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RELIGIONS (christianisme)

HISTOIRE PERIODES (Moyen Age)

Une société chrétienne hiérarchisée

John V. Tolan

Ordonner et exclure : Pierre le Vénérable n'est pas le seul chrétien du XIIe siècle à vouloir décrire la société chrétienne de
manière normative, mais il est parmi les plus intéressants. A la fois acteur majeur (en tant qu'abbé du monastère de
Cluny) et auteur éloquent, Pierre dépeint une société chrétienne centrée sur Cluny et la défend du Malin qui l'attaque en
inspirant laïcs violents, prêtres impurs, hérétiques, juifs et sarrasins.

Dominique Iogna-Prat Pourquoi les hérétiques, (ou plutôt le Malin qui les inspire)
Ordonner et exclure: Cluny et la société chrétienne veulent-ils dissoudre les liens sociaux de la chrétienté ? Leur
face à l'hérésie, au judaïsme et à l'islam, 1000 - 1500 but, selon Pierre, est d'empêcher le salut des fidèles. En
Aubier rompant les liens d'amour (caritas) d'ici bas, le Malin les
conduit au désespoir et les décourage de faire le nécessaire
pour assurer leur propre salut, celui de leur famille et de leurs
L'un de ces agents maléfiques contre qui Pierre le Vénérable compagnons. En poussant les hérétiques à brûler les
déploie sa verve est un certain Pierre de Bruis, hérésiarque. crucifix, affirme l'abbé, le Malin veut nous faire oublier le
Prêcheur itinérant à une époque où on faisait parfois sacrifice du Christ, fondement du salut. Par ailleurs, Pierre de
difficilement la distinction entre "réformateur" et "hérétique", Bruis nie la possibilité d'aider les morts : Dieu les a jugés une
Pierre de Bruis rallie à sa cause les habitants de certains bonne fois pour toutes selon les mérites et les fautes
districts de la Provence, les exhortant à une dévotion accumulées de leur vivant. A Cluny, pourtant, on pouvait
chrétienne qui se dispenserait de l'intervention de l'Eglise célébrer 900 messes pour le repos éternel d'un moine et les
institutionnelle. Il les incite à se rebaptiser, à rejeter le bienfaiteurs laïcs faisaient des dons fonciers importants pour
sacrement de l'Eucharistie, à détruire les églises et à bénéficier des messes après leur mort et parfois d'une
renverser les autels. A St Gilles du Gard en 1119, il allume sépulture au monastère. Le sujet est délicat pour Pierre Le
un bûcher pour y brûler des crucifix, signes d'un instrument Vénérable, car certains des moines "réformés", Cisterciens
de torture qu'on ne devrait, selon lui, nullement vénérer. Mais notamment, rejettent également ces pratiques. Dans son De
les fidèles indignés y jettent l'hérésiarque lui-même, qui périt Miraculis, Pierre raconte plusieurs histoires de revenants qui
dans les flammes. Telle est au moins la version des faits réclament des prières et des messes posthumes pour
racontée par Pierre le Vénérable vingt ans plus tard, quand il abréger le temps durant lequel ils doivent purger leurs
écrit, pour en arrêter la propagation, une réfutation de "cette peines. La mort ne saurait arrêter les échanges de faveurs
hérésie stupide et impie qui tue plusieurs personnes, comme entre moines et laïcs. Dans le Contre les Pétrobrusiens,
une sorte de pestilence". l'abbé soutient que les prières des vivants peuvent aider les
L'analyse du pamphlet Contre les Pétrobrusiens constitue le morts si ceux-ci sont des morts "moyens" qui ne se trouvent
volet central de la riche étude de Dominique Iogna-Prat. ni au Paradis ni aux Enfers, mais dans un espace
Nous ne connaissons l'hérésie pétrobrusienne qu'à travers la intermédiaire qui sera appelé (quelques décennies plus tard)
diatribe de leur adversaire. C'est Pierre qui définit les le Purgatoire.
préceptes fondamentaux de l'hérésie et qui les rejette en Pour Pierre le Vénérable cependant, la plus grave de toutes
maniant les armes rhétoriques que sont la raison (ratio) et ces erreurs d'inspiration diabolique est le rejet de
l'autorité textuelle (auctoritas). Les doctrines des l'Eucharistie : les Pétrobrusiens affirment que la
Pétrobrusiens ne sont pas seulement "fausses" du point de transsubstantiation ne s'est produite qu'une seule fois, durant
vue de la théologie chrétienne; elles minent aussi — et c'est la Cène, et qu'elle ne peut plus avoir lieu. Or c'est
plus grave — les délicates structures de la société chrétienne précisément le miracle quotidien de la transsubstantiation qui
dont Cluny se vante d'être la tête. Les hérétiques donnent définit et justifie le rôle du clerc dans la société. Cette
une image inversée de la société chrétienne de laquelle ils transmutation des espèces est, nous dit D. Iogna-Prat, une
sont exclus. En s'érigeant contre eux, Pierre le Vénérable métaphore de l'ordre social que Pierre le Vénérable définit
nous livre une "sociologie de la Chrétienté", une description dans son ouvrage. L'Eglise existe justement pour faciliter la
des rapports sociaux qu'il veut défendre. transmutation du laïc en moine, des terres seigneuriales en
Pierre de Bruis dénonce le baptême des enfants, affirmant tenures monastiques, du mort purgeant ses péchés en élu
que seuls les adultes peuvent consentir à leur intégration céleste. Les erreurs des Pétrobrusiens seraient ainsi autant
rituelle dans l'Eglise. Pierre le Vénérable défend cette de ruses imaginées par le Diable pour miner la structure de
pratique qui intègre l'enfant dans un système de cercles dont la société chrétienne.
il est le centre, cercles de sa famille charnelle, de ses Le Contre les Pétrobrusiens est un tract singulier. Certes,
parrains, et de l'Eglise qui constitue sa nouvelle famille Pierre s'inscrit dans la tradition patristique : il note (ici comme
spirituelle. Les liens qui unissent cette communauté se au début de son Contre la secte ou l'hérésie des Sarrasins)
tissent et s'affirment lors des rites sacramentaux tels que le que les Pères ont toujours défendu l'Eglise contre les erreurs
baptême, rites qui se déroulent dans un espace consacré, des hérétiques grâce à leur plume; puisque personne ne l'a
l'église. Aussi, quand les Pétrobrusiens affirment que encore fait contre les Pétrobrusiens ou les Sarrasins, il
"L'Eglise" est l'ensemble des fidèles et non pas une s'engage à le faire. Mais ces deux traités sont fort différents
construction en pierre, rejetant l'idée qu'un lieu ou un des écrits anti-hérétiques des Pères : dans l'esprit de la
bâtiment puisse être sacralisé, Pierre le Vénérable y voit-il "renaissance" du XIIe siècle, Pierre veut défendre la vérité
une autre atteinte à la société chrétienne; car pour lui, ce chrétienne par une argumentation rationnelle (ratio) et non
sont les fidèles eux-mêmes qui, par leur participation à la simplement par l'autorité biblique. De fait, les pratiques
messe, consacrent ces bâtiments. Pétrobrusiennes ont souvent de meilleurs fondements
bibliques que les pratiques catholiques; Pierre recourt à des

(c) Quinzaine Littéraire - Iogna-Prat Dominique "Ordonner et exclure: Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au
judaïsme et à l'islam, 1000 - 1500". Un article de Tolan John V. "Une société chrétienne hiérarchisée" Religions (christianisme)
— Histoire périodes (Moyen Age). Revue n°748 parue le 16-10-1998
stratégies rhétoriques, comme la reductio ad absurdum par seulement un "intellectuel", c'est un homme qui entretient
exemple, pour détruire les arguments de ses adversaires. De des liens familiaux avec l'aristocratie régionale, c'est un abbé
même, dans son Contre la secte ou l'hérésie des Sarrasins, il qui enseigne et qui prêche, qui gère les possessions
utilise la ratio pour attaquer l'Islam. S'inspirant de textes foncières de l'abbaye, qui reçoit des invités, qui accepte les
polémiques antérieurs écrits par des chrétiens arabophones, dons venus des laïcs et leur accorde une sépulture dans le
il s'insurge contre les contradictions qu'il trouve dans le monastère. Les exclus contre lesquels Pierre s'insurge
Coran (qu'il avait fait détruire en latin) et essaie de prouver rejettent cette organisation, rejet d'autant plus grave pour
que Mahomet ne peut être un vrai prophète. Pierre qu'il peut semer le doute chez les fidèles, d'où la
Tous ces appels à la raison, chez Pierre et chez les autres nécessité de les présenter comme des bêtes.
polémistes du XIIe siècle, ne doivent pas nous tromper. Brisant les cloisons entre les disciplines académiques
Pierre n'essaie pas d'entamer un "dialogue" avec les (histoire sociale, théologie, histoire des idées, etc. ), D.
Musulmans ou les Pétrobrusiens; son projet n'est pas non Iogna-Prat nous livre un brillant exemple de ce que la
plus d'"étudier l'Islam", comme l'avait affirmé l'historien nouvelle histoire culturelle peut nous apporter. Son analyse
James Kritzeck. Pierre se livre en vérité à des monologues, de l'exclusion des infidèles au XIIe siècle offre une riche
où l'adversaire n'a pas droit à la parole, où la raison est une réflexion sur la logique sociale de l'exclusion, logique qui n'a
arme employée par l'un seulement des partis pour attaquer malheureusement pas d'époque.
l'autre. La raison est forcément du côté de l'Eglise, et ceux
qui ne le voient pas en sont donc dépourvus. Ainsi s'établit
une hiérarchie parmi les infidèles. Au début de son Contre la
secte ou l'hérésie des Sarrasins, Pierre loue ses lecteurs
Sarrasins pour leur dévotion à la raison, qui inspire leur
érudition philosophique et scientifique : cette même raison
devrait les conduire à la vérité chrétienne. Si cela ne s'est
pas encore fait, c'est sans doute que personne ne leur avait
fourni une réfutation rationnelle des doctrines de Mahomet.
Quant aux Pétrobrusiens, Pierre propose de les convaincre
en utilisant à la fois l'autorité et la raison : "s'ils veulent rester
chrétiens, qu'ils soient contraints à cesser (leur hérésie] par
l'autorité; s'ils veulent rester humains, qu'ils y soient
contraints par la raison." Celui qui nie la raison chrétienne,
pour Pierre, n'est pas rationnel, il n'est donc pas humain.
L'argument est encore plus manifeste dans son Contre la
dureté invétérée des Juifs, texte polémique d'une virulence
inouïe. Ici ne subsiste même pas la fiction d'un dialogue.
Pierre affirme que les "fables irrationnelles" du Talmud
montrent que les Juifs ne sont pas des êtres de raison mais
de simples bêtes. Il les traite du reste de bovins, de porcs, et
de chiens. Ce n'est pas un simple excès rhétorique : dans
une lettre à Louis VII, Pierre conseille au roi de destituer les
Juifs (les ennemis internes) pour financer la croisade contre
l'ennemi externe. Défendre la société pour Pierre le
Vénérable n'inclut pas d'y préserver une place pour les Juifs.
Nous avons du mal à comprendre comment Pierre, dont les
lettres exhalent un humanisme subtil et l'amour du prochain,
puisse écrire de telles diatribes contre le judaïsme. C'est
Pierre, après tout, qui accueille Abélard à Cluny quand
celui-ci est condamné comme hérétique, qui organise ensuite
sa réconciliation avec Bernard de Clairvaux. A la mort
d'Abélard, c'est encore Pierre qui rédige une lettre à Héloïse
pour lui annoncer la mort de son ancien amant, lettre pleine
de tact et de compassion, éloquent mélange d'élégance
stylistique et de caritas chrétienne. Comment ce même
Pierre le Vénérable peut-il dénier à ses adversaires religieux
le statut d'êtres humains ? Certains ont essayé, de manière
peu convaincante, d'affirmer que Pierre était tolérant pour
son époque, que son initiative de traduire le Coran montrait
une ouverture vers l'Autre. Selon D. Iogna-Prat, la
contradiction n'est qu'apparente. Pierre se voit à la tête d'une
société chrétienne hiérarchisée dont le but est la conversion
des hommes et des biens. Ceux qui acceptent la logique de
ce système méritent l'aide et la compassion, qu'ils soient des
clercs excommuniés comme Abélard ou des brigands laïcs
repentis. Ceux qui refusent de participer à cette économie
chrétienne sont refoulés au seuil de l'humanité.
L'ordonnancement de la société chrétienne au XIIe siècle
suppose l'exclusion de tous ceux qui ne se plient pas à sa
hiérarchie "rationnelle". On a souvent voulu faire du XIIe
siècle le fourneau de la modernité : on lui a appliqué les
termes de "renaissance", "réformation" ou "humanisme"; on a
affirmé que l'Occident aurait découvert (ou inventé) l'individu
ou la conscience morale au XIIe siècle. Mais on y a situé
aussi les origines de ces fléaux modernes que sont
l'intolérance et l'exclusion. D. Iogna-Prat se range dans la
lignée d'autres historiens (Alexander Murray ou Robert
Moore par exemple) qui ont montré comment les élites
intellectuelles ont cherché à ordonner la société chrétienne et
à en exclure les "marginaux". Mais il va plus loin en liant
l'histoire intellectuelle à l'histoire sociale : non content de
décrire les raisons intellectuelles et théologiques de
l'exclusion, il en expose le fondement social. Pierre n'est pas

(c) Quinzaine Littéraire - Iogna-Prat Dominique "Ordonner et exclure: Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au
judaïsme et à l'islam, 1000 - 1500". Un article de Tolan John V. "Une société chrétienne hiérarchisée" Religions (christianisme)
— Histoire périodes (Moyen Age). Revue n°748 parue le 16-10-1998

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