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La situation de l’homme par rapport à l’histoire est à l’origine de cette ambiguïté. En effet,
dans une science expérimentale (physique, chimie, etc.), l’homme crée une connaissance et
une théorie qui, en principe, se détachent de lui pour devenir universelles et indépendantes.
La connaissance historique, au contraire, ne peut se séparer des hommes qui sont dans
l’histoire, qui la font, ou qui s’efforcent de lui conférer une intelligibilité, de l’historien qui
comprend lui-même les faits grâce à une certaine qualité de subjectivité.
Le discours historique est une reconstruction intellectuelle du passé, une création. Ici,
l’examen du fait historique est tout à fait significatif : l’histoire est le résultat d’un
processus d’abstraction. Une masse immense de matériaux et donc d’informations est à la
disposition de l’historien sous forme d’archives et de témoignages ; il faut choisir,
sélectionner et construire des faits historiques privilégiés qui rassemblent et expliquent des
éléments épars. Ainsi l’historien produit-il le fait historique véritable.
« La connaissance historique ne crée pas des fictions, elle raconte et reconstruit ce qui a
été, ce qui est devenu » R.Aron
Adossé solidement à des faits, l’historien va dès lors tenter une synthèse, en établissant des
relations de causalité et des liens entre les événements pour rendre la série des faits
historiques intelligible. Le choix de l’objet historique (par exemple, la Révolution française),
l’orientation des recherches dépendent, en profondeur, des vues personnelles de l’historien,
qui ne saurait rester froid devant l’histoire. Il est, au surplus, impossible de fournir des
liaisons parfaitement objectives et démontrées entre les faits, tant ceux-ci sont complexes,
enchevêtrés et souvent incertains.
En définitive, subjectivité et objectivité sont, en histoire, dans un rapport étroit. L’historien,
qui comprend les faits grâce à une certaine « qualité de subjectivité », élabore néanmoins une
science. L’historien interroge le document et le force à parler.
Les constructions historiques sont multiples et variées. Une dernière synthèse semble
alors requise, pour intégrer les divers moments historiques. L’homme prend ainsi conscience
qu’il a une Histoire, nécessaire à sa construction personnelle. D’où la création des philosophies
de l’histoire.
Quel est le noyau des grandes philosophies de l’histoire ? C’est le concept de sens de
l’histoire : l’histoire des hommes prise comme totalité connaîtrait un ordre profond, un but et
une fin. Elle irait vers un achèvement final.
Pour Hegel
Dépasser « la cohue bigarrée de l’histoire »
Hegel, au XIXe siècle, a magnifiquement illustré ce courant. Sa philosophie de l’histoire tente
de donner sens à la poussière des événements historiques dont la multitude s’offre à nous.
Car l’histoire est une succession de formes diverses qui se déploient dans le temps. La pensée
n’est-elle pas dès lors prise dans un flux historique ? Un principe d’intelligibilité paraît exigé
et requis.
Pour Marx
Le matérialisme historique
Marx, après Hegel, va lui aussi tenter de construire une grande philosophie de l’histoire. Sa
doctrine s’appelle le matérialisme historique. Selon Marx, ce sont les techniques, les outils
qui déterminent les possibilités d’existence. La vie matérielle des hommes explique donc
toutes leurs activités ainsi que le devenir de l’homme. Si Hegel voyait dans un principe
spirituel, le démiurge de tout développement historique, Marx inverse la conception de son
maître. C’est la production matérielle de la vie qui crée l’histoire.
Le règne de la liberté
La révolution prolétarienne annonce, aux yeux de Marx, la venue d’un temps où l’homme
maîtrise enfin sa condition et son destin. En prenant en charge l’histoire, le prolétariat
répudie l’inhumanité historique. Ainsi commence le règne de la liberté, quand l’humanité
s’arrache au joug du destin et de l’opacité historique.
Ces visions historiques, celle de Hegel comme celle de Marx, témoignent de l’impérieux besoin
qu’éprouve l’homme de donner un sens à sa destinée personnelle en l’intégrant dans un devenir
historique compréhensible.
Cependant les philosophes de l’histoire du XIXe siècle nous donnaient à voir un genre humain
libre et raisonnable dans un monde libre et raisonnable.
Tout au contraire, la réalité historique du XXe siècle apparaît comme la chronique de l’enfer.
Par ailleurs, postuler que l’histoire a un sens peut mener directement à la terreur
politique et à l’arbitraire, dès lors qu’un groupe politique prétend être le détenteur de
ce Sens dont il impose les conséquences à la société.
Rejet d’une fin de l’histoire, échec des théories du sens de l’histoire, épanouissement
des études historiques isolées : l’histoire contemporaine récuse résolument la
philosophie de l’histoire. Pour la plupart des historiens contemporains, il n’y a pas une
Histoire dans laquelle se fondent les événements enchaînés par un sens, mais des
histoires.