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SCIENCES ∙ ARCHÉOLOGIE

Yves Ubelmann, l’archéologie vue d’en haut
Architecte de formation, président et fondateur d’Iconem, il a chamboulé la sauvegarde du
patrimoine archéologique grâce à des images aériennes prises par des drones.

Par Florence Evin • Publié le 11 mars 2019 à 10h22, mis à jour hier à 13h03

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Yves Ubelmann, dans les locaux de sa start-up Iconem, en 2016. DENIS / REA

Yeux vifs et rieurs, barbe noire taillée, l’architecte Yves Ubelmann, 38 ans, président et cofondateur
d’Iconem (2013), détonne dans le monde de l’archéologie.

Sa start-up est logée dans trois pièces du quartier de Montparnasse, à Paris. A l’heure du casse-croûte,
filles et garçons (25-28 ans), architectes, archéologues, ingénieurs et graphistes, une quinzaine de tous
horizons et nationalités, discutent dans un joyeux brouhaha. « Il y a une bonne ambiance, reconnaît-t-
il, on est très soudés. Ils sont tous très attachés à la mission humaniste de l’entreprise, la préservation
du patrimoine. »

As du codage

Passé la pause, silence absolu. Les yeux rivés sur leurs écrans, ces as du codage font revivre les sites
antiques en péril dans des modèles 3D, construits à partir des milliers de photos prises par Yves
Ubelmann, à Mossoul en Irak, Palmyre en Syrie, Angkor au Cambodge, ou l’église de la Trinité, à Paris.
A Mossoul (Irak), Yves Ubelmann photographie le grand taureau ailé androcéphale qui
gardait la porte du palais royal assyrien de l’antique Ninive, découverte mise au jour
dans un tunnel creusé par l’organisation Etat islamique. ICONEM / UNESCO

Il utilise, dit-il, sa caméra « comme le ciseau du sculpteur qui doit passer partout pour dégager les
formes ». En 2017, ses vidéos défilaient, à Paris, au Grand Palais, à l’initiative de Sylvie Hubac, alors à la
tête de l’institution, et Jean-Luc Martinez, PDG du Louvre.

Jusqu’au 17 février, elles étaient, à la demande de son président, Jack Lang, à l’Institut du monde arabe,
à Paris, où 120 000 visiteurs découvraient la spectaculaire Leptis Magna, en Libye, menacée par
l’érosion et les pillages. Au même moment étaient dévoilés, toujours dans la capitale, l’exposition « Le
Crac des chevaliers » à la Cité de l’architecture, le Mont-Saint-Michel au Musée des Invalides, et la
falaise de Bamiyan, sans ses bouddhas, à Guimet.

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Reconstitution numérique du temple Baalshamin ( Syrie), à partir de milliers de photos


prises par drone et au sol par Yves Ubelmann, présenté dans l’exposition « Cités
millénaires » à l’IMA. ICONEM / DGAM / UNIL

C’est précisément l’Afghanistan qui a convaincu Yves Ubelmann d’agir. « En 2007, l’archéologue
Philippe Marquis m’appelle, dit-il : “On a besoin d’un architecte à Bactres sur la fouille de Roland
Besenval”, alors directeur de la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA). J’y suis
allé et retourné quatre années de suite ; on partait deux mois, au printemps et à l’automne. D’une
saison à l’autre, je constatais la disparition des sites, un mausolée emporté par la crue d’une rivière ;
l’autel cultuel du feu, où Alexandre le Grand aurait épousé Roxane, détruit par une pelleteuse… »

« Angle mort »

C’est l’époque où Le Monde raconte ses premiers essais d’un drone avec Raphaël Dallaporta, dans le
jardin familial de Corbreuse, dans l’Essonne, où des tapis afghans sont déroulés : « Ils ont l’air
dangereux ou illuminés, ils sont pacifiques et sérieux », écrit Claire Guillot. Les deux copains
préparaient la numérisation de Mes Aynak, site bouddhiste niché sur une mine de cuivre achetée par les
Chinois.

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« Le vrai problème est la densité archéologique ignorée du Proche-Orient, de l’Asie centrale…, résume
Yves Ubelmann. Seuls 5 % des vestiges sont répertoriés. Mon objectif est de travailler sur cet angle
mort. »

Dès l’âge de 15 ans, il passe ses étés sur les chantiers de fouilles du mont Beuvray, à Bibracte (Saône-et-
Loire), où César finit d’écrire sa Guerre des Gaules. A 21 ans, pendant ses études d’architecture, il part
avec Erasmus à Rome. A l’Ecole française, Françoise Villedieu le charge de reconstituer les décors du
temple d’Héliogabale, jeune empereur originaire d’Emèse (Homs, en Syrie).

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« Etudier l’architecture à Rome m’a ouvert une fenêtre sur le monde, affirme-t-il. Des objets de la terre
entière sortent des fouilles. Rome a fossilisé les moments de l’histoire qui ont façonné le monde
moderne. » Il fait ses rendus à l’aquarelle et remplit des dizaines de carnets de dessins. Rome aura été le
creuset de sa réflexion, le socle sur lequel il a construit l’engagement qu’il ne cesse de conforter.

Son premier voyage extra-européen est la Syrie, sur le chantier de Corinne Castel (Maison de l’Orient et
de la Méditerranée) à Al-Rawda (IIIe millénaire av. J.-C.), une ville ronde en plein désert. Puis l’Iran, à
Pasargades, sur le barrage de Cyrus le Grand, et le Pakistan, dans le delta de l’Indus, sur la fouille de
Monique Kervran (CNRS).

La basilique numérisée en 3D de Leptis Magna, en Libye. Une vue projetée sur un écran
de 17 m sur 8 m, à l’Institut du monde arabe pour l’exposition « Cités millénaires ».
FDD/ICONEM/MAFL/DOA

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« Le petit Yves », comme l’appelle Jean Ponce, éminent chercheur en intelligence artificielle de l’Ecole
normale supérieure (ENS) qui l’a pris sous son aile, rejoint le laboratoire Inria-Microsoft Research, où il
se forme à la photogrammétrie et à ses possibilités en archéologie. L’algorithme qu’utilisera Iconem est
développé par Jean Ponce, avec le chercheur japonais Yasutaka Furukawa. Une rencontre fondatrice.

L’Afghanistan lui a ouvert la voie

Sur sa lancée, Yves Ubelmann, lauréat du concours des entreprises innovantes au ministère de la
recherche, reçoit 30 000 euros, et passe deux ans à Agoranov, l’incubateur de la Ville de Paris en haute
technologie, avec un cursus à HEC.

« Cela m’a changé, je n’aurais jamais imaginé créer une entreprise, ce n’était pas mon milieu, je viens
d’une famille d’artistes. J’aurais adoré peindre », lance-t-il en évoquant l’appartement où il s’attardait
au milieu des œuvres d’art. Ses ancêtres sont les peintres Paul et Hippolyte Flandrin. Sa grand-mère,
Marthe Flandrin, est sculptrice. Son grand-père, Yves-Marie Froidevaux, architecte en chef des
monuments historiques, figure de l’Ecole de Chaillot, restaura les centres-villes bombardés de la guerre.
De sa mère institutrice, il tient l’obsession de la transmission ; de son père, ingénieur au CNRS, il a le
côté bricoleur de génie.

Yves Ubelmann photographie le lacis de venelles du vieux quartier de Mossoul, en Irak,


avec son drone, afin de produire un état des lieux après le départ des djihadistes de
l’organisation Etat islamique. OCONEM / UNESCO

L’Afghanistan lui a ouvert la voie. Yves Ubelmann est « un vrai chercheur en avance sur son temps,
juge Philippe Marquis, actuel directeur de la DAFA. Il a un côté professeur Nimbus, toujours à la
recherche d’une solution ».

Sa complicité avec Henri Seydoux, le PDG de Parrot, spécialiste des drones, fut sa chance. « Je l’ai
rencontré à une conférence, on a sympathisé, Yves réalisait la cartographie de Pompéi pour
Microsoft », se souvient le premier actionnaire d’Iconem. « Je recherchais des cas d’usages pratiques et
j’ai un certain goût pour l’archéologie. Parrot a apporté un financement conséquent, qui existe
toujours », reconnaît-il.

« En Syrie, je travaille à mes frais, avec des archéologues que je connais
depuis treize ans. Nos images brutes sont un témoignage. Notre travail
représente la trace de l’homme sur son environnement »
Yves Ubelmann

Iconem intervient dans vingt-huit pays. Des voix se sont élevées contre son action en Syrie, lui
reprochant ses images qui auraient pu servir au régime de Damas. « En Syrie, je travaille à mes frais,
réplique Yves Ubelmann, avec des archéologues que je connais depuis treize ans. Nos images brutes
sont un témoignage. Ne figurent pas les éléments en mouvement, humains, voitures, car le procédé
technique ne retient que les objets fixes. Notre travail représente la trace de l’homme sur son
environnement. »

Yves Ubelmann, dans les ruines du temple de Bêl, à Palmyre, en Syrie, détruit par
l’organisation Etat islamique qui l’avait bourré d’explosifs. ICONEM / DGAM

Pour Pascal Butterlin, professeur à Paris-I -Panthéon-Sorbonne, directeur de la fouille de l’antique


Mari, en Syrie, saccagée et pillée par l’organisation Etat islamique (EI) : « Il y a une réelle guerre des
images. Qui les acquiert et à quelle fin ? Iconem réalise en deux jours un relevé de site qui demandait
trois ans. Ces données nécessitent un travail scientifique, il faut savoir les analyser. J’ai rencontré
Yves, avant le conflit, sur la fouille de Corinne Castel. J’aime son volontarisme. Il ne faut pas se couper
du terrain ; ça pose des questions, il les assume. Yves a un flegme qui le protège, déterminé à garder
une neutralité absolue. La liberté, c’est la taille de son entreprise. »

Bouleversement de notre approche du patrimoine

Le 15 janvier, Gilles Kepel, qui dirige la chaire Moyen-Orient - Méditerranée à l’ENS, réunissait son
séminaire à la suite de l’exposition « Cités millénaires ». « L’apport des images aériennes d’Yves
Ubelmann bouleverse notre approche du patrimoine, analyse-t-il. Il fournit avec ses drones des
images jamais vues en temps réel, et une vision en 3D des sites antiques dans leur contexte urbain
ravagé par la guerre, qui vont entrer dans une phase de reconstruction. Il a un côté Vivant Denon
d’aujourd’hui. » Denon qui, de retour d’Egypte dans le sillage de Bonaparte, revint avec 400 croquis de
monuments.

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Voir Yves Ubelmann dans une réclame de Microsoft a surpris. « Je n’ai pas touché d’argent, dit-il, ce
n’est pas une pub pour de la lessive mais sur l’intelligence artificielle au service du patrimoine. On a
besoin de visibilité pour garder la totale liberté de notre travail. »

Au quotidien, la survie financière de l’équipe reste une équation fragile. Son rêve : une plate-forme
numérique du patrimoine où partager ses archives avec la communauté scientifique et le grand public.

Florence Evin

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