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Abstract
In this article, the author tries to explain how in his thesis entitled « Hegel's ontology and the theory of historicity » written under
the direction of M. Heidegger, the philosopher Marcuse gives himself the means to think the transformation of the question of life
into that of existence. It can be derived that these are also the reflexions of Hegel about life that helped Marcuse, discussing the
work of Freud, to assert the priority of life's pulsion and death's one.
Résumé
Dans cet article, l'auteur se propose de montrer comment dans sa thèse intitulée « l'ontologie de Hegel et la théorie de
l'historicité », thèse dirigée par M. Heidegger, le philosophe Marcuse s'est donné les moyens de penser le passage de la
question de la vie à celle de l'existence. Il en ressort que ce sont également les enseignements de Hegel sur la vie qui ont
permis à Marcuse, en discutant l'œuvre de Freud, d'affirmer le primat de la pulsion de vie sur celle de mort.
Heisserer Pascal. Marcuse, penseur du lien organique entre la vie et l'existence. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 73,
fascicule 4, 1999. Approches de la vie. pp. 519-530;
doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1999.3508
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1999_num_73_4_3508
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que le sens de la vie consiste à vivre. Sentir la vie en soi (dans les
deux sens du terme) ne serait ni plus ni moins que faire l'épreuve du
retour de la vie sur elle. En ce sens, un sentiment ne serait qu'une
sensation qui se sent. En résumé, il apparaît que la vie n'est pas saisie
dans sa vérité dès lors que la possibilité de retour sur elle qui la
caractérise n'est pas vu, compris ou éprouvé.
La thèse soutenue en 1932 et intitulée L 'ontologie de Hegel et la
théorie de l'historicité est le deuxième grand moment de la pensée
de Marcuse. Avant de l'examiner, arrêtons-nous sur les enjeux de
celle-ci. Dès l'introduction, il écrit : « l'histoire, comme advenir,
comme mobilité, tel est le problème posé » (2). La préoccupation de
Marcuse est de comprendre ce qui rend l'histoire possible. Il ne se
soucie pas de l'histoire envisagée comme discipline scientifique mais
« de l'histoire en tant que mode de l'être » (3). C'est pourquoi sa
question est ontologique. Il ne se contente pas de déterminer comment
les choses apparaissent, il veut comprendre pourquoi elles peuvent
changer. Elles ne doivent pas se répéter. En effet, l'idée d'un éternel
retour est, pour lui, à l'opposé même de ce qui caractérise l'histoire.
Elle se laisserait davantage penser à travers la catégorie d'utopie (4).
Il ne dit pas que parmi tout ce qui advient, certaines productions
seraient utopiques. Il dit que ce qui surgit fait partie de l'histoire à
partir du moment où ce surgissement fait signe vers un autre lieu.
L'histoire est donc annonciatrice et prophétique. Il cherche, par la
même occasion, à réhabiliter le terme d'utopie aux yeux de ceux qui,
déçus par les réalisations fades qu'elle aurait engendré, confondent
le contenu et l'idée même d'utopie. Croyant naïvement que ce qui va
arriver est nécessairement meilleur que ce qui est déjà là, ils ne savent
se défaire de l'attente illusoire qui s'est créée et choisissent de s'en
prendre violemment à l'idée même d'utopie. Autrement dit, si
l'histoire ouvre la possibilité d'un autre monde rien ne dit qu'il faille en
espérer quoique ce soit de positif. On pourrait sur la base de cette
thèse s'étonner de ce que Marcuse ait, à d'autres moments de son
œuvre, considérer la vie humaine comme perfectible.
Si le souci de Marcuse est de démontrer que l'histoire est une
série de surgissements on doit se demander pourquoi il a placé la
conception hégélienne de la vie à la source et au fondement de
l'historicité. La langue allemande nous apporte une première raison. En
(5) Si certains considèrent que l'histoire est finie c'est peut-être aussi parce
qu'ils pensent que les hommes ont désormais la capacité de maîtriser ce qui se passe.
Le recours incessant au terme de catastrophe plutôt qu'à celui d'événement pour
décrire ce qui est imprévu peut être interprété comme une preuve que certains croient
au caractère fini, c'est-à-dire maîtrisable de l'histoire.
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veut dire que la vie n'a pas d'autre provenance qu'elle et qu'elle tire
tous ses caractères de ce qu'elle est. Elle possède la capacité de se
poser sans présupposer que quelque chose la précède. C'est pourquoi
cet être Un et Tout à la fois prend le nom d'absolu (6). On ne
comprend de quoi il en retourne qu'à condition d'être fidèle à la
Logique de Hegel qui distingue le commencement de l'origine. En
effet, ce qui commence n'a pas d'origine. La vie a pour être de
permettre le commencement des choses. Il est inutile d'inventer un
autre départ. Cela signifie qu'avant que la vie n'apparaisse il n'y avait
pas de vie. Ainsi l'être de la vie se nomme Absolu car il est Le
Commencement Absolu. Si la vie est une unité qui se constitue
comme une totalité, Marcuse pourra en déduire - étant donné que la
vie présuppose l'être et l'être l'absolu - que le trait principal de
l'Absolu est d'être une Unité Unifiante. Ce qui veut dire que la vie
commence dès que surgit un processus où des éléments sont appelés
à s'unir. Pour qu'il y ait de la vie, il ne suffit pas que ces éléments
se touchent il leur faut dépendre les uns des autres. Mais ce processus
d'unification est d'emblée accompagné par un acte de différenciation.
Si la vie surgit lorsque certains éléments se lient, la mort arrive
lorsqu'ils se délient (7).
Quelles sont alors les propriétés de la vie ? Elles découlent de cet
absolu conçu comme unité unifiante. L'unité n'est pas donnée une
fois pour toutes. Elle doit, au contraire, se répéter à chaque instant
afin de tenir la déliaison en respect. La mobilité de la vie vient donc
de ce qu'elle est toujours en train d'unir. De plus, elle permet que
quelque chose surgisse et advienne. Nous pouvons en conclure que
la vie cherche à unir, c'est ce qui la rend mobile et, simultanément,
permettre à quelque chose de nouveau de surgir. Marcuse utilise les
expressions de « devenir-être incessant » (8) et de « faire-jaillir » (9)
pour restituer les deux propriétés essentielles de la vie. Son projet
s'éclaire. Comme il veut fonder en raison la possibilité d'un surgis-
sement qui ouvre un monde et d'un changement qui transforme
véritablement ce qui est, il est obligé de remonter à l'être même de la
vie. Pourtant, comment se fait-il que l'absolu ne se suffise pas à
lui-même ? Pourquoi la vie n'arrête-t-elle jamais de produire et de se
diversifier? Pour répondre à ces questions, il nous faut revenir à
l'absolu. Celui-ci est habité par un double processus d'auto-division
(6) « L'Absolu devient visible comme synthèse absolue avec pour caractère
premier l'unité et la totalité », ibidem, p. 23.
(7) II s'agit de la mort entendue comme disparition totale. La mort comprise
comme différenciation et passage à autre chose sera examinée plus loin.
(8) Herbert Marcuse, L 'ontologie de Hegel, p. 54.
(9) Ibidem, p. 51.
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Pascal Heisserer