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L’épreuve de vérité
Politique Par: Said Sadi* 13 Févr. 2019 à 10:02
Cette contribution n’a d’autre objectif que de livrer une analyse aussi claire que
possible de la situation algérienne avec, hélas, ses avatars présents et ses sombres
présages. L’auteur de ces lignes n’est ni candidat à quelque poste que ce soit ni
partie prenante de l’une ou l’autre des mises en scènes qui se profilent sous nos
yeux depuis maintenant plusieurs semaines.
Le déni
Ce qui peut donc faire débat et mériter réflexion pour envisager des alternatives,
du reste de plus en plus hypothétiques, à notre drame, ce sont les raisons
objectives et subjectives qui ont fait d’un pays de cocagne une réplique africaine
du Venezuela dont un chef d’État, ivre de son pouvoir et ignorant la détresse de
son peuple, a fini par provoquer la mise sous tutelle de son pays. Encore qu’à
Caracas, des millions de personnes défilent dans les rues depuis des mois pour
signifier leur refus de la soumission pendant qu’Alger bruisse de rumeurs
nourrissant les fantasmes du retour de l’imam el mahdi.
Il est, en effet, assez rare d’entendre dire que le naufrage qui arrive est la
conséquence mécanique et prévisible d’un système oligarchique qui a confisqué,
avant de les épuiser, les ressources morales, humaines et physiques du pays.
Les propositions les plus audacieuses assènent que le rejet d’un cinquième
mandat, par ailleurs loufoque, suffirait à redonner crédibilité, stabilité et
performance à l’Etat. Chaque clan assure que la machine qui a détourné le fleuve
de l’espérance en 1962, broyant un destin promis à toutes les ambitions, serait un
outil de progrès et une source de bonheur si les manettes lui en étaient confiées.
Au lieu d’explorer les issues, de plus en plus étroites, qui pourraient encore
s’ouvrir devant les bonnes volontés, les différents intervenants prétendent qu’en
usant des mêmes procédures et en agissant dans les mêmes instances, ils
pourraient contenir sinon bloquer une tectonique des plaques dont le mouvement
éloigne inexorablement le citoyen du dirigeant. L’affaire est pourtant sérieuse car
l’amplitude de la faille est désormais telle qu’elle menace l’ensemble du sous-
continent nord-africain.
Et à voir les maigres annonces faites ici et là par les postulants à la magistrature
suprême, force est de relever que la gravité du diagnostic de la lourde pathologie
algérienne n’est ni vraiment perçue ni a fortiori assumée.
Spasmes et calculs
Dans cet Etat sans âme ni visage, quatre gredins, dont les bases militantes
effectives ne recouvriraient même pas leur propre famille, sont affectés aux tâches
ménagères, le temps de permettre aux mentors de préparer le décor, colmater
leurs différends et, autant que faire se peut, lustrer le poster-candidat.
Exception qui confirme la règle: le parti islamiste MSP. Adepte résolu et assumé
du mouvement des frères musulmans, il se place, comme tous ses congénères et
par principe, au sein de systèmes dont ils connaissent parfaitement la faille
originelle : l’illégitimité. Tactiquement, le frère musulman peut camper
conjoncturellement une posture d’opposant mais sa stratégie reste intangible :
l’entrisme est une approche que rien ne viendra jamais démentir. La démarche a
sa logique et sa méthode.
Quant à ceux qui se présentent en assurant la jouer sérieux, on est consterné par
l’indigence des propositions qu’ils mettent sur la table. Quelques bons sentiments,
des caresses en appelant au nif national et une ou deux idées aussitôt contredites
par une confession contraire donnent la mesure de l’impréparation à l’exercice
d’une fonction aussi éminente que celle dévolue à une présidence de la
République.
La panne perpétuelle
Outre que rien ne vient corroborer ces allégations, il convient de redire, encore
une fois, que les tractations occultes dans les officines militaires ne sont pas la
solution mais la cause du malheur national. Quand bien même ces supposés
soutiens seraient-ils réels et vérifiables, celui qui en bénéficierait en serait
obligatoirement leur obligé, ce qui, en Algérie, est la condition même du statu
quo. On objecte déjà qu’une fois au pouvoir, l’heureux adoubé pourra toujours se
libérer d’attaches encombrantes et orienter le pays vers des pratiques plus saines
et plus transparentes. Si l’on s’en tient aux expériences passées, le pari est pour le
moins risqué. Ni Ben Bella ni Chadli ni Zeroual n’ont pu s’émanciper des liaisons
dangereuses qui les ont portés au pouvoir. Bouteflika a survécu à ses appuis parce
qu’en bon artisan du clan d’Oujda, groupe militariste s’il en est, il a assumé et
répondu à toutes les demandes des généraux quand il ne les a pas devancées.
Concéder une allocation de 12 milliards de dollars au secteur militaire dans une
conjoncture économique aussi atone que celle que vit l’Algérie est la preuve que le
pouvoir est toujours régi par une doxa militaire hégémonique.
D’aucuns, habités par l’illusion des miracles immérités, se prennent à rêver d’un
Attaturk algérien. Ce n’est faire injure à personne que de souligner les éléments
qui distinguent à tous égards l’armée turque de celle de Boumediene, conçue et
gérée de sorte qu’aucune tête pensante ne dépasse. Avec Attaturk, l’institution
militaire a assumé la séquence consacrant la fin de l’empire ottoman. L’armée
algérienne, pour ce qui la concerne, a pris le pouvoir en 1962 pour imposer
l’islamo-socialisme comme matrice doctrinale, marécage dans lequel ont
prospéré les malentendus les plus obscurs.
On aura observé que jusqu’à présent, tous ceux qui se sont exprimé sont restés
vagues et sommaires sur des questions demeurées en suspens depuis
l’indépendance et qui appellent, pourtant, des réponses aussi urgentes que
précises.
Dans des sociétés aussi paralysées que la notre, la seule intervention de l’armée
qui vaille eut été celle qui mît un terme à ses propres turpitudes. On voit mal
l’avènement d’une révolution des œillets, qui a dissous le salazarisme au Portugal,
advenir dans l’armée algérienne. Alors on tourne en boucle.
Refuser, par ruse politique ou paresse intellectuelle, une mise à plat générale des
faits et évènements qui ont conduit à notre déchéance, les refouler par peur ou
culpabilité est la meilleure manière de précipiter une implosion nationale que tout
annonce. Et les forces centrifuges sont déjà à l’œuvre. C’est dire si la censure et
les diversions sont vaines. L’époque, la révolution numérique et la démystification
de la guerre ont libéré la parole. Les tabous peuvent empêcher le pays de se
construire mais ils sont inopérants dans la transmission des vérités vers de jeunes
mémoires rétives à l’embrigadement.
Cette évidence n’a pas imprimé la pratique politique ambiante. Ce qui fait que par
manque de courage ou incompétence, les bribes de programme énoncées ne sont
que de mièvres déclinaisons des bouillies politiques de l’archéo FLN : vouloir
s’immerger encore plus dans un monde arabe déliquescent, invoquer la dimension
religieuse comme socle libérateur exclusif de la collectivité, s’empaler sur des
revendications post-coloniales désuètes ou vanter les mérites de la peine de mort
alors que toutes les études ont démontré la fatuité de son caractère dissuasif est
emblématique d’un discours vaporeux, qui a de tout temps irrigué le système
algérien. Ces idées qui ont parasité une scène nationale stérilisée par le dirigisme
intellectuel sont maintenant toxiques en ce qu’elles véhiculent une charge
irrationnelle qui préempte la raison et la liberté, seuls outils permettant
d’appréhender la réalité politique.
Pérenniser l’audace
Dans ce climat délétère, la région qui fut jusque là le meilleur laboratoire des
initiatives et projections politiques innovantes du pays se voit assignée une
mission à contre emploi. Figurée par ses déchets, la Kabylie a servi de condiment
folklorique à la tambouille politique du pouvoir et s’expose, présentement, comme
le principe actif d’une spoliation éhontée de la ressource nationale, doublée d’une
mission de pollution d’un combat démocratique qu’elle a si souvent amorcé.
Boumediene a voulu museler la Kabylie, Bouteflika s’est donné comme objectif de
la pervertir. A voir la vitalité des cafés littéraires ou la vigueur des comités de
villages, il est aisé de déduire que malgré la mobilisation de moyens colossaux, les
deux options ont fait long feu.
Par quelque angle que l’on appréhende la situation, force est de constater que les
promesses réformatrices lancées de l’intérieur du système se sont toutes avérées
illusoires et qu’en la circonstance, elles ne figurent même pas dans l’agenda du
pouvoir. Jusqu’à preuve du contraire, toutes les énergies positives naissent,
s’organisent et s’expriment dans des espaces autogérés.
On entend déjà les avocats des causes perdues pointer du doigt la sévérité de la
présente analyse.
Ce serait se méprendre sur la vraie nature des problématiques qui pèsent sur
notre destin, l’intensité de leurs manifestations sous-terraines et les conséquences
de leurs projections finales.
Face au destin
L’inévitable menace islamiste qu’on ne manquera pas de brandir ne vaut que s’il y
a une volonté du régime de l’instrumentaliser pour justifier un maintien que son
bilan condamne. Imposer un cahier des charges où les principes démocratiques
seraient des postulats auxquels doit souscrire tout compétiteur est une chose
faisable et éprouvée avec succès chez nos voisins.
Nous n’avons d’autres choix que de nous repenser à travers de nouvelles valeurs et
par des mécanismes opérationnels étrangers à la grammaire politique du système.
La bataille sera rude, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne sera pas loyale si nous nous
donnons les moyens de la préparer avec clarté et méthode. C’est bien connu, il n’y
a de bataille perdue que celle qui n’a pas été livrée. A ceux qui seraient
impressionnés par les menaces d’apparatchiks vantant la capacité du régime à
contenir la rue, il faut rappeler cette vérité. Les Algériens n’ont pas gagné leur
indépendance parce qu’ils disposaient d’une force supérieure à celle de l’armée
française. Ils se sont libérés le jour où ils ont compris qu’il n’y avait rien à espérer
de l’ordre colonial.