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19 02(31
Presses
universitaires
de Rennes
Cornes et plumes dans la littérature médiévale
| Fabienne Pomel
l’oiseau dans la
poésie mystique
d’Hadewijch
d’Anvers
Marie-Geneviève Grossel
p. 229-247
Texte intégral
1 Par nature1, l’oiseau est un être qui fascine l’imaginaire. Au
Moyen Âge, les auteurs laïcs comme les religieux
s’attachèrent longuement à la thématique des ailes et des
oiseaux. Hadewijch d’Anvers, autour de qui tournera mon
analyse, fut à la fois béguine et trouveresse. Nous ne la
connaissons que par ses œuvres2. Les béguines vivaient alors
regroupées dans de petites communautés que dirigeait une
Grande Demoiselle ; Hadewijch dut assumer ce rôle. Elle a
écrit des Lettres qui sont des directives spirituelles, un livre
de Visions, enfin des Poèmes.
2 Les Lettres se réfèrent au modèle encore proche de Bernard.
Mais les visionnaires étaient surtout des femmes. Toutes ces
mystiques à la plume alerte ont rempli leurs œuvres
d’oiseaux. Les « poèmes strophiques » sont des chansons à
la façon des trouvères dont ils reprennent les schémas
formels et la thématique. Ces textes étaient faits pour être
chantés, comme plus tard le Grain de Sénevé de Maître
Eckhart. Si l’on tente de relier entre eux ces registres très
divers du même écrivain, le point de convergence semble
bien la Minne.
immatérialité de la plume.
6 Le motif de l’âme-oiseau passa des Grecs aux paléo-
chrétiens, avec l’idée que la plume, métaphore de la célérité,
participe du monde céleste. Socrate évoque la
« démangeaison des ailes » qu’éprouve l’âme en partance
sur le chemin philosophique des Idées4. Nous retrouvons la
glose des ailes chez Origène, Grégoire de Nysse, Denys
l’Aréopagite, enfin l’Érigène. Cisterciens comme Victorins
l’empruntèrent à leur tour. Tout le mouvement rhéno-
flamand s’est nourri de leurs œuvres. Hadewijch cite
Guillaume de Saint-Thierry et Richard de Saint-Victor, et
elle connaît, par des florilèges, les textes des Pères grecs.
Elle ne saurait avoir ignoré ces constellations métaphoriques
qui entourent le motif de la plume et de l’aile autour du
symbole de l’oiseau.
7 Si l’âme est ailée, c’est parce qu’elle est image de Dieu ; le
Père lui aussi possède ses ailes, il transcende l’espace,
l’immensité est son royaume et l’homme lourdement attaché
à la glèbe l’implore en son psaume :
Tu me protégeras à l’ombre de tes ailes5.
Tu mettras ton espoir dans ses ailes6.
Notes
1. Voir les études de G. BACHELARD (L’air et les songes, essai sur
l’imagination du mouvement, Corti, 1943), G. DURAND (Les structures
anthropologiques de l’imaginaire, Bordas, 1969), M.-M. DAVY (L’oiseau
et sa symbolique, Albin Michel, 1998).
2. On les date ca 1240-1260.
3. Luc XII 22, Matth. VI 26.
4. PLATON, Phèdre, Belles Lettres, 1998, 251 bc.
5. Psaume 17, 9.
6. Ps. 36, 8.
7. Cité par M.-M. DAVY, op. cit., p. 35.
8. Les Miracles Nostre Dame de GAUTIER DE COINCI, édités par F. KOENIG,
Genève, Droz, 1070, IV, p. 324.
9. Manuscrit 868, BM Lyon folio 68 r°.
10. Cantique des Cantiques IV, 1.
11. HILDEGARDE DE BINGEN, Louanges, traduites et présentées par L.
MOULINIER, Orphée, 1992, p. 107.
12. L. PORTIER, Le pélican, histoire d’un symbole, Cerf, 1984.
13. Vivre au désert (Jérôme), trad. J. MINNIAC, éd. MILLON, Grenoble,
1992.
14. Suivant les théories apophatiques de Denys ; je simplifie
drastiquement un système de grande profondeur qu’il vaut mieux
pénétrer derrière les théologiens autorisés pour m’en tenir ici à mon
propos, entièrement littéraire.
15. Voir l’introduction de P. BERNARD, dans Hadewijch d’Anvers, Les
Lettres, la perle de l’école rhéno-flamande, Le Sarment, 2002.
16. Voir l’analyse de P. MOMMAERS, Hadewijch d’Anvers, Cerf, 1994,
d’une très grande richesse pour le point de vue religieux.
17. HADEWIJCH, Les Visions, édition-traduction de G. ÉPINEY-BURGARD,
adsolem, 2000.
18. Voir A. STAPERT, L’ange roman dans la pensée et dans l’art, 1975.
19. Daniel VII 9.
20. Visions, p. 14.
21. RUUSBROEC, Écrits III, Le Royaume des amants, Belle Fontaine,
1997, p. 60.
22. Huitième Vision.
23. Vie de sainte Synclétique, Bellefontaine, 1972, § 43.
24. Deutéronome IV, 24.
25. Treizième Vision.
26. ISAAC DE L’ÉTOILE, Sermons, SC II, 1974, p. 47 et A. STAPPERT, op cit, p.
188.
27. Ibid, p. 193.
28. II Cor 12, 2.
29. Les structures anthropologiques, op. cit., p. 144.
30. Les chansons de Thibaut de Champagne, roi de Navarre, éd. A.
WALLENSKÖLD, Paris, SATF, 1925, XX, st. 4.
31. CHATEAUBRIAND, Mémoires d’Outre Tombe, La Pochothèque, 1973, I
3, p. 75-76.
32. Chansons des trouvères, éd. S. N. ROSENBERG et H. TISCHLER, Le Livre
de Poche, 1995, p. 396.
33. L’œuvre lyrique de Blondel de Nesles, éd. Y. LEPAGE, Paris,
Champion, 1994, XIII.
34. Chansons de Thibaut de Champagne, V.
35. Voir ma contribution, « J’ai trové qui mamera » : chansons de
femme et « troveresses » dans la lyrique d’oïl, Chanson legiere a
chanter, Essays… in honor Pf. Samuel N. Rosenberg, éd. K. FRESCO et
W. PFEFFER, Summa Publications, Birmingham, Alabama, 2007, p. 107-
132.
36. Recueil de chansons Pieuses, éd. E. JARNSTRÖM, Helsinki, 1910, I 5.
37. Hadewijch d’Anvers, « Amour est tout », poèmes strophiques,
traduits par R. VAN DE PLAS, Tequi, 1984 (chansons citées en chiffres
arabes) et J.-B. PORION, Hadewijch d’Anvers, écrits mystiques des
béguines (et « Nouveaux poèmes »), Paris, Tequi, 1954 (chansons citées
en chiffres romains).
Auteur
Marie-Geneviève Grossel
© Presses universitaires de Rennes, 2010