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Repères
Recherches en didactique du français langue maternelle
57 | 2018 :
Collecter, interpréter, enseigner l’écriture
Résumés
Français English
Notre article s’inscrit dans un ensemble d’études visant à montrer comment l’écrit, apparemment
inerte, est le résultat de métamorphoses dans ses aspects conceptuels et linguistiques. Nous nous
attachons à l’observation d’écrits narratifs produits par des élèves de fin d’école primaire. Nous
émettons des hypothèses sur ce que nous apprennent les traces (suppressions, ajouts, déplacements,
remplacements et surcharges) des procédures rédactionnelles à l’œuvre et mettons au jour des
tendances de comportements scripturaux dans une perspective didactique.
This article is part of a series of studies seeking to show how seemingly inert written texts result
from conceptual and linguistic transformations. By closely observing written narratives produced by
pupils at the end of their primary school education, we make several assumptions about what can be
learned from their rough drafts (e.g. deletions, additions, alterations, replacements, and
overwriting) during the editorial process and shed light on writing behaviour trends from a teaching
perspective.
Entrées d’index
Mots-clés : écriture, école, didactique
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Texte intégral
1. Introduction
1 Cet article s’intéresse au dialogue entre le scripteur, son texte et les textes qui sont à
disposition et qui lui fournissent de la matière à penser et à dire. Ce dialogue muet
s’exprime à travers le texte qu’il produit. En effet, bien qu’étant apparemment inerte et
figé, le texte garde à travers ses marques graphiques la trace du mouvement de la pensée
du scripteur et de son activité langagière. Nous observerons ce que nous disent ces traces
dans deux corpus d’écrits réalisés par des élèves de l’école primaire qui ont en commun
d’avoir été réalisés à partir de sources fournies. Nous nous attacherons à décrypter les
indices qui renseignent sur la manière dont peut se régler chez le scripteur apprenant le
conflit entre le vouloir dire et le système complexe qu’est la langue écrite. Nous nous
intéresserons particulièrement à la matérialité graphique et montrerons qu’on peut
dégager des tendances qui renseignent sur des comportements de scripteurs et
proposerons en conclusion des préconisations didactiques.
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sur les processus dont il est issu, c’est-à-dire qu’il informe à la fois sur sa propre genèse et
sur l’activité langagière du scripteur. En effet, pour les spécialistes de génétique, le texte
est considéré comme étant le résultat d’une « suite d’opérations d’écriture observables »
que Doquet nomme « processus d’écriture1 ». Au prix d’une méthodologie rigoureuse2, le
manuscrit permet de retrouver l’ordre de ces opérations et de reconstituer la chronologie
de la scription. En revanche, pour les psychologues, « processus » s’entend au sens
d’activité cognitivo-langagière et désigne dans le modèle princeps de Hayes et Flower
(1980) la planification, la textualisation et la révision, que Hayes requalifiera de « lecture »
en 1995. Ce dernier modèle revisité insiste sur l’intrication des différents processus et sur
leur caractère récursif. Des travaux ultérieurs portant sur les rédacteurs expérimentés
considèrent la révision comme un processus non plus de modification du texte mais de
contrôle et de régulation de l’activité, un « instrument de pilotage de la rédaction » (Favart
et Olive, 2005).
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intervention sur le contenu et l’expression). Fabre-Cols (2002) avait remarqué que les
remplacements s’opéraient majoritairement dans les six premières lignes des productions
écrites. Dans notre corpus, et malgré de fortes disparités, ces opérations s’effectuent
encore et majoritairement au-delà de ces six premières lignes. Les scripteurs semblent
donc capables d’effectuer cette opération de révision tout au long de leur travail d’écriture.
16 De même pour ce que nous qualifierons de remplacement avec réitération, lorsque les
scripteurs suppriment puis réécrivent le ou les même(s) lexème(s) sans correction
orthographique. Il s’agit bien d’un remplacement mais il est formel. Il n’est pas toujours
aisé de savoir s’il s’agit d’hésitation graphique, orthographique ou sémantique, le scripteur
s’interrogeant alors sur la suite du texte. Selon Fabre, quand un terme est éliminé puis de
nouveau écrit, l’hésitation montrerait que le jeune scripteur éprouve des difficultés à
« choisir » le meilleur terme (Calil et Felipeto, 2006, p. 66). Cependant dans l’énoncé de
Love-Eva, il n’est pas évident d’envisager une alternative à la préposition « sur », qui avait
par ailleurs été lisiblement et correctement écrite. Il s’agit de la reprise in extenso de la
consigne 1 du protocole.
Un enfant arrive sur sur une ile à la suite d’un naufrage (Love-Eva, G3).
17 Des indices de la réflexion du scripteur s’observent encore par ce que nous appellerons
le remplacement/déplacement, procédé consistant en l’insertion/interposition d’un
nouveau contenu sémantique puis à la reprise des lexèmes supprimés. Cette intervention
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suggère la mise en mémoire de lexèmes qui sont ensuite réutilisés dans la suite du texte.
Elle s’apparente à un déplacement géré dans le cours de la linéarisation.
18 Cette anticipation du contenu à venir pourrait être expliquée par le fait que, chez
l’apprenant, la motricité manuelle va moins vite que la parole intériorisée : « La
synchronisation, propre au scriptural, de la motricité de la main et d’une verbalisation en
projet, n’est pas complète » (Fabre, 1986, p. 76).
19 Les scripteurs apprenants procèdent par essais successifs et peuvent revenir sur le
remplacement projeté : ces cas de remplacement abandonné attestent aussi du dialogue
entre l’auteur et son texte en cours de scription.
22 Enfin, le remplacement stylistique témoigne aussi d’un dialogue entre le scripteur, son
texte et le lecteur. La suppression du présentatif provoque un effet esthétique dans
l’énoncé de Thaïs. Le remplacement opéré par Shanna concerne l’unité énonciative
(on/tu), mais peut s’interpréter aussi comme une reformulation syntaxique à visée
stylistique avec l’inversion verbe/sujet.
23 On peut supposer que tous ces remplacements sont les rouages à la fois de l’elocutio
« emploi des idées et des mots les plus propres » et de l’inventio « dans les cas de grande
mobilité énonciative » (Fabre-Cols, 2002, p. 82).
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Je marchais comme un habitué
Quelques jours plus tard, je réussis à allumer un feu (Incipit) (Mayelly, G4).
Quelques heures plus tard, j étais il était tout seul (Incipit) (Hugo, G1).
Néanmoins un matin, allant visiter mes pièges après avoir changé mon système de
trappe, j’y trouvai trois chevreaux, un mâle et deux femelles (Texte C).
Alors je’ l’ai les ai pris les veaux trois chevreaux et une femelles que j’ai relâché
(Incipit) (Quentin, G2).
27 Salma, quant à elle, modifie le cours de son histoire car la gazelle, mise dans le filet, ne
sera pas « emmenée », c’est-à-dire conduite jusqu’au bout de son voyage : elle s’enfuit
avant. Dans le conte entendu, malgré les supplications de la gazelle (« ne me tue pas. »), le
léopard, son ravisseur, intime l’ordre à deux hommes de préparer un filet pour la ficeler.
Cependant, rusée, la gazelle profite de la naïveté d’une antilope qui prendra sa place dans
le filet, pour se cacher et échapper à son sort. L’énoncé de Salma est une reformulation
résumante de l’histoire.
[I]l l’emena la metta dans un filet mais la Gazel lui dit de ne pas la tuer et donc elle
s’enfuit (Salma, G6).
28 Les textes sources ne sont pas accueillis sans questionnement. Le remplacement met au
jour les interrogations du scripteur sur leurs choix lexicaux par rapport aux propositions
des textes littéraires. Judith substitue « cabane » à « maisonnette » en expliquant lors
d’un entretien que le premier terme correspond mieux, de son point de vue, à l’image
insulaire : « Le rajout sur la maison de bambou, c’est parce que j’ai essayé de reprendre le
dernier texte9. J’ai mis “maisonnette” et j’ai raturé parce que c’est pas vraiment une
maisonnette. C’est fait avec des choses que la personne a trouvées sur l’ile. Alors j’ai mis
cabane ».
Je me trouvait déjà sur l’ile depuis longtemps mais je n’avais jamais remarqué cette
petite maisonette cabane, au sud de l’ile (Judith, G1).
29 Inès écrit de mémoire le conte qu’elle a entendu. Le remplacement qu’elle opère par
rapport au texte source accentue sans doute de son point de vue le caractère malin de
l’animal.
La gazelle […] faisant semblant d’ignorer le but de sa visite matinale (texte source)
La gazelle savais pourquoi il étais la, mais elle fesa semblant mine de ne rien savoir
(Inès, G5).
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employé et il l’a même été deux fois puisqu’il figure à la fois dans le texte d’Inès et dans le
texte source dont elle se remémore le contenu. En somme, le déictique actualise
l’hyperonyme cité.
Le léopard appeine avait parlé quelle lui dit : veut tu de vingt de palme cette boisson ?
(Inès, G5).
31 Beatriz, dont la langue maternelle est le portugais, est la seule à récupérer le terme
« limonier » du texte de Defoe proche du mot portugais limão signifiant « citron ».
Pourtant, elle le rature pour l’abandonner et lui substitue le terme « citronnier » par
ailleurs également présent dans le texte source.
32 Dans les énoncés d’Inès et de Beatriz, les termes biffés n’apparaissent pas dans la liste
des 1 500 mots les plus fréquents établie par E. Brunet10. Les jeunes scripteurs établissent
probablement des stratégies de contournement pour éviter la récupération de matériaux
lorsqu’ils n’en comprennent pas le sens ou lorsque d’autres, s’éloignant du lexique
littéraire mais mieux maitrisés, sont disponibles.
33 À l’inverse, le lexique du texte source (argent : 9 occurrences) peut contribuer à
autocorriger l’emploi de termes familiers, comme le montre l’exemple de Loïc.
[L]a gazelle <et dit> je veux mon ponion argent !! [...] La gazelle c’est fait choper et
meur sans passer le pon frique argent (Loïc, G511).
34 Les modifications rencontrées dans les textes produits signalent aussi une relecture des
textes sources. Dans l’énoncé de Sabrine, le terme « visitant » est recontextualisé : le héros
ne visite plus ses bagages, il visite l’ile. Camille adapte à son propos le segment verbal
« vient d’échouer », et la rature introductrice montre qu’il y a eu un retour réflexif sur le
segment saisi. Le scripteur choisit un actant inanimé.
Au milieu de tous mes travaux il m’arrivai de trouver des <en> ba de visitant l’ile de
trouver des bagages et un sac (Sabrine, G1).
Camille vient Le bâteau de Camille vient d’échouer sur une ile sauvage (Valentine,
G1).
[F]ais mon itou mais quand comment fais tu ton tiffou (Vanessa, G5).
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1987). Il est toujours présomptueux d’interpréter les traces graphiques des élèves, mais
l’on peut se demander si les suppressions suivantes, qui sont des renoncements à qualifier
un substantif, ne sont pas la manifestation d’une recherche de vraisemblance avec les
conditions insulaires de la robinsonnade.
37 D’autres suppressions révèlent une hésitation lors de la mise en texte, signalant une
volonté de réorientation du texte ou une volonté de substitution (recherche sur la
référence), non finalisées. Ainsi, les ratures d’Ernestine et de Ruben en clausule semblent
mettre fin à un travail de recherche. À contrario, celle de Nina amorce une opération que
le scripteur a été incapable de poursuivre (« fin » non remplacé sans doute par « faim »),
ce qui pose probablement ici la question des limites de la mémoire de travail des
scripteurs débutants, telles que l’ont démontré notamment les travaux des
psycholinguistes (Olive et Piolat, 2005).
Puis le mit dans une bouteille et la lançà très loin et espérera un jour qu’ils viendront
me chercher. Mais peut être pas. FIN (Ernestine, G1).
[E]lle était très belle et gentil et on vécur tous heureux. Fin c’était (Ruben, G4).
J’avais fin donc j’appris seul a me faire à manger, pour y mettre la nourriture, je pris
de l’argile et me fit des plats (Nina, G2).
38 Fabre avait déjà remarqué que la suppression pouvait traduire « soit l’abandon de la
vigilance linguistique, soit celui de l’invention » (1986, p. 73).
[Q]ui lui avait voller <son argent> alors un jour (Emme, G6).
41 Même si ces ajouts restent souvent infraphrastiques, ils témoignent de la capacité des
scripteurs à réviser dans le cours de l’écriture. Certains ajouts vont même au-delà. Judith
ajoute une réplique dans la marge.
Je n’avais pas encore vu son visage, mais je vis à sa voix qu’elle était gentille. Je lui
répondit : « Oui. » et elle sauta de joie. <« On se retrouve à la cabane ! » cria-t-elle.>
Je me recoucha (Judith, G1).
42 Faïz (G3) écrit : « <Un jour de Malchance> » dans la partie supérieure de sa feuille, ce
qui démontre que le choix de titrer le récit, pour répondre à une norme scolaire
intériorisée, est intervenu après le début de la rédaction16. Ces ajouts sont bien un « indice
de compétence ou de qualité scripturales » (Fabre-Cols, 2002, p. 108).
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[T]u n’as qu’à aller recueillir la sève qui a coulé durant toute la nuit […] il prit sa
hache et coupa deux bananiers […] et attendit jusqu’au matin suivant (texte source).
[I]l falait couper 2 palmier et mettre un receptacle dessous le tron puis attendre
<toute> la nuit (Dylan, G6).
44 Après une première mise en texte, Ghildas se remémore plusieurs énoncés du conte
entendu et procède à deux ajouts argumentatifs. On notera le changement de pronom
personnel sur le second segment reformulé.
[L]e léopard, qui était gourmand, oublia à nouveau de réclamer son argent. […] Oh
mais, tu en connais des trucs ! Justement, en ce moment on manque de viande et de
poisson chez moi ! Je vais essayer (texte source).
45 Une différence de résultats entre les deux recherches est à mentionner. Alors que des
ajouts signalant le rappel du conte entendu sont observés, nous n’avons pas relevé d’ajouts
dans les textes produits en présence de textes littéraires donnés à lire et donc disponibles
lors de la mise en texte.
principalement sur les aspects graphiques (soin apporté à la forme des lettres) et sur les
conventions orthographiques. Une première hypothèse consiste à y voir une « économie »
dans la tâche pour éviter une réécriture, à l’image des ajouts de graphèmes au sein des
mots. Par ailleurs, cette technique pose la question de l’emploi de la rature en classe et du
statut de l’erreur. En effet, l’école apprend à l’élève à rendre un écrit soigné et lisible. Si
elle n’est pas enseignée comme non seulement permise mais utile dans un processus de
création, l’élève cherchera à éviter toute rature. La surcharge pourrait donc être la marque
d’une autocensure du scripteur ou d’une volonté de se conformer à l’image d’un scripteur-
modèle. Enfin, des surcharges montrent que la correction n’est peut-être pas seulement
graphique ou orthographique. Des énoncés pourraient en effet contenir des
relexicalisations.
Figure 1 : Mathis, G4
48 La surcharge a assurément une double fonction : assurer la lisibilité graphique ou
recouvrir et remplacer un ou plusieurs graphèmes ou lexèmes. Dans le cas d’une reprise
d’un graphème à l’identique, outre la volonté d’une meilleure lisibilité, il est permis de se
demander si la surcharge ne traduit pas une pause dans la mise en texte, marque d’une
activité mentale en cours.
Figure 3 : Alyssia, G4
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50 Les ajouts sont tributaires de l’espace laissé disponible par le texte déjà-produit : il vient
s’inscrire dans « les entours et les marges qui viennent moduler » un texte central « dont
l’ébauche a vraisemblablement constitué le début de l’écriture » (Doquet, 2011, p. 93). Les
ajouts (et remplacements) peuvent s’analyser grâce aux indices spatiaux comme des
variantes d’écriture lorsque l’intervention semble se produire « au sein d’une période
d’activité scripturale de continuation de texte » (entre les mots) ou de lecture repérable au
fait que ces interventions ne sont pas effectuées « sur la ligne d’écriture » mais dans un
espace plus vaste (Doquet, 2011, p. 95). Il reste cependant très difficile de classer
chronologiquement ces opérations en l’absence d’observation en temps réel17. Par ailleurs,
pour signifier son ajout repérable par sa place anormale, l’auteur utilise des flèches, croix,
astérisques ou autres signes manifestant une appropriation d’un système sémiotique
paralinguistique (Rey-Debove, 1982). Les scripteurs débutants s’avèrent ingénieux dans
cette création et prennent ainsi en compte leur lecteur en marquant l’insertion. Coline (G1)
semble avoir écrit « Avec sa machette il coupa le pied du figuier » après avoir corrigé
l’antépénultième phrase en y ajoutant des informations consignées dans des bulles.
Figure 4 : Coline, G1
Figure 5 : Nora, G3
Figure 6 : Djénéba, G3
52 Sur le plan de la structure générale du texte, la prédominance de l’utilisation d’une
opération au détriment des autres, permet de conclure que ces altérations portent la
marque de la relation singulière que chaque écolier entretient avec l’écriture. Les uns
adoptent une « écriture en continu » sans révision visible de leur récit, ou rare. Certains
utilisent « l’écriture sur l’écriture » comme si les lettres et les mots n’étaient que des
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esquisses au crayon noir que la surcharge viendrait infirmer ou confirmer. D’autres biffent
avec une sorte d’excès leur texte, cette « écriture raturée » faisant penser à une
autocensure permanente. Le « scripteur correcteur » procède davantage par ajouts pour
un retour à la norme mais aussi pour expanser le texte, cette « écriture en
épaississement » nous montrant la capacité du scripteur à revenir sur le déjà-là en vue de
précisions sémantiques (Plane, 2017). Enfin, témoignant déjà d’une certaine expertise, il
est des scripteurs « bricoleurs » qui s’approprient les trois opérations de révision pour
forger leur texte19.
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lecteur une altération du texte. En classe, l’affichage de ces signes collectivement définis
serait un outil rappelant à l’élève qu’un texte se construit par manipulations successives.
L’espace de la feuille, les opérations de révision, l’insertion d’un code sémiotique adapté
s’enseignent, comme s’enseigne le droit à la rature, aux hésitations, au doute. À cet égard,
il convient de saluer les programmes scolaires de 201521 qui valorisent la mise en texte
s’appuyant sur les brouillons et les écrits de travail et l’usage au cycle 3 de « balises de
doute lors du processus d’écriture afin de faciliter la révision »22. L’enjeu est d’associer
l’élève à ce regard sur les traces en lui concédant une capacité à s’engager dans « une
activité de langage qui consiste à revenir sur le “déjà-là” pour le modifier, quelle que soit la
nature de la modification » (Lamothe-Boré, 1998, p. 14) pour susciter son désir d’auteur. Il
s’agit de mieux décrire, interpréter, juger pour mieux agir.
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Notes
1 « Opérations » et « processus » sont des mots clés de l’analyse génétique, mais aussi de la
psychologie cognitive qui leur donne un sens différent (Plane, 1995, p. 7).
2 « On identifie les fragments textuels, on reproduit leur disposition topographique dans l’espace
de la page, on les recopie sous forme lisible, on note la disposition des traits de biffure et leur
étendue » (Lebrave, 1987, p. 121).
3 Les textes produits n’ont donc pas été « mis au propre » et constituent des avant-textes au sens
d’une variante d’écriture qui précède une version définitive (Fabre-Cols, 2002).
4 Il s’agit du conte gabonais transcrit par A. Raponda-Walker en 1996 et paru dans Contes
gabonais, Paris : Présence africaine. Ce conte, intitulé « Les trois ruses de la Gazelle », a servi de
support dans le cadre d’une étude portant sur les variations dans les processus de mise en texte chez
des écoliers (Plane, Rondelli et Vénérin, 2013).
5 Nous mettons, dans l’exemple de Shanna et les exemples suivants, la première lettre en
majuscule entre crochets pour signifier que l’élève a déjà débuté sa phrase et que nous n’en avons
extrait qu’un segment.
6 Sa Majesté des mouches de W. Golding, Folio junior, édition de 2007, p 78-79.
7 L’ile d’Abel de W. Steig, Folio junior, édition de 1982, p 56-58.
8 Robinson Crusoé de D. Defoe, Classiques abrégés de l’école des loisirs, édition de 1982, p. 36-
38, p. 42-43.
9 Vendredi ou la vie sauvage de M. Tournier, Flammarion jeunesse, édition de 1987, p. 34-35.
10 <http://eduscol.education.fr/pid23250-cid50486/vocabulaire.html>.
11 Par convention, nous signalons les ajouts en les faisant figurer entre chevrons (« < et dit > »).
12 Robinson Crusoé de D. Defoe.
13 L’ile d’Abel de W. Steig.
14 Nous l’entendons comme une proposition d’une unité lexicale de substitution par référence aux
travaux de Vénérin-Guénez (2012).
15 Nous noterons qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer suppression et remplacement lorsque
la linéarité du texte n’est pas altérée comme en témoignent ces exemples : « je grimpit sur un volcan
qui était entouré d’eau d’un lac (Jules, G2) » ; « Il fallait alle visiter les allentours » (Ambre, G4).
16 Les scripteurs du groupe 3 (par opposition aux autres groupes) ayant majoritairement choisi
un titre pour leur récit, on peut considérer que ce scripteur souhaite se conformer à un
apprentissage de classe. Il s’agit d’une norme intériorisée car les consignes du protocole
n’imposaient pas de titrer les récits.
17 D’où les travaux portant sur l’observation de l’écriture en temps réel à l’aide de tablettes
graphiques, de capteurs oculaires (Chesnet et Alamargot, 2005), ou d’enregistrement visuel de la
saisie numérique d’un texte en cours de création (Doquet, 2011).
18 Le terme est proposé pour désigner un accord tacite de l’élève au regard porté par le lecteur sur
les mots raturés.
19 Le texte de 401 mots de Quentin (G2) comprend 32 interventions (5 suppressions,
14 remplacements, 2 ajouts et 11 surcharges).
20 « [R]ecopier un brouillon (le sien ou de celui de quelqu’un d’autre) afin de prendre conscience
du cheminement d’une écriture, autoriser sur un même texte exclusivement des ajouts, puis des
suppressions, puis des remplacements, puis des déplacements, afin de peser sur les mérites de
chaque opération, élaborer des hypothèses pour expliquer les raisons d’une rature, justifier une
modification, “corriger” à la manière de » (1989, p. 94).
21 Bulletin officiel spécial no 11 du 26-11-2015.
https://journals.openedition.org/reperes/1448 16/18
9/3/2019 Que révèlent les traces de réécriture dans les brouillons d’élèves produisant des récits à partir de sources littéraires ?
22 Il s’agit d’indications codées (une étoile, un soulignement, etc.) que l’élève place sur sa copie
pour exprimer un questionnement (le choix ou l’orthographe d’un mot, le temps d’un verbe, etc.) et
qui lui permettent par la suite de revenir sur son texte pour le rectifier ou compléter les points à
propos desquels il hésitait (page 113 des programmes).
Référence électronique
Kathy Similowski, Dominique Pellan et Sylvie Plane, « Que révèlent les traces de réécriture dans les
brouillons d’élèves produisant des récits à partir de sources littéraires ? », Repères [En ligne],
57 | 2018, mis en ligne le 30 juin 2018, consulté le 10 mars 2019. URL :
http://journals.openedition.org/reperes/1448 ; DOI : 10.4000/reperes.1448
Auteurs
Kathy Similowski
Université Paris-Sorbonne, équipe d’accueil Sens, Texte, Informatique, Histoire (STIH, EA 4509)
Dominique Pellan
Université Paris-Sorbonne, ESPE de l’académie de Paris
Sylvie Plane
Université Paris-Sorbonne, équipe d’accueil Sens, Texte, Informatique, Histoire (STIH, EA 4509)
Droits d’auteur
https://journals.openedition.org/reperes/1448 17/18
9/3/2019 Que révèlent les traces de réécriture dans les brouillons d’élèves produisant des récits à partir de sources littéraires ?
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