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- 1094011280
FONDÉE EN 1876
PAR GABRIEL MONOD
publiée avec le concours de la 4) Section
de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes et de
l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
587
JUILLET-SEPTEMBRE 1993
.
J. VINCENT : Sur les premières images historiques dans la
production grecque 3
D. BARTHÉLÉMY : Qu'est-ce que la chevalerie en France
aux Xe et XI» siècles ? 15
M. BATTESTI : Vauban, thuriféraire de Cherbourg ou de l'inci-
dence de la bataille de la Hougue sur le destin du port de
Cherbourg . . . . . .. . . . . .. . .. .. . . . . 75
P. PIASENZA : Opinion publique, identité des institutions,
« Absolutisme Le problème politique de la légalité à Paris
entre le XVII» et le XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . .
.. 97
N. VIVIER : Une question délaissée : les biens communaux
aux XVIIIe et XIX« siècles . .. . . . .. . .. . . . . . . .. . .. 143
d'un séminaire . .. . . . .. . . ..
J. de VIGUERIE : Les ce Lumières » et les peuples. Conclusions
161
G. SCHULZ : Nouvelles recherches sur l'histoire économique
des XIX° et XXe siècles en Allemagne 191
Puf
REVUE HISTORIQUE
DIRECTEURS :
JEAN FAVIER RENÉ RÉMOND
DIRECTEUR GÉNÉRAL PROFESSEUR
DES ARCHIVES DE FRANCE A L'UNIVERSITÉ DE PARIS-NANTERRE
PROFESSEUR PROFESSEUR
A L'UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE A L'INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES
-
Secrétaire adjointe : Marie-Noëlle DELAINE
RÉDACTION :
Toute correspondance concernant la rédaction
doit être adressée impersonnellement au Secrétariat de la « Repue historique » ;
Archives nationales, 60, rue des Francs-Bourgeois, 75141 Paris Cedex 03
Tél. (1) 40 27 60 23 et (1) 40 27 61 40
tive, avoir été conçues pour être des portraits. Tout en réalisant histo-
riquement, dans le prolongement des couroi et corés rudimentaires du
sixième siècle, quelques-uns des tout premiers essais connus de repro-
duction en ronde-bosse de types grecs non issus du répertoire mythi-
que traditionnel.
Si les sources épigraphiques ne le dépouillent que de loin en loin
d'un anonymat prédominant et persistant au fil des âges, encore le
portrait ne ferait-il en Grèce l'objet d'aucune pratique séparée et y
demeurerait-il presque toujours une branche de la sculpture indiffé-
remment exercée par le personnel artistique ordinaire. Le plus sou-
vent par des maîtres de second rang. Et, à de rares exceptions près,
des maîtres dont se dérobe à tout jugement sur pièce le catalogue.
Quand sur celui-ci ne sont pas muets les écrits. Ou quand sur ceux-là
n'est pas tombé le linceul de l'oubli.
A telle enseigne que dans l'oeuvre des grands maîtres athéniens
antérieurs à Lysippe est à peine représenté le portrait. Et que n'a pra-
tiquement émergé de l'oubli des siècles aucun artiste de l'Age Classi-
que y ayant sacrifié dont le nom ne soit en même temps associé à
une production d'inspiration sacrée généralement plus importante.
De personnalités du cinquième siècle cependant assez éloignées du
courant mythique traditionnel, échet-il à tout le moins de dire un mot
en considération de la primauté par elles accordée au thème de la
figure humaine virile ?
Assurément ni Myron ni Polyclète ne tentèrent de la pourvoir d'une
quelconque signification individuelle.
Appliqué à en parfaire la synthèse par l'équilibre souverain de la
ligne et du volume, leur génie ne pouvait les porter qu'à effacer dans
le modèle toute trace d'imperfection temporelle pour le vouloir paré
par la nature de ses plus prestigieux attributs. Un idéal que matéria-
lise dans le bronze au Musée National de Naples une réplique en buste
du Doryphore. Faisant rayonner du sujet la mâle et seule beauté physi-
que. En même temps que ressortir la manière dont Polyclète interro-
geait la réalité pour la transfigurer plastiquement : alors que seule
la forme en hermès peut laisser supposer qu'elle a été exécutée en
vue d'un portrait, la tête ne s'affranchit pas du type grec général et
ne laisse rien entrevoir de la vie intérieure.
De même va-t-il sans dire que ne pouvaient être que des créations
idéales les statues de pancratiastes sorties des mains de Myron.
A tout le moins est-on tenté d'admettre que Myron et Polyclète
aient pu, le cas échéant, s'essayer au portrait. Myron plus particuliè-
rement. A l'atelier ou à l'école de qui devraient être rendus des têtes
ou bustes dont la conception encore sommaire dénonce l'influence per-
sistante de l'archaïsme. Tout en nous permettant de mieux appréhender
Sur les premières images historiques dans la production grecque 7
13. L. Laurenzi, Rilratti Greci, Firenze, 1941, p. 88, n° 8, pI. II, fig. 8.
14. Kekule von Stradonitz, Strategenkôpfe, Abhandlungender K. Preuss, Akademieder Wiss., 1910, p. 9 s.
15. Adolf Furtwângler, Masterpieces Of Greek Sculpture, 1906, p. 175, s.
8 Jacques Vincent
21. Tonio Hôlscher, Die Aufstellung des Perikles Bildnisses und ihre Bedeutung, in K. Fittschen, Op.
cit., p. 377 s., pI. 19, fig. 1 et 2.
10 Jacques Vincent
22. Gisela M. A. Richter, The Portraits of the Greeks, Londres, 1965, vol. I, p. 103, n° 103,
fig. 429 à 431.
23. Tonio Hôlscher, Op. cit., in K. Fittschen, Op. cit., p. 382, pi. 20, fig. 1.
24. J. J. Bernoulli, Griechische Ikonographie, 1905, I, p. 112 s.
25. Wolfgang Helbig, Fuehrer durch die AntikensammlungenRoms, n° 411.
Sur les premières images historiques dans la production grecque 11
Jacques VINCENT.
30. K. Fittschen, Op. cit., p. 24, pI. 73, fig. 1 et 2, et pI. 75, fig. 1 et 2.
31. A. FurtwAngler, Masterpieces qf Greek Sculpture, p. 128.
Sur les premières images historiques dans la production grecque 13
SOURCES
Renvoient aux sources les plus informatives sur les commencements de l'ico-
nographie dans l'art grec les travaux rappelés ci-après :
1. D. Barthélémy, « Qu'est-ce que le servage en France au XIe siècle ? », dans RH 287, 1992,
p. 233-284.
2. M. Zimmermann, coord. Les sociétés méridionales autour de l'an mil. Répertoire des sources et docu-
ments commentés, Paris, 1992, p. 7.
3. J.-P. Poly et E. Bournazel, La mutationféodale, XIe -XIIe siècle (1980), 2e éd., Paris, 1991, p. 173.
4. J. Flori, L'essor de la chevalerie, XIe-XIIe siècles, Genève, 1986 (Travaux d'histoire éthico-politique. 46).
5. J. Flori, L'idéologie du glaive. Préhistoire de la chevalerie, Genève, 1983 (Travaux d'histoire éthico-
politique. 43).
6. R. Le Jan, « Apprentissages militaires, rites de passage et remises d'armes au haut Moyen
Age », dans P. A. Sigal, dir. Initiation, apprentissage, éducation au Moyen Age, Montpellier, 1993, p. 213-222.
7. G. Duby, « Les origines de la chevalerie » (1968), repris dans La société chevaleresque, Paris,
1988, p. 34-53 (p. 42).
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 17
8. Ainsi, pour « militiam recipere » : « être admis aux armes » ; pour « militiam exercere » : faire
d'armes », etc.
9. P. Guilhiermoz, Essai sur l'origine de la noblesse en France au Moyen Age, Paris, 1902, p. 391.
Traduire « chevalier » ou « vassal par le latin miles, comme le font les chartes et les chroniques
»
de part et d'autre de l'an mil, présuppose que ce sont là les seuls soldats véritables, légitimes.
10. Il est même l'effet d'une donnée sociale initiale, plutôt que sa
cause.
18 Dominique Barthélémy
11. Les deux aspects sont liés, comme le montre P. Veyne, Comment on écrit l'histoire, Paris, 1971,
p. 167.
12.H. de Sainte-Marie, « Dissertations historiques et critiques sur la chevalerie [...] » (1718),
dans P. Girard-Augry éd., Dissertations sur l'ancienne chevalerie, Paris, 1990, p. 25.
13. Ibid, p. 25.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 19
14. F. Guizot, Histoire de la civilisation en France depuis la chute de l'empire romain, tome III, Paris,
1846, p. 222. Cet auteur rapproche, à l'occasion, les anciens Germains des Iroquois, mais son com-
paratisme s'arrête au seuil de l'histoire nationale. Or c'est au Xe siècle que sa génération (Michelet,
notamment) reconnaît, pour la première fois, le visage de la France.
15. Ibid., p. 334.
16. Dans la Vita Hludovici de « L'Astronome » (MGH. SS. II, p. 610 et 838).
17. F. Guizot, Histoire de la civilisation... (cité supra, note 14), p. 351-352. En même temps, il
écarte l'idée que l'adoubement soit « une manière d'hommage » (p. 350).
18. Ibid., p. 353.
19. Ibid., p. 354.
20 Dominique Barthélémy
28. J. Flach, Les origines de l'ancienne France, tome II, Paris, 1893, p. 569. Ces lignes visent impli-
citement L. Gautier, La chevalerie, Paris, 1884.
29. Selon lui, le rite même de l'adoubement procède du monde germanique, peut-être de l'adoption
par les armes (ibid., p. 563). L'idée vient de du Cange, et repose sur une fausse étymologie d'« ado-
ber » (adoptare) : cf. injra, note 74 ; mais Flach souligne à juste titre le placage artificiel de l'expres-
sion, toute romaine, de cingulum militie sur le rite médiéval.
30. Ibid., p. 570.
31. Essai... (cité supra, note 9), p. 346.
32. Ibid., p. 337-338. P. Guilhiermoz souligne le double emploi de chacun de ces deux mots,
en sens « relatif » (miles ou vassalus alicuius) et en sens « absolu ». La vassalité se lie intrinsèquement
à l'équipement chevaleresque : dès lors qu'il est devenu militairement décisif, c'est-à-dire au VIIIe siècle,
il a fallu entrer en vassalité pour se le procurer (p. 450).
33. Aux vassi dominici, distingués du tout-venant par cette épithète, succèdent des milites de pre-
mier ordre, dignes de périphrase flatteuse (p. 145-147) ; mais d'un autre côté, on use du titre chevale-
resque pour caractériser la strate inférieuse des petits vassaux, par rapport à celle des « barons » (p. 166).
34. Les premiers Capétiens... (cité supra, bote 23), p. 139.
35. J. Flach, Les origines... (cité supra, note 28), p. 564-565.
36. A. Luchaire, Les premiers Capétiens (cité supra, note 23), p. 139.
22 Dominique Barthélémy
43. D. Barthélémy, La société dans le comté de Vendôme, de l'an mil au XIVe siècle, Paris, 1993, p. 733-735.
44. M. Bloch, La sociétéféodale... (cité supra, note 26), p. 414-415 : à lire les textes de la paix
de Dieu, il lui paraît que ces âmes ne distinguaient pas les nuances entre les violences « presque
légitimes » et le « pur brigandage, brutal et mesquin » — il est vrai séparés par une « suite de transitions ».
45. Ibid., p. 437 : au premier âge féodal la chevalerie était « avant tout, tantôt une situation
de fait » (l'union du cheval et de l'équipement complet, signe et moyen de la noblesse : p. 405-406),
« tantôt un lien de droit, mais purement personnel » (la vassalité, certes dotée d'un code, mais ani-
mée souvent par le « vieil idéal de la guerre pour la guerre, ou pour le gain » : p. 443).
46. Ibid., p. 437.
47. Ibid., p. 230.
48. Ibid., p. 437. Elle fut « le symptôme d'une modification profonde de la notion de chevalerie ».
49. Ibid., p. 435-436.
50. D. Barthélémy, La société... (cité supra, note 43), p. 30-32, et 61-64.
51. Cf. infra, p. 48.
52. G. Duby, La société... (cité supra, note 41), p. 191-201.
53. D. Barthélémy, « Note sur le "titre chevaleresque" en France au XIe siècle », à paraître
dans Journal des Savants, 1994.
24 Dominique Barthélémy
54. Au demeurant, les éléments apportés par M. Bloch (La sociétéféodale..., p. 435-447) à l'appui
de la transformation de la chevalerie, s'étalent sur près d'un siècle : 1050-1150.
55. Cf. M. Zimmermann, cité supra, note 2 : « entre la noblesse et la rusticité ».
56. M. Garaud, Les châtelains de Poitou et l'avènement du régime féodal, XI' et XII' siècles, Poitiers,
1964 (Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 4' série, VIII) : p. 219 : en matière de société,
tout ici est de la « vieille école ».
57. Supra, p. 16 : Ce type de parcours est en partie celui de L. Musset (« L'aristocratie nor-
mande au XIe siècle », dans P. Contamine dir., La noblesse au Moyen Age, Paris, 1976, p. 89-92),
et celui de R. Fossier (La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du XIIIe siècle, 1968, 2e éd.,
Amiens, 1987, p. 246).
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 25
58. G. Duby, La société... (cité supra, note 41), p. 196 La chevalerie de l'an mil est l'ancienne
: «
"noblesse" pourvue enfin d'un contour et d'une définition, qui s'est cristallisée autour du métier
des armes et des privilèges juridiques qu'il procure. »
59. Ibid., p. 191.
60. Ibid., p. 212 : « Après un moment d'hésitation, les deux classes laïques ont [...] trouvé leurs
frontières et maintenant la chevalerie est bien close. »
61. Ibid, p. 198.
62. Ibid., p. 338.
63. D. Barthélémy, « Note sur le titre... » (cité supra, note 53).
26 Dominique Barthélémy
plus cérémoniel à la fin du XIIe siècle. Mais tout le débat doit porter
sur l'appréciation des remises d'armes antérieures. Sans les séparer
radicalement de l'adoubement classique75, sa plume les déclare un peu
vite non solennelles, « simples », « purement techniques ». Il tend finale-
ment à faire d'elles, soit l'investiture seigneuriale du jeune noble76, soit
la remise à des chevaliers de métier, sans noblesse, des instruments de
leur activité professionnelle : quelque chose comme le rite d'entrée
dans une corporation77. Or d'un tel adoubement, que postule aussi,
non sans logique, le mutationnisme radical de P. Bonnassie78, force
est bien de dire qu'il n'y a aucun indice sûr dans les textes.
Les monographies régionales des vingt-cinq dernières années élè-
vent le débat, ou plutôt elles l'abaissent, ajuste titre, en attirant l'attention
sur ces cavaliers ou chevaliers (on ne sait quel mot choisir) de peu
ou pas de noblesse, que rencontre incidemment tout lecteur de cartu-
laires : elles les disent « guerriers professionnels », créés par les sires
leurs maîtres79, « soldats stipendiés, refoulés en queue des témoins »80,
« cavaliers de garnison »81, simples « hommes de troupe »82 (ou encore,
pour une autre historienne de l'adoubement, « groupement profes-
sionnel subalterne »83). Mais ces expressions viennent assez arbitrai-
75. J.Flori, « Les origines de l'adoubement chevaleresque : étude des remises d'armes et du
vocabulaire qui les exprime dans les sources historiques latines jusqu'au début du XIIIe siècle », dans
Traditio 35, 1979, p. 209-272. Il y avait dans la remise des armes un « rite préexistant que la chevale-
rie a emprunté en modifiant son symbolisme » (p. 245). C'est presque le problème classique (cf.
F. Guizot et M. Bloch) de l'emprunt médiéval au fond germanique ; simplement, J. Flori situe le
remaniement « chevaleresque » plus tard que ne le faisait la vieille école.
76. J. Flori, L'essor... (cité supra, note 4), p. 43-78.
77. J. Flori, « Sémantique et société médiévale... » (cité supra, note 74), p. 922 : « Dans la plu-
part des cas, il s'agit de l'entrée dans une profession, celle des guerriers à cheval ».
78. P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du X' à la fin du XI' siècle. Croissance et mutations d'une
société, 2 vol., Toulouse, 1975 et 1976 (Publications de l'Université de Touhuse-Le Mirait), II, p. 806.
79. M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux en Bas-Languedoc : genèse d'une sociabilité(Xe-XIVesiècle),
tome I, Paris, 1987, p. 124. Cf. aussi M. Bur, Laformationdu comté de Champagne, Nancy, 1977 (Publi-
cations de l'Université de Nancy II), p. 416. Egalement R. Fossier, La terre et Us hommes... (cité supra,
note 57), p. 246 : « les hommes de guerre de métier au service d'un détenteur de ban qui n'hésite
pas à dire mei milites ».
80. R. Fossier, La terre et les hommes... (1re éd., Paris-Louvain, 1968), p. 539.
81. P. Bonnassie, La Catalogne... (cité supra, note 78), II, p. 806. Cf. aussi R. Fossier, « Le
Vermandois au Xe siècle », dans « Media in Francia ». Recueil de mélanges offert à K. F. Werner, Paris,
1989, p. 183 : « au niveau de garnisaire domestique ».
82. E. Magnou-Nortier, La société laïque et l'Eglise dans la province ecclésiastique de Narbonne(zone cispyré-
néenne) de la fin du VIIIe siècle à la fin du XIe siècle, Toulouse, 1974 (Publications de l'Université de Touhuse-
Le Mirai. 20), p. 254 : les grands ont des droits de gîte (albergue), avec tant de milites ou caballarii, qui
« ne sont pas des chevaliers », mais « plutôt des hommes de troupe formant la garde montée d'un
riche propriétaire alleutier, d'un bayle influent, ou d'un viguier exerçant les privilèges de sa fonction ».
83. C. M. Van Winter, « Cingulum Militiae. Schwertleite en miles- terminologie als spiegel van
veranderend menselijk gedrag », dans Revue d'Histoire du Droit/Tijdschriftvoor Rechtsgeschiedenis44, 1976,
p. 47. Cette historienne n'attribue cependant pas à l'adoubement la valeur d'un rite professionnel :
tous les textes qu'elle cite montrant des remises d'armes nobles et royales, il faut qu'elles se soient
en quelque sorte vulgarisées.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 29
84. G. Duby, « La vulgarisation des modèles culturels dans la société féodale » (1967) repris
dans La société chevaleresque, Paris, 1988, p. 201. Le cas illustrerait un « mouvement de sens inverse »
à ce qui se passe généralement.
85. G. Duby, La société... (cité supra, note 41), p. 197-198.
86. J. Flory, L'essor... (cité supra, note 4), p. 3.
87. G. Duby, « Les origines... » (cité supra, note 7), p. 42 et 46.
88. A. Chédeville, Chartres et ses campagnes, XIe-XIIIe s., Paris, 1973 (Publications de l'Université
de Haute-Bretagne), p. 312.
30 Dominique Barthélémy
militaire public », tout au long du XIe siècle (1972)89 et, par exem-
ple, P. Bonnassie, pour qui l'irruption des milites en Catalogne rime
avec des liens privés (féodo-vassaliques) et la rupture de la paix
publique90. Le premier a fondé en 1953 son modèle maçonnais sur
le refus de l'équivalence « guilhiermozienne » entre miles et vassus, tandis
que pour le second, «. c'est dans le cliquetis des armes et le déchire-
ment du tissu social »91 que se répandent ensemble, en Occitanie la
vassalité et la chevalerie.
A y regarder de près, avec une acribie qui n'exclut ni le respect
dû aux maîtres ni la considération méritée par leurs travaux, les posi-
tions « mutationnistes » manquent de précision et d'uniformité. Faut-
il pourtant leur reprocher de mettre de la complexité, à la place des
équations fortes, mais simplistes, de la vieille école ? Certainement
pas. Grâce à G. Duby, le miles du XIe siècle cesse d'être un « homme
féodal » unidimensionnel. Quant aux hésitations dans la traduction
du mot — cavaliers, ou chevaliers ? — aux apories mêmes auxquel-
les les choix conduisent, elles tiennent toutes à un propos fonda-
mentalement juste : faire sentir que la chevalerie des Xe et XIe siècles
est un milieu moins trié, moins uniformément noble, qu'on ne le
croyait jadis.
89. G. Duby, Lignage, noblesse et chevalerie au XIIe siècle dans la région mâconnaise. Une
«
révision » (1972), repris dans La société chevaleresque, Paris, 1988, p. 114.
90. P. Bonnassie, La Catalogne... (cité supra, note 78), II, p. 569-573 et 797-806.
91. P. Bonnassie, « Du Rhône à la Galice : Genèse et modalités du régime féodal », dans Structu-
res féodales et féodalisme dans l'Occident méditerranéen (Xe-XIIIe siècles), Rome, 1980 (Collection de l'Ecole
Française de Rome. 44), p. 37.
92. A. Barbero, « Noblesse et chevalerie... » (cité supra, note 66).
93. A. Barbero, L'aristocrazia nelle società francese del Medio Eve. Analisi déliefonte letterarie (secoli X-
XIII), Bologne, 1987, p. 57-85. Cf. aussi D. Barthélémy, « Note sur l'adoubement dans la France
des XIe et XIIe siècles », dans H. Dubois et M. Zink dir., Les Ages de la vie au Moyen Age, Paris, 1989
(Cultures et civilisations médiévales. VII), p. 107-117.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 31
94. C. M. Van Winter, « Cingulum Militiae... (cité supra, note 83) : vers 1050, on passerait d'un
rite d'entrée dans l'âge adulte à une « promotion à l'état de chevalier » (p. 47) ; mais les deux aspects
ont-ils jamais été distingués l'un et l'autre, avant le XIIIe siècle ?
95. A. Barbero, L'aristocrazia... (cité supra, note 93), p. 82.
96. D. Barthélémy, La société... (cité supra, note 43), p. 362-363, 511-513, 562-564. L'an mil
a marqué un ajustement politique, propre à éviter le changement social ; ce dernier ne se dessine
que très lentement.
97. D. Barthélémy, « Note sur le titre... (cité supra, note 53).
»
32 Dominique Barthélémy
104. P. Jonin, Le climat de croisade des chansons de geste », dans Cahiers de Civilisation Médié-
«
vale 7, 1964, p. 279-288. Roland passe pour une épopée proche de 1097.
105. E. de Latour, « La paix destructrice », dans J. Bazin et E. Terray, Guerres de lignages et
guerres d'Etat en Afrique, Paris, 1992, p. 249. Cf. également p. 11 (critique du mot « violence » qui
suggère trop de désordre et d'indétermination) et p. 31 (la guerre comme rapport social). Cf. aussi
un autre ouvrage collectif et suggestif : R. Verdier dir. La vengeance, tome 2, Paris, 1980, La vengeance
dans les sociétés extra occidentales.
106. J. Bazin et E. Terray, Guerres de lignages..., p. 22.
34 Dominique Barthélémy
107. J. Decaëns, « La motte d'Olivet à Grimbosq (Calvados), résidence seigneuriale du XIe siè-
cle », dans Archéologie Médiévale 9. 1979, p. 189.
108. A. Debord, « A propos de l'utilisation des mottes castrales », dans Château-Gaillard11, 1983,
p. 91-99.
109. R. et M. Colardelle, « L'habitat immergé de Colletière à Charavines (Isère). Premier bilan
des fouilles », dans Archéologie Médiévale 10, 1980, p. 167-203. Egalement, M. Colardelle et E. Verdel,
Chevaliers-paysans de l'an mil au lac de Paladru, Paris, 1993.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 35
110. La meilleure illustration en est dans : C. Lauranson-Rosaz, L'Auvergne et ses marges (Velay,
Gévaudan) du VIII' au XI' siècle, Le Puy, 1987 (Les Cahiers de la Haute-Loire), p. 51-67. Mais on peut
noter aussi, avec C. Duhamel-Amado (thèse à paraître) comment les comtes de Toulouse butent,
en Languedoc, sur les patrimoines et sur le capital symbolique des héritiers des Guilhemides.
111. K. F. Werner, « Du nouveau... » (cité supra, note 67), p. 193.
112. Ibid., p. 190.
113. Ibid., p. 198.
114. Ibid., p. 196.
36 Dominique Barthélémy
que le miles n'est pas homicide, « cum obediens postestati, sub qua légitime
constitutus est, hominem occidit voilà bien le principe de l'armée au
» 115 :
sens moderne, de la guerre d'Etat. Toute la documentation du XIe
siècle, du célèbre canon I du concile de Narbonne (1054)116 au car-
tulaire tourangeau de Noyers117, suggère qu'il n'est alors pas appli-
qué ; le chevalier est responsable de ses actes de guerre, ni l'Eglise
ni surtout la société ne l'en tiennent quitte — ce qui doit l'inciter,
soit dit en passant, à modérer son agressivité. Mais le principe augus-
tinien valut-il vraiment au IXe siècle ? On peut en douter118.
Trop peu de sources et pas de notices « narratives » : on peine
à vérifier les répercussions sociales profondes des législations carolin-
giennes. Mais il y a des signes qui ne trompent pas. Charlemagne
pouvait punir les désertions en cours de campagne, mais non pas retenir
les nobles dans la militia, s'ils préféraient le cloître. Son règne et ceux
de ses descendants sont émaillés de révoltes ; les capitulaires repèrent
l'interdiction des bandes armées 119 avec une constance qui fait dou-
ter de son effet. Certes, les grandes entreprises militaires du VIIIe siè-
cle, complétées après 790 par un effort inouï d'extension des préroga-
tives judiciaires royales et par des ordres de « mobilisation générale »,
ceci ressemble fort à un passage à « l'Etat ». Mais s'il y a déjà selon
le mot de F. L. Ganshof, un « échec de Charlemagne », que dire,
à terme, de ses descendants ? L'Etat carolingien, mort-né, n'a pas
monopolisé la violence légitime ; il compte surtout sur les « seigneurs »
pour mener leurs dépendants libres à l'ost. Même sa justice suppose
fondamentalement, comme le montre bien la légal anthropology anglo-
saxonne, une « interpénétration du public et du privé » 120.
115. PI. 125, col. 842, cité et commenté par J. FLori, L'idéologie... (cité supra, note 5), p. 54.
116. L. Huberti, Studien zur Rechtsgeschichte der Gottesfrieden undLandfrieaen, Ansbach, 1892, p. 317.
On cite trop souvent sa première partie seule : a ut nullus chrisiianorum alium quemlibet christianumoccidat,
quia qui christianum occidit, sine dubio Christi sanguinemfundit » ; elle préparerait à la croisade (détourne-
ment de la violence contre l'Infidèle). En réalité, les canons de paix et trêve de Dieu ne doivent
jamais être tronqués. Ici comme ailleurs, la suite donne le sens : « si quis vero, quod non optamus, iniuste
hominem occiderit, per legem eum emendet » ; il ne s'agit donc que d'affirmer que tout meurtre doit faire
l'objet d'une composition judiciaire, ce qui est un principe social de base.
117. C. Chevalier, Cartulaire de l'abbaye de Noyers, Tours, 1872 (Mémoires de la Société archéologique
de Touraine. XXII), n° 67, 310, 320, 355 ; cf. les commentaires de S. White, « Feuding and peace-
making in the Touraine around the year 1100 », dans Traditio 42, 1986, p. 195-263.
118. Cf. à tout le moins, les depredationes commises sur les terres de Fleury et punies par Dieu,
au cours des guerres intestines du règne de Louis le Pieux : E. de Certain, éd. Les miracles de saint
Benoît, Paris, 1858 (Société de l'histoire de France), p. 61.
119. R. Le Jan, « Satellites et bandes armées dans le Monde franc (VIIe-Xe siècles) » dans Le
combattant au Moyen Age (Société des HistoriensMédiévistes de l'Enseignement Supérieur Public), Saint-Herblain,
1991, p. 97-105. Selon elle, le royaume est, au Xe siècle, « de nouveau livré aux violences des bandes
armées » (p. 104). Mais elle voit à tort, selon nous, « des professionnelsde la guerre » dans les caballa-
rii de Saint-Bertin (p. 105).
120. P. Geary, « Moral Obligations and Peer Pressure, Conflict Resolution in the médiéval Aris-
tocracy », à paraître dans Mélanges G. Duby, Paris.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 37
121. F. L. Ganshof, Qu'est-ce que laféodalité ?, 5e éd., Paris, 1982, p. 60 et 83 (traduction abusive,
cependant, de servitus par « esclavage », p. 60).
122. Ibid., p. 44-45. Contre F. L. Ganshof, pour qui miles signifie « militarisation », F. Cardini
donne le classicisme latin du terme comme cause de son succès : Aile radici délia cavalleria médiévale,
Florence, 1981, p. 315.
123. D. Barthélémy, « Note sur le titre... » (cité supra, note 53).
124. Ibid..
125. PI. 133, col. 645, 653, 672.
126. Ibid, col. 647.
127. E. de Certain, éd. Miracles... (cité supra, note 118), p. 55. Cet officialis a touché des pots
de vin des deux côtés. Le saint le frappe exactement de la même manière qu'il le fera plus loin pour
les milites des Xe et XIe siècles ; il affole son cheval qui se cabre, et l'homme se casse la jambe.
38 Dominique Barthélémy
128. B. Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris, tome I, Paris, 18 (Coll. de documents inédits),
p. 276. Cf. K. F. Werner, « Du nouveau... » (cité supra, note 67), p. 193.
129. L. Huberti, Studien... (cité supra, note 116), p. 130.
130. Eginhard, Vie de Charlemagne, éd. et trad. L. Halphen, 2e éd., Paris, 1967 (Les Classiques
de l'Histoire de France au Moyen Age), p. 70.
131. L'Astronome, Vita Hludovici, éd. G. Pertz (MGH, SS. II), p. 610.
132. Ibid., p. 643.
133. E. Pérard, Recueil de plusieurs pièces curieuses servant à l'histoire de Bourgogne, Marseille, 1910, p. 53-55.
134. M. Deloche, Cartulaire de l'abbaye de Beaulieu-en-Limousin, Paris, 1859 (Coll. de documents
inédits), n° 50.
135. PL 133, col. 657.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 39
136. C. M. Van Winter, « Cingulum Militiae... » (cité supra, note 83), p. 48.
137. J. Flori, L'essor... (cité supra, note 4), p. 342 et 385.
138. F. Mosès, éd. et trad. Lancelot du Lac, Paris, 1991 (Lettres gothiques), p. 398-410. P. de Beau-
manoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, tome II, Paris, 1900, p. 235 : ce passage justifie en
même temps la royauté.
139. Précieuse discussion de la révolution de Terrier » au VIIIe siècle dans P. Contamine, La
«
guerre au Moyen Age, 3' éd., Paris, 1992, p. 315-320. Mais la « chevalerie » est aussi une « glaiverie... »
40 Dominique Barthélémy
140. A. Scobeltzine, L'art féodal et son enjeu social (1973), 2e éd., Paris, 1988, p. 192.
141. Ce terme de « renaissance », employé depuis peu, nous semble un peu excessif, parce que
la culture carolingienne demeure, malgré ses mérites, répétitive et conformiste, et un peu dangereux,
parce qu'il fait croire à une restauration de Rome, à une renaissance de l'Etat. En revanche, il y
a bien « renaissance », au XIIe siècle, d'une culture plus vigoureuse et novatrice, inferférant avec
la genèse de l'Etat moderne (cf. Jean de Salisbury).
142. G. Duby, « Les origines... » (cité supra, note 7), p. 47.
143. PL 133, col. 646, 647, 653.
144. Ibid., col. 654.
145. Il est commodément traduit, dans J. Richard, L'esprit de la croisade, Paris, 1969, p. 136-152.
146. La Chanson de Roland, éd. P. Jonin, Paris, 1979 (Collection Folio), p. 320 (v. 3303-3307).
147. Si Roland se charge de l'arrière-garde (Ibid., p. 114 et 116, v. 768 et 788) et refuse de
sonner du cor (Ibid., p. 140 et 192, v. 1075-1076 et 1705-1706), c'est pour l'honneur de sa parenté
avant tout. Il compte au moins autant que le dévouement au seigneur (évoqué p. 144, v. 1117),
qui retenait pourtant seul l'attention de la vieille école (J. Flach).
148. L'expression est appliquée à la Vie de Géraud d'Aurillac par J. Martindale, « The French
aristocracy in the early Middle Ages : a reappraisal », dans Past and Présent 75, may 1977, p. 5-45
(p. 26). A cette époque, la sociabilité chevaleresque semble plus festoyante (banquets) que tournoyante.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XI' siècles ? 41
149. J. Flori, L'essor... (cité supra, note 4), p. 3. A notre avis, il ne faut pas confondre l'éthique
et l'idéologie. Nous prenons cette dernière au sens althussérien.
150. G. Duby, « Les origines... » (cité supra, note 7), p. 46.
151. J. Flori, L'idéologie... (cité supra, note 5), p. 65, 79, 83.
152. Ibid., p. 112.
153. G. Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, 1978.
154. P. Guilhiermoz, Essai... (cité supra, note 9), p. 371.
42 Dominique Barthélémy
155. D. Iogna-Prat, « Le "baptême" du schéma des trois ordres fonctionnels, l'apport de l'école
d'Auxerre dans la seconde moitié du IXe siècle », dans Annales ESC, 1986, p. 101-126 (p. 106-107).
156. Cf. J. Dévisse, Hincmar, archevêque de Reims (845-882), 3 vol., Genève, 1975-1976 (Travaux
d'histoire éthico-politique. XXIX), p. 498-499. Influencé par l'article de G. Duby de 1968 (cité supra,
note 7), cet historien identifie arbitrairement les pauperes aux « petits milites » ; la « désaffection » de
la fonction guerrière au IXe siècle nous semble aussi à nuancer : c'est le point de vue de quelques clercs.
157. Il est de fait que les textes du IXe siècle exaltent assez peu la « guerre d'Etat ». Voir cepen-
dant Ermold le Noir, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pépin, éd. et trad. E. Faral, 2e éd., Paris,
1964 (Les Classiques de l'Histoire de France au Moyen Age. 14), p. 152 (Louis le Pieux, belliger et sapiens)
et 228 (Charles Martel, Charlemagne). Et surtout, quand le péril se rapproche, Abbon de Saint-
Germain-des-Prés, Le siège de Paris par les Normands, éd. et trad. H. Waquet, Paris, 1942 (Les Classiques
de l'Histoire de France au Moyen Age) : il use parfois du mot miles, au niveau juste inférieur aux comtes
(p. 108, v. 563), mais les uns comme les autres sont viri fortes (Ibid.), et tel comte est bien armipotens
(p. 80, v. 196 et p. 100, v. 463), tel autre belliger héros (p. 100, v. 456).
158. Rappelons que l'adoubement consiste à remettre les « armes viriles ». Le cloître apparaît
assez nettement, dans la vie affective de Guibert de Nogent, comme un repli : Autobiographie, éd.
E. R. Labande, Paris, 1981 (Les Classiques de l'histoire de France au Moyen Age. 34), p. 24-42.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 43
162. L. Huberti, Studien... (cité supra, note 116), p. 35 : « ullum quemlibet ex clero, arma non
...
ferentem, quod est scutum, gladium, loricam, galeam... ».
163. Ibid., p. 165.
164. Sur le concile de Narbonne (1054), cf. nos remarques supra, note 116.
165. M. Bloch, La société féodale... (cf. supra, note 44).
166. L. Huberti, Studien... (cité supra, note 116), p. 42 et 136 : les judices, évoqués successive-
ment comme péril et comme recours, à l'instar des milites.
167. Ibid., p. 214. Sur cet épisode, cf. R. Bonnaud-Delamare, « Les institutions de paix en Aquitaine
au XIe siècle », dans Recueils de la Société Jean Bodin XIV, 1961 (La paix, 1re partie), p. 415-487
et p. 463-466).
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 45
recours » 172, dans des sociétés qui n'ont pas besoin d'un droit plus
activé. Tout le dossier de la paix de Dieu, décrets, serments ou récits,
renvoie à un tel assujettissement : l'Eglise permet à la chevalerie d'éco-
nomiser une partie de sa force.
2) Eude de Déols en 1038 et Hugue de Sillé en 1070 ne sont pas
attaqués pour des crimes de guerre ou contre la paix 173, mais seule-
ment pour leur refus d'entrer dans l'association patronnée par leur
évêque. Ils contestent, en d'autres termes, la redéfinition à son avan-
tage de leur relation avec lui. Aimon de Bourges et Arnaud du Mans
choquent alors les deux chroniqueurs en gérant le conflit174 par une
escalade militaire et par une mobilisation au-delà du groupe chevale-
resque. C'est bien l'un des périls que redoutent les adversaires ecclé-
siastiques de la paix de Dieu, attachés à un équilibre « carolingien »
dans lequel l'Eglise prend moins de risques. L'histoire du XIe siècle
confirme leur analyse. Comme le prévoyait Gérard de Cambrai175,
ou saint Paul avant lui, une loi plus dure fait proliférer le péché. Autant
de gagné en influence sociale pour le clergé qui lie et délie les fidèles ;
mais les risques existent, de créer une indifférence générale à ses nor-
mes ou de l'engager dans des complications politiques sans fin, dont
celles de 1038 et de 1070 ne représentent que le début.
On comprend, dès lors, que le « mouvement » de la paix et de
la trêve de Dieu soit longtemps demeuré intermittent, régional et mitigé.
L'Eglise n'a pu ou voulu exploiter qu'en partie l'immense perspec-
tive de pouvoir qu'il lui offrait. Elle ordonne souvent le dépôt des
armes, elle bénit plus rarement leur remise à des chevaliers. Encore
est-ce à ses « défenseurs » spécifiques, et au coup par coup, sans chris-
tianiser systématiquement l'accès à un « corps » qui serait la « bonne »
militia. Pourtant, elle partage avec les grands laïcs ce rôle de régula-
tion d'une « violence » militaro-judiciaire qui, tout à la fois, légitime
la chevalerie et permet son maintien au premier rang de la société.
Lancée en 1095, la première croisade passe aux yeux des histo-
riens pour le couronnement logique d'un effort séculaire. Paix entre
176. Sur ce personnage : D. Barthélémy, Les deux âges de la seigneurie banale. Coucy (XIe-XIIIe siè-
cle), Paris, 1984 (Publications de la Sorbonne),
p. 69-99.
177. J. Flori, L'essor... (cité supra, note 4), p. 196.
178. Histoire de France, IV, 4 ; dans Michelet, Le Moyen Age, Paris, 1981 (Coll. Bouquins),
p. 272.
48 Dominique Barthélémy
179. D. Barthélémy, « Noblesse, chevalerie et lignage dans le Vendômois et les régions voisines
aux XIe et XIIe siècles », à paraître dans les Mélanges G. Duby, Paris.
180. K. F. Werner, « Du nouveau... » (cité supra, note 67), p. 195.
181. PL 162, col. 664.
182. Acte cité par M. Prou, Recueil des actes de Philippe I", roi de France, Paris, 1908 (Chartes et
diplômes...), p. XXXII, note 5.
183. Ibid., n° 87. Sur le fond de préambule traditionnel, se détache l'idée que faire des dons
aux églises est un trait de « régie celsitudinis ac dignitaiis secularis milicie ».
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 49
184. Les ordines du sacre comportent un « adoubement royal » : J. Le Goff, « Aspects religieux
et sacrés de la monarchie française du Xe au XIIIe siècles », dans E. Magnou-Nortierdir., Pouvoirs
et libertés au temps des premiers Capétiens, s.l., 1992, p. 311.
185. L. Halphen et R. Poupardin, éd., Chronique des comtes d'Anjou et des seigneursd'Amboise, Paris,
1913 (Coll. de textes pour servir à l'a. et à l'ens. de l'histoire. 48), p. 236.
186. C. Métais, Cartulaire de (...) la Trinité de Vendôme, 3 vol., Paris, 1893-1895, II, n° 399.
Cf. D. Barthélémy, Les comtes, les sires et les nobles de châteaux dans la Touraine du XIe siècle
« »,
à paraître dans Mélanges R. Fossier, Paris, 1994.
187. MGH SS XV, p. 879.
50 Dominique Barthélémy
195. Cf. J.-P. Poly et E. Bournazel, La mutation féodale... (cité supra, note 3), p. 122.
196. L. Halphen et R. Poupardin, Chronique... (cité supra, note 185), p. 235.
197. P. Meyer et A. Longnon, éd. Raoul de Cambrai. Chanson de geste, Paris, 1882 (Société des
anciens textes français), v. 460-593.
198. Nos remarques sur la guerre des Xe et XIe siècles, déjà réglée et codée dans une certaine
mesure, tendent à la rapprocher quelque peu du tournoi, dont on a souvent placé l'invention en
Touraine vers 1060 : cf. M. Parisse, « Le tournoi en France, des origines à la fin du XIIIe siècle »,
dans J. Fleckenstein, éd. Dos Ritterliche Tumier im Mittelalter, Gôttingen, 1985 (Verôffentlichungendes
Max-PlanckInstitutsfur Geschichte. 80), p. 175-211. En fait, n'y eut-il pas plusieurs « inventions » paral-
lèles, vers la fin du XIe siècle en effet ?
52 Dominique Barthélémy
199. F. Castets éd., La Chanson des quatre fils Aymon, Montpellier, 1909 (Publications de la société
pour l'étude des langues romanes. 23), v. 1796-1831 (p. 328-329) ; ici paraît la colée.
200. J. Flori, L'essor... (cité supra, note 4), p. 110-111.
201. J. Flori, « Chevalerie et liturgie. Remise des armes et vocabulaire "chevaleresque" dans
les sources liturgiques du IXe au XIVe siècle », dans Le Moyen Age (4e série, 33), 1978, p. 247-278
et 409-442.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 53
202. J. Flori, L'essor... (cité supra, note 4), p. 97-108. Dans ce passage comme dans d'autres,
la remise d'armes se trouve trop rabattue sur la notion d'« investiture ».
203. P. Contamine, « Points de vue sur la chevalerie en France à la fin du Moyen Age », dans
Fronda 4, 1976, p. 255-285 (p. 277).
204. Chanson de Roland... (cité supra, note 146). Roland a été adoubé par Charlemagne, puisqu'il
évoque « Ma bone espée, que li reis ne dunat » (v. 1121) ; P. Jonin a tort de n'y voir qu'un « simple
cadeau » (cf. v. 2321 : « Dune la me ceinst... »).
205. Ibid., v. 955-960, et 1311. Cf. aussi Baligant (v. 3164).
206. Ibid., v. 1563 : « Celoi levât le rei Marsilium ». Ce mot de lei (comme lex en latin de l'époque)
a un champ sémantique large : « loi » stricto sensu (cf. la religion chrétienne, lei de chrestiens), mais
aussi « manière », « comportement (v. 752 : Dune adparled a lei de chevaler »), et finalement « parure »,
» «
« équipement ». Mais ce n'est pas rien que d'être chevaleresquement équipé ! Littéralement « adober
a lei de chevaler » serait « accommoder en chevalier ».
207. Ibid, v. 2580-2591.
208. En un combat douteux, l'archevêque Guifred de Narbonne, selon la plainte fameuse du
vicomte Bérenger contre lui (1059), successivement reliquit cunctas arma militaria et seculi militiam
« »
(1054), et « non multo post accepit arma ut miles (C. Devic et J. Vaissete, Histoire générale de Languedoc,
»
tome V, Toulouse, 1875, col. 499). Abandon et reprise de la parure chevaleresque, en autant de
gestes « déclaratifs » (comme dirait ailleurs J. Flori), donc ritualisés peu ou prou. Les Grégoriens
reprochent à l'épiscopat sa chevalerie, presque autant que sa simonie et beaucoup plus que son nicolaïsme.
54 Dominique Barthélémy
209. Nul besoin, d'autre part, de faire allusion à une origine « magique » ou « païenne » de
l'adoubement, qui aurait inspiré les réticences de l'Eglise. Ce thème est lié au mythe de la « colée »,
que n'évite pas M. Bloch, La sociétéféodale... (cité supra, note 26), p. 436. Cf. aussi, récemment :
R. Fossier, La société médiévale, Paris, 1991, p. 227.
210. La Vie de saint Amoul de Soissons, par Hariulf d'Aldenburg (début du XIIe siècle), très évo-
catrice de l'apparat noble et chevaleresque, ainsi que de la double fonction guerroyante et pacifica-
trice de la militia, évoque cela : « militia cingulum respuentem armaque cum vestibus cultissimis » (PL 174,
col. 1381).
211. CF. J. Flori, « (cité supra, note 75). L'entrave à sa chevalerie le prive
Les origines... »
donc de royauté. Symétriquement, Philippe Ier excommunié ne peut plus s'habiller en roi : Orderic
Vital, éd. M. Chibnall, The Ecclesiastical History of Ordericus Vitalis, 6 vol., Oxford, 1969 à 1978, IV,
p. 262 ; ce fait autant que l'âge explique son incapacité : « militiajusticiaque diu fngidusjuerat » (Ibid.,
V, p. 154).
212. Suger, Vie de Louis VI le Gros, éd. H. Waquet, Paris, 1964 (Les Classiques de l'histoire de
France au Moyen Age. 11), p. 176.
213. R. Le Jan, « Apprentissages militaires... » (cité supra, note 6).
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 55
214. Noble manière de se défaire de l'habit de noblesse ! Acte analysé par E. Mabille, « La
pancarte noire de Saint-Martin de Tours », dans Mémoires de la Société archéologique de Touraine XVII,
1865, n° 37.
215. A. Bernard et A. Bruel, Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny, 6 vol., Paris, 1876-1903,
n° 802. Selon G. Duby, La société... (cité supra, note 41), p. 191, ce serait une expressionmétaphori-
que ; cependant, le rapprochement est fait avec une tonsure qui ne saurait l'être.
216. H. Platelle, « Le problème du scandale : les nouvelles modes vestimentaires aux XIe et XIIe
siècles », dans RBPH 53, 1975, p. 1071-1096.
217. Texte cité par CM. Van Winter, « Cingulum... » (cité supra, note 83), n° 53.
218. A. de Courson, Cartulaire de l'abbaye de Redon en Bretagne, Paris, 1863 (Documents inédits sur
l'histoire de France), n° 361. Suit le don du cheval de Morvan.
219. Les armes sont cependant données, avec le cheval, à Noyers, vers 1069, par Joscelin Alde-
bert : C. Chevalier, Cartulaire... (cité supra, note 117, n° 59.
220. Exemples dans : L. Musset, « L'aristocratie... » (cité supra, note 57), p. 92, et J. F. Lema-
rignier, Le gouvernement royal aux premiers temps capétiens (987-1108), Paris, Picard, 1965, p. 134, note 283.
56 Dominique Barthélémy
ne s'en trouve pas chez des « hommes de métier ». Les serfs enrichis
dont parlent des morceaux de chroniques, Stabilis en pays de Loire234,
ou en Bourgogne les descendants d'un prévôt235, n'ont pas fait for-
tune par les armes, celles-ci sont venues après la richesse et la notabi-
lité pour les manifester.
En Catalogne, au XIe siècle, P. Bonnassie peut saisir, sur le vif,
des combattants d'apparence plus humble que les magnats. Ceux-ci
s'assurent de leur service vassalique par le système de la « commande » :
en leur fournissant les chevaux et les armes, ils en font leurs dépen-
dants (milites, commendatî). Les prêts de principe s'avèrent des dons
de fait236. Pour le coup, en zone frontalière, voilà peut-être des spé-
cialistes de la guerre. Encore ne faudrait-il « pas surestimer l'impor-
tance de ces troupes domestiques »237. Ajoutons « ni leur nouveauté »,
puisque la Vie de Géraud d'Âurillac en évoquait déjà. Simplement, le
XIe siècle voit s'accroître leur nombre, comme celui des châteaux, et
il fait du mot miles un usage peu sélectif, le « galvaudant » vers le
bas sans pour autant en rabaisser le modèle de référence.
Sans rigidité, on peut distinguer entre :
— une noblesse chevaleresque « sui generis », en quelque sorte, fondée
matériellement et symboliquement sur ses propres traditions familia-
les, mais intégrées dans un système de relations et de préséances ;
— et des hommes de moindre chevalerie, plus redevables à tous
égards envers un seigneur, patron et adoubeur, qui leur a cependant
fait don, avec les armes, de parcelles de noblesse. Voyez la « nobili
beneficiatorum militum [...] caterva », autour d'un abbé de Conques238.
La chanson de Raoul de Cambrai, en son « noyau » peu postérieur
à 1100, met bien en valeur ce qui différencie la chevalerie de Raoul
de celle de Bernier. Le roi Louis ne pouvait faire moins qu'adouber
le premier, lequel a encore toute raison de se plaindre de lui, puisque
le reste de son héritage ne lui a pas été remis. Bernier, au contraire,
se sent tenu à beaucoup de reconnaissance à l'égard de Raoul, son
adoubeur : la geste la rappelle plus souvent239 que son obligation vas-
salique stricte.
234. E. de Certain, éd., Miracles... (cité supra, note 118), p. 218. Relaté au XIe siècle par André
de Fleury, l'épisode se place dans les années 960. Ce « spurius miles » se voit réclamer sa dette de servage...
235. Vita domini Gemerii, praepositi Sancli Stephani Divionensis (XIe siècle), éd. E. Pérard, Recueil...
(cité supra, note 133), p. 130 : « militari honore praefulgeni ».
236. P. Bonnassie, La Catalogne... (cité supra, note 78), II, p. 570.
237. Ibid, p. 571.
238. A. Bouillet éd., Liber miraculorum Sancte Fidis, Paris, 1897 (Coll. de textes pour servir à l'ét.
et à l'ens. de l'histoire), p. 42-43. La Vie de saint Arnoul évoque, de son côté, un abbé qui abuse des
ornements de son église, « in usus militum se siipantium » : PL 174, col. 1383.
239. Raoul de Cambrai... (ckésupra, note 197), v. 1078, 1123, 1372, 3056-3057, 3136-3137, 3416,
3562-3563 ; allusion au lien créé par l'hommage : v. 4002.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 59
240. P. Van Luyn, « Les milites... » (cité supra, note 99), p. 30.
241. Liber miraculorum... (cité supra, note 238), p. 194-195.
242. E. de Certain, éd., Miracles... (cité supra, note 118), p. 218.
243. A. Chédeville, Chartres et ses campagnes... (cité supra, note 88), p. 317. Pour les milites de
base, l'adoubement aurait été, en revanche, le signe qui les différenciaitradicalement et définitive-
«
ment de la masse des inermes » (Ibid.) ; nous doutons de cette radicalité, dans la « Note sur le titre... »
(cité supra, note 53). Orderic Vital note que les militares viri donnent le ton au reste de la société :
« »
on les envie, on imite leur habillement (The Ecclesiastical History... [cité supra, note 211], IV, p. 268) ;
d'où peut-être la nécessité d'un changement cyclique de la mode (évoqué par H. Platelle, Le pro-
«
blème du scandale...
», cité supra, note 216).
244. L. Génicot, L'économie namuroise... (cité supra, note 64), I, p. 7 et note 5.
60 Dominique Barthélémy
249. C'est ce qui lui fait opposer la « qualité » noble au « titre » chevaleresque. : G. Duby, La
société... (cité supra, note 41), p. 195-196. Réfuter cette vue est important car, dès lors, on ne voit
pas que miles parvienne mieux que nobilis à « cristalliser » une classe.
250. Miles nobilis (à un niveau « médian », ce n'est pas un sire de château) : C. Chevalier (cité
supra, note 117), n° 384 (avant 1112, Noyers). Miles nobilissimus (sire de château) : L. J. Denis, Chartes
de Saint-Julien de Tours (1002-1227), Le Mans, 1912 (Archives historiques du Maine, XII, 1), n° 8 (1014).
Le cartulaire de Redon (A. de Courson, cité supra, note 218) met souvent la noblesse au superlatif.
251. P. Van Luyn, « Les milites... » (cité supra, note 99, p. 216).
252. J. Depoin éd., Recueil de chartes et documents de Saint-Martin-des-Champs, tome I, Ligugé-Paris,
1912 (Archives de la France monastique. XIII), n° 72. Cf. aussi, en 1061, Richard de Béthisy, cité par
J. F. Lemarignier, Le gouvernement royal... (cité supra, note 220), p. 134. « Miles strenuus » vient fré-
quemment sous la plume d'Orderic Vital (cité supra, note 211) : par exemple II, p. 84 et 198. Cf.
aussi Comte Bertrand de Broussillon, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Aubin d'Angers, 2 vol., Angers, 1903
(Documents historiques sur l'Anjou. I), n° 328 (centre 1060 et 1067) : un chevalier qui de servilio seculari
«
strenue serviebat ».
253. Cf. supra, note 247, et J. Depoin (cité supra, note 252), n° 34 (entre 1079 et 1089,
Saint-Martin-des-Champs).
254. C. Métais (cité supra, note 186), II, nc 301 (1082, La Trinité de Vendôme).
255. P. Ourliac et A. M. Magnou, Cartulaire de l'abbaye de Lézat, 2 vol., Paris, 1984 et 1987
(Coll. de documents inédits... série in-8°, 17 et 18), n° 1155 (entre 1075 et 1081,
un prudentissimus et
deux foriissimi).
256. Cité par P. Guilhiermoz, Essai... (cité supra, note 9), p. 340.
257. Cf. M. Garaud, Les châtelains... (cité supra, note 56), p. 222.
258. J. Martindale, « The French aristocracy... » (cité supra, note 148), p. 32.
62 Dominique Barthélémy
259. Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Conquérant, éd. et trad. R. Foreville, Paris,
1952 (Les Classiques de l'Histoire de France au Moyen Age. 23), p. 232.
260. A. Barbero, L'aristocrazia... (cité supra, note 93), p. 73, note 206.
261. P. Guilhiermoz envisageaitbien cela, mais par le biais des fiefs, dans le cadre d'une cheva-
lerie toute vassalique : Essai... (cité supra, note 9), p. 183-194 (ce qui mène au thème des vavasseurs,
et procède de sources des XIIe et XIIIe siècles). Plus intéressant pour nous est l'acte de 971 (Beau-
lieu), cité supra, note 134 : « ut nullus ex Mis » (les serfs qu'il s'agit de brider) « neque de posteris eorum
efficiatur miles, nec ullus portet scutum, neque spadam, neque ulla arma, nisi tantum lanceam et unum speronum ».
262. D. Barthélémy, « Note sur le titre... » (cité supra, note 53).
263. L. Huberti, Studien... (cité supra, note 116), p. 305.
264. Orderic Vital (cité supra, note 211), II, p. 90 et 306.
265. Guillaume de Poitiers (cité supra, note 259), p. 232.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 63
266. H. Hoffmann, Gottesfriede... (cité supra, note 166) p. 52 ; dans le serment de Vienne, con-
servé avec celui-là, il y a un villanus caballarius. Ce mot de caballarius est bien
un double de miles,
mais plus proche de la langue vernaculaire : G. Duby, La diffusion... (cité supra, note 169), 39-70.
« » p.
267. Cf. supra, note 109.
64 Dominique Barthélémy
Attention aussi aux contresens possibles sur pagensis eques chez Orderic
Vital : nul besoin d'en faire, un « paysan », ou un de ces « responsa-
bles fiscaux » 268 chers à E. Magnou-Nortier et à l'hyper-romanisme.
Définissons-le comme un chevalier dont l'entregent et la réputation
n'excèdent pas le cadre local (pagus) ; il contraste avec les « barons »
de premier rang, et de dimension régionale, que le duc traite en amis.
L'Angleterre a plus tard ses county knights.
2) Dans le Midi parfois269, et plus souvent dans l'Ouest, on donne
des chevaliers avec la terre, à l'instar des cultivateurs de diverses con-
ditions. Un chevalier breton fonde, en 1037, le prieuré de Saint-Cyr-
les-Rennes par le don d'une terre « cum equitibus, villanis et meditariis »270.
Des chevaliers chartrains cèdent aux moines de Saint-Père, qui le fonds
d'un alleu « cum tribus militibus qui ex parte fundi ipsius fevati erant »
(1070)271, qui les milites fieffés sur la dotation d'une église qu'ils « res-
tituent », dans le moment grégorien (1080-1102)272. On en dispose-
rait donc comme de serfs, de roturiers ! Attention pourtant : même
à propos de ceux-ci, le don d'hommes ne doit pas être dramatisé273.
Le seigneur cède son droit au service, éventuellement au tribut, et
invite l'église à négocier avec les intéressés.
Entre 844 et 859, le polyptyque de Saint-Bertin montrait la place
éminente des moines et des caballarii dans certaines ville27*. C'est sans
invraisemblance que le chroniqueur Hariuf, vers 1088, interprète en
milites leurs homologues qui servent l'abbaye voisine de Saint-Riquier,
même s'il les décrit à la manière de son temps : aux quatre grandes
fêtes annuelles, ils se présentent en appareil chevaleresque (ornati) et
font à l'abbé une superbe cour (« ex sua frequentia regalem pêne curiam
nostram ecclesiam facientes »275). Voilà ce qui s'appelle servir noblement !
268. Comme le voudrait P. Bauduin, « Une famille châtelaine sur les confins normano-Manceaux:
les Géré (Xe-XIIIe siècles) », dans Archéologie Médiévale 22, 1992, p. 339.
269. Un exemple vers 972 : C. Devic et J. Vaissete (cité supra, note 208), V, col. 123. Un carac-
tère original de la documentation méridionale, beaucoup plus fréquent, est l'allusion aux albergues
dues à un seigneur avec « tant » de milites ou de caballarii.
270. L. J. Denis (cité supra, note 250), n° 13.
271. B. Guérard, éd., Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres, 2 vol., Paris, 1840 (Coll. de
documents inédits), I, p. 219.
272. Ibid., p. 214, 233, 235. Avant 1028, le terme employé était casatus : Ibid., p. 105 et 130.
273. D. Barthélémy, « Qu'est-ce que le servage... » (cité supra, note 1), p. 247-249.
274. F. L. Ganshoféd., Le polyptyque de l'abbaye de saint-Bertin (844-859). Edition critique et commen-
taire, Paris, 1975 (Académie des Inscriptions et Belles Lettres), p. 14, 16, 19, 20 à 23. Ils ont eux-mêmes
des mancipia. Leur service consiste à caballicare (ou à défaut, à assurer des travaux de clôture). F. L. Ganshof
les appelle des « cavaliers », de préférence à « sergents à cheval » (C. E. Perrin).
275. Hariulf, Chronique de l'abbaye de Saint-Riquier (V siècle-1104), éd. F. Lot, Paris, 1894 (Coll.
de textes pour servir à l'ét. et à l'ens. de l'histore), p. 97. Nous mettons plus de continuité
que : T. Everga-
tes, « Historiography and sociology in the early feudal society : the case of Hariulf and the milites
of Saint-Riquier », dans Viator 6, 1975, p. 35-49.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 65
281. L'archevêque Guifred a pendu deux milites du vicomte Bérenger, qui se plaint en 1059
(C. Devic et J. Vaissete, cité supra, note 208, V ; vol. 500), sans évoquer l'atteinte à leur privilège
noble, mais en mentionnant que l'un d'eux était son parent.
282. PL 133, col 664 : Géraud d'Aurillac se refuse à déshonorer des vaincus, pourtant perfides,
en les dépouillantde leurs armes ; son biographe, partisan de la rigueur, le porte cependant à son crédit.
283. A. Barbero, L'aristocrazia... (cité supra, note 93), p. 70-74.
284. Texte édité dans C. H. Haskins, Norman Institutions, Cambridge, Mass., 1918 (Harvard his-
torical studies. 24), p. 282.
285. Galbert de Bruges, Histoire du meurtre de Charles le Bon, éd. H. Pirenne, Paris, 1891 (Coll.
de textes pour servir à l'éi. et à l'ens. de l'histoire), p. 12-13.
286. C'est pourquoi, soit dit en passant, même s'il y a vers l'an mil une « crise » ou une « dété-
rioration » de cette institution, cela ne peut entraîner un changement fondamental de société.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 67
287. J. Boussard, « Services féodaux, milices et mercenaires dans les armées en France, aux
Xe et XIe siècles », dans Settimane (...) XV. 1 (1967), Spolète, 1968, p. 131-168 (citation p. 163). Cet
auteur rappelle utilement (p. 140) que les rois du Xe siècle convoquent en principe l'armée « publi-
que », mais que seuls viennent « les vassaux les plus proches ».
288. C. Devic et J. Vaissete (cité supra, note 208), V., col 499 : « militibus per solidatas tribuit
potius quam 10 millia solidos ». A cette époque, le fief de soudée a bien sa place dans la riche et voisine
Catalogne : P. Bonnassie, La Catalogne... (cité supra, note 78), II, p. 755-759. Cf. aussi : A. Richard,
Chartes de l'abbaye de Saint-Maixent, tome I, Poitiers, 1886, (Archives historiques du Poitou. XVI) nc 86
(entre 1023 et 1026) ; et G. Devailly, Le cartulaire de Vierzon, Paris, 1963 (Publications de La Faculté
des Lettres et Sciences Humaines de Rennes) n° 63 (1062) à la fin d'une guerre contre le sire de Graçay,
:
celui de Vierzon veut « stipendiaria militibus qui sibi adjurevant (...) reddere et demande l'aide de l'abbaye
»,
de Vierzon.
289. Guillaume de Poitiers (cité supra, note 259), p. 150 et 152.
290. J. Flori, « La notion de chevalerie... » (cité supra, note 102), p. 227, note que chevaler est
interchangeable avec soldoier, mais c'est lui qui rapporte la notion de « guerrier professionnel ».
291. Orderic Vital (cité supra, note 211), VI, p. 350 et, pour la suite, p. 352.
292. PL 133, col. 647. « Vraie » parce que non idéalisée comme l'est celle de Géraud.
293. Orderic Vital (cité supra, note 211), VI, p. 190.
68 Dominique Barthélémy
Duby a campé admirablement tous ces « jeunes »298, ces milites gyro-
vagantes. La nouveauté du XIIe siècle réside tout de même dans le creu-
sement du fossé entre ces errants honorables et les soudards façon
Mercadier. Surestimé par J. Boussard à la période précédente, le mer-
cenariat prend alors de l'ampleur, et son concept se précise dans une
société dont l'argent infiltre davantage les mécanismes : son odeur
commence d'incommoder une chevalerie plus triée.
Un certain travail, une manière de servage, un privilège mal assuré
et des soudées peuvent donc ternir au XIe siècle la noblesse. Ils ne
la contredisent pas pour autant, car elle est, avec la chevalerie, plus
étendue « vers le bas » et moins normalisée juridiquement qu'aux époques
suivantes.
Le chevaliers de châteaux. — Le même J. Boussard prenait pour
des « milices » proto-communales les oppidani engagés dans les luttes
303. Richer, Histoire de France (888-995), éd. et trad. R. Latouche, tome II, Paris, 1931 (La
Classiques de l'histoire de France, 17), p. 204 et 268-274.
304. C. Métais (cité supra, note 254), II, n° 399 (notice de Marmoutier, insérée dans le recueil
de la Trinité de Vendôme).
305. Continuation d'Aimoin, éd. du Breul, Gesta Francorum d'Aimoin, tome V, Paris, 1603, p. 361.
306. J.-P. Poly et E. Bournazel, La mutation féodale... (cité supra, note 3), p. 142-143.
307. G. Duby, La société... (cité supra, note 41), p. 317-336 (tableau pour le début du XIP siècle).
308. D. Barthélémy, La société... (cité supra, note 42). p. 582.
309. Ibid., p. 309-311, 587, 714-716.
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 71
*
* *
318. M. Bur, La formation... (cité supra, note 79), P. 418 (vers 1100, et « conformément aux
tendances de l'économie ») ; A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, X'-XI1' s., Paris,
1984, p. 201 (fin XIe) ; D. Barthélémy, La société... (cité supra, note 43), p. 500 (1097).
Qu'est-ce que la chevalerie, en France aux Xe et XIe siècles ? 73
319. C'est la conclusion de notre Note sur le titre... », (cité supra, note 53) : la « chevalerie »
«
comme cavalerie consacrée.
74 Dominique Barthélémy
3. Philippe Masson, Histoire de la marine, tome I, l'ère de, la voile, éd. Lavauzelle, 1981, p. 97.
Vauban, thuriféraire de Cherbourg 77
4. La date de ce projet est inconnue. Le plan et le mémoire le commentant ne nous sont pas
parvenus. Nous ne disposons que de l'argumentaire de Baudouin postérieur au rejet du projet. Arch.
nat. Marine, 3 JJ 131, portefeuille 107, pièces 21, 23 et 24.
5. Arch. nat., ibid.
6. Arch. nat., ibid.
7. Arch. nat., ibid.
8. Arch. nat., idem, pièce 22.
9. La commission comprend Colbert du Terron, intendant de la Marine
pour le Ponant ; le
chevalier de Clerville, commissaire général des fortifications les ingénieurs Pierre de Chatillon, Blondel,
;
Régnier Jansse ; de la Givaudière et
autres capitaines de vaisseau. SHAT, arch. génie, art. 4, Cher-
bourg, section 2.
10. Mémoire daté du 15 avril 1665, confirmé le 1er mai 1665 par le chevalier de Clerville lors
d'une conférence tenue à Brouage. Ibid.
78 Michèle Battesti
11. Mémoire de Vauban du 15 juillet 1686. SHAT, arch. génie, art. 8, Cherbourg, section 1. Le
mémoire a été publié in extenso et quasiment sans fautes sous le titre « Mémoire sur les fortifications
de Cherbourg », in Mémoires de la Société nationale académique de Cherbourg, Cherbourg, Imp. Marcel
Mouchel, 1852, p. 11-96.
Vauban, thuriféraire de Cherbourg 79
à 5 lieues ; aussi, cet espace composé de collines, marécages et petits bois tail-
lis, entrecoupé de chemins creux, étroits et d'herbages fermés de grandes haies
et fossés, interdisant l'emploi de la cavalerie, favorise-t-il une posture
défensive. En cas d'opération combinée anglaise, Cherbourg ne pour-
rait être secourue que par une espèce de miracle, au point que Vauban craint
que les Anglais ne transforment la ville en tête de pont : on ne peut
pas douter que l'Angleterre ne puisse facilement mettre 20, 30 à 40 mille hom-
mes pied à terre, et davantage, or l'éloignement de nos armées leur donnera tou-
jours le temps défaire tout ce qu'ils voudront. Dramatisant la menace, Vau-
ban dresse un tableau apocalyptique de la situation : par l'occupation
de la presqu'île, l'ennemi peut s'ouvrir une porte au coeur du royaume, d'autant
plus facile, que n 'ayant ni place, ni pays assez coupés, ni difficiles pour lui
empêcher le chemin... [une telle entreprise]peut nous attirer la guerre tout d'un
coup dans le milieu du royaume, et causer des révolutions très dangereuses dans
l'Etat, eu même égard au mécontentement général des nouveaux convertis qui
n 'est pas prêt définir ; joint que cela pourrait donner lieu aux Anglais de réveil-
ler leurs vieilles prétentions sur la Normandie. D'ailleurs le château, le don-
jon et les remparts médiévaux attestent de l'importance — durant
la guerre de Cent ans —, de Cherbourg, dernière place de Norman-
die à avoir été évacuée par les Anglais12.
Cherbourg, malgré sa grande vulnérabilité, bénéficie d'un atout
prodigieux : son port formé par l'embouchure de la petite rivière Divette...
qui peut être rendu fort joli et capable de recevoir bon nombre de frégates de 20,
24, 30 et 36 pièces de canon qui seraient là mieux placées qu 'en aucun lieu
du royaume pour la course, si chère à Vauban, au détriment de la guerre
d'escadre. Vauban conclut que Cherbourg est une place de la dernière
conséquence... de tous temps très considérable pour ceux qui en ont été les maî-
tres ; mais infiniment plus présentement que par le passé. Aussi préconise-t-il
un plan en trois volets pour mettre [Cherbourg] en état de pouvoir tout atten-
dre de sa résistance.
Premier volet, la place forte 13, avec réfection du château, du don-
jon, de l'enceinte médiévale et l'édification d'une nouvelle enceinte,
bastionnée à la« Vauban », comportant trois bastions et quatre ouvrages
à corne, réunis par des courtines, protégées par des demi-lunes, tenailles
et redoutes, qui enserreraient les faubourgs et le vieux Cherbourg ;
le tout, placé derrière un glacis et des fossés inondables grâce à douze
écluses.
La garnison compterait 4 000 fantassins et 300 dragons. Au sommet
12. Très précisément le 14 août 1450. Les Cherbourgeois pour les préjudices subis pendant la
guerre de Cent Ans obtiendront du roi de France à partir de 1464 l'affranchissement de toutes tailles,
aides, quatrièmes et autres impositions. Privilège reconduit périodiquementjusqu'à la Révolution française.
13. Cf. plan n° 1.
80 Michèle Battesti
19. Le bruit fait sortir précipitamment les Cherbourgeoisde l'église où ils entendent la messe
célébrant la Sainte Trinité. Leur curé, l'abbé Pâté, fait alors le voeu d'accomplir un pèlerinage si
ses administrés sont épargnés. Comme ce sera le cas, durant 35 ans les Cherbourgeois se rendront
tous les 1er juin en procession à l'ermitage de Notre-Dame de Grâce. Eugène Liais, Cherbourg, la
ville, son port et
son commerce, Cherbourg : 1871, p. 38 et s.
84 Michèle Battesti
20. Par exemple, voir De Bon, Cherbourg, dans Les ports militaires de la France, Paris : Challamel,
1867, p. 14 « il est permis de croire que si les batteries commencées sur les plans de Vauban avaient
été achevées, elles auraient prévenu la destruction des trois vaisseaux, qui échappés au désastre de
La Hougue, furent brûlés à leur portée par l'ennemi » ; ou bien Lepotier, op. cit., p. 112, « le sort
des trois vaisseaux put être différents ».
21. Mémoire de Vauban fait à Honneur le 30 novembre 1694, SHAT, Bib. génie,/0 33 i ; Le Pele-
tier dans son rapport d'inspection du 20 septembre 1700 est encore plus optimiste, « si on avait employé
ce qu'en a coûté la démolition à achever les ouvrages commencés, on aurait pu les mettre à peu
près à perfection », SHAT, arch. génie, art. 8, Cherbourg, section 1. Ces affirmations ne sont pas corro-
borés par les plans de 1687 et 1688.
22. Voir les plans, ibid.
Vauban, thuriféraire de Cherbourg 85
23. Rapport du 14 juin 1692, Arch. nat., Marine, 3 JJ 131, portefeuille 107, pièce 26.
24. Seuls deux plans en date du 9 janvier 1693 et signés par Du Tastet nous sont parvenus ;
le mémoire les accompagnant est introuvable. SHAT, arch. génie, art. 8, Cherbourg, section 1, plans
n° 4a 1et 4a 2.
25. Cf. Plans n° 2 et 3.
86 Michèle Battesti
ailleurs il se félicite que celui-ci n'ait pas reçu un début d'exécution qui aurait obéré ses chances
de construire une grande digue entre l'île Pelée et Querqueville. Mémoirefait sur les ordres de M. de
Sartines, Cherbourg ; imp. Clamorgan, 1796, p. 15.
32. Mémoire de Vauban du 21 octobre 1699, SHAT, Bib. génie, f° 33 i, mémoire n° 17.
33. Rapport d'inspection du 20 septembre 1700, SHAT, arch. génie, art. 8, Cherbourg, section 1.
34. Rapport du 14 juin 1692, op. cit.
35. Mémoire de Combes du 1er mars 1693, op. cit.
88 Michèle Battesti \
36. Rapport de Vauban, fait à Honneur le 30 novembre 1694. SHAT, Bib. génie,f° 33 i, mémoire
n° 8.
37. Mémoire du 30 novembre 1694, op. cit.
38. Mémoire du 21 octobre 1699, op. cit.
Vauban, thuriféraire de Cherbourg 89
Conclusions
M. BATTESTI.
92 Michèle Battesti
Plan n° 1
Plan n° 2
Opinion publique, identité des institutions,
« absolutisme ».
Le problème de la légalité à Paris
entre le XVIIe et le XVIIIe siècle
1. — Introduction
Les débats récents sur la place de la narration en histoire et les
polémiques engagées à propos du statut actuel de l'histoire sociale ont
divisé profondément les chercheurs. Mais l'ensemble de la profession,
avec une unanimité et un soulagement peut-être un peu suspects, paraît
tomber d'accord au moins sur un constat fondamental : dans la recherche
il se serait produit, assez rapidement, et surtout à partir' de 1980-85,
un changement radical de position méthodologique au sujet de l'évé-
nement aussi bien que du politique. Bien que ces deux catégories de
la réflexion historique soient souvent assimilées de façon arbitraire,
il est incontestable que la dimension publique des rapports sociaux
et bien d'autres sujets classiquement plus « politiques » se retrouvent
aujourd'hui dans une position privilégiée et que, en même temps,
ce type d'analyse ne reproduit pas simplement la tradition hagiogra-
phique qui, depuis des siècles, s'efforce de renforcer les mythes, encore
bien enracinés, de la toute puissance de l'Etat.
98 Paolo Piasenza
2. — Un ordre « classique » ?
L'exemple fourni par les décennies qui vont de la fin du XVIe siè-
cle au milieu du XVIIIe nous permet plusieurs observations à ce sujet.
C'est l'époque, surtout à partir de 1620-1630, pendant laquelle se sont
formés aussi bien le cadre des compétences policières que les rapports
entre le ministère, le conseil et l'organisation institutionnelle de l'ordre
public, dominée par les magistrats du Parlement et du Châtelet. Le
découpage temporel proposé ici soulève, bien entendu, plusieurs pro-
blèmes : pourquoi situer exactement dans les années 1620-1630 les
débuts de la police parisienne, si l'on sait que les conflits entre pou-
voir ministériel et magistrature ne datent pas de cette époque-là et
que la signification même du mot « police » ne paraît pas avoir changé,
dans les textes et peut-être dans l'usage courant, pendant tout le
XVIIe siècle et les premières décennies du suivant4 ? Dans le français du
XVIe siècle, police et administration sont des termes parfaitement
3. Ces rapports ont été assez souvent évoqués par les recherches les plus récentes sur l'histoire
du peuple parisien : pour tous, D. Roche, Le peuple de Paris, Paris, 1981 ; A. M. Benabou, La prostitu-
tion et la police des moeurs au XVIIIe siècle, Paris, 1987 ; A. Farge et J. Revel, Logiques de lafoule. L'affaire
des enlèvements d'enfants. Paris, 1750, Paris, 1988 ; M. Fogel, Les cérémonies de l'information dans la France
du XVI' au XVIII' siècle, Paris, 1989 ; P. Piasenza, Polizia e città. Stratégie d'ordine, conflitti e rivolte a Parigi
Ira Sei e Settecento, Bologna, 1990.
4. J'essaie ici de répondre aux remarques critiques avancées par R. Descimon dans son compte
rendu de mon livre « Polizia e città », cit., in Revue historique, 577, janvier-mars 1991, p. 162-163.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 101
5. Ces thèmes ont été développés surtout dans P. Piasenza,Un modello d'ordine nello scontro
«
di fazioni : Parlamento polizia Parigi nella prima meta del Seicento
e a », in Studi Storici, 29 (1988),
n. 4, p. 993-1027.
102 Paolo Piasenza
lieu après cette date ne peuvent être rapprochées que très partielle-
ment des assemblées antérieures. Tout d'abord l'initiative de les
convoquer passe au Parlement : le roi et ses ministres disparaissent
de la scène. La composition de ces nouvelles assemblées ne rappelle
non plus le souvenir du passé : les personnages convoqués sont
beaucoup plus nombreux et socialement mélangés. Qu'on en juge par
le détail d'une réunion du 13 décembre 1630 « pour la police de la
Ville » : quatre présidents, quatre conseillers, et le procureur général
du Parlement ; le prévôt des marchands, un président et trois conseil-
lers de la Chambre des Comptes, un président et deux conseillers
de la Cour des Aides, le lieutenant civil, le lieutenant criminel, le
procureur du roi et le lieutenant de robe courte du Châtelet, douze
commissaires, trois échevins, un curé, trois administrateurs de l'Hôtel
Dieu, le receveur général du Grand Bureau des pauvres, quatre
administrateurs des Pauvres Enfermés, et un bourgeois. A partir
de 1635, seront convoquées chaque semaine deux assemblées de
police (le mardi et le vendredi) avec l'assistance des trois lieute-
nants du Châtelet, de seize commissaires, de deux échevins et
d'un nombre vraiment considérable de notables bourgeois (trente-deux
au moins à chaque convocation) choisis dans les différents quartiers
par les commissaires anciens. Les objets traités en ces occasions
sont, bien sûr, les plus divers : de l'approvisionnement au prix des
denrées, du vagabondage aux « assassinats », de la discipline des
armes au régime des marchés publics. La qualité sociale, la com-
plexité administrative et la régularité de ces assemblées soulignent,
à la fois l'importance de l'initiative judiciaire, la tentative de don-
ner une image « sociale » et publique de l'action de police et un
danger, plus que théorique, de concurrence entre les assemblées, ainsi
convoquées, et le gouvernement.
On est loin, il me semble, de la très ancienne assemblée « pour
les blés », de son caractère épisodique et de la simplicité relative de
ses décisions. Une différence d'autant plus remarquable qu'à côté des
réunions officielles, l'on retrouve la définition d'une procédure nou-
velle pour les règlements de police, même pour les plus complexes
et les plus essentiels.
Un bon exemple de ce procédé est celui de l'arrêt du Parlement
de février 1634 qui dresse les grandes lignes d'un texte sur la sûreté
de Paris, l'approvisionnement de farines et les mesures pour empê-
«
cher les vols et assassinats qui se commettent en la campagne, Ville
et Fauxbourgs de Paris ». Dans le détail, l'exécution de cet arrêt est
déléguée au lieutenant civil qui se concerte avec l'assemblée de police
en plusieurs occasions ; la complexité du thème conseille l'institution
d'une commission spéciale qui, après un travail de plus d'un an,
104 Paolo Piasenza
seront données sur les droits des prisonniers et sur les prix de la nour-
riture, de la paille, des mises en liberté etc. et obligatoirement lues
et affichées dans les prisons. Il faut reconnaître que par ce moyen
les conseillers du Parlement ont élaboré très tôt une sorte d'« habeas
corpus » à la française pour le peuple de Paris et qu'ils lui ont donné
une très ample publicité.
Le Parlement et le Châtelet mettaient en lumière d'autres conflits
qui se situaient à l'intérieur même des milieux de justice : on retrouve
plusieurs affiches sur les abus d'officiers et de sergents dans l'exécu-
tion des sentences de police, sur la « montre de la Trinité », une audience
publique destinée à juger de ces exactions et à laquelle les officiers
du Châtelet se présentent souvent armés pour intimider les plaignants,
ou même sur les parcours et la composition des tournées de surveil-
lance des commissaires et des sergents du Châtelet9. Et c'est, en effet,
à partir des années 1625-35 que la diffusion des affiches, avec tous
leurs détails de gestion, d'information et de publicité prend sa forme
définitive et devient un trait essentiel de l'information à laquelle aura
doit le public parisien. Ce système, qui ne sera plus jamais abandonné
jusqu'à la Révolution, ne manque pas, lui non plus, de précédents :
un premier registre d'affiches (pour les années 1594-1602) paraît avoir
existé au Châtelet, mais la diffusion régulière par ce moyen des arrêts
de police n'aura lieu que deux ou trois décennies plus tard, si l'on
en croit le copiste anonyme de la collection Lamôignon et les données
que l'on peut tirer des documents rassemblés par Delamare et, dans
certains cas, publiés dans son Traité . La série de textes diffusée dans
10
9. A propos des transformations dans la gestion de la police tout au long de la première moitié
du XVIIe siècle, voir Piasenza, Un modello, cit.
p. 1007 suiv.
10. L'allusion au registre de 1594-1602 se trouve aux Archives de la Préfecture de Police, Fonds
Lamôignon (A.P.P., FL), vol. 10, fol. 237 il s'agit peut-être du même document évoqué
; par Dela-
mare, cit., vol. 4, p. 327. Mais ces documents n'étaient pas tous destinés à être publiés ; parmi
ies ordonnances affichées, citées dans le Traité, la première date du 10 juillet 1619 (vol. 1,
p. 525),
et reste isolée. La pratique se renforce autour des années 1620-1630.
106 Paolo Piasenza
11. L'essentiel des affiches de cette période se trouve dans A.P.P., FL et dans Delamare, cit. ;
pour les années postérieuresvoir les archives des Jurés Crieurs conservées à la Bibiothèque Nationale.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 107
12. Sur le rapport juges-gouvernement, les gestions Laffemas et Dreux d'Aubray, voir Piasenza,
Polizia e città, cit., p. 73-75.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 109
13. Sur la place du droit dans la formation de l'identité sociale et professionnelle des élites :
R. Charrier et D. Richet, Représentation et vouloir politiques. Autour des Etats Généraux de 1614, Paris,
1982 et particulièrement l'article de R. Charrier, La noblesse et les Etats de 1614
« : une réaction
aristocratique ? » p. 113 suiv.
110 Paolo Piasenza
14. Sur ces problèmes :R. Ajello, Formalismo médievale e modemo, Napoli, 1990. La relation entre
procédure et cérémonial ressort très bien des mémoires de Guillaume François Joly de Fleury, Avocat
Général au Parlement au début du XVIIIe siècle. J'espère pouvoir donner bientôt les détails d'une
recherche en cours sur ce texte.
15. J. F. P. de Gondi, dit le cardinal de Retz, OEuvres, Paris, 1984, p. 397 et 235. Les citations
font partie des Mémoires.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 111
16. Sur l'oeuvre de La Reynie, J. Saint Germain, La Reynie et la police au Grand Siècle, Paris,
1962 et Piasenza, Polizia e città, cit., p. 83 suiv.
114 Paolo Piasenza
17. Dans ce sens l'oeuvre de la Reynie reste presque totalement à étudier. Je pense surtout à
sa surveillance de la noblesse et du « libertinage ».
18. Naturellement le terme de « citoyen » est utilisé dans son sens étymologique : c'est la forma-
tion d'un nouveau modèle d'habitant de la « cité » qui est en jeu ici. Sur d'Argenson et ses affiches,
P. Piasenza, « Spazio urbano e formazione del cittadino a Parigi nei manifesti di polizia del luogote-
nente René d'Argenson », in Quademi Storici, 67 (1988), p. 193-222.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 115
19. D'Argenson avait aussi été magistrat au présidial d'Angoulême. Son service en qualité de
maître des requêtes commence en 1694 et prend fin avec sa nomination à Paris en 1697. Mais en
rapidement du prestige de sa naissance (son père avait été ambassadeur à Venise)
ville il profite très
et de la solidité de ses liens personnels pour s'opposer aux magistrats avec une décision qui n'aurait
pas été tolérée de la part de son prédécesseur, dont ni les origines ni le pouvoir auraient pu justifier
une indépendance aussi marquée face au pouvoir judiciaire.
20. On peut suivre le détail de cette intervention sur les grains dans Delamare, cit., vol. II,
P. 1-478.
116 Paolo Piasenza
21. Le détail de ces interventions peut être suivi à travers les archives de la Chambre de Police
qui font clairement apparaître un renforcementde la répression à partir des premiers mois de 1701 ;
AN, Y 9598. On verra plus loin l'importance de l'intervention de certains commissaires (et particu-
lièrement du commissaire Caiîly du quartier du Temple) dans les nouvelles procédures.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 117
22. Au sujet de ce personnel, voir Piasenza, Polizia e città, cit., p. 164-167 e 192-193.
118 Paolo Piasenza
24. De la correction fraternelle, ou de l'obligation d'empêcher le mal d'autrui quand on le peut, s. 1., s.
Q-, mais Paris, 1705 (B. N. D 12432). Pour des plus amples renseignements à ce sujet voir Piasenza,
Polizia è città, cit.,
p. 182 suiv. et «Juges, lieutenants de police et bourgeois à Paris, aux XVIIe et
XVIIF siècles
», in Annales, 5, 1990, p. 1202.
120 Paolo Piasenza
25. Pour la procédure contre les inspecteurs, voir : AN, X2B 1389-91 ; R. Cheype, Recherches
sur le procès des inspecteurs de police (1716-1720), Paris, 1975 ; Piasenza, Polizia e città, ict. p. 188-201.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 123
les deux se situent, pour l'essentiel, dans les années 1720-40 et sui-
vent, plus ou moins la même logique. Ces activités nous ont laissé
les premiers et seuls témoignages d'une présence de la police dans
la rue, bien que l'organisation de la lieutenance dans ce domaine ait
dû être plus complexe et s'intéresser à beaucoup d'autres domaines,
peut-être socialement encore plus importants (le vol, notamment, mais
aussi la prostitution ou le jeu)26.
De toute façon le fonds des sodomites est à lui seul assez considé-
rable, avec ses trois cent trente-cinq dossiers et près de deux mille
personnes arrêtées sur moins de sept ans27. En effet, peu de temps
après le procès contre les inspecteurs, les divers lieutenants qui tour
à tour avaient pris la place de d'Argenson (auxquels on se garda bien
de laisser autant de pouvoir qu'à leur prédécesseur) organisent la sur-
veillance des endroits de Paris où se retrouvent les « infâmes ». La
complexité des procédures utilisées à cet effet exige un personnel et
des compétences qui ne font pas partie des savoirs traditionnels de
la police : dans le cas des sodomites, il faut attendre les suspects dans
les jardins ou au bord de la Seine, les provoquer « à l'action », les
faire parler, les arrêter et dresser le procès verbal. Le travail s'appuie
sur la coordination des espions et des policiers : les « filatures » deviennent
une pratique organisée, les « ruses » pour conduire et arrêter certains
suspects devant les prisons ou les maisons des commissaires « amis »
demandent une organisation sans faille ; le renouvellement fréquent
des « mouches » est essentiel, l'achat ou la sollicitation des dénoncia-
tions anonymes comporte l'élaboration de rapports professionnels de
confiance-méfiance assez complexes et conflictuels.
L'expérience policière ébauchée sous d'Argenson fournit les pre-
miers employés du service : il n'est pas étonnant qu'il soit dirigé par
Simmonet, un ancien inspecteur de d'Argenson, plusieurs fois dénoncé
à cause d'arrestations illégales, qui va concentrer toutes ses capacités
professionnelles dans cet emploi. Il est intéressant de suivre la créa-
tion de son identité de serviteur du roi : la pratique administrative,
le savoir du policier (reconnaissance à coup d'oeil de la culpabilité,
façon de se conduire avec les prévenus, jeu de la tolérance et de la
sévérité, etc.) se fondent sur des stratégies administratives qui ne sont
pas encore officiellement légalisées et qui sont improvisées au fur et
à mesure que le travail avance. Qu'on considère par exemple, le
26. La surveillance du jeu, l'arrestation des voleurs dans les théâtres engagent déjà un personnel
spécialisé sous d'Argenson et on verrra plus loin l'importance de la décennie 1720-30 dans la répres-
sion de la mendicité. La déclaration sur la prostitution renforce, dès 1713, les compétences de la
police sur les prostituées ; voir, à ce propos, Benabou, cit., p. 30.
27. L'ensemble des dossiers pour 1723-1730 se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal, Archives
de la Bastille, Ms 10254-10260.
124 Paolo Piasenza
28. Sur les modalités des résistances nobiliaires à la police et les révoltes que l'arrestation de
privilégiés a suscité parmi la noblesse, voir Piasenza, Polizia e città, cit., p. 219-222.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 125
29. Bibliothèque de l'Arsenal, Archives de la Bastille, dossier de Sainte Colombe, 31 mai 1725,
Ms 10256.
30. La bibliographie sur le sujet est très importante, sutout après le travail de J.-P. Gutton,
La société'et les pauvres. L'exemple de la généralité de Lyon. (1534-1789), Paris, 1971
et on peut en trouver
le détail dans Piasenza, Polizia città, cit. Pour la législation et les premières formes de renfermement
e
des pauvres à Paris, le livre de C. Paultre, De la répression de la mendicité et du vagabondage
en France
sous l'Ancien Régime, Paris, 1906, bien qu'incomplet, reste encore essentiel.
126 Paolo Piasenza
On reviendra plus loin sur les rapports entre les archers des pau-
vres, envoyés en ville pour les captures, et leurs clients : il suffira de
dire ici qu'ils ne sont pas spécialement tendus et qu'ils prévoient bien
des compromis, même si les rébellions populaires sont fréquentes. Cet
équilibre entre surveillance et protection va sérieusement basculer, pour
la première fois, à l'occasion des déclarations du roi de 1718-1720 :
même pendant les périodes les plus misérables des disettes des derniè-
res années du XVIIe siècle et du Grand Hiver, on n'avait jamais songé
réellement à la déportation des mendiants et des vagabonds aux colo-
nies d'Amérique, une solution qui sera adoptée uniquement à cette
époque. Les archers, organisés dans les brigades d'une dizaine d'hommes,
souvent âgés et valétudinaires, pour un effectif total qui, à l'ordinaire,
ne dépassait pas quarante ou cinquante unités pour une capitale d'un
demi-million d'habitants, sont totalement dépassés par la lourdeur de
la tâche.
Ce fut donc la police de Simonnet et des autres anciens inspec-
teurs, assistés par un personnel recruté pour l'occasion et rétribué suivant
le nombre des captures effectuées, qui prit en charge l'exécution des
déclarations. Si à l'époque de d'Argenson les mendiants présentés aux
audiences de police arrivent à peine à atteindre le dixième de ceux
qui sont conduits à l'Hôpital par les archers, en 1720, sous la direc-
tion de d'Argenson fils, la proportion s'est presque exactement
renversée31. En effet, le roi a attribué pour la première fois la com-
pétence sur les mendiants au seul lieutenant de police : les rafles se
succèdent rapidement, l'Hôpital se remplit, la médiation des archers
devient impossible ; on constate en ville l'apparition des premières
rumeurs d'enlèvements d'enfants, la traduction populaire de ce revi-
rement répressif. La compagnie des archers, bien que renforcée, révèle
toute sa faiblesse face à une police beaucoup plus nombreuse, organi-
sée et efficace. Quelques années plus tard, avant la plus importante
déclaration du siècle sur la mendicité, celle de 1724, les archers sont
réduits à la présence symbolique d'une vingtaine d'hommes, un vide
de pouvoir évident si l'on considère l'importance des enjeux politi-
ques liés à la répression des mendiants. La loi de 1724, en créant
l'ébauche des dépôts de mendicité, établit au même temps le finance-
ment public de leur gestion, en éliminant les fonds des Hôpitaux et
fait embaucher de nouveaux archers, qui, encore une fois, n'arrivent
pas à surmonter la concurrence de la police et vont perdre ce qui reste
de leur autonomie.
31. Le mouvement de la population renfermée par la police et les archers pendant cette période
peut être suivi, pour les années 1701-1720, dans les archives de la Chambre de Police (AN, série
Y), et, à partir de 1721, avec beaucoup plus de précision, dans les registres de l'Hôpital Général,
Archives de l'Assistance Publique, Bicêtre 4Q2-6, 1Q2 3-18 ; Salpêtrière 1Q2 1-26.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 127
place institutionnelle : rien n'est plus clair, à ce sujet, que leur indif-
férence pour la distance entre le statut social des mendiants et celui
des criminels, qui était soulignée par l'existence de deux « polices »
nettement séparées, du moins jusqu'à la Régence.
Ainsi il ne faut pas s'étonner de la position ambiguë des inspec-
teurs et des « mouches » ; tiraillés comme ils le sont entre les ordon-
nance de répression et les exigences des relations personnelles, ils voient
leur image se dégrader rapidement. Leur activité, pour bon nombre
de Parisiens, s'inscrit plutôt dans le registre de la violence que dans
celui de la médiation et paraît de plus en plus étrangère aux équili-
bres sociaux de la ville. La qualité du travail et les vicissitudes dans
lesquelles ont été engagés des hommes comme Simmonnet, Levesque
ou Liger, caractérisent bien la dimension professionnelle de la police
parisienne de la première moitié du XVIIIe siècle. Une très large par-
tie de ses pratiques se fonde sur l'opposition au droit traditionnel ;
la polémique dérive, en premier lieu, de sa position par rapport à
l'office, jusqu'alors seul moyen de recrutement légal dans les corps
traditionnels (commissaires, différentes prévôtés, etc.). Désormais le
statut juridique normal des officiers, avec tous ses privilèges, n'a plus
rien à voir avec le statut de policier. On dispose d'ailleurs de plu-
sieurs exemples de cette divergence totale entre les systèmes de recru-
tement de la justice et de la police, qui renforcent la concurrence et
le mépris réciproques entre certains commissaires de quartier et les
hommes du lieutenant.
Mais il ne faut pas croire que ces derniers se soient formés à une
simple école de prévarication et de chantage. La force de la police
de d'Argenson, qui reste le modèle pour tout le reste du siècle, repose
sur deux principes : la cohésion du corps et la création de nouvelles
règles d'un droit très original, de nature en partie pénale, en partie
administrative, le vrai précurseur de la législation de sûreté qui sera
surtout développée par les sociétés libérales du XIXe siècle. Le savoir
de la police est aussi contraignant et pose autant de limites aux poli-
ciers que celui de la tradition juridique en pose aux magistrats. Mais
ces contraintes sont fondées, évidemment, sur d'autres bases et en
rapport bien plus direct (et, donc, bien plus dangereux) avec les accu-
sés et leurs familles : je pense au traitement des preuves, (qui se fait
sur place, en la présence des individus arrêtés et en dehors de toute
forme légale reconnue, mais qui doit être formalisé dans le procès-
verbal présenté au lieutenant) ; à la gestion des ordres du roi et des
prisons privées, souvent assurée par les policiers eux-mêmes ; à une
pratique sociale (qui paraît avoir été très intense) de médiation dans
différents conflits urbains (questions de famille, créances, litiges), une
activité plus rapide et désinvolte que celle, analogue et beaucoup plus
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 129
34. Sur ces personnages on trouve plusieurs renseignements dans les ouvrages d'A. Farge et
particulièrement dans La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle, Paris, 1986,
M dans le livre de E. M. Benabou, cit.
130 Paolo Piasenza
des oeuvres littéraires ou des images et des tableaux, etc.), ni des for-
mes économiques de contrôle et d'exploitation du « haut » sur le « bas »
de la société, ni, encore moins, de ce que l'on entend d'habitude par
manifestation de l'« opinion publique ».
Et pourtant, il s'agirait là d'une recherche d'autant plus impor-
tante que le langage et les actes dont ce type de communication sociale
est constitué sont souvent pour nous d'interprétation très complexe.
Peu après le procès contre les inspecteurs on retrouve une source de
ce type qui date surtout des années 1723-1730 : les « placets » ou les
supplications des familles des prisonniers « infâmes » dont il a déjà
été question. Parmi les quelques trois cent cinquante dossiers conser-
vés, on retrouve plus de cent « placets », envoyés aux lieutenants par
les intéressés et par leurs familles35. Ce sont surtout deux caractéris-
tiques étonnantes, à mon avis, qui frappent le lecteur contemporain
de ces textes : la quantité et la qualité des signatures qu'on y retrouve
et le style adopté pour s'adresser aux autorités de police. En effet,
les mots employés par les soi-disant suppliants ne font pas penser,
dans la très grande majorité des cas, à une demande de grâce : dans
un premier groupe (presque le 30 % du total), cent douze personnes
se mobilisent non seulement pour garantir l'innocence de leur pro-
tégé, mais aussi pour dénoncer la mauvaise foi des inspecteurs et des
mouches. Dès que le Parisien se trouve confronté à la nouvelle logi-
que policière, ressurgit dans tous les milieux, mais particulièrement
parmi les non privilégiés, l'image traditionnelle de la police et du rap-
port idéalisé de communication entre peuple et notables.
Au centre des plaintes, on trouve toujours la demande de répara-
tion pour le tort infligé à une communauté qui n'avait pas sollicité
d'interventions extérieures. Prenons brièvement un exemple de ce type
de « placet » : MathurineJulienne Pommier demande, en avril 1724,
la mise en liberté de son mari Robert Dubois. Elle affirme que les
accusations contre son mari sont « chimériques », que son arrestation
laisse elle-même, la maîtresse chez laquelle il travaille et tous les voi-
sins dans la désolation et l'épouvante et elle proclame qu'ils deman-
dent tous ensemble sa libération, en tant que réparation et acte de
justice. Au bas du placet on retrouve quinze signatures du voisinage,
et même celle du curé de Saint-Jacques de la Boucherie, paroisse du
prisonnier36. Pour Simon Fontaine, qui fait présenter un texte sem-
blable, se mobilisent le directeur de la manufacture des Glaces où il
travaille, (qui fera remarquer au lieutenant qu'il a employé sur le
35. Pour l'examen détaillé de ces placets, Piasenza, Polizia e città, cit., p. 226-233.
36. Bibliothèque de l'Arsenal, Archives de la Bastille, dossier Robert Dubois, 20 avril 1724,
Ms 10255.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 133
42. Plusieurs arrêts sur les résistances opposées par les officiers chargés de la capture des men-
diants aux ordonnances sévères de l'époque et sur les rébellions populaires à ce même sujet se trou-
vent dans les volumes 6 et 7 du fonds Lamoignon aux A.P.P. Pour le détail voir Piasenza, Polizic
e città, p. 262-266 et 318-319.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 135
43. On trouve des remarques très intéressantesà propos de la ritualisation du récit de la violence
dans N. Zemon Davis, Pour
sauver sa vie. Les récits de pardon au XVI' siècle, Paris, 1988.
44. Sur les résistances à l'arrestation des mendiants voir A. Farge, « Le mendiant, un marginal ? »
m Les marginaux et les exclus dans l'histoire, Paris, 1979, p. 312-329. A propos de la législation sur les
colonies et la révolte de 1720, Piasenza, Polizia città, cit.,
e p. 303-307.
136 Paolo Piasenza
45. Sur le début historiographique de cette interprétation politique de la révolte, voir surtout
le travail pionnier de B. Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris
1963, celui de Y.-M. Bercé, Histoire des Croquants. Etude des soulèvements populaires au XVIIe siècle
dans le sud-ouest de la France, Paris-Genève, 1974, les interprétations suggérées par différents travaux
de G. Rude, de R. Mousnier, de E. J. Hobsbawm et, moins directement, de M. Foucault.
Sans oublier l'importance de l'oeuvre de E. P. Thompson, particulièrement de son article essen-
tiel « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », in Past and Pri-
sent, 50 (1971), p. 76-136.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 137
46. Arrêt du Parlement du 30 avril ; ordonnancedu roi du 3 mai et arrêt du Conseil du 9 mai 1720.
47. A propos de l'« écologie du tumulte » on lira l'article de R. Descimon, « Les barricades
de la Fronde parisienne, une lecture sociologique
», va. Annales, 2, 1990, p. 397-422 qui traite aussi
du conseiller Pierre Broussel et de la signification de sa popularité pour comprendre le rôle joué par
leParlement dans les images traditionnelles de légitimité. Sur Broussel et les remarques à son sujet
de la part du cardinal de Retz, voir aussi Piasenza, Parlamento e polizia, cit., p. 1026.
48. Au sujet de la révolte, voir Farge et Revel, cit. ; C. Romou, « L'affaire des "enlèvements
d'enfants" dans les archives du Châtelet (1749-1750) », in Revue historique, 547, 1983, p. 55-95 ; Pia-
senza, Polizia e città, cit., p. 7-41 et 337-352.
49. A. de Toqueville, L'ancien régime et la révolution, Paris, 4e éd., 1858, livre III, chapitre VI,
« De quelques pratiques à l'aide desquelles le gouvernement acheva l'éducation révolutionnairedu peuple ».
38 Paolo Piasenza
. — Conclusion
Les arguments développés jusqu'ici ont apporté, peut-être, quel-
les éléments en faveur de mon opinion : c'est-à-dire que non seule-
ment le Parlement et tout son monde (lieutenants du Châtelet, com-
missaires, assemblées, etc.) ont effectivement été à l'origine d'une trans-
ormation et d'une ébauche de professionnalisation très particulière
le la police parisienne au début du XVIIe siècle, mais aussi que toute
'organisation qui va se substituer à elle après l'institution de la lieu-
enance serait incompréhensible si on ne considérait pas l'influence
[ue la tradition précédente a su garder dans l'esprit des Parisiens bien
près son effacement juridique. Le fait que la nouvelle police à la d'Argen-
on se soit formée en adoptant le style désinvolte qu'on a illustré n'a
tas été déterminé uniquement par l'opposition aux pratiques ancien-
es, loin de là. D'autres éléments ont compté : la volonté de centrali-
ation, avant tout, l'attitude du gouvernement face au Parlement, une
lissolution certaine, bien que difficilement saississable, des liens ver-
icaux de la société parisienne, la tendance même des organisations
ureaucratiques à croître sur elles-mêmes.
Mais l'opposition des langages professionnels, ou, si l'on veut, de
'identité institutionnelle des parties en cause a certainement contri-
ué à la rigidité des conflits et à l'élaboration d'un savoir policier
usqu'alors inexistant et marqué par la personnalisation très forte des
barges de police. Et non seulement ces deux images de l'administra-
ion, qui ont longtemps cohabité dans la ville, ont participé à la for-
nation du paysage social urbain, mais elles ont profondément influence
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 139
50. Une exception remarquable à cette attitude est représentée par l'ouvrage de M. Fogel, Lis
cérémonies, cit.
Opinion publique, identité des institutions, « absolutisme » 141
51. Je fais allusion ici au livre de R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolutionfrançaise, Paris,
1990 et K.M. Baker, « Politique et opinionpublique sous l'Ancien Régime », in Annales, 1987, p. 41-71.
La citation se trouve à la p. 42.
52. G. Schmoller, Grundriss der Volkswirtschaftslehre, Berlin, 7-10 éd., 1908, I, p. 14.
142 Paolo Piasenza
2. Ph. Vigier Les troubles forestiers du premier XIX siècle français », Revueforestièrefrançaise,
«
1980, p. 128-135.
146 Nadine Vivier
3. Ainsi, par exemple, une loi abolit la vaine pâture, en juillet 1889. Devant la réaction géné-
rale, elle est modifiée le 22 juin 1890. Chaque communauté peut alors décider du maintien de la
vaine pâture sur son territoire et ce régime subsiste jusqu'à nos jours.
4. N. Vivier, Le Briançonnais rural aux XVIIIe et XIXe siècles, L'Harmattan 1992.
Les biens communaux aux XVIIIe et XIXe siècles 147
5. Ph. Vigier, La oie quotidienneen province et à Paris pendant lesjournées de 1848, Hachette 1982, p. 218-227.
6. E. Mannhardt et M. Parnaud, La vie rurale dans le canton de Lury-sur-Amon de 1830 à 1914,
mémoire de maîtrise, Paris X, 1976 (dir. Ph. Vigier).
7. Archives départementales de la Somme, Oa Favières, 1 Z 559 et M 91640.
148 Nadine Vivier
8. Sont distingués les biens patrimoniaux dont le revenu est réservé à l'ensemble de la collecti-
vité et versé directement à la caisse municipale et les biens communaux dont les habitants ont la
jouissance directe.
9. AN (Archives Nationales) F10 330.
Les biens communaux aux XVIIIe et XIXe siècles 149
10. Même les partitions ne résolvent pas forcément les litiges car elles doivent être effectuées
proportionnellement au nombre de feux.
11. Sur ce sujet, voir L. Aucoc, Des sections de commune, Paris 1858.
150 Nadine Vivier
13. Conseil d'Etat, 21 février 1838. Cité par J. Bourjol, Les biens communaux, LGDJ, Paris 1989,
P- 116-117.
152 Nadine Vivier
glanage, grappillage sur les terres privées, coupes de bois dans les
forêts communales), d'autres droits par contre peuvent se confondre
dans les esprits. C'est le cas en particulier des droits de dépaissance :
vaine pâture sur les terres appropriées, vive pâture sur les commu-
naux, parcours qui existe parfois sur le finage d'une commune voi-
sine. Le paysan a encore plus de mal à distinguer entre les bois com-
munaux dont les Eaux et Forêts réglementent les usages (coupes, dépais-
sance, ramassage), les bois de l'Etat gérés aussi par les Eaux et Forêts
et quelques bois privés, car dans ces deux derniers, il arrive qu'il y
ait des droits d'usage (pâturage, ramassage du bois mort, des feuilles,
glands...).
Englobant tout ceci dans la même notion, celle des droits collectifs
auxquels ils sont très attachés, les usagers réagissent très violemment
dès qu'une partie quelconque de ces droits semble attaquée. Ainsi,
lors de l'enquête sur la vaine pâture (1835), ou a fortiori lorsqu'un
projet de loi vise à la restreindre, les paysans croient leur jouissance
sur les propriétés collectives menacées.
Pourquoi, dans un tel contexte, étudier seulement les communaux,
en les dissociant des autres droits collectifs ? Le sujet deviendrait con-
sidérable, mais ce n'est pas la raison essentielle car tous ces droits
sont si imbriqués dans l'esprit des contemporains que l'historien est
fatalement obligé de se préoccuper de l'ensemble. Ce sont les admi-
nistrateurs des XVIIIe et XIXe siècles qui les ont dissociés. Devant
l'ampleur de la question à résoudre, les législateurs ont réfléchi sépa-
rément aux bois, aux terres communales et aux droits d'usage sur
les propriétés privées. Mais les débats parlementaires sur l'une de ces
questions dérapent régulièrement vers les autres aspects.
La définition, apparemment simple, du Code Civil, recouvre une
réalité fort complexe et des ambiguïtés subsistent sur la définition juridique
du terme « communaux ». Les difficultés existent tout autant lorsqu'on
veut définir « physiquement » ces terres collectives — dans leur éten-
due et leur nature —, et elles atteignent leur paroxysme lorsqu'on
s'interroge sur l'éthique de leur utilisation.
26. AN série D XIV, comité des droits féodaux et F 10 330. Voir aussi Gerbaux et Schmidt,
Procès -verbaux Paris 1906.
des comités d'agriculture de la Constituante, de la Législative et de la Convention,
27. AN C 2026 à 2225 pour 1814-1848, C2227 à 2430 pour la Seconde République.
28. AN H 1495, 21. Mémoire adressé
au ministre de l'agriculture vers 1770, non signé.
156 Nadine Vivier
que, laisse bien des incertitudes, alors qu'on pouvait espérer ici une
certaine neutralité. Qu'en sera-t-il alors des opinions concernant l'uti-
lisation de ces biens, réactions passionnées car elles touchent aux principes
moraux, à la conception qu'ont les auteurs de l'organisation de la société.
3. L'éthique de la question des communaux
Ces biens appartenant à la communauté, sont-ils censés profiter
à tous ses membres ? D'après les conceptions sur la communauté d'Ancien
Régime, la jouissance est accordée proportionnellement à la terre cul-
tivée, possédée ou affermée. Les pauvres sans terre (brassiers, journa-
liers) sont presque toujours exclus. Lorsqu'au XVIIIe siècle se pose
la question de la mise en valeur des terres, les philosophes pensent
que le progrès passe par une appropriation individuelle des terres,
mais les opinions divergent sur les méthodes à employer. Les Physio-
crates sont favorables au démantèlement des communaux au profit
des grands propriétaires. Par contre, les agronomes influents au gou-
vernement (le comte d'Essuiles) pensent que les communaux doivent
jouer un rôle social, aider les pauvres. Ils veulent donc leur en laisser
la jouissance et proposent un partage égal entre tous les feux, défen-
dant ainsi la propriété paysanne. (Ils ont toutefois préservé aussi les
prérogatives du seigneur qui a droit au triage). Cette idée est officiel-
lement adoptée par la monarchie et ne sera plus remise en cause. Tou-
tefois, les réticences des propriétaires font suspendre les partages.
Au cours du XIXe siècle, il est admis, officiellement ou implicitement,
que ces terres doivent bénéficier aux pauvres. Même si bon nombre
de propriétaires ne s'en préoccupent pas, aucun n'ose affirmer le con-
traire. Encore faudrait-il pouvoir définir le pauvre. La plupart du temps,
n'ont droit au communal que les détenteurs d'une propriété cadastrée.
Le pauvre est donc le micro-propriétaire (moins de 1 ha) auquel on
accorde la dépaissance gratuite pour 1 ou 2 bêtes. Quant à l'indigent,
n'ayant ni terre, ni bête, il n'est pas sûr qu'il fasse partie de ceux
dont on se préoccupe.
Les débats politiques du XIXe siècle sur la question des commu-
naux30, portent sur le thème : comment mettre ces terres en valeur
tout en en faisant bénéficier les pauvres ? Les appréciations diver-
gent. Est-ce par la jouissance commune ? L'idée la plus répandue affirme
que le pauvre peut ainsi nourrir une ou deux bêtes, enrichir son ali-
mentation et obtenir un petit revenu supplémentaire. Mais on peut
facilement montrer que les plus pauvres sont généralement exclus de
la jouissance, et que, finalement, ce sont les plus riches qui retirent
le plus de profit du pâturage communal car ils possèdent le bétail.
30. Voir AN C 913 et 1065 et la publication des débats à la Chambre dans le Moniteur Universil.
Les biens communaux aux XVIIIe et XIXe siècles 159
Est-ce par le partage égal entre les feux ? Méthode critiquée car jugée
dangereuse pour les terrains difficiles, humides ou en pente. Dans
les plaines, les communaux exigus donneraient à chacun un minus-
cule lopin ; ce jardinage intensif a ses adeptes et ses détracteurs31. Est-
ce enfin par l'amodiation ? La concession d'un bail pour la mise en
culture rapporte à la caisse municipale qui peut utiliser ces fonds au
bénéfice de tous. Inversement, les critiques dénoncent le fait que ces
adjudications risquent de se faire au profit des riches. Toutes ces façons
d'envisager la question recèlent une part de vérité, une part d'erreur.
Aucune ne peut être objective, et ceci à cause de l'infinie diversité
régionale. Dans les cantons aux faibles disparités sociales, tous peu-
vent profiter réellement du communal. Par contre, si quelques éle-
veurs dominent, ils accaparent la jouissance. Dès que la solidarité de
la communauté a la moindre faille, une coterie convoite les bénéfices.
Cette diversité a dérouté les législateurs du XIXe siècle, leur inter-
disant de poser le problème en termes clairs et donc de le résoudre
par une loi qui convienne à tous. Ceci déroute tout autant l'historien
et lui interdit d'extrapoler pour aboutir à une généralisation simple.
Aussi, ce dernier doit-il s'appuyer le plus possible sur les études
locales32 afin d'établir une typologie, dans l'esprit de celle proposée
par
les sociologues, autour de Henri Mendras et par l'historien Pierre
Barrai33. Celui-ci a caractérisé les types de sociétés rurales en privi-
légiant trois critères : ceux des rapports de classe (démocraties rurales
ou hiérarchies), des systèmes de relations et des oppositions idéologiques.
Cette démarche qui a prouvé sa valeur, peut être reprise en faisant
intervenir des critères supplémentaires. Il faut insister sur l'état des
rapports de classe, en les affinant selon la structure de la propriété fon-
cière et celle des exploitations agricoles, car ceci influence l'attitude
à l'égard des communaux insister aussi
; sur la force des contraintes
collectives, ce qui conduit à s'interroger sur leurs racines. Il faut, en
outre, tenir compte d'autres paramètres qui caractérisent la vie économi-
que, en particulier les types de production agricole (cultures commer-
ciales qui incitent à l'individualisme, élevage qui
encourage au pâturage
commun). La présence d'une main-d'oeuvre non agricole est un
31. Cf. les journaux des comices agricoles et les journaux agricoles, tel le Journal d'agriculturepratique.
32. Il existe de nombreuses études locales faites
au siècle dernier par les juristes, celles des éru-
dits au sein des sociétés
savantes départementales, publiées sous forme d'articles, de 1850 à nos jours,
enfin celles des historiens thèses d'histoire régionale, mémoires de maîtrise recensés dans Univer-
: :
sité de Paris X, Liste des mémoires de Maîtrise soutenus
en histoire contemporaine, 1980 et Idem, 2e liste,
1983. Institut d'histoire de la Révolution Française, Répertoire des
travaux universitaires inédits sur la période
révolutionnaire,
Paris 1990.
33. Voir H. Mendras, Sociologie de la campagne française, 1959. H. Mendras, M.-L. Marduel,
M. Robert, Les sociétés ruralesfrançaises, éléments de bibliographie, CNRS 1979. P. Barrai, Les agrariens
fiançais de Méline à Pisani,
FNSP 1968.
160 Nadine Vivier
Nadine VIVIER.
Maître de conférences à l'Université Paris-Nord.
Les « lumières » et les peuples.
Conclusions d'un séminaire
Au début de l'Essai sur les moeurs Voltaire écrit cette phrase remar-
quable : « Ce qui est plus intéressant pour nous, c'est la différence
sensible des espèces d'hommes qui peuplent les quatre parties con-
nues de notre monde »*. Ainsi sommes-nous avertis : l'auteur trai-
tera des peuples, il traitera des nations — Essai sur les moeurs et l'esprit
es nations, n'est-ce pas le titre de son ouvrage ? — mais il les traitera
comme des espèces différentes. La lecture de cet avertissement fut à
l'origine de notre recherche. Elle inspira le sujet « Les "lumières"
et les peuples », qui fut celui de notre séminaire pendant l'année
écoulée2.
Sujet en partie nouveau. L'anthropologie des lumières, leur anti-
sémitisme et leur ethno-différentialisnie avaient déjà fait l'objet de certaines
études publiées il y a une vingtaine d'années par des auteurs tels que
Michèle Duchet3, Georges Gusdorf3*", Léon Poliakov4 et Carminella
Biondi5. Les questions examinées dans leurs travaux avaient un rapport
1. Essai sur les moeurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne
jusqu'à Louis XIII, éd. Garnier, 2 vol., 1963, intr. de René Pomeau, t. I, p. 6.
2. A l'université de Lille III, pendant l'année universitaire 1992-1993. Ont suivi ce séminaire
et participé à cette recherche les étudiants de maîtrise et de doctorat dont voici les noms : Olivier
Boniface, Marie-Ange Caffier, Laure Christophe, Anne Debast, Florence Delnieppe, Anne-Sophie
Druant, Jean-Paul Dhénin, Virginie Duprot, Dong-Jun Jeong, Bernard Lefort, Isabelle Nadolny et
Macartan Humphreys.
3. Michèle Duchet, L'anthropologie au Siècle des Lumières, Paris, 1971.
3**. L'ouvrage de cet auteur, intitulé Dieu, la nature et l'homme au siècle des lumières (Paris, 1972)
consacre un chapitre à l'anthropologie.
4. Léon Poliakov, Le développement de l'antisémitisme en Europe aux temps modernes (1700-1850), thèse
de doctorat es lettres (Paris, 1968).
5. Carminella Biondi, « Monfrère, tu es mon esclave ! » Teorie schiaviste e dibatti ti antropologico-razziali
ml settecento francese, Prefazione di Corrado Rosso, Pise, 1973, 288 p.
avec la nôtre, mais elles n'étaient pas tout à fait les mêmes. Pour
nous il s'agissait surtout de savoir comment les philosophes des « lumiè-
res » voyaient les peuples, ou si l'on préfère, les différents groupes
dispersés sur la surface de la terre.
Les philosophes, mais quels philosophes ? Le temps normal d'une
enquête en séminaire, celui d'une année universitaire, ne nous per-
mettait d'étudier qu'un petit nombre d'ouvrages. Nous préférâmes
les choisir dans le demi-siècle 1749-1789, celui de l'essor des « lumiè-
res ». Les titres retenus furent les suivants (dans l'ordre chronologi-
que de leur publication) : Buffon, De l'homme (1749)6, Poulain de Saint-
foix, Essais historiques'sur Paris (1754-1757)7, Voltaire, Essai sur les moeurs
(1756)8, Dictionnaire philosophique (1764)9, Correspondance10, et notes diver-
ses recueillies dans le Notebooks 10 ", l'article « Nègre » de l'Encyclopé-
die par Formey11, Bougainville, Voyage autour du monde (1771) 12, Diderot,
Supplément au voyage de Bougainville (rédigé en 1773, publié en 1796) 13,
Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce
des Européens dans les deux Indes (1774)14, Delisle de Sales, De la philo-
sophie de la nature (1777) 15, Abbé Grégoire, Essai sur la régénération...
des juifs (1788)16.
Ayant passé au crible ces différents ouvrages, nous avons observé
qu'ils divisaient tous l'espèce humaine en « variétés » appelées aussi
Donc pour nos auteurs le genre humain est une « espèce », elle
même divisée en « variétés ». Delisle de Sales parle de « l'espèce
humaine » et Voltaire écrit : « On peut réduire sous une seule espèce
tous les hommes » 17. Un tel emploi du mot « espèce » est nouveau.
Dans la langue du XVIIe siècle « espèce » était un mot réservé à la
médecine et à ma pharmacie. Au XVIIIe siècle il entre dans le voca-
bulaire de la biologie. Appeler l'humanité, P« espèce humaine », c'est
tendre à ne voir en elle qu'une catégorie biologique.
Quant aux « variétés » de l'espèce, on peut les appeler aussi « espèces »
ou « races ». Voltaire emploie indifféremment ces deux derniers mots.
« Espèce » dans le texte suivant :
« On peut réduire sous une seule espèce tous les hommes, parce
qu'ils ont tous les mêmes organes de la vie, des sens et du mouve-
ment. Mais cette espèce parut évidemment divisée en plusieurs autres
dans le physique et le « moral » 18 ;
— et « race » dans ceux-ci :
« La race des nègres est une espèce d'hommes différente de la
nôtre » 19 et « Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les blancs,
les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Amé-
riques ne soient des races entièrement différentes » 20.
Buffon préfère le mot « variété ». Il développe cette idée qu'avec
le temps les « variétés individuelles » de l'humanité sont ensuite deve-
nues « variétés de l'espèce humaine » et « qu'elles se sont perpé-
tuées »21. Mais pour lui aussi « variété de l'espèce » et « race » sont
synonymes. Par exemple dans la phrase suivante : « Ces Nègres blancs
sont des Nègres dégénérés de leur race. Ce ne sont pas une espèce
d'hommes particulière et constante » 22.
« Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs oreilles différemment figu-
rées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence met-
tent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences
prodigieuses »27,
et celle des paysans français :
« Des rustres
vivant dans des cabanes avec leurs femelles et quel-
ques animaux... parlant un jargon qu'on n'entend pas dans les vil-
les ; ayant peu d'idées et par conséquent peu d'expressions... ; se ras-
semblant certains jours dans une espèce de grange pour célébrer des
cérémonies où ils ne comprennent rien... Il faut convenir surtout que
les peuples du Canada et les Cafres qu'il nous a plus appeler sauva-
ges, sont infiniment supérieurs aux nôtres » 28,
et celle des juifs :
«... vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare,
qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable
supersition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolè-
rent et qui les enrichissent »29.
Buffon a plus d'indulgence, et même son humanité comporte quelques
belles variétés, par exemple celle des « habitants des provinces septen-
trionales du Mogol et de la Perse, les Arméniens, les Turcs, les Géor-
giens, les Mingréliens, les Circassiens, les Grecs et les peuples de l'Europe
qui sont les hommes les plus beaux, les plus blancs et les mieux faits
de toute la terre »30. Mais dans les autres parties du monde habité,
si l'on met à part la Chine et le Japon, où vivent des hommes sinon
beaux, du moins dotés d'une certaine intelligence, la mauvaise espèce
prédomine, et presque toutes les races présentent des disgrâces physi-
ques ou des tares morales. Voici par exemple les Tartares : ils ont
le « nez court et gros, les yeux petits... les cuisses grosses et les jambes
courtes » enfin tout le contraire de ce qu'il faudrait avoir. Variété
laide, mais les « Calmouques » sont les plus laids : « Les plus laids
de tous sont les Calmouques, dont l'aspect a quelque chose d'effroya-
ble »31. Certains hindous aussi sont laids : Les bourgeois de Cali-
«
cut ou Moncois semblent être d'une autre race que les nobles ou « naï-
res » : car ils sont hommes et femmes plus laids, plus jaunes, plus
mal faits et de petite taille »32. Chez d'autres variétés la laideur est
surtout morale. Ainsi les indigènes du Timor sont « paresseux au
57. D'Holbach écrit : «Jouis, voilà ce que la nature t'ordonne, consens que d'autres jouissent,
voilà ce que te prescrit l'équité, mets les à portée de jouir, voilà le conseil que te donne l'humanité
sacrée... » (Système de la nature (1770), rééd., 2 vol., Paris, Fayard, 1990, t. 1, p. 107).
170 Jean de Viguerie
* *
61ter Buffon écrit : « L'on n'a trouvé des animaux domestiques que chez les peuples déjà civili-
.
ses ; cela ne prouve-t-il pas que l'homme dans l'état de sauvage n'est qu'une espèce d'animal incapa-
ble de commander
aux autres , » (Quadrupèdes, t. III, p. 175).
62. « Rerum creatrix natura ».
63. Essai sur les moeurs, éd. Garnier Pomeau, t. II, p. 140.
64. Ibid.
65. Dictionnaire philosophique, article Adam.
66. Essai sur les moeurs, éd. 1878, p. 9.
172 Jean de Viguerie
tard, une chenille enfermée dans sa fève, qui ne sera papillon que
dans quelques siècles. Il aura peut-être un jour des Newton et des
Locke et alors il aura rempli toute l'étendue de la carrière humaine,
supposé que les organes du Brésilien soient assez forts et assez souples
pour arriver à ce terme ; car tout dépend des organes » 72. Texte très éclai-
rant, non seulement pour la philosophie de l'histoire de Voltaire, mais
aussi pour ses théories au sujet de l'instruction du peuple. On sait
qu'il était hostile à une telle instruction, mais on voit bien ici l'une
des raisons profondes de cette hostilité, et sans doute la principale.
Certes Voltaire méprise le peuple (« il est à propos que le peuple
...
soit guidé, et non pas qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être »73),
mais surtout il ne croit pas que l'éducation puisse faire évoluer un
peuple, tout, selon lui, dépendant « des organes ». Que sert d'ins-
truire le peuple, si ses organes ne lui en donnent pas la « capacité » ?
Un passage de la correspondance est révélateur : « Je doute, écrit Voltaire
à propos du peuple, que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ou
la capacité de s'instruire » 74. La condamnation de l'instruction popu-
laire est donc pour une bonne part une condamnation raisonnée, une
condamnation fondée sur une certaine idée de l'homme et des peuples.
L'explication voltairienne se présente en définitive comme un système
complexe. Tentons de la résumer. S'il y a des variétés, c'est parce
que la Nature les produit. Y a-t-il des espèces intermédiaires entre
le singe et l'homme ? Voltaire le croit encore au moment où il écrit
l'Essai. Il ne le croit plus quand il compose le Dictionnairephilosophique.
Enfin il admet la possibilité d'un perfectionnement des espèces en fonction
de leur constitution physique.
Le système de Buffon est plus simple et très différent. Buffon pense
qu'il n'y avait au début qu'une seule espèce divisée ensuite en plu-
sieurs espèces différentes à cause des influences conjuguées du milieu
physique, de la manière de vivre et de se nourrir. En somme il y
a des différences, mais elles ne sont pas comme chez Voltaire des dif-
férences essentielles. C'est le passage souvent cité :
« Tout concourt donc à prouver que le genre humain n'est pas
composé d'espèces essentiellement différentes, qu'au contraire il n'y
a eu originairement qu'une seule espèce d'hommes qui, s'étaient mul-
tipliée et répandue sur toute la surface de la terre, a subi différents
changements par l'influence du climat, par la différence de la nourri-
ture, par celle de la manière de vivre... que d'abord ces altérations
Parce que leur nourriture est mauvaise, parce que leur genre de vie
est trop rude :
« Des nourritures grossières, malsaines ou mal
préparées, peuvent
faire dégénérer l'espèce humaine ; tous les peuples qui vivent miséra-
blement sont laids et mal faits ; chez nous mêmes les gens de la cam-
pagne sont plus laids que ceux de la ville »80.
Le milieu naturel est aussi à considérer :
« L'air et la terre influent beaucoup sur la
forme des animaux,
des plantes »81. L'altitude est aussi très importante : si les paysans
du « plat pays » sont stupides, ceux des hauteurs sont intelligents. Le
système buffonien est plein d'ingéniosité.
Celui de Delisle de Sales ne présente pas moins d'intérêt. C'est
une combinaison assez originale des trois thèses du monogénisme, de
la chaîne des êtres et de la dégénérescence des espèces.
Du monogénisme : à la différence de Voltaire qui est polygéniste,
Delisle de Sales attribue un seul et même père à toutes les variétés
de l'espèce humaine. Comment est-ce possible ? C'est possible, répond
Delisle de Sales, c'est possible et vraisemblable si l'on suppose que
dans les « réservoirs générateurs » du premier homme « étaient enfer-
més le ver père de tous les nègres qui habitent la zone torride, ainsi
que le ver, source de tous les nains qui naissent en Laponie, et le
ver, tige de tous les géants qu'on a trouvés sur la terre des Pata-
gons »82. Cette solution du « ver » spécialisé n'est pas propre à Delisle
de Sales. Formey y recourt lui aussi dans son article Nègres83.
La thèse de la « chaîne des êtres » ne lui est pas propre non plus.
Nous l'avons déjà rencontrée chez Voltaire et nous savons que d'autres
auteurs la soutiennent. Mais elle est présentée ici de manière explicite
et claire. En résumé pour cet auteur les différentes variétés de l'espèce
humaine sont comme les anneaux d'une chaîne et correspondent à
des degrés de qualité. Aux degrés inférieurs on trouve en descendant,
d'abord le Nègre, puis l'Albinos, puis l'orang-outang, qualifié par
Delisle de Sales de « bipède anthropomorphe »84 auquel il semble attri-
buer la fonction de chaînon intermédiaire entre l'humanité et l'ani-
malité, voyant en lui « le premier des singes et le dernier des hom-
mes »85. Plus homme que singe toutefois, mais homme dégénéré.
80. P. 319-320.
81. Ibid..
82. Delisle de Sales, De la philosophie..., t. IV, ch. IV, article Ier, p. 176.
83. « Si l'on admettait le système des vers... le ver père des nègres, contenait de vers en vers
tous les habitants d'Ethiopie, le ver Darien, le ver Hotentot et le ver Patagon avec tous leurs descen-
dants, étaient déjà transformés et devaient peupler un jour les parties de la terre où l'on trouve ces
peuples » (article Nègres, cité, p. 835.
85. Ibid..
176 Jean de Viguerie
86. Par exemple Diderot qui s'attendrit sur l'orang-outang du Jardin du Roi, lui trouvant
« l'air d'un Saint Jean qui prêche dans le désert » (Le rêve de d'Alembert, édition Vernière, Paris,
1951, p. 165) ou Charles Bonnet qui lui reconnaît des talents (Contemplation de la nature, XII, 47).
86 bis De la philosophie de la nature..., t. V, p. 263.
.
87. Ibid., t. IV, p. 170.
88. Ibid..
89. Ibid..
90. Histoire philosophique, t. 4, p. 119.
91. Ibid..
92. Ibid., t. 4, p. 119.
Les « lumières » et les peuples 177
93. Il faut peut-être voir ici l'influence du déterminisme astrologique de Boulainvilliers : «Je
nie borne à montrer, écrivait cet auteur, que le caractère propre de chaque nation est déterminé
par des causes astrologiques » (cité par D. Venturino, Le ragioni délia tradizione, Nobiltà e mondo modemo
in Boulainvilliers (1658-1722), Turin, 1993, p. 68).
94. Voltaire's notebooks,op. cit., II, p. 375.
95. Ibid..
96. Il avait jusqu'alors appartenu exclusivement au vocabulaire des spécialistes soit de religion,
soit de biologie. L'ouvrage de Mme Mona Ozouf, L'homme régénéré (Paris, 1989) traite du concept
révolutionnaire de régénération, mais comme s'il s'agissait d'une pure création révolutionnaire et
sans établir aucun lien avec la pensée des « lumières ».
97. Essai sur la régénération... des Juifs, op. cit., p. 100.
98. Ibid..
178 Jean de Viguerie
qui pour cela est leur père commun » 105. Il avait écrit aussi à propos
des hommes : « Nul homme n'est étranger à un autre homme » et
à propos des peuples : « Il ne faut... pas penser que les bornes qui
séparent les terres des particuliers et les Etats soient faites pour mettre
la division dans le genre humain... Dieu défend ces aversions qu'ont
les peuples les uns pour les autres » 106. Une telle doctrine est totale-
ment étrangère à nos auteurs : ils soulignent toujours ce qui sépare
et divise et ne voient jamais rien qui rapproche. S'il y a quelque res-
semblance entre les peuples, elle est dans leur méchanceté : « Tout
diffère, écrit Voltaire, entre les Orientaux et nous... La plus grande
ressemblance que nous ayons avec eux est cet esprit de guerre, de
meurtre et de destruction qui a toujours dépeuplé la terre » 107. Com-
ment concevoir une société des peuples, si la seule communauté entre
eux est celle du crime ?
D'ailleurs les peuples sont des races, des variétés différentes. Ce
ne sont pas les mêmes hommes. Le lien d'humanité est ténu. Et la
communication sans objet ni fondement. C'est pourquoi chaque peu-
ple doit rester chez soi et n'a rien à faire chez les autres. Voltaire,
Raynal, Diderot et Delisle de Sales jugent néfastes ou inutiles les entre-
prises européennes d'expansion, de conquête et de colonisation. « Ambi-
tion funeste » dit Voltaire à propos de la colonisation européenne :
« Une ambition qui semblait plus utile au monde, mais qui ensuite
ne fut pas moins funeste, excita enfin l'industrie humaine à chercher
de nouvelles terres et de nouvelles mers » 108. Raynal limite le droit
de coloniser aux terres désertes ou à demi occupées. Il invective les
« Barbares européens » : « Barbares européens, l'éclat de vos entre-
prises en m'en a point imposé. Leur succès ne m'en a point dérobé
l'injustice. Je me suis souvent embarqué par la pensée sur ces vais-
seaux de ces contrées lointaines ; mais descendu à terre avec vous
et témoin de vos forfaits, je me suis séparé de vous » 109. Convertir
les Sauvages à la religion du Christ ? Aucun de nos auteurs n'en reconnaît
la nécessité. Bien au contraire : pour eux les missions ne sont que
des prétextes hypocrites à l'asservissement des peuples : « Les Euro-
péens, écrit Voltaire, n'ont fait prêcher leur religion depuis le Chili
jusqu'au Japon que pour faire servir les hommes, comme des bêtes
de somme à leur insatiable avarice » 110. Quant à civiliser les sauvages,
105. Bossuet, OEuvres choisies... par J. Calvet, Livre Premier, Article premier, p. 332.
106. Ibid., p. 342. Notons cependant que Bossuet fait une exception pour les peuples qu'il juge
«maudits et abominables », mais il ne dit pas quels sont ces peuples : « Il n'y a que certains peuples
maudits et abominables avec qui toute société est interdite à cause de leur effroyable corruption... ».
107. Essai sur les moeurs, éd. Garnier Pomeau, t. II, p. 808.
108. Ibid.,.Ed. Soc, p. 233.
109. Histoire philosophique, Ed. Soc, p. 49.
110. De la philosophie de la nature, t. VI, p. 139.
180 Jean de Viguerie
voilà bien une idée saugrenue. A quoi bon, dit Voltaire, puisque « tout
dépend des organes »? A quoi bon, demande Delisle de Sales, ces
peuples ne sont-ils pas irrécupérables ? : « Partout où les puissances
sont tolérantes, les arts se perfectionnent, les lumières s'augmentent
et les hommes sont heureux ; il ne tiendrait même qu'aux peuples
tolérans de subjuguer les peuples fanatiques qui les environnent, si
les peuples fanatiques valaient la peine d'être subjugués » 111. Surtout
pas, s'écrient Diderot et Raynal. Ce que vous appelez civilisation,
n'est que corruption. Voulez-vous corrompre ces peuples encore inno-
cents ? Selon Diderot « les hommes sont d'autant plus malheureux
qu'ils sont plus civilisés » 112. « Les Caraïbes, observe Raynal,...
n'avaient pas le coeur gâté par les mauvaises institutions qui nous cor-
rompent, ne connaissant ni les infidélités, ni les trahisons, ni les par-
jures... si communs chez les peuples policés » 113. Dès qu'on l'oppose
au colonisateur, mais seulement dans ce cas, le sauvage devient bon.
Si l'on ne peut ni coloniser, ni conquérir, ni christianiser, ni civi-
liser ces peuples lointains, et si ces peuples eux-mêmes n'ont de leur
côté rien à donner de leur culture et de leur religion, nos auteurs n'envi-
sageant même pas qu'ils puissent apporter aux Européens quoique
ce soit de ce genre 114, le seul échange possible est celui du commerce.
Possible et nécessaire afin de satisfaire au meilleur prix les besoins
matériels des Européens. « Ce commerce, écrit Voltaire... n'est sans
doute pas un bien, mais les hommes s'étant fait des nécessités nouvel-
les, il empêche que la France n'achète durement de l'étranger un superflu
devenu nécessaire » 115. La satisfaction des besoins matériels est le seul
fondement des relations entre les peuples. « Ces nations, écrit Vol-
taire, n'avaient nul besoin de nous et... nous avions besoin d'elles »116.
Communication purement alimentaire : il ne s'agit pas d'amitié entre
les peuples. Raynal voit bien dans la relation commerciale une occa-
sion de rapprochement, mais ce rapprochement ne ressemble en rien
à celui de l'amitié, c'est celui de l'offre et de la demande. Evoquant
les bienfaits d'une éventuelle colonisation de l'Afrique du Nord, il
écrit : « Les peuples deviennent par degrés aussi étrangers les uns aux
autres qu'ils l'étaient dans les temps barbares. Le vide que forme néces-
sairement ce défaut de communication serait rempli si l'on réduisait
l'Afrique à avoir des besoins et des ressources pour les satisfaire. Le
commerce verrait alors une nouvelle carrière ouverte à son ambi-
tion » 117. Dans la première moitié du siècle on avait déjà cette vision
commerciale des relations internationales, mais le commerce était souvent
présenté comme un moyen d'instaurer la société des peuples. Voici
par exemple ce qu'écrivait dans sa Nouvelle Relation de la France équi-
noxiale, au sujet du commerce de la Guyane, le médecin et explora-
teur Pierre Barrère : «... il n'était pas possible de mieux faire que
d'enrichir ces pays nouvellement établis, en y introduisant le com-
merce. C'est ainsi par cette voye que, de pays déserts inhabités, nous
avons formé les liens de cette société, qui est aujourd'hui entre
nous et tant de peuples sauvages » 118. Cette idée du commerce fédé-
rateur des peuples, ne disparaît pas complètement après 1750, mais
on ne la trouve plus que chez des auteurs d'inspiration plus ou moins
chrétienne, tels que Mgr de Boisgelin 119. Les autres auteurs ne voient
rien au-delà de la satisfaction des besoins. Car ils font des peuples
ce qu'ils font de l'homme, des êtres de besoin. Ils commercialisent
les peuples.
Vont-ils pour autant justifier la traite des esclaves ?
Dans la première moitié du siècle il n'avait pas manqué de bons
esprits pour le faire. On avait pu lire sous la plume du fameux écono-
miste éclairé Melon, que « l'usage des esclaves dans nos colonies »
n'était « contraire ni à la religion, ni a la morale »120. Ce grand penseur
en proposait même l'extension à la métropole 121. Dans ces années
136. De l'homme, p. 7.
137. Pourtant Madame Duchet écrit que « l'éminente diginité de l'homme est affirmée chez
Buffon » (Introduction de l'ouvrage de Buffon, De l'homme, édition citée, p. 9). Pourtant le texte
de Buffon ne contient rien de semblable. Il n'y est question que des avantages de l'homme sur l'ani-
mal, rien de plus.
138. Essai sur les moeurs, Ed. Soc, p. 237.
139. De l'homme, p. 293.
140. Cité par C. Biondi, op. cit., p. 158.
141. Unanimité philosophique en faveur des Chinois. Raynal n'est pas le moins convaincu :
" La superstition, écrit-il, qui partout ailleurs agite les nations... est sans faveur à la Chine » (Hist.
PM-, t. 1, p. 92).
142. Essais historiques sur Paris, op. cit., t. V, p. 44.
186 Jean de Viguerie
148 bis
...
. un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l'acheteur.,
«
celui qui se donne un maître, était né pour en avoir » (Essai sur les moeurs, Ed. Soc, p. 299).
188 Jean de Viguerie
Jean de VIGUERIE.
156. Essai sur l'histoire dans Histoire des oracles. Du bonheur. Essai sur l'histoire. Dialogues des morts,
Bibliothèque 10/18, Paris, 1966, p. 163.
Résultats, débats et nouveaux champs
de travail :
Nouvelles recherches sur l'histoire économique
du XIXe et XXe siècle en Allemagne
1. Le président est Eckart Schremmer, Heidelberg. Le XVe congrès sur « Impôts, redevances
et services du Moyen Age à nos jours » a eu lieu en 1993 à Bamberg. Une vue d'ensemble bien
informée sur l'historiographie économique de l'après-guerre (entre autre sur l'histoire de l'agricul-
ture, des prix et des salaires, des entreprises et sur différents séminaires) est fournie par les articles
publiés dans : Hermann Kellenbenz/Hans Pohl (dir.), Historia socialis et oeconomica. Mélangespour Wolfgang
Zom pour
son 65e anniversaire, Stuttgart, 1987.
2. Herman Aubin/Wolfgang Zorn (dir.), Handbuch der Deutschen Wirtschafts- und Sozialgeschichte,
ï volumes, Stuttgart, 1971, 1976 ; Wolfram Fischer/Hermann Kellenbenz et autres (dir.), Handbuch
for eropaischen Wirtschafts- und Sozialgeschichte, 6 volumes, Stuttgart, 1980-1992 ; Friedrich-Wilhelm
Henning, Wirtschafts- und Sozialgeschichte, tome 1, Dos vorindustrielle Deutschland 800 bis 1800, tome 2,
Oie Induslrialisierung in Deutschland 1800 bis 1914, tome 3, Dos industralisierte Deutschland 1914 bis
1992, Paderborn, 5e édition, 1994, 8e édition, 1993, 8e édition, 1993 ; Friedrich-Wilhelm Henning,
Deutsche Wirtschafts- und Sozialgeschichte im Mittelalter und in der fruhen Neuzeit, Paderborn etc., 1991 ;
will A. Boelcke, Wirtschafts- und Sozialgeschichte. Einfûhrung. Bibliographie, Methoden, Problemfelder,
Darmstadt, 1987 Rolf Walter, Einfûhrung in die Wirtschafts- und Sozialgeschichte, Paderborn, 1994.
;
Reme historique,
CCXC/1
192 Gunther Schulz
3. Rapport de recherche en histoire sociale dans l'après-guerre, chez Gerhard A. Ritter, Die
neuere Sozialgeschichte in der Bundesrepublik Deutschland. Dans : Jurgen Kocka (dir.), Sozialgeschichtetm
intemationalen Ûberblick. Ergebnisse und Tendenzen der Forschung, Darmstadt, 1989,
p. 19-88 ; Jurgen Kocka :
Sozialgeschichte. Begrijf-Entwicklung-Probleme, 2e édition, Gottingen, 1986, p. 132-176.
Nouvelles recherches 193
7. Wolfram Fischer/Franz Irsigler/Karl Heinrich Kaufhold/Hugo Ott (dir.), Quellen und Forschun-
gen... St Katharinen, 1986. Quelques-uns des volumes jusqu'alors parus vont jusqu'à nos jours. Les
sujets jusqu'alors traités sont l'approvisionnement en électricité ou plutôt en énergie, les assurances,
le commerce, la production d'acier et minerais, la structure régionale d'emploi, la mobilité sociale,
les cours des changes et des monnaies, la population, le chemin de fer et la navigation intérieure. Une
vue d'ensemble sur le lieu de découverte, le contenu et les possibilités d'exploitation de sources majeures
ainsi qu'une esquisse de la naissance et les buts du projet dans Wolfram Fischer/Andréas Kunz (dir.),
Grundlagen der Historischen Statistik Opladen, 1991.
von Deutschland. Quellen, Methoden, Forschungsziele.
8. Jûrgen Schneider/Oskar Schwarzer/FriedrichZellfelder/MarkusA. Denzel (dir.) : Wâhrungen der
Web. Tome I (en 3 parties) Europâische und nordamerikanischeDevisenkurse 1777-1914 Tome IV Asiatis-
: ; :
du und australischeDevisenkurse im 19. Jahrhunaert Tome VI : Geld und Wâhrungen in Europa im 18. Jahrhun-
;
dert Stuttgart, 1991, 1992.
196 Gunther Schulz
13. Voir p. ex. Josef Mooser, Kleinstadt und Land im Industrialisierungsproezfs1850 bis 1930. Dos Beis-
piel Ostwestfalen, dans Manfred Hetding et autres (dir.), Was ist Gesellschaftsgeschkhte ? Positionen. Themen.
Analysen. Munich, 1991,
p. 124-134.
14. Réimprimé dans Knut Borchardt, Wachstum, Krisen, Handlungsspielrâume der Wirtschafispolitik.
Studien
zur Wirtschaftsgeschichte des 19. und 20. Jahrhunderts. Gôttingen, 1982, p. 42-59.
15. Wolfram Zorn, Wirtschafilkh-soziale Bewegung und Verflechtung. Ausgewâhtie Aufsâtze. Stuttgart, 1992 ;
Gerhard Adelmann, Vom Gewerbe zur Industrie im kontinentalen Nordwesteuropa. Gesammelte Aufsâtze zur regionalen
Wirtschafts- und Sozialgeschichte. Stuttgart, 1986 Rainer Fremdling/Richard H. Tilly (dir.), Industrialisie-
;
nmg und Raum. Studien zur regionalen Differenzierung im Deutschland des 19. Jahrhunderts. Stuttgart, 1979.
198 Gùnther Schulz
publié deux ans plus tard par Sidney Pollard, traitait de la même théma-
tique dans l'espoir que la plus forte prise en compte des cohérences
régionales améliorerait efficacement la compréhension de rindustrialisation.
Ce volume incluait, à côté de régions allemandes, des régions françaises
(surtout Lyon et la Lorraine), britanniques et étatsuniennes. H fournit des
bases de comparaisons intéressantes16. Hans Pohl publia, en 1986, à la
suite d'un congrès de la Société d'Histoire économique et sociale, un
ouvrage qui exposait les résultats d'une vaste comparaison, sur la lon-
gue durée, entre les régions industrielles et artisanales allemandes17.
Le concept de proto-industrialisation fit grande sensation. Le terme,
dû à Franklin F. Mendels (en référence au terme plus ancien de « Pro-
tofactory »), fut répandu par un article de 1972 dans le Journal of Econo-
mie History 18. En Allemagne, un groupe de collaborateurs historiens de
l'Institut Max Planck de Gôttingen l'adopta immédiatement. Il pré-
senta bientôt de volumineuses recherches sur le développement pré-
industriel artisanal, surtout à la campagne, sur le travail à domicile
ou industrie domestique, sur le développement démographique, sur le
problème de la pauvreté, sur les voies de communication, sur les formes
de la distribution. Ce faisant, ces chercheurs mettaient en rapport des
questions d'histoire économique, d'histoire sociale, d'anthropologie, d'his-
toire démographique. Ces recherches empiriques ont prouvé principa-
lement que l'industrialisation plonge ses racines au moins jusqu'aux
débuts des Temps Modernes. Déjà dans le cadre des structures économi-
ques traditionnelles de l'artisanat rural apparaissaient des techniques, des
mentalités, des caractères manufacturiers. Conjugué avec le dévelop-
pement des circuits d'échanges, cela offrait à la population rurale en
expansion, aussi bien aux exploitants qu'aux salariés agricoles, des pos-
sibilités de gain, et donc d'existence. La protoindustrialisation atténuait
ainsi l'angoisse de la survie dans les couches inférieures mais facilitait
en même temps la croissance démographique en renforçant, de la sorte
et à long terme, le problème des subsistances. Ainsi, au début de l'indus-
trialisation, coexistaient ses deux facteurs majeurs : la pression démo-
graphique et la perspective d'une solution19.
16. Sidney Pollard (dir.), Région und Industrialisierung. Studien zur Rolle der Région in der Wirtschafisges-
chichte der letzten zwei Jahrhunderte. Gôttingen, 1980.
17. Hans Pohl (dir.), Gewerbe- und Induslrielandschaftenvom Spâtmittelalter bis ins 20. Jahrhundert. Stutt-
gart, 1986. Voir aussi Hubert Kiesewetter, Industrialisierung und Landwirtschaft. Sachsens Stellung im regiona-
len IndustrialisierungsprozejlDeutschlands im 19. Jahrhundert. Cologne, 1988.
18. Franklin F. Mendels, « Proto-industrialization: The First Phase of the IndustrializationPro-
cess. » Dans The Journal of Economie Histoiy 32 (1972), p. 241-261.
19. Peter Kriedte/Hans Medick/Jûrgen Schlumbohm, Industrialisierung vor der Industrialisierung.
Gewerbliche Warenproduktion auf dem Land in der Formationsphase des Kapitalismus. Gôttingen, 1977 ; Peter
Kriedte, Eine Stadt am seidenen Faden. Haushalt. Hausindustrie und soziale Bewegung in Krefeld in der Mitte
des 19. Jahrhunderts. Gôttingen, 1991.
Nouvelles recherches 199
20. Hans Pohl, Studien zur WirtschafisgeschichteLateinamerikas. Wiesbaden, 1976 ; Jûrgen Schnei-
der, Frankreich und die UnabhàngigkeitSpanisch-Amerikas. ZumfranzôsischenHandel mit den entstehenden Nationalstaaten
(1810-1850). Stuttgart, 1981.
21. Wilhelm Abel, Agrarkrisen und Agrarkonjunktur. Eine Geschichte der Land- und Emâhrungswirtschaft
Miiteleuropas seit dem Hohen Mittelalter. 3e édition, Hambourg-Berlin, 1978 ; Wilhelm Abel, Geschichte
der deutschen Landwirtschaft vomfruhen Mittelalter bis
zum 19. Jahrhundert. 2e édition Stuttgart, 1967 (Deuxième
volume de l'histoire de l'agriculture allemande) ; Friedrich Lûtge, Geschichte der deutschen Agrarverfassung
«omfiûhen Mittelalter bis zum 19. Jahrhundert. 2e édition, Stuttgart, 1967 (Troisième volume de l'histoire
de l'agriculture allemande). Deutsche Agrargeschichte in alter und neuer
— Voir aussi Hans Rosenberg, «
Sicht. » Dans Hans Rosenberg, Problème der deutschen Sozialgeschichte. Francfort/M., 1969, p. 81-147.
22. Friedrich-Wilhelm Henning, Landwirtschaft und lândliche Gesellschaft in Deutschland. 2 volumes
(800-1750, 1750-1986). 2' édition Paderborn etc., 1985, 1988 Friedrich-WilhelmHenning, Dienste
;
und Abgaben der Bauern im 18. Jahrhundert. Stuttgart, 1969.
200 Gùnther Schulz
23. Voir entre autres Carl-Ludwig Holtfrerich, Die deutsche Inflation 1914 bis 1923. Ursachen und
Folgen in intemationaler Perspektive. Berlin-NewYork, 1980 ; Gerald D. Feldman et autres (dir.), Die deuts-
che Inflation. Eine Zwischenbilanz. Berlin, 1982 ; Rapport de recherche de Michael Schneider, Deutsche
«
Geselschaft in Krieg und Wâhrungskrise 1914-1924. Ein Jahrzehnt Forschungen zur Inflation. » Dans
Archivfur Sozialgeschichte 26 (1986), p. 301-319 ; Dieter Lindenlaub, Maschinenbauuntemehmenin der deutschen
Inflation 1919-1923. Untemehmenshistorische Untersuchungen zu einigen Inflationstheorien. Berlin-New York, 1985.
Nouvelles recherches 201
24. Voir Gûnther Schulz, « Bûgerliche Sozialreform in der Weimarer Republik. » Dans Rûdiger
vom Bruch (dir.), Weder Kommunismus noch Kapitalismus. BùrgerlicheSozialreform in Deutschland vom Vormârz
bis zur Ara Adenauer. Munie 1985,
p. 181-217, ici 193 sq. ; Ludwig Preller, Sozialpolitik in der Weimarer
Republik. Kronberg/Ts, 1978 (réimpression de l'édition de 1949),
p. 208-219, 358-363.
25. Knut Borchardt, Zwangslagen und Handhmgsspielrâume in dergrojen Wirtschaftskriseaerfrûhen dreifii-
gerjahre : Zur Revision des uberlieferten Geschichtsbilaes. Dernière réimpression dans Borchardt, Wachstum...
(cf. note 14), p. 165-182. Voir aussi Borchardt, Wirtschaftliche Ursachen des Scheitems der Weimarer Republik,
'bid., p. 183-205. Position contraire formulée
par Carl-Ludwig Holtfrerich : Alternativen zu Brûnings
Wirtschaftspolitik in der Weltwirtschaftskrise? Dans Historische Zeitschrift 235 (1982),
p. 605-631. Le
point sur la controverse de Borchardt dans Jûrgen von Kruedener (dir.), Economie Crisis and Political
Collapse. The Weimar Republic 1924-1933, New York etc., 1990.
26. Avraham Barkai, Dos Wirtschaftssystem des Nationalsozialismus. Der historische und ideologischeHinter-
grund 1933-1936, Cologne, 1977.
202 Gùnther Schulz
lieu, sur la politique économique depuis 1933 et, plus encore, pendant la
Guerre Mondiale, une politique tendue vers l'armement et l'autarcie27.
En troisième lieu les recherches portèrent sur l'impact de la politique
économique dans les entreprises elles-mêmes : l'influence des national-
socialistes sur les structures de direction, sur l'esprit de discipline des
salariés et sur le changement de la production. La recherche s'intéressa
de plus en plus à l'attitude des entrepreneurs envers Hitler, aux cas
de coopération et de rejet et à l'ampleur du travail obligatoire28.
L'histoire économique de l'Allemagne d'après guerre présente une
controverse sur l'appréciation de deux réformes de 1948. La réforme
monétaire, comme on sait, avait permis de surmonter les charges
économico-financières de la guerre mondiale et de consolider le système
monétaire et de crédit en créant le Deutschemark. En même temps
Ludwig Erhard avait fait passer une réforme économique en mettant
fin au rationnement gouvernemental des marchandises et en débloquant
la plupart des prix fixés alors par l'Etat depuis environ douze ans. Selon
l'interprétation générale ces deux réformes posèrent les fondements du
« miracle économique » allemand de l'après-guerre.
Depuis 1975 l'historien économiste Werner Abelshauser défend, dans
de nombreuses publications, l'idée que les orientations de la réforme
monétaire et économique ne seraient pas les facteurs déterminants de
l'essor économique29. Au contraire, selon lui, le potentiel existant d'une
infrastructure hautement industrialisée ainsi que d'une main-d'oeuvre
qualifiée et motivée serait décisif. L'essor économique après la guerre
n'aurait pas été un miracle économique. Il s'agirait plutôt de la reprise
d'une tendance interrompue, d'un rattrapage rapide sur une pente de
croissance séculaire, abandonnée à cause de la guerre. Abelshauser suit
de la sorte l'étude du Hongrois Ferencz Janossi intitulée « Das Ende
der Wirtschaftswunder » (en allemand Francfort/M., 1969).
On admet en général que l'essor économique allemand n'était pas
un miracle — déjà le premier chancelier fédéral, Konrad Adenauer,
avait rejeté l'expression en la qualifiant de trompeuse. Mais la thèse
de la reconstruction était fortement débattue, en premier lieu, par des
spécialistes de la politique économique. Ils estimaient que la grande
27. Dietmar Petzina, Autarkiepolitik im Dritten Reich : Der nationalsozialistische Vierjahresplan, Stuttgart,
1968 ; Willi A. Boelcke, Die deutsche Wirtschaft 1930-1945. Interna des Reichswirtschaftsministeriums, Dussel-
dorf, 1983.
28. Hans Pohl/Stephanie Habeth/Beate Brûninghaus, Die Daimler Benz AG in den Jahren 1933 bis
1945. Eine Dokumentation, 2e édition, Stuttgart, 1987 ; Hisashi Yano, Hûttenarbeiter im Dritten Reich. Die
Betriebsverhâllnisse und soziale Loge bel der GutehoffnungshûtteAktienverein und der Fried. Krupp AG 1936 bis
1939, Stuttgart, 1986 ; Klaus-Jôrg Siegfried, Das Leben der Zwangsarbeiter im Volkswagenwerk 1939-190.
Francfort/M.-New York, 1988.
29. Werner Abelshauser, Wirtschaft in Westdeutschland1945-1948, Rekonstruktion und Wachstumsbedm-
gungen in der amerikanischen und britischen Zone, Stuttgart, 1975.
Nouvelles recherches 203
30. Rainer Klump, Wirtschafisgeschichteder Bundesrepublik Deutschland. Zur Kritik neuerer wirtschaftshisto-
rischer Interpretationen aus ordnungspolitischer Sicht, Stuttgart, 1985.
31. Ainsi Christoph Buchheim, « Die Wâhrungsreform 1948 in Westdeutschland », dans Viertel-
jahrshefiefur Zeitgeschichte 36 (1988), p. 189-231, ici p. 231 ; des positions historico-économiquescontrai-
res sont formulées par Bemd Klemm/GunterJ. Trittel, « Vor dem "Wirtschaftswunder" : Durchbruch
Mm Wachstum oder Lâhmungskrise ? Eine Auseinandersetzung mit Werner Abelhausers Interpréta-
tion der Wirtschaftsenrwicklung 1945-1948 », dans Vierteljahrshefiefur Zeitgeschichte 35 (1987), p. 571-624;
également Albrecht Ritschl, « Die Wâhrungsreform von 1948 und der Wiederaufstieg der westdeuts-
ehen Industrie dans Vierteljahrshefie... 33 (1985), p. 136-165.
»,
32. Voir Gerold Ambrosius, Die Durchsetzung der Sozialen Marktwirtschafiin Westdeutschland1945-1949,
Stuttgart, 1977 ; Josef Foschepoth/Rolf Steininger (dir.), Die britische Deutschland- und Besatzungspolitik
1945-1949, Paderborn, 1985 ; Hans-Jûrgen Schroeder (dir.), Marshatlplan und westdeutscher Wiederraufs-
% Stuttgart, 1990.
33. Harald Winkel, Die Wirtschaft im geteilten Deutschland 1945-1970, Wiebaden, 1974.
34. Voir à ce sujet Margrit Grabas, « Zwangslagen und Handlungsspielrâume. Die Wirtschafts-
geschichtsschreibung der DDR im System des real existierenden Sozialismus », dans VSWG 78 (1991),
P- 501-531.
204 Gunther Schulz
35. Voir Wilfried Feldenkirchen, « Das Jahrbuch fur Wirtschafisgeschichte », dans VSWG 78 (1991),
p. 532-548.
Nouvelles recherches 205
36. Knut Borchardt, Grundrifi der deutschen Wirtschafisgeschichte. Gôttingen, 1978 ; Wolfram Fischer,
Die Wetiwirtschafi im 20. Jahrhundert. Gôttingen, 1979 ; Hans Jaeger, Geschichte der Wirtschafisordnung in
Deutschland. Francfort/M., 1988 Hubert Kiesewetter, Industrielle Révolution in Deutschland, Francfort/M.,
;
1989 ; Karl Hardach, WirtschafisgeschichteDeutschlandsim 20. Jahrundert. 2e édition, Gôttingen 1979 ; Gerold
Ambrosius, Staat und Wirtschaft im 20. Jahrhundert. Munie, 1990.
37. Gunter Ashauer et autres (dir.), Deutsche Bankengeschichte. 3 tomes. Francfort/M., 1982/83 ; Hans
Pohl (dir.), Deutsche Bôrsengeschichte. Francfort/M., 1992.
206 Gùnther Schulz
38. Comme exception voir récemment Clemens Wischermann, Der Property-Rights-Ansatz und
die « neue » Wirtschafisgeschichte, dans Geschichte und Gesellschafi 19 (1933), p. 239-258.
COMPTES RENDUS
Voici l'un des premiers ouvrages de la nouvelle collection du CNRS, qui entend
rendre accessible à un public élargi des ouvrages d'une réelle valeur scientifique.
Disons tout de suite que le choix est excellent et l'objectif parfaitement atteint.
Le livre vient heureusement compléter celui de P. Maraval, Lieux saints et
pèlerinages d'orient. Histoire et géographie. Des origines à la conquête arabe, Paris,
Le Cerf, 1985. D'abord parce qu'il s'étend sur une période beaucoup plus vaste,
puisqu'il poursuit jusqu'au XIe siècle (et non au XIIe siècle, comme l'annonce
l'introduction, ce qui écarte Léontios, ermite dans la banlieue de Constantino-
ple, puis higoumène de Patmos et patriarche de Jérusalem) ; ensuite, et surtout,
parce qu'il s'intéresse non seulement à ceux qui se rendent auprès des saints
hommes, mais surtout aux déplacements de ceux-ci, même si les saints prennent
la route d'abord pour des pèlerinages.
Avant de pénétrer dans le corps de l'ouvrage, soulignons que le quart de
celui-ci consiste en une importante aide à la lecture. On trouvera ainsi en appen-
dice une liste raisonnée des villes et ports qui jalonnent les routes des saints étu-
diés, classés par ordre géographique et une liste des principales villes de pèleri-
nage (23). On appréciera également la présence d'un glossaire, qui permet d'expliquer
les termes techniques, et pas seulement religieux, du parèque au xénodocheion ;
ce glossaire ne servira pas seulement à la lecture du présent ouvrage et complète
heureusement l'abondant index des noms propres. L'a. nous donne aussi un
tableau chronologique qui confronte les principaux événements politiques et religieux,
mais sans y intégrer les saints. La bibliographie et relativement succincte, sauf
pour la liste des vies de saints consultées, au nombre impressionnant de 72. Dans
ces conditions, l'on hésite à regretter l'absence, par exemple, de saint Romain
le Néomartyr, qui s'exila chez les Arabes pour fuir l'iconoclasme, dont, certes,
nous ne possédons pas de version grecque, mais pas moins que pour le géorgien
Hilarion ou pour Constantin-Cyrille et Méthode. Notons au passage que l'on
ne comprend pas toujours pourquoi l'a. utilise une édition ancienne alors qu'elle
en connaît une plus récente (cf. l'exemple de Nikôn de Métanoeïte, ou encore
celui de Luc le Jeune cité tantôt dans l'une tantôt dans l'autre édition, et, au
passage, p. 281, confondu avec Luc le Stylite) ou bien ignore l'édition de 1982
des deux vies d'Athanase l'Athonite, qui fait pourtant autorité. Ajoutons la pré-
sence de plusieurs excellentes cartes schématiques, qui s'imposent dans un ouvrage
pareil et s'intègrent parfaitement dans la démonstration, mais dont on aurait
souhaité trouver une table.
Regrettons au passage des contradictions qui sont visiblement celles de l'édi-
teur et non de l'auteur : d'un côté 8 illustrations en couleur, photographies
Revue historique, CCXC/1
208 Comptes rendus
arabe, la Bithynie par la suite, mais aussi d'autres centres moins connus, mais
relativement nombreux qui mériteront un jour une étude plus approfondie, comme
Chrysè Pétra en Paphlagonie, Philargyros en Phrygie, Kalonoros en Lydie ou
encore les montagnes d'Isaurie. Certains saints partent au loin pour toujours ;
d'autres reviennent après leur errance ; d'autres restent dans leur région ; d'autres
enfin accèdent à la sainteté dans leur propre village ou cité. Finalement, ce sont
ces deux dernières catégories de saints « locaux » qui semblent l'emporter
numériquement.
A ce stade, nous ne sommes pas encore partis vraiment sur la route des saints
byzantins ; voilà qui est fait avec le ch. 4, consacré aux voyages monastiques.
les plus courants sont sans doute les voyages locaux, d'abord pour le service
du monastère, qui nécessite de se rendre à la ville. Certains voyages lointains
répondent également à des nécessités mondaines : lever des fonds, se procurer
vivres ou matières premières, aller toucher son héritage, pour la bonne cause
évidemment. Mais d'autres voyages, missions ou pèlerinages, sont caractéristi-
ques de la sainteté. L'a. consacre une vingtaine de pages au voyage à Constanti-
nople : certains viennent s'y établir, d'autres s'y rendent par nécessité, par exemple
obtenir quelque faveur pour leur établissement ou pour participer à quelque grand
événement religieux. Comme tous les Byzantins, les saints sont attirés par la
capitale, car ils ont besoin du soutien de l'Empereur et de l'aristocratie qui y
résident. L'a. n'envisage pas à ce stade la capitale comme lieu de pèlerinage
(mais la fait figurer dans son appendice consacré aux villes de pèlerinage). C'est
un peu surprenant, car elle utilise, par exemple, largement la vie de Cyrille de
Philéa qui se rendait tous les vendredi à l'église de la Vierge des Blachernes
assister au miracle qu'y opérait une des icônes les plus fameuses de la capitale.
On notera au passage que, si l'a. situe correctement Philéa près de la métropole
Thrace de Derkos et place correctement la dite cité sur sa carte, et même le
village de Philéa, qui était en réalité beaucoup plus proche de la petite cité, elle
écrit à trois reprises (p. 224, p. 290 et p. 313) qu'il se trouvait à sept ou huit km
de la capitale, et non une soixantaine comme c'était en réalité.
Le ch. 5 est consacré à un type particulier de voyage, l'errance, où l'a. traite
d'abord la fuite du saint devant les autorités, l'ennemi ou tout simplement la
foule et plus particulièrement le témoin qui le reconnaît et, susceptible de le
glorifier, le fait faillir à son voeu d'humilité : ceci n'est pas vraiment une errance.
Dans une page très suggestive, elle ouvre une voie intéressante de recherche :
bien souvent, derrière la fuite alléguée se cache au contrairele désir de conserver
le contact avec le monde ; comme va le montrer le chapitre suivant, ces « déserts »
monastiques sont extrêmement fréquentés tant par la foule des humbles que par
le meilleur monde. Ceux qui, comme les Acémètes, Daniel le Stylite ou Cyrille
le Philéote sont installés dans la banlieue de Constantinople cumulent volontai-
rement et parfois explicitement les avantages de la fuite du monde et de la proxi-
mité de la « reine des villes ». Il n'en reste pas moins qu'il existait un statut
ecclésiastique de l'errance, défini par la correspondance entre Paul, le maître
de Pierre d'Atrôa et le patriarche Taraise. Mais l'errance n'est pas l'idéal de
la sainteté byzantine et celle de Pierre d'Atrôa se termine par une fondation
définitive de monastère.
Au chapitre 6, la route des saints byzantins, jusqu'ici à la voix active, se
conjugue au passif, car le saint est l'objet de voyages, de son vivant ou pour
ses reliques. L'a. résume ici, car il y aurait matière à écrire plusieurs volumes
sur ce seul sujet : la venue des pèlerins, des visiteurs souvent illustres en quête
de la protection ou de la recommandation d'un saint personnage, ou exploitant
son don de divination, et la venue des disciples qui constituent, autour du
210 Comptes rendus
M. KAPLAN.
tous ses éléments de détail. Et je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que
Je sais parfaitement
que mon propre livre est de même eau. Il n'y a qu'une
seule critique d'ensemble à faire à l'ouvrage : pour avoir, moi aussi, subi
plusieurs fois les contraintes d'un travail collectif, je mesure les difficultés qu'a
rencontrées Philippe Contamine pour mener l'attelage : le résultat porte inévita-
blement la marque de fortes oppositions de style, de méthode et de plan, selon
les quatre auteurs. Mais les idées directrices ont bien été respectées : le dyna-
misme, par petits paliers successifs, sept sur plus de mille ans ; montrer qu'une
fois lentement détachée des liens avec l'Antiquité, l'Europe nouvelle s'est dotée,
du IXe au XVIe siècle, de quoi conquérir le monde ; privilégier le qualitatif sur
le quantitatif ; étudier les armatures de base plus que les superstructures. Par
rapport au livre de Fourquin, on dira qu'il y a ici moins de chiffres et plus d'idées,
jugement évidemment des plus grossiers.
Une des originalités du livre — une nouveauté même — est de consacrer
un quart de l'ensemble (ce qui est quand même beaucoup !) à la monnaie. Sur
lé vocabulaire de l'instrument monétaire, son volume, son encadrementjuridi-
que et mental, sur la frappe et la circulation, sur la variation de la masse moné-
taire, sur les dimensions fiscales et politiques de ces variations, Marc Bompaire
a écrit cent
pages éparses en chaque période historique, et constituant, je crois,
le plus neuf et le plus clair travail récent en français sur ce sujet plein de pièges,
dans lesquels nous tombons si souvent. Neuf et excellent, mon incompétence
m'interdisant de disputer du détail.
Je suivrai ensuite les trois grandes coupures chronologiques qu'a bien dû
rpspecter Philippe Contamine, tradition et éditeurs obligent, mais dont on voit
bien qu'il ne les approuve pas. S. Lebecq a traité en 150 pages — les deux cin-
— la tranche Ve-milieu du Xe. Je dirai tout de suite que ces
cjuièmes du livre
pages sont celles qui m'ont le plus frappé, sans doute parcequ'elles m'ont beau-
coup appris. Certes, et d'ailleurs largement grâce aux recherches de l'auteur,
l'éveil de l'Europe du nord et le basculement des foyers d'activité de la Méditer-
ranée au Rhin est perceptible depuis Pirenne, mais il fallait réhabiliter ces pré-
sumés « siècles obscurs ». Très au courant des recherches archéologiques et reprenant
les textes, Lebecq met notamment en lumière la profonde cassure du VIIe siè-
cle, qu'il attribue fortement aux effets de la « peste justinienne » foudroyant le
sud, et l'ouverture des voies maritimes septentrionales. Pour longtemps la mer
du Nord va concurrencer la Méditerranée. L'étude de la clairière carolingienne
est nuancée : le point de vue maximaliste est écarté (« Il serait fou » de croire
à un décollage économique dès ces temps) au profit d'une première ébauche
« »,
d'une « esquisse fragile », dont le sud d'ailleurs mène le train, rien moins que
« carolingien » ; à ce niveau bas, je me rallie.
Les 130 pages médianes, confiées à J.-L. Sarrazin, me sont plus familières,
et, de ce fait, attirent davantage ma critique. Je pense qu'il aurait été sage de
s'arrêter vers 1270, et non de pousser jusqu'au « blocage » du début du XIVe siècle,
la preuve en étant que, plus loin, Contamine a été contraint de reprendre le
tableau encadrant les périls ultérieurs. J'aurais également rassemblé tout ce qui
touche le rassemblement des hommes et le prolonge, habitat, seigneurie, parcel-
laire nouveaux. La notion globalisante d'encellulement l'aurait permis, alors qu'ici
la matière est éclatée, ce qui est d'autant plus gênant que l'auteur campe bien
les problèmes de l'an mil. Je suis
sur ma faim pour l'élevage, les techniques
même de culture, la structure interne des villes, la « culture matérielle ». En
revanche j'ai trouvé bons les développements sur la population, le niveau de la
ponction seigneuriale, le système des tenures, le commerce et les prix. Sur ce
plan l'index thématique, dont je parlais plus haut, aurait rendu bien des services.
216 Comptes rendus
Dominique BARTHÉLÉMY.
218 Comptes rendus
Hervé PlNOTEAU.
La bibliographie sur le sujet est immense, car il s'agit d'un événement qui
a passionné l'opinion et la passionnera encore.
220 Comptes rendus
commune. Comme l'a écrit F. Braudel : « En des pays trop remplis d'hommes
pour leurs ressources, comme c'était le cas, la religion est le prétexte en même
temps que la cause. » Mais les Rois eurent tout de suite conscience de la perte
de valeurs que constituait cette grosse ponction humaine. Dès 1493, le retour
de ceux qui le désiraient fut autorisé. Et cent mille familles regagnèrent leur
patrie, se convertirent en apparence, et s'assimilèrent. Encore au XVIe siècle,
Erasme considérait les royaumes d'Espagne comme massivement juifs. Mais,
de par la raison d'Etat, ils étaient entrés dans la modernité.
Marianne MAHN-LOT.
immense influence jusqu'au XVIIe siècle. Sur les grands changements dans le
monde, d'Ailly suit encore la science astrologique. Colomb périodise de la même
façon à partir des révolutions de Saturne. A mettre au compte des prophéties
de grande portée, celle du Pseudo-Méthode annonçant l'arrivée d'un empereur
des derniers temps qui déposerait sa couronne à Jérusalem. On sait que
Ferdinand le Catholique s'indentifiera à ce roi. On voit par là l'ambiance
messianique qui régnait à l'époque. Il faut noter que, malgré la date tardive
du Livre des Prophéties, on sait que de tout temps le Génois fut imbu de prophé-
tisme. L'article La découverte de l'Amérique et son image littéraire, par Marianne Mahn-Lot
est sous-tendu par l'idée que la découverte est comme un test : écrivains et
philosophes partent de faits nouveaux pour formuler les idées de Nature, de
progrès, s'acheminer vers de nouvelles connaissances.
Par Ute Lindgren : Les cartes de l'Amérique du XVIe siècle et leur fabrication. La
question n'est peut-être pas renouvelée mais exposée clairement et l'article est
assorti d'une série de cartes bien reproduites et d'éphémérides. Les fameuses
cartes de Waldseemùller, éditées à Saint-Dié en 1507, grâce auxquelles apparaît
le terme d'« America », posent encore quelques questions car, bien que le litto-
ral occidental de l'Amérique du Sud ne fût pas connu à l'époque, il en est
donné un tracé rectiligne qui est l'affirmation de son caractère de continent.
A ce propos, lorsque U. Lindgren parle des « isolarios », elle dit à tort que Colomb
pensait n'avoir trouvé que des îles. En fait lorsqu'il débarque en 1500 aux
bouches de l'Orénoque, il écrit qu'il s'agit d'une « très grande terre ferme ».
Une hypothèse intéressante est formulée par François Callais, auquel on doit
ici une précieuse chronologie et bibliographie sur l'ensemble des sujets traités
au Colloque.
De Pierre-Jean Mairesse, une importante contribution : Une vision intellec-
tuelle nouvelle. Approche d'un Nouveau Monde pose le problème de l'unité du savoir
au Moyen Age : physique et métaphysique s'opposent-elles ? C'est aussi la
question de la finitude du monde : on distingue le « monde des astres », fini
donc parfait, et le monde des hommes, infini -dans le sens d'inachevé et que
l'homme a pour tâche de construire, de former en une cité. On pourrait citer
ici une phrase de Colomb : « Je suis venu apporter à ce monde inconnu Informe
du nôtre ». Pierre d'Ailly reste tributaire de la pensée de son époque qui n'accède
pas encore à l'idée d'expérience. Les hommes de la Découverte vont évidem-
ment faire éclater un monde clos.
De Bernard Merlette, Guillaume Fillastre, ami de Pierre d'Ailly et l'huma-
nisme au Concile de Constance. Les deux hommes d'Eglise participent au concile
qui déposera l'antipape Jean XXIII. Fillastre tient un journal des sessions.
Il y connaît des humanistes italiens et Aenea Silvio Piccolomini, le futur
Pie II dont VHistoria rerum fut un des livres de chevet de Colomb. De la
ville de Constance, il lui est loisible d'aller faire la chasse aux manuscrits
de l'Antiquité, en particulier à Saint-Gall. N'oublions pas que Colomb se
référera souvent à Aristote, à Pline, à Sénèque, connus à travers la compilation
de Pierre d'Ailly.
De Jacques Halbronn, Pierre d'Ailly : des conjonctions planétaires à l'Antéchrist.
Par l'astrologie, d'Ailly aurait prévu 1789 et aurait rattaché cette date à la
venue de l'Antéchrist.
Marianne MAHN-LOT.
224 Comptes rendus
leur langue. Mais, du point de vue culturel, les rites furent pratiqués en langue
arawak (ce fut la seule survie des Arawaks des Grandes Antilles). Il y avait à
la fois, dans les Petites Antilles et dès le XVIe siècle, des « caribes negros » et
des « caribes rojos ». Le type physique négroïde prédomina. La lamentable
histoire du « marronage » et de la déportation des rebelles opérée à la fin du
XVIIIe siècle, par Français et Anglais, est connue ; mais la vitalité de ces Gari-
funas triompha malgré tout. Le métissage ne les avait pas fragilisés. Leur
catholicisme intègre le totémisme africain, le vaudou de Haïti. Tous les rites
sont pratiqués en langue arawak (mélangée de langue garifuna) car ce sont les
femmes métisses qui l'enseignent. Au Honduras, ces mestizos (ou ladinos) consti-
tuent 80 % de la population. La pierre de touche pour déceler l'origine de telle
ou telle fillette, c'est de regarder celle qui porte sur la tête sa provision de
cassave, à la façon des Africains.
Alain Yacou, Destinées des parlers nègres à Cuba. L'auteur y fait appel à des
travaux peu connus sur le patois cubain, que l'on suppose d'origine africaine
à vocabulaire français. Cuba reçut un gros apport d'ex-Africains de 1790 à 1804,
du fait des révoltes et des répressions qui eurent lieu en Haïti durant ce laps
de temps. A. Yacou signale le lexique de ce qu'on appelle le « créole français »
établi par Boytel Jambu lors d'une enquête sur le terrain menée en 1989. Mais
de grammaire et de syntaxe il n'est pas question. Il est maintenant établi que
le créole haïtien est une langue néo-romane issue des dialectes de langue d'oïl.
A Cuba, cet idiome était voué à l'effondrement et disparut presque entièrement
au XIXe siècle pour une raison bien simple : un refus de le parler ; car il était
considéré comme une marque d'infamie par ceux qui s'étaient libérés de l'escla-
vage. Néanmoins, le « créole français » se conserve dans les rituels des tumbas,
ces sortes de Confréries d'appui mutuel que le monde d'origine hispanique a
sécrétées comme spontanément. Les fêtes et les danses y maintiennent l'identité.
Peu à peu le créole se mue en patois ; naissent, à l'occasion de telle festivité,
des compositions rythmées et improvisées dont on peut faire la collecte aujourd'hui
et qui sont précieuses pour l'ethnologue. Mais le créole refuse aujourd'hui de
disparaître, sous l'influence d'un nouvel apport des Haïtiens : ceux-ci revendi-
quent la sauvegarde de leurs valeurs ancestrales.
Monique Mustapha, Langue, mission et politique chez José de Acosta. Cette
contribution est importante surtout pour définir tel type de missionnaire et la
mentalité qui l'imprègne. Car on peut créditer Acosta à la fois du souci « scien-
tifique » de fournir des données exactes sur les coutumes des Amérindiens et
d'un dessein nettement politique. Dans le cas de l'éminent Acosta, cette position
est inspirée par les doctrines de son ordre : celui des Jésuites. Il avait reçu une
formation théologique exceptionnelle. Or il était prescrit par la Compagnie de
Jésus que, dans un souci d'évangéliser les païens, on apprenne leurs langues
à fond. Dès avant de partir aux Indes, Acosta avait suivi un apprentissage de
quechua. En fait, il demeure surtout épris de l'Antiquité classique. Mais il s'efforce
aussi d'assimiler un peu d'hébreu — langue considérée comme la matrice de
toutes les autres langues.
M. Mustapha suggère la différence de mentalité entre Acosta et Las Casas
qui s'est refusé à voir dans le paganisme des Indiens un indice négatif, d'origine
diabolique ; car pour lui le critère de la « barbarie » est d'ordre éthique. Pour
Acosta, il y a toujours idolâtrie chez les non-chrétiens. Donc la connaissance
de leurs parlers est uniquement une arme stratégique, en vue d'une « extirpa-
tion ». Son Historia natural y moral de los Indios est d'un humanisme rigoureux
(il écrivit d'abord
ce traité dans un latin presque trop châtié). Homme d'expé-
rience, pas seulement théoricien, il sait très bien qu'il faut une longue pratique
228 Comptes rendus
du quechua pour le parler directement avec les Indiens. Ce qui l'intéresse, dans
la langue de ses administrés, c'est son « expressivité », sa facilité d'exprimer des
notions suffisamment apparentées avec ce qu'enseigne la foi chrétienne.
Lorsqu'il examine — après d'autres — les hypothèses sur un premier peu-
plement du Nouveau Monde, 0 se montre doué d'un véritable esprit critique :
il déclare « fantaisiste » l'assertion assimilant l'île d'Ofir au Pérou (Pini), sous
prétexte de quasi-identité de graphie. Il montre bien que les Espagnols ont nommé
Pirû un ensemble de contrées, alors que les autochtones ignorent ce mot, sauf
pour une ethnie secondaire. Il traite cette étymologie de « fantaisiste ». En « Histoire
naturelle », il n'innove pas. Mais il a le souci de bien départager l'américanité
de certains groupes, d'en suggérer des équivalences en castillan. Il opte finale-
ment pour un compromis : permettre aux Indiens de conserver les coutumes
ancestrales non idolâtriques, à condition d'accepter le droit de tutelle du souve-
rain des Espagnes. Il est très intéressant d'apprendre que la notion même de
l'idolâtrie dérive de l'enseignement scripturaire du Livre de la Sagesse (14, v. 12) ;
et aussi sa vive attaque contre l'astrologie. « Cette attitude — conclut M. Mus-
tapha — s'inscrit dans le tournant de la politique menée aux Indes d'Espagne ».
Jean-Philippe Husson, Contresens, malentendus et quiproquos : ce qu'il advint du
quechua. L'auteur relève de plaisantes erreurs dues à une transposition impar-
faite de notions espagnoles en langue quechua. Elles sont surtout dénoncées par
le métis péruvien Guaman Poma de Ayala qui a joué le rôle important d'inter-
prète (lengua) et se pique de purisme linguistique. Un célèbre et tragique malen-
tendu, puisqu'il aboutit à la capture par les Espagnols de ITnca Atahualpa, est
dû à ce que le « truchement » traduisit incorrectement la sommation adressée
par Pizarre à l'empereur. La Nueva Corônica de Poma de Ayala est une source
précieuse puisqu'y sont reproduits de nombreux sermons d'une très médiocre
correction grammaticale. Par contre les textes liturgiques sont d'une pureté
linguistique sans tache. Le principal agent de transmission de la foi était le
sacristain (fiscal) indien qui pouvait involontairement déformer, par compétence
insuffisante, même les articles du Credo. Comment savoir ce que pensaient les
vaincus, apparemment convertis ? Poma de Ayala ne se gêne pas pour mêler
à sa Chronique des revendications sociales. On peut dire que la contrainte reli-
gieuse s'accompagna d'une contrainte linguistique. Or la langue est essentielle
dans les structures mentales.
Jean-Pierre Duviols, Langue et évangélisation dans les missionsjésuites du Paraguay.
Les Jésuites, qui vinrent poursuivre chez les Guaranis du Paraguay, l'oeuvre
évangélisatrice commencée par les franciscains, appliquèrent les consignes du
Concile de Trente prescrivant que la catéchisation se fasse dans la langue des
enseignés, par souci d'efficacité et comme « plus conforme à la raison ». La réussite
(si cela en fut une) aboutit comme ailleurs à un syncrétisme dont on fît semblant
d'ignorer les survivances païennes. De très beaux chants à caractère cosmogoni-
ques furent préservés par l'écriture. La politique de la Couronne était diamétra-
lement opposée puisqu'elle préconisait l'usage du castillan. Dans l'un et l'autre
cas, la langue liturgique demeurait l'espagnol et aussi le latin. Les Guarani aimaient
apprendre par coeur et « accouraient pour écouter le catéchisme avec l'intérêt
et l'amour qu'ils mettent à faire toute chose » écrit un père jésuite. L'évangélisa-
tion par la musique fut aussi pratiquée avec succès.
Francisco de Solano, Aprentisagey difusiôn del espanol entre Indios (1492-1820).
Cet article vient compléter le précédent pour préciser quelle fut la position offi-
cielle des dirigeants d'Espagne sur la politique linguistique à suivre aux Indes.
La parution de la Gramâtica de la lengua castellana, d'Antonio de Nebrijà parue
en 1492 fut un événement véritable car, pour la première fois une langue
Comptes rendus 229
tration, d'assimilation, par les cultures méditerranéennes, des modes de vie indigènes
en Amérique. Et il indique quelques pistes de recherche très intéressantes : par
exemple recourir aux archives des cabildos dans les villages de « réduction » nés
dès le XVIe siècle, pourvus de fortes institutions municipales dont l'Espagne, héri-
tière du monde romain, avait le génie. Sur la réalité d'aujourd'hui, il est pré-
cieux de lire le romancier péruvien J. M. Arguedas (Las comunidades, 1968). Et
aussi l'ouvrage de E. M. Fell (Les Indiens. Sociétés et Idéologies en Amérique hispani-
que, 1973) qui fournit des indications très intéressantes sur le processus de désin-
tégration d'une comunidad.
François Chevalier signale encore (p. 293) un thème encore peu éclairé : la
taille de l'ayllu incaïque, qui correspondrait à un groupe endogame, au regrou-
pement de ces unités humaines qui préservent ainsi leur identité. Ceci en marge
du processus d'acculturation, qui, dans le cas des populations stables vivant sur
les grands domaines, fut réalisé sur une échelle assez large.
L'indianité est promue comme une valeur par tous les Etats qui accèdent
à l'Indépendance au début du XIXe siècle. Un des premiers présidents du Mexique,
Juarez, est un Indien otomi. On ressuscite les communautés : au Mexique, les
ejidos, au Pérou, les comunidades qui pratiqueront l'autosubsistance. L'Indien se
définit uniquement par son mode de vie communautaire ; cela seul lui donne
une existence légale puisque, en abandonnant le paganisme, il a perdu ses chefs
et ses prêtres. Ce qui le distingue aussi socialement, c'est qu'il paie le tribut.
Voir là-dessus Alfonso Caso, La comunidad indigena, 1945. Caso est aussi à l'ori-
gine du mouvement indigéniste de respect des cultures autochtones (et d'inté-
gration par l'école). En fait, c'est le métissage qui l'emporte. D'ailleurs le métis
s'était rallié, dès l'abord, au mouvement révolutionnaire et libéral.
Tout ce qui concerne « Culture, valeurs, comportements » (p. 415 à 505),
précédemment : « Ethnies et ethnohistoire » (p. 283 à 335), la question de l'assi-
milation religieuse du christianisme — autrement dit le syncrétisme — offre de
grandes difficultés d'appréciation. Il est fait ici souvent référence aux ouvrages
de R. Bastide (par exemple, Amériques noires, 1967), mais des exemples emprun-
tés aux seules cultures noires sont-ils normatifs ? Pour les origines d'un métis-
sage culturel au Mexique, les travaux de S. Gruszinski offrent des données très
sûres. On est aussi à la limite de l'Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss,
Sur les déculturations, N. Wachtel et P. Duviols ont fait des apports essentiels.
La question se ramène à tenter de définir une religion populaire qui a brassé
de façon originale des éléments hétérogènes et accommodé — ou juxtaposé —
foi chrétienne et mythes. Sur le plan des manifestations extérieures, le tableau
(p. 302) des « Danses actuelles des Indiens Totonaques » offre un exemple savoureux
de syncrétisme. Sur la persistance des mythes du Soleil, de la Terre-Mère, il
y a unanimité de témoignages depuis les origines. Ceux qui vivent actuellement
parmi les autochtones — dans les communautés de base ou autrement — témoi-
gnent, en gros, que le rapport au cosmos est essentiel dans la foi religieuse. Le
panthéisme peut-il s'accommoder de la foi chrétienne ? Problème très général,
qu'un meilleur enseignement de la Parole biblique pourrait relativiser. Ce qui
est certain c'est l'exigence du religieux, et, si la foi peut faire l'objet d'une éva-
luation, d'authenticité d'une dévotion au Christ souffrant et à la Vierge Marie.
Que, chez des populations isolées, plus ou moins nomades, de nouveaux mythes
se créent (représentations imagées d'un paradis, etc.), J. Soustelle, qui a circule
chez des tribus d'anciens Mayas, en témoignait naguère, dans Les quatre soleils,
par exemple. On constate aussi partout, en l'absence d'un clergé indien ou de
la résidence effective de prêtres qui sont des métis, une vie religieuse animée
par des confréries : processions avec bannières et profusion de fleurs vers les
Comptes rendus 231
oratoires dédiés aux saints, danses aux anniversaires des fêtes liturgiques et des
fêtes des saisons. Dans les lieux importants, les structures d'église sont demeu-
rées très fortes depuis le XVIe siècle : enfants longuement catéchisés ; écoles de
musique. J. M. Arguedas, aujourd'hui, parle d'importantes cérémonies dans
les cathédrales, avec chorales indiennes, hymnes en quechua. S'agit-il d'un sim-
ple vernis, qui recouvre un paganisme persistant ? Le succès actuel des évangéli-
ques, des pentecôtistes, et surtout des sectes, tend à le faire croire. « Reformula-
tion d'une religion populaire ? » se demandait P. Chaunu en 1965. Effondre-
ment des structures dans les campagnes ? On trouvera ici un exposé tout à fait
complet des dévotions qui résistent à toute sécularisation dans l'ensemble de l'Amé-
rique latine : culte mariai (sur « Guadalupe » on pourrait peut-être s'étendre
davantage puisque l'aspect identité d'un peuple s'y trouve impliqué), pèlerina-
ges, sanctuaires des saints, sacralisation de la mort. On est là dans le domaine
de l'Anthropologie du sacré (A. Dupont) ; dans le « religieux » ; mais est-ce du
«
chrétien » ?
La « théologie de la libération » fait l'objet de pages denses, précises, bien
argumentées, avec référence au jugement porté par la Congrégation de la foi
(le cardinal J. Ratzinger, en 1986). Il aurait pu aussi être rappelé que Jean Paul II,
parlant à Sâo Paulo le 3 juillet 1980, a affirmé que « le combat pour la justice
est une partie constitutive de l'évangélisation » : or c'est là l'intuition principale
des théologiens, qui suivent l'esprit de Vatican II en affirmant l'option préféren-
tielle pour les pauvres. Ce qui fait difficulté, c'est le terme de « libération »,
en une époque où le marxisme et la lutte des classes avaient un gros impact sur
les consciences. Le combat pour des causes temporelles ne reléguait-il pas au
second plan les valeurs spirituelles, la Transcendance ? Il y eut quelques débuts
de déviations (Camilo Torres, le prêtre-guerillero). Mais les « communautés de
base », animées par des séminaristes, religieux," religieuses sont des lieux
d'accueil et d'évangélisation véritable. Au Brésil on en comptait 30 000 en 1992.
Et elles ont compté déjà beaucoup de martyrs pour la justice (opposition aux
accapareurs de biens des pauvres) : trois évêques, 200 prêtres, 63 jésuites
(dont 3 au Salvador), 80 religieuses (voir là-dessus, dans A.R.M., 15 octobre
1992, A. Linard, « La Maison-mère des communautés de base » ; et aussi Notre
Histoire, nov. 1991, « L'Amérique latine » : articles de J.-P. Dedieu et J.-P. Bas-
tian, S. Maillard ; et le volume Le rendez-vous de Saint-Domingue, 1990, préface
par R. Luneau).
F. Chevalier dit avec pertinence que la question de la presque inexistence
d'un clergé autochtone pose un problème insuffisamment éclairci. Car les rai-
sons invoquées (difficulté du célibat, syncrétisme suspect) ne sont pas spécifiques
à une « race » colonisée, puisque, dès le XVIe siècle, il y eut des prêtres, et même
des évêques africains. Donc, pas de préjugé racial en principe, mais une série
d'oppositions d'ordre social et financier. La situation tend à changer très lentement.
Ce qui semble le mieux exprimé et le mieux ressenti dans ce livre qui devien-
dra un classique, touche aux sociétés et aux pouvoirs. Le modèle démocratique
et pluraliste, importé d'Europe demeure de règle dans cette immense et diverse
Amérique latine. En fait seules deux institutions ont gardé le pouvoir à travers
maintes vicissitudes : l'Eglise et l'Armée. F. Chevalier renvoie là-dessus à l'approche
socio-politique menée par F. X. Guerra depuis une dizaine d'années sur le caci-
quisme ou caudillisme. Le cacique est, partout, l'homme puissant qui domine grâce
a des liens de clan familial. C'est un homme relativement instruit et lié au pou-
voir. Le caudillo est plutôt un chef militaire, issu des guerres d'indépendance.
C'est un libéral (souvent un franc-maçon), apte à remuer la fibre fédéraliste
232 Comptes rendus
Marianne MAHN-LOT.
M. MORINEAU.
On n'éprouve aucune gêne à réunir dans un seul compte rendu ces deux
ouvrages consacrés à deux hommes qui furent des contemporains et qui furent
aussi, bien souvent, des associés dans la conduite des affaires des Pays-Bas autrichiens.
Comme toujours, ou presque, dans les travaux belges, un rappel historiogra-
phique figure en tête. La personnalité et l'oeuvre de chacun des personnages
ont fait l'objet, en effet, de jugements divers de la part des historiens au XIXe
et au XXe siècle, jusqu'aux présents auteurs. Plus favorables sans doute pour
le gouverneur général que pour le chef et président du Conseil privé mais néan-
moins mélangés. La popularité du prince ne lui a pas évité d'être taxé de médio-
crité et de légèreté. Neny a été la proie de batailles plus âpres, opposant les
tenants des courants politiques catholiques et libéraux. Pour l'un et l'autre, de
plus, se posa la question de leur caractère « belge » — c'est-à-dire de leur souci
ou de leur négligence des intérêts de leurs administrés en face de l'autorité suprême
à Vienne. Inutile de préciser que Michèle Galand et Bruno Bernard ont cherché
à se placer en dehors des passions des débats pour retrouver l'authentique. Le
second nommé cite Voltaire : « Faisons exactement l'analyse des choses... »
Les cadrages adoptés ne sont pas identiques. Michèle Galand s'en est tenu,
pour Charles de Lorraine et strictement, à son activité en tant que gouverneur
général, son activité politique. Elle renvoie à d'autres auteurs, par conséquent,
pour des aspects différents — militaires ou artistiques. Elle a respecté, d'autre
part, d'une autre manière, la ligne de conduite qu'elle s'était fixée. Elle ne s'est
pas attachée à retracer tout ce qui s'était passé dans les Pays-Bas autrichiens
du temps du gouverneur général mais uniquement ce qui avait été vraiment
la part de ce dernier. Elle aboutit ainsi à dégager des orientations précises. La
personnalité du prince se révèle dans les années de ses débuts lorsque le marquis
de Botta-Adorno était le ministre plénipotentiaire à ses côtés (1749-1753). Il existait
alors une harmonie de pensée, un égal désir de bien faire et d'améliorer le sort
des provinces combinés avec une attention aiguë aux bonnes relations avec les
populations et leurs représentants. Les choses se gâtèrent avec l'arrivée de Cobenzl.
Non que les projets du nouveau venu aient eu une direction contraire en tous
points, mais la manière de s'y prendre pour les réaliser différaient du tout au
tout. Un dirigisme, assez lié au chancelier Kaunitz, avait remplacé l'esprit de
Comptes rendus 235
conciliation et de modération. Cela heurtait le prince aussi bien que les Etats.
Dès lors, s'ouvrit une période difficile pour Charles de Lorraine, pris à revers
par des instructions secrètes issues de Vienne et resserré même dans ses préroga-
tives. Les effets de sa résistance furent rarement décisifs, sauf dans l'affaire du
sel où il ramena d'autorité le droit perçu de 10 à 4,10 florins. Dans la mesure
où il était présent, cependant, le ministre plénipotentiaire n'avait pas complète-
ment les coudées franches. Une amélioration se manifesta avec le successeur de
Cobenzl : Starhemberg mais elle contribua, sans doute, à un retrait des affaires
plus marqué du gouverneur général, cette fois en partie aussi pour des_ questions
d'ordre personnel (l'âge...). H eut à essuyer une dernière amertume lorsqueJoseph II,
qui ne l'aimait pas, lui retira ses attributions militaires. Michèle Galand caracté-
rise l'évolution d'un point de vue institutionnel : le passage d'une fonction gou-
vernementale à une fonction purement représentative. Charles de Lorraine,
remarquera-t-on tout de même pour terminer, n'aura eu pour s'exprimer plei-
nement que quatre ou cinq années.
L'étude de Bruno Bernard embrasse toute la vie et toutes les facettes de la
vie de Patrice-François de Nény, et Dieu sait qu'elles sont nombreuses ! Ce fils
d'un immigré catholique irlandais, éduqué par les jésuites anglais de Saint-Omer
puis à l'Université de Louvain, a connu toute une série d'emplois, commençant
par être avocat au Conseil souverain du Brabant (1736-1738) avant d'être secrétaire-
adjoint puis conseiller au Conseil privé (jusqu'en 1750), conseiller-régent à Vienne
au Conseil suprême des Pays-Bas, Trésorier général des Domaines et des Finan-
ces de 1753 à 1757 et, enfin, Chef et président du Conseil privé de 1757 à 1783,
sans préjudice de fonctions latérales comme celle de Commissaire royal de son
ancienne Université. Une carrière bien remplie, comme on le voit.
Il en avait eu l'ambition et s'efforça, très jeune, de démontrer qu'il en avait
les capacités. Il a composé une série impressionnante de mémoires soit de son
propre chef, soit pour répondre à des demandes. Beaucoup concernent le com-
merce et les moyens de le faire revivre aux Pays-Bas mais aussi les institutions
et les problèmes de relations internationales. Ils annoncent le sens d'une action
qui a pu se déployer dès lors que des fonctions élevées l'y autorisèrent. Il eut
ainsi à redresser les finances et défendit à maintes reprises des positions libéra-
les, largement anticipatrices par exemple pour Ostende. Les affaires qui lui furent
soumises oscillèrent de l'imbroglio presque bouffe de l'abbaye de Saint-Hubert
aux décisions les plus graves en matière de droit criminel ou de tolérance reli-
gieuse, en passant par les tentatives délicates d'une rénovation de l'enseigne-
ment à l'Université de Louvain. La constance à la tâche a été l'un de ses carac-
tères, jointe à une sensibilité politique lui commandant d'éviter de « braquer »
les instances locales. Sur ce dernier point, sa souplesse dans les formes le distin-
gue de Cobenzl et de Joseph II, le rapprocherait de Charles de Lorraine, bien
que certaines paroles de ce dernier rapportées à la page 115 pourraient retenir
l'attention, contraires en tout cas à l'opinion générale rapportée par Michèle Galand.
Il était cependant résolu la plupart du temps, et la mitigation dont il accom-
pagnait ses décisions n'a pas toujours paru convaincante. On le voit dans ses
démêlés avec l'Université de Louvain, dans ses rapports avec les évêques et,
à l'opposé, dans les difficultés rencontrées pour se faire entendre à Vienne. C'est
que l'homme a eu de très fortes sympathies pour les Jansénistes (c'est le moins
que l'on puisse dire) et les lectures philosophiques sans se départir d'une ligne
qu'Hervé Hasquin a définie comme celle du pragmatisme dans un pays très
conservateur. Bruno Bernard a soulevé in fine la question d'un « Aufklârung catho-
lique » et refusé une assimilation ou la confusion. La pensée de Nény se situait
«
dans la filiation directe d'une Contre-Réforme débarrassée de tous les oripeaux
236 Comptes rendus
M. MORINEAU.
y ont des agences. Sans cesse ressurgit donc le débat sur le dynamisme de la
banque : accorde-t-elle assez de crédit ? à une clientèle suffisamment diversi-
fiée ? pourquoi ne prend-elle pas en charge l'ensemble du crédit rural ? pour-
quoi resserre-t-elle ses prêts dans la première moitié des années 1930 et ne consent-elle
pas à effacer ses créances alors que la crise frappe l'Indochine ? Y. Congo, comme
M. Meuleau, montre la banque partagée — comme toutes les banques et tou-
jours — entre le désir de gonfler ses affaires et de brider ses risques, de gagner
des intérêts et de ne pas perdre de créance. La stratégie de prudence définie
dès la fin du XIXe siècle et maintenue pas des dirigeants stables (comme Stanis-
las Simon pendant plus d'un quart de siècle) explique la profitabilité de la Mai-
son et le gonflement des réserves, qui lui permettent de traverser les crises du
change imposées par les fluctuations de l'argent-métal, les récessions et la crise
des années 1930. Mais des cercles politiques, surtout les radicaux réformateurs,
souhaitent, à partir du milieu des années 1920, que l'Etat puisse participer à
la détermination des règles d'octroi des prêts et de définition sociologique de
la clientèle.
Finalement, c'est dans les années 1930 que la Banque de l'Indochine s'insère
— par ses statuts de 1931 et
l'entrée de l'Etat dans son capital et dans son Con-
seil, puis même par la révocation de son président en 1936 — dans le groupe
des « banques coloniales » placées dans l'économie mixte alors en esquisse.
H. BONIN.
Quoiqu'il n'ait pas toujours été mis à sa vraie place par l'histoire universi-
taire, la majeure partie de l'oeuvre de Daniel Halévy est consacrée à l'histoire :
publication des correspondances de Gambetta et de Thiers, ouvrages sur la Troisième
République commençante, pamphlet contre la République des Comités. Par moments
Daniel Halévy s'échappe de l'histoire contemporaine et écrit son admirable Vau-
ban et son rapide Essai sur l'Accélération de l'Histoire, mais 0 restera plus encore
comme un témoin de son temps ; témoin frémissant, passionné, passant de la
colère à l'analyse sereine ou plutôt les entremêlant, sans que, presque jamais,
l'irritation ne compromette la qualité de l'analyse, comme il apparaît par ses
Regards sur l'Affaire Dreyfus, préfacés par Jean-Pierre Halévy.
A 38 ans, Daniel Halévy fut un des premiers dreyfusards, persuadé de l'innocence
du capitaine et se lançant au plus vif de la mêlée qui fut dure. Ses origines pro-
testantes, le libéralisme paternel, ses conceptions socialisantes à cette époque (lui
qui détestera Blum admire alors Jaurès) le rangent dans le parti de la défense,
mais le mérite de l'ouvrage est de dépasser son cas et de montrer qu'il y eut,
au moins à Paris, un petit peuple d'artisans dreyfusards, eux-aussi attachés à
la révision. C'est avec ce petit peuple que Daniel Halévy, avec d'autres intellec-
tuels, entendra maintenir le contact par ces Universités populaires qui revivent
dans Pays Parisiens.
Au surplus s'esquissent à travers l'ouvrage de très précieux portraits : Scheurer-
Kestner qui lança l'affaire, Mathieu Dreyfus le frère infatigable, le séduisant
Picquart, Coppée d'abord indécis, Léon Daudet explosif, la princesse de Monaco
dreyfusarde, Degas antidreyfusard avec qui la famille Halévy se brouillera de
240 Comptes rendus
longues années, ce que Daniel Halévy rappellera plus tard dans Degas parle, mince
volume dans lequel Philippe Ariès voyait son meilleur écrit.
Un beau livre pour qui, comme nous, a connu et aimé Daniel Halévy, et
sur lequel il faudra désormais s'appuyer.
Pierre GuiRAL.
Pierre GUIRAL.
dans le meilleur des cas, que d'afficher une attitude paternaliste qui tend à se
justifier à travers des gestes de charité dérisoire. Les conflits incessants consécu-
tifs aux problèmes de pâturages et aux arpentages font naître une haine irréver-
sible entre les résidences et les campagnes qui aboutit à la « répétition générale
de 1905-1906. L'auteur souligne ici qu'à la même époque les Russes ne se mon-»
trent pas avares de concessions économiques en faveur des Ukrainiens dans le
but d'éloigner encore plus ces derniers des Polonais.
On serait tenté de croire que, face à ces adversités, les nobles polonais optent
pour le renforcement de leur cohésion et choisissent de resserrer leurs rangs.
Il n'en est rien en réalité. Nous l'avons vu, dans Le noble, le serf et le revizor,
comment la noblesse possédante participait à l'exclusion de ses pauvres « frè-
res » en les réduisant, par complicité avec le régime tsariste, à la condition de
simples paysans. Daniel Beauvois avait alors avancé la thèse d'un « naufrage
social » de la noblesse de second ordre en croyant que les odnodvorcy n'étaient
pas en mesure d'échapper à la trappe disposée à leur égard par l'administration
russe. L'examen plus attentif de ce problème amène maintenant l'auteur à mon-
trer que les nobles déclassés ne se sont pas dissous dans la masse des paysans
serfs mais qu'ils se sont majoritairement maintenus sur les terres de la noblesse
riche à laquelle ils s'engageaient à verser un cens (système des tenures). Malheu-
reusement un autre piège guette ces nobles parias au moment où l'ordre patria-
cal d'une société traditionnelle cède le pas à une société de profit soumise au
pouvoir de l'argent. Le livre dévoile, point par point, étape par étape, les muti-
ples secrets de cette opération éliminatoire qui pourrait donner matière à un
roman policier. Les tenures ont pris, dans l'esprit des nobliaux, le caractère d'un
droit ancestral. Or cet accord tacite entre les riches et les pauvres, qui ne survit
que par inertie, devient précaire à l'époque où une nouvelle conception capita-
liste de la terre s'affirme chez les propriétaires. Le vrai drame commence donc
avec les expulsions massives des tenanciers alors que ceux-ci ne se rendent même
pas compte que leur système de référence ne repose sur aucune assise juridique.
En nous décrivant dans le moindre détail les scènes d'une insoutenable violence
(démolitions des demeures, bagnes en Sibérie, représailles sanglantes), l'auteur
nous apporte un précieux éclairage sur un aspect fort mal connu d'une société
nobiliaire des confins européens déchirée par ses égoïsmes et ses contradictions.
Prenant le parti opposé des émois lénifiants des mémorialistes polonais, refu-
sant la tendance récente de la production historiographique qui accorde une place
quasi exclusive à la politique, ce travail a voulu prendre en compte la totalité
et la pluralité historiques en attirant l'attention du lecteur à la fois sur les muta-
tions économico-socialeset sur la notion anthropologique de la « faim de la terre »
qui met cruellement à l'épreuve l'éthique et la solidarité tribale des hommes.
La bataille de la terre de Daniel Beauvois se situe dans la lignée des travaux
de chercheurs français (S. Ben Sidoun) polonais et soviétiques (J. Jedlicki,
D. P. Pojda, I. Rychlikowa, J. Tabis) mais témoigne d'une grande originalité
en mettant judicieusement à contibution les sources littéraires (souvenirs, mémoires,
romans) et en faisant apparaître au grand jour la particularité des conflits natio-
naux, si représentatifs pour cette partie du monde.
L'auteur allie heureusement la liberté du récit à la rigueur scientifique. L'index
des noms de familles et de lieux témoigne d'une documentation exemplaire. Au
total, plus encore qu'une magnifique moisson historiographique, ce livre appa-
raît à nos yeux comme l'une des contributions des plus ambitieuses concernant
les rapports socio-ethniques de l'Est européen.
Marek TOMASZEWSKI.
Comptes rendus 243
fait apparaître la très forte diminution des effectifs du clergé, le nombre des reli-
gieux étant passé en 45 ans de 2 459 à une centaine, celui des prêtres diocésains
ayant diminué d'environ 40 %, et celui des séminaristes ayant descendu de plus
de 1 000 à 165. La pratique a subi le même effondrement que dans les pays
libres d'Occident : en 1945 la Hongrie avait une population catholique prati-
quante à 70 %. En 1980 le pourcentage était tombé à 18 %. Comme partout
les classes d'âge les moins pratiquantes étaient celles des jeunes, mais ici la désaffection
de la jeunesse était totale. Les auteurs estiment à 0,08 % la proportion des jeu-
nes qui fréquentent actuellement les églises (p. 148). Car la chute du régime
communiste en 1989 n'a pas suscité de réveil religieux, ni même la moindre
amélioration. Comment pourrait-il en être autrement ? « cette décomposition
...
du marxisme politique, écrivent les auteurs, ne signifie point la victoire du chris-
tianisme » (p. 151). Les perspectives sont très inquiétantes : « La religion va-t-
elle mourir ?» (p. 149).
Intitulé « Témoins et témoignages », la deuxième partie de l'ouvrage pré-
sente d'abord deux notices consacrées la première à Vilmos Apor, évêque de
Gyôr, la seconde au cardinal Joseph Mindszenty, ensuite cinq témoignages de
prêtres, religieux et religieuses, défenseurs et confesseurs de la foi. Tous ces tex-
tes sont remarquables par l'absence de passion et de polémique et par la sérénité
et la fierté du ton. De sorte que si la première partie de l'ouvrage donne l'impression
d'une défaite de la religion, celle-ci évoque plutôt sa victoire.
La première notice est intitulée « Mgr Vilmos Apor... mort pour ses parois-
siennes ». Le 28 mars 1945 la ville de Gyor était occupée par les troupes soviéti-
ques. Le 30 un officier des troupes d'occupation se présenta à l'entrée des caves
de l'évêché où s'étaient réfugiées un grand nombre de femmes. Il exigea que
lui soient envoyées immédiatement cinquante femmes « pour de petits travaux
pour soldats ». Mgr Apor reçut personnellement cet officier, et s'étant fait répé-
ter l'ultimatum, le rejeta aussitôt. Ensuite il prit l'officier par l'épaule et le poussa
vers la porte. Celui-ci furieux dégaina son revolver et tira trois balles sur l'évê-
que. Gravement atteint au ventre, Mgr Apor mourut le 2 avril.
Due à la plume de Paul Boszocky, comme celle consacrée à Mgr Apor, la
notice relative au cardinal Mindszenty, montre à quel point la résistance de ce
« veilleur dans la nuit » (p. 201) fut constante et active. On lit avec un grand
intérêt les nombreux extraits cités des déclarations et mandements du courageux
cardinal, et le texte intégral de sa dernière lettre écrite à ses prêtres avant son
arrestation par la police politique.
Sélectionnés par Istvan Elmer, les cinq témoignages publiés après les notices,
forment un excellent choix. Excellent par la personnalité des témoins retenus,
tous assez remarquables par la hauteur et l'intelligence de leurs vues. Excellent
aussi par l'intérêt de leurs témoignages illustrant certains des aspects les plus
caractéristiques de la résistance spirituelle hongroise. Le premier récit est celui
de Vendel Endrèdy, abbé principal de l'Ordre des Cisterciens en Hongrie, arrêté
le 20 octobre 1950, libéré en 1957, mort en 1981, plusieurs fois soumis à la
torture pendant sa détention. « A cette époque, écrit-il, je ne pouvais imagi-
ner. .. que l'on puisse battre un homme de 56 ans » (p. 267). La parole est ensuite
donnée à Istvan Tabody, prêtre, ancien officier de carrière, vocation tardive,
organisateur d'un séminaire clandestion pour une cinquantaine de séminaristes
exclus de l'Académie de Théologie à cause de leur résistance à l'idéologie domi-
nante. Tabody raconte qu'il trouva facilement des professeurs pour enseigner
ses séminaristes, mais beaucoup plus difficilement des évêques pour les ordon-
ner. Les évêques en fonction, nous dit-il, « n'osaient pas prendre la responsabi-
lité d'une ordination sacerdotale dans de telles conditions » (p. 249). Il eut alors
Comptes rendus 247
rapport aux plus de 110 000 de 1947), ancré dans les entreprises et les bastions
ouvriers qui, dans 27 communes de la Seine, choisissent des municipalités diri-
gées par les militants communistes. Cette journée se s'explique que par ces mili-
tants, leurs convictions, leur courage politique et physique, leur respect des déci-
sions de la hiérarchie. Habitué à naviguer à contre-courant, aussi bien au début
de la guerre que dans sa lutte contre le colonialisme Français, la guerre d'Indo-
chine, le Parti communiste s'en prend maintenant à l'Américain, qui, pour une
grande partie de l'opinion française, inspire toujours confiance.
Cette journée se situe au coeur de la stratégie communiste, d'une ligne tra-
versée d'« oscillations ». Elle peut être le point de départ de nouvelles actions
dures associées à une grève générale lancée par la C.G.T. pour faire réagir les
travailleurs hésitants'devant « le front commun formé par le pouvoir et le patro-
nat ». Il n'en fut rien ; les travailleurs suivirent mal le mot d'ordre. En cela,
cette journée révèle une menace de rupture de l'influence communiste que les
dirigeants commencent à redouter. Pigenet pense que les communistes ont des
difficultés pour « saisir le nouveau » dans ce qui constitue ce qu'il est convenu
d'appeler « l'expérience Pinay ». Des enseignements toutefois ne sont pas tirés
immédiatement puisque le gouvernement exerce une surveillance tatillonne sur ce
qu'il dénonce comme « un complot communiste ». Devant le débordement répressif
qui suit, de nombreuses protestations s'élèvent dans divers milieux mais elles ne
signifient plus engagements aux côtés des communistes. Elles permettent de com-
prendre les « rectifications de bon sens » qui se manifestent dans la ligne suivie.
L'enquête de Pigenet, menée avec rigueur, apporte de nombreuses réponses
aux questions touchant la vie des communistes et l'appareil de surveillance du
Parti mis en place par ses adversaires. Les sources de police ne feront certaine-
ment que confirmer l'état d'esprit des manifestants. Elles préciseront aussi les
réseaux complexes d'informations et de propagande visant à combattre le Parti
communiste. Elles permettront de mesurer les résultats des diverses perquisi-
tions effectuées chez les dirigeants et dans les locaux communistes. Les archives
du Parti communiste qui s'ouvrent progressivement apporteront peut-être des
précisions qui corrigeront certains recoupements faits dans les divers témoigna-
ges rétrospectifs d'anciens dirigeants communistes, presque tous en rupture de
parti. Dans l'immédiat, l'auteur a réussi un petit livre convaincant.
Jacques GlRAULT.
— les sidérurgistes ont longtemps gardé leurs distances par rapport au CNPF
et manifesté leur hostilité à la CECA. L'arrivée des managers à la tête des entre-
prises restructurées (p. 122, 155, 200...) et celle de J. Ferry, indépendant et
neutre (p. 47-48, en particulier dans la querelle Est-Nord), à la présidence de
la CSSF, assoupliront les positions.
J. Ferry et la CSSF ont dépensé beaucoup d'énergie pour affirmer les vues
de la Profession, face aux hommes politiques de gauche, hostiles à la sidérurgie
qu'ils considéraient comme « un repaire de capitalistes impénitents » (p. 110),
mais aussi face aux libéraux au pouvoir. Et, preuve supplémentaire du pouvoir
limité de la CSSF, elle n'a jamais obtenu gain de cause en matière de prix de
1945 à 1970. J. Ferry fait l'aveu, répété, d'impuissance à faire plier les gouver-
nements (chap. 4, 5, 8, 9, 10 et postface).
Néolibéral, J. Ferry insiste sur la contradiction majeure — la « tragédie »
(p. 273) — imposée à la sidérurgie française par 25 ans de dirigisme étatique :
d'un côté un impératif de croissance, de l'autre des contraintes pénalisantes,
avec en particulier le blocage des prix de vente sur le marché intérieur, malgré
les règles communautaires de la CECA à partir de 1953.
Handicapée par ses prix de revient (du fait du monopole des Charbonnages
de France) et ses prix de vente, privée de recettes à l'exportation (les règles com-
munautaires interdisent les ajustements à la hausse), pénalisée par les sureffectifs
(au nom de la sauvegarde des emplois, et en échange des crédits publics !), la
sidérurgie française n'a jamais pu, avant 1973-74, dégager suffisamment de bénéfices
pour s'autofinancer. Condamnée à s'endetter et à solliciter les crédits de L'Etat,
la Profession a de fait perdu rapidement toute autonomie, sans pour autant échapper
aux accusations de sous-investissement et de sous-productivité. « La vérité pro-
fonde de la sidérurgie », répète J. Ferry, c'est le « régime de prix administrés »
(p. 79), sous prétexte de lutter contre l'inflation et de stabiliser la monnaie.
Sacrifiés à la « politique de l'indice » (p. 257), les intérêts de la sidérurgie
l'ont été aussi à ceux de ses clients, en particulier de l'industrie mécanique, l'une
des plus ferventes du blocage des prix ; subvention indirecte, politique irrespon-
sable, constate J. Ferry (p. 94, 152, 170...).
Il peut paraître étonnant — et P. Mioche s'en étonne effectivement (chap.
4 et 9) — que la Profession n'ait pas passé outre aux directives des gouverne-
ments, ni fait appel aux instances internationales de la CECA pour faire respec-
ter la liberté des prix. A plusieurs reprises, J. Ferry, tout en se défendant d'un
plaidoyer pro domo et d'encenser les sidérurgistes, justifie cette attitude par le
refus d'un « coup de force » (p. 89) contre la « souveraineté nationale » (à. 179).
« Réflexe national » ? (p. 132). « Déontologie nationale » ? (p. 167). « Sens des
responsabilités sociales » ? (pp. 208). Plus vraisemblablement, par « hantise »
des nationalisations (p. 177) et par besoin des crédits de l'Etat (p. 133). La marge
de manoeuvre d'une industrie à ce point dépendante est particulièrement étroite,
comme le souligne P. Mioche (p. 257).
Epargnée par la vague des nationalisations de 1944-46, mais déjà assimilée
à un service public en temps de guerre et constamment menacée de faillite depuis
1945, la sidérurgie, malgré son statut d'industrie de base, a toujours craint « l'arsenal
de sanctions » (p. 179) dont disposait l'Etat.
Dialogue lucide donc, et qui ramène à de plus justes proportions la puissance
occulte souvent prêtée aux lobbies économiques. C'est à la demande expresse
de J. Ferry en 1977, que le gouvernement expertise la sidérurgie... et tranche,
contre son avis, pour une nationalisation officieuse ! J. Ferry s'en va, mais reconnaît,
honnêtement, que l'autre solution — le dépôt de bilan et l'effacement des dettes
— était inapplicable par qu'elle aurait définitivement ruiné le crédit de
la
Comptes rendus 251
Profession. A l'Etat finalement, qui lui avait imposé depuis 1945 un « engrenage
pervers de croissance » (p. 272), de la sauver.
Regrettons cependant que le témoignage passe sous silence les responsabili-
tés des sidérurgistes eux-mêmes, qui, la crise depuis 1974 le confirme, ont multi-
plié les erreurs d'appréciation, en particulier sur l'évolution de la demande, la
capacité de résistance des mini-aciéries et les performances de la filière électri-
que. De même, l'équilibre tant voulu par J. Ferry entre le Nord et l'Est
(p. 205...) n'était-il pas un leurre, qui voilait les guerres fraticides au sein de
la Profession, plus violentes que ne le laisse paraître ce livre.
Alain LEMÉNOREL.
Reproches qui ne retirent rien à la qualité d'un ouvrage qui, écrit sans aucun
accès possible aux archives privées, prouve que l'histoire d'une entreprise peut
être pertinente et stimulante sans elles. Un second volume est annoncé pour la
période postérieure à 1940 ; souhaitons lui la même rigueur... et l'ouverture
des archives !
Alain LEMÉNOREL.
Anne DELILLE-CHOUKROUN.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Jacques VERGER.
Madeleine Villard
Frédéric MAURO.
Enfin, on apprécie que les auteurs ne se soient pas bornés à des notices pure-
ment informatives et aient toujours eu le souci de donner quelques éléments
d'interprétation qui permettent de replacer le personnage dans l'histoire et la
société de son temps (encore que, dans l'espace réduit des notices, cela aboutisse
parfois à des formulations un peu sommaires : peut-on affirmer, tout de go, que
Pierre Lombard était « d'un niveau théologique bien médiocre » ou qu'Abélard
« ne fut nullement un rationaliste » ?).
Cette volonté de privilégier le moins connu sur le plus accessible (ou supposé
tel), tout en étant fort légitime en son principe, aboutit parfois à des déséquili-
bres qui pourraient dérouter le débutant : une seule colonne pour Frédéric
Barberousse contre trois à son prédécesseur Henri IV, une colonne pour Du Guesclin
et deux pour Guifredle Velu ... C'est dire que les utilisateurs devront être bien
conscients des conceptions qui ont guidé les auteurs. Mais ceci admis, il faut
reconnaître que nous avons là, sous un format maniable (malgré l'absence d'index),
un ouvrage très utile et qui fournit commodément nombre d'informations qui,
autrement, ne se trouvent souvent que dans les grandes encyclopédies scientifi-
ques, d'accès et de maniement difficiles pour les étudiants.
Jacques VERGER.
— Georges Cornet, Le paysan et son outil. Essai d'histoire technique des céréales,
France, VIII'-XV' siècle, Rome, Ecole française, 1992, 711 p. — Georges Cornet
s'est attaqué à un sujet immense et beau : le grain. Un de ces sujets que l'on
croit connaître, mais qui est, finalement, tout à fait hors de l'atteinte des spécia-
listes de l'économie rurale, comme je prétends l'être par exemple. Il ne s'agit
Notes bibliographiques 261
Robert FOSSIER.
262 Notes bibliographiques
Gérard Sivéry, Philippe Auguste, Paris, Pion, 1993, 429 p. — Qu'est-ce qu'une
biographie ? Est-ce une étude minutieuse des faits et gestes d'un homme célè-
bre, ou une fresque au milieu de laquelle il apparaît au besoin ? Sous ces deux
visages, le « genre » est truffé de pièges, surtout s'il s'agit d'un personnage sur
lequel on a déjà écrit vingt livres : ici ies détails sont dans Cartellieri, l'étude
administrative dans Baldwin, les facettes du règne dans le Colloque de 1980.
Que restait-il à dire qui ne fut bien connu ? Gérard Sivéry s'est donné beaucoup
de mal pour porter de la lumière sur des secteurs plus obscurs, notamment celui
de la psychologie de l'homme, et j'y reviendrai. Mais il est clair qu'il a été gêné
— du moins je le suppose — par tout ce qu'il dit après tant d'autres ; plus
encore peut-être dans la manière d'ordonner le tout. Contraint de suivre le roi
de la naissance à la mort, il a oscillé entre les rondelles découpées dans le règne,
comme l'a fait Baldwin, et les thèmes à traiter d'un bloc diachronique. Le résul-
tat est assez déroutant, mêlant et séparant à la fois les affaires du midi, celles
de l'alcôve ou la querelle Plantagenêt, dont les interactions se voient mal.
A défaut d'être, comme l'espère l'auteur une histoire vraiment « scientifi-
que » du personnage et de son action, le livre se lit bien : il est assez vivant,
souvent pénétrant. Et je vais en relever ce qui m'y est apparu comme le meil-
leur, voire le nouveau. Les premières années, accablées d'anecdotes invérifia-
bles, tournent avec raison autour du premier mariage ; si l'auteur n'attache pas
d'importance, me semble-t-il, à l'aspect « carolingien » de l'union, l'expression
de « naissance de l'idéologie capétienne » à cette occasion mérite attention, en
dépit de son exagération ; et je retiendrai l'impact sur le caractère fragile du
prince. La première étape jusqu'au retour de Terre Sainte, classique, comporte
des passages utiles sur le rôle des annexions au nord de Paris (la carte in fine
est plus que rudimentaire ; elle est fausse), et encore une fois sur ies motivations
du roi. Mais dire qu'en 1185 « le royaume est une chefferie informe », et qu'au
XII« siècle « les idées nouvelles étaient rares », a dû faire se retourner Suger et
Yves de Chartres dans leur tombe. La phase centrale est inégalement intéres-
sante : mises à part les formules excessives du genre « prodigieuses réformes »,
l'examen du pouvoir royal est correct, et, d'ailleurs, classique, et la rupture avec
la tradition féodale bien vue. Le récit militaire est médiocre : Château-Gaillard
n'apparaît qu'au moment de sa prise ; les conséquences de Fréteval sont esca-
motées ; l'objectif financier de la paix du Goulet n'est pas vu. Parvenu vers
1206 environ, le récit s'interrompt pour traiter d'abord du roi et des femmes,
en un long chapitre de 35 pages, de bonne qualité et, à mon avis, le plus neuf.
Puis on passe à Innocent III qui sort étrangement grandi de l'aventure, notam-
ment de l'aventure cathare qui a, manifestement, bien gêné Gérard Sivéry : le
roi a la main prête, mais ne fait quasi rien ; alors ? raconter la « croisade » ?
Ce n'est pas le sujet, surtout lorsque Muret occupe trois pages. Reste la « vic-
toire », Bouvines évidemment, dont le récit dégage l'impression que tout est dû
à frère Guérin, et que Philippe a été « vainqueur malgré lui », ce qui est tout
de même un peu gros. Puis vient un chapitre au titre bizarre : « Opinion publi-
que, écoles et société » qui est un résumé des oeuvres littéraires, voire artistiques
du temps, un survol des privilèges consentis aux villes. Si les développements
concernant Paris restent maigrelets, on trouve dans cette fin du livre et du règne
des passages assez neufs, par exemple sur la propagande royale, sur l'opposition
du roi et de son fils, ou sur l'omnipotence de certains conseillers, dont l'inévita-
ble Guérin.
Que dire pour finir ? Essentiellement que le livre n'apporte pas sur le règne
lui même beaucoup de données neuves ; que tout cela est connu ; à un domaine
près cependant, celui de la psychologie et du « portrait » du roi, et qu'en
Notes bibliographiques 263
plaques funéraires, avec leurs tissus simulés, sont longuement étudiées et après
un chapitre sur le livre au XVIIIe siècle, on les retrouve pour l'époque rococo,
où elles sont encore très fantaisistes, bien qu'on nous parle du « retour à l'ordre »
(le désir de lier étroitement l'aspect politico-social et l'aspect artistique est de
plus en plus évident).
C'est ensuite le Néo-classicisme et, selon M. Petrucci, la soumission générale
à « l'hégémonie de la société bourgeoise, qui atteint alors son point culminant »,
puisque le même type de caractères est employé « par l'Etat et l'Administra-
tion..., l'appareil de production à des fins publicitaires, l'appareil scientifique
et universitaire... » et « ce n'est pas un hasard » si on les retrouve même sur
les affiches révolutionnaires de 1848. Même les classes subalternes, qui pourtant
« commencent à revendiquer de manière organisée leur droit à la vie... utilisent
et diffusent un graphisme qui calque les productions petites bourgeoises ».
On comprend mieux le « sens » du livre quand on nous parle ensuite de « phé-
nomènes déviants », en remontant aux gravures populaires du XVe siècle et aux
ex-votos ou aux placards infamants de la Rome caravagesque (l'imagerie popu-
laire proprement dite étant négligée). On aboutit à la « rupture de la norme »
avec les fantaisies du Modem style et celles du Futurisme, curieusement asso-
ciées. « Ordre nouveau et signes de régime », il s'agit du goût du monumental
massif qui caractérise le Fascisme Mussolinien (mais on le retrouve en Allema-
gne et en U.R.S.S. Et le « signe rouge » n'en diffère guère, puisque « la bataille
pour le renouveau de la culture graphique italienne n'a pas été conduite ni gagnée
par la gauche ».
Il ne reste plus que les « signes du non », c'est-à-dire les oeuvres des « tag-
gers » (le mot n'est pas employé, et l'auteur préfère situer le départ du mouve-
ment à Paris et en mai 1968). Ces « palimpsestes naturels » manifestent la cons-
cience d'une « exclusion de classe » et servent à « se mesurer avec l'écriture publique,
déjà triomphalementexposée par le pouvoir économique et politique sur les murs...,
à se superposer physiquement à elle..., à la remplacer et à la réduire à néant ».
Voire, car si le dernier chapitre est consacré à « Ecrire contre », il conclut par
l'échec « d'une démocratie italienne irréalisée et qui reste cruellement impar-
faite ». Mais à présent, où chercher de nouveaux modèles ?
On regrette que la bibliographie soit elle aussi partielle finalement, puisque
elle rejoint uniquement les réflexions proposées. L'illustration est abondante et
intéressante, malgré le petit format. Mais ne retrouvons-nous pas là aussi l'obli-
gation de se plier aux règles d'une grande publication commerciale, qui a imposé
lacunes et simplifications ? Le « Pouvoir » est toujours là...
Jacques BOUSQUET.
Jacques VERGER.
Jacques VERGER.
268 Notes bibliographiques
En résumé, voici un ouvrage à diffuser, qui mérite d'être classé parmi les
instruments de travail intéressant non seulement les spécialistes de l'histoire dite
des idées, mais tous ceux que préoccupe l'interprétation des productions cultu-
relles majeures de l'Europe.
Pierre LEGENDRE.
dirigeant salernitain des phénomènes qui vont ruiner le pouvoir princier : le partage
des patrimoines (y compris celui du prince), la privatisation des fiscalia, l'immu-
nité, avec la création de seigneuries autonomes qui en découle, tandis que s'altè-
rent les systèmes d'échanges et d'alliances qui équilibraient le groupe dirigeant
et maintenaient le prince au-dessus de lui (chap. II). L'infiltration des Normands
jusque dans la parenté princière contribue dans le second tiers du siècle à cette
évolution, de même que la réforme de l'Eglise, qui enlève au souverain une
partie de ses moyens d'influence (chap. III). Mais c'est dans l'avènement en
983 d'une dynastie d'origine spolétaine, « apportant avec [elle] l'héritage franc
de la conception et de l'exercice du pouvoir » que l'auteur identifie l'origine
première de la transformation du système social et politique lombard, qui aurait
été jusque-là préservé. Sauvant la face jusqu'au bout, le pouvoir princier a donc
cependant été ébranlé bien avant l'assaut final.
François MENANT.
— Luigi Provero, Dai marchesi del Vasto ai primi marchesi di Saluzzo. Sviluppi
signorili entro quadri pubblici (secoli XI-XII), Turin, Deputazione Subalpine di Sto-
ria Patria, 1992, 284 p., 40 000 lires. — Jusqu'à la fin du XVIe siècle, lorsqu'ils
durent s'incliner devant les visées hégémoniques de la maison de Savoie, les
marquis de Saluées ont maintenu au coeur du Piémont méridional une présence
qui rappelait des situations vieilles d'un demi-millénaire. Ils descendaient en effet
d'Aleramo, le gendre d'Otton Ier, fondateur de la « marche aléramique », l'une
des grandes unités politiques de l'Italie septentrionale de ce temps. A la fin
du XIe siècle, alors que la marche est morcelée entre les nombreux descendants
d'Aleramo, l'un de ceux-ci, le marquis Boniface (mort peu après 1125), qui se
rattache par sa mère à l'autre grande famille piémontaise, les Arduinici, édifie
une solide seigneurie issue des deux héritages et centrée sur un groupe de
châteaux. Les sept fils de Boniface adoptent collectivement le nom de « del Vasto »,
qui correspond probablement au territoire, entre Piémont et Ligurie, où
s'exerce leur domination. La division du patrimoine conduit au milieu du
XIIe siècle chaque branche de la famille à prendre son propre nom, tout en con-
servant le titre de marquis : l'une d'elles sera les marquis de Saluées. Ce proces-
sus de patrimonialisation des circonscriptions publiques et de fragmentation du
pouvoir entre les héritiers est caractéristique de l'évolution politique du Piémont
de ce temps, et les del Vasto en représentent un des cas les plus extrêmes et
les plus réussis.
L'objet essentiel du livre, poursuivi à travers de minutieuses études documen-
taires, est de montrer comment la nature du pouvoir s'est transformée sous l'action
de Boniface et de ses fils. Le lignage del Vasto expérimente les moyens de domi-
nation qu'offre la déliquescence des structures de l'Etat dans l'Italie troublée
de la fin du XIe siècle, et il commence à modeler à son profit de nouvelles insti-
tutions. Cette reconstruction politique s'opère dans le cadre de circonscriptions
nouvelles, taillées dans les marches et les comtés au gré des partages successo-
raux, des batailles, des stratégies matrimoniales et des rapports diplomatiques
avec l'empire et avec cette force nouvelle que représentent les communes urbai-
nes (celle d'Asti surtout, aujourd'hui bien connue grâce aux travaux de Renato
Bordone, qui a d'ailleurs consacré une brève étude au marquis Boniface en 1988).
Provero montre aussi comment la fondation par les fils de Boniface de l'abbaye
cistercienne de Staffarda et leur soutien à celle de Casanova servent également
272 Notes bibliographiques
François MENANT.
Notes bibliographiques 273
— Astrik L. Gabriel, The Paris Studium. Robert of Sorbonne and his Legacy.
Interuniversity Exchange between the Germon, Cracow and Louvain Universities and thaï
of Paris in the Late Médiéval and Humanistic Period. Selected Studies, Notre Dame-
Frankfurt a. Main, Verlag Josef Knecht, 1992, 541 p. — Depuis plus de qua-
rante ans, les éditions de sources et les belles études d'A. L. Gabriel ont fait
considérablement progresser nos connaissances sur l'université de Paris au
Moyen Age. En 1969, un premier recueil de ces études, publiées souvent
de manière très dispersée, avait paru chez le même éditeur sous le titre
Garlandia. The Paris Studium rendra les mêmes services. Ce gros volume ras-
semble neuf études substantielles, initialement parues entre 1953 et 1988
(les plus anciennes ayant été mises à jour, notamment pour la bibliogra-
phie). Toutes portent la marque caractéristique de l'auteur : une large base
documentaire, une démarche analytique très minutieuse, qui ne s'interdit pas
quelques digressions érudites.
On pourrait regrouper sous trois rubriques les sujets abordés dans ce volume.
D'abord Robert de Sorbon (chap. I) : l'histoire des débuts du collège de Sor-
bonne est l'occasion pour l'auteur de présenter quelques-unes des oeuvres, publiées
ou inédites, du fondateur (ce chapitre nous est l'occasion de rappeler que, mal-
gré les travaux de P. Glorieux, le collège de Sorbonne attend encore son histo-
rien pour les XIVe et XVe siècles). Les chapitres II, IV et V évoquent les rela-
tions humaines et intellectuelles qui se sont nouées, au XVe siècle, entre l'uni-
versité de Paris et les universités de Louvain et Cracovie, ainsi que diverses uni-
versités allemandes. Bien que l'apparition de ces universités se soit faite, en un
sens, aux dépens de Paris, ces nouvelles fondations ont gardé des liens mutiples
avec l'aima mater dont elles avaient imité les statuts et où beaucoup de leurs pre-
miers maîtres avaient été formés. Ces trois études permettent donc à Gabriel
d'évoquer les pérégrinations universitaires dans l'Europe du Nord, les débats
autour du conciliarisme ou le conflit entre via moderna et via antiqua qui, exporté
de Paris, prit toute son ampleur dans les pays germaniques ; quelques figures
individuelles Qohannes Wenck, Tan Standonck,'Thomas de Cracovie) surgissent
au fil de ces pages.
Mais c'est peut-être dans une troisième série de chapitres qu'A. L. Gabriel
apporte le plus de nouveautés. S'appuyant sur sa parfaite connaissance des archives
de la « nation allemande » au XVe siècle, il retrace, aux chapitres III, VI, VII,
VIII et IX de Studium générale, d'abord quelques aspects collectifs de la vie de
cette nation (la Domus Alemannorum pauperum scolarium, qui hébergeait quelques
pauvres étudiants allemands — les receveurs de la nation) puis la carrière indivi-
duelle de quelques personnages remarquables, comme Georg Wolff, étudiant
et imprimeur de la fin du XVe siècle, Gervasius Wain, natif de Souabe, recteur
de l'université et occasionnellement diplomate au service de François Ier, le Hol-
landais Francisais Osman d'Alkmaar enfin, dignitaire et réformateur de sa nation
entre 1515 et 1524. Ces figures un peu oubliées que Gabriel ressuscite avec sympathie
et érudition, illustrent bien l'atmosphère humaniste parisienne au tournant des
années 1500 et rappellent, s'il en était besoin, que l'université n'est nullement
restée étrangère aux nouveaux courants de pensée.
Ajoutons enfin l'excellente présentation matérielle de l'ouvrage, avec 32 illus-
trations en noir et blanc, une bibliographie complète de l'auteur (167 titres
depuis 1934) et un quadruple index (bibliographique, des manuscrits et cotes
d'archives, nominum et rerum). Bref, un bel hommage que méritait bien
Astrik L. Gabriel.
Jacques VERGER.
274 Notes bibliographiques
— Claudine Pailhès, L'Ariège des comtes et des cathares, Toulouse, Milan, 1992,
303 p. — Cet ouvrage détaillé et découpé en nombreux paragraphes représente
une véritable somme de nos connaissances sur l'Ariège, depuis les « débuts de
l'histoire » (avec les invasions barbares) jusqu'aux années 1300. Le soin même
qu'a pris l'auteur de suivre au plus près sa documentation permet d'en mesurer
les limites, et justifie une extension progressive en avançant dans le temps. On
est beaucoup mieux renseigné sur la période récente, en particulier pour les pro-
blèmes économiques et sociaux. Et pour l'aspect religieux, le Catharisme et les
fameux registres de Jacques Fournier poussent à des études plus poussées.
J'insisterai donc plutôt sur nos ignorances. Ainsi, il faut attendre jusque vers
986 pour trouver la mention d'un comte de Comminges. Pour l'essor religieux
de la Réforme Grégorienne, si on connaît bien le rôle de Cluny (en particulier
pour Lézat), on manque de renseignements pour Saint Victor de Marseille, dont
le prieuré de Mirepoix n'apparaît qu'en 1218 (n'y a-t-il pas un lien entre son
effacement et celui des comtes de Barcelone, grands protecteurs de l'abbaye autour
de 1100 ?). Rien sur la fondation de la Chaise-Dieu à Combelongue avant le
passage aux Prémontrés en 1143.
Par contre, on est frappé par la précocité des mentions de coutumes commu-
nales (dès 1168 à Foix). Mais pour les mines du fer, il faut arriver à la fin du
XIIIe siècle (et il n'y a nulle mention des fameuses « forges à la catalane »). Pour
les monuments, il y a eu d'énormes destructions pendant les guerres de religion,
et l'auteur n'a pas voulu trop s'étendre sur cet aspect, le mieux connu, bien
qu'il fournisse des illustrations intéressantes.
Il faut souligner que l'étude s'étend largement vers la Catalogne, du fait de
l'action des comtes de Foix de ce côté. Des notices particulièrement poussées
sont données pour les petits « pays » en bordure des Pyrénées, restés longtemps
indépendants, le Comminges (déjà étudié par Ch. Higounet), le Sabarthès, le
276 Notes bibliographiques
Jacques BOUSQUET.
— Aux origines du second réseau urbain. Les peuplements castraux dans les pays de
l'Entre-deux... dir. Michel Bur, Actes du colloque de Nancy, ler-3 octobre 1992,
Nancy, Presses universitaires, 1993, 385 p. — Un fort intéressant colloque sur
les bourgs castraux dans un « Entre-deux » généreux qui englobe la Rhénanie
et la Champagne, s'est tenu à Nancy en 1992, sous l'impulsion de Michel Bur
et d'André Debord, tous deux fervents d'une étude où textes et terrain s'épau-
lent. Le prétexte en était le début de la parution d'un Adas des bourgs, dont
la Haute-Saône donnait l'exemple. Le propos, bien respecté par les dix-huit inter-
venants, était de dégager les étapes et les conditions d'éclosion de ces « micro-
villes », nées, pour cette zone en tous cas, assez tard (fin XIIe au mieux), sous
278 Notes bibliographiques
— Pymont, la forteresse oubliée. XIIIe-XVe siècle. Entre les Vienne et les Chalon, Lons-Ie
Saunier, 1993, 141 p. — « Oubliée », la forteresse de Pymont, à quelques kilo-
mètres au nord de Lons-le-Saunier ? A coup sûr et avec quelque raison : le site
est de qualité, mais la position de médiocre intérêt militaire, tout au plus un
point fort que se sont disputé les Vienne, maîtres de Lons, et les Chalon maîtres
du plateau, pendant cent cinquante ans, de 1257 au début du XVe, avant l'abandon
de la butte. Des traces néolithiques, des résidus gallo-romains, puis, au
XIIIe siècle, un château, plutôt rustique, dont les maîtres n'ont même pas la haute
justice, tout au plus un contrôle sur un éventail de fiefs proches, dont on nous
donne une bonne liste. En dépit d'une exposition à Lons en 1993, on pourrait
donc faire bon marché de Pymont au bout d'un quart de siècle de fouilles.
Seulement, l'acharnement d'une équipe, menée par J.-C. Jeanjacquot, l'effort
et le soutien d'une centaine de bénévoles et d'autorités diverses, un objectif sco-
laire, la bienveillance d'un propriétaire intelligent ont permis la sortie d'un étonnant
rapport archéologique, que je tiens de haute qualité. L'étude stratigraphique
minutieuse n'a pas exhumé de trésors ou de raretés : un donjon, une citerne,
une forge, des monnaies, de la céramique, des carreaux, du fer et de l'os, et
l'inévitable bijou antique égaré là ; rien qu'on ne trouve ailleurs. Mais les noti-
ces consacrées à ce matériau sont remarquables de clairvoyance et de précision,
sur les objets retrouvés ou ceux qu'on peut reconstituer, tels les textiles, et cela
en s'aidant de procédés techniques des plus « performants », comme le micros-
cope électronique. Les restes alimentaires sont d'un intérêt certain, que double,
en annexe, l'édition d'un texte de 1435 sur le banquet funéraire d'un sire de
Coligny. Croquis, photographies, glossaire, table des monnaies, on a là un modèle
de notice qu'on souhaiterait voir imiter.
Robert FOSSIER.
Notes bibliographiques 279
B. Guenée, L'Occident aux XIV' et XVesiècles. Les états, Paris, PUF, 1991, 338 p.
— Le livre de Bernard Guenée sur les états d'Occident à la fin du Moyen Age
en est à sa quatrième édition en un peu plus de vingt ans ; c'est dire son succès,
son actualité aussi, car si le texte n'a pas subi de modification, la bibliographie,
accrue au cours des éditions successives, est passée de 742 titres en 1971 à 2 225,
en sorte que ce livre de 330 pages en comporte 125 de références, ce qui fait
de lui un trésor historiographique. L'inspiration générale de l'ouvrage qui comme
il arrive souvent dans cette collection, se tient assez au-dessus du simple « manuel »
pour étudiants, même avancés, est la suivante : l'histoire politique est à habiliter
et particulièrement pour un temps où les structures et les mentalités politiques
ne sont pas encore à maturité. L'Etat est alors renaissant, mais il ne peut se
consolider que par l'union entre lé prince et le peuple. L'aspiration de ce dernier
est, comme toujours, la paix et la justice, le premier doit l'amener à croire qu'il
peut les lui assurer. Il lui faut donc présenter une image du roi où se mêlera
l'idée en germe de Nation, consolider les bases de la force princière, finances,
justice, armée, puis exercer une propagande à laquelle des serviteurs dévoués
s'attacheront, notamment à chacune des occasions où le « peuple » est sensé être
consulté dans les « états ». L'ouvrage est d'une qualité qui n'a pas été jusqu'ici
égalée en France sur un tel sujet.
Robert FOSSIER.
des révoltés de la part des témoins de l'autre bord, les plus diserts malheureuse-
ment. Mais l'on peut se demander s'il existait chez les premiers un projet qui
dépassât la revendication initiale dirigée contre des officiers prévaricateurs et
contre les leliaarts ; à quoi aurait tendu à la fin leur soustraction à toute autorité
extérieure (si tant eût été, d'ailleurs, l'aboutissement envisageable) ? Un regrou-
pement de petites républiques communautaires ? Avec quelle viabilité, étant donné
le complexe monarcho-féodal d'alors ?
Ces interrogations n'infirment pas le propos de William H. TeBrake, lequel,
au demeurant, trouverait des répondants chez Marc Bloch et Léopold Génicot.
Elles marquent une limite que sa documentation ne permettait pas à l'auteur
de dépasser. Aucun manifeste des paysans n'y figure et n'a peut-être été écrit.
On a donc ici seulement une manifestation d'une forme de protestation qui ren-
force une hypothèse, pose un jalon mais laisse sur sa faim quant au coeur. Les
rassemblements à coups de cloches, les unanimités consensuelles soupçonnées
n'y font rien. Et, en creusant un peu, on s'inquiéterait des divisions sociales
existant dans les villages (cf. page 23) et de la condition de paysan aisé des chefs.
Par là, dernier retournement, le soulèvement flamand de 1323-1328 évoquerait
certains mouvements plus tardifs, en France notamment. Il s'insérerait ainsi dans
une histoire longue de la paysannerie en Europe occidentale à laquelle ce livre
apporte une contribution très intéressante.
M. MORINEAU.
— Jacques Nazet, Les chapitres des chanoines séculiers en Hainaut du XIIe au début
du XVe siècle, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, 1993,
296 p. — Les chanoines, ces inconnus... Et, surtout, les chanoines séculiers.
Tel est l'argument de départ de Jacques Nazet et qu'il a développé dans ce livre
consacré à ceux du Hainaut : huit chapitres, en tout, dont trois installés dans
des localités aujourd'hui françaises (Valenciennes, Condé, Maubeuge). La biblio-
graphie est cependant copieuse mais l'auteur souligne, à plusieurs reprises, des
problèmes subsistants au plan général et que seules permettraient d'avancer des
études plus nombreuses sur un plan régional. Ici, la pénurie des sources s'est
faite sentir, due à maintes circonstances — dont le bombardement des Archives
de l'Etat à Mons en 1940 n'a pas été la moins pernicieuse —, en dépit de laquelle
l'ensemble constitué offre un réel intérêt.
Les chapitres ont été distingués les uns des autres dans l'exposition et non
amalgamés au profit d'une thématique quelconque : l'avantage est évident, qui
rend à chacun son originalité. Des conclusions à la fin de la première partie,
et, pour les deux suivantes, à la fin de chaque... chapitre établissent commodé-
ment rapprochements et comparaisons. Son examinées successivement l'organi-
sation et la vie interne, les fonctions dans la société et les relations avec le monde
laïque. A chaque fois, le souci a été d'établir le sens d'une évolution soit vis-à-vis
du statut élaboré par le concile d'Aix-la-Chapelle en 816 (Institutio canonicorum),
282 Notes bibliographiques
soit en rapport avec les concurrences (des réguliers, des seigneurs), soit au sein
de la vie religieuse de l'Eglise elle-même.
Jacques Nazet restitue avec autant de minutie qu'il a été possible l'existence
de ces petits mondes dont l'épaisseur humaine est mince il faut bien l'admettre :
trente individus au maximum — c'est-à-dire à Soignies — et 12 à Chimay, quels
que soient l'entregent et les démêlés qui les ont liés à leur environnement. Cela
méritait néanmoins attention, dans la mesure où tout simplement ils avaient été
présents et, de facto, avaient constitué un élément de la société. Il est probable
que l'observation du temporel, qui n'a pas pris place, aurait renforcé le phéno-
mène de l'insertion, à tout prendre l'un des plus importants : on s'en rend compte
assez bien avec « la longue partie de bras de fer » jouée à Antoing entre le chapi-
tre et le seigneur, voir plus allusivement avec les tractations à Condé.
Les conclusions générales reviennent assez largement sur la question spiri-
tuelle. A cet égard, elles jurent un peu avec le reste du livre. Alors que l'on
avait suivi un relâchement dans l'institution, une désaffection d'un certain nom-
bre de devoirs, une ignorance de la réforme, l'auteur semble avoir tenté de réha-
biliter les chanoines séculiers en s'appuyant soit sur Lucien Musset (à l'encontre
des « triomphes » trop exclusivement rapportés aux réguliers), soit sur Marc Bloch
(en rappelant « la fonction d'intérêt collectif » que ces organismes assumaient
ou bien ou mal mais indispensablement dans une société foncièrement chrétienne).
M. MORINEAU.
— Edward Muir, Mad Blood Stirring. Vendetta and Factions in Friuli during
the
Renaissance, The John Hopkins University Press, Baltimore and London 1993,
390 p. — Udine était une ville de 15 000 habitants en 1548 et la capitale de
la Patrie du Frioul qui pouvait en compter autour de 150 000, surtout des pay-
sans qui, aux yeux des observateurs italiens, passaient pour des barbares parlant
Notes bibliographiques 283
Jean-Claude HOCQUET.
— Silvano Avanzi, Il régime giuridico délia laguna di Venezia. Dalla storia aU'attualità
Istituo Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, Venezia, 1993, 182 p. — S. Avanzi
est inconstestablement un excellent spécialiste d'histoire du droit et connaît à
merveille son sujet, l'histoire de la lagune de Venise et des différentes adminis-
trations qui ont eu la charge de son maintien et de sa sauvegarde. Il présente
284 Notes bibliographiques
un panorama complet de son histoire, depuis les origines, et son exposé est dominé
par une idée directrice selon laquelle la nature juridique soit publique, soit pri-
vée du territoire lagunaire correspond étroitement à ses caractéristiques naturel-
les et fonctionnelles. Son livre s'inscrit dans une perspective tracée en mars 1991
par un congrès réuni pour célébrer le bicentenaire du bornage de la lagune.
Pour sauvegarder le milieu lagunaire, qui garantit à Venise sa défense militaire,
l'accès de son port et des fleuves et ses ressources propres (pêche et sel) et qui
affronte un triple danger venu de la mer, des fleuves et de la « malice des hom-
mes », le cité-état insulaire a eu recours à un système juridique issu du code
de Justinien et renforcé au cours des temps par un droit lagunaire particulier.
Le livre est divisé en quatre chapitres d'égale longueur : d'abord les temps qui
ont précédé la formation de l'Etat, puis la République, les dominations étrangè-
res, en particulier autrichienne, enfin l'administration italienne. La thèse de l'auteur
s'inscrit dans le droit fil des publicistes romains : c'est le caractère permanent
ou temporaire de la présence de l'eau qui introduit les deux catégories juridiques
du domaine public ou du bien privé. Les Vénitiens adoptèrent ce critère en par-
ticulier par référence à la navigation maritime ou lagunaire : l'élément primor-
dial du domaine public est le canal et ses rives avec tout ce qui pourrait entraver
la navigation, par exemple la dépaissance de troupeaux sur les îles mal consoli-
dées. L'auteur examine avec attention les sources fondamentales du droit lagu-
naire, le Codex Publicorum institué en 1282 et investi de la juridiction sur les eaux,
terres, marais, avec mission principale d'identifier et récupérer les nombreux
biens de la commune aliénés par le passé, puis la compilation de Giulio Rompa-
sio qui rassembla toutes les lois, désuètes ou en vigueur en 1732 pour faciliter
L'action du Magistrato aile acque. L'auteur passe alors en revue les causes des
dommages portés à la lagune, la lutte contre l'alluvionnement (atterrissements),
les contraintes de la préservation et les effets de la discipline imposée, la néces-
sité de procéder au bornage pour établir les compétences du magistrat. Mais
ce bornage a subi au XXe siècle des atteintes irréversibles et sur la lagune ont
été édifiés la zone industrielle de Marghera, l'aéroport Marco Polo et les vastes
parcs à voitures qui répondent davantage aux nécessités du tourisme de masse
qu'au respect des contraintes hydrogéologiquesqui, durant un millénaire, avaient
été une des préoccupations majeures de la Sérénissime. A lire l'ouvrage, d'écri-
ture aisée, on peut se demander si l'auteur ne serait pas tenté, implicitement,
de justifier les grands travaux du canal industriel de Malamocco (canal de navi-
gation de la zone pétrochimique) et de retourner l'argument de la domanialité
contre les pêcheurs qui exploitent les espaces clos des « valli da pesca » et se
font les champions d'une politique de sauvegarde du milieu lagunaire.
Jean-Claude HOCQUET.
L'auteur nous donne d'abord des renseignements sur la population qui habi-
tait la ville, la population musulmane d'abord, mais aussi minorités grecques,
juives, vénitiennes, génoises etc. venues, après un premier mouvement de déser-
tion, grossir de nouveau la capitale.
Ce mouvement migratoire de populations attirées par les activités intenses
de toutes sortes qui s'offraient à Constantinople au XVIe siècle, fut également
favorisé par les autorités qui avaient besoin non seulement d'une main-d'oeuvre
nombreuse, mais aussi des éléments actifs très divers, artisans, commerçants,
financiers, transporteurs des marchandises et des hommes, architectes, maçons, etc.
L'auteur s'intéresse surtout à la population grecque et à son installation dans
les divers quartiers de la ville (beaucoup étaient attirés par la proximité des monas-
tères). Mais elle étudie plus particulièrement ceux établis à Galata, sur l'autre
rive de la Corne d'Or, quartier réservé depuis toujours aux Occidentaux. Une
population qui est venue là soit d'autres contrées de l'Empire soit du dehors,
des colonies vénitiennes notamment.
Cette population bien que globalement hellène n'était pas soumise au même
statut juridique. Les uns nés dans l'Empire, considérés comme sujets ottomans
obéissaient aux lois de la Sublime Porte. Les autres venus de l'extérieur considé-
rés comme étangers bénéficiaient de la protection du Bayle de Venise qui à Cons-
tantinople était le principal protecteur des chrétiens occidentaux. En revanche
tous les Hellènes sujets musulmans ou non obéissaient pour des raisons religieu-
ses ou morales à l'autorité, très respectée, du Patriarche de Constantinople.
L'auteur s'est interrogée ensuite sur les hiérarchies sociales, sur les métiers
exercés, sur le développement économique de ces diverses classe sociales.
Elle distingue au sommet la classe des archontes : grandes familles byzanti-
nes dont certaines branches sont restées après la conquête à Constantinople comme
par ex. les frères Constantin et Jean Paléologués, les Cantacuzènes, les Soutsos,
les Rallis, etc. Elle constate que parmi les anciens habitants certains se sont con-
vertis à l'Islam, tandis qu'à la suite de razias nombre d'enfants ont grossi les
rangs de janissaires.
Puis il y a eu aussi et surtout cette nouvelle vague nombreuse venue de l'étranger
en particulier des colonies de Venise, îles ioniennes, Crète, Chypre, etc. Proté-
gée par la « nation vénitienne » elle s'adonna à des activités diverses : financiers
qui ont investi des capitaux importants, négociants, artisans (tailleurs, bijoutiers
et a.) boutiquiers, marins...
Parmi eux un grand nombre de négociants développa au cours du XVIe siè-
cle un commerce considérable non seulement à l'intérieur de l'Empire mais un
commerce international dans les directions les plus diverses : Mer Noire, Danube,
Europe centrale jusqu'en Pologne. Et vers le sud par mer, Iles de la Mer Egée,
la Crète, en particulier l'Adriatique, jusqu'en Méditerranée occidentale.
Un autre chapitre est consacré aux activités maritimes, et à toutes les ques-
tions qui se greffent sur les transports, activités des Grecs très intenses égale-
ment à cette époque.
L'étude se termine par un grand nombre de tableaux concernant le com-
merce et la navigation, plus un tableau sur la métrologie de l'époque, un glos-
saire, une copiettse bibliographie.
Pour finir, cette recherche sur les Grecs de Galata à cette époque est des
plus intéressantes. Elle a le mérite de nous aider à mieux comprendre la vie
des Hellènes qui ont vécu à Constantinople aux siècles suivants.
On peut déplorer que la disparition prématurée de l'auteur n'ait pas permis
que la recherche sur ce thème fût poussée plus avant.
Yolande TRIANTAFYLLIDOU-BALADIÉ.
286 Notes bibliographiques
— Albert Bailly évêque d'Aoste trois siècles après (1691-1991), Actes du Colloque
international d'Aoste, in Société Académique religieuse et scientifique de l'ancien
duché d'Aoste, Nouvelle Série IV, 1993, 253 p. — Selon la remarquable intro-
duction de Mgr Carreggio, Président de l'Académie Saint Anselme, Mgr Bailly
fut un prélat caractéristique du XVIIe siècle, pasteur zélé, orateur sacré célèbre,
courtisan habile, écrivain de qualité, diplomate à l'occasion. Né à Grésy sur
Aix en Savoie en 1605 et formé par les Jésuites de Chambéry, il compléta son
instruction par le droit à Turin comme le précise M. Gianni Monbello, le judi-
cieux organisateur du colloque. Albert Bailly devint secrétaire de l'armée ducale
en 1625, puis un secrétaire du duc de Savoie Charles-Emmanuel, connu par
ailleurs pour ses poésies envoyées à la Duchesse. Mais il abandonna cette vie
en 1632 pour entrer a"u noviciat des Barnabites de Thonon.
Le nouveau religieux devint plus tard supérieur de la Maison de Saint ELoi
à Paris, puis Visiteur de sa congrégation. Mme Paola Cifarelli suit de 1647 à
1658 le séjour parisien d'Albert Bailly, ébloui par ses relations avec Vaugelas,
Boileau et Voiture. Confident même du chancelier Séguier, Bailly informa la
Cour de Savoie de l'évolution française, si bien que selon l'évocation de plu-
sieurs intervenants, il devint ensuite à Rome l'ambassadeur de la politique matri-
moniale savoyarde.
Cependant, en décembre 1659 Mgr Bailly est préconisé évêque d'Aoste, nonobs-
tant les lenteurs romaines. Comme le souligne M. Jean Mesnard, le nouveau
prélat révèle une spiritualité alimentée d'abord par Saint François de Sales et
par le jésuite Alphonse Rodriguez. Cette inspiration et le grand éclectisme de
ses lectures expliquent le souci du juste milieu et la capacité de s'adapter à tous
les publics qui caractérisent cet évêque. Ce dernier est même considéré par
M. Jean-Pierre Landry comme un vrai relais entre Saint François de Sales et
Bourdaloue et un typique prédicateur de la Réforme catholique, qui a laissé de
surcroît de remarquables recueils de sermons. Là l'attitude, la prononciation,
le style orné sont étudiés aussi bien que l'importance de la prière, l'aide des
sacrements, l'impérieuse nécessité des oeuvres, les soucis complémentaires du
Ciel et de la Terre unis dans l'amour de Dieu.
Toujours vigilant en matière de dignité des célébrations, de tenue des clercs,
de prédication et de catéchisme ainsi que le présentent plusieurs intervenants
du colloque, Mgr Bailly est surtout un bon représentant d'une sorte de gallica-
nisme valdôtain, baptisé intramontanisme. Face à la centralisation romaine si
longtemps acharnée à détruire toutes les traditions locales, le prélat étudié par
M. Lin Colliard se montre le défenseur fougueux des droits et privilèges de l'Eglise
valdôtaine. L'idée d'autonomie d'églises particulières au sein de l'Eglise univer-
selle se borne aux formes de la piété, de la liturgie et de la discipline. En somme,
il s'agit du respect précarolingien des usages locaux qui tend bien péniblement
à reparaître dans le dernier tiers du XXe siècle et non pas du gallicanisme classi-
que apparu dans l'état savoyard depuis Amédée VIII. Ce n'est pas le moindre
intérêt de 32 années d'un épiscopat très actif.
Au total une quinzaine de communications que nous ne pourrions résumer
toutes ici fourmillent d'enseignements et d'idées autour de l'axe religieux, sinon
politique, de Paris à Rome. Le pays de Saint Anselme occupant sensiblement
le centre de cet axe, nul ne devrait en être surpris. Mgr Bailly eut au XVIIe siè-
cle une vaste notoriété qu'il mérite de retrouver et bien au-delà du monde alpin,
car ce prélat valdôtain d'envergure fut aussi un écrivain savoyard typique de
la culture française du Grand Siècle.
Bernard DEMOTZ.
Notes bibliographiques 287
cette histoire des Portugais d'Asie comme une part importante de l'histoire asia-
tique et déterminée par les grands mouvements de celle-ci
.
Frédéric MAURO.
M. MORINEAU.
1. Entre-temps, ont paru en français deux ouvrages importants. Léon Bourdon, La Compagnie
de Jésus et le Japon, Paris, 1993. Geneviève Bouchon, Albuquerque, Paris, 1992.
290 Notes bibliographiques
— Pascal Duris, Linné et la France (1780-1850), Genève, Droz, 1993, 281 p.,
315 F. — En publiant'cette thèse les éditions Droz offrent l'occasion d'évoquer
une des figures majeures des sciences de la vie : le suédois Cari von linné (1707-1778).
Pour les biologistes d'aujourd'hui, Linné est surtout le créateur de la nomencla-
ture internationalequi associe à chaque être vivant un binôme latin formé d'un
nom de genre et d'une épithète spécifique tel que Parus major (Mésange charbon-
nière) ou Bellis perennis (Pâquerette vivace). Pour les naturalistes du XVIIIe siècle
il était en même temps l'auteur d'un système complet de classification fondé
uniquement, en ce qui concerne les plantes, sur le nombre et la disposition des
organes sexuels.
L'oeuvre de Linné étant pour l'essentiel écrite en latin a été rapidement
connue dans les autres pays d'Europe, suscitant un enthousiasme assorti de
quelques réticences. Malgré la consonance française du patronyme « Linné » —
petit mystère sur lequel Duris apporte des informations intéressantes — c'est
à Paris que la résistance a été la plus vive. Buffon a raillé sans détour le projet
linnéen tandis qu'Adanson ou les Jussieu ont proposé des classifications concur-
rentes. On le savait et l'on connaissait l'accueil favorable que d'autres naturalis-
tes, en particulier les botanistes de Montpellier, avait réservé au système de Linné.
Mais l'on n'avait jamais consacré toute une étude à ces linnéens français dont
Pascal Duris montre le nombre et la qualité en même temps qu'il en révèle les
limites et les contradictions.
D'une certaine façon, après la publication du Gênera plantarum d'Antoine-Laurent
de Jussieu en 1789, on pourrait être tenté de refermer le dossier du linnéisme.
Tandis que sa nomenclature est adoptée par tout le monde, sa classification est
supplantée par celle de Jussieu. En réalité Pascal Duris, démontre de manière
claire et documentée, comment la période révolutionnaire favorise une canoni-
sation laïque de Linné, considéré comme le véritable législateur de l'histoire naturelle,
puis comment la Restauration voit se développer des sociétés linnéennes qui ras-
semblent des naturalistes qui s'effraient de la complexification croissante de la
botanique et regrettent la simplicité relative du système linnéen. Derrière la que-
relle des classifications se dessinent des enjeux que Pascal Duris ne formule peut-
être pas assez nettement, mais dont il livre toutes les clés, et qui touchent au
partage du travail entre les amateurs et les professionnels parmi les spécialistes,
et aux rapports entre ceux-ci et les profanes.
La thèse de Pascal Duris a reçu un accueil très favorable auprès des spécialistes
de l'histoire des sciences de la vie. Il est à souhaiter que cette publication lui
assure une diffusion plus large car les questions qu'elle traite concerne tous ceux
qu'intéresse l'histoire sociale et culturelle de cette période décisive qui va des
Lumières au Romantisme.
Jean-Marc DROUIN
Notes bibliographiques 291
— Caroline Ford, Creating the nation in Provincial France. Religion and political
identity in Brittany. Princeton University Press, 1993, 255 p.
— A la suite d'E. Weber
les historiens américains ont consacré ces quinze dernières années des recherches
importantes sur l'histoire politique et sociale de la France contemporaine. Pour
sa part Caroline Ford à étudié les conditions dans lesquelles s'est construite l'identité
nationale en France dans un département éloigné de Paris, le Finistère. L'idée
maîtresse de sa thèse est de montrer que la formation de l'idée nationale est
davantage due à un processus dynamique que les individus et les groupes élabo-
rent continuellement plutôt qu'à un ensemble de valeurs imposées d'en haut.
Après un premier chapitre consacré à l'évolution de la conception de la nation
et à la place essentielle que joue dans les années 1900 la question de l'uniformi-
sation de la langue, l'auteur dresse un tableau rapide et dense des structures
économiques et sociales puis de la vie religieuse du finistère à la fin du XIXe siècle.
On retiendra ici de bons développements sur les caractères originaux du départe-
ment : une économie dominée de façon écrasante par le secteur primaire, un
nombre élevé de petits propriétaires exploitants, une noblesse peu influente, ce
qui est exceptionnel dans l'Ouest, un clergé bien enraciné dans la société bénéfi-
ciant grâce à la quasi-unanimité de la pratique religieuse d'une aisance maté-
rielle qui lui assure une réelle autonomie vis-à-vis des autorités locales et même
du pouvoir épiscopal. C. Ford retrace ensuite dans la deuxième partie de son
livre les grandes étapes de la période 1880-1920. L'auteur montre comment le
développement du christianisme social a ouvert une nouvelle voie entre les
partisans d'une restauration monarchique, peu suivis ici, et les républicains
traditionnels déstabilisés par l'opposition populaire à la suppression des écoles
congréganistes féminines et aux mesures contre le breton du gouvernement Combes.
Bien sûr, certaines idées ne sont pas à proprement .parler nouvelles, le dyna-
misme de la vie religieuse et son rôle dans la transformation de la société ont
été étudiés par M. Lagrée. Certains développements sont d'autre part insuffi-
sants, par exemple les conséquences de la Première Guerre Mondiale et la baisse
de la pratique religieuse dans les années 20, mais Catherine C. Ford a parfaite-
ment analysé l'évolution de la situation politique. Dans ses deux derniers chapi-
tres elle met remarquablement en évidence la conséquence fondamentale de la
Séparation de l'Eglise et de l'Etat : la promotion des chrétiens laïcs. Le clergé
avait joué un rôle majeur dans l'élection des premiers députés démocrates, Albert
de Mun et l'abbé Gayraud, il avait aussi participé activement au développement
du Sillon malgré de fortes réserves épiscopales. La Séparation de 1905 prive
le clergé de son autonomie financière et renforce le pouvoir de l'évêque, Mgr Duparc.
Après la condamnation du Sillon, le clergé s'efface, ce sont les laïcs qui vont
diriger la Fédération des Républicains Démocrates en défendant à la fois l'unité
nationale et la culture régionale. Leur succès
— 6 députés sur 11 en 1924 —
va faire reculer durablement une gauche qui avait toujours défendu une concep-
tion de la nation unique à partir de la capitale. Le Finistère est certes un
département original mais le travail de C. Ford apporte un élément de réflexion
nouveau à l'histoire politique de la Troisième République.
N. Y. TONNERRE.
Jean-Pierre CHALINE.
294 Notes bibliographiques
— Pierre Lelièvre, Vivant Denon, homme des lumières, ministre des arts de Napoléon,
Paris, Picard, 1993, 254 p. — Le premier mérite de cet ouvrage, mérite essen-
tiel quand il s'agit d'une étude sur l'art, est d'être parfaitement illustré : tableaux
de batailles et de maréchaux de l'époque impériale, lithographies et dessins de
Denon, oeuvres diverses appartenant à sa collection. Félicitons Madeleine
Barbin pour sa collaboration. Le texte n'est pas moins excellent. Pierre Lelièvre
qui a publié un Essai sur la politique artistique de Napoléon est orfèvre en la matière ;
ses analyses sont nourries et sûres.
Dominique Vivant Denon (Vivant n'est pas un prénom comme on le pour-
rait croire) mérite ces soins : bourguignon de petite noblesse, au sourire moqueur,
à l'esprit vif, à la plume facile, au style rapide à la Stendhal (il a même écrit
un conte libertin qu'admirait Anatole France), il parcourt l'Europe de Milan
à Vienne, de Stockholm à Palerme ; en 1802, il publie le Voyage dans la Basse
et la Haute Egypte qui a un très grand succès. Bonaparte qui apprécie ses talents
le nomme directeur général du musée central des arts et, jusqu'à la chute de
l'Empire auquel il reste attaché, Denon, sans en porter le titre, est ministre des
arts de Napoléon. Avec la complicité éclairée de Louis XVIII, il résiste adroite-
ment aux Alliés vainqueurs qui veulent récupérer ce que les Français ont pris
dans leurs pays au cours des razzias révolutionnaires et impériales. De 1815 à
1825, année de sa mort, il a une retraite studieuse, quai Voltaire, à proximité
du Louvre et de l'Institut, il travaille à la gravure et reçoit des amateurs d'art.
En résumé une vie active et finalement heureuse d'épicurien occupé. Encore
une fois, on pense à Stendhal, comme lui homme du XVIIIe siècle, homme des
lumières, curieux et sans lourdeur. En cette heure où le Musée du Louvre trouve
enfin sa véritable grandeur, il était opportun de rendre à Vivant Denon l'hom-
mage qui lui est dû et qu'à l'exception de Canova, de Chaptal, d'Ingres et sans
doute de quelques autres, ne lui ont pas ménagé ses contemporains.
En particulier lady Morgan fut séduite par ses collections rassemblées en une
série de six appartements : ruines de Grèce, marbres romains, débris de colon-
nes égyptiennes, un Giotto, un admirable Antonello de Messine que reproduit
l'ouvrage, une Sainte Famille de Sébastien Bourdon, le Gilles de Watteau pour-
tant méconnu à cette heure, mais, ce qui surprend davantage, des vases de Chine
et du Japon et, bien entendu, des dessins pour lesquels Denon a un goût particu-
lier. Ne sommes nous pas à l'époque où l'art du dessin atteint sa perfection ?
Pour en finir avec ces beautés que Denon a su découvrir et réunir, retenons
la gravure 90, Denon dessinant une jeune femme. L'amateur d'art et le volup-
tueux fixent une belle de 1817 au profil antique et aux bras nus. Dans toutes
ses activités Denon force décidément l'admiration.
P. GUIRAL.
un même plan et avoir une égale audience. La philosophie de Taine est pauvre
et sa psychologie fait piètre figure depuis Bergson, Alain ou Proust qui ont sin-
gulièrement enrichi le sensualisme de Condillac. L'histoire de l'art systématise
trop à notre goût. La fantaisie de Thomas Graindorge paraît laborieuse. Seules
subsistent les Origines de la France contemporaine et chaque anniversaire de la Révo-
lution remet l'oeuvre de Taine en lumière. En second lieu il n'est pas tout à
fait exact que l'oeuvre de Taine n'est plus rééditée. Robert Laffont a publié dans
la collection Bouquins les Origines de la France contemporaine avec une introduction
parfaite de François Léger. Et, puisque nous venons de citer ce nom, reconnais-
sons que Taine a trouvé son historien et son exégète associant science exhaustive
et finesse de l'écriture.
Bien entendu un ouvrage sur Taine est une étude de sa pensée et de son
oeuvre. Regina Pozzi étudie successivement les années de formation, la philoso-
phie de Taine, le projet scientifique, l'activité critique, Taine et son temps, la
conversion à l'histoire, enfin ses Origines, l'oeuvre par laquelle il restera.
Taine est un écrivain qui vit pour son oeuvre, qui se survit par son oeuvre,
se confond avec elle. Cependant, dans ce cours tranquille, un événement capi-
tal : la défaite de 1870 qui le touche comme elle a touché Renan. Jusqu'alors
Taine ne s'était pas désintéressé de l'histoire, mais avait refusé de prendre parti
sur les événements de son temps. Il n'avait pas publiquement condamné le coup
d'Etat qui avait provoqué l'indignation de Prévost-Paradol ; il avait refusé le
libéralisme de son frémissant ami ; il se considérait davantage comme un philo-
sophe que comme un historien. 1870 le ramène à l'actualité la plus douloureuse.
Pourquoi la France a-t-elle reculé jusqu'à Sedan ? Quelle lente évolution l'a conduite
à la défaite ?
Madame Regina Pozzi étudie fort bien les réactions qu'a suscitées l'oeuvre
majeure, celles de Sorel, d'Aulard, de Mathiez, d'H. Sée. D'une manière géné-
rale l'Université ne fut pas bienveillante pour Taine. Madame Pozzi a écrit là
quelques pages excellentes qui attestent une parfaite connaissance de l'historio-
graphie française.
Pierre GUIRAL.
Sylvain BENSIDOUN.
L'auteur étudie en détail les liaisons possibles avec les nouvelles théories
scientifiques du chaos, mais le pire danger vient de l'oisiveté mal employée,
engendrant « l'ennui social ». On a de plus en plus de temps disponible,
mais la plupart des gens ne savent comment l'employer. On va donc vers
l'esthétique comme « industrie lourde de l'an 2000 », puisqu'elle devrait
être une des meilleures sources d'activité intellectuelle et même spirituelle.
Et le fiasco actuel de la « culture » ne vient-il pas « d'une triple inadéquation,
à l'âme des adolescents, aux besoins de l'entreprise et aux appétits des
adultes » ?
On voit que ce petit livre peut alimenter toute une méditation, plutôt
pessimiste. Mais la conclusion ne l'est pas. Après la période de la « négati-
vité », du « défi », de la « déconstruction » (Derrida, deux fois cité), des
« ruptures » (titre d'hubert Damisch en 1976), les hommes devront réappren-
dre « le sens du sens ». Il y a bien là l'oeuvre d'un historien capable de
comparer la richesse du passé en créations évolutives et le nôtre en logo-
machies contradictoires.
Jacques BOUSQUET.
Soutenance de thèse
Jean-Michel Matz, Les miracles de l'évêque Jean Michel et le culte des saints dans le
1370 - v. 1560), thèse de doctorat d'histoire soutenue le
diocèse d'Angers (v.
15 décembre 1993 à l'université de Paris X-Nanterre.
études qui avaient précédemment éclairé, pour la même époque, la vie religieuse
de diocèses voisins, normands, tourangeaux ou poitevins.
Le rapporteur, André Vauchez, loue vivement la qualité méthodologique du
travail présenté : exploitation habile de nombreuses sources inédites, édition de
texte réussie, excellence de la bibliographie, sans parler de l'agrément du style
ni de la richesse documentaire accumulée. Puis il propose quelques remarques
à propos du culte des saints. Tout d'abord, il soulève la question des dédicaces
d'église, au sujet desquelles il convient de distinguer le véritable saint patron
du titulaire, ainsi que l'avait déjà repéré Van Gennep. Frappé par le caractère
invariant des itinéraires de processions, il suggère en outre que l'identification
des lieux de pèlerinages pourrait encore se trouver complétée d'une enquête dans
les lettres de rémission, avant d'en venir à ce qu'il appelle cet « été indien de
la sainteté épiscopale » que sont les deux derniers siècles du Moyen Age. Hasar-
dant l'hypothèse que les archives françaises et vaticanes n'ont peut être pas encore
livré tous leurs secrets sur la personne de Jean Michel, il souligne l'intérêt de
la présentation des données relatives au culte des saints dans l'église cathédrale
(reliques, vie liturgique, autels...), un type d'étude qu'il appelle de ses voeux
pour d'autres diocèses. Après avoir déploré l'apport assez décevant du dossier
en matière de « religion populaire » et la limite incontestable que constitue l'exclusion
du culte mariai, il conclut sur la spécificité des régions du Nord-Ouest du royaume,
aux formes de dévotion bien différentes de celles des domaines méridionaux,
marquées par un christianisme clérical, aux initiatives laïques limitées, au pan-
théon dominé par les évêques, et travaillées par un besoin d'intercession qui
s'exprime en référence à un au-delà encore largement binaire (Paradis-Enfer).
A cet égard, le diocèse d'Angers n'apparaît pas comme une exception mais bien
plutôt comme un modèle.
Colette Beaune prend ensuite la parole pour s'associer aux propos élogieux
précédemment tenus. Elle signale tout particulièrement le plaisir qu'elle a trouvé
à la lecture du Livre II, et note une singularité dans les actions caritatives de
Jean Michel qui a subvenu aux frais d'apprentissage pour des enfants pauvres.
Elle relève également l'usage courant du pèlerinage de reconnaissance, une fois
le miracle de guérison obtenu sans contact direct avec les reliques. Son unique
regret tient à la moindre attention portée aux problèmes politiques, à l'exception
de la question du gallicanisme. Certes, la ville d'Angers est peu présente dans
les Chroniques de France, dit-elle, mais sans doute certains phénomènes gagneraient-ils
à être reconsidérés sous cet angle. En effet, le caractère fréquemment civique,
voire même nettement politique, de certaines démarches religieuses est mainte-
nant bien attesté pour la fin du Moyen Age : processions en retour de victoires,
imbrication du personnel politique et ecclésiastique, saints dont la promotion
n'est pas dépourvue de préoccupations campanilistes. Elle y voit même une
caractéristique de cette église de l'Ouest du royaume aux côtés de ses structures
séculières très affirmées, de sa véritable mariolâtrie et de son sanctoral fort
classique.
Les remarques du père Avril s'attachent tout d'abord au travail de l'édition
de texte, dont il a grandement apprécié la qualité tant pour la correction linguis-
tique que pour la précision des identifications des personnes et des lieux. Il sou-
haite la rapide publication savante de ce document, avec tout l'apparat critique
nécessaire. Il revient ensuite sur le cadre diocésain qui lui est familier : il en
préconise l'étude entre le XIIIe et le XVe siècle, non sans dissimuler les difficul-
tés de l'entreprise pour le XIVe siècle, peu facile à saisir en raison d'une docu-
mentation fragmentaire. Il insiste sur l'importance du pèlerinage à la cathédrale,
l'église-mère du diocèse qui symbolise plus largement encore l'Eglise entière
Chronique 307
tants d'une nation qui avait perdu toute consistance politique depuis des siècles.
Ce fut donc à bon droit que l'autorité centrale flétrit l'aristocratie de ce corps.
Ce que cette histoire présente de surprenant tient à ce que Godart de Belbeuf,
homme du roi par sa fonction — qui n'était point un office, mais bien une
commission — finit au terme d'une évolution qui s'acheva en 1788 par adopter
à bas bruit ces sortes de vues qu'il avait pour mission, tacite et essentielle, de
combattre.
Le moment est venu de se demander en termes généraux ce qui avait pu
induire un tel changement ; la matrice gallicane et l'esprit janséniste que la tra-
dition prétend avoir été assez fort à Rouen ? Il est bien vrai que les parlementai-
res se rangeaient aux idées de représentation des intérêts du peuple tout comme
les gallicans tenaient pour la doctrine conciliaire contre l'autorité de la cour de
Rome. Quant au jansénisme, le candidat affirme qu'il avait envenimé les que-
relles et accéléré la métamorphose à la faveur du succès inespéré qu'il avait rem-
porté en obtenant la destruction des jésuites. Dès 1771, ces conceptions étaient
parvenues à leur point d'aboutissement : le parfait magistrat de jadis avait fait
place au magistrat-citoyen, au moins dans l'ordre mental. Qu'en était-il au-delà ?
Quelles pouvaient être les conséquences pratiques d'un tel changement ? On a
bien lieu de croire que cette transformation ne quitta guère le domaine des repré-
sentations. Aucun indice ne permet de penser que cette citoyenneté soit jamais
sortie de la sphère des idées, si ce n'est à l'occasion de quelques remontrances,
rédigées en style vif. Quant au reste, aux affaires judiciaires et administratives,
le parlement se contenta de les traiter suivant les errements traditionnels, sage-
ment révisés, en tant que de besoin, par Godart de Belbeuf.
M. Bardet, rapporteur, attire l'attention du jury sur les principaux caractè-
res de la thèse d'O. Ch. A ses yeux, on se trouve en présence d'un travail de
relecture, de redécouverte et de recentrage. Il rappelle qu'en 1842, P.-A. Flo-
quet, un des tout premiers élèves de l'Ecole des Chartes, fit paraître un ouvrage
en sept volumes sur l'histoire politique du parlement de Rouen et que, depuis
ce temps, ce livre a servi de référence à tous ceux qui n'ont pas manqué de
marcher sur les voies qu'il avait tracées. Il signale aussi que le marquis de Fron-
deville publia naguère, dans les collections de la Société de l'Histoire de Nor-
mandie, la généalogie des parlementaires en quatre épais volumes, déjà mis à
contribution par M. Le Guern dans la thèse qu'il a consacrée à la socio-démographie
de cette cour. Il était utile de faire mention de cette bibliographie, car si le lec-
teur n'avait pas ces titres présents à l'esprit, il ne serait pas à même d'apprécier
à sa juste valeur l'originalité de la thèse examinée présentement. Selon le rap-
porteur, elle tient à la parfaite pertinence des solutions apportées aux problèmes
que pose la sociologie culturelle du groupe parlementaire, tour à tour uni et
scindé suivant des lignes de fracture aux contours variables. La qualité de rédac-
tion de cette thèse ne manque pas d'augmenter la force démonstrative de l'ensemble.
M. Bardet n'en veut pour preuve que le récit de la procession qui figure au
commencement de la thèse et la puissance d'évocation qui s'en dégage. Poursui-
vant sur ce sujet et s'arrêtant au travail de l'historien, il avance cette image :
« en vous lisant, on voit s'animer des fantômes derrière des miroirs ».
Comme ce trait invite plus à la confidence qu'à l'explication proprement
dite, O. Ch. ajoute qu'il a quelquefois éprouvé l'impression, à la lecture de telle
ou telle dépêche au ton haletant, que le sang lui battait aux tempes à l'unisson
du procureur et, par suite, il exprime l'opinion que l'on ne saurait écrire ce
genre d'histoire si l'on ne parvient pas, par degrés insensibles, à opérer un « détour-
nement de personnalité ». En revenant à des considérations plus positives, il expose
alors comment les conceptions générale du représentant du roi se sont traduites
Chronique 311
dans la pratique. Des milliers de plaintes lui parvenaient ; il entendait les résou-
dre préférablement par la voie de l'arbitrage et, en cas d'impossibilité, les réduire
en termes simples de manière à apporter une solution commode et aussi peu
onéreuse que possible. Indulgent envers la petite délinquance « de type Louis XVI »,
il se montrait intraitable envers ceux qu'il appelait « les méchants et les mons-
tres ». Libéral jusqu'à un certain point, il n'aimait guère user de l'incarcération
et affichait son hostilité envers les dépôts de mendicité. Punir la petite délin-
quance aurait dû consister, à son avis, en châtiments corporels suivis d'une prompte
remise en liberté. A ce principe, il n'admettait qu'une seule entorse : si l'hon-
neur des familles avait été entaché par les déportements de quelques-uns de leurs
membres, alors l'internement discrétionnaire lui paraissait s'imposer. En tant
que garant de la bonne police et des moeurs, il luttait sans relâche et sans merci
contre les apparences de l'impiété, ce qui explique peut-être l'hostilité qu'il nourrissait
contre les protestants, ostentiblement rebelles aux dévotions catholiques.
Quant aux conflits qui opposaientle parlement au pouvoir central, il les déplorait.
Impuissant à les apaiser, il savait par avance qu'ils tourneraient à la ruine réci-
proque des adversaires. Doit-on tenir pour exceptionnelle cette faculté de prévi-
sion à l'intérieur d'une cour qui défendit ses privilèges et son système de repré-
sentations avec plus d'acharnement que de sens politique ? Essayer de répondre
à cette question entraînerait bien loin. Il faudrait, pour y parvenir, examiner
la conduite et les écrits d'autres parlementaires comme Thomas Du Fossé ou
le Diacre de Martimbosc, étudier d'une manière approfondie la teneur et la lan-
gue des remontrances et, dans une perspective élargie, se demander quelle part
faisaient ces magistrats au gallicanisme et au jansénisme considérés sous leurs
aspects politiques, remarque que le président du jury amplifiera à la fin de cette
soutenance.
M. Gresset ne cache pas les réserves qu'il a d'abord émises en lisant le sous-
titre de la thèse : un système de représentations... N'abuse-t-on pas de ce terme depuis
quelque temps dans le milieu des historiens ? L'approche du moindre objet his-
torique ne menace-t-elle pas de se dissoudre en une juxtaposition des représenta-
tions qu'il a suscitées ? L'engouement que ce concept provoque à présent ne
le rend-il pas un peu suspect ? M. Gresset rappelle que tout ce qui paraît neuf
n'est pas forcément important. Ces remarques préliminaires énoncées, il demande
quelques précisions sur les fortunes des parlementaires rouennais, dont il est dit
qu'elles ne s'élevaient jamais à moins de quarante-cinq mille livres. Il rapproche
ensuite les écrits de pure pratique de Godart d'un traité théorique, De la moralité
des actions humaines, rédigé en 1788 par un conseiller du parlement de Besançon,
Morel de Thurey, admirateur de J.-J. Rousseau et dont l'étude vient de faire
le sujet d'une thèse soutenue en novembre 1992 par Mme Cathelin en l'Univer-
sité de cette même ville. Selon Morel, comme pour Godart, le point fixe dont
l'action humaine ne doit jamais s'écarter, c'est Dieu. Se pénétrer de cette simple
pétition de principes revient à rendre parfaitement intelligible l'action de ces
sortes de magistrats attachés aux « Lumières chrétiennes », expression qu'il faut
peut-être préférer à « Lumières dévotes ». Passée la décennie révolutionnaire,
le vicomte de Bonald ne donnera pas d'autre base à son système politique. L'inter-
vention de M. Gresset s'achève par l'éloge de « ce modèle de thèse nouveau
régime », dont le contenu et l'agencement ont rapidement dissipé les préven-
tions que le sous-titre avait pu faire naître. Il conclut par ces mots : « Avec Godart
de Belbeuf, la magistrature debout va s'asseoir. »
M. Woronoff, a son tour, estime que le travail d'O. Ch. associe à une érudi-
tion bien maîtrisée d'heureuses qualités d'écriture qui se manifestent particuliè-
rement lorsque le candidat est conduit à relater tel ou tel épisode d'une histoire
312 Chronique
pour achever son intervention, attirer l'attention du candidat sur l'irritante question
du jansénisme chez Messieurs du parlement de Rouen. P. Chaunu retrace en
quelques lignes les principales étapes de ce qu'il désigne comme « un autre con-
flit franco-français », c'est-à-dire toutes ces querelles qui tirèrent leur origine de
la réception de la bulle Unigenitus. Des animosités ombrageuses avaient nourri
puis aigri l'esprit de parti ; la multiplication de part et d'autre de maladresses
atroces comme celles de l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, réveil-
lait le conflit chaque fois qu'il semblait sur le point de s'apaiser. Des intérêts
et des rivalités de factions s'étaient inextricablement nouées si bien que toute
simplification dans ce domaine et en l'état actuel de nos connaissances aboutirait
à des contresens. Ceux qui, comme Godart de Belbeuf, n'avaient nulle part au
fond de la querelle, n'y trouvaient plus que des forces qui tendaient à freiner
la conception et l'exécution de tout projet commun, à affaiblir la compagnie
et même à jeter le discrédit sur les doctrines religieuses. Sagement, le procureur
a amené le parlement à enterrer un conflit stérile et suranné, dont il subsista
bien longtemps encore des ferments d'aigreur.
Le Professeur Chaunu déclare souhaiter la prompte impression de cette thèse
après que le candidat aura pu insérer dans son texte les corrections que lui auront
suggérées les remarques qui viennent d'être formulées.
Le jury se retire et après une brève délibération déclare le candidat admis
au grade de docteur de l'Ecole des hautes études en sciences sociales avec la
mention très honorable et les félicitations du jury.
Gérard HURPIN.
Le culte des martyrs en Gaule d'Hilaire de Poitiers à la fin du VI' siècle. Le 22 janvier
1994, à la bibliothèque d'Histoire des religions, à la Sorbonne, Brigitte Beaujard
a soutenu une thèse de doctorat d'Etat consacrée au culte des martyrs en
Gaule, devant un jury composé de Mme Y. Duval, professeur à l'Université
de Paris Xll-Créteil, présidente ; Mmes N. Gauthier et L. Pietri, respectivement
professeurs à l'Université de Tours et à l'Université de Paris IV, et
MM. O. Guillot et Cl. Lepelley, respectivement professeurs à l'Université
de Paris IV et de Paris X-Nanterres.
La Gaule n'honorait aucun martyr au IVe siècle, alors que deux siècles plus
tard, le sanctoral gaulois comptait plus de 160 noms : B. Beaujard a tenu d'emblée
à citer ces deux chiffres, dont le rapprochement est effectivement saississant, car
il donne la mesure d'un problème historique — donc, d'un beau et bon sujet
de thèse qu'elle a entrepris de traiter en 1977 sous la direction du regretté
Ch. Pietri. L'ampleur du sujet, de lourdes tâches d'enseignement, la maladie
puis la mort du directeur de thèse, suffisent à expliquer la longue maturation
d'un travail dont la rédaction a été achevée en 1993 sous la direction de L. Pie-
tri : une maturation bien perceptible au terme de l'entreprise, qui l'a conduite
notamment à écrire, non pas un ouvrage consacré à la seule dévotion aux martyrs,
mais bien une histoire du culte des saints dans les Gaules.
Le cadre naturel allait de soi, tant les Gaules ont formé, jusqu'en plein haut
Moyen Age, une forte unité géopolitique, et le terme chronologique s'imposait
également, par la césure qu'ont marquées, à la fin du VIe siècle, et la mort de
Grégoire de Tours (lequel constitue, pour ce sujet comme pour bien d'autres,
une source majeure) et la recension gauloise du Martyrologe hiéronymien. Dans ces
Chronique 315
limites, c'est donc bien une histoire des origines du culte des saints dans les
Gaules qu'il s'agissait d'écrire, en prenant pour règle de passer au crible les
différentes sources littéraires, épigrapbiques et archéologiques pour ne retenir
que celles qui sont antérieures à la fin du VIe siècle. La méthode est drastique,
parce qu'elle néglige tous les témoignagesultérieurs, qui peuvent avoir leur part
de vérité, mais elles offre l'avantage de faire table rase des développements para-
sites qui ont proliféré sur ce terrain, plus que sur tout autre peut-être ; elle per-
met en tout cas de marquer de sûres césures chronologiques, dont la reconnais-
sance est indispensable avant d'évoquer la thématique liée au culte des saints.
Le développement du culte paraît avoir connu trois étapes. La première,
jusqu'aux alentours de 430, relèves, d'un monde encore romain ; elle est d'abord
le fait de notables (d'ailleurs surtout dévots de reliques importées), qui furent
bientôt relayés par les moines évêques du Sud-Est de la Gaule, prompts à exalter
aussi les mérites du martyre sans effusion de sang, dont d'autres moines, comme
Martin ou Honorât, fournissaient le modèle. L'évolution politique, qui a ensuite
conduit le pays à passer sous la domination de barbares souvent ariens, a poussé
les évêques à présenter, à la génération suivante, les saints comme les meilleurs
remparts des cités menacées : à partir de Tours, Arles ou Lyon, leur culte a
gagné alors tout le sillon rhodanien. Il s'est bien étoffé avec la dernière étape,
inaugurée par l'alliance conclue entre Clovis et Martin, au début du VIe siècle :
les saints, dès lors, ont été les enjeux des rivalités multiples qui s'exerçaient autour
des cités dans la Gaule mérovingienne — ce qui explique qu'en dehors du rayon-
nement exceptionnel de Martin, qui était honoré dans une trentaine de places
à la fin de la période, la dévotion soit restée le plus souvent un phénomène local
— et plus précisément urbain —, sauf sans doute en Touraine ou en Auvergne.
Au travers de toute cette évolution, il est possible de mieux cerner la notion
de sainteté, qui réunit pour les Gaulois ces martyrs et confesseurs que, pourtant,
Grégoire de Tours a distingués dans sa recension, et surtout de percevoir les
rapports complexes que les saints entretenaient-avec les fidèles, la cité et l'Eglise.
Avec les fidèles, ce sont surtout des liens de patronage, que traduit l'étude du
vocabulaire qui fait une si large place à la fides, Vobsequium, l'auxilium, autant
qu'aux remèdes que la saint apporte à ses dévots par le miracle. Dans les" cités
d'autre part, le culte des saints, habituellement situé dans les nécropoles de la
périphérie, a précipité, par les constructions auxquelles il a donné lieu, toute
une évolution topographique, qui n'est pourtant bien manifeste que tardivement
et dans de rares villes, telles Clermont et surtout Tours, où un vicus christianorum
s'est développé autour des sanctuaires extra muros, face à ce qui subsistait de la
ville. On comprend mieux enfin pourquoi l'Eglise a tenu à garder jalousement
le contrôle d'un phénomène aussi important : les évêques, ou les abbés à qui
ils en avaient commis la charge, étaient des intermédiaires entre les fidèles et
les saints, ce qui leur attirait un prestige susceptible de leur valoir à terme une
réputation de sainteté aussi ; de là un étoffement incessant du sanctoral, qui
traduit les succès d'une pastorale soucieuse de gagner à la fois au christianisme
le temps et l'espace.
Tous ces traits, bien entendu, ne sont pas propres à la Gaule. Mais l'exem-
ple gaulois est bien singulier, à la fois par la périodisation originale qu'il pré-
sente ; par la place exceptionnelle prise dans le sanctoral par une figure comme
Martin ; par les liens étroits, enfin, que l'on discerne ici entre l'histoire politi-
que et celle de la sainteté, entre le développement de la dévotion et la vie de
la cité. Une nouvelle civilisation se révèle ainsi par le culte des saints, auquel
il restait pourtant à conquérir, à la fin du VIe siècle, l'essentiel des campagnes
et tout le Nord de la Gaule.
316 Chronique
souvent prêtées à ceux qui en sont l'objet), et tout « ce qu'il redonne de lustre
aux cités, dont il assure la pérennité, en leur conférant une nouvelle personna-
lité ». En faisant également sa part à ce qui pouvait subsister du monde antique
et aux innovations du premier Moyen Age, cette heureuse formule traduit bien
toute une évolution que l'auteur explique pour l'essentiel par les choix fait par
les notables et par la conjoncture politique très particulière des Gaules. La thèse,
en cela, est peut-être trop systématique car d'autres régions soumises à d'autres
régimes politiques ont été tout aussi dévotes, et comment concilier d'autre part
cette large place donnée à l'aristocratie dans la naissance du culte des saints avec
l'apparente régression culturelle que certaines manifestations de la dévotion paraissent
trahir, à nos yeux de modernes du moins ? Le seul fait que la lecture de cet
ouvrage conduise à poser de telles questions montre assez cependant qu'il cons-
titue bien une thèse, c'est-à-dire un travail stimulant, qui ouvre autant de pistes
importantes à la réflexion historique.
Moins ample, le propos d'O. Guillot est consacré à la seule esquisse chrono-
logique qui fait l'objet de la première partie du travail et surtout à la figure
de Martin qui occupe une place essentielle dans cette esquisse. Il marque d'abord
un total assentiment pour une périodisation « aussi frappante que convaincante »,
avec une première phase marquée par un succès à la fois vif et limité ; un cer-
tain tassement après 406 ; un grand essor enfin, après 476, qui coïncide bien
avec l'importance politique accrue de l'épiscopat gaulois ; et, par son propre
pontificat comme par le succès ultérieur de son culte, Martin joue bien dans
cette histoire le rôle de premier plan que lui a reconnu B. Beaujard. Il aurait
seulement fallu être plus attentif à tout ce qui dans la Vita Martini, pourtant
rédigée par un notable, marque une indéniable rupture, lourde d'avenir, avec
les modèles aristocratiques, et bien marquer aussi que c'est probablement à Saint-
Marin de Tours que Clovis a reçu en 508 les ornements consulaires, car le rap-
pel de cet événement fondateur aurait donné plus de force et de légitimité à
la démonstration.
Y. Duval, à qui il revenait de conclure, redit tout le prix d'un travail dans
lequel B. Beaujard a fait montre de toutes les qualités que l'on attend de l'histo-
rien, pour éclairer par tout le contexte politique et socio-culturel du temps la
riche documentation littéraire et archéologique à sa disposition. De là, des con-
clusions neuves, intelligentes et fondées, qui auraient seulement gagné à être
mieux mises en valeur, au lieu d'apparaître, souvent, au travers d'ingénieuses
notations qui parsèment l'exposé, dans l'analyse des récits de miracles, par exemple,
ou encore au travers des descriptions, précieuses et utiles, des monuments qui
avaient été élevés en l'honneur des saints.
L'ouvrage est suffisamment ample, d'autre part, pour que l'on songe à trop
y ajouter, mais quelques prolongements seraient sans doute nécessaires pour-
tant. On regrettera en effet, d'une part que l'auteur ne se soit pas plus intéressée
à la recherche spirituelle à laquelle répondait la dévotion, et d'autre part qu'elle
ait fait preuve d'un gallocentrisme sans doute excessif : les « fonctions des saints »
étaient en effet à peu près identiques dans tout l'orbis christianus, et une remise
en perspective de leur culte moins centrée sur la Gaule atténuerait sans doute
certaines particularités reconnues à cette province, comme ce primat si large-
ment accordé au politique et au « parti des saints » dans le développement et
le succès du phénomène dans la région. A quoi B. Beaujard répond, sur le pre-
mier point, que la thématique qu'elle a privilégiée est pour l'essentiel tributaire
des documents disponibles, qui font peu de place à la sensibilité commune du
peuple chrétien, et pour le second, que les parallèles avec d'autres provinces
de la chrétienté lui ont paru assez aléatoires, parce que trop éloignés dans
318 Chronique
Régine Le Jan, Structures de parenté et pouvoirs dans l'aristocratie entre Loire et Rhin
(VII'-X' siècles).
Thèse de doctorat d'Etat, Université de Paris I, 12 février 1993.
Un public nombreux, où se reconnaissaientbeaucoup de spécialistes du haut
Moyen Age, était réuni à la Sorbonne, salle Louis Liard, pour la soutenance
de thèse de Régine Le Jan, maître de conférences à l'Université de Lille III.
Présidé par M. Robert Fossier, professeur à l'Université de Paris I, le jury était
composé de MM. les professeurs Jean Dévisse (Paris I), rapporteur, Michel Bur
(Nancy II), Michel Parisse (Nancy II) et Pierre Toubert (Collège de France).
Invitée à présenter son travail, Régine Le Jan rappelle le but de celui-ci :
réaliser l'étude anthropologique d'un groupe social, l'aristocratie, au coeur géo-
graphique du regnum Francorum, de l'époque mérovingienne à l'âge de la féoda-
lité. Sur le sujet, la bibliographie ne manquait pas : réflexions de G. Duby et
K. F. Werner sur les origines de la noblesse et de la chevalerie ; en Allemagne,
recherches approfondies, par l'école de Fribourg en particulier, sur l'onosmati-
que et les groupements familiaux. Mais il restait à mener l'enquête sur les struc-
tures de parenté et de pouvoir, à la lumière notamment de l'anthropologie fran-
çaise et anglo-saxonne. L'entreprise n'allait pas sans difficultés, en particulier
dans le traitement des sources. Quelle valeur accorder à un vocabulaire d'ori-
gine ecclésiastique, distinct de la langue parlée, de surcroît normatif et fondé
sur une terminologie romaine ? Comment concilier les données des lois barba-
res, qui évoquentla famille large, et celles de l'hagiographie, où n'apparaît guère
que la famille étroite ? Seule une permanente réflexion critique et un effort d'arti-
culation des faits collectés a permis de dépasser l'absence de cohérence et les
ambiguïtés documentaires. Cette tâche, traduite par l'établissement de nombreux
tableaux et schémas généalogiques, aboutit à un livre construit en trois parties :
1. Pratiques de la noblesse (contours et fonctionnement interne de la classe aris-
tocratique). 2. Anatomie de la famille nobiliaire (mécanismes de la parenté et
de l'alliance). 3. Le groupe domestique et son insertion dans la société.
Ceci pour quels résultats ? A l'époque mérovingienne s'observent les traits
définissant durablement la vie aristocratique : une conscience fondée sur la nais-
sance et le souvenir des ascendants ; un système de parenté indifférencié, qui
enserre le noble dans un réseau horizontal de parents et d'amis cimenté par
Chronique 319
les dons réciproques ; un pouvoir de type domanial sur la terre et les dépen-
dants, exercé au moyen d'une suite armée (Gefolgschaft) ; un groupe domestique
simple, organisé autour du couple conjugal. Sur cette base se dégage une évolu-
tion. Au IXe siècle, avec la reconstitution d'une royauté forte, apparaît une plus
nette hiérarchisation au sein de la noblesse. Quelques dizaines de familles, for-
mant les proceres liés au souverain, concentrent la richesse et surclassent les autres.
Les groupes de parenté rivaux gagnent en cohérence et en compacité, tandis
que s'accentuent les tendances patrilinéaires latentes, fondées sur la possession
d'une charge publique patrimonialisée. Parallèlement, le mariage se définit plus
fermement autour des notions de monogamie et d'indissolubilité. Au Xce siècle
enfin, certains caractères de la noblesse féodale se mettent en place : creusement
de l'écart entre les vrais puissants et les autres ; remplacement des auxiliaires
familiaux par des milites (« la fidélité assermentée succède à la fidélité familiale ») ;
apparition de l'aînesse dans le mode de transmission des biens ; polarisation autour
de la ligne de filiation paternelle ; moindre indépendance au sein du couple de
l'épouse, qui en revanche profite des progrès de la pastorale de l'Eglise et des
pratiques hypergamiques dans les stratégies matrimoniales. Ainsi peuvent se résumer
les acquis de cette recherche.
Dans son rapport, Jean Dévisse dit sa satisfaction de voir achevé, et brillam-
ment, ce travail qui s'inscrit dans la continuité de sa propre thèse sur Hincmar
de Reims. Il estime l'ouvrage bien dimensionné, bien informé, marqué par l'esprit
de discernement et d'analyse autant que celui de synthèse. La part essentielle
de sa nouveauté est le recours à l'anthropologie, utilisée avec finesse, sans systé-
matisation excessive. Après quelques remarques de détail et demandes de préci-
sions, il reprend la table des matières, mettant hors pair le 6e chapitre, sur l'an-
throponymie, et le 11e, sur le clan familial. Entre, autres points l'ont retenu les
modalités de l'entretien du souvenir familial, et notamment la distinction et la
complémentarité de la memoria, pratique liturgique inscrite au coeur (eucharisti-
que) du christianisme, et de la genealogia, promotion de l'ancêtre illustre, qui
se situe pour sa part dans le champ du politique. Concluant, il affirme que ce
livre exemplaire, qui associe avec bonheur l'analyse du social et du politique,
celui-ci éclairé savamment « par le dessous », mérite une rapide publication.
Michel Bur présente d'abord à la candidate ses félicitations pour un ouvrage
solide, bien écrit, synthétique. Le meilleur de l'ensemble est la seconde partie,
qualifiée de chef-d'oeuvre, qui brille par l'utilisation réussie de l'anthropologie,
terme qui aurait pu figurer dans le titre même de l'ouvrage. Après quelques
remarques sur la bibliographie (qui privilégie peut-être les contributions étran-
gères au détriment de travaux français pionniers, comme ceux du chanoine Chaume),
sa critique porte essentiellement sur l'emploi de quelques formules jugées artifi-
cielles (l'échange aristocratique, la parenté sociale). L'analyse de l'onomastique
lui paraît éblouissante, même si manquent quelques pages sur les hypocoristi-
ques et les noms de clergie. A partir de l'exemple des Thibaudiens, M. Bur
apporte quelques précisions sur la tutelle des mineurs et l'indivision (pratique
beaucoup plus rare qu'on ne l'estimait au temps de Ferdinand Lot), ainsi que
sur les aspects archéologiques, et notamment castellologiques, de la question.
Achevant son intervention de manière chaleureuse, il estime que l'ouvrage cons-
tituera un instrument de travail très utile et très apprécié.
Après une courte interruption, c'est au tour de Michel Parisse de prendre
la parole. Soulignant le riche regroupement de données, toujours exactement
commentées, il apprécie le renouvellement apporté à l'histoire de la noblesse
par le recours à l'anthropologie. Ses interrogations portent sur la géographie :
R. Le Jan a-t-elle noté des différences entre les régions considérées ? La réponse
320 Chronique
est qu'on n'observe rien avant le Xe siècle, période où apparaissent des diver-
gences d'évolution. Poursuivant, il regrette la sous-utilisation du liber memorialis
de Remiremont et pose le problème de la grande Bourgogne, dont la prise en
compte aurait peut-être fourni documentation et matière à réflexion. A propos
du mariage, il souligne, comme après lui P. Toubert, l'intérêt d'un texte évoca-
teur, la vita Rictrudis d'Hucbald de Saint-Amand. A la suite de quelques remar-
ques sur la culture des nobles et sur l'onosmatique, fort bien traitée, il affirme
être en présence d'une contribution excellente, abordant toutes les caractéristi-
ques de la noblesse.
Pierre Toubert exprime aussi sa satisfaction et souligne le plaisir intellectuel
pris à la lecture de la thèse. C'est là le premier ouvrage en français sur les struc-
tures de la noblesse du haut'Moyen Age. Les coupures sont pertinentes, les dépouil-
lements amples, les analyses critiques fondées, le plan correct, la bibliographie
(à laquelle il apporte quelques ajouts) satisfaisante. Après cette opinion d'ensem-
ble, P. Toubert s'attache aux problèmes du mariage, objet des très bons chapi-
tres 8 et 9. Critiquant en particulier la notion de Friedelehe, il engage à utiliser
avec prudence certaines analyses allemandes, d'une trompeuse clarté. Pour lui,
l'Eglise ne s'est nullement ralliée à la pratique matrimoniale germanique dite
de la Muntehe. Il se trouve seulement que celle-ci était compatible avec le mariage
romain du Bas-Empire, adopté comme norme par les clercs médiévaux. Après
quelques remarques sur les rapts (« soupape de sûreté » dans une société qui
ne laissait pas de place aux sentiments dans les choix matrimoniaux) et les inter-
dits de parenté, il confirme les appréciations positives de ses collègues, en rele-
vant dans cette thèse un mélange original entre l'érudition, germanique, et l'anth-
ropologie, anglo-saxonne.
Le président Robet Fossier commence par quelques observations relatives
à la présentation de la bibliographie, puis regrette le faible nombre de cartes,
qui, multipliées, auraient pu donner lieu à un adas linguistique. Revenant sur
un point déjà évoqué, il s'interroge sur l'aire géographique peut-être trop vaste
de cette recherche. Gomme pour P. Toubert, la période 880-930 lui semble être
celle de changements décisifs menant à la révolution féodale. S'interrogeant sur
lés possessions mobilières, qui semblent primer au VIIe siècle sur les terres, il
pose le problème des manuscrits : ne sont-ils pas, dans les bibliothèques aristo-
cratiques, signe de richesse ? Par ailleurs, il souhaiterait un approfondissement
de la réflexion sur les sources archéologiques : la grande maison typique du haut
Moyen Age ne plaide-t-elle en faveur de la cohabitation de la famille étendue ?
Il achève son intervention en soulignant être en présence d'un ouvrage monu-
mental et parfaitement neuf.
A 18 heures, les examinateurs se retirent pour délibérer. Après cette brève
interruption, le président Robert Fossier déclare Régine Le Jan docteur-ès-lettres
avec le mention très honorable décernée à l'unanimité avec les félicitations
du jury.
Patrick CORBET.
Université de Nancy II.
Chronique 321
Colloques annoncés
Généralités
1. Liste des périodiques dépouillés. —Annales (Economies, Sociétés, Civilisations) (An. ESC), 1993,
n° 3, 4, 5. — Annales de Bourgogne (An. Bourg.), 1993, fasc. 1.
— Annales de Bretagne et des Pays de
l'Ouest (ABPO), 1993, n° 3. — Annales du Midi (An. Midi), 1993, n° 201, 202, 203.
— Bulletin de
correspondance hellénique (BCH), 1993, CXVII, I.
— Cahiers d'archéologie et d'histoire du Berty (CAHB),
1993, n° 114, 115. — Cahiers de civilisation médiévale (CCM), 1993, n° 3.
— The English historical review
(EHR), 1993, Octobre. — Francia (Fr.), 1992, 19/3. — L'Information historique (IH), 1993, nc 2. —
International review qf social history (IRSH), 1992, XXVII, 3.
— Mitteleilungenfur des Instituts fur Ssterreis-
chische Geschichtsforschung (MIÔG), 1993, 101, 1.
— Le Moyen Age (MA), 1993, n° 3/4. — Population
(Pop.), 1993, n° 3, 4. — Recherches régionales (Côte d'Azur et contrées limitrophe) (RR), 1992, n° 2, 3/4.
— Revue archéologique (RA), 1993, fasc. 1. — Revue d'Allemagne et des pays de langue allemande (RAPLA),
1993, n° 2. — Revue de l'histoire des religions (RHR), 1993, n° 1. Revue d'études byzantines (REB),
—
1993, n° 51. — Revue d'histoire de l'Amérique française (RHAF), 1993, vol. 46, n° 4, vol. 47, n" 1.
— Revue française d'histoire d'Outre-Mer (RFHOM), 1993, n° 300, 301.
Antiquité
fin du XVIIIe siècle. [An. Midi, 1993, n° 202.] — A. Radtke, B. Ziglinski. Erbs-
chaft dunkler Jahre. Akten des Staats-und der Regierungschefs Vichys in den
Archives Nationales. [Fr., 1992, 19/3.] — I. Roux. Le moulin des Chartrons
et ses transformations (1781-1937). [An. Midi, 1993, n° 201.] — F. Taliano-Des
Gorets. Les sociétés de peinture à Bordeaux de 1945-1975. [An. Midi, 1993, n° 201.]
— J. Vogt. Le séisme du 27 décembre 1771 dans
la région de Nice. [RR, 1992,
n° 2.]
N. Bourgoin. Le suicide en milieu carcéral. [Pop., 1993, n° 3.] —J. -C. Chesnais.
The security dimensions of international migrations in Europe. [Pop., 1993,
n° 4.] — D. Cordier. La Résistance française et les Juifs. [An. ESC, 1993,
n° 3.] — G. Bailly. Aspects de la vie quotidienne dans le marquisat de Castelnau
(1761-1785). [CAHB, 1993, n° 115.] —J.-P. Bocquet-Appel, L. Jakobi. Transmis-
sion familiale de la fécondité : le test d'un modèle (Arthez d'Asson, 1744-1898).
[Pop., 1993, n° 3.] — R. Cleyet-Michaud, G. Etienne, V. Fleuche-Santini, J. Bracq.
Textes des cahiers de doléances rassemblés et édités. [RR, 1992, n° 3/4.] —
M. Derlange. Introduction aux Cahiers de doléances de la Sénéchaussée de Grasse.
[RR, 1992, n° 3/4.] — D. Devaux. Les gouverneurs du Berry des guerres de
religion à la Fronde (mi XVIe-mi XVIIe s.). [CAHB, 1993, n° 115.] — M. Ferro.
Ordre juridique et connaissancehistorique : dialogue avec Henry Rousso. [An.
ESC, 1993, n° 3.] — S. Girandier. L'établissement d'Indret des origines à 1914.
[ABPO, 1993, n° 3.] — P. Grateau. « Nécessité réelle et nécessité factice » : Doléances
et culture matérielle dans la Sénéchaussée de Rennes en 1789. [ABPO, 1993,
n° 3.] —J.-P- Grimmeau, J.-M.Decroly. Les comportements démographiques en
Europe. [Pop., 1993, n° 4.] — A. Grynberg. Les camps du sud de la France :
de l'internement à la déportation. [An. ESC, 1993, n° 3.] — Y. Guerrin. L'arres-
tation de Prigent, agent clandestin du parti royaliste en Ille-et-Vilaine sous le
Premier Empire (1808). [ABPO, 1993, n° 3.] — V. Kannisto. La mortalité des
centenaires en baisse. [Pop., 1993, n° 4.] — R. Kasparian. L'analyse longitudi-
nale de la population active : une typologie des profils de carrière des généra-
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336 Liste des livres reçus
E. MALAMUT. Sur la route des saints byzantins (M. Kaplan) . ... .... .
.. .. .. ... 207
Vies et légendes de saint Bernard de Clairvaux. Création, diffusion, réception ( J.-Y. Tilliette) 210
L'Eglise de France et la papauté (Xe-XIIIe s.) (M. Pacaut) .............................. .
234
234
.............................
C. MARQUIÉ. L'industrie textile carcassonnaise au XVIIIe siècle. Etude d'un groupe social :
les marchands-fabricants (M. Villard) 236
......................
.......................
......................
festation Ridgway » (J. Girault)
Ph. MIOCHE. Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la seconde guerre mondiale
(A. Leménorel)
A.. GUESLIN (dir.). Michelin. Les hommes du pneu. Les ouvriers Michelin à Clermont-
Ferrand de 1889 à 1940 (A. Leménorel)
247
248
251 ...........................
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