cette raison, semble-t-il, que Derrida refusera l'idée d 'ethical turn et de
political turn (cf. Voyous , p. 64, Force de loi , Paris, Galilée, 1994, pp. 21 et 25). La déconstruc-
tion est d'emblée une entreprise éthique.
15. Marges, p. 9.
16. De la grammato logie y p. 34.
17. Positions , p. 61 ; ou encore De la vrammatolovie, p. 33.
18. Ibid., pp. 21, 22, 25-27, et Marges , pp. 82-83, 196 et 197.
1 9. Par exemple ibid. , pp. XIII-XIV ; cf. encore La Voix et le Phénomène , Paris, Puf, 1 967,
pp. 84, 87, 89.

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plénitude et l'assurance supp


ture concerne par conséquen
distinguent en particulier sur
Ce couple manifesterait ains
physiques, comme signifiant/
dans cet exemple les deux as
est subordonnée à la voix, com
d'autre part, cette subordinat
deraient au sujet la maîtrise
Déconstruire l'opposition con
tuent à partir d'un élément f
Par exemple, la différance est
différences21 ; or, n'importe
réseau pour se constituer et d
cidable est la « trace » ou 1'« a
privilège compensatoire du t
commune des opposés, notam
à se répéter comme la même
graphique ou non, n'existe que
de la contamination origina
démarcation entre les oppos
sement, puisque l'insinuation
à celle-ci la plénitude et la c
bouleversement de cette opp
couples analogues, et c'est ulti
l'effort d'appropriation qui lu
Une partie des textes derrid
c'est-à-dire aux conséquence
appropriation. Tout ce qui dép
contradictoire qui permet et
voix, par exemple, se produit
lui interdit en même temps
à une nécessité antithétique q
l'essence. La double contrain
aporétique qui conditionne t
trice) et exige de faire 1'« imp
mis originaire entre deux ter

20. De la grammatobgie, p. 25 ; P
21. Ibid., p. 40.
22. De la grammatologie , pp. 10
23. La Voix et le Phénomène , pp.
24. De la grammatologie, pp. 41
25. Ces processus aporétiques re
immunité. Cf. Apories , Paris, Galil
26. Cf. Du droit à la philosophie, P
ture) induit toujours une injoncti

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La déconstruction et le problème de la vérité 225

Déconstruire l'opposition ne consiste ni à la disqualifier ni à dissoudre le


terme dominant, mais à négocier le rapport entre les opposés, et à penser leur
contamination, c'est-à-dire l'expropriation au cœur de toute appropriation.

II. La déconstruction du logos

Il s'agit à présent de comprendre la conception métaphysique de la vérité,


et le traitement auquel elle est soumise27. Nous en avons quasiment donné
la définition par avance, puisqu'elle est essentiellement liée au logos comme
présence de la chose même et constitue donc à la fois une pièce capitale du
dispositif logocen trique, et une cible privilégiée de la déconstruction28.
Dans le langage courant, le concept de « vérité » renvoie au moins à trois
objets : premièrement, la proposition vraie, c'est-à-dire un contenu théo-
rique (exemple : « je dis la vérité ») ; deuxièmement, l'instauration d'un
rapport entre ce contenu théorique et un fait - donc indirectement entre
celui-ci et le sujet (comme lorsque l'on parle de la vérité en tant que corres-
pondance ou dévoilement) ; troisièmement, une propriété du contenu (par
exemple lorsque l'on évoque la vérité de telle assertion). Derrida utilise le
terme dans ces trois acceptions sans les distinguer strictement29. D'une part,
il désigne ainsi le logos , c'est-à-dire l'objet lui-même, identifié de façon plus
ou moins immédiate à un savoir prototypique, et qui s'offre ainsi pleinement
à la maîtrise théorique. Cela peut signifier par exemple que l'étant entretient
une « présence adéquate à soi30 » ou bien que son être le dévoile comme
essence pleinement identifiable31. Autrement dit, il y a logocen trisme dès que
la condition ontologique de l'objet l'approprie d'avance à la tâche de nor-
mer et de garantir la connaissance. Le logos est alors le « Verbe » de la chose
comme telle ; il se confond sans reste avec elle ou constitue une idéalisation
prototypique équivalant à sa présence dans l'ordre du savoir. Il peut pren-
dre une forme immédiatement idéalisée, par exemple lorsque cette chose

27. Dans l'enquête qui s'ouvre, nous privilégierons les textes où Derrida s'exprime en
son nom, par rapport à ceux qu'il consacre à la lecture d'autres auteurs. Le sens précis de sa
position est assez difficile à arrêter pour que l'on ne puisse s'engager dans un travail de démar-
cation complexe. C'est pourquoi nous évoquerons peu certains textes où la vérité joue un rôle
important (par exemple La Vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978 ; ou La Carte postale.
De Socrate à Freud et au-delà , Paris, Flammarion, 1980 ; ou encore Parages , Paris, Galilée,
1986).
28. De la grammato logie, p. 21.
29. Les diverses présentations ne se recoupent pas exactement, insistant tantôt sur la seule
présence, tantôt sur la seule distinction entre adéquation et dévoilement {La Dissémination ,
p. 219), et tantôt sur une diversité de sens plus grande : « La valeur de vérité comme bomoiôsis ,
adaequatio , comme certitude du Cogito (Descartes/Husserl), ou comme certitude opposée à
la vérité dans l'horizon du savoir absolu (Phénoménologie de l'esprit) ou enfin comme aléthéia ,
dévoilement ou présence... » (. Positions , pp. 79-80, n. 23). Nous allons tenter d'ordonner ces
définitions.
30. Marges , p. 93.
31. LEcriture et la Différence , p. 198 : la vérité est 1 « être de ce qui est en tant qu il est
et tel qu'il est ».

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226 Francois Mary

est pensée comme Idée dans


peut aussi être une idéalisat
aristotéliciens qui seraient
est implicitement sollicité
la vérité33. D'autre part, la no
subjectivité (ce que signalent
présence du logoč4). Ces deux
L'ambiguïté ne pose guère d
conception derridienne : la vé
loppe un rapport garanti avec
question. De manière dérivée
à la connaissance qui se règle
travail intellectuel consisterai
tal, de manière à retrouver le
soi plus ou moins latent. En
cognitive inhérente à la ch
imprenable sur l'objet et un
Cette conception de la véri
métaphysique. Le vrai y est u
du « non-vrai » - c'est-à-dir
ques (citations, littérature, e
de vérité et apparaissent co
retrouve par conséquent la str
un discours plein, autonome
subordonné, car privé de sens
Voyons à présent commen
métaphysique en traitant l
est renversé. En effet, de m
s'il s'inscrit dans un réseau di
l'absence des autres objets. I
nomie supposées en faire une
empreinte d'une altérité géné
naire, comme tout contenu

32. De la grammatologie , p. 22, s


rellement les choses, elles constitue
lui-même. »
33. Ibid., p. 70 (« L'intuition d'une
signifié transcendantal sur le même
34. Marges ., p. 6 (1'« étant prése
présent ») ; c'est en ce sens qu'il fa
certitude - cf. De la grammato logie
de la chose même » (p. 72).
35. Cf. ibid., p. 60, où il est questi
Marges , p. 42, avec l'expression « 1
36. Ibid., p. 93 : le signe est « déf
37. Positions, p. 44 (l'objet comme
et le lieu intelligible platonicien, c

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La déconstruction et le problème de la vérité 227

à une trace. Celle-ci ne peut jouer son rôle que si elle est « itérable », si elle
peut se répéter comme la même dans d'autres contextes, d'autres conditions.
Or, parmi les conditions contextuelles variables et même dispensables figurent
le sens et le réfèrent, puisque la marque en question doit aussi pouvoir jouer
son rôle dans un contexte de fiction, de citation, voire d'absurdité. Il appar-
tient nécessairement à la nature de la marque formelle de se prêter à une telle
inscription, de sorte qu'on ne peut tenir ces contextes pour anormaux, ni
les écarter des conditions du fonctionnement ordinaire du signe38. La trace,
dégagée de son interprétation théorique, apparaît alors comme une forme de
non-vérité précédant et rendant possible le logos originaire lui-même39. Cette
phase de renversement permet de comprendre telle déclaration radicale selon
laquelle « la non-vérité est la vérité40 » (ce qui paraît être une inversion sim-
ple). On comprend également pourquoi l'articulation entre vérité et non-
vérité est présentée parfois simplement comme non-vérité41 (c'est le maintien
du renversement après la neutralisation). C'est en ce sens qu'« il n'y a pas de
hors- texte42 », que « la chose même est un signe43 » ou que le référent semble à
la fois indispensable et inutile44.
Néanmoins, l'interprétation de tels propos doit reconnaître leur caractère
stratégique et compensatoire, c'est-à-dire tenir compte de la neutralisation.
La trace, en effet, n'est pas réellement opposée à la vérité - l'interpréter ainsi
revient à écraser la différence entre l'autre de simple opposition (par exemple,
l'écriture), et le tout autre indécidable (l'¿rr/?/-écriture). Le non-vrai n'est pas
moins que le vrai un effet d'inscription de la trace dans un contexte déter-
miné. Celle-ci n'est donc pas contraire au logos , mais joue à un niveau où les
opposés s'entremêlent, de sorte que toute production de vérité inscrit dans
celle-ci les conditions de la non-vérité ; c'est l'aporie comme conséquence de
l'ex-appropriation. On retrouve bien la contamination originaire, qui inter-
dit au pôle dominant de revêtir ses caractères métaphysiques - et donc d'être
réellement dominant -, sans pour autant accorder au pôle dominé un privi-
lège réel (c'est-à-dire non compensatoire).
Quel est alors le sens exact du geste derridien ? D'un côté, il semble
parfois récuser la vérité comme telle, par exemple lorsqu'on lit qu'elle « n'a
de sens que dans la clôture logocentrique de la métaphysique de la pré-
sence45 », et que son concept même est l'effet d'un « leurre46 ». Toutefois,
Derrida affirme explicitement la nécessité générale de maintenir les concepts
métaphysiques - sans quoi, il n'y aurait plus de pensée possible, pas même

38. Marges , pp. 375-381.


39. Pour 1 inscription de la vérité dans la littérature, cf. La Carte postale , pp. 447-448.
40. La Dissémination, p. 194.
41. Cf. Eperons. Les Styles de Nietzsche, Paris, Flammarion, 1978, p. 39.
42. De la grammatologie , p. 227.
43. Ibid., p. 72.
44. Sauf le nom , Paris, Galilée, 1993, pp. 64-65. Sur la référence en général, cf. Limited
Inc., Paris, (íalilée, 1988, p. 253 notamment.
45. De la grammatologie , p. 164, n. 8.
46. Ibid., p. 34 - ce leurre est précisément celui de 1 effacement de l'écriture dans la voix.

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228 Francois Mary

déconstructrice47. C'est pourquo


« se dispenser du passage par la v
en "contester", en méconnaître l'
ainsi, « laissant à cette propositio
disséminateurs : il faut la vérité
compris en deux sens (falloir et
même la déconstruction n'est plu
défaut - la formule correspon
tâche qu'elle commande apparaît

La thématique de l'interprétation
au dévoilement de la vérité comm
etc. Chiffre sans vérité ou du moin
vérité qui en devient alors seuleme

Le « chiffre » désigne l'archi-é


sa plénitude, et appelle ainsi le
travail déconstructeur. La nua
dominé par la valeur de vérit
vrai dans le non-vrai généralis
système qu'il ne permet pas de m
Toutefois, le problème n'est pa
La déconstruction élimine la th
matif. Cela conduit à différe
norme, à savoir un contenu et u
celle-ci n'adhère plus à celui-là
tôt qu'un type idéal. Il est alor
prétend aussi dépasser la vérit
valeur. Or, il y a peut-être là un
maintenue que comme objet
reconnaît plus51. Mais d'un au
il tiendrait un discours « cont
vigoureusement sur ce que, dans
contestée ni détruite, mais simp
sants et plus larges53. Toutefois
aspects, qui détermine peut-êt
port, positif, au vrai.

47. Ibid., p. 25.


48. Marges , p. 23.
49. Positions , pp. 80-81.
50. Marges , p. 19.
51. De la grammato logie, pp. 26, 33
52. Positions , p. 81 . Voir également
truction ne peut ni ne doit renoncer
« en particulier celle de vérité ».
53. Ibid., p. 270.

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La déconstruction et le problème de la vérité 229

III. Vérité et expropriation

Dans un dialogue de 1999 avec Jean-Luc Marion, Derrida suggère l'idée


d'une inflexion de son discours, en affirmant : « Je dirais quii n'y a pas de
vérité du don, mais je n'abandonne pas la vérité en général. Je recherche
une autre expérience possible de la vérité, à travers l'événement du don54. »
Néanmoins, il est difficile de cerner exactement la nature de l'inflexion en
question, et pour éviter la confusion, il faut clarifier les lignes directrices des
prochains développements.
Précisons d'abord quelques éléments de chronologie. On perçoit dès la
fin des années 1970 une modération de la critique de la vérité et l'émergence
d'une conception « performative » de celle-ci55. Puis, dans les années 1990,
cette conception paraît s'organiser principalement en une doctrine recon-
duisant la critique radicale du savoir - mais il semble que cette doctrine cri-
tique n'épuise pas le sens de l'inflexion derridienne sur la vérité, qui dessine
également une autre orientation, à travers des remarques plus discrètes et
dispersées.
Dans ce troisième moment de notre enquête, nous nous concentrerons
sur la dimension principale de la « conception performative », tandis que
l'étude de l'autre est reportée à la dernière partie, lorsque le sens général
de la distinction des deux strates aura été clarifié. On peut identifier l'axe
majeur de l'inflexion grâce à deux indications convergentes, qui évoquent la
pensée déconstructrice d'une « vérité à faire » et lient celle-ci aux thèmes de
la confession et de l'aveu56 (lesquels doivent eux-mêmes être rattachés à ceux
de la promesse et du témoignage). Nous allons tout d'abord reconstituer cet
aspect de la déconstruction, puis tenter de déterminer sa signification par
rapport au premier moment.
Les thèmes de la confession et de l'aveu sont notamment mobilisés dans
une lecture de saint Augustin qui présente la confession comme une manière
de « faire la vérité ». Cette expression recouvre alors une activité hétérogène
à toute transmission de savoir, puisque Celui à qui l'on s'adresse est omni-
scient57. « Faire la vérité » selon un tel acte consiste à exposer le vrai à une
altérité radicale, dans une relation plutôt pragmatique où le contenu cognitif
passe à l'arrière-plan.

54. « On the Gift », God, the Gift and Postmodernism , J. D. Caputo et M. J. Scanion
(éds.), Indiana University Press, 1999, p. 72.
55. Les premiers indices de cette nouvelle conception remontent au moins à un texte sur
Blanchot ; « Survivre » (1978), dans Parares , pp. 170-172 en particulier.
56. Derrida identifie rétrospectivement l'émergence de cette « vérité à faire », dans Le
Monolinguisme de l'autre (Paris, Galilée, 1996, p. 117), et dans Points de suspension (p. 358)
- et renvoie chaque fois à « Circonfession » {Jacques Derrida de J. Derrida et G. Bennington,
Paris, Le Seuil, 1991). Ces textes permettent de lier l'inflexion du discours au thème de la
confession et, au-delà, à celui de la promesse et du témoignage. Dès 1999, J. Rogozinski
signalait ce déplacement vers une « vérité événementielle, purement performative » (« "Il faut
la vérité". Notes sur la vérité de Derrida », Rue Descartes , t. XXIV, Paris, Puf., 1999, p. 38).
57. « Circonfession », Jacques Derrida , p. 56.

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230 Francois Mary

Le lieu principal de l'inflexio


lié au concept de promesse, qu
Ce concept évoque un engage
même qu'il promet - puisqu'i
de sorte que le promis tend à
représente une performativit
tend tout performatif et tout
comme une promesse de vérit
le savoir à une altérité, en
preuve62. En effet, l'attestati
forme de « foi », c'est-à-dir
nelle. Témoigner et promettr
se placer sur le plan de la co
nécessairement présenter à au
cis du témoignage, et même s
une proposition dont j'adme
puis donc présentement lui de
Quel est donc le sens de l'in
penser un rapport au vrai q
plutôt du « performativo-pr
rarchisation et à l'enveloppe
semble alors située aussi de
de l'expropriation, épousant
tique à l'aitérité débordant
le témoignage ne prend sens
comme justice65 ».
Cette modification de l'atti
où elle affleure, semble reco
tion théorique. Car si la pro
qu'elle annonce, promettre l
de celle-ci66. De plus, témoi

58. Voir Mémoires - pour Paul de


préface au Tombeau du aieu artis
pp. 26 et 40-41.
59. Monolinguisme de l'autre, v.
60. Ibid., p. 126 ; Psyché , Paris
Jacques Derrida , M.-L. Mallet et G
et533.
61. Ibid. y p. 531.
62. Cette opposition est exploré
gnage », ibid, pp. 521-540 ; cf. en
63. Le Monolinguisme de l'autre , p
64. Cahier de Irlerne. Jacques Der
65. Ibid., p. 529. La justice doit
exposition an-économique à autrui
66. La Vérité en peinture : la prom
semble se porter vers une « peintur

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La déconstruction et le problème de la vérité 23 1

philosophiques ou scientifiques qui ne seraient pas possibles sans une certaine


socialitě (supposant un rapport de confiance à autrui), donc sans quelque
crédit ou imputation de fiabilité. Ils compromettent donc toute connais-
sance rationnelle avec la logique de la foi et du miracle67. On constate en
outre le maintien du renversement compensatoire, pour contrebalancer la
dynamique appropriatrice qui apparaît en l'occurrence comme une « tenta-
tion du savoir68 » ; cela conduit notamment à rapprocher l'articulation entre
connaissance et foi de cette dernière69. La pensée du témoignage constitue
donc bien, sous cet angle, une subversion de la connaissance.
Il est possible que la modification de la doctrine constitue une réponse
à certaines objections contre la déconstruction. Dans Le Monolinguisme de
l'autre , Derrida regrette qu'on traite sa pensée comme un scepticisme ou
un relativisme70 et récuse l'objection de contradiction performative formulée
sous cet angle71. Tout en dénonçant ces critiques impliquant, estime-t-il,
que l'on ne puisse poser de question au sujet du vrai, il paraît renoncer à y
répondre72 et confirme même, à la fin du livre, que la vérité est intimement
liée à la métaphysique73. Pourtant, il paraît bien revenir sur le problème et
préciser sa position lorsque, après avoir évoqué l'attestation (avec son lien à
la foi et au miracle74), il écrit :

Telle est la vérité à laquelle j'en appelle et à laquelle il faut croire, même, et sur-
tout, quand je mens ou je parjure. Cette vérité suppose la véracité , même dans le faux
témoignage - et non l'inversé.

Notre penseur ne cherche-t-il pas à surmonter les objections liées au dépas-


sement de la vérité en invoquant un autre rapport au vrai ? La déconstruc-
tion, paraît-il dire, n'est pas sans vérité, mais la vérité qui l'oriente relève de
la relation performative à l'autre - et cette véracité précède le logos.
Dans la mesure où il ne défend pas explicitement cette idée, nous ne
nous y attarderons pas, mais le cas échéant, la réponse semblerait probléma-
tique. Elle soulignerait même une difficulté qui touche l'inflexion du discours
derridien dans son ensemble. En effet, témoignage, promesse et confession

67. Voir par exemple « Foi et savoir », La Religion , J. Derrida et G. Vattimo (dir.),
Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 41, puis pp. 58-60 ; et Cahier de VHerne. Jacques Derrida ,
p. 532.
68. « Foi et savoir », La Religion , p. 43.
69. Ibid. , pp. 39-41 ; « Religion et raison se développent ensemble à partir de cette res-
source commune : le gage testimonial de tout performatif » (ce qui rend possible l'opposition
est manifestement du côté de la foi plus que du savoir).
70. Le Monolinguisme de Vautre y pp. 17-18.
71. Ibid., p. 17. Il s'agit de la contradiction performative frappant toute démarche qui
cherche à contester théoriquement la vérité et semble condamnée a asserter certaines propo-
sitions pour ce faire.
72. Ibid., pp. 18-19.
73. Ibid., p. 115.
74. Ibid., pp. 40-41.
75. Ibid., p. 41 (je souligne).

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232 Francois Mary

sont des modalités du rappo


permettait de traiter indist
et la promesse tels qu'on vient
Ils ne prétendent rien étab
remment étrangers au registr
contenu considéré comme vr
que le témoignage est nécess
présent, ou de l'avoir-été pr
comme une véracité tout à f
ce qui pose évidemment u
performativo-pragmatique d
non théorique, voire antithéo
structurellement dénié. Cela c
pointe une déstabilisation (u
son affirmation même. Ma
part, que cette dénégation c
une reconnaissance du conte
admettant la faillibilité de m
de compte, comme une prop
et sa performativité devraie
garantie théorique.
On retrouve donc le probl
conduit maintenant à la der
une recherche déconstructrice

IV. Les deux strates du discour

Repartons de la déconstruc
avons-nous conclu, porte su
originaire absolument garanti
ayant évacué cette interprétat
Toutefois ne laisse-t-il pas la
gence d'un savoir faillible, ma
problème, il convient de reve
tion théorique, qui sous-tend
l'attestation (telle qu'on vient
et jusqu'où doit-elle aller ?
La réponse semble déjà conn
tend toujours à occulter l'ex

76. Nous entendons ici le « thé


exposé de thèses, recherche des rais
sente bien, en fin de compte, une
conception est assez proche de cell
77. Cahier de ITierne. Jacques Der

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La déconstruction et le problème de la vérité 233

la représentation métaphysique (c'est-à-dire erronée) des opposés. Dans le


cas précis qui nous occupe, le mouvement dominant produit l'illusion d'un
savoir originaire soustrait à l'altération, d'une vérité dont la présence pleine
exclut le non-vrai et fait miroiter le leurre d'une maîtrise illimitée dans le
champ théorique. La déconstruction dénonce cette illusion en montrant que
la connaissance se constitue dans un mouvement d'expropriation qui la rend
possible, mais lui interdit en même temps toute assurance absolue, et sape
ainsi les prétentions infondées à la domination cognitive. Une telle opération
montre que le savoir le plus exact ne peut adhérer à son objet à la manière
du logos. Il ne saurait donc être pleinement garanti ni conférer une certi-
tude définitive au discours qui s'y conforme, de sorte que la maîtrise dans le
champ théorique est toujours susceptible d'être remise en cause. Jusqu'ici,
on voit par conséquent qu'il faut résister à l'appropriation pour éliminer les
leurres métaphysiques et décrire exactement ce qu'ils occultent : l'entrelacs
irréductible de l'appropriation et de l'expropriation, la contamination ori-
ginaire des opposés, l'impossibilité de faire fond sur les oppositions pour
asseoir une maîtrise théorique totale.
Mais une fois parvenue à ce résultat, l'opération déconstructrice est-elle
terminée ou bien faut-il aller plus loin et résister davantage ? Autrement dit,
la déconstruction doit-elle accepter la valeur de vérité qui se dessine en creux
dans le discours critique qu'on vient de rappeler, ou bien doit-elle mettre
en œuvre un surcroît de résistance qui conduirait à rejeter toute forme de
vérité ? Au-delà du premier moment de sa réflexion, il semble que Derrida
apporte simultanément deux réponses différentes à ces questions et que
celles-ci révèlent deux strates hétérogènes dans l'ensemble de sa pensée.
La première réponse relève de ce que nous nommerons 1'« interprétation
subversive de la déconstruction ». Si l'appropriation théorique était renversée
seulement parce qu'elle produit des leurres, on devrait légitimer ses effets
lorsqu'ils n'engendrent pas de pareilles conséquences. Or, selon l'interpréta-
tion subversive, le problème posé par l'appropriation n'est pas lié seulement
ni d'abord aux illusions qu'elle induit, mais à sa nature même, foncièrement
dominatrice. Il faut donc lui opposer une résistance supplémentaire, c'est-
à-dire subvenir toute appropriation78, toute prétention au vrai et à la maîtrise
théorique, et jusqu'à la valeur de vérité.
Cette strate de la pensée derridienne se manifeste aussi bien dans sa
logique globale que dans le détail des textes. Au sein même de la « stratégie
générale », le renversement systématique 79 et son maintien après la neutra-
lisation en sont une expression. En effet, si l'appropriation était reconnue
comme légitime, dans certaines conditions ou au terme d'un certain tra-
vail, pourquoi son renversement serait-il systématique et permanent, et non

78. Plus rigoureusement, peut-être, on ne pourrait assumer l'appropriation que pour


pouvoir la subvertir.
79. Précisons : systématique par défaut. En effet, un excès antimétaphysique peut déclen-
cher une compensation en sens inverse ; mais en l'absence d'une telle raison, le renversement
stratégique est systématique, puisque l'appropriation l'est aussi.

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234 Francois Mary

limité aux cas où elle produit


loin que le dégagement de la c
leurres métaphysiques sont d
ment que les indécidables ne
maîtrise, mais subvertissent to
exposés confirment cette lect
d'un leurre, se voit maintenu
Dans une telle perspective, c
que logos et garantie absolue qu
norme et comme exigence -
pour le vrai en contexte de déc
Or, cette strate « subversiv
Premièrement, nous avons vu
lification de sceptique et se d
ďen critiquer la valeur. On do
décrit la contamination entr
le non-vrai. Toutefois, cela n
quement sa démarche, mais s
de dépassement . On se souvie
la valeur elle-même, dont la d
l'autorité :

C'est le lien de la vérité et du pr


peut-être dès lors plus à être vr
vérité sont mis en question com
pu le faire81.

Si l'on synthétise, la déconstruction substitue au dévoilement du vrai un


perpétuel déchiffrement des signes, qui non seulement n'est plus orienté par
l'exigence de vérité, mais résiste en outre à l'appropriation théorique comme
telle. La connaissance et la valeur du vrai sont ainsi exposés à un traitement
dont la norme n'est plus aléthique, et intègre un effort compensatoire anti-
théorique. Mais alors, le scepticisme semble presque inévitable. Dans ces
conditions, en effet, le maintien de la valeur de vérité semble avoir pour seul
but une contestation interminable de son autorité.
Or, il n'y a peut-être aucune justification pour le surcroît de résistance qui
induit la dimension subversive du discours déconstructeur. Etonnamment,
Derrida semble l'admettre sans détour lorsque, après avoir évoqué la réap-
propriation comme enveloppement et hiérarchisation, il poursuit :

Tant quon n'aura pas détruit ces deux types de maîtrise en leur familiarité essen-
tielle [. . .] tant qu'on n'aura pas détruit jusqu'au concept philosophique de maîtrise,

80. Marges , p. 22 ; cf. aussi p. 76.


o 1 . Ibid. , p. 27 ; cf. encore p. 42.

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La déconstruction et le problème de la vérité 235

toutes les libertés quon dira prendre avec l'ordre philosophique resteront agitées a
tergo par des machines philosophiques méconnues. [...] Certes, jamais on ne prou-
vera philosophiquement quii faut transformer une telle situation et procéder à une
déconstruction effective pour laisser des marques irréversibles. Au nom de quoi et
de qui en effet82 ?

À travers la destruction de la maîtrise comme telle , c'est exactement le surcroît


de résistance à l'appropriation qui est ici évoqué et laissé sans justification
« philosophique » ; mais peut-on alors accepter cette position ?
Il semble que la première strate du texte derridien rencontre des diffi-
cultés, et l'on peut donc souscrire - pour autant que cette strate est concer-
née - au diagnostic émis par Jacob Rogozinski et Marlène Zarader : la
déconstruction cherche à échapper à l'autorité de la vérité, et cela risque de
poser un problème83.
Nous voudrions toutefois soutenir qu'il existe une autre dimension du
discours derridien, qui ne résiste pas à l'appropriation en tant que telle, mais
seulement en tant qu'elle produit les leurres métaphysiques. Ce second aspect
parcourt l'ensemble de la déconstruction. Toutefois, elle ne se manifeste pas
dès le départ sur la question du vrai, car celui-ci est alors cantonné à la méta-
physique de façon trop rigoureuse pour que son traitement laisse apparaître
une strate divergente. Mais lorsque ce thème commence à faire l'objet d'un
investissement positif, la pensée antithéorique du témoignage s'accompagne
d'indices persistants et convergents qui suggèrent une autre interprétation de
la vérité « performative » et un autre positionnement sur le savoir. Montrons
donc tout d'abord ce en quoi consiste la doctrine en général, avant d'en venir
à ce qu'elle implique pour notre question.
Repartons de la base du problème : quelles sont les conséquences de la
contamination originaire ? On a vu qu'elle dérange l'appropriation, mais ce
dérangement n'est peut-être pas sa seule manifestation. En effet, elle met
aussi en rapport réglé les opposés métaphysiques84 et lie en une nécessité
unique des dynamiques contraires. C'est pourquoi la subversion est aussi
l'envers d'un geste consistant à tenir compte de ce qui déborde la domina-
tion métaphysique - et donc à mettre en œuvre un surcroît d'appropriation.
Autrement dit, la contamination originaire ne peut être pensée que moyen-
nant un élargissement des procédures de maîtrise, de sorte que le dérange-
ment de cette maîtrise correspond toujours aussi à une extension de son
emprise.

82. Ibid., pp. XVII-XVIII.


83. J. Rogozinski, « "Il faut la vérité". Notes sur la vérité de Derrida », Rue Descartes ,
t. XXIV, pp. 15, 18-19, puis 35-37. Marlène Zarader, «Herméneutique et restitution»
(, Archives ae Philosophie , t. LXX, Paris, Puf, 2007, pp. 625-639). La déconstruction est évo-
quée comme une modalité d'interprétation qui n'est plus soumise à l'exigence de restituer la
vérité du texte (pp. 625-626, puis 634-635), et récuse la dette de la pensée à l'égard de ce qui
est (p. 638).
84. Voir par exemple L'Ecriture et la Différence , p. 96 : « L'économie de cette écriture est
un rapport réglé entre 1 excédant et la totalité excédée : la différance de l'excès absolu. »

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236 Francois Mary

Dès L'Ecriture et la Differen


tout-autre de « se produire co
de maintenir le schème de X
sans réserve qui le subvertit
ser l'expropriation que par un
dans le théorique où elle est
droit (d'autant plus instructif
comme justice »). Leur opposit
tique, à celle du logos et de l'é
d'appropriation qui tend à oc
en prétendant les traiter selon
« incalculable » frappe d'une
décision qui se voient ainsi m
gement n'empêche pas que «
En effet, abandonner l'effort
signifierait la livrer sans reco
lors, « la justice incalculable
seulement il faut calculer, n
culable, [. . .] mais il faut le f
cette strate du discours derri
destituer le terme dominant
négocier le non-négociable et
lement s'approprier Vinappro
notre question. L'indécidable
« mise en rapport » des oppos
ailleurs94) signifie aussi « rap
relation au tout-autre a logiqu
élargi et dépouillé de ses car
cette dimension) ne s'attaqu
mais exige la constitution d'
essayant de tenir compte d
véritable rationalité déconstru

85. Ibid., p. 226.


86. Ibid., pp. 405-406.
87. Force de loi, p. 48.
88. Ibid., p. 55.
89. Ibid., 49.
90. Ibid.,p.G'.
91. Ibid.
92. Ibid., p. 62.
93. Echographies de la télévision, e
124.
94. Donner le temps, p. 53.
95. L'expression peut paraître osée. Mais dans le second essai de Voyous , Derrida parle de
la déconstruction comme d'un rationalisme inconditionnel (Voyous., p. 197) et évoque une
déconstruction rationnelle (ibid., p. 209).

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La déconstruction et le problème de la vérité 237

des « maximes de transition96 » permettant de négocier le rapport entre deux


exigences contraires de la raison : celle du conditionnel (application de règles
prédéfinies) et de l'inconditionnel (rapport cognitif et éthique à une altérité
radicale, un en-soi indépendant de nos catégories).
On peut donc penser à nouveaux frais la « vérité comme justice » : sa
performativité ne subvertirait plus simplement le savoir, mais lancerait aussi
un appel hyperbolique à la connaissance. Elle constituerait ainsi une exi-
gence théorique, mais si radicale quelle en devient indéfinie, ne garantit
rien et laisse exposé cela même quelle appelle au risque de la fausseté97. La
déconstruction ne serait pas le simple passage au-delà du vrai, puisqu'elle
reconnaît également la nécessité « de se produire comme vérité au moment
où l'on ébranle la valeur de vérité98 ». Elle constitue donc toujours aussi une
surenchère dans la recherche du vrai, conduisant à l'indécidable comme à la
« vérité sans vérité de la vérité99 ».
On voit donc poindre une autre interprétation de la « vérité à faire ». Il
s'agirait de répondre à l'exigence hyperbolique et de fixer dans l'ordre théo-
rique quelque chose qui le rend possible et le subvertit en même temps.
Le sens et la valeur du savoir le mieux fondé sont exposés recours à une
ex-appropriation leur imposant la précarité, mais cette « hétéronomie » ne
nous délivre d'aucune responsabilité, ne nous soulage d'aucun scrupule et
n'atténue en rien l'injonction qui nous frappe :

En face il y a un autre [...] qui, lui, va voir ou dire la vérité, ou fixer la vérité.
Faire la vérité. L'indécision, de ce point de vue-là, c'est en effet ne pas pouvoir déci-
der en tant que sujet libre, « moi », conscience libre, et être paralysé ; mais d'abord
parce qu'on donne la décision à l'autre ; ce qu'il y a à décider revient à l'autre ;
dans le cas d'Abraham, c'est effectivement Dieu qui décide. Ça ne veut pas dire
qu'Abraham ne fait rien, il fait tout ce qu'il y a à faire, mais il sait en un certain sens
qu'il obéit à l'Autre100.

C'est l'autre qui décide ultimement. L'autre n'est pas (d'abord) autrui, mais
plutôt une altérité plurivoque irréductible, qui exige la production d'un
savoir sans qu'aucun savoir puisse y correspondre de façon absolue. Face à
cette exigence, nous sommes comme Abraham, qui ne peut s'assurer du sens

96. Ibid., p. 217.


97. C'est dans le même sens que la différance est « à la fois la condition d'impossibilité
et la condition de possibilité de la vérité » (La Dissémination , p. 1 94) ; autrement dit, selon le
premier usage du terme de « vérité », la différance rend le savoir possible et faillible en même
temps.
98. De la grammatobgie , p. 232. Précisons toutefois que dans ces lignes, la nécessité frappe
la « non-philosophie », c'est-à-dire V opposé, par rapport à la métaphysique - mais comment la
déconstruction échapperait-elle à cette contrainte ?
99. Parages , p. 172 ; l'expression est associée à la dissémination (un indécidable). L'idée
d'une surenchère déconstructrice dans la recherche de la vérité est perceptible en plusieurs
textes, avec divers accents (. Donner le temps , p. 201 ; voir aussi D'un ton apocalyptique adopté
naguère en philosophie , Paris, Galilée, 1981, p. 69 ; Du droit à la philosophie , pp. 107-108).
100. Points de suspension, p. 158.

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238 Francois Mary

et de la valeur de ce quii ac
dement n'en est pas moins im
se valent absolument pas.
On peut évoquer pour fini
décrivant la situation ďun su
et qui chercherait à déjouer
s'identifier au modèle domin
mnèse du tout-autre », déploy

au-delà de la simple reconstitu


ponible, [. . .] au-delà d'un savoir
en l'avouant, la vérité de ce qui

En l'absence de logos originair


à un objet prédéfini et abso
toute exigence théorique pou
un appel hyperbolique de la
appropriée à un contenu im
faillible et précaire, mais qu
aspects du discours ou de l'a
fierait constituer nos conna
logos originaire, tout en recon
n'exclut pourtant pas une ce
jamais établi de manière absol
fondé pour revendiquer une
offrirait ainsi une maîtrise th
être renversé.
La dernière question est alo
associer les deux strates qu'on
lement hétérogènes. Or notre
ne sont pas compatibles. Il n
maîtrise appropriatrice comm
au-delà de toute donnée pré
« aussi loin que possible ».
François

101. Le Monolinguisme de l'autre

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