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AUTRUI

Nous ne vivons pas seuls. Sans les autres, nous ne pourrions développer nos capacités humaines (la
parole par exemple) et nous ne pourrions subvenir à nos besoins.
Nous vivons en société selon des règles qui sont des conventions humaines et dans un milieu œuvré par
les hommes, chaque objet portant en creux la marque du travail de nos semblables.
L’expérience de notre coexistence avec d’autres hommes est de l’ordre du fait. La difficulté n’est
pas de prendre acte de ce fait mais d’en élucider les conditions de possibilité.

 Qu’entendons-nous par autrui ?


 Comment le reconnaissons-nous ? Comment découvrons-nous qu’il y a dans le monde des êtres
qui ne sont pas des objets mais des sujets, des êtres qui, comme nous, sont porteurs d’une
conscience ?
 Le rapport moral avec l’autre a-t-il un fond passionnel, sentimental ou bien a-t-il un autre
fondement ? Dans ce débat, il y a ceux qui comme Rousseau, Smith pointent la dimension
passionnelle, sentimentale du rapport humain et ceux qui comme Kant et Lévinas montrent que
seul un saut éthique permet d’initier un rapport moral avec autrui.
 Quel est le statut d’autrui dans l’économie de notre existence ? Un être extérieur à notre
propre conscience ou une de ses dimensions? Cette question engage une réflexion sur le statut
de la subjectivité. Y a-t-il un sujet préexistant à la relation à l’autre ; y a-t-il un rapport à
l’objet, à la vérité, à soi-même, à son propre désir non médiatisé par la présence de l’autre ?

BIBLIOGRAPHIE.

Platon : Alcibiade.
Aristote : Ethique à Nicomaque.
Cicéron : L’amitié.
Fraisse : Philia. La notion d’amitié dans la philosophie antique.
Descartes : Méditations métaphysiques.
Hume : Traité de la nature humaine.
Rousseau : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
Smith : Théorie des sentiments moraux.
Kant : Critique de la raison pratique.
Kojève : Introduction à la lecture de Hegel.
Scheler : Natures et formes de la sympathie.
Bergson : Les deux sources de la morale et de la religion.
Merleau-Ponty : Phénoménologie de la perception.
La prose du monde. § La perception d’autrui et le dialogue.
Levinas : Humanisme de l’autre homme.
Autrement qu’être ou au-delà de l’essence.
Ricœur : A l’école de la phénoménologie. § Sympathie et respect.
Soi-même comme un autre.
Lévi-Strauss : Race et histoire.
Ch 1 : L’amitié

« Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut s’exprimer, qu’en répondant :
Parce que c’était lui ; parce que c’était moi » Montaigne. Les Essais, §XXVIII.

L’amitié est un type de relation humaine dont Plutarque précise qu’elle est « un animal qui paît à
deux. Elle ne vit pas en troupeau, ni en petit groupe comme les geais ». L’ami véritable.

L’ami n’est ni le frère, ni le copain, ni l’amant, objet du sentiment ou de la passion d’amour.

A la différence des relations de parenté excluant le choix, l’ami est élu librement comme tel. On
peut subir sa famille, on ne subit pas son ami ; on se réjouit de partager avec lui une relation
privilégiée.
Les liens familiaux sont marqués par l’inégalité (un père est supérieur à son fils, l’aîné n’est pas le
cadet) et souvent empoisonnés par des affects (la jalousie par exemple). Dans l’amitié, au contraire,
les sujets sont dans des rapports d’égalité et se rencontrent dans l’élément de l’intériorité. Un moi se
met à exister pour un toi, chacun étant pour l’autre une présence glorieuse par le miracle de laquelle
la vie devient une fête. Montaigne insiste sur le caractère miraculeux de cette expérience. « Il faut
tant de rencontres à la bâtir que c’est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siècles ».Ibid.
La Rochefoucauld formule le même jugement : « Quelque rare que soit le véritable amour, il l’est
encore moins que la véritable amitié » Maxime 473.

De fait, il n’y a rien de plus rare que cette entente de deux êtres, heureux d’éprouver leur harmonie
et leur communauté. Que celle-ci se fonde sur ce qui tisse le « commun » ou la « communauté » cela va
de soi. Ce quelque chose, c’est l’intérêt porté à la compréhension des choses, le plaisir de la
conversation, le partage de peines et de bonheurs communs etc. En ce sens on peut dire que
l’amitié est une relation spirituelle et morale et Allan Bloom1 a peut-être raison d’épingler l’inaptitude
d’une époque comme la nôtre à en saisir la spécificité. « L’élan des âmes l’une vers l’autre […], dit-il,
est bien moins tangible, donc bien moins croyable que l’attrait des corps. Cette incrédulité de la
plupart des hommes sur ce point est de nos jours renforcée par toutes sortes de théories pseudo-
scientifiques qui nous expliquent que l’éros des âmes est fondé sur une illusion, étant en fait dérivé de
l’éros des corps par le ministère d’une faculté ou d’un processus quasi miraculeux, la sublimation »

Disons donc que l’amitié est la forme spirituelle et éthique de l’éros. Elle
implique l’estime, l’admiration de l’autre, ce qui requiert des deux côtés des qualités (les Anciens
disaient des vertus) à aimer. Voilà pourquoi un thème récurrent de la pensée antique et classique
consiste à affirmer qu’ « il ne peut y avoir de véritable amitié qu’entre gens de biens » Cicéron, Lélius
ou l’amitié. Sans loyauté, sans droiture, sans générosité, sans grandeur d’âme pas d’amitié possible.
Les être mesquins, envieux, déloyaux, intéressés, superficiels sont inaptes à ce type de relation. Le

1
Allan Bloom est un philosophe américain (1930-1992). Il a été élève de Leo Strauss à l'Université de Chicago, et est connu
principalement grâce à son pamphlet best-seller de 1987, The Closing of the American Mind, qui a bénéficié d'une réception
importante dans les médias américains.
grand ami de Montaigne, Etienne de la Boétie ne dit pas autre chose : « L’amitié, c’est un nom sacré,
c’est une chose sainte : elle ne peut exister qu’entre gens de bien, elle naît d’une mutuelle estime, et
s’entretient non tant par les bienfaits que par bonne vie et mœurs. Ce qui rend un ami assuré de
l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. Il a, pour garants, son bon naturel, sa foi, sa constance ;
il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice ». Discours de la servitude
volontaire, §16.

Ce qui conduit Aristote à distinguer, dans l’Ethique à Nicomaque, l’amitié vertueuse de l’amitié
plaisante et de l’amitié utile. Dans les deux dernières, les personnes sont liées par un élément
extérieur à leurs êtres. L’autre n’est pas aimé pour lui-même mais pour les avantages qu’il procure.
Dans l’amitié plaisante, très fréquente dans la jeunesse, l’attrait de l’autre tient au fait que son
commerce est agréable. Si d’aventure il n’était plus source de partage de plaisirs, il cesserait
d’intéresser. Dans l’amitié utile, sa séduction tient au fait qu’il rend des services. Les vieillards sont
familiers de ce genre de relation. Au fond, dans les deux cas, « l’ami » fonctionne comme le moyen
d’une satisfaction personnelle. Il n’existe pas comme une fin en soi, ce qui est le propre d’une relation
morale.
Ce lien, extérieur aux personnes considérées dans leur être est aussi le propre des « camarades » ou
des « copains ». La relation se fonde sur l’appartenance à une même classe, à un parti politique, à un
club sportif, à une église etc. Les individus sont unis, moins par ce qu’ils sont que par ce qu’ils font
ensemble. On peut néanmoins remarquer que l’ami a souvent commencé par être le copain. A l’occasion
de leur commerce, deux êtres vont se découvrir, s’apprécier, cultivant peu à peu une relation
interpersonnelle ayant la profondeur de l’amitié.

Enfin, il faut distinguer l’amitié de l’amour. Dans la mesure où celui-ci implique la dimension érotique,
le trouble corporel, il en a l’intermittence et la versatilité. A l’amour « feu téméraire et volage,
ondoyant et divers », Montaigne oppose la douceur et la solidité de l’amitié. « En l’amitié, c’est une
chaleur générale et universelle, tempérée au demeurant et égale, une chaleur constante et rassise,
toute douceur et polissure, qui n’a rien d’âpre et de poignant » Ibid.
L’amitié exclut la violence et les illusions de la passion amoureuse, elle échappe aux échecs de
l’amour qui, dans sa source érotique, procède d’un fond obscur où la liberté n’est pas souveraine. Elle
est une communion librement consentie des âmes qui vit et perdure par la seule force des qualités de
ceux qui s’aiment. Comme Cicéron l’écrit : « Si l’amitié naît de l’estime qu’on éprouve pour la vertu, elle
ne peut survivre quant on cesse d’être vertueux ».

A méditer :
« L’ami vrai, ce n’est pas celui qui sait se pencher avec pitié sur notre souffrance, c’est celui qui sait
regarder sans envie notre bonheur ». Gustave Thibon2.
» Se réjouir du succès d’un ami plus que de son propre succès est une des choses les plus exaltantes
de l’amitié » Philippe Soupault3.

2
Gustave Thibon, né le 2 septembre 1903 à Saint-Marcel-d'Ardèche et mort le 19 janvier 2001 dans la même commune, est un
écrivain et philosophe français. L'ensemble de son œuvre a été récompensé par l'Académie française.
3
Philippe Soupault, né à Chaville le 2 août 1897 et mort à Paris le 12 mars 1990, est un poète français, cofondateur du
surréalisme et journaliste. Il est inhumé au cimetière de Montmartre
Ch 2 L’homme est un loup pour l’homme ?

« Et certainement il est également vrai et qu’un homme est un dieu à un autre homme et qu’un homme
est aussi un loup à un autre homme. L’un dans la comparaison des citoyens les uns avec les autres ; et
l’autre dans la considération des Républiques ; là par le moyen de la justice et de la charité qui sont
les vertus de la paix, on s’approche de la ressemblance de Dieu ; et ici, les désordres des méchants
contraignent ceux-mêmes qui sont les meilleurs de recourir par le droit d’une légitime défense à la
force, à la tromperie qui sont les vertus de la guerre, c’est-à-dire à la rapacité des bêtes
farouches. » Hobbes4. Du citoyen. Epître dédicatoire.

Ce texte traite de l’ambivalence des relations humaines : l’homme peut être un demi-dieu (ou un
dieu) pour l’homme ou au contraire un loup. Les énoncés de cette antithèse sont proverbiaux. Le
premier est un proverbe grec (anthrôpos anthrôpou daïmonion), le second est une formule du poète
latin Plaute (254-184): « homo homini lupus est » qu’on trouve dans l’ Asinaria.

Ces formules sont régulièrement reprises dans notre tradition intellectuelle.


 Erasme les commente dans ses Adages, Montaigne les utilise pour souligner l’ambiguïté du
mariage : « Socrate, enquis qui estait plus commode prendre ou ne prendre point de femme :
lequel des deux on face, dit-il, on s’en repentira. C’est une convention à laquelle se rapporte
bien à point ce qu’on dict : homo homini ou deus ou lupus » Essais II, V.
 Spinoza s’y réfère dans le scolie de la proposition 35 de la 4e partie de l’Ethique.
 Freud cite Plaute dans son texte : Malaise dans la civilisation [ et Bergson écrit dans : les Deux
sources de la morale et de la religion : « Les deux maximes opposées homo homini deus et
homo homini lupus se concilient aisément. Quand on formule la première on pense à quelque
compatriote. L’autre concerne les étrangers. »

Il convient d’abord de souligner le caractère métaphorique de ces proverbes, ensuite d’en expliciter
le sens. Qu’entend-on par un dieu ou un demi-dieu ? par un loup ?
Hobbes propose une interprétation dans un jeu serré d’oppositions :
– « l’un, là » renvoient au proverbe grec
– « l’autre, ici » renvoient au proverbe latin.
Le premier vaut pour les relations de civilité, de citoyenneté.
L’autre vaut pour les relations entre les Républiques.

Que faut-il entendre par là ? Hobbes fait une lecture politique de ce célèbre doublet, mais on peut
aussi en montrer la pertinence en examinant la relation interpersonnelle.

4
Thomas Hobbes est un philosophe anglais (1588 – 1679). Son œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur
la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde
les bases de la souveraineté.
I) Élucidation du proverbe grec.

Dans l’idée d’un dieu les hommes pensent la bonté au superlatif. Ils se représentent une
perfection, quelle que soit la vertu envisagée. En témoignent les expressions : « il est beau comme un
dieu », « il chante comme un dieu ».
Dans l’antiquité on parlait du divin Platon. Dire que l’homme est un dieu pour l’homme revient à
pointer toutes les situations où l’homme est pour son semblable une chance, une valeur suscitant
l’admiration, la reconnaissance, le désir de lui rendre hommage.
Ce grand bien, l’homme l’est pour l’autre affirme Hobbes dans les rapports de citoyenneté. Le
citoyen est le membre d’une cité c’est-à-dire d’une société politiquement organisée.

PB: En quel sens le jugement de Hobbes est-il fondé ?

1) Seul l’homme est un être démuni, incapable d’assurer sa subsistance et de promouvoir les
conditions de sa propre humanité. En revanche, par son insertion dans une société, à savoir dans un
système de division du travail et d’échanges, l’homme parvient, grâce aux autres, à vivre une vie
affranchie de la nécessité vitale.
Collectivement, dans une société stable politiquement et prospère économiquement, les hommes
peuvent jouir d’une auto suffisance qui leur serait refusée dans une vie sauvage. Aristote a souligné
ce bienfait de l’existence sociale. « Celui qui n’a besoin de rien parce qu’il se suffit à lui-même n’est
pas un homme, c’est un dieu ».

 Par la cité, par le travail solidaire, les hommes peuvent conquérir cette condition divine. En ce sens
les hommes sont bien les uns pour les autres des dieux.
Ex : le savant peut poursuivre tranquillement sa recherche parce que le paysan lui permet de
manger, le maçon de se loger, le policier et le militaire de ne pas avoir besoin de veiller sur sa
sécurité. Réciproquement le paysan et le maçon sont soulagés dans leurs tâches par l’invention de
machines qui n’auraient pas pu voir le jour sans les découvertes scientifiques et les inventions du
technicien.
Les efforts de chacun contribuent ainsi, même si c’est à des degrés divers, à la prospérité de tous.
Quel que soit le domaine considéré, un homme ayant une grande compétence et une expérience
professionnelle exigeante est toujours un dieu pour ceux qui font appel à ses services.

2) Ce qui est patent sur le plan économique, technique, militaire, l’est aussi sur le plan moral.
« Quand il a atteint sa perfection, l’homme est le plus excellent des animaux, il en est le pire quant il
vit dans l’isolement sans lois et sans codes » Aristote, Politique. « Sans famille, sans loi, sans foyer »
L’homme est, en effet, une graine de violence, un « sauvageon » (M.Chevènement5). Ce sont ses
éducateurs, parents, maîtres, législateurs qui font de lui un homme au point de vue moral.
Comme Aristote, Hobbes souligne que l’homme accomplit son humanité dans la civilité. La vie avec
les autres requiert le développement de qualités par lesquelles les hommes « s’approchent de la
ressemblance de Dieu ».

5
Jean-Pierre Chevènement, né le 9 mars 1939 à Belfort, est un haut fonctionnaire et homme politique français. Il est plusieurs
fois ministre dans les années 1980 et 1990, député, maire de Belfort, sénateur.
On pense, bien sûr, à la vertu de justice, définie par Aristote comme la vertu de notre rapport à
autrui. Etre juste revient à rendre à chacun ce qui lui est dû, à respecter les droits fondamentaux de
l’autre, à ne réclamer pour soi ni plus ni moins que ce qui nous revient. Il y faut un grand sens de la
mesure pour juger avec rectitude et faire preuve d’impartialité. Celui qui s’efforce dans sa conduite
d’incarner cette exigence rationnelle concourt à la paix avec ses semblables, car un des grands
ressorts de la violence civile est le triomphe de l’injustice. Il concourt aussi au bonheur de la relation
humaine, car rien ne réjouit davantage le cœur de l’homme que la compagnie d’êtres en qui on peut
reconnaître une supériorité morale. On a tendance à voir en eux des dieux car ce qui est grand et
beau semble être l’apanage des dieux. En honorant la valeur de la justice l’homme « fait le dieu »
disaient les Grecs.

Il fait le dieu aussi lorsqu’il vit d’une vie théorétique6 ou contemplative. Aristote écrivait en ce sens:
« l’homme est né pour deux choses : pour penser et pour agir en Dieu mortel qu’il est ». Dieu, l’homme
doit penser, mortel il doit agir . De fait, l’idéal contemplatif est pour les Grecs l’idéal d’une vie divine.

On pense aussi à la vertu de charité, définie au sens large, comme capacité à faire du bien autour
de soi (amour de bienveillance) : pour les misérables qu’elle secourait avec désintéressement, Mère
Térésa était un dieu ; pour le malade qui craint pour sa vie, le médecin compétent et attentionné est
un dieu ; pour le cœur solitaire, la rencontre de l’ami est une expérience bienheureuse où l’autre revêt
la dimension d’un dieu.
Dans les Adages Erasme7 souligne cette idée.
« On a coutume de dire que l’homme est un dieu pour l’homme à propos de celui qui apporte soudain un
salut inespéré ou qui vient en aide par un important bienfait ». Adage, 69.
« Deviens un dieu pour le misérable en imitant la miséricorde de dieu ; en effet il n’est rien en
l’homme qui soit aussi divin que la bienfaisance » Grégoire de Naziance cité par Erasme.
« Celui qui vient en aide par un léger bienfait, qu’il soit véritablement un ami, mais celui qui, par son
art et par un soin et une habileté hors du commun, retient et restaure une vie qui s’enfuit déjà, ce qui
est le propre du médecin, qu’est-ce d’autre que ce que répètent les Grecs : l’homme est un dieu pour
l’homme » Erasme.
« Je dois tout aux lettres, même la vie, mais c’est à toi que je dois les lettres, toi qui m’as gratifié en
abondance de ta libéralité et qui nourris mon loisir studieux. Que veulent dire les Grecs en disant
anthrôpos anthrôpou daïmonion sinon cela ? »
 Avec Erasme on peut donc dire que celui qui fait le bien d’autrui ( l’ami, le bienfaiteur, le médecin,
le maître) est perçu par celui-ci comme un être miraculeux : un dieu.

Dans cette optique, les grands inventeurs, les génies en matière scientifique, philosophique,
artistique, technique, institutionnelle ont pour nous quelque chose de divin. Ils suscitent notre
admiration, dans certains cas notre vénération. Leur grandeur honore l’humanité et il semble que nous
leur devons les honneurs qu’exige leur mérite. Voilà pourquoi les sociétés ont en général des
distinctions honorifiques et un Panthéon (étymologiquement : lieu consacré à tous les dieux).

6
Qui vise à la connaissance pure, à la spéculation
7
Érasme, également appelé Érasme de Rotterdam, né dans la nuit du 27 au 28 octobre, en 1467 à Rotterdam, et mort le 12
juillet 1536 à Bâle, est un chanoine régulier de saint Augustin, philosophe, humaniste et théologien des Pays-Bas bourguignons,
considéré comme l’une des figures majeures de la culture européenne.
II) Elucidation du proverbe latin.

Dans l’idée d’un loup les hommes pensent la méchanceté au superlatif.


Ils se représentent une bête féroce dont la cruauté et la sauvagerie n’ont pas de limite. Le loup
cristallise toutes les terreurs. Que cette terreur soit fondée est une autre histoire. Le loup est-il
dans le réel ce que l’on a construit dans l’imaginaire ? Rien n’est moins sûr. Mais là n’est pas notre
problème. Il s’agit de savoir dans quelle situation l’homme peut être dit métaphoriquement un loup
pour l’homme. Hobbes oppose les relations entre les citoyens à la relation entre les Républiques pour
le faire comprendre.

De fait, à défaut d’une organisation internationale liant les États dans des rapports juridiques,
ceux-ci sont dans l’état sauvage où la force fait loi.
L’usage de la force entre les États s’appelle la guerre. Le terme est explicitement employé. Il
pointe la figure du loup car le loup c’est l’ennemi, celui dont on a tout à craindre et contre lequel il
faut se protéger. L’homme est un loup pour l’homme dès lors qu’il menace la vie, la sécurité, les
intérêts légitimes de l’autre et que sa présence appelle la violence.

1) On pense d’abord à l’ennemi extérieur. L’humanité n’a, en effet, jamais été une société universelle
de concitoyens. L’humanité réelle est une humanité éclatée en groupes distincts, souvent hostiles les
uns aux autres. D’où l’ambivalence de la relation humaine. Le bon père de famille, le citoyen exemplaire
peut-être redoutable pour celui, qu’à tort ou à raison, il identifie comme son ennemi. Célébré comme
un dieu par ses compatriotes dans la mesure où il est capable de se sacrifier pour le salut « des
siens », il peut être une bête fauve pour les autres. Pensons au soldat, bon père de famille, mari
aimant, voisin estimé qui, sur un théâtre de guerre, n’a plus aucune pitié pour les ennemis de la patrie.
Pour de nombreux auteurs, d’ailleurs, la relation de civilité se fonderait dans une relation d’hostilité.
On nouerait des liens privilégiés avec certains contre d’autres. « Moi, mes frères contre nos cousins,
moi, mes frères, mes cousins contre nos ennemis » dit un proverbe berbère.
La nécessité de se défendre contre des ennemis communs serait ainsi le fondement du fait social, le
ressort de la cohésion nationale.

2) On pense aussi à l’ennemi intérieur. Si l’on en croit Freud8, et aussi Hobbes, l’homme est par sa
nature même un danger pour l’autre homme. L’agressivité pour l’un, l’amour de soi pour l’autre font
que chacun est une menace pour chacun. D’où la nécessité d’instituer des lois pour protéger les
hommes de la violence qu’ils incarnent les uns pour les autres. L’homme est un loup pour l’homme dès
lors qu’il fait corps avec sa spontanéité, avec ses inclinations sensibles. Il suscite par là une violence
généralisée car tout être tendant naturellement à persévérer dans son être, chacun répond à la
violence par la violence.
 Exposés « aux désordres des méchants » même les meilleurs sont contraints de faire usage de la
force et de la ruse, vertus de la guerre remarque Hobbes.

8
Sigmund Freud, né Sigismund Schlomo Freud le 6 mai 1856 à Freiberg et mort le 23 septembre 1939 à Londres, est un
neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse. Médecin viennois, Freud rencontre plusieurs personnalités importantes
pour le développement de la psychanalyse, dont il est le principal théoricien.
On comprend par là que l’institution sociale ne procède pas de pures exigences morales. Son aiguillon
est très prosaïquement le désir de se conserver. Les hommes soumettent leur conduite à des lois
parce que c’est la condition de leur survie. Les institutions les plus sublimes sont « pathologiquement
extorquées » dira Kant. (à la différence de moralement instituées ). Elles s’arrachent sur fond
passionnel, le pouvoir politique, les lois étant rendues nécessaires par la part maudite de l’humanité.

Ce qui pointe l’ambiguïté de la nature humaine. Si l’humanité est une possibilité de l’être humain,
l’inhumanité lui est aussi essentielle. « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » disait
Térence9. C’est donc bien improprement que nous nommons « inhumain », « bestial » ce par
quoi l’homme est un loup pour l’autre homme car cette dimension est aussi constitutive de sa
nature que la dimension inverse.
Elle a même sur la seconde le redoutable privilège d’être plus « naturelle » puisque, sans
éducation, sans civilisation, l’homme peut ne pas déployer le meilleur de lui-même.

Conclusion :

Tout l’intérêt de ce texte est de montrer que nous portons en nous l’infra-humanité et la supra-
humanité ; le meilleur et le pire. La nature humaine n’est ni purement angélique, ni purement bestiale.
Ce n’est pas une essence intemporelle. Elle se caractérise par une relation mouvante à l’autre,
tributaire de conditions historiques changeantes.

Ch 3 : Redoutable ou bénéfique regard ? Sartre

C’est par le regard que les êtres doués de conscience, les pour soi, dirait Hegel10, sont en relation.
Se sentir regardé, c’est d’emblée savoir qu’il n’y a pas au monde que des objets, des choses. Il y aussi
d’autres sujets. Le regard est révélation de l’existence d’autrui et cela ne va pas sans difficulté car
l’expérience du regard est fondamentalement ambiguë.

Les mythes soulignent qu’il n’est inoffensif ni pour le regardant, ni pour le regardé. Si Méduse,
Orphée témoignent qu’il peut pétrifier ou métamorphoser son objet, la femme de Loth 11 et Actéon12

9
Térence, né à Carthage aux alentours de 190 et mort à Rome en 159 av. J.-C., est un poète comique latin, vraisemblablement
d'origine berbère.
10
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, né le 27 août 1770 à Stuttgart et mort le 14 novembre 1831 à Berlin, est un philosophe
allemand. Son œuvre, postérieure à celle de Kant, est l'une des plus représentatives de l'idéalisme allemand et a eu une
influence décisive sur l'ensemble de la philosophie contemporaine.
11
Le récit de la femme de Loth dans la Genèse commence après l'arrivée de deux anges à Sodome, au soir, où ils ont été invités
à passer la nuit dans la maison de Loth. À l'aube, les anges l'exhortèrent à fuir avec sa famille, afin d'éviter la catastrophe
imminente qui allait châtier la ville. Loth tarda à partir, si bien que les anges prirent sa main ainsi que celles de sa femme et de
ses filles, et les firent sortir de la ville, en leur intimant l'ordre suivant : « Fuyez pour sauver votre vie ! Ne regardez pas derrière
vous, et ne vous arrêtez pas n'importe où dans la plaine ; fuyez vers les collines, de peur d'être emportés. » Loth refusa de fuir
vers les collines et demanda l'asile dans une petite ville à proximité, connue sous le nom de Zoar, qui accepta cette demande.
Voyageant derrière son mari, la femme de Loth regarda en arrière vers Sodome, et fut changée en une statue de sel.
découvrent pour leur malheur que certains spectacles sont de nature à détruire ceux qui les
regardent.

PB: Qu’est-ce donc que le regard, pourquoi est-il une épreuve et en quel sens peut-il être une
expérience heureuse ?

On doit à Sartre13 une célèbre analyse où il établit qu’ « autrui m’est présent partout comme ce par
quoi je deviens objet ». De fait cet autrui dont le regard me révèle l’existence est un autre sujet et le
propre de tout sujet est de se poser par rapport à des objets. Mon expérience d’autrui est donc celle
de mon objectivation. Pour Sartre le regard est objectivant par nature. Il me fait exister comme « un
dehors », il me réifie, il m’anéantit dans ma dimension de transcendance, me réduisant à la facticité
qu’il perçoit.
« S’il y a un Autre, quel qu’il soit, où qu’il soit, quels que soient ses rapports avec moi sans même qu’il
agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j’ai un dehors, j’ai une nature; ma
chute originelle c’est l’existence de l’autre, et la honte est – comme la fierté – l’appréhension de moi-
même comme nature, encore que cette nature même m’échappe et soit inconnaissable comme telle. Ce
n’est pas, à proprement parler, que je me sente perdre ma liberté pour devenir une chose, mais elle
est là-bas, hors de ma liberté vécue, comme un attribut donné de cet être que je suis pour l’autre. Je
saisis le regard de l’autre au sein même de mon acte, comme solidification et aliénation de mes
propres possibilités ».L’Etre et le Néant.

 Au fond, le regard d’autrui est une véritable épreuve, il me destitue de ma liberté originelle. D’où
la formule de Huis clos : « l’enfer c’est les autres ».

PB : Est-il vrai que le regard d’autrui soit objectivant par nature ? Sartre décrit-il l’essence du
regard ou seulement un cas particulier de regard ?

Car il y a bien un regard purement objectivant mais ce n’est pas n’importe quel regard. C’est celui qui
se pose sur moi de haut et qui, par sa situation de surplomb, me donne le sentiment d’être chosifié.
Un tel regard, comparable à celui de l’entomologiste, est le regard de l’observateur. Indulgent ou
sévère, ce regard là me fige. Il prétend me circonscrire dans une modalité d’être à laquelle j’échappe
par l’écart que la conscience introduit entre moi et moi. Un tel regard me met mal à l’aise. Mais il
n’épuise pas l’essence du regard car le rapport à autrui peut être l’expérience heureuse de la
rencontre et de la reconnaissance et ce regard là a ceci de singulier qu’il est toujours regard d’un
regard.
Pourquoi ?

12
Fils du dieu mineur Aristée qui est le fils d’Apollon, et de la fille de Cadmos, Autonoé, il est élevé par le centaure Chiron et
devient un chasseur très habile. Selon la version la plus populaire, il surprend un jour, au cours d’une chasse, la
déesse Artémis prenant son bain. Furieuse, elle le transforme en cerf. Impuissant, Actéon meurt déchiré par ses propres chiens
(limiers, lévriers, dogues et mâtins) qui ne le reconnaissent pas et sont rendus fous de rage par la déesse.
13
Jean-Paul Charles Aymard Sartre, né le 21 juin 1905 dans le 16e arrondissement de Paris et mort le 15 avril 1980 dans
le 14e arrondissement, est un écrivain et philosophe français, représentant du courant existentialiste, dont l'œuvre et la
personnalité ont marqué la vie intellectuelle et politique de la France de 1945 à la fin des années 1970.
Parce que si le regard est ce par quoi une intériorité s’ouvre sur une extériorité, il est aussi ce qui
ouvre sur l’intériorité. L’expressivité du regard, comme d’ailleurs celle de tout le corps humain, rend
visible l’invisible. Elle déjoue l’obstacle de l’extériorité et met en contact deux intériorités. Il s’ensuit
que croiser un regard, ce n’est pas même pouvoir remarquer la couleur des yeux, c’est être mis en
présence de ce qui se manifeste dans l’extériorité mais ne s’épuise pas en elle.
En ce sens le regard est le moment où nous faisons l’expérience de notre intersubjectivité. Husserl14
appelle ainsi le sentiment originaire de « co-existence », l’expérience de la communauté originelle des
consciences au sein de laquelle chaque homme se constitue comme sujet vis-à-vis des autres et de lui-
même.
Voilà pourquoi on ne peut pas croiser un regard sans répondre par un sourire. Il y a là une manière de
se saluer, de témoigner qu’on n’est pas en présence d’une chose mais que l’on a reconnu une personne.
Ce qui s’expérimente déjà sous forme furtive dans la rencontre impersonnelle, l’est a fortiori dans les
relations interpersonnelles plus denses. Dans l’amour, dans l’amitié le regard devient une fête des
cœurs.

Reste que l’analyse sartrienne pointe une signification essentielle qui tient au rôle éminent des
autres dans le rapport à soi-même. Car ce regard par lequel je me sens objectivé, qu’est-ce, au
fond, si ce n’est celui qu’une conscience peut prendre sur elle-même ? Dans le regard d’autrui, je suis
mis en situation de rompre l’intimité de moi avec moi-même, de prendre une distance me
permettant d’accéder à la conscience de moi-même. Sartre n’hésite pas à dire qu’ « autrui est le
médiateur indispensable entre moi et moi-même ». L’Etre et le Néant. Pour avoir une image de moi-
même, il faut passer par l’autre.
Il le montre en analysant l’expérience de la honte.
« […] La honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un. Je viens de faire un geste
maladroit ou vulgaire: ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement […]. Mais
voici tout à coup que je lève la tête: quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup toute la
vulgarité de mon geste et j’ai honte. […] J’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui. Et par
l’apparition même d’autrui, je suis mis en demeure de porter un jugement sur moi-même comme sur un
objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est
pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à
autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle
comme devant un mauvais portait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je
n’ai pas; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles: la honte est, par nature, reconnaissance. Je
reconnais que je suis comme autrui me voit. »
Sartre. L’Etre et le Néant, III, I.

La scène décrite articule trois moments :


 Le sujet jaloux ou vulgaire est tellement englué dans son affect ou dans son geste qu’il n’en a
pas une conscience claire: « ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis
simplement ».

14
Edmund Husserl (1859-1938) est un philosophe et logicien, autrichien de naissance, puis prussien, fondateur de la
phénoménologie, qui eut une influence majeure sur l'ensemble de la philosophie du XXᵉ siècle. Husserl a étudié les
mathématiques avec Karl Weierstrass et Leo Königsberger.
 Il découvre tout à coup qu’il est vu et imagine le jugement qu’autrui peut porter sur un tel
geste ou un tel affect.
 Il pourrait très bien se moquer de ce jugement qu’il projette d’ailleurs sur l’autre car on ne
peut jamais pénétrer la pensée d’un autre. Si donc ce jugement affecte au point de susciter la
honte, c’est que le sujet se reconnaît dans le regard d’autrui et il se reconnaît parce que ce
regard est le regard de la conscience, une conscience à laquelle il est advenu grâce à la
présence d’autrui.
Il s’ensuit que : « la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un ».

L’épreuve du regard d’autrui est donc l’épreuve de la conscience, une conscience qui, par la médiation
d’autrui, est arrachée à son engluement dans le mouvement de la vie et mise en situation de
s’exercer.
La peur du regard d’autrui est ainsi peur de sa propre lucidité et ce n’est pas une vertu. Car tout
homme devrait déployer les ressources de sa conscience afin de pouvoir se justifier à ses propres
yeux et à ceux des autres. Mais il est vrai que le jugement de la conscience peut être altéré par des
expériences relationnelles malheureuses, surtout à l’époque où une personne se construit. Ayant
intériorisé une mauvaise image d’elle-même, elle ne parvient pas à conquérir son autonomie
intellectuelle et morale et reste dépendante du jugement d’autrui. Cette aliénation serait, selon
Sartre, le sens précis de l’expression « l’enfer c’est les autres ».

« L’enfer c’est les autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos
rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’était toujours des rapports infernaux.
Or, c’est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus,
viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu’il y a
de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous
pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que
les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de
nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans. Quoi que je sente de
moi, le jugement d’autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets
dans la totale dépendance d’autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de
gens dans le monde qui sont en enfer parce qu’ils dépendent trop du jugement d’autrui. Mais cela ne
veut nullement dire qu’on ne puisse avoir d’autres rapports avec les autres, ça marque simplement
l’importance capitale de tous les autres pour chacun de nous ». Sartre. Entretien, 1964. Extrait du CD
audio Huis clos.

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