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Luke Freeman
en collaboration avec
Solo Rasolofohery
et
Eli Badistinah Randriantovomanana
Tendances, caractéristiques et impacts de la migration rurale-urbaine à Antananarivo,
Madagascar
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REMERCIEMENTS
L’auteur voudrait remercier tous ceux qui ont permis de mener ce projet à bien.
Les gens d’Antananarivo ont accueilli nos intrusions dans leurs vies avec chaleur,
tolérance, hospitalité et un bon sens de l’humour. J’espère que ce rapport va apporter à
leurs vies les changements qu’ils espèrent. Je leur dédie ce rapport, en particulier à leurs
enfants.
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TABLE DES MATIERES
REFERENCES ............................................................................................................................ 67
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RESUME EXECUTIF
Le but de cette étude qualitative est de décrire les caractéristiques et les tendances de la
migration rurale-urbaine chez les migrants d’Antananarivo, la capitale malgache. Le
rapport identifie les stratégies et les ressources qui favorisent une migration réussie et
anticipent la vulnérabilité dans un cadre urbain difficile. Il révèle également les impacts
de la migration sur la ville en termes d’infrastructures, de cohésion sociale et politique
et d’activités économiques.
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pour les nouveau-venus. Les réseaux au-delà du cercle familial sont également
importants. Les plus importants sont les associations de migrants qui se fondent
habituellement sur une origine et une appartenance ethnique communes. Ces
associations lèvent des fonds pour des projets de développement dans la région
d’origine et apportent un soutien financier aux familles, en particulier pour le coût de
rapatriement du corps en cas de décès d’un membre. Il arrive souvent que des groupes
de migrants fondés sur une origine commune dominent certains métiers, mettant à profit
les liens de familiarité, de parenté et de confiance. Les groupes de lignée descendant
d’un ancêtre commun offre un forum pour des réunions sociales destinées à célébrer une
identité partagée et promouvoir l’assistance mutuelle.
En effet, l’étude montre qu’il y a beaucoup de migrants dont la présence en ville n’est
pas due à l’incapacité de leurs terres à subvenir à leurs besoins mais à la fertilité de ces
terres, à la présence d’un surplus de production exportable ainsi qu’à l’existence de
réseaux de famille élargie et de réseaux régionaux qui leur permettent d’exporter ce
surplus. Ceci met en place une relation économique très dynamique entre la ville et la
campagne. Dans ce cas, la migration ne se ramène pas simplement à la fuite de la
pauvreté rurale. En fait, les migrants apportent la richesse de la campagne à la ville. La
migration, ici, est une ressource plutôt qu’un dernier recours.
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La valeur de la terre pour les migrants est mise en exergue par la situation difficile de
ceux qui n’en possèdent pas. Le groupe le plus vulnérable à cet égard est constitué des
descendants d’esclaves qui ne sont pas propriétaires des terres que leurs ancêtres et eux-
mêmes ont cultivées pendant des décennies.
Catégories de migrants
Le rapport fait également ressortir diverses formes de migration allant de la migration à
court terme avec des allers et des venues à l’installation définitive qui se prolonge après
la retraite. Il y a une corrélation largement répandue entre certaines catégories de
migrants et leurs professions, la durée de leur séjour et leur lieu d’origine. Ainsi,
certains groupes dominent certaines professions et certains métiers. Les migrants sont
présents dans l’éventail complet des professions quoiqu’un très grand nombre soient
employés dans le secteur informel, notamment le petit commerce.
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Cependant, le rapport fait ressortir deux domaines où la relation semble étroite : le
logement des étudiants et les logements illégaux construits par des membres des
services de sécurité et des forces armées.
L’étude des effets de la migration sur la cohésion sociale et politique dans la capitale
montre que l’environnement social arrive très bien à absorber le grand nombre et la
grande diversité ethnique de migrants. Les cas de conflits ethniques sont rares et de
petite envergure. Cependant, il se peut que certaines associations adoptent, dans des
circonstances particulières, une orientation politique fondée sur l’ethnie.
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Résumé des points clés
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PARTIE 1: BUTS, METHODOLOGIE ET
CONTEXTE DE L’ETUDE
Ces buts à l’esprit, l’étude a été conçue pour collecter des données qualitatives sur
l’expérience de la migration, en particulier sur les stratégies employées par les migrants
qui leur permettent de s’établir, de trouver du travail et de réussir leur intégration dans
le cadre urbain. Ce faisant, l’étude identifie systématiquement les tendances et les
causes de la vulnérabilité parmi les migrants qui se battent pour parvenir à ces fins. Ces
informations sont importantes pour la préparation d’intervention en soutien aux
migrants.
Les termes de référence sur la base desquels l’étude a été conçue sont retracés dans les
grandes lignes ci-dessous.
2. Méthodologie
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comme migrants les personnes qui font des va-et-vient entre la ville et la campagne ?
Est-ce que la deuxième génération de « migrants » compte encore pour migrants ?
Ces questions montrent que la catégorie « migrant » n’est pas sans problématique. Pour
les objectifs de la présente étude, il a été important de définir la catégorie de manière
assez large. Cette approche pose le risque de redondance de la catégorie si celle-ci est
définie de manière trop large. Néanmoins, il était important de pouvoir prendre en
compte le large éventail d’expériences de la migration à Antananarivo. A cette fin, il a
été utile de se référer aux divers termes employés dans la langue malgache pour se
référer à la migration. Le terme technique sociologique est mpifindra-monina
(« personnes qui changent de lieu de vie »), mais nous n’avons trouvé personne qui
utilise ce terme en pratique. Les gens parlent souvent de mpitady ravin’ahitra
(« personnes à la recherche de la fortune ») mais ce terme connote une migration à court
terme. On entend le terme de vahiny (« hôte », « étranger ») parfois mais il porte une
certaine charge politique du fait qu’il est utilisé par opposition à tompontany (« natif »,
« propriétaire des terres »). Le terme le plus fréquemment utilisé est mpiavy (« venu
d’ailleurs », « nouveau-venu »). C’est le terme que nous avons trouvé le plus neutre
d’un point de vue politique et le plus souple en rapport avec la durée de séjour.
Ces termes ont permis de guider la recherche vers les diverses circonstances
personnelles, politiques et économiques qui constituent l’expérience de la migration
dans un contexte urbain. C’est cet éventail d’expériences que ce rapport chercher à
appréhender.
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tant que leurs égaux cherchant à établir une relation. Cependant, vu la nature trépidante
et diverse de la vie urbaine, il a été rare que les chercheurs puissent véritablement
participer à la vie des migrants. Par exemple, bon nombre d’entre eux se livrent au
commerce et nous avions dû veiller à ce que notre présence en la compagnie des
vendeurs en magasin ou des marchands de rue ne les distraient de leur occupation ou ne
compromettent leurs affaires.
Eli Randriantovomanana (à droite) conduit la recherche en aidant Patricia (à gauche, dix ans) et sa mère
à la lessive.
Dans l’idéal, l’observation participative est effectuée sur une longue durée de manière à
pouvoir créer une véritable relation de compréhension mutuelle. Cela présente de plus
l’avantage de permettre aux chercheurs de vérifier les propos des gens par rapport à
leurs actions effectives. En tant que chercheur, il est important de se souvenir que la
description que les gens donnent de la société ne correspond pas nécessairement la
réalité sociale, mais seulement à leur perspective de la réalité sociale. Il se peut qu’ils
parlent en fonction de ce qu’ils estiment que la société devrait être plutôt que ce qu’elle
est. Il se peut aussi qu’ils affirment, même inconsciemment, qu’ils ou d’autres
personnes souscrivent à un ensemble de valeurs morales qu’ils ne mettent pas en
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pratique dans les faits. Des relations rapprochées sur la durée entre les chercheurs et
l’informateur peuvent mettre à jour de telles contradictions.
Avec seulement six semaines pour la recherche, alors qu’il fallait couvrir un certain
nombre de quartiers, il n’a pas été possible de mener une recherche prolongée sur
aucune zone dans aucun des groupes. Pour que les rencontres soient aussi détendues que
possible, nous avons essayé d’entamer des conversations à deux sens avec les
informateurs plutôt que des interrogations à sens unique. Nous n’avons jamais utilisé de
questionnaires tout prêts et nous avons fait le choix de ne jamais prendre de notes en
présence des informateurs parce que cela pourrait leur paraître menaçant, en particulier
pour les personnes à faible niveau d’alphabétisation. Les enregistreurs nous ont été
d’une grande utilité. Souvent, les gens nous demandaient non seulement quel était le but
de notre recherche mais aussi quels seraient les avantages pratiques que la recherche
leur apporterait dans leurs vies et nous nous sommes sentis gênés de ne pouvoir garantir
qu’il y aurait des changements palpables et immédiats dans leurs situations. Cependant,
il a été rare que cela empêche les informateurs d’interagir avec nous.
Quand nous entamions la recherche dans un nouveau quartier, notre première approche
a été à travers les canaux officiels, notamment le président de fokontany (la plus petite
division administrative en milieu urbain). Le fait que nous venions de la part de
l’UNICEF a beaucoup facilité l’accès. Tout en étant une question de courtoisie et un
moyen d’obtenir l’autorisation de présence dans le quartier, cette approche nous a
permis d’interviewer longuement les officiels du fokontany. Ces interviews nous ont
apporté des informations très utiles étant donné que la profession de ces personnes
consiste essentiellement à travailler avec les populations urbaines. Cependant, nous
avions quelques doutes quant à la fiabilité des informations données. Peut-être par peur
d’une éventuelle relation avec le gouvernement central, les officiels ont brossé un
tableau plutôt rose de leur circonscription. Par exemple, le personnel du fokontany
déclare souvent qu’il n’y avait pas de migrants non enregistrés dans leur quartier,
pourtant, en inspectant les registres officiels nous découvririons qu’un très petit nombre
de migrants, bien en dessous de ce qui est réaliste, avaient été enregistré au cours des six
derniers mois. Les bureaux de fokontany nous ont fréquemment donné des membres de
leur personnel pour nous accompagner dans les quartiers et nous présenter aux
résidents. Si cela a été utile en termes d’autorisation de nos recherches, nous avons pu
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voir que la présence de ces guides (ou, en leur absence, le fait d’être associé avec le
bureau de fokontany et tout ce qui est officiel en général) suscitent de la réticence de la
part des informateurs à discuter de certaines questions sensibles. Par exemple, dans ces
circonstances, quelques informateurs ont pu être moins francs quant à leur statut de
résidence : il était courant que les migrants rapportent être « seulement en visite » à
Antananarivo et avoir leur base permanente dans la campagne. Une fois encore, la
fréquentation des quartiers et de leurs résidents sur la durée nous aurait permis de
vérifier ou d’infirmer de telles affirmations.
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Il nous fallait également faire preuve de délicatesse dans la manière dont nous abordions
les questions de revenus et de pauvreté. Il est possible qu’un grand nombre de nos
informateurs gagnent de l’argent de manière qu’ils n’étaient pas disposés à nous révéler,
soit par honte soit par crainte d’être signalés aux autorités. Par exemple, bien que nous
ayons entendu qu’un certain groupe ethnique se spécialise dans le prêt d’argent, nous
n’avons pu trouver aucun prêteur disposé à nous parler de cette pratique même si elle
n’est pas illégale. De même, il a été difficile de gagner la confiance des travailleurs du
sexe, même si une fois la confiance établie, les conversations peuvent être plutôt
franches. Cependant, il a été plus difficile d’établir clairement dans quelles
circonstances les travailleurs du sexe se sont engagés dans la prostitution. Cela tient
probablement aux situations personnelles et familiales complexes qui ont conduit à cette
décision.
Monique, est venue à Antananarivo de la région de Toliara lorsque ses parents sont morts. Elle a vécu
avec une tante qui l’a laissé tomber Elle a été abandonnée par son ami quand ce dernier a découvert
qu'elle était enceinte. Quatre mois après la naissance de son fils, elle a pris le travail en tant que prostituée
dans un bar à Behoririka, une zone populaire au centre de la ville. Il était difficile de commencer : « J'ai
dû accepter beaucoup d'agressions d’autres filles mais je n’attaque pas parce que les clients sont mis à
l’écart des contusions. » Elle charge 10-15.000 Ariary ($US 4.4-6.6) par client (plus pour des femmes et
des étrangers), mais il y a des jours où elle n'a aucun client du tout. Monique retourne rarement dans le
Sud. « La vie est facile là-bas, mais il n'y a rien à manger, » dit-elle. « Je veux que mon petit garçon
mange et aille à l'école. »
Notre étude nous a mis en contact avec les résidents parmi les plus démunis
d’Antananarivo. Nous étions conscients que, dans bien de cas, le temps passé avec nous
pouvait signifier une réduction du temps disponible pour gagner sa vie. Nous estimons
que cela n’a pas compromis notre recherche que d’offrir un peu de riz ou d’argent
quand cela semblait approprié. Parfois, le degré de la pauvreté nous a tellement émus
qu’il semblait déplacé de débattre du protocole et de l’efficacité de la recherche. Notre
stratégie consistait à entrer en relation avec les gens à un niveau humain, pour s’engager
dans un échange d’informations, de temps, de conversations, d’argent ou de vivres de
toute manière qui semblait juste et appropriée. Il existe peu de stratégies de recherche
meilleures que celle de faire preuve d’un intérêt véritable et d’engagement par rapport à
la vie des gens. Toute l’équipe de recherche adhérait à cet engagement humain et c’est
cet engagement qui, en fin de compte, a fourni de riches informations malgré les doutes
et les limites mentionnés ci-dessus.
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Composition et travail de l’équipe
L’équipe de recherche était composée d’un chercheur principal (l’auteur du présent
rapport) et de deux co-chercheurs. Le chercheur principal est un anthropologue
académique professionnel qui a plus de douze ans d’expériences dans la recherche à
Madagascar. Il parle couramment le malgache. Les co-chercheurs sont des ressortissants
malgaches ayant des diplômes de troisième cycle en anthropologie et en sociologie.
La recherche a été réalisée pendant six semaines en avril-mail 2010 dans plusieurs
fokontany d’Antananarivo (voir ci-après) sélectionnés pour leur forte proportion de
migrants résidents. Les interviews ont été rarement arrangées à l’avance. L’équipe s’est
plutôt attachée à engager la conversation avec les gens, expliquant le but de la recherche
et de ses promoteurs. En plus des migrants, l’étude a approché des personnes ayant une
connaissance particulière du contexte des migrants, tels que les chefs d’église et les
officiels gouvernementaux locaux. Les interviews ont duré aussi longtemps que les
deux parties se sentaient à l’aise. En fonction de la durée de l’interview, il y avait entre
cinq et vingt interviews par jour. Les informateurs ont été choisis de manière à avoir un
large éventail de profils basés sur l’âge, le sexe, le milieu, la profession et la durée de
séjour à Antananarivo.
Le projet de recherche s’est concentré sur les quartiers de la basse ville étant donné que
c’est là que la majorité des migrants s’établissent. Le profil historique et géographique
d’Antananarivo présenté ci-après explique ce choix.
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(Andrianaivoarivony 1998). Ainsi, les clans de nobles se sont vus attribuer les terres à
l’Est du palais alors que les roturiers et les esclaves se trouvaient au Sud et à l’Ouest
(Fournet-Guérin 2004 :4). A bien des égards, cet aménagement hiérarchique de l’espace
urbain s’applique encore de nos jours : la distinction entre haute ville et basse ville
correspond à des différences de classe sociale, de richesse, d’infrastructures et
d’influence politique.
Comme la haute ville est considérée comme le domaine des familles de la classe
supérieure établies de longue date et que le prix de la terre et du logement y est élevé,
c’est dans la basse ville que la majorité des migrants qui viennent à Antananarivo
s’établissent. C’est là une tendance générale des colonies migratoires dans les hautes
terres malgaches : traditionnellement, les propriétaires des terres (tompontany) occupent
le sommet de la colline du territoire d’implantation originel. Tout nouveau-venu
(vahiny) que la population autochtone autorise à s’établir se voit accorder des terres en
contrebas du village principal. Le territoire d’implantation d’Antananarivo reflète cette
distinction et pour de nombreux résidents de la haute ville, toute personne vivant dans la
basse ville est de facto un nouveau-venu même si sa famille y réside depuis plusieurs
générations (Fournet-Guérin 2004).
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La haute ville : la vieille bourgeoisie et quelques migrants
La haute ville regroupe tous les quartiers qui se trouvent le long de la crête qui forme
l’épine dorsale de la ville en forme de Y. Dans ses zones supérieures se trouvent les
quartiers de résidence originels de la bourgeoisie merina et bon nombre des belles
maisons de briques à balcons de bois ont été transmises au sein de familles de
descendance noble. Le palais royal lui-même se trouve tout au haut de la ville et est
visible pratiquement de tous les quartiers de la basse ville. Le palais du dix-neuvième
siècle du premier ministre Rainilaiarivony se dresse tout près. Les quartiers tels que
Faravohitra, appréciés par les missionnaires du dix-neuvième siècle pour l’air frais et
leur éloignement des marais paludiques du fond de la vallée, restent attrayants et cossus.
La plupart des maisons y ont l’eau courante et l’électricité. La haute ville s’étend
également jusqu’au quartier administratif et d’affaires d’Antaninarenina où le palais
présidentiel actuel d’Ambohitsorohitra, anciennement résidence du gouverneur colonial,
se trouve. Pour ces raisons, la haute ville est considérée comme l’Antananarivo
historique, foyer des descendants des familles fondatrices de la ville et siège originel et
naturel du pouvoir.
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Des enfants jouant à côté du canal qui traverse le fokontany d’Antetezanfoavoany. Durant la saison de
pluie, cet égout à ciel ouvert inonde les maisons avoisinantes
Cette partie de la ville abrite également une population importante de descendants
d’anciens esclaves dont le faible statut social et économique les rend particulièrement
vulnérables à la pauvreté urbaine. Malgré l’abolition de l’esclavage par le gouvernement
colonial français en 1896, ce groupe a été vulnérable de toute l’histoire parce qu’il n’a
jamais possédé de terre. Sur toutes les zones rurales des hautes terres, les membres de ce
groupe ont gagné leur vie depuis l’abolition en étant métayers ou en travaillant pour un
salaire dans les champs de leurs anciens maîtres. Ceci n’est pas possible à Antananarivo
parce que les rizières qui donnaient du travail aux gens ont été asséchés puis aménagés
en zone constructible à mesure que la ville s’est développée. Ainsi, au cours du dernier
siècle, cette caste d’anciens esclaves s’est transformée de serfs ruraux en prolétariat
urbain. Elle est fortement représentée parmi les pauvres en milieu urbain.
La basse ville est la zone de la capitale qui s’est étendue le plus rapidement au cours du
dernier siècle. Au-début du vingtième siècle, la population était d’environs 50 000 mais
devait atteindre les 200 000 à l’indépendance en 1960 (Ramamonjisoa 1998 :113). Au
début du siècle, la capitale était en proie à des épidémies de paludisme et de grippe mais
une politique de santé urbaine de plus en plus proactive devait bientôt aboutir à une
baisse du taux de mortalité et une augmentation du taux de natalité (Ralaikoa & Rainibe
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1998 : 104). L’autre facteur de croissance démographique était la migration rurale-
urbaine pour le commerce, la prise de poste en tant que fonctionnaire et l’enseignement.
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DEUXIEME PARTIE : MOTIVATIONS DES
MIGRANTS ET CAUSES DE LA MIGRATION
Madagascar a un long historique de migration. Pendant des siècles, les gens ont migré
pour faire du commerce, à cause de bouleversement climatique, de mécontentement
politique, d’expansion impériale, de conflit ou pour le travail et la subsistance
(Deschamps 1959).
Motivations à migrer
Il y a autant de raisons de migrer que de migrants. Néanmoins, il est quand même
possible de distinguer les tendances dans le raisonnement que les migrants avancent
pour expliquer et justifier leur décision de migrer. Ce faisant, il est important de ne pas
supposer (à l’encontre de ce que la théorie économique néoclassique a tendance à faire)
que les décisions des migrants sont simplement basées à l’exclusivité sur la poursuite de
leur commodité personnelle via la maximisation économique.
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Une perspective sociologique plus large prend en compte l’éventail de contraintes qui
agissent sur la rationalité individuelle. Cela veut dire que si les migrants peuvent avoir
des motivations personnelles à migrer, les décisions rationnelles qu’ils prennent sont
basées sur – et sont influencées par – des considérations sociales telles que les
obligations envers la famille, les questions de prestige et de valeur sociale. Ces facteurs
peuvent avoir un effet d’incitation ou de frein à la migration – ou les deux à la fois. Par
exemple, dans certains contextes sociaux, la migration peut être considérée comme
signe de prestige alors que dans d’autres elle peut être perçue comme source de honte.
Il n’est pas toujours aisé de discerner de quelles manières le contexte social façonne,
sert ou contraint les motivations des migrants. Les gens ne sont pas toujours disposés à
admettre les circonstances sociales dans lesquelles leur migration s’est produite. Cela
pourrait être le cas des personnes qui ont migré à cause de disputes familiales. De plus,
les gens n’arrivent pas toujours à définir clairement pourquoi ils ont migré ou du moins
ils peuvent trouver que les raisons sont difficiles à verbaliser. Ils peuvent aussi parler en
termes de projets personnels en ignorant les structures et les mécanismes de soutien
social qui leur ont permis de se recaser. De même, ils peuvent être influencés – à leur
insu, par un ensemble de facteurs sociaux et culturels tels qu’une tradition locale ou
familiale de migration qui a contribué à leur décision de migrer et a facilité le processus
migratoire.
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Madagascar, arrivés à l’âge adulte, passent la première partie de cette période de leur
vie à travailler en tant que tireurs de pousse-pousse dans les villes côtières alors que
d’autres gagnent de l’argent en tant qu’accompagnateurs de zébus sur de longues
distances. Les motivations d’une telle migration n’est pas simplement économique : il y
a également un élément de défi personnel et de désir de vivre quelque chose de nouveau
dans des régions inconnues qui est considéré comme typique des jeunes hommes
malgaches (Bloch 1999). Cela pourrait être considéré comme un rite de passage qui
amène les gens loin de leur terre natale avant d’y revenir pour s’établir. Le retour,
cependant, n’est pas systématique : la migration temporaire peut devenir permanente.
Il est important de prendre en compte ces facteurs personnels et culturels parce qu’ils
montrent que la migration rurale-urbaine n’est pas simplement un phénomène récent
attribuable uniquement aux opportunités économiques grandissantes et l’attrait de la
ville ou à aux limites économiques dans la campagne. Elle s’inscrit dans le cadre
d’attentes culturelles bien enracinées relatives au passage au statut de personne sociale.
Néanmoins, la richesse des villes et la pauvreté des campagnes sont des facteurs
indéniables et sont les raisons les plus souvent citées pour la migration rurale-urbaine.
Selon les résultats de l’enquête auprès des ménages UN McRAM à Antananarivo, la
principale raison pour migrer vers Antananarivo à partir de zones rurales est d’abord
économique (40%) puis le mariage et le désir de rejoindre sa famille (20%
respectivement).
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2. Causes de la migration vers Antananarivo
Rareté des terres et pauvreté des sols dans les hautes terres
De nombreux migrants des hautes terres citent deux éléments de la pauvreté rurale en
tant que causes de la migration : le manque de terres et la faible fertilité des sols. La
culture intensive du riz qui caractérisent une grande partie du haut plateau de
Madagascar a résulté en de très fortes densité de population (Raison 1984(2) : 380).
Comme la terre est généralement héritée à parts égales au sein des fratries, il suffit de
quelques générations pour qu’une étendue de terre autre fois suffisante pour subvenir
aux besoins d’une famille sur toute l’année devienne si morcelée qu’elle suffit à peine
pour quelques mois. La migration peut constituer un moyen pour atténuer ce problème,
les partants laissant souvent leurs terres à la disposition des membres de la famille
restants. Cependant, en général, ils reviennent à la période de récolte pour demander une
part de la production agricole.
Le problème de sols peu fertiles ne touche pas l’ensemble des hautes terres : certaines
zones jouissent de sols volcaniques riches. Cependant, dans les régions où le sol n’est
pas naturellement fertile, les paysans sont obligés d’utiliser des engrais pour accroître le
rendement. Au moment de la rédaction de ce rapport, un kilogramme d’engrais
chimique coûte 2 000 ariary (0,88USD), soit un peu plus que le salaire journalier d’un
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ouvrier agricole, un prix hors de portée de la plupart des petits paysans. Si le fumier est
meilleur pour le sol, il exige de posséder du bétail, ce que seuls les paysans riches
peuvent se permettre. Les migrants ruraux-urbains investissent souvent leurs salaires
dans le bétail qui garde et gagne en valeur tout en ayant l’avantage supplémentaire de
fournir de l’engrais.
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Opportunité économique et sociale : une motivation générale pour les migrations à
court terme, saisonnières et à long terme
Si la pauvreté rurale et le bouleversement climatique peuvent avoir un effet qui pousse
les gens à la migration rurale urbaine, il y a aussi dans la vie à Antananarivo des
éléments importants qui ont un effet d’attraction sur les populations rurales. Parmi ces
facteurs importants, il y a le large éventail d’opportunités économiques disponibles en
ville par opposition à la dépendance quasi-exclusive à l’agriculture. Bon nombre de ces
opportunités se trouvent dans le secteur informel : le commerce de rue, la main d’œuvre
occasionnelle, le portage, la lessive, la domesticité, la mendicité et la prostitution sont
autant de stratégies de génération de revenus que les migrants apprécient et qu’ils ne
trouvent pas en milieu rural. Les migrants peuvent s’engager dans plusieurs de ces
activités à la fois étant donné que la diversification des revenus est cruciale dans des
circonstances d’instabilité économique. Le terme « opérateur économique » est
maintenant couramment utilisé comme moyen délibérément vague pour décrire les
différentes stratégies économiques des gens travaillant dans le secteur informel. Le
secteur formel présente aussi des opportunités mais celles-ci tendent à n’être accessibles
qu’aux migrants ayant un niveau d’instruction élevé et/ou une tradition familiale ou
régionale dans certains postes. Par exemple, les Betsileo du nord sont fortement
représentés parmi les fonctionnaires et les migrants du Sud-Est rejoignent souvent
l’armée et les services de sécurité.
La maison d’un riche marchand de tissus construite sur son terrain ancestral près d’ Andramasina
28
L’opportunité sociale la plus souvent citée par les migrants comme raison pour venir à
Antananarivo est la scolarité de leurs enfants. De manière générale, il est perçu que
l’enseignement est de meilleure qualité dans la capitale par rapport aux provinces, ce
qui peut expliquer la décision de nombreux migrants d’amener leurs épouses et leurs
enfants vivre avec eux dans la ville. Par ailleurs, certains migrants disent que le but de
leur migration est de payer la scolarisation dans leur région d’origine. Cependant, il est
improbable que les personnes choisissent de migrer uniquement pour donner une
meilleure instruction à leurs enfants. L’instruction peut être un élément dans un
ensemble d’avantages à tirer de la migration, mais il est difficile de vérifier s’il s’agit
d’un facteur principal de motivation.
Que les services d’enseignement soient meilleurs ou non dans la ville, il est intéressant
de noter qu’il est généralement perçu que la ville offre des opportunités de
développement personnel et social dans le sens le plus large. Un pasteur en milieu
urbain responsable d’un centre qui forme les jeunes femmes à acquérir des compétences
pratiques en vue de gagner leurs vies a affirmé que la migration est une valeur positive
pour les jeunes en milieu rural qui veulent suivre la mode urbaine et recherchent un
rythme de vie plus rapide. Un chauffeur de Sambava dans la vingtaine, sans emploi
depuis son arrivée à Antananarivo il y a un an de cela, a dit qu’il était dans la ville pour
apprendre la vie : « Chez nous [Sambava], vous faites tout le temps la même chose et la
seule expérience que vous avez, c’est l’agriculture. Il n’y a rien à faire sinon regarder la
forêt à longueur de journée. Ici, vous pouvez développez votre esprit. »
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3. Diversité de la population migrante d’Antananarivo
D’origines géographiques diverses, les migrants différent également par la durée de leur
séjour dans la capitale et peuvent être répartis en migrants à long terme, à court terme et
saisonniers. Les migrants à long terme regroupent de nombreux travailleurs de bureau,
les anciens étudiants qui restent après leurs études ainsi que les soldats et les
fonctionnaires. Les migrants à court terme sont des personnes qui fuient temporairement
les cyclones et la sécheresse ainsi que ceux qui visitent la famille et les transporteurs
tels que les camionneurs ou les chauffeurs de taxi-brousse. Les migrants saisonniers
sont surtout des ouvriers agricoles qui viennent en ville gagner de l’argent en tant que
marchands ambulants dans les rues, habituellement dans le commerce alimentaire. Ces
catégories ne sont pas figées et le migrant peut passer d’une catégorie à une autre selon
l’occasion ou le besoin.
On trouve des migrants à Antananarivo à tous les niveaux de la société, dans tous les
milieux et dans toutes les régions. Cependant, comme un grand nombre proviennent de
milieux ruraux pauvres, ils tendent à être concentrés dans les quartiers pauvres de la
capitale. Ils sont confrontés quotidiennement aux difficultés et au stress d’une vie dans
des zones où l’accès à l’assainissement à l’eau et à un logement sécurisé est limité et où
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l’exposition à la pauvreté, à la maladie et au crime est forte. Cependant, ces problèmes
ne concernent pas uniquement les migrants : de nombreux résidents établis
d’Antananarivo vivent dans des conditions semblables. Parmi ses principaux résultats,
l’étude a trouvé que la pauvreté et la vulnérabilité en milieu urbain ne sont pas
nécessairement fonction ou caractéristique du fait d’être migrant : il y a de nombreux
migrants qui prospèrent à Antananarivo et il y a de nombreux natifs de la capitale qui
n’y prospèrent pas. Dans les deux cas, ceux qui sont les moins vulnérables sont ceux qui
peuvent avoir recours aux réseaux familiaux de soutien. Pour de nombreux migrants
récents, ces réseaux s’étendent à leur lieu d’origine et sont cruciaux à leur installation et
leur prospérité dans la capitale.
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TROISIEME PARTIE : PRINCIPAUX FACTEURS
FACILITANT L’INTEGRATION ET LA REUSSITE
DES MIGRANTS DANS LA VILLE
Le troisième facteur important est en rapport avec les deux précédents. Il s’agit de la
relation avec un lieu d’origine particulier connu en tant que terre ancestrale
(tanindrazana). L’aptitude à exploiter ces liens d’un point de vue économique et social
est essentielle à la réussite de la migration.
La famille
Il existe une stratégie bien définie commune aux migrants venant à Antananarivo :
exploiter les relations familiales. Les familles malgaches sont grandes en général et il
existe une éthique bien marquée de solidarité familiale – généralement respectée.
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Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tensions ou de ruptures mais il est
clair que les migrants avec les plus grands réseaux de relations familiales sont ceux qui
sont les moins vulnérables et qui peuvent le mieux réussir. En rapport avec ce recours à
la famille élargie en tant que ressources pour la migration, l’accent est mis sur une
relation permanente avec le lieu d’origine et utilisation est faite de cette relation. Cette
relation, qui est maintenue de diverses manières pratiques et symboliques, ne va pas
sans problématique comme nous allons le voir. Mais en général, notre recherche montre
que les liens économiques et culturels avec la terre ancestrale offrent aux migrants des
stratégies économiques, sociales et psychologiques pour la survie en milieu urbain,
stratégies dont ne disposent pas ceux qui ont perdu cette relation.
Le premier point où les relations familiales sont utiles pour le migrant est son arrivée
dans la ville. La très grande majorité de nos informateurs ont indiqué que leur premier
logement a été auprès de membres de la famille basés en ville. La durée de leur séjour
dépend de facteurs tels que le fait de trouver du travail, le nombre de personnes
partageant le logement et l’intention du migrant d’amener sa famille le rejoindre en
ville.
Les familles basées en ville sont également une ressource pour les migrants dans la
mesure où elles les aident à trouver un emploi. De nombreuses familles se spécialisent
dans certaines professions, introduisent les membres de la famille dans les affaires et
leur offrent l’occasion d’apprentissage. Par exemple, le monde de l’alimentation et de la
restauration à Antananarivo tend à être dominé par des familles provenant des hautes
terres centrales jusqu’au sud de la capitale. Notre recherche a montré qu’à mesure que
les affaires familiales s’élargissent, elles puisent dans la famille pour supplémenter la
force de travail. Souvent, à la question de savoir pourquoi ils exercent un métier en
particulier, les migrants ont répondu qu’ils sont entrés directement dans les affaires d’un
grand frère, des beaux-parents ou d’un autre membre de la famille élargie. Il est
beaucoup plus facile pour le migrant de suivre cette voie que de trouver des réseaux
commerciaux (lalam-barotra) indépendamment.
Raniry et son mari Naivo sont venus à Antananarivo, il y a cinq ans et gagnent leur vie respectivement à
partir du charbon et des pommes de terre. Naivo a un frère qui a un camion et qui apporte des pommes de
terre de leur région d'origine près de Faratsiho. Naivo vend environ une tonne de pommes de terre par
semaine sur le grand marché d’Anosibe. Raniry achète le charbon des grossistes dans les périphéries de la
ville. Elle a établi des relations de confiance avec son fournisseur, et elle la paie seulement une fois
33
qu’elle a vendu le charbon. Selon la qualité du charbon, elle réalise un bénéfice entre 1000 et 2000 Ariary
($US 0.4-0.8) par sac, et vend en moyenne 20 sacs par jour. Ils louent la petite parcelle de terrain sur
laquelle Raniry vend le charbon et vivent dans une petite cabane perchée sur des échasses dans la
poussière de la cour. Ils ont l'électricité et une télévision mais leur eau vient du robinet communal au coût
de 10 Ariary par seau. Leur attachement avec leur lieu d’origine et leur famille reste très fort. Leur enfant
aîné vit avec ses grands parents et va toujours à l'école dans leur village d'origine. Il est clair que l’appui
prolongé du réseau familial et la coopération économique sont un facteur très important dans leur
prospérité familiale.
Il est généralement attendu des familles urbaines bien établies de soutenir et d’héberger
les membres de la famille qui viennent en ville. Comme le dit un migrant du Sud-Ouest,
« il n’y a pas d’université là d’où ma famille vient. En tant que l’aîné des frères, je me
sens obligé de les prendre avec moi, sinon ils ne pourraient pas étudier. » Etant donné la
forte rhétorique malgache sur l’amour familial (fitiavan-kavana), il n’est pas surprenant
que ne pas offrir ce soutien soit perçu de manière très négative. Cependant, l’ampleur et
la durée du soutien font toujours l’objet de négociations et nos enquêtes ont montré que
les familles hôtes sentent le poids de cette responsabilité. Comme l’a confié un migrant
à long terme d’Antsiranana, « nous n’avons pas beaucoup d’argent dans notre famille
parce que nous aidons trop les autres membres de la famille. » Il a raconté l’histoire
d’un ami qui a quitté Antananarivo parce qu’il n’était pas capable financièrement de
soutenir le nombre de parents qui se sont joints à lui à sa femme : le seul prix du riz
quotidien était déjà excessif.
Cela semble un cas extrême, quoique les récriminations occasionnelles sur les
difficultés à héberger des parents contrebalance la rhétorique positive. A long terme, les
gens se rendent compte que ce soutien fonctionne sur un principe de réciprocité
généralisée : en d’autres termes, les hôtes urbains qui hébergent les nouveau-venus de la
campagne ont été dans le temps eux-mêmes migrants à la recherche d’un logement et le
fait qu’ils aient été reçus avec générosité influe sans aucun doute sur leur disposition
(ou leur sens de l’obligation) à héberger une famille en retour.
34
superficiels tels que la forte densité de population, un dialecte peu familier et la peur de
voleurs. La plupart ont affirmé avoir surmonté ces difficultés dans un délai de trois
mois. Le fait est, selon eux, qu’on s’habitue vite à un nouvel endroit. Comme le dit le
proverbe malgache, « ny tany ipetrahana no mahazatra » - on finit par s’adapter au lieu
où on vit.
L’un des contextes de migration dans lequel l’isolement est fréquent et aboutit souvent à
des difficultés est celui des domestiques. Il s’agit en général de jeunes femmes pauvres
du milieu rural qui ne sont pas apparentées à la famille chez qui elles travaillent.
Certaines viennent de familles pauvres du village d’origine de leurs employeurs ;
d’autres trouvent du travail auprès d’étrangers par le biais d’une agence. C’est ce
dernier groupe qui tend à être particulièrement vulnérable. Notre recherche a montré
que les migrantes les plus pauvres et les plus vulnérables à Antananarivo (comprenant
les prostituées, les ramasseuses d’ordures et les mendiantes) sont celles qui ont affirmé
avoir été employées comme domestiques. Elles ont mentionné de mauvais traitements
de la part de leurs employeurs, le non paiement de leurs salaires et l’impossibilité de
revenir chez elles comme étant les principales raisons pour quitter le travail. Certaines
affirment avoir été jetées à la rue. Il est bien sûr impossible de vérifier ces déclarations,
et les conditions d’emploi et le traitement varient énormément entre employeurs. De ce
fait, et compte tenu de la vulnérabilité potentielle du groupe, il est vraiment nécessaire
de pousser la recherche sur la relation entre les origines des domestiques, leur vécu dans
le travail et leur vie après leur emploi.
35
L’importance du soutien mutuel en tant que stratégie de migration va au-delà du cercle
de la famille proche. Cela est particulièrement évident parmi les commerçants. Le cas
d’un grossiste de produits secs provenant de Toliara et travaillant dans le marché
d’Anosibe illustre bien comment les réseaux élargis ont été un élément indissociable de
sa réussite commerciale. Ses produits viennent de partout à travers le pays : haricot
blanc de Mahajanga, maïs de Morondava, manioc de Tsiroanomandidy. Bien qu’il soit
d’origine mahafaly, sa femme est une Betsileo de Sandrandahy, une région qui exporte
un grand nombre de migrants vers les zones agricoles du nord et de l’ouest de l’île. Les
relations familiales de la femme du marchand et l’identité ethnique qu’elle partage avec
les migrants agricoles betsileo lui donnent accès à un réseau élargi essentiel à la réussite
de ses affaires. Bien qu’un grand nombre des fournisseurs avec lesquels sa femme
traitent ne soient pas des parents à l’origine, le marchand affirme qu’avec les contacts
d’affaires, ils sont devenus comme des parents, tel étant le degré de confiance mutuelle
qui s’est créée au cours des années de commerce. C’est là une caractéristique importante
du fonctionnement des réseaux : plus le réseau d’une personne est étendu, plus elle a la
capacité d’y attirer des personnes et plus ce réseau s’élargit rapidement.
Ce fait est aussi clairement illustré par le fonctionnement des grossistes de fruits et de
légumes de la région du Vakinanakaratra. De leur base à Antananarivo, ces marchands
sont en contact étroit et régulier avec un réseau de producteurs qui produisent divers
36
produits saisonniers dans cette partie fertile des hautes terres centrales, à une journée de
camion de la capitale. Les producteurs se regroupent en de petites coopératives
villageoises pour partager le coût de transport de leurs marchandises à Antananarivo.
Une fois que les camions ont livré les produits agricoles aux commerçants du marché de
gros à Anosibe, ils sont rechargés avec des biens de consommation à vendre dans la
région rurale.
La terre fertile autour d'Antsirabe fournit une grande partie de production agricole consommée à
Antananarivo
Cet exemple montre clairement comment le commerce des marchands migrants basés
en ville dépend des réseaux de leurs parents en milieu rural. Sans ces réseaux, ils ne
pourraient prospérer à Antananarivo. Dans ce cas, en s’installant à Antananarivo, les
migrants ne s’appuient pas seulement sur leurs parents basés en ville mais également sur
ceux qui sont restés au village. C’est en mettant à profit les ressources humaines dans
leur région d’origine qu’ils peuvent prospérer dans la ville. En opposition à ce que l’on
voit dans les autres régions des hautes terres où la faible fertilité des sols poussent les
gens vers la ville, dans le cas du Vakinankaratra, c’est la forte productivité des sols qui
est à l’origine de la migration rurale-urbaine. Ce commerce créée une situation de bi-
localité pour les familles dont la force repose sur la double résidence de leurs membres
et le cycle de commerce entre les deux localités.
Associations formelles
37
L’existence d’associations de migrants est un autre facteur important dans la création de
réseau de soutien. Ces associations opèrent à différent niveau : au niveau le plus général
se trouvent les associations de personnes d’un même groupe ethnique ou d’une même
région ; au niveau plus local, il existe des associations de personnes appartenant à un
groupe fondé sur un tombeau ou même un groupe fondé sur une fratrie expatriée.
Associations d’étudiants
Les associations d’étudiants existent parce que les étudiants migrants ont des besoins
spécifiques dus à leurs faibles revenus et le problème particulier du logement. Ces
associations tendent à se fonder sur la ville d’origine plutôt que les groupes ethniques
(par exemple, AEFA : Association des Etudiants venant de Farafangana ou
FIMPIAFA : Fikambanan’ny Mpianatra avy any Fandriana). L’objectif principal de ces
groupes est d’assurer l’hébergement de leurs membres dans un contexte de grande
rareté. Les causes de cette rareté sont exposées à la Quatrième Partie. Les associations
38
détiennent des blocs de chambres dans les cités universitaires et s’assurent qu’elles sont
transférées entre membres après les départs. Sans cette assistance, les étudiants
pourraient se retrouver forcés à prendre des logements surfacturés et en-dessous des
normes et pourraient souffrir d’isolement par rapport à leurs pairs et leurs compatriotes
dans un cadre urbain qui leur est étranger. Les associations d’étudiants ont joué un rôle
majeur dans les années 1970, persuadant le gouvernement d’autoriser les étudiants à
acheter des appartements parmi les logements publics construit dans le quartier des 67
hectares. Si cette mesure a servi les intérêts des étudiants à l’époque, sur le long terme,
elle a réduit le nombre de logements réservés aux étudiants dans la capitale. En
deuxième lieu, les associations financent le rapatriement de corps comme décrit ci-
dessus. Les cotisations (obligatoirement faibles pour les étudiants) sont supplémentées
par des manifestations de levée de fonds telles que la vente de gâteaux, les dîners
dansant, etc. Le troisième objectif principal des associations d’étudiants est d’offrir un
soutien aux membres à travers des cours privés ou des programmes d’apprentissage
entre pairs. Ce soutien est vital compte tenu du contexte de sureffectifs dans les cours
universitaires et l’inaccessibilité résultante du personnel académique.
Groupes de descendants
Le tombeau ancestral situé sur la terre ancestrale (tanindrazana) est un point de
référence essentiel pour l’identité des Malgaches. Cela apparaît nettement à travers le
volume d’activité rituelle et sociale qui gravitent autour du tombeau et l’importance
accordée au rapatriement du corps même pour des gens qui ont vécu des années durant
loin de la terre ancestrale ou qui n’y ont pas du tout vécu. Selon certains avis, cette
connaissance du lieu où l’on va être enterré, cette certitude d’un lieu fixe à la mort
libèrent les Malgaches et leur permettent de mener des vies coulantes et itinérantes
(Bloch 1971).
Les associations de migrants fondés sur la descendance d’un ancêtre commun n’ont pas
nécessairement une structure formelle ou même des cotisations fixes. Elles fonctionnent
plutôt pour créer une idée d’origine commune et d’identité partagée. Le facteur unifiant
est un certain tombeau ou même un ancêtre au nom connu (ce qui revient au même dans
bien de cas étant donné que les ancêtres importants donnent leurs noms aux tombeaux)
par rapport à qui les membres peuvent démontrer leur descendance. Comme la
descendance suit à la fois la patrilinéaire et matrilinéaire, et que de toute évidence les
39
personnes descendent de plus d’un ancêtre, il y a énormément de liberté et de souplesse
quant au groupe de descendance à laquelle une personne appartient. En effet, il est
possible d’appartenir à plusieurs groupes à la fois.
Les avantages évidents à tirer de la force du nombre amène les gens à se grouper autour
d’ancêtres influents et prolifiques. Le groupe de descendance de Ramaro (pseudonyme)
illustre ce fait. Ramaro est né aux environs de 1885 dans la région de Fianarantsoa et a
travaillé comme inspecteur pédagogique. Il a eu treize enfants de trois femmes.
L’association des descendants de Ramaro a actuellement plus de 100 membres à
Antananarivo, pour la plupart trois ou quatre générations après l’ancêtre fondateur. Le
petit-fils de Ramaro (le fils aîné de son fils aîné) tient un poste gouvernemental
important et il est facile de voir les avantages à tirer d’une relation avec une telle
personne. Mais la vraie force du groupe de descendants ne réside pas tant dans la
relations à des personnes mais dans le réseau de famille élargie qu’il offre. Les membres
ne sont pas nécessairement des gens que l’on rencontre tous les jours mais ils sont là et
une relation commune peut être invoquée au besoin. Ces réseaux fonctionnent au niveau
conceptuel en favorisant un sens solide de l’identité sociale ainsi qu’au niveau pratique
en aidant les gens à trouver un logement, un emploi ou même un(e) bon(ne) conjoint(e).
Si les associations fondées sur la lignée opèrent en milieu urbain, c’est bien leur origine
rurale qui leur donne leur cohésion. La recherche a clairement révélé que même les
migrants bien établis en ville continuent à entretenir des relations étroites avec leur lieu
d’origine, en particulier quand ils sont des migrants de première génération. Ils
disposent de différentes stratégies pour entretenir cette relation, les principales étant : la
possession de terrains agricoles ; la participation à l’entretien du tombeau et aux rituels
funéraires ; et la visite de la famille basée à la campagne. Bien évidemment, ces
stratégies se chevauchent dans la pratique, mais leur dénominateur commun est qu’elles
véhiculent l’idée que les gens continuent à appartenir à un endroit spécifique même
après avoir cessé d’y habiter. Cette idée est maintenue par la présence physique des
ancêtres enterrés dans les tombeaux. Naturellement, il existe des différences régionales
40
quant au choix de ces stratégies, mais dans tous les cas, la relation entre les terrains
agricoles, les personnes en vie et les ancêtres défunts crée un contexte de dynamique
sociale qui peut représenter une ressource exploitable, aussi bien qu’une contrainte pour
les migrants. Néanmoins, les opportunités associées à l’entretien de la relation avec la
« terre ancestrale » l’emportent généralement sur les contraintes qu’il peut présenter.
Les avantages offerts par ces relations deviennent particulièrement évidents, quand on
considère le cas des migrants dont ces relations sont faibles, réduites ou à peine
existantes.
Les migrants possédant des terres dans leur village d’origine ne les laissent pas en
friche. Ils s’arrangent pour que des membres de la famille résidant dans le village ou des
métayers ou encore des ouvriers salariés les cultivent. Dans les deux premiers cas, les
propriétaires ont droit à une partie de la récolte. C’est pour négocier ce partage et
percevoir leur part que les migrants se rendent de manière saisonnière à leur village
d’origine. La participation au processus agricole (même de manière indirecte, par le
paiement du salaire des ouvriers) ne constitue pas seulement un moyen de s’assurer une
réserve supplémentaire de nourriture. Elle sert également à marquer leur engagement
envers les terres familiales et leur présence sur celles-ci, choses qui sont extrêmement
importantes pour plusieurs raisons. Premièrement, plusieurs migrants urbains souhaitent
revenir à leur village d’origine à la retraite (ou en cas de chômage). En leur absence, les
souvenirs s’effacent rapidement et les papiers du cadastre disparaissent. Il est donc
essentiel qu’ils maintiennent leur droit à ces terres en s’impliquant de manière pratique
dans leur gestion.
41
Un migrant qui vend du maïs et de haricot en bicyclette se repose dans sa maison/magasin
Dans certains cas, cette participation au processus agricole est pour eux une stratégie
économique de secours. Toutefois, pour beaucoup de migrants issus d’endroits situés à
environ une journée de voyage de la capitale, elle fait partie intégrante de leur stratégie
de subsistance, allant de pair avec leur migration. De nombreux paysans de la région
infertile d’Andramasina, à environ trois heures de taxi-brousse d’Antananarivo, passent
la saison de culture et de la récolte à la campagne et quittent pour travailler comme
marchands ambulants, quand la demande en main-d’œuvre agricole diminue. Ces
migrants, impliqués dans ce mouvement de va-et-vient, sont pour la plupart des
hommes qui trouvent ensemble de l’hébergement auprès d’originaires de leur village à
Antananarivo. L’intermittence de leur présence dans la capitale signifie qu’ils sont
rarement accompagnés de leur épouse et de leurs enfants. Ceci finit parfois en l’abandon
des épouses et des enfants qui restent à la campagne.
Toutefois, quand l’homme garde des contacts réguliers avec sa famille, la migration
peut s’avérer une stratégie de diversification des revenus très efficace. Elle met à profit
la solidarité régionale, et la fluidité et la diversité de la génération des revenus fait
qu’elle résiste aux revers économiques et agricoles. Cette stratégie cause néanmoins un
certain problème administratif en ce qui concerne les permis de résidence. Ce problème
est décrit en détails dans la Quatrième partie.
M. Katsaka (litteralement M.Maïs) est chef d'un groupe de vendeurs ambulants vivant dans la zone
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d'Antetezanfoavoany. Ils partagent une origine rurale commune dans la région d'Antsirabe. Ils sont
environ 20 hommes qui partagent le logement, qu'ils ont trouvé par la bouche à oreille parmi des contacts
familiaux. Ils vendent des haricots, du maïs, des pommes de terre, des oignons et tout autre produit de
leur région d'origine. « Mes enfants sont à la maison dans le villageet vont à l'école. Je ne veux pas qu'ils
effectuent le même travail que moi. Je veux qu'ils aient un meilleur futur. » Parfois les commerçants
restent une semaine, parfois jusqu’à trois mois. Leurs épouses et enfants ne viennent jamais en ville, mais
M. Katsaka indique que lui et ses collègues rentrent tous régulièrement à la maison pour moissonner les
récoltes, gardent le bétail et construisent des maisons. « De toute façon, vivre en ville consomme vite
votre argent, et vous fatiguez facilement. Rien ne peut remplacer la terre des ancêtres. »
Le fait que leurs parents et des membres de leur fratrie résident encore au village est la
raison principale pour laquelle les migrants de première génération y retournent en
visite. Ces visites constituent pour eux l’occasion d’entretenir des liens affectifs qui
pourraient autrement affaiblir. Les migrants de première génération dont les enfants ont
grandi en ville tiennent particulièrement à ce que ces enfants développent des liens
émotionnels et pratiques avec leurs terres ancestrales et y envoient souvent leurs enfants
en vacances seuls. Il arrive même que les parents migrants envoient leurs enfants vivre
dans leur village d’origine pour permettre aux deux conjoints de travailler. De
nombreux migrants ont évoqué la valeur positive des opportunités que ces visites
offrent aux enfants, en ce qu’elles leur permettent de renouer et d’entretenir la relation
avec leurs cousins de la campagne, le dialecte régional et les coutumes locales. La
réalité, toutefois, est que la vie urbaine que les enfants de migrants mènent fait de la
campagne un environnement peu familier avec lequel ils ont peu de chances de
développer un lien profond et intime. Comparés à leurs parents, les migrants de
deuxième génération entretiennent des contacts et une intimité nettement plus restreints
avec leurs terres ancestrales.
Razafy tient un poste dans un fokontany dans la ville basse qui loge un nombre élevé de migrants, en
particulier des régions côtières. Il est de la région d'Antsiranana dans le nord de Madagascar et son épouse
43
est de la région de Toliara dans le sud. « Il est important de ne pas perdre le contact avec la famille
d’origine et pour enseigner aux enfants [qui étaient nés à Antananarivo] les us et coutumes de notre
région, » dit-il. Pourtant il parvient seulement à revenir à la maison qu’une fois tous les deux ans, comme
le coût de transport vers le nord est trop élevé. Le contact avec la famille de son épouse dans le sud est
plus facile car son épouse a des fratries riches à Antananarivo. Ils descendent fréquemment dans le sud
en 4x4, en prenant les enfants de Razafy avec eux pour passer des vacances avec leurs grands parents
maternels qui tuent un boeuf et donnent une partie pour eux.
44
mourrait et dépendrait de sa famille pour son enterrement. « Si je ne les aide pas
maintenant que je suis en vie, dit-il, pourquoi est-ce qu’ils m’aideraient quand je serai
mort ? » Le souci d’être enterré correctement et d’être bien traité dans l’au-delà est très
répandu à Madagascar dans la mesure où c’est là le moyen de devenir un ancêtre vénéré
et respecté. Les migrants s’en préoccupent plus vivement du fait qu’ils passent leur vie
loin du tombeau ancestral.
45
dans l’idéal résout) une diversité de facettes d’identité personnelle et collective. L’idée
et la réalité d’un endroit spécifique, à savoir la terre des ancêtres, d’où l’on vient où l’on
reviendra, se trouvent au cœur de tout ceci. Pour définir son identité et avoir une idée de
ce que son avenir sera, le migrant se doit d’appartenir à un groupe de descendants et
d’être propriétaire de terres dans son point d’origine.
Ainsi, le lien qui unit le migrant à la terre de ses ancêtres est à la fois économique,
social et symbolique. C’est une ressource dans laquelle il peut puiser pour s’assurer un
soutien pratique et moral. Plutôt que de se réduire à l’endroit que l’on a quitté, la terre
de ses ancêtres devient un élément essentiel du processus continu de migration.
Au cours de la recherche, il est clairement apparu que la majorité des migrants étaient
des personnes jouissant d’un certain niveau de ressources sous la forme de famille,
d’argent et de terres. Il était plus rare que ceux à qui ces ressources faisaient défaut
migrent et dans le cas où ils le faisaient, ils devenaient des migrants extrêmement
vulnérables. Ceci ne signifie pas nécessairement que les migrants pourvus de ces
ressources disposent de beaucoup de moyens : en réalité, bon nombre d’entre eux vivent
en-dessous du seuil de pauvreté. En revanche, ils sont dotés du minimum de ressources
nécessaire pour leur permettre de vivre la vie d’un migrant et en général, de veiller à ce
que la migration leur offre de plus amples opportunités au lieu de les réduire.
46
QUATRIEME PARTIE: PRINCIPAUX FACTEURS
DE LA VULNERABILITE DES MIGRANTS EN
VILLE
Les réseaux familiaux, les terres ancestrales et les tombeaux constituent les ressources
économiques, sociales et psychologiques fondamentales des migrants. Ces ressources
étant interdépendantes, la dégradation ou la perte d’un de ces éléments aura un effet
délétère sur les autres. L’absence, la perte ou l’amoindrissement d’une ou de l’ensemble
de ces trois ressources fondamentales est à la base de la vulnérabilité des migrants,
comme en témoigne si clairement la situation des migrants ayant perdu leurs terres, ou
n’ayant jamais eu accès à la propriété foncière. Les descendants d’esclaves (mpanompo)
appartiennent largement à cette catégorie. Leur situation résulte de plusieurs facteurs
historiques et contemporains interreliés.
Les descendants d’esclaves font partie des groupes qui ont longtemps été privés du droit
à la propriété foncière. On en trouve dans de nombreuses régions de l’île, notamment
dans les hautes terres. Leurs aïeuls ont été réduits à l’esclavage après avoir été fait
prisonniers dans le cadre des guerres expansionnistes de l’empire merina, au cours des
XVIIIème et XIXème siècles. Capturés et vendus, ils ont perdu tout contact avec leurs
terres ancestrales. Vendus dans les marchés des hautes terres, ils ont été achetés par des
propriétaires fonciers d’ascendance libre, pour travailler en tant que serfs dans les
rizières. L’abolition de l’esclavage par le gouvernement colonial français en 1896 n’a
pas apporté de changement majeur dans le système d’exploitation des terres au niveau
des hautes terres, en ce que les classes libres sont restées propriétaires des terres à défaut
d’être restées propriétaires des esclaves. Bon nombre des propriétaires fonciers ont
migré vers la ville où leur avantage social les a aidés à trouver des postes influents dans
l’administration, les forces armées ou le secteur privé. Les descendants d’esclaves sont
quant à eux restés à la campagne, où ils cultivent les rizières des propriétaires absents
47
sous un système de métayage, lesquels propriétaires ont gardé les titres fonciers. Ce
système de métayage a été maintenu à ce jour, un tiers de la récolte revenant au
propriétaire en général. Le désavantage économique associé à la non-possession de
terres est évident.
Ces facteurs sont aggravés par le fait que l’on considère comme extrêmement honteux
d’être d’origine servile. Ce n’est un sujet qu’on aborde couramment et il est rare que les
gens soient prêts à l’admettre. Dans une certaine mesure toutefois, le problème réside
moins dans le fait d’être d’origine servile que dans le fait de ne pas avoir d’origine
reconnue et cohérente dans une société où une telle origine ouvre la voie au soutien et à
l’influence. Les personnes sans tombeau, sans terres ancestrales, sans historique familial
sont dépourvues des ressources sociales et économiques de base, ce qui en fait des
migrants extrêmement vulnérables.
On retrouve ces migrants dans les deux contextes de migration rurale-urbaine décrits ci-
après. Ces contextes concernent généralement, mais pas exclusivement, les descendants
d’esclaves, pour les raisons décrites ci-dessus.
48
2. Domestiques dans des familles inconnues
Fara vit dans une petite maison en toit plastique. Le lit est un panneau placé sur un tas de bouteilles en
plastique aplaties. Elle gagne sa vie en vendant des articles qu'elle trouve dans les ordures : videz les
boîtes de boissons, les seringues utilisées, les bras et les jambes de la poupée et bien d’autres articles. Elle
a quitté sa maison dans la province de Fianarantsoa pour travailler en tant que domestique pour une
famille à Itaosy, Antananarivo. « J'ai détesté le travail, » dit-elle, « je dois tout le temps nettoyer
l'excrément des chiens de mon patron, et chaque samedi de dois les laver. L'agence m'avait promis 60.000
Ariary par mois mais mon patron m'a donné seulement la moitié. Quand j’ai quitté, ils me devaient
toujours l'argent. » Après qu'elle soit partie, elle a dormi sur le marché d’Isotry, puis dans une tente à
Anosizato. Elle est venue pour vivre dans sa hutte courante à côté de la ligne ferroviaire hors d'usage
après le décès de son enfant de deux mois.
49
La profession de domestique présente certaines caractéristiques structurales qui
aggravent la vulnérabilité et l’isolement. Les heures de travail sont souvent longues et
de nombreux domestiques sont tenus de travailler tous les jours de la semaine, ce qui
peut considérablement restreindre leurs réseaux familiaux et sociaux. Ils peuvent se
retrouver dans l’impossibilité d’effectuer des visites familiales à la campagne, en raison
des contraintes de temps et d’argent. Les jeunes peuvent se voir privés de l’opportunité
d’aller à l’école en raison des longues heures de travail. Ne faisant pas partie de la
famille, de nombreux domestiques sont tenus de prendre leurs repas à l’écart. Cette
activité est stigmatisée à Madagascar, en ce qu’elle constitue une preuve par excellence
d’aliénation sociale.
Un homme sans domicile dans la vingtaine nous a raconté comment il est entré en
service à l’âge de onze ans, parce que sa mère est décédée et que son père n’avait pas
les moyens de le garder. Il a travaillé pendant trois ans mais a été renvoyé parce qu’il
n’arrêtait pas de casser les assiettes, selon lui. S’il est possible que le motif de renvoi
évoqué par son employeur soit différent, le résultat n’en a pas moins été qu’il s’est
retrouvé sans domicile à l’âge de quatorze ans. « J’ai fait de mon mieux, a-t-il dit, pour
rester à l’écart des problèmes et des gangs mais la vie est très difficile ». Il vit à présent
sous un abri en plastic, à proximité d’une décharge à ordures, avec son fils de deux ans.
Un des résultats essentiels et significatifs que cette recherche a mis en évidence est
qu’une forte proportion des migrants les plus vulnérables et à moindres ressources
vivant à Antananarivo sont issus de la périphérie semi-rurale de la capitale. Ils migrent
vers la ville après avoir perdu les terrains de culture qui assuraient autrefois leur
subsistance et celle de leur famille.
Cette perte de terrains est due à l’urbanisation galopante. Au cours des quelques
dernières années, on a assisté à un boum de la construction dans la périphérie de la ville,
en raison du manque de logement dans le centre-ville, notamment pour les cols blancs
50
de la classe moyenne. Ceci a bouleversé l’affectation des sols et l’aspect du paysage.
Ainsi, on peut trouver un paysage typique de la périphérie d’Antananarivo, dans les
environs du village d’Andoharanofotsy, à huit kilomètres du centre-ville. D’imposantes
résidences entourées de hauts murs apparaissent sur les versants des collines où
quelques années de cela, les vaches paissaient. On y assèche les rizières, construit des
routes et creuse des puits. Les demeures en terre et en chaume des gens qui ont cultivé
ces terres pendant des années s’effacent derrière les murs en béton et les toits en métal
de leurs nouveaux voisins.
Des nouvelles maisons erigees sur les terres agricoles dans le sud périphérique d’Antananarivo
Une femme, qui vit encore dans une petite maison de campagne et cultive un petit lopin
de terre, a indiqué que ses voisins s’en étaient allés après avoir vendu leurs terres à des
promoteurs immobiliers. Elle a d’abord déclaré que le terrain sur lequel elle vit
appartenait à des membres de sa famille. Toutefois, quand nous lui avons demandé de
préciser de quels membres il s’agissait et si elle pouvait être sûre qu’ils ne vendraient
pas le terrain, elle a répondu ne pas savoir exactement de qui il s’agissait. Ce manque de
précision est probablement dû au fait qu’elle ne souhaitait pas révéler que ni elle, ni sa
famille n’était propriétaire du terrain, ce qui aurait clairement indiqué son statut de
descendant d’esclave. Cela aurait également équivalu à admettre, face à nous et face à
elle-même, la précarité de son avenir dans l’endroit où elle avait passé toute sa vie.
51
Un voisin a confirmé que cette femme faisait partie d’un petit groupe de descendants
d’esclaves qui continue à cultiver les rizières ancestrales du propriétaire sous un
système de métayage ou de fermage. Les titres sont avec la famille du propriétaire
éparpillée à travers la ville. Il semblerait qu’il y ait litige au sujet de la propriété du
terrain au sein de la famille, probablement en raison de l’escalade de la valeur du terrain
suite au boum immobilier. Cette valeur dépasse de très loin les revenus relativement
maigres générés par les occupants actuels dans le cadre du système de fermage et/ou de
métayage.
Rasoa est une veuve d’une cinquantaine d’années avec quatre grands enfants. Un de ses fils travaille sur
un chantier de construction près de sa maison. Graduellement la terre qu'elle a cultivé toute sa vie
disparaît autour d’elle. « Les derniers champs ont été juste vendus et ils construisent une grande église.
Avant que mon mari décède, son patron a promis de nous donner une parcelle de terrain de terre sur
laquelle notre maison est bâtie. Il n’est jamais revenu sur son mot parce qu'il l'a promis devant mon
mari. » Après que le tombeau de la famille de Rasoa ait été déplacé a cause de la construction de bâtiment
elle a réalisé qu'elle ne pouvait plus trouver le corps de son défunt mari. Elle pleure quand elle pense à
ceci.
La vente des terres arables à des fins de construction n’affecte pas seulement les
descendants d’esclave. Les paysans pauvres d’origine libre, vivant à proximité de la
capitale peuvent également y perdre leurs terres. Les propriétaires se décident
généralement à vendre quand le terrain devient trop petit pour subvenir aux besoins
d’une famille, après moult morcellements sur des générations d’héritiers. Ceci est
caractéristique de la culture intensive du riz. Un homme d’Ankazobe, situé à 12
kilomètres d’Antananarivo, nous a raconté que son grand-père a vendu une parcelle, qui
à sa mort aurait été partagée entre ses douze héritiers, aux promoteurs immobiliers. Aux
dires de cet homme, son grand-père aurait ensuite utilisé l’argent pour son propre
compte, ce qui explique que déshérité, il se retrouvait maintenant sans abri, à la rue.
En perdant leurs terres, ces gens perdent également le lieu symbolique de leur identité
familiale, à savoir leur tombeau ancestral. Il arrive que le nouveau propriétaire leur
demande de retirer les dépouilles de leurs ancêtres avant qu’il n’occupe le terrain. C’est
parfois difficile et onéreux de trouver un nouveau site pour ré-ensevelir les corps et si la
famille n’y parvient pas, il est fréquent que les liens avec les ancêtres se dissolvent.
C’est une des raisons pour lesquelles les personnes marginalisées et sans abri
n’évoquent habituellement l’emplacement de leur tombeau familial qu’en termes très
52
vagues. S’ils ne peuvent se réclamer de lignées précises, les descendants d’esclaves ont
quand même des tombeaux qu’ils vénèrent en raison des liens affectifs qui les attachent
à leurs propres ancêtres. Mais en raison du peu d’identité sociale investi dans le
tombeau et de leur capital financier et social très limité, ils sont au risque de perdre
contact avec le tombeau à la vente du terrain. En fait, la femme à qui nous avons parlé à
Andoharanofotsy nous a indiqué que le tombeau de sa famille a été détruit au cours de
la construction d’une route desservant les nouvelles grandes résidences.
Les terrains agricoles ne sont pas uniquement vendus et acquis à des fins de logement.
L’expansion de l’infrastructure urbaine empiète également sur l’environnement rural et
provoque des déplacements. Une femme vivant actuellement dans un abri en sachet
plastic, le long du canal de l’Ikopa, dans le centre d’Antananarivo a déclaré que son
terrain a été réquisitionné par l’Etat pour la construction d’une nouvelle bretelle au sud
de la ville, près de Tanjombato. Selon elle, bon nombre des ménages déplacés se
trouvent dans une situation semblable à la sienne. « Ils vous diront, dit-elle, qu’ils n’ont
reçu aucune compensation. Mais ne les croyez pas. Ils ont reçu une compensation et moi
aussi. Mais j’ai tout dépensé. L’argent, ça ne mène pas loin. »
Ceci est un véritable problème pour les gens qui perdent leurs terres. S’ils les vendent
ou reçoivent une compensation financière pour celles-ci, ils n’accordent pas la même
valeur à l’argent et le dépensent bien vite. En toute logique, beaucoup se tournent vers
la ville pour survivre, gagnant leur vie à partir des tâches les plus ingrates, en fouillant
les ordures et en mendiant.
53
Un petit garçon qui vend des objets usés devant sa maison construites avec des plastiques
Ces personnes vulnérables sont des migrants, bien qu’elles soient issues des environs
immédiats d’Antananarivo. Ils représentent une proportion significative des pauvres
urbains et il est probable que cela a toujours été le cas. La ville d’Antananarivo n’a
cessé de se développer au cours du siècle dernier et les projets de construction et
d’infrastructure se sont continuellement étendus au détriment des terrains agricoles.
Même la circonscription d’Analakely, au cœur même de la ville, était autrefois une
étendue de rizières, jusqu’au jour où elle a fait l’objet d’assainissement, de
remblaiement, de revêtement et de construction. Il est probable que les personnes
déplacées alors se sont retrouvées dans une position très vulnérable, contraintes à se
débattre pour gagner leur vie dans la ville en expansion. Telle est l’histoire des pauvres
d’Antananarivo. Ils sont, en quelque sorte, des migrants invisibles, en ce qu’ils ont
toujours fait partie du paysage urbain en expansion. Il serait plus exact de dire que la
ville est venue à eux plutôt qu’ils ne sont allés à elle.
54
CINQUIEME PARTIE : IMPACT DE LA
MIGRATION RURALE-URBAINE SUR LA VILLE
Etudiants et logement
L’Université d’Antananarivo, située à Ankatso dans les banlieues de l’Est, est la plus
grande université de Madagascar et attire des étudiants des quatre coins de l’île. Si
d’autres villes sont dotées d’une université, la réputation et la diversité des cursus
disponibles au campus d’Ankatso en font la destination la plus prisée en termes
académiques. A part cela, la possibilité pour les étudiants de vivre et par la suite, de
rester dans la capitale, ajoute à la popularité de cette université. Pendant la IIème
République, la cité universitaire a été agrandie par la construction de logements réservés
à l’usage estudiantin, tels que la cité des 67 Hectares. Toutefois, depuis les années 1990
55
les logements universitaires construits à cette fin spécifique se sont avérés insuffisants
pour accueillir la population estudiantine en croissance.
Dans les années 1970 et 1980, cédant à la pression d’étudiants résidant dans la
circonscription des 67 Hectares, l’Etat a permis aux locataires d’acheter leurs
appartements. Les étudiants des régions côtières étaient particulièrement désireux
d’acquérir un pied-à-terre dans la ville. Ce transfert de propriété a, entre autres, eu pour
effet de transformer des étudiants temporaires et de passage issus des provinces de
Madagascar en des citoyens administrativement intégrés de la capitale, avec leur
épouse et leur famille élargie. Selon le président actuel du fokontany de 67 Hectares
Nord, c’est ce transfert de propriété qui est à la base de la première grande vague
d’implantation de côtiers dans la ville.
Comme on pouvait s’y attendre, cette politique a réduit le parc de logement estudiantin
disponible à Antananarivo. Les anciens étudiants des provinces sont restés dans la ville
pour poursuivre leurs activités et ce faisant, ils ont subdivisé leurs appartements pour les
louer à des locataires multiples ou pour héberger de la famille des provinces. Ceci a
provoqué une hausse des loyers ainsi qu’une augmentation de la pression sur les
services d’eau et d’assainissement et l’environnement urbain en général.
Parallèlement, une pression intense pèse sur les logements réservés à l’usage estudiantin
dans les quartiers d’Ambohipo et Ankatso. Ceci est principalement dû au fait que les
étudiants rechignent à quitter les logements universitaires une fois leurs études
terminées. Nombre d’entre eux ont monté de petites affaires dans leur logement pour
compléter leur bourse universitaire et sont peu disposés à abandonner leurs locaux
commerciaux. D’autres changent de filière pour conserver le droit à un logement
universitaire. Ces pressions sur le logement universitaire ont conduit à une vague de
construction de logements illicites dans les environs du campus universitaire.
56
Un certain secteur, situé sur le versant d’une colline du fokontany d’Ampasanimalo, est
le siège d’une caserne militaire, d’un centre de formation des forces armées et d’une
prison. Un nombre élevé des personnes travaillant dans ces établissements ne sont pas
originaires d’Antananarivo et souhaitant vivre à proximité de leur lieu de travail, ils ont
construit des résidences sur les terrains inoccupés des environs.
Nous avons visité une maison illicite construite dans les années 1980 par un officier de
police originaire de Fianarantsoa. Sa maison figure parmi la longue rangée de maisons
illicites bordant la route pavée allant de la prison aux casernes. Il est encore en train
d’agrandir sa maison et en loue une partie à des employés de la prison. Selon lui, le
terrain était inoccupé quand lui et ses camarades ont commencé à construire. Ils ne
subissent pas de pression visant à les faire quitter les lieux de la part des autorités.
Même s’il est aujourd’hui à la retraite, il compte continuer à vivre là, au lieu de
retourner à Fianarantsoa.
Ces maisons ayant été construites sans autorisation, elles ne sont pas branchées aux
égouts ni à aucun réseau d’approvisionnement en eau, exerçant une pression sur les
infrastructures existante et causant des problèmes sanitaires. Les résidents de la rue
s’approvisionnent en eau à partir d’un puits situé au bas de la colline mais ils comptent
sur les caniveaux de la rue pour évacuer les eaux d’égouts qui s’écoulent dans les
rivières, au bas du flanc de la colline. Les canaux suffisent à peine à évacuer les eaux de
pluie, encore moins les effluents supplémentaires. Il est possible que cette eau sale
s’écoule dans les champs de cresson au fond de la vallée.
Il est clair que la pression infrastructurelle mentionnée ci-dessus donne lieu à un risque
sanitaire. Les autorités n’ont toutefois pas réagi. Ceci peut être attribué au manque de
pouvoir ou de moyens, mais peut-être aussi au fait que les propriétaires de ce pâté de
logements illicites sont tous des employés de l’Etat. Il serait difficile pour les autorités
d’expulser leurs propres militaires et gendarmes de ce terrain.
57
migrants. Au moment où ils quittent leur lieu de résidence d’origine, les migrants sont
tenus de retirer auprès du fokontany un document qu’ils présenteront aux autorités
locales d’Antananarivo. Notre recherche a montré que ce système est peu usité, des
deux côtés. Par exemple, le nombre de nouveaux migrants relevé par certains fokontany
d’Antananarivo au cours des derniers mois est incroyablement faible.
Cela sortait du cadre de notre étude d’étudier en détails les raisons de l’échec de ce
système. Toutefois, le système ne semble pas être adapté à la nature extrêmement fluide
de la migration rurale-urbaine.
Il est clair que de nombreux migrants considèrent leur présence dans la capitale comme
temporaire. Ceci s’applique particulièrement aux migrants impliqués dans le commerce
de denrées alimentaires à travers l’île. Etant donné que ces migrants font commerce
avec des personnes de leur lieu d’origine et que ce commerce exige d’eux qu’ils y
retournent fréquemment, bon nombre d’entre eux ne considèrent pas Antananarivo
comme leur lieu de résidence permanent, même s’ils y passent le plus clair de leur
temps. Un camionneur originaire de Tsiroanomandidy effectue des voyages fréquents
mais irréguliers à destination ou en provenance d’Antananarivo, emmenant parfois sa
femme et son enfant rendre visite à de la famille en ville. La durée de son séjour dépend
du temps qu’il prend pour remplir son camion de marchandises, ce qui peut prendre
jusqu’à une semaine. Il peut passer jusqu’à vingt jours par mois en ville, mais n’a
jamais pris la peine de s’enregistrer auprès du fokontany d’Anosibe.
58
2. Impact sur la cohésion sociale et politique
59
tensions entre des étudiants de même origine, pour les mêmes raisons. Si des tensions
d’ordre ethnique existent réellement, elles se présentent plutôt de manière implicite
entre les gens issus des côtes et ceux des hautes terres, notamment les Merina. Nous
avons plusieurs fois entendu les premiers se plaindre que ces derniers les traitaient avec
une certaine arrogance, voire du mépris. Ceci peut simplement découler des différences
de point de vue quant aux attentes culturelles en termes de comportement
interpersonnel. Certains informateurs se sont plaints d’avoir subi de la discrimination
aussi bien lors de la demande d’emploi, que dans leur lieu de travail, mais ceci est
difficile à prouver.
Un facteur important doit être pris en compte à ce propos, à savoir qu’un sentiment
d’identité pan-malgache prévaut parallèlement à la diversité ethnique. Le fait, qu’en
dépit des différences de dialecte, tous les Malgaches parlent une même langue,
représente une très grosse contribution en faveur de la compréhension et de l’harmonie
inter-ethnie. Une influence positive peut également découler de la prédilection des
Malgaches pour les discours sur l’importance du respect mutuel (fifanajana) et de la vie
commune (fiaraha-monina).
On sait que les politiciens entretiennent des liens avec des groupes ethniques
spécifiques vivant dans la capitale et qu’ils comptent sur les groupes de migrants pour
les soutenir. Au cours de la recherche, nous avons perçu des rumeurs comme quoi une
vague récente de migration en provenance du sud de l’île serait appuyée par un
60
politicien qui souhaite apparemment utiliser ces migrants à des fins politiques. Il a été
très difficile de collecter des informations fiables à ce propos. Le lien éventuel entre la
manipulation politique, l’accès aux ressources et l’appartenance ethnique est un sujet
sensible qui gagnerait à faire l’objet d’une recherche spécifique supplémentaire. Celle-ci
devrait toutefois être effectuée dans le cadre d’une investigation plus large sur la
pauvreté urbaine et les troubles politiques et sans présupposer que l’ethnicité ou la
migration constituent des facteurs déterminants.
Il est très difficile, dans le contexte d’un rapport qualitatif sur la migration, d’établir des
données fiables sur la contribution économique effective des migrants à l’économie de
la capitale. Les migrants travaillent à tous les niveaux de l’économie, dans le secteur
formel comme informel et apportent donc tous plus ou moins une contribution. Or, c’est
aussi le cas des non-migrants. On pourrait isoler leur contribution en axant la recherche
sur les activités économiques où la main-d’œuvre migrante est majoritaire ou qui sont
sous le contrôle des migrants ou qui dépendent des mouvements des migrants et de leurs
contacts avec leur lieu d’origine.
61
Ces migrants se trouvent en ville non pas parce que leurs terres ne suffisent pas à
subvenir à leurs besoins, mais parce qu’elles sont fertiles et génèrent des surplus
exportables. Ceci crée une relation économique très dynamique entre la ville et la
campagne. Tout en générant des activités économiques à Antananarivo, le commerce
crée également des opportunités dans la région du Vakinankaratra, étant donné que les
camions qui transportent les produits à Antananarivo reviennent chargés de biens de
consommation à vendre dans les villes rurales et les villages.
Par le passé, les périodes d’expansion rapide du secteur avaient cependant favorisé des
taux élevés de migration rurale-urbaine, notamment parmi les femmes. Ces migrants
étaient attiré par la perspective d’un emploi salarié, même si le salaire mensuel moyen
était de 34% plus faible que ceux offerts par les autres types de sociétés industrielles en
2006 (Cling, Razafindrakoto & Roubard 2007 :9). Un des traits caractéristiques de ce
boom de l’emploi est qu’il a créé des opportunités pour les personnes dont le manque de
ressources sociales et économiques les avait auparavant empêchés de trouver un emploi
salarié. Une part importante de ces migrants était issue de la périphérie semi-rurale
d’Antananarivo où les terres se trouvaient submergées par l’expansion urbaine.
Maintenant que le boum est révolu est qu’ils sont réduits au chômage, ces gens se
trouvent dans une position très vulnérable. Nous avons rendu visite à un ménage à
Soavimasoandro, à sept kilomètres du centre d’Antananarivo. Huit membres de ce
62
ménage avaient récemment perdu leur emploi dans une zone franche. Ils ont déclaré
n’avoir reçu ni indemnité de licenciement, ni paiement de salaire final. Comme
seulement deux d’entre eux ont réussi à trouver un travail occasionnel (en tant que
lavandières), la famille a dû retirer les enfants de l’école et a vendu certains des biens
(assiettes, lecteur CD) qu’elle avait acquis alors que ses membres étaient employés. A
présent, les enfants passent leurs journées dans les rizières à pêcher des écrevisses
comestibles. Leur maison doit être une construction illicite, bâtie sur une digue au
milieu de rizières qui deviennent rapidement inutilisables en raison de l’invasion de
jacinthes d’eau.
Un rassemblement de femmes travailleuses de zones franches, sous la surveillance des forces de sécurité,
dans l'espoir de réclamer vainement les salaires impayés de leur ancien employeur
Ils ont la chance d’avoir une maison où habiter. La recherche a indiqué qu’un certain
nombre des personnes dormant dans les rues d’Antananarivo déclarent être des licenciés
de ZF. Une famille vivant dans un abri en plastic à Analakely nous a dit qu’ils se sont
retrouvés sans abri parce qu’ils ne pouvaient plus se permettre de payer un loyer. Il
semblerait qu’ils soient venus travailler dans une zone franche, en provenance
63
d’Ankazobe, juste au sud d’Antananarivo, après que leur grand-mère ait vendu le
terrain, qui selon, eux devait être leur héritage, à un promoteur immobilier. Ils vivent
maintenant en vendant et en recyclant les ordures des dépotoirs le long des rues de la
capitale.
L’aspect positif des ZF est qu’elles offrent des opportunités d’emploi à certains des
migrants qui ne jouissent généralement pas des réseaux de soutien nécessaires pour
obtenir un emploi salarié régulier. Toutefois, ces personnes se retrouvent
paradoxalement dans une position extrêmement vulnérable à la perte de leur emploi.
Les résidents des 67 Hectares signalent qu’il y a eu une recrudescence de la prostitution
de rue depuis le début de la crise politique et économique. Il se peut que certaines de ces
femmes soient d’anciennes employées des zones franches.
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RECOMMANDATIONS
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6. Le manque terrible de logements pour les étudiants nuit à la fois à
l’environnement urbain et à l’expérience d’apprentissage des étudiants. Il
suscite également des conflits entre différents groupes ethniques. Il
faudrait examiner des stratégies pour fournir des logements réservés aux
étudiants.
66
REFERENCES
Bloch, M. (1971) Placing the Dead: tombs, ancestral villages and kinship organisation
in Madagascar. London: Seminar Press
Bloch, M. (1998) ‘‘Eating’ young men amongst the Zafimaniry’. In Ancestors, power
and history in Madagascar (ed) K. Middleton. Leiden: Brill.
67
Ralaikoa, A. & D. Rainibe (1998) ‘Antananarivo sous l’administration française in La
Cité des Mille, Antananarivo: histoire, architecture, urbanisme.
Antananarivo: Cite & Tsipika, pp.11-23
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