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urbaine
Joseph Isaac. Le droit à la ville, la ville à l'œuvre. Deux paradigmes de la recherche. In: Les Annales de la recherche urbaine,
N°64, 1994. Parcours et positions. pp. 5-10;
doi : 10.3406/aru.1994.1808
http://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1994_num_64_1_1808
Resumen
El derecho a la ciudad , la ciudad en acción, dos paradigmas de la investigación
En medio siglo de investigación urbana, se ha pasado de la ciudad como problemática de una
sociedad en crisis a la ciudad como trabajo de la sociedad sobre si misma. Los momentos ordinarios
que constituyen la ciudad han dejado de ser los «olvidados» de la Historia ; dar cuenta de su curso
natural es hablar del mundo vulnerable actual.
Zusammenfassung
Vom Recht auf die Stadt zur arbeitenden Stadt - zwei Paradigmen der Forschung
Im Verlauf eines halben Jahrhunderts ist die urbanistische Forschung vom Konzept der Stadt als
Spielball sozialer Krisen übergegangen zu einem Begriff von Stadt als Raum, in dem die Gesellschaft
an sich selbst arbeitet. Die Geschichte verschließt nicht mehr die Augen vor dem gewöhnlichen Alltag,
der die Stadt ausmacht ; ihm Rechnung tragen heißt, von der Verletzlichkeit der Welt heute sprechen.
Abstract
The right to the city, and the city in action : two paradigms for research
In half a century of urban research, cities have evolved from being what was at stake within a crisis-
stricken society to being the means through which the society questions itself. The ordinary moments
that make up a city are no longer to be ignored by History, and reporting on them is also a way of
talking about today's vulnerable world.
Le droit a la ville
LA VILLE À L'ŒUVRE
Isaac Joseph
C
Winquante ans de recherche du refoulé de la mégalopole, sadique à l'égard de ses
espaces
aux citadins4.
publics et indifférente au monde qu'elle propose
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Si «la vie locale», après la ville nouvelle dans les années
60, et le cadre de vie dans les années 70, se maintient
comme un terrain et un enjeu de la recherche program¬
mée, est-ce sous l'éclairage d'un nouveau paradigme
(localiste) ou comme effet d'une résurgence de l'ethno¬
graphie ou encore comme conséquence pragmatique de
l'empirisme ?
L'hésitation entre le social et le local, entre la ville
comme société et la ville comme lieu ou organisation de
lieux, se retrouve en tout cas dans une innovation termi¬
nologique récente du langage expert. Faute de pouvoir
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trative, mérite quelques commentaires destinés à déve¬ assemble (identités territoriales, communautaires et cul¬
lopper une orientation de lecture de la recherche urbaine turelles) et de signer les espaces qu'elle conçoit. Enfin,
aujourd'hui. Cette orientation serait la suivante : pour troisième syndrome : le thème des espaces publics et
comprendre la croissance «glorieuse» de la recherche l'expérience des espaces de transport (lieux-communs
urbaine en France, croissance elle-même décalée dans le typiques de la recherche urbaine depuis Simmel) permet¬
temps et enchâssée (politiquement et institutionnelle- tent de comprendre, ne serait-ce qu'intuitivement et en
ment) dans la croissance économique des Trente Glo¬ termes de troubles de la distance et du tempo, le senti¬
rieuses, on pourrait dire que les problématiques du droit ment de perte de contrôle, le malaise de l'emballement.
à la ville, contemporaines de l'urbanisation généralisée, La consécution des risques et des incidents pour l'opéra¬
ont cédé progressivement la place à celles de la ville à teur de transports, la définition même des espaces
l'œuvre, centrées sur les ressorts de la métropolisation et publics comme espaces de la rencontre et de la proximité
de l'urbanité. D'un côté, un droit de plus, digne d'autant avec l'inopiné, renvoient sinon à un système urbain, du
d'égards que les autres droits sociaux aux yeux de Henri moins à une machine folle ou lasse, faite de rouages qu'il
Lefebvre, promoteur de ce concept à «trajectoire fulgu¬ s'agit de connaître et d'explorer un à un et qu'il ne sert à
rante». De l'autre, «la multiplication, l'ajointement et la rien d ' asperger d 'huile 1 1 .
rupture des récits», pour reprendre la formule de Jean-
Christophe Bailly, dans un espace dont la force tient à ce
qu'il «entraîne rassemblement à la ressemblance en Compétences et usages
créant de l'identité et à ce qu'il entraîne l'identité au par¬
tage en créant de l'accessibilité»6.
La question des villes nouvelles serait très exactement
sur la ligne de partage des eaux entre ces deux paysages.
Chargées d'inventer un style en accueillant les micro¬
sociétés et les groupes alternatifs capables de se substi¬
tuer aux classes sociales impuissantes7, elles représen¬
taient à l'origine la quotidienneté à l'état chimiquement
pur8, le laboratoire de réconciliation du civil et du poli¬
tique. Trente ans plus tard, ces mêmes villes nouvelles Autrement
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présentent le plus triste visage d'une urbanité non adve¬
nue, un «paysage entier de manques», dit J.-C. Bailly :
«absence de rues, absence de places, absence de mar¬
chés, d'échoppes et de boutiques, absence de proximité
(échangée contre la promiscuité), absence de cafés, de
restaurants, de passages, absence de jardins et aussi
absence tragique de services.»9 D'un côté, le «roman¬
tisme plébéien» du marxiste nourri de jansénisme, l'uto¬
pie d'un homme nouveau, désaliéné et ancré dans des
communautés d'exaltation réciproque. De l'autre, la
ciale
socialité
est l'accessibilité.
minimale de la ville passage dont la valeur cru¬
Pour reporter cette opposition sur le diagnostic évoqué
plus haut, nous dirions que les deux premiers syndromes, 6. Henri
ville à l'œuvre,
Lefebvre,
Editions
Le droit
J. Bertoin,
à la ville1 992.
, Points, 1 968 ; Jean-Christophe Bailly, La
l'aliénation, le déracinement, sont des affections du droit 7. Henri Lefebvre, Introduction à la modernité, Editions de Minuit, 1 962,
à la ville alors que le troisième, «holistique», relève du p. 228.
travail de la ville sur elle-même. Premier syndrome : 8. Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, tome 2, L'Arche, 1 961 ,
considérée comme un bien ou comme un espace de res¬ p. 82.
sources, la ville serait aliénante pour autant que la bonne 9. Jean-Christophe Bailly, op. cit., p. 76.
forme, la santé d'une société se mesurerait à sa capacité à 1 0. Introduction à la modernité, p. 1 98.
produire de V appropriation. On reconnaît là le pro¬
gramme authentique du marxisme, selon Lefebvre : res¬ 1 1 . «Les opinions se trouvent être pour le gigantesque appareil de la vie
sociale ce que l'huile est pour les machines ; on ne se met pas devant une tur¬
tituer l'humanité à sa spontanéité, à l'authenticité de la bine pour l'inonder d'huile à moteur. On en injecte dans les rivets et dans les
nature retrouvée et maîtrisée en même temps, joints cachés, qu'il faut connaître.» Walter Benjamin, «Station-Service», in
appropriée10. Deuxième syndrome : tenue pour lieu de Sens Unique, 1 928 ; Les Lettres Nouvelles/Maurice Nadeau, 1 978, pp. 1 49-
150.
déracinement, la ville exigerait de ceux qui la gèrent ou
la gouvernent une politique d'intégration, capable de 1 2. Henri Raymond et alii, L'usager et l'espace de la gare de banlieue, LAS-
SAU, 1 976, p. 46. On s'étonnera seulement que l'usager en question ne
sauvegarder les droits de la personne (habitant, usager ou croisedeaucun
tion service.agent et que ses compétences s'exercent en dehors de toute rela¬
sans domicile fixe), de reconnaître les identités qu'elle
durer. Cette contradiction interne lui confère son inten¬ banlieue26. Au lieu d'une synthèse intelligible, une ana¬
sité»23. Dans la vie quotidienne, ces moments sont à la fois lyse sensible.
mêlés et séparés. C'est pourquoi une critique de la vie quo¬ L'ordinaire n'est donc plus le gluant, la part maudite de
tidienne doit «intervenir», «intensifier le rendement vital l'Histoire. Certes les moments ne savent pas réchauffer
de la quotidienneté, sa capacité de communication, autrement le monde que par le sourire entendu d'une
d'information et aussi et surtout de jouissance». hôtesse de l'air ou les plaisanteries d'un commissaire-
On comprend que le modèle du moment comme forme et priseur. Ils nous donnent à voir «non pas ce qui s'écarte
comme terrain d'intervention, comme structure de la vie extraordinairement
munément de l'ordinaire»21.
du commun,
Loinmais
d'accueillir
ce qui dévie
des volon¬
com¬
quotidienne et comme intensité, ce soit la Fête. La fête est
l'objet fétiche d'une théorie qui «envisage une sorte tés débridées et spontanées ou d'être les terrains de choix
d'expérience critique et totalisante à la fois, une "program¬ de la subversion, les moments sont pris dans le défilé des
matique" qui ne se réduirait ni à un dogmatisme ni à une styles, dans l'ordre des interactions et dans les différents
pure problématique : l'unité plus haute que l'accompli registres de l'exposition de soi. Les hommes y sont sur le
jusqu'ici, du moment et du quotidien, de la poésie et de la fil, funambules, d'autant plus attentifs à la manière dont
prose du monde, bref de la fête et de la vie ordinaire»24. ils posent les pieds qu'il leur faut bien, pour prendre des
Ce sont tous les postulats de ce romantisme situationnel risques ou survivre, se plier à un programme. ■
qui sont mis à mal par l'approche interactionniste des
situations. Celles-ci deviennent de simples unités de Isaac Joseph
base, profanes ou sacrées mais toujours empiriquement
observables, de l'analyse sociologique. Il a fallu généra¬
liser le travail critique de la modernité, aller jusqu'au 23. Critique de la vie quotidienne, tome 2, pp. 344-345.
bout d'une pensée de la discontinuité, pour s'affranchir 24. Ibid. p. 349.
de cette conception des moments privilégiés. Après tout, 25. «Quitte à recomposer le mouvement, on ne le recompose plus à partir
comme l'a montré Deleuze, c'est le sens même de la d'éléments formels transcendants (poses) mais à partir d'éléments matériels
immanents (coupes). Gilles Deleuze, L'image-mouvement, Editions de Minuit,
révolution scientifique moderne que de rapporter le 1983, p. 83.
moment non plus à des instants privilégiés mais à l'ins¬ 26. Henri Raymond et alii, Le geste du transport : un rite quotidien, LASSAU,
tant quelconque25. Et c'est ce que savaient déjà, parmi les 1981, p. 19.
élèves de Lefebvre, H. Raymond et son équipe, lorsqu'ils 27 Erving Goffman, Stigmate, Editions de Minuit, 1 975, p. 1 50. Goffman
se tournaient vers le cinéma pour analyser les séquences conclut les Cadres de l'expérience (Minuit, 1991) par une longue citation
transport d'un usager quelconque d'une gare de extraite de La prose du monde de Merleau-Ponty.
Isaac Joseph est professeur de sociologie à l'Université de Paris X-Nanterre, a été conseiller scientifique du programme Espaces
publics du Plan Urbain. Il est /' auteur de Le passant considérable aux Editions Méridiens-Klincksieck et, en collaboration avec Yves
Grafmeyer, de L'école de Chicago aux Editions Champ Urbain. Il a traduit UlfHannerz, Explorer la ville, aux Editions de Minuit
(1985 ) ; John Gumperz, Engager la conversation, aux Editions de Minuit (1989). Il a édité aux Editions de Minuit (1989) Le parler frais
d' Erving Goffman, actes d'un colloque tenu à Cerisy en 1987.