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FERNAND DELIGNY, UN STYLE DE VIE AVEC LES AUTISTES Y

ÊTRE ENTRE LES LIGNES


Erik Porge

ERES | « Enfances & Psy »

2010/3 n° 48 | pages 130 à 136


ISSN 1286-5559
ISBN 9782749213132
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2010-3-page-130.htm
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Enf&Psy n°48 10/11/10 18:05 Page 130

À PROPOS

Fernand Deligny,
Erik Porge

un style de vie
avec les autistes
Y être entre les lignes

Erik Porge, Fernand Deligny occupe une position à part dans l’approche de l’autisme. Elle
ne se réclame ni de la rééducation, ni de l’apprentissage, ni du soin qu’il soit
psychanalyste, psychiatrique ou psychanalytique. Cette position participe d’un style de vie.
Paris. Il faut la replacer dans le contexte d’après-guerre (1939-1945) qui a favorisé
beaucoup d’initiatives inventives.

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Cette position ne serait sans doute plus possible aujourd’hui. En tout cas, elle
contraste avec les prises de position officielles de la HAS (Haute-Autorité de
santé) qui suivent les classifications de l’OMS en étiquetant l’autisme comme
un trouble d’origine biologique. On a d’autre part beaucoup élargi les critères
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diagnostiques de l’autisme et celui-ci est devenu un terrain de conflit, du fait


de la prévalence de la référence aux thérapies cognitivo-comportementalistes
ou aux méthodes d’apprentissages.
L’engagement de Deligny avec les enfants autistes succède à une longue
expérience (dite « La grande cordée ») avec des adolescents marginaux, et
commence en 1966 au moment où il éprouve des difficultés personnelles et
trouve avec sa famille un accueil à La Borde, à l’invitation de Jean Oury, non
comme patient mais comme animateur d’activités.
C’est à ce moment qu’il fait la rencontre décisive, qui oriente le reste de sa vie,
avec un enfant autiste de 12 ans, Jean-Marie (il en modifiera l’orthographe en
Janmarie). Cet enfant lui avait été confié par sa mère après un passage dans le
service du professeur Duché, qui l’avait diagnostiqué « encéphalopathe pro-
fond, incurable et invivable ». Tout pour plaire à Deligny !

LA TENTATIVE

C’est à partir de ce moment qu’il inaugure ce qu’il appelle sa « tentative » :


« Alors que les tentatives menées antérieurement, en ricochet, à la recherche
d’une “cause commune” entre soignants et soignés, rééducateurs et réédu-
qués, s’étaient heurtées à “l’ordre des choses”, aux institutions ambiantes, il
s’agissait, cette fois-ci à partir de la vacance du langage vécue par ces enfants-
là, de tenter de voir jusqu’où nous institue l’usage invétéré d’un langage qui

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nous fait ce que nous sommes, autrement dit de considérer le langage à partir
À PROPOS

de la “position” d’un enfant mutique comme on peut “voir” la justice – ce


qu’il en est de – “de la fenêtre” d’un gamin délinquant 1. » Ce retournement
du regard est au fondement de la tentative de Deligny. À partir de là, il fait le
choix d’un lieu dans les Cévennes constituant un espace adapté à cette tenta-
tive d’instaurer un nouveau type de relations avec les enfants autistes, un
espace affine à celui de l’autisme. Il l’appelle « le réseau ». Avec Bertrand
Ogilvie, on peut parler à cet endroit de « dispositif 2 ».
De petits groupes d’enfants viennent faire des séjours temporaires, des
« moments de rupture », en dehors des conditions de vie habituelle, afin de
mener leur vie autrement, avec d’autres et sans autre visée que celle d’un
vivre-ensemble, donc sans « contrat » (comme on dit aujourd’hui de façon
choquante) thérapeutique ou pédagogique. Les adultes qui sont avec lui n’ont
aucune formation préalable, ils sont « indigènes du réseau 3 ». Deligny se
proposait de faire « cause commune avec eux ». Les enfants avaient entre 3 et
9 ans et ne parlaient pas ou presque pas. C’était aussi la condition des séjours.
C’est, à juste titre, à cette catégorie d’enfants que se limitait le terme d’autiste,
loin de l’espèce de fourre-tout qui existe aujourd’hui. 1. Fernand Deligny, Œuvres,
édition établie et présentée
Toutefois, on peut se demander si cette condition ne constituait pas la limite par Sandra Alvarez de Toledo,
du projet de Deligny, et on peut se demander si sa « tentative » pouvait favo-

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Paris, L’Arachnéen, 2007.
riser l’advenue de la parole chez l’autiste, événement qui n’est pas rare dans
2. Bertrand Ogilvie, Postface
des cures psychanalytiques, voire si elle n’était pas destinée à justement les de Fernand Deligny,
maintenir hors parole. L’Arachnéen et autres textes,
Paris, L’Arachnéen, 2008,
Les séjours coûtaient 40 F de l’époque par jour, pendant 3 à 4 mois répartis
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p. 248. « Agencement
en 3 ou 4 fois par an. matériel et discursif,
Deligny adoptait donc une position de « non-vouloir » : organisation de l’espace
articulée à un système de
« Il est évident que nous nous refusons à faire violence aux enfants. catégories et de croyances,
Mais alors que faut-il faire ? de valeurs, de sensibilité,
Se mettre en position de non-vouloir. de tropismes, qui permettent
S’agit-il d’une position de passivité ? de rendre visibles
C’est tout le contraire. Le non-vouloir crée une sorte d’intervalle où règne le des paramètres, des facteurs
tacite. inaperçus ou occultés,
refoulés, et d’opérer
Mais encore faut-il que le respect du tacite régente un mode d’être qui nous soit des déplacements dans
commun, qui soit le nôtre et qui ne va pas s’intercaler entre les enfants et nous les comportements
afin de maintenir une certaine distance entre eux et nous. Cette distance, on doit (ou à l’inverse, de produire
la retrouver à tout bout de champ dans le mode d’être du réseau même 4. » de l’invisibilité et donc
du refoulement, l’organisation
Deligny ne s’autorisait pas de vouloir le Bien des enfants (malgré eux, comme du comportement des autres
le font certains). Il respectait l’espace de retrait que ces enfants manifestaient en fonction d’évidences dites
à l’égard de la parole et dans les relations affectives, sachant que les manifes- et redites étant un instrument
tations d’amour à leur égard peuvent être ressenties comme violentes et dan- privilégié de pouvoir). »
gereuses. Il s’est mis en position de se laisser enseigner par les autistes, de se 3. Fernand Deligny, Œuvres,
mettre à l’écoute de leur mutisme et du « moindre geste », (titre de l’un de ses op. cit., p. 737.
films), de se laisser surprendre par ce qu’il ne comprenait pas, sans chercher 4. Fernand Deligny,
à plaquer des grilles d’interprétation toute faites, notamment psychanaly- L’Arachnéen et autres textes,
tiques, et sans vouloir débusquer une supposée intentionnalité, sans même op.cit., p. 66.

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vouloir les faire parler. Il prenait leur mutisme comme une donnée indépas-
À PROPOS

sable et constitutive de leur être, ce qui, nous l’avons dit, est la limite de sa
tentative.
Son refus d’interpréter les causes de ce mutisme avait en retour l’avantage de
faire barrage aux élucubrations interprétatives qui recouvrent le mutisme au
point de réduire au silence sa force de point d’interrogation.
Sur cette question de la cause, il y a un passage du séminaire L’angoisse, où
Lacan distingue bien la cause, l’effet, le résultat et l’objet, et énonce que
« moins la cause est saisissable plus tout apparaît causé ». Le symptôme, c’est
le résultat de la cause, et l’effet de la cause, c’est le désir. Entre la cause et
l’effet, le désir donc, il y a un hiatus. En guise d’illustration il reprend et com-
mente une expérience de Piaget 5 sur les récits d’enfants devant expliquer à
d’autres enfants les effets de la fermeture d’un robinet d’eau.
Deligny a d’ailleurs souvent affirmé que l’eau avait une place particulière
pour les enfants autistes à lui confiés…

LES DEUX PÔLES DE L’HUMAIN

Fernand Deligny n’a pas fait d’exposé détaillé et systématique de ses théories.
Elles se laissent lire et déchiffrer dans l’ensemble de ses écrits, qui sont très

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nombreux, et on peut essayer d’en extraire les grandes lignes, sachant que les
choses ont évolué au fur et à mesure de sa « tentative ». Celle-ci « est une
démarche, ce n’est pas l’application de principes 6 ».
On peut dégager, me semble-t-il, deux pôles autour desquels il tourne (comme
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une ellipse) : d’une part, le pôle dit de l’espèce et d’autre part le pôle du lan-
gage. La tentative de Deligny repose sur ce que j’appellerai pour ma part
hypothèse, mais qui pour lui est visiblement plus du côté de la certitude, hypo-
thèse donc qu’il existe une opposition entre un pôle du langage et un pôle de
ce qu’il appelle « l’humain de nature ». « Par nature j’entends bien la base
biologique de toute existence humaine, considérée indépendamment des
effets que produit sur elle la socialisation 7 ». C’est ce pôle-là, l’humain de
nature, que l’autisme révélerait et avec lequel il s’identifierait et donc avec
lequel il faudrait se mettre en phase.
Fernand Deligny ne nie pas l’importance du langage, bien au contraire, mais,
il veut lutter contre ce qu’il appelle son « mono-pôle ». Deligny joue beau-
coup avec les mots. Le langage est un pôle qui prétend au monopole. Il y a
pour lui mono-pôle du langage, dans la mesure où il assimile, trop vite, le lan-
gage à un outil de communication dont on aurait la maîtrise. En outre, le lan-
gage aurait une fonction de suppléer, voire supplanter, un défaut dans
5. Rapportée dans Jean Piaget, l’humain de nature.
1923, Le langage et la pensée
chez l’enfant, Paris, En ce sens, sa lecture (partielle) de Lacan est très réductrice et c’est pourquoi
Delachaux et Niestlé, 2002. il le critique, même s’il a surtout travaillé avec des correspondants lacaniens
6. Fernand Deligny, Œuvres, et que ceux-ci l’avaient en général à la bonne.
op. cit., p. 995. Mais il est intéressant de voir qu’il s’appuie sur le pôle de l’humain de l’es-
7. Ibid., p. 1028. pèce, pour faire retour sur le langage, le faire résonner, en modifier certains

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usages, créer des néologismes, ce qui donne d’ailleurs à ses écrits, bien sou-
À PROPOS

vent, une certaine force poétique.


Disons quelques mots sur l’importance de ce pôle de l’humain de l’espèce, de
l’humain de nature. C’est quelque chose qui « prélude au langage » et qu’on
va retrouver dans les images, les gestes, les comportements, les trajets dont on
peut faire les tracés, mais aussi dans l’immuabilité des enfants autistes. L’hu-
main de nature entre en correspondance avec les comportements de l’autiste
et ses déambulations, toujours les mêmes, que Deligny relève en traçant les
lignes d’erre sur des cartes.
Commencées vers 1969 avec Janmarie, elles sont publiées en 1972. « Elles
ravivent notre mémoire psychotique, que nous avons tous, pour voir ce que le
regard ne peut plus voir 8. » Les lignes d’erre regardent les adultes qui les tra-
cent, elles les impliquent dans un « nous » avec l’enfant en vacance de parole,
pour qu’ils « s’Y » voient, dépris d’eux-mêmes, de leur moi, de leur psycho-
logie. Les cartes sont des lignes d’existence, de ce qui en apparaît. Elles font
écriture, chevêtre, radeau qui relie les éléments épars d’un « nous-autres-là ».
Elles équivalent au tracé des toiles d’araignée, de « l’aragne », comme il l’ap-
pelle, à celui des termites, à celui des lignes de la main, à un certain nombre
d’autres tracés dans le domaine animal, végétal, minéral. L’autiste serait par
là en continuité avec l’espèce et au-delà même de l’espèce avec la nature elle-

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même, l’humain de nature. Il y a quelque chose, là, qui serait de l’ordre d’un
être de nature proprement dite. La toile d’araignée n’est pas un modèle, une
analogie, elle est identique à l’erre dont Deligny relève les cartes.
« L’aragne », c’est le réseau avec lequel il veut coïncider avec sa tentative
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dans les Cévennes, un réseau composé de petits lieux séparés, reliés par des
lignes de passage. L’aire de séjour est une toile.
La toile d’araignée est tissée sans intention, il n’y a pas un vouloir de l’arai-
gnée pour attraper la mouche, elle fait ça et la mouche tombe, il n’y a pas d’in-
tention, pas d’utilité, c’est asubjectif. « Mais ce que l’arachnéen nous
enseigne, c’est qu’il ne s’agit pas pour l’aragne, de vouloir avoir, de par le tis-
sage de sa toile, de la mouche ; c’est tramer qui importe […] Où se retrouve
ce que le réseau peut avoir d’arachnéen, étant entendu que l’arachnéen n’est
pas un avoir mais bien une trouvaille incessante, une découverte émaillée de
surprises, ces surprises étant de bien étranges coïncidences qui ne peuvent
avoir lieu que si le vouloir reste cantonné dans ce qu’il peut faire et ce qui le
regarde. »
Le réseau est un agir. Ce n’est pas un donné, ni un modèle. C’est un agir qui
est à refaire, et à défaire sans cesse. Dans le film À propos d’un film à faire,
Deligny montre longuement l’image d’un radeau et commente son lien à un
enfant autiste. Le radeau est identique aux petites unités de ces camps dans
les Cévennes. Il n’est pas pris comme symbole mais au sens concret de
matériau, de bois, de rondins attachés. Il est mis sur le même plan que les
manifestations des enfants autistes. Un radeau est fait comme la toile d’arai-
gnée, comme les lignes d’erre. Il y a identification de l’autiste à ces formes
de tissage. 8. Ibid., p. 852.

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Les tracés des lignes d’erre de l’autiste sont eux-mêmes homogènes aux
À PROPOS

tracés qu’il fait sur une feuille de papier, les petits ronds par exemple, dont
Deligny fournit de nombreuses reproductions dans ses écrits. L’une de celles-
ci est accompagnée de la légende manuscrite suivante : « Ce TRACER d’avant
la lettre, je n’en finirai pas d’y voir ce qu’aucun regard serait-il le mien n’y
verra jamais. l’humain est là, peut-être tout simplement, sans personne à la
clef, sans voix. ceux-là de TRACER, sont de ma main qui a emprunté la
manière de manier le style de ce janmarie, qui parlant ne l’est pas. et tout ce
que je peux écrire en vient de ce TRACER que tous les écrits du monde ne ris-
quent pas de tarir 9. »
Incidemment, je ferai remarquer que dans le nom, Deligny, il y a le mot ligne,
ce qui n’est peut-être pas un hasard et il y a aussi le « y », auquel il donne
beaucoup d’importance dans ses écrits (notamment « l’y être »). N’a-t-il pas
réalisé son nom dans son style de vie avec les autistes : Deligny = y être entre
les lignes ?

COMMENT PARLER DE ET AVEC L’AUTISTE

C’est à partir du pôle de l’humain de nature que Deligny essaye de considé-


rer le langage, en partant du mutisme. Il dira d’abord que le pôle de l’humain
de nature n’est pas complètement étranger au langage, pour à la fin dire le

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contraire, à savoir que le pôle de l’humain de nature est complètement étran-
ger au langage, que ça n’a rien à voir, que c’est de l’Aconscient, se démar-
quant là de l’inconscient de Freud. Ce pôle complètement hors langage n’est
cependant pas hors écriture, mais c’est une écriture d’avant l’écrit. C’est de ce
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pôle-là, disons d’un écrit d’avant l’écrit, qu’il va essayer d’approcher le lan-
gage, et ce dans un mouvement de retournement : s’entendre parler du point
de vue de celui qui ne parle pas. Une théorie sur ceux qui ne parlent pas
s’adresse en fait à ceux qui parlent et donc reçoit d’eux son message. Mais
permet-elle vraiment d’appréhender la vérité de ceux qui ne parlent pas, qui
sont dans « la vacance du langage » ? En appréhendant la réalité de l’autiste
à travers une langue qu’il ne parle pas, est-ce qu’on ne passe pas à côté de
cette réalité, et ne risque-t-on pas de la poser en termes de déficit ? Bien
entendu, on peut se rendre compte que poser la question ainsi, c’est faire
comme si l’autiste ne devait jamais parler et qu’il n’était pas déjà parlé avant
de naître.
La question mérite cependant d’être posée dans la mesure où elle nous fait
entendre dans le mutisme autre chose que la simple négativité de l’absence de
parole.
On peut souvent constater un forçage dans les interprétations expliquant pour-
quoi l’enfant ne parle pas. Il y a chez Deligny une démarche antipsycholo-
gique que partage la psychanalyse. Là où il y a différence avec la
psychanalyse, c’est que celle-ci reconnaît un au-delà du langage mais dont
l’accès se fait pas sans le langage.
9. Ibid., p. 813, il n’y pas
de majuscules après La leçon de Deligny est que pour aborder l’autiste, il faut déjà modifier notre
les points. façon d’en parler, à défaut de parler avec lui. Un travail sur la langue est une

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démarche préliminaire, une question préliminaire à tout traitement possible de


À PROPOS

l’autisme, pourrait-on dire pour paraphraser Lacan. C’est un travail sur la


langue auquel Deligny s’est astreint en même temps qu’il mettait en pratique
un savoir-faire avec les choses, qu’il avait acquis en tant qu’éducateur, et qu’il
partageait avec ses « indigènes » non-spécialistes, par exemple un ouvrier
sorti de chez Renault. Ce n’est pas parce que l’autiste ne parle pas, ne dit pas
« je » qu’il est exclu du « nous ».
À ce travail sur et avec la langue et les choses, voire la langue comme chose,
il faut ajouter le travail sur et avec les images, dont il reste de nombreuses
photos et des films : Le moindre geste, Ce gamin, là, À propos d’un film à
faire. Films à la fois documentaires et de fiction où jouent des enfants autistes
et réalisés en collaboration plus ou moins étroite avec d’autres réalisateurs,
tels Renaud Victor et François Truffaut. À ce dernier, il a d’ailleurs donné des
conseils pour le tournage des 400 coups, qui ont entraîné des modifications de
certaines scènes. Il fait travailler les enfants avec les caméras et mène une
réflexion sur l’image comme mémoire d’espèce, et sur le cinéma comme réa-
lisant « ce qui ne se voit pas10 », « se produit entre ». Comme l’autiste,
l’image ne parle pas.
Revenons au langage. Il ne s’agit pas pour Deligny de se passer du langage.
D’ailleurs l’abondance de ses écrits le prouve. Une phrase résume sa posi-

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tion : « Se battre contre le langage, c’est se débattre 11. »
Pour se mettre à l’écoute de ce qu’il y a de singulier chez l’autiste, de ce qui
« prélude au langage », l’une des premières transformations à opérer, c’est le
passage à l’infinitif substantivé. Deligny reproche à la psychanalyse de ne
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s’occuper que de la personne instituée. « Nous sommes fabriqués de verbes à


l’infinitif 12 », dit-il. Ainsi, il faut parler du « tracer » (plutôt que du « tracé »),
du « repérer », du « balancer », du « silencer » du « communer », du « camé-
rer » (au lieu de filmer). Il n’y a ni passé de cas, ni futur du projet mais l’« y
être », le désir, avec cette insistance sur « l’y ». Si l’on sort de l’infinitif, cela
amène le retour du « -on » (éducation, institution…).
Un autre changement doit s’opérer dans notre façon de parler, qui concerne
l’usage des articles et des pronoms personnels. L’enfant ne dit pas « je », alors
comment parler de lui comme d’un « il » ? C’est un abus de pouvoir des mots,
dit-il. De même, il faut bannir le « se » réfléchi, pour parler de l’action d’un
enfant, par exemple « se balancer », « l’autiste qui se balance ». L’autiste
n’est pas dans la réflexion de son image. On ne peut pas dire « “l’enfant se
balance” car il n’a pas à sa disposition le “se” réfléchi. Donc, dire le “se”,
c’est imposer par notre langage, une logique qui n’est pas celle de l’enfant. À
ce “se”, “s”, “e”, qui reflète notre point de vue d’être de parole, qui avons la
réflexion, il faut substituer le “ce”, “c”, “e”, et dire “ce balancer” 13. » C’est
dans l’absence de « se », de ce « s’ » que Deligny situe les « tracer » à la main
10. Ibid., p. 1774.
comme s’ils en tenaient lieu.
11. Ibid., p. 857.
En face d’une photo les représentant, lui et Janmarie, devant un tableau où
sont tracés des lignes, il écrit à la main : « et voilà, tracer, TRACER pour rien, 12. Ibid., p. 1007.
encéphalopathe profond ce gamin là, (il s’agit de Janmarie) et moi proche qui 13. Ibid., p. 1029.

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offre les pastels à l’huile dont “il” va faire l’usage qui peut se voir, jamais on
À PROPOS

ne me fera croire que ce gamin là, S’exprime pas l’ombre d’S dans ce qui
nous fait proches ce “lui” là et moi. mais alors, c’est l’ombre de quoi qui se
manifeste dans ce geste de tracer qui nous advient et qu’importe auquel est la
main qui trace ? cette main n’est pas “la sienne”, ni la mienne. c’est la main
d’hu main 14. »
Le langage de l’humain porte l’empreinte d’un au-delà indicible, « l’humain »
comme il l’écrit. Un hu main qui se réalise avec les mains, dans les « tracer »
et dans le style de vie en réseau d’un « commun » (comme main ?) du vivre
ensemble.
Au « se » manquant, Deligny substitue le « ce » (qu’on retrouve dans le titre
du film Ce gamin, là) et aussi un « nous » car le sujet est un être de réseau.
Il y a un « nous » premier, indivis, irréductible à la personne ou même une
somme de personnes ou une idéologie. Dans le tracer dont Deligny parle, peu
importe qu’il s’agisse de la main de l’autre ou de la sienne, c’est celle de
« l’humain ». C’est pourquoi, en constituant un « nous » différent dans les
séjours de rupture dans les Cévennes, dans le réseau, dans l’arachnéen, cela
modifie l’agir des enfants. Ce « nous » est l’objet d’une adresse indirecte,
d’ou l’adéquation du nous au réseau du vivre en commun, l’intérêt pour les
lignes d’erre qui se croisent en un « y », en un « y être » et font pour eux

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comme un radeau pour ces êtres à part et épars. Le réseau est un enchevêtre-
ment. Deligny utilise beaucoup le terme de « chevêtre » ; les autistes sont des
êtres de « chevêtre ». On ne peut pas les mettre en cellule sinon ils y attrapent
« la cellulite ».
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Aujourd’hui où les cellules de crise, les cellules psychologiques sont à la


mode, n’y a-t-il pas risque de cellulite généralisée ?
Pour conclure, donnons la parole et l’image à Deligny dans ce film intitulé
À propos d’un film à faire. On le trouve en DVD avec d’autres films, Ce gamin,
là, Le moindre geste. C’est le dernier film de Deligny. Il date de 1989, il avait
75 ans. Le film est issu de plusieurs tentatives avortées de films qui n’ont pas
eu lieu. C’est un film composite, relevant à la fois du documentaire et de la
fiction et où il y a de la continuité et de la discontinuité, continuité du récit de
Deligny qui est interrogé par le cinéaste qu’on ne voit pas (on voit juste les
réponses de Deligny), et discontinuité de séquences qui sont composées de
plusieurs récits fictifs. Il y a celui d’un enfant brésilien qui s’est échappé du
camp et pour lequel il y a des rumeurs sur ce qu’il est devenu : on l’a enlevé
ou tué… D’autres récits se tissent avec celui-ci : la fiction d’un instituteur,
joué par Deligny lui-même, qui aurait été sauvé pendant la guerre par quel-
qu’un qui est joué par sa fille. Dans le film, il y a aussi des extraits d’autres
14. Ibid., p. 750, pas de ses films. Il y a là une recherche qui évoque Francis Ponge, par exemple,
de majuscules après dans Le parti pris des choses, et aussi des tentatives cinématographiques
les points. comme celle de Marguerite Duras, avec Le camion.

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