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Daniel Alvaro

LE PROBLEME
DE LA COMMUNAUTÉ
MARX, TÜNNIES, WEBER

Traduit de l'espagnol (Argentine) par Pascale Henry


Préface de Jean-Luc Nancy
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LE PROBLEME DE LA COMMUNAUTÉ
MARX, TONNIES, WEBER

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4
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Daniel Alvaro
La Philosophie en commun
Collection dirigée par Stéphane Douailler,
Jacques Poulain, Patrice Vermeren

Nourrie trop exclusivement par la vie solitaire de la pensée, l'exercice


de la réflexion a souvent voué les philosophes a un individualisme
forcené, renforcé par le culte de l'écriture. Les querelles engendrées
par l'adulation de l'originalité y ont trop aisément supplanté tout débat
politique théorique. Le probleme de la communauté
Notre siecle a découvert l'enracinement de la pensée dans le langage.
S'invalidait et tombait du meme coup en désuétude cet étrange usage
du jugement ou le désir de tout soumettre a la critique du vrai y
Marx, Tonnies, Weber
soustrayait royalement ses propres résultats. Condamnées également a
l'éclatement, les diverses traditions philosophiques se voyaient
contraintes de franchir les frontieres de langue et de culture qui les
enserraient encore. La crise des fondements scientifiques, la TRADUIT DE L'ESPAGNOL (ARGENTINE)
falsitication des divers régimes politiques, la neutralisation des
PAR P ASCALE HENRY
sciences humaines et l'explosion technologique ont fait apparaltre de
leur coté leurs faillites, induisant a reporter leurs espoirs sur la
philosophie, autorisant a attendre du partage critique de la vérité
jusqu'a la satisfaction des exigences sociales de justice et de liberté. Le
débat critique se reconnaissait etre une forme de vie. P RÉFACE DE J EAN- LUC NANCY
Ce bouleversement en profondeur de la culture a ramené les
philosophes a la pratique orale de l'argumentation, faisant surgir des
institutions comme l'École de Korcula (Yougoslavie), le College de
Philosophie (París) ou l'Institut de Philosophie (Madrid). L'objectif de
cette collection est de rendre accessibles les fruits de ce partage en
commun du jugement de vérité. 11 est d'affronter et de surmonter ce
qui, dans la crise de civilisation que nous vivons tous, dérive de la
dénégation et du refoulement de ce partage du jugement.

Dernieres parutions

Philippe GRANAROLO, En chemin avec Nietzsche, 2018.


Gisele AMA YA DAL BÓ, La subversion passée sous si/ence,
Politiques de mémoire s ur la dictature en Argentine et a u Chili, 2018.
Daniel FRANKEL, L 'eugénisme social, 20 18.
Emiliano SFARA, Georges Canguilhem. Essai sur une philosophie de
1'action, 20 18.
Juan José MARTINEZ OLGUÍN, Politique de l 'écriture, 2018.
Manuel CERVERA-MARZAL et Nicolas POIRIER (dir.), Désir
d'utopie. Politique el émancipation avec Miguel Abensour, 2018.
Eleonora CARAMELLI, Hegel et le signe d'Abraham. La
confronta/ion avec la figure d'lsrael (1798- 1807), 201 8.

L' Hfrmattan
lndex

Remerciements ................................................................................ 9
Préface de Jean-Luc Nancy ........................................ ................... 11
Introd uction ................................................................................... 13
Chapitre I
Le probleme de la communauté ................................................... 25
l. Mythe et nostalgie de la communauté perdue .............................26
2. L'époque des oppositions ............................................................ 37
Chapitre II
Communauté, société civile ou bourgeoise et État :
Karl Mat·x ...................................................................................... 55
1. De la société a la communauté ..................................................... 57
2. De la communauté politiquea la communauté humaine ............. 64
3. L' ontologie communautaire .........................................................79
4. De la communauté a la société ..................................... ................ 90
5. Le privilege de la communauté (!) ............................................. 102
Chapitre ill
Communauté et société: Ferdinand Tonnies ............................ 115
l . La naissance des « concepts principaux » ................................. 117
2. Les concepts psychologiques ou les deux formes de la volonté 129
Ouvrage édité dans le cadre du Programme « Sur » de Soutien aux Traductions 3. Oppositions, significations, interprétations ................................ 139
du Ministere des A ffaires étrangeres et du C ulte de la République argentine. 4. De la Gemeinschaft a la Volksgemeinschaft ...... ...................... .. 152
Obra editada en el marco del Programa «Sur» de Apoyo a las Traducciones
5. Le privilege de la communauté (11) ........................................... 160
del Ministerio de Relacio nes Exteriores y Culto de la República Argentina. C hapitt·e IV
Communautisation et sociétisation : Max Weber ..................... 171
l . L' essai sur les catégories de 19 13 ............................................. 173
2. La communauté entre Weber et Tonnies ................................... 186
Edition originale
El problema de la comunidad Marx, Tonnies, Weber 3. La rationalisation du monde et le destin
© prometeo 1ibros, 20 15 de la (des) communauté(s) ............................................................. l98
4. Les concepts fondamentaux de sociologie ( 191911920) ............ 211
5. Le privilege de la communauté (111) ................................... ....... 221
Chapitre V
© L'Harmattan, 2018, pour la traduction fran~aise
La communauté en question ...................................................... 231
5-7, rue de I'École-Polytechnique ; 75005 Pa ris
l. Au nom de la communauté : mobilisation, guerre et
http://www.editions-harmatta n.fr/ extenn ination .. .................................... ........................... ...... ......... 23 3
2. Conclusions- autre point de départ ........................................... 247
ISBN : 978-2-343-1 3582-3
EAN : 9 782343135823

7
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Re merciem ents
Ce livre est issu de la réélaboration d'une these de doctorat en cotutelle
entre !'Universidad de Buenos Aires (UBA) et I'Université Paris 8, réalisée
avec l'aide d'une bourse de troisieme cycle attribuée par le Consejo
Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas de 1' Argentine. Je
remercie mes directeurs, Horacio González, Patrice Vermeren et Mónica B.
Cragnolini, ainsi que mes compagnes et compagnons du « Grupo de
Estudios sobre Teoría Sociológica y Comunidad » de !' Instituto de
Investigaciones Gino Germani de la Facultad de Ciencias Sociales de
l'UBA, avec qui j'ai partagé d'innombrables débats enrichissants. Je
remercie Pablo de Marinis, inspirateur et responsable de ce groupe de
recherches, qui m'a accompagné d'une fa<yon généreuse et inconditionnelle
des le début du processus qui a débouché sur ce livre. Mes remerciements
vont aussi a Alexis Emanuel Gros et Diego Sadrinas, pour leurs indications
et suggestions précieuses concernant la traduction de plusieurs passages cités
dans le texte. A Marcelo Alternare, Rafael Arce, Perla Aronson, Marie
Bardet, Daniel Bensard, Niall Bond, Daniel Chernilo, Philippe Corcuff,
Stéphane Douailler, Gabriel Gatti, Michael Lowy, Denis Merklen, Jean-Luc
Nancy, Mariano Sasín, Raphael Shapira, Diego Yernazza et Eduardo Weisz,
a qui je dois des commentaires inestimables, ainsi que la découverte d'une
bibliographie qui était hors de ma portée. Finalement, je remercie ma famille
et toutes ces personnes qui par leur présence, d' une fa<yon ou d'une autre, ont
soutenu ce travail.

9
-
Préface

Commun, commun isme, communauté: dans cet ordre ou dans n'importe


quel autre- et sur un horizon balisé de termes comme « la Commune », « le
Conseil », « le Collectif » mais aussi « la communication », « la
cornmunion », « le communautarisme » - ce trio de termes ne cesse depuis
bien longtemps de retentir aux orei lles d' un monde dans lequel les nations,
les familles, les tribus, les pays et les peuples sont emportés dans une histoire
agitée, égarée et violente.
11 ne s'agit de rien de moins que « du sens ouvert et nécessairement
contradictoire, aporétique, de la relation avec l'autre » comme le dit Daniel
Alvaro en concluant son ouvrage. Pour en venir a une telle aporie, il faut que
la relation - peut-etre toutes les formes de relation, humaines et non-
humaines - ait été portée a l'état de probleme. Ce qui revient a faire
probleme, difficulté et obscurité de ce qui pourtant précede toute
indiv iduation, il faut meme dire toute individuation de toute espece de vivant
et done afortiori de toute hom inisation.
Non seu lement !'animal humain est !'animal relationnel par excellence-
animal parlant, animal pol itique- mais il est en charge de la relation comme
telle : il en provient, comme tous les vivants et peut-etre comme tous les
étants, mais il doit aussi la produire (ou la créer, l'inventer, l'imaginer et tout
simplement l'énoncer). De la surgissent toutes les formations de cultures, de
langues, de formes de société, de parentés, de conflits et de concerts.
Le monde moderne peut etre défini par la promotion et la
problématisation du « commun ». 11 nous semble en effet qu'auparavant des
formes et des forces d'etre-en-commun étaient comme toujours-déja
données, a travers des mythes, des sacralités, des systemes de repérage,
d'alliance ou de discrimination. (« 11 nous semble » car nous n'avonsjamais
fait l'expérience de ce que nous décrivons, justement, comme
« communautés primitives » ou comme un caractere prem ier, archi-
origina ire du commun. Jusqu 'a un certain point, c'est aussi bien notre
projection ; et le commun a aussi toujours été le terrain de ruptures, de
fractures et de dissociations ... )
Cette venue au jour critique, politique et philosophique du « commun »
est le fait du XIXe siecle. Elle est solidaire des révolutions industrielle et
démocratique. Dans ce XIXe siecle, une part essentielle de l'élaboration des
questions « communautaires » a été le fait de penseurs allemands - en partie
pour des raisons liées a l'histoire de ce pays, comme l'évoque Daniel
Alvaro. Les trois penseurs qui font l'objet de ce livre sont les plus marquants
et en quelque sorte les géniteurs de la problématique générale du commun

11
telle que le XXe siecle !'aura vu proliférer et telle que le XXIe siecle en esta
nouveau encambré sous les especes des « communautarismes ».
PeuH~tre la raison profonde de cette histoire toujours a vif et toujours en
cours tient-elle au fait que notre monde est toujours plus devenu le monde de
la grande ambivalence de l'idée du « commun » (comme de celle du
« peuple »): ou bien le banal, le vulgaire, J'ordinaire, ou bien la chaleur du
partage et de l'appartenance. Cette ambivalence était déja ressentie par
Nietzsche qui écrivait: « Ou que ce soit unjour ou l'autre, d'une maniere ou Introduction
d' une autre, toute communauté rend - "commun" » 1•
La menace du nivellement et de la trivialité a été l'aiguillon des pensées
de la communauté, de toutes leurs innovations, de toutes Jeurs errances voire
des monstruosités qui se sont commises au nom de cette entité introuvable et Gemeinschafl, ou selon la traduction consacrée par l'usage,
nécessaire, insupportable et désirable. « communauté », noyau théorique et fil conducteur de ce travai l, est le nom
Daniel Alvaro apporte une contribution magistrale a notre réflexion - a d' un probleme commun a toute une époque en Occident dont nous
notre inquiétude aussi, que précisément il s'agit de ten ir en alerte. commen~ons a peine a entrevoir aujourd'hui les limites; une époque durant
Jaquelle le sens de la vie en commun, qui durant des siecles avait constitué
Jean-Luc Nancy une évidence, apparalt comme étant le moins évident du monde. Peut-etre
faut-il se demander si cette époque peut encare etre considérée comme la
nótre. A vrai dire, rien n'est moins sur. Et, cependant, nous devons constater
que le probleme de la communauté continue a etre le nótre.
L'objectif de ce livre est d'analyser les théories sociologiques classiques
sur la communauté, en particulier, celles qui ont le plus contribué a délimiter
et a fixer le sens de ce que nous entendons actuellement par communauté et
dont l'influence continue a etre manifeste dans un grand nombre de discours
actue ls. Nous uti liserons pour cela une série de textes plus ou moins connus
de tro is auteurs de la pensée sociologique, souvent considérés comme
« classiques » : Karl Marx, Ferdinand Tonnies et Max Weber. Nous nous
consacrerons fondamentalement, ici, a l'étude des textes qui illustrent le
mieux leurs positions sur le probleme en question et nous tenterons a partir
de ceux-ci de mettre en évidence une série d'affinités et de correspondances
entre leurs théories respectives qui ne sont pas toujours reconnues. En effet,
malgré les différences incontestables existant entre ces auteurs, Jeurs
approches du sujet de la communauté renvoient pour l'essentiel a une meme
configuration historico-conceptuelle.
Le concept de communauté, tel qu'il est arrivé jusqu'a nous, est
indissociable du champ de production théorique dans lequel il a été
initialement con~u et dans Jeque) il a acquis le sens courant qu'on lui attribue
en général actuellement. 11 s'agit d' un concept qui nalt dans la modernité et,
nous pourrions dire, avec elle, et qui finit par faire partie de ses mu ltiples
dérives et de ses replis infinis, de ses changements et transformations, de ses
1 Par-de/a bien el mal, in CEuvres philosophiques completes VIl, trad. C. Heim, l.
nombreux commencements et de ses fins supposées.
Hildenbrand et J. Gratien, Paris, Gallimard. 1971, § 284, p. 202. Néanmoins, la pensée de la communauté, dans le sens Iarge et général du
mot, a des racines plus profondes et plus éloignées dans le temps. De fa it,
!' historien des idées a tendance a situer ses origines dans la Grece antique.
13
12
Platon et Aristote utilisent le terrne koin6nia (de koinos: ce qui est commun l'objet de nombreux commentaires et de débats théologico-politiques ardus.
a plusieurs, fréquem ment traduit par « communauté », et moins souvent par D~rant cette période, les príncipes de la phi losophie d' Aristote ont
« société », « association », « collectivité ») pou r désigner la socia lité de commencé a etre révisés, et parfois questionnés, tant par les penseurs
l'homme. Entendant par celle-ci aussi bien la socialité naturelle, le fait que jusnaturalistes de la théologie chrétienne que par les représentants de la
l' homme, selon la célebre définition aristotél icienne, est par nature un nouvelle science renaissantiste, donnant lieu a différentes lignes de
« animal politique » o u « social » (z6on politikonY, que la socia lité motivée réception. Comme le fait remarquer Axel Honneth, malgré les nettes
par des intérets ou basée sur une forme ou une autre d'accord. Plus différences entre les diverses réceptions d' Aristote a cette époque, « le noyau
concretement, les grecs parlaient de koin6nia pour se référer aux différentes du concept de koinonia demeure pour l' essentiel intact; on utilise désormais
formes de vie en commun qui existaient que ce soit dans la sphere publique a sa place, et dans le meme sens, l'expression latine de societas ou
de la cité (polis), essentiellement politique, ou bien dans la sphere privée ou communitas, quintessence de toutes les form es d' union soc iale dans laquelle
domestique du foyer familia( (oikos) , par définition, non-politique. Selon la les hommes se rassemblent, soit pour défendre ensemble leurs intérets, soit
classification proposée au début de la Politique, il est possible de distinguer sur la base d'un líen émotionnel »4 • En effet, les premieres versions latines
trois grandes formes de vie en commun : la famille, le village et la cité2 • de la Politique tradu isirent la koin6nia grecque, aussi bien par societas que
Malgré leur composition, leur nature et leur finalité différentes, il s'agit de par communitas - mais aussi, par commw1io, cotmnw1icatio, etc.-,
trois cas exemplaires de koin6nia. Celle-ci est comprise, dans sa définition la expressions qui ont des valeurs hétérogenes mais qui tres souvent ont été
plus abstraite, comme « une pluralité de parties différenciées et organisées considérées comme équivalentes, comme cela l' avait été par Cicéron dans
selon un certain ordre et une certaine hiérarchie »3 . Selon cette perspective, certains de ses traités les plus connus5 .
toutes les communautés sont considérées comme étant des « parties » de ce 11 n'y a pas non plus chez les penseurs du siecle de la Raison ni chez ceux
« tout » organique qu'est la polis, appelée aussi « communauté politique » des Lumieres une différenciation précise et systématique des termes en
(koin6nia politike), y compris cette forme paradigmatique de communauté question . Hobbes et Locke utilisent les mots community et society
qui reryoit le nom d'amitié (philía). pratiquement comme des synonymes6 et Rousseau fait la meme chose avec
Dans les derniers livres de /'Éthique a Nicomaque et de l'Éthique a les termes communaufé et société. En réal ité, la différence conceptuelle entre
Eudeme, ou justement sont introduites certaines des thématiques qui seront communauté et société est beaucoup plus récente que ce que l'on croit
ensuite reprises et développées dans la Politique, Aristote s' intéresse a habituellement. On peut dire pour le rnornent, et a titre indicatif, que c'est le
l'amitié ou, selon une compréhension plus large de la philía, a la relation résultat d 'un processus théorico-pratique sinueux, ayant son épicentre en
affective entre les hommes, qui, dans des conditions déterminées, fonctionne Allemagne et qui s'est étendu a partir du début du XIXe siecle enviran
comme modele éthique de la communauté politique. jusqu 'au milieu du xxe siecle. 11 s'agit d'une des grandes scenes de la vie
Convertie en fondement de la cosmovision classique de la phi losophie intellectuelle européenne et qui nous intéresse spécialement, puisque c'est
politique, la sc ience aristotélicienne de l'action et du vivre-ensemble dans cel le-ci qu'il faut chercher les éléments constitutifs du concept modeme
humains, tout comme le reste de sa doctrine, a eu une réception discontinue de communauté.
et fragmentaire tout au long de l'histoire. Elle a été pratiquement oubliée En tout cas, il est important de tenir compte du fait que les postulats
pendant 1' Antiquité, presque méconnue durant une longue période du Moyen élémentaires du droit naturel moderne ont été conryus en net antagonisme
Áge dominé par le platonisme, et redécouverte par les philosophes avec les présupposés du droit représenté par la pensée politique et
scolastiques au XIW siecle. Depuis lors et jusqu'au moment ou le discours métaphysique des grecs de 1' Antiquité. L' idée directrice de la vision
du droit naturel moderne a commencé a se consolider, ses écrits fu rent hellénique affirme l'existence d'une loi naturelle, d' un ordre universel ou
d'un cosmos - mot utilisé par les grecs pour désigner « le bon ordre régnant
1 Comme !' indique expressément Aristote daos la Politique (texte établi et traduit par J.
Aubonnet, Livres l et ll, París, Les Belles Leures, 1960, 1253a), l' homme n'est pas le seul 4
A. Honneth, « Communauté », in M. Canto-Sperber M. (dir.), Dictionnaire d 'étlzique et de
animal grégaire ; les abei lles, selon le célebre exemple que nous trouvons 13, le sont aussi. plzilosophie mora/e, París, PUF, 1996, p. 27 1.
Cependant, l'espece humaine est la seule dotée de « parole » (lagos) et, en conséquence, la s M. Riedel, « Gesellschafl, Gemeinschafl », in O. Brunner, W. Conze y R. Koselleck (dir. ).
seule qu i est en condition d'atteindre une vie politique au sens strict du terme, c'est-a-dire, Geschiclztliclze Grundbegrifle. Historisclzes Lexikon z11r politisclz-so: ialen Spraclze in
une vie orientée vers l'action vertueuse, comprise comme la fonne la plus élevée de la vie en De11tscldand Bd. 2 E - G, Stuttgart, Klett-Coua. 2004, p. 807
6
commun. P. Pasquino, « Communauté et société ». in P. Raynaud et S. Rials (dir.), Dictionnaire de
2 /bid. , 1252a, 25 sq.
philosophie poliliq11e, París, PUF, 1996, p. 1Ol.
J S. Vergnieres, Étlzique el politique clzez Aristote, Parí s, PUF, 1995, p. 157.

15
14
r
dans un État ou toute autre communauté »7 - dans lequel confluent J'analyse qu 'en font les adeptes de la théorie du droit naturel »1o. La
harmoniquement et proportionnellement le « tout » et les « parties », le « famille » et 1'« Église »en regle générale étaient acceptées, mais non sans
« composé » et les « éléments simples ». Meme si chronologiquement réserves. Et plus, « quant aux autres associations, on ne fait a leur égard
l'individu est antérieur a la cité, d'un point de vue ontologique, la preuve d'aucune pitié : corporation, monastere, commune, parenté,
communauté politique est « par nature [... ] antérieure a la famille et a communauté villageoise sont considérés comme sans fondement au regard
chacun de nous », et ceci dans la mesure ou « le tout est nécessairement du droit naturel » 11• Pour les penseurs des Lumieres, l' homme, seulement,
antérieur a la partie »8 . La priorité ontologique de la communauté par rapport avait un fondement et luí seul, en tant qu'homme rationnel, était le
a l'individu est un príncipe fondamental chez Aristote. Príncipe qui sera fondement des associations résultant des relations avec les autres hommes.
réfuté par les auteurs contractualistes au point d'inverser l'argument et la On comprend done que le questionnement des philosophes sur le
logique dans laquelle il s'inscrit. communalisme lié au Moyen Áge ait été motivé en grande partie par
Depuis Hobbes, au moins, la philosophie politique part de l'individu et de t'arriere-fond supposément irrationnel dans Jeque) il paraissait inséré. 11
son etre parfaitement individue!. L' individu en tant que sujet ou, si l'on faudra attendre les débuts du XIX e siecle pour repérer les prem iers signes
préfere, l'individu-sujet, devient alors !'origine indécomposable et )'ultime d'un mouvement opposé au rationalisme jusqu'alors dominant. En ce sens, il
fondement de l'ontologie politique de la modernité. La communauté n'est pas surprenant que le symbole de la réaction devant les premiers effets
politique, quand il y en a une, est exclusivement le résultat d'un acte de l'individualisme calculateur et symétrisant - effets qui étaient per¡¡:us en
rationnel et volontaire, d'un pacte ou d'un contrat entre les individus général comme dangereusement dissociants, dispersants ou dissolvants, pour
rassemblés dans ce but. La communauté devient, en conséquence, un etre utiliser les métaphores les plus employées - ait été la « communauté ».
artificiel. A proprement parler, c'est cet « homme artificiel » institué par Durant tout le XIXe siecle, et en particulier a partir de la seconde moitié de
l'homme « naturel » en vue de sa « défense et protection », dans lequel «la celui-ci, on assiste, sur différents plans de la connaissance, a ce qui a été
souveraineté est une ame artificielle, qui donne la vie et le mouvement a nommé de maniere tres significative la redécouverte de la communauté. Sur
!'ensemble du corps » que Hobbes appelle « République [Commonwealth] le plan de la philosophie politique, cette redécouverte fut avant tout l'reuvre
ou État (Civitas en latín) »9 • Dans ce contexte nouveau et révolutionnaire, la de Hegel.
seule chose véritablement naturelle ou originaire est le droit qu'a chaque Sans doute, déja avant Hegel, Fichte et d'autres auteurs éminents du
individu d'utiliser les moyens qu'il juge nécessaires pour garantir la romantisme politique allemand avaient eu recours a l'idée de communauté
conservation de sa propre vie. Ainsi la vie politique, collectivement dans un sens tres différent de celui qu'elle avait eu pour les philosophes
comprise, cesse d'etre le point de départ naturel ou existait une co'incidence rationalistes. Mais c'est seulement avec Hegel, et plus concretement avec la
parfaite entre nature et histoire, pour se convertir en un point d'arrivée, un publication des Principes de la phi/osophie du droit ( 1821 ), que la
produit artificiel et mécanique ou l'histoire apparait coupée de la nature. communauté est a nouveau pleinement redécouverte. Tout comme la
Cela a provoqué un tournant spectaculaire dans la fa¡¡:on de comprendre la majorité des théoriciens du contrat social, Hegel identifie la communauté a
communauté et la participation des hommes a celle-ci. la figure de I'État. Sauf que dans ce cas, loin d'etre le produit d'un contrat
Chez Hobbes, comme chez de nombreux philosophes contractualistes qui entre les individus, l'État est une « unité substantielle » ontologiquement
l'ont suivi, la communauté politique apparalt directement identifiée a la antérieure aux parties et, en meme temps, « une fin par soi, immobile,
figure de l' État, dans le sens moderne du terme. Ce qui attire l'attention dans absolue » 12 , comme dans la doctrine aristotélicienne. L'État hégélien est
l'reuvre hobbesienne, c'est l'absence de toute communauté qui ne soit celle l'idéal réalisé de la « communauté éthique » (sittliches Gemeimvesen) ou le
représentée par I' État rationnel, c'est-a-dire, l'absence de toute communauté domaine de la particularité, des intérets particuliers et des différences
qui ne soit le résultat d'un accord réciproque entre les individus dans individuelles, s'amalgame de fa¡¡:on appropriée avec le domaine de
l' objectif de former un ordre politique. Comme le signale Robert Nisbet, l'universalité, de l'intéret général ou commun. De meme, on se souviendra
« aux XVW et XVIW siecles, peu de communautés traditionnelles résistent a que c'est dans et a travers la « communauté éthique » que sont intégrés la
famil/e, la société civile et l'État, c'est-a-dire, les trois « moments »
7 W. Jaeger, Paideia. La f ormation de / 'homme grec, trad. A. et S. Devyver, Pari s, Gallimard,
10
1964, p.145. La tradition socio/ogique, trad. M. Azuelos, Paris, PUF, 1984, p. 71.
11
8 Politique, op. cit. , 1253a, 20-25. /bid.
9 12
Léviathan, introduction, traduction et notes de F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971 , p. 5. G. W. F. Hegel , Grundlinien der Philosophie des Rechts, Werke Bd. 7, Frankfurt a. M,
Suhrkamp, 1979 (texte présenté, traduit et annoté par J.-F. Kervégan, Principes de la
philosophie du droit, Paris, PUF, 2013, § 258, p. 417).
17
16
successifs d' un processus dialectique dont la culmination doit etre lue C'est done un fait qui ne nécessite pas de confirmation, que de Platon a
comme indicatrice de progres et comme résultat historique. Comme cela a Ht?gel et au-dela, en passant par tant d'autres noms et par tant d' héritages qui
été souvent dit, Hegel, avec cette reuvre, a tenté de synthétiser les apports de restent ici forcément sans place, l' histoire de la pensée occidentale a donné
traditions tres différentes dans un systeme unique et en suivant une logique lieu a une grande diversité de motifs de la communauté. La breve généalogie
propre, devenant ainsi, de maniere involontaire, un des premien> et des plus que nous venons de tracer n'a pas d'autre ambition que de repousser au
importants représentants des sciences sociales en Allemagne. maximum les marges d'un contexte qui, que ce soit par inertie ou par
Ora partir du moment ou il subit l'épreuve d' une confrontation avec la commodité, ou peut-etre en raison d'un intéret stratégique, apparaí't lorsqu' il
réalité soc iale de son temps, le systeme construit par Hegel dans les s'agit de penser le probleme de la communauté dans les sciences socia les,
Principes ... laissa entrevoir un nombre sans fin de problemes apparemment beaucoup plus limité que ce qu ' il est en réalité. Sans pouvoir rendre compte
insolubles. Comme se chargera de le mettre en évidence le jeune Marx, en de fayon achevée de ce vaste contexte, nous nous contentons ici de proposer
accord avec certains autres héritiers critiques de la philosophie hégélienne, le une esquisse de ce dernier, en mode d'introduction et avec le simple objectif
premier de ces problemes, et celui dont dépendent tous les autres •. est que la de signaler sa nécessité.
philosophie spéculative du droit et de I'État commence en faisant abstraction Pour interroger la problématique de la communauté dans la théorie
de 1'« homme réel » 13 • L'État-communauté de Hegel, éloigné comme il l'est sociale en général et dans la théorie sociologique en particulier, il est
de l' homme réel, et par conséquent de la « vraie réalité », se révele selon la nécessaire de faire la distinction des le commencement entre, d'un coté,
critique entreprise par Marx comme une « abstractiom>, un au-dela de l'en- l'idée générale de communauté qui traverse les époques depuis 1' Antiquité et
det;a, comme tel impuissant a rendre compte de l'énorme changement social que l'on peut considérer comme une des idées directrices de la culture et de
qui se vivait en Europe en conséquence des révolutions économiques ~t la civilisation occidentales et, de l'autre coté, le concept moderne de
politiques qui avaient marqué led!t passage d' une forme de vte communauté, associé comme il l'est a un moment délimité de l'histoire
« traditionnelle » a une « moderne ». A mesure qu'avance le processus de intellectuelle, a certains textes paradigmatiques qui renvoient
rationalisation capitaliste en parallele a la formation des États nationaux et immédiatement a des noms propres bien connus aussi bien a l' intérieur qu'a
que se modifie pour toujours la forme de vie de populations entieres, surgit l'extérieur du champ sociologique, et a une diversité de langues et
la nécessité théorique et pratique d'apporter des réponses concretes a d'écritures singulieres. Pour circonscrire la place qu 'occupe cette
l'impact social produit par ces mouvements. C'est a cette double nécessité problématique et préciser sa nature, il est nécessaire de distinguer une chose
que répondent les nouvelles analyses du changement social moyennant la de l'autre, tout en sachant reconnaí'tre les ressemblances qui subsistent entre
construction d'un paradigme qui se propase d'expliquer les causes et les elles a titre de continuités. Car, en réalité, le concept moderne de
conséquences du passage déja mentionné de l'ordre social traditionnel, communauté partage avec 1' idée générale quelques-uns des présupposés
communément caractérisé comme irrationnel et collectiviste, a l'ordre social fondamentaux qui régissent cette derniere. C'est pour cela qu'une
moderne qui est, comme cela est prévisible, rationnel et individualiste. connaissance du contexte élargi de la question ne peut que bénéficier toute
Nous arrivons ainsi a un point d'intlexion. C'est celui qui correspond au recherche qui prendrait en compte les implications théoriques et pratiques
moment ou la communauté est redécouverte par les nouvelles sciences qui entrent en jeu a travers cette conceptual isation.
sociales. Plutot que d'accepter ou de rejeter une idée de la pensée politique 11 ne faut pas perdre de vue que parmi les théories sociologiques
et métaphysique classique, comme cela avait été fait depuis 1' Antiquité classiques sur la communauté, nous sommes ici principalement intéressés
jusqu'a l'entrée définitive dans la premiere modernité, les théories par celles qui sont identifiées aux noms de Marx, Tonnies et Weber. Trois
sociologiques émergentes redéfinissent l' idée de communauté et font de théories qui bien sür n'épuisent pas la question et bien moins encare le
celle-ci un de ses concepts fondamentaux. Gemeinschaft est le nom cié de ce probleme, mais qui peuvent difficilement etre absentes dans une étude qui se
concept, entre autres noms moins connus du champ lexical de la théorie propase de dire quelque chose sur la formation et le développement d' un
sociologique allemande du XIXe siecle qui évoquent aussi la concept comme celui de communauté, a tout point de vue fondamental dans
« communauté ». la formation et le développement de la sociologie comme science et
institution. Nous orienterons plus spécifiquement notre recherche sur
IJ « Contribution a la critique de la Philosophie du Droit de Hegel. lntroduction », in K. l'ambigu'ité sémantique du terme « communauté » a partir de l'analyse de
Marx, Critique du Droit politique hégélien, traduction et introduction de A. Baraquin, Paris, ses différents usages et significations dans certains textes significatifs de ces
Éditions Sociales, 1975, p. 204.
auteurs, de telle sorte qu'a mesure que seront exposées les différences les

19
18
plus importantes entre ces théories, on commencera aussi a reconnaitre privilege nous l'avons dénommé communaucenlrisme : privilege majeur
certains traits qui sont communs a toutes les rrois. d'!JOe époque en gestation, dont les implications théoriques, tres souvent
Comme nous le disions, le concept modeme de communauté appartient a dissimulées par les auteurs eux-memes ou leurs interpretes, sont allées et
un moment délimitable de l'histoire de la pensée, dans lequel se déploient et vont de pair avec ses implications pratiques.
cohabitent ces trois théories. Ce concept est interprété dans une variété Ce que nous proposons, en somme, c'est une lecture de type déconstructif
d' idiomes coexistant dans une meme langue. L'idiomaticité de Marx, de du privilege de la communauté dans le schéma oppositionnel qui domine les
Tonnies et de Weber, leurs écritures et leurs styles singuliers, font partie discours fondationnels Uustement, ceux des « peres fondateurs ») de la
prenante du probleme en question. Nous travaillerons done avec la tradition sociologique allemande. 11 est done question, selon notre point de
traduction . Non seulement avec la traduction a l'espagnol difficile et par vue, d'une lecture critique et a la fois affirmative, puisqu 'i l ne s'agit pas
moments presque impossible de la sémantique allemande communautaire du sirnplement de promouvoir une critique contestatrice ou de se limiter a
XIXe siecle et des débuts du xxe siecle, mais aussi avec les traductions, elles dénoncer la complicité métaphysique de ces discours, ce qui, a ce stade,
aussi difficiles, des textes de Marx et de Weber réalisées par Tonnies dans n'aurait probablement pas beaucoup d'intéret et peut-etre aucun sens. 11
une meme langue, comme avec celles des écrits de Tonnies et de Marx s'agit plutót de tenter une lecture ou une interprétation qui soit capable de
effectuées par Weber 14 • repérer dans ces textes et de mettre en relief dans toute leur problématicité
Les approches de ces auteurs du probleme de la communauté ont pour aussi bien ce qui est indissociable de certains présupposés métaphysiques
trait commun- ce n'est ni le seul ni le premier, mais simplement celui que que ce qui les excede, en leur opposant de la résistance et en favorisant de
nous privilégions -que dans celles-ci la communauté est inséparable de son nouvelles formes de pensées sur la socialité.
autre conceptuel, la société, et d'ailleurs incompréhensible sans celui-ci. Pour le reste, il est facile de constater qu 'aujourd ' hui nous sommes, peut-
Yoici l' hypothese que nous soumettons a considération: dans les approches etre comme jamais auparavant, dans une position préférentielle pour penser
sociologiques analysées, le concept de communauté est déterminé par ces questions. Le climat intellectuel de l'époque actuelle se montre favorable
opposition au concept de société dont il est structurellement solidaire. La a cela. 11 existe un vaste contexte académique, principalement scientitico-
structure binaire a laquelle se trouve subordonnée cette paire conceptuelle ne social et philosophique, d'autres diraient humanistique, qui, depuis au moins
se limite pas a opposer deux termes formellement égaux, mais elle suppose trois décennies, promeut avec une intensité croissante le débat autour de la
et entraine une série d' oppositions métaphysiques fortement hiérarchisées communauté. 11 s'agit en fait d' un horizon théorique oú cohabitent des
logiquement et axiologiquement (naturel/artificiel, originaire/dérivé, perspectives hétérogenes et parfois meme irréconciliables, mais dans lequel
authentique/inauthentique, unité/séparation, intérieur/extérieur, il est question, au moins pour certaines d'entre elles, de mettre en relation et
humain/inhumain, sentiment/raison, etc.), dont l'empreinte, assumée en en contraste de fa~on critique les discours classiques sur ce probleme a la
partie comme propre ou meme rejetée, est largement reconnaissable dans les lumiere de ce que, aujourd'hui encare, on peut espérer d' une pensée ou
trois discours dont on discutera dans ce travail. La prévalence de la d' une expérience de la communauté. L'intéret récent pour la communauté et
communauté sur la société basée sur une proximité supposée entre la pour l'instance communautaire en général n'a pas cessé de générer des
communauté, d' une part, et la nature, !'origine et la vérité, de l'autre, ce controverses épistémologiques, des déplacements conceptuels et des
alliances provisoires mais significatives entre des champs du savoir qui
14
11 convient de clarifier que de la meme far¡:on qu'íl existe une sémantique communautaire normalement ne communiquent pas entre eux. Le premier índice important
allemande, dans les limites de laquelle cette recherche est réalisée, il existe une sémantique de ladite « renaissance de la communauté » 15 fut la longue et fameuse
anglo-saxonne de la communauté particulierement importante dans les sociologies nord-
américaine et britannique du XX• siecle, que nous ne traiterons pas ici. Meme si la seconde polémique qui commenya aux Etats-Unis et se développa principalement sur
dérive de la premiere et, dans cette mesure, est héritiere de quelques-uns de ses príncipes le sol anglo-saxon, entre les « libéraux » (dont le principal représentant et
fondamentaux, dans le contexte anglo-saxon le concept de communauté se définit dans ses théoricien fut Jolm Rawls) et les « communautaristes» (Aiasdair Maclntyre,
propres termes, d'une far,:on qui prolonge et transforme a la fois considérablement le concept
dominan! en Allemagne. Sur l'influence de la sociologie allemande et plus particulierement IS Sur cette question, voir C. SchiUter y L. Clausen (éds.), Renaissance der Gemeinsclrafl ?
de la pensée de Ttlnnies sur diverses théories des sciences sociales nord-américaines, voir T. Stabile Tlreorie rmd neue Tlreoreme, Berlin, Duncker & Humblot, 1990. Pour un traitement
Bender, Commrmity and Social Change in America, Baltimore & London, The Johns Hopkins plus ample et contemporain de cette meme question, voir P. de Marinis, G. Gatti e l. lrazuzta
University Press, 1991. Pour une approche d'ensemble des community stfldies, voir C. (éds.), La comunidad como pretexto. En tomo al (re) surgimiento de las solidaridades
Schrecker, La commrmarllé. Histoire critique d 'un concepl dans la sociologie anglo-saxonne, comunitarias, Barcelona y México, Editorial Anthropos y Universidad Autónoma
París, L'Harmattan, 2006. Metro poi itana-lztapalapa, 20 1O.

21
20
1'

Michael Sandel, Charles Taylor et Michael Walzer, entre autres 16). A contemporain sur la communauté, l'histoire conjointe des reconnaissances et
l'occasion de celle-ci, il y eut des formulatwns de provenances théoriques m ~connaissances, des accords et désaccords entre les savoirs qui jusqu ' ici
les plus diverses, meme si en général les discussions sont restées ont contribué a repenser ce concept n'a pas encore été écrite, fait qui doit
circonscrites au domaine de la philosophie politique et de l'éthique du peut-etre etre interprété comme un sym ptóme de sa vitalité pérenne20 .
discours ou de l'éthique de la communication avec comme principaux C'est précisément dans ce climat de « renaissance » de la communauté,
promoteurs Kari-Otto Apel et Jürgen Habermas 17 • Peu de temps apres le dans cet horizon transdisciplinaire que nous venons d'esquisser, que nous
début de cette polémique, et en parallele a celle-ci, commen<;a un échange voudrions situer cette modeste contribution au débat en question. Et ceci,
textuel nouveau et sans doute moins connu a propos de la communauté qui non paree que nous cherchons une nouvelle notion de communauté, tache
partait d'interrogations métaphysiques. Tout d'abord en France puis en immense a laquelle se sont attelés de nombreux auteurs et au sujet de
ltalie, des auteurs comme Jean-Luc Nancy, Maurice Blanchot, Jacques laquelle nous n'avons pas la moindre prétention, mais paree que nous
Derrida, Giorgio Agamben et Roberto Esposito - pour ne nommer que les partageons avec certains d'entre eux la conviction qu 'aujourd'hui une
plus représentatifs d'entre eux- ont pub lié une série de travaux a travers évaluation critique du concept de communauté exige au mínimum, et pour
lesquels ils ont tenté d'attirer l'attention sur la nécessité de penser de commencer, de « dégager » « l' horizon en arriere de nous » 2 1• Cependant,
nouveau, et de maniere radicalement différente, la question de la comme cela est déja connu, l'horizon passé de la communauté peut et doit se
communauté ou, comme on préférait dire pendant les dernieres décennies, de mesurer dans plusieurs époques, selon des séquences temporelles et des
1' « etre-en-commun » 18• Dans le domaine de recherche propre aux sciences trajectoires théorico-pratiques tres différentes et éloignées les unes des
sociales, on observe aussi un intéret renouvelé pour la thématique de la autres. Aux fins de l'analyse, tenant compte de la nature et l' historicité du
communauté, meme si dans cecas il s'agit moins d'une discussion collective probleme que nous abordons, nous considérons nécessaire de réaliser ce
ou d'un travail commun que de manifestations individuelles quise traduisent travail en trois temps.
par des essais isolés qui n'ont pas généralement de relation évidente entre Dans un premier temps correspondant au premier chapitre, nous poserons
eux. Nous pensons surtout ici a des textes de Zygmunt Bauman, Richard le probleme de la communauté en relation avec la trame ample dans laquelle
Sennett et Michel Maffesoli 19• Pour le moment, l'histoire du débat il est inséré. Une foi s exposé le probleme, nous analyserons tout d'abord le
lien entre mythe et communauté, et ensuite, sur la base de ces considérations,
16 Comme nous le savons bien, « libéralisme » et « comunautarisme » sont des étiquettes sous
la portée du schéma nostalgique dans les diagnostics modernes sur le
lesquelles sont regroupés généralement des auteurs tres divers : les théories inscrites dans ce
« passage de la communauté a la société ». De meme, nous reviendrons sur
débat sont aujourd' hui si nombreuses et hétérogenes que l'on peut difficilement continuer a
maintenir cette distinction. Pour une reconstruction contextualisée de la discussion, nous l' histoire de la différence conceptuelle entre Gemeinschaft et Gesellschaft
renvoyons au travail de R. Gargarella, Las teorías de /ajusticia después de Rawls. Un breve pour préciser sa place a l' intérieur d' une époque riche en oppositions
manual defilosofiapolítica, Barcelona, Paidós, 1999. binaires.
17
Nous pouvons trouver les príncipes élémentaires des éthiques respectives de ces auteurs
dans leurs reuvres fondamentales. Voir K.-O. Apel, Transforma/ion de la phi/osophie, tome 1, M. Maffesoli, Le temps des tribus. Le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse,
trad. C. Bouchindhomme, T. Simonelli et D. Trierwei1er, Paris, Cerf, 2007 et tome 2, trad. P. París, Méridiens-Kiincksieck, 1988. 11 convient de souligner que depuis 2007 se développe
Yandeve1de, París, Cerf, 20 1O; J. Habermas, Théorie de / 'agir communicationnel, trad. J.-M. une série de recherches en Argentine sur le concepl de communaulé dans la théorie sociale
Ferry et J.-L. Sch1ege1, París, Fayard, 1987, 2 vol. classique et contemporaine, dirigée par Pablo de Marinis, et dont le siege est a 1' 1nstituto de
18 Voi r en particulier, M. B1anchot, La communauté inavouable, París, Minuit, 1983 ; J.-L.
Investigaciones Gino Germani de la Facultad de Ciencias Sociales de la Universidad de
Nancy, La communauté désa!llvrée, París, Christian Bourgois, 1986, 1990 et La communauté Buenos Aires, dont les résultats partiels peuvent etre consultés dans le numéro
affronlée, París, Ga1ilée, 2001 ; J. Derrida, Poliliques de l'amilié suivi de L 'oreille de monographique sur « comunidad» de Papeles del CEIC, marzo 20 10, disponible in
Heidegger, París, Ga1i1ée, 1994 ; G. Agamben, La communauté qui vient, trad. M. Raio1a, http://www.identidadcolectiva.es, et dans P. de Marinis (éd.), Comunidad: estudios de teoría
París Seuil, 1990; R. Esposito, Communitas. Origine el des/in de la communauté, trad. N. Le sociológica, Buenos Aires, Prometeo, 2012.
Lirzin, París, PUF, 2000, lmmunitas. Protezione e negazione del/a vi/a, Torino. Einaudi. 2002 20
11 nous semble que ce qui se rapprocherait le plus d'une recherche de ces caractéristiq ues
el Bíos. Biopolítica efilosofia, Torino, Einaudi, 2004. On peut trouver une pro1ongation de cet peut etre trouvé dans H. Rosa el al., Theorien der Gemeinsclraft zur Einfiilrmng, Hamburg,
échange en Argentine dans M. B. Cragno1ini (éd.}, Modos de lo extraño. Alteridad y Junius, 201 O. 11 y a aussi, peut-etre moins rigoureuse mais e lle aussi éclairante, la recherche
subjetividad en pensamiento posnietzscheano, Buenos Aires, Santiago Arcos, 2005, et dans de G. Delanty, Commrmily. Key Ideas, New York, Routledge, 2003. Yoir aussi F. Fistetti,
M. B. Cragno1ini (éd.), Extrañas comunidades, Buenos Aires, La Cebra, 2008. Comunidad. Léxico de política, trad. H. Cardoso, Buenos Aires, Nueva Visión, 2004, p. 145-
19 Voir entre autres, Z. Bauman, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000 et
170 et F. M. De Sanctis, Tra antico e modem o. Individuo, eguaglianza. comrmita, Roma,
Community. Seeking Safety in anlnsecure World, Cambrid ge, Polity Press, 2001 ; R. Sennett, Bulzoni, 2004, p. 227-254.
The Fa// ofthe Public Man, New York, Knopf, 1977 et The Corrosion ofCharacter. 7/re 21
J.-L. Nancy, « La communauté désreuvrée », in La communauté désamvrée, op. cit., p. 28-
Personal Consequences of Work in tire New Capita/ism, London!New York, Norton, 1998 ; 29.

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22
Dans un second temps, nous présenterons une lecture attentive de certains
textes des trois auteurs proposés (et de certains de leurs commentateurs),
dans ce qui cherche a etre un parcours a travers Jeurs ceuvres, en mettant
particulierement l'accent sur la position que chacun d'eux assume,
directement ou indirectement, par rapport au probleme de la communauté te)
que nous l'entendons ici. Les second, troisieme et quatrieme chapitres,
seront, quant a eux, respectivement consacrés aux théories de Marx, Tonnies
et Weber. Le problerne de la cornrnunauté
Pour terminer, dans un troisieme temps correspondant au cinquieme et
dernier chapitre, nous reposerons le probleme d'un point de vue rétrospectif,
de telle sorte que cela permette d'enchalner avec les conclusions partielles
auxquelles nous serons arrivés dans les chapitres précédents et, a Ce que nous appelons communauté est avant tout l'expression d'un
continuation, nous réaliserons une présentation résumée des principales probleme. La communauté est un probleme depuis le moment meme oll on
raisons en faveur d'une critique systématique du concept moderne de assiste a la découverte de sa perte ou pour le moins de ce qui est expérimenté
communauté afin de montrer jusqu'a quel point les théories sociologiques comme tel. Ce fut l'expérience des modernes et il faudrait peut-etre dire que
classiques, spécialement celles des trois auteurs évoqués, ont contribué a sa ce fut J'expérience de la modernité en tant que telle. Mais d'une certaine
configuration actuelle. maniere, c'est aussi -que nous le sachions ou non, que nous le désirions ou
non- notre expérience contemporaine. Rousseau est le premier rnoderne a
découvrir et a regretter la perte supposée de la communauté. Depuis lors et
jusqu'a rnaintenant, un grand nombre de ses héritiers a répété le geste,
propageant ainsi une image idyllique de la cornrnunauté perdue: « l' image
de la société idéale » (Nisbet). C'est-a-dire, une image inversée du présent
dans laquelle apparait reflété ce qu'on n'est pas, mais sans aucun doute ce
qu'on croit avoir été et, l'admettant ou non, ce qu'on ambitionne de
redevenir un jour. Le « désir » ou la « nécessité de communauté », selon
l'expression de Francesco Fistetti, renalt sans cesse en générant des
recherches dans toutes les directions. Simplernent, on recherche ce dont on
ressent le besoin et on ressent le besoin de ce que l'on expérimente cornme
manque. Suivant ce raisonnement élémentaire, la cornmunauté serait cela-
meme qui est vécu comme un manque pour Jeque! il n'y a aucun substitut en
vue et qui, cependant, continue a inspirer un nombre sans fin de rnouvernents
théoriques et pratiques.
Voici le problerne, ce n'est pas quelque chose de donné, susceptible
d'approbation ou de rejet, ni un rnystere transcendant dont l'éclaircissernent
dépend d'une révélation essentielle : la communauté est le probleme, la
question qui surgit de la constatation réitérée et systérnatique de son manque.
La dissolution si souvent mentionnée de la« communauté » traditionnelle au
profit de la « société » moderne, est le constat qui a été fait avec plus ou
moins de dramatisme par une grande variété de philosophies et de théories
sociales tout au long du X!Xe siecle. Cependant la formalisation du problerne
de la comrnunauté tel que nous l'entendons ici a été assumée par les théories
sociologiques qui seront l'objet de notre recherche dans les prochains
chapitres. Dans ce chapitre introductif nous tenterons de cerner le problerne.

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24
LE PROBLEME DE LA COMMUNAUTÉ
MARX, TONNIES, WEBER
Gemeinschaft, o u selon la traduction consacrée par 1'usage,
« communauté », noyau théorique et fil conducteur de ce travail, est le
nom d'un probleme commun a toute une époque en Occident dont nous
commenyons a peine a entrevoir aujourd'hui les limites ; une époque
durant laquelle le sens de la vie en commun, qui durant des siecles
avait constitué une évidence, apparait comme étant le moins évident
du monde. Peut-etre faut-il se demander si cette époque peut encore
etre considérée comme la nótre . Á vrai dire, rien n'est moins sur. Et,
cependant, nous devons constater que le probleme de la communauté
a
continue etre le nótre.
L'objectif de ce livre est d'ana lyser les théori es sociologiques
classiques sur la communauté, en particulier, celles qui ont le plu s
contribué a délimiter et a fixer le sens de ce que nous entendons
actuellement par communauté et dont l' influence continue a etre
manifeste dans un grand nombre de discours actuels. Nous utiliseron s
pour cela une série de textes plus ou moins connus de trois auteurs
de la pensée soc iologique, souvent considérés comme « classiques » :
Karl Marx, Ferdinand Tonnies et Max Weber. Nous nous consacrerons
fondamentalement, ici, a l'étude des textes qui illustrent le mieux leurs
a
positions sur le probleme en question et nous tenterons partir de ceux-ci
de mettre en évidence une série d'affi nités et de correspondances entre
leurs théories respectives qui ne sont pas toujours reconnues. En effet,
malgré les différences incontestables existant entre ces auteurs, leurs
approches du sujet de la communauté renvoient pour l'essentiel a une
meme configuration historico-conceptuelle.

Daniel Alvaro es! Docteur en Sciences Sociales de ! 'Universidad de Buenos


Aires el Docteur en Philosophie de 1'Université Paris 8 Vincennes - Saint-
Denis. JI est professeur de / 'Universidad de Buenos Aires et chercheur du
Consejo Nacional de In vestigaciones Científicas y Técnicas (CONICET)
d'Argentine. ll a publié des m·ticles dans des ouvrages collectifs et des
revues spécialisées, et a traduit des ouvrages de Jacques Derrida el de
Jean-Luc Nancy. ll est coordinateur et coauteur de Jean-Luc Nancy: arte,
filosofía, política (Buenos Aires, Prometeo, 2012) et auteur de El problema
de la comunidad. Marx, Tonnies, Weber (Buenos Aires, Prometeo, 2015).

LA PHILOSOPHIE EN COMMUN
Collection dirigée par Stéphane Douailler, Jacques Poulain et Patrice Verme ren

ISBN : 978-2-343-13582-3
27 € L' Hfrmattan

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