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Extrait distribué par Editions Gallimard (patrimoine numérisé)

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Figures
du vide

tuf

NOUVELLE REVUE DE PSYCHANALYSE

Numéro n, printemps 1975.


Extrait distribué par Editions Gallimard (patrimoine numérisé)

0 Éditions Gallimard, 1975.

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TABLE

Guy Rosolato L'axe narcissique des dépressions. 5


D. W. Winnicott La crainte de l'effondrement. 35
Olivier Flournoy Le moi-idéal vecteur de vide. 45
Peter L. Giovacchini Le Soi « blanc ». 63
Jean Cournut Névrose du vide. 79
Pierre Fédida Une parole qui ne remplit rien. 91
André Green Le temps mort. 103

Lao-Tzeu Quatre extraits du Tao te king. III


Roger Laporte Au-delà de /V Horror vacui ». 117
Georges Poulet Amiel et la conscience détachée. 127
Jean Starobinski Les rimes du vide. 133
Tzvetan Todorov Connaissance du vide. 145
M. Masud R. Khan De la nullité au suicide. 155

Yvon Belaval L'horreur du vide. 181


Didier Anzieu Naissance du concept de vide chez Pascal. 195

Charles Malamoud La brique percée. 205


Jean-Michel Labadie Le tombeau vide. 223

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Guy Rosolato

L'AXE NARCISSIQUE DES DÉPRESSIONS

Les dépressions sont suffisamment variées et complexes pour que la mise en


évidence de leur organisation mérite d'être proposée une nouvelle fois, mais dans
une perspective où domine l'axe, qui s'avère fondamental, du narcissisme.
Nous aurons en vue tout au long de ce travail les :apports entre la culpabilité
et la dépression on admet couramment qu'ils sont significatifs dans leur correspon-
dance évolutive. Mais il y a lieu de remarquer qu'ils peuvent être également d'exclu-
sion. Nous nous attacherons à en observer les modalités.
Les autres axes retenus comme registres (regerere porter en arrière) découvriront
les figures fantasmatiques liées au traumatisme initial à la condition de préciser
le sens qu'il prend puis les types de réaction à l'égard de la mère, objet central
des dépressions.
Mais toute notre recherche convergera vers l'élucidation du narcissisme infantile
centré sur le Moi idéal, le double et l'image de l'« enfant mort ».
L'intérêt d'une telle étude se renforce quand on constate que, dans la nosologie
actuelle, les dépressions semblent devoir être plus fréquentes. Les exigences et les
idéaux de notre temps donnent sans doute au sentiment inconscient de culpabilité
dont parlait Freud, mais peut-être pour d'autres raisons venant s'ajouter aux effets
des restrictions pulsionnelles, une force latente inébranlablement renouvelée.

DISTINCTIONS CLINIQUES A PARTIR DE LA CULPABILITÉ

Parler de culpabilité, c'est obligatoirement avoir recours à une évaluation éthique


comme catégorie à laquelle s'accorde le sujet. Cela suppose un idéal déterminé par
rapport auquel tout manquement, toute transgression font admettre la mise en jeu
d'une compensation morale. Il faut bien souligner le fait que la culpabilité s'appuie
sur une triade de réactions dont les éléments s'organisent différemment selon les cas
et qu'il importe de ne pas considérer isolément en ne retenant que l'un d'entre eux
au détriment des autres.

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FIGURES DU VIDE

C'est d'abord la possibilité d'une punition qui, sur le plan de la morale person-
nelle, devient une nécessité d'expiation, une obligation de s'amender et de changer.
Dans la relation avec autrui s'impose la réparation, au prix d'un effort, d'un travail
d'effacement du mal accompli. Enfin le pardon, notamment avec l'aveu des fautes
qui permet la réconciliation, est le troisième moyen d'étanchement de la culpabilité.
On oublie trop facilement deux de ces aspects pour ne retenir, dans un contexte
psychanalytique courant, que la réparation. Or, sous couvert de celle-ci, ils se trouvent
refoulés, tout en restant inconsciemment en activité.
L'emprise de la culpabilité dépend de celle d'un idéal, d'une loi qui, par l'impor-
tance qu'on lui accorde, quel que soit son contenu, est une forme où s'investit le sacré,
c'est-à-dire où un projet ne souffre pas de défaillances, justifiant ainsi tous les sacri-
fices, jusqu'à celui de la vie. Il va sans dire que cette loi ne saurait se résumer au seul
respect devant le diktat de la force, collective ou individuelle. Elle ne prend son sens
que dans la reconnaissance ou l'espoir d'une vérité.
L'extension de cette loi est variable quant au groupe qu'elle régit. La responsa-
bilité en cause peut valoir pour tout individu placé dans les mêmes circonstances;
elle peut aussi ne concerner que le seul cercle des pairs ayant un idéal commun et y
trouvant leur ciment; pour certains enfin, elle donne l'illusion d'être tout à fait indi-
viduelle, quand aucun point commun n'est reconnu avec autrui (encore que la relation
entre la victime et le bourreau ne soit jamais aussi simplement vécue).
La culpabilité peut se définir également par des traits négatifs ainsi le sentiment
de déplaisir moral, remords, regret, ou dépréciation qui signe le jugement du Surmoi,
ne doit pas, pour apparaître pleinement, être réprimé par les si fréquentes défenses
maniaques. Quant à la culpabilité inconsciente, sachant l'importance des contenus
auxquels elle s'attache, son refoulement global peut être parfaitement concevable.
La question, qui reste souvent mal précisée, est d'arriver à déceler le retour, ou les
transformations affectives qui accompagnent ce refoulement, jusqu'à prendre la
figure de la dépression. On doit donc s'interroger sur ce balancement.
Les altérations de la culpabilité, par défaut ou par excès, ont souvent retenu
l'attention des auteurs. Chez le délinquant, après que l'on ait incriminé l'absence
de sens moral, il est fait plus souvent état d'une culpabilité inconsciente qui pousserait
à des conduites autopunitives tout en préservant le fantasme qui l'entretient. Parfois
il ne s'agit que d'une tentative désespérée d'éprouver cette culpabilité 1.
Aussi intéressantes et surtout exemplaires pour notre propos sont les
manœuvres obsessionnelles. Depuis les confessions scrupuleuses, jusqu'aux rituels
compensatoires, où la culpabilité apparaît au grand jour, excessive, subtile et intransi-
geante, ou subissant de successifs déplacements pour en travestir l'origine, devenant
souvent caricaturale par ses surcharges, ridiculisant la loi à laquelle elle se soumet,
i. D. W. Winnicott, a la Psychanalyse et le sentiment de la culpabilité(1958), in De la
pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969.

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toute l'organisation obsessionnelle se présente comme antithétique de la dépression,


au moins dans ses formes les plus fixées par des défenses spécifiques. Mais la parenté
et la différence établies par Abraham entre la névrose obsessionnelle et la mélancolie,
à partir des deux stades sadiques-anaux, ont leur répondant également sur le plan
de la culpabilité.
La névrose obsessionnelle poursuit, à l'occasion d'une culpabilité relative aux
interdits sexuels, la maîtrise du mal en général et de la mort, comme exercice suprême
de la toute-puissance des pensées. Le schéma en est de postuler une faute originelle qui
aurait entrafné la mort en tant que virtualité humaine acquise. Ce péché originel
meurtre du père ala vertu de soumettre la mort elle-même aux décisions de
l'homme, fussent-elles à l'origine condamnables, donc à poser le pouvoir exaltant
d'une telle responsabilité. Moyennant quoi toute réparation, toute expiation, tout
sacrifice individuel, dans l'ingéniosité de leur labeur, dans leur rituel ou leur mythe
social, donnent l'illusion, et la force utilisable, d'un pouvoir d'autant plus puissant
qu'il s'exerce sur la mort. Les conséquences qui en découlent sont surtout de nourrir un
invincible espoir qui caractérise la structure obsessionnelle. On peut donc grosso modo
opposer celle-ci aux affects dépressifs, sachant qu'elle soutient aussi une surenchère
dans la domination sur les pulsions et dans le sacrifice, pouvant aboutir aux renverse-
ments, aux excès masochistes et à l'ascétisme.
La culpabilité, dans sa forme accusée, obsessionnelle, ressortit bien aux trois
causes indiquées par, Freud l'initiale prématuration, la répression pulsionnelle
(encore qu'une éducation laxiste puisse avoir les mêmes effets), et les fantasmes de
meurtre œdipiens contre le père. Nous aurons à revenir tout à l'heure sur l'examen
de la détresse infantile.
On observera que bien des théories psychanalytiques de la dépression sont ame-
nées dans leurs visées anagogiques à adopter l'organisation « culturelle » propre à la
névrose obsessionnelle, au moins dans la valorisation mesurée d'une culpabilité qui
porte, comme nous le disions, l'ouverture d'un espoir. Mais on ne devrait pas écarter
trop vite l'éventualité d'un retour, dans la théorie, d'une conception du rachat propre
aux religions de salut. Ceci ne doit pas faire oublier combien Freud était étranger à ce
type de démarche intellectuelle.
Quand on se tourne vers les aspects cliniques des dépressions, deux formes
majeures, indépendantes quant aux autres structures, sont le plus souvent opposées
la dépression (simple) (névrotique) et la mélancolie psychotique 1. Cette distinction
mérite d'être maintenue d'autant qu'elle s'appuie sur une symptomatologie aisément
vérifiable.
La première sera caractérisée par des affects, dont on sait qu'ils sont inséparables
d'un contenu de pensée 1. A côté du désintérêt, du pessimisme, du manque d'espoir,
i. Cf. E. Jacobson, Depression, Intern. Univ. Press, 1971.
2. M. Schur, « Affects and cognition », Int. J. Psycho-Anal., 1969, 4, p. 647-653.

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de la tristesse, nous mettrons surtout en exergue les symptômes dominants d'asthénie,


d'inhibition, de ralentissement vital (Winnicott), d'infériorité. En bref, le terme de
dépression rend parfaitement l'ensemble de ces fléchissements. S'il y a de plus une
inquiétude au sujet de la santé physique, hypocondrie larvée, ce n'est qu'un moyen
de chercher à localiser un déficit pour mieux le contrôler dans une partie du corps.
Mais que l'on insiste sur l'aspect « affectif montre bien que seul peut venir au
premier plan le déplaisir, en dehors de toute autre représentation (ou signifiant),
si ce n'est sous une forme imprécise et insaisissable. Sans doute existe-t-il des cas
avec angoisse, peur et culpabilité. Mais le plus souvent, surtout actuellement, dans
une forme qui paraît se suffire, donc que l'on peut tenir pour essentielle, la dépression
ne comporte pas d'idée consciente de culpabilité 1. Il importe, en effet, que le déplaisir
vienne en opposition avec une culpabilité identifiable, c'est-à-dire liée à un contenu
précis, de telle sorte que le malaise ressenti ne puisse s'atténuer en étant ramené à sa
cause, ou à une origine, afin que persiste une distance pour restituer le plus vivement
une douleur de séparation. Le tribut payé à la culpabilité inconsciente doit l'être aveuglé-
ment il ne s'agit pas de punition patente, qui par les voies du masochisme pourrait
même conduire à une satisfaction, ou dans la névrose obsessionnelle comme une
menace permanente, mais d'un déplaisir subi, ou paraissant tel, et qui ne semble devoir
laisser aucune place à l'activité du sujet, entièrement à la merci de son sort déplorable.
Cette dépression, sans autres symptômes, sans que la culpabilité se joigne au
constat d'incapacité, a une autonomie suffisante pour être opposée à la mélancolie.
Cette dernière organisation psychotique ne se caractérise pas seulement par l'intensité
des affects dépressifs précédents, par leur accentuation monoïdéique. Déjà l'excès
de déperdition de l'activité franchit un premier niveau par rapport aux réactions
banales et, tout compte fait, explicables, de découragement, de fatigue, de repli, ou
de deuil, qui ne peuvent manquer d'atteindre quiconque devant les vicissitudes de
l'existence. Mais ici l'organisation délirante suppute des catastrophes sans rapport
avec la réalité présente, l'hypocondrie affirme un état somatique gravissime ou fantas-
tique, le désir de mort vient au premier plan.
Nous constatons également, et ceci importe pour notre argumentation, une culpa-
bilité insistante et féroce où l'indignité et la honte sont rapportées à des crimes inexis-
tants mais dont le sujet s'accuse inlassablement.
Quand on sait la parenté symptomatologique entre la dépression et la mélancolie,
on peut comprendre la fonction de la culpabilité dans le cadre général des oppositions
entre névrose et psychose. Dans la névrose, l'infrastructureinconsciente, constituée par
les souhaits œdipiens, reste refoulée, alors que dans la psychose ceux-ci sont mis en
scène clairement, directement, dans le délire. Une correspondance identique peut
être décrite pour la culpabilité non point inexistante dans la névrose, mais incons-

i. F. Pasche« De la dépression », in A partir de Freud, Payot, 1969.

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L'AXE NARCISSIQUE DES DÉPRESSIONS

ciente et dirigeant l'évidente symptomatologie, elle devient « parlante » dans le pen-


dant psychotique qu'est la mélancolie. Ceci confirmerait, s'il en était besoin,la fonc-
tion inconsciente de la culpabilité dans les dépressions.
Ainsi la mélancolie ne peut se résumer dans la formule de la « névrose narcis-
sique D. Car le retrait libidinal va de pair avec un accrochage envahissant, quoique
indirect, au monde objectal l'introjection en garde un fac-similé maléfique qui semble
ne plus pouvoir échapper. Le narcissisme absolu se trouverait plutôt dans les formes
les plus graves de schizophrénie, hébéphréniques ou catatoniques, qui ne se soucient
de nul objet, même corporel, et portent la destruction sur ce qui pourrait en dernière
instance en tenir lieu, en permettre une saisie « objective », à savoir le fonctionnement
psychique lui-même. Les dépressions sont surtout marquées par une application du
projet de mort, sur un objet interne, mort lente de désolation et d'inanition (avec les
formes hypocondriaques et l'anorexie mentale), ou mort violente de la mélancolie,
mais sous un contrôle mental rigoureux.
Ce rapport entre dépression et mélancolie, sur lequel reviennent tant les auteurs,
non seulement pour y asseoir un pronostic (avec parfois la prudence finaude de prévoir
le pire, en soupçonnant toute dépression de pouvoir être une formé larvée de mélan-
colie), se situe, dans l'éventail des articulations évolutives entre les états mentaux, à
une charnière où la pesée de la structure narcissique, nucléaire, de la paranoïa, peut
encore se faire sentir. L'impossibilité de sortir d'une relation duelle, d'élaborer un
deuil et la castration, la sensibilité aux causes déclenchantes de la dépression, le virage
de celle-ci à la mélancolie, proviennent de l'importance de l'organisation « paranoïde »
persistante.
Toute culpabilité n'est pas signe d'évolution favorable. La névrose obsessionnelle
s'y enchaîne. La mélancolie, autre tentative de guérison à travers le délire, s'empare
pour ce faire de ce qui aurait été sa voie dans une structure non psychotique; elle
rend ainsi apparent l'inconscient correspondant. Cette fixation à la structure para-
noïaque peut donc permettre de considérer la mélancolie comme une paranoïa inté-
riorisée l'objet introjecté et le Surmoi deviennent les pôles de lutte entre persécuteur
et persécuté. L'enjeu de ce combat ne sera plus la relation avec l'objet extérieur, mais
le secteur de réalité psychique interne aliéné dans l'objet introjecté. Il conviendra
donc que nous puissions suivre les variations narcissiques entre la paranoïa et la
culpabilité pour bien apprécier les dégagements possibles d'une dépression et ceci
principalement par rapport aux effets de double narcissique.
Une question qui est souvent soulevée à propos des dépressions est de savoir si
un tel diagnostic correspond à une structure suffisamment cohérente, ayant une déter-
mination, selon une perspective psychanalytique, une causalité inconsciente spéci-
fique, permettant de ne pas s'en tenir à la simple constatation d'un symptôme polyva-
lent comme, par exemple, une fièvre, pour reprendre une comparaison consacrée.
On voit l'incidence médicale toujours présente dans cette réflexion.

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Il faudrait toutefois remarquer que ce doute pourrait s'appliquer à toute sympto-


matologie mentale. La causalité psychique n'est jamais celle d'une étiologie médicale
et, de plus, la surdétermination s'impose ici jusque dans la conduite même de la cure.
En effet, ne s'en tenir qu'à une seule « explication» des troubles les plus patents
(comme ceux que nous avons rapidement dessinés) conduit aux interprétations systé-
matiques, sinon aux projections théoriques dont les effets de suggestion tiennent sur-
tout à la complicité établie entre le patient et le thérapeute, et qui étant elle-même
perçue unilatéralement par le premier peut aboutir à bloquer l'élaboration interpréta-
tive. C'est donc un problème général une trop directe et trop précoce concentration
des interprétations sur le ressort qui paraît le plus évident prend le risque de ne pas
suivre les différents jalons qui permettront, pour chaque cas, de tracer le réseau de la
surdétermination. Il n'en demeure pas moins que cette discussion s'engage effective-
ment à propos de la dépression. Ce n'est pas un hasard. La dépression est un pivot
sur lequel se jouent le potentiel évolutif de la névrose et de la psychose, et l'irréducti-
bilité du masochisme.
De sorte que si l'on insiste, à juste titre, sur l'infrastructure prégénitale, orale
surtout, il faut aussi tenir compte de l'incidence œdipienne et phallique-génitale de la
dépression 1. Ce n'est pas pour satisfaire un souci de description exhaustive que nous
adoptons, et plus volontiers dans ce cas, une vue multiple. La structure même de la
dépression nous y invite son désintérêt généralisé, son repliement à l'égard de toutes
les « raisons» de vivre, comme à l'inverse dans la défense maniaque une curiosité qui
s'éparpille sur tout ce qui se présente, poussent à mettre en évidence l'importance du
réseau interprétatif. Au lieu d'un système et d'un schéma abstrait auxquels conduit
irrésistiblement la pente dépressive elle-même, doit prévaloir une particularisation
de ce qui a été le vécu du sujet dans une multitude de détails relatifs aux faits du passé.
Dans cette remontée, et quelles que soient les théories, il est difficile de ne pas voir
apparaître l'éventualité d'un traumatisme initial, qui donne sa force à l'inertie de la
dépression même quand elle se présente dans sa détermination œdipienne.
Mais avant d'aborder cette question posons quelques points utiles pour la
compréhension de la culpabilité dans la conduite de la cure.
Nous pouvons avancer que la dépression est une souffrance en rapport avec la
culpabilité dans la mesure où les réactions (de défense) qui sont propres à cette
dernière soit ne peuvent plus fonctionner, soit se trouvent déséquilibrées en faveur
de l'une d'elles devenant répétitive, et ceci du fait de la prévalence d'une faute fan-
tasmatique rémanente. De la triade, ainsi, l'expiation principalement ou la réparation,
ou la demande de pardon, peut prédominer inconsciemment et déterminer la présenta-
tion du malaise dépressif.

i. Cf. C. Brenner, « Dépression, anxiety and affect theory », Int. J. Psycho-Anal., 1974,
1, p. 25-32.

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Mais si la faute fantasmatique soutient la dépression, on ne s'en dégage que par


une juste évaluation de la réalité et de l'objet total.
Ainsi voyons-nous la culpabilité travailler à établir la vérité dans une étroite
convergence entre le bien moral et le vrai de l'intellect. A telle enseigne que cette éla-
boration, avec toutes ses implications morales, devient l'exercice progressif d'une
constitution de la réalité, dans sa dépendance à la vérité.
L'évaluation évolutive de la dépression se fera donc en fonction de la culpabilité,
qu'elle soit camouflée, c'est-à-dire refoulée ou forclose, ou apparente, fixée à la
faute idéale du narcissisme.
Il n'est pas rare de constater aussi des bénéfices secondaires dans une crise dépres-
sive qui ne s'installe parfois que pour anticiper un projet inavouable, et payer à l'avance
pour une forfaiture à venir. Enfin, souvent, le déprimé a l'objectif inconscient de
provoquer chez autrui une culpabilité qui ne semble pas, quant à lui, devoir l'effleurer.
E. Jacobson a montré cette tendance dans le couple 1.

LE TRAUMATISME. LA BLESSURE NARCISSIQUE

L'examen des causes apparentes, proches ou alléguées, retrouve fréquemment


des faits réels, deuils, séparations, abandons. Ils peuvent être d'ailleurs à l'origine de
réactions apparemment paradoxales, soit que la perte, reçue dans l'indifférence,
satisfasse des tendances masochistes, soit qu'une réaction maniaque réponde à une
recrudescence libidinale2 qui témoigne de la satisfaction de survivre alors que l'autre
disparaît, soit encore que le deuil se fasse par déplacement sur un autre objet qui, lui,
sera amèrement pleuré (par exemple une femme avait un chat dont le nom rappelait
celui d'un fils qui avait quitté le foyer; elle perdit presque en même temps sa mère et
cette bête; sur celle-ci se concentra toute la déploration, alors que le deuil pour la
mère ne se manifesta même pas). Il faut souligner l'importance et la fréquence
déclenchante de ce qui touche à l'enfant frère ou sœur, descendant, ou « petits
animaux ». Dans un grand nombre d'observations publiées ce facteur apparaît, souvent
incidemment, sans être relevé comme il convient. Nous y joindrons tout ce qui tourne
autour de l'enfant, dans une menace possible à sa vie fantasmes relatifs à la grossesse,
avortements, accouchements difficiles.
Mais d'une manière plus générale c'est une défaillance au niveau des idéaux qui
s'impose. Une relation d'objet idéalement privilégiée se trouve rompue, ou ne peut
plus être poursuivie. A ce titre, toute déchéance physique, les marques de l'âge, la

i. Cf. « Transference problems in the psychoanalytic treatment of severely depressive


patients », op. cit.
2. Cf. à ce sujet M. Torok, a Maladie du deuil et fantasme du cadavre exquis », Revue
française de psychanalyse, 1968, 4, p. 715-734.

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vieillesse, une maladie chronique ou grave, altèrent sérieusement l'image narcissique


d'un corps sans faiblesses. Une distinction s'impose c'est le décalage entre le Moi
Idéal et la réalité, l'Idéal du Moi, ou le Moi, qui provoque la souffrance spécifique
de la dépression. Une exigence persiste dans la demande inflexible dictée par les
rigueurs du Moi Idéal narcissique; tant que les images de la réalité qui correspondent
à un Idéal du Moi laissent espérer un accord possible, la dépression est bridée. Mais
l'écart, soit par exacerbation du Moi Idéal, soit par défaillance, réelle ou imaginée,
devant l'objet ou l'Idéal du Moi, donne libre cours aux accusations du Surmoi. Nous
verrons plus loin comment s'organise cette primauté du Moi Idéal narcissique.
On peut interpréter le comportement du dépressif dans une perspective spatiale
comme un rétrécissement de son territoire 1. Mais, bien sûr, ce qui prime dans cette
notion, c'est avant tout le pouvoir des idéaux et des satisfactions qui en dépendent.
L'image se concrétise quand la dépression ou le suicide résulte d'une débâcle militaire
qui a réduit effectivement un territoire géographique. De même faudrait-il entendre
certaines décompensations consécutives à des déménagements où l'environnement
abandonné avait pris une valeur protectrice, indépendante d'ailleurs des qualités du
cadre.
De même qu'un animal a son maximum de combativité pour défendre son terri-
toire et se comporte tout différemment en zone étrangère par des réactions d'affole-
ment, ou par un affaissement de l'agressivité qui a pour but de lui donner une appa-
rence inoffensive, dans la dépression nous voyons se conjuguer trois types de réactions
l'affolement, parfois dans des raptus anxieux, comme rupture des points de repères;
la retraite, qui n'est rien d'autre que la dépression elle-même; et la recherche d'un
espace restreint, comme d'une protection matricielle, mais avec cette particularité que
tout se transformant en territoire étranger, n'importe quel lieu peut devenir occasion
de se « nicher ». Le renversement, à nouveau, consiste à faire du dehors, et parce qu'il
appelle nostalgiquement un dedans inaccessible, une prison « extérieure» dont on
ne sort pas, donc un dedans intolérable. Cette perspective de renversement est au cœur
de certaines souffrances où l'image dynamique du corps est au premier plan (ainsi
d'Antonin Artaud).
Mais ces déterminations immédiatesj actuelles, ne suffisent point elles semblent
elles-mêmes soumises à l'effet antérieur de traumatismes initiaux. La possibilité de
les mettre en évidence dans l'histoire des déprimés ne doit pas faire oublier le sens
ultérieur qu'ils acquièrent. Leur réalité, il est vrai, peut être souvent confirmée selon
trois ordres de faits recueillis. C'est d'abord, le plus connu, le manque alimentaire,
par défaut de la mère, par soumission à des principes d'éducation rigide, ou sevrage
trop précoce. Mais la privation affective vaut tout autant citons le cas de la mère
veuve et elle-même déprimée, ou d'une maladie qui nécessite l'éloignement pour
i. A. Demaret,c la Psychose maniaco-dépressive envisagée dans une perspective étholo-
gique », Acta Psychiatr. Belg., 1971, 71, p. 429-448.
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L'AXE NARCISSIQUE DES DÉPRESSIONS

des raisons climatiques. Enfin il n'est pas rare de découvrir dans la petite enfance
une véritable maladie, une infirmité congénitale, ou un traumatisme somatique qui a
pris une portée légendaire dans la famille (par exemple le cas où un pansement à la
teinture d'iode sur l'ombilic du nourrisson a provoqué des brûlures et des troubles
du sommeil persistants).
On remarquera la convergence de cette constatation avec celle que faisait
P. Greenacre au sujet des traumatismes réels subis par les pervers dans leur petite
enfance. Il est probable que dépression et perversion soient deux modes de réaction
à des traumatismes somatiques subis réellement, mais repris et renforcés par des
fantasmes correspondants. La différence tiendrait à la possibilité qu'a le pervers de
trouver dans l'exercice de ses pulsions partielles des satisfactions à départ hallucina-
toire qui ne laissent pas apparaître de ce fait la réaction dépressive. On a déjà noté,
dans la littérature psychanalytique, l'existence d'un fond dépressif chez le pervers.
Mais ce qui reste posé est la confrontation du fantasme avec une réalité (ou une
légende) ancienne et ce que le sujet peut construire à partir de là pour y faire tenir
l'inertie du passé.
La question qui se trouve donc une fois de plus posée et dont on ne peut éluder
la discussion est celle du premier traumatisme, à savoir de la naissance, très spéciale-
ment à propos de la dépression. En effet la régression qui est propre à celle-ci postule
une dépendance absolue, une aspiration à être protégé et une remontée à l'origine
qui ne peut être mieux traduite que par le retour au ventre maternel tout ce qui y
fait obstacle prend une force de déplaisir qui définit le traumatisme. Dans les formes
mélancoliques le lien ne peut se faire avec la symbolique de la castration (le terme de
castration primaire serait donc abusif).
Mais ce traumatisme a ceci de particulier que son intensité et sa précocité ne
permettent aucune assimilation vécue, aucune « expérience », ni à plus forte raison
aucune représentation consécutive. Les réflexions d'un article posthume de Winnicott1
peuvent nous aider à comprendre cet état initial appelé, en des termes plus accusés
que celui d'angoisse, agonie primitive. Cet état de déréliction a eu lieu mais n'a pu être
intégré du fait des défaillances du milieu environnant et de la mère. Nous dirons, de
plus, que dans les cas de dépression- grave il y a lieu d'invoquer une telle « agonie »,
plus ou moins assumée, chez la mère elle-même. Comme le fait remarquer Winnicott,
dans la psychose (disons la mélancolie) cet état est impensable. Celle-ci s'organise
en tant que défense à l'égard de ce point de fuite, qui ne donne aucune prise et reste
un danger d'annihilation. Et, toujours selon Winnicott, ce défaut d'intégration initiale
laisse comme une forme imparfaite qui tend à se compléter, une compulsion à vivre
pleinement dans le futur une telle épreuve. Il est vrai que dans ce domaine les mots
semblent insuffisants et doivent trahir cette expérience. Ainsi le terme de traumatisme
i.« Fear of breakdown », The International Review of Psycho-Analysis, 1974,1-2, p. 103-107.
Cf. la traduction de ce texte ici même, p. 35-44.
FIGURES DU VIDE

paraît être trop évocateur d'une action extérieure génératrice de déplaisir.


Le vide comme concept, dépourvu de tout souvenir, conviendrait mieux pour
rendre ce qui n'advient pas, alors qu'était attendu un événement inqualifiable, sauf
à n'être que bénéfique. On pourrait arguer de cette attente déçue qu'il s'agit quand
même d'un traumatisme puisque le déplaisir laisse une trace, même confuse.
Il apparaît clairement qu'avec cette agonie primitive, l'emprise de la mort, le vide
ou plus exactement la non-existence, nous tournons autour d'un manque qui doit être
éprouvé pour que l'intégration représentative puisse avoir lieu, désamorçant ainsi la
compulsion de répétition qui entretient les symptômes. Il faut aussi que l'expérience
éprouvée soit distinguée des mots qui en rendent compte (les mots appris ne sont pas la
chose, encore que celle-ci, une fois appréhendée se construise grâce à leur support,
se tisse d'eux) et que parmi les différentes « expériences » qui peuvent être vécues
se séparent celles qui renvoient à un manque. Entre ce dernier et une relation d'inconnu,
c'est-à-dire la possibilité de saisir un hiatus, ou une direction inépuisable dans un système,
un objet, adopté ou recensé, un écart se glisse un manque peut, en effet, concerner non
seulement ce qui a déjà été expérimenté mais aussi ce qui ne l'est pas. Nous retrouvons
par ce biais la relation fondamentale entre le désir et l'idéal.
Le manque et la relation d'inconnu, et dans une terminologie plus habituelle de
la souffrance, le traumatisme, sont le point de départ des constructions (des organisa-
tions défensives) psychopathologiques, comprenant également celles des psychoses
dont on connaît l'aspect positif comme tentative de guérison.
On ne peut qu'être frappé dans les dépressions par les affects de déplaisir, de
vide, et par leur réitération, comme s'il fallait éprouver plus et complètement ce
manque. L'affect ici est ravageur il tente de colmater le creux du traumatisme initial,
non intégré, ni réductible à une conceptualisation ou à des représentations qui dans
une autre organisation, délirante ou obsessionnelle, auraient servi autrement de
remplissage. La prolifération de superstructure est essentiellement affective ainsi
garde-t-elle le défaut de compréhension, d'intrégration que se propose de corriger
la relation analytique. Mais en même temps elle témoigne de l'impossibilité de recourir
aux solutions dépassées des constructions idéelles de la paranoïa, et de ses projections
par un surplus de compréhension.
La mort prend dans ce contexte une valeur toute différente, mais d'impossible
représentation par rapport à la relation d'inconnu. Dans la dépression simple, elle
évoque l'inéluctable, subi dans un mouvement inévitable vers un amenuisement des
facultés et des forces vitales, sans qu'il y ait nécessairement une tentative de pensée,
et sans l'effort possible de faire l'expérience active d'une décision léthale.
Dans la psychose mélancolique, la forclusion qui porte sur les signifiants qui
donneraient les moyens d'élaborer et de dépasser l' « agonie primitive ne laisse
aucune place à ce manque moteur, ici trop intense pour être utilisé. La culpabilité
refoulée de la dépression simple devient le coeur du délire, passe dans le réel. La mort
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devient l'exigence active et la terminaison de cette agonie initiale, comme saisie et


dévoilement définitif de la relation d'inconnu.
Enfin, dans la névrose obsessionnelle, c'est la maîtrise intellectuelle de la mort
qui nourrit une réflexion et des solutions religieuses, dans des systèmes de séparations
et de cloisonnements quant aux communications impossibles mais quand même
accomplies avec l'au-delà principalement.
La relation d'inconnu est exploitée plutôt qu'écartée, par excès en quelque sorte,
servant abondamment, par déplacement, pour n'avoir pas à se manifester en tel autre
point minutieusement préservé (le sexe en l'occurrence). La mort suffit à envahir le
plan des idées pour y rester confinée.
Mais on peut se demander si une telle conception d'un traumatisme initial,
utilisée techniquement par le psychanalyste, ne risque pas d'entretenir à nouveau
une collusion avec la fantasmatique du patient, collusion que Winnicott dénonce
justement dans les modes d'interprétation traditionnels. Il y a bien souvent chez le
déprimé une volonté de mettre en évidence la très grande ancienneté de ses souffrances,
qui n'est sans doute pas étrangère au besoin d'accuser une origine, le fait d'être né
par exemple, c'est-à-dire d'incriminer les parents, et plus précisément la mère.
De même une telle manière de focaliser l'attention sur un passé inaccessible,
comme pour signaler que la catastrophe s'est déjà produite et qu'elle n'a donc pas
dans l'avenir à être recherchée, peut apparaître comme une manœuvre de détourne-
ment attribuable à la suggestion. Enfin n'y a-t-il pas une sorte de mystique de l'éprouvé
indéfinissable qui jouerait sur le plan théorique un rôle de cache par rapport à la relation
d'inconnu? Mais surtout on ne peut pas éviter de se poser la question de la réalité
de ce traumatisme, ou de cette agonie primitive, en se rappelant qu'une telle réalité,
quel que soit son poids, aussi plausible qu'elle apparaisse, reste dans l'analyse sujette
aux remaniements symboliques, et qu'à lui faire la part décisive rien ne peut venir
la contrebalancer ce que le déprimé tient en effet pour une évidence inébranlable.
On répondra à ces arguments en avançant que la relation d'inconnu ne peut
porter dans l'analyse qu'à condition d'y être perçue, élaborée dans la relation trans-
férentielle, grâce au symbolique paternel et dans le cadre des idéaux qui ont cours pour
chacun.
Ce traumatisme originel, par l'initiale possibilité de fantasmer la souffrance,
entraînant ainsi une excitation auto-érotique, par l'effraction qu'elle réalise, fait de la
douleur psychique l'occasion d'un retournement sur soi, d'un masochisme réfléchi 1.
Cette réaction au manque que tout nourrisson subit est donc liée au fantasme dont la
figuration orale s'applique à son propre fonctionnement de la même manière que le
fantasme d'incorporation suppose une absorption de l'objet suivie de sa disparition ou
de sa destruction, le fantasme agit également dans la réalité psychique, dans l'intérieur

i. Cf. J. Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, Flammarion, 1970, p. 162-173.


FIGURES DU VIDE

de la psyché, tout en n'étant pas discernable; son « contenu ne saurait venir à la


conscience. On peut donc dire, dans le sens de la remarque de Freud, dans Deuil et
mélancolie, que le fantasme est f ombre de F 'objet dont la lumière est la pulsion. En tant
qu'ombre, il n'en trace que la silhouette obscure, et l'indication de la relation d'inconnu
qui lui reste attachée. Mais dans la dépression cette « ombre» doit, semble-t-il, être
préservée, rester invisible dans sa retraite cryptique. (Alors qu'elle se trouve « animée»,
comme d'un principe volatil et insaisissable, dans les réactions maniaques.) La souf-
france tient lieu et du fantasme et du traumatisme à compenser.
En résumé, la dépression est un retour, une régression vers une déréliction
première, vers sa passivité qui, reproduite, répétée en tant qu'affectivité passive, n'en
est pas moins un moyen variable de maîtrise. Mais, à l'inverse du masochisme qui vise
une satisfaction libidinale (comme par exemple dans les perversions sexuelles actives),
la dépression écarte avec une grande rigueur tout plaisir susceptible de faire son
apparition. On comprend également que la culpabilité, qui a ses modes actifs de
réaction avec sa triade, puisse être refoulée au même titre que le fantasme, et comme lui
conservée dans une réserve secrète. La dépression (névrotique) n'en est pas moins,
cependant, par son aridité, par le dépouillement des mesures défensives projection
paranoïaque, ou défense maniaque une critique, un épuisement, un dépassement,
une démystification de ces mécanismes devenus caducs.

LA MÈRE. CONTENANT ET CONTENU

Le manque et l'état de détresse ont pour effet de fixer l'attention de l'enfant sur
l'objet qui assure ses satisfactions le sein, la mère. Mais cette prise en considération
peut se faire par diverses voies qui usent de différents fantasmes relatifs à la mère,
soit pour la maîtriser ou la détruire, soit pour entretenir une relation privilégiée avec
son corps, soit dans une réaction narcissique et la mise en jeu du double (et du Moi
Idéal).
C'est Abraham qui a souligné le fait « que la vie psychique du mélancolique se
meut surtout autour de la mère1 ». Cette observation vaut pour les deux sexes.
On sait depuis M. Klein comment la mère peut être tenue par l'enfant pour un
objet persécuteur, cause d'annihilation, de destruction par inanition ou dévoration.
Pour E. Bergler, c'est le paradigme du crime majeur, à l'origine de tout repliement
masochiste. Il est vrai que les tentatives, ou les fantasmes de rétorsion et de projection
paranoïaque ont des effets redoutables puisqu'ils supposent la disparition d'un objet
vital sans que la détresse en soit pour autant atténuée.
Aussi dans l'étape dépressive voyons-nous se nouer une relation fantasmatique
i. « Les États maniaco-dépressifs et les étapes prégénitales d'organisation de la libido»
(1924), in Œuvres complètes 2, Payot, 1973, p. 284.

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plus nuancée et conservatrice à l'égard de la mère, qui se centre sur le corps, dans un
rapport qui use de l'imaginaire, et dont nous décrirons trois aspects importants pour sa
compréhension. Chacun d'eux, l'incorporation orale, le refuge matriciel, et la relation
somato-psychique, appartient à une relation plus générale de contenant à contenu qui
vient donc au premier plan de notre question.
Il faut d'abord rappeler qu'Abraham avait poussé le détail en décrivant l'incor-
poration jusqu'à distinguer une série de quatre opérations 1.
Quand nous disons incorporation, nous nous référons au fantasme qui adopte
comme solution à une tension, à un conflit, l'intervention corporelle, orale, digestive,
destructive et sadique. Cette réaction primitive ramène donc à la plus ancienne relation
à la mère, se centre sur elle plutôt que d'avoir à s'en écarter. Il va sans dire que l'entrée
corporelle peut être anale, génitale, par les organes des sens, tout en restant une figu-
ration orale d'absorption destructrice.
L'incorporation ainsi conçue se distingue donc de l'introjection et de l'identifi-
cation. Dans l'introjection, l'optique est différente, l'opération orale et digestive est
dépassée, il s'agit surtout d'un processus 2, ou plus généralement d'une entrée dans le
champ psychique, d'un accroissement, par voie perceptuelle, des informations, et
partant du stock mémoriel et du territoire. L'objet est ainsi reçu, recomposé, conservé,
par un ensemble de signifiants (analogiques ou digitaux) qui s'en distinguent tout en
renvoyant à lui. Le propre de l'introjection est de permettre la différenciation d'un
(ou plusieurs) objet(s) à l'intérieur de l'ensemble topique où il garde son indépendance
et participe aux conflits du système. L'animal introjecte également des signifiants
analogiques; sa « culpabilité » est fruste et bâtie sur la crainte directe, acquise par les
essais, la perte de l'objet ou par le châtiment qui résulte d'un simple rapport de
forces. L'introjection est donc un modèle de relation avec un objet privilégié, qui peut
être exclusif, restreint et qui oriente les relations objectales ultérieures. Elle prend un
sens en fonction d'une topique.
Au mouvement centripète de l'introjection qui est une acquisition de pouvoir
s'oppose le mouvement centrifuge de la projection qui rejette une partie du territoire
sur l'objet dont on ne peut plus dès lors que subir l'action.
Avec l'identification, ce qui domine, c'est la similitude de traits tant psychiques que
physiques qui relie le Moi à l'objet gardant son autonomie externe; ici c'est l' « être
comme » qui remplace l' « avoir ». Le manque de l'objet est compensé par cette unifi-
cation à partir d'un trait commun de remplacement. Dans l'identification il y a un
effet de transformation alors que dans l'introjection opère l'adjonction, l'accumulation,
l'augmentation par rajout d'éléments qui gardent leurs particularités propres d'objets,
comme lorsque l'aimant se charge de limaille. Dans l'identification, il s'agit surtout

1. Cf. op. cit.


2. Selon N. Abraham et M. Torok, « Introjecter-incorporer. Deuil ou mélancolie », in
Destins du cannibalisme, Nouvelle revue de psychanalyse, 6, 1972, p. 111-122.

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d'une identité qui se développe et se constitue autrement. Si la relation de contenant à


contenu convient aussi bien à l'incorporation qu'à l'introjection (celle-ci excluant la
liaison fantasmatique au corps, c'est là une distinction majeure), pour l'identification
le terme d'assimilation semble mieux convenir, sachant qu'elle est mutative, et repro-
ductive dans le sens d'une similitude qui dévoile la communauté d'objet (identité de
l'espèce qui s'affirme dans les identifications spéculaires chez l'animal; identification
sexuelle chez l'homme comme être reproduit et reproductible; relais commun de la
soumission du besoin au désir chez l'animal qui obéit à l'homme; relation humaine
générale d'identification dans l'usage spécifique du langage, par le truchement des
fantasmes inconscients qui servent de champ commun).
Dans la dépression, la relation de contenant à contenu prévaut elle colore la régres-
sion qui fait recourir spécialement à l'incorporation fantasmatique et qui, dans l'ordre
de l'introjection, donne à l'objet une valeur (bonne ou mauvaise) ainsi qu'une auto-
nomie, si ce n'est une délimitation à type d'enkystement, ou d'inclusion, dans la
dynamique intrapsychique.
Cette prédominance de l'incorporation orale, suivant un cycle digestif décrit
magistralement par K. Abraham, avec un déroulement répétitif en quatre étapes, est
mise en évidence à travers les rêves, les fantasmes reconstitués, et les résultantes
physiologiques du déprimé. Il importe d'en découvrir les signes pour ne pas s'aban-
donner à la systématisation des interprétations par trop projectives.
On connaît les quatre étapes 1

i. La perte de l'objet déclenche le premier temps d'expulsion. Ce qui est mauvais


est rejeté l'effort corporel fantasmatique tente d'éliminer l'objet.
2. Mais la réincorporation poursuit le fantasme de retrouver l'objet, de maîtriser
le mauvais objet, tout en le détruisant oralement. La boulimie de certaines dépressions
qui absorbent « n'importe quoi », sans distinction, correspond à cette coprophagie
décrite par Abraham. (Inversement, les anorexies s'expliquent par la crainte de détruire
le bon objet, ou par l'impossibilité de le retrouver en quelque nourriture que ce soit,
réactivant ainsi le supplice d'un manque initial.) Les fluctuations alimentaires, dans le
réel, sont fréquentes et bien connues dans les dépressions elles ont une valeur d'éva-
luation clinique certaine.
3. L'incorporation destructive doit à son tour être compensée par une conservation
intracorporelle de l'objet cet enkystement correspond à la période la plus doulou-
reuse de la dépression. Elle se traduit physiologiquement par une véritable consti-
pation. C'est la période des conflits et des reproches surmoïques tels qu'ils ont été
décrits par Freud dans Deuil et mélancolie. La relation paranoïaque est alors intériorisée.
Le suspens se joue entre la nécessité de maintenir vivant l'objet (fût-il mauvais) et

i. Cf. Abraham, op. cit.

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