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Dumont Paul. Le surnaturel dans la Théologie de saint Augustin. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 11, fascicule 4,
1931. pp. 513-542;
doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1931.1532
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1931_num_11_4_1532
DE SAINT AUGUSTIN
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(1) Le problème que nous cherchons à résoudre ne semble pas avoir été
traité par les commentateurs récents de saint Augustin avec l'ampleur et la
précision qu'il réclame.
Le P. Portalié no lui consacre guère que quelques lignes. Il se prononce en
termes aussi brefs que catégoriques : « Le caractère surnaturel de l'adoption
divine est un dos points si fondamentaux de la doctrine d'Augustin qu'on
s'étonne qu'il ait pu être nié. » Art. Augustin, dans Diet, de théol. cath., t. I, col.
Lit! SURNATUREL DANS LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 515
2393. M. Tixeront {Histoire des dogmes, t. I!, p. 463), plus nuance, n'est guère
plus explicite. En recherchant îa pensée de saint Augustin sur d'antres points
du dogme, quelques auteurs ont touché à notre sujet. Voir, par exemple, .1. B.
Kors, La justice primitive et le péché originel d'après saint Thomas, Kain,
1922, p. 13 ; G. Philips, La raison d'être du mal, d'après saint Augustin, Lou-
vain, 1927, p. 65 ; J. Mausbach, Die Ethik des heiVgen Augustinus, Fribourg-
en-Brisgau, 1909, t. II, p. 97-138.
Scheeben s'en est occupé un peu plus longuement (Dogmatique, trad. Bélet,
t. Ill, p. 491-495). Lui, du moins, a bien noté la difficulté qu'on rencontre en
l'abordant : « II faut avouer, écrit-il (p. 495), que saint Augustin n'a pas établi
la distinction du surnaturel et du naturel avec toute la clarté désirable. Cela
vient notamment de ce que le saint docteur, d'après ses vues platoniciennes,
concevait toute la perfection spirituelle de la créature raisonnable comme une
formation, une assimilation avec Dieu accomplie par une participation à l'idéal
divin. Scheeben renvoie à Casini, jésuite italien du xvme siècle, qui a, en efïet,
relevé de nombreux textes de saint Augustin se rapportant aux dons de la
justice originelle et de la vie surnaturelle. La question qui nous occupe est
directement traitée dans son ouvrage : Qu'est-ce que l'homme ? Ou controverse sur
l'état de nature pure ; trad. Cros, Paris, 1864, enrichie de notes et remarques
du Dr Scheeben, p. 42-45, 79, 111-120, 322-328, 411-417. Mais cette esquisse
laisse place à une étude plus complète.
On trouvera une doctrine opposée à la nôtre dans J. Turmel, Revue d'histoire
et de littérature religieuse, t. vi, 1901, p. 421 ; t. vu, 1902, p. 209 sq. (à propos
du péché originel dans saint Augustin).
516 PAUL DUMONT
PREMIERE PARTIE
Réalité du surnaturel
(1) « Si autem qnaeritis quid sit sapientia, nihil est aliud quam modus animi,
hoc est quo sese animus librat, ut neque excurrat in nimium neque infra quam
plenum est coarctetur... Habet ergo modum suum, id est sapientiam, quisquis
beatus est. » De beata vita, iv, 33. — P. t., t. xxxn, col. 975.
(2) Ibid., 34, col. 975-976.
(3) De Trin., i, vm, 15 sq. — P. L., t. xlii, col, 829 sq.
518 PAUL DUMONT
(1) Ibid., 16, col. 830 : « Quasi modo non habeat regnum Deus et Pater ? Sed
quia omncs justos... perducturusest ad speciem, quam visionem dicit idem Apos-
tolus facie ad faciem. Ita dictum est cum tradidcrit regnum Deo et Patri, ac si
dicerctur : eu m perduxerit credentes ad contemplationom Dei et Pat ris ».
(2) Ibid., 16, col. 831.
(3) Ibid., x, 21, col. 835
(4) Ibid., xv, xi, 21, col. 1073 : « Cum ergo hac transformatione ad perfectum
fuerit haec imago renovata, similes Deo erimus, quoniam videbimus cum,...
facie ad faciem. Nunc vero, in hoc speculo, in hoc enigmate, in hac qualicumque
similitudine, quanta sit etiam dissimilitudo quis potest explicare ? »
(5) Ibid., i, vin, 17, col. 83:1 : « Quod enim dixit famulo suo Moysi : Ego sum
qui sum,... hoc contemplabimur cum vivemus in aeternum. »
(6) Ibid., col. 832 : « Sive ergo audiamus : Ostende nobis Filium ; sive audia-
mus : Ostende nobis Patrem, tantumdcm valet, quia neuter sine altero potest
ostendi. » Cf. i, x, 20, col. 834 : « Contemplabimur enim Dcum Patrem et Filium
et Spiritum Sanctum. »
(7) Voir ibid., i, ix, 18 ; x, 21 et xni, 3:1 ; col, 833, 835 et 843.
LE SURNATUREL DANS LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 519
M) Ibid., i, vin, 18, col. 832: « Hoc est enim plenum gaudium nostrum quo
amplius non est, frui Trinitate Deo ad cujus imaginera facti sumus. » Cf., ibid.,
17, col. 831 : « 111a ketitia nihil amplius requiretur, juia nee erit quod amplius
rcquiratur. »
(2) Ibid., i, x, 20, col. 834 : « Quando perducet (Christus) credentes ad con-
templationem Dei, ubi est finis omnium bonarum actionum et requies sempi-
terna. » Dans ce passage et ceux qui ont été cités précédemment, il s'agit
évidemment d'une connaissance et d'une joie résultant d'une contemplation de Dieu
qui est la vision de son essence. C'est de la vision» intuitive que traite
directement saint Augustin dans les chapitres vm-x, d'où sont tirés tous ces textes.
(3 De beala vita, iv, 34. — P. £., t. xxxit, col. 975 : « Quae est autem dicen-
da sapientia, nisi quae Dei sapientia est ? Accepimus autem etiam auctoritate
divina Dci Filium nihil esse aliud quam Dei sapientiam. »
(4) « Sive quia post hanc vitam in qua peregrinamur a Domino... videbiinus
facie ad facicm. » De trin., n, xvii, 28. — P. L., t. xlii? col. 863,
520 PAUL DUMONT
<l) « Sive quod etiam nunc in quantum Dei sapientiam, per quam facta sunt
omnia, spiritualiter intelligimus. » Ibid.
(2) Nombreux sont les commentateurs de saint Augustin qui se refusent à voir
dans l'illumination dont il a fait une condition nécessaire de tout jugement vrai,
une vision, même imparfaite, de l'essence divine. Voir Portalié, art. Augustin,
col. 2334 sq ; Et, Gjlson, Introduction à l'étude de saint Augustin, p. 108-113-
LE SURNATUREL DANS LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 521
(1) Aux textes déjà cités on peut joindre le suivant : « Quam pcriculose, imo
perniciose sibit placet (mens), cum... morbo inflationis extollitur, quamdiu non
videt sicut videbit in fine summun illud et incommutabilc bonum, incujuscom-
paratione se spernat sibique illius cantate vilescat... Hoc superbiae malum tune
animum tentarc non poterit... quando tanta satiabitur visionc et tanta inflam-
mabitur caritate supeiïoris boni ut ad seipsum sibi placendo, deficere ab illius
dilectionc non possit. » Cont. Jul., iv, m, 28. — P. L., t xliv, col. 752-753.
Voir encore : De doct clir., n, xn, 17. — P. L., t. xxxiv, col. 43 ; De consens,
evangel, i, iv-v, 7-8. — P. .£., t. xxxiv, col. 1045-1046 ; Cont. Faust. Munich.,
xxii, 52-55. — P. L., t. xlii, col. 432-435. Dans d'autres passages, au contraire,
il est plus difficile de discerner s'il parle d'une contemplation naturelle ou
surnaturelle de la vérité infinie: De mot. Eccl. Cathol., i, m, 4 sq. — P. L., t.
xxxii, col. 1312-1315 ; De lib. arlritr., n, xm, 35 sq. — P. L., t. xxxn, col.
1260; De div. quœst., lxxxiii, 35. — P. L.\ t. xl, col. 24.
522 PAUL DUMONT
(1) In Joan., xix, v, 11. — P. L., t. xxxv, col. 1548 : « Cum aiitcm fit justa,
fit particeps alterius vitae quœ non est quod ipsa ; crigcndo se quippe ad Deum
et inhaerendo Deo, ex illo justificatur. »
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(1) « Quia vero vita ejus est Deus quomodo cum ipsa est in corpore, prsestat
illi vigorcm..., sic, cum vita ejus Deus in ipsa est, praestat il 1 i sapientiam,
pietatem, justitiam, caritatem. » Ibid., 12, col. 1550.
(2) « Ipso enim fons nostrse bealitudinis... ideo beati quia illo fine perfect!. »
Decivit. Dei, x, m, 2. —P. L., t. xu, col. 280.
(3) « Bonum enim nostrum, de cujus fine inter philosophos magna contentio
est, nulluni est aliud quam illi cohaerere : cujus unius anima intellectualis in-
corporeo, si dici potest, amplexu, veris impletur fecundaturque virtutibus. »
Ibid., col. 281. Cf. xix, 26, col. 656 ; xi, 25. col. 339.
(4) De Trin., iv, h, 54. — P. L., t. xui, col. 889.
524 PAUL DUMONT
(1) Cont. Jul., iv, m, 33. — P. L., t. xliv, col. 756. Cf. ibid., m, xxi, 43, col.
724 ; v, ix, 40, col. 807 ; v, xn, 46, col. 810 ; v, xvi, 63, col. 819. Bien qu'il ne
soit pas certain que le terme veniale peccatum signifie exactement chez
Augustin ce que nous appelons péché véniel, il n'est pas douteux pourtant que le
saint docteur n'ait affirmé contre Pelage l'existence, dans les âmes justes, de
péchés qui ne méritaient pas la damnation. Voir Portalié, art. Augustin, col.
2383.
LE SURNATUREL DANS LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 529
(1) De civ. Dei, xii, 9. — P. L., t. xu, col. 356: « Quid enim erant (angeli)
sine bona voluntate nisi mali ? »
(2) « Profecto et bonam voluntatem... nisi opérante adjutorio creatoris habere
non possent. -> Ibid.
(3) « ...Nisi ille qui bonam naturam ex nihilo sui capacem fecerat ex seipso
faceret implendo meliorem, prius faciens cxcitando avidiorem. » Ibid.
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(1) « Aut si propterea non mali quia nee mala voluntas eis inerat (neque
enim ab ea quam nondum coeperant habere defecerant), certe nondum talcs,
nondum tam boni quam esse cum voluntate bona coopérant. Aut si non potue-
runtse ipsos facere meliores quam eos ille fecerat quo nemo melius quidquam
facit, profecto et bonam voluntatem qua meliores essent nisi opérante adjutorio
Creatoris habere non possent, » De civ. Dei, xn, 9- — P- L., t. xli, col. 356.
534 PAUL DUMONT
LA JUSTICE
LA VRAIE VERTU
(1) Voir, par exemple, Enarrat. in psalm., xux, 2. — P. L., t. xxxvi, col.
565, et surtout De Grat. etpeccat, orig., i, xlviii, 53. — P. L., t. xuv, col. 384
qui sera analysé plus loin.
LE SURNATUREL DANS LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 537
.
vraie vertu. La vraie vertu, c'est d'abord, pour lui, la vertu
qu'inspire la foi. Personne, en effet, ne peut plaire à Dieu sans
la foi. En dehors de la foi au Christ, il ne se rencontre aucune
rectitude de vie (1). Les vertus ne sont qu'apparentes : vices
déguisés plutôt que vertus. On en comprend sans peine la
raison : ce qui fait la valeur d'un acte, ce n'est pas l'œuvre
matériellement produite, c'est le motif qui l'anime, la fin vers
laquelle il tend. Toute œuvre est donc mauvaise qui n'est pas
ordonnée au but suprême où nous devons parvenir (2).
Apparemment elle n'est pas un péché ; en réalité, il faut la juger
telle. Elle est née de l'avarice, de la sensualité, de l'esprit de
lucre. Mais, quand bien même elle ne procéderait de l'amour
(1) « Nemo recte vivit nisi ex fide per Christum. » Cont. Julian., iv, m, 14. —
P. L., t. xliv, col. 743.
(2) « Noveris itaque uon officiis sed finibus a vitiis discornendas esse virtu.tes.
Offlcium est autem quod faciendum est ; finis vero propter quod faciendum est.
Cum itaque facit homo aliquid ubi peccare non videtur,. si non propter hoc facit
propter quod facere débet, peccare convincitur. * Ibid-, 21, col, 749.
LE SURNATUREL DANS LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 539
(1) « Etsi ad scholam Pythagorae provoces vol Platonis, obi eruditissimi atque
doctissimi viri... veras virtutes non esse dicebant nisi quae menti quodam modo
imprïmuntur a forma illius aeternae immufabilisque siibstantiac quod est Deus,
etiam illic adversus te, quantum donat qui nos vocavit pietatis libcrtale cla-
mabo : nec in istis est vera justitia; » Ibid., 17, col. 745-
(2) « Justus ex fide vivit... Quomcdo et in eis vcra justitia, in quibus non est
vcra sapientia ? Quam si eis tribuerimus, nihil erit causae cur non eos ad illud
regnum pervenire dicamus de quo scriptum est : concupiscientia sapientiae dedu-
cit ad regnum". Ac per hoc Christus gratis mortuus est, si homines, sine fido
Christi, ad fidem veram, ad virtutem veram, ad justitiam, ad sapientiam veram,
quacumque re alia, quacumque ratione perveniunt. » Ibid-, 17, col. 746,
LE SURNATUREL DANS LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN 541
La vraie vertu, c'est la vertu qui sauve. Or, pas de salut sans
foi ni rédemption. Donc pas de vraie vertu chez l'infidèle.
Voilà l'essentiel de son argumentation. Elle n'implique pas de
soi l'impuissance de l'infidèle à agir humainement bien, mais
seulement son impuissance à produire une certaine espèce de
bien, réservée aux croyants et aux disciples du Christ.
Sans doute, quand il passe des arguments dogmatiques aux
arguments de raison, Augustin semble orienter sa pensée dans
une autre direction. Il s'efforce alors de montrer que, faute
d'être inspirées par la foi, les œuvres des païens ne peuvent
être animées que d'intentions vicieuses. Mais il se garde sur
ce point d'affirmations absolues et de généralisations sans
limites, comme s'il sentait qu'il exagère en attribuant sans
exception tous les actes des païens à des motifs pervers, il prend
soin de noter que sa doctrine demeurerait encore vraie dans le
cas où cette hypothèse serait inacceptable. Même si l'infidèle,
observe- t-il, n'agissait pas par amour coupable d'une créature,
son œuvre ne serait pas une œuvre de vraie vertu; car, en
dehors du service de Dieu, il n'y a pas de vraie vertu. Le
bien humain qui ne tend pas à la fin que nous a fixée la vraie
sagesse, pour louable qu'il apparaisse, n'est pas un vrai bien;
c'est un péché (1).
Il existerait donc, au jugement de notre docteur, des œuvres
de païens, humainement dignes d'éloge et qui demeurent,
malgré tout, des « péchés » pour cette seule raison qu'elles
n'ont pas été accomplies en vue d'obtenir la contemplation
béatifique. La fin que nous impose la vraie sagesse n'est autre,
en effet, que la vision de Dieu. De pareilles œuvres ne se
confondraient-elles pas précisément avec ce que nous appelons
des œuvres naturellement bonnes ?
Et ceci prouve ou confirme une fois de plus le point essentiel
que toutes les analyses ont pour but, d'établir, savoir le
caractère proprement surnaturel qu'avaient, aux yeux dé saint
Augustin, les œuvres accomplies dans des conditions conformes
aux plans de Dieu sur nous.
Paul Dumont.