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L’infertilité comme analyseur de la parentalité
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Cahiers de
psychologie
clinique
2011/2 (n° 37)
Pages : 288
DOI : 10.3917/cpc.037.0123
Éditeur : De Boeck Supérieur
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Par ailleurs, ces nouvelles techniques ne sont plus seulement réservées aux 2
sujets en projet parental présentant une infertilité médicale ou aux couples
sérodifférents, aux personnes présentant une maladie génétique grave, mais
elle est également revendiquée par des couples « souffrant » d’infertilités dites
[4] Les naissances sociologiques [4] (homoparentalité par exemple, bien qu’en France, l’AMP soit
sous AMP
représentent 2 à refusée au couple homosexuel.) En une trentaine d’années, tout a donc changé
3% des
naissances... dans la façon de faire des enfants, de part l’introduction en premier lieu de la
contraception -engendrant une rupture entre sexualité et procréation- puis du
fait de l’apparition de l’AMP, entraînant une rupture entre procréation et
filiation. Selon Gustin (2010), cette nouvelle ère, biomédicale, engendre un
« malaise dans la nomination », modifiant « la mise en forme de l’existence », de
l’identité mais aussi l’apparition de nouveaux dispositifs, tant langagiers que
juridiques.
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Pour bien comprendre les enjeux de cette mutation sociale, il s’agit de 3
distinguer, dans la mise au monde d’un sujet humain :
Les travaux des psychistes ont ouvert une autre voie, à côté de cette hyper- 6
médicalisation, en redonnant du sens aux maternités en attente d’enfant (co-
construction narrative). Sans pour autant refuser la légitimité de ce désir, ils se
donnent le temps d’interroger avec le sujet les soubassements du désir et ses
motivations inconscientes (Bergeret-Amselek, 2001). Il s’agit en effet ici
d’entendre comment l’infertilité peut venir, en lieu et place d’un conflit
psychique : l’inconception selon Faure-Pragier (1999, 2004) est le versant
psychique de la stérilité organique. Le psychologue en AMP se donne le temps et
les moyens d’explorer les situations, de s’intéresser à la manière dont les couples
transmettent leur histoire personnelle (la « mobilité narrative » selon Darwiche,
Bovet, Corboz-Warnery & al., 2002). Et éventuellement de dénouer les conflits
d’un sujet qui ne sent pas « autorisé » à devenir parent du fait du poids des
identifications imaginaires ou par crainte d’une reproduction de la violence
subie.
Comment la parentalité s’érige-t-elle malgré ou au risque de l’infertilité ? Quels
sont les destins possibles de cette infertilité qui seront autant de constructions
possibles à cette énigme de la parentalité ? Comment exister en tant qu’homme
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ou femme sans être père ou mère ?
Marty (2003), dans un article consacré à la parentalité, insiste sur une fonction 10
paternelle constitutive des places de chacun, la parole portée par le père
[9] Pour Bentata, s’avérant fondatrice [9] , préexistant au sujet bien avant qu’il ne naisse. La
celui qui donne
l’origine. problématisation de la parentalité dépasse la question de la filiation et de la
procréation, comme le souligne Dumas (1999), l’enfant est autant conçu par les
paroles et les désirs partagés que dans un acte sexuel. Cette parole et ce désir
échangés rappellent que la parentalité est un processus qui s’effectue pour
chaque membre d’un couple se préparant à devenir parent. Cette parentalité,
[10] Selon le terme impulsant un travail psychique ou un « processus mental du devenir parent [10] »,
proposé par Solis-
Ponton, 2001. se nourrit de l’histoire du sujet, se devant de réinterpréter ce que sa propre
famille lui a transmis et de renégocier ses identifications afin de pas être aliéné
[11] F. Marty par leur poids [11] . C’est dire combien la parentalité est infiltrée de
(2003) rappelle
que parentalité représentations et de fantasmes inhérents à la sexualité et s’alimente des
peut se décliner...
figures parentales rencontrées sur la scène réelle (le placenta psychosocial selon
Solis-Ponton et Missonnier, 2002). Par ailleurs, la parentalité, d’après une
conception psychanalytique, se traduit par la relation d’objet favorisant les
interactions entre les parents et leur enfant, rappelant, selon les
enseignements de Lebovici, que la parentalisation va de pair avec la filiation.
C’est l’enfant qui fait advenir le parent, celui-ci en lui transmettant une partie
de son narcissisme primaire, lui assure le sentiment de se sentir exister. Solis-
Ponton (2001) souligne à ce propos que « l’enfant construit et parentalise ses
[12] L. Solis- parents en même temps qu’il se construit lui-même [12] . » Le désir d’enfant
Ponton, « Sur la
notion de s’avère par conséquent préparatoire à ce cheminement en vue de passer du
parentalité
développée... statut « d’enfant de ses parents » à celui de « parent de son enfant ». Le fœtus
n’est pas seulement cette extension narcissique de la mère, celle-ci, au cours de
la grossesse, va progressivement élaborer son altérité, en s’appuyant sur le père
(conteneur et catalyseur d’angoisses) ce que Missonnier (2002) nomme les
« anticipations créatrices de l’altérité du nouveau-né ».
Ainsi, les interactions à plusieurs niveaux (« échanges interactifs projectifs »)
nourrissent-elles la parentalité et provoquent-elles des remaniements à la fois
chez l’enfant, dans le couple et pour chacun des membres du couple : « […] la
rencontre des deux psychés parentales va constituer un creuset
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rencontre des deux psychés parentales va constituer un creuset
[13] S. Missonnier, représentationnel dans lequel l’enfant va psychiquement advenir [13] ». Ces
« Parentalité et
grossesse, relations ont des fonctions d’apaisement (fonction sécurisante), de stimulation
devenir...
et de socialisation (Ochoa-Torres & Lelong, 2002) et sollicitent la capacité
d’attachement de l’enfant, base du lien affectif qu’il va entretenir avec ses
figures parentales. Cette période de projet d’enfant et d’attente d’enfant est
une étape faite de résurgences, à haut risque, le bébé pouvant prendre les traits
d’une menace alors qu’il est consciemment attendu et planifié : les parents
« sont envahis par les images conflictuelles et agressives du bébé qu’ils ont été
[14] M. Bydlowski, eux-mêmes et risquent de ressentir l’enfant actuel comme un persécuteur [14] . » Il
Parenté
maternelle et est vécu comme déstabilisant une homéostasie conjugale, allant jusqu’à activer
parenté
paternelle,... des décompensations parentales (rencontre impossible et ajournée avec le bébé
du dedans ou du dehors).
Nous proposons à présent quelques illustrations des aléas et avatars du
processus de parentalité à travers des vignettes cliniques issues de
consultations psychologiques auprès de couples souffrant d’infertilité.
Clinique de l’infertilité
Aurélie est une jeune femme de 26 ans, nullipare, en couple avec Sébastien, 29 11
ans, depuis 5 ans. Elle s’est toujours imaginée, dans ses rêveries de petite fille,
puis d’adolescente, « mariée et maman avant 30 ans ». Mariés depuis trois ans, ils
sont en attente d’une grossesse. La première année « sans contraception », a été
vécue plutôt sereinement par Aurélie, bien que, dit-elle, « au bout de six mois
d’attente, la survenue des règles, chaque mois, a commencé à me peser ». Si bien
qu’avant la fin de la première année, Aurélie est allée consulter sa gynécologue,
« pour faire des tests ». La praticienne lui a alors prescrit des dosages hormonaux et
une échographie et l’a rassuré sur la survenue prochaine d’une grossesse. Les
examens se sont révélés normaux mais six mois plus tard, Aurélie est à nouveau
persuadée « d’avoir un problème ». Elle retourne voir sa gynécologue et lui
demande expressément des « examens complémentaires, plus poussés ». Le médecin
propose alors au couple de faire un test de Huner (test post-coïtal), qui révèle
qu’il n’y a pas de spermatozoïde dans la glaire. Dès lors, le couple commence une
démarche en centre spécialisé d’AMP, où nous les rencontrons. Les explorations
effectuées indiquent que Sébastien présente une Oligo-Asthéno-Tératospermie
(OATS) sévère, venant expliquer le test de Huner négatif et… l’absence de
grossesse. Le couple vit cette annonce « comme un choc, un vrai traumatisme ».
À partir de là, Aurélie a de plus en plus de mal à faire face aux grossesses qui
surviennent dans l’environnement : « je me sens jalouse, aigrie… je n’arrive pas à me
réjouir pour les autres, je trouve ça trop injuste ! ». Du coup, le couple s’isole de plus en
plus, évite de se confronter aux femmes enceintes et aux jeunes parents.
Sébastien, lui, culpabilise beaucoup « de ne pas pouvoir donner d’enfant à sa femme »
et de lui « imposer tous ces traitements ». Depuis un an, Aurélie et Sébastien
bénéficient en effet d’une prise en charge par FIV-ICSI. Ils ont déjà effectué
deux tentatives, sans succès. Lorsque nous rencontrons la jeune femme, à sa
demande, elle est à la fois extrêmement fragilisée et revendicative et se plaint
de « ne plus en pouvoir ». Sa vie tout entière, dit-elle « tourne autour des FIV ». Seuls
comptent les tentatives, les traitements, le nombre de follicules obtenus. Elle vit
la situation d’infertilité du couple comme son premier échec, mettant en péril
l’idéalisation de soi. La construction de son discours, le contrôle drastique et la
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l’idéalisation de soi. La construction de son discours, le contrôle drastique et la
rigidité des défenses psychiques nous font penser aux femmes infécondes
rencontrées par Faure-Pragier (1999), laquelle repère chez nombre d’entre elles
des névroses de caractère qui s’érigent en défense d’un noyau dépressif.
L’infertilité est vécue comme intolérable, activant un vécu de privation d’où la
complaisance et la nécessité à se livrer aux différents examens médicaux : « là, je
fais de mon mieux pour tout bien faire, les piqûres, le repos, les contrôles à l’hôpital… mais
ça ne marche pas quand même… ». Dans un second temps de la rencontre, Aurélie
avoue qu’elle continue à se sentir responsable de l’absence de grossesse : « le
problème de Sébastien, il est réglé avec l’ICSI. On a des embryons, mais ils ne veulent pas
s’accrocher en moi. C’est moi qui suis incapable de tomber enceinte. Je ne suis pas une vraie
femme. Je suis handicapée ». Les propos d’Aurélie envers elle-même sont très
violents et montrent l’ampleur du désastre narcissique. Elle dévoile dans son
discours l’image très réductrice qu’elle a d’elle-même et qui tourne autour d’un
corps objectalisé et surmédicalisé. Aurélie nous dit aussi qu’elle ne se sent plus
désirable, qu’elle s’interroge beaucoup sur sa féminité et n’arrive plus à accéder
à son propre désir, parce qu’elle se vit comme « abîmée et vide ». Le couple n’a plus
de sexualité depuis l’entrée en AMP. Lorsque nous proposons à Aurélie de la
rencontrer régulièrement, elle se montre très défensive et refuse d’emblée
toute forme de soutien psychologique : « je suis venue vous voir car je veux faire tout ce
qui est possible, on ne sait jamais, pour mettre toutes les chances de mon côté, mais au
fond, je sais bien que j’ai un problème dans mon corps, et pas dans ma tête ». Lorsque
nous interrogeons Aurélie sur son vécu des traitements, elle se recentre
immédiatement sur son objectif « avoir un enfant », sans prendre le temps ni
d’explorer ni d’évoquer son vécu subjectif, le déni entravant toute évocation de
la vie pulsionnelle au profit de l’action : « Cet enfant, je le veux, j’y ai droit, et je ferai
tout pour l’avoir… il reste encore deux FIV, et si ça marche pas, avec mon mari, on est prêt
à payer pour une 5ème ou même à partir à l’étranger. On ne peut pas rester sans enfant,
c’est pas possible… ». L’adoption, qu’Aurélie a évoquée spontanément un peu plus
tôt dans l’entretien, n’est finalement pas une solution envisageable pour elle :
« Ce ne serait pas mon enfant, je ne l’aurai pas porté, il ne me ressemblera pas… ». Pour
elle, le désir d’enfant (donner la vie et élever un enfant) n’est absolument pas
distingué du désir de grossesse en tant « qu’expérience de porter un enfant dans son
ventre, de vivre une gestation ». Tant qu’Aurélie n’a pas d’enfant, elle ne se vit pas
comme une femme, sans élaborer qu’il faut d’abord peut-être se sentir femme
pour pouvoir tomber enceinte… Ce qui fait écrire à Faure-Pragier (1999) « Ne
pouvant s’identifier à une mère qui serait une femme – une amante –, mes
[15] S. Faure- patientes veulent être mères pour cesser d’être filles [15] (…) ». À l’issue de notre
Pragier, 1999. « Le
désir d’enfant rencontre, Aurélie exprimera du soulagement. Elle va même jusqu’à accepter
comme substitut...
une nouvelle rencontre avant le troisième essai, « ça va peut-être me porter
chance ! ».
Nous n’avons jamais revu Aurélie : elle n’est pas venue au rendez-vous fixé et 12
nous avons appris qu’elle avait décidé de faire les tentatives restantes dans un
autre centre « où les statistiques sont meilleures ». Confrontée à l’incertitude d’avoir
un jour un enfant biologique dans son couple, Aurélie est incapable d’élaborer
cette situation. Les défenses rigides, qu’elle érige pour lutter contre l’angoisse,
l’empêchent de vivre l’effondrement dépressif qui la guette et qu’elle tient à
distance par une attitude de maîtrise et de contrôle (illusoire) sur la situation.
Parviendra-t-elle finalement, à force d’acharnement, à obtenir cette grossesse
biologique tant attendue ? Pourra-t-elle, en cas d’échec, faire le deuil de cette
grossesse… ? Ces questions, non-élaborables à l’heure de notre rencontre,
restent ouvertes…
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Lorsque l’enfant précieux fait barrage à l’enfant réel :
le deuil impossible de l’enfant imaginaire
Karine et son conjoint Stéphane ont pour projet d’agrandir la famille. Parents (ô 13
combien heureux !) d’Hiroko, âgée de bientôt 2 ans, ils souhaitent lui donner
aujourd’hui une fratrie. Hiroko est née suite à deux tentatives de FIV-ICSI
effectuées avec des paillettes de sperme congelées de Stéphane. En effet, peu de
temps après la mise en couple, (avant même tout projet parental exprimé),
Stéphane découvre qu’il est atteint de la maladie de Hodgkin (ou lymphome de
Hodgkin – LH) et doit suivre quatre protocoles de chimiothérapie afin de
stabiliser son état. L’équipe soignante encourage Stéphane à congeler son
sperme avant le début du traitement en vue d’une éventuelle AMP ultérieure, ce
qu’il fait. Stéphane est aujourd’hui en rémission et se porte bien, mais il est
azoosperme, sans espoir de récupérer sa fertilité. Karine évoque l’époque de la
maladie et des traitements avec beaucoup d’émotion : « ce qui importait alors, et qui
était prioritaire sur le reste, c’était la santé de Stéphane. Le fait de fonder une famille, au
début, n’était pas à l’ordre du jour ». Cependant, les traitements par chimiothérapie
se sont étendus sur 4 longues années et, chemin faisant, le couple s’est mis à
« rêver d’un enfant » disent-ils. À l’issue du dernier protocole de chimiothérapie
(qui s’est révélé être le bon), le couple a entamé des démarches en AMP. Tous
deux semblent s’être montrés particulièrement résilients et courageux lors de
cette première démarche. Très confiants en la médecine, habitués à la prise en
charge hospitalière, ayant également, comme ils disent « appris à être patients »,
ils se sont inscrits dans le protocole avec beaucoup d’attentes mais sans
exigence ni impatience : « c’est déjà tellement bien de pouvoir essayer, après tout ça »
exprime Stéphane. Les bilans de Karine se sont révélés strictement normaux et
dit-elle : « mon gynécologue avait vraiment bon espoir et nous a vraiment donné
confiance ». La première tentative de FIV-ICSI n’a pas donné lieu à une grossesse,
mais le couple était psychologiquement préparé à rencontrer des échecs. Ils
parlent bien entendu de déception mais ont apparemment pu très vite investir
la suite de leur parcours. Le soutien de leurs proches a également aidé le couple à
garder confiance.
De fait, la deuxième tentative d’ICSI s’est soldée par une grossesse, qui a été 14
d’emblée investie par Karine, et de façon générale par le couple et leur famille,
comme « précieuse » : « c’est un petit miracle, cette vie qui surgit d’une paillette de
sperme, après toutes ces années d’incertitude et d’angoisse… ». Les 3 premiers mois de la
grossesse furent vécus avec beaucoup d’appréhension : « au début, c’est toujours
délicat, mais là, je faisais hyper attention à tout… ». Ce n’est qu’à l’issue du premier
trimestre que le couple s’est autorisé à « y croire vraiment et à se réjouir sans arrière-
pensée ». Ils ont voulu connaître le sexe de l’enfant dès que possible et dès lors,
leur vie s’est organisée autour de l’arrivée de leur « princesse ». Le jour de
l’accouchement, une césarienne a du être pratiquée d’urgence, car le bébé a fait
une réaction allergique à la péridurale : « Son cœur ralentissait, ralentissait », dit
Karine. « Ils m’ont emmenée au bloc, je ne me suis rendue compte de rien. Une heure
après mon réveil, j’ai pu prendre Hiroko dans mes bras. Mais je n’ai pas ressenti le coup de
foudre pour ma fille. Ma sœur m’avait raconté la bouffée d’amour qu’elle avait ressentie
quand on lui avait posé son fils sur le ventre après l’accouchement. Pour moi, il a fallu
d’abord que je la rencontre, que je la reconnaisse. J’ai eu besoin de temps pour me sentir
vraiment maman ».
Le désir d’un deuxième enfant ne pourra être abordé par Karine et Stéphane 16
que par rapport à Hiroko. C’est « pour lui donner un frère ou une sœur », « pour qu’elle
ait quelqu’un quand on ne sera plus là ». Le désir d’enfant s’est mué pour le couple en
« projet d’enfant », rationalisé et intellectualisé, justifié par rapport à leur fille.
Tous deux peuvent cependant se représenter l’échec de ce nouveau parcours :
« c’est plus pareil qu’avant, il y a Hiroko maintenant, on est parent. Si on en a un autre,
tant mieux, sinon, on ne s’acharnera pas ». Karine va même jusqu’à poser un cadre à ce
second parcours en AMP : « on fait deux tentatives et si ça vient pas, on arrêtera… ». Deux
tentatives, comme pour Hiroko… Le couple ne paraît cependant pas avoir
conscience de la répétition qui est ici à l’œuvre. Après ces années passées dans
l’angoisse de la maladie de Stéphane, ces mois à repousser le spectre de la mort
et à se préparer, plus ou moins consciemment, à renoncer à avoir un enfant,
l’AMP est venue relancer pour ce couple le moteur du désir de lutter activement
contre l’angoisse de mort et de perte.
Christine et Christian ont été rencontrés une première fois lors de la prise en 20
charge de l’infertilité (mixte) du couple par IAC. D’emblée, Madame annonce
qu’ils sont dans une démarche d’adoption et qu’ils ont déjà obtenu l’agrément.
Parallèlement à la démarche d’adoption, le couple s’engage aussi dans une
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Parallèlement à la démarche d’adoption, le couple s’engage aussi dans une
démarche d’AMP : « On est d’accord sur ça, sur l’importance pour nous d’élever plusieurs
enfants, biologiques ou pas ». De fait, le projet parental du couple s’est inscrit dans
cette double démarche : au moment où Christine a arrêté la contraception, ils
ont constitué un dossier de demande d’agrément : « on s’était bien dit que tout
pourrait arriver en même temps, mais ça ne nous faisait pas peur… on savait que
l’adoption, c’est toujours très long, et on imaginait quand même que la grossesse arriverait
avant ! ». Après quelques cycles sans grossesse, Christine a consulté sa
gynécologue : « je m’étais toujours dit que quand ce serait le moment, ça irait très vite…
du coup, je voulais vérifier que tout allait bien ». Finalement, quelques mois plus tard,
et suite à divers examens, tant féminins que masculins, il s’est avéré que
Christine présente une dysovulation sévère et Christian une asthénospermie
modérée et une tératospermie marquée : une indication d’IAC est donc posée,
qui est très bien acceptée par le couple, sans blessure narcissique patente : « c’est
une aide, un coup de pouce puisqu’on a du mal tous les deux… c’est pas ça qui va nous
arrêter ! ». Dans le discours du couple, les deux parcours (adoption et AMP) sont
également investis, mais cependant bien différenciés : « ce qu’on aimerait
vraiment, c’est que les deux puissent aboutir ». Christine nous confie un peu plus tard
dans l’entretien que depuis l’adolescence, elle se voit maman, à la tête d’une
tribu d’enfants « blonds, bruns, black ou asiatiques… des enfants de toutes les
couleurs ! ». De son côté, Christian a très vite partagé le désir d’adoption de
Christine car dit-il « je sais très bien ce que c’est, mes parents ont adopté mon petit frère
au Brésil et ça c’est super bien passé. Il n’y a aucune différence entre nous (on est 4 frères),
et même, c’est peut-être de lui dont je suis le plus proche… peut-être parce que j’étais le petit
dernier et que grâce à lui, je suis devenu grand frère et que j’adore ce rôle… ». La première
rencontre avec ce couple nous laisse donc penser que le désir d’enfant est bien
élaboré pour Christine et Christian, et que la situation d’infertilité n’entraîne
pas de souffrance psychologique invalidante. Par ailleurs, tous deux témoignent
de ressources psychiques de qualité et leur aménagement défensif parait
opérant, souple et adaptatif. L’adoption n’est pas une solution investie face à la
blessure qu’aurait causé l’infertilité, cette dernière étant plutôt bien acceptée.
De fait la parentalité ne semble pas ici altérée par ce diagnostic. Ces patients
semblent croire en leurs compétences qui sauront être activées par l’enfant
porté ou non dans le corps, mais indéniablement attendu et imaginé. Dans le
discours, aucune trace d’une place de sauveur ni d’idéalisation à outrance de leur
démarche d’adoptant. Celle-ci n’est pas le palliatif d’une souffrance liée à
l’infertilité, qui se trouverait contre-investie par l’adoption. Nous rencontrons à
nouveau le couple deux ans plus tard. Christine et Christian racontent alors à
deux voix les années écoulées. Suite à deux IAC, une grossesse s’est présentée,
qui a été accueillie avec beaucoup de joie de la part du couple et de leurs proches
et vécue sereinement. A deux mois de grossesse, le couple apprend qu’il peut
adopter deux enfants. Les petits garçons, jumeaux d’origine vietnamienne, ont
perdu leur mère biologique décédée lors de l’accouchement et n’ont pas
d’ascendance connue. Le couple se retrouve donc, presque simultanément,
parents de 3 enfants : la petite Lise, qui a aujourd’hui presque un an et les
garçons, qu’ils sont allés chercher au Vietnam lors du 5ème mois de grossesse :
« on a vécu un mois là-bas, on allait les voir tous les jours… ils ont pu vivre eux aussi la
grossesse et se préparer à l’arrivée prochaine d’un bébé» dit Christine. Tous deux
gardent en effet un souvenir émerveillé de cette période où ils ont découvert la
parentalité « sous toutes ses formes ». Le couple a cependant vécu un « retour à la
réalité » après l’accouchement : « c’est vrai que là, c’était un peu dur… la fatigue, Lise qui
pleurait beaucoup et puis les garçons qui avaient énormément besoin de nous aussi… on
était épuisé ! Mais on s’en est sorti, on s’est organisé et au final, on est comblé ! ». On
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pourrait donc imaginer que leur désir d’enfants avait trouvé là à se satisfaire.
Cependant, le couple revient vers nous aujourd’hui pour reprendre un parcours
d’IAC : « on y tient, à notre petit dernier ! Quatre enfants, c’est comme un idéal pour nous
et on aimerait qu’ils soient proches, qu’ils puissent partager plein de choses…» Tous deux
se montrent très réalistes par rapport à ce deuxième parcours : « le
spermogramme ne s’est pas arrangé et mes cycles sont toujours aussi longs et capricieux
dit Christine, mais si on a une petite chance de revivre ça, on ne veut pas passer à côté… ».
Couple harmonieux, parents heureux et patients sereins, Christine et Christian
témoignent d’un équilibre psychologique indéniable et attestent que la
parentalité peut emprunter bien des chemins pour advenir et devenir, lorsqu’il
existe une véritable disponibilité psychique et que la symbolisation est à
l’œuvre.
Discussion
Conclusion
Bibliographie
Darwiche, J., Bovet, P., Corboz-Warnery, A., Germond, M., Rais, M., Real del
Sarte, O., Guex, P. (2002). Quelle assistance psychologique pour les couples
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Dumas, D. (2009). Sans père et sans parole. La place du père dans l’équilibre de l’enfant,
Paris : Hachette,
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Eid, G. (2008). La famille post-moderne : intimité et parentalité, La revue du Redif,
vol.1 : 41-47.
Goëb, J.-L., Férel, S., Guetta, J., Dutilh, P., Dulioust, E., Guibert, J., Devaux, A.,
Feldmann, G., Guedeney A., Jouannet P., Golse B. (2006).Vécus psychologiques
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Lebrun, J-P. (2009). Les paradoxes de la parentalité, Etudes/6 (Tome 410) : 763-774.
Racamier, P.C., Sens, C., Carretier, L. (1961). La mère, l’enfant dans les psychoses
du postpartum, Evolution psychiatrique, XXVI : 525-570.
Notes
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Notes
[5] Beck repris par Eid, In La revue du Redif, 2008, vol.1, p.41-47.
[6] Selon eux (1993), la parentalité désigne les processus psychopathologiques décrits dans
l’interaction parents-enfant, renvoyant à la fois à l’identification projective et au conflit
narcissique.
[11] F. Marty (2003) rappelle que parentalité peut se décliner en maternalité et paternalité,
reprenant les concepts de Racamier (1961).
[12] L. Solis-Ponton, « Sur la notion de parentalité développée par Serge Lebovici », In : Ben
P. Soussan & S. Missonnier (Eds). En Serge Lebovici, le bébé, Spirale 2001/1 (no 17), 135-
141, citation p. 141.
Résumé
Français La souffrance des couples « en mal d’enfant », les difficultés du parcours thérapeutique et la
construction de la parentalité dans ces situations inédites sont éclairées par une
présentation de situations cliniques rencontrées dans un service d’Aide Médicale à la
Procréation (AMP). Les auteurs évoquent par exemple la demande d’un enfant « coûte que
coûte », l’idéalisation de l’enfant issu de l’AMP ou encore le choix de l’adoption.
Plan de l'article
URL : http://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2011-2-page-
123.htm
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© 2010-2014 Cairn.info
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