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« Patrick Chamoiseau : l’imaginaire de la diversité  »

Michel Peterson
Nuit blanche, le magazine du livre, n° 54, 1993-1994, p. 44-47.

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Patrick Chamoiseau
L'imaginaire de la diversité
L'antillanité de Patrick Chamoiseau ne se réduit pas au
folklore ou à la contestation non plus qu'elle n'est un
moyen détourné d'attiser la nostalgie. Vue de l'Occi-
dent, son œuvre appelle les traditionnelles comparai-
sons avec Rabelais et Joyce. Lue par Chamoiseau, elle
s'identifie d'abord à elle-même, à l'œuvre de quelques-
uns de ses compatriotes et surtout à la Martinique. De
Chronique des sept misères à Texaco, la tendresse, la du-
reté, Tâpreté, la résistance et la vie se côtoient dans une
parole qui traverse les temps avec autant de courage
que le peuple qui l'assume. Si elle est difficile, cela ne
vient pas du fait qu'elle multiplie les registres langagiers
et les équations existentielles, mais plutôt du fait qu'elle
énonce les vérités enfouies de notre modernité.

Nuit blanche : Depuis le début des an- férenciation ouverte. Notre probléma-
nées 80, la littérature antillaise a réus- tique est donc celle du multiculturel, du
si à trouver sa spécificité. Elle est en- transculturel et du multilinguisme, pro-
fin parvenue à sortir des idéologies blématique très contemporaine et très
nationalistes et raciales pour devenir moderne.
réellement ce que Régis Antoine ap- La pensée et l'œuvre d'E-
pelle, dans La littérature franco- douard Glissant ont été capitales dans
antillaise (Karth a la, 1992), une «en- la prise de conscience de cette réalité.
treprise collective de recherche Derrière Glissant, il y a Raphaël Con-
anthropologique». Comment situer fiant, Jean Bernabé, Ernest Pépin,
votre œuvre par rapport à cette an- quelques autres et moi-même. En fait,
thropologie critique? nous ne sommes pas très nombreux. Il
Patrick Chamoiseau : La littérature an- y a aussi Daniel Maximin et Maryse
tillaise actuelle ne se présente plus Condé qui, même s'ils se réfèrent à
comme une contestation de la colonisa- d'autres cultures, infléchissent leur dis-
tion, comme la revendication d'une hu- cours vers des phénomènes de créolisa-
manité noire ou comme une valorisa- tion. Même s'ils rejettent le terme de
tion de l'espace africain. Nous sommes «créolité», la mosaïque et la «relation»
bien loin de René Maran. Nous échap- définies par Glissant résonnent dans
pons aujourd'hui aux grandes opposi- leurs textes.
tions de la pensée occidentale et nous
essayons de comprendre comment N.B. : Quelle distinction faites-vous
fonctionne le monde antillais. Nous re- entre le multiculturel et le transcultu-
levons à la fois de l'Afrique, de l'Eu- rel?
rope, de l'Inde et de l'Asie. Notre iden- P.C.: Dans le multiculturel, on a la
tité et notre culture doivent donc être présence dans un même espace de plu-
envisagées sous des modalités dialo- sieurs imaginaires, alors que, dans le
giques et paradoxales qui relèvent du transculturel, on a une corrélation, une
métissage. Il faut comprendre les mé- inter-rétro-réaction aux différents ima-
canismes de solidarité conflictuelle, car ginaires. On peut donc avoir dans un
il n'y a pas eu de synthèse harmonieuse espace un processus de multiculturalité
mais, à toute époque, une sorte de dif- juxtaposé, et on peut également avoir

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naires qui sont mis en relation non de
manière harmonieuse mais de manière
paradoxale et conflictuelle. Deuxième-
ment, il faut comprendre qu'il n'y a pas
eu de synthèse dans le processus de la
créolisation que nous avons connu. On
conçoit très souvent le métissage
comme un processus dans lequel un
terme B s'ajoute au terme A et produit
une synthèse plus harmonieuse. Or, un
examen attentif des sociétés créoles de
l'Amérique des plantations montre que
les communautés békées, noires, blan-
ches, syro-libanaises, etc., sont restées
relativement closes du fait des opposi-
tions historiques, économiques, ra-
ciales et culturelles. Mais les enve-
loppes elles-mêmes ne sont pas closes,
elles sont même plutôt poreuses. C'est
un peu comme la frontière d'un pays.
La frontière, c'est ce qui ferme et ce qui
ouvre en même temps. On s'aperçoit
que toutes ces communautés, toutes ces
entités anthropologiques, baignent
dans un liquide amniotique commun
qui est le fait créole.

N.B. : C'est un peu le rhizome de De-


leuze.
P.C.: Exactement. La racine unique
s'est dissoute et a fait place à la racine
rhizomatique. Nous relevons de plu-
sieurs sociétés. Comment mobiliser
tout cela, comment mettre tout cela en
convergence harmonieuse, comment
ne rien perdre de cette richesse-là, c'est
ce que j'essaie de faire. Dans Texaco,
ce travail s'exprime de deux manières,
même s'il y a en fait mille manières.
Cela s'exprime d'abord du côté de
l'histoire. Nous rejetons l'Histoire avec
un grand H qui est l'histoire coloniale
pour entrer dans la mécanique des his-
toires. Et les histoires nous permettent
de conserver l'imaginaire de la diver-
sité. La diversité est préservée si on en-
tre dans un processus de relations his-
Patrick Chamoiseau photo : Jacques Sassier
toriques où toutes les histoires sont
tirées comme des petits fils. Dans
Texaco, il y a une multitude de petits
un espace et des mécanismes de trans- N.B. : On utilise aujourd'hui la no- fils.
culturalité dans lesquels une culture est tion de métissage à toutes les sauces.
mise en relation ouverte et active, est Comment considérez-vous que vos
affectée, infectée, inquiétée, modifiée,
Parcours de l'œuvre
textes, et Texaco en particulier, per- et créolité
conditionnée par l'autre. On trouve mettent d'échapper à la notion de mé-
tous ces mécanismes dans les espaces tissage simplement posée comme N.B. : Comment alors situer Texaco
de l'Amérique des plantations, dans la échappée dialogique du monologis- par rapport aux romans précédents?
Caraïbe et, bref, dans tous les espaces me ? Comment sortir de cette dichoto-
où il y a eu créolisation. Pour pouvoir mie? P.C. : De la Chronique des sept mi-
actuellement envisager les grands es- sères à Texaco en passant par Solibo
paces contemporains, il faut poser les P.C. : Je crois que ce qu'il faut retenir magnifique, on a une boucle à peu près
termes de la multiculturalité, de la dans Texaco, c'est ce que j'appelle complète. Il me faudra maintenant pas-
transculturalité et du multilinguisme. l'imaginaire de la diversité. Cet imagi- ser à autre chose. Mais j'ai appris en
C'est avec ces trois éléments qu'on naire implique plusieurs choses. D'a- écrivant Texaco non seulement qu'il y
peut essayer d'aborder la réalité com- bord le caractère mosaïque de cet ima- aurait plusieurs petits fils historiques,
plexe des sociétés humaines d'aujour- ginaire. Il y a plusieurs traces, plusieurs mais aussi que la temporalité n'était pas
d'hui. bribes, plusieurs parfums d'imagi- la même pour chaque fil. Chaque com- •

NUIT BLANCHE 45
munauté a son temps. Et on s'aperçoit simple produit d'un peuple. Il me s'il fallait dans son cas parler d'épopée,
qu'il n'y a pas de temps linéaire dans semble que Texaco, loin de constituer ce serait l'épopée de l'errance, c'est-à-
la créolisation qui serait le même pour une épopée, élimine plutôt toute pré- dire cette sorte de disponibilité pour la
tous. On a plutôt une temporalité chao- tention à l'épopée du monde antillais. liberté du monde, une sorte d'aspira-
tique. À la limite, pour avoir une idée tion inatteignable à vivre toutes les al-
du temps dans le phénomène de créo- P.C. : Il y a un endroit dans Texaco où térités du monde. Voilà un peu à partir
lisation, il faudrait se référer à la notion Ti-Cirique l'Haïtien dit que la Caraïbe de quoi il faut comprendre la trajectoire
de rythme. Il faudrait écouter un con- demande un Cervantes qui aurait lu de Texaco qui est une errance inté-
cert de tambours pour comprendre un Joyce. Je crois que c'est un peu cela. rieure. J'essaie de voir toute la diversité
peu comment cela a pu fonctionner. Ce n'est donc pas l'épopée qui définit intérieure, celle qui reste ouverte, qui
L'idée du rythme est une idée fonda- une communauté atavique avec un ne fonde pas le territoire, qui ne forme
mentale pour comprendre le processus mythe fondateur, une genèse ou une lé- pas de racine unique, qui ne fonde pas
de créolisation. gitimité sur le sol. une histoire, une langue, mais qui
Le deuxième exemple que je semble se déployer en faisceaux.
veux mentionner, c'est celui de la «Ti-Cirique avait déclaré un jour
langue. Lorsque je suis en langue fran- N.B. : Éloge de la créolité, que vous
qu'au vu du Larousse illustré, nous
çaise, du coup je ne suis pas dans une avez rédigé avec vos amis le grammai-
étions — en français — une commu-
langue atavique. Cette langue devient nauté. Eh bien, dans cette commu- rien Jean Bernabé et l'écrivain Ra-
une langue qui n'a plus les mêmes cer- nauté, le chocolat de communion phaël Confiant, ne se déploie-t-il pas
titudes, qui sait que toutes les autres c'était Marie-Clémence. Si sa en quelque sorte en creux à l'intérieur
langues existent et qui sait notamment langue s'avérait redoutable (elle ou entre les strates de Texaco?
qu'elle doit vivre sa proximité avec la fonctionnait sans jours fériés) sa
manière d'être, de dire bonjour et de P.C. : Je pense que le texte de Éloge
langue créole. Ce qui fait une langue de la créolité est moins fermé et moins
tremblante disponible pour toutes les vous questionner était d'une dou-
ceur exquise. Sans méchanceté au- dirigiste qu'on ne le pense. Il s'agit en
langues du monde. Ce n'est plus la fait d'une sorte de cadre esthétique qui
cune, avec le naturel de son esprit,
langue de l'écrivain sûr de lui-même, elle exposait l'intimité des exis- fournit quelques balises dans la nuit.
pris dans sa culture, pris dans sa lo- tences aux sentinelles de la curio- Ce n'est pas un manifeste. En Martini-
gique académique et qui travaille dans sité. Personne ne désirant être plus que, on nous a très souvent accusés de
une langue close. Au contraire, ma exposé que quiconque, chacun ali- vouloir régenter la création et d'être des
langue est ouverte et me permet de sa- mentait Marie-Clémence avec ce commandeurs de l'esprit, alors que
voir que toutes les langues du monde qu'il ne fallait pas savoir sur les au- nous avons simplement voulu dire
existent et que chaque mot, chaque tres. Les équilibres ainsi respectés, quels étaient nos repères, nos inten-
phrase pourraient être utilisés de mille elle nous devenait une soudure
bienfaisante et dispensait juste l'ai-
tions. Et à partir de là, qu'est-ce que je
manières. L'écrivain éprouve désor- fais lorsque j'écris? Le sentiment qui
mais cette souffrance de ne pas parler greur nécessaire pour passionner la
vie.» me vient le plus souvent lorsque j'écris,
toutes les langues du monde et de ne c'est l'émotion. L'émotion me permet
Texaco, p. 30.
pas pouvoir les mobiliser. Du coup, le de vivre les choses dans la complexité
langage de l'imaginaire de la diversité que j'ai définie et que je pressens. Je
apparaît. sens qu'il ne faut plus fermer les
N.B. : Il n'y a donc pas de légitimité
territoriale. choses, qu'il faut faire des différencia-
N.B. : Quelle est la trame commune tions de manière très ouverte. Je sais
de vos romans? P.C. : En effet. Dans la créolisation, le que le lieu n'est pas généralisable,
territoire n'existe pas. Et même dans comme le dit Glissant, et que s'il faut
P.C. : Tous mes romans sont des ro-
Texaco, les gens disent que le sol est rester dans son lieu, c'est en restant ou-
mans du nous dans lesquels il n'y a pas
libre sous les maisons. En fait, le ter- vert à toutes les diversités du monde.
d'individualité de type occidental.
ritoire fait place à la terre. À la limite, C'est ce cadre très général que nous
Même le je du personnage de Marie-
il faudrait savoir comment définir la avons essayé de définir dans Éloge de
Sophie Laborieux dans Texaco se mêle
trajectoire de l'errant. Il y a la trajec- la créolité. Ceci étant, le reste, c'est
au je du quartier. Beaucoup de critiques
toire du découvreur qui est la trajectoire l'accident artistique, c'est la magie,
n'ont pas vu que le quartier Texaco est
d'un projectile, comme l'explique bien c'est le mystère, c'est tout ce que l'on
un personnage. Le nom secret de
Edouard Glissant dans Poétique de la apprend. Avec Texaco, j ' a i par
Marie-Sophie Laborieux est d'ailleurs
relation. Le découvreur a un but pré- exemple appris que les temporalités
le nom du quartier. Il y a donc une di-
cis, il prend et il ferme. Il y a ensuite n'étaient pas les mêmes selon les com-
mension anthropomorphique du côté de
la trajectoire du voyageur dans laquelle munautés. J'ai découvert que la trajec-
Marie-Sophie et une dimension non an-
il y a déjà le sentiment de la diversité. toire historique des Noirs disparaît des
thropomorphique du côté du quartier.
Mais le voyageur reste directement livres d'histoire parce qu'il n'y a pas de
L'individualité de Marie-Sophie Labo-
relié à son propre centre et c'est à partir documents. Les historiens antillais
rieux s'affirme à mesure que la genèse
de ce centre qu'il définit des exotismes fonctionnent beaucoup avec les docu-
et la généalogie du quartier sont affec-
et des étrangetés. Et il y a la poétique ments à la manière des Occidentaux.
tées parles matériaux, les mythes, etc.
de l'errance. L'errant est celui qui a un Alors, j'ai appris que les Noirs étaient
N.B. : On a décrit votre roman comme lieu, mais ce lieu n'est plus un centre. montés dans les mornes et que c'est là
une épopée créole et même une épopée qu'ils avaient appris à construire des
N.B. : C'est le mitan. maisons dans des endroits impossibles.
créole en français. Cela me semble un
peu rapide, surtout que la fonction de P.C. : Voilà. C'est un peu comme la On n'arrive pas à comprendre les mai-
l'épopée varie selon les cultures, les soif de diversité de Victor Segalen et sons que l'on retrouve à Fort-de-France
peuples et les époques et qu'elle ne qui n'était pas une soif conquérante, sur des falaises et dans des marécages,
saurait être considérée comme le qui n'était pas une soif dominatrice. Et si on n'essaie pas de suivre les Noirs.

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Et on ne comprend pas, en survolant la est un peu à l'image de la langue fran- N.B. : On a beaucoup parlé de Marie-
Martinique, comment des quartiers ont çaise des Antilles. Autour, on a toute Sophie Laborieux l'informatrice et du
pu naître dans des endroits pareils. On cette profusion, cette mosaïque des marqueur de paroles. Par contre, on
se demande ce qui est arrivé à ces gens, quartiers populaires qui ressemble bien a très peu parlé de l'urbaniste. Quel
pourquoi ils sont allés là. Ce sont des à la langue créole avec sa matière com- est son rôle exact?
choses qui proviennent vraiment pour posite. Vous savez, la langue créole n'a
moi de la connaissance romanesque. Et P.C. : Je crois qu'il arrive un peu à l'ur-
rien perdu des influences subies, des
à mesure que j'écrivais cela, j'étais en baniste ce qui arrive au lecteur de Texa-
Amérindiens, des Anglais, etc. Pour
train d'apprendre et de découvrir des co.
habiter en ville, les gens ont ramassé
choses sur notre réalité. Il n'y a donc tout ce qu'ils pouvaient. Ils ont pris des N.B. : Peut-on dire de lui qu'il est un
pas illustration d'Éloge de la créolité, matériaux chez les Indiens, les Afri- marqueur d'espaces, un peu comme
il y a simplement une émotion libérée, cains, les Européens. On retrouve vrai- l'auteur est un marqueur de paroles ?
une liberté libérée entre des balises es- ment une sorte de partage de l'espace
thétiques qui sont définies par l'Éloge. qui correspond bien au partage linguis- P.C. : Oui, mais bien d'espaces au plu-
tique et même, à la limite, au partage riel. Comme le lecteur de Texaco, il est
culturel. Dans le centre-ville, on a une un peu dérouté par tous ces person-
sorte de froideur, une sorte de certi- nages. Quand le Christ rentre dans
« La créolité n'est pas monolingue.
Elle n'est pas non plus d'un multilin- tude, et puis on a le chaos des quartiers Texaco, il est lui aussi un peu dérouté
guisme à compartiments étanches. populaires, on quitte les rues et on entre par tout ce qu'il voit, il est un peu éton-
Son domaine c'est le langage. Son dans des passes qui se recoupent. C'est né. Le lecteur et l'urbaniste sont dans
appétit: toutes les langues du mon- une sorte de brouillon de la ville qui est la même galère. L'urbaniste arrive avec
de. Le jeu entre plusieurs langues extraordinaire. Et c'est d'autant plus une conception occidentale. J'ai même
(leurs lieux de frottements et d'in- important que, je le constate, les voulu montrer son langage, lequel est
teractions) est un vertige polysé- peuples antillais ont directement sauté un langage bien rationnel.
mique. Là, un seul mot en vaut plu- de l'habitation de la plantation à la
sieurs. Là, se trouve le canevas d'un N.B. : Mais progressivement, son lan-
tissu allusif, d'une force suggestive,
ville. C'est ce que Glissant appelle l'ir-
gage s'altère.
d'un commerce entre deux intelli- ruption de la modernité. Il n'y a pas eu
gences. Vivre en même temps la l'épuisement rural qui fait que, pro- P.C. : Il devient poète. L'homme froid,
poétique de toutes les langues, gressivement, l'industrie apparaît dans scientifique, méthodique doit progres-
c'est non seulement enrichir cha- l'espace urbain, qu'il y a un besoin de sivement emprunter à la poésie s'il veut
cune d'elles, mais c'est surtout main-d'œuvre, que les fils partent, etc. définir ce qu'il voit et ce qu'il pressent.
rompre l'ordre coutumier de ces On saute de l'habitation et on tombe en Il lui faut entrer dans un processus poé-
langues, renverser leurs significa- ville. tique et je dis que l'urbaniste doit se
tions établies. C'est cette rupture faire poète à la fois dans son écriture
qui permettra d'amplifier l'audience et certainement dans sa conception des
d'une connaissance littéraire de N.B. : C'est un remarquable change- choses. Et son rôle—je crois que c'en
nous-mêmes.» ment de vitesse! est la meilleure définition — , c'est d'ê-
Éloge de la créolité, Jean Bernabé, P.C.: Bien sûr. L'accélération est tre, à côté du marqueur de paroles, le
Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant,
d'ailleurs une donnée fondamentale de marqueur d'espaces. •
Gallimard, 1989, p. 48-49.
la créolisation. Tous les peuples ont Entrevue réalisée par
d'une certaine manière été des mé- Michel Peterson
langes composites, mais la patine du
temps camoufle cette réalité, alors que
L'irruption dans la créolisation, c'est très rapide,
de la modernité c'est même l'hyper-accélération. On a
connu cela dans l'espace urbain. La se-
N.B.: Où situez-vous élans Texaco conde matrice de la créolisation, c'est
l'intersection entre l'espace linguis- l'espace urbain lui-même. C'est pour-
tique, l'espace historique et l'espace quoi il me fallait essayer de com-
urbain ? Comment se croisent le tissu prendre comment fonctionne la ville
langagier et le tissu urbain? créole et montrer qu'elle a une autono-
P.C.: Le tissu urbain est toujours la mie de fonctionnement, une dyna-
production d'un rapport de forces his- mique et une logique qui la différen-
Patrick Chamoiseau a publié, entre autres ouvrages:
toriques et culturelles. Le travail, la cient de la ville occidentale. Je ne suis Les Antilles sous Bonaparte, en collaboration avec
mémoire, les affrontements historiques pas urbaniste, mais je voulais alerter les Georges Puisy, «Histoire des Antilles en BD», E. Dé-
y sont inscrits. Si on est attentif, on se urbanistes antillais sur le fait qu'ils ne sormeaux, 1981 ; Manman Dlo contre la fée Cara-
bosse, «Veillées vivantes», éditions caribéennes,
rend rapidement compte du fait que le doivent pas envisager leur espace ur- 1982; Chronique des sept misères, Prix Kléber Hae-
tissu urbain reproduit aussi l'affronte- bain et la pensée de leur espace urbain dens et Prix de l'île Maurice, «Blanche», Gallimard,
ment des classes sociales et les oppo- selon les modalités occidentales. 1986, «Folio», 1988; Solibo magnifique. «Blanche»,
Gallimard, 1988, «Folio», 1991 : Au temps de fan-
sitions raciales. Il y a une lecture de tan. Contes du pays murti nique Grand Prix de la lit-
l'espace urbain à faire qui peut nous térature de jeunesse, «Fées et gestes», Hatier, 1988,
renseigner sur l'état des forces en pré- N.B. : Il y a donc un rapport entre Martinique, Richer X., 1988; Éloge de la créolité,
sence. Aux Antilles, on a un centre- l'espace et le temps, entre la ville et en collaboration avec Jean Bernabé et Raphaël Con-
l'épopée. L'espace ne sert-il pas à re- fiant, Gallimard, 1989; Anton d'enfance. Grand Prix
ville colonial, très rationnel et presque Carbet de la Caraïbe, Hatier, 1990; Lettres créoles,
dominateur. C'est un lieu idéalisé et définir les différentes temporalités qui Tracées antillaises et continentales de la littérature,
respecté qui est le lieu du bien-être, de sont enjeu? en collaboration avec Raphaël Confiant, Hatier, 1991 ;
Texaco, Prix Goncourt 1992, «Blanche», Gallimard,
la civilisation, du bien habité. Ce lieu P.C. : Tout à fait. 1992.

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