Sunteți pe pagina 1din 548

ARCHIVES

MAROCAINES
PUBLICATION

DE LA

MISSION SCIENTIFIQUE DU MAROC

VOLUME VIII

PAlUS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUH
28, RUE BONAPARTE, V~

19°6
TABLE DU TOME VIII

Pagcil ..
SALMON (G.). Sur quelques noms de plantes en arabe et en berbère.

MERCIER (L.). Les :\Iosquées et la vie religieuse à Rabat. 99


1. Mosquées à prône. . 99
II. Mosquées secondaires. I03
III. Les Mesjid. . III

IV. L'Enseignement qoranique. II3


V. Les Zàouya et les confréries religieuses.. 120

VI. Les Moùsem ..


VII. L'IIagiologie d'après les auteurs..
VIII. L'IIagiologie d'après les traditions orales.
IX. Les Rbàî' ou ({ Sociétés ll ..

JOLY (A.). L'Industrie à Tétouan ..


Généralités. .
a) L'industrie des cuirs.
1. La Tannerie ct la teinture des cuirs.
II. La Cordonnerie.
III. Fabrication des sacoches (chkàras)..
b) L'Industrie de la terre cuite..

CHAP. 1. - La Poterie céramique. 265


§ 1. Les Ateliers. Procédés de fabrication de la
poterie servant à l'usage domestique. 265 .
VI TABLE DU TmlE YlI

~ Produits fabri'lu('s il T(,to11an dans los atoliors


2.
de potiers. 275
§ 3. Aperçu de qUr:!,['lCS prix. . 288
§ I~. Les Carreaux nTn;ss,',s. 28 r
~ 5. Les Glaçures. 310
~

~ 6. Valeur industrielle et arl"tu['l0 de l'industrie


des carreaux (maill{s il T(,touan.. 319

ClIAI'. H. -- Les Bri'[ll<1lerics. . 325

COUFOUR1ER (L.). Chronicluc de la vie de Moulay El-Hasan.. 330

COUFOURIER (L.). Un r{cit marocain du bombardement de Salé par le


contre-amiral Duho11rdieu en 1 H5 2. 3g6

JOLY (A.). Tétouan. Deuxil~me partie: lIistori,l'lC (suite).

CHAI'. IX. Les N{gociations diplomatiques du !\faroc avec


l'Espagne il la veille de la guerre de 1859 il
181io. 40(1

CIIAl'. X. 452
I. N{gociations pewlant la guerre et trailé de paix. 452
Il. Négociations apr"" la guerre. - Paiement de l'in-
demnité. - Résultats de la guerre .. ' 4gB

CUAl'. XI. 511


I. Les Év{nem,:nts depuis la guerre avec l'Espagne. 511

II. La Vie intérieure de T{touan au XlXC siècle.. 510

FIGURES HOnS TEXTE

Pages.

Sacoches de Tétouan (chkàras)..


sun ~UEL~UES NOMS
"- "-

DE PLANTES EN ARABE \

ET EN BERB1~RE

La synon ymie des noms de plan tes médicinales en arabe


et en berbère a donné lieu déjà à plusieurs travaux intéres~
sants, parmi lesquels nous placerons en première ligne la
lraduction du hache;[ cr-Romoll: d' 'Abd ar-Hazzâq par le
fy Leclerc, cclle d'Ibn BeïLlJar, par le même, la nomencla-
lure des noms de plantes de Foureau, el, lout récemment,
les éludes précises ct très documentées du 1)" Guigues.
Ce" différenls trailés présenlent de nombreuses contradic-
tion" ; les mêmes termes ara bes ou herbères désignent sou-
vent des plantes différentes d'une région à l'autre; en outre,
plus on s'avance vers l'Ouest, plus les noms arabes donnés
aux plan le" par les traités indigènes sc retrouvent allérés.
Ces altérations provienllent le plus souvent de ülUtes de
copistes, mais les lectures errouées finissent par être adoptées
par ceux qui se sef'Vent de ces ouvrages ct nous sommes
souvent étonnés de les retrouver dans la bouche des gens
du peuple.
11 est donc inlére"sant de noter les noms des plantes
(l'une province à l'autre, et, à ce POillt de vue, le supplé-
ment au grand ouvrage publié par le Gouvernement général
de l'Algérie sur le Pays du MouLon, supplément consacré
aux noms de planles en arabe ct en berbl'l'e, est dcs plus
précieux. Nous n'avon" pas cn l'intenlion d'entreprcndre
Iln semblable trayuil, mais ayunt rencontré à Tange/' un
petit vocabulairc botaniquc en araLe, donnant un certain
ARCH. MAROC.
2 ARCHIVES j/AROCAINES

nombre de termes berbères inconnus jusqu'ici, il nous a


paru intéressant d'en donner une traduction annotée.
Notre manuscrit ne comprend que onze feuillets d'une
petite écriture fine et négligée: il a été écrit à la hâte, aussi
trouvons-nous de nombreuses interpolations, des lignes
entières oubliées, des noms mal orthographiés. L'auteur
n'a pas eru devoir meUre son nom sur ce livre, qui est
intitulé Tofifat al-aftbâv Ji nihâya an-navât oua l-a 'châv
(le présent des amis, sur les fms des plantes et des herbes).
A la suite, au fol.· 8 recto, se trouve un opuscule sans titre
par Masî~l ben I:Iakîm, sur le même sujet, très abrégé et
oùnous n'avons rien trouvé de nouveau. Ce pelit traité nous
paraît être un guide à l'usage des talva guérisseurs ou des
'achchâbîn (marchands d'herbes pharmaceutiques), bien que
ces derniers, illettrés pour la plupart, aient depuis longtemps
cessé de consulter les écrits des Arabes sur celle matière.
Nous avons noté en passant quelques observations que
nous avons faites sur l'usage de ces plantes au cours de nos
séjours à travers le Maroc septentrional. On y verra la place
que tiennent les croyances superstitieuses dans les soins à
donner aux malades ct dans l'alimentation. Les propriétés
médicinales de ces plantes, parfaitement déterminées par
les traités d"Abd ar-I\azzâq et de Dûoûd AI-Antaky, connus
des lettrés de Fès, sont à peu près ignorées des Marocains,
du peuple ct surtout des paysans. On boit indistinctement
des infusions de tous ces simples pour toutes les maladies;
on ne connaît que deux catégories de médicaments: ceux
qui réchauffent ct ceux qui rafraîchissent. Quant au choix
du simple à employer, il est guidé plutôt par des habitudes de
famille: telle famille emploie telle plante pour toutes les aITec-
tions; telle autre famille emploie telle autre de préférence.
Ces simples son t vendus chez les' achchâbîn (herboristes) ;
aussi avons-nous fait suivre notre travail d'une courte note
sur les 'achchâbin de Fès ct sur leur commerce.
0;=--:--\ Adjestîn (fém. r· C'est la che/bal el- 'adjoûz; on
l'appelle aussi chel(t Roûmy 0"))\ ~\.

~A\ Amliles 2 (mase.). C'est le cefil' « oreille de rat »;

1. Sans doute faute de copiste pour ~?\ afsen/În, absinthe. Cr.


Leclerc, ft'achef er-Ro1Jlouz, p. 14. « C'est le chedjret Maryem ~..J::=~
~f et le cheibet cl Adjouz j~.... )1 ~? à Fez... Paul JJJ:' dit qu'on
la remplace par l'Armoise l~ontique ~) e? pour fortifier l'esto-
mac ... » Le chei~t armany (ou rolimy) n'est donc pas synonyme de
(~fsentîn. Cependant J. Ilerail, Contriuution r't l'étude de la matière mé-
dicale algél-icnnc, p. ;2, appelle l'Artemisia ausinthiulIl (grande ab-
sinthe) Che«jeret-iVlaiem, Chaïuet el-Adjouz ct Chih-I(horaçani; le mot
Chi/dt tout court sera résumé il l'artelllisia herba-alua (armoise blan-
che). Cf. aussi Pays du Mouton, Supplément, p. XXIV, Cheiuet el-Adjou;;,
artemisia absinthillln. De mhne dans Foureau, E'ssai de catalogne des
n,oms arabes et ueruères de quelques plantes ... p. 12, dans Raynaud.
Etw/es sur la médecine et l'hygiène an Maroc, p. 166 (Siba ou Sedje-
l'et lIleriem, infusion ct poudre pour dyspepsies ct plaies). Cheîuct
el- 'adjoûz est aussi le nom du lichen (ouchna); Leclerc, en décrivant
celle plan te (p_ 3,,), ajoute en note: « Par cheïbet el-adjouz on en-
tend au Maroc l'absinthe».
Dans le nord-marocain, l'absinthe pilée est placée sur les abcès
pour les faire crever. On l'appelle chedjeret Meriem (arbre de Marie)
lorsqu'elle est culLivée dans les jardins, cheîuat el-'agotlz lorsqu'elle
est sauvage; plusieurs autres planles porlent le nom de Marie (nom
fréquent chez les juives marocaines): zlift jJJeriem (pelit bol de Marie)
pet~te plante grasse, IIlchit Meriem (petit peigne de 'Marie), ch/iu Meriem
peht balai de Marie) parce que celle dernii.~re plan le ressemble à un
petit balai à main (chtûua). D'après les [olua du Soùs, le nom vulgaire
de cheibet el-agotÎz serait be/sem.
2. Leclerc, p. 50: u1l. Am/des (Rhamnus), c'est le Sajira
!~ AHClllVES MAHOCAINI~S

psrmi ses variétés se Irou \8 le merdekoûc/t. Les BerLères


l'appellent lâizouû \.J.:r.t. Il en existe dOllt les neurs sont
jaunes avec, au milieu, une Laie comme le coriandre
(kazboura). Une autre variété est Ju même genre que la
violette (baflaj'Wdj) ; elle est semLlable aux abâlib ..)~\ 1 à
petites feuilles ct à hranehes (ines, minces; elle ;e d en
général de Ilourriture aux hirondelles cl dégage une bonne
odeur.

~I ~Î Iklîl el-Melik J, couronne de Roi (mase.).

I~ (aussi p. 2~)8). Pays du MOlilon, SllJlpl. p. YIII, A III li lés , Rhalll-


nlls alalenllls, synonymes: ~l., ..À,a;, ~, ~ et ~t\ ))1:-. [(
doit y avoir une confusion enlre ce paragraphe et un aulre comacré
li l'olldhen el-Jdl' (oreille <.le rat) qui est une toule aulre planle, le
myosotis. Sur ccIle-ci, cf. Leclerc, p. 37, qui pense que la citalion de
mandaqollch est une méprise, Foureau, p. 3!,.
Au Maroc septentrional, on donne le nom d'owlhinal cl-fil' (pelile
oreille de rat) aux premiers bourgeons qui apparaisscnt au prinlcmps
sur lcs arbres; les pelils boulons (lui serolllies fruits s'appellcnt alors
qliollal el-fil' (pelit lesticule de rat), la fleur ressemblant aux oreilles
et le fruit aux teslicu1es. On dit: ila lihw:joll olldinat el-.fdr, ke ithljwl
el-IiI ma' n-naM/'. cc Lorsque sortent les petites oreilles <.le rat, la
nuit devient égale au jour. ))
1. Peut-être le lierre ..jJ,
.. ....J)U.
. .
2. C'est le 1ll(\liloL (Leclerc, p. 12; P. Guigues. Les noms ambes
dans Sel'apion, Journal asialiljllC, 190;), n° 3, p. 118;) : alchilelmelich).
Comparez O'JxJ.1iJ.O;'= dUIJ::-IS1 dans V. Loret, Les livI'es III ct IV
de la Scala Magna de SChWHS ar-lliasah, dans Annales du Service des
Anlùjuites d'Egyple, l, p. 59. Une note marginale de notre manuscrit
dit: dUl J::-ISI: c'eslle ~lel~/(11 JI:>-...1>. et certains botanistes l'appel-

lent tw{jl'i'l ..:.-.~)~~ (noll! berbi·nJ


On l'appelle au nord-marocain OlltlnÎn en-na'ja; on le rait euire
sun QUELQUES NOMS DE PLANTES EN AnABE ET 1<:N nERB~:nE 5

Les Arabes du peuple rappellent (( oreille de brebis » 0~\


~\; c'cst de ce(,le plante qu'cst tiréc la lwc/u'c/w des
Arabes.

L:.)I Irchâ" (masc.). C'est le kheroua' (ricin), 'appelé

ayec du son el on le met sur les enl1ures qui peuvent se produire sur
les animaux; le mot mcssâsa parait synonyme (employô con Ire les
cou pures).
1. t:::L1 islikh, résôda. Cr. Leclerc, p. I,l ; Pays dll Mouloll, suppl.

p. LUIV (0J.."y).
2.Nous n'ayons pu identifier ces deux noms. Il existe cirez les
D.iebala. nous a-t-on dit, une plante nppelée Lerne! qui sert aux fem-
mes il exercer des sortill'ges.
3. D'nprès Foureau, p. 35, le mol arabe richa dôsigne l'echillln
luunile (borraginacées). Nous ne trouyons cc mot dans aucun autre
nuteur, mais u?, ricin, est cité partout: Foureau, p. 26; Guigues,
op. cil., Journal asiali'lllc, t. VI, p. 50 (llema); H.aynaud. op. cil.,
p. 171, sejrel cl-f{arona, graine de ricin, contre la constipation. Com-

parer aussi Loret, op. cil., x~x~, uJ·\ ~' avec 0~~1.
Dans le Warb, le ricin se trouve frôquel11ment en petits bois, il
hauteur d'homme; la graine est toute petite, beaucoup plus petite
([ue celle qu'on vend en Francc ; elle sert aux (olba pour empôc!Jer les
femmes d'accoucher: ils prononcent quelques paroles d'incanlal ion
sur les petiles baies et les donnent il llIangel' aux femmes enceintes;
une seule suflit pour empêcher l'accouchement pendant un an, deux
pendant deux ans, et ainsi de suite. La fleur, la f'cuille ct le fruil 1'1'0-
Il'gent contre le mauyais œil, paree que ces trois organes sont parta-
gés en cinq parties, cinq cloisons dans le frui t, cinq paalcs dans la
6 AHCUlVES :\IAHOCAINES

dans le peuple aikirn 0~ ~ ~


cl chez les Berbères al-qâlis

~j~jl.

'-.J"))~~\ Anar'âroûs 1 (masc.) qui s'appelle en berbère

anioû<ij'er J?"J;:;\ et qu'on nomme le « porc », khenzir; le


peuple l'appelle loûl el-kilâb, fève des chiens.

,,~\ Andjourah 2 (fém.). C'est le ~tCriq J~f'" (ortie).

--
'-.J"I Âs:\ (masc.). C'est le myrlhe (ribân).

fleur, cineI doigts dans la feuille. Les médecins marocains fabriquent


de l'huile de ricin comme purgatif et en font des frictions externes
contre les enflures. Les branches de ricin mises bout il bout en pa-
quets noués senent il faire des haies de jardin et des chaînes de sdnya
(roue il élever l'cau au-dessus d'un puits).
1. Anagyris jœtida (PapilIonacées). Cr. Leclerc, p. 3!1 y";i-\
~).J;"; Foureau, p. 3G, kharroub cl-Mab (aouflli en berbi~re); 1[ano-
teau ct Lctoul'lleux, La kal)'ylil', t. I. p. 'Mi, kharrollb el-kr/al)
« earroube des chiens)) ou kit. el-maï: (des chèYres) en kabyle
aOlljni.
2. Ortie. Cr. Leclerc, p. 23 (on l'appelle aussi IJwiriss ...r~j) on
banât en-mir (lilIes du l'cu), p. 8 [, ou itCllTÏij 0:.»' p. dî3. lIanoteau
ct Lctoul'llcUX, op. cit., p. ,R!l: « Les orties portent en arabe le nom
de ha/Taï'l « brt'llant» et en Kabylie celui d'a:ckdol~r ))
Au nord-marocain on dit (1OITt'Îll- 11 Y en a de deux esp&ces: (IOrl'elll
el-me/sa (douce) qui a l'apparence de 1'00,tie mais ne pique pas; on la
cuit il la vapeur comme le couscous pour se purger; (lorl'eùl el-(Wl'e/1I1
(dure) 'lui c,t l'ortie piquante. L' (lI/(l,jo U l'ait , d'aprb ce qu'on nous a
dit ici, serait la (IOrreî!J el-melsa.
3. \insi (lue l'a l'ait remarquer le 1)" Leclerc, p. dl, le mot l'i(lIill
est en Occident le nom vulgaire du myrte. En Orient, ri(lIill signilîe
plutàt basilic ou plante odoriférante. Le Dr Guigues, op. cit .• J. il.,
sun QUELQUES NOJIS DE PLANTES EN AHABE ET EN HEHBÈHE 7

w..t)~\ Adrioûn 1 (masc.). C'est la fleur d'azouyoul

J.x)j\ (?).

W""...1.9..lk....\ As~oûq oudes 2 (masc.). C'est le {tel(tàl, J~,


et en berbère Uj'lz Y"'':;
...... .

wL\.f\ Andjoudân 3 (masc.). C'est le dryâs (thapsia);


on l'appelle 'ochbat en-nisâ (herbe des femmes).

-
p. 483 et 73, donne U" 1 myrte ct 0~) basilic; idem dans Le Livre
de l'Arl da Trailemenl de Na(!jm ad-Dyn Mahmoud, vocabulaire, p. 3
et J2. Hanoteau et Letourneux, p. 155, Foureau, p. 35, et Dr Hay-
naud, p. 170, donnent ri~u:in (raïan dans Raynaud) comme le myrlas
commanis. tes buissons qui ornent le palis de los arrayanes (cour des
myrtes) au palais de l'Alhambra sont bien des myrtes. Le basilic
s'appelle au :Maroc ~wbeaf[ J~; cf. Raynaud, p. 170: Habek en-
naltri.
Le petit fruit noir du myrle s'appelle mO!jf[o et se mange cru
comme une olive; les Djebala viennent en vendre sur le marché
d'EI-Qçar el-Kebîr.
1. Chrysantème d'après le Kacltl'f er-Romollz' (Leclerc, p. 48),
eyclamen d'après quelques autres; azollyoul nous est inconnu.
2. Stccchas U"J),i'Jk:."' (Guigues, Il. .3). Le D" Leclerc dit: le
mot helhal est connu par toute l'Algérie. Les Kabyles donnent il la
stccchas le nom d'Ame:zir. cr. Banoleau et Letourneux, p. 178;
Foureau, p. 20 (llalhal, lavandala denlala; lwlhal cl-djebel, lavandala
sla'ehas). Haynaucl clonne (p. d>j) el-hal, lamncle, infusions ct fumi·-
galions pour gastralgies. La lavande cst cependant appelée au Maroc
ça'lar ou :a 'laI'. Les Arabes de la campagne font du thé avec le
~lel~lâl seul, ou mélangé avec le llJé. Ils hachent les feuilles et les fleurs
et les mélangent avec du tabac pour fumer il défaut de hif.
3. L'all~ioadtin est la férule d'assa d'après le Kaehe! er-Romouz,
p. 32, qui ajoute: « c'est l'azir yjl dans la langue du Maghreb. On
l'appelle encore' achbal el-he:zdz. C'est le végétal (lui fournit rasa
ARCI/IVES MAHOCAINES

JA-\ J.:1S1 Iklîl el-Djebel' (mase.). C'est l'a:ir .J.j\ en


dialeele populaire du Maghreb.

~.J~\ Alloûbab 2. Baie qu'on mange comme aphrodi-


siaque; connue au Maghreb où on la cultive. C'est aussi le
nom d'ull animal dans les îles de la mer.

~\ Abed l
(mase.). Aoudrid, ~b~\, 'en berbère .

.f'clida. )) La synonymie de l'mH!io/{drin et du drù!s n'est donc pas éta-


blie. SurIe drùls,cl'. Foureau,p. Ir); lIanoteauetLetourneux, p. 160;
Raynaud, p. 160 (/)rias bou nn/n, tliapsia, révulsif'.) On appelle le drùLs
bolÎ IIdjil' « l'utile)) parce (Iu'il est fréquemment employé pour toutes
sortes de maladies.
'()chbal Cli-Ilisl! indique (lue le (/t'ids sert au,," accouchements. II ya
le drùls mùle et femeIIe; c'est celle dernil~re qui est employée dans ce
cas. On prend l'herbe, on l'rcrase dans un mortier,on la mrIange avec
de la pùte à pain et on en pMrit un pain le soir. On fait coucher ce
pain « aux étoiles)). Le lendemain, on le fait cuire dans la poNe il
l'rire (maqla) ct la femme le mange apri's s'(\tre mise toule nue. Cetle
opération sc fait avec celle herbe ou avec le ji!r e/- 'n:~/ (rat de feuille
du palmier nain) petit ct zébré (musaraigneP). Les vertus du drùis
sont si évidentes Clue les femmes disent:
c/li lit{( ollidei chi 'al-dl'it!s, l''il' l-(}alla' I-yas (/ws).
« Celle qui n'accouche pas au moyen du c/t'ids n'a plus à s'en occu-
per (n'accollc]lPra jamais). ))
1. Le HOlmiin, cI'apri·s /(nclu:l cl'-llomou: (Leclerc, p. 12): Gui-
gues, r.A., p. 518, Elkialgcbeck, Foureau, p. li, AMil, kclil, il:ir;

Pays clll Moulon, p. VII, syn.: 0\;)~' y"j\, y"j~, j...\5, cS~~
~JI§-: ~.:ll 0~1.
Dans le nord-marocain, l'rdr sert en fnmigations ponr la petite
vérole et le IlWr[,!lS gallicus (en 1ll('llle temps que la salsepareille).
2. \'on ielentifi().\u B'arlJ ct chez les Djebala il existe une baie
.
l'Ouge de cc nom (synonyme, ,ctl/lIlllll .........:" ressemblant il un grain de
maïs; les bôtes en mangent et cela les'Iùit gonner.
J. \011 ielentiG(\.\'ous alons trou\,() une racine appelée cddad clu'on
SUR QUELQUES NOMS DE PLA:\ITES EN AHAnE ET E:\I BERBJ~RE !l

\fJ~.J:"l Amîrbàres' (masc.). Flcurde l'arhreal'l";s~)


en berhère; on l'appelle aussi ucrcUâl'cS \fJI.:--.J.'

l><1\ 1,\)...J Asqrâ~ el-Mekky" (de La Mecque) (rnase.).


Appelé kandoûl dans le peuple .

. ~ ~

t;1 Atouroundj ,: (masc.). C'est le lou/'ollluU (limon).


Voir pl us loin.

brûle pour faire des fumigations contre le rhume; les femmes en-
ceintes qui en respirent la fumée voient leur accouchement làcilité.
1. Ce sont les berbères en général. Cr. Leclerc, p. 32. « On l'ap-

pelle aussi arr 'is ~) ... Les berbères lui donnent le nom de
ilirliru \)...r..1 (le ms. d'Alger dit aizara).)) Le ])r L,)clerc ajoute en
note: « Daoud cl Antaki transcrit son nom berbère alizar )I~I. Cf.
Foureau, p. 5; Guigues, J. A., p. 486: aillirberis, épine-vinette).
2. Aspalathe. Cr. Leclerc, p. 194 (JJ~" c'est l'aspalathe
.J~;:')b. On récrit encore avec un gaf).

3. D'après le Dr Leclerc, p. 14, Ul ou ~)dl est le citron. En


J:g}[lte, cc mot désigne aussi le citron, dont on distingue trois espi~­
ces: balmli, rachîdi el rîhrinî (Cr. G. Salmon, Note sur la flore du
Fa.J~yoûlll, dans Bulletin de l'Institut français d'archéologie orienlale,
t. 1).
Au Maroc, le'Foul'Owu{i est le cédrat; le citron sc dit lilllOlln ct on
en di"tÎngue trois espèces: le limoûn boil sorra (au nombril) ou lillloûn
dar],] (mince); le limoûn choit (acide): le lillloûn ~11'1011 (doux).
Le lilllOiln {rowulja ou (roumU (cédrat.) ne fait pas partie de ces t.rois
variétés; il sc mange cru ou cuit; il existe aussi un faux cédrat ap-
pcl{~ cn Oricnt zenbou' ct au Maroc mgllergueb. Cc dernier ne peut
{'Ire mangé que contil. Cc sont généralement les Juil's qui l'ont con-
fire le cédrat clans un sirop de sucre. Les musulmans sc scrvent de
feuilles ou de fragments d'écorce pour parfumer leur thé.
10 ARCHIVES MAROCAINES

J:.-I Asîl i
(masc.). C'est le semmâr.

J~\ AtH" (masc.). C'est le iâkaoûi, ..:.,,~l:.

V'"~\ Abnoûs 3(masc.). C'est le Insâliq, J;L..

0~)'j\ Alaqarçân!' (masc.). Appelé almoûdj, ~\ en


dialecte des gens de Fès.

1. Jonc. Cf. Leclerc, p. ~o (J..-I assai, c'est le sow/uÎr ) .......) , Pays


du Moulon, p. CIl. Dans le nord-marocain, le jonc sc dit s/ll!Îr; il sert à
faire de la vannerie, des nalles; on /;lit une int'nsion avec la racine
pour combattre la fièvre ct la rétention ti'urine. On l'appelle aussi

!tal'n an-naual ..::-~\~:> cc facile à planter» parce CJue le vent ne


l'emporte pas.
2. Tamarisc (Tamarix àrlieula{a). Cf. Leclerc, p. 2 I (note; l'a{sel

sc dit lâkoâl au J\laroc); p. 392, l?} tamarisc (chez les Berbères du


Maroc on l'appelle aussi Tâlwlil) , Foureau, p. 10 (Ethel, dei, taura-
kel); Haynaud, p. 1(j9 (la/wOtII, galle de tamaris, infusion pour gas-
tralgies, entérites); Duveyrier, Les Touaregs du Nord, p. 173 (La galle
des tamarix, nommée talwolll, est un des meilleurs tanins connus ... );
De Foucault, Reconnaissance ail Ma1'Oc, p. 286; De Clermont-Galle-
rande, Le mr)[lvcmenl cOllllnercial entre Beni-Ollnij el le Tafilelt, dans
le Bulletin de la Société géographique d'Alger, 190;), ~. Cc tiernicr
auteur explique la préparation des cuirs filali ,HI {akaoul. Le {akaolll
ne teint pas en rouge, comme l'ont cru certains auteurs; il enlhe la
conleur du tan cl décolore le cuir pour le teindre apri~s. Le ta/;aout
est apporté en grains il Fès, du Touat ct du Tafilelt. Outre la prépa-
ration des cuirs, il sert encore il faire le ~larqoâs, pn;paration noir;\tre
pour Je tatouage des femIlles sur les mains, la figure, les mouches, etc.
3. Ebène. Cf. Leclerc, p. 50. ~ous ne trouvons mSlliiq dans aucun
aulenr.
l,. :\lot précédé sans doute de l'article. Almoâdj doit ètrefantlIemis
babotinej à Fès, uabnotij à Tanger ct EI-Qçar.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE Il

Jr.1 Abhal 1
(mase.). C'est l"ar'âr, mâle.

&~....,~\ EI-Asfrandj 2 (mase.). C'es t le sekoLÎm, Î.yG


et on rappelle aussi el-heiloLÎn, 0)~1.

L...tJ Irissa". Le lis bleu, J)j~\ 0Lr.J1.

[l.Jr \ Aserouâsedj '. (sic). C'est le fcsoükh, c'est-à-dire


la résine de kelkh (férule).

1. J.J~:\ AblLOtil d'après une note marginale de notre manuscrit.

Le J{ach~f l'I'-Romouz dit: cc abhcl (sabine), c'est le grand 'al' 'al', son
fruit est comme celui du laga t<\\:il. Elle-môme est une variété de
l'arar. )) Le Dr Guigues, J. A., p. !J80, identifie l'abha[ avec la sabine.
L' 'ar'or paraît être surtout le thuya, bien qu'on appelle aussi de ce
nom la sabine et le genévrier. Les Djebala connaissent deux ' al" al',
l'un plus grand et plus fort que l'autre (ce serait 1"01"01' màle). Le
fruit de l"ar'ar se vend il l"ochcluibill comme vomitif.
2. Asperge. Cr. Leclerc, p. r r3 0~~ hiliaotin (on l'écrit encore en
plaç.ant ria devant la lettre [am ... C'est le sc!.:hOlim). Ibn Beïthar dit
CplC le mot se!.:liollm est berbère. D'après Guigues, J. A., p. 530, l'as-
perge porte encore le nom d'al-asforo' t.J~\tl, altération du mot
'AG"7t'l.PïOÇ. Foureau, p. 23 (seliliodm).
3. Iris. Cf. Leclerc, p. !7. Le solisdn est le lis blanc. On le distille
pour en faire une cau de toilette, (Iu'on boit aussi en lui attribuant
des propriétés aphrodisiacl'lCs. On trouve aussi chez les 'o!!drlll un
gnnre d'iris petit ct blanc appelé fenil qui vient de Constantinople el
dont on rait 11l1e essence qui coMe jusqu'à 25 douros le tout petit
llacon.
h. Ce mot est une contraction des deux noms ~IJ J~I ouchchalJ et
-.:....
ollchcluir(i clui désignel1 t tous deux la gomme de la l'émIe ~(gOIllIl1C
illlll11oniacJllC) dans le Hache] el'-Romou,~, ce qui prouve que cet ar-
i2 ARCI.nVES MAROCAINES

U"'lÀa":'\ Achefqâs 1 (fém.). C'est la sâ/nui, liL. et on ra


appelée al-moufça(w « celle qui rend éloquent )) parce
qu'elle donne de l'éloquence ù celui qui la mange; sa pro-
priété est connue. Les Andalous connaissent celle planle

sous le nom de sâlma, 4.lL..

J.~\ Achqîl" (masc.). C'est le '({JlçaL (scille) ; on rap-


pelle aussi ~açal el-far (oignon de rat), !mç({l el-A/wn::il'
(oignon de porc) et ~açal Fara' oûn (oignon de Pharaon).

ticle est extrait d' 'Abd ar-Hazz;\q. Le Pays du Moulait. p. LXI, parle
de la ~JS"ferula communi., cc dont la tige contient \lnc modle qui
brûle comme de l'amadou ct dont les nomades algériens se servent
ponr consener le Icn ou le transporter. )) Fcsoûhh n'est pas donné
comme synonyme dans cet ouvrage, mais il est cité dans Haynalld,
p. 169 ([assoh, gornme ammoniaque). Dans le nord-marocain on
l'emploie pour la confection du sirop de benjoin liquide; c'est excel-
lent pour comballre les démons.

1. Sauge. J; 4.. 1a.~[ti!jous, J ':JI wl-J langue de chameau, :l.r~ lt';


'anw, :li\.... slilma et ~\ :.Jly swuali ellnabi dans Leclerc, p. [10. A~fa­
!jOlis ou ache(!jds est 'la corruption du grec elelisplwcon. Haynaucl
p. 170, donne souak enncbi, sauge, infusion contre les douleurs de
ventre. Dans le nord-marocain on la boit avec le thé pour guérir le
rhume. La feuille sèche réduite en poudre arrête les saignements de
nez.
:J. Scille. Leclerc, p. 15 et 273, ùonnecomme synonymes :l.Jy ,}
J..a.:c., )lfl J.a;' Y.,.Ji.i..1 J~ ct ~;. Une note marginale de notre

manuscrit appelle encore celle plante J~I (ll~i.fal. Haynaucl. p. 168,


dit bsclted-dib (scilla marilima).
Cuite avec du beurre ct étalée sur la peau, la scille guérit les mala-
dies de peau, au Maroc.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERm~RE i3

0p\ Afitmoûn 1 (masc.). C'est la plante qui sc suspend


au thym; les racines qui s 'en détachent ressemblent aux
fils jaunes tissés par l'araignée.
, .\
0.J-;-t Anisioûn" (masc.). C'est la graine douce (sucrée),

~;.~\ Adkhîr:\ (masc.). Con nu dans le peuple sous le

nom de laclkhir, .Jf-;)'j.

~-')) Anzeroût" (masc.). Dans les boutiques des dro-


guistes, on l'appelle semld el- 'amzaroüt, semoule d' 'arnza-
roût.

0-').....\ Asâroûn 1: (mase.). Plante médicinale importée


d'Orien\.

1. Epithym ou cuscute. 0.r-'~:~ '\ dans Guigues, NarUm ad-Din, "0-


cabnlaire, p. l,; BJililllo dans Guignes, J. A., p. [) [,; Leclerc, p. I~),

0J~1.
2. Anis, appelé généralement ~lQbbal ~lalao[w (graine douce) en
Algérie (Leclerc, p. 22) et au Maroc (Haynaud, p. lli,). Dans le nord-
marocain le mot anissotin est même inconnu; l'anis sert en infusion
contre les pesanteurs d'estomac; on l'emploie beaucoup da ns la con-
fection des pains pour les l'l\tes religieuses, des fqli']es ct des bejl1l'Îl
(biscuits). Le [(ache! er-Homoll: l'appelle encore ua::~l 0~ cumin
blanc.
3. Jonc odoriférant, [d'Khir ou liblla de la l\Iekke dans Leclerc,
p. IG; id"hir, arlcher, schœnanthe dans Guigues, J. A., p. 1[82.
4. Sarcocolle. Syn. : .::..,))j\ç, U"')\~ J>-) (Leclerc, p. 20). Cr. Gui-
gues, J. A., p. 488; Ansaro/.
[). Asarulll. Ce son 1: des racines ligneuses qui ressemhlent à des
AHCIIIVES ~JAnOCAIlŒS

~~~-L Isfidâdj (; (masc.). On l'appelle uayâl.l el-ouajh


(blanc du visage) ; c'est connu.

,j~~\ EI-Anâk G (masc.). C'est le plomb (l'eçûç); on l'ap-


pelle aussi aual', .J.\.

0..J~\
.. ' Afioùn' (masc.). C'est le lait du pavot (khec/dJuîch) .

queues de rat (Leclerc, p. 19)' Les :lloufarnidal de Daoud al-t\nlaky,


par Si 'Abd as-SaLim al- 'j\Jamy, dont nous possédons un manuscrit,
appellent celte plante :i.}-I :i.,a;, crète de serpenl,
5. Céruse. Cr. Leclerc, p. 2 (C_\~I, ,.p\.,oJI )L.)); Guigues,
J. A., p. 483, aflidegi.
G. Lcclerc, p. 24: « .:0;1 anou/'- c'est le quasdir .J....I..,a) ou étain ...
(note: le mot anou/'- dont Abderrezzaq titit l'étain signilîe générale-
ment le plomb). )) Guigues, J. A., p. 5:10: « L'étain portait autrefois
,-
le nom de raçâç u0\.,o), qala' u.,J;, Q/wlik.:0,.; 1; ce dernier mot signifie
plomb chez Avicenne, mais on le trouve avec le sens bien net d'étain
dans la traduction des alchimistes arabes par M. Homlas (Berthelot,
La Chimie au moyen lige). De nos jours, l'étain s'appelle y"..I..,a; qaçdyr
et le plomb raçâç. ») )~.\ est cité dans Guigues, J. A., p. G7, comme
synonyme de )y\ u"\.,o) (plomb).
7, Opium. Cr. Leclerc, p. 17. Dans le nord-marocain, le pavot
s'appelle afiotÎll; on le sème ct on le cultive pour en tirer l'opium.
Ceux qui se livrent il celte culture sont très peu nombreux. En géné-
ral, l'opium, Jont on fait une grande consommation dans les classes
{~leyées de la population, est importé d'Europe. La vente de l'opium
est un monopole du Makhzen qui le vend il des concessionnaires;
ceux-ci s'approvisionnent en Europe. Cependant nous avons connu il
EI-Qçar un homme qui cultivait le pavot, préparait l'opium ct le ven-
dait.
SUH QUELQUES NŒ!S DE PLANTES EN AHABE ET EN BEHBt:RE 1/î

~r ..J-~\ EI-Asoûsoûd 1. Le Samary ~..)..._ (?).

["::'-.1\ Abersim 2 (masc.). C'est la soie (ZwrÎr).

AI c:~....,\ Isfinâ~ el-ba~rl (Éponge ùe mer, iëm.).


C'eslla (':ie.lfrifa, ~\;~ .

..:....~;\ Infa~at '. (fém.). Cc sont les plantes qU'ail trouve


dans le ventre des animaux à la mamelle ct avec lesquelles
on caille le lait.

ifl.;-\ Idjâç" (masc.). C'est la prune (uarqoüq) et on

l'appelle « œil ùe bœuf » ):j\ ~c.

1. Non identifié.
2. Cocon, i!Jl'iSSfllll ",.....l.i.I, 'y"}-I 1-,~ (gland de soie). CI'. Leclerc,
1 ~.

p. :;>,5.
3. 4S.J"=-~ ~~_I isfollndj bah'/)', {,ponge, d'après Leclerc, p. 26 et
Guigues, J. A., p. l188. Il ne faut pas confondre ce mot avec t.~~I,
épinards.
lI. C'est la présure. Le HacheJ CI'-ROJnO[IZ rappelle ~>-? \ et ;.:~~,. Jnoud-
jflbbùw, Leclerc, p. 22.

5. Le ]{ache.! el'-Ronwuz dit: « uo\~1 ùldjJss, c'est l"aïn ~ appelée


Del'IJolÎIJ Jj.J~ dans le Mogreb. » Le D" Leclerc ajoute en notc:
« lddjàss n'est pas cmployé dans Ic Mogreb, sculcment la poire sc dit

vulgaircmcnt lndjâss uO\:=î 1. »


ua ~I et 0 0 \:;.i 1 sont très probablement le même mot, ct il est cu-
rieux de constater que le mot qui désigne la prune en Oricnt, d(\signc
la poirc cn Occident; c'cst cc qui est arrivé pour rl'~l(in, basilic en
ARCIilVES MABOCAINES

c~: . . \Asenbâ~ 1. Genre d" ace}: o-f',aç (il).

VJ..;Ç- 0:\ Ben 'aroûch 2 (masc.). Appelé aussi J:lI O)~


« souris d(,s cheYau~ n.

~('~5Î Iktamakt' (masG.). S'appellc fuu1.jIll' !/I1-IUlSI'

« pierre de vaulour )) cl fWIf.jfll· IIf-falr} « pierrc de laIe ))


parce qu'elle s'agile. J'ai enlendu citer parmi ses propriélés
que IOl'S(IU' elle l'si pendue au cou d'une femme au moment
de l'aceouc1Jernent, celle opél'alion se fail l'npi<!emenl, avec
la permission de Dieu!

)~\ Andjabar!'. Planle médicinale qui croît sur le hord

Orient. myrte en Occident. En réalj té on ne dit pas I,u!jdss au 1\laglm·b,


mais limUâs UO'::=:I, el plus souvent lingd: (poire).
1. ~ous n'avons pas pu identilier ces deux noms.

!>.. C'est la belette, 0"1' 0. 1 dans Guigues, N(~jrn ad-DpI, yocab.


p.3.
3. Talc. Cl'. Leclerc, p. 162 ct Guigues, J. A., p. Cl2G: « lIager
achtamach, pierre d'aigle, hajar al-iklamacht ...:...<'"':':r':ll f;->-' Porte
}

oenere les noms de ,,":,\ÀJlf;-'> (wjal' al- 'ollqlib, pierre d'aigle, J::=>-
J""DI (/(liaI' an-nasr, pierre de vautour. C'est un minerai de rel' en
l'orme de géode, contenant un rragmentlibre il l'iutérieur. ») C'est la
mobilit6 de cc rragment libre qui l'ait dire à notre auteur cc qu'elle
s'agite )); le mot lalq voudrait dire « libre, lâché en liberté )) ct non
lalc. La propriété relative il l'accouchement est attribuée à l'hématite
par le D' Haynaud, op cit., p. 126.
fi. Chi!vrereuille. cc C'est le soultan er'r'aba :;,~ ~I 0\1.L.. roi de la
broussaille. Sa J'cuille ressemble à celle du caroubier, sinon qu'elle
est plus petite. Son bois est rouge. ~a l1eur est rouge au dehors ct
blanche en dedans »), Leclerc, p. 30.
Sl:n ()l:EUjUES NmlS nE PLANTES EX AHAnE ET EN BEHBI~:[lE Jj

des rivières ct des canaux, près de l'eau; sa fiem' est rouge


ct sa feuille est sernblahlc à la feuille de légume, J4;. Elle
est acide et amère au got".

0}\:..)\ El-'Arîlân 1 (masc.). C'est l'a(lilûn, 0)\~1.

~\ Aç~îç ~ (masc.). C'est le mourrld, ~\V--(?).

~)\ Er-Remla 3 (masc.). C'est de l'encens (koundoul').

~\ Asrîdj" (rnasc.). C'est le zarqoiin 0;)jl, ct on l'ap-


pelle aussi ach-Clu'leqoün.

<.f'..J:=t-\ Asfioûs; (masc.). C'est le zarqa(oûna.

~)\ Er-Rahbâ G (fém.). Elle s'appelle en langue ber-

(. Plycholis d'après Leclerc, p. {13, qui l'écril J~}\ et ajoute en


noLe: « Ebn Beilhar diLque ceLte plante porte un nom africain, leqnel
signifie en langue berb("re pied d'oiseau cl en langue égyptienne pil'd
dl' corbeau. Le rapprochement entre Je berbère ct l'égyptien peut N.re
iuvoC)u{~ il l'appui de la parenLé probable du copte ct du berbère. »

IhnsJa Scala Magna de M. LOI'et, p. 50, nous tronvons J:>t:);>':Jl rendu


en cople par Ol:lPIO,.<I,.<ON.
2. Non identifip.
;). Non identifié.
fi. L'orthographe de ces trois moLs diITère de celle du Hachfoj' et-
HOlnouz, qui donne Er) asrendj 0j}) zârqolÎn ct 0;}L.. sûliqolin.
C'est le minium d'aprl~s Leclerc, p. {I r.
5. PsyJIium d'après Leclerc p. {I r et 50. 'Abd ar-Razzi\Cf (\crit il ln
fois zarqa/mina cl uazarqa/olÎna,
n, Nous verrons plus Join le lapis des l'ois ::J}U .11-\, identifié
avec la sabline rouge.
AHcn, MAHal'. 2
18 ARCHIYES MAROCAINES

bère ouryoûn, 0J;J)\, l'herbe rouge; c'est le tapis des rois,


besât el-mouloûk .

.:::l..,k.....\ As~oûk 1 (fém.). C'est la lamia'a, 4.-J


tl Amladj 2 (masc.). Une des espèces de myrobolan
(al-hîladj) , importée de l'Inde à!' origine.

~\ Aminta :J. ]~corces qui poussent sur les chênes. les


noyers et les pins.

4.~\ EI-Mounbeta " (l'ém.). C'est la leskru. \~, ct on


l'appelle aussi soual,' el-djemel.

~\ El-Khchal'; (masc.). C'est le doûm (palmier nain).

1.:Nous n'avons trouvé ces deux mots dans aucun auteur.


2.Emblic. « C'est une espi'ce de myrobolan )) dit le Kache! 1'1'-
RomolÎz. Le Dl' Leclerc donne une intéressante note snI' le myrobolan,
p. lOg et seq.
3. Non identifié.
4. Le [(ache! er-Romou: ne parle pas de la tesl.:m, mais il identifie
le c!wlÎl.: el-djemel (et non soual.: el-djemeQ et le cholÎk eHtemir avec le
bâdaouard qui est le chardon d'ùne. Le Dr Raynaud, p. 172, cite la
taskra (chardon), dont la racine est employée pour les suites de
couches.
5. Ce mot n'a certainement rien de commun avec J~ [(hechal
cité par Foureau, p. 26, et par le Pays du j}[outon, p. LXVI, comme une
tamariscinée, la Reaumuria vermiculata. On trouve le mot J~ dans
certains dictionnaires arabes comme désignant le noyau de dalle, ce
qui n'est pas encore conforme à notre texte, puisque le palmier dolÎm
ne fournit pas de dalles.
Le palmier dolÎm, différent du palmier nain dans certains pays, est
sun QUELQn~s NOMS DE PLANTES E:-.I AHABE ET EN DERlll~:HE 19

.J)..b.J. Ber~a'loûn' (fém.). C'estl'arhre de Marie, Chad-


jarat Mariam.

identique à ce dernier, au Maghreb. un palmier nain porte le nom


de dOûllla M..P (d'où Sidi 130ù Doùma, dans le R'arb, saint entouré
de grands palmiers doûm). Le tissu qui entoure la racine s'appelle
joummûr )la:- ; on le tisse après l'avoir mis dans l'cau ct traité comme
le iJerouag, c'est-à-dire batlu énergiquement. Au milieu de cc tissu,
dans la racine. sc trouvc un petit tubercule fibreux qu'on mange cru
ct qui s'appelle aussi jOlllnmûr. Le fruit du dotlm est le r'ûz )~, qui
s'élève en grappes comme la date. On le mange cru ou on le conserve
dans des pots avec du sel comme les olives. Cette marinade a pour
but de faire disparaître l'âpreté du r'tiz qui conserve son sucre; au
bout de trois ou quatre jours on peut le manger.
La corde appelée cherit ed-dotlm sc fait avec la feuille même; on la
coupe en deux dans le sens de la longueur, on place les bouts les uns
près des autres ct on les tourne en corde; la feuille de doûm ainsi tra-
vaillée porte le nom d" (Izel ,...( f' On dit cherit el- 'az~r ou qou/fat el-
'azel Avant de la travailler, on met pendan t deux ou trois jours la
feuille dans l'cau, dans une rivière, en plaçant des pierres dessus,
pour l'empêcher de suivre le courant. On s'en sert aussi, mélangée
au iJerouag pour faire le flij (tissus des tentes).
T. Nous ne trouvons dans le Kache! el'-nomouz que le C,,}; \1.': Ben-

tluYZotln (quintefeuille) qui puisse être rapproché de ce nom; encore


le Dr Leclerc ignore de quelle euphorbiacée veut parler l'auteur. Le
chu«jarat Mal'iam est le nom de plusieurs plantes, notamment l'ab-
sinthe, comme nous l'avons vu au début de cc travail, puis le romarin
officinal (Guigues, J. A., p. go), puis la matricaire d'après 'Abd ar-
Razzâq qui dit (Leclerc, p. 31); « on l'appelle il Fez, arbre de Ma-
rie ~y" ôJ'~-~ », cc qui est inexact, l'arbre de Marie il Fès étant bien
l'absinthe.
20 ARCHIVES MAROCAINES

~ Benefsedj 1 (masc.). Voir plus loin.

J-JLt.,.J. Berchâouch 2 (masc.). C'est la Irouzbaral el-bir


(capillaire).

~JJ~~ Bâdaouard:1 (masc.). C'est l"ar;foûr, J~.,.z:...

~~ ~ Bâqla Yamânya l, (légume yéménite, fém.).


C'est l'yarboûdj, r;f..;t..

~ ~ Bâqla ~amqâ 5 (légume fade, fém.). C'est la


ridjla, et elle est connue aussi sous le nom d' 'arfa(L ~...?

[. Nous ne trouvons plus loin aucune indication relative à cette


plante. Peut-être notre auteur avait-il l'intention d'en parler il la
lettre m. Benefse~j, qui désigne la violette, se dit en clTct benfesendj et
benlesfendj en Algérie (cf. Leclerc, p. 5 [), et men~rse~j ou plus sou-
vent menafjij au Maroc septentrional.
2. C'est le berchiaouchan w\:.J~.J! d"Abd ar-Razûlq, qu'il appelle
aussi ~I 'ôj.~ « la coriandre de puits, ainsi appelée pour sa fré-
quence aux puits et aux fontaines. )) Leclerc, p. ;]2, cf. aussi Guigues,
J. A.,p.lI97. W~)\:---j.' Le Dr Haynaud, p. IG8, cite le J(asbour cl
bir comme la capillaire. M. Joly me signale en Algérie le I(ozber el-
bir ~I .J~~ : adianthllll! capillus veneris, synonyme: Ilo/wr ellJle'liljil.
3. C'est le chardon d'âne, clwt1h eHlCIllîr, d'après Leclerc, p. 70
(acalll/ul lcu'luê de Dioscorides) et d'après Guigues, J. A., p. 49ll,
(Spina alba).
4. Blette, appelée aussi baglat al-' ambya, ~~.)I ~, Jarboliz ).1...t..,
~/Ormoûl J".-.», balithes ~, d'après Leclerc. p. G2. Jarhotiz est le
yarboûdj de noLre texte.
5. Le Pourpier. qu' 'Abd ar-Razzâq appelle rifij/a ~J, ba'llat al-mou-
barika ~\fl ~,farjil~1 rJ) [Jordorja[a \1\;~y' cf. Leclerc, p. Go.
SUR QUELQUES NmlS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBI~RE 21

0.>k;).J. Bazarqa~oûn 1 (masc.). C'est connu (Voy. Zar-


qatoûna).

~~.>~: 4.\4; Baqla Yehoûdya 2 (légume juif, fém. ). C'est

la meloùkhya, ~)...

0l.or:- Behmân (masc.). C'es t la bezTna, ;"".J., l'ouge et il


3

y en a aussi de la blanche.

~.>i ~)A Bâroûdendjoûya!' (masc.). C'est le pain de

louroundj (citron) et on l'appelle a?-badroLÎclj, (:')~1.

~ Boussad;; (masc.). C'est le corail (mourdjân).

1. Le psyllium, comme nous l'avons vu précédemment.


Cl. 'Abd ar-Razzâq dit: « C'est la mouloukhia ~;., on l'appelle
aussi Ijuersa'na 'k.....p) et hhoubaza S)~;.,» et le D' Leclerc ajoute
en note: « La mouloukhia est la corète (cucurbitacée) ... Quersa'na
est probablement une erreur pour ljue1'l1ina. »
Plusieurs plantes portent donc le nom de légume juif. Au Maroc,
ce nom parait s'appliquer à la moulolikhia, petit cucllrbitacé analogue
à la courgette. qui est la nourriture préférée des juifs.
3. D'après Sprengel, la rouge serait la sauge hématide, la blanche,
la centaurée behen (Note du D' Leclerc. p. 56), cf. Guigues, J. A..
p. 54 I.
4. Citronelle, badarendjouia ~)~)~~, ou habelj eltouroundjan
U~fl\ ~-;> d'après Leclerc, p. ;)2. Le mot hhobz (pain) de notre
texte n'est sans doute (pùlI1e faute de copiste pour (,y,> (basilic). Le
mot C:')I~~ est traduit par Leclerc par basilic, ce qui expliquerait sa
présence ici.
5. cr. Leclerc, p. 5,.
22 ARCHIVES MAROCAINES

J)..l;~ Baîdoûq (masc.). C'est la résine du noyer.

J".",::1J'. Boûcîr 1 (masc.). C'est le mouçalli(L al-andhât,.


~ .
J9~ Bâqe1 2 (mase.). C'est la fève (Joûl).

t Bendj:\ (mase.). C'est le selmln, .:;1';:.


A.; Baîchar'· (masc.). C'est cc qu'on appelle cherenk,

él~; les hédouins du pc upIe et les berbères l'appellcnt


Ajan!ar, ~\.

:0.~ Baqla" (fém.). Appellation populaire lâfifrâ, \...r.z~~'

1. Bouillon blanc. I~J: BO/tcira, J~) fl- l(jO::((//(tlj, )\1;:1\11 ~A'


d'après Leclerc, p. 81.
2. Cf' Leclerc, p. 66 ()\;~ b'\lpJi\:\: c'est la (wc.) Le Dr Leclerc dit
que le mot lotiZ est seul vulgaire. Dans le nord-marocain, il est môme
méprisant et on lui préfère le mot berbère ibooutt, On trouve, dans
les champs de blé ct d'orge, une espèce de pdite fève sauvage qui ne
s'élève pas beaucoup au-dessus de terre ct s'étale comme les plantes
grimpantes; la fève ressemlJle à un petit pois noir, on la mange
crue.
Celle fhe est connue dans le 1\ 'arL sons le nom de /otiZ bdb ReblJY
(fève de la porte de mon mailre).
:.\. Jnsquiame. BOllttC!j, .:)~ .... siknitt ou graine da BOLi Nere/-
joû/ ~Y':j J: d'après le J(ochr;{ er-RomOll::. Leclerc, p, 54. C'est le
fameux bang soporifique, bang indien, bang crélois. Sikl"dn est aussi
le nom de l'opium.
4. Non identifié.
5, Leclerc, p. 60-6;{, donne ollze espèces de :i.\;;, clon t pas lIue sen le
ne s'appelle [({{Ui'ri en berbère.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN J:lERBkRE 23

0.x)1. Boû Zyoûn 1 (mase.). Testicule de grand renard


vivant et mort, en langue populaire.

~ Betjensekt 2
(masc.). C'est la grail~e de ricin,
et en berbère an/dry, c.S...c~.

0AL...Jb: Ba~rasâïloûn:\ (masc.). C'est la grame de


céleri de montagne, Krâfis el-djebel.

U"'~~ Balbours (mase.). C'est le berouâq (asphodèle).


l
,

I. Orchis, bouzidan c>1...vj y. dans Leclerc, p. 57, qui dit: cc L'es-


pèce mogrebine est le testi~ule de Renard. »
2. Nous avons vu le ricin UJ;' précédemment. Le nom orthogra-

phié ..::..s::::::..~..::~ paraît être ~:;:~ fal~jankicht ou banjankouch t,


gattelier (anaphrodisiaque) dans Guigues, J. A., p. q4.
3. Persil, d'après Leclerc, p. 78: cc c>~U)k~ Bathrasalioun: c'est
la graine de m'adnous l.J"'J . ull)y" la graine de persil de montagne
~ ..,.?) : on dit que c'est le m'adnous lui-même. On dit aussi
fathrasalion avec un fa. » Le traducteur dit en note que le lwrafs
est le persil et que ma'dnous transformé en maqdounes et baqdounes,
appliqué au persil, a été reporté au cerfeuil.
Au Maroc septentrional, le cerfeuil n'existe pas et le persil se dit
ma'dnoLÎs; toutefois on connaît le nom de krafes appliqué au persil
dans certaines régions. Le "l'ales ~jebclJ est plus petit; les Juifs seuls
le mangent. Il existe chez les Beni 1Iùlek 'Aroua un douar de gens
appelés Krafsa (au sing. Krafes, non d'homme). A Tanger, c'est le
céleri qu'on appelle kra/es; dans le R'arb, le céleri se dit karfâs
l.J"'\?).
4. On appelle bîbloliz j);;., au Maroc, la tige de l'asphodèle (be-
rouâq) , dont on se sert pour faire les cloisons des hhaîma, et, sèche,
pour faire du feu.
2]· AHCHIVES MAROCA1;,\ES

O~.J. Berda l (fém.). C'pslla lri{;nûd, ~J:~'

4.;~.J.\ Abrîna" (fém.). C'est le bâïllwûl, ~~~, en ber-


hère.

t~ Bâïndj" (masc.). Connu: ses varié lés ~ont uu nombre


de trois: rouge, jaune et blanche.

. (masc.).. A Fès 011 l'appelle sindyân, .J~...l:.....


1),. Belloût" .
t~ Besbâïdj;: (ma~c.). S'appelle Cil berbère lt'sloûn,

1. Non identifié, peut Nre cS;).J~ papyrus!


:l. Non identifiô.
3. Il Y a là, très probaLlemenl, une faute de copiste, qui a ajoulé
un point diacritique au second ba pour en l'aire un ia. Ce serait
alors ~.i.~ bâbolinelij, camomille, au sujet de laquelle 'IUd ar-Baz-
zùq dit: « Je ne connais que la blanche; quanl à la rouge el à la
jaune, je ne les connais pas. )) Leclerc, p. 51. Dans le Nord-~Iaro­
cain, c'est justement la blanche qui n'esl pas connue et on appelk
babourwj la marguerite jaune el rose, il laquelle on allribue de nom-
breuses propriétés médicinales.
li. Cf. Leclerc, p. 72, .k} bal/ou/it, cht'ne: c'est le sendyan 0~...L:..,.,.
Nous n'avons pas euterlliu prononcer ce nom de siIHlyrin au '\Iaroc;
le chône se dit généraletnent./i'l'lUi/w, le bello/i! élant le gland; on dit
aussi ch[~jal' de bellofil, arbre il gland. Il'y a aussi le .!erchy, c!Jône-
lit~ge, ctleclwl.:~, branche adventive du chône, dont on fait des pou-
trelles pour les haLilalions.
5. Fougère polypode. (( C'est ainsi llu'il est connu chez nous, dit

'Abd ar-Hazz:lq. Dans le Maghreb on l'appelle acit/ouan 01~1 ... »

Leclerc, p. 78. On lit dans Ibn 13eithar lecitliouân 01)~ et on dit


SUH QUELQUES NmlS DE PLANTES EN AHABE ET E~ BERB~~RE 2;';

0.,,:-(:'. Bacinc noirc à l'extérieur et à l'intérieur garnie de


duvet, de forme identique au ver à soie; croît principale-
ment dans les lieux humides, i'i proximité dc l'cau.

(v- ).,,;;Bakhoûr Maryaml(masc.). C'esLlclollscr/"inl


1

COll1ll1.

1~ Besâ~ el-mouloûk 3 (Tapis des rois). PlanLe


.;:J)l\
mince, dont la lige s'étend sur la terre lorsqu'on l'a coupée,
el la résine s'en échappe; ses feuilles ressemblent aux
feuilles de lentilles.

1.)Y, Bourmâ' (masc.). C'est le nitroùn, 0J*.

vulgairement aujourd'hui chti6nal. Le Pays dlr Mouton, p. LXXV, donne


i....PltA maas comme synonyme de besbaïdj.
1. Le bahholir maryam serait le cyclamen d'après Leclerc, p. 67 et
Quigues, J. A., p. 499, diO'érent de la sarr'ina ou tâserr'int, qui serait
le bakholir el-berber, parfum des berbères, d'après Leclerc, p. 68 et
llaynaud, p. Ii?. Nous verrons plus loin (aux 'achc~!(îbin de Fès)
l'emploi qu'en font les Marocains du Nord.
:J. Non identilié.
3. C'est la sabline rouge (arcnaria rubia) d'après le Pays du Mouton,
p. XVII, qui donnè comme synonymes ~~I t!J heraâ el-hadjel
et 1).1.-1 ~ (p. LXIII).

!I. Fau[e de copiste pour J).f. bOlÎralj (sonde) cf. Leclerc, p. 5g.
li
2G ARCHIVES l\IAHOCAINES

jl..J:.- Djouâz 1 (fém.). C'est la saqyâl'ya, ~)~; elle sc


nomme aussi djeîzel', )j,:::--, ou, Cil langue populaire, liclds

U"'~. Il Y en a une espèce sauvage (berl'Y) et une espèce


cultivée (boustâny).

0~ Djoulnân 2 .Le grenadier mâle: appellation popu-


laire l'oummân.

I. Carotte, J ~)..f; Djazar boustany ~~J)j zaroudya, ~lihi::,

d'après Lcclerc, p. 84, lS)!)..f; ~jazar berry, carotte sauvagc, p. r85.

A,Y.,G... Sennaïrya d'après Pays du Mouton, p. ClII (c'est notre A,).•~,


M M M

avec une erreur de point diacri tique). En Tunisie, s~fennaïria ~y. \;~

et a~lanârya ~)~... I (renseignement de j\.I. A. Joly). Au i\Iaroc, on

dit surtout ~ khizzon, mais on connait aussi ~fef'ya, djazar, sfraouya,


et, à Marrâkech, Ben Nebbo. Betas est inconnu, mais il existe une
plante aquatique dont la feuille cst identique à la feuille de carotte
et qui s'appelle betr (tertar à Fès et semf"ânya à l\1arrâkech); elle
a des propriétés tinctoriales employécs par les teinturiers. Quant au
mot jl.r:- nous ne l'avons trouvé nulle part.
:J. )~ djoullanâr, fleur de grenadier, d'après Leclerc, p. 86. Au

Maroc septentrional on dit joullâr )){::- pour la fleur de grenadier, et


le lllotjellinar est réscrvé à-la capucine. qu'on appelle encore jelllu(f',
loua)')' et ~laliotill!.
SUR QUELQUES KmlS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERB~;RE 27

U").Y:" Djoûres 1 (masc.). On l'appelle anll J::I en langue


populaire. On en trouve li TafsOl\t w.>-?~.

\~ Djenâ ~ (masc.). S'appelle asâsnoû, Iy..-LI.

\.Y:".Y:" Djoûjouâ l
(masc.). C'est la noix muscade, oj'y:"

-a~k.\I\
."
EI-LaUf" (masc.). C'est le reledj (sic) ct elle Il'est
.
aulre que la Iloi:r saharienne.

J~L. j'y:" Djoûz Mâtel" (masc.). C'est la nOIX sopon-


fique associée (?).

[. 1\lillet, U"))~ (~jâoual's. cr. Leclerc, p. 92.


2. Nous n'avons trouvé ce non~ dans aucun auteur, mais il existe
au Maroc un arbre appelé SâSflOli ou bali!laflfloû qui paraît être l'ar-
bousier, d'après la description qu'on nous en a faite; on mange son
fruit rouge et peu sucré; mangé en quantité li jeun, il grise.
3. Sans doute une faute de copiste pour 1.f. j~ djaouz boû. noix
muscade, appelée djollzal aHib au Maroc. Cf. Ibynaud, p. J 6~) et
Leclerc, p. 82.
II, Le mot rCladJ riJ est sans donte le même qne ~j . . Abd ar-
Hazzitq dit (lue la djaollz cz-zcndj ~Jl j-,~ (clhiopica) est la :;j~

~..r':ll, la ~JI oj.J~ d'Alger, la ~)\r-ll oj-,~ noix du Sahara, au


~lal'oc. Leclerc, p. !)I. Ce n'est pas tout à fait exact en ce (lui con-
cerne la ~...::1I :;j-'~, connue au 1Iaroc, où elle est plus grande que la
noix muscade, landis que la saZII'âollya est beaucoup plus petite. Le
1)' Ilaynaud, p. 166, appelle cette dernii're cc graine de paradis ».

5. ~~ll (?). La ~l<)-,~ jaollz lJ1â~ilestle fruit du Datura ~lctcl,


,omitifet narcotique, d'après Guigues, J. A., p. 541.
28 AH.CHlVES MAROCAINES

~..r=-- ~amra 1 (fém.). (Voit') à ce mot; parmI ses varié-


tés sc trouve la I,hezâma, :\...\j>.

Lfj~::-- Dioun~ebâzemy" (fém.). Importée; racines de


couleur tirant à la fois sur le jaune et le rouge.

~;- Sterekhcya Animal dans la mer.

":"'~ Dj elboûb 1>. C'est l'ortie mousse UWl'i'l el-moulsâ).

L'appellation populaire est lisân el-(wul'l' , ).1 ~)-J; sa

feuille est comme celle du laurier-rose, :i..\~); elle sc lient à


la surface de l'cau.

e::21.~ Djouzmâredj;; (fém.). C'est le takaoût, ~.J<:.

J~ Djoummâr" (fém.). C'est le cœur du palmier.

1. La hhezâma cst connue dans le nord-marocain et se vend chez


les 'achchâbîn; c'cst sans doute la mêmc plante qne le il";;' Hhezam
du Pays du Moulon, p. LXVIll (salicornia herbacea). Nous n'avons trouvô
la ~Iamra dans aucun auteur; an Maroc, on appelle ainsi le j'elfel (pi-
mcnt rongc).
:1. Pcut-êtrc lc Ji-."J.,...l:,,.. djoumloubadaslar (caslorew/!) dc Lcclcrc,
p.85.
3. Non idcntiflô.
!I. IIalabotib dans Lcclcrc, p. 163, (In'il traduit par « mcrcuriale ),.

L'ortic mousse, ~\ .J:..f'" 011 • ut


1.J~rl, a ôlô citôc prôcôdemmcnL
Cf. aussi Leclerc, p. 163.
5. Graine dc tamaris (takaout). Cf. Guigncs, Nedjm ed-Dyn, p. 6.
G. NOLIS avons parlô prôcédcmlllentllu I{jOWllllu.1I', cœur dc do/ir/!.
SUR QUELQUES Nü:lIS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE 29

r~ Djoûcher 1. C'est un simâr' LI....- qu'on importe


d'Ol'ient .

.1.AJI ~ ~oubbat el-bal1oû~ 2 (fém.). C'est l'écorce


mince entre le cœur et l'écorce.

)k Djadjoûr(masc.). C'est la graine du pin, d'après


certains commentaires.

~)b Dâr Cîny 1 (fém.). C'est la qorJa r'llWw (grosse


cannelle).

~~)b DârChîcha'ân" (fém.). C'est lemidoûl, J)..\.:-"

ta lecture ..> \~ djoU/lUi: de teclerc, p. 87, est fausse, comme le soup-


çonne le traducteur.
T. ~)\,.., djaonchir, opoponax, d'aprl~s Leclerc, p. 86. On appelle
. .
simâr', au Maroc, une gomme qui S'('.coule de certaines plantes et
dont on se sert pour guérir les piqûres d'abeilles; les propriétaires
de ruches en ont toujours sur eux.
2. C'est l'arille du gland .1.hl1 ~ et non ~' Cf. Leclerc, p. 92

et Guigues, J. A., p. C)22.


3. Cinnamone. Cf. Leclerc, p. 97 : « on lui donne aussi le nom de
cannelle grossière. )) Cr. Baynaud, p. 167 (Karfa).
(•. Aspalathe. Cf. Leclerc, p. 99 : « C'est le kandoûl J.,~ et chez
les habitants de l'Irak le grenadier sauvage. )) Le l)r Leclerc dit en
Ilote: « Ce mot (gandoul) est celui que porte en Algérie le genC't épi-
30 AHCIIlVES MAHOCATNES

I}J) Douqoû (fém.). C'est la carotte sauvage, c.>~ Jj;.


1

J\)J) Derdâr 2 (masc.). On l'appelle clwdjarat el-haq


(arbre aux punaises); il est connu.

t~~ Doubbâ 3
(fém.). C'est la courge (qra'); on l'appelle
aussi el-yaq!ln, ~b.;J\.
~ "

neux. » M. E. Doutté en a rencontré aux environs de Saffi; il l'ap-


pelle calycotome spinosa. Cf. l\!larmliech, p. 18ft. Nous n'avons rencon-
tré personne qui connaisse cc mot dans le Nord. Midol11 est
probablement une faute de copiste pour liandol1l.
T. La graine de carotte sauvage, d'après Leclerc, p. 90.
2. Orme, frène. Cf. Leclerc, p. 10 l : (t Les habitants de l'Irak lui

donnent le nom d'arbre aux moucherons J~I :;~. Son fruit est

connu sous le nom de langue d'oiseau ~\.,a.J10\-l. JJ. Le derdiir est


le frêne, au Maroc; son fruit est bien le lisân e/- 'açâJz'r (lessan cltir,
langue d'oiseau, dans Raynaud, p. 1G8). On nous a affirmé, il Fès,
que le chadjarat al-baq était un arbre dilTérent. Disons à cc propos
que J~ baq, au Maroc, n'est pas un moucheron, mais une punaise.
3. Cf. Leclerc, p. 102: « Dans le Maghreb on lui donne le nom
de courge de Sala ->J:>I...JI tJ. D'autres lui donnent le nom d'iaqthin
~.))
On distingue, dans le nord-marocain, huit espèces de courges
(qra', doubbtî étant inconnu):
[0 Qra' Slâouy (courge de Salé) appelée aussi yaq!in ;

2° Qra' eHwrcha (il feuille rude ct poilue) la première mûre dans


l'année;
3° Qra' eHwmm (rouge) la deuxième mûre dans l'année;
LlO Qra' boû-jedroiim (boutonneuse, il bubons -- jedrozim) ;
[Jo Qra' el-bezzâm, qui reste verte en séchant;
Go Qra' souqyân, courge qu'on ne mange pas, mais dont on fait des
gourdes; calebasse;
7° Qra' berrâdya, calebasse en forme de berriida (amphore);
8° Qra' boLÎ gtob, ou toldzri/in, courgette comestible.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN HERB~~RE 31

~b Doulb 1 (masc.). C'est le dem el-aklwuaîn (sang des

2 frères); on désigne son arbre sous le nom de chiâ, t:-=JI ;


d'autres disent que ce nom est donné ù sa résine , d'autres,
ù son jus 2. L'appellation populaire des habitants du Maghreb

est ec1~-chiân, 0~1. On le tTouve clans les réservoirs


(a(wuâ(.l) .

é)~ Douroûndj::. Branche de bois médicinal, cendrée à


l'extérieur, blanche ù l'intérieur; sc trouve seulement im-
portée d'Orient.

J=.- ~~ Dehn ~all" (masc.). On le mélange au henné;


c'est l'huile cle sésame, samsam, c'est-à-dire du djouldjou-
lân (sésame).

J:--;'~ Dakhch:; (masc.). On l'appelle en berbère

adl"ameç ~j~\; c'est connu.

1. IJoulb est le platane, d'après Leclerc, p. rao. On l'appelle


delem au Maroc. Il est dill'érent du chiân, ou dem el-akhouaîn, ou
aîda' l~l, qui est le sang-dragon (dem etisabân). Cf. Leclerc, p. llD
ct ra8; Guigues, J. A., p. [)J/j.
2. \i
Mot à mot: il sa presse, ..,r-aÇo.
3. Doronic, cf. Leclerc, p. ra5; Guigues, J. A., p. 533.
li. L'huile de sés;me j .... LJ~) est mentionnée par Guigues, Ne~jm
cd-Dyn, p. ra. Djouldjoulân est le nom du sésame, au Maghreb; cf.
Leclerc, p. 9ï et Haynaud, p. 16ï' Il n'y a pas d'huile de sésame, au
Maroc. Le sésalne ne sert qu'à confectionner des pàlisseries analogues
aux pains d'anis. Pilé et mélangé avec de l'œuf cru, il guérit les maux
d'eslomac.
5. Nous n'avons pu identifier ces deux noms.
AHCHlVES 'rAHOCAINES

~) Dend
1
(fém.). C'eslla (wh/ml meliA- (graine de l'oi)
connue; eUe donne des forces, mais il ne faut pas la boil'e
pure: on doil la corriger avec l'a!di!culj, ceUe demièl'e Cil
pl'Opol'lion plus gmnde que la dencI.

0~ Hil~aoûn 2 (masc.). C'est le sekkoûm, ,.;:...,.

~..\.~
. Hindabâ 3. En langue populaire lie/jiij',
. . ..
,-,la:..

J~P
. . Heberbâr· (masc.).' On dil qne c'('sl la gnnn(' dc
pavol noir.

J. Croton ligliulll (eupllOrbiacée purgative) d'après Guigues, J. A.,


p. [)J4. Daoud al-Antaky dit anssi qu'on l'appelle ~}tI ~, expres-
sion qui désigne uniqueJl1entla cerise, au :Maroc.

2. Asperge, 0~OU 0f:l!IOU i;:::"" d'après Leclerc, p. J13.


Au Maroc, on dit heilolÎn ct seliOlim; celle asperge n'est pas culti-
vée, elle croît à l'élat sauvage dans les terrains sablonneux; elle est
lri~s mince, verte et fort amère. Les Marocains ne la mangent pas,
mais en font une tisane diurétique en la mélangeant avec la flel1l' de
lira/es appelée çon(fa. On vend celle asperge sur le marché de Tanger,
où les Européens la consoplment.
3. Chicorée. Cf'. Leclerc, p. J 12 (li((aj; '-:'~); llanoleau ct Le-
tournelJx, l, p. 171 (SOI/chus lenerrimus : ces sonc/l/Is qui sont mangés
crus par les ICibyles portent les noms de lime,.~onga, ct de tih/,
1ijiJj'l.)
li, Mot inconnu au Maroc.
SUH QUELQUES NOMS DE PLA;,\TES EN AHABE ET EN nERB~~HE 33

f!: Halîladf (masc.). C'est l'agâç chauvc, if~~\

~l\, jaune, noir et rouge kabouly (de Kaboul).

'0j ~ Harnoua 2. Balblila, ~~.

,
~~J..~ Houdhoûd 3. Oiseau connu.

'G! Ouadj !'. nacine de lys jaune.

ê J Ouada':;;. C'cst connu.

JJJ Ooul '; (masc.). C'est en langue populaire la m(ül' at


el-hf/qap (allaitemen 1 de hœuf); d' au Ires disent aussi el-hism,

1. M)'l'obolan, dont il y a cinq espl'ces d'après Leclerc, p. lOg:

r amlc(!j ~l, le ùalilc(!j ~4, les ihlilc(./j jaune, noir ct de KabouL ..


~. Fruit d' agalloche, d'après Guigues, J. A., p. 208. Le kache.f cr-
RomolÎz dit: « C'est la./el~/la :i4~? )) : il faut rapprocher ce dernier mot
de notre ~~. Cr. Leclerc, p. 114.
iL C'est la huppe, qu'on appelle aU,Maroc bel-hedhoûd. Nous au-
rons occasion de revenir dans une autre élude sur cet oiseau 11 malé-
fices.
4. Acore (acorllscalamus) d'après Leclerc, p. 115, el Guigues,
J. I\.., p. 8g.
Cl. Coquillage, en général. Cf. Leclerc, p. I l G.
G. L'indigotier (chadjaral an-nU) n'ex.iste pas au Maroc septentrio-
nal; mais on appelle l'crIa < l-baqar un gros lézard, court et large, qui
suce le lait des vaches. Lorsque ce lézard s'est ainsi nourri, le lait de
la vache reste rouge et empoisonné, dit-on, pendant cinq ou six jours,
au Dout desquels on peut traire de nouveau l'animal.
ARCH. MAROC. 3


3'1, ARCHIVES MAROCAINI~S

~~sJ\, pour désigner l'espèce cultivée; son vrm nom est


chadjarat an-nîl (indigotier).

J')J Ouarch l (masc.). C'est une autre chose qu'on dit


importée du Yémen, semblable comme couleUl' au safran:
ce mot s'emploie aussi pour désigner la pierre qu'on trouve
dans le fiel de bœuf (?).

~L;,)J Ouarachân 2. Oiseau Llue le peuple appelle az[ô[,

~J Ouchchaq 3 (masc.). C'est la résine de férule (kelkh).


cton l'appellefeskh, ~ .

.J.J Ouber (mase.). C'est connu (poil, en général).

)::-J Ouard" (masc.) (Voir à son chapitre); jaune. rouge


et blanche.

1. Peut-être 1",)")) otlaras, memecylon, grande espèce de ctlrCtlma


J"). Cf. Leclerc, p. 118. Le Dl' Leclerc ajoute en note: « Suivant
Avicenne, c'est une substance rouge (lui ressemble à du safran pilé.
Niebuhl' dit que l'ouaras est une planle qui tein t en jaune et dont il
s'exporte en grande quantilé de Moka dans l'Oman ... »
2. Palombe, d'après Leclerc, p. 1 Ig. Au Maroc, otlarachûn et azlôl
sont deux oiseaux dilTérents ; le second est bien la palombe, mais le
premier est le faucon, appelé aussi leîr el-zwrr (oiseau libre).
3. GOlnme ammoniaque, d'après Leclerc, p. ::13. Le mot otlchchaq
n'est guère connu au Maroc, mais la gomme ammoniaque, vendue à
l"attûrîn pour laire des ineantations et guél'ir de l'ophtalmie, est ap-
pelée fesotlhh ({assoh dans lhynaud, p, 1 GD)'
4. Rose, en général.
SlJR QUELQlTES NOMS DE PLAXTKS EN ARABI~ ET EN BEHm;:RE 3tî

1
.::>1...;)) Zouba' âd • lheine de plantes qui ressemblent
,
au sou'dû, \...\.,~ (souchet odorant il), plus grosses et avec
moills d'odeur que ceUe plullte; sa couleur est entro le jau-

lIâtre (;)~.,..:» et le blanc .

...\.;1)) Zouâned 2. Le {Je:::erle({j, (:j:.


~~ ~)) Zoûfâ iâbsa 3 (fém.). Herbe dont les tiges
s'étendent 11 la surface du sol ct dont les feuilles sont sem-
hlables au thym (ut 'ter) ; (l'ès mince, d'odeur agréahle,
amèec au goût. IL existe une espèce sauvage ct une espèce
cultivée (djc~cly et ~oustlÎny); elle est connue chez ceux qui
pratiquent l'industrie des parfums.

:\.k)
. 19)~ Zoûfâ ratba" (Cém.). C'est la laine en suint
.

1. Faute de copiste pour )\.:,)) :::arollnuiid, zcrumbcl, cf. Lcclcrc,


p. 1 :J!I. •

?. Sans doulc .il)!) :::arâOlland, aristolochc, d'aprèsLcclcrc, p. 1 Ig:


« C'est le bOlll'oucll[oum ~.J:' le bourouslam rJ.' l'arbre de
lloustcm f... ) ~~. On vend chez les 'attrirîn marocains du bois de
importé d'Orient.
uCl'rc:::lcm,
3. Hysope sl:che, d'après Leclcrc. p. I?2; cL aussi Guigucs, J.A,
p. G1 l, sur l' originc du mot zOlîJà.
II. Ocsypc (zoùCa humidc) d'après Lcclerc, p. 122 (le suint se dit
vulgaircmcnt owl'ah' r:})'
36 ARCHlVES MAROCAINES

Jfj Zendjebel 1 (masc.). On l'appelle dans le peuple

skendjbir, ~\.
~j Zâdj 2 (masc. ). Ses variétés sont nomhreuses : hlanche,
c'est le qalqadîs,jaune, c'est le qattâr, vert, c'est le qul'aW,
rouge, c'est le ceder: le meilleur est le vert égyptien,
ensuite le blanc.

~)j Zernîkh 3. (Se trouve dans des) mines; il y en a du


blanc et du jaune.

w\..t"j Za'farân " (mase.). Le meilleur est doué d'une

I. Gingembre. Cf. Leclerc, p. 120, et llaynaud, p. 167' Le gin-


gembre est importé au Maroc. Les femmes en boivent pOUl' htller les
menstrues; on fait boire un bouillon de poule au gingembre il la
nouvelle accouchée pour la réchaulfer.
2. Vitriol, d'après Leclerc, p. 124 (colcolhal', calcadis et calcand).
Guigues, J. A., p. 93: « On sait qu'on désig'ne ainsi les sulfates de
fer, de zinc, de cuivre, qu'on distingue par les couleurs ycrt, blanc.
bleu. »
3. Arsenic. On en trouve chez les 'allâl'in qui rappellent l'ahad)
lorsqu'il est jaune, et chlimdn lorsqu'il est blanc. Le zermll;h est une
pette dont se senent les femmes pour s'épiler, et qui est. faite de savon
indigène, de chaux el cie ::el'llikh (mat.i(~re analogue au ralual) parait-
il, quoique différente). Il exist.e il ?lloulay Boû Selhùrn un arbuste épi-
neux appelé zernikh; on en extrai t la racine clan \' envoie il Fès. pOUl'
les teintUl'iers probablement.
Il. Safran. Cf. Leclerc, p. 121, et Raynaud, p. 167 (zafrana).
Dans le nord-marocain, on connaît trois sortes de safran, le rOlilllY
venu d'Europe, le beldy, venu du Sahara, où il se récolte la nuit, e·l.
le faux safran, vendu à l"alldrin sous le nom de za 'jaran, comme
les autres. Le prix du safran étant fort é.levé. on vend ft bas prix ce
faux safran fabriqué comme suit: on fait cuire à la vapeur des mor-
ceaux de poitrine de t.out jeune pigeon; on les triture ensuite pour
les désagréger en filaments qu'on fait sécher au soleil; on roule ces
filaments secs avec du vrai safran mouillé, afîn que les fîlaments pren-
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE 37

odeur forte, recouvert de poils épais, d'un rouge vif; c'est


la variété cultivée chez nous à Marrâkech; la variété la
plus pure de race est celle importée du Soûs et appelée
::edoûl)', JJ~j\.

JJ...f'j Za 'roûr 1 (masc.). S'appelle en langue populaire


belâ(t el-me::à(t, C)I e,?\!.
J~;')t\ ~j Zeit el-ounfâq 2 (fém.). C'est l'huile d'olive.

~JI
... ~j Zeit el-Falestîn
... . 3 (fém.). C'est l'huile
d'olive verte, qu'on ne laisse pas arriver à maturité.

J\jj Zouât' (masc.). C'est ce qui pousse avec les céréales.

nent la couleur et l'odeur du safran, puis on enlève ce dernier, fai-


sant sécher les filaments à l'ombre. On les humecte ensuite avec un
peu d'huile pour leur donner l'aspect huileux du safran.
I. Azerole, d'après Guigues, J. A., p. g3, ct Leclerc, p. 12g, qui
dit: « Par za'rour on entend le fruit de l'aubépine, de l'azerolier et
du néflier. » Au Maroc, za'rotir est l'aubépine.
2. D'après le Dr Leclerc, J~~ 1 d.Sri l'erait du mot omphaciwn qui dé-

signait la même espèce d'huile d'olives vertes chez les anciens,


3. Cr. Leclerc, p. 12g.
4. L'ivraie. d'aprl's Leclerc, p, 130 ct la majorité des auteurs, qui
ont traduit ainsi le mot zouân, parce que cette plante pousse, comme
l'ivraie, entre les épis de blé. Mais, au Maroc du moins, zouân est
l'alpiste et non l'ivraie. On dit zouât ct zOluin; le premier de ces deux
noms est particulier au dialecte des Juifs; les gens ct la campagne
(dans le H'al'b) l'appellent Kezbâla. L'alpiste ne sert, au Maroc, qu'à
nourrir les oiseaux; mais on l'exporte en Europe où on l'emploie à
faire Ulle sorte d'amidon qu'on étend sur les cotonnades; c'est ceUe
exportation qui lui a donné de la valeur; on le vend jusqu'à 2 dou-
ros le moudd.
38 AHCIllVES ~[AHOCAI!'\ES

.....-,...Jj Zebîb 1 (masc.). Le meilleur est le granel salé .


. ".
"v'jZoumourroud' (mase.). Pierre qu'on trouve dans
les mines el' or et el'argent; antidote pour tous les poisons
bus et répandus.

u~sj\ J:fj Zendjebîl el-kilâb 1 (masc.). C'est le Jeifel


roû;ny (poivre romain), cultivé dans les maisons.

\":",..J::~ Inboûb" (masc.). Genre de mimosa t; on l'ap-


pelle en berbère Uzel!, ..:..J~' : les Arabes l' appelle Il t caroube

de chèvre,jJI ~Jj>-.

~~ Yasmîn ::. Sa graille esL appelée en berbL're


azenzouâ, \"'5j\, en langue arabe cc le feu froiel )).

1. Haisin sec en général; sur le zeliîli el-djebel (~tapbysaigre), cf.


Leclerc, p. 13I.
2. Emeraude. Elle est etnployée, au }lal'Oc, COlllme préventif' cont['(~
les pifl"lr('s de serpents ct des bètes venimeuses, contre l'apoplexie ct
l'ophtalmie. Cr. Haynaud, op, ci!', p. ClG.
;1. Gingembre des l'biens; c'est le poine d·eau. Cr. Leclerc, p. 13 [.
Au "laroc, on ne connaît fJuele!J'el l'Olim)' ct ibzar (synonymes).
4. Yamilou!, ":'.J'2' d'après le /(achr.l cr-Romouz, Leclerc, p, IjS:

« C'est le caroubier de chènes ~,,1I ~Ji", le caroubier naha-


théen ~I ~J~;" ; les Kabyles lui donnent le nom de !azilt ~;. »
'\ons n'avons pas rrnconlré ~y'~ ni ":'y'~ an \[al'Oe, mais /(1/(/1'0/11)

el-ma': est eonuu et désigne le carouhier ordlnaire "ppclé Sl((r'oua


ô.i)t,..., en berbère.
5, Jasmin; cr. Leclerc, p. Ijfî; Foureau, p. 23 cl Pays du Jloll!oll,
p. LVI, rappellent en bcrbi'rc ago/lrmi, gourmi et boulila. On peut rap-
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE 39

C~:: Yabroû1?- 1 (masc.). C'est la mandragore sauvage,

(.$)..J~\ C~U\, et elle s'appelle en berbère lâryâl, J~)~; on


dit que sa racine ressemble à une figure humaine.

~~ Yedfa 2 (masc.). C'est le (wbmîry, (.$)y;>-.

û~..t. Yarba~en:) (fém.). C'est ce que les Arabes appellent


,~
cl-klcîkh, l:.. \.

ff Kerkour!' (masc.). C'est l'artichaut cultivé, ~..f-


J~.
procher d'azenzond le nom berbère ;1)\ zanzon, donné par Leclerc,
p. Tfg, au jasmin sauvage (Yasmoûn). Au Maroc, où le jasmin est
employé il la fabricalion des parfums, on en connaît trois variétés:
Zlamm, berida et cejj-a. li atteint souvent la taille d'un yéritable arbre
grimpant.
I. Cr. Leclerc, p. 180 et Guigues, J. A., p. 53g: « Le fruit porte

le nom de lOI1.frâ~l c:..~l. La racine de mandragore, bifurquée, a une


vague ressemblance avec la partie inférieure du corps humain, d'où le
nom d'anthropomorphe qu'elle portait. »
:1. Peut-Nre .s)~,. ~1011lJal'a, outarde.

3. ~ous lrOUVOns)~;''yal'batotil' dans Guigues, J. A., p. 532,


qui l'identiGe avec le pencedanllln o./Jicinale; mais il n'y est pas ques-
lion du kleilih. Ce mot désigne, au Maroc, une plante il moelle comme
le sureau, qui pousse droit et dont on se sert pour faire des toitures,
et aussi comme amadou. D'après M. Joly, il existe en Algérie une
ombellifère appelée kellikha.
4. D'après Lcderc, p. IgG, jjlial'kal' est la gomme d'artichaut.
lcû ARCIIlVES MAROCAE'ŒS

JJ..:5' Koundour L (musc.). C'est l'ellcens (loubûn); le


meilleur est le mâle, blanc, en forme de perle; il est parti-
culier aux régions de l'Inde ct de lu Syrie.

~:.S Ktîna" (fém.). C'est lu feUdclw, ~4, chez les


Arabes .

. 0.Jk:: f Kem Yeb~oûn: (masc.). Le SC~lS de celle expres-


SIOn est çanboûr (pOUl' ~'(lIIoulJel') cl-an.l, pin de la terre.

{t( Kâkendj \ (musc. ). C'est le ICIllOÛ, \.r-~\.

Ce mot cst iucounu dc nos iul'ortnateul's marocains, mais il existe


une gomme, appelé 'ail.' cd-darl, venant d'un artichaut spécial non
comestible appelé )b ddd; cette gomme, qui se vend chez les 'ach-
cluibin, est un poison; on l'emploie pour fahri(l'ler de l'encre ct de la
glu.
1. D'après le J(achcf cl'-Romouz, k01ll1doul', louuûn, r(jûouy ct haçâL-
udn seraient synonymes et dl;signeraieut l'encens. Cf. Leclerc, p. 18ll.
Au Maroc, koundoul' n'est pas ell1ploYl;, IUdou,) (:st le benjoin, haçâL-
udn est l'encens; quant au Loubrin, on n'en trouve pas: c'est considéré
comme (Iuelll'Ie chose d'extl'l\nwlllcnt pd'cieux ct rare. Le [âbb qui
croit en avoir le brùle ct met unc feuille de papicr au-dessus de la
l'umée, car la fumée du Louuân est si subtile qu'elle doit traverscr le
papIer.
~L PeuL-t'tl'c ~houlilJla, lin; cl'. Leclerc, p. :w3. On tromc
chcz les 'aWi,.ill une plante appclée fellriclUl ou l/lmlah cL-./'r,llâelul (l'le
nous n'avons pas vuc.
3. Sans doute unc délortlla lion de J'A? \.S' kallla/il/lOds (chru/lll'-
pilys), buglc, pelit-pin; cl'. Leclerc, p. 193 ct Guigues, J. A.. p. 22.

lI. CO(Iuerct (solamu/l cultivé) J \~I ~~I ':'"'.:..., d'aprL's Leclerc,


p. 201; lemor! est inconnu.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BEIUll~RE !d

~,fi( Keherbâ 1 (masc.). S'appelle en berbère lllab eth-


tha'lab, raisin de renard .

.:..,,~Kemât ~ (masc.). C'est le terfris (truITe).

;S-Koummatr l (masc.). C'est le Boû Arquiba, ~:.~) y"


et on l'appelle anl,âç, ~\:;:';\.

0L,) Kersân" (masc.). C'est le (~jOLdbân (pois) ct on


l'appelle keljâlâ, ':J..J.[

1. Succin, ambre jaune (kahraba) , d'après Leclerc, p. 187 et Gui-


gues, J. A., p. 54[1. ~\ ~, placé ici, doit provenir d'une con ru-
sion avec la plante précéd~nte. ou d'une transposition de phrase.
D'après Guigues, Nadjm ad-Drn, vocab. p. 18, ~I ~ est la mo-
rille; il en est de même au Maroc.
2. Truffe, ;;~ t,J"\?J et à.\1; (cl'. Leclerc, p. 188 et Guigues,
J. A., p. 22). Au Maroc, le tCI:fds est assez répandu; c'est un tuber-
cule blanchàtre qu'on trouve dans le B'arb, dans des terres sablon-
neuses, à ras de terre, et non au pied des chênes. Les Arabes des
plaines le mangent et viennent le vendre en ville. Le tcrfâs a le goût
fade d'une pomme de terre gelée et ne rappelle en rien notre truiTe.
/ ,
3. Poire, ):.5, komnmalhry, d'après Guigues, J. A., p. 539 el
Nad,jm ad-Dyn, p. 22. Au Maroc, on ne connaît que lingâz, comme
nous l'avons dit précédemment.
l,. Ces trois noms, kcrsâna, djoulbân et lie'ldld, désignent au Maroc

lrois planles dillërentes. Le kersana, 0L...) ou ~.J--: est l'orobe,


d'aprt·s Leclerc, p. 203 et Guigues, J. A., p. 536; il sert uniquem.el1l,
mélang'é au son, pour l'alimentation des bœufs de labour. Le [(joul-
bân est le pois (Leclerc, p. 90)' Le kCI:fdlci est une papilIonacée qui
ne croît que dans la montagne où on la \ème en même temps que le
,,
42 ARCHIVES MAROCAiNES

) (Kebâr 1 (masc.). S'appelle en berbère Tâxloûlt, ~)~.

~) Krounb" (masc.). Parmi ses propriétés, la plus


remarquable est de faire aboutir les abcès; on le pile ct on
en met un poids de 2 dracJlmes environ sur l'abcès, dont
le pus s 'échappe alors.

\fx.(Koundous' (masc.). On est en désaccord. ~l son


sujet, mais ce qui paraît le plus véridique, c'est que ceUc
plante n'est autre que le tar'ir'ecl!, racine noire à l'extérieur,
jaune à l'intérieur; on dit qu'on fait cuire son suc jusqu'à
la consistance du goudron, et qu'on en enduit les flèches
qui deviennent empoisonnées: cette racine est en eITet un
poison mortel.

drd (culture mazoLLzya) ; elle donne des gousses plus grandes (lue celles
des pois. On mélange sa farine avec celle des céréales pour Caire du
pain ou de la purée liquide appelée beîçara.
1. Caprier. Cr. Leclerc, p. 180 ct Foureau, p. 211 (kabbal', cabll(/r,
taï/aloat, ti/oalet). On en trouve au H'arb, au bord du SeboLL ; itlle sc
sème pas, mais se transplante; ses racines sont très profondes (3 mètres
environ, pour un arbuste de om, 50); le l,-abâr ne ressemble guère au
caprier ; son fruit est gros ct long, comme une longue prune verle
avec pépins, Cc fruit, pilé ct mélangé avec du miel, est emplo)é
comme dépuratir; la racine est placée dans de l'cau qui s'en imprègne
ct dont on arrose l'orge des bètes de somme.
2. Chou. Sa pI'Opriétéde guérir les abcès est indiquée dans Leclerc,
p. laI. On l'appelle kebbâby dans les villes du nOl'd-marocain.
3, Saponaire. Cr. Leclerc, p. ISG: « c'est la tar'ir'aeht..:.,. ";H;j ...
on en fait un extrait que l'on réduit jusqu'à consistance de poix et on
trempe dedans les traits et les Ilt\ches. )) Cf'. aussi Haynaud, Jl. 172
(Tal'ireell, saponaire).
Tar'ir'eeht est seul connu au Maroc: celle plante croit à l'état sau-
vage clans les terres dahs; la racine séchée au feu, pilée ct tamisée
sert au lavage des laines, comme nous l'avons dit dans Archives Ma-
rocailles, II, 2, p. \)S. Elle sc yenù chez les 'achchâbin. Des :\Iarocains
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN AHAnE ET EN HERB~~RE 1[3

~.J-« Ksoûta J (masc.). C'est le parasite du lin, que les


cultivateurs connaissent bien et qui n'a pas de racine.

~t./Kroun k"-.
c-\!) Les habitants du Dra'a l'appellent kc:.-
IJulzek.

0.J~Kamoûn: (masc,). Il Y en a plusieurs espèces: le


noir Kermâny, c'est le sâlloLldj, le Per:-;an jaune. le eltamâ-
nif] ct le founey (?). 'j
,l, C~ .

;).J~ Kasboûra ". C'est le r;asbolÎl', avee le J.


qui ont fllit le pèlerinage de La Mecque nous ont dit qu'en Arabie on
ne sc senait pas d'autre chose pour le lavage des vêtements et du linge;
on l'appelle eftnân (ouehnân), mot que les dictionnaires traduisent par
cc alcali »). Il y avait à l'époque du khalifat, à Baghdàd, un soâq cl-
olle/Iluill, marché où on vendait vraisemblablement la saponaire.
Pour le lavage des laines, dans le nord-marocain, on mélange la
lar'ir'eeht avec une autre plante appelée boli-/ou'na et parfois avec une
troisii,me, à grandes feuilles denlel(~.es, appelée li"Cln el-~/(frlh (langue
de hœuf). La premii're de ces deux plan les est mangée par les ['emll1es
lorsqu'elles désirent prendre de l'embonpoint. Les Djebala ont l'ha-
bitude de dire: cc Elli I,olaholll el-boliimino, haisolilly F~/(/I lnilla. »
Celle qui mange la llOti-I,lIilla devienl cOlllme une pelilc jarre. »
1. Cuscute. cr. Leclerc, p. '\)0 (-:".>.:$).
2. Le kiZIJui:e/; ou hi:llui:er!i est le fruit du tamarisc. CI'. Leclerc,
p. 1 fJG. 11 existe cependant un grand arbre, appelé kl'lw/; ou krolillk,
an ~laroc, (lui n'a rien de commun an'c le lamarisc, mais qui paraît
plutôt Nre une variét(\ de grand ricin.
:{. Cmnin. ])'aprios Leclerc, 1). 181-182; en noie: cc le eal'l'i n'est
pas le cllmin de Kerman, mais celui d'Arm('nie; la nigelle Il'est pas Je
clunin de l'Inde, mais bien le cumin noir. Quant au cumin blanc,
nous trouverons ailleurs l'anis, appelé cumin donx ... ) Dans Foureau,
p. ,')(j, le sânolil!i est la //iuclla saliva.
Il. Coriandre, (lui s\'crit plus souvent encore ./j.')' !.-o//:!Jollr on
';,./~S kou::uollra. Cr. Leclerc, p. 183. La graine de coriandre mon lé
4i ARCm VES ~IAHOCAINES

~.:J\ "'-!"( Kef edh-Dhib 1 (Palte de loup). Les Arabes

l'appellent ez-zouiqa, ~:,Jjl.

c:JI "'-!"( Kef es-Siba' J (Patte de lion). C 'est la fleur

de medilka, 4.-<1...\..4, cn dialecte des gens de Fès.

(.~ "'-!"(Kef Mariam (Paume de Marie). Plante appe-


1

lée chadjaml al-Talg, JlbJ\ ~Ê. Lorsqu'clIc est macérée


dans l'eau cl qu'une femme en train d'accoucher boit celle
eau, l'accouchement se fait rapidement cl sans douleu,..
Elle pousse dans les lieux resserrés, sans feuille; une fois
poussée, elle se ride et sc contracte comme la patte du fall-
con à la chasse; si on la met dans l'cau eUe sc dénoue et
s'étale, et lorsqu'on l'en retire, elle se contracte de nou-

veau. Les Arabes l'appellent el-kemich, ~1.

~\...lA)Kermedâna \ (fém.). C'est la graine de melhnân


(passerine).

porte aussi le nom de Loubrin eL-cUinn, parce ciue lorsqu'un individu


est possédé du démon, le tùleb qui veut l'exorciser lui fait respirer un
mélange de celle graine, de benjoin et de goudron brûlé sur le feu,
en prononçant la sourale el-~iinn du Qoràn.
1. Non identilîé; il existe au Maroc une plante ressemblant à l'as-
phodèle et appelée Sil ed-dhib.
2. Renoncule des champs, d'apr(\s Foureau, p. 25 et Pays du Mou-
lon, p. LXI. Il existe une eupborbiacée appelée mediLka, employée
conlre les enflures et n'ayant rien de comtllun avec la renoncule. Cr.
aussi Raynaud, p. 171 . •
3. Foureau, p. 251, traduitkf;/~Merielllpar vilex agIHls-caslus. C'est
au Maroc une plante dill'érenle du kelllich qui paraît être la Lelle de
nuit; elle est cultivée dans les jardins, mais n'a pas d'usage médical.
4. Le rnelhndn, qu'on trouve au Maroc septentrional, chez les Dje-
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRI~ 4.5

0.f! Kîtoûn 1 (masc.). C'est le fJadenjal (aubergine) sau-


vage.

\ )Karm 2 (masc.). C'est l'arbre qui produit le raisin.

0) Leren 3 (masc.). C'est l'aml, J), ct une autre espèce

bala, dans des terrains pierreux, est la passerine, d'après Leclerc, p.


:1I8, Foureau, p. 30, Pays dnMonton, p. LXXX; aucun de ces auteurs
ne parle de la /œrmedûna.
T. Nous n'avons trouvé ce nom dans aucun auteur; l'aubergine
sauvage n'existe pas dans le nord marocain.
2. Vigne. Cf. Leclerc, p. T 8g (i)' c'est la vigne ~b qui porte le

raisin); le Dr Leclerc ajoute en note: « En Algérie la vigne se dit


dalya et le nom de kerma est resté au figuier. )) Il en est de même au
Maroc. Karma est le figuier et !wrmoûs la figue, karm en-nouçûra le
figuier de Barbarie. La vigne se dit uniquement dûlya. Il n'y a réel-
lement que les lettrés qui connaissent le sens de vigne attribué à
karm en Orient, et lorsqu'on les interroge à ce sujet, ils ont l'habi-
tude de citer ce vers d'Ibn al-Fàri(J:
« Chari/mâ 'ala dhihri Htabîbi mOl/dûmatan,
« Saharna biha min qabli an iahhlonha l-/wrm! »

« Nous avons bu un vin au souvenir de l'ami; nous nous en som-


mes enivrés avant que la vigne. ,)
En Palestine karm a le sens de « verger )) non irrigué par l'eau
d'un puits. L'hébreu C:)iJ désigne une plantation d'arbres fruitiers.
Cf. Clermont-Ganneau, Recl/eil d'archéologie orientale, t. VI, p. Ig.
3. Ce mot doit être une faute de copiste pour -....:} 1011! (amm) au
sujet duquel 'Abd ar-Razzàq dit: « .. , dans l'Ouest on l'appelle irna
J..r..I. )) Ces deux mols désignent cependant deux plantes dilTérentes
dans le nord marocain. Le loû! se rencontre dans les forNs sablon-
4G AHcm VES ~[AROCAINES

c[u'on appelle al-qûqcs, ~tJ\ en langue des gens de Miçr


(Égypte).

~ Loubna 1 (fém.), C'est la lamra as-sâïla (styrax


liquide),

w'J.} Lablâb! (masc.), S'appelle al-lollâyl1, ~\..J~\.

0~':J Lâdhen l . Ambre trouvé dans les boutiques des


'agârîn,

neuses; on le {'ait cuire avec du lait et on en {'ait des cataplasmes pour


guérir les rétrécissements des tendons des jambes. L'il'lla cst un tuber-
culc semblable au topinambour (lilanbo[! en dialecte marocain), (lue
mangent les pauvres aux époques de famine. On le fait griller sur le
l'cu, on le passe à la vapeur d'eau pour lui enlever son amertume;
on le moud ct on en fait du pain ou du couscous. Ceux qui en man-
gent en grande quantité meurent dans l'année; ils commencent par
noircir et la couleur de leur teint s'assombrit jusqu'à la mort, il
moins qu'ils ne changent d'alimentation. On en a mangé beaucoup
dans le ll'arb l'an dernier, ct il sc vendait jusqu'à r douro r/2 le
moudd, ou Soûq el-eihnln de Moulay 'Abd al- 'Azlz, chez les Cherarda,
alors que le blé valait 5 douros le moudd. Mais le prix du blé ayant
baissé il temps ponr que les populations du Maroc septentrional puis-
sent en consommer ct abandonner l'irna, il n'y a pas eu de morta-
lité.
r. cr. Leclerc, p. 2 IL

2. Lierre. Cf. Leclerc, p. 20G (synon . .sI) et <\l \}), Le lierre au


Maroc s'appelle leblrib, et ilexisle chez les Djebala une plante grim-
pante dilTérente, appelée ~1} ou ~I}. Ce dernier nom est d'ailleurs
un terme générique pour toutes les plantes grimpantes.
;), Ladanum. Cr. Guigues, J. A., p. 5[10, ct Leclerc, p. 2U;).
« C'est quelque chose qni ressemble au bi tume judaïque sous le l'ap-
port de la couleur ct de la mollesse, toutefois avec une bonne ode ur
qui rappelle de loin celle de l'ambre ... »
SUR QUELQUES NmlS DE PLANTES EN ARABE ET EN BElm~;RE 47

J*\ 0\...J Lisân el-djemel l


(Langue de chameau). C'est

la meççâça, ~l.a,...

~t,a.J\ 0l...J Lisan el-'açâfîr" (Langue de passereaux).


C'est la baie du frêne, )I~.J~'

.J..,:l\ 0U\ Lisan ath-Thoûr 1 (Langue de taureau). C'est


connu; sa feuille est rude au toucher, et grise; sa fieur,
bleue.

~.:..}- Lekhianch (masc.). C'est la /dwzâmâ, L.\,,;..


l,

~ Loucîq'; (mase.). On L'appelle oreille de lihre

1. J.J,..\ 0\-.\ (langue cle moulon) cl'après le Kache./ er-Romoiiz


qui cile aussi le nom de meçç,iça. Cf. Leclerc. p. ~w4, C'esl le plan-
Iain.
2. Lisan 'aç./oiir, d'après Leclerc, p. 208, fessaI! ellir (langue d'oi-
seau) d'aprôs Haynaud, p. IG8. Cf. aussi Guigues, J. A., p. 515. Le
l'rêne s'écril aussi .r~.r~ ou ) \"o.r~ (avec 2 r!l1d) , au Maroc. Nous en
avons parlé précédemment.
3. Bourrache. Cf. Leclerc, p, 207· Elle s'appelle ~wrrl1chya ~If'"
au Maroc, où on la donne à manger aux bêles, ignorant ses proprié-
tés médicinales.
I,. Non iclentifié. Nous avons parlé cl(jà de la khezl1ma.

5. Cynoglosse, que le Kache./ er-RomanI appelle encore oL~JI0~1,


oreille cle brebis cl ~ Ji;' khodhny ma 'ak « prends-moi avec
toi! », parce qu'clic s'attache aux vêlemenls. Cf. Leclerc, p. l,o:
Foureau, p. 34. Les /ollm marocains clisent que le [al/cil] est clillérenl
lie l'ondllen el-arnell. Celte dernière plante est douée de verlus magi-
ques. Lorsqu'un homme est malade el qu'ou va « lui écrire », c'est-
ARCHIVES MAROCAINES

~)':J\ w)\, oreille de gazelle JI.:,;]\ w)l, puis ~\ ........,\


. "'

abib ech-cha'T', J~\ ~:\ abÎb el-'at/jal, et i\..kJ\ i" CheÎ(t


et-ta'dm .

..::..-.j:-':J Lâr 'ît Arbre d'euphorbe w.J;!.J.' qui s'appelle en


1.

berbère lakerl ~ft.

':J) Loûlâ ~ (fém.). C'est l'olivier qu'a mentionné Dieu


dans Son Livre, et au sujet duquel on rapporle celle tradi-
lion du Prophète: « Mangez de l'huile et oignez-vous en,
car elle vient d'un arbre béni! »

~ Mouç~aka3 (masc.). C'est la gomme romame

à-dire demander à un taleb un talisman écrit, ce dernier demande


parfois une feuille d'oudhen el-arneb qu'il roule dans le papier; ou en-
core il recommande de prendre une feuille sèche de cette plante, de
la piler et de la mettre dans de l'eau qu'on fait boire au malade en
lui attachant le papier au cou.
1. :i.f~ lûghya, euphorbe, dit Guigues, .J. A., p. gr. L'euphorbe
se dit aussi Jerdyotîn (avec un dal) au Maroc; lorsqu'on en met dans
IIne dent creuse le soir avant de se coucher, cette dent tombe le len-
demain matin.
2, Nous n'avons trouvé ce nom dans aucun auteur.
:). Gomme mastic. Cr. Raynaud, p. 170 (mosteha, l'mployé dans
Je lait ou Je pain pour parfumer, gu(\rit les rhumes et maux de gorge).
\u l\Iaroc septentrional, on J'appelle mesha, mot que certains auteurs
ont pris pour le musc: les grosses lannes sont dites meshal el-Uakh-
zen.
sen QUELQUJ<:S NmlS DE PLANTES EN AHABE ET EN BERBlhm 19

d JJ dk., fournie par un arbre ressemblant au frêne,

~)-l.7"1. Mâmîrân 1. Herbe à hirondelles, ~u.J..\ :t\Q~ ;


racine mince, .iaune ; plante connue.

J'i'Jv-- Mazernoûch 2 (masc.). C'est le merddoûch,

J'J~~~, que d'autres appellent aussi mardenoûs, V"i'~~.

~ Makhî!â 3 (masc.). On rappelle en langue popu-


laire ZwM el-mouloûk (grain des rois), ct on dit aussi qarâsya,

~\).

1. Chélidoine. Cf. Leclerc, p. 219 (Ibn Beithar dit: on les appelle


aussi racines jaunes, herbe à hirondelle).
Cette plante est connue au Maroc sous le nom de bqoul el-k/wUeU';
elle ne se vend pas, mais on la trame dans les champs; la feuille pi-
lée et appliquée sur le front et les tempes guérit les maux de tête.
2. Marjolaine. Marzandjouch, mardaquouch, mardadouch el mari-
(jUOlln, dans Leclerc, p. :121 ; MeL/rd ehollch, dans l\.aynaud, loc. cit.
Ces difl'érentes appellations sont des altôrations du même nom. Mar-
dadollch, entre autres. est IIlrll'daqolich mal écrit. Nous avons cepen-
dant connn des 'a!!ârîn n'ayant jamais vu ces noms écrits, et qui ne
connaissaient que mardadolich. Dans le nord-marocain, le mardadollch
sert à faire, par distillation, une eau semblable à l'eau de fleur
. d'oranger et appelée mâ l-merdcdollch. La marjolaine, cuite dans du
lait, est un reml,de pour toutes sortes de maux, notamment le rhume.
On la mélange avec les épices qu'on meL dans la lœj~a (saucisse), ou
dans le poulet aux amandes. On la vend fraîche cher. les marchands
de menthe na 'na'.
3. Sebeste, d'aprl's Leclerc, p. 235 (rnoukhaitha); cependant qarâ-
sya - de même que ~wbb el-rnolllodk - est la cerise, comme nons
l'avons déjà vu.
ARCH. MAROC.
50 ARClIIVI~S MAROCAINES

~J? Mahroûth 1 (mase.). C'est la raemc de derâis,

--
~b~(?).

tl~v-- Mardâsendj 2 (masc.). On l'appelle al-mourtaq,

~ JI ; il Y en a d'or et d'argent.
J~ Mqîl:J (masc.). Bleu; c'est la résine du dOLÎm, et on

dit que le peuple l'appelle taqdrest, ..;........J~~.

u.,;L. Mayoûbazadj '. (mase.). S'appelle zebib el-djebel


(raisin sec de montagne) et ~tabb CI'-nlS (grai n de tête) cn
langue populaire.

~~ Marqad G. Descend SUL' les palmiers ct autres arbres


et s'y attache; on l'en extrait; on l'appelle ~j lerendjes;
c' cst connu.

r. Racine d'asa. Cf. Leclerc, p. 225 ct Guigues. J. A., p. l,Sfi.


L'asa fœtida sc dit anjoudân et ~lClltit.
2. Litharge, qu' 'Abd ar-Hazzâf[ écrit ~f mourLak. Cf. Leclerc,
p. 215.
3. C'est le moql: Bdellium, résine de doûrn. Cf. Leclerc, p. 213.
Nous en avons déjà parlé.
L,. Ou miollfaradj Ur.:-' staphisaigre. Cf. Leclerc, p. 222, 131,

Il,3.
5. Non identilié. On vend chez les 'achchâbîn une sorte de gomme
appelée Lerendjes, que nous n'avons pas vue ct qui sert aux femmes à
faire des opérations de sorcellerie.
sun QUELQUES NŒIS m~ PLA:'iTES EN AHAnE ET EN BERB~:RE M

)Y""L.V- Marmâhoûr 1. C'est la plante médicinale appe-

lée en langue populaire al-r'araqchya, ~~;;J\; on l'appelle


aussi )~\f « pierre de lumière )), à cause de son utilité
pour la vue. Il y en a plusieurs espèces, dorée, argentée,
cuivrée, ferrugineuse .

..;.........\.... Mâmit 2. Herbe de bonne odeur, de goût amer,


de couleur entre jaune et rouge, importée d'Oeient avec
l'aloès de Socotora: elle est bien connue .

.Jy')j\.... Mâzeryoûn: (masc.). C'est


l
l'adl'lÎl', )))\, el en

Arabe le cle./la, ~?); sa feuille ressemble à la fcuille de


ricljla. petite, en foeme de feuille d'amandier. Ses racines

1. Tt doit y avoir une confusion entre deux arlicles différenls, il


moins que le"copisle n'ait saulé une ligne. Le paragraphe consacl'l)
par le J(ach~r er-RollwllZ il celte planle ne parle pas en effet de la
« pierre de IUlllil~re )). Il donne simplcment comme synonymes de

lllarlllâ~lOlir (qui esl lc marum) dhollmrûn wl~l, ~tabeq ech-choll-

iOllhh b~\ -.Y.>' el marou).,.. Cr. Leclerc, p. 225.

2. Glaucium e). Cf. Leclerc, p. 229 et Guigues, J. A., p. 58

(~\..).
3. Mezereum, d'apl'l~s Leclerc, p. 219, et Guigues, J. A., p. Go.
Ce dernier au leur dit qu'il est appelé aussi ..;0):)1 w~j, olive de
terre; or la planle appell~e « olive de terre» au Maroc est la même
que le baîl,l el-r'oûl (ceuf d'ogre) qui sert comme m,édicament et se
vend aux 'achchûbîn comme nous le verrons plus loin. EDe est en tout
cas différente du laurier-rose (dej1a) qui s'écrit régulièrement )t~,) et
non ~,). Nous ignorons cc qu'est la viande de wl,ai, dont il est ques-
tion dans ce paragraphe.
AHCl!tVES ~L\HOCAINES

sont rouges et renferment un suc blanc (comme celui de

la) passerine, 0\~A. Une variété de mâzeryoîm, une des


plantes des rivages, connue sous ee nom par les Arabes, a
comme propriété de guérir la maladie de l' hydropisie et du
gonflement (du ventre); e'est un remède très utile pour
l'ecwjaune. Le malade le boit le malill li jeun après Ltvoir
broyé et tamisé. La quantité qu'on peut en absorber est de
2 mithqàl comme poids, après l'avoir mélangé avec du miel
pour en faire de petiles bOlllelles. Le malade mallge dcla

viande de 0l.a; mâle et ne boit qu'une petite quantité de


l'eau amère susdite, après ravoir euile: cela lui sera avan-
tageux s'il plaît à Dieu P

~)~ Merâra 1 (fiel). Il y en a plusieurs espèces. Le meil-


leur est celui cJui sert aux a/Tcctiolls de la vue; le plus
Jilihle est le merâral cl-Imurl,y (Gel de grue), ensuite celui
de taureau et en général le 1iel d'ulliruaux (quaclrupèdes).
Lorsclu'un de ces Jiels est mélangé avec du miel et du suc
de zâryânadj (?), et qu'on enduit l'œil dc ce collyre, les
affections de la vue sont guéries. Il est utile pour la cata-

racte (.U\J..,5 ), ainsi Clue le sirop de raisin, ~:.J\


. WJ..
..::,;\Ç. Mekât 2 (mase.). C 'est lu racine du grenadier sau-

1. Cf. Leclerc, p. 228 (.,:)) If, fiels). On cannait au Maroc ses


propriétés relatives aux a/reelions de la vile. JI existe aussi lIne IlCrhe
appelôe lIlert1ra.
2. Grenadier sauvage, mour'a/s, ~\M, d'après Leclerc, p. 229. On
l'appelle au .Maroc rOllllwHill 'wlltmy, parce que le l'ruit contient une
sorte de noyau ('wlhem).
seR QUELQUES NŒIS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERm:RE D3

0~v-' Mersyân 1 (mase.). C'est 10 myrte, ris en langue


du pays.

(;/.4 Moûma' (maso.). C'eslla graine do grand 'aoasadj


(lycium afrum).

l..v-' Mermâ '. Préparé avec un grand nombre de plantes


médicinales ct de racines, comme le sirop de racines; ses
propriétés sont nombreuses; on l'appelle aussi ça(ûfaf
al-moaloù!" (page des rois).

<.J.:.,,-i Nasrîn "( masc. ). L 'appellation populaire estial' 'a l't,

tJ Narendj , (masc.). C'est le ::.cnboa', t!:";j.


1. c::.. .
f mersill, lIJ)Tte. Cr. Leclerc, p. 230. Ce mot est inconnu
au Maroc.
2. La çaZII'jat al-moulorih est connue au Maroc comme une plante
importée ct cultivée dans les jardins d'Ouazzân.
3. Hose musquée. Cr. Leclerc, p. 2 /11 ; Foureau, p. 33 ct Pays du
Moulon, p. LXXXVI (berbi·re: lhafis, liciT'l, lichirl). En Algérie on ap-
pelle nesri toute rose saulage. Au Maroc on dit aussi nesri, mais aVl'C
un sens plus restreÏnt.
Il. Orange, d'après Leclerc, p. :dlg, qui ajoute en note: « L'orange
s'appelle en Algérie lchchilla. )) Au :Maroc, on connaît trois sortes
d'orange amère (immangeable et senant uniquement à faire de l'cau
de fleur d'oranger) appelée Ilaren~j, l'orange douce, lelchina, ct la
mandarine (à Tanger seulement) letchine dai]. Dans le Levant,l'orange
se dit bourloui]dn (Portugal) el. la mandarine Sfefend)' (Yoùsef'
Efcnd)).
5-1 ARCHl VES MAROCAlNES

~J Nerhâ (masc.). Noir, impOI'lé de Médine(?).

Ji'- Bakhoûr 1. Préparation composée d'ambre, de musc


et d'aloès.

t.:.i Nacham 2 (masc.). C'est le derdâr(orme ou frêne).

\~ Namâm:J (masc.). Santal des puils; c'est l'espèce


sauvage.

LI.:..; Na 'nâ'!' (masc.). Connu sous le nom de (wbeq


en-na'nâ'.

1. D'après Daoud al-Antaky (cité par Leclerc, p. 246) ce fut le


fameux médecin Bakhtichoua qui fut l'inventeur de ces prépara-
tions, appelées encore ~)i=: balchoûr de La i\Iecque et ~rl".\j nedd
asolid, Au Maroc, nedd est l'encens.

2, Orme, d'après Leclerc, p. 2!17; cepenùantle )b)~ (dadlir) est


ici le frêne: quant au nacluim, il d{-signe au Maroc l'abricotier.
3. Cf. Leclerc, p. 2!16. D'après la note du Dr Leclerc, il semble
flue ce doit être la menthe aquatique,
Il, Menthe. Cf. Leclerc, p. 2!1;) et Pays du Moulon, p. LXXXII.
Le na 'na' en inlùsion ùans le lhé (alé benna 'na') esl la boisson
favorite des Marocains.
Ils désignent cinq varié lés de na'na' :
l ° lVa' na' guenavuy, appelé ainsi parce que la /Cuille esl plus foncée
que celle des autres, el la tige rougeâtre: la feuille esl lisse. Très
chaude ct excitante, on ne la boit pas en ét{-. Infusée dans la ~larîra
(soupe), elle guérit les maux d'estomac: placée sur les tempes et le
front, elle guérit les coups de soleil;
2° Na'na' ~Iarch (dur) à grandes feuilles rugueuses, se boil l'été:
3° Na 'na' menyolily, il grandes feuilles et longues tiges, semblable
à la merryoùta, flui est la menthe sauvage: elle est mauvaise et se
boit peu:
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE 55

~)t Nâren1;La 1. Plante connue; c'est le fedoûndj de


montagne.

~; Naft 2. Connu.

~)t Nârdjîl :1. C'est la noix indienne.

li 0 l\a' na' belinsy (de Valence?) à feuilles toutes petites, très parfu-
tuées;
50 Na °na ' fi io uy (ressemblant au fiyo) à petites feuilles et tiges lon-
gues et minces.
Il existe en outre la merrY0tÎla ou menthe sauvage, dont on ne fait
aucun usage.
La supériorité d'une de ces variétés sur les autres s'apprécie en rai-
son du parfum des éructations.
Le na 'na' se replante par boutures dès les premières pluies d'octo-
bre, pour être coupé un mois environ après. Cependant, la quatrième
variété (belinsy), étant plus délicate, est plantée aux dernières pluies
de printemps.
Les propriétaires de na 'na vendent leurs plans à des marchands
0

qui viennent les couper et n'ont droit qu'à une coupe; à mesure que
les plans sont coupés, le rebbâ (jardinier) arrose ce qui reste pour
0

préparer une nouvelle coupe. La coupe est vendue par plan appelé
~I.au(l (plur. a~wuâ(!), de [m,50 sur 2 IU ,5o de dimensions, à 1 douro le
plan. Les marchands de na 'na' il Fès vendent uniquement cette plante
en boutique; ils décorent leurs étalages avec de petites roses qu'ils
piquent dans les paquets de feuilles; on les appelle monalin el-ilJâma,
du nom du na "na" qu'on appelle ilJâma, t.\;I, parce qu'il sert à « dres-
ser » le thé (bach ilJ0lÎ17lotÎ l-alé); c'est l'assaisonnement du thé.
r. Sans doule ~"')? foudanarJ.j, dont il y a une espl'ce de monta-
gne. Cf. Leclerc, p. 279 ; cc mot désigne les menthes en général. Il
n'est pas connu au Maroc.
2. Mélilot, luzerne d'après Ebn Beilhar et Forskal. Cf. Leclerc,
)). 2;)0. Il existe au J\laroc une plante appelée nefl, qui ne ressemble
pas du tout à la luzerne; elle a des racines s'étendant de tous côtés,
des fleurs LIeues et de petits fruits verts.
3. Noix de coco, djoû::' el-hebîr, qui vient de l'Inde. Cf. Leclerc,
p. 247·
ti6 ARCHIVES MAROCAINES

ci-..)t Nârmesk 1. C'est le (!,joU/lIuil' cr-Rownmâll, ct

aussi le tisâqt, ..k.;l.i;.

i,t Nâdjm 2 (mase.). S'appelle al-lâja (le marchand)


parce qu'elle ouvre sa fleur en jour et la ferme la nuit; sa
fleur est jaune; elle pousse dans les marais.

~ Na~C (fém.). C'est la selâï/dw, ~')A......

t Nîladj l" C'est l'indigo (lIll) des tanneurs.

~ Nabq ;;. (;'estln fruit du lotus (sedra).

r. Racine de grenade (ndrmechlt, ~':"A)~). Leclerc, p. 24" dit


en note: « Ebn 13eilhar dit que le narmecbk ,eut dire en persan
musc de grenade ct que cc sont de pcti tes grenades ouvertes ct ressem-
hlant à une l'ose. »
2. Chlora grandi/Iota, d'après Foureau, p. 3D, Leclerc, p. 2,4,
parlant de l' 'aroûs (nénupbar) qui se ferme la nuit cl s'ouvre le jour,
dit: « ce n'est pas le üîdja .)~\:ll, qui ressemble il la petile centau-
rée)). Nous ne connaissons pas de liJdjer au Maroc septentrional, mais
il existe beaucoup de neurs ayant cette particularité.
;). Peut-être ~..L saliltha, cannelle, sur laquelle, cl'. Leclerc,
p.3[8- 31 9·
El, Pastel indigo. Cr. Leclerc, p. iJ!IO. ltu l'lamc on l'appelle lU'Ia:
a est uniqnemcnl importl! d'Europe. Le bleu il linge de la Illar((lll'
G'lillll't est dit illlssi nîld.
5. Ou nabù], fruit du zi:yphus lolus ou pelit jujubier (sirll'). cr.
Leclerc, p. :~/d et Foureau, p. ;l,. On l'appelle nebaq au i\Iaroc, 01"
il se vend jusqu'i1 2 douros le J1!oudd il EI-Qçar, pour l'alimenlation.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBI~RE 1J7

~~ Çabîr 1 (masc.). Çabîr Seqotry (de Socotora), connu.

~ Cemar' (masc.). Arabe, c'est la gomme de !œlkh.

J..\.:~ Çandal". C'est un bois tiré d'Orient; il Y Cil a du


jaune, du rouge et du blanc .

.J..J:~ Cenoûbar". S'appelle en berbère tâïd, --\:~.

;.~ Ça 'ter ". C'est le za'ter, .fl.j ..

J. Aloès. Cf. Leclerc, p. 253 et Guigues, J. A., p. 69' «Suc des


feuilles de l'Aloe vera Mill et autres. Cc produit qui venait autrefois
surtout de l'ile de Socotora, d'où le nom de Socotrin ou Sucotrin,
arrive maintenant de tous les points du globe. )) L'aloès est très ré-
pandu au Maroc où on l'appelle çabra; sa grande bougie appelée çau-
ma 'a (minaret) sert il faire les poutres ct traverses des bioût dans les
campagnes. L'aloès pharmaceutique porle le nom de ~wr'loûm; le
bois d'aloès im porté est Je 'olld 'lomâr,)'.
2. Santal, cf. Leclerc, p. 2~lO. Au Maroc on l'appelle 'olld el- '/râ'l
(bois de l'lràq). On connait sous le nom de çandal une petite planle
médicinale dont on fait une cau comme l'cau de fleur d'oranger; on
s'en sert dans la préparatiün des pou Ids aux amandes. ,.
it Pin. Cf. Leclerc. p. 254 et Foureau. p. 38 (Snoubar, laïda. a:ollln-
beï, pùms halipensis). On en trouve sous le nom de ce IlfJ li IJa1' au Hif
ct dans les tribus d'Akhmas, Çanhùdja, H'olllùra, Mar'nisa; les Dje-
Lala exploitent le Lois ct le goudron.
El. D'après Leclerc, p. 256 ct 327. cc mot s'écrit avec nu j, uu I f ou
un ..r' cl s'applique au genre sarriette, au thym et à l'origan. Au
Maroc, où ou dit aussi bien :a '1er (lue ça 'ter, c'est. la lavande qui est.
désignée. C'est une panacée universelle; elle guérit surtout les coli-
ques, diarrhées. indigestions. maux de tète; on en fait boire des in ru-
sions aux fenl111es acccouchées. Elle croit à l'Mat sauvage et se vend
chez les .ac1whribin.
58 ARCHIVES MAROCAINES

~))~ 'Aqer qar~â 1 (fém.). C'est la tajentîst, ~k:f.

'7'l:,ç 'Ounnâb 2 (masc.). C'est le zeJzoûJ, ,-!Jj?j.

J4 'Ança1 3 (masc.). S'appelle baçal el-Jàr (oignon


de rat), achqU (seille), baçal el-lJwn:îr (oignon de cochon)
et uaçal Fara'oûn (oignon de Pharaon).

~...f' 'Archîtâ l, (masc.). L'appellation populaire est


mkâder, )~~.

~ 'Anbar 5. Tiré de sources dans la mer; on en trouve


aussi dans les entrailles de certains poissons.

1. Pyrèthre, .:...~ tiquenlhest, d'après Leclerc, p. 265. Au


Maroc cette plante esl connue sous le seul nom de lajentist et sert aux
opérations de magie et de sorcellerie.
2. Jujube (zizyphus Spina-Christi). Cr. Leclerc, p. 271 el Foureau,
p. 47· Au Maroc, on dil zeJzoûJ, l'autre nom n'étant pas connu. Les
jujubiers sonl eullivés dans les jardins d'Ouazzàn el de Fès; les ju-
jubes se vendent à la livre à Fi~s, et, ailleurs, au petit panier.
3. Scille. cr. Leclerc, p. 273. Au Maroc, on fait une diITéreucc
entre ces différents mots: l' 'ançal est un gros tubercule, le baça[
el-Jar est beaucoup plus pelit, le baçal el-khangir est long et mince.
Ces tubercules poussent àl'état sauvage et ne se vendent pas. L'ançal
est employé par les femmes pour éteindre cbez leurs maris l'amonr
que cm; derniers ponlTaient éprouver pour d'autres femmes. Elles
font cuire 11 cct eflet l' 'ança[ dans le couscous ou dans la banrâ.
ù. Non identifié.
;l. Ambre. Une nole de Leclerc, p. 263, dit: « il s'agit ici de
l'ambre gris que l'on eonsidère aujourd'hui comme le produit d'un
cachalot. ))
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE ti9

L.:.b-. J:iâchâ t (masc.). S'appelle za'ler el-Iy,emir (sarriette


des ânes).

"-,,..A~L::o. J:ierâqyâs 2 (masc.). C'est l'oumm el-bina, ~}\ ,1.


'-!r J:iourf ' (masc.). C'est le ~wbb er-rechâd en langue
populaire.

~. >1I ~ J:iommoç el-J:1emîr" (Pois chiche des ânes).


C'est le Iy,assak, ~.

r. cr. Leclerc, p. r33. Za'tereHlemîr est seul connu au Maroc.


::l. LI.;> harassia (euphorbe), d'après Leclerc, p. r55, qui l'ap-
pelle aussi OlÎm ellebina, ~.\I\ il. Au Maroc. on dit oumm el-bina,
qll'on prétend dill'érent de l'euphorbe Uerdyoûn).
:). Cresson alenois, d'après Leclerc, p. r:~4. Le ~101lI:f est très connu
au )[aroc septentrional, où les 'achcluibin le vendent. C'est une petite
graine ronge (Iu'on avale en pincée dans un ,erre d'cau, comme for-
tifiant. On le mélange avec la ~1C[llba pour les animaux.
li. Tribu/us terres tris, d'après Leclerc, p. 138 (hassak, ~_>, ou
himmos el-amîr ~~\ -.;r.....» . Il est à remanluer (lnc lc 1(ach~r er-
Romouz dit le pois chiche de l'émir, tandis que nolre rnanuscl'il donne
le pois chiche des ânes; celte dernière leclure est pIns vraisemblable;
d'aillcurs c'esl ainsi qu'on appelle celte plante dans le Nord-·Maro·
cain, ou on la prélend difl'érente du ~wssak.
60 ARCHIVES ~IAROCAINES

~ ~anîtet (masc.). C'est la gomme de l'anjoudân


1

(férule d'asa [œ tida).

t!)...\.:;:.. ~andaqoûqâ 2 (masc.). C'cstle :ol/a/'({. )J)j qui


est clans les prairies marécageuses.

\~ ~ammârn:3 (masc.). La (wmelr.la, ~~.

~k:>- ~in~a" (masc.). C'est le froment l!' ct 011 rap-


pelle aussi)\ el-ben'.

1. Asa Jœtida (hal/Ut, haltît, hillil). Cf. Leclerc, p. 15/1. ct GuÎ-


~

gues, J. A .. p. 486. (La plante porte le nom de ~\j,:;e:i \, la gomll\e-


j-ésine celui de ...::..:1>,
ct la résine celui de ~)p). Au Maroc
l'as a Jœtida elle-même s'appelle ~lalllUet ~lanile/ (au diminutif). On la
vend chez les fachchûuin ; c'est une panacée universelle; elle sert no-
tamment en sorcellerie, où elle représente uu des principes mù!es ct
femeUes dont l'accouplement donne lieu il des phénomènes surnatu-
reIs: 4.:1,J\s::::Jb
..
.::.,.,.... ...'\s::::J1 el-/;euril (le sourre) Ot! l-/œbrî/a, ...::...:L:4..i
4:..11-1) l'Han/il 011 l-(lantîla.
?-. Mélilot, d'après Leclerc, p. r t18. (C'est le nefl j.Q.:' ct chez
nons le chnûn ~\:~. Sa graine porte dans l'occident le nom
d'a:roaf!d ,))))1). An Mal'Oc, '/olliJa l-hilll/ya .
.1) Cc nom est pent-ètre une raute de copiste pour uo~ (hom-
IIladh) , rnme:l', d'apri's Leclerc, p. t:j(j. La ~1.olI!eù!a est connne dans
le H'arlJ; c'est l'oseilll~ sauvage, qlle sucent les paysans pour se désal-
térer.
Il. cr. Leclerc, p. 1[ID.\n l\'ariJ, on appelle le l'romcnt El'> zem';

lcs Djehala disent 2 g((ma~l; qllant h ~Iinta ou (Ienta, il est connu


sans êtrc employé.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBI~:RE 61

J\c ~ ~abb 'Âr 1 (masc.), C'est la graine de laurier


(rend) ; connue.

~ ~elbâ~, (Voir) à son c!tapitre.

~.i'" ~ermel'l. Ne parle pas d'autre nom.

4..\\;:"", ~a~dala" (fém.). C'est la (wdedJa, ~...b., et en

berbère bezlzet, "::"'l.i..

~â> 4.:>- ~abbat kha~râ:; (fém.) (Baie verte). C'est la


baie Je térébinthe (bf,om).

1. Graine de laurier. Cf. Leclerc, p. 156. Le laurier-sauce au Maroc


s'appelle rend; on en trouve dans les jardins de Fi~s ; on en fait des
infusions contre la fièvre et on fait coucber les malades sur une lite-
rie formée de branches de lamier d(-ponillées de leurs feuilles. C'est
IHl des six arbres bénis, qui sont: le pillmier (nakhla), l'olivier (zel-
lol1n), l'oranger (lelchine), le cl](\ne (bcllolit) et le laurier (rend).
2. Sans doute ~?- Zleulha, fenugrec, dont nous parlerons plus
loin. Ce renvoi c( il son chapitre» se rilpporle sans lIoute il son syno-
nyme décrit plus loin.
3. Hue. Elle se trouve en grande quantité illl Maroc, où on lui
reconnaît de nombreuses propriétlSs mlSdicinales. On l'emploie notmn-
ment en fumigations contre les maux de tète et aussi, mélangée avec
de l'alun (ehab) , pour cc resserrer» les nouvelles accouchées et pour
cicatriser les circoncis. Cf. Archives Marocaines, VI, p. 235.
"'. ColoCJuinthe. Cf. Leclerc, p. [3"'-135 (Handhal) et Foureau,
p. 21 (lwndhal, hadj, hade«i, berb.: le«iellet).
5. Graine de térébinthe, cl'. Leclerc, p. 1!,2.
Au ~Iaroc on la met dans les assaisonnements, et principalement
dans le nîs ef-Zianolît (tôle de la boutique). Celle locution, qui équi-
vaut à peu près il notre cc dessus de panier», désigne une réunion
d'épices qu'on met dans un couscous spécial, mangé par les femmes
dans certaines occasions, pour sè « réchauffer les ovaires» et en cas
62 ARCHIVES l\IAROCA INES

(~ ~emâ~em 1. C'est le basilic cultivé.

J414Jl ~ ~abb el-qolqol" (masc.). Graine de grenade.

~j\ ~ ~achîchat az-zâdj 3. Tâsel', et on dit aussi


el-(œrîçl.

de fausse couche, mais beaucoup plus souvent comme aphrodisiaque.


Voici la composilion du nis eHwnotit.
qourounfil, clou de girofle, zebîb el-Iaïdor (elli idonr) sorte
qarfa, cannelle, de raisin sec qui vient du Sa-
skendjebîl, gingembre, hara et étourdit celui qui le
khedendjîl (~) mange,
ibzar, poivre, kazboûr, coriandre,
qâqolla, cardamome, j'eifel soûdâny, piment,;
bsibsa, petit fenouil, ~ thoûm, ail,
goûz et-tib, noix muscade, zît, huile d'olive,
goûza ça(traouiya, noix saha- (IOmmoç, pois chiche,
l'lenne. za 'jarân, safran,
nonyoura (petite fleur)?, mela(t, sel,
lisan el-'açâfir, fruit du frêne, semen, beurre fondu et rance,
debbânael-hindya, cantharide, conservé depuis deux ou trois
Iwmoûn, cumin, ans.

Cette immonde mixture ne se consomme clu'en hiver, avec de la


viande ou du poulet; dans ce dernier cas, on remplit une poule de
T'fis el-(wnoût; on la cuit il part du couscous et on la place après sur
ce couscous, en l'ouvrant pour laisser tomber les épices. Après avoir
mangé ce couscous, les femmes, très excitées, se livrent à tous les débor-
demenls, tiennent des propos licencieux et grossiers, dansent, hur-
lenl, et sentent surlout très mauvais pendant deux ou trois jours.
1. Cf. Leclerc, p. 149 (~\?' hamahim, basilic).
?'. cr. Leclerc, p. 1{15 (Dolic/LOS) el Guigues, J. A., p. 523 (Habel
CLllclll, cassia tora, plante annuelle de l'Arabie et de l'Inde, il odeur
IHide, dont les graines sont réputées aphrodisiaques),
3. Herbe de vi triol, non identifiée.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN AHABE ET EN nERB~:HE ti3

j~ ~azazl. Sur les roches humides, comme le khazz, j>.

b,,~ Hazoûrâ 2 (masc.). C'est le mioûs, (.f'.J-:A.


. "

(JI 43'" ~ay al· 'alem ~. C'est la ça!}Jfat al-mouloùk (feuil-


let des rois).

~..r- ~erbâ\. C'est le caméléon, fd/d, ~~, et en langue


populaire el-lebouya, 4" ~U\.
" ,

(.f'-"..)e ~""" ~a b b .aroûs è, (masc.) (Graine de fiancé).

C'estla lœMba, ~((cubèbe).

0-":>..):>- ~ardoûn G (masc.). S'appelle ak(~jdoûr, )-,,4\


en berbhe.

[. Lichen . .f-...,d\ jl..;>, c'est cc qui pousse sur les roches humides
à l'instar du khan, qui s'en distingue en ce qu'il pousse dans l'cau,
l'cau, tandis que le lichen n'y pousse pas ... cf. Leclerc, p. [49 ; Gui-
gues, ,1. A., p. 535 (il s'agit sans doute d'un Usnea).
2. Non identifié.
3. Sedum, d'après Leclerc, p. [32; joubarbe, d'après Guigues,
J. A., p. 495.
li, Cf. Leclerc, p. r 53. Le caméléon, ldla au Maroc, est le grand
remède pour les mrrladies de la peau.
5. D'apri~s Leclerc, p. r82, le kebdba est le cubèbe, et la grande
espèce porte le nOln de ~wbb el 'aro/is. Au Maroc, cependant, le ~zabb
'aro/Îs est une herbe rouge, trrndis que la kebâba ressemble à un petit
chou; il sert comme remède pour les maladies des femmes.
/ / / ,
G. Probablement (,)):>.J> !IardaOlln ou ua-~!J: \, lézard gecko, d'après
Guigues, J. A., p. 23.
G4 AHcrllVl~S ~IAI\OCAJNES

j..J>- ~aouar 1 (masc.). C'est le saule "-f~~ blanc.

Cl ~âdj2(masc.). On rappelle al-'uqoûlet. c'est. l'épine


d'ânes, chaM, el-[temîr.

Îyf.l k~ Tabâchîr al-madjnoûm" (masc.). C'est

l'amîr, .,t.. 1.

.::J~ :.J;b ,:!-,în Yn~eloûk!'. C'est le "'((soûl e/'-râs (laveur


Je tête) .

..::..;;..,k ,:!-,oûtît 5. Les Arabes l'appellent af-'farloût, ~;y.

\. Peuplier blanc, d'après Guigues, J. A.,p . 5.10. 'Abd ar-Raz-


zàq (Leclerc, p. lib) J'écrit )y>-..):>- ct le donne comIlle synonyme
de ~~, que Leclerc traduit par cc saule ».
Au l'lamc, çajçaf est
le peuplier et non le saule.
2. Coloquinthe. Cf. Foureau, p. 20 elllllj, ~/(Jd(J1U, hamlhal). Au
Maroc, le ~,âdj est bien la coloqllinthe, mais l' 'wJo/il et le ChOlik el-
~Iell/ù' sont des espl~ces clill'érentes. La dernière paraît bien rl:ponclre
an silybum elmrneum de Foureau, p. 13.
3. Ou dabâchir ~~, concrl:tions du bambou. Cf. Leclerc, p. T95
et Guigues, J. A., p. 7ll-75.
l,. Identique sans doute au 1:l.J~ ~k Thil! quùnoulya (terre eimo-

1i rlP) de Leclerc, p. '70 (c'est le Ihe.fi J~.b.Jl don t on se sert pour se


laver les cheveux. Dans l'occident, on l'appelle R'l1ssoLil).
Cl. Ciste ct hypocyste, ~\? ou ::,;;} dans Leclerc, p. 173.
:-;cn QUELQUES NmlS nE l'LA:'\1'ES EN AHAnE ET EN BEHHI~nE li:;

IJ>-..... b ~er~erâ'. Val'i('té de céleri, ~\~ <appelle en

dialecte d'!\lgf'1' f,'O(dllÎ', l#. Ce sont les filaments qu'on


yoit sous l'cau.

l;)" ~arqâ' (fém.). C'est la !lÎlJ!cch!, ~.AG en hCl'bl~l'e;


les meilleures sont la blanche et la jaulle.

;).>" 'oûd'. Il yen a treize espl'ces. dont la meilleure est


cf'l1f' du Sind. puis celle df' Sendmm'll. pllis r 'oùd d' Ornnn
noir, qui ya dans l'f'au.

0~" 'Aqyân",. nenrf' (l" aotisw(j (lyciel) qu on appelle


aussi al-I"lIr!el.:, d . ,J; ses variétl''; sont au nombre de
trois: hlanchf', rouge ct jaune.

T. PeuL-èlrp lenlilles d'eau ......\~1" SUl' lcsC]udlcs Je ll'ache.l er-


il la sur-
l!OIllOIl: diL: cc Cc sont ces filamen[s "pris C]up l'on rl'[)con[re
race de l'eau. l) Ll'c1erc. p. dî(j.
:J. No[) idl'ntifié.
3. ,\gallocht', on hois d'alol-s, ((JUl'Ili par 11111' j{-gulllil1l'lIsc.
l'aloeaJlon agal/oc/wlIl. Cr. Guigues, .J, A., p. Ci35 pt Ll'clcrc, p.2G3.
Au '\1 aroc , 011 l'appelle 'oud qOlllrÎl'Y.

II. Lycie!. Cr. Leclerc. p. 2(jg : ..!J.7j- psL peuL-t-lre le ~ j du J(a-'


che.!' (,1'-nOnwll:.
Alleu. MAROC. 5
ARClIlVES MAROCAINES

~...f' 'Arça 1. Arbrc au Dra 'a, qu'on appellc el-kl'elik,

cl,): ou encore IliDuzrâ, b»)~, ou !m7nk, d;\.f

...J.,~\ ~:" 'Inab ath·tha 1ab 2 (raisin de renard), Raisin


. ..
de chacal ('inab adh-dhilJ).

Jl" 'Alch ;J. En berbère wlkollÎl/, ~..,G\: c'est l'arbrc


appelé chcu(jaral al-baqam.

1,L;~\ ~ 'Ilk al-anbât ". C'est la résinc de lérébinthe


(bt om).

~)~ Fâoûnyâ;. On l'appelle 'ourl w;-çalib (bois de la

1. Nous avons parlé précédemment du Iminh, il propos du tan'la-


risc. Il existe, dans le nord-marocain, une plante de marais appelée
tâouzerâ I))t.
2. Solanum. Cf. Leclerc, p. ~lG4 (aussi moqnllw ~.:M et baqnin
~~ peut-être la boli-qnina pue nous avons signalée précédemment).
3. Le baqqam r~ est le bois de Brésil (Leclerc. p. GG) ; on en trouve
chez les Djebala; l'écorce est mélangée il la teinture pour lui donner
de la fixité.
II. Gomme de pistachier, ou, selon d'au tres, de térébinthe (Leclerc,
p. 273). Il Y a souvent confusion entre ces deux arbres; au Maroc, le
biom est le térébinthe; la gomme s'en échappe en été, dégageant une
odeur agréable; on n'en fait aucun usage.
5. Pivoine. Cf. Ledel'c, p, 287 et Guignes, J. A., p. 520 (c'est la
variété màle qui est le 'oad aç-çabib, ct. la femelle qui est l'ouarel el-
~!el/lir.) Au Maroc, on l'appelle aussi 'tiC)' 'rebby (qui se révolte contre
~l:n OGELQUE~ Nml~ nE PLA:'\TES EX ,\BABE ET EN BEHBl;:HE li7

croix) ct cn langue populaire d'Andalousie ouonl cHlCmil'


(l'ose d'âne).

:Lë~ Fâr'ya 1. Graine de henné, et toute fleur de bonne


~ .
odeur s'appellejril")'u.

0.J:.....,)~ Fârasyoûn". S'appt'lle lIW/TiOIU en langue popu-


laire.

e ~ Foûdanedj:; (masc.). Plusieurs espèces: l' aqua-

Dieu) parce qu'elle pousse sans pluie et ne sou[1're pas de la séche-


resse.
I. cr. Leclerc; p. :183. La fleur aussi porte cc nom.
2. Champignon. Cf. Leclerc, p. 28;); Guigues, J. A., p.;);)!I;
Foureau, p. Ij. Dans loul le Maghreb on l'appcllejollggd 'a: aucun
marocain du nord ne mange de champignon, ni en plaine ni en mon-
tagne.
3. Eryngium (Leclerc, p. 293) dilTérent de la graminée appelée
lœ/'sâna .r
ti \....
li. Marrube (chndn Cl\.:;" choudemonUlgne J~I ~.r herbe aux
chiens ~)\sCll ~~". Cr. Leclerc, p. :J8r ct Guigues, J. A., p. 519
( 7tp::f.'HO'1 •de Dios~orides).
5. Cc mot désigne les menlhes en g<\néral. Cf. Leclerc, p. 279 et
Foureau, p. r 7. Au Maroc, on ne cannait que ./1.1'0 (dans la campagne),
ct jlayo (dans les villes). On en met dans le pain pour « récilaulTcr » ;
on en fail des compresses pour les blessures ct les hémorroïdes;
on le mélange avec de l'opium pour faire des boulettes qu'on met
dans l'anus pour guérir les hémorroïdes. L'alcool de menthe de
l\icqll's porle aussi le nom de ./lyo.
(;8 AHCH1YES ~IAHOCAINES

tique, ..)~\, c'est le 'i!)wlj, r:J.', le terl'eslre, c'esl le ./lyo,

J~\ ou j.!\, ct le monlagnard, c'est le IIWW"w iu , ~v"

o~ Foua~ 1. (Voir) à son chapitre,

éL.A Farsak" (mase.). C'est le (lit/Jaj CI'-I'cfjifj (basilic


mince),

f~ Fâcher:l (mase.). C'est la racme de loûya, 4.;.), en


langue populaire.

~.,.,.;, .J?ery '. d'J~gyple (Miç'r), en herhère 'cudikl0.~.

1. Garance. Cf. Leclerc, p. :>.Ho; Foureau, p. 17; Guigues, J. A..


p. GG.
L'infusion de Heur de garance, bue il jeull. l'"t un aphrodi:;iaque
tri's goûté des :\Iarocains.
:>.. Non identifiô.
:;. Bryonl', racine de ,igue blancbe ,:lllvag('; cl'. Ll'cil'l'c. p. ~1~)O;
Guigues, J. A., p. 520 1~~; Foureau, p. IH."\OllS avons YU <lue
. . I) désigne gén(;ralemcnl le lierre.
" 4. LentisCjue (J~ dite/rad) cl'. Leclerc, p. :>'D [ (':;"«.J.~ lside/ils, en
kabyle). Au Maroc septentrional, on l'appelle r/I'OI/ (ln] chez les Dje-
bala). C'esll'arbre il soule; les el~nJres serwn! atH Djebala il l'abri-
quel' du savon, principale industrie des tri/ms de tllontasne. Les bail's
de lentisque serlen! il l'aire unl' llUile de maul'aisl' IpHllité. IJi/-ZlfUÎ'!l
(au Irou), c'cst-à-dire sans sc serl'ir <J'nn monlin conlille pour l'huile
d'olive. On presse d'abord les baies l'litre deux pierres, puis on les
IlIct dans un troll cn terre en ,"ersant de l'eau bouillante dessus. 011
recueille l'huile qui maille il la sur!!\(:e dl' l'cau, en t'absorbant avec
sun QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN llERBÈRE 60
l
-:)V--...r::'l?ermerân (masc.). C'est le li(["(1;;a, l~' (P)

0.t.. . .b:.; Qan~ryoùn2 (musc.). C'est la fjollççat al-/:tayy

~\ A..,a; en langue populaire.

L..:,i) Qirâcya 2 (masc.). Appelé mISSI /:tabb el-mollloûk


(grain des rois).

0~ Qanqalân (masc.). C'est le /:toM mafjîl, J~ ~'


~ .
qui n'est autre que la graine de cèdre.

~!\ J;l; Qâtil abihi' (meurtrier de son père). C'est le

un chillon, lin vieux morceau de djellaba, qu'oll exprime après dans


un vase. CeUe huile est d'un goül détestable; les Djebala la consom-
ment cependant; ils l'cillploicnt anssi dalls leurs fjlllldll pour s'L'c1airer.
Elle guérit la gale. Celle huile, qui sc fige trl's facilement en prenant
la consistance de la cire, se YC'nd sur les marcliés cl méllle il El-Qç'ar,
il raison de 1 pesda 50 à :l pcselas, le !Illll!/l'il du poids de ;) livres.
I.r.;on identifié.

2. Grandecentallr<'e. Cf. Leclerc. p. :l~)!I. ~I :t,a;, fjouççal eHwYIl,


au Maroc.
~{. Cerise. Cf. Leclerc, p. :lg5.
!I. Arbousier. Cf. Leclerc, p. ,)0:>. ; Foureau, p. ;~G (saSIlOU, lellcU);
ce dernier nom doit provenir d'uue erreur de points diacritiques,
pour lebekh. Au Maroc, le SâSIlOIÎ produit le ImkhaflllOli (arbouse); all
somme! de cc fruit se trouve lIne épine (lui « grise )), dit-on, lors-
qu'on la mange. La branche, en forme de fourchette circulaire, est
employée à remuer le mets appell' bC;','Ill'.
70 AHGUl VES MAitOCA1NES

lIU/sry ~~, en berbère SrlS/lOÜ I,):....,l....,: ct on rappelle en


arabe lebekh, r'
0;J\ .;} Qouonat al- 'aÏn 1 (masc.). C'est le kcrnoûncch

~iren langue populaire,

01.;JI AI-Qarmân". Espèce de planlc de {m?u!a \k~


(patate ?).

0l""k) Qar~amânl (masc.). C'est le /Jwr[ân, 0\k.;-.

~l.)) Qardemânâ" (fém.). C'est le kW'oaya ~Jr(carvi).

I. ~.J\ 'ô} 'loU/Tel el'ain (fraicheur dü l'œil), J'après Leclürc.


p. 30:1. C'est le cresson, appelé (JllCrnowlech au ",larac, où les Juifs
seuls le mangent (dIes chréliüns il 'J'anger). On ne Joit pas s'élonner
de trouyer, au cours de celle nomenclature, des légumes consommés
au ",laroc, par les .Juifs seuls. Le l'ail (lue les ,Juir, alTectionnent telle
ou telle nourriture suilil il la reudre e\l~crahle aux !\Iusulmans : aussi
Il's I(~gtlmes vendus sur les marchés Ile F!~s, par e\emple, SalIt en ln"s
petit uomhre, tandis qu'on lrouVl' beauconp plus dü v;lril~t(: al! Jlefl,ih.
q.nartier juif, 01'1 les Européens lrament plus facilement il s'apprO\i-
SlOnner.
:J. Kon identilié: il e\iste el1i'clivCl11enl au \1 a roc un tuhcrcule
ilppclé (lw'lIu/n, qu'on ne cousomll1C pas, mais dont les l'cuilles <Jill
des propriétés nll~dicinal('s.
;'1. Avoine. Cr. Leclerc, p. 30'l. Ji n'nisle ail ~lnroc que la l'olle
ayoine qu'on appcllü I.1wr!,t/ et qni ne se vend pas: les iJesliam: la
mangent a\l'c J'herhe. L'ayoille n'est pas cultivél'.
fI. Cani, ou cumin de [(<'l'IIUi,, ct d'Arménie, J'apr!-s Leclerc.
p. 300: passerage, d'après Guilj'ues, J. A., p. ;)0 [.
SUH QUELQUES J'lmlS DE l'LA;'I;TES EN AHABE ET EN BEHBÈHE 7i

J9 Qlyl (masc.). C'est l'alun d'amuis, ~L.).....,.:.,.


;jJ;l; Qâqolla 2 (fém.). On en trouve une petite et une
grande cl. toutes deux sont clans les boutiques cIes 'aHâfÎn.

~J_9 Qassoûs'. S'appelle leblav el-kebir, grand leblah,

ct c'est la plante des chevaux, J:1I ..::,;~; elle a des feuilles


triangulaires, pareilles à celle du haricot, des fleurs
blanches comme celles du jasmin, ct produit une baie
rouge, en grappe, cIe la grosseur d'un grain de poivre;
arrivée à maturité, celle baie devien t noire. On dit que
cette plante est une variété cIe l' 'cllchba de la roûmya, que
baivent les gens pour guérir un grand nombre de maladies
procédant de la pituite ct des humeurs froides .

...k.....; Qous! \. Et, en langue littéraire (en langue des


livres), avec l'e :J k4; le meilleur est le blanc, tirant sur le
rouge ou le vert foncé.

J..,.,)
H'
Qârbîd. Fruit d'un arbre indien.

I. Soude. Cf. Leclerc, p. 303 (rlua(y; le traducleur ignore l'ori-


du nom d'armas).
:1. Cardamome(.J; ~). Cf. Leclerc, p. 2()G cl Guigues, J. A.,
~,. ./

p. 70 (y\;). Ail ~Luoc, elle !ilit partie du l'ris cl-hrillo/il.


:). Lierre. Le Kachef cl,-Rolll(HI: s'exprime il peu près dans les
ml\m.es termcs que notre manuscrit (cf. Leclerc, p. 306), mais il dit
CJu'on administre l' 'cllchba aux « sujets alleints de maladie franque. ))'

l,. CoStIlS, appelé aussi iS..\:~ .::..._<:. Cf. Leclerc, p. 303.


AHCIIIVES ~IAHOCA INES

..ci Qand 1 (masc.). C'est la résine d'une plante qui

s 'appelle eIl langue populaire lâbesnikM ..;...~~~; c'est la

(wcYal' al-ioLÎI'Y (sic) c.S)~1 k; on l'appelle aussi le l''ellâ,


t:i., rouge.

t') Ratînedj' (l'tim.). C'est la J'wf,j{u. ~), (lui n'est


allLre que la gomme de pin.

(~j\) Râzyâtem" ([l'm.). C'e,,! le fenouil (I)((sbâs).

cl,.\) Râmik:'. ComlHl"é de il lall Les médicina les cam Ille


le mastic, le benjoin ct autres choses.

[. ~Oll idt'lIlilil:,
:J. Le lirllill, 1.-1 ili Il , I,el/olill 1',1 la ./i·ndo l'I:"(,(,l'i/OIIl/.

:L H(',illl' dll pin (l'wljirw ~), d'apri's Ll,clerc, p. :) (0) ..\11 "a-
".
roc, 011 appellll ainsi (njino) la colophanc iLllporll:e d'Ellropc pOlir 1",
violoni,le, cl f1l1elc, '\!arocain,.; ,m'llnl pour guérir le, afl'cetion,.; dit
Jarvll'i.
II. Fenollil, l'Ii:Ylilu'IU ~~)\), d'apri" Leclerc, p. :)oÎ'l ci Glliglll'S,
.l, .\., p. (iti; Lec\('re donne allssi y~)\) 1'0:iul/c'j.\u -'lame, {)lI l'ap-
lwlle liesIHi,,; la graine Il'esL pa, clllplo)'l:e, mais la plan le est mangt',c
verlll cl e)'l]('.
J. C'esl le si)'()jl de l'III/lili, il IJase de noix dl' galle. de miel, de Glil'
neUc, cie. Cf. Guigue" J.\., p. 5:>. 1 cL Leclerc, p. JI J.
SUR QUELQUES NmlS DE PLANTES EN ARABE ET EN BEHllIi:RE 73

,-;-,\.i..J\ J.-) Ridjl al- 'adhâb 1 (OU ,-;-,LàJ\ J.-), l'ùf.jl al-
'oqâb) (pied de vautour); s'appelle en berbère -:.,)\kIJ
oua Ifrin.

l'lU J::--) Ridjl al-~amâl11' (palle de colombe) masc.


S'a pp011e ~IOUSU al-IYolllnlÎn (la beauté de la perle). Sa

feuille ressemble à la feuille de laitue C,.. .>.) avec une racine


rouge.

r:.rJ''' Sar~an C (rnasc.). C'est le qa/a}, ~k;, qui s'ap-


pelle en « langue de Boum» 'cuchbal cl-klâb (herbe des
chiens) et el-baqlal edh-dhahabya (Légume doré).

w\...l.,., Soudâb". S'appelle communément ~:,,~J1 cl-lij/I,


et en berbère aOlll'cm l')J\ (Une note marginale dit: c'est

1. PI'yclwtis cl'après Lec1erc.p.::lIO(c'est l'nt/tii/al J)l.~\), arroche


d'après Pa'ys dllI'vJOlltOIl, p. xcv ()\)~\ ~)).
2. -llnchusa. Cf. Leclerc, p. 310 el Gnigucs, .1. A" p. 53 •.
,), Peut-èt.re ~r sal'/I111(1, arroche (Lec1erc, p. :b{I), la s)noll)"mie

de œ nom avec ~ . et L>till


... :i\..,. étant élahlie dans Lecll'l'c, p. 30{"
'Rllclthn/ el-khill ne sc Irom'c dilns aUClln a u tell!'.
l,. Ruc, d'apri,s Leclerc, p. 3:d et Foureau, p. 1 j cl ;)j (.fi(~jel,
anlll'mi). Le D" Leclerc ajoute en nole: « La l"l1C se dit généralement
('11 Algéric Jidjcla ... Les Kahyles 1l1i donnent le nom d'aol/I'mi. » Au,

~Iaroc, sOl/ddab ct (Ifll'mcl sont sYllonymes el désignent la ruc; le Jijll


est le radis.
7l AIlCHlVES MAHOCAINES

la plante appelée el-fijil, c'est aussi aOllta ~J\ et aOllrmâ


l.)J\).

ü~-,:"'" Sanoûdjân 1 • Ibeine d'une plan le du Maghreb,


appelée par les gens du peuple fJoû cllOulka (père ~l la petite
épine).

t Samsam J. C'est le djouü{joulân, ü"j.f:-.

J\.. . . . Soumâq ". Arbre qui s'élève de terre ~l environ ulle


fjâma (1 50 à 1 "" 70) el qui a deux branches; ses Heurs
Ill,

ont Ilne couleur tirant sur le rouge; il a des grappes de


grains rouge lentille semblables aux grains de poivre. On
dit que cet arbre s'appelle en berbère el-aouard (ou (toured)

))J~1.

C Salîkh". Connu dans les boutiques des 'aNâl'ÎlI,


où on l'importe d'Orient; il a une écorce rouge. Il y en a
plusieurs espèces: la meilleure est celle dont la couleur
est rouge et l'odeur agréable,

.\)..\,...., Sedrâ. C'est un des parfums, la résine de chôlle

l, ~on identilié. Celle plante ressemble, parait-il, au potiron, ,nec


11 ne l'cuille épineuse; elle donne de petites courges rondes comme de
petites oranges, .
'1. Sé:iame. Cf'. Leclerc, p. :-b:i.
:), Sumac. Cf'. Leclerc, p ..')21 ; Foureau, p. 38 cL Pays dll Mouloll,
p. cv, qni ne donnent pas de nOln berbi~I'('.
!I. flcant/ws mollis, (l'apri's Foureau, p. 37; cannelle on llninquina,
d'après Leclerc, p. 3 [8 (saW.ha ~...L.). On appelle scUlih, au .\Iaroe.
tout arbre, toute plante qui s'écorc~.
SUI{ QUELQUI,S NmtS DE l'LA:'iTI,S EN AHABE ET E:'i BEI\BJ~:l\E Id

qu'uJI appelle sindyân; d'autres disent que c'est la graine


du cèdre.

z...L Sa k a b'
C~ lU d'J l . l')\'e que l os 13 el' b'ores appe Il ent
j \]

sa 'tien rJ;?L,.

l:...., Senâ '. C'est le séné (wramy, connu en Oriollt,

c~ Sirâdj'. C'est la racme de régliss0U"r'

~ Saljam ". C'ost 10 navet, lifl, dont il y a dem:


ospèces.

)~ Sîsnâr; (masc.). C'est le scnunânî, Îl.., dont la

feuille est semblable ~l la feuille de menthe, t-\:";, si ce n'est


qu'elle est plus large; celte fcuille sent très bon.

1. Sagapenwn, d'après Leclerc, p. 333 ct Guigues, J. A., p. 70. Cc


dernier auteur dit: « gonune-n;sine qu'on croit produite par la 1"e-
l'nIa Scowitziana DC; c'est le serapinulll du moyen :'Ige, devenu .in-
trouvable. » Notre texte semble indiquer que cet arbre existe chez les
Berbères.
:>,. Séné. Cr. Leclerc, p. 3:J5. Il croH dans le H' arl), mais on emploie
plutôt le séné importé.
3. Cr. Leclerc, p. 3:17. "(]/'(] (,s-sOlls, bois de rrglisse importé, au
:\laroc, qu'on suce pour guérir du rhume; roilli es-solis, Yari(~lé plus
douce.
Il. cr. Leclerc, p. ;-\:10. Ces deux mots sc disent au Maroc pour le
navet, mais lift est le plus courant.
~). \011 itlentilié.
7ti AHCIIIVE:-; ~IAI\OCAl;>;E:-;

~JL. Sâlîs'. C'est le grain du lou!Jbâll. ~):J.

...:,....:..... Sant '. C'est l'orge ~l écorce, que le peuple appelle

« orge du Prophète » l.5.:J1 ..J':;A'::"

JL. Sâl" (masc.). C'esl 1"(:)(', ~".

L.;lJl':"'" Senfâqyâ. C'est le safran, i.J1..J.I"j.

U"..)~ Sendjeres (masc.). C'est la pOlllllle, c...~;,

i.Ji?;"'" Saqardyoûn" (masc.). C'esL rail ;;amage,

:\iL. Sâlma; (férn.). EUe esL connne: ses l'l'nilles res-


semblent aux [euilles de lentisque blanc (I.lOlll'): on l'appelle

aussi as/âlles, ~l~....,\.

r. Le loubbâu, d'après }'0)'01' du Mou/on p, LXXV, serail Ja d'sille du


pistachier de ],Atla,.
9.. Celle orge sauvag", il (,pi nn. e,isle ail "Jaro(', sou, le n011l d'ul'yr
du l'l'ophite. lA's b,"te:i de SOLllIlJe 1" Illallgenl, ('1 l'arroi:; alh,i 1":i
paysan,. pour oblenir la IICII'III,II (b('Il,'diclioll) dll l'rophi'le.
:). Galle, cf. Leclerc, p. ,diG el (;Iliguc s , .J.\., p. S,di. La uoix de

galle s'appelle 'Il!,}l au "laro(' (:i.~.,a;.): cil,' s,'rl i, lcindre en noir: les
1'enllnes en (anIline pOllitllade '" S'Cil lIIeUeul slIr Jes ehe\'eux pOlir
les rcndre SO)CI1\ cl Iloir:i.

Il. Scol/l'dùJIlIt -Jy")).J.i.""" d'''priO:i Lel'1ne, p. :):;0 .. \u "laroc, on


'appelle IllOlilll el-I"elll,
;-J. Sauge. cr. Leclerc, p. :li1o. ,\11 -'laroc. SOI/ok ('/I-/l('hi se boit

cornille du Ihl, contre le rhllllll': rail transpircr. Lorsqu'un iudi\iclll


IlC transpirc P"" on ['""coit ,nr nnc inl'u,ion dc sauge.
sun QUELQGI':S xmlS DE PLAXTES EX AHAlm ET E~ BEHB1~IΠ77

.U\ ly.L Salamoû I-mâ 1 (masc.). C'est le (UIÎ,. el/-I/u/II'

(voisin de la riviL'I'e) cl le peuple l'appelle lislÎlI cl-(ijcl'ot/,

\))..\ 0U (langue de chien); il pousse à la smface de reau;


sa feuille est connue la leuille de 'ÜjTa (laurier l'ose).

JL SiIq è (mase.). C'est le (WIIlCÎI.l. Ua-,::,,>-.


0"'.1. 1 Î'YI...., Selâm abraç" (masc.). C'est l"OIlW'UI"Y, d'))'

0b)~ j -...A:- Senief ben Derouân' (masc.). C'est le


. ,f'.. 1" { I . {. •
C01l1g, SC0 w'IJa sHcm:lc Jin, u::!?
s:::.\ ~Il":-'J~"'" qm'eqUivaut
,' au
vinaigre ct au lI1iel ensemble.

~..I.:4:l) Thamar hindy ". Les gens du SOllllnnl"appellenl


boil çoilçowl, 1>""..,,"".1.'

Î; Thoûm g. Il exisle une espèce sauYage et tille espLlce

,. Imlétenniné. Celle plante, appl'Iée lislin el-Iœ/li (langue de


chien) au Maroc, fait transpirer, rien qu'en couvrant l'individu de
ses feuilles.
:J. Belle. Cf. Leclerc, p. 332 et 13G C..p\K-) hommadh, rlllnl'x).
3. ...,o}\ iL.. S!lm alJraçd'apri-s LeclerC', p. 1 li· J-)) est sans donle

Je t!J geckos; cspi-ce de sauriens.


l,. Le sliel/ljelJin on salwllI(jIlIJil' ~...:.G est le gingembre. Cr. Ll'-
clerc, p. 120.
5. '1'amnrin. Cr. Leclerc, p. 3113.
G. Ail. Cr. Leclerc, p. 350 pour ['ail samnge. On l'nppelle nii des
serpents nu Mnghreb parrc qlle, suspendu nllX poutres d'une maison,
il chasse les serpents.
IR ,\BCIIIYES ~IAl\OCAIl'ŒS

cultivée.L·espèce sauvagc cst le 11/Olim el-baya (ail de ser-


pent); cuit, il étanche la soif ct guérit la rage.

J}' Thîl 1
• C'est le nadjam, rf·

J~ ..,> KhoûlindjâP. Hacine l'Ouge importée de l'Inde


et qu'on trouve dans les houtic[ues des 'aWldn; elle est
utile contre les maladies des reins et de la vessie, et guérit
l'incontinence d'uriue.

,-?'j;. KhilâC. C'est le saule, '-?~~.

L>~;' Khe~emy l, (masc.). S'appelle en arabe onard

e:::-:::owln (rose d'ivraie) et en berbère lebenceri, .::..>~; 011

dit qu'il a beaucoup d'utilité en médecine.

J:-~;' Khechkhâch ;:. Il Y en a plusieurs variétés; les


plus connues sont l'espl'ce sauvage ct l'espèce cultivée.

T. Chiendent (ne~jil, l.:ezmll', nel(j,!jim, nedjir). Cr. Leclerc, p. 3~)().


Au Maroc, on le ùonlle il manger aux bNes de somllle.
2. Galanga. Cr. Leclerc, p. 352.
3. Cf. Leclerc, p. 35ll.
li. Guimauve (JI)) 1))). rose de znounl, et, en berb(\re, lil)('f18l)/'1

~.~
f~'
<-! avec un U")d" aprcs J~ee 1cre, p. ;);)
"·-('1'
J. 'ourCilll. p. 2 G, ['appelle
ldwlmia, ouerd el-me1'C~ja, liil/eçor, IC/lel/cerl.
5. Pavot. Cf. Leclerc, p. 3~)2.
sen QUELQUES NmlS DE PLANTES l,X AHAnE ET EX BEHBI::HE 7()

&;.- Kherouâ '(masc.). C'est l'ollrioûn, 0.t))\ en langue


populai l'e ct non le ricin très connu qui a été décrit à la
lettre ba.

J);.- Khardel 1
(masc.). C 'estla graine d'une planle, qui

est le yal'fwmolÎ, \~...t..

y;..::")~ Khiârchenber j (masc.). C'est la caroube


indienne, al-I.:hal'I'oûb al-hindy.

~:j\ ~ Khouçça ath-th a "la b ' (testicules de renard)

qui s'appelle en persan boû zchlcn, ., J:..


0...\Jj

......~\ ~ Khouçça el-kelb" (testicules de chien), c'est


la fwya ou nwÎla (vinllie cl morle).

]. l\Ioulal'lle. Cf. Leclerc, p. 3Cl!,. Tmporlôe au l\laroc cl vendue il


l' 'offririn; on ne la consomme pas, mais on l'emploie pour donner de
la 1ÎxiLô il la peinture sur bois.
:>.. Cassia llslula. Cf. Leclerc, p. 358.

~;, Orcbi". liOlI:eidon d II l\Iaglireb ~-'~~) ..\;.).1.' d'a pr''.s Leclerc,


p. 35j, cc (lui prouverail que ce surnOm n'esl pas persan, mais ma-
gltl'l~bin.
!J. Orchis, d'après Leclerc, p. 3:lj, qui dil en note du nO prôcôdenl:
« En Algôrie, on donne gônôralemenl il loule orchidôe le nom de haya
011mita, la vivanle cl la morle. ))
Il en esl de même au Maroc; la ~wya 011 maUa sc vend il l' 'altâtin
pour faire des lalismans; elle sert aux: femnles il « rôveiller les sens,
morts)) ct il cc tuer les sens vivants » ; on l'emploie en fumigations et
même môlangôe aux aliments.
l>ll AlieIlIYI,:S ~rAIH)CAINES

~:;. Khount'. C'est le Ilem/ulIj. J\.-'.1. (asphodèle).

iS..rf- Khiry' (rnasc.). C'est cc fJu on appelle al-li/tily cn


langue populaire.

'7;../ ... (masc.). S'appelle ~Al\ '7J )"".


l
Kharnoûb car-

l'Oube de cbi>vrc, cl l'Il herLi'J'(; II/dl!, 0:~;'

s)~ Khoubâza" (masc.). C'est le kltrt::. J:-, (\oir) Ù


son chapitre.

J;..)>- Kharbeq l', (masc.), Blanc cL nOl!'; 011 n'cn 11'0U\C

pas chez nous au Maghreb, où il l'si sculcmellL ill1l)ÜI'l!;.

wb.J..J\ '-!Jj>- Kharroûb as-Soudân Il, C'est cc qu'on a

l, fOwntsa,~, aspllOrJde, d'apri's Leclerc. p, 35G, Au Maroc.


on dit aussi Iilwntsa; on le "end il l' 'a((firin pour faire des sortilèges,
;l, Giroflée, Cr. Leclerc. p. :~Go. Assez rl'pandue au Maroc sous le

nom de kltily,
3. Le Pays du Moulon, p. LXV. donne ~JI '-;'J.f- comme synonyme
de ,-;,>tCl1 '-;'J.f-. OIwg)'l'i" /etic1a (et non cet'atonia silùjlw, qui cst
la calTouhe); il donne en kahyk '-;'J.f- = ..:...~~J§. tirllilt.
!l' ~lauve. d'apl't'.s Leclerc. p. 3:iG (on l'appelle k!lobai': Y..~ ou
~). Au Mal'oc, on di! indistillclellH'nl 1)(10/ (dans les villes) el klt!)!,-
Ilizâ (dans les campagnes). On en distingue deu'\: espi.ces. la grandI"
lilwubîwt el~baqal' (kit, des bœufs) ftui cs! mauvaise el mangée seull'-
men! pal' les bœufs. l'lIa petite. IdlOu!Jizal cl-~/(lI'ra ou 1'1"-I"cllîmya (des
montons), bonne il manger. La longue grappe yer!e qui porle les
graines sert aux enCanls il allraper les scorpions.
~l. Ellébore. Cr. Ledere, p. 3rl!l'
(L Gour (bdcllium bleu) d'après Leclerc. p. 300.
SUR QUELQUES NO~IS DE PLANTES KN ARABI<: ET EN J:ŒRBÈRE 8i

mentionné sous le nom de se,.ken, ù~"'; il a pour pro-


priété de rendre le coït agréable; de nature chaude et sèche,
il rend agréable les plaisirs de la bouche; lorsqu'on boit de
l'eau après l'avoir absorbé il rend les aliments digestifs.

0l> Khamân 1 (masc.). C'est le klulbCl'Y, '-.GJ.~'

J}-I '":"":; Dhenb el-khîP (queue de chevaux). Appella-


tions populaires khall, J> et "âbe~, .b.; \J.

,-?l; R'âf 3 (masc.). C'est le ierhelâ, ~j.

Jl; R'âr". On dit que c'est une plante médicinale COn-

nue, une chose blanchâtre qu'on trouve dans le cœur du


cèdre, comme le chou du palmier, tendre et léger.

1. Grand sureau. Cf. Pays du Moulon, p. LXV, el. Guigues, J. A.,


p. 540. J(hâbery ne se trouve pas dans ces ouvrages.
2. Prèle, ~t-l.....,.jù, d'après Leclerc, p. 364.

3. Le Dr Le~lerc 'dit en note, p. 176, que le 1IlOubaq ou inula conyza


s'appelle en berbère ')..1/:>; lahalli et lerhalrin 0')..1/:> j, et qu'il est elU-.
ployé pour le ~?\i:. l"fi!e 1ou eupatoire.
t'J. Non identifié.
ARCH. MAROC.
82 ARCHIVES MAROCAINES

~f R'obeîz 1 (fém.). C'est la tiz'â, lc~ en berbère.

J\ë R 'âr 2 (fém.). C'est le chadjarat ar-round et sa baie est


nommée babb el-r 'il/', en langue populaire 'açà Jl!1oûsa
(bâton de Moïse).

~.J R 'arb 3. Les médecins sont en désaccord au sujet

de cette plante; la vérité est que c'est le saule, "-!~~.

j\ë R 'âz 4 (masc.). Connu: c'est le fruit du doûm; d'autres


disent que c'est le sagîl, J:~ (~) bleu.

J~~ Chaqâq 1; (masc.). C'est l'Aboù n-No 'mân, ~)~:J\ .,,;\,


el on l'appelle aussi !aî/wûk, :JjÇk en langue populaire.
1. Le Dr Leclerc, p. 323, dit avoir vu employer l'écorce de racine
d'épine-vinette, ou Ûzr'â Iç..,:ç, pour colorer en jaune.
~. Graine de laurier (cf. Leclerc, p. 156); le laurier se dit en
Algérie rond ...G).
3. « Le saule d'Egypte porte encore le nom de <-; j gharab. ))
Guigues, J. A., p. 499.
l,. Nous avons parlé déjà assez longuement du fruit du dotÎm (r'âz)
à l'article hhchal.
5. Anémone; chaqaik ennomân w\--:Jl..;;.~, d'après Leclerc,

p. 368; cheqaïq el-ma, Ben iVaâmane wWI 0',1 (renoncule des ma-
rais), d'après PaJ's du Moulon, p. xxv. Cf. aussi Guigues, J. A., p. 539'
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBÈRE 83

&~ Chakh!roudj 1 (masc.). C'est le djoùz el- 'ouryân,

0~.)\ jy:"; on dit qu'il sort du goudron (qifrân) et qu'il


est un des encens les plus connus.

\J~.:IL.:. Châh Chabroûm 2. C'est le babeq er-reqiq el-qou-


rounfly (basilic mince).

J:!1.4.=. Chaqâqîl: J
(masc.). On l'appelle carotte sauvage,

($.1. J:K-.

I. if?, chitaradj, Zepidium, d'après Leclerc, p. 369' « L'espèce

indienne est la substance connue sous le nom de thé .st que les habi-
tants de Fez boivent avec du sucre en guise de café. )) Le D" Leclerc
ajoute en note: « Quoi que l'on pense de ce rapprochement que l'au-
teur fait de la feuille de thé avec celle de passe-rage, il n'en reste pas
moins ce fait qu'à l'époque d'Abderrazzaq, c'est-à-dire au commence-
ment du XVIIIe siècle de l'ère chrétienne, le thé était connu à Fez et
ne l'était pas à Alger.) Nous nous rangeons à l'avis d' 'Abd ar-Razzâq
qui dit seulement qu'on buvait à Fès, sous le nom de thé, l'infusion
d'une plante qui n'était pas du thé. Le thé est en enet d'importation
anglaise très récente au Maroc; son usage ne remonte pas à plus d'une
quarantaine d'années, et on trouve fréquemment dans les campagnes
des gens qui vous parlent des premiers paquets de thé et des pre-
mières théières qui avaient fait leur apparition dans le pays. Un
vieillard nous disait que, n'ayant jamais vu personne préparer le thé,
il avait mis la première fois dans sa théière un pain de sucre tout
entier avec le papier et la ficelle. Actuellement encore, il existe un
grand nombre de tribus berbères chez lesquelIes le thé n'a jamais pé-
nétré; nous avons connu des Berbères à Fès qui n'en avaient jamais
bu.
2. Basilic, Î~jlI~, ou J::;JI J-:> ; cf. Leclerc, p. 375. Le qOl/roun-
feZ est l'œillet.
3. Eryngium, Jj\À~ chaqaqoul, d'après Leclerc, p, 370'
81 ARCHIYES MAROCAINES

~f-\.,;;l\ ;..;~ Chadjarat al-barâr'îth 1 (masc.). C'est la

terhelû, 'JI:>j'; d'autres disent que c'est la zita, ;bjl.

j}\ ;..;f Chadjarat al-baq (masc.). C 'est le dada!" ))))


2

(orme ou frêne).

f};, Chîlem (mase.). C'est le grain de


3 zowln qui sc trouve
au milieu du froment (hinta).

\~};, Chebrem\. Arbre du lioû'al, ..:;.,.c.~.

J.>;J\ ../'};, Cha 'r el-r'oûl" (masc.). On l'appelle cha'r


cl-khan:::lr (cheveu de porc), c1w'r el-khyûr (cheveu de con-
combre), cha 'l' el-ar{l (cheveu de terre) ct clw' l'el-djinn
(cheveu de djinn),

1. « On liL dans Ebn Beitlwr que le Lhoubaq sc dit en berMre ler-

Jullan 0)\#;j ct lerhalti )\#;; ... Le thoubaq nons paraît êLre un conyza
cl probablement l'espl'cc dite pulicaro'ides on her!Je aux puces. » Le-
clerc, p, qü. Celte remarque est conllrmée p:n- notre texte, c!l(/(!jaral
al-Ium(,.'ilh vonlanL dire « arbre aux puces ».
2. Arbre aux punaises. Cf. Leclerc, p. 3Tl. '1ous en avons parIé
précédemmen 1.
3. Ivraie (ou alpiste, voir plus hauL zowin cl zoU/il). Cr. Leclerc,
p. 36 9·
CI. Scammonée, d'après Leclerc, p. 371 ; zilla macropLera, d'après
Foureau, p. 13, cL Pays du Moulon, p. 'l.XII. Aucun de ccs auteurs ne
parle du tloû 'al.
5. Capillaire, d'après Leclerc, p. 371 (note: cheveu de VéllUS, r'oiL
éLant la déesse Vénus). Au Maroc, r'ulil est tout simpleLllent une cs-
pl'ce oc
djinn, qui suce le sang des morts.
SUll QUI~LQUES NmlS DE PLANTES EN ARABE ET EN BEHBl{IlE 8,)

)",LI f'::' Cha 'r el-~imâr1 (masc.). C'esL la 1cazbollrat


el-blr ( capillaire), qu'on appelle aussi cl-bcrchâollchân .

.1.AJI o\.::, Châh el-bal1oû~. Cette expression signifie « sul··


tan des glands »; on l'appelle aussi al-qas[âl (châtaigne).

~j;, Che bt ~ (fém. ). C'est le bete'ch, J~.

~...\.j;, Chadîndj:: (fém.). C'est la graine nOIre (!,I,abbat


as-soûda) , le cumin noir en langue populaire.

[1":' Chanoûdj ". Il a beaucoup de propriétés. Chaud et


sec au second degré; coupé ct dissous, il est utile pour les
maux de dents, la migraine froide ct l'alopécie; rcspiré, il
guérit les rhumes de cerveau, ouvre les tissus des malades
et guérit l'hémiplégie lorsqu'on le boit ou qu'on s'en sert
comme pommade. Mélangé avec du lait, il guérit les mala-
dies de foie: employé comme onguent, il fait sortir les vers
et les pustules cL guérit les hémorroïdes; en fumigation,
il guérit les piqùres de scorpion et des bêtes venimeuses;
son onguen t guérit les articulations (rhumatismes?) et la

1. Capillaire. qu'on appelle aussi )\.J..I ~ barbe ù'àne. Cf. Le-


clerc. p. 52 cl 212.
2. Aneth. plante qui se rapproche ùu l'enouil; cf. Leclerc, p. 37 l ;
Foureau. p. (2, chehet Oll acltehct, rùlolfia SCgCllllil ; Pays du Moulon,
p. XXII, Chehcl, uesibsa, I/wulÛ,..
3. La graine noire, ~tabual as-soudâ, est la nigelle. cholÎll)'Z ..i::;r.
ù'apri~s Guigues. J. A.. p. 90.
4. Pent-êlre sâllOtuY U;\....,. synonyme de chodnyz, nigelle, J'après
Leclerc, p. 370.
86 ARCIIIVES MAROCAINES

fièvre froide. n sert à l'usage externe et à l'usage interne;


la dose est d'un demi-mithcfUl.

t:'))r Charkrân 1. C'est le sî/mill, 0\..)<'...... , le kinket,


.k<:~

~..:. [Che~ chkâ 2. En langue populaire (wsrâna, ~~.

\"~\.r Cherâb 3 (masc.). C'est l'arbre à goudron, 'ô..)~


0\);2àJ\; le tin, ~ en berbère.

~..:, Chekâ l• (masc.). C'est le rahj, 't).


. u~~
)laJ\ . Cherâb el-fâr". S'appelle aussi clwrâb al-hâle/{;
lorsqu'une souris en mange, elle meurt; les rats meurent
en sen tant l'odeur de cette souris.

J;."":' Cha'îr 6 (mase.). C'est l'yamoL1m, p~'

[. Jusquiame, choukarân CJl.JC, ou sîkrc1n CJI~. ou boundj ~~.


Cf. Leclerc, p. 36a. Foureau, p. 13, appelle choukrane la ciguë.
2. Non identifié.

3. Cherbin ~~.r':' (oxy-cèdre), d'après Leclerc. p. 372: « c'est


l'arbre (pli donne le goudron. »
4. Arsenic, chouf.: d~. halik dHllI. poison de rat )\~l\ r'"'" raha~j
r!')' Cf. Leclerc, p. 37 3 .
5. Mort-aux-rats, sans doute identique au précédent, l'arsenic.
6. Orge. Sur la tisane d'orge. cf. Guigues, J. A., p. go.
SUH QUELQUES NOMS DE PLANTES EN AHAllE ET EN nEl\BJ~nE 87

0j~ Chîrzen 1. C'est l'urine de chauve-souris (khouf-


fâch) , d'autres disent son lait.

LES 'ACHC1ViBllY DE FÈS.

Les plantes médicinales, a'châb ..~l:.ç-\, sont générale-


ment vendues, dans les petites villes, chez les 'attarin(épi-
ciers et marchands de parfums) ; elle font partie de l'a!rya.
A Fès, il y a dans l' 'a!!ârîn un soûq spécial, les 'aehehâbin,
qui vendent les simples.
Ilexiste deux 'aehehâbin: l' 'achchâbin-el-/œbir (le grand),
qui se trouve dans le quartier dit {wuma fjaMb en-nâfjes
(Djou!ya) et l' 'achchâbin eç-cer'ir (le petit) situé auprès de
Moulay Idrîs. Dans le premier, composé de 25 à 30 bouti-
ques, on vend toutes les plantes médicinales. Dans le se-
cond, on vend uniquement l"oehba rot2mya (salsepareille),
dépuratif pour un grand nombre de maladies et principa-
lement les affections vénériennes. Il y a là une dizaine de
commerçants qui font venir l' 'oeMa d'Amérique et la débi-
tent en branches, en morceaux et en poudres. La consom-
mation de cette plante est tellement considérable que cha-
que boutique en vend pour 20 à 25 douros par jour, et
comme elle coûte cher, il faut un plus gros capital pour ce
commerce que pour celui du grand 'aehehâbîn.
Les plantes vendues dans ce dernier marché sont appor-
tées à l' 'attârîn par les muletiers de Marrâkech, de Tafilelt,
de Râbat, qui les remettent à de gros commerçants de l"at-
târin. Lorsque ceux-ci en ont ainsi une grande quantité,

I. Chizral.: J)~, d'après- Ibn 13eilhar (quelques copies porlent


Jj~ chirzak). Cf. trad. Leclerc, II, p. 356-357'
88 ABCIIlVES ~l:\nOG:\INES

ilS envoient leurs employés prévenir les 'achc/alDin en met-


tant le tout aux enchr'rcs entre eux. La plupart des plantes
vendues dans ce marché viennent du Djebel Zabr', li quel-
ques heures au Nord-Est de Fès. Elles sont apport<'.es
direclementparlcsgcnsdudouardeLllm!a, ~.kL Chacun des
deux marchés de 'achc/ulbin est administré par un ({fJl)n
de corporation.
Nous donnons ci-après la liste des pl'incipaux produits
vendus par les 'achc/ulbin de Fès, ct leur mode d'emploi
cl' après la tt'adi Lion populaire, car les 'ac/lc!ul!Jlll , illett rés
pour la plupart, n'ont pas de liues où puiser Jeul' connais-
sances médicales 1.

Kheyyâta
,
~k\~;.
"
(couturièrc), appelée ainsi parce qu'elle
recoud les hlessurcs.
Vient du village de Lamta sur le Hanc du Zalar',
Pour soigner une blessure, On la couvee de khcyyli!a pilée
avec une écorce appelée !rÎi"r!a .;~ ~ venant des A'iL Y oussy ;
ceLLe mixture empêche la gangrène et reconstitue les chairs.
Le rIal 'allliry (livre de Goo gr.) de /Jœyyâ{a vau t, aux:
'achc!/llbin, ;) lliliollil (0,7;): le l'(lfl de {rtiila \aul Il IliliolUl.

l;Ial~âl JlJ?-.
Vient de Ioules les régions de prairies du nod-marocain,
ct paL'licnliL~['em('nt de Kendar, village au-dos:,ous dl! Zalar',
C'est lin anlidyspeplique; 011 Cil fait des infusions avcc
du sucre pour le boire conllue du thé, ct des fumigalions
pour les refroidissements, l'humes de cerveau, clc.
Le l'tal 'aNriry: 5 bilioun (1,25).

1. Une liste des produits pharmaceutiqnes vendus il r 'a!lrll'În a été


donnée dL'jil par Ch. He né-Leclerc, Le COIll/llerCe cl l'industrte il Fe~
p. 131 ct seq.
sun Qm:LQUES l\'OMS IlE PLANTES EN AHilHE ET EN BEHBI~RE 80

Za 'tar,.Jç.j.
Vient du village de Lam(a (Zalar').
C'cst un sudorifique; on en fait des infusions pour forti-
fier, faciliter la digestion el guérir les refroidissements.
Le rIal 'a!{dl'Y vaut 1 pesela (~ biliolln).

Tiquen~ast ou Tajentist, ..::.-..~.


Vient du pays des Braber ct s'exporte en Europe. Les
'achcluibùl de F('~s croient qlle les Européens s'en servent
pour faire de l'or; les lwbitan ts de Soûs l'emploient, paralt-
il, en alchimie.
Il est amer ct fortifiant. Il y deux manières de s'en ser-
vil': 1 0 on le pile en poudre ct on le mange cru, mélangé
avec la semoule (scmld); ~lO on le pile ct on le mélange avec
du miel pour le manger cru.
Le rIal : ft bilioun ( 1 peseta) .
.. ,
s arr'·Ina, 4,'.;{;-r '
Croit dans les régions sablonneuses ct s'exporte en Eu-
rope.
On en fait ici des fumigations pour fortifier ct purifier;
les femmes la pilent ct la mangen t. Très puissante contre les
clémc)lls : lorsqu'ou craint qu'un nouveau marié soit IIWU-
[hC/fjer!! (impuissant), on le fumige, ainsi que sa fiancée,
avec la sarr'hw, pendant les sept jours précédant le ma-
nage.
Le l'lai vaut onlinairemcnt 4 'Ji'ionll (1 peseta), mais ce
prix est très variable; le quintal (lui vaut généralement
25 pesetas Cil STOS s'cst vendu jusqu'à 10 douros celte
année.

'Achoûb ou Oudhen el-J:1alloûf, ......:.Jll1 -:;;\ ...->.J::'ç..


Croît en plein clwmp: le Djebel Zab]" en est ~'empli.
Les femmes en mangent, après l'accouchement, pour
!JO ARCHIVES MAHOCAINF:S

arrêterl'hémorragie; onle mélange avec le kouskous qu'on


cuit, à la vapeur, ou avec la (wrira ( soupe) du matin.
Le rIal : ft. biliaun.

R'arinqoû, 1.J;;j..
Plante paràsite qui croit dans l'intérieur du cèdt'e (CI'z).
On l'apporte de Sefrou, du Djebel Fazâz et des Benî Oua-
raïn.
Guérit les coliques infantiles: pilée et mélangée avec de
l'huile, elle est. placée sur la bouche de l'enfant, qui s'en-
dort et cesse de crier. On croit ainsi qu'il est. soulagé, bien
qu'il paraisse avoir subi simplement l'effet d'un sopori-
fique.
Les grandes personnes la pilent et l'avalent pour se
purger.
Le r[al: 1 douro.

Baîd el-r'oûl, J.J;J\ ..,)"2-j (œuf d'ogre) ou lâryala ~)~.


Vient du Zalar'.
C'est une plante qui s'étale par terre en projetant un
petit fruit rouge analogue à une petite tomate appelé baîçl
al-r'aûl.
Ce fruit fait engraisser les femmes ;ans des proportions
considérables; la racine a les mêmes llopriétés. On la fume
aussi contre le rhume. J
Le r[al: 2 pesetas. ;1
Nanoûkha, :\;. y .
Vient du Zalar'.
Préventif contre la soif: on le met dans l'eau froide et
on le laisse infuser, puis on boit cette eau.
Le rIal : jusqu'à 4 pesetas.

Baboûndj, Bâbenoûdj, Beîbenoûdj, ~:.


Croît dans tous les jardins de Fès.
sun Qm:LQl;ES NOMS DE PLANTES E:'>l AHABE ET EN BEHBl::I\E !lI

On en fait de l'huile, zit babnoLidj, qui est vendue par


les médecins pour guérir les rhumatismes et les maux de
reins, au moyen de frictions aux articulations. La plante
en infusion est une panacée universelle.
Le rtal vaut jusqu'à 2 pesetas.

Kamoûn çoûfy ou Kamoûn Boû Çoufa, :t~~Y. 0-'),'


Vient du Sahara. On l'apporte du Touat dans de petits
sacs de cuir appelés mezioLid en peau entière de gazelle
mort-née, le poil en dehors.
On le fait cuire dans de l'eau ct on boit celle cau pour
guérir des maux de ventre, des indigestions ct des gaslral-
glOS.
Le rtal; jusqu'à 2 douros.

Khazâma, ~\.J--.
Vient du ~faouz de Manâkcch, d'où l'apportent les (wm-
mâra (muletiers). Les femmes la boivent en infusion, en cas
de pertes de sang trop excessives, ct aussi comme fortifiant,
antilymphatiflue.
Le rtal: de :) bilioun à l peseta.

Azîr, .J..j\. \
Vient des Aït Youst" grand arbre.
O.n e~l fait des infu~ons comme dépuratif ct aussi des
fumIgatIOns.
Le rtal: l pes'cta. ""

'Ar'ar'f..p ,
Vient des Aït Youssy, grand arbre.
C'est un vomitif. On l'emploie surtout contre les empoi-
sonnements, en le faisant boire, fruit et feuille, mélangé
avec du leben (petit lait).
Absorbé avec de l'eau pure, l"ar'ar n'est plus un vomi-
!J2 A!{CIIIVES MAHOCAINES

tif; il a pOUl' pl'OpriéLô d'augmenter 10 laiL des femmes,


Celles-ci ne le mélangent pas, elles l'absorbent cl hoivcnt
de l'can apr(~s. H est très puissant contre les démons de
toutes catégories (IU'il fait éternuer cl, fuir,
Le l'fal: l peseta.

Queçt el-~laya, (ou) cl-hajal. (J:",U) ~L\ :Ca;


(Crète de
sorpen t ou de perdrix).
Vient du Zalal".
Vomitif ct pmgaLifà la lois. Lorsqu'on a des coliques,
on le mélange avec le (wl(uil, on le fait cuire ct on cn boit
l'eau. Astringent, il est employé seul coutre les hémor-
roïdes: on en boit l'cau et on en fait des fumigations sur
les parties malades.
Les branches, attachées en partuet ct brûlées sur un ré-
chaud, chassent les nlOuchcs.
Le l'fal (sec): 2 pesetas.
"-
Cheî~, [",
Vient (h~s Clteraga et des Oulad Djalna '.
Cuit avec de l'a:,'I' et plaeé sur un bouton ou Ull abcès, le
fait mt'wir, crevel' ct cicatriser. Les 1,'mlTles boivent la li-
sane de c/wi(" pOUl' accélérer l'écoulement du sang mens-
truel.
Le rtal: Il lJilioun.
"-
Cheî~ Rkhicy, ~:;.) ~'."".
Imporlé, de La Meeciue (lisent les uns, d'Europe disent
les autres.
On en avale une pincée à sec ou on le fait cuire dans du
lait (lu' on boit pour guérir du ver solitaire. A défau 1, de cette
plante, on emploie la précédente (cltcl(t) pour le même
usage.
Le l'fal: 3 ou l, pesetas.
SUR QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERm~RE 93

~eulba, ~.
Cultivée chez les Cheraga, les Oulad Djama', dans les
environs de Fès, d'EI-Qçar; apportée aussi de Marrâkech.
Fortifiante et assainissante. On la fait cuire dans de l'cau
qu'on boit ensuite; d'autres la pilent ct la mangent avec
du couscous ou de la (wrlra; d'autres l'avalent en grains et
boivent après. Après l'absorption, on transpire une sueur
grasse et on sent l'odeur forte de cette plante qui sort par
les pores.
Lorsque les chevaux et mules manquent d'appétit ct sont
fatigués, on leur fait manger un mélange de (wulba, de (tOI!
ou (wM er-recluîd ct de beurre (le beurre est employé d'une
façon générale pour purger les animaux).
Le rfal : 1 peseta.

~orf ou ~abb er-rechâd, ()L,JI :..-.>-) ~J>'


Cultivé cllez les Chcraga ct les Oul:)(l Djama'.
ALsorbé en pincée ~l sec ct suivi d'un verre d'eau, il est
fortifiant, réchau{l~lllt. excitant. On l'emploie mélangé avec
la beulba pour les animau x.
Le rtal : 2 pesetas.

Sânoûdj, dL.
Cultivé dans le n'arb.
Mélangé avec du miel, il est employé comme fortifiant ct
remède contre la rétention d'urine.
Mélangé avec le (wrmel (rue) ct en fumigati.ons. fai.t
fuir les démons.
Le rfal: 2 p"esetas.

~armel, ~J>-'
Vient du Zalar'.
Employé en fumigations lorsqu'on est fatigué, qu'on a
mal à la tête ou qu'on veut chasser les Jémons. Pilé ct
ARCHiVES MAROCAINES

mélangé avec de l'huile, il étourdit et endort les enfants qui


se plaignent de maux de ventre.
La nouvelle accouchée sc fumige avec le /larmel mé-
langé à de l'alun (clzab) pour resserrer les tissus.
On pile le J:.tarmel avec du henné et de l'alun et on en
barbouille les nouveau-nés au lieu de les laver.
Le l'fui: de 2 à 4 bilioun suivant les années.

Cbensgoûra, ;.);a~.
Vient du Zalar' et du Bastyoûn de Btlb FtoùJ:.t.
Employé contre le mal de tête en infusion qu'on boit ou,
plus souvent, pilé et mélangé avec un peu d'eau pour être
réduit en pâte dont on s'enduit la tête.
Le rtaZ: 1 peso 50.

Zeri 'at el-kettân, .:):sJ\ :\.,.~)j (graine de lin).


Cultivée dans le R'arh.
Excitant; on en fait des cataplasmes pour les houtons,
clous, furoncles, etc. Le lin est cultivé dans le seul hut d'en
retirer la graine; la tige n'est pas utilisée, le chanvre étant
seul travaillé. A Fès, on mélange la graine de lin avec du
miel pour faire une confiserie appelée {wlaouat eZ-Kellân.
Les Juifs notamment ont l'habitude d'en manger avec du
miel dans certaines fêtes.
Le rfal: 2 pesetas.

Zerî 'at el-Ieft, ~Ul 4.,.~)j (graine de navet).


Cultivée autour de Fès, ct vendue par les 'achchâbîn
bien qu'elle n'ait pas de propriétés pharmaceutiques con-
nues d'eux, Il y en a deux variétés; le Zeft bcldy, le plus
gros, ct le lcft cl-ma{ifoûr.

Kartofa, ~).
Vient du Sahara.
SUR QUELQUES NOl\lS DE PLANTES E:,{ ARABE ET EN BERBÈRE 95

Rafraîchissante. Employée pour endormir les enfants;


les grandes personnes la boivent en tisane lorsqu'elles ont
de la gêne dans la respiration.
Le rtal: !~ pesetas.

Aqorbân, ~~)\.
Plante sauvage, qui vient dans les terrains pierreux;
apportée à Fès du Zerhoûn. Employée par les femmes
contre les pertes de sang en général et particulièrement
après les accouchements. Préventif contre les fausses-
couches.
Le rtal: 2 pesetas.

Frifra, .;.J.l:..'-'
Vient du Zalar'.
Les femmes s'en servent pour tuer les lentes (serm) et
faire pousser les cheveux.
Le rtal: 1 peso 25.

Onard el-Filâly, J')\:~JI )jJ.


Vient du Tafilelt.
Parfum qu'on mélange au r'assoul pour laver le linge, à
la khazâma et à la tige de ri(uln ( myrte) pour parfumer la
chevelure et la noircir.
Le rtal: 1 peseta.

Rommân el-mroûj, r:!)1 ~L..) (grenade des marais).


Vient des environs de Marrâkech.
S'absorbe pilé dans un jaune d'œuf cru, le matin à jeun,
contre les évacuations de sang (femmes).
Le rtal: 5 pesesas.

Besbij, ~.
Vient du Zerhoûn (terrains pierreux).
AHCIIIVES l\IAROCAINI~S

Purgation g' emploie soit en infus ion, soit réduite en


poudre et avalée ainsi, en buvant de l'cau par-dessus.
Le l'tal: 2 pesetas.

Zed 'at el-l~orriq el-melsa, ·l_UI J~..;lI4.~)j.


Graine d'ortie qui ne pique pas, vient des jardins de Fès
et du Zabr'. Pilé ct mélangé au miel, s'emploie contre le
rhume.
Le l'taf: 2 pesetas.

Zeri 'at Guinguet ou Sikrân, 01..;<'::-"",


Pousse sur les vieux murs.
Sert en fumigation dans une maladie de peau appelée es-
seJra pour faire tomber des parties couvertes de petits ve!'s
et les cicatriser.
Elle sert également à étourdir et enivrer (d'où son nom
de sih:rdn). Dans ce cas, on la mélange à la hoisson ou aux
aliments. On a recours à cette g!'aine pour étourdir les
gens auxquels on veut faire subir une opération doulou-
l'cuse; on en donne quelquefois aux jeunes mariées pour
empêcher leur résistance, ou à une femme dont on veut
abuser.
Le l'tal: 2 pesetas.

Litroûn, 0J;J.
Mélange de savon indigène, de salpêtre ct de chaux,
fabriqué au JVfellù,f~ de Fès.
On le mélange avec du soufre ct de l'huile et on l'elTl-
ploie contre la gale ct autres affections similaires.
Le l'tal: 1 peseta.

Asmamem, Ù.4l....... I.
Vient des AH Youssy.
Les [emmes qui désirent prendre de l'embonpoint, le
sun QUELQUES NOMS DE PLANTES EN ARABE ET EN BERBI~RE 97

pilent ct mélangent ceLLe pouùre ù la pùte de l"l'aifqu'on


fait cuire dans la poêle.
Le l'tal: 2 peso 50.

Mentsa, :\:::.4.
Vient du Zalar'.
Les femmes en hoivent des infusions pour se fortifier.
Le l'tal: 2 pesetas.

Khachkhâcha, :i....:,~ (pavot).


Croît dans les jardins de Fès.
On en fait absorber, pilé et mélangé avec de l'huile, aux
jeunes enfants pour les faire dormir.
Quelques amateurs d'opium y font des incisions quand
il est encore sur sa tige ct recueillent le lait qui en découle
et qui n'est autre que l'opium.
Le l'tal : 2 pesetas.

Dries, U'" L) ~.
Vient du Zalar'.
La racine de cette plan te est achetée par les femmes sté-
riles. Elle facilite les accouchements ct fait même obtenir
des enfants ù celles qui n'en ont pas.
Le l'tal: 2 pesetas.

Fouînya, ~~~.
Vient du Zalar'.
On pile la racine et on la fait cuire dans du lait, on fait
ensuite des frictions avec cc lait contre les crispations des
membres.
Le l'tal: 2 pesetas.

Blaloûza, ojJ}\:.
Vient du Zalar'.
ARCH. MABOC.
7
98 ARCHIVES MAROCAl~ES

C'est un tubercule qui guérit les abcès et douleurs


d'oreilles. On fait un trou au milieu, qu'on remplit d'huile:
on fait chauffer le tout, puis on laisse refroidir et on verse
l'huile dans l'oreille.
Ce tubercule est vendu de 0, ra à 0,20 centimes pièce.

On remarquera que la plupart des maladies ou indispo-


sitions auxquelles s'appliquent ces simples sont des indi-
gestions, des gastralgies et des coliques. La fréquence de
ces affections de l'appareil digestif est motivéepJlr les excès
de nourriture des habitants de Fès. Les Fasis, dont la con-
dition est en général plus aisée que celle des gens des
tribus ou des villes de province, mangent dans des propor-
tions considérables. Ils Ile font pas moins de six repas par
jour. Le matin, en se levant, de très bonne heul'C, ils ava-
lent une livre de kefta(saueisse de viande hachée), parfois,
dans les classes aisées, une tête de mouton entière. Les
mariages et fêtes religieuses sont prétextes à festins inter-
minables. Lorsque les fruits d'été font leur apparition dans
les jardins de la capitale, abricots, pêches, poires, pommes,
ils les dévorent gloutonnemellL sans attendre leur maturité.
Il n'est pas rare de voir au mois de juin , en pleine chaleur,
un fâsy, une femme ou un enfant, manger sans s'arrêter
quarante à cinquante pêches encore vertes. Au bout de
quelques jours de ce régime, ils sont pris de coliques vio-
lentes et meurent sans avoir cu le temps de prendre quel-
ques soms.
Dès les premières chaleurs, la mortalité à Fès est consi-
dérable. Si on ajoute à cela la mauvaise qualité de l'eau de
l'Oued Fès, lourde, indigeste et chargée, après la tra-
versée de la ville, de miasmes putrides, on se rendra compte
que l'hygiène des habitants de Fès est (k; plus mauvaises,
bien que le climat de la capitale soit l'clati vement tempéré.

G. SALMON.
LES MOSOUÉES
... ET LA VIE RELIGIEUSE
A BABAT.

Le nombre des édifices consacrés au culte est considé-


rable dans cette ville; nous avons malheureusement peu de
détails historiques sur la fondation et la construction des
principaux d'entre eux, la défiance des gens de Rabat n'ayant
d'égale que leur ignorance à ce sujet. Aussi nous espérons
que l'on voudra bien excu sel' la sécheresse de la nomen-
clature qui va suivre:

1. - ~10SQUÉES 1 A PRÔNE.

Les mosquées à prône sont au nombre de six:

1° El Djâma' El Kebir, ..,4J\ CU:-\. La Grande Mosquée.


Elle est située au Soûq El Kherràzlfl. Sur la porte, qui est
moderne, on lit la date 1229 (1813).
C' est à celte mosquée que lecture publique est faite des
lettres du sultan à son peuple: à l'arrivée du message impé-

I. A Raba~ le mot t0l::-. djâma' est employé indifféremment pour


désigner toutes les mosquées, qu'on y fasse le prùne (~;., khotba)
ou non. Le mot ..\:-........,0. me~jid. paraît plutùt réservé aux mosquées où
l'on enseigne le qorân. Nous adopterons nO\ls-münes les qu;lifications
de mosquées il prùne ct mosquécs sccondaircs, qui ont l'avantagc de
la netteté.
too A!\CIllVES MAHoeAINES

rial, le qûïd prévient le peuple pal' l'intermédiaire d'un


bCl'''â~t ou crieu t' • public. Celui-ci parcourt les rues en
criant :.

\-"">"':;~ ~~\ J~\ ~ ~~fi~ ~~f.k~ .&\ Jr) -I.:?'&\ ':JI .JI ':J
.:>~~ .&\ t~.... ;;\.1. \)\.);; ~\ Cl.!- \y~b\ .&\ ~ () ~l\ ~\
«Il n'ya de DieuqueDieu; MoJ.wmmedestl'envoyé de
Dieu. 0 artilleurs! ô marinsl ô gens de la ville! Vous
n'entendrez que du bien, s"il plaît à Dieu 1 Montez à la
grande mosquée pour lire une leUre de notre Seigueur -
que Dieu lui accorde la victoire! -- ))
A l'heure de l"acer qui est généralement adoptée pour
ces communications, les gens instruits ct les curieux sc
rendent à la grande mosquée et y font la prière en commun.
CeLLe cérémonie terminée, le /dwtib monte en chaire,
annonce qu'un message impérial est arrivé, en présente le
texte au public, le baise el'réeite ces deux vers de la borda
qui ornent généralement le sceau des suHans du Maroc:

f~\.4I.:--\ 0"~ -I.....':JI .Gi:; \.:) <t;~ .&\ J-,-".1. ~ !y)

r l<'
~ u-" ~b..&~ ~r iS)J\~~~ Î~~!Y'
« Celui qui trouve assistance auprès du prophète de
\J

Dieu, les lions sc taisent s'ils le rencontrent, pris de peur


même au sein de leurs forêts.
« Cc!ui qui a recours à toi, tl la meilleure des créatures,
confiant en ta générosité, Dieu le garde contre tout agres-
seur. ))
Puis il donne lecture de la leUre aux assistants. La masse
du peuple s'infonne ensuite, auprès de ces derniers, et se
renseigne ainsi sur l'objet du message.

1. Cc dCIlXii,lllC \'ers n'esl. pas il sa placc. si l'ail S'CIl rapportc aux


édiliom d'Orien!.
LES ~IOSQlJI~;ES I~T LA vm HELIl;IIWSE A lL\IL\T fOI

Lorsqu'il ne contient que de très bonnes nouvelles, elles


sont accueillies par trois jours de réjouissances, pendant
lesquels on tire chaque mati n, à dix: heures, une salve de
coups de canon.
Dans les dépendances de la grande mos9uée sc trouve
une pièce que l'on appelle ,)::-)UI cllJui/'isliin ou l'hôpital.
EUe avaiL, en ell'et, ceHe destination autrefois et était entre-
tenue sur les fonds des (t.allOlls, mais cette première affecta-

tion est' tombée Cil désuétude depuis longtemps et Jes J: l~


bcnâïr; ou stalles, qui étaient conslruiLes pour recevoir les
malades, servent, maintenant, de magasins entrepôts. On
y place les réserves d'huile, peinture, bougies, etc., etc.
nécessaires à l'entretien des mosquées. Dans d'autres de
ces bCl/lm] s'installent les menuisiers ct tous autres ouvriers
employés à faire les réparations courantes de l'édifice (volets
à remplacer, hoiseries à refaire ou à repeindre, e/e., eLe.

2° Djâma' ilfOlUay Slinuil/, 0\J- iS'lyA c::~ 1 Gette


mosquée se trouve sur la grande voie d'Es Souïqa.

3° Djâma' El Gllczzâ6n, ~)~~\ L~' La mosquée des


Bouchers, sise dans la rue dite Es Solir; Hl Folir;y.

flo Djâma' El {J(u;ba. ~~J\ L~' La rnosquée de la


Qaçba appc1((e aussi l!jrimll' El 'il th/ (pour El Djrima' El

'AUq) J:':,.jl Ll~\ : La vieille mosquée.


Elle est construite dans l'enceinte de la qaçba; elle se

1. Isliqçâ, t. IV, p, 1 ï 1 : « Il (Moùlay Slimùn J)en Mol.,ammcd)


« fit bâtir la grandc mosqn{oe de RiJa! El FetZt el édiliason pied il
« terre de Ddt' El BaZIl' (El GuebibùL ;1). )) Cc premier a régné du
17 Hedjeb 1206 au 4 Habj' le let' de l'année 1238 ('ï91 il 1822),
i02 ARCIIIVES MAROCAINES

dresse même de son point culminant ct on l'aperçoit de


fort loin, en mer.
C'est à cette mosquée que le sultan vient diriger la prière
de l"acer un vendredi sur deux, pendant ses séjours à
Rabat 1.

f)o l~jrima' Es Sounna, ~.':-J\ c::1.:--. Mosquée de la loi


traditionnelle 2.
Elle se dresse au sud-ouest de la ville, entre la première
ct la deuxième enceinte: pendant ses séjours à Babat, le
sultan doit y diriger la prière de l' 'w;er un vendredi sur
deux.

I. Cf. Archives marocaines, t. VI, nOS lU-IV, p. 411.


2. Djllma' Es SowlIla fut construite par Sidl Mollammed ben 'Abd-
Allah, qui régna depuis le mois de \:a['ar El Khcïr 1 [71 .i usqu' au
24 Redjeb 1204 ('757 à 1789)' date de sa mort près de naba~, où il
est enterré dans la petite qonbba qui se trame près de DilI' El Ma/dt-
zen. Cf. Isliqç(i', t. IV, p. I2 1. - - Ibidem, p. 234, nous lisons, à pro-
pos du sultan Sidi Mol,wmmed ben 'Abderral.lman, qui régna de
l'année I37G il l'année 1290 (185~) il 1873).
« Il a laissé les souvenirs suivants de son règne comme Émir des
Croyants:
« Sa grande maison (DilI' El J1Ja/;h:cn) dans l'Agued(i/ de Rhll! El
Fcl~t; les grands remparts qui entourent les abords immédiats de la
ville: l'adduction des eaux jusqu'à la ville, travaux qui nécessiti'rent
de fortes dépenses; la réfection de Djûma 'Es Sounna, sise non loin
de DilI' El Ma/;h.-en, qui tombait en ruines ct où nichaient les
chouettes et les hiboux; le sultan y ['aisait les cinq prières et la
/;ho!ba le vendredi; il réédifia également la petite mosquée sise dans
cette région et appelée MesJid Atu Fils, y appliquant tous ses soins et
en faisant embellir les plafonds; il lît pratiquer un chemin de sa
maison pnScitée (Ddr RI Ma/;hzen) jusqu'à la rivit~re au pied de (la
tour) [-/assdn, afin d'abréger et de faciliter les communications; il
déplaça une troupe du guich à pied des gens du Soùs et la fixa autour
de l'établissement précité à Agnedcil. Celle troupe se trouva fort bien
. de celte résidence, prospéra et peupla celte région. Telle est, encore
de nos jours, sa situation. »
LES MOSQUEES ET LA VIE Hl~LlGIEUSI~ A HABAT i03

6° Djàma' En Nàçiriya, ~f.:::>I~\ Llc:- ou Zàouyet Sidi

Alfmecl ben Nâceur, .r"t~\ ...\..0.>.\ iS~ ~J\j.


û:
A la fois mosquée et zâouya, elle sc trouve dans le quar-
tier cenLral de la ville, c'est-à-dire à Boû Qroûn.

II. - MosQuÉEs SECO:\'DAIHES.

Dans aucune des mosquées suivantes il n'est fait de


kho[ha. Il esL cependant passé dans l'usage de les appeler
djàma' et nous respecterons cet usage.
,
1° Djâma' El Oubira, ;;~-;)J\ Clc:-. Sise dans le quartier
du même nom.
,
2° l~jàrna' Marino, -'~~V- tIc:-. Sise dans une rue trans-
versale à laquelle elle a donné son nom eL qui rejoint la
grande voie de Riqjâl Eç-Çoff du quartier d'El Guezâ',

3° Djàrna' Sidi Ech Chtul!tely, J~l::J\ iS..\.;- L\c:-'


(1° Djr1ma' El Guezr1', ~I...l~\ Clc:-·
Ces deux dernières mosquées sonL situées dans le quar-
tier d'El Guezà'.

5° Djr1ma' Sidi El Tromâry, iS)l;JI iS..I.;- tlc:-. Sise

dans la rue dite Zenqet Sirli BCI'rezzouq, JJj)~ iS..I.;- ~j


non loin de Bâb El Djerlirl, sur les confins des quartiers
d'El Guezâ et d'Es Souïqa.

6° Djùma' (joûryâ, ~); tIc:-. Sise dans ~le quartier d'Es


Souf'qa, rue dite Zenqet El !UwINârln, ~UI::J-\ ~~.;j ou rue
des maraîchers.
lOi ARClI\VES ~IAnOCAINES

Dans cette mosquée professe actuellement le cheïkh

SitU Molwlluned Er na'r'liy, ,-:?l~) J....? l>..l:- qui donne


l'cnseignement II vingt élèves environ. Son programme est
le suivant:
A huit heures du malin, e~plicatio'l de L'A(jiya dïlJ/l
Mâle!.: ct, après la prii"l'c du J)lOJ"re/J, lecture et explication

du lexte.d'j/m 'Aeh'LI' intilulé:r l»).ra!l J" ~\ ..\..::.)\


~..\J\ ,)ç. (le guide adjuvant pour ac(pl(~ril' les cOllnais-
sances indispensables en matière religieuse).

7° Djâma' Sldl' El (}ajcïl'y t, 15~t~l\ <S..\~ Cl";". Sise II

Sodg El ](llCyylilln, ~k\]~.\ J..J- (le marcllé des coutu-


riers) quartier d' Es-SouùJ{l.
Dans celle mosquée sc trouve un lecteur public ou
w ~

mououeriq, J)y" : les leclul'Cs ont lieu après les pl'ières


de midi ct de l'après-midi (r,l1wheur et 'acer),

8° Djlima' El Kherrrizln, ~jl~li ,..Jo:-. La rnosqllée des


l..-
cordonniers. Elle est sise dans la n"gion dite Soliq El
KherJ'(izln, quartier d'El ~loIra.

9° l~jrima 'Ollqqliça, ~\j) c::l,:"" Sise dans le quartier de


ce nom.

J~0 Djdma' En Ne.iJdl" )f!\ LI";". La Mosquée du char-


pentwr.

1. Il existe, à El Qçw' El !lehir, Ulle famille cl Ulle mosquée que


l'on d()signe de cc même nom El Qajei"ry. cr. Arch. //lar" t. II, n" :J.
- El Qçar El J(ebîr, par Michaux Bellaire ct Salmon, p. 217.
L1,S MOSQUI~:I':S ET LA VIE IŒLlGIEUSE A BABAT iO,)

Elle est située dans la rue du même norn ()fll;i.A;j)


quaJ'lier (l'El TJe(wïra,
.1 1" J~jrima' ]1allUl1ùw 1 y:~-4Y~. L~~' ~Josquée d~ Pala-

IDlllO. Elle sc trouve dans la rue <lIte Derh El Hoüt

":"yLl .."!);) ou rue du Poisson, quartier (l'El Bcfwli'a. A


cette mosquée esL a Ltaché un lecteur public ou /lW/lOUC/Tirj.

12" f)jrima' E: Zendr;l, Jtjl c:\~. La mostluée des rues


(q ui sc croisen Lil) sise au lieu dit lIlelrja c! !or']dn,

":);)2J\ j\-4, le carrefour, quartier d'El TJefwlra.


A celte rnos<luée est atLacllé un mOllouc/Ti'].

d" ])jdma' Molildy 'Abd El (Mdcr El JJjilâny, Lt~


j~f.-\ );)~J\ ..\..->:- '-?':1~. Sise dans la rue dite Del'b Oilldel
El Bric/ut, \..:,U\
. ;)':1)\ ...-»;), rue des enfants du Pac1la, quar-
lier d'El Bcflûra.

1 {t" D,j'dl/w' B1â (;olÎma'a, ~"A"~ )Al J''''~' «( La Mosquée


-~ J. ,""'"-- •

sans minaret » sise dans la rue dito Derb Bel']d'.ll, "--»;)

lS'';;'LèJ~ quartier d'El lJefœïra (P).


1 Go pj,ùrw' El JJridlli, \":'~JI (-,,~. « La l\loslluée du
"-
» sise dans la rue dite Derf) El Bdc/IIi. ~U\ ..-»;)
Pacha
. . .
« rue du Pacha » qllarlier d'El Befleïra. Son nom lui vient
do cc qu'elle fut construite aux. fi'ais du qâïd 2 actuel do

J. La IeUre p a étô adoptôe par les 1\laroc~ins par suite de l'in-


fluence de ln langue esp~gn()l(). Cf'. Arch. maroc .• l. VI, nO~ III-IV,
p. 420.
2. Le peuple ne f~it pas toujours la distinction entre les titres de
pacha et de (jiÎïd et il donne souvent, par calcul et pour flatter la
105 ARCIIIVES MAROCAINES

Babat et d'un riche commerçant de celte ville, III HM}

Mo(wmmecl {Jerl Boù 'Azza, 0> ~\ ù: ...l...? ~L\.

16° Djâma' El Be(tei.'ra, o~\ ("o~, « La Mosquée d'El


Beheïra », sise dans le quartier du même nom.

17° Djâma' Sidl Mo(wmmecl E(l ~)âony, J...~ l>--\:.... L~


~J~;J\. « Mosquée de Sicll Mo(wmmecl El,lOâouy », sise à
l'angle Nord-Est du quartier d'El Be(!eïra, face Ll la qar;Da
don t elle est séparée par la place dite Sollq el R 'ze!.

18° Djdma' Ellfanr;dly, ~lz:LI L~' « Mosquée d'El


lfançâly » sise dans la rue dite Zenqet El BriDry, ~;j

~-':::)\ quartier d'El 'Aloù.


l gO lJjârna' Ti/ion, .J:\}~ C~. « ~Iosquée de Tilioll » sise
dans la rue du même nom, quartier d'El 'Aloù.

2üO_Djârna' El Mo/;;}dâriyin, ~)l;l\ L~~' sise dans la

rue dite Zenqet Oulacl Lazzaro, J) )':}J\ ~;j, quartier d'El


1)
'Alml.
21° Djâma' El BT'ikiyln, ~f)\ L~~' sise dans la rue

dite Zenqet Onlad Fl'ennâm, \~;é )':}J\ ~;j, quartier d'El


'Aloù.
22° Djâm~' DÙli~a, ~,:~~) L~~' sise au lieu dit Ta(tl El
Ifammâm, \~401l J., près de la rue dite Zenqet Sldl Brahùn
Et-Tâdily, ~)l:JI ~\.J.\ l>J...-:;- ~;j, quartier d'El 'Aloll,

vanité de hauts fonctionnaires, le premier de ces titres à ccux qui


n'ont droit qu'au second.
LES ;\lOSQUltES ET LA VIE HELlGJEUSE A BABAT 107

A celte mosquée est attaché le Chcîkh Si Mo(uunmed Er

Ronda, .;..\.;J\ ..\.,,? 1..3'''' qui donne l'enseignement à trente


élèves environ. Son progrmnme comporte l'étude d'un seul
ouvrage: le Hisâlat d'llm 'lÎchir.
Les cours commencent chaclue jour, vers midi.

23" l~jâma' Sidi Mo(wmmed /Jen 'A/nl Allah, cS..\.~"'" L~


~\ ..\.:ç- 0: ..\.",? « Mosquée de SùU Mo(wmmed ben 'Abd
Allah », sise dans la rue dite Dcrb MOrflay 'AbdAllah, quar-
tier d'El 'Aloll. ~
,2ll" J)j(~ma,' El (J~uMa, ~~j\ L~'. « L~ ~~osq~ée du
Dome » SIse a Ta(d El~lalJîlnam, quartIer dEl Alou.
A cette mosquée est attaché un mououcrriq.
La construction de celte moscluée est due à Maillay Sli-
mein 1 qui la fit édifier en l'annl-e 1220 (1805), probahle-
men 1. C 'est cc qui semblerait résulte!' de l'inscription
suivante, placée au-dessus de la porte 2 :

(1 rI' ligne)

db. Î~~\ t~--,.. ..l:'...J\ ~...J\ \;~ ~""'~~ (1""\ ~ ..\.."l\


('~\..xI t~y -fik'J\ [.JI <t~\j ~-~ 0~~ t'Jy Î~-'11 ~~\)
· J.N\ )l:-- ~~ v È!

I. Le Kilrib El /sliqçâ' n'en fait point mention; mais on sait que


Moùlay Slimùn est l'un des sulLans qui s'occupèrent" le plus de con-
structions dans l'empire chérifien ct plus sp(~cialcment à Habat ct
Salé Cv. p. haut, nole 3).
2. Nous devons le texte de celle inscription à l'amabililé de M. Le-
riche, vï.cc-consul de France à Raba~.
108 AHGlllVES MAHOCAINES

(2" ligne)

122 ... \~

(Traduction: 1 '" lignl')

« Louange ù Dieu 1
« L' orelre d'édifier celle cha pelle bénie a l~té don né par
I10tre Maître l'!mtlm, le défenseur de l"élendard de l'Islam,
notre Maître Slimtlll, pour que le mérite en soit attribué
il son fils, le pur, le très chaste, notre Maître Bràhîrn.
« (La construction) a été achevée pendan t (le mois de)
Djoumad El Oula (sic). »

(2" ligne)
« An 122 ... (1220;). »

25° Djdma' 'Afya, ~.:b L~' sise dans la rue nommée

Zengel Oulâtl J!"I' ndïsy, ~U\ )'JJ\ ~;j, cl'wrtie,' d'E['Aloli.


A celte moslluée est attaché le Chei'kh Sirli Mo(wmmed

uen El 'Ayâchy, ($:\..\1 ù: ..\..$- l5~ t"::'l \ qui donlle l'en-


seignement il cnviron vingt-cinq él(~ves. Son progmmme
comporte: le matin, cxplication de la AcUal'l'Oumya et, le
soir, lecture du textc d'lbn 'Achil' déjà cité.

26° Djâma' 8ùli fJâscm, r\; Ô~ r\~' « Mosquée de


Sidl ()dsem, sise dans le quadier central de Boû f)l'oûn.
A cette mosquée est attaché un mouoLlcrriq.

27° Djùma' El Guenâïz, jj,\:~\ r::~' « La mosquée des


LES l\IosQUlb~s ET LA VIE BEUGIEUSE A RABAT i09

conVOIS funèbres » 1 sise dans la rue dite Zenqet Oulad El

Rarhy, ~;J\ ::.':1.,,1 :\.Q;j, quartier d'El 'AlolÎ.


28" Djâma' En Nalchela, ;jJ;.;J\ C\'::;' « La mosquée du
palmier », EUe est sise au qual'lier d'El /foira et sur les
confins de celui de Boû (jroûn.

29"

Djâma' Ben Er RMy, ~ ~\.:,...
. '-;'\)I j\• 1...- •
Elle est situéc

dans la rue dite Zenqet 8idî Es 8(ü/~, LJ1 t c.S..l:; :\.Q;j à


El-Gue::.a'. • / ~
30" Djâma' Lella Tâbernouset, ..;........;..i.~ dj':1 L4--. « Mos-
quée de la sainte Tabernoust ». Elle cst située au lieu dit

ZelllJet Hiyâm, ~):, :\.Q;j, (lual'tier d'El Guezû'.


H'
31" Djanw' ilIoûlay Brdltim, ~::\..i.1 c.S':1J L~'
.A EUe est
située dans la rue dite Zenqet Oulad El R'arhy, déjà citée.
Dans ceite mosquée professe le Cheikh 8idi 'Abd-Er-Ra6 c
mâne Barital qui don ne l'enseignement à environ trente-cinq
élèves. Son programme comporte: la Adjarroumiya, l'Al-
fiya ct l'ouvragc d'Ibn 'Achir.

32" Djâma' Ahl Fils, V"~ J~\L\'::;' (( La Mosquée des


gens de Fès ». Elle est due au Sultan 8idi Mo!wmmed ben
'Âbderra!unan 2 ct s'élève hors de l'enceinte intérieure, dans
le voisinage de Dar El Malch::.cn, au quartier des Touarga,
non loin du tombeau des Sultans MOlÎlay El ~Iasan et Mou-

1. On donne ce nom à toute mosquée (lui n'est pas destinée uni-


quement à la pr'ière, mais bien à recevoir la sépulture de saints per-
sonnages dont la vie peut servir d'exemple au commun des mortels.
Mais il faut que cette destination ait été prévue dès le début de la
construction, pour que les inhumations y soient légitimes. Cf. /(itûb
S'e/ouai El A'~fls, passim.
2. V. plus haut, note 3.
HO ARCHIVES MAROCAINES

lay Mo(wmmed. Elle n'est ouverte ct ne fonctionne, en tant


que mosquée, que pendant les séjours du souverain à Babat.
D'après un récit qni trouvc créance à Bahal, cette mos-
quée fut bâtie sur les instances des gens de lu cou 1.' chéri-
fienne, originaires de Fès, en majorité, parce qu'ils trou-
vaient hop éloignée Djâma' Es Sounna pour aller y faire
les cinq prières Cluotidiennes. De là le nom de Djûma' Ahl
Fas ou Mesjid Ahl Fâs.

33° Djâma' Mattlay Et Tehâmy, d\P\ rS':1~ L\~'


Elle est située dans la grande rue de RcùUcil Eç-ÇoJJ', au
quartier d'El Cucul'.
Pendant le mois de Ramar.lcin le Ijû(ll y lit et y explique le
texte de Sidi El Bok/uily.

III. - LES MESJlD t.

Dans chacune des mosquées suivantes, un cheïkh donne


l'enseignement qoranique :

Mcsjid El Oublra 2, .;J.:!}I J..~"'. Sise dans le quarlier


1 ()

du même llom- 25 élèves environ :;.

1. V. plus haut, note 1.


2. On remarquera que beaucoup des noms flue nous avons donnés
dans la liste des djama' figurent aussi dans la liste des mesjid. Dans
ce cas, le mesjid n'est, le plus souvent, qu'une simple annexe du
djâma " pièce à usage d'école annexée à la mosquée.
3. Il est utile de faire remarquer ici que ces chilrres sont tout à fait
approximatifs, car les élèves n'apprennent pas tous le qorân entier,
ni les mêmes fractions du (Janin et ils quittent l'école dès qu'ils esti-
ment en savoir assez long. Enfin beaucoup d'm'ltre eux, rebutés pal'
une étude aussi mal comprise, aussi peu en rapport avec leurs l'acuI-
tés d'enl'ants, se découragent au bout de quelques semaines et déser-
ten t le cours définitivement. La régularité est encore moins la ri'gle
ici que dans les écoles primaires de nos campagnes.
LES MOSQUÉES ET LA VIE RELIGIEUSE A RABAT Hf

2° Mesjid Seggâyet Ben El Mekl,y, l5t'tI U:\ ~l~""", J...~.


« Mosquée de la fontaine de Ben El Mekky ». Une tren-
taine d'élèves, envit'On, y reçoivent l'enseignement qora-
nique. Cette mosquée est sise dans la rue qui porte son
nom, du quartier d'El 'J1lou.
3° Mesjid Sldî 'Abdallah El Hourchy, 4l.\\ J..:c I..>J...:.""'" J...~
~,jl\. Sise dans la rue qui porte son nom, quartier
d'El 'Aloû (?). C'est à peine si 3 ou l, élèves y étudient le
qorân.

l~o Mcsjid Ez Zcqâq Eçl Dlq, J:,aJ\ Jl;j\ ~,4. « La


Mosquée de la rue Étroite ». Sise dans la rue du même
nom, quartier cl' El 'Aloù. Dix élèves environ y reçoivent
l'enseignement.
5° Mesjid Moulay 'Abd Allah, <\~\ ~ l..>'Jy~. Sise

dans la rue dite DerbMoulayAbdAllah, <\.\l\ J.....c . 1..>'J,j,4 "....u:>,


quartier d'El 'Aloû. Une quarantaine d'élèves suivent le
cours qoranique qui s'y donne. C'est l'une des écoles les
plus fréquentées, sans doute grâce à sa position assez cen-
trale, dans un quartier populeux.
6° Mesjid l'aM]El #ammâm, Ill\ J. ~.,4. Sise dans
la région dite l'aM El Hammâm, quartier d'El 'Aloù.
Quelques élèves suivent le cours du cheïkh qui y pro-
fesse.
7" Mesjid I.lammâm El 'Aloù, ).JI Il:>- J...~,4. Sise dans
le quartier d'El 'Aloû. Une quarantaine d'élèves, environ.
y apprennent le fIorân. .
8° et gO Mcsji'il tOulâ(Er Râi:çy, ~~Ul :>'J)\ ~. Sises
dans la rue du même nom, quartier d'El 'AtOLL
n y a deux écoles voisines qui portent ce nom; l'une
réunit une quinzaine d'élèves ct l'autre une douzaine.
H2 A!\CIlIVES MA!\OCAINES

JOO Me~jùl
l1iyâl'a, ;;)~: J..~-4. Dans la rlJe de cc nom.
quartier d'El Gue:;l/'. EUe compte une douzaine d'élèves.
,
Mesjirl Jlfol'ino, ..J~~V-- J..~-4. Dans la rue du môme
J JO

nom, quat'lier d'El Guezû'. Elle compte six élèves.

J 2° Mesjirl Si~l Sâi/r, tLJI l,;J..~ ~. Dans la l'lle du


même nom, quartier d'El Guez Il' . Elle comple environ huit
élèves. __
J,)o Mesjiv El Guezrl', <\j~1 ~-4. Dans le quarlier de

ce nom; elle' compte ulle quinzaine d'élèves.

J !~O 111e~jirl RlDjoti!iya, 4J'J~\ J..~.-4. « La mosquée du


bric à hrac ». Sise dans la rue Ell~joLl!iya quartier d'Es
Sourqa. EUe comple ulle lrenlaine d'élèves. ~
J f}o 111esjirl Lelia Ownm El itllna!Jle/i 1, il ~J'} ~~.......,o

~-;\:sJ\. Sise dans la rue du même nom, (Juarlier d'j<,'s


Sourqa, elle est fermée momentanément.
J Go Mesjid Ouqqâça. ~l:;J ~-4, dans le quartier du
même nom. Celle école (JrH'a"iquc est fermée monll'Illa-
Hément, sc trouvant dans un qll<ll'Ii<lr pauvre où les parcnts
onthesoill des services de leurs elllànts ct n'ollt pas le loisir
de les làire instruire.
17° Mesjid Palamino, ..J-:-4'":A!, J..~-4. Sise dans la rue du
même nom, quartier d'El Be(rel"l'a. Elle compte environ
trente-cinq élèves.
J 8° Me~jid Sidl Mo(wmmed Ell Dâouy, J..'>- i"S...>........., J..>."'-4
~ .

I. Le mot u"" 0
pl. ~ est employé en Oranie pour d{>si-
J::
gner la grande pii~ce d'étofl'e dont on s'entoure la tNe et qne l'on
nomme ~Idïl.:, ~ \>, plus à l'Est.
LES MOSQUltES ET LA VIE RELIGIEUSE A RABAT H3

,:?)t~J\. Sise dans le quartier d'El Be(w"ira, Cette école est


fermée momentanément.
] g" Mesjid El Be(wrra, ';..t~ \ ~. Sise dans le quartier
de ce nom. Elle compte une vingtaine d'élèves.

20" et 21" Mesjid GuessoLÎs, cJ~ ..\.:--L.... Ce sont deux


mosquées sises dans la rue dite Dab Guessous; chacune
compte environ trente-cinq élèves.
22" Un mesjid, fermé actuellement, dans la rue dite

Zenqet El Yâsfy, Ui~...... \:J\ :i.4;j quartier de BOlÎ ~roûn,


23" MesjidBoû Qroûn, (.)))3'. ..\.~.4, dans le quartier du
même nom. Elle ne compte pas dix élèves.

24" Mesjid El Fasy. ($"~J\ ..\.~.4. Sise dans la rue dite


Dab El Fâsy, quartier d'El JIofra; elle compte vingt-cinq
élèves.
25° Mesjid Bab Er RaMa, ~~J\ ~~ ~.4. Sise dans la
région de Bab Er Ra(tba, quartier d'El JIofra ; elle compte
trente-cinq élèves,
26" Mesjid El R'arby. ù.,);J\ ~.4. Sise dans la rue du
.. '
même nom, quartier d'El J.l ofra ; elle compte environ vingt-
einq élèves,
Soit, au total, vingt-six mesjid où l'on donne l'enseigne-
ment qoranique à environ einq cents élèves.

IV. - L'ENSEIGNEMENT.

Avant de passer à l'étude des Zâouya et des confréries


religieuses, il nous paraît indispensable de relater ici les
quelques observations que nous avons pu fail'c sur la façon
dont l'enseignement est donné à Habat. Cette question est,
ABCH. MABOC. 8
ARCHIVES nlAROCAINES

en effet, étroitement liée avec tout ce qui touche au culte


et-aux édifices consacrés à sa célébration.
-Rabat et Salé ont été, pendant très longtemps, deux
foyers de science et de culture intellectuelle, surtout la
seconde de ces villes et les chroniqueurs magrebins ne
tarissen t pas d'éloges SUl' les savants qui sortaient de leurs
écoles. Nombre de ces derniers ont d'ailleurs écrit, dans
tous les ordres d'idées, des ouvrages estimés.
Aujourd'hui encore, ces deux centres constituent, pour
le makhzen, une pépinière de fonctionnaires : ollTnanâ,
'adoul, I/whcnclîzln y sont volontiers recrutés pour être
expédiés vers différents points de l'empire, plus particuliè-
rement dans les ports, où les relations avec les étrangers
exigent des agents plus habiles, plus souples, plus au cou-
rant.
Enfin, à Salé, quelques traditions d'autrefois ont subsisté
dans le monde des étudiants: on y trouve encore desfqîh
ayant une écriture admirable, capables de rédiger en assez
bon style, un peu recherché ct prétentieux, très correct au
point de vue grammatical. Il en est parmi eux, qui savent
enjoliver un manuscrit d'inscriptions, de cartouches, de
dessins aux multiples couleurs qui viennent égayer l'aspect
sévère du texte.
Mais tout cela n'empêche pas que l'instruction soit for-
tement délaissée, ct les recherches, auxquelles nous nous
sommes livré, nous permettent d'alTirmer que le mouve-
ment intellectuel est en pleine décadence.
Nous avons constaté, en effet, qu'à Rabat l'enseignement
qoranique est donné par vingt-six professeurs à environ
cinq cents élèves. Ce chiffre peut paraître élevé, mais on
sait cc qu'il faut entendre par enseignement qoranique :
faute de méthode intelligente il nous donne de bien mé-
diocres résultats et les sujets dont on ne pousse pas plus loin
l'éducation ne font que de piètresfqîh; leur ignorance n'a
d'égale que leur fatuité, le plus souvent.
LES MOSQUI~ES ET LA VIE RELIGIEUSE A RAllAT H5

D'autre part, quatre mosquées, seulement, sont dotées


d'un cheikh ou professeur dont renseignement ne soit pas
uniquement qoranique; mais, que voyons-nous figurer à
leur programme il
L'A 1jiya d' Ilm M(ileh, la A({jal'roumiya, la Risrllal et l'autre
ouvrage d' Ilm 'Ac/àr, déjà cités.
Comme on le voit, cet enseignement est purement gram-
matical ct religieux; il paraît être suivi par un peu plus de
cent étudiants,
Enfin il y a, dans cinq mosquées, des mououerriq ou

lecteurs publics et des (wzzrlb ..~\~;:.. lecteurs de (âzb ..~:r­


ou sections du qorân. Les pre·miers, comme les seco;lds,
ne s'occupent nullement de science profane et la religion
est le seul objet de leur sollicitude. Leurs lectures ne sont
suivies que par un nombre restreint d'auditeurs, trop peu
éclairés, en majorité, pour que la leçon leur soit profitable:
encore ne sont-ils astreints à aucune régularité.
En dehors de ce qui précède, point d'institution quel-
conque où l'on puisse suivre des cours d'enseignement
supérieur.
Il y avait bien, autrefois, une medersa, somptueux édifice,
éonstruit dans l'enceinte de la qaçba de Babat, mais il n'en
subsiste que des ruines; en outre, l'une des trois zaouya
de Derqaoua sc nomme Medersel Jfoûlay El 'Arby lttl

DeMâr' ë.~j\ ~fJ\ iS'J.,JA :\._)..\...4, mais les gens de la ville


semblent avoir perdu jusqu'au souvenir lIue l'enseignement,
y ait jamais été donné.
Cependant Rabat compte quelques « sommités intellec-
tuelles », quelques savants réputés, on cite notamment:

SitU A(uned Bennûny, jl:~ ..\.<>>-\ 1.5..\.-::,",,' !Jill/il) à la mos-


quée dite Djûma' En Nrlcil'iya '.

1. V. plus haut, p. 4, GD.


H6 ARClIIVES MAROCAINES

Sldl Fal{~ Allah Bennâny, Jt~=! 'Ùl\ ê tS~, parent du


précédent et moqaddem de la confrérie des Derqdoua.

Et Sldl El Mekky El Be{doûry, tS)Jtk~1 u.b\ tS~, qâ(li


de la ville.
A vrai dire, ces personnages- sont encore des spécialistes
de la seience religieuse et, si le dernier passe pour un juris-
consulte consommé, aucun d'eux ne professe, de sorte que
leur savoir ne profite à personne.
Avant d'occuper sa position actuelle, le qd(li était profes-
seur et il faisait des cours de rhétorique et de grammaire
fort appréciés; depuis sa nomination à ses fonctions
actuelles, il n'a plus le loisir ou le goût de continuer ses
cours. Pendant le mois de Bcmw(üin, seulement, il se rend
chaque jour à la mosquée dite Djdma' Moûlay Tehâmy 1 et
là, en présence des notables ct de tous les {olua de la ville,
il lit et commente une partie du ÇaM{~ de Sîdî El Bokhûry.
Lorsque ce textc est entièrement terminé, ce qui sc pro-
duit généralement quelques jours après la rupture du jeûne,

onfètelalJwlmelSldlElBokhdry, tS);;J\ tS..\.:-,? «( Clô-


ture (du texte) de Sîdî El Bokhâry », de la manière suivante:
Le qâ(li, les notables et tous les {olba se rendent ensemble,
le soir de la Mwlma, daus le jardin nommé El 'Orça El

Menebbehya Ç:ll ~J'JI, ancienne propriété de l'ex-mi-


nistre El iVlenebbehy, confisquée par le sultan. Dans ce
jardin, éelairé par mille bougies de couleur, la nuit se passe
à écouter la musique et les poésies des meilleurs chïoûkh 2
de Rabat.
La fête se prolonge pendant toute la journée du lende-

I. V. plus haut, p. II,33°.


~. On sait que le mot cheïkh comporte un très grand nombre d'ac-
ceplions. il peul désigner le Larde, poèle el musicien, voué au ~wchich
et il l'alcool, aussi bien qne le professenr respecté el austère.
LES MOSQUÉES ET LA VIE IŒLIGIEUSE A HAllAT 117

main, les folba récitant le dhikr et la musique jouant tour


à tour, tandis que des visiteurs affiuent en masse, apportant
des mets et des cadeaux variés, pour obtenir, en retour, la
bénédiction divine.
Enfin, pour clore les réjouissances, on procède, sur le

marché, à ce que l'on appelle lnabl' cch chcma' 1 ~\ r:::...A


« la vente des bougies ». Cela consiste à vendre aux enchères
toute sorte de souvenirs de la fête qui portent en eux-mêmes
la bénédiction du Très-lIaut : bougies de couleur, pains de
sucre, lambeaux d'étoffes ayant servi à la décoration du
local. Chacun voudrait conserver un souvenir de cette
réunion et participer il ses bénédictions, aussi les enchères
sont-elles fructueuses. La somme qu 'elles rapportent est
employée à solder les frais de la fête ct à faire quelques
aumônes.
Telle est la cérémonie appelée khilmcl Slill El Bofduiry;
c'est, en quelque sorte, la fête des étudiants de Rabat, c'est
aussi, de toutes les réjouissances populaires, la plus élégante,
la plus modérée en ses manifestations et la plus aristocra-
tique.
Pour en revenir à notre sujet, après ceHe petite digres-
sion, nous ferons remarquer qu'il n'existe point de cours
supérieurs d'histoire, de belles-lettres, de sciences diverses,
d'astronomie ni de droit. C'est donc aux étudiants qu'il
appartient de s'adonner seuls à ces matières, s'ils le dési-
rent, et, en dehors de leur~ propres moyens, ils ne doivent
compter sur aucune ressource, à Babat. Tout au plus
peuvent.-ils, de temps en tel'nps, aller demander des éclair-
cissements à l'un des savants que nous avons cités ou à
quelqueJqih célèhre de Salé. S'ils sont bien résolus à pour-

1. Nous verrons plus loin que cette coutume du mabî' ech chema'
est mise en pratique à l'occasion de presque tous les moûscm ou fêles
des saints locaux.
1:18 ARCJllVES MAROCAINES

suivre sérieusement leu rs études, ils sont forcés de sc rendre


à Fès.
CeLLe décadence intellectuelle est imputable, en grande
partie, à l'incurie du makhzen. Lui seulest cause que cinq
mosquées, seulement, comportent chacune un cheikh don-
nant un enseignement un peu élevé, car il s'est arrangé,
sciemment ou non, pour <lue le traitement de ces profes-
seurs, prélevable sur les revenus des biens fUlbolls, soit
absolument dérisoire.
Fixée, il y a très longtemps, à la somme mensuelle de
trente ou quarante melhq(ll par professeur, quand l'argent
avait une grande valeur, cette solde n'ajamais varié depuis,
malgré les dépréciations successives et de plus en plus
grandes, que subissait la monnaie marocaine.
Quant aux professeurs qoranigues, aucun trailement
n'est prévu pour eux. Ils n'out ahsolument <pLO la c/whl'Yu,

4.l.)~ ou mensualité servie pal' les parenls de chacun de


leurs élèves, selon leurs moyeus. Très modique pour les
gens pauvres, celle mensualité arrive rarement au Laux de
deux douros pour les plus riches. En outre le professeur
reçoit un cadeau, presc[1lC loujours en nature (poules, œufs,
beurre, etc., elc.), chaque fois que l'ul1 de ses élèves a
terminé soit une seclion du QOl'an l , soit le QOl'an tout

entier~. Cc cadeau pren<l les noms de 'uowicitil', ";:\yC ou


dîmes 3, fwdhqu
'" .
<I.g-\>. ou lekh,'ùYa
..
~ ;>.
.;;

I. En ce cas, la famille de l'élève c(qèbre, en son honneur, une


petite l'de qui prend le nom de IdLe/ma, :i...,.::;., on de ztadhlJa, ~i>.
2. En cc cas la fête familiale, célébrée en l'honneur de l'enfant fIni
sait tout le Qoràn, prend le nom de /eJ.. hl'irlja, 'k::-.i:;·, ou congé parce
que l'instruction étant terminée. l'enfant quitte l'école.
3. Le mot "":'Iy- désigne les vacances des écoliers, le temps de leur
LES MOSQUJ~I~S ET LA VIE HI~LIGIEUSE A HAllAT HD

En ce qui concerne les femmes, on sait qu'en principe


elles sont tenues dans une ignorance complète. Cependant,
il nous semble assez intéressant de signaler un fait qui a son
importance; un certain nombre de citadins lettrés ct pieux
s'appliquent à instruire leurs femmes ct leurs filles dans les
choses de la religion.
Il existe, en outre, une école qoranique pour les filles,
école dirigée par une femme que l'on appelle el JeqZra

;;~~~j\. Le cours est donné chez elle à une vingtaine d'élèves,


enVIron.
Comme ses collègues mâles, laJeqlra n'a que les mensua-
lités allouées par les parents de ses petites élèves, modique
rémunération dont le taux varie de deux à cinq basitas par
élève, plus les Zwdhqa ct les tekhl'idja.
Cette tendance à donner de l1nstruction aux femmes,
assez rare dans l'Afrique du Nord, serait à encourager si on
pouvait l'étendre aux études profanes, dans une lai'ge
mesure. La cause de la civilisation aura fait un grand pas
le jour où la femrne musulmane appellera le progrès, le
jour où elle voudra modifier son rôle actuel dans la société,
rôle essentiellement retardataire, le jour enfin, où l'on
déposera en son intelligence inculte et fruste, les bons fer-
ments et les saines idées qu'elle ignore.
Déjà, dans une précédente étude l, nous signalions la
facilité avec laquelle les musulmanes de la classe ouvrière,
dans le Maroc septentrional, en tren t au service d'européens;
d'autres s'emploient aux travaux pénibles et peu délicats de
certaines usines ou fabriques (briqueteries, etc., etc.)
tenues par des chrétiens, absolument comme le font lcs

chomage. ces cadeaux serviront donc it subvenir aux besoins du cheïhh


pendant ce temps de chômage, de lit it leur appliquer le même
vocable, il n'y avait qu'un pas: \t:J'~..:I.;:\_)"lI.(lJ.b.~.
I. Cf. Arch. maroc., 1. VI, n'l'Ill-IV, p. 42;).
i20 ARCIIlVES MAROCAINES

paysannes d'Europe, dans les centres industriels. Un mou-


vement vers l'essor intellectuel, même à peine dessiné ct
confiné dans l'Islam, nous semble mériter de fixer quelque
peu l"attention.

\
V. - LES Z \OUYA ET LES CONFlIf:UIES HELlGlElJSES 1.

Treize :âouya ayant leur siège ~l Habat comptent un total


d~environ quatorze cen ts membres actifs ou fOllfjal'fi' Cju i
assistent régulièrement aux séances dc leurs confréries res-
pectives. En outre, un grallel nomhre d'afliliés ou kllOrldlÎtn
fournissent leur aide pécuniaire ct leur appui mOl'a l, sans
prendre un part effective ou régulière aux exercices des
foufjarâ' .
Ces foufj(trli' ct ces IdlOrldritn sc réparLissen t entre dix
confréries, c'est-~l-dire que certaines confréries ont plusieurs
zâouya.
D'une façon générale, chaque confrérie a une séance
ordinaire le vendredi, au siège de sa ou de ses zâouya depuis
l"accr, ou peu après, jusqu'à une ou deux heures après le
mor'rcb (soit de 3 heures après midi jusque vers 8 heures,
ces beures variùnt avec la saison).

La séance ou (tru.lra ofâ::>o- consiste essentiellement en une


réunion des Joufjrira', en présence du mOfj(uldcm: on réei te
le dhikr ct quelque (Iaçhla puis on pl'Ocède aux exercices
propres ~l la confrérie, après quoi la séance est eltlturée par
la lecture du (tizb adopté, sans que tous les Joufj{trli' soient
tenus d'assister à ceLLe lecture, ct l'on sc sépare.
En outre des séances ordinaires, il peut y avoir des
séances extraordinaires, dans l~l zâouya ou en dehors, le

J, La plupart des zâouya Ggurent déjit dans la liste des « mosfluées


à prône » et « mosfluées secondaires »),
LES MOSQUI~:I~S ET LA VIE HELlGlIWSE A BAllA'!' i2i

Jour ou la nuit ct à diverses occasions dont les principales


sont:
1 ° L'anniversaire d'une grande fête musulmane ou du
moûscm d'un santon local;
2° Al' occasion d'une procession religieuse motivée par
quelque événement imprévu (arrivée du sultan ou d'un
très grand personnage, prière puhlique pOUl' demander la

pluie, - .l:t...:~~\ 'ô'J.,,:::> - ou pour conjurer un malheur


(une épidémie par exemple) ;
3° Pour céléhrer une fête de famille chez l'un des fou-
gard' ; en cc cas l'hôte héberge la confrérie et lui offre une
~/(fa après la séance;
!Jo Pour accompagner le convoi funèbre de l'un des fou-
'Jard' ou d'un saint de la région, etc., etc.
La Zw(lm se modifie alors, selon la nature de la céré-
monie ttlaqllelle est conviée la confrérie.
Nous avons tenu à donner ces cJuclques détails en préam-
bule, afin de n'avoir plus à y revenir, car ils sont communs
à toutes les confréries sans distinction; voici maintenant
la liste des treize zâouya 1 :

1° Ez-Zûouya Hl 'Ai"sûollya, ~:)~-:..J\ ~:jlj\. Zllouya des


. T?(: Goff:
'Aïsâoua. Elle est située dans la rue de Ridj'ûl . .,; ~

quarliel' cl' Hl GllCZ(i',


Elle compte, tt Habat, environ cent villgtJou'J((/'(l' pro-
prement dits et trois cenis Idwddûm.
SOli moqaddem actuel est le nommé Hl ~Jadj (Jûscm Bcr-

J. Nous ne donnons pas de délails sur l'ouenl, le dlti!;r ni les


dogmes de ces con fréries, cbacune a' elles ayan l d{-jà fai lI'objel d'éludes
approfondies. Cf. L. Hinn, Marabouts et Kltouan, 188[1.- Le Chale-
lier, Les Confréries religieuses nwsulmanes du lIe(Uaz. Paris, ~887' -
Depont et Coppolani, Les Confréries religieuses musulmanes. Alger,
1897, etc" elc.
122 ARCHlVES MAROCAINES

bich oàld El I:ldrlj MO(lCllluned Ber1Jich, . IJJ ";:~J. {'"\; e-U-.I


J-;~J. ..w:. Cll.
Nous ne nous attarderons pas à décrire ici les exercices
auxquels sc livrent les 'Aisdoua, étant donnée leur noto-
riété ; (lisons seulement que ceux du Maroc s'attachent
beaucoup moins que ceux d'Algérie à varier, en sa forme,
le tour, « le miraele )) qu'ils accomplissent. L"aisdouy
marocain sc borne à dévorer les choses les plus hétéro-
clites: viande cme, ct animaux de toute sorte, feuilles de
cactus, etc., etc.

Hz Zâoaya El Jolcundol1chya, :\:':'J-l..lI ~)ljl, Zdouya


2"

des Jolamr1r1c1w, sise dans le IIllLlrlier d'El Be(tei"l'C{ ct donnant


sur la place dite 80l1q El liezel.
Elle compte, environ, deux cents affiliés à Rabat et a
pour moqaddom le nommé El Jolâclj Bod Bre/.; ould el J:lâdj

Ya(LYa, ~ Cll..IJJ ~~: ~\ Cll..


La se~te des Jolamâdcha est, avec celle des 'Aisdoua la
plus redoutable au point de vue européen, par l'exemple
qu'elle donne de pratiques harbares, d'exercices sanglants
ct par le fanatisme étroit qui caractérise ses Jouqarâ' presque
tous de basse extraction. Même parmi les musulmans, tous
ceux qui sont un peu éclairés et qui cherchent à com-
prendre l'esprit de leur religion s'élèvent avec indignation
con tre les exercices publics auxquels sc livrent ces confré-
ries cl les hérésies qu'ils entretiennent dans le peuple.
Dans les grandes (uulm ct surtout dans les processions,
,
;2
/

1
les Jouqarâ , (IClmàdcha se mettent en la(wyour, ct. dans
cet état ils s'entaillent le cuir chevelu à l'aide de la chdqodr,

J. On appelle ainsi la grande surexcitation nerveuse, l'auto-sug-


gestion qui permet de braver la douleur et provofp.le parfois de véri-
tables crises de folie furieuse.
LES ~IOSQUl~:ES ET LA VIE RELIGIEUSE A RABAT 123

J.,gl:.1 ct se frappent le crtule ù l'aide de boulets de fonte,


de blocs de pierre ct de petites masses appelées zerâouet,

L'orchestre des l/alluldc1w ne comporte gUllre que des


!uU'1'IÎ:i'l, ~j\~~ el des r'ai~a ", ;il,:i-, ils n'emploieut ni le
bcndir ni le l!leul'; Ù la différence des 'Ai"sâoua.

3" Ez Zâouya Hl ()âsmya, ~ ....J~J\ ~J\j\, Zaouya des Qâs-


myin. Elle est située dans la rue dite ZeluJct Oulad Gucl-

::im, f..)'9 ;)':}J\ ~;j, quartier de BoLl ()roûn.


La' confrérie ne compte qu'une cinquantaine d'adeptes
dirigés par leur mocpddem El JoldeU Mo(wmmed Pemâny,

J tj;, ...\..~ c.~lI.


En outre de son cheiolJL celle conli'érie vénère Sldi 'Abd-
Allah El }!ouù:!ty doul le tombeau est sis dans la rue de cc
nom, quarlicl' d'E'l 'Aloûr;.
4" Ez Zâouya El R'lÎûya, ~:j~;JI ~~J\j\, Zaouya dcs R'â-

J. C'est une sorte de hallebarde à lames minces et ajourées, très


légères.
2. Au singulier zcrolUi!a, J1,1))).

;). C'est une sorle de grande jarre en terre, dont on aurait enlevé
le rond ponr le remplacer par une peau sur laquelle on frappe avec
les mains. Cet inslnItnenl se place sur l'épaule gauche de l'exéculant.
Il co'rrespondrait il ce qu'on nomme derbolilw, ~)), dans l'Est. à
c?la près qne la derbouka est beaucoup plus pelite comme dimen-
sions.
4. Sorte de hautbois.
5. Le bendir, .f.....\ ':, n'est autre (lue le tambourin ordinaire; le {beul,
»' est un petit tambour.
6. V. plus haut page 11-3".
12\, AHClllVI~S MAROCAINES

ZIYlllC, sise dans la rue dite Zenfjucl Biyâra, quartier d'El


Glltzd' ,
Elle compte environ soixante-cinq adeptes dirigés par
leur moqaddem 'J1[nl El l/ufjfj KIlTTd!.:choù ould A~tnlCd

Karrâkchoû, y::.,,(\.f-.\~\ ..uJ ..,..::.5Î~« JlI ~,


A la (uu,lm les jOllfjarli' sc mettent en 1(J~wyonr, sc lèvent,

aspirent les vapeurs~ d'encens (bcldwnr, Jy;':;) ct sc livrent à


leurs exercices qui consistent tl sc placer des braises dans
la bouche, des brandons ellnall1més sous les bras, des
paquets de palmier-nain enflammés sous leur chemise, à
môme le corps, clc., clc.
G" Il: Zdollya El Djiltiliya, ~J·)tll ~'j\jl. « ZtLOuya des
~ ~.

joufjarâ' de 8ldî Abdclfjtldcr RI I~iilûllY ». Elle est située


dans la rue dire J)crD Oultid RI Bâclai, quadier d'El Bc~tCira.
Elle compte, à Bahat, ellvil'oll deux cents adeptes, diri-

gés pal' leur l1\oqaddem El IIâdj 'il ly El' llcgrûguy, Je [.\LI


~:--I..f.'" ) \.
Pelldan tles grandes (wdm les jO/lfjarâ' de celte confrérie
sc percent les joues avec de longues aiguilles apIlC'l('es Doù

l'luim, Î~JY., font divers exercices avec un sabre ct ils sc


livrent, en tous temps, à des pratiques de magic ct de divi-
nation.
(i" Ez Zâonya III Toulaimiya, ~~\r:J\ ~JIjI. Zâouya des
Touluimiyilz. Elle est située dans la rue de Rùljlil Er; Coff,
(luartier d'El Guczû'.
Elle compte deux cellt vingt adeptes sous la direction
du moqaddem El1/âdj Mo(wlluncd Qedît'(J oult! El flâdj Boû

Brck Qedlra, 0.J....\9:.\.J. ~\ Cll..uJ 0)..-.\; ..\....?Cll .


Cette confrérie vénère les saints de la maison d' Ouezzûn.
LES MOSQUÉES ET LA VIE RELIGIEUSE A RABAT 12t>

- Dûr Er/, Demâna - c'cst-à-dire Moûlay 'Abd Allah Ech


Cherif! et sa descendance, en particulier Moûlay Te/ulmy
qui a donné son nom à la confrérie et Moûlay El MeHy ben
MoZtammed, dont nous parlerons plus loin. (/' 1(3)

7° Zâouyet El Guenâoua, ';j~)\ ~j\j. « Zâouya 2 des Gue-


nâoua » située dans le Dab El Guenâoua, rue de Pori Mahon

(0ycl.A ~ l :\4;j) , quartier d'El Be/:tei'ra.


Elle compte une trentaine d'adeptes dirigés par le moqad-

dem El Nouseiit oulcl Farad}y, 0':--:;~ -Ùj ~\.


Les Guenâoua sont presque tous nègres et ne comportent
que des gens de basse extraction ct des esclaves. Ils prati-
tiquent la divination ct paraissent même avoir quelque idée
de l'hypnotisme ct des procédés de suggestion.
Dans leurs ba(lra ils sc livrent à des exercices qui rap-
pellent ceux des 'Aisaoua, des fJanuldc/w et des Djilâliyin
et pour lesquels ils emploient des braises ou des herbes
enflammées, des fers rougis au feu, des aiguilles dont
ils sc transpercent les joues, des sabres, etc.

Leur orchestre comprend le guenibl'i, ~~:; ou petite


guitare, les qaâqeb, JI) ou vastes castagnettes de fer,
les tbeul, etc., etc. .
Leurs fêtes sont particulièrement bruyantes ct intermi-
nables; d'ailleurs le goût du nègre pour le bruit et la Œte
est proverbial.
8° Zâouyet Sicli El Ijarrâq, J\~LI <,SJ.:;-"" ~j\j, dans le
quartier d'El 'iofra (?).

1. Au sujet de Modlay 'Abd Allah Reh Cher1f et de toute sa descen-


dance, cf. Istiqçû', t. IV, p. 51, ligne l, et seq.
2. Il n'y a pas, tl proprement parler. de Zàouya, c'est la maison
du moqaddem qui en tient lieu.
i2ô ARCHIVES MAROCAINES

gO Medcrsel kloùlay El 'AriJy Ed DeM;rlr', rS'1y L j ...\....

6..J\ J~..; JI, .. sise dans la rue dite Derl} Ali Ou Ez Zohl'a,

.)f j\ 1 ":"l\
~
--.Jj~,
. quartier de Boù (jl'oûn.
10° Zûouyel Süll BOil Bekcr BennâllY, <JI rS...\......., ~,,)\j

Jl~~;::(, sise dans la rue dite Derb J./oùm~~ & ~ûol~ya,


4J\j\
., ~y:>- --.Jj~,
. quartier d'Es-Solll'qa .
Ces trois zàouya appartiennent aux Dcrqâoua qui consti-
tuent la confrérie la plus importante: la première réunit
environ quatre-vingts adeptes sous la direction du moqaddem
Si 'Omar Dinya ould A/uned nil/ya; la seconde compte une
quarantaine d'adeptes ùirigés par le mocpdùem Boù Cha'd)
El Gllezoûly; et la troisième compte cent quarante adeptes
sous la direction du moqaddem EL r1adj El 'J1riJy oilld El
l:lâdj Mo(wmmed El Irarby ;

11° Zaollyet Et Tidjûl/iyin 0;:;S~\ ~)\j - Sise rue de


Pori-Maholl. quartier d'El Be(wl'ra , à côté de la prison.
C'est, à Bahat, l'un des édifices du culte les plus riches ct
les plus soignés comme architecture, il présente une jolie
façade couverte de sculptures et toute hariolée, ct un
minaret en briques vernies de diverses couleurs avec dôme
doré.

12° Zûollyet Sidi El 'Arby ben Es Sûib, <J..;J\


..
'
rS...\.......,
....
4)\j
~L.J\ j\, sise :'l El OuiJira.
~ .
Ces depx zûouya appartiennent à la confrérie des Tidjû-
niyin : la première compte environ soixante adeptes dirigés
par le moqaddem Si Ben 'Abd Allah ould 'Abd Allah; la
seconde n'a que peu d'adeptes, elle est dirigée pal' le
moqaddem. Sid MO/tamll/ed ben MaLi(t ould El Nâdj Mo(wm-
med iJen Mali(t.
LES MOSQUÉES ET LA VIE RELIGIEUSE A RABAT :127

13" Zdouyet Sidi iVlobarmned El Ketldny, J..,.~ i..S J..-::" ~J Ij


J\::s:J\, sise dans la rue dite Zenqet #ammâm El (jaçry,
dans le quartier d'El Be(wl"ra (?).
La confrérie des Ketlâniyin comple une cinquantaine
d'adeptes cl a pour moqaddcm Si iVlo(wmmed El Fel.liJâly.
En outre des fouqarâ, ceLLe compagnie compte de très nom-
breux khodddrn.

Il n'existe pas, à proprement parler, de confréries de


femmes, mais toutes les femmes ùgées sont admises, si elles
le désirent, aux (wçlm dans presque toutes ces associations.
Attirées naturellement vers tout ce qui paraît extraordinaire
ct effrayant, c'est aux séances des 'Aïsaoua, des ~lamâdcha
ct des Touharnya qu'elles se rendent le plus volontiers. Les
pmitains cl les convaincus s'élèvcnl violemment contre
cette tendance, qu'ils essaienl de combattre en vain: il n'est
pas rare que ces femmes sc joignent à la chaine des fouqarâ,
entraînées par l'exemple, qu'elles se mettent en la(wyoul'
avec eux et qu'elles sc liVl'Cllt ensuile à des excentricités.
D'ailleurs bien des citadins lettrés de Rabat instruisent
leurs femmes dans la rc1igion, ainsi que nous le disions
plus haut, et certains d'entre eux, poussant plus loin le
zèle émancipateur, vont jusqu'à leur transmettre rouent
de leur confrérie, en faisant ainsi des feq il'ât secrètes.

Enfin il existe un groupe de t. ou 5 femmes que l'on

désigne sous le nom de Rbâ ë El folaçlm o~lI ~~) « groupe


de la séance )), qui assiste à certains moûsem en y prenan\
une part effective et se rend dans les familles, soit pour
exorciser les malades, soit à toute autre occasion. Leur
audition est une véritable (ulI.Lm (d'où leur nom) (lui con-
sisle à sc mettre en la(wyour en proclamant les louanges ~e
Dieu ct du pt'Ophète: la contagion de l'exemple gagnant
!28 AnCHlVES MAIlOCAINES

l'auditoire, les femmes qui s'y trouvent viennent se joindre


aux exécuLan tes cl se meLLen t en la~wyoul' avec elles.
Le groupe, d'ailleurs, ne se confine pas forcément dans
le domaine religieux, il fait entendre aussi des récitatifs du
domaine profane, mais toujOUl'S d'un genre décent.
Les exécutantes sont: r" la chellc1w ou ma'allema qui a
la direction, chante cL frappe avec des bagueUes (a' owld,

~\y\) deux petits tambours accolés ensemble et posés à terre

devant elle (tobla, :\.U~), 2" cl trois ou quatre élèves ou mela-

'allemal, 1,:,,l~~L.::,4 dont deux jouent du bendlr tandis qu'une


~

autre fait résonne!' unc la "'i'l;ja 1, ~:;'".;":;; toutes récitent le


dhi/.:r ou chanLent en même temps que la chc"ildJa, à qui
elles donnent la réplique.
Le dhikr, si toutc1iJis ce nom lui convient. se chante en
prononçant les paroles suivantes:

}Jlk 0L::-.':J\ V"~ ~~:\ <\\II Y:.'- ...l,a.a;~ <t~1 ~ ~~y"\ <\\1\
t. ....

..lf' ~':Jyo \ 0\j\) J~.ri~ ~)'- J \<\\II ~:~


uJ oJJ ....

• <\\1\
« Dieu! ô notre Seigneur! ô Dieu! N'ayez"d'aulre bul
que Dieu! ô descendants de iVloûlay Te/ulmy! gens de bien il
L'hôte de Dieu vous recherche, épuisé pal' la soif (de vous
voir).
« 0 flambeau d'Ouezzûn! 0 Moûlay 'Abd Allah! »)
On le voit, ces femmes sont des adeptes de la maison
d'Ouezzûn.

Au point de vue administratif, les zûouya jouissent d'une


véritable autonomie:
Chacune d'elles a pour revenus les cotisations des j(W-

1. Sorte de petite derbouka en poterie de Fl~S.


LES MOSQUI~ES ET LA VIE RELiGIEUSE A RABAT 129

(jarll, les dons des IJlOddâm, le pl'Oduit des quêtes, celui des
ventes aux enchères (venLe des bougies, dont nous avons
déjà parlé), les zilll'a ou offrandes des visiteurs, enfin et
surtout, les revenus des fwboûs constitués à son profil.
Aussi chaque zâouya a-t-elle son nâçlher particulier qui
s'occupe de sa gestion au point de vue finances et admi-
nistraLion. Elle peut, de la sorle, entretenir le ou les édifices
Oll se réunissent ses fouqartl' ct payer tout un personnel
subalterne ct les ministres du culte ou leurs auxiliaires
(lmâm, fwzzâb, mouedhdhill, etc., etc.).

VI. - LEs l\fOîISEl\r.

Chacune des confréries, dont nous venons de donner la

l.~ste, cél.èbre ch.aque <lll,né,e un ou plusieur~ moûsem (.Y' ou


ietes qm coïneidenL gCl\eralement avec l une des grandes
fêtes religieuses musulmanes ou avec la date anniversaire
de la mort de son patron (cheikh).
Il esL d'usage: à Babat. que la !lltfa 1 qui célèbre son
mousem reçoive toutes les auLres !ouâif de la ville: elle en
répartit les membres entre ses différenLs fouqarâ'. Des
fu[(.lra partielles, généralement suivies d'un festin, ont alors
lieu chez ces derniers, de sorLe (lue toute la ville est Cil
liesse.
CependanL, il semble que cerLaines confréries n'aienL pas
de moûseln à elles spéci al; elles se bornen t à assis LeI' à
ceux des au tres fouâiI

1. ~: \1" pl. ~:.\..,b (troupe), est le mot employé au !\laroc pOlir


d(>signer les confréries. Cf. Arch. Mar., passim.
AHell. 'JABOt:.
130 ARCHIVES MAROCAINES

rD Jl!oûsem des 'Aisâol/a.

Cette !a~fa entretient des rapports très cordiaux avec la


confrérie similaire de Salé, de sorte qu'elles s'invitent réci-
proquement ù leurs mOl/sem respectifs dont les échéances
ne 'coïncident pas,
Celuï des 'Aisâol/a de Raba~ a lieu une vingtaine
de jours après la fête de l' 'A id El J(ebÎI, l ct dure deux
Jours.
La veille du ]lrClniel' jour, on installe un velum, ù l'aide
d'étoffes, au-dessus de la gl'ande cour de la zûouya, Ltl, en
eITet, auront lieu les séances et il importe d'être ;1 l'abri du
soleil ct du mauvais temps,
Le lendemain, premier jour de mte (nelllll' el /ILOt/sem

(",..,lI )1": les 'Aisùoua font une procession ou daoura 0)); à


travers la ,ille :
Précédée du moqaddem entouré de drapeaux ct accom-
pagné de joueurs de lwrrdû, la confrérie défile par les rues,
les fouqaJ'â' sont en ta(lIl)'ow' ct sc livrent publiquement à
leurs odieux exercices, tandis que des quêteurs vont, de
porte en porte, recueillant les oŒrandes.
La daow'a dure presque toute lajournée; le produit des
collectes, concentré entre les mains du moqatldem. est reillis
par lui aux descendants du Chei1,'h ou p:ltron de la COI1-

r. L' 'Aïd El J(e/;Zr commence le dixième jour du mois de DholÎ


l'lJ~jja. La date de la fête des Aïsùoua n'est d'ailleurs pas rigoureuse,
elle peut être avancée ou retardée d'une dizaine de jours au plus,
selon les nécessités dli moment. Les 'Aïs,\oua, en effet, se composent,
en majeure partie, d'ouvriers et de petits artisans vivan t de leur tra-
vail quotidien ct il faut qu'ils puissent prend1'(~ leurs dispositions il
l'avance pour pouvoir disposer de trois ou quatre journées.
LES MosQCf:ES ET LA VIE RELIGIEUSE A RAnA~ 131

fl'érie, Ouilld 8idi MafwlJ1lJîCd ben 'Aisa ~ (,5~ ,)':}.,\

~ ü: dOllt quelques-uns habitent Baba~. Ces derniers


n'acceptent pas le total des offrandes, ils en laissent, entre
les Inains du moqaddem, une certaine quantité que l'on
emploie à acheter des bougies; nous en verrons plus loin
la destination.
Dans la soirée, toute la !ûïJa de Babat se porte au débal:-
cadère de Salé, dans le lit de l'Oued Boû negl'âg, à la lueur
de mille lanterne~,. Pareillement éclairés, les 'Arsûoua de
Salé traversent la rivière, dans les bacs aiIcclés à cet usage,
ct rejoignent leurs confrères de Babat.
Les deux (ourli! se forment aussitôt en cortège ct se ren-
dent ensemble à la zllouya, préparée pour cette réception.
Les fOllQ(lJ'(2' de Babut y installent leurs con hères de Salé
et, tandis qu'une (JUiz est servie à ces derniers, ils vont
chercher toules les autres confréries de la ville pour les
amener, avec le même apparat, ct les installer dans diffé-
rentes maisons voisines de la :::âollya.
Les 'Arsâoua de Habat se répartissent entre ces maisons
pour y exercer les devoirs de l'hospitalité ct partout il y a
fw(.lra consistant ~l réciter le dltiltr. puis festin et orgie pen-
dan t la plus grande partie de la nui 1.
Le lendemain matin, dcuxième jour de fête, est appelé
~

HI,'-Ce1JfiOlihi ~.J~\ (la matinée?). La confrérie de Salé


déjeulle de bonne heure ct tient unc séance de dltiJ.-r dans le
ln<;me local Ollon l'avait conduite la veille l, tandis que la
(dï/a de Habat achève de parer et d'orner la zâouya.
Un peu aYant le milieu du jour, les deux !owiïj d"Ai:'

l, Celte séance n'est évidemment pas obligatoire pour les Couqar:l;


y assiste qui veut, chacun étant libre de se rendre en ville pour y faire
des emplettes, y voir des amis, etc., etc. Celte remarqùe peut êlre
généralisée la discipline n'existant point, dans les conl'réries, au sens
militaire de ce mot.
AHCHIVES MAROCAl~ES

sûoua sc réunissent dans la ::riouya ct y tiennent une longue


séance plénière avec exécution des exercices, jusque vers
deux heures après midi.
On procl'dc cnsuite tl la vente aux enCill'l'eS, sur le mar-
ché, des objets constituant les Souycilirs de la l'Ml' el. en
particulier, des bougies achelées la veille. Les ./i)l/(/o/'!;'

désignellt cette opération sous le nom de el (ICI/na l, :C:l\


(( le henné )) parce que, cc jour-là, les descendanls du

Cheïkh sc teignent les mains au hcnné (:C:lI \yk~..t.).


En général celte vente est fructueuse, les enchérisseurs
ne manquant pas, toc" désireu\: d'acCJuériruncLougie bénie.
Le moqaddem retient un quart de la l'eceILe, pour faire face
aux dépenses de la confrérie (au moins en principe), et il
l'em,et le surplus aux: desccndants du e/ieikh.
Le (lCl!l!a tcrminé touLes les confréries de naba~ sc rénnis-
sent, de la même fu~'on Llue la vieille, en séances pal'liellei'l
jusqu'au mol' 'l'cIJ. En disparaissant, le soleil marque la fi Il
de la fête ct chacun l'en tre cllCZ soi.

En outre du ilIollselll, les 'Aïsâoua de Haba! ont la

l'c1rlJa ~ ou chevauchée,
La re/dm a lieu le jour d'El Milolid (pour E'l J/wzlolill.
anniversaire de la lluissance du prophète, le 12 nabi' El
Armel) .
Depuis midi, jusqu'au coucher du soleil, la confrérie
parcourt les rues dc la ville, précédée des descendants du
chci/d, tous à cheval, entourés de bantlil~res cL de musiciens.
Pendant toute cette procession les./im1orri' sont en {o(uiyoul'
ct se livrent à leurs exercices.
Au coucher du soleil, le cOl'Lège sc disloque et, deux: ou

1. C'est cc que nous avons relaté plus haut. en décrivant la l'l'le


des étudianls. sous le nom de maui' eclt chcllw'.
LES ~lOSQUÉES ET LA l'lE RELIGIEüSE A IHBAT 13:1

trois jours après celte cérémonie, le llloqaddem, accom-


pagné d'une délégation des j'oufjal'â' sc rend à Jl!elwâs pour
assis leI' au mousem du CllCïkh de la confrérie, enterré près
de celte ville.

Quanl aux ' j ïsâoua de Salé, celle confrérie comprend


une centaine de j'ouqal'â' cl environ trois cents /Jwclclâm.

Elle a sa 2âollya (Zâouyel SMl JIa~wmmecl hen 'tisa, ~j\j

tS~ç, 0: . \. ..? l>..\.~"") dans le quarlier d'Ef, Tela'(l', ~Jkl\


il Salé, ~0J] JnoqacldeJn actuel est le nommé Ben ],,'l A~ehiJ'

ould El f:/âdj jllo~wllllnecl, ..\...? ~LI ..Ilj ~\ 0:\.


Elle célèbre son moûsem trois mois avant la l'ôte d'El
Miloûcl ;
Pendant la journée qui précède la fète, la confrérie amé-
nage les maisons voisines de la zâouya, Cfue leurs proprié-
taires rnettent il sa disposition dans cc but. Les j'ouqCll'(l',
les klwclclâln et tous les amis de la tâ~/a envoient à l'avance;

qui une mâïda (petite table: .;~\..) clwrgée de mets, qui


des plateaux de friandises, elc., etc.
Au coucher du soleil, la confrérie va ù l'Oued Boil Regrâg
!l la lueur des bougies, et reçoit les 'Aisâoua de Babat qui
viennent participer à la fête. Puis tout se passe comme
nous l'indiquions plus haut pour le rnOllsem similaire de
Habat·
Le lendemain les deux tow1ij d' 'Aisâoua déjeunent de
bonne heure ct se réunissent ensuite en grande ~1U(.LJ'Cl plé-
nière ù la :âouya. Avant la prière du (Lhor (vcrs midi) il y a
dislocation et les '/'ou'I(l/'({' de Rabat rentrent chez eux.

1. Certains auleurs écrivent Ei Tdla'o, :i...1\111, mais nous prél'é-


l'ons nous con['orlller il la prononciation locale.
134 ARCHIVES MAROCAINES

Ce n'est que la veille d'Et Miloud que les 'Aisâoua de


Salé font en ville la procession ou d(wura afin de recueillir
les offraJ~desdes fidèles, Ils procèdent, le même jour, à la vcn te
des bougies (mahî' ech chema ').Le lendemain, N ehâl' El

Miloûd ,,':)):11 J~ la confrérie tient une bw!/'(( plénière en


sa zâouya, de l'beure de ('acer jusqu'au mOI"l'eb. La fête
est alors clôturée par la lecture du (Lizb de la confrérie.
Seuls lemoqaddem, les lettrés d'entre lesfouqal'â' ct ceux
des fidèles qui le veulent bien, assisten t ~l celte lecture.
Quant tlla tâ~fa 'Ai;çâouya de Babat, elle n'est point in-
vitée à cette deuxième partie du IIwâsem. La Société simi-
laire de Salé ne fait point de rekba ni de pèlerinage au
tombeau du saint à Meknâs. Ceux de ses membres qui dé-
sirent faire ce voyage sc joignent à la délégation de Babat,

2° Moûsem des flamâdclw.

Le Moûsem des r1amâdclw de Babat suit de quelques jours


celui des 'Aisâoua de la même ville, c'est dire qu'il a lieu il
l'occasion de l" A rd El Ae/);'·.
Les détails de la fête présentent la plus parfaite analogie
avec ceux que nous avons décrits en partant du moûsem des
'Al'sâoua, nous n'y reviendrons donc pas pour éviter des
redites.
Toutefois la tâi.!a ~lamdoûcltya de Salé n'csl point lll-
" 't l' . ,"
VI ,ce e' ne par .IClpC pas aux reJomssances .
1

1. Les seules lout/~f de Salé qui viennent il Raba! il l'occasion des


molisem des confréries de cette ville sont: 1 0 les ';list/oua, 2 0 les 1'ou-
hâmiyin, 3° et les R'âziyin. Hécipro<juement, les 'Aisâoua, les 1'ou-
hâmiyin et les R'âziyin de Baba! se renden t à Salé il l'occasion des
motisem des confréries similaires de celle dernière ville. Il en est de
même des (Ianuidclw de Haba!, (lui, cependant, ne reçoivent point
leurs confrères de Salé.
LES MOSQUt~ES ET LA YlE RELIGIEGSE A BABAT 13;)

Puis dans les premiers jours d'El llfiloûcl, les 1famâclcha


procèdent l[ la l'ehoa à trois jours de distance de celle des
'Aisâoua ct, le surlendemain, une délégation des foufjctl>â'
sc rend à Me/nuls pour visiter le tombeau du saint Sieli Aly

ben 1Iamdoûch J')J..",>. ~ Je- (")J..;:-",,. Cc tombeau sc trouve


au nord de la route de ]\ilequinès à Fès.

Bien que ne particIpant pas au moûsern des Rhâ/iyine,


les ~lamâdc/ta de Salé invitent leurs confrères de Bahat l[ leur
Ilwûsem.
81dî /l(y lien l/wndoûch compte, à Salé, une centaine de
fowjfl/'{[' ct environ ([eux cent cinquante Uweld(ùn sous la
direction (lu 1l10(laddem Ell.fâdj FXAI'IIY lien El f[âc(j El

1Iaty ~b...l\ ~LI ~ ~..).j\ CLI. Leur Zâouya est sise au

quartier (I"EI Bleùla, ë~~1.


Leur nwrisem, qui a lieu vers le sixième juur d'El Jliload,

dure ulle IlUit ct lUI jour: lcdul cl lIloûscm, (yU ~ ct


flC/ICif' cl moûscrn, ()I )~:.
Pendant la joU/'née qui précède la leilal el moûsem, la
confrérie fait, l[ travers la ville, la daoum traditionnelle. En
outre des ofi'randes en argent, les .!Ollfj((/'(i' reçoivent des
ftcl()les des paquets de bougies. Dès la quête terminée et les
fonds qui en pro vic 1me nt remis aux clescendan ts du cheïkh,
on procède à la venle des bougies. Au coucher clllsoleilla
masse des '/oufjuni' sc sépare, tandis Clue les lettrés et les
notables d'entre eux sc rendent l[ la~ûouyu ct y lisent le
(Ii~b de la cunfrérie.
La matinée du lendemain, ne/ul" ellJwûsem, est employée
136 1I.RCHlVES MAROCAINES

à aménager, près de la zàouya, les locaux dans lesquels


on recevra toutes les confréries.
Lors de l"acer les 1/cunâdcha vont au débarcadère de
Habat recevoir leurs confrères de cette ville, les installent
dans le local qui leur est ai1'ecté ct procèdent de la m(\me
façon à l'égard de toutes les con fréries de Salé.
Aussitôt commencent, dans chaque maison, les fi. (((lm
partielles qui durent jusqu'au mol" l'eb. A ce moment les
Namâdcha de Salé apportent à chaque groupe de leurs in-
vités les mâïda et les plateaux chargés des victuailles ofl'erLes
par les fidèles. Ce repas terminé, la fète est finie et chacun
retourne à ses afl'aires.

,)0 l!olÎsem des ()risnll:YÎII.

Cette confrérie fait coïncider son moùsem, qui dure


deux jours, avec celui de 8hU 'Abd Allah E"1 f{ouïchy. Ce
dernier a lieu le deuxième jour de la fète d'El Miloûd.
La veille du premier jour du II/oûsem, la (ai,fa liât l'II
ville la daoura et tout se passc à pell près comme dans Je
JJwûsem des .il i:~âoua décrit a LI paragrapllC 1 les autres
0,

(ouâif recevant, ]e lendemain, l'hospitalité des ()asm~Yill


jusqu'au mol" l'eb, pour se disloquer cnsuilc.

{1° J!oûsem des H'riziYÎlI.

Il dure un jour et a lieu dans les trois premLers Jonrs


d'El Miloûd.
Le programme comporte lIne daolll'a et Ulle quète en
ville, puis la vento des bougies et une (LÎj'a tl toutes les con-
fréries, y compris les Ffâ:::iYÎIl de Salé.

Ces dem iors célèbrcn t leur mOllsem le ci nquième jour


LES MosQuf~ES ET LA VIE RELiGIEUSE A RAllA! i37

d'El Milolld et reçoivent leurs confrères de Rabat. La fête


ne dure qu'une après-midi, employée en une rw(lra plénière
de toutes les tOllâ;'{ Après cette rlCl(lra il y a (hfa puis sépa-
ration. La douw'u en ville n'a pas lieu mais les jOll'larâ'
l'eçoi ven t des paquets de bougies des fidèles ct les- vendell t
à l'encan avant le festin du soir.

;)0 Moûsem des l~iilâli'yill.

Il a lieu le septième jour d'El Miloûr! ct rlure un seul


Jour.
Le pwgramme comporte une dlloura il travers la ville
afin de recueillir les offrandes des fidc.'.1es, puis l'invitation
de toutes les touâiJ de la ville en une séance plénière termi-
née par une (l{fa.

Bien que les DjilâliYÎII de Salé n'hébergent point ceux


de Habal, penda"t lem fête, nous relatons ici lellr moûsem
parce qu'il l'C',·êt une ph'ysionomie très spéciale.
Celle confrérie compte, à Salé même. soixante fou'lll/'{i'
ct trois cents IJwdd(tm, ellvÎron, mais eLLe a de très nom-
breux serviteurs dans le R' art) et chez les Belli NasCll. Son
nW'laddem, pOlir Salé, sc nomme El Nâr.f,j AJuned Den Ham-

doûch J-)J..>. û: ...\.,,>.\ Cll ct sa ::âouya se trouve dans le


quartier de Zwzala.
Son mOûsem commence également le septième jour d'El
.lfiloûd 1 ct dure quatre jours.

1. C'est probablement cc fait que les deux confréries de Haba! et


de Salé célèbrent leur mUllsem le môme jour, (lui les empôche de s'hé-
berger rune l'autre.
138 ARCHIVES MAROCAINES

.La f,âifane fait point do daoura on ville, mais elle reçoit,


de tous côtés, d'innombrables paquets de bougies qu'eUe
mot en vente il l' encan pendant les trois premiers jours dt'
la fête.
De très bonne heure, le matin du septièmejour d'ELJIiloucl,

la confrérie do Salé se rend il la porte dite Bâb Sebla uL


..
~::-' « Porte de Couta )) précédée de ses musiciens et de ses
bannières. Elle y roçoit une nombreuse délégation d'uno
fraction de la tribu cles Belli lIasen.

Cette délég'ation est dé-
<~

signée sous le non CI' l'e/,;lil7 ; dIe amène an~c elle un bœuf
ct des moutons. Los l~jilâliJ';n la conduisent aussitôt à leur
:dollJ'a devant lu([ue11o se ttennent les descendants du cheikh
de la confrérie; on 10\11' remet alors le bœuf ct les moutons,
puis la l'eft/m, qui comporte des hommes ct des femmes,
pénètre clans la :douJ'a et y tiont \Ille courte bwll'u pour se
répandre ensuite pal' lu ville il son gré.
Pendant ce temps les DjilâliJ'in vonL au-devant d'une
délégation ou l'ekba d'une autre fraction des Belli J.luseu.
Elle arrive avec des présents analogues il ceux qu'avaient
amenés la première, pour les descendants du clLCiJJt ct
tau t se passe dan s le même ordre.
La confrérie de Salé va enfin recevoir une troisième
l'ekba, venant cette fois du n'al'!J, duns.les mêmes condi-
tions que les deux premières, ct l'on procède, il son égard,
de la même façon que pour les autres.
ChacuJle de ces l'e/,;lil7 comporte environ cenL cinquanle
il deux cenLs hommes et femmes: soit, pour l'ensemble, un
taLaI de près de cinq eenls délégués des tribus. Ils sc logent
comme ils peuvent, sllr les places publiques, sous des
tenLes, ou chez des amis, mais leur quartier général esL la
:âouJ'a, pendant les troIs jours qu'ils passent à Salé.
Leur grand nombre, d'ailleurs, ne permet point il
la confrérie de Salé de les héberger complètement,
LES ~IOSQUj'ŒS ET LA VlE HELIGIEUSE A RABA! 13f1

aussi se borne-t-elle à les aider, dans la mesure de ses


moyens J.
Pendant ces trois jours il y a fw(lm sans discontinuer, de
jour et de nuit, à la zâouya, des groupes d'exécutants, frais
et dispos, venant sans cesse relayer ceux qui sont fatigués.
Le quatrième jour, au matin, les trois l'ckba repartent,
chacune dans une direclion. Alors seulement commence la
vraie l'ôte pour les Joufjul'â' de Salé: ils considèrent, en
el1'et, comme une pénible corvée la réception de ces délé-

gations composées d'aM cl hâcZya (~)l)\ J~\ gens de la


campagne) dont les goùts ct les aspirations clHHluClÜ leurs

idées de (WI/Ol' (f.:2:>-, gens des villes).


Vers midi, quand toules les l'ehba sont déjà loin. les Dji-
lâliyin de Salé vont inviter toutes les antres confréries de
la ville. Il y a concentration ct bar.1m pléni(~re cn La ZâOL~ya
jusqu 'au coucher du soleil.
A ce moment les JoufjCl/'{(' aisés envoient à la réunion
quantité de plats copieux ct de sucreries, ct l'on fait bom-
hance jusqu'à une heure avancée de la nuit.
Ce festin marquc la fin de la l'ôte.

G"llolÎsem des Toultâmi.yin.

Comme nous l'avons déjà dil, celte confr6rie vénère deux


saints: Jfoûlay Tehâmy el JI1011lay El Mek/,:y ben. Mohammed
El Ouezzâny de la maison d'Ouezzân (~;l....,:J\ Jb).
Leul' molÎsem esl célébl'é en môme temps, le neuvième
jour de la [ôte d'El Miloûcl, et il dme cleuxjoul'S pleins.
Elle débute par une L!aoll/'(l CIl ville, (1 J'elI'cl de recevoir

1. Les bœufs et moutons remis aux descendants du Cheikh sont


déjà un appoint sérieux à cet cO'ct.
HO ARCHlVES ~IAROCAINES

des offrandes et son progmmme est assez analogue à ceux


des premières l'ôtes que nous avons décrites, pour nous dis-
penser d'en relater tous les détails,
La confrérie similaire de Salé est invitée et prend une
part active aux réjouissances.

Cette dernière fà(fa comporte environ deux cents fOll-


'lw'd' et un nomhre considérable cie kllOdddm, elle a pour

mOfjaddem le nommé el J-.fridj Jlo/wmmed (ien E'( l(ehlr Cu...I


~(J\ J.....~ et sa :Z1iouya se tl'Ouve au lien (lit I~\'-çolr
0:
Son mOiisem a lieu le huiti('me jour d'El Jfilolid, c'est-tl-
dire la veille de celui Clue célèbre la confrérie correspon-
dante de Haba(.
" consiste essentiellement en une (w(It'a plénière qui
dure tobt l'après-midi, suivie d'un festin et sans daouf'((
préalable.
Toutes les confréries de Sal<S ct la friifa Toululmya de
Habat assistent à ceUe (IW,!,'(l,

jOl/ot/sem des (;Il('W10llll'.

La (âi,/a des Glle/ldoua de Sal(~ ne corn pte guère qu'une


vingtaine de '/ollfjar/( dont on peul considérer les femmes
eommefer/lt'(il", étant donné leur rôle actif ct anssi impor-
tant que celui des hommes.

1. Pendant notre trop court séjour il Haba!. nOlis n'avons pu obte-


nir de détails précis sur le moùsem des GllendollCt de celle ville; mais,
notre principal informateur, étant de Salé, a pu nous décrire la l'Ne
de la conl'rérie correspondante de Salé. Nous avons jugé utile de rap-
porter ici celle description, l'analogie étant, sans doule, complète
entre les pratiflues des deux confréries voisines: elles n'ont fait que
leinter 11'1slalll ct accomllloder au pays leurs mœurs soudanaises.
J. Un les 'lnalilie de ..:.,Il:~\;', !;ftet/inuit ou servantes.
LES MOSQU~;ES ET LA VIE RELIGIEUSE A HAIlAT HA

Les khoddùm ne sont pas très nombreux et se composent


de tous les esclaves noirs; mais ils ont une clientèle assez
importante dans toutes les classes de la société: leurs

femmes sont presque toutes !Jllezzânâl .,:,~\) ou diseuses


de bonne aventure, tandis qu'eux-mêmes sont sorciers et
devins, médecins du corps et de l'tune, connaissant les
m)'stérieuses l'ecettes qui lient ou brouillent les hommes,
donnent à l'amant la vigueur ou le frappcntd'impuissancc,
conjurent le mauvais œil et les esprits malins, etc., etc.
Toute cel te clientèle superstitieuse, rcconnaissan te et un
peu crain tive de vagues dangers, rend, avec empressement,
des services aux Guendoua, mais en cachette et elle serai t
désolée d'être obligée d'avouer pareilles rc1ations.
Les Gucndowl sont trop peu nombreux et Irop peu aisés
pour avoir une zlÎollya, ils se réunissent simplement dans
la maison de leur moqaddem 'il::ille!HÎf'ek g<; /'''''0/1 dâny,

JI)."..JI ::..I)~ 4.S~ç.


à Bell/l'a ~~;.
Leur moùsem a lieu le quinzième jour du mois de Cha'
hdll, il dure un après.midi et une nuit.
A l'heure de l' 'acef" fouqanl' ct k/wdinull sont réunis
chez le moqaddem, Aussitôt l'on égorge un bouc noir en
prononçant certaines formules et d'après un certain rite
qu'il faudrait être initié pour pouvoir décril'e; hommes et
femmes s'aspergent dn sang de la victime et sc livrent à la
danse. Puis les hommes procèdent à leurs exercices hahi-
tuels au milieu d'une musique assourdissante tandis que
les femmes éCOl'cbent le bouc, le dépt~cent et l'apprêtent
ponr Je fa't/Ill (\,,1, ou couscous dn soir.
Ce !a'dm est sel'vi au TJlof.'/'eh, puis la séance se pou l'suit
en ol'gie pendant une partie de Ja nuit. A tout instant des

sel'viteUl's apportent les mOllcddâl ':"'\;.JA « témoignages


d'affection )) de Jeurs maîtres. Ces mouecldùl prennent les
H2 ARCIlIVES MAllOGAINES

formes les plus variées et ne sont autres que les eadeau.\:


orferts, en reconnaissanœ de services rendus, par la clientèle
discrète dont nous parlions plus haut.
Les Guellûoua ne reçoi vent pas les autres confréries à
l'occasion de leur I/wliseln parce qu'elles ne YllUdraien L
point preudre part aux réjouissances barbares de gens aussi
cgTossiers. Ils restent donc les' auhl ou esclaves dont on ne
peut sc passer mais qu'on n'anme poinl.

8" Jfo/isrlll drs De/'lj!Ïolw.

Il a lieu dans les quamnte-cinq jours qui suivent El


Miloüd, à une daLe yariable. Au reste, il n'ol1're pas de par-
ticulariLé saillan Le.
A Salé, la confrérie sinlilaire compte en Lout environ
trois cents khoddâm ou fou~a/'lr dirigés par le moqaddem
llfoülay E! Tayiuy RI 'JlcIOUY, la ;:Iiouya est sise au lieu dit
Briu Jofasel"ll.
Son moûsem a lieu tl peu de .jours de distance, avant ou
après celui de la !ûiJa correspondante de ]-{aba!. Il dure une
nuit et un jour.
Pendant la leilrl el moûsem, un festin réunit les seuls
j()lll/IlI'Û' de la confrérie. Le lendemain, dans l'après-midi,
li n nouveau Cesti Il réuni t, cette fois, tau tes les !olUnI de la

vi Ile.
On se sépare au mOI'·l'eu. Le moüsrln ne donne lieu ni à
une daoura préalable ni à un maul' erhehel/w'.

9" Moûsem des Tùljûl/iYÎII.

Il il lieu à peu près en même temps que celui des Der-


'/âoua, tant à Habat qu'à Salé. Il se passe, d'ailleurs, trl'S
simplement entre les fouqal'û' de la confrérie, sans invita-
LES MOSQUJŒS ET LA YIE nELlGlEUSE A BADAT 143

tion aux autres (oûai;f. Ce moûscm consiste en une leïla ou


soirée pendant laquelle un festin réunit les jOllqa/'â'. Ceu x-
ci font ensuite une (w(l/'a de récitation du rl/lik/'.
II Il'y a ni daou/'a préalable, ni maui 'ech c1lCma'.

La ceremonie sc passe de façon analogue ù Salé Oll la


confrérie compol'le une centaine de fOllqrll"li' ct de lrès
!HHnbl'cux IJwddâm. Leur moqaddcm sc nomme Sitll Mo-

(Ulmmed lien 'Allril JY\ç, j . J......~ iSJ..-"


.. ct leur Zâouya se

trouve au lieu dil Hûb Meçeddcq J~,.vt '-'~


. ..

JO" MolÎsem des l\ellûniYÎII.

Les Kellâniyln constituent une confrérie aristocratique ct


intellectuelle, à peu près ignorée de la masse, dont elle a
abandonné les préjugés ct les pratiques grossières.
Elle ne paraît pas avoir de moûsem spécial 1 •

A Salé les l\etl'Îniyln comptent de Irl~S nombrenx khorl-


dam. le milieu étant encore assez intellectuel, son moqw[l[em
est le nommé Si A(unerl 1Jen Hl 'J'h{j EL\/'uy 1Jen Sa'M.

J..:.. . . ~ ~..).. j\ ~\ ~ J......>-\ rs" ct sa Zdollyrr se Il'ouve l\

nù(jril Hl J!oJi'a o..f.lil Jl.:;-).

1. Son CllI'iI.. h ;";idi i)fohal//lned RI lleWÎn)' est mort récemment il


Fl's. \ous n'avons pas appris qu'un lIlolisl"~ l'ùt uéj:\ célébré en son
honneur.
AHClJLn~S MAHOCAINES

J 1
0
Ji u/res Motlsem.

En dehors des mmlsem spéciaux à telle ou telle confré-


rie, lJue nous venons de décrire, jl en existe un grand nom-
hre d'autres, autant (IU'il ya de saints enterrés à Bahat ct;1
Salé, et qui sont commUllS à l'ensemble des confréries, Cil
quelque sorle.
Ne pouvant les décrire lou,." nous 1I0US IJol'llerolls à
relater les plus marquants:

Jlmisem de Chelia 1. - 011 sait qU01'anci01111l' ville ruinée


de CheUa renferm0 UII l'('rtain nombr0 de tombeaux d0
saints clla tombc du Soulflirt El AI..elwl ou Soûl/lill El J\Olilv
(yJ\ 0~kLJ\ ou J~}I\ ~~L.J\), . . ."
"Ces tombes sont naturellement l'objet dl' la vénérutioll
des citadins et Ill(~me dcs tribus voisines; mais ceHe véné-
ratioll ne peut pl'éeisémell\ se nlUllil'estl'l' qu 'autullt que la
concorde règne elltre la populatioll de la ville ct celle de
l'exlét'ieur ,
C'l'st au point que les saints de Chel/o voient leurs
. tomlJl's désertées et leur moùsem oublié dès que le calme
n'est pas parfait dans le pays, e'esUl-dil'e la plus grande
partie du temps.
l':n principe le moûsem de Chello, s'il a lieu, est célébré
dans les clix premiers jours qui suivent El Miloild,
Dès l'auhe, Ir~s eonfl'éries commencent ~l sc grouper en
cortège ct parLen t, musique et hannières en tète pour Chella ;
quclqlle,.,-unes (l'entre elles, cependunt, ne quittent Habat
que vers midi, n'ayunt gUl~re plus de deux blomètres à

1. Nous avons dit cluelques mots de Chelia dans un précédent al"


ticle consacré à la description topographique de l{aba~ et qui a paru
dans les Archives marucaines. Cf. ibid., 1'01. V, n" r, p. '!Ii el secl.
LES MOSQUlh:s ET LA YIE llELlGIEUSIi: A RABAT 14,.,

parcourir. Le peuple, en t1'("S grande affluence, tient à pren-


dre part à la fête, aussi s'y rend-il pal' groupes importants,
soit en suivant les processions des [oUlll): soit isolément.
Tout ce monde emporte de quoi camper, pour ne pas pas-
ser la nuit à la belle étoile, de sorte que, dès l'arrivée, des
trontes sc dressent dans l'enceinte de CheUa et chacun de
courir de droite el de gauche pour ramasser du bois Pl
1)/'('IHlI'e de \'('au nl'eessaire à la cuisine ('n pleill vent.
Tous les fonctionnaires ct les notables commerçanb
lûchent d'assister à la fête ct envoient, aux confréries (pùls
servent, des Inoutons, des chèvres et des mets prl'parés.
Lors de l"acer il y a concentration de cette [oule et un
eortl~ge sc [orme qui défile lentement devant les tombes en
prononçant les formules et oraisons d'usage. Les confréries
sc répartissent à leur gré autour des mausolées et tiennent
(W(Ir·{f. tandis Ilue, sur le seuil des édifices vénérés, 0/1
égorge les Inoutons, cbèvres, poules, etc., etc., envoyés
par les citadins riches. La chair des victimes est alors dis-
tribuée aux assistants. Les fidèles garnissent de bougies al-
lumées, aux couleurs variées, les moindres recoins des
qoubba, puis, au coucher du soleil, chacun regagne sa khe-
~d/la (tente) et y prend le repas du soi L'.
Après la pL'ière Ile 8 heures ('({clui') toutes les confL'éL'ies
se réunissent dans la partie haute de Chella, qui est assez
plate, et tiennent une grande (w(IIY( à la lueur des boug<ies.
En oulrl', des gL'oupes de musiciens et de bardes, appe-

lés f/l'lÎi/ty{f. 4:~\) cl dont nous parlerons plus loin, font


l'n tendre leurs mélopées, aussi appréciées que peu COIl1-
pL'ises de la masse l , ct reçoivent les oboles qu'on veut bien
leur offrir.

l, Lorsqu'on a vu de prl~s ces 9râï~!ya on demeure étonné du peu


qu'ils perçoivent nettement dans les chants qui ne sont pas de leur
composi tion,
ARC\I. MAHOC. [0
Hô ARCH1YES ~[AROCAINE5

Ces divertissements sc prolongent fort avant dans la


nuit.
L'aube réveille bientôt les dorn1C'ul's, toute ceUe CouiC'
déjeune de bon matin puis les conii'éries reprennent leurs
habituelles (!a~{ra dans le voisinage des mausolées.
Un assez grand nombre de curieux de ln ville voisine,
Salé, viennent assister aux cérémonies de la première jour-
née, mais ils s'arrangent pour êlre de l'elour chez eux aYant
le coucher du soleil.~
Enfin, après la (wi/ra du deuxième jour, qui dure taule
la matinée, le cortège se reforme vers midi et tout cc monde
rentre à Haba\.

MoLÎsem de J;foalay Brâhîm 1 • - Il a lieu clans les cinq


premiers jours après El Jlfiloûd.
Les descendants du saint invitent toutes les confréries de
Raba\ ct les hébergent pendant un jour. Ce feslin est pré-
cédé, bien entendu, de la (w~lra ct du cérémonial habituels.

MoLÎsem de Sidi 'Abd El ()âda ben Ahmed 2 •


- Il a lieu
" .
le huitième jour après El Miloud: toutes les confréries se
réunissent en (w~lra au tombeau du saint; on y voit aussi,
généralement la rbâ 'at el (w~ra, groupe de femmes musi-
ciennes dont nous avons déjà parlé 3.

Mmlsem de Sldi Mo(wmrned El R'â:y. - Ce saint est en-


terré à Raba\ où il est très vénéré. Il passe pour être le frère
de Sidi El lfâdj A(uned ben 'Aclûr dont le mausolée est à
Salé mais qui est également vénéré à Raba\. Cette croyance
ne nous paraît pas confirmée par les textes que nous avons
consultés et que nous citerons plus loin.

1. ~ous manquons de détails sur ce saint.


2. ~ous manquons de détails sur ce saint.
3. Ci-dessus page 30.
LES MOSQUI~ES ET LA VIE llEL1GlEUSE A RABAT 147

Pour en revenir à Sirli lvlo~wmmed El Ffûzy nous dirons


qu'il passe pour avoie la faelllt6 merveilleuse de guéeir les

fous furieux (l.lOmmâq Jl:~ pl. de J ..::o-I).


Aussi son mausolée est-il assez vaste ct divisé en stalles

ou benâïq (~:~ pl. J:l:.:), destinées à recevoir les aliénés en


traitement. Ces stalles ne sont point fel'Ulées, de façon à faci-
litee la surveillance, aussi les mallteul'Cux fous sont-ils atta-
chés, pour les maintenir li leur place: une cbaÎne fixée au
plafond les retient par un collier de fer au tour du COlL
D'un côté on place les femmes, de l'autre, les hommes.
Deux infirmit)res sont affectées au service des premières,
deux infirmiers soignent les seconds; les soins, d'ailleurs,
sont {out li fait rudimentaires ct se réduisent à l'entretien
d'une propreté, toute relative, du patient et de sa stalle.
Nul médecin ne vient là, les cures devant, par définition,
ètt'e miraculeuses ct dues uniquement à la présence imma-
térielle du saint.
Les fous en traitement sont nourris par leurs proches,
s'ils en ont, dans le cas contraire, on leur distribue un pain
par jour à prendre sur les fonds des ~wboas.
Quant aux infirmiers ct infirmières, ils ont une part des
offrandes que les fidèles appot'tcnt au mausolée; ils reçoi-
vent, en outre, un pain par jour, dans les mêmes condi-
tions que les gens en traitement.
Le moûsern du saint a lieu le neuvième jour après l' 'aïd
eUœbir ct dure une nuit ct un jour.
Il consiste essentiellement, pendant la première nuit, à des
récitations de litanies par les folha dans le mausolée, réci-
tati()IJs qui sont suivies d'un repas vers une heure du matin;
ce repas est offert par les descendants du saint.
Le lendemain matin, toutes les femmes de la ville, qui
le veulent bien, sc rendent chez les descendants du cheïkh
défunt, auxquels elles remettent desoffmndes. En échange
/';8 Al\CII1YES "IAHOCAL'ŒS

on leU!' olTre une collation de thé et de gâteaux, Landis que


des Illusicienncs se font entendre ct récitent des qr:âïrl. Vers
midi on leur sert une (.lUil puis la séance de musique re-
prend jusque vers l"acel'. A ce moment les Ylsiteurs sr
rendent en procession au mausolée (levant lequel les
'Ai'sâoua ct les rlamâdcha tiennent séance. La (au.ll'a dure
jusqu'au mnr',.eb puis 011 sc sépare et la f,\te est finie.

Moûsem de Sirli El UûrUI(wwl bell '(chil' 1. - Ainsi


que nous le disions plus haut, Shlt' Hl JlticU /1(lIl1ed IJI!/!

r:..
'JÎchil''';:'\c <.1. ~\ l l \ '-.S~- passe pour être le frère de
8hli Mo(wmmed El n'ozy ct il a la même spécialité que lui.
qui consiste à guéril' les fous furieux. C'est en raison de
cette analogie, ct aussi II cause du grand renom de Il Sidi
I)('JI ',Ichi,.» dans une région assez considérable, que nous
le mentionnons ici, bien qu'il n'appartienne pas Ù pl'opre-
went parler, li. la ville de Haba(. Il est, en ellet, enLerré ~l
Salé, dans le cirIletière qui occupe la facc nord-ouest de la
ville ct qui est le pIns rapproc1Hi de la mer.
Le mausolée all'eele les mêmes dispositions générales que
celui déjà décrit II Haba(. On y voit également des fous el
des folles, mais ici il n'y a que des infirmières, au lIombre

de sept ct qu'on appelle 'lyâlâl S idi IJelt 'Achil' i.S~ ..::>~\:"


..r:;\c <.1.\ c'est-,\-dire : les femmes de 8idi Bell 'A'chi,., Elles
entretiennent le mausolée ct soignent les malades, moyel\-
liant quoi elles touchent un pain pal' jour des (wIJoâs et
reçoivent quelques aumônes des parents des malades ou des
visiteurs.
Quant aux descendants du CheïlJl, ils se tiennent, à Lour
de rôle, dans cette qoubba-hiJpital, reçoivent les visiteurs,

T. ~ous donnons ci-après, p. G{l eL seq., des détails sur la vie de


ce saint.
LES MosQuf;ES ET LA VIE HELIGlECSE: A BABAT Hf!

et leUt' donnent la baraka; en revanche, ils touchentd'abon-


dantes ziara.
Lc moûsem est semblable, de point en point, [1 celui de
SleU Jlo(wJruned El R'ûz)' et a lieu le même jour; touterois
comme Sidi ben '/Îc1zir est un saint bien plus éminent et
bien plus agréé de Dieu que son frère, il accomplit chaque
année, lors du moûsem, le miracle suivant:
Au momen t où la procession des femmes vien t visiter le
mausolée, elles voient sourdre, entre les briques qui recou-
vrent le sol de ce sanctuaire, soit du lait, soit de l'eau.

J[oûsem de St'lU Moûsa Ed DOllkkdl)'. - C'est eneore un


saint enterré [1 Salé, mais également célèbre sur les deux
rives de l'Olled Bori Rer/nig et les gens de HaLat se rendent
en grand nombre [1 son moûselll qui dure trois jours.
Cel.te Jetea lieu rers la fin du moisd'AoCIt, hors les murs,
et [1 pen de dislance de Salé, au bord de la mer, [1 J'endroit
m~me ou s'élève la qOllMa llu sainl non loin de celle de
81dl 'AI)' El Mar;IT' Un nWfjaddem, qui demeure à Salé, est
charg(~ de l'entrelien du mausolée 1.
Le premier jour de fêle, un vendredi, le moqaddem du
1,/,.16 (mausolée) parL le premier vers le lieu de la réunion,
afin de faire les apprêls indispensables. II est bientôt suivi
du 'laid de la ville, escorlé par une partie de la garnison
qui con,stiluera une garde pendant toutes les réjouissances".
La plupart des ciladins se joignent à eux et, dès leur arri-
vée près de la fjollMa, dressenl leurs tentes. Un véritable
marché s'improvise et les rôtisseurs ne ehôment pas.

[. C'est, actuellement. l'tlll des principaux CharI'a de Salé, Siri

El ~lâ~i. l/o(lnll1l11ed 1~I'AlaotlY, ~) ..l\ J.~...Ae::.\~\ ~\ qui remplit


ces lonctlOns.
~J. Celle précaution Il 'est pas inutilt', Mant donné le voisinage des
ZI'/11nww', trl's redoutés par leurs coups cie force.
150 ARCHlYES ~IAROCAGŒS

Les gens de Salé amènent avec eux un bœuf qu'ils ont


acheté en se cotisant et le remeltent au moqaddem.
Sur le lieu de la fête arrivent aussi des délégations des
'AmI', des ~Iosei"n et des Oulâd Scbita du (wou: de Salé
amenant un certain nombre de moutons. Ces victimes sont
égorgées, en même temps que le bœuf, sur le seuil du
mausolée.
Le moqaddem les fait dépecer et en fait apprêter la chair,
il fournit lui-même le ta'dm (couscous) qui constituera,
avec toutes ces viandes, le festin offert aux confréries salé-
taines vers le mOI"l'eb. Jusqu'à cc moment, le temps est
employé en une procession au mausolée du saint, que les
fidèles garnissent de bougies et couvrent d'offrandes.
Les orchestres de [fl'âi(Lya se font cntendre. à proximité
du saint, et reçoivcnt de nombreuses gratifications.
A quelquc distance de là s'organisent des concours de
tir, tandis que des cavaliers sc livrent à la fantasia.
Ces cérémonies et réjouissances sc reproduisent pendant
la journée du lendemain, samedi ct du surlendemain, di-
manche.
Puis le dimanche, ~l l'heure de l"açcl' toutes les !ouâif
sc réunissent en /:LW/l'a plénIère, auprès du mausolée, jus-
qu'au mOI"/'eb.
A cc moment, un nouveau fcstin réunit tons les ./ouq((/'(;·,
ct, quand il est terminé, la (w(.lra reprend, chaque confrérie
y procédant celte fois isolément, en un point choisi par
elle.
\ehcvéc vers dix heures du soir, la (UlI.lf'll est suivie pal'
les récitations des [Jl'âï(lya j usq u '~l une heure tardive.
Enfin, le lundi matin on sc sépare, les délégations du
(wou: rentrant chez elles ct les Salétins regagnant leurs
foyers respectifs.
Sidi kloûsa Bd Doukkâly parait être vénéré plus parti-
culièremenl par les étrangers au pays, les orientau~ sur-
tou t.
LES l\IOSQUÉES ET LA YlE RELIGIEUSE A RABAT 15L

VII. - L'UAGIOLOGlE D'APHÈS LES AUTEUHS.

N'ayant eu entre les mains que les traités d'bagiographie


plus spéciaux à Fès, nous n'y avons trouvé que peu de dé-
tails sur la région Rabat-Salé:

1° Sidi ben 'Achil' 1.

L'auteur du Kitâb El Istiqça' mentionne occasionnelle-


ment 8idi ben '/!chir, lorsqu'il rapporte l'éloge de la ville
de Salé par ibn Et Khat ib 2:
« Ibn El K/w/lb a dit, concernant Slâ (Salé,) que cette
ville vous invite d'elle-même à la retraite et c'est El une
opinion que partagèrent également les Saints du :Maroc ct
la masse des fic1(Jes, à cause de sa douceur, qui la caracté-
risa toujours. C'est pourquoi, à son arrivée d'Espagne, et
après s'être rendu en différents endroits du Maroc, notam-
ment à Fris et à Jfiknâsa, AboLi El 'Abbâs Ibn 'Ac/â,. ne
trouva le séjour agréable qU'~l Std. Il s'est exprimé nettement
~l ce sujet en disant:
« 8ld, tous les cŒiurs, sauf le mien ont pu t'oublier;
peut-il se rasséréner à Fas alors que sos amis sont à 8Iâ.~
. « C'est là qu'ils ont iixéleul's tentes et mon cœur est de-
meuré auprès d'eux; ils ont fait couler mes larmes (me
laissant) abandonné et enchaîné. »
Puis, le même auteur nous rapporte la rencontre entre
ibn El Kha!ib ct Ben 'J'chi,. et Î'impression profonde qu'en

1. Cc,;t Ic saint dont nou,; avons {'clav! le moùscm ci-dessus, p. 5 r.


2, IslirJ','d', vol. Il, p. 113.
102 AHCIIIVES jlAROCAINES

ressentit le premier 1 ; enfin il nous donne, plus loin' la


date de la mort du saint et fJuelques détails sur son genre
de vie:
« En l'année 765 (1,363) moul'l1t le saint, l'ascète, ilboil
El '/ilJbâs A(wïCd ben 'Omal' henlfo(wmmerl hen ' lcltit, El
Andaloûsy, qui vivait il Slà ; c'est le savant hien connu,
«( Aboû 'Abd Allah ben Ça'd El TLemsâny, dans son ouvrage
l~'/I Nejm elh-thâqib 1 s'exprime ainsi: ibn 'Achil' était l'un
des saints les plus éminents, comptant parmi les plus illus-
trcs savants, célèbre par l'efficacité de sa prière, connu
pour ses nobles actions, au premier rang des ascètes, dé-
taché de ce bas monde ct de ses habitants, [t'tt-ce cles plus
pieux parmi les fidèles. Il sc tenait parmi les tombes, dans
champs déscrts,

« L'I~mir des Croyants Aboû înân voulut le voir ct sn


rendit auprès de lui en l'année 7~)7 (13:>6). Il se Lint long-
temps debout devant sa porte, mais le saint ne l'invita pas
il entrer et il s'en alla, le cœur plein d'amour et d'admira-
Lion pour lui.
(( Puis, il plusieurs reprises, l'Émir revint il sa porte, sans
parvellil' jusqu'à lui, Il lui envoya alors l'un de ses enfants,
porteur d'une lcLLre où il lui persuadait de l'aulOl'iser il lui
rendre visite et il le voir. Le saillt lui répondit de façon il
lui ôLcr tout espoir de jamais le voir ni le reneontrcr. l'émir
en ressen tit un vif chagrin ct dit: Celui-IiI esl Vl'uiment l' un
(lcs suints de Dieu, Dieu ra conveL'l d'un voile (l'Li le clé-
rob(~ il uos regards!)) Fin (de la eitaLiou).
«( Les vertus du c/wïkh ibn 'Clcltit' cl ses mérÏles sont IlOIll-
bl'eux, iIboû El 'lbM~ lien' lchir El [oTrifi, savant de SIri, a

l, Ibid., p. [Il. in .fine ct [1 J.


~. Ibid., p. [1.:L

3. ~\:li ~A .ul\ • \:))') L:~ '7";\::)1 ~.:JI.


LI<:S ~IOSQUÉI<:S ET LA VIE HELlGlEUSE A RABAT Hi3

écrit à ce sujet son ouvrage intitulé To(ifal Ez Zâ'il' 1, cet


ouvrage est il conslllLer. ))
Il est encore question de Ben 'Achil' dans le 8cloual El
.11lJâs" où nous lisons:
cc ... Il ne faut pas confondre cet llm 'tc/til' avec lbll
, lchi,' de 81â. Ce dernier était le noble cheïkh, le saint
pieux et célèbre, l'ascète vivant dans la continence, replié
sur lui-même, le d(hot, le pèlerin très bienfaisant, voué au
culte de Dieu, celui dont l'exemple attire, a donné ~l la vie
conternplative: Aboli El 'Abhâs 8hUl(IIHe(.1 hen. .1Io(wmmed
ben 'Oma/': ben 'lc/liI' Hl llll,'âl'J El 1m{ala IisJ qui était
venu se fixer à Slà.
« Il était originaire de Chemnia (.limena)", ell Espagne.
C 'est là qu'il naquit ct vécu t. .i USCIlÙ1U jour où il eut appris le
(JONLn. cL se fut instruit dans la science, s'adonnant entière-
ment aux pratiques du culte et à l'adoration divine. Puis
il se retira dans le sen tier cles actions pieuses.
cc Plus tard, il sc rendit. à El Dja:.im ElB./wcll'â' (Algésiras)
Ol! il séjourna quelque temps, se livrant à l'enseignement.
qoranique. C'est lil qu'il rencontra les sommités parmi
les gens adonnés il la "ie comlemplative, se plut en leur
société et prit plaisir ~l les observer: citons nolamment
Aboli 8el'(uLn El Ablah.
« Ensuite il quitta celle résidence, pour accomplir le

1. ,r'J" 0.\ t:· JI ":'""; l.:A ~? y~ Ij \ :i.~:>-:'.


2. u~\~~ .\J,dIJ. \J.II Cr'~\ 0: ù"~('))1 t;)\:>--AJ ù"\~'l))\ ;;Jl..... ~t5
''1'01. II, p. r38 et p. 276 et seq. C'cst ce dcuxième passage (lue nous
~vons traduit, le premier n'apprenant ricn d'intéressant.
,1. L'ordre de ces deux derniers nous parait ètre interverti. L'!s-
liq(lÎ' donne en elTe!. ben 'Omal' avant lien Jlo~f((mmed. Il en est de
même dans le Se/allai E/ AnJâs (Ibid., p. 13&).
{I, Grande Encyclopédic : Zimena de la Frontera, villé d'Espagnc,
province de Cadix (Andalousie), sur le versant de la Sierra de Ga-
zules, près du Guadiaro.
ARCHIVES MAROCAINES

pèlerinage et la visite des lieux saints. Au retour, il vint au


Maroc, entra à Fds et y passa un certain temps. De là, il
se rendit à Milmâsa Ez Ziloûn où il habita. L'une de ses deux
sœurs y résidait, l'autre étant restée à Jimena.
« De là, il se rendit à Shi, descendant (tout d'abord) il
Rbat El F'el(l, en la zâouya du Chei'kh estimé qui pratiquait
les nobles aelions et les vertus éminentes, Aboli '..J bd Allah
El Yâboûry '. On sait le cas qu'il faut faire de ce saint et
L'on connait son genre de vie: c'était un cheikh parmi les
éducateurs (du peuple) l'un des plus remarquables parmi
les savants.
cc Ibn 'Achù' séjourna auprès de lui, entouré de sa solli-

1. Le mausolée de ce saint se trouve au cimetière d'El 'A loti, à


Haba!~, non loin de l'Océan et à proximité des remparts de la face
,
nord de la ville. Il sert de lieu de réunion aux Bouhtila, :i.l\(7 ou men-
diants qui forment une sorle de confrérie sous la direction de leur
Illoqaddem Sidi llo~lClml7led ould MOlitay Abd El Qrider (il passe pOll!'
i'lre de la descendance de ce saint). Celte confrérie s'intitule Ta~fcl
SMi llcddy, ~J.;t. 15~\::"" :i.~~ \1 cL vénère un saint enlerré dans les emi-
l'ons de Fès: Sidi lIcddy ol1lcllIOlllay ".. lbd Es Selrim, ..J) ~"'.J.#> 15~
,)t-ll ~ç.15~yo.
Les Bonhrila vivent llllÏ(Juement de chari lé et se réunissent Lous les
jeudis soir, en un festin nocturne, produit de leurs quêtes, dans la
tombe de Sidi 'Abd Allah BI Yribotiry.
Ce Icstin hebdomadaire parait êlre la seule manifestation patente
de l'existence de la confrérie, son mocladdem, Sidi Jl1o~l((mrned, prt',-
cité, ne reçoit aucune aumône en argent, mais il a des parents aisés
qui pourvoient à tous ses besoins. li erre par la ville, vêtu d\m qaf-
trin en drap vert, portant des bracdets d'argent aux bras ct des bou-
cles d'oreilles; il se rase barbe ct moustaches, porte un mouchoir
autour de la tète, ct marche nu-pieds, un chapelet d'os à la main. Sa
b({/'((ka a pour eil"et de guérir l'impuissance virile et la stérilité; enlin,
elle a la propriété d'augmenter les biens de ceux qui l'obtiennen 1.
NolIS n'avons point voulu parler de celle tti~fa au chapitre des con-
fréries, n'ayalJt pu obtenir de renseignements plus précis à son sujet.
LES 'IIOsQuf;ES ET LA "lE RELIGIEUSE A RABAT 105

citude, recueillant son entière approbation par suite de sa


conduite (exemplaire). AbolÎ '/ibd Allah l'appelait le jeune
homme bienheureux ct pieux. Il recommandait aux gens
d'user de bons procédés tl son égard ct de veiller à ses in-
térêts. Il lui donna comme habitation, une cellule dans la
zâouya précitée ct l'obligea à enseigner le qorân aux en-
fants, cal' il préférait le voir vivre sur ses propres ressour-
ces ct il ne lui connaissait aucun bien.
(( ibn 'Ac/tir passa ensuite sur l'autre ri vc (de l'Oued BoLi
Re.r;râ.r;), à Slâ, et descendit dans la zâouya dH Ched:h Abou
'jbd ~lllah J/o(wrnmed ben 'Ai"sa, élève du Cheikh AboLi
Zakariâ. Cette zâouya se trouve près de la grande mosquée.
f(m 'jclâr s'installa dans la maison même de son moqad-
dem, qui était précisement le cheikh AboLÎ '/1 bd Allah Mo-
(wmmcd ben 'Usa, élève d'AboLi Zakariû précité, Tout cela
n'l'ut lieu qu'après le décès du chcïkh Hl YÛbollry. A cette
époque i/m 'Achir tirait ses ressources de la copie du Kilâb
El 'Omda fi 'cl (/(/((;th. J ouvrage CL u'il tenait en haute estime
et qu'il apprenait par cœur de préférence il tout autre,
Combien de fois ne fut-il pas appelé tl le lire et à le com-
menter à quelqu'un de ses amis! li en faisait ordinairement
trois expéditions en un an, les vendait aux gens qu'il savait
aisés, et ne consentait ~l recevoir comme prix que la valeur
réelle (de son travail). De cette unique ressource, il acquit
suffisamment de bien pour pouvoir acheter la maison où il
est mort.
(( C'est pendant son séjour dans cette maison qu'il com-
menç'a h ètl'C connu et que sa réputation se l'épandit dans
la masse; des amis s 'y réunissaient avec lui et de nouveaux
ilrri van ts venaien t l' Y trouver.
(( Avant (son entrée dans cette maison) il allait rendre
visite h ses frères en piété et sc plaisait h les contempler,
ARCIIlVES MAI\OCA1NI~S

mais après il ne parut plus que rarement et c'est ù peine s'il


se montrait aux regards,
(( Parmi tous les disciples et amis qu'ileut, en cetcndroit,
nous citerons le cheikh Aboû 'Abd Allah Mofwmmed ben
'IMM, auteur du commentaire d'Elr/ohm, Cet /bll 'jMâd
faisait le plus grand éloge d'Jun 'Achir ct disait de lui: on
aurait Leau chercher aujourd' hui son pareil en s'aidant li' U/le
II!Pc/w et d'une lampc " ou ne le trouverait pas, ,

(( Il rnOllL'llt- Dieu ragrée! - pendant lc mois de Hed-


jeh de l'année iG/1 (1 ;)G2) d'après le Es-Silsil el 'AdltlJ' ou
765 (1:363) d'après l'OU/lS ElJa!jll" d'Jbn Hl1{/wtlu, et fut
enterré tll'intérieur de SIri tll'endroit eonnu sous le nom
de OUI'II 1::1 f)jrima'.
«( Sa vie est retrac6e dans l'Hs-8ilsil El 'Adhb qui débutc

pal' lui, dans rOUliS El Faq"", dans El Djad/wua~, etc., elc.))


Dans les dijfé['(~llts textcs dont IlOUS venons de donner
des ex traits il n'est, un le voit, n ullemen t (Iuestion cl \1Il
rl'(~re d'Iun '.{chi,. et l'on ne parle que de (( l'l'ères en sain-
teté )), aussi sommes-nous confirmés dans l'opinion que nous
émettions, au début du paragraphe consacré au I/wt/sem
de 8ù/l Mo(wl/uned El J(rizy:;, sur l'inexistence de liens de
parenté entre ccs deux sainls.

r, '\'ous soulignons ceUe image renom déc de Diogène: Î J:l1 ';'.ï.?- J


~

..\~Y.. t J~..\:.;Ji) ~~~ .u::-. J~'


:1. "';"'..i...J\ J-LII.
3, Ji';')'
~.
,.,j 1.
(..;

Il. ~)..i.~1.
,). Ci-dessus page jo.
LES jJOSQUl~ES ET LA VIE RELIGIEUSE A nAllAT 15i

'2° Sirll Bell llass()IIII.

Nous lisons, dans l'Istiqçù' " au sujet de cc sainl:


« En l'année IOI;) (1 u(4), le douze Jlf()f/lll'J'em, l110mul
le Saint éminent Aboli JVJofwmmed 'AbdAllah ben El~Tlls(fn
Bl A/uilidy Es Slâsy. connu sons le nom de ibn l/assoûlI
cn souvenir de son aïeul Hl T:la SIII 1. déj~l mentionné.
« Cc cheïkh est enterré à Slil, où il jouit d'une grande
l'enommée. Il était originail'e de Slâs. village sis à une étape
de Fils; dans la suite, il sc rendit à Shi et la raison de ce
changement de résidencc cst la suivante.
« Les gcns de (la région de) Slils étaient en guerre entre
eux et se livmient des combats fréquents. Or le Chei.'/Julboû
Mofwmmed 'Abd /lllah se réjouissait lorsque les gens de
son villagc avaient le dessus ct s'attristait lorsqu'ils avaient
le dessous. Il réfléchit à cc sujet ct sc dit: « aimer la vic-
toire implique forcément que l'on appelte les maux (de la
guerre) sur des musuhnans et, pour l'amour de Dieu, je
ne dois point restel' en un endroit oùjc suis amené ü faire
des dislinctions entre eux ct où je souhaite leur' malheur.
« Il sc transporta ü Slil et, (ruand il s'y fut fixé, un groupe
dc ses compagnons vint l'y trouver, insistant auprès de lui
pour qu'il retourntlt dans leur pays, de la façon la plus
pressan te.
l{ Il prit alors un boL l' cm pli t d'eau de la mel', et le dé-

posa ~l terre puis il dit ~l la délégation:


« - COllHnent se fait-il {lue l'ean de la mer s'entre-cho-
que et que ses vagues se heurtent l'ulle l'autre, tandis que
l'eau de ce bol, puisée dans la mer, est tmllqllille ;1
« - C'est parce qu'elle n't-st plus dans la mer, dirent
ses interlocuteurs.

l, Isiiqçd', vol. 1I1, p. [tlli.


H,S AtlC/Il\'P:S ~IAHOCAINF.S

cc n leur dit alors: l'exil épure et calme 1.


cc Ils comprirent le sens qu'il attachait à ces paroles et
s'en am-rent désespérant (de le ramener).

cc 1-1e Cheïkh Ibn l/ussoûn fut élève d'A boû Mo(wmmerl


Et Hab!y, élève d'Aboû Mo(wmmed EL Irazouâny élève d'El
Tebbâ', élève cl" El Guezoüly- Dieu les agrée!
cc Il avait des procédés surprenants:) lui faisait-on pré-
sent Je vêtements fins, illesiilisait aussitôt déposer en une
chambre close où il les laissait jusqu'à ce qu'ils fussent
mangés des vers ct complètement perclus.
cc Chaque matin cles musiciens venaient, devant sa porte,
avec des tambours et cles trompes et donnaient une audition
en son honneur.
Le cheiJJ, El JOIISY a parlé de lui dans ses Jlou(lll"lal'â/
de faç.on à l"élcvc,' à un haut degré (dans l' estime publique).
cc Les belles actions d'J/m Hassoün ont nombreuses et
réputées puisse Dieu nous faire profiter de ses mérites et de
ceux de ses pareils! »

.3" LE Sur,TAN Mottlay El Nasan.

Le Sultan Moûlay El ~Iusan est enterré ~l H.abaL dans une


(Jon/;/Hf qui renferme également les restes de son aïeul le
sultan Sùli Mo{ulInmed ben 'Abdallah, au quartier de Deir
Hl Maldlzen".

T, ~ous donnerons plus loin, p. 73 et seq., ln version populaire


roncernant l'exil volontaire de Ben Hassolin il Salé, telle que la tradi-
tion orale l'a conservée, on y verra notamment un récit tout différent
de l'histoire du bol et qui ne manque ni d'intérêt, ni d'élégance
naïve.
2. CI'. Arch. mar., t. V, n° T, p. ,;);).
LES l\lOSQUf~ES ET LA VIE RELIGIEUSE A HA 13A'r. Hi9

Le Seloual El Anfâs 1 s'exprime en ces termes au sujet du


premier de cns souverains:
« •.••• Apt'ès lui' l'investiture fut conférée à son fib, le
sultan illustre ..... l'Émit' des Croyants Al)oll 'Aly MOLilay
El !lasun. Ce prince - Dieu l'ait en sa miséricorde! - était
/t'ès appliqué à la récitation du dhik,. et à l 'observance (des
pratiques du cuite), choses pOUl' lesquelles il était d'une
constance qui ne se dérnentit jamais. Il lisait m
Hok/uÎI'Y
en trois mois, au sein d'une assemblée nombreuse de
savants et d'autres lecteurs distingués, se conformant, en
cela, à l'usage mis en pratique par son père ct par son
aïeul dévot:
« Il imitait son père seulement en ce qu'il avait de noble,
or qui ressemble à son père ne saurait en être bltnné.
« Il visitait fréquemment les hommes pieux ct les saints
bienheureux du Seigneur, faisant de nombreuses tournées
aux endroits où se trouvaient leurs restes, l'echcrchan t
avec soin leurs mausolées. Combien n'a-t-il pas rénové de
maqâm? Combien n'a-t-il pas réparé de Ijoubl)(( considé-
l'ables?
« Puisse Dieu lui en ôtre l'econnaissant! Et puisse-t-il
le récompenser abondamment de cc qu'il a fait ici-bas!
cc Parmi les souvenirs qui subsistent de lui, citons:
(c L'épître qu'il adressa (1 toutes les gmndes villes (du
royaume) pOUl' recommander à leurs habitants de t'évérer
Dieu et de se COli former aux règles de conduite tracées
pal' le Prophète J~lu que Dieu - l'épande ses grtlees sur llli-
même ct sur sa /iunille, tan t Clue dureron tIcs jou l'S et les
nuits r qu'il leu l'accorde le salut!
« La reconstruction du mausolée du Cheïkh Abol1 El
' t M)(/.s .V/lned El n1'((11 S.1 , qui se trouve au seuil du pays
des LCl1i!a hors la porte Bâb El f~jlcha (ou El Guicha?) de

T. 8elouat El Anjits, t. III, p. 233.


2. Il s'agit ici du sultan Sîrlî J1o~lŒmlTwd ûen 'Aûd Er Ra~l/llân"
160 AHGIJI\'W;; :\L\HOCA1NRS

cette capitale (Fès); reconstruction qui rendit ce mausolée


plus spacieux qu'iln'c'tait;
« l'édification de quelques dépendances aLtenantes ù ce
ll1(\me mausolée, pOUl' la commodité des visiteurs:
« lu remise ù neul' d'tm grand 1I0mbre de (/OIl!Jf)(f des
saints cntenés dalls le voisinage de Râ/) El Fcloiift et la
l'éparation de lout ce qui ell avait besoin;
« la reconstructioll dl's tombes des seigneurs d'Üuezzan
- que Dieu nous rasse profiler de leurs mérites ~ -
<'le., etc.
« JI mourut il ollze beurf's, la nuit du (mercredi au)
jeudi trois de J)/wli Hll/i,i.ja le sacr'é, dernier' mois de
l'année treize cen t onze (1 8!l:I).
« Son décès eut lieu ~l Oued h'l 'Ahid, dans le territoire
de Tâdilli. alors qu'il venait de MaT'l'dkech se rendant à
Fâs.
« 11 fut transporté dans un cercueil ;1 nbâ! El Felft et
inhumé cn celle ville, à cMé de son aïeul éminent SitU
J{ofwl/uned uen 'Abdallah 1. \)

VIII, - L'IIAGIOLOGlE n'APHi';s LES THADITIO'IS OR.\LES.

Nous avons pu recueillir des traditions orales concernant


un c(-rtain nomlm~ de saints « des deux rives )). Elles ont,
l'Il général, le défaut de manquer de précision, mais elles
,,'en sont pas moins intéressantes, ~I plus d'un titre:
En nous montrant l'idée que se iilit le peuple des saints
qu'il vénère el qu'il prend pOUL' exemples; la crédulité
salis limites dont il fait preuve ~l ce sujet: la conception

l, Cf. également !SIÏiJ','Ii', 1. IV. p. 2/H.


LES MOSQUJ~ES ET LA rIE RELIGIEUSE A RABA1' Hi!

qu'il se forme de toute la puissance de Dieu, transmissible


en partie, à son gré, aux plus favorisés de ses serviteurs;
la confusion, dans des esprits différents des nôtres, du
possible et de l'impossible, du bien et du mal, du juste et
de l'injuste; en nous montrant tout cela, disions-nous,
ces traditions nous peignent une mentalité à grands traits,
nettement esquissés.
C'est pourquoi nous avons cntrcpris d'en rcproduire
quelqucs-uncs ici: elles ont été rccueillies sous la dictée
du narrateur, aussi fidèlement que possible. Nous nous
permettrons, à l'occasion, de faire quelqucs remarques sur
le dialecte padé dans la région qui nous occupe:

1n Lclla 'A ïc/w Tabemollsl'.

Cette sainte est originaire de Habat mais son père était


d'El B,'ûnes, localité de la région des Belli Mcslûra. Venu
il Habat, il s'y maria avec ulle femme de cette ville,
d'origine andalouse ct, de ce mariage, naquit 'Aïe/w.
Lorsque ceUe enfant devint pubère, son père et sa m(~re
moururent; elle gl'aJl(lit ct s'adonna à la débauclJe. Elle
s'y lin'a pendant une première année, puis une seconde.
Un jour, elle l'entra chez elle ivrc, venant de la l'lIC ct
ayant bu de l'alcool. Elle apportait une livrc dc viande ct
lluelqucs provisions qu'clIc se mit à apprêter, aidée par sa
voisine. Pendant que ceLLe dernière faisait grillcr la YÎUlHle,
une petite fille entra, et dit; « Donnez-moi un peu de
feu )) et, ce disant, elle sentit l'odeur de la viande. 'Aïe1w,
s'en apercevant, dit II sa voisine: « Fais goôtcr le ragoùt
à cette ellfant. - Non, dit la voisine, je n'ai pas l'habitude
de faire goûter qui que cc saiL.

1. Le mot Tabel'1lDlIst esL la forme berbère féminine dérivée de


Drânes, nom de 1ieu.
ARCH. MAHDC. Il
Uj2 ARCIIIYES MAHOCAINRs

- Dieu, repartit 'Aicha, ne nous a-t-il pas recommandé


la fillette et la femme au quatrième mois de grossesse l? ))
A peine avait-elle prononcé ces mots qu'un ange apparut,
envoyé par Dieu, et lui dit: « Tu es dans le vrai et, pOUl'
ta bonne action, Dieu te pardonne: il te conf(\re le pouvoir
de faire cesser la stérilité chez celles qui en sont atteintes.))
Comme il achevait ces mots, 'JÜc!w s'affaissa et son
ÛUl.e s'euvola. Les voisines s'empress(\rent autour d'elle
et placèrent son corps dans une pièce yoisine. Puis elles
se rendirent chez le BOlÎ Maowirilh 2 et le prièrent de
procéder à l'iQhumation. Mais il refusa, disant qu'il ne
voulait rien fail'e pour une femme adonnée à l'alcool et à
la débauche.
Or Dieu, à qui rien n'échappe, envoya les archanges
'Azraïl ct DjelJraïl portant une aiguière, pleine d'cau du
Paradis, ct un linceul. Ils entrèl'ent dans la clmmhre de la
défunte, la refel'mèrent soigneusement. puis ils lavèrent le
corps eL le mirent dans le linceul à l'insu de tous.
A cc moment rentrèrent les voisines qui étaient allées
chez le Boû Maowi,.ith et elles sc lamentaient de ce qu'il
leur ait refus(~ un linceul. En entrant dans l'antichambre,

[. Le prophète aurait recommandé d'évit(,r toute env;(, il la Jil!eLlc.


aussi Lien qu'à la femme enccinte, il la suite d'un làit qui J'avait
beaucoup frapp(~ (d'aprl~s une tl'3dition populaire) :
« JI {-lait un jour cbez sa (,mme. 'Ai"cha, qui vaquait aux soins uu
« ménage, lorsqu'une fillette vint leur demander du sel. Elle sentit
« J'odeur d'un [Lidjîn ct en eut emie. Le prophète invita 'Ai'cha il le
« lui faire gOtlter, mais celle-ci refusa, disant: « Elle n'a point à
« redouter la chute d'un fardeau, étant vierge. » Là-dessus J'enfant
« sortit, mais, il peine avait-elle fait quelques pas que son pantalon
« fut maculé de sang et qu'elle s'all'aissa. »
Comme on le voit, il y a analogie compli,tc ct probablement con-
fusion entre les deux contes. Cc qu'il faut en retenir, c'est la créance
que les' Arabes prêtent à celle légende; elle suflirait il expliquer pour-
quoi ils n'osent rien refuser il leurs filleUes.
;1. Au sujet du ràle de cc fonctionnaire, "oir Arch. mar., n° r. -
G. Salmon, L'Administration marocaine à Tanger, 1'1 passim. .,....
LES ~losQU]mS ET LA y]~~ HELlGt~~USE A HABATIl1:.l

elles perçurent une odeur délicieuse qui emplissait la


maison. « Mais, dit alors l'une d'elles, pareille odeut' ne
peut exister qu'au Paradis. »
Elles se précipitèrent dans la chambre de la défunte et
s'aperçurent que le corps était lavé, parfumé, enveloppé
du linceul et la tombe creusée dans la maison même. Toute
la ville fut alors imprégnée du délicieux parfum, les gens
accouraient chez 'Ai"c!w Tahcl'Ilousl et restaient frappés de
stupeut', ne s'expliquant point qui l'aYait lavée et placée
dans le linceul.
La voix d"Aïcha s'éleva sur ces entrefaites, bien qu'elle
fut mode, disant: « a
mes enfants! Ne cherchez point (à
approfondir ce mystère); je suis bien 'ft i"elia Tabel'lloust,
ensevelissez-moi! »
On l'ensevelit aussitôt, puis on éleva une qoubba sur sa
tombe. Elle devint une sainte parmi les saintes et son
mausolée est visité par les femmes stériles, par les fiévreux
et par les poitrinaires.

A remarquer, dans ce récit, ce fait que Dieu confère la


sainteté aprè;;; l\ne seule bonne action au milieu d'une
exintence de péchés continuels el de défis à toutes les règles
ch· l'lslâm.

2" Jloûlay EIMeHy ould Moûlay Et Tehamy t.

Ce saint est de la famille d'Ouezzân. Il avait six frères,


mais ayant eu une discussion avec eux, un beau jour, il se
fàcha, sauta sur sa mule et partit.

1. Le mausolée de ee saint est :l l\aLa~ dans la grande rue de RidjtÎl-


Hç-Ço.fJ. Une belle treille recouvre la rue, 11 ret endroit, qui est un
~lOrm encore respecté par les Juifs; les Clm'tiens même n'y passent
pas toujours impunémen t. C'est ce saint que nous avons mentionné
p.12$ sous le nom de ?lIoùlay El Mckky ben !\Iolpmmed.
ARCHI\'ES MAROCAINES

Depuis son départ d'Ouezziln, il n'avait pas cncore mis


pied à telTe, lorsqu'il arriva à un Oued nommé 'Oued Jl1(ld,
que l'on est ohligé de fi'anchir en ma'ddl((l; mais il n'cul
pas besoin de recourir à cc moyen: su mule s'avança sur
l'eau, le portant toujours sm' son dos, ct il continua SOli
chemin.
Or, à Babat, se trouvait un commerçant fort riche qui
habitait, à Ridjdl Eç Ç~iJ, la maison même où est aujour-
d'hui la zûouya (le A10ûlay El Mekky. Ce commerçant, anda-
lou d'origine, avait llne perle dans le nez et, malgré touLe
sa fortune ct tous les eIrorLs qu'il fiL pour consulter tous les
médecins sans en oublier un, aussi bien ceux du 8im{2 (PIC
ceux de l'Inde, il Ile imt se débanasser de celte perle.
Cependant, il/alilay RI 111elrky poursuivait son chemin
Il arriva à Salé, entra par une porte, sortit par la porte du
côté opposé, cL sc trouva sm' la rive de l'Oued.
Il appela alors les passeUl's disant;
« Oh! qui Ille fera passer pour l'amour de Dieu r »
Mais les passeurs lui répondaient:
« Celui qui possède une mule ne demande rien pour
l'amour de Dieu. Si tu étais un mallteureux nous te pren-
drions, mais, ayant une mule, tu cs, sans doute, un riche
COIumerçall L »
Ce que voyant,J/OIill/Y Hl i1fe1.J,y s'adressa ~I sa mule en
ces tennes :
cc Allons, avance pal' l'eŒct de la toute puissance du Trc's-
Haut, à qui rien Il 'éc1Hl ppe r »
Et la mule de s'avaIlCCl' SUl' l'cau tandis que les gens sc
rega rdaien t stupéfaits.
c( C'est un saint 1 disait l'un.
- C'est un fidèle serviteUl' de Dieu ajoutait l'autre. »

1. On appelle ain:;i de:; peLlts canaLs fa!JI'iqlJ(\~ il l'aide d'une sorLe


de jonc.
:J.. Pays sm les bords de l'Indus (Ka7.imirski).
LES MOSQUl::ES ET LA VlE HELHilEUSE A IL\BAT tG:;

Aussitôt tous Ic sui viren t, sollicitant sa hénédiction et


embrassant les pans de ses vêLcmcnts. Ils l'accompagnèrcnt
ainsi jusque dans la rue de nidjliL 8ç <,:o.fT Là, en aJ'l'ivant
devant la maison du couunerç'ant {lui avait une perle dans
le nez, la mule s'arrêta :llouLay et JIlekky frappa à la porte
ct sc mit à appeLcr : « Hé l'andalou! hé l'andalou! »
Une cscLave noire sortit ct lui allnonç~a quc son maître
était malade ct ne pouvait venir; mais J/oulay EL lle/J,'Y
insista, disant à la négressc : « Presse-le de sortir cnr, grtlce
il l'intercession de Molilay , ti/li Allah Beh CheriF Dieu a
décrété qu'il ne soufTrirnit plus. »
L'andalou sortit alors; mais, sa p,'emitTc irnpression fut
défavorable en voynn t le saint. Il lui témoigna du mépris
ct, comme lfolilay EL J/ekky lui demalldait cc qu'il avait,
« (lue cela ne t'inquiète pas, répondit-il. Si tu veux nne
aumône je vais te la donner et que Dieu te maintienne en
paix!» - « Mais, dit Moûlay EL Mchli'J,je viens t'expulser
de ta maison ct rn'y installer, car c'est III ma place: Dieu
m'a chargé de te guérir, approche! »
Ce disnllt il prit un peu de terre qu'il introduisit dnns le
nez de l'andalou; celui-ci éternua ct la perle sortit. Le sou-
lagement fut immédiat ct, de reconnaissance l'andalou
quilta sa maison qu'il donna nu saint, lui fit élever une
fjoufJba dc son vi van t, et constitua ses biens cn (wbolls il son
profit.
Les gens de Habat vont visite!' cette qouhba pour les rai-
sons les plus variées, car les prières de cc saint sont très
agréables à Dieu ct son intercession est fOl't eflicace.

3" Si Et TOlll'ky.

Cc saint est enterré il Salé ct l'on rapporte, il son sujet,

J. Ancètre de Moùlay El i\lekky, d{:jit cité.


166 ,\RCHIYES ~IAROCAJ:ŒS

une histoire qui présente de grandes analogies avec la pré-


cédente :
Ayant une perle dans le nez et parcourant tous les pays
pour découvrir un médecin qui l'en débarrassât, il vient au
Maroc ct passe vainement douze mois à la tombe de Moülay
Ya' qoûb 1 « mausolée qui possède un bassin (l'eau, venant
du ciel, aussi chaude que celle avec laquelle on fait le thé
ct qui répand une odeur de soufre incommodante J. ))
Devant cet insuccès, Moülay Ya' qoüb adresse son client
à 8ldl Bell 'Aehir:l de Salé. El Tourky se rend effectivement
~l Salé, s'enquiert du (.lal'l(~ de 8leU Ben '/ichù ct, quand on
lui montre l'humble mausolée, il s'écrie: « Les gens aux
tombes d'or n'ont pu me soulager, est-ce donc celui-ci <lui
va me guérir il ))
Il n'avait point achevé ces mots qu'il éternuait et lâchait
la perle. Aussitôt il fit venir des maçons, les employa à
édifier une qoubba ct un cénotaphe avec grille en fer. Puis
il acheta des propriétés qu'il constitua (wboüs au profit du
saint.
n renvoya sa famille, ses esclaves et tout cc qu'il avait
amené, dans son pays d'origine, promettant do s'y rendre
lui-même dans 10 délai cl'un mois. Mais, au lieu de cela, il
se consacra au culte cloDieu et, SleZl Ben 'jc/iÏr l'ayant
abreuvé", il parvint jusqu'à Dieu ct sc rangea parmi les
saints.
Sa tombe est visitée par les gens aUei nts cles fièvres.

1. Ce saint serai Lenterré Jans le ll' arb, il Llne demi-journée de Fès(?).


1. Ce renseignement est il noter, il peut servir il rclrouver, dans le
R'arb, l'emplacement d'une source thermale sulfureuse.
;t Comme on le voit, il existe, dans le monde des saints, Loute
nne hiérarchie qui s'établit ipso fado par la reconnaissance tacite des
mérite des uns par les autres.
fi. C'est une croyance commune, chez les Arabes, qu'un saint pent
conférer la sainteté à un individu quelconque en lui faisant hoire
certain breuvage et, plus particulièrement, un peu de sa salive.
LES MOSQUÉES ET LA YlE RELIGIEGSE A RAflAT 16i

Ij" Sicli Mâkhloù.f.

Ce saint était juif d'origine; sa tombe se trouve à la pointe


sud-est de l'enceinte intérieure, dans un petit cimetière où
l'on enterre les gens qui sont morts en mer ou hors des
murs de la ville 1. Voici sa biographie légendaire:
MakhloûJ, ainsi que son père, était du messoûs 2 mais il
se convertit à l'Islâm, apprit le qorân et s'instruisit tous les
jours, sous les auspices du 'lâ(li.
Il s'adonna si hien à ces études quïl parvint à toucher
Dieu et devint un étudiant zélé ne sortant jamais. Les autres
?olfJCl sc dirent: ce J[akhloûJ veut sc faire passer pour un
saint, ~l nos yeux, il faut que nous l'éprouvions; s'il est
réellement en possession de la sainteté, nous le servirons.
mais, s'il n'a dans Je ventre que de l"eau" nous ne nons
occuperons plus de lui.
Ils préparèrent donc une nezâ/ta (partie de plaisir) com-
plète, avcc tout ce que cela eomporte en fait de mets variés.
Puis ils choisirent cinq ?olba parmi les meilleurs cl 'entre
eux et les envoyèrent en délégation à J!1akhloûj. Ces délé-

l. D'après les usages marocains, il est interdit de faire entrer dans

une ville le corps de celui que la mort a frappé en dehors de son


enceinte.~ous en verrions la raison dans une simple mesure d'hy-
giène, si la population locale avait une idée plus neUe de ce elu'est la
contagion.
2.' Le mollllessolis qualilie le mets qui n'est pas salé. 11 est placé
ici par euphémisme, pour éviter, en parlant du saint, le mot plus
malsonnant de meU,iZI. Cc dernier, en clfet, rappelle trop crùment la
corvée imposée aux Juifs, de saler les tètes coupées pendant une expé-
dition, lorsqu'on veut les exposer aux créneaux des porles de la ville,

3.• UI ~ ...::".J~~ l.:~::"L. (pour (~IJ J/I disait le narrateur. Il .Y


a lieu Je comparer ~ces Inots avec notre expression triviale « VOIr cc
que qucleJll'un a dans le ventre».
168 ARCHIVES MAROCAINES

gués vinrent frapper à la porte de sa chambre en disant :


« Nous sommes tes frères dans le culte de Dieu!. »
Jla1chlol~rse leva, ouvrit la parle el voulut les faire enlrer;
mais ils rerllsl~reflL, allôguant llu'ils venaient pour l'enlme-
ner avec eux.
« Je suis occupé en cc moment, objeeta-t-il.
- Que fais-tu donc il Cc n'est point à toi de travailler à
celte heure!
- Si fait, je sers le Maitl'e des mondes.
- Eh bien! flOUS allendronsjllsqu'à ceque lu aies fini. II
]\Iakhlouf les introduisit alors, Cil leul' sou!Jailallt la
bienvenue.
Dans la chambre était un mcsra(, (tas) de sable recouvert
d'uno natte en palmier nain. Sur cc mcsraf" M((lJdol~r sc
mit on prièros î on présollco des {o{(la qu'il 110 voyait point,
jusqu'à ce qu'il eût accompli ses devoirs religioux. Il lout'
dit alors:
« 0 mes enfants qu'est-cc qlli vous amène, j'on al fini
avec Dieu l'
- Nous sornmes venus parce qu'ayant préparé une
ncza/w, nous te prions d'ôtre des nôtres. jl
Il accepta, sc leva ct pril congé du mur de sa chambre
comme s'il parlait en voyago ", et le mur do lui répondre:

I. ~~I J} ":1? a7.i· \.:.>1.


2. t.f)1) ;).-'~..J\ Jç. )\......
3. .luI e \.)~. 01) I;::~ J.){çi.5;)~)I·I.
II, .J?\_-- i.5;)\" J,\S-1:~1 e .1~:.,a:/' Le":' initial du prcmier
mot cst une particule corroborati"e, qui correspond au Dde l'extrême
sud orano-marocain (Voir. il cc sujet. Arch. mar., "01. VI, nOS [-II
El Ma'dnî, par L. Blanc, p. 168 cf seq.). Quant au motJ15c'CSL la
contraction de Jî "";(comme celui (lui. #
LES MOSQUI;:ES ET LA HE RELIGIEUSE A RABAT 169

« Dieu fasse que .le sois ton mur (ton soutien) demain,
jour du jugement dernier ri))
Devant ce miracle, les étudiants se mirent à tremhler.
Puis, touscnsemhle sol'lirent, sc rendant vers la berge de
l'Oued Boil Regl'âg, à l'endroit môme où s'élève actueUe-
mentIe mausolée de Shll Ilfrtlddol{(. Là se teou vaient leurs
compagnons de Ilczah.a qui leur souhaitèrent la bienvenue
et qui, n'ayant pas assisté au miracle, voulurent éprouver
Makhlol~( :
« Toi dont La maison est avec Dieu, lui dirent-ils, nous te
prions de nous faire assister à quelque speetaele dans celle
rivière. ))
Il leur demanda alors quelqu'un de bonne volonté pour
allel' lui acheter un pain ct, l'nn des folba s'étant présenté,
il lui remit quelques ./lOiis disant: « Happorte-moi un pain
de chez la plus éloignée de ces marchandes; ») et il lui indi-
quait du doigt les vendeuses de pain installées sur la plage,
de l'autre côté de l'Oued.
« Mais, dit le fâleb, comment traverse l' la rivi(~reil
- En descendant la pente, invoque SidUllofuunmcd, dis-
lui que tu fais une eornmission pour S/rli llfakhloliJ et il
t'ouvrira un chemin. »)
Le (ile!J partit et, en arrivant à l'oued, il invoqua sidi
Mofwlnlncd dans les tel'mes prescrits ct le saint invoqUll lui
l'épandit: « Allons, passe! ))
Aussitôt, de par un décret divin, les flots s'entl"ouvrirent
laissant une voie libre, tandis que les talba regardaient,
frappés de stupeur.
Ils fil'cnt amende honorable devant SitU Jlakhlollf ct
implorèrent son appui. Mais, lui-môme ne leur adressait
pas la parole, absorbé en la prononciation du nom du
Seigneur.
170 ARCHiVES MAROCA1NES

Il resta à cette même place jusqu'à sa mort et le makk::en


lui éleva une fjoubba.
Aujourd'hui, ceux qui veulent entreprendre un voyage
dans l'est font leurs préparatifs et vont passer une nuit auprès
de son mausolée. Ceux qui veulent se marier agissent de
même.

5° SicU Ben Hassolin l,

I\ ons allons reproduire une tradition légendaire concer-


nant ce saint, afin de permettre de la comparer avec la tra-
dition historique déjà examinée:
Sidi 'Abd Allah ben 1!assoûn est originaire de 8lâs où il
hahitait primitivement. En m(\me temps que lui vivait à
SJùs un autre saint nommé Moûlay El Klwrnmcil'". Or il
advint qu'une année, les gens de Slâs manquèrent de pluie
au momen t des labours. Ils sc rendiren t ehez Sidi '1 hrl
.Utah ben Nass6u/I et le prièrent d'intercéder auprès de
Dieu, pour obtenir de la pluie: il les envoya à El l\Jwm-
IIUt" .
A leurs sollicitations, ce dernier répondit: « Si Dieu
vous donne la pluie, gl'Ùce ~l mon intercession, chasserez-
vous 'AbdAllah ben Nassriun du paysl il » - « Oui, dirent
les gens, si tu nous fais obtenir la pluie, nous le chassc-

[. Voir ci-dessm, page 5D' les détails biographiques que nous


a"Vons déjà donnés cIe ce saint, d'après Uslir/cd',
2, Ce naIn ne lui "Venait pas, cODime on pourrait le croire, de cc
qu'il fut adonné il l'alcool, mais de cc qu'il ne jouissait pas cIe loutes
ses facultés: ~)
~.
-À,:ç ',A
u
",,,;',,,A
~
.:.,15": il (itait enivré par Dieu, disait le
narrateur, C( Mouliéras, .lIa l'OC Inconnu, t. LI, p. I I et seq.
,), La tradition que nous rapportons ici est des plus curieuses parce
({u'elle nous montre, sans cesse, une riyalité constante et, cIisons le
mol, llne concurrence délo.yale entre les saints. Chacnn cI'enx esl
jaloux de rl,gner en maitre sur la lllasse populaire,
LES ~IOSQUI::ES ET LA VIE lŒLlGlEUSE A RABAT li!

l'ons » - (( Eh bien! répartit El Khammàr, préparez-vous


en vue des labours : que celui qui n'a point de bœufs
emprunte pour en acheter, que celui qui n'a point de
charrue s 'en procure une, que celui qui n'a point de soc y
pourvOle. »
Les gens partiren t et firent comme il avait dit, puis quand
tout fut prêt, ils revinrent en aviser ElIOwnunâr. Celui-ci
leur dit: « Dès demain matin, commencez les labours. »
Tous se séparèrent et chacun se disposa à suivre l'avis du
saint homme.
Quant à ce dernier, il se mit à prier deux ri/.: 'a, après
quoi il éleva vers Dieu les paumes de ses mains réunies ct
dit:
(( 0 mon Dieu! De par les mérites de Mo(wmmed à tes
Jeux, tu seras certainement miséricordieux envers ces
hommes, tes serviteurs, et tu leur accorderas la pluie qu'ils
te demandent par ma bouche! »
Or Dieu les favorisa au point de leur envoyer la pluie
cette même nuit.
Dès le matin les gens sc mirent aux labours qu'ils ache-
vèrent promptement, puis ils revinrent ~l ElIOwmmàr et lui
dirent: (( 0 notre maLtre! Tu lIOUS as abreu vés et, à l'ave-
nil" nous ne t'appellerons plus El Ahammâl', mais bien
Modlay Boli Chtri' El A/wmnuir 1. - 'Jais, dit ce demier,
que va-l-il advenir d' 'Abd Allah ben J;lassoùll? Ne va-l-il
pas me débarrasser le pays de sa préseneeP-- Parfaitement,
dirent les gens, il viderale pays pour loj". »
Puis. Lous se rendirent chez '/lbrl Allah ben llassoûn et

r. ) \:t. 1\.:.:':..f.l <.5'iy ," , mon maitre. le dispensateur de la pluie, El


J(hammâr.

3. .J IJl; U)...\~I ~k ~y~ CJy -»- ...\~~ .:,,'" CJy <:;: \.:.:':.1) r~ JI;
.:,,: oUI 1

....\l) 1 .::J:\~ ~)~ c.;;


172 ARCIllYES MAROCAINES

lui adressèrent la parole en ces termes: (( LèYe-toi, vide le


pays, afin qu'il l'este II son maître! » - (( Bien Illes Sf'l-
gnelll's, je me lève, dit '/1 brl Allah. »
Il p"it sa pelite peau de mouton, son chapelet d SOli
bilton, (lui constituaient tout son bien en ce bas monde, el
alla tl'Ouver MOIHay Bali CftlriEl J(//(III1I1/(i,' :
(( 0 rnon seigneur! lui dit-il, CI ue la paix de Dieu soit
avec loi! Nons, nous te faisons abandon de ce pays. Désor-
fnais tu y restes seul mailre! »
Puis il se hissa SUI' tille (;mi'](~lIce et Ioie mit il appeler
l'Oued OUCI'I,'Il' : « 0 OUeI'l,'a! disait-il, viens cl l'ais-moi
monter (sur tes eaux). »
Aussitôt OIlCI'I"(( de venir; itla parole de ShU 'lbd Allah
celle ri vil~re accourt, franchissan 1 les montagnes, jusque
devant lui cl lui dit: (( :\11ons, monte! » - SldiHdlllah
s'approche alors, étend sur l'cau sa petite peau de mouton
et s'installe sur dIe, l()s jambes croisées. Dès qu'il y fut, un
décret divin renvoya la rivière à son cours normal.
Au passage, U.II palmier sous h~(lUcl Sidi Abd Allah priait
souvent, aperçut ce mi!'ac1e, s'arracha au sol et sc mit 11
suivre le saint en s'écriant:
(( 11 n'y ade Dieu (lue Dieu! 'Jbrl Allah esll'ollaU (saint)
de Dieu! 2 )) Et ils ar!'i vè!'ent ainsi jusqu "au po!'t de Shi
(Salé).
Pendant le trajet, qui dura un peu plus d'ull jour, les
saints de la ville de Salé curent l'intuition de leur venue
prochaine; aussi en voyè!'ent-ils le bernift prévenir la popu-
lation de se poder, le lendemain, sUl' la berge de l'Oued, au
devant d'eux.

[. Le narrateur, on le verra, semble croire que le Ouerr'a passe ù


Salé!
2. oUI \ J,) <Ùil -l..c..
~
~\ \fI .JI ~. PareiJ1e paraphrase de la proCession
de foi est, pour le moins, irrévérencieuse dans la Louche d'un mll-
sulman.
LES MOSQUb:ES ET LA VIE RELiGIEUSE A RADAT i73

Ainsi fut-il fait, Aïsâoua, llCllnâdcha, Ffâzi,yin, Djilâliyin,


toutes les confréries sortirent de la ville. Les citadins sc
joignirent à eux: tous, jeunes ct vieux, esclaves ct hommes
libres, femmes ct mâles, tous sc portèrent au-devant du
nouvel arrivant.
Enfin tous les saints, morts ct vivants, sc réunirent en
un gl'Oupe isolé de la masse; à leur tête se trouvait 8hli
Iddcl', sultan des saints de la ville tt ceUe époque, ct il
tenait, à deux mains, un bol plein de lait.
Lorsque parut BleU 'Abd Allait, accompagné de son
palmier, la foule entière se rapprocha de lui,mais les saints,
précédés de Sldllddcl' sc mirent en tête et quand 8ldl 'Abd
Allah eut mis le pied sur la terre ferme, SIdl fdder lui pré-
senta le bol ct dit : « Allons! allons 1 sois le bienvenu! »
Mais lui, sans prendre le bol, retira de la manche de sa
chemise une rose qu'il laissa tomber dans le lait.
cc Que signifie, dirent les saints, cette rose que tu as jetée
dans le bol?
- Et que signifie cc Lol lui-même, repartit 8hli 'Abd
Allah?
- Ce bol plein de lait doit te meUre au courant de la
situation de notre ville.
- Et quelle e~t cette situation?
- C'est, ô mon fils, que la ville est pleine de saints
comme cc bol est plein de lait. Tu ne tl'Ouveras pas 011
t'installer ici, tu ne saurais même y planter un piquet. Au
milieu d'une l'ace qui ne porte que les noms d" Ji 1y et
d' 'Ji Zy 1 tu ne saurais faire un pas 2.
- Eh bien! répliqua 8idl 'Abd Allah, cette rose quej'ai

l, Il Y a lit un jeu de mot sur le nom 'A ly (lIJÏ, en outre des sou-
venirs qu'il rappelle, signifie haut, éminent.

:L I.§j;.;; j~~ ~.üL. Jv) Jv ..:..::: ~ 0,4 ~~. Le mot 0:.~


est la contraction des deux mots .~ ct·" 1.
~. '-"~
jetée clans le lait, signifie que Dieu me place parmi vous
comme un bouquet, afin que vous me respiriez'.
- Soit! dit alors Shl/ Idder, te voici à ma place, Dieu
l'a envoyé afin que tu me relayes! ))
Là -dessus les sain ts repartiren t. Les gens de la ville les
aperçuren t· sous forme d'oiseaux; ils s' étaien t métamor-
phosés de la sorte en l'honneur de Sidl 'Alid Allah et ils
se retirèrent chacun chez soi.
Ce dernier entra ensuite en ville, suivi de son palmier
et ils marchèrent jusq Il 'à un endroit où le palmier se fixa
dans le sol, et où il sc trouve encore aujourd'hui.
Puis ce fut une série de visites ljuotidiennes des notables
de la ville. Les femmes, l1<'sireuses de connaître l'auteur de
tant de prodiges, vinrent aussi, fréquemment, le voir seules
et lui tenir compagnie. Lorsqu'elles étaient avec lui, il
revêtait la forme d'une femme parfaite, y compris le sexe,
et ses seins gonflés laissaient couler le lait.
Les gens en restèrent au comble de la stupeur: ils le
suivaient, dociles à tous ses ordres, toutes occupations étant
suspendues, si bien qu'ils finirent pal' soutrrir de la faim.
Sldl 'Abd Allah s'en aperçut ct leur dit:
« Travaillez et vous aurez de l'idâm 2 (pour manger votre
pain) - Restez oisifs et vous vous en repentirez' .))

1. J,~:~ rG ..b....) ~? p-=:''' .j.) ~~. A remarquer la tour-


nure. bien marocaine, rG ..b_) r.;--?'
:.1. Le mot idâm, i b b sert il désigner toute espèce de matière grasse
comestible. Nous n'avons vu employer le verbe de la même racine

que dans ce dicton: i">";'; u~i i-lj i~\;'\'


:). Telle est l'étrange tradition populaire que nous avons pu re-
cueillir sur la vie de Sîdi Abd 'Allah ben ~Iassotill. 11 est probable que
les esprits cultivés et idéalistes ne doivent voir, dans les images gros-
sières et mêmes obscènes qu'elles évoquent parfois, que des allusions
LES JIOSQU~:ES ET LA VIE RELIGIEUSE A nABAT Iii>

La tombe de Ben f/assaûn est visitée par les gens qui vout
accomplir un\oyage : la veille du départ ils placent, su,'
le cénotaphe, des petits hâtons do diverses couleurs, dans
un certain oràl'e; si cet ordre ost modifié, le lendemaill,
c'est un heureux présage; s'il n'est pas modifié, c'est un
signe de mauvais augure,

6° Une tradition concernant Moûlay 'Abd El (}ûder' El


fJjllûny,

'\ous ne l'apportons ici celle tradition que parce qu'elle


met en lumièro ridée que se fait le peuple def'> relations de
Dieu avec los saints ct avec les anges 1 :
C'était au début, lorsque sa sainteté commençait à se
manifester; Maûlay 'Abd El Qûcler' était assis, quand douze
hommes vinrent le trouver, le salul~rcn t ct lui offrirent de
le servir, dans l'espoir de se rapprocher de Dieu. Il leur
répondit: « Soyez les bienvenus, puisque je vois que vous
n'avez en vue que la porte du Seigneur et je ne saurais vous
barrer la route. »
Ils restèrent donc avoc lui un premier mois, puis un
second. Un jour Moûlay 'Abd El Qâder leur témoigna l'in-
tention de faire un voyage et ils l'en approuvèrent.

aux facultés merveilleuses du saint, sans s'attacher au sens littéral des


mots; mais la masse du peuple ignorant se transmet cette légende en
ne s'arrètant qu'il la façade de ces mèmes mots, et cela ne l'empèche
point de vénérer son idole. M. H. de Castries fait la mt'me remarque
il propos d \l QOl'Ù n :
« Il serait diflicile d'analyser lequel, du sens littéral ou du sens
caché de ces passages du Coran, reste le plus profondément gravé dans
l'rIme du croyant. Il est probable que certains musulmans 11 l'intelli-
gence passive ne perçoivent rien au dclil des jouissances charnelles ... ))
(Islam. Impressions ('/ éludes. Paris, 18gG, p. 142.)
1. ~ous en avons déjà vu un exemple plus haut, p. GG, lorsque
les archanges viennent laver le corps cl" Aicha Tabe1'llousl.
fiti AI{CHIVES MA HOC AINES

Ils sortirent donc ensemble et marchèrent toute ceLLe


journée-là et une partie de celle du lendemain; vers midi,
cc deuxième JOUI', la chaleur étant très forte, les serviteUl's
du saint s'en plaignirent à lui: « Voyez-vous, leur dit-il,
cet al'bre là-bas? Eh bien! prenons-le comme but. ») Et ils
se dirigèrent vers l'al'bl'e indiqué afin de profiter de son
ombre.
Or, le sort voulut que le saint Ba Yazld j,-'l Bc::lâll1J 1 se
trouvât dans ces parages. Ses compagnons de route se plai-
gnirent à lui de la chaleur ct lui demandèrent où s'arrêter
pour fail'C la sieste. 11 leur indiqua précisément le même
arbre que MoLilay 'A~d III (}âdcr sc proposait d'atteindre
avec ses douze serviteurs. Les deux troupes, chacune de
son côté, se dirigeaient donc vel'S le même o~iectif.
Le pl'emier /la Yazh! arriva à l'arbl'e, mais il s'arrêta,
avec ses compagnons, sans s'instaUer ù son ombl'e : Moû!aj
'Abd Rf (}âder et ses suivants agirent de pareille ra~·ol\.
Ba Vazld E! Bczliilny s'écria alol's :
« 0 fils de l'envoyé de Dieu! ù Moûluy 'cl bd In (}lidcr !
Entre, avec tes compagnons, II l'abri de cet al'bre, llussé-
je moi-même, avec les miens, l'ester debout au soleil!
- Non, dit Moû!ay 'Alld III (hider, je n'en fcl'ai rien,
mais nous appellerons l'arbre, l'un ct l'alll~'e, ct il H'a
abriter le groupe qu'il pl'éfèrera.
- Eh bien! appelle l'arbre ô Moûlay AIn! Rl (hider.
- Non, appelle-le toi-même.
- Je ne saUl'ais le luire, dit Ba ) aûd, ne voulant pas
ln' aLtl'ibuer la préséance sur toi. Tu as le pas sur moi, ô lils
du prophète! »)
Là-dessus Moû!ay 'Abd El (hlder se retira ù l'écart, fit
ses ablutions, pria deux rili 'li , éleva vers Dieu les paumes

1. Cc saint est enterré, paralt-il, au Lord de la mer. il une journ{~e


de' marclH' de Larache.
LES MOSQUl~;ES ET LA YIE HELIGlEl:SE A HABAT 177

de ses mains réunies et s'écria: « 0 arbre! Viens abriter


le fils de l'envoyé de Dieu, car le soleil le fait souJl'rir. »
L'arbre se souleva puis reprit sa position première.
Trois fois, Moûlay'Abd El <)âdel' recommença l'expé-
rience, mais sans que l'arbre vint II lui. Il se Lourna alors
vers Ba Yazld et l'invita à essayer à son tour.
Ce dernier fit ses ablutions, pria deux l'ih'a, éleva vers
Dieu les paumes de ses mains et dit :
« 0 arbre! Viens m'abriLerpour l'amour de Dieu! »
L'arbre se souleva alors, et, en verLu de la toute puis-
sance divine, se transporLa jusqu'à l'endroit où était na
Ya:id qu'il vint abriter ainsi que ses compagnons.
Moûlay 'Abd El f)iider dit alors à ses suivants:
« 0 mes enfants! Vous n'avez rien à gagner avec moi,
suivez plutôt ceL homme puisque c 'esL un sain Lintluent ! »
Et ses douze compagnons l'abandonnèrent pour se joindre
à ceux de Ba Yazid cl se meUre à son service. Ils restèrent
tous ensemble, sous cet arbre, à adorer Dieu, tandis que
MOlÎZay 'Abd El qâder s'en reLournaitd'où il était venu ..
Il se rendit au Djebel El A/Ju.tal', s'y insLalla et sc consa-
cra au cuIte de Dieu.
Il adora Dieu pendant dix ans, puis pendant dix aul/'es
années, puis pendant <lix auLres années. Alors des lamenLa-
tions se firent entendre dans le prernier ciel, puis dans le
second, puis dans le troisième.
Dieu qui est le seul Dieu - que sa gloire soiL proclamée!
.- s'enquiL de ee que signifiaient ces cris dans les cieux.
Notœ seigneur Djefmû'llui répondit:
« C'est ton esclave 'Abd Hl Qiider - Ô mon Dieu! toi
qui es le Très Haut ct l'Omniscient! Voici trente aIls qu'il
t'adore debout surun pied! 1 »

1. ~ fIC) J\~ 0~ ::1\) .;.) ~ ))\All ~c ::1~e \_~~ J~l~::- t...\;:'"" .J JI;
.::1-\~../ ot\::-) ...\?Y.. )~) Î le ~;)\~ "?~) ~~....
ARCH. :\IARuL'. 12
178 ARCIIIYES MAROCA Il'\ES

Mais Dieu - qu'il soi t glorifié et exalté ! - ne répon-


dit point.
Une quatril~me période de dix années s'écoula encore,
Des lamentations, des cris et du bruit retentirent alors
dans les sept ciels et Dieu, appelant Djer!l'aïr, lui dit:
« Descends, va trouver 'Abd El Qâdcr et dis-lui: Dieu
qui est le seul Dieu, - qne sa gloire soit proclamée ! -
te salue ct te fait dire repose Ion ~pied sur l'avenir cl SUl'
Ba Yazîd El Bezlâmy. 1 »
Aussitôt Moûlay 'Abd El Qùder reposa son pied, tous
les saints se réunirent autour de lui et il devint leur sultan.

7° Sidi El 'Arby ben Es Sâi{l.

Ce saint est enterré à El Ollbira 2. Il est mort il n'y a pas


très longtemps après avoir vécu à HabaL dans le quartier
d'El'Aloll.
Sa maison était voisine de celle d'un notable appelé El-
'Md} 'Abbâs ben Bargach. Cc dernier\ voulant édifier un
étage au-dessus du rez-de-chaussée qu'il habitait, com-
mença à donner suite à son projet; mais il ménageait, dans
la maçonnerie, des fenêtres d'où la vue pouvait plonger
chez Sldi El 'Arby. Celui-ci l'avisa alors d'avoir à cesser les
travaux ou à faire murer les fenêtres en question.
El fIâdj 'Abbâs ne déféra point à cette injonction et
essaya de passer outre. Le saint en conçut un vif ressenti-
ment, le chargea du poids de sa malédiction et lui prédit
que sa maison ne serait jamais lerminée et que les gens
qui l'habitaient disparaîtraient rapidement.

1. .JI ') ~ \:>.::"" 4.1)1 ~~e. 1.><>-:.,: .J J;J ))\~I ~'vf' ..l:.J ~1lI1 .J J~
.l5.Ik..i:-I1~).~ Je.J -~Y.. Je. ~i~) J~; ~l J~J JllI-;}\
2. Dans la ûOIl~'a qui porte son nom, yoil' ci-dessus p. 29·
LES ~IOSQU~=ES ET LA YIE HELIGIEUSE A RABA~' 179

Quelques jours après, en effet, El ~Iâdj 'Abbâs tombait


malade et mourait. Depuis, sa maison est déserte et ina-
chevée, personne n'osant essayer d'y poursuivre les travaux
entrepris. L'opinion paraît même accréditée que si des ma-
çons essayaient de s'y employer ils tomberaient tous en bas
des échafaudages; c'est une raison suffisante pour qu'aucun
d'eux ne tente l'aventure.

8° Tradition concc1'nalll 8Î111 J[a(trlmmcd lJcn 'il i:~a.

Ainsi que nous avons eu occasion de le dire, ce saint est


enterré hors des remparts et à proximité de Wlekinès.
Il vivait, en cette ville, au temps où le sultan 1V[oûlay
Isma'U y avait installé sa com ct y avait entrepris des con-
structions grandioses 1.
C'est ce milieu très populeux, Oll aIl1uaient des ouvriers
de toutes les villes et des hommes de corvée de toutes
les tribus, que le saint avait choisi pour y fonder sa con-
frérie. Telle était son influence que, malgré des peines
severes, artisans ct manœuvres, muletiers et âniers,
désertaient en masse les chantiers impériaux pour venir
recevoir l' oucl'd de ce nouveau cheikh et entendre, de sa
bouche, la bonne parole. D'ailleurs, à la fin de chacune de
ces réunions et, pour indemniser les assistants de leur
chômage, Sidi Ma(wl111ned cueillait des feuilles d'arbres et
les leur remettait, elles se changeaient aussitôt en pièces
d'or et d'argent.
Un jour un malheureux se plaignant de la faim avec
insistance devant le saint, celui-ci impatienté s'écria: (( Eil
bien 1 mange ce que tu trouveras, [Lit-ce du poison! »
L'homme partit et, ayant trouvé des scorpions et d'autres
animaux venimeux, il les dévora sans qu'il en resulLâ:t pour

I. A ce sujet cf. Istiqçû', t. IV, p. :>.3-25.


180 AHCm \'ES ~IA HOCA INES

lui le moindre malais('. C'est en souvenir de cc miracle


que les 'jlisaOlill acluels mangenl des scorpions el toule
sorte de reptiles, de phmLes vénéneuses ou couvertes
d ·épines.
J Cependant, le sultan était forl.irriLé dl' voir un homme,
un de ses sujets, sc permettre de débancher ainsi ses
ouvriers, car il était passionné pour lcseonstructions. Aussi
fi t-il pré,'cnir 8;di Mafwlillned d'a' oir ~l q niLLer le pays au
plus ,ilc. OIJ(iissant à ccL ordre, ShU Mafwmmer! se réfugia
aupl'(~s (l'un autre saint, nommé St'lll Sard.
Ce dernier le pourvut (le différentes choses et notam-
ment d'une outre (flllcl'ha) en disant: ( Celui qui n'a pas
de feu en emprunte à son voisin 1. )
Sirli Mafwmmed sc mit alors à soufller dans la glle1'l)(l
pOUl' la remplir d'ail' ct, û comble de l'étonnement, chaque
fois qu'il soumait et que le volume de la guer/la augmen-
tait, le sultan iVfoülay Isma'il ennait de tout le corps. Si, au
contrairc il laissait échappel' l'ail' de la flllerlw. le Sultan
désennaiL.
Cc dernier réiléchit sur son cas, personne n'y trouvant
de remède, ct il sr, souvint, tout à coup, qu'il avait fàit
expulser un personnage qui passait pOUl' saint; il lui
aUrilma aussit()t la cause de son malaise, cl II' fil l'echel'c!Jcr
cl prier de n'user d'aucun sortilège contre lui.
ShU J[afuunmetl dégonlla alors sa :/uel'ua el le Sullan fut
guéri aussittlt. En pn\senee dr, ce miracle, il conllnença à
croire à la sainlet(; de SOli adversaire. Néanmoins il youluL

1. 0)\:; _,~ç ':.yO \~~L:~)~ 0::' o_,:ç 1.. JI. CC dicton esl passé en
maxime cléqnivaut hllolre devise «aidons-nous les uns les aulres ».

Tonle/()is, élant dOrlw\ I(~ sens dn !Ilot )~, (lui {~voquc l'idée de l'enfer.
t'cxpression arabc indiqne (tl]() l'on doit s'enlr'aidcr soit en HW du
iJien, sail en Vn(~ du mal. La s\lit{' du conte vient cOlToborl'r celle
int('rpl't~lalion, COllllllt' on le V{'[Ta.
U:S ~IOSQ{n'<:ES ET LA ym HIl:LlGIEUSE A 11ABA~ 18!.

l'éprouver et, l'ayant fait venir il donna l'ordre de l'en-


fermer dans ses jardins (l'li étaient remplis de lions et de
fauves: loin de s'attaquer au saint, ces animaux venaient
se frotter t1 lui, pareils tl des chats.
Enfin, le roi lui imposa une dernière épreuve qui con·
sistait à boire le contenu d'un bassin de son jardin rempli
de goudron liquide. Le saint appela une petite fille, lui
ordonna de bai re ct elle avala tout cc goudron qu'elle
trouva plus cloux que du miel.
Ce prodige convainquit le roi qui s'inclina et proclama
la sainteté de 8hli illa(uunmed; mais cc dcrnier, vcxé de
semblables procédés, jura de ne plus jamais franchir les
portes de Mekinès, c'est pourquoi il est enterré en dehors
de la ville,
Trois de ses descendants vi vent tl Habat.

IX, - LES HIll, i' c..~)\ ou « SOCll~TJ~S t »,

On sait combien le tir au fusil est en hOlll1em au ~laroc


ct quel pl'Ïx on y attache, aussi bien dans Les villes que dans
les tribus:J,
Lenwkhzcn, d'ailleurs, cOlnprelJllqu'ilail1l(:l'r~tà trouver,
parmi ses sujets, de hons tirems ; aussi encourage-t-il la

1. Bien que les socil<t(:s rlont nous allons parler n'aient pas un ca-
ractère religieux bien ddini, nous a \OIlS crn [lomoi r en parler ici,
parce que certaines d'entre elles (les sociôLt'<s de tir, par exemple) s'ef--
forcent de s'organiser sur le ll10clde des confrôries el les autres jouent
un grand ràle clans bien des f'(,tes ou côrômonies religieuses.
2. A ce sujel cl". Mouliôras, Le Maroc ÙlCOIl/Hl, passim, ct t. Il, p. II
el seq., '7 6- 1 77,3'7, [Ii).
i82 AHCHlVES MAROCAINES

formation de sociétés de tir, qui peuvent constituer un


appoint pour la défense d'une ville contre une attaque des
tribus voisines. A cet effet, il fournit de la poudre et quel-
quefois même des armes à certaines de ces sociétés.
A Babat on compte, au moins cinq rbâl" ou sociétés de
tir:
1" Rbâ'l El Har.lar, ~\ 4.ç-~) ou société des citadins.
Le makllzen lui aurait, paraît-il, fait distriJmer récemment
des carabines vVinchester (~:..::,lk...., on fusils ~l l 6 coups).
2" Rhâ' 1El Beqqâla ou sociélé des épiciers. On sait que
ce mélier est cntièrement détenu au Maroc par des gens du
8oûs. Ils apportent, de leur pays, des fusils à pierre encore
estimés dans les régions oil les m'mes perfectionnées sont
peu répandues. En cas de mobilisation (~..,,;) cette société
doit être prête cl sortir la première 1 •
.) " Rbâ'l E'l Djel)(ila (on dit aussi Ej-Jebàla, par assi-

milation du [.à une lettre solaire) :J~\ ~~). Société des


I~iehâla. C'est la plus sérieuse, pour l'habileté de ses
tireurs, cl, étant employée en temps normal à la défense
de la ville, elle reçoit, du makhzen. de la poudre à discré-
tion, en ou tre de la paye de ses rnembres 2.

fr" Bbri'l Et Touârgu, ~?:'\J:J\ ~~). « Société des


Towil'gu '; )), clle est très nombreuse.

5" Rbâ '1 El Oaidâya. ~,b


. JI ~b. « Société des Ouidâya ' )),
.
égalemen t très nombreuse.

1. Il en est de même il Tanger.


2. Voir notre article sur l'Administration marocaIne il Raba t.
ArcA. mar.) t V II.
3. Ihùl.
i. Ibid.
LES MOSQUÉES ET LA VIE HELIGlEUSE A RABA~' 183

Ces deux dernières sociétés, il est vrai, ont un caractère


essentiellement militaire, qui les distingue des précé-
dentes.
Toutes sont organisées il peu près de la même façon et
ont pour patron Sidi 'Aly ben En Nâçer, saint enterré au
Soûs.

Elles sont dirigées chacune par un clteïkh el' remà t:'"


• t-

oL,JI ou chef des tireurs, chargé d'enseigner aux membres


le maniement et le « jeu » du fusil, son mécanisme et les
principes du tir. Il ne reçoit pour cela, au moins en théorie,
aucune rémunération. Il est assisté d'un moqaddem qui
rassemble les membres de la rbl1'a quand il y a lieu.

Enfin chaque sociétaire s'appelle '-1\) (pour \))) , au


pluriel remâ oL.J. Les rema fournissent leu rs armes eux-
mêmes, à l'exception de ceux qui sont armés par le makhzen,
déjà cités. Ils ont également à s'approvisionner en cal;-
Louches, poudre, eLc., etc. (avec la même restriction que
plus haut) ct à subvenir à leurs parts personnelles dans les
dépenses de la rbâ'a à l'occasion d'une fôle ou d'une partie
de chasse, par exemple.
Quelquefois, SUL' la demande de gens du (wouz, on décide
de faire une battue au sanglier. Le cheïkh en fait prévenir
les remâ par son moqaddem. Tous sc réunissent en un point
désigné d'avance eL fixent le jour du départ, l'itinéraire, la
durée du séjour ct le rôle de chacun des sociétaires: l'un
s'engage à fournir une bête de somme, un autre le thé, un
troisième le sucre, etc., etc., puis, quand tout est bien
arrêté, on exécute cc programme, dans la mesure du pos-
sible. C'est ainsi que, lorsque le pays n'est pas trop agité,
on voit des d)(it partir pOUL' 5 ou fi jours ct faire des baUues
clans la forêt de Jlfa'monra, entre Babat et Jfehdya, à "'idi
Boû R'âbâ, ele., elc.
18~ ARGHlVES ~L\HOGA]NES

D'autres fois c'est tl un moûscm que l'on sc rendra pour


y prendre part ù un concours de tir 1,
Les fusils en usage son t un peu de tous les modèles, mais
on voit surtout des fusils t\ pierre ct des H.emington,

Voici la tradition populaire que nous avons recueillie


concel'llant le patron des tireurs, Sldl 'Aly ben En

Ntlcer ..r",\:11 û:
jç. iSJ....:-·
C'était un dévoué serviteur de Dieu, - puisse le Sei-
gneur llous/t\ire bénéficier de ses mérites 1- il était fils
de SMil ~uned Ou !1lol1sll.
]~tant encore enfant, il entra tl l'école pour apprendre le
'j0/·dn. A peine le fqih lui avait-il lu une saurai qu'il était
aussitôt en rnesure de la réciter de mémoire, si bien qu'an
bout de deux jO\ll'S d'école il en sortit ayant étudié les doc-
trines de tous les rites!
Il sc mit ensuite ù voyager et ù errer tl l'aventure par le
monde; aH cours de ses voyages il s'adonna ù l' étude (de
la fabrication) de la poudre.
Celle dont on faisait usage, alors, ne ressemblait point tl
celle que nous employons aujourd'hui; elle l'(~paJl(lait une
odeur horrible, Il yajouta certains produits ct en retrancha
certains autres: l'odeur disparut el la poudre s'améliora.
Peu il pen le bruit sc l'épandit qu'un certain' l1y hC/I En
Nd('er - on rappelait ainsi . n8 lui reconnaissant pas encore
la qualit(; de saint" - fabriquait une (nouvelle) poudre. De
tons côtés ct de tons les pays, des gens vinrent le \Oir ct
recevoir son OIwrd", ils arrivaient, hommes (lu peuple (ne

1. Pal' excmple. au IllOÙSCIll dc SUi MouS(( Ed j)ollklmly (W}!I'Il,


p. ~):l).

2. -....;\../·:01 4}~ Ijj; L. j,~ ("JI(:

::\. ;)))1 ~l~ (pl'. \..,.,a:~) \)~~J .;J; f l':r' -t:\~ I.J:"'>;-~/'
LES MOSQUÉES El' LA YIE HELlGIEUSE A IUBAl'I8i>

sachant rien), s'instruisaient et apprenaient le tir, sous sa


direction.
Un jour que 8icli 'AZy ben En Neicer était assis parmi ses
élèves, leur enseignant le tir, un ange apparut, envoyé par
Dieu et lui dit:
« 0 8idi 'A /y ben En Nâcel'! ))
Le saint ne lui répondit pas cl range lui dentünda la
raison de son silence; il lui dit alors:
« Je ne m'appelle que 'Aly ben En Neicer.
- Non pas, dit l'ange, Dieu t'a ennobli (ou sanctifié)
en celte heure bénie 1 !
- Fort bien, et que t'a-t-iI dit il
- II m'a chargé de te dire: c( Prends Ion fusil, mcls en
cc joue et prends la direction - (Dieu fera le reste) - ct
cc tous ceux que tu enseigneras seront tes enfants 21 ))
Or le saint n'avait précisément pas d'enfants.
A partir de ce jour, les gens sc pressèrent de plus en plus
nombreux autour delui pour recevoir ses leçons et son ouel'd.
Mais, direz-vous, quel était son ouel'dil

]. Jj.i 01) J,) :')':1 ,11 Jt; - rl=.lI J, Jç .f,;~ \>_1 tl 4) J~ --


.~~'\iI :\çUI oi~ .~ J1..r":1Ji -::JJc
. ~""

~: ~\ t;.1;) - ,::\..:~~)I (pl'. ~\) .k~;\) ~IA) 4I:>:.C\I ~\:) ..:Jl JI;
::J.i) ~J: 4:J... Nous avons traduit -J\..:::JI .1~1 par les mols: « prends
la direclion )), c'est-il-dire « prends la ligne de mire )). Oli sait, en
clTcl,' (lu'au Maroc, le mot '::\';:''ù veut dire dircclion ct lion cible. Si
le narrateur avait voulu dire: « tire il la cible)), il et'tt employé l'e.\pres-

sion: j)1..:!1 "':"'.r"I. <2uallt am: mots: « Dieu fera le reste)) ils sont
sOll5-entendus, c'est pOUl'ClllOi 1I0US les avons mis entre parenthi~ses.
Le narrateur, en effet, nous a expliqué que l'ange ne les avait point
prononcés, car ils étaient contenus implicitement dans les pI'émisses ;

:;11 dl ~ ~)) '::1..:?1.k~I,


186 ARCIIIVES MAROCAINES

C'était un certain nombre de prescriptions dont je valS


VOUS retracer les principales:
Si l'on vise une bête sauvage, il faut dire: « Au nom de
Dieu, Dieu est très grand! )) Et alors, même si, en arrivant
à la pièce, on la trouve déjà morte, il n'y a qu'à l'égorger,
elle est licite 1 •
Le tireur qui a passé la nuit auprès de sa femme doit se
laver, sc purifier, faire la prière obligatoire et y ajouter
deux rik'a; ce n'est qu'après l'exécution de ces formalités
qu'il peut prendre son fusil.
Le tireur qui se trouve en forêt et rencontre un sanglier-
gibier clont la chair est prohibée - doit avoir présente à la
mémoire les SOÛU\T de TAllA et l\.SlN et les réciter à part lui
avant de [uer le san:JliC1~. 8'il l'abat, cette formalité accom-
plie, il peut {n·enclre une ptldie de sa chair pour se soi,qner,
cela est licite par la vertu de ces SOÛRI.T 2.
Si l'on rencontre l'ennemi, venant vers soi, il faut se
J,. .' __ , . " ..-

1. ~~ \~77\~ ~ Û ~)Î ~]\ r--:-t J; :i:~)1\ '-:1? ..::.: ~ .• J,l.


J>\:>- l.~,
1 •
j,7. A remarquer, dans celte phrase, le se~s du mot ~ J
1.,..;
signifiant cc m(\me si ... )). On le trouve fréfluemment employé dans
ce sens.

2. \:}~ J..•"? tJ ~)~I ..\:>-\.1. ~)\~) ~~\jl ..\:>-1) '-:1? .s)~ J1lS"IJI

~)!.-\ 1./ 0;' JI, u:~ u-:.) 4, .:.,I)y.• ot-I) '-:f? oJ..:ç 0)<; c:...t~~ J.)
4~~ J>\:>- .\)) .J+-,,~ ~} ~.. j,;'~) )\~ o\.\:~) 4~'; \otl.J~ ? ~\ ..
. .:.,I)y-l\ oj,~
"'Ious avons mis tout cc passage en italiques parce qu'il est particu-
lii~rement important et in téressanL. Nous avions appris, en etIet,
sans pouvoir nous en expliquer la raisou, que beaucoup de :\larocains
mangeaient la chair du porc. La tradition que nous relatons ci-dessus
éclaire la question d'un jour inattendu: c'est par manière de médi-
cation, et notamment pour guérir la syphilis, qu'ils se pennettent
celle grave infraction à leur loi religieuse.
LES MOSQUl~~ES ET LA YIE IŒLIGlEUSE A RABAT 187

mettre en défense contre lui avec autant de soins qu 'on le


fait contre les layâlî l, prononcer trois fois les mots: « Dieu
est témoin )) puis tirer 2 •

Tels sont les points principaux de l'oueNl du saint.


Nous venons d'exposer l'organisation et le fonctionne-
ment des sociétés de tir, mais il ne faudrait pas s'exagérer
l'importance de leur rôle social ct militaire, ni chercher à
les assimiler aux associations du même genre qui existent
en Europe: l'indolence et l'incurie de leurs directeurs et
de leurs membres sont cause de l'irrégularité des exercices,
de l'absence de tout programme méthodique cL progressif,
du manque de disciple chez les sociétaires.
Aussi les résultats sonL-ils loin cl'arriver au degré de per-
fecLion relative qu'on pourrait en attendre, c'est-tt-dire à la
formation du plus grand nombre possible de tireurs moyens.
En fait, quelques rares individus sc signalent seulement
par leur adresse au tir dans chaque rbâ'a, les nécessités de
l'existence ou des dons naLurels les ayant seuls sollicités à
la pratique constante de cet exercice.
Il en est du tir comme de tout autre sport ct notamment

1. On appelle J~lla période (f10 jours il partir du 2~ décembre)


où les nuits sont les plus froides de l'année. Ce mot ligure dans un
certain nombre de dictons, notamment dans le suivant:

~\~t: il ~ ":"'~\A jL) - JI.,:l1 ./ ..::J~Ç~) J\~ll ":1? ..:..-~ JI/


.J)\7 L,;\) ~L~ é:y.
(c S'il pleut pendant les layâli, lu n'as rien à craindre par la suite
« (ct la récolte sera bonne), et s'il ne pleut pas pendant les layâli,
« bftte ton chameau el commence il cheminer (pour aller acheter du
« grain, car la récolte sera nulle). »

2. <UJ\ .),~~ .1)1., ~I:lIL ~..=-ï \..-(' 'Il ~ ..=-ï ..::J:~l. ).),,.]\ ..:..-~~ jL
''":"'fo\) w~)b ti)\~
fRS AHCIIlVES ~IAHOC:AI'IES

de l'équitation, on ne le pratique que par exception et dans


la mesure Oll il n'est pas fatigant, le repos ct l'imrnobilité
restant prMérables tl toute vaine agitation,
'\ ces causes dïnsuccl~s profondes, générales, inhérentes
au caractère même du musulman, il y a lieu d'ajouter
celles qui proviennent de la difllculté de se procurer des
munitions régulières ct égales ù elles-mêmes l , soit eu
égard ù la CI Ilalité, soit ù la quantité, soit enfin au prix
d'achat.

§ ~, - I.es orches/res el chœurs, :J~\ L.~)'

I. - Orchestres Cl ·hommes.

11 Y a deux ou trois rud' Il de cc genre à Habat. EUes sc


font enlendre dans les soirées ou nelJitu{ (w\~;), dans

1es fêles ù l'occasion de baptl\mes " ail x noces ((,,)"\.,;c\) ct,


en gl~néral, dans loutes les fêles Oll IIwûsem.

1. l\olls avons conslatl\ mainte fois, soit dans l'extn\me-sud ora-


nais, soit ail Maroc, qne les cartonches des armes modernes, rechar-
g{-es par les indigi'nes, contiennent des charges de poudre très iné-
gales; en outre la poudre Im\llle est de qualité lri's variable. Enfin
l'ha1Jilmle de lirer avec un fnsil toules les cartouches d'un calibre
{-gal ou in ['l,rieur il cellli de sou canon, ahime rapidement les rayures,
diminuant ai mi les qnalités de l'arme et conllue portée cl COlllllle
prl,cision.
:J. Sept.iours apri's la uaissance on IJaptise l'enfant m:de ct qucl-
!jlwl()is la petite fille. ;\ cet ell'cl, on l'gorge un mouton le matin cl,
LES 1\I0SQUf;ES ET LA VIE RELlGIEUSE A RABAT 189

Chacune de ces "~â'a comporte, en général, cinq exécu-


tants. ~ /,
1" El Mouncchchid, ..L..::...:.l\, <lirecteur de l' orcheslre el

chanteur: il chante ou récite des r;çIÎÏIl, accompagné par


la musique de ses auxiliaires.

2" Çâb.cb El' Oûd, "yJ\ ~l..::" jouem de guitare 1 •

;)" Çâbc~ElJ{<imc/ldjll. ~tç"J\ ~>-l..::"joueul'deviolon2.

G" Çri(W!i E{ T((fT, ~bJ\ ~l""", jOlH'U!' de lambou!' c1e


hasque \.

vers 9 heures, on convoque les amis 11 un feslin ou lunch qui prend


le nom de 'aqîqa ~. La IHe elle-mème est désignée sous le nom

de sbou' tr-' pl. dr·


1. Le 'olÎd ressemble à une grosse mandoline allong<~e 11 hnit cordes
que l'on /;,it vibrer il l'aide d'une petite lame de corne ou se! 'a, :i...1.....
2. On sail qne lous ks eXI'cnlants sont assis sur le ,01, les jambes
croisées, el <plC le violonisle lient son yiolon yerticalement snI' sa

cuisse, l'archet ou l,f.>; dant horizontal.


3. Le re/)(ib est une sor le de violc 11 deux ou 1rois cordes sur
lesquelles on agil par friction il l'aide d'un archet.
!I. Le ~k e3t un tamLomin de pelites dimensions muni de pelils
disques de cuivre sur sa p('riph(,rie, el qui s'entre-dlO(luent 11 chaque
coup frappô sur la pean. Ce mot fait au plmiel [l'olÎl', )).)1" il vient
donc d'une racine sourde; en arabe r(,gulier et <lans le dialecte algérien
il revèt au conlraire la forme )1, sans reJolllJlemenl du ) el vient d'une

racine concaw ; on lui <Ionne, dans cc cas, la forme ..:.,\.-::1, an pluriel


(Cf. Beaussier, el Kazimirski).
{gO ARCHIVES i\IAROCAINES

Ce genre d'orchestre est le plus estimé des citadins. La


musique qu'il exécute présente des analogies avec celle des
Espagnols d'Andalousie mais il serait diflicile, croyons-
nous, de déterminer lequel des deux peuples, maure ou
andalou x, a le mérite de l'originalité en la matière, lequel
à emprunté à l'autre. Les emprunts ne seraient-ils pas réci-
proques? Nous laisserons à d'autres, plus compétents, le
soin de résoudre le problème qui est fort complexe.

2° R1H1' ul El Gnldtiya.
.
~~\-,~\ ~~)
~ . 1•
C'est le « groupe des improvisateurs )) très estimé de la
masse populaire à qui plaisent ses récitations poétiques
décousues ct désordonnées.
Cc groupe paraît dans toutes sortes de fêtes ou réjouis-
sances ; il comporte, en général, quatre exécutants dont
chacun est grulhy ou (wffâçlh 2 et joue d'un instrument qui
souligne ses récitations ou celles de ses collègues: ce sont:

1° Çâ(teu Ed DejJ, ~..I.l\ ~l""" joueur de tambourin :J.

2° Çâ(lCb Et Ta'l'ù(ja, ~~..:J\ ~l""" joueur de IU'l'ù(ja,

T. On appelle YI'I'~1 L'~) un genre de poésie yulgaire traitant sur-


tout de l'amour. Le yraï~IY (pl. y"tiï~li'ya) est celui qui improvise ou
récite des poi~mes de ce genre. Nous en ayons déjà dit un mot il propos
du IIlOlisCIII de Chelia (supra, p. l,S-l'9 cl note Gr).
2. Le ~ltlfJ(iI.l~, j; 4> est l'indiviJu qui retient par cœur et récite
les œuvres Jes autres, tandis qlle le [lraï~l'y l'ait œUHe personnelle,
<luelquefois au moins.
3. Le d~ff est de très petites Jimensions, il consiste en un cadre
calTé en bois, de 3 ou l, centimètres d'épaisseur et T5 centimètres de
cùté sur lequel est tendue une peau qui l'ellyeloppe complètemen L.
LES MOSQUÉES ET LA VIE RELIGIEUSE A RABA~ 191

;3/1 Un autre joueur de [a'l'idja.

4° (,Wte0 81 lledeqa, ';;';.i~\ ~~l"",,, Joueur de casta-


gnettes 1.

II. - Orchestres de femmes.

C'est le groupe dont nous nous sommes déjà occupés et


que nous avons décrit à propos des confréries'.

2" Rba'at El Msûma', c::Ltl ~~).


Cet orchestre n'offre point, dans ses exécutions, leearac-
tère sérieux et religieux du précédent, il se confine plutôt
dans le genre léger et badin qui convient aux noces et à
toutes les réjouissances profanes.
Il comportc généralement cinq exécutantes;

1" m Mesemm'ia, 4:-:.J\, chanteuse ct jOUCllSC de l'f)(ll!


en même lemps que direelriee de l'orchestre. Elle chante

des poésies du genre 'aï/a, :\k~c" adouci et tel que l'appré-


cient les citadins.

T. Ces castagnettes ont la forme de petits godets en métal que l'on


fixe au pouce ct au médius de chaque main il l'aide d'un petit anneau
de cuir placé en leur centre.
2. V. supra, p. 30 et 31.
3. Ce mot signifie proprement cri; Mouliéras (op. cil., t. lI, p. T3)
192 ARCIIIVES MAHOCAtNES

:>," Moul/ 1'[ [({f'J', )JI;'Jy.-4, joueuse de tamboUl' de basque.


B" Moult e[ [hila, 4.\::kJ\ ;'Jy.-4, joueuse de tambour, elle
pose deyant elle un minuscule tambour sur lequel elle
fi'appe aycc deux baguettes alterualivement.

/," Moult el ,l]ouollâl. J\~~\ ;'Jy, jOlleuse de gouonâl'.

G" El Hel'I'â(w, ~\ J';J\, l'annonceuse; son l'Me consiste


tl recevoir les offrandcs des assistants, à en crier le montant
à haule voix cL ù adn's,;er des éloges au générenx donateur.

Ce groupe se compose, en général, de quatre musiciennes


ct d'une danseuse; il ne se pique poinL de décence ni de
reLenue, au contraire, ct sied à merveille aux réunions de
célibataires. Les qâïd de passage ne manquent point de le
convoquer pour « raccourcir les nuits » ct égayer leurs
campements. Les exécutantes sont désignées comme suit:

(" h'G/I C/u'lJw, ~.:)\, dil'('clrice de l'ol'('l)('slre, qui lienl


ln tl~lr ~
~" et :~" Deux CIICI!tlâl/Ii/, ~b\_\..::., IllUnies chacune
d'une /(t'ritl;jll, ..:;;
/," Ulle Hl'l'hdlfÎchfl 4,..::.l::..) , qui frappe dans ses maillS cn
rne,;ul'e.

{'('rit cc mot: :lb., \ç el donne, du cilant (IU'il d{'signe, une déflllition


rapide que nous"n'avons pas eu ['occasion de vérifier.
[, Ccl. instl'lllnent est, en (luelque sorte, l'intermédiaire entre la
derLouka et Je Iw,.,.û::l; il correspond assez Lien il cc que l'on appelle

en Algérie yuelhil, J)(,.


LES MOSQUÉES ET LA ViE RELlGlEUSE A RABAT 193

5° Une Cheftâ/:ta, .:b..lk..::" ou danseuse. C'est une jeune

femme qui exécute seule la danse appelée rqîç ~).


Chacune de ces femmes sail par cœur un certain nombre
de poèmes du genre grî(l et de chansons d'amour.
Il existe, à lbbat, deux ou trois groupes composés à peu
près comme celui que nous venons de décrire.

III. - Orchestres mixtes.

Il) Rbâ 'al E'l'Ayyâfa, ~(."J\ ~~).


~ .
Cc groupe est du même genre que le précédent et con-
vient aux mêmes réunions. Il comporte quatre femmes et
deux hommes qui se répartissent les fonctions suivantes:

1° et 2° Deux Chet!â(uU, .::..>\.:..lh.:. ou danseuses, munies


chacune d'un [((1'1' .
.3° et !( Deux Chcddâdâl,jouant chacune d'une la'l'idja.
5° et 6° Deux violonistes.
Les danseuses exécutent le l'qt'!; tou t en fmppant leur
[l'OÛI' et en chantant une 'aï[a spéciale an (wou: de Hahal
et Salé.

C'est nn gronpe d'hommes et de femmes en nombre très

1. On sait que cette l'orme incorrecle IllOûûlîn esl usitée dans loule
l'Afrique du Nord-Ouest comme pluriel de mOlÎlny et de son abrr-
viatif molÎl.
ARcn . .\lABO".
t9\, ARCHIVES MAROCAINES

val'iable, Vl~nant principaIe.nen/, ,les Se!zJù!, ,les Beni-(lasen


et des tribus avuisimlllt Habat et Salé. Son rôle est surtout
d'assister aux 1I0ces des gells du vul,,'aire et de mener grand
bm;t au mom(~nt où l'époux pénètre chez la nouvelle épou-
sée, de façon 11 couvrir les cris qu'elle pousse lors de la con-
sommatioll du mariage.
Tout ce qui peul a:lgmenter le vacarme est admis
comme instrument LIe musique, au gré de l'imagination des
exécut.ants. Il y aura par exemple:
1° Un cert.ain nombre de joueurs de bendir.

2° Un ilJoûl El ivfqoçç, ~;J\ Jy, individu muni d'une


paire de grands ciseaux tels que ceux employés pour éga-
liser la haute laine des ta pis: il les ouvre et referme avec
bruit et les frappe à l'aide d'une baguette.

3° Un Ji/oal El Boûch, J-o.J:i1 Jy , il a, devant lui, un


boûch, c'est-à-dire une jarre en terre cuite, ventrue, sur
l'orifice de laquelle il frappe avec sa belr'a de façon à pro-
duire un bruit sourd et puissant.
D'autres battent des mains en cadence ou font résonner
des verres vides, etc., etc.
Tout ce vacarme a pour but de marquer fortement la
cadence d'une danse effrénée nommée (âdoLis. Elle est exé-
cutée par une vingtaine de personnes, hommes ct femmes,
sur un seul rang, qui avancent ct reculent avec des mou-
vements de hanches et de ventres désordonnés.

Il est à remarquer que tous ces orchestres, étant destinés


à accompagner des chants, des récitatifs ou de la danse,
ne comportent aucun instrument à vent.
La nûte semble plutôt réservée aux saltimbanques qui
font leurs exercices en plein air; quant à la r' aïta elle est,
pal' excellence, lïnstrument des cortèges de noces, des pro-
cessions ct des jeux qui rappellent la guerre, tels que la
LES MOSQUÉES ET LA VIE RELIGIEUSÈ A RABAT i95

fantasia; die fail volontiers entendre ses sons aigus et na-


zillards parmi les détonations de la poudre et le piétine-
ment des chevaux.

On trou vera peut-être que nous avons eu tort d'étudier


ces orchestres et cbœurs de danse, dans un chapitre con-
sacré à la vie religieuse; mais nous n'avons l'ait, en cela,
que refléter l'état de choses réel, tel qu'il se présente dans
la vic quotidienne; le profane coudoie ct pénètre sans cesse
la religion à laquelle il se mêle intimement.
Il n'est pas de f~te, chez les musulmans, qui n'ait un
caractère religieux 1, or elles dégénèrent, le plus souvent,
en orgies tout tl fait étrangères à la religion. De là, l'im-
mixtion des groupes de musiciens, bardes, danseurs et
danseuses qui viennent semer le désordre et la débauche
dans les fêtes même destinées à commémorer les plus graves
événements; l'homme du commun quand il croit, sa
prière faite, « en avoir fini avec Dieu )), ne cherche plus
que le plaisir grossier et bestial, le spectacle d'exhibitions
provoquantes ct l'accouplement naturel ou sodomique pour
terminer sa nuit t.
L. MERCIER.

1. Mème celles qui proviennent de la persistance de traditions


antérieures à l'Islam, revêtent ce caractère.
'1. Cf. Mouliéras, oJl. cil., passim.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN

GÉNÉHA LITÉS,

~ l, - Nous nous proposons, dans les pages qui suivent,


d'étudier aussi compll·tement que possible l'industrie des
Tétouanais,
Nous nous bornerons, pour l'instant, ù la partie pure-
ment technique de la question, Il nous sc[nble en effet
préférable de négliger d'abord les données relatives Ll l'im-
portance actuelle de cette industrie, à celle qu'elle peut
avoir eue jadis, au chilTre il'alTaires qu'elle peut représenter,
pour joindre plus tard ces considérations ct d'autres de
même nature au chapitrc où nous traiterons de la sil,(((li()1/
,:coflomiquc de Tél()uofl el1 général.

§ 2, - Divisions de l'indusll'ie des Télouanais, - On peut,


tout d'abord, (itablir deux grandes divisions dans le sujet
qui nous oceupc ct considércr tout cc qui a trait à l'in-
dustric à 'rétouan commc susceptible d'(~tre envisagé tourà
tour dc la Caçon suivante:
UnI' prcmière espèec d'industrie, cpJ(~ nous appellerons
l'industrie d()meslique. s'exerce sur une petite échelle dans
l'intérieur des Camilles ; elle a pOUL' objet ln l~\brication, la
production de ces mille objets cl 'un usage courant, pure-
ment familial, qui sont utilisés SUl' place clans la maison
même où ils ont pris naissance, ou qui seront tout au plus
donnt's à des familles amies de la ville ou cl 'ai lleUl's, ou
hi en enc()['e serviront ù des <'-changes, mais qui ne seront
L'INDUSTRlE A TÉTüUAl' f\J7

livrés à la vente que dans des cas purement exceptionnels


ct qui ne donneront jamais lieu à un trafic régulier. Telle
serait, par exemple, la fabrication des essences de rose, de
géranium, dc jasmin, de l'cau dc fleurs d'oranger, etc.
Nous laisserons complèt~ment de côté ce genre d'industrie,
car il nous semble plus rationnel de l'envisager comme une
des manifestations de la vie intime des Tétouanais, et, par
suite, nous préférons en parler en même temps que de
leurs mœurs et coutumes.
La seconde espèce d'industrie se trouve définie déjà par
suite de l'exclusion que nous venons de faire de l'industrie
domestique; elle comprend tout ce qui se rapporte à la
fabrication d'objets quelconques destinés à la vente et
susceptibles de servir de base au négoce. Dans le nombre
il est encore bon nombre d'objets qui sont le produit de
l'industrie privée, familiale, en cc sens qu'ils sont fabri-
qués sur une petite échelle dans l'intérieur des maisons ~
chez des particuliers, souvent par des femmes, telles, par
exemple, les broderies. Mais la destination qu'ils reçoivent
les exclut du domaine de l'industrie domestique propre-
ment dite et les fait rentrer dans la catégorie qui nous occupe.
D'autres de ces objets sont fabriqués dans des locaux
spéciaux, occupés par un seul ouvrier, patron ct marchand
tout en même temps, d'autres dans de véritables ateliers où
le personnel est plus o,u moins nombreux. Nous donnerons
d'ailleurs ci-après quelques indications générales tl ce sujet,
ct, plus tard, quand l'occasion s'en présentera, tous les
détails complémentaires indispensables.

Ces deux divisions primordiales établies, - industrie


domestique, que nous négligerons provisoirement, -
industrie proprement dite, - Clue nous allons traiter exclu-
sivement pour l'instant, - on peut facilement encore éta-
blir un certain nombre d'autres subdivisions propres à
faciliter l'étude raisonnée et bien ordonnée du sujet.
198 ARCHIVES MAROCAINES

On peut, par exemple, classer les industries suivant leur


nature, suivant leurs affinités: on pourrait aussi les classer
suivant leur importance. Mais l'une et l'autre de ces
méthodes aurait l'inconvénient de conduire à traiter paral-
lèlement des questions d'intérêt très différent. Il est clair,
par exemple, que l'industrie des tanneurs, l'une des plus
importantes, à Tétouan, celle de la cordonnerie, très impor-
tante aussi, ne peut se mettre sur le même rang, - au
point de vue de l'intérêt qu'elle présente et des opérations
commerciales auxquelles elle peut donner lieu, - que
l'industrie de la reliure, à peine existante dans la ville,
bien que toutes doivent se ranger sous la même rubrique,
celle de l'industrie des cuirs, si l'on s'en tient à la nature
des matières premières indispensables mises en œuvre.
De même, si nous envisagions seulement les industries
diverses au point de vue de leur importance, nous arrive-
rions à faire des classements des plus arbitraires, à rappro-
cher, par exemple, l'étude de la tannerie de celle de la
poterie et de la céramique, de l'industrie des nattes de jonc
ou des armes, tandis que d'autres industries parentes de
chacune de celles que nous venons d'énumérer, mais de
moindre intérêt au point de vue de leur activité, sc trouve-
raient rejetées dans des groupes différents.
Nous laisserons donc de côté toute intention de classe-
ment rigoureux, nous bornant à adopter simplement une
méthode, un peu arbitraire, il est vrai, mais qui nous semble
plus commode, plus susceptible de faire la pleine lumière
dans l'esprit du lecteur et de jeter le plus grand jour sur la
question, sans nous préoccuper de savoir si elle est absolu-
ment conforme avec les vues théoriques. Nous rejetterons
à la fin de notre étude, pour les rapprocher sous la même
rubrique, celle des petits rnétiers et petites industries, toutes
les industries d'importance minime; et nous grouperons
d'autre part toutes les industries d'importance au moins
relative, - car il est bien évident qu'il n'y a pas à Tétouan
L'INDUSTRIE A TÈTOUAN 199

de grande industrie au sens où l'on comprendrait ce mot


en Europe, - et nous répartirons ce grand groupe en un
certain nombre d'autres secondaires. Nous prendrons alors,
pour bases de la division, les affinités que présentent
ensemble les industries au point de vue des matières pre-
mières mises en œuvre. Il est clair que, jusque dans les
dernières subdivisions à établir, l'arbitraire s'imposera plus
ou moins, dans certaine mesure; nous ne pourrons, par
exemple, séparer la céramique-mosarque, - qui, logique-
ment, semblerait devoir se rapporter au groupe des
industries du bâtiment, - de la poterie, de la fabrication
des marmites et des poêlons à cuire, puisque les mêmes
individus, les mêmes ouvriers, sont à la fois et toujours
potiers etfabricants des céramiques destinées à la confection
des mosaïques.
Nous aboutirons, en définitive, au classement suivant:
1° L'industrie des cuirs. - Tannerie. - Cordonnerie.
2° Industrie des terres cuites. - Poterie. - Céramique
et mosaïque. - Briqueterie.
3° Industries du métal. - Armurerie. - Forge-maré-
chalerie. - Chaudronnerie. - Bijouterie-orfèvrerie. -
Fonderie. - Ferblanterie, etc.
4° Industries du boi~. - Menuisiers. - Charpentiers. -
Scieurs de long. - Ebénistes. - Sculpteurs sur bois.
5° Industries du bâtiment. - Chaufourniers. -- Tailleurs
de pierre et carriers. - Maçons. - Sculpteurs sur plâtre.
- Marbriers et mosaïstes.
6° Peinture et vitrerie.
7° Industries du vêtement. - Tisserands. - Fileuses de
laine. - Passementerie. - Tailleurs. - Teinturiers. -
Broderie sur étoŒe ou sur cuir.
8° Sparterie, vannerie, corderie, industrie du jonc.
gO Industries de l'alimentation. - Meunerie. - Boulan-
gerie. - Pâtissiers-confiseurs. - Gargotiers. - Limo-
nadiers.
2UO ARCHIVES MAROCAINES

Industries de la mer. - La pêche. - La navigation.


10°
- Les constructions navales.
11° Petits métias, petites industries. - Relieurs. -
Fabricants de fourreaux. - Sellerie, bâLerie. - Graveurs
et guillocheurs sur méLaux. - Fabricants de tamis,
Tourneurs. - Chapeliers. - Fabricants de sandales.
Havaudeurs. - Industrie cIe la soie. -- Puisatiers,
Fabrication cIe la poudre, cIu tabac, du kif à fumer.
Bracelets, himbeIoLterie. - Bougies, cires, savons, etc" etc.

§ 3. - Groupemenl des industries à Tétouan. - ATétouan


les industries son t assez bien groupées et réparties cIe façon
assez nette suivant les divers quartiers, cIu moins certaines
industries principales 1.
Les tanneries sont presque toutes auprès de Bâb El-Me-
'lâbeur; une seule se trouve hors dece quartier, entre Elou-
tiya Etlran/wt et Bâb Etloul.
I. Il est vraisemblable qu'elles ont dù l'ètre mieux encore autre-
fois; mais il ya aujourd'hui une tcndance manifeste à la dispersion,
quoique peu accentuée cncore et dont les causes ne sont pas très
nettes. Sans doute l'ouverture de .nouvelles voies de communication
par les Espagnols en 1860, la sortie plus ou moins eITectuée des Juifs
du mellah, ou du moins d'un grand nombre de Juifs, l'installation
en ville de commerçants étrangers, Européens notamment, ont pu
créer des centres d'attraction distincts qui ont peu à peu provoqué
certains indus.triels ou ouvriers il transporter leurs ateliers plus à
proximité de ces centres, en s'llioignant de leurs confrllres. Il faut y
joindre aussi, sans doute, l'af1'aiblissement des anciens liens des cor-
porations, cause de l'infiltration des idées et des besoins nouveaux et
en général de toutes les modifications qui se sont lentement intro-
duites et qui continuent à se produire dans la société indigène au
contact de la vie européenne ct des l'dations avec l'Europe. -- Quant
au groupement plus dense, plus accusé des anciens corps de métiers,
il est bien mis en évidence par le fait que certains quartiers, - Eç-
Ceyyar'in (les bijoutiers), par exemple, - ne comptent plus un seul
des industriels dont ils portent le nom; que d'autres, - comme
El-Ha'ççûrin (les tisseurs de nattes de jonc), par exemple, - n'en
sont plus, loin de là, le séjour exclusif.
L'INDUSTRIE A TÊTÜUAN 20J

Les fabricants de nattes, quoique plus disséminés, se


rencontrent en assez grand nombre entre Sèqia Foûqiya
et H'aoumat Elh'aççârîn.
Les forgerons, les chaudronniers, au Nord du Mechouar,
dans les portions de rue auxquelles ils donnent leur nom
(H'aownat Elhaddùdîn).
Les fabricants de tamis et d'accessoires pour les tisse-
rands au bout de Zanqat Elo'youn, à l'endroit où cette rue
vient rencontrer les I-I 'addadin.
Les bijoutiers étaient autrefois groupés au qUaI'lier qui
leur devait son nom, H'aoumel Ecceyyar'in. Ils furent
dispersés, ou bien se dispersèrent, lors de l'occupation
espagnole; actuellement la plupart se trouvent au Mellâh',
dans la grande rue d'entrée.
Les savetiers, ravaudeurs, sont presque tous dans la rue
dite El't'arràJln.
Les cordonniers au quartier dit Elblar'jiya.
Les fabricants de Mts au haut de Seqia Foûqiya.
Les armuriers, damasquineurs, nielleurs, fabricants de
crosses, autour du Fedclân.
Les cordiers près du Feddan, dans la rue dite El-
meçalla.
Les potiers, céramistes, près de Bab Ennouadeur, en
dehors des murs, le long de la route de Tanger, au pied du
Djebel Darsa.
Les briqueteries le long de l'oued Tétouan, a.u lieu dit
Ela'doua ou lieu dit Elmeh'annech.
Les ferblantiers sont surtout aux alentours de Soüq
Elh'oût et au Mellah, dans la rue d'entrée.
Les tisserands sont plus disséminés; cependant il y en a
plusieurs du côté de Bab El'oqla, dans la rue qui conduit à
Essouiqa.
Les passementiers entre Elmeçdaa, Elr·'arsa Eifoûqiya et
Elblar'jiya.
Les teinturiers à Elr'arsa E1Joûqiya surtout.
202 ARCHIVES MAROCAINES

Les tailleurs au centre de la ville, entre le Meclwuar et


Jema' Elkbir.
Les fours à chaux sont disséminés sur les pentes du
Djebel Darsa surtout, quoi qu'il y en ait quelques autres
sur l'autre côté de la vallée.
Les moulins sont au bas des remparts, sur le front Sud
de ceux-ci.
Les gargotiers, les fabricants de sucrerie aux alentours
de Soùq Elh'oùt, d'Elr'arsa, de Zanqat Elmoqaddem et
d'Elmedaa.
§ 4. - Répartition des industries à Tétouan. - La plupart
des industries et des métiers sont aux mains des indigènes
musulmans. Ainsi:
Presque toute l'industrie des cuirs, ou mieux, l'industrie
des cuirs presque sans exception.
Celle de la poterie, céramique-mosaïque, briqueterie;
celle du métal, sauf la bijouterie et la ferblanterie.
Les industries du vêtement, sauf celle de la passemen-
terie qui ne lui est pas exclusive, non plus que la teintu-
rerie et la broderie.
Les industries du bois en majeure partie.
Celles du bâtiment, la peinture.
La sparterie, corderie, vannerie.
Les industries de l'alimentation presque exclusivement.
Celles de la mer.
Presque tous les petits métiers.
Les Juifs, cependant, participent aussi à l'industrie,
mais dans une bien moindre mesure. On trouve parmi
eux: de meilleurs graveurs sur métaux, des bijoutiers, des
orfèvres, des ferblantiers, fondeurs de cuivre; - quelques
tailleurs, teinturiers, brodeurs sur cuir, quelques menui-
siers, des peintres-vitriers, des couturières, quelques
tenanciers de fours banaux, des fabricants de bâts, des
ravaudeurs, passementiers, un fabricant de peignes en
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 203

bois, enfin ils s'emploient encore à l'industrie de la fonte


de la cire. La spécialisation de leurs emplois les localise
naturellement en un petit nombre de quartiers: ils ne
sortent guère du Mellah, des Tanafin, des abords de Soûq
Elh'oùt, de Seqia Elfoùqiya, des Ceyyàr'în (passemen-
tiers). Beaucoup se livrent en outre à des travaux manuels,
sont îmiers, portefaix ou porteurs d'eau.
Le rôle joué dans l'industrie par les Européens est
moindre encore, cela va sans dire On trouve un ou deux
cordonniers, un ou deux boulangers, une couturière, quel-
ques marins pêcheurs, un constructeur de barques, un
patron d'usine à crin végétal: enfin un élablissement pour
la fon te et l'épuration de la cire appartient à un Français
de Tanger, qui le fait diriger par des Juifs de Tétouan.
Il est à remarquer que, parmi les ouvriers ou industriels
il peut y avoir des soldats; ceux-ci sont ohligés quelque-
fois d'avoir recours, en effet, à leur travail personnel, pour
vivre, à cause de l'insuffisance et de l'irrégularité de la
solde; ou mieux encore serait-il de dire que cela leur
arrive souvent. Ainsi il y avait plmieurs muletiers, des
savetiers, un patron de four à chaux parmi ces soldats il y
a quelque temps.

A). - L'INDUSTRIE DES CUIRS

L'industrie des cuirs, à Tétouan, comprend, comme


nous l'indiquions ci-dessus:
lOLo. tannerie et la teinture des cuirs;
2 0 La fabrication des chaussures indigènes dites (( bolr'a »
(plur. blâr' i) ;
204 ARCHIVES MAROCAINES

3 La fabrication des sacs, sacoches, ceintures et autres


0

objets de cuir plus ou moins ornés.


Celte dernière branche de l'industrie des cuirs se rap-
proche (mais sans se confondre avec elle, cependant) de la
broderie sur cuir propremen t dite, c'est-tt-dire de la brode-
rie effectuée au moyen de fils de soie colorée, d'or ou d'ar-
gent. Nous ne traiterons pas ici cependant de cette der-
nière spécialité, car c'est un métier absolument à part, où
le cuir n'intervient que pour une partie seulement comme
matière première et n'est même souvent pas directement
mis en œuvre par l'ouvrier brodeur.

1. - La tannerie et la teinture des cuirs'.

L'industrie de la tannerie et teinture des cuirs comprend


deux branches bien distinctes, ayant chacune son person-
nel 11 part ct ses établissemen ts séparés.
1 La tannerie des peaux de chèvre ou de mouton.
0

2" La tannerie des peaux de bœuf.

La peau de chèvre tannée, préparée, le cha!Jrin, s'appelle


à Tétouan maa'zî' d'une façon générale, et d;jeld ziyowlnl'

1. Le terme employé pour traduire « tannerie » dans le sens de


l'industrie est « ledb/r' » (&...\7); « tanneur », debbdr' pluriel

debba,.'in ou debbâr'a (6'" plur. ~çL> ou ~~'"'); une « tannerie »,

établissement où l'on tanne, ddr eddebâr' ou dâr elledbi,.' (6..0\ )1"


ou ~..).::J\ )1,,); le quartier des tanneurs s'appelle Eddebbâr'în
\..:.

(~~ ...dl) c'est-à-dire « les tanneurs ll.

2. ~j"", du mot jlt.A maa'z, chèvre.

3. JlJ')
.... A.... Le mot zyomînî JI.)'.) est un adjectif signifiant Jal/ne
.....
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 205

quand elle est teinte en jaune, ce qui est le plus ordi-


naIre.
La peau de mouton préparée, teinte ou non (basane)
s'appelle bet'âna \.
La peau de bœuf une fois tannée prend le nom de
na'ae.

Si la tannerie du cuir de bœuf, d'une part, et celle des


peaux de mouton et de chèvre, de r autre, constituent
deux beanchcs absolument séparées de l'industrie, de même
les procédés nécessités par la préparation du c!wgrin et de
la basane dilfèrent sensiblement. Mais l'un et l'autre de ces
deux articles se préparent dans les mêmes locaux et par les
soins du même personnel ouvrier:'.
Les multiples opérations nécessaires à la préparation du
chagrin et de la basanc cn usage à Tétouan fait de cette
préparation quelque chose de mixte entre la tannerie pro-
prement dite, la corroieric et même la mégisserie, car elle
emprunte à chacune de ces industries quelques-uns de ces
procédés suivant les cas.

dair, jannc cil/'in, dans le langage de Tétouanais. Il peul s'appliquer


i\ loule aulre chose qu'au cuir.

I. 4j 11~. De la racine -:;1: bl'n; on l'appelle ainsi parce que ceUe


peau de moulon serl nolamment 1\ faire les doublures, cc qui sc
trouve dans l'intérieur (bat'l'1l, 0k~) de certains objets en cuir.

:1. J,.j. Parce que c'esl avec ceUe peau que l'on fait les semelles,
appelées aussi j,.j, naa'l.
3. Les procédés de tannage des cuirs de chèvre cl de mouton nous
ont été donnés par un Télouanais, qui avait travaillé longtemp" clans
la partie. D'aulres informateurs du pays nous avaient exposé déjà cc
qu'il en ('lait, mais de fa~~on plus succincte.
206 ARCHIVES MAROCAINES

§ 1. Préparation du chagrin 1. - Les peaux de chèvre


-
néeessnires à la fabrication du chagrin sont achetées à Té-
tounn, par les mnÎlres jnnneurs eux-mêmes, aux monta-
gnards, en première main; ou, en seconde main, aux
revendeurs établis en ville et qui les ont eux-mêmes ache-
tées et emmngasinées. - Elles proviennent, pour une par-
tie, des montngnes nvoisinant la ville, où les chèvres abon-
dent: pour une partie de l'abattoir; pour une pm·tie, enfin,
de l'intérieur, des districts montagneux limitrophes ou cIe
ceux, plus éloignés, que traversent les routes cIe Fez, de
Tanger et d'Elqçnr Elkebîr ninsi que celles de Cheehaouen
et du Hifi, enfin ln province du H'nrh en fait aussi quelques
envois. Ces penux donnent lieu à un petit trafic, assez im-
portant, dont nous aurons l'occasion cIe reparler en tl'nilant
du commerce de Tétouan. Ce sont donc, en résumé, des
peaux vertes, des peaux salées et des peau.T sèches que reçoi-
vent les tanneurs cIe Tétouan.
La valeur des penux de chèvre va de :3 à 4 pesetas ap-
proximativement, mais s'il s'ngit de peaux cIe grnnc!e taille,
d'excellente qualité, avec beau poil, elle peut atteindre 9
et même 10 pesetas. A Tanger, les peaux salées pour l'ex-
portation valent, rendues à bord, de 2 IO à 250 francs le
quintal cIe cent kilogrammes. Sur le marché intérieur elles
valent fraîches de 3 pesetas 50 à 4 pesetas.

La série des opérations nécessaires ù la préparation du


chagrin est la suivante:
En premier lieu s'il s'agit de peaux fraîches qui ne seront
pas travaillées de suite, cas fréquent, on procède au salage,
les peaux sont exposées au soleil, sans être éventrées, mais

1. Le nom de maroquin chagriné conviendrait peut-être mieux au


produit dont il s'agit que celui de chagrin, le chagrin véritable ayant
une autre origine et étant préparé (avec des peaux de mulet, âne ou
cheval) suivant des procédés différents et en d'autres pays.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 207

retournées, le poil au ded.lns et fOl'tement saupoudrées de


sel SUl' la face Imiehe, au JellOl'S, c'est-à-dire sur la chair,
On les laisse ainsi Je temps nécessaire pour qu'elles sèchent
complètement, plusieurs jours en tous cas, Cil ayant soin
de les rentrer la nuit pour les mettre à l'abl'i du serein et
de l'humidité, et l'on l'Cllouvelle la yuantilé de sel dont les
peaux sont saupoudl'ées plusieurs fois, au fur et à mesure
que cette substance tond au contact de la peau fraiche et
s'incorpore à ceLLe-ci par imbibition. Mais c'est là un travail
préliminaire qui ne fait pas à pl'Oprement parler partie de
la tannerie; car les négociants en peaux sont obligés de
l'effectuer. natul'ellement, pour conserver les peaux fraîches
qu'ils achètent avant de les emmagasiner. De plus les peaux,
une Jois sèches, ne sont pas nécessairement livrées à la
tannerie de suite, ni à Tétouan mème. Beaucoup sont expé-
diées en Europe. Comme certains négociants en peaux
disposent de locaux très restreints, ils étalent très souvent
les peaux à sécher simplement dans la rue.
Le sel vaut de 2 pesetas à 2 pesetas 50 le moudd (envi-
ron 60 litres),

Le tannage proprement dit commence ensuite,

1 Les peaux sont mises à tremper dans l'eau pendant


0

une douzaine d'heures, au moins, en tous cas dans de


grandes fosses creusées dans le roc, tout à lait au pied du
Djebel Darsa, au bas de la grande côte qui conduit à la
qaçba,
Ces fosses sont dites bèrka ou bârka 1. Leurs dimensions
n'ont rien d'absolu; cependant, en général, elles mesurent
1 mètre et 2 mètres sur 1 mètre à lm, 25 de profondeur.

1. :o-:;~. Ce mot sert aussi, dans d'autres pays, à désigner une


mare, un étang.
208 ARCHIVES MAROCAIN~~S

L'opération du trempage s'appelle, dans le langage tech-


nique des ouvriers arabes du pa)'s, lenqia' 1. Elle dure
plus ou moins longtemps suivant l'état des peaux, celles-ci,
quand elles sont salées, ayant naturellement besoin de
demeurer beaucoup plus longtemps en contact avec l'eau.

2" On foule ensuite aux pieds les peaux détrempées, as-


souplies, dans les mêmes fosses, sous une certaine épais-
seur d'eau.
On donne en arabe ù ce foulage le nom de lekaib~. Il
correspond ù peu près au foulage eL au craminage de la
tannerie européenne.

3" On procède ensuite au débourrage ou raclage des poils.


Chaque peau est fichée par une extrémité sur un pieu placé
debout, hauL de lill,~O~\ ]ilI,30; l'ouvrier, saisissant de sa
main gauche l'auLl'e exLrémité de la peau, la tend forLement
cl la racle au moyen d'un couLeau, ou mieux d'une lame
de fer non tranchante, appelée !t'adida '1 et qu'il mancellYl'l'
de la main droite.
Les poils qui proviennent du raclage sont rassemblés,
séchôs et mis en vente.

!J" Les peaux sontensuÎle sournises à l'opération du C!lOIl-

l, ,..~;':"; de Itaqaa', "';';, délrcmper, tremper, mac/'rer.


I.-M \-..

:1. '-;"":..s::J; dl' ;;.~..« '''aa'ba, cbeville du pied et par extension pied,
pl'Obab~ement, dans l'esprit de cenx qui adoptl'rent ]es prrmiers crltl'
l'X pressIon .
3. :;~J.>. Ce ml'me terme est aussi employ(\ souvent g<\néralement
pour désigner, il Tétouan, toute espècl' de couteau. Du mot, ~J.,...
h'adid, fer. -Celui dont il s'agit ici correspond au COU/Cali l'ond des
tanneurs ruropéens.
L'INDUSTRIE A T~~TOUAN 20\)

lage. On les dépose à cet effet dans de grandes fosses ana-


logues à celles qui serven t au dé trempage ct au fOll)nge. La
chaux qui remplit ces fosses est de la chaux depuis long-
temps éteinte; les peaux y demeurent environ deux mois
en hiver 1.
On dépose ensuite les peaux dans des fosses ahsolument
pareilles, mais pleines de chaux récemment éteinte (depuis
une douzaine d 'heures environ) et dont l'action est plus
vive. Elles y restent environ vingt à trente jours en hiver~.
Notons d'ailleurs que la rapidité avec laquelle s'exécu-
tent toutes les opérations faisant pm'tie du tannage dépend
ossen tieJJemen t des conditions atmosphériques. Elles se
font beaucoup plus rapidement quand le temps est chaud
Clue quand le temps est froid, et, en été, d'une façon géné-
rale, elles demeurent deux fois moins de temps qu'en
hiver.
L'opération du chaulage des peaux s'appelle en arabe
nezoül:'.
La fosse qui contient la chaux depuis longtemps éteinte

r. Le passage il la chaux qui a déjil servi est cc que l'on appelle le


plain faible en teclll1iflue de tannerie en Europe.
~. C'est ce que l'on appelle le plain fort ou plain ne4 en terme de
tannerie en Europe.
:\. J).i. Ce mot est, il propremen t parler, le nom verbal du verbe

nazala J.i (lui veut dire descendre. L'emploi de nezoùl est donc une
abréviation pour ne:::olÎl
w.
~_, J)Ij", desccnte dans h chaux.
j'eIJ'îr, .JI!:-I ~.
Le terll'le technique correspondant chez les tanneurs européens est
imuail à la chan.t, plainage, plamage ou pclanagc. - Dans la lannerie
européenne le plainage se rait a,anl le dl'bourrage puisl!,l'il a préci-
sément pour but de rendre celui-ci faisable. Cependant, dans le cas
qui nous occupe, l'ordrc dans h~(IUcl se font Ics opérations du débour-
rage ct du plainage est bien tel que nous l'indiquons. S'il y ;\\'ait
erreur elle proviendrait de nos informateurs; mais nous ne le pcn-
sons pas.
AHClI, :\L\HOC. l~
210 ARCIIlVES ~IAROCAINES

s'appelle mejièl' 1, et celle qui contient la chaux récemment


éteinte s'appelle mel'dma 2.
Mettre les peaux dans la chaux se dit nezzel'l ; les en sor-
tir c'est ce que l'on appelle le tah'oulf'. On dit: Elyoam
J1ân îh'aouoj';, aujoUl'd'hui un tel sort les peaux de la
chaux.
La chaux vaut à Tétouan environ de :3 à 5 pesetas les 100
kilogrammes.

5° Après le chaulage on procède au dégorgeage au moyen


d'un nouveau lavage à }'cau prolongé et d'un nouveau fou-
lage. C'est ce que l'on appelle en arabe le reAîl û : fouler
une peau en cet état et à ce degré de préparation, se dit
l'eHer; et la peau que l'on foule ou celle que l'on a foulée
se dit djelcl mahoûl 8 • La fosse dans laquelle on dépose les

I. )~; du mot jir, .r..:': qui veut dire chaux.

2. M,:r.; de la racine l'dm i:» qui veut dire enfouir, emmaga-


siner dans un creux sous terre et recouvrir ensuite, etc.
3. JJ; c'est-il-dire 11 proprem.ent parler faù'e descendl'e, jeter dans.
fi, ~;:.; ; de ~\".. aor. ~)>>=;, (h'afa, aor. iah'ouf) , mettre sur le
bord (en al'. rég.); parce que les peaux sont entassées sur le bord de
la fosse au fur et Il mesure qu'on les en retire.
C>. ~~ u)A.~ ; le mot h'aouof, ~y>- vient de la même racine ~\"..
h'af que ci-dessus.
G. ~; de rkl ~, frapper du pied.

7. ~; deuxième forme verbale de la racine rkl ~.

8. J~,. ~. La peau diLe Jç~ ~,djeld merkoûl, correspond 11


peu près à ce que l'on appelle en tannerie européenne les cuirs en
lripl' .
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 211

peaux pour faire l'opération s'appelle elle-même N[erhèl l •


Elle est analogue à celle que nous avons vu précédemment
employer. Il s'agit, dans ce nouveau dégorgeage, foulage,
de débarrasser eomplètement les peaux de toutes traces de
chaux. L'opération peut durer quelques heures, en nombre
assez variable, toujours suivant la température de l'air et
celle de ]'ea u.

6° Au sortir du rekîl les peaux sons excessivement ten-


dres; le moindre eH'ort les déchire sans peine; il s'agit de
leur rendre la consistance qu'elles ont perdue.
On les dépose, pour cela, dans une fosse appelée nui'alll! 2
remplie de crotte de pigeon, ou, à défaut, de crotte de
chien. Cette crotte a été préalablement malaxée aux pieds
pendant plusieurs heures, de façon qu'elle a été transfor-
mée en une sorte de pâte sensiblement homogène.
Les fosses ont une section trapézoïdale, étant moins larges
au fond qu'en haut. Les parois sonL en briques. Les dimen-
sions sont il peu près les mêmes en longueur, largeur en
haut cL profondeur, que pour les fosses qui ont servi aux
opérations précéden Les.
Les peaux restent pendant une douzaine d'heures, en
moyenne, plongées dans la crotte ; apr(~s quoi elles onL ae-

1. JI(,... Toujours de la même racine ~ l'hl.

2. 0fIA, dc la racine a'lin, 0k ao!'. y'aoiin 0.".~ , qui veut dire aùler,
servir d'aide, prêler assislance. Ce mot mâ'oiin, employé en Algérie
pour désigner la vaisselle, d'une façon générale prend, au Maroc, des
sens très dilTérents ct variés. Nous aurons l'occasion de le revoir
employé par les potiers avec un sens très dill'érent de celui que lui
donnent les tanneurs; d'une façon générale, dans le nord du Maroc,
il signifie outil, et jamais vaisselle comme en Algérie (On dormc à la
vaisselle le nom de IJecha', pluriel IJecholÎrt', ~...::; plur. U~;·
212 ARCHIVES MAROCAINES

quis une consistance suffisante pour que l'on pmsse leur


faire subir les opérations qui suivent.
L'opération qui consiste à déposer les peaux dans la
cwUe de pigeon s'appelle ta!'lra' le::::ebel 1 •
La Cl'otte de pigeon se veud au prix. de 3 pesetas le modd
(environ 6 décalitres).

7" On retire les peaux de la croLLe de pigeon pour les


meLLre encore une fois dans la l(lsse dite mel'kel, afin de les
laver, de les débarrasser cornplètement de toute ordure.
L'opération ne vient à bien qu'au moyeu d'uu nouveau rou-
lage; elle demande en moyenne quelques heures, sans que
l'on puisse préciser. Cela dépend de nwbilcLé de l'ouvrier,
de la température, de la qualité des peaux.

8" Les peaux sont mises ensuite dans le son (appelé li


Tétouan nokhâl"; elles y restent environ vingt-quatre

T. J~jU t:Ùd;; le mot ::eIJCl, J:j, désigne la crotle du pigeon, ici,


et en générat toute espèce de crolle ou d'imlllondice; le mot t:::l1:;
taCtia' est le nom verbal de la deuxii~me forme de la racine l'ta', tb
dont le sens primilil' est monler; mais beaucoup de dérivés de cette
racine ont fini par prendre le sens de rleueflil', d"://i'"luel', de j(l('onllel',
préparer, prépw'er lm /Iloyen de, se servir de ... CO/llllle mode de prépa-
ration, porter il ou dans ce qui doit servir d'in!Jrédiefll [JOUI' prépurer, elc.
Le taCtia' le::::cbcl c'est donc l'action de mettre la peau en conlact ,nec
la crolle de pigeon, de s'en servir comme d'ingrédient pour la pré-
parer.
J ... ,~

2. En Algh'ie on dit 1l0UlIila et IwkHllIîla 4l~ et :i.l~ ; la racine


est toujours la mème; la terminaison seule change. - L'action de
mettre les peaux dans le son pourrait sc dire J~:7, lCflkhil; et on

pourrait employer l'expression t'alla' lefl/lokillil, J\;.'-:V 2b pour dire


porler les peaux dans le son, les meUre en conlact avec le son. - Ce
bain de son est le confit des nll"gissiers eUl'op(>ens.
L'INDUSTRIE A Tl~TOUAN 213

heures. L'opération se fait toujours dans des fosses analo-


gues à celles qui ont été précédemment employées. Les
peaux demeurent dans le son environ vingt-quatre heures;
elles en sodent à demi sèches ct ayant acquis une bonne
consistance.
Le son vaut approximativement 25 pesetas les 100 kilo-
grammes.

g" On les porte à nouveau au mer/iCI, pour les fouler sous


une couche cl' cau et les laver.

1 0" On les fait sécher étendues sur des perches afin de


les débarrasser du son qui s'est attaché [1 leur surface (on
dit: imclsoûhown men cnrw/duil) 1. Les peaux s'égouttent
en même temps, elles achèvent de prendre de la fermeté,
de la consistance, que le séjour dans le son n'avait pas en-
core suffi à produire complètement.

J JO On dépose les peaux dans de nouveaux bassins rem-


plis d'une ptlte molle, composée de figues sèches coupées,
à demi écrasées ct foulées aux pieds, mélangées de la quan-
tité d' cau suffisante pour leur donner du liant. Cetle pâte
s'appelle tahlaoul". Les peaux y demeurent une douzaine
ou une dizaine de jours. A nouveau elles deviennent tendres
ct souples.

1. Jl;,,:11 .JA r-~J-l~; le m.ût mls, ,-"",lA veut dire éyoutier. faire

t-gouttel'. Ne pas le confondre avec J-i.I1s1, qui veut dire épiler.


comme le fonl CCl't" iJls AIgt-ricns pcu au courant du langage marocain.
:J, ":"J)\;";' ; la {orme est berbl'l'e. mais la racine paraît être arabe;
!t'lou. ):>, idée d'élre dou:r: (surtout au goût). sucré; on s'explique faci-
lemcn 1, l'usage dc celle racine dans le cas qui nous occupe. étant
donnl'e la nature de la pttle il laquelle s'Ilppliquc le nom qui en
dérive.
214 ARCHlVES MAHOCAINES

Les figues blanches, de première qualité, valent environ


75 pesetas le quintal du pays (80 kilogrammes): les plus
basses qualités peu vent descendre comme prix jusqu'à /10
pesetas. Mais on emploie les premières pour les beaux
CUIrS.

On procède alors à un second salage, qui doit leur


12°
rendre leur fermeté première et toute leur ténacité sans rien
leur faire perdre de leur souplesse. C'est une opération
des plus délicates, rune de celles qui nécessitent les plus
grands soins et le plus d'expérience.
C'est le maître tanneur lui-même qui s'en charge. Chaque
jour il fait sortir sous ses yeux les peaux du bassin où elles
macèrent dans le tahlaout; il les fait mettre en tas sur le
bord. Puis un apprenti les prend une à une, les tient ver-
ticalement étalées devant lui, étalées comme si elles de-
vaient lui servir de tablier. Le maître tanneur y jette du
gros sel en petite quantité, de façon à les saupoudrer légè-
rement d'abord. Ceci fait, l'apprenti jette la peau derrière
lui, formant ainsi un nouveau tas où s'empilent bientôt
toutes les peaux du premier. Quand celui-ci est épuisé,
que' le second au contraire est au complet, on reprend
toutes les peaux qui le constituent pour les replonger dans
le tahlaout.
Enes y restent jusqu'au lendemain. Alors on recommence
l'opération de la veine, mais en jetant sur chaque peau une
quantité de sel un peu plus forte. Il en est ainsi pendant
quinze jours de suite environ; la quantité de seI dont les
peaux sont saupoudrées est chaque jour un peu plus forte, si
bien qu'à la fin le maître tanneur finit par y jeter le sel à
pleines poignées. ,
Après ce traitement prolongé, qui, nous le répétons,
demande beaucoup d'expérience, constitue l'une des parties
les plus difficiles du métier - car il est difficile d'apprécier
la quantité de sel exactement nécessaire ct de savoir quand
L'JNDUSTHIE A TJ~TOUAN 21,';

les peaux sont à point - ap;ès ce traitement, disons-


nous, les peaux sont devenues à la fois souples, fermes et
solides.

1.3 On étend ou on suspend à nouveau les peaux sur


0

des perches pour les laisser s'égoutter et sécher, à l'ombre


et lentement, toujours.

14° On procède alors au tannage au moyen des graines


de la plante dite lakâout l, qui vient du Tafilelt. Ces
graines sont moulues avant d'être employées, puis jetées
dans l'eau où les peaux devront macérer.
La mouture se fait dans les moulins à blé aux portes de
la ville; seulement comme la quantité de graines donnée
à moudre par chaque tanneur est peu considérable, et qu'il
ne vaudrait pas la peine d'interrompre pour cela la mou-
ture des céréales, les tanneurs conviennent de s'associer
pour l'opération et de donner tous ensemble ce qu'ils ont
à faire moudre, pendant quatre à cinq jours de suite, de
temps à autre.
Le takâout une fois moulu de la sorte, dans les meules
ordinaires, la poudre qui en provient est jetée, comme nous
ven'ons de le dire ci-dessus, dans le bassin dit ma'oull avec
une quantité d'eau suffisante pour que les peaux puissent
y tremper commodément. Ces peaux demeureront une
dizaine de jours à macérer dans la mixture.

1, ':"J\G- ; la forme est berbl:re, peut- être aussi la racine. --- A


Tanger on prononce souvent takhaout. ':"J\5::S. -- Bien que les indi-
gènes du Nord du Maroc appellent cct ingrédient une graine, il n'en
serait rien d'après M. Mercier (Notice économique sur le Tafilalet,
renseignements coloniaux du Comité de l'/\frique franç.aise et du
Comité du Maroc, année 1905. nO 6). D'après cet auteur, le takaout
serait une gale du tamarix articulata. - Ces galles ont à peu près la
taille d'un pois chiche.
2i6 ARCHIVES MAROCAiNES

Le tak&out vaut de 10 à II douros le l'dal 'al't'âri (500


grammes),

1 Go J usque- El les peaux sont restées entières, simple-


ment retoumées -- sauf pour le raclage, bien entendu, où
on a dû meUre le poil au dehors - afin que la surface in-
terne soit en contact plus libre et plus intime avec les (lif-
férentes drogues qui doivent agir sur elle. Au sortir du
Takaout au contraire on les éven tre pour les ouvrir et les
étaler; c'est l'opération (J ue l'on appelle fUit' t, ou, littéra-
lement traduisant, l' ouvrage (du mot ouvrit-).
Ensuite on suspend les peaux pour les égoutteret les faire
sécher, ce qui peut demander environ quarante-huit
heures.

16° Une fois les peaux sèches, on les débarrasse des par-
ties inutiles, impropres à l'usage ultél'ieur que l'on veut en
faire, comme par exemple les mamelles (be:::azel") et les
beqâ ouq 3 ou beqlqât ", c'est-à-dire les bouts de peau situés
à la périphérie, déchirés, en mauvais état, trop minces ou
de farIne irrégulière, le bout des membres, l'extrémité du
cou, elc. Cette opération s'appelle tell'if ou tetrèf'. du

1. .r
t:'~; c'est le nom verbal de th ', L:~' OtlVl'll'.

2. Jji.i., pluriel de bez:oul, J/j,


3. JJ~.' Le mot parait spécial il l'arabe marocain; il semble s~
rattacher il la racine IHJI], S:, (l'li donne, en arabe rl-gulicr..j~
bClqdq, vieux ustensiles, vieu:!; meuiJles. C'csl un sens du même genre,
assez analogue pour qu'on puisse consid{n'er comme plausible le ratta-
chement que nous faisons du mol beqlÎouq à la racinc bq'j'
4. ':"'\ü,; c'esl une autre dérivation de la môme racine bqq.
H •

5. '-1:~7 el ~1.J1ï; ce sonl deux formes de nom verbal corres-


L'INDUSTRIE A T.J':TOUAN 217

mot LarNif', Cl ni veut dire enlever des morceaux, enlever


les parties inutiles, déchirées ou épaissies situées à la péri-
phérie, sur les bords 2.

Les peaux sont maintenant tannées. Le Gorroya!Jc va


commencer.
17° Vien t en premier lieu, dans la. suite des opérations
qu'il comprend, le hallage, dit en arabe Lckmîd :J, ([ui a
pour but d' assouplirles peau~. Celles-ci sont préalablement
aspergées d'eau, mouillées; puis un apprenti les saisit ct
les frappe à grands coups, de toutes ses forces sur une
pierre plate dite cejh'a'. n répète l'opération pour chaque

pondant il la deuxième fonne verbale de la racine iI:f, ~)", aUSSI


b~en ~mplo)'ées, rune et l'autre, dans l'arabe VUlgaire que dans l'arabe
reguher.
1. ~~b; il celle racine appartient en elIet ~~ t'ml, morceau,
bout, extrémité, bord.
2. Elle correspond en parlie, il la fois il cc que l'on appelle en lan-
nerie européenne rctranchcl' l'émouchet, c'est-i1-dire les parties inutiles
leUes (lue les oreilles cl la queue, ct il l'échal'llage, qui consisle à re-
trancher les parlies inutiles, comme par exemple les bords épaissis,
en même Lemps qu'à raclel' les peaux pour en enlever la chair et les
autres impuretés qui peuvenl souiller ses faces. Seulemenl dans la
tannerie européenne la première opération se fait avant même le
trempage el la seconde après le travail à la chaux ct le débourrage.
3. ~,::::; de la racine kmd, ..I.~ assouplir, décatir (une étoffe par
eXCluplè), ct autres sens analogues.
Le tekmid correspond il peu près il cc que l'on appelle en tannerie
européenne le re;/oulagc des cuirs, bien qu'il ne sc rasse pas de même
raçon. Du rnoins son elIel esl-il il peu près le même.
4· ~~ cc mot. désigne toute espèce de pierre plate, de dalle; les
grandes assises plates de pierres qui se monlrent sur le flanc des
montagnes, dans le lit des cours d'cau, etc. Le diminutif~....,Q..c
çfih'a sert., comme çe;/h'a, il former des noms géographiques. ~.
218 AHCIUVES ~IAROCAINES

peau six fois en la tenant par une patte, six fois en la tenant
par une autre, et ainsi de suite, six fois en la tenant par
la queue, six fois en la tenant par le cou, six fois en la
tenant par le milieu du corps; ce qui fait en tout quarante-
deux fois.

18° Après cette longue et pénible opération on procède


au raclage (techqif) 1. Les peaux sont soigneusemeut ra-
clées sur leur face interne (la chair) avec un tesson de po-
terie (chaqfa) 2 pour les débarrasser de l'excès de matières
trop tendres restées après, comme par exemple les débris
du nmscle peaucier plus ou moins saponifié et hrlIlé à la
suite du passage dans la chaux et dans les divers bains où
les peaux ont été plongées; et aussi des débris de peau
plus ou moins détachés de la masse; enfin de toutes les iné-
galités, aspérités, etc.

1 gO Ceci fait, on recoud les peaux avec des brins de


feuilles de palmier nain (a'zef) :1, en ne se servant pour cela

1. ,-:,~ï, techqiJ, du mot ~~.:, chaqJa, tesson, débris de poterie,

de la racine chq(, '-:'~.:, fendre, briser en morceau;,., en ji'agmeills


quelque chose de dur et de cassant comme un os, de la polerie, etc.
Le techq{( ressemble à ce qu'on appelle le queul':-:uge en tannerie
européenne, opération qui consiste à froUer les peaux sur la .fleur
(côté du poil) avcc une queurse ou pierre à aiguiser. Mais le (lueursagc
se fait sur la fleur et le techqif sur la chair; de plus le queursage ~e
fait avant le corropge. Le techqif rappelle aussi lc nettoyage au
butoir, ou couteau émoussé, qui sc fait du côté dc la chair ct qui
constitue la seconde opération du corroyage suivant la mdhode euro-
péenne.
2. ~, tesson.

,). ,-!f; tel cst k nom donné au palmier nain clans le Nord du
Maroc; on n'y donne jamais à ce végétal le nom de i J " dolim, comme
en Algérie.
L'iNDUSTRIE A TltTüUAN 219

que d'une simple alène, sans jamais f'mployer d'aiguille.


On a soin de laisser au cou une ouverture en forme de
goulot. Cette opération s'appelle tekhrèd/: on dit kharrec{j
c{jeZd 2, c'est-à-dire recoudre une peau.

20° Vient alors la teinture (teçbîr' en arabe 3). - On


commence par soumer les peaux de façon à les gonfler et à
leur donner l'apparence d'une outre.
Si l'on veut les teindre en jaune clair -- ce qui est le cas
le plus ordinaire - , en jaune citrin, on jeUe à l'intérieur
une petite quantité d'écorce de grenade pilée, réduite en
poudre, puis on les remplit d'eau alunée; on les soulle
encore de façon à bien tendre les parois, à bien les gonller,
on les bat, on les secoue, on les masse, on les manipule
comme des soumets, On les frotte, etc. C'est l'opération
que l'on appelle le temkhèdh". La teinture se fixe donc
sur la partie de la peau qui sc trouve former l'intérieur de
l'outre, c'est-à-dire précisément sur la partie épidermique
ou fleur.
L'écorce de grenade qui sert à la teinture est dite dans le

1. ~)~7; ce mot est le nom verbal de khalTa~j, r-?'


:>.. ~ i.;.· Proprement r-~;'" kharradj ou khal'redj, est la li"
forme de hhl'dj, cf-, et veut dire faire sortir. Jl a cependant pris le
sens de coudre ou recoudre grossièrement dans certaines régions (tout
en conservant en même temps son sens primitif) sans que nous puis-
sions bien saisir par suite de quelles dérivations successives.
3. t77; c'est le nom verhal correspondant à la deuxii~me forme

~, çabbal", de la racine çbl", ~, teindl'e.

tl· uO\;.j; c'est le nom verbal de mahhkhadh, Ja.~.' deuxième


forme verbale de la racine Ja.~A' mkhdh, qui veut dire secouer, ballrc
le lait pour en faire du beurre, etc.
220 AHCHl V\<;S MAHOCAINES

pays mar' çoûba 1. Elle provient de fruits cueillis à demi-


mûrs, vers la fin juillet, ct qui ont été vidés; l'écorce, bri-
sée, est mise à sécher; les écorces de ceLLe provenance sunt
préférées à celles qui proviennent de fmits mt'lrs ct dont on
a mangé les grains. Elles ont plus de vertu tinctoriale pa-
raît-il. Leur prix est de 2 pesetas à 2 pesetas 50 hassani le
cent de grenades". L'alun vaut environ 1 peseta 50 le rcl'al
a' (t' âri (500 grammes).
La plus grande partie du chagrin fahriqué il Tétouan est
teint en jaune. Cependant on fabrique aussi du cuir rouge
et, accidentellement, d'autl'es couleurs. La teinture en est
obtenue au moyen des drogues venues d'Europe, notam-
ment des sels d'aniline en poudre, dissous dans l'eau. Le
mordant est toujours l'alun et la teinture se fait constam-
ment à froid::. NIais il est l'arc que les teintes autres que le

I. ~~~M; le mot apparlient à la racine r'çb, ~.,a'" idées de/orce,

violence, etc., ct aussi en certains endroits du Nord de l'Afrique, de


rapidité, de célérité, de luite, de presse, Bien qne le mot ne soi t pas
usité il Tétouan dans cc dernier sens, cependant il semble que le
mot mal"rolÎua s'v ratlaclle, car l'écorce de grenade dont on se sert est
préciséllle'nt celle" de fruits qu'on a cueillis avant leur maturité, sans
leur donner le temps de mûrir.
2. En Algérie les écorces de grenade sont employ(;es de la mt'me
façon par les femmes, dans les tentes, cllez les nomades, et aussi cbez
certains sédentaires, pour teindre en jaune le meztiouc/, ,))\..;-., plur,
de mezouèd, ,,1)..;-.). ces sacs de peau qni servent il renfermer les pro-
visions sèches, Le commerce des écorces donne lieu il un tralic assez
sensible; ces écorces sont export{~es des Ijl,'ours, ou villages arabes de
l'Atlas saharien ct des plateaux, vers diverses r(;gions Ol'l les grenades
sont plus rares. notamment vers le Tell, ponr être vendues dans les
marchés ct dans les boutiques du village, on sc sert encore de l'écorce
de grenade. ou mieux on s'en servait autrdois pour teindre la laine
en jaune. Mêlée il la couperose elle donnait une teinture noire.
3. Il en est de même en Algérie lorsflu'il s'agit de teinJre les
meztÎowl en rouge ou en LIeu; cepemlanL on a consené en cel'taines
L'INDUSTRIE A T~=TOUAN 221

jaune, le rouge ou le noir soient appliquées aux peaux de


chèvre.

:w" On laisse les peaux sécher à l'air étendues sur des


fascines 1.

21" Puis on les ouvre une seconde fois en les décousant,


c'est le Tejült', qu'il ne faut pas confondre avec le Fait' que
nous avons déjà vu. - On rogne en même temps les bords
où ont (\té percés les trous destinés à permettre le passage
des fibres de palmier nain.

22" Vient alors l'amollissement des peaux, l'opération


appelée en arabe iut'J'iya 2. On les amollit (le verbe arabe
est iaJ'ra) en les humectant du côté qui porte la teinture
au moyen d'un chifl'on mouillé formé en tampon. Ce tam-
pon s'appelle en arabe jefféja 3.

régions les anciens procédés de teinture; c'est ainsi que les femmes
des Chaouiyas de la province de Constantine teignent en rouge les
mezùoud en se senant de la racine de garance ([anona, :;)?), ou de
celle de certaines rubiacl:es sauvages (comme par exemple des aspemla
appelées clwz les Clwouips Iharouvia, 4.::~J;' où l'on rctromc lc
latin ruvia). C'est une teinture plus belle et plus solide.
1. Cela correspond il peu près il l'opération que l'on appelle la
mise en eSSlli dans la tannerie et cOlToierie européenne.
:1. ~)l;;; c'est le nom verbal cie (.$)", 1'(liTa, al/endrir, amollir. La
lalriJu arabe correspond il pen prl:s au retien des cuirs, à ce que l'on
appelle les retenir en eOlToierie européenne.
3. 4.~\~. C'est le nom (lu'on clonne clans le Nord du Maroc aux
éponges, aux lampons, il loul ce qni penl servir ù humecter; on emploie

le mot .i~il~l, ~~=:-' Jans le sens cie lave/' le sol; la racine ~=:-' .ii!, a
cependan t le sens Je sécheresse ct ~~=:-' .iej}'cj~ veut régulièrement dire
dessécher.
222 ARCHIVES MAROCAINES

23° On procède après cela à l'adoucissement et à un


granage provisoire. C'est l'opération que l'on appelle en
arabe temarTÎn (le verbe est marran 1). C'est une des opé-
rations essentielles, celle qui doit préparer le cuir tl recc-
voir plus tard cet aspect gmDulé, clwg"Ïtui , qui fera son
prix et sa beauté.
On procède de la façon suivante, en se servant d'un
ustensile appelé blan 2 • C'est une calotte hémisphérique
en terre cuite, d'environ 50 centimètres de diamètre, per-
cée d'une grande quantité de petits trous, comme une pas-
soire. Les bords de chaque trou, légèrement saillants,
donnent à cet ustensile le toucher rugueux d'une rtlpe. On
place les peaux sur l'appareil, on les y fait glisser par frot-
tement pOUl' les aplatir, pour les amollir, les adoucir, as-
souplir les endl'oits demeurés rugueux, comme par exem-
ple ceux qui se sont trouvés repliés aux bords, 10rs(lu'on
a cousu les peaux avant de les teindre.

2Û" L'opération suivante est encore une sode de eor-


rayage (en arabe on l'appelle teldlthèr 3 ). Elle se fait de la
façon ci-après. Une barre de bois horizontale appelée
kldhèl"!' est fixée par ses deux extrémités dans des murettes,
à une distance de 70 à 80 centimètres du sol. - La barre

1. Ct..}, iemarl'ill . .J .JA, marran. La racine IItI'n, .J f ' a en arabe

régulier, il la l'ois les sens contraires de dureié et mollesse.


:J,. .J)\~; nous ignorons l'origine du mol. Peut-être est-ce une défor-
mation, de sens et de prononciation il la l'ois, d'un mot européen.
/ /

:'\. ):::::1 ; nom verbal de Ji;', khaiiher. qui pourrait signifier il'rl-
vailler auhhihèr, s'il existait.
Le iekhihèr correspond il peu près il cc que l'on appelle le tirage
ù ta paumelle en corroierie européenne.
4. ):;., !thihér. La racine khth,., ,,;'-i.;', a des sens de être épais
(liquide), grossier, etc.; bien que lemot dont il s'agit s'y rattacheévi-
demment, nous ne voyons pas nettement par quelle st'rie de dérivations.
L'I~DUSTRIE A T~~TOUAX 223

de bois peut avoir environ IIIl,5o de long. L'apprenti


pince la peau entre le khthèr et son corps, par une de
ses extrémités, de façon à la maintenir; puis prenant des
deux mains à la fois un morceau de bois entouré de fibres
de palmier nain, - cet instrument s'appelle chebka 1 , - et
la peau par ses deux bords, il étend eette peau devant lui
en la frottant avec la cheb/w et en communiquant à cclle-ci
un mouvement d'arrière en avant par extension antérieure
des bras. 11 corroie donc la peau, de la sorte, en commen-
çant par la partie qui se trouve pincée entre le khthèr et
son corps, pour finir pal' la partie opposée. Il va sans dire
qu'il retourne la peau autant de fois qu'il est nécessaire
pour lui faire sen tir complètement l'action de la chebka
dans toutes ses parties, en l'assujettissant tantôt par une
extrémité, tantôt par une autre.
C'est un travail pénible et qui demande environ une
demi-heure par peau.
La peau, au sortir de cette opération, se trouve avoir pris
du creux en son milieu, qui a supporté le maximum d'ef-
fort, tandis que les pattes, la queue, le cou, qui ont été
moins travaillés restent raides et dressés.

:~5° On procède alors à l'opération dite teçdir 2 • C'est

1. :l~~. Le mot chcbka veut dire proprement ,filet. Mais on

s'explique assez bien son emploi pour désigner l'objet dont il s'agit,
car chebka dérive de chb", 4~, dt/'e embrouillé, sens qui convient
parfaitement aux fibres du palmier nain enroulées confusément autour
du morceau de bois qui les porte et qui lorme l'fune de l'outil.
La chebka correspond à peu près, - non pour la forme, mais pour
ses dfets, - ~\ la pUll/neUe de la corroierie européenne.
:>.. J..J...a.;. C'est le nom verbal de çuddur, )J..,o, qui l:ourrait vouloir
dire travailler avec la çadriya.
Le teqilfr aurait jusqu'à UI1 certain point comme analogue dans la
corroierie européenne /'etirage à rrtire.
224 ARGIIlVES ~IAHOGA1NES

encore une sorte de corroyage. On sc sert pour cela de


l'outil appelé çar.ll'i)'rt 1. C'est une barre (1e fer d'envjron
olU,IjO de longueur, montée ù angle droit sur une lige e1le-
même portée, llorrnalement Ü sa courbure, par UIt IJoi5

Fig. I.

cintré. L'ouvrier, appuyant sur sa pOÜl'1nc ce ]lois cintré,


ct le fel' contre un Inur, passe la peau enlre celui-ci ct ce-
lui-VI pour la lisser, en la timnt avee force après l'avoir
saisie des deux mains. Il répète cc mouvement pour cha-
que peau un certain nomhre de fois, la lenant tantôt par
une extrémit(~, tantôt par une autre.

2G" On place il nouveau la peau sur le moule ù grainer, il


donner le grain ({JIlin), en le trailant comme la première fois.

1. ~)...\.,o; cc mot ,ient dc )...\.,0, (:ader, poitrinp, parcp qlle l'outil


qu'il désigne est employ<" en s'appuyant contrc la poitrine de l'ou-
vner.
L'INDUSTRIE A TI~TOUAN 223

27" On l'amollit, on le retient, à nouveau en l'asper-


geant d'eau.

28" On la corroye à nouveau ou la tire au Khthèr.

2 g" On travaille la peau à la ~'adriya encore une fois,


c'est-à-dire on r étire, en travaillant cette fois la face interne
demeurée brute (la chail') ct non le côté qui a été teint (la
fleur) .

30" Vient ensuite le [aç/it' (le verbe est ça.JJ'a[l). C'est


encore une variété de corroyage qui sc fait de la façon sui-
vante: deux cordes (Ifablân 2) sont pendues au plafond
d'une chambre; on y attache la peau par deux pattes; puis
on la cOlToye (marran ::) encore une fois en la frottant
avec force sur sa face internc (la chail') , non teinte, au
moyen d'un outil appelé h'adlda", que l'ouvrier tient à
deux mains. Cet outil se compose d'une lame de fer non
tranchante, rectiligne, montée sur un bois également rec-
tiligne, un peu plus large et légèrement plus long.
L'opération est répétée six fois sur la face interne: puis

J. ~.a.~, taç,j'll'; .1~, çalfat '. Nous ne connaissons pas d'autres


sens 11 celle racine qui soient d'un usage bien courant, bien commun.
2. .:>)\~; c'est le pluriel ordinairement employé il Tétouan du sin-

gulier J:>, h'abeul, corde.

3. .:> J"; ce mot a le sens de endurcir, entraîner, aguerri/', habituer


à la fatigue, etc.
4. ëJ:..b-; c'est le même nom que nous avons déjà vu donner il
l'outil qui sert à racler les peaux pour en détacher le poil, et, d'une
façon générale, à toule espèce de couleau. Cette hadîda rappelle l'étire
de fer ou de cuivre des corroyeurs européens.
Allcn. MAROC.
22q, ARCHIVES MAROCAINES

encore une sorte de corroyage. On se sert pour cela de


l'outil appelé çadriyu 1 • C'est une barre de fer d'environ
om,4o de longueur, montée à angle droit sur une tige elle-
même portée, normalement à sa courbure, par un bois

Fig. I.

cintré. L'ouvrier, appuyant sur sa pOltrme ce bois eintré,


et le fer contre un mur, passe la peau entre celui-ci et ce-
lui-là pour la lisser, en lu tirant avec force après l'avoir
saisie des deux mains. Il répète ce mouvement pour cha-
que peau un certain nombre de rois, la tenant tantôt par
une extrémité, tantôt par une autre.

26" On place à nouveau la peau SUl' le moule à grainer, ù


donner le grain (blân), en le traitant comme la première rois.

1. ~.)..\.,o; cc mot ,ient de )..\.,0, (aclcr, poitrine, parce que l'outil


qu'il désigne est employé en s'appuyant contre la poitrine de l'ou-
vner.
L'INDUSTRIE A T~~TOUAN

27° On l'amollit, on le retient, à nouveau en l'asper-


geant d'eau.

28° On la corroye à nouveau ou la tire au Khthèr.

2g0 On travaille la peau à la çadriya encore une fois,


c'est-à-dire on l'étire, en travaillant celle fois la face interne
demeurée brute (la chail') et non le côté qui a été teint (la
fleur) .

30° Vient ensuite le taç/U' (le verbe est çaJ)'at 1). C'est
encore une variété de corroyage qui se fait de la façon sui-
vante: deux cordes (ll'ablân 2) sont pendues au plafond
d'une chambre; on y attache la peau par deux pattes; puis
on la corroye (marran :\) encore une fois en la frottant
avec force sur sa face interne (la chair), non teinte, au
moyen d'un outil appelé h'adida!·, que l'ouvrier tient à
deux mains. Cet outil se compose d'une lame de fer non
tranchante, rectiligne, montée sur un bois également rec-
tiligne, un peu plus large et légèrement plus long.
L'opération est répétée six fois sur la face interne: puis

I. ~.,aï, tf.lçfil'; .1~, çafJat '. Nous ne connaissons pas d'autres


sens à cette racine qui soient d'un usage bien courant, bien commun.
2. 0)t~; c'est le pluriel ordinairement employé 1t Tétouan du sin-

gulier J.::>, h'abeul, corde.

3. 0 y"; ce mot a le sens de endurcir, entraîner, aguerrir, habituer


ù la fatigue, etc.
lI. :;~..b-; c'est le même nom que nous avons déj1t vu donner à
l'outil qui sert à racler les peaux pour en détacher le poil, et, d'une
façon générale, à toute espèce de couteau. Cette hadida rappelle l'etire
de fer ou de cuivre des corroyeurs européens.
ARcn. MAROC.
226 ARCHIVES MAROCAINES

on mégisse six fois également la face e"terne (la ,fieur), la


face teinte, avec l'outil appelé chebka, (lue nous avons
déjà vu.

r,.-::===========:=:::"::::::};;>J
Fig. :L

Apr(~s quoi on détac1Je la peau pOUl' la disposer d'autrc


manière, en J'attachant par une autre patte, par le cou ou
pal' la <lueue. Comme il y a six. manières diflërentes de la
disposer en l'atLachant successivement à une même corde
pal' chacun de ses appendices, patte, cou ou queue, ct
comme, à chaque fois, on passe six {()is la h' adù{a et six
fois la chebl.:a, il CIl résulte que chaque peau subit six fois
douze frottements. ou soixante-clouze, dans ceLLe nouvelle
opération.

La préparation est alors achevée.

A Rabat on fabrique aussi du chagrin de couleur jaune;


mais il est beaucoup moins réputé que celui de Tétouan:
on dit qu'il noircit à l'air au bout de quel<ple temps et
qu'il sc coupe très vite. Il scrait intéressant de vérifier la
cause de ces détauts : ils peuvent tcnir aux procédés em-
ployés, au manque d'habileté technique des ouvriers, ou
bien à la qualité des matières premières, à celle des peaux,
à celle des ingrédients ou rlli\me encore à celle de l'eau 1. -

1. En Algérie on fait un assez grand usage du cuir jaune d'impor-


tationmarocaine: mais il est possible qu'on en prépare dans le pays
même, ou dans certaines régions tout au moins (le Zab par exemple).
car CCl'tains des cuirs jaunes qni Sl'rvent clans ces régions il la labrica-
tiOl1 des IlalJOuc!Ies semblent tr('s dill'érents des cuirs marocains. Si le
L'iNDUSTRiE A TÉTOUAN 227

Le maroqull1 chagriné ne peut ri \ aliser pour la solidité du

fait sc vérifiait, il serait intéressant de comparer les procédés de pré-


paration employés dans ces endroits à ceux dont on sc sert au Maroc.
La préparation des chagrins rouges (filâli) ct jaunes (ziyouânî)
étant au Maroc une des principales industries, l'une des plus perfec-
tionnées, l'une de celles qui donnent les meilleurs produits, on con-
viendra qu'il serait ((1rt intéressant, - si c'était possible, - d'établir
une comparaison entre les procédés dont on (ait usage au Maroc ct
ceux dont on usait jadis à COl·doue; dans ceUe ville, les tanneries,
célèbres déjà du temps des Maures, l'étaient encore à la fin du moyen
âge. Il n'en reste plus rien aujourd'hui. Peut-être y avait-il certaine
similitude dans la méthode de préparation des cuirs ;. mais nous igno-
rons tout de ceUe industrie ancienne, pour notre part, ct nous n'a,-ons
rien pu trouver qui s'y rapporte dans les documents dont nous dis-
posons.
Disons seulement que, au moyen âge, on désignait en France du
non'l de cordouans nombre de variétés de cuirs, ct la définition qu'on
en donne est généralement la suivante: cuirs teints avec le sumac et
la noix de galle; en noir par conséquent. Et l'on donne comme cen-
tres de fabrication: Limoges, Toulouse ct la Provence. Mais les Cor-
douans d'Espagne demeuraient les plus estimés; ceux que cette ville
enyoyait dans le reste de l'Europe étaient noirs peut-Nre, mais l'usage
des cuirs jaunes ct rouges dans le costume des musulmans semble
remonter si loin que déjà sans doute on en fabriquait à Cordoue. En
tout cas le mot Cordouan avait primitivement servi à désigner les
peaux de chèvre préparées à Cordoue mème. Le mot cordouan est
encore employé au XVI", an xyn" ct au XVl1l" siècles par les auteurs
français qui parlent de Tétouan cl mentionnent ses exportations, pour
désigner les cuirs de chèvre que l'on y prépa rail. Il est 1'01'1 possible,
ou même probable, que ceUe persistance d'un nom appliqué aux pro-
.. duits de Tétouan soit l'ell'ct de l'analogie des produits en question
avec ceux de la ville andalouse. - Il Y a une centaine d'années Tri-
poli, Tunis, Alger ct la Berbérie en gén{~ral, passaient encore pour
fournir à l'Europe des chagrins très réputés. 11 esl probable que ces
chagrins étaient complètement diilërents de ceux d'Orient (peaux de
cheval, ùne ou mulet), ct qu'ils n'étaient autres que des maroquins
chagrinés, c'est-il-dire encore des cordouans. Mais c'est une industrie
qui a compll~lement disparu à Alger. Seulement nous savons que la
corporation des tanneurs y fut autrc!c)is importante ct l'une des prin-
cipales familles de la ville s'appelle encore Amîn Eddebar'în, c'est-
à-dire « le syndic des tanneurs ».
228 ARCHIVES MAROCAINES

grain avec le chagrin véritable d'origine orientale. Mais il


vaut autan t ou plus, quand il est de bonne qualité, que la
majorité des articles analogue de fabrication européenne.
Ses qualités principales sont: la feanchise, l'éclat et la soli-
dité de la couleur, la finesse, la belle proportion, l'égalité
du grain, une ténacité suffisamment grande, beaucoup de
souplesse et de douceur au toucher. - Ses défauts sont:
qu'il est un peu trop tendre, s'écorche, s'égratigne trop
facilement; qu'il noircit à l'humidité, fermente facilement
sous l'influence de celle-ci et devient alors coupant ou
cassant.

Le chagrin tei nt en jaune s 'appelle eUelri zl)'ouânt: 1 •


Le côté extérieur, (lui porLe la teinture, s'appelle o/wIUh~,
et le côté intérieUl' demeuré brut est dit sc~Ft".
Toute la série des opérations nécessaires à la préparation
du chagrin s'appelle d'une façon générale l'ololÎa"'.

Comme nous l'avons dit, cette préparation "èst de moitié


plus rapide en été qu'en hiver. C'est ainsi qu'au mois de
juin les peaux restent seulement quarante-cinq jours dans
la chaux; tandis qu'en hiver elles y restent trois mois. Il
faut trois mois en été pour préparer complètement une

T. J.):'.,; -\b., que nous pouvons traduire par maroquin chagriné jaune.
MM'

2. ~J; proprementjace. C'est lajleuren terme technique.

3. 4~; proprement partie postérieure; c'est la chair en terme


technique.
(1. ttl" c'est-à-dire préparation. T' la', ~, verbe dont le mot
précédent est le nom verbal, voulant dire se préparer, être préparé,
devenir préparé, etc., dans certains cas, par exemple quand il s'agit
de certains produits industriels soumis à une manipulation plus ou
moins compliquée. Et t'alla', dl" voulant dire prépar'er, dans les
mêmes cas. Voir note supra.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 22!l

peau et six mois en hiver. Sans doute on peut aller plus


vite, mais c'est au détriment de la qualité.

§ 2. - Préparation de la basane (bd âna 1). - La pré-


paration de la basane difI'ère assez de celle du chagrin pour
nécessiter quelques explications spéciales, quoique, pour-
tant, elle s'en rapproche beaucoup.
Les peaux de mouton de grande taille, en laine, ,aIent
à Tétouan, si elles sont d'origine montagnarde, de B à t.
pesetas; si elles viennent de la province du R 'arb elles
peuvent atteindre de 9 à IO pesetas, à cause de leur grande
taille et de la qualité supérieure de leur laine. Une peau
de brebis vaut en moyenne 2 pesetas 50; une peau d'agneau
de 1 peseta à 1 peseta 25.
L'abattoir et les districts montagneux environnant la
ville fournissent des peaux fraîches; ces mêmes districts
montagneux fournissent encore des peaux sèches; le H'arb
envoie une certaine quantité de peaux sèches et de peaux
salées 2. ''''

La préparation que subissent ces peaux est la suivante:

a) Les peaux de mouton, qui ont été salées et séchées


comme celles de chèvres et dans les mêmes conditions,
sont mises à dessaler par trempage dans le bassin appelé
barka. Les peaux fraîches sont également trempées avant
de subir tout autre opération.
b) On retourne ensuite la peau pour mettre la laine au
dehors et on lave cette laine au savon.

r. ti\k;.
2. Pour l'exportation on distingue il Tanger trois qualités, pesant
de r kilogramme à 2 kg1',500 ou 3 kilogra.mmes. Les prix vont de 95 à
r ra francs les rao kilogrammes, marchandise rendue à bord. Sur le
marché intérieur les peaux de mouton valent de 5 à 6 pesetas; celles
de brebis de r peseta 50 à 2 pesetas.
230 ARCHIVES MAROCAINES

c) Puis on plonge les peaux dans d'autres fosses rem-


plies d'un mélange de chaux et de cendre appelé hldt'a l •
La laine se détache et tombe. L'opération s'appelle teklèlé 2 •
On dit /œllel':l, c'est-à-dire enlever la laine de cette façon.
L'opération est assez rapide.
cl) La peau est ensuite posée, maintenue par une de ses
extrémités, sur un pieu fiché debout en terre, ct on la racle
avec le couteau dit qelia'" ; l'opération s'appelle Teqlia'";
on dit qella' r. pour dire racler la peau dans ces conditions.
e) Les peaux sont ensuite placées dans les chaux depuis
longtemps éteinte 7.
f) Puis on les met dans de la chaux récemment éteinte
et on les y laisse cinq à six jours 8.
g) On les porte ensuite dans le bassin dit mer/,èl où on
les lave en les foulant aux pieds.
h) Puis dans le bassin dit md'oûn où elles macèrent
dans la crotte de pigeon (zebèl clh'amèm). Mais on ne se
sert pas de crotte fraîche; on emploie celle qui remplit les
fosses elles-mêmes, et dans laquelle on a travaillé déjà

2. .1J,tS:::;. C'est le nom verbal de keZlet' ou kaZlat'.


3. Ou kaZlat': .115':' Cela correspond à peu près à un plainage de
la tannerie européenne, mais à un plainage préliminaire.
Il. tf' de la racine glu " ~, qui veut dire enlever, ôter.

5. G-t..7, nom verbal de ~, quZla'. C'est le débourrage des tanneurs


européens.
6. ~, proprement enlever, ôter, débourrer Ct. technique).
7. C'est le plainage à plain mort de la tannerie européenne. On re-
marquera que, ici comme pour la chèvre, le fJlainage succède au dé-
bourrage, dans la tannerie arabe, au lieu de le précéder comme dans
la tannerie européenne.
8. C'est le plain fort en tannerie européenne.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 231

préalablement du chagrin. En cet état le mélange d'cau ct


de crotte s'appelle marqa 1 (littéralement sauce). Les peaux
y demeurent une douzaine d'heures.
i) On les porte à nouveau au merkèl pour les fouler aux
pieds encore une fois.
j) Puis on les plonge dans le son.
k) De là à nouveau au merkèl où on les foule aux pieds
une fois de plus.
l) Puis on les plonge dans un bassin plein d'une eau
où macère la drogue a ppcIée marI' 'ât'a 2. Cette drogue con-
siste en les feuilles pilées grossièrement d'un arbuste qui
pousse dans les montagnes des alentours de Tétouan. Nous
n'en avons pas cu entre les mains d'échantillons suffisants
se prêtant à une détermination précise; mais il nous a
paru, d'après quelques fragments de feuilles moins abî-
mées, que ce pourrait être une sorle de r1lu8 ou de coria-
ria 3. Ces feuilles, d'un vert sombre, doivent avoir, en-
tières, cinq à six centimètres de longueur. La marr'at'a du
commerce ressemble au henné non pulvérisé que l'on
trouve fréquemment dans les drogueries du Nord de l'Afri-
que. Elle est apportée en ville par les montagnards qui en
ont fait la récolte et vendue dans le quartier des tanneurs
au prix de LI pesetas (monnaie chérifienne) le sac de ,10 à
,15 kilogrammes environ.
m) Les peaux restent assez longtemps dans l'eau où ma-
cère la marr'at'a, environ cinq à six jours.

1. :G.J'4; ~om donné il la sOtlce, au bouillon, etc.

2. ll,\,Ç. ....
-'
3. Plantes riches en tanin et dont certaines espèces sont employées
dans le Midi de la France et dans le bas,in de la Méditerranée, ou ont
été employées pour la préparation des cuirs et des peaux, ainsi quc
pour leur teinture en noir ou en jaune. Peut· être cependant la mar-
r'àta' pourrait-elle être un sumac, plante également employée en tan-
nene.
232 ARCHIVES MAROCAINES

n) Ensuite on les met dans le tan 1 avec une certaine


quantité d'eau qui dissout le tanin et lui permet d'im-
prégner le cuir; elles y restent longtemps aussi, vingt à
trente jours. Le tan vaut, en hiver, de 15 pesetas à 18, ct
en été de II à 12 pesetas le qontar baqqali (environ 80 ki-
logrammes 2).
0) On les ouvre, on les égoutte et on les fait sécher pen-
dant deux à trois jours.
p) Puis on les attendrit (le verbe arabe correspondant est
t'arra it'arri 3 ), comme s'il s'agissait des peaux de chèvres,
absolument par les mêmes procédés; mais on se borne à
travailler chaque peau une fois seulement.
q) Ensuite vient le corroyage au khethâr., comme pour
le chagrin.

La préparation complète d'une basane demande environ


deux mois en été. Elle est moins compliquée que celle du
chagrin; la différence principale consiste, en dehors de la
simplicité plus grande, dans l'emploi du tan et de la mar-
r' ât 'a. L'usage du premier de ces ingrédients classe donc
les basanes de Tétouan parmi ce que l'on appelle en
tannerie européenne les basanes tannées ou basanes de
couche.

Très souvent la basane n'est pas teinte. Cependant on


peut en trouver de rouge, de jaune ou d'autres couleurs. Ce
sont souvent de simples contrefaçons du chagrin. Cepen-

,. ë:", debâr', à Tétouân; ailleurs on dit il ussi ~~", debâr'a, et


quelquefois debr'a ou dibr'a (~." ou ~"J.
2. Les prix de Tanger sont sensiblement les mêmes: de 11 à ,6
pesetas la première qualité.
,). '-.5~, aor. ~~~; le nom d'action est lalr:iya, ~.J1;, déjà vu.

4. )t;..
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 233

dant on se sert de basane très mince, de couleurs différen-


tes, pour la fabrication des sacoches de cuir que nous ver-
rons plus loin 1. Les procédés de teinture sont les mêmes
que pour la peau de chèvre.
Il convient cependant d'indiquer la préparation spéciale
que reçoit la basane de couleur blanche, produit assez bcau
qui sert, soit à la confection des pantoufles brodées pour
femmes, soit pour tailler les appliques dont on décorera
maint objet de cuir. La série des opérations principales
qui se rapproche beaucoup de celle du chagrin, est la sui-
vante (abstraction faite des corroyages répétés) :
JO Les peaux sont soumises au bain de chaux ordinaire
pendant trois ou quatre jours, dans les conditions précé-
demment vues.
2° On les débourre.
3° On les met au confit, ou bain de son épais.
t.o On les plonge dans le bain de fumier de pigeons.
5° On les porte au bain de figues blanches de première
qualité.
6° On les lave soigneusement.
7° On les sale.
8° On les lave à nouveau pour enlever l'excès de sel.
gO On les porte dans de l'alun mis en poudre, ou, à dé-
faut, dans de la poudre de takâout.
La préparation de celle basane blanche se classe parmi
les opérations qui sont, en Europe, du ressort du mégis-
sier. L'usage du bain de son, ou confit, est le même dans

1. Il est à remarquer que tout le cuir rouge que l'on trouve dans
le Nord du Maroc est de provenance locale ou de provenance euro-
péenne; c'est du moulon ou de la chèvre teinl aux couleurs d'aniline,
de très médiocre qualité el qui fait un très médiocre usage; si le
cuir est bon, -- quand c'est de la chèvre, - du moins la couleur
est-elle fort peu solide. Nulle part, dans le Nord du Maroc, on ne
trouve à se procurer les beaux chagrins rouges du Tafilelt, le Jilâlî,
si répandu au contraire en Algérie où ce produit vient par caravanes.
234 ARCHIVES MAROCAINES

les deux cas: seulement la différence principale consiste


dans la manière dont on applique aux peaux le sel marin
et l'alun. En Europe on prépare un bain contenant environ
3/4 d'alun et 1/4 de chlol'Ure de sodium, bain où se forme
un chlol'Ure d'aluminium qui remplace les substances à
tanin pOUl' empêcher la putréfaction dcs peaux. A Té-
touan, au con traire, les deux bains de chlorure de sodium
et d'alun étant séparés et la peau mise successivement en
contact avec ces deux substances, le chlorure d'aluminium
ne peut se former que lentement, après le passage de la
peau dans lc second bain. Il resterait à voir si cette manière
d'opérer possède ou non des avantages SUl' celle qui est en
usage en Europe.
Quant à l'emploi du takâout au lieu et place de l'alun,
il ne peut se faire que grâce à l'emploi de quelque matière
colorante que l'analyse seule de la galle permettrait de
connaître et qui doit coexister avec une forte quantité de
tanin.
Les euil's noirs sont teints au sulfate de fer, appelé géné-
ralement zèj ou zèdj 1 et souvent, au Mat'Oc, pal' confusion,
désigné sous le nom de sbîr'el 'iddJ~j'. -- Si la noix de
galle qui entrait autrefois avec le sumac, au moins en Eu-
rope, dans la pl'éparation des cordouans a été autrefois
employée à Tétouan, elle ne l'est plus actuellement.

La basane fabriquée à Tétouan ne vaut guère mieux ni


moins que celle qui vient d'EUl'ope. Ses défauts princi-
paux sont: le manque de solidité, une facilité très grande

[. c:.'JI.
2. (..~..Ili ~, ou même par une nouvelle faute de prononciation
commune au Maroc, qui consiste à remplacer la lettre forte \.. ; 0 par
son équivalent faible \J"" on dit: (..~...JI ~; c'est-à-dire la « tein-
ture des poules », ce qui n'est qu'un quiproquo.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 235

à s'érafler, à s'écorcher; ses qualités: beaucoup de sou-


plesse, un très beau brillant quand elle est teinte et qu'elle
a fait peu d'usage encore.
On en fabrique en beaucoup d'autres endroits au Maroc.
Il serait intéressant de connaître dans tous leurs détails les
procédés employés dans les diverses régions. Cf. notam-
ment ceux qui sont en usage à Elqçal' Elkebîl' (Archives
Marocaines, vol. II, n° II).

§ 3. - Préparation du CCliI' de bœuF. - Les peaux de


bœuf sont fournies aux tanneurs de Tétouan surtout par
l'abattoir. Elles valent, s'il s'agit de bœuf de grande taille,
de 37 pesetas 50 à 39 pesetas l'une; les peaux de vaches,
de 20 il 25 pesetas. A Tanger les prix sont un peu infé-
rieurs; ils vont de 15 à 3 pesetas, sur le marché intérieur.
Les peaux salées pour l'exportation valent rendues à bord
à Tanger à peu près 125 à 130 francs les 100 kilogrammes.

Les peaux passent par la série des opérations suivantes:


a) Les peaux fraîches sont étendues (elles sont éven-
trées, naturellement, et non d'une seule pièce comme celles
de chèvres ou de moutons) après qu'on a coupé la tête;
on les sale comme il a été dit pour les peaux de chèvres et
on les laisse sécher, soit qu'on doive les emmagasiner
pour les travailler plus tard, soit qu'on doive les expédier.
b) Quand on veut travailler les peaux, s'il s'agit de
peaux salées, on commence par les dessaler en les mettant
à tremper dans l'eau d'un bassin appelé bâr!w 2 ; on les y
laisse tremper le temps nécessaire pou r qu'elles se détrem-
pent de façon parfaite; cela demande environ une douzaine

1. J..i. Cette sorte de cuir correspond à peu près aux cuirs foris
européens, la bei'ana et le maa'zi correspondant aux cuirs mous.

2. ~~.
236 ARCHIVES MAROCAINES

d'heures dans les conditions les plus favorables. On fait


également tremper les peaux fraîches avant de les tra-
vailler.
e) Au sortir du bassin on les plonge dans de la chaux
éteinte; puis, quand on les en a retirées, on les étend sur
le sol et on les racle pour enlever le poil avec un couteau
dit h 'adîcla t.
cl) Ensuite on les porte dans la chaux vive.
Ces opérations sont analogues à celles que nous avons vu
faire pour la préparation du chagrin. Elles demandent sen-
siblement le même temps ou un peu plus.
e) Après le séjour dans la chaux vive, les peaux sont
mises à tremper dans un grand bassin plein d'eau vive,
appelé sahrîclj 2. Elles y demeurent autant qu'il faut pour
qu'elles puissent se débarrasser entièrement des dernières
traces de chaux.
f) On les en retire pour les étendre sur des poutres et
des madriers (gâïza plur. gouâïz:3) ct on les racle avec le
sekkîn 1" sorte de grand couteau ou de lame de sabre un

1. ;;J:...b-. C'est le couteau rond des tanneurs. Cette fois-ci le plainage


mort et le débourrage se sont faits dans le même ordre à peu près que
dans la tannerie européenne, autrement que pour les cuirs mous.
Mais le plainage au plainfort se fait encore, malgré tout, après le
débourrage.
~. r:~).g.->; ce mot signifie aussi bassin, abreuvoir, d'une façon géné-
rale, en un mot tout réee/ilaele art!fieiel où l'eau se renouvelle constam-
ment.
3. ;;..1..\:;, plur . ..1..1y:;; cc mot est employé d'une façon générale
pour désigner les poutres, poutrelles, etc. d'un plafond. La racine est
évidemmentj~, aor,j~ Cjaz, !jouz) qui veut dire passer, aller d'un
bout à l'autre, etc. Mais le l:... Cj ou dj) y est prononcé dur, en gu.
comme dans beaucoup de cas au Maroc.
4. ~-'; mot qui veut dire proprement sabre.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 237
peu courbe, pourvue d'une poignée à chaque extrémité.
On les débarrasse ainsi des particules de graisse, de muscle
peaussier, etc., brûlées ou saponifiées par la chaux et de-
meurées adhéren tes à la peau 1.

Fig. 3.

g) Après quoi on les coupe souvent en deux, par le mi-


lieu dans le sens de la longueur, pour en rendre le travail
plus facile.
h) Puis on les met dans les fosses à tan, appelées h 'ofm' 2
(au singuliçr h' ofra 3). Les peaux y demeurent pendant
trois à quatre mois: cela dépend, encore une fois, de la
saison et de la température.
Le tan (debâr' l,) dont on se sert à Tétouan provient du
h'aou:", c'est-[l-dire du district montagneux qui entoure
la ville. C'est l'écorce du chêne vert (tèchta ') réduite en
poudre dans des moulins ad hoe.

Les peaux de bœuf préparées à Tétouan sont médiocre-

1. C'est l'écharnage des tanneurs européens, (lui se fait avec un


outil assez semblable au se/dân arabe, une espèce de plane.
->
2 . .)~.
,
3. c.)~:>-; mot générique pour dire Josse, tl'oU, etc. dans tous les
cas.

0'
5. j):>-; proprement alentours, environs.
23H ARCHIVES MAROCAINES

ment estimées, même dans la ville. On les accuse d'être


trop tendres et de s'user très vile. On les emploie cepen-
dant à la confection des semelles de sandale (holr'a):
mais on préfère pour cet usage, lorsqu'il s'agit de chaus-
sures de bonne qualité, les cuirs de provenance européenne
ou bien ceux qui viennen t de Checlwouen, où la fabrica-
tion est assez importante, plus perfectionnée peut-être qu'à
Tétouan, à coup sûr donnant des produits meilleurs ct
plus réputés.

§ 4. - installation d'une tan/lCl'ic. - L'installation


d'une tannerie demande avant tout un grand emplacement,
puisque les fosses nombreuses qu'il s'agit d' établir, les han-
gars ou les terre-pleins où sécheront les peaux occupent
beaucoup d'espace. Il faut ensuite de l'eau en quantité, à
I)roximité 'de. facon à ne pas bcrrever les frais bO'énéraux outre
mesure de sommes inutilement dépensées pOUl' le trans-
port de cet élément indispensable cle l'industrie. Bien qu'au-
cune tannerie ne soit installée à Tétouan sur le bord d'eau\.
courantes, - car cela les aurait obligées à sortir de la ville,
à sc transporter loin du centre des affaires, du domicile de
la population ouvrière et marchande, et les aurait aussi
placées dans de mauvaises conditions de sécurité, - ce-
pendant toutes sont voisines des sources qui surgissent au
pied du Djebel Dana et possèdent des canalisations ame-
nant les eaux de cos sources jusque dans les fosses.
Le nombre des fosses varie naturellement suivant l'im-
portance de l'étahlissement. Il peut aller jusqu'à 50 ou 60.
Leur taille est évidemment plus grande aussi dans les tan-
neries à cuir de bœuf que dans les tanneries à peaux de chè-
vres ou de mouton.
Certaines tanneries sont en outre munies d'un moulin
à tan: mais en général les moulins de ce genre appartien-
nent en cornmun à plusieurs tanneurs à la fois. L'une des
pl'incipales tanneries de Tétouan en a deux. Quelcflles tan-
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 239

neurs, par contre, se contentent de piler l'écorce à tan dans


de gros mortiers en pierre au moyen de pilon en fer.
Des hangars ou des constructions grossières, des ran-
gées de pieux, des cordes et des fascines suffisent pour le
reste des opérations.
Il est à remal'quer que toutes les tanneries de Tétouan
sc trouvent établies SUl' le roc solide, celui-ci offrant les
conditions nécessaires ct suffisantes pour l'installation de
fosses étanches, sans qu'il soit besoin de les maçonner,
Ces tanneries se trouvent en effet groupées auprès de Bab
ElmeqabeUl', au pied du Djebel Darsa, à la limite du plon-
gement des couches calcaires sous la terrasse de travertin
qui porte la ville. - Les autres tanneries qui sc tl'Ouvent
disséminées dans la partie haute de la ville, par exemple
celles de Ras El'rekhâma, entre Bâb Elioai et Ela 'YOUll,
semblent établies dans les mêmes conditions.

Au point de vue du personnel et de l'organisation du


travail, chaque tannerie cmnpreud :
Le maître tanneur.
Une dizaine d'ouvriers.
Une dizaine d'apprentis.
Il va sans dil'e que ces nombres n'ont rien d'absolu ct
qu'ils sont essentielle meut sujets à varier suivant l'im-
portance de l'établissement ct suivant l'activité de ses
affaires.
Le patron, ou maître tanueur, dirige lui-même toutes les
opérations qu'il surveille de près. Sa compétence est indis-
pensable pour leur bonne réussite, et seul il a l'expérience
suffisante pOUl' apprécier l'état de préparation où se trou-
vent les cuirs et pour décider s'ils sont à point voulu, prêts à
subir la suite des opérations nécessaires. De plus, il aide
au besoin les ouvriers dans leur travail si celui-ci presse.
L'ouYl'ier teint les peaux, les rogne, les racle pour en
détacher la laine ou le poil, secondé souvent dans ces tra-
240 ARCHIVES MAROCAINES

vaux par le patron lui-même et ordinairement aidé par le


petit apprenti (elmeta'allem eççr'ir.) Il a encore à faire le
foulage et le lavage des peaux, dont le patron ne sc charge
jamais; et c'est une des parties les plus pénibles du métier.
Les apprentis l'aident aussi dans ces opérations.
Le petit apprenti (elmeta'allem eççr'ir) 1, outre l'aide
qu'il fournit aux ouvriers ct au patron, doit encore changer
l' cau des bassins, laver les peaux, les sortir des bassins
pour les porter dans d'autres ou pour les entasser sur le
bord ou dans les lieux convenables afin de les tenir toutes
prêtes au travail que ['ouvriCl' ou le patron viendront
ensui Le effectuer.
Le principal apprenti (elmelart 'llelJî elkht'r 2) mégisse les
peaux à la çedriya et au kltetltâr, les mouille, les bat, eLc.
Quand il sait les gminer sur le blân, il est prêt tl faire un
ouvrier. Il aide aussi le paLron lorsque besoin est.
L'ouvrier reçoit comme salaire 0 pesela 50 (monnaie ché-
rifienne) par peau préparée (peau de chhre oude mouton)
et 2 à 3 pesetas par peau de bœuf.
Quant à l'apprenti, il reçoit son salaire de la façon sui-
vante: Le jour où le patron achète des peaux destinées au
tannage, il en met six de côté, qu'il marque pour l'apprenti
(l'expression arabe est: les peaux sont marquées pOUl'
l'apprenti, mousoûmin al-el mata'aflem'). Le .i our où elles
7

seront tannées, elles seronL vendues au bénéfice de l'ap-


prenti. Ces peaux forment son pécule, ou, comme on dit à
Tétouan, son resem !••

l. ~I ~.:l\.
2. ~<JI ri..:ll.
3. r1.:11 ~ 0trr' du mot ousem, r J . faire une marque à une
chose pour la reconnaître.
!J. r ....); c'est-à-dire ce qui est marqué pour lui; ce qui porte sa
L'INDUSTHlE A TI~TOUAN 21,1

Les produits de l'établissement sont vendus de la façon


suivante:
Le cuir est vendu par un crieur public (dellèl) 1 qui
circule dans le quartier des tanneries.
Une peau de bœuf tannée, entière, dite kârnel 2 , peut se
vendre de 9 à 10 douros de la monnaie du pays; une demi-
peau (nouçç djeld 8 ) de {~ à 5 douros.
Les peaux de mouton et de chèvre se vendent pal' sixaines,
par trois ou par unités. Une sixaine est dite t'ela'a trois l, ;

peaux constituent une IlOUÇÇ t'ela'a" ; d'une façon approxi-


mative, une balzane se vcnd 3 pesetas ou 3 pesetas 50 ; une
peau de chagrin de 6 à 7 pesetas.
Sur le montant de la vente le crieur public perçoit
o peseta 15 par douro (c'est-~l-dire3pour 100) lorsqu'il s'agit
de cuir de bœuf et o;peseta 10 par douro (2 pour 100) lorsqu'il
s'agit de balzane ou de chagrin.
Aux bénéfices de la vente des produits sortis manufac-
turés de la tannerie il faut joindre la vente:

marljue; sa marljue el par suite son l)(:cule; de l'sm, ~-')' marquer;


imprimer une trace, etc. \
1. J\l).
2. J<ol(; c'est-il-dire entiùe, complète.

li. ;W1,; c'est-il-dire une préparation, une série jJréparée d'un coup,
suivant ce qui a été exposé ci-dessus dans une note au sujet du mot
Clk, t'la'; lemème mot t'ela'a, :\J1" est employé dans des cas ana-
logues pour dire unc promotion, ['cnscmblc des individus qui, d'un
coup, tous cn mêmc tcmps, arrivent il certain cs conditions: il pour-
rait encorc scrvir il désigner unc.l(Jw'n(~e. On voit, par cr~s cxcmplcs, '
quel est le sens auquel on l'cm ploie dans lc cas qui nous occupc.
5. :\...lk ~..;,.
ARCH. :.\IAROC. [Li
ABelli n:s MA nOCA INES

Du tall qui a servi au Lannage cL Ilui, après avoir éLé


séché, est employé par les potiers pour chauffer leurs
fours. Harement il est vrai cc Lan esL vendu. Plus souvent
il est donné. Mais un service Cil vaut un auLre ct de cc don
gracieux le tanneur peut toujours espérer quelque profit
analogue.
Du poil de chèvre provenant du raclage des peaux, vendu
au qO/ltar baqqâli (quinLal du pays, valant environ 80 kilo-
grammes). Le poil noir sc vend enviroll 17 dom'os 1/2
(87 pese Las 50) le quintal; le blanc de Bdouros 1j:), à l, domos
(17 peseLas 500 à 20 pesetas) ;
De la taille provenant égalemenL du l'adage des peaux.
La meilleure vaut environ 10 douros le quintal lH1fjqlill
(50 pesetas), la qualité ([ui vieùt ensuite environ 7 à 8
douros; enfin les résidus, les raclures 20 à 25 pesetas (/' à
5 douros) le quintal. Ces prix sont les prix moyens de
1 g05, un peu plus élevés (lue ceux des années précédenLes.
Tou Les ces laines sont grossit~res et des plus ordinaires.

Le métier de maître tanneur demande une Inise de fonds


assez considérable, il fauL en effet débourser d'un coup
des sommes assez importantes pour acheler des peaux en
quantités souvent importantes; et ces peaux ne rapporte-
ront un bénéGce, assez faible, que plusieurs mois apr(~s.
Jusque-là il fimt subvenir ~I tous les frais, acheter tous les
ingrédients nécessaires, de peu de prix heureusement;
crottes de pigeons, sel, clJaux, cendre, tan, murr'ata, ta-
k,lout, ete.
Si le tanneur Il' est pas propriétaire du local, il doit payer
ell outre 1 peseta ou r peseta 25 pal' mois pour chaque
fosse qu'il utilise. S'il a acheté l'établissement, il YU sans
dire qu'il a dll le payer assez cher. Les conditions sont
meilleures pour lui s'il est fils de tannelll' et s'il a hérité
d'un établissement depuis longtemps installé, dont les frais
Je première installation sont depuis longtemps amortis;
L'INDUSTHlE A TI~:TOUA~

mais, d'une façon générale, il faut au moins un capital de


Goo à 1000 douros (2 Goo à 5 000 pesetas) pour entre-
prendre l'industrie de la tannerie, et c'est là une somme
assez forte pour le pays. Les bénéfices sont médiocres
d'ailleurs ct si le tanneur peut arriver avec beaucoup de
travail, d'esprit, d'ordre et d'économie à vivre assez à l'aise,
- grtlee aux frais restreints qu'entraîne l'existence inlli-
gène quand on la maintient dans ses proportions les plus
modestes, - par contre, il ne peut guère, aujourd'hui,
songer à s'enrichir. Il n'en était pas de même autrefois,
alors que l'industrie était plus llorissante à Tétouan.
On doit ajouter que le métier de tanneur est un des plus
pénibles et des plus diflieiles ; non seulelll.ent il demande
une compétence très réelle, qu'une expérience de longues
années permet seule d'acquérir, comme nous l'avons déjà
dit, mais encore il exige une surveillance ct des soins inces-
sants. Les peaux mises au chaulage doivent être suivies de
près; il s'agit de les retirer de la chaux au moment précis
où elles en auront subi toute l'action sans avoir dépassé le
point strictement voulu; quelques quarts d'heure de trop
les perdraient sans rémission; quelques quarts d'heure de
moins leur feraient perdre une partie de leur qualité; le
maître tanneur doit donc, quand le moment approche de
retirer les peaux des fosses à chaux, veiller constamment
pour donner l'ordre de le ÜtÏre à l'instant voulu, fût-cc
en pleine nuit; quc1llues min u tes de négligence sc paye-
raient chèrement par une diminution sensible des prix de
vente ct par la perte du plus clair du bénéfice, déjà si peu
considérable.

S'il est ainsi minutieux ct absorbant pour le patron, le


métier de tanneur est encore fatigant, pénible et dégoûtant
pour les ouvriers cl les apprentis. Les peaux, il certains
moments, ct aussi certains des ingrédie'lts employés, exha-
lent une odeur écœurante, infecte. Il fant piétiner des
2'11 AHCIIIYES MAHOCAIXES

heures ou des journées entières les peaux gluantes dans des


bassins pleins d'une eau trouble, sale, puante, et qui, en
hiver, glace les membres, smtout les jambes (lui s'y plon-
gent jusqu'à mi-cuisse; tandis qu'en été le soleil ardent
tombe d'aplomb sur les ouvriers occupés à ce travail répu-
gnant. Malgré toutes les intempéries, malgré le vent gelé
qui descend en hiver des montagnes couvertes de neige,
malgré la pluie, la grossc chaleur de la canicule, r ouvrier
doit, bras nus, jambes ct cuisses nues aussi, piétiner pen-
dant de longues heures consécutives la crolle de pigeon ou
de chien qui forme une pilte nauséabonde et dégoûtante.
mêlée ù des bau ts de peau, 11 des paq uets de poils. La chaux.
gerce et brùle les mains, ct les apprentis, notamment,
chargés, sous l'œil des ouvriers, de retirer les peaux des
fosses où elles sont soumises 11 l'action du chaulage, souf-
frent cruellement.
Salaires faibles avec cela, alimentation qui ne peut COIIl-
penscr suflisamment, pal' son abondance et sa qualité, les
pertes que l'organisme subit du fait des conditions fâcheuses
dans lesquelles il se trouve. Aussi les ouvriers tanneurs
ont-ils fort mauvaise mine, la peau jaunc ct terreuse avec
de vél'i tablcs figurcs de déterrés. t

II. - La Cor'donflaic.

L'industrie de la conlonnel'ie comprend uniquement à


'l'('touan la fabrication des diverses sortes de pantoufles de
cuir, chaussure lJahÏtuelle des Marocains hommes et femmes.

1. Nous ayons dil antérieuremcnt qnc l'industrie des cuirs, si f1o-


l'issante il Cordoue an moyen [Ige el au temps des Maures, s'était
absolument perdue dans celle rille. Nous youlions dire, par Hl. l'in-
L'INDUSTRIE A T~=TOUAN

Pan toul1es jaunes pour hommes (boll"a, au plur. blâl"i en


cuir jaune; cljelcl :iyouâni) l,

PanLoul1es de cuir l'Ouge pour femmes (blâr'i h'OInol').

Pantoul1es de CUlr de couleurs diverses eL brodées de

dustrie des chagrins, celle des cordouans; mais, sans cette restriction,
l'id(ie que nous exprimions manquerait de justesse. Les cuirs sont
encore aujourd'hui au nombre des produi ts les plus importants de
l'industrie cordobésienne, mais sans que leur mise en œuvre présente
le même caractère artistique qu'autrefois ct sans qu'eux-mêmes rap-
pellent en rien les cordouans du moyen âge ni les peaux chagrinéès
du ;\laroc.
246 AHCHlVES MAHOCAINES

soie, d'or ou d'argent, pour femmes, porlées surtout à l'in-


térieur des habitalions (chel'hel, plu!'. clmihel) 1.

1. J~";", pllll'. J~ \.f':. On rapprochera de ce mot le mot che/weI/a,


plur. clwbrellât cl chebrel, employé il Constantine el il 'funis pour dési-
gner ces sor Les de panLoufles de cuir noir, sans semelles, qui senenL
de chaussure anx femmes musulmanes. On sait que dans ces villes et
surtout dans la première, il est considén'· encore aujourd'Imi comme
très malséanL pour une lemme cie bon ton cie sortir dans la l'lie avec
ces souliers découverLs il Lalon que portent les (t'milles d'Alger et de
la plus grauùe par Lie des villes cL'tlgérie; et cc, probablement il cause
du bruit qlle l'ont les Lalons eL cpli est susceptible d'attirer l'attention.

Fig. fi.

Faisons remarquer aussI Clue, lorsqu'il s'agil d'uue chaussure, on


emploie toujours le singnlier du mot arahe ponr ù('signer IC's cleux
unités il la l"ois consLituant la pairc, d qne le pluriel IlC~ s'emploie Clue
s'il s'aglL de cU'signer plllslcnrs paires. Si 1'011 vent c/(;signel' une des
deux unités qui constituent la pairc on rait pn'·d·der le nom de la

chaussure du mot ./imla (~~.;?). Dm) (Dictionnaire déLaillé dC's noms


des vêtements chez IC's\raIJ('s) rait la ml~nJe observation il propos des

moLs cherbil (J:::.f",), :ar/iOlil (JJ.'~») d :ar/JOIiIl (0.J.~~)' clu'il donne


comme synonymes et dont le premier est (~yjden\luent le même que le
marocain actuel clwrbd.
Les moLs cher/lîf et :el'/)(Jllll nlanquent dans le dictionnaire de
Dozy. De Sacy (Chrestomathie arabe, l, p. lM» explique Clue :er/JOlil
signilie en Orient savates, vicux souliel's, et Dozy lui reproclle de don-
L'I~DU::;THIE A T1~TOUAN

Les matières premières employées sont


Le chagrin jaune ou rouge qui sert à faire l'empeigne
qu'on appele ouo«jh 1 dans le langage indigène.
Le cuir de bœuf pour la semelle, appelée na' l. Dans les
chaussures de bonne qualité, ce cuir est de provenance
européenne, ou bien vient de Checluloun. Pour les
chaussures de qualité ordinaire on emploie le cuir de
Tétouan.

ner au mot celle signiJication. -'Nous trouvons ensuite xerecuilla


(Diego de lIaedo, TopoUraphic dclrucl, fol. 27, col. a) comme chaus-
sllre des femmes d'Aluer, chaussures qui étaient en couleur; puis Hüst
(Naehric'hten von Jlar%os, p. [Ij) donne le nom de chcrbil comme
servant iJ désigner indistinctement les chaussures jaunes des hommes
ct les chaussures rouges des femmes. - Breisenbach (Beschreibung
der Reyse Ilnd Walljàhl'l, fol. l IG, nO [, qui visita l'Orient en [8t,3)
donne serbul comme signiJiant soulier dans ce pays. Les mots zer-
{JOdl et :erbolln se trom'ent dans les Mille et IIne Nuits; il Malte on
utilisait encore au temps cie Dozy des sortes de chaussons appelés sar-
bon, plnr. smbell. - En admettant comme Dozy (lue tous ces mols
soient des (~(luiYalents, fruit de permutations de lettres, on voit com-
bien général ct ancien {~tait l'llSélge de la chaussure dont il s'agit.
Dozy rapproche le mot cherbîl cie l'espagnol ancien servilla (de
senJa, seryante; qui sert pour les senantes) et voit dans le mot espa-
gnol l'étymologie du mot arabe. ] 1 ajoute que, précisément, les Mille
cl Il Ile Nuits donnent le mot zerboùn comme s'appliquant il une chaus-
sure d'esclaves femelles. Nous nous demanderons, pour notre part, si
l'arabe vient de l'espagnol ou l'espagnol cie l'arabe ou d'une autre
la!lgue par lïnterml·diaire de l'arabe: car souvent la question sc pose,
et tcl mot d'une langue européenne peut avoir une origine toute dil~
lërente cie celle qu'on Ini donne, en partant du latin, mais avoir élé
déformé de façon il s'accomlJloder aux mols analognes issus de cette
langue jusqu'iJ prendre avec eux un graud air de parenté. i\lôme
réllexion s'impose pour l'arabe où nous voyons des mots d'origine
indubitablement européenne si bien habillés il l'arabe ()lI 'on serait
tenté de les rattacher il une racine s(~llli tilple si rOll ne èOllnaissait
l'histoire de leur formation.
ARCHIVES l\IAROCAINES

La balzane employée pour la doublure (lebt'in ').


Le fil à coudre (qanncb 2), l)l'csque toujours d'importation
européenne.

Le matériel d'un atelier de cordonnier est des plus simples;


il se composc :
D'un gros et lourd billot de bois porlé sur trois pieds,
sur lequel on place le cuir pour le battre, l'assouplir au
maillet, lc lisser au fer ou l'amincir au blanchard 3.
D'un assez gros maillel ordinairement en cuivre et de la
forme suivante, pesant environ 1 kilogramme. On s'en sert

Fig. j.

pour battre le cuir afin de l'aplatir ct de r assou plir. 0n

2. ~;. Cr. ce mot et le cannabis latin. En Algérie on ajoule un)


(1') après le J en place de l'un des deux. 0 (Il) ct le mot deyient !Jarneb,
--:..i j, du moins dans.le Nord de l'Algérie: car d'autres populations
consenent le mot ,-",:;, mais en ado\1cissant le J: ainsi les Chambas
qui disent ~.

3. Ce billot s'appelle en arabe marocain l•. t) l, al'mil. Le mot


u~

parait se ratlacher il la raCl11e arabe l'ml, J.•), car on a parmi les


,1 '~

dériyés de cette racine ormoûla, plu!'. (mimil (41.).4) 1 pluI'. J~"~\) 1 et


J~ 1) 1), chicol de branche coupée.


L'INDUSTHIE A T~:TOUAN 2l!l

l'appelle en arabe l'zéma, , ou plus souvent ldifij comme le


suivant. .
D'un autre maillet en bois, plus léger, plus mince et plus
allongé qui sert à battre la doublme avant de l'appliquer,
ou après, dans les parties où le maillet peut avoir accès,
On l'appelle kl(fif eUclbt' in".

Fig. 8. Fig. 9.

De grands et larges ciseau;i.'.


Un blanchal'd, du type ordinaire utilisé par les selliers
el bourreliers europécns. On l'appelle cn arabe Mc lâl' t' a , ,
Quelques tranchels ct couleaux';.

1. :l.. lj); cc nom sert d'ailleurs pour toute espèce de maille/.


2.
..... '-"~~;
üJ=..:I1 -_. c'est-il-dire le léqer
. de la doublure; le Il'ger, pour
le mailletlégel", par opposition il l'autre maillet de cuiITe, beaucoup
plus lourd.
3. Appel,;s IIWljaçç, ~;•• , comme tous les ciseaux.

Il. j,.J~.; dekarrat' . .1~~ mclel" parce que cet oulil sert, entre
autre choses, il amincir le cuir en le raclanl. En ,Algérie (provincc
d'Alger) onl'appcIle bech'i, 0:"::"~'

f). Lc tranchet s'appelle che/ra, plur. ehe;jiiri, ~.J~:: plur. ~)~::.


C'est un mot qui veut dtre simplemcnt lame dc rel' ou d'acier tran-
chante, cl'ailleurs. On don Ile souvent le mômc nom aux couteaux,
.' comme en Algérie.
(lue l'oIt n'appelle jamais il Tétouan khdmî ':t~,
21)0 ARCHIVES MAROCAINES

U Il tire-pied 1 •
Quelques alènes", de grosses aiguilles 3.
Un j'a à lisser (dit en arahe meJtel) r, ou plusieurs fers de
forme un peu différenLe servant au même usage.
Un ')(JÏs cl lissa" .
Des patrons en ::inc pour découper les empeignes".

1. Cc lire-pied s'appelle ail Maroc rck"'éfJ, '7~; c'esL-il-din~


l'instrument (lui serl pour Illon 1er une pièce. Dans la province cie

Constantine, en Algérie, on l'appelle !Je::ouâll. 01).1..


:>.. En arabe icl~!a, :t~~ 1.
Quelquefois on prononce cllc1~!a et même
ac/~F! ou ch)!! par alLéraLi~n ou chuLe de la voyelle initiale. Le pluriel
esL oc/ui./i, ':f? 1:.1.
3. :;\./1. ibra (cl quelquefois par abrévialion /)1'0, ;;\j) comme pour
les aiguilles il couch'e les vêLemenLs.
'1. J~." CC fer a souvenL la forme suivan Le: L'exLrémiLé A serL
il indiquer lPs raies; l'exLrémilé B ct la courbe clu'elie termine servenL

Fig. 10.

;\ fa ire ces ra ies, par froLlenlCnL. Les filds CC permeLten L de teni l'
l'inslrument sans qu'il glisse des mains. Les raies qui ornent le cuir
s'appellenL dar plur. (1,,((//' • .)1:.. . plur . .)b.....1.
~lais c'esL iiI une forme cie lissoir com.pliquée; souvenL l'insLrumenL
esl une simple lame cie l'el' courbe ;\ son exLrémiLé cL obtuse.
<

[). Appelé ariJès, u"'~) 1 en arabe.


l',. Tous les polrons, quels (J'ùls soient, sont appelés 'Jri/cb, plur.
IjOWilc/l, ,......l\; plur . .....JG;. il TéLouan; il en esL de même des //lou/es,
:;abaril", ·eLc. Il en ~sL encore ainsi il \.lger; mais dans cerLaines
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 2t)f

Des j'ormes el! bois 1.


Quelques sièges (chaises basses) pour le patron ou les
principaux ouvriers, tabourets pour les apprentis 2,
Sauf les alènes, fabriquées à TMouan même par les for-
gerons, et assez grossièrernent, tous les outils sont de pro-
venance et de fabrication europl~ellne,

L'atelier lui-même est des plus exigus, mais aussi des


plus particuliers qui se puissent voir, C'est une sorte de
grande caisse cubique, en briques, bois et pltttras, dont le
plancher se trouve surélevé d'un mètre environ par rapport
au niveau du sol de la rue, de sorte que l'atelicr sc trouve
comme placé sur une espèce de socle en maçonnerie. Dans
la face de ceUe sorte de cube, qui donne sur la rue, est
pratiquée une grande ollverturc carn'e, qui se ferme,
comme s'ils'agissaitd'une armoire, au moyen d'une truppe,
ou, si l'on veut, d'un couvercle fixé pal' des charnières au
bord supérieur de l'ouverturc ct s'ouvrant de bas en haut.
Cette trappe sc rabat qLiand on veut fermer la boutique, sc
relève quand on veut l'ou \Til' et joue alors le rôle d'un au-
vent. Comme l'ouverture n'intéresse pas toute la face
antérieure du cube, il reste comme une sorte de parapet de
ce côté, au-dessus du plancher de la caisse atelier. Sans
doute cc parapet a pour but de protl'ger du froid ct du
vent les ,jambes et les pieds des ouvriers: mais il s'ensuit
flu'il n'cst pas trl's jàcile d'entrer dans l'atelier. On n'y

antres parties de l'Algérie (Ch-anie notamment) le llIot !f,i/eu ne pent


s'employer que s'il s'agit d'un solide il trois dimensions, d'un moule
ou c1'un gabarit, jamais d'un patron.
1. Appelt'es {'gaIement !f0llâlel, (,ingltiier 'lâleb).
~J,. ,Jamais on n'emploie il T{,touan (pas plus (l'l'il Tanger) le mot

l..5"'.JS, Ioolll'si, pour c!l'signer une chaise; on emploie le mot chilI((


plur. chowili, :U.:. JI,,:.,
plur. aitération de l'espagnol silla, - Le
mot [,-oL/I'si s'apïJïiquc anx "Iahoure/s, lmnes en bois, ct aussi il ces gros
coussins fonds (lui servent de sil'ge bas.
ABCHIYES ~IAROCAI~F:S

parvient qu'en se hissant au moyen d'une corde qui pend


au plafond, à portée de la main de celui qui se tient dans
la rue, et en s'aidant des pieds contre les saillies du parapet.
Du reste, seuls le patron et les ouvriers ont à exéeuter cette
manŒuvre, le public n'ayant rien à faire dans le local et
les acheteurs se hornant à se Lenil' dans la l'ne, debout
devant la porte pour fail'e leurs emplettes!.

Les murs, quelquefois même le plafond et Loujours le


plancher, ou mieux le sol, de l'atelier, sonL complètement
tapissés de nattes en jonc blanc, unies, et sur ces nattes,
fichées ~l des clous, Loute la série des outils ct aussi tout un
étalage de pantounes jaunes et ronges, rangées souvent avec
symétrie ct presque avec goùt. Pas de toit sur l'atelier, une
simple terrasse.
Toutes ces caisses ateliers, accolées les ulles aux autres,
forment de longues filcs de faç.ades blanchies à la chaux sur
1esqueUcs sc détache le vert des auvents et des portes-
trappes, et entre lesclueUes serpentent de la façon la plus
capricieuse d'étroites ruelles; ct le quarLier qu'elles occu-
pent, près des tanneries, au nord-est de la ville, est l'un
des plus hizarres que l'on puisse imaginer.
Chaque eaisse atelier a des dimensions très réduites;
il est l'are que celles-ci aillent un delà de .':! mètres 50 ~l
:; mètres dans le sens le plus étendu. Quant au plafond,
il ne sc tn)uvc guère qu'il 3 mètres elwiron au-dessus dn
niveau de la rue, ~l 2 mètres à peu près, par conséquent,
au-dessns du sol de l'atelier. - Quatre à cinq personnes
tiennent à l'aise, cependant, clans cet étroit local ct peuvent
y travailler sans se gèner réciproquement; le patron, deux

1. Dans cerlaines bouliques, le parap8t est re:l1plac~ lnr une


trappe analogue il celle qui ferme le baut de l'ouverture, mais s'ou-
Hant de haut en bas; quand on la rabat il est alors plus facile
d'entrer dans la boutirlue.
L'IN/)USTllΠA T~~TOUAX

ouvriers ct deux apprentis, en terme moyen; mms cela


n'a rien d'absolu, cela va sans dire.
Le loyer d'une boutique de cc genre est assez cher pour
le pays puisqu'il va de 5 II 12 pesetas par mois.

Le métier en lui-même ne eompol'le rien de particuliè-


rement intéressant, rien qui diŒère sensiblement de la façon
dont le pratiquent les cordonniers européens et qui vaille
par suite la peine d'être exposé. La division du travail est
assez bien établie dans les atc1iers où le patron a ù sa dis-
position assez d'ouvriers ct d'apprentis; le patroll découpe
le cuir, les ouvriers cousent, lissent et rognent le cuir,
l'enjolivent de raies tracées au fer chaud, en se faisant
aider par les apprentis qui travaillent sous leur direction et
qui ont à faire les besognes les plus faciles.
On n'emploie pas la colle classique des cordonniers euro-
péens pour coller ensemble les morceaux de cuir, quand
cela est nécessaire, mais le fiel de bœuf.
Les boh,'as de bonne qualité sont doublées intérieure-
ment en peau de chèvre; les au tl'eS en basane. Une semelle
intérieure en basane rouge y est ordinairement appliquée.
Quelques coups de lissoir légèrenH'nL chanffé servent ;1
dessiner sur]' empeigne quelques raies très simples destinées
à l'ornel' légèreml'l1t J. Les bolt,'as, une fois achevées, sont
mises en fOrlne pour qu'eUes prennent l'apparence voulue.
puis aecroch(;es aux murs Cil attendant qu'ull acheteur sc
présente, ou, moins souvent, livrées au crieur public qui
les vendra dans les rues, ou encore envoyées à l'acheteur
en gros qui ]Ps <,xpédiera su,' quelque aulre lieu, Le fabri-
cant est donc toujours. en mênle temps, plus ou moins
marchand.

Le sabin' des ouvriers csl <Jssez bon pour le pays; ils


/

1. SCaT' plur.lIsi'III",,;h... plU!'. )k....I.


AnClIlVES ~IAnOCAL'ŒS

gagnent en général de 0 peseLa 35 il 0 peseLa {IO par paire


de bolr'a pour hommes ou pour femmes qu'ils confection-
nent ct 0 peseta 15 par paire de bolr'a pour enfants. Ils
peuvent taire de (i (l 8 paires par',jour, suivant leur habileté,
mais en faisant de très gl'andcs journées et en travaillant
très tard le soir aIL même dans la nuit. Il sont souvent obli-
gés de veiller aux appl'Oclws des fêtes musulmanes, ear le
tl'avail pl'esse alors, l'habitude éLant d'acheter, il ces occa-
sions des souliers neurs et d'cn donner aux domestiques et
apprentis de tous les corps d'industric. Mais en Lemps ordi-
naire ils travaillent moins, ferment généralement leurs
ateliers vel's 5 heures du soir et l'on peut admettre que,
d'une manière générale, ils gagncnt (1 peu prl~s de 2 pesetas
il 2 pesetas Go pal' jour.
Les apprentis ne gagnent rien pendant les deux ou trois
premières années qu'ils sont dans le métier; seulement on
leur donne de temps il autre quelques gratifications.

Les bolr'as d'hommes se vendent de 5 à 7 et 10 pesetas,


cela s'entend de la honne qualité, de celle qui sert aux
gens de la ville; (Jllant aux 1J()lr'as qu 'achètent les monta-
gnards, pills gl'ossièl'es, il très forle semelle, article très
rustique, elles se vendent de:: pesetas ou ;) pesetas 50 il
10 pesetas. Cel'Iain('s ()]JI des senwllPs de près de ~~ centi-
mètl'cs d'épaiss('ul'.
Les holr'as il semelle mince, plus tines, plus élégantes,
podées pal' les gens de qualité, pal' les fonctionnail'es, les
employés du gou Vemelll('11 t, di tes sri/.. isi' son L pa 1'1IIi les
plus chères, cela se conçoit. '
Les boh:as l'OUgc~S pOUl' fenlll1<'s vaLent de Cl il (j pcsetas,
article moyen.
Les boIr'as pOlir enfants se vcndenl, suivant la taille, de
2 il 3 peselas.
L'INDUSTRIE A T~:TOUAN "l ....
-,).)

Les holr'as hrodées ou clia/Jel sc vendent plus cher


relativement que les autres, pOUL' une même qualité, comme
il est naturel. Les moins chères ,aIent 5 à 6 pesetas prises
par unités, Certains commerçants qui les exportent ct les
achèteut par douzaine ou par plus grandes quantités les
obtiennent en fahrique à 3 pesetas ct ;) pesetas rIO.
Nous ne mentionnons ici que pour mémoil'e la fabrica-
tion de ces bolr'as, nous réservant J'en parlel' plus longue-
ment lorscplC nous traiterons de la /woclerie. Disons seule-
ment maintenant que cc son t en général les cordonniers
oL'dinaires, les fabricmtls de hoIr'as, qui découpent le cui .. ,
le donnent à broder à façon à des femmes. Celles-ci font
cc travail chez elles, et rapportent les pièces hroJées aux
cordonniers qui les font monter.

Les hoIr' as de Tétouan sont estimées; elles sont assez


bien faites, en parlant de leur forme seule, pour ne pas être
disgracieuse. Elles forment l'ohjet d'un commerce d'expor-
tation relativement important dont nous aurons plus tard
l'occasion de reparler 1 •

J. Les hoir'as sc portent heaucoup aussi Jans certaines rl~gions Je


l'Algérie; il Tlemcen, notamment, où elles sont les ml'mes que les
bolr'as marocaines, Tlemcen l~Lant d'ailleurs, au point de vue de ses
mœurs et coutumes, presque plus i\larocain flu'Algérien; il Bou
Saada, Jans le Hodna, les Zibane, etc. Dans ces Jernil'res l'logions les
holr'as sont fabriquloes sur place; le centre le plus renommé est Tolga;
mais on en fait aussi beaucoup il BOt! Samla. Ces bolr'as sont plus
grossières de formes que celles du :Maroc, larges, épatl'es, très disgra-
cieuses. Elles sont toujours en cuir jaune ou bistré, souvent unies,
quelquefois ornées de raies noires l'aites au fer, beaucoup plus appa-
renIes que celles des bolr'as marocaines. Souvent aussi les coutures
sont remplies d'ornements en soie de couleur (appcllSes ('01'/)]((, plur.
,
1:1'111/1/, :;'''J':::> plur. 15. I..r:::» qui pn'nnelll un peu l'air cie cI'cvés dans
certains vNements de la renaissance, toutes proportions gardées bien
entendu. - En gl~néral la languette qui surmonte la partie posté-
rieure, le talon, est bien plus longue que dans les chaussures maro-
AHCHtVES ~IAnOCAINES

l'aines; elle atteint communément JO et 12 centimètres, le double de


ce qu'elle a dans ces dernières. Souvent aussi une autre languette
assez élevée (6 il 8 centimètres) surmonte le cou-de-pied pour pro-
téger le bas de la jambe, son articulation avec le pied. C'est que les
Lolr'as servent il monter il cheval dans le Sud Constantinois et la
languette de devant est utile pour préserver la peau nue du contact
de l'étrier arabe.

Fig. J J.

On donne encore Je nom de uolr'a dans la province de Constantine,


chez les bédouins, il une sorte de sa vate il semelle, lacée sur le devant
de la jambe, en cuir rouge, ct portée par les femmes (c'est ce qu'on
appelle réhiya, ~;>"I) chez les Bédouins Ile la province d'Alger); puis,
it Constantine même, it une sorte de chaussure d'intérieur, sans
semelles, en cuir rouge, portée par les femmes; enlin il un chausson
analogue, mais en cuir jaune (on l'appelle bol,,'a çaji'lÎ, I~ :W~),
portée de même par les hommes, soit il l'intérieur des maisons, soit
pour mellre au dedans des souliers. fi est assez curieux de constater
celte spécialisation du jaune pour les hommes, du rouge pour les
femmes dans deux pays également beaucoup plus berbères qu'arabes
comme le Maroc ct Constantine.
Certaines de ces boIr'as algériennes sont de bonne qualité: mais
fréquemment, dans les grands cen tres de production. - comme il
Constantine, par exemple, où l'on en fabrique de grandes quantités
pour Biskra ct le Sud de la province, - on a coutume de tromper
L'INDUSTRIE A T~:TOUAN 21)7

On fabrique aussi à Tétouan, des holr'as à l'usage des


Juif.,.

III. - Fa1Jl'icatioll des sacoches (ch!;lÎms) t.

Entre le quartier des cordonniers ct les abords de


El]" arsa, quelques boutiques, absolument semblables à celles
des premiers; ou quelquefois en diITérant seulement par
l'absence du parapet antérieur au niveau du sol, - servent
d'atelier à des fabricants de sacoche en cuir à l'usage des
montagnards.
Ces sacoches, de forme carrée, se composent d'un
simple sac en peau de chèvre ou de mouton, carré, qui se
ferme en sc repliant par sa partie supérieure. Deux ou
quatre poches extérieures son t surajoutées en outre dans
la face antérieure. La partie supérieure du rabat, celle qui
se trouve recouvrir le tout, est ornée d'appliques en cuir

l'acheteur en lui fournissant, au lieu d'une semelle forte, épaisse, une


semelle compos{~e de minces lames de cuir entre lesquelles s'inter-
calent des couches de débris cie cuir et mt-me de la terre ballue. Cela
ne se produit jamais, actuellement encore, dans les articles de fabri-
cation marocaine.
Une des particularités des pantoufles ou boIr'as marocaines, c'est
l'étroitesse de leur cou-de-pied; elles ne peuvent guère être chaussées
par les Algériens, dont le pied est plus sec, en général, plus nerveux
et plus cambré que celui des Marocains, charnu et graisseux, sans être
fendues ou coupées au cou-de-pied.
1. ;;)\C~ plur . .J:'.K~, chelaîïr; tel est le nom donné au Maroc
aux sacoches, La nt il celles de Tétouan qu'il celles de Merrakech ct
d'ailleurs, jamais ce nom ne sert il désigner un sac de toile comme en
Algérie (Un sac de ce genre se dit t:.i;', khallcha, plur. ~I.;;.., khe-
nâchî, au Maroc).
ARcn. ~IAROC. I-
I
Fi.g. 12.
Fig. 13.
260 ARCHIVES MAROCAINES

découpé, de couleurs différentes, rouge, bleu, noir, blanc,


vert, etc., qui ressortent agréablement sur le fond noi-
sette du cuir, dessinant des cercles, des tl'iangles, des com-
binaisons de triangles, etc. et souvent la surface des figures
géométriques qui composent ces ornements est couverte de
légères et minces lanières de cuil', parallèles, passées dans
le cuir du sac, à leurs extrémités et maintenues ainsi à la
manière des fils d'une broderie. En outre des ornements
tracés au fer chaud, droites qui se coupent, groupes de
cercles, etc., circonscrivent ces figures ou meublent l'inter-
valle qui les sépare. Enfin des pendeloques en lanières de
cuir de même couleur que le corps de la sacoche, soit
simples, soit tressées, garnissent les coins supérieurs du
rabat et une sorte de second rabat, rajouté, en cuir découpé
avec des jours, vient, au-dessous du pl'emier rabat, recou-
vrir les petites poches pratiquées dans la face antérieure de
la sacoche.
Ces sacoches sont agréables à voir lorsque l'ornemen-
tation en est bien réussie; mais quelques montagnards les
veulent agrémentées de petites glaces rondes, de pompons
de laine ou de soie de couleurs violentes, qui leur commu-
niquent un aspect de clinquant des plus désagl'éables et
les transforment en objets du plus mauvais go LIt.
Leur taille varie beaucoup, de même que la richesse de
leur ornementation. Certaines ont près de 30 centimètres
de long, autant de large, ct des pendeloques énormes qui
traînent jusqu'à 15 ou 20 centimètres du sol. Les plus
petites n'ont guère moins d'une vingtaine de centimètres.
On les porte en bandoulière sous la jellaba, suspendues
à une grosse ganse en laine ou en soie bleue, verte, ou
rouge, le plus souvent à brins multiples, agrémentée de
grosses olives à ses extrémités et rattachée à deux oreilles
de cuir dont la sacoche est munie à sa partie supérieure 1.

1. Les Juirs de basse condition portent quelque rois des sacoches de


L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 2lH

Il n'est guère de montagnard qui n'en possède une; il Y


met sa poudre, ses balles, ses cartouches, son argent, son
attirail de fumeur et toutes sortes de menus objets. Les
gens de la ville, au contraire, ne portent jamais de sacoches
de ce genre et considèrent comme de mauvais goût d'en
avoir; ils se servent des sacoches de J}Ierrrikech, qui ne
diffèrent pas essentiellemen t de celles que nous venons de
décrire par leur forme et leur nature, - si ce n'est qu'elles
sont plus larges que hautes, - mais qui en sont complè-
tement distinctes par leur ornementation et qui jamais ne
sont pourvues de ces pendeloques si chères aux DjeLala.
Le prix dcs sacoches fabriquées à Tétouan est très variable,
suivant la grandeur, la qualité du cuir, la richesse des
ornements et la perfection du travail; il va de 6 à 7 pesetas,
au minimum, à ;)5, (10 ou même 50 pesetas lorsqu'il s'agit
cl'objets particulii)l'ement soignés et cle grande taille. Les
meilleures sacoches sont en peau cle chèvre. Quelques
montagnards les font faire sur mesure, suivant leur gOlIt;
mais on est toujours sûr cl' en trouver toutes faites clans les
ateliers des fabricants un nombre plus que suffisant et un
choix assez grand.
C'est, au demeurant, une industrie assez peu active,
mais qui fait vivre une vingtaine d'ouvriers et qui commu-
nique un caractère assez pittoresque à quelques coins de
rues, car les boutiques 011 elle est installée, encombrées de
sacoches de toutes formes, de toutes grandeurs, avec leurs
ornements de couleur tendre ou éclatante, ressortant sur
le fond Lrun clair du cuir, sur le ton pâle des nattes de

ce genre; par exemple les portefaix, les muletiers, les ùniers. ou plus
souvent encore des sacoches de Merrakech noires ct crasseuses. Ils ont
coutume d'interposer entre les oreilles de cuir de la sacoche etl'extré-
mité de la ganse qui sert à la suspendre un disque de cuivre découpé
;1 jour, qui forme trait d'union. Cet anneau s'appelle li1l1'/\" ....,r:?
Jamais aucun musulman ne s'eu sert. "
262 ARem VES ~IAHOCAl~ES

jonc, forment un coup d'œil vraiment curieux. En général


un atelier de fabricant de sacoches ne comporte qu'un
ouvrier, patron ct marchand en même temps.

Ces mêmes fabricants de sacoches confectionnent aussi


et vendent de petits sachets de cuir (en mouton ou en
chèvre) destinés à renfermer des capsules, des balles, du
plomb, etc., au prix de 0 peseta 25 à 0 peseta 30.
Enfin ils confectionnent aussi des ceintures de cuir, des
cartouchières ct auLres menus objets du même type d'orne-
mentation que les sacoches 1.

I. On remarque cc même type d'ornementation il lanières de cuir


pendantes, il compartiments géométriques couvrant les surl'aces, des-
sinés par des fils de soie, de laine on de minces brins de cuir de cou-
leurs variées en un certain nombre d'autres pays du T\ord de l'Afrique.
L'ère de dispersion de ce style, si tant est qu'on puisse lui donner ce
nom, est des plus étendue. Nous avons vu au Tidi-Vielt quantité
d'objets de cc genre clu'on nous a donnés conllne de provenance sou-
danaise; d'autres sont fabriqués au Touat, au Gousara; on en re-
trouve au Mzab, en Algérie; au Tafilelt, dans tout le Sahara maro-
cain; au Sous; peut-être dans une grande partie de l'Atlas marocain;
enfin les ouvrages d'explorations dans les divers pays touaregs nous
les montrent également en usage un peu partout dans ces régions. On
peut se demander si le l'ait que nous exposons est l'indice d'une pa-
renté ethnique entre les divers groupes de populations chez lescluels
ce mode d'ornementation se retrouve, ou s'il y a eu simplement infil-
tration successive d'un goût particulier chez elles, moyennant quoi
elles auraient peu il peu contracté l'habitude de décorer ainsi les objets
en cuir dont elles se servent.
Cependant la premiilre opinion nous semble plus plausible, si l'on
veut bien réfléchir que nulle part, du moins il notre connaissance,
on ne trouve l'analogue chez les populations arabes du Nord-Ouest
africain; d'ou l'on pourrait conclure que si ce type d'ornementation
n'est pas d'origine berbère proprement dite, du moins il a pu sc pro-
pager en pays berbère, chez les populations berbères plus facilement
que partout ailleurs, il cause d'une cCl'taine similitude, d'une certaine
analogie de goût chez ces populations.
L'INDUSTRIE A T~:TOUAX 263

Quel est, maintenant, le point de départ de ce style? C'est cc qui


resterait il élucider. Seule une étude comparative basée sur des études
de détail préliminaires, permettrait, en déduisant les données éparses
sur ce sujet, que l'on trouve dans les ouvrages des voyageurs, dans
les liues d'exploration, de se li1Ïre une idée sullîsante de ce flui peut
en être et permettrait de hasarder une opinion.
Est-il \l'aiment berbère d'origine et s'est-il, du Nord-Ouest africain,
propagé au Soudan qui rut un moment soumis si directement il l'in-
fluence berbi~re ~i
Est-il au contraire d'origine soudanaise ou môme peut-être afri-
caine, et marqlle-t-il ulle réation de ces contr<;es SUl' le Nord-Ouest
africain, après que celui-ci les eut plus ou moins complètement in-
fluencées au point de vue politique;)
Autant de questions qui nous semblent peu faciles à résoudre en
l'état actuc! de la mati('~re.
Nous ajouterons, - il titre d'indication simplement, -- que, dans
les pays arabes du Nord al'rieain que nous connaissons, le style des
ornementations partées par les objets en cuir, -- broderies à peu pri's
exclusivement. en Iii d'or, d'argent ou de soie, -- nous paraissent, à
première vue, se l'al tacher plutùt au style byzantin ; les enroulements,
rinceaux, fleurons, etc., qui l'orment le fond de celle ornementation
nous semblent les descendants directs de ceux que l'on retrouve chez
les Byzantins dans les divers types de décoration, ct les cuirs brodés
dont il s'agit présentent de remarquables analogies avec ceux de la
Hussie rnéridionale, de la Crimée. de certaines contrées des bords de
la mer Noire.
B). - L'INDUSTRIE DE LA TERRE CUITE

L'industrie de la terre cuite à Tétouan est entièrement


aux mains des Musulmans.
Les produits qu'elle fournit au pays sont de trois sortes:
1° Des objets servant à l'usage domestique, vases de
toutes sortes et de toutes dimensions.
2° Des carreaux de terre émaillée, de couleurs différentes,
qui servent à composer ces mosaïques, parfois fort agréa-
bles à l'œil, dont on décore les murs et le sol des maisons
riches.
3° Des tuiles, des tomettes et des briques.
Cette industrie est aujourd'hui, après celle des cuirs,
l'une de celles qui conservent à Tétouan quelque reste
d'activité. D'autrepart, la branche qui s'occupe de la fabri-
cation des carreaux émaillés présente une réelle originalité
et suffirait à elle seule pour imprimer à l'industrie tétoua-
naise une marque tout il fait particulière et pour là rendre
intéressante, puisqu'elle rappelle exactement, par ses pro-
duits, l'industrie des Maures Andalous de Grenade, tandis
qu'elle n'a d'analogue aujourd'hui, dans le Nord du Maroc,
que dans la seule ville de Fès 1 •
Ces réflexions s'applicluent surtout à la poterie-cérami-
que par laquelle nous commencerons l'étude de l'industrie
de la terre cuite à Tétouan.

I. A quelques exceptions près que nous verrons plus tare!.


L'INDUSTRiE A TÉTOUAN 265

CHAPITRE 1

LA POTERIE CERMHQUE 1.

Sous ce titre nous rangerons les deux premières sortes de


produits, ci-dessus énumérées, sorties des mômes ateliers,
saVOIr :
1" Poterie proprement dite:
2" Carreaux émaillés pour mosarques.
La poterie céramique tétouanaise est une industrie des
plus simples, qui ne met en œuvre aucun procédé peI{ec-
lionné et qui n'a pas atteint, somme toute, un niveau très
élevé; mais qui, malgré les moyens rudimentaires qu'elle
sc borne à employer, parvient à fournir certains produits
agréables à l'œil, tels les carreaux émaillés pour céramiques.

§ 1. - LES ATELIEHS. - PnocÉDÉs DE FABRICATION DE LA


POTERIE SERVANT A L'USAGE DOMESTIQUE.

Les ateliers de potiers de Tétouan sont installés d'une

1. La poterie, les objets en poterie se désignent sous le nom de


qachch (J.;); le potier est appelé fakhkhdr ();,~), l'atelier où l'on
fabrique la poterie n'a pas de nom particulier. On dit simplement
ra~lbat el}akhkhâr () ~~JI 4.:»), c'est-à-dire ((l'emplacement de la pote-
rie ») ou, encore, on emploie au pluriel le mot potier, et l'on dit
el-fakhkhâra ou el~fakhkhârîn (,:,U \;.~ 1 0) G..~
\),pour désigner l'endroi t
où ils travaillent, comme on dit eddebbâr'în pour indiquer l'endroit
où travaillent les tanneurs (debbâr 'în).
266 ARCHl "ES :\IAROCAINli:S

façon pal'liculièrement curieuse ct pittoresque. 1115 se twu-


vent à l'ouest de la ville, aux abords de la route de Tanger;
ils occupent soit l'intérieur de ces grottes plus ou moins
vastes qui sc crcusent dans le flanc de la muraille de traver-
tin régnant en bordure au pied du Djébel Darsa, auprès de
la ville, soit dans le fond des excavations qui s'ouvrent au
milieu de la terrasse de ce même travertin qui se trouve
formel' l'échelon inférieur, au-dessous cie la falaise, mais
dominant de haut la vallée d'El- 'Odoua.
Grottes et excavations circulaires semblent être d 'aneien-
nes carrières; il semble qu'elles résultent cie l'enlèvement
de matériaux qui on t servi à la construction d'une partie
de la vine; elles peuvent remonter à une haute antiquité.
Les parois verticales (lui limitent les excavations sont elles-
mêmes creusées plus ou moins de petites grottes ayan t
même origine et même destination que les autres.
Ces ateliers valent certainement la peine d'une visite, les
uns comme les autres. Dans les grolles, les effets du clair
obscur, la demi-obscurité où plongent les murailles 1'0-
clwuses et inégales, le sol couvert de mille objets en cours
de fabrication, ces hommes qui travaillent en silence dans
un jour diffus et rare, avec des gestcs sobres et tranquilles:
aux abords, les monticules de débris, les plantes sauvages
dont la vigoureuse végétation entoure les fours, cache à
demi la bouche des cavernes; le feuillage luxuriant des
figuiers, les grandes fleurs qui surgissent du fond des exca-
vations circulaires; les touffes de ronce, et toutes les lianes
qui encombrent leurs abords, qui en tapissent les parois,
tout cela compose un tableau des plus harmonieux, mais
un peu sombre ou sauvage et étrange, dans un cadre de so-
leil et de gaieté.
Souvent les gl'Ottes ont été légèrement ouvragées: ici
c'est un talus de terre destiné à protéger du trop grand vent
leur intérieur; là, une murette en pierre sèche, abri plus
sllr et plus efficace; ou bien cJuelque ouverture pratiquée
VJNDUSTRlE A TETOUAN 267

dans une paroi pour donner du jour ou laisser sortir la fu-


mée du foyer installé sur le sol, dans un creux.
Chacun de ces ateliers, ou mieux son emplacement, est
la propriété du maUre-potier qui l'a reçu en héritage de ses
ancêtres ou bien acheté de qLLelcl'le confrère. Le prix de
vente en varie dans de larges proportions, suivant les di-
mensions du local; on peut admetLre qu'il va de 500 pe-
setas à 1500.

Le matériel est compris dans ce pnx de venLe. Il est

Fig. râ.

d'ailleurs si simple qu'il n'a pour ainsi dire aucune valeur.


Il se compose de
Le tour;
Les foU/'s
Quelques supports en terre cuite,
et c'est tout.
268 ARCHIVES MAROCAINES

Le tour, appelé mâ 'oûn 1 est lui-même des plus rudi-


mentaires. Il se compose d'un axe vertical dont la partie
inférieure, la pointe, repose dans le creux d'un éclat d'obus
ramassé où l'on a pu; cet axe est maintenu pal' un collier à
l'une des parois d'une sorte de puisard creusé dans le sol de
la grotte et qui contient tout l'appareil. L'axe porte deux
tables circulaires : l'une à son extrémité supérieure, qui
sert à poser le bloc de terre que l'on veut travailler; l'autre
à quelque distance au-dessus de son extrémité inférieure,
à laquelle l'ouvrier communique avec son pied un mouve-
ment rapide de rotation qui se transmet à l'appareil tout
entier. L'ouvrier est assis sur une planche qui lui sert de
banc, un peu au-dessous du niveau de la bouche du puisard
dans lequel est installé le tour; la tablette supérieure de celui-
ci se trouve donc à peu de hauteur au-dessus du sol naturel.

Fig. 1:1.

Le four à poterie est toujours distinct à Tétouan du four

1. ~r\A. C'est-à-dire « l'outil proprement dit )). Ce dont on « s'aide))

pour travailler (de la racine ~f' .aoûn, avec sens d'aider). En Algé-
rie au contraire le mot mû 'oû/! signifie « la vaisselle, le vase, le vais-
seau )). Mais toujours à Tétouan il a conservé le sens très distinct
d'outil (le pluriel est moû'aen, J;Y)'
L'INDUSTRIE A T~:TOUAN 269
1
à bl'iques ; mais on lui donne ln même nom, fal'l'ân • C'est
une sorte de tour un peu conique, à section circulaire, éle-
vée de 2 ,50 l) 3 mètres au-dessus du sol et divisée en
111

deux étages. A l'étage infëriellr, en contre-bas du terrain


naturel, se trouve le foyer, simple chambre sans grille où

Fig. lG.

l'on dépose à rnème le eomlmstible : on accède à la parle


du foyer par une pente légère. Le plancher de l'étage infé-
rieur peut être II environ l ou 2 mètres au-dessous du sol
SUL' lequel s'élève le four. Dans l'étage supérieur, également
pourvu d'une porte, mais au niveau du sol, on entasse la
270 ARCHILES MAROCAINES

poterie. Pas de voûte au four. Le plancher de l'étage supé-


rieur se trouve constitué par des briques laissant entre elles
des jours assez nombreux pour que la Hamme puisse n'Hir
lécher les objets qu'il s'agit de cuire. Ces four" sont en
brique ou en maçonnerie de moellons grossiers, mêlés d'une
sorte de béton de lene, de cailloux et de déhris de polerie ;
plus souvent encore c'est un mélange de ces diverses sor-
tes de matériaux. TOl~jours ce sont des constructions très
grossières et de peu de valeur, de sode qu'on Ile regarde
pas à les détruire pour en élever d'autres à leur place, le
ca!'. échéant, db que le besoin s'en fait sentil'.

Le comliustilJle consiste en broussailles coupées dans les


environs, surtout dans la montagne, et aussi en tan ayant
sel'vi à la tannerie et abandonné pal' les tanneurs. Au""i
Lrou \()-t-on loujours prl)S des remparts, à l'entrée cIe la route
de Tanger, des nappes de Lan étendues à l'air sur le sol et
séchant an soleil, avant d'ôtre employées au ehauIT'age des
fours ' .
Enfin ail sc sert aussi de fumier pour le tllème usage, de
copeaux, de débris de menuiserie, de tout cc que l'on peut
trouver, en Ull mot, qui soit capable de brlller, mais pres-
(PIC jamais ùe bois, à cause de la rareté de ceUe lnatil're
dans la région.
Une fournée s'appelle lwlic/w",
L'argile dont on sc sert pOlir faire les potnies esL fine,
(~gale de texture; de cOlllposition Ull peu calcaire; de cou-

1. Les terrains dans lesquels les potiers se procurent la broussaille


servant de combustible appartiennent au makhzen. De ce chef, pour
avoir le droit d'y faire les coupes nécessaires les potiers doivent ver-
ser annuellement au q<Îïd tout ce dont il peut avoil' besoin en fait de
poterie. De plus ils déboursent environ 0 peso ~i.~) de main-d'œuvre
pour chaque fagot, pesant environ 20 il :,,5 ou 30 kilogrammes.
2. '4.::"). Ce mot désigne un four il bricJlws, il pain, l'tc" dans 10
plus grande parti!' de [':\ Ig(\rie.
L'INDUSTRIE A Tl~TOUAN '271

leur gris bleuâtre. Elle appartient à l'étage du Pliocène an-


cien qui affleure au pied du Djebel Darsa, au-dessus du ci-
metière juif, à l'aval de la ville, au début de la route de
Ceuta. On la retire de trous creusés dans les flancs du ravin
qui borde cette route, immédiatement à son sud, et que la
route elle-même traverse un peu plus bas: mais on trouve
aussi de l'argile semblable dans un champ, à proximité des
ateliers, au lieu dit Ech-ChabbrlL sur la route de Tanger;
seulement la première exploitation est la plus importante' .
Le sable nécessaire à la confection de la pi\te vient de
l'Oued Kitûn et des carrières ouvertes Ull peu plus bas que
les établissements des potiers, plus près du fond de la vallée,
dans la couche du travertin, qui, comme nous l'avons dit,
passe aux sables, aux calcaires gréseux ou sableux en cer-
tains endroits. 11 est nécessaire de cribler celle matière très
soigneusement avant de s'en servir, à cause de l'inégalité
très grande de texture de la roche dont elle pl"üvient. Ce
tmvail se fait en carrière et les potiers n 'ont pas à s'en préoc-
cuper, ou du llIoins n'ont-ils à faire qu'un second blutage
au tamis plus fin.
L'cau est fournie en quantité suf1îsante par les sources et
les suintements nombreux que ron renconlre dans les llancs
ou au pied de la falaise pliocène.

La ]Jl'épw'alion de la pâle se fait de la façon suivante:


l/argile, apportée de la cal'l'il'l'e, est laissée en tas près de
rentrée de la grotte: elle s'imprègne plus ou moins d'IIU-
midité au contact de l'ail' et se délite peu à peu. On la
dépose ensuite, au fur et à mesure des besoins, dans un

1. La carrière d'argile d'E~-touîla est en partie I.lahoûs de la


Djùma' J\1a 'amoûra il laquelle les potiers doivent certaines redevances,
en partie propriété de la corporation des potiers qui ]'a achetée 1 [JO
pesetas d'un ancien Qt\Ïd EI-Mù (Surveillant des eaux) appelé lIaïroùr
())-'::>t).
2i2 ARCHIVES MAROCAINES.

bassin creusé dans le sol, - simple trou large et peu pro-


fond, -- et on la noie sous une couche d'eau de quelques
centimètres. Elle se transforme en pâte onctueuse, que l'on
remue avec une houe, de façon à lui donner l'homogénéité
voulue, et que l'on corroie en la foulant aux pieds. Ce fai-
sant, les débris légers, les impuretés végétales, déhris de
racine ou autres, montent à la surface de l'eau et sont enle-
vés, On décante en jetant l'excès d'eau qui noie la pâte,
puis au bout de quelques temps on retil'e l'argile transfor-
mée en pâte et on lui ajoute, selon les besoins, la quantité
de sable nécessaire a vant de la pétrir encore une fois en la
foulant aux pieds.
Les Tétouanais n' appellen t pas l"argile pn t, comme cela
se fait d'habitude en arabe, mais TefeF,
Les objets sont ensuite fabriqués de la façon suivante.
Une motte, koûT'a~, est placée sur la tablette du tour,
animée d'un mouvement rapide de rotation. L'ouvrier la
façonne extérieurement en se servant des deux mains à la
fois, d'abord, puis d'un morceau de bois et d'un chiffon
mouillé, servant de lissoir. Il dégl'Ossit l'intérieur en enle-
vant une grosse partie de la terre qui est en trop, avee le
hout des doigts; il r aehèYe avec une planchette ayan t à peu
près la [orme de la demi seclioll verticale du vase, en tenant
cette planchette verticalement d'une main, tandis que de
l'autre il appuie légèrement sur les parois extérieures.

Les potiers travaillent d'ordinaire depuis peu après le


lever du jour jusque vers 4 heures el demie ou 5 homes du

1. ~k.
2. Jr En Algérie et aussi dans d'autres pays araLes, ce mot
désigne une sorte Je terre pal'ticulihe dont les femmrs araLes se
servent pour se laver la chevelure.
3. 'ô)). C'est-il-dire « boule ».
L'l:\'DustHiE A TETODA:\' 273

soir, un peu après l'heure dite de l"Aceur. Leur travail est


très peu actif, très souvent ll's ateliers sont vides; mais aussi
le gain est peu considérable; un ouvrier gagne en moyenne
7 à 8 réaux par jour (1 peseta 75 li '2 pesetas) quand il est
habile; les apprentis ont de '2 li 5 pesetas par fournée, sui-
vant l'importance de celle-ci, et suivant le travail qu'ils ont
fourni, leur ancienneté dans le métier, etc.
Le métier est souvent héréditaire dans les familles, et
souvent on trouve des appellations telles que El-FaIrM/HÎI'
(Le Potier) usitées aujourd' hui eomnle noms patronymiques
après avoir été, sans doute, dans l'origine, un simple sur-
nom. L'un des saints dont la chapelle funéraire se montre
près des murs de la ville, au début de la route du nif, s'ap-
pelle Sidi 'Ali El-Falrhkhâr.

La poterie de Tétouan est grossière, sans aucune espèce


de prétention artistique. Bien petit nombre d'objets oili'ent
un galbe tant soit peu gracieux, chose qui se rencontre,
cependant, même dans les produits d'autres régions qui
manquent, li part cela, de toute ornementation. Certaines
jarres, certaines amphores tunisiennes, avec quelques sim-
ples sillons laits au pouce dans t'épaisseur de la pilte, autour
du col et sur les flancs, révèlent ainsi, pal' exemple, un
senti ment de finesse et de grilce qui manquent totalement
aux produits tétouanais. Elle n'est même pas li hauteur
de certaines poteries andalouses modernes, ou bien d'objets
fabriqués ailleurs au ~Jaroc. Cette poterie ne porte aucune
espèced'orncment ct n'olfrcpas non plus par suite cet aspect
original, et rnème quelquefois agréable, de certaines pièces
kabyles ou rifaines, dont la décoration noire ou brune, sur
le f~nd vernissé rouge ou blanc crémeux, est souvent assez
intéressante. Sa pilte est ordinairement assez grossière, peu
homogène, avec de nombreuses vacuoles, des corps étran-
gers, suite d'un pétrissage et d'une émondation insuHisants
de l'argile; elle est médiocrement dure, d'un l'ose un peu
ARCH. MAROC. l8
27-1- AHClIIYES ~[AHOCAINES

gris ct pâle; médiocrement sonore, assez friable, mais pas


très cassante au choc. C'est en résumé, Ulle poterie très
ordinaire 1.
Nous n'avons vu aucun reste de poterie ancienne qui per-
mette de supposer l'existence à Tétouan, autrefois, d'une
industrie plus perfectionnée.
La poterie de Tétouan est peu ou point exportée, et jamais
très loin quand cela sc produit; clIc sc vend presque exclu-
sivement sur les marchés de Tétouan C'l clans les boutiques
de la ville pont' les hesoins des montagnards des environs
ct ceux des citadins'. Seules les tuiles s'expédient en assez

T. On doit l'('conn:tltrp cependant (llIC, tellc quelle, elle est infini-


llIent supl'rieure il la poterie ordinaire fabriquée aux alentours immé-
diats de 'l'anger (au plateau du ~rarslw.n notamment) par les indigènes
ml grande partie d'origine riCainp qui sc sont ppu il peu agglomérps
autou!' dl' la ville.
Par contre on trouve quelquelois il 'raouan des poteries de Rabat,
surtout dps lasses' iL rafraîchir J'cau, d'une p,He rouge beaucoup plus
fine, heauconp plus IJl'l1e, plus homogène, tri's analogue il celle de
certains aical'ra:as rouges de l'Andalousie.
Il y aurait lieu de comparer celte industrie de la poterie, ou mieux
de ces dil1l)rentes espi'ces de poterie du ~ord du l\Iaroc, au point de
vue des procédés de L11Jrication, des produits, de leur tonlle ct de leur
qualill' avec l'inc1nstrie des poteries du Sud de 1'F>;ra.~np, qui a sans
doute une mi'me origine arabo-berbère.
Nous entendons parler senlement ici dl, celle poterie espagnole
grossière et bon marché en usage dans les humbles ménages. L'ana-
logie de Cormes avre la poterie dn'Iord marocain sc révi·le dans
maints objds mais assez SOllYent avec une perfection plus granùe en
l'aveur de crux qui sont d'origine andalollse. On sait d'ailleurs l'im-
portance qu'avait chez les lIispano-l\/aurt'sf[ues l'imillstrie rt l'art de
la terre cuite; certains termes techniques arabes propres lL cette iu-
ùustrie, iL cet art, sont demetlrl.s dallS la langue espagnole sans presque
subir de modilications; citons iei setllement les noms de jit-ial'c!o, ou
./in.:ardo, a!/al'('ro, a!/itlwr, a!litlwrcro, etc., noms patronymiques,
analogues au el-IalddJuir arabe, c'est-iL-dire le potier, aUitr, lieu où
l'on fabrique de la poterie, uijaf'Cria, aUirlwrerla, m(\me sens. cl. aussi
art de la poterie, etc., cLc., etc.
2. Il paraît cependant qu'on exporterait un prn d,· pO/l'l'il' de
L'INDUSTRIE A Tl~TOUAN 271)

grande quantité à Cbechâoun, à Tanger, et dans la mon-


tagne, dans un rayon assez étendu pour servir à couvrir les
mosquées et les cbapelles funéraires dcs cantons. Peut-être
n'en a-t-il pas été toujours de même; peut-être Tétouan
a-t-il, autrefois, envo'yé ses produits en assez grande quantité
à Tanger, alors que cette ville était encore bien peu de chose,
ou même dans le n.if: le nombre des atc1iers quel'on trouve
à Tétouan, leur étendue, si peu en rapport avec l'activité
actuelle de la fabrication, semble témoignCl' en effet d'une
ancienne importance bien plus grande de l'industrie de la
poterie, Mais aujourd'hui les produits d'importation euro-
péenne arrivent trop facilement ct en trop grande abondance
sur les marchés du littoral septentrional du Mal'Oc, pour ne
pas faire aux produits du pClyS une concurrence victorieuse.
L'Espagne envoie notamment une quantité considérable
d'objets 1.

~ 2, - PnODUlTS F.\llIUQUÉs A TlhoUAN DANS LES ATELIEI\S


J)ES l'OTIEns.

Les principaux objets fabriqués sont ê

Tétouan il CIH'clwoucn, dans /('S Il 'omùl'a, ('\1'. Le marchand dc potc-


rie s'appelle qachclllich, I.._i~\':';,
1. Ces poteries sont précisémcnt assez analogues il celles du Maroc,
dans l'ensemble, pour pouyoir utilement sel'Yir aux besoins des indi-
gi~nes de cc dernier pa)'.
~L Les noms donnés aux ustensiles domestiques el notamlllen taux
potcrics varient dans des limitcs cxtrt'mcs d'un endroit dul\ord dc
J'Afrique il un autre, mt'me il de filiblcs distances, Tel nom ([ui s'ap-
pliquc ici à tel objet s'appliquc ailleurs il un autre trh dil1ërcnt; tcl
nom, ici tn\s connu, d'un lisage absoll1l11ent courant, cst absolument
inconnu ailleurs; et on peut penser qu'il en cst ainsi surtout parce
que beaucoup dc ces noms riennent du caprice 011 de l'imagination
des femmes, - seules il se senil' d'une bonne partie des objets dont
27H AHCIIlYES ;\IAHOCAINES

TâdjÙl, plul'. (ouâdjcn l • - Cc sont des poêlons sans



queue. On en fait de grandeurs très diverses, depuis des

Fig. Il' - T;\djln de Scbla.

poêlons de 10 tl 20 centimètres de diamètre jusqu'à d'autres


chez lesquels le diamètre atteint 30 et âo centimètres.
2° Keskes, plur. ksâkes~. C'est l'appareil bien connu,
utilisé dans tout le nord de l'Afrique pour faire cuire le
couscous, sorte de vase tronconique dont le fond est
percé comme une écumoire de façon tl laisser passer la
vapeur dégagée par l'cau donl est l'emplie la marmite sur la
bouche de laquelle est posé le keskes: cette vapeur doit
cuire 1<couscous placé dans le vase.

il s'agit, - cl, que par suitc de l'isolcmcnt dans lcquel ,ilcnt ccs
fcmmcs, ils n'ont pu sc propager d'un pays il l'autrc ni s'unifier.
Cf. par exemplc les noms très di1Tt;rents donnés aux poteries il EI-
Q<:ar EI-Kcbir (Archives marocaines, 11-2, p. lOG).
r. ~\k, plur. ~I)~. Ce nom sert aussi il désigner lc mets cuit
dans une ltidjin; mais en cc dernier sens il est loin d'ètre d'un usage
général, contraircment il l'emploi qu'en font beaucoup d'Européens
dans leurs rclations cie voyage.
2. U~\C..~ plur. u'('~ L[l r[lcinc est ar[lbc lœslœs, u>:::~
broycr, pilcr ct lt'Css, ,;..~ Jll(\rnc Sl'ns, meksol1s, r.f)_G, mis en
pp( i ts morccau x:, etc.
L'INDUSTRIE A Tf=TOUAX 277

Même observation 'lue ci-dessus relativement à la taille.

Fig. IS .

.3" (Jodl'll, plur. (Jodolll' 1 , III a l'Illi te, ()odiNl, phU'. (}oclirât',

Fig. lU' - Qodra du IliL

pelites marmites. Ces ustensiles, de taille très variable, ont

[. :;)~;, plu!'. ))~\; et -#)I~;.

2. oy..-\;, plu!'. .:."Iy"_\;'


2i8 AHCHIVES ~IAROCAJNES

sensiblement la môme [orme que ceux (JUI sont en usage


dans les cuisines européennes.
flo lvla'ajena, plur. Ma'âjen et Ma'ajenât 1. Ce sont de
grands plats assez profonds, qui servent il rouler le cous-
cous quand on le ülbrique: à pétrir la farine; ù laver le

Fi;.t :'U. - Zl:lfa ri" liif.

linge, il le d(~poser penda Il t (lu' on le lave et lorsqu'il est


trempé, ete. Leur taille varie de 30 centimètres de diamèLre
à plus d'un mètre, et leur profondeur de la Ù 20 ou 2;)

1. 4::>::'A, plur. 0~\"A ct ':"\:::::'A de la raclIle Cl':"'" a/Cil, p()lrir.


Cc nom sert dans d'aulre, pays (Con;;lanline par exemple) :l dési-
gner un p(:ll'in de bois.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 279

centimètres. Cet ustensile est appelé en d'autres endmits

~-(fP~
~ =-:: ;.
"":::~~~~,,,::,:.

~'ig, 2 1· !II. - Zlâfas (poteries du Hif), - Face,

Qeça'a 1 (à Tanger notamment).

[. :i.•.,a;. On donne aussI ce même nom il des plats en bois, de


formes analogues ct de même usage, en d'autres pays.
280 ARCHIVES MAROCAINES

5° Zlâfa, plur. ZlâiJ t, plais à mettre la nourriture, ayant


au moins une vingtaine de centimètres de diamètre.

Fig. ~:J. - liMa du Rif. - Profil.

6° Tebàsel" , plats analogues mais plus petits.


7" Methrcd, plur. llIethâred:\ sorte de coupe, ou plat
creux, porté sur un pied à base épatée, dans lequel on sert

Fig. 26. -
Ç]
Coupe de Rabat.

ordinairement le couscous ct d'autres mets. Cc vase est


généralemen t émaillé en vert cx téricul'cmell L ct intérieure-
ment.

J. 4~')j, plur. ,-:_~')j. CL :i.;Jj (Ar. Hég., grand plat).

:1. J-.\~. L'étymologie cl l'origine du mot nous échappent.

3. :»t., plur. :»::0. I\Iot qui est il la fois du domaine de l'arabe


régulier et d'un usage général dans tout le Nord de l'Afrique. Ainsi
appelé parce qu'il était utilisé originairement pour servir le -"';,
lhrid, sorte de soupe.
L'INDGSTRiE A TlàoUAN 2RI

8° Kh(1y~a, plur. khouâby'. Ce sont des jarres il mettre


l'eau potable, pourvues de II petites anses fixées sur le con-
tour de leur bouche. Ces jarres sont de contenances très
variables. Dans les plus grandes on peut meUre jusqu'à
60, 80 ou même 100 litres .

. Fig. ~lï-2i'\.

Ces cruches, ou mieux ces jarres, sont souvent dépour-


vues de vernis intérieur; elles sont alors très poreuses ct
conviennent fort bien pour rafraîchir l'cau; malheureuse-
ment elles s'encrassent vile et perden t cette précieuse pro-
priété à cause de la nature très calcaire des eaux de Tétouan.
On utilise même celle dernière particularité dans quel-
ques cas. On les fait servir par exemple, à contenir de l'eau
(/!fhaddemoû-!wum bcl-mâ) 2 ; puis on s'en sert, une fois
qu'elles ont perdu leur porosité, pour y mettre de l'huile.

I. 4:.~, plur. ~\.;.. Cc mème mot sert en d'autres endroits il


désigner des cuves il teinture, des l'ours il goudron, etc. llacine "!tilt!,
\..;., cacher.

2. U4 rif;.J';J,,~· On les fail travaille,. auec l'eau, telle est l'expres-


sion employée à Tétouan.
282 AHCIIlVES ~lAHOC.\lNES

Quelques marchands les préparent ainsi exprès à ce dernier


usage avant de les vendre. Mais on trouve aussi des jarres
vernissées in térieurement.
Certaines jarres sont dépourvues d'anses. La forme de
ces vases peut d'ailleurs varier légèrement.

Fig. 2~j. Fig ..)u.

\)" TclJ/'/:ya, pIn!'. feuill'Y 1. C'est une jarre à peu près ùe


mème forme que ]a /.:/ui/lya, mais beam:oup plus petite et

[. 41)\b. ou 41)\';. pllll'. lS)L;. ~ous ignorons l'origine


... . plnr. lS)\.b
........ . .. .
du mot. cr. le mot 41)\':.
... . pllll'. lS).~.
.. . citcb,.iya, plur. Cite/ltI,.y, même
sens, qui parait le même avec permutation du 1 (.:,; ou .b) ct du dt
(0':).
assez fré(Iuents dans le ;\{ord de L\Jrirlue. surtout dans les pa y,
berberisé, plus on moins l'orLemenl.
L'INDUSTIUE A Tf:TOUAN: 283

servant à garder des provisions, comme du beurre, de la


graisse, du confit de viande (kheli'a), etc 1.

10" (JoUa, plur. Qlol". Cruches (di tes par les mon tagnards
berrèda, plur. brâred) ,. Ce sont des cruches à une ou deux

J. :i.J;.. cr. l'esp. jalea, confiture, consene de fruits bien que


l'on fass~ venir cc moL du fran<"ais gelée.
... >"
2. 41,;, plur. jJ;.
4. ;;)I~~ plur. )}J.. C'est-à-dire qui fait rej"oiciil' (l'cau). Racine
bl'd, ) j.' ôLl'e froid.
284 ARCHIVES MAROCAINES

anses, à bec un peu diminué, servant à contenir l'eau des-


tinée à la boisson. Ces cruches sont quelquefois de simples
gargoulettes, comme on dit en Algérie (car elles n'ont
communément que 01ll,30 de haut). Elles ont, comme les
jarres, la propriôtê de bien rafraîchir l'eau. Les plus grandes
ont 01l1,80 de hauteur environ: en
général elles n'ont alors qu'une
anse; mais elles portent toujours le
même nom que les autres.
Il'' Tanjiya, plur. (,nâjy et
(a//jiyâI 1 • Cc sontcle petits pots à
cleux anses, à bouche large, évasée .
.12" lfallè6, plur. (wlâleb'. C'est
un pot largement évasé,un peu
pansu, qui sert à recueillir le lait
quand on trait la ,ache.
13" MaMes, phu. meluibes'.
Pot de chambre de la forme clas-
sique. On appelle quelquefois ces
pots, par euphémisme, l.wlleb,
)lig. ;n. plut'. (wlrile6, comme les pl'écé-
den ts.
1 fi" il1a1.1Des, plUt". me1.wbes. Ustensiles du même nom

que les précédents, mais de destination dillët"entc. Cc sont

1. ;L.",:b 1)111!'. ,:>\.:1, el ..::..,\~:b. On peut ,e dcmandcr si ce nom


~. ~. ~.

IlC yient pas de TaJ~ia, 4.::-..:1, nom arabe de Tanger, en cc scns que
cc pourraient êtrc dcs objcts primiliycment fabriqués il Tanger ou
(lui auraient été d'abord en usagc clans ccltc villc.
:J. <-J)t;;" plu!'. .......IYl>. :Mot d'un usage très général en cc scns clans

lc nord de l'Arriql;c.
3. V~~A plur. ~ b::.A. Ne jamais cmploycr cc mot par consécplcl1t,
il vcc lc scns dc pol il flcllI's (pt'il a cn AIgù·ic.
L'lNDUSTRlE A T~;TOUAN 28ü

des pots grossiers dans lesquels les potiers conservent les


ingrédients dont ils
se servent pour faire
les émaux.
1 Go Ma{dJcq. plur.
me?aÎbcq 1. Pots à
ileurs, de la forme
classique également.
Certains sont forl
grands, ils atleignen t
jusqu'à près de Olll, Go
de hauteur ou plus, Fig. 3/,.
avec diamètre à pro-
portion; ils sont destinés à contenir des plantes de gmndes
dimensions qui orneront les terrasses, des roses trémières,
des verveines arborescentes, des géraniums, des rosiers, etc.
Fréquemment on les peint extérieurement en rouge ou
hien on les blanchit à la chaux. Plus rarement on en
trouve qui sont
émaillés en vert ex-
térieurement.
10° Blâll 2. C'est
l'instrument que
nous avons vu ser-
vir aux tanneurs
pour sminer le cuir
et que nous avons
décrit à cc propos:
sorte de calotte demi-sphérique, percée d 'une multitude de

1. ~..A plur. J~ \;,...-.. La l'acme est ";7""' ~labelJ' qui signifie


basilic, parce que fréquemment e'est celle plante que l'on sème dans
ces pots, mais non toujours cependan t.
:>.. c,)\!.
AnCllIVES ~[A nOCAINES

trous qui la font ressemblel' ù une passoire, avec le bord


des trous si rugueux qu'elle a presque le toucher d'une
râpe.
17° Fall!oûza,plur. j'ull!oüzâl et ./iuÎ!cz 1. Sorte de pot ù
col étroit ct court, ù ventre large, ù base plane, ffui sert ù

Fig. 3n. - Fan\oÙza.

mettre le tabac ~l priser ct dans lequel on expédie égale-


ment cette marchandise. Les plus grands peuvent cOlltenil'
une demi livre (il s'agit de la livre du pays, soit environ
,
1100 grammes. ) (',es pots sont cmal
, '11'cs en ved extcneu]'('-
, .
ment.
18° 111ejmoû'u, plut'. m~ièllw·'. Ce sont desencriersmu\-
tiples, des écritoiresù plusieurs compartiments, destinés ù
contenir les encres de diverses couleurs dont les copistes se
servent pour écril'e les manuscrits. Ces écritoires ont gén(~­
ralement la forme d'un prisme droit eouché, dans la SUl'-
face supérieure duquel sont creusés de petits augets arron-
dis. Ils sont plus ou moins ornés, spllyent émaillés en hlanc
ou en plusieurs couleurs.

J. <;.>).b:~ plur. .Jb \.:~ rL ..:,..\.>,,1.~~. L'orioine


o du mot nous est
Illconnue.
:1. O"';;-A. De la racine ~ jlllrt·. réunir. parce que plusieurs
encres de couleur difT<;ren te sont réunies les unes il cùlé des autres
dans ccl l;critoire.
L'INDUSTHIE A Tl~TOUAN 287

l gO l}JeçblÎ~l,
plur. ilJeçlÎba~ll. Ce sont des sortes de lam-
pes ù huile, très primitives, dont la forme rappelle celle
d'un chandelier: une sorte de godet dans lequel on met

Fig. 37.

l'huile où trempe la mèehe, simplement appuyée sur un


des bords, est parlé par un pied ù base large: une anse,
peu gracieusement anondie, relie ceLLe base au godet et
permel de porl('l' la lampe. Ce produit ('st toujOUl'S émaillé

J. ..
c..~ plU!'. c:: laA. Ce mol est eillploy{, assez g{~n(.r::dement
dans le 1\ord de l'A l'rique pour désigner des lampes indigènes plus
ou moins analogues: mais il n't'st gui're usité par le vulgaire pour
désigner les lampes européennes auquclles on conserve de pn"[érencc
quelqu'une de leurs d(~nominaliol1S élrangi'res plus ou moins altérées.
288 ARCHIVES MAROCAINE:S
complètement en vert; sans cet émail, il est évident qu'il
s'imbiberait d'huile et ne serait plus maniable,
20° D;;rboùka, plur, drâbek l , Sorte de cylindre surmon-
tant une portion de sphère. Celle-ci, à son ouverture, est
tendue d'une peau. C'est un instrument demusiqueà l'usage
des fenlmes, une sorte de tambour.
2 1° I{eskèsa. Bouche de caniveau ou de petit égout; c'est
une plaque de terre cuite percée de nombreux trous, servant
à boucher l'ouverture d'un canal pour l'écoulement des
caux sales, en permetLant à celles-ci de passer, mais en
retenant les matières solides qui pourraient obstruer le
passage,
22° n'OI'fa, plur. l''cra] cl-lâba', Petites tasses à fond
strié qui servent à râper le tabac à priser, analogues à celles
que l'on fabrique à El-Qçar EI-Kebîr. - Elles sont en géné-
ral émaillées en vert au moins extérieurement.
23° Les potiers de Tétouan fabriquent encore des tuiles
(qarmoûd)" enduites d'un émail vert, qui servent à cou-
vrir les tombeaux des santons et les édifices religieux, plus
rarement, certaines parties des demeures de personnages
considérables. La forme de ces tuiles est celle d'une portion

J. 4~)) plur. ~~ 1)) ; la racine est '::J.~), dabak, faire du bruit,


faire un bruit sourd, piétiner en faisant un bruit sourd, on trouve
aussi ~~)), derlJaI.., gronder sourdement (tonnerre lointain).

:>.. :L...~ Le nom de cet objet lui a été donné évidemment par
analogie avec le fond du keskes précédemment Hl.
3. ~j plur. ~'j. Nombre de mots de celte racine l"':! ~j­
désignant des objets servant il contenir des liquides.
J.
4. )y Terme qui ne varie pas, il notre connaissance, dans tout
le Nord de l'Afrique, usité aussi en arabe régulier et que certains
orientalislcs veulent dériver du grec xÈp~;J.o;, terre à potier, tuile,
poterie.
UINDUSTRIE A TÉTOUAN 289

de cône très atténué (à peu près une demi-surface); au


point de vue de la forme et des dimensions, ce n'est autre
chose quela tuile romaine dite ùnbrex, si usitée encore (quoi-
que d'unc façon parfois différente de la mode romaine)
dans le midi de la France, en Espagne, en Italie et dans les
pays berbères du nord-ouest africain 1 •
24° Enfin ce sont encore les potiers qui fabriquent les
tuyaux en terre cuite non vernissés ou vernissés, qui ser-
vent à l'établissement des conduites d'eau et aussi des
égouts; les tuyaux, à bout mLlle et à bout femelle, ont à
peu près 01ll,50de long avec un diamètre de 0"\18 à 01ll,20.
On en fait une assez grande consommation, à cause de la
facilité avec laquelle ils s'obstruent, de celle avec laquelle
on les casse en les relevant: enfin à cause de leur faible
valeur.
Les tuyaux vernissés sont souvent employés comme exu-
toires de lieux d'aisance.
On donne aux uns comme aux autres de ces tuyaux, ver-
nissés ou non, l'appellation de (/ar!ol1s, pluriel qOLlâdls 2.

§ :{. - APERÇU DE QUELQUES PHIX.

Les prix des divers objets fabriqués par les potiers sont
des plus variables; aussi ne peut-on en donner le délail
complet. D'ailleurs comme il s'agit toujours de sommes
très faibles, quelques exemples suffiront.
Une jarre non vernissée à contenir de l'eau (lJuihJa) de
grande taille vaut de :{ à {~ peselas (monnaie chérifienne).
Prises en quantité, ces jarres reviennent meilleur marché;

1. En Espagne, dans la région de Valence, les tuiles émaillées en


vert sont encore usitées aujourd'hui assez souvent pour couvrir les
édifices religieux.
2. U"'),)~ phu. û;,)l~.
Allcn. l\IAH.oC.
290 ARCHIVES MAROCAINES

les marchands se les procurent chez les potiers pour 2 pe-


se tas 50 ou 3 pesetas.
Une jarre vernissée intérieurement est un peu plus cher:
un vase de ce genre, de la con tenance de ,10 litres à peu
près, vaut environ 1 pescLa fJO, une jarre d'environ 20 litres
non vernie, de 0,50 à 0,75.
Une plaque de bouche d'égout (lœskésa) vaut 0 peseta 50.
Un kcskes de 20 centimètres de haut sur 30 centimètres
de diamètre en haut et 21 centimètres en bas vaut environ
1 réal (0 peseta 25).
Une marmite de petite taille ou de taille moyenne vaut de
o peseta 25 à 0 peseta 50.
Une grande rna'lIjcnll vaut de ,1 à Il réaux (0 peseta 75 tl
1 peseta).
Un tuyau verni pour la conduite des eaux vaut de .~ II i{
réaux (0 peseta 50 à 0 peseta 75) L. Les tuyaux non vernis
valent environ 20 pesetas le cent.
Les tni les émaillées valent de 12 II ,5 pesetas k cent.

1. Outre la poierie fabriquée il Tétouan même, on trouve encore


sur le marché de ccttl) ville, d'une manièrl) courante, les objets en
terre cuite dont l'énumération suit:
lfejnuir, plur. II/j,lmer, () ~A plur. j'~")' Ce sont de petits four-
neaux en terre cuite, portatifs, sur lesLJlwls on préparl) II) manger
dans prescILw toutes les maisons ambl)s et dans IJPaueoup de maisons
juives, où les fourneaux fixes il la mode européenLle, n'existent pas.
Souvent OLl orne ces fourneaux de raies tracées il la chaux, ou bien
on les blanchit compll:Lement il J'extérieur. Les Juifs notamment ont
l'réquemment cette habi tude.
Les potiers de Tétouan n'en fabriquent pas, mais les femmes des
Djébala en font une assez grande quantité, qu'elles viennent vendre
au marché du Feddùn, il EI-Il'arsa, il Soùq EI-Foùqy. Un fourneau
de ce genre vaut de 0 peso 10 à 0 peso 2~) ou 0 peso 30 suivant la taille
(monnaie du pays). Les plus petits, minuscules, servent à brùler le,;
parfums. lis remplacent, dans les maisons pauvres, les riches brùle-
parfums en cuivre ajouré, sculpté, usités chez les riches. Les Juives
l'ont aussi, pOUl' leur usagp personnpl, <IPs foul'lw:lI1x semblables;
L'INDUSTHIE A Tl~:TOUAN 291

~ li. - LES CARREAUX VERNISSÉS.

Les carreaux vernissés fabriqués par les potiers de 1'<~­


touan et employés tl la confection de mosaïques dont on
décore l'intérieur des maisons riches portcn t le nom géné-

elles les font sécher sur les terrasses, souvent sans s'occuper de les
faire cuire une fois secs. Ils se cuisent seuls, peu il peu, au fur et il
mesure que ]'on s'en sert ponr cuisiner. Certains son t énormes de
taille: ils atteignent un diaml~tre de plus de 30 centiml~tres. Ils ser-
vent il contenir la cendre incandescente (lui maintiendra chaud le
repas jusqu'au d(\jenner du samedi, depuis le vendredi avant le cou-
cher du soleil, puisque le jour du Sabbat il est interdit de faire du feu.
Tâdjîll> plur. (ollâdjell; sortes de plateaux il bords recourbés, de
peu de creux, qui servent il cuire le pain arabe ou mieux les galettes
qui le remplacent souvent. On place pour cela le [âdiill sur le four-
neau arabe plein de braise incandescente; on jette la petite galette
ronde qui sert de pain dans le pdjin, en la rclournant de moment
en moment. Ces !;\djin sont en terre rouge, lion vernissée, mais fré-
quemment ornés de taches, de raies noires concentriques. Tls valent
(l e 1 a' 3l'eaux,
' ' ]( LI pays ( 0 peso :w a 0 peso 7~ .
lI10nnalC 0 ' -)

On trouve encore de la poterie de Ceuta, dite qcholla' 8eb/a (vais-


selle de Ceuta), notamment (ks petites marmites, des poêlons, des
pots, clc., et aussi des!.outldjin d'un usage analogue il ceux que nous
venons de décrire mais d'une forme dilférente. Cc sont de simples
disques de terre pourvus d'une assez longue (lueue qui rend leur
maniement plus facile. Le diaml-lre peut atteindre 2:) il 30 centiml-lres,
le prix ;3 réaux ct 1 pesetas.
Toute cette poterie de Ceuta est, pour l'ordinaire, vernisspe inté-
rieurement (sauf les!ùdj in); elle est rouge, dure, sonore, en général
de meilleure qualité que celle de Tétouan, mais trl'S cassante.
Enlin, il vient du Hir un assez grancI nombre de poteries il rond
blanc grisùl.re ou clùneux, il dessins noirs, (lui sont d'un usage assez
courant il Tétouan, au moins comme ornement, ou bien duns les l(l-
milles rifaines 1Îxées dans la ville. Comme de longtemps probuble-
ment on n'aura l'occasion d'étudier ces poteries sur place, nous croyons
qu'il peul. être intéressnnL d'en joindre ici deux ou trois représenta-
tions.
292 ARCHIVES MAROCAINES

rique de zlâij', ou zellaïdj, ou plus souvent, à Tétouan

I. r;.'lj ou d
j · A Tetouan j . C'est le nom, plus ou moms
e::::l
diversement prononc~, que portent les carreaux en terre vernissée
dans tout le nord de l'Afrique, quelle que soit leur forme et quelle
gue soit leur provenance.
On donne souvent à ce mot une origine espagnole: on le fait dé-
river du mot azulejo qui veut dire qui est de couleur bleue. Par
contre, le Diccionario general de la lengua espailola de Echegaray
(Madrid, r887), fait venir cc mot azulejo de l'arabe: Azzulicha (le
texte porte Az-Zulicha, mais c'est évidemment une faute d'impression)
ce qui est la transcription espagnole de notre mot ez-zelaïja ou e::-
::elâidja, 4:-~~jl ou 4:-jjl. Nom d'unité du collectif e::-::elaîdj.
Cependant le même dictionnaire, peut-être pour ne pas rompre com-
plètement avec les traditions, fait remarquer que les azulejos sont
principalement de couleur bleue.
La première étymologie ne nous satisfait pas complètement; la se-
conde s'accompagne d'une réilexion qui n'est pas exacte.
En effet, après avoir dit que zlâidj vient de a::ulejo qui veut dire
« de couleur bleue JJ, la plupart des auteurs ajoutent immédiatement
que, dans les premiers temps où l'on fabriquait des carreaux, on ne
leur donnait presque jamais la couleur bleue. Ce qui revient à dire
que les Zelàidj étaient appelés bleus parce qu'ils ne l'étaient pas.
Nous reconnaîtrons d'abord, pour notre part, que le mot azulejo
est bien espagnol de forme: mais nous ferons remarquer ensuite que
ce n'est pas là une preuve, quant à son origine; car maintes fois tel
vocable se trouve dans une langue où il est absolument étranger de
par son radical, mais tellement transformé, tellement « habillé J) il la
mode de la langue, qu'il paraît en faire partie intégrante, ayant pris
une terminaison conforme cl même, au besoin, modifié quelque peu
son radical pour se mettre il l'unisson.
Nous poserons maintenant la question suivante: :;/aï~j ne serait-il
pas arabe d'origine ~ cl l'espagnol azulejo n'en serait-il pas dérivé ~
Peut-être zlâidj pourrait-il se rattacher à la racine zldj, ~) qui, à
ses diverses formes, dans ses divers dérivés, nous donne les sens de
« glisser, être ou devenir glissant, rendre glissant, faire glisser, rendre
lisse et glissant, luisant, poli, endroit glissant, glissoire)). Tandis que
la racine :;/11, JI), qui est son (\quivalent, nous donne, dans les mêmes
L'INDUSTRIE A TETOUAN 29:;

même, de zellij. Ce sont des morceaux de terre cuite de


forme très variable, mais toujours de
très petite taille, sauf exception. t~ ~
Leur fabrication se fait suivant les (:%/-1/~
procédés que nous allons exposer:
le potier fait d'abord une plaque Fig. 38.
avec de la pâte, et la fait sécher.
Ensuite il la découpe au couteau, suivant la forme voulue

conditions, des sens analogues et aussi « pierre plate et lisse, miroir )),
(zalaqa, Wj). Tous sens qui expliquent suffîsamment que ::laidja
puisse être un àérivé de zhU.
Remarquons encore que, suiyant l'histoire, les Espagnols ont appris
des Maures d'Espagne à fabriquer des carreaux de terre cuite vernie et
non pas les Maures des Espagnols. Il y a donc beaucoup d'apparence
que les premiers ont pris aux seconds le mot dont ils se servaient
pour les désigner; et pourquoi, au contraire, les seconds auraient-ils
été cherché un mot étranger pour désigner une chose qui leur appar-
tenait en propre et qu'ils avaient créée, ou introduite au moins, dans
la péninsule, alors que leur langue, surabondamment riche, pouvait
leur offrir quantité de termes convenables ~
Nous pourrions ajouter que l'examen de racines telles que Zl!l,

r:lj , zlkh, t!j, zhll], jlbj, etc" toutes équivalentes à zl«j, ~j et zlq,
.:,Ij, toutes ofTrant une profusion de dérivés comportant des idées
de même nature, « être ou devenir glissant, ou luisant, ou poli »,
serait de nature à corroborer l'opinion {lue nous mettons en avant.
Enfin, dans le langage courant, mezel/ej, ~~ veut dire émaillé,
couvert d'un émail, brillant, glissant, poli, luisant, au moins dans
certaines régions.
Hâtons-nous d'ajouter cependant que nous n'afllnnons rien; peu
de questions sont aussi épineuses que celles qui se rapportent à l'éty-
mologie, aucune ne demande peut-être autant de prudence, une étude
aussi sérieuse de l'histoire des mots, chose que nous ne pouvons faire,
faute de temps, de compétence et de moyens de recherche.
En résumé nous exprimons, nous proposons une idée, rien de
plus.
29], ARCHIVES MAROCAINES

(carrés, rectangles, étoiles, etc.) en se servant comme patron


d'un carreau cuit, de modèle analogue, appelé qâleh 1.
On place ensuite un certain nombre deces petits carreaux
sur un support en argile cuite, dit chilia", et dans cet état,
on les met au four pour les cuire (On

=v-
... ~~---:::--_J aI)I)eIle aussi quelquefois Chenia: l
L__

Fig. 39.
cette espèce de support, ou mieux de
Rondeau) .
Une fois cuits, on les couvre d'un
enduit convenable, destiné à se
transformer en émail par une seconde cuisson. Après cette

I. -.J \;. Mot duquel certains arabisants veulent rapprocher le fran-


çais caÎibre employé dans le même sens.
2. ~. C'est le mot employé il Tétouan, comme il Tanger, pour
désign;r" une chaise, il vient de l'espagnol silla, qui a le même sens.
Il doit être cl'origine récente puisque les Marocains ont appris il con-
naître les chaises seulement par le contact avec les Européens.
Si les potiers de Tétouan emploient ainsi un mot étranger d'ori-
gine, pour désigner le rondeau dont ils se servent, cependant il y
avait, parait-il, autrefois (il y a peut-être encore ailleurs) un mot
arabe, car, d'après le Diccionario general etymologico de la lellgtla espa-
iiola, de Echegaray, qui reproduit l'opinion de l'Académie, le mot
espagnol at(fla, qui désigne un objet analogue, viendrait de l'arabe
atefi, même sens, ou même mieux dirons-nous, athâjî, ~~I pluriel
-t ..
de othfiya, :t.A~ 1, qui signifie trépied. Ce mot est encore employé avec
"'
ce dernier sens, il notre su, mais non dans le premier, dans celui de
rondeau.
Peut-être cependant le mot espagnol se rattacherait-il plus facile-
ment il un mot arabe et-t~rel, ~~I que nous avons vù désigner l'ar-
gile, quelquefois même la terre cuite il Tétouan, et qui a bien pu
ôtre employé dans le même sens chez les Maures d'Espagne ou au
moins chez certains d'entre eux. Cal' on s'explique rnall'intercalation
de cet 1 dans le mot espagnol s'il vient réellement de athdfi.
3. ~. C'est Ulle simple corruption de chi/ia.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAX

seconde cuisson ils sont achevés, prêts D être livrés au


con1merce.
On voit que c'est une fabrication très simple, qui ne de-
mande chez l'artisan aucune connaissance spéciale, aucun
goût artistique; il s'agit seulement pour lui de reproduire
les modèles connus auparavant, ceux qu'il a VII faire à ses
patrons, et que ceux-ci, de même, ont appris de celIx qui
leur ont enseigné le métier.

Les formes différentes affectées par les carreaux de terre


cuite qui servent d'élément aux mosaïques sont nombreuses:
on en compte aisément plus d'une vingtaine qui sont fonda-
mentales, ct pour chacune desquelles existe un nom spé-
cial. Dans le courant de la fabrication on préfère adopter
certaines couleurs, à l'exclusion de telles autres, pour telles
ou telles formes, par suite des habitudes que l'on a prises
de composer les mosaïques suivant un nombre assez res-
treint de modèles convenus. D'où il s'ensuit qu'on trou-
vera presque constamment certaines formes seulement en
certaines couleUI's, mais sans que cela ait rien d'absolu.
Le nom adopté pour indiquer certaines espèces de car-
reaux ne varie jamais avec la couleur, par contre il varie
fréquemment avec les dimensions, même si la forme est
demeurée semblable à elle-même.
On a la série suivante des formes principales que nous
indiquons avec les dénominations arabes correspondantes
chaque fois que nous avons pu les découvrir.

A. - SÉRIE DE FORMES TI\L\:\'GliLAIHES

1" Et-Thaleth d'EI-Medebde6. Triangle isocèle dc I cm ,5


de côté; c'est un demi-carré. Se fait en bleu, blanc, noir
et jaune.
2'JO ARCHlVES MAROCAlNES

El-Qirâf 1. Triangle isocèle de 3cm , 7 de côté. Se fait



en vert.

Fig. 40.

3° Touâlet 2 • Triangle ayant pour base 5 cm ,8, pour côtés

Fig. 42.

cm
3 cm ,8, pour hauteur 2 ,7, c'est un demi-carré. Se fait en

1. .11}!. La racine est .1} qrt (équiyalente à ua) qrq) , « cou-


per en petits morceaux )). Dans d'au Ires régions (Constantine, par
exemple, en Algérie) le nom de qirât s'applique aux tomettes de Mar-
seille.
~l,. ..:...)1). ou .:..Jlj. Nous nous demandons s'il s'agit d'une forme
berbère avec t initial et final, ou d'un mot arabe ü-n peu berbérisé
avec t (..::.-) final, sans bien comprendre quelle peut être]'origine du
mot. Voir cependant plus loin une note à propos de la pièce appelée
'l'ouala. Peut-être aussi, et plus probablement, est-ce une simple
déformation de la racine thlth ~\~, qui a le sens de trois, triple, etc.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 207

blanc, noir, bleu, jaune et vert (On touve aussi les dimen-
sions 4cm ,5 de base et 3 centimètres de côté).
4° Et-Thàleth cl' Elferrikh. Triangle demi carré, ayant pour
côté 5cm ,8 et pour base 8 cm ,2. Se fait en blanc, bleu, jaune
et noir.
5° Et-Thâleth d'El-Merreba'. Triangle (demi carré), ayant
pour côté 8 centimètres et pour base I l centimètres. Se
fait en tous émaux, Les carreaux verts de cette forme servent
notamment à la décoration des minarets concurremment
avec les pièces de même couleur, mais de forme carrée.

B. - SÉRIE DE FORMES QUADRATIQUES.

6" El-Medebdeb 1 • Carré de Icm,5 de côté. Se fait en noir,


en jaune, blanc et bleu.
t' Eç-Çamm 2 • Carré de 2 cm ,5 de côté, se fait en bleu, en
blanc, en noir et en jaune (On trouve aussi la dimension
~cm,75 et la dimension 3 centimètres).
8" Zellev' Ez-Zâouiya 3 • Carré de 4 centimètres de côté; se
fait en bleu, jaune, noir et blanc.
gO Ferreilih Çr'îrl,. Carré de 4cm ,5 de côté, se fait en blanc
et noir.
ü
10" Ferreikh Kbir • Carré de 5 centimètres de côté, se

.. ..J.\. Nous ne voyons pas non


I. ,-,...\.• plus l'origine de cette déno-
mination.
2. -~ 1. C'est-à-dire le cc solide, le cornpact », ou bien lc cc sourd »,
mais c'est plutôt le premier sens qui convient.
3. ~Jljl GL;· C'est-à-dire le carreau vernissé de l'angle (ou de
la zâouiya ll). Encore une dénomination dont il est assez malaisé de
trouver l'origine.
4. ~.,c
-
t:.J.· C'est-à-dire Cl le jeune oiseau de petite taille »).

5. .;;.( t:;.~?' C'est-à-dire cc le jeune oiseau de grande taille » (par


opposition au précédent).
208 ARCHIVES MAROCAINES

fait en blanc, en bleu, en noir ct en jaune (Une dimen-


sion plus grande existe aussi, avec 5"m,8 de côté, mêmes
couleurs).
Il'' El-Mcrcbba' \. Carré dc 8 centimètres de côté. Existe
en tous émaux. Les pièces vertes sont employées notam-
ment pour la décoration extérieure des minarets.
La fabrication de carreaux de cette forme et de cette di-
mension est tombée en désuétude.
12° Er-Rcklulma'. Carré de 12 centimètres de côté. Se
fait en vert et peut être employé à la décoration extérieure
des minarets égalemen t ::.

C. - Sl<Snm DES FOHi\ŒS HECTAXGULAIHES ou nÉnrvÉEs DU


HECTANGLE

12" bis. Qtib d' Elmcdcbdeb". Hectangle très allongé, petite


vergette de 2,5X 1,5: se fait en bleu, noir et blanc. (Ony
trouve aussi les dimensions 3 XI,5 et ;) X 1 ou 1,2.
13" O!ib d'Eç-Çamm", Hectangle de 2(,",,5X5 centimè-
tres, sc fait en blanc.

I. ci)l.
~l. Ml;.JI; de r/dultn, Î \;.), marbre, probablcmen t par analogie
avec les plaques de marbre carrées.
3. ~..I.I..J.,)........b;. Le mot ........b; est une prononciation locale pour
... . ... .. ...
...,a;,
ql1(lib, ..... qui veut dire verge. baguette; ici le nom de ce carreau
vernissé' ~ignifie donc: la baguette du medebdeb, c'est-il-dire la
baguette qui s'assemble avec le medebdeb, il cause de la dimension
de son petit coté.

4. -(".,al \~ '7"~'
L'iNDUSTRIE A TÉTOUAN 2()()

Itlo Qtib d'El-Atm)'. Hectangle allongé, vergette un peu

plus grande que la précédente, mais semblable, ayant


t m ,5X2 centimètres, sc fait en bleu, noir cl blanc.
15° f)!ib cl'Ez-Zâouiya~. Hectangle de tl cm x8centimètrcs,
se fait en blanc.
16° ()tib cl'El-Ferreikh Ec-Ç'Yir'). Hectangle allongé, ver-
gette échancrée aux deux petits bouts, dimensions en centi-
mètres t. ou tl, 5 XI, 5 (l'échancrure a une ouverture et

_ _J
2
une profondeur de ocm,3 à oem,4) se fait en blanc (Existe
aussi sans échancrure aux bouts).

r, ~I}\ll,; ..1;. C'est-à-dire (la baguette des cùtés). Probable-


ment parce qU'O;1 "s'en sert pour en former les cùtés des mosaïtlues et
les encadrer.
2. ~)IJI';~.
3. ->::~.a.ll r:~~~I,; ,:,,:k;. « La baguette du jeulle oiseau de petite
taille)). Cette pièce est ainsi appelée parce qu'elle entre en combi-
naison avec le Ferrîkh er'îr.
300 ARCHIVES MAROCAINES

17° Qtib d'El-Ferreikh El-kebîr1, de forme semblable,


dimensions en centimètres 5X2 OU5X2,5, profondeur et
ouverture de l'échancrure oem,5 (On trouve aussi les dimen-
sions 5cm ,8 XI c m g) se fait en blanc et noir (Existe aussi sans
échancrure).

D. - SÉRIE DE FORMES DÉRIVÉES DE QUADRILATÈRES PLUS ou


MOINS IRRÉGULIERS.

18° KemmoLÎnî'. Losange ayant I cm ,5 X3 cm ,2 de diagona-


les, et 1 cm, 8 de côté. Se fait en bleu, blanc et noir.
J
l gO Qdïrn ou Ndïm: • Trapèze ayant pour dimension des
bases en centimètres: r cm ,2 et B, et pour hauteur r ,3, sc
fait en blanc et en noir.

Fig. 45.
\ Fig. 46.
/ L:7 Fig. 47.

20° Louîza". Quadrilatère formé de deux triangles ajoutés


base à base : Bases de ces triangles (petite diagonale du

1. -,:zSC.\I ~~~I; ~. « La baguette du jeune oiseau de grande

taille ». Cette pièce est ainsi appelée parce qu'elle entre en combi-
naison avec le (Ferrîkh el-kbîr).
2. J..,Y par analogie avec la graine du lœmmoun, cumin, un des
ingrédients de la cuisine arabe.
r:
3. f.:"~'" 13 • C'est-à-dire « debout et couché)) il cause de la façon
dont on emploie cette pièce dans beaucoup de mosaïques, la plaçant
tantôt de manière gue sa grande base soit horizontale et tantôt que
cette grande base soit verticale.
4. 0..1). C'est-à-dire « la petite amande ». La dénomination appli-
quée à cette pièce lui vient évidemment de sa forme.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 30:\

quadrilatère) r centimètre; grande diagonale du quadrila-


tère 2 em ,3; côtés, respectivemento Cm ,8 et r cm ,7, se fait en
toutes couleurs.
2 r ° Zor' mt. Quadrilatère allongé, vergette mince, de 5em , 1
de longueur sur 1 centimètre de large, pourvu sur ses bords

Fig. t,8.

d'angles rentrants correspondants à des pointes du bord op-


posé, de sorte que dans un bout un angle rentrant et une
pointe sont dirigés vers la gauche de l'axe, et, dans l'autre
bout, vers la droite (voir le dessin). Saillie de la pointe et
profondeur de l'angle rentrant, ocm,5, se fait en blanc et en
nOIr.

E. - SÉIUE DES FORMES POLYGONALES DE PLUS DE QUATRE


COTÉS.

22° J1fezhiriya ](6i/'[(". Hexagone ayant à peu près 2"1ll,5


de côté, verni. Se fait en jaune, blanc, noir, etc ...
2.)° Merebba'3. Carreau en terre cuite hexagonale, non

,. .si-JI, cc le grognon, le taciturne)), probablement à cause des


nombr~ux accidents, saillies et angles rentrants, dont cette pièce est
pourvue.
?. ~~?~~;1>j" probablement de la racinezhr, -,~j, Heur, à cause
de la forme cIe la pièce qui rappelle un peu celle d'une corolle large-
ment ouverte.
3. Li) 1. Régulièrement, si l'on se conformait aux usages du langage
littéral et 11 ceux de la technique géométrique arabe, ce mot devrait
.102 ARCIllVES MAI\OCAINES

venn, analogue à la tomette de Marseille. Couleur rouge,


naturelle, celle de la terre cuite. Longueur de chaque c(')[é,
3cm ,'j,

Fig-. JO.

:dl" Ile z!ÛI' iYIl (> lm::. Octogone ayan [ pour eôlés altel'lla-
tiyement 1 cenlimt"trc ct 1"Ill,G, Se fait e/l JJlunc.
?~)"[(Illifem (:,"im", Polygone étoilé dériYé de ['intcrsec-
tion de deux carrés, ou si 1'011 ycul d'un carré de :~"",). ou

siguiGer 1111 « card' )) d non llll cc lll'xagOlH' :J, dont le 110111 est !'(:gu-

lii'l'f'llWllt IllOser!r!es (0"'.)-.)' c'l'sl-il-dil'f' (e liglll'f' il six (,,')\ps )).

:\. :;)'\~";> :t,...lP)·.•. 011 dit aussi ,Ill IllUsculill f·,'f-l!I':!tiI'Y, 0J'.ill:il. Il
.... - .. - - '
l'Il psI de Il U\II H, dl' la fOl'llll' Il'' :1:1.

il. :;)~.:...o (' \;,., C'esl-iL-dire « le peLi t SCl'au )) il causl' de la fOl'lne de


celte pii.ce qui l'appelle vaglwll1l'lIl, qUDir]lH' avec plus de poilltps, la
Iîgnl'e cOllnup (lPs aralH's SOIIS Il' nom de « khrllpn\ Sidn,l Soltm,lu "

(w\.... J~ ~...\ ..... r\;') el qui l'~sulle dl' la \'(:nflioll de dplL\ lriangl('s
r"quiïal~rat;\ sécants. A l'emarquer qne, l'l\;'ulii'remeul, le mot kfui/nlt
est masculin pt que cqwlIClanl les T{,t(mannis l'enl[Jloipnl au féminin.
Ils fOllt f'ri'quelllllH'lIt dcs 111111l'S de ce genl'e COlllllle loujours cela se
produit l'Il pa~'s berbi're arabise: ou arabe l(n'leml'nt Iwrbr"risr',.
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN ao:'!

~1 centimètres de côté SUl' le milieu de chaque face duquel


sc grefferait nne poin te saillan te, de ol'm ,2 à ol'm ,3 de hauteur.
S'assemble notamment avec le ()abarchoûn Çr'ir et le Qtib
d'El-FCI'/'eîMt El-KM/'.

Fig. rll.

'>'6 Khâlem KbÎl'(( 1. Etoile à 8 pointes, formée pal' l'in-


0

tersection de ~1 carrés, diarnèll'e (1e pointe en pointe !,l'm,8,


saillie des pointes o l'Ill ,5 à ol'm, 6, longueur de chaque côté
(il yen a di naLllrcllernenl), ] cenLirn(~tL'e. Sc fait en IouLes
couleurs, s'assemble notamment a HlC le f)((lWI'c!lOûn KbÎl'.
FIut'1 cm (./'J-'ll'
27 o 1\ '-- '1'1'1'1'1'Il
î 1 J~ç-
P (-'
/1'1' '"' -', 01'1 e a
, '•. -l't '00 pOIntes
.

ou mieux polygone régulier étoilé de côté, diam(~tre de


pointe en pointe, '>,l'llI,2, saillie des pointes (ln",:-\. Se lilit en
bleu, blanc ct jaune.
28 J(/uilcm cZ'El-FCI'I'eikh EI-/(b;I". Etoile à 8 pointes,
0

1. '!,.)~ f \;.. C'est-il-dire (( le grand SCI'<lU ,).


'1. X,aj\ t:::..)~\\~ f\;.· C'est-il-dire « le sceml du jeune oÎse<lu de
petite taille» parce que souyent celle pièce entre en combinaison ayec
celle <lppel(>e (( ./el'I'I'/Ï,h dl' '1' )).

3. ~Cll t~.)~I~ f\;.. C'est-il-dire (( le sceau du jeune oiseau de


30-i ARCHIVES ~[i\ ROCAINES

semblable à la précédente: dimensions de pointe en pointe,


cm
2 ,5, saillie des pointes, 0""\05. Se fait en bleu, jaune.
noir, vert et blanc~
29" Tluulchl'l ou Tlllulchc/' 1. Etoile à 12 pointes et
2!' côtés, diamètre de pointe en pointe, 5 centimèrcs, saillie

Fig. rd.

d'une pointe, 0"''',9, longueur d'un côté, l centimètre. Se


fait en toutes couleurs.
30" ()abal'cllOûn (:/" il' ". Croix tl branches égales, chacune

grande taille )J parce que souyenl ceUe pi~ce entre en combinaison


avec celle appelée « FerreÎ!dt KMr ».
1. r\~ on ~r\.:.:;· C'est·à-dire « qui a douze (pointes) JJ. Déri,é
du mot {/triche!' ou t1mrichel' c;:\.:; ou .,;:~) qui veut dire douze dans
le langage des T\\louanais ct (lui est une contraction de cc thnîn achra )),
deux et dix, ô";:'ç. ~;~.

2. X~411 ~';)~~J1: « Le petit Qabarchoun ». Ce mot semble ayoir


l.'INDt:STHlE A Tl::TOGAN 30;';

terminée en pointe, diamètre de pointe en pointe, 2 cm ,8,


base de chaque branche, longueur
OCl11, 7, longueur de la partie en pain te
de chaque branche, ocm,3. Se fait en
blanc.
31 11
C)abw'c/wûn Kebîr 1 Même
forme. Diamètre de pointe en pointe,
;{CI",8, base de chaque branche, I cm ,2,
longueur de la partie en pointe de
chaque branche (ou hauteur du Fig. ~)'I.
triangle qui la termine), ocm, 5. On
trouve aussi cette forme avec (l cm ,8 de pointe en pointe
pour s'assembler avec la IOlâtem Kbira.
:b Touâlla~. C'est une figure dérivée de la précédente
ll

par suppression pure et simple d'une branche de la croix.


IL reste donc trois branches dont les dimensions sont les
mêmes que celles des branches du C)abarc/lOûn Kbîr. Se fait
en toutes couleurs.

une origine élrangère. Peul-èlre YÏenl-il de l'espagnol capara:on pris


dans le sens de « armature d'os qui reste du corps d'un oiseau
lorsqu'on en a retiré les quatre memhres )) (Diccionario etymologico de
la lengua Espaiiola de Echegaray). En effet la pièce de terre cuite ver-
nissée dont il s'agit peut (Svoquer par sa forme, par les bras dont elle
est munie, celle de la partie du squelette d'un oiseau, ci-dessus dési-
gnée, avec ses apophyses.
1. J::s() /.:.,)~~ 1: « Le grand Qabarchoun ».

9.. :d~ ou :dl}. Mot dont l'origine nous est inconnue aussi bien
que le sens primitif. Doit-on cependant le rapprocher de !oûla, tha-
Ioula, tlwulila, l1wuloul, thouala? mots qui tous veulent dire verrue,
et quelquefois par extension l>J'ste, loupe, ce qui fait saillic sur la peau,
il y aurait un changemcnt du th (.::.,) en 1 (.::.,) ou en ! (.1), fait fré-
quent il Tétouan. « Le nom de la pi(~ce lui aurait été donné alors de
ses saillies)) ou plus simplemenl n'est-cf' pas une simple déformation
de la racine .:.X, lhllll.
ARen. MAROC. 20
AHCHlŒS MAHOCAINES

.33° El-Pèsi. Carré à ctltés curvilignes concaves. Diago-


nale, 6""1,8, distance d'un angle à l'autre consécuiit~, 1,"",/"

flèche de la courbe d'un ctd.é, o"",G. Se fait en toutes cou-


leurs.

F. - FOH\IES lI\H1(GULlhŒS ET 'T1XTES.

3fl" Zellaij tl'Et-Tes!iI'2. On groupe sous cc nOI11 une


série de formes, assez il'l'égulièrcs quelcl'lcfois, servant, pal'
leur assemblage, à l'ormel' ces rosaces à entrelacs compli-
qués qui sont parmi les plus beaux lnotifs de la mosaïqu()
Tétouanaise.
On peut citer parmi les principales:
A. Hexagone irrégulier, i<mné pal' l'adjonction tl 1111
rectangle de:>. triangles accolés aux petites hases; dimen-
siolls: grande longu()ur de pointe en pointe, :J"III,!), largeur

1. lS""~\. C'est-il-dire « l'originaire dl' Fi·s C..r'~) n. Est-cc parce


qne cette forme a él{~ cr{'ée par les céramistes de Fès ,1

2.. ~ll~
~
?<-L. C'est-il-dire « les carreaux vernissés des entre-
I..:.-~

lacs JJ. Le mot tcs{i/' csl employé dans dilr(~rf'nts cas, dans ks arts df's
bùliments, dans la scnlptf'rie sur bois pl'int.
L'INDl:STnm A Tl::TOUAX 307

2 cenl.imètres, longueurs respecliYf's des clltés, ] fnl, 5 et


l {'nI, 8.

Fig. ~)~L

/J. Losauge apnt pOUl' cliagoTlules ;{flll.G ct ] l'Ill, 8. Ion·


gUf'ur du ct>!é 1 .. ,n, ~l on ">' cenlimi"trf's.
C. J1exagonf' régulif'r de J l'n,,~) de CiÎ/I~.
D. Oclogone h anglf's rentranls ct sortanb, fOl'ml" par
l"adjonction il un rcclangk, Il 'un triaugle de hase égale au
petit ciHé SUI' l'un de ces petits côtés, ct d'un triangle bien
moindre que l'autre il pointe cxlérieure (voir la figure).
Longueur de pointe en pointe B centimètres, largcu!' 2 cen-
timl~tres, longueu!' du cùl.'~ principal leJn. Î , cMé du plllS
3"1'0)\(1 triangle ,""',G.

Fig. ~lD li'ig. 1;0.

g Figure analogue sauf que la pointe du petit triangle


ajouté h l'un des petits côtés sc (l'ouve dirigée ,"e!'s l'inté-
rieur de la figure, Lon gueur de poin te en poi 1110, 'J. '''', 'J., pOlit'
\0 resle comme ci-dessus,
V Hexagone mixtiligne à angles rentrants ct sorlanls,
ayant un grand côlé conn'xe (Hè'che ueJn,G, distance d'une
extrémité il l'au Ire (,"lll,S, deux grands côlés concaycs (dis-
:308 ARCIIIVES MAROCAINES

tance d'une extrémité à l'autre 3 centimètres, {lèche 0"1ll,3)

Fig. Gr.

et une base (longueur 2 "Ill ,2) pourvue cl' une échancrure trian-
gulaire (hauteur o""\ G, hase O""I, 7)'
n y a encore d'autres formes plus ou moins compliquées.

Fig. G~-lill.

Les formes dites de Testil' se font en taules couleurs.


35" Chcl'l'âJa 1. Figure assez compliquée, sorte de merlon

I. :i.:I~. C'cst-à-dirc « ccllc qui sert de feston ». Cc mot est


employé pour désigncr cn architecture lcs « mcrlons » il cùtés décou-
pés, à redans, ([ui surlllontcnt, dans un grand nombrc de cas, les
murs dcs édificcs marocains, notammcnt les murs des fortcresses, des
citadelles, clc. On a donné cc nom à la piècc dont il s'agit il causc de
sa ressemblance avec un quclconque de ces mcrlons. On cmploie d'ail-
L'INDUSTRIE A TÉTOUAN 30U

à contours mixtilignes, hauteur 6 cm ,3, hase 4cm ,5. Se fait


en blanc et en noir.

Nous n'affirmons pas qu'on ne puisse trouver actuelle-


ment dans le cornmerce aucune des formes que nous
venons de mentionner en d'au-
tres couleurs que celles que
nous avons indiquées. Mais celles
qui sont courantes sont précisé-
ment celles que nous donnons
ci-dessus.
Il est clair aussi qu'on pourrait
trouver encore dans le commerce,
même aujourd'hui, quelques au-
tres formes de carreaux, mais
moins communes, d'un usage
moins courant, et dont les noms
sont peu ou point connus, même
de la trh grande majorité des
praticiens 1. C'est pourquoi nous
ne les mentionnons que pour
mémoire, et c'est pourquoi en- Fig. f):i.
core nous n'en donnons pas les
dénominations qui s'y appliquent, n'ayant trouvé personne
qui pùt nous les indiquer. Mais nous espérons pouvOlr
un jour oil l'autre combler cette lacune ct faire alors de

leurs les cherràfa de façon analogue aux merlons pour couronner les
soubassements mosaÏl{ues qui recou\Tenl les murs jusqu'à hauleur
d'appui. en les disposant il hauteur de la cimaise dont elles tiennent
la place en formant une sorte de frise. On les dispose encore au lieu
ct guise de plinlhe au pied de ces mêmes soubassements.
1. Yüir plus loin ce que nous disons il propos de la décadence de
l'industrie des carreaux vernissés ct de la plus grande variété de
formes que l'on rencontre parmi ces carreaux en étudiant les anciennes
mosaïques.
Ancrll\'r~S ,\L\!WC.\l:'l'ES

quelques rcnseignements complémentaires l'objeL d'une


note additionnelle.
Quelle que saiL leur f<H'llIC, ces carreaux sont de dimen-
sions nn peu plus forte" tl leut' "urface extérieure, ycrni,,-
s('.c, (lU'il lcur "ut'ülee intérieure, celle (l'li s'applique "ur
\e" parois il revôtir. L'objet d'IIlJe pareille dispositiun
e"t de pcnlwltl'e au morlier de s'insércr cntre les fragmenls
dl' la mosaïqne de façon llles maintenir "o!i(lement les uns
contre les autres, salis qu'il soil besoin de laisser dïnler-
ndle trop sensible cnlre leurs lignes, cxlérÎeurClllclIL et
d'évill'r ainsi de rompre l'kll'lllonie du dessill.
L'épaisseur unilorllw des carreaux esl de ({'", 1,'),
On lrouve aussi des carreaux émaillés, sur deux l'ac('s,
'pour bagueLl.l's (I·angles. Ce sont des prismes droits ayant
l'li général 18'"',;) de long, '2 cenlimèl['(~s de face dans un
SellS cl :)'"1,5 dans l'autre. \lais OJI peut aussi en trouH'I'
dans le COllllllerce d'aulres dimellsion,s ou en faire lilire.
Le procédé de fabricalion des carreaux vernissés excint
naturellement une grande précision dans les mesures <[u'on
leur donne, Aussi taules les dimensions indiquées ci-dessus
sont-eUes susceptibles de yarier de qUciqIlCS lllilliml'tres.
Ilien n'empôcherait non plus, le cas échéant, d'en Llirc sur
d'autres dimensions,

~ ,l, -,-- Les C],H::LHES t.

Les glaçures en usage il Tétouan sont de deux sodes seu-


lement "
1" Les vernis;

2" Le" élllau x.


Les CO/WC l'les sont illcollllues.

1. Le nom aralJC u:;il(~ il Tétouan pOUl' désigncr imlisLinclcmcnt

LouLe espèce de glaçurc est J1. (tli).


:111

1" LES vmC\lS. OU '\I!EUX I,E VEllXIS. - Sc compose d'ull


enduit vitrifié composé de plomb et de sable, intimement
mélangés après avoir été pOl'ph)'l'isés dans le mortier puis
convertis en pâle semi lluide pal' l'adjonclion d'unc quan-
tité (1" cau sullisante. C 'cst dune unc sorte de verre de plomb.

2" LES hlAU\. - Il Y a cinq sOl'les (l'émaux, dont un


seul, Je vel'l , cst ulilisé pour la polerie, cc sont :
Le blanc (l uiw.l en arabe) [ ;
Le noir (lIœfwl )) r;
Le jaune (/lt.;ji(/· )) )'l:
Lc vert (J!J/I,lw' » ) :, :
Le bleu (Bl'liJ'1l » )'.
Très simple cst la fabrication de ces émaux. Elle ne com-
porte jamais qu'une scule recuite des biscuits, ct (jlùme
seule application de la mati(~re (lue la cuisson transforme
en émail, puisque la teiute d'uuc pièce donnée est toujours
platc ct uniforme.
D'une façon généJ'üle ces l:maux ont le grave illCOllYé-
nient d'être d'une durelé tr(~s médiocre, de sode quc les
mosaïques élablies sur le sol s'usent lrès vile au frollemenl
des souliers, dans les maisons enropéennes.

1. ..P:;\, tennc uni ycrsellcmcnt cm ployé eu arabe.

:!. ub-.51, .terlllC llnlYCrsdll'mcllt cmployé en arabe.

3 . .)~.,ol, terme unilerscllell1ellt employé en arabe.

', . .râ;'I, Lenne uniyerscllemenL employ'" cn arabe.


;.J. ~.. l...;_,l. Ce terme esL clllllllHé
. .J
il 'J'douan el Tano·cr
Û
l)ollr désinncr
û

le bleu fancl-, un peu yiolacl-, Il' blcu marine, ('[c."'ons cn ignorons


l'origine. Le mot a:raiJ. (J))\) , génl~J'alem('nL emploYl~ parLont aillelll's
pour désigner le blcu ayec scs diyerses nuances, ne se dit au contraire
il Tl:touan et Tanger (I11C des bleus plus 0\1 moins clairs; jamais l'Il
LO\1S cas il ne s'applique aux cal'l'l'anx Ycrnissl~s.
:112 AHCHIYES :\IMWC.\IXES

On rencontre ù chaque instant, dans ces mosaïques un


peu anciennes de date, des carreaux qui ont perdu une
partie de leur émail et qui montrent, comme autant de
taches irrégulières, le rose de la terre cuite; ou même, dans
des mosaïques plus vieilles encore ou plus fatiguées, on ne
trouve plus qu'une nappe rosâtre avec quelques parcclles
d'émail çà et là demeurées, le reste ayant ù peu près com-
plètement disparu.
Ces mosaïques établies sur le sol ne se conservent dans
de bonnes conditions que dans les maisons indigènes où
l'on marche pieds nus ou avec de simples bas ou chaussons
d'intérieur sans semelles, en tous cas jamais avec les chaus-
sures qui, dans la rue, se sont chargées de sable, de menus
débris de toutes sortes parmi lesquels des corps plus ou
moins durs et corrodants. Les mosaïques murales, qui
n'ont pas les mêmes inconvénients ~l redouter, peuvent
durer des siècles sans rien perdre de leur éclat.

Voyons maintenant les caractéristiques particulières de


ces différents émaux :
Le Blanc est en général très pm; quelquefois cependant
on peut lui reprocher d'Nre légèrement teinté de bleu ou de
gris, ou un peu jauni, ou un peu rosé. Cela est dû, sans
doute, aux émanations métalliques des au tres émaux que l'on
a pu faire cuire en même temps, sans précaution suflisante.
Le NaÏl- n'est presque jamais absolu; le plus souvent il
est un peu roussâtre, se rapproche davantage de la teinte
dite bitume en peinture que du noir \Tai: dans les produits
inférieurs il passe presque au brun Van Dyck. Souvent
aussi il est inégalement éLalé sUt' la surface d'un même
carreau, quand celle-CL est un peu éLendue de sorte que
certaines parLions, cOlnerLes d 'un épais enduit, sont très
chargées en couleur, ct que d'autres, où l'enduLt est mince,
laissent presque trauspal'aître la couleur de la terre cuite
sous le glacis bru n.
L'INDUSTRIE A T~:TOUAX .113

Le Jaune est en général très ocreux, c'est presque de


l'ocre jaune pure ou de la terre de Sienne naturelle; quel-
quefois, cependant, il prend une légère teinte citron. C'est,
dans l'ensemble, une des couleurs les plus franches, les
plus belles et les plus riches de la série.
Le Verl est presque toujours un vert foncé, un gros vert
rappelant le ved de vessie employé en aquarelle. C'est d'ail-
leurs le même émail que celui que l'on trouve si fréquem-
ment emplo)é en Espagne ct dans le Midi de la France
pour les pots, cruches, jarres, etc., destinés à conserver,
l'cau, les provisions, etc., cl qui, si souvent, y est appliqué
seulement sur une partie des surfaces, de façon il trancher
avec les tons rosés de la terre cuite. Cet émail vert est très
constant de teinte, mais peu brillant, un peu trop sombre.
On l'emploie peu souvent en combinaison avec les autres
émaux pOUl' {aire des mosaïques, sauf quelquefois avec le
blanc. Mais plus fréquemment on le combine avec lcs
tomettes de terre cuiLe pour couvrir le sol dans des condi-
tions suffisamment économiques mais médiocrement déco-
ratives.
Les anciennes mosaïques, les tuiles ancicnnes, les car-
reaux qui recouvrent une partie des faces des anciens
minarets, présentent des teintes vertes plus [ranches, plus
claires et plus gaies, tirant davantage sur le vert éme-
raude.
Le Bleu (Brâya, et jamais Azraq nous le répétons), est
un bleu un peu violacé, une sorte d'outremer très foncé un
peu rabattu de rose et quelquefois de noir ou de teinte
neutre, qui le fait pencher vers la teinte ardoisée. C'est donc
une nuance peu vive, peu gaie, quand elle est employée
seule avee le blanc, mais qui s'oppose heureusement, en le
faisant valoil', au jaune ocreux. Quelquefois ce bleu devient
plus clair, tire un peu sur le cobalt ou le bleu de Paris,
quelquefois sur le bleu gris.
En somme la gamme est plutôt sévère.
:JI'! AHC[lln~S 1IAI\OC\II\ES

Lcs émaux préscntent CJl général un autre déJ'aut. Leur


épaisseur est peu unifonne, d'olt il suit que, sur cles sur-
faces uu peu gl'andes, l'intensité cie \eur teinte val'ie l1l;ces-
sairement dans des proportions par trop facilement appré-
ciables; le dé lillL t est ,;urtout ,;ensib1e pour le bleu ct le noir.
Il tient évidellnuent tl la manière trop primitive dont uu
llépose l'enduit tl la slu-face de la terre cuite; il serait facile
d'y remédier avec uu peu plus de soin,;,
Signalons un dernierdéJ'auL; fréquemment la snr1~H'e des
(;tUallX est boul'soullée de petites éminences, provenant sOlt
de ce que la pelte avec laquelle ils ont été raits eOJllenait de
légères hulles d'air, soÏL de ce q u 'eUe l'en Cerrnait lluelll ue,;
corps étrangcni.
Encore un défaut p('()venallt d'un manque de :-;uins el
qu'il serait hien facile d'éviler.
Les divers émaux ci-dessus énumérés Ile SOllt pas toujours
absolument 0pil(lues; fluelqucfois ils pr<~sclltcnt lin cerlain
degl'l~ atlélHll~ de transparence ct paraissent tirel' sur le
vernis; toujoun; les carreaux qui les portent présentent SUI'
leur centre un ll~ger hombement, cc qui facilite les jeux lk
lumière, SUl' les joinls, U1W fuis (Pl "ils sont en place. el c(~
qni cOlllribue pal' Hl tl l'éclaL des mosaùlucs.

La 1il\'011 clonton obtielltlcs clivel's énwlIx estlasuivanll':


Email b/allc(lbilll,/). -- C'est un silicale d'étain.
On broie dalls un pelit has:-;in appelé s((/I/'I'//, SOli:" IIl1e
certainc couche d'cau, un lingot d'étain ((j((çdl/') ' enlrc
deux pierres appelées mes{w(/ el-fjw,'dl/'::, ct don t l'une est

1. ~fi"'"

2. .J....\~. L'l'tain Yaul ell\-iron :Ei peselas le (Iuinlal il Tétouau.

~) . .J....\.,a~1 -.;""_". C'est-1Hlire ce qui sert 11 broyel' l'étain, de sil/l,


J""...., « broyer, puhériser »).
fixée au fond du bassin, l'autre tenue dans la main de l'opé-
raleur. L'cau se cha,'ge d'une ccrtaine quanlité d'étain en
suspension: {luand on la considè're comme assez chargée,
qu'elle menace de déposer, on la relire ct on la ycrse dans
une jarre dite k1l1iuya 1. On continue il hl'Oyel' le lingol
d'étain de la même façon que ci-dessus, jusqu'à cc {Ju'on ait
complètement utilisé le lingot d'étain, versant chaque fois
l'cali du bassin dans la jarre.
On laisse celle cau déposer les lnatièn's qu'elle tient cn
suspension cl. on la laisse reposer trois jours dans la ,ia ITe: il
sc Conne llll précipité (l'un hlane sale (oxyde d'élaill); UII
décanle, on luet il part le précipité ct l'on conserle l'cau
dans laquelle il s'est formé.
Le pr(;cipilé est mis dans un récipient; 011 .Y ajoute pal'
padies égales du sahle de l'Oued Qit<1n. ou dcs Cal'ril~l'f's
ayoisinnntcs, qui a ét() lui-même pulvérisé entre deux
meules puis soigneusement bluté aulalnis trl-s fIn, à fils de
soie H'el'Del", On ajoute la quantité d'cali nécessaire pour
faire une p<1te assez coulante, en sc servant pour cela de
l'cau de la jaJ'l'e, que 1'011 avait mise {le côl<S.
Il ne reste plus qu'à meUre cn conlact direct avec cette
pùle la face des earremL\ {l'le l'on ycut ()mailler cn blanc,
cc flui sc fait en les portanl II la surface de la p,He, sans sc
seryir de pinceau, Ili de l'iell d'analogue (on appelle celte
opérai ion slis, isolis'; 011 di t isoûsoll'o pOil l' : on {l'cmpe le
('({l'''CIII{ drins la IHilc à (: 11I11 il) , puis on fait cuire.

3. û'L., aol'. û'~' l\ous ne connaissons pas d'autres sens \oÎsins


dl' celle J'Gcint', qui a, par ailleurs, en arabe l'l,S'tt/icI', le sens de
( gOllycrner , soigner, donne'!' ses soins ).
316 ARCH! ŒS ~lAROCA1?'ŒS

Énwil noir (Alœ(wl). - Ce doit être un oxyde double de fer


et de plomb.
On commence par calciner du plomb (klif(l) 1 dans un
petit four appelé mahrctq", puis on le pulvérise, en le
broyant (se(wq) est le terme cm ployé) dans une sorte de
mortier de pierre appelé mes(wq l,. On blute au moyen d'un
fin tamis à fond de fils de soie.
D'autre part on pulvérise dans un mortier analogue le
minerai appelé merennsiyat'i. C'est un minerai rouge
sombre, qui vient de Bordj EI-Fenar G (Cap Spartel) et qui
est analogue au minerai de Beni-Saf cl 'après les indigènes. Ce

I. ~. C'est-à-dire « léger n. Ce métal est ainsi appelé par anti-


OMO

nomye à cause de l'idée défavorable qui a fini par s'attacher :l son


nom véritable « reçâç ", ual.o) qui sert aussi à désigner « une balle
de fusil)). C'est pour ne pas éveiller cette image, considérée eomme
fàcheuse, dans l'esprit de l'interlocuteur qu'on emploie de prélérence
du mot k/~nf; mais comme, d'autre part, ce même mot khfifs'emploie
aussi de plus en plus pour désigner une balle de fusil, par une ana-
logie facile :l comprendre, il s'ensuit qu'il sera bientàt tout aussi
démonétisé que celui qu'il a remplacé. C'est un cas fréquent en arabe.
Le plomb vaut de 35 à !)5 pesetas le quintal, à Tétouan.
2. J..):>::A. C'est-à-dire « l'instrument où l'on brùle, où l'on cal-
cine». Ce four est plutàt un simple foyer pourvu d'un souillet pri-
mitif. où le méta! est calciné il l'air libre dans un creuset. Nous aurons
l'occasion de le décrire plus en détail en parlant de la bijouterie.

4· J>_A.
f). ~;;,.. C'est à chaque potier de se procurer la quantité dont il
a besoin en se rendant au cap Sparte!. Le minerai est ensuite trans-
porté par mer à Tétouan. 11 revient à 25 pesetas environ le quintal
du pays (monnaie chérilienne).
6. )~I V: « La /OW' du jàna[ ».
L'INDUSTRIE A T~~TOUA~ 317

doit donc être un minerai de fer. On. monde; on blute au


tamis de soie.
On mélange ensuite 1/8 de poudre de mereunsiya avec
7/8 de plomb calciné et porphyrisé; on remet le mélange
dans le mortier dit mesfwg; on mélange et on porphyrise
à nouveau.
On mélange avec de 1"eau, de façon à tr'ansformer en pâte,
et on couvre la surface des carreaux que l'on veut émailler
en noir, en procédant comme il a été dit ci-dessus pour
l'émail blanc: on porte au four et l'on cuit.

Email jaune (Açfar). - Ce doit être un silicate double de


fer et de plomb (ou de fer et d'antimoine!) plus ou moins
sulfuré, car les matières premières sont:
Le ko(wul', matière dont se servent beaucoup les indi-
gènes, que l'on donne généralement comme un sulfure
d'antimoine, mais qui n'est presque jamais autre chose que
du sulfure de plomb plus ou moins pur.
La lèfza 2; ce nom est souvent donné par les indigènes
au grès tendre; dans l'espèce il paraît représenter une ocre
sableuse, ou, si l'on veut, un sahle un peu cohérent, forte-
tement teinté d'ocre, qui vient du lieu dit Et- Ta ulla ':l, au
pied du Djebel Darsa, au-dessous du cimetière juif.

°V
1. J>--:l . Ce même terme est employé quelquefois dans les ouvrages
arabes pour désigner tout eollyre (puisque le principal usage du sul-
fure de plomb et du sulfure d'antimoine, dans la vie musulmane,
est précisément de faire un collyre bien connu), et aussi pour dési-
gner l'antimoine lui-même, par extension.
:.L o~~t. On ne doit jamais traduire cc mot arabe en lui donnant
le sens de tu] COlllllle le font beaucoup d'Européens, qui se laissent
conduire dans ce cas par une vague analogie de son entre les deux
mots.
3. cl.,kl\: « La petite montée, la petite cote )).
AHGIIIVl<:S .\IAHOGAINES

La 111/'za esl concassée, pulvérisée, blutée cL tamisée au


tamis de soie,
n'autre pal-t, le/w(wul subit la luème opération, On mé-
lange les deux poudres pal' parlies égales en porphyrisant
à nouveau dans le mortier; on ajoute la quantité d'eau né-
cessaire pour tranfornlcl' en pûtc semi-tluide ct l'on COUHe
la surface des carreaux comme il a été dit précédemment.

Email val. 41.11(/((/' , - C'est lUI o,'ryde dOlllde de cuivre


l'l de plomlJ, - On calcine ensemblc dans le four appel(~
IIW(U'({Ij, trois parties de plomb 1,1IJif ct une pari ie de 1'0-
gnurcs eL dc linHlilles de cuiYl'c rougi' 1. On cOllcasse. 011
pulvérise et porpllyrise le mélange obtcnu dL/ns le lllOrlier
dit mes(wif; ail monde, on blutc et on tamise; on Dlil
enfin avec la poudre oblellue une pûle COlnllle il a ét.é dil
ci-dessus pour les autres émmn:.

Jr.'rnailldeu (1JI'âya) , - Cc doit êlre un silicate complexe,


{l'alumine. de soude. de plomb ct de fer avec un peu de
sClUfl'C si l'on s'en tienl LI la nature des mati(-rC's premières
(Jlli servent LI l'obtenir,
P/omlJ (ldd'if).
Nil' (bleu à bleuir le linge), sorte d'outremer, industriel-
lement iabriclué, malgré son nonl vulgaire cl 'indigo, cn
Europe avec le lapis lazllii naturel ou artificiel, c'est-à-dire
avee un sillicate cloublecl'alumine cL de soucie contenant en
outre un peu de soufre ct de fer.
On calcine le plomb HUrOU]' dit J1a(IJ'(/(J cl, on le pulvp-

1. 011 appelle ch/d)'a, 4;,\1.:' (pour ChClflw)'lI, 4;, ~), ces di-bris de
cuivl'l'. Ils se vendent environ 0 peso :"j la IiHe.

:1. ~~j. On dit plus ordinairemenln/fa, :lU. en Alg{:rie, Cc produit


v~ ~

esl iUlporU, de 1\larspille, Il ,'aut environ 2 ppsclas la lù're 'Allan'.


L'j:\D\JSTHl E ,\ TJ~:TO[;AN 310

rise au ilfes~Ulq ; puis on le tamise camille on l'a vu précé-


demment pOUl' les aulres émaux,
On mélange;) parties de la poudre obtenue avec une par-
tie de nïl; on porphyrise au rnortÎer; on ajoute la quantité
d'eau nécessaire pour obtenir unc pâle semi-fluide.
Le l'cste com me pn'cédemmcn 1.

On voit quc, sauf \c blanc, qui cst Slrlllfi {/àr, lous ccs
l;maux sont ploml,i.Pl'cs, mais le ploml> doit) jouel'le rôle
dc simple fondan!.
Uue partie dcs nwtil'rcs employées pour leur confection
(plomb, étain, outremcr, cui\Tc, galène ou sulfure d'anti-
moine) vient d'Europe: le reste ('st apporté du Maroc, mais
toujours d'assez loin; aussi les poliers-céramistes ont-ils
soin d 'avoir toujours dans leurs ateliers des quantités suHi-
santes de ces pl'oduils qu'ils conSCITent dans des pots de
terre dits me~uibcsl. A la rigueur, cependant, ils pourraient
toujours sc procurer en ville, chez les droguisles juif.., ou
musulmans, ulle partie de cesingrédienls, ceux qui vien-
nent d'Europe, mais pas toujours Cil qlHllllit(~ sufrisante au
momenl nJUln.

~ 6. - VALEUlt ILXDUSTl\IEI,LE .ET AUTlSTIQCE DE I:nDusTnm


]lES CAUUK\CX IhrAILLl~S A T1hol.\:\.

Quand on compare les carreaux émaillés, ct les mosaï-


ques qu'ils composent, de fabrication moderne, aux échan-
tillons qui nous restent d'autrefois, on est porté à croire que
l'industrie qui nous occupe a subi une décadence sensible.
Les teintes que nOlIS présentent les anciens spécimens sont
bien les mên1l's, dans l'ensemble, que celles CIlle nous yoyons
:\20 AUCH! YES èlIAHOCA1XES

aujourd'hui; mais il paraît qu'elles présentent plus de va-


riété ; on y trouve certaines nuances délicates ou brillantes
qui ne se font plus actuellement! ; souvent aussi les teintes
anciennes sont plus fmuches, plus claires, enfin la variété
des formes des carreaux a certainement été bien plus grande
que celles que l'on trouve aujourd'hui couramment dans le
commerce. Cependant, rien n'empêcherait é"idemment les
céramistes de produire à nouveau ces formes, et s'ils s'en
abstiennent, c'est peut-être simplement parce que, l'art de
la décoration tendant à se perdre, l'habileté des décorateurs
diminuant et le goût des amateurs devenant plus facile à
satisfail'e, les industriels n'on t plus à se pl'éoccuper de mettre
à leur disposition un aussi grand choix de matériaux.
Il n'y a rien d'étonnant, d'ailleurs, (1 ce que cette déca-
dence se soit produite; elle a atteint à peu près toutes les
branches de l'industrie et de l'art musulman, au Maroc
comme ailleurs, en même temps que se produisait la déca-
dence politique.
Signalons, pour finir, la parfaite analogie ou même l'iden-
dité - sous le bénéfice des réserves ci-dessus - des car-
reaux servant ~l la confection des mosaïques de l'Alhambm

1. L'infériorité de la gamme de teintes actuelle est encore plus évi-


dente si l'on compare les produits de Tétouan aux plaques de faïence
émaillée du royaume maure de Valence et il celles d'autres fabriques
espagnoles de la même époqne. Les teintes délicates qu'on admire
dans ces anciens produils de J'art hispano-moresque, les bleu ciel, les
mauves, les roses ou bien encore les rellets métalliqnes, manquent
complètement dans les premil~res. Jamais évidemment, même à sa
meilleure époque, J'industrie de Tétouan n'aUeignit pareil éclat.
Nous avons vu à Tétouan des carreaux consistant en plaques à
teintes riches, fondues, à inscriptions arabes blanches, en relief sur
fond en d'autres couleurs, que l'on nous a donnés COlllme venant de
Fès et qui témoignent d'une grande perfection de procédés ct d'un
art véritable. Mais nous ignorons si l'indication, provenant cepen-
dant d'un indigène des plus sérieux, est bien exacte, et surtout si ces
produits sont encore actuellement fabriqués à Fès.
L'1i'lDUSTIUE A T~~TOUAN

de Grenade 1 avec les carreaux fabriqués LI Tétouan anciennc-

1. Nous avons déploré, dans une note antérirure, la méthode sui-


vant laquellr les restaurateurs de l'Alharnbra de Grenade procédaient
il la réfection des anciennes mosaïqurs du palais. Il est juste de dire
que, par contre, la restauration de l'A Icazar de Séville s'eflcctue sui-
vant un meilleur plan, en utilisant pour les portions de mosaïques
qu'il s'agit de remplacer des carreaux de terre émaillée absolument
identiquc's il ceux qu'ont laissés les premiers constructeurs du palais
cl il ceux qui sc fabriquent rncore aujourd'hui il 'fétouan.
Comme nous le disions dans le texte, li propos de l'importance ri:
de la valeur actuelle de la fabrication des a:ul~jos de Tétouan, on se
convainct davantage encore qu'elle est en pleine décadence il voir les
anciens modi~les hispano-moresques ct notamment les belles mosaï-
ques de l'Alcazar. Les couleurs sont plus francbes dans les anciens
modèles, bien souvent, plus soutenues de ton; mais ou la supériorité
des Œmres anciennes sc montre dans tout son éclat, c'est dans le
nombre ct la variét<\, et aussi la complexité des formes d'azulejos
mises en Œuvres; variété ct complexité gn'tce auxquelles les artistes
ont pu composer les remarquables mosaïques murales du palais.
L'expression d'hispano-morcsque emploJée ci-dessus par nous pour
désigner les ŒUHes dont il s'asit ne vient pas en désaccord avec cc
que nous savons de l'histoire de l'Alcazar. Si cc monument fut devé
sm l'ordre d'u U roi chrét ien (Don l'ellro de Castilla, d53) il n'en
est pas moins Hai que son style, son inspiration sout pleinement
hispano-moresqne (il s'agit seulement des parties anciennes); si cer-
taines régions de l'Espagne étaient, il celte époque déjù, retomb(;es,
- ct quelques-unes depuis longtemps, - aux mains des rois catho-
liques, cependant la civilisation issue de la conquNe arabe continuait
plus ou moin's florissante dans presque toules ses manifestatious; les
musulmans môme cont.inuaient il demenrer dans nombre de villes
parmi celles qui avaient. été enlevées il leur dominat.ion.
""ous avons remarqué il l'Alcazar de Séville que les anciens azulejos
présentaient de ll'gers rel1ets mordorés, des tons métalliques irisl's
plus ou moins accentués. Nons ne croyons pas cependant qu'il fnil\e
y voir une intention de la part des fabricants; il ne devait. pas en être
ainsi originellement, sans doute. 11 s'agit plut6t cl'une oxydat.ion
légère des émaux ct d'une décomposi lion partielle de leur surface,
analogue il celle qui sc produit dans les verres soumis un temps pro-
longé il l'action de l'cau et de l'ail', ct qui donnent de si belles irisa-
tions aux verreries romaines longtemps en fermées dans la terre.
AHeJJ. MAHOr.. 21
322 AHCHIVES MAROCAINES

ment et aujourd'hui. On peut en conclure que, presque


certainement, l'indust,l'Îe dont nous parlons est, à Tétouan,

\ cùté des étaLlissernents de céramique de la côte du Levant (Es-


pagne) où sc eonsene plus on moins la fabl'ication des azulejos ct où
sc rait sentir, directement ou non, naturellement ou artificiellement,
l'inlluence de la civilisation bispano-,noresclue. ;\ qnelque degl'l; que
ce soit; il est juste ck meutionner aussi les (;lbriques d'Andalousie,
notalllmen t celles de ~éville, -- ct entre autres la Cartuja, .- ct celles
de Cordoue. L'abondance ct l'excellente qualitl; des terres il ]loterie,
fournies pal' les limons de la vallée du Guadalquivir expliquent faci-
lement l'essor pris pal' l'industrie qui uous occupe en Andalousie di,,;
le temps des Arabes, et sa persistance JUSqu'il nos jours plus ou moius
florjssant(~, apri~s qu'elle eut jeté un si vil' (~clat anciennement au
temps de la domination mnsulmane ct même il l'l'poque des premiers
rois chrdiens qui suivirent el qui nous ont laissé taut d'azulejos mar-
qués du lion de Castille ou des tours d'Aragon.
De même l'abondance des limons de la vall(;e du Tage a dOJ1l11'" il
Tolède, essor il la fabrication de l'industrie des brif!,lCs et des tuiles.
Ces maU;riaux jouèrent lin ['()Ie pd~IJOnd(;rant dans la construction
des anciens édilices de la ville: ils présentent une analogie des plus
grandes avec ceux que l'on emploie au Maroc, et particulièrement il
Tétouan, de nos jours encore, el l'on peut en dire autant de la façon
de les mettre en ceuue.
La mème décaclence que nous signalions il propos de la fabrication
des azulejos il T(~touan se relèye aussi dans la fabricatiou d'autres po-
teries, 10rsrJlle l'on compare celles que nous donnent aujounl'lmi les
potiers de Tétouan il celles que nous ont laissr;es leurs ancêtres ou
leurs maîtres cn ,\ndalousie, ou tout au moins les anciens disciples
de ces maUres l'estés l'n Espagne. Le tnllSl'e de Sc'\'ille contient des
restes de poteries très remarquables, notamment des jarres vernissées
il inscriptiollS arabes d'un caracti~re réellement artistique. Or on voit
aisément du premier coup d'œil que les jal'l'es actuellement en usage
il Tétouan d(;l'ivent d'une môme inspiration, descendent d'une même
(orme type, mais dépouillée de tous ses ornements. :\ T<"touan, comml'
il Cordoue, comme il Toli~de, comme daus les campagnes de l'Anda-
lousie et celles de la Castille méridionale, mèmes formes de jarres,
ml'mes l'ormes de cruches et même usage fréquent; le nom espagnol
des jarres, ti/l(~jl1, rappelle même la dénomination qu'on leur donne
quelquefois il Tétouan, ct presque toujours il Tanger, tona, celle clu'on
lem donne aussi aillr'urs, lino; mais au i\Iarnc comme en Espagne on
UINDUSTHm A Tl~TOUAN :123

d'importation andalouse; la date de son installation dans


la ville doit être celle de l'arrivée des fugitifs d'Andalousie,
c'est-à-dire la fin du xv" siècle. Nulle part ailleurs on ne la
retrouve dans le nord de l'Afrique, autrement clu'à l'état em-
bryonnaire, si cc n'est ~l Fès, mais avec des procédés tout
différents. Fait qui contribue bien ù prouver encore com-
bien peu le Maroc a dù, malgré ce qu'on en ait dit, subir
le contre-coup de la chute de Grenade ct sc laisser pénétrer
par le choc en retour de la civilisation hispano-arabe, sauf
en quelques points isolés 1.
Exprimons enfin le regret Cl ue les restaumteurs de l'Alhanl-
bra au lieu cie sc servir, pour remettre cm étatles anciennes
mosaïques mumles du merveilleux palais, des carreaux de
Tétouan, qu'ils pourraient sc procnrer si lucilement cepen-
dant, aient cru devoir se contenter d'utiliser ces horribles
cal'l'eaux imprimés qui parlent sur leur surface l'imitation
grossiL're ct cl-iarde de quelques ccn timt·trcs carrés de mo-
saïques 2.

nc fabriquc plus aucun des beaux spcclmcns (l'autrefois, puisque la


classe riche ou ne les emploie plus, ou n'existe pIns clle-n1(\rne.
1. Cependant on nous a signalé nnc fabrication, mais tri's peu im-
portante, de carreanx émaill(-s ponr mosaïqlll's il Casablanca, Hahat
ct As/i. En/in la lIH\me industrie tcndrait il s'implanlcr h Tanja l~'l-
~. nriiJy,Cl, prrs de Tanger. où elle amait ,'t,\ imporlée depuis peu par des
indi::;i~nes des Dj<'-hala. NIais la qnalit<' secoudaire de l'argile nuisait
il la qualité dl~s produits. Nous don nous ces fails sons loutes n's('r\'('s,
n'ayant pn les contrôler.
:>.. La partie de l'Espagne que les ESllagno!s appellent « LeYanle »,
c'est-il-dire la rl-gion (]ui alOisine la eôle orientale, fournit beaucoup
de ces produits. Valence nolammcnt (;\laisons nos José, Nolla hijos
de Miguel, ete., de.) ct Malaga, comptent des fabriques imporlantes.
A ct'ltô des prodl1itsde 1)("11(' ql1alitr soign"uscllient l'aits, mais chers,
ces n:~giolJs de l'Espagne déversent sur le \lord de l'Afrique une pluie
de produits infrrieurs, d'un bon marché remarquable; plm faciles il
meUre en œUlTe que les produits de Tétouan, ils exigent moins de
main-d'œuvre, aussi moins d'habilet(- de la part de l'ouvrier, beau-
coup moins de temps, par suite ils dc'll'Ù!lcnt pcu il peu le" mosaïques
324 ARCHIVES MAHOCAINES

Les carreaux émaillés n'étant pas d'une vente absolument


couranle, la multiplicité de leur forme, de leur taille, entraÎ-
nant nécessairement des variations très grandes dans leurs
prix de vente il nous est impossible de donner de ceux-ci
la lUolndre idéc mômc approchéc. Généralement d'ailleurs,
les carreaux ne sc vcndent pas seuls; ils ne s'exportent plus
guèrc aujourd'hui, ils sont utilisés sur place, et l'cuvoi
qu'.m Cil l'aisait autrefois ù. Tanger, Chechaouen, El-Qçar
Elkcbir et peut-l~tl'C ailleurs parait avoir cessé ù peu près
complètement ou ne plus sc faire que rarement depuis l'in-
vasion (les produits céramiques de fabric:ltion eUl'Opéennc.
Dans ccs conditions, le prix de fourniture des carreaux sc
trouve, normalement, compris dans eelui de la coulection

tétouanaises au grand déll'irnent de l'art d(;coratif. Leurs couleurs


crues exagérées, leurs lignes sèches éclatent parlout ct olfensent les
yeux dans les maisons européennes ou juives nouvellement édiGées
dans le Nord du Maroc, et mème dans un trop grand nombre de de-
meures indigènes, quoique les musulmans soienl l'esl.l~s, plus que les
autres, fidèles aux anciens procédés.
Les dessins portés par ces carreaux espagnols reproduisent textuel-
lement d'anciens l"ragmenls de /t1osaïqnes; mais les conlours des pié-
cettes constituant celles-ci dans les originaux sont accusés SUl' les
plaques-copies par de lourds ct durs lisérés blancs, llui ont la prélen-
tion de figurer le l<"gel' ameul'ement de pJùlre qui sc fait jour plus ou
moins entre les éléments isolés qu'il ninnit dans les n::~U\Tes ol'iginales.
Puis plus rien de cc léger bombement central des piécelles, plus rien
de cette demi-tl'anspal'ellce ou de celle dell1i-traw;[ucidit(~ des ém,aux
qui motivent les jeux de lumi('re ct rompent heureusement la mono-
tonie des gl'andes sud'aces; plus rien de celte légère irrégularité, de
cette légùre indécision des contours qui disparaît sous l'éclat du jour
dans les surfaces pleinement éclaircies, mais qui donne un flottement
si doux, un certain air de profondeur ct de mystère aux parties plus
OL! moins en veloppées dans l'ombre des coins obscurs.
En somme une régularité trop absolue, trop mathématique, qui va
précisément il l'encontre de cc que l'on demande il l'al't décoratif et
surtout il l'art décoratif musulman, occuper ct distraire l'esprit en le
reposant, mais sans l'absorbel' dans une contemplation trop précise ct
sans essaye!' d'enfermer son vol dans une formule trop nette.
L'I~DUSTHIE A T~:TOUAN

de la mosaïque, exécutée sous la surveillance ct la direction


du maître potier.
Cependant on compte en général que le mille de piécettes
de terre cuite émaillée, de formes diverses, mélangées, re-
vient à peu près à 20 pesetas (monnaie du pa)'s).
Les tomettes se vendent au prix n1.oyen de l peseta 50 le
cent, prises à l'atelier.

Nous préférons laisser de côté, pour l'instant, la confec-


tion des mosaïques du genre de celle que composent les ar-
tistes de Tétouan; il nous semble qu'il sera plus utile d'en
traiter lorsque nous étudierons l'architecture des maisons et
des monuments de la ville; nous espérons pouvoir donner
alors la reproduction d'un certain nombre de spécimens
relevés sur les lieux mêmes.

CHAPITRE II

LES BRIQUETERIES 1

Les briqueteries sont réparties à Tétouan sur les bords

1. On n'emploie aucun terme spécial il Tétouan pour désigner une


briqueterie. On sc sert le plus souvcnt seulement du terme .farrun ou
farrân e1-lâj(>/ir, c'est-il-dirc cc four » ml, quand il f'ourrail J avoir
ambiguïté, cc four à briques», amsi bicn pour indiqucr le {our Jui-
même que l'établissemcnt tout enlier. Que1rplclois on dit ra~d.jQl el-yrî-
joûr (.J)~\~\ ~)), « emplacemcnt drs briques ». De m~me aucun
terme spécial n'est en usage, pour désigner le briquetier; on l'ap-
ARCH! VES :lIAllOGAINES

de l'Oued Tétouan, dans le fond de la vallée, on en trou ve


plusieurs notamment à Es-Soueyeul', El- 'Odoua, El-Meha-
mech, etc,
La matière première employée est la terre argilo-sableuse
des alluvions récentes, matière de qualité ,uédiocrc, à peine
suHisamment argileuse pour assurer la cohésion des pièces.
L'installation d'un atelicr de briquetier est plus simple
encore que celle d'un atelier de poticr-eéramiste. Tout se
fait en plein air. Généralement il n'y a môme pas d'abri
pour permettre aux briques de sécher avant d't\tre parlées
au four, de sorte (Iu'en cas d'orage tout est perdu. I1estvrai
que le peu d'activité de l'industrie de la briquetcrie exclut
toute vél1éité de frais quand ceux-ci ne sont pas strictement
indispensables.
Les fours 1 sont construits ~I peu près snI' le même modèle
que ceux des potiers; mais en général ils sont plus soli-
des et quelquefois plus perfectionnés. Sou vent ils son t faits
avec assez d'art, pourvus de murs en ailes destinés ~Iles con-
solider, ou appuyés à des murettes bordant le chemin d'ac-
cès II la gueule du foyer. Le croquis que nous donnons de
l'un d'eux, sis sur les bords d'El-'Odona, nous dispensera
d'entrer à cc sujet dans de plus grands détails. Ils SOllt en
général construits en briques ct mortiel' de terre, quelque-
fois en maçonnerie de moellons plus ou moins grossiers.
Leur hauteur au-dessus du sol peut atteindre :3 ~l 31ll ,5o,

pelle le nw' allem (('J•••), tenne qui eomient il tous le, patrons de
métier: ou, pour éviter le, confusion, po,;,ibles, Oll dit ma 'allem
el-y,i,jotir. L'ouvrier est le I:âna' C"':) \.,0) comme dan:; tous les autres
"-
corps de métier. Quant aux briques, on le, appelle y,ijotil' (Jf~"~) mot
qui est une des déformations en usage dans le Nord de l'AJrique du
terme littéral (~jolÎr ou adjütÎr (Jf~. I).

J. Fllm!n, plur. fl'liren (01~?, plur. 0)).) comme ceux des potiers.
L'!;>iDGSTIUE A TETOUAN

au-dessous, leur profondeur va jusqu'à 2 m,50 ou 3 mètres;


leur diamètre peut être approximativement de {~m,50. Mais
avec leurs chemins d'accès, rampe conduisant au foyer et
mUl'S en ailes ou murettes ils occupent un espace d'au moins
20 il 30 mètres de diamètre.

Fig. tifi.

Les briqueteries fournissent tl'ois sortes de matériaux :


Les briques (yadjour) ;
Les lamelles (morebba '/ analogues à celles que fabriquent
les potiers et que nous avons déjà vues.
Des tuiles ordinaires (qarmotîâ) du mênle type que les
tuiles à émail vert.
Les briques on t, comme dimensions en centimètres,

1. L::)'" Voir ci-avant, dans l'énum{~ration des produits fournis par


les céramistes. au fl4.
328 ARCHIVES ~IAROCAINES

22 X I I X 2; elles sont donc très plates, bien plus analo-


gues aux briques romaines ou turques (d'Algérie) qu'aux
briques actuellement en usage en Europe. La pâte en est
peu homogène, d'un rose pâle ct un peu grisùtl'e ; elle pré-
sente des fissures, des lou pes, des vacuoles ; elle contien t
des grains de sable, de petits cailloux, elle est trop souvent
friable, tendre, toujours inégale dans sa dureté, en tous
cas. Cel'laines parties des briques sont presque vitrifiées,
trop dures ct cassantes, par le fait d'une malcuisson. Les
coins sont mal fails; les briques elles-mêmes son t parfois
gauchées. EUes o1Trimient peu de résistance ~d' écrasement,
employées en masses considérables. Peut-être vaudraient-
elles mieux contre le choc des pt'ojectiles ; les massifs qu' el-
les constitueraient se comporteraien t peut-être alors comme
des blocs participant à la fois de la nature du béton et de
celle du talus de terre el pierres tendres. 'Mais en aucune
façon elles ne sauraient fournir de bons matériaux pour
l'installation de sols d'habitation qui en seraient revêtus:
elles ne tarderaient pas à s'etrriter sous les pieds en déga-
geant une poussière rougeâtre insupportable et à se creuser
aux endroits les plus fatigués.
Ajoutons que ces briques sont poreuses, hygrométriques,
impropres par suite, ou peu propres, à faire des revête-
ments de surfaces destinées à sc trouver en contact avec
l'eau, et que leur emploi dans les murs des maisons con-
tribue à rendre celles-ci très humides ct à créer des condi-
tions déplorables d'habitation.
Les anciennes briques que l'on trouve à Tétouan, dans
les monuments anciens, sont identiques à celles que l'on
fait actuellement dans la ville: de sorte que l'industrie de
la briqueterie peut y avoir été plus active, plus importante,
mais non plus perfectionnée. Les masses résistantes de ma-
çonnerie où elles ont été employées paraissent devoir leur
solidité surtout à la qualité du mortier, supérieur à celui
dont on use communément aujourd'hui.
L'INDUSTRIE A Tf~TOUAN 32!l

Ce que nous disons des briques pourrait aussi se dire des


tuiles ordinaires.

Les prix des briques est de 10 pesetas le mille, prises en


fabrique. Mais le fabricant se charge souvent de les rendre à
pied d'œuvre sans augmentation du prix de vente, en se
servant de ses propres ânes et de ses tuJÎers quand ceux-ci
sont inoccupés.
Les tuiles valent de 50 à tio pesetas le mille (Il s'agit des
tuiles non émaillées).
Souvent les briquetiers son t simplement locataires des ter-
rains où ils installent leur industrie. Les locations sont ver-
bales sauf exception. Les loyers varient suivant la naturede
l'emplacement ct son étendue, commo oela se comprend,
mais en général ils se rapprochent des bases suivantes: 12
douros (tio pesetas du pays) ou ti 000 briques par UTI. C'est
ce qu'était loué l'emplacement d'une des principales bri-
queteries du lieu dit Es-Soueyeur, celle de Sî 'Allel, de Sî
MoI,lammed ben Azîma et de Mol.wmmed Ez-Zeqazî.
Un ouvrier briquetier gagne en moyenne 1 peseta 25
par JOur.
Les procédés du métier n'oll'rent rien de spécial, rien qui
diffère de ceux usités en Europe si ce n'est qu'ils sont por-
tés à un moindre degré de perfection et mis en œuvre avec
moins de soins.

Les l)t'iques fabriquées à Tétouan sont écoulées sur place;


elles servent à la construction des rnaisons de la ville. Les
montagnards des cantons voisins en achètent aussi une quan-
tité assez appréciable, cIu'ils transportent ensuite sur leurs
mulets, pour les besoins de leurs villages.
Les tuiles sont presque uniquement achetées par les
montagnards qui s'en servent quelquefois pour couvrir leurs
maisons rustiques.
A. JOLY.
CHHONIQUE DE LA VIE DE MOULAY
EL-HA::-;A~

« Son heureuse étoile ra conduit au sommet du bon-


heur; grâce à sa force, son renom s'étend jusqu'aux confins
de la terre. Il a placé sa confiance en Dieu qu'il craint et
respecte! »
Telle estl 'impression qu'ont conservée du glorieux sul-
tan Moulay el-l.lasan les vieux Marocains qui ont depuis
longtemps retiré leur confiance au sultan actuel, Moulay
'Abd 01-' Azlz. Cal' les sentiments de l' « Anonyme de Fès»,
dont nous donnons un nouvel extrait, plus long et plus
circonstallcié que les précédents, nous sontdéjàconnus pal'
les commelltaires sur la conquête du Toutlt et sur le Terl1b,
précédemment publiés dans les iirchives Marocaines l • 1.. 'au-
./ )
teur du lfoulal el-hallJa est un critique sévère; prédisposé
/
déjà, par son' oriè~ne chérifienne, contre la dynastie ré-
gnante, il ne pardonne pas au jeune prince qui règne à
Fès, l'état d'anarchie, de pénurie financière et de faiblesse
vis-à-vis des Puissances européennes, dans lequel il a laissé
tomber l'empire chérifien, et, dans les éloges un peuhyper-
boliques qu'il prodigue ~l Moulay el J;Iasan, il faut voir au-
tant de critiques pour son malheureux successeur.
« Ce prince, dit-il, avait une passiou pour les voyages;
il se conformait ainsi à la parole de celui qui a dit: « Vi vre
dans une habitation fixe, c'est le plus grand des malheurs:

1. Archives marocaines, 1, p. {llÔ ct seq., II, p. lf)4 ct seq., ct


aussi Les institutions ueruùes, 1, p. 130 ct seq.
CHRONIQUE ilE LA VIE DE ~IOULAY EL-HASAN 331

c'est sur le dos des chevaux que se trouve la place du Sul-


tan. » Et plus loin: « L'aigle vit dans les airs et habite les
déserls, tandis que le coq erre autour des maisons. La force
de l'aigle lui confère un pouvoir absolu; mais le coq, que
peut-ilfaire, sinon effrayer les poules quand il chante Il)) Le
coq, c'est évidemment Moulay 'Abd el-'Azîz. Un des gros
griefs que lui reprochent ses adversaires, c'est justcment
son immobililé au palais de Fès, où la crainte le tient en-
fermé. Comment les tribus semi-indépendantes du Maroc
consentiraient-elles II payer l'impôt sans avoir jamais Yll le
sultan il « Les rois du Maghreb étaient dans l'habitude d'en-
treprendre de nOmbl'CllX voyages. C'est ainsi qu'ils purent
faire rentrer clans l'obéissance les tribus rebelles et les
forcer II remplir leurs obligations II l'égard de l'autorité
chérifienne. »)
Un fait curieux et inconnu de notre auteur vient cepen-
dant, dans une certaine mesure. infirmer sa thèse. Les SOlI-
ll~vcmerlts des tribus djcbaliennes n'ont comluencé il sc
multiplier ct ù prendre des proportions inqui<Stantes, au
point de transformer en Mari siDa des districts qui étaient
autrefois IIwkh:cn, qne depuis le voyage de flloulay el-lJasan
dans ces régions. Les Djebala qui virent le ~,llltan au milieu
d'eux à ceLLe <Spoqlle, racontent qudle déception ce fut
pour eux de constater ({ue le sl"ltan n'était qu'un homme
comme eux, avec des yeux, des oreilles, des bras ct des
jambes. Le pouvoir occulte du sultan reposait sur l'igno-
rance ct hl superstition; entouré aupamvant d'une auréole
surnaturelle, il perdit ainsi tout prestige, les Djehala se de-
mandant quels droits à l'autorité souveraine pouvait avoir
unhomme qui, physiquement, ne différait pas d'eux-Ulèmes.
Les appréciations de notre auteur relativement aux faits
ct gestes des Chrétiens sont des plus piquantes. Elles ne
révèlent ni patriotique hostilité ni fanatisme, mai:-; un
simple mépris. Les représentants des Puissances européen-
nes ne sont que des importuns, des mendiants qui vien-
332 ARCHIVES MAROCAINES

nent ennuyer le Sultan par leurs réclamations, et c'est par


pure condescendance que celui-ci consent parfois à les
écouter. « La cause de ces fréquents déplacements du sul-
tan serait, aux dires de quelques-uns, le désir qu'il avait
d'échapper aux nombreuses réclamations inopportunes des
Puissances étrangères ... )) A lVIarrûkech, « les Heprésentants
des Puissances trouvèrent moyen de venir l'importuner de
leurs demandes et d'essayer de l'induire en erreur; mais il
parvint à les évincer, enjouant au plus fin avec eux, malgré
l'avidité don t ils firent preuve en s'efi'orçan t de lui arracher
maintes et main tes concessions. )) Al'appui de cette opinion,
l'auteur n'hésite pas à dénaturer des faits bistoriques avec
une désinvolture l\ laquelle le J(itâb el-Istiqçâ nous avait
déjà accoutumés. -
L'histoire des « femmes de sou verains chrétiens )) traver-
sant le détroi t pour venir admirer la face de Moulay el-J:Iasan
à Tanger, est, comme bien on pense, issue de son imagina-
tion ; quant au récit de la mort de l'ambassadeur d'Angle-
terre à Marrâkech et aux commentaires qui l'accompagnent,
s'il doit être, pour les lecteurs marocains, un exemple irré-
futable d'intervention divine, il contient pour nous une ad-
mirable révélation d'un des aspects de la mentalité maro-
caine: il est à rapprocher de l'interprétation donnée, tant
à Tanger qu'à Fès, à la mort presque subite du duc d'Al-
modovar, président de la Confërence d'Algésiras. C'est
d'interventions de cette nature, beaucoup plutôt que de
leur propre activité, que les Marocains des classes éclairées
- comme c'est le cas de l'Anonyme de Fès -- aussi bien
que de la masse du peuple, attendent avec sérénité la solu-
tion de la crise actuelle ...
Tout est ;l retenir dans ce panégyrique de Moulay d-
l.lasan. Notre auteur y raconte, eomme des faits d'armes
éclatants, des expéditions qui ne furent pas toujours hono-
rables pour l'armée chérifienne. Il y est autorisé, d'ailleurs,
par les récits hyperboliques que le sultan lui-même rédigeait
CHRO~IQUE DE LA ViE DE MOULAY EL-HASAN 33:l

dans ses leltl'Cs aux notables, qui rappellent par leur style
redondant et sati"fait les plus beaux morceaux de la littéra-
ture militaire des anciens Sémites. Le récit de l'expédi-
tion au Tafilalet e"t le modèle du genre:
(( Conlinuant nolre J'oule, nous parvÎnmes ehez les AH
Izdeg, toujours nc('ompagné de nos troupes victorieuses.
Dieu ayant rép:llldu sa lumière sur eux, ils avaient abaH-
dOllné les roules de lerreur et de l'égaremellt. Ils vinrent
à Hotre l'encontre, tout tl'emblants, ct craignant 1I0tre jus-
tice; mais nous penchûrnes pour le pardon, jugeaHt inutile
toule e1l'usion de sang, car selon la parole de Dieu, c'est se
rapprocher de Dieu que de pardonner .. , Plaines ct mon-
tagnes, nous avons pénétré partout: nous allàmes même
jusqu'à Tadr' ousat, résidence d'un fameux chef révolté
'Ali ben Yal.lya EI-Merr'tldy, qui restait sourd à tout aver-
tissement. Nous nôus en emparâmes et nous l'envoyâmes,
solidement ligo!Lé, ~I Marrâkech, avec d'autres révoltés, ..
Aupara vau t nous avions em'oyé chez les AH l.Jadiddou des
émissaires pour leur faire remplir leurs obligations; les émis-
saires reviment les mains vides, sans avoir pu se faire payer.
Nous HULl:; mîmes alors il surveiller les notables et les gens
inlluenls d'entre eux, ct nous nous cmparùmes un heau
jour de 200 personnagesimportants; nous Ile les reL\chùmes
qu'après paiemcnt intégral de notre dù. )
Ne croit-on pas entendre le récit de la marche triom-
phante de l'assyrien Tiglatphalasar, allaHt lever les impôts
chez les riverains insoumis du Tigre ct de l'Euphrate il
(( j"Ion maltre Assour m'ordonna d'aLfronter leurs sierras
altières lIant nul roi n'avait visité le sile . .le convoquai mes
chariots et mes fantassins et je filai entre l'Idni et rAïa, par
Un terrain difficile, à tra vers des montagnes sourcilleuses
dont la cime était eom.me la pointe d'un poignard et qui
n'étaient pas favorables au progrès de mes chars; je laissai
donc mes chars en réserve ct je grimpai sur ces monts
ardus. La communauté des Kourkhi assembla ses troupes
AnCTllVES MMWCAIî\'ES

nombreuses, et, pour me donner hataille, elles sc retran-


chèrent sur l'Azoubtaglsh, aux pentes de la montagne, ter-
rain malaisé; je luttai avec elles ct je les vainquis 1. ))
Un senti ment de clémence, de compassion, de misériconle.
se dégage pourtant de l'épître de }foulay el-J:Tasan, clont les
termes s'inspircnt d'unc moralc plus lno(lel'ne. Qu'on IIC
s'y méprenne pas cepcndant jUS(lU'~1 prclllirc pOUl' de la
libéralité cl, dc la grandeur d'ùnlc cc qui Il'CS!, le plus sou-
vcnt, quc faiblcsse du J\Jakhzcn.
C'est parce (lue la vic dc THoulay cl-J.Jasan, tirée du!,!!!,!!::"
lul el-buhYJj, dépcint adlllirahl<'ment la lll<'ntalité marocaine,
si difficile II saisir, beaucoup plus qu'cn r'aiwn dcs rcnsci-
gnelncnts historiquc:.; qu'clic nous procure, quc IIOUS avons
jugé utile d'cn donncr une traduction int("grale. Au cours
(lc c:cLl.e trac1uc:tion, 1I0US aVUllS passl~ de longues pit'ces de
vers, assez méd ioc l'CS d'a ilIeu l'S, Cl ui aUl'aiell t ail on gl' in u til('-
mcntlc récit sans y rien apporter dl' nonvcau.

1. AI/nales de Ti!llalp!lalllsllr /"", l'ragment publié dans !\[aspet'O.

lIisloil'e ancienne des [Jeuliles de l'Orienl clllssirJue, li. p. G!15-(j4G. Que


de raJ)prochenH'lIfs cnriellx h Ji\ire entre C('S anciens empires d'Orient
PI le Maroc de IIOS jours! Lisez crs quelques ligm's sur le « paella ))
assyrien: « Un gOill'erneur qu'on rappelait :'t \inil'e ou :'t I\alakh
ali;\ d'expliquer sa conduite, s'il ne n'ussis.o.;ait pas :'t la jllstilier COlII-
pldeillent, il plollg'l'ait dll coup dans la disgr,\ce, et la disgrùce, ('II
Assyrie COlllnll' dans le l'l'sie de l'Oril'lI!, c'(\lait lieur roi,.; sur dix la
conÜscation de,.; hiens, la nl\llilalion, la ]lri,;on ]ll'rpéluelll', la ltlorl
avec son appareil ](~ plus hideux. Il y J'l'gardait donc avant de quiller
son posle. et s'il avait quelqne raison de ,;e noire soup~'onn{' ou dé-
pd'ci{~ Cil hallt lieu, il ue S'l'llIprl'ssait pas d'ohéir. Les réhl'l1ions
aboutissaient presll'w sans faule ;\ un pcr:Jselllelll, et c·]Jl'S nl' lui
olli'aient qUl' des ChaliceS de saInt l'ort aléaloires, litais, l'lIlre la quasi-
cl'rtitude d'unc coudamnatioll et la ,aguI' ('venlualill~ d'ull SUceL~S, il
n'h(~sitait gUL're : il jouait son \a~tollt snI' une simple chance, » .\las-
pero, op. cil., lU, p. :102-203. La situation est la nll\me au Maroc,
mais les pachas ont plus de cllance de succès.
CHRONIQUE ilE LA YΠDE MOULA Y EL-HASAN 33:>

[L'auteur raconte d'abord sans développement, comment


Moulay EL-I.Jasan, s'étant élevé à la dignité dïmâm, rem-
plit cette fonction jusqu'au jour où son énergie le mena SUL'
le chemin de la gloire. J
« A la tête de ses tL'OU pes, il pacifia le Soùs, grûce à la
tériacité qui fit la gloire du monde. Sous son gouvernement,
les peuples virent avec joie disparaître leurs malheurs. ))
Dans ces vers, le poète a voulu dire que tOlltes les triblls
du SOltS sc soumirent docilement à cet imûm renwrquable
ct s'abritèrent à l'ombre de sa ,justice. C'est qu'il remplis-
sait en eITet ses fonctions de khalife avec le plus grandzèle,
prenant toujours à cœur le bien de ses sujets. D'ailleurs
l'unanimité des suifrages l'avait accueilli, preuve incontes-
table de sa valeur. Cc prince, aprl~s son départ de Marrâ-
kech, se dirigea donc vers les tribus du SOl',S l, au milieu de
l'nnnée 1299, dans le but de pacifier le pays. Les allées ct
venues des Espagnols sur la côte nécessitaient celte expé-
dition. Ils convoitaient la mainmise SUl' quelques ports du
Soûs, sous prétexte que le texte du traité de Tétouan leur
en donnait le droit". Leur résolution de mettre lcur

r. /"u commencemen 1, de l'été de 188~J., Moulay EI-I.Iasan traversa


l'Oued SOllS, aupr(~s de son embouchure, il la lôte d'une armée puis-
sante: il avait assemblé tous les contingents de son empire, ceux des
tribus de Fès COlllme ceux des tribus de Marràkeeh; tout ce qu'il
avait pu lever, il l'avait emmené: ceUe armée pouvait are au dellmt
de l'expédition de 40000 hommes; une fois en marclte, ce chilli'e
tomba asse? vite, par suite des nombreuses désertions. Cf. Ch. de Fou-
cauld, Reconnaissance aL! Maroc, p. 3MI.
2. Les Espagnols réclamaient sur la c6te du SOlIS Je port qui leur
avait été cédé en exécution de l'art. 8 du traité du 2G avril 1860
sign{' il Tétouan. Cet article (-lait ainsi con(:u ;
336 ARCHIVES MAHOCAINES

pr~iet à exécution fit prendre aux choses une tournure


tragique.
Ils avaient commencé par apporter aux gens du SOtlS des
marchandises, en rapport avec leur goftt, dont ils leur
van taient les qualités; mais les indigènes sourds à la réclame
espagnole partaient à la débandade. C'est alors que le sul-
tan entreprit une expédition pour mettre un terme il cet état
de choses et faire respecter les droits du \bkhzen spécifiés
par les articles du traité ct dont les Espagnols semblaient
faire si bon marché.
Son départ eut lieu dans le mois de Hamar.lùn de l"année
ci-dessus indiquée. Il avait auparavant fait transporter de
Casablanca et de Mazagan à la côte du SotÎs les munitions
nécessaires aux troupes.

cc Sa Majesté Marocaine s'engage il concéder il perp(:tuit(\ il Sa \la-


jesté Catholique, sur la côte de l'Océan, pn\s de Santa Cruz de nIaI'
Pequeîia, le territoire sun/sant pour la formation d'un ('lablissemcnt
de pèchcrie, comme celui que l'Espagne y possédait autrefois.
« Afm de meUre Li exécution cc qui a été convenu daus cet article,
lcs gOllYernernents de Sa \lajesté Catbolique ct de Sa Majesté Maro-
caine se mettront pn',alablement d'accord et nomllleront des comlnis-
sions de part ct d'autre pour désigner le terrain et les lilnites (Jlw cet
établissement devra occuper. »
En 18jj une commission mixte fut donc nomm('e.
« En 18j8, les commissaires espagnols ct marocains s'embarclul·rent
il Mogador sur le vaisseau Blasco de Gamy, ils longi'rent la côte entre
l'embouchure de l'Oued SotlS ct l'emboucllllre de l'Oued ~oùn, exa-
minant toutes les anses ct toutes les criques; finalement leur choix se
Jixa sur une petite baie situt'e il trenle kilomètres an i\\OI'd-Est de
l'embouchure de l'Oued Noùn, la crique d'Hui (2D o 20 ' de latitude
Nord). Cf. Erckrnann, illaroc moderne, p. ~)j.
cc Le 2 [ .janvier 18j8, les Commissaires ayant obtenu l'adhésion de
ehefs de tribus, dressèrent un acte par lequel ils coustataient que la
rade choisie correspondait exactf'ment Li l'ancienne possession espa-
gnole. La session fut ratifiée par le Sultan au mois d'octobre 1883. ))
Cr. Rouard de Card, Les Relations de l'Esl,agne et du ilIaroc, p. 110-
Ill.
CHROXIQCE DE LA YIE DE ~IOULA y EL-IIASAJ'I a:17

Puis, du Soùs, il gagna l'Oued Noùn, pacifia les con-


trées environnantes et y nomma des qù<Jîs ct des gouver-
neurs 1. Il fit ensuite creuser un port auquel il donna le nom
cl'Jlsti/w, pour faciliter les emharquements elles déhat'qlle-
ments.
Voici ce qu'il !'-crivit aux gouvel'lleul's des provinces
occiden tales pOUl' les teni r au eouran t de la si tuation :
« Louanges :1 Dieu. Nous avons quilté MalTùlü~ch gl'tlCP
:1 la puissance de Dieu, emmenant avec nous des troupes
nombreuses, accoutumées à la victoire. A leur tNe s'avan-
~~aien t les !'-tendards déployés. Tel fut le départ dc celui qui,
mettant sa confiancc en Dicu, snit les inspirations divines
ct obtiendra pal' 1;1 la réalisation de ses cl<'sirs. L'aide de
Dieu nons a fait paryenir jusqu'aux limites du Soùs. Là,
nous avons monlé les ehanlCBes dociles qui paissaient ('n
paix dans lrs pttlurages, tandis que les élendards de Dieu se
son t mis ;1 flotter au -clessll s des régiments de la victoi l'e,
« La lune brilla de tout son éclat.
« Des missions vinrent succcssiv<'ment, au nom des 1
populations, nOllS promettre l'obéissance la plus complète,
répondant ainsi à l'appel qu'on leur avait adressé. Les
envoyés de ces missions avaicnt éprOllYé la soif: ils burent
cl. sc désa1térèren 1. La tùehe tlui leur incombait <'tait ardue;
ils surent la l'<'mplir avec honneur, grtlce aux grands

l, 1\foulay EI-l,lasan prolita de l'aversion 'lue ks gens du Soùs


pro l'essaient il l'('gard des chd-tiens, pour leur faire accepter son auto-
rité. « Il n'y a (In'lm moycn de s'opposcr il l'empiétement des Anglais \
cl des Espagnols, leur dit.-il : reconnaissez mon pouvoir, vous ne serez
pas longtemps sans éprouver les bienfaits de mon alliance. ») 11 sortit
de iiI l'arrangement suivant: tous les chaikhs prL~sents reconnurcnt.
l'autorité dn sultan; celui-ci les nomma qâïds dans leurs tribus ou
leurs districts ct les renvoya avec des présents: il élait sous-entendu
que le pouvoir du sultan ne serait ([ue nominal, mais (ju'il allait l'af.-
firme!' l'l ('Il donner nne pl'euye visible aux :eux des chrétiens en cou-
struisant lIne ,cille. au cœur de la r{-gion <jui wnail de Sf' l'ange!' sons
ses lois, Cr. Ch. de Foucauld, op, cil., p. :-lM,.
ARCH. ~IAROC.
338 AHCHl\'E~ :\IAHOCA[NE~

pel'SOllllUges, notables et chalkhs qui sc trou vaien 1, parmi


eux. La lumière de Dieu les illumina ~l leur allée ct à leur
retour.
« Ils fieent leur soumissioll, aUcstauL qu'ils maintien-
draient la paix et la tranquillité dans un esprit de reCOlI-
naissance pour le sultan, car toute espérance de révolte leur
avait été enlevée. La crainte de Dieu fit des progrès dans
leur eceUl', La contrée put goùter les bienfaits de la paix cl
les fauteurs de Lroubles sc viren 1, arrêtés il leur moindre
apparition. C'est que le 1\lakllzen étail enfin sorti de sa
léthargie.
cc Notez les clfets de la bonté (le Dieu qui a donné ~l la
terre un regain de vitalité.
(c Après avoir chaleureusement reçu ees envoyés, nous
donnûmes aux llUbitanLs de leur pays une honne ol'ganisa-
Lion. Nous choisîmes celui qui était le plus capable de gon-
\'el'l1er pour (}u'il rmuène la paix parmi ses frères, ct nous
rerni mes enU'e ses mains la direction de tontes les a[aires.
(~rùce à Dieu IJOI)S avons pu confier le soin du gouvel'l1e-
IllenL àdc~ personnes aptes à remplir les foncLionsdoriteIles
étaient investies. Quant au gouverneur, il reçut des terres
fediles en partage pour qu'il y fasse réapparaître les bien-
faits de la paix. Les gens ais(\s ct les gouvel'llem's de pl'O-
viuce reçurenL des fondions en l'apport avec leur grade ct
leur dignité. Leur union avec lel\lakllzen devint aussi
intime que celle du corps et cIe l'âme. Un brillant avenir,
que la lumière divine mettait en relief, s'ouvrit alors pour
les gens des villes comme pour les gen,., des campagnes.
« Les i,npôts ct les dons provenant de ces peuples cons-
tituaient une somme énorme qui était versée entre les mains
du Makhzen, hien que le pays ne fut cependant pas en rcJa-
tian intime avec lui. Ceci durait depuis plus de Go ans.
N'eussions-nous reçu que le dixième de celte somme, c'eùt
été (Mjà beaucoup; mais Dieu ne nous a voul~ que du bien:
c'est lui le Poul'vo)enr cIe richesses, le puissant par excel-
CIIHONlQUE nE LA YJE DE MOCLA y EL-HAS,\N 3:3\1

lence qui prend en main la direction de toute chose. Nous


comptons sur Dieu, ct c'est en lui que la confiance sera le
mieux placée.
,( Nous avons ensuite llOInmé des qù(.lis capables de con-
server sa pureté à la loi religieuse, faisant tous nos efl'orts
pour choisir des gens de bien: car tout est Imsé sur la loi:
c'est elle qui vous rait comprendre le sens caché des
choses.
( Les chorra et les saints personnages vinrent en foule
auprès de nous pour nous demander de conserver leurs
coutumes, leurs usages, et de maintenir les concessions
pour lesquelles nos saints aïeux, les imûms ct les princes des
croyants leur avaient accordé des (.Ihalllrs 1. Hs demandaient
aussi que les (Jhahîl's émanant de personnes autres que nos
ancêtres conservassent toute leur efficacité. Que Dieu soit
satisfait de nos aïeux ct nons accorde de suivre leurs traces;
lIOUS sommes rempli de respect pour eux.
« Nous leur avons accordé cc qu'ils demandaient. Le but
que nous nous proposions en agissant de la sorte était de
protéger ces musulmans dans leur vie et dans leurs hiens
cl de prémunir leur pays contr8 l'altaque de toute personne
enVIeuse.
(( Le point capital était l'ouvcrture d'un port à Ouad
Noùl, dans un endroit appelé ~ sur le territoire des
deux trihlls de ~ t des A ïf 'Bd ·,lml'lÎ/I. Ce port per·-
mettrait d'assurer la défensecl/ilcililerait lc commerce aux
habitants.
« Sachant comhien il est périlleux de Jenner la porte du
Inalheur et n'ignorant pas que seule la loi religieuse remet
l'homme égaré dans lc droit chemin, les deux trihus dont
nous\enons de parler s'empressèrcnt dc venir au,devant de
nous au moment où nous traversions l'Oued Ouâlr'âs pour

1. )~~l;, décret rendu par Il] sultan du Maroc, correspondant aux

firmans des sultans de Turquie.


:HO AHCHlVES ~IAROCAINES

nous rendre sur leur territoire avec nos troupes, agissant


ainsi il la lilç'on du m(~decin (pli opèl'l~ dalls un cas déses-
péré.
« Les deux tribus rencontrèrent nos troupes en un lieu
connu sous le 1100n de Amt;â, près d\m port appelé AILloLl.
C'rst la por/ion de territoircqu'oceupent Jes Aït BÙ'AÎllrân,
dk porte k nom de Sâr/rl l • \ous pliÙmes bllgages ct nous
c1irigelhnrs vers c('L endroit. Entrr Amça eL le lieu où
j'ai voulu onvrir un port, il ya deux aapes: il faut treize
heures pour Jes faire.
« Les trihus nous (~nVOYL~rellt
" leurs choda.. leurs savants..
leurs saints, leurs notahles, leurs chaîkhs malekites pourlcs
représenter. On les reçut de la InÔll1e f:lçon que ceux qui
étaient \CIllIS auparavant: ct leur trailemcllt fut en tout point
égal il celui de la mission précédente.
« J\ous leur avons nommé un certain nombre de goU\~er­
neurs. Nous entrÙmes en pourparler avec eux au sujet du
port: ct ils cxécutl~l'ellt nos ordres ponctuellement ainsi que

1. Le SM.lel S0 troUY0 compris entre le Dra' ct le :::\ofls. On } trOll\0


l'Oued Tazeroualt, l'Oued Adonclou, l'Oued\;oùn, clc ... Ces bassins
0ùti0rs sont séparés des bassins du Dra' ct du SOllS pal' une ceinture
de hautes montagnes il l'Est. SlIr la côte il } a un d'seau de ml1ilws
formant un Sùhel.
Tribus: au "'ord du Tazerouall, les Cbtoùka du Soùs; au Sud de
t'O. Adoudou, le pays d'Azrar; de l'O. Adoudou il l'O. :\'oùn, les Ait
Bà 'Amrfm; dans la haute yaIlée de l'O. i\oùn, les Amalol1z, les Id
Bl'ahim; entre O. Noùn, O. Ac/oudou ct le SMICI vrai, les Akhsas.
Dans la yal1é0 moyenne et infiTieure de l'O. Noùn, le district
proprement dit de l'O.' Noùn.
Entre l'O. 'aùn supérieur ct l'O. Tamanarl, a/lluent du Dra',
les Ansas.
Sur l'Ouecl Ou:Hr'as, a/lluent de droite de l'O. Tazcl'Ol1alt.lrs
Esmonka, Touelma, Ammel, Aü Ousim.
Dans les montagnes au N.-O. de l'O. Ouftir'as, les Ida ou Gneni-dif.
Dans les montagnes d'entre Tazerol1alt ct Ouùlr'as, les AH Alpued.
Dans les monla,~nes enlre Tazeronall (,1 O. \m"ln, Irs Tda ou Izicl,
IlIll'jjal, Ifran.
CHRONIQUE Dl, LA VJE DE MOULAY
, EL-HASAN 3iJ

le font ceux qui cherchent à satisfaire Dieu ct son envoyé.


Nous fimes partir avec eux un détachement d'officiers, ainsi
que des savants ct des ingénieurs distingués pour tracer le
plan du port ct le creuser suivant toutes les règles de l'arL
Par honheur pour les populations, les circonstances YfJlJlu-
rent qu'on h;\I.;\ les travaux d'exécution: Dieu en avait
ainsi décidé. Vous ne ferez que la volonté de Dieu: il faut
reconna Ilw que toute gI'Ùce est placée enl rc ses mai ns el llue
tout hienfait vient de Lui.
«( Nous resttlll1eS dans cc lieujusqu'à cc qu'ils eussent élevé

le phare. Si nous sommes IToublés dans l'exécution de cc


travail, Dieu saura faire le nécessaire; si la source de \ en-
geance ne vient pas à sc tarir, nous ahandonnerons le port
à la gr;\ce de Dieu; ct nous rcLraverserons les fort~ts!
Il En dernier lieu nous avons nommé un qùïd pris parmi
les (ltlïds de nos troupes; nous l'avons choisi parmi ceux
qUl étaient doués d'un jugement solide; nousl'avolls étahli
dans ~ {FlÇba de TI::;nll, ancienne l'étiidellce du NIakhzen.
Nous avons agi de la sorte pour que ce qûïd vienne en aide
aux autres gomemcurs du Soùs, d'Oued Ouùhr';\s au Oued
Noùl et au KlîmÎm. On en réfèrera :l lui dans les cas
embarrassants, surtout lorsque Ie\1akhzen sera abseut.
Nous ferons savoir aux autres gouvel'lleurs {lue ce qùîd a
le pas sur eux ct qu'on doit le consulter en cas de dini-
cuIté. Il possède toute la cOIuplitence voulue pOUl' \llener
:1 hien l'exéc~ution du port que lIOUS avons projeté cl {Jui
nUllS servira :t éviter le rnallH'ul' cl ~l got'itcr les hienraits de
la paix.
(( Le peuple eutra en juie comme I"ltOlllUIC altéré qui
apaise sa soir ou l'bonl1\1e égaré qui retrouve son chelnill.
Les gouverneurs furent mis au courant de cc {JlIC \lcillS
avions décidé cL ils s'entendirent:1 merveille avec uotre
qfùd sur la mani(~re d'exécutcr nos ordres. Nous mimes
ainsi la dernière main à l'œuvre Clue nous nous étions pro-
posé d'accomplir, après y avoir consacré tous 1I0S ell'ol'ls.
.\HCIIlVES MAHOC,\ INI~S

Que Dieu hénisse cette entrcpriseet la rende aussi méritoire


fille la guerre sainte! C'est lui le généreux, le bienfaisant
par excellence; c'est lui le dispensateur de richesse! Salut! ))
«( A la fin de Chaoual, année 1 2D9. ))

Une seconde expédition partit de Marrùkech pour le Soùs,


le 1() de Djournùdù TI de l'année 130:); elle pénétra jus-
qu'au dd1l du pays des arabes Ma 'fil et des autres tribus du
déserl.
\ cc 1l1011Wllt, la lIouvdlu parvint (Ille la contrée entrait
en rébellion et que des marchands anglais sc dirigeaient SUI'
le port de Tm:/,aù,l, sur la côte du Soûs pour faire du com-
1

1. Tarfaïa (encore àppclé Baboucha), nom arabe du cap J ub~


(:J7" 58' (1[" N. ct 12" ;)G' O.), sc trouve situé sur la cole du Soù" (1
/0 milles de distance en face des Canaries. Au Sud de Tarfaïa ~'da­
blit en l8/D la Nor/h-IVcsl Alrica Company dont le directeur ét<lit
M, Donald Mackenzie. Celte compagnie, dit un article inlitu1t"
1~'lIglaltd and J{orocco, extrait du Tillles of MOl'occo (:J 1 mars r Sn 1),
dev<lit son origine il IIll projet présent') <lU public anglais (lui avail
pOUl' hut de ferliliser le désert en <llllenant les e<lH" de la mer dalls
le Salwra. La réalisa lion de ce projet ne fut jamais tentée; mais de
l'idée primitive naquit une associatiou llui l'el;ut le nom de « ,""OIIS
(/1HZ Sor/h-lVesl i1Jrica Trading Company n.
Les promoteurs de cetle entreprise ernO)l'rellt un ugellt il Tunger
solliciter la coopération de Sir John Drummond lIu), mini"tre lL\II-
;.\letcrre uu Maroc.~lais loin de les encouruger, on leur dit que pareille
chose auit impossible. C'est ulors (lue, par la suite, ils obtinrent d'ull
chaikh Jocal il peu prl's indépendant lu permi~sioll (l'occuper, cn Hl"
dlt cap Juby, une petite île de sable qu'il marée basse 011 pouvait
alleindre il pied sec, et, 5111' le continent rnbne, un emplacement où
U. Mackenzie et :\HI. A ndl'ells et Curtis, venus il bord du Garra/l}a!t l'II
t88;), fondèrent d'abord un petit comptoir cl où ils éta!Jlirent ensui Il'
IIne factorerie UII peu trop pompeusement appelée cc Port Victoria ),
On projetait l'blablissement d'une douane avec une garde militairl'.
\[ais, pour cela, il r<lIlait s'entendre uvee l'autorité ~upérieure du
pays. Or le sultan {it prévcnir les commerçants anglais qu'il ne pour-
rait les protéger eilicacement con Ire les déprédations des tribus voi-
sines qui ne dépcndaient de lu i que 1I0minalelllent sans que de grosses
(!t'penses n'cn résult<lssenl.
Les ,\rabes rcgardail'llll'Il l'lld cet (,lablisselllelll allglais co III lUl' UlIl'
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN :l~3

meree avee quelques-unes des tribus. Hs avaient déjà ins-


tallé des maisons par suite de la connaissance qu'ils avaient
du pays. L'expédition se hâta de mettre fin aux troubles et
ramena la tranquillité; le mal qu'auraient pu faire les com-
merçants anglais fut ainsi coupé dans sa racine, ct l'ordre
régna de nouveau dans la contrée. Les tt'oupes de l'expédi-
tion furent reçues par une foule enthousiaste qui apportait
de nombreux cadeaux. Des familles entières sc pressaient
au-devant des troupes ct venaient faire acte de soumission,
sc déclarant prêtes à servir fidèlement le sultan.
Ce derniel: fit parvenir la nouvelle de ces événements il

menace qui, laissée sans ruponse, pourrait se rellouI"Cler autre parl.


Aussi, yers le conHllencement de l887' se produisit-il lm ('onlliL
entre les indigènes ct des employés de la North-lYesl A./i·ica COIll-
pany; nous passons sous silence diverses tentatives d'incendie on rie
destruction commises avaut celte date. L'occasion de ce dernier COll-
nit, croit savoir le Tùncs oJ Moroccu (:21 mars l8!:)!), fut l'essai fln'au-
raient fait les dits employés de prendre des yues pllOtographi(lues.
Uue l'ixc sensuiyiL au cours de laquelle un des Anglais perdit la yil'
ct quelques autres furent blessés. Le sultan, rendu responsable, pap
sans retard il la velIVC de l'Anglais tué la somme de :t, /1000 ou f li OOl l,
le chiffre exae! n'ayant pas été publié.
Mais il se miL alors il entamer des Ill"gociatioIJs avec le S'Oll\'Crne-
ment anglais pour l'abandon des concessions du cap Juby. Les de-
mandes cl 'indcmni lé de la compagnie pour le pn'ojudice (lU' l'Ile aurai 1
il subil' du l'aiL de la perte de son commerce, trailJ('l'ent jUSlPÙlll
moment où' l'expérience ayant suJJisamment démontré l'inanill' des
cJl'orls tentés pour l;lire du commerce sur celle cùle el l'impossibili Il'
de l'entrer dans les J'l'ais occasionnés par la comtl'uction de forlilica-
Lions élevées conln~ les indigènes, on apprit enlin (,8!)l) par un
Idégl'alllllle de Heuler envoyé de la légalion anglaise :1 'l'anger que,
sur la demande de Sir Willianl Kirby Green. k sultan avait Mcidé
de payer une indemnité de :\~ JO 000 :1 la Aodh-Il est AJrica Compahy.
f~n rclour de lluoi la place serail non seulement abandonnée, mais la
sOUH'raineté du sultan reconnuc juslju'an Dra' cl au cap Bojadar.
Cr. Uudgctt Meakin, The llool'is!t l';lIlpil'e, p. l84, [, [:~, [113. - The
Land (:f Ihc J1[oors, p. ;)00, ;)!j5. Tillles (~f J11oroee() C'~l man ,8D')'
---- Ercklllann, Le Jlaroe lIIor/cme, p. :JOg, 2l0.
ARcmVES ~IAROCAINES

ses qùïds du Magreh. Les chaîkhs des arabes Ma'ql cL leul's


grands personnages vinrent ~l sa rencontre; eL lorscpt'il
arriva SUl' leurs t.erritoires, ils sc félicitèrent de cc CIlie le
honheur venait d'apparaître chez eux.
De là, le sullan envoya un détachement de ses troupes au
port de Tal'faïa pour démolir les constructions élevés par
les marchands anglais. On li t disparalLre leurs drapeaux.
Les chrétiens l'CS Lés dans les maisons s'enfuirent jusqu'il
leurs vaisseaux.
La construction dn porl cl'AsùkafuL alors ordonnée pour
[aeili LeI' les embarquements et les débarquements. D 'f~adi l'
il KllmluI, la sécurité ct le calme furent rétablis.
Le sultan, selon son habitude, écrivit tout il ses gou \er-
neurs. Cependant l'Angleterre sc montra irritée de la
destrueLion des maisons anglaises et de l'expulsion des
négocianLs. Pour ramener la paix, il fallut indemniser les
négociants; c'est Dieu (lui règle toute chose: et sa bailLé
s 'éLend SUI' tout ce pays.
C' est ~l cause de cela que le poète a dit:
« n les combla de grùces, de mérites ct de bienfait,,: il
alla môme jusqu'à leur accorder des vaisseaux 1. ))
Dans ces vers le poète veut dire que les gens du SotlS cl
leur pays onL été comhlés de bienfaits de Loutes sortes. 'ronL
cc qui leur manquait en fait de chevaux, de bôtes de somme
ct cl' objets néccssai l'es leur a été fourni par "'Ioulay El-
J.lasan qui a toujours Sl.Ii vi la bonté comme ligne de con-
duite. 11 s'est eŒorcé de remédier aux maux de toute nature
qui venaient assaillir ses sujets. ct il s'est appliqué ~l pro-

r. Ce J'ut une jnnolation, le sultan avait ernplo)é un navire étran··


gel' nommé l'Amélie pOlir transporter le grain el, cl'autres provision,
sur diY(~rs points de la côle. L'expérience réussit bien à Agadir ct il
'lassa, mais il Aglau, une mcr démontée cmpècha l'attcrrissement.
dc sorte que la üunine régna dans l'armée jusqu'à cc qu'on eùt pu
faire parvenir des provisions par terre. V. Budgett J\Ieakin, The
Moo,.ish Empi,.e, p. ,8,').
CHRONIQUE DE LA YlE DE MOULA Y EL-HASAN :W,
téger sortout les gouverneurs, les notables, les gens reli-
gieux, les hommes de mérite et de science, les personnes de
distinction ct tous les faibles. Les habitants acquérirent,
grùce il lui, une force remarquable; leurs aptitudes se déve-
loppèrent; la sécurité devint parfaite: ils sc rendirent ainsi
illustres aux yeux des autres peuples qu'ils dépassèrent pal'
leurs fIualités. La justice de cet im~Îm remarquable qu'était
,\lonlay El-J:lasan avait accompli ces prodiges.
C'ei'll que cc prince, (~Il ell'ct, se préoGCupait assid"llnent
du bonheur de ses sujets et ne négligeait rien pour amé-
liorer leur sitnation, UlIC fois qu'il s·était rendu compte
de co dont ils ,naicJlt besoin. Puisse Dieu J'aider clans
sa tùehe!
Le poèle dit eLleore l'CS \ ers:
« A cette ("poque l'obéissance la plus complète au souve- (
rain existait dans le SOl'tS, lel.laouz et lell'arl): de tous côtés (
la soumission étail parfalle. ))
Le poète veut dire pal' là qlle, conHne nOlis l'avons déj11
dit. les gens du Soùs possédaient la force ct le courage qui
leur ont permii'l de pénétrer dans les Illontagnes les pIns
difJiciles d'acet's. On peul dire que cc sont eux qui sc con-
forment le mieux aux préceptes imposés par la loi religieuse:
ccci ne les cmplkhe nullement d'obéir au Makhzen tant que
le Makhzcn est lUI-ulôme d'accord avec la loi.
Ils étaient nombreux ct bien arlll("s. cc qui a contribué (1
étendre leur" influence. Ils Obl~issent au sultan mieux encore
que les autres tribus arabes ou herhères : ils agissent comule
les habitants de Syrie qui pellvcllt ôtre cités comme
exemple (l'oh("issance ct de fidélitô au souverain.
L'ohéissance des gens du Soùs est une chose évidente
dans les territoires de r Ouest, notammen t dans le I:Iaouz
qui s'étend de Habùt EI-Fatl~ jusqu'au Sofls et comprend
une partie du Soùs inférieur; d'ailleurs nous a\ons incliqll(~
i'lCS limites précédemment. Les :Marocains donnent la déno-
n.
mination de 'arb 1.1 cc qui sc trouve entre l'Ouad Ouarr'a
310 :\HCIIIVES MAHUCAINES

d'une part et le Qçar de Ktâma (El-Qçar e1-Kebîr) ct la mer,


du côté du coueller (lu soleil, de l'autr('. C 'est le pays des
Benî Mâlek et Sofyan ; il comprend le Maghreb EI-Aqça, dl'
Tlemcen à ['Océan. Dans tous ces pays, les gens du So"'s
faisaient preuve d'une fidélité et d'un dévouement parfait (l
Sa Majesté le Sultan. Ils lui faisaient parvenir leurs carleans .

ù\[arrùkecIJ ; c 'est ù cause de la han lieue (j-,>-l de\! arrù-


kech que la province de J.raouz prit SOli 1l0m.\Fès-la-
belle, l'étonnemen t sc transforma en admiration, quand on
vit leurs gouverneurs apporter au sultan des ricbesses
énormes en cadeaux. Tout le monde s'accorde (l recon-
naltre leur mérite ct leur force: à c(!té d 'eux, les autres
tribus semblent bien inférieures; quant (l leur armée, elle
est toute dévouée au sultan. Chez eux, on considérait
comme contraire (l toutes les coutumes, de s'allier ù d'autres
pour lutter con tre le sultan.
Leur organisation est la !Hème q lIe celle des tribus
d'Oudjda et du reste des herbères de la montagne Fùzùz ct
des environs de Sidjilmtlsa ct de Fès, ainsi que nous avons
dé.i(l cu l'occasion de le dire (l propos de leurs coutumes.
Ils observent ponctuellement la loi religieuse. S'il arrive
qu'un étranger soit molesté (l la suite d'une dispute (lui a
lieu entre eux, les notables s'assemblent el lui font rendr(,
justice par le coupable.
Leurs bonnes dispositions étaient telles, que quelle que
1 fùt la chose demandée pal' Moulay EI-J.lasan, ils accédaient
de suite (l ses désirs, (lu 'il s'agisse de lui fournir des céréales
ou tout autre produit.
e'est bien au peupl(~ du So"'s que pelnent s'appliquer
les vers sllivanls :
( Grùce :1 sa Illallii'l"c d(, yi, re, il peut prodi3'Uer ses
richcsses ; les revcnus de sa ProlH·i(~l.é lui permellcul. de
fournir le ::aklil. ))
« Il se soumet humblement aux décrets chaque fois qu'ils
sont promulgués, et accepte toute décision motivée pat'
l'état de choses. ))
La bonne conduite que mènent les gens du Soùs leur
permet, en effet, Ulle fois l'c:valuation faite, de prélever
volontairement sur leurs biens, la dîme ex.igée. Ils prélèvent
de même la zakât SUl' leurs troupeaux. de moutons et de
nlches ct en versent le prix li qui de droit.
Toutes les Jois qu 'on promulguait des décrets touchant
J'administration ct que ces décrets sc tt'Ouvaient conforme~;
à la loi religieuse, ils les accueillaient favorablement; de
ml~me ils sc soumettaient ~[ tout jugement rendu SUI' une
affaire pOUl' laquelle ils avaient demandé une décision. On
ne peut imaginer un peuple plus soumis cl plus pacifié.

Moulay EI-I.lasan, changeant ensuite de direction, fit


l'oute vers les grandes tribus herhères l'chelles. Cc voyage
suggéra cc vers au poète:
cc Il tourna ses projets contre les Beni MS'[dld, qui LlÎ-
saielJt régner Lmarell te au l'nilieu des pIailles immenses. )
C'est-à-dire qu 'après la pacification totale du SOtIS,
'Ioulay El-J.lasan, dirigeant ses eJTorls ct scm zèle d'tlll
autre côté, entreprit une ex.pédition contre la tribu des
I~en[ MWIÎ1d; c'est rune ,.de: grand?s tribus .'~erb~re.s ([ui
1 lont parlw des Ai't-Oumillou, fractIOn des (,.mhadp. Il
voulait marchel' non senleillent contre cette tribu, n13is
anssi contre toutes les tribus de cette fractioll, telles que
les I;>hayûn, les Souf'yûn, les Ait Chenmûn, les Aï/, Yesry,
et d'autres Berbères qui habitent les montagnes du l"azùz.
Ces peuples son! établis ct rdranchés dans les padies
ditlicilcs d'accès de ces montagnes, depuis que les Berhères
possèdent le Maghreb, c'est-à-dire hi en longtemps avant
l'Islamisme.. Cédant à leurs passions, ils sc révoltèrent et sc
livrèrent à toutes sodes do déprédations. Ils n'ont point de
chefs pour les empc~cher de suivre leurs mauvais penchanls.
Ils 118 reconnaissent aucun imùm dam ces vastes plaines
AHCHlVES ~IAR()CAI"ES

sans cau, où la marche est si pénible. Ils se sont établis 1;(


en maîtres et ne sc gênent nullement pour y violer les
règles de la j us lice,
Le sultan une fois arrivé dans ces monlagnes, y assura
son autorité: puis il se dirigea sur la (Iaç-ba\dkhasùn
qu'avait fait Mtir Moulay lsrnù 11. Lu majeure partie des
lribus de cette contrée vinrent au-denwt de llli; (IHittant
alors Mékillès Ezzeitoùu, il prit la directioll de leurs lerri-
toires, le iO de Hama<Jùn EI-lVIouarJhclll de l'année do;),

Cc prince avait UIlC passion pour les voyages 1 : il se con-


formait ainsi à la pamle de cc1ui qui a dit: « Vivre dans
une habitation fixe, c'est le plus grand des malhcllt,s : c'esl
SUI' le dos des chevaux que sc tt'Ouye la pluce du sultan. »
Son plus grand hOllheur élait <le yciller la uuit. Grflcc ;1 sa
décision, les gens de bien sc sonl épris de l'anleur de faire
(Iisparaltre les méchan b.
La force ct la vigueur sont l'apanagc du sultan; son
dévouement pour sa compagne ct ses enfallts ne connalt
poinl de borncs. Il aime lcs gens courageux ct sc plait au'\.
préparatifs de gucrre. JI <'vile le voisinage du chat cl de LI
souris et préfère vivre sous la tellte; en cela, il est un vrai
lieulenant de Idul<Jir: ct l,ersollne ue peut lui êtrc compru-é.
« L'aigle vit duns les airs cl habite les déserts, tandis
<pIC le coq erre autour des maisuns, La force de l'aigle hli
confèrc un pOllvuirubsolu ; [[\;lis le ('Ü(l, que peul-il faire,
sinoll efT'rayer les puules (luand il chante;1 »
Des écrivains perspicaces Ollt tmit(i la q uesLÏon dans des
('(:L'its (lui méritent l'attentiuu, (LlUtant plus <Ille leurs
asserlions ont été vérifiées pal' l'autcm lui-môme. Voici la
teneur de ces écrits:
Il ya de multiples avanlages ;( voyager, Le déplacement

[, L'un des ministres du sullaLl disait avec fierU: : « Le Lrone de


l'empereur du .\laroc, c'est son cheval; son Laldaquin, c'est le ciel. ))
CHHONIQUE DE LA YIE DE MOULAY EL-HASAN :afl

d'un lieu à llll autre ne peut que profiter à l'homrne; aussi


les rois du :Maghreb étaient-ils dans l'habitude d'entreprendre
de nombreux voyages. C'est ainsi qu'ils purent faire rentrer
dans l'obéissance les tribus l'chelles et les forcer à rempli)'
leurs obligal.ions il l'égard de l'autorité chérifienne. Les
l'outes étnient soigneusement gardées, ct l'on y trouvait des
emplacements favol'nbles à une halte. Le cllâtiment ne fai-
sait point attendre le rcbelle, aussi toul germe de corrup-
tion ne tardn-t-il pas il disparaître.
Le Makhzell devint alon; Ull guide st'ir pour lf~ peuple
chez qui ne :-;e manifestait plul' aUCUIJe 1race d'opposition
ou de déso!Jéisl'ance. C 'est lil UII rniracle (Jm' lequel Dieu a
Inanifest(" l'a bont(" supn\nw. Pour l'accomplir Il s'el'! servi
d'llOllllnes sages tels que notre sullan ; aussi doit-on se
conlormer il la yolontti de el' derniel' et le suivre padoul,
quelle que soit la distallcc à pal'cou6l', quelles que soient les
diflieu1t("s de la route. Son Ileul'f'Use étoile l'a conduit au
somnwt du honheur ; grâce à sa force, SOli renom s'ételld
jusqu'aux confins de la terre. Il a pIaC(" sa confiance en
Dieu qu'il cl'ninl cl respecte. Celui qui ne chel'ehe d'appui
qu'en Dieu voit augmente!' la puissance de scs années, et
les choses cachées lui sont rhéIpcs : tel est le portrait de
notre ~Ialtre et Seignell l', le sultan, pal' la n'Il un duquel
Dieu rehaussa la gloire du Maghreh. La paix ct la gucrre
sont plaeén;; dans sa main ct Dieu l'a comblé de bienfaits.
Il administre son peuple confonnémen t àla volon té divinc.
Les sultans sc transmirent l'autorit<~ de père en fils
acquérant ainsi ulle inl1ucncc prépondérante dans le monde.
Le fils d' 'Ali, le descendant de lu fiUe du Prophète. notre
Maître chéri, dirigea les affaires de notre pays avec la plus
haule compétence. Puisse Dien augmenter l'a puissancc!

On peut lire, sous le litre de J\::tI .:>0), le récit d 'une


seconde yietoire au pays des \lguîld, cal' les gens de cette
:ltiO ill\CHI\"ES ;\IAHOCAJNES

tribu, à l'exemple de CClIX du SOllS, étaient entrés en n'·bcl-


lion. Le sultan sc mit aussitôt en devoir de réprimer paci-
fiquement cette révolle, Cil suivant une politillue d'indul-
genœ et de pardon. Mais les insurgés, à l'exemple du
caméléon aux mille transformations, retombaient perpé-
tuellement dans leurs fautes passées, comme si la lilpJeur
rousse (le vin) ellt troublé Jeur cery(~au. Le sultan espérait
cependant les dompter II force de patience cl de douceur:
c'est tout au plus s'il fit payer une ran(:oll aux plus cou-
pables; cet acle de générosilé ll(' seni! (pdl redoubler leur
insolence, il n'y a aucun doute II concevoir sur cc su.iet.
Le sultan, comprenant (1\](' la palience avait des bornes,
se dl~eilla (1 prendre des mesures en consélplence pour é,itt'r
le retour de pareils événements. n prit conseil el sc pr{opara
à agir. L'ef1'ervescence était li son cornble (lans la tribu.
aussi son plus grand désir était-il d'y rétablir J'ordre ct la
.iustiee. Néanmoins désirant user de conciliation, il les fit
prévenir par lettre d'avoir II rentrer dans l'obéissance: cette
démarche n'ayant pas abouti, il se mit à l'U'uvre sans pIns
lard(')'. L'année prit l'ordre de marClw et i~ quitta\réki,~.
" t prepare
Son p l an etal' ' , d' avane('.
Il Ile tarda pas à entrer sur l(~ territoire de la tribu
rebelle, à la tête de cavaliers d de ümtassins, accompagné
de ses étendards ct drapeaux. Mais toutefois sa politi([ul'
était de ne se servir de la poudre que comme d'une dernil're
ressource, l'ur il avait pOUl' principe que la plume l'emporte
sur l'épée. En tout cas, en quelque lieu qu'apparai~sc l'in-
justice, le sultan, si telestson désir, parviendra tll'étouf1'el'.
L'épée finira pur réussir là où aura échoué ln douceur.
Il arriva donc qu'un jour les rehèlles se trouvèrent Cil
contact avec la maJ.lalln du Sultan; mais cette dernière, se
mettant en branle, prit la direction du point central des
habitations de leur tribu. Enhardis, les l'chelles dont le
nombre augmentait incessamment, s'avancèrent en deux
colonnes contre la mal.talla; mais. contl'airement li leurs
CIIHONIQGE nE LA \lE ilE ~IOGLA r EL-lIASA:'; ;],;1

prévisions, un retour offensif de celle-ci les mit en déroute.


Des armes ct des chevaux fu rent pris: les chefs elll'ClI 1,1 a
tête tranchée ct des ruisseaux de sang coulèrenl.
La mal~alIa se jeta ensuite sur les Cjçour où les fuyards
s'étaient retranchés: cne les bloCJua, de telle sorte que,
réduits II toute extrémité, ne voyant aucune issue à leur
situation dé"cspérée, ils tinrent con"cil et finalement vinrent
chercher refuge auprès des canons du Sultan.
Notre Seigneur les prit en pitié et malgré leurs fautes,
leur fit un accueil plein de hienveillance. Il leur rendit
confiance tout en exigeant d'eux, bien ellt('IHlu, le paiement
de la zakâl ct de l' 'acllOlir, l'obéissance absolue à ses ordrcs,
et, en ~omper~sation des assassinats commis, la remise enlre
1
"es nWll1" de ;{ 000 mules el 8000 moutons et vaches.
Tout ccci fut ponctuellement exécuté. D'ailleurs, notre
~ullan demeura dans leur pa)'" II la tête de son armée,jus-
qU'lI l'exécution pleine cl entière de toules ces conditions.
Telle e"t l'expédition qui me! ('n relief la personnalité de
not['(~ ~\Iaître victorieux. Cc tl'Ïomphe Ile le cède en rien:'l
celui qu'il remporta sur les gens du SOl[".
Les leUrés du conseil composl~rent II cc sujet de nom-
hreuses qaeîdas à la louange de ses hauls faits; chacun)
mit tout son laIent. Le Sultan leur ordonna alors de retour-
ner à F(~s pour orT'rir ces différentes qaeîdas aux lettrés,
jurisconsultes et nobles de la ville, cal' la beauté de leur
style leur donnait véritablement droit de eité dans l'histoire.
Dans l'intervalle, on apprit que, près du paJs desB('II]
VIguîld, on avait découvert dans les champs un mortier de
guerre. Celle découverte fit sensation; cc canon n'avait pns
appartenu aux pr("cédenls rois du Maghreb, et l'on ne s'c~x­
pliqunit pas sa présence au milieu des champs. Le sultan
donna l'ordre de le transporter JUSqU'lI la nml,ullla, cc qu'on
fit, en utilisant, pour son déplacement, de nombreux chn-
meaux. A la vue de sa taille, le peuple fut saisi d'étonne-
menl. Ce canon alla prendre place au milieu d'autres que
:1:;2 ARGIIlVES MAROCAINES

possédait déjà le sultan. Ce dernier reprit alors la route dc


\lékinès EzzeÎtoôll. 'l'clip fnt l'e.\pl~dilion contre les Beni
,rgu'll\.
On y put remarCJuer la perfidie des Aït Choukhmûn
(Berbères) qui trahirent la confi:mep de ceux qui étaienl
VPIHlS vers eux dp la part dn ,.,uIL:m. Le sultan, ('n dl'ct, en
ayant fini aH'cles BenÎ \1 gu îld, leu r en \'o)a son cousi n,
\Ioulay Sro1Îr, à la tète cl 'envi l'On :J. 00 cavaliers. penil' leur
faire acquitter la zakiÎt ct l"'achour. Les AH ChoulduuiÎn sc
déclarèrent prNs il faire acle de soumission el il payer ce
fln'ils devaient.
Mai,., il r:"Ti\(~c de,., envoyés du sulLan, un indi,idn dn
Ilom de Malwonicllim (appellation qui sCl'Vait d'aillcurs à
désigner aussi toute llne frnction de trilm fort ('n honneur
dans le pnys) lenr suggéra de f1lnesles idl~cs de trnhison.1I
les engagea il fairc dispnmîlre les c:naliers et qÙi'(b du
sultan. Ses conseils furcnt éCailLés. On répartit les caYU-
liers dans les différelltcs tentes ct habitalions de la tribu,
sous couleur d'hospitalité, d'apr('s l'usage élabli ; on eut
InènlC rail' de rivnliser en génél'Osih~ dalls le bon accueil
(lu 'on leur fil.
Conseil fut ('nsuite tenu il la snife duquel (1) dl~cida ùe
tuer tous les hôtes à un signal COll\eJ1u.
Ainsi fnt fait. La mort vint frapper presque Ions les
nnvoyés du sultan; quelques-uns seuls paninrent à s'en-
fuir. Moulay Sl'Oltr, le chef cIe la troupe, péril lui-ml'\me
dans ce massacre. Son corps fut rapporté à la maJ.wlla.
Ce meurtre perpétré, les assas,.,ins gagnèn'nt Je ,.,ommet

I
des montagnes où ils se séparèrent pour cherche/' uu /'efuge
derrière les broussailles et (lans les eùdroits d'accès diffi-
cile.
Moulay EI- I:lasan chargea alors Ulle peLi le Iroupe de leu /'
faire la chasse et de s'en emparer. Leur territoire fut envahi.
mais on n'y IrouHl ni personnes, ni biens d'aucune sorle.
On sc borna alors à ruiner les maisons, il saccager les pro-
CHRONIQUE DE LA VIE DE I1IOULA y EL-HASAN 303

priétés, à raser les forteresses; en un mot à transformer le


pays en désert.
Recherche fut faite de ceux qui leur avaient prêté main-
forte dans l'accomplissement de leur forfait. On :découvrit
la tribu des Aït DtLOûd, celle des Aïsy et celle des Maha-
ouichin. Le sultan autorisa le partage de leurs biens en
signe de représailles.

Pendant cette expédition, le sultan célébra la fête tradi-


tionnelle des sacrifices dans le pays d'Adkhasân de la tribu
des J?hâyân. Les J?hllyân y aS5istèl'ent, ayant avec eux un
drapeau qu'ils prétendaient avoir appartenu à Moulay SoleÎ-
mân. Le sultan fit joindre ce drapeau aux siens; puis il
regagna Mékinè5 Ezzeîtoûn, vers la fin de dhoûl-J:tidjdja de
l'année 1305. On l'y reçut en grande pompe. Après y être
re5té jusqu'au commencement de Çafar, il fit sa visite au
lieu saint de notre seigneur Moulay Idris le grand. Il se
rendit ensuite à Fès. Les notables vinrent à sa rencontre
en lui souhaitant la bienvenue ct en lui apportant des
cadeaux. Les poètes vantèrent les exploits de ses troupes
dans de nombreuses qac1das; tous revinrent avec de quoi
largement certifier sa générosité.

Le sultan demeura à Fès jusqu'au mois de dhoûlqa 'da


de l'année 1306; à cette époque il fit une tournée d'ins-
pection dans les ports, comme on le verra plus bas.
La poésie s'est emparée de tous les événements qui se
déroulèrent chez les BenÎ Mguîld ct leurs voisins:
(( Le sultan persévéra heureusement dans sa politique
de douceur, jusqu'à ce que les révoltés, convaincus, accep-
tassent ses ordres; il leur nonlma un gouverneur, et tous
se soumirent fidèlement aux conditions imposées par le
vamqueur. )) .....
ARCH. MAROC.
ARCHIVES MAROCAINES

y a-t-il personne qui puisse suivre les traces de Moulay


El-I.Jasan et tenter seulement les magnifiques efforts qu'il
fit pour maintenir la justice, répandre les bienfaits de tous
côtés, accomplir des hauts faits, rendre le pays prospère,
traiter généreusement ses sujets, ramener, en un mot, le
royaume à l'état florissant dont il s'était écarté il
Dans la crainte de Dieu ct l'observation des commande-
"ments, peu des personnes de son temps atteignirent son
degré de perfection. Sa grande piété ct sa dévotion lui
faisaient remplir le devoir de la prière avec une exactitude
exemplaire.
La façon dont il comprenait la fidélité aux traités est
bien connue. Il ne tirait pas vengeance des rebelles ct
révoltés, il évitait de répandre leur sang: mais dès qu'ils
étaient rentrés dans l'obéissance, il exécutait fidèlement ce
qu'il leur avait promis; aussi l'indocilité sc fit-elle de plus
en plus rare parmi son peuple.
Personne n'ignore le respect qu'il a voué aux savants et
aux chérifs, ~l cc point qu'il a trouvé moyen de sc concilier
les cœurs de ceux mêmes qui le tenaient encore en défiance.
I~es Qâ(.lîs n'ont cu qu'à se louer de sa sollicitude. Une
part prédominantp l'Il t laissé(~ aux savall ts dans la lléeisioll
des affaires religieuses ct temporelles, ~l l'instar de ce
qu'avaient lait ses ancr:tres. D'ailleurs, en toutes circons,...
tances, la loi religieuse fut scrupuleusement observép.
En l'année 1310, la veIlle du blé ayanl considérablement
diminué dans les marchés, par suite de disette, le sultan
ordonna d'ouvrir ses magasins ct de vendre les réserves
de céréales qu'ils cOlltenai(mt, sallS majoration de prix. Du
fait de celte meSUl'e, le pays vit renàîlre l'abondance ct
l'abaissement progressif du prix du blé!
On retrouve les traces du souci qu'il prenait du bien-être
de son peuple dans les lettres chérifiennes qu'il envoya il
ses diflërenls représentants. On y voit les recommandations
qu'il leur faisait de proLc~ger le faible, d'bonorer le savant,
clmO~IQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN 3[;t;

le vieillard et le ehérif, de chercher à diminuer les crimes,


de ne relâcher le coupable qu'après lui avoir imposé
l'amende obligatoire. On traquera l'homme injuste pour
l'emmener en prison avec les pécheurs et les gens pervers.
Tels étaient les moyens que préconisait le sultan pour
arriver ù se faire craindre et aimer tout ù la fois de ses
sujets; la crainte et l'amour étant en effet la racine de toute
organisation, le pivot de toute politique .....

En ce qui touche la préparation ù la guerre et l'outillage


de l'armée, aucun des rois du Maghreb qui précédèrent
notre sultan, ne peut rivaliser avee lui. Non content d'avoir
augmenté par des commandes nouvelles faites en Europe,
le stock d'armes de guerre et de canons, que lui avaient
légué ses ancêtres, il conçut encore le projet d'assurer une
production régulière d'armes de gnerre par la création d'un
arsenal.
Sa famille et tous ses parents proches et éloignés furent
toujours traités avec le plus grand respect et la plus grande
bienveillance. Il ne les laissa jamais manquer de rien. Ceux
qui rattachaien t leur origine à la sienne recevaient une
pension; les faibles et les pauvres avaient plus spécialement
droit ù ses largesses; il leur fit construire une maison où
il réunit ensuite les femmes chérifes réduites à la misère,
pour lescluelles se manifestait tout particulièrement sa
libéralité.
L'un des traits les plus remarquables de la dynastie
'Alaouya, c'est que l'orgueil est banni de chez ses membres.
Le fort comme le faible est soumis anx mêmes lois; l'éga-
lité règne entre eux. Les gouverneurs conservent dans leurs
jugements la plus grande impartialité, car ils appartiennent
à la race des rois de la terre, aussi ne peut-on avoir que
profit à entretenir des relations avec eux.
Le sultan prenait aussi un soin jaloux de ses ministres
et intendants; il s'aidait de leurs conseils dans la direction
306 ARCHIVES MAROCAINES

des affaires. Il visitait les prisonniers, élargissait sur l'heure


ceux dont l'innocence était reconnue; pardonnait à ceux
dont le repentir était véritab.le. La justice seule lui dictait
ses actes.
Depuis son accession au trône, jamais il n'a fait couler le
sang de personne, jamais il n'a fait trancher la main ou le
pied de personne, sans avoir cu entre les mains les preuves
évidentes de la culpabilité de l'individu.
Il châtia les fauteurs de troubles en les exilant ou en les
emprisonnant, pal' crainte de les voir récidiver. Sa bien-
veillance ne peut entrer en comparaison qu'avec celle de
Mo 'aouya. C'est d'ailleurs la plus sûre des politiques pour
se gagner les cœurs effarouchés. Le pardon et la compas-
sion sont l'apanage d'un caractère généreux, or en ces deux
qualités le sultan a dépassé ses ancêtres. La compassion
donne le temps de réfléchir et qui agit sans précipitation se
diminue les chances d'erreur.
On raconte que son aïeul Moulay 'Abd Er-Hagmân avait
condamné à mort un individu qui en avait tué un autre.
Au moment où on allait trancher la tête du condanmé,
celui-ci, d'un geste pudique, ramena son vêtement SUl' ses
parLies naturelles. Le sultan, informé du fait, sc repentit
d'avoir fait meUre cet homme à mort. Il n'aurait dû, pen-
sait-il avec regret, que lui inlligel' le paiement du prix du
sang à la famille de la victime. Ce trait dénote combien
grande était la compassion chez les l'OIS de cette
dynastie ...

Le sultan est extl'êmement bon; sa compassion est infi-


nie, or c'est justement la qualité dont un sultan a le plus
besoin ...

On cite de nombreuses anecdotes à l'égard des gens com·


patissants, des l'ois plus spécialement, qui ont usé du par-
don, comme Moulay El-r,rns:m, envers les révoltés.
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-I.IA5AN :l1î7

Zyûd envoya à Mo'aouya un homme des Benî Tamîm.


Lorsque cet homme se présenta, Mo 'aouya lui dit: « Tu as
prêté aide à nos ennemis. » L'homme lui répondit: « 0
Prince des Croyants, une révolte générale avait éclaté, le
désordre était à son comble; les gens de bien devenaient
rares. Pour mon propre compte, je pillai; je mangeai et
bus tout mon saôul jusqu'à ce que les troubles eussent
disparu ct que le calme fût revenu. Les esprits reprirent
conscience d'eux-mêmes ct peu il peu nous rentrâmes dans
l'ordre et recommençâmes à mener une vic exemplaire.
Nous nous soumîmes à notre khalife. Celui qui sc repent,
Dieu ne le punit pas; celui qui demande pardon à Dieu,
Dieu lui pardonne généreusement. » Mo 'aouya tomba en
admiration devant l'ingénieuse' éloquence de cet homme.
Il lui accorda le pardon ct le combla de bienfaits.
Cette histoire est dans le genre de celle d'I:Iobry avec
Moulay EI-I:lasan, que nous avons déjà rapportée.
Personne, à l'exception de Mo 'aouya fils d'Aboû Sofyân,
ne parvint au degré de compassion de notre sultan.

"Moulay El-I~asan, désireux de se rendre compte par lui-


même de l'état des villes maritimes, ct ne voulant pas se
fier aux ouï-dires, sc mit en route pOUl' la côte. Il fit une
visite approfondie de ces villes ct avisa aux moyens de re-
médier aux maux dont elles souifraient.
C'est ainsi qu'il arriva à satisfaire les Benî Mguîld et à
leur faire accepter les lettres chérifiennes où illeul' donnait
ses ordres. ParLout où la pacification était devenue telle que
la présence du sultan n'était plus nécessaire, il plaça des
gouverneurs avec recommandation de n'obéir qu'aux plus
purs sentiments de justice. Il nomma des ministres et leur
fixa comme règle la crainte de Dieu; il nomma des admi-
nistrateurs des recettes ct dépenses, des comptables, des
surveillants, des émissaires chargés de la police, des juges ,
des notaires, des fonctionnaires administratifs, des hommes
358 AH.CHIVES MAH.OCAINES

éclairés et intelligents en qui l'on pouvait avoir confiance


et que l'on consulterait en cas de besoin.
De celle façon, rien de ce qui se passait chez les Beni
Mguild ne passait inaperçu pour le sultan. Ses agents le
tenaient au courant de toutes les nouvelles. Ils avaient reçu
l'ordre, d' ailIe lll'S , de ne traiter le peuple qu'avec bienveil-
lance. Le sultan sc réservait le droit de punir les vrais eou-
pables et de les jeter en prison. On ne pouvait agir avec
plus de tact: c'est ainsi (lue s'étaient comportés avant lui
les sultans respectueux de l'équité.

'Abd El-Malik écrivit une fois à EI-I:ladjdjàdj pour le


prier de lui faire savoir comment il s'y prenait pour diriger
ses sujets. El-J.ladjdjâdj lui répondit:
(( J'ai fait appel à toutes mes facultés; j'ai fait taire mes
passions; j'ai appelé près de moi ceux de mes sujets qui
faisaient preuve de la plus grande obéissance. J'ai mis à la
tête de l'administration de la guerre un homme compé-
tent; le service des dépenses est tenu par quelqu'un dont
la fidélité est à toute épreuve. J'ai distribué ainsi à chacull
de mes subordonnés une parcelle de mon autol'ité. Mon
épée s'est tournée contre les méchants, mais j'ai récom-
pensé les gens de bien, de teUe sorie que les premiers crai-
gnent mon châtiment tandis que les seconds sont encou-
ragés à persévérer dans leU!' bonne conduite. J'ai mis ma
confiance en des gens fidèles que j'ai ensuite récompen-
sés. ))

Lorsque Zyâd nommait un gouvernem, voici ce qu'il lui


disait: « Prends l'engagement de remplir tes fonctions
pendant un an; tu changeras quatre fois de poste. Durant
cc temps, ct, là, où tu seras, tu agiras à ta guise. Si je trouve
que tu ne remplis pas ta tâche avec assez de fermeté, je te
congédierai et tu seras délié de ton engagement. Si je vois
que tu emploies la ruse pour te rendre puissant, tu subi-
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN 3i)\)

ras mon mépris ct tu encourras mon châtiment. Je pèserai


tes actions et tu auras à supporter les conséquences de
toutes les choses illicites que tu auras faites. Mais si je te
trouve serviteur à la fois loyal et ferme, je te maintiendrai
dans tes fonctions, je rendrai ton nom célèbre, je te ferai
riche ct tes enfants ne manqueront de rien. ))
\bou Ouûïl Eth-l'haqùfy raconte que Soleïmân ben
Oual.lb le fit appeler un jour cl lui dit: « J'ai pensé à toi à
cause de ta loyauté; je t'ai nommé gouverneur; ttLChe de
justifier la confiance que j'ai placée en toi. Sois juste envers
les hommes et accomplis tes devoirs à l'égard de Dieu. ))
- [Et il ajoute :J t( Le sultan me remit ensuite ma lettre de
nomination. ))

Moulay EI-J:lasan, s'étant inspiré des idées contenues


dans les citations précédentes, put de cette façon obtenir
des Benî Mguîld l'exécution des obligations qu'ils avaient
envers le Makhzen, telles que le paiement de la Zekât et de
l' 'achoûr. Il manifesta ainsi plus qu'aucun autre sa majesté
souveraIne.

Moulay El-J:lasan fit ensuite une expédition dans les


montagnes des R'omùxa. Il visita, après, les villes maritimes
dans le but. d'y apporter les améliorations qu'il aurait
jugées lui-même nécessaires,
Ces voyages furent célébrés par de nombreux poètes, ct
cela, à cause de la munificence dont Moulay EI-I:lasan fai-
sait preuve tl l'égard des savants et littérateurs, qui,l'aecom·
pagnant toujours, ne laissèrent rien échapper de ses moin-
dres faits et gestes.
La cause de ces fréquents déplacements du sultan serait,
aux dires de quelques-uns, le désir qu'il avait d'échapper
aux nombreuses réclamations inopportunes des Puissances
étrangères. Selon d'autres, il ne faudrait y voir que le
360 ARCHiVES MAROCAINES

souci d'achever la pacification des points de l'empire encore


agités, et l'intention de prémunir ses sujets contre toute
éventualité fâcheuse, ainsi que le désir de se rendre compte
par lui-même de l'état des vendanges.

Le sultan-quitta donc Fl:S ct transporta son camp auprès


du pont de l'Oued SebolL, dans uu emplacement convena-
ble. Tout homme de bon sens, dans le Maghreb, se réjouit à
la nouvelle de cc voyage.
Son départ de Fès avait eu lieu le lundi 17 de Chaoual
de l'année 1306; il quitta le pont de l'Oued SebolL le len-
demain 18 ct vin t passer la uuit près du neuve Ynâoul.
C'était la première {ois qu'il descendait au milieu des
tribus des Belli I.liân. Il y l'établit l'ordre, puis sc dirigea
le 20 de Chaoual vers les tribus des Aribi 'tl Tistl, qui lui
firent présent de magnifiques chevaux. On remarquera que
tel était l'amour de ces gens pour le sultan, que les plus
pauvres d'entre eux tinrent cependant à honneur d'oITrir
au moins au sultan un bouc et un bélier.
De là Moulay EI-J.lasan pas"a à HaLttt clJez les Çanll<\dj a;
il établit son campement au pied de la montagne, cn un
lieu appelé 'Aïn McdioLlna où il demeura longtemps. Les
habitants de cette montagne sont peu riches; ils ne possè-
dent de champs cultivés que dans la partie inférieure de la
montagne. Vi vraie Il t-ils .011 bons termes avec leurs voisins
les Beni l.litm, qu'ils pourraient néanmoins y semer ct y
récolter, battre leur récolte et jouir en paix du fruit de leur
travail. Malheureusement ils sont constamment harcelés
par les Beni l.[iân. Cependant la montagne leur fournit de
l'eau en abondance; ils possèdent des arbres fruitiers dont
ils vendent les produits pour pouvoir s'acheter la nourri-
ture dont ils ont besoin. La propreté qui règne partq,!1t ct
l'excellente façon dont ils savent préparer les mels donnent
à leur pays une allure de pays civilisé. Les populations
sont paisibles ct animées des meilleurs sentiments; on
CHHONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN 3f\l

rencontre parmi elles des familles dont les membres appar-


tiennent au Makhzen.
Abandonnant la montagne des Çanhâ~ja, le sultan fit
ensuite route vers les Mthiana. A proximité de ces tribus
se trouvent celles des Ben1 OuaUd, des Ar'rayouh, des
Futlsa, des Ben1 Ounjel ct des Mern1sa. Les gens de ces
tribus ne valent pas la cordo pour los pendre; ils vivent
dans la misère, mais lours mauvais instincts les en'lpêchent
de s'amélioror. Leur cœur est plus dur quc la pierre. Ce
sont les gens les plus injustes qui soient au monde; ils son t
sans cesse les armes à la main, toujours prêts à se jeter
contre leurs propres frères, avec ou sans raison. Complo-
tent-ils la mort d'un des leurs il On est sùr qu'ils réalise-
ront leur dessein en usant de ruses et de stratagèmes dia-
boliques. Tandis que la vie de ces hommes sc passe à errer
dans les forêts ct les vallées, leurs femmes font paître les
bestiaux.
Le sultan s'éloigna promptement de cette contrée; il eut
trappeur que ses troupes, dans un excès de zèle, ne la raV[l-
gCiÎssent de fond en comble et ne flssent disparaître jusqu'aux
moindres traces de ses lwbitants. Ce fut la raison qui le
décida à les épargner, malgré l'énormité de leurs crimes.
Il gagna le pays des Be1l1 Zerouâl ct sc rendit chez les
chérifs JJammoÎlmy1n qui s'aequitlèrent envers lui des
devoirs d'llOspitalilé et approvisioJlnèrent largement ses
troupes ct sa garde particulière. Quittant alors la plaine des
J:Iammolllny, il s'installa au milieu des Ben1 Zerouât. Il visita
l'imâm Châtiby, le plus vertueux des hommes, qui a écrit

le livre intitulé '7't:<J\ ~':A:::::".o ~.~ ..:->~~\ ct un autre appelé


01.j\ --?-\ W;~ 0l~\, (lui a commenté l'ouvrage nommé

~\.,.:;>';j\ ..::..~J~\, ct qui a décrété que des sacrifices seraient


offerts aux saints de cc pays.
;Hi2 AHCHI \ E~ :\IAHOCAINES

Le sultan se rendit ensuite auprès de l'imâm de la con-


frérie Chùdhilya des DerqLloua : Senîd Moulay l'Arby àont
la renommée s'étend II l'Orient et à l'Occident. Cet imâm
eut l'honneur d'être reçu par le sultan qui descendit ensuite
jusqu'au bord de l'Oued Oudouz et atteignit les frontières
communes aux tribus des Benî AI:uned, des BenÎ Zerouàl
ct des BenÎ Msllra. Son plan était d'atLaquer à l'improviste
ces derniers qui s'étaient rendus trop célèbres par le pillage
des caravanes, le brigandage le long de la route d'Ouezzàn
ct le viol des femmes.
L'arrivée du sultan remplit de frayeur les jeunes gens,
les hommes d'àge mll1' ainsi que les vieillards; tous vin-
rent chercher un refuge auprès des canons du Makhzen
en se faisant humbles et soumis. Le sultan leur pardonna
sur l'intercession de leurs femmes et de ceux d'entre cux
qui n'avaient pas encore atteint l'âge mùr, en leur impo-
sant seulement eertaines conditions auxquelles ils durent
sc conformer. La fête des sacrifices eut ensuite lieu. Après
un long séjour dans cc pays, le sultan alla visiter le tom-
beau de celui qui possède des dons divins, nous voulons
parler du chaîkh de la confrérie Chùdhilya : Moulay 'Abd
Es-Salùm ben Mechîcb.
Laissant le territoire situé en face de la ville de Che-
elwoun olt il avait visité les tombeaux des saints, il alla
faire halte en face de la montagne El- 'Alùm. n partit de
111, llia tôte de ses escadrons, pour visiter le tombeau, tan-
dis (lue sa mal,talla prenait la direction d'un endroit bien
arrosé situé en face de l'extrémité de la montagne El- 'Alâm
et généralement choisi par les l'ois pour y faire halte.
Le peuple pensait bien qu'après sa visite au tombeau, il
reviendrait II la mal.tulla; aussi, lorsqu'il regagna en effet
sa tente dans la montagne, Ile fut-il pas peu étonné
<le la trouver l'emplie pal' les chérifs, enfants du Seyyîd;
tout autour se trouvaient leurs parents et alliés des
deux sexes, tous attendant son retour, Celle foule faisant
CHHO.NlQUE DE LA VIE DE I1JOULAY EL-I.IASAN 363

cercle autour du sultan ressemblait il une bague ornant


un doigt.
Le sultan donna alors l'ordre de répartir les aumônes
entre les gens de la montagne. La foule se rangea en ligne
devant lui, en lui tendant les mains ct il sc mit tl distri-
buer une grande quantité d'argent. On ne peut concevoir
aucun doute sur le bon accueil que Dieu réserva aux prières
de cette foule nombreuse qui faisait des VŒUX pour le bon-
heur temporel et spirituel du souverain.
Car, si, sur trois hommes réunis, on peut dire, presque
il coup sûr, qu'il y en a au moins un qui soit un croyant
dans toute l'acception du mot, dans une foule aussi nom-
breuse que celle qui entourait le sultan, le nombre de ces
véritables croyants dont Dieu exauce les prières sera évi-
demment très considérable. Leurs prières seront d'autant
mieux exaucées qu'il les auront faites auprès du tombeau
de cet homme généreux, dont la pureté dépasse celle du
soleil brillant dans un ciel serein par un matin clair :
Moulay 'Abd Es-Salâm ben Mechîch.
Dans la suite, pendant de longues années, les hommes
de science et les personnes pieuses qui ont la crainte de
Dieu conservèrent l'habitude d'attendre ainsi chaque an-
née la visite du sultan.

Ce dernier alla ensuite il Tétouan où il entra le mer-


credi 8 de J\lo~larrel11 au commencement de r année 1307'
Il y resta environ 15 jours, au hout desquels il se rendit
il Tanger. L'entrée qu'il y fit fut une page brillante de son
histoire. Tout concourut il en rehausser la splendeur, et la
pompe qu'on y déploya ct les preuves de soumission que
donnèrent les tribus du Maghreb. Les Européens présents
il Tanger il cette époque notèrent aussi avec un soin jaloux
les détâils de cette entrée solennelle. Après que les œuvres
de Bokhary eurent été oJl'ertes au sultan, eH présence de
tout le monde, l'imâm s'avança; puis vinrent à sa suite la
361 AHClil VES ~IAHOCAINES

cavalerie et l'infantcrie réorganisées d'après de nouvelles


méthodes. La nouvelle de cet événement sc l'épandit sous
toutes les latitudes. Musulmans et étrangers furent una-
nimes à se réjouir de la venue du sultan.
Le vendredi qui ouvrit le mois de Çafar de l'année 1307,
le sultan fit la prière dans la grande mosquée bâtie par son
aïeul Soleïmân. L'ancienne mosquée de la qaçba eût été
en effet trop petite pou [' contenir les fidèles et de plus il
voulait que les étrangers fussent témoins de sa puissance
ct de sa splendeul'. Les officiers firent faire la haie aux
troupes, de la porte de la ville à la grande mosquée où
avait lieu la prière. On peut dire que ce jouI' dépassa encore
en éclat celui de l'entrée solennelle. Pas une seule jeune
fille, fl'ü-elle musulmane ou infidèle, ne demeura dans ses
appartements; pas un seul homme, fùt-il musulman, chré-
tien ou juif, ne resta chez lui, tant était gmnde la vénéra-
tion mêlée de crainte que l'ou portait au sultan. La gloire
dont il était couvert lui attirait le respect de tous. A le voir
de loin, on s'éprenait d'amour pour lui; mais une fois en
sa présence, on se trouvait saisi d'une crainte respectueuse.
Le samedi 2 du mois de Çafar, une foule de navires
chrétiens aux équipages nombreux se réunirent dans la
haie de 'ranger pour saluer le snltan. Le dimanche .3 eut
lieu la réception des ambassadeurs, ct l'acceptation des
cadeaux, pOUI' le don desquels clwcun avait rivalisé de
générosité. Le cadeau, il est vrai, comble de joie celui qui
le reçoit, il engendre l'airection et apaise la colère. Le
sultan ne voulut point demeurer en reste devant tant de
politesse. Il paya de retour les donateurs ct les surpassa
même en muniiicence.
Il s'enquit avec soin des besoins de Tanger, puis il or-
donna la réparation de ses murs et de ses tours et fit re-
mettre à neuf ses maisons. Toute personne, désireuse d'ob-
tenir de lui une faveur quelconque, revint satisfaite de
l'audience qu'il lui avait accordée.
CHHONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN 365

Enfin le mereredi IO du mois de Çafar, il donna l'ordre


du départ pour Aeîla, ville maritime. Ses troupes pas-
sèrent la nuit à 'Ain Ed-Dâlia, Vers la fin de la journée
du jeudi, il sortit de Tanger et les rejoignit avec sa ma-
l.lalla. Les notables d'entre les étrangers l'accompagnèrent
une partie du chemin pour lui faire leurs adieux. On remar-
quait aussi parmi l'assistance des femmes de souverains
chrétiens venues tout exprès de leur pays pour voir le
Prince des Croyants, ainsi que les filles d'étrangers im-
portants.
Les regrets furent universels au départ du sultan, telle-
ment sa grâce et son amabilité avaient séduit le cœur de
tous, tellement ses bienfaits s'étaient indistinctement ré-
pandus SUl' grands et petits.
« Soyez bons envers tous, et vous vous attacherez les
cœurs d'un lien plus solide que celui qui unit le maître à
l'esclave! ))

Le vendredi 15 du môme mois de Çafar, les troupes du


sultan eampèrent au bord de l'Oued El-T,lachef; elles ga-
gnèrent ensuite Acîla où le sultan passa le dimanche pour
leur donner quelque repos et se donner le temps de visiter
le tombeau du saint Sidl Mol,wmmed ben Merzoûq. Il
donna en môme temps l'ordre de remettre en état les for-
teresses de cette ville; puis il leva le eamp le lundi et alla
replanter ses tentes à Fal,lc Er-lli~lân, Le mardi 19, il se
trouvait à l'Oued Mkhâzen 1 où avait eu lieu une grande ba-
taille avee les Portugais; le mercredi il campait derrière
Mechra'a En-Nejma, non loin de l'Oued précité; le jeudi,
dans la plaine d'El-'Arâïch.

1. Le !~ août 1578, Sébastien, roi de Portugal, et Mol.wmmed fi15


d' 'Abd Allah furent vaincus en cet endroit par 'Abd-El-Malik, il la
bataille dite des trois rois. V. T. H. Weil', The Shaikhs of Mol'OCCO,
p. 291, et Archives marocaines, IV, p. G7 et seq.
:wn AHG III VES JIAHOGAliSES

Les habitants de cette dernière ville, joyeux de son arri-


vée, se portèrent à sa rencontre ct tirèrent le canon en son
honneur. Le vendredi, il fit la prière dans la mosquée et
visita les personnages pieux ct les tombeaux des saints;
puis, après inspection des tours de la ville, il ordonna la
reconstruction et la réparation de celles qui menaçaient
ruine ainsi qu'il l'avait fait à Tétouan, Tanger et AcHa.
Son intention, en quiUant El- 'Arâïch, était de rendre
visite au tombeau d'Aboù Sa 'id EI-Miçry ou El-Baçry, sur-
nommé Aboù Selhùm; dans ce hut, il passa la nuit ù
Atilla; le lendcmain, après avoir levé le camp, il donna
l'ordre ~l sa mal.wlla de sc rendl'e il Sidi Ouaddar, puis,
lui-môme sc dirigea avec sa famille vel's le tombeau du
"aint dont nous vellons de mentionner le nom.
Après avait' rcndu visite à cc tombeau ct à ceux des
saints qui l'entourcnt, il en fit le tour, baisa le sol et im-
mola des vidimes; puis il donna des bêtes non égorgées
en aumône aux pauvres de ces parages. Il l'esta là tout une
journée, après quoi il gngna les hords de l'Oued Seboû. Le
qâïd I~abbâsy se chargea de fournir à sa mal.wlla la moûna
en môme temps que des endeaux. Il sc rendit ensuite à
Sîdî Gueddnr; cc fut la tribu des Benî I.Iasen qui apporta
la motma il sa mal.wlla. Le lendemain il descendit au bord
de l'Oued Klwmmùn, situé près du tombeau de Ben es-
Seyyîd Ould 'Adnùn Moulay Idris le grand, ou Zerhoûn.
Sa mal.mlla travcrsa l'oued: lui, la devançnnt, se rendit au
tombeau avc'c sa fnmillc ct les personnages importants.
Aprl's la prière du maghrcb, il accomplit son pl~lerinage
sans attendre l'arrivée de sa suite; il posa son fi'ont sur le
seuil sacré du tombeau ct passa la nuit en prière.
Il repartit ensuite de bonne heme il destination de Mé-
kinès Ez-Zcîtoùn où il fit un séjour de trois jours. De là, il
se dirigea sur Fès en passant pal' l'Oued En-Neja; il attei-
gnit celle ville le lendemain. Les 'oulnmù, les notables, les
grands personnages vinrent à sn reneontl'e: aussitôt nrrivé,
CIlHOXIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-[!ASAX :lü,

il fit distribuer d'abondantes aumônes aux pauvres ct donna


sa bénédiction aux étudiants. Grâce à ses prières et à son
intercession, les 'oulan1l't obtinrent cc que jamais un autre
n'aurait pu leur procurer,
Il demeura à Fès jusque vers le Inilieu du mois de
Chaoual de l'année citée plus haut, puis il se mit en marche
pOUl' Marrâkech, expéditionnant, chemin faisant, contrc
les AH Choukhmùn qui avaient attaqué, ainsi que nous
l'avons d~jà dit, son cousin Moulay 81'01'11' ct ses compa-
gnons. Tl s'empara d'un grand nombre de gens de cette
tribu, pas autant cependant qu'ill'amaitvoulu, parce qu'ils
allèrent sc réfugier sur les sommets de la montagne.
Continuant sa route, il arriva à Marrùkech où il fit du-
rer son séjour en longueur. Là, les représentants des Puis-
sances trouvèrent moyen de venir l'importuner de leurs
demandes cl d'cssayer de l'induire en erreur; mais il parvint
à les évincer, en jouant au plus fin avec eux, malgré l'avi-
dité dont ils firent preuve en s'efforçant de lui anacher
maintes ct maintes concessions.

Voici une histoire singulière qui lui arriva, alors qu'il


était à Mardkech, ct dont le récit melh'a en relief la gén(~­
rosi té dont il était doué.
L'ambassadeur d 'Angleterrc yi nt le trou \ (' l' vers la {in
de l'année 1308 ou le commencement dpl';lnllép I30g,
pom lui présentel' difl'érentes réclamations. C'était un
lundi; après quelques moments cl'cmtretien, l'ambassadeur
déclara au sultan qu'il n'attendrait pas plus d'un jour la
J'éponse à ses proposi tions: « Je repars mercredi, sans
rémission, lui dit-il; avisez clone au moyen de me faire
savoir d'ici là, si vous acceptez ou non cc que .je vous ai
demandé. Je ne veux qu'un mot: oui ou nOI\. ))
Ce même jom se trouvait être jOUl' de jelll1c pom Il'
sultan; l'entrevue avait cu lieu après l"açr. Le sultan
demeura perplexe, réfléchissant mt'lrement aux demandes
368 ABCIIIVES MAfiOCAINES

de l'ambassadeur et au court délai qu'il lui avait fixé pour


donner une réponse; tourmenté, il ne quitta pas sa mal:talla
du reste de la journée; aucun moyen de se tirer d'affaire
ne lui venait à l'cspl'it ; la nuit venue, le sommeille fuit;
il se retournait sur sa couche en proie à l'idée fixe de l'expi-
ration du délai fixé. En fin de compte, il se décida à recourir
à Dieu, le seul qui puisse nous secoul'Îr en cas de nécessité.
Celui qui place sa confiance en Dieu, en est récompensé!
L'aube du mardi se leva; le héraut parcourut la contrée
en appelant tous lesgens de mérite, les personnes religieuses,
les savants, les chérifs, les notables et les personnes chari-
tables. L'ordre du sultan était d'invoquer Dieu et de lire:

le livre de Bokhâry, cc1ui du Qâc.li 'Iyâd intitulé la..:':, et


les Traditions du Prophète. Tout cela, pour que Dieu lui
suggérât le parti à prendre en cette occurrence.
Le sultan nomma aussi des oum ana dans les ports pour
qu'ils suscÎtassentdes difficultés à l'ambassadeur. L'angoisse
et l'inquiétude régnèrent, ce jour-là, au milieu du peuple.
On passa la nuÎt qui précéda le mercredi dans cet état
d'anxiété, chacun priant Dieu de préserver l'Islam de tout
danger.
Dans la nuit, Moulay El-Hasan songea à réunir le peuple
le lendemain matin mercredi pour lui fail'e connaître la
paeole de l'ambassadeur ct essayer de prendre une décision
d'accord avec la population. Dieu seul est le bienfaiteur par
excellence !
Telle fut la conduite de l'imâm. En ce qui concerne
l'ambassadeur anglais, ce dernier sortit le mardi pour faire
une partie de chasse dans les environs de Guiliz et de la
colline de Berr wIarâm. Il passa, dit-on, près du lieu COIl-
sacré à la dévotion du célèbre saint Aboû-l- 'Abbâs Es-Sebty
ct où tous les musulmans de la contrée venaient en pèleri-
nage. En cet endroit il tua un oiseau du genre pigeon.
Quand il se décida au retour, le jour touchait tl sa fin; il
CIIHO:\'IQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN :lG()

rentra exténué de [atigne, tant par suite de la violence LIu


vent que par la difficulté de la marche à tl'avers ce pays
abrupte et d'accès difTicile, de sorle que son principal désir
était de dormir. Il manda son cuisinier et lui commanda le
déjeuner du lendemain mercredi pour dix heures sans faute.
C'était l'heure à laquelle il devait retourner chez le sultan
et qu'il avait fixée comme dernière limite pour obtenir une
réponse. Son déjeuner pouvait attendre, peut-être serait-il
retardé jusqu'au coucher du soleil mais peu importait, il
avait trop le désir de savoir à quoi s'en tenir sur la réponse
du sultan; et celle réponse serait-elle défavorable, qu'il
aurait alors du moins la possibilité, en rentrant chez lui,
de trouver le déjeuner prêt, cc qui lui permettrait de hâter
son départ de Marrtlkcch. Telle était la résolution à laquelle
il s'était arrêté.
Il donna l'ordre ù ses domestiques de se tenir prêts à
partir et de faire les paquets; puis il recommanda à sa
femme de venir le réveiller à l'heure du souper. après
s'être plaint d'avoir été très fatigué pal' le vent et le chan-
gement de telnpérature. Il sc retira. donc dans ses apparte-
ments ct s'y endormit.
A l'heure du souper, scIon sa recommandation, sa femme
vint pour le réveiller; elle le secoua, mais en vain, il était
mort. Elle sc mit aussitôt à pousser des cris 1.

r. Cct ambassadeur était Sir William Kirby Green. Il s'était em-


barqué sur le Phaéton le mercredi ra décembre 1890 pour aller trai-
ter avec le sultan la question de la North \Vest Al'rica Company du
cap Juby. Le sultan avait déjà payé l'indemnité réclamée pour le
meurtre d'un sujet anglais et les déprédations causées par les tribus
rebelles, mais il restait encore il régler la question du rachat de la
concession par le Makhzen.
L'ambassadeur succomba. le 24 février r89 l, à une attaque d'apo-
plexie à laquelle le prédisposait sa constitution. Le chirurgien-major
Charlesworth, qui accompagnait la mission il Marrâkech, mandé en
toute hâte, ne put que constater le décès. Sir William Kirby Green
était âgé de ;);) ans (Times of Mol'OCCO, 2r mars IHgr). •
ARelI. MAHOC.
AnCIIIVES MAROCA INES

Lccl'icnl' public ne tanla pas tl répandre le bruit de celle


mort inopinée. La nouvelle en pürvint üux oreilles de
l'imâm, des vizirs et de tous les musulmans, ct tous se
r(jouirent d'avoir cu coufiance en l'efTicacité de la religion.
Les ministres cl les grands personnages sc réunirent alors
autour du corps di' l"ambassadi'ur el prit-rent le médecin di'
leur dire la cause dc sa mori. Celui· ci lem r(~pondit quï\
était mort suhitement sans qu'il ait jamais (~t(~ aLLeinL
d'aucune maladie durant sa vie. Ils lui dcmandèrcnt (le
vouloir bicn signel' ccLt(~ d(~elal'ation, cc qu'il fît sam; plus
tarder 1,
Cet événemcnt ftt renaître la tranquillité clans le pays; la
joie y régna de nouvcau ; on redoubla dc générosité envers
les pauvres et les aumôncs abondèrent au point d'obstrucr
les routes de Marrâkech.
Le plus frappant de tout ceci c'est que le mercredi tl
dix heures, cc fut mort, el non pas vivant comme il le pen-
sail, quc l'ambassadeur quitta celte ville.
Pendant cc temps, sa femme réunit tous les objets donl
elle avait IJesoin pendant le voyage; elle emporta même
des vaches et bœufs de Marrùkcch L}Ue son mari avait eu
l'intention d'utiliser en cours de route.
Le sultan, en apprennnt cela, donna l'ordre rJ(~ la laisscr
Cnl]lOrtel' tau t ce (lU' elle voudrai t; con i'orméllLCn t tl cel
ordre, on la laissa agir complètement tl sa guise. Elle ras-
sembla Lout ce que le sultan ou (l'autres persollncs lui
avaient envoyé et sc retira en paix.

Semblable fait sc produisit à Fès. VII nouvel ambassa-

1. L'auteur voudrait faire croire, en rapportant ce fait, que le


l\lakhzen avait voulu établir d'une façon irréfutable l'inteI'Yention
divine: il n'en est rien: le sulLan et son cntom'agc avaicnt grand'peur
d'être accusés d'avoir empoisonné l'ambassadeur ct voulurent tout
simplement dégager leur responsabilité en demandant un examen
médical.
CIIHOXIQUE DE LA YH~ nE ~IOULAY EL-I.IASAN :171

deu l' (1'1\ ngleterre 1 (.Ian t anivé vers le commencelllen t de


l'annpe 1310 auprès de Moulay El-Hasan, ce dernier
traita le personuel de l'ambassade avec les honneurs habi-
luels. On prépara pour l'ambassadeur la maison de EI-
f:lûdj Mol.wmmed ben El-Madûny Bennis, qui était l'une des
plus henes et des mieux aménagées de Fès", ct on luitémoi-
gna touLes sorles d·égards. Mais Ile Yoilà-t-il pas qu'il profita
d'une occasion pOUl' arborer le drapeau de son pays sur sa
maison, à l'insu de tout le monde. Il aLlendit le jour de la
f(~te de l'imlllolation des victimes pour meUre SO/l dessein
à ex<"cution. Cc jour-là, les musulmans sont retenus en
dehors de la ville pal' les prières et les sacrifices ct un grand
désordre sc produit parmi eux lorsqu'ils reviennent du lieu
de prière.
Jusque-là, l'ambassadeur n'avait fait que soumettre au
sultan les questions pour le rl'glement desquelles il était
venu à Fès ct qui concernaient le commerce, la politique,
la vente des esclaves, elc ... 01', le jour de l'immola Lion des
victimes, il se mit à prendl'e les dispositions nécessaires
pour planter un mût et y hisser son drapeau. Quelques

1. Il s'agit ici de Sir Charles Eyan Smith, successeur de Sir Wil-


liam Kirby Green. Lord Salisbury l'avait envoyé à Fès conclure un
traité rclatif au commerce et il la navigation. La mission quitta Tan-
ger le mercrrdi 27 avril 1897.. Le 12 mai eUe fit son entrée solennelle
il Fl~S.
2. CeUe maison possédait des jardins charmants et une vue ma-
gnillque. Sir Charles eut l'idée de l'acquérir, il en proposa :Ë 60000
au propriétaire, mais la famille de ce dernier répondit qu'elle ne la
vendrait même pas pour un million de doUars. L'ambassadeur nl'an-
moins se laissa aller à y apporter de tels changements, durant le Sl>-
jour qu'il y fit, comme s'il en eùt été le véritable propriétaire, que
l'opinion Publiclue à Fès, déjll monlée conlre lui il cause de la moùna
e'(orbi lante qu'il l'allai 1 lu i fournir, l'accusa de vouloir se conduire
comme en pays conquis (Times of Mol'occo, 28 mai 1892). La maison
de Madany Bennis est encore à l'heure actuelle la résidence des am-
bassadeurs à Fès. Elle est louée par le Makhzen à Sî EI-Madany Bennis
ct meublée par ses soins.
372 ARCHIVES MAROCAINES

soldats s'aperçurent de ses préparatifs; c'étaient des soldats


que le q;lïd de la conlréeavait chargés, par onlre du sultan,
de la garde de l'anibassadeur. L'un d'eux alla en toute hâte
raconter partout celte nouvelle. Tout le monde eut bientôt
vent de l'aventure. On sc rassembla avec précipitation pour
aller tuer l"ambassadeur. Mais, par bonheur, le gouverneur,
Bouchtâ ben El-Baghdâdy El-Djama 'y devanç'a la foule et
intima l'ordre aux soldats de le lai sse L' tranlJuille et de ne
point lui faire de mal; il lem promit mèrne un châtimen t
pOUl' avoir agi sans sa permission. La foule s'étant écartée,
le gouverneur emmena l'ambassadeur avec lui en l'enlou-
rant d'une escorte pOlir cLnpt,eiler qu'on ne lui lanç';lt des
picrres ct qu'on ne lui fit un mauvais parti jusqu'à son
arrivée auprès du sultan. Là on essaya de l'amadouer pal'
des paroles de conciliation et on lui paya dix mille domos
en compensation des sévices qu'il avait subis; ce (fut ledit
gouverneur qui lui remit ceLLe somme sur l'heure. Dès
que l'ambassadeur eut l'argent en main, il le distribua en
aumônes, sans en rien garder pour lui.
Quant au soldat qui avait prévenu la foule, il fut mis en
prison ct y resta un certain laps de temps.
Le même jour l'ambassadeur f!uitta Fès ct gagna nùs El-
Mû. Le sultan ordonna qu'on lui appodât la moi'Jna, maisil
ne voulut pas l'accepter ct continua sa route pour rentrer
dans son pays 1. Le bruit a couru qu'il y fut mal reç'u, cu

l. Voici ce que dit le Times of iVlorocco dans son numéro LIu IG juil-
let 18g:l à propos de cet incident du drapeau : «~ous apprenons de
bonne source que le sultan ne s'opposa pas personnellement il ce que
l'on hisstlt le drapeau anglais dans sa capitale du ~ord, conformé-
ment il la teneur des traités existants (Traité de Madrid), mais il fit
ressortir à Sir Charles Evan Smith que l'!JCUI'e actuelle ('A id el-/(ebù)
était inopportune, cl'autant plus que le peuple, déjit irrité, pourrait
être aisément excité contre le gouvernement anglais par ceux clont
l'intérêt était de fomenter cles troubles. Sa Majesté émit sagement
l'idée d'altendre que l'opinion publiclue se fùt calmée. On aurait
alors pu expliquer l'affaire au peuple dans une proclamation impé-
CHRONIQUE DE LA VIE m: MOULA y EL-IIASA:'\' :173

riale qui serait lue dans les mosquées. Il ajouta mème qu'il serait
convenable que deux nations ft la fois hissassent leurs pavillons res-
pectifs pour montrer qu'elles exerçaient purement et simplement,
sans arrii?Te-pensée, un droit reconnu par les traités. Sir Charles,
nous dit-on, reconnut solennellement la justesse de cet avis, ou du
moins, telle fut l'impression du sultan ct de ses ministres. Or, ima-
ginez-vous leur surprise, tluand, en pleine solennité religieuse, tandis
que tout le monde, depuis le sultan jusqu'au moindre de ses sujets,
était absorbé par l'accomplissClTlent des rites religieux, d'entendre
dans les rues une agitation soudaine causée par une tentative d'ar-
borer le drapeau anglais, sans que les autorités en eussent étti infor-
mées? »
D'autre part, 1\1. Stephen BonsaI, correspondant spécial des Central
News de New- York, qui accompagna cette mission à Fès, donne dans
son livre Mrzrocco as il is, p. 98-99, la version suivante de l'incident:
« Le jour de l'Aïd-el-Hebîr, à midi, M. Fernau, vice-consul anglais ft
Casa-Blanca, agissant d'après les instructions de Sir Charles Evan
Smith, sc dirigea de l'ambassade vers la ville où résidait ;\1. Mc Leod,
YÎce-consul il Fès. :\1. Fernau était accompagné d'un domestique por-
tant une hampe (non pas le drapeau lui-mème) dont on avait l'inten-
tion de sc servir, il une date rapprochée, pour hisser le pavillon an-
glais au-dessus du vice-consulat, ainsi que le traité de T856 en donnait
le plein droit à la Grande-Bretagne et à toute autre puissance. Un des
soldats arabes, de garde à la légation, voyant M. Fernau sc rendre il
la porte de la ville, courut immédiatement chez le Pacha Bouchta
ben El Bagdadi l'informer que le vice-consul anglais allait hisser son
pavillon sur le consulat. Le Pacha lit il l'instant fermer la porte de
la ville, et, malgré les sommations répétées de M. Fernau, refusa de
le laisser entrer. En venant il la mission, 1\1. Fernau, M. Vismes de
Ponthieu, le .premier drogman et M. Mc Leod reçurent à plusieurs
reprises des pierres. Cc ne fut que par miracle qu'ils échappèrent aux
bandes de ,'agabonds ct de bandits que le Pacha avait m.is à leurs
trousses.
!\. six. heures du soir, la mission était vraimcnt en état de sii~ge, les
fenêtres brisées par les pierres, ct il était dangereux de s'aventurer
dans les jardins. On commençait à organiser la défense sous les ordres
du plus ancien ollicier, lorsque le ministre de la guerre, Sidi Ghar-
net, dix autres ministres ct vingt membres importants de la cour
arrivèrent à cheval à la mission, escortés d'un détachement en armes
de gardes du snltan. lis venaicnt hUlJlblement demander à l'ambas-
sadeur d'avoir utle llernière entrcvue avec le sultan. Sir Charles
acquiesça à leur demande.
374 ARCHIVES l\lAROC,\ IIŒS

A son arflvee au palais, le sultan lui déclara que le peuple dait


tellement excité qu'il ne répondait pas de sa vic: il l'engageait à venir
dormir dans son palais avec sa femme, sa lille, ct les membres de la
mission; le lendemain il lui donnerait une escorte sous la conduite
du Caïd Mac Lean pour qu'il pllt gagner la côte. L'ambassadeur
refusa. « Peut-être serai-je tué, nipondit-il, peut-être le vice-consul
sera-t-il tué, mais alors le sultan aura cessé de régner iL Fl's. )) Et
comme Mouley El Hassan lui demandait alors ce qu'il pouvait faire
pour réparer les outrages que lui avaient fait subir les gens de Fl's,
Sir Charles réclama la punition du Pacha Bouchta-EI-Bagdadi, l'em-
prisonnement du goU\erneur en second ct la peine du louet pour les
solda ts qui s'étaient mon trés plus parliculii~rement inj urieux il l'éga rd
des membres de la mission. Le sullan Lit alors payer au Pacha un(~
amende de f 2 000. »
Doit-on attribuer au sultan l'origine LIe cette l~meute, ou bien tmil
au moins la voyant éclater, l'a-t-il laissée se développer, sans essaycr
de la réprimer, jusqu'au moment où l'attitude énergique de Sir Charles
lui Lit changc"r de ligne de conduite? Le correspondant du Cenlral
News (voy. Morocco as il is, p. \)[1) semble bien croire que l'une 011
l'autre de ces deux bypothèses serait assez vraisemblablc. Il cn donne
pour cause d'abord le mécontentement du sultan par suite de l'ah-
senee de l'envoyé anglais ct de tous les membres de sa mission il la
cé/'(~monie de l' 'Aïd El-Kebir, dans la matinél~. Celle fêle étant amsi
sociale que religieuse, l'abstention de l'ambassadeur cd'ait une sensa-
liou pareill(~ il celle qu'occasionnerait l'ambassadeur de Hussie, par
exemple, s'iln(~gligeait, un jour de l'an, d'assister au dt·,tilt~ de la cour
chez l'Empereur d'Allemagne. En second lieu nu incident qui eut
lieu la semaine d'avant celte érneute peut encore avoir contribué iL
J'jrritation du sultan. Sir Charles avait demandé il Sldi Gbarnet la
permission de visiter les sources sulfureuses du lombeau fameux dl'
;\Ioulay Ya 'qoùb. Le grand-vizir répondit qu'jl devait demandl'r le
consentement dn sultan. La cour n'ayant fait pal'lcnir aucune 1'0-
l'on se il l'ambassadeur, celui-ci, deux jours apri's, ,ICCOll1pngLH" dt, SOlI
Ill'rsonncl, se rendit il cheval de la yille an tombeau qu'il ,i,ita. lut'-
contentant ainsi sérieusement les personnages rl'1igieux. Comme la
visite de cc tombeau demandait une course il cheval de 30 millcs, le
sultan ne put croire (lne Sil' Charles l'eùt entreprise sans lin violent
désir de lui raire un afl'ronl.
Cc qui tendrait il filire croire quc le sultan n'était pas étranger :1
J'émeule, dit encore le correspondant du Celllhl! SCII'S, ("('st 'lue 1'011
l'ut soin de retirer, d'a\'auce, des (~curics, sans un lllOt d'explication,
les h,"tes pl'l"t(;es .'t la Illission par le sultan.
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN 370

égard à l'échec de son ambassade 1. Ccci serait d'ailleurs


une habitude anglaise. En tant cas il serait bon de savoir
si le gouvernement anglais envoie ses représentants avec une
mission précise, ou bien s'il leur laisse pleine liberté pour
agir à leUl' guise.
Quoi qu'il en soit, l'ambassadeur heureux qui a mené
~l bien le rôle qui lui était confié et obtenu des avantages
pour son pays, se voit comblé d'honneurs en raison
du succès de sa politique; mais celui qui a échoué
reçoit un fort mauvais accueil, car on le juge incapable

Pcut-être ccpcnclan t lc fait scul quc lcs gens de Fès aperçurent


~l. Fcrnau, M..\\lac Leod et le drogman allant de la mission au con-
sulat, accompagnés dc domestiques portant la hampe d'un drapeau,
sullît-il à lcnr fairc conclure qu'on allait sans plus tarder hisser le
pavillon sur lc consulat. Or, comme Ic dit le Times of J1foroeco, les
'rabes sont opposés par motifs rcligieux, surtout dans unc occasion
telle que l' 'Aid El-Kebir, au déploiement de cet cmbli~me chrétien .
.Joignez it ccla l'hostilité latcnte qu'ils nourrissaient déji\ cnvcrs l'am-
bassadcur anglais, cu égard aux sommcs énormes (IU'ils avaicnt été
obligés de /imrnir pour la moùna, ct vous ponrrez expliquer, sans
être obligé d'y faire intervcnir la pClrticipation du sultan, quc l'inci-
dcnt du drapcau mal intcrprété fut pour les gens dc Fès commc la
dernii~re goutte (lui fit déborder le vase. Cf. Times ~f J[oroeco, 2S mai,
:! d lG juillet 18<,)2, ct Stéphcn BonsCll, Jlol'occo as il is, passim.
1. Sir Charles Evan Smith quillCl Fès Ic 12 juillct sans avoir pu
obtenir ICI signClture du traité. Nombrc de fois avant son départ, le
,ullan l'avait rappelé, lui persuadant quc sauf quclqucs très légères
tllodilîcations il allait accepter les com'cntions proposées. Pnis lorscluc
l'ambassadeur <l\ait cL'lll: SUI' ccs quelques points. le sultan essayait
encore de lui arracher de uouvellcs concessions. Ce jcu par trop sou·-
vent répété, join t il une tenta ti ve dc séduction, décida l'ambassadeur
il regagner Tanger sans ayoir rien condu.
La mission de Sir Charles E,an Smith il Fès. par suite des nou-
,clles plus ou moins contradicloires qui arrivaient en Europe. donna
lieu il de \Ïolcntes polémiques de presse où tantat l'ambassadcur an-
glClis, tuntùt le sultau 1\loulay El-I.lasan étaient ,ivcment pris à partic.
C'cst ce (lui fait dire Ù l'autcur de celle ,ie de Moulay El-VasarI que
l'accueil réservé 11 Sir Clwrles en ~\nglclerre rut plulùt froid.
376 ARCIIl VES MAROGA.lNES

de servir utilement sa patrie, pilr la suite, dilns les afI'aires


importantes.
l'eUe est la façoà d'agir des Anglais.

Le poète a résumé dilns le vers suivilnt l'idée qui sc dé-


gage des deux histoires que nous venons de rileonter:
« Quand l'homme est assisté de Dieu, la !lèche de l'en-
nemi, en pleine hataillc, ne saurait l'aHeindre ! »
C'est Dieu qui a ilidé le sultan dans ses guenes, c'est
lui qui l'a fait triompher des rebelles, c'est lui encore qui
l'a garanti des coups de ses ennemis. C'est Dieu qui lui a
donné ce courage et cette bravoure que lui reconnaissent
même ses ennemis et qui l'ont placé au rang cles héros. Or
le courage, comme l'a dit l'imàm Fakhr Ed-Dln, forme,
avec la sagesse et la chasteté, un groupe de vertus qui pri-
ment toules les autres. Il esl hien évidenl que Moulay EI-
J:lasan possédait à la fois la sagesse, le courage ct la
chilsteté.
La silgesse, c'est la qualité qui tient le milieu entre la
trop grande hilbilelé et l'ignorance. - Le courage, c'est
celle qui tient le milieu entre l'audace ct la poltronnerie. -
Quant à la chasteté, c'est le milieu entre le libertinage et
l'apathie.
L'âme qui possède ces trois qualités peut sc dire verLueuse,
mais si elle s'en écarte, elle tombe clans l'excès ou la fai-
blesse, choses également blâmables.
Les 'oulamâ ont dit que les hommes possédaient, selon
les occasions, t1'ois sortes cle courage.
Voici un exemple de la première sorte; deux hommes
se sont provoqués en combat singulier ct le vaillflueul' lance
un nouveau défi à qui veut l'accepter.
Voici un exemple de la seconde: au plus fort de la mêlée.
au moment où les coups pLeuvent. sans (Ille l'on puisse
savoir au juste d'où ils \ienncnt, un des. combaU.•mls COII-
serve son sang-froid cl envisilge la situation avec toute sa
CIIROXIQCE nE LA VIE DE ~IOCLAY ~;L-IIASAX 377

lucidité d'esprit. Cet exemple s'applique, entre parenth(~ses,


à notre imâm Moulay El-J,rasan, lorsque, certain jour, il se
trouva dans une position critique, entouré de nombreux
ennemis, alors que ses gens, en s'enfuyant, étaient tombés
dans un précipice 1, La mèlée était ardente ct ses tl'Oll pes,
chefs ct soldats, prises de peur, partaient à la débandade,
Le canon avait cessé de tonner, des nuages de poussière
obscurcissaient le ciel et les braves commençaient à faiblir.
On voyait des cavaliers, pèle-mèle, essayer de se relirer
du précipice où ils s'étaient jetés en s'accrocliant aux arbres
et aux rochers, Au milieu de cette panique, le sultan
conservait son calme. Son sang-fwid ne l'avait pas aban-
donné; il s'enquit tranquillement de l'endroit où sc
trouvait le vizir Sîdî MoC.sa ben AI.Hned. Il sc mit ensuile
à réconforter tout homme qui passait près de lui, bien flu'il
se trouvât à peu de distance de l'ennemi, l'encourageant
à propager la confiance parmi ses camarades. Une fois
même, le narra leur en a été témoin, il frappa un ennemi
à la tête; ccl homme hlessé voulut cependant user de ruse
pour le tuer; ce fut sa perte, on l'acheva. Quant au sultan,
il avait le visage couvert de poussière; seuh, ceux qui
avaient conservé toute leur présence d'esprit, pouvaient le
reconnaître.
Voilà ce qu 'on peut appeler du courage!
Voici enfin la troisième sorte de courage; Le sultan voit
ses amis fuir; il s'élance sur l'ennemi, rend l'énergie aux
fuyards, distribue des paroles (l'eneonragements, entraîne
ceux qui hésitent. Telles sont les qualités qu'il déploya au
eours de cet événement ct qu'ont rapportées des témoins
oculaires.

r. Il s'agit du « Rayin de l'Enfer)) où lomha une partic de la ca-


valerie de Moulay EI-I:Jasan. En marchant sur Fi's el Oudjda. pOUl'
mettre Jin aux ag'isselllcnls du q:\id EI-Barldr bell Mes ·aol·ld. il fut
arrêté par les Hin{a il la hauIcur cie Tù,a ct subit là un grayc éclJCC
(Erckmann. Maroc modernc, p. '98).
37il ARCHIVES MAROCAiNES

On a dit avec raison que les braves qui relevaient les


courages ébralll(~s ressemblaient aux gens généreux: qui
essayent de réparer les fautes cLlUtrui.
Depuis son origine, la famille de notre sultan a toujOUl'S
joui de ce clon cie courage. Mais celui dont la bravoure est
\ raiment (l toute épreuve, c'est son ancêtre notre prophète
Mol.tarnmed.
Uoulay El-Hasan, Ù son exemple, aIrrontait les pires
dangers, l'estant seul pOUl' lulter; tous ses compagnons,
môme les plus vaillants, prirent maintes fois la fuite tant le
péril était intense. Dans les deux livres de traditions inti-

tulés Ça(ti(l (~;:>t,.~rll), il est dit, d'après Anis ben Màlik


(lue le Prophète était le meilleur et le plus courageux des
hommes,
Le courage, d'après quelques-uns, est une des conditions
de l'imùmal. 01' précisément, c'est une des qualités innées
de notre sultan.

« L'éclat cie la puissance du sultan s'accrut encore par


la création de la « Machine}) ; son renom s'étendit jUS(IU'Ù
1'étrane;er. Toute description de celte « }Iachine » rei'tel'ait
au-dessous de la réalité: e'ei't une véritable merveille pm'mi
les merveilles ! »
~ous voyons dans ces vers que notre sultan, non content
de posséder des qualités telles que la hravoure, la compas-
sion, la clLasleté, déployait encore toute son intelligence
dans les (luestions de politique ct d'armement. C'est ainsi
qu'ù. l'instar des BOUillis, il inaugura cetle « Machine ».
c'est-~l-dire une fabrique d'armes. Point n'est besoin de
nombreux ouvriers: la machine travaille toute seule et
approvisionne les t['oupes en peu de temps.
Lc fusil fabriqué par eUe se l'l'marque pal' la rapidilé avec
laquelle ou peut opérer son chargement, la promptitude du
déparl du coup, la p(~llélralion rIe la halle, sa portée bien
CIIHüN11)GE ilE L\ YIE DE MOULAY EL-IUSAN 379

supérieure aux anciens fusils. Un homme exercé arrive aisé-


ment trie manœuvrer avec une grande vitesse.
"\otre sultan construisit donc cet arsenal pour le plus
grand profit des musulmans ct l'extension de sa propre
gloire. Dieu fut satisfait de lui. Il favorisa de mème le com-
merce. Des armes de guerre furent fabriquées II l'imita-
tion de celles des Européens, pour sc tenir au eomant des
inventions modernes; car il est nécessaire pour une puis-
sance de ne jamais sc laisser devancer dans les perreetion-
Dements à apporter aux armements. C'est la seule chance
que l'on ait de remporter la victoire en cas de con11il. Les
engins nou veaux balayent tout sur leur passage, c'est la
terreur des peuples. Il est donc de toute utilitl\ de ne 11r"gli-
S'er aucune amélioration touchan t les armes de guerre ...

Moulay EI-I~asan apporla tout son soin tl la fabricatiou


(LlrmeS nouvelles. C'est un de ses plus heaux titres de
gloire. Hl'emporte môme sUI'\loulay Ismù'i\ qui laissa
cependant d'inoubliahles souvenirs II Mékinès Ez-Ze'itoùn:
c'est qu'il fit partout cc que Moulay Isrnùïl avait fait il
\Iékinès. Il construisit de nombreux monuments, notam-
ment il Fès. Parmi les choses merveilleuses dont il fut l'au-
lell1' nous devons mentionner celte machine, d'un modèk
nou veau, connue sous le nom d'arsenal. C'est un lnonumcul
solidement construit qui rend la joie aux ailligés ct excite le
courage des braves. Des écrivains autorisés en ont fait
l'tQoge ct Dieu a empôché cc1ui qui l'a consLL'Ilit de s'écar-
ter des règles de la justice. Le château de Khaollal'naq 1 aH'C
loutes ses salles n'arrive pas à soutenir la comparaison ayec
cet arsenal; il a fallu notre sultan pOil l' édifier un lel mouu'"
lnent' .

1. Cbàteau mcneitJeu\ con,trnit, rl'aprl's le:; 103enl1es arabes, par


l'architecte grec SÎnÎmmal' pour le roi de IIirab, An-~o 'màn fits
d'I mroù-I-Qaïs.
:J. 11 ,'agit de la l'abrirJlIC d'armes, dirigée par la mission militaire
380 AHCIllVES MAROCAiNES

Citons encore la création d'un port ~ll'embouchurede la


Moulouyasllrla meedes Houmis, ainsi que l'acquisition des
jardins ct pl'Opeiétés situés en cet endroit. La Moulouya
forme la limite elltee l'Algéeie ct le Maghreb El-Aqça 1.
Puis, la construction d'un palais en or. On dit qu'une des
parles des coupoles, rceouvecle de clous d'or el d'argent
ainsi que de pierres précieuses de diverses couleurs, demanda
plus de quatre ans de travail. Son prix est inestimable;
c'est une merveille de construction.
L'érection d'un mur qui entoure le palais situé à l'exté-
rieur de Ft~s El-'Oulga, au delà de la porte EI-Boujtlt con·
tiguë au mur de l'arsenal.
La construction d'un au tre mur en face de la porte de
l'arsenal et celle d'une porte, vis-à-vis de la porte Es-Seba',
de môme que celle d'un mur s'étendant de la porte de la
mosquée Aboi\ .Joulotl(l ~l la porte de Fès El- 'Oulga pour
séparer la route du jardin d'Abotl .Jouloûd de celle de Fès
El- 'Oulga. Dans cc jardin d'AbolI .Joulolld sc trouvent de
belles constructions el de hautes portes.
L'édification du palais d'AbOI'! Khacîçù ct des construc-
tions extérieures, r on vertu re de la porte contiguë à la porte

italienne, et qu'on appelle communément à Fès el-lllaklna. C'est un


grand bùtiment de style européen enclavé dans ks annexes du palais
de Fi-s el-Djadîd. La partie que pent admirer le passant, un grand
portail de style europl~en, peint en imitation de rnarbre bIen, rose,
violet, est du plus mauvais goùt, et, loin de « rendre la joie aux aflli-
gés», d(\pare complètement l'admirable cour mauresctue dite « cour
de la hadya », parce que le sultan y reçoit aux rôles religieuses les
délégations des tribus.
J. La Moulouya devrait en dTet [ormel' la frontière entre les deux
pays, si le traité de 184:1 n'avait malheureusement placé cette [ron-
til-re il l'Oucd Kiss. La grande luajorité des Marocains croient qu'il
cn cst ainsi d que Jcs n'-gions situL'cs snI' la rive droite de la Mouloùya
appartiennent il la France. C'cst ainsi qne nous avons cntcllliu des
gens lllStruits considércr COJJ1lne une dMàilc pour la France la cIlUtc
d'Oudj(la entre les mains dn Prétcndant.
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULA Y EL-I.TASAN 381

Mousamriyln, la construction d'un palais près des bouti-


ques, celle de coupoles élevées, ct d'édifices à l'intérieur du
jardin d'Aminû El-Mednya.
Nous pouvons dire que, jours ct nuits, nous avons vu
trayailler maçons, menuisiers, forgerons, fabricants de
mosai'ques sans cornpter de lJOlnbreux esclaves. La même
acliyité régnait dans toutes les villes.
Notons aussi le mausolée de ShI1 AJ.uncd hen Ya!.lya,
ainsi que la mosquée et la tour qui leur ont été dédiées en
Lw 1310; le mausolée de Shlî AI.nned El-Bemot'lcy; la
réparation du mausolée de ~Ioulay IdriS ct de la mosquée qui
l'avoisine, le mausolée de Sldl Yal.lya ben 'Allâl El-'Omry
connu vulgairement sous le nom de H'assâl, Je mausolée
situé près de celui de Sldl 'Ali ben J.ral'azhem, en dehors
de la porte Bûh Foutoùl.l, etc ...
A Marrûkech, Mékinès, Ihbat, Sijilmâsa ct autres lieux,
on ne pouvait fixer le nOlubre des constructions; de ItOU-
velles s'en élevaient chaque jour.
On peut citer entre autres la construction de trois tours,
à Tanger, à dessein de supporter le poids de gros canOllS
dont la décharge fait trembler la terre; la réparation de la
qaçha d'El- 'Ayoûn, la construction de la forteresse de
Tidjjâna à la limite du pays de Hayalna ct des Berbers; la
réparation de la forteresse d'El-Qçâhy, etc ...
Toutes ces entreprises, notamment celle de l'arsenal, ne
peuvent que rehausser la gloire du sultan. Le poète a célébré
ses louanges aussi bien auprès des gens du Maghreb qu'au-
près des étrangers, c'est-à-dire des rois étrangers ct de leurs
peuples. Mais c'est surtout cet arsenal qui constitue un véri-
tahle trésor pour les rois puissants. Cetle merveille, malgré
tout le bien qu'on en peut dire, reste encore au-dessus de
toute description.
Voici ce qu'a dit le poète.
(( Le zèle du sultan est sans borne; son souci des plus
petites entreprises lui a acquis plus d'un mérite. »
:\82 ATICIIlYES ;\IATIOCAll'lES

C'C'st qU'('1I C'ITet il nous esL difllcile de nous remln' cornple


des el1'orts dôployés pal' Moulay EI-I}asan dans ces choses
qui apparLiennent à Uil domaine supérieur et souL néces-
, '1
SaIrcs a a 1'8 1"IglOn et a, la
1
maJeste
"
(l u su 1Lall. l~OUS
~,
ne pou-
vons que l'emanpler son zèle infaLigable en des cltnsc's moins
abstraites pour nous, Lclles que 1e souci des alrüires spiri-
Luellc's pt lemporclles dcs musulmans, le soin apporté à
l'(~mplir les ([cvoirs dc khalife, ù se tenir toujours pl'l\t ù la
gUCITC, cn garde cOIIIl'C les l'USCS de ]'cIlllemi. C'cst en sni-
nll1t ecttc politit{'le, ell donnant aux Ll'Oupes un armement
nouvC'au et en amt;!iorant [',:Ial des villes marilimes qu'il a
pcrpétué sa mémoirc plus qu 'aucun autre roi de Maghreb.
Autre fait inlél'cssallt; vers [a fin (lu mois du Mol,Jarl'em
de l'année 1:30<), on amC'na au sultan un ("[éphant, animal
actuellemC'n{ c(~nnu dans cc pays-ci. Cet él(:pltant venait de
l'Ind(,; c'(:lait un cadeau du roi (l'!\ngldcJ'l'l'. I-Je sultan
campait alors pr('s de Sidi 'Ali EI-Djezaou," au pays des
Zerumoùr Cldeul.l; lorsqu'on lui pdsC'nla celle J)(\le, lllunie
(l'uuC' selle dl' toute beauté. Le cornac se mit ~l lui parler
d'une façon spéciale pt l'éléphant, ob('issant, mangeait,
hm'ait, frottait de sa lrompe la lrace dcs pas du suLlan,
saluait, enfin faisait -lul'neille au poiut .
d'ptonner grande-
lllentles assistunls '.

l, Cet éléphant, présent ue la reine d'Angleterre, l'ut oll'ert au sul-

tan par Sir lVilliam l'''irby Green, ministre il Tanger, lors de sa mis-
sion il l\1arrùkech (1891). « Stoke », tel ôtait le nom d(~ cct éléphant,
mesurait 9 pieds de haul. et pesait II tonnps. Il était blanc; c'est sa
taille cl. son intelligence qui l'avaient fait choisir de prM(\rence il ses
congénôrcs.
\ propos de celle seliP, M. Stephen Bonsal nous rapporte dans
Morocco as il is l'anecuote suivante. Trois chefs Zelllllloùr vinrent un
jour trouver le sultan pour lui faire leur soumission; ils sc d{-cla-
raienl. prêts il payer tout l'arriéré d'impots qn'ils lui devaient. Mais
il leur olIi'e ils adjoignirent une demande. lis avaient vu l'éléphant,
ils en parleraient à leurs J'l'ères; par malheur, ils étaient sùrs qu'on
n'ajouterait aucune foi il leurs paroles quand ils uiraient que le sul-
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EIAIASAX 38:1

Au commencement du printemps de la ml~nH' année, le


sultan entra à Fès, l'éléphant le précédant, richement capa-
raçonné. Cc fut un jour mémorahle, femmes, enfants.
vieillards, tous se pressèrent pour \'oir cet animal. On lui
choisit 1111 emplacement à la porte du palais impériaL Cet
emplacement porte le nom de Khacîçû; on y peut encore
,voir l'éléphan 1.
El-Ouf"rùny i raconte que les habitants du Soudan avaient
,lllssi cmoyé un éléphant à EL-Mançoûr Es-Sa'ady, Mais la
diHërence était grande entre le cadeau de ces gens du Sou-
dan et celui du roi d'Angleterre, de telle sorte que, bien
tLue ~Iançour Es-Sa 'ady eôt possédé un éléphant, il reste
cependant bien inférieur à "Moulay El-I:lasall qui, d'ailleurs,
recevait maints cadeaux de rois étrangers. Les rois utilisè-
rent souvent l'éléphant comme monture dans les combats.

Les progrès que réalisa Moulay EL-J.Lasan lnisscnt bien


loin derrière eux lous ceux que firent les rois, ses prédé-
cesseurs.
Aussi le poète a-t-il pu dire;
« Ton rang s'est élevé; Dieu t'a honoré de sa puissance.
« Tu sièges entre la poitrine et le sOlll'cil. ))
tan se faisait suivre par un chien ùe taille plus grande que dix mules
fondues ensemble. Y aurait-il donc impossibilité il cc (PIC l'éléphant
accompagnflt les collecteurs d'impôt envoyés par le sultan dans leurs
tribus ~ Il revienùrait certainement en trébuchant. malgré sa taille,
sous le poids des richesses que leurs fI-ères étaient disposés ù faire
parvenir il Sa Majesté. Malheureusement (c Stoke» était malade il cc
moment. Le sultan alors, pour permettre aux Zemmoùr de constater
la véracité des dires de leurs chefs, conlia il Uil qàïdla superbe selle,
garnie de clous d'or ct artistement décou[Ji'e. Hien ([lj() la vile de cette
selle énorme suffirait il écarter tout soup\'on d'exagération quant il la
taille de l'animal. Le qàid pat,tit avec UllC escorte ch(;rilicllne. Jamais
plus on n'en entendit parler. La selle fut installée au milieu des
Zemrnoùr, où elle jouit, dit-on, de la propriété de guérir. Quant au
tribut promis, jamais il n'atleignit la cour du sultan.
1. L'auteur de No:hel el-llad)', historien du HIl" sii~cle.
AHCHlYES MAHOCAINES

Il faut entendre pal' là que le su1Lan siège entre le pre-


mier ministre, tl sa droite, etle clwmbcllan, ~l sa gauche.
Le premier mi nistre, à ceUe époque, était El-I:h\dj El-
Ma'aty fils du ministre Si El-'Arby, fils du ministl'e Sî El-
Moukhtùr El-Jama 'y 1 • Les autres ministres étaient Si 'Ali
EI-\VIesfîouy, un des maîtres de Moulay EI-I.lasan, chargé de
recevoir les appels et reCOllrs en justice. Pour la guerre il
y avait Si \VIoJ.lammed Eç'-Cel''ir, frère du premier ministre;
aux af1'aires extérieures Si MoJ.wmmed El- Moufa<.I<Jel H' arnî(.
Quant au cllambelbn, e'était Si AJ.nned, fils de Si :\ioùsa
ben AI,lmed.

Il me paraît nécessaire, pOUl' l'intérêt du lecteur, de


raconter les événements qui sc dél'oulèrent de l'année 131o
à l'année 1321.
Vers le milieu du mois de dhoLI-l-J.tidjdja qui terminait
l'année I3IO, .Moulay El-I.Jasan fit une expédition dans la
plaine de Sidjilmùsa, chez les tribus arabes cl berbères; ce
fut sa demière cl Cil même temps sa plus gmnde expédition.
11 est bien audacieux d'en tenter le récit, d'autant plus
<lu' un savant l'a déjà c~lOisie comme sujet d'une qùcida de
700 vers sans compter la prose rimée.
Parmi les étapes du sultan dumnt celte expédition, il yen
eut qui furent parcourues en plaine, d'autres en montagnes.
Comme il serait trop long de raconter par le menu l'état
dans lequel se trouvaient les tribus nous nous contentons
de citer la lettre du sultan à ses notables, qui fournira au
lecteur su{Iisamment de renseignements. La voici:
« Lorsque Dieu eut établi son serviteur m.aître de ce pays,

1. Celle famille Jama'y ou Djamù 'y, d'origine espagnole, du voi-


sinage de Xérès, était déjà puissante au X.Il" sil'.cle, l'un de ses mem-
hres ayant été ministre de Yoùsef II et un autre étant devenu un des
compagnons d'Ihn Toumert le Mahdi, lorsqu'ils tombèrent en dis-
grttce en r r8r. Cf. Budgett Mcakin, The Moorish Empire, p, r93,
note.
CIII\OXIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-HASAN 38G

son serviteur n'eut plus d'autre but que de se dévouer corps


el ùme aux musulmans ct li leurs intérêts ct d'essayer d'ob-
tenir leur ununime approbation. Il lui donna la force néces-
saire pour parcourir les tribus de son empire. C'est ainsi
que nous aHJlIS pu pénétrer dans cc pays, visiter les
cndroitsirnpol'lants, ne hissant de côté que ceux où les
difIiculLés el maux de toutes sortes interdisaient tout
accès. Les troupes de Dieu nous accompagnaient. Là où
nous nous apercevions de l'état précaire des affaires, nous
pl'Ctlions de suite des décisions conformes à la volonté de
Dieu. Il nous restait encore à nous rendre dans ces plaines
étendues et ces hautes montagnes OLl habitent les Herbers.
Leu r renom d'impénétrabilité nous fit demander l'assistance
taule puissante de Dieu; nous plaçâmes notre confiance eu
lui; nous apprîmes alors que lorsque Dieu veut une chose,
il facilite ~l l'homme les moyens d'y parvenir; les parles
s'ouvrent, les difIiculLés s'évanouissent. Tout vient de Dieu,
Loul retourne à Dieu, comme le dit dans sa sagesse Ibn
'Ali\ Allâh. S'IL veut te témoigner sa bonté, il te donne la
vic. ct, comme chacun sait, lui seul te donnera la force
, nécessaire pour exécuter sa volonté.
(( Nous quittâmes Fès ct pénétrâmes chez les Berbers.
Grttce à Dieu, nos victoires se succédèrent de jour en jour.
Nous traversùmes le pays des Aït Youssy', celui des Bent
Mgulld. Partout régnait la paix; partout HOUS trouvâmes nos
sujets respectueux de nos ordres et prêts à nous obéir.
(( Continuant notre route, nous parvînmes chez les Aït
Izdeg, toujours accompagné de nos troupes vietOl'ieuses.
Dieu ayant répandu sa lumière sur eux, ils avaient aban-
donné les routes de l'erreur et de l'égarement. Ils vinrent

l, Grande tribu cbell,la, sur l'Oned Soùf Ech-Cherg (?lIoulouyi\),

comprenant trois fractions d'égale force : Rerraba, AH J.relli, AH


Mesa 'oùd on 'Ali. ns sont soumis au sultan et possèdent trois qi\ïds.
Ils sont de race et de langue AmazirL. Une partie est sédentaire,
l'autre nomade.
AlIcn. MAROC.
AHGHIVES MAROCAl?\ES

à notre rencontro, tout tremblants, et craignant notro jus-


tiee; mais nous penchâmes pour le pardon, jugeant inutile
toute eITusion de sang, cal' selon la parole de Dieu: c'est
se rapprocher de Dieu que de pardonner. Leur repentir
était sincère aussi s'e/forcèrent-ils de réparer leurs fautes,
Notre bienveillance les remplit de joie,
(( Nous camptllnes au milieu d'eux et ils liren t preuve de
la plus grande soumission, apportant sans tarder la (Jyûra
et exécutant avec promptitude les devoirs que nous leur
imposions. C'était dans l'Oued Zîz que nous avions plant(~
nos tentes. Us prièrent Dieu de nous rendre victorieux. ('1
achev('rellt de remplir les prescriptions llétenninées pal' ks
institutions divines. De la sortf' nous vîmes r<'alisés nos.
plus extr(\mes désirs.
(l De chez les Alt. lzdeg nous passi'imes, escorLt\ d'ull

détachement de leurs braves cavaliers, chez les AH Merr'nd.


Ces derniers, en serviteurs fidèles, nous apportt)rent les
dîmes ct cadeaux d'usage, témoignant d'une joie réelle li
notre passage pam1i eux. C'est ainsi que Dieu nous a assisté:
car, ainsi que dit l'homme sage ; tout seul tu ne peux l'if'll :
adresse-toi à Dieu ct ton désir sc réalisera.
(( Il nous faut suivre la politique léguée par les livres:
c'est par elle que nous traverserons sans encombre les crises
difliciles. C'est elle qui nous fera employer la plume de pré-
férence il l'épée. Mieux vaut en effet une parole de paix
qu'une parole de guerre.
(( Plaines et montagnes, nous avons pénétré partout; nous
'
aIlames "
merne Jusqu "1'
a ael r 'ousa,
t reSl
"dence el' un lUlneux
r
chef révolté : 'Ali ben Yal,Iya El-Merr'âdy, qui restait sourd,
à tout avertissement. Nous nons en emparâmes, et nous
l'envoyâmes, solidement ligotté, li J'larrâkech avec d'autres
révoltés. Là, il jura par serment qu'il se repentait; mais
Dieu lui avait enlevé son pays et ses sujets.
(( Auparavant nous avions envoyé chez les AH ~Iadiddou
des émissaires, pour leur faire remplir leurs obligations:
CfIHO'{IQlTE ilE LA l'lE DE ~IOULAY EL-HASAN 3R7

les <"Inissaires revinrent les mains vides, sans avoir pu se


lilire payel'. Nous nous InÎmes alors à surveiller les notables
ct gens inl1uents d'entre eux, ct nous nous emparâmes un
beau jour de 200 personnages importants; nous ne les
reh\ehâmes qu'après paiement intégral de notre dl!.
« Puis nous levâmes le camp, escorté d'ul! grand nombre
d'entre les Ait ~Jerr';Îd jusqU'il noIre arrivée à Qç'ar Es-
SOlu1- Lll. nous rencontriÎmes nos seniteurs, les kit 'At1:1
(lui nous attendaient ponr se joindre à nous. Leur nomhre
élait considérable, près de fi 000 cavaliers, Lous comparables
li des lions, plus d'lwhiles tireurs en aussi grand nombre; on
ellt dit 11 n torren t déhord<". Ils nous accompagnèrent jusqu 'lI
\lclttr'ra où nOlIS ]"(-lro11v"111es la tmce cles exploits de nos
aïeu \: .
« Apr('s avoir mis (le l'ordre dans les affaires de cetle
('011 Lrée, Ilon,s distri bU<11ll rs ,'Hl 000 rials! anx charI'a ,i\otn~
lils ?\Joulay 'Abd E1-'AzIZ <"tait avee nous; nous aecom-
pllmes II l'égard de ces cllor[;1 les devoirs de consanguinit0
el de parenlé; en revanche, puisse Dieu exaucer les prières
qu'ils firent li notre intention.
«( De El, ))ons gagntunes le pays des 'Arab Eç-(;abbâl.1.

'\ons flmlCs reçus au milieu de la plus grande allégresse.


On nons reluit la (.lyâfu, ct l'on nous paya à l'instant cc
qui est prescrit par la loi.
« Ensuite,nous al'rivtllues au Tafilalet pour y visiter le
tomheau de notl'e aïeul: Moulay 'AH Ech-Cherîf, Chorli},
gens du peuple, femmes, enfants, vieillards, tous sc press(~­
rent h notre l'encontre; il en venait de tous côtés, ell
groupes ou isolés; c'était une foule innombrable, grisée
([(1 la joie de nous voi r.
« Nous ellmes à C'Œur, dans ce pays, de remplir fidèle-
ment tous les devoirs que nous imposaient les liens du sang.

1. Béai, J~) (de l'espagnol l'cal. pièce de monnaie de 0,·>':> erll-


1i mes). pii~ce de 5 l'l'anes ou dl' [) prselas, douro espagnol.
388 AHCHlVES MAHOCAINES

Nous ùistrilmûmes 20000 rials, ainsi que nous L'avions fait


à Mdûr' ra, par l'entremise de nos fils Moulay 'Abd El-
'AzÎz et Moulay Belrîth. Notre séjour en cet endroit fut
de 18 jours; nous avions besoin de repos, et, désirions
voir le tombeau de nos aïeux et nous rendre compte ùes
vestiges des hauts faits qui les ont rendus célèbres. Nous
vîmes les propriétés qu'ils possédaient; nous visitûmes les
tombeaux de tous les saints. Ce fut une occasion de réjouis-
sance pour tout le peuple de cette contrée.
« Nous faisons des vœux pour que Dieu purifie nos ac-
tions et nous accorde de toujours suivre la voie droite,
pour que nous puissions améliorer le sort des Musulmans.
« Nous partîmes ensuite pour notre capitale Marrûkech,
demandant à Dieu de vouloi.' bien nous assister el 1I0US
faire parvenir à la réalisation de nos désirs.
cc Nous vous avons écrit tout ceci, pour vous tenir au
courant des événements ct pour que vous vous réjouissiez
de l'aide que Dieu nous a prêtée dans les choses les plus
secrètes comme les plus publiques. C'est à lui qu'il faut
s'adresser, c'est lui le commencement et la fin de tout. Il
nous a accordé la réalisation de nos plus chers désir's.
Salut!
cc Le 15 de DjoumMa EI-OCda de l'année dl I. ))
On trouve dans cette lettre de Moulay EI-I,Iasan un récit
amplement suffisant de son expédition chez les tribus
arabes et berbères de la plaine de Si(~ilmt'sa'.

A la même époque eut lieu une guerre entre les Zénata


du Hlf ct les Guela 'ya, d'une parl, et les Espagnols de Me-
lilla, de l'autre. La cause en était que les Espagnols vou-
laient élever des constructions sur des tenes que ces tribus
arabes considéraient comme musulmanes, par suite de leur

I. C'est l'expédition à laquelle M. W. Harris assista et qu'il a ra-


contée dans son livre Taft/et. Londres, 1895.
CHRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY EL-IL\SA:\ 389

ignorance des clauses du traité de Tétouan. Circonstance


aggravante, le tombeau de Sîdî Ouâriech, saint fameux,
s'élevait sur le terrain, objet du litige; et c'était un lieu de
refuge et de prière, très en honneur auprès des tribus.
D'un autre côté les Espagnols, autorisés par le traité de
Tétouan, désiraient reculer leurs frontières de manière à se
procurer des pâturages en quantité suffisante.
Il en résulta un soulèvement général de toutes ces tribus,
le refus des Espagnols d'abandonner le terrain où se trou-
vait le tombeau du saint les ayant fortement irritées. Les
\Iusulmans assouvirent leur vengeance d'nne manière ter-
rible; ils ne se décidèrent à mettre un terme à leurs excès,
que lorsque Moulay EI-J.lasan leur envoya son frère Moulay
,Arafa accompagné de soldats pour leur ordonner de s'abs-
tenir de persévérer dans leur lutte. Moulay 'Arafa ne sc
retira que lorsque les Espagnols eurent obtenu entière sa-
tisfaction, c'est-à-dire après qu'on les eut mis en possession
de cc qu'ils réclamaient légitimement; puis il pénétra chez
les Zénata, promoteurs de ces troubles 2.

1. Ce conllit de 1\Ielilla cut lien dans les derniers mois de 18D3


apri's une période relativement calme de 30 ans, pendant laquelle
on Il'eut il relever que quelques cas de blessures d d'injures entre les
gens de Melilla ct les tribus environnantes.
Depuis que PieITe Estapifwn, officier attaché il la maison du duc
de'Iedina-Sidoniil, s'en était emparé en 11,96, la situation de Melilla
sc trouvait r('glée, dit Houal-d de Cilrd (Relation:> de l'Espagne cl du
llaroc pendan{ le XVUl" elle XLX" sièele) pilr ;
1" L'article 19 du traité de paix ct de commerce du 21-\ mai r 767'
(lui s-opposait aux agrandissements que Sa Majesté Catliolique de-
mandait il etrecLuer dans les quatre présides qu'elle possédait au Ma-
roc, mais promettait de renouveler les limites des dits pn;sides ct de
les marquer avec des PFamides de pierre;
:\" La convention d'amitié cl de commerce entre le roi (l'l<:spaglle
el l'empereur du Maroc. signée à\.ranjuez le 30 mai 1780;
3° L'article 1;) du traité de paix, amitié, navigation, commerce ct
pèche, signé il Mekinh le T'''- mars T j'D9 --, par lequel le sultan du
:\laroc promet de réprimer les tribus turbulentes des environs des pré-
::011

A 1<1 suite de cel événCllwnl, l'arnbas:-adeur d'Espagne,

sides el aulorise h~, E,pagnol, ;\ ,e ,enir dans leurs lül'lerc:iSes, de


canons el de lllorliers, en cas d'olrense;
(lU L'article ;1 de la convenlion relative aux diverses réclamation,
du gouvernement espagnol, siguée il Larache le (j mars I8Mi --, pal'
lell uc! le sultan donne de, ordres aux "aures de la rronlii~re de :\1(,-
lilla,\lhucemas el l'cita de Ja Comera, alin qu'il:; ,e conduisent ;',
l'avenir convenablement al'l'c Jes habitanl, de ces place, et all'C les
uavires qui s'approcbellt de leurs cùles ;
'lU Les articles 1, 'J, :1, l, de la couventiou étendant les liuliles dl'
la juridielion de Melilla l'l consacrant l'adoplion des IneSLll'es nl"ces-
saires il la sl\cLll'ilé des présides espag'noI,; sur la cùle d'AJrique, sig'nl'l~
ü Tétouan le :1/, am"" liS;]!) -'--, par Jesljnels le lerl'itoire Ilécessaire
pour assurer une dl~rl~nse compli'le Sl'ra incorporé ;', la place de "e-
lilla ct les lillliles de celte concession seront lixl'l'S par un coup de
canOtl. Entre ll~ lelTitoire de la jlll'idiction espagnole el Je terriloire
lie la juridiclioll marocaine s('ra établi UIW zone lwutre qni sera dl\-
tel'lninée du clHé dl' :\ldilla pal' la ligne rroutièrl~ consignée dans le
prochain acte de dl'limitation ct du cùlé du H.ir pal' une ligne 1'1'1)1\-
lii're, ü fixer d'uu ('onllnun accord;
(i U L'arlicle ,-) de la cOllYention pn\cl;denle - , pal' lelluc! Sa :\la-·
jest{~ le J'oi dn :\lal'o(' s'l~ngage il placer Sllr la limile du territoin'
l'ronlière de :\klilla lin qùùl ou !.,oulerlleur alec lin c!1\lac!ll'tllel1L dl'
II'0upes aJin de n\primer lont aele d'agression de la pari des hahit;;uls
du H.il', de nalure il comprnllletire Il" honnes rd,lIioll~; l'lIlre les dl'II\
gOllVerl1enlCnls;
jU L'article (j du Iraill', de paix el ll'alllilil:', signé il Tduuan JI'
:~b avril Ii3til' par Jeqllel Je sllHan tlu\[aroc conlirllll' ce qui a éll\
conVL'nu dans l'arlide ;, de la (,Ulill'uliou du :~ll aoùl I<')J~), luuchanl
la nominalioll d'lIll qùïd Slir la lililill' dll lL'lTiluire froulil'n, dl'
Melilla;
8° L'arlicle j dll traill', pl'l~cl,dent ---, par 11'II"el Sa \lajeslé le roi
du Maroc s'engage il faire re"l'l'eler pal' ses prupn's slijets Jes terri-
loires (lui cord('l'luéllleili ;111\. slipulations dn pl'l\sL'nt lraité rL'stelll
sous la souveraillelt'~ de S. \1. la Heine d'Espaglle. Sa \lajesté CaL!lO-'
lique pourra néanmoins adopler toutes les mesures llu'elle jugera
opportunes ponr la s('lrclé de ces lerritoires ct) faire deyer loules le,
fortifications Il u 'elle croira COll ven"bles salls q lll: le, a Il lori 11\' III;; 1'1)-
l'aines puissent jamais} nwLlre obstacle;
9° L'arlicle /1 du trailé complémentaire entre l'Espa3ne cl le \h-
r.HRONIQUE DE LA VIE DE MOULAY F:L-HASAX :lUi

\lal'lÎnez Campos, vint trouver le sulLall tl'larrùkec!l pour

roc pour régler les dillicultés soulevées ~l propos de l'exécution de la


convention de 18oU' lixant les limites de Melilla, el du traité de paix
de 1860, signé ~l :\ladrid le 30 oetobre [861 --, par lecluclla délimi-
tation des frontières de la place de :\lelilla sera faite conformément il
la convention du :JI, aoùt 1859, confirmée par le traité de paix du
:,6 avril 1860; la remise du territoire frontière au gouvernement de
Sa Majesté la n.eine d'Espagne s'exécutera également avant l'évacua-
tion de la ville de Tétouan;
JOU L'acte pOUl' la dl~lîmitation du territoire de :\lelilla, signé il

Tanger le :1 6 juin 1802,


:\lais toutes ces stipulations relatives à la délimitation cl à la sécu-
rité de Melilla avaient été e"écutées d'une façon Lmparfaite ct incom-
plète. En ell'ct, d'après Houard de Card, op. cil., p. 156 :
Les poteau" frontii~res en bois dont on s'était contenté en certains
endroits avaient pn ôLre aisément déplacés ct même détruits par les
H.ilTains.
Dans la ZOIW neutre comprise entre les deux lignes polygonales, on
avait laissé subsister le marabout ct le cimetière de Sidi Onùriech.
Le clùid chargé pal' le:\lakhzen de faire respecter la sécurité SUl' la
l'rontière ne possédait pas de forces sutlisantes pour remplir son rôle.
C'est pourquoi (l~ouanl de Card, op. cil., p. 1J7) lorsclue, dans les
derniers mois de 1893, ralltOl'it(~ espagnole, d'après les indications dll
génl~ral l\largalla, gouverneUl' de Melilla et s'appuyant SUl' l'article "
précédenllnent cité, du traité du 26 avril 186o, entreprit dl) c(Jn~
slruire un fort SUl' k' territoire lui appartenant, il proximité du ma·
J'about de Sidi Uuùriecb, pOUl' sc lIIeUre il l'abri des fréljllCntes aUa·
'lues des tribus rillaines. ces t!erniiTes prétendirent <Ille les tr,naux
empiétaient sur le l'illletièn~ et (lue la koubba ayuit été prol'an0e pal'
les Ira\ailleurs (l)'aprl~s \Iouliéras, Jlw'oc ù/comHl, ".,. partie, p. 1 :i;;.
les soldats espagnols ,l'aient puisé de l'cau il la source de Sidi <Juil
riœlt ct :l\aieut soniJlé l'jntéri(~lll' de la koubba). lis ac!ressi'rel1t une
réclamation ail gou\erneur du Préside. La réponse se tit LIU pl'II
attendre. \.I01's, IlH;conlenls de ne pas obtenir une prompte. s,tlisl'ac
lion, les (lali ',a aU"CJuds s'daient joints les ge\lS d'autres tribus sc
précipitère~ll fU"l'ieuscment SUI' Ics sol;lats emplo) és alLS tnnaux dll 1'01'1..
Ceux-ci, dit le Fr. Manuel P. Castellanos dans Hislol'ia de Jlal'-
l'I.lecos. entourés de forces supérieures, se virent forcés de battre en
retraite, laissant 18 morts et ;\j ble"'l;s. Les carla Hes des Espagnols
furent mutilés ct insultés.
:J!l2 AHCHIVES ~IAROCAT;';ES

lui Jemander la punition des tribus Zénala (lu Hir, cou-


pables de cet horrible forfait. Finalemenl la question reçut

Le gouvernement espagnol envoya les generaux Castro ct San chis


pour lever un plan des fortifications du camp de NIelilla; on envoya
aussi quelques renforts; mais on voulait surtout agir par voie diplo-
matique, c'est la raison pour lafluelle on lit traîner l'aITaire en lon-
gueur.
Le général !\Iargallo décida alors, le 27 oelobre, de faire reprendre
les travaux interrompus du fort; des forces (l'infanterie et deux pièces
d'artillerie accompagnl~rent Jes ing(\uieurs. On pouvait remarquer
l'exaltation des llilI'ains qni criaient ct lançaient des insultes, lorsque
soudain un coup de feu partit de leur cùté. Un soldat espagnol y d'-
pondit. Les Hill'ains se préci pi tèrent alors sur les Espagnols comme
des sauvages. Le général Ortega YÏnt il la rescouss(' a H'C des renforts,
mais en vain. Le grand nombre des monlagnards forc:.a les Espagnols
il sc retirer en laissant de nombreux morts et hlessés.
Les générnnx Margallo ct Ortega sc rél'ugièrent dans le fort de Ca-
brerizos altas 01'[ les HilI'ains les cern l'l'l'nt. Margallo envoya un aide
de camp demander des renforts et des vivres il .i\lelilla. Quand les
forces de secours arrivl~rent. il fit fnire une sortie pour nppuycr lenr
mouvemeut. Il fut tué pendant qu'il dirigeait la sorlie. Enlln le con-
voi entra dans le fort. Le lendemain on conduisit le corps de Mm'gallo
il son lieu de s(\lmlture. Le gonvernement, se décidant il agir, envoya
d'autres renfods pour Illettre un Lenne il tant de d(\vastatioll,
Deux corps d'armée sc trouVl'rent bientùt réunis sous les ordres
des généraux Prilllo de Hivera et Chinchilla. L'opinion en Espngne
était très moutée, de sorLe que le gouvernement ne pouvait plu., re-
culer devant une action énergique. On nomma gl'néral en chef de
l'armée d'\ (J'ique le capitaine-g(~lH~ral D. Arsenio Martinez Campos.
Le gütlYernement espagnol ne renonçait pourLant pas il l'action
diplomatique. Le sultan, alors en voyage dans le Tafilalet, [ut informé
de ce qui se passait. ])ôs qu'il fut au courant des fitits, il envoya son
frère Moulay ?uafa pour persuader aux Hillilins de cesser leur alti-
tude il l'égard des Espagnols.
Moulay 'Arafa arriva il Melilla. Le 23 novembre 1803 eut lieu sa
première entrevue avec le général'lacias, alors commantlan t généra 1
de la dite place. Il lit mille excuses de la part de son frère; le sultan
avait les meilleurs sentiments à l'égard de l'Europe, les HilTains senls
étaient coupables, c'étaient des révoltés dont ils feraient tOIll ber les
têtes, car Sa Majesté chérifienne était décidée il faire un exemple.
CIIRU\Ii)CI< ilE L\ \l~; III·: ~fOCL\ y EL-IL\SA:'\ :lU:l

une solution par le paiement d'une indemnité de 4000000


de rials, prix du sang versé. La paix fut ainsi rétablie 1.

Le gouvernement ni le général Macias ne furent satisfaits des rai-


sons du chérif, cal' Martinez Campos fut mis il la tôte d'une armée de
22 000 hommes de toules armes.
Le peuple espagnol attendait le moment de clütier l'insolence des
HiŒains; les troupes daient sullisamlllent nombt'euses pour le faire.
Son espoir fut dé<:u. Les Ilillains, cette lois, soit peur du nombre des
Espagnols, soit respect pour la parole du frère du sultan, sc garcE'rent
de tout acte d'hostilité ct la campagne dc Melilla demeura en expec-
tative. Les soldats ne purent venger leurs frères morts. La dislocation
des Iroupes eut lien et chacun retourna dans la Péninsule. ,\vant le
départ cependant, les cllCfs des tribus vinrent s'humilier devant le
général en cher. promellant de s'amender il l'avenir.
On prit pour argent comp\an t ces banales prolc'stations de repentir,
ct jugeant que les notes diplomatiques seraient plus ellicaces (lue les
balles, on char~'('a un ambassadeur extraùrdinaire d'aller terminer
celle all'aire aUl;;'l~S du sultan du Maroc. Cr. P. CastelJanos, ifi:;{ol'ia
dc J/al'I'l/CCOS, p. (i:>'2-G2G.
1."I\lartinez Campos, dit P. Castellanos, 0/1. cil., p, (i:J.()-(hj,
s'dait rendu Il Mazagan pour de là gagner Marr~lkecll; il débarqua il
:\Iazagan le 22 jamier 18D!" \prl's y avoir passé le soir ct la nuit, il
entreprit son voyage qni l'ut fatigant el pénible par suite du froid
et de la pluie des premiers jours. Le 2D l'ambassade IÎt son entrée 1t
Marrùkech, le 3 [ eut. lieu en plein air ct dans l'enceinte habituelle
la rôception solennelle. Marlincz lut un discours indiquant le mot.ir
de sa venue. Le sultan l'l'pondit. que les l\itl'ains coupables seraient
cbùtiés. --- (Juand sera-ce;î l'l'pondit 1\Iartinez avec vivacité. ~- Le
sultan assura que ce serait db qu'il pourrait réunir une bonne armt:e
indispensable pOUl' une pareille entreprise.
« Cette prelllii~re rt~ception sc passa en pures cérémonies, il y cut
ensuite diJl'ôrentes conft~rences privées entre le sultan, entre l'ambas-
sadeur ct le ministre EI-G harnet et son adjoint Mohammed Torrès
Essefar. La diplomatie marocaine déploya son astuce, appuyée d'ail-
leurs par les int.rigues de certains agents de nat.ions étrangères qui
voulaient empôcher l'Espagne de sortir la tôte haute de celle passe
dillîcile.
«Les entrevues sc suecôdaient fréquemment; les courriers allaient
ct venaient, presque tout.es les puissances prirent parti en l'aITairc,
quoique avec une certaine dissimulation, nous donnant. raison pu-
\ Helll n::-;\L\ HoeA ):\E:-;

\ :son rdour de Sidjilml'tsa tl Marrâkeelt, le ~illlLall de~ti­


tua de sa eharge SOli fil~ '[oulay MoJ:tammed, khalifat de
cette dernilTe ville, sur la preuve qu'il avait acqui~e que cc
prince avait des velléités d'indépendance et se trouvait par-
fois en contradiction flagrante avec les principes de ln loi
religieuse. Cet arrêt de destitution fut rendu public au mo-
men t de la rencon tre de 'Ioula) Mol.lu m med avec son père

JJliquell\en[, seCrl'teltlent ralentissant fa marclle de nos pourparlers


ct de nos prétentions. En cherchant la paix on faillit trouver la guerre.
« Enfin, malgré les démarches étrangères, le sultan persuadé de la
bonté de notre cause, conclut avec notre alllbassadl~ul' la con ven tion
du ;1 mars 1 8~J1'. ))
Par cette cOllvention, dit l\ouard de Card, op. cil., p. 1 j!), l'Espagne
obtenait (Juclques réparations pour le passé et quelques garanties
pour l'avenir.

n,:pamlions nCëol'dies Ù l' Hspav"1' :


La punition des coupables (arL. 1).
Une indemnité de 11000 ana de dOllt'OS (arl. ü).

(hll'((lIlies l'xivée,, [JOllI' l'avenil' :


Llne cOlllnlission mixte llevait rendre e(J'eclive la démarcation de la
ligne polYS'onale qUI délimitait la zone neutre du côtô du camp ma-
rocain en plal:ant des bornes de pierre il chacun de ses somlllets, cl,
entre ces bol'llUs, de,.; pilier,.; de nla~'onllerie il :Joo ml'Ires de distancc
Ics uns des autres (arl.
L'r:vacuatioll dl)"; lerrain,.; cOlllpri,.; dans la zone neutre (arl. :J).
Le cimetière et la nlO,.;quée ruinée de Sidi ()uùriec!t seraient clos
convenablement ail IUDleu d'uu mur dan,.; Il'(lncl une porLe serail
onll'rLe pour perillelln~ au\, \laure,.; d'y pl'ndrer san,.; arllle,.; cl d'y
faire leurs prii'l'(~s (arL. ;;).
Un q;îïu avec /Ion Maures du roi serait dalili ct mainiclili cOllsLIIU-
1Ill'ill dans les alentonrs du camp de \[elil1a (arl. II).
La charge de Pacba du camp de 'l1clilla serail contiée il 1lt1 digni ..
Laire de l'empire qui serait capable de ntainlenir des relations de
honne harmonie et (l'all1itiô avec Ics alltoritô,.; cie la placc espagnole.
L'ambassadeur ljllitta Jlarr;'lkech le I I 111ars ,8U!' ; il atTi\Cl ;\ \la-
zagatt le 1J, ù~tttbarqlla le 1 G et revint en Espag'lc.
CIlHlI:\ Il)l: L DE L\ \ lE DL ~IOl;L\ Y 1·:L-I1.\S.\:\ :\\1:;

daus les enviruns de ~idjilmàsa. Moulay 'Omar, autre fîls


du sultan, était, en ce moment, khalîfat à Fès.
Or le sultan avait encore un troisième fils, Moulay 'Abd
El-'Aliz; c'était le fils préféré, celui pour lcquel il concc-
vait le plus cLdfection ; l' enfan t suivait son père dans tous
ses déplacements. Pal' suite de la destitution de son frère.
il devint lui-m(~me kha!iüll à :\Iarrùkech, malgré son jeuue
tige, tant était grand l'amour exclusif (lue le sultan, son
père, resseutait pour lui. Il fut Im~meilnesti de la qualité
(l'héritier présomptif. On déployait an-dessus de sa tète le
parasol chél'iliell. quand il montait à cheval; et il assistait
au conseil cllUrgé de réglcr les aJ1àil'cs importantes. 11 est il
Iloter que ces deux prérogativcs n'appartenaient jusque-lil
qu'au seul sulLall. suivant la coutume du Maghreb.

Moulay El-I.lasall quiLta MarnUwch LlIl commencemcnt


de dhoù-l-cl.\'da de l'année dl I pour continuer son expé-
dition contrc les i\ïl, dont nous avons déjil cité lc nom,
(Jui avaient attaqué il l'improviste son uncle Moulay ~roùr
ct les hommes qui l'accompagnaient, ainsi que nous l'avons
mentionné dans l'expédition contrc les Bent '\lglltlcL Ccci
eut lien depuis sun retour de Sidjilmùsa il i\Iarrùkeeh.
Le sultan sc trouvait alurs assez sou 11'L'Llu t ; Il(~aumoins il
coutinua il l'emplir ses/ll/letions comme si sa santé ne f,'JI.
point ébranléc : il ,l\aiL il CLCur de ne point négliger le,; .. C-
laires pOUl' le l'èslemen t dc,;qudles il ne voulait sc reJl0se l'
';lIr la COl/fiance depersollne. (;'est ainsi qu'il arriva il

OuedEI-'Abicl, dans le IXl)'S de la tribu de Tùdla: c'cstia


limite enlre le Soùs antérieur (le plus rapproché) ct l'ex-
trême Soùs. C'est en cet endroit que la mort vint le sur-
prendre il la onzième heure de la nuit du jeudi,) de dhoù-
I-I;iclja de l'année 1;) 11.
L, COlFOUIIEIL
UN RÉCIT'IAHOCAI\ DU BOMIL\RDE}LE\T
DE S!\LJ~ PAR LE C(}~TRE-AMIR\L DUBOUH-
DIEU E\' 1852.

Parmi les manuscrits ct doculnents que la mission scien-


tifique a acquis à Habùt, figure une feuille volante qui
porte, au recto, un récit inédit du born bardemen t de Salé
par le contre-amiral Dubourdieu en 1852. Ce récit d'un
témoin oculaire, indigène musulman fixé tl Habùt, l'etlète
a~sez hien les ~cntimcnts de la population à l'égard du
chrétien ain~i que les croyances qu'eUe a en l'appui eJIee-
tif, en l'intervention cLIicace de~ saints de l'Islam venant
il son secours contre l'infidèle; il plaide enfin la cause des
gons de Habilt à qui leurs Yoi~ins de Salé repl'Ochent en-
core durement leur inaction ct leur pusillanimité lors de
ces graves événements.
A ces différen ts titres cette pièce méritai t d' (~tre traduite.
Elle c~t ~uiyic d'un appel à la guerre sainte qui n'est pas
moins curieux, (ilant donnée la comparaison toute en fa-
veur de J'IsJarn que l'auteur cherche à établir entre le
nombre ct la qualité des armées européennes ct ceux des
forces que le sultan du Maroc pourrait mettre en ligne en
proclamant la guerre sainte.

L - BmLBAIIDEMENT DE H\B'.'1' ET S.\Ü; lUCU;,\/T{: l'AH EL-


~IAD.J EL'-AUBY EL-l.[L()U OHIGINAIHE DE TÉTOIAN ET

DE'\lEURANT A BAn1'1'.

Voici le récit de l'expédition que firent les FraJ1<:ais aux


deux vjlles de Habût et de Salé. Elle eut lieu le mardi qni
commençait le mois de Çafar de l'année 1268 1 • Il arriva
ce jour-là quatre navires et une ü>égate de grande dimen-
sion, auxquels vint sc joindre un sixième bateau, le mer-
credi matin". Cet événement fit naître une grande agi-
tation dans les deux villes. Les tours sc remplirent LienLtI/.
d'artilleurs (lue vinrent aider tous ceux qui, dans le pays,
avaient confîance en Dieu. Chacun voulait prendre part
à la défense car il savai t que Dieu r en récompenserait. Les
musulmans s'ingénièrent donc à fortifier les tours du mieux
(luïls purent ct tout le monde s'acquitta de cette tùche avec
le plus grand zèle. Puis une barque sortit pour aller parle-
menLer avec r ennemi ùe Dieu ct voici cc que dit l'inllùèle
(que Dieu le maudisse!) : « .Je viens pour l'aŒ1ire des e(~­
réales qui 11'.1' on télé en levées par la ville de Salé ~. Si les
gens de cette ville veulent Lien réparer leurs torts, aucun
mal ne leur scra l'aiL. ) Puis il ajouta: « Quant aux gens
de Rahâ~. IlOUS n'avons aucun démêlé avec eux. » - Les
gens de Salé répondirent (lU 'ils allaient consulter le prince l,;

T. I~re c!trl,tienne: 18:>:>..


2. Parmi ces navires sc trouvaient le lTenri rI', le nOll/er, le SClIli, le
N(I/'val.
3. « Au commencement d'avril 1851, les Salétins, du consente-
ment des autorités locales, pillèrent un brick français naufragé il
Bou-Hcgreg )) (Godard, Deseription el histoire dl! M.aroe, 1. Il, p. 62:>').
Cc nom'eau grief venait s'ajouter il ceux accumulés déjil depuis un
certain temps: « Un courrier du chargé d'affaires de France avait l-(l-
arrêté, puis assassinl' dans sa prison; un cadi avait condamné il la
bastonnade un sujet algl-ricn, au mépris des droits du consul de
France, et il ne fut puni que d'une apparence de dcstitution; un
sujet romain, protégé franç.ais, avaiL été assassiné; un dcs attachés il
la mission française, volé, et le gouvernement marocain avait éludé
l'obligation de punir les coupables, parfaitement connus ») (Godard,
op, cit., 1. II, p. 621).
l,. « Le pacha de Salé demandait en effet six jours pour en référcr
à l'empereur, qui avait eu huit mois pour se prononcer» (Godard,
op. cit., L. II, p. 623).
l'inlidUe u',Y cousentit pas, el, leur remetlant un drape'lII.
il lcur dit: « Je vous donnc JUSqU'lI demain pour me fairl'
sa \oir si vous acceptez de réparer vos torts; passé cc tlélai,
jc fCL'Di tirer sur vous, Au cas où l'état de la mer empêche-
rait la barque de sortir pOUl' venir me rendre compte dl'
\olre décision ,\OUS llis~wriez Ic drapeau musulman an mi-
liard de la grandI' moscluél', Cil signf' (l'accl'ptation. Si
wms ne le hissez pas, jc l'crai tircr, Si votre situation dc-
\ icnt intolérable, hissf'z le drapf'au qU(' je' vous ai donné 1'1
jl' f(~rai cesser le feu, »
Les musulmans Ile tiurent aUCUll cOlupl(' des paroles de
1'ildidi'~le, Ils sc mirent II réparer leurs arilles, car il n')' en
eut pas un qui ne dl~sirût le mart.'re. Ll's gf'ns dl' Hab,'t!
agirf'nt de même. En cette OCCUlTell('f' les saints pl'l\II'l'f'/l1
If'urs concours: Sltll El-IOlùdj 'Abd\lbh EI-L'thour.' " Sidi
EI-I,Iùdj AI.llued be/l 'Acllir, Sidi EI,r.L'tdj 'Abd \Ilnh he/l
l,IassoLJIl ct bif'n d'autrf's enCOI'e, :1 cc point qne qUdlJlH'S
personnes cl<' hien dont Dif'u avait OU\crt lïll[Plligl~nc(., les
\,ircnt s'occupf'r f'ux-mêmes des Im"paratil's de dMe'nsl'.
L(~ lendemain nwlin nwrcrf'di, la barepH' l'essortit pOlIr
paL'!f'menter, mais dle n'était pas ('II core aI'I'in"(' nupr!'s de
L'inlidèle que déj:lk homhardf'ment de Sail' COIIIIllC/l(:ait.
La harque revint. Lf'S soldats mnsulmam; de Salé el Ile
Hal>:'t! répondirent à la premil~l'e c'.Il10nlHldl'.\lais parmi les
gens de Habâ!, quelques-uns iirellt valoir qu'il était préf("-
l'able de ne pas tirer de penr que l'ennemi, e'n ripostant,
/l'atteignît la poudrière (;tant donnée SOli ('xposition il
l'Ouest; d'ailleurs les Français sc trnuYaiell! ~l pins d'I
double de la porllie des canons de H,abâ!,
Ce'penc1an t l'in GdllIe ll' osa pas 1ire l' s Ill' ce Ul' c1el'lliè l'e
,illc; il n'en voulait qU'lI Salé. C'est cc qui lit dire allx gens
allimés de mauvaises intentions que Habllt s'était entendul'

1. Cc ~ainl a la réputatioll de' ,,'arder la ri, i,\]'('. ()n a ]'('COll]',S ;', lui
(!ualld la !JaIT(, ('~l uJall\ai~(',
U~ fll~:CIT .IIAHOCA IN DU U01IBAHDE,\IENT nE SA rJ: :1 fi fi

d'avance avec l'ennemi, Mais j'en jure par Dieu et les ver-
sets du Coran, si leurs canons avaient eu une portée sulli-
sante, ils auraient fait périr les infidèles jusqu'au dernier.
Quant aux risL]ues d'explosion de la poudrière, ils n'en-
trèrent pour rien dans leur décision.
n advint qu'un navire sc mit 2, passer deYant les tours de
Habù[; quand on lui envoyait des boulets, il s'enfuyait.
puis reyenait à la charge: cc manège dura ainsi jusque \el'S
une lJ('ure de l'aprî.'s-midi, Inoment 011 il vint à passer pd's
de la batterie (Sqttla) qui portail le nom de Mouley 'Abd
Er-Ilal,ulliin. Les gOllS (lui occupaient cell.e tour réussirenl
si 1>ion il ]e InudH'r qu'ils purenl, le lellLlemain matin,
l'ccueillil' quelques épaves al'rach(\es 21 cc navil'e pal'Ips
boulets: ils s'cmpI"P,sshenl d'allel" les montrer au gonH'I'-
neUl' du pays.
VIais aupar,nalll la Huit étant YeUue, tout le monde s(~
mit 2. charger les bombes cl les obus pour que l'on pùt
utiliser les mortiers db le retour de l'aube. Lorsque le
matin se leva, on n'aperçut d'autre tl'aee du navire que les
(\paves dont nous venons de parler.
Le navire anglais hissa le drapean des musulmans à son
mùt, cc qui signifiait que la victoire l'estait aux musulmans.
Quelques jours après le consul anglais vint et raconla
que le navire qui avail passé près de la hatterie dile Sq,Ua
avait reçu rordre de son chef, l'amiral J (que Dieu le con-
fonde 1), de tirer sur la poudrière de Habtlt pour la raire
sauter, Mais les coups reçus par cc navire rendirent sa si-
tuation intenable de telle sorte C(U 'il fut ohligé del'cl'JOncer
ù son projet. Nous sûmes par la suite, qu'il y avait cu dl'
nombreux ll10ds et blessés. Cettc nouvelle uous parvint de
Cadix. A Salé il y eut environ 8 morts, à Rabât un seule-
ment. Dieu a terminé leur vie par le martyrc, puisse-t-il
nous ressusciter avec eux! Ainsi soit-il.

1. L~ contf'~-amiral Dubourdicu.
'tOO

L'ennemi avait trouvé le moyen de détruire à Salé, la


llouvelle tour, quelques maisons cl une partie de la grande
mosquée; le minaret de cette même mosquée fut frappé
par trois fois, sans qu'il en résultât aucun dommage.
Notre Maître, que Dieu honore, nous envoya une lettre
où il nous demandait pourquoi nous n'avions pas tiré, alors
que les gens de Salé l'avaient fait. Après avoir entendu nos
excuses, il nous flt répondre que du moment que nous
avions eu des raisons valables pour ne pas tirer tout allait
bien.
Notre Maître, après avoir reçu, cette fois, des informa-
tions exactes, nous envoya une seconde lettre dans laquelle
il nous félicitait de la manière dont nous nous étions dé-
fendus. « Vous m'Nes comme mes deux yeux, disait-il; s'il
y avait une différence entre eux deux, il .Y en aurait une
entre vous deux. »
Quelques jours après arriva à notre secours le nègre de
Notre Maître, le pacha Farâdjy, accompagné (le soldaIs. JI
alla campel' dans la ~,ille de Salé en attendant les ordres du
su itrlll.

II..- PBl~DICATJON DE G{'EURE SAINTE.

Voici ce que dit EI-1Jûdj El-' Arhy El-l.llou, Ol'igillaire de


Tétouan et demeurant à RubâL à propos de la guerre sainte
que Dieu prescrivit à cc peuple mahométall.
Sache, lecteur (puisse Dieu t'enseigner le bien ct te pré-
server du mal) que, lorsque Dieu ordonna à Notre Seigneur
Mol.wmmed (le sceau des envoyés et des prophètes, à qui
les émigrants ct les Ançûrs prêtlTent assistance), de com-
battre les polythéistes, il yen eut parmi ces derniers qui
crurent en Dieu tandis que d'autres demeurèrent dans l'er-
reur. Cependant les Ançârs du prophète ct les émigrants
firent la conquête de la Syrie, du Iledjaz, dupays des Turcs
ct des Persans, de l'Afrique et de notre Maghreb. Or, à
UN m;:clT '\IAROCAIN DU nmmARDEl\IE;>iT DE SALl~ ,\,01

notre époque, ô mon frère, avec un si grand nombre de


musulmans, comment peux-tu concevoir des craintes?
Grâce à Dieu, ils ne négligent pas les mosquées, et les
écoles sont pleines de jeunes gens qui étudient le Coran que
Dieu a révélé à notre Seigneur l\loJ.Jammed.
A qui possède la 'Taie intelligence, c'est-à-dire l'intelli-
gence du cœur, ct se livre àla méditation du Coran, à cc1ui-
là Dieu dit: cc Nous n'avons rien négligé dans le Livret. ))
Voici encore la parole de Dieu: cc 0 croyants, soyez pa-
tients; lullez de patience les uns avec les autres; soyez
fermes et craignez Dieu. Vous serez heureux. 2 ») Et encore:
c( Dieu a acheté aux croyants leurs Liens et leurs personnes
pour leur donner le paradis en retour; ils combattront dans
le sentier de Dieu; ils tueront et ils seront tués:1. )) Et ceci:
cc 0 prophète! excite les croyants au combat. Vingt hommes
fermes d'entre eux terrasseront deux cents infidèles. Cent
en mettront mille en fuite, parce que les infidèles ne com-
prennent rien 1>. »)
Ne sais-tu pas que la lumière du prophète augmente tou-
jours d'intensité P jgnores-tu que les saints qui ont fajt le
bien pendant leur vie, continuent à répandre des bienfaits
après leur mort.
Oui, par Dieu, le jour du combat dont nous avons parlé
plus hau t, nous avons été témoin des miracles des saints.
Nous vtmes des hommes inconnus combattre avec zèle au
côté des musulmans. Ce miracle fut si visible qu'il
n'échappa pas plus aux yeux de l'homme impie qu'à ceux
de l'homme vertueux. Un autre miracle consista en ce fait
qu'un grand nombre d'oiseaux, après avoir dirigé au but
les projectiles, revinrent à leur point de départ. Ces oiseaux

T. Coran, chap. VI (Le Létail), verset 3H, Kazimirski.


2. Coran, chap. III (La famille d'Inn'an), verscL ~wo, id.
3. Coran, dlap. IX (L'immunité ou le repentir), verset 112, id.
4. Coran, chap. VIII (Le butin), verset 66, id.

AUCH. 1\IAROC.
IneHI\'/-::; \UlIoe.\I\I'::;

apparlenaient à Ulle e"pl~ce unique cl parlaient (nu" de la


même mallil~re.
J'ai rencontré des hommes qui me vantaient les chrétiens
(que Dieu les confonde ct les fasse périr) tl cause du grand
nombre de leurs soldats et de l'abondance de leurs appro-
visionnements; comme contre-partie, ce" mêmes hommes
ne concevaient (l'le du mépris pOUl' les musulmans. Pat'
Dieu, nos a ppro visionnernen ls l'cm porlenl sllr les leurs, ct
si l'on me demande pourquoi, je répondrai que nous avons
pOUl' nous la foi cl. la confiance en Dieu.
Apprends, lectenr, que les gens des campngnes comme
les lwbiLants des villes on t Lous des armes pour lu Uer con tre
l'ennemi. Ils nnt des chevaux. cles sabres, cles fusils, de"
lances, dont ils ne sc s("parent jamais. De môme les gens
de la monlagne ne quilLent jamais leur [usilou leur poi-
gnard ; ils fabri(plCnt eUX-[l1!1 mes de la poudre. Les cila-
dins sc mocll.JcnL sur ccL exemple cL leurs Dl'nWS fonL pour
ainsi dire corps avec C\l\.
'fous ces gens, sans parler dcs lroupes de Notre Sultan,
lesquelles son LdireelemenL a ppl'Ovision nées par lui, s'armon L
eux-mômes cL fabriquen L de la poudrc, de tclLc sode quP
tout notre 1laghrcb n'est (lue soldats. Si notre MaHrevicto-
rieux leur ordonnait de sc rassembler, ils seraient tous mo-
hilisés en un clin (l'œil.
Les munitions pOUl' les canons et les mortiers viendraient-
elles à nous rnDnquel', que la bénédiclion de Dicu, elle, ne
nous fera jamais dé fu III , N'aurions-nous même qu'un seul
canon avec ses artilleurs cl ses munitions que nous viell-
drions cependant à hout du plus grand des navires.
Les chrétiens n'ont que des mercenaires pour soldats,
tandis que nous, pOUl' l'amour de Dieu cl de son prophète,
nous sacrifiolls nos personnes ct nos biens pour soutenir
la lulle contre l'ennemi.
Tu sais, lecLcll\' , cc (IllC Dieu prépare à ceux qui font la
guerre sainte, Ils seront comme les compagnons du pro-
phète; s'ils viennent à mourir, on ne les lavera pas, on ne
les revêtira pas de linceul, on ne priera pas pour eux, parce
que Dieu les aura purifiés. En effet, Dieu n'a-t-il pas dit:
« Ne croyez pas que ceux qui ont succombé en combattant
dans le senticr oc Dieu soient morls : ils vivent auprès oe
Dieu et reçoivent de Lui leur nourriture 1. »
Voici cc rlu'on Irollve (lans El-Bokhàrî : un llOmme de-
rnanda au prophNe, le jour d'Oul.lOuo, où il irait s'il venait
à périr. - « Au paradis » lui répondit le prophète en lui
mettant quelrpws daUes dans la main.
Cet homme se baUit jusqu'à la mort.
L'homme intelligent préfére l'autre monde à celui-ci.
Dieu a accordé aux rnusulmans la foi en Lui ct en son
prophète; c'est là la raison de la supériorité de leur cou-
rage sur cclui des 1\oul11is. Les 1\oumis ne se parent que de
l'éclat de cc monde, or, « la vie d'ici-bas n'est qu'un jeu ct
un passe-temps" ». L'aulre monde n'est fait que pour les
croyants; nous (lemandons à Dieu de ne vivre que pour
pouvoir y parvenir, cl, qu'une fois morts, il nous fasse
ressusciter car le prophilte a dit: « L'homme meurt comme
il a vécu ct il ressuscite comme il est mort. »
On cite, d'après Ibn 'Omar, ces paroles du propbète :
« Si vous failes du commerce, si vous tenez la queue oe
votre vache, si vous vous estimez satisfaits de vos récoltes
ct que vous négligiez la guerre sainte, Dieu fera descendre
le malheur sur vous ct il ne le suspendra que quand vous
serez revenus à votre religion. »
Cette lettre porte le nom de : l'adjuvant en matière de
guerre sainte. C'est une pierre précieuse dont les lois mu-
sulmanes (l'institution divine font valoir tout le prix.
Que le salut soit SUI' les serviteurs que Dieu il (-lus!

L. COVFOURJEH.

1. Coran, chap. III (La famille d'lmran), ycrsel di;), itl.


2. Coran, chap. XLVII (Mohammed), Yersel 38, id.
T]~TOUAN

DEUXIÈME PARTIE
mSTOHIQUE (Suite)

CHAPITHE IX

LES NÉGOCIATIONS DIPLOMATIQUES


DU .MAROC AVEC L'ESPAG"IE A LA. VEILLE DE LA. GUERRE
DE 1859 A 1860.

SmHL'URE. - If) Traité signé ;\ Taollan concernant les pré~idcs du Hif. - 2° Les négo-
ciat.ions (pli précédèrent la guerre de 1 o,;)t)-l ~ÜO. - 3 0 Adresse dul\laroc à l'Eu-
rope. - (,(/ Adresse de l'Espagne h l'Europe. - 50 COHlTllunication tlu ~Iaroe à
l'Angleterre. - ()o Appréciation de la correspondance qui précéda la gllcrre de
1859-1800 {\YCC l'Espagne.

SI. - Traité signé ù Tétouan conCCl'nant les présides


du Ri].

Si les événements qui se déroulèrent au Maroc, à Té-


touan, ou à propos de Tétouan, dans le cours du XIX" siècle,
ne présentent à peu près aucune importance et bien peu
d'intérêt seulement, hormis ceux qui sont relatifs à la
guerre avec l'Espagne, de même tout l'intérêt des négo-
ciations diplomatiques des deux pays pendant ce laps de
temps se résume presque dans le différend qui précéda
eelte guerre.
Tt~TOUAN

Nous devons toutefois signaler, pour mémoire, le traité


signé à Tétouan le 2[t août 1859, concernant les limites
du territoire de Melilla et les mesures de protection adop-
tées pour les présides espagnols de la côte du Hif. Bien
que ce document n'intéresse pas Tétouan par son contenu,
cependant il prouve l'importance accordée à la ville choi-
sie pour le signer pal' les deux parties contractantes au
point de vue diplomatique; car il est évident que le choix
d'une localité plutôt qu'une autre a sa signification en ce
cas, et qu'elle peut indiquer, en faveur de celle qui prévaut,
une certaine intention de la part des concluants. Mais nous
ne connaissons pas assez les dessous, ou, si l'on veut, les
détails des négociations qui aboutirent ainsi au traité de
Tétouan du 24 août 1859, pour savoir quelles furent les
raisons qui dictèrent le choix de cette cité L.

r. C'est à cause de cela que nous clonnons ici cc traité (cf. Rouard
de Carel, op. cit., p. 192).

Conumtion étendant les limites de la juridiction de Melilla et consacrant


l'adoption des mesures nécessaires à la sécurité des présides espagnols
sur la c(jte d'Afrique signée il Tétouan le .'21, aoiÎt 18:5U.

Au l\"OM DU DIEU TOUT-PUISSANT,

Une cOl1Yention, étendant les limites de la juridicl.ion de Melilla


et adoptant des mesnres ni'ccssaires à la sécurité des présides espa-
gnols snI' la côte d'AJriqne, est pasSt'e enLre les den:\. hauts ct puis-
sanLs princes, S. M. Isabelle Il, reine d'Espagne, cl. S. M. ~loulay
•Abd Er-Hahman, roi du Maroc; (~Ulllt parties contl'ilclantes pour S. M.
Catholique, Don Juan Blanco dei Val/l', grand-croix de l'ordre royal
d'Isabelle la Catholique, cOll1mancleur de l'ordre de Charles III, che-
valier de l'ordre iIlJp(~rial de la Légion d'honneur de France, député
aux COl·tl~S, chargé d'afTaires cl. consnl gén('ral d'Espagne il Tanger,
ct pour S. M. marocaine Sidi Mohamllll'd EI-Khatib, son ministre des
An'aires étrangl~res, lesquels, apri~s avoir respecl.ivelllent échangé leurs
pouvoirs, sont convenus des articles suivants:
ARTICLE PlIEMIEI\. - S. M. le Hoi du :Maroe désirant donner à
S. M. Catholique une marque signalée des bons sentiments qui l'a-
lilli

S 2. - Les Négociatiotls qUi: auoLlit:rent il la gLlerre de


, 85 0- 1 1)60.

Nous avons, cn commençant à retracer l'historique de la


guerre hispano-marocaine, parlé de l'importante corres-

nimenl, pt youlant contribuer en tant qu'il dépend d'clic il la san\c-


garde et à la sécurité des places espagnolc:iLJe la cote d'HrilJlH" cOl1\ieLlt
de céder il S. M, Call1Olique la possession el la pleine somerainelé
du territoire rapproché de la place I?sllagnole cie Melilla jusqu'am:
points les plus propres il la dL-fensc et à la trallfluillitl; de ce Jln;side.
ART. 2. - Les limites de cette concession seront tixées par des
ingénieurs espagnols ct marocains, lesquels prendront pOlir IJase d(~
leurs opérations, afin de lixer l'exlension desdites linlites, la ]JOrll"C
ll'un coup de canon d'une pii~ce de 2fl ancien modèle.
\HT. 3. - Dans le plus brcl' temps possible depuis le jolll' de la
signature de la présente convention, el selon qu'il est indiqué il l'ar-
ticle 2, il sera procédé d'lin comlllLln accord el a\ec la solennilL~ COII-
venable au tracé de la ligne (lui va de la côle \ord il la ct'lle Snd de
la place cl qui servira dl'~sormais de limite au tcrriloire el il la juri-
diction de Melilla.
L'acte de délimitation dùment cerlilié par les alilorilL's espagnoles
et marocaines qui seront iliterYenues dans l'opL'rallon, sera sign(\ par
les plénipotentiaires respectifs et sera considl;rL~ COlllme ayanl la 11Il\me
force ct valeur que s'il L~lait inséré textU(dlenH~Llt dans la pn;sente COlI-
yention.
ART. fi. - Enlre les territoires soumis aux juridictions espagnoles
ct marocaines il sera lÎ\(\ un Lerrain neutre. Les limites de ce lerrain
seront, du l'olé de Melil/a, la ligne dl' jlll'idiction espagnole cOlisignL'('
dans l'acte de délimitation anlJuei sc rM'rre l'article 3, et, du CôlL~ du
Hif, la ligne (lui sera d("lel'lllinée d'un commun accord comille ligne
de séparation entre le territoire de juridictiou du roi du Maroc el le
Lerrain nentre sllS-lllentionné.
All'r. 5. -- S. ~I. le Boi dn "Jaroc s'engage il placer SUI' la limile
du territoire frontil\re de Melilla un caïd ou gonverneur avec un d(;-
tachellll'nt dl' troupes alîn dl' réprimer tout acle d'agression de la
part des hahitanls du Bif de nature à comprometlrc les bonnes rela-
Lious eutre les Jeux gou\ernements.
T~~TOUAN 'lOï

pondance échangée entre les représentants des deux parties


en cause au cours des négociations entamées en vue dc
régler le dilférend qui les séparait. Mais, sans donner une
analyse, mème sOITllnaire, de ces documents, nous nous
sommes contentés d'cn apprécicI' la uature cn quelques
mots et d'indiquer les fàclteux résultats auxquels les négo-
cia!iolls avaiell! conduit. Le momeIlt. cs! vcnu, maintenant,
d'en donner une analyse plus complète 1; l'importance des

AR'L G. --\lin J'empècber les hostilités qui, à plusieurs épocIIws,


ont cu pour objet les places de Penon ct d'Alhucemas, S. M. le Roi
du Maroc, mù par le juste désir qui l'anime, donnera des ordres con-
yenables pour que, dans le yoisinage de ces places, il s'établisse un
caïd avec les troupes sullisantes pour fàire respecter les droits de
l'Espagne ct favoriser eHicaccment la libre enlrée dans ces villes des
yil'l'es el rayitaillements nécessaires à leurs gnrnisons.
Les détachements qui devront arc placés soit sur la frontj('re de
~lclilla, soit dans les elnirons de Penon et d'Alhuccmas, sc compo-
seront uniquement de troupes de l'armée marocaine, sans qu'il soit
permis de placer ou Je charger Je cc service des chefs ou des troupes
du Hil'.
L(~ présent trait(~ sera ralilié le plus Lül possible, signé cl scellé en
quatre originaux en espagnol et en arabp, il sayoir: un pour S. ~L
Calholiqlll" un aulrc pour S. ?IL Cllt"rilicnne, un autre restera d,ms
les mains du eharS'é d'atraires cl consul gl~lJéral d'Espagne au :"'aroc,
11n autre qui sera dans [cs mains du ministre des Atraires élrangi~res
du ?llaroc, et chacnne des parties conl raet ailles a visera aux moyens les
plus propices à faire respecter en tous llOiuls Jes al'licles dont se com--
pose ce trait{ En l'oi de (plOi, nous, plr\nipolentiaircs soussig'!l(;s,
pOlit' S. 1\1. Catholiquc, Don .1 uan Blanco dl'! Valle, ct pour S. M.
.\ laroeaine, Sidi Mohammed El-Khalib, ['amns scellé de nos sceaux p\
signé de nos mains, ,\ -J'Mouan, Ir' :dl aot'rL IS;l\l, qni correspond au
2', de Ja lune de Muharram de 12j(j.

(L. S.) .IUAli IlLA:lCO DEI. Ve\L]'E.


(1.... S.) Le scnitelll' de la Majest(; que Dieu re!wusse,
l\]OIIA\l\IED EL-KIL\TlB, il qui Dieu soit propice.

,. Ces JeUres sont dOlllll'CS ill-e\tl'llsO, tralluitps en allemand, tipI!


entendu, par Sdl!aginLwcit (up. cil., p. lj.,! ct q. seq.), ct deux seu-
lement d'entre elles, traduites en l'ran~'ais, par ])al1do~ cl Osiris (op.
!l08 ARCHIVES MAROCAINES

pièces qui composent cette correspondance, au point de


vue de la genèse de la guerre, ne saurait échapper à per-
sonne; et, d'autre part, en elles-mêmes, ces pièces sont un
document des plus importants pour la connaissance de
l'âme marocaine el des procédés diplomatiques de la
cour de Fès. Elles se rattachent, enfin, intimement à notre
sujet, puisque, sur l'échange de notes entre le consul géné-
ral d'Espagne et le ministre des AITaires étrangères, se sont
immédiatement greITés des événements d'une si grave con-
séquence pour Tétouan.
Cependant la correspondance diplomatique dont il est
question ne saurait, à elle seule, suffire à donner une
bonne entente des choses; elle laisserait plus d'une fois
dans le doute l' espri t de celui qui l'étudie sans connaitre
les faits qui lui ont servi de corollaire; tandis qu'au con-
traire, corroborée par l'étude comparative de ces faits, que
nous avons exposés précédemment, par la connaissance du
but que poursuivaient les belligéran ts et par les témoi-
gnages de ceux des leurs qui nous ont laissé par écrit le
tableau de ce qu'ils ont vu, elle devient au contraire des
plus instructives.
La première lettre est expédiée par le consul général
d'Espagne après l'agression commise par les Anjera, Elle
succède à des entrevues particulières dans lesquelles avaient
eu lieu des échanges de vues, oralement. Le consul affirme
que la garnison était bien en droit d'élever des fortifications
là où elle les élevait et que par suite elle n'a pas à cesser de le
faire, comme on l'aurait désiré, pour arranger les choses.
Cette reculade eùt évidemment coupé court à tont le dilfé-
rend, mais elle eÎll perdu l'Espagne de réputation ct aurait
encouragé, à l'avenir, de nouvelles agressions contre ses
possessIOns.
. p ..')')
Clt., ) lNOUS Il ' en rn'sen
).)1 et q. seq .. ' tons, nons, qu.' une ana 1pe,
mais une analyse sullisante pOlir qu'on puisse s'en servir aussi Lien
que des originaux, et pouvant tenir lieu d'un document précis.
<lO!)

Du COI/sul généml Blal/co deZ l/alIe au Ministre


Mo/wmmed Bl-Khatib.
5 septemhre ûl5Q.

La récente aggression, non motivée, des Anjera contre


la place forte de Ceuta, l'injure faite au drapeau espagnol
sont de telle nature que nul gouvernement soucieux de
son honneur ne pourrait le supporter.
En conséquence le ministre El-Khatib est prévenu que la
reine d'Espagne est décidée à réclamer les satisfactions ho-
norables et suffisan tes qu'exige la gravité de r o{l'cnse
làite à 1ÏlOnneur de la nation.
Il serait peu en rapport avec la gravité des lilits flue de
s'en tenir aux assul'Unces d'amitié souvent prodiguées par
le Sullan, ct de consentir à ce que la garnison espagnole,
qui occupe un terrain lui appartenant, en déguerpit; sc
contentant que, d'autre parL, les coupables de l'agression
soient sévèremen t châtiés.
Sans vouloir blesser El-Khatib cn doutant de la franchise
ct de la justesse de scs protestations, cependant le consul
fait observer que des actes ont eu lieu quiprouvent combien
le Sullan manque de la puissance et de l'autorité néces-
saires pOUl' obtenir' obéissance des sujets de celle partie de
son empu'e.
« Portez un moment votre attention, dit le consul, sur
les agressions dont les Hifains sc sont si souvent rendlls
coupables contre les forteresses de Melilla, d'Alhucemas, de
Penon; puis tournez vos reganls v()rs Ceutil, qui, souvent
aussi, fut le but des incursions des deux tribus qui vivent
au voisinage de la ville, ct dites-Illoi si, à ces agressions
aussi graves, aucune fin ne doit être apportée; enfin si,
'dO .\I\CllIYES ~IAl\UCAI:'-lES

toujours, elles doivent s'abriter sous le manteau de l'im-


punité. ))
El-Khatib peut en être convaincu, le gouvernement de la
Heine est bien décidé II ne plus laisser se produire de tels
événements; il réclame, clans ce but, comme réparation el
satisfaction, le châtiment rigoureux des agresseurs.
Si le Sultan manque de la puissanee nécessai re pOUl' y
panenir, il n'a qu'à le déclarer: l'année espagnole ira sur
le territoire des agresseurs lenr faire sentir le poids de sa
colère.
Si ce n'est pas encore là le cas, si le Sultan croit seule-
ment ne pas avoir, pour le moment, les muyens indispcn-
sables pour empêcher ct punir les violences dont on se
plaint, il est alors d'une absolue nécessité (luïl s'cmpressc,
dans le plus bref délai possible, d'accorder satisfaction aux
réclamations dn cabinet de Mach'id, savoir:

1" Les armes d'Espagne seront reluises en place et sa-


luées par les troupes du Sultan à l'endroit mêllle oil elles
ont été outragées;
2" Les principatL\ agresseurs seront amenés au caLllp cie
Ceuta et~ là, sévèrement punis Cil préseuce de la gal'llison
et des tribus voisines;
:~" Déclaratiou expresse sera faite. relati\CnlCnt au plcin
droit que possède le gouvel'llement de la Heine d'élever
sur le Campo de ladite gal'lliwn tom OU\l'ages, tous rc-
tranchements qui pOUl'raicnt êlre nécessaires ù la fortifica-
tion de la place ct à sa sécurité;
Il'' On prendra les mesures cxposées pal' le Consul II
EI-Klwtib dans la dernière conférence qu'ils out euc en-
semble, cal' ces mesures sont indispensables puur (iviLcr le
retourde pareilsembarras, qui ont détruit l'amitié etln bonne
entente antérieurement existantes entre les deux nations.
Di\ juurs sunt accordés li EI-KhatiJ) ponr prendre une
décision au sujet des précédentes réclamations.
'1 Il

Par ordre de la Reine, si, à l'expiration dudit délai, les


réclamations n'ont point roçu satisfaction, le représentant
de l'Espagne sortira du territoire marocain.
Si!Jné: BLA'\CO DEL VALLE.

Une réponse de Khatib. datée du IJ septembre, cl une


dépêche du consul général, du 12, manquent dans les com-
munications d'El-Khatib. Schlagintwcit n'a pu s'en procurer
copie tlMadrid. Il émet l'opinion que ces pièces étaient
seulemen t rc1ati ves à la prolongation du délai.

Il

J)1l COl/slll !Jéllùal lJlanco del Valle aIL JI inisil'c 8l-/\/w/i!J.


;) octobre 1 S.-,!).

Le gouvel'llemcnt de la Heine a ratitîé la prolongation


des deux délais accordés par l'entrcmise du Consul. sni-
vant dépêchc du 12 courant, ainsi <lue le demandait
El-Khatib dans une leUre du 16 de Safù,., correspondant 'Ill
1 j seplemhre. Mais 10 délai actuel expire irrévocablement
il la date stipulée: il est donc inulile d'espérer obtenir une
nouvelle prolongation; le délai actuel expire le 15 octobre.
Dans l'inlervalle, la cour de Madrid espère recevoir une ré-
ponse satisfaisante du Sultan au sujet des réclamations
dont. tl cause des circonstances du moment, le règlement
n'a pas encore cu lieu. On espère que prellve sera faile
alors de l'amitié (lui r('gne entre les deux Etals ct lllùlucunc
occasion de rupture ne se produira.
Le Consul le répète, il est absoJmuent inutile d'espérer
un nouveau délai. Le gouvernement de la Heine est décidé
tl ne pas se conLenter de simples excuses; il ne saurait
l'admettre; il IIC n~ut pas laisscr ternir SOli lJOuneur aux
yeux des aulres nations, alors que l'offense l'aile au drapeau
H2 ARCIIlVES MAROCAINES

espagnol par des tribus qui rclèven t de la juridiction du Sul-


tan a été si grave. Enfin, il faut aviser le Sultan de mettre
fin, tout est là, aux agissements de malfaiteurs, de gens
sans aveu, qui ont troublé la paix et la bonne harmonie
entre les deux nations.
Les soupçons qu'EI-Khatih a exprimés dans une le Ure
antérieure contre le gouvernement de Ceuta 1 manquent de

I. C'e,t la répome il l'idée exprimée par El-Khatib, flue le g011\er-


neur de Ceuta avait proyofJué les Anjeras par ,es agissement,. "\ous
avom YU que cette idée s'Mait retrouvée dans la bouche du représen-
tant britannique il Madrid. Celui-ci ag'issait d'aille\ll's en l'e'pi~ce ,ui-
vant les instructions (IU'il avait reçues de son gou \'ernement, ainsi
qu'en font foi les documents suivants (cf. Baudoz ct Osiris, op. cÎI.,
p. 330 et q. seq.) :

Lord John Russel à Jr. Buchanan.

Foreign Omce, 22 septembre 18:'!!).

Monsieur, à l'égard des préparati (s qui sc font en Espagne pour


ouvrir les hostilitris au Maroc, je d(\sire f[Ue YOUS faS'iez obsener
au présidentdu conseil ct au ministre des Allaires drangi'res que le,
dilTérends qui sc sont Mevés entre les gouvernements d'Espagne et du
Maroc paraissent dus aux actes de violence commis par les tribus mau-
resflues dans le yoisinage de Ceuta, mais qu'ils semblent aussi avoir
été provoqués par le, d(\fÎs ct 1<', excitations du gouverneur de Ceuta:
qu'une race faroucbe ct indomptée paraît Nre devenue ingouvernable
ct avoir exécuté des atta(pleS hostiles contre la garni,on de Ceuta.
Que si le gouverneur ne cherche que la r('paration des injures ct
des torts qui lui ont été faits, et s'il nI' veut fJue dél(~ndre ct wutenir
son honneur, le gouvernement de S. ,,1. ne s'opposera point il ce qu'il
obtienne celle réparation. "lais si les acte, de yiolence des tribns
maure,ques doivent servir de prl~texte il la conquNe, et particulière-
ment S\ll' la crlte, le gouvernement de S. :\1. e,t obligé de veiller il la
sécurité de la forteresse de Gibrallar.
Yom Ne, donc c1larg(\ de demander une (Mclar:ltion par (\crit por-
tant que si, dam le cours des hostilités, les troupes espagnoles ,iennent
il occnpel' Tanger, celle occllpalion sera Lclllp()rai["(~ et ne sc prolon-
gera point au delil de la ralilicalion d'un Iraitt; dl' paix entre J'Espagne
ct le ",lanK. Car une occupation juStlu'il cc (PL'lIllC indemnité soit
fondement et proviennent d'une information elTonée. Au
contraire, le gouverneur a montré de la patience, et, depuis

payée pourrait devenir permanente, ct, aux yeux de S. 1\'1., une occu-
pation permanente serait illcompatiLle avec la sùreté de Gibraltar.
Le gouvernement de S. :\'1. désire sincèrelllentmaintenir avec l'Espagne
les relations les plus amicales, mais son devoir est de pourvoir il la
sécurité des possessions de S. M.
Je suis, etc ...
J. lluSSEI,L,

Lord Buchanan fit communication des désirs de Sa Majesté Bri-


tannique au ministre espagnol, Calderon Collantes, par la lettre
suivante:

Lord Buchanan à M. le ministre Calderon Collantes.

Madrid, 27 septembre 1859.


i\lonsieur, pendant les discussions qui ont cu lieu entre l'Espagne
et le Maroc, relativement aux réclamations des sujets espagnols à
l'endroit du gouvernement du Sultan ct de la zone (lui est autour de
Melilla, je me suis empressé d'instruire mon gouvernement des fré-
quentes assurance's que ,j'ai reçues de Votre Excellence, il savoir qu'il
celte ('poque l'ullique objel du goul'cl'llcmcnt de S. M. C. était de
garalltir uue juste protection anx forteresses de S. M. C. ainsi qu'à
ses sujets qni résidcnt dans le Maroc ou font le commercc avec cc
pays, et qu'il n'avait nullement l'intention de l'aire des c]uestions en
litigc un prétcxte d'agrandisscmcnt tcn-itoria] cn Afrique.
L'événement a conlirmé cntièrement ccs assurances, ct j'ai cu le
LonllCur d'apprendre par la déclaration contenue dans la note de
Votre Exccllencc, cn datc du 2G du courant, ct pal' les explications
vcrbales qnc vous m'avcz donnécs plusicurs l'ois, depuis la nouvclle
dilliculté CJui s'est élcvée avec le gouvernement du ~laroc, que la po-
liticlue du gouvcrnement espagnol n'a point changé, qu'il n'ambi-
tionne aucune conquête en Afi-ique et ne veut obtenir que réparation
des olTenses que lui ont làitcs les l\laures dc Ceuta pour celte forte-
resse ct les autres possessions de S. 1\1. C. en Al'riclue, garanties qui
préviendront eflicaccment le retour des connits qui ont eu lieu et
maintiendront à l'avenir les rdatlons avec l"empire du Maroc sur un
pied honorable ct satislàisanl. tes rapports de mes conversations avec
Votre Excellencc auront ainsi déjà inlonné le gouvernement dc la
:\1\1:111\'1-::' \1.\IUlC.\I:'\E:'

longtemps, il souffre des brutales agressions des ll1unta-


gnal'Cls voisins, qui, rehelles (1 l'autorité du Sultan, agissent

Heine, mon auguste souveraine, lIes sentiments dl' justice ct de mo-


dération dont le gouvel'llement de S. i\I. C. est anim/'.
Toutdois, considérant l'intérôl que le gouvernement de la Heine
prend il l'Empire du :\Im'oc, ct l'importance qu'il attache au commerce
de Tangâ aH'C les possessions dl' Sa :\Lajeslé dans la :\["diterranée,
il sel'ait satisülisant pour lui d'apprc'nc!re de Yotre Excellence que les
grands pl'l;paratifs flui sc lont actuellement pOlir p"océder il des np{'-
rations militaires en Afrirlue ne sont prenves ll'ancun changement
dans les vues du gouvernement dl' Sa Majest{, Catholique ct n'indi~
lluent de sa part aucune espècr, d'intention de faire des conqnèles dam
le :\Iaroc ou d'occuper d'une Illanii~re permanente aucnne pilrtie du
territoire du Sultan.
Parfaitement assuré que Yotre Excellence s'empressera de satisfaire
ail VŒn que j'ai l'honnellI' de lui exprimer Slll' ce snjel.
Je suis, cIl'.
Signé: J\\DHEW BCClIA:-!AIi.

La réponse du minislre l'spagnol nl' sc' lit pas attendre:

M. Calderon I;ollrllllts ù M. lJllclwl1l/n.

Palais, (j octobrl' ,~Ej9'

Monsieur, j'ai reçu la note que vous avez cu la bonté de m'adresser


le 27 de ce mois dernier. Le gouvernement de la Heine, ma souve-
raine, tout en adoptant les mesures w;cessai"es pour oblenir, au besoin
par la force des armes, la juste r{'paration qu'il a demandée an gou-
vernement marocain, persé,ère dans ses intenlions invariables il l'{~­
gard de cc pays, intentions dont vous avez cu connaissance par les
déclaralions verbales que je vous ai failes spontanément l'annl;e
del'llii~re relativement il la question de Melilla, et qui ont l;té con tir-
mées par les Ilotes subséquelltes (lue je vous ai adressées et pilr la
circulaire (lue j'ai adressée le 24 septembre aux représentants de S. iU.
près les cours de l'Europe avec le contenu dont Don Javier de Isturiz
il dù donner connaissance au principal secrétaire d'Élat des AtTaires

étrangères de S. 1\1. 13.


Le cabinet de Madrid, ainsi que vous en avez connaissance, ne
cède pas, dans celle fluestioll, il J'impulsion d'un désir préexistant de
l'agrandissement d'un territoi;'l~; 11 n'est inilucncé que par le demir
sacr{, de d{,f'cndre la dignité et l'honlleur de la nation.
1·1:;

cuutraircllIcut II toutcs les règles du droit iuternational; ils


ont détruit les constructions, les magasins élevés par les

Il conserve toujours l'espoir (lue le conflit qui a surgi par suite


d'attaques non provoquées dont la forteresse de Ceuta a étl~ l'objet, se
terminera paciliquement; mais si SOli désir de conciliatioll Ile se réali-
sait pas, il s'enarcerait d'obtenir, par d'autres moyens, la punition
des agresseurs, la satisfaction qui est due, ct la conclusion d'arrané?,e-
ment~ qui tendraient il donnez' des garanties ma Il'rielles elTicaces con'îre
le retour de pareils outrages,
C'est dans ce but que les opérations militaires, si elles doivent
commenccr, seront dirigées. A cc point de vue, il est facile de com-
prendre, connaissant les intenlions du gouvernement de la Heine, ma
souveraine, que, quelle que soit la dimillution que doive l~prouvcr,
par suite de la guerre, le conllnercc actif (PIC la Grande-Bretagne
cntretient avcc Tanger, elle nc pcnt (\Iz'c ([ue passagl~re, puisque,
quand une fais le traité de paix qui meltrait fin aux hostilités entre
J'Espagne ct le .\laroc sera ratifil~, ct les <lnestions maintenant existantes
arrangées de façon favorable, et par consl'quent définitive, le gouver-
nement espagnol, ayant accompli ses intentions, ne continuerait pas
d'occuppr celte forteresse, en supposant qu'il se soit trouvé obligé de
s'~' l'lablir afin d'assun'r une issue favorable i, SPS opl'rations.
Je snis, e[c.

Enlill lord BlIcbanan rendit compte des d('marches qu'il avail filites
p[ de la réponse (IU'il avait reçue par la!ettre suivan[e:

Lord Buchanan à lord John RlIssPU.

l\ladrid, 1 octobre ,859'


Apri's <lue j'ai eu lait connaÎtre il M, Calderon Collantes le contenu
de la dl:p<\c1w de Yotre Seigneurie en date du 2:2 du mois dernier, Ia-
(luelle me charge de demander au gouvernement espagnol une décla-
ralion par t"~crjt parlant que si, dans le cas d'une guerre entre l'Espagne
et le Maroc, Tanger était occupl'e par les troupes espagnoles, elles
seront rappelées immôdiatement aprl~s la ratiGcation d'un traité de
paix, il a été conYeuu entre nous que j'adresserais il S. E. une note
dont je transmets ci-inclus copie, pour que Votre Seigneurie en prenne
connaissance. J'ai rcl,'u de lui aujourd'hni une réponse, dont une
ABCfllYES ,\rABOGAINES

Espagnols; ils prennent pour cible leurs corps cIe garcIe,


ainsi que les colonnes qui marquent la limite cIe leur terri-
toire. Sans réfléchir il leur faiblesse, ou tout au moins à
l'insuffisance cIe leur force, ils ont attaqué les retranche-
ments de la forteresse, jusqu'au moment où on les a con-
traints par la violence à se retirer 1.
D'après les propres déclarations cI'EI-Khatib, il est établi
qu'ils ne sont nullement autorisés par le Sultan à agir
ainsi; il s'ensuit que le gouverneur cIe Ceuta était cIans
son plein cIroit en agissant comme il l'a fait; cI'ailleurs ce
fut avec mesure. Sur la cour marocaine pèse toute la res-
ponsabilité des faits; il lui incombe d'éviter le malheur
qui pourrait survenir comme conséquence de la conduite
antérieure de fanatiques rebelles aux ordres du Sultan, ct
qui, en grand nombre, sc sont unis pour attaquer la cita-
delle espagnole, sans égard pour les traités existant entre
les deux nations.
Pour éviter cIans l'avenir le renouvellement des désor-
dres qui se sont produits dans le passé, pour préciser ce
que les traités existants laissent cIe vague au sujet du terri-
ritoire entourant la ville, le gouvernement espagnol ré-
clame comme indispensables à la fortification de la place
les hauteurs voisines; e'est une condition nécessaire à
l'entretien des bonnes relations qui unissent les deux pays.
Il faut aussi réglerJes conditions relati ves à Melilla, de
même que celles relatives aux sauvages tribus de l' Anjera,
avec le même soin que Moulay 'Abd Er-Hahman, le Sultan
défunt, apportait au règlement des affaires courantes.

copie et une traduction sont ci-jointes, et j'espère que le gouverne-


ment de S. M. en sera satisfait.
J'ai, etc.
Signé: Ai'\DREW BUCHANAN.

,. Allusion à l'alfaire du ,8 septembre (occupation de la Mezcl'lita


par les Chasseurs de Madrid). Voir ch. ITI, ~ 6.
TÉTOUAN !d7

Les désordres précédemment exposés peuvent être évités


à l'avenir entre les deux nations, si des conventions sont pas-
sées par écrit stipulant qu'un accord a eu lieu entre leurs re-
présentants, conformément aux réclamations faites, ct de
nature à donner satisfaction à la reine d'Espagne. Passé le
terme du 15 octobre, fixé par la reine d'Espagne avec une
générosité d'intention qui contraste si fort avec les fâcheuses
ct blâmables manières que la cour marocaine a de traiter
les questions, si à celte date le Sultan n'a pas répondu,
le consul d'Espagne n'insistera plus et l'Espagne s'en re-
mettra à la force pOUl' obtenir satisfaction, car la question
n'est point de celles qui souffrent un ajournement indéfini.

Signé: 13LAl\"CO DEL VALLE.

III

Le Ministre Mohammed El-Khatib au Consul général


Blanco del Valle.

G Hab!' l Laouc\ ] 272 = fi oclobre ]850.

Le Ministre El-Khatib accuse réception au Consul d'Es-


pagne de sa lettre de la veille, dans laquelle il expliquait
ses vues relativement aux réclamations présentées par lui
dans sa lettre antérieure du 5 septembre.
El-Khatib dit avoir la veille (pal' lettre semi-ofTicielle dit
Schlagintweit) exposé que le Sultan lui ordonnait d'accueil-
lir favorablement les quatre réclamations contenues dans
ladite leUre du consul (datée du 5 septembre).
Le Sultan veut faire droit aux réclamations dont il
s'agit, parce que son désir est de maintenir de bonnes re-
lations entre les deux Étals. Relativement aux explications
concernant les limites de Ceuta, EI-Khatib avait cru (lue le
mot espagnol Campo s'appliquait au territoil'einc1us dans les
AHC[I. MAHne.
'liS AHClIlVES MAHOCAINI<:S

anciennes limites Je Ceuta cl que la zone de pâturo qui en-


toure la ville n'y était pas comprise; car, clans l'article 15
de l'ancien traité, il esl iilit mention du Campo de Ceuta
en mi\rne temps que d'un IOl'rain de pâture: or clans la
la leUre du consul général il était parlé seulement du
Campo sur lequel les Espagnols désiraient élevor des for-
tifications (sans plus d'explications). Cependant, si le Con-
sul expose que son gouvol'llement comprend pal' Campo
tout le territoire enserré pal' les limites ilxées en 1201
1843), alors 81-Khatib exposera le malentendu qui s'est
produit dans la faç'oll d'interpréter le sens du rnot ù wn
maître le Sultan. li eSpl~l'e quo eela s'ée!aircira ù la satis-
faction des deux parties.
Pour permettre de régler toutes les questions litigieuses
et donner satisfaclion ù toutes les réclamations de l'Es-
pagne, pour pennettre d'exposer la question au Sultan ct
de bien la lui faire comprendre, ainsi que pour avoir le
temps de recevoir une réponse sur laqueIle on puisse se
régler avant d'agir, Et-Khatib demande prolongation du dé-
lai au delà du 15 octobre.
Belativement aux quatre réclamations de l'Espagne, lors-
qu'on sera d'accOl'd sur toutes les questions relatives au
territoire de Ceuta, on rédigera un traité, après rappol't
fait au Sultan, pOUl' que tout soit parfaitement réglé.

Signé: MOHAMMED EL-KUATll3.

IV

Le Ministl'e Mohammed au Consul :;élléral Blanco deI Valle.

5 Octobre 1859.

:Mohammecl El-Khatib déclare qu'il vient de reeevoir le


matin II1L\me une lettre du Sultan, en réponse aux réclarna-
T1~:TOUA1\ '119

tions de l'Espagne. Il avait envoyécommunication de celIes-


ci, sitôt après avoir été confirmé dans sa charge. Le Sul-
tan Ol'donne de les accueillir favorablement pour continuer
les relations avec l'Espagne sur le pied d'amitié. Il est
inadmissible que ces relations soient troublées par la faute
des tribus. El-Kltatib se félicite que l'assentiment du Sultan
aux propositions el réclamations de l'Espagne se soit
produi t avan t l'expiration des délais imposés par l'Espagne,
c'est-à-dire avant l'expiration du premier délai dont il
avait été question dans les leUres du mois de septembre,
ct, à plus forte raison, avant même le commencement du
délai nouveau dont mention est bite dans les lettres du
Consul général datées du commencement d'octobre. On
attend les troupes du Sultan, qui doivent venir pour éta-
blir son autorité dans l'A njera ct chûtier les tribus de
ces montagnes, car les troupes de Tanger sont insufIisantes
pour cela.
Signé: MOllA:lIMED EL-KlIATIB.

v
Le Consul fiénélYll fUanco del Valle Cllllfinistl'c
Jfohammed f?l-Khatib.

Tanger, le Cl Octobre 185g.

Le Consul général se félicite de voir le Sultan faire droit


aux justes réclamations de l'Espagne. Cependant, comme
il n'est faitnullepart allusion, dans les réponses d'EI-Khatib,
à la date à laquelle suivra l'exécution; comme EL-Khatib pa-
raît se méprendre, ou faire comme s'il ne savait rien à propos
des éclaircissements donnés dans la lettre du 3 octobre en ce
qui concerne la déclaration à faire par la cour marocaine,
que la Heine a le droit d'élever des retranchements, des ou-
vrages de fortification sur le territoire de Ceuta qui
420 ARCHIVES MAROCAINES

lui appartient; par suite, le Consul général se voit obligé


d'attirer l'attention d'EI-Khatib sur les points à propos des-
quel il est indispensable qu'il s'explique de façon par-
faitement claire et précise; et ce, pour éviter d'arriver au
15, jour de l'échéance finale du dernier délai, sans avoir
eu le temps de recevoir du Sultan l'autorisation d'agir en
la circonstance comme il le faut.
En tant que souveraine et maîtresse du district (lui se
trouve, en tous sens, compris à l'intérieur de la ligne limite
qui sépare le territoire espagnol du territoire marocain, la
reine d'Espagne a le droit incontestable d'élever sur ce
territoire tous travaux de fortification nécessaires ~l la sécu-
rité et à la protection de la ville de Ceuta. Pour donner à
cette importante question une solution définitive et précise,
il est indispensable de conclure un traité analogue à celui
qui a récemment été conclu au sujet de la ville de Melilla.
Pour cette dernière place, on a pu se contenter de fixer
comme limite la portée d'une pièce de 24 livres; mais le
terrain des alentours de Ceuta ne permet pas de s'en tenir
là. Ce que le Consul demande, ce n'est rien de nouveau;
que EI-Khatib se reporte au contenu de la lettre du Consul
datée du 5 septembre : au 3 e paragraphe de cette note se
trouve l'expression Sur le territoire de Ceuta; cela signi-
fie le territoire inclus dans la ligne frontière. Au quatrième
paragraphe il est question de mesures à prendre pour
éviter le retour des désordres analogues à ceux qui ont eu
lieu; l'une de ces mesures, c'est la conclusion d'un traité
dans lequel les droits de l'Espagne ct ceux du Maroc seront
très clairement définis. Cc traité est absolument indispen-
sable au maintien de là paix et des bonnes relations entre
les Marocains de l'Anjera et la place forte de Ceuta.
La lettre sc termine par ces mots: « Le temps a des
ailes. Il ne vous reste plus que d.ix jours. »

Signé : BLANCO DEL VALLE.


T~~TOUAN 421

VI

Le Ministre Mohammed El-Khatib au Consul général


Blanco del Valle.
Tanger, II octobre 1859.

EI-Khatib a reçu, la veille, une lettre du Sultan lui or-


donnant d'aceAder aux réclamations de l'Espagne ct de
régler tous les difi'érends avec cette nation conformément
aux désirs de son représentant. Les réponses du Sultan
relatives aux éclaircissements ct explications demandés
par le Consul général dans la lettre du 5 octobre ne sont
pas encore arrivés. On ne pouvait avoir une réponse à la
date de ce jour. Trop peu de temps s'est encore écoulé.
Mais, ayant reçu pleins pouvoirs du Sultan, EI-Khatib n'at-
tend pas la réponse de celui-ci ct fait savoir au Consul que
les réclamations présentées par lui dans ses lettres du 5
septembre ct du 5 octobre sont agréées; l'exécution suivra,
dès l'approbation du Sultan obtenue, de façon à conserver
la bonne entente entre les deux pays.

Signé: MOIIAj\I:\IED EL-KuATIll.

VII

Le Consul général Blanco del Valle au Ministre


Mohammed El-Khatib.
Tanger, 13 octobre 1859.

Félicitations à El-Khatib pour les pleins pouvoirs qui lui


ont été conférés et qui lui permettent de régler à l'amiable
une question si désagréable ct depuis si longtemps pen-
dante.
.1,22 ARCHIVES l\IAIWCAINr~S

Mais le ministre Mohammed El-Khatib fait allusion seu-


lement, en communiquant la réponse du SuLtan, à la note
du Consul du 5 septembre et à la le Ure du 5 octobre, en
passant sous silence la note du 3 courant; or, dans celle-ci
sc trouve clairement expli(lUé le désir de la reine d'Espa-
gne au sujet de l'extension du territoire de Ceuta, auquel
doit être annexée la ligne de hauteurs voisines, suivant ce
qui a été exposé dans les précédentes communications; ce
territoire doit s'étendre assez loin pour atteindre ces hau-
teurs, car elles sont nécessaires pour assurer la protection
de la ville.
Le Consul espère recevoir le jour même, une réponse
très claire; EI-Khatib a le devoir de le J(1ire ct lui-même a
le droit de l'attendre après les assurances données, dans la
lettre de la veille, par EI-Khatib.
Si la réponse est déJavorable, le Consul sc verra obligé,
à contre-cœur, d'abandonner le pays avec tous les sujets
espagnols,
Signé: BLANCO DEL VALLE.

VIII

Lellinisll'e Mo/wlIInwd El-A"/wlih Wl Consul :/énùal


FJ{aneo dei Valle,
Tanger, [J He}'i" Lauel [:1'jG 1:' octoiJre [8;)0_

Accusé de récqJtion de la leUre du Consul dn 13 octo-


bre, avec remerciements pour les [ëlicitations qu'ellc com-
portait au sujet des pleins pouvoirs conférés à EI-Khalih ;
note a été prise de la remarque y incluse relalivement au
contenu de la nole antérieure du Consul datée du 3 octo-
bre, l'estée sans réponse,
El-Khatib était persuadé que les hauteurs dOllt il s'a!);'
étaient comprises à l'intérieur des limites du Campo et
de la zone de pâture alreetée aux troupeaux de la ville, car
'123

dans la lettre du Consul datée du 5 octobre, il est question


du droit de l'Espagne d'élever des ou vrnges de fortification,
comme elle l'entendrait, dans l'étendue des limites du ter-
ritoire de Ceuta; cela, ainsi que l'opinion de personnes
connaissant la contrée, avait fait croire à EI-Khatib qu'il
s'agissait de hauteurs in térieures à la ligne de fortifica-
tion. S'il en est autrement, le Consul est prié d'indiquer
clairement qu'il demande l'élargissement du territoire et
l'extension des limites jusqu'aux hauteurs nécessaires pour
l'établissement des fortifications de la place, car la cour
du Maroc désire éviter tout ce qui serait de nature à ternir
la bonne intelligence entre les deux nations.

Sif/né : MOlIA.mmD EL-KHATlB.

IX

Le Consul général Blanco del Valle au Ministre


Mohammed El-Khatib.

Tanger, di oeLobre 18;)() 1.

La note d'El-Khatib, datée du lB, Cl aplani les difficultés

1. La veille était arrivée une communication de lord John H.ussell


à lord Bucha\~an don t voici la traduction (cf. Baudoz ct Osiris,
p. :).)!)) :

Lord John RI/ssclf ri lord BIlI;/WI/Il/I.

Foreign OllicC', \;) ocioLre [.');)!).


Monsienr, le gouvernement de S. NI. a pris connaissance de la note
qui vous a été adressée le G oelobre par M. Collantes, dont unc copie
était contenue dans votre dépêche du jour suivant, Cil réponse à la
demande d'explications que ma dépêche du 22 septembre vous prescri-
vait d'adresser touchant les intentions du gouvernement espagnol,
dans le cas de l'occupation de Tanger parles forces espagnoles.
Vous avez été invité à demander au gouvernement espagnol une
q,24 ARCHIVES MAROCAINES

relatives aux satisfactions demandées à propos de l'offense


faite au drapeau espagnol dans le voisinage de Ceuta. Le

déclaration par écrit que, dans le cas où, pendant les hostilités, les
troupes espagnoles occuperaient Tanger, cette occupation serait tem-
poraire et ne sc prolongerait pas après la ratification d'un traité de
paix entre l'Espagne et le Maroc. et, dans votre note adressée il
:M. Collantes le 27 septembre, vous dites clue ce serait une satisfaction
pour le gouvernement de Sa Majesté d'apprendre que les pn"paratifs
militaires du gouvernement espagnol n'annoncent aucune intention
de sa part de faire des conquêtes au Maroc, ou d'occuper d'une
manière permanente aucune partie du territoire du Sultan.
M. Collantes, dans sa réponse du G octobre, donne l'assurance que,
quand une fois le traité de paix qui doit mettre lin aux hostilités
entre l'Espagne et le Maroc aura été ratilié, les cluestions maintenant
existantes étant réglées favorablement, et par conséquent d'une ma-
nière déGnitive, le gouvernement espagnol, accomplissant ses inten-
tions, ne continuera pas d'occuper celle forteresse (Tanger), en suppo-
sant qu'il se soit vu obligé de s'y établir aGn d'assurer l'issue
favorable de ses opérations.
Vous pouver. assurer il M. Collantes que le gouvernement de Sa
Majesté accepte avec plaisir celle assurance comme contenant la dé-
claration (lue, par ma dépêche du 22 septembre, vous aviez été invité
à demander.
Vous annoncerez en outre à Son Excellence que le gouvernement
de Sa Majesté désire ardemment qu'il n'y ait aucun changement de
possession sur la côte mauresque du détroit. L'importance qu'il
aUache il cet objet ne peut être trop estimée, et il lui serait impossible,
et il toute autre puissance maritime, de voir avec indiLI'érencc l'occu-
pation permanente par l'Espagne d'une pareille position sur cette
côte, position qui lui permellrait d'empêcher le passage du détroit il
des navires fréquentant la Méditerranée pour des opérations commer-
ciales ou autres.
Vous donnerez lecture de celte dépêche il M. Collantes, et vous en
remettrez copie il Son Excellence.
Je suis, etc.
Signé: J. RUSSELL.

Réponse de lord Buchanan à lord John Russel/.

Madrid, 2l, octobre 1859'


Au sujet des télégrammes de Votre Seigneurie des 19 et 20 du cou-
Tf~TOUAN 425

gouvernement de la Reine invite son chargé de pouvoirs à


faire connaître à El-Khatib que l'exécution des satisfactions

rant, relativement il la prétendue intention de l'Espagne d'obtenir


des Marocains une cession de plusieurs milles dc territoire sur la côte
du d(;troit de GibralLar, j'ai l'honnenr ùe vous adresser copie d'une
note (lue j'ai fait passer, k 2 r, il 11. Calderon Collantes, pour expri-
mer les objections que Je gouvernement de la Beine opposerait il l'oc-
cupation par l'l':spagne de la côte occidentale de Ceuta.
Je priai Son Exccllencc de d(\signer les points de la côte qui seraient
compris dans le rayon de la forLeresse, si les intentions du gouverne-
ment de S. M. C. sont mises il exécution. J'ai aussi l'honneur de
vous transmettre la copie ct la traduction d'une réponse que j'ai reçue
de Son Excellence, dans laquelle eIJe déclara distinctement que le
gouvernelnent de Sa 1lajesté Catholique n'est dans l'intention d'oc-
cuper aucun point sur laùite côte de nature 11 ùonner il l'Espagne
une supériorité qui serait dangereuse pour la navigation du dé-
troit.
Signé.' A'IDItEW BUCIIAMN.

1re pièce comprise dans l'envoi de lord Bllchanan et lord '/ohn Ullssell. -
Lord Bnr:/wnan et M. Calderon Col/anles.

Madrid, 2 r octobre r85g.


Monsieur, le gouvernement de la Reine, ma souveraine, a lieu de
croire, d'après le rapport du chargé d'affaires de Sa Majesté il Tanger,
et d'après les récentes déclarations du gouvernement de Sa Majesté
Catholique aux Cortès, que Sa Majesté Catholique va déclarer la
guerre au Sultan du Maroc parce que le gouvernement marocain a
rerusé d'acquiescer à la demande faite par le gouvernement espagnol
de la cession il l'Espagne de certain territoire sis entre la forteresse de
Ceuta ct les lignes des montagnes, ou Sierra de BuIJones.
D'après mes communications verbales il Votre Excellence à cc
sujet, vous savez déjll que le gouvernement de la Reine, ma souve-
raine, craint que la cession 11 l'Espagne du territoire en question ne
puisse pas avoir lieu sans compromettre sérieusement la liberté de la
navigation du détroit de Gil)ra1tar: il est, en conséquence, de mon
devoir, en exécution des instructions reçues du principal secrétaire
d'État des Affaires étrangères du gouvernement de S. M., de m'infor-
mer jusqu'il quel point le gouvernement de S. M. Catholiclue prétend
que le rayon de la rorteresse de Ceuta soit étendu, ct surtout de de-
AllCIllVES ~IAHOC\lN~~S

accordées doit avoir lieu sans aucun retard sous la forme


suivante:
1" Le commandant des troupes marocaines, pacha ou
gouverneur de la province, ira lui-même rétablir les armes

mander il Votre Excellence de vouloir bien dl;nommer Il's points sur


la cote, qni, en cas d'exécution des vues du gouvernement de S. :\1.
Catholique, seraient compris daus le territoire espagnol.
En adressant ces questions il Votre ExcdlenCC', j'ose prier Votre
Excellence de faire qne je reç'oive ces réponses il la plus prompte con-
venance de Votre Excellence.
Je protite, etc.
Signé: ANDREW BCCIIANA!X.

';2C pièce comprise dalls l'ellvoi de lord Buchanan il lord John Russel/.
Ji. Calderon Col/ailles il M. Buchanan.

Palais, :1 [ octobre 1859.


Monsieur, j'ai reçu la note que vous avez cu la bonté de m'adresser
en date de ce jour et je me suis pénétré de son contenu avec une
attention toute spéciale, Dans l'état actuel de la question marocaine,
par suite de l'inconcevable l'ésistancc du gouvernement du Sultan à
souscrire aux justes demandes cie l'Espagne, il est très ditlicile, pour
ne pas dire impossible, au cabinet de Madrid, de déterminel', même
approximativement, la nature des garanties qu'il pent se troll ver dans
la nécessité de demander, aGn d'assurer les résultats des hostilités qui
sont ILIa veille de s'ouvrir.
Vous ne pouvez pas ne pas savoir, et votre gOUlernement éclairé
ne saurai 1, ignorer, quc, lorsque deu x gouvcrnemen ts en appellen 1, il
la force des armes pOIll' le règlelIwnt de leurs dilI'érends, après la
rupture de relations diplomatiques suivies sans eJl'el, les anciennes
propositions sont déclarl;es nulles et uon a,enues, el les deux parti('s
se réservent le droit de les renouvc1er ou d'en présenter d'autres d'lI[Je
nature différente, snivant que cela peut convenir il leurs intérôts et
répondre aux résullats des opérations militaires.
Néanmoins, le gouvernement de la Heine, ma sonveraine, qui a
donné tant et de si frappantes premes de son esprit conciliant et droit
dans les divers incidents qui ont surgi de la question marocaine, ne
modifiera pas les intentions qu'il a eues, dl's le début, de n'occuper
aucun point sur les détroits dont la position serait de nature à donner
T~:TOlL\X 1·27

d'Espagne II leur premier emplacement, où elles ont été


l'ohjet de l'outrage des brigands de l'Anjera , ct il les fera
saluer par les troupes.
2" En présence de la garnison de Ceuta, les troupes ma-
rocaines infligeront aux principaux auteurs du crime la
peine la plus séVl~re (il s'agissait de la peine capitale).
3" Le gOllvernemen t du Maroc désignera deux ingé-
nieurs, et le gouvernement d'Espagne deux autres, (lui, là
où il est nécessaire, indi([uel'Ont le tracé de la nouvelle
frontière, en prenant pour base la Sierra BullaI/es (en arabe,
Bel Yaunech).
Le gouvernement d'Espagne eonsidérera ([ue les récla-
mations qu'il a présentées, comme c'était son droit évident
de le faire, et que El-Khatib a accueillies favorablement en
principe au nom du Sultan, ont reçu pleine satisfaction
dans le cas seulement où toutes les mesures indiquées ci-
dessus auront été prises sans le moindre délai.
Les préparatifs seront entrepris immédiatement; assu-
rance est donnée à EI-Khatib que le moindre retard de sa
part marquera la rupture des négociations et le commen-
cement des hostilités.
Le gouvernement de la Heine espère que le Sultan ne
donnera pas occasion à ce fâcheux événement qui pourrait
entraîner les suites les plus regrettables. La réponse de

à l'Espagne une supériorité dangereuse pour la navigation. A cet


égard, ses idées ont toujours été si désintéressées ct si loyales qu'il ne
saurait croire qu'aucun doute puisse exister à leur sujeL
lI\éalll1loins le gouvernement de la Heine, au nom de qui je vous ai
donné, il diverses reprises, les explications néccssaires pour dissiper
toute espi'cc de doute, si par hasard il en avait été conçu à l'égard de
ses intentions, ne vent pas négliger l'assurance ci-dessus, étant certain
que le gouvernement de S. M. Britannique, en la demandant, n'a pas
d'autre objet que de garaulir la sltrclé des inlérôts de l'Anglelerre, ct
non, en aucune manière, d'intervenir dans la lutte qui va s'engager
entre deux nations indépendantes.
Je profite, elc.
q,28 ARCHIVES ~[AnOCAINES

EI-Khatib est attendue; mais il doit être persuadé que la


plus petite marque d'opiniâtreté à l'encontre des justes
réclamations de l'Espagne ne saurait être admise.
Dans l'extrémité où en sont venues les choses, il ne reste
plus à EI-Khatib qU'll choisir entre une satist1ction pleine et
entière en même temps qu'immédiate à donner aux récla-
mations de l'Espagne, d'une part, et la guerre de l'autre;
qu'il choisisse!
Sir/né: BLANCO DEL VALJ~E.

x
Le Ministre Mohammed El-IOwtib au Consul général Blanco
deI Valle.
Tanger, J 7 oelobre 18;)9·

Accusé réception de la lettre de la veille 16 octobre.


El-Khatih est très surpris de voir que son contenu n'est pas
d'accord avec cclui des lettres ct notes antérieurement
échangées. Le .Maroe s'était efforcé d'aplanir les difficultés
en acceptant de satisfaire aux réclamations exposées dans
les lettres du Consul du 5 septembre et du 5 octobre, et,
par leUre du 15 Bahî' l (I3 octobre), EI-Khalib avait con-
senti à l'occupation par l'Espagne des hauteurs néces-
saires à la fortification ct à la sécurité de la ville sans plus
d'intention secondaire.
Verbalement, le Consul général avait dit à El-Khatib qu'il
était convaincu que les hauteurs dont il s'agissait étaient
situées à l'intérieur des limites. El-Khatib ignore cc que le
Consul appelle Sierra Bullones. S'il s'agit, d'après les expli-
cations qu'il a pu recueillir, d'un endroi t situé à trois heures
de Ceuta, alors il n'a pas le pouvoir de faire de semblables
concessions. Une demande de ceLLe nature doit être adressée
au sultan; celui-ci sc trouvant actuellement à Mekines, il
TJ~TOUAN

faut accorùer le temps nécessaire pour l'en informer et pour


que sa réponse revienne. El-Khatih est surpris Je voir en
quels termes le Consul lui a écrit, surtout après la façon
amicale Jont lui-même avait agi, accueillant favorablement
réclamation sur réclamation, Jans le seul but de lui être
agréable.-Si l'Espagne déclare la guerre,comme le Consul en
a exprimé le dessein, parce (lue lui, EI-Khalib, n'a pas adhéré
à ce qu'il n'a pas le pouvoir d'accorder au nom du Sultan,
il proteste contre les conséquences qui peuvent en advenir.
- El-Khatib persiste dans les engagements auxquels il a
consenti; ceci veut dire (lu' on remplira les engagements
pris relativement aux réclamations Je l'Espagne dans les
termes où il les a exposés dans ses lettres, mais non en les
interprétant comme vouùrait le faire le Consul, car El-
Khatib n'a pas le pouvoir d'accorder semblable concession.

Signé: MOHA'\11\1ED EL-KHATIB.

XI

Le Consul général Blanco dei Valle au Ministre


Mohammed El-J(/wlib.

"'anger, 24 octobre rS5g.

Le contenu de la leUre adressée par EI-Khatib au Consul


a plongé celui-ci dans un profond étonnemcnt. Non moins
grande sera l'impression de surprise qu'elle produira sur
le gouvernement de la Heine. EI-Khatih doit en être con-
vaincu, car il connaît les cIforts faits en faveur de la paix
par l'Espagne, entraînée dans cette question par les sen-
timents d'équité et de sincérité qui l'animaient; or, cette
paix est maintenant mise en question pal' suite du refus du
Maroc d'accéder aux justes réclamations de l'Espagne .
.Je veux vous remettre en mémoire, dit le consul, le
'1·:10

cOllrs historique de l'événement, pour vous persuader que


vous ct votre gouvernement seuls êtes responsables des
suites que VOliS exposez il la fin dl' votre dernière leUre. La
gal'l1ison espagnole de Ceuta a été, à l'improviste et contre
tout droit, l'objet d'un(~ attaque des Marocains de l'Anjel'a :
ceUe garnison a, de façon parfaitetncnt légitime, l't'poussé
l'attaque. Le gOllveJ'ncment espagnol, agissant conl'ornl<'-
rnellt il son devoir, réclama d'abord une satislueLion pour
la bt'lltale agression, le cbttl.inwnt des coupables, plus des
mesures de gar<llItie pour l"avenir. C'est cc que je vous
demandais dans Ina note du ;) septembre. Quelle fut voLre
réponseil Une vague ]JrOlnesse qu'il serait fuit cc qui aail
de droit, ct une demanl\e de prolotlgatioll du délai que je
vous avais fixé pour obtenir les satisülctions demandées,
biell qlle, pendant ce Lemps, les faits inerimillés sc repro-
duisissent sans diseolltililler jusqu'au moment olt la gar-
nison fut ren!cH'eée ct assez l'orLe pour agir contre les agres-
seurs. La prolongation du délai fut acconlée pal' ma géru'-
l'cuse souveraine, sans que vous, ni votre gouvernement,
prissiez l'engagement d'accorder toute voire attention il
l'exécution de cc que nous réclamions. De la sorte, mon
gouvel'llement a promé que l'intention qui l'animait n'était
pas de rompre la paix; car si telle eL'tt été son intention,
il n'aurait pas laissé perdre l'occasion favorable (lui se pré-
sentait d'elle-mênle par suite de la situation particulière
où se trouvait alors votre pays 1. Vous avez demandé, sur
ces entrefaites, lin nouveau délai (lui \ ous fut accord6 encore
pour expirer le 15 du mois co man L
Dans votre noIe' du 5 du même Inois, YOUS m'expliquiez
que voIre sOllyerain vous avait donné tous pouvoirs néces-
saires pour accueillir mes réclamations: lnais dans cetll'
communication, vous vous mon trez aussi vague que dans
yolre précédenle réponse. Ni dans l'une ni dans l'autre' de

1. C'est-à-dire l'intcrri~;;nc qui sc produisit alors.


TkroUAN

ccs deux IcUrcs, vous JI'cxprimez clairemcnt cc quc vous


pourriez faire pour la mise li exécution de ce que vous pro-
posez. Vos expressions obscures ct sans précision motivent
ma note du même jour, 5 octobre, et la dernière, à laquelle
(relativement à la cession du territoire demandé) vous ré-
pondez: « Nous consentons à cc quc lcs limites dc Ccuta
soient portées jusqu'aux hauteurs qui sont convenahles
pOlir établir au mieux la sécurité et la tranquillité de la
ville. »
Une proposition aussi précise, relatin~ment au seul point
qui n'était pas encore élucidé, fit naiLrc en moi le ferme
espoir que le litige qui était en suspens pouvait encore
avoir une heureuse terminaison. .J' Y corn ptais d'autant
plus que je vous avais exposé le caractère légitime des
réclamations du gouvcrnement que je représente. Mais
tout cela devait avoir pour cOrl'oboration des faits; aussi
vous exposai-je ce que devaient être ces faits, pour empê-
cher qu'un malentendu quelconque ne vînt renclre impos-
sible le maintien de la paix désirée par nous tous. Jc vous
exposai la forme en laquellc les satisfactions demandécs
devaient recevoir cxécution dc volxc part, lc mocle de puni-
tion qui, vous le reconnaissiez, devait être inlligé aux cou-
pables; je vous indiquai les hauteurs que nous tenions
pour convenables à la sécurité de la ville, et que vous aviez
promis de nous céder à cette fin, d'une façon non équi-
voque; j'ajoutai en même temps que l'établissement de la
nouvelle limite se ferait par désignation concomitante de
la part d'ingénieurs espagnols ct marocains. A cette réqui-
sition, suite naturelle des réclamations qui avaient été
précédemment faites, et avec lesquelles était connexe,
également, la prolongation du délai bénévolement accordé
pour l'exécution des satisfactions réclamées (nouvelle
preuve de nos bons desseins), vous répondez en repre-
nant cc que vous avez précédemment accordé. Vous déna-
naturez l'esprit et l'expression de ma note et vous contre-
~:12 ARCHIVES ~IAROCAINES

venez à cc que vous m'avez dit dans une discussion offi-


cielle, relativement âce sujet: à savoir que votre souverain
vous a donné pleins pouvoirs de régler les questions pen-
dantes entre Espagnols et Marocains. De quel côté se sont
trouvées, dans cette occasion, la noblesse de cœur, l'équité,
la franchise;l Trois fois je vous ai donné le temps ct l'occa-
sion d' accuelllir mes récLanlUtions: comme je l'expliquais, le
dernier délai ne pouvait plus être prolongé; mais il avait été
étendu de façon sufIisan te pour vous permettee de recevoir
les instructions nécessaires SUL' la façon, qui devait être
suffisamment précisée, de sanctionner nos réclamations.
Vous m'avez, une fois seulement, fait des promesses pré-
cises; mais, comme, sernble-t-il, vous regrettiez de l'avoir
fait, et comme vous connaissiez bien le noble caractère
de la nation espagnole, vous continuez à lü berner, met-
tant en avan t les plus inexcusables faux-fuyants, quoi-
que nous eussions agi avec tant de noblesse d'âme.
Après que vous eussiez consenti â nous accorder des
satisfactions, en principe, nous avons conféré sur leur
mode d'exécution et SUl' le temps où cette exécution aurait
lieu; mais, encore SUl' ces points importants, après avoir
fait des promesses, vous prenez texte, pour ne rien pré-
ciser, d'explications verbales qui n'ont jamais été données,
ct qui ne pouvaient l'être, n'étant conformes ni à mes
lettres ni à mes instructions. Puis vous assurez, d'après cc
que vous mettez en <lvant, que vous n'avez aucun pou-
voir accordé émanant de votre souverain pour régler raf·
faire vous-même, alOl's que vous m'aviez afIirrn(i le con-
traire. Vous le voyez, ma souveraine a donné une irréfu-
table preuve de son légitime désir de la paix; mais, comme
elle est convaincue que vos procédés ne correspondent pas
à sa loyauté et que vous cherchez seulement à éluder de
façon artificieuse l'exécution des concessions qui, après les
propositions faites, eût dtl avoir d(jà lieu, il ne lui reste
plus qu'à recourir à la décision des arInes COllnne manlère
T~;TOUAN

finale de régler les questions pendantes: soutellue par son


droit, elle est pleinement confiante dans l'assistance de
Dieu.
Si,qné: BLANCO DEL VALLE.

XII

Lelire du Ministre Mohammed El-Khatib au Consul général


Blanco del Valle.
24 octobre 11)C)g.

Accusé de réception de la leUre du Consul du même jour.


El-Klwtib regrette que le Consul ait cru qu'il ne voulait pas
tenir les promesses qu'il avait faites, alors qu 'au contraire
il était de bonne foi et désireux de conserver la paix, tout
aussi bien que les membres du gouvernement espagnol.
Quant aux accusations émises par le Consul, accusant
El-Khatib de n'avoir pas exécuté ses promesses, El-Khatib
pourrait s'en laver; il lui suffit de rappeler que, dans la
correspondance comme dan s la conservation, beaucoup
d'expressions ont été employées d'où sont nées, de part
et d'autre, des méprises. Son intention n'est pas cepen-
dant d'accroître la tnésinteUigenee en entamant une dis-
cussion au sujet des reproches qui lui sont faits. La
correspondance échangée est le document justiGcatif au-
quel il a recours; et, comme il espère encore pouvoir
faire intervenir un arrangement tl Lliniable, il laissera
de côté tout dissentiment relatif à la culpabilité de celui-ci
ou de celui-là. Mais, ell même temps, il doit faire une
remarque au sujet de l'assertion du Consul relative aux
regreLLables procédés des Anjera. Il concède que cette peu-
plade sauvage a commis ulle grave offense en tmnsgres-
sant les limites bien eonllues du tenitoire espagnol, et en
sc li\Tant à des actes d'inimitié contre la garnison de
ARCH. MAROC. 28
;\ HUIlI ms ~J;\ HOGAINES

Ceula. Cependant, si l"ofl'ense est l'estée sans Nre punie,


quand cela venait de se produire, et cc si malheureuse-
ment, contre la volonté du gouvernement marocain, c'est
llue c'était le mornent de la mort du sultani\IouIay 'Abll
Er-Hahman; le n011\eau sultan, Moula)' i\lolwmmed, n'était
pas encore proclamé. Dès llu'il le fuI. EL-Khatib reçut la
lettre du COll sul ; celle-ci répolHlait il sa propre note du
I l octobre, Ilote dans 1;1(luelle il priait le Con8Lll de lui
marquer quel était son désir relativement ü la punition des
coupables; ct, en cela, il agissait conformément tl la Ilote
du CO/l5ul du G oclobre. Cepend'lIIt, comme dans sa leltre
du 1 fi oelol)I"(~, le Consul général demandait pour les cou-
paLles la peine de mort, EI-l\lwtib fit rellwrquer que seul
le Sultan avait pouvoir sur la vic de ses sujets.
En exprimant son adhésion ü la Ilote du Consul datée
du G septembre, EI-I\lwtiL était convaincu qu'il s'agissait
seulement d'un clt"\liment rigoureux et exelllplaiL'C.
Helativemcnt aux limites, il persévérait dans ce qu'il
avait accordé; c'est-ü-dire que des ingénieurs marocains ct
espagnols de\aient désigner les hauteurs néGl'ssaires il la
protection de la ville. Dans sa lettre antérieure, datée du
[7 du Illois, il s'<d1'orçait de l'établir, cn mt'me temps qu'il
ajoutailile pouvoir céder aucun poillt en particulicr,jusqu'11
cc I]lIn les ingénieurs aient décidé, cm' il ne connaît ni la
coniiguration ni les noms de la région dont les Espagnols
demandent la cession. Du reste, cela dépend de cc que le
Sultan statuera sur celte question.
Il (~st toujours pn\t tl charger des ingénieurs du tnnail
en Il ucstion, ainsi q ne d 'agi tel' tou les les questions que
"oue/rait déhaUre le Consul, avce le désir d'Mrc utile all
maiutien de la paix entre les deux nations. Pour donner
une nOI1\'elle preuve de son désir d'entretenir' la paix avec
l'Espagne, il proposc cc qui suit: Dans le cas, rcgrettable,
où l<'s ingénieurs ne s'cntendraient pas clans J'établisse-
ment du tracé des limites, chacune Iles deux parties en cause
T]~:TOUA:\'

désignera un arbitre impartial don t il agréera la décision.


-- Cette proposition a simplement pOlir Lut de convaincre
le Consul (lU'il désire résoudre les qnestions pendantes sans
recourir à la décision des armes.
Comme le Consul s'est déj,\ retiré ~l Lord d'un kitilllent
de guerre, pour lui faciLiter l'interprétation de sa letll'c,
EI-Khatib emit bon d'y ajouter une traduction.

Cette lettre est post(irieure à la déclaration de guerre, tlui


avait eu lieu à Madri(l le ~>,~>, du mois d'octobre, eomme
nous l'avons YU.
Elle était donc, de toutes fa\'ons, destinée à resLer salls
effet, ct El-Khatib s'y prenait un peu tard pOUl' faire des pro-
positions qu'il eût certainement pu prcisf'rtler beaucoup
plus tôt.

Toute la correspondance tlue nons avons résmnée dans


les lignes précéclenLes d'aprl~s Schlagintweit l , a dé repro-
duite par lui d'après le G i/mûlal' C/il'Ol/ ide, jOl1l'nal où
elle fÎgure dans les numéros dellovclnln'eet décembre 1859.
Cc journal en avait reçu copic de Si Molwm/llcrllr,'l-hlwlil,
lui-mc\me: ct ce fait est d'autant plus intéressant à noter
que le Oi/mûlal' Clu'oniele était l'organe ofliciel du gouver-
nement anglais dans la placeoù il paraissait, eL qu'il publiait
les ordonnances du gouverneur. L'intention d'EI-Klwtib,
en permettant à cetle feuille de publier la conespondance
diplomatique échangée par lui avec lc consul d'Espagne,
était donc bien de lui donner un grand retentisserncnt;
il cherchait en queltjue sorle, en même Lemps, une espèce
tic consécration, au moins ofiicieusc, de ses rnanières
d'agir et paraissait demander 1'approbalion de l'E1ll'ope.

1. Op. cil.', p. IGj el q. Sl'q.


43fi ARCHIVES MAROCAINES

En envoyant copie de celte correspondance, El-Khatib


ajoutait, d'ailleurs, qu'il pensait que l'opinion européenne
serait pour le Sultan, dont il jugeait le bon droit établi 1.
On reconnaîtrait, d'après lui, le profond désir qu'avait eu
le Sultan de maintenir la paix; et l'on conviendrait que
son gouvernement s'était conformé à ses devoirs, à ses obli-
galions, dans une question où l'Espagne n'avait aucun
droit ~I revendiquer.
Le désir d'El-Klwtib de se ménager l'opinion en Europe
était encore plus évidemment indiqué par le fait qu'il
adressa, de même, eopie de toute la correspondance diplo-
matique aux consuls des diverses puissances résidant à
Tanger. Schlagintweit fait ressortir à ce propos qu'on était
loin de s'attendre à cette attitude un peu servile de sa part,
d'autant qu'il se donnait dans la correspondance en ques-
tion le titre de « Son Excellence le Ministre des Affaires
étrangères. » Et il ajoute que, pour lui, à voir le style de
tous ces documents, on comprend de suite qu'ils étaient
destinés à subir l'examen de la critique européenne, avec
le désir évident de se la concilier. Enfin, Schlagintweit
exprime encore la conviction que, pendant toute la période
des négociations, l'Angleterre montra le désir le plus net
d'empêcher la guerre d'éclaler; son influence fut peut-
être, par suite, pour quelque chose, dans la rédaction des
lettres d'EI-Khatib; sans eUe, celui-ci se serait peut-ôlre
laissé aller plus nettement, dès le début, à refuser toute
espèce de concession, car on le dépeint comme ayant été
l'un des hommes les plus fanatiques et les plus intransi-
geants de son temps et de son pays. .
MM. Baudoz et Osiris ont aussi reproduit, mais en par-
tie seulement, la correspondance échangée enlre les repré-
sentanls de l'Espagne et du Maroc ~I propos de l'incident
de Ceuta.

1. Ibid.
TÉTOUAN

§ 2. - Adresse du Maroc à l'Europe 1.

En même temps que copie de la correspondance éclwn-


gée, EI-Khalib adressait aux membres du corps consulaire
européen h Tanger une leUre d'avis qui peut sc résumer
ainsi: EI-Khatib an nonce l'envoi des pièces échangécs depuis
le début de l'ouverture de la correspondance, au sujet de
l'incident de Ceuta, entre le gouvernement espagnol ct le
gouvernement marocain. Ces documents permettront aux
représentants des puissances européennes de reconnaître
si le Sultan sc montra partisan de la paix ct conciliant,
ou si, au contraire, les Espagnols n'ont pas, dès le premier
moment, fait paraître le désir de voir éclater la guerre.
L'incident de Ceuta s'est produit, d'ailleurs, salis et même
contre la volonté du gouvernement marocain.
Deplus, au moment où la tribu d'Anjera venait de com-
mettre la faute, le sultan Moulay Abd Er-Hahman mourut,
ct le ministre ne pouvait plus faire de démarches, essayer
de régler l'incident-jusqu'à cc que le nouveau sultan, Mou-
lay Mohammed, fût monté sur le trône ct ei'ü confirmé
EI-Khatib dans sa charge. Suit mention des délais accordés
par le gouvernement espagnol jusqu'au fi, puis jusqu'au
15 octobre. Cependant, dès sa confirmation dans ses fonc-
tions, El-Khatib a fait tout ce qui était en son pouvoir pour
empêcher les Anjera de commettre de nouveaux désordres.
Dans la première lettre du plénipotentiaire espagnol, on
remarquera qu'il réclame le droit d' éle ver des construc-
tions qui sont nécessaires dans le campo de Ceuta. 11 est
fait mention de cc campo, dont parle ici le plénipotentiaire,
et de la zone de pâture dans les traités antérieurs, y com-
pris celui de 1845. Le sultan, grùce à ses intentions ami-

r. SchlaginLwcit, op. cil., p. rGa cL q. scq.


.\ I\ClIlVES ~L\I\OCA INES

cales, dédal'il ilccéder tl cette réclamiltion, pourvu que les


constl'llelions s'6kvassent tl l'int6rieur de la ligne du
camp. Cette disposition date du 5 octohre, expiration du
prclnicr d61ai,
Sur CP, le pl(~nip()leutiail'e d'Espagne aVilnçil une se-
conde lùJamation, disant avoir besoin (['élevcr des forti-
ficatiolls sur la zonc que le Maroc avait concédée tl l'Espa-
gnc en 18/16 cOlume tOI'l'ain de pùtUl'l', Celte demande
allait tl l'encontre des concessions précr'demmcnt faitcs.
Dans un hut de conciliation, il fut fait bon accueil à celtc
delnande dans une note du JI octohre.
Le 13 octobre, le plénipotentiaire d'Espagne écrit qu'il
réclame les hauteurs qui sont utiles à la cléfi;J]se de
Ceula, Or dans :"l lettre du 5 octobre, il déclarait à deux
reprises avoir le désir d'élevcr des fortifications sculenH'nt
tl l'intéricur des limiLes du tcrritoire.
~onohstant, passant sur ces üliLs, EI-KhaLib, sans vouloir
chcrchcl' mônlC silc consul général cl' Espagne avait tort
ou raison, a accédé à sa demande, persuadlS (luc cc qu'il
dcmandait était nécessaire à la fortification de la ville. cl
aussi, d'apI'ès explicaLions verbales, que les hauteurs en
question étaient reliées éLroitement tl CeuLa ct n'en étaient
que très peu (i1oignées. Le consul génlSral sc retira satisfait.
Le 1 G au soir, il revint trouver El-KhaLib, Lili (lemandant
cession d'une portion de terri Loi l'e étendue, commençan t à
la vallée du J~jelJcl !lloliSa (explication du vice-consul) ct
comprenan t l(·s terrai Il s con tigus jUS(pdl la ville. El-Kha tih
lui répondiL (lu'il n'avait pas pomoir de lui accorder satis-
faction sur cc point, i'lans, auparavanL, en référer au Sultan.
SUI' quoi le consul lui déclara la guerre. EI-Khatib est trèi'l
surpris d'apprendre que les jou maux, Cil s' occupan t de l'a!:'"
!:lire, mention nell L que les Anjera i'le sont rcndus coupables
C()J]sLamLlIent d'agrei'lsions envers les habitants de CeuLa,
alors que, depuis 15 ailS, il n'y a eu, d'un côté comme de
l'autre, aucune yiolence exercée, jusc!u'au jour où le gou-
Tf:TOUAN

verne ur de la ville a commencé d'élever des constructions


en un lieu où il n'y en avait pas autrefois. 11 demande aux
représentants des gouvcrnements de donner à ceux-ci un
compte rendu suffisant de ce qui s'est passé. Ils ont
assez d'expérience des choses et connaissent assez bien les
habitants des villes du Nord du Maroc, pour savoir ([ue
ceux-ci ne demandent qu'à demeurer en bonnes relations
avec toutes les nations. A la mort du ddunt sultan. alors
I]Ue sc produisaient quelques désordres, aucun Européen
ne fut l'objet d'aucunc molestation de la part de qui ljue
cc soit. A Mazagan, des Musulmans cOIn battirent pour dé-
fendre les biens des Européens contre les indigènes soule-
vés. EI-Khatih désirc que les commis instruisent de t011l
cela leurs gouvernements, les priant de ne point accorder
confiance aux dires de ceux qui n'ont du pays aucune con-
naissance ou qui nourrissent des sentiments injustes (1
l't:gard de ses habitants.
Le désir de la cOllr marocaine est Ile consener de bonnes
relations avec les gouvernements européens; toutc1ois cHe
proteste à nouveau contre l'injuste entreprise des Espagnols
dans ces conjonctures, cal' ils ne s'en sont tenus ni à ce
qu'ils réclamaient d'abord, ni 11 ce qu'ils promettaient.
La lettre se termine par une invocation au tlimoignage
ct tl la puissance de Dieu, aux sentiments « d'humanité, de
justice du lllcHlde entier, etc. ») ••• phrases uu pell théùtrales
et destinées évidemmen t li la galerie.
La signature est de Si Mohammed EI-Kllatib ct la date du
27 Babr 1 1276 = 2;) octobre 1850.

De son côté, pourjustifieL' la déclaration de la guerre, le

1. Op. cil., p. I!)8 ct q. scq. --- Baudoz et Osiris, op. cil., p. :)J,).
ARCHIVES MAROCAINES

gouvernement espagnol adressa à ses représentants auprès


des diiTérentes puissances européennes un document repro-
duit in c,Tienso par Schlagintweit ct dont nous donnons ici
une analyse.
Les efforts du gouvernement espagnol pour le maintien
de la paix on t été absolument i nfrllctuellx. L'esprit de con-
eiliation eL d'équité qui animait la cour d'Espagne dans les
négociations entreprises avec le Maroc n'a pu triompher de
la sonrde hostilité du chargé d'affaires du Maroc, minis-
tre du Sultan. Le représentant de la Heine à Tanger a quitté
celte ville.
La rupture des relations diplomatirpJes a cu lieu. L'Es-
pagne a tout fait pour maintenir la paix; maintenant il n'est
plus possible d'éviter les hostilités. Toute l'Europe con-
Jla il par expérience les hrigandages des HifitÎns : les gami-
sons espagnoles de ~lelilla, Velez, Alhucemas, ont été par
eux à nOllveau déciml~es; l'Espagne a demandé des nouvelles
garanties pour ses possessions en Afrique: une convention
avec le Maroc est intervenne. Il n'y était pas question,
cependant, de Ceuta, car l'Espagne considérait cette place
eomme moins exposée. Mais au moment où le traité allait
être signé, Ceuta a été l'objet d'attaques de la part de la
tribu voisine des Anjera; la garnison fut renforcée; un com-
bat eut lieu dans lequel demeurèren t sur le carreau quel-
ques soldats espagnols.
La cour de Madrid demanda le châtiment des coupables;
le délai concédé fut deux fois prolongé, à cause de la situa-
tion particulière dans laquelle se trouvait le Maroc au mo-
ment de l'élévation au trône du nouveau Sultan. Le 15 oc-
tobre le dernier délai expirait; à cetle époque le ministre
du Maroc avait fait parvenir deux lettrcs au représentant de
l'Espagne, lui déclarant avoir pleins pouvoirs de la part de
son souverain pour régler le différend, et disant consentir
à la concession du territoire demandé. Le gouvernement de
la Heine fit connaître à son représentant à Tanger la façon
TÉTOUAN

dont les réparations réclamées devaient receVOIr exécu-


tion.
(Suit l'énumération, déjà précédemment vue, des condi-
tions imposées.)
Sur quoi le ministre du \broe retira cc qu'il avait ac-
cordé: interprétant arhitrairement les notes du ministre
d'Espagne, il revint sur cc qu'il avait dit dans sa corres-
pondance relativement aux pleins pouvoirs qu'il avait de ré-
glcrles questions cn soulTrance. Convainell qlle la dignité ct
1110nneur de la nation ne permettaient plus d'entretenir
des relations avec un agent qui avait mis en doute la
loyauté de son représentant, l'Espagne ordonna à ce dernier
de faire retirer le pavillon national de sa légation au \la-
roc ct de faire évacuer celle-ci par tout son personnel; elle
lui commandait en mi\me temps d'annoncer la rupture des
rc1ations diplomatiques ct de déclarer que la solution de
l'affaire serait remise au sort des armes.
L'historique des faits qui sc sont produits depuis le début
de l'événement doit convaincre que la nécessité où sc trou-
vait le gouvernement de la Heine de recourir tl la guerre.
C'est l' inévi table solu tion, quand d' importants diflërends
s'élèvent entre deux nations ct que l'une d'elle refuse de
prôter l'oreille à la voix du droit ct de l'équité. Le gou-
vernementespagnol n'en doutepas, l'Europe reconnaîtra que
le bon droit est de son côté. Il s'est cIforcéde défendre avec fer-
meté ct modération l'honneur et les intérôts de la nation. Il per-
sévérera dans cette tùehe, si le succès couronne les efforts
de son armée. Pendant la guerre, dont le commencement
est imminent, le cabinet de Madrid respectera les droits des
neutres ct protégera les sujets des nations amies habitan t
les villes du Maroc 011 l'armée espagnole pourrait entrer.
Des instructions sont données en ce sens au commandant
de la Hotte désignée pour opérer sur les côtes du Maroc,
ainsi qu'au chef de l'armée d'expédition.
L'Espagne confie à sa floUe ct à son armée la défense de
412 AHCIllVES ~IAHOCAINES

son honneur et de ses intérêts compromis. Forte de son


bon droit, elle croit fermement avoir donné des preuves
de sa ITloc1ération. Sans en tente a vcc aucune puissance
étrangère, sans arri(~re- pensée ambitieuse, elle cher-
che seulement~, mettre fln, par la guerre, il lïntolérablc
situation ll,ite il ses places rodes cl'.\I'riq'u' par les act.esd '!Ios-
tilit<; illOlÙS (lesiVIarocains.
L'EspaC;'ne a cherché il entrdenir de bons l'apports avec
le Maroc, ct, dans cc but. elle a. en un sÎ(\cle. conclu avec
lui quatre traités (lui aurai('lll pu eonirillllel' :1 (;\itcr tonl
eonllit. Le peu de sagesse et la n('.gligence du gouvernement
marocain en ont constamment causé la transgression.
L'heme est enfin venue de lever Ulle di!Iieult(~ si CIllU-
1)I'onwUante pour l'une connne pour l'autrc nalion; ct ce
(PIC la ,'aison, les cf1<JI'h incessanls des n'lIions civilisées

n'ont pu faire. cc sera la puissance des arilles, mise au ser-


vice du han droit, (lui l'obtiendra.
Dalé de Ma(lrid, 2~) oclobre 183n.
Si,r;né: Ca Idcron COLL,\ \TES, min isln) des A n:tircs étrangères.

~ G. - COIiU/WI/;CO/;O/l du il/Of'(J(' il r II/ule/al'c 1.

Ell IIH\me Lemps le gouvernemenl marocain {:Iisait re-


meUre UII doculuenl analogue au chargé d'af1;lir(~s anglais
~l Tanger, /)l'/IIII/I/f)/I(f //uy. a\ ce l)l'ii're de se charger de le
comllilluiquel' aux diverses cours eurolH'.ennes,
« Lc Maroc a rC\'1I une expédition d'IIII documcnt. dal,'.
dn '>-n ocl.obre. ômanant dn ministre d"l'~spagnc et arIn'ss('.
aux repréf'enta'lts des pnissanccs (~lrallg()I'es, Dans cc docu-
ment sont relatées les questions pendantes entre l'Espagne
ct le\laroc avant la déclaration de la guerre, de môme

1. Schlagint"cit, op. cil., p. 202.


T~:TOltAN 11·3

quïl )' esl fail allusion aux aŒlires <In Hir, snjet dont El-
Klwtih n',nait pas enlrel('nu ]('s représentants des puis-
sances IStralJgèl'(~s au JVlaroc dans la leUre qu'il ]ellr a
pl'(~eéclemment adressée. Le ministre marocain commu-
Ilique ]e prl-scnl I~CI'it au consul d'Angleterre, DrllHunond
!lay, pOlir lui présentcr lin eOlllptc rendn fidè.j(' d(' cc qlli
a l~té lilÏt rclalÎvenwnt à celle question. en le prianl (l'l'n
raire part à son gouvernement. Il llli demande en nH\nlü
tcmps si cclIIi-ci ne pOIII'l'ait pas Ù son tOlll' le porter ~l la
connaissanc(' des puissallces, parce quc, pOlll' le moment,
Ions leurs chargl':s rl'af1aires ou représentants onl quitté
rranger.
« Si, dans la \cUre ~l \;ul'lClle il est litÎt allllsion ci-des-
sus, EI-Khatib Jl'a pas par!IS des all'aires dn Hir, c'est flue
toutes les questions pendantcs relatiycs ~l ces amJires
avaient été réglées avcc le représentant dc l'Espagne et flue,
au mois d'aollt, lin traité élLliti ntel'venu, El-Khatib est sur-
Jlris fi"e, rien de spécial ne s'étant produit il propos des
nl-gociations sur la question dn lhr, le ministre des Afl'aires
étrangères d'Espagne ait mis en avant ladite question
comme 1II]() des principales sources du conflit. Pour lui, il
ne voulait pills par1f'r d'une qllestion déjà l'(~glée, \lais le
lni n istre espagnol ayan t prl-scnté les al'lissements des Hi-
Jains comme une importante atteinte au\ deuits des na-
tions, il croit nl-cessairc d'en donllcr IIne 'l11al)'se simple
mais sufli sante.
« Les piraterie.s des p;ens dll nif sont hien COII/IIWS. Ils
Ollt, dalls les trcnte dernières ,1l1l](~CS, attaqué vingt bateaux.
\lais, depnis quatre ans, aucune agression n'a l'Il lieu, ni
de leur part, ni de celles d'autres pirates marocains. Le
sidlan dérunt, Moulay 'Abel Er-Halnnan, s'était eirorcé d'y
mettre fin. Cependant la nature dn Hif permel ~l ses habi-
tants de vivre dans la désobéissance du sOlnel'ain, Aussi,
eha1lue fois qu'à l'occasion d'un de leurs ml-GlÏts, une puis-
sance victime de leurs pirateries déclarai t vouloir intervenir
ARCIIlVES MAROCAINES

pour châtier les pirates, le gouvernement marocain s'en


réjouissait. Avant les quatre dernières années, les Rifains
des Guelaiyas avaient capturé un bateau anglais, un bateau
français ct une felouque espagnole. Grtlce aux démarches
faites par le Sultan, par l'entreprise du marabout Sirli ilfo-
!wmmcc! El-ll(l({j, Jes équipages Curent remis en liherté ct
compensation fut donnée à l'Angleterre ct à la France pour
la valcur des bâtiments capturés. L'Angleterrc a plusieurs
fois conseillé an Sultan, pour le bien de son empire, d'en-
voyer une armée châtier les Guelaiyas. Prenant en con-
sidération ces bons conseils, le Sultan Moulay Abd
Er-Hahman envoya doux fois une armée puni l' les Hifains,
fit payer dcs indernnités en compensation du pillage des
batcaux ct notammcnt ecllcs que réclamaicnt l"AngletclTe
ct la France pour dcs faits de cc gcnre. Lc Sultan, voulant
mcUre fin ~I l'avcnir aux désordrcs des Hifains, déclara res-
ponsahlcs les principaux d'entrc eux. Or, quoique sachant
très bien fpJe les pirates n'existent plus', l'Espagne
s'cJforce de faire croire aux nations qu'ils existent en-
core: clIc en fait mômc un grief de guerre. Que ne mon trait-
elle donc sa force pour les anéantir alors qu'ils existaient;)
Dans ses possessions du Hif, dans ses présides de la
côte, l'Espagne empêche les Rifains d'entretenir de légi-
times relations avec Tanger et Tétouan: elle les empêche
d"apporter chcz eux des marchandises provenant de ces
villes, Malgré l'état de paix avec le Maroc, les Espagnols
ont maintcs fois capturé, puis déclaré de bonne prise, des
bateaux du Hif. Le gouverneur des possessions espagnoles
écrivait un jour - ct El-Klwlib a encore la lettre - que lcs
J,ifains n'avaient commis aucunc agrcssion contrc lesdites
possessions. Cepcndant lcs Espagnols n'en saisissaient pas

I. Schlagintweit fail remarquer (p. :wG, note) que cependant les


nations européennes eurent il se plaindre ultérieurement d'actes de
piraterie de la part des gens du Rif'.
'f]\:TOUAN

moins sur les bateaux du Ilif des marchandises appartenant


à des particuliers pour une valeur de 20 000 livres sterling;
et ils les ont gardées juSqu'lI cc jour. De même, les Espa-
gnols capturaient équipages ct passagers des bateaux; ils
les faisaient prisonniers et ne les rendaient à la liberté qu'au
bout de plusieurs mois. De même encore, ils saisirent un
bâtiment appartenant au marabout, Sidi Mohammed
El-Hadj, alors que celui-ci leU/' avait rendu d'eflèctifs ser-
vices en faisant libérer lems sujets d'en tre les mains des
pirates. - Quoique le capitaine du bateau eût un laisser-
passer du gouverneur espagnol, ils se refusèrent à rendre ni
bateau, ni équipage jusqu'au jour où l'Angleterre, s'immis-
çant dans l'affaire, en obtint la délivrance.
«El-Khatib ne men tionnera pas main tau tre fait analogue.
On ne peut nier qu'une partie des gens du Hif ne soient
de fieffés coqui ns: mais, dans leurs agressions contre les
autres nations, ils ont pour contre-partie celles des Espa-
gnols. Quand la felouque espagnole fut saisie et pillée par
les pirates rifains près de Melilla, le gouvernement maro-
cain n'adhéra pas aux réclamations de l'Espagne deman-
dant 2 000 livres sterling parce que, dans les traités entre
lui ct cette nation, il est stipulé que le Sultan ne sera pas
responsable des méfaits des gens du Hif qui vivent dans
l'insubordination; il Y est dit encore que l'Espagne peut se
charger de punir elle-même les agressions des Bifains,
sans que cela soit de nature à détruire les relations ami-
cales entre les deux nations .
.ramais le Maroc ne s'est formalisé de l'intervention de
l'Espagne contre les pirates du Hif: mais, du moment que
les Espagnols se font justice à eux-mèrnes, il n'est pas admis-
sible qu'ils réclament encore des indemnités. Le Maroc
était donc en droit de repousser leur réclamation de
2 000 livres sterling pour la felouque pillée par les pirates
rifains. Cependant elle fut accueillic, grûcc à l'arnicale in-
tervention de l'Anglctcrre, désireuse d'évit.cl' tout conllit.
AHClllVES ~IAnOCAINES

C'est une preuve du bon vouloil' de lu eom' marocaine.


Uue cession de terrain eut lieu de môme à Melilla SUL' les
instances de l'Angleterre. -- On sait comment, iL plusielll's
l'eprisl's, le consul Blanco deI Valle a trait(~ EI-Klwtib ; on
sait les expressions olfensanles employées pal' lni il l'égard
de celui-ci; EI-Klwtib, cependant, quoique trl's froissé, a
supporté sans Cil raire la remarque cc langage discourtois
pour COllsener entL'e le Maroc ct l'Espagne, sa voisine, Ul\('
paix ct une bonnc entente si ll("eessaircs il leur commUIle
prospérité.
(1 El-Klwtib cOllsidl~re que l'Espagne a été mal dirigée

dans cette oeeasioll, ilHluile cn erreur pal' les expl'cssionsil


double entente de SOLI agent; le blùme rejaillit snI' celui
qui a occasionné LIlle g"('L'r(' llui n'<l\ait pas lieu d'(~tre le
lllOills du lIIonde.
« Le Maroc a [(lit d'impol'lants pr(\grès dans la cOtHlllite
de ses relations avec les puissances. Si la guerre a pour
cause les pirateries desHifüins, que les Espagnols n'em oient-
ils donc leurs armées combattre ceux-ci il Pourquoi des
hostilités contre les ports du Maroc qui Il'lmt rien i, voil'
dans cette questionll
« Onant à Ceuta, tout le monde sait (lu'il n'y al':IlLlais eu
10.... oi •

de pirates de cc ctl\é; il n'y a plus de pirates au Maroc de-


puis la période des piratcL'ies dll Hif dont il a été 1);11'11" plus
haut. Hien plus, aucun bùtilllcnt dc guerre marocaill n'a
Inis il la yoile, parlant de l'un des pods du\laroc, depuis
plus de vingt ans. Et les deux ou trois bateaux marchands
qui portent le pavillon marocain sont montés par des
élluipages européens.
« Pour la question de Ceuta, El-Klwtib S'CIl remet à la
cOl'l'esponùance échangée, dont copie a 1"1,1" adl'essée aux
représentants des puissances. Tout hOlllllle illtelligent ap-
préciera. Le représentant de l'Angleterl'e sait 411e, pal' COII-
sidération pOUl' le pays (lu'il repl'ésente, le Mal'oc a fait
droit bien SOlnent aux l'éclamations ùe l'Espagne, II COII-
Tl~T()UA;'I

naît l'esprit de dl'Oiture apporté par EL-Khatib dans ses


négociations avœ lui, verbalement ou pal' écrit. Le l'CJm'-
sentant de l'Espagne prétend lc contraire: il méconnaît
ainsi les intf'ntions du ministrc, parfaitement droites cepen-
dant, son désir de tout régler au mieux des intérr\ts de
cbacun.
« Si l'Espagnc nie la bonne foi dOlll il a fait preuve dans
les négociations relatives aux afTi:tires du Hif et son désir de
les termincr ù la satisfaction gén(Srale, il cst prêt ù com-
muniquer au monde cnticr la correspondance échangée, Il
a mi\me l'intention de pl'Oduire la cOlTespondance échan-
gée pal' lui avec ses arnis d'Angleterre ct du reste de
"Europe pOUl' pel'llletll'e Ù tous de juger et de distinguer le
lJOn droit de l'injustice dans celle occasion. ))

~ G, - ,ljJjJl'éciation de la cOITeSpOlHlal/cc 'lui IdiOutit


I{ III [11lI'/TC de 1859-1 SGo.

Un examen sulTisClnt de la correspolldallce échangée


entre les représentants du J\ral'Oc ct de l'Espagne con vain-
(luel'a aisément, dit Sehlagintweit 1 , que, malgré les bonnes
intentions apparentes du Maroc, cependant celui-ci a fait
naÎll'e constammellt des ohstacles, présenté des protesta-
tions, surtout au sujet de la mise ù exécution des mesures ~l
prendre, Toutefois l'Espagn(~ aussi a des torls,
En premier lieu, ajoLlte-t-il, le vice résultant du rnanque
d'organisation administrative du Maroc ressort elairement
de cette correspolldance ; on y l'ecolllwÎlra aussi (luel était
alors l'all'aiblissement du pouvoir d'un souverain qui n'(Stait
plus despotique qu'cll principe seulement. Avec un aussi
fàeheux 111l1IHlue d'o"ganisation des rouages administratifs,
avec un manque de culture presque complet, même chez

1. Op, cil., p, 211 p\ q. SPC].


~48 ARCJHVES ~[AHOCAINES

les hauts fonctionnaires, il était certainement difficile à une


puissance européenne, Cil supposant tnèmc les plus favo-
rables conditions, les rapports amicaux les plus complets,
d'obtenir les satisfactions voulues ct indispensables à la
protection de ses nationaux ct de leurs biens, autrement
que pal' une intervention armée. Ce ne fut pas une heu-
reuse idée du ministre marocain de placer en première
ligne, dans sa cOlnmunication aux cours européennes, les
a/Jaires du H.if, alors qu'elles venaient seulement comme un
incident supplémentaire, dans la circulaire lancée pal'
l'Espagne. Les pirateries des Hifains étaient lnoins graves
alors qu'autrefois il est vrai, mais non absolument abolies.
Vers 1857 encore, la Prusse, on le sait, fut amenée li punir
les Hilains gui s' étaien t rendus coupables d'agression s
contre des bâtiments de commerce prussiens.
On devait, au contraire, rendre gl'i"ice aux gardes-cùtes
espagnols, toujours aux aguets, qui entravaient les actes
de piraterie des B.ifains ct qui s'emparaient ou même :lIIéan-
tissaient, mais seulement très rarement, les barques rifai-
nes soupçonnées. D'autre part, ces gardes-ctJtes s'adon-
naient peut-être à cette besogne avec quelque manque df'
discernement; il était possible, comme le mentionnait la
note marocaine, qu 'une barque marchande du Hif elH été
piratée ù son tour. Mais pourtant les bl'igamLagcs des Ih-
fains n'avaient pas cessé; les feuilles anglaises ou espa-
gnoles avaient trop souvent ù relater des laits de piraterie,
surtout par les gros temps. Quant à l'insécurité sur le con-
tinent, le GifJl'allw' Chl'Onicle du 1"" novembre 1839
en donnait une preuve irréfutable cn mentionnant que,
près de /las El-' AÙI, le;)] aOll t 1859, quelques Français
avaient été capturés par dcs bandes d'indigènes et brùlés
vifs.

Ces réllexions de Schlagintweit nous semblent parfaite-


ment justes et mettent au point les allégations mal'ocaines.
TÉTOUAN 41,9

Cependant, nous le répétons, les torts furent très certaine-


ment partagés, ainsi que Schlagintweit le reconnaît. La
conduite des négociations semble avoir été peu habile, de
façon telle, même, de la part du représentant de l'Espagne,
que le 'Maroc avait beau jeu, dans la suite, pour exprimer
l'opinion qu'il y avait là de sa part mauvaise intention et
quelque arrière-pensée. Le peu de précision des premières
dépêches du consul Blanco del Valle frappe dès l'abord.
Or, précisément, un des faits qui contribuèrent le plus
(comme Schlagintweit le fait remarquer 1) à la rupture des
négociations, ce fut l'interprétation différente que les uns
et les autres donnaient au sens du mot Campo, confondu
dans le principe par le consul général d'Espagne avec la
zone de pâturage. L'auteur allemand ajoute que la faute,
sur ce point, revient pour la plus grande part à la diplo-
matie espagnole. Dans la note du 5 septembre on lit Campo
de ladite garnison, tandis que dans la leLtre du 5 octobre il
est parlé du taritaire de Ceuta, expression qui, surtout avec
la mention explicative de taritoire camp,'is à l'intérieur des
limites, acquiert un sens hien dilJérent.
La zone de pâturage sc trouve en ciTet à l'intérieur des
limites de Ceuta, mais non dans le Campo, auquel elle est
seulement aUenante.
Nous le savons d'ailleurs, - et quoi qu'ait dit très juste-
ment Schlagintweit, comme nous l'avons vu précédem-
ment, de la mauvaise foi et de l'astuce de la cour maro-
caine II cette époque, - la responsabilité de la guerre ne
doit pas retomber sur celte cour seulement. Outre que les
faits, les témoignages sont là pour l'établir - et ce sujet
a été préeédemm.ent exposé - il résulte encore du seul
examen des pièces diplomatiques pour tout esprit impartial,
voyant les choses de sang-fi'oid et pesant le pour ct le contre,
que ni les Espagnols ni les Marocains n'ont montré un

ARCH. :\lAltOC.
AnCIIIVES MAl\OCATNES

désir suffisant d'arriver à une prompte et définitive entente.


Si les seeonds ont tergiversé, négligé de donner, en temps
voulu et dans les formes suffisantes, les réparations exi-
gées ; s'ils ne se sont poin t hûtés d'aecueillir les réclamations
des premiers comme ils auraien t dû faire, étant dans leur tort,
au début des choscs, et surtout s'ils ne se sont point pressés
de mettre à exécution leurs promesses; pm' contre, les
Espagnols ont semblé, eux aussi, Il'avoir pas suffisamment
le souci de donner, dès le commencement, les explications
parfaitement précises ct sur lesquelles il cùt ét(~ impossible
de se méprendre ct d'ergoter dans la suite.
Leurs premières notes rcnfennent des termes vagues que
les Marocains étaient en droit de représenter plus tard
comme sujets à controverse, après y avoir adhéré grûce à
leur vague même; ces termes vont en se précisant seulement
dans la suite, ce qui, avec des adversaires peu enclins certes
à la bonne foi, devait être, inévitablement, une source de
difficultés nouvelles. Mais, en même temps que les récla-
mations de l'Espagne vont en se précisant, elles vont aussi en
augmentant. Que cela soit admissible dans un certain sens,
- puisque les exigences peuvent croître, sans qu'on ait le
droit d'en être sUl'pris, au fur ct à mesure que se confirme
ou se devine le peu de désir de l'adversaire d'arranger les
difficultés présentes ct de les é\~iter(ll'avenir, - JlOUS nele
contestons pas, Toutefois il nous paraît qu'il y a une bien
grande différence en tre les concessions territoriales deman-
dées par l'Espagne aux pl'Ctniers jours des négociations et
celles qu'elle réclamait (1 la fin. Et n'y aurait-il eu là autre
chose que malentendu, déf:mt de précision dans les termes
employés d'abord par le consul gl'néral, que cela suffirait,
dans une certaine tnesllrc, (1 l'XCII sel' ses adversaires.
Cependant ceux-ci devaient avoir très bien compris cc
dont il s'agissait. Comnwllt admettre que EI-Khatib, natif
de 'rétouall, ignorût la 8iel'f'(t RuUones, expression espa-
gnole cOlTespondant au marocain Bcl- rOUI/l'ch ou Rel-
T~:TOUAN

Younès. Et sa mauvaise foi se montre au grand jour dans


unc autrc circonstancc. A propos dc la IVe lettre, émanant
de lui, Schlagintweit présente les réflexions suivantes:
EI-Khatib faisait dans sa lettre allusion à la note du consul
général datée du 5 septembre; ct, en sc fëlicitant de l'adhé-
sion du Sultan aux réclamations de l'Espagne qui y sont
formulées, il espérait éluder les réclamations liées ù la con-
cession d'une prolongation de délai, exposées dans la lettre
du consul datée du 3 octobre, sous prétexte que le nou-
veau délai expirant au l G octobre n'avait pas encore com-
mencé, - opinion qui manque de fondement, puisque ce
nouveau délai était fixé par lettre du 3 octobre et commen-
ç.ait, par suite, ce même jour. C'est au sujet du sens de ce
passage que s'exprime le consul général dans la lettre datée
du 5 octobre.

En résumé, il nous semble ressortir de la correspon-


dance l)récédemment analysée que ni les Marocains, ni les
Espagnols, malgré leurs protestations répétées à tant de
reprises, n'ont désiré sincèrement la paix; ou si tel fut
leur désir au début, il changea dans la suite. Ccci concorde
parfaitement avec cc que nous avons vu précédem-
ment, avec ce que nous disent des témoins oculaires,
en Espagne· comme au Maroc, témoins dont nous avons
l'apporté l'opinion au début de la partie de notre étude
relative à la guerre hispano-marocaine. Et la correspon-
dance échangée doit être considérée comme un simple
rideau destiné à voiler le fond des choses, à permettre aux
deux parties belligérantes de sc préparer, tout en sondant
suffisamment leur adversaiœ.
CHAPITRE X

1. - LES NÉGOCIATIONS l'ENDANT LA CUEI\I\E ET LE TRAITÉ


DE PAIX.

II. - LES NÛGOCIATIONS ApnÈS LA CUEltnE.

SO~n.IAIREI. - 10 Proclamation du nluréchal aux halJitants ÙU ~laroc. - 2° Prerrüers


pourparlers de paix C( ( février (8Go), - 3" L'él"t d'esprit en Espagne du commen-
cement de la guerre il la prise de Tétouan. - 4° Nouvelles négociations pour la
l'aix (6 février). - 5° Évolution de l'é1at d'esprit des belligérants pendant les né-
gociations. - Gu Conclusion de la paix; les préliminaires. - 7° Effet produit en
Espagne ct au Maroc par l'annonee de la paix. - 8" Le traité de paix.
SO"'IAIRE II, - 1° Ambassade Je Moulay 'Abbàs il Maclricl (éIé 18(0). - 2" Traité
de Paris (.)0 oclolJl'c 1861). - 3u Pa.icIllCnt de l'indemnité de guerre. - ft Résul-
tais cie la gl1erre cie 18"0-18Go.

NÉCOCIATIO:-rS PE"IDA:"!T LA GUERUE ET THAlTÛ DE PAIX.

~ 1. - Proclamation du maréchal Q'Donnell


aœ;c Jfal'ocains 1.

Pat'mi les documents relatifs aux négociations, à


l'échange de vues diplomatiques, aux efforts pour le réta-
hlissement de la paix ou l'atténuation des maux de la
guerre, nous devons citet' comme venant en première ligne,
par ordre de date, la proclamation du maréchal ü'Donnell
aux habitants du Maroc. Elle n'eut aucun effet, cela va sans

I. Scltlaginl\\cil, op. l'il., p. 2~)O.


TÉTOUAN 1,63

dire; mais, clans l'esprit de son auteur, eUe pouvait empê.


cher la guerre de se généraliser par trop, ou, du moins,
agir dans ce sens, si faiblement que ce fût.
En voici le texte. La proclamation est des premiers jours
de décembre 1859, après le combat du SerraUo.

« Habitants du Maroc,
« Bien que je pénétre dans voLre pays, nous ne som-
mes ni vos tyrans, ni vos ennemis. Votre empereur a re-
fusé de nous faire notre droit, nous a contraints de prendre
les armes pour l'obtenir. C'est lui qui a brisé l'amitié que
les Espagnols vous avaient constamm.ent témoignée. Mais
ne craignez pas que nous mésusions de notre victoire ni de
votre soumission. Les soldats espagnols sont généreux dans
la victoire; votre soumission vous donne droit à notre es-
time et à notre amitié.
« Demeurez en pleine confiance occupés à vos travaux
habituels,
« .Te vous promets le secours et l'assistance de mes sol-
dats ; je vous promets le respect de votre religion et de vos
coutumes.
« Le soldat espagnol, fidèle à sa Heine et à sa Patrie,
n'est à craindre que dans les combats.
« Au quartier général, colline de 1'Otero,
« Décembre 1859.
« O'DONNELL ),

§ 2. - Premiers pourparlers de paix (1 1 février 1860) l •

n faut ensuite anivc1' à la prise de Tétouan pour trouver


de nouveaux documents relatifs à la paix.

1. Yriartc, op. cil., p. 207 à 22:1. - Schlagintwcit, op. cil., p. 3~0­


3~4. - Alarcon, II, p. 11Ig à 152, 171 à IgO, 199 à 201.
ARCHIVES MAROCAINES

La prise de la ville avait été pour les Marocains « le coup


le plus affreux qu'on pût leur porter; jusque-là les com-
bats pouvaient être considl5rés comme plus ou moins com-
promis, les pertes étaient plus ou moins sensibles, mais cc
n'était pas 1<'1, pour le pcuple des grandes villes de l'em-
pire, un de ces résnltals palpables comme la prise d'un
camp ct de l'une des cités les plus importantes du Maroc.
Ce ne fut vraiment qu'après cette prise du camp, colportée
par dcs milliers de fuyards dans toutes les parties de l'em-
pire, que la nation tout entière comprit qu'on la trompait,
que chaque bataille livrée ,jUSqU'tl ce jour avait été une
défaite, que chaque engagement lui avait fait perdre une
position ou un passage. Comment, sans cela, l'ennemi sc
serait·il avancé jusquo sous los murs de Tétouan 1 il ))
Aussi dès le lendemain de la prise du camp, le 1 1 fé-
vrier, à 7 heures du matin, quatre émissaires de Moulay
'Abbûs sc présentaient aux avant-postes, demandant à l~tre
conduits au maréchal.
C'étaient: Rlyas Rl-i1lachchw'i, gouverneur du Hif; Hf;y-
nis Ech-C1targi, second gouycmeur de Fès: 111tmecllJcn El-
Batin, gouverneur de Tanger ct lieutenant de Moulay
'Abbûs; Ben Aouda, son frère, qui avait cu le commande-
ment de la cavalerie marocaine dans presllue tous les enga-
gements antérieurs. Ils marchaient précédés d'un cavalier
de haute taille parlant le drapeau blanc, entourés d'une
dizaine de serviteurs ct de soldats, dont quelques-uns avec
le bonnet pointu dos Mokhaznis ; tous les fusils de la petite
troupe étaient, en signc de paix, mis dans des fourreaux de
drap rouge 2 •

I. Yriarte, op. cil., p. :\08.


2. Schlagintweit, op. cil., p. 3[11, parle seulement de trois émis-
saires; c'étaient, suivant lui, Je gouverneur de Tanger, celui du Hif
et celui de Rabat, mais Iriarte cl ,'\larcon en mentionnent ljuatre.
Schlagintweit les présente comme montés sllr des chevaux ricllllment
harnachés, accompagnés de trois hommes il pied et de deux il cheval.
rtrüuAN
Le maréchal reçut immédiatement les envoyés « avec la
digniLé qui convient au vainqueur eL touLe la courtoisie
castillane en même temps )). La mission des ambassadeurs
de Moulay 'Abbtts consisLait à demander à quelles condi-
tions la paix seraiL accordée. Ü'Donnell répondit qu'il avait
mission de faire la guerre cL que conclure la paix n'était
pas en son pouvoir. « L'attiLude de ces envoyés fut digne,
diL Yriarte, mais sous cette résignation ... chacun put devi-
ner l'abattement dans lequel ces quatre dignitaires étaient
plongés. Quand le maréchal, faisant allusion aux mauvais
conseils de la diplomatie anglaise, leur reprocha leur aveu-
gle confiance dans Jeur armée, ils baissèrent la tête en
avouant qu'ils avaient cru ne rencontrer que des soldats
mal aguerris, mal commandés, mal nourris et manquant
de maLériel'. )) Le maréchal promit d'envoyer immédiate-
ment un oilîcier en Espagne rendre compte au gouverne-
ment de leur démarche, leur disant de revenir dans cinq
jours ct qu'alors il pourrait leur communiquer les condi-
Lions auxqueIlcs on se serait arrêté.
Les Marocains, sortis du quartier général, allèrent rendre
visile au général Hios qui leur fit l'accueille plus affable.
Puis ils se rendirent (1 la ten le (lu général Prim qui voulut
absolument les accompagner avec son élat-major bien au
delà des avant-postes. Au momenl de se séparer, Prim fit
cadeau de son revolver à l'un des envoyés qui regardait avec
curiosité cette anne nouvelle pour lui; le Marocain répon-
dil à celte gracieuse lé en donnant au général espagnol un
des magnifiques pistolets qu'il tenait cachés, très artiste-
menl incrusLé d'argent. Ils prirent congé les uns des auLres
vers le soir, formant le souhait que (( Dieu voulût bien
éclairer ceux qui tenaient dans leurs mains la paix et la
guerre 2 )).

1. y riade. op. cil., p. 20!).


2. Cet épisode est décrit d'une façon assez pittoresque par Es-Sc-
AHCHIVES l\lAHOCAIN~:S

Le jour même, le général Ustaritz partit pour l'Espagne


chercher la réponse de la Heine et de son gouvernement.

§ 3. - L'élal [l'espl'il en Hspagne dn commencement


de la guerre Il la prise de Tétouan.

Lorsque l'Espagne apprit que Tétouan était tombée aux


mains de ses soldats, elle ftt éclater de tous côtés une indi-
cible joie. Les trophées de la victoire avaient été déposés
aux pieds de la Heine paL' un aide de camp du maréchal
Antonio Higo. Des actions de grûce étaient célébrées solen-
nellement dans les églises,
c-'
on ornait les villes, on dressait

laoui. « Ils écrivirent la leltre, dit-il, cL l'eLl\oyèrent ,nec une délé-


gation d'entre eux. A peine s'étaieut-ils éloignés qu'ils rencontrèrent
les éclaireurs ennemis qui exploraient les alentoLll's de la ville ct cou-
vraient l'année. Ces éclaireurs alli'rent au-devant de la députation, se
montrèrent compbisants ct afrables ct demandi~relll aux envoyés le
molif de leur venue. Les envoy6s répondirent: « Nous \l~nons porter
une lettre il D'Donnell )). Ils les firent alors panenir jusllu'il lui. Il
les reçut courtoiscment cl avec joie, leur fit servir un repas de mets
sucrés ct leur dit cntre autres choses: cc .le l'crai avec vous plus 'lue
n'ont fait les Français avec les Iw1Jilants d'Alger et de Tlemcen en fait
de bienfaits.» Il mentait ('Ille Dieu l'abandonne 1), c'daitl!l une ruse
pour sécluire les ignorants ct corrompre la rdigion. Quels 1Jienl'aits
ont rendus lesF'rançais aux lwbilants d'Alger ct de Tlemcen ~ Ne
voyons-nous pas que leur religion a disparu, que la corruption est
devenue générale parmi euv et a triol1lpilé. Leurs descendants ont
grandi dans l'atlléisl1le, l'infidélité, sauf ll'lclll'ies rares exceptions.
Mais ils ne larderont pas il en sllbir les cons{~lJuences. Dieu, du hant
du ciel, ~veille sur la religion de l'lslal1l cl brisera par un e/let de sa
puissance les [0 l'ces de l'athéisme et de l'idolùlrie. - Lorsque les
Espagnols virent enlrer les T6tou<lnais dans leur camp, ils leur dirent:
cc Aujourd'hui l" est dimancbe, jour de [ète pour les chrétiens; il ne
nous est pas permis d'avancer et de pén6lrcr dans T6touan, mais al-
tendez-nous demain il rü lleures. )) Les d(\put6s revinrent vers lenrs
concitoyens ct leur camarades et les il1l()rIll('~rent des négocialions avec
l'ennemi. )) !slùj("a, IV, p. 2[7.
T1~~TOUAN Mî7

des arcs de triomphe, les feux d'artifice éclataient partout;


et toutes ces réjouissances auxquelles tous prenaient part,
grands et petits, jeunes et vieux, hommes ct femmes à quel-
que condition qu'ils appartinssent, imprimaient nécessai-
rement dans les esprits cette conviction qu'il y avait quelque
chose d'important de changé ct que le mieux allait suivre 1 •
La Heine envoyait à l'armée l'expression de son admiration
ct de sa reconnaissance, ct le maréchal O'Donnell, « qui
avait conduit l'armée de victoire en victoire au iàîte de la
gloire )), était fait comte de Tétouan, grand d'Espagne de
première classe; nos de Olano, marquis de Guad-el-Jelu.
Cet enthousiasme était le résultat naturel de l'état d'es-
prit en Espagne depuis les débuts de la guerre. En décem-
bre, malgré cc qu'ils devaient bien savoir des conditions de
la campagne, certains journaux parlaient de coloniser et
de conserver le pays après avoir pris Tétouan. Ils pré-
voyaient la nécessité de lever de nouvelles troupes 2 •
L'énervement qui commençait à naître pendant que les
troupes combattaient autour du Serrallo fut dissipé par la
première victoire évidente. La nouvelle du succès de Cas-

1. Schlagintlleit, p. 3:)0-:):)1.
~. Voyez par exemple ces passages de G. de Lavisne, op. cil., p. ;)8<)0,
« La Gacela "mililal' parle de conserver ct cle coloniser les pays aprl's
avoir pris Tétouan; elle pn\roit les nécessités de lcrer de nou"elles
troupes alin de pouvoir y laisser une division complète » (décembre
1859); ct du même, p. (io : On parle d'augmenter l'armée d'expé-
dition; « on ne s'en tiendra pas it une nouvelle division de résene
ou à un appel cle volontaires pour remplir les cadres. On parle de
diriger 20000 hommes sur les ports d'embarquement ct de porter" il
80000 hommes l'ellectif de l'armée d'occupation. »
Le conl'tTlencell1ent des grandes opérations serai t clilTél'l\ jusque-IiI.
Il en est résulté un certain froid en Espagne. Mais l'enthousiasme a
repris le dessus. « La grandesse d'Espagne a adressé une députai ion
it la reine pour lui cl('c!arer qu'clIc était prête i\ contribuer par toute
espèce de sacrilices au meilleur résultat de la guerre d'Afrique, » (Dé-
cembre 1860).
458 AHCHIVES MAROCAINES

tillejos fut accueillie au son des cloches dans la plupart des


villes; les maisons étaient illuminées. Seul, .Madrid fut
moins enthousiaste; on s'y rendait mieux compte des diffi-
cultés qui attendaient l'armée 1.
Mais, plus tard. certains journaux prirent texte de
l'heureuse issue cles opérations pour émettre l'espoir que
la campagne serait le point de départ de la conquête du
Maroc"; ils envisageaient déjà la colonisation de la côte

1. G. de Lavigne, op. cil., p. (jS.


:J. G. de Lavigne. op. eil., p. 67, - Voyeh aussi les passages sui-
vants :
« Tétouan est d(~sornwis une cité cspagnole et CP n'est pas pour
retourner aux barbares (lu'elle a (-té érigée en ducll<~.» G. de Lavigne,
p. ((:1.
\nssitôt !1près la prise (ln Tdouall, la reine IS!1belle clécille ([n'il
faut constitu<~r la ville et le pays 111'elltour en un duché dont O'Don-
lIell sera ti tuJaire,
C'est sur n n ton ditb }l'ambique qu'on lisait parton t, dans les thétttres,
dans les cal(~s, des poésies, des odes, des proclamations triolll-
phantes.
« On va chercher cheh eux les pOl~tes en renom, les improvisateurs
aiml;s de la I(mle, les orateurs des grands jours, on les fiât monter
sur la Sci~IW, ou au pied de la jill'o/a de la l'uerta dei Sol, ou sur une
table de marbre et le silence avec lequel on les écoute est, de moment
en moment, interrompu par des tonnerres d'applaudissements, - Au
caré de J'Iris, dans la rue d'Alcala, le plus vaste des établissements de
cc genre, une ardente composition du jeune don Emilio Arjona, pro-
duisit \Ine espl'cc d'ivresse: on criait, on pleurait, on s'embrassait. »
G. de Lavigne, p. lOS.
En janvier, d'aprios une ldtre de G. de Lavigne, écrite au Mar-
tine, la Gaccla mi/ital' envisage il nouveau Tétouan, non prise
encore, cOl\lme devant élre colonie espagnole: « Tétouan. avec le ter-
ritoire CJui s'étend entre elle et Centa, appartient désormais à la con-
ronnc d'IsalJelle 11. )) Les habitants du pays l~pl'Onveront les bienraits
de l'administration espagnole, de méme «ne les AIgl~riens ont éprouvé
ceux de J'administration franl:aise. « Tôt on tard tout le territoire
marocain l'edcviendra partie intégrante de la monarchie espagnole
comme au temps du roi Siseouth. » Ce n'est pas une guerre de con-
(luNes cependant: « L'Espagne, dit ce journal, veut seulement rc-
TÉTOUAN

jusqu'à l'Algérie, en la souhaitant prochaine. Quelques


voix discordantes s'élevaient, à la vérité.
Certaines feuilles « trouvent que la guerre coûte déjà
:.d,o millions de réaux )), écrivait alors de Lavigne.
Mais la Gaccla militai' "6pondait que là n'était pas la ques-
tion. Il s'agissait de savoir comment O'Donnell maniait
son épée, mais non pas de s'inquiéter de la façon dont
]e ministre t des finances s'y prendrait pour remplir ses
coffres.
Les armements continuaient; même au plus mauvais
momenl~, lorsque l'armée, à l'Oued Smir, était en proie
à la famine, exposée aux pires dangers, on parlait de la pos-
sibilité de prendre Tanger un jour ou l'au tee :\. Était-cc pa t'
inconséquence que ]a Gaccla milila,," rept'ésentait Tétouan
comme un chttleau de cartes qui ne tieudrait pas devant ]e
souffle de l'arm6e; que, d'autre part, on annonçait l'envoi
de Ceuta à Tétouan du bois n6cessaire à la construction de
baraques « qui seront d'une appréciable utilité pendant la
durée du siège ))? Ou bien dirons-nous, comme G. de La-
vigne: « Ces dispositions, les quantités considérables
d'approvisionnements qu'on rassemble dans les ports
d'Espagne, les armes qu'on fabrique et qu'on transforme,
les fusils qu'on raye par milliers pour armer les corps de

prendre les pays que les empereurs du Maroc devaient nous rendre
pour former un territoire il nos pré'sicles. » G. de Lavigne, p. 8g.
1. G. de Lavigne, p. Ho. -- Et ai lieurs, p. 3ll, du même: cc Il imporle
d'éviter que cette expédition n'aille trop loin et qu'elle n'engage l'Es-
pagne dans une guerre avec l'intérieur du pays pour laquelle elle n'est
pas préparée. »
:J. En janvier, après Castillejos, on fabrique chaque semaine il
StSviIIe, d'après la Gaceta, 8 il 10 canons rayés de 1?, ct G de 8 : par
jour, 150 boulets pour canons il fllne lisse, ~)50 pour canons rayés
de 8, :JO 000 balles cie plomb pour carabines ra yées. Cr. G. cie Lavigne
p.8G.
3. G. de Lavigne, op. cit" p. J,5.
4. G. de Lavigne, op. cil., p. 84-85.
100 ARCHIVES MAROCAINES

nouvellc formation, les canons qui se fondent à Séville


avec une activité sans exemple, les équipages de pont qui
arrivent, les renforts qui se préparent, tout semble démon-
trer que la prise de Tétouan est loin d'être l'unique but
assigné aux elTorts de l'année espagnole » il
Mais, au plus fort de l'engagemenV pour la campagne,
au moment où la division Bias arrivait au Martine, on ap-
prit soudain qu'il y avait des pourparlers avec Gibraltar:
le brigadier Gurrea s'y était rendu, et de là un vapeur an-
glais l'avait transporté à Tanger". IL y avait des pourparlers
de paix, disait-o~l. Et cependant la l'cine d'Angleterre s'é-
tait bornée à dire au Parlemcnt dans un discours: « Je me
suis efforcée, sans succès, de prévenir une rupture'. ))

Aussi, Tétouan prise, une fois passé ]e p rcmicr accès


d'enthousiasrne, la réllcxion vint': certains comprircnt
que rien lt'était fait encore. L'armée marocaine était en
fuite, mais elle n'était pas détruite.
L'Espagne tenait Tétouan entre ses mains, mais il l'allait
la défendre; le Maroc demandait la paix, mais il la refu-
sait ensuite devant les conditions qu'on lui faisait, et ne
cédait sur aucun point. Et même, d'après les bruits qui
volaient de bouche en bouche, Moulay 'ALbtls avait dit,
bien décidé à ne laisser en la possession de ses ennemis
qu'une ville morte ct complètement vide: « Abandonnons
Tétouan Comme une He; )); ct s'il ne l'avait pas dit, le

l. G. de Lavigne, p. Stl-8:>.
2. G. de Lavigne, p. 8:>.
;t G. de Lavigne, p. Stl.
!,. Des bruits de paix COUl'l1rent il MacIt'id aussitùt après la prise
de Télouan. Le Sultan serait disposé il traiter, disait-on. cc Mais
d'aulre pari est-cc donc pour si peu de chose qu'on aurait l'ait de tels
sacrifices:) )) (G. de Lavigne, p. 6;)). C'est le re/urd de l'envoi du parc
de siège qui avait causé cc bruît, parait-il. Cf. G. de Lavigne, p. 6G.
G. Yriarte, op. cit., p. r65.
Tl~:TOUAN

mot répondait du moins à la situation dont il était la frap-


pante expression.
Les plus sages, O'Donnell avec eux, peut-être, résistant
ù l'éblouissement du succès, pensaient cc qu'exprime
Schlagintweit 1.
« Tétouan offrait aux troupes, quoique insuffisamment
fortifiée, une place d'armes sùre et un point d'appui pour
les opérations futures; au point de vue politique, la main-
mise sur une ville aussi importante devait faciliter les né-
gociations pour la paix, mais rien de plus. Mais à côté de
ces sages, que l'intervention même occulte, même seule-
ment possible de l'Angleterre avait rappelés à la réalité, il
y avait les exaltés, nombreux encore, qui ne voulaient pas
déchoir de leur beau rêve 2. Des journaux parlaient encore

r. SchlagintwciL, op. cil., p. 3,10.


2. G. de Layigne, op. cil., p. 118. - La masse du peuple se mon-
trait d'ailleurs peu désireuse de la paix: « On a réveillé ses instincts
helliqueux, dit G. de L,lYigne, elle il été bercée de projets de eon-
quNe, on lui a rait entrevoir l'Espagne reprenant, il l'aide de ses
gloires nouvelles, une partie de son ancienne prépondérance; elle
caresse l'idée de ne plus voir sur le yieux sol espagnol rien qui ne soit
espagnol, et pourrait bien aujourd'hui se plaindre d'être trop brusque-
ment ramenée il d'oll'ensantes réalités.
« On use il Madrid, pour exciter ou sonder l'opillion populaire,
d'un vieux moyen, eéll>bre il Home: la Puerta deI Sol, ce (ùrum ma-
drili~gne, ne possède pas les statues de PaslIuin et de .i\Tarl'orio ; mais
aux coins des rues, sur les volets des boutiques, 011 voit Wllvent alIi-
chés des pasquînés en prose ou en vers, qui l'ont appel aux sentiments
de la roule. « De stupides paslluinacles, dit un journal, prétendent
que dans les hautes régions du gouvernement on désire la paix il totit
prix, pour réserver il d'autres entreprises notre glorieuse armlie. N'en
croyez rien, c'estllne imputation insidieuse; notre reine est Gb'e de
YQir nos armes triomphantes et admirées en Europe et si ardents qun
puissent être les d('sirs de nos ministres de couronner une brillante
campagne par une paix gloriellSe, Isabelle veut aussi ne pas laisser
stériles tant de grands sacriGces et tant de sang répandu. » G. de La-
vigne, p. 118-119.
On doit avouer, cepelHlant, (lue la tentative du comte de Monle-
Anel1In~s MAnoeA INES

de coloniser, de conserver Tétouan; et pour justifier ccs


projets, ils amrmaicnt que « l'empereur du Maroc en tirait
un revenu de près de deux millions 1 )).

De là, partout incertitude, dans le peuple, dans l'armée,


dans le conseil des ministres. Que faire il on ne le savait
au juste. Certains n'avaient pas confiance « dans l'habileté
plus d'une fois compromise des chefs de l'armée 2 )). On
prit le parti de demeurer sur place, pOUl' voir si l'ennemi
ferait de nouvelles propositions de paix.
Puis, quand celles-ci se furent produites sans que l'on
parvint à s'entendre, l'incertitude redoubla ". Certains par-
Iaient de « se préparer à une marche en avant )) et déjà di-
saient qu'on avait « adopté pour ceLLe marche l'ordre équi-
latéral " )).
Ceux-là se mon traient un peu trop précis dans leurs
prévisions. D'autres ne l'étaient guère moins; ils disaient
qu'il J'allait préparer une marche sur Melilla'; ils affir-
maien t qu'on s'en occupait; l'expédition serait forte de
10000 hommes; elle devait partir de l'embouchure du
Martine, en marchant le long de la côte « de conserve avec
une division navale chargée de la soutenir et de la ravi-
tailler. On s'al'n~terait en route ù Velcz, qu'on entourerait

molin (Carlos VI) et 1'{<jl1ip{e du g{'I](:ral Orlega en sa t'lneur durenl


avoir ([uelque inl1uence SUl' la hùle où se lrouvaille gouvernement de
conclure la paix. Il importail pour lui d'avoir dans sa main loules
les lroupes donl il pounâl disposer d sur lesquelles il pouvail comp-
ter.
r. G. de Lavigne, op. cil., p. IG3.
2. G. de Lavisne, op. cil., p. Il J.
:). Les lenleurs de l'armée de Tétouan surprenant certaines per-
sonnes il l\Iadrid, les journaux les expli([uaient par la nécessiL{, d'éviter
le reLour d'accidenLs comme celui de l'Oued Sm il' Cf. G. de Lavigne,
p. 18 7,
tl. G. de Lavigne, op. cil., p. Ilt,.
G. G. de Lavigne, op. cil., p. do.
Tf:TOUAN 4ü3

de postes avancés. A Mellila on reprendrait les posItIOns


d'où le brigadier Huceta s'était laissé si fatalement déloger,
et on les fortifierait de lTwnière à assurer l'inviolabilité d'un
large territoire autour de la place ».
D'autres encore voulaient combiner un mouvement sur
Tanger ~l l'aide des troupes du SerraUo et de la fameusc lé-
gion basque qui s'y porteraient au travers de l'Anjcra tandis
que l'armée prcndrait la routc du Fondaq 1.
Et tandis (lue s'ouvrait l'ère dcs négociations, llui s'au-
nonçaient commc dcvant êtrc péniblcs, lcs plus exaltés en
Espagnc désiraicnt ne pas les voir réussir et le parti de la
guerrc dominait.

~ (1. - Nouvelles négociations pOUl' la paix


(16 février -
21 mars 1860).

Le 1 G févricr, les mêmes parlcmcntaires se présentèrent


aux avant-postes du corps de Prim, à trois lll'ures dc I"a-
près-midi. Le général lcur fit donner une cscorte qui les
accompagna jusqu'au quartier général en traversant la ville.
L'entrevue fut plus longue celte fois quc la première; le
maréchallcl1l" exposa longuement les conditions stipulées.
Parmi les principales, figuraient l'ineorporatiOiI perpétuelle
au tcrritoire cspagnol de la ville de 'fétouan cl. du tCl'I'itoire
confié à l'administration de son pacha; celle de tout lc ter-
ritoixe compris entrcla mcr, la Sicrm Bullones et la Sierra

1. G. de La ligne, p. 120. - Voyez aussi cc qui suit (f'(,vrier): « Des


troupes garderont, dans des blockhaus, Il) territoire conquis par l'ar-
ll1(,e. On fait venir di's il présent d'Espagne il Ceuta 1111 dMac1Jell1ent
de 200 pr(,sidiaires qui yont Hre employ(,s il l'aablissement d'une
yoie de fer il traclion de c1Jl)val enlr(~ Ceula cl Taug('1'. )) On se pro-
posai 1 de forLi Il PI' l'ile de Peregil; mais ce dernier dessein semblai 1
peu s(~rieux il G. de Lavigne, car, dil-il, p. 19!': « Les puissances euro-
pvennes ne sauraien 1 fermer les yeu x. »)
ARCHIVES l\IA}WCAINES

Bermeja, de Ceuta à Tétouan; des limites plus étendues


autour de Mclilla, pour en assurer la défense, un traité de
commerce et la tolérance pour les missionnaires religieux
de l'Espagne au Maroc, plus une indemnité de 200 mil-
lions de réam:: (50 000 000 de pesetas) 1. Un délai de 5 jours
était accordé pour ratitler ces propositions. « A la lecture
de ces exigences, aussi peu généreuses qu'imprudentes, les
envoyés gardèrent un profond silence, n'ayant pas mission
pour discuter, et se contentèrent d'exprimer le regret
qu'une paix aussi nécessaire ne pût s'effectuer 2. »
Us demandèrent ensuite au maréchal l'autorisation de
passer la nuit à Tétouan, aiîn de ne pas être obligés de
voyager après le coucher du soleil. On mit à leur dispo-
sition la maison de Hzini; ils y demeurèrent sans vouloir
accepter d'abord ni aide, ni quoi que cc fût, « se conten-
tant pour toute nourriture du riz ct des dattes qu'ils por-
taient avec eux:1 ». Mais le général 11ios voulait leur
montrer l'estime en laquelle ils les tenait, en tant qu'adver-
saires braves et courageux. Il les pria donc d'assister à une
soirée, à laquelle il convia un grand nombre d'officiers, les
journalistes et les artistes qui suivaient l'armée. La réception
eut lieu dans la maison du frère de llzini, qui, par un heu-
reux hasard, était demeurée complètement meublée. Son
propriétaire n'avait pas quitté la ville, et avait même, pa-
raît-il, laissé jusqu'à ses bijoux cl son argent à leur place
accoutumée, conflant dans la loyauté des oificiers qui lo-
geaient chez lui, à cette époque. La musique d'un régiment,
placée dans la cour de l'habitation, devait exécuter des
symphonies pendant la soirée. Les Marocains arrivèrent à
8 heures précises, entrèrent, suivant leur coutume, en s'in-
clinant, en portant la main ù la poitrine et en défaisant

1. Jeronimo Becker, Espaiia y i\1arrllecos, p. Œl-{i(i.


2. Yriartc, op. cil., p. 211.
3. Yriarlc, p. 2 d.
TÉTOUAN

leurs babouches. Ils essayèrent d'abord de se conformer aux


usages européens; mais, bientôt, abandonnant fauteuils,
pliants et chaises, ils s'assirent sur les tapis; Rzini, le géné-
ral Hios, ses deux brigadiers, les envoyés ct un notable
tétouanais formaient le cercle autour du brasero, tandis
que le reste des invités s'était étendu sur les coussins et les
tapis dans une autre partie de la pièce.
Le lieutenan t de Moulay 'Abbùs se montra plus affable que
les autres ct plus causeur; il répondait avec bienveillance
aux questions des journalistes, comprit parfaitement ce
qu'ils désiraient, - causer des conditions de paix tenues se-
crètes, - fit son possible pour les renseigner sans manquer
à son devoil' et les séduisit généralement par sa bonne
tenue, sa distinction, son air noble et délicat en même
temps 1.
« Les conditions de la paix étaient regardées comme
secrètes, et quoique le général Hios, par sa position, fût à
même de les connaître, il ne pouvait pas les discuter
franchement devant nous tous; la conversation roula donc
seulemen t sur les avantages qu'il y aurait pour les Maures
à cesser cette guerre; on leur représentait les forces énol'-
mes dont disposaient les Espagnols, l'excellent état des
tl'oupes, l'abondance des vivres, le matériel immense dont
disposait le génie ct l'artillerie; tous exprimèrent à plu-
sieul's l'eprises l'impossibilité où se trouvait l'empereur du
Maroc de distraire de son territoire une ville aussi impor-
tante que Tétouan. Quand le général Rios énuméra les sa-
crifices que pouvait faire la nation, le nombt'e d'hommes
qu'elle pouvait lever, les sommes énormes que les Cortès
meUraient à la disposition du gouvernement, et toutes les
ressources dont l'Espagne pouvait user pour prolonger
celte guerre aussi longtemps qu'il serait nécessaire et cela
sans nuire en rien à sa prospérité intérieure, le généeal de

1. Yriartc, p. :n 3-2 [4.


ARCH. MAROC. 30
ARCHIVES MAROCAINES

cavalerie Ben-AIJu (lisez Ben Aouda) lui répondit que, du


côté des Maures, la guerre pouvait être éternelle sans que
pour cela il en coûtât quoi que ce fût au pays lui-même.
Cinq cents hommes renouvelés de temps en temps, atta-
quant avec discernement ct divisant les forces ennemies,
sulIisaient pour empêcher toute la garnison de Tétouan de sc
reposer un seul instant; cette occupatiOlI deviendrait impos-
sible lUI jour; puis la politique anglaise était frois-
sée, il faudrait arriver à des arrangements diplomatiques,
peut-être à un congrès, ct certainement jamais nations
réunies ne consentiraient à ce démembrement de l'empire 1 •
« Le seul résultat qu'obtin t toute la diplomatie du général
Hios fut de savoir que les perles de l'ennemi avaient été
énormes ct que, dans leur armée, un blessé était un hOlnllle
mort, à cause de l'inlmbileté dc lems médecins ct du manque
d'organisation du service sanitaire. Leurs finances aussi
étaient dans un état désespéré. « On vous a trompés, dirent-
« ils, quand on vous a représen té Fez comme une magnifique
« cité contenant des richesses immenses ct un trésor inépui-
« sable. Chez vous la prospérité d'un pays est représentée
« parson crédit, et nous autres nous avons tout àatLendre de
« nous-mêmes; nos fortunes particulières, aussi bien que
« celles de l'état, sont toutes en numéraire, ct vous savez
« quelle immense (luantité d'argent monnayé il faudrait
« pour représenter un million. » Quant à la guerre elle-
même, ils ne voulurent pas avouer que le soldat espagnol,
pris individuellemen t, valait plus que le leur, ct que cet
esprit de discipline qui fait du troupier un instrument docile
dans la main d'un chef, donnait aux armées une incontes-
table supériorité. Les plus vraies de toutes leurs assertions
furent celles relatives à l'artillCl'ie; ils reconnaissaient
qu'elle venait changer toute leur tactique et qu'il leur
faudrait renoncer à lutter contre les Européens ou Lien se

r. YriarLc, p. 218-219'
T~=TOUAN 1;67

munir eux-mêmes de canons et enrôler quelques renégats


pour sel'vir les pièces et dresser les artilleurs 1. »
Les parlementaires partirent. Ben Aouda, qui servait
d'interprNe, vint quelques instants après apportant
une boîte de dattes du jardin du Sultan, adressée en
cadeau. suivant la coutume du pays, au maréchal 0' Don-
neU.

Cependant le maréchal 0' DonneU ", ne se fiant pas aux


pourparlers engagés, continuait ses préparatifs en vue d'une
marche sur Tanger. De son côté Moulay 'Abbûs avait en-
voyé à F(~s un courrier pour prévenir son frère le Sultan
et lui demander conseil. Le 20, Ben Aouda revint au camp
espagnol, demander que le délai accordé fût prolongé de
huit jours, afin d'avoir le temps nécessaire pour l'ecevoil'
les instructions de la cour. Le maréchal refusa, disant que
« ce serait 1ili rc acte de peu de prudence que de laisser à
son ennerni le temps d'augmenter ses forees:\». Il craignait
en effet que cette demande ne fùt qu'un prétexte. Alors
Ben Aouda demanda au maréchal d'accorder une entrevue
à Moulay 'Abbtls ; mais il ne croyait pas qu'il fùt décent pour
ce dernier de pénétrer dans une viUe qu'il avait perdue. Le
maréchal accepta.

Le 23 février, Ben Aouda revint vers midi; il prévenait


0' Donnell que Moulay 'Abbûs l'attendait à quelques kilo-
mNrcs des murs, au confluent de l'Oued Semsa et de
l'Oued Tétouan. L'endroit du rendez-vous se trouvait
éloigné de la ville d'environ une lieue, et d'une lieue et
demie du camp marocain. Le maréchal, suivi de son
état-major, d'une escorte de cuirassiers de moins de

1. YriarLc, p. 220-221.
2. Alarcoll, Il, p. 190-192.
3. YriarLc. p. ~d7'
468 ARCHIVES MAROCAINES

100 hommes, trouva les parlementaires aux avant-postes.


Les généraux Garcia, Bios, Prim, Ustariz et Quesada l'ac-
compagnaient, suivis eux-mêmes d'une escorte d'une cen-
taine de cavaliers; avec eux venaient aussi l'interprète
Rinaldi, Alarcon et Abaïr. Le chemin était fort mauvais,
abîmé par la pluie tombée la veille; le pays promettait, si
l'entrevue n'avait pas de solution, des difficultés sérieuses
pour la suite de la campagne. Arrivés à un kilomètre de
la riche tente dressée dans la plaine par les soins de
Moulay 'Abbâs, 0' Donnell fit faire halte à son escorte qui
sc forma en ligne de bataille; il s'avança de quelques pas
suivi des seuls généraux, donnant toutefois l'ordre de
laisser passer les chroniqueurs et les correspondants de
journaux qui pourraient survenir.
La tente s'élevait dans un lieu découvert, afin d'écarter
tout soupçon d'embuscade possible. L'escorte de Moulay
'Abbâs s'était arrêtée sur une petite colline à 500 mètres plus
loin; elle se composait d'un millier de cavaliers et fantassins
de la garde noire, choisis parmis les plus élégants, les plus
riches et les plus beaux, tenant quantité de drapeaux de
toutes couleurs. Un gl'Oupe de caïds, presque tous les digni-
taires de l'armée se tenaient en tête; à deux cents pas en
avant, le prince était à cheval, entouré d'un peLit groupe
de hauts fonctionnaires, parmi lesquels Mohammed El-I\ha-
lib, un conseiller privé du nom de EI'zebi, un lieutenant du
prince chargé de négocier la paix et Ben ilouda qui faisait
fonction d'interprète 1.
Dès que les Marocains virent le maréchal s'arrêter, ils
détachèrent six cavaliers qui accoururent à fond de train.
Le maréchal envoya au-devant d'eux six autres cavaliers
également avec l'interprète et le général Ustaritz à leur
tête; les deux groupes échangèrent des paroles rapides,
arrêtèrent le cérémonial et revinrent dans leurs lignes. Im-

1. Yriartc, p. 239. - Alarcon, II, p. 190-192.


TETOUAN 469

médiatement, chacun des chefs d'armée se porta vers la tente


suivi de son état-major; Moulay 'Abbâs avec une trentaine
de cavaliers y arriva au grand galop, seul à trente pas en avant
de ceux qui l'accompagnaient. Il mit pied à terre en même
temps que 0' Donnell: tous deux sc serrèrent la main et se
dirigèrent vers la tente où le maréchal devait entrer le pre-
mier en sa qualité d'hôte, Les sept personnes qu'il avait
avec lui demeurèrent à la porte, sauf l'interprète; El-
Khatib, Erzebi ct Ben Aouda entrèrent à la suite de
Moulay 'Abbâs: Rinaldi fermait la marche.
Le soi-disant lieutenant de Moulay 'Abbâs, peut-être un
secrétaire, se tint également à la porte, écoutant ce qui se
disait; à quelques pas, les chevaux des chefs. Moulay 'Abbâs
avait deux superbes bêtes qu'il montait tour à tour, et que
deux esclaves caressaient d'éventails en plumes d'autruche
pou l' chasser les mouches.
« Le maréchal, assez bouillant et assez emporté, avait ren-
contré dans Mohamme dEl-Khatib un contradicteur acharné,
le prince sc taisait et c'était au ministre seul que le général
en chef s'adressait. Je suis certain que la traduction de l'in-
terprète était presque superflue, tellement était vive la pan-
tomime du maréchal. A un certain moment, quand on eut
posé en principe la conservation de Tétouan pour les
Espagnols, Mohammed El-Khatib répondit que les Maures,
avant de céder la ville, se feraient tuer jusqu'au dernier. Le
maréchal, voyant que la première condition, la plus sé-
rieuse, était rejetée, voulut mettre fin immédiatement à
une cntrcvue qui n'avait désormais plus dc but, puisque
lui, général en chef, ne faisait qu'exécuter les ordres du pa-
lais; il s'emporta contre EI-Khatib, et lui dit que ce n'était
pas à celui qui restait au milieu des villes, à l'abri du dan-
gel', de discuter les conditions de la paix 1, mais bien au

1. Le maréchal aurait même répondu à EI-Khatib dans des tennes


peu protocolaires, si sa réponse fut telle que l'enregistre G, de LaYigne,
liO MICIIIVES MAHOCAINI~S

prince qui avait vaillamment combattu et que nous avions


v Il exciter ses tro Il pes à la résis tance et ramener les fuyards
aux tranchées; puis, résolu de mettre fin tl tous ces débats,
0' nonnell se leva violemment, tendit la main au prince
en lui disant qu'il lui inspirait la pIns vive sympathie el
qu'il était heureux de l'avoir connu. Mouley Abbas vou-
lait la paix; il sentit qu'il sc briserait contre celte volouté
de fer, ct, saisissant 0' Oonne11 par sa tunique, il le fit
asseoir, l'engageant à continuer la conférence. El-Khatib
était humilié; mais il in voq uait toutes les ressources qui
existaient en faveur de la cause marocaine, ct, jetant le
masque, il parla de notes diplomatiques par lesquelles on
s'était engagé à ne pas conquérir: il parla de puissances de
premier orclre intéressées tl cc que Tétouan ne devînt pas
espagnol, d'intel'ventions armées ... Mouley Abbas lui
imposa silence, ct donna la dernière preuve de l'immense
désir qu'il avait de tout concilier, en demandant un dernier
délai qui permît d'arriver jusqu 'il l'empereur, de lui expli-
quer clairement la situation ct de lui ouvrir les yenx SUl'
l'état réel de ses forces et les ressources des Espagnols ...
Le maréchal refusa tout délai, sc déclarant maître de recom-
mencer, le lendemain, la marche sur Tanger. Mais,
néanmoins, s'il regardait comme un devoir pour lui de ne
pas permettre tl l'ennemi cl' augmenter ses ressources, il se
làisait aussi un scrupule de paraiLl'e agir en vaiulluelu' peu
généreux, ct déclara tl l\Iouley Abbas que, dès {Jue les hos-
tilités auraient recommencé, en quelque lieu que l'on l'lit,
à Tanger ou plus loin, aussitôt lIu'une bannière de parle-
mentaire s'élève mit au milieu de la mêlée, il feraiL cesser le

op. cil., p. l55: « Cela Le va bien, il Loi, de faire le Jml\l: d de par-


ler de cornbaLs, lorsque Lu n'as pas d'épée, el lorsque Lu n'as qn'il
Le prélasser ail mi lien de Les esclaves dans La sompLuense villa de
Tanger. » Mais on ne saurait garantir le Lexte comme étant exacte-
ment celui de la réponse.
TÉTOUAN 471

feu et enlamerait de nouvelles négociations de paix. Mouley


Abbas était profondément ému, sa physionomie respirait
la tristesse la plus profonde; EI-Khatib me parut irrité et
plein de ressentiment; quant à Ben Aouda, il assistait à la
scène avec l'impassibilité du subalterne auquel il est in-
terdit de s'étonner 1, »
On sc sépara après une présentation rapide des généraux
présents; à chacun Moulay 'Abbâs tendait la main, L'en-
trevue avait duré une heure environ; il ne restait plus à
chacun qu'à faire ses préparatifs pour la continuation de la
lutte le plus vite possible 2.

Quelques pourparlers eurent encore lieu dans l'intervalle


de temps qui sépara ce jour de la marche sur Tanger el de
la bataille d'Ouedr'as (23 février au 2:3 mars). Mais ils
n'avaient plus un caractère sérieux et n'étaient guère desti-
nés qu'à entretenir les relations en vue de l'avenir,

1. Yriarle, p. 21,2-244.
2. Le fait est raconté de la fal,~on suivante par Es-Selaoui, lslùjçâ,
IV, p. :\20: « O'Üonnell s'avanç.ait accompagné d'un groupe de chefs
de son armée. Vint avec lui celui qu'il avait mis la lôle des Musulmans
Je Télouan, EI-IL\dj Ahmed Abaïr dans l'espoir de servir c!'inler-
pd-te cnlre lc's 2 chers d'arrnt~es, cl pour tirer quelques proJils de la
descriplion de cette assellJhl(~e ct de son éclat. ~lais son espoir ful
d(;çu. Lors(lue les deux groupes arrivèrent auprès de la tcnte, tous
lcs gens restl~rent il une certaine (Iistance d'elle; n'y péIH'trl:reut (lue
Moulay 'Abbâs, O'Donnell cL El-Khatih; personne autre ne prit
paz·t il ce qui y fut dit. O'Donnell commença il se montrer d'uue
courtoisie et d'une al1'abilité extrèmes vis-il-vis de ;\Ioulay 'Abbùs. lis
s'entretinrent pendant une heure; puis la séance rut levée. On raconta
qlle O'Donnell désirait la paix; mais Moulay 'Ahbùs s'abstint de raire
une l'l'ponse rerme el soumit ces propositions il la déci:sion de son
frère le Sultan Sidi ;\lolwlIll11ed ; puis cbacun partit de son l'Ô''''. Les
gens col11menci~rent il sc demander (luelle serait la réponse du Sultan.
Au bout d'un certain temps, la nouvelle arriva que le Sultan n'ac-
ceptail pas cette paix. Tous demeurèrent alors dans leur situation
première. ))
472 ARCHIVES ~IAROGAINES

Ainsi le 13 mars, à la suite de l'affaire deSemsa, les par-


lementaires de Moulay 'Abbâs revinrent. Ils demandaient
la modification des conditions préalablement faites, dans un
sens moins rigoureux: la cession de Tétouan était impos-
sible et de nature tl compromeLlre le trône par l'indignation
qu'elle soulèverait dans le pays. Le maréchal crut à la sin-
cérité des envoyés, comme presque tous ceux qui les
virent. Il décida d'envoyer un émissaire en Espagne, pour
demander au gouvernement espagnol de renoncer ~l l'an-
nexion perpétuelle de Tétouan, mais à condition que l'in-
demnité de guerre serait élevée à 25000000 de douros et
que Tétouan ct ses territoires seraient conservés par l'Es-
pagne, en garantie, jusqu'au paiement complet de l'in-
demnité '.
La réponse devait être le 17 entre les mams du maré-
chal. A celte date, en erret, le gouvernement de Madrid fit
savoir qu'il avait modifié les premières conditions de la
paix: Tétouan resterait aux Espagnols, non comme pos-
session, mais comme garantie des 500000000 de réaux
d'indemnité que le Maroc payerait à l'Espagne 2 ; les redou-
tes élevées autours du Ceuta, du Serrallo ct la Casa del Hene-
gado seraient les nouvelles limites du préside; on éta hlirait
une pêcherie sur un des points du littoral, à déterminer
ultérieurement, en faveur de l'Espagne; le représentant
de celte puissance pourrait résider dans la capitale du Ma-
roc; les missionnaires auraient la faculté d'exercer leur
culte dans quelques points désignés. La réponse de Moulay
'Abbâs devait parvenir le 21 au plus tard 3. Celte
réponse arriva le 21 en effet; elle était négative quant à
Tétouan, que le Maroc ne pouvait céder, même provisoi-

I. Jeronimo Becker, op. cit., p. 67-68.


2. Alarcon, Il, p. 24l1-246.
3. Yriarte, p. 271-276.
Tf:TOUAN 173

rement, même en garantie du paiement de la contribution


de guerre 1.

§ 5. - /lvotation de l'état d'esprit des belligérants


pendant les né,gocialions 2.

Deux partis s'étaient donc formés au Maroc: l'un, à la


tète duquel se trouvait Moulay 'Abbâs, désirait la paix 3 •
Le prince avait compris qu'il lui serait bien dillicile de tenir
tête aux Espagnols, malgré cc que la situation ojTrait d'avan-
tages apparents; la plupart de ses chefs et de ses hommes
pensaient comme lui; le découragement pesait sur beau-
coup. Mais dans l'entourage du sultan un groupe impor-
tant de hauts dignitaires ct de fanatiques voulait continuer la
guerre ;1 tout prix.
C'est alors gue, pris entre ces deux influences contraires,
le sultan décida que l'issue de la bataille prochaine, qui fut
celle d'Ouedr'as, lui dicterait sa décision.
Sans doute aussi l'Angleterre jugea-t-elle opportun
d'intervenir en secret pour préserver Tanger de toute entre-
prise de la part des Espagnols et pour éviter des complica-
tions ultérieures possibles, si la ville était prise par l'Es-
pagne; ses eJTorts durent agir avec d'autant plus d'efficacité
que les Marocains étaient vraisemblablement un peu désil-
lusionnés" quant à la possibilité d'une intervention active
ct immédiate de la Grande-Bretagne à leur profit, dans la
question ü.

J. Alarcon, II, p. 246.


2. Schlagintweit, p. ,)41-356.
3. G. de Lavigne, op. cil., p. J 35, écriyait en mars; « Mouley 'Abbas
désire aussi la paix. »
4. Yriarle, op. cil., p. 27\.
5. Le langage de l'Angleterre semblait indi(luer moins d'animosité
au fur et à mesure que se confirmaient les victoires espagnoles (G. de
1/-1 AHClil VES MAHOCA1NES

Il Y avait toujours également deux partis opposés du


côté des Espagnols: celui qui désirait la paIx avait
son siège principal en Afrique et dans l'armée 1. Dès

Lavigne, p. 1(7)' Mais il est I~vident que cette puissance ne pouvait


se départir de sou plan, eml](\c1wr toute conql[(\te au Maroc. De La-
vigne, p. d?, dit aussi en elfet: « Le bruit a courll (mars) (l'Je les
ambassadenrs de France et d';\ngkteITe a"lienL fait une démarche
amicale aupri's rln gonvernement espagnol pOllr Ini exprimer l'opi-
nion qu'il devait considérer l'honneur national comme satisfait et ([ue
la campagne n'avait plu" d'objet maintenant. On a ajouté qu'une
d/'pèche de M. Mon, l'ambassadeur d'Espagne il Paris, avait annoncé
le dl~part d'une escadre anglaise pOIlC les eanx de Tanger, ct avait
donne d'assez nets cOll1uwnlaicl's des interpellations adress(~es da us le
ParlenIent anglais il lord ,Johu Hns;,ell, au sujd des intentions nlt/~­
rieures de l'Espagne. L'/'motion parait ,\\oir été des plus vives; elle
s'est un instant calmée, lorsqu'nn journal est v('nu dire I[ne l'Espagne
était sllre désormais des sYlllpalhil~s de la Grande- Bretague, ct que
cl'lIe-ci, qui reste paisible maitresse de Gibra[tar, l]ni vient de conso-
lider ses possessions des Indes, l]lli, pent-î~tre, va ronder de nomean:c
aablisselllenls en Chine, ne pouvait penser il contester il l'Espagne le
droit de conserver un territoire qui lui a appartenu autrefois, cl
qu'elle vient de ]'('con(ll[(~rir au priv de tant lk sang, de tant de sa-
crilices. ))
1. Es-~'klaoui n'a ('U garde d'onwUre ce fait, l'n entonrant sa rela-
tion lk détails pins ou JIloins evacls, mais pitlorl's([ues. « Quaud ou
parla de la paiv, dit-il (lslùj,:ri, IV, p. 21 S), Il's I\lnsufmans s\·u !'(~joui­
l'l'.Ul, les Chrétieus all"si. La joie des :i\lusullllans l'lit llIanil'esle.
Qllaut aux CIJl'('~tieus, s'ils alail'nt éliS ,icloriellx ils ne l'alaÎI'lIt pas
{,tri saus dillicnltl~; c'est an contraire au prix dl' combats sanglants, de
pertes cousid{'rabks et lIe peil1l's accablantes. Le Trl's-Hallt dit: « Si
vous soufhez, eux sOllfl'l'l'ut comme VOliS sOllfl'rez cl vous attendez
de Dieu cc l]IIC enx n'aUl'ndent pas. )) Ils soufl'rail'nt cle l'/oloignelllent
de leur pa)'s, dl' se voir imposl'r des habitlHlr-s alltrC's quC' cellr-s dans
lesllucllc's ils .naient al~ {'[el(~S, surtout Ic COJllmUlI des soldats: la
victoire est au prix cle leur destl'nclion cl leur sang en est le prix,
comme il est dit: « C'est par nn trollpeaull'ÙtlC'S qu'est paY/'e la rançon
du sabot d'lin cheval. »
« Un témoin a racontli que les soldats ch!'(~tiens, lorsqu'ils enten-
daient parler de la paix, éprouvaient une joie clouble de celle des
les premiers pourpaders engagés, alors que les troupes
campaient à Tétouan, beaucoup d'olIiciers et de soldats
opinèrent que la campagne avait assez duré. Ils « pen-
saient que l'injure faite au pavillon était amplement ven-
gée, qu'il ne restait à l'armée qu'à rassembler son maté-
l'ici, s'embarquer ct rentrer dans sa patrie, après avoir
relevé le nom de l'Espagne ct prou vé qu'on n'in su ltait pas
en vain son drapeau J. »
La plupart comprenaient que la continuation de la cam-
pagne, même avec le plus heu l'eux succès, ne pouvait
procurer de sérieux avantages politiques. D'un autre côté",
l'armée avait s~pporté de gl'Osses fatigues, éprouvé de
geandes pertes dans les combats cl par le fait des maladies;
le ravitaillement difIjcile et le climat inconstant rendaient
la vie pénible; les oHiciers avaient assez de gloire, assez
d'avancement ct de décorations: chez le soldat enfin « nais-
sait l'espérance de revoir l'Espagne ct, selon sa logique
naturelle, le troupier ne comprenait pas ce qu'il lui restait
à faire en Afrique, puisque les conquôtes étaient défen-
dues :'. » Et le maréchal le pensait aussi peut-être.
Mais en Espagne, le parti de la guerre subsistait; il ne

:\Iusulmans. Ils se mettaient il l'réqucnter ccnx-ci Pl il 1cs interrogcr


suries nouvelles.
« Toutes ]es fois (]u'ils entendaient qUc!(I'Je chose concernant la
paix, ils exultaient; et cela parce que tous les soldats chrétiens vont
au combat lllitlgTé eux. » lstiqçd, IV, p. :JI9.
Et aillel1l's: « Lorsque ]a nouvelle de la conclusion de ]a paix
arriva aux soldats chrétiens, ils en éprouvèrent une joie sans pareille
ct sc mirent il crier: « la pa:, la pa:) », « la paix, la paix! », ct ren-
trèrent il Tôtouan en chantant. Avec chaq\Je '\lusulman flu'ils rencoll-
traient ils sc montraient a1l'ables envers lui, comme pOllr sc réjouir
de la paix. ») ISllqçd, IV, p. 2:J r.
1. YriarLe, op. ci!., p. :1I0.
1.. Schlagintweit, op. cil., p. 340, 367 et 368.
3. Yriarte, p. 2 Il.
476 ARCHIVES MAROCAIl\;ES

voyait que les victoires remportées, les trophées 1, le ter-


rain conquis; il ne tenait compte ni des immenses diffi-
cultés de conserver celui-ci, ni des peines qu'il avait cOlllées
à conquérir. Une grande partie de la presse espagnole
s'obstinait à rêver, malgré tout, la conquête du Maroc;
certains exaltés voulaient « aller en avant et planter la ban-
nière rouge et jaune sur les murs de Fez et de Mé-
quinez ~ ).

1. Yriarte, p. ?1O. - Schlagintweit, op. cil., p. 340-.11, 1. - - ,\


propos de l'enthousiasme de la presse espagnole, voyez G. de Lavigne,
p. 1,6. Un journal d'Andalousie (on était plus calme à Madrid)
écrivait:
« Le général 0' Donnell a replacé l'Espagne parmi les nations de
premier ordre; il a fait en trois mois, à la tète de sa courageuse et pa-
tiente armée, plus que les trois hommes d'l~tat illustres qui condui-
saient les destinées du pays au temps de Ferdinand IV et de Charles III
(Ensenada, Floridablanca et Aranda); il a réparé en partie les fautes
des ministres de Philippe ct de Charles Ill; il s'est rendu digne de
tous les honneurs qu'avaient conquis Gonzalve de Cordoue par la
guerre, ct le cardinal Cisneros par la politique. Isabelle Ire eut auprl's
d'elle deux hommes éminents; Isabelle Il en possède un seul (lui
réunit consilio manuquc toules ces qualités remarquables! »
}lais G. de Lavigne, p. T 1 5-Il6, pense que « cette belle preuve de
forces et de vertus guerrières ne sumt pas pour le résultat (Ine l'Espagne
doit chercher il alleindre ct qu'illlli faul encore d'au Ires épreuves,
dussenl-elles lui coùler nne fois antant pour légitimer le langage tou-
jours trop emphati(l'le et trop promptement glorieux des organes de
l'opinion publique. '\ous n'admettons pas encore qn'i1 ait sufIi de ces
trois mois de campagne pour rendre à la couronne d'Isabelle, de
Charles-Quint et de Philippe Il les Geurons qui en sont tombés. »
2. Yriarte, op. cil., p. 210. - Beaucoup parlaient toujours de faire
du Nord de l'Afrique une possession espagnole avec capitaine général
« pour donner un caractère plus stable à l'occupation. » G. de La-
vigne, p. IH6.
L'enthousiasme avait continué depuis le début de la campagne et
les dons se succédaient. Le duc d'Osuna, ambassadeur en Russie,
réservait les 350 places d'employés supérieurs et les 1,)00 places
d'employés subalternes nécessaires à l'administration de ses immenses
biens en Espagne, les premières aux officiers, les secondes aux sous-
T~:TOUAN

Le parti de la guerre dominait aussi dans le conseil des


ministres, le maréchal excepté, qui en était le président.

ofliciers, caporaux et soldats que la guerre aurait rendus impropres


aux travaux de la vie civile ou à ceux de la vie militaire. II mit il la
disposition de l'administration tous les édifices qu'il possédait il porLl'('
des côtes méridionales pour établir des hôpitaux ou des magasins
(G. de Lavigne, p. 81).
En janvier, une souscription ouverte à Madrid pour les blessés
atteignait en trois jours, dans cette seule ville, deux millions de réaux.
L'armée môme y prenait part. A Burgos sa cotisation s'éle,ait il
125 081 réaux (G. de Lavigne, p. 86).
« L'infant don Henri, frL~re du roi, ct l'infante, sa femme, oiTrent
deux pensions de 5 000 réaux à des veuves d'olliciers tués il l'ar-
rnée.
« La cOllllnission permanente de la grandesse d'Espagne vient de
mettre il la disposition d li gouvernement une nouvelle somme de
T:!3500 réaux qui porte il 1 :131 000 réaux le chifTre de souscriptions
de celte partie éminente de la nation. Aux colonies, la ville de Maya-
juez il Porto-Rico s'est cotisée pour envoyer il l'armée d'Afrique un
navire chargé de rhum, de café, de tabac.
« M. Salamanca, le financier magnififplC de Madrid, a remis au
ministre de la guelTe, pour diverses affectations, 120 000 réaux.
« Une souscription ouverte il Bayonne a produit li 800 francs.
« Cuba ct la Havane oll'rent des sommes considérables ct on cite
surtout un prêt de 300000 piastres (1 ~)OO 000 francs), sans intérNs,
olfert pour une annl'e par la Banque, ID millions de réaux souscrits
dans toute l'île, 2 millions légués par une riche capitaliste, des enga-
gements pris par beaucoup d'autres d'entretenir, pendant toute la
durée de la guerre, les uns six soldats, d'autres trois et quatre. Le
tabac ct les caisses de cigares furent dans ces envois en nombre im-
posant. )) G. de Lavigne, p. 117.
Janvier. L'infant François de Paule ct l'infant Sébastien ont assi-
gné sur leurs revenus une pension annuelle de 4 000 réaux pour la
veuve ou les orphelins d'un ollicier mort en combattant.
Les riches colons de Cuba ont pris part aux souscriptions de la mé-
tropole; trois villes ont pris l'engagement d'entretenir chacune une
compagnie. On envoie des souliers qui faisaient faute (G. de Lavigne,
p. 97)'
Un habitant de Jaen donne li 000 réaux pour la marine; la reine
Marie-Christine 140 000, les Espagnols de Londres 150 700 réaux, un
AnCHIVES MAHOCAIN~:S

Aussi fut-cc avec une douloureuse surprise que l'armée,


bien assaglC, vint ù connaître les dures conditions faites au

captlame d'artillerie, commandant la place de Ciel~fuegos, à la IIa-


vaul', olTt'ait 50000 douros gagn{'s il la loterie ct ses services, On
IÙICC{'pta (lue les dl'rniers. Il l'nt incorporé à l'armée aVl'C le grade
de commandant d'infautcrie (G. de Lavigne, IL 1;)2),
Le duc de Montpensier, oncle du duc d'Eu, donna à l'armée
100000 réaux pour fol'tlH'r le capital d'une rente il servir à la veuve
ou aux enfants d'un oflicier mort en combattant (G. de Lavigne,
p, çp).
En mars, le Guipuzcoa votait avec enthousiasme un navire il hélice
qui devait s'appeler le Guipuzcoano (G. de Lavigne, p. I;)(j).
En janvier les bàtiments qui arrivaient de la Havane avaient ap-
por[(; une olTrande d(~ [wooo piastres Pl plusieurs quintaux de tabac
envoy{'s par les planteurs Pl les COmml'l\'ants.
I~n janvier, la ville de Palencia, daus la Nouvelle Castille, dout le
tiers de la populatioll travaille dans les fabriques dl' couvertures,
avait ellvo)'(; 1 (Joo COUVl'rtures (du prix de 35 l'l'aux chaqlw) avec
l'inscription Il Palencia il l'armée » (G. de Ll\iglle, p. 7')'
I<:u janvier encore, il/l(lt~ja,. avait voté une sonlllJe anlllwlle dl'
(j Gao n\aux il afTecter au service de six pensions destinées il des bless{'s
de l'al'llH;e J'Afrique, il la veuve Pl aux parents J'un soldat nlm\.
La liuuille du premier sofdat qui avait succOlnbé dans ccliI' guerre
disait recevoir une pension de la ville de Huesca.
Il SI) formait un comit{~ pour réunir des souscriptions ct les l'épartir
entre fes blessés ct les familles des victimes, COlllllle cela s'était fait
en France, aprl's la gnerre d'Italie.
l( Des villes votent des adresses aux corps Je troupes; Aldntara

envoie des éloges au bataillon des clwsseurs qui porte son nom ct qui
s'est signalé devant le Serra 110. Dans son enthousiasme, la vieille ville,
tant illustrée dl;jà par l'ordre de chevalerie (lui y a longtemps ha-
bitt\, compare tous les bra ves du bataillon il tous les preux de l'Espagne
héroïque, il Laïn Calvo, ['aïeul du Cid, il Gonzalez de COI'doba, à
Herllan de Pulgar, il Garcilaso el il Lara. » EXCl'S d'emphase, c'est
vrai, mais note caractéristillue Je l'enthousiasme Cil Espagne (G. de
Lavigne, p. 72).
G. de Lavigne dit ailleurs (p. 1(13):
« Nous nous sommes fait un devoir dl' mentionner les dons en-
voyps au gouvernement et il l'armée pal' les provinces et les particu-
T~~TOUAN "79
Maroc par l'Espagne, lors des premières démarches dc
Moulay 'Abbâs. - « Ceux qui eurent connaissance de

li ers ; ces dons flui sc succèdent sont, pour nous, le thermomèfI'e de


l'esprit public en Espagne, ct nous montrent que cc magnifique l'lan
de patriotisrne est encore loin de s'apaiser. Un journal de Madrid,
cssapnt une combinaison nouvelle, avait lwsard(\ de dire du ton le
plus dMaigneux qu'il ne fallait pas songer à conserver Tétouan; que
mieux valait pour ['Espagne, au lieu « de celte ville misérable, im-
productive et mal dl~fendue, sans port, sans commerce )), recevoir en
échange Mogador, qui Ini donnerait une position importante en face
de ses possessions des Canaries. Cette espi'cp de reculade a produit une
impression des plus pénibles.
« L'indignation a été gén{>rale, et l'inquiétude d'aulant plus grande
que cc journal, conllu comllie M.allt des pIns fMVlHl/'S an lllinisli'I'(',
avait proclamé Tl~llllJan, au lendemain de la conquNe, la ville riche.
la ville indnstriensl'. entonrl'e d'un territoire fel'lile, assise aupl'l\s de
la Médi terranl~e, dc.
« On l'roi t dl'couvrir dans ce langage nOlIYeau des concessions l'ailes
il de puissantes inl1uenc('s étrangt'>l'es Pl on s'ath'iste; mais il n'en
but pas moins soutenir 1'IlOnneur du pays pt aider il la gloire de ses
armes, ct les souscriptions continuent.
« Le comité permanent de la grandesse, qui avait diojil versé au
trésor Tl3 Goa n"au x, vien t cl'y apporter un nouveau don de ,GG 000.
Le million sera bienlôt compl(\té. Une représentation extraordinaire
au llwgnififlue thr'tltre du Liceo de Barcelone a produit .')5 000 réaux;
une souscription des employés du chemin de fer de Barcelone à Sa-
ragosse ct du canal d'Urgel, r6 000. Les Catalans ne s'en tiennent
pas là, ils se réunissent, se cotisent, ct comiennent d'ériger au milieu
de Barcelone un monument commémoratif de la campagne d'Afrique;
IOOO douros ont été souscrits dès la première réunion.
« Les dons particuliers méritent aussi leur mention; c'est une
riche canne d'honneur dcstin{~e par le capitaine général, don Manuel
de la Concha, au commandant du bataillon qui s'est le plus distin-
gué il l'enlèvement du camp marocain; celte canne est éclnie au clIe!'
du bataillon de chasseurs de Alba de Tormès. Ce sont encore des épées
d'honneur oll'ertes par plusieurs villes au maréchal 0'Donne1l ct au
général Prim. Grenade a voté l'une de ces épées dont la lame est com-
mandée au plus habile des armuriers de Tolède.
« La Havane ne reste pas en arriôre de l'élan de généreuse muni-
ficence dont elle a déjà fourni des preuves. Quatre particuliers on t
ARCHIVES MAROCAINI'S

ces conditions ne purent un seul instant se faire d'illu-


sions sur la paix. L'Empereur du Maroc lui-même, poussé
par la crainte de nouvelles conquêtes, aurait voulu mettre
fin à cette guerre en acceptant de telles conditions, qu'une
révolte aurait immédiatement éclaté compromettant le
trône et la dynastie. Enfin, pom l'Espagne, cette conser-
vation de Tétouan était irréalisable, car, outre le danger
immense qu'il y aurait à isoler une armée dans la ville,
pendant vingt ans ct plus la nation espagnole devait enfouir
dans sa nouvelle colonie des capitaux considérables, qui
n'eussent donné que bien tard de faibles résultats. La nation
tout entière se serait liguée pom se refuser à tout contact
avec les ennemis; les Rifains, les tribus errantes auraient
continuellement tenu les Espagnols en éveil, les troupeaux
auraient été enlevés, les ouvrages détruits, les construc-
tions renversées 1. »

Mais lorsqu'à leur tour les nouveaux pourparlers entamés


après l'affaire de Semsa ement échoué, une partie des cor-
respondants de journaux, tous ceux qui, par leur plume,
par leur parole, avaient (Iuelque espoir d'émouvoir l'opi-
nion publique, Alarcon en tête, se mirent à prêcher la paix
en Espagne, dans les journaux 2.
Navarro et Nufiez deArce quittèrent Tétouan:\ pour essayer

donné l'un 17000 piastres, deux autres 18000 chacun, le dernier


20 000, soit ensemble l'énorme somme de 3G5 000 pesetas. Les sous-
criptions de rîlc entière de Cuba ont déjà atteint un million de
piastrcs.
« Porto-Bieo a envoyé à la métropole 232 800 piastres, soit
l oG4 000 francs; le patriotisme y est aussi grand que la fortune
publique. »
r. Yriarte, p. 212.
2. Yriarte, p. ?o77, 279. 28r.
3. YriarIe, p. 28 1.
T~~TOUAN 181

d'ouvrir les yeux au peuple et cc lutter avee énergie contre


cet enthousiasme qui, selon l'expression d'Alarcon, devait
être si fatal 1 à l'Espagne )). Mais, les uns et les autres, ils
n'obtinrent guère d'autre résultat que de se faire accabler
d'invectives et accuser de vénalité par les partisans de la
gucrre à outrance.
Le maréchal, cependant, ne se voyait pas sans inquiétude
obligé de continuer une campagne qu'il désapprouvait main-
tenant. Il sentait l'armée fatiguée; il voyait approcher
l'époque des premières chaleurs qui rendraient la tâche
plus pénible pour les hommes; il comprenait les difficultés
de la marche en avant, comme nous l'avons exposé ci-
dessus' ; il redoutait qu'une entreprise contre Tanger n'en-
tra1nût à des complications diplomatiques. Ainsi s'explique
son mot prononcé d'un cc ton moitié sérieux, moitié badin)}
le jour où Nuflez de Arce vint avec Navarro prendre congé
de lui: cc Messieurs, dites à Madrid que si nous nous per-
dons, mon armée et moi, on devra nous chercher dans le
désert du Sahara. )) Il y avail cc au fond de cetle phrase
une sanglante critique de la situation politique )), dit
Yriarte H.
Mais puisque lui-même était impuissant à persuader le
pays de la nécessité de la paix, il fallait aller de l'a van t; et
la paix n'aurait pas eu lieu peut-être, après Oued'ras, aux
conditions accordées par l'Espagne sans l'intervention de
l'Angleterre. Le fait est connu, mais les détails ne le sont
pas.

1. Yriarte, p. 281.
2. Beaucoup considéraient la marche sur Tnnger comme très difIi-
cile déj1l, l'arrn(~e comme insufIisnrnment forle pour l'exécuter; il
plus forte raison pour ce (lui concernait la marche sur Fl's dont on
parlait en Espagne. Cf. G. de Lavigne, op. cil., p. r r{l-r r5.
3. Yriarte, p. 282.
AltCIl. ;\IAIUJC.
â82 ARCHIVES MAROCAINES

§ 6. - La conclusion de la paix 1 •

Le 24 mars, lendemain de la bataille de Ouedr'as, au


moment où l'on allait prendre les dispositions pour conti-
nuer la marche en avant, Aluncd Ech-Chabli, l'émissaire de
Moulay 'Abbâs, sc présenta aux avant-postes. Il demandait
à conclure la paix de la part de son maître; le maréchal ré-
pondit qu'il faisait abaltre les tentes, ct qu'il attendrait ainsi,
prêt à marcher, jusqu'au lendemain six heures du matin,
mais que, passé cette heure, il continuerait ses opérations.
Les conditions étaient celles précédemment faites, les der-
nières en date. Ech-Chabli écrivit immédiatement un billet;
il le dépl\cha à Moulay 'Abbâs par un cavalier de la garde
noire qui l'accompagnait et lui-même partit vers le Fondaq.
IL revint le lendemain 25, à toute bride, au moment où
l'heure fIxée pour le commencement de la marche appro-
chait. Il expliqua que Moulay 'Abbâs désirait venir s'en-
tendl'C en personne avec le maréchal, mais qu"il ne pouvait
être là que vers 9 heures; c'était en eiret le te1nps du Hama-
dan et le prince se levait un peu tard: il manifesta même
quelque étonnement de voir l'armée déjà prête à se mettre
en route.
Le maréchal iît de suite dresser une tente. A l'heure
dite, le peince marocain arriva, et le cérémonial fut sensi-
blement le même que la premièl'C fois. Moulay 'Abbâs, le
maréchal, les in terprètes et secrétaires pénétrèrent seuls
dans la tente; les membres de la pl'Cmière ambassade se
mêlèrent aux généraux groupés à quelques pas. Une suite
assez nombreuse, un fort détachement de la Garde noire
avec de nombreux caïds attendait un peu plus loin.

1. Yl'ial'le, p. 308-31 G. - .Jeronimo Becker, p. 70. - Alarcon,


Il, p. 256-258. - Schlaginlweil, p. 3:)7,
TÉTOUAN 483

La séance fut courte; Moulay 'Abbâs était, d'avance,


décidé à tout accepter. Son secrétaire rédigea les prélimi-
naires de la paix que Moulay 'Abbâs signa et scella de suite 1.

r. Le maréchal rendit compte de cet événement au gouvernement


espagnol par la leUre suivante (Baudoz et Osiris, p. 3[1 r) :
0
1 Dépêche du commandant en chef de l'expédition espagnole au
Maroc, en date de Ouedr'as le 25 mars 1860.

« Excellence,

« Les délégués de .Moulay El- 'AbbtlS se sont présentés de nomeau


hier à mon campement avec une leUre du Calife qui me manifestait
ses vifs désirs de la paix, et qui sollicitait pour cet objet une confé-
rence dans laquelle nous puissions nous mettre d'accord et signer les
préliminaires de la paix. J'avais déjil résolu de commencer un mou-
vement dont le résultat devait être de forcer le passage du Fondaq .
« Désirant ne pas difTt:rer ce mouvement, je lui répondis que,
dans l'hypothèse où, sachant que nos conditions étaient toujours
celles qu'il connaissait, il me donnerait avis de l'heure de notre en-
trevue avant six heures et demie du matin, le lendemain, je le rece-
vrais avec plaisir, mais que si je n'avais pas d'avis il l'heure dite, je
me mettrais en marche. Dl~.ià l'armée avait plié les tentes et elle se
disposait il marcher, qnand arrivèrent il toute bride les délégués pour
m'annoncer que Moulay El- 'Abbàs assisterait il l'entrevue entre huit
et neuf heures du matin. Je lis dresser ma tente il six cents pas de
nos avant-postes pour le recevoir. A son arrivée je m'avançai il sa
r~~contre, laissant ,mon quart:cr, général ct mon escorte il 300 pas et
n etant accompagne que des generaux.
« Dans la conférence ont été successivement adoptées tou tes les
conditions avec la seule modifîcation qu'au lieu d'être de 500 millions,
l'indemnité serait de 400 millions. L'insistance avec laquelle il solli-
citait la paix, son rang élevé de Calife ct la dignité avec laquelle il
supporte son malheureux sort, m'ont engagé il réduire l'indemnité il
lioo millions; il ne me paraissait pas gl~néreux il ma patrie d'humi-
lier encore un ennemi qui, tout en se reconnaissant vaincu, est bien
loin d'être méprisable.
« Nous sommes convenus de conclnre une suspension d'armes il
compter de ce jour et nous nous sommes séparés apri~s avoir signé
tous les deux les préliminaires de l'armistice.
« J'envoie il Votre ExceJlence les premiers en minute et le deu-
xième en copie.
AHCHIVES MAROCAINES

Le général Ustariz, secrétaire du maréchal, sortit de la


tente en disant: « Messieurs, nous sommes devenus amis. »
Immédiatement, les officiers espagnols entrèrent en con ver-
sation avec les caü]s marocains.

Satisfaction était donnée à l'Espagne par les prélimi-


naires de paix, dont voici les articles ;
Bases préliminaires approuvées pCll' S. M. la Reine,
de l'avis du conseil des ministres, pour la conclusion du
traité de paix entre l'Espagne et le Maroc, convenues entre
Leopoldo O'Donnell, duc de Tétouan, COlT/te de Lucena, capi-
taine général en che] de l'année espagnole en Afrique, et
Moulay EI-'Ab1Jâs, caliJr! de l'Empire du Maroc et Prince de
l'A 19arve t.
Leopoldo 0'Dol1ne1l, duc de Tétouan, comte de Lu-
cena, etc"
Et Moulay El- 'AbbtlS, Calife, etc.,
Di'llnent autorisés par S. M, la Heine des Espagnes et
pal' S. M. le Hoi du Maroc,
Sont convenus des hases préliminaires ci-après, pour la
conclusion du traité de paix qui doit meUre un terme à la
guerre entre l'Espagne et le Maroc.
Article premier. - S. M. le Boi du Maroc cède à S. M.
la Heine des Espagnes, tl perpétuité et en pleine souve-
raineté, tout le territoire compris depuis la mer, en suivant
les hauteurs de Sierra Bullones, jusqu'au chemin d'Anjel'a.
Art. 2. - De la mêlne manière, Sa Majesté le Roi du
Maroc s'oblige à concéder à perpétuité SUl' la côte de

« Aujourd'hui j'exécuterai le mouvement de rentrée dans ma


ligne; je vous en rais part pour (lue celle nouvelle soit portée à la
connaissance de Sa Majesté,
« Dieu garde Votre Excellence pendant de longues années,
« Campement cl'Ouedr'as, le 25 mars 1860.
« Signé: LEOPOLDO O'DONNELL, »
1. Alarcon, Il, p. 273-27!'-275. - Baudoz et Osiris, p. 3ft2.
T~:TOUAN 1·g:;

l'Océan, à Santa Cruz la PequeÎla, le territoire suffisant


pour la formation d'un établissement comme celui que
l'Espagne y a possédé antérieurement.
Art. 3. - S. M. le Roi du Maroc ratifiera dans le plus bref
délai possible la convention relative aux places de :Mclilla,
el Penon et Alhucemas, que les plénipoten tiaires de l'Es-
pagne et du Maroc ont signée à Tétouan le 2{1 aoi'tt 1859.
Art. Il. - Comme juste indemnité de frais de guerre,
S. M. le Roi du Maroc s'oblige à payer à S. M. la Heine
des Espagnes la somme de 20 millions de piastres. Le Inoele
de paiement de cette somme sera stipulé dans le traité de
paIx.
Art. 5. - La ville de Tétouan, avec tout le territoire qui
formait l'ancien pachalik du même nom, demeurera au
pouvoir de S. M. la Reine des Espagnes comme garantie
de l'exécution de l'obligation spécifiée dans l'article ci-
dessus jusqu'au parfait paiement de l'indemnité de guerre.
Aussitôt après que ledit paiement aura été efi'ectué intégra-
lement, les troupes espagnoles évacueront immédiatement
ladite ville et son territoire.
Art. 6. - Il sera conclu un traité cle commerce dans
lequel seront stipulés, en faveur de l'Espagne, tous les
avantages qui auraient été concédés ou qui le seraient à
l'avenir à la nation la plus favorisée.
A ri. 7. - Pour éviter, à l'avenir, des événements
comme ceux qui ont occasionné la guerre actuelle, le
représentant de l'Espagne au Maroc pourra résider à Fès ou
sur le point qui conviendra le mieux pour la protection des
intérêts espagnols et le maintien dcs bonnes relations entre
les deux États.
Art. 8. - S. M. le Roi du Maroc autoriscra l'étab1issc-
ment à F(~sd'une maison de missionnaires espagnols
comme celle qui existe à Tanger.
Art. 9. - S. M.la Reine des Espagnes nommera immé-
diatement deux plénipotentiaires qui, avec deux autres
<l86 ARCII1 VES MAHOCAINES

désignés par S. M. le Hoi du Maroc, devront rédiger les


artLcles définitifs du traité de paix. Ces plénipotentiaires
se réuniront en la ville de Tétouan, et les travaux devront
être terminés dans le plus bref délai possible qui, en aucun
cas, n'excédera 30 jours, à compter de celui de la date.
Le 25 mars 1860.
Signé: Leopoldo O'Do~~ELL.
Signé: MOULAY EL-'AUB\S.

Les bases préliminaires du traité de paix ayant été con-


venues et signées en tre l'Espagne et le Maroc par Leopoldo
O'Donnell, duc de 'l'<~touall, capitaine général en chef de
l'armée espagnole en Afrique, cL Moulay EI- 'Abbâs, calife de
l'empire du Maroc et prince de l'Algarve, à partir de ce
jour cessera toute hostilité entre les deux armées, le pont
de Buseja (lisez Bou-/'ifiha) devant être la ligne qui divisera
les deux armées.
Les soussignés donneront les ordres les plus péremp-
toires à leurs armées respectives, châtiant sévèrement qui-
conqueeontreviendra. Muloy El- 'Abbâs s'oblige à empêcher
les hostilités des Kabyles, ct si, par hasard, ils en commet-
taient malgré lui, il autorise l'armée espagnole à les chttLier,
sans que, pour cela, il soit entendu que la paix ait été
altérée.
Le 25 mars 1860.
Signé: Leopoldo O'DoNNELL.
MOULAY EL-'ABBls.

§ 7. E.D'el produil en Espagne el au Maroc


par l'annonce de la paix 1 •

L'impression produite en Espagne par l'annonce de la

I. « Il fallait se battre en avant de Tétllan, parce que l'opinion


TÉTOUAN Ml7

"1
' fut generaement
paiX ' 'Il e 1 . 1...les p l us mo d'cres,
petU) , mcrne A

ceux qui ne voulaient pas de conquêtes, parce que l'Es-


pagne n'avait « pas assez d'argent pour les entretenir, ni
assez de bras pour les garder, attendaient des conditions
indiquant davantage de quel côté étaient les vainqueurs ~ )).
A la désillusion s'ajoutait l'embarras causé par l'utilisa-
tion à trouver des préparatifs faits, la perte sèche occasion-
née par les dépenses d'achat d'un énorme matériel resté
sans emploi, celles nécessitées par la mobilisation des trou-
pes qu'il fallait maintenan t licencier sans qu'elles eussent

publique voulait encore une victoire, cLc. )) G. de Lavigne, op. cil.,


p. 160.
Telle était la véritable raison pour laquelle le gouvernement n'ayait
pu faire la paix plus tôt.
J. G. de Lavigne, p. ,65: «Madrid, nous dit-on, était dans uile
anxiét<S profonde; le cabinet <Stait divis<S ; la minorité parmi ses mem-
bres, -la minorité malheureusement, -- déclarait inacceptable toule
paix basée sur l'abandon de Tétuan; la reine assistait aux délibérations
de son ministère, en donnant tous les signes d'une vive agitation.
Lorsque la discussion fut close, lorsqu'il fut r<Ssolu que l'Espagne ne
conserverait pas sa conquête, ceLLe noble femme, qui s'est montr<Se si
enthousiaste des gloires de son pays, si heureuse de cette renaissance
qui assurait la grandeur de son tronc, n'a pu se dé:fendrc d'une pro-
fonde émotion.
« J'avais pensé, aurait-elle dit, que l'ayenir de l'Espagne était en
Afrique; je ne croyais pas qu'il füt impossible ou peu avantageux pour
notre pays de maintenir à toujours la bannil're espagnole sur les murs
de Tétuan; c'était pour moi la premil~re réalisation du testament de
mon illustre aïeule, Isabelle la Catholique! ))
« En sorlant du conseil, ajou te notre correspondance, la reine s'en-
ferrna dans ses appartements et rdusa de recevoir personne. « Je viens
de passer un moment cruel, dit-elle à ses senileurs; j'ai besoin de
repos! »
2. G. de Lavigne, op. cit., p. y(l8-r6g; tf. du même, p. ,65: On
avait espéré, avant la conclusion de la paix. qu'un arliele du trait<S
futur interdirait « au Maroc de jamais aliéner ses droi ls sur Tanger)) ;
on espérait encore qu'il existait, parmi les clauses serrHes, un arlicle
donnant ou promettant à l'Espagne des avantages, notamment des
avan tages territoriaux.
488 AHCHIVES lIIAROCAINES

presque servi; on cherchait le moyen de tirer parti quand


même de ces efforts. cc On assure qu'une pal'lie des troupes
avant leur rentrée en Espagne, ira Caire une démonstration
contre les barbares des environs de Mclilla, afin de ne pas
laisser sans vengeance le rude traitement qu'a reçu, il y a
un mois, le régiment provincial de Grenade.
cc Le train de siège, après avoir voyagé inutilement de
Cadix au Hio-Martin, du Hio-Martin à Tanger, où on cher-
chait il y a quinze jours un point de débarquement, est
rentré (1 l'arsenal de la Carraca. Le convoi se rembarque et
on se préoccupe d'utiliser en Andalousie, en les y accli-
matant, les chameaux amenés de notre province d'Oran.
cc L'augmentation de la flotte, la grande souscription
des provinces, vont devenir la plus sérieuse pensée du
pays 1. »
Et de fait la désillusion avait lieu de se produire. Le
rêve de conquête s'évanouissait. La paix se produisait mal-
gré la volonté de la reine, malgré le désir d'une partie no-
table de l'Espagne, au prix d'un traité médiocrement avan-
tageux pour cette nation, en définitive, et conclu au
moment même où ses armées venaient cl' être victorieuses".

T. G. de Lavigne, op. cil., p. IiI.


2. La désillusion flui se produisi t en Espagne, fluand on connut le
texte du traité. de paix, donna naissflllce il des articles de journaux
essayant « d'adoucir les regrets, en disant les uns, que la campagne de
Tétuan est mar('cageuse, et que la Jihrc y est il l'état cndémique;
les antres, f[lJeles produits du sol sont loin d') avoir l'importance
qu'on s'est plu il faire ressortir; d'autres encore, que le pays n'est
pas tenable, qu'on ne saurait faire un pas il cent mi~tres de la place
sans recevoir un coup d'espinganle; (Iu'on ne saurait sui\Te, sur la
rive gauche dn Hio~~Iartin, Je chemin de Tétuan il la mer, sans
apercevoir des Kabyles blottis sous les buissons de la rive droite, et
allendant patiemment une victime. D'autres feuilles tentent de pro-
longer l'illusion pal' une excursion dans le domaine des futurs con-
tingents. « 'J'étuan nous reste jusqu'il ce que nous soyons payés, et qui
peut dire à quelle époque le Maroc aura réalisé {'DO millions de
TETOUAN i8f1

Du côté des Marocains même 1, ce traité semblait un peu


inattendu lorsqu'il se produisit, et plus inattendue encore
était leur initiative en cette matihe. Sans doute Tétouan
était aux mains des Espagnols; mais ceux-ci n'y pouvaient
demeurer qu'au prix des plus grands sacrifices tant que
l'armée marocaine tiendrait la campagne. Or, bien que
vaincue à Ouedr'as, cette armée occupait au Fondaq une
forte position. Bien assurée de pouvoir faire ses approvi-
sionnements avec facilité dans la banlieue de Tanger ou
dans le Il'arb, elle avait devant elle un ennemi qui s'affai-
blissait d'autant plus qu'il s'éloignait davantage de sa base
d'opération, et qui, s'il avait éprouvé le moindre échec, se
trouvait exposé à se voir coupé de ses communications,

réaux! )) Le traité n'est donc pas sérieux ~ )) G. de Lavigne, p. 170-


171.
"Mais la note dominante c'était la désillusion et même l'anxiété.
« La paix avec le Maroc est signée, mais avec des particnlarités qui
paraissent laisser dans les esprits de vives inrluiétudes; les plénipo-
tentiaires marocains, chargés, aux termes de l'acte préliminaire, d'ar-
rêter les clauses du traité cl de signer au nom de l'empereur, sc sont
d'ahord fait attendre longtemps; puis, lorsqu'ils sont arrivés en grand
apparat, porteurs de présents pour la reine, pour le maréchal O'Don-
neIl, pour les principaux chefs de l'armée, on s'est aperçu qu'ils
n'étaient pas munis des pouvoirs n(~ccssaires. On vit le marnent où
le traité ne pourrait ôtre conclu, où il faudrait peut-être recommen-
cer à éombaUre et dans une saison d(ijit trop chaude. A dMaut des
plénipotentiaires, il a fallu l'in tervcntion du prince Muley-' Abhas,
qui s'est porté fort de la parole de son fri~re; les pouvoirs ont
été régularisés tant bien que mal sous la seule garantie du princc ;
le traité a (·té signé. Les 400 millions de réaux, tout prêts, disait-
on, seront payés dans un délai dont le dernier terme serait fixé
au I rr janvier 1861; mais l'empereur peut dire dans quelques
jours, une fois le maréclwl parti, une rois la plus forte pal'lie de l'ar-
mée rentd~e de l'autre coté du détroit, qu'il n'a pas autorisé le traité,
qu'i] en refuse la ratification. L'anxiété est grande, ct l'Espagnc, jouet
de la cautde barbaresque, sera peut-être exposée à se contenter de sa
gloire. )) G. de Lavigne, p. '73.
1. SchlagintweiL, p. 368.
!l90 AHCHlVES l'IIAHOCAINES

peut-être privé de vivres, si le mauvais temps ou les mon-


tagnards arrêtaient ou retardaient les convois. Mais, d'autre
part, le ciel politique au1Vlaroc n'était pas sans nuages: le
Sultan n'avait pas encore été reconnu partout; l'anarchie
désolait certaines régions d'une façon par trop évidente.
On a racouté que LOOOO Hi1àins environ firent leur appari-
tion le lendemain de la signature du traité dans les parages
de Tétouan et qu'ils y demeurèrent'; usqu' au 28 : ils aluai en t
ensuite été chassés par la neige et seraient rentrés dans
leur pays 1. Schlagintweit n'y croit pas; mais il ajoute que
ces indoeiles habitants des montagnes eussent pu devenir
aussi dangereux pour les Marocains que pour les Espagnols.
Peu de jours après la conclusion de la paix, les premiers
se battaient entre eux, au voisinage du camp de Monlay
'Abbâs.
On ne doit pas tenir grand compte des bruits qui cou-
rurent qu'un certain chérif avait réussi à réunir () 000 hom-
mes de tribus entre Fès et Tanger, ct qu'illcs conduisait à
l'armée marocaine. Celle-ci ne reç.ut au contraire que des
renforts peu importants: elle n'avait plus qu'à compter sur
elle-même. En1in, le caractère de « guerre sainte » qu'a-
vait revêtu le différend hispano-marocain, n'avait pas suffi
pour soulever le peuple entier autant que l'on s'y attendait:
un peu parce que, très clairsemé, ce peuple se trouve dis-
persé sur une immense étendue de pays, un peu parce que
le théâtre des opérations était trop excentrique et qu'une
très petite région se trouvait directement intéressée au ré-
sultat de la campagne. Les populations laborieuses et
commerçantes des villes du Nord, gênées par le blocus,
désiraient la paix 2 •

Schlagintweit, op. cit., p. 369.


1.
2. Je n'attends plus aucun résultat avantageux, avait dit Jlouley-
(c

'Abbas: .ï ai des braves parmi mes troupes, ct ceux-El meurent vail-


lamment; mais j'ai aussi des Liches, ct rien ne peut plus les convaincre
TJi:TOUAN 191

§ 8. - Le Traité de paix 1.

Un officier du ministère d'État, M. Francisco Merry y


Colon, était venu s'établir' à Tétouan avant la bataille
d'Ouedr'as~, lors des pourparlers engagés avec Moulay
'Abbâs, pour assister le maréchal de ses conseils. C'est donc
en pleine connexion d'idées avec le gouvernement, et sans
rien prendre sous sa responsabilité, que O'Donnell signa le
traité de paix à Tétouan, le 26 avril, après avoir, aupara-
vant, signé les préliminaires de paix, que nous avons
vus ci-dessus. Ce traité fut dressé en quatre expéditions,
en espagnol et en arabe, par les soins des plénipotentiaires:
le maréchal Q'Donnell, duc de Tétouan, d'une part; de
l'autre Moulay 'Abbàs, assistés de : pour l'Espagne, Luis
Garcia y Aliguel, lieutenant général et chef de l'état-major
général de l'armée d'Afrique et Tomas de Liguez y Bardaji,
majordome de la Reine; pour le Maroc, Mohammed El-
[(ha lib , ministre des affaires étrangères, et El-Hadj A/Hned
Ech-Chabli ben Abd El-Malek, chérif.
Il est à remarquer que, dans cc traité, le souverain du
Maroc est qualifié de roi et non d'empereur, comme dans
les précédentes pièces analogues 3.
Une convention explicative fut signée plus tard, à Tan-
ger, le 4 mai r861, par le consul général Francisco Merry

de leur devoir; ils fuient honteusement. Vous autres Espagnols, vail-


lants ou non, vous marchez avec assurance; la discipline vous soutient
ct vous rend victorieux. Chaque fois que nous combattrons mainte-
nant, nos armes seront humiliées.)) G. de Lavigne, op. cit., p. 160-
161.
1. Voyez Schlagintweit, p. 370. - Voyez aussi Baudoz et Osiris,
p. 343. - Rouard de Card, op. cit., p. 194.
2. Il Yétait arrivé le '7 février (Yriarte, op. cit., p. 377)'
3. Schlagintweit, p. 371, note.
192 ARCHIVES MAROCAiNES

y Colon et Moulay 'Abbâs, plénipotentiaires de l'Espagne


et du Maroc 1.
Voici le traité de paix in extenso

TUAITÉ DE PAIX ET D'AMITIÉ SIG:\É A Tl~TOUA:\


LE 26 AVHlL 1860.

Au nom du Dieu tout-puissant,


Traité de paix et d'amitié entre S. \1. Dooa Isabelle II,
Reine des Espagnes, et Sidi Mohammed, Hoi de Maroc, de
Fez, de Mequinez, etc.
Les parties contractantes pour S. M. Catholique sont
ses plénipotentiaires Don Luis Garcia y Miguel, grand-
croix des ordres royaux et militaires de Saint-Ferdinand et
Sainte-Hermenegilde, de Charles III ct d'Isabelle la Catho-
lique, décoré de deux croix de Sainl-Ferdinand de pre-
mière classe, et d'autres pour actions de guerre, oflicier de
la Légion (l'honneur de France, lieutenant général des ar-
mées nationales, chef d'élat-major général de l'armée
d'Afrique, etc., etc., et Don Tomas de Liguez y Bardaji,
majordome de semaine de S. 'M. Catholique, nolaire et
roi d'armes de l'ordre illustre de la Toison d'or, comman-
deur compris dans le nombre régulier des ordres de
Charles III et d'Isabelle la Catholique, chevalier de l'ordre
Inilitaire de Jél'llsalem, grand officier de l'ordre des Saints-
Maurice-el-Lazare, du J\ledjidié de Turquie ct du Mérile
de la couronne de Bavière, commandeur de l'Ol'dre de
Santiago d'Avis de Portugal et de l'ordre de François l''t
de Naples, ministre résident et directeur politique de la
première secrétairerie d']~tat, etc., etc. ; et pour S. M. Ma-
rocaine les plénipotentiaires, le serviteur, représentant et
confident de l'Empereur, le lettré Si Mohammed EI-Khatih,

1. Rûuard de Card, p. lOG.


T~~TOUAN

et le serviteur de l'Empereur, chef de la garnison de Tan-


ger, caïd de la cavalerie, el Sid EL-Hadj Ahmed Ech-Cha-
bli ben Abd El-~1alek, lesquels, dûment autorisés, sont
convenus des articles suivants:
Article prenûer. - Il Y aura paix. et bonne amitié per-
pétuelle entre S. M. la Heine des Espagnes et S. M. le Hoi
du Maroc et entre leurs sujets respectifs.
Art. 2. - Pour faire disparaître les causes qui ont mo-
tivé la guerre, aujourd'hui heureusement terminée, S. M.
le Hoi du Maroc, animé du désir sincère de consolider la
paix, convient d'étendre le territoire appartenant à la juri-
diction de la place espagnole de Ceuta jusqu'aux lieux les
plus convenables pour la sûreté et la défense complètes de
sa garnison, ainsi qu'il sera déterminé dans l'article suivant.
Art. 3. - Afin de meUre à exécution la stipulation de
l'article précédent, S. M. le Hoi du Maroc cède à S. M. la
Reine des Espagnes, en pleine possession et souveraineté,
le territoire compris depuis la mer en suivant les hauteurs
de Sierra Bulones jusqu'au ravin d'Anjera.
Comme conséquence de ce qui précède, S. M. le Hoi
du Maroc cède à S. :M. la Heine des Espagnes, pour le
posséder en pleine souveraineté, tout le territoire compris
depuis la mer, en partant près de la pointe orientale de la
première baie de Khandaq-Hahma, sur la côte septen-
trionale de la place de Ceula, en suivant le ravin ou ruis-
seau qui y finit, en monlant ensuite vers la partie orien-
tale du terrain où est la prolongation du mont du Henégat,
qui suit la même direction sur la côte, sc déprime très
brusquement pour fInir par un escarpement parsemé de
pierres d'ardoises et descend en côtoyant, depuis le passage
étroit qui s'y trouve, sur le versant des montagnes de Sierra
Bullones, où sont situées les redoutes d'Isabelle II, Fran-
cisco de Asis, Piniero, Cisneros, et Principe Alfonso, en
arabe Oued Aniate, pour sc perdre dans la mer; le tout
formant un arc de cercle qui sc termine dans la baie du
494 ARCIIlVES ~IAROCA1NES

Principe Alfonso, en arabe Ouad Aniate, sur la côte Sud de


la place de Ceuta, ainsi qu'il a été reconnu et déterminé
par les commissaires espagnols ct mal'Ocains, dans la con-
vention passée ct signée par eux lc 4 avril dernier.
Pour conserver ces limites, il sera établi un camp neutre
qui partira des versants opposés du ravin pour aller jusqu'à
la cime des montagnes de l'une ct l'autre partie de la mer,
ainsi (lU 'il est stipulé dans les mêmes articles de la con-
vention mentionnée,
Art. Il. - n sefa nommé ensuite une commission com-
posée d'ingénieurs espagnols ct mal'Ocains, qui marqueront
par des signaux et bornes les hau teurs indiquées dans l'ar-
ticle 3, en suivant les limites convenues. Cette opération
sera accomplie dans le plus bref délai possible. Mais les
autorités espagnoles n'auront pas besoin d'en attendrc la
fin pour exercer leur juridiction, au nom de S. M. Catho-
lique, sur cc territoire, lequel, comme tout autre cédé en
vertu de cc traité par S. M.le l'toi du\laroc à S. M. Catho-
lique, sera considéré comme soumis à la souveraineté de
S. M. la Heine d'Espagne depuis le jour de la signature
de la présen te convention.
Art. 5. - S. M. le Hoi du Maroc ratifiera, dans le plus
bref délai, la convention que les plénipotentiaires d'Es-
pagne ct du Maroc ont signée à Tétouan le 2{~ août 1859.
S. M. Marocaine confirme dès à présent les ccssions tcr-
ritoriales faites par cc pactc intcrnational cn faveur de l'Es-
pagne, ainsi que les garanties, privilèges et cadres des
Maures du Hoi octroyés aux places de Peiion ct d'Alhu-
cernas, comme l'indique l'article 6 de laconvention précitée
sur les limites de Melilla.
Ad. 6. - n sera placé, à la limite des terrains neutres
concédés pal' S. M. le Hoi du Maroc aux places espa-
gnoles de Ceuta et Melilla, un caïd ou gouverneur avec des
troupes régulières pour é\,iter et réprimer les attaques des
tribus.
TÈTüUAN 495

Les gardes des Maures du Roi pour les places espagnoles


de PeÎlon et d'Alhucemas seront placées au bord de la mer.
A ri. 7, - S. M. le Roi du Maroc s'engage à faire res-
pecter par ses propres sujets les territoires qui, conformé-
ment aux stipulations du présent traité, restent sous la
souveraineté de S. M. la Reine d'Espagne. '
Sa Majesté Catholique pourra néanmoins adopter toutes
les mesures qu'elle jugera opportunes pour la sûreté de
ces territoires, et y faire élever toutes les fortifications et
défenses qu'elle jugera nécessaires, sans que les autorités
marocaines puissent jamais y mettre obstacle.
Art. 8. - Sa Majesté Marocaine s'engage à concéder à
perpétuité à Sa Majesté Catholique, sur la côte de l'Océan,
près de Santa Cruz de Mar Peque/ta, le territoire suffisant
pour la formation d'un établissement de pêcherie, comme
celui que l'Espagne y possédait autrefois.
Afin de mettre à exécution ce qui a été convenu dans cet
article, les gouvernements de Sa Majesté Catholique et de
Sa Majesté Marocaine sc mettront préalablement d'accord
et nommeront des commissaires de part et d'autre pour
désigner le terrain ct les limites que cet établissement devra
occuper.
Arl. 9. - Sa Majesté Marocaine s'engage à payer à
Sa Majesté Catholique, comme indemnité pour les frais de
guerre, la somme de 20 millions de piastres, soit 400 mil-
lions de réaux de billon. Cette somme sera remise en
quatre versements à la personne désignée par S. M. Catho-
tholique dans le port désigné par S. M. le Hoi du Maroc,
et de la manière suivante : 100 millions de réaux le
le' juillet, 100 millions le 29 août, 100 millions le 29 oc-
tobre ct 100 millions le 28 décembl'C de la présente année.
Si S. M. le Hoi du Maroc payait la totalité de la somme
précitée avant les délais fixés, l'armée espagnole évacue-
rait sur-le-champ la ville de Tétouan et son territoire.
Tant que ce paiement total n'aura pas lieu, les troupes
490 ARCIIlYES MAROCAINES

espagnoles occuperont la place de Tétouan et le territoire


qui comprend l'ancien pachalik de Tétouan.
Ar-t. 10. - S. -XI. le Hoi du Maroc, en suivant l'exemple
de ses illustres prédécesseurs, qui accordèrent une pro-
tection si efficace et spéciale aux missionnaires espagnols;
autorise l'établissement, dans la ville de Fez, d'une maison
de missionnaires espagnols ct confirme en leur faveur tous
les privilèges et exemptions que les précédents souverains
du Maroc leur avaient accordés.
Ces rnissionnaires espagnols pourront, dans toutes les
parties du Maroc Oii ils sc trouvent ou s'établiront, sc
livrer librement à l'exercice de leur saint ministère, et leurs
personnes, maisons ct hospices, jouiront de toute la sécu-
rité et la protection nécessaires. S. M. le Hoi du :Maroc
donnera dans ce sens les ordres opportuns tl ses autorités
et délégués pour qu'ils accomplissent en tous temps les
stipulations contenues dans cet article.
Art. rI. - Il a été convenu expressément que, lorsque
les troupes espagnoles évacueront Tétouan, il pourra être
acheté l'espace de territoire nécessaire, près le consulat
d'Espagne, pour la constmetion d'une église dans laquelle
les prêtres espagnols pourront exercer le culte catholique,
et célébrer des messes pour les soldats espagnols morts
pendant la guerre.
S. M. le Hoi du Maroc promet que l'église, l'habitation
des prêtres el les cimetières des Espagnols seront respectés,
et il donnera des ordres à cc sujet.
Art. 12. - Afin d'éviter des événements comme ceux
qui ont occasionné la dernière guerre, et faciliter autant
que possible la bonne intelligence entre les deux gouver-
nements, il a été convenu que le représentant de S. M. la
Heine des Espagnes dans les Etats du Maroc résidera à
Tétouan ou dans la ville que S. M. Catholique jugera la
plus convenable pour la protection des intérêts espagnols
et le maintien des relations amicales entre les deux nations.
Ar!. 13. - Il sera conclu dans le plus bref délai pos-
sible un traité de commerce par lequel tous les avantages
déjà accordés ou qui seraien t accordés à l'a venir à la nation
la plus favorisée, seront concédés aux sujets espagnols.
S. M. leHoi du :Maroc, persuadé de la convenance de
cultiver les relations commerciales entre les deux peuples,
offre de contribuer pou l' sa part à faciliter, autant que pos-
sible, lesdites relations, en ayant égard aux nécessités mu-
tuelles et à la convenance des deux parties .
.'trl. If,. - Jusqu'à ce que le tl'aité de commerce, dont
il vient d'ôtre question, soit conclu, les traités existant
entre les deux nations avant la dernière guerre resteront
en Yigueur en tant qu'il n'y a pas été dérogé par le
présent.
Dans un bref délai, qui ne dépassera pas un mois après
la ratification de cc traité, les commissaires nommés par
les deux gouvernements se réuniront pour conclure le
traité de commerce.
Art. 15. - S. M. le Hoi du Maroc concède aux sujets
espagnols la permission g'acheter ct emporter librement les
bois des forôts de ses Etats en payant les droits, à moins
qu'il ne juge convenable, par une mesure générale, de pro-
hiber l'exportation à toutes les nations, sans que pour cela
la concession faite à S. M. Catholique, par le traité de 1799,
soit considérée comme modifiée.
Art. 16. - Les prisonniers faits l)ar les troupes de l'une
et l'autre armée pendant la guerre qui vient de finir,
seront immédiatement mis en liberté ct livrés aux autorités
respectives des deux États.
Le présent traité sera ratifié dans le plus bref délai pos-
sible et les ratifications auront lieu à Tétouan, dans le délai
de vingt jours, ou plus tôt, si faire sc peut.
En foi de quoi les soussignés on t f;lit cc trailé en langue
espagnole et arabe en quatre exemplaires: un pour S. M.
Catholique, un pour S. M. Marocaine, un qui reste dans
AHCH. )]AROC.
1!18 A nem \'ES ~IA HOC1\ IXES

les mains de l'Agent diplomaticlue ou Consul général de


l'Espagne au Maroc, ct le demier pour le \Iinistl'e des
relations extérieures de ce Hoyaume.
Les plénipotentiaires l'ont signé et cacheté du s.ccau de
leurs armes, li Tétouan, le 26 avril 1860 (4 Cltaouùl1266
de l'Hégire).
(L. S.) Luis GAHCIA.
(L. S.) TOMAS DE LIGUEZ y BARDA.II.
(L. S.) Le serviteur de son créateur MOIIA:'IIi\lED EL-
KIIATlB.
(L. S.) Le sel'Vitem de son Dieu AII~mD ECU-CHADLI
BEN AUMED t~L-i\lALEK.

II

NÉGOCIATIO~S APHÈS LA GLEHllE. - PAIEMENT DE L'INDE:'IINITÉ.


llésULTATS DE LA GUEHllE.

~ 1. - Ambassade (le illoula)' 'Ab/His ri Jlwll'ùl.

Le paiement de l'indemnité de guerre sc fit d'abord d'une


façon irrégulière 1. Le trésor rnarocain était obéré; d'autre
part, l'Espagne n'avait aucune autre garantie pour le recou-
vrement de sa créance Clue la mainmise SUl' Tétouan. 01'
nous savons les faibles avantages cIu'elle pouvait en alten-
cire, les ennuis que celte possession temporaire devait fata-
lement lui occasionnel'.
Un moment, le Maroc amait proposé de payer li l'Espagne
une partie de sa deLte en céréales 2. C'eûtété désastrcux pour

I. Schlagintwcit, op. cil., p. 3[t[.


2. G. de Lavigne, op. cil., p. 178.
TkTOUAN 499

un pays déj11 trop riche en grains que le manque de moyens


de transports empêchait d'écouler. En même temps, ou
presque, le bruit courait qu'un compétiteur s'élevait contre
~i[oulay Mohammed et l'on se demandait ce que devien-
drait le traité s'il réussissait dans son entreprise.
C'estdans ces conditions qu'onapprit le voyage à Madrid
de Moulay 'Ahbûs, en vue d'un nouveau traité. On n'épar-
gna rien pour donner uue grande solennité à cet événement
ct pour offrir aux envoyés du Sultan la plus grandiose hos-
pitalité 1. Le maréchal 0' DonneU avait fait préparer pour
le recevoir ses appartements du palais de Buenavista, meu-
blé autant que possible à l'orientale, et à côté desquels on
avait fait installer des bains ct une mosquée. Une garde
d'honneur de 20 llOmmes devait se tenir à la porte des lo-
caux occupés par l'ambassade partout où elle séjournerait;
uu piquet de 20 cavaliers devait l'escorter dans ses déplace-
1llents 2.

T. G. de Lavigne, p. TJ8-Ijg. Moulay 'Abbâs partit de Tanger sur


un vaisseau de guerre espagnol. Il fut reçu à Valence par les autori-
tés ct par ln garnison rangée en bataille. Un train spécial le conduisit
11 1Iadrid. Le marécbal O'Donnell avait cru être agréable au prinec
marocain en pla\:ant le portrait de celui-ci dans les appartements qu'il
devait occuper.
2. G.de Lavigne, p. TST. « L'amoassade marocaine est arrivée
au Grao de Valence, dans la nuit du 13 août. Le débarquement n'a
cu lieu que le TG, au milieu d\ll1 immense concours de population.
Tous les navires présents dans le port étaient pavoisés; le capitaine
général, le gouvel'l1eur civil, une députation de la municipalité atten-
daient, avec une compagnie d'in('anterie, au haut de l'escalier du
mùle. L'amoassade a mis pied il terre il cinq heures du soir, au bruit
des canons du navire lsauellc Il; une heure aprl~s, elle ('aisait son
entrée il Valence dans plusieurs voitures escortées par un détache-
ment de hussards. Toutes les troupes de la garnison étaient rangées
en bataille sur l'Alaméda ; le cortège passa dev;lIlt leur ('l'ont, parcou-
rut lentement les principales rues de la ville, remplies de curieux,
ct s'arrêta il l'hùtel du Cid, où avaient été préparés les logements des
hùtes de l'Espagne. ))
iiOO AHCIIlYES MAHOGAl;';ES

L'ambassade arriva à Madrid en août 1; ses membres


étaient; Abd Er-Rahman Ech-Clwroui, second ministre de
l'empereur, un de ses favoris, homme de 45 ans, de haute

Du même, p. 182. C( Il avait été dit que l'ambassade serait con-


duite à la Gmnja, et que la reine la reccV/'ait au milieu des splen-
deurs presque françaises de cette résidence, bùtie par Philippe V, il
l'image de Versailles; mais ce projet a été moditi.é. La reine recevra
Muley-Abbas à Madrid, à son prochain retour, ct, d'ici là, le prince
et sa suite, après un court s(~jour à Valence, visiteront Aranjuez et
Tolède, leur ville sainte, ({IIi porle l'empreinte encore si vivante de
leur domination. »
1. G. de La vigne, p. 1 8g- 1 go. « Le jour de leur départ (de Valence),
ils ont fait remettre au gOLl\erneur ci yil, pour être employée en
œuvres de charité, une somme de :)00 douros (2,500 l'l'.). Un train
spécial les attendait il la station du chemin de fer et les a conduits à
Aranjuez. La Conlpagnie avait rait disposer pour eux un wagon-salon,
garni en satin blanc et cramoisi.
« L'entrée des ambassadeurs à Madrid, après un court séjour à
Aranjuez, s'est laite le 22 aoùt, avec une certaine pompe. Ils occu-
paient c]uatre voitures de la cour avec les principaux fonctionnaires
de la capitale chargés de les recevoir. L'escorte avait été fournie par
la garde ciyile et par un escadron du 1Jeau l'(;giment des cuirassiers
de la reine. Ils ont été tri~s touchés de l'installation qui a été faite, il
leur intention, au palais de Buenavista, ct sc sont empressés dès leur
arrivée, d'adresser, par le télégraphe, à la reine qui habite encore la
Granja, ]'expression de leur reconnaissance.
« En attendant la présentation olTicielle, les ambassadeurs visitent
l'arrneria, les tlléàtres: la foule sc presse sur leur passage avec curio-
sité, sans doute; mais aussi avec cette discrète réserve qui est une des
notables particularités du caractère espagnol... On organise pour eux
des spectacles et des courses de taureaux.
L'acte de cllUrité des ambassadeurs lnarocains il Valence est pour
beaucoup dans l'accueil sympathique que leur a fait la population
espagnole. « Nous reconnaissons à ce fait, dit le J1Jundo mi/dar, que
nos hùtes sont bien les descendants des Abencerrages, des Zegries,
des anciens maîtres de l'Alhambra. C'est là ce qui nous porte à
leur exprinler une respectueuse déférence; et si notre souvenir est
un instant alIecté il la pensée des événements qui les ont amenés sur
notre sol, nous nous disons avec nos poètes, que plus le vaincu est
honoré ct plus grand est le vainqueur. )
Tt:TOUAN 001

taille, d'un aspect imposant; El-Hadj El-Mou({y Bennani;


El-Hadj Ahmedben Abd El-Malek, jeune encore, chef de ca-
valerie; ce dernier avait eu de fréquents rapporls avec
les Espagnols après Ouedr'as et professait une grandc
admiration pour leur armée, ct en particulier pour
le général Prim; Mohammed Arniquiched, vice-gouverneur
de Tanger, homme instruit, distingué, dit-on, parlant par-
faitement l'espagnol et d'autres langues. Il y avait ensuite
quatre caïds, un barbier-saigneur, un Tangérois interprète,
du nom d'Ahrned ben Abd El-Malek, tout jeune, âgé de
18 ans seulement, fort intelligent et que de fréquents
voyages avaient rendu familier' avec le littoral de l'Espagne.
Partout l'ambassade reçut un fort bon ac~euil. Le peu-
ple s'empressait sur ses pas pour voir les représentants d'un
royaume hier encore ennemi. Mais on ne savait au juste
quel était son but, en dehors des sphères gouvernementa-
les 1. Elle partit cérémonieusement, comme elle était venue,
le 15 septembre, par Alicante sans qu'on eût encore appris
dans le public ce qu'elle était venu faire 2. On pensait qu'elle
avait été envoyée par le sultan pour exposer la gêne du
trésor impérial, exprimer le vœu d'obtenir quelques dé-

[. G. de Lavigne, p. IgI. « La reine, rentrée de la Granja, a


re\~u l'ambassade avec cette pompeuse étiquelte dont sa cour a seule
aujourd'bui consené les vieilles traditions. Ces hommes impassibles
on t été forcés de s'ex tasier devan tics magni licences d'un cérémonial
conservé depuis Philippe V. A celte réception solennelle, la reine
portai t une parure dont la valeur a été évaluée il la somme l'abulellse
de quarante millions de réaux; les pendants d'oreilles y liguraient
seuls pour cinq millions. Le pauvre empereur du ~Iaroc avait envoyé
dans trois caisses des présents d'étol!'es et d'orfèvrerie africaine, que
la reine reçut avec une vive expression de contentement. - « Cela
vaut peu de chose, sultane, lui dit Benani, le second envoyé, en pur
castillan, mais il n'y a rien de mieux dans notre pays; recevez-le
comme un témoignage de l'estime que notre empereur professe pour
Votre Majesté. »
2. G. de Lavigne, p. Ig2. Les envoyés avaient projl'té de visiter
Grenade. La maladie de l'un cI'eux !cs en empl'cba.
.\HCnIVES ~L\l\OCAI:;ES

bis; mais on disait qu'elle n'avait pas de mandat écrit


pour agiter ceUe question non plus (lU'aucune autre.

§ 2. - Nouveau/rai/é de jJai;y~ de Madrid du 30 oclobre 18f3 1 1.

C'étaient bien ces ([uestions, en efl'et, que l'ambassade


était venue traiter, mais non point dans un sens aussi
défavorable que l'avait d'abord pensé le public.
Les retards apport(~S au paiement de l'indemnilé d(~
guerre; le souci, les dépenses caUSl-es par l'entretien d'une
division supplémentaire en Afrique; le mécontentement de
l'Angleterre, qui voyait d' nn mauvais œil l'occupation,
même tempomire, d\m point du littoral si voisin de Gi-
braltar, avaient déterminé le gouvernement de l'Espagne
ct celui du Maroc à chercher' un autre terrain d'enteute, De
là naquit le nouveau traité de Madrid, signé le 30 oelohre
1861. Lespréliminairesavaient cu lien, ell'ectivement, pen-
dant l'été de 1860, lors du voyage cie 1\loulay 'AJlbib cn
Espagne. Le texte fut publié pal' la « Gazelle de Madrid )
le 1 2 janvier 1 862. Le voici:

Trailé complétnenlail'e en/re l' Espar/ ne el le 11111 'oc /)1)/11'


régler les d{Oicl111és soulevées rl propos de fe,réculion de la
corwell/ion de /85;),jîxalllies limiles de Melilla el du/milé de
pai:r de 18f30, si(J/lé il Madrid le :JO odob,'e 18(jl.

Au nom du Dieu tout-puissant.


Traité concln entre les Très Puissants Princes S. M. Doiia
Isabelle II, Heine des Espagnes, ct Sidi Mohammed Hoi du
Maroc, pour régler les dill'l-rcnds s\U'veIlllS sur la corn-en-

I. Frisch, p. '~01. - i\iesscl, p. 31. - Scld,lginlllcil, p. :)ï:J.-


Camille Fidel, p. lï2. - Jeronimo Becker, p, 90. - BOllard de
Card, IL 109-200,
iî03

tion de délimitation des fron tières de la place de Melilla et


du traité de paix conclu dans les années 1859 et 1860, les
parties contractantes étant:
Pour S. M. Catholique, son plénipotentia,ire Don Satur-
nino Calderon Collantes, ancien ministre de l'intérieur ct
du commerce, de l'instruction ct des travnux publics, sé-
nateur du roynurne, grand-croix de l'ordre royal et distin-
gué de Charles Ill, grand-croix de l'ordre royal d'Isabelle
la Catholiq ne, gmnd cordon de l'ordre impérial de la Légion
d'honneur de France, grand cordon de l'Ol:dre de Léopold
de Belgique, etc., son premier secrétaire d'Etat au départe-
ment des affaires étrangères;
Et pour S. M. Marocaine, lin ambassadeur plénipoten-
tiaire, le Calife du Prince des croynnts, fils du Prince des
croyants Moulay El-'Abbâs;
Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs,
sont convenus des articles suivants:
Article lwemicr. -- Les troupes espagnoles (;vacueront la
ville de Tétouan et son territoire aussitôt qu'on nura fait
le versement de trois millions de douros aux commissaires
du Gouvernement de S. 1\1. la Heine délégués pour les rece-
VOIr.
Art. 2. - Les dix millions de douros reslnnt pOllr com-
pléter l'indemnité de guerre stipulée dans le traité de paix,
seront payés, par moitié, parles revenus des douanes de tous
les ports de l'Empire du Maroc, que le Sultan met à la di:5-
position de ln Heine d'Espagne, (lui en fera opérer le recou-
vrement par les employés qu'elle nommera à cet eITel.
L'au tre moitié de ces mè mes rcvcn us cs t réservée à S. M. le
Sultan.
Art. 3. - Les personnes qui nUL'ont été nommées par
S. M. la Beine d'Espagne et chargées d'intervenir ct de re-
cevoir ln moitié des revenus mentionnés ci-dessus, entreront
en fonction un mois avant le jour auquel aura lieu l'éva-
cuation de Tétouan.
ABel/IVES ~L\ROC;\INES

Art. 4. - La délimitation des frontières de la place de


Melilla sera faite conformément à la convention du
24 août 18;)9, confirmée par ]e traité de paix du 26 avril
1860.
La remise du territoire frontière au gouvernement de
S. M. la Heine d'Espagne s'exécutera également avant l'éva-
cuation de la ville de Tétouan.
Art. 5. - Le traité de commerce, dont l'article 13 du
traité de paix fait mention, devra également être signé et
ratifié avant l'évacuation de Tétouan et de son territoire.
Art. G. - S. M. la Reine d'Espagne pourra donner l'or-
dre de faire établir une maison de missionnaires dans la
ville de Tétouan, analogue à celle qui existe à Tanger et à
celle que, en vertu de ['article du traité de paix, elle est auto-
risée à créer. Les missionnaires pourront se livrer en toute
liberté à l'exercice de leur saint ministère sur un point fi ucl-
conque de l'Empire du Maroc, ct leurs habitations, hos-
pices où ils résident, jouiront de la plus complète sécurité
et de la protection spéciale de S. M.le Sultan ct des autori-
tés sous ses ordres.
Art. 7. - Les conditions stipulées dans les articles pré-
cédents devront recevoir leur en tière exécution dans le délai
de cinq mois à dater du jour où le Prince Moulay El- 'ALbùs
sera venu s'établir à Tanger; cependant, si ces conditions
venaient à être exécutées avan t le délai fixé, alors
l'évacuation de Tétouan ct de son territoire aurait immédia-
tement lieu.
A rl. 8. - Les articles du Lraité du 26 a nil 1860, auxquels
il n'aura pas éLé dérogé ou qui n'auront pas été modifiés
par le présenL traité, conserveront touLe leur force eL leur
VIgueur.
Ce traité sera ratifié le plus Lût possible eL l'échange
des ratifications aura lieu à Tanger dans un terme de vingt
Jours.
En foi de quoi les plénipotentiaires soussignés onL dressé
TàoUAN :;0:;

ce traité en langue espagnole et arabe en quatre exemplaires:


un pOUl' S. M. Catholique; un pour S. J'Il. Marocaine, un qui
restera en la possession du chargé d'affaires d'Espagne au
Maroc, un qui restera en la possession du ministre des affaires
étrangères de l'Empire du \lamc. Les plénipotentiaires
soussignés ont siS'né ct scellé de leUl' sceau respectif le traité.
Madrid, le 30 octobre 186, .
(L. S.) Saturnino Calderon Collantes.
(L. S.) Le CaliCe du Prince des croyants (que Dieu lui
soit favot'Uble), EL-'Abbâs (que Dieu le garde), Fils du
P rince des croyan ts (à qui Dieu fasse miséricorde).

S 3. - Paiement de l'indemnité de guerre '.

Le paiement de l'indemnité de guerre ne sc fit donc pas


sur les bases du premier traité. Alors que les 20 millions
de douros auraient dil être versés intégralement au plus
tard le 28 décembre 1860, au mois de septembl'C 1861
sept millions seulement avaient été payés de la façon sui-
vante:
Juille! 1860 à Tanger. 3650000 d.
Août 1860 à Gibraltar. 1 .350000 d.
Septembre 1861 à Mogador 2000000 d.
Fin aoill, d'abord ", la commission de la dette avait per-
çu à Tanger près de 70 millions de réaux; .30 autres l'at-
tendaient à Gihraltar: cela devait compléter le premier
versement. Le deuxième versement devait se faire à Tan-
ger. Une leUre de Khatîb au ministre des Afl'aires étrangères

1. ,ferônimo Becker, p. \)0. - Fidel, p. [Tl. - Bndgctt Meakin,


The MoorÎsh empire, p. 177. - .J. Hooker and .1. BalI. .Io[ll'l!al of a
tf~Llr, elc., p. 53. - Sclilagintweil, p. 370' - G. de Lavigne, pas-
SUII.

2. G. dc Lavigne. p. Igo.
:iOo AnClllYES ~IAHOC.\L"ES

d'Espagne annonçait que Je Sultan avait Cl l'intention for-


melle d'exécuter ponctuellement Je traité et de conserver
avec l'Espagne les plus amicales relations )). L'empereur
avait, selon lui, fait « un effort suprême » afin d'être en
mesure d'exécuter le deuxième verse men t en son temps.
La frégate Princesa de Asturias 1 porta à Alicante (mai)

1. G. de Lavigne, p. 179. - Du même, il Iii même date: cc l' IH~


commission spécinle de ronctionnaires de la trésorerie a été cnvo:;{'e il
Tanger pOlir procl\der il la réception dn tribut marocain. L'ccuYl'e de
cette commission est des pl ILS laborieuses. JI s'agit de vl;rilil'l' pil'ce il
pièce les monnaies, de tous coins et de toutes dilles, prl~Sl'nlt"es pnr le
trésor impérial, et cie les compter, soit en raison cie leur valenr mo-
nétaire, soit en raison du poids mdallique. Le personnel de la com-
mission est assez nombreux et d'ailleurs assez exercé pour c\Lre arrivé
clans ces clerniers temps, il la grande stupéfaction cie la commission
marocaine chargée de la remise, il vériGer et il compter pal' jour lmit
millions cie réaux. ))
Du môme, p. ItI!,-18S. « On n'a pas dont(~ un instilnt dl] suce,'s de
l'ambnssade, depuis qn'clle est projdl'e, et c'cstlit le secret de ln 11'n-
leur apportée par les agents de l'empel'l'ur aIL paiement. il Tanger, des
miJJions de l'indemnité. JJ s'agit pour ellX, tout en manifestant Je
plus grand emprcssement, de gilgner le plus de temps possible, a/in
cie mettre il l'abri, clerri(~re les vaincs promesses de l'avenir, la plus
grosse partie de la dette. On a rait coïncider' l'arrivée il Tanger de la
commission espagnole chargt\) de la perception, avec celle de lon;..:s
convois cie mulets, chargés d'énormes sacs, protégés par d'importantes
escortes; mais ces sacs ne renfurmaient que des pil~ceLles (pi,~ces de
!l réaux ou 1 franc), la plupart l' [J'ucées, de mall\ais aloi, partant
inacceptables. Le compte en a {,té long, cl les mois se seraient pass('s
en vérifications stériles, lorsque les agents marocains, voyant poindre
la mauvaise humeur de la commission espagnole, ont fait a,ancer des
espèces plus acceptables, des douros ou pii~ces de 5 rrancs. La perception
se lit un peu plus vite, sans doute: mais les cbaleurs ,inrent il l'aide
des contribuants, la commission ne pouvait l'onct iOlllll'r flue pendant
f(ucJfJlles heures; c'est seulement dans ces derniers temps, il la suite
cie sollicitations venues dc Madrid. qu'elle {',t arri\l'c il compter huit
millions de réaux par jonr, parce f[lle les Marocains ont en/in payé
en or et cn onces (piôces de .'JO francs).
( Grilce il ces lenteurs, depuis plus d'un mois (écrit le 15 aoùt
un premier versement, montant tl plus de un million de
douros (5 millions de pesetas). Mais ensuite vinrent les
atermoiements habituels, pendant l'ambassade de Moulay
'Abbûs à Madrid, pendant les préliminaires du second traité,
ainsi que pendant la période qui précéda sa conclusion défi-
nitive. Enfin, ce nouveau traité signé, le Maroc ne put
s'cxécuter que grùce à raide de l'Angleterre; celte nation
lui facilita le paiement de l'indemnité de guerre pour hùtel'
l'évacuation de Tétouan, et enlever le plus tôt possible à
l'Espagne toute nouvelle occasion d'intervenir au Maroc.
Sur ce dernier point cependant elle n'atteignit son hut
(lU'à demi 1.

Le Maroc contracta à Londres un emprunt qui servit à


couvrir une très notable partie de l'indemnité. 11 fut l'œu-
He surtout du consul Drummond Ilay ct c'est à lui que
l'all'aire dut de réussir. Des obligations furent émises,
50 l '),00 L. (Fcs. J'), G30 000) par ~IM. Robinson et Fleminy
ct Philip P. Bly/h; l'émission eut lieu il 83 pour 100, cc qui
produisit L. 1126000 (Fcs. 10650(00). Cet emprunt était
amortissable il raison de 5 pour 100 l'an, le paiement des
intérêts ct l'amortissement de l'emprunt étant garantis par
50 pour 100 du produit des douanes des ports marocains.
Le gouvernement anglais nomma des commissaires spéciaux
pour perccvoir ces droits de douane; deux fois par an, ces

18(io) que la commission fonctionne, il n'avaiL encore élô payô, ainsi


qne nons le disions dernii~TemenL, ql1e ~J5 il 2G millions de réaux;
vingt el qllelCJl1es wagons du ehemin de fer d'Alicante en onL apporté
une partie il .Mach·id. ))
Dll môme, p. 101 (22 aOllt 18Go). « Les huit rnillions de J'(\auv
parvenus ùernièrement il Mach'id étaient ('n monnaie d'or, en onces
anciennes, soigneusement conserYl'es (lepnis de longues années, dans
ùes étuis de cnir. »
I. Jerônimo Becker, p. 00. - Field, p. 1j2. - Budget! ;\leakin,
0I
Tite il/oorio!t elllpire, p. 177. - J. IIookcL' <lllÙ J. Ba]], .fouma/ a
lotir, p. :i3.
50S ARCHIVES :\IAROCAJl'IiES

commissaires remettaient aux banquiers avec lesquels l'em-


prunt avait été contracté, une somme suffisante pOUl' le
paiement des intérêts et pour l'amortissement de l'emprunt.
L'Espagne, de son côté, nomma des commissaires pour
percevoir aussi 50 pour 100 du produit des douanes mat'O-
caines. Ce double contrôle dura pendant plus de 20 ans,
jusqu'en juin 1882, date à laquelle l'emprunt contracté à
Londres fut complètement amorti. Le contrôle espagnol
ne cessa qu'en 1887, après paiement intégral de lïmlem-
nité de guerre!.
Jusqu'en 1888, l'Espagne put donc exercer une yéritable
intervention au Maroc.

§ 4. - Les résultats de la guerre de 185Q-18(JO'.

Les avantages immédiats du traité de Tétouan étaient


peu brillants; ceux du traité de Madrid l'étaient moins
encore. La question de l'extension du territoire de Melilla
étant déjà réglée antérieurement, il restait au point de yue
territorial:
1° l'extension du territoire de Ceuta, ce qui n'était pas
considérable.
2° la concession plus importante du territoire de San/a
Cruz. Elle pouvait servir à rétablissement d'une station (lui
eùl protégé les pêcheurs des Canaries contre les pilleries
des habitants de la ot,te Ouest du ~Ial'Oc; mais on n'y fit
aucune espèce d'aménagement et la baie demeura utilisée
seulement pal' les pêcheurs pour se mellre à l'abri par les
gros temps d·Ouest.
La mainmise sur Tétouan n'était (}ll\ItlC question de

I. Les annuités furent payées d'une façon parfaitement r0gulière,


parait-il, si bien qne les actions furent toujours an pail' ou au-dessus
cr. .J. Hookel' and J. BalI.
2. Cr. Schlagint\\cit, op. 0il., p. 3,3-3,!\.
.,O!)

nantissement. Sans doute, à ce titre, son choix était heu-


l'eux, car les l\Iarocains y tenaien t trop pour la laisser aux
mains des Espagnols. La qualilîer de cité sainte, comme le
fait Schlagintweit, est peut-être exagéré; rnais il est cer-
tain que c'était un des plus beaux 11eurons de la couronne
du Sultan 1. Mais si le paiement se Caisait trop attendre,
garder Tétouan devenait pour l'Espagne un souci plutôt
qu'un avantage. Elle n'était pas assez pr(~s de la mer pour
être illtéressante au point de vue commercial, sans travaux
préliminaires qu'une oecupation temporaire interdisait.
Elle élait trop pr('s des montagnes, qui de tous côtés la
dominent, habitées pal' des tribus sauvages, et qui la sépa-
rent du reste du Maroc, pour être un point stratégique im-
portant. Une garnison de 8000 hommes était le minimum
néeessaire pour la protéger; et l'en tl'elien de celle garnison
cOlltait cher, d'autant qu'il fallait faire venir de la métro-
pole tout ce qui était nécessaire ;1 sa subsistance et à son
équipement, absolument comme pendant la guerre.
Ainsi donc 2, de prime abord, les résultats des traités de
J 8Go et de J 861 semblaient des plus médiocres et l'Espa-
gne paraissait se retirer de la lutte à peine en vainqueur,
au moins avee des avantages insignilîants.
Mais il n'en était pas de même:\ à d'autres points de vue;
celle guerre n'avait pas été complètement sans effet utile,
non plus que la paix qui la terminait. Au Maroc, son heu-
reuseissue, le triomphe des armées espagnoles avaient relevé
le prestige de l'Europe entière.
Après la victoire ii'ançaise d'Isly, avec elle, les victoires
espagnoles prouvaient aux Marocains que l'Européen, trop
souvent l'objet de leur mépris, avait la puissance néces-
saire pour leur imposer le respect de ses volontés.

[. Schlagintwcit, p. ih4.
2. Ibid., p. 38r.
3. Ibùl., p. 381.
.'i JO

En Espagne, eUe avait provoqué un élan de patriotisme,


réveillé l'activité nationale, montré du doigt les déCauts de
la marine et de l'armée, uni dans un lnême enthousiasme
le peuple et l'armée, cclle-ci trop souvent mise dans les
dernières années au service des intérêts particuliers et de
l'ambition des agita teurs.
Elle agissait encore au Maroc en précipitant une é\'Olu-
tion d'esprit qu'on n'eùt pas espéré voir se produire de si
honne heure; elle liait définitivement les destinées de ce
pays à celles de l'Europe et lui fàisait comprendre que son
sort en dépendait. Pour la première fois, il sentait la né-
cessité de s'appuyer sur le crédit d'une grande puissance
européenne pour sortir d'embarras.
Les bonnes relations qu'avaient entretenues pendant les
préliminaires de la paix Chrétiens et Musulmans, l'estime
réciproque née du courage qu'ils avaient montré dans l'ac-
tion, influaient d'une heureuse façon sur les uns et les
autl'cs pour préparer un rapprochement futur.
Au point de vue politique, l'Espagne s'était acquis une
certaine influence dans la région de Tétouan, au moins
dans le milieu juif, déjà favorablement disposé à s'en lais-
ser pénétrer, à certains égards par celle circonstance qu'il
parIait la langue du vainqueur; et l'attention d'une partie
de l'Espagne s'était portée sur cette région, où, depuis,
ses nationaux ont con tinué de s'établir.
Enfin, la guerre avait ouvert un moment Tétouan à l'LIC-
tivité européenne; elle y avait importé les produits de
l'Europe, et jamais depuis les portes de la ville n'ont été
refermées à l'influence économique étrangère.
CUAPITIΠXI

1. -- LEs ÉVÉ~EJ\lE!'iTS DEPUIS LA CL'El\IIE ,\VEC L ESPAG~E.

11. - LA VIE INTÉI\IEUHE DE TÉTOUAN AU XIX" SIÈCLE.

SmUl:\IRE 1. - 1° Occupation espagnole. - 2(J Après l'occupation espagnole.


So~uIAmE II. - 2() Pendant la guerre hispano~
1° Avant l'entrée des Espagnols. -
umrocainc. - 30 Pendant l'occupation espagnole aprl's la guerre. - tl D Depllis
l'occupation espagnole.

LES ÉVÉNEMENTS DEPUIS LA GUEUUE AVEC L'ESPAGNE.

Bien peu d'événements qui valent la peine d'être signa-


lés se produisirent à Tétouan après la fin de la guerre avee
l'Espagne. Le plus important, ce fut sans contredit l'occu-
patton par les troupes espagnoles qui fit suite à cette guerre,
et qui se prolongea jusqu'au paiement de l'indemnité.

~ 1. - Occupation de Tétouan pal' les tl'oupes espagnoles.

Restées à Tétouan après le départ de l'armée d'expédition,


suivant les conditions du traité de paix, en garantie du paie-
ment de la contribution de guerre, les troupes espagnoles
dont nous avons donné l'énumération 1 demeurèrent à peu

J. Chap. VII, ~ JO. Une erreur s'est glissée dans l'énumération


,';12 AnCHlYES :\/AHOCAINES

près inoccupécs ; elles continuèrent cependant à fairc lLuel-


flues travaux de voirie et de construction ou de démolition;
mais pcu activement, car, en assez mau vais termes avcc les
gens du pays, elles étaient obligées de prendre des précau-
tions continuelles pour éviter d'être surprises.
La flotte de l'amiral Bustillos fut dissoute, mais ne dé-
sanna pas; un noyau fut conservé ù Algésiras po nI' aviser
aux besoins de la division d'occupation t. Les ravitaillements
continuèrent à se faire surtout au moyen des denrées en-
voyées d'Espagne, de Malaga, d'Algésiras, d'Alicante, par
le Martine ou par Ceuta. Les porls du Sud de la Péninsule
expédiaient presque journellement des bâtiments chargés de
toutes les choses nécessaires ù la vic. Seule la viande était
en partie, mais en partie seulement, fournie par le pays 2.
Rios, demeuré comme gouverneur, mourut quelque
Lemps après la fin de la guerre d'une attaque de choléra,
aimé de ses troupes, estimé des ennemis. On lui fit en
grande pompe des funérailles militaires imposantes ;J.
Les corps d'occupation évacuent défini Livement Tétouan
le 2 mai 18G2"; beaucoup pensaient devoir y rester
Lien longtemps encore, persuadés que les Marocains ne
pourraient de siLôt s'acquitter de leur delie.

§ 2. - Après l'occupation espagnole.

En 1873, Fès se révolta de nouveau contre le sultan

des forces d'artillerie. Au lieu de 3 balteriesde campagne, il faut lire:


3 batteries d'artillerie montée et [ régiment d'artillerie de montagne.
Quant à la batterie demeurée à Ceuta, elle appartenait au 5e régi-
ment.
I. G. de Lavigne. op. cit., p. 177.
2. G. de Lavigne, op. cit., p. 186.
3. Schlagintweit, op. ciL, p. 330. -- Alarcon, Il, 27{1.
4· Budgett Meakin, The land of the Moors, p. [f,t,.
T~~TOUA:'l 513

Moulay El-Hasan et lui ferma ses portes; il finit cepen-


dant par pénétrer dans la ville. Un des caïds qui avaient
le plus contribué à l'y aider devint par la suite si puissant
que Moulay Hasan crut nécessaire de s'en débarrasser:
il l'envoya donc à Tétouan, où il demeura prisonnier
pendant 15 ans. On prétend que le supplice de la « jellaba
de bois », déformation de la « vierge de Nuremberg », lui
fut infligé 1.
En 1890 (1307), Moulay El-Hasan entreprit un voyage
dans le Nord de ses états, mit à la raison les récalcitrants des
]l'omara, puis visita le tombeau de Moulay 'Abd Es-Salâm,
Chechaouen, Tétouan et Tanger. Il arriva à Tétouan le
mercredi 8 de Moharrem 1307 et y resta quinze jours en-
VIron.
Les hahitants lui firent une réception enthousiaste et le·
comblèrent de cadeaux. Il en fut tellement content qu'il
donna une grosse somme, 10000 schellings, dit Budgett
Meakin, 50000 pesetas dit l'Istiqçâ 3, pour établir un pont
sur l'Oued Tétouan; mais l'ouvrage fut si mal construit que
la première crue l' empo l'ta".

Ensuite, on n'entendit plus parler de Tétouan jusqu'au


moment où, dans ces dernières années, les troubles désolè-
renL le Nord du royaume. Nous avons ailleurs raconté le
siège que la ville eut alors à subir li ; nous nous bornera ilS ici à
rappeler ses principales phases, pour achever le tableau
des événements historiques dont la ville fut le théâtre, ou
de ceux dans lesquels elle fut impliquée.

1. Budgett Meakin, The Moorish empire, p. ISO.


2. The Moorish empire, p. 189.
3. IV, p. 175.
li, Le Times of Marocco donna de celle réception du Sultan à Té-
touan une description que nous n'avons malheureusement pu nous
procurer (d'après Budgett Meakin, The Moorish empire, p. 189, note).
[). A rchives marocaines, IL 1. 2.
ARcn. MAROC. 33
AIlClIIVES MAROCAINES

Depuis la FLn de 1 go T ou le commencement de 19°2, les


tribus des alentours de Tétouan étaient déjà en pleine ré-
voHe contre l'au torité dll Sultan, lorsque l'emprisonnement
d'un délimluant des Benî Ider par le caïd de la ville
motiva de la part de ses contribules une sode de prise d'ar-
mes, Bien ({u'il y cîH plus de bmit que de mal, la presse
espagnol~ exagérant les faits, parla du sac ct du pillage
de la ville par les montagnards; un btltiment de guerre,
l'h!/anlalsalicl, viut mouiller dans la radc pour emmencl',
au besoin, ses nationaux; Inais cc ne fut pas nécessail'e
(Mars 19°3).
Les habitants essayèrent alol's de sc faire des auxiliail'cs
des tribus montagnardes de l'Anjera , mais sans y parYenÏJ':
les incitations du faux sulLan BOLl lhnara, (lui prenait de
l'importance dans l'Ouest, jetl~l'cnt au contrail'e les monLa-
gnards dans le parti des Benî Ider, sauf d'abord les Anjera.
Mais ceux-ci suivirent le mouvement lorsque, par mégarde,
les soldats réguliers eurent blessé (vers le mois de mai) un de
leurs notables. Daouès, Moulay 'J1raji<onc1e du SulLan, de
passage dans la ville, après avoil' été battu par Boû Hmara du
cllté des Ouejda, {pIittait Tétouan un jour, vers ceUe épo-
que, lorsqu'eut lieu l'attaque de la ville par Lous les con tin-
gents des révoltés descendus des montagnes. Il continua sa
route, mais laissa deux cents soldats à la disposition du
pacha. Celui-ci, avec 300 combattants, soldats de la gar-
nison, hommes de bonne volonté, repoussa les assaillants;
mais les jardins furent en grande partie victimes de l'in-
cendie et toutes les maisons de campagne qui s'y élevaient
furent saccagées.
580 hommes de renfort furent envoyés quelques jours
après pal' le gouvernement chérifien. Un paren t du Sultan,
le chérif E'l-'Amrrlnl, vint en prendre le commandement.
II y avait dès lors en ville à peu près un millier de:combat-
tants. La route de terre étant coupée, tous les ravitaille-
mentsen armes, munitions et vivres se faisaient par mer.
TÉTOUAN
Pendant ce temps un émissaire de Boû Hrnara, Eççîd'
parcourait les montagnes, excitant contre Tétouan ceux
qu'il trouvait trop réservés; mais il fut surpris et battu chez
les Benî Ma' aden par le caïd de la ville, Qaddour ben
Rn:i (iuillet 190.3). Beaucoup de Juifs émigrèrent vers ce
temps pour se reugIer 'f '. 'C
a euta, '1' anger ou G'b 1 ra l laI';

quelques Espagnols firent de même; mais leur consul ne


jugea pas nécessaire de les imiter, car le péril ne lui sem-
blait pas suffisant pour l'y obliger.
Un peu plus tard, vers la fin de l'été, le caïd ct ses sol-
dats, tombant à l'improviste sur les Anjera, à cinq ou six
kilomètres de la ville, les défirent complètement ct rame-
n(~I'ent queIrlues prisonniers ainsi que 21, têtes coupées.
Les jours suivan ts fllren t marqués par quelques razzias
exécutées pal' les soldats réguliers, soi-disant contre les mon-
tagnards; ceux-ci, décidément effra)7és par leurs insuccès
précédents, sc tinrent cois et les biens des alliés, ceux des
gens de la ville firent [l peu près tous les frais des pillages
auxquels les sorties de la garnison servaient de prétexte.
L'automne ct l'hiver marquèrent une certaine détente.
Les Illon tagnards n'osaient plus tl'OP s'approcher des murs;
mais ils demeuraient maîtres incontestés dans la montagne.
Cependant, vers la fin de l'année, les soldats et le caïd de
TétoUan saccagèrent encore un village des Benî Ider, dil
Milllœn.L'hiver fut calme. En mars 190!I, commença le
licenciernent des troupes étmngères à la garnison ordinaire.
Puis, le Sultan imagina de nommer Daouès, l'ancien bl'Ï-
gand, caïd des Al1jera. Insensiblement, depuis lors, lu tmn-
quillité sc rétablit.
Au commencement de l'été 1905, quelques personnes,
qui n'avaient pas de comptes trop sanglants à régler avecles
montagnards, hasardèrent d'aller à Tanger par la roule de
ten'e. Peu à peu cela sc généralisa et maintenant (1in
Ig05 et commencement de Ig06) la route est ouverte, les
vieux dilTéfends sont oubliés ou paraissent l'être. Mais au
516 ARCHIVES MAROCAINES

mois de mai dernier, ceux qui, les premiers, osèrent passer


la nuit dans leurs maisons de campagne au milieu des jar-
dins, furent encore victimes des brigands, comme nous en
exprimions la crainte en terminant un article précédent
relatif à ces événements.
Un marabout et sa femme furent complètement mis à nu,
tandis qu'on leur prenait leur ânes, leurs mules, leurs pro-
visions et leur argent.
Mais il semble maintenant ne plus rester à Tétouan de
tout ce passé troublé autt'e chose qu'un souvenir vague,
comme celui d'un mauvais rêve.

II

LA VIE INTÉIUEUHE DE TÉTOUAN AU XIX" SIÈCLE.

La vie intime de Tétouan au XI Xe siècle subit aussi plus


ou moins le contre-coup de la guerre hispano-marocaine.
A ce point de vue, comme aux autres, on peut encore re-
connaître trois périodes distinctes; seulement leur sépara-
tion n'est pas aussi neUe, aussi tranchée qu'en cc qui
regarde les événements politiques. Mais il est facile de
distinguer la Tétouan autonome, avant comme après l'oc-
cupation espagnole, contrastant fortement avec une Tétouan
espagnole, au cours de la dite occupation; celte dernière
s'intercalant au milieu des deux autres avec un caractère
parfaitement distinct, on le conçoit sans peine.

§ 1. - Tétouan intérieure avant l'entrée des Espagnols.

Le mouvement économique qui venait de prendre son


essor surtout au cours du siècle dernier, continue à se

J
TÉTOUAN ;;17

développer 1cntement au début du \.LX'- siècle; il n'arrive


cependant à devenir assez important que très tare],
En particulier le commerce avec l'Espagne, qui a repris
à la fin du xvm" siècle, au détriment de l'Angleterre,
celui qui se fait avec la France, continuent à demeurer à
peu près d'importance purement locale, si l'on en excepte
le trafic qui porte sur un petit nombre d'articles demandés
par Marseille ou Barcelone; mais il croît lentement, insen-
siblement pour devenir enfin à peu près ce qu'il est mainte-
nant. La prise de Tétouan a dù eertainement marquer une
recrudescence des transactions; mais aucune statistique ne
permet de l'établir d'une façon positive ct d'indiquer l'im-
portance du bond qui se produisit dès lors, nous montrant
par des chiffres l'écart entre les opérations avant cl après.
Aussi nous abstiendrons-nous d'en parler ici avec plus de
développClTlent, pensant devoir exposer le peu que nous en
savons avec plus d'à-propos dans les chapitres qui traite-
ront de la situation économique à l'époque actuelle ct dans
ces dernières années. C'es t en effet l'état actucl du com-
merce qui peut seul, à notre avis, éclairer cc que fut ce
même état dans un passé tout récent.
Nous devons signaler seulement un marché intéressant
passé par le Sultan peu avant 1859 1, avec une compagnie
musulmane. Celle-ci avait obtenu pour denx ans le mono-
pole du commerce des peaux ct des cuirs de Tétouan et aux
environs au prix de 25 000 mithqal".
Les marais situés entre la mer et les montagnes sur la
route de Ceuta étaient loués {la 000 douros (par an il)
par une entreprise (lui se réservait ainsi le droit d'exploi-
ter à son profit les sangsues dont ils (~taient peuplés. Le
montant de la location était versé aux mains du sultan :1.

1. Godard, le Maroc, p. 99,


:J. [ mithqal valait 10 onces de Of", 1 G Cha(l'lC.
3. (;-. de La"ignc, op. cit., p. gR.
ARCHIVES :\IAHOCAINES

De plus, le territoire de Tétouan rapportait au trésor ché-


rifien 7°000 douros d'impôls sur les cuirs. Un droit gé-
néral de l pour 100 grevait les entrées ct les sorties de tou tes
les marchandises; les cires payaient 5 douros par quintal,
les laines 3, le sucre cl le café un douro: les hecu[" payaien t
5 douros par tête, les chevaux la, les poules 1 par douzaine
ct les oranges 1/2 douro par mille 1 •
Ces chiŒres pl'Oviennen t des l'enseignements fournis au
moment de la guerre par les journaux espagnols. Il est im-
possihle d'en contrôler l'exactitude.

Les Européens, jusqu'à une date très voisine de nous,


continuèrent tl demeurer très peu nombreux. \ vant la
guerre avec l'Espagne, il devait yen avoir un très petit nom-
hre seulement, car lorsqu'elle éclata, on citait comme une
chose extraordinaire pour un Européen d'a voir pu pénétrer
dans ce qu'on appelai t « la cité sainte de l'Islam maro-
cain)); et Yriarte" nous parle, comme d'un fait rare, d'un
Espagnol nommô Ramon qui, vivant depuis de longues
années à Tétouan, « s'était acquis la confIance des Maures
et allait et venait de Gibraltar' à Tanger, de Tanger à Té-
touan et dans les ports de l'empire, sans jamais être in-
quiété par qui que ce ftlL. )) Il le qualifie de « espèce de
renégat )), sans que rien dans la suite de son récit puisse
faire supposer que cc Hamon ait abandonné la religion ca-
tholique, ni les manières de vivre dans lesquelles il avait
été élevé, bien au contraire. On ne peut donc conclure de
là qu'il n'y avait à Tétouan que des Européens islamisés;
mais on peut croire qu'il était rare qu'il y en cllt d'autres.
Nous les avons VilS chassés d'ailleurs de la ville vers la
fin du~ XVIII" siècle ct c'est peu à peu seulement lluïls pu-
rent y revenir à partir des alen tours de 1788.

1. G. de Lavigne, op. cil., p. 153.


2. Op. cil., p. 225-:226.
1'H9

Alarcon parle aussi d'un Espagnol fixé à Tétouan depuis


de longues années déjà au moment de la guerre. :Marin
dans sa jeunesse, il avait été envoyé par le gouverneur de
Ceuta jusqu'à Tétouan pour voir s'il serait possible de
nouer des relations commerciales avec les habitants, et si,
notamment on pourrait s'y procurer des vi vres pour la gar-
nison dans de meilleures conditions que celles auxquelles
on était tenu de se conformer alors en les faisant venir
d'Espagne. Il avait échoué dans sa mission; mais se fixant
dans la ville, Santiago, tel était son nom, avait acquis quel-
ques biens. Vivant en hons termes avec la population et les
autorités, il possédait trois barques qui faisaient le com-
merce, de belles maisons dans le quartier juif, des bestiaux,
des chevaux ct des jardins 1.
Enfin, Alarcon parle encore d'un Européen, mais rené-
gat celui-là, un nommé Robles, ancien horloger de
Cadix".

L'étendue de la ville continua d'augmenter dans les pre-


mi(~res années du XIX" siècle. Tétouan subit alors quelques
transformations importantes. La grande mosquée fnt entre-
prise vers 1808 = 1223 de l'Hégire par Moulay Solaimù n :
clIc fut achevée, paraît-il, en une année o. De la même époq lie
date le nouveau Mellâh, le quartier juif actuel. Il occupait
avant une position très différente, puisqu'il se trouvait près
du front Est du rempart entreBâb El-Jièf et Bâb El-Merzâ-
Delli', Zt l'endroit connu encore sous le nom de Mellâh El-
BrUi; et c'est précisément lorsqu'il voulut construire sa
mosquée, que le sultan l\'loulay Solaîm'ln transporta le
quartier juif El où il est maintenant situé, trouvant son
voisinage inconvenant pour le saint édifice.

I. Op. cil., 1, :152 cl q. scq,


2. Op. cit., II, p. Mi.
3. CasLcl1anos, llisloria de i11al'l'llecos, .p. 44.
iî20 ARCHlYES ~IAROCAINES

La ville vit vers ce temps-là doubler le nombre de ses


maisons; c'est alors encore que s'édifia en grande partie
toute cette partie qui se trouve comprise entre le Mechouar
et Bâb Et-1 oûl 1.
Un cimetière européen existait déjà, mais en dehors de
la ville, dans un petit champ sur le bord de l'Oued :Martine,
entouré de profonds fossés. Il servait à la fois pour les
catholiques et les protestants. Alarcon, en le décrivant,
réfléchit que les Musulmans étaient à cette époque plus
tolérants en quelque manière que les chrétiens espagnols,
puisque, si un Musulman était mort alors en Espagne, on
n'aurait pu trouver cimetière pour l'enterrer".
Dans les années qui suivirent 18.30, Tétouan reçut un
afflux nouveau de population; de nombreux musulmans
algériens, chassés de leur pays par la conquête française,
vinrent d'Alger, d'Oran, de Mostaganem, se fixer dans la
ville 3. _ Signalons seulement ici ce fait pour marquer sa
place dans la série des événements; nous aurons plus loin
l'occasion d'y insister.

§ 2. - Tétouan pendant la guerre hispano-nwl'Ocaù/C '..

Dès leur entrée à Tétouan, les Espagnols prirent un cer-


tain nombre de mesures administratives 5. Certaines étaient

Castellanos, op. cit., p. 36-37'


I.
Op. ciL, I, p. 265 et q. seq.
2.
3. Alarcon, II, p. 14 I.
4. Alarcon, Diario, II, p. 213 à 217. - Isliqçâ, IV, p. 317-219.
- Schlagintweit, p. 331-336.
5. Voici ce que dit Es-Selaoui relativement à la condnitc des Espa-
gnols vis-à-vis des habitants:
« Puis il sc comporta avec les Musulmans d'une façon digne ct
respectable, sans lui l'aire subir aucune vexation, leur imposer de
corvée, ni aucune obligation, avait de bons rapports avec eux. A CCLIX
qui lui vendaient quelque clJOse, il leur payait le double de la valeur
T~~TOGAX 521

imposées par les circonstances; mais d'autres semblaient


au moins prématurées 1 •
Nous avons dit que le commandement de la ville avait
été confié au général Diego de los Rios qui l'occupait avec
8 bataillons; il avait sous ses ordres un major et 3 aides
de camp. Une compagnie était établie tl chaque porte, une
autre dans les forts et poudrières. Un bataillon chargé de
faire les rondes était installé, partie sur la grande place,
par'tie dans l'ancien palais du pacha. D'autres troupes
logeaient au Mellâh ou dans les quartiers arabes. La ville
était divisée en 4 cantons ou districts militaires.
On choisit dès l'abord des veilleurs de nuit (serenos)
parmi les Tétouanais; accompagnés de patrouilles de sol-
dats, ils parcouraient les rues pour veiller' à la tranquillité.
On installa dans le même hut des corps de garde dans les
maisons abandonnées et les mosquées. Comme on crai-
gnait encore les mines, on fit défendre d'allumer du feu
pendant les quatre premiers jours sous peine des châti-
ments les plus sévères; c'est l'Istiqçâ qui donne ce rensei-
gnement 2; nous n'en avons trouvé trace nulle part ailleurs.
On nomma des chefs de quartiers dits padrones.
L'État-Major dressa le plan de la ville 3; on donna des

et leur faisait faire des bénéfices. Il en est de même avec les gens des
villages environnants, de telle sorte que les gens vinrent au marché il
l'endroit connu sous le nom de Koudio El-Medfa en dehors de Té-
touan. La nouvelle se répandit dans les tribus montagnardes. Ils )"
accoururent et les gens (~lisaient des bénéGccs. )) lstiqça, IV, p. 218.
1. Mais il faut tenir compte de la conviction où se trouvait touLe
une parLie de l'Espagne que la ville lui demeurerait. G. de Lavigne
écrit en mars 1860 (p. 1[17): « La presse espagnole continue d'alllr-
mer que Tétuan sera conservé, et le général Bios, qui y exerce le
commandement, en complète l'organisation et la transformation de
manière il prouver que la conquête est définitive. ))
2. Alarcon, op. cit., IV, p. 218.

3. Ce plan ligure dans l'Atlas de la guerre il l'échelle du _"_1- ; mal-


2;)00
......
"C)C)
.) ARCHIVES 'UHOCAINES

noms aux rues, aux portes, aux bastions. Ceux-ci reçurent


les noms des personnes de la famille royale, les rues ceux
des bataillons ou des lieux où l'armée avait combattu pen-
dant lu campagne. Les portes furent appelées pOl'le de
l'anf/el' (Bâu En-Nowidelll'?), p. du Cid, p. de la Vidoire,
11. de la Reine, p. des Rois cal/wlir/ues, p. Alfons!' .YI!. La
grande voie qui des [Jaddlidine conduit à Bâti Bl-Meqlibeill',
s'appela Canlauria; la Meçalla s'appela la LllIzela et le Fed-
dûn Place d'Espa[j/le ".

On dénombra les maisons, qu'elles fussent ~'ides 011


occupées; des édits furent publi(~s concernant le respect de
la propriété. On fit le recensement des habitants avec leur

lIeu['(:usument trl's peu des (\diflces publics de TUouan, mosCJuées. par


e?,emple, clc., y sont indiqués. Quaut il cct Allas de la uuerra de
Africa, dont nous n'avons pu donner mention détaillée antérienre-
ment. faute de l'avoir alors entre les mains, voici un court exposé de
son contenu ct de sa factlll'c. Le titre complet est lUlflS his/()rico J'
tO[JoUnUico de la [Juern! de A[l'ica 18:JU-18IjO. JI fut publié par le corps
de l' (-lat-major au ministl're de la guerre. C'est un grand album oblong
de 5,>. ::< 70 sur 3 centimlltres d'épaisseur environ. Il comprend: 1" des
docnments extraits du journal des opérations (r) pages), ct des
tableaux di l'urs (G pages): 2" 1 () cartes au ;:-'_.- ct au ----,-- • fi f'cuillps
~)O 000 20 000
de plans. détails, types de fortifications tentes. campement, maté-
riel, cLc.; ;)0 rll'S panoramas dessinés SUI' le II'\Tain par des o/liciers
<l'état-major, surfout par le commandant Velasco, amplillés el litho-
graphiés il deux teintes. par J. f)ossoll, il Madrid. Ce sont de forts
beaux tableaux. Il Y en a douze.
:>.. Citons encore Calle de L!et'ella (grande rue d'ent\'(~e du i\Iellùh).
Pla:a de Sevilla (EI-H'arsa), ClIlle de Chic/Ulla (EI--IIadd:\din el lem
suite). Callc de Barbasll'o (Zanqat qaïd Ahmed), Calle de Zarago:a
(Zanqat Jèma El-Kebir, entre la grande mosquée ct Jèma' Sidi Es-Sa-
'ldi), Calle de Bilbao (EI-~leçda' 11 Sidi .Ali EI- Yisli). Callc del Rey
(Tarrùfîn). Calle de Alava (partie de Es-Souîq allant vers Séquia EI-
FOllCJiya), Calle del MOllcayo (partie de Es-Souiqa allant vers Jèma'
Jdida), Calle de Ceuta (Et-Tannàna). etc.
Tf~TO[JAN 023

nom ct leur âge approximatif, celui des armes qu'ils pos-


sédaient. Un édit averlit les Tétouanais qui avaient aban-
donné leurs immeuhles, d'avoir il les réintégrer dans un
délai de sept jours, di t l' !sli!jçâ l , - délai (lui fut prolongé
il deux reprises, - faule de cluoi l'l~tal se les approprie-
rait. On fit aussi l'inventaire des biens religieux, des ha-
bous ou biens de main-morle. Un senice des hypothèques
étudia les questions reLatives à la propriété, les titres furent
examinés au point de vue juridique.
El-Hâdj ben Abai"r fut mis ~l la tête des Musulmans
comme alcalde, ct Lévi Cases à la tête des Juifs en même
qualité; un conseil municipal de six Juifs ct six :Musul-
mans se partagea diverses attribulions. Abaïr, déjà agent
consulaire d'Autriche ct de Danemark, sc montra aimable
et complaisant; mais il remplil ses fonctions avec une par-
faite indolence. Très docile en apparence, n'opposant
jamais aucune résislance, il n'était pas, pat' contre, exempt
de toute hypocrisie, dit SchlngintweiL J.

La voirie fut aussi l'objet de plusieurs mesures. On en-


terra 70 cadavres abandonnés dans les maisons ct dans les
rues: c' étai en t ceux des victimes des troubles qui avaient
précédé l'enlrée des Espngnols. L'éc1airnge public fut
d'abord assuré par les soins de l'armée; quelques jours
après, chaque groupe de dix habitants fut chargé de sub-
venir à l'entretien d'une lanterne qui devait rester allumée
jusqu'à dix heures du soir, Aux .Juifs, qui demandaient du
pnin, on accorda lIne peseta par jour, à charge par eux de
nettoyer les rues; on facilita leur tùehe en leur prêtant des
charrettes, des hl\tes de somme, des chameaux. On fit des
cnnaux pour l'écoulement des eaux; l'abattoir fut transféré
dans un endroit mieux situé au point de vue hygiénique,

I. IV, p. 218.
2. Schlagintwcit, p. 332,
ARCHIVES ~IAROCAINES

en dehors de la ville. Des ambulances, des hôpitaux provi-


soires furent installés pour les Chrétiens, les Musulmans et
les Juifs 1.
Diverses assemblées, composées de Musulmans, de Juifs
et de Chrétiens, réglèrent les questions relatives au tarif
des divers produits, qui fut fixé pour éviter les abus, ainsi
que le change des monnaies; et l'on mit à la disposition du
public un tableau en trois langues avec la valeur compara-
tive des diverses monnaies espagnoles et marocaines.
D'autres assemblées étudiaient le système des droits, des
tarifs et compulsaient les volumineux livres de la douane.
Les montagnards des environs furent invités à venir
vendre leurs produits en toute sûreté. Le marché fut ins-
tallé dans la rue de Albuem', près d'une porte de la ville,
afin que les soldats de tous les camps pussent faire com-
modément leurs achats; mais il dura peu, les montagnards
ayant cessé de venir en ville après la rupture des négocia-
tions de paix.

Des modifications, d'un autre ordre, avaient lieu en


même temps; le maréchal fit démolir une partie des mai-
sons attenantes aux remparts; il employa une dizaine de
jours à celte besogne:; La mosquée du Feddân fut trans-
formée en église!'; après quelques travaux, elle fut bénie,

[. 11 Y avait deux hopilaux: Hospital central, clans l'actuelle caserne


du Mec/touaI' et dans Ddr Et- Te!]a, c'est-à-dire à l'angle N.-E. du Me-
chouar, au tournant des Haddddin ; et Hospital de la Reina au bout
de Zanqat Ej-Jénouî, rive Ouest de celle-ci, un peu plus bas que l'en-
droit où débouche Darb Riadh f(IIUh, au tournant. Des baraquements
pour les ambulances furent élevés par le génie dans les jardins situés
entre le rempart, Sidi Es-Sa 'îdi et Bùb Ej-Jièf (Puerta de Al-
fonso VIII).
2. C'est-à-dire 11 SOtL!] EI-FotL!]i, près de Brih El-Me!]ribeur (Puerta
de la Vic/oria).
3. fsti!]çâ, IV, p. 218-:Hg.
4. Celle consécration du culte catholique devait èlre prOVISOIre,
TÉTOUAN
ouverte au public, et le dimanche I I février, une Ule8SC
solennelle y fut célébrée; on y chanta le Te Deum; le
Père Sabafel prononça un grand sermon en présence dc
toutes les autorités militaires et des aumôniers 1 ; après la
cérémonie, les troupes défîlèrent devant le maréchal ct
celui-ci rendit la liberté à dc nombrcux prisonniers 2. La
nouvelle église fut appelée Nuestra Dama de las Victorias.
Les autres mosquées furent épargnées, au dil'e des auteurs
européens. Cependant l' Istiqçâ prétend le co n traire 3; d'après
Es-Selaoui, la mosquée du Pacha aurait été transformée en
magasin pour le riz et l'orge (mais nous venons de voir
qu'elle avait été consacrée au culte catholique); on aurait
fait un dépôt de galettes de la mosquée de la Qaçba ' et du
tombeau de Sidi 'Abdallah EI-Hâdj une poudrière r;. Schla-
gintweit dit aussi, mais sans spécifier qu'il s'agit des mos-
quées, que certains monuments furent transformés en umga-
sins, des palais en ambulances et certains pâtés de maisons
en casernes 6.

cal' on avait choisi pour l'élévation de l'église cl du consulat, dans


['avenir, le terrain de EI-Hùdj El-Lebbadi, à l'angle S.-O. de la villP.
1. Il s'agit de ./èma' El-Baeha.
2. Alarcon, II, p. 157.
3. lstiqçâ, IV, p. 218.
4. Le fait est exact au fond. L'Atlas de la guerre indique des ma-
gasins d'administration à la place de ladite mosquée. - D'autres
magasins d'administration furent établis à Soùq Ez-Zraa (avec les
fours), dans le Mechouâr, dans le bâtiment qui fait face au palais
du pacha, dans les baraquements, sur le Ric1dh R'olteis.
5. La disposition des poudrières et parcs militail'es était la suivante:
Parc d'artillerie, à coté de Bâb Et-Toùt, au N. de celle-ci, sur la rive de
Riâdh R'otteis, entre celui-ci et la Calle de Algceiras (Hàmmàm EI-
Qadi); Parc de génie dans l'ancienne médersa, Plaza de Sevilla (El-
R'arsa), la poudrière dans la Qaçba.
6. Le palais de l'empereur et celui du pacha étaient affectés au
général en chef: la douane actuelle servait de résidence au gouverneur
militaire; les bureaux de l'état-major se trouvaient au fond de El-Ou-
çaa, à l'angle N.-O., et le long de la route qui y fait suite. - La
,,26 AHCIJIVES MAHOCAINES

On installa pour la troupe un manège, un terrain de


jeux, un casino, un théâtre; parlant des abords de IHb
Et-l'otll, en dehors de la viLLe, li peu de distance des murs,
ct parallèlement à leur direction générale, on traça enfin
une voie trl~S large, destinée à servir de promenade, et qui
venait aboutir par un rond-poi.nt en terrasse sur le front
de la falai.se qui borde la vallée 1.

Les mUl's de la ville furent mis en état de défense; des


batteries furent armées et montées, des ouvrages acces-
soires de fortification établis près des portes 2; nous avons
indiqué ce qu'il en reste en décrivant la ville. Des ruelles
furent transformées Cil rues, des rues élargies. Une partie
de ces travaux étai t certes nécessaire pour faciliter les com-
munications ". Le Feddân fut UII peu nivelé pour sel'vir
de place d'armes l"

prison. à l'angle S.-K du Fedd;\n. contre B:lb Er-llouMl. les TarrMin


et la grande rue du Mellùh.
J. Le casino dait contigu il l'O. de la mosquée du pacha; le
tllNttre, en planches. était contigu il Uùb Er-I\ouù]I, au Nord de celle-
ci. Le manège occupait la place de Bilitllt El-lfojirini; le cllall1p de jeu x
(balle, barre, boules). celle de l'abattoir actuel.
~J. D'apr!-s J'Atlas de la guerre, ces ouvrages comprenaient: la mu-
l'elle de briques el une luneUe en terre reVt-tue de ['ascines, dont les
n-stes se voient il ({ùb Er-Hellloùz, lc rélluit cn briques de Bùb Et-l'où t,
des redans en VolTe, au front Est, un peu au S. de ({ùb Es-Sa' ida, puis
au coude du rempart entre celle porte et ({àb Ej-.Iii-f, puis immédiate-
ment il cùté de B:1b EI-Meqùbeur. au Sud.
3. Parmi les voies ouvertes cn totalité ou en partie citolls : Calle de
Lllchana (de la l\' arsa aux Tarrùllll directement). ouverte en tota-
lité; plaza de Parnplona (SolHI El-hoùt). entièrement; calle dei Rey
(Tarrtdïn). en grande partie; plaza de Sevilla (EI-l{'arsa), en partie:
une grande partie des rues qui forment le chemin dl' ronde sur le
front Sud de la place.
It. Devant l'église, anciennement et aetuel1emctl t J t~llla' El- Baeha,
on prépara une sorte Je terre-plein soutenu par un IllU!' de ma<;on-
nerie. d'où l'on dominait la place pt où J'on acd-llait par une ralllpp
aboutissant en son milieu.
Tl~TOUAN

Plus tard, on établit une ligne télégraphique rejoignant


la ville à la Douane. Le bureau se trouvait dans une maison
voisine de la mosquée, sur le Feddân', L'imprimeJ'ie de
l'armée fut installée dans le Mechouâr, certaines personnes
disent avoir pu lire naguère encme le nlOt de (( Imprelllil »
sur la porlc du local qu'elle occupait. - Puis on entrepri t
une l'autel ainsi qu'un petit chemin de fer allant à l'em-
bouchure du Martine. Des tronçons de roule subsistent
avec les ponts faits pour le passage du Hio Alcantara. Ce
fut longtemps la seule du Maroc; celle du cap Spartcl l'a
remplacée de nos jours; mais la route du Martine devait la
smpasser dans cette prérogative, car elle avait été plan tée
d'arbres qui n'eurent malheureusement pas le temps de
grandir. Le chernin de {cr fut, au moins momentanément,
ou bien dut être, cn projet, pourvu d'un matériel prêté
par les lignes de Cordoue à Séville, Séville à Cadix et
Madrid à Alicante 2,
Mais, malheureusement aussi, lorsque les montagnards,
excités à continuer la guerre avant la bataille d'Ouedr'as,
eurent cessé d'apporter des denrées, du bois, du charbon,
il fallut, pour se procurer du combustible, prendre la char-
pente dcs maisons de (luartiers entiers. De là les ['uines
qui se voyaient naguère eneore et celles qui se voient même
aujourd'hui dans certaines parties de la ville, et que la plu-
part des auteurs européens ont attribuées à un bombar-
dement :J, Nous savons que celui-ci n'a jamais existé, si ce
n'est dans leur imagination.

I. Au bord N. du Feddùn, à l'O. de Jèma' El-Bacha dont le sépa-


rait le casino.
2. G. de Lavigne, op. cil., p. 113.
3. « Leurs ruines sc dressent encore, témoins muets de la guerre.
Partout où va le visiteur, toute chose vient forcément lui rappeler ces
maux, et le Maure a fréquemment l'occasion de remarquer avec amer-
tume: cc :,,"utrcfùls ccci ou cela était beau, mais depuis la guerre ... ! »
Budgett Meakin, The Land of the Moors, p. 145.

,~
.')28 ARCHIVES MAROCAINES

Les· travaux cependant n'étaient pas toujours dirigés


avec toute la sollicitude voulue. On démolissait plus vite
qu'on ne reconstruisait, et, le premier enthousiasme passé,
on se dégoûtait assez vite de la tâche entreprise, Les dé-
combres de bien des maisons entravèrent les communi-
cations ou même les empêchèrent pendant longtemps,
allant précisément à l'encontre du but qu'on s'était pro-
posé. Il en fut de même de la route, si nécessaire cepen-
dant, pour relier rapidement l'armée à la Douane; elle fut
abandonnée sans être finie; les travaux du chemin de fer
furent sans doute abandonnés aussi, car à la conclusion de
la paix, les transports continuaient à se faire, comme dans
les premiers temps, à dos de mulet, dit Schlagintweit. Seuls
les ouvrages de fortification, l'aménagement des ambu-
lances et la mise en état de l'église furent activement
poussés et menés à bien promptement.

Entre temps, des boutiques, des magasins, des cafés


s'ouvraient avec des restaurants; l'un d'eux, tenu par un
Espagnol fixé depuis longtemps dans la ville, Hamon, était
installé dans la maison d'Achach 1 • Cette maison formait
une sorte de colonie mixte, où se coudoyaient quelques
olIiciers supérieurs, des artistes et des littérateurs installés
dans ce logement jusqu'à la reprise des hostilités. Elle
servit aussi d'habitation au diplomate venu pour négocier la
paix, Merry y Colon~.
Les marchands et les industriels qui s'étaient installés
d'abOl'd au Mm'tine, vinrent s'établir à Tétouan quand
l'armée espagnole y eut pénétre. Des négociants de Barce-
lone et de Malaga avaient ouvert dans la ville des maga-
sins où s'entassaient des étoffes et des vêtements eonfee-

1.Yriarte, p. ~J2(j.
2. Yriarte, p. 223.
3. G. de Lavigne, p. 112.
Tl'':TOUAN t;29

tionnés, dont l'armée éprouvait un certain besoin 1. - Des


Français étaient accourus d'Algérie pour monter des hôtel-
leries, des restaurants: mais tout cela si hâtivement, avec
si peu de soin, que tout était fort mauvais, quoique fort
cher; et, suivant l'expression de Schlagintweit 2, on ne
voyait des marchandises françaises que le rebut, de la cui-
sine française (lue les choses les moins appétissantes 3.
Néanmoins tous, à l'armée, se trouvaient trop heureux d'en
profiter, trop heureux de sc donner ainsi l'illusion des
usages européens. Ces tentatives commerciales furent favo-
risées par l'annonce, faite le 18 janvier, que la Laie de
Tétouan était port franc au sens le plus large du mot et
pour toutes les nations, à dater de ce jour.
Tétouan devint, pendant quelque temps, le hut de
voyages de plaisir entrepris par les habitants des villes
maritimes du sud de l'Espagne. ( De Malaga, de Cartagène,
d'Alicante, d'Alméria, la traversée sc fait en peu d'heures,
écrit Lavigne, et de l'embouchure du rio Martin jusqu'à la
ville, le chemin de fer, rapidement construit sur la berge
du neuve, est en pleine activité l,. »

Mais, en même temps que les Espagnols s'efforçaient de


modifier en la ville ce qui leur paraissait défectueux, à
tod ou à raison, en môme temps ([u'ils entreprenaient.,
à côté de cela, un certain nombre de travaux d'une incon-

1. G. de Lavigne, p. Il,8.
2. Schlagintweit, op. cit., p. 335.
3. Il Y avait cu déjà une Fonda JrClllcesCl au Martine (Alarcon, I,
p. 27°)'
l,. G.deLavigne,p. 11.2-113. Et ailleurs, du même (p. 131-13?-):
« Cela n'empêche pas les trains de plaisir de i\bdrid à Tétuan, par
le chemin de fer d'Alicante. L'un des bateaux à vapeur de la Compa-
gnie Lopez a conduit, l'autre semaine, trois cents curieux à qui il a
suffi de quatre jours pour ceUe visite. L'Espagne, et ses nouvelle,;
possessions du Nord de l'Afrique, seront, cette année, le but des
excursioQs de presque tous les touristes de l'Europe. »
ARCH. :\lAHOC.
ARCIIlVES MAI\OCAINES

testable utilité, ils inauguraient encore à Tétouan le mode


moderne par excellence de la publicité ct de la discussion
des aft1Îres publiques en fondant le premier joul'llal qui ait
vu le jour au Maroc.
« Celte manifestation de la pensée écrite dans le foyer
de l'Islamisme, celte prise de possession au nom de ridée
et des lumières, nn manquaient certes pas de quelque gran-
dnnr; c'était peut-être jeter le gïJUvernernent dans un cer-
tain embarras, puisque c'était une aflirmation de plus l'n
faveur de la conservation de Tétouan; mais, corHme Alarcon
ne voyait lit dedans qu'un symbole et qu'une idée poétique,
la grande figure de la guerre civilisatrice portant dans un
pli de sa l'abc une presse de Gutcn!>el'g et une pile de Volta,
ct appuyée sur une croix, 11eI'SOlllle ne chercha ùans cd
essai une pensée oflicielle ni même un sl'rvicl' oflîcieux
rendu au gouverne/HclI!.
cc L'Jic/w de 1'ci /OUrLlt, tiré il quelques centaines ù'exem-
plaires, envoyé il tons les joul'Ilaux d'Espagne, lu par
l'al'mée tout cntil~l'e, acquit en peu de jours une célébrité
immense, ct dans notre pauvre bureau de rédactioll, avec
un administra teur qui était à la fois chroniqueur de la
guerre, correspondant des journaux, soldat, rédacteur en
chef, melteur en pages, prote ct correcteur, il fut impos-
sible de répondre aux abonnés d'Espagne (lui se faisaient
inscrire en ruasse 1. »
On jugera du style enl1ammé de celle (cuille et de l'idée
qui lui avait donné naissance par l'extrait suivant du pre-
mier article".
cc En prenant aujourd'hui la plume pOUl' l'édiger les pre-
mières lignes de cet humble journal, la plus douce émotion
s'empare de notre âme ct un inelTable sentiment d'orgueil

l. Yriartc, p. 229.
2. ]I;idl' III ,
T~~TOUAN

et d'allégresse nous arrache des larmes d'enthousiasme ct


de joie.
« Au nom de Dieu et en celui de notre chère Espagne,
dans notre belle langue castillane, sous la bannière triom-
phante de Jésus-Christ, que le premier journal de l'Empire
du Maroc sorte aujourd'hui à la lumière el que l'immortel
Gutenberg tressaille dans sa lombe en voyant la parole
imprimée traverser ces horizons, pûle étoile aujourd'hui
puisque e'esl ma pauvre intelligence qui lui donne la lu-
mière, mais qui un jour arrivera à Nre un brillant foyer de
vérité qui répandra de splendides rayons d'amour cl de
justice dans l'esprit ténébreux des Africains!
« Mais ce n'est pas nous, agcnts aveugles ct instruments
de falalité du sublime esprit qui anime aujourd'hui notre
mère patrie; ce n'est pas nOus qui devons nous enor-
1 gueillir de la nouvelle conquête que réalise la civilisation
~ de l'Europe, en plantant Sil chaire sur le territoire qui,
hier encore, appartenait au Maroc; c'est l'Espagne dont le
front doit ceindre un si noble laurier, l'Espagne (lui, en
peu de temps, avançant de campement en campement,
traînant toujours la victoiro avec elle, a fait passer le détroit
de Gibraltar aux grandes merveilles du dix-neuvième siè-
cle, aux plus sublimes conquêtes du progrès, aux œuvres
les plus prodigieuses de la liberté, le télégraphe électrique,
la vapeur elle chemin de fer, el qui aujourd'hui dresse une
presse sur les vieux manuscrits des bihliothèques de Té-
touan; l'Espagne qui, au milieu de lacs de sang, de nua-
ges de poudre, de monceaux de cadavres amoncelés par la
peste, de tourmentes et de naufrages, a donné au peuple
marocain l'exemple de la charité el de la noblesse, de la
générosité cl de la largesse, de la tolérance pour tous les
rites et toutes les religions, du respect pOlIr la propriété et
des usages de piété à!' égard du vaincu, d'amour pour celui
qui soufIi'e, d'admiration pour le courage malheureux, ct
qui, profitant des courls intervalles où sc taisait la voix
532 ARCHlVES MAROCAI~ES

du canon, a fait entendre les paroles persuasives de la


presse, et, passant l'épée d'une main à l'autre, combat avec
les armes de la raison sous la bannière parlementaire qui
couvre de ses plis les Musulmans vaincus. Du reste, ceHe
feuille peut mourir demain ou être suspendue, car le
clairon de la guerre peut résonner et nous appeler à de
nouvelles luttes; peut-être aussi son second numéro se
publiera-t-il loin de Tétouan, sous une ten te de laine,
dans le douar d'un pasteur maure ou dans quelque ville
du Maroc, mais de toule façon le fait reste consigné;
le but est tracé, la presse renaîtra de ses cendres sur
ces plages, et poètcs, publicistes, savants et philosophes
peuvent faire honneur à Tétouan dans un temps plus
ou moins reculé. Que leur souvenir et leur estime soient
l'unique récompense à laquelle nous aspirons en offrant
au public cet humble témoignage de notre amour pour
l'Espagne 1 ))
Le journal tout entier n 'était pas écrit dans un ordre
d'idées aussi éle~ées; la Guzelilla ou colonne des faits di-
vers contenait des nouvelles telles que celle-ci: « On
vient de découvrir dans le quartier juif! une femme qui
trou ve le moyen de blanchir les chemises; quand le linge
est arrivé, gL'âce à un procédé aussi simple qu'ingénieux, à
un état de blancheur satisfaisant, au moyen d'un instru-
ment de fer soumis quelque temps h l'action du feu, elle
arrive à donner à la toile une raideur et un poli extraordi-
naires. Nous compléterons notre renseignement en almon-
çant qu'elle n'exige qu'un salaire bien modique et qu'elle
se contente d'un réal pour chaque chemise. ))
« Ce faiL divers assez badin avait son éloquence, ajoute
Yriarte, car depuis notre départ de Ceuta une chemise
blanche était un événement el une chemise empesée un
mythe. )) Il y avait aussi une partie consacrée à enregistrer

1. Yriarte, p. 230-233.
TETOGAX [;33

sommairement les travaux faits par les Espagnols depuis


leur entrée dans la ville 1 •
Le premier numéro du journal parut le 1er mars 1860:
cc fut aussi le dernier; le temps manquait ~l Alarcon pour
le rédiger; « ensuite les presses portatives de l'élat étaien t
employées pour le service de l'état-major général: il est
regrettable que toutes les souscriptions qui arrivaient en
masse n'aient pas pu être recueillies: c' cM été une affaire
sérieuse pour celui qui aurait en trepris la publication per-
manente de 1'1?c/w de Tétol/Uil. D~s lettres arrivaient de
toute part: l'un voulait être courtier sans rétrihution, uni-
quement pour coopérer à l'œuvre; celui-ci ofrrait le pa-
pier; celui-là voulait en "o~'er une presse". »

Au milieu de toutes ces transformations, Tétouan parut


d'abord avec une vie nouvelle et plus intense. Les uni-
formes espagnols mêlé,; am: vôtements d'un caractère si
particulier des Musulmans et des Juifs, le hruit des trou-
pes, le passage des chameaux, des mules lourdement char-
gés lui communiquaient une anirnation pittoresque. Aux
coins des rues, les simples d'esprit, les mendiants désœu-
vrés psalmodiant des prières, faisaient contraste; la voix
des muezzins coupait la journée de ,;es appels mélanco-
liques et marquait les heures 3.
Mais certains quartiers demeuraient silencieux, ct bientôt
les immondices reprirent presque partout possession des
rues, malgré les belles résolutions de propreté du premier
moment, malgré les soins donnés à la voirie dans les pre-

1. Le journal d'Alarcon « annonce ... que Madame la duchesse de


Tétuan est venue rejoindre le général en chef. .. L'Echo dit encore que
la compagnie dramatique de Cuidad Héal a demandé au général
Hlos l'autorisation de venir donner des représentations à Tétuan. »
G. de Lavigne. p. 148-I!19'
2. Yriarte. p. 233.
3. Schlagintweit. loc. cil.
.).,.
."
:';31 ,\ I\cm VES ~IAROCAlJ'\ES

miers jours. Tétouan redevint bien vile la ville arabe,


malgré tout: avec Je temps l'animation diminua, les
bruits sc calmèrent 1 •
Enfin, après la rupture d(ifinitive des pourparlers, quand
les lVlarocains de la campagne cessèrent de venir à Tétouan,
la solitude sc fil. Plus que jamais, après le coup de canon
du coucher du soleil, quand, les portes de la ville fermées,
tous rentraient chez eux, à la nuit tombante, il devenait
dangereux de parcourir les rues obscures, désertes ct
tristes. Le silence n'était plus troublé que par le coup de
teu de ([ue1fIUC sentinelle, tirant sur un maraudeur qui
cherchait ;l la surprendre à l'ala'i des broussailles. EL les
Espagnols purent comprendre ulcJl's que leurs elforts étaient
destinés à demeurer stériles. La ville était sinistre; les
.J uifs faisaient courir le bruit qne les Musulmans étaient ca-
chés dans les maisons; on voyait de temps ;l autre revenir
quelques f\llnilles (l'li reparlaient aussitôt après avoir
chargé cc qu'une première fois elles n'avaient pu prendre.
La haine éclatait, « haine 1l mort: les paroles de concilia-
tion n'étaient nullement entendues: il vint un jOlH' où les
seuls habitan ts furent les Juifs ct quelques Tétouallais soup-
çonneux fpli semblaient rester dans leur ville uniquement
pour donner ;1 leurs compatriotes des nouvelles de l'occu-
pation ".
« Proclamations, écrits, recensement des maisons pour
garantie de la propriété, respect de la religion ct des cou-
lmnes, rien n'y fil. Le peu de Maures l'estés cIans leurs
foyers nous regardaient d'un air féroce et cc fut chaque
jour quelque alerte. Quand on se relûclwit des précautions
à prendre, un meurtre ou une attaque venaient rappeler
qu'on habitait un pays ennemi et (lU "il fallait veiller. » En
lace, pourtant, les Tétouanais alfectaient l'indilférence pour

r. Yl'iarlc, p. 230-:l33.
2. Yriartc, p. 205.
Tl~TOUA~

Lout ce que faisaient les Espagnols; « l'ennemi n'existait


pas pOUl' eux. Le remarquer et lui relHlre hommage, e'eût
été constater l'élat d'asscrvissement où la ville était plongée
et reconnaître le vainqueur. Aussi, lorsqu'un Espagnol
venait au-devant d'un Maure, celui-ci l'évitait: on senlait
que c'élait une souffrance pour lui de rencontrer cet être
d'un pays diŒérent, d'une autre religion '. »

S 3. - l'étonalt pendant l'occupation espagnole


après la .r;ucrre.

Les travaux entl'eprîs pour la transfonnatioll de Tétouan


pendant quc l'armée d'expédition l'occupait, continuèrent
d'abord lorsqu 'elle fut partie, laissan t à la division d'occu-
pation le soin de garder la ville. Mais dès le jour où le
tl'aité fut ratifié. les oMal'ocains réelamèrent contec les chan-
gements opérés par le général Hios 2. «( Ce n'est plus une
conquête, disait Muley-Ahbas, c'cst un goage; cc n'est pas
votre propriété, c'est notre ville; elle nous reviendra demain;
laissez-la telle que nous vous l'avons confiée. » En consé-
quence les travaux furent arrôtés un instant; ( mais les
chaleul's et l'épidémic survcnant » obligèrent à ( conti-
nuer une œuvre d'assainissement ct d'amélioration d'où
dépendait le salut de l'armée' ».
Il est certain seulement qu'on mit plus de discrétion
dans l'œuvre entreprise l,. Malgré tout, le souci de la santé

1. Yriarte, p. 207.
:J. G. de Lavigne. p. 18:).
3. ibid.
Il, ({ Tétouan ne devant pas rester à l'Espagne, on a arrèté les
démolitions un peu intempestives que le général H.ios y avait entre-
prises, dans le but d'ouvrir des voies à l'Européenne au milieu du
dédale des ruelles arabes. ?lInley Abbas est intenenu lui-mème pour
fi31j AHClIlYES ~L\HOCA['ŒS

publique n'élait pas, probablement, le seul mobile du gou-


verneur dans celte œuvre, car, nous le verrons bientôt, un
grand nombre de personnes en Espagne étaient persuadées
que '1\Houan demeurerait colonie espagnole. (( Cette frayeur
des Maures, écrivit dc Lavigne 1 en aoùt I~6o, de voir les
vainqueurs s'élablir en maîtres dans cetle conquête de CO/l-
vcnit:o/l, s'est manifestée dans deux circonstances notables.
La transformation, peut-être impolitique, (rUne mosquée
en chapelle catholique, (lui a soulevé des colères de nature
à devenir fatales aux occupants, s'ils cessaient unjoul' d'être
sur leurs gardes: puis l'établissement d'un cimetière chré-
tien. Ces deux circonstances ont été l'objet d'une corres-
pondance dans laquelle sc laissent voir les préoccupations
du gouvernement impérial. Le commandant militaire de
Tétouan, pour préserver le nouveau cimetière de toute vio-
lation, avait offert d'en acheter le terrain, afin qu'il pùt
l'es1er propriété de l'Espagne, même après l'occupation;
mais les Maures ne peuvent consentir à voi l' leurs ennemis
rester maîtres d'une parcelle de cc sol, Il 'où ils sc llâteront
d'effacer aussitôt que possible lem souvenir. i\Iuley-Abhas
s'est donc empressé de déclarer que l'empereur lui-même
indemniserait les propriétaires du terrain, ct qu"il placerait
les sépultures espagnoles sous sa protection directe, ainsi

Illettre un terme il celte prol'anation de la ,ille sainte. L'église rede-


,iendra mosquée; la porle du Cid reprendra son ,ieux nom cl il
) aura sans doute dans l'esprit des habitants quelques haines de plus,
il l'adresse des vainqueurs qui ont osé toucher il l'arche sainte.
« Au milieu des oll'res auxquelles avaient donné lieu les succès de
l'armée, nous avions remarqué celle d'un fabricant de faïences de
Malaga. qui, huit jours après la prise de Téluan. demanda au géné-
ral en chef la liste des noU\elles dénominations des rnes ct des places
de la ville, afin de faire fabriquer des plaques destinées il conservel'
ces noms d'une manière indélébile. Qne ,a devenir l'œuvre patriotic]lw
du faïencier de Malaga?» G. de Lavigne. op. Clt., p. 1}1-172.
1. P. 183-18û.
TÉTOUAN 537

que sous la responsabilité personnelle du futur alcaïde de la


ville t. ))
La mission des Franciscains espagnols, chassée de Té-
touan vers la fin du XVIIIe siècle, y reparut en 1860, dès la
conclusion de la paix. Partout, au Maroc, l'ordre avait pris
de l'extension d'ailleurs, sauf ici; avant même la guerre
hispano-marocaine le monastère de Chipiona, près Cadix,
fournissait des recrues 2. Lorsque la guerre éclata, les pères
furen t obligés de quitter leurs établissements de Mogador,
Mazagran, Casablanca et Tanger; mais certains d'entre
eux suivirent l'année espagnole en soignant les blessés.
Il était naturel que les directeurs de l'ordre, tout dévoués
aux soins réclamés par l'importance croissante de celui-ci,
profitassent de la paix pour rétablir le siège d'une de leùrs
plus anciennes fondations. Les travaux pour la construc-
tion de l'église de la mission furent repris: ils étaient
abandonnés, nous le savons, depuis la fin du XV me siècle;
ils coûtèrent plus de 3 millions de réaux (750 000 pesetas),
qui furent fournis par la commission des saints lieux de
.J érusalem (Comision fJcncral de los Santos LlLfJares de J crlL-
scelen). Elle remplaça celle qui avait été. si intempesti-
vement:\ établie dans la mosquée du Pacha; on lui donna
le même nom, NlLestra Dama de las Victorias. Certains éta-
blissements religieux espagnols lui firent cles dons magni-
fiques.

La prise de Tétouan avait encore marqué le retour dans


la ville d'un consul d'Espagne, (( et les autres États euro-

1. Cette question du cimetière faillit avoir un épilogue. 11 'j a


quelques années un comité se forma en Espagne pour transporter à
Cenla les ossements des soldats morts à Tétouan pendanlla guerre et
ponr élever une p'jramide sur leur tornbe. Mais, après avoir réuni
nne somme assez ronde, ce comité laissa le projet sans exécution.
2. Budgett Meakin, The Moorish empire, p. 327'
3. Castellanos, Historia de Marruecos, p. 40-[11.
tj38 AHCIil VES MAHOCAINES

péens ont largement profité de la présence de ce fonction-


naire », écrivaien LHooker eL BaIl un peu plus Lard 1 •

~ l,. - Télollan depllis la fin Ile l'occupai ion espagnole.

Dès que, le 2 mai 1862, les Espagnols quittèrent défini-


tivement la ville, les Musulmans s'empressèrent d'anéantir
tout vestige des transformations opérées par leurs ennemis.
Les lan ternes fu rcn t brisées, les noms des rues e!l'acés, les
arbres plantés sur la route arracbés. IL fallait supprimer
toute trace du séjour du vainqueur;. Mais s'il l;tait relati-
vement facile d'en elTaeer les traces matérielles, il n 'en
était pas de ml~me de l'impression Dlite au cœur des habi-
tants cux-mômes, mt-ce malgré eux, par cc premier établis-
sement de l'Europe moderne dans l'archaïquc séjour d\lIl
monde figé dans le passé. La prise de Tétouan pal' l'Es-
pagne avait ouvert toutes gl'ürHlt~s les portes de la ville aux
Européens. Beaucoup y étaient venus tl la suite de l'armée:
beaucoup, sans doute, partirent avec elle, mais lluelqucs-
uns aussi demeurèrent ct d'autres vinrent par la suite. Il y
a quelque vingt ans, ils formaient encore sculement un petit
groupe.
II Les charges qui incombent au consul d 'Espagne Ile
pcnvent ôtre lourdes, car peu d'étrangers visitent encore
Tétouan aujouTllllUi », écrivent en dlet Honker ct Bail
en 1878:l; mais depuis leur nombre n'a cessé de s'accroître.
On pouvait emlcer le nom des rues, arracher les arbres:
l'élan était donné. Dans les vieux quartiers éventrés, les

Joul'llal (~f Il tOUI', p. /10.


1.
2. Budgett Meakin, The Lalld of the Mool's, p. Ifl!l. - L'auleur fait
remarquer en nole que c'est il peu prl's ce (I!li arriva pendant et
ap.rl~s l' occupation sillll\llalH'-l~ de Canlol\' par les Anglais et les Fran-
ÇaIS.
3. .fourllal of a (OUf', p. 40.
T~~TOUAN G39

Juifs d'abord, puis les Espagnols, enfin les Musulmans eux-


mêmes allaient élever des constructions nouvelles SUl' le
modèle de celles que l'on rencontre dans les villes du Sud
de l'Espagne. Une mission évangélique protestante était
créée peu après (1887)1.
Dans ces dernières années, en avril 18g8, le baron
Schcnk de SchweinuC1'ff étai t envoyé par l'Allemagne auprès
du Sultan; certains journaux parlaient alors de la con-
struction de battel'ies pal' des ingénieurs allemands à l'em-
bouchure de la Moulouya ainsi qu'à celle de l'Oued
Martine ".
Cela ne s'est point fait, sans doute; mais cela peut sc
faire, cela fut sur le point de se faire. Tétouan porLe au
cœur l'indélébile empreinte de sa défaite ct de l'invasion
européenne, commencée par la force, continuée par la paix:
rien ne l'effacera. Félicitons-nous seulement que, discrète
encore, comme nous l'avons dit une première fois, elle nous
ait laissé subsisler l'image encore bien reconnaissable ct
bien nette d'une vieille ville andalouse musulmane.

A. JOLY.

1. Budgell Meakin, The illool'ish empire, p. 327.


:1. Bomanin, La Question du Maroc, p. lOg. - C'était la seconde
fois qu'il étail question d'augmenter les dôl'enses du pays; la première
fois, même, un commencement d'exécution avait slIi"i; car Moulay
'Mohammed, à la lin du xvm" sil~cle, avait fait venir de Constanti-
nople des fondeurs et des canonniers pour monter à Tétouan une fa-
brique de bombes; mais la durée de ccl établissement fut éphémère.
Cf. Godard, le Maroc, p. 79.
CUAR'fHES. - I:\'1PItB'IERrE DUH.ANO, RUE FULHEH.T.
,
,1

....

S-ar putea să vă placă și