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DECEMBRE 2018
N°616 / 6,50 € / MENSUEL
BEL 7,15 €
SUISSE 11,30 CHF
LUX 7,15 €
PORTUGAL CONT 7,40 €
CAN 11,30 $ CAN / ITA 7,40 €
DOM 7,40 €
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POL (S) 1090 XPF
ESPAGNE 7,40 €
ILE MAURICE 7,40 €
Edito
Les photos d’eux, avant et celles d’après ce Double Blanc, sont plus
nombreuses. Ici, elles sont rares. Et le photographe choisi, Don
McCullin, un reporter de guerre ! Comme un signe. Visiblement,
difficile de faire bonne figure. Ou semblant. Ils s’entendent moins bien.
Leur pays, c’est plus l’amour. On parle là de Beatles qui
deviennent, au moment de cet album, leurs propres patronymes.
On ne dira plus Paul et John, on dira désormais Lennon et McCartney.
On ne dira plus George mais Harrison. On continuera de dire Ringo.
MARK KNOPFLER 38
Benoît Sabatier
COCTEAU TWINS 42
Alexandre Breton
BOB DYLAN 46
Charles Ficat
BOBBIE GENTRY 52
Nicolas Ungemuth
En couverture
Jérôme Soligny THE BEATLES 58
www.rocknfolk.com La vie en rock
Patrick Eudeline PALACE, BAINS DOUCHES
& ROSE BONBON 66
COUVERTURE PHOTO : DR GRAPHISME : FRANK LORIOU 58 The Beatles
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 010DISQUE DU MOIS 071DISQUES 072 REEDITIONS 080REHAB’084 VINYLES086DISCOGRAPHISME 088
QUALITE FRANCE 090 HIGHWAY 666 REVISITED 092 BEANO BLUES 094 ERUDIT ROCK 096 FILM DU MOIS 098 CINEMA 099 SERIE DU MOIS 101
DVD MUSIQUE 102 BANDE DESSINEE 104 LIVRES 105 AGENDA 106 LIVE 110 ROCK’N’ROLL FLASHBACK 113 PEU DE GENS LE SAVENT 114
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com
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Courrier des lecteurs
Ça pourrait s’appeler “Let’s Imagine” ou un truc comme ça
nation rock, lieu d’incarnation, de toujours le rayonnement par exemple culturel (transmission de relais) et
proximité et de communion. La saveur de Ty Segall, d’un John Dwyer : on éthique (de l’insatisfaction qui fédère,
de l’instant elle-même fait les frais n’y peut rien, c’est comme ça (on du cérémonial). L’internet a reconfiguré
d’un déclassement culturel... Et, à s’éprendra de la même façon plus la notion même de sol commun en
mon avis, ce n’est pas dans le bois de volontiers de PNL de nos jours que de institutionnalisant l’absence, ainsi rien
ce dilettantisme parfaitement contre PIL, de The Voice que de The Voidz, de tel aujourd’hui qu’un festival pour
nature que cette expérience collective de Lartiste que de The Artist, il faut le vérifier, s’en persuader. Rien de tel
(Bowie et les Spiders, aussi importants l’accepter ; et si le son et l’imagerie du qu’un festival, dans la vraie vie, pour
que l’homme marchant sur la Lune, rock sont conviés, c’est par le biais d’un se sentir seul au milieu des autres ;
sur le plateau de Top Of The Pops en détournement dans la pub et la mode, Bob Mould : “De nos jours, on assiste
1972...) est à même de perdurer. eh, eh ; ou dans la rue...). La saveur du rarement à un concert avec cette
Découvrira-t-on un autre Bowie ou un moment s’est dissipée au nom de cette sensation d’ignorer si on va en
autre Prince dans un avenir proche ? avidité qui suggère que le meilleur est ressortir vivant, ou même simplement
Pas sûr. Parce que tout est plus ouvert, toujours ailleurs ou que le meilleur est différent, un peu chagé”. Et donc
qu’“on est moins accroché à une toujours à venir. Balivernes. Ceci ne pour se demander, à l’heure où la
idéologie” (et donc plus du tout à des s’appelle pas exactement savourer documentation prend le pas sur
figures tutélaires fortes ?) comme le l’instant... Ça n’est pas compatible avec l’expérience propre, si ces gens autour,
rapportait Bertrand Burgalat le mois le rock. En définitive, si le rock n’est équipés de leur smartphone, sont ce
Illustrations : dernier. Ainsi, le rock de nos jours, plus, déplorons-le, une institution pour qu’ils sont censés être ou bien leur
Jampur Fraize c’est un chapiteau souterrain (chez le plus grand nombre, “le rock’n’roll, propre avatar... Quoi qu’il soit, la
le disquaire, à la médiathèque, dans son importance, artistique et sociétale, réception semble parasitée, ce
un concert, sur un site web ou dans déjà en train de s’estomper” (édito de parasitage massif remettant en cause
L’archange noir ce journal, peu importe) où tout un novembre), c’est peut-être parce que le fondement même de la grand-messe
du T-shirt chacun cultive le pré carré de son l’institution suprême aujourd’hui rock’n’roll, son esprit, sa spiritualité.
Hey Rock&Folk, merci pour cette érudition. Et c’est là, dans ce ghetto, c’est internet, c’est pourquoi nous L’époque s’entiche de la réalité
belle image de Vince Taylor qui porte que s’exercera sans doute pour avons là un vrai problème, à la fois uniquement pour la fétichiser avec son
(on le devine) un tee-shirt vintage de... téléphone. Il semble par conséquent
Vince Taylor ! Quand on a la classe... impossible d’exister à ses yeux. Le
GILLES rock, pas plus qu’un autre. Sans cette
adhésion, cette disponibilité suffisante
et nécessaire, c’est très simple : il n’y a
Du Schmoll pas de mouvement. Le cataclysme est
En ces temps moroses, heureusement désamorcé, caduc. L’internet, “force la
que Mr Eddy Mitchell est là pour nous plus sombre qu’ait jamais rencontré
faire bien rire, malgré lui. Ainsi, selon l’humanité” (dixit Ray Davies), “c’est le
Mr Moine, David Bowie ne serait cancer, internet” (Melody Prochet, oui,
qu’un “escroc” du rock, tout juste cet internet-là a probablement certifié
bon à arriver “avec une plume dans l’exode de la musique à la périphérie,
le cul et des cheveux en pétard”. en en automatisant l’accès comme à
Sans commentaire ! un livre ouvert. En la parant d’un don
MATHIEU LECLERC d’ubiquité qui n’est qu’un repoussoir à
fantasmes, une entrave à sa qualité de
narratrice, à la musique, un obstacle à
Dans la vraie vie sa capacité de jaillir, de surgir là, en se
“The Donkeys and the Elephants, The jouant du vide, afin précisément de le
Beatles and The Stones/ everybody’s remplir. Tel un cataclysme. Mais ainsi
on their phones (...) : our senses have vont les choses. Et non, vous ne vous
been numbed, we can’t enjoy the taste/ étonnerez pas que ce courrier soit
cuz everyone’s been digitized but no envoyé depuis un ordinateur, R&F, pas
one will be saved” postule King Tuff vous ! Car au-delà de cette seule idée
dans “Circuits In The Sand”, confirmant du progrès pour le progrès, il ne s’agit
là notre profonde perplexité face à pas de se tirer une balle dans le pied
l’économie d’incarnation du monde non plus... Mais juste de faire la part
numérique moderne. Justifiant ce des choses ; Neil Young : “A mes
verdict : à l’époque d’iTunes, de débuts, ce n’était pas pareil : les gens
Snapchat, de WhatsApp, de Netflix, de devant étaient les fans de musique,
de la 4G, des émissions en replay, les vrais, ils connaissaient chaque
eh bien les grands cataclysmes rock chanson par cœur. Les portables et
n’existent plus, pour tous ceux qui de les richards qui peuvent se payer les
nos jours pensent être là sans y être meilleures places me déconcentrent :
et en même temps être là-bas alors j’ai l’impression d’être une pièce dans
qu’ils n’y sont pas physiquement... un musée. Ce n’est pas bon pour la
L’audience se sédimentant à l’insu du musique, qui très souvent se nourrit
être-ensemble, de l’élan simultané, de l’énergie dégagée par la salle”.
comme un programme que chacun Ou ce qu’il fallait démontrer à
suivrait mais dans des pièces et des propos de ce fameux sol commun.
états différents, pour ne pas dire RUDY RIODDES
opposés. Difficile d’envisager dans ces
conditions la constitution d’une nouvelle
RIVAL SONS
Les rockers californiens
reviennent avec “Feral Roots”
le 25 janvier prochain. Ils
Photo Allaan Ballard/ Scope Features/ Dalle
AXL ROSE
Très remonté contre l’actuel
locataire de la Maison Blanche, Stray Cats
le leader des Guns N’Roses a
signifié à Donald Trump son
interdiction de diffuser des STRAY CATS TOY
chansons de son groupe au cours En 2019, le trio rockab composé Deux ans après “Clear Shot”,
de rassemblements politiques. de Brian Setzer, Lee Rocker et les Londoniens ont partagé Condoléances
Slim Jim Phantom fêtera ses quelques nouvelles chansons, THOMAS DIAZ (chanteur de
SHAME 40 ans d’existence. Les Cats annonciatrices de leur quatrième The World Is A Beautiful Place
Les Londoniens débouleront sont en studio à Nashville pour album. “Happy In The Hollow” And I Am No Longer Afraid
le 14 décembre à l’Elysée enregistrer un nouvel album sortira le 25 janvier. Le groupe To Die), JOSH FAUVER, SONNY
Montmartre (Paris) pour après 25 ans de silence. sera à la Route Du Rock (Saint- FORTUNE (saxophoniste et flûtiste
transporter leur très rageur Une tournée est prévue pour Malo) le 21 février 2019. de jazz américain), HARDY FOX,
premier album “Songs Of Praise”. célébrer l’évènement. PHILIPPE GILDAS (journaliste,
TRANSMUSICALES DE RENNES animateur), ROY HARGROVE
BRUCE SPRINGSTEEN SUPERSUCKERS Rendez-Vous, Cyril Cyril, (trompettiste américain),
Attendu le 8 décembre, l’album Eddie Spaghetti et son combo Eut, Komodo, Madam, Robert OLI HERBERT (guitariste de
“Springsteen On Broadway” seront aux côtés des Lullies et des Finley, The Psychotic Monks, All That Remains), FRANCIS
reprend le contenu des spectacles Sonic Preachers le 22 novembre The Surrenders, et bien LAI (compositeur français),
donnés régulièrement par le au Secret Place (Saint-Jean d’autres participeront à la WAH WAH WATSON (Melvin
Boss au Walter Kerr Theatre de Védas). 40ème édition du festival rennais, Ragin, guitariste Motown),
depuis 2017. du 5 au 9 décembre. TONY JOE WHITE
Photo Steve Gullick-DR
Toy
“Beatles ou Stones ?”
PHILIPPE MANŒUVRE
Pas totalement inconnu de ces pages, le critique rock vient de publier ses mémoires.
Idéale occasion de l’inviter dans une rubrique qu’il a d’ailleurs créée.
RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET
COMMENT PRESENTER PHILIPPE avec Pierre Lescure et Henri de Bodinat (alors patron des disques
MANŒUVRE AUX LECTEURS CBS France). Et Lescure lui dit : “Là, vous compilez les années 60, 70
FIDELES DE ROCK& FOLK ? mais quand on va arriver aux années 90 vous ferez quoi ?” De Bodinat
On citera, dans un premier temps, pour a eu un éclair de génie et a répondu : “On fera la compile des compiles !”...
faire marbre, Edmond Rostand : “C’est un En 1995, tout le monde y allait : la compile des compiles (rires). On
roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis- voyait bien qu’il y avait des gens qui n’étaient pas là pour le rock’n’roll
je ? C’est un cap... C’est une péninsule !” mais pour vendre le rock’n’roll. Aujourd’hui, ça continue... On
En effet, de tous ces gens qui ont permis réédite. Un bon album simple, c’est devenu 6 CD avec des choses
de découvrir, de comprendre, d’apprécier superfétatoires... Quand “Anthology” des Beatles est sorti, c’était le
cette musique appelée rock’n’roll dans début de ça, genre, on ouvre la crypte... Très vite on s’est dit : “A part
ce vieux pays de ce vieux continent, revêche à tout rythme Soligny, est-ce que quelqu’un va réécouter ça ?” Est-ce qu’on a besoin
hors musette, il est sans doute l’un des plus convaincants, de 6 CD pour apprécier “Nevermind” de Nirvana ? La question se pose.
et, surtout, l’un des plus goguenards. Inlassable pourvoyeur Pour les majors, c’est tout vu : c’est moins cher de faire de la réédition
de découvertes, inépuisable banquiste de la bonne cause que de signer des nouveaux artistes.
sur tous les supports connus ou à connaître (comme on dit R&F : Pour en revenir au livre, on en apprend quand même
dans les contrats Universal) et, enfin, imperturbable homme- pas mal sur votre enfance...
sandwich capable de placer en prime-time le mot “Stooge” Philippe Manœuvre : Récemment, je faisais la tournée des Fnac et
en plein PAF, Manœuvre, malgré une vraie-fausse retraite j’ai retrouvé des vieux copains de lycée qui me disaient : “Quand on
méritée, est bel et bien là, fidèle à la cause, depuis 40 ans. voulait écouter du rock on allait chez Manœuvre.” C’était notoire. Ma
Ce que nous rappelle sobrement, comme lui, ses mémoires, chambre était une cocotte-minute avec des Teppaz qui chauffaient à
parus chez Harper & Collins et intitulés “Rock”, où toute heure, des gens qui venaient écouter la face B du nouveau 45 tours
défilent des souvenirs brillamment filtrés et méthodiquement des Tartempions, et on discutait des heures sur : “Est-ce que Johnny
(il l’est) organisés. Trêve de louanges, et, surtout, de Winter va répondre ?” (rires).
grosses têtes, il faut passer à la caisse du canal historique. R&F : Bon, retour aux fondamentaux : premier disque acheté ?
Philippe Manœuvre : Les Equals, “Baby Come Back”, j’ai 14 ans.
C’est un groupe mixte, il y a trois Blacks et deux skinheads. Et moi, ça
Mamamouchis pop m’excite... Je rencontre leur chanteur Eddy Grant en 1982, lors d’une
ROCK&FOLK : C’est vous qui créez cette rubrique en 1990 émission de radio, j’avais mon petit 45 tours et il refuse de me le signer !
pour Rock& Folk, est-ce que vous pensiez que, 28 ans plus “Vous êtes ridicule ! ‘Baby Come Back’ ? Ahahaha”... C’était devenu
tard, vous en seriez l’invité ? une immense star du reggae, à l’égal de Bob Marley.
Philippe Manœuvre : Pas du tout. Mais j’avais déjà cette idée que le R&F : Le premier crush pour les Rolling Stones c’est la pochette
rock était moins puissant à cette époque qu’en 1973, et qu’il faudrait de “Between The Buttons”, l’album préféré de ceux qui n’aiment
aller voir la discothèque de ces gens pour qui le rock était important pas les Rolling Stones...
sans que ça soit forcément leur vie, quoi... Ça pouvait être un présentateur Philippe Manœuvre : Il n’y a même
télé comme Antoine de Caunes, le premier à l’avoir fait, une romancière pas leur nom... Mais je les vois là-dessus,
comme Virginie Despentes... Cette rubrique, elle permettait d’aller loin mystérieux... Je me dis : “Qui sont ces gens ?
très vite avec les gens... Avec ce questionnaire de baby boomers pour Si il y a une bande, je suis avec eux”.
baby boomers : “Premier disque acheté ?”, “Beatles ou Stones ?”, “Qu’est- C’est le début du psychédélisme aussi,
ce que vous pensez du rap ?”, etc. mais à Châlons-sur-Marne, le LSD n’est
R&F : C’est aussi dans ces années que tout le business de la pas encore arrivé... On voit bien sur toutes
réédition éclot, avec les Beatles en CD, les remasters de Led ces pochettes, des couleurs, des attitudes
Zeppelin, les best of à foison... C’est le grand réassort ! nouvelles qui nous interpellent... Mais
Philippe Manœuvre : Je me souviens de cette époque, d’un dîner les Beatles sur la pochette de “Sgt. Pepper”,
ils sont habillés en mamamouchis pop, et moi je n’ai pas envie de me R&F : Et Iggy Pop aussi, dont vous
déguiser... Les Stones, eux, sont en tenue de ville, c’est ça qui est génial parlez beaucoup. A commencer
pour des petits comme nous... C’est le premier groupe qui n’a pas de par ce courrier que vous envoyez à
costumes... Rock&Folk en 1973, pour défendre
R&F : Alors : Beatles ou Stones ? “Raw Power”.
Philippe Manœuvre : J’ai toujours été Stones. Mais je n’avais pas Philippe Manœuvre : J’estime alors qu’il
baissé le rideau de fer ! Quand, par exemple, le Double Blanc sort, nous, a été faiblement chroniqué ! Je dis : “Vous
les petits, on était là : “Oh putain !” C’est le premier album des Beatles ne vous rendez pas compte que pendant dix
que j’ai eu, un méga cadeau de Noël ! Cela dit, à l’époque, il y a tellement ans, tout le monde va jouer comme James
d’autres trucs quasiment oubliés aujourd’hui... Williamson” ! Et c’est exactement ce qui
R&F : Genre ? s’est passé... Brian James des Damned, Steve Jones des Sex Pistols...
Philippe Manœuvre : John Mayall, Captain Beefheart, Zappa... On Tout le punk est parti de là...
ne se souvient plus à quel point ils ont été importants... Pas un numéro R&F : Vous finissez par rentrer à Rock&Folk, vous chroniquez
de Rock&Folk qui ne décortiquait ces trois-là. Aujourd’hui, c’est plus des disques, dont le désormais papier culte concernant le premier
grand-chose ! Pareil, l’autre jour, je fais une émission à RTL dans Ramones, que vous dézinguez...
un studio où j’avais vu les New York Dolls... Et l’interviewer me dit : Philippe Manœuvre : Ben ouais, j’étais choqué... Je me disais : ça
“Qui ça ?”... Personne ne connaissait. ne peut pas être les remplaçants des Stooges. C’est des comiques.
R&F : Autre chose sur ces temps lointains, vous racontez à “Beat On The Brat” contre “Search And Destroy”. Ça frôlait le ridicule.
quel point il est alors difficile de trouver le premier album Si c’est ça les sauveteurs du monde, c’est foutu... Et puis après, deuxième
du Velvet Underground. album, c’est bien parce qu’ils n’essaient pas de changer, contrairement
Philippe Manœuvre : Oui. C’est Paul à ce que je pensais. Troisième album, ils
Alessandrini dans Rock&Folk qui avait insistent. Alors, tous les critiques qui
écrit là-dessus... Alessandrini, qui est un avaient adoré le premier, commencent à
universitaire, en parle comme d’un truc dire : “Ça suffit !” Quatrième album,
artistique, incontournable... Mais qu’on toujours pareil, là, je trouve ça génial et
ne peut pas écouter parce qu’indispo- tout le monde trouve ça à chier (rires). Et
nible... On allait en vacances studieuses puis, quand tu les voyais sur scène, tu
en Allemagne, en Angleterre : rien ! Ça comprenais... C’étaient des gamins qui
n’avait pas été pressé en Europe. Juste des essayaient de refaire le feu avec deux
imports rarissimes... En 1971, il y a une silex, c’est ça que je n’avais pas compris.
compile qui sort, un mélange des trois premiers albums et là on tombe Mais il y avait un côté sales gosses aussi...
par terre. On avait attendu 3 ans et, quand c’est arrivé, c’était encore
mieux que ce qu’on avait imaginé...
R&F : En 1971, vous partez aux Etats-Unis pour un voyage Si c’est dans les poubelles
linguisitique... ça m’intéresse
Philippe Manœuvre : Mes parents voyaient que j’essayais de me R&F : En parlant de sale gosse, il y a un chapitre sur Gainsbourg,
perfectionner en anglais. J’allais acheter des songbooks à l’Open Market : dont vous avez été très proche, ce que l’on sait peu...
les textes du Jefferson Airplane, de Jimi Hendrix, des Doors... Je prenais Philippe Manœuvre : Je ne l’avais jamais raconté, mais j’ai eu cette
mon dico et toute la nuit je traduisais en écoutant mes disques au casque... chance d’assister à la naissance de Gainsbarre à l’époque de “Aux Armes
Mais il y avait plein de trucs que je ne comprenais pas ! J’y suis donc Et Cætera”, que j’adorais... Pour moi, ado, il était un peu à part. J’avais
allé 3 mois pour apprendre l’anglais. Ce qui était une rareté en France acheté le 45 tours “Elisa”. On le voyait un peu comme un dandy. Ça se
à cette époque. Le premier mot que les filles de la famille où j’étais confirme quand je le rencontre : il avait un frigo avec une porte transparente
m’ont appris c’est to rap. C’est quoi ça ? C’est parler, c’est discuter, c’est qu’il s’était fait faire fabriquer spécialement par Saint-Gobain (rires).
pas dans les dicos... Je me dis, ils inventent des mots ! Alors que nous R&F : Album préféré ?
on a nos mots depuis le Moyen Age ! Génial ! Philippe Manœuvre : “Aux Armes Et Cætera...”. “Histoire De Melody
R&F : Même époque, vous vous pro- Nelson”, on l’écoute une fois par an, en
curez “LA Woman” des Doors. sortant les bougies.
Philippe Manœuvre : La musique des R&F : Autre Frenchy évoqué, Jean-
Doors, c’est incroyable. Elle l’est encore, Philippe Smet...
là, aujourd’hui... Qui réécoute la musique Philippe Manœuvre : J’ai eu une chance
du Jefferson Airplane ? Expliquez-moi ce incroyable, ces mecs me voyaient arriver
qu’on y entend ? Une époque. Alors, on dans la pièce, leur cœur de cible. Un jeune
dit : “Fallait y être !”, “On fumait des qui venait demander des comptes ! On leur
trucs !”. Mais les Doors, ils sont là (il avait tellement dit, tout au long de leur
tape sur la table). Hier, j’ai réécouté carrière, que ça allait s’arrêter... Johnny
“Riders On The Storm”, c’est dingue... Un jour, j’avais les trois survivants était un fanatique de rock, limite musicologue, il connaissait tous les
devant moi et je leur ai demandé pourquoi ça tenait encore. Ils m’ont 45 tours Sun...
dit : “Parce que nous, on jouait pas faux”. On tombe facilement sur Jim R&F : Il pouvait aussi faire des trucs archi douteux...
Morrison mais, pour moi, c’est le chanteur de rock. Tout le monde l’a pillé. Philippe Manœuvre : Oui. “Mon Anneau D’Or”. Antoine m’a dit qu’il
Julien Clerc le premier (rires) ! n’aurait jamais fait “Les Elucubrations” sans celle-là (rires).
“Il y avait un appris à les découvrir, quand je suis parti sur la route en Amérique du
Sud avec eux, j’ai vu ce qu’ils représentaient... C’est des gars qui aiment
côté sales gosses” bien le boulot, c’est des gladiateurs de la route, qui sillonnent la planète...
Le moment à Sao Paulo où le public siffle le solo de “Running Free” tu
te dis : “Qu’est-ce qu’il se passe là ?” C’est fabuleux. Souvent les mecs
les plus drôles les plus gentils c’est les hard-rockers : David Lee Roth,
R&F : Rayon soul, on sait votre passion pour James Brown, Rudolf Schenker, Nikki Sixx... Des grands frères que j’aurais aimé avoir...
mais vous parlez surtout de vos rencontres lunaires avec Michael
Jackson et Prince.
Philippe Manœuvre : J’étais un fanatique de funk. En 1981, j’ai un L’ascenseur social s’est cassé
article dans Libération, où j’écris : “Le funk arrive les mecs ! Je viens R&F : De récent, vous écoutez quoi ?
d’en voir un, Prince, au Palace vous allez voir ce que vous allez voir.” Je Philippe Manœuvre : Les Limiñanas, un truc incroyable. Tout ce
parle de Chic, aussi... que fait Tricatel. Kelley Stoltz, Jacco Gardner... Mais j’ai l’impression
R&F : Attendez, comment on passe de “Raw Power” à Chic ? que l’ascenseur social s’est cassé à ce niveau là. Moi, mon métier c’était
Philippe Manœuvre : Quand j’entends d’aller au Gibus, de voir, par exemple, The
Chic, j’entends de la musique... L’album Police et de dire : “Tiens, ils sont pas mal
“Risqué”, c’est pas un album rigolo du ceux-là, je vais faire un papier pour R&F” et
tout... Et puis, à cette époque, le rock puis après tu les retrouvais dans des salles
bad boys, s’épuise, pendant 5 ans plus plus grandes... Tu favorisais l’ascenseur
rien... Chic, j’entends le Roxy Music noir. en disant : “Vous connaissez pas ? Ça va vous
J’en fais 6 pages dans Rock&Folk. Jackson plaire !” ce genre de trucs... Là, on arrive, on
et Prince ne sont pas grand-chose, alors... dit : “Les Limiñanas, c’est super” et on te
Sur le funk, j’étais là... répond : “Ça ne nous intéresse pas du tout.”
R&F : Est-ce que vous écoutez d’autres Les mecs ont descendu le rideau. Il y a un
genres de musique : jazz, classique, country ? rejet général du rock. C’est le hip-hop qui tient le haut du pavé...
Philippe Manœuvre : En jazz, “The Dealer” de Chico Hamilton et “Kind R&F : Ile déserte ?
Of Blue” de Miles Davis... En classique “Les Concertos Brandebourgeois” Philippe Manœuvre : (sans hésiter) “Electric Ladyland” de Jimi
de Bach qui restent dans leur plastique. En country, maintenant que je Hendrix. Ça reste le grand disque. Il fait ce qu’il veut. Il y a tout.
vis à la campagne, Dolly Parton, que mon fils de 6 ans adore. “The Ride” de Même “Little Miss Strange”, le morceau de Noel Redding, est incroyable.
David Allan Coe, Waylon Jennings... Des bonshommes qui racontent de Je me demande souvent ce que ferait Hendrix aujourd’hui... Il jouerait
vraies histoires. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Keith Richards ou au New Morning ? ★
Neil Young qui m’ont donné envie de ça. Neil Young, quand j’ai essayé Livre “Rock” (Harper & Collins)
BILLRYDER-JONES A West Kirby, sur l’autre rive de la Mersey, l’ancien guitariste de The Coral
a enregistré un quatrième album à son image : beau et honnête.
Concessionnaire automobile, entre “je suis minable” et “je suis fantastique”...
lobbyiste à Bruxelles, vendeur
de poêles anti-adhésives sur les Une vie de Toffee
Bill Ryder-Jones, contrairement à
Une chanson est comme un paysage pour moi.
Je commence vraiment une chanson quand je
marchés... sont quelques-uns des ces anciens camarades de The Coral, sais que je tiens une bonne mélodie. La mélodie
métiers que Bill Ryder-Jones, supporters des Reds de Liverpool, a a sa propre logique, tout le reste doit s’y plier,
35 ans, n’aurait jamais pu exercer. toujours soutenu l’autre club de foot de la l’accompagner. Quand j’ai cette mélodie, je vais
ville : les Toffees d’Everton, éternels losers
Un garçon qui, dans ses chansons de la région : “J’ai quitté Manchester quand dans mon studio, je fais une maquette. J’enre-
ou ailleurs, expose ses sentiments j’avais six ans, pour arriver dans le Wirral. gistre un rythme de batterie et je construis l’ins-
les plus intimes avec une brutale Je ne savais pas ce qu’était le football. trumentation. Je fais parfois énormément de
Ça ne m’intéressait pas. Mais mon meilleur
honnêteté. Depuis son départ ami qui avait lui aussi déménagé à
versions, pour essayer des trucs. Il ne m’est
définitif de The Coral, en 2008, l’autre bout de Liverpool aimait Everton. que très rarement arrivé de sortir de ma guitare
pour des problèmes d’anxiété, J’ai voulu faire comme lui, et j’aime ce club une chanson d’un seul coup.
l’homme du Wirral, cette péninsule depuis maintenant presque trente ans.
Et c’est une douleur permanente...”
encastrée entre Liverpool et le pays
de Galles, s’est réinventé. Il fut un L’air qu’on respire
musicien pop génial dans le groupe R&F : Quelle importance l’histoire musicale
des frères Skelly, “le meilleur mais l’appel des amplis, de la distorsion et de de Liverpool a-t-elle dans votre vie de
guitariste de Liverpool” selon la reverb est irrésistible. C’est quelque chose de musicien ?
Ian Broudie des Lightning Seeds. Il spontané. Il y a beaucoup de passages instru- Bill Ryder-Jones : Les Beatles, bien sûr, font
est, désormais, un singer-songwriter mentaux dans le disque, car je veux que les gens partie de l’air qu’on respire. On apprend leurs
épatant. “Yawn”, nouvel album très puissent avoir du temps pour eux, sans m’avoir chansons à l’école primaire. Puis, forcément, on
électrique, explore, à nouveau, des tout le temps dans les oreilles. découvre les autres groupes, les La’s, Teardrop
territoires sombres et personnels. Explodes, Echo And The Bunnymen — qui
Rencontre parisienne. R&F : Quels sont les guitaristes qui vous sont sans doute mes préférés. Une distinction
ont marqué ? que seuls les locaux comprennent, c’est que
Bill Ryder-Jones : A l’adolescence, la décou- nous, les membres de The Coral, ne venons
Les non-chanteurs verte de Jimi Hendrix fut quelque chose d’énorme. pas exactement de Liverpool, nous vivons sur
Rock&Folk : Est-il cliché de dire que vos J’adorais aussi Nick McCabe au début de The l’autre rive du fleuve. Et cette différence, les
albums sont comme des journaux intimes ? Verve. Lou Barlow de Sebadoh, également. gens de Liverpool nous l’ont bien souvent fait
Bill Ryder-Jones : Il y a du vrai. Je parlais comprendre. Nous n’étions pas assez cools pour
beaucoup de mon enfance dans “West Kirby R&F : Votre voix est très en avant sur le eux. C’est pour ça que nous avons commencé à
County Primary” (le précédent, en 2015). Ici, je disque. Plein de non-chanteurs — ce n’est nous intéresser aux groupes gallois...
parle de ma vie actuelle. Mais, dans les textes, j’ai pas une insulte — l’auraient mixée beaucoup
tout de même essayé d’être plus ambigu, cryptique. plus bas, ou noyée dans la reverb... R&F : Tous les musiciens du Merseyside
Bill Ryder-Jones : Nous avons un proverbe en ont une histoire à raconter sur Lee Mavers
R&F : On note, à nouveau, un penchant Angleterre qu’il serait grossier de traduire : des La’s. La vôtre ?
pour l’électricité. You can not polish a turd... Je n’ai jamais aimé Bill Ryder-Jones : Désolé, je ne l’ai jamais
Bill Ryder-Jones : Je devenais trop doux. J’ai ma voix, mais il faut assumer ce que l’on est. côtoyé... Je suis sans doute le seul musicien du
tendance à faire des mélodies trop jolies. Ici, j’ai Si les gens n’entendent pas ce que je raconte, à coin que Lee Mavers n’a pas essayéw de recruter
voulu être plus abrasif, susciter l’inconfort. Je quoi bon ? Et puis, j’adore les non-chanteurs, pour reformer les La’s. Il a demandé à tous les
voulais faire un disque qui demande plus de Stephen Malkmus, Lou Reed... autres membres de The Coral... ★
temps pour être apprécié. J’ai souvent été ce type
Photo Ki Price-DR
qui marmonne les notes. Cette fois, j’ai essayé R&F : Comment la conception d’un album BASILE FARKAS
d’être plus vivant, chaotique. Je sais que je peux se déroule-t-elle, quand on travaille seul ? Album “Yawn” (Domino)
faire des choses avec une guitare acoustique, Bill Ryder-Jones : C’est compliqué. J’oscille
SEASICKSTEVE
Auréolé d’un inattendu succès, le bluesman barbu à la vie mystérieuse sort son neuvième album.
Aujourd’hui, tout semble blues. Jack plan en tête. Je comptais juste m’amuser, me R&F : Le succès ayant frappé tard à votre
White, Josh Homme, Zaz... Seasick reposer, profiter quoi... Il y avait mon pote Vance, porte, craignez-vous de retomber dans l’ano-
Steve, Californien à l’âge indécis qui a bossé sur le disque, on buvait des verres, nymat ?
— sa date de naissance varie selon cool... Dan, mon batteur, nous a rejoints. On a Seasick Steve : Je m’attends toujours à ce
les sources — lui doit en tout cas finalement décidé de s’y mettre, à ce disque. que quelqu’un débarque et me dise que la plai-
beaucoup. On ne sait pas s’il a, une Maximum cinq heures par jour, mais plutôt trois, santerie est terminée (rires). Avant, quand on
nuit d’été, vendu son âme au diable en fait (rires). On l’a enregistré à Londres et mixé estimait qu’un artiste était nul, on le virait de la
à un croisement mais, à l’écoute de à Nashville mais les chansons ont été finalisées scène à l’aide d’un grand crochet en bois qui se
son nouvel album, “Can U Cook?”, à Key West. A chaque fois que j’écoute le disque, saisissait du cou de l’artiste... Je me souviens de
on devine que Robert Johnson n’est je me revois assis sous les palmiers là-bas, une ce concert en France devant 30 000 personnes.
jamais très loin. Ici, pas d’artifices, bière à la main, le soleil... Beaucoup de jeunes, pas vraiment venus pour
pas de postures, pas de selfies moi au départ... Et à la fin du concert, tout le
roots, juste un homme à la longue R&F : Quand vous parlez de musique, la monde hurlait ! Envahir les cœurs, c’est ça que
barbe blanche et à la casquette de vôtre ou celle des autres, on vous sent jubiler, j’adore ! Ils ne t’ont jamais entendu et tu parviens
camionneur défraîchie et quelques comme un môme qui viendrait de découvrir à les retourner. C’est ça, l’émotion la plus
chansons proches de l’os et du cœur. la chose, c’est ça, votre secret de longévité ? forte ! Je fais un métier de rêve ! Impossible de
L’Américain exilé depuis de longues Seasick Steve : Il y a trop d’artistes qui se la ne pas être heureux, impossible ! J’ai attendu ça
années en Europe — sa femme est racontent et qui ratent l’essentiel. Le rock’n’roll, toute ma vie !
norvégienne — à l’instar d’un Calvin c’est censé être d’abord du plaisir, ce n’est pas
Russell, n’est pas vraiment prophète un plan de carrière, comme pour un mec de Wall
en son pays (“j’ai déjà acheté le Street... Ma femme m’a avoué l’autre jour qu’elle Tellement de bêtises
T-shirt, c’est bon, j’ai fait le tour” m’avait toujours vu comme son ticket de loterie. R&F : C’est donc le public qui vous a choisi.
dit-il, narquois) mais séduit On n’a jamais eu vraiment d’argent, on a élevé Vous n’êtes pas vraiment une sensation
depuis quelque temps la France, cinq gamins, c’était difficile parfois. Mais elle médiatique ?
et même l’Europe, passant des clubs m’a toujours dit que tant que je jouais de la guitare Seasick Steve : On a écrit tellement de bêtises
minuscules aux grands festivals sans à la maison, j’étais comme un ticket de loterie à mon sujet... C’est pour ça que j’ai décidé de
prévenir. Avec très peu, sur scène, il qui serait peut-être un jour gagnant... m’exprimer le moins possible dans la presse,
donne tout, voire plus, et enflamme surtout en Angleterre. Je vous donne un exemple :
une nouvelle génération, qui a Un jour, on tournait une vidéo dans un club à
trouvé en lui une sorte de grand-
père de substitution, de passeur Steve ment Londres. Et Amy Winehouse est venue parce
qu’elle était mon amie. Elle voulait juste traîner,
généreux. Seasick Steve appartient à tant que ça ? passer un bon moment... Et il y avait aussi
une autre époque, celle de la parole En 2016, l’écrivain Matthew Wright cette journaliste du Times. Le lendemain, elle
consacrait un livre à Seasick Steve,
donnée, de l’artisanat de survie, il “Ramblin’ On”. Qu’y apprenait-on ? avait écrit que Lily Allen était venue voir Seasick
est un personnage de Steinbeck, un Celui qui s’appellerait, dans le civil et selon Steve dans un club londonien pendant le tournage
oublié du rêve yankee. Jamais aigri, les versions, Steve Leach ou Steve Gene d’une vidéo. On a appelé la journaliste et je
Wold, a préféré occulter son passé de
toujours partant pour transpirer musicien professionnel au profit de la n’oublierai jamais sa réponse : “On avait déjà
jusqu’à la dernière goutte, ce narration actuelle, plus romantique, du écrit sur Amy Winehouse récemment dans le Times
galérien de longue date goûte depuis bluesman vagabond. Steve, qui selon et on s’est dit que ce serait mieux de citer Lily
peu à une certaine reconnaissance, l’auteur se vieillit actuellement de dix ans, Allen...” Depuis ce jour, j’ai compris... Ces gens-
a joué de la basse dans un groupe psyché
sans bouder son plaisir, doux à sitar (Shanti), une formation disco là ne s’intéressent ni à la vérité, ni à la musique,
euphémisme. Et sans être dupe. (Crystal World) et même été choriste dans ils ne recherchent que le buzz... La seule chose
Celebration, éphémère projet de Mike Love qui compte, c’est que les gens aiment ou pas
à la fin des années 70. Les masques, la
réinvention ou la légende n’ont jamais tes chansons. Le reste n’existe pas. ★
Une bière à la main empêché un artiste d’être habité par sa
ROCK&FOLK : D’où vient ce nouvel discipline. C’est le fameux mentir-vrai RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE
d’Aragon. Rien de condamnable, donc,
album ? sauf pour Seasick Steve, qui, un rien
Album “Can U Cook?” (BMG)
Seasick Steve :De Floride, Key West... Au départ,
Photo DR
JOHN GRANT
Drôle et lucide comme peuvent l’être les gens qui ont connu une vie de chaos,
l’Américain mélange voix grave et synthétiseurs sur son quatrième album.
VOILA PLUS DE HUIT ANS QUE R&F : Pourquoi cette couleur électro disco
JOHN GRANT A QUITTE THE CZARS,
son groupe de rock alternatif fondé
Heureusement pour les musiques de “Love Is Magic” ?
John Grant : Ça fait partie de mon ADN
en 1994 à Denver. Sa carrière il y a l’indus musical. J’ai choisi d’aller dans ce studio en
De son vrai nom Frank Tovey,
solo a débuté en 2010, avec Fad Gadget a été la première signature
Cornouailles, Meme Tune, et de travailler avec
l’étonnant “Queen Of Denmark”. du label Mute Records, fondé en 1979 par Benge, un gars qui a toutes sortes de synthétiseurs
Son quatrième album, “Love Is Daniel Miller. “Back To Nature” et à l’ancienne comme le Moog C3, le ARP 2600
Magic”, part dans une tout autre “Ricky’s Hand”, ses premiers singles, et le Yamaha CS-80 utilisé par Vangelis pour la
utilisent les codes de la musique industrielle
direction musicale avec un son théorisée par Throbbing Gristle en y BO de “Blade Runner”, qui coûte aujourd’hui
disco électro vintage. D’un rare ajoutant des mélodies pop. Dès 1984, sur autour de 20 000 euros et qui a une sonorité
éclectisme, Grant est aussi bien son album “Gag”, il utilise des musiciens et unique. J’ai voulu créer les sons avant les paroles,
ira jusqu’à enregistrer un album
capable de coécrire une chanson acoustique de protest songs, “Tyranny And je ne voulais pas être confiné dans des structures
avec Robbie Williams (“I Don’t The Hired Hand”, en 1989. Peu après avoir pop classiques.
Want To Hurt You”, incluse en assuré les premières parties de ses
2016 sur l’album de Robbie “The compagnons de label Depeche Mode, Frank R&F : Vous écoutez beaucoup de musique
Tovey meurt en 2002 d’une crise
Heavy Entertainment Show”) que de cardiaque, à l’âge de 45 ans. quand vous enregistrez un album ?
discuter lors d’un festival littéraire John Grant : Surtout des bandes originales
avec Cosey Fanni Tutti, cofondatrice de films, de la musique sans paroles. Là,
de Throbbing Gristle, autour de beaucoup sa chanson “Coitus Interruptus” (un j’écoutais non stop la compilation “Psycho
son autobiographie “Art Sex Music”. titre de son premier album studio sorti en 1980, Morricone” et la BO de David Shire que Coppola
John a d’ailleurs annoncé la sortie “Fireside Favorites”). Il est parti trop tôt mais il n’a pas utilisée pour “Apocalypse Now”. C’est
prochaine de sa propre bio, chez le a laissé un héritage incroyable. J’aime les artistes un score au synthétiseur, terrifiant et très sombre.
prestigieux éditeur américain Little, prolifiques, comme Rainer Werner Fassbinder
Brown & Company. On a rencontré qui a fait une quarantaine de films en 18 ans
ce chanteur atypique, de passage de carrière. Le contraire me
à Paris pour évoquer ses diverses rendrait malade
obsessions : les oiseaux, le fromage, R&F : Une autre de vos obsessions semble R&F : Est-ce que le succès commercial est
les synthés analogiques et les être le fromage... important pour vous ?
musiques de films d’horreur italiens. John Grant : Oui, c’est vrai. Surtout ce fromage John Grant : Je ne suis pas capable de partir à
norvégien de couleur brune que j’évoque dans la recherche du succès, je n’arrive pas à penser
“Is He Strange?”. Et encore, je n’ai pas cité mon comme ça. Quand j’étais petit, je me forçais à
fromage favori, le saint-nectaire. Je dis toujours correspondre à ce que l’on attendait de moi ; je
Dans la ville ensoleillée qu’il a le goût du mois d’octobre... ne veux pas faire ça dans mon art. Je dois être moi-
ROCK&FOLK : Sur la pochette de votre même, le contraire me rendrait malade. Comme
album, vous faites penser à un tricheur R&F : Vous citez aussi un film italien gore quand j’essayais de camoufler ma sexualité, de ne
recouvert de goudron et de plumes comme de série Z réalisé par Antonio Margheriti, pas être gay pour ne pas heurter ma famille et mes
on en voit dans les westerns. “Cannibal Apocalypse”. amis... Ça ne marche jamais, on finit dépressif
John Grant : J’ai cette obsession pour les John Grant : J’adore les giallos et les films quand on essaie de dissimuler qui on est vraiment.
oiseaux, d’où les plumes et la cage sur ma tête. de cannibale, ils ont des bandes originales En ce qui concerne ma musique, j’ai besoin d’être
On a pris la photo à Paris, le design est de Scott incroyables. Celle de “Cannibal Holocaust” par capable de faire exactement ce que je veux. ★
King dont j’ai aimé le travail avec Róisín Murphy. Riz Ortolani est géniale, un mix de grand
Je voulais un visuel impactant et, en plus, c’est orchestre et de synthés. J’écoute ça au casque RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN
Photo DR
un clin d’œil à l’album “Gag” de Fad Gadget, un en marchant dans la ville ensoleillée, ça trans- Album “Love Is Magic” (Bella Union/ Pias)
de mes artistes préférés. En ce moment j’écoute forme mon environnement, c’est génial. En concert jeudi 22 novembre à la Gaité Lyrique (Paris)
TONYJOE
1943-2018
WHITE Le natif de Louisiane est mort à 75 ans.
Hommage à un musicien renversant, un homme
droit qui a passé sa vie à chanter la mythologie du Sud, les marais et la polk salad.
LES POMMETTES CHEROKEES, LA BOUCHE Ce qui lui donna envie de voler la guitare de son père fut un disque
CHARNUE, DEUX YEUX SOMBRES BRILLANT DU de Lightnin’ Hopkins. Caché au fond de la maison, les yeux allant de
FIN FOND DE LEUR ORBITE ET CE MENTON EN l’aiguille sur le sillon aux cordes de l’instrument, l’enfant cherche les
GALOCHE REBONDI COMME UN CUL DE BEBE. licks qui le définiront en tant que bluesmen. A ce jeu-là, le petit est
Rien qu’à voir sa tête, Tony Joe White fleure doué. Accompagné d’un batteur, TJ les dévoile pour les barbecues et
bon le sang indien, les chevaux appalaloosa, les réceptions des fermes des environs. Puis, à 18 ans, il part vivre chez
poissons frits du dimanche et la bassine de moonshine. l’une de ses sœurs en Géorgie, où il passe ses journées à conduire
Mais aucune pose ici. Car TJW, il y a encore des camions pour une société d’autoroute. La nuit venue, il prend
quelques semaines de cela, n’avait qu’un mot sa guitare et cherche sa voix. Il la trouvera par l’intermédiaire de
pour qualifier les choses qui lui plaisaient : real. celle d’une jeune fille. En entendant Bobbie Gentry chanter son
“Ode To Billie Joe”, celui qui avait grandi à 160 kilomètres de
l’endroit où se passe l’action s’exclame : “Mais Billie Joe, c’est moi !”
Cette chanson, aux oreilles du gamin du swamp, sonnait vraie.
La plante toxique Il lui fallait parler de ce qu’il connaissait. Donc, des alligators, des
La ferme de son enfance se trouvait tout au nord de la Louisiane, sur gens des marais, du HooDoo... Tony Joe posa tout cela sur papier.
la rive est du Mississippi, à quelques kilomètres du lac Providence. Ainsi naquit son premier morceau : “Polk Salad Annie”.
Cinq sœurs et un frère avaient vu le jour avant lui. Lui, le petit En 2017, à Tupelo, Mississippi, un vieil homme attend dans
dernier, allait nager avec les gamins vivant dans les cabanes une salle faisant face à la cabane dans laquelle a grandi Elvis.
alentour, d’une rive à l’autre du fleuve, afin de camper dans les Il a 80 ans et prononce ses phrases avec une inflexion évoquant le
marais. “Au fond de l’eau, on pouvait sentir des choses bouger.” bruit des pneus s’enfonçant dans la boue. De cette voix, il raconte
Souvenir d’enfance. A huit ans, lui et sa famille harmonisaient des comment Elvis et lui soulevaient les barbelés pour que Gladys, la
gospels sur le porche de leur maison durant les soirées d’automne, génitrice du King, puisse aller cueillir un peu de polk salad pour la
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
après avoir passé leur journée à ramasser le coton. Son père, parfois, famille Presley, les jours de disette. La plante, toxique, nommée en
chantait seul quelques airs de country, que Tony Joe écoutait, français teinturier ou raisin d’Amérique, nourrit les gens de la région
s’interdisant de toucher lui-même à un instrument. Pas de radio, pas pour peu qu’on sache la préparer. En 1973, quand Tony Joe part
de télévision. Pour se divertir, la musique et, parfois, un événement une semaine avec sa femme Leann à Las Vegas afin d’assister à
spectaculaire, comme ce jour où ses parents prirent la route d’Eudora l’enregistrement sur scène de sa chanson, il sait qu’Elvis sait. Alors,
afin d’aller voir le diable qu’on venait de jeter en prison. Le temps soir après soir, perlant de sueur, épuisé et heureux, le King appelle
d’arriver, ce dernier s’était déjà évadé. A la veille de mourir, TJW Tony Joe dans sa loge pour parler de la vie dans le Sud et apprendre
disait : “Je crois aux fantômes, même si je n’en ai jamais croisé.” des licks de blues que l’alcool lui fait oublier instantanément.
CHANTER pendant que le Killer, en roue libre, grogne, psalmodie et parle de lui
à la troisième personne, tout en pissant littéralement de la musique.
Parallèlement, Tony Joe enregistre son œuvre, impeccable entre
SON “ODE TO 1969 et 1973. Avec le temps, ses blues se font de plus en plus funky
pendant que ses ballades coulent comme du miel. La voix est belle,
BILLIE JOE”... les guitares sublimes. Son répertoire charme jusqu’à ses confrères
qui le reprennent de plus en plus souvent. On lui offre les premières
parties des grosses pointures de l’époque : Sly & The Family Stone,
Steppenwolf, puis cette tournée européenne avec Creedence
A les voir ainsi, côte à côte, le cheveu tombant, les hautes pommettes Clearwater Revival où, chaque soir, avec Donald Dunn à la basse,
indiennes et les rouflaquettes de 5 centimètres de large, ces deux-là les deux Sudistes décident de mettre une pile à ces Californiens qui
se ressemblent comme des frères. “Polk Salad Annie” deviendra chantent leur bayou. On essaye, comme pour son ami Kristofferson,
un hymne, un instantané du Sud. Pour ses histoires de grand-mère d’utiliser son physique avantageux au cinéma. Sans suite. De
mangée par les alligators et de mère enchaînée dans un chain gang. Monument, Tony Joe passe chez Warner Bros, suivant nombre
Pour ce phrasé également, qu’Elvis, lui, tentait de masquer derrière des artistes de country outlaw dont il ne fait pourtant pas partie.
ses manières douces. Mais surtout, pour cette guitare, mélange Lié d’amitié à Waylon Jennings, il enregistre avec lui le titre “Red-
parfait de Delta Blues, licks de rockabilly ; le tout structuré par Neck Women” sur l’album “The Real Thang”. “Il était écrit Disco
quelques tourneries soul. “Du blues sur lequel on peut danser” Sucks sur le devant de son T-shirt”, annonce la chanson. Car Tony
disait TJW. Une fois le morceau composé, Tony Joe quitte sa sœur Joe, si amoureux de musique noire, aimant aller danser le soir avec
et la Géorgie pour Houston, avec dans ses bagages “Polk Salad sa femme, a ouvert grand ses oreilles à la disco et au hip-hop qu’il
Annie” et “Rainy Nights In Georgia”, son harmonica et ce style qui écoutera jusqu’à la fin de sa vie. Lui qui joue du blues depuis son
n’appartient qu’à lui. C’est à ce dernier qu’il doit la rencontre avec adolescence, s’attaque, avec la même fraîcheur, aux morceaux
sa femme : à peine arrivé au Texas, sa réputation enfle et les femmes “Disco Blues” et “Swamp Rap”. Pendant que tout Harlem sample
viennent voir ce jeune Elvis jouant comme John Lee Hooker. Parce Chic, lui en recrée les rythmiques, dans un style sudiste, donc très
qu’il se sent prêt, Tony Joe prend sa voiture et conduit en ligne droite laid back, en studio, tout en rappant sur ces soul brothers qui portent
vers l’est, toute la nuit, jusqu’à atteindre Nashville. Il porte un veston des chapeaux de cow-boy dans leur coupé De Ville. Un live à Austin
et s’est fait un nœud papillon avec un ruban de satin noir. Dans les immortalise White rappant, sa Stratocaster millésime 1965 à la main.
magasins de disques de la capitale de la country, il demande quel Le public n’en croit pas ses yeux. Les cow-boys hurlent de plaisir.
producteur voudrait bien entendre ses chansons. “Si tu crois que tu
peux jouer ton blues dans cette ville, gamin...” Deux jours plus tard,
il intègre l’écurie la plus à la marge du son Nashville : Monument Attraper des serpents
Records, maison de Kris Kristofferson, Dolly Parton, Roy Orbison C’est à cette époque qu’un autre Joe choisit de débarquer à
et... Robert Mitchum. Grand architecte du son Monument depuis les Hollywood pour enregistrer son premier album américain. Joe l’été
sixties, Billy Swan produit, arrange et fignole les albums de la indien Dassin fait appel à Tony Joe pour l’album “Blue Country”.
maison. C’est pourquoi sa signature est apposée au dos du premier Riche idée : la musique, essentiellement issue de séances avec
album de Tony Joe, “Black And White”, qui fait un flop. Jusqu’à White, serait absolument sublime, si Dassin ne venait y mâcher sa
ce coup de fil transatlantique d’un certain Pierre Lattès : “Tony Joe ? patate devant le micro. N’est pas Nino Ferrer qui veut. Puis, comme
Votre disque ‘Soul Francisco’ est en haut des charts en France.” Les pour tous les artistes de sa génération, les années 80 voient White
Français ont porté Tony Joe White au pinacle, inventant, au passage, bringuebalé de maison de disques en maison de disques. Sa planche
dans ces colonnes et chez nos confrères, le nom de swamp rock. de salut lui sera offerte par une autre artiste de sa région : pour
L’amour de Mark Twain certainement... son “Foreign Affair”, Tina Turner lui prend quatre morceaux. Mais
technologie numérique oblige, TJW devient une mauvaise version
de lui-même, enregistrant des morceaux toujours plus arrangés
Les cow-boys sur de mauvaises guitares Ovation. Pourtant, les chansons restent
hurlent de plaisir merveilleuses. Ce qui ne l’empêche pas de tomber dans la trappe
Nouvellement promu star montante, Tony quitte Houston pour au tournant des années 2000. Signé sur de microlabels, il tourne à
Memphis. Il aurait été plus logique de s’installer à Nashville, afin nouveau avec un simple batteur, comme à ses débuts, et enregistre
d’écluser quelque bière avec Billy Swan et Kris Kristofferson. des albums avec son fils sur un 16-pistes à bandes posées dans une
Placer des morceaux également. Mais son cœur le portait dans la cabane au bord du Mississippi. Chaque soir, il se rend à la rivière
capitale du blues électrique et de cette soul qui devenait funky. pour y composer des chansons autour d’un feu et d’un pack de six.
C’est ici et à Muscle Shoals qu’il apporta sa pierre à quelques pépites Le HooDoo n’a pas quitté cet homme vieilli. Ses derniers albums sont
oubliées du soul rock, son nom se croisant régulièrement dans les truffés d’histoires du vieux Sud, comme ce “Opening Of The Box”
notes de pochette en compagnie des suspects habituels du genre : racontant le rite pentecôtiste consistant à attraper des serpents par la
Jim Dickinson, Dan Penn, Jerry Wexler, Mack Rice, Steve Cropper... queue pour prouver sa foi. L’une des dernières chansons sur laquelle
Signalons l’album “Dismal Prisoner” de Roy Head, le country il travaillait s’appelait “Raining In The Graveyard”. Le 24 octobre
“Prone To Lean” de Donnie Fritts et ce chef-d’œuvre total, coup de dernier, une crise cardiaque lui évite une mort lente et humiliante.
pied en pleine poire, “Eric Quincy Tate” du groupe du même nom. Tony Joe White avait 75 ans. ★
Ces Texans, voisins du 13th Floor Elevators, découverts
par TJW, ont été réédités chez Rhino en 2006. THOMAS E. FLORIN
PIERRE
TERRASSON
SERGE GAINSBOURG
De 1978 à 1991, le photographe a régulièrement côtoyé le résident de la rue de Verneuil.
Il raconte et commente.
On aborde toujours avec précaution les livres photos en couleurs et, à la fin de la séance, il disait
sur les chanteurs morts. Surtout lorsque, comme à l’artiste : ‘Maintenant, Terrasson va faire du
Serge Gainsbourg, leur vie a été longue, pro- noir et blanc !’ (ou pas, je faisais ma vie). C’est
lifique, émaillée de provocations et d’encore plus comme ça que je me suis constitué des archives
de légendes. Celui-ci n’est ni une hagiographie, énormes de Gainsbourg.” Gainsbourg, déjà, est
ni un ramassis de ragots, mais un album photo devenu Gainsbarre et se tricote, à grands coups
largement commenté par Alain Wodrascka et de provocations, un personnage incontrôlable
des amis de Gainsbourg. En parallèle de la qui sème la pagaille sur chaque plateau télé où
carrière du chanteur, on suit sa collaboration il passe. Difficile à photographier, le Gainsbarre ?
avec Pierre Terrasson, le lien créé autour de leur “Il n’était pas compliqué, c’était même un poseur.
amour de la peinture et de l’image. “On s’est tout Il contrôlait un peu tout... Je ne l’ai jamais suivi
de suite bien entendus, on s’est revus régulièrement en soirée mais, en studio, il avait tendance à
jusqu’à son décès, en 1991. Je l’ai rencontré s’effondrer parce qu’il picolait un peu trop. Il de-
pour la première fois en 1978 à Mogador, avec mandait aux photographes de le prendre quand
Bijou, où il a chanté ‘Les Papillons Noirs’. Je il avait la tête en arrière, pour éviter les plis du
l’ai revu au Palace en 1979, période reggae, mais cou, l’effondrement, la gravité.” On passe rapi-
c’étaient des séances avec d’autres photographes dement sur les excès pour, plutôt, évoquer le
pendant des concerts ou des répétitions. La première Gainsbourg caché, celui dont la générosité
rencontre dans mon studio a eu lieu en 1984. pouvait surprendre. “Il y a l’histoire du chèque
J’assistais Jean-Yves Legras, le photographe de qu’il a fait à mon assistant. Il avait remarqué
Il appartient à la dernière génération Best, mort aujourd’hui. Il n’avait pas de studio, qu’il manquait une dent au gamin. Il n’était
de photographes ayant connu venait du reportage des années 70 et travaillait pas à ça près, mais il y a pensé. Quand il faisait
l’époque d’avant les smartphones, avec un flash. Il mettait les gens devant un mur des photos, il avait toujours à portée de main
où l’image était précieuse, où un et prenait la photo. Il l’a fait avec Madonna ou son attaché-case qui contenait ses papiers, son
lien pouvait s’établir entre artistes Mick Jagger, ça s’est sophistiqué dans les années chéquier. Ce jour-là, il a demandé à mon assistant
des deux côtés de l’objectif. On 80. J’avais la chance d’avoir à ma disposition un combien ça couterait d’aller chez le dentiste. Il a
découvre cette complicité-là dans atelier de la ville de Paris, que j’ai toujours. J’avais répondu 5 000 et Gainsbourg a fait un chèque du
“Gainbourg Gainsbarre”, deuxième fait les Beaux-Arts, je créais mes décors, je peignais double. Et, comme il était très antidope, il lui a
ouvrage de Pierre Terrasson sur mes fonds... Et j’assistais Jean-Yves qui amenait demandé de lui envoyer un mot après l’interven-
le chanteur qui choisit un jour de des gens comme Gainsbourg, Indochine, Jagger. tion. A l’époque, on le voyait régulièrement,
devenir son propre double sombre. Je lui faisais le fond, sa lumière, il prenait ses les photos on les triait. Physiquement.
J’allais chez lui, photos sous le bras et je m’installais Il pouvait avoir ses humeurs mais il était content avec mon assistant, elle nous avait laissé les clés.
là deux heures et il me jouait du Chopin. Lulu, de me retrouver tous les deux ou trois ans pour C’est incroyable, son intérieur a tellement été pillé
son fils, a dormi chez moi avec mes filles, ils avaient faire des photos.” de différentes façons... Les gens faisaient les
le même âge. Elles ont joué avec Arthur, le fils poubelles. On retrouve ses petits carnets Vuitton
de Bashung. C’était des trucs de famille. C’est chez Drouot. Les fans autour de lui... c’est quelque
comme ça que tu arrivais à avoir la confiance des Toujours une chose de fou. Je n’ai rien touché.” Et la dernière
gens.” Quant aux mauvais souvenirs, c’est simple, mise en scène séance avec le propriétaire des lieux ? “Ça doit
il n’y en a pas. “On parlait peinture, photo, jamais Le livre s’achève sur la dernière séance et l’ap- être la série au commissariat. Ça a toujours été
de musique. Je lui ai juste demandé comment il partement de la rue de Verneuil photogra- une mise en scène avec lui. J’ai besoin d’être
Photos Pierre Terrasson-DR
avait les droits quand il faisait un album entier phié, une pièce après l’autre, à la manière d’un sécurisé dans ce que je fais, même si le hasard,
sur la musique de Chopin. Il me disait, oh, je immense cabinet de curiosités. “Bambou m’a c’est bien aussi en photo.” ★
suis arrangeur... J’avais du mal à comprendre demandé de faire ces photos en 1991, elle n’a
ça, il y a des passages entiers piqués au classique. jamais habité là, elle voulait un souvenir. Je suis RECUEILLI PAR ISABELLE CHELLEY
sorti très perturbé de cette séance, j’étais seul Livre “Gainsbourg Gainsbarre” (Hugo Image)
THE GOOD,
THE BAD &
THE QUEEN
Damon Albarn, Paul Simonon, Tony Allen et Simon Tong
ont réactivé ce curieux projet monté en 2007 :
une réunion d’excellents musiciens en goguette,
pour un deuxième album qui évoque le Brexit.
RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN
LEUR PATRONYME FAIT PENSER A UN TRIO, MAIS CES MOUSQUETAIRES-LA
SONT QUATRE. The Good, The Bad & The Queen, c’est le band imaginé par Damon
Albarn en forme de supergroupe (un piètre terme pour les désigner, comme on le lira
ci-dessous). Un ex-Clash (Paul Simonon), le batteur nigérian qui créa l’afrobeat avec
Fela Kuti (Tony Allen) et un guitariste virtuose passé par The Verve et, brièvement, Blur
(Simon Tong) épaulent le créateur du projet. Onze ans après un premier album aussi
riche en surprises que pauvre en hit singles, six ans après le side project Rocket Juice
& The Moon (avec Flea des Red Hot Chili Peppers et, déjà, Tony Allen), Damon amorce
le grand retour de TGTBATQ avec “Merrie Land”, ode désabusée à une Grande-Bretagne
Photo Pennie Smith-DR
devenue moins great en s’isolant du continent. L’Angleterre étriquée rêvée par les
passéistes du Brexit n’est pas celle de ces musiciens d’exception qui frisent le concept
album avec cette collection de dix chansons nimbées d’une infinie nostalgie, toutes
coproduites par Tony Visconti. Rencontre à trois voix avec Paul, Damon et l’autre Tony.
Photo Pennie Smith-DR
ROCK&FOLK : Pourquoi ouvrir cet album R&F : Vous souvenez-vous où vous étiez
avec un sample du film culte et peu connu
de Michael Powell et Emeric Pressburger,
Vol TWA 847
Devenu célèbre dès 1968 avec le hit “Rain
quand vous avez appris la victoire du Brexit ?
Paul Simonon : J’étais dans un hôtel génial à
“A Canterbury Tale” ? And Tears” de son groupe Aphrodite’s Paris. Déjà en exil ! (rires) J’ai appris la nouvelle
Damon Albarn : On a essayé plein de trucs Child, Demis Roussos (1946-2015) a devant la télé, j’ai éteint le poste et je suis sorti
sorti la chanson “Forever And Ever” en
mais si ça ne tenait qu’à moi, on aurait pu mettre 1973. Ce Grec né en Egypte était en juin
manger des escargots (en français dans le texte),
tout l’audio du film et vous n’auriez jamais 1985 dans le vol Athènes-Rome détourné boire du bon vin, profiter des bonnes choses que
entendu l’album. C’est une façon de donner le par le Hezbollah. Son 39ème anniversaire la France a à offrir. Je ne m’attendais pas à ce
ton, l’ambiance... ayant eu lieu durant la prise d’otages, résultat, et, un des problèmes, c’est que des
Demis a chanté quelques morceaux pour les
pirates de l’air dont “Rebecca”, écrit par politiciens comme Boris Johnson ont menti
R&F : Merrie Land, c’est l’Angleterre ? Boris Bergman, qui évoque une rescapée aux gens en disant que l’argent de l’Europe irait
Damon Albarn : Vous ne seriez pas loin de juive des camps nazis. Libéré après à la santé. C’était bidon, mais un peu plus de
5 jours, Demis a tenu une conférence
la vérité en disant ça. de presse durant laquelle il a remercié 50% des Anglais y ont cru.
ses ravisseurs de lui avoir offert...
R&F : L’album traite-t-il du Brexit ? un gâteau d’anniversaire. R&F : Pourquoi onze ans entre ces deux
Paul Simonon : Si vous trouvez le mot Brexit albums ?
dans une seule des chansons, je vous donne Paul Simonon : Bonne question, je me la pose
50 euros. On n’en parle pas directement mais, en sous-texte, on balance aussi. En vrai, on a tous plein de choses à faire. Après le premier album
quelques idées. j’ai travaillé avec Damon et ses Gorillaz, j’ai également tourné avec Mick
Damon Albarn : Le vote contre l’Europe ne m’a pas plu. J’ai grandi Jones... Tout ça prend du temps. Si on n’était pas tous sur autant de
dans une ère multiraciale, multiculturelle, multiconfessionnelle. projets, ça serait arrivé avant.
On m’a élevé en m’apprenant à respecter tous les gens de mon pays, Damon Albarn : Ça prend longtemps pour faire un bon ragoût. On a
qu’ils viennent du Pakistan, du Kenya où d’où que ce soit dans notre beaucoup joué en Afrique aussi, on se voyait, on traînait ensemble.
monde postcolonial. Ce n’est pas un hasard si les premiers mots du Ça me semble si loin, il s’est passé tellement de choses depuis ce premier
disque sont “If you are leaving”. Il y a de la passion derrière cette formule. album. En 2007, j’avais 39 ans... Tony, toi aussi tu étais plus jeune,
Ça n’est pas un disque politique ni un manuel d’instruction, c’est un pas la peine de rigoler !
appel aux armes pour une réponse émotionnelle.
Paul Simonon : Aujourd’hui, on peut trouver du pastis, du bon vin et
des croissants à Londres. Vous voyez, je suis à moitié européen.
R&F : A l’écoute des dix chansons, c’est un sentiment de tristesse, R&F : Une des curiosités du disque, c’est la mention du chanteur
de nostalgie qui domine. Demis Roussos sur le morceau “The Truce Of Twilight”, “And
Damon Albarn : Vous trouvez ? Tout l’album est une déclaration Demis Roussos playing ‘Forever’ on the waterslide”...
d’amour, mais aussi une lettre d’adieu. On est une famille qui a été Damon Albarn : Oui, on m’en parle beaucoup ! Il y avait un Roumain
coupée en deux par quelque chose qu’on n’a pas vraiment compris. et son fils dans le centre commercial de Southend-On-Sea. Quand je suis
Paul Simonon : Il y a beaucoup d’émotions dans l’album, certaines passé devant eux, le père jouait de la batterie et le fils, qui devait avoir 14 ans
joyeuses et d’autres plus sombres, plus sinistres. Rien de prémédité, et qui n’était pas à l’école bien qu’on soit un jour de semaine, chantait ce
c’était l’ambiance du moment. D’une certaine manière, “Merrie Land” morceau, “Forever And Ever”. Alors j’ai imaginé Demis Roussos habillé
c’est un peu la description de l’Angleterre. C’est une formule victorienne, en caftan, chantant avec son groupe devant le front de mer à Southend.
c’est la façon dont on regarde tous ces gens qui ont la nostalgie d’un
passé supposé glorieux, mais qui doivent réaliser que ce temps-là R&F : La blague préférée de Demis quand il allait au restaurant,
n’est plus. On doit penser à demain, pas se braquer sur le souvenir c’était de prendre la carte et de dire au serveur : “Donnez-moi la
probablement tronqué d’une époque qui n’a jamais vraiment existé. page un, la page deux, la page trois, le café, le livre d’or et l’addition !”
Damon Albarn : Ah, c’était un amoureux de la bouffe ? On n’est pas
R&F : Après Danger Mouse pour le premier album, c’est trop comme ça nous, n’est-ce pas Tony ? On n’est pas des vegans non
Tony Visconti qui coproduit celui-ci. Quel a été son rôle ? plus, mais on aime les animaux, en Angleterre. En France aussi vous
Damon Albarn : Disons qu’il a été là pour nous aider à tailler la aimez les chiens, allez ! Les Allemands aussi, les Italiens, on aime tous
route dans cette odyssée, à choisir et à rejeter, à développer les idées nos fuckin’ dogs ! “The Truce Of Twilight” montre ce qu’on a en commun,
qu’on avait. pourquoi c’est important de ne pas se quitter. Moi, sinon, j’ai un chat qui
s’appelle Fergie, j’ai plein de problèmes avec lui.
R&F : Vous considérez-vous comme un supergroupe ? Tony Allen : Il faut passer du temps avec ses animaux de compagnie, mec.
Paul Simonon : Tous les supergroupes que je connais font de la musique Damon Albarn : Si on leur laisse le temps, ils sont étonnants.
de merde. Je nous vois plus comme des musiciens de jazz — bien qu’on Ils vous parlent, vous savez.
ne soit pas des jazzmen — qui travaillent ensemble. Si on était un Tony Allen : Oui, ils lisent en vous.
supergroupe on aurait juste besoin de mettre nos nom : Damon
Albarn ! Paul Simonon ! Tony Allen ! Simon Tong ! Supergroupe c’est R&F : Paul, au sein du Clash, vous avez très peu composé
une étiquette ringarde qu’on colle à un projet démodé et ennuyeux. (“Guns Of Brixton” et “The Crooked Beat”). Vous étiez un peu
Damon Albarn : Le terme a des connotations très négatives depuis le George Harrison du groupe...
les années 1970 et 1980. J’ai grandi à cette époque, et les albums des Paul Simonon : Je me suis toujours plutôt vu comme Stuart Sutcliffe.
GHOST
Depuis 2010, ce groupe doom suédois a cessé de s’adresser aux uniques amateurs
du genre pour, désormais, envisager une carrière globale, à la manière de Kiss.
Normal, le grand-guignol est une affaire sérieuse pour son leader Tobias Forge.
Avant un impeccable concert au Royal Albert Hall, audience avec Sa Sainteté.
RECUEILLI PAR JONATHAN HUME
EN 8 ANS, Tobias Forge, leader autrefois anonyme R&F : Qu’est-ce qui fait un bon titre d’ouverture de concert
de Ghost, a construit de toutes pièces une nouvelle selon vous ?
mythologie heavy. L’outrance macabre, l’occultisme de Tobias Forge : C’est une question très difficile... Quand je travaille
carnaval, les identités secrètes, la musique aguicheuse. sur une setlist, je suis très soucieux du fait qu’il peut y avoir des chansons
Tous ces éléments ont été patiemment accumulés, triés que j’aime mais qui ne sont pas nécessairement exaltantes. “Dance
et assemblés dans le but d’atteindre le succès mondial. Macabre” est une chanson très exaltante, au même titre que “Square
Passé du stade de curiosité underground à celui de Hammer” ou “Rats”, elles vous donnent le sourire, vous font bouger.
groupe de hard rock le plus excitant de la décennie, A contrario, “Secular Haze” ne marche pas du tout comme ça. Elle est
Ghost vient d’être annoncé en première partie de plus heavy, mid-tempo, c’est davantage un morceau de transition. On
Metallica sur sa tournée mondiale. Ce groupe est ne peut pas simplement enchaîner les tubes, ça ne marche pas comme
une entreprise ambitieuse gérée d’une poigne de ça. Même une machine à hits comme AC/DC a des morceaux moins
fer dans le gant de cuir de Papa Emeritus (I, II immédiats. Prenez “For Those About To Rock” : c’est un putain de tube,
et puis III), cet alias inquiétant du leader, qui a mais il est moins immédiat que “Highway To Hell”. Il faut donc
récemment décidé de se renommer Cardinal Copia. positionner ces chansons dans le set en conséquence. Je crois que ce
Un avatar plus jeune, plus impétueux, permettant qui fait un bon morceau d’ouverture c’est qu’il permet de rentrer facilement
à Tobias Forge de s’épanouir davantage sur scène. dans le rythme. Je ne pense pas qu’Iron Maiden débuterait un concert
par “Phantom Of The Opera”, vous voyez ?
Mais aussi “Rats”, qui s’est non seulement avéré un morceau d’ouverture R&F : Un excellent groupe de black metal français.
très efficace mais a aussi bien mieux fonctionné à la radio que nous Tobias Forge : J’adore. J’avais exprimé cette admiration quelque part
nous y attendions. A présent, nous commençons à jouer quelques chansons et il m’a contacté pour se présenter et me dire qu’il était impliqué dans
qui ne l’ont pas encore été et dont je ne sais pas vraiment comment elles le groupe et qu’il avait cet autre groupe du nom de Carpenter Brut, il
seront accueillies. Je suppose que “Life Eternal” sera une bonne ballade. m’a envoyé quelques vidéos que j’ai trouvées extrêmement amusantes.
Donc, pour moi, faire un double album live signifie que vous avez réussi
votre coup. C’est comme un cadeau que vous faites à vous-même. J’en
avais donc l’intention depuis des années. J’avais hâte d’avoir enregistré
assez de chansons pour pouvoir le faire. Maintenant, nous sommes à
l’orée d’un nouveau changement. Nous avons suffisamment changé la
manière dont nous présentons notre travail sur scène pour qu’un autre
album live soit justifié. Sur “Ceremony And Devotion”, on entend encore
les pistes enregistrées que nous ajoutions en live. Depuis des années,
je suis très militant quant au fait que nous n’allons pas rester un
groupe de six musiciens et que nous allons grandir jusqu’à incorporer
neuf membres. Ce n’est pas encore le cas, actuellement nous sommes
huit. Mais maintenant que nous avons mis de côté les pistes enregistrées,
que nous avons de vrais choristes et que tout est vraiment joué, l’idée
de refaire un live fait sens. Peut-être pas un disque d’ailleurs, cela
pourrait être un film. Je pense que cela irait parfaitement avec l’idée
que je me suis toujours faite de ce que devait devenir Ghost.
Sans maquillage
R&F : Voir les rock stars vieillir affecte la perception qu’on en a.
R&F : Environ un an avant “Prequelle”, vous avez sorti “Ceremony Ce n’est pas la même chose de voir Marilyn Manson en concert
And Devotion”, un concert enregistré à San Francisco qui sonnait aujourd’hui par rapport à 1996. Avec Ghost et le principe
presque comme un best-of. Le signe d’une nouvelle étape pour d’anonymat, de maquillage, il semble que vous pouvez éviter cela.
Ghost ? Tobias Forge : C’était une des idées, oui. Je pensais que ce que j’avais
Tobias Forge : Historiquement, beaucoup des groupes que j’idolâtre à présenter physiquement, c’est-à-dire moi-même, n’était pas
ont connu une forme de cycle dans lequel ils font une poignée d’albums suffisamment intéressant. Peut-être qu’un jour je serais assez ridé pour...
suivis d’un live avant de recommencer. J’imagine que cela correspond à
une sorte de courbe de croissance. Kiss est un bon exemple. J’adore les R&F : Incarner Papa Emeritus sans maquillage ?
trois premiers albums mais ils sont un peu faiblards pour ce qui est de la Tobias Forge : Voilà. S’il y a toujours de l’intérêt, je serais prêt à me
production. Et “Alive!” est la version définitive de ces disques. Puis, juste débarrasser de ça. Pas parce que j’ai envie qu’on me voie, mais tout
derrière, le groupe enchaîne sur “Destroyer” qui est complètement simplement parce que c’est une putain de prise de tête. Peut-être donc
différent. Donc, dans leur cas, oui, cette idée s’applique. En ce qui me qu’un jour, si le public s’intéresse toujours à nous, verrez-vous une
Photo Paul Harries-DR
concerne, je ne suis pas trop sûr. Je voulais vraiment faire un live car je version de Ghost où il n’y aura techniquement pas de masque mais qui
suis fan de ce type d’albums depuis que je suis tout petit. J’en ai écouté sera tout aussi effrayante (rires). ★
plein quand j’étais gamin : “Alive!”, “Ummagumma”, “Get Yer Ya-Ya’s
Out!”, “Got Live If You Want It!”, “It’s Alive” des Ramones, etc. Album “Prequelle” (Spinefarm/ Universal)
MARK
KNOPFLER
Un nouvel album du guitariste ? Certes, mais avec lui,
on veut parler de Dire Straits ! Pour comprendre comment
ce groupe majeur des années 80 peut rester aussi méprisé.
RECUEILLI PAR BENOIT SABATIER
QUAND LE ROCK AND ROLL HALL OF FAME les Knopfler a 69 ans. Chauve, avec un embonpoint certain. Si l’image d’une
distingue, ils accourent tous — Sex Pistols, Stooges, rockstar, c’est Keith Richards 1972, Elvis 1956, Paul Simonon 1977,
Ramones... Le mois dernier, c’était au tour de Dire alors Mark, c’est l’exact contraire. Apparu en 1978, en plein post-punk,
Straits d’être intronisé. Mark Knopfler ne s’est pas Dire Straits fait tout de suite tâche. C’est quoi, la honte, à cette époque ?
pointé. Un crachat à la face de l’institution. Il n’a pas Tout ce que le groupe symbolise. Les punks rejettent la notion d’héritage,
fait lire de bafouille : le leader de Dire Straits s’est vantent les mérites de la jeunesse et du saccage. L’Ecossais va déjà
juste collé sur répondeur, laissant trois de ses anciens sur ses trente ans, a réellement travaillé (infamie), tenté plusieurs groupes
musiciens se dépatouiller avec la cérémonie, un grand et ne cesse de clamer son admiration pour des veilles lunes complètement
moment de gêne. Par contre, quand il s’agit de parler passées de mode, de Ricky Nelson à JJ Cale. Il faut être arrogant, les
à Rock&Folk, le guitariste répond présent : il est là, Dire Straits, eux, jouent la carte des modestes artisans, des voisins de
en face de nous, dans la suite d’un palace parisien, palier besogneux. Le post-punk est un mouvement esthétique, le look
gloussant à notre question — ce camouflet à l’encontre détermine si vous êtes dans le bon camp. La dégaine des Dire Straits
Photo Paul Natkin/ Wire Image/ Getty Images
du Rock and Roll Hall of Fame, en fait, c’est vous, est complètement à la ramasse. Il n’est pourtant pas reproché à Mark
le plus punk ? Il temporise : “J’étais dans les finitions Knopfler d’avoir une tignasse trop volumineuse. C’est bien pire : le mec
de ce nouvel album, ‘Down The Road Wherever’, perd ses tifs ! Pendant que Sid Vicious arbore une spike pétaradante, le
ce n’était pas le moment de me disperser.” Une autre guitariste tente de planquer un front de plus en plus dégarni. Il ne fait pas
excuse ! Il hésite. “Ils m’ont expliqué ce que je devrais son shopping chez Vivienne Westwood, enfilant au choix : un marcel,
faire, c’était millimétré, où aller, quand voir la presse, un T-shirt impersonnel, une chemise repassée. Un plouc. Quand il tente
monter sur scène, parler, etc. Je ne suis pas une un effort, c’est raté : dans ces années cold wave, personne ne doit s’afficher
marionnette et, après tout, je n’ai rien demandé, moi.” avec une chemise cowboy. S’il met une veste ? Il retrousse les manches !
Le tout dit sans aigreur, sur un ton sympathique.
Randy Newman
Produit les deux tiers de “Land Of Dreams”
(1988). “Randy était en train de marteler son
piano, il se défoulait, je lui propose d’enregistrer
ce truc, qui est devenu ‘Masterman And Baby J’,
AVEC BOB, PHIL, RANDY... une sorte de faux rap. Je ne me rappelle
même plus du processus pour arriver à ça !”
Bob Dylan
1979 : quand Knopfler participe à “Slow Train
Coming”, il est un petit nouveau repéré par
le maître — Dylan a craqué sur “Sultans Of
Swing”. 1983 : Bob, aux fraises, demande
à Mark, l’artiste qui cartonne, de produire Phil Lynott Van Morrison
“Infidels”. Ils enregistrent ensemble les deux Knopfler imprime sa marque sur Participe à “Beautiful Vision” (1982).
plus grands morceaux du Dylan 80 : “Blind “King’s Call” et “Ode To Liberty”. “Quand il veut faire une chanson, elle doit
Willie McTell” et “Death Is Not The End”... “Phil venait souvent à nos concerts, il était être gravée dans les 5 minutes, pour ne pas
que Bob ne garde pas sur l’album ! “Quand je ouvert à tout, voulait essayer tous les styles. laisser passer l’inspiration. C’était l’époque
m’en suis aperçu, je n’ai pas compris, avoue On est devenus amis, j’ai beaucoup de joyeux où je me passionnais pour la production, je
Knopfler. Le mix final, non plus... Bon, ces deux souvenirs quand on traînait ensemble.” voulais tout essayer en studio, j’étais donc
chansons sont finalement sorties...” Knopfler dubitatif face à cette spontanéité, mais avec
continuera régulièrement de jouer avec Dylan. le temps, je m’y rallie de plus en plus.” BS
“Je recommande à tout le monde le succès”
Un élément vestimentaire le distingue pourtant : Knopfler s’entiche de Shoals : plus Ry Cooder, ricain cool. Knopfler bosse parallèlement avec
bandeaux de tennis — au poignet et au front. Pour masquer son début de Dylan, Mavis Staples, Steely Dan, Phil Lynott. 1980, “Making Movies”,
calvitie ou pour éponger la sueur (puisqu’il se démène sur sa gratte) ? Rien avec “Romeo And Juliet” et “Skateaway”, production Jimmy Iovine
n’excuse un tel accessoire : un rocker se doit d’être le contraire d’un sportif (Patti Smith), au clavier Roy Bittan (“Station To Station”), des compositions
— non à la performance, à l’effort. On en vient donc à la musique : alors à la fois plus directes et plus élaborées — du Lou Reed démonstratif :
que l’époque célèbre une modernité basée sur l’amateurisme, Dire un de leurs sommets. Gros virage avec “Love Over Gold” (1982). Les
Straits met en avant sa technicité — Knopfler s’exhibe comme virtuose claviers prennent encore plus de place, le combo vaguement roots,
de la guitare. Tous les instruments sont très bavards, il y a plein de notes terrien, vire vachement lunaire, space — dans l’idéal : “Animals”
dans leurs morceaux, qui dépassent les quatre minutes autorisées. revu par Neil Young (mais plutôt : Supertramp jouant “Nebraska”). Leur
Quand vous avez débuté, Mark, cherchiez-vous le décalage par rapport maison de disques se voit refiler un single de 6 minutes 45 où
au mouvement à la mode ? Knopfler boit son café, répond par une question : Knopfler parle plus qu’il ne chante — “Private Investigations”, numéro
“Quel mouvement ?”. Le post-punk ! Joy Division, Devo, Ultravox ! Il 2 des charts. Parallèlement, le guitariste produit Bob Dylan et Aztec
fait semblant de tilter, contrarié. “Je ne savais pas grand chose de ces Camera, offre un tube à Tina Turner (“Private Dancer”), bosse avec
groupes-là... C’était avant Spotify ou YouTube... On était tout le temps sur Scott Walker, Van Morrison et Phil Everly, compose deux BO. Il ne
la route, on ne faisait que tourner, jouer notre musique, celle qu’on aimait, délaisse pas son groupe : l’heure a sonné pour “Brothers In Arms”, 1985
sans se soucier de nos contemporains. On a joué avec les Talking Heads, — “Born In The USA” version UK et planante. Un raz-de-marée : 30
Police, Squeeze, on était assez différents, mais on s’entendait très bien. Il millions d’exemplaires vendus. Numéro 1 mondial. Une brouette de
n’y avait pas que le post-punk, les groupes les plus populaires, c’était Boston, records internationaux volent en éclat. Comment le bouseux écossais
Kansas... Et Styx, avec qui on a aussi tourné, une catastrophe. Dire Straits est-il devenu le roi du game ? Le format CD débarque sur le marché,
était encore plus en décalage avec ces horreurs-là.” Dire Straits l’exploite et le popularise. Comment ces types qui ne
Les gardiens du bon goût ne leur ont pas attribué la carte, et leur radiation ressemblent à rien bénéficient-ils d’un tel bombardement visuel ? A
a perduré, Dire Straits ayant le tort de n’avoir pas été confidentiel — au cette époque, MTV fait la pluie et le beau temps. “Money For Nothing”
contraire : des gros vendeurs, synonyme en ce temps-là de vendus. est diffusé jusqu’à la nausée. “Le personnage de la chanson est un
D’autres mastodontes, autrefois considérés comme douteux, au choix crétin matérialiste qui fantasme sur le mode de vie attribué aux rock stars,
Fleetwood Mac, Zappa, Abba, Steely Dan, Billy Joel, ont été disculpés. le jet privé, les filles, des passages sur MTV. Son matraquage était tellement
Aucune formation contemporaine ne cite aujourd’hui Dire Straits comme ironique...” A la fois hors-norme et parfaitement calibré, “Brother In
influence — même pour rigoler. Imaginons Beechwood revendiquer Arms” est le premier disque dont les synthés sont traités sur ordinateur.
“Making Movies” comme disque fondateur : leur carrière serait coulée Les cul-terreux au top de la technologie, encore un paradoxe. Alors que
sur place. On compte pourtant plusieurs héritiers, et ce ne sont pas les la pochette exhibe une guitare, Dire Straits, connu pour son guitariste
artistes les plus pourris : Timber Timbre, The War On Drugs, Kurt virtuose, s’est mué en groupe largement synthétique. Décalage aussi au
Vile, Jim White... Si la principale faute de Dire Straits a été de débarquer niveau du statut de Knopfler : il se place dans la lignée de Hank Marvin
en même temps que The Cure, pourquoi ne pas les imaginer dans une et le voilà propulsé pop star des eighties, à côté de Kajagoogoo.
autre décennie ? Quelle serait leur anathème s’ils avaient évolué dans Comme pour se laver d’un tel phénomène, Knopfler enchaîne les
les seventies aux côtés de Ry Cooder, Leon Redborne, Paul Simon, Ronnie collaborations, principalement avec des vieilles gloires : Ben E King,
Lane ou Dr John ? Que leur aurait-on reproché s’ils avaient débuté en Chet Atkins, Bryan Ferry, Tina Turner, Willy DeVille, Randy Newman...
même temps que tous les Tindersticks, Jeff Buckley ou Wilco ? Pourquoi Omniprésent toute la première moitié des années 80, Dire Straits disparaît
accorde-t-on à Springsteen ou Tom Petty les mérites qu’on refuse à ces des radars. Une fois la décennie liquidée, Knopfler réapparaît avec un
péquenauds british ? Mark Knopfler aurait dû être un Traveling Wilburys, projet roots et médiocre (The Notting Hillbillies) puis relance la machine
mais il y avait un hic : trop ringard, même pour ce ramassis de vieilles légendes Dire Straits. Le problème de “On Every Street” (1991) n’est pas qu’il
décrépies. A ce niveau-là, le déplumé en devient encore plus attachant. soit, au moment où sort “Smells Like Teen Spirit”, complètement à côté
de la plaque — c’est la marque de fabrique du groupe. Plus gênant :
son manque d’inspiration. Dire Straits, avec tous ses paradoxes (et ses
Bombardement visuel chansons supérieures), a incarné une face passionnante des eighties.
Knopfler a aujourd’hui quatre enfants, il est marié depuis 20 ans avec Dans les nineties, il est un vieux mastodonte fatigué.
une actrice du réalisateur le plus barbant de tous les temps (James Ivory),
et son passe-temps favori, en dehors de ses enregistrements, c’est la
lecture. Il a passé une partie de notre rencontre à parler de l’importance Jamais dans le coup
“de donner aux bonnes œuvres”. Quand nous lui demandons s’il a été, Mark Knopfler, ensuite, a continué en solo, enregistrant des albums
comme la plupart de ses collègues au milieu des années 80, un avide pépères, mi-americana mi-celtiques, sans aucun intérêt, si ce n’est qu’ils
consommateur de cocaïne, il nous donne enfin du trash : “J’étais en effet contiennent régulièrement de belles chansons (“Redbud Tree”,
addict : au tabac. Mais c’est bon, j’ai décroché de la nicotine il y a 21 “Speedway At Nazareth” et, dans le nouveau, “My Bacon Roll”). Avant
ans.” Mark Knopfler n’est pas pour autant un mal-aimé. L’amour du de le quitter, dernière question : pensez-vous avoir été à la mode à un
public, il l’a, depuis les débuts de Dire Straits. “J’avais 28 ans quand moment de votre carrière ? Lui qui était resté bonhomme bondit de
le succès s’est abattu sur moi. C’est vieux, je l’ai vécu comme un avantage : son siège. “Non, jamais, s’il vous plaît ! Non, non, non ! Dieu merci, je
j’avais la maturité pour le supporter. C’était un tel bonheur ! Je recommande n’ai jamais composé pour être trendy !”. Il n’aurait donc jamais voulu
à tout le monde le succès — à tout ceux qui sauront ne pas se faire être dans le coup. Ce qui n’est pas obligatoirement passible de châtiment
déchiqueter”. 1977, Knopfler compose un hommage aux musiciens de corporel. “Vous avez une liste de tous les principaux fautifs/ De toutes
bar : la démo de “Sultans Of Swing” est matraquée par un programmateur leurs principales erreurs” : c’est dans sa chanson “It Never Rains”, que
Photo Dderek Hudson-DR
radio. Phonogram signe Dire Straits (raide fauché ou mauvaise passe). Knopfler ponctue d’un parfait : “Je suis peut-être coupable, oui, c’est
1978, succès du premier album, homonyme. En marge de la guerre disco possible/ Mais je mentirais si je disais que j’étais à blâmer”. ★
contre punk, Dire Straits tire son épingle du jeu, en joignant les Etats-
Unis (The Band) depuis l’Angleterre (Stackridge). Puis “Communiqué”, Album “Down The Road Wherever” (Universal)
avec “Lady Writer”, produit par Jerry Wexler et le boss de Muscle
Hermétisme assumé
COCTEAUTWINS
De 1981 à 1996, le groupe britannique éleva la mélancolie
new wave à des hauteurs nuageuses, avant l’inévitable orage.
Une histoire singulière, brièvement commentée par Simon Raymonde.
PAR ALEXANDRE BRETON
DU FOND DE L’ELYSEE MONTMARTRE blanchie par que lorsque Phill Calvert, touché par ces gosses audacieux, leur file
les nappes de fumigènes où se fondent les corps, la scène l’adresse de son label londonien, le tout récent 4AD, il ne leur en faut
semble en apesanteur. Entourée, à sa gauche, de Simon pas plus pour graver illico sur une simple cassette leurs quelques démos
Raymonde à la basse et, à sa droite, de Robin Guthrie dans la salle à manger de la mère de Guthrie qui, dans la foulée, attrape
à la guitare, Liz Fraser chante les dernières lignes le train de nuit pour Londres afin de les déposer sur le bureau-même du
d’ “Aikea-Guinea” en se frappant rythmiquement la boss, Ivo Watts-Russell. Parallèlement, une seconde cassette est envoyée
poitrine du poing, son regard bleu intense fixant le vide. à John Peel, le célèbre DJ qui officie sur la BBC. Ivo vient de lancer
Applaudissements ; un gamin hirsute réclame “Wax avec Peter Kent ce label, émanation de Beggars Banquet, dont on sait à
And Wane”. Pas un mot. L’atmosphère, entre chaque quel point, tant musicalement que graphiquement (grâce aux pochettes
morceau, est d’une densité proportionnellement inverse conçues par Vaughan Oliver), il marquera l’histoire du rock. Depuis
à la grâce aérienne des titres égrenés. Nous sommes en l’autoradio, “Speak No Evil” et “Perhaps Some Other Aeon” lui font l’effet
1990, un soir d’octobre, les Cocteau Twins sont passés d’un éclair, tant la signature musicale est déjà assurée : vagues de riffs
comme une apparition, lointains, silencieux, s’effaçant distordus noyés de reverb aux harmoniques saisissantes, basse gutturale
derrière leur musique féconde en rêveries puissantes. Le et boîte à rythme asthmatique, en contrepoint de la voix de soprano vrillée
trio, que son label historique, 4AD, vient de congédier, de Liz. Aussitôt signés, il les envoie en studio pour enregistrer ce qui
a publié le somptueux “Heaven Or Las Vegas”, plébiscité donnera le premier album du groupe, “Garlands”.
par la presse ; il entrait alors dans la phase finale d’une Sorti en juillet 1982, ce premier acte sombre et minimaliste est d’une
histoire sans temps mort dont le coffret publié par cohérence incroyable, avec des sommets de froideur hypnotique comme
Universal cet automne documente les dernières heures, “Wax And Wane”, “Shallow Then Halo” ou “Grail Overfloweth”. Si le
cauchemardesques, à travers les mal-aimés “Four- choix de la saison est hardi pour un album aussi peu estival, la période
Calendar Café” (1993) et “Milk & Kisses” (1996). est néanmoins propice. A Londres, où le groupe donnera son premier
concert en avril 1982 — en première partie de Birthday Party —
émerge la scène gothique, croisement de la flamboyance baroque des
Banshees et la raucité martiale de Joy Division. Le point de ralliement
Soprano vrillée est situé en plein Soho où Jon Klein et Olli Wisdom ont ouvert, ce même
Tout commence sur un coup de tête. S’étant faufilé, malgré les réticences été, le club The Batcave. Les Cocteau Twins bénéficient de ce climat
de Liz qui finit par le suivre, dans les loges du groupe de Nick Cave, The victorien mais ne partagent guère la théâtralité du mouvement ; à vrai
Birthday Party, Robin Guthrie, surmontant sa timidité maladive, parvient dire, ils s’en moquent, affirmant même lors de rares interviews n’avoir
à tailler la bavette avec le batteur, Phill Calvert. Il faut s’imaginer ces aucune affinité avec qui ou quoi que ce soit. Hermétisme assumé que l’on
deux gamins qui n’ont pas vingt ans, natifs d’une sinistre cité industrielle retrouvera à plusieurs niveaux, par la suite : dans la singularité opaque
de la côte est de l’Ecosse, Grangemouth, au milieu de ces gothiques de la production, dans les titres sibyllins, souvent repiqués à d’autres
Photo Dave Tonge/ Getty Images
Australiens ! Avec le bassiste Will Heggie, copain de lycée de Guthrie, textes selon un principe d’autocitation, et dans le chant cristallin de Liz
les trois viennent de former un groupe, dont le nom n’est pas une référence Fraser dont les paroles, d’une sidérante beauté poétique, sont délibérément
immédiate à l’auteur des “Enfants Terribles”, mais piqué au répertoire rendus presque incompréhensibles. Enigme pour une presse plutôt favorable,
d’un groupe encore confidentiel, Simple Minds. Les deux compères ont le groupe se trouve un soutien plus qu’enthousiaste chez John Peel, lui
récemment trouvé en Liz Fraser, punkette perchée repérée par Guthrie aussi conquis par la fameuse cassette de l’automne 1981.
à la discothèque locale, une voix au timbre d’un autre monde. Si bien
Le groupe subjugue mais se lasse vite du tumulte autour de son premier Si le shoegaze des années 90 — Ride, My Bloody Valentine — est inspiré
opus et s’enferme en studio. On les presse de publier, si bien qu’un 3- par les Cocteau Twins, il est clair, à l’écoute de ces deux albums, qu’ils
titres, “Lullabies”, mixé par John Fryer, ingénieur du son des premiers portent aussi en germes le trip hop à venir représenté par Portishead ou
Depeche Mode, sort en septembre 1982 ; il est suivi d’un autre EP en Massive Attack avec qui Liz collaborera. Le groupe, qui a pénétré le
mars 1983, “Peppermint Pig”, produit par Alan Rankine, guitariste de marché américain avec une impeccable compilation, “The Pink Opaque”,
The Associates. Dénigré par Guthrie lui-même qui, dorénavant, multiplie les projets parallèles comme autant d’appels d’oxygène : Liz
n’abandonnera plus la console à quiconque, ce titre manquera cependant collabore avec Felt (“Primitive Painters”), Wolfgang Press ou Harold
la première place des charts indépendants à la faveur du “Blue Budd, pendant que Guthrie prête main-forte aux jeunes AR Kane. En
Monday” de New Order. La presse s’emballe, envoûtée par Liz Fraser retour, le cinéma, en la personne de David Lynch, commence à les courtiser,
comparée à Edith Piaf. Rétrospectivement, on y entend surtout les prémices sans lendemain pour l’auteur de “Blue Velvet” qui se tournera vers Angelo
du son des Cocteau Twins, dont l’acte de naissance coïncide avec la sortie Badalamenti avec la perspicacité que l’on sait.
de “Heads Over Heels” en août 1983. C’est un tournant, à plusieurs
niveaux. D’abord, c’est l’album d’un groupe désormais réduit au couple
Fraser et Guthrie, Heggie ayant probablement été viré par la diablesse Processus de désintégration
aux yeux clairs au cours de l’épuisante tournée européenne, en première On est en 1988, le groupe dispose à présent de son propre studio
partie d’Orchestral Manoeuvres In The Dark juste avant la sortie de l’album. d’enregistrement à Londres et a réussi à imposer son indépendance. Il
En outre, l’écriture et la production y sont plus complexes, la palette vocale signe chez Capitol un juteux contrat de distribution internationale qui
de Liz plus riche. Les structures gagnent en espace, comme sur “Five lui assure une visibilité éminemment accrue, ce que beaucoup de
Ten Fityfold” ou le solaire “Sugar Hiccup”. Enfin, la pochette, signée fidèles du groupe prendront pour une compromission. Aussi, à sa sortie
Vaughan Oliver, scelle l’intrigante identité visuelle du groupe. Cette en septembre 1988, “Blue Bell Knoll” divise les camps, entre ceux qui
formule est toutefois de courte durée. Fin 1983, Guthrie fait la rencontre adulent la dimension stratosphérique du groupe (“For Phoebe Still A
décisive de Simon Raymonde. Ce multi-instrumentiste, dont le père Baby”) et ceux qui lui reprochent la répétition d’une formule devenue
pianiste travailla avec Dusty Springfield, est intégré aux séances soporifique (“Cico Buff”). L’unanimité se produira avec l’ultime chef-
d’enregistrement du sublime “Song To The Siren”. Publié en octobre 1984 d’œuvre, en 1990, “Heaven Or Las Vegas”. Le Paradis et la Chute. Tout
dans “It’ll End In Tears”, première compilation du collectif This Mortal le monde semble désormais aimer les Cocteau Twins : Robert Smith (dont
Coil mis sur pied par Ivo Watts-Russell et rassemblant différents groupes- “Treasure” sera la bande-son de son mariage !), Prince (qui utilisera
maison tels The Wolfgang Press, Dead Can Dance ou Xmal Deutschland, une boucle de “Fifty-Fifty Clown” sur “Love Thy Will Be Done”), Madonna
cette reprise du titre de Tim Buckley est un succès immédiat, adoubé des ou Annie Lennox ne tarissent pas d’éloges à leur sujet. Pourtant, la suite
ondes. Ce succès n’est toutefois pas du goût du groupe, qui redoute qu’il de l’histoire, s’étalant sur six ans et deux LP, ressemble à un invincible
n’éclipse les productions signées Cocteau Twins. A tort, si l’on en juge crash. Le groupe est au faîte de sa gloire, triomphant des assauts de la seconde
par la réception très favorable de son troisième album, sorti le même mois. génération de groupes de 4AD, Pixies et Breeders en tête, épaulé par la
“Treasure”, qui devait initialement bénéficier de la collaboration de Brian déferlante grunge ; le clip de “Iceblink Luck” tourne sur MTV et Coca-
Eno, va longtemps incarner l’essence du groupe pour ses fans. Avec son Cola lui commande un titre ; enfin, la gigantesque tournée est un triomphe.
du chant onomatopéique d’une Lisa Gerrard de Dead Can Dance ; la Jusqu’à ce jour de 1998, où Liz Fraser téléphone à ses deux copains
décision, chez Liz, tient davantage de l’incapacité maladive à exposer d’adolescence affairés à l’enregistrement du prochain album : elle ne
ses textes. De ce point de vue, “Victorialand”, essentiellement acoustique, reviendra pas au studio. ★
radicalisant les principes du précédent opus, marque le tournant ambient
du groupe, à nouveau réduit au duo Guthrie-Fraser, Raymonde se consacrant Coffret “Treasure Hiding : The Fontana Years” (Phonogram/ Universal)
à la seconde compilation de This Mortal Coil, “Filigree & Shadow”.
“Nombre de gens me
disent qu’ils adorent
cet album, mais j’ai
un peu de mal avec ça.
Comment peut-on aimer
pareille souffrance ?”
BOB
DYLAN
L’intégralité des séances de “Blood On
The Tracks” paraît aujourd’hui dans
un imposant coffret. Pourquoi cet album
est-il si important ? Peut-être parce que
le chanteur y atteint un sommet d’écriture
et s’y livre comme jamais auparavant.
PAR CHARLES FICAT
A PROPOS DE “BLOOD ON THE TRACKS”, LA
COUTUME PARLE D’UN RETOUR DE BOB DYLAN
APRES UNE DECENNIE D’ERRANCE. Ce disque serait
le seul à pouvoir rivaliser avec la trilogie grandiose des
années 1965-1966 qui n’a cessé de hanter les mémoires :
“Bringing It All Back Home”, “Highway 61 Revisited”,
“Blonde On Blonde”. Dès les premières notes, “Blood
On The Tracks” s’impose avec évidence comme un disque
majeur. “Tangled Up In Blue”, qui l’ouvre, rivalise avec
les morceaux de bravoure “A Hard Rain’s A-Gonna Fall”,
“Like A Rolling Stone” ou “Desolation Row”. L’homme
n’est plus le même, il est entré dans une phase de maturité.
Le voilà confronté à un problème existentiel, celui de
la séparation d’avec sa femme Sara. L’aura qui entoure
Photo Barry Fenstein-DR
Cette vue mérite d’être plus que relativisée, car lors de sa retraite
consécutive à l’accident de moto de 1966, il enregistre avec le Band
les “Basement Tapes”, dont on peut aujourd’hui mesurer, dans leur
A trente-quatre ans,
intégralité, à quel point il s’agit d’un chef-d’œuvre, puis des albums
remarquables, “John Wesley Harding” surtout, mais aussi “Nashville
Dylan occupe
Skyline”. Très décrié à sa sortie, “Self Portrait” a fait l’objet d’une
réévaluation à la faveur de la sortie du “Bootleg Series Vol 10”. Quant le devant de la scène
à “New Morning” ou “Pat Garrett & Billy The Kid”, voilà des albums
fort honorables — pas aussi flamboyants que ceux du début, mais qu’on et plus personne
aurait tort de rejeter en bloc. On écartera l’album “Dylan” sorti à son
insu par Columbia. Il signe avec David Geffen chez Asylum. En 1974,
il réussit un coup double avec ses amis du Band : “Planet Waves”,
ne peut lui disputer
numéro 1 au Billboard à sa sortie, suivi d’une tournée triomphale
d’une trentaine de dates aux Etats-Unis et d’un disque live, le premier sa couronne
de sa carrière, “Before The Flood” qui paraît en juin.
malin et va aussi loin que son âme lui permet. Toute cette intensité
passionnée se retrouve saisie lors des sessions de septembre 1974,
menées sous la houlette de Phil Ramone, et qui font l’objet aujourd’hui
Du sang, de la peine, d’un nouveau volume des Bootleg Series, après que des extraits ont été
de la souffrance distillés depuis une trentaine d’années, où l’on retrouve également les
Quand il commence à l’été 1974 à écrire sur son petit carnet rouge à deux titres qui finalement n’ont pas été retenus dans la sélection finale :
spirale les chansons qui figureront sur “Blood On The Tracks”, Dylan “Up To Me” et “Call Letter Blues”. Avec des surprises, telle cette
est conforté par un succès retrouvé qui déclenche une très forte présence, dans un studio voisin, de Mick Jagger qui passera une tête
attente autour de son nom. D’autant que, dans cette ferme du Minnesota, et dont la voix fut capturée.
récemment acquise où il passe son été, il est accompagné d’Ellen
Bernstein, une cadre de Columbia, qui ne sera sans doute pas étrangère
à son retour dans le giron de son label d’origine. Dans la presse, il De face et de profil
n’est alors plus question de ces nouveaux Dylan, auxquels on faisait Sitôt les enregistrements achevés, les titres mixés, un test pressing est
souvent allusion au début des années 1970 dès qu’un nouvel artiste réalisé que Dylan, de retour à Malibu, fait écouter à Robbie Robertson
équipé d’une guitare publiait un album : Bruce Springsteen, Elliott et quelques proches. Columbia espère sortir l’album avant Noël.
Murphy et d’autres ont eu droit à cet épithète. A trente-quatre ans, le Entretemps, la relation avec Ellen Bernstein s’effiloche et Dylan semble
vrai Dylan occupe le devant de la scène et plus personne ne peut lui tenter une réconciliation avec Sara. Une incertitude demeure quant au
disputer sa couronne. destin de l’œuvre. Dylan la fait alors écouter à son jeune frère, David
Avec les chansons de “Blood On The Tracks”, le Zim tient un ensemble Zimmerman, qui lui suggère de réenregistrer la moitié des titres. Pour
cohérent, qu’il ne faut pas dénaturer. Au contraire, il s’agit de donner quelle raison ? Il craint que le disque rencontre peu d’écho en raison
à l’album toute la puissance qu’il mérite et cette question soulèvera bien de l’aridité du son et lui propose de l’électrifier. Le 27 et le 30 décembre
des tergiversations, jusqu’à aujourd’hui pas tout à fait tranchées, tant 1974, il s’occupe de lui trouver des musiciens et de réserver un studio,
sur le plan des textes que des arrangements. Soumises à de nombreuses le Sound 80 à Minneapolis. En fait, Dylan ne fait pas que modifier les
corrections et variations, les paroles impliquent le plus intime de son arrangements, il en profite encore pour amender les textes. Cinq titres
être, comme dans “Simple Twist Of Fate” ou “Idiot Wind”. Dans les feront l’objet d’un réexamen : “You’re A Big Girl Now” et “Idiot
interprétations live, les textes continueront à varier. Trait assez Wind” le premier jour, “Tangled Up In Blue”, “Lily, Rosemary And
typique du caractère dylanien, à savoir que, même enregistrée, une The Jack Of Hearts” et “If You See Her Say Hello” le second. Les noms
chanson continue à évoluer aussi bien dans ses paroles que dans ses des musiciens qui l’accompagnent lors de ces sessions n’apparaîtront
sonorités. Toute sa vie le démontre. jamais sur les éditions successives de l’album. Les voici pour la postérité :
Après avoir joué quelques morceaux au mois d’août à son vieux complice Kevin Odegard (guitare), Peter Ostroushko (mandoline), Billy Peterson
Mike Bloomfield — le génial guitariste du Paul Butterfield Blues (basse), Gregg Inhofer (claviers), Bill Berg (batterie). En tout cas, en
Band qui l’accompagna sur “Highway 61” et lors de la fameuse nuit électrifiant davantage ces titres, Dylan les rendait plus percutants et
du festival de Newport en 1965 — sans pouvoir le convaincre de s’éloignait de ce dévoilement qui mettait son cœur à nu.
participer, Dylan entre à New York aux studios A&R, anciennement La suite de l’histoire est connue. Sorti le 17 janvier, l’album est dans
studio A, où il avait enregistré six de ses albums historiques dans les l’ensemble très bien accueilli par le public (numéro 1 aux Etats-Unis,
années 1960. Au départ, il compte faire appel à Eric Weissberg et à son numéro 4 au Royaume-Uni), un peu moins par la critique. Jon Landau,
propre groupe Delivrance. Cependant, la première séance, le 16 dans Rolling Stone, exprime des réserves trouvant l’orchestration “bâclée”
septembre, ne se déroule pas conformément aux souhaits de Dylan, — comme d’habitude. Dans le New Musical Express, Nick Kent se montrera
parfois difficile à suivre dans ses exigences. De cette première journée plus sévère encore. En revanche, Michael Gray — un des meilleurs
ne survivra sur l’album final que le bluesy “Meet Me In The Morning”. dylanologues au monde, auteur de deux sommes indispensables “Song
Il retourne au studio du 17 au 19 septembre avec de nouveaux musiciens And Dance Man III” et “The Bob Dylan Encyclopedia” — percevra,
(Paul Griffin à l’orgue, Buddy Cage à la pedal steel), à l’exception du lui, dans sa critique pour Let It Rock, “l’album le plus remarquablement
bassiste Tony Brown qu’il a gardé, et réenregistre les chansons. Au cours intelligent des années 1970”. Avec “Blood On The Tracks”, il apparut
de ces sessions, Dylan se laisse aller comme jamais. Sa voix exprime clairement que Bob Dylan était loin d’avoir dit son dernier mot, que son
Photo Ken Regan-DR
un degré d’émotion rarement atteint. Il est au sommet de son art. Ce écriture allait encore surprendre par ses trouvailles. L’homme entrait dans
n’est plus un artiste qui s’exprime, mais un homme dont le cœur est en une nouvelle phase de plénitude et de maîtrise. Il en va ainsi pour
train de chavirer et qui communique sa douleur. Il y a du sang, de la un des morceaux phares de l’album, sinon le plus important, une de ses
peine, de la souffrance dans ces chansons-là. Dylan ne fait pas le meilleures chansons jamais écrites : “Tangled Up In Blue”.
Ce n’est plus un mars 1975 dans une rare interview radio : “Nombre de gens me disent
qu’ils adorent cet album, mais j’ai un peu de mal avec ça. Comment
dont le cœur est l’égard de ces titres. En revanche, leur fils Jakob dira qu’il lui semblait
entendre ses parents converser en écoutant l’album. Certaines chansons
en train de chavirer prennent une autre signification avec le temps. Le 13 octobre 2016, lors
d’un concert au Chelsea Theatre de l’hôtel The Cosmopolitan à Las
Vegas, le soir de son attribution du prix Nobel de littérature, Dylan
et qui communique ressortit sa Stratocaster — fait de plus en plus rare — sur “Simple Twist
Of Fate” : en effet, suite à pareille consécration, il ne pouvait y avoir
BOBBIE
GENTRY
Un coffret exceptionnel réunit tous les enregistrements de la
fille de Chickasaw pour Capitol. Un rêve, tant ses albums légendaires
ont été peu ou mal réédités. Retour sur une carrière unique
en son genre avant la plus énigmatique des disparitions.
PAR NICOLAS UNGEMUTH
“JE SUIS PROBABLEMENT L’UNE DES SEULES tous ses albums pour Capitol, celui en duo avec Glen
PERSONNES DE MA GENERATION A ETRE ALLEE Campbell, un live à la BBC qui n’avait jusqu’ici été
A L’EGLISE DANS UNE CARIOLE TIREE PAR DES disponible que durant un Record Store Day, et de
MULES, PUIS A M’ETRE DEPLACEE EN JETS nombreux bonus, singles et démos (souvent très proches
PRIVES.” Quand Bobbie Gentry, née Roberta Lee des versions finies, ce qui en dit long sur son talent
Streeter en 1942, faisait cette déclaration alors que et sa confiance en elle). A son sujet, certains parlent de
sa carrière était bien entamée, elle ne mentait pas. country soul et elle se retrouve d’ailleurs incluse dans
Elle, et quelques autres très rares, dont Johnny Cash les excellentes compilations “Country Soul Sisters” (Soul
ou Dolly Parton, sont passés assez rapidement du Jazz), d’autres, de housewife goth, ce genre plein de
dénuement le plus absolu à la célébrité globale. Gentry chansons dramatiques prisées par les femmes au foyer
est connue pour être “la fille du comté de Chickasaw”, américaines de la fin des années 60, dont l’initiateur
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
pas très loin de Woodland, de Tupelo et de Clarksdale, pourrait être Roy Orbison, le maître masculin Glen
dans la région du Delta du Mississippi (à ne pas Campbell via ses interprétations magiques des classiques
confondre avec le delta du fleuve, là où il rejoint mélancoliques de Jimmy Webb (“Wichita Lineman”,
la mer). L’Etat du Mississippi, actuellement le plus “By The Time I Get To Phoenix”, “Galveston” ou
pauvre des Etats-Unis, et le Sud au sens large auront le monstrueux “It’s Only Make Believe” de Conway
influencé toutes ses grandioses compositions durant Twitty), et la prêtresse absolue Bobbie Gentry
l’intégralité de sa carrière, laquelle est résumée dans grâce à son classique morbide et sinistre, “Ode To
un monumental coffret (voir pages Rééditions) alignant Billie Joe” (repris chez nous par le louche Joe Dassin).
E
levée par sa grand-mère dans une ferme, elle a plus On connaît la suite : en 1967, année de “Sgt Pepper”, le single se retrouve
tard rejoint son père et sa belle-mère dans la pauvre numéro un des charts pop et country aux Etats-Unis, numéro 1 au Canada,
ville du Delta, Greenwood — une région qui a enfanté numéro 13 en Angleterre, remporte trois Grammies dont celui des meilleurs
certains des plus grands bluesmen d’avant et d’après- arrangements pour Haskell, et se vend à des millions d’exemplaires.
guerre — avant de rejoindre sa mère en Californie, à Du jour au lendemain, Bobbie Gentry devient une star mondiale...
Palm Springs, richissime lieu de villégiature des stars
de Los Angeles, et concentré
de desert modernism, architecture aussi épurée
que sublime. Là, elle étudie le piano, la guitare L’ivresse
et le banjo, et dessine également sa propre des charts
ligne de vêtements. Elle se produit sur scène avec Tout a été dit sur cette chanson étrange, sans
sa mère, adopte le pseudonyme de Bobbie Gentry refrain, sans montée mélodramatique, tout en
en référence au film “Ruby Gentry”, part étudier épure, à peine portée par les accords syncopés
la philosophie à Los Angeles avant de rejoindre de la petite guitare Martin 5-18 de Gentry (qui,
le Los Angeles Conservatory Of Music où elle sur tous ses enregistrements, sonne presque
étudie l’art de la composition, l’harmonie et les comme une guitare espagnole aux cordes en
arrangements. Elle lance une ligne de maillots nylon) et baignée dans les cordes flippantes de
de bains, chante et danse dans des clubs à San Haskell. L’histoire d’une jeune fille qui raconte
Diego et Las Vegas, rejoint la troupe exotica de un dîner familial durant lequel tout le monde
Johnny Ukulele et continue d’écrire ses propres parle tranquillement d’un jeune homme, Billie
chansons. Ce n’est pas étonnant que son premier Joe, qui s’est suicidé en sautant du pont de
enregistrement soit un duo avec le champion Tallahatchie dans la ville de Money (popu-
de la chanson tragique : Jody Reynolds a rencontré lation : 100 habitants ; la ville est connue pour
un succès énorme en 1958 aux Etats-Unis avec un lynchage et a déjà chantée par les Staple
le glauquissime “Endless Sleep” qui a lancé la Singers et Bob Dylan) après avoir, la veille,
mode des death songs ; il est plus connu en France jeté “quelque chose” dans la rivière en com-
par les amateurs du Gun Club pour le tout aussi pagnie d’une jeune fille (un bébé, peut-être),
déprimant et gothico-rockab-maniacodépressif tandis qu’autour de la table, on redemande
“The Fire Of Love”, dont il est l’auteur et le génial “une autre part de tarte aux pommes”. Pourquoi
interprète. Ensemble, ils sortent un single le garçon s’est suicidé, personne ne le sait.
(“Stranger In The Mirror”/ “Requiem For Love”) “Cela parle de l’indifférence et de la décon-
sur le label Titan en 1966 sous l’intitulé Jody & traction des gens face aux situations drama-
Bobbie. Puis, elle rencontre le grand chanteur tiques”, s’est contentée d’expliquer l’auteur.
de blue eyed soul Bobby Paris (vénéré dans le La chanson reste un mystère sans la moindre
milieu Northern Soul pour son grandiose “Night résolution, et les critiques, impressionnés
Owl”), qui lui propose d’enregistrer les démos par la qualité de la narration, ont convoqué à
qui serviront plus tard à l’album “Ode To Billie son sujet les grands héros du genre southern
Joe”. Repérée sur scène par un DJ, elle commence gothic : Harper Lee, William Faulkner, Carson
à faire parler d’elle et est rapidement signée par
Capitol, à qui elle présente les chansons qu’elle Rien de McCullers et Flannery O’Connor. Rien que
ça... Encouragée par ce succès phénoménal,
entendait écrire pour d’autres chanteurs : Bobbie
Gentry voulait en réalité être une sorte de nouvelle
Carole King et, pour “Ode To Billie Joe”, elle
country ici, Gentry enregistre le reste de son premier album,
celui avec la fameuse pochette qui la voit assise
sur une barrière, pieds nus avec un jean et sa
avait en tête le chanteur de soul grand public Lou
Rawls. Mais, lorsqu’ils entendent sa voix — et
juste une petite Martin. C’est un début fantastique, qui
s’ouvre avec le super soul “Mississippi Delta”,
quelle voix — les pontes de Capitol décident sur
le champ de sortir ses propres versions de tuerie ultra ode à ses origines, enchaînant directement sur
la grandiose composition “I Saw An Angel Die”.
“Mississippi Delta” (prévu pour la face A du
single) et de “Ode To Billie Joe” (censé se
retrouver sur la face B). Arrive le producteur
sensuelle Ces deux titres résument parfaitement le genre
de la dame : d’un côté, des machins moites et
funky, de l’autre des ballades pleines de cordes
Kelly Gordon, que Bobbie adore : il travaillera et d’accords de guitare délicats sur des rythmes
avec elle sur trois albums. Puis l’arrangeur Jimmie Haskell, qui a fait presque bossa, un harmonica chromatique aux antipodes des clichés
des merveilles pour Elvis Presley, Bobby Darin et Fats Domino. Ses du blues et quelques cuivres, sur lesquelles sa sublime voix de chatte
Photo Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images
arrangements de cordes pour “Ode To Billie Joe” donneront un aspect enrouée fait systématiquement des miracles. L’album “Ode To Billie
encore plus dramatique à la chanson (“Le morceau de Bobbie ressemblait Joe” réunit neuf compositions de Bobbie dont plusieurs splendeurs
à un film, j’ai donc conçu des arrangements de cordes comme pour un (“Chickasaw County Child”, “Papa, Won’t You Let Me Go To Town
film”, expliquera-t-il, et, de fait, lorsque la narratrice explique dans la With You”, “Hurry Tuesday Child”, “Sunday Best” ou “Niki Hoeky”,
dernière phrase qu’elle se rend régulièrement sur le pont pour jeter des qui sonne comme du super Tony Joe White acoustique, un auteur avec
bouquets de fleurs dans la rivière en hommage au suicidé, on les lequel elle partage d’ailleurs plus d’un trait) et s’achève sur le tube
entend littéralement tomber grâce aux cordes de Haskell : son travail est phénoménal. Son unique. Ce morceau sinistre semble maudit : plus
fantastique). Le résultat est tellement impressionnant que les gens jamais Bobbie ne retrouvera l’ivresse des charts.
de Capitol décident de sortir le morceau sur la face A du single.
qui force sa fille à se prostituer, laquelle passe chanté une dernière fois en public en 1981, puis
de la pauvreté du Sud à la richesse la plus s’est rendue à la cérémonie des Country Music
absolue de New York, mais à quel prix ? C’est, Awards un an plus tard. Après quoi, elle a tout
une fois de plus, un chef-d’œuvre narratif et les simplement disparu, à l’âge de 37 ans. Aucun
équipes de Muscle Schoals habillent le tout avec enregistrement, aucune apparition publique,
une classe absolue. Suivent de bonnes versions aucune interview, aucune photo n’a filtré depuis.
de “Something In The Way She Moves” de Elle aurait quitté Los Angeles vers 1984 pour
James Taylor, de “Rainmaker” de Harry Nilsson, aller vivre dans la mythique ville sudiste de
de “Wedding Bell Blues” de Laura Nyro, et Savannah (Géorgie). Dans les années 90, un
une mignonne version de “Raindrops Keep Falling On My Head”, postier aurait déclaré avoir livré avec son équipe un piano à une
autre classique bacharachien (un single propose une gentille femme qui lui ressemblait énormément sur l’île de Skidaway, toujours
relecture de “In The Ghetto” d’Elvis, mais trop fidèle en Géorgie. Puis, plus rien. Bobbie Gentry s’est retirée du monde, vivant
à l’originale : seul Nick Cave est parvenu à en désormais recluse, comme Hedy Lamarr, Greta Garbo, Marlene Dietrich,
faire quelque chose). A l’époque, Bobbie vend Syd Barrett ou JD Salinger avant elle.
moins de disques, mais sa popularité reste
énorme : elle anime des shows télé aux Aujourd’hui, elle doit avoir 76 ans. Qui sait si elle a écrit des chansons
USA, au Canada, et même pour la depuis 1971 ? Qui sait si elle révèlera un jour pourquoi Billie Joe
BBC anglaise... McAllister a sauté du pont de Tallahatchie ? ★
THE BEATLES
IL ETAIT UNE FOIS LEUR REVOLUTION
Le 22 novembre 1968, les quatre fabuleux publiaient un neuvième album
double et blanc, fourre-tout grandiose enregistré dans une période de tumultes.
Mise en perspective, 50 ans après, en compagnie de Giles Martin,
responsable sonore de l’imposant coffret anniversaire.
RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
SUR LE COUP, DON McCULLIN N’EN EST Le 29 juillet, Don McCullin a utilisé quinze rouleaux de pellicule pour
PAS REVENU. Que John Lennon lui demande parvenir à cerner, dans un même cadre, quatre garçons dans la bourrasque
d’immortaliser les Beatles avec lui, allongé comme de leur carrière météorique (leur premier album n’était sorti que cinq
mort, au milieu. Photographe de guerre dont les ans plus tôt) et déjà finissante : deux egos surdimensionnés (Paul McCartney,
clichés du Vietnam avaient fait le tour des unes de un peu chef des opérations, John Lennon, l’esprit considérablement happé
journaux, McCullin en avaient vu d’autres, mais la par Yoko Ono, l’amour de sa vie), un frustré (George Harrison, parce qu’on
suggestion de Lennon, tristement prémonitoire, l’a n’accordait pas assez d’intérêt à ses chansons) et un autre (Ringo Starr,
sidéré. A la fois, il n’était plus à ça près. Sollicité las des parties d’échecs avec l’ami assistant Mal Evans ou, pire, que
à la mi-juillet 1968 pour shooter le groupe en studio Paul joue de la batterie à sa place). Mais, contre toute attente et la légende
pour la couverture de Life, puis, le lendemain, en urbaine, McCullin a photographié un vrai groupe : des types qui étaient
vadrouille dans Londres, le photographe n’a jamais véritablement ensemble. Car penser que “The Beatles”, mieux connu
su pourquoi les Beatles avaient pensé à lui. Mais voilà, sous le nom de White Album (et chez nous, de Double Blanc) s’est fait dans
à cette époque, les quatre faisaient leur révolution. la douleur est une erreur. Certes, Ringo a disparu un moment des séances.
Oh, pas celle des étudiants qui, un peu partout, étaient Oui, George Martin et Geoff Emerick ont aussi quitté le navire.
descendus dans les rues pour signifier leur ras-le-bol Effectivement, une partie de l’album a été mise en boîte ailleurs qu’à
de ce qu’incarnaient et faisaient les adultes. C’est Abbey Road (en l’occurrence à Trident) ce qui paraissait sacrilège. Il y
avec eux-mêmes que les Beatles en décousaient. a bien eu des engueulades, mais n’émaillent-elles pas toutes les vraies
La mort de Brian Epstein avait provoqué un séisme aventures humaines ? Aucune conception n’est totalement immaculée.
et si “Sgt. Pepper” avait confirmé la pérennité de leur L’enregistrement du White Album, comme la journée de shooting (le fameux
Photos DR
mise en orbite, “Magical Mystery Tour” avaient laissé Mad Day Out), n’a été un pensum que pour ceux qui n’y étaient pas et
apparaître des failles béantes comme des crevasses. ont voulu vendre la peau des Fabs avant 1969.
eu l’impression qu’ils avaient tout balancé sur un mur, un peu à la manière mais bel et bien incrustée entre “Cry Baby Cry” et “Revolution 9”, le fameux
de Jackson Pollock, et que le disque, en fait, c’est ce qui est resté collé. collage sonore concocté par John et Yoko (avec un peu d’aide de Harrison)
PALACE,
BAINS DOUCHES
& ROSE BONBON
Quatrième et dernier volet d’une série consacrée aux nuits parisiennes :
l’évocation de quelques hauts-lieux des années 80. Un ultime âge d’or ?
PAR PATRICK EUDELINE
JE ME SOUVIENS DE CETTE ANNEE (1975) OU LE Qu’il avait promis de se faire le pauvre Nick. En raison, ce me semble,
BUS PALLADIUM REOUVRAIT, sous l’égide, certes, de d’une critique pourtant plutôt élogieuse de “Presence” (heureusement,
Sam Bernett mais pour des nuits aussi vides que la piste il ne savait pas que j’avais voué ledit disque aux gémonies, bien plus
de danse. Je me souviens du Gibus pareillement déserté... encore que l’ami Kent). De plus, il y avait une piscine intérieure dans
Entre le glam rock et l’explosion du punk rock, le fameux endroit où nous étions conviés. Tout se passa comme prévu.
il y eut... Rien. Et la nuit parisienne était à cette image. Tout le monde but. Beaucoup trop. John Bonham déchira la veste
Oh, il y avait bien l’Elysée Matignon ou l’Aventure, de Nick par surprise (la fente arrière... tchakkk !) et chercha bel et bien
tenue par Dani, des clubs privés où Gainsbourg sirotait à le précipiter à la baille. Sinon... Jimmy Page mourait d’envie de
son whisky et où les champions de tennis pouvaient “faire une jam” avec ses amis des Pretty Things. D’accord. Mais Où ?
discrètement rouler leur joint. Mais c’est à peu Nous étions en semaine, certes, mais Paris était devenu si mort que...
près tout. Les seventies ne se sont pas déroulées comme Non vraiment ! Moi, je bouillais. J’avais un harmonica en poche. Et si ?
le croient généralement ceux qui n’y étaient pas, mais On peut toujours rêver. Tout le monde se retrouve donc, finalement,
les racontent quand même et témoignent néanmoins. au Gibus puisque cela semblait être le seul endroit ou de la musique
live pouvait se produire. Le Golf était fermé en semaine. Il y avait
bien un groupe qui jouait (son nom a disparu dans les poubelles de
Anecdote : Jimmy Page, sur son nouveau label, l’histoire), mais le guitariste jazz rock avait décidé que, non vraiment,
Swan Song, décide de signer ses amis de toujours, les Pretty Things ! il ne pouvait pas prêter sa guitare à n’importe qui. Même si ce
Pour l’occasion, fête est donnée. Rue de Sèvres, pas loin du Bon n’importe qui s’appelait Jimmy Page. Ou Dick Taylor.
Marché, dans un endroit si éphémère... que je n’ai pu en retrouver Et par le fait, tout le monde est rentré chez soi. Non, en cette morne
l’intitulé. Ni dans ma mémoire, ni ailleurs. J’y étais invité. Comme époque, entre jazz rock et pub rock, il n’y avait, hors les clubs
Philippe Manœuvre ou Nick Kent. Je revois Nick arriver dans privés susnommés, que le Sept. La boîte de Fabrice Emaer.
son sublime manteau vert Granny (celui qu’il allait revendre à Chris
Wilson et que j’allais racheter à Chris Wilson. Intéressant, non ?). J’étais alors un punk en devenir et, donc,
Photo Dymant/ Dalle
Son étonnante démarche de skieur à la Keith Richards comme mes petits camarades, fréquemment vêtu de cuir noir.
était un bonheur, mais nous étions inquiet pour lui. Bref, nous étions bien reçus au Sept.
L’affreux John Bonham était là. Et tout le monde savait qu’après Certes, le Sept ne passait quasiment que de la disco.
quelques verres (euphémisme) le bonhomme était hors de contrôle. Mais l’endroit était superbe, cool et propice aux rencontres.
les banquettes, où il Comme le Palace, les Bains sont faussement privés. Il y un portier
(le premier fut Chino ! batteur et saxophoniste d’Asphalt Jungle
Excellence rock’n’roll
The“INAr-Kaics
THIS TIME”
WICK/ DIFFER-ANT
Et si nous proposions, désormais, le avoir traîné leurs bottes un peu ici, d’un rock garage de très “No Vacancy” ou encore “Distemper”.
sacre des perdants ? On le sait, la crise partout aux Etats-Unis, ex-disquaires, noble lignée, hautement référencé. Ce “In This Time”, qui n’est
a frappé, l’argent se fait rare. Dans collectionneurs invétérés de raretés Le résultat prend la forme de douze décidemment pas de notre temps, est
notre art préféré autant qu’ailleurs, sixties. Des trentenaires normaux, qui compositions taillées comme autant globalement une ode à la frustration
les spécialistes du marketing ont ont trimé dur, de premières parties de singles potentiels, qui n’auraient post-adolescente (“Marre d’être traité
désormais les manettes et dictent les bien choisies (Mark Sultan, Ex-Hex) en certainement pas déparé parmi les comme un animal !”). On y critique le
nouvelles règles : la rentabilité avant festivals pointus (comme le Gonerfest). Chocolate Watchband, Music Machine narcissisme dans la narquoise “She’s
tout et la prise de risque quasiment D’insouciants passionnés, qui ne rêvent et Standells. Johnny Ward expurge son Obsessed With Herself”, l’indifférence
bannie. Nous voici donc dans un monde que de recréer la lumineuse période désespoir amoureux sous des textes dans l’angoissante murder ballad “Cut
où, pour survivre, les groupes chéris des années 1964-1967, célébrée souvent un rien misogynes, dans une Me Down” ou le capitalisme dans la
doivent tourner sans relâche tout en par les légendaires compilations tradition qui remonte à “Under My chanson-titre. Une timide douceur ne
alignant les parutions à un rythme “Nuggets”, “Peebles” et “Back Thumb”, avec une morgue menaçante finit par percer que lors de la délicate
effréné. Le label Wick, quelque part, From The Grave”. Ces paladins de (“Don’t Go With Him”, “You Turn Me “It’s Her Eyes” (“Je me sens si bien
est l’antithèse de cette tendance l’archaïsme, les diggers actuels les Mad”), sémillant doppelgänger vocal dans ses yeux”) et de la brumeuse et
déprimante. Fondé en 2016 en tant que avaient déjà remarqués pour quelques de Sky Saxon et Sean Bonniwell. nostalgique conclusion “Long Way
filiale de la très chic maison Daptone, quarante-cinq tours et un unique album Les guitares se font ombrageuses, Down”, ornée d’un pimpant saxophone.
spécialisée dans la soul, Wick ne de haut vol, frappés de macarons grinçantes, ponctuellement enrobées Pour accompagner ce disque à la
promeut que l’exigence musicale, chéris des connaisseurs. Quatre de fuzz épaisse (“What You Do”), classe sidérante, les Ar-Kaics ont, enfin,
l’excellence rock’n’roll. Ses premières longues années se sont écoulées striées de solos tranchants. La glissé un ultime symbole avec cette
sélections ont été éblouissantes : depuis ce premier effort, le temps rythmique se veut rudimentaire, pochette au style naïf. L’auteur en est
d’abord les extraordinaires californiens pour les Ar-Kaics d’affûter leurs armes, efficace, sans fioriture. De légères Mingering Mike, un artiste décalé qui,
des Mystery Lights, puis l’esthète pop à mûrir leur plan et de procéder à une touches de cuivres ou de claviers rêvant de devenir une vedette du R&B,
moustache Michael Rault. Voici donc sélection rigoureuse de leurs meilleurs viennent parfois épicer le propos. a peint les illustrations de ses disques,
venir une nouvelle livraison, tout aussi morceaux. La production, idéalement Les choses imparables s’enchaînent, mais sans jamais les graver. Un
parfaite. D’où sortent ces Ar-Kaics ? vintage, a été confiée à deux experts : miraculeusement. On apprécie par outsider, tout comme eux, à qui la
On ne le sait exactement. Trois garçons Wayne Gordon (Black Lips, King Gizzard exemple l’euphorisante “Sick ‘N’ Tired” gloire sourira peut-être un jour.
et une batteuse rouquine établis à & The Lizard Wizard) et Mikey Post (dont les accords rappellent “House ✪✪✪✪
Richmond, Virginie, mais qui semblent (Reigning Sound). On se délecte donc, Of The Rising Sun”), la tendue JONATHAN WITT
PISTE AUX ETOILES ✪✪✪✪✪ INCONTOURNABLE ✪✪✪✪ EXCELLENT ✪✪✪ CONVAINCANT ✪✪ POSSIBLE ✪ DANS TES REVES
Il manque quelqu’un à l’appel. Neuvième album studio de Dead Ça devient un peu compliqué de En plusieurs décennies d’activité,
Plus exactement, quelque chose : la Can Dance depuis ses débuts en s’y retrouver dans la discographie Jon Spencer a monté une poignée de
voix de Jacco Gardner. On l’attend, 1981, le deuxième après la séparation de Wilco entre les albums de Tweedy groupes, mais n’avait pas encore fait
la guette, la désire tout au long de de 1998 et “Anastasis” en 2012, tout court (Jeff et son fils Spencer), de le coup de l’album solo. Tâche à la
“Somnium”. Mais non. Pas là, aucun “Dionysus” se présente comme une Jeff Tweedy reprenant en acoustique fois aisée — où qu’il plante ses boots,
chant. Pourquoi ? Peut-être Gardner exploration du mythe de Dionysos, du Wilco (l’anecdotique “Together il est facilement reconnaissable — et
était-il garé en double file — trop le dieu grec du vin et des excès, At Last” de 2017) et maintenant de délicate : s’il a autant attendu, n’est-ce
pressé, il a fait une croix sur les du théâtre, de l’ivresse, des orgies Jeff Tweedy pendant que Wilco est pas parce qu’il a besoin de sparring
sessions vocales. Hypothèse aussi et de la transe mystique. Le multi- en pause, le batteur ayant passé partners pour s’empêcher de tout
plausible que celle d’une décision instrumentiste Brendan Perry et la une année en Finlande à cause envahir ? Avec des morceaux dont
artistique réfléchie. Jacco choisissant chanteuse Lisa Gerrard s’inspirent d’une bourse de recherche décrochée aucun ne dure deux minutes, on ne
d’enregistrer un album instrumental ? des célébrations païennes de la par son épouse. “Warm” est en fait l’accusera pas de jouer ici la carte du
C’est pourtant dans le format nature, pour proposer un album surtout l’occasion pour le chanteur superflu. Ni de se réinventer, puisque
chanson, couplet-pont-refrain, allégorique autour des différents de mener de bout en bout quelques l’album est un concentré d’essence de
avec chant et mélodies, que le visages de Dionysos, de son expériences à sa façon, sans la pur Spencer, guitare fuzz, percussions
Néerlandais a fait des miracles : apparition, “Sea Borne”, jusqu’à formidable caisse de résonnance que fracassées, hoquètements façon Elvis
en 2010 avec “Year One” (sous le l’hiver, l’enfer avant la résurrection peut être Wilco (même si le fiston et Presley ou Lux Interior. On y distingue
nom The Skywalkers) puis en 2013 printanière, “Psychopomp”. Glenn Kotche ont assuré au final les un thème : l’authenticité, ou plutôt son
avec “Cabinet Of Curiosities”. La référence à une thématique parties de batterie). En bref, une absence dans la musique et l’Amérique
Deux merveilles remplies de chansons particulière n’est pas une nouveauté collection de faces B ou de inédites, des fausses nouvelles. Ainsi, “Fake”
dans la discographie de Dead Can dégouline de vitriol et peut s’adresser
Dance, “Aion” et le Moyen Age, par à tout petit branleur sévissant dans un
exemple, ni la première fois qu’il se groupe de rock sans âme et ressemble
confronte à la mythologie grecque, parfois aux accusations que la critique
“Into The Labyrinth”, “Anastasis” a balancé sur Spencer et son Blues
ou aux musiques du monde, Explosion à leurs débuts (“Pourquoi ne
“Spiritchaser”. Brendan Perry a fais-tu pas quelque chose de neuf ?”).
construit “Dionysus” comme une Il remet ça sur “Beetle Boots” avec une
pièce classique, en deux actes et bonne mesure d’humour vache (“Je ne
sept mouvements. Des instruments veux pas de ces faux trucs/ Cesse de
empruntés à tous les continents se jouer avec un couteau à beurre”), sur
combinent aux synthés, aux bruits fond de rock garage cracra et de
d’abeilles ou d’oiseaux, aux sons chœurs jubilatoires. La fin de l’album
de la nature pour former une réserve deux belles surprises, entre
Les longs intervalles entre ses Pourquoi le monde est-il aussi cruel Personne ne se demande jamais ce Cream, Experience, Blue Cheer...
albums y ont sans doute contribué, avec ceux qui montrent la lumière que devient Mark Freuder Knopfler, L’immense classe de ses aînés
mais Rosanne Cash n’a jamais été pour en faire un endroit meilleur ? où il en est de sa carrière et de son n’empêche pas Handsome Jack
vraiment reconnue à sa juste valeur. Amy Winehouse, en 2011, puis Sharon prochain album (neuf pièces en solo à d’adopter l’exigeante formule du
Et, à l’âge où son père commençait sa Jones cinq ans après et, maintenant, cette heure). Knopfler arrive toujours power trio. Après “Super Moon”
série des “American Recordings” en Charles Bradley... Le soulman et sans déranger, se laisse écouter sans (2011) puis “Do What Comes
réaction à ses albums précédents bien showman qui donnait tout à chaque déplaisir, repart sans s’imposer et se Naturally” (2014), Jamison Passuite
trop produits, elle continue de son prestation s’est éteint en septembre fait oublier jusqu’au prochain. Ici, ce (chant, guitare), Joey Verdonselli
côté un parcours sans la moindre 2017, à 68 ans, d’un cancer de n’est pas du folk, pas du rock ni de (basse) et Bennie Hayes (batterie),
fausse note. Cash, à ce stade de sa l’estomac, et nous a laissés avec l’americana, mais un peu de tout, originaires de l’Etat de New York,
carrière, peut difficilement être encore un trou béant au cœur. Désormais, sa en mid-tempo paysager dans ses s’imaginent toujours en combo
étiquetée country autrement que par voix et son esprit nous accompagnent moments de fureur dévastatrice, sudiste des années 70, qualifiant leur
son aptitude à aller droit à l’essentiel. dès qu’on murmure son nom. Knopfler étant aussi bien partant pour musique de boogie-soul. Les coiffures,
Il se trouve simplement que la New- Celui sous lequel il officiait en tant un petit sur-place introspectif sur des les blousons, la police de caractère
Yorkaise d’adoption ne parle pas juste qu’imitateur de James Brown, ballades graves et dénudées, toujours choisie pour inscrire le nom et le
de couple, de mort ou de religion : elle avant les années de gloire, et une cool. Il est venu nombreux, avec des titre ne laissent aucun doute sur les
aborde aussi, avec la même simplicité magnifique pochette, que “Black musiciens de toutes disciplines et intentions. Trémolo d’ampli, tempo
poignante, des sujets comme les vies Velvet” a été compilé par les plus des choristes (dont Imelda May). moite et voix éraillée, le fantôme
broyées par les armes à feu ou les proches membres de sa famille, ses Pourtant, son album sonne presque de Creedence secoue méchamment
témoignages de femmes agressées, amis et son producteur attitré Tommy dépeuplé. Au nombre des exceptions : “Keep On”, première plage de ce
Brenneck de Menahan Street Band. disque produit par Ben McLeod de
Le quatrième album de celui qu’on All Them Witches, groupe stoner de
surnommait aussi the screaming eagle Nashville. L’ombre du géant John
of soul, inoubliable interprète de “The Fogerty plane également sur la
World (Is Going Up In Flames)”, chanson-titre. Plus impressionniste,
célèbre sa vie et son legs. Le groupe “City Girls” avec ses guitares en
est au top sur “Can’t Fight The slide, doublées, rappelle les Rolling
Feeling”, simple enregistré en 2007 et Stones en visite au Muscle Shoals
alors écarté pour d’obscures raisons, Sound Studio, quelques jours avant
lequel ouvre l’ultime bal plus de dix Altamont. Ces ressemblances sont
ans plus tard. Sa version à prendre pour l’expression
torride de “Heart Of Gold”, mythique d’une profonde connaissance,
chanson de Neil Young déjà présente une sincère compréhension de
sur son premier album, réapparaît l’idiome rock’n’blues. Ce sont des
et elle réussit à bâtir toute une “Just A Boy Away From Home”, le
chanson sur la question des ondes chef-d’œuvre du disque, avec son
et des particules dans la physique. mouvement final lancinant. Au
Ça n’est pas George Jones qui aurait moment de “Slow Train Coming”,
pu faire ça. On retrouve toujours à la Bob Dylan charriait Knopfler comme
production John Leventhal (son mari), son “meilleur imitateur”. Comment
mais il est ici épaulé par Tucker ne pas y penser en entendant cet
Martine, qui s’est occupé à Portland avatar prosodique ? Mais ce Dylan
de titres plus rock comme l’imparable débarbouillé, rendu net et formel par
“Not Many Miles To Go”. Le son la précision des mélodies, chante
est classique, on ne peut plus bien. On peut dire, aussi, qu’il sait
americana, mais varié, les apparitions composer et toucher une guitare,
de Colin Meloy (The Decemberists), ça fera gagner du temps. Que,
Kris Kristofferson ou Elvis Costello contrairement à certains confrères
(tous deux sur “8 Gods Of Harlem”) ici, avec son groove titanesque et la jouissant des mêmes aptitudes, qui preuves d’amour. Quand elle
n’empêchent pas Cash de garder la bénédiction de cet amour qui n’enregistrent plus que pour clamer s’accompagne de spontanéité,
mainmise sur les opérations, alors tranchait tant dans un monde si froid. leur stérilité, lui a encore quelque l’approche référentielle s’élève au
que l’inspiration ne lui fait jamais “Luv Jones” ou “I Feel A Change” se chose à dire de sa jeunesse, d’où niveau d’un art noble. Elle multiplie
défaut. On regrettera, cependant, révèlent, comme d’autres classiques, cette nostalgie qui parfume tout les allusions, volontaires ou non,
un séquençage étrange. Alors que à ajouter au répertoire déjà riche en l’album. Dire aussi qu’il est très conscientes ou non. Leur entrelacs
la lugubre ballade orchestrale “My hits du défunt interprète. “Black humble, et doit jouer moins de notes constitue une manière de culture que
Least Favorite Life” clôt l’album sur Velvet” fait vibrer l’âme et, grâce à dans ces quatorze compositions qu’il l’auditeur apprécie en fonction de la
une note naturelle et contemplative, sa musique éternelle, cette légende n’en joue dans “Sultans Of Swing”. sienne, se souvenant, peut-être, au fil
le disque embraye sur trois titres de la soul moderne n’est pas prête Mais c’est un disque qu’il semble des morceaux, de James Gang, des
bonus (édition Deluxe oblige), que de s’éteindre. ✪✪✪✪ n’avoir composé que pour lui... et on Allman Brothers, de Gov’t Mule, etc.
l’auditeur aura en fait tout intérêt VINCENT HANON mate sa tocante de temps en temps. De ce faisceau de renvois, de cette
à replacer ailleurs. ✪✪✪✪ ✪✪✪ collection de parrains, Handsome Jack
FRANCOIS KAHN CHRISTIAN CASONI tire une musique personnelle, sentie,
honnête, bien vivante. ✪✪✪
JEAN-WILLIAM THOURY
VANITY6
“VANITY 6” Warner Bros
UNE MAUVAISE BLAGUE SALACE ? Tout le monde a pris ces Vanity 6 un chant limité par un sens de l’entertainment ravageur. Au tour des femmes
comme la provoc’ libidinale d’un proxénète pariant sur l’impact de MTV. Son d’être sexuellement agressives. Son interprétation est cochonne, mais elle, elle
virage porno, Prince l’a effectué deux ans plus tôt, avec le démentiel “Dirty a du chien. Et, entre les mains, des compos au top : c’est l’époque “1999”,
Mind”. Où le nabot de Minneapolis balance à l’Amérique, en train d’élire Prince est touché par la grâce. Planqué sous le pseudo Starr Company, épaulé
Reagan, des histoires de galipettes entre frère et sœur, de pipes extraconjugales, par The Time, il conçoit un son entre funk, new wave et électro, une pop avant-
de parties fines à trois et dans la bonne humeur. Le tout avec un Prince qui garde à la fois audacieuse et accrocheuse, expérimentale et commerciale. Disque
s’exhibe en petite culotte. Et le voilà qui en remet une couche en 1982, mais d’or. Vanity fait la couverture de Rolling Stone avec Prince (photo Richard
cette fois, plus choquant encore, en se Avedon), leur couple éblouit. Mais en
planquant derrière des demoiselles en privé, les projectiles volent, c’est orageux,
tenue légère, à qui il fait débiter des une tempête de disputes. Alors qu’elle
obscénités sur une musique non moins enregistre un nouveau single (“Sex
sexuelle. Le coup de pub d’un détraqué Shooter”) et doit tenir le premier rôle
à court d’idées ? féminin dans “Purple Rain”, elle claque
La trouvaille d’un girl group, Prince veut la porte. Incroyable : Prince n’a pas
la piquer depuis un petit moment à son l’habitude d’être largué. La chanteuse en
concurrent de l’époque, Rick James — a sa dose d’être sous-payée — 250 dollars
qui pilote The Mary Jane Girls. Prince par semaine. Nelson lui propose 5000
Rogers Nelson a rassemblé trois co- dollars pour “Purple Rain” alors que
quines, Susan Moonsie, Brenda Bennett l’actrice reçoit une offre de 300 000 pour
et Jamie Shoop, mais entre la sortie de jouer dans “Le Dernier Dragon”. Et
“Controversy” et la préparation de Motown lui soumet un contrat juteux, lui
“1999”, il n’a pas beaucoup avancé sur demandant par-dessus le marché d’être
le projet. Sa rencontre avec Denise leur Miss Audio-Visual, avec à la clé une
Matthews, en janvier 1982, précipite grosse promo autour de son nouveau
l’affaire. Actrice débutante, Denise disque. Ses deux albums Motown contien-
accompagne alors une star aux Music nent quelques bonnes chansons, mais
Awards. Elle vient avec Rick James... et Vanity est tombée dans le crack. Et dans
repart avec le nain. Double larcin pour le lit du bassiste de Mötley Crüe, Nikki.
Prince. Denise gagne le leadership du Vanity par Sixx : “Notre relation n’était
girl group, remplaçant Shoop au micro basée que sur la consommation de drogue.
et Susan dans le lit de Nelson. Le Un jour, chez elle, des douzaines de roses
maquereau, complètement excité par sont livrées, avec un mot de Prince : ‘Vire-
cette comédienne (belle performance le. Reviens-moi.’ Peut-être s’envoyait-elle
érotique dans “Tanya’s Island”), trouve elle-même ces roses ? Mötley Crüe, on
leur nom de scène : Vagina And The avait la réputation d’être des tarés : c’était
Hookers. Denise lui conseille de se rien par rapport à elle.” Leur union ne
calmer. Elle s’appellera Vanity, et le groupe, Vanity 6 — elles sont trois, mais dure pas, contrairement à l’addiction de Denise. Overdose en 1993. Durant
six sonne plus sex, et c’est le nombre de leurs seins. Prince s’empresse de son hospitalisation, elle reçoit une visite impromptue : celle de Jésus, qui lui
composer une ode à l’orgasme, “Vibrator”, pour que Vanity la chante — ce demande d’arrêter les conneries. Elle décide de partir prêcher la bonne parole
qu’elle fait à moitié : ce sont plutôt des râles de plaisir. Les chansons cochonnes dans tout le pays, mais souffre d’insuffisance rénale : une greffe s’impose.
défilent : “Nasty Girl” (“I can’t control it, I need seven inches more”), “Wet Dream”, Ce radin de Prince vient à sa rescousse, publiant le morceau “Orgasm”, avec
“Drive Me Wild”, “If A Girl Answers (Don’t Hang Up)”, etc. Tatillon sur les gémissements de Vanity époque “Vibrator” — ce qui permet à Denise de
l’artistique, Prince veille également à ce que le code vestimentaire du trio soit toucher quelques royautés. C’est avec un rein tout neuf qu’elle va parcourir les
parfaitement respecté — une débauche de lingerie fine. Leurs performances Etats-Unis, montant désormais sur scène pour louer le Christ. Quand il apprend
et passages sur MTV provoquent immanquablement leur lot d’infarctus. Le sa mort (le 15 février 2016, deux mois avant la sienne), Prince s’apprête à
défouloir d’un artiste priapique ? Bien plus que ça : l’album “Vanity 6”, gorgé donner un concert à Melbourne. Il change la setlist et lui dédie un bouleversant
de hits funk synthétiques, s’avère fantastique. Le charisme de Denise n’y est “The Beautiful Ones”. Chanter “Nasty Girl” eut été déplacé. ★
pas pour rien. Dès qu’elle ouvre la bouche, il fait très chaud. Prise pour une
marionnette (en porte-jarretelles), elle sait tirer ses propres ficelles, compensant Première parution : 11 août 1982
Bryan MacLean
“Ifyoubelievein” Nouveautés
Sundazed
Ska non-festif
Le nom d’un groupe, bien souvent, est révélateur
de sa personnalité et de son style musical. Il peut
se dissimuler derrière le masque anglophone ou
pratiquer une certaine dérision. Ainsi, parmi les
Déjà remarqué dans cette rubrique, Les cinq Suisses de The Rebels
Whodunit (quartette parisien en Of Tijuana ne craignent pas de
activité depuis 2003) revient avec un bousculer les habitudes : sur leur
pétaradant quatrième album mixé par quatrième album depuis 2008, ces
Jim Diamond, producteur mythique adeptes du rock garage tendance yéyé
de la scène garage de Detroit (White débutent par une ballade éthérée qui
Stripes, Bellrays). La maestria sonore entérine leur virage pop. Ils savent
va de pair avec l’évolution du groupe retrouver rapidement leur goût du
qui a ouvert son champ d’action groove sixties avec “Erotique”, mais
au-delà de ses fondamentaux pratiquent une diversification féconde
(Cramps et Gun Club) pour attaquer qui les entraîne aussi bien du côté
dans toutes les directions, entre garage, d’une néo-bossa nova (“Et Le Blizzard
punk rock, blues mutant et rock psyché S’Estompe”) que d’une reprise
(“Memories From A Sh*thole”, Beast pétrifiée de mélancolie de “Quand
Records, facebook.com/Whodunit). J’Etais Chanteur” (“Asile”, Le
Pop Club Records/ Echo Orange,
facebook.com/TheRebelsOfTijuana).
A VICTORIA
SPIVEY
1906 (Texas) - 1976 (NewYork)
La vie est une bouffée de hasard, l’histoire s’éparpille beaucoup
avant qu’on lui trouve un sens. La découpe du blues en tranches n’est
nette que dans les livres. Seul un encyclopédiste dira qu’en 1926,
une pianiste texane donna, à la complainte des premières chanteuses
de blues, une accroche plus lumineuse, plus légère, et l’humeur
précoce d’un blues du Nord. Victoria Regina Spivey débute seule
l’empêchaient pas de chanter quelques mélos dignes et poignants
comme “Blood Thirsty Blues” : “Blood, blood, look at all that blood.
Yes, I killed my man, a low down good for nothing clown”,
et des petits trucs de fille : “Just give me one more sniffle,
another sniffle of that dope” (“Dope Head Blues”).
Quand une crise est en train de défoncer le pays, elle manœuvre
au piano mais, dès 1927, se lance dans des duos piano-guitare avec serré pour rester dans la course, tandis que ses vieilles rivales
Lonnie Johnson, deux ans avant Carr et Blackwell. La testostérone disparaissent les unes après les autres. Les tandems piano-guitare
commence à infester le marché. “Black Snake Blues” (OKeh), se mettent à proliférer, elle change de taxi pour rejoindre ses
son premier disque, c’est sa chanson. Son partenaire Blind Lemon nouveaux pénates new-yorkais, Victor, Vocalion, et sa nouvelle
Jefferson la lui barbote et l’enregistre sous son nom chez Paramount, adresse pour toutes les années qui lui restent à vivre. Elle embarque
à Chicago (“Black Snake Moan”). Ce mufle revient à la charge dans les orchestres de Louis Armstrong ou d’Oliver King, et poursuit
quelques mois plus tard, et chez OKeh même, par la grâce d’un tant bien que mal sa remise à jour du vaudeville salace sous d’autres
adjectif démonstratif : “That Black Snake Moan”. A douze ans, parures, à la croisée du dixieland, du swing et du blues, toujours
Victoria improvisait au Lincoln Theater de Dallas, jouant derrière drôle et inventive (“Good Cabbage”). Elle décroche un petit rôle
les films muets. Peu après, elle se produisait dans toutes les maisons dans la comédie musicale de King Vidor, “Hallelujah” et, maintenant
closes et les bars interlopes du Texas avec cet enflé de Blind Lemon. qu’elle est new-yorkaise, court les revues (“Hellzapoppin’ ” en 1938).
Elle n’était pas une de ces gosses à la dérive tant elle semblait Elle se dépense ainsi jusqu’en 1951, date à laquelle elle se
ambitieuse, peut-être même avertie de son destin. Deux de ses sœurs replie dans une chorale religieuse de Brooklyn pendant dix ans.
chantaient aussi, dans le style assez lourdingue des matrones du 1961, branle-bas de combat. On tente de ranimer les mémères
vaudeville, Addie et Elton, dites Sweet Peas et Zazu Girl. Elles survivantes du premier âge, programme de décongélation
s’enlisèrent bien loin du buisson de laurier mais Victoria, avec sa globalement foireux sauf pour Victoria. Avec son vieux pote des
voix espiègle et fraîche, plus naturelle que celle de bien de ses rivales années 20, Lonnie Johnson, elle enregistre un bel album chez
à la noirceur affectée, avait tout pour réussir. Elle était jeune et jolie, Prestige : “Idle Hours”, en partage un autre avec Alberta Hunter
savait chanter, jouer, composer, écrire et aguicher. Dans les années 60, et Lucille Hegamin : “Songs We Taught To Mother”, puis fonde
elle montrera qu’elle était capable de faire tenir un label debout. Spivey Records avec le musicologue Len Kunstadt, label surtout
Passant par Saint-Louis en 1926, elle était tombée sur le studio volant connu pour avoir recruté le tout jeune Bob Dylan à l’harmonica sur
que la maison OKeh faisait tourner dans la ville. Le 78 tours “Black deux titres de Big Joe Williams. Spivey Records sort de la glacière
Snake Blues”/ “No More Jelly Bean Blues” est emballé. Chez OKeh, quelques miraculées de la deuxième décennie : Hegamin, Sippie
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
on pose des additions drôlement sympas. Victoria rempile maintes Wallace, Hannah Sylvester, et une fournée de messieurs démodés,
fois chez eux jusqu’à la crise, à Saint-Louis d’abord puis à New York. trop jeunes ou pas assez ruraux, que les jeunes folkeux américains
“Dirty Woman Blues”, “Hoodoo Man Blues”, “TB Blues”, “Dope ne regardent pas encore comme des sujets de dissertation :
Head Blues”, “A Good Man Is Hard To Find”, “Organ Grinder Big Joe Turner, Otis Spann, Otis Rush, Willie Dixon...
Blues”, elle vole de succès en succès. “My Handy Man” : “When Victoria tourne en Europe avec l’American Folk Blues en 1963,
my furnace gets too hot, he’s right there and turns my damper down”. chauffe une série de cires maison sous des pochettes affreuses
Celles qui l’ont précédée n’y allaient pas avec le manche du (la touche Spivey), qui renferment quelques vieilles dentelles
couteau pour tartiner du beurre de cuisse, mais Victoria le faisait d’excellente facture : “I Ain’t Gonna Give Nobody None Of My
avec l’innocence d’une vierge, une bonne pointe d’accent texan Jelly Roll”, “Grant Spivey”, “Jet”, fait mille choses encore
et quelques r roulés. Ces bordées de lubricité candide ne et meurt à 70 ans parce qu’il faut bien que ça finisse un jour.
Erudit rock PAR PHILIPPE THIEYRE
Photo DR
celles de Peter Green et Jeremy Spencer. Également impressionné, Peter Green “Then Play On”, un des grands disques
Miné par des problèmes psychologiques, décide de prendre en charge la carrière du rock anglais, sort en septembre 1969 Dead Can Dance
l’abus d’alcool, une incapacité à du groupe, mais à condition de changer sur Reprise. Si Spencer n’y contribue
assumer le rythme des tournées de bassiste et de batteur. Les auditions pratiquement pas, Kirwan, dont le style Il est viré du groupe en août 1972.
et son statut précoce de guitar hero, s’étant révélées infructueuses, Mick à la Gibson se fond à la perfection Avec Fleetwood Mac, on le retrouve sur
à l’âge de dix-huit ans. Fleetwood propose donc à Kirwan avec celui de Green, est bien présent, de nombreux live, en particulier “Shrine
A l’origine de Fleetwood Mac avec le d’intégrer Fleetwood Mac en août 1968. composant sept des quatorze titres, dont 69” (1999) et “Live At The BBC”, et des
batteur Mick Fleetwood, les guitaristes Fan de Green, ce dernier accepte avec “Coming Your Way”, “Also The Sun Is compilations d’inédits, “The Vaudeville
Peter Green et Jeremy Spencer vont aussi enthousiasme. Le groupe est donc Shining” et “Like Crying”, du moins Years” (1998) et “Show-Biz Blues”
quitter le groupe de façon prématurée, le constitué d’un batteur, Mick Fleetwood, sur le pressage anglais, le contenu (2001). Il participe également, de 1969
premier, en1970, atteint de schizophrénie d’un bassiste, John McVie, et de trois des diverses versions US proposant à 1974, à des albums d’Otis Spann,
et de paranoïa après une prise de LSD guitaristes, Jeremy Spencer, à la des variantes en incluant, notamment, le de Tramp (dont les meilleurs titres
impromptue à Munich, le second, en slide, Peter Green et Danny Kirwan. 45 tours à succès “Oh Well”. Il est suivi portent sa signature), de Christine
1971, après un difficile trip de mescaline, Les deux premiers albums sur Blue par un autre single mémorable, “The Perfect, de Jeremy Spencer et de
disparaissant pour rejoindre une secte, Horizon, “Fleetwood Mac” (1968) et Green Manalishi (With The Two Prong Chris Youlden, l’ancien chanteur
les Children Of God. Daniel David Langran “Mr Wonderful” (1968), étaient des Crown)”. Sorti en décembre 1969, le de Savoy Brown (“Nowhere Road”).
double album “Blues Jam At Chess” a été De 1975 à 1979, il réussit à enregistrer
enregistré en janvier à Chicago dans les trois albums sous son nom dans un
Danny Kirwan, 1975
studios Chess pour Blue Horizon avec, registre pop rock : “Second Chapter”
entre autres, Shakey Horton, Otis Spann, (1975) ; “Midnight In San Juan” (1976) ;
Willie Dixon, Buddy Guy. Kirwan joue sur “Hello There Big Boy!” (1979) avec Bob
dix-sept des vingt-deux morceaux. En Weston qui le remplaça dans Fleetwood
mai 1970, Peter Green quitte le groupe. Mac. Malheureusement, sortis sans
Pour “Kiln House” (1970) à l’orientation promotion, ces trois bons disques
plus fifties, Kirwan signe “Tell Me All The passèrent inaperçus d’autant que, depuis
Things You Do”. Spencer prend une place 1974, Kirwan déclinait toute invitation à
plus importante mais, en février 1971, remonter sur scène. A partir de 1980,
il disparaît subitement avant le concert sans domicile fixe, il vit dans la rue ou
prévu à Los Angeles. Retrouvé quelques dans des foyers entre deux séjours
jours plus tard chez les Children Of en clinique. Il meurt le 8 juin 2018
God, il annonce son départ définitif. dans un centre de soin londonien.
Ayant déjà contribué à “Kiln House”, la
pianiste et chanteuse, Christine Perfect,
future McVie, auparavant dans Chicken Cher Erudit, j’aimerais mieux
Shack, devient le cinquième membre de connaître le parcours de DEAD
Fleetwood Mac. Le guitariste et chanteur CAN DANCE et sa discographie.
américain Bob Welch, qui avait formé MARIE, Dax
Head West à Paris, remplace Spencer
pour “Future Games” (1971) dont la Considéré au départ comme un
tonalité s’éloigne du blues des débuts groupe de new wave gothique,
pour s’orienter vers une approche plus l’esthétique musicale de Dead Can
pop, mais toujours avec de lumineux solos Dance a parfaitement collé à l’esprit et à
de guitare. Danny Kirwan a écrit trois l’esthétique picturale du label 4AD, créé
chansons, dont “Sands Of Times” et la en 1980 par Ivo Watts-Russell et Peter
superbe “Woman Of A Thousand Years”. Kent. Dead Can Dance en deviendra
Sur “Bare Trees” (1972), cinq des dix une des formations emblématiques
titres sont l’œuvre de Kirwan, notamment au même titre que Cocteau Twins.
“Bare Trees” et “Dust”. Avant un concert Dead Can Dance a été créé à
de la tournée de promotion de l’album, Melbourne, Australie, en août 1981
Photo Michael Putland/ Getty Images
il boit plus qu’il ne mange, part en vrille, autour du duo formé par la chanteuse
se frappant la tête et les mains contre australienne Lisa Gerrard, née le
les murs, fracassant sa Gibson Les Paul 12 avril 1961 à Melbourne et le multi-
avant de refuser de monter sur scène. instrumentiste et chanteur anglais
D’un caractère introverti, fragile et mal à Brendan Perry né le 30 juin 1959 à
l’aise, perfectionniste jusqu’à l’obsession, Londres. A leurs côtés, Simon Erikson
il arrivait à Kirwan de pleurer en jouant, (basse) et Simon Monroe (batterie).
tellement son investissement était grand. Monroe et Perry à la basse et au chant,
Assassination Nation
DE SAM LEVINSON
Comment décrire avec tact cet objet cinématographique punk, destroy, alors sur la ville. Et, puisqu’il faut un coupable, c’est la jeune Lily, l’une des quatre
politiquement engagé et à contre-courant total des blockbusters amidonnés ? ados, qui est visée. Elle devient la cible d’une populace qui pète les plombs tout en
Ce film de Sam Levinson (fils de Barry, réalisateur de “Rain Man”), recontextualise ne faisant plus la distinction entre bien et mal... Certes, le thème d’un quidam (ici
le fameux fait divers des sorcières de Salem dans l’Amérique de 2018. Rappelons une fille) poursuivi à tort par une ville entière a déjà donné quelques classiques du
les faits en quelques lignes : en 1692, un mouvement de paranoïa intense cinéma, comme “Furie” de Fritz Lang ou “Panique” de Julien Duvivier. Sauf que
coûte la vie à une vingtaine de femmes de tous âges, qui, injustement accusées Levinson junior en fait une série B provo, sous influence de culture pop, rock et
de sorcellerie, sont pendues. Une affaire terrifiante, au débit d’une Amérique cinéphile. Que ce soit à travers les jeunes filles, clones des gangs d’adolescentes
éprise de puritanisme décadent et de religiosité mal placée et qui inspira maints japonaises des années 70 (comme la superbe série des “Stray Cat Rock”, sortie
films dramatiques (comme “Les Sorcières De Salem” de Raymond Rouleau) ou récemment en DVD et Blu-ray chez Bach Films) jusqu’à l’utilisation du split screen
horrifiques (le génial “Lords Of Salem” de Rob Zombie en passant par la saison 3 (écran partagé en deux ou trois, technique popularisée par Abel Gance pour son
de “American Horror Story”). Une histoire traumatique tellement ancrée dans la “Napoléon”) jusqu’à une BO concoctée par Ian Hultquist, connu pour son groupe
mauvaise conscience collective américaine qu’en juillet 2017, les malheureuses Passion Pit. Sans compter une dernière demi-heure apocalyptique, quand tous
victimes eurent (enfin) droit à un mea culpa tardif (325 ans, quand même) les habitants de Salem se déchaînent, à grand renfort de flingues, masques et
sous la forme d’une stèle comportant leurs noms et placée à l’endroit exact armes blanches, comme dans la série démocrato-réac (on ne sait plus trop)
de leur exécution dans la ville de Salem, Massachusetts. Mais les mentalités des “American Nightmare”. Une folie ambiante qui se veut, également, une
ont-elles changé pour autant ? Surtout dans l’Amérique de ce cauchemar orangé dénonciation carabinée et semi prophétique (puisque déjà en cours) d’un
de Trump, où armes à feu, racisme et attentats reprennent de plus belle. Adieu pays gangréné par les réseaux sociaux, les fake news, le harcèlement sexuel,
la compassion, bonjour la violence. C’est probablement ce qui a poussé Sam l’homophobie, emprisonnant les consciences tout en annihilant l’individualité.
Levinson à repartir vers Salem pour dire que rien n’a vraiment changé... On suit Dans une gigantesque pagaille de séquences électrisantes, on passe sans
le quotidien de quatre adolescentes dont les vies sont rythmées par les réseaux sourciller du drame de mœurs au gore outrancier en passant par le rire libérateur
sociaux. Jusqu’au jour où leurs téléphones portables — puis ceux d’éminents et les scènes de violence urbaine. Comme le précise justement un des
personnages de la ville, le maire, le proviseur du lycée — sont piratés par un producteurs de “Assassination Nation” : “J’adore que le film soit construit comme
mystérieux hacker. Un déferlement de haine, de suspicion et de paranoïa s’abat un film d’horreur où le monstre s’avère être Internet.” (en salles le 5 décembre) o
Paris International
Fantastic Film Festival
Pour sa huitième édition, le PIFFF balance, entre le 4 et 9
décembre, pléthore de films de genre inédits dont la plupart,
comme d’habitude, sortiront directement en DVD, Blu-ray et VOD.
Seule occasion, donc, de découvrir, sur le gargantuesque écran du
Max Linder parisien, un film d’épouvante domestique argentin
(“Terrified”), le remake d’une série B culte des années 80 (“Puppet
Master”) avec une magnifique partition de Fabio Frizzi, compositeur
pour les films gore de Lucio Fulci, un horror movie britannique sous
influence Cronenberg (“Await Further Instructions”) , une zombie
comedy nippone déjantée (“Ne Coupez Pas”), un slasher français
dans la lignée de “Vendredi 13” (“Girls With Balls” d’Olivier
Afonso)... Et même notre chouchou du mois en avant-première :
“Assassination Nation”. Pour plus de renseignements : www.pifff.fr.
David Bowie
“GLASTONBURY 2000”
Warner
FIN JUIN 1971. David Bowie monte des pantalons taille haute, très amples,
sur scène, seul, lors de la deuxième et donnaient l’impression d’être frère
édition du festival de Glastonbury et sœur. Il avait les cheveux hyper longs
qui rassemble à peine plus de six mille et, elle, extracourts. Le festival étant
personnes. La faute à une mauvaise terriblement mal organisé, nous avons
organisation, il n’y chantera qu’un attendu des heures. Les groupes ont
peu avant l’aube, mais sa prestation joué en retard, trop longtemps et les
sera qualifiée de magique par de techniciens qui travaillaient dans la
nombreux spectateurs, parmi lesquels pyramide étaient tous sous acide !
le futur cinéaste Julien Temple (qui C’était ambiance peace and love,
n’en croira pas ses yeux) et Mick tout ça, mais, à un moment, on s’est
Farren, écarté des Deviants (les trois tout de même demandé si la prestation
autres membres du groupe deviendront de David n’allait pas être annulée.
les Pink Fairies) et alors sur le point de Finalement, il été contraint de passer
se consacrer principalement à l’écriture. le lendemain, vers cinq heures du
La femme de Bowie et leur amie matin. Au pied de la pyramide, dans la
chanteuse Dana Gillespie, interviewée boue, les festivaliers ont commencé à
pour cette chronique, étaient ouvrir l’œil alors que le soleil dardait
du voyage : “David, Angie et moi ses premiers rayons, au son de
sommes allés à Glastonbury en train. ‘Memory Of A Free Festival’...
Une fois sur place, il n’y avait personne Les gens sont sortis de leurs tentes
pour nous amener sur le site et nous pour accueillir cette nouvelle journée et
avons dû marcher un bon bout de il chantait, tout seul avec sa guitare.”
chemin. David et Angie portaient
Jupitérien
Dans la série des petits métiers dont on pense grand bien mais que personne ne
souhaite faire, il y a celui exercé par Romain Dutter : coordinateur culturel en milieu
pénitentiaire. Après dix ans passés à la prison de Fresnes, il a choisi de raconter son
expérience dans “Symphonie Carcérale” (Steinkis) où il explique la difficulté
de concilier bonne volonté et règlement administratif. Fan de musique, il raconte les
concerts qu’il a réussi à organiser pour changer le quotidien des détenus. Et, à la lecture
de ces pages, on comprend assez rapidement combien son sacerdoce est basé sur la
confiance mutuelle dans un milieu où ce sentiment n’est pas la sensation ressentie en
premier. Sobrement illustrée par le dessinateur Bouqé, cette symphonie culturelle revient
sur les grands moments de la musique carcérale comme Johnny Cash à Folsom,
Metallica à San Quentin ou les Sex Pistols à Chelmsford. Inspiré à l’auteur d’une expérience
acquise en travaillant dans une prison du Honduras auprès de membres d’un gang,
ce livre contient nombre de propositions intelligentes qui se doivent d’être lues.
Vous êtes au bon endroit. Noël c’est quasiment demain et son cortège d’angoisses existentielles grossit au fur et à
mesure que la date se rapproche. Sauf que, ô miracle, vous trouverez ici les cadeaux parfaits, culturels donc chic,
pas très chers et carrément beaux. Et tous publics, oui, parce que même votre beau-père a été jeune un jour
et a alors secoué sa coupe mulet sur des musiques dont la seule évocation lui rappellera des bons souvenirs
et que même votre petit boutonneux de cousin sait que le rock c’est cool, il l’a vu sur Instagram.
TOP15
VINYLES
SEPTEMBRE 2018
Paris
NOVEMBRE
20 NOVEMBRE
The Cat Empire (Bataclan) ● Barns Courtney
(Supersonic) ● Nicolas Fraissinet (Boule
Noire) ● Lauryn Hill (AccorHotels Arena)
● Lovebites (Nouveau Casino) ● Halo Maud
01 JOHNNY HALLYDAY (Maroquinerie) ● Minuit (Cigale) ● Natalie
Prass (Café de la Danse) ● John Smith,
“Mon Pays C’Est L’Amour”
Josienne Clake & Ben Walker (Point
Warner
Ephémère) ● The Sore Losers (Olympic Café)
02 LADY GAGA 21 NOVEMBRE
& BRADLEY COOPER The Breeders (Trianon) ● Bring Me The
“A Star Is Born” Universal Horizon (Zénith) ● Eden (Yoyo) ● Garage
Dayz (Tribute Metallica) (Casino de Paris)
03 MYLENE FARMER ● Ghost Notes (Badaboum) ● Lauryn Hill
“Désobéissance” Sony Music (AccorHotels Arena) ● The Holydrug Couple
et Hoorsees (Point Ephémère) ● Talib Kweli
04 DOMINIQUE A (Trabendo) ● Ray Lema (Petite Halle)
“Fragilité” Wagram ● Mariama (Café de la Danse) ● Miossec,
Terrenoire et WH Lung (Gaîté Lyrique)
05 AMY WINEHOUSE ● Malina Moye (New Morning) ● Medecine
“Back To Black” Universal Boy, The Blind Suns et Nebula Glow
(Supersonic) ● No One Is Innocent (Cigale)
● Rat Boy (Maroquinerie) ● Ian Scott, Ricky
06 RAGE AGAINST
Norton, Egon Kragel et The Rat Pack
THE MACHINE
Orchestra (Théâtre de Ménilmontant)
“Rage Against The Machine” ● Whispering Sons (Olympic Café)
Sony Music
22 NOVEMBRE
07 DAFT PUNK
14 MICHAEL JACKSON
“Thriller” Sony Music
DECEMBRE 8 DECEMBRE
Lily Allen (Trianon) ● Aura Noir et
1er DECEMBRE Obligations (Petit Bain) ● Les Fatals Picards
Bakermat (Elysée Montmartre) ● Blitzkrieg, (Elysée Montmartre) ● The Hunna (Les Etoiles)
Ares et Beggars (Le Klub) ● The Chasing ● Nelick (Maroquinerie) ● Storm Orchestra,
Monster, A Burial at Sea et Noise Above The Luna Spark et My Thinking Face
The Ocean (Supersonic) ● Etienne Daho (Supersonic) ● Vulcain (Gibus) ● The Wave
et Unloved (Olympia) ● Nino D’Angelo Pictures et Saintseneca (Point Ephémère)
(Bataclan) ● Guérilla Poubelle (Trabendo)
● Iam (Salle Pleyel) ● Kindred The Family 9 DECEMBRE
Soul et Conya Doss (New Morning) ● SG All That Remains (Glazart) ● Bury
Lewis (Badaboum) ● Molécule, Jeff Mills, Tomorrow, 36 Crazyfists et Cane Hill (Petit
Deux Boules Vanille, Nicolas Horvath, Bain) ● Moriarty (Philharmonie) ● Skegss
Ensemble Links et Renart (Gaîté Lyrique) et Dumb Punts (Point Ephémère)
● The Night Flight Orchestra et Black ● Uncle Acid and the Deadbeats
Mirrors (Petit Bain) ● Orchestre Orange, et L.A. Witch (Maroquinerie)
Mad Rey aka Quentin Leroy et Hugo LX
(Pan Piper) ● L’Or du Commun (Cigale) ● 10 DECEMBRE
47ter (Café de la Danse) ● Sir The Baptist & Bumcello (Maroquinerie) ● Cloves (Les Etoiles)
Donald Lawrence (Maroquinerie) ● Ryley ● Kalmah, Vreid et Slegest (Backstage)
Walker et Andrew Tuttle (Point Ephémère) ● Moriarty (Philharmonie) ● Jean-Louis
Murat (Café de la Danse) ● Sons Of
2 DECEMBRE An Illustrious Father (Nouveau Casino)
Beak> (Café de la Danse) ● Boy George
& Culture Club (Opéra Garnier) ● Chassol 11 DECEMBRE
(Philharmonie) ● Etienne Daho et Unloved Caliban, Lionheart et Bad Omens (Trabendo)
(Olympia) ● Devotchka (Nouveau Casino) ● Chase Atlantic (Les Etoiles) ● Ensiferum
● Grégory Alan Isakov et Joe Purdy (Machine du Moulin Rouge) ● Jungle
(Maroquinerie) ● Kamaal Williams (Cigale) By Night (Petit Bain) ● Jean-Louis
Murat (Café de la Danse) ● Fred Nevche
3 DECEMBRE et Ali Danel (Point Ephémère)
Black Stone Cherry (Elysée Montmartre)
● Dimmu Borgir, Hatebreed, Kreator et 12 DECEMBRE
Bloodbath (Olympia) ● Caleborate et Dillon Brigitte (Salle Pleyel, complet) ● Lio (Café
Cooper (Bellevilloise) ● Daran et Sarah de la Danse) ● Nova Materia (Maroquinerie)
Toussaint-Léveillé-Moran (Maroquinerie) ● One Ok Rock (Bataclan) ● Subsonica
● Delgres (Café de la Danse) ● Miya (Trabendo) ● Whyte Horses (Point Ephémère)
Folick (Supersonic) ● Idles (Bataclan) ● Zeal & Ardor (Cigale)
● Mournful Congregation (Backstage)
● Pardans (Olympic Café)
Province
et Sammy Decoster : 30, Strasbourg (Espace
Django-Reinhart) ● The Pirouettes : 23,
Rennes (Antipode, avec Vendredi-sur-Mer) ●
30, Nantes (Stéréolux) ● Rendez-Vous : 21,
NOVEMBRE Nantes (Stéréolux) ● 22, Rennes (Antipode) ●
23, Le Havre (Tétris) ● 30, Epinal (Souris Verte)
● Agar Agar : 22, Orléans (Astrolabe) ● 24, ● Rosedale : 30, Longlaville (espace Jean-
Belfort (Poudrière) ● 29, Nancy (Autre Canal) ● Ferrat) ● Sly & Robbie : 22, Caen (Cargo) ●
30, Dijon (Vapeur) ● Bad Tripes : 24, St-Jean- 24, Aubervilliers (Docks de Paris) ● 29,
de-Védas (Secret Place) ● Flavien Berger : Lille (Aéronef) ● Supersuckers,
22, Bruxelles (B, Botanique, complet) ● Les Lullies et The Sonic
Festivals
Northstar, Dope DOD, Myciaa et Prison Life)
ROCK
DECEMBRE 1968 R&F 023
Voiture de l’année, la NSU Ro 80. Decca L’asphalte se rappelle encore la caresse de
censure la pochette de “Beggars Banquet” la Porsche 928, qui lui avait été promise
et les radios de Chicago, “Street Fighting en 1978. Côté rock, il avait suffi de deux
Man”. Une page pour le dire, farcie ans pour devenir vieux. Disque du mois :
’N’ROLL
d’étourderies, téléphone arabe ou rédaction Jim Morrison et les Doors (“American
au stylo bille : “Black Dwag”, “Stray Cort Prayer”). Exilés en 20 et 21ème positions :
(Blues)”, etc. Les journalistes deviennent “Give ’Em Enough Rope” et “All Mod
des rock critics et commencent à se mettre Cons”, entre : Eric Clapton, Elton John,
en scène (“Dis, coco, si tu me faisais quelque Ted Nugent, Dolly Parton, Billy Joel...
FLASH
chose sur Sylvie ?” Coco voulait bien, Rock&Folk ne cause pas que de dope,
Sylvie non.) Cet autre, subjugué par le film il interviewe aussi Dominique Rocheteau,
“Yellow Submarine”, traverse ses sept mers fidèle à la country parce qu’ “il ne s’est pas
personnelles en quittant la salle, la “Mer passé grand-chose au niveau de la musique
de la fin de mois”, la “Mer de l’adjudant à depuis quelques années”. Une punkette a
BACK
moustaches du 16ème RIMA”... Deuxième été poignardée avec un couteau de chasse
degré sans doute : Evariste vend son 45 tours acheté la veille à Times Square, un cadeau
“Révolution” pour 3 francs, histoire de pour son amoureux. John Simon Ritchie
mettre la honte aux capitalistes, sous est mal. Il témoigne pour le NME : “Il y
le label CRAC (Comité Révolutionnaire avait du sang partout, sur les draps, sur
PAR CHRISTIAN CASONI d’Agitation Culturelle), avec les chœurs le traversin, partout sur le matelas, et les
du Comité Gavroche Révolutionnaire. traces allaient jusqu’à la salle de bains”.
DECEMBRE 1988 R&F 258 DECEMBRE 1998 R&F 376 DECEMBRE 2008 R&F 496
Gare à “Under Cover”. Glissée dans la Est-ce ainsi que les Bretons vivent ? Ne serait-elle pas légèrement fatigante,
pochette de l’album : une pub, 6,50 £ Miossec y va de son distinguo : “Je suis Marianne Faithfull ? La maladie, ce n’est
pour adhérer au fan club des Stones, une brestois”. Il revendique sa “ringardise, à pas bien (elle a un rhume), la maladie est
adresse à Surbiton (Surrey)... c’est du flan. l’époque de Daft Punk”. Son interlocuteur, “une expérience fabuleuse” (elle a eu un
“Terrorisme musical” et shows paramilitaires, Alan Stivell, a collé un procès à Manau. cancer du sein). Un bon point pour elle,
tricard sur les radios noires, Public Enemy Miossec : “Tu as eu vingt fois l’occasion elle n’aime pas non plus “cette horrible
peste contre la “soft ideology” qui fait de devenir la reine des putes et tu ne l’as Siouxsie. Elle ressemble à un emballage
d’Eddie Murphy “le nègre emblématique jamais fait”. 3 à 10 millions de francs pour de bonbon.” Dans la famille Slipknot, le
de l’Amérique du rêve”. Autre genre : un film de quelques secondes dans lequel Clown. Lui, quand il tombe le masque,
Boy George, “la pauvre pédale qui s’en est on apercevrait Robert Johnson. Drôle de il “ressemble à un serial killer classique
sortie. Le temps que tu peux perdre à papoter brève. Pour sa pédale wah-wah, faire en instance de chambre à gaz dans un
avec des crétins à la télé. Ces présentateurs une offre. Un mot sur Noir Désir pour quelconque couloir de la mort du Sud
cherchent à se faire valoir à mes dépens. Je dire qu’ils sont toujours “off, ni disque des Etats-Unis”. “About A Son” est un
pourrais les écraser, mais je serais le premier ni tournée”, mais un remix. Un mot sur documentaire sur Kurt Cobain qui est mort
à en subir les conséquences.” Ce reporter, Led Zeppelin pour dire qu’ils sont on : un jeune, 14 ans plus tôt, et laisse “un sale
peut-être épris de vis platinées, donc au fait disque, une tournée mais pas de remix. cadavre”. Innovation : dans le cadre de sa
que la Peugeot 405 est la miss carrossée de “A part vos cheveux en M, rien à déclarer ?” politique salariale disruptive, Rock&Folk
l’année, ne démolira pas le rockumentaire Matthieu Chedid : “J’ai toujours été enrobé, charge neuf de ses lecteurs de chroniquer
“Rattle And Hum” : “J’ai vu le rock’n’roll j’ai même eu tendance à avoir de la “Black Ice”, le nouvel album d’AC/DC. Dis-
et, désolé, il avait le visage de Bono”. poitrine”. Et pendant ce temps, l’Alfa 156 moi, jeune, tu t’es offert une Fiat 500 II ?
est couronnée chignole de l’année. Bravo, tu pilotes la caisse de l’année.
L’an dernier, Nick Cave avait livré au merveilleuses aient été écrites par des
Zénith une performance sommitale, types aussi intimidants, souvent dépourvus
emportant le public sur son tapis volant d’humour et même parfois de fantaisie.
dans un “Jubilee Street” historique. Ce Ces bosseurs compulsifs, glaçants
mois-ci, dans cette salle provisoire devenue d’exigence, pour eux et pour les autres,
définitive (elle avait été construite en 1983 ont su transcender leurs dons comme leur
pour durer trois ans) c’est David Byrne bagage. Derrière leur absence de surmoi
qui a mis tout le monde sur le cul. Chaque et leur capacité à vitrifier les exécutants,
musicien qui a assisté à son concert est il y a une forme d’humanité libérée des
reparti avec une nouvelle fiche technique. conventions. “La souffrance que l’on
Sur scène, rien. Pas d’amplis, de batterie éprouve quand un réalisateur refuse la
ou de retours bain de pied. Pas de séquences musique en studio est immense : tu pourrais
en playback non plus. Juste un rideau même avoir envie de te tuer.” (Ennio
scintillant et un marching band de Morricone). “L’un des plus beaux moments
11 instrumentistes dansants, batteurs, de la vie est celui où on découvre, où l’on
bassiste, guitaristes, clavier, chanteurs, apprend. Quand on devient trop habile, la
sanglés comme des Ghostbusters, avec dans spontanéité s’en va, on ne craint plus rien.
le dos le même genre d’émetteur-récepteur j’espère ne jamais devenir ce que l’on appelle
haute fréquence qu’utilisait Eddie Van froidement un grand professionnel.” (Michel
Halen pour ses galipettes. Il n’y a rien Legrand). On connaît leur importance mais
de plus neuf que cette comédie musicale on ne réalise pas encore ce que de tels géants
chorégraphiée, qui n’utilise aucun procédé représenteront une fois disparus. L’intérêt
numérique. Byrne et les Talking Heads de leurs ouvrages tient aussi à la qualité de
avaient déjà réussi, avec “Remain In leurs confesseurs. Alessandro De Rosa est
Light”, à sortir en octobre 1980 le disque un compositeur doté d’une solide formation
qui annonçait et enterrait les années 80 : académique, et Stéphane Lerouge mérite
il n’y avait plus qu’à passer à la décennie d’entrer vivant au Panthéon pour son travail
suivante. C’est extra, à 66 ans, d’arriver de résurrection de notre patrimoine sonore,
ainsi à rebattre les cartes, insuffler de avec sa collection “Ecoutez Le Cinéma !”.
nouvelles idées au rituel des concerts.
Il faut sauver le soldat Connan Mockasin.
“La comparaison entre les Jaguar ou Quant nous avions tourné, avec Benoit
les Rolls de différentes époques n’était Forgeard, les Ben & Bertie Shows pour la
pas non plus un mauvais exercice pour se télévision, nous avions vu défiler beaucoup
former l’œil, comme disent les antiquaires. d’artistes talentueux. Jouer et être filmé
Il suffisait de regarder les modèles plus en studio dans les conditions du direct,
récents de Bentley, carrés, patauds, pour c’est un moment de vérité, et chacun, de
comprendre que l’argent et l’élégance avaient Chilly Gonzales à Daniel Darc en passant
divorcé et pour de bon. Le monde semblait par Tony Allen et Jacky Chalard, avait
bien décidé à redevenir plus injuste sans pour montré ce qu’il avait dans le ventre. Mais ce
autant se révéler beaucoup plus beau. La Néo-Zélandais nous avait particulièrement
prophétie de Damborre ne fonctionnait pas époustouflés. Son interprétation de “I’m
à rebours. Il l’expliquait à sa façon : ‘Les The Man, That Will Find You”, par sa
riches ont perdu de vue leur mission : pureté, sa grâce, et la cohésion de son
gaspiller pour embellir. Ils ne savent plus groupe, sublimait la version de l’album,
faire. C’est pourtant ce qui les rachète aux affaiblie par des bidouillages lo-fi. Le 12
yeux des autres, leur seule planche de octobre, après 5 ans de silence, il a publié un
salut.’ ”. “Les Années Foch”, de Jean-Pierre nouveau disque, “Jassbusters”. 34 minutes,
Montal, viennent de paraître en poche huit titres, probablement enregistrés sur
(Motifs, 8,90€) et je me suis pris la même un 8 pistes à bandes ou à cassettes pour
baffe qu’après avoir lu “Extension faire genre, car il y a beaucoup de bruit
Du Domaine De La Lutte” et “Testament de fond mais peu de souffle. Jadis, les
A L’Anglaise”. Cette histoire de vitelloni ramasseurs de balle étaient à ses pieds,
férus de Prince, échoués dans le Paris dorénavant tout le monde s’en tamponne.
trouble des beaux quartiers, entre le stand de Il garde pourtant une capacité rare à créer
tir de Raymond Sassia et les professionnelles des chansons d’une grande beauté, on n’ose
des rues circulaires, ferait un film superbe. imaginer ce que des trésors mal dégrossis
comme “Momo’s” donneraient s’ils
Comme avec le duopole Beatles-Stones, tombaient entre de bonnes mains.
il y a Legrand et Morricone. Les maestros
sortent leurs mémoires ces jours-ci, les deux Hardy, des Residents, vient de mourir.
livres correspondent à leurs personnalités : Le truc génial c’est qu’on cherchait toujours
celui de Morricone (“Ma Musique, Ma quatre types alors qu’il y en avait deux, et
Vie”, Séguier, 24€) est dense, technique, encore je n’ai jamais vu le second. Personne
pas aimable et passionnant. Celui de n’est allé aussi loin dans la fantasmagorie.
Legrand (“J’Ai Le Regret De Vous Dire Lorsque j’ai fait sa connaissance, il y a
Oui”, Fayard, 24,50€) paraît plus souriant, 20 ans, c’était un vieux monsieur adorable.
mais ce n’est qu’un masque, on sent poindre Il avait l’âge que j’ai aujourd’hui. “We’re on
la même rigueur, et le même fanatisme. a road to nowhere, come on inside. Taking
Il n’est pas indifférent que tant de partitions that ride to nowhere, we’ll take that ride.”