neque detestari, sed intelligere! dit Spinoza, de cette manière si simple et sublime qui est la sienne. Pour autant : qu'est-ce en dernière instance que cet intelligere sinon la forme sous laquelle ces trois processus justement nous deviennent soudain perceptibles? Un résultat produit par les trois pulsions différentes et en opposition mutuelle que sont la volonté de se moquer, de déplorer et de maudire?
Avant qu'un connaître soit possible, il faut que chacune de
ces pulsions ait d'abord exprimé son point de vue partial sur la chose ou sur l'événement; ensuite est apparue la lutte de ces partialités, et à partir de celle-ci, parfois, un moyen terme, un apaisement, un assentiment concédé à l'ensemble des trois parties, une espèce de justice et de contrat : car, grâce à la justice et au contrat, toutes ces pulsions peuvent s'affirmer dans l'existence et s'imposer mutuellement leur point de vue.
Nous, qui ne prenons conscience que des scènes ultimes de
réconciliation et de la liquidation finale de ce long processus, nous pensons pour cette raison qu'intelligere est quelque chose qui réconcilie, quelque chose de juste, de bon, quelque chose d'essentiellement opposé aux pulsions ; alors que c'est seulement un certain rapport mutuel des pulsions.
Durant des périodes extrêmement longues, on a considéré la
pensée consciente comme la pensée en général : ce n'est qu'aujourd'hui que nous voyons poindre la vérité, à savoir que la plus grande partie de notre activité intellectuelle se déroule sans que nous en soyons conscients, sans que nous la percevions ; mais je suis d'avis que ces pulsions, qui sont ici en lutte mutuelle, sauront parfaitement à cette occasion se rendre perceptibles et se faire malles unes aux autres -: cet épuisement violent et soudain qui frappe tous les penseurs pourrait bien trouver là son origine (c'est l'épuisement du champ de bataille).
Oui, il y a peut-être dans notre intériorité en lutte bien de
l'héroïsme caché, mais certes rien de divin, d'éternellement- au-repos-en-soi-même, comme le pensait Spinoza. La pensée consciente, et notamment celle du philosophe, est l'espèce de pensée la moins vigoureuse, et pour ce aussi, relativement, la plus douce et la plus paisible : et voilà pourquoi c'est précisément le philosophe qui peut le plus facilement être induit en erreur sur la nature du connaître.”