Sunteți pe pagina 1din 248

Sibylle Sauerwein Spinola

La représentation critique du discours de l’autre:


le questionnement oppositif
Romanistische Linguistik
herausgegeben von

Klaus Hôlker

Wissenschaftlicher Beirat:
Claudia Caffi (Università di Genova)
Colette Cortès (Université Paris 7)
Thomas Kotschi (Freie Universität Berlin)

Band 4

LIT
Sibylle Sauerwein Spinola

La représentation critique
du discours de l’autre:
le questionnement oppositif

LIT
Cette étude est issue d’une thèse de doctorat élaborée sous la direction de Monsieur
le Professeur Oswald Ducrot et soutenue en décembre 1996 à l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales.

Sa publication a bénéficié du soutien du Centre interlangue d’études en lexicologie


(C.I.E.L.) de l’Université Paris 7 — Denis Diderot.

Die Deutsche Bibliothek -- CIP—Einheîtsaufaahme

Sauenvein Spînola, Sibylle:


La représentation critique du discours de l’autre: le questionnement oppositif /
Sibylle Sauerwein Spinola. - Münster : LIT, 2000
(Romanistische Linguistik ; 4.)
ISBN 3-8258-5275-3:

© LIT VERLAG Münster —— Hamburg — London


Grevener Str. 179 48159 Münster Tel.0251—23 5091 Fax 0251—23 19 72
À la mémoire de Carla et de mon père,

ainsi que de Elvim de Freitas Albuquerque et de [aime Sebastiäo Spinola


Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à Monsieur Oswald Ducrot qui a
constamment encouragé ce travail par ses conseils attentifs, son enseignement
généreux et son esprit d'ouverture.
Je voudrais tout particulièrement remercier Mme Helena Araûjo Carreira sans
qui je n‘aurais osé persévérer dans la linguistique, ainsi que Mme Colette Cortès
qui continue à me faire profiter au quotidien de son enthousiasme pour la re—
cherche.
Un grand merci à Cécile Coupin pour sa relecture critique de la première ver—
sion de cette étude.
Une pensée chaleureuse va à ma mère et à mes nombreux frères et sœurs qui
m'ont toujours soutenue. dans tous mes projets, par une attitude résolument posi—
tive.
Enfin, et avant tout, je voudrais rappeler ma reconnaissance envers Jorge et
Julie, qui m'ont entourée de tente attentions tout au long de ce travail et grâce à qui
j'ai pu voir que le monde continuait à tourner, alors que l'on a tendance à l'oublier
dans les phases les plus intenses de l‘élaboration d'une thèse.
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

CHAPITRE 1

L‘autre dans le discours oppositif sous forme interrogative

1. Domaines d'étude
1.]. L'autre
1.1.1. La présence de l‘autre dans le discours
1.1.2. La reprise du discours de l'autre
1.1.3. La présence - la représentation du discours de l‘autre
1.2. Le discours oppositif
1.2.1. Les stratégies négatives
a) L‘expression du désaccord - l‘intervention de désaccord
b) La réfutation
c) Argumentation négative et contre—argumentation
1.2.2. Les échanges oppositifs
a) la controverse
b) la scène de ménage
c) La polémique
1.2.3. De la politesse dans l‘oppositif
1.3. Le questionnement
1.3.1. L‘interrogation
1.3.2. L’acte illocutoire de question
1.3.3. Diverses approches de l'interrogation

2. Le cadre théorique
2.1. La théorie de l'argumentation dans la langue
2.2. La théorie de la polyphonie
2.3. De l'interrogativité à la rhétoricité

CHAPITRE 2

Pourquoi voulez-vous que... ?


Deux structures langagières de la réplique oppositive en français 59

1. Indroduction: Les "vraies" et les "fausses questions” en Pourquoi 61


voulez-vous que ? - à propos de Milner & Milner
1.1. Les << questions de reprise » 62
1.2. Les « affirmations clôturantes »
2. « question de reprise » et « affirmation clôt-mante » : deux configura 65
tions argumentatives
2.1. L‘interrogation par pourquoi
2.1.1. Deux emplois de pourquoi 65
2.1.2. "Pourquoi incolore" et “pourquoi marqué" 67
2.1.3. Pourquoi dans les << questions de reprise » et les « affirmations
clôturantes »
2.2. Le verbe vouloir 69
2.2.1. Vouloir et le haut degré 69
2.2.2. Les sèmantismes attachés au verbe vouloir 70
2.2.3. Description topique du verbe vouloir 72
2.2.4. Vouloir dans les « questions de reprise » et les « affirmations 78
clôturantes »
2.3. Pourquoi et vouloir dans les « questions de reprise » et les « affirma— 79
tions clôturantes »
2.3.1. Les mécanismes mis en oeuvre par l‘énonciation d‘une
« question de reprise »
2.3.2. Les mécanismes mis en oeuvre par l’énonciation d‘une « affir 3
mation clôturante »
2.3.2.1. Les mécanismes mis en oeuvre par l‘énonciation
d'une « affirmation clôturante » simple
2.3.2.2. La configuration énonciative des « affirmations clôtu
rantes » en sinon
2.3.2.3. Les « affirmations ciôturantes » et l‘insertion adver— 95
biale de haut degré
2.4. Des négations déguisées : question polémique et question méta 97
linguisfique ?

3. La présence de l'autre dans les « questions de reprise » et les « affir— 102


mations clôturantes » : considérations conclusives

CHAPITRE 3

Warum sa”... ?/Wamm sollte... ?


Deux formes de la réplique oppositive en allemand ? 107

1. Les intenogafif5 de cause de l‘allemand 109


1.1. Les quatre morphèmes introduisant une question sur la cause 110
1.2. Un interrogatif particulier : wieso 113
1.2.1. L'« interrogatif subjectif» 113
1.2.2. Wieso - introducteur d‘un “présupposé faible“ inversé ? 116

2. Le verbe modal de la reprise d‘un discours autre : solien 121


2.1. Deux emplois indépendants ? 121
2.2. Un verbe - arficulateur dénonciations 123
2.3. Seller: au “Konjunkfiv H" 125

3. Existe—t—il des « questions de reprise » et des « questions clôturantes » 133


en allemand ?
4. Les "particules modales" ou "Abtünungspartikeln" dans les ques 141
tions à représentation potentiellement conflictuelle
4.1. Les compatibilités de ces particules avec les questions en Wamm 143
5011—?
a) denn 144
b) eigentlich 151
c) denn eigenflich 157
d) mach 160
e) denn flush 164
f) schon 165
g) nur/ bi0_f3 169
h) 20011! 175
4.2. Quelques configurations particulières 179
4.3. Bilan - les qualités distinctives des particules modales étudiées 181

5. Deux catégories de questions intermédiaires ? 187

6. La présence de l'autre dans les questions à représentation poten— 194


tiellement conflictuelle
CONSIDÉRATIONS FINALES, PERSPECTIVES 203

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 211

INDEX 228

ZUSAMMENFASSUNG (résumé en allemand)


Le Maître - Ne sais ni fade panégyfiste, ni censeur amer; dis la chose comme elle
est.
Jacques — Cela n'est pas aisé. N'a-bon pas son caractère, son intérêt, son goût,
ses passions, d'après quoi l'on exagère ou l'on atténue ? Dis la chose
comme elle est l... Cela n‘arrive peut—être pas deuxfils en un jour dans
toute une grande ville. Et celui qui vous écoute est—il mieux dispose’ que
celui qui parle ? Non. D‘où il doit arriver que deux fois a peine en un
jour, dans toute une grande ville, on soit entendu comme on dit.
Le Maître — Que diable, ]acques, voilà des maximes à proscrire l‘usage de la langue
et des oreilles, à ne rien dire, à ne rien écouter et à ne rien croire!
Cependant, dis comme toi, je l'écouterai comme moi, et je te croirai
comme je pourrai.
Jacques - Si l ‘on ne dit presque rien dans ce monde, qui soit entendu comme on le
dit, il y a bien pis, c'est qu'au 11‘y fait presque rien qui soit jugé comme
on l'a fait.

Denis Diderot, Jacques lefataliste, 1773.


Introduction

Toute parole réactive comporte une image de celle qui l‘a provoquée. Dans la
mesure où aile se présente comme faisant suite au discours précédent, elle le quali—
fie. Cette propriété discursive générale n‘est pas toujours manifeste.
Certains contextes tendent à la rendre plus ou moins visible. Entre autres, les
échanges conflictuels ou oppositifs constituent un terrain favorable pour appré—
hender de tels phénomènes: c'est l'image non—conforme qui souligne qu'il y a
image et donc représentation du discours de l'autre. Elle constitue souvent même
le centre du conflit.
Les moyens linguistiques employés pour s'opposer à l'interlocuteur sont de tous
ordres. Les structures de type concessif avec reprise (explicite ou implicite)
présentent le discours de l'autre de façon linéaire, ce qui le délimite clairement par
rapport à la position du locuteur. En revanche, la négation, mais aussi l‘impératif,
le comparatif ainsi que l'énoncé interrogatif intègrent la représentation du discours
adverse sous forme d'espace discursif ou point de vue superposé à différents
niveaux de discours.
Notre recherche porte sur les structures dans lesquelles la représentation elle—
même exprime l'opposition, de sorte qu'image linguistique d'un discours et oppo—
sition à ce discours ne font plus qu'un. Il nous est apparu assez rapidement que
certaines structures phrastiques de forme interrogative constituent des moyens
privilégiés d'une telle représentation oppositive.
Parmi les interrogafives aptes à remplir ce rôle, certaines sont spécialisées dans
ce type d‘usage, d'autres peuvent être employées de cette manière dans certains
contextes, alors qu'un troisième type de questions ne s'affiche jamais comme tel :
ces dernières ne contiennent aucune marque linguistique allant dans ce sens et
restent entièrement ambiguës lors de l'énonciation. Elles constituent un moyen
d'opposition purement discursif.
Il se trouve que les interrogatives en Pourquoi voulez—vous... ? dont certaines
caractéristiques ont été signalées par Milner & Milner (1975) peuvent être consi—
dérées comme exemplaires du point de vue de la reconstitution négative du dis
cours d‘autrui. Dans le dialogue, elles servent aussi bien à s'opposer à l'énonciation
d'un ou de plusieurs termes qu'à démentir un énoncé qui précède. Dans les deux
cas, elles ont pour particularité d'intégrer systématiquement l‘interlocuteur lui—
méme dans la représentation péjorafive qu'elles véhiculent. Utilisées fréquemment
en réplique à une question, elles reconstruisent toujours cette dernière comme
2 la représentation critique du discours de l'autre

orientée vers une réponse qu‘elles récusent simultanément.


A partir du constat que de nombreuses langues tiennent à la disposition de
leurs locuteurs des structurés langagières dont la fonction est semblable, nous
avons cherché à déterminer les possibilités qu'offre le questionnement en allemand
pour s‘opposer aux points de vue de l'interlocuteur. Parmi les multiples structures
susceptibles de remplir une telle foncti0n, ce sont les interrogatives partielles
contenant le verbe sollen qui ont attiré notre attention, en raison de leur diversité,
mais aussi du fait que, bien qu'elles reposant sur des mécanismes en apparence très
différents de ceux qu‘emploie le français, elles aboutissent finalement à des effets
de sens tout à fait proches.
Il est important de souligner que notre but dans cette étude ne sera ni d'aboutir
à une étude contrastiveh ni à un relevé exhaustif des formes et variantes exis
tantes: nous chercherons à faire apparaître quelques mécanismes linguistiques et
discursifs qui rendent pœsible l‘usage opposifif d'un certain nombre de structures
interrogatives dans l‘échange, et nous tenterons de rendre compte de certains effets
de sens qui en découlent.
Afin de saisir le caractère à la fois figé et dynamique de ces structures
interrogatives particulières du français, nous adopterons une approche topique et
polyphonique dans le cadre de la théorie de l'argumentation dans la langue. En ce
qui concerne l‘allemand, le cadre théorique étant le même, la toile de fond de notre
étude reste stable, mais nous ne chercherons pas à maintenir un parfait paral—
lélisme entre ces deux parties : une telle démarche serait valable comme exercice de
rigueur, mais finirait par lasser le lecteur. Vu le nombre de configurations à
prendre en compte, nous préférerons éviter, pour l‘allemand, la présentation
d‘analyses topiques détaillées qui constitueraient, certes, un moyen de repré
sentafion avantageux à certains égards, mais qui alourdiraient bien trop l'ensemble
de l‘étude2.
Au chapitre 1, nous tâcherons d'abord de situer notre objet d‘étude par rapport
aux travaux récents concernant des sujets proches, pour fournir ensuite quelques
précisions concernant le cadre théorique qui nous a fourni les outils nécessaires
pour mener à bien notre projet. En même temps, cette partie introductive nous per—
mettra de définir un certain nombre de concepts indispensables pour ce qui suit.
Les interrogations en Pourquoi voulez»vous que...? à représræntation oppositive
feront l‘objet du second chapitre de notre étude, tandis que le troisième chapitre

1 Voir par exemple l’étude de W. Bubh‘tz (1978) et plus particulièrement ses considérations
méthodologiques (pp. 135—137).
2 En effet, il faudrait présenter un schéma t0pique par combinaison entre interrogatif, forme
verbale et particule modale, à savoir, 40 à 50 configurations différentes à en juger par le tableau
présenté dans le chapitre 3, section 4.3.
introduction générale 3

traitera de celles de l'allemand, comprenant, le plus souvent, le verbe sollen.


Pour finir, nous tenterons de tirer de l'étude de ces structures rencontrées dans
les deux langues des conclusions relativement à plusieurs problématiques qu'elles
permettent de mettre en lumière, problématiques articulées autour des points
suivants:

- quels sont les mécanismes d‘attribution d'une position à l'interlocuteur?


' de quelle manière de tels mécanismes peuvent—ils déterminer les moyens
discursifs employés pour s'opposer à un point de vue émanant de l'inter
locuteur ?
- faut—il considérer ces moyens comme relevant du discours ou bien sont—ils
inscrits comme tels en langue, et dans ce cas, de quelle manière et dans
quelles proportions ?
La mise en perspective de ces questions fondamentales aura pour objectif de
tenter de cerner au plus près le statut et la fonction de l'interrogation dans la repré
sentation critique du discours de l'autre.

Quelques précisions préalables :


Le terme interlocuteur, que nous utiliserons (et que nous venons d'employer)
comme terme non marqué, désignera le personnage du discours qu‘est l‘allocutaire
au moment de l'énonciation - c‘est—à-dire, celui qui est donné dans l'énoncé comme
personne à qui la parole est adressée - mais aussi celui qu'il constitue dans son rôle
d'ex—locuteur, présenté comme responsable d'une énonciation antérieure.
Concernant l‘étude des exemples, nous avons fait le choix de toujours présenter,
dans la mesure du possible, le tour de parole qui précède celui où surgit l‘énoncé
constituant l'objet de l'analyse. Lorsque nous mettrons en relation la structure
sémantique, au niveau de la signification de la phrase, avec son utilisation dans
l'échange -en tant que question ou autre énoncé réactif -, nous serons parfois
amenée à parler du premier et du second locuteur dans un sens purement chrono—
logique : l‘interrogation qui est au centre de notre propos émane normalement du
second locuteur.
Les exemples qui ne sont pas étiquetés explicitement ont été recueillis hors
situation particulière ou cadre interactif défini (débat télévisé, table ronde etc.) en
contexte non expérimental. Nous avons renoncé à l'emploi d'un corpus fermé, c'est
à—dire, délimité dans le temps et/ ou dans "l‘espace", pour plusieurs raisons3 :
' La rareté d‘occurrences à caractère oppositif dans les corpus constitués en

3 Cf. Habeas Corpus !, 1994.


4 La représentation critique du discours de l'autre

situation expérimentaleq nous a fait éliminer cette possibilité comme non


adéquate à notre projet.
' Concernant l'écrit, nous avons rencontré quelques exemples dans des textes
relevant de la fiction, à savoir environ une à deux occurrences d'une des confi
gurations recherchées par roman, lorsque la récolte était bonne. Par ailleurs,
l'objet de la présente étude portant sur des tours de parole réactifs, nous étions
condamnée à nous limiter aux dialogues de fiction, construits par un auteur
dans une visée différente de celle du sujet parlants. Une limitation à l‘écrit,
efficace dans un projet de visée exhaustive quant au relevé de configurations
existantes (comme, par exemple, l‘étude de N. Femandez Bravo), semblait
donc être exclue.
- Au-delà de la question de la fiabilité de la transcription journalistique de
propos recueillis en entretien, à notre grand regret, l'existence de publications
sur CD—ROM, et notamment de la revue allemande Der Spiegei, est bien trop
récente, alors que, dans la recherche de configurations précises, l‘outil infor—
matique peut être d'une efficacité réelle. Nous n‘y avons eu accès que très tar
divement‘t
Ainsi, beaucoup de ces exemples ‘sans étiquette‘ proviennent de recons
tructions, suivant des notes prises immédiatement après, de conversations entre
parents et amis, les extraits d‘enregistrements des médias étant signalés comme tels
systématiquement. Par ailleurs, le lecteur attentif reconnaîtra parfois des exemples
attestés, repris sous forme modifiée. En effet, nous essayerons de dégager un cer—
tain nombre de propriétés des structures étudiées, en faisant commuter certains
morphèmes, afin de saisir certains traits caractéristiques aussi bien des morphèmes
en question, que des configurations étudiées.
Les échanges présentés en exemple sont donc à considérer comme constitués
d'énoncés-types’, dans la mesure où ils constituent réciproquement l'un à l’autre un
contexte, quoique minimal. L'objet dont nous chercherons à rendre compte est la
phrase, d'où l'intérêt de procéder à des 'manipulafions‘ comme celles évoquées ci

“ Le corpus constitué par l'équipe du CREDIF en constitue un bon exemple. Ce relevé du français
des années quetre—vingts est très riche à maints égards, mais nous n'y avons lT'OUVÉ aucun échange
relevant de notre problématique (cf. Cahiers du Français de années quatre—vingts. Hors série, 1,
octobre 1989).Voir aussi Araûjo Carreira, 1997, pp. 275-276.
5 A l‘instar de Weydt, 1969, p. 72 et de Milner, 1973 a, p. 59, nous estimons que si l'on a recours à
des exemples provenant de la fiction, on ne doit pas non plus se priver d'exemples issus de
traductions.
6 Nous remercions tout particulièrement Madame Colette Cortès qui a eu l‘extrême gentillesse de
nous donner un tel accès systématique à cette publication à travers son matériel informatique per
soru‘iel.
7’ Cf. Ansc0mbre, 1989 et 1990; Anscombre & Ducrot, 1983; Coupin, 1995.
Introduction générale 5

dessus.
L'énoncé constitue donc l'observable, opposé à la phrase, l'entité théorique.
Nous y reviendrons dans la section 2.1 du premier chapitre.
Ces quelques remarques préliminaires faites, nous pouvons désormais entrer
dans le vif du sujet.
Chapitre 1.

L'autre dans le discours opposifif sous forme interrogative


1. Domaines d‘étude

1. 1. L‘autre

1.1.1. La présence de l'autre dans le discours


Depuis Montaigne jusqu‘à Benveniste1 en passant par Bakhtineä on n'a pas fini
de découvrir que la parole suppose une personne à laquelle non seulement elle
s‘adresse, mais qui en est constitutive. C'est ce que C. Kerbrat—Orecchioni résume
par son constat que "parler, ça se fait à deux" (1986, p. 9) pour remarquer que "tout
énoncé, même monologal, est donc virtuellement dialogal" (ibid., p. 10).
Cependant, une fois la conviction acquise que la parole nécessite deux protago—
nistes, le postulat de symétrie entre locuteur et auditeur a perduré trop longtemps
comme le note F. Gardès-Madray, qui en décrit les conséquences néfastes : "Ne voir
en l'autre que mon semblable aboutit à le nier, dans une hypertmphie réifiante de
la subjectivité" (1989, p. 103). Dans la même ligne de pensée, le philosophe du
langage D. Vemant s‘élève contre une conception trop réductrice qui, dans le dia—
logue, ne verrait dans l‘autre que l‘auditeur comme autre locuteufi, ce qui revien
drait à "déployer en miroir le monologisme“ {1997, p. 16) et aboutirait à "un bila
gisme, forme désespérée du monologisme" (1994, p. 5). D'où le refus-de cet auteur
de voir “le locuteur, comme personne auto—constituée à laquelle on pourrait pré
diquer croyances et intentions propres [rejoignant] l'illusion cartésienne d‘un cogito
qui s'appréhende dans l’expérience réflexive de la pensée pure" (1997, p. 16). Pour
lui, "les interlocuteurs se constituent mutuellement dans une relation de subjecti—
vafion essentiellement dialogique" (pp. 16—17)*.
Partant de l‘idée qu'il y a obligatoirement deux personnages de discours, de
statut différent, observés en quelque sorte de l‘extérieur, un autre pas à franchir est
celui de l'étude de l'appréhension qu‘ils ont l'un de l‘autre. Ainsi, divers travaux
d’horizons variés s'efforcent de cerner la manière dont le locuteur saisit la personne
de l'autre dans le dialogue. Cette question peut être appréhendée sous différents
angles. Un certain nombre de travaux portent notamment sur la modélisation de

1 Cf. Benveniste, 1966.


2 Cf. Bakhfine, 1977 119291 et Todorov, 1981.
3 Voir aussi l'analyse de ]. Milner (1973) qui va dans ce sens en ce qui concerne les deux prota—
gonistes du questionnement, de même que le modèle que propose P. Charaudeau des "sujets du
langage“ (1934, pp. 37—51).
4 Cf. aussi les travaux de F. Jacques (cf. 1979, 1982 et 1985).
10 111 représentation critique du discours de l'autre

l‘interlocuteur, que ce soit du point de vue de ses compétences linguistiques ou


hors du champ du langageä
Pour le linguiste, au sens strict, il s’agit de se limiter à saisir la présence de
l'autre, l'interlocuteur, en tant qu‘il apparaît dans la parole. C‘est ce que nous nous
sommes donné comme objectif pour la présente étude.
Or, derrière <l'autre> se cache aussi l'idée que le discours intègre d'autres
discours dont le locuteur n'est pas la seule source, l‘hypothèse générale que
développe la théorie de la polyphonie, comme nous le verrons ci-dessous (cf. 2.1.).
Par ailleurs, cette problématique traverse bon nombre de travaux relativement
récents, et dans des perspectives assez diverses. Le terme qui semble revenir le
plus souvent en dehors de celui de polyphonie est l"’hétérogénéîté"6 (Authier, 1982).
Cependant ses acceptions semblent être multiples. Comme le résume C. Fuchs :
"Les travaux prenant acte de l‘hétérogénéité dans le domaine linguistique tendent, très
généralement, a privilégier trois perspectives: celle de la production (polyphonie des
voix constitutives de toute parole proférée par un sujet, ou non—co‘imidence du sujet à
son dire lors de l'auto—interprétation de sa production en cours), celle du lexique
(pluralité signifiante des mots employés au fil du texte), celle enfin du discours (lieu
de manifestation de tensions et conflits s‘originant dans un extérieur de la langue
d'ordre mie—idéologique et]ou psychanalytique)" (1991, p. 107).
Elle y rajoute une quatrième approche, "l‘idée d‘une hétérogénéité inter—
prétative" (ibid.).
Un des axes évoqués, à savoir celui comprenant les phénomènes qui font
apparaître une "différenciation des voix énonciatives" (Kerbrat—Orecchiorfi, 1991 c,
p. 121) sera au centre de notre propos7. Un autre, celui étudié par ]. Authier—Revuz
- qui est, à notre connaissance, à l‘origine de l'introduction du terme hétérogénéité au
sein de la réflexion sur ce domaine ou du moins de sa large diffusion - nous ne
concernera que partiellement. Il s'agit de ce qu'elle appelle entre-temps "les non—

5 Cf. notamment la remarque de J. Caron (1988, p. 132) dont la perspective est psycholinguistique
ou encore Sabah (1988, p. 309) pour les recherches en intelligence artificielle. En ce qui concerne la
modéäsaüon des compétences linguistiques de l‘interiomteur et l’adaptation des moyens linguis—
tiques qui s'en suit, voir par ex. De Pietm (1988}; pour une étude approfondie en dehors du
champ linguistique à proprement parler, voir Cahour (1991).
5 Cf. Authier, 1982; Authier—Revuz, 1984 et 1991, mais aussi Maingueneau, 1987, pp. 53—93, Araùjo
Carreira, 1988, pp. 89—99, Cadiot, 1988, p. 25, Kerbrat—Orecchioni, 1991 c, pp. 121—138, Parret, 1991,
Vion, 1992, pp. 113—118 et Pop, 2000. Pour un survol rapide et récent de ce type de phénomènes
voir Authier—Revuz, 1998. Voir aussi l'aperçu général que propose J. Brès des phénomènes
relevant de la "dimension dialogique“ (1999).
7 il s’agit, on l‘aura compris, de celui comprenant les phénomènes que tente d'appréhender la
théorie de la polyphonie.
Chapitre 1 L'autre dans Le discours opposifif.. 11

coïncidences du dire” (Authier-Revuz, 1992). Parmi les différents types de non—


coïncidence qu'elle décrit se trouve celui qui constitue un aspect essentiel pour
notre domaine de recherche : la non—coïncidence entre les interlocuteurs. Une telle
non—coïncidence peut être représentée (ou montrée dans sa terminologie antérieure)
par des gloses métaénonciatives faisant allusion à "la mise en scène de l‘énonciation
et la relation interlocutive" (ibid."). Elles peuvent avoir trait à l'usage d'un terme
par le locuteur ou par l'interlocuteur (p. ex. comme vous l'avez dit vous—même). Le
locuteur "va chercher les mots dont il sait que l‘autre les utilise" (ibid.). Il s‘agit
donc de ce que C. Kerbrat—Orecchioni considère comme "hétérogénéité dialogale“
(1991 c, p. 121).
Parlant de la polémique, J. Authier fait remarquer qu‘une des formes polé
miques les plus courantes est de “prendre les mots de l'autre pour les attaquer"
(ibid."’) : vous osez dire... Pour elle, il s'agit d'un phénomène plus ou moins visible,
mais toujours présent. Aussi, elle décrit comme une des hétérogénéités constitu
tives celle de l'espace interlocqu où les "stratégies intemlafionnelles sont incalcu
lables et non spnétrisables" (ibid.) : il y a un écart irréductible entre les deux inter—
locuteurs et le "malentendu fait partie des fondements de la commurfication“. Les
interlocuteurs ont à faire avec ce réel de l‘écart" (ibid.).
Or, il nous semble que l‘écart interprétatif, exploité ou combattu, se révèle tout
particulièrement lorsque le discours de l'autre est repris, ce qui nous amène à exa—
miner ci—dessous les différentes formes de reprise du discours de l‘autre.

1.1.2. La reprise du discours de l‘autre


Nous partons de la notion générale de <reprise> que R. Vion définit de la
manière suivante: "Nous parlerons de reprise chaque fois qu'une séquence discur—
sive antérieure se trouve reproduite telle quelle, sans qu‘aucune modification
linguistique n‘affecte l'ordre verbal." (1992, p. 215). On remarque la proximité avec
la <citation>, de même que la nécessité d'introduire la distinction faite par l'équipe
autour de E. Roulet entre la reprise par le locuteur d‘une partie de son propre dis
cours (auto—repfise) et celle du discours de l'autre. En ce qui concerne la première,
monologiqne”, elle émane souvent d'un retour métadiscursif qui donne lieu, soit à

3 Elle substitue les termes non—coïncidence représentée et non—coïncidence /imcière à son ancienne
terminologie, a savoir hétérogénéité montrée et " constifufize (Authier-Revuz, communication du
11/4/ 92 au séminaire de F.L.E. de l'Université Paris [1]).
9 (conférence du 11/4/ 92) Par exemple : le cocktail "joumalisfico—littämire" (passez moi l'expression)
quifiu‘tdeÆe kmgazim...
1° (conférence du 11/4/92).
" Ce qu‘exprime C. Kerbrat—Orecchiorfi en disant que "le malentendu est un mal plus qu'attendu :
inéluctable" (1986, p. 23).
12 Cf. Riegel & Tamba, 1987.
12 La représentation critique du discours de l'autre

des gloses comme celles décrites par ]. Authier (cf. ci—dessusl3), soit à des opéra
tions de reformulafion“.
Les cas qui nous intéressent tout particulièrement sont ceux que certains
auteurs considèrent, suite à Roulet, comme "reprises diaphoniques“ (Roulet & al.,
1985, p. 71) où c'est donc le discours de l‘interlocuteur qui est repris. R.Vioh
propose de distinguer les reprises purement réitéraüves de celles qui sont suivies
d‘une reformulafion non paraphrastique à laquelle elles s‘intègrent. Il préfère parler
dans ce cas directement de rejbrmulafion à la place de reprise (cf. 1992, p. 216).
Une telle distinction, cependant, nous semble pouvoir être trompeuse. Etant
donné que toute réitération d‘une phrase ou d‘un segment de phrase, même lors
qu'elle est effectuée par un locuteur identique, constitue une nouvelle énonciation
avec éventuellement une intonation divergente et dans un contexte intrinsèque—
ment différent - la première énonciation constitue déjà un élément contextuel diffé—
rent pour la seconde -, la reprise par un locuteur différent modifie donc a fortiori la
valeur du nouvel énoncé ainsi produit. Une "reprise textuelle“15 peut avoir un sens
tout à fait divergent, voire contraire à celui de l'énoncé d‘origine, sans qu‘il y ait
reformulafion par la suite“. Aussi, l’opposition reprise/reformulation ne nous
semble pas être pertinente dans la perspective qui est la nôtre", Il nous paraît plus
adéquat de parler de reprise textuelle lorsqu'il y a citation de termes précis et d‘élar—
gir d‘emblée la notion générale de reprise : dans ce qui suit, nous nous autofiserons
donc à parler de plusieurs types de reprises comme, par exemple, celle d'un thème
ou encore celle d'un point de vue sous—jacent au discours. Ainsi, nous souscrivons
au point de vue de D. Maingueneau pour qui "il peut s’agir d'une reprise plus ou
moins littérale" (1994, p. 146)“.
Si nous nous refusons à utiliser de la sorte une définition plus précise, alors qu‘a

13 Voir aussi Authier-Rewz, 1995.


14 Généralement, on distingue encore la "reformuletion paraphrastique" (entre autres, Gülich
& Kotschi, 1983 et 1986, p. 221) de la “non—paraphrastique“(pour une présentation globale des
différentes catégories de reformulaüons voir Rossari, 1990 et surtout 1997, ainsi que Garda Ne
groni, 1995, pp. 22—25). Ce dernier type de reformulafion fait l'objet de nombreuses études concer
nant les dits "connecteurs reformulafifs" (cf. entre autres, Adam, 1990; Cadiot & al., 1985; Rossari,
ibid. et 1989; Roulet, 1987 et 1990) qui figurent dans les travaux les plus anciens comme "rééva
luatifs" (cf. notamment Roulet & al., 1985, pp.154—182; cf. aussi Spengler, 1980, p. 144, qui parle
d'« auto—correction n).
15 Nous reprenons cette terminologie de Milner & Milner (1975, p. 126).
15 O. Ducrot donne un exemple où la reprise est purement ironique, à savoir un épisode de l‘évan—
gile, la moquerie des soldats gifiant le Christ tout en le traitant de roi des juifs, reprise textuelle de
son dire (1980 c, p. 57).
17 Elle peut avoir sa pertinence dans une perspective descriptive de certains types de segments
discursifs.
“5 La définition de la reprise que fournit j. Simonin apparaît comme étant très proche (cf. 1984,
p. 58)
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposiflf... 13

priori la précision ne peut qu'être bénéfique, c’est que nous considérons cette
problématique dans son lien étroit avec celle que constitue le discours rapporté.
Comme le constatent plusieurs auteurs, on a tendance à opposer le rapport en style
direct à celui en style indirect en invoquant le caractère précis et objectif du
premier: "l'idée -souvent admise sans discussion- que le RSD19 prétend repro—
duire dans leur matérialité les paroles prononcées par la personne dont on veut
faire connaître le discours" (Ducmt, 1984, p. 198)”. Il se trouve que cette équiva
lence des formes n‘est cependant pas aussi systématique ;
"La différence entre style direct et style indirect n'est pas que le premier ferait
connaître 1a forme, et le second, le seul contenu. Le style direct aussi peut viser le seul
contenu, mais pour faire savoir quel est ce contenu, il choisit de faire entendre une
parole (c'est—à-dire une suite de mots, imputée à un locuteur). Et il suffit pour
l‘exactitude, que celle—ci manifeste effectivement certains traits saillants de la parole
rapportée... Que le style direct implique de faire parler quelqu'un d'autre, de lui faire
prendre en charge des paroles, cela n’entraîne pas que sa vérité tienne à une
correspondance littérale, terme à terme" (ibid., p. 199).
Ainsi, en définissant la reprise de manière à l‘associer inévitablement au rapport
en style direct, on risque d’y associer aussi les mêmes illusions, alors que notre
hypothèse générale est justement que tout discours comprend une part de repré—
sentation de celui qui le précède. Or, qui dit représentation, dit image investie » de
manière visible ou non - par la subjectivité du sujet qui représente.
Un exemple de ce phénomène nous est fourni par M.H. Araûjo Carreira qui
décrit la manière dont un locuteur peut entourer de commentaires assurant un
“encadrement inter‘prétafil“'21 les énoncés rapportés en style direct qui "constituent
des ‘îlots' d'objectivité apparente“?
Par ailleurs, on peut considérer que les “diverses manifestations de l'intertex
tualibé" (Authier—Revua, 1987, p. 429) ne constituent pas des catégories bien
étanches, leurs limites ne constituent pas des frontières discrètes.23 Le plus souvent,

19 Rapport en style direct, on l'aura probablement compris. Il nous parait intéressant de voir que
la linguistique allemande semble avoir le même problème terminologique que nous rencontrons
en français : ce n’est pas le discours rapporté qui est indirect, mais le rapport de ce discours. Ainsi
certains linguistes allemands remplacent aussi le discours direct/indirect, die dimkieflndirekæ Rede
par "indirekte Rederuiedergflbe" et "urïrflidæ Médergabe mu Rade" (Küffner, 1978, cité par Becher
& Bergenholtz, 1985, p. 449).
7-0 I. Authier parle du "leurre que constitue l"ebjecfivité' et la 'neutralité’ du rapport direct"
(Authier—Revuz, 1987, p. 429) et affirme que le "DD [discours direct] n‘est ni « objectif », ni
« fidèle » (1992, p. 38). D. Maingueneau note qu'”il serait plus exact d'y Voir une sorte de théâtra
lisaüon d‘une énonciation antérieure, et non une similitude absolue” (1987, p. 60).
21 Nous traduisons du portugais : "enquadramento interpretafivo" (1988, p. 94).
22 Idem : "consütuem “titres“ de objecfividade aparente" (ibid., p. 93).
13 Voir aussi le recapitulafif des travaux concernant ce domaine dans De Armda Carneiro
Da Cunha, 1992. chap.1-3.
14 La représentation critique du discours de l‘autre

plusieurs modes de représentation du discours autre sont employés presque simul


tanément. Le locuteur, le sujet rapportant donc, peut aussi bien se distancia
comme dans certains faits de citation Clairement marqués comme tels, ou bien, au
contraire réutiliser des fragments de discours sans marquage explicite.
Ce dernier point amène I.-B. Chang à distinguer fondamentalement la "reprise
assertée" de la "reprise montrée“ (1993, p. 18) en indiquant que cette dernière
constitue "la forme polyphonique" (ibid.). Nous allons être amenée ci-dessous
(chap. 2 et 3) à appliquer ces dernières notions, élaborées en vue de phénomènes
constatés concernant le Coréen, à des structures discursives qui n'appartiennent
pas de manière incontestable à ce que l'on considère habituellement comme dis
cours rapporté“.

1.1.3. La présence - la représentation du discours de l'autre


Ci—dessus, nous nous sommes opposée à une vision trop schématique d'un
système de rapport du discours distinguant nettement entre rapport objectif de
termes prononcés et rapport plus interprétatif. Ceci a d'autant plus d’importance
pour nous dans la mesure où. comme nous l'avons indiqué, d'une part, tout
discours peut être vu comme reflet de celui qui le précède, d'autre part, la présence
d'une telle image peut être plus ou moins manifeste, explicitée délibérément ou
même reniée. Qu‘elle soit ‘fidèle‘ ou non”, ‘0bjecfive‘ ou empreinte de subjectivité,
il nous parait inévitable qu'il y ait image.
Ainsi E. Goffinan affirme :
"Celui qui répond ne peut démontrer qu'il a compris le sens d‘une déclaration parce
que, en un sens, cela n‘existe pas. Tout ce qu‘il peut faire, c’est répondre à ce qu'il peut
exhiber comme étant un sens capable de porter - étant entendu qu'il peut réussir à
donner l'impression (et même croire que ce « un » est un « le »" (1987, p. 52).
il nous semble légitime de considérer l‘exhibition de sens dont parle Goffman
comme une image du discours qui précède. Or, s‘il y a systématiquement représen—
tation, certains contextes ont pour particularité de la rendre plus visible. Nous
estimons que les contextes oppositifs, voire conflictuelsîô, ont pour effet de mettre
en évidence les représentations du discours de l'autre, involontairement ou en tant
que moyen consciemment employé. Parfois, une telle image métadiscursive peut
même devenir le centre du conflit.
La reprise d‘une partie du discours de l‘autre, plus ou moins précisément tex

2“ Pour une définition précise et nuancée du discours rapporté, voir 1. Authier-Revuz (1987, p. 428
et 1992 b, p. 10). Cf. aussi Rosier, 1999.
75 Et encore, fidèle aux yeux de qui ? Aux yeux du locuteur 2, aux yeux de son interlocuteur
responsable de l‘énonciation qui se reflète dans celle de loc. 2, ou encore aux yeux de l'analyste
qui cherche à décrire les deux énoncés ? Nous reviendrons sur cette question cruciale d-dessous
(cf. 3.).
15 Nous serons amenée à cerner ce domaine plus précisément ci-dessous (1.4.).
Chapitre 1 L'autre dans le discours 15

tuelle, peut constituer une manière explicite de renvoyer au discours de l'inter


locuteur, ainsi que la paraphrase, la reformulation non paraphrastique ou encore
une reconstitution plus libre lorsque cette dernière est marquée comme telle.
Cependant, le plus souvent le discours de l'interlocuteur est présent dans celui qui
lui succède sous forme de point de vue dont l‘attribution au premier locuteur n'est
pas forcément explicitée.
La construction qui assigne une place clairement déterminée au discours de
l‘interlocuteur est la configuration concessive, que cette 'place' soit 'gardée' par un
morphème spécialisé dans cette fonction (p. ex. certes) ou qu'y figure une reprise
directe du discours précédent connue dans l‘exemple suivant :
- Vous vous aperœrez qu'il y a là, qu'il y a là des choix que font les Français et je peux nous
dire que... les français qui font ces choix-là ils ne mtent pas tous FN, loin de là, pas encore,
pas encore. Ils votent avec leurs pieds pour défendre l'identité culturelle de leurs enfants.
- C'est en partie vrai quand même, BHL, que vous le vouliez ou non,
- C'est en partie vrai, mis ce n‘est ms l'explication unique.
U.—Y. Legalou (FN) ; P. Gélinay (journaliste) ,' B.-H.Léle (philosophe); L'identité
française. Le grand débat, France Culture, janvier 1993]
La concession” a donc pour particularité d‘intégrer systématiquement et de
manière bien délimitée une partie du discours de l'autre sur laquelle enchaîne le
discours globalement oppositif. Ainsi, contrairement à d'autres procédés que nous
examinerons plus précisément dans la présente étude, les structures concessives
juxtaposent des éléments discursifs porteurs de points de vue opposés, alors que
bon nombre de structures langagières permettent de les superposer, de sorte que
les points de vue en conflit ne sont plus repérables nettement dans des segments
discursifs déterminés”.
Ainsi, dans une configuration différente, les deux extraits suivants comportent
des reprises directes, "textuelles", intégrées dans une négation29 :
[Serge July et Philippe Alexandre à propos d’un meeting commun de V. Giscard
d'Estaing et E. Guigou pour le vote en faveur du traité de Maastricht lors du
référendum de 1992]
- Ce n'est pas classé X, on peut le montrer aux enfants.
- Il ne firut pas montrer ça aux enfimts. le suis complètement archaïque en matière politique,
Serge, je trouve qu'il ne faut pas encore semer la œnfision.....Vous, mus n'êtes peut—être pas
perdu, mais je peux vous garantir que les Français le sont. (TF1, 9/9/1992)

271] ne faut pas comprendre concession dans le sens grammatical du terme renvoyant à la
'proposition concessive‘ cf. Ducrot & al., 1980, p. 147, note 6 et Métrich, Faucher et Gourdier, 1995,
p. XVlII.
23 Concemant la concession voir Anscombre, 1985 a; Karantzola, 1995; Moeschler, 1989, chap. 1;
Moeschler & Spengler, 1982 ou encore Primatarova-Miltscheva, 1986.
29 Nous verrons plus loin que la reprise textuelle permet d'identifier ici la négation comme
négation métalinguisfique.
16 la représentation critique du discours de l 'autre

- On vient de le voir dans ce début...


- Ce n‘est pas un début, c‘est une caricature l (France-Inter, 10/9/1992)
A l‘opposé de ce type d‘exemples, on trouve la réplique qui présente une
certaine lecture du discours qui la précède, sans qu’elle comporte un quelconque
élément matériel de ce discours :
V - Vous avez la foi, vous êtes passionné [Vous, vous croyez en l'Europe]
K - Je suis intelligent aussi ! '
[V= membre du parti des Verts défendant le ‘non à Maasl‘richt',‘ K= B. K0uchner :
'oui‘) (France—Inter, 10/ 9/1992}
Ici le discours du premier locuteur n'est présent qu‘à travers l‘interprétation
qu'en propoæ le second locuteur de manière non explicite.
Ce type d‘échange est décrit par MM. Garda Negroni qui l‘étudie dans la
perspective de la réinterprétation rétroactive, c'est-à-dire du point de vue d‘une
tierce personne extérieure à l'échange (ainsi que du propre premier locuteur) qui
serait amenée à substituer la lecture imposée par la réplique à son interprétation
initiale. Dans cet exemple concret, le qualificatif passionné et l'expression avoir la foi
sont présentés COMe orientant le discours vers des conclusions négatives relative—
ment au niveau intellectuel du second locuteur, en l'occurrence le ministre de la
santé français.30 L‘auteur traite ce type d'exemple comme "cas où le locuteur B fait
semblant de se méprendre sur le sens 51 de l‘énoncé E1 de A en lui attribuant un
sens s‘1. Expression d'un conflit conversationnel ou d'un simple jeu humoristique,
la réplique de B oblige alors à relire et à réinterpréter l‘énoncé E1 a la lumière du
sens qu'elle lui reconstruit“ (Garda Negroni, 1995, p. 30). Elle présente la réplique
bien connue de Cyrano de Bergerac dans cette même catégorie, c'est—à-dire celle de
“l'écart interprétatif volontaire" (ibid., p. 31) :
V - Maraud, faqm‘n, butor de pied plat ridicule !
C, ôtant son chapeau et saluant comme si le vicomte venait de se présenter :
- Ah ?... Et moi, Cyrano—Savim’en—Hzrmk De Bergemc.
[C = Cyrano; V = le Vicomte] (E. Rostand, Cymno de Bergerac, acte I, scène lV)
L'insulte s'étant transformée en présentation (cf. ibid.) ce dernier exemple

30 L'intention initiale de V était probablement de poursuivre son discours en le fondant sur un


topos convoqué par ces deux Iexèmes, un topos orientant le discours vers l‘idée que les propriétés
évoquées entraînent de l'irrafionafité. L‘effet particulier proche de l'ironie, est dû à ce que
l'objection de K enfreint un tabou social : normalement, il est peu convenable de proférer des
louanges sur soi—même, et ceci est d'autant plus valable pour un ministre dans une émission de
radio. Violant ouvertement cette règle, le locuteur Semble mettre en scène un point de vue auquel
il s'identifie tout en s'en distanciant, et qui s'oppose, lui, à un autre point de vue absurde, assimilé
à l‘interlocutrice qui prétendrait le contraire. L'interlocutrice est donc présentée comme ayant
insinué que le ministre français de la santé est bête. En ce qui concerne le locuteur, sa prise en
charge de l‘énoncé est ambiguë. On peut rapprocher son effet, à un niveau discursif, d'exemples
de type : je vous dis X, mais je n'ai rien dit. où le locuteur L "en tant que tel" (Ducmt, 1984, p. 199)
profére X, mais le locuteur 1 “être du monde“ n‘assume pas la responsabilité de ce dire.
Chapitre 1 L'autre dans le disctiu rs oppositf... 17

iliustre encore le cas d‘une représentation particulière31 de l'énonciation qui pré


cède. L‘écart interprétatif - ou représentatif - porte ici sur la fonction interaction
nelle de l‘énonciation initiale.
L‘image de ce qui le précède reflétée par le discours peut aussi se focaliser sur
l‘attitude du premier locuteur en tant que tel et donc sa manière de parler qui en
découle. comme dans l'extrait qui suit :
A] - C‘est en baissant les charges... par une relance de l'économie...
MA - Vous n'êtes pas dans un meeting du RPR ! (Expliquez—mai sérieusement comment vous
comptez réduire le chômage...) [A] = A. Iuppé; MA = M. Aubry} (TF1, 3/2/1993)
La limite extrême dans la manière de refléter le discours de l'autre nous semble
être atteinte dans l‘échange succinct suivant où le second locuteur, une locutrice,
paraît chercher avant tout à réduire au minimum l'image qu'elle renvoie de l'injure
(d'un automobiliste) qu'elle n‘estime pas digne de réponse :
- Du Arscldoch !
(Tu es une) espèce de trou du cul 1
- lch umflte gar nicht, du}! mir per Du sind.
Je n‘étais pas au courant que nous étions convenus de nous tutoyer. (échange entre
deux automobilistes)
Il s'agit d'un exemple manifeste de non—considération du discours de l'autre où
le requ de tenir compte du discours adverse donne lieu à une réplique portant sur
un aspect métadiscursif anodin par rapport à l'enjeu de l'insulte.
Tous les exemples que nous venons de présenter comprennent donc une
représentation du discours de l'interlocuteur, bien que réalisée au travers de
moyens variables et que située sur des plans assez divers. D‘autre part, on l'aura
remarqué. il s'agit - sauf pour le dernier32 cas— d'une représentation négative,
critique ou du moins oppositive.
Dans ce qui suit, nous allons tenter d'approcher un peu plus ce domaine de
l'oppositif.

1.2. Le discours opposifif

Nous avons délibérément choisi une notion aussi vague que celle de discours
oppositif. car au cours de nos recherches, nous nous sommes rendu compte à quel
point les concepts véhiculés dans ce domaine sont flous, mal définis ou alors, au

31 C'est le regard extérieur ou éventuellement celui du premier locuteur qui permet de décéler
l‘écart (pour les conséquences méthodologiques qui découlent de ce constat, cf. ci-dessous, 3.).
32 L'effet particulier de cette réplique réside justement en ce qu‘elle est d'une parfaite neutralité,
alors qu'elle constitue la réaction immédiate à une énonciation d‘une extrême violence. Il nous
semble possible de rapprocher cet exemple de certains des phénomènes de non-pertinence
délibérée que décrit F. Armemgaud (1981).
18 La représentation critique du discours de 1 'autre

contraire, définis de façon restrictive par rapport à un champ d'application précis.


Les notions se recoupent souvent partiellement, sans que l'on puisse les faire
correspondre, ce qui est du au fait qu‘elles émanent d'approches théoriques assez
diverses.
D'aucuns parlent de la réfutation”, de l‘objection“ ou encore du désaccord”,
d'autres de l'argumentation négative et de la confie—argumentation“. De façon non
moins vague, nous avons employé nous—même le terme d‘évaluation négative
(Sauerwein, 1990W. Alors que les termes évoqués semblent désigner des mouve—
ments discursifs restreints ou des stratégies locales, la notion de polémique”
s'applique plus facilement à un type de discours, de manière plus globale.
Nous allons tenter de saisir plus précisément quelques unes de ces diverses
notions appartenant au champ oppositif, avant de nous interroger Sur les types de
discours où ces stratégies peuvent trouver leur réalisation.

1.2.1. Les stratégies négatives


Une manière d‘envisager le discours oppositif est celle de V. Allouche qui, dans
une perspective discursive globale, examine la mise en place de "stratégies de
parole“ (1992) et considère qu‘il faut distinguer trois types de "stratégies de la
négation" (ibid., p. 74) ;
a) Les stratégies qui sont conséquentes d'une attente du destinataire ou d'une
demande de dire ou de faire : les stratégies de refus;
b) Les stratégies qui sont conséquentes d'une interprétation du propos ; les stratégies
de rejet ou de mise en question ;
c) Les stratégies qui mettent en jeu, à travers un faire et les paramètres qui le
structurent, des rapports de force entre les protagonistes : les stratégies d'affrontement
Ou d‘opposition. (1992, p. 75)
Ces stratégies générales peuvent être mises en oeuvre au moyen de “solutions
linguistiques" (Araüjo Caneira, 1997, p. 10) multiples qui sont abordées sous les
diverses appellations catégorielles citées ci-dessus.

33 Entre autres LOSÏGI, 1983 et 1989; Maingueneau, 1987; Moeschler, 1979 et 1982; Rodrtguez
Somolinos, 1994.
34 Roulet, 1981,- Schelling, 1983; Staü, 1990.
35 Araüjo Carreira, 1991 et 1996; Ligatto, 1991; Rodrtguez Somolinos, 1994.
36 Pour ces deux derniers termes, voir les divers travaux de l'équipe du Centre de Recherches
sémiologiques de Neuchätel et notamment Apotheloz, 1989; Apothéloz [5: Brandt, 1991;
Ap0théloz, Brandt G: Quiroz, 1989; Brandt, 1989 et 1990. _
37 Pour une définition de l‘évaluation, voir Desbois, 1939, p. 133. J. Moeschler utilise souvent le
banne d’éluluufi0u négative comme équivalent de la réfittution (1982 et 1985).
35 Maingueneau, 1979 et 1987; entre autres Brandt, Gélas, Kerbrat—Orecchioni, Le Guem, 1980;
Garda Negroni, 1985. D. Apothéloz (1989) ainsi que D. Apothéloz, P.-Y. Brandt et G. Quiroz
(1989) parlent respectivement de “situation“ (p. 69) et d"‘échange polémique” (p. 16).
Chapitre 1 L'autre dans le discours oppositÿ‘. .. 19

a) L‘expression du désaccord - l'intervention de désaccord


P. Charaudeau considère qu‘il y a une modalité“59 de l'accord et du désaccord
qui se caractérise par ce que le locuteur répond à une demande réelle ou virtuelle
de validation ou invalidafion d'un dire (réel ou virtuel) "en exprimant qu'il adhère
ou non au propos tenu" (Charaudeau, 1992, p. 615).
D. Ligatto aussi lie la notion de désaccord à celle d'acceptation ou non—
acceptafion d'un dire :
"Lorsqu‘un locuteur asserte un certain contenu, il le propose en même temps à
l'acceptation du partenaire. Dans son intervention, le locuteur A pose son point de
vue, donne une information ou fait une évaluation; elle sera suivie d'une intervention
du locuteur B acceptant ou s‘opposant à ce qui a été posé par A; l‘acceptation ou le
refus permettra à l'assertion proposée d'intégrer ou non la conversation" (1991, p. 1).
L'auteur distingue “l'intervention de désaccord de premier degr " de celle "de
deuxième degré" (ibid., p.2). Cette dernière émane du locuteur de l'acte initial, "le
proposant" (A) qui réagit à celle de premier degré dont "l'opposant" (B) est
responsable (cf. ibid.). Cette distinction rappelle celle de J. Moeschler qui diffé
rencie "réfutation" et "récusation" (1982, p. 162). Il utilise ce dernier terme pour une
"réfutation de réfutation" (ibid., cf. ci—dessous b).
On remarque que contrairement au désaccord vu comme "catégorie
conceptuelle" (Arat‘rjo Carreira, 1991, p. 258), pour l'auteur le désaccord constitue
bien un type de mouvement discursif qui trouve sa matérialisation dans ce qu'elle
considère comme "intervention de désaccord", donc un moyen discursif bien précis.
Le désaccord envisagé de cette manière serait à ranger dans la seconde stratégie
proposée par V. Allouche.
Dans cette acception, il est proche de la réfutation que l‘on peut voir comme “un
ensemble de techniques discursives permettant de casser le discours antagoniste"
(Plantin, 1995, p. 167)“.
b) La réfutation
La mfiræfion est une notion centrale dans beaucoup d‘approches. Remontant
déjà à Afistote, elle est très liée à l'origine à l‘argumentation rhétorique.
“Traditionnellement, on définit la réfutation comme un mode de raisonnement
qui consiste à rejeter ou à repousser une thèse en prouvant sa fausseté." (Losier,

39 "Les modalités expriment l'attitude énonciative du sujet parlant vis—à-vis de-ce qu’il énonce"
(Charaudeau, 1992, p. 488). Toujours selon Charaudeau, le désaccord fait partie de ce qu'il appelle
"les modalités élocutives : "les Modalités ELOCUTIVES n'impliquent pas l'interlocuteur dans l‘acte
locutif. Elles précisent la manière dont le locuteur révèle sa position vis—à-vis du Propos qu‘il
énonce“ (ibid., p. 599).
"0 Ensemble que d’autres regroupent sous la dénomination "argumentation négative“, nous allons
le voir en c).
20 La représentation critique du discours de l’autre

1939, p. 113).
La réfutation semble pouvoir trouver son point d'ancrage à n'importe quel
moment argumentafif. Réfuter consiste aussi bien à s'attaquer aux prémisses qu'à
s‘attaquer aux conséquences ou au mouvement argumentafif qui relie l'argument à
la conclusion.
J. Moeschler définit la réfutation en tant que "fonction illocutoire réactive
d'évaluation négative contenant une argumentation“ (1982, p. 148)“. Il précise que
l'acte réactif peut évaluer une énonciation initiative comme l'assertion à des
niveaux différents (propositionnel, illocutoire, présuppositionnel, discursif).
Cependant, "une réfutation est une évaluation dont la portée se limite au contenu
de l'acte initiatif (posé et présupposé). Cela signifie qu'une réfutation ne peut
évaluer une assertion initiative que proposifiomellement, illocutoirement ou
présupposifiomellement, mais non discursivement. Une réplique (métacommu
nicafive) n’est donc une réfutation que si elle porte sur les présupposés de l‘asser
tion initiative" (ibid., p.149).
Ce dernier point nous semble ressortir de toutes les définitions : la réfutation ne
s'en prend jamais à des éléments du cadre qui ne seraient pas d'ordre purement
linguistique. Elle se situe donc comme "l‘intervention de désaccord" (cf. 3)) parmi
les "stratégies de rejet", c'est—à—dire la seconde catégorie proposée par V. Allouche
(cf. ci—dessus).
Moeschler distingue trois types de réfutations42 :
' les rectifications:
L‘élection de Mittemmd n'est Pas probable, mais certaine. (p. 93)
' la réfutation proposifionnelle (généralement suivie d'une justification) :
Cefilm n'est pas génial : il n‘a pas été primé nulle part. (p. 96)
- la réfutation présupposifionnefle (qui nécessite "la présence d‘un acte de
justification" (ibid.)) :
Il n'a pas cessé defumcr, puisqu 'if n'ajamais fumé. (p. 97)
Par ailleurs, il évoque l'existence de réfutations implicites 43:
A: Cefilm est un umtfim‘.
B1: Tu oublies qu'il a été primé à Cannes.
B2: [1 a quand même été primé à Cannes. (p. 39)
On remarque qu'il classe les énoncés réfutatifs en fonction de la nature de ce

“ Pour une application de cette notion dans une analyse argumentafive et polyphonique, voir
Anscombre, 1983, p. 56 sq.
‘12 Ces trois types de réfutations représentent des degrés différents de menace pour l'interlocuteur
(croissant dans l'ordre de notre présentation).
43 Ici il s'agit de ce qu'il considère comme 'réfutation présuppositîonnelle' sous forme implicite.
Chapitre 1 L 'natre dans le discours appasth .. 21

que l'on peut considérer comme l‘objet évalué ou contesté.


D'autres auteurs distinguent plusieurs types de réfutations, et notamment
D. Maingueneau qui parle de "types de réfutation polémique“ (1987, p. 103)“l pour
énumérer les suivants :
"- la réfiætation complète, où I'énoncé explicite les élémenœ qui s'opposent dans
l‘inter-discours (La violence, ce n'est pas des communistes qu'elle vient, c'est du grand
mpifal.);
- la réfutation par dénégation : dans ce cas les éléments de l'interdiscours sont incorporés
et dissimulés, l'énoncé antagoniste est désigné comme tel (la violence, ce n'est pas des
communistes qu 'elle vient) mais lui seul est conservé;
— la réfi1tation par retournement travaille à l'intérieur du discours antagoniste, le
subvertit en l‘absorbant : le collectivisme qui voudrait niveler les consciences, le réginæ dans
lequel un petit nombre pense pour tous, c'est aujourd'hui qu‘il existe dans notre pays.” (ibid.)
La "réfutation complète" semble correspondre à la "rectification" de Moescl‘tler;
le deuxième type est à rapprocher de la "réfutation propositionnelle" (surtout s'il
est suivi d'une justification), enfin la "réfutation par retournement“ rappelle aussi la
"réfutation implicite" de Moeschler.
Dans sa classification, D. Maingueneau s'intéresse avant tout à la manière dont le
discours de l'autre (réfuté) peut être incorporé dans le discours 'réfutant' pour y
cohabiter avec le point de vue antagoniste que défend le locuteur. Il s‘agit d'une
approche centrée sur les problématiques de "l'interdiscursivité" (ibid., p. 87)“, c'est—
à-dire "l'interaction entre formations discursives" (ibid., p. 88).
O. Ducrot distingue différentes réfutations dans le cadre de la théorie de
l'argumentation dans la langue en fonction de la manière dont le rejet d'un point de
vue est opéré. Dans son approche, il s'agit de décrire l'utilisation de certains
mécanismes argumentafifs qui emploient des principes généraux inscrits en
langue.
Il présente quatre manières différentes de réfuter ‘l'argumentation' Il fait beau,
allons à la piage (1990 a, p. 109) :
1- Il nefin‘t pas si beau que ça, aujourd'hui.
Le locuteur accepte l'idée selon laquelle plus il fait beau, plus il est intéressant
d‘aller à la plage mais il fait savoir que le degré de beau temps atteint n’est pas
suffisant pour en tirer la conclusion visée par son interlocuteur. C'est donc l'argu
ment qui n‘est pas entièrement accepté. Il est en quelque sorte disqualifie quant à
sa capacité d'appuyer suffisamment la conclusion visée. Cette dernière n'est plus
nécessaire.
La seconde réfutation possible consiste à "insister sur la difficulté à admettre la

4" Nous ignorons ce que l'auteur entend par "réfutation non—polémique" ou "réfutation" tout court.
5 Voir aussi Maingueneau (1979).
22 La représentation critique du discours de l‘autre

conclusion“6 :
2— En effet, il fait très beau aujourd'hui, mais la plage est très loin. (ibid.)
Ici, c'est la force de l'argument qui est en cause, ainsi que sa complétude: il
n’est pas le seul à entrer en compte et il en existe un autre qui est au moins aussi
fort sinon plus. Par le biais du second argument, ce procédé atteint directement la
conclusion
Un troisième type de réfutation consiste en la négation du topos“ :
3‘ je n‘aime pas aller à la plage quand ilfiu't beau, mais quand il pleut. (p. 111)
Le désaccord porte sur l‘orientation de l'argument: c‘est la conclusion elle—
même qui est invalidée.
La quatrième manière de rejeter la conclusion de l'interlocuteur utilise
pleinement la gradualîté du topos :
4— Au lieu d'y aller aujourd'hui, allons—y demain, (car) il ji3m certainement bien plus beau.
(ibid.)
Plus loin, l'auteur mentionne une "stratégie quI'il] appelle réfutation d'une
argumentation, à travers la réfutation de l‘argumentation réciproque” ( p. 130) :
n Pierre a travaillé, il ou noir du succès.
- Regarde fana, il n'a pas trmmillé et il a quand même eu du succès.
Ici, le locuteur B réfute la forme topique réciproque à celle employée par A.
En rejetant l'idée que moins on travaille, moins on réussit, il cherche à démontrer
que le travail ne mène pas forcément au succès. C'est donc l'argument évoqué qui
n'est pas tout à fait pertinent, ce qui rend la conclusion non nécessaire.
On aura remarqué que les exemples présentés qui font l'objet de la réfutation
constituent des ‘argumentafions‘, en ce sens que l‘on peut facilement les scinder en
un argument suivi d'une conclusion. Il en résulte une certaine facilité pour la
présentation, mais il ne faudrait pas en conclure que ces types de réfutation ne
s‘appliquent qu'à des 'argumentafions‘ explicitées comme telles (voir aussi ci
dessous 2.1.).
En revanche, l'exemplificaüon choisie par O. Ducrot semble souligner une réelle
proximité avec ce que l‘équipe de l‘Université de Neuchätel appelle la contre—
argumentation.
L‘équipe du Centre de recherches sémiologiques travaille sur une certaine
approche de l'argumentation, à ne pas confondre avec celle de la théorie de

4“Nous traduisons de l'espagnol : “insistir en la dificultad para admitir la conclusion“ (ibid.,


p. 109).
47 cf. ci—dessous 2.1.
45 "estrategia que llamo refutacién de une argumentaciäm, mediante la refutacién de la argumen
taciôn reciproca".
Chapitre 1 L'an tre dans le discours apposifif. .. 23

l‘argumentation dans la langue élaborée par ].-C. Anscombre et O. Ducrot, mais


c‘est justement sur ce type d‘exemples que certains domaines d'intersection des
deux perspectives fondamentalement différentes peuvent être constatés.

c) Argumentation négative et contre-argumentation


J.B. Grize définit l‘argumentation comme "l'ensemble des procédures discur
sives qu'un locuteur met en œuvre en vue de modifier les représentations de son
interlocuteur relativement à un objet donné”" (1990, cité par Brandt &-. Apothéloz,
1991, p. 90). Cependant, la notion de contre—argumentation est élaborée dans le
champ de "l‘argumentation au sens étroit, celle qui articule des jugements entre
eux" (Brandt & Apothéloz, ibid.). Ainsi, les auteurs se proposent d‘identifier et de
décrire "les types simples" des "formes de la contre-argumentation... qui
constituent en quelque sorte l‘instrumentation confie—argumentafive dont dispose
tout sujet parlant se trouvant en situation polémique" (Apotheloz, 1989, p. 69).
ils introduisent une série de notions importantes qu'il convient de ne pas
confondre dans l‘utilisation de leur terminologie.
Premièrement, le terme le plus général est celui d"‘argumentafion négative“. Il
désigne "toute intervention qui empêche de conclure en s‘opposant à la possibilité
de maintenir un jugement énoncé préalablement. En appelant ce jugement préa—
lable conclusion, on dira que l'argumentation négative est par définition anti
orientée par rapport a cette conclusion" (Apothéfoz, Brandt & Quiroz, 1989, pp, 28
29). L'argumentation négative n'est pas à confondre avec "la négation argumen—
tative" (ibid., p. 29), à savoir l‘opération qui consiste à inverser l‘orientation argu
mentative.
Le troisième concept constitue une sous—catégorie du premier : une forme
précise d‘argumentation négative "prend spécifiquement en considération le lien
entre les raisons invoquées (ou qui pourraient l‘être) et la conclusion. Ce mode
d‘argumentation, appelé confie—argumentation, intervient soit en contant les raisons
données en faveur de la conclusion, soit en invoquant des raisons contre la con—
clusion" (ibid.).
Chacune de ces mises en question peut obéir à deux critères différents. Aussi,
on peut énumérer quatre types de contre-argumentation différents :
' l'argument peut ne pas être vraisemblable ou ne pas être considéré comme
pertinent. Dans ces cas, la conclusion est contestée en tant que fait prouvé et
obligatoire, mais le contraire, son invalidité n‘est pas démontrée non plus. En
doutant de la vraisemblance de l'argument avancé, celui qui argumente
accepte le lien argumentatif entre raison et conclusion, mais rejette l‘argument

49 Nous allons voir ci—dessous que dans cette conception l’argumentation est prŒhe de ce que
0. Ducrot considère comme "persuasion" (1990 b).
24 La représentation critique du discours de I ‘auhr

lui—même. Au contraire, dans le cas où la contre-argumentation conteste la


pertinence de l'argument, elle lui accorde donc crédit, mais n‘accepte pas le
lien entre cet argument et la conclusion que l‘argumentation prétend appuyer.
° lorsque c'est la conclusion qui est directement démentie par la contre—
argumentafion, cette dernière peut porter sur la "complétude" (Brandt, 1990,
p. 85) des raisons inv0quées ou sur leur "orientation arggmentative“ (ibid.). En
complétant les arguments par d‘autres orientés vers une conclusion opposée,
la vérité de la conclusion est directement mise en cause. Mais ce type de
contre—argumentation ne peut réussir que si les arguments avancés sont
considérés comme plus forts que les premiers, c‘est—à-dire s‘ils annulent les
premiers. Le deuxième type de contre-argumentation disqualifiant la con
clusion utilise les raisons invoquées initialement par l'interlocuteur pour les
interpréter de façon opposée. Il porte donc sur "l‘orientation argumentafive"
de l'argument, (l'adverbe justement, souvent utilisé de cette manière—là, est un
inverseur argumentatif bien connu; cf. Bruxelles et al., 1982).

A côté de ces quatre façons de confie—argumenter, l‘argumentation négative


peut être effectuée encore de deux manières différentes (qui n’appartiennent donc
pas à la contre-argumentation) : une telle argumentation négative renvoie au con—
texte ou aux conditions de production du discours argumentafif.
D'une part, “prétendre qu'il y a malentendu sur tel ou tel objet discursif peut
être un moyen de mettre en question l'argumentation par rapport à la finalité de
cette argumentation“ (Brandt, 1990, p. 35).
D'autre part, ce que Brandt appelle la "mise en cause" peut être un autre moyen
d'argumentation négative : "la mise en cause renvoie à certaines caractéristiques de
la communication verbale en contestant par exemple à autrui le droit de parler de
telle ou telle manière, ou en prétextant qu‘il est déplacé d‘aborder tel sujet de con—
versation dans tel ou tel contexte“ (ibid., p. 86).
Ainsi, on peut donc répertorier six types d'argumentation négative dont quatre
permettent de confie—argumenter à proprement parler. Nous allons illustrer ces
catégories par les exemples qu‘en donne Brandt :
- Vous ne pouvez pas prendre vos vacances maintenant parce que Monsieur X les prend aussi
maintenant.
Contre-argumentation, disqualifiant la raison invoquée :
- vraisemblance (de la raison)
- (Ce n'est pas vrai) Monsieur X (m‘a dit qu'il) ne prend pas ses vacances maintenant.
° pertinence (de la raison) _
- (Ça n‘a rien à mir), on ne peut pas m'empêciær de prendre mes vacanœs à cause de ça.
Contre-argumentation, disqualifiant la conclusion :
- complétude (insuffisance de l'argument pour cette conclusion, l‘argument
pour la conclusion opposée est plus fort)
Chapitre 1 L‘autre dans le discours oppositÿ‘... 25

- j'ai un certificat médical qui dit que je dois prendre mes vacances maintenant.
- orientation argumentative (l‘argument est valable, mais pour une conclusion
opposée)
- (Justement), c'est pour cela que je peux prendre [qu'il est préférable que je prenne) mes
vacances maintenant.
Argumentation négative autre :
- malentendu
— (je crois qu'on ne s‘est pas bien compris), je ne parlais pas des vacances de Monsieur X, mais
de mes vacances.
ou encore

- je ne vous parlais pas de mes vacances, mais de vos vacances.


- mise en cause
-(pour qui tous prenez-vous ?), j'aborderai cette question directement «une le chef du
personnel.
Ce dernier cas nous intéresse tout particulièrement, car, comme l‘affirment
D. Apothéloz et al., la mise en cause consiste souvent "à déplacer le propos du
débat de l'objet à la personne" (1992, p. 103), stratégie fondée, selon les auteurs, sur
ce qu‘ils considèrent connue "maxime“ : Quand on ne peut pas (ou quand on ne veut
pas) attaquer l'argumentation, on peut toujours attaquer la personne qui argumente“
(ibid.).
1.2.2. Les échanges opposififs
Nous avons déjà mentionné le fait que c‘est l‘image non—conforme qui souligne
qu‘il y a image et donc représentation du discours de l'autre.
L'objet de cette représentation peut être l'énoncé, l'énonciation, mais aussi
l'interlocuteur lui—même en tant qu’il apparaît dans sa parole. Une de nos hypo—
thèses est que l‘échange devient d'autant plus conflictuel -si l'on veut admettre
qu'il y a une gradualité de la conflictualité - que ses protagonistes sont intégrés
dans cette représentation. Dans le cadre de cette hypothèse, les différentes fennes
d‘échange agonal50 peuvent être situées sur un axe allant de la controverse à la
scène de ménage, selon la place qui est attribuée aux interlocuteurs dans leur con
frontation, et ce concernant non seulement les sujets abordés, mais aussi l'image de
l‘autre en tant qu‘en—locuteur représenté et souvent mis en doute dans sa compé
tence langagière.

5“ Nous parlons d“'interacfion verbale agonale" (du grec agôn, combat) suite à E. Roulet (1989) qui
a, lui—même, emprunté ce terme à d‘autres (cf. ibid., p. 17, note (1)). Pour une définition de
"l‘échange agonat", voir Roulet, ibid., p. 7. Voir aussi Arafijo Carreira, 1993, qui reprend la notion
de "jeu agonal" de André—Larochebouvy.
26 La représentation critique du discours de l‘autre

Parlant de la polémique, la controverse et la scène de ménage, trois formes


d'interaction verbale agonale, E. Roulet (1989) remarque : “dans les trois Cas, il
s‘agit de discours de nature dialogique, réfutative et argumentafive, fortement
marqués du point de vue ênonciaüf" (Roulet, 1989, p, 9). Dans ce qui suit, nous
allons tenter de caractériser ces trois types de discours de manière très rapide.

a) la controverse
Dans son étude sur ce type d‘échange, Rouler oppose la controverse à la polé
mique et à la scène de ménage. La controverse se distingue de la polémique princi
palement par son côté “réglé" et "serein" : elle "semble être une espèce de polé—
mique lénifi " (Roulet, 1989, p.8). La controverse viserait moins à discréditer
l'interlocuteur que les deux autres types d'échanges : "La controverse se distingue
des deux précédentes par la mesure, la sérénité, qui impliquent l‘emploi de termes
axiologiques modérés, par une visée de véracité et de persuasion qui exige une
argumentation rigoureuse et honnête, ainsi que par l‘absence de connotations néga
tives; elle peut se développer indifféremment sous une forme orale ou écrite. Elle
se distingue de la scène et se rapproche de la polémique par l'absence de liens per—
sonnels étroits et d'enjeu existentiel, par la maîtrise verbale, par la durée et par sa
dimension le plus souvent publique“ (ibid., p. 9).

b) la scène de ménage
Selon E. Roulet, la scène de ménage “ne jouit... pas du statut conceptuel de la
controverse ou de la polémique" (ibid., p. 8). Il remarque que la scène de ménage, à
la différence de la controverse, se place comme la polémique dans "un contexte
passionnel“, se caractérise par une "forte intensité axiologique péjorante, voire
infamante, et une visée disqualifiante, qui favorise le recours à une argumentation
se fondant sur l’exagération et les contre—vérités" (ibid., p. 9). Elle se différencie de
la polémique par son caractère oral et privé, par la perte de maîtrise Verbale, par le
lien personnel étroit entre les interlocuteurs, et par l'enjeu existentiel et la brièveté.
F. Flahault (1987) résume ses enquêtes sur la scène de ménage de la façon sui—
vante : '
"En gros, mes différents interlocuteurs voient dans la scène une intensité fatale de la
parole. Fatale parce que les deux protagonistes, en se heurtant l‘un à l‘autre, se
heurtent en fait à ce qui les [le et à ce que les liens font d'eux.
Fatale, aussi, parce que là même où chacun souhaite au plus haut point que ses
paroles parviennent à changer quelque chose, il constate, l‘échec, l'impuissance, voire
la déchéance" (p. 32).
Alors que la scène de ménage se situe au pôle extrême de notre axe qui relie ces
formes d'échange en fonction du rôle qu'y tiennent leurs protagonistes, la polé—
mique serait à représenter comme se trouvant dans une situation intermédiaire.
Les interlocuteurs n‘y constituent pas le thème principal, mais peuvent tout de
même être intégrés progressivement dans ses enjeux et être mis en question de di—
verses manières.
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposth .. 27

c) La polémique
Au départ, utilisé uniquement pour désigner des échanges écrits portant sur
des questions théologiques, l‘usage de ce lexème s'est déplacé avant tout dans le
domaine politique. .
Le terme polémique venant du grec polemikos, relatif à la guerre, la polémique
serait d‘après C. Kerbrat—Orecchioni une "guerre verbale“ (1980 a, p. 5). Ce qui
caractérise le discours polémique, toujours d'après cet auteur, c‘est sa qualité de
“contre-discours", et par conséquent son caractère fondamentalement "dialogique"
(ibid., pp. 8—9). Il nécessite une certaine “communauté des systèmes de valeurs"
(ibid., p. 10), un terrain d‘entente minimale pouvant constituer le rchamp de ba—
taille‘.
Le but du discours polémique est de contester le discours de l'autre : "tous les
énoncés polémiques sont foncièrement réfutatifs (c'est-à-dire qu'ils se focalisent sur
le discours adverse, et sa dénégation..." (ibid. , p. 11).
Une des questions posées par l'auteur est celle de savoir si, au travers du
discours, l'énoncé polémique vise aussi la personne auteur du discours cible. Ceci
semble être le cas, puisque, comme le souligne C. Kerbrat—Orecchi0ni, "la polé—
mique s'inscrit dans un contexte de violence et passion" (ibid., p. 12).
La cible du discours polémique peut être un discours attribué ou non à un
locuteur. Dans ce dernier cas, ce locuteur peut être le destinataire explicite, être
inclus dans le groupe des destinataires ou en être explicitement exclu (cf. ibid.,
p. 28).
Aux frontières extrêmes du discours polémique, l‘auteur situe l’injure. Tolérée
de façon limitée, l'injure peut être l‘élément déclenchant l'échange polémique, mais
peut aussi mener à la rupture du dialogue.
Plusieurs lieux communs semblent être attachés au discours polémique : d‘une
part, on reconnaît aux polémiqueurs une certaine habileté, le don de la polémique,
d‘autre part, elle doit être spontanée et engagée. Globalement, il semblerait que le
discours polémique ait plutôt mauvaise réputation : autant on accuse les autres
d'entretenir la polémique, autant on s'en défend soi—même.
D'autres auteurs remarquent aussi que le discours polémique se focalise surtout
sur le discours autre ou la personne qui en est l‘auteur : "polémiquer veut dire
situer l'autre autrement qu‘il ne le ferait lui—même, articuler une représentation de
l'autre différente de celle qu'il se donne lui—même et que le destinateur sait qu'il se
donne" (RA. Brandt, 1980, p. 121).
M. Le Guern décrit l'intégration du disc0urs de l‘autre dans le discours
polémique comme une sorte de traduction, parlant des "fonctions de "conversion“
qui rendent compte des mécanismes qui permettent d'opérer le transcodage d'un
énoncé de D2 en D1 [Discours 2 en Discours 1] et celui d’un énoncé de D] en D2 : il
s'agit de pouvoir intégrer à son propre discours, dans ses propres catégories séman—
28 la représentation critique du discours de l'autre

tiques, le discours adverse“ (1980, p. 55). Ainsi la notion de <modératîon> évoquée


par le premier locuteur peut devenir de la <faiblesse> dans la bouche du second. Il
se fonde dans son analyse sur le modèle établi par Maingueneau (1979).
Pour D. Maingueneau, "la relation polémique" (1987, p. 89) est issue de ce qu'il
appelle "l'interdiscursivité" (ibid., p. 87). Il distingue le "discours agent" (ibid.,
p. 90) du "discours patient" (ibid.) pour parler de cette même opération de
traduction. Ainsi, dans un échange a deux tours de parole, le premier sera repris et
traduit, c'est—à-dire intégré de manière interprétative dans le second, le discours
agent. Ce discours agent deviendra ensuite, à son tour, discours patient dans le
tour de parole suivant. "Il n‘y a donc pas de polémique « en soi », que l'on pourrait
abstraire des discours concernés : d'un même mouvement, le discours construit son
identité et sa relati0n aux discours qui lui permettent de le faire" (ibid.).
A l‘issue de ce bref aperçu, on remarque que si sur certains aspects, polémique
et controverse se distinguent clairement de la scène de ménage (et notamment
relativement à ce que l'on peut appeler avec R. Vion le "cadre interacfif'äï), la
polémique peut être tout de même rapprochée de la scène de ménage en ce qui
concerne la visée commune aux deux types d'interactions : il s'agit avant tout de
disqualifier l'interlocuteur plutôt que de le persuader du point de vue antagoniste,
comme c'est le cas dans la controverse. Pour ces mêmes raisons, nous retenons tout
particulièrement le dernier des moyens recensés ci-dessus comme stratégies néga
tives, à savoir la ‘mise en cause'.
Les exemples de formes d'échanges que nous venons de présenter constituent
des catégories en apparence figées, comme toute catégorie. Les divers modes
interlocutifs que créent les interlocuteurs dans la pratique discursive ne peuvent y
correspondre qu‘approximafivement. Globalement, on ne peut que s'associer au
constat de C. Kerbrat—Orecchioni :
"Tout dialogue est à la fois coopératif et conflictuel, ces deux propriétés pouvant être
dosées de façon extrêmement variable selon les dialoguesoccurrences" (1986, p. 24)52_

Nous venons de survoler un petit échantillon d'approches qui envisagent


l'ordre de l‘oppositif et du conflictuel d'une manière ou d'une autre. Auparavant,
en 1.1.3., nous avons présenté certains formes de représentations oppositives du
discours de l'autre. Notre but n'était pas d'établir une typologie des moyens
discursifs d'opposition, mais de montrer à travers le cadre que constituent les
travaux concernant ce domaine, les types de problématiques que l‘on associe
spontanément à l‘idée d‘opposition au discours de l'autre.
Nous allons tenter de voir comment est envisagé l'ordre de l’opposin dans la

51 Vion, 1992, p. 109.


52 Voir aussi Kerbrat—Orecchioni, 1992, pp. 141-155.
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposr’ttf.. 29

relation interpersonnelle qui fonde tout échange verbal (1.2.3,), pour ensuite
aborder le domaine que nous avons choisi pour observer certains faits d'opposition,
à savoir le questionnement (1.3.).
1.2.3. De la politesse dans l’opposifif
De nombreuses études, notamment celles issues de l‘ethnométhodologie ou
encore de l'analyse conversafionnelle, ont démontré que la réaction négative
requiert normalement plus de précautions et ‘mesures - donc paroles -
d'accompagæment' que celle qui est cooflentée avec le discours de l'interlocuteur.
Ainsi, sa structure est la plupart du temps plus complexe : le locuteur introduit son
point de vue oppositif par une prise en compte partielle de celui de l'interlocuteur
(configuration de type concessif) ou par .des “pré-séquences"53 (entre autres,
Levinson, 1983, p.345 et sq.) et le fait suivre d’une justification. Lors d'une étude
antérieure concernant des dialogues de consultation54 nous avons nous—même
obtenu des résultats semblables: toute réaction comprenant un point de vue
opposé à celui exprimé dans le discours précédant était soit introduit par un
élément valorisant la proposition du premier locuteur, soit formulée de manière
indirecte.
Ce phénomène serait dû aux besoins de ce que l‘on décrit comme ménagement
des faces. Généralement, on distingue face positive et face négative. E. Goffman qui
est à l‘origine de la notion de face” donne l’exemple suivant: "une question
indiscrète peut être l‘équivalent d‘une visite inopportune: invasion de territoire
dans les deux cas" (1981/ 1987, p. 44). La face négative concerne "l'intégrité de son
territoire" (Roulet & al., p. 12), la face positive est comidérée comme "l'image qu'on
donne de soi" (ibid.). En effet, un certain nombre d'actions verbales peuvent
constituer une menace pour l'interlocuteur, en ce sens qu'elles sont susceptibles de
mettre en doute ses qualités (face positive) ou de restreindre sa liberté. Ces
dernières 'mettent en danger' sa face négative“.
Or, "les principales ressources offertes par la langue“57 pour s'opposer à l'inter

u
53"pre-sequences aussi en anglais. 8. Levinson leur consacre tout un sous—chapitre (1983,
pp. 345-363).
5“ Sauerwein, 1990.
55 Comme le rappelle M.H. Araùjo Carreira à propos du modèle concernant la politesse
développé par Brown et Levinson qui s'en inspirent, la théorie des faces est issue de "Goan
{1973, 1974), qui insiste sur la protection du «territoire du moi» et de la distinction établie par
Durkheim entre «rites négatifs» et «rites positifs» (1997, p. 26). Cf. aussi H. Weinrich, 1986, p. 9.
56].—C. Ansmmbre fait remarquer que ce principe général des deux faces et de leur préservation
"n'est pas de nature linguistique, mais psychologique" (1994, p. 16). Nous en convenons
absolument, mais il nous semble qu'il est à l‘origine de certains choix linguistiques des sujets
parlants.
57 Nous empruntons cette formulation à M.H. Araûjo Carreira, 1997, p. 134.
30 La représentation critique du discours de l‘au tre

locuteur ont justement en commun ce caractère potentiellement menaçant pour la


face positive“. Le locuteur opposant peut en tenir compte à des degrés très varia
bles et y intégrer des moyens divers d‘atténuation”.
Dans son étude consacrée en grande partie à la régulation de la distance dans
l'interaction verbale, M.H. Araûjo Carreira montre que l'atténuation constitue un
des pôles principaux de la politesse linguistique (cf. 1997, p. 148). Elle remarque :
"il y a des formes de politesse immédiatement disponibles, telles que les formes
courantes d'excuse, de remerciement, de salutation, mais on ne saurait réduire la
politesse linguistique à ce genre de formes plus ou moins figées" (ibid., p. 132).
Suite à l'étude de divers phénomènes, comme notamment les formes d'adresse en
portugais, l‘auteur confirme les résultats auxquels aboth H. Weinrich concernant
l‘allemand et que ce dernier formule de la manière suivante: "Lorsque de deux
formes d‘expression qui se présentent au choix dans une situation, l'une présente
des contours nets et l'autre des cmtours faibles, c'est toujours celle qui est
faiblement délimitée/ contoumée qui sera considérée comme la plus polie"60
(Weinrich, 1986, cité par Araûjo Carreira, p. 184)“.
Selon H. Weinrich, Goethe appelait déjà la politesse, "la manière indirecte"fiz
(Goethe 1827, cité par We'mrich, 1986, p. 13) pour constater que "nous, les alle—
mands, ne sommes pas encore allés bien loin dans l'indirect“ô3 (ibid.). Divers
travaux des dernières décennies ont confirmé ce lien entre l‘indirection“ et les
phénomènes de politesse linguistique. Plus les contours d’une forme linguistique
sont flous, plus elle va être ressentie comme polie ou respectueuse.
Ainsi, M. Haase remarque que "l'accroissement de la politesse va parfois de pair

53 Le niveau d'intensité de la menace dépend aussi de facteurs culturels. C. Kerbrat-Orecchiom‘


remarque que la tolérance envers "la communication conflictuelle" (1997, p. 158) varie d'une
société à l‘autre. Elle oppose l'exemple de la Chine et du Japon où "le «non» est quasiment tabou"
(ibid.) à celui de la société israélienne où "le désaccord est. .non seulement admis, mais
généralement prisé“ (ibid.). Voir ans.si Kerbra:—Orecchioni, 1994, pp. 82—88.
59Le degré de ménagement de l‘autre peut aussi être fortement réduit. C. Plaan décrit "la
réfutation sophisfique" (1990, p. 99) comme un exemple allant dans ce sens : "Ce qui se joue dans
une réfutation æphisfique, c‘est au niveau le plus apparent, les faces des participants; réfuter
quelqu'un, c‘est d'abord lui faire perdre la face. avec tous les jeux de pouvoirs et de séduction qui
s'en suivent. C'est la personne en tant que sujet parlant qui est réfutée"(ibid).
“0 "Wenn von ZWei Ausdmcksf0rmen, die in einer Situation au Wahl stehen, die e'me scharf und
die andere schwach konturiert ist, so gilt immer die schwach konturierte Form ais die hôflichere"
(Weinrich, 1986, p. 16). Nous remercions tout particulièrement M.H. Araûjo Carreira qui a eu la
gentillesse de nous flammettre ce texte.
6] Cf. aussi Araùjo Carreira, 1995, 1995, 1996, 1998a et b, 1999, ainsi que Dfller, 1980, pp. 70—74 :
elle constate que plus une expression est "figée syntaxiquement" ou "lexicalisée" (p. 74), plus elle
s'approche de l‘acte direct.
53 Nous traduisons : "dia indirekte Weise"/"das Indirekté". ' -
63 Idem : "Wir Deutschen (...) haben es im Indirekten noch nicht sehr weit gebrac‘nt“ (9.7.1827).
"4 Voir Araüjo Carreira, 1997, p. 133 pour ce terme correspondant à l‘anglais "indirectness".
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposih’f. .. 3]

avec une neutralisation d'indices sémantiques et en conséquence avec la dimi


nution de l‘urfivocité et la clarté” (1994, p. 95). En parlant d'actes menaçants pour la
face (“Face 'I'iueatening Acta“, FTA), suite à Brown et Levinson (1978), il poursuit :
"si plusieurs possibilités d'interprétation restent ouvertes, le FTA est moins mena
çant pour la face, car le locuteur ne s‘est pas fixé sur une signification. Il concède à
l’interlocuteur de par la possibilité de diverses interprétations une certaine liberté
d‘action et correspond ainsi aux besoins de face négative de ce dernier." ‘15 (Haase,
ibid.).
Ce mécanisme d'exploitation de l‘ambiguïté, dans un but de sauvegarde de la
relation interpersonnelle entre interlocuteurs, apparaît dans les domaines les plus
divers. Si H. Weinrich s‘élève contre une conception réductrice qui ramènerait
l'échange verbal uniquement a "un échange d'informations sur tel ou tel état de
choses qui pourrait être inscrit dans une table de vérité comme vrai ou faux“66
(1986, p. 10), c‘est—à—dire un "système [dans lequel] il n'y a effectivement pas de
place pour de la politesse"57 (ibid.), c'est pour insister sur le fait que "la politesse fait
partie de la normalité de la relation verbale et il n'y a pas » sauf dans des langues
de spécialité - d‘espace d‘interlocution exempt de politesse” (ibid.). En effet, même
dans les dialogues simulant l'interaction homme—machine, nous avons constaté que
certaines remarques potentiellement menaçantes pour la face positive de
l‘interlocuteur sont exprimées de manière à ce que l'interlocuteur puisse aussi bien
les accepter en les reconnaissant comme telles, qu'y répondre de manière à effacer
toute trace de menace virtuelle. Certaines interrogations sont notamment à
interpréter de cette manière.
Ainsi, les tours de parole comprenant une évaluation négative constituent
normalement des configurations assez complexes, excepté les cas où l'évaluation
est exprimée sous fonneinterrogafive. L‘évaluation négative peut alors constituer à
elle seule le tour de parole, parce qu‘elle est hautement indirecte et donc moins
menaçante pour la face positive de l‘interlocuteur: le destinataire peut toujours
répondre par une explication satisfaisante et ainsi, rétroactivement, lui rendre sa
valeur d'interrogation. Ce n‘est qu'en cas d'acceptation qu‘elle acquiert pleinement
son caractère d‘évaluation négative“.

"5 Nous traduisons: “Bleiben mehrere Interpretafiommügfichkeiten offen, ist der FTA wem’ger
gesichtsbedrohend; demi der Sprecher hat sich nicht auf eine Bedeutung festgelegt. Er gewährt
dem Gesprächspartner durch die Müglichkeit verschiedener Interpretah‘orteü eine gewisse
Handlungsfreüæit und entspricht also dessen negafivem Gesichtsbed‘ürfiüs".
“5 Nous traduisons : "einem Austausch von Nachrichten über diesen oder jenen Sachverhalt, der
auf einer Wahrheitstafel ais richtig oder falsch eingetragen werden kann".
67 Idem : "ist allerdings in diesem System für Häflichkeit kein Platz".
53 Idem : "Hüflichkeit gehärt zur Normalität sprachlichen Umgangs, und es gibt - aufier in
Fachsprachen - keinen hôflichkeitsfieîæm Gesprächsraum".
59 cf. Sauerwein, 1990, pp. 26—30.
32 La représentation critique du discours de l‘autre

Un certain nombre de réactions sous forme interrogative seraient donc à ranger


parmi les expressions langagières dont l'indirection est utilisée à des fins de
ménagement de face”. Elles correspondent pleinement à ce que R. Vion décrit
comme "éléments qu'on construit prudemment et dont on attend, en fonction de la
réponse adverse, un accusé de réception bienveillant avant de mieux les expliciter"
(1992, p. 231). En effet, tout refus éventuel de la part de A d‘un commentaire trop
directement négatif à son égard par B constitue à son tour une menace pour le locu
teur B qui en est responsable
Remarque: Nous venons d'indiquer que l‘interrogativité sert de par son
indirection à ménager la face de l'autre. Il nous semble nécessaire d'expliciter
les valeurs variables de l'interrogation dans ses effets sur l'interlocuteur.
Premièrement, nous avons rappelé ci-dessus que le questionnement peut être
assimilé à une violation du territoire de l'interlocuteur et menacer donc sa face
négative. En effet, celui qui interroge se présente comme étant dans le droit de
le faire et contrôle, par le caractère initiatif de son dire, le déroulement de
l'échange”. Deuxièmement, ce qui constitue pour nous le trait essentiel de
l'interrogation, la demande ou même obligation de réponse (cf. ci-dessous,
2.3.), est de toute évidence à interpréter comme menace, ce dont témoignent
les nombreux procédés d‘atténuation qui accompagnent le plus souvent le
questionnement. Or, nous venons de présenter le questionnement comme
moyen d'indirection entraînant à son tour un effet d‘atténuation, ce qui peut
sembler à première vue contradictoire.
En fait, il faut distinguer l'expression oppositive — orientée négativement par
rapport au discours de l'interlocuteur et donc menaçante pour sa face posi
tive - des énonciations ayant plus d'incidence sur la face négative de ce der—
nier. L'aspect d'indirection de l'expression sous forme interrogative ressort en
relation à un dire à tonalité négative et entraîne, dans ce cas, un effet de
ménagement de la face pœifive de l'interlocuteur.
A la suite de ces observations, une de nos hypothèses est que ce que l'on peut
considérer comme système de la politesse joue un rôle important dans tout ce qui
relève de l'opposition et du conflictuel et notamment sous les multiples formes
linguistiques fondées d'une manière ou d‘une autre sur l'indirecdon. Par consé—
quent, nous envisageons la structure interrogative comme renfermant un potentiel

7" N. Femandez Bravo envisage notamment la question rhétorique dans une telle perspective,
alliant l'idée d‘indirection à celles de politesse et de consensus (cf. 1995 a, pp. 419—420). Elle
considère l'occurrence de la question rhétorique de la manière suivante : "je pars du principe que
les questions rhétoriques ont leur place la où l'assertion correspondante dérangerait d'une
manière ou d’une autre le discours coopératif“ ("Ich gehe davon ans, daB rhetorische Fragen dort
am Platz sind, wo die entsprechencle Aussage irgendwie den kooperativen Diskurs stôren
würde"; p. 411). Voir aussi Femandez Bravo, 1994 et 1999.
71 Cf. Kerbrat—Orecchioni, 1987, p. 340.
Chapitre 1 L'autre dans le discours appositrf... 33

privilégié pour l'usage opposin en raison de son caractère d’indirecüon (du à


l'interrogativité, notion—clef qui reste à définir ci—dessous, cf. 2.3)?2 '

Au terme de cette excursion dans le domaine oppositif, nous allons nous


pencher maintenant sur ce que nous avons relevé comme un m0yen tactique
possible, à savoir le questionnement, étant donné que, comme le constate
O. Ducrot, "on a bien fréquemment besoin, à la fois de dire certaines choses, et de
pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites" (1972, p. 5).

1.3. Le questionnement

1.3.1. L'interrogation
Etant donné que la notion d‘interrogation concerne un domaine particulière
ment vaste, nous essayerons de saisir quelques unes des perspectives et approches
qui en traitent. Cependant, comme le fait remarquer R. Martin, non seulement les
signifiants sont d’une “extrême variété" (1984, p. 257), mais "la difficulté vient
surtout de la multiplicité des liens qui unissent l'interrogation à des faits connexes :
la modalité, l‘hypothèse, l‘exclamafion, la négation, le discours indirect, les
indéfinis, les relatifs, voire les conjonctions de subordination ne sont pas sans
rapport a la sémantique des questions. .. Aussi, l'interrogation apparaît—elle comme
une notion métalinguistîque et du fait même tributaire du modèle qui en traite“
(ibid., pp. 257—258).
Généralement, on oppose l‘interrogation totale ou globale à l‘interrogation
partielle”. L'interrogation totale est habituellement décrite comme demandant une
réponse en oui ou non, confirmant ou infirmant globalement ce que l'on peut
considérer comme le préalable de la question. L'interrogation partielle est carac
térisée par le fait que le questionnement ne porte que sur un constituant précis, un
élément manquant. Dans l'interrogafive, cet élément est en quelque sorte anticipé
par 1‘interrogafif“. En demandant Qui viendra ? le locuteur présuppose qu'il y aura

710m pourrait formuler une autre hypothèse, plus intuitive, fondée sur les différents types
d'interactions conflictuelles considérées : nous pemons que ce que l'on peut observer de manière
informelle comme plus ou moins grande intensité conflictuelle - nous avons parlé ci—dessus (cf.
1.2.2.) de <gradualité de la conflictualité> - est directement lié au degré d’indirection : l'art de
l'indirection très élaborée permet de garder les apparences consensuelles, alors que la violence du
conflit se mesure au niveau d'absence de l'indirecfion et de la politesse en général atteint.
73 On trouve aussi les terminologies suivantes "questions—ON” et “questions—x” (cf. Parret, 1979,
p. 92), "questions proposifionnefles" et “questions catégorielles" (cf. Apostel, 1981, p. 30; Meyer,
trad. de Hinfikka, 1981, p. 59), ainsi que le terme "question polaire“ (Jacques, 1981, p. 76) pour la
question totale.
74 Nous allons désormais, à l‘instar de C. Cortès et H. Szabo, parler simplement d"‘interrogah‘f”
(1984, p. 134) à la place de ce que les grammaires appellent pronom, adverbe ou adjectif
interrogatif.
34 La représentation critique du discours de l‘autre

un substitut pour qui, en l'occurrence que quelqu'un viendra”.


Cependant, l'interrogation totale aussi peut porter sur l'un des termes de la
phrase. Dans ce cas, "le clivage explicite cette incidence sur un mot (Si je suis crimi
nelle par une pareille fausseté, est-ce vous qui devez me condamner ?)" (N. Le Querler,
1993, p. 22).
On peut joindre à cette distinction binaire un troisième type, l‘interrogation
alternative ou disjonctive”.
En dehors de ces catégories syntaxico—sémanfiques, de nombreux types d'inter
rogations peuvent être énumérées dans une perspective sémanfico—pragmafique : la
'question d'examen', la "question—echo" et la "question refonnulée" (Jacques, 1981)
ou encore la "question gnoséoiogîque“ (Comad, 1978). Sans vouloir discuter les
critères très divers et la pertinence de telles typologies, nous tenons à faire remar—
quer que ces questions sont - au moire implicitement - identifiées et définies en
raison de leur dévianœ, à des degrés variables, par rapport à ce qui est considéré
traditionnellement comme la question par excellence, seule question authentique :
la "question de renseignement" (Fernandez Bravo, 1990 et 1993), la "question épis—
témique" (Todt & Radefeldt, 1981), ou "demande d'information", en somme, la
"vraie question"”.
A.—M. Diller remarque :
"le concept de vraie question peut être appréhendé au moins de deux façons. Dans
une perspective sémantique, il peut être défini par rapport à la notion de rhétoricité.
Dans une perspective pragmatique, il peut être mis en relation avec les conditions de
félicité de l‘acte illocutoire de question“ (1980, p. 108 73.
Nous reviendrons plus loin sur la question de la rhétoricité, qui constitue en
effet une problématique importante pour notre étude. Pour ce qui est du traitement
en termes d'acte illocutoire, la question s‘est trouvée pendant longtemps au centre
du débat linguistique, dont nous voudrions donner un bref aperçu”.

75 Cf. Calas, 1996, p. 12.


7" Cf. Comulier, 1982, Grésillon & Lebrave, 1984, p. 73 et Hobbs & Robinson, 1979, p. 313.
77 Certains contestent cette notion, entre autres, Meyer, 1981, Ducrot, 1983 et Grésiilon & Lebrave,
1984, d'autres l‘utilisent comme concept de base après redéfinition (et. Jacques, 1981 ou encore
Dilier, 1980).
7“ Searle indique un certain nombre de conditions nécessaires et suffisantes qui doivent être
remplies pour que l'acte ülocutoire de question soit accompli : les conditions de félicité. Pour l'acte
de question, les plus importantes semblent être les deux conditions préliminaires (le locuteur ne
connaît pas la réponse et son interlocuteur n‘est pas susceptible de la lui fournir de lui—même) et
la condition de sincérité (le locuteur désire obtenir cette ùdormafion); cf. Searle, 1972, p. 109).
79Pour une présentation détaillée concernant le traitement de l'interrogation voir, d'une part,
N. Femandez Bravo (1990 ou 1993): la partie introductive de sa thèse d‘Etat, reproduite dans son
livre (1993, pp. 5—30) constitue un historique du domaine général, ainsi que des études spécifiques
concernant l'allemand; d'autre part, on peut consulter Diller, 1980 (repris dans DiJler, 1984) qui, en
Chapitre 1 L‘autre dans le discours appositÿ'... 35

1.3.2. L'acte illocutoire de question


La théorie des actes de langage est, à l'origine, issue des travaux de la
philosophie analytique de l'école d‘0xford. En partant du constat de Ausfin que
l'on peut agir au moyen du langage”, dans et par la parole (“in saying“ et "by
saying“), des domaines considérés comme extérieurs à la langue tels que l‘inten—
tionnalité du sujet parlant, ou encore les effets de sa parole sur celui à qui elle est
adressée, ont été mis en relation avec l'activité de parole elle—même.
la distinction fondamentale, introduite par Austin, entre actes illocutoires et
actes perlocutoires a pour effet de reconnaître comme constitutive du sens des
énoncés l’allusion à leur propre énonciation : en effet, si l'on peut obtenir des effets
perlocutoiœs, sans faire savoir que l'on effectue un acte en vue d‘un tel résultat
(p. ex. consoler quelqu‘un), il est impossible d’effectuer un acte illocutoire de
manière dissimulée, c‘est—à-dire sans le présenter comme tel. L'acte illocutoire ne se
produit que dans la mesure où il se déclare: "l'accomplissement d'un acte illocu
fionnaire‘“. .. contient nécessairement une qualification de l'énonciation. Donner un
ordre, c'est d'une part prétendre que le destinataire est obligé d‘effectuer une cer
taine action, et, d'autre part, prétendre qu'il y est obligé à la suite de l'énonciation
véhiculant cet ordre“ (Ducrot, 1980 b, p. 658).
La notion d’illocutoire a donné lieu aux développements de la thèse des “Speech
acts“ (Searle, 1969). Parmi les différentes catégories d‘actes établis, un sujet qui
prête a discussion est celui de savoir s'il faut considérer la question comme consti—
tuant une catégorie à part entière ou si elle n‘est qu'un type particulier des directifs.
Contrairement à Austin, Searle défend cette position : “Les questions sont une sous
catégorie de directifs, puisqu‘elles sont des tentatives de la part de L de faire
répondre A, c'est—à-dire de lui faire accomplir un acte de langage" (1979/ 1982,
p. 53). Il y aurait donc des demandes de dire comme cas particuliers de demandes
de faire.
Or, le passage d'une (sous—)catégorie à l‘autre, l'utilisation de structures interro—
gatives - au niveau phrastique - pour des demandes d’un faire non verbal est plus
difficilement explicable dans ce cadre théorique.
Alors que le concept d‘acte de langage se prête relativement bien à décrire l‘acte
de ‘poser une question', l'accomplissement d‘autres types d'actes au moyen du
même type de structures, la problématique des actes indirects, et fait l‘objet de nom
breux travaux et de propositions les plus diverses. Ainsi, l‘exemple suivant sera

outre permet de saisir très précisément la problématique des actes indirects et de la dérivation
illocutoire. Cf. Borillo, 1978, pour une approche plutôt syntaxique et sémantique.
3“ Austin, 1962/1970; cf. Ducrot, 1995 b, p. 207—209.
31 Ici O. Ducrot utilise le terme directement issu de la traduction d‘Austin. Ailleurs, à la même
époque, lui-même utilise celui que nous maintenons dans notre présentation en dehors de la
citation, cf. Ducrot, 1980 c.
36 in représentation critique du discours de l‘aube

ambigu en dehors d‘un contexte très précis indiquant l‘intention du locuteur :


- Pouvez—mas remuer les doigts ? (Anscombre, 1980, p. 75)
Or, prononcé par un médecin s‘adressant à un malade, il peut s'agir aussi bien
d'une question appelant une réponse sur sa capacité physique, que d'une demande
de le faire, afin que le médecin puisse lui même constater le degré d'agilité des
doigts du patient. D‘autres questions, de même type, ne sont que dans certains
contextes ambigus. L‘exemple suivant, fréquemment cité (ibid., p. 74; Ducrot, 1984,
p. 226), deviendra susceptible de deux lectures, si l‘énonciation survient après une
grève de trois jours de la CG. T. du livre empêchant la distribution des journaux :
- Avez—vous LE MONDE ?
En temps normal, le client qui doute réellement - par exemple, en raison de
l'heure précoce à laquelle il se présente chez son marchand — marquera son interro
gation comme telle :
- Avez-vous déjà LE MONDE ?
la question de l'interprétation de ces phénomènes appelés par certains auteurs
les "whimperafives" (entre autres, Sadock, 197082 et 1974) a été abordée dans des
approches variées.
Certaines tentatives se situent dans la lignée d'une théorie de l'interrogation
issue de la grammaire générafive. En effet, une manière de présenter l'interrogation
est l'hypothèse de ].Katz et P. Postal (1964) qui postulent la présence d'un
morphème abstrait, "un opérateur de question Q, accompagné d'un morphème
adverbial Wh (wether) pour la question totale ramenée ainsi à l'interrogation
disjoncfive“ (N. Femandez Bravo, 1993, p. 11). Ce morphème rend compte de la
demande de réponse”.
L‘hypothèse de cet opérateur combiné à la notion de verbe performafif de
Austin pourraient être à l'origine de ce que J.R. R055 (1970) propose comme
hypothèse perfonnafive abstraite :
"tout énoncé confient dans sa structure profonde et en position de syntang
dominant, une sousstructure analogue à celle qui engendre les expressions
perfomm’dves explicites" (Anscombre, 1980, p. 76)“.
Par la suite, les extensions de cette hypothèse élaborées par J.M. Sadock (1974)
constituent une tentative d'intégrer, entre autres, les actes indirects comme les
whimperafives ou les queclarafives“. Un certain nombre de problèmes se posent
dans la mesure où l’hypothèse performafive repose sur l'idée qu'il y a un verbe
performatif par structure profonde, alors que pour rendre compte de ce type

32 Selon A.-M. Dfller ce terme est dû à Sadock, 1970; cf. Billet, 1980, p. 31.
33 Pour une critique de cette approche, voir Femandez Bravo, 1993, p. 12.
8‘ Pour une critique très détaillée voir Grewendorf, 1972, tout particulièrement pp. 144—174.
35 Actes indirects à structure interrogafiva proches d‘une assertion; nous y reviendrons.
Chapitre 1 L'autre dans le discours opposr'tif... 37

d’actes l'auteur est obligé d‘en introduire plusieurs”.


Un autre développement issu de la théorie des actes de langage est celui de
D. Gordon et R. Lakoff (1971/1973). Leur approche est manifestement conversa
lionnaliste. A partir du contenu propositionnel de l'énoncé et de sa force illocutoire
directe, ils établissent des postulats de conversation fondés sur les conditions de
sincérité de l‘acte dérivé. Ainsi, un sens impliqué conversafionnellement (acte
communiqué) peut se substituer à celui correspondant à l'acte direct (littéral).
Proches des maximes conversafionnelles de Grice, ces postulats semblent fournir
des résultats inégaux. Un problème signalé aussi par Sadock (1974, p. 103) est le
fait que, étant fondés sur des entités sémantiques et non pas lexicales, ces postulats
ne permettent pas de distinguer les "forme[sl Iexicale[s] ...convenfiomalisée[s]
linguistiquement“ (Dilier, 1980, p. 38). Ainsi, ils ne différencient pas :
a- Pouœz-oous fermer la porte ?
b— Êtes—vous mpable defermer la porte ? (ibid.)
Les questions concernant les actes illocutoires indirects sont envisagées encore
d‘une autre manière par J.-C. Anscombre (1979, 1980, 1981, 1985 b) et O. Ducrot
(1980 c) à travers l‘hypothèse de la délocutivité généralisée, qui opère un rap—
prochement entre délocutifs et performafifs, phénomènes qui témoignent de "la...
tendance à constituer des prédicats à partir dénonciations" (Ducrot, 1980 c, p. 47).
Cette perspective permet notamment d‘expliquer la coexistence de deux sens d'un
même verbe, l'un performatif et l‘autre nomperfonnafif.
Dans cette approche, les marqueurs de dérivation, qui rendent un acte claire—
ment identifiable comme acte indirect, sont considérés comme délocutif d'une loi
de discours, principe conversationnel au départ:
"Ce qui caractérise un marqueur de dérivation illocutoire, c'est d'avoir intégré de
façon conventionnelle une loi de discours, celle qu'il marque. Par ailleurs, un délocutif
généralisé se définit par rapport à un acte qu'il accomplit de façon conventionnelle à
travers une loi de discours qui lui permettait à un stade antérieur, de le réaliser de
façon conversafionnelle" (Anscombre, 1980, p. 118).
Suite a ce survol rapide de quelques unes des solutions proposées relatives aux
problèmes épineux que soulèvent les actes indirects, nous sommes tentée de sous
crire à l'affirmation de N. Fernandez Bravo selon laquelle, "la pragmatique des
Actes de langage achoppe sur le problème des Actes indirects" (1993, p. 7)”. Cepen—
dant, les derniers développements présentés ci—dessus contiennent des possibilités
non négligeables. Nous verrons notamment dans le sous—chapitre 2. la manière
dont ce problème peut être traité en termes de polyphonie.
Pour revenir à notre propos global, il faut s‘interroger sur le rôle de ces actes

3" Cf. Anscombre 1980, p. 76 et séq., Diller, 1980, pp. 40—45 et Grewendorf, 1972, pp. 174-179.
57 Voir aussi à ce propos Fernandez Bravo, 1995 c et 1999.
38 la représentation critique du discours de l'autre

indirects dans la communication. Comme remarque C. Kerbrat-Orecchioni, il s'agit


de "requête[s] indirectels]: l'ordre se déguise en question... laissant en appa
rence le choix à son destinataire, il est de ce fait adouci par rapport à la formulation
directe" (1991 a, p. 25). Cette analyse rejoint nos remarques concernant la fonction
de l'interrogafive comme moyen d'indirecüon, confirmée aussi par Diller (ibid., pp.
70—74).
Nous avons Vu ci-dessus à propos de Sadock, qui parle de queclamtr‘ve5, que
l‘acte indirect accompli à travers une structure interrogative peut être assertif aussi.
Il présente l‘exemple suivant dont la possibilité de l'introduire par afler ail indique—
rait le caractère assertif :
- ls syntax cosy ? 7
- Afler ail, r's synlax easy ? (Sadock, 1971, p. 225)
Dans le cas de compatibilité avec afler aIl il ne peut que recevoir la lecture
Syntax isn't cosy. L'auteur met en parallèle ce phénomène avec les "tag questions"
suivantes qui seraient équivalentes :
- Syntax isn't cosy, is it ? -> — ls Syntax cosy ?
- Syntux is cosy, isn't it ? -> — lsn't Syntax cosy ? (ibid., p. 227)
Il constate qu'ù1terprétées comme queclamfiues les questions n'ont qu‘une valeur
possible, celle de la polarité opposée à l'assertion correspondante (cf. p. 227W.
il s'agit de questions orientées - comme l'est toute question fondamentalement -
que nous n‘assimilons pas à des assertions, mais à des ‘vraies questions' dans un
sens que nous définirons en 2.3. On retombe donc sur la problématique des ques
tions non neutres et de la question rhétorique que nous allons envisager dans ce
qui suit. Cependant, nous tenons à signaler que certains auteurs ne semblent pas
vouloir intégrer la question rhétorique parmi les actes indirects :
"rhetorical questions... do not lend themselves to easy classification into any
parficular already established type of speech act. One reason for this state of affairs
may be the fact that in many cases such an utterance can be categorized either as
question...or as a statement..." (Schmidt—Radefeldt, 1977, pp. 375—376).

1.3.3. DiVerses approches de l'interrogation


Une approche particulière constitue celle de I. Milner”, pour qui l'analyse de
l‘interrogation “permet de mieux saisir l'aspect social intrinsèque à la langue" (1983,
p. 10). Selon cet auteur, pour bon nombre d'interrogations, "le facteur linggisfigue
ment p_ertinent est précisément de jouer sur l'INEGALITE entre les rôles dévolus
aux locuteurs : l'échange repose sur un consensus d'une autre nature, à savoir la
différence entre le locuteur parlant et celui qui ne parle pas au même moment"

83 Pour ces cas aussi, son hypothèse est fondée sur l'idée d'une structure profonde à deux
performafifs ("l ask" et "l declare"); le passage à l'acte effecfif se fait par des règles d'effacement.
5" Cf. 1973 a, b, c; 1976; 1983.
Chapitre 1 L‘autre dans le discours oppositi‘f. .. 39

(1983. pp. 49-50). L'auteur propose donc d‘envisager la "dualité“ comme "multi—
plicité réelle" (ibid., p. 50).
Ainsi, J. Milner propose de considérer comme constitutive l'asymétrie entre les
deux protagonistes de l'interrogation (cf. 1973 c, p. 22) : étant donné que "le
deuxième locuteur ne p_e_u_g dire ce qu'il veut mais seulement donner l'assentiment
ou la réponse s‘il joue bien son rôle" (1983, p. 50), c‘est cette différence qui sous—
tend systématiquement le questionnement”. Si ]. Milner n‘exclut pas l'échange
d‘information de l’interrogation, pour autant elle n'en fait pas le centre de sa con
ception de l‘interrogation. Ce qui apparaît comme particulier dans son approche,
c'est que la question neutre (vraie question dans certaines des terminologies que
nous venons de voir) peut être définie par ce qu‘elle ne fait pas apparaître cette
altérité mentionnée ci—dessus. Ainsi, "le « locuteur—auditeur» idéal de Chomsky“
(Milner, 1973 c) permet de rendre compte des questions neutres, ce qui n‘est plus le
cas pour tous les autres types de questions“.
Ci-dessus, nous avons indiqué que Searle considère la question comme sous—
catégofie des directifs. D'autres, ne considèrent pas l‘interrogation comme fonda
mentalement différente de l'assertion. I. Lyons s'oppose à une catégorisation
comme celle de Searle. Il distingue le fait d‘émettre une question comme extériæ
risation d'un doute, et celui de demander quelque chose à quelqu‘un. Selon lui, la
question serait plus proche de l’assertion (cf. 1980, p. 373). De même, C. Kerbrat—
Orecchioni défend une telle conception qu'elle qualifie de "continuiste" (1991 b,
p. 110).
En cela, elle est très proche de A. Berrendonner pour qui l'interrogation n‘est
pas à distinguer formellement de la simple déclaration d'une incertitude et qui ne
voit dans la demande de réponse qu'un effet secondaire - "perlocutoire" - de cette
déclaration (cf. Berrendonner, 1981, pp. 168—169). En rapprochant la question de
l'assertion, A. Berrendonner en vient à une position plus radicale :
"je m‘en tiendrai à l‘idée qu'il n'existe pas d‘acte de question. Il va de soi que dans ce
cas également, la notion d'acte illocutoire devient tout à fait superflue pour la théorie
sémantique. En somme, l‘analyse des tournures dites « intenogafives >> peut se passer
avantageusement de ce concept, à la condition de refaire sienne la terminologie des
logiques de l'âge classique : de Ramus à Port—Royal, on appelle en effet question toute
proposition dont la valeur de vérité reste inconnue" (Berrendonner, 1981, p. 171).
On constate que sa perspective repose sur une position résolument
véficonditionnaliste‘”.
N. Femandez Bravo, qui elle aussi refuse la conception de l‘acte de question

90 Cette position rejoint celle de F. Gardés—Madray relativement à la conception du locuteur et de


l’auditeur en général.
9‘ Voir aussi Cortès & Szabo, 1984, pp. 110-111 et Grésfllon, 1981.
92 Cf. Anscombre, 1990, p. 47.
40 La représentation critique du discours de l'autre

comme directif particulier, considère que "poser une question consiste à faire jouer
un mécanisme discursif qui sert à extérioriser une absence de savoir du locuteur
dans un contexte donné“ (1993, p. 9). L'auteur prend la "demande de renseigne—
ment" (1993, p. 31) comme point de départ pour son étude exhaustive de l'interro—
gation en allemand. Pour elle, les différents types d’énoncés issus d'une interro—
gation forment un continuum "selon des valeurs qui vont de la marque de l‘igno—
rance totaie de la réponse (demande de renseignement neutre) jusqu‘à l‘évidence de
celle—ci pour le locuteur (question rhétorique), pôles extrêmes, dont les valeurs inter
médiaires sont (en allant du moins vers le plus de connaissance) la question biaisée,
posée à partir d'un co—texte marqué, et la question tendancieuse, où le locuteur sup
pute une orientation possible de la réponse“ (1993, p. 2”). Ces différentes catégories
de questions sont distinguées en fonction de ce qu'elle considère comme "combi—
natoire entre illocution... et attitude épistémique concernant la proposition” (ibid.,
p. 23).
Concernant l'allemand, elle relève un certain nombre de caractéristiques essen—
tielles pour l'identification de l’irtterrogafive (cf. ibid., p. 27) :
- des critères intonatoires que reflète à l‘écrit la ponctuation
- la position du verbe dans la phrase : en première, deuxième ou dernière posi«
tion
' la présence d'un interrogatif
' la présence d'une fomule performative en introduction
- la queue de question
A partir de ces indices possibles, N. Femandez Bravo établit une liste de “com
binaisons canoniques" (ibid.) parmi lesquelles se trouve l'interrogative en "W—V2?
(avec intonation descendante)" (ibid., p. 28).
Au chapitre 3, nous serons amenée a étudier un certain nombre de configu
rahons qui relèvent de ce schéma, c'est—à—dire des phrases interrogatives intro
dmtes par un interrogatif suivi du verbe.
Du point de Vue de leur insertion dans l‘échange, les questions qui font l'objet
de notre étude correspondent à ce que N. Femandez Bravo entend par "question en
retour” (ibid., p. 272), à savoir la "question induite par une situation ou un énoncé
antérieurs (question en réaction)" (ibid.).
. Suite à cette présentation brèVe de quelques unes des approches actuelles“ de
l'interrogation, il serait temps de définir notre conception personnelle de ce que
c‘est que de poser une question. Comme le suggère ].-P. Confais, "nous devons

93 Voir aussi 1990, p. 539 et sq.


94 Pour une approche tout à fait différente, mais concernant, au moins en partie, les phénomènes
que nous traitons, voir Obenauer, 1994, et tout particulièrement pp. 316—323.
Chapitre 1 L'autre dans le discours apposth . . 41

trouver un chemin qui nous évite la séparation artificielle entre "vraies" et


"fausses" questions, entre questions "rhétoriques" et "non rhétoriques", et nous
ferions mieux de partir du principe que ce sont justement les "pœudo—quesfiom"
qui illustrent le mieux ce qui constitue "l'irtterr0gafivité d’une interrogation”"“
(1995, p. 6).
Cependant, pour ce faire, nous devons tout d'abord tracer les grandes lignes du
cadre théorique général dans lequel une telle conception s'insère avant de revenir à
cette question cruciale (Cf. 2.3).

95 "Wit müssen einen Weg finden, der uns die künstliche Tremung zwischen "echten" and
"unechten”, "rhetorischen” und "nicht rhetorischen” Fragen erspart, und sollten besser davon
ausgehen, dal3 gerade die “Pseudo—Fragen” des am besten veranschaulichen, was die
“Fraglichkeit einer Frage" ausmacht"; (traduction personnelle).
2. Le cadre théorique

Comme le fait remarquer P. Charaudeau, "c'est le point de vue théorique qui


détermine la description d'un objet, et non l'inverse" (1992, p. 3), d'où l'importance
de préciser le cadre théorique dans lequel notre approche s'insère“.

2.1. La théorie de l‘argumentation dans la langue

Développée depuis 1973 par J.-C. Anscombre et O. Ducrot, la théorie de l‘argu—


mental-ion dans la langue a connu des modifications importantes tout au long de
cette période. Sa version récente, qui s‘articule autour de la notion de topos et la
conception polyphonique de l'énonciation, est à son tour mise à l'épreuve par toute
sorte de travaux susceptibles d'entraîner de nouveaux remaniements dont un cer—
tain nombre commencent a faire leur apparition”.
Nous indiquerons brièvement les étapes de cette évolution, sans pour autant
chercher à refaire l'historique de toutes les motivations qui en sent à l'origine“.
Notre présentation concernera avant tout la théorie des topoi' dans sa version stan—
dard, ainsi que la théorie de la polyphonie”. Afin de faciliter la tâche du lecteur,
nous préférerons introduire certaines notions au moment où elles seront néces
saires à la description et donc appliquées aussitôt (cf. chap. 2, sections 2.2.3., 2.4. et
3.). Ainsi, nous nous limitons ici à une présentation des grandes lignes de la théorie
de l'argumentation dans la langue.

96 En ce qui concerne la "construction des faits" (Ducrot, séminaire 1989-1990), Voir Ducrot, 1989 a,
pp. 5—9; 1991, p. 323; 1995 3, pp. 150151, ainsi que Coupin, 1995, p. 26; Habeas Corpus l, 1994 et
Kerbrat—Orecclüoni, 1989.
97Voir, p. ex., Carel, 1995 a et b qui élabore la notion de "bloc sémantique", ainsi que Gare] et
Ducrot, 1999, Ducrot et Carel, 1999 et Carel, 2001, ou encore Anscombre, 1994, 1995 b et d, 1998
opérant un rapprochement avec la théorie des stéréotypes qui aboth à une critique de la reprév
sentation du topos dans la version standard de la théorie. Par ailleurs, le numéro 9 de la revue
Signe 8 Satin est entièrement consacré à divers déVE10ppemean dans et de ce cadre théorique cf.
Garda Negroni, 1998. Voir aussi Anscombre, 2001 et pour une approche plutôt méthodologique
Ducrot, 2001.
98 Ce cheminement théorique est décrit de manière précise par ].-C. Anscombre (1995 a).
99 Certains concepts, forgés ces dernières années, ne seront pas explicités, dans la mesure où ils
s'appliquent à des mécanismes linguistiques qui n'interviennent pas dans les structures dont
nous chercherons à rendre compte, comme, par exemple, la notion de "modificateur déréalisant"
(Ducrot, 1995 a). Par ailleurs, nous avons renoncé à l'idée de distinguer "champ topique" et
"champ conceptuel" (Brueres, Ducrot, Raccah, 1993, et 1995) dans nos représentations topiques,
afin de ne pas encore complexifier la présentation des phénomènes en question.
Chapitre I L‘autre dans le discours opposih‘f. .. 43

Issue d'une perspective stmcturaliste, la théorie de l‘argumentation a pour


objectif premier d'aboutir à une description sémantique des entités de la langue en
dehors de tout recours à une quelconque connaissance préalable du monde. Con—
trairement aux sémantiques d'inspiration logique, ou à toute théorie référentielle,
qui assignent aux énoncés des valeurs de vérité en fonction de ce qu'ils sont censés
décrire, dans ce cadre, "le sémanficien est... obligé de faire comme s‘il ne savait rien
de cette réalité dont parlent tous nos discours, et de considérer la langue comme
une appréhension première des choses" (Ducrot, 1993 a, p. 235).
Le constat qu‘il y a des phénomènes en langue qui ne reposent pas fondamen—
talement sur une valeur informative a amené les auteurs à considérer que la parole
caractérise les objets en indiquant une dynamique argumentafive, en ce sens qu'elle
restreint les autres paroles possibles et impossibles relativement à ces objets.
J.-C. Anscombre (1989 et 1995 a) relève quatre types de phénomènes légitimant
la mise en cause de la conception selon laquelle la valeur première de la parole
serait informative. Ainsi,
' il existe des énoncés(-types) qui présentent une valeur argumentative qui ne
peut se déduire de la valeur informative. Les énoncés assertifs contenant peut
être illustrent bien cette catégorie, dans la mesure où ce terme est générale
ment décrit, du point de vue informatif, comme permettant deux possibilités
laissées ouvertes: si l'énoncé dénote à un certain niveau un événement E,
peut—être aura pour effet de suspendre l'assertion que cet événement aura lieu.
Or, si au niveau informatif, rien ne laisse présager de la réalisation de E, du
point de vue argumentafif, son orientation est clairement déterminée :
Emmène ion parapluie, il ou peut—être pleuvoir.
? N'emmènc pas ton parapluie, il va peut—être plauvoir.
- il existe des énoncés sans valeur informative ou descriptive, pourvus néan—
moins d'une valeur argumentafive C‘est le cas notamment des énoncés inter
rogafifs en est—ce que p ? Sans valeur informative à proprement parler, ils se
comportent cependant par rapport à l'enchaînement de manière semblable à la
négation100 :
j‘ai des doutes sur sa culpabilité : il a avoué, mais est—ce qu 'il est le coupable ?
J'ai des doutes sur sa culpabilité .' il a mmué, mais il n'est pas le coupable.
? ]‘ai des doutes sur sa culpabilité : il a avoué, mais il est le coupable.
- certains énoncés ont des potentialités argumentafives inverses de celles prévi
sibles à partir de la valeur informative. Les exemples comprenant presque
I'illustrent particulièrement bien. Les énoncés contenant ce terme autorisent
les mêmes conclusions que l‘énoncé positif sous-jacent, alors qu'ils interdisent
celles qui seraient compatibles avec l‘énoncé négatif y correspondant :

m Voir aussi Anscombre & Ducrot, 1982 et Ducrot, 1983.


44 la représentation critique du discours de l'au tre

Il a tennine’. Nous allons pouvoir sortir.


Il n'a pas terminé. Nous allons devoir l’attendre.
Il a presque terminé. Nous allons pouvoir sortir.
? Il a presque terminé. Nous allons demir l'attendre.
Pourtant, en termes d‘implication logique, il a presque terminé informe qu‘il n'a pas
terminé.
' un quatrième groupe dénoncés permettent de déduire la valeur informative
de la valeur argumentafive et non l‘inverse : c‘est notamment le cas pour les
énoncés en presque suivi d'une indication numérique. De tels énoncés sont
ambigus hors contexte conclusif :
Le parti X a atteint presque 10% dans les derniers sondages.
Pour déterminer la valeur sémantique de cet énoncé, il faut connaître la
conclusion pour savoir si l‘échelle numérique sur laquelle presque 10% est
placé est parcourue dans le sens de la hausse ou de la baisse :
Le PC gagne des voix : autrefois à 5%, il atteint presque 10% dans les derniers sondages.
Le PC perd des noix : autrefois à 21 %, il atteint presque 10% dans les derniers sondages.
A la lumière de ce type de phénomènes, la théorie de l‘argumentation formule
l‘hypothèse que la langue n‘est pas descriptive, mais argumentaüve dans sa
structure profonde. Aussi, à son premier stade, elle se propose de décrire une
phrase à partir des enchaînements qu‘elle rend possibles dans le discours.
Remarque : ].-C. Anscombre et O. Ducrot établissent une distinction
fondamentale entre ce qu'ils appellent <phrase> et <la signification de la
phrase>, d‘un côté, et <énoncé> et <le sens de l‘énoncé>, de l‘autre.
Alors que l’énoncé -en tant que segment de discours - est le produit‘d'une
occurrence unique, la phrase est une structure abstraite, un objet théorique
construit à partir de l'énoncé qui constitue l'observabîe. L‘occurrence ou
apparition de ce dernier est aussi "un événement historique (et donc unique)"
(Anscombre, 1995, p. 13), l‘énonciation. L'énoncé est donc le "produit“ (ibid.)
d'une énonciation. Il a un sens, c'est—à-dire qu'il est susceptible d'interpré—
tation(s). Le sens constitue la valeur sémantique de l‘énoncé, la signification
celle de la phrase. Dans ce cadre théorique,
"la différence est de nature. La signification ne se retrouve pas dans le sens à titre de
partie : elle est, pour l‘essentiel. . ., constituée de directives, ou encore d'instructions, de
consignes, pour décoder le sens de ses énoncés. La phrase nous dit ce qu'il faut faire
quand on a à interpréter ses énoncés, et notamment elle spécifie le type de renæigne
ments qu'il faut aller chercher dans le contexte" (Ducrot, 1987, pp. 27—28).
Une telle dynamique discursive est particulièrement visible dans les
enchaînements dits argumentafifs -au sens habituel du terme -, composés d'un
argument et d‘une conclusion. C'est par la prise en compte de ce type d'enchaîne
ments que la théorie de l’argumentation a été développée initialement. Ainsi, les
compatibilités et incompatibilités suivantes, en contexte stable, sont difficiles à
expliquer dans une conception purement informative de la langue :
Chapitre 1 L'autre dans le discours appositif. .. 45

Il a peu tmmille’, il ne va pas réussir.


? il a un peu travaillé, il ne va pas réussir.
il a un peu traruille’, il va réussir.
? il a peu travaillé, il ou réussir.
Durant la première étape101 de l‘élaboration de la théorie de l‘argumentation, ces
divergences de comportement par rapport à l'enchaînement permettaient de
décrire peu et un peu à travers les conclusions que ces deux "opérateurs
argumentafifs“ (Anscombre & Ducrot, 1983) autorisent. A la différence du
connecteur donc, par exemple, auquel on reconnaît traditionnellement qu’il marque
des relations d'argu—ment à conclusion, c'est—à-dire une fonction argumentafive, les
opérateurs argumentafifs introduisent une valeur argumentafive qui est à déter—
miner en fonction des types de conclusions rendus possibles.
Cependant, nous avons exprimé ci-dessus en termes flous ce que la version du
stade suivant permet d‘expliciter : nous avons évoqué un ‘contexte stable'. En fait,
on constate que, dans un même contexte idéologique, le locuteur ne peut énoncer
les deux phrases qui diffèrent seulement par peu et un peu : s'il présente le fait que
X a peu travaillé comme argument de son échec, il se place dans le même cadre
idéologique - et applique les mêmes règles générales - que celui qui prend appui
sur un peu de travail pour orienter son discours vers l'idée de réussite. A l'inverse,
dans un contexte idéologique où le travail est vu comme source de l‘échec, les
phrases marquées ci-dessus comme douteuses seront les seules susceptibles d’être
énoncées. Lors d‘une seconde étape, l'introduction des topo‘i dans la théorie de
l'argumentation est destinée à permettre de rendre compte de ce type de phéno—
mènes. Il s'agit de lieux communs ou principes qui sous—tendent le discours de la
vie quotidienne.
Si dans la phase initiale de la théorie, l'argumentation - extérieure à la langue
dans la tradition rhétorique - est perçue comme intégrée à la structure même des
phrases sous forme d'opérateurs argumentafifs, avec l'introduction des topoï, cette
perception se radicalise : "les « faits » « décrits » par les phrases ne... semblent plus
que la cristallisation de mouvements argumentafifs“ (Anscombre & Ducrot, 1986,
p. 80).
Le topos est vu au départ, comme garant assurant l'articulation entre l’énoncé—
argument et l'énoncé—conclusîon. Il permet d'expliciter le "cheminement allant de

101 On peut diviser l'évolution de cette théorie grasse modo en trois étapes : '
- celle allant des premiers travaux sur l‘argumentation, à partir de 1973 jusqu'à l‘apparition du
Concept de topos (Anscombre G: Ducrot, 1983, chap. 7);
- la suivante, à partir de 1983 consacrée à l'élaboration et la mise en place des notions de topos
et de forme topique;
' actuellement, la nature des topoï se trouve au centre des problèmes théoriques soulevés,
ainsi que son corollaire, l'ancrage de la gradualité.
46 La représentation critique du discours de l‘autre

l'argument à la conclusion“ (Ducrot, 1989, p. 6), déterminé par la présence de peu et


un peu. Ce qui diffère dans les exemples présentés ci—dessus est le principe général,
liant le succès ou l’échec au travail, sur lequel se fonde le passage de l‘argument
évoqué à la conclusion visée.
Ce topos est caractérisé par O. Ducrot (1990 a, pp. 2—3) comme étant commun à
une certaine collectivité à laquelle appartiennent au moins le locuteur et son
allœutaire, il est "donné comme général. en ce sens qu‘il vaut pour une multitude
de situations différentes de la situation particulière dans laquelle le discours l'uti
lise" (ibid., p. 2), et il est graduel. "Il met en relation deux prédicats graduels, deux
"échelles“ (ibid.). Le caractère corrunun ou universel du topos est issu de l'énon
ciation du discours, en ce sens que le locuteur présente son énonciation comme
valable et donc comme fondée sur un principe reconnu, alors que le principe lui—
même n'est jamais explicité. Le locuteur s'appuie sur un principe présenté comme
partagé. Ainsi, en disant Il fizit beau, allons nous promener, il présente le beau temps
comme facteur favorisant la promenade, en général et universellement reconnu.
La troisième caractéristique définitoire du topos, la gradualité, fait entre—temps
l‘objet de révisions. Initialement conçu comme mise en correspondance monotone
de deux échelles argumentafives, c'est—à-dire deux entités graduelles distinctes, le
topos était vu comme étant lui—même graduel.
Actuellement, la gradualîté est plutôt envisagée en termes de force d‘appli—
cation du topos. Ce n‘est pas une correspondance monotone entre les deux prédi—
cats qu'il relie que reflète le topos - ce qui reviendrait à postuler que d'un 'beau
temps supéfieur‘ sur l‘échelle antécédente, découle aussi 'plus de promenade' sur
l‘échelle conséquente -mais c'est l‘application du topos qui est renforcée dans la
mesure où la conclusion visée est mieux argumentéem.
La caractérisation de la phrase a subi des modifications avec l'introduction de la
notion de topos: alors que dans la première version de la théorie de l'argumen—
tation, la phrase détermine la classe de conclusions qui peuvent être visées à
travers ses énoncés, dans la seconde étape, la phrase renvoie à l'ensemble des topoï
dont l'application est autorisée à partir de son énonciation.
Dans la version standard de la théorie des topoï, le topos met en relation deux
méta-prédicats graduels P et Q sous la forme suivante: /+ P, + (2] (plus un objet X
a la propriété P, plus un dbjet Y a la propriété Q) où P sera considéré comme
échelle antécédente et Q, comme conséquente. Cette relation entre P et Q est appelé
schéma topique. A partir d’un tel schéma, on peut construire deux topoï différents
avec deux formes topiques pour chacune d‘entre elles :
- un topos direct, T1. si les deux gradaüons sont parcourues dans le même sens
avec les deux formes topiques FT1' et FT1" :

"’2 voir Ducrot, 1998.


Chapitre 1 L’autre dans le discours oppositrf .. 47

FT1' : /+ P. + Q/
FT1" «' /* P. - Q/
- un topos converse, T2 lorsqu‘elles sont parcourues en sens inverse :
FT2' : /+ P. -Q/
FT2" : /- P. + Q/
Dans cette perspective, l‘exemple de O. Ducrot (1990 a)
iifim‘l beau, allons à la plage !
peut être fondé sur un topos de type T1 qui lie le méta—prédicat P (CHALEUR)
au second Q (AGREMENT POUR LA BAIGNADE). Ce même topos est appliqué sous
sa seconde forme topique dans l'exemple suivant :
Il nefait pas beau, n'allons pas à la plage.
En ce qui concerne le second type de topo’i, on peut citer l'exemple suivant qui
serait fondé sur un topos converse sous ses deux formes d'application /:i: travail,
1 détente] : '
J’ai trop de travail pour aller au cinéma.
J'ai terminé mon travail. je vais pouvoir sortir.
Si, au départ, l'observation d‘énoncés de type 'argument suivi d‘une conclusion'
facflitait la saisie de phénomènes argumentafifs, elle a pour inconvénient que l‘on
continue à assimiler la notion d'argumentation à ce type de configurations”, alors
que l'objectif de la théorie de l'argumentation dans la langue est justement de
montrer que les principes argumentatifs ne se limitent pas à ce type de structures,
mais sont sous-jacents à toute activité de parole“".
Or, cet aspect général ressort tout particulièrement des derniers développe
ments de la théorie de l’argumentation. D’une part, les recherches actuelles situent
certains topo’i au niveau lexical. A la différence de la conception des topoï comme

10311 s'agit de phénomènes relativement proches de ceux étudiés par l‘équipe de Neuchâtel (cf.
section 1.2.1 c). Comme nous l‘avons indiqué, certains types de faits linguistiques étudiés par les
deux approches se recoupent et, avant tout, ceux étudiés durant la première période de la théorie
de l‘argumentation - faits proches de l‘argumentation rhétorique et appréciés pour leur pouvoir
d'illustration.
10“ J.—C. Anscombre remarque à ce propos : "Le terme d'argumentation n‘est pas heureux. Il
provient des premières étapes de nos travaux. Les phénomènes que nous avions alors rencontrés
apparaissaient la plupart du temps dans des discours de type argument + conclusion. Par ail—
leurs, de tels enchaînements sont pratiques d'un point de vue pédagogique. Nous nous rendons
de plus en plus compte que notre théorie déborde largement ce type de phénomènes, et qu'il y a
bien autre chose que la simple rhétorique dans La théorie de l'argumentation dans la langue. Il serait
plus judicieux de parler de dynamique discursive, présente dès le niveau de la signification (ni—
veau profond de la langue). Notre thèse se formule ainsi: la phrase comporte des instructions
relatives à la structuration discursiw du texte où elle apparaît. Et les indications informatives sont
dérivés de ces instructions « dynamiques »" (1989, p. ‘15)
48 La représentation critique du discours de l'autre

simple garant d'un enchaînement, les topoï sont considérés entre—temps comme
préfigurés ou inscrits dans la signification même des lexèmes. Ainsi, "se présenter
comme discourant sur un état de choses, c'est avant tout lui faire correspondre des
topoï... utiliser des mots, c‘est convoquer des topoï. D'où l’hypothèse que le sens
des mots n’est pas fondamentalement la donation d'un référent, mais la mise à
disposition d'un faisceau de topo‘r’" (Anscombre, 1995 b, p. 51). Cette conception du
topos mène à la distinction entre topoï intrinsèques et extrinsèques que nous serons
amenée à introduire dans la section 2.2.3. du chapitre 2.
En même temps, la réflexion sur la nature des topoï menée ces dernières années
a abouti à une mise en cause de la conception binaire qui distingue deux méta
prédicats scalaires dans le schéma topiquem5. Divers travaux ont démontré que le
degré choisi sur une échelle est en fait relatif à la conclusion visée, c‘est—à-dire,
fonction de la seconde échelle. On ne peut donc plus parler de la mise en relation
de deux prédicats parfaitement distincts, mais d'une unité formée à partir des
deux. C‘est ce qui apparaît dans les travaux récents à travers la notion de "bloc
sémantique"“’â Par conséquent, même dans le cas d'un enchaînement - où l'on peut
distinguer deux segments, argument et conclusion - l'objet sémantique est unique
(cf. Ducrot, 1993 a, p. 244). Dans cette perspective le topos devient une certaine
représentation de la réalité, une APPREHENSION ARGUMENTATIVE de cette der
nière. Ainsi, utiliser un topos dans le discours revient à représenter la réalité à par—
tir d'un certain nombre de discours qui lui sont applicablesm.
La conjonction des deux aspects que nous venons d'évoquer fait que la con—
struction de cet objet sémantique unique "obéit à certaines contraintes imposées par
les mots mêmes dont le discours est fait, et qui constituent... la signification de ces
mots" (Ducrot, 1993 a, p. 245).
Suite à cette évolution de la théorie de l‘argumentation dans la langue, c‘est
notamment la représentation du topos par (:t P, 1 Q) qui apparaît comme peu
adaptée, alors qu‘elle n'a pas encore trouvé son substitut véritable.
Dans le chapitre 2, nous serons amenée à utiliser les représentations topiques,
issues de la version standard de la théorie des topoï. Nous mainfiendmns donc tout
de même ces outils de représentation - qui n‘étaient pas encore mis en cause, lors—
que nous avons commencé à élaborer les parties en question - et d’autant plus aisé—
ment, qu'ils nous semblent être adaptés, d‘un point de vue heuristique, à faire res—
sortir, dans la représentation, les phénomènes que nous chercherons à cerner.
Dans ce qui suit, nous allons nous pencher sur l‘autre pôle important de notre
cadre théorique, à savoir la théorie de la polyphonie.

105 Voir notamment, Anscombre 1995 b et 1998, ainsi que Carel, 1992, 1995 a et b.
10" Carel, 1995 a et b, Ducrot, 1993 a.
107 Ducrot, séminaire I 991 -1 992.
Chapitre 1 L'au tre dans le discours opposihf. .. 49

2.2. La théorie de la polyphonie

Appartenant à l‘origine au domaine de la composition musicale, la notion de


polyphonie dans l'acception linguistique a été forgée d'abord dans l'application à la
narration littéraire par Bakhtine. Conçue par O. Ducrot dans son extension à la
linguistique, elle remet en question le postulat de l'unicité du sujet de l'énonciation.
Dans cette conception, l'auteur d'un énoncé ne s'exprime pas directement, mais met
en scène un certain nombre de personnages. Le sens de l‘énoncé naît de la confron—
tation de ces différents personnages, il n‘est que le résultat de ces différentes voix
qui y apparaissent (cf. Ducrot, 1990 a, p. 16).
Ces personnages ou énonciateurs103 sont à l'origine des différents points de vue
qui s'expriment dans l'énoncé. Le locuteur correspond à celui que l'énoncé présente
comme responsable de l‘énonciation - donc un autre type de personnage discursif.
Il n'est pas à confondre avec le sujet empirique, le sujet parlant qui n'intervient pas
dans le sens de l‘énoncé.
Pour donner sens à la superposition des voix qui se font entendre dans l'énoncé,
le facteur essentiel est l'attitude affichée que prend le locuteur par rapport aux
énonciateurs. O. Ducrot les résume comme suit: le locuteur peut s'assimiler à eux -
le point de vue en question constitue alors la visée de l‘énonciation; il peut aussi
donner simplement son accord - ce qui est considéré hors de cette approche
spécifique comme un présupposé du locuteur; et enfin, il peut s‘opposer à eux -
c'est le cas dans l'énoncé négatif (cf. Ducmt, 1989 b, p. 12).
Si, au tout début de l'élaboration de la notion de polyphonie (Ducrot,1980 a), les
énonciateurs étaient susceptibles d'accomplir des actes illocutoiresîœ, dans la con
ception actuelle, ils interviennent dans la mise en place des topoï.
Au chapitre 2, nous verrons de quelle manière on peut utiliser cette représen—
tation théâtrale de l'énonciation. Cependant, il est important de noter l'articulation
entre polyphonie et discours rapporté. En effet, la polyphonie intègre le rapport en
style direct à la description de toute sorte de phénomènes de double énonciation, à
savoir, le cas où une énonciation attribuée à. un autre locuteur apparaît dans une
énonciation attribuée à un locuteur (cf. Ducrot, 1984, p. 196 et sq.). Par exemple,
certains échos plus ou moins imitatifs, où le pronom je ne renvoie pas au locuteur,

103 Le terme énonciaœur n‘est donc pas a prendre au sens culiolien.


19" Cf. p. ex. Ducrot, 1980 a, p.38 et 1983, p. 89; Cf. aussi Ducrot, 1995 a. Les contradictions
induites par cette conception ont rapidement abouti à l‘abandon de cette approche de la nature du
point de vue mis en place. En effet, la distinction entre <fonction illocutoire> et <contenu
proposifionnel> (Searle, 1969) a pour effet de réintroduire par le biais de ce dernier, l'idée d'une
composante factuelle, informative dans la notion d'acte ü]ocutoire. Cette dernière est donc en
contradiction nette avec les principes fondamentaux de la théorie de l'argumentation dans la
langue.
50 La représentation critique du discours de l'autre

relèvent de ce type de phénomène :


De quoi je me mêle ?
A côté d'une telle double énonciation manifeste, l'intégration du discours
rapporté peut se faire sous forme de style indirect où le fait qu'il s‘agit d‘un rapport
est encore explicité, bien que les marques linguistiques, et notamment le pronom je,
ne renvoient plus qu‘à la perspective du locuteur, comme nous l'avons vu en 1.1.2.
L‘autre forme de polyphonie, généralisée et donc bien plus fréquente que celle
observée dans le cas des énonciations doubles, est celle qui met en œuvre le jeu
entre locuteur et énonciateurs. Pour illustrer cette différence, considérons les exem
ples suivants :
Il paraît que je vais être élu.
Selon Pierre, je suis malade.
Les deux exemples présentent un énonciateur auquel le locuteur ne s‘identifie
pas. Il s'agit d‘énoncés "où l‘on emploie un je tout en exprimant... le point de vue
d‘un autre“ (0. Ducrot, 1989 a, p. 189). En revanche, dans l‘exemple suivant le
locuteur rapporte le point de vue d’un autre (en style indirect) :
On dit que je vais être élu.
La distinction entre rapporter et exprimer un point de vue peut être rapprochée
(Cf. Chang, 1993) de celle qui existe entre « montrer » et « dire » , deux manières
différentes de présenter un élément de sens. Ainsi, par exemple, l’élément de sens
« souffrance du locuteur » peut être présenté de deux façons, au moins :
Aie!
le soufre.
Dans le premier cas, la souffrance est montrée, dans le second, elle est dite"°. "Il
s'agit... de la façon dont le sujet parlant représente, dans un cas comme dans
l‘autre, la propre énonciation qu'il est en train d‘accomplir" (Ducrot, 1984, p. 186). Il
peut la présenter "comme résultant totalement d‘un choix" (ibid.) ou, au contraire,
comme provoquée ou déclenchée par ce qu‘elle véhicule (ici, la souffrance).
Cette différence, appliquée à la reprise d‘un discours autre, a des répercutions
sur les possibilités d‘enchaînement :
Il y a toujours des optimistes : on dit qu'il ou faire beau.
? Il y a toujours des optimistes : il paraît qu'il vafaiæ beau.
Alors que dans le premier exemple, le locuteur se présente comme rapportant
un discours, ce qui autorise l‘enchaînement sur l‘existence de ce discours autre;
dans le second exemple, la reprise n‘est que montrée. Ce statut particulier a pour
corollaire que l'altérité à l'origine du point de vue présenté ne peut faire l‘objet de
l‘enchaînement. En revanche, l'enchaînement sur le point de vue lui—même est tout
à fait possible :

"0 Cf. aussi Anscombre, 1990 a, pp. 78—79.


Chapitre 1 ' L'autre dans le discours opposi 51

il paraît qu'il ou faire beau demain. On va pouvoir se promener.


Le constat de l‘existence de ce type de phénomènes nous amène à distinguer,
suivant en cela I.-B. Chang, la « reprise montrée » de la « reprise dite » ou "assertée"
(Chang, 1993, p. 18). Nous serons amenée à employer ces notions au cha
pitre 2.111Auparavant, il nous reste à situer l'interrogation dans notre cadre théo
nque.

2.3. De l'intenogafivité à la rhétoricité

Nous commencerons par quelques précisions tenninologiques : de la même


manière que l‘on distingue la <phrase> de <l'énoncé> (cf. ci-dessus, 2.1) nous
parlerons d'interrogativa et de question. Le terme interrogation désigne pour nous
l'événement que constitue l'énonciation d‘une phrase interrogative en vue de poser
une question. Or, il est bien connu que l'on peut employer une construction syn—
taxique de ce type sans pour autant questionner, de même que l'interrogation n'a
pas forcément recours à une telle configuration et ne produit donc pas toujours un
énoncé correspondant à une phrase interrogative.
il reste donc toujours à répondre à la question laissée ouverte dans la Séc
tion 1.3 : poser une question, en quoi cela consiste—HI ?
Une première réponse est donnée par l’intermédiaire de la théorie de la poly
phonie qui représente l’énonciation de la question comme suit.
Dans l‘énonciation de la question totale‘", le locuteur met en place au minimum
trois énonciateurs: un premier point de vue correspondant au préalable113 de la
question (ce qui est mis en question); le second constitue une expression de doute
par rapport au premier; le troisième interpelle l'allocataire en vue d'une réponse
(cf. Anscombre & Ducrot, 1983, pp. 130—136; Ducrot, 1983, pp. 89-104).
La phrase interrogative contient dans sa signification les instructions pour une
telle mise en place :
"une phrase interrogative donne en vertu de sa sigmficaliou, les deux instructions
suivantes aux auditeurs qui ont à construire le sens des énoncés de cette phrase :
(a) ces énoncés doivent faire apparaître un énonciateur exprimant son doute en ce qui

m Pour d‘autres développements de et à partir de la notion de polyphonie voir Alexandrescu,


1997, Donaire 1995, 1996, 1998a, b et 2000, Palma, 2000a et b, ainsi que Tordesiflas, 1998.
"2 On pourra représenter la question partielle de manière semblable (cf. chap. 2).
"3 Nous avons mentionné ci—dessus (2.2.) les raisons qui font que nous ne considérons pas ce
point de vue préalable connue assertion du même nom.
52 La représentation critique du discours de l'autre

concerne la proposition sur laquelle porte l’interrogation 114;


(b) lorsque cet énonciateur est assimilé au locuteur, l’expression du doute doit être
relue comme une question, c'est—à-dire que l'énonciation doit être décrite comme obli
geant l'allocutaire à répondre“ (Ducrot, 1984, p. 227).
D’après cette description, c'est donc l‘engagement du locuteur qui s'identifie à
l‘expression de doute qui est déterminant. L'identification du locuteur avec ce point
de vue crée l'obligation de réponse. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que
cette expression de doute est de l'ordre du montré. Le locuteur n‘affirme pas qu'il
doute, il joueT15 ce doute et présente l‘énonciation de la question comme pmvnquée
par ce dernier : "ce qui est montré [est] attesté par le simple fait de l'énonciation, et
[] semble donc aussi indéniable que l'énonciation elle—même“ (Ducrot, 1995 b, p.
636).
D'autre part, ce qui caractérise la question comme telle dans l'approche
polyphonique est le fait qu‘elle débouche sur l’obligation de réponse. On retrouve
cette conception aussi chez E. Goffman qui dans une perspective discursive consi
dère la suite question—réponse comme “unité dialogique minimale“ (1981 / 1987,
p. 12) qu'il appelle aussi "paire adjacente" en se référant à Sacks (1973): ce qui
caractérise cette paire adjacente est le fait qu'une fois posée la première partie de
paire par un locuteur, l'absence de deuxième partie, normalement émise par son
interlocuteur, se remarque et peut avoir des conséquences. Un silence en deuxième
partie de paire s‘entend et s'interprète“ä
Un indice de l‘importance de cette obligation de répondre constituent les
multiples formes d‘atténuation qui accompagnent le questionnement, comme le fait
remarquer M.H. Araüjo Carreira“î En effet, si les sujets parlants n'interprétaient
pas la question comme pression déontique sur le questionné, ils ne mettraient pas
en œuvre autant 'd'efforts' pour atténuer son impact.
Contrairement à A. Berrendonner, qui -cormne nous l'avons signalé en 1.3.3. -
met la déclaration d'une incertitude au centre de sa conception de l‘interrogation,
nous pensons que c'est la mise en place d'un point de vue adressant une demande
de réponse a un destinataire qui entraîne, lorsqu‘il y a identification du locuteur a
ce point de vue et assimilation du destinataire à l’allocutaire, l'interpellation de
l'allocutaire en vue d'une réponse. Pour nous, il s‘agit de l‘aspect essentiel, donc de
la caractéristique fondamentale de l'interrogation.
C'est pourquoi, dans ce qui suit, nous allons prendre comme point de départ la

114 Ce dernier point constitue ce que nous avons considéré comme préalable de la question : (a)
comprend donc les deux premiers points de Vue du schéma tripartite que nous avons présenté ci—
dessus.
115 On pourrait dire aussi que la parole ne décrit pas le doute du locuteur, elle ät ce doute.
“5 Cf. aussi Bonnet, 1982, p. 96.
11’ Cf. 1997, pp. 159—176 où l‘auteur procède à un recensement exhaustif de ce type de moyens
linguistiques.
Chapitre 1 L‘autre dans le discours oppositif. .. 53

description formulée par O. Ducrot "d‘un énonciateur qui prétend, par sa parole
même, obliger son destinataire à un comportement linguistique spécifique, celui de
réponse" (Ducrot, 1983, p. 99).
Nous proposons de partir d‘une définition minimale de l'acte que constitue
l'énonciation d'une question : la demande de réponse. Ainsi :
Ënoncer une question consiste à demander une réponse.
Nous allons voir aux chapitres 2 et 3 qu‘il existe apparemment des questions
plus ou moins "interrogatives", il faut s'interroger sur ce qui constitue une telle
gradation : qu‘est—ce qui augmente ou diminue ?
Nous ferons l'hypothèse suivante :
Ce qui augmente ou diminue, de manière a modifier la question dans sa qualité
même de demande de réponse, est la liberté laissée à l'autre concernant sa ré
ponse.
Or, ce que nous venons d‘exprimer de manière bien vague sous le terme de
"liberté" correspond aux types de contraintes que la question exerce sur la réponse.
En effet, ces dernières peuvent concemer le thème de la réponse, sa nature (p. ex.
une interrogation partielle n‘exige pas le même type de réponse qu'une
interrogation globale), son volume ou encore son orientation argumentative. Ainsi,
toute image (des interlocuteurs, de l‘échange en cours, ...) véhiculée par la question
constituera une partie des contraintes pesant sur la réponse. Ce qu'affirme
O. Ducrot relativement à l‘énoncé en général est d‘autant plus vrai pour la
question : "a côté de ce que pose un énoncé, il faut noter tout ce qu'il présuppose,
les représentations auxquelles il se réfère sans les affirmer, tout le contexte intellec
tuel dans lequel il place de force l‘interlocuteur" (Ducrot, 1989 a, p. 157)”. Plus le
poids de ces contraintes sera important, moins la question sera interrogative.
Il se trouve qu'une telle définition permet de classer en fonction de leur interro—
gativité un certain nombre de types de questions répertoriées selon des critères
variés et dans des approches diverses. Le plus souvent, on oppose d‘un côté, ce que
nous considérons comme une question hautement interrogative, c‘est—à-dire une
question qui ne contraint que faiblement la réponse - et avant tout thématique—
ment -, et de l'autre, la question à réponse fortement contrainte, à savoir la question
rhétorique. Entre ces deux pôles d'un même axe, on peut situer diverses catégories
comme la question de confirmation118 ou la question d‘assentiment, de même que
ce que certains appellent les questions orientées”.

"3d. Borillo, 1979; Giésifion, 1981, p. 66; Femandez Bravo, 1993.


“9 La question d'examen, qui pose problème dans les conceptions de la question fondées sur le
critère du déficit cognitif, sera considérée dans cette approche comme tout à fait interrogative, ce
qui nous semble aussi compatible avec le fait qu'elle ne comporte pas d'indice linguistique qui la
disfinguerait de ce que nous allons considérer dorénavant pour simplifier comme question
54 La représentation critique du discours de l’autre

En ce qui concerne la question lue comme rhétorique, il nous semble aussi bien
peu adéquat de partir du principe que ce n'est que le contexte qui lui attribue un
caractère particulier, que de parler de marqueurs linguistiques lui conférant de
manière univoque cette tendance à exiger une réponse prédéterminée, excepté dans
quelques configurations particulières. Comme le démontrent N. Femandez BraVo
pour l'allemand et A. Borillo120 pour le français, on peut repérer un certain nombre
d‘éléments "médiateurs de rhétoricité" (Femandez Bravo, 1993, p. 316) dans la
phrase interrogative qui, à la faveur d‘autres éléments contextuels, déclenchent ou
favorisent une lecture rhétorique.
Bien que sa définition de l‘interrogation ne soit pas la même que la nôtre, nous
souscrivons tout à fait à la position de N. Femandez Bravo qui considère, d'une
part, que l'interrogation rhétorique est à considérer comme interrogation à part
entière, dans la mesure où elle peut toujours recevoir une réponse, et d‘autre part,
qu'elle fait partie d'un même continuum reliant deux pôles opposés, à savoir
l‘interrogation rhétorique et ce qu’elle considère comme demande de renseigne—
ment. Si elle estime aussi qu'il y a des questions plus ou moins rhétoriques, sa
conception se distingue nettement de la nôtre relativement à la propriété graduelle
sur laquelle repose l'axe étain : en effet - nous l'avons vu ci-dessus (1.3.) - elle met
la connaissance ou l‘ignorance de la réponse intentée au centre du questionnement
et distingue donc les différents types de questions en fonction de ce qu‘elle décrit
comme "déficit cognitif“ (1990, p. 540). Sa conception graduelle semble renvoyer à
la perception du même phénomène que la nôtre bien que les hypothèses explica
tives, ainsi que le cadre théorique, ne coïncident pasm.
Ainsi, nous allons nous fonder dans ce qui suit sur les considérations énumé—
rées ci-dessous :
' Nous définissons la question comme une demande de réponse, c‘est—à-dire
une obligation imposée à l'autre. L'interlocuteur n‘est plus libre, une fois la
question posée.
0 Toute question est caractérisée par l'obligation de répondre qu'elle impose à
l'allocutaire. Les différents types de questions forment un continuum selon les
contraintes relatives, plus ou moins grandes, qu'elles exercent sur la réponse.
Elles peuvent donc être placées sur un axe en fonction de la plus ou moins
grande emprise exercée sur la réponse (quant à son thème, la nature de la

neutre. En fait, sa spécificité provient entièrement d'éléments situationnels qui ne sont pas reflétée
dans la phrase.
12“ cf. Borillo, 1981.
121 Une telle approche, qui définit la question (et qui distingue la question rhétorique de la
question fortement interrogative - que nous allons appeler désormais question neutre) en fonction
de ce que le locuteur possède ou ne possède pas "l'irdormafion demandée", est incompatible avec
un cadre thé0rique global comme la théorie de l'argumentation dans la langue qui refuse de voir
l'échange d‘information au centre de l'activité de parole.
Chapitre 1 L‘an ire dans le discours oppositif. .. 55

réponse, etc).
- Ce qui distingue différents types de questions (comme, par exemple, la de
mande d'assentimemt ou la "question tendancieuse“) est que la réponse à
laquelle elles forcent l‘interlocuteur est plus ou moins contrainte. En effet, la
nature des contraintes ainsi exercées est variable : alors que celle qui est
communément considérée comme "demande d‘information“ prédéterminera, à
des degrés variables, le thème. les présuppositioms ou d'autres paramètres de
la réponse requise, a l'autre extrême, la "question rhétorique" imposera au
répondant une certaine réponse bien précise122 et donc purement contrainte.
- La question rhétorique impose une certaine réponse, mais elle exige quand
même cette réponse et, en ce sens, il faut la considérer comme une "vraie
question" (dans un sens bien différent du sens habituel). Par le fait qu‘elle
oblige l‘autre à une assertion, sous forme de réponse, et à la prendre ainsi
personnellement en charge, à avouer sa reconnaissance du point de vue
qu'elle véhicule, la question rhétorique peut être plus forte comme moyen
stratégique qu'une affirmation directe.
' Toutes les caractéristiques que nous venons d‘évoquer sont fixées de manière
instructionnelle dès le niveau de la phrase interrogative, c‘est—à-dire en amont
de l'énonciation qui 'produira' l'énoncé particulier qu'est la question.
Une fois ces principes généraux établis, il faut s‘interroger sur la représentation
concrète du fonctionnement des mécanismes linguistiques que ces notions sont
censées saisir. Nous venons d'affirmer que les interrogatives diverses se situent à
divers endroits d'un axe continu, en fonction de leur caractère plus ou moins
interrogatif/ rhétorique. Il faudrait se représenter cet axe comme partagé de
manière non discrète en zones interrogative, rhétorique, intermédiaire et d‘autres
plus nuancées, sans qu'il y ait de limite nette d'une zone à l'autre. Ce que l'on
constate, c'est que certains éléments linguistiques tendent à déplacer l'interrogative
d'une zone à l'autre, ou du centre d‘une zone vers sa marge. Nous verrons ci—
dessous que, en fonction de la configuration globale, un certain nombre de mor
phèmes renforcent une éventuelle tendance rhétorique ou interrogative, ou intro
duisent par exemple une interrogativité locale dans une phrase à tendance globale
ment ‘trop rhétorique‘ pour être déplacée de manière significative en direction du
pôle de l'interrogativité.
Or, il ne faut pas perdre de vue le fait que nous situons ces mécanismes au
niveau de la phrase.
Par ailleurs, il faut bien préciser que ce fonctionnement concerne l‘interrogative

17-2 Ensuite, le déroulement du dialogue révélera si cette stratégie a été suivie de l‘effet escompté,
ou si l‘interlocuteur cherche à s‘échapper du cadre ainsi imposé, par ex., en feignant d‘ignorer le
caractère rhétorique de la question.
56 La représentation critique du discours de l'autre
;

et aura, quant à sa réalisation, des répercutions sur la manière dont l'interrogation


se présente (ou autrement dit, la manière dont la question présente son énon—
ciation). Il ne faudrait pas en conclure que la réponse effective s'intègre forcément
dans le moule que lui propose la question. Le questionné peut accepter ou refuser
le cadre prévu et partiellement établi par la question. Ainsi, toute question, même
relativement nettement marquée comme destinée à une lecture rhétorique peut 'se
dissoudre' dans une réponse qui ne lui reconnaît pas son caractère spécifique et ne
le valide donc pas:
- Pourquoi roulez-nous que les enseignants soient forcément de gauche ?
- Ben, nous on ne veut rien du tout, mais c‘est un fait que traditionnellement, de par leur
origine sociale... (LE TÉLÉPHONE SONNE : ‘les enseignants et la gauche‘, France-Inter,
mars 1992).
A l'inverse, bon nombre de questions réalisent des interrogatives dont la struc
ture ne laisse en rien présager d'une quelconque possibilité d'usage rhétorique mais
auxquelles la réaction de l‘interlocuteur assigne un statut particulierm. Dans
l'exemple précis, il s‘agit d‘un procédé d'indirecfion permettant de ménager la face
de l‘interlocuteur dans un dialogue finalisé coopératif :
A— Que vaut cette solution ?
B_ Vous représentez le serveur avec 3 contrôleurs etlærnet ?
A— Comment dois-jefaire alors ? (Corpus MMIZ, 1988124, cité dans Sauerwein, 1990, p. 23)
ainsi que dans l’échange suivant:
A- Ok ! les points noirs : un bridge et un multiport repeuter pour le point 1 et le point 2. Un
bridge pour le point 3 !
3— Vous comptez placer des appareils dans des souterrains non protégés ?
A- Ok, donc on met les points 2 et 3 dans le bâtiment 81 l Le point 31 dans A2. (ibid., p. 22)
Dans les deux cas, l‘expert (B) pose une question que l'on peut considérer
comme demande de confirmation dans la mesure où son interlocuteur vient de dé
crire la solution que ce dernier propose (sous forme de dessin) et que l'expert doit
interpréter. L'interprétation qu‘en effectue le locuteur interrogé est explicitée par la
présence des connecteurs alors et donc dans la réaction à l’interrogation. En cas de
justification de la part de ce dernier, au contraire, la question de l'expert aurait eu
un statut interrogatif‘”. De telles interrogaüves qui peuvent maintenir ou perdre
leur potentiel interrogatif dans le discours constituent en effet un moyen très

113 Ici, nous appliquons très précisément le "principe d'interprétation dialogique" (Moeschler,
1982; pour une critique de l‘application de ce principe comme méthode systématique voir
Kerbrat—Orecchiorfi, 1989).
12" Il s'agit d'un corpus de 20 dialogues de consultation entre un expert en conception de réseaux
informatiques et différents interlocuteurs par écran-clavier interposé. Ces dialogues ont été
recueillis en situation expérimentale. (Voir aussi Sauerwein, 1990, p. 3 et surtout, Cahour. 191.
pp. 118-122).
135 Il importe peu de savoir les intentions réelles de B.
Chapitre 1 L'autre dans le_ discours oppositxf... 57

confortable pour celui qui les emploie. On ne peut jamais lui reprocher d'avoir émis
une quelconque critique ou réserve envers son interlocuteur. L'orientation négative
de l'interrogation ne surgit ouvertement que lorsqu'elle est acceptée et à travers
Cette acceptation même.
Nous parlerons dans ce cas d'interrogations discursivement rhétoriques. Dans
notre hypothèse globale, c'est—à-dire, sur l'axe bipolaire esquissé - donc linguisv
tiquement - les phrases correspondant à ce type d'interrogations se situent dans la
zone représentant une interrogativité forte126.
Au chapitre 2 nous étudierons les effets de certaines configurations du français
peu flexibles quant à leur situation sur notre axe conceptuel, mais qui, malgré leur
similitude apparente, couvrent toute une diversité de zones de ce continuum. Le
Chapitre 3 traitera d'un certain nombre de structures et de morphèmes de l'alle
mand dont la richesse combinatoire permet de saisir des mécanismes linguistiques
particuliers très variés, qui nous semblent être révélateurs de phénomènes plus
généraux concernant notamment la localisation de l'interrogative dans les zones
différentes de l‘axe que nous venons d‘évoquer.
Tout au long de cette étude, nous serons amenée à aborder les problématiques
que nous venons de développer à travers ce premier chapitre. Les descriptions d'un
certain nombre de phénomènes seront destinées à éclairer ces derniers de diverses
façons, afin de les faire apparaître, du moins nous l'espérons, sous une lumière
différente, et ce sur la toile de fond que constituent les questionnements présentés
jusqu‘ici, à savoir
- l'inscription de l'allocutaire dans le discours et l‘intégration de son discours
(dans la mesure où il est aussi ex-locuteur) dans celui qui y fait suite: cette
représentation peut être explicitement présentée comme telle ou non (reprise
assertée ou reprise montrée; cf. ci-dessus, section 1.1.2.).
' la mise en relation entre des moyens inscrits en langue et leur utilisation,
notamment dans le discours oppositif : jusqu‘à quel point l'usage lui—même est
contenu, voire 'prévu' dans les instructions qui se trouvent en amont de
l'énonciation.
' la place attribuée à l'autre et à son discours, les moyens et la fonction que
remplit une telle attribution dans l'interrogation.

12° Ce type de question est très répandu, surtout dans le domaine oppositif à caractère peu ou non
polémique, caractérisé par un ménagement relativement prononcé des faces (cf. 1.2.3.).
Chapitre 2.

Pourquoi voulez-vous que... ?


Deux structures langagières de la réplique oppositive en français
1. Indroduction: les "vraies" et les “fausses questions" en
Pourquoi voulez-vous que... ? - à propos de Milner & Milner

]. Milner et J.-C. Milner (1975) démontrent qu'en dehors de celles qu'ils ap—
pellent les “vraies questions" (ibid., p. 123) deux classes de questions en pourquoi
voulez-vous que...? peuvent être distinguées: les «questions de reprise» (ibid.,
p. 127) et les « affirmations clôturantes » (Milner, 1976, p. 59)‘. Cette distinction
nous semble d'autant plus intéressante qu'elle peut être rapprochée d'autres phéno—
mènes linguistiques beaucoup plus généraux.
D‘une part, certains des traits distinctifs de ces questions coïncident avec les
caractéristiques qui permettent de départager négation métalinguistique et néga
tion polémique2 en deux groupes et, d'autre part, elles constituent en quelque sorte
des prototypes des principales catégories oppositives répertoriées dans notre
corpus : à travers l'opposition au discours de l'interlocuteur on s‘oppose tantôt au
locuteur précédent en tant que tel, tantôt à l'interlocuteur en tant qu'être du monde
présent 'derrière' le locuteur précédent (cf. Ducrot, 1984, pp. 199-200).
Dans ce qui suit, nous allons tenter d'élargir la description détaillée fournie par
I. et J.C. Milner de ces deux types de questions, de manière à pouvoir saisir leur
fonctionnement dans l'approche argumentafive et polyphonique qui est la nôtre. _
Comme l'ont démontré J. Milner et J.-C. Milner (1975), il y a trois types
différents d'interrogatives en pourquoi voulez-vous : les « vraies questions » (Milner
& Milner, 1975, p. 123), les « questions de reprise » (ibid., p. 127) et les « affirma
tions clôturantes » (Milner, 1976, p. 59) :
- J'espère que mon fils clwisim le russe en seconde langue.
- Pourquoi roulez—nous qu'il apprenne cette longue ?
- Parce que j'aime bien l'entendre et, en plus, je pense que le russe a de l'atmir.
- Vous nous mpporfmz un beau crime, j'espère !
- Pourquoi roulez—nous que ce soit un crime ?
- intuition ." (Milner & Milner, 1975, p. 147)

1 En fait, cette appellation n'a apparemment été attribuée que rébuspecfivement à ce type de
"question". Dans cet article, Judith Milner fait allusion à Cette dénomination comme si elle avait
été utilisée dans l'article de Milner &r Milner (1975). Cependant, nous n‘en avons pas trouvé trace.
En fait, les auteurs se réfèrent avant tout aux "questions de reprise" qu'ils distinguent d‘un autre
"sous—groupe" (ibid., p. 127) pour laisser ce dernier de côté.
2 Nous nous fonderons ici sur la version des définitions de ces notions telle qu'elle est décrite dans
Ducrot (1984) et Anscombre (1990a).
62 La représentation critique du discours de l'autre

- je croyais que vous la connaissiez; sinon je n'en rois pas parlé d‘elle.
- Pourquoi tmuliez-wus que je la connaisse ? C'est la femme d'un employé et elle n‘est pour
moi qu'une cliente. (ibid., p. 145)
Dans les questions neutres telles que le premier exemple, le verbe vouloir peut
être remplacé par des synonymes comme souhaiter ou désirer et la paraphrase par
une interrogative indirecte est possible (cf. ibid., p. 124)? Ce qui n'est pas le cas
pour les « questions de reprise » et les « affirmations clôturantes » : le verbe vouloir
ne peut être remplacé par un autre verbe volitif et "l‘interrogative indirecte
introduite par je te demande ne serait pas ici une paraphrase; en revanche, il serait à
chaque fois possible de remplacer l'intenogafive contenant pourquoi veux—tu que...
V..., par une interrogative pourquoi... V..., en supprimant veux-tu et en mettant V au
conditionnel“ (ibid.).
Milner & Milner distinguent donc les « questions de reprise » (second exemple),
paraphrasables par 'pourquoi dis—tu + reprise textuelle' 4 des « affirmations clôtu
rantes » dont la paraphrase serait plutôt 'il n’y a pas de raison pour que ' ou 'il n'y a
pas d 'autre raison pour que ' (cf. troisième ex. ci—dessus). Comme nous l'avons
indiqué au premier chapitre, pour nous ces deux types d'interrogations sont aussi
de 'vraies questions‘. Dans ce qui suit, nous maintiendrons cependant la termino
logie de J. et J.-C. Milner concernant ces questions particulières, afin de ne pas
multiplier les appellafionsâ
1.1. Les « questions de reprise »

]. Milner et ].-C. Milner montrent que les « questions de reprise » sont très
proches du discours rapporté en style indirect : si elles ont pour particularité de
comprendre obligatoirement une mention textuelle (comme la citation en discours
direct), cette dernière est néanmoins subordonnée à la structure syntaxique et au
système de repérage déictique du discours rapportant.
Les auteurs remarquent que ces questions n‘admettent que la deuxième

3 Par ailleurs, les auteurs donnent encore les critères suivants qui permettent de distinguer les
questions neutres en pourquoi voulez—mus / veux-tu : "Puisque pourquoi interroge sur la cause ou
sur l'intention, ia réponse sera normalement de type final ou causal... Comme dans tous les
emplois de muloir, l'infinitif est obligatoire si le sujet de la compléfive est identique à celui de
vouloir. L'usage de la négation tant sur muloir que dans la complètive est libre.
L'usage des persmnes verbales est libre : vouloir peut avoir pour sujet aussi bien un nom qu'un
pronom et toutes les personnes sont admises. La complétive se situe dans le futur par rapport à
vouloir " (Milner & Milner, 1975, p. 124).
‘ En ce qui concerne les "questions de reprise", on pourrait ajouter à ces possibilités celle d'une
question indirecte : Pourquoi matez—mus que ce soit un crime ? -> Je ne vois pas de raison de dire que
c'est un crime. {Quelles sont vos raisons ?)
5 Ce choix aura pour inconvénient qu'à certains moments, nous serons amenée à parler
simultanément de questions et d'« afi‘irmntions (clôtumnæs) » à propos d'une même structure phras—
tique.
Chapitre 2 Pourquoi mariez—mus que. .. ? 63

personne et que le verbe vouloir y est toujours au présent. Le pronom interrogatif


est obligatoirement pourquoi et ne peut pas être substitué par pour quelle raison. Par
ailleurs, "ce qui est repris a dû être utilisé, à l'instant même, par un interlocuteur,
dans le dialogue. La «question de reprise» est donc réservée à l'échange de
répliques et suppose la présence d‘un interlocuteur réellement distinct de celui qui
parle“ (ibid., p. 130).
A propos de l‘usage du présent dans le dialogue, ils précisent qu'il peut être
étendu à l'énoncé précédent de l'interlocuteur : “il faut (et il suffit) que l’énoncé
antérieur de l'interlocuteur fasse partie du même échange linguistique que celui du
locuteur.... Le présent est le temps contemporain de l'énonciation, mais celle—ci doit
être entendue comme allocution, c'est—à-dire comme échange entre la paire des
locuteurs" (ibid., 1975, pp.133-134). L'usage du présent dans les « questions de
reprise » correspond totalement à cette définition.
La comparaison de la fonction du verbe vouloir dans les « questions de reprise »
aux verbes performatifs permet à J. et J.-C. Milner de constater que "mis à part la
personne, ce verbe, dans les « questions de reprise », a les propriétés traditionnelle
ment reconnues aux verbes performatifs" (p. 136). S’interrogeant sur les caractéris»
tiques éventuelles d'un performatif détaché de la première personne, ils arrivent à
la conclusion qu'une telle construction “ne peut introduire qu‘une citation ou une
reprise" (ibid.), ce qui les amène à avancer l'hypothèse que “veux—tu est un perfor
matif de deuxième personne“ (ibid., p. 137). Ainsi, "...par veux-tu, le sujet
d'énonciation placerait le sujet d‘énoncé - en l‘occurrence son interlocuteur — en
position d’avoir voulu " (ibid.). En demandant à son interlocuteur de justifier l‘usage
d’un terme, "un locuteur B met A en position d‘avoir voulu et non pas simplement
dit ce terme, de l‘avoir pris en charge, de s'être «commis» en le proférant. Là où, du
point de vue de A, il n’y avait qu‘énonciafion, apparaît, du point de vue de B, une
volonté respective“ (ibid.).
La personne présentée comme responsable du vouloir est donc bien l'être du
disc0urs, l'interlocuteur en tant que locuteur d'une partie de discours précédente,
celle qui est reprise de façon littérale. "l'acte de dire tu...le crée en tant qu‘inter
locuteur.... l‘énonciation de vouloir le met en position d'avoir voulu quelque chose
en parlant en première personne" (ibid., pp.137-138). A est mis en cause pour
l'usage d'un terme qui est présenté comme "prise en charge volontaire“ (ibid.,
p. 138).
Pour les auteurs, il s'agit d'une "locution performative de reprise“ qui "permet
de citer un terme d'autrui et met ce dernier en position d‘avoir pris ce terme en
charge. La forme interrogative, conjointe à la présence d‘une telle locution, revient
à interroger autrui sur cette prise en charge elle-même : c‘est—à—dire le mettre en
demeure de la justifier“ (ibid.).
64 la représentation critique du discours de l‘autre

1.2. Les « affirmations clôturantes »

En ce qui concerne les « affirmations clôturantes », J. et J.-C. Milner décrivent


leurs caractéristiques sans chercher à en rendre compte :
- Cette appellation provient de ce qu'elles peuvent clôturer un échange et cons—
tituer une réponse à une question. Elles ont donc un caractère assertif, ce qui
est confirmé par le fait que des enchaînements en puisque sont possibles.
- Ces questions, en plus de la deuxième personne, admettent aussi la troisième
personne du singulier qui peut y figurer sous la forme indéfinie on. La
deuxième personne ne renvoie pas nécessairement à un interlocuteur réel.
' Par ailleurs, les auteurs remarquent que le verbe vouloir n'y est pas toujours
au présent : “dans un contexte passé, et notamment a l’imparfait, c'est vouloir
qui porte le morphème d‘impartait, alors que c'est le fait dénote par la com
plétive qui est passé“ (ibid., p. 126).
- La reprise textuelle ou synonymique du discours précédent est possible, mais
elle n‘est pas obligatoire.
U Toujours selon les auteurs, pourquoi peut être remplacé par pour quelle raison.
- Comme déjà mentionné ci—dessus, les << affinnafions clôt-mantes » sont para—
phrasables par les assertions négatives Il n'y a pas de raison pour que ou Il n'y a
pas d’autre raison pour que.
0 Des questions semblables possédant les mêmes caractéristiques se cons—
truisent à l'identique par substitution de où, comment, qui, etc. à l'intenogafif
pourquoi.
- Comme les « questions de reprise » les « affirmations clôturantes » ont une
valeur négative. Elle semble être plus accentuée pour ces dernières, vu leur
caractère assertif.
2. « Question de reprise » et « affirmation clôturante »:
deux configurations argumentafives

Malgré leur similitude apparente, le fonctionnement sémantique et argumen


tatif des deux types d'interrogations est assez différent. Pour pouvoir saisir
chacune de ces deux structures dans toute leur complexité, il nous semble néces
saire, d'une part, d'étudier plus avant le fonctionnement de l'interrogatif pourquoi
et, d'autre part, de nous interroger sur le ou les sémantismes attachés au verbe
vouloir en général, ainsi que sur quelques particularités de ce verbe dans ce type de
constructions.
2.1. L'interrogation par pourquoi
Dans son étude approfondie sur l'adverbe pourquoi, H. Korzen (1985) met en
lumière plusieurs caractéristiques très intéressantes pour notre propos. Sa
remarque fondamentale porte sur le fait que l'adverbial de cause pourquoi s'emploie
"de deux manières" (p. 66).
2.1.1. Deux emplois de Pourquoi
Pour expliciter cette distinction, l’auteur se sert de la notion de phrase élémentaire
dont les membres ont un “caractère essentiel" (ibid., p. 58). Cette caractéristique se
manifeste par exemple dans le fait que la négation de l’existence de l‘un de ces
membres entraîne la négation de l'ensemble. Nier qu‘un événement a eu lieu à
quelque endroit que ce soit "revient à nier la proposition entière" (ibid., p.59).
Ainsi, dire : il ne joue nulle part revient à affirmer qu'il ne joue pas. H. Korzen
démontre que la cause ne fait pas partie des éléments essentiels : "pour agir, on
n‘est pas obligé de savoir pourquoi, mais on est obligé de savoir quand, où, comment,
etc." (ibid.). Par conséquent, l'existence d‘une cause précise n'est pas forcément
présupposée lorsque l‘on parle d'un événement.
L'auteur décrit deux emplois différents de pourquoi étant fondés sur la manière
dont le locuteur présente l'aspect causal par rapport à la phrase élémentaire. Le
locuteur peut la prendre comme point de départ et demander une explication. Pour
ce faire, il doit, s'il est sincère, croire au moins à la possibilité de l'existence de
quelque explication. Mais il peut aussi questionner en demandant la spécification
d'une ‘variable‘ causale étroitement liée aux éléments essentiels. Dans ce cas, le
locuteur "présente les choses comme si son allocutaire aussi connaissait l'existence
de la cause. Celle—ci fait donc partie de l'univers de discours commun aux deux
partenaires de la conversation" (ibid., p. 69). '
L'auteur donne l‘exemple suivant avec les deux paraphrases possibles :
Pourquoi votre beau-frère est—il parti ?
66 La représentation critique du discours de l‘autre

a Nous savons tous les deux que voire beau-frère est parti. Donnez une explication de
ce départ.
b Nous savons tous les deux que votre beauérère est parti pour une certaine raison.
Précisez la raison de ce départ. (pp. 67—68)
Le statut du causal n‘est donc pas du tout le même dans les deux cas de figure :
dans l'un, l'existence d‘une explication n‘appartient qu'à ce que R. Martin (1986)
appelle “l‘univers de croyance du locuteur" (p. 289), alors que dans l‘autre, le locu
teur le présente comme appartenant à l'univers commun. H. Korzen rapproche ces
différences d'une distinction établie par H. Nolke (1983) entre "présupposé fort" et
"présupposé faible" :

Dé]: PP:
Un présupposéfort PP d'une phrase ph est une proposition telle que l'énoncé qui
correspond à ph sera correct si et seulement si les conditions a. et b. sont
remplies :
a. le locuteur croit que PP est vrai
b. le locuteur suppose que l'interlocuteur croit que PP est vrai.
Def pp :
Un présupposéfaible pp d‘une phrase est une proposition (qui n‘est pas un P? de
ph) telle que l‘énoncé qui correspond à ph sera correct si et seulement si les
conditions a. et b. sont remplies :
a. le locuteur croit que pp est vrai
b. le locuteur suppose que l'interlocuteur ne pense pas que pp soit faux.
"On voit que la différence entre ces deux types consiste en ce que l‘interlocuteur
peut bien - aux yeux du locuteur - n‘avoir aucune opinion sur la valeur de‘ vérité
du présupposé faible, alors qu'il doit reconnaître d’avance la vérité d'un présup—
posé fort" (ibid., p‘ 33).6
Ainsi, pour H. Korzen, il existe un pourquoi qui présuppose faiblement l'exis
tence d'une cause qu'elle nomme “pourquoi incolore” (p, 68) - en raison d'une diffé—
rence intonatoire — et un second, de présupposi’clon forte, dénommé “pourquoi mar—
qué“ (p. 73) de sorte que
Pourquoi y u—t—iI des mgues ?

5 Il nous semble cependant que le locuteur peut très bien faire semblant de croire en l'acceptation
de la part de son aflocutaire, sachant par ailleurs parfaitement que celui—ci n‘admet pas du tout ce
qui est présupposé (PP). Il s'agit de la manière dont il présente son "univers de croyance" dans
son discours et nullement de ses "croyances" réelles (cf. chapitre 1). Par ailleurs, on remarque que
Nolke se place dans un cadre véricondifionnaüste, d'où les notions de "vrai" et de "faux" dans les
deux définitions.
7 Elle emprunte ce terme à Spang—Hanssen. E. 1963. Les prépositions incolores du français moderne.
G.E.C. Gads Forlag, Copenhague.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—mus que... ? 67

pourrait présupposer
a) il y a des vagues (+ présupposé faible : il y a une raison pour a)
ou bien
b) il y a une raison pour laquelle il y a des vagues.
Le présupposé fort a) correspond à l'assertion préalable de l'interrogation totale,
'ce qui tendrait à souligner la proximité, d‘un côté. entre l'interrogation partielle
avec “pourquoi incolore" et l'interrogation totale, proximité a laquelle conclut
H. Koræn suite a son étude comparative, et de l‘autre, celle entre présupposé et
assertion préalable mentionnée par ].-C. Anscombre & O. Ducrot (1983, p. 132).
2.1.2. "Pourquoi incolore" et “pourquoi marqué“
Partant du constat de la duplicité de pourquoi qui nous paraît tout à fait
pertinent, plusieurs possibilités se présentent pour ce qui est des deux types de
“questions" en pourquoi voulez-vous. objet de la présente étude : faut—il penser qu‘il
s‘agit du même emploi de pourquoi dans les deux cas de figure ? Si oui, la question
sera alors de savoir auquel des deux on a affaire. Dans le cas centraire, la distri
bution des emplois respectifs reste à déterminer. Pour ce faire, nous allons repren—
dre dans ce qui suit les critères principaux évoqués par l‘auteur qui peuvent être
appliqués à notre type particulier de question, bien que Korzen fasse remarquer
que "le pourquoi incolore et le pourquoi marqué sont très difficiles à distinguer“
(p. 73).
- Comme la dénomination qu‘elle choisit l'indique, à l‘oral, l'un ne porte pas
d‘accentuation particulière (présupposé faible), alors que le présupposé fort
peut être éventuellement audible grâce à l"‘accent d'intensité" : "la dernière
partie du mot, c’est—à-dire le —quoi, doit être fortement accentuée" (ibid., p.68).
- reprenant Gunnarson (1978)“, elle propose comme critère fondamental la pos—
sibilité de remplacer pourquoi par la locution pour quelle raison qui marque
clairement le présupposé fort et donc la variante “marquée".
° à la différence du "pourquoi marqué“, le “pourquoi incolore" peut "se rattacher à
l'énonciation“ (ibid., p. 81). Dans ces emplois, il questionne sur les raisons du
dire. L'interlocuteur est prié d'expliquer les raisons qui l'ont amené à énoncer
ce qui précède. L‘auteur illustre l’ambiguïté créée par cette possibilité en
donnant les paraphrases suivantes : “Qu‘est—ce qui a causé ce que tu racontes ?"
(ibid.) et “Quelles sont tes raisons de le dire ?" (ibid.).
- Enfin, une dernière propriété distinctive nous intéresse particulièrement car
elle semble être esænfielle pour les différences de fonctionnement entre
« question de reprise » et « affirmation clôturante»: elle concerne ce que

5 Gunnarson, Kjell—Àke. 1978. les questions en pourquoi. Polycopié, 59p. Institut d'études romanes,
Université de Lund.
68 la représentation critique du discours de l'autre

H. Korzen appelle les "constructions enchevêtrées" (1985, p. 137) ou encore


"imbriquées" (1990, p. 74). Ce sont des constructions qui comportent une
compléfive ou un syntagme infinitif enchâssé et dans lesquelles le morphème
interrogatif porte sur cette partie. En général, ce type de construction peut
être ambigu, dès que le verbe régissant est ce que Korzen appelle un "verbe
neutre" (1985, p. 138) : “les verbes neutres sont très souvent des verbes
d'opinion ou de déclaration (comme croire ou dire, par exemple). Mais on
trouve aussi d‘autres verbes dans ce groupe, par exemple un verbe comme
permettre qui exprime la possibilité" (ibid.). En revanche, lorsque "le verbe
régissant appartient au groupe... Ides] <verbes de nécessité>" (ibid., p. 140), le
mot interrogatif s'y rapporte obligatoirement. “Un tel verbe exprime soit une
volonté, un but vers lequel on tend, soit le contraire, c’est—à—dire quelque
chose qu’on cherche à éviter" (ibid.).
Quant à l'adverbial de cause interrogatif, "c'est la variante marquée... qui peut
introduire une construction enchevêtrée.... le pourquoi incolore ne peut pas
appartenir à la complétive ou au syntagme infinitif“ (139). Il s'ensuit que de
telles constructions permettent une identification claire tant de la clasæ à
laquelle appartient le verbe que de l'emploi de pourquoi, forcément marqué.
Dans ce qui suit, nous allons tenter d'utiliser ces critères pour appréhender les
structures verbales dont il est question ici. En raison des types de présupposés
introduits par les deux pourquoi et pour faciliter la lecture de la présente étude, il
nous semble préférable de substituer dorénavant les termes ‘pourquoi faible‘ et
'pourquoi fort' respectivement à ceux de “pourquoi incolore" et “pourquoi marqué"
proposés par H. Korzen.

2.1.3. Pourquoi dans les « questions de reprise » et les « affirmations clôtu—


rantes »
En ce qui concerne la première caractéristique distinctive, à savoir la présence
ou l‘absence d'accentuafion, elle n'est pas toujours évidente et surtout peu probante
pour notre recherche étant donné que nous ne disposons pas de trace sonore pour
tous les exemples recueillis.
Le second critère, la substitution de pour quelle raison à pourquoi, peut être rap
proché des remarques de J. et J-C. Milner (1975) qui considèrent que pourquoi peut
être remplacé par pour quelle raison dans les « affirmations clôturantes », tandis
qu‘une telle substitution serait impossible avec les « questions de reprise ». D'après
cette observation, nous aurions donc affaire à une distribution complémentaire:
pourquoi faible dans les « questions de reprise », pourquoi fort dans les "clôturantes".
Dans cette hypothèse, le fait que le pourquoi faible puisse porter sur l‘énon—
ciation est aussi compatible avec le caractère "de dicte" des « questions de reprise »
selon la description de }. Milner et ].-C. Milner. Elles questionnent le dire, et plus
particulièrement l'usage d‘un ou de plusieurs termes énoncés par l‘interlocuteur, Il
nous semble qu‘en plus des paraphrases données par ces auteurs, on peut leur
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus que... ? 69

substituer un énoncé elliptique où cette propriété de pourquoi apparaît plus claire—


ment :
— Et vous croyez qu'on en aura bientôt fini avec ces horribles divisions entre gauche et droite ?
- Pourquoi voulez-mus qu'elles soient (pause) HORRIBLES (poids accentuel) ? Non... Ce
sont des repères dont on a besoin. (Milner & Milner, 1975, p. 148)
—> Pourquoi HORRIBLES ? (Pourquoi dites—vous HORRIBLES ?)
Le quatrième critère est de première importance pour les « affirmations clôtu
rantes ». Pour nous, ce type d'interrogative est clairement une construction imbri
quée : de toute évidence l'interrogafif (qu‘il s‘agisse de pourquoi ou de pour quelle
raison) porte sur la subordonnée, ce que manifeste aussi la possibilité de paraphrase
en il n'y a pas de raison que + subordonnée où le <vouloir> est entièrement effacé, Ce
dernier point nous permet de considérer de manière univoque le pourquoi dans les
« affirmations clôturantes » comme un pourquoi fort“. En ce qui concerne les « ques—
tions de reprise », cette même caractéristique ne permet pas de déterminer avec
certitude la nature du morphème interrogatif, car en relation avec les constructions
simples il s‘agit en quelque sorte d'une propriété négafive‘°.
Ces quelques critères extraits de la description de pourquoi donnée par Korzen
semblent indiquer que, dans nos deux groupes d'interrogafives en pourquoi voulez
vous, il ne s‘agit pas du même emploi de ce morphème interrogatif.
Afin de nous interroger plus avant sur les conséquences qui en découlent, nous
allons chercher a saisir quelques aspects de base du verbe vouloir sans prétendre à
une description exhaustive.
2.2. Le verbe vouloir

Avant de tenter de décrire le fonctionnement du verbe vouloir dans les construc


tions qui nous occupent plus particulièrement, nous allons nous interroger sur
quelques propriétés de ce verbe en général.

2.2.1. Vouloir et le haut degré


Nous avons constaté que le verbe vouloir n'est compatible qu'avec un nombre
très limité d‘adverbes ou de locutions qui expriment toujours le haut degré :

9 Par ailleurs, de leur identification comme construction imbriquée il découle, d’après la descrip—
tion qu'en donne Korzen, que le verbe vouloir dans les "affirmations clôturantes" ne peut pas être
de même nature que celui des "questions de reprise“. Il doit y constituer obligatoirement un
"verbe neutre". Nous allons revenir sur la nature de ce verbe dans les "affirmations clôturantes”
ultérieurement (cf. 2.3.2.).
1” Il peut aussi bien s'agir d'un pourquoi faible que d‘un pourquoi fort suivi d'un verbe de nécessité.
D'ailleurs, rien n'oblige à croire qu'un pourquoi fort suivi d'un verbe neutre donne forcément lieu à
une construction imbriquée, ce qui diminuerait considérablement les possibilités d'ambiguïté.
70 La représentation critique du discours de l'autre

Il veut absolument connaître la vérité.


je voudrais absolument connaître la vérité.
Il voudrait tant connaître la m’rite’.
je voudrais tant connaître la vérité.
il veut à tout prix connaître la vérité.
le mudrais à tout prix connaître la tenté.
Ce verbe semble figurer difficilement avec des adverbes qui ne remplissent pas
cette condition11 :
Il vaudrait moyennement connaître la vérité.
je zmudrais moyennemth connaître la vérité.
Il tendrait relativement connaître la vérité.
le voudrais relatizement connaître la vérité.
Il mudmif faiblement connaître la vérité.
]e voudrais faiblement connaître la w’n‘té.
Il existe d'autres données qui semblent confirmer cet état de fait. Apparem
ment, les locuteurs ont tendance à renforcer les réponses négatives à des questions
comportant le verbe vouloir par un adverbe de haut degré :
- Est—ce que tu veux qu'il vienne ?
- Non, je ne veux pas. / Non, absolument pas.
- Pourquoi en voulez-vous à la presse écrite ?
- je n'en veux absolument pas à la presse écrite ! (France—Inter, 18—1-94)
En ce qui concerne le dernier exemple, avec encore un autre type de vouloir, en
vouloir à, la nécessité de renforcer le rejet est claire, étant donné qu‘il s'agit d‘un
refus du présupposé contenu dans la question. Néanmoins, une de nos hypothèses
est qu'il s'agit là d'une tendance plus générale. Pour en apporter la preuve formelle,
il faudrait effectuer une étude statistique portant sur un très grand nombre d'exem
ples attestés qui dépasserait évidemment le projet du présent travail.
On notera enfin que 1.-]. Franckel et D. Lebaud (1990, p. 131) constatent le
même type d'affinité avec le haut degré pour le verbe désirer. Cette remarque est
encore élargie par I.-C. Anscombre (1992, p. 149) : en fait, il s'agirait d'un phéno—
mène concernant aussi les noms de sentiment et les noms psychologiques”. Nous
reviendrons sur ce phénomène en 2.3.1.

2.2.2. Les sémantismes attachés au verbe vouloir


Normalement, tout ce qui fait (ou a fait) l'objet d'un «vouloir» n'est pas (ou

" à me pas confondre avec les exemples suivants où i'adverbe ne porte pas sur muloir, mais sur la
prise en charge sous réserve de l'énoncé dans son intégralité :
Il voudrait éoen facilement connaître la vérité.
Je voudrais éventuellement connaître la vérité.
13 Voir aussi Anscombre 1995 b.
Chapitre 2 Pourquoi roulez-mus que. .. ? 71

n‘était pas) encore réalisé. En témoignent les exemples qui suivent :


je tmdmis qu'il m'aide. /}e voulais qu‘il m'aidxît.
Je rmrdmis y aller. / Je malais y aller.
Il veut qu'elle vienne. / Il voulait qu‘elle oint.
Il veut le demander à Max. /H voulait le demander à Max.
Voulez—vous que ça sefasse ? / Vouliez-tws que ça sefit?
Voulez—vous le contacter .7 / Vouh‘ez»mus le contacter ?
On constate que la notion de vouloir va de pair avec l‘idée de non—réalisation au
moment de l‘énonciation ou au moment qui coïncide avec le repère temporel v ce
que souligne l‘emploi du subjonctif - tout en exprimant une attitude tournée vers la
réalisation. Il s'agit donc d'une projection qui ne correspond pas à la réalité, mais
dont le sujet de vouloir vise la réalisation dans un avenir plus ou moins immédiat,
d‘où l’affinité entre le futur et l'emploi (probablement) de base de mulair, relation
consacrée par une tournure impersonnelle dialectale où vouloir s'emploie comme
auxiliaire à la place d’aller 13:
On dirait qu'il meut pleuvoir. (Larousse de la Langue Française, 1979, p. 2031)
Dans d'autres cas, cette orientation vers l'avenir est moins apparente mais néan—
moins présente :
je tæux dire que...
Dans l'usage reformulafif de cette tournure, des paroles ont effectivement déjà
été proférées (dites), mais le locuteur a le sentiment que l'objet de son vouloir, son
but communicatif. n‘a pas été atteint et projette donc la partie manquante de son
dire“, la compréhension de son interlocuteur dans l‘instant d‘après.
Ou encore dans :
Je voulais dire rouge (et non pas orange).
Au moment de la première énonciation, au moment où le locuteur 'voulait’, il
n‘a pas dit rouge, mais orange. Dénonciation du terme rouge est donc postérieure à
ce <v0uloir>.
Ainsi, l'emploi métadiscursif semble aussi présenter les deux caractéristiques
fondamentales indiquées ci-dessus. En effet, on en trouve trace dans les obser
vations de divers auteurs.
D. Willems (1981) classe le verbe vouloir parmi un groupe de verbes opérateurs
qui peuvent être suivis d‘un verbe-complément à l'infinitif ou d'une complétive en

13 Le lien entre ‘volifif' et futur n'est pas exclusivement observable en français. Traugott (1989)
retrace l'évolution du verbe will de l'anglais ancien qu'elle qualifie de "volifional" (p. 48) et qui est
devenu un auxiliaire exprimant le futur. Elle fait remarquer que l'on trouve une réminiscenœ de
Cette valeur dans la forme négative suivante: me mon 't go (“maintenance of the voütional sense of
mil!" p. 52).
34 Langage et métalangage se superposant ici de sorte que dire pourrait en même temps porter
des guillemets en tant que citation textuelle.
72 La représentation critique du discours de l'autre

que + subjonctif. Il fait remarquer que “l'infinitif a une valeur future par rapport au
verbe opérateur.... Cet ensemble syntaxique correspond sémanfiquement aux
verbes dits de «volonté»" (Willems, 1981, p. 161). Plus loin, il regroupe cette classe
de verbes dans une entité plus large qui se caractérise par ce que "l'ensemble de ces
verbes pourrait être décrit comme des verbes de d15posifion à l’action“ (ibid.,
p. 185).
Cette dernière position est aussi celle de ].-J. Franckel et D. Lebaud (1990) qui
considèrent vouloir comme “verbe de visée" (p. 127, note 5) et qui précisent que
"visée suppose un choix ou une sélection active" (ibid., p. 131). Le sujet de vouloir
est donc Vu comme actif“.
M.l—I. Araùjo Carreira (1995, p. 112) souligne ce qu'elle appelle le caractère
"prospectif par nature sémantique intrinsèque" du verbe vouloir 16. Il s‘agit, en
d'autres termes, du versant actif ou dynamique de ce verbe tourné vers l‘avenir.
P. Charaudeau (1992) formule l‘autre aspect principal à l'aide de l'idée de
manque : “le locuteur...dit qu'il est dans une situation de manque qu'il voudrait bien
voir comblé, ce qui signifie qu‘il conçoit l‘action à réaliser comme bénéfique pour lui"
(Charaudeau, 1992, p. 610). On remarque que le premier trait fondamental,
l’aspiration au changement par rapport à ce manque, y figure aussi en tant qu"'ac—
tion à réaliser".
Tout se présente donc comme si le lexème vouloir renfermait en lui deux facettes
distinctes : l'une, passive, tournée vers le constat d‘une situation déficiente contem
poraine au moment de l'énonciation, l'autre aspirant à une transformation future et
marquée par la disposition à l‘action.
Ci-dessous, nous chercherons à décrire les effets de sens qui peuvent être
engendrés par ce caractère double du verbe vouloir.

2.2.3. Description topique du verbe vouloir


L‘interrogation sur la nature de ces traits caractéristiques du verbe vouloir nous
amène à les rapprocher de phénomènes constatés ailleurs.
0. Ducrot (1989 b, p. 8) et J.-C. Anscombre (1995 c) distinguent deux types de
topoï: topoï intrinsèques et topoï extrinsèques. Alors qu'un topos extrinsèque
"peu[t] n‘être utilisable[] de façon convaincante qu‘à l'intérieur d'une communauté
plus ou moins réduite“ (Anscombre, 1995 c, pp. 126—127) et peut être construit pres—
que librement par le locuteur lui-même, un topos intrinsèque fonde la signification

15 à la différence du verbe désirer où il “apparaît totalement passif relativement à son


désir....assujetfi par son désir" (ibid.).
15 Nous traduisons du portugais : "o volitivo «querer» é, por natureza semanfica intrinseca, um
prospecfivo"(Araüjo Carreira, 1995, p. 112). Nous transposons sans scrupules, car le fonctionne—
ment de ce verbe en portugais est tout à fait comparable à vouloir, ce qui ressort clairement de sa
communication ainsi que d'un autre article du même auteur (cf. Araûjo Carreira, 1994, p. 175).
Chapitre 2 Pourquoi roulez—vous que... ? 73

même d'un mot.


L'exemple suivant permet à l'auteur d'illustrer la configuration d‘un tel topos :
Pierre a cherché une solution, mais il n'a pas trouvé.
Pierre a cherché une solution, mais il a trouvé.
Il constate que, hors contexte spécifique, le premier exemple semble être bien
plus naturel que le second. Cela viendrait de ce que "le topos intrinsèque relie des
sommets dont les noms sont chercher (sommet initial) et trouver (sommet final). En
faisant provisoirement abstraction de la distinction entre les mots de la langue et
ceux de la métalangue, on est ainsi amené à dire , en simplifiant, qu'il y a trouver
derrière chercher" (ibid., p. 129). En ce qui concerne la différence d‘acceptabflité
entre les deux exemples, elle serait due au principe suivant : "si m et n sont deux
'mots' désignant les sommets respectivement initial et final d'un topos intrinsèque,
une structure de type m, mais non—n est possible, alors que la structure tu, mais n
est peu naturelle (...hors contexte)" (ibid., p. 128).
Il nous semble possible de rapprocher ces phénomènes des propriétés du verbe
que nous cherchons à caractériser. Comparons les exemples suivants” :
Pierre a cherché une solution, mais il ne l‘a pas trouvée.
Pierre a cherché une solution, mais il l‘a trouvée.
Clan: voulait qu'il vienne, mais il n'est pas venu.
Clam vouluit qu'il vienne, mais il est venu.
Comille veut (avoir) un chat, mais elle ne l'aura pus.
Camille veut (omir) un chat, mais elle l'aura.
Plus loin, l'auteur précise : "Dire de quelqu'un qu‘il cherche, c'est voir son acti
vité comme un argument en faveur de trouver. C‘est lui attribuer l‘attitude de quel—
qu’un qui désire trouver, le créditer d‘une disposition à trouver“ (ibid., p. 130).
Il nous semble que - de même que dans le sémantisme de chercher, il y a l‘idée
de trouver, alors que celui qui cherche n'a pas encore trouvé - vouloir contient l‘idée
de réalisation de son objet (faire ou obtenir), mais cette réalisation ne peut être an
térieure ou simultanée, on le remarque en comparant les deux paires d‘exemples
suivants. La bizarrerie de la seconde paire résulte de cette impossibilité :
Max est en train de chercher une solution, mais il n'a pas encore trouvé. (ibid., p. 129)
Cumille veut (avoir) un chat, mais elle ne l‘a pas encore.
Max est en train de chercher une solution, mais il n'a pas trouvé.
Chmille rami (avoir) un chat, mais elle ne l‘a pas.
Toujours selon J.-C. Anscombre, si le topos intrinsèque fondamental attaché à
vouloir oriente vers l'idée de réalisation de ce qui fait l'objet de cette volonté, l'inser—
tion de pourtant à la place de mais dans les exemples ci—dessus devrait s‘avérer

17 En ce qui concerne le lien chercher / trouver, nous reprenons toujours l’exemple de Anscombre,
(1995 c, p. 128).
74 La représentation critique du discours de l‘autre

comme plus problématique en raison du fait que ce connecteur "s'appuie


exclusivement sur des topo‘f extflnsèques" (ibid., p. 131). En effet, nos informateurs
semblent accepter moins bien les enchaînements suivants hors contexte spécifique :
Clam voulait qu'il vienne, pourtant il n‘est pas venu.
Camille veut (avoir) un chat, pourtant elle ne l'aura pas.
Camille veut (avoir) un chat, pourtant elle ne l'a pas encore.
On retrouve le trait fondamental du verbe vouloir, la projection dans l‘avenir de
quelque chose de non encore réalisé dans le présent, dans le proverbe Vouloir, c'est
pouvoir (Larousse de la Langue Française, 1976, p. 1522). On remarque l’idée de l'ac
tion en vue de la réalisation. Or, si l'on part du principe13 que la langue contient
une infinité de représentations idéologiques dont “une bonne partie est reflétée
dans les proverbes, dictons et idées reçues" (Anscombæ, 1995 c, p. 125) et que, en
ce sens, "une source de topoï très exploitée en langue est l'ensemble des proverbes"
(Anscombre, 1990 b, p. 228), on peut intégrer légitimement dans les topoï attachés à
vouloir - nous semble-t-il - cet aspect que véhicule aussi le proverbe.
Aussi, au caractère prospectif serait donc liée une disposition à l‘action. La paire
d’exemples suivante semble le confirmer :
Clam voulait qu'il vienne, mais elle n'a rien fiîit pour.
Clam voulait qu'il vienne, mais elle a tout fait pour.
On ne peut échapper à la bizarrerie du second élément de la paire, 3 moins de
l'interpréter de manière ironique. Par conséquent, un des topoï intrinsèquement liés
à vouloir pourrait être formulé de la manière suivante19 :
T0: /+ on veut que X, + on agit dans le but de réaliser X/
Cependant, nous avons constaté qu'il ne s‘agit pas du seul topos possible. En
effet, T0 trouve une application plus spécifique lorsque l‘objet de vouloir correspond
à une vision du monde. On peut formuler cette application précise sous la forme
suivante :
T] :/+ on veut voir les choses d'une certainefizçon, + on tente de les voir de cettefaçon—1M
il s’agit donc toujours de la 'facette active' de vonloir. Le glissement de Faction
en vue d'un but précis au résultat de cette action s‘opère facilement, ce qui fait
émerger une variante de T1 :
T1' : /+ on veut voir les choses d’une certaine façon, + on les voit de cette façon—là/ . '
T}' véhicule fondamentalement l’idée que tout savoir sur la réalité est médiatisé
par la perception, perception qui à son tour dépend du sujet qui perçoit, et donc de
sa volonté consciente ou inconsciente”.

“5 Cf. Anscombre 1984, 1989, 1990 a, b, 1991, 1994, 1995 d.


19 ou - pour reprendre ].—C. Anscombre n "du moins cette hypothèse ne nous paraît pas injustifiée"
(1995a, p. 41).
2° On verra plus loin que ce vouloir voir correspond en fait à une modalité particulière.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 75

En même temps, l'autre aspect fondamental, le 'noyau commun‘ de toutes les


acceptions de ce verbe
/ce que l‘on veut n‘est pas réalisé au moment où il fait l‘objet d‘un vouloir /
s'applique aussi à ce cas précis. On peut le formuler sous forme du principe
conditionnel suivant :
si l'on veut voir le monde de manière X, c‘est qu'on ne le voit pas de cette manière (au
moment où l'on veut X).
Par transitivité et en passant par
si on ne voit pas le monde de manière X, c‘est parce que le monde n'est pas X.
on obtient
si on veut voir le monde de manière X, c'est que le monde n‘est pas X.
Ce dernier principe peut être exprimé en termes de topos (ou plus précisément
en termes de forme topique) :
T2 : /+ la vision des choses est influencée par la volonté, — elle correspond à la réalité
'objective'/
Un tel topos est à l'origine de l'emploi de vouloir dans l‘exemple suivant:
Sophie tout que ce soit jules qui l'aitfoit, mais elle ou se rendre compte qu'elle se trompe.
Dans cette acception, vouloir ne peut exister à la première personne, sauf hors
de la prise en charge du locuteur, c’est—à-dire de manière non asserfive”, dans la
mesure où il sert à exprimer un écart entre ce que Sophie prend pour la réalité et
cette réalité vue par le locuteur.
En effet, le locuteur qui emploie le verbe de cette manière se présente donc
comme ayant déduit du fait que la personne Saphir: voit les choses d‘une certaine
façon, qu'elle y_ç_u_t_ les voir ainsi.
01', le seul cas de figure où la manière de voir révèle l'origine de cette vision est
celui d'une vision inadéquate aux yeux du locuteur. Ce dernier se présente donc
comme fondant son discours sur un topos de type :
/ + on voit22 les choses d'une manière particulière, + il est vraisemblable qu'on veut les
voir ainsi/
Ou plus précisément encore :
T2h : /- la vision des choses correspond à la réalité, + il est vraisemblable qu‘elle soit
influencée par la volonté/.23

21 Par ex. : l’eut—être queje veux...; Est—ce que je veux... ? , etc.


71 Il faudrait dire 'on croit voir' si l'on se place dans la perspective du locuteur et non pas de
l'autre, correspondant ici à un.
23 Il s‘agit de l'interversion de ce topos. Nous reprenons ici la terminologie de certains auteurs qui
considèrent le résultat d'une telle interversion comme "topos heuristique" (cf. Raccah, 1990, p. 189;
Karantzola, 1993, p. 35).
76 la représentation critique du discours de l'autre

dont il dérive le raisonnement suivant :


Si la vision des choses de 5 ne correspond pas à la réalité, c'est qu'elle est influencée
par sa volonté.
Ce qui lui permet de conclure :
Y veut que X.
Il ne faut cependant pas perdre de vue que tout ce mouvement se trouve en
amont de l'énonciation, telle qu'elle se présente elle-même
Ainsi, dire de quelqu'un qu'il 'veut voir' quelque chose d'une certaine manière,
équivaut, d'une part, à le situer sur l'échelle d'un <vouloir voir> à l'aide d'un
raisonnement fondé sur le topos fondamental T1' sous sa forme heuristique :
T1'h: /+ on voit les choses d'une manière particulière, + il est vraisemblable qu'on
veut les voir ainsi/ .
ou encore la forme heuristique de T2 (T211) qui en est très proche (cf. ci-dessus).
Mais, d‘autre part, en disant S veut que X, où X correspond à une vision du monde,
on convoque directement le topos rattaché à vouloir dans cette acception, c'est—à—
dire T2 ce qui revient à disqualifier le résultat de la vision ainsi influencée et le
sujet qui en est responsable.
Pour pouvoir dire 5 veut que le monde soit X, L doit avoir tiré cette conclusion à
partir du constat que la réalité est non-X. Cependant, ceci ne l‘empêchera pas de
conclure à nouveau, dans un second temps, à l'aide de T2, que non—X.
Dans ce mécanisme, ce qui paraît remarquable est le fait que les deux aspects
généraux de ce verbe, presque anti-orientés au départ, convergent dans ce
sémantisme spécifique pour produire une 'disqualification d'entrée de jeu' de la
représentation que l'on attribue à l'interlocuteur. Ce rejet, présenté comme
accompli au moment de l‘énonciation, peut être obtenu aussi bien au moyen de l'un
que de l‘autre des deux topoï principaux, T1‘ et T; sous leur forme heuristique
respective.
Ce dispositif énonciatif tel que nous venons de le présenter concernant le
<vouloir voir> fait preuve de circularité : d'un côté, le locuteur prend le constat de
non-X pour argument, afin d'en conclure que X constitue l'objet d'un <vouioir> de
S, c'est—à-dire que ‘S veut que M24 soit X',‘ de l'autre côté, la qualification de X
comme volonté de S entraîne directement la conclusion 'non-X'. Dans la section
2.3.2., nous tenterons de démontrer de quelle manière cette particularité peut être
exploitée.
Pour récapituler les liens précis qui existent entre T0, T1 et T2, reconsidérons les
diverses formes topiques abordées ci—dessus:
T0 : /+ on veut que X, + on agit dans le but de réaliser X/

24 Nous abrégeons M pour 'le mondeï


Chapitre 2 Pourquoi voulezmaus que. .. ? 77

T1 : /+ on veut voir les choses d'une certaine manière, + on tente de les voir ainsi]
T1' : /+ on veut voir les choses d'une certaine manière. + on les voit ainsi/
A ces trois formes descriptives correspondent les formes heuristiques
suivantes:
T0h : /+ on agit dans le but de réaliser X, + il est vraisemblable que l'on veut que X/
T1h: /+ on tente de voir les choses d‘une certaine manière, + il est vraisemblable que
l‘on veut les voir ainsi/
T1'h : /+ on voit les choses d'une certaine manière, + il est vraisemblable que l'on veut
les voir ainsi/
à distinguer de :
T2 : /+ la vision des choses est influencée par la volonté, — elle correspond à la réalité
objective/
T2h : / - la vision des choses correspond à la réalité objective, + il est vraisemblable
qu‘elle soit influencée par la volonté/
Nous avons déjà explicité le fait que T0/T1 et T2 émanent de ce que nous avons
appelé les "deux facettes distinctes“ de vouloir. T0, T1 et T]' constituent donc des
variantes de la 'face dynamique' de vouloir alors que T2 renvoie au second élément,
le versant statiqueä On remarque aussi la relative proximité entre T1‘h et T2h mal
gré le fait que le second constitue un topos “converse" (Anscombre, 1989, p. 29),
c'est—à—dire un topos dont les deux échelles sont parcourues en sens contraire, alors
que pour le premier il s‘agit d‘un topos direct.
Pour désigner les deux emplois auxquels sont rattachés les deux topoï T0 et T1,
nous avons parlé de deux acceptions différentes. Nous voudrions rapprocher notre
distinction entre <vouloir> et <vouloir voir> d’une autre, couramment utilisée,
entre autres, dans les théories concernant la modalité.
E. KarantZola {1993) distingue le “domaine de l‘action" et le domaine de la “con
versation“ (p. 208) en se fondant sur l'opposition entre monde socio—physiqne et
monde épistémique établie par E. Sweetser (1990), ou encore sur celle entre sens
déontique et sens épisténfique de E.C. Traugott26, Aussi bien Sweetser que Traugott
ajoutent à ces deux modalités de base des "metalinguisfic uses" (Sweetser, 1990,
p. ’72) ou des "speech-act-domain uses“ (ibid.; cf. Traugott,1989, p. 44).”
Un des exemples cités par E. Sweetser concerne le verbe anglais agree qui est
ambigu entre “agreement to (do something) and agreement that (something is true)"
(ibid., p. 69). Cette opposition entre application au monde réel et application au
monde du raisonnement (épistémique) peut être établie de la même manière par

3 Le caractère statique est donc issu de ce que Charaudeau envisage par le concept de manque.
3" Cf. Traugott, 1989, p. 35.
27 Nous reviendrons sur cette troisième catégorie plus loin (cf. 2.3.1.).
78 la représentation critique du discours de l‘autre

rapport au mot français correspondant23 :


le veux bien l'aider.
je œux bien (admettre / croire) qu'il ait besoin d'aide.
On remarque que le premier veux bien tend vers une réalisation pratique (active,
future), alors que le second reste à un niveau statique d'observation, ce qui est pro
pre à la modalité épistémique”.
Étant donné que ces deux niveaux nous semblent pouvoir être facilement mis
en parallèle avec nos deux "acceptions“ du verbe vouloir, nous proposons de for—
muler l’hypothèse suivante : le vouloir qui déclenche le topos T2 (basé sur T1, <vou
loir voir>) constitue en fait l'usage "épistémique" de ce verbe.30
Après avoir relevé ces quelques particularités liées au verbe vouloir, nous allons
tenter de voir de quelle manière ce même verbe est employé dans les « questions
de reprise » et les « affirmations clôturantes ».

2.2.4. Vouloir dans les « questions de reprise » et les « affirmations clôtu


rantes »
En analysant tous les exemples des deux types de questions rencontrés, on
constate que la grande majorité d‘entre elles ne nécessite pas de contexte particulier
pour les distinguer des questions moufles où le verbe vouloir peut être remplacé par
un autre Verbe de type volitif.
En fait, les exemples ambigus hors contexte sont ceux où la complétive peut
être interprétée comme se référant à une éventualité postérieure au moment de
l'énonciation.
Ainsi, le mécanisme permettant un fonctionnement univoque de ces deux types
de questions semble être simple : normalement, ce qui est évoqué dans la com
plétive est toujours antérieur ou contemporain à l‘échange en cours. Lorsque la
complétive porte sur quelque chose qui est situé dans le futur, elle est tout de
même traitéelcomme relevant du présent. En fait, elle est toujours présentée
comme acquise d'avance. Dans ce dernier cas, le contexte est nécessaire pour dés»
ambiguïser la question :
- Pourquoi veux—lu qu'on se lève demain à quatre heures du matin ?
pourrait aussi bien être considéré comme question neutre, alors qu‘inséré dans
son contexte, son caractère clôturant devient évident :

25 Il y a deux possibilités de traduction très proche : être d'accord ou bien vouloir.


2" Traugott l'exprime en disant à la suite de Lyons [Lyons, ]. 1977. Semanfics. Cambridge; Cam»
bridge University Press.] que la modalité épistémique "is concemed with matters of knowledge
and beliefs" (Traugott, 1989, p. 32).
30 Les détails concernant la modalité dépasseraient largement le cadre de la présente étude. Pour
tout ce qui concerne ce domaine on pourra se rapporter à la recherche exhaustive de M.H. Araûjo
Carreira (1997).
Chapitre 2 Pourquoi voulez—mus que. .. ? 79

- Où portez-vous en rmcances ? Si du moins vous partez... ‘


- Pourquoi veux—tu qu'on se lève demain à quatre heures du matin ? A Naples...
(Milner & Milner, 1975, p. 145)
La « question de reprise » et l‘« affirmation clôturante » divergent donc d‘une
question neutre avec le verbe vouloir avant tout par l‘absence de projection dans
l‘avenir.
Nous allons voir dans ce qui suit que la mise en cause de l‘interlocuteur présent
a degrés variables dans les deux types de questions provient au moins en partie de
ce jeu temporel inhabituel : on lui attribue une volonté portant sur ce qui est par
définition déjà hors de toute influence, car simultané ou même antérieur. Ainsi, on
le représente comme responsable d‘un vouloir absurde.
La perte d'une des caractéristiques habituelles de ce verbe, le fait que la com
plétive ne se situe pas dans le futur par rapport à vouloir, semble donc être déter—
minante pour le fonctionnement particulier de ces deux types de questions, et tout
d'abord pour leur identification par le sujet interprétant.
Cette observation est à relier à certaines remarques de Sweetser : “Sentences
concerning past actions are strongly weighted towards an epistemic reading
because real-world causality or modality can no longer influence frozen past
events.... Conversely, modals in sentences concerning future actions are weighted
towards a root reacling, although an epistemic reading is not excluded" (Sweetser,
1990, p. 64). Nous verrons en détail le lien exact entre le type d‘usage du verbe
vouloir et les questions en Pourquoi voulez-vous... ? (cf. 2.3.2. & 2.4.).

2.3. Pourquoi et vouloir dans les « questions de reprise » et les « affirmations


clôturantes »
Nous avons indiqué plus haut que les dispositifs topiques mis en place par les
deux types de questions ne semblent pas être identiques. Dans ce qui suit, nous
allons tenter de cemer de plus près les configurations argumentafives mises en
place. La dichotomie semble être due entre autres à une exploitation divergente du
potentiel sémantique du verbe vouloir grâce à un jeu polyphonique complexe, de—
clenché de manières différentes par les deux emplois de pourquoi.
Un locuteur qui questionne met toujours en place une structure polyphonique.
En ce qui concerne les questions totales en est—ce que p ? on considère généralement
que le locuteur fait intervenir trois énonciateurs : e1 correspondant au point de vue
exprimé par l'assertion préalable p, e2 exprimant l‘incertitude quant à p, et e3
représentant la demande de choisir entre p et “p (cf. Anscombre & Ducrot, 1983,
p. 130). -
Pour les questions partielles (ou questions wh—), qui ne comportent donc pas
d'assertion préalable à proprement parler, le schéma est semblable. Dans ce cas, le
premier énonciateur correspond au présupposé de la question qui serait à con
sidérer comme "un type particulier d'asserfion préalable" (ibid., p. 132). Cependant,
comme tout présupposé, cet élément de sens n'est pas asserté au sens fort: “l‘énon
80 La représentation critique du discours de l'au tre

ciateur E1... est assimilé à un certain ON, à une voix collective, à l'intérieur de la
quelle le locuteur est lui-même rangé" (Ducrot, 1984, p. 231). Un second énon—
ciateur e2 correspond à l'expression d‘incertitude quant aux raisons ou au bien—
fondé de ce qui est présupposé. Il est pris en charge par le locuteur.
La première différence entre les deux types particuliers de questions en pourquoi
voulez—vous...? semble donc être liée au point de vue mis en scène par l‘énonciateur
e1. Si l'on applique la distinction entre pourquoi faible et pourquoi fort avec les pré
supposés respectifs qui en découlent, e1 correspond pour les « questions de
reprise » approxùnafivement à :
(pp31) Vous voulez que X
En revanche, les « affirmations clôturantes » ont pour e1 plutôt quelque chose
comme:
(PP) Il y a une raison pour laquelle vous voulez que X
Dans ce qui suit, nous allons en analyser les conséquences séparément pour
chacune des deux structures interrogatives.

2.3.1. Les mécanismes mis en œuvre par l'énonciation d'une « question de


reprise »
Comme mentionné ci-dessus (cf. 2.1.3.), les « questions de reprise » comportent
un pourquoi faible. Étant donné que cet emploi de l‘interrogatif a pour caractéris
tique de ne mettre en place qu'un présupposé faible concernant la cause, la con—
stellation énonciative instaurée pourrait être représentée de la façon suivante"2 :
e1 : met en place la notion scalaire d'un <vouloir que X> appliqué à l'interloeuteur; il
s’agit du présupposé fort. E1 entraîne la convocation du topos T0/+ on veut que X,
+ on agit dans le but de réaliser X/ .
92 : convoque un topos heuristique T3 de type /+ on agit d'une certaine façon, + il est
vraisemblable qu'on ait des raisons d‘agir ainsi/; ce dernier énonciateur est
introduit par la présence du pourquoi faible : il s'agit du présupposé faible.
e3 : exprime l'iggorance concernant ces raisons d'agir de cette manière, cet énonciateur
appartient au domaine du montré.
e4 : crée "l'obligation de réponse" (Ducrot, 1983, p. 99 33 : et constitue la demande de
remédier à l'état d'ignorance, de combler ce vide.

31 Rappelons le sens de ces abréviations : pp - présupposé faible vs. PP - présupposé fort.


32 Il s'agit d'un développement plus complexe du schéma de base, bipartite, du questionnement.
L'ensemble des énonciatem‘s e] et 22 conespond à l‘abstraction 'énonciateur e1' du schéma géné
ral.
33 "... un énonciateur qui prétend, par sa parole même, obliger son destinataire à un comporte
ment linguistique spédfique, celui de réponse, c'est—à—dire l'obliger à prendre en charge l'une
quelconque des différentes assertions cataloguées comme réponses possibles" (ibid.).
Chapitre 2 Pourquoi voulez-vous que. .. ? 51

Par rapport à cette configuration plusieurs remarques s‘imposent.


D'une part, concernant 93, la présence de cet élément expressif est caractéris
tique de tout questionnement. Si dans les questions partielles, il ne porte que sur
une partie de la proposition, d'où le terme interrogation partielle, ses effets ne sont
pas très éloignés de ceux de "l‘expression d'une incertitude“ (ibid., p. 94) des inter
rogations totales : l‘ignorance peut entraîner le doute quant à l‘existence de l'élément
ignoré. La plupart du temps, le rejet d‘un élément a pour effet le rejet de la proposi
tion entière“.
D'autre part, nous constatons la présence de deux types de présupposés, l'un
(e1) apparemment fort, qui est hors de toute atteinte d'une éventuelle mise en ques
tion, et l‘autre (e2) faible, qui a une fonction proche de l‘assertion préalable des
interrogations totales et qui se trouve au centre de "l'activité interrogative"35. L'ins
tauration d’une hiérarchie entre les divers présupposés semble s'imposer, idée déjà
évoquée par O. Ducrot (1983): "il faudrait établir un ordre parmi les assertions
préalables (notamment parmi les présupposés)" (p. 91)“. La distinction établie par
Nalke entre présupposé fort et présupposé faible (cf. section 2.1.1.) pourrait cons
tituer une 'piste' possible pour une recherche allant dans ce sens.
Ainsi, la « question de reprise » présuppose donc le < vouloir > de l'interlocu
teur de manière forte de sorte que le locuteur se base sur ce vouloir dans son action
de questionnement qui porte sur le présupposé faible. Ce présupposé faible est (in—
directement) issu du topos intrinsèque de vouloir T0 (cf. 2.2.2.). Il s‘agit de l'orien—
tation active de vouloir en tant que verbe de visée. Son sujet étant à la deuxième
personne, l'allocutaire est représenté comme actif. Il désigne l'interlocuteur en tant
qu‘ex-locuteur. C'est ce dernier qui est représenté comme agent d'une volonté ten—
dant vers l'action. En fait, en tant que locuteur son faire consiste à dire: l'action en
question est d'ordre verbal. En tant que locuteur précédent, l'interlocuteur vient
d‘utiliser tel terme plutôt que tel autre pour donner une représentation de ce dont il
parle. Il est vu comme ayant convoqué des topo‘f à son gré et transformé par la
parole ce qu'il évoquait :
- Et Napoléon, en bon despote, continuait de massacrer les peuples d'Europe à sa fantaisie.
- Pourquoi veux—tu qu‘il ait été un despote ?
- Mais je pense qu'il illustmit très exactement un avatar de la notion de despote éclairé, c'est ce
qui explique qu'il... (Milner &r Milner, 1975, pp. 147448)

34 Ceci est systématiquement le cas pour les éléments essentiels au sens de Korzen (cf. supra,
2.1.1.), mais aussi, de manière indirecte, pour les compléments adverbiaux de cause. Ce trait est
exploité spécifiquement dans le questionnement rhétorique (cf. 2.3.2.1).
35 Nous utilisons ce terme comme dans ce qui suit celui d'action d'une façon tout à fait neutre à ne
pas relier aux dites "théories de l’action" (cf. par ex. Apostel, 1981).
35 Nous voudrions cependant réserver la notion d"'asserüon préalable" justement aux présup
posés faisant l'objet de la mise en doute interrogative, car nous pensons pouvoir préserver ainsi
une certaine unité entre interrogation totale et partielle.
82 La représentation critique du discours de l'autre

Dans cet échange, la question en pourquoi veux-tu a pour effet de transformer


l‘énonciation du mot despote en volonté consciente : dans un mouvement rétroactif
le dire du locuteur précédent devient, en sa qualité d'action, un faire basé sur une
volonté.
Le pourquoi faible, qui porte toujours sur le verbe principal, s'en prend donc à
cette action verbale. La question devient une demande de justification que l‘interlo—
cuteur est sommé de satisfaire.
Nous avons évoqué en 2.2.1. les possibilités de modification de vouloir par un
adverbe. L‘insertion de ces mêmes adverbes dans les « questions de reprise » révèle
que vouloir y garde son caractère scalaire :
- Et vous croyez qu 'on en aura bientôt fini avec ces horribles divisions entre gauche et droite ?
- Pourquoi matez—mus (à tout prix / absolument) qu'elles soient (pause) HORRIBLES
{poids accentuel) ? Non... Ce sont des repères dont on a besoin. (Milner & Milner, 1975,
p. 148)
Dans un tel exemple, l'insertion d'un adverbe de haut degré est possible dans la
mesure où la question porte sur le <vouloir> même et donc sur l'application de son
topos intrinsèque à l'interlocuteur avec plus ou moins de force. Cette application
peut être représentée comme se situant à un degré important. Dans ce cas, c‘est ce
haut degré même qui est au centre du questionnement. L‘interlocuteur est mis dans
l'obligation de justifier l‘intensité présupposée de son <lvouloir> et de l'action qui
s'ensuit.
Son renforcement est d‘autant plus plausible qu'il s'agit d‘un <vouloir> verbal,
c’est—à-dire d‘un <vouloir> de la part de l'interlocuteur en tant qu'ex-locuteur. La
représentation par un terme, le fait de nommer est dénoncé par le locuteur qui
énonce la « question de reprise » comme une façon de chercher a passer du <vou—
loir que X> à la réalisation effective de X. Ce passage à l'action est présenté comme
ayant atteint un degré extrême.
L’action de qualifier devient une action d’influence, de transformation de l‘objet
qualifié et l'interlocuteur est vu, en tant qu‘ex-locuteur, comme acteur verbal” que
l’on met en cause pour sa partialité. Ceci peut s'effectuer à des degrés variables :
plus son <vouloir> se situe à un haut degré, plus l'action qui en découle laisse
transparaître sa volonté de transformation. Ainsi, alors que ce type de pourquoi
veux-tu...? peut être pamphrasé par pourquoi dis-tu...?, la question renforcée
correspond plutôt à pourquoi insisæs—tu ...?33 Le locuteur responsable est d'autant
plus critiquable que ce <vouloir> est intense. Aussi, dans ce cas, cette mise en

37 En raison de ces caractéristiques, il nous semble que l’on peut situer ce type de question dans la
variante "métalinguistic use" (Sweetser, ibid.), vue comme appartenant au domaine de l‘action et
non pas comme épistémique (cf. ci—dessus, 2.2.3),
39 On remarque que ces paraphrases tendent à expliciter le second membre de ce que nous avons
décrit comme topos intrinsèque attaché au lexème muloir.
Chapitre 2 Pourquoi voulez-vous que... ? sa

cause se manifeste d‘avantage à travers la question.


Il ne faut cependant pas perdre de vue que cette représentation de l'interlocu
teur comme re5ponsable du discours précédent est rattachée au premier énoncia
teur lié à la partie présupposée de l'ensemble et, donc, présentée comme admise au
préalable. Le locuteur ne s‘identifie qu'aux derniers énonciateurs (e3 et e4) corres
pondant à l‘expression d'ignorance et la demande de réponse qui caractérisent le
questionnement en tant que tel.
Comme pour les interrogations totales, c‘est à l‘énonciateur relevant du do—
maine du montré qu'est due l'orientation argumentative négative. L'expression de
doute comme celle d‘ignorance ont pour aboutissement extrême, virtuel, la néga
tion de leur objet. Cette limite absolue fonde l‘usage rhétorique qui est le seul à
atteindre cet extrême.
En ce qui concerne la « question de reprise », l‘aspect négatif est clairement
présent sans pour autant prendre les dimensions d'une question rhétorique : tout
en mettant l'interlocuteur en cause, l‘interrogation confient toujours pleinement la
demande de réponse (e4, voir ci—dessus) et semble réclamer réellement une justifi
cation de la part de l'allocutaire.
Ce dernier point est présent dans la description des « questions de reprise » de
I. et ].-C. Mi]ner qui remarquent que les « affirmations clôturantes » diffèrent
notamment sur ce point. Nous chercherons à décrire avec exactitude le fonctionne—
ment de cette deuxième catégorie d‘interrogatives en pourquoi voulez—vous... ?.
2.3.2. Les mécanismes mis en œuvre par l‘énonciation d‘une « affirmation
clôturante »
Nous avons précisé en 1.2. que Milner et Milner distinguent les « affirmfions
clôturantes » paraphrasables par il n‘y a pas de raison que... de celles paraphrasables
par il n'y a pas d'autre raison que... En 2.3.2.1, nous nous limiterons aux premières.
la section 2.3.2.2. sera consacrée spécifiquement au deuxième sous-groupe.
2.3.2.1. Les mécanismes mis en œuvre par l‘énonciation d‘une « affirmation
clôturante » simple
Nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises dans ce chapitre (et notamment
en 2.1.1. et en 2.3.0) le fait que la nature différente de pourquoi dans les "clôhrrantes"
a pour effet d'établir un autre cadre présupposifionnel. Ainsi, il découle des ana
lyses de H. Korzen, d'une part, que les « affirmations clôturantes » contiennent un
présupposé fort de type 'il y a une raison de vouloir que X', mais, d‘autre part, que
le verbe vouloir ne se trouve pas dans la portée de pourquoi, puisqu‘elles constituent
ce qu‘elle appelle des "constructions imbriquées“ (cf. ci—dessus 2.1.3.). Nous avions
constaté aussi (cf. 2.1.2 et 2.1.3) que de l'identification d‘une telle construction
résulte celle du verbe régissant comme n'appartenant pas à la catégorie des "verbes
de nécessité". Dans les « affirmations clôturantes », il s‘agit donc d'un emploi de
vouloir comme "verbe neutre" d‘opinion, de déclaration ou de possibilité (cf. ibid.).
84 La représentation critique du discours de l'autre

Suite à notre présentation du <vouloir> des « questions de reprise » comme


orienté vers l'action (verbale), nous allons postuler que le <vouloir> dans les « affir
mations clôturantes » n'est pas actif, mais relève plutôt de l'ordre du constat. Au
tant, pour les « questions de reprise », l'assimilation de la volonté à l'action en vue
d'une réalisation est constitutive du verbe vouloir en tant que verbe de visée, autant
vouloir, dans les « affirmations clôturantes >>, est d‘une nature toute autre : il s'agit
d‘un <vouloir voir> ou <considérer>, un "vouloir épistémique" donc (cf. 2.2.3.),
susceptible d'entrer dans la catégorie des "verbes neutres“ de Korzen.
Il en résulte la représentation suivante de la configuration énonciative mise en
place par une « affirmation clôturante » :
e] : exprime l‘idée / il y a une raison que X/; cet énonciateur constitue le présupposé
fort de la construction imbriquée introduite par le pourquoi fort.
e2 : évoque la notion d'un <vouloir que m soit X> toujours appliqué à l'interlocuteur,
qui déclenche la convocation du topos T2/ + la vision dœ ch0ses est influencée par
la volonté, - elle correspond à la réalité objective] .
e3 : applique ce principe à la situation présente pour en conclure / vous voulez X, donc
non—X/ .
e4 : exprime l'ignorance concernant la ou les raisons de X.
e5 : conclut à partir de la conjonction de es et «34 à l'absence d'une telle raison.
On constate, d'une part, la complexité du disposin mis en place, et, avant tout,
l'étendue de la partie présupposit‘ionnelle sans prise en charge directe de la part du
locuteur. Ce dernier ne s'identifie qu'aux énonciateurs (34 et e5. Comme nous
l‘avons vu en 2.2.3., on peut remonter encore plus loin à l'intérieur de ce cadre pré
suppositionnel, d'après le principe de la 'poupée russe'. La mise en place de l'énon
ciateur e2 présente l‘énonciation comme basée sur toute une série de raisonnements
antérieurs qui, joints à e2 et il es, forment un ensemble à caractère tautologique.
D'autre part, on remarque l'absence de demande de réponse qui est due à la
nature conclusive de es responsable du caractère asseer des « affirmations clôtu
rantes »39.
Ce dernier point permet de considérer les « affirmations clôturantes » comme
questions rhétoriques. De telles questions se distinguent justement par la suspen—
sion de l'énonciateur responsable de la création de l'obligation de réponse. En plus,
la conclusion de l'énonciateur e5 consiste précisément en la négation du pré—

3" Par une réponse directe, l'interlocuteur peut toujours présenter la question comme mettant en
place un dernier énonciateur interrogatif et ce en vertu de e4. C'est en cela que nous considérons
cette structure comme 'vraie' question. Cependant les marques du caractère clôturant nous sem
blent être assez manifestes pour considérer la présence de cet ultime énondateur comme pure
ment virtuelle, c'est—à-dù‘e que sa mise en place n'est pas susceptible d'être réalisée lors de l'énon
dation.
Chapitre 2 Pourquoi voulez-vous que... ? 85

supposé fort (où, ce qui constitue une caractéristique essentielle des questions rhé
toriques partielles. Comme remarque A. Grésiilon (1980), pour un grand nombre
de questions rhétoriques partielles, "à la variable de la phrase interrogative n'est
pas à substituer une PN spécifique, mais un pronom globalisant avec un sens dia
métralement opposé“ (p. 280)“. La paraphrase il n'y a pas de raison nous semble
correspondre à un tel élément globalisant.
Le rapprochement des « affirmations clôturantes » des questions rhétoriques ne
devrait pas, cependant, amener à les assimiler de façon trop rapide aux interroga
tions rhétoriques totales comprenant le verbe vouloir que décrit Borillo (1981). Ces
dernières utilisent les verbes de volition pour exprimer “l'idée d‘un désir absurde
ou irréalisable ne correspondant à aucune possibilité de réalisation et qui, par con—
séquent, appelle le rejet" :
Voudrais-tu queje te plaigne ?
Tu voudrais peut—être queje te plaigne ?
Voudn‘ez—wus que je sois de bonne humeur ?" (ibid., p. 15).
Il ressort du commentaire de l'auteur, d’une part, qu'il s‘agit d'un <vouloir>
tourné vers la réalisation, et, d'autre part, que ce <vouloir> est rejeté et non pas
présupposé. Ce type de question rhétorique est donc bien éloigné de celui qui nous
préoccupe ici. ‘
En revanche, un au tre type de question rhétorique souvent remarqué (cf.
Korzen, 1985, pp.128-133; Martin, 1981, pp. 87—88) est donné aussi comme para
phrase possible par Milner & Milner. Il s‘agit des questions rhétoriques en pourquoi
sans le verbe vouloir.
H. Korzen qui parle d'un "type de questions rhétoriques au conditionnel“ (1985,
p. 128) remarque que l‘adverbîal de cause [y] a sa fonction habituelle" et que "la
valeur rhétorique... provient de la forme verbale. En employant le conditionnel, le
locuteur formule une réserve en ce qui concerne le contenu de la proposition modi— '
fiée par l‘adverbial de cause, contenu attribué à un «autre énonciateur» (dans le
sens où Ducrot emploie ce terme " (ibid., p. 129). Elle propose les exemples
suivants :
Pourquoi Michel serait-il content ?
Pour quelle raison
Pourquoi Michel ne serait-il pas content ?
Pour quelle raison
R. Martin (1981) affirme à propos de ce qu‘il appelle le “conditionnel U“ (p. 87)
qu‘il “n‘apparaît jamais dans une question vraie : l‘effet de sens obtenu est toujours
celui d'une question rhétorique, positive ou négative“ (ibid.). L‘exemple que

40 Nous traduisons de l‘allemand : "die Variable des Fragesatzes [ist] nicht durch ein spezifisches
NP, sondem durch ein verallgemeinemdes Pronomen mit ,,diametraler Umdeutung” (Abduflaev
1977. 267) au ersetzen" (Crésillon, 1930, p. 280).
86 la représentation critique du discours de l‘autre

l‘auteur donne pour les interrogations partielles est paraphrasable par une « affir«
mation clôturante » :
Pourquoi serait—il a Paris ? (p. 88)
Martin le commente d'une manière qui apparaît tout à fait compatible avec
notre analyse. Dans son cadre théorique la notion d"‘univers" lui permet d‘intégrer
des cas de distanciation ou d'absence de prise en charge de la part du locuteur par
rapport à des parties de son discours, ce que nous saisissons par une représentation
polyphonique d‘après Ducrot (1984 et 1990 a). Pour lui, "la présuppositîon véhicu
lée par pourquoi se trouve attribuée à U'. Le locuteur ne la prend pas en compte.
Dès lors, la question consiste à la contester et elle est interprétée négativement; em—
ploi comparable dans Qui leferait ?" (ibid., p. 88)“.
Nous avons fait remarquer un certain caractère tautologique de la majeure par—
tie du cadre présupposifionnel des « affirmations clôturantes ». il nous semble que
c‘est justement cette négafivité absolue qui constitue le marqueur du caractère rhé
torique ou clôturant négatif de ce type de phrases et qui mène à un degré maximal
de contraintes exercées sur la réponse. Il serait à mettre en parallèle avec le condi—
tionnel des questions rhétoriques mentionnées ci-dessus.

2.3.2.2. La configuration énonciative des « affirmations clôturantes » en


sinon42
Nous nous sommes limitée jusqu‘ici à la description des « affirmations clôtu
rantes » paraphrasables selon Milner & Milner par il n 'y a pas de raison que X. Or, il
se trouve que certaines de ces questions sont à interpréter autrement. Tel est le cas
dans l'exemple suivant :
- Où partez—mus en vacances ? Si du moins vous partez...
- Pourquoi veux—tu qu'on se lève demain à quatre heures du matin ? A Naples...
(Milner & Milner, 1975, p. 145)
où elle est paraphrasable par 'Il n‘y a pas d‘autre raison pour qu’on se lève...‘.
Ainsi l‘exemple suivant est ambigu hors contexte :
Pourquoi maux—tu qu‘elle l 'aitfait ?
n'est pas paraphrasable de la même façon selon qu'il suit

41 U' est à considérer comme un hétérounivers ou univers autonome. un énonciateur ou point de


vue provisoirement mis en place, semblable aux phénomènes que nous allons être amenée à dé—
crire au chapitre 3, section 2.3., concernant le verbe allemand soilen au subjonctif.
42 Il s‘agit de celles dont la paraphrase peut être Il n'y a pas d'autre raison (sinon /en dehors de celle
que nous connaissons tous les deux), d'où notre appellation que nous utilisons ici pour des raisons
de brièveté.
43 Il s’agit de celles dont la paraphrase peut être Il n'y a pas d'autre raison (sinon /en dehors de celle
que nous connaissons tous les deux), d'où notre appellation que nous utilisons ici pour des raisons
de brièveté.
Chapitre 2 Pourquoi voulez-mus que. .. ? 87

- Tu crois qu‘elle a écrit cette lettre ?


[— Pourquoi veux—tu qu'elle l'uitfoit ?
(paraphrase : Il n'y a pas de raison pour qu’elle l'ait écriæ)]
ou
- C‘est par méchanceté qu‘elle a écrit cette lettre ?
{- Pourquoi roux-tu qu'elle l'ait fait ?
(Il n‘y a pas d‘autre raison pour qu'elle l'ait fait)] .
Le contexte verbal (ou co—texte) semble donc amener l‘interprétant à sélection
ner l'une ou l'autre signification pour recréer un sens propre a cet énoncé.
Dans ce qui suit, nous allons tenter de caractériser ce qui distingue les deux
types de tours de parole qui peuvent déclencher cette « affirmation clôturante »
ambiguë hors contexte, afin de saisir la particularité du contexte qu'ils constituent.
(a) Tu crois qu'elle a écrit cette lettre ?
(la) C'est par méchanceté qu 'elle a écrit cette lettre ?
semblent avant tout ne pas porter sur le même thème. Ainsi en (a) l‘écriture de la
lettre par Z fait partie du progos dans la mesure où elle est au centre du ques—
tionnement, alors qu‘elle constitue le thème de (b).
Nous utilisons ici l'opposition entre thème et propos (ou théme/ thème) que l’on
trouve chez de nombreux auteurs“. ].-C. Anscombre en donne une définition
simple : "le thème, c‘est ce que le discours présente comme étant ce dont on parle;
le propos est ce que le discours présente comme étant ce que l'on en dit" (Ans
combre, 1990 a, p. 61).
Pour départager thème et propos, deux propriétés servent de critère : d‘une
part, celle concernant la position frontale dans l‘énoncé qui permet d'identifier le
thème, d‘autre part, les possibilités d‘extraction qui concernent le propos. J-C. Ans—
combre fournit la règle suivante : “Les expressions concernant le thème peuvent
être mises en position frontale, même si elles ne font pas partie du groupe sujet. Les
expressions relatives au propos et n‘appartenant pas au groupe sujet ne peuvent
occuper la position frontale" (ibid., p. 65). Il remarque par rapport au second critère
qu'«une des propriétés caractéristiques du propos est de pouvoir, lorsque des con
traintes syntaxiques ne s‘y opposent pas par ailleurs, subir l'extraction par c'est...
que ou c'est... qui» (ibid., p. 67).
En ce qui concerne nos deux questions (a) et (b), on observe tout de suite que
(b) présente une extraction par c'est... que ce qui nous permet de considérer le seg—
ment par méchanceté comme proæs. Il en découle l‘hypothèse, formulée ci-dessus,
que la suite de l'énoncé constitue le thème. Cette partie devrait donc pouvoir être
mise en position frontale“5 et ne pas supporter, en revanche, une telle extraction

‘“ P. Cadiot et B. Fradin (1988, p. 3) en dressent une liste allant de Platon aux travaux récents.
45 sauf en cas de présence d'autres contraintes coexistantes.
88 La représen tuliort critique du discours de l'au tre

sans modification significative de son sens :


(b') Elle aécril cette lettre par méchanceté ?
(b") C'est elle qui a écrit cette lettre par méchanceté ?
(b"')C'est cette lettre qu'elle a e’cfite par méchanceté ?
On constate que (b‘) est bien plus proche de (b) que (b") et (b‘") qui ne
constituent plus de réelles paraphrases en relation à (b)*. Notre hypothèse se
confirme donc: apparemment on peut considérer elle a écrit cette lettre comme
thème de l’énoncé (b).
Quant à (a), cette même partie peut être antéposée, mais ce fait n‘est pas réelle
ment pertinent en tant que critère, étant donné que le segment en question
commence par le groupe sujet. En reVanche, contrairement à (b) l‘extraction globale
est possible en (a) :
(3) C‘est qu'elle a écrit cette lettre, c'est ce que tu crois ?
(Est—ce que ce que tu crois, c‘est qu‘elle a écrit cette lettre ?}"P
Il semble donc que l‘on peut considérer en (a) le segment elle a écrit cette lettre
comme propos, la croyance de l'interlocuteur constituant le thème.
Concernant plus précisément les questions“, ].-C. Anscombre remarque encore :
"dans une question, une expression concerne le thème si elle est destinée à être
reprise explicitement ou implicitement dans la réponse à cette question" (ibid.,
pp. 61—62). Plus loin, il en dérive une caractérisation du thème d'une affirmation” :
"une expression appartenant à une affirmation est relative à un thème si elle est
reprise d‘une question dont elle serait la réponse... Il peut s'agir d‘une question
virtuelle, à condition bien sûr, qu'on la conçoive en fonction de la cohérence du
texte“ (p. 62).
Considérons donc de nouveau nos deux couples question/ réponse :
- Tu crois qu‘elle a écrit cette lettre ? ’

‘5 (b) et (b’) autorisent les mêmes enchaînements, ce qui n’est pas le cas pour (b") et (b‘").
"7 Nos informateurs semblent mieux accepter la question en est—ce que... dans ce cas précis. Bien
que cette forme ne soit pas tout à fait équivalente aux questions purement intonatives, la diffé—
rence ne semble pas affecter la délimitation entre thème et propos.
43 Le lecteur remarquera que dans les exemples donnés ci—dessus, comme dans ceux qui suivront,
le tour de parole déclencheur de "l‘affirmation clôturante” en 'sinon ‘ est toujours une question.
Sans que cela permette de généraliser, en effet, nous n‘avons pas encore vu d'exemple où cela
n'est pas le cas. A première vue, la tendance des "affirmations clôturantes" 'simples' de figurer en
réponse/réplique à une question (totale la plupart du temps) semble s'observer de manière en—
core plus systématique concernant les "affirmations clôturantes" en 'sinon'.
49 Un de nos problèmes réside évidemment dans le fait que nous avons affaire à des réponses
sous forme interrogative, problème que l'on peut contourner en substituant ici les paraphrases
clairement affirmatives aux "interrogafives clôturantes" :
a) Mais non (je ne le crois pas), parce qu'il n‘y a pas de raison qu'elle l‘ait fait.
1)) Mais si, il n‘y a pas d‘autre raison qu‘elle l‘ait fait.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que. .. ? 89

- Pourquoi veux-tu qu'elle l'aitfait ?


- C'est par méchanceté qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux-tu qu'elle l‘aitfait ?
Dans la première paire l'«affirmation clôturante» reprend le propos de la ques—
tion, alors que dans la seconde sa complétive concerne le thème.
Ce constat nous amène à formuler une hypothèse :
Lorsque la complétive suivant vouloir que reprend le thème du tour de parole
précédent, elle comporte un implicite qui peut être explicité à l'aide de sinon.
Dans ce cas, sa paraphrase est il n'y a pas d'autre raison que... Lorsqu'elle en
reprend le propos, il s‘agit d'une « affirmation clôturante » iup_pÆ (paraphra
sable par il n‘y a pas de raison que).
L‘exemple qui nous a permis de construire cette hypothèse semble permettre de
la vérifier aussi au moyen d‘une petite manipulation. En fait, lorsque l'on trans
forme l'« affirmation clôturante » complexe50 de manière a ce qu‘elle porte claire
ment sur ce que nous avions identifié comme propos, elle devient « affirmation
clôturante » simple :
- C'est par méchanceté qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu'elle l'ait fait par méchanceté ?
Pour cette variante la paraphrase est bien il n'y a pas de raison que...
Nous allons tenter de confronter notre hypothèse à un autre couple d'exemples,
afin d’en évaluer l'applicabilité. Comparons :
- Vous n'êæs pas partis en neck—and ?
- Pourquoi veux-tu qu'on se soit levés à 4 heures du matin ? Pour unefois qu‘on peut dormir...
- Vous n‘êtes pas obligés de vous lever à 4 heures du matin pour ça ! (Milner & Milner, 1975,
146)
- Vous n'êtes pas partis en rtæek—end ?
- Pourquoi veux-tu qu'on se soit levés à 4 heures du matin ?
- Vous pouviez le faire pour admirer le lever du soleil — ou pour n‘importe quelle autre raison,
d‘ailleurs, (ibid.)
Ces deux exemples se distinguent de ceux analysés précédemment dans la
mesure où les « affirmations clôturantes » ici ne comportent pas de reprise directe
ou paraphrasttque de la question à laquelle elles répondent. À première vue, on ne
peut plus considérer la complétive de la question en Pourquoi voulez—vous comme
reprise directe du thème ou du propos de la question qui la précède. Ce lien semble
être de nature différente.
En ce qui concerne le premier exemple, L2 met en place une structure assez

50 Pour des raisons de commodité nous introduisons ce terme. Cependant, il ne faut y voir de lien
avec ce que l’on appelle en grammaire généraüve les "interroga lives complexes“ ou
"péfiphrastiques"(cfi Obenauer, 1981. p. 100 et séq.).
90 La repräærttafim critique du discours de l'autre

complexe : il enchaîne sur le point de vue de L1, en reprenant le thème de la


première question /partir en week-end/, -à travers la mise en scène d'un
énonciateur e1 qui convoque un topos de type
/+ on part en week-end, + on doit se lever tôt/
Le point de vue de cet énonciateur n’est pas explicité dans le discours. Il
constitue un propos dont on trouve la trace dans l’enchaînement qui suit, qui se fait
apparemment sur cet implicite. Ce topos permet au locuteur d'avancer à travers un
second énonciateur e2 la notion d'un <vouloir que L2 se soit levé à 4 heures du
matin> appliqué à l'interlocuteur, qui déclenche la convocation du topos /+ la
vision des choses est influencée par la volonté, - elle correspond à la réalité objec
tive/ .
Comme pour toute « affirmation clôturante » simple, un troisième énonciateur,
e3 applique ce principe à la situation présente pour en conclure /vous voulez X,
donc non—X/ (cf. 23.21.). Par ailleurs, la présence du pourquoi fort comme dans
toute «affirmation dôturante » (cf. 2.1.3.), a pour effet d‘introduire deux autres
énonciateurs, e4 et e5. E4 constitue le présupposé fort de la construction imbriquée,
/ il y a une raison que X/ et as exprime l‘iggorance concernant la ou les raisons de
X. Un dernier énonciateur e5 conclut à partir de la conjonction de e3 et as à l’ab—
sence d‘une telle raison.
Ainsi, on remarque la présence d‘un énonciateur e] implicite mis en scène par
L2, mais qui est présenté comme faisant partie du discours de L1. Le locuteur attri
bue explicitement à l‘allocutaire ce point de vue pour refuser d'y adhérer lui-même.
C‘est ce refus qu'explicite le second énoncé (Pour une fois qu 'on peut dormir...)
L‘« affirmation clôturante » joue ici donc son rôle habituel et aboutit par le méca
nisme décrit en 2.3.2.]. à la disqualification du point de vue présenté comme partie
intégrante de la question qui précède.
Le caractère nécessaire de ce point de vue précis que le locuteur présente
comme incontournable pour justifier son refus global est d'ailleurs contesté ensuite
par l'interlocuteur.
Quant au second exemple, cette relation est différente : se lever à 4 heures du
matin semble être le seul point de vue auquel les deux interlocuteurs adhérent de
manière unanime.
Ce constat nous amène à nous interroger tout de même, malgré l'écart apparent,
sur la relation entre la question initiale et l'« affirmation clôturante » concernant le
découpage en thème et propos. Pour que notre hypothèse initiale corresponde aux
données, il faudrait que se lever à quatre heures du matin constitue dans le premier
exemple le propos de la question de L1, et dans le second, le thème.
En fait, il semble être impossible de déterminer de manière univoque le thème
de la question de L1, vu que ce disœurs n‘en contient pas de trace précise. Or,
d'après les définitions citées ci—dessus concernant le découpage dans les questions
Chapitre 2 Pourquoi matez—mus que. , ? 91

et les réponses, le thème d‘une question serait ce qui est susceptible d'être repris
dans une éventuelle réponse, alors que celui d'une affirmation serait ce à quoi cette
dernière pourrait servir de réponse. L‘application de ces deux principes semble
nous mener à une contradiction : d'une part, la question de L1, identique dans les
deux exemples, se présente comme appelant une réponse prenant position par rap—
port au point de vue 'départ en weekænd', que ce soit sous forme d'acquiescement
ou sous forme de refus. D'autre part, la réponse de L2, c'est—à-dire l'« affirmation
clôturanœ », selon que l'on l'interprète connue « clôturante » simple ou complexe,
ne se présente pas de la même manière. En effet, le test de l'extraction appliqué
cette fois à l'« affirmation clôturante » confirme une distribution en thème et pro—
pos divergente pour les deux exemples:
— Qu'on se soit lL’UÉS à quatres heures du matin, c'est ce que tu toux ?
Ici, le thème concerne le 'vouloir' de L1, tandis que se lever à quatre heures du
matin apparaît comme propos. Cette variante ne peut manifestement pas être
insérée dans le second exemple, alors qu‘elle trouve facilement sa place dans le
premier. Inversement, celle qui a pour effet de restreindre le propos pourrait se
substituer, abstraction faite de sa grande lourdeur, à l'« affirmation clôturante »
complexe du deuxième exemple :
— C'est pourquoi (que tu veux) qu'on s'est levés à 4 heures du matin ? (si ce n'était pas pour
partir...)
Dans ce cas, on s'est levés à 4 heures du matin fait donc partie du thème dans
l'« affirmation clôturante » qui y figure comme réponse. Cette dernière se présente
comme réponse à une question dont le thème serait 's'étre levés à 4 heures du
matin‘ et le propos 'en raison d'un départ en week-end'. Ainsi, la réplique de L2
serait tout à fait plausible en réponse à la question suivante :
- C 'est pour partir en neck—sud que nous vous êtes loués à 4 heures du matin?
Ÿ Pourquoi veux-tu qu'on l'aitfoit, sinon ?
Or, dans cette première question de L1, le départ en week-end figure mani
festement comme propos.
A la lumière de ce qui précède, il apparaît donc nécessaire de modifier légère
ment la formulation de notre hypothèse initiale, afin d‘éviter cette ambiguïté51 :
Lorsque la complétive suivant vouloir que reprend ce qu‘elle présente comme
étant le thème du tour de parole précédent, elle comporte un implicite qui peut
être explicité à l'aide de sinon. Dans ce cas, sa paraphrase est il n‘y a pas d'autre

51 Le caractère ambiguë du découpage en thème et propos est dû à la possibilité de ce choix de


perspective: on peut tenter de déterminer le thème de la question en partant des réponses vir—
tuelles qu' elle semble appeler, comme on peut se positionner du côté de la réponse effective, et
donc du côté de la représentation qu'elle donne de la question qui est censée l'avoir provoquée.
Dans notre cas précis les deux ne coïncident pas.
92 la mprésenùräon critique du discours de l ‘autre

raison que... Lorsqu'elle reprend ce qu'elle présente comme étant son propos, il
s'agit d'une « affirmation clôturante » simple paraphrasable par il n‘y a pas de
raison que.
Ainsi, admettant cette hypothèse, on constate que parallèlement à la première
série d‘exemples où la reprise en sinon concerne le cadre thématique de la question
de L1, pour les secondes, il s’agirait aussi de ce qui est présenté comme thème.
Il nous semble intéressant d‘examiner maintenant de plus près ce qui suit
l'« affirmation Clôturante » du premier exemple, c‘est-à-dire la contestation de la
part de L].
- Vous n'êtes pas obligés de vous lever à 4 heures du matin pour ça ! (Milner & Milner, 1975,
146) -
En effet, le thème initial partir en week—end est repris par ça, alors que l'anaphori
sation de vous lever à 4 heures du matin apparaît comme moins habituelle que dans
le second exemple :
- Pourquoi veux—tu qu'on se soit levés à 4 heures du matin ? Pour unefiJis qu'on peut dormir...
a Vous n'êtes pas obligés de vous lever à 4 heures du matin pour ça !
b Vous n‘êtes pas obligés de leflaire pour partir en ueek—endl
c Vous n'êtes pas obligés de lefaire pour ça !
Ici, se lever à quatre heures du matin est présenté comme faisant partie du propos
de l' « affirmation clôturante », le thème (ou sousthème) de la question concernant
toujours le départ en week-end. On comprend alors la préférence pour
l‘anaphofisafion du départ en mek-end (a) : Un thème ou sous—thème, comme tout
espace de type "cadre" (cf. Ansc0mbre, 1989, 1990 a, 1992 et Ducrot, 1979) peut être
repris sous forme d’amphore dans le discours qui suit. Aussi, dans le second
exemple, l'allocutaire intègre en revanche les autres éléments (se lever à quatre heures
du matin) sous cette forme dans sa réplique justificative :
- Vous n'êtes pas partis en neck—rend ?
- Pourquoi veux-tu qu'on se soit lavés à 4 heures du matin ?
- Vous pouviez le faire pour admirer le lever du soleil - ou pour n'importe quelle autre raison,
d'ailleurs.
Ces observations semblent donc corroborer notre hypothèse. Nous constatons
ainsi pour l'« affirmation clôturante » complexe. réplique de L2, qu'elle reprend
systématiquement dans sa complèfive ce qu‘elle présente comme thème du dis—
cours de L1.
La distinction entre « affirmation clôturante» simple et «affirmation clôtu—
rante » en sinon ne peut donc être opérée qu'à un niveau discursif, alors que celle
entre « question de reprise » et « affirmation clôturante » se révèle par des indices
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 93

tantôt linguistiques52 tantôt discursifs.


Les « affirmations clôturantes >>, simples ou complexes, permettraient donc de
créer une image relativement libre, respectivement du propos et du thème, de
l‘énoncé précédent. Il nous semble que c'est justement dans cet aspect que réside le
grand pouvoir des « affirmations clôturantes » en général. Leur capacité 'manipu
latt‘ice‘ qui permet au locuteur de retourner à son gré le discours qui précède est
fondé sur cette possibilité de représenter ce discours de manière fortement distor
due par rapport à son thème ou son propos initial.
Par ailleurs, une remarque supplémentaire reste à faire concernant cette distinc
tion entre « affirmations clôturantes » simples et complexes. Il nous semble que la
formulation avec préposition + quel/le tend à faire basculer l‘interprétation vers un
sinon implicite, c‘est—à-dire la variante complexe”.
Par la décomposition de la structure polyphonique interrogative des « affinna
tions clôturantes i> complexes, on aboutit à la configuration suivante :
e1 : exprime l'idée Z / il y a une autre raison que Y pour X/; cet énonciateur constitue
le présupposé fort de la construction imbriquée introduite par le pourquoi fort.
e2 : évoque la notion d'un <vouloir que Z> toujours appliqué à l’interlocuteur, qui
déclenche la convocation du topos T2/+ la vision des choses est influencée par la
volonté, - elle correspond à la réalité objective].
e3 : applique ce principe à la situation présente pour en conclure / vous voulez qu'il y
ait une autre raison pour X que Y, donc Y/.
en; : exprime l'ignorance concernant la ou les raisons de X autres que Y.
e5 : conclut à partir de la conjonction de e3 et e4 à l'absence d'une telle autre raison.
On remarque que, contrairement à l'« affirmation clôturante » simple, dans cette
configuration X est hors de toute mise en question, ce qui est dû à son statut
thématique. Le questionnement porte uniquement sur les raisons de X. C’est cet
élément X que nous avons décrit ci—dessus comme faisant partie du thème du
discours de L] selon la représentation qu'en donne l'« affirmation clôturante >>

51 Cf. 1.; par exemple la possibilité pour le verbe vouloir de figurer au passé dans les "affirmations
clôturantes" contrairement à ce que l‘on observe pour les "questions de reprise".
53 Ceci se comprend aisément, si l'on songe au fait qu'une question en quel a pour caractéristique
d'introduire de manière appuyée (cf. “présupposé fort" chez Korzen, 1985, d'après Nolke, 1983,
p. 33; voir d-dessus 2.1.1.) un présupposé d'existence concernant l'objet de son questionnement.
Comparons :
Comment veux-tu qu'il lefasse ?
De quelle manière veux-tu qu'il le fasse ?
Où teur—tu qu'il aille ?
A quel endroit teur-tu qu'il aille ?
Quant au rapport étroit entre présuppositîon et thème, qui coïncident souvent, voir Anscombre
(1990 a, 1992 a et 1994).
94 La représentation critique du discours de l’autre

complexe de L2.
Ainsi on peut observer encore une autre différence: contrairement aux « affir
mations clôturantes » simples qui évacuent la causalité pour la rattacher globale
ment à l'énonciation“, les complexes préservent un certain caractère causal ou
final. Comparons :
- Tu crois qu‘elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi maux—tu qu'elle l'aiifait ?
— C'est par méchanceté qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu'elle l'uitfait par méchanceté ?
« C‘esi par méchanceté qu‘elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu‘elle l'aitfuit ?
- C'est pour l'embêter qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—lu qu'elle l‘uitfaii ?
Il faut se rappeler que dans les deux premières paires, l'« affirmation clôtu
rante » reprend le propos de la question, alors que dans la troisième et la qua—
trième, la compléfive concerne le thème. Comparons maintenant un certain type de
paraphrases :
a) Il n’y a pas de raison qu‘elle l’ait fait.
b) Il n'y a pas de raison qu‘elle l’ait fait par méchanceté.
c) Il n'y a pas de raison qu‘elle l'ait fait si ce n’est par méchanceté.
d) Il n‘y a pas de raison qu'elle l'ait fait si ce n‘est pour l'embêter.
Tandis qu'en a) et b), on disqualifie globalement à partir du constat d'absence
de raisons valables, c) et d) portent respectivement sur la cause et la finalité de ce
qui est présenté comme propos.
Ceci pourrait tenir au fait que le complément de cause se rattache à ce que
H. Korzen considère comme "phrase élémentaire" (Korzen, 1985, p. 58; cf. 2.1.1.). Il
semblerait que cette "phrase élémentaire“ doive donc être présentée comme admise
pour que le questionnement puisse porter sur ses causes. Inversement, la mise en
question du propos précédent sert plutôt à disqualifier globalement un énoncé (à
travers les raisons qui y ont conduit).
Avant de revenir plus globalement sur ces deux grands types de questions en
pourquoi voulez-vous ?, nous allons examiner le comportement des « affirmations
clôturantes » par rapport à l‘insertion adverbiale de haut degré, parallèlement à
l’analyse effectuée concernant les « questions de reprise » en 2.3.1.

54 C'est probablement cette globalisafion qui fait, comme le remarquent Milner & Milner (1975,
p. 124), qu'elles n‘incitent pas à donner une réponse de type causal ou final, contrairement aux
questions neutres en pourquoi.
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus ? 95

2.3.2.3. Les « affirmations ciôturmtes » et l’insertion adverbiale de haut degré


Nous avons vu en 2.3.1. que dans les « questions de reprise » vouloir peut être
modifié par certains adverbiaux indiquant le haut degré. Or, il nous semble que
l'insertion de tels adverbes ou locutions n‘est pour autant pas possible dans les
« affirmations clôturantes ».
Moyennant une transformation, c‘est—à-dire, l'annulation de leur caractère clôtu
rant, l'insertion semble être possible dans les cas suivants :
- Tu crois que Marchais a voté communiste ?
- Pourquoi mur-tu (à tout prix /obsolument) qu'il soit idiot ?
- Tu vas ri Paris ?
- Pourquoi veux—tu (à tout prix / absolument) que j'aille à Paris ? Puisque je suis très bien ici...
l'ai tout ce qu'ilflzut ici : trmuii’, d:‘shuctious, etc.
- Tu crois qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi toux—tu (à tout prix /absolument) qu‘elle i'aitfait ?
— C'esi‘ par mêdmnœté qu 'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi mur-tu (à tout prix / absolument) qu 'elle l'ait fizit ?
Dans ces exemples, l‘insertion adverbiale a, d'une part, pour effet de
transformer l' « affirmation clôturante » en question neutre, c'est—à—dire, en une
interrogation qui requiert une réponse non prédéterminée, et, d'autre part, celui de
faire porter pourquoi obligatoirement sur le verbe vouloir.
En ce qui concerne le dernier exemple cité, l‘insertion adverbiale exclut l‘inter—
prétation‘ paraphrasable à l’aide de sinon, d’où la bizarrerie manifeste de la question
suivante :
- Pourquoi veux-tu (à tout prix / absolument) qu'elle I'aitfi1ii‘, sinon par méchanceté 7
De même l’incompatibilité est évidente lorsque l'on tente une telle insertion
dans les « affirmations clôturantes » qui ne comprennent pas de pourquoi (cf. 1.2.) :
- Où roux-tu (à tout prix / absolument) que j‘aille ?
- Où toux-tu (à tout prix /absoiument) que je trame l'argent ?
- Que veux—tu (à tout prix /obsoiument) que jefltsse ?
- Comment veux4u (à tout prix /absolunæni} que je le retrouve?
En fait, ce qui semble empêcher une telle insertion dans ces exemples, est le fait
qu’ils sont clairement marqués en tant qu'« affirmations clôturantes », que ce soit
par le complément explicitatif en sinon ou par l‘adverbe interrogatif autre que pour—
quoi. Ainsi, l'interprétation comme question portant sur vouloir est exclue. Ceci
nous amène à conclure que l’insertion d'un adverbe ou d‘une locution adverbiale
est en fait impossible dans une « affirmation clôturante ».
On peut se demander pour quelle raison une telle imertion s'avère impossible.
Notre hypothèse est que cela tient simplement au fait qu‘une « affirmation clôtu—
rante » comprend une "construction imbriquée“ dans laquelle vouloir fonctionne
comme "verbe neutre", comme nous l'avons constaté en 2.1.3. La modification d‘un
tel verbe par un adverbe n‘est apparemment pas compatible avec cette 'neutralité‘.
96 La représentation critique du discours de l'autre

Par ailleurs, la caractéristique principale d'une telle construction est que l'interro»
gatif porte sur la subordonnée. Ce fait semble être incompatible avec la propriété
de ce type d'adverbes de faire obligatoirement partie du centre du questionnement,
alors qu'en même temps, ils se rattachent au verbe principal, c'est—à-dire au verbe
introducteur (cf. Schlyter, 1977).
Dans d’autres exemples de constructions imbriquées, on constate le même phé—
nomène :
Pourquoi penses-tu qu'il se cache ?
Cette question a plusieurs acceptions, selon que l'on interprète d'abord pourquoi
comme faible (a) ou comme fort (b), et ensuite, dans le second cas de figure, le tout
connue construction imbriquée ou non :
a) Pourquoi penses-tu... -> “Tu penses que... Explique pourquoi... !"
b1) Pourquoi / Pour quelle raison penses—tu que... —> "Quelle est la raison qui te fait penser
qu'il se cache ?"
b2) Pourquoi / Pour quelle raison penses—tu que... -> “Quelle est la raison pour laquelle il
se cache, (à ton avis) ?”
Dès que l‘on introduit un adverbe, la question perd son caractère ambigu :
Pourquoi penses-tu femæment qu’il se cache ?
-> “Quelle est la raison qui te fait penser fermement qu'il se cache ?"
Il nous semble que l‘on ne peut plus parler de verbe “neutre“ dans ce cas : penser
devient ici 'être convaincu' qui bloque l'interprétation comme construction imbri
quée, d‘où la quasi—impossibilité de (a). En même temps, comme pour le verbe vou
loir, la modification par un adverbe est incompatible avec une telle construction
(b) =
a— ou es-tu convaincu qu'il se cache ?
b— Où penses-tu fennement qu'il se cache ?
Cette incompatibilité ne semble pas être de nature sémantique. En effet, il est
possible de dire :
Tu es convaincu qu'il se cache ou, à Paris ?
Tu penses fermement qu‘il se cache où, à Paris ?
Nous maintiendrons donc notre hypothèse que cette impossibilité est due à la
nature imbriquée de la construction. Si cette hypothèse est exacte, la modification
adverbiale du verbe introducteur d'une telle construction sera généralement im—
possible.
On retiendra que dans l‘« affirmation clôturante », vouloir ne peut donc pas être
renforcé, ce qui met à notre disposition un test de contrôle supplémentaire pour
distinguer l'« affirmation clôturante » de la « question de reprise »
Dans ce qui suit, nous tenterons de cerner de manière plus globale les rôles res
pectifs que jouent « questions de reprise » et «affirmations clôturantes » dans le
dialogue.
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 97

2.4. Des négations déguisées : question polémique et question métalinguis—


tique ?55

Jusqu‘ici nous avons tenté d‘analyser ces deux57 types de questions pour cerner
au mieux leur fonctionnement 'interne', notamment par la représentation polypho—
nique et topique correspondant à chacun des mécanismes respectivement mis en
œuvre par l‘énonciation. Dans ce qui suit, nous tâcherons d'élargir notre champ de
vision afin de percevoir le rôle que jouent ces constructions dans le discours.
Malgré l'apparent fossé qui sépare de telles questions de simples déclaratives,
nous allons chercher à vérifier ou à invalider une hypothèse intuitive au départ :
leur emploi pourrait être proche de la négation, ou plus précisément, d'un certain
type de négation. En effet, les « questions de reprise » ont une caractéristique,
l'obligation de reprise textuelle, qui rappelle un autre phénomène : celui de la néga
tion métalinguistique”, d'où l‘idée de rapprocher deux structures à première vue si
différentes. Il s‘ensuit une autre question : quel est le rôle des « affirmations clôtu
rantes » par rapport à la négation ?
Alors que nous avons indiqué en 1. les possibilités de paraphrases pour les
questions en pourun voulez-vous ?. nous allons procéder ci-dessous de manière
inverse.
En effet, il apparaît que certaines assertions négatives peuvent être paraphra
sées par des questions en pourquoi voulez-vous ?. Nous allons expérimenter une telle
substitution sur quelques exemples.
Reprenons tout d'abord une négation avec reprise textuelle, une négation méta—
linguistique :
- Max 12 encore été promu. Je l‘ai toujours trouvé intelligent, mais je ne pensais pas qu'il irait
aussi loin.
a- il n'est pas intelligent, il est studieux.”
b— Pourquot‘ veux-tu qu'il soit intelligent ? je le trouœ/ crois plu tôt studieux.
Dans cet exemple, la « question de reprise » (b) reprend un élément du posé du

55 Pour un rapprochement entre constructions interrogatives et négatives dans un cadre théorique


totalement différent du nôtre, la grammaire générative, voir Valais, 1 997. En ce qui concerne l‘aile
mand, voir Hentschel, 1998.
5" Pour un rapprochement entre constructions interrogatives et négatives dans un cadre théorique
totalement différent du nôtre, la grammaire générative, voir Valois, 1997. En ce qui conæme l'alle
mand, voir Hentschel, 1998.
57 En faisant abstacfion du fait que notre second type se subdivise en deux sous—groupes.
55 Rappelons que la "négation métafinguisüque" est définie de la manière suivante : "une négation
qui contredit les termes mêmes d‘une parole effective à laquelle elle s'oppose. ...l'énoncé négatif
s‘en prend alors à un locuteur qui a énoncé son correspondant positif“ (Ducrot, 1984, p. 217).
59 (a) est construit par interversion d‘un exemple emprunté à Ansc0mbre (1990 a) que nous allons
analyser plus loin.
98 La représentation critique du discours de l'au tre

dis—cours précédent, parallèlement à l'emploi de l'assertion avec négation


métaiinguis-tique en (a). Comme la reprise textuelle semble l'indiquer, notre
interrogative de substitution est bien une « question de reprise ». En effet, vouloir
paraît pouvoir être modifié par absolument, pourquoi apparaît comme préférable à
pour quelle raison, et la transposition de l’énoncé au passé a pour conséquence de
faire changer de temps le verbe être et non pas vouloir. Comme la négation
métalinguistique, l'inter—rogafion porte sur le dire.
Examinons un autre exemple métalinguistique emprunté à Anscombre (1990 a,
p. 93) : '
- Qu'est—æ qu'on te reproche exactement ?
a- Mais on ne me reproche n‘en!
b- Mais pourquoi veux-tu qu'on me reproche quelque chose ?
On constate que la substitution à la réponse négative (et) de la « question de
reprise » (b) maintient le rejet du présupposé de la première question par le locu
teur. Ce présupposé est explicité dans la complétive suivant Pourquoi veux—tu que. A
travers (b) le locuteur questionne son interlocuteur sur les raisons de cet acte de
présupposition, tout en exprimant son désaccord.
Dans de tels cas de rejet du présuppæé, l’explicitafion de ce présupposé dans la
complétive n‘est pas systématique, comme on peut le constater dans l'exemple bien
connu qui suit :
- Pierre a cessé d’efumer.
3— Pierre n'a pas cessé de fumer; enfait, il n'a jamais fit‘mé de sa vie.“ (Ducrot, 1984, p. 217)
b— Pourquoi veux—tu qu'il ait cessé defimær ? Il n‘a jamais fumé.
De nouveau, la réponse négative sous forme d'assertion peut être remplacée par
une « question de reprise », mais une telle substitution ne donne pas lieu à une
explicitation du présupposé intégrée à la question. Dans cet exemple précis, la con
trainte de la reprise textuelle est incompatible avec une telle explicitation, étant
donné que le présupposé fait partie intégrante, c'est—à—dire, de manière lexicalisée,
du terme cesser qui est mis en cause.
Une telle explicitation immédiate du présupposé semble être possible, bien que
moins naturelle dans la mesure où elle nécessite un contexte verbal ou interper—
sonnel plus spécifique, un tel enchaînement étant moins coopératif :
- Pierre a cessé defumer.
c— Pourquoi maux—tu qu‘il ait auparavant ?
Dans ce cas, cependant, il ne va pas de soi qu‘il s‘agisse toujours d‘une

°°Comme pour l‘exemple précédent, il s'agit d'un type d'emploi caractéristique de la négation
métalinguisüque '. "c'est cette 'négafion métaünguisfique‘ qui permet d‘annuler les présupposés
du positif sous—jacent, Ce 'n‘a pas cessé de fumer' qui ne présuppose pas 'fumait autrefois‘, est
possible seulement en réponse à un locuteur qui vient de dire que Pierre a cessé de fumer (et,
d‘autre part, il exige d’expliciter la mise en cause du présupposé annulé...)" (Ducrot, 1984, p. 217).
Chapitre 2 Pourquoi voulez—vous que... ? 99

« question de reprise ». D'une part, la reprise de l'infinitif par le participe passé


fumé paraît être peu conforme à l‘exigence d'une reprise textuelle. D'autre part,
dans un contexte passé la réponse peut figurer sous la forme suivante, c‘est-à-dire,
avec le verbe vouloir à l‘imparfait :
— le pensais que Pierre avait cessé defumer.
- Pourquoi voulais—tu qu'il eût fumé auparavant ?
Troisièmement, la substitution de pour quelle raison à pourquoi semble être tout à
fait possible. Ainsi, il apparaît que ((3) devrait être considéré comme « affirmation
clôturante ».
Examinons maintenant l‘assertion négative qui y correspond :
- Pierre a cessé defumer.
- Il ueflamait pas auparavant !
Elle semble correspondre à la définition que donne Ducrot (ibid.) de la négation
"polémique" : "le locuteur en s’assimilant a l‘énonciateur du refus, s'oppose non
pas à un locuteur, mais à un énonciateur E1 qu'il met en scène dans son discours
même et qui peut n'être assimilé à l'auteur d'aucun discours effectif. L‘attitude
positive à laquelle le locuteur s'oppose est inteme au discours dans lequel elle est
contestée. Cette négation polémique a toujours un effet abaissant et maintient les
présupposés" (pp. 217-218).
En effet, le point de vue nié 'i] fumait auparavant', le présupposé, n'est pas pré
sent tel quel dans le discours qui précède. Il s‘agit d'une position sous—jacente au
lexème cesser et le locuteur s'oppose à un énonciateur représenté comme respon
sable de celle—ci. De même, dans la version originale de l’exemple emprunté à
Ducrot (cf. ci-dessus), la seconde partie qui explicite "la mise en cause du présup
posé annulé" (ibid., p. 217) serait ainsi à considérer comme "négation polémique".
Considérons un autre exemple d‘une telle négation :
Max est studieux, mais il n'est pas intelligent. (Anscombre, 1990 a, p. 93)
qui pourrait s‘insérer dans le contexte suivant, de même que l'« affirmation clôtu
rante » (b) :
- je croyais qu‘il allait présenter un meilleur article que ça !
a— Max est studieux, mais il n'est pas intelligent.
b- Max est studieux, mais pourquoi voulais-tu qu'il soit intelligent ?
(a) qui comporte donc une négation polémique peut être remplacé par (b), de
toute évidence une « affirmation clôturante ».
jusqu'ici nous avons effectué, d'une part, des échanges entre des assertions à
négation métalinguistique et des « questions de reprise » et, d'autre part, entre
assertions à négation polémique et « affirmations clôturantes ».
Alors que des paraphrases en Il n'y a pas de raison que... et Je ne vois pas de raison
de dire que... peuvent être substituées respectivement aux « affirmations Clôtu
rantes » et aux « questions de reprise » et - nous l'avons vu - qu‘elles peuvent assez
facilement remplacer des affirmations négatives (non causales), l'inverse n'est pas
100 la représentation critique du discours de l‘autre

toujours vrai.
En effet, dans nos exemples l'échange avec une affirmation négative n‘est pas
toujours évident. Ci-dessous, nous en reprenons quelques uns :
- Tu crois que Marchais a voté communiste ?
- Pourquoi veux-tu qu'il soit idiot ? (Milner & Milner, 1975, p. 146) -> - (Mais non.) Il
n'est pas idiot.
- Tu omis qu'elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu‘elle l'ait fait -> - (Mais non.) Elle ne l’a pas fait.
- Vous n'êtes pas partisan aeek-end ?
- Pourquoi veux—tu qu'on se soit levés a 4 heures du matin ? -> - (Mais si.) On ne s'est pas
levés à 4 heures du matin pour rien.“
- Vous pouviez le faire pour admirer le lever du soleil - ou pour n'importe quelle autre raison,
d'ailleurs. (ibid.)
- C'est par méchanceté qu‘elle a écrit cette lettre ?
- Pourquoi veux—tu qu'elle l‘aitfait ? (ibid.)-> - (Mais si.) Elle ne l’a pas fait pour rien.

- Et Napoléon, en bon despote, continuait de massacrer les peuples d'Europe à sa fantaisie.


- Pourquoi veux—tu qu'il ait été un despote ? [-> - Il n‘était pas un despote]
- Mais je pense qu'il illustrait très exactement un avatar de la notion de despote éclairé, c'est oe
qui explique qu'il... (ibid., p. 147)
- Vous nous rapportera un beau crime, j'espère ! _
- Pourquoi voulez—vous que ce soit un crime ? [-> - Ce n‘est pas un crime]
- Intuition ! (ibid.)
On remarque que les exemples de la deuxième série, les « questions de re«
prise », ne sont pas paraphrasables de cette manière. Pour tenir compte, au moins
approximativement, de leur caractère interrogatif, il faut atténuer l‘affirmation
négative :
* Et Napoléon, en bon despote, continuait de massacrer les peuples d'Europe à sa fimtaisie.
- Il n'était pas forcément un despote.
- Mais je pense qu'il illustrait très exactement un avatar de la notion de despote éclairé, c’est ce
qui explique qu'il. ..
- Vous nous rapporth un beau crime, j'espère !
- Ce n'est pasforcément un crime.
- Intuition l”
Les « affirmations clôturantes », en revanche, se prêtent avec moins de résis»
tance à une telle substitution, étant donné leur caractère affirmatif.
De nouveau, le parallèle entre les deux grands groupes de questions et les deux

"1 Comme pour l’exemple suivant, on est obligé de réintroduire l‘aspect final dans la paraphrase
de l'« affirmation clôturante » complexe - nous l'avons déjà constaté en 2.3.2.2.
62 L’atténuation ne parvient pas à restituer le caractère interrogatif de la « question de reprise »,
d‘où l'incompatibilité avec une réponse elliptique.
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus que. .. ? 101

types de négations apparaît: ce n‘est que pour les deux derniers exemples, des
« questions de reprise » à l‘origine, que la paraphrase comporte une négation méta—
linguistique, toutes les autres négations sont de nature polémique.
Lorsqu‘on tente d‘évaluer dans quelle mesure un tel remplacement maintient
des effets de sens semblables et quelles nuances sont ainsi introduites, on observe
que la différence principale réside dans le mode de présence du premier locuteur,
auteur du discours qui est mis en question.hl
La négation comprend toujours au moins un point de vue auquel le locuteur ne
s'identifie pas. Dans le cas de la négation métalinguisfique, ce point de vue est
attribué au locuteur précédent, alors que la négation polémique n'entraîne pas
nécessairement la désignation d‘une autre personne existante comme susceptible
de s‘y identifier.
Quant à nos questions en pourquoi ooulez-vous...?, elles comportent systéma
tiquement une représentation du discours de l'interlocuteur sous forme de présup—
posé. Il nous semble que la grande particularité de ces questions réside dans ce que
non seulement elles se présentent comme fondées sur un point de vue qui n'est pas
mis en place de manière autonome, mais qu‘en plus, elles introduisent une image
très marquée de l‘interlocuteur qui est qualifié à travers ce point de vue.
C‘est cette image que nous allons chercher à cerner de plus près dans la dernière
partie de ce chapitre.

63 En ce qui concerne les <« questions de reprise », leur caractère interrogatif influe évidemment
aussi sur le positionnement du locuteur (donc L2) par rapport à son dire.
3. La présence de l‘autre dans les « questions de reprise » et les
« affirmations clôturantes » : considérations conclusives

Dans le premier chapitre, nous avons tenté de donner un aperçu non exhaustif
de quelques unes des nombreuses études qui abordent d‘une manière ou d'une
autre l‘aspect fondamentalement constitutif du caractère dialogique de tout lan—
gage humain. Alors que l’on dit communément que le je n'existe que par rapport à
un tu, nous allons prendre le locuteur comme point de départ dans nos réflexions
sur la place de son allocutaire et notamment la distinction de O. Ducrot (1984) entre
“locuteur en tant que tel...(« L»)" et “locuteur en tant qu'être du monde (« 1 >>)"
(p. 199). En premier lieu, il faut se rappeler les définitions :
"L est le responsable de l‘énonciation, considéré uniquement en tant qu‘il a cette
propriété. 1 est une personne « complète », qui possède entre autres propriétés, celle
d‘être l'origine de l’énoncé - ce qui n‘empêche pas que L et 7L soient des êtres de
discours, constitués dans le sens de l’énoncé. .. " (Ducrot, 1984, pp. 199—200).
Ainsi, une question directe et donc sous forme interrogative de type Est-ce que
p ? comporterait dans son sens l‘expression de doute que montre L, contrairement à
la question indirecte en je me demande 51' p où L affirme l‘existence de doutes de Â..
Face au locuteur se trouve l'allocutaire. O. Ducrot le décrit comme suit :
"L‘énoncé présente d'autre part son énonciation comme adressée par le locuteur à un
allocutaire (...). L'allocutaire est désigné, sauf dans le discours rapporté en style direct,
par les pronoms et les marques de la deuxième personne, ainsi que par différents
procédés d'interpellation analogues au cas vocafif du latin... il n’est pas besoin de
comprendre un discours pour savoir qui en est auditeur;... La détermination de
l'allocutaire, au contraire ne peut s'opérer que si le discours a été compris. D'autre
part. elle est nécessaire à une compréhension complète des paroles, de sorte que le
concept d'allocutaire m'apparaît indispensable pour la description sémantique d'un
énoncé" (Ducrot, 1980 a, pp. 35—36).
Plus loin, il apporte encore les précisions suivantes :
"...on peut imaginer un énoncé comme Pierre, je te parle. La qualité d‘allocutaire qui est
celle de Pierre, y est deux fois signalée. D'une part, le vocalif présente Pierre comme
allocutaire, il fait de l'énonciation une énonciation adressée à Pierre, et, d‘autre part, la
proposition je te parle asserte explicitement ce que la parole par ailleurs montre.
L‘énoncé montre le locuteur comme a) s'adressant à Pierre et b} assertant (ou faisant
remarquer) que le locuteur s‘adresse à Pierre" (ibid., p. 36).
Il nous semble que l‘on peut voir dans le vocatif la trace de ce qui fait pendant
au « locuteur en tant que tel », mais concernant cette fois l'allocutaire. Contraire—
ment au pronom personnel (ici te) qui désignerait l'« allocutaire comme être du
monde », le vocatif aurait donc pour effet de marquer l'« allocutaire en tant que
Chapitre 2 Pourquoi roulez—mus ? 103

tel », A,“

Revenons à la négation, et d‘abord à la négation métalinguistique. D‘après


Ducrot (1980 a),
"elle apparaît uniquement dans un dialogue réel, où le locuteur de l’énoncé négatif
prend à partie le locuteur de l'énoncé positif. (La négation « normale »65 peut au
contraire mettre en scène un dialogue purement virtuel, où le débat concerne
seulement deux énonciateurs antagonistes). Dans cet affrontement empiriquement
attesté, le locuteur de la négation s‘en prend à l'énonciation qui a effectivement
précédé la sienne" (p. 52).
Pour un second locuteur, auteur d'un énoncé négatif métalinguisüque, le
premier est donc, d'une part, son allocutaire, mais, d‘autre part, il est pris à partie
en tant que ex—locuteur L1, ce qui constitue une des facettes de l‘être du monde 7L1 :
a - L'eau est froide.
- Mais elle n 'est pasfloidr, (Pierre), elle est glaciale !
Dans l'énoncé réactif de l'échange (b), le locuteur asserte que son allocutaiœ (et,
être du monde) a tort:
b - le crois qu'il est rentré.
- Tu te trompes!
On constate qu'en (a), le rôle d'allocutaire en tant que tel est explicitement attri
bué à Pierre, alors que parallèlement, et ce même en cas d‘absence du vocatif,
l'allocutaire est déterminé à travers la négation mêtalînguisfique qui s’adresse
systématiquement à l‘auteur de l‘énoncé auquel elle s‘oppose. Dans le cas non
explicite de (b), c'est la situation extra—linguistique qui permet d'identifier l‘allocu—
taire dont le locuteur parle.
En ce qui concerne la négation polémique, la configuration n‘est pas la même :
le locuteur met en scène un énonciateur qui s'oppose à un premier énonciateur qui
peut ne pas être assimilé à aucun locuteur réel. Le cas qui nous intéresse est celui
où il y a assimilation à l‘interlocuteur“.
Lorsque l’énonciateur représentant le point de vue nié est assimilé à l‘allocu
taire, il faut y voir interpellé, nous semble-hi], à travers l'allocutaire en tant que tel
l'être du monde a. Il apparaît qu'il n'y a aucun indice intrinsèque de la présence de
l'interlocuteur dans une négation polémique, ce dernier pouvant même être inexis—
tant. L'effet d'une telle assimilation peut être souligné en revanche par la présence

64 On pourrait nous objecter que le « locuteur en tant que tel », à la différence de 1, n‘est jamais
explicité dans le discours ce qui l‘opposerait à A. mais, en fait, il y est systématiquement présent à
travers le 'geste locutoire'. En plus, l‘usage du vocatif est plutôt rare. La plupart du temps, gestes
ou regards tiennent lieu de cette forme explicite.
55 C'est à comprendre comme "négation polémique" dans la terminologie actuelle.
56 Il peut aussi avoir assimilation à une tierce personne ou à un groupe de personnes (groupe réel
ou virtuel).
104 La représentation critique du discours de l'autre

d'un vocatif :
- Tu m'as l'air paniqué!
- je n'ai pas peur, Marie, mais je n'ai pas envie de rester seul.
Or, la trace de l'allocutaire en tant que tel, A, dans l‘énoncé ne permet pas pour
autant d'en déduire l‘absence de 0.. Ce que l'on peut constater cependant, c'est que
l'allocutaire, en dehors du vocatif, n'y est pas présent de manière explicite. Etant
donné que même le vocatif appartient au domaine du montré, l'attribution de ce
point de vue fait partie des phénomènes de monstration.
Il s'agit là d'une généralité : en effet, dans le discours non—rapporté,
l‘identification d'un énonciateur avec une personne du discours, l'attribution d'un
point de vue par voie d'assimilation d'un énonciateur à l'un des interlocuteurs n‘est
jamais assertée. Elle ne peut pas l'être. C'est même l’un des traits fondamentaux de
ce mécanisme polyphonique. Une telle désignation relève toujours du domaine du
montré, ainsi que nos personnages de discours « L » et « A ». Aussi, malgré la pré—
sence du pronom tu dans l'exemple suivant, il ne faut pas en conclure à une assimi
lation de e] à et dont ce pronom est la trace :
Tu n‘avais pas tort, malgré les apparences.
Ce dernier aspect a probablement autant sinon plus d'importance que la
distinction entre « allocutaire en tant que tel » et « allocutaire comme être du
monde » qui est possible mais peu Opérationnelle comme critère : en ce qui con—
cerne les deux types de négations, l'allocataire lorsqu‘il y est présent, l'est de
manière montrée.
Récapitulons :
- Dans le cas de la négation métalinguistique, l'allocutaire possède la particula
rité d’être interpellé en tant qu‘ex-locuteur. Ainsi dans :
- Max a encore été promu. [e l'ai toujours trouvé intelligent, mais je ne pensais pas qu’il irait
aussi loin.
- Il n'est pas intelligent, il est studieux.
Le point de vue rejeté appartient clairement à l‘allocataire dans son rôle d'ex
locuteur.
- En cas d'assimilation du point de vue positif d'une négation polémique à
l’allocutaire, l‘attribution de ce point de vue à l‘interlocuteur peut s'effectuer
sans qu'il y ait des indices concrets de sa présence.
' Dans les deux cas, cette assimilation appartient au domaine du montré.
Nous allons examiner maintenant de quelle manière il faut envisager la pré—
sence de l'allœutaire dans les deux structures en pourquoi voulez-vous... ? Étant
donné le relatif parallélisme entre les deux types de négations et nos deux grandes
catégories, on pourrait s'attendre à rencontrer aussi l'« allocutaire comme être du
monde » comme rôle systématique de l'interlocuteur dans la « question de reprise »
et l'« affirmation clôturante ». Tel semble être le cas, car on peut faire d'emblée le
constat suivant : les deux formes se caractérisent par la présence d'un pronom per—
Chapitre 2 Pourun matez—ms que. .. ? 105

sonnel de la deuxième personne, ce qui renvoie à l‘être du monde a. Vu le caractère


obligatoire de ce pronom, la référence à l'allocutaire en tant que personne complète
et doit constituer une propriété caractéristique de ces deux structures.
Or, un deuxième constat nous amène à rappeler ce que nous avions observé
d‘après les représentations topiques et polyphoniques de ces questions particu
lières: elles ne contiennent pas de point de vue “libre“, hors prise en charge, qui
pourrait par conséquent être assimilé à l'interlocuteur. L‘attribution à l'autre du
point de vue qui apparaît dans l‘image créée ne se fait pas par cette voie courante,
caractéristique, entre autres, de la négation. L‘allocutaire fait partie de cette
représentation péjorafive. En fait, sa mise en cause comme responsable de l'objet du
rejet est di_te et non pas montrée.
Plus spécifiquement par rapport à la négation métalinguisfique, la « question
de reprise » apparaît, d‘un côté, comme moins forte, en tant qu'opp05ih‘on au
discours de l'interlocuteur. Étant donné son caractère interrogatif, l'interlocuteur
est invité à justifier l'emploi d'un ou de plusieurs termes; l‘opposition à son dis
cours n‘est donc pas absolue, même si elle transparaît à travers l‘expression de
doute intrinsèquement attachée à l‘interrogation. D'un autre côté, l'interlocuteur est
beaucoup plus clairement impliqué dans la mise en cause. L‘objet de la critique,
indirecte certes, n'est pas seulement le discours de l'interlocuteur, mais autant
l'allocutaire lui—même dans son rôle de (ex-) locuteur. C‘est là le point essentiel qui
donne lieu à des effets de sens différents de ceux d'une négation métalinguistique.
L‘allocutaire étant présent dans la « question de reprise » de manière explicite et
donc pleinement, il constitue, au moins autant que son discours, l'objet de cette
évalue—fion négative spécifique, propre à ce type de question.
Ainsi, le rejet du dire qui porte sur les mots choisis, nous semble représenter
plus qu'un désaccord conceth la forme de l'énoncé. Ce qui est en jeu dans ce
genre de conflit ce sont, à travers les mots, les topoï attachés à ces derniers. Une
« question de reprise » ne refuse pas seulement le ou les mots en soi, mais tous les
discours possiblee allant dans le sens de ces mots. Aussi, il s'agit du refus d’une
évaluation inhérente au discours de l‘interlocuteur. Cette évaluation est rejetée
avec d'autant plus de force que l’emploi de pourquoi veux—tu transforme ce ’dire'
éventuellement accidentel en prise en charge volontaire du terme employé. L‘inter—
locuteur n'est plus seulement responsable d‘avoir dit, mais aussi d'avoir voulu uti—
liser tel mot plutôt que tel autre et ainsi d'avoir agi en tant que locuteur dans le but
de transformer la réalité à son gré.
Il s'agit, comme développé en 2.2. et 2.3.1. , de ce que nous avons appelé 'la
facette dynamique de vouloir', qui est donc tournée vers la réalisation effective de
ce qui constitue l'objet du vouloir. Le locuteur L2 représente le dire de son interlo
cuteur, vu en tant qu’action (locutoire certes), comme unfaire basé sur une volonté.
En ce sens, nos analyses aboutissent à des résultats tout à fait compatibles avec
celles, effectuées dans un cadre tout autre, de Milner & Milner (1975, voir ci—
dessus, 1.1) qui considèrent les « questions de reprise >> comme "locution perfor
106 la représentation critique du discours de l'autre

mative de reprise“ (p. 138).


Comme les « questions de reprise », les « affirmations clôturantes » ont pour
particularité d'intégrer l'interlocuteur lui—même dans la représentation qu‘elles lui
renvoient.
Alors qu'elles figurent très souvent en réponse à une question, les « affirmations
clôturantes » présentent, d'une part, l'allocutaire comme suggérant un point de
vue, pour, d'autre part, disqualifier ce point de vue dans le même mouvement par
une représentation qui le montre comme absurde. Nous avons décrit ce mécanisme
complexe en 2.3.2. Il faut préciser que les « clôturantes simples » s‘en prennent tan—
tôt à l‘assertion préalable ou la présupposifion de la question qui précède tantôt à
sa négation, tandis que les « complexes » condamnent l‘énonciation de la question.
L'« affirmation clôturante » reconstitue donc toujours le discours précédent de
façon à ce qu'il s‘oppose à ce qu‘elle présente dans le même mouvement comme
acceptable.
Cette reconstruction peut être relativement libre. Nous avons constaté en
2.3.2.2. à propos des « affirmations clôturantes » complexes le pouvoir des « clôtu
rantes » en général de représenter au gré du second locuteur le discours du premier
comme centré sur un thème ou un propos particulier. La conjonction de cette capa
cité spécifique à leur caractère systématiquement disqualifiant du discours ainsi
présenté en fait un outil redoutable et spécialisé pour l‘expression conflictuelle.

Après avoir examiné divers aspects des « questions de reprise » et des « affir
mations clôturantes », nous allons émettre l‘hypothèse qu‘il existe des structures
comparables en allemand. Dans ce qui suit, nous chercherons d'abord à déterminer
les différentes possibilités d’expression en allemand et à cerner de plus près leurs
propriétés, pour nous demander, dans un deuxième temps, dans quelle mesure
leurs caractéristiques recoupent celles des structures en français.
Chapitre 3.

Wamm soli... ? /Wamm sollte... ?

Deux formes de la réplique oppositive de l‘allemand ?


1. Les interrogafifs de cause de l‘allemand

Alors que J. Milner1 constate une certaine proximité avec certaines occurrences
de phrases en Wiesa... ?, spontanément, deux manières de questionner en allemand
ont attiré notre attention. En effet, il nous semble que l‘on peut traduire systéma
tiquement toute ” question de reprise " par une question en Warum soli... + reprise
textuelle + verbe sein?, alors que les ” affirmations clôturantes ” peuvent être ren—
dues par Wamm sollte...?.2 Par ailleurs, C. Cortès et H. Szabo font remarquer que
certaines interrogaüves en sultan "correspondent à un certain type de questions en
pourquoi oeux»tu que proposé par Milner (1975)" (Cortès & Szabo, 1984, p.114).
Cependant, pour rapprocher des expressions de langues différentes, il faut disposer
de résultats d‘analyses linguistiques assez précis afin de pouvoir juger d'une éven—
tuelle équivalence qui ne peut qu'être relative.

Le rapprochement établi par J. Milner des questions en Pourquoi voulez—vous...?


et de Wieso conjugué à notre hypothèse intuitive nous amène à penser que les inter—
rogatifs allemands à caractère causal3 jouent un rôle essentiel dans une quelconque
structure analogue au configurations du français que nous avons évoquées au cha
pitre 2. Ainsi, nous allons tout d'abord procéder à un examen rapide de ce type de
morphèmes existant en allemand.
De même que C. Cortès et H. Szabo, l-I. Weinrich cite quatre interrogafifs de
cause possibles : "On interroge sur la raison de quelque chose à l'aide des adverbes
interrogatifs warum, wz'eso, weleb ou ruesuegen. La formule wamm peut être consi
dérée comme forme standard.“4 (Weinfich, 1993, p. 889).
Nous allons procéder à un survol rapide de ces interrogatif5 avant de voir leurs
potentialités et leurs effets précis dans les contextes concrets qui nous intéressent
particulièrement.

1 Cf. 1973 a, 1973 b et 1976. .


2 Il se trouve qu'il s'agit de la manière retenue par de nombreux traducteurs, aussi bien de romans
que de dialogues de films Ce qui, cependant, ne constitue aucunement une preuve de quelque
équivalence que ce soit : par ex. Pialat, M. Van Goglt, 1991; Simenon, G. Maigret en muble‘. 1951.
[Mafgret ais mählierær Herr, 1979}.
3 'Causal‘ est à prendre dans un sens large.
4 "Nach dem Grand fragt man mit den kausalen Frageadverbien mamm, wfeso, weshalb oder wes
rmgen. Die Form wamm kann als Standardform gelten".
110 La représentation critique du discours de l'autre

1.1. Les quatre morphèmes introduisant une question sur la cause


Si nous avons choisi de faire figurer warum dans la configuration interrogative
représentant toutes les autres structures possibles que nous étudierons dans ce troi—
sième chapitre (cf. titre global et en—tête), c'est que cet interrogatif serait équivalent
au pourquoi en tant que morphème interrogatif causal non marqué? J. Milner le met
en opposition avec weleb qui correspondrait en français à pour quelle raison (cf.
Milner, 1976, p. 58). Ailleurs, elle remarque que warum peut toujours se substituer
aux autres interrogafifs : “il nous semble que l'on puisse poser en principe que
warum est toujours possible..." (Milner, 1973 b, p. 20). L‘inverse n’est évidemment
pas le cas. Ainsi, le point de vue de H. Weinrich selon lequel wamm constitue la
forme standard, le morphème interrogatif causal le plus neutre, paraît se confirmer.
Au—delà de ce constat, on pourrait se demander, suite à l'analyse concernant le
français, si on peut procéder à une distinction semblable pour l'allemand et isoler
des morphèmes correspondants aux deux pourquoi décrits par Korzen que nous
avons repris ci-dessus (cf. ch. 2). La description de J. Milner concernant wamm
paraît indiquer qu'il faudrait rapprocher l'idée de morphème interrogatif neutre ou
non marqué de l‘interrogafif à présupposé faible : "L'interrogatif à la distribution
plus large correspond à l‘indication que le questionnant 'ne fait pas une hypothèse
précise a priori sur l'ensemble des faits pouvant apparaître dans une réponse satis
faisante'. il admet en particulier que la question puisse être sans réponse ou
discutée (puisqu‘il ne tient même pas pour certaine L’EXISTENCE de l’ensemble)"
(Milner, 1973 a, pp. 230—231). On verra dans ce qui suit que wamm se distingue en
ce point précis de weleb.

Le second interrogatif possible, meshalb, apparaît comme plus marqué que


roarum. Cependant les informateurs diffèrent dans leurs jugements. I. Milner, qui
semble mettre weshalb tout à fait en parallèle avec pour quelle raison (cf. Milner,
1973 a et 1976), signale le trait “agressivité" de ce morphème. Nous n'avons pas pu
nous faire confirmer ses observations sur ce qu'elle décrit aussi comme "demande
de comptes" (Milner, 1973 a, p. 220). Nos informateurs actuels6 Considèrent cet in—
terrogatif dans toute une série d'exemples comme tout à fait équivalent à waru m, et
n'y voient qu'une variante stylistique : weshalb appartiendrait à un style plus sou—
tenu ou plus formel que morum. Dans certains exemples néanmoins, il introduirait

5 Cf. Milner, 1973 a, p. 225, note 14.


5 Nous avons effectué un petit sondage personnel. sans valeur statistique et sans prétention à une
objectivité réelle. En fait, les possibilités d'interférences d'autres facteurs que ceux recherchés sont
multiples, et notamment les facteurs intonatoires. Pour obtenir des données fiables il faudrait
monter une expérimentation complexe dépassant largement les objectifs de notre étude.
Chapitre 3 Warum soli... ?/Warum sollte...? 111

des différences de sens.


Les différences de sens relevées dans certains contextes peuvent effectivement
être rapprochées de la mise en parallèle entre weshalb et pour quelle raison. ]. Milner
remarque : "...pour weshalb on associera a l'interrogatif la supposition " qu‘il existe
un ensemble déterminé de faits répondant à la question, et qu'on demande d'énu
mérer ", énoncée implicitement par le questionnant" (ibid.).
On remarque que ceci correspond au "présupposé fort", propriété du " pour—
quoi marqué " / de pour quelle raison décrite par Korzen que nous avions repris ci—
dessus (cf. 2.1.2.). Ainsi, rueshaIb, comme le “ pourquoi marqué ", introduit d'emblée
la pré5upposition forte de type 'nous savons tous les deux (moi, locuteur, et toi,
allocutaire) qu'une telle raison existe'. C'est dans ce sens qu‘il faut, à notre avis,
interpréter une seconde remarque de J. Milner selon laquelle "le locuteur tient pour
sûr qu'il EXISTE un ensemble DETERMINE, én0mbrable, clos de faits pouvant appa—
raître dans une réponse satisfaisante, et il demande qu‘on lui en cite exhaustive
ment les éléments....le questionnant indique [quel....‘il y a un ensemble déterminé
de raisons possibles" (Milner, 1973 a, p. 230). Wamm, ou le “ pourquoi incolore ", en
revanche, n‘introduit pas de manière aussi forte une telle présomption.
J. Milner décrit ainsi, nous semble—Hi, des phénomènes de même nature que
ceux soulignés par Korzen, sans utiliser toutefois la notion de présupposé.7
Ce "présupposé fort” introduit des ambiguïtés dans certaines phrases à cons—
truction imbriquée éventuelle en français et peut apparemment modifier de la
même manière les possibilités d'interprétation de certaines structures de l'alle
mand.
Comparons les exemples suivants :
al) Warum glauben Sic, er hat es getan ?
Pourquoi croyez—vous qu'il l’a fait ?
a2) Weshalb glauben Sic, er haf es getau ?
Pour quelle raison croyez-vous qu’il l‘a fait ?
b1) Warum glauan Sic, hat er es galon ?
Pourquoi, croyez-vous, l'a-t—il fait ?
b2) Weshalb glnuben Sic, hat er es getan ?
Pour quelle raison, cr0yez-vous, l'a—t—il fait ?
c1) Wamm soli er es getau haben ?
Pourquoi dit—on qu‘il l‘a fait ?
c2) Weslmlb soli cr es galon haben ?
Pour quelle raison dit—on qu'il l'a fait ?
On constate, d'après la structure syntaxique, que (a) questionne sur la croyance '

7 Ceci se comprend aisément étant donné le caractère récent de ces notions au moment de la
publication / rédaction de son article, comme elle le signale elle—même dans la note 1, page 219.
112 La représentation critique du discours de l'autre

de l'interlocuteur (ses raisons de croire) et (b), quel que soit l'interrogatif utilisé, sur
les raisons de faire de la tierce personne dont il est question. Certains de nos infor—
mateurs refusent (a2) avec l'explication suivante: weshalb ne peut porter sur la
croyance de l'interlocuteur, alors que la construction de la phrase indique claire
ment cette dernière comme centre du questionnement. (c) est plus proche des cas
d'ambiguïté en français : alors que (c1) est ambigu, en (c2), la présence de weshalb
semble faire pencher l'interprétation vers une question portant sur les raisons du
faire. En effet, ici weshalb paraît jouer le même rôle que pour quelle raison dans dés
énoncés semblables en français.
Ainsi, la conjonction des doutes exprimés sur l'exemple (a2) et des observations
concernant (c2) nous fait supposer que weshalb tend, dans des constructions com—
plexes, à faire porter l'interrogation sur la subordonnée. La présence de weshalb
dans une telle construction serait donc un indice de ce qu'il s'agit d'une cons
truction imbriquée ou enchevêtrée. En effet, pour marquer nettement qu'il ques
tionne sur les raisons du faire et non pas du dire, le locuteur peut accentuer la
seconde syllabe : Wes°hatb“.
Nous allons retenir comme hypothèse de travail que warum et weshalb corres
pondent plus ou moins aux deux pourquoi en français, respectivement le “ pourquoi
incolore ” et le " pourquoi marqué " / pour quelle raison. Ces interrogatifs semblent
même avoir un comportement semblable à celui des morphèmes français en ce qui
concerne les constructions syntaxiques complexes.

Un autre interrogatif servant à questionner à propos de la cause est weswegen.


Les possibilités de son emploi semblent être très restreintes, dans la mesure où il
comporte un présupposé encore plus précis de type 'il y a un Y à cause duquel X'.
Ainsi certains de nos informateurs refusent (a), dont la structure syntaxique oblige
à interpréter la question comme portant sur les raisons 'épistémiques‘, c'est—à-dire
les raisons de croire, ce qui serait incompatible avec l'introduction par wesuægen :
(a) Wesrœgen glauben Sic, dafl Annette œrjblgt wird ?
A cause de quoi croyez—vous qu'Annette est persécutée ?
(b) Wesmegen glauben Sic, mini Annette verfolgt ?
À cause de quoi, croyez-vous, Annette est-elle persécutée ?
L'impoesibilité pour certains d‘une telle question (a) paraît être due au fait que

3 Il s'agit d'un phénomène semblable à celui signalé par C. Cortès et H. Szabo concernant wozu
(1984, pp. 140—141). En dehors de cette accentuation précise de Iœshalb, a notre avis incontestable,
de nombreux faits intonatoires demandent à être explorés pour les interrogaüfs. A en juger par
les divergences entre les jugements de nos informateurs, une telle entreprise nécessiterait une
vaste étude couvrant non seulement une grande diversité géographique, mais étant aussi
diversifiée que possible concernant les milieux sociologiques et les générations pris en considéra—
tien.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Warum sollæ...? 113

le présupposé rattaché à weswegen peut être difficilement maintenu par une


réponse portant sur le fait de croire (a), alors que les causes de la persécution s'in—
sèrent bien dans ce cadre (cf. (b)) :
(a) (lch glaube des) wagon der Anzeichen, die aile dafù‘r wrechen.
Je le crois à cause des indices qui l‘indiquent tous.
(b) l_Negen der Documenta die sic bel sich hat.
A cause des documents qu’elle porte sur elle.
En effet, la réponse (a) est possible mais ne paraît guère naturelle en réponse à
la première question. Une autre variante d’une réponse a la question (a) serait (a2),
mais celle—ci ne peut qu'être issue d’une interprétation moins 'puriste' de la ques
tion qui assimile wesuægen à un simple warum :
a2) Weil alla Anzeichen dafi'ir spæchen.
Parce que tous les indices l'indiquent.
En fait, si weswegen est celui des interrogafifs questionnant la cause dont les
occurrences sont les moins fréquentes, c‘est qu‘il restreint très fortement les possibi
lités de réponse. Cependant, les locuteurs l'utilisent apparemment avec un degré
de précision variable.
Le quatrième des interrogatifs cités par H. Weinn‘ch est wieso. Il semble occuper
une place tout à fait singulière parmi ces interrogatifs de la cause, ce qui a donné
lieu à un certain nombre d‘études à son sujet, notamment de la part de I. Milner.

1.2. Un interrogatif particulier : wieso

C. Cortès et H. Szabo décrivent wieso comme "un interrogatif qui porte toujours
sur l‘énonciation ou sur le contexte de l'échange discursif" (Cortès & Szabo, 1984,
p. 142). Par ailleurs, elles font remarquer que, contrairement aux autres interro
gatifs mentionnés ci-dessus, "il est toujours accentué sur la deuxième syllabe et il
n‘a pas de relatif correspondan " (ibid.).
J. Milner consacre une première étude systématique de type distributim‘mei à ce
sujet dans le but de parvenir à une description des "conditions d'emploi de cet
interrogatif" (Milner, 1973 b, p. 1).
1.2.1. L' “interrogatif subjectif "
Pour]. Milner, "on pourrait proposer d‘appeler wieso l' “ interrogatif subjectif "
de l'allemand" (ibid., p. 36), car elle constate une certaine proximité entre ce qu‘elle
appelle des "indicateurs d'illocution“9 et ruieso.
De telles particules "servent à ancrer l'énoncé dans son contexte conversationnel

9 Il s'agit de ce que l'on entend dans d'autres terminologies par "Abtänungsparükel"


ou "Modalpartflceln" (particules modales); (cf. Cortès & Szabo, 1984, p. 115). Dans ce qui suit,
nous allons utiliser ce dernier terme (pour une justification de ce choix, voir ci-dessous 4.).
114 la représentation critique du discours de I ‘autre

ou argumentafif et à exprimer l‘aspect subjectif de la relation entre les interlocu


teurs" {Cortès & Szabo, 1984, p. 115). Pour H.Weinrich, ce "sont des signaux
textuels de contact. Elles...sont...fortement tournées vers le partenaire... Par des
particales modales, le locuteur fait plus particulièrement savoir à son auditeur
comment la valeur d'une affirmation peut être “ modalisée ", c‘est—à—dire reliée de
manière flexible au contexte ou à la situation“10 (Weinrich, 1993, p. 841).
J. Milner suggère de considérer wieso comme "l‘interrogafif subjectif“ (Milner,
1973 b, p. 52) dans un sens qui reste proche de cette définition. Elle précise : “peut—
étre faut—il entendre la proposition en deux sens : non seulement il l'est [subjectif]
en ce qu'il sert à exprimer quelque chose de l‘opinion du locuteur de wicso, mais il
le serait aussi en ce qu'il demande une continuation par l‘expression d‘hypothèses
ou d‘opinions par l‘autre locuteur“ (ibid.).
Toujours dans le même ordre d‘idées, c‘est—à-dire, d‘un lien entre wieso et de
telles particules modales, C. Cortès et H. Szabo définissent wie50 "comme un inter—
rogateur portant sur le rapport entre la question et le contexte qui la précède"
(Cortès & Szabo, 1984, p. 143).“
J. Milner distingue, d‘une part, les occurrences de ce morphème dans les subor—
données de celles dans l'interrogation directe, et d‘autre part, à l'intérieur de cette
dernière catégorie les emplois en réplique à une question de l'interlocuteur de ceux
suivant une affirmative de l'autre.
C‘est en réplique à une interrogative que Mesa, normalement isolé dans ce type
d'occurrence, possède les propriétés les plus remarquables. En effet, dans cette po—
sition, il serait spécialisé dans la mise en question de la légitimité de l'acte interro—
gatif précédent. Ainsi, il contraindrait l‘interlocuteur à justifier le fait d‘inter
roger.12 J. Milner remarque que ce type d‘emploi partage l'aspect disqualifiant de la
question précédente avec les " affirmations clôturantes ” (cf. Milner 1973 b, p. 8)“.
Elle donne l'exemple suivant :
- lch habe auch einem cinmal dos Os frontale perforiert. Finden Sic dus absdæulich ?

10 Nous traduisons de l‘allemand : "Modalparfikeln sind textuelle Kontaktsignale. 5ie


...sind...stark partnerbezogen.... Durch Modalparfikeh gibt der Sprecher seinem HÔrer insbeson—
clerc zu Verstehen, wie die Geltung einer Feslste]lung “ modalisiert ”, das heifit, flexibel in den
Kontext oder clic Situation eingebunden werden kann."
“ Nous reviendrons plus amplement sur ces particules ci—dessous.
12 Dans ce sens précis, roizso diffère nettement de wamm. Ce dernier morphème interrogatif ne
peut figurer de manière isolée dans une interrogation portant sur les raisons du dire. Il nécessite
une suite de type 'warum Êagst du ?‘ pour pouvoir être interprété ainsi.
13 Ce trait spécifique paraît être encore plus prononcé, nous l‘avons vu (cf. ch. 2, 2.3.2.2), dans
celles que nous avons dénommées " affirmations clôturantes complexes ”. Elles obligent à con—
clure à l'évidence de l'absence de toute autre raison que celle présentée par l‘interlocuteur et dis
qualifient au moyen de cette présentation le fait que l'interlocuteur ait posé une question qualifiée
de superflue.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Wumm sollte...? 115

J'ai même une fois perforé l‘os frontal de quelqu‘un. Trouvez-vous ça répugnant ?
- Mesa ? [Siefand dos uicht abscheulz‘ch. Also rturum fragte sic ?]
Pourquoi ?/Mais pourquoi ? [Elle ne trouvait pas ça répugnant. Alors pourquoi
posait—elle la question ?] (ibid., p. 2)M
En même temps, on constate qu‘il s‘agit aussi d'un trait propre au “ pourquoi in
colore ” du français qui peut porter sur l'énonciation et figurer isolément, con—
trairement à l‘interrogah‘f marqué.
Wieso peut aussi introduire une reprise textuelle, comme les ” questions de
reprise ". Avec ces dernières, les énoncés en wieso partagent systématiquement le
caractère interrogatif : "...les énoncés en wieso, qui ne sont ni une forme d‘affirma
tion, ni clôturants. C‘est qu'ils ont aussi au moins un point commun avec les énon—
cés à veux—tu forme transposée du performatif de première personne : ce sont bien
des questions, et ils demandent une justification” (Milner, 1973 b, p. 56) :
- Ich bin physisclæ Cervalt nicht germhnt.
Je ne suis pas habituée à de la violence physique.
- Wieso physischc Germlt ?
Pourquoi [dites-vous] de la violence physique ?
— Es ist physisdæ Getoult, plälzlich diesen Apparu! hercuszuzielæn.
C’est de la violence physique de débrancher subitement cet appareil. (ibid., p. 3)
Alors que wieso constitue dans les subordonnées le signe d‘un "commentaire
simultané du locuteur lui—même sur ce qu'il dit" (ibid., p. 51), elle compare ses con—
ditions d'emploi générales à celles des " affirmations clôturantes " : "pour les affir
mations clôturantes comme pour wieso... sont déterminantes l'expression subjective
d’une position du locuteur par rapport à ce que dit l’aune..., c'est—à-dire globale
ment, des valeurs faisant appel à la dualité des locuteurs, et aussi supposant, de la
part du locuteur une attitude négative ou au moins un refus d'assentiment pur et
simple“ (ibid., pp. 55—56).
Récapitulons:
- wieso constitue une expression de la subjectivité du locuteur par rapport au
discours de son interlocuteur, orientée négativement en raison de l'incertitude
du lomteur : cet interrogatif exprime une certaine attitude sceptique.
' cette attitude négative peut concerner une question précédente de l‘interlocu—
teur dont wieso peut mettre en doute la légitimité.
- en même temps, tout énoncé en wieso est manifestement tourné vers l‘allocu—
taire, dans la mesure où il maintient toujours son caractère interrogatif. Il pré—
sente donc l’interlocuteur comme en mesure de répondre, c'est—à-dire de—
tenteur du savoir nécessaire à une réponse adéquate.
Pour ce qui suit, nous retiendrons ces quelques valeurs principales dont il fau—
dra vérifier si elles sont effectivement présentes, et à quels degrés, dans les types

" (C'est nous qui traduisons).


116 la représentation critique du discours de l‘autre

d'exemples qui font l'objet de cette étude.


Dans une perspective polyphonique, il nous semble que ce qui crée le caractère
marqué de wieso est qu'il tend, contrairement à warum, à insister systématiquement
sur certains énonciateurs parmi ceux qui font partie de la ‘mise en scène interroga
tive de base'. Pour nous, toutes les propriétés évoquées ci—dessus révèlent la pré—
sence d‘un présupposé d'un type tout à fait particulier. Par conséquent, avant de
clore cet examen rapide des interrogatifs allemands portant sur la cause, nous
allons tenter d'exposer notre hypothèse personnelle concernant wieso, qui se devra
d'être compatible avec toutes les observations faites par ]. Milner.
1.2.2. Wieso - introducteur d'un "présupposé faible" inversé ?
Les observations de I. Milner font apparaître avant tout l‘importance primor
diale des deux protagordstes dans le questionnement au moyen de wieso, d'où sa
remarque concernant cet interrogatif doublement “subjectif" (cf. ci—dessus 1.2.1.). En
effet, cet interrogatif semble insister aussi bien sur l'ignorance du questionnant que
sur la mise en demeure de l'autre, sommé de répondre. Or, dans l'analyse classique
de la configuration polyphonique de l'interrogation, ces points correspondent au
second et au troisième “énonciateur” ou point de vue du schéma tripartite15 qui
seraient renforcés, c‘est-à-dire, particulièrement mis en lumière, par l'emploi de
wieso. Il nous semble qu'il s'agit là d'un effet du à une prise en charge peu com
mune du présupposé de base, alors que c'est la présence d'un tel présupposé qui
fonde toute question partielle (normalement, il est représenté par le premier
énonciateur).
Ci—dessus, nous avons cherché à montrer qu‘un certain rapprochement entre le
” pourquoi incolore ” et le " pourquoi marqué ” / pour quelle raison du français et les
intemgafifs allemands marron et weshalb ne semble pas être dénué de sens. La
différence entre les formes marquées et les autres réside avant tout dans le type de
présupposé qu‘elles introduisent respectivement dans l‘interrogation où elles
figurent.
Dans la mesure où wieso introduit facilement une question portant sur l'énon—
ciation précédente, on pourrait être tenté de le ranger du côté des interrogafifs mon
marqués. En effet, c'est le " pourquoi incolore ” qui remplit ce rôle en français. Par
ailleurs, Korzen mentionne la proximité entre des interrogations comportant un
" pourquoi incolore " et l'interrogation totale, de même que J. Milner constate une
certaine parenté entre certains énoncés en wieso et ce type d’interrogation (cf.
Milner, 1976, p. 59). Quant à la substitution de weshalb à wieso, elle semble souvent

15 Ce schéma polyphonique comprend normalement 1‘“ assertion " préalable de p (présupp05ifion


pour l'interrogation partielle), l‘expression d'une incertitude concernant p et la demande de
réponse (cf. Anscombre & Ducrot, 1983, pp. 130—136; Ducrot, 1983, pp. 89—99 ou Anscombre,
1990 a, p. 105).
Chapitre 3 Warum soli. .. ?/ Wamm soilte. ? 117

impossible, mais néanmoins plausible dans un certain nombre d'exemples.


Concernant le français, nous avons vu (cf. ci-dessus ch. 2, 2.1.1.) que la variante
non marquée de pourquoi introduit un "présupposé faible" qui remplit deux condi
tions” :

a. le locuteur admet le point de vue 'il y a une raison à x'.


b. le locuteur suppose que l'interlocuteur ne refuse pas ce point de vue.
Suite à Korzen et Nolke, nous l'avons opposé au "présupposé fo " qui remplit
les conditions suivantes:

a. le locuteur admet le point de vue ‘il y a une raison à x'.


b. le locuteur suppose que l‘interlocuteur admet ce point de vue.
Divers indices cités ci—dessus (cf. 1.1.) nous amènent à considérer que umrum
diffère de wesha1b en ce qu‘il peut introduire un "présupposé faible“, alors que wes
halb entraîne obligatoirement une présupposifion forte et présente ainsi systéma
tiquement l'existence d'une cause comme évidence établie.
Nous ferons l‘hypothèse que wieso, contrairement à wamm et uæshalb, fait sortir
l‘interrogation qu'il introduit du cadre de ces deux types de présupposés. Non
seulement, cet interrogatif pouvant porter sur l'énonciation est proche des interro—
gatifs non marqués qui introduisent un présupposé faible, mais 'l'attitude scep—
tique‘ constatée déjà par J. Milner semble même se situer au niveau présupposi—
tionnel. Ainsi, ses conditions d'emploi paraissent inverser pratiquement les rôles
des interlocuteurs :

a. le locuteur suppose que l‘interlocuteur admet le point de vue ‘il y a une raison à x'.
b. le locuteur ne refuse pas ce point de vue.
Ces conditions d'emploi se présentent comme quelque peu éloignées de la
notion de présupposé. Ce dernier est défini habituellement comme "point de vue
d‘une communauté discursive a laquelle le locuteur dit appartenir" (Anscombre,
1990 a. p. 132).
Cependant, on peut dire que le locuteur y adhère, au moins provisoirement le
temps de son questionnement, puisqu'en interrogeant il se présente comme croyant
au moins à la possibilité de l‘existence d'une explication. Son adhésion au présup—
posé est présentée comme occasionnelle, déclenchée par le dire précédent ou le
contexte immédiat.
Pour nous, c'est l'inversion des rôles dans la prise en charge présupposîfionnelle
qui fait que wiaso porte obligatoirement sur le discours qui précède ou un élément
au moins du contexte immédiat. Si le locuteur est amené à poser la question, c‘est

16 Nous reformulons ici les conditions fournies initialement par anke sous une forme adaptée à
sa perspective véficondiüonnaüste.
118 La représentation critique du discours de l'autre

que ce qui précède le fait penser que, contrairement à son opinion initiale, de telles
raisons existent”.
Ainsi, le dire ou le faire précédent (dans un sens très large) est présenté comme
devant être provoqué par une cause que seul l'interlocuteur peut connaître, alors
que le propre locuteur est plutôt sceptique par rapport à l‘existence d'une raison
valable. C'est cette attitude que I. Milner décrit comme "l'expression d'une incom
préhension“ (Milner, 1973 b, p. 42) ou encore comme "indication subjective d‘un
étonnement" (ibid., p. 43) avec "demande (instante ?) d‘explication“ (ibid.).
Cet affaiblissement double de la base présuppositionnelle a pour effet de ren—
forcer aussi bien l'aspect 'expression d‘ignorance' de la question que celui de de—
mande de réponse sur laquelle ies interrogatives en mieso insistent particulière
ment. En ce sens, la conception de wieso comme "interrogatif subjectif" centré en ce
qui concerne son expressivité, c'est—à-dire ses aspects montrés, sur le rapport inter
personnel entre questionnant et questionné apparaît comme tout à fait justifié.
Afin d‘illustrer les conséquences d'une telle représentation, considérons son
application à un exemple concret. Pour clarifier la description des spécificités de
wieso, nous avons choisi une présentation en parallèle avec warum dans un emploi
rhétorique parce que leurs caractéristiques nous semblent être opposées sur bien
des aspects :
- Wamm hast du fin: 51013 gewamt ?
Pourquoi l'as-tu prévenu, bon sang !
- Du hast æcht. lch hätie nichts sugen sollæm.la
Tu as raison, j'aurais dû ne rien dire.
- Wieso hast du ihn gauamt ?
Mais pourquoi l'as—tu prévenu ?
- Ich hutte gehofi‘i ich kännte r'hn non seinem Plan abbñngen.
J‘espérais pouvoir le dissuader de son projet.
Dans cette question en warum... ? la présence du morphème blofl indique claire—
ment que la demande de réponse s'adresse autant, voire plus, au locuteur qu'à son
interlocuteur19 ce qui a pour effet d'orienter la question vers une seule réponse pos—
sible de type '(on a beau chercher,) il n 'y a pas de raison. ..qui puisse justifier un tel com—
pmtement'.

17 Une autre observation de I. Milner, concernant mieso dans la subordonnée, apparaît comme
allant tout à fait dans ce sens : elle remarque que sa "dimension spécifique... est d'introduire un
commentaire présentant le fait comme paradoxal (c'est—à-dire d'un commentaire comportant la
double affirmation : "tel fait ne devrait pas être, et pourtant, il est")" (Milner, 1973 la, p. 42). Il nous
semble que c'est ce même aspect paradoxal que nous situons pour la question au niveau présup—
posifionnel.
15 Exemple empmnté à I. Schmidt—Radefeldt (1993, p. 71); traduction personnelle.
19 Pour une description détaillée de la particule blofl, voir ci-dessous (4.1.).
Chapitre 3 Womm soli. .. ?/ Wumm sollæ... ? 119

Avec wieso, en revanche, le locuteur insiste sur sa demande de réponse, ainsi


que sur l‘intégrale ouverture de sa question. Étant donné qu‘il ne voit pas de justifi—
cation possible, alors que le comportement de son interlocuteur lui montre que ce
dernier doit bien en avoir une, c’est cette contradiction qu’il demande a son interlo—
cuteur de lever.
Ainsi, dans la question rhétorique en warum... ?, le locuteur présente le point de
vue présupposé, sans s'y identifier et ce afin de l'écarter dans un second mouve—
ment (virtuel ou explicité), alors qu‘avec ufieso, il présente le point de Vue présup—
posé comme provenant de son interlocuteur et comme point de vue auquel il se
range provisoirement, le temps de sa question.
Un autre exemple d‘un type très fréquent diffère légèrement dans sa configuræ
tien et pourrait sembler contradictoire avec cette analyse dans la mesure où le locu
teur, tout en marquant sa distance par rapport au présupposé, montre en même
temps qu'il voit très bien la manière de le valider. Il s‘agit de l'exemple suivant
emprunté à Métrich (1993, p. 415) :
- Geh uud sag ihm, dofl wirjetzf gelzen.
Va lui dire que nous partons.
- Mäeso ?Kommf er denn mit?
Comment ça ? Il nous accompagne ?
Si le changement d'attitude dû au contexte immédiat, lequel rend la question
possible, ressort de manière particulièrement claire dans cet exemple, la suite du
tour de parole -la seconde question qui suit immédiatement- peut changer le
regard sur ce wieso ?. En effet, ici, le locuteur explicite aussitôt par cette question, ce
qu‘il excluait l‘instant d’avant comme raison possible (sinon sa question en wieso ?
n‘aurait pas de raison d'être). Alors deux interprétations sont possibles :
' ou bien le locuteur marque par une pause entre la première et la seconde
partie, qu‘il a adopté le point de vue présupposé vis à vis duquel il gardait
d‘abord une certaine distance en l'adoptant de manière ostensiblemth
provisoire20 : 'IL Y A UNE RAISON VALABLE POUR CETTE DEMANDEl (celle qu'il
semble entrevoir ensuite). Dans ce cas, nous sommes en présence de deux
énoncés distincts”. Dénonciation de wieso ? serait alors à considérer comme
exclamative, "arrachée“ par l'effet de surprise. Cette interprétation est tout à
fait compatible avec notre hypothèse concernant la configuration présupposb
tionnelle qu‘instaure mieso.
' ou bien on considère l‘intégralité du tour de parole comme un seul énoncé - ce
qui s’accorderait par ailleurs au fait que normalement ce type de réplique ne
contient pas de pause - et il faut alors considérer que le locuteur, tout en

20 Grâce au présupposé faible inversé mis en place par un'eso.


2‘ "Deux intentions de communication séparées“ (O. Ducrot, séminaire 1989—1990) qui se
succèdent.
120 la représentation critique du discours de l‘autre

demandant confirmation d'un point de vue, met en scène son rejet de ce


même point de vue, attitude de l'instant d'avant. Dans ce cas de figure, il
présente sa surprise en soulignant encore (au moyen de denu) qu'elle est pro—
voquée par le discours qui précède. Ici, le locuteur semble raisonner en fonc—
tion d'un point de vue que par ailleurs il prend soin de présenter comme pro—
visoire tant qu‘il n'a pas obtenu une confirmation explicite”.
Pour ce qui suit, nous maintenons l'idée d'un présupposé faible “inVersé”
comme propriété essentielle de l‘interrogafif wieso.
Plus loin (3.), nous verrons les nuances et les incompatibilités que ces quatre
interrogaüfs introduisent dans les questions qui font l'objet de notre étude. Mais
auparavant, nous ailons nous pencher sur le comportement du verbe modal SEI‘I‘V
blant aussi jouer un rôle primordial dans ce type de questions : le verbe sollert.

22En fait, cet exemple semble correspondre très précisément à ce que R. Martin décrit comme
énoncé exclamafif contradictoire: "l‘attente que la situation donne pour contrefactuelle se pro—
longe ficfivement dans le monde actuel" (1987, p. 100).
2. Le verbe modal de la reprise d‘un discours autre : sollen

Ce verbe a deux fonctions principales, à première vue distantes l'une de l'autre :


il peut aussi bien être employé pour l‘expression indirecte d’un ordre que dans le
rapport distancié d'une affirmation d‘autrui. Un tel usage correspond à ce que cer—
tains dont E. Gmmbach entendent par “valeur épistémique“ (Grumbach, 1981,
p. 80) de sollen.

2.1. Deux emplois indépendants ?

K. Ehlich et J. Rehbein parlent de "verbalisations... où le locuteur exprime au


moyen de verbes modaux une prise de position par rapport à des phrases qu‘il
rapporte en même temps en tant que telles“i (Ehlich & Rehbein, 1972, p. 319). Pour
eux, il s'agit d'un usage particulier qui a le trait suivant en commun avec l'impé
ratif en discours rapporté : alors que l'impératif est repris par sultan indiquant
qu'une demande de faire a été énoncée, le locuteur peut aussi reprendre un dire
avec la demande d‘acceptation implicite qui s'y rattache. Selon ces auteurs, dans ce
cas il indiquerait à l‘aide de ce verbe qu'il refuse de prendre ce dire personnelle—
ment en charge, c'est-à—dire de l‘asserter: le locuteur responsable du dire initial, “X,
veut que A [son allocutaire] prenne à son compte le caractère assertif de l‘acte de
parole... . C‘est A qui transmet maintenant ce lien à B et indique en même temps
que cette intention de X relatif à lui, A, n‘a pas réussi"24 (Ehiich & Rehbein, 1972,
p. 338). Ainsi l'objet de l‘ordre était lié au dire, l'action requise étant "l'acceptation
de l‘acte de parole avec la même force illocutoire que X lui a conféré ou que X a
essayé de lui conférer“5 (ibid.).
H. Weinrich décrit la valeur proche de l'impératif comme une expression "sous
forme mt'zdiatisée"26 (Weinflch, 1993, p.306) d'un “commandement"27 (ibid.) en

23 "Verbalisierungen..., in denen der Sprecher mittels der Verwendung von Modalverben eine
Sællungnnhme au Sätzen abgibt, die et zugleich als solche berichtet“.
2“ "x...wfll damit, daE a den assertorischen Charakter des Sprechacts...überrflmt... Diesen
Zusammeflmng 12th a nun b mit, wobei er gleichzeitig anzeigt, dafi die Absicht von x in Bezug
auf ihn, a, nicht gelungen ist.
25 ".. .die Übernahme eines Sprechacts mit derselben iflokufiven Kraft mit der x ilm versehen hat
bzw. zu versehen versucht bat."
25 "in vermittelter Form"
17 "Cabot"
122 La représentation critique du discours de l'autre

faisant remarquer qu‘en allemand la plupart des dix commandements contiennent


ce verbe dans leur formule. Cependant, Weinrich ne semble pas non plus dissocier
cet aspect des usages plus éloignés de l'impératif. En effet, il présente l'élément
déonfique comme généralement attaché à ce verbe. Dans ce que d‘autres entendent
par usage épistémique, le locuteur indiquerait qu'il reprend des éléments d'une
"source d‘information incertairte"23 (ibid., p. 313) et inviterait l'allocutaire à se mé
fier de ce qu'il présente comme faisant l'objet d'un "commandement de se fier à
cette source"29 (ibid.), commandement justifiant cette attitude sceptique. On re
marque la proximité entre son analyse et celle de K. Ehlich et]. Rehbein.
Parmi les auteurs qui considèrent l'aspect déontique de solien comme fonda
mental se trouve encore D. Bresson, qui propose une description générale qui cor—
respond particulièrement à notre perception de ce verbe : "ce verbe peut prendre
des valeurs nombreuses, mais sa signification fondamentale, qui peut être très
affaiblie, est celle d'un devoir ou d'une obligation imposés par une autorité exté
rieure" (1988, p. 57), fremde Instanz dans la terminologie allemande.
E. Grumbach voit aussi un lien clair entre les deux emplois de sollen bien qu'il
ne semble pas mettre l'élément déonfique au centre de sa description. Il conçoit ce
verbe systématiquement comme "opérateur dont la fonction consiste à ardeuler un
certain type d'énonciation préalable sur une nouvelle énonciation" (Grumbach,
1981, p. 85). Ainsi, les deux usages auraient pour origine deux types différents
d'énonciations précédant l‘occurrence de sollen.
E. Grumbach montre que pour le choix de l'interprétation, épistémique ou
non”, un paramètre intervient, qui nous semble primordial. Il s'agit de la compati—
bilité ou incompatibilité du prédicat présenté en dépendance de seller: avec l'impé
ratif. En effet, lorsque le verbe suivant sollen fait partie des verbes de type processif
l‘interprétation penche vers un impératif en discours rapporté, alors que tout verbe
d'état31 pousse l'allocutaire a choisir l'interprétation épistémique : "les prédicats qui
n‘admettent pas l'impératif, n'admettent pas non plus l'interprétation déonfique
lorsqu'ils se trouvent combinés avec sollen" (Grumbach, 1981, p. 87).
Certains prédicats, cependant, peuvent appartenir aux deux catégories. Ainsi, le
premier exemple ci-dessous ne comporte aucune ambiguïté, contrairement au se
cond :
- Er soli kmnk sein.
On dit qu'il est malade.

25 "unsicheren Nachrichtenquelle"
2" ">Gebot< dieser Quelle Vertrauen zu schenken"
30A certains endroits du texte, il parle d'une interprétation non—épistémique, à d'autres, d'une in
terprétation "déontique".
3‘ Pour une présentation des différentes catégories de verbes. voir Anscombre (1993, p. 276) qui se
fonde sur les classifications de Vendler et de Mourelatos.
Chapitre 3 Wamm sali... ?/ Warum sollte... ? 123

- Sie soli bran sein.


On dit qu'elle est sage / On lui dit d'être sage.
Cette ambiguïté tient au fait que bran sein peut avoir deux significations diffév
rentes. Tantôt on peut le comprendre comme 'avoir la propriété d'être sage', tantôt
il prend le sens processif 'se comporter de manière sage'. Dans certains contextes, ce
prédicat peut donc perdre son caractère de propriété, ce qui fait passer sa combi
naison avec sultan d‘une interprétation épistémique à une interprétation comme im—
pératif rapporté.
Pour nous, il n‘est pas possible de dissocier entièrement les deux types d'u
sages. En ce sens, nous nous rangeons du côté des auteurs cités pour leur vision
unifiante. Il nous semble que le caractère d'impéraüf rapporté - normalement atro—
phié en quelque sorte - subsiste à des degrés divers dans certaines occurrences
d'emplois dits 'épistémiques'”. Comme Weinn‘ch, qui considère que c'est justement
l'aspect 'commandement' qui incite à la distanciation par rapport au dit en ques—
tion, nous proposons de voir dans ces usages de milan un cas particulier de rapport
d'un impératif ou, plus précisément, un rapport d'un impératif particulier : dans la
mesure Où dans ces cas de figure sollen est donc suivi d'un verbe ne supportant
normalement pas l'impératif, nous sommes amenée à le considérer comme le rap
port d'un impératif 'absurde‘.
2.2. Un verbe - articulateur d'énonciafions

Comme indiqué ci-dessus, dans les deux cas, il s‘agit de l'articulation au moyen
de 5011211 d'”une énonciation préalable sur l‘énomiafion présente” (Gmmbach, 1981,
p.87), c‘est—à-dire sur l‘énonciation de la phrase qui comprend ce verbe modal.
Alors que cet auteur parle à propos de "sollen épistémique” de la "nature de ce pré
alable" qu’il décrit comme "une affirmation dont on ne nomme pas la source, le lo—
cuteur“ (ibid.), nous proposons d’étendre cette description à tous les emplois de
soilen à l'indicatif : ce verbe modal indique qu'il y a eu énonciation préalable sans
préciser la source de ce dire”.
C. Cortès et H. Szabo remarquent que "ce verbe... signifie que le locuteur n'est
pas la source de son dire" (Cortès & Szabo, 1984, p. 114). Elles indiquent qu'”on
trouve soilen lorsque la langue dissocie deux locuteurs distincts" (ibid.).
Par ailleurs, sollen dissocie toujours la personne correspondant à son sujet gram—
matical de la source de l‘énonciation initiale. De ce fait, il est libre en ce qui

32 Nous serons amenée ci—dessous (cf. 3. et 5.) à nous demander a propos d'exemples concrets, ce
qui peut favoriser de telles ‘réuüniscences'.
33 La seule exception semble être le cas d'un ordre réitéré par le même locuteur, car, selon
E. Grumbach la source y serait perceptible à travers l‘intonation indiquant que le locuteur assume
l'ordre lui—même (cf. Gmmbach, 1981, p. 84).
124 La représentation critique du discours de l'autre

concerne la catégorie de la personne, contrairement à trollen "épistémique" qui


présente le sujet comme étant en même temps le locuteur resp0nsable de l‘énon—
ciation d'origine, ce qui fait qu'il n‘est pas compatible avec toutes les catégories de
la personne dans cette interprétation. Ce point est aussi souligné par Valentin
(I983) : "wiH et sol! permettent, ...de [marquer le non—engagement}, en identifiant
la source de l'information : will renvoie la responsabilité au sujet grammatical
figurant dans l‘énoncé... et soit à un tiers, qui n'est donc ni le sujet, ni le locuteur
intermédiaire" (Valentin, 1983, p. 30).
Alors que nous considérons donc seller: dans tous les usages à l'indicatif comme
articulant deux énonciations, ce qui différencie l‘emploi épistémique de l‘usage
déontique est que, d'une part, le locuteur du préalable ne peut pas être celui de
l'énonciation en question en ce qui concerne l‘épistémique34 et, d'autre part, la per
sonne à laquelle renvoie le sujet grammatical de sollen ne peut évidemment pas
coïncider avec celle responsable de la première énonciation dans le cas de l'impé—
ratif rapporté. Ainsi, dans le premier échange ci-dessus, L1 et L3 sont identiques,
contrairement au second 'mini—dialogue'. La première variante est inacceptable
dans ce cas :
- Komm .’
Viens !
- Was hast du gesogt ?
Qu‘es-tu dit ?
? - fch soli kommen. /— Du sollst kommen .’ 35
- Je suis censé venir/Je te dis de venir.

- Ich bin damn schuld.


C‘est de ma faute. -> j‘en suis responsable.
a Wan‘iber sprecht ihr ?
De quoi parlez-vous ?
?- Durüber, dajî ich damrt schuid sein soli. /- Durüber, dufl sie duran schuld sein soli.
Du fait/ De ce que je prétends en être responsable./ De ce qu‘elle prétend en être
responsable
Dans le second exemple, c'est l‘identité entre L1 et L3 qui est exclue en raison
d'un emploi épistémique sans équivoque.

34 Dans l'usage déontique, nous l‘avons déjà signalé, il n'est pas exclu que le locuteur réitère un
ordre donné auparavant par lui—même (et non suivi d'effet; cf. Gmmbach, p. 84).
35 Dans ce cas, l'allemand permet de marquer l’énoncé de manière univoque comme réitération
d'un ordre (par l‘intonation à l‘oral et le contexte verbal à l'écrit) sans en préciser explicitement la
source, alors que la traduction française doit œmprendre obligatoirement l'expiicitatton de la pre
mière personne du singulier dans la mesure où, premièrement, la forme impersonnelle en 011 ex
clut le locuteur luiunême, deuxièmement, la tournure être censé ne permet pas la coïncidence entre
locuteur et la source de l‘obligation et que, troisièmement, l‘usage du verbe modal demir ne
marque pas clairement la repri5e de l’impératif.
Chapitre 3 Wumm soli. .. ?/ Warum sollœ. .. ? 125

Globalement, il faut donc retenir que sultan à l'indicatif sert d‘arficulateur d'une
énonciation sur une autre dont l'une peut être interprétée dans certains contextes
comme l‘occurrence d'un impératif impossible, apparaissant donc comme absurde.

Si nous avons précisé ci—dessus qu'il s'agissait du verbe sollen a l'indicatif, c'est
qu'au subjonctif ses propriétés ne sont plus tout à fait les mêmes.

2.3. SoHen au "Konjunktiv Il“

L‘allemand possède deux types de subjonctifs, généralement appelés Konjunk—


tiv I (ou "indirekfiver Konjunktiv / Indirektiv" chez Weinrich, 1993, p. 240 et sq.) et
Konjunktiv Il (ou "restriktiver Konjunktiv / Restfiktiv", cf. ibid.). Alors que le pre—
mier est beaucoup moins utilisé, appartenant à un style relativement soutenu, le
second apparaît couramment dans l’expression d'une "valeur restreinte"36 (ibid.). Le
Konjunktiv I étant spécialisé avant tout dans le rapport d'un discours autre, le Ken—
junktiv Il dont les formes utilisées sont ressenties comme plus simples par les locu
teurs peut tantôt se substituer au premier sans modification significative, tantôt in—
troduire une plus grande distance par rapport au discours qui est rapporté, ainsi
que servir à exprimer des propos hypothétiques hors de tout rapport de discours.
Globalement, ce mode a pour effet d'indiquer que le locuteur ne prend pas son
dire entièrement en charge sans pour autant rejeter forcément les points de vue
ainsi mis en place. Ainsi, pour ].-P. Confais, "le rôle du KON] Il est précisément de
permettre une assertion dans des conditions problématiques” (Confais, 1990,
p. 262). Il indiquerait que "l'assertion pure et simple de p ne va pas de soi" (ibid.).
Cette prise en charge 'sous réserve‘ peut, selon les contextes, préfigurer un refus
des énonciateurs ainsi marqués”, mais ce n‘est qu'une des possibilités ouvertes par
l‘emploi de ce mode.
Comme remarque H. Weinrich (1993), tout comme les autres verbes modaux,
seller: peut facilement figurer au Konjunktiv Il, sollte. Dans ce cas, "une certaine res
triction du commandement“ (ibid., p. 306) intervient, qui "a souvent pour effet de
décharger psychiquement la situation“39 (ibid.).

3" "eingeschränkte Geltung" : il faut donc entendre par valeur restreinte que ce qui est dit n'est
valable que sous réserve, ce qui revient à dire, dans notre conception, que le dit n'est pas entière—
ment pris en charge par le locuteur. en ce sens que le locuteur crée un univers de discours provi—
soire et le marque comme tel. '
37 Nous verrons plus loin (cf. «ci—dessous 3.) que la négativité inhérente aux questions {l‘expression
de doute ou d'ignorance) constitue un tel contexte. Dans certains contextes négatifs, le KonÏ1mkfiv
Il combiné avec sollen peut à son tour devenir un élément pourvu de négafivité conférant à la
question où il s'insère un caractère rhétorique (cf. 3., mais aussi ch. 2, 2.3.2.1).
35 "aine gewisse Einschränkung des Gebots".
3" "was häufig zu einer psychischen Enflastung der Situation führt".
126 La représentation critique du discours de l‘autre

La spécificité de sollen à l'indicatif réside, nous l'avons dit, dans ce qu'il indique
que l‘énonciation de la phrase où ce verbe figure fait suite à une première énoncia—
tion par rapport à laquelle sa valeur se détermine. Par ailleurs, il a trait fondamen
talement à un devoir ou une obligation imposés, d‘où son caractère déontique, à
degrés variables. Nous ferons l'hypothèse que sollen au Konjunktiv Il, en revanche,
conserve ce trait sans qu'il puisse être ramené précisément à un impératif rapporté :
s'il peut conserver un lien avec une énonciation antérieure éventuelle, il n‘a pas la
propriété de s'y greffer directement et ne fait par conséquent pas référence à l‘ins—
tance de cette autre énonciation, de sorte qu'il a pour effet de construire une moda
lité ‘absolue‘ détachée de tout responsable”. Il nous semble que ce que H. Weinrich
décrit comme 'décharge psychique‘ est étroitement lié à cette propriété et, par ce
biais, aux personnes impliquées dans le discours. Si un énoncé en sollte paraît plus
neutre dans un certain sens qu'un même énoncé avec 5011—, c'est qu‘avec seller: au
Konjunktiv Il les enjeux faisant l‘objet de l‘énoncé apparaissent comme indépen—
dants des personnes.
Cette espèce d'autonomie peut donner lieu - par le désengagement du locu—
teur - à deux effets oppŒés. Ainsi, sollen au Konjunktiv Il peut véhiculer l'expres
sion d‘une éventualité, ou d'une hypothèse ou, au contraire, une valeur absolue, car
indépendante d'une volonté subjective et détachée de sa source, dont la nature
reste à déterminer.
Dans ce dernier cas de figure, le désengagement semble donc avoir, paradoxale
ment, un effet objecfivisant. En effet, pour donner ou répéter un ordre, sollen doit
obligatoirement figurer au présent de l'indicatif, alors qu'au Konjunküv Il il ne
pourra servir à de telles fins. Il sera, en revanche, parfaitement adapté à la formu
lation d'un conseil, car dans ce cas, l'accomplissement ou non de l‘action recom
mandée n‘engage en rien les intérêts du locuteur :
- Sic sultan safari die Munition abholen ! Das ist ein Bejêhl !
Vous devez chercher tout de suite la munition ! C‘est un ordre !
? - Sic sallten sujbrt dit? Munition abholen. Dos ist ein Befehl !
Vous devriez chercher tout de suite la munition ! C'est un ordre !
- Sic sallten sofort die Munition abholen. Dos rate ich Umen dringend.
Vous devriez chercher tout de suite la munition I le vous le conseille vivement !
Le conseil se fonde toujours sur une espèce d‘autorité abstraite comme celle in—
voquée implicitement par une expression comme il vaut mieux. Son indépendance
du locuteur a pour effet que le même type de phrase est concevable avec le sujet à
la première personne du singulier :
- Ich sollte sofort die Munitian abholen.

4” Il s'agit en fait de la modalité aléthique (voir aussi Kerbrat—Oræchiom‘, 1978 et 1980 b, pp. 151
153).
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Wamm sollte...? 127

Cependant, ce mécanisme ne semble pouvoir intervenir que pour les prédicats


susceptibles de faire l'objet d'un impératif (cf. ci—dessus 2.1.). Ils sont apparemment
les seuls à pouvoir figurer dans une phrase déclarafive en dépendance de sollte, ce
qui nous fait penser que ces structures ne sont pas sans lien avec l'impératif rap—
porté:
- Er sollte die Küche uufräumen.
Il devrait ranger /ll vaudrait mieux qu'il range la cuisine.
- Er sollte sie besuchen.
Il devrait lui rendre visite / Il vaudrait mieux qu‘il lui rende visite.
- Er sollfe bmv sein.
Il devrait être sage/il vaudrait mieux qu‘il soit sage.
- Er sallte dumm sein.
Il vaudrait mieux qu'il soit bête.
- Er sollte kmnk sein.
Il vaudrait mieux qu'il soit malade.
- Er sollte intelligent sein und den 5tm't nidtt meiterführen.
Il devrait être intelligent et ne pas pour5uivre la discussion
On remarque que le prédicat ambigu, brav sein est obligatoirement interprété
comme processif (se comporter de manière sage), alors que pour les trois exemples
suivants l’interprétation n‘est possible que si l‘on recourt à des contextes impliquant
une interprétation très particulière“.
Si, à la lumière de ces compatibilités, on interprète ces exemples comme issus
d‘un impératif rapporté auquel se surajoute un Konjunkfiv Il, ce qui constitue une
hypothèse assez forte, on est amené à décrire le mécanisme attaché à sollte dans ces
phrases de la manière suivante : à la distanciation du lœuteur par rapport à un
énoncé a priori d‘autrui s'ajoute l‘effacement complet du lien entre la première
énonciation et sa source initiale. Cette première énonciation devient ainsi une énon—
ciation sans locuteur et donc absolue.

On peut rapprocher ce phénomène de ce que A. Berrendonner décrit sous le


terme imagé "fantôme de la vérité" (Berrendonner, 1981, pp. 35— 73). L‘auteur
montre en effet que le discours véhicule des éléments susceptibles d‘être validés
par des instances diverses et qu'aimi la notion de véracité doit être vue comme
relative : "dans cette perspective, une proposition ne se définit plus comme “ ce qui
est susceptible d'être vrai ou faux ”, mais comme... ” ce qui peut être vrai ou faux

“Er salin lmmk sein devient il dermitfifire semblant d’être mahzde. Le conseil er salit: dumm sein n’est
interprétable que si on le comprend comme abréviation de il vaudrait mieux choisir une personne qui
est bête et le dernier exemple doit être compris comme il dawfl avoir l'intelligence de ne pas pour—
suivre la discussion.
A chaque fois on restaure donc une interprétation évitant l'interprétation du verbe d'état en tant
que tel et donc du prédicat comme état ou propriété.
128 La représentation critique du discours de l'autre

pour quelqu'un ”" (ibid., 59). Parmi les "agents vérificateurs" (ibid.) se trouvent les
personnages du discours comme le locuteur, l'allocutaire ou encore "l'avis général"
(ibid. p. 60), mais aussi "l'ordre des choses" (ibid.) auquel correspondrait une vérité
"universelle" (ibid., p. 61). Ainsi un locuteur peut prétendre parler au nom d'une
vérité personnelle (“L-vérité", p. 63) au moyen d'expressions comme à mon avis qui
signalent qu‘il s‘agit d'une vérité restreinte, mais il peut aussi évoquer une vérité
faisant l'objet d'un certain consensus, une "ON—vérité" (ibid., p. 53) et ce par exem
ple en employant des proverbes. Le cas qui nous intéresse plus particulièrement est
celui de la “ta—vérité“ (ibid., p. 63). “... il est possible de voir, au moins dans cer—
taines assertions, une prétention à la véracité : un locuteur L peut prendre la parole
pour affirmer non seulement en son nom propre, mais encore au nom du réel, au
nom du fantôme" (ibid., p. 66).
L'existence de certains marqueurs qui limitent la valeur de ce qui est dit (en in—
diquant qu'il s'agit d‘un point de vue subjectif par exemple) a pour effet 'secon—
daire' que d'autres dires en raison de l'absence d'une telle marque revêtent l'appa
rence d'une validité plus universelle“. "Certaines propositions sont telles que leur
assertion sera comprise comme le cautionnement d’une o—vérité. Lorsqu‘on les
énonce, on parle au nom du fantôme, et l'on encourt donc une double responsabili
té : la sienne propre, et celle de l'univers“3 (ibid., p. 68).
L'autorité implicitement invoquée dans la phrase déclarative avec sollte, lorsque
celle—ci n‘est pas explicitement marquée comme issue d‘un jugement personnel,
peut être assimilée à l‘ordre de l‘univers : c'est au nom d'une certaine doxa qu'il
vaudrait mieux faire telle ou telle chose de telle ou telle manière.
Ainsi, nous semble—Hi, solien au Konjunktif Il inscrit dans une phrase déclara
tive la présentation de ses énoncés par le locuteur comme appartenant à cette vérité
universelle. Si l'on peut dire meiner Meinung neck soiltest du (à mon avis, tu de—
vrais...), c'est qu‘il ne s'agit pas d'une proposition intrinsèquement susceptible
d'évoquer une L-vérité. En effet, les propositions de ce dernier type ne supportent
pas l'adjonction d'une telle formule, car elles ne peuvent pas être doublement res
treintes“.

42 Il s'agit d‘un mécanisme tout à fait semblable à celui décrit par I. Authier concernant certaines
gloses métadiscursives dont l‘existence crée par contraste une illusion d'absence de cet "univers
autre" (séminaire 1993-1994) qu'elles abordent pour le discours restant, c'est—à—dire te discours en
général.
43 Par ailleurs, l'auteur propose d'appeler ce type de propositions ” onto-aléthiques " et il les op—
pose aux " idio—aléthiques ", "cautionnement d'une bvérité“ (ibid.).
‘“ Berrendonner donne les trois exemples suivants marqués d'un astérisque (1981, p. 68) :
A mon avis, je ne me sens pas bien.
A mon avis, j'ai le cafard.
A mon avis, j‘aime les épinards.
Chapitre 3 Warum soli. . . ?/ Warum sollte. ..? 129

Tandis que les déclaratives en sollen à l'indicatif mettent en jeu l‘ordre de l‘obli«
gatoire, celles qui figurent au Konjunkfiv Il créent celui du préférable à travers cet
effet de détachement. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l'impératif a
pour condition première que ce qui en fait l‘objet n’est pas réalisé au moment de
l‘énonciation. De même, sollte. tout comme le conseil en général, véhicule l'idée de
quelque chose de souhaitable et donc de virtuel. C'est précisément cet aspect qui
est à l'origine des emplois de sultan au Konjunkfiv II pour l'expression de l'hypo—
thèse. Qu'un point de vue soit souhaitable et potentiellement réalisable, ou bien
hors de toute possibilité de réalisation, il s‘agit toujours de la construction d'un hé
térounivers.
Pour ce qui est de la phrase hypothétique, son énonciation met en place un
point de vue virtuel qui sert de cadre au discours sans qu'il soit pris en charge par
le locuteur. Contrairement au cadre présupposifionneî, le cadre hypothétique est
justement marqué comme non assumé, comme cadre artificiellement construit:
c‘est ce qui fait sa Spécificité.
Ce type d‘usage de seller: au Konjunktiv Il intervient dans les constructions con—
ditionnelles complexes, "Kondiüonal—Junküonen" (Weinfich, 1993, p. 744). Il s‘agit
de structures hypothétiques dans lesquelles la partie conjuguée du verbe figure
obligatoirement en première position :
- Sollte et intelligent sein, (se) wird er dan Streit nicht ueiterfiihnn.
S‘il est intelligent, il ne poursuivra pas la discussion.
— Sollte er dumm sein, (so)fit‘llt er bestimmf in diese Folle.
S‘il est bête, il tombera sûrement dans ce piège.
- Seille er das tan, (sa) rœrde ich nicht mehr mit ihm spæchen.
S‘il fait ça, je ne lui adresserai plus la parole.
ou encore :
Dieser aus besten Gameu hergesteflte Qualitätssfmmpf munie vor dem Verpaclæn eingeiænd
geprüfi. Sollten Sic dennoch irgendeine Beanstandung haben, senden Sie uns bitte zur Kan—
trolle diesen Zeifel mit eirr.
Cette chaussette, confectionnée a partir des meilleurs fils, a été minutieusement véri
fiée avant d'être emballée. Néamnoins, au cas où vous auriez la moindre réclama—
tion, veuillez joindre ce ticket de contrôle à votre courrier. (ticket de contrôle d'une
paire de chaussettes fabriquée en Allemagne)
C. Cortès et H. Szabo montrent que de telles constructions sont caractérisées par
un niveau très élevé d'indétermination. "La phrase conditionnelle allemande qui
exprime l'hypothèse est la plus indéterminée (la moins actualisée) des structures
liées" (ibid., 1982, p. 284).
Dans un tel usage sollte ne comporte pas d’aspect déonfique. En effet,il n'y a

Cette incompatibilité serait due à ce que la partie principale de la phrase exprime de toute évi
dence une L—vérité.
130 La représen tation critique du discours de l'autre

apparemment pas de restriction quant aux prédicats pouvant figurer dans ce type
de structure.
Le cas qui nous intéresse en particulier est celui où sollen figure au Konjunk
tiv [I dans des interrogatives partielles. Considérons quelques exemples :
- Wasfiïrchtesi du ?. .. Es ist m'emand in der Nähe and wer sollte uns auch kennen ?
Que crains—tu ? Il n'y a personne à proximité et d'ailleurs, qui nous reconnaîtrait ?
(Femandez Bravo, 1995, p. 133).
- Wieso nicht ? Wer sollte ins Ferrer gehen, menu nichter ? (Milner, 1973 b, p. 12)
Mais pourquoi pas ? Qui irait dans le feu, si ce n‘est pas lui / sinon lui ?
- Wie sollte ici! ihu kennen ?
Pourquoi voudriez-vous que je le connaisse ? (Femandez Bravo, 1993, p. 308)
- Wann sollte die Liefemng denn am besten stattfinden ?
Quand la livraison devrait—elle avoir lieu de préférence ? / Quel serait le meilleur
moment pour que la livraison soit effectuée.
- Wer sollte ihnen die Liefèmug denn übergeben ?
Qui devrait donc (de préférence) vous transmettre la livraison ?‘5
- Wer sollte denn sa dumm sein and dieses Produkt kaufcn ?
Qui serait donc assez bête pour acheter ce produit ?
La question qui se pose est, d'une part, celle de savoir s’il s'agit d'un emploi tout
à fait spécifique ou si les différents usages de solleu au Konjunkfiv II sont liés les
uns aux autres et, d‘autre part, comment il faut interpréter la présence de 5011811 au
Konjunkfiv I] dans certaines de ces structures interrogatives. S‘agit—il d'un seller:
proche de celui de la déclarative (avec la valeur 'conseil') ou plutôt du sotleu em—
ployé pour l‘expression hypothétique, c'est—à-dire d‘un sollen avec la valeur qui per—
met de mettre en place un "univers de discours autonome" (Ducrot, 1991, p. 186),
marqué comme provisoire ? N. Fernandez Bravo semble considérer le Konjunktiv I]
de sollte dans des questions telles que la troisième citée ci-dessus comme "non
hypothétique" (1993, p. 308).
Pour notre part, nous pensons que la valeur de soilte en emploi hypothétique
n'est pas foncièrement différente de celle que cette forme verbale prend dans d'au
tres configurations. La construction d'un hétérounivers, d'un cadre différent du
cadre principal dans lequel le discours se situe, peut constituer le dénominateur
commun de ces emplois.
Au vu des exemples présentés ci-dessus, il apparaît que ce type d'interrogafive
peut être formé aussi bien avec des prédicats susceptibles de faire l‘objet d‘un

45 Une autre interprétation est possible en raison de l'équivalence de formes entre sultan au pré—
térit et au présent du Konjunktîv Il : Qui était en charge de vous transmettre la livraison ? La proba
bilité d'une interprétation clôturante (Qui vous tmnsmettmit la livraison ?), en revanche, est forte
ment amoindrie par la présence de la particule modale demi.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Wamm sollte... ? 131

impératif qu'avec ceux exclus d‘une phrase impérative. Cependant, l'effet de sens
dû à sollte n’est pas forcément le même dans les deux cas de figure.
Il nous semble que celles des intenogafives qui contiennent un prédicat pou—
vant faire l‘objet d'un ordre ou d‘un conseil en raison de sa nature processive
peuvent donner lieu à des énoncés pleinement interrogafifs. Dans ce cas, l'interro—
gation peut porter sur la personne, le lieu, le moment ou encore la manière opti
male dont le procès en question devrait se dérouler. L'optimum étant toujours pré—
senté comme indépendant de quelque volonté subjective que ce soit.
Parmi les exemples présentés ci-dessus, un seul semble contredire cette hypo—
thèse. En effet, le second apparaît comme contraignant clairement la réponse et ce
malgré un prédicat tout a fait compatible avec l'impératif. Toutefois, il suffit d'iso—
ler la partie à proprement parler interrogative de la phrase et l‘exemple confirme
notre hypothèse. L‘interprétation comme question hautement interrogative devient
possible :

- Wer sollte ins Feuer gehen ?


Qui devrait aller dans le feu (, selon vous) ?
Cependant, hors contexte I'interprétant a tendance à la concevoir plus facile—
ment comme une question—écho qui revient sur une déclarative contenant déjà
Sollte. En fait, c‘est le contexte immédiat qui peut bloquer ou continuer la tendance
rhétorique que le verbe soiten au Konjunkfiv Il semble inscrire dans les instructions
appartenant à la phrase. Pour ce qui est des interrogafives à prédicat incompatible
avec l'impératif, il apparaît que l‘interprétation rhétorique s‘impose toujours.
Pour nous, cette orientation rhétorique paraît être tout de même liée au rejet
d‘un univers de discours autonome ou hétérounivers construit au préalable. Ceci
est plus manifeste dans l'interrogation totale ou globale '.
- Sehen Sie diese Gestalt drüben nm Waldmnd ?
Voyez—vous la silhouette là-bas en bordure de la forêt ?
- Sehr rnohi.
Oui, tout à fait.
- Solli‘e ich mich 50 irren ?
Serait—ce que je me trompe à ce point ?
- Nain, es ist der Kader.
Non, c'est le chef. (Fernandez Bravo, 1996, pp. 309-310)46
Le contraste nous semble être particuiièrement net dans la comparaison à
l'exemple suivant :
- Gehsl du sie im Kranlæanus besuchen ?
Vas—tu à l'hôpital lui rendre visite ?

"" C'est nous qui traduisons.


132 La représentation critique du discours de l‘autre

- Solite ich des tun ?


Devrais-je le faire ? .
Ainsi, dans l'interrogaüve mettant en jeu un prédicat susceptible de figurer
dans l‘ordre ou le conseil le verbe soiien au Konjunkfiv Il peut garder, nous semble—
t—il, une valeur renvoyant à l'ordre du préférable dans un sens absolu, c‘est-à-dire
autonome par rapport aux personnages du discours. la présence d'un prédicat in
compatible avec ce type de contexte, en revanche, oriente l'interprétation vers le re—
fus d'un hétérounivers, c'est—à-dire une éventualité déclarée comme irréelle, et ce
toujours d‘une manière présentée comme relevant d'une valeur universelle.
De même pour [interrogative partielle, nous suggérons de considérer les cas où
soiite est suivi de ce type de prédicat comme l'expression du refus d'un tel univers,
et ce au moyen du contexte négatif que constitue l'interrogafive.
Nous allons voir plus loin ce que cette particularité de solien au Konjunkfiv Il a
comme effets particuliers dans le contexte que constituent les interrogatives cau—
sales.
Nous proposons donc de considérer soilen au Konjunkfiv [I comme indice de la
réalisation souhaitable ou impossible, mais toujours virtuelle et ce de manière ab—
solue émanant d’une autorité innommée abstraite.

Ci—dessous, nous allons tenter d'explorer les différents moyens que les locuteurs
ont à leur disposition en allemand pour demander la justification d'un terme em
ployé par l‘interlocuteur ou bien pour manifester plus globalement leur désaccord
par rapport au dire qui précède.
3. Existe—hi] des " questions de reprise " et des
” questions clôturantes ” en allemand ?

Pour essayer de répondre à cette question, nous allons d'abord nous appuyer
sur l‘hypothèse qu'il existe des manières, d‘une part, de questionner l‘emploi d‘un
terme et, d'autre part, d‘exprimer un désaccord de manière plus globale sous forme
d’interrogation causale“, pour ensuite eæayer de voir si la distinction que nous ve—
nons de faire a lieu d‘être en ce qui concerne l'allemand.
Tout d‘abord, nous allons tenter de cerner les différentes façons de reprendre
l‘interlocuteur concernant le choix d‘un mot dont il vient de faire usage.
Il faut se rappeler que la propriété essentielle de la “ question de reprise " était
qu'elle comprend une reprise textuelle. Par ailleurs, nous avons indiqué ci-dessus,
suite à Cortès & Szabo (1984), que sollen au présent de l'indicatif semble pouvoir fi—
gurer dans de tels contextes de reprise, d‘où notre hypothèse qu'en allemand un
moyen de s'en prendre aux mots de l‘interlocuteur, semblable à celui du français,
pourrait être une question introduite par un des interrogatifs à caractère causal et
comprenant ce verbe.
Considérons un exemple :
- Ich habe Max mi t seinem etwas schüchtemen Cousin getmfi'en.
J'ai rencontré Max avec son cousin quelque peu timide.
- Warum soif 6? schüchiem sein ?
Pourquoi dis-tu qu'il est timide ?/ Pourquoi veux-tu qu'il soit timide ?
« Es kam mir 50 var.
Il me semblait.
- Du täuschst dich, cr ist nur zan’ickhaltend.
Tu te trompes : il n'est que réservé,
La réponse du locuteur responsable du premier emploi de ce mot témoigne du
fait que l'interrogafive employée par L2 comporte une interrogafivité importante.
L'usage du verbe sollen au présent de l'indicatif suivi du verbe être constitue ce que
nous avons présenté, suite à divers auteurs, ci-dessus (cf. 2.1.) comme emploi épis
témique.
Nous émettons l'hypothèse que dans ce contexte interrogatif ce que nous avons
appelé l'aspect déontique 'absurde' (cf. ci-dessus, 2.1.) réapparaît, de manière certes

47 Nous entendons par interrogation causale une phrase à structure interrogative partielle
introduite par un interrogatif causal.
134 La représentation critique du discours de l'autre

très affaiblie mais néanmoins présent : une source non—identifiée lui ordonne 'd'être
timide'.“ Ce qui apparaît comme remarquable dans ce jeu modal, est que cette
source est tout de même inscrite dans le sens de l'énoncé, mais discursivement.
C‘est l‘échange qui permet d'identifier en tant que tel le premier locuteur qui est
présenté comme étant à l'origine de cet élément déonfique.
On remarque la proximité de cette constatation avec les observations présentées
au chapitre 2 (cf. 3.) concernant l'identification de l'ex-locuteur responsable du
point de vue rejeté par une négation métalinguistique.
Une variante possible est celle obtenue par la substitution de l'interrogatif wieso
à warum. Comme le précise I. Milner, un des emplois caractéristiques de cet interro
gatif est la reprise d‘un terme: “dans un assez grand nombre de cas, mieso introduit
une expression qui reprend textuellement un (ou des) terme(s) de l'énoncé juste
précédent de l'autre" (Milner, 1973 b, p. 6). Dans notre exemple, la substitution de
wieso à ruaer tend à transformer considérablement la tonalité de la question:
- Wieso sol! er schüchtem sein ?
Mais pourquoi veux-tu qu'il soit timide ?
Alors que la variante en 10an ne se présente pas comme particulièrement
chargée du point de vue interpersonnel, le remplacement de cet interrogatif par
wieso semble influencer la présentation par le locuteur de son positionnement
envers les éléments du discours de son interlocuteur qu'il met en question. Ce que
nous avons décrit comme attitude sceptique w exprimée à travers l’emploi de wieso
dont le pouvoir présupposifionne] serait particulièrement faible - semble être en
core renforcé dans la combinaison avec le verbe sultan. Ainsi, I. Milner considère
que "dans la phrase en wieso comportant soli, wieso correspond à l'expression d‘un
désaccord du locuteur avec le contenu de la phrase (où le soit indique un discours
rapporté, sans que celui—ci soit nécessairemth ramené à un tu précis)" (Milner,
1973 b, p. 41).
La faiblesse présuppositionnelle de 101‘350 va de pair avec une interrogativité
accrue : le questionnant cherche non seulement à obtenir une réponse, mais aussi la
confirmation qu'une telle réponse existe. Ainsi, alors que -comme il l'indique à
l'aide de cet interrogatif - fondamentaiement le locuteur ne voyait qu'une réponse
possible, le discours précédent l‘oblige à ouvrir totalement sa question et à envisa
ger une réponse dont il ignore entièrement les contours.
Dans ce cas, l'élément de mise en doute propre aux interrogations est fortement
mis en avant et a pour effet de réactiver particulièrement le caractère d'impératif
rapporté que nous avons décrit comme en quelque sorte atrophié dans les emplois

“‘ Nous préciserons la situation de ce point de vue par rapport aux autres ci-desæus à propos de
la question en wieso qui ne diffère pas de celle en immm par les points de vue mis en place, mais
par la manière dont ces points de vue sont pris en charge.
Chapitre 3 anm 5011... ?/ anm sollte... ? 135

épistémiques de sollen. En même temps, le renvoi à l'énonciation est très manifeste,


de sorte que le présupposé faible “inversé" apparu suite à la première énonciation
(Il. Y A UNE RAISON DE DIRE QU'IL EST TIMIDE) s'ajoute au point de vue lié à l‘élé—
ment déontique (ON LUI DONNE L‘ORDRE / ON LE POUSSE A ETRE TIMIDE). Il nous
semble que, fondamentalement, au niveau des instructions contenues dans la phra
se, ces deux points de vue forment ensemble un présupposé issu de l‘amalgame
des deux (IL Y A UNE RAISON DE LE POUSSER A ETRE TIMIDE). C’est ce présupposé
qui est mis en question. Cependant, la copréænce des deux points de vue au ni—
veau présuppositîonnel fait que l‘interprétation peut, en fonction de paramètres
comme l'intonation ou le contexte de la relation entre les acteurs de cet échange, os—
ciller entre ces deux tendances et leur donner un poids variable.
Par ailleurs, l'impératif (rapporté) contient, comme tout impératif, un élément
renvoyant à la visée intentionnelle de l'agent source de l’énonciation initiale, le
'donneur d'ordre‘. En présence de wieso, qui rattache obligatoirement la question au
dire précédent de l'interlocuteur questionné, c‘est à ce dernier qu‘est assigné ce rôle.
L‘interlocuteur est donc présenté comme responsable d‘un impératif refusé simul—
tanément en raison de son caractère absurde.
Ainsi, nous proposons de garder pour la suite de cette étude l'hypothèse selon
laquelle dans la question contenant 101250, en raison de la configuration présupposi
tionnelle particulière que cet interrogatif met en place, l'interlocuteur est inscrit
dans la phrase comme celui à qui l'on attribue un dire insensé, contrairement à
celle en warum qui n'établit cette corrélation que de manière discursive.
La réplique en Warum/ Wieso pourrait figurer aussi sous la forme elliptique sui
vante :
- Wamm schüchtem ? /Wieso schüchtem ?
Pourquoi timide ?/ Mais pourquoi donc timide ?
L'ellipse ne semble pas introduire d‘autres nuances significatives, si ce n’est que
la modalité déontique souæjacente à seller: qui resurgit plus particulièrement dans
la question contenant wieso s‘efface. Cependant, la différence globale due à ces deux
interrogatifs persiste apparemment, la première constituant une interpellation
moins véhémente de l‘interlocuteur que la seconde.
La substitution de ræshalb ou rœsrœgen à warum donne des résultats autrement _
contrastés:
- Weshalb soli er schüchtem sein ?
Pour quelle raison dis—tu qu'il est timide ?/ Pour quelle raison dibon qu'il est timide ?
»> Quelles sont les raisons que l‘on donne pour sa timidité '?
- Wesrœgen 5011 er schr‘ichfem sein ?
Pourquoi dit—on (déjà)/ (En raison de quoi/ ) Pourquoi dis-tu (déjà) qu'il est timide ?
Tandis que wieso introduit des nuances importantes qui cependant n'affectent
en rien le caractère métalinguistique de la question, ces intermgatifs ne sont que
difficilement (au moyen d'un effort interprétatif considérable) compatibles avec
136 la représentation critique du discours de l’autre

solien au présent de l'indicatif pour ceux parmi les interprétants qui ne voient pas
dans ces interrogatifs une simple variante stylistique de worum.
Sans pouvoir porter sur l'énonciation, weswegen interroge d'une manière si pré
cise sur les raisons de ce que ce morphème introduit dans la phrase qu'il n'est
interprétabIe que dans un contexte où de telles raisons ont déjà été évoquées. Les
possibilités d'une telle occurrence sont très limitées. Il s‘agit donc d'une demande
de rappel de quelque chose et en aucun cas d‘une interrogation métalinguisfique.
Weshalb pose encore plus de problèmes d’interprétation. En effet, ou bien il est
assimilé à wamm pour les besoins d'une interprétation difficile, et interroge dans ce
cas avec une certaine insistance (peu naturelle) sur les raisons d'un dire, l'énoncia—
tion d'un terme, ou bien ce morphème porte sur les raisons, alors généralement ad
mises, des faits qui rendent une telle qualification légitime. Dans ce cas, cependant,
la manière habituelle de questionner sans ambiguïté serait celle employant une
phrase avec un autre verbe que solien 2
- Weshalb ist er schüchtem ?
Pourquoi est—il timide ?
Pour pouvoir maintenir soilen dans ce cas de figure, il faut que la question s'in—
sère dans un contexte où l'existence d‘hypothèses circulant à propos de telles rai—
sons a été abordée auparavant. Soiien devient, dans une telle interprétation, un
verbe tout à fait neutre (dire vs. prétendre; cf. ci-dessus chap. 2, 2.1.2. suite à Korzen,
1985, p. 138). Comme pour weswegen, il s’agit donc d‘un cas très marginal aux
possibilités d'occurrence extrêmement limitées. Il faut retenir néanmoins que l‘on
observe l'impossibilité de considérer, dans cette interprétation, l'interlocuteur
comme source de la première énonciation à laquelle sollen fait allusion. Weshulb, à
moins d'être assimilé à tvamm, ne peut donc pas porter sur une énonciation.
Après avoir passé en revue les quatre interrogatifs en combinaison avec seller:
au présent de l'indicatif, nous allons reprendre notre exemple en substituant cette
fois le Konjunkfiv Il au présent de l'indicatif du verbe, afin d'observer les modifi
cations introduites : -
- lch habe Max mit seinem etwas schr‘r‘chtemen Cousin getroflèn.
l‘ai rencontré Max avec son cousin quelque peu timide.
- Warum solite er schù’chtem sein ?
Pourquoi serait-il timide ?/ Il n'y a pas de raison qu'il soit timide.
- Wieso solite er schüchtem sein ?
Mais pourquoi serait—il timide ?/ Mais pourquoi veux-tu qu'il soit timide ?
- Weshaib sollte er schüchtem sein ?
Pour quelle raison serait—il timide ?/ Pour quelle raison veux—tu qu‘il soit timide] Il
n'y a pas de raison qu'il soit timide.
— Wesnægen solite er scht‘r‘chtern sein ?
En raison de quoi serait—il timide ?(/ Il n'y a pas de cause valable pour qu'il soit
timide.)
Chapitre3 Warum soli... ?/Wamm sollfe...? 137

Avec le verbe au Konjunktiv Il, les quatre interrogatifs sont possibles. Il nous
semble que l‘on peut regrouper wesrœgen, weshalb et warum qui créent des effets de
sens semblables en combinaison avec sollte.
Nous avons vu que soilen au Konjunkfiv Il peut être porteur de deux valeurs
différentes, toutes deux présentées comme indépendantes par rapport aux points
de vue subjectifs du locuteur et de son (ses) interlocuteur(s}.
En présence de sollen au Konjunktiv II, l‘interrogafive partielle contient donc des
instructions pour la mise en place d'un point de vue marqué comme ayant une va—
leur non—restreinte. Ce marquage conceme le point de vue présupposé - le "fan—
tôme" de Berrendonner, nous l'avons vu, se situe pour ces questions partielles au
niveau présuppositionnei — et a pour effet d'obliger le destinataire de la question à
répondre dans ce même cadre. Ainsi, la question porte sur des raisons absolues et
objectives. Qu'elle concerne le préférable ou l'éventualité refusée, cette dernière
contrainte favorise la tendance rhétorique de la question. En effet, imposer à l‘inter—
locuteur de donner une réponse à valeur universelle revient à en limiter considé—
rablement la probabilité et sert donc à indiquer que le locuteur oriente son discours
vers une simple négation du présupposé.
Or, dans l'exemple ci—dessus, il s'agit d'une mise en question d'un univers auto
nome, étant donné qu‘une interprétation processive est exclue pour le prédicat en
jeu. Nous avons vu en 2.3. que dans ce cas, l'interprétation rhétorique s‘impose. Le
degré de rhétoricité est donc maximal, car la réponse est entièrement contrainte.
On peut se demander si cette même configuration aurait des effets fondamen—
talement différents en présence d'un prédicat qui n‘a pas obligatoirement cette va
leur, c'est-à-dire pouvant être interprété comme renvoi à un conseil évoqué aupara
vant. Or, il apparaît que la question causale nécessite, d‘une part, un contexte très
particulier pour pouvoir porter sur ce prédicat même”. D‘autre part, l'interrogation
sur sollte, c‘est—à—dire les raisons qui rendent une action préférable à une autre, n‘est
pas non plus celle qui vient immédiatement à l'esprit face à une telle question.
Apparemment, l'interprétation première sera tout de même celle d'un hétérouni—
vers mis en question:
- Warum sollte er sie besuchen ?
Pourquoi irait—il la voir ?
Pour que la lecture ne soit pas celle d'un tel rejet, le contexte doit orienter claire
ment vers la possibilité du conseil. Et même dans ce cas de figure, l’interprétation
orientée négativement reste toujours possible :
- Ich habe ihm gemien sie zu besudæn.
le lui ai conseillé de lui rendre visite.

49 (sur l'idée qu'il serait préférable d'effECtuer une quelconque action en raison d‘une raison spéci
fique plutôt qu'en raison d'une autre).
138 La représentation critique du discours de l'autre

- Wumm sollte er sie besuchen ?


Pourquoi vaudrait—il mieux qu'il aille la voir ?/Pourquoi irait—il la voir ?
Il nous semble que l'on peut considérer globalement sollen au Konjunkfiv Il
comme orientant la question partielle vers le rejet d'un univers discursif autonome
mis en place précédemment et donc vers une interprétation rhétorique.
Il reste à éclaircir l‘effet de sens produit par la combinaison de wieso qui instaure
normalement ce que nous avons appelé un 'présupposé inversé‘ avec le type de
présupposifion marquée due à sallen au Konjunktiv [1.
Nous avons signalé à propos de cet interrogatif qu'il signale un changement
d‘attitude du locuteur qui se range provisoirement, presque 'malgré lui', dans le
cadre d'un présupposé établi en raison du contexte immédiat. Quant à sollte, nous
venons d'en décrire le mécanisme qui tend à renfermer entièrement la question sur
une réponse unique. Ainsi, nous avons décrit un élément, wiesa, comme fortement
interrogatif, l‘autre, sallte comme marquant une rhétoricité pour ainsi dire sans
faille. Il n‘y a donc rien d'étonnant à ce que la conjonction des deux aboutisse à une
phrase qui préfigure la tension extrême que produit l'occurrence de l'énoncé. En
effet, le locuteur ne peut au moyen de cette interrogative que réclamer de manière
véhémente une réponse, dont il exclut dans le même mouvement la possibilité. Il
s‘agit d'une espèce de défi lancé à l'interlocuteur, invité a réfuter immédiatement ce
qui est présenté simultanément comme vérité absolue et évidente.
Il résulte de ce qui précède l'hypothèse suivante : on peut considérer les ques—
tions en Wamm sollte... ?, contenant le verbe sallen au Konjunkfiv Il comme éven—
tuellement correspondant à ce que J. Milner et ].-C. Milner appellent les " affirma—
tions clôturantes ". Elles semblent remplir tout à fait ce rôle. Nous allons tenter de
le vérifier sur d'autres exemples :
- Cita, entweder ist diese Stadf volt oan Zufiz‘llen, oderjemand œrjblgt mich.
Otto, ou cette ville est remplie de hasards, ou bien quelqu‘un me suit.
- Wamm solltest immer du die Blumen kfiegen ? Vielleichi oerfolgt er je auch “mich. (Day,
1994, p. 425)
Pourquoi veux-tu que les honneurs ("fleurs") soient toujours pour toi ? C'est peut—
être tout aussi bien moi qu’il poursuit !
Le caractère clôturant absolu des questions paraphrasables en 'il n‘y pas de rai
son...‘ se manifeste par l‘emploi du Konjunktiv Il en même tant que le rôle de la
question en tant que réplique est assez évident pour que l‘on puisse la traduire par
la forme plus personnalisée pourquoi veux-tu.
Souvent, sollte est directement suivi du sujet de la proposition en question, tan
dis que toutes les autres parties sont élidées :
- Gehst du haute abend weg ?
Est—ce que tu sors ce soir ?
- Warum sallte ich ?
Pourquoi devrais—je ?
Chapitre 3 Wurum soli... ?/Wamm sollte...? 139

Dans ce cas, l'aspect clôturant de la réplique est encore plus manifeste. Associée
au Kortjunkfiv [I de 5011811, l'ellipse semble être une marque sans équivoque.
Contrairement au français qui néceæite souvent une suite justificative pour
désambiguïser la signification de telles propositions, en allemand l'emploi de sultan
au Konjunkfiv Il indique de manière univoque qu‘il s'agit d‘une question clôtu—
rante. Nous avons vu en 2.3 que dans le contexte interrogatif, la construction d'un
univers autonome associée à l'expression d'incertitude confère aux énoncés Conte—
nant cette forme verbale un sens de rejet de cet univers « d'où le caractère claire
ment contrefactuel de telles locutions en allemand. En plus, en cas d‘ellipse, appa—
remment très fréquente, ces dernières sont doublement marquées comme telles.
Cependant, la correspondance entre les deux types de questions existantes en
français et en allemand n'est pas entière. Une question de ce type formée à l’aide de
sallte et éventuellement elliptique est clairement clôturante, de même qu'une ques
tion avec un interrogatif de cause qui utilise ce verbe modal au présent de l'indica
tif suivi d'une intonation accentuant clairement le ou les termes en cause est facile—
ment identifiable comme équivalant à la “ question de reprise Or, à côté de ces
cas bien tranchés, on rencontre un nombre considérable de configurations qui ne
trouvent pas leur correspondant exact en français. Ainsi, certaines questions, claire—
ment clôturantes en français, peuvent conserver un caractère [auto—l interrogatif en
allemand.
L‘exemple suivant est clairement clôturant, cependant il serait impossible de le
traduire au moyen d'un seller: au Konjunktiv Il :
- Qu‘est-ce que tu dis, hein, Sylvie ?
- Qu‘est-ce que tu veux que je te dise ? C’est moche, c'est nul, c'est cheap. (Sarraute,
1994)
- > Was sali ich dazu sagen ? Es ist hùfllich, es ist oll, es wirkt billig.

En effet, il existe toute une catégorie de questions où ces critères de classement


deviennent flous : beaucoup d'intemgaüves en :00, wie, wer, wamm, contiennent
obligatoirement le verbe soIlen au présent de l’indicatif, d'autres admettent les deux
temps verbaux. L‘usage de sollte leur confère immédiatement l'aspect clôturant,
alors que le présent de l'indicatif a un certain effet de jugement dépréciafif tout en
appelant, ou en tout cas, en admettant une réponse justificative. Par ailleurs, les
questions en Wamm 5011- + sonst ? correspondant a priori aux “clôturantes com—
plexes“ (cf. [1.) ne sont apparemment pas non plus clairement déterminées par rap—
port à la forme de 5011311 qui convient.
Ainsi, pour l‘instant nous considérons la coprésence de certaines marques
comme distinctive :
140 La représentation critique du discours de l 'autm

° l‘ensemble < interrogatif 50+ sollen au Konjunkh‘v il + pronom personnel avec


ellipse du second verbe à l'infinitif > ne peut figurer que dans une interroga
tive à caractère clôturant avec orientation négative;
' inversement, la conjonction des éléments < interrogatif de cause51 + sultan à
l‘indicatif + reprise textuelle accentuée + verbe sein (être) > indique qu‘il s‘agit
d'une question portant sur le choix du ou des lexèmes accentués. Pour ce type
de question il nous semble légitime de parler désormais de la "question méta
linguistique".
Dans ce qui suit, nous chercherons à trouver des critères supplémentaires afin
de pouvoir décider du classement des exemples qui n’entrent ni dans l‘une, ni dans
l’autre de ces combinaisons de propriétés distinctives.
Une question que l’on peut se poser par rapport a ces catégories d'intenogafives
est due à la spécificité de l’allemand, sa richesse en particules modales auxquelles
nous avons fait allusion au début de ce chapitre (cf. 1.2.1.) et que nous allons pré—
senter de manière rapide dans la section suivante. Quelles sont les particules com
patibles avec ce type de questions et quelles différences font—elles apparaître entre
les deux catégories dont nous avons postulé, pour l‘instant, la pertinence ? Nous es
pérons pouvoir départager davantage nos exemples à l'aide de ces morphèmes et
chercherons donc des critères capables de vérifier ou d'affiner un classement qui,
pour le moment, est tout à fait discutable, étant donné qu’il reste un calque des ca
tégories observées pour le français.

50 Nous avons vu d—dessus que wieso est peu naturel dans cette position en raison de son carac—
tère interrogatif particulièrement prononcé.
51 Normalement il s’agit de wamm ou de wieso, wesha1b et ræsrægen ne pouvant y figurer dans leur
acception forte.
4. Les "particules modales" ou “Abtänungsparfikeln” dans les
questions à représentation potentiellement conflictuelle

Ces particules, fréquentesen allemand, mais aussi dans d‘autres langues, ont
fait l‘objet de très nombreuses études au cours des trente dernières années. Étant
intimement liées au contact entre les protagonistes d'un échange et leur relation par
rapport à ce qui se dit et le fait de le dire, le grand intérêt porté à leur encontre est
probablement issu de l'attention prêtée à l'énonciation et en même temps à la rela
tion interlocutive.
Parmi les multiples questions que ces particules provoquent figure celle de leur
délimitation liée à celle de la détermination de leur(s) fonction(s). Par conséquent,
leur dénomination ne relève pas non plus d‘une simple question de forme dans la
mesure où les diverses possibilités proposées au cours de cette période reflètent les
divers points de vue, le terme employé étant étroitement lié à la manière d‘envi—
sager leur fonction dans le discours.52
Alors que H. Weinrich (1993) utilise toujours, nous l'avons vu ci—dessus, le
terme "Modalparfikel" (particule modale) ainsi que W. Abraham (1995), d’autres
comme p. ex. A. Grésillon (1980) préfèrent celui de "Abtt‘mungsparfikel" créé par
Weydt (1969), et d‘autres encore emploient le terme "indicateur d'illocution",
notamment I. Milner (1973), C. Cortès & H. Szabo (1984), N. Femandez Bravo (1996
et 1995 a) et R. Métrich (1993), pour éviter toute confusion avec les "modalisateurs"
(Modalwüfler).53

52 Pour en avoir un aperçu, on peut consulter, d'une part, Weydt (1977, pp. 217—219) et Buintz
(1978, p. 32) qui relèvent et discutent un certain nombre d‘appellations proposées depuis 1962, et,
d'autre part, pour une vue d'ensemble complète, Métrich (1993, pp. 17—19) pour l'allemand et le
Lexikon der romanistisclæn Linguistik en ce qui concerne les langues romanes: cf. Held,1988,
Hoelker, 1990, Martin Zorraquino, 1992, Sctht-Radefeldt, 1994 et T'hun, 1989. Parmi les travaux
les plus récents on peut citer Femandez Bravo & Rubenach, 1995 et 1997, Künig, 1997, Laka, 2000,
Masi, 1996, Métrich, 1997, Métrich, Faucher & Courdier, 1999, Martin Zorraquino & Portolés La
zaro, 1999, Martin Zorraquino, 2000, Waltereit, 1999 et 2000, ainsi que les Nourmux Cahiers
d'allemand, 1999/2.
53 Nous tenons à signaler la discussion de cette même question de dénomination, concernant
cette-fois le portugais en contraste avec d'autres langues, par M.H. Araùjo Carreira (1997, pp. 88
91). Pour une confrontation des deux systèmes (allemand et portugais), voir A. France (1991),
ainsi que Schmidt-Radefeldt (1993 et 1994).
142 La représentation critique du discours de l'au ire

Ailleurs, nous avons rencontré en usage neutre le mot générique "Partikel"


(Pérennec, 1995), mais aussi "Modalparfikel (AbtÔnungsparfikel)" (Fer-mander.
Bravo, 1995 b, p. 127). Dans cette dernière terminologie, le terme Modalpariflæl est
sans doute dû au désir d‘employer un terme connu par le plus grand nombre tout
en signalant par la parenthèse juxtaposée qu'il est utilisé de manière superficielle
comme simple étiquette. De même, R. Métrich, E. Faucher et G. Courdier (1993 et
1995) optent pour le terme particules modules dont ils semblent apprécier un certain
côté flou :
"La terminologie est loin d‘être fixée. Les linguistes allemands emploient des termes
comme Abtänungspflrfilælu, Modalparfikeln, illokufive Pariilæln voire Einstellungspflr—
fikeln, les germanistes français parlent volontiers de particules allocataires ou plus
brièvement d’iiiomtifs. On reproche à l’expression particules modules le caractère
vague et ambigu de la référence à la modalité, mais c'est à notre sens ce qui fait juste
ment son intérêt, tant il est manifeste que les divers mots qu‘elle désigne n‘exercent
pas une seule et même fonction, fût—elle illocutoire (= marquer ou modifier l‘illocu—
fion de l'énoncé, c‘est—à-dire sa valeur comme acte de communication: informer,
exhorter, menacer etc)" (Métrich, Faucher & Courdier, 1993, p.
Dans ce qui suit, nous allons utiliser ce dernier terme de la même façon neutre
sans vouloir insister par ce choix terminologique sur une appartenance de ce type
de morphèmes au domaine circonscrit et vague à la fois de la modalité“.
Ces particules modales font partie des mots invariables. Elles ont, entre autres
choses, la particularité de ne pas se raccrocher à un élément spécifique de la phrase,
mais à sa totalité et d'y être intégrées sans jamais être accentuées. Par conséquent,
une particule ne peut jamais constituer à elle seule l’équivalent d‘une phrase, ni
faire l'objet d'une question. Elles sont décrites comme régulant aussi bien l'inter
action entre locuteur et allocutaire, que l'insertion de l'énonciation dans son con—
texte (cf. Femandez Bravo, 1993, p. 57). En ce qui concerne une définition et une dé—
limitation précises de ces particules, les propositions varient autour de quinze à
vingt critères dont la discussion dépasserait largement le cadre de cette étude.55
Parmi les particules modales de l‘allemand, certaines ne peuvent figurer dans
une phrase exclamative, d‘autres ne se trouvent jamais dans la déclarative. Aussi
peuvent—elles marquer un énoncé comme appartenant à l’une ou l'autre de ces caté—
gories. En ce qui concerne la phrase interrogative, nous avons indiqué au chapitre 1
notre manière de situer ses réalisations dans une zone sur un axe représentant un
continuum entre l’assertion et l'interrogation : il y a donc du 'plus ou moins interro—
gatif. Si l'on considère les particules modales comme “indicateurs d‘illocufi0n“,
l‘analyse distfibufionnelle de leurs occurrences devrait permettre éventuellement

5‘ Pour une discussion critique de ce concept, voir Ducrot (1993 b).


55 Nous préférons donc renvoyer à deux présentations détaillées : Métrich, 1993, pp. 24—30 et Me
trich, Faucher & Courdier, 1993, pp. 26—36.
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wamm sollæ...? 143

de préciser la zone où les énoncés les contenant se situent (cf. Cortès & Szabo 1984,
p. 129).
Comme nous présumons que les équivalents allemands des deux types fonda—
mentaux de questions en pourquoi voulez—vous non purement épistémiques ne se
situent pas dans les mêmes zones "d'interrogativité", comme Milner & Milner l'ont
constaté pour leurs équivalents en français, nous pensons pouvoir le démontrer à
l'aide de ces particules. Par ailleurs, les compatibilités et incompatibilités dues a
leurs propriétés diverses sont susceptibles de nous renseigner sur certaines caracté
ristiques de nos questions, ainsi que de nous permettre de délimiter plus nettement
certaines catégories ou sous—catégories.
Les particules que l‘on trouve couramment dans des énoncés qui réalisent une
phrase à structure interrogative (avec le verbe en première position pour l‘interro—
gation totale ou globale et introduite par un élément "w-" quant à l'interrogation
partielle) sont les suivants : denn, eigentlich, überhaupt, blofs’, nur, ruohl, star: et
vælleicht (cf. Fernandez—Bravo, 1993, p. 54).
Dans des énoncés à structure phrastique moins nette de type 'demande de con
firmation‘ (verbe en seconde position comme pour l'affirmative) ou d'autres "ques
tions tendancieuses" c'est—à-dire fortement orientées, on rencontre fréquemment :
auck, dock, schon, mohl, vielleicht, etwa (ibid., p. 217).
Il nous semble intéressant d'examiner en détail les possibilités d'insertion de
telles particules“ dans les types de questions que meus avons recensées jusqu‘ici
comme équivalentes des structures en français, sans pour autant exclure les ques—
tions introduites par d'autres interrogatifs, questions dont nous n'avons pas encore
arrêté le classement définitif, mais qui, en français seraient apparentées aux " affir—
mations clôturantes ”, selon]. et J.C. Milner.

4.1. Les compatibilités de ces particules avec les questions en Warum soll

C. Cortès et H. Szabo citent, d‘un côté, denn et eigenth‘ch pouvant figurer dans
des structures interrogatives, de l‘autre, euch spécialisé dans l'expression exclama
tive (Cortès & Szabo, 1984, p. 118 et sq.).

5" Nous laissons de côté stem, vielleicht et dock qui ne peuvent figurer dans des interrogatives
partielles. Le terme überhaupt (souvent traduit par somme toute, après tout, au juste ou parfois par de
toute façon) n‘est pas toujours reconnu comme particule modale. Nous avons décidé de ne pas l‘in
clure dans notre analyse pour la simple raison que - appartenant à "un même paradigme" (Fer
nandez Bravo, 1993, p. 91) - überhuupt et eigentlr‘ch ont des effets trop semblables dans les ques—
tions en Wamm sollÿ ? de scrte que l'étude détaillée du second n'apporterait pas de renseigne—
ments supplémentaires pour la problématique qui nous occupe.
Bien que la traduction en français de ces particules varie en fonction du contexte immédiat, nous
chercherons à nous limiter à une seule traduction par particule, afin de ne pas encore compliquer
l‘exposé.
144 La représentation critique du discours de l'autre

De par la compatibilité de ses propriétés avec d'autres phénomènes décrits ci—


dessus, la particule modale denn nous apparaît comme pouvant être révélateur de
certaines propriétés distinctives des structures qui font l'objet de cette analyse.

a) dent:
La caractéristique essentielle de cette particule semble faire l'unanimité parmi
les auteurs des diverses études où elle est citée. Ce terme indique que la question
est issue de ce qui la précède immédiatement, qu'il s‘agisse d‘un contexte verbal ou
non—verbal.57
C'est en ceci que denn nous semble être d‘un intérêt tout particulier pour notre
étude. En effet, cette propriété le rend, d'une part, compatible avec les questions
métalinguisfiques dont c‘est la caractéristique principale, et le rapproche, d'autre
part, de wieso, alors qu‘a priori il s‘agit de deux types de morphèmes tout à fait
différents.
On comprend alors pourquoi wieso est souvent présenté comme synonyme de
warum denn ? (cf. Femandez Bravo, 1993, pp. 66 et 303). La composante de renvoi à
ce qui précède est pour beaucoup dans la spécificité de l'interrogafif wieso et le dis—
tingue de wamm. C‘est en cela que denn peut compléter warum.
Par ailleurs, denn est souvent décrit comme marqueur du caractère interrogatif
de l‘énoncé où il s'insère. Ainsi, selon E. Kônig "denn marque une expression de
manière univoque comme acte de questionnement" (1977, p. 122).53 De même,
W. Abraham (1995) exclut l'usage de cette particule de l'ordre, de l'exclamafion et
de l‘assertion.59 L'emploi de denn comme particule modale ne serait possible que
dans un énoncé à caractère interrogatif, c’est—à-dire à demande de réponse“. Or,
d'autres l'admettent aussi dans des questions dites "rhétoriques“ (p. ex. Femandez
Bravo, 1993 et 1995, Métrich 1993 et Métrich, Faucher & Courdier, 1995) et citent
même quelques rares occurrences dans des énoncés réalisant des phrases déclara
tives (relevant d'un style littéraire) (cf. Métrich, Faucher & Courdier, 1995, pp. 74—
76).
Il nous semble qu'il faut replacer cette différence des descriptions devant
l'arrière—plan que nous avons tenté d'esquisser ci-dessus (cf. chapitre 1). S‘il y a au

57 Cl. Weydt, 1969, p. 41; Kônig, 1977, p. 119; Bublilz, 1978, p. 59; Métrich, 1993, p. 414;
Femandez Bravo, 1993, p. 59; Femandez Bravo, 1995, p. 134 et Métrich, Faucher & Courdier, 1995,
p. 66.
53 Nous haduisons de l'allemand : "Denn kennzeichnet aine Àufierung eindeutig als Fragehand
lung".
59 "Wie (il) zeigt, ist denn nicht in lmperafiven, Kundgaben und Feststeflungen verwendbar"
(P- 99)
"° Dans notre conception polyphonique, cet élément localement interrogatif correspond à un point
de vue spécifique.
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Warum solltc... ? 145

delà d'un certain type de phrase clairement marquée comme interrogative, des
phrases préfigurant des énoncés à des degrés d’interrogafivité divers ou à l'inverse
pour reprendre M. Pérennec (1995), des questions à des "degrés de rhétoficité diffé
rents"‘*‘1 (p. 112), la question qui se pose est plutôt celle de savoir si une particule a
une quelconque influence sur ce caractère plus ou moins interrogatif, ou encore,
plus ou moins rhétorique. Il nous semble que tel est manifestement le cas en ce qui
concerne denn.
Ne voulant pas classer cette particule d'emblée comme marqueur illocutoire in—
contestable, en suivant Künig et d'autres, l‘examen des dites "questions rhéto—
riques" nous semble être révélateur par rapport à cette problématique. R. Métn'ch,
E. Faucher et G. Courdier présentent l‘exemple suivant - avec une deuxième parti
cule entre parenthèses - comme question rhétorique impliquant une réponse néga
tive (Métrich, Faucher & Conrdier, 1995, p. ’73) :
- Was ha! er dent: {schonj anzubietm ?
Que peut—il donc bien avoir à proposer ?
Effectivement, cette question semble être orientée vers une réponse négative de
type Gar nichts ! (Rien I) et on aurait du mal à l'envisager comme une demande de
renseignement neutre“. Ainsi, cet exemple tendrait à infirmer l‘hypothèse quelque
peu radicale de Känig. Derm n‘apparaît donc pas comme marque univoque d‘une
question purement interrogative.
Cependant, nous aimerions approfondir légèrement l'examen de cet exemple en
juxtaposant trois de ses variantes :
- Wus hat er anzubieten ?
Qu'a«t-il à proposer ?
- Was hui er demi anzubieten ?
Qu‘a-t—il donc à proposer ?
- Was ha: er schon anzwbietæm ?
Que peut—il bien avoir à proposer?

61 "Rheborizität ist Reine dislinkthre Eigenschaft, die binär dargeste]lt werden kann, die die Frage
sätze in die disjunkten Mengen der rhetorischen und der nicht—rhetorischen Fragen einordnen
liefie : Diese Fragen weisen einen mehr oder weniger hohen Rhetorizitälsgrad auf, je nachdem ob
sich die Antwort dem Hôrer mehr oder weniger aufdrängt. Es besteht e'm Kontinuum von den
‘leichtgesteueræn‘ Fragen bis hin zu den ganz rhetoflschen Fragen" (Pérennec, 1995. p. 112). (La
rhétofldté n'est pas une propriété distinctive qui pourrait être représentée de manière binaire et
qui permettait de ranger les phrases interrogatives en deux ensembles disjonctifs des questions
rhétoriques et des non-rhétoriques : ces questions présentent un degré plus ou moins important
de rhétoricité selon la force plus ou moins grande avec laquelle elles imposent la réponse à l'allo—
cutaire. Il existe un continuum allant des questions "faiblement dirigées" jusqu'aux questions en—
tièrement rhétoriques.)
62 Il s'agit donc bien de ce que Cortès &: Szabo entendent par une question "de type 2" (1984,
p. 110), c'est—à-dire question rhétorique, demande d'assenüment, question clôturante qui s'op
posent à celle de "type I", la "demande d'information".
146 La représentation critique du discours de l 'autre

Ces trois variantes nous semblent faire apparaître tout de même des différences.
Bien que contexte et intonation puissent orienter facilement un énoncé basé sur une
telle phrase interrogative vers une interprétation rhétorique, isolément, denn sem
ble plutôt faciliter une orientation tendant vers une demande de réponse“, con
trairement à schrm qui privilégie manifestement un usage rhétorique de la phrase
interrogative. La combinaison des deux particules élargit le champ des usages pos—
sibles, mais il nous semble difficile de soutenir, même dans cet environnement spé—
cifique, que, denn aurait une influence favorable à une interprétation rhétorique.
Nous préconisons donc de voir denn comme un élément soutenant l‘aspect
interrogatif d'un énoncé et en aucun cas comme bloquant une interprétation inter—
rogative. Au contraire, denn par le fait qu’il renoue avec ce qui précède l'énoncé où
il s'insère semble même reconstruire une interrogativité partielle dans une question
à caractère globalement rhétorique et ce par un mécanisme semblable à celui mis
en œuvre par wieso. En effet, le locuteur peut signaler à travers l‘emploi de dam:
qu'il perçoit un écart entre son point de vue initial et celui de son interlocuteur
d’après le discours de ce dernier, ce qui provoque un doute. Cette expression de
doute crée un aspect interrogatif qui peut persister dans un énoncé globalement
rhétorique. Sous une forme affaiblie, il peut s'agir d‘un simple signal envers l'inter—
locuteur, lui indiquant que le locuteur n‘exclut pas qu‘une réponse de son interlo
cuteur pourrait changer son appréhension négative des présupposés inhérente à
tout usage rhétoriqu d‘une interrogative. En cela, dam: servirait dans une question
à forte orientation rhétorique à montrer à l‘interlocuteur qu‘il a toujours la possibi—
lité de se soustraire au cadre que par ailleurs le locuteur tente de lui imposer“.
Dans l‘exemple cité ci—dessus, suite à Métrich, Faucher & Courdier dam: permet
trait donc au locuteur de se montrer moins autoritaire qu‘en l'absence de cette par—
ticule.
Cette brèche ouverte ‘linguistiquement' dans le discours, peut avoir en termes
de “ persuasion ”, un effet renforçateur : l'ouverture d'esprit du locuteur qui se
montre tolérant envers les points de vue qu'il ne partage pas peut lui conférer en—
core plus d'autorité. Si sa stratégie réussit et que l'interlocuteur ne profite pas de
cette faille, l'acceptation de la part de ce dernier en ressort d'autant plus complète.
Il faut donc distinguer entre la rhétoficité qui S'oppose à l'interrogativité d'une
phrase - et qui, pour nous, fait partie de la signification, c‘est—à-dire des instructions
relatives à une éventuelle énonciation de cette phrase - et effet rhétorique, c‘est à
dire un effet de sens que va avoir l‘énoncé global dans sa réalisation et ce

53 Il faut comprendre évidemment "demande de réponse" comme abréviation de demande de ré“


panse ælaflremth peu contrainte (pas entièrement contrainte} quant à ses contours précis.
5‘ Comme le souligne N. Fernandez Bravo, le propre des questions rhétoriques est effectivement
le fait que l'aflocutaire peut toujours ignorer leur fonction stratégique et y réagir comme à un
énoncé à caractère réellement interrogatif (cf. Femandez Bravo, 1995, p. 136).
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum solli2...? 147

éventuellement en raison de la présence d'un élément. Ainsi, lorsque J. Schmidt—


Radefeldt parle de schon comme "opérateur de question rhétoflque"65 (Schmidt—
Radefeldt, 1977, p. 382) qui est renforcé par denn, il faut s'interroger sur cet effet
renforçateur de la particule :
- est—ce la particule schon dont l‘effet serait 'amplifié‘ - et s’agit—il dans ce cas de
la particule en tant qu' “opérateur rhétorique" ? - et serait—ce donc par ce biais
la rhétoficité même de la phrase qui ressort accentuée (c‘est—à—dire la con
trainte exercée concernant la réponse) ?
- Ou bien s'agit—il de l‘effet rhétoñgue ou Œrsuasif de cette question qui étant
au niveau de sa phrase, donc linguistiquement plus interrogative n'en ressort
que d‘autant plus forte du point de vue de l‘impression (effet perlocutoire si
l‘on veut) qu'elle laissera à l'interlocuteur et à tout auditoire éventuel ?
Nous pensons. on l‘aura compris, que c‘est la seconde solution qu'il faut envi—
sager. Nous verrons dans ce qui suit, que de cette même manière de nombreuses
particules modales “jouent“ sur les deux plans*, notamment dans leurs combinai
sons.
L'insertion de cette particule modale dans le correspondant allemand de la
” question de reprise ”, la question métaiùrguistique, se fait aisément vu la simili—
tude des contraintes qui régissent l'emploi de ces structures et celles concernant l'u
sage de cette particule :
— Ich habe Max mit seinem emm schüchtenæn Cousin getrofien.
J'ai rencontré Max avec son cousin quelque peu timide.
- Wamm soli er denn "schüchtem sein ?
Pourquoi veux-tu donc qu'il soit timide ?
- Es kam mir sa var.
il me semblait.
- Du täuschst diclr, er ist nur zurückhaiiend.
Tu te trompes : il n‘est que réservé.
- Wamm deun °schüchiem ?
Pourquoi donc timide ?
- Wieso soli er denu °schüchtem sein ?
Mais pourquoi veux-tu donc qu'il soit timide ?
- Wieso dem: °schüchtem ?
Mais pourquoi donc timide ?

Les quatre variantes de la réplique en W- soli ? subissent apparemment peu de


modifications par l'insertion de demi. La particule semble renforcer l'aspect réactif

‘15 "rhetorical question operator".


65 Pour la distinction entre ces deux plans que nous voyons ici en oeuvre, voir 0. Ducrot (1990 b)
qui sépare la persuasion de l‘argumentation, située au niveau de la phrase.
148 la représentation critique du discours de l'autre

déclenché par le dire de l‘interlocuteur. De fait, en combinaison avec wamm, la par—


ticule souligne que le présupposé faible67 (il ya une raison de dire qu‘il est timide)
n‘est qu‘un présupposé local ou discursif dans la mesure où il est issu du contexte
verbal et n'a pas de valeur absolue. Le locuteur doit admettre provisoirement, le
temps de sa question, ce présupposé, sinon il serait insensé de la poser, mais en
même temps, il n‘entrevoit pas la réponse et n‘aurait pas songé à la possibilité d‘un
tel point de vue sans avoir entendu le discours de l'interlocuteur. Dans cette con
figuration quelque peu complexe réside pour nous ce que certains considèrent
comme expression d‘un étonnement parmi les fonctions de denn, mais aussi de
wieso. Par conséquent, cet élément précis est redondant par rapport à wieso et l'effet
de l'ajout de cette particule apparaît comme encore moins important dans les inter
rogatives introduites par ce morphème.
En ce qui concerne les exemples en wamm, l‘insertion de denn renforce des élé—
ments déjà existants dans l'interrogative sans particule et ne change pas fondamen—
talernent l‘orientation de la question. Le verbe sultan, meus l‘avons vu chdessus, per—
met au locuteur de garder ses distances par rapport à un dire qu‘il prête à autrui, à
l’interlocuteur en l'occurrence. Ainsi, il présuppose uniquement qu'il y a des rai—
sons de dire et non pas une quelconque validité de ce dire. Cependant, l‘interroga
tion concernant ces raisons est renforcée et ce, entre autres, par une composante
supplémentaire de cette particule évoquée par E. Kônig : elle tend à indiquer que le
locuteur part du principe que l'allocutaire saura lui répondre68 ce qui est dû à la
continuité entre ce qui précède et la question. La demande de réponse en ressort
renforcée.
Si denn s'intègre donc facilement dans toutes les variantes de questions sem
blables aux ” questions de reprise ” du français, il en est tout autrement quant aux
équivalents allemands des " affirmations clôturantes ”.
Considérons un exemple :
- Wû‘re es nicht mäglich, du}? Frau B. sich... nur un‘chtig machen mollte ? Sie mur keine sehr
stabile Persänlichkm‘t Sie versielæn ?
Ne serait—il pas possible que Mme B. voulût seulement se faire remarquer ? Elle
n'avait pas un caractère très stable. Vous voyez ?
- Warum sollte sis mir denn sa ein Lügenmà‘rchen erzählen, das ist dock Unsinn. (Grän, 1992,
p.129—130)

67 En fait, il faut, nous semble—HL comprendre Nolke et Korzen plutôt de cette manière : l‘exis
tence d'une raison n'est que faiblement présupposée, c'est—à—dire le présupposé fort est plus ré
duit.
53 "Wesenflich für Fragen mit derm scheint auch zu sein, dafi der Fragende fest damit rechnet, daB
der Hôrer die Antwort auf die Frage weiB" ("Ce qui semble être essentiel aussi pour les questions
contenant d‘eau est le fait que le questionnant compte fermement sur ce que l'auditeur [l'allocu
taire] connaît la réponse à la question“) (Kônig, 1977, p. 121).
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum sallte...? 149

- Pourquoi voulez—vous donc qu'elle me raconte des histoires, c‘est insensé.)69


Dans ce premier exemple, l‘insertion de la particule denn paraît être possible.
Elle diminue cependant l'aspect clôturant ou, autrement dit. le degré de rhétoricité
de la question. Ainsi, en présence de la particule modale il nous semble impossible
de maintenir la ponctuation prévue par l'auteur. En effet, denn impose une intona
tion correspondant à l‘écrit à un point d‘interrogation après erzählen. Par consé
quent, on pourrait la considérer - par analogie avec la terminologie de N. Fernan
dez Bravo (1993) - comme élément médiateur d'une interprétation non plus d‘inter
prétation rhétorique mais interrogative (à demande ” ouverte ” de réponse).
L'insertion de denn dans l'exemple suivant semble confirmer cette hypothèse :
- Der dumme Uli taucht bestimmf uu‘eder im ungünsügsæn Moment hier auf.
Cet imbécile de U. va certainement apparaître ici a nouveau au pire moment.
- Wamm sollte er kommen ?
Pourquoi veux-tu qu'il vienne ? -> il n'y a pas de raison...
- Wamm sollte er ?
Pourquoi viendrait—il ?
- Wamm sollteerdmn kommen ?
Pourquoi donc viendrait—il ?
- Warum sol1te er denn ?
Pourquoi donc ?
Alors que l'insertion de la particule modale dans la variante complète introduit
au moins une 'touche d'interrogativité' - la demande de réponse n‘est plus entière
ment fermée par un caractère rhétorique dominant -, sa présence dans la question
sous forme elliptique apparaît difficilement acceptable”. En effet, la forme ellip
tique étant clairement marquée comme rhétorique, elle ne semble pas tolérer l'in—
sertion d'un élément étranger à son orientation clôturante, alors que des mor—
phèmes à caractère confirmatif sont, comme nous le verrons ci-dessous, tout à fait
possibles:

59 Le temps verbal n‘a aucune influence ici ; même avec les données contextuelles au présent, la
réplique reste sous la même forme, ce qui tend à indiquer que la forme verbale sollte correspond
bien à un subjonctif Il et qu'il ne s'agit nullement d'un indicatif au prétérit :
- Wäre es nicht mëglich, daB Frau B. sich... nur wichfig machen will ? Sie ist keine sehr stabile
Persërflichkeit. Sie verstehen ?
- Warum sollte sie mir denn 50 ein Lügenmärchen erzählen,(?) das ist doch Unsinn. {Grän, 1992,
p. 129—130)
(—Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer ? Elle n‘a pas un carac
tère très stable. Vous voyez ?
- Pourquoi voulez—vous donc qu'elle me raconte des histoires, (?) c'est insensé.)
7“ Il faut comprendre ici plus précisément que l'insertion de cette particule dans cette phrase inter—
rogative sous forme elliptique est si peu naturelle qu'elle n'est pas susceptible de réalisation. Nous
verrons cependant ci—dessous (cf. 4.2.) que dans un emploi particulier, normalement plutôt en
combinaison avec wieso, dent: pourra tout de même figurer dans une telle ellipse.
150 La représentation critique du discours de l‘autre

- Wamm sollte cr auch ?71


Pourquoi aussi le ferait—il ?
La particule modale semble donc être compatible sans restriction avec les énon
cés allemands correspondant aux ” questions de reprise ” du français, alors que son
insertion dans la seconde catégorie de questions est dépendante d'un certain nom—
bre de conditions. Il apparaît que sans vouloir la présenter comme marqueur
absolu, on ne peut nier qu'une de ses propriétés essentielles est celle d'être un élé—
ment médiateur d'interrogafivité et donc d‘induire une demande de réponse aussi
faible soit son ouverture et ce, au niveau des instructions qu'elle introduit dans la
phrase. Cette propriété nous semble à l'origine des différences distributionneiles
que nous venons de constater.
Cependant, un certain nombre d'exemples semblent presque nécessiter l'inser
tion de denn, alors que nous les pensions proches des questions à dominante clôtu
rente et donc plutôt enclins à une incompatibilité avec cette particule. Il s'agit des
questions correspondant à celles paraphrasables en français par il n'y a pas d‘autre
raison, personne etc. que, c'est—à—dire celles que nous avons traitées ‘sous l‘étiquette'
" affirmations clôturantes complexes ".
R. Métrich, E. Faucher et G. Courdîer donnent toute une série d'exemples de ce
type en précisant que, dans ces cas, "la question rhétorique renvoie à une donnée
connue ou évidente" (1995, p. '74) :
- Hui °er des galon ?
C‘est lui qui a fait cela ?
— Wer denn °sonst ?
Qui d'autre [veux-tu que ce soit]?
- llir seid also ganz allein in der Wohnung and do tu! ilrr nicltts ais Platten härrn ?
Vous êtes seuls dans l‘appartement et vous ne faites rien d'autre que d‘écouter des
disques ?
- Was denn °sonst ?
Et que veux-tu qu'on fasse ?
- Meinsf du ailes ehrlich ?
Tu dis tout ça sérieusement ?
— Wie 5011 ich's denn °sonst mcincn.
Et comment veux-tu que ils le dise ?
Bien que dans ces exemples les questions en réplique ne soient pas d'un carac
tère particulièrement interrogatif, la présence de dcnn apparaît comme presque in—
dispensable. Si ces phrases sont concevables sans cette particule, leur énonciation

7‘ Cette question pourrait en fait figurer en réplique à une question ou une assertion négative—
ment orientée comme par ex. Ich frage mich, 0b er es mirklich tut ? (je me demande, s‘il le fait réelle
ment .7). En effet, ce lexème confirme une orientation négative. Plus loin, nous verrons les proprié—
tés de auch plus en détail.
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wamm sollte... ? 151

paraît néanmoins bien plus naturelle avec son adjonction. En effet, le nombre d'oc
currences de ce type de phrases doit être largement plus important pour celles qui
condamnent denn.
Cette particule établit ici, comme dans tout type de phrase, la connexion avec ce
qui précède. Or, nous avons vu concernant les interrogatives que nous suggérons
de considérer comme leur équivalent français, les “ affirmations clôturantes com—
plexes”, que le fonctionnement de ces dernières repose sur un lien thématique
étroit avec la première question qui provoque cette réplique. Pour cette raison,
nous formulons pour l'instant l'hypothèse que denn sert dans ce type d'interroga—
tive à établir un lien thématique nécessaire à la représentation négative inhérente à
ces questions qui tendent à disqualifier l‘énonciation de la question initiale comme
n'étant pas justifiée.
Nous allons revenir sur la question du rôle de denn dans les structures ci
dessous dans le cadre d'une analyse plus spécifique de cette catégorie de questions
et des liens thématiques éventuels par rapport à la question qui déclenche ce type
de réplique (cf. 5.).
La deuxième particule citée par C. Cortès & H. Szabo comme propice à l'inser—
tion dans des phrases interrogafives est eigentlich.

b) eigeuflich72
Pour ces auteurs, eigenttich est complémentaire de donna dans la mesure où cette
dernière particule relie le discours à ce qui précède, alors que eigentlich "se carac—
térise par l'absence de relation avec le contexte antérieur" (Cortès & Szabo, 1984,
p. 121) et "situe [la question] par rapport à ce qui suit“ (ibid., p. 122). Ainsi, les con—
traintes sur la réponse seraient fortes : elle "doit être sincère, claire, objective...“
(ibid., p. 121). Cette complémentarité pourrait expliquer les occurrences où les
deux particules apparaissent en parallèle.
E. I(ënig aussi voit cette particule comme opposée à denn. Pour lui, elle instaure

71 Certains auteurs excluent ce lexème de la classe des particules modales (cf. Métrich, Faucher, et
Conrdier, 1993, p. 26) en raison du fait qu'il figure en position initiale dans certaines déclaratives.
il serait aussi susceptible d'accentuafion, ce qui nous semble impossible dans une structure inter—
rogative, sauf dans l‘exemple bien connu où, selon nous, eigenflich accentué se distingue nette—
ment de la particule modale non accentuée :
- Fido ist also ihr Künstlemame; und wie heifien Sie “eigenflich ? (Fido c'est donc votre nom
d'artiste; et quel est votre véritable nom ?) (Métrich, Faucher & Courdier, 1995, p. 208)
- lch kenne Sie ja schon lange, aber wie “heiBen Sie eigenflich ? (Je vous connais, certes, depuis
un bon moment; mais quel est votre nom, en fait ?)
N. Femandez Bravo fait remarquer que "combiné à la question, il présente les caractéristiques
d'une particule illocutoire" (1993, p. 74). Nous l'incluons donc, suite à CEt auteur ainsi que C. Cor—
tès et H. Szabo ou encore E. Künig, à la catégorie des particules modales dans notre étude.
152 La représentation critique du discours de l‘autre

une relation avec le contexte de par l‘indication que la "question est détachée du
contexte de l'échange ou, plus généralement, du contexte interactionnel"” (Künig,
1977, p. 123). Une question comprenant cette particule aurait toujours un potentiel
interrogatif tout en donnant une nouvelle impulsion et une nouvelle direction à
l'échange en cours (cf. ibid., p. 125 et Femandez Bravo, 1993, p. Nous allons
voir plus loin que, contrairement à ce que semblent indiquer les descriptions de
E. Kônig et de C. Cortès et H. Szabo, ce changement de direction n‘est pas exempt
de continuité. Il s'agit d'une rupture inscrite dans la situation donnée. Ainsi
Schmidt-Radefeldt (1993, p. ’74) remarque que "l'emploi de la particule eigentlich
nécessite un (con)texte antérieur ou un contact verbal déjà établi entre les locuteurs
dans une situation communicative”.
Le caractère interrogatif des questions contenant eigentlich ne semble faire
aucun doute pour les auteurs qui considèrent ce morphème comme particule mo—
dale (cl. ci-dessus note de bas de page). Métrich, Faucher et Courdier (1995)
donnent cependant quelques exemples de questions orientées et de questions rhé—
toriques où, contrairement à ce que nous avions constaté concernant denn,
l'adjonction de cette particule ne diminue nullement le degré de rhétoricité de la
question.
Considérons certains de leurs exemples d'interrogatives "exprimant une ques
tion rhétorique“ :
- Wirst Du eigentfich nie envachsen ?
Tu ne seras donc jamais adulte ? (Métrich, Faucher & Courdier, 1995, p. 205)
- Für nu'e bläd hältsl du midi eigenflich ?
Non mais tu me prends pour un imbécile ? (ibid., p. 20’?)75
En absence de la particule, ces questions semblent plutôt perdre en rhétoricité.
N. Femandez Bravo donne un autre exemple clairement rhétorique où eigentlich a
le même effet sur l‘énoncé global :
- Warum eigentlr’ch anf ein biflchen Glù‘ck dus gnn2e Leben nurten. Komm dock mal rüber.’
5pr‘elbank Bad Neuenahr !
Pourquoi dans le fond attendre toute sa vie [un peu de chance? Passe donc à
l'occasion ! Casino Bac] Neuenahr !]76 (Femandez Bravo, 1993, p. 83).
Manifestement orienté vers la conclusion ça n'a pas de sens d‘attendre - l‘infinitif

73 Eigentlich signalisiert, dafi die Frage vom Gesprächszusammenhang, oder allgemeîner, vom In
terakfionszusamenhang Iosgelëst ist.
74 "o emprego da parficula eigentlich necessita de um (con)texto anterior ou de um contacte verbal
jä estabeleddo entre os locutores numa situaçâo comurücaüva".
75 Contrairement à la traduction - tout à fait fidèle quant à la teneur globale - proposée par les au
teurs, il s'agit d’une question partielle en allemand (littéralement : tu me prends dans le fi)nd pour
imbécile à guet pÆ'nt ? )
75 Nous complétons la traduction,
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Wflmm sollte... ? 153

marque de manière univoque le caractère rhétorique de la question - l'adjonction


de la particule apporte une touche d‘objectivité à l'ensemble : "invité à se poser
sérieusement cette question, Alloc est amené à admettre la seule réponse qui
s'impose, selon Loc" (ibid.). N. Femandez Bravo considère plus généralement
qu'avec ce terme “l‘appel fait au récepteur de se rapporter à [la] réalité cachée afin
de répondre lui—même à la question reste en vigueur dans l‘interprétation rhéto—
rique"” (1995, p. 134). Nous dirons qu’en accentuant le poids de la question et par
conséquent celui de la réponse qu'elle suscite, eigenflich renforce la valeur conclu
sive de cette réponse. Le renforcement d'une rhétoficité éventuelle n‘opère donc
pas au niveau de l‘instruction contenue dans la phrase, où cette particule tend plu
tôt à appuyer celle invitant à interpréter l'énoncé comme interrogation ouverte,
mais c'est l‘influence sur les effets rhétoriques ou persuasifs des énoncés éventuels
de cette interrogative qui crée l'impression de renforcement.
Eigentlich souligne donc l‘orientation argumentative (due à une rhétoricité pro
venant d‘autres éléments) et non pas la rhétoricité même dans ce type d'exemple”,
alors que la même particule renforce effectivement l'exigence d'une réponse non
prédéterminée dans ce que R. Métrich, E. Faucher et G. Courdier considèrent
comme "question neutre“. Dans les exemples suivants, la question simple juxtapo—
sée avec celle empruntée à Kôm‘g (1977) illustre cette tendance :
- Wie gekt es dir dgentlich ? (Kônig, 1977, p. 124)
Comment vas—tu, au fait ?
- Wie geht es dir ?
Comment vas-tu ?
Contrairement à ce que nous venons de constater pour la question à forte ten
dance rhétorique, ici, la particule semble renforcer le potentiel interrogatif de la
question qui passe d'une simple formule de politesse à une réelle demande appe—
lant une réponse précise et exhaustive. Apparemment, eigentl‘ich ne peut donc pas
servir d'indice concemant la zone où la question se situe sur l'axe allant de l'inter
rogativité à la rhétoricité étant donné qu'il figure dans les deux types extrêmes de
contextes. Ce morphème aurait cependant tendance à rapprocher la question d'un
des deux pôles extrêmes puisqu'il accentue toujours le caractère respectif propre à
la structure, caractère indépendantde son influence 'parficulière'. Cependant, il ne
faut pas confondre les deux niveaux et ces deux pôles ne se situent pas sur un

77 "In der rhetorischen lnterpretation bleibt der Appel] an den Empfänger wirksam, sich auf diese
verdeckte Realität au beziehen, um die Frage selbst zu beanMorten". '
75 N. Femandez Bravo arrive à la conclusion suivante : “Dans la question rhétorique, Qeigenflich
prend la valeur argumentafive de correction d'une inférence erronnée, toc incitant Alloc — renvoyé
au réel — à se rendre compte de ce qu‘il savait déjà et qui est fondamental, ce qui renforce la valeur
inversive de Q?" (1993, p. 83). Nous ignorons s'il faut interpréter la valeur innersive comme 'force
inversante' ou parallèlement à notre perspective comme 'valeur après inversement'. Dans ce se—
cond cas de figure, notre description serait tout à fait compatible avec la sienne.
154 La représentation critique du discours de l’autre

même axe : si dans une phrase où l'interrogativité de ses énoncés est clairement
inscrite, ce terme peut renforcer encore cette propriété au niveau des instructions
concernant son éventuelle énonciation, il ne renforce pas la rhétoricité inscrite dans
une phrase à orientation opposée, mais les effets conclusifs de ses énoncés respec
tifs, rhétoriques en raison d‘autres éléments.
Il nous semble qu'il faut chercher l'explication de ce comportement dans la va
leur générale de cette particule. Comme le signalent R. Métfich, E. Faucher et
G. Courdier, eigenflich a la propriété suivante en commun avec denn : "leur rôle
paraissant être de lier l'énonciation dans le cadre de laquelle elles sont produites
à la situation ou au contexte discursif... C‘est ainsi que denn semble marquer que
la question est appelée par la situation et qu‘elle s‘y insère naturellement, alors
que eigentlich, tout en Soulignant également le lien de la question au contexte (car
c'est un élément de ce contexte qui conduit à elle), signale en outre une rupture,
une réorientation du dialogue dans une nouvelle direction” (Métrich, Faucher &
Courdier, 1993, pp. 34 - 35). Cependant, ce changement n'est pas présenté comme
saut thématique anodin et arbitraire à la fois, soumis à autorisation implicite de la
part de l'interlocuteur, tel qu'il s'effectue au moyen d'un übrigens ou d'un à propos
par exemple. A l'aide de eigentlz‘ch, le locuteur se présente non seulement comme
opérant un changement de sujet, mais aussi de niveau : il se donne l'autorité et le
sérieux de celui qui pose une question de fond, susceptible de faire avancer le
débat, d'approfondir la discussion et dont la pertinence ne peut être mise en ques
tion. Dénonciation de la question est légitimée par ce qu'elle questionne ce qui était
considéré comme acquis ou "oublié" dans un arrière-plan de type thématique.
Selon N. Femandez Bravo, "eigentlich justifie [la] "rupture“, en indiquant que la
mise en débat porte sur l'adéquation du dire à une réalité fondamentale dans la
situation donnée" (1993, p. 82). Nous dirons plutôt que la caractéristique liée à l'u—
sage de ce terme est que l‘on ne justifie rien, mais pose la rupture comme justifiée.
En "problémafisant" ce qui ne l'était pas auparavant (cf. Künig, 1977, p. 125}, le
locuteur se montre capable d'élever le niveau, soit de ses propres connaissances,
soit de l'échange en cours. Par conséquent, la réponse à sa question doit être à la
hauteur de ses attentes. Ainsi, dans le cas d'une question fortement interrogative la
demande de réponse apparaît comme étant d‘une exigence d'autant plus grande
envers le questionné”, alors que pour une question à prépondérance rhétorique où
la réponse est entièrement contrainte cette pertinence autoritaire confère un effet
d'objectivité supplémentaire à la conclusion visée. On comprend donc que cette
même particule puisse renforcer respectivement deux types de questions, à ces
deux niveaux différents.

79 Ceci a pour effet d'ouvrir cette question, l‘interlocuteur étant invité à changer à son tour de ni—
veau.
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum sollte...? 155

Le fonctionnement de cette particule diffère donc nettement de celle que l'on


considère comme complémentaire. Contrairement à denn qui marque la question de
l'empreinte du discours précédent dont l'image est véhiculée, eigentlich prédéter
mine partiellement ce qui suit par l'image donnée du discours où cette particule
s'insère. Autrement dit, demi introduit l‘image du discours qui précède, ce qui peut
indiquer un écart entre le discours en cours et le discours passé de l'autre, alors que
eigentlich produit un reflet du dire au moment de son énonciation et contraint par
ce biais le discours à venir. La description suivante résume bien les caractéristiques
de eigentlich par contraste avec la particule Jeun :
“Les deux mots ont pour fonction générale de marquer l‘ancrage de la question (vraie
ou rhétorique) dans la situation qui la motive. La différence est dans le fait que denn
se contente de marquer cet ancrage..., tandis que eigentlich “détache" la question de
la situation qui en constitue en quelque sorte la toile de fond; ce détachement corres
pond à une sorte de focalisation de l'attention sur la question présentée par le locu
teur comme ce qui l'intéresse présentement, donc comme l'énoncé actuellement perti—
nent à ses yeux" (Métrich, Faucher &: Contdier, 1995, p. 208).
Ci—dessous, nous allons examiner les conséquences de ces propriétés pour l'in—
sertion de ce morphème dans des structures interrogatives plus complexes.
D'après ce que nous avons constaté, d'un point de vue général, concernant les
effets de l'insertion de la particule eigentlich dans des structures interrogatives, l'as
pect clôturant ou interrogatif ne devrait pas avoir d'incidence sur la compatibilité
entre cette particule et les deux types de questions qui nous occupent. Alors que
C. Cortès et H. Szabo montrent que eigentlich, parfois en combinaison avec denn,
peut servir d'indicateur pour distinguer une subordonnée relative d‘une interroga
tive indirecte (cf. Cortès & Szabo, 1984, pp. 130 — 134), ce morphème ne peut dépar
tager une question à forte tendance rhétorique d'une question à haut degré interro
gatif.
L'idée d'un effet de rupture sur le dialogue qui ressort de toutes les descriptions
pourrait être compatible avec un phénomène constaté concernant les " questions de
reprise ”. En effet, elles ont la particularité de ne jamais reprendre ce qui semblait
être au centre du propos précédent. Elles font toujours dévier l'échange en cours en
direction d'un élément qui faisait partie du thème du discours de l'interlocuteur.
alors que dans un échange à progression constante, les enchaînements se font nor—
malement sur le propos qui précède. Ainsi, tant les " questions de reprise ” que
leurs équivalents allemands ouvrent normalement ce que l'on peut appeler, suivant
E. Roulet et d'autres, un "sous—échange" (cf. Roulet, 1981; Roulet & al., 1985;
Moeschler, 1985), ouverture que semble marquer aussi la particule modale eigent—
lich en contexte interrogatif. '
Comme denn, elle devrait donc être facilement compatible avec la question mé—
talinguistique, mais peut—être aussi avec le correspondant d'une “ affirmation clô
turante ”. C‘est ce que nous allons tenter de vérifier à l'aide des exemples suivants :
156 La représentation critique du discours de l ‘ræutre

- Warum /Wieso + 5011 + reprise littérale :


- Dieses neue Mitral ist wirklich gui.
Ce nouveau produit est vraiment bon.
- Wamm soli dus eigentlich neu sein ?
Pourquoi veux-tu qu'il soit nouveau, au fait?
- Wieso eigenflr‘ch neu ? Das gibt es schon ganz lange.
Au fait, pourquoi nouveau ? Ça existe depuis bien longtemps.
- Der dumme Uli taucht bestimmt wieder im ungünsfigsten Moment hier ouf.
Cet imbécile de U. va certainement apparaître ici à nouveau au pire moment.
- Wieso eigenflich dumm ?
Mais pourquoi imbécile, au fait ?
- Wamm sol! er eigmtlich dumm sein ?
Pourquoi veux-tu, au fait, que ce soit un imbécile?

En ce qui concerne cette première série d'exemples, l’insertion de eigentlich ne


semble poser aucun problème. Elle se fait naturellement dans la mesure où ces
questions ont pour propriété de reprendre (au moins) un terme qui ne faisait pas
partie du propos du tour de parole précédent, ce qui constitue toujours un arrêt
dans le découlement des enchaînements discursifs, rupture que la particule tend à
rendre plus acceptable du point de vue interactionnel. Dans ce contexte, eigenflich
permet donc "d'arrondir les angles discursifs".
' Warum + sollte ;
- Der dumme Uli lunch! bestimmt wieder im ungünsflgstm Moment hier ouf.
Cet imbécile de U. va certainement apparaître ici à nouveau au pire moment.
- Warum sollte er eigmtlich kommen ?
Pourquoi veux-tu qu‘il vienne, au fait ?
- Warum solIte ereigenth‘eh ?
Pourquoi, au fond ?
- Wäre es nicht mäglich, dafl Frau B. sich. .. nur ufichtig machen un‘ll .7 Sie ist læine sehr stabile
Persänlichkeit. Sie uerstehen ?
Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer ? Elle n‘a
pas un caractère très stable. Vous voyez ?
- Wamm sollte sie mir eigeutlr‘ch sa ein Lügmmärchen erzählen, das ist dock Unsinn.
Pourquoi voulez—vous qu'elle me raconte des histoires, au fait ? C‘est insensé!

L‘adjonction de la particule dans les questions à tendance clôturante est mani


festement soumise à plus de conditions. Alors que la variante explicite du premier
exemple supporte relativement bien une telle modification - il suffit de s'imaginer
que le premier locuteur a déjà laissé percer une crainte de ce type et fait donc
preuve d‘insistance -, la version elliptique apparaît comme plus difficilement
acceptable. Cette divergence d'acceptabîlité nous semble due à ce que la forme
elliptique, plus que n'importe quelle question rhétorique, présente la réponse néga
tive absolue comme incontournable et évidente. Une telle évidence semble incom
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Wflmm sollie...? 157

patible avec l'invitation à suivre le locuteur dans un raisonnement plus approfondi.


En ce qui concerne le second exemple, l‘insertion de eigentlich ne correspond pas
du tout au contexte immédiat : la question préalable est basée sur une nouvelle
idée spontanée à laquelle le locuteur réagit directement, de sorte qu'il ne peut s'agir
d'un retour sur un plan négligé auparavant.
On remarque globalement l'importance du contexte requis pour que cette parti—
cule puisse être intégrée dans une question Warum soll- ? à caractère clôturant,
alors que le questionnement métalinguisüque implique systématiquement un
changement de perspective et de niveau, de sorte qu'il coïncide toujours avec le sé—
mantisme fondamental de eigentlich.
Une autre question qui se pose est celle de la combinaison des deux particules
traitées jusqu'ici.

c) denn eigenflich
Suite à de nombreux auteurs“, nous avons indiqué ci—dessus, que les deux
particules denn et eigentlich se prêtent particulièrement bien à la combinaison grâce
à leurs propriétés complémentaires et ce, obligatoirement dans cet ordre : "Du fait
de leur valeur opposée du point de vue de la poursuite thématique du discours (re
lation de Qdeun? avec acte antérieur / rupture, nouveau départ Qägentlich?), denn
et eigentlich se complètent. . .. La question apparaît doublement justifiée“ (Femandez
Bravo, 1993, p. 85). Leur combinaison permet d'ancrer la question dans le contexte
antérieur tout en l'orientant vers ce qui suit et d'exercer une importante contrainte
sur cette suite, même dans le cas d'une demande de réponse à orientation ouverte.
La question qui se pose est celle de déterminer l‘influence que cette combinai
son peut avoir sur le degré d'interrogativité ou de rhétoricité de la question où ces
particules figurent en chaîne. Demi reste toujours, nous l‘avons vu, un élément au
moins localement médiateur d'interrogativité, tandis que eigentlich, ayant le même
rôle au niveau instructionnel de la phrase, peut sembler renforcer une éventuelle
rhétoricité de ses énoncés, alors qu‘en fait il s’agit d'un renforcement des effets con—
clusifs découlant d’une éventuelle rhétoricité. Le problème est de savoir si la parti
cule eigentlich conjugue ses instructions dans la phrase avec celles de demi de ma
nière à renforcer I’intenogativité de ses énoncés, ou si la coprésence des deux parti
cules donne lieu à des effets de sens moins prévisibles. Comparons les séries
d‘exemples suivants :

- lch kann leider Paul nichifmgen, de cr abtœsend ist.


Malheureusement, je ne peux poser la question à Paul, puisqu'il est absent.

30 Cf. Abraham, 1995; Cortès & Szabo, 1984, Fernandez Bravo, 1993; Métrich, Faucher & Courdier,
1995, p. 208.
158 la représentation critique du discours de l‘autre

- Warum ist er obtœsend ?


Pourquoi est—il absent ?
- Wamm ist 6:" demi abwcsend ?
Pourquoi est—il donc absent?
- Wamm ist er etgenflr‘ch abwesend ?
Pourquoi est-il absent, au fait ?
- Wamm ist er dam: eigenflich abwesend ?
Pourquoi est—il donc absent, au fait ?
- Paul ist haute abwesend.
Paul est absent aujourd'hui.
- lst cr emsfhafl krank ?
Est—il sérieusement malade ?
- Ist er dam: emstimfl kmnk ?
Est—il donc sérieusement malade ?
- lst er eigenflr‘ch emsthafi krank ?
Est—il sérieusement malade, au fait ?
- lst er denn eigenflich emsthflfl kmnk ?
Est—il donc sérieusement malade, au fait ?
- Es hat keinen ZwecÏc. Du hast recht. Aimer mon darf sich dos gar nicht sagen. Van all dem,
mas
(Fernandez
mir n‘en ganzen
Bravo, Tng
1995,long
p. 131)
in der Schule tua, tous davon irai eigenflich einen Zuch ?

Ça ne sert à rien. Tu as raison. Mais on ne doit pas se le dire. De tout ce que nous
faisons tout au long de la journée à l‘école, qu'est—ce qui sert à quelque chose, au fait ?
- ...Von ail dam, was wir den gamæn Tag lang in der Schule tua, was dm«m bat dam: cinen
Zrœck ?
...De tout ce que nous faisons tout au long de la journée à l'école, qu‘est—ce qui sert
donc à quelque chose ?
- ...ch aII tient, tous mir der: gunzm Tag long in der Schule l‘un, was davon luit denn
eigenflich einen chk ?
De tout ce que nous faisons tout au long de la journée à l'école, qu'est—ce qui sert
donc à quelque chose, au fait?
- Wamm denn eigentlfch (tuf ein bij3chen Glù‘ck dus ganze Leben warien. Komm dock mal
n‘iber l Spielbank Bad Neuenahr!
Pourquoi donc attendre au fait toute sa vie d'avoir un peu de chance? Passe donc
(chez nous) à l'occasion ! Casino Bad Neuenahr!
Apparemment, dans la combinaison, ces deux particules ne parviennent pas
non plus à renverser la tendance globale de l‘interrogative où elles s‘insèrent lors
que celle-ci est orientée vers une interprétation rhétorique de ses énoncés. Ainsi,
dans le troisième et le quatrième exemple ci—dessus, les conclusions à tirer de l‘in—
terprétation rhétorique ressortent plutôt renforcées par la présence de deuil eigent—
lich. L'aspect fondamentalement interrogatif de denn permet de créer une ‘illusion
de libre arbitre du questionné' : interrogé, il est amené à donner 'en toute liberté' la
réponse pourtant clairement prédéterminée par la question et renforcée par la pré
Chapitre 3 Wamm soli. .. ? / Wamm sollfe. .. ? 159

sence de eigentlich. Quant au premier et second exemple, leur interrogativité fonda


mentale est soulignée par l‘insertion de la paire de particules.
Nous avons déjà signalé que cette combinaison de particules est utilisée par
C. Cortès et H. Szabo pour distinguer l'interrogative partielle indirecte de la subor—
donnée relative. Il ressort clairement de leurs résultats que l‘insertion de ces deux
particules requiert un environnement interrogatif. Ceci conforte notre position se
lon laquelle il faut considérer la question rhétorique comme vraie question.
Nous allons vérifier dans ce qui suit, si l'effet de ces deux morphèmes en chaîne
reste constant dans le contexte particulier que constituent les questions en Wamm
soli...?. Tout d'abord, celles contenant une reprise textuelle du discours qui pré
cède :
- Haute kommt schon wieder dieser langræilr‘ge Derrick im Fernsehen.
Aujourd'hui, il y a encore cet ennuyeux Derrick à la télé.
- Warum deux eigentlr‘ch langueilig ?
Pourquoi donc au fait ennuyeux ?
- anm soit der dam eigentlich langweilig sein ?
Pourquoi veux—tu donc au fait qu‘il soit ennuyeux ?
- Wieso derm eigeutlich Iangucr‘t‘r‘g ?
Mais au fait, pourquoi donc ennuyeux ?

- Wieso soli der dem: eigentlich lnngmcilig sein ?


Mais au fait, pourquoi veux-tu donc qu'il soit ennuyeux ?
La question reste interrogative dans les deux variantes, complète ou elliptique.
Cependant, le poids particulier que confère eigentlich à l‘énoncé tend à appuyer
l'aspect expressif de désaccord de la part du locuteur qui arrête son interlocuteur
sur le choix d'un mot dont il ne partage pas l‘appréciation inhérente. Pour ce qui est
des variantes en wieso, cet interrogatif accentue encore d'avantage la distance que
marque le locuteur par rapport au point de vue qu‘il semble déceler dans le dis
cours qui précède.
Quant aux questions à tendance clôturante, considérons un exemple dans ses
différentes versions :
- Bleibst du jetzt dock der: ganzeu Sommer hier ?
Tu restes finalement la tout l'été ?
- Wamm sollte ich uegfahren {, 100 ici: dock hier des Meer var der ane huée]?
Pourquoi veux-tu que je parte [, alors qu’ici j’ai la mer juste en faca} ?
- Wnrum sollte ich dem: eigentlich wegntrren [, rvo ich dock hier dus Meer ‘nor der N’use
habe]?
Pourquoi veux-tu que je parte, au fait, alors qu'ici j'ai la mer juste en face ?
- Wamm solite fait dam eigmtl‘r‘ch hierbleihen ? Es gibt sclränem Orte.
Pourquoi donc veux-tu que je reste ici, au fait ? Il existe des endroits plus agréables.
- Was soli ich hier dem: eigentlich rien ganzen Sommer lang (tua) ?
Que ferais—je donc ici tout l'été, au fait ?
160 La représentation critique du discou rs de I‘autre

Au regard de cette série d'exemples, la constance de l'influence des deux parti—


cules combinées apparaît comme peu visible, dans la mesure où il faut de nouveau
séparer ce qui relève de la rhétoricité/interrogafivité à proprement parler et des
effets rhétoriques ou persuasifs qui en découlent. En effet, lorsque la tendance clô—
turante de la question en Wamm soi!-? est renforcée par une suite justificative, denn
eigentlich semble appuyer les effets persuasifs de cette orientation rhétorique. En re—
vanche, en l'absence d'une suite pouvant lever l'ambiguïté, l'insertion de cette paire
fait basculer l‘ensemble vers une question à dominante interrogative (bien que
orientée).
En fait, nous avons toujours affaire au même phénomène dans lequel il faut dis—
tinguer deux niveaux : l’un, linguistique, se situant au niveau des instructions con—
tenues dans la phrase concernant l'interprétation de ses énoncés; l'autre, faisant
partie des effets de sens de l'énoncé et jouant plutôt sur la manière dont les con
clusions de l‘énoncé pourraient être accueillies par son auditoire. Nous faisons l'hy
pothèse qu'à un niveau linguistique aussi bien dam: que eigentIich, ainsi que leur
combinaison. sont des éléments médiateurs d’interrogativité. On les trouve en con
texte rhétorique qui reste un contexte de questionnement. Or, il se trouve que, dans
un tel contexte ces termes peuvent avoir pour effet Ærsuasif d‘appuyer l‘orienta
tion conclusive globale de l'énoncé où ils figurent.
Autrement dit, fondamentalement, denn eigenttich orientent vers une certaine in—
terrogativité, ce qui fait que la combinaison des deux particules pousse obliga
toirement vers l'interprétation interrogative en cas d'ambiguïté. Lorsque l‘envi
ronnement rhétorique“ est trop puissant pour pouvoir être 'dominé', elles ont un
effet renforcent de la stratégie rhétorique/ persuasive. '
Concernant les questions en Warum 5011—? à tendance clôturante, on constate que
l'insertion d‘une ou des deux particules peut 'casser’ cette dominante rhétorique,
dès qu'elle n'est pas appuyée par d‘autres éléments.
A l‘opposé de denn et eigenflich, C. Cortès et H. Szabo, mais aussi N. Femandez
Bravo, citent auch qui ne serait pas compatible avec une question partielle forte—
ment interrogative.

d) auch
C. Cortès & H. Szabo (1984) considèrent, suite à Weydt (1969) que "l'interroga
tive partielle contenant auch est interrogative sur le plan de la forme, mais non sur
le plan du contenu" (p. 126).82 Cette particule indique qu'il faut chercher dans le

31 (les éléments favorisant une telle interprétation)


32 "Ces inærrogatives servent à clore un débat. Elles constituent une sorte de justification visà—vis
d'un interlocuteur auquel on doit une explication. Par l‘interrogation, on fait semblant de lui re—
donner la parole sous la forme d'une question dont la réponse est évidente dans le contexte pro—
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wamm sollte... ? 161

contexte d'autres éléments coorientés avec la conclusion, vers laquelle le ques


tionnement oriente. Ainsi, cette particule, comme denn et eigentlich, rattache le dire
à ce qui précède“.
N. Fernandez Bravo indique que "l'interrogation en W—auch ?, où auch n'est pas
synonyme de ebenfalls [également], est à interpréter comme question rhétorique" (1993,
p. 174). Lorsque ces termes sont équivalents, on a affaire à un adverbe et non pas à
la particule modale. Elle estime que "auch ne peut être considéré en soi comme
marqueur d‘illocution, bien que W—auch? soit le plus souvent d'interprétation rhé—
torique. . .. Il fonctionne dans une configuration" (ibid., p. 177). Dans ce type de con
texte, il nous semble que la présence de ce terme ne peut qu'expliciter une ten—
dance, certes existante indépendamment, mais non dépourvue d‘ambiguïté sans le
concours de cette particule“. Étant donné que le rôle de auch est toujours clarifiant
dans le sens de la rhétoricité, nous dirons qu‘il fonctionne pour les questions par.—
tielles comme "médiateur de rhétoricité“ à l'instar de dam: qui, à l'inverse, constitue
un élément porteur d‘intenogafivité.
L‘exemple suivant est tout à fait représentatif d‘un tel emploi :
- Mutti, n‘er Hans hat mir ailes knputt geschlagen !
M‘man, Jean, il m‘a tout cassé !
- Tja, das ist nicht mit, aber warum hast du fini auch geärgert ?
Ben, ce n'est pas gentil, mais pourquoi l'as-tu embêté, aussi ? (Métrich, 1993, p. 410)
Concernant cet exemple précis, R. Métrich, E. Faucher et G. Courdier consi
dèrent la particule comme marqueur illocutoire : "Cet énoncé réalise un acte de
communication bien différent de celui qu‘il réaliserait sans la particule. Sans celle
ci, on aurait affaire à une véritable demande d‘information (‘ie veux savoir pour—
quoi...'). . .. La modification de la valeur illocutoire de l'énoncé sans particule est ici
radicale et on peut dire que c'est à auch qu'échoit la fonction de marquer que l‘énon—
cé ne réalise pas l'acte de communication 'demande d'infortnafion'. . ." (1993, p. 32).
Vu ces caractéristiques, sa bonne compatibilité avec les questions en Wamm
soli”? à tendance clôturante ne fait aucun doute. R. Métrich donne l'exemple sui
vant, N. Fernandez Bravole second :
- Wamm sollte ich es auch tun ?
D‘ailleurs. pourquoi le ferais—je ? (Métrich, 1993, p. 41H)

posé. Il s‘agit d'une fausse interrogation qui est presque un ordre : l‘allocuté doit trouver la ré
ponse lui—même" (Cortès & Szabo, 1984, p. 125). '
33 "... auch indique "un ajout d'un élément a un autre élément qui va dans le même sens". And:
renoue, par conséquent, avec un élément du co—texte antérieur sur lequel la question s'appuie"
(Femandez Bravo, 1993, p. 167).
34 Ailleurs (1995, p. 131), cet auteur parle de la performance clarifiante (‘désambigu‘n‘sanæ') des
particules modales dans les questions rhétoriques" ("die vereindeutigende Leistung der Modal—
partike]n in rhetorischen Fragen“).
162 la représentation critique du discours de l‘autre

- Nichf hier. ..
Pas ici...85
- Wasfiïrchæst du .7... Es ist niemand in der Nà‘he and ruer sollte uns auch lænnen ?
Que crains-tu ? Il n‘y a personne à proximité et d‘ailleurs, qui nous reconnaîtrait?
(Fernandez Bravo, 1995, p. 133).
Cependant, il faut garder à l‘esprit, qu‘en raison de son sémanfisme spécifique
exigeant une coorientation avec quelque élément qui précède et l‘orientation néga—
tive de la question à tendance clôturante, la particule auch ne peut figurer que dans
une réplique à un énoncé orienté négativement. Ainsi, l'exemple de Métrich pourra
suivre la première question, mais non pas la seconde, alors qu'en absence de la par
ticule les deux sont possibles :
- Machst du das °m‘cht ?
Tu ne le fais pas ?
- Warum sollte fch es auch tun ?
D‘ailleurs, pourquoi le ferais—je ?
- °Machsi du des ?
Tu le fais ?
- Wamm sollte ich es iun ?
Pourquoi le ferais—je ?
Une autre variante possible serait la question elliptique réduite à warum suivi
de la particule. Ses emplois sont le plus souvent“6 limités à la réplique à une ques
tion totale dont l‘assertion préalable peut être interprétée comme orientée négative
ment. Ainsi une telle question elliptique peut remplacer la question citée par Me
trich en réplique à. la question cidessus :
- Machst du d’os °nicht ?
Tu ne le fais pas ?.
- Wamm auch ?
Pourquoi, aussi ?
En ce qui concerne ces questions elliptiques, la particule auch restreint l'emploi
de la question qui, en sa présence, ne peut être substituée qu'à une question simple
à tendance clôturante (normalement en réplique à une question totale”), alors que

35 Nous traduisons.
3" Nous présentons nous—même {ci-dessous, f)) un exemple où l'interrogation n'est que sous—ja—
cente : Ichfürchæ er kaufi nicht ein. - Wamm mu:h ? (je crains qu'il ne fasse pas les courses. - Pourquoi
les ferait—ü, aussi .7).
37 R. Méh‘ich, E. Faucher et G. Courdier donnent un exemple où la question tu- auch ? suit un
constat (cf. Métrich, Faucher & Conrdier, 1995, p. 84). Cependant, le premier tour de parole de l‘é—
change peut facilement être transformé en question totale sans que la réplique devienne moins
compatible. Par ailleurs, il est intéressant de constater que les auteurs ont choisi de laisser trans
paraître le caractère clôturant de la question en auch dans la ponctuation déclaratiw contraire—
ment a l'exemple contenant la particule dem1 où le point d'interrogation est maintenu, alors que la
traduction en français ne réflète pas ces nuances.
Chapitre 3 Wamm soli... ?/Warum soilte...? 163

d'autres particules (wohl, schon) la spécialisent dans la réplique à une question par
tielle pouvant figurer à la place d'une question clôturante complexe.
Quant aux effets de l'insertion de la particule met: dans des questions à reprise
littérale, ils ne sont pas tout à fait nets. Nous reprenons nos exemples«types :
— Dieses neue Millet ist wirkiich gui.
Ce nouveau produit est vraiment bon.
- Wamm soli das auch Heu sein ?
Pourquoi veux-tu aussi qu’il soit nouveau ?
- Wieso auch neu ? Das gibt es schrm ganz lange.
Mais pourquoi nouveau, aussi ? Ça existe depuis bien longtemps.
- Der dumme Lili taucht bestimmt ufieder im ungünsfigsten Moment hier auf.
Cet imbécile de U. va certainement surgir ici à nouveau au pire moment.
— Wieso mach dumm ?
Mais pourquoi imbécile, aussi ?
- Warum soli er auch dumm sein ?
Aussi, pourquoi veux—tu qu‘il soit un imbécile ?
Ces exemples semblent difficilement interprétables à moins de glisser vers une
interprétation où auch devient adverbe“. Manifestement, l’adjonction de catch en
tant que particule modale pose problème dans ce type de question, ce que l‘on
pourrait prendre comme confirmation de leur caractère clairement interrogatif.
Cependant, l‘exemple suivant montre que cette impossibilité est due à l'absence
d'un élément coorienté. En présence d'un tel élément - en l‘occurrence le verbe dis—
puter qui oriente vers l‘idée de mauvaises relations, de même que la qualification
qu‘exprime L1 —, auch s‘intègre plus facilement dans la question. L‘insertion de ce
morphème en réduit, en revanche, fortement le degré d'intenogafivité”:
- Ich lube mich schon wieder mit dem dummen Uli gestrifæn.
Je me suis disputé encore avec cet imbécile de U.
- Wamm uuch dumm ? /- Wamm soli er auch dumm sein ? [Kein Wunder, du}? ihr nicht mit
einander reden kämri !]
Mais pourquoi aussi imbécile ? /— Pourquoi d’ailleurs veux-tu qu'il soit imbécile ?
[Ce n‘est pas étonnant que vous ne puissiez pas parler l'un avec l‘autre !]
Vu ces contraintes, alors qu'il n‘y a pas d'incompatibilité nette”, cette particule
est peu maniable en tant que "test“. Cependant, elle peut servir à démontrer l'orien—

33 Pour le second p. ex. : Wamm ...audz dumm sein? Dajl erfiflsch ist ...(Paurquoi veux-tu qu‘il sait
imbécile aussi ? On sait qu'il est hypocrite.)
3" Un indice de l‘accroissement important de la rhétoricité par auch est le fait que l‘on ne peut
substituer wieso à wumm dans cet exemple.
90Les questions elliptiques à tendance clôturante constituent une exception : leur compatibilité
avec cette particule peut indiquer que le contexte respectif exclut toute clôturante complexe. C’est
grâce à cette complémentarité avec watt! et schon que la particule ranch peut être utile connue élé
ment révélateur de certaines configurations.
164 La représentation critique du discours de l‘autre

tation globale d‘un échange. Par ailleurs, il faut retenir qu’elle a, dans une certaine
mesure, vocation à fonctionner comme médiateur de rhétoflcité, notamment dans
les questions elliptiques réduites à l‘interrogatif suivi d‘une particule.
Maintenant, nous allons voir les effets que peut avoir la combinaison de cette
particule avec denn comme effet sur les phrases où cette paire figure.

9) dam: auch
De la même manière que les effets de denn eigentlich se présentent pratiquement
comme addition des influences respectives de chacune de ces particules modales,
denn auch semble joindre les propriétés des deux particules et ce malgré les carac
tères opposés d'une grande partie de leurs fonctions : nous avons décrit denn
comme fondamentalement porteur d'interrogafivité et auch comme plus propice à
s'intégrer dans un environnement rhétorique ou, dans quelques configurations pré—
cises, à servir de médiateur, si ce n'est de marqueur de rhétoricité dans cet envi—
ronnement‘”.
Par ailleurs, la particule auch indique que la question où elle s‘insère est coor
donnée à un élément du discours qui précède. Étant donné que parmi les questions
qui font l'objet de cette étude ce morphèrne est avant tout compatible avec les ques
tions clôturantes simples, des questions à caractère réfutatif, cet élément coorienté
doit obligatoirement avoir une orientation négative, quelle que soit sa nature.
En combinaison, les deux particules semblent systématiquement renforcer ou
au moins appuyer l'interprétation rhétorique. On pourrait y voir une contradiction
directe avec notre description de denn. Or, il nous semble qu'il ne s‘agit pas d‘une
objection réelle pour notre description de ce morphème qui concerne sa significa
tion linguistique dans la phrase et se situe donc au niveau des instructions données
pour la mise en place d‘énonciateurs au moment d‘une énonciation.
L'effet de renforcement d'une orientation issue de sa rhétoricîté se trouve à un
niveau tout autre : c’est justement parce que l'interlocuteur montre une ouverture
vers une réponse indéterminée dans sa question que du point de vue de la persua—
sion celle—ci aura d'autant plus de poids.
R. Métrich, E. Faucher et G. Courdier décrivent la fonction des deux particules
combinées de la manière suivante : "denn souligne le lien entre l’énoncé et le con
texte en amont ou la situation ambiante ; auch marque la conformité ou la concor
dance du contenu relaté dans l'énoncé comme situé dans le prolongement logique
du premier" (1995, p. 88). S‘agissant de nos questions à orientation négative, on
peut facilement repérer le ou les éléments que la question prolonge :

91 c'est—à—dire à introduire l'instruction dans la phrase que ses énoncés sont à interpréter comme
question rhétorique : si l‘on oppose warum auch ? à mur-nm dznn ? on est amené à considérer la par—
ticule auch conune marqueur de rhétoricité pour cette construction précise.
Chapitre 3 Warum soli ?/ Wamm sollæ... ? 165

' en monologue :
- Die gleiche jagd mufl dalær heute die Tiare rÜllig ausrotten. Aber dus sieht sa leichi kein
einfacher schwarzer Därfler ein. Wamm sollte er dam auch einsichtt‘ger sein als unsere
aumpäischen Varfidrren oor eim’gen ]ahrhunderten ?
C‘est pourquoi cette même technique de chasse ne peut que conduire à la disparition
totale des animaux. Mais le simple villageois africain ne comprend pas cela si facile
ment que ça. P0urquoi serait-il d‘ailleurs plus lucide que nos ancêtres européens d'il
y a plusieurs siècles ? (Métrich, Faucher & Courdier, 1995, p. 91)
' en dialogue :
- Das hast du mier grir nicht erzählt !
Tu ne me l‘avais pas dit.
- Warum dam: mach ? Als oh des uu‘chtig gflœæn wäre l
Et pourquoi l‘aurais—je fait ? Comme si cela avait de l'importance ! (ibid, p. 92)
Pour ce qui est du premier exemple, la particule auch indique que la question
prolonge la négativité inhérente au morphème kein, denn souligne le mouvement
interrogatif et confère donc un certain relief à une question pourtant clairement
marquée comme rhétorique.
De même, dans le second exemple, la présence de denn introduit une interpella
tion renforcée de l'interlocuteur dont l'absence de réponse, en accord avec auch, ac—
quiert par ce biais une pertinence renforcée. '
Dans ce qui suit, nous allons essayer de compléter notre liste de critères pos
sibles en y ajoutant une autre particule, proche de auch selon certains auteurs.

1’) schon
Pour N. Fernandez Bravo, "schon est l'indicateur le plus net du caractère rhéto—
rique, mais ne peut malgré cela être qualifié d'indicateur illocutoire et ce en raison
de sa polyfonc’cion.rtalité“92 (1995, p. 130). Cependant, il est des emplois, et notam—
ment en question partielle, où le rôle de cette particule nous semble être sans équi
voque Z

- Was weifl er schon darm ?


Qu‘est—ce qufil en sait ? (Métrich, Faucher &: Courdier, 1993, p. 33)
Comme le précisent les auteurs de l'exemple, la seule présence de la particule
change radicalement le sens de la question (interprétée dans un contexte tout à fait
neutre) qui passe d'un fort degré d'interrogafivité (sans schon) à 'autant de rhétori—
cité' grâce à ce terme‘”. De même, sans intonation particulière, l'exemple suivant té—

” "Schon ist der deutlichste Anzeiger des rhetorischen Charakters, kann aber trotzdem nicht
wegen der Polyfunktionalität als illokutiver Indikator bezeichnet werden.
93 “...sans la particule, l'énoncé serait perçu comme réalisant une véritable demande d'informa
tion; avec, il équivaut à une affirmation péremptoire de l’ignorance de la personne visée par er. La
particule est... seule en cause et sa fonction illocutoire particulièrement nette“.
166 La représentation critique du discaurs de l’autre

moigne aussi des effets de schon comme médiateur de rhétoricité :


- Wer haï schan Lus! dazu ?
Qui veux-tu qui ait envie de ça ? (ibid., p. 31)
La traduction donnée par les auteurs laisse présager que l‘insertion de cette par
ticule dans les questions en Warum 5011—? à tendance clôturante ne doit pas poser de
problème majeur. R. Métrich va plus loin dans l‘explicitafion de cette relation. 1]
distingue deux catégories d‘emplois rhétoriques d‘intenogafives partielles conte—
nant schon avec deux sous—groupes à l'intérieur de chacune d'elles: elles peuvent
servir à "suggérer une réponse négative de type nicht5/ niemand (rien/per—
sonne)” (1993. p. 189) ou bien à "signifier que la réponse à la question précédente
était évidente" (ibid., p. 490). Dans le premier cas, il faut distinguer entre les inter
rogatives contenant sollen. et celles qui comprennent tout autre verbe. Dans le se
cond, on peut avoir soit une "interrogative réduite au pronom + schon" (ibid.), soit
une "interrogative complète avec môgen, kännen ou sollen" (ibid., p. 491). Il s’avère
intéressant de considérer les exemples et tout particulièrement les traductions que
l‘auteur propose :
' première catégorie :
- ach mas ist denn schon dabei ?
mais qu‘est—ce que ça peut [bien] faire ?
— mas ist dabei schan Auflagaæühnlichzs ?
qu‘y a-t—il d‘extraordinaire à cela ? {a} (ibid. 489)
- Bist du sicher, dafl er des :2an gemacht hat ?
Tu es sûr qu'il a fait ça tout seul ?
- Wer gi_l ihm schon gelw.lfen lmben ?
Qui veux-tu qui l‘ait aidé ?
- Und Sic, mas meinen Sic dazu ?
Et vous, qu'en pensez—vous ?
- Ach, mas æfl ich schon dazu meinen ?
[Et] que voulez-vous que j'en pense ? (ibid., p. 490)
' seconde catégorie :
- Wer hat ihm wieder diesen Blädsinn erzr’ihlt ?
Qui lui a de nouveau raconté ces idioties ?
- [Nm] ruer schon ? {Pater mtürlich !]
Qui veux-M/vuulez—vous que ce soit ? [Pierre naturellement !]
- W0 mari t'hr im Urlaub ?
Où étiez-vous en vacances ?
- Ne, me schon ? {An der Rim'em, wie immer, meine qu maing nicht nmndcrs—hin !]
[Et] où veux-tu qu‘on ait été ? [Sur la Riviera. comme d‘habitude, tu sais bien que ma
femme ne veut pas aller ailleurs !]
- W0 steckt der Peler ?
Où est [donc] Pierre ?
— W0 æfl er schon steckm ? [In der V‘firtschflfl nutürlich.}
Où veux-tu qu'il soit ? [Au café, bien sûr.]
Chapitre 3 Wamm soli ? / Wamm sollte... ? 167

— Werlmt n‘as gesagt ?


Qui a dit cela ?
- Nun überleg mal and frag nicht sa dumm : Wer Æg/kflnrt d‘as schou gesagt haben ? [Dock
mir der Peter !}
Réflechis un peu et ne pose pas de questions stupides : qui peut bien avoir dit cela ?
[Il n'y a que Pierre] (ibid., pp. 490—491)
Nous tenons à une présentation si vaste, car elle nous permet d‘émettre quel
ques hypothèses sur les types d'équivalences entre le français et l'allemand. En
effet, la présence de schon permet de traduire tous les exemples contenant sultan en
allemand, ainsi que les interrogations sous forme elliptique, par une " affirmation
clôturante ” en français.“ Par ailleurs, on remarque que ces questions fondées sur
les interrogafives réduites semblent correspondre systématiquement à celles que
nous avions appelées ” clôturantes complexes ”, c‘est—à-dire celles paraphrasables
par 'il n‘y a pas d‘autre...‘. On pourra probablement étendre à ces dernières, dans
leur forme complète (comprenant toujours le morphème sonst en allemand), la
remarque de N. Femandez Bravo concernant leur forme elliptique : "Dans les ques
tions rhétoriques les particules modales ne servent pas d‘indicateur de la
signification rhétorique, mais seulement comme amplificateur de celle—ci. La
plupart du temps elles n‘induisent pas de la rhétoricité de manière autonome. Ceci
est même valable pour auch/schon dans les questions W-V2. Une telle fonction
d'indicateur n'est indiscutable que dans les formules elliptiques comme me auch?
/ wer schon? dans des questions réactives"95 (Fernaudez Bravo, 1995, p. 129). Il nous
semble tout à fait possible d‘établir cette même fonction sans équivoque pour schon
dans les questions partielles contenant 50nst. Par ailleurs, ce que l‘auteur décrit
comme “amplificateur" nous semble correspondre à l'effet persuasif que nous dis—
tinguons aussi du marquage linguistique d'une interprétation rhétorique à cons—
truire.
Il se trouve que Métrich ne cite aucun exemple introduit par wamm qui pour—
tant est tout à fait combinable à schon. Cependant, il semble que son insertion soit
plus fréquente dans les questions que Métfich classerait dans la seconde catégorie,
c‘est—à-dire celles que nous avons appelées pour le français les “clôturantes com
plexes“ paraphrasables par 'il n‘y a pas d’autre raison. ..':

94 En dehors de l‘intérêt que ces exemples peuvent avoir pour démontrer les effets de la particule
sclron dans une interrogative partielle, nous tenons à attirer l’attention sur ce qu'ils confirment sys
tématiquement la tendance non exclusive que nous avons signalée ci—dessus (3.) : les questions in
troduites par d'autres interrogatifs que les causaux contiennent le plus souvent solien au présent
de l‘indicatif et non pas au Konjunkfiv Il contrairement aux clôturantes causales.
95 "In rhetorischen Fragen dienen die Modalpartflœln nicht als Anzeiger der rhetorischen Bedeu
tung, sondem bloB als deren Verstärker. Sie induzieren meistens nicht selbständig Rhetorizität.
Das gilt selbst für auch/schær in W—Verb—Zweit—Fragen. Eine solche Anzeigerfunkfion ist nur in
den eflipfischen Formeln wie wo auch ? [tuer schcm ? in reaktiven Fragen unbestreitbar".
168 La représentation critique du discours de I ‘flutre

— Gluubsi du Maxfährffir längere Zeit meg ?


Tu crois que Max part pour longtemps ?
- Wamm sollte er sonst schon sm:iel Gepäck mitnehmen ?
Pourquoi veux-tu qu'il emporte autant de bagages ?
Il apparaît très souvent dans ce type de question sous forme elliptiqu :
- Wie k0nnte 81" sic]: nur sa benehmen !
Comment a-t—il pu se comporter de cette manière ?
- Warum schon ? [Er war einfi:chfürchtzflieh eifersüchiigJ
Pourquoi veux-tu qu’il se comporte ainsi ? [Il était tout simplement terriblement
jaloux.]
Ce qui nous paraît remarquable conŒmant schon par rapport à ce type de ques—
tions, c‘est que contrairement aux autres particules modales ce morphème ne peut
figurer dans la forme elliptique contenant sollte, malgré sa compatibilité avec cette
forme verbale dans la forme complète de la question:
- Ichfiîrchte er kaufl nicht ein.
Je crains qu'il ne fasse pas les courses.
- Wamm sollte er auch ?/ Wamm auch ?
Pourquoi les ferait—il, aussi ?/Pourquoi, aussi ?
- Wamm hui sie des getan ?
Pourquoi l‘a—belle fait ?
- Warum sollte sic schon ?
???
- Wamm sollfe sic des schon getan haben .7 / Warum schon ? [Ans Ruche natürlich.]
Pourquoi veux—tu qu'elle l‘ait fait ? [Par vengeance, bien sûr.]
Dans ce qui suit, nous chercherons à voir s'il s‘agit d‘une propriété spécifique à
cette particuIe modale ou si cette caractéristique est due à une certaine tendance à
la spécialisation dans le type "complexe" des questions à tendance clôturante, ce
que seule une partie des jugements de nos informateurs confirmeraient°"’.
Avant de nous pencher sur le comportement d'autres particules, il nous reste à
déterminer s‘il y a compatibilité entre la particule modale schon et les questions en
Wamm 5011-? avec reprise textuelle. Considérons tout de suite un exemple 1
- Diese blôde Marfina wird neck ihren Aufsatz tærlmuen !
Et cette idiote de Martine ratera encore sa composition I
- Wamm soli sic bläd sein ?
Pourquoi veux-tu qu'elle soit idiote ? (Milner, 1973, p. 9)
- Diese bldde Murtina mini noch ihren Aufsatz zerhauen !
Et cette idiote de Martine ratera encore sa composition !

95 En ce qui concerne la forme elliptique Warum- schon ?, cependant, cette spécialisation semble
être avérée.
Chapitre 3 Wamm sali... ?/Warum sollte...? 169

- Warum soli sic schon blôd sein ?


2??
Le résultat de cette insertion est difficilement traduisible, tant l‘effet en est cu
rieux : la question devient pratiquement impossible à interpréter. Nous ne voyons
qu'un contexte où elle pourrait devenir interprétabIe, celui où elle figure en ré
plique à la question métalinguistique habituelle :
a- Diese bläde Martina mini mach ihrrn Aufiatz oerhauen !
Et cette idiote de Martine ratera encore sa composition !
b- Warum soli sic blôd sein ?
Pourquoi veux-tu qu‘elle soit idiote ?
a- Wamm 5011 site schcm bläd sein {rœnn nicht, mail sie es mhr_fach bernieœn hui} ?
Pourquoi veux—tu qu’elle soit idiote [si ce n'est parce qu‘elle en a donné toutes les
preuves} ?
En fait, nous avons affaire ici à une variante de la question complexe à tendance
clôturante qui disqualifie la première question en wamm soli—.7 de reprise. La se—
conde est donc bien clôturante - bien que centré sur un sujet métalinguistique - ce
qui explique sa compatibilité avec la particule schon.
Pour ce qui Suit, nous allons donc retenir la particule modale schon comme indi
cateur permettant d'identifier une question en wamm 5011—? à tendance clôturante et
de la distinguer sans équivoque de celle fortement interrogative à reprise littérale.
Ce type de "test" peut être particulièrement utile pour “démasquer“ les questions à
tendance clôturante qui condamnent tout de même une reprise littérale”.
Le dernier”8 couple de particules modales importantes pour notre propos est
constitué par mer et blofl’ que nous allons traiter comme unité en raison de leur sy—
nonymie presque absolue. En effet, Comme le précise R. Métrich, “bloj3 est une
variante de nur très utilisée dans les régions du Sud de l'Allemagne" (1993, p. 413).
Les occurrences où tel n'est pas le cas sont extrêmement rares (cf. ibid.).

3) nur/ 111013
Les auteurs qui citent ces particules mettent toujours une valeur générale en
avant qui semble être commune à l'adverbe connecteur, à la particule de mise en
relief homonymes, ainsi qu'à la particule modale : "... les effets produits par blofl
particule modale semblent toujours dérivables de la valeur d‘exclusivité conçue
comme portant sur la pertinence de l'énoncé“ (Métrich, Faucher & Courdier, 1995,

97 Ce problème se pose pour plusieurs exemples français classés par Milner & Milner (1975) dans
la catégorie des questions de reprise et ce probablement en raison de la présence d'une reprise
textuelle, alors que ce choix nous semble erroné. En effet, la reprise textuelle est une condition
nécessaire parmi d’autres propriétés des questions de reprise, mais à notre avis elle n'est nulle—
ment suffisante, ce que d'ailleurs les auteurs n'affirment pas non plus eux-mêmes.
‘33 Nous ferons ensuite encore un petit détour par wohl, bien que sa compatibilité avec muni m soll-?
semble se réduire à une série de formes bien particulières.
170 La représentation critique du discours de l'autre

p. 63) que l‘on peut donc considérer comme la valeur fondamentale du mot.
L‘énoncé est toujours présenté comme "la seule chose qui importe présentement au
locuteur“ (ibid.). Le renvoi à l‘énonciation en cours est donc très manifeste.
N. Femandez Bravo précise : "Blofi/nur montrent dans la question d‘informa
tion, que le locuteur se limite dans la question posée à un minimum dont la con
naissance est la seule et unique qui lui importe. Cette restriction dans l‘exigence de
savoir est dans l‘interprétation rhétorique suffisante pour favoriser l'interprétation
inversive“99 (1995, p. 134). _
Nous dirons qu‘en se restreignant à son unique question présentée effective—
ment comme peu étendue, le locuteur lui confère une pertinence extrême. Portant
sur un strict minimum, l'insistance sur ce minimum ignoré devient d'autant plus
forte et ce manque d'autant plus grave. Il en découle l‘expression de son désir de
combler ce déficit. Concernant les questions partielles“, la description de R. Mé—
trich va tout à fait dans ce sens. Selon l‘auteur, nur/ blofi marquent “à quel point le
locuteur aimerait connaître la réponse; la question peut paraître n'être qu'une
exclamation exprimant le désir de savoir et n‘est pas nécessairement adressée à un
interlocuteur" (1993, p. 478).
Le locuteur attire ainsi au moyen de blofl/nur l‘attention sur son ignorance pro
fonde et émet un vœux de changement de cette situation. Ce qui fait la particularité
des questions contenant ces particules modales est, selon nos observations, le fait
que l‘insistance sur ce manque cognitif ou épistémique est telle qu‘elle supplante
entièrement la demande de réponse.
Le rapprochement opéré par R. Métrich entre les questions partielles contenant
une de ces deux particules et l‘exclamafion semble tout à fait justifié. L‘exclamation
faisant partie des énonciations "montr " (Ducrot, 1984, p. 151), c'est—à-dire "arra
chée[s] par une émotion ou une perception au locuteur” (ibid., p. 152), nous semble
être justement caractérisée par l'absence de demande de réaction
N. Femandez Bravo aborde cet aspect des questions en mur/bief! en le présen—
tant comme propre d'un certain nombre de sous—catégories : "La traduction de
l'attitude épistémique apparaît aussi dans la question délibérafizœlm.... Les particules
bloji et nur apparaissent ainsi dans la question simplement émise, de caractère ex
pressif, soupir de forme interrogative sans attente de réponse proférée, [oc se con—
tente de soulever une question d‘importance pour lui“ (1993, p. 106).

99 "Blofl/nur zeigen in der lnformaüonsfrage, dafi sich der Sprecher bei der gestellten Frage aui
ein Minimum einschränkt, au.f dessen Kenntnis es dem Fragestefler einzig und allein ankommt.
Diese Restrikfion irn Wissensanspmch genügt bei der rhetofischen Interprétation, um die nega
tive Umdeutung zu favorisieren".
100 310}! / nur ne peut figurer dans une interrogative globale.
101 Comme précise l'auteur : "Question orientée vers une action, sans réponse immédiate marquée
par la configuration : W—soll ich. . . / Soit ichr H ?" (1993, p. 106, note ‘70) (Que dois-je... ?/ Dois—je... ?).
Chapitre 3 Wnrum soli... ?/Wamm sollte...? 171

Pour notre part, nous proposons de considérer la question partielle contenant


uur/ bIojK non pas comme exclamative, mais comme question que le locuteur pose à
lui—même. Ainsi, nous semble—HL on est toujours en droit de parler d’une question,
malgré l'absence d‘une demande de réponse dirigée vers l‘allocataire, en tenant
compte de l'interlocuteur 'mtén‘eur que le locuteur se construit, alors qu'il prend
simplement à témoin l'allocutaire éventuel. N. Femandez Bravo présente une con—
clusion semblable concernant une partie des emplois de nur/blofl qu‘elle décrit :
"...la question induit... un processus de recherche auquel ne participe pas forcé—
ment Alloc, Loc étant ici à lui—même son propre interlocuteur" (1993, p. 106).
Considérons quelques exemples :
- Wer 1mm: des anblofl sein ?
Qui cela peut—il bien être ?
- Wte hut ardus nuq’blofi erfahren ?
Comment a-t—il bien pu l‘apprendre ?
- W0 der nur/blofl sa lange bleibt ?
Qu‘est—ce qu 'il peut bien faire ? (Métrich, 1993, pp. 478—479)
Ce qui paraît confirmer l‘hypothèse que ces questions sont adressées au propre
locuteur est le fait que des conditions précises sont requises pour que l‘on puisse
les emhässer en tant que questions indirectesm2 :
- Ichfmge mich mer das nui/bic}? sein kaun. (je me demande qui ...)
?- Ich fruge dich mer des nul/blflfi sein kann. (je me demande qui ...)
?- l’chfmge ihn wer dus nury’blofl sein kann. (je lui demande qui ...)
- Erfmgt sich wer dus nur/blofl seirt kann. (il se demande qui .. .)
?- Erfi‘flgt sie tuer d‘as nur/blofl sein ktmn. (il lui demande qui ...)
- Erfmgt sic tuer da5 demi sein knnn. (il lui demande qui ...)
- Ichfmgc mich tuer des demi sein kami. (je me demande qui
Contrairement à derm qui ne contraint en rien la partie introductive de la quesv
tien partielle au discours indirect (cf. les deux derniers exemples de la série),
l'insertion de nur/blofs’ semble exiger que le sujet responsable de la question et le
questionné soient identiques. Nous en ferons l'économie ici, mais la même démons—
tration est possible pour les autres exemples cités.
Examinons deux autres exemples qui auraient, à première vue, tendance à
prendre à partie l'interlocuteur en personne :
- Wie kann man nur/blofs‘ [se dumm fragm] ?
Comment peut—on {poser une question aussi stupide] ?
- Was hast du nur/blofl haute ?
Mais qu'as—tu donc aujourd'hui ? (Métrich, 1993, p. 479)

10’- Nous avons déjà fait allusion à l‘utilisation de ce type de "test" par C. Cor-tés et H. Szabo (cf.
1984, pp. 128-134).
172 La représentation critique du discours de l‘autre

De nouveau, l'enchâssement par ich frage mich/er fragt sich semble bien plus
naturel qu‘un rapport de la question comme adressée à une personne différente du
premier locuteur. Considérons une telle transformation à l‘intérieur d‘un échange :
- Was hast du nur/bIofl heute ?
Mais qu'as—tu donc aujourd‘hui ?
- Was hast du gesagt ?
Qu’es-tu dit ?
- lchfmge midi (habe midi gefiagt) rues du nur/blofl heu te hast.
Je me demande /]e me suis demandé(e) ce que tu peux bien avoir aujourd'hui.
Nous pensons pouvoir affirmer que même dans un tel exemple concernant
clairement un interlocuteur présent, la question ne se présente pas comme s'adres
sant à lui. Il s'agit d’un "renforcement institué par blofs’, par quoi le sujet de l‘énoncé
"extéfiofise" sa tension vers la recherche de la vérité" {Femandez Bravo, 1993,
p. 107). La question fait savoir que le locuteur n'entrevoit pas la réponse ce qui peut
facilement donner lieu à un renversement vers un fort degré de rhétoficîté. Le locu
teur peut céder — à l‘opposé de la recherche d'une réponse - a la conclusion que ce
manque est du a l'inexistence d'une réponse correspondant au présupposé de la
question. La question devient alors rhétorique.
J. Schmidt-Radefeldt donne l’exemple suivant d'un emploi clairement rhéto—
rique :
- Wamm hast du 17111 blofl gewamt ?
Mais pourquoi donc l'as-tu prévenu ?
- Du hast mcht. lch hätte nichts sagen sultan.
Tu as raison. le n’aurais du rien dire. (Schmidt-Radefeldt, 1993, p. 71)1œ
Dans ce type de question où l‘interlocuteur est de toute évidence le mieux placé
pour pouvoir répondre, nur/blofi devient un élément médiateur de rhétoflcité. Le
fait de retirer à la question partielle l'interpellation de l’allocutaire pour détourner
la question vers le propre locuteur - qui est de toute évidence moins bien renseigné
pour justifier le comportement de son interlocuteur - en fait une question fictive et
annule toute possibilité de réponse différente de celle correspondant à l'interpréta—
tion rhétorique.
Ainsi, nous proposons de considérer nur/ bion systèmetiquement1m cOMe
marquant au niveau de la signification le fait que la question s'adresse au locuteur

m3 Traduction personnelle.
10" Parmi les exemples que N. Femandez Bravo donne dans lesquels ces particules s'intégreraient
dans une demande de renseignement, se trouve le suivant qui pourrait faire douter de notre ana
lyse: Wo nehmeu Sic blofl der: permanenten Hangar f‘IET ? Cependant, à l‘exemple en question on
peut facilement substituer lch frage midi 100 Sic ce qui semble être la solution la plus naturelle
au discours Ces possibilités de substitution ne constituent en aucun cas des preuves,
mais elles permettent d'envisager la solution proposée.
Chapitre 3 Wurum soli. .. ?/Wflrum sollte...? 173

lui—même (en quelque sorte comme 'indicateurs d‘auto—questionnement). Ceci


n'empêche pas l'interlocuteur de répondre éventuellement en passant outre la ma
nière dont le locuteur présente sa question”?
Par ailleurs, en faisant savoir qu‘il 'se pose la question‘, le locuteur peut amener
son interlocuteur à réagir, sans qu'il présente sa parole comme destinée à provo—
quer une réponse. Ce mécanisme se situe au niveau de la persuasion et non pas
dans la signification de la phrase qui comprend l'une des deux particules. En fait, la
manière dont A. Berrendonner décrit l‘interro'gafion en général, semble convenir
parfaitement à la description des interrogations en nur/blon (cf. chap. 1, section
1.3.3.).
Par conséquent, l'incompatibilité de ces particules modales avec les questions
métalinguistiques ne fait guère de doute.
- Der dumme Uli taucht bestimmt ruieder im ungänstigstzn Moment hier ouf
Cet imbécile de U. va certainement surgir ici à nouveau au pire moment.
- [Mesa nmfl:lofl dumm ?
Mais pourquoi imbécile, seulement ?
- Wamm nur/blofl dumm ?
Pourquoi imbécile, seulement ?
- Wmm soli er mur/blofl dumm sein ?
a) Mais pourquoi dit—on qu'il est imbécile ?/ b) Pourquoi veux-tu qu'il ne soit qu'im—
bécile ?
- Mesa sali er nm/blofl dumm sein ?
Mais pourquoi veux-tu qu'il soit seulement imbécile (il est foncièrement débile) ?
En effet, sous forme elliptique la seule interprétation possible est celle qui ne
considère plus nur/blofl comme particule modale, mais comme "particule sca
laire"106 (Métrich, 1993, p. 475) que l'on peut traduire le plus souvent par l'adverbe
français seulement. Pour la seconde variante, plus explicite, en wamm, l'interpréta
tion oscille entre deux possibilités que nous avons tenté de gloser par les traduc—
tions en français : ou bien l‘interprétant considère nur/blon comme particule mo—
dale, ce qui a pour effet d‘enlever à la réplique du second locuteur son caractère de
question métalinguisfique (traduction a), dans la mesure où son caractère interro—
gatif n‘est pas dirigé vers l'interlocuteur responsable de la première énonciationm7;

“5 C‘est ainsi que nous envisageons l‘exemple cité par N. Femandez Bravo à la page 105.
106 Pour une définition de ce type de particules, cf. Métrich, Faucher & Courdier (1993, pp. 15-20).
Ces auteurs les décrivent sous l'appellation particules de mise en relief. Ces mots se distinguent
nettement des particules modales dans la mesure où ils ne portent pas "sur l‘ensemble de la
phrase où ils figurent, mais seulement sur l'un de ses membres..." (p. 16).
Il“'On remarque la proximité en allemand de la question de reprise : Pourquoi veux-tu que...
[Pourquoi dis-tu...? du Pourquoi dit—on...?. En effet, ce n‘est que discursivement que l‘interlo—
cuteur est marqué dans ce type de question en allemand. C'est cette directivité discursive que
bloque eut/l:qu.
174 La représentation critique du discours de l'autre

ou bien il cherche à maintenir par tous les moyens l'interprétation habituelle pour
Warum soli suivi d‘une reprise textuelle (traduction b). Dans ce cas, il ne peut consi
dérer nur/blofl comme particule modale“. La question explicite en wieso, en re—
vanche, n‘est absolument pas ambiguë : cet interrogatif semble enlever toute possi
bilité d‘interprétation de la particule comme modale.
Ainsi, on constate que d‘une part, l‘interprétation de nur/blofl comme particule
modale n‘est pas compatible avec son insertion dans une question métalinguis—
tique. D‘autre part, la particule modale semble ne pas pouvoir figurer en dépen
dance de wieso. Cette dernière observation apparaît comme cohérente avec les des—
criptions que nous avons présentées de l'interrogatif et de ces deux particules. En
effet, wieso exige la présence d'un interlocuteur - qui peut certes être fictif, mais qui
doit être distinct du loéuteur —, alors que nar/blofl marque ce que nous avons appe
lé l'auto-questionnement. Il n'y a rien d'étonnant alors à ce que leurs propriétés si
opposées entraînent une incompatibilité complète.
Leurs possibilités d‘insertion dans des questions en Wamm 5011—? à tendance
clôturante méritent en revanche un examen plus approfondi.
Considérons tout de suite quelques exemples :
- Wäre es nicht mäglr'ch, du}? Fraa B. sich... mir an‘chtig machen will ? Sic ist keine sehr stabile
Pemänltchlæit. Sie mrstelæn ?
Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer? Elle n'a
pas un caractère très stable. Vous voyez ?
w Warum sollle sie mir nur/blofi so ein Lügenmr‘irchen erzählen, das ist dock Unsinn.
Pour quelle raison pourrait—elle bien me raconter des histoires ? C‘est insensé !
- lch befi'irchte, du}? er sein Abr‘tur nicht schafi‘t.
Je crains qu‘il ne réussisse pas son bac.
- Wamm sollte cr nur/blofi durchfallen ? Fleÿiig wie cr ist schajj‘i ares.
Pour quelle raison pourrait il bien rater son examen ? En s‘appliquant comme il le
fait, il réussira.
Dans les deux exemples, l'adjonction de nur/bloj3 apparaît comme peu natu
relle. D'une part, l'interprétant ne peut arriver aux interprétations glosées par les
traductions qu‘au moyen d‘un certain effort cognitif, c‘est—à-dire après avoir écarté
en faveur du contexte l'interprétation de nur/ blofl comme particule scalaire, d‘autre
part, l‘effet d'insistance sur une question que le locuteur se poserait lui—même est
peu compatible avec l‘idée d‘une réponse allant de soi que véhicule la question en
maer 5011-? à tendance clôturante.
En ce qui concerne les questions partielles clôturantes mais non causales, elles
semblent être plus facilement compatibles avec ces particules modales :

103 Si l‘intention du second locuteur correspondait à cette dernière interprétation, dumm devrait en
fait être accentué. Par ailleurs, il faudrait s‘imaginer un contexte quelque peu complexe ou alors
interpréter ce nur/blofl (seulement) comme ironique. ‘
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wm'um sollte...? 175

- Sie müssen unbedingtflielæn .’


Vous devez vous enfuir à tout prix !
- W0 soli ich (dem) nur/bloj! hin ?
Où voulez—vous que j‘aille ?
- Er brancht dringend Hilfie.
il a besoin d‘aide, d‘urgence!
- Wie sollen wir nuflblofi dort hinkommen ?
Commmt veux-tu qu'on y arrive ?
Dans ce type de question partielle en W—sull ?, l‘effet de nur /blon est difficile—
ment traduisible. il s‘agit d'un renforcement d‘une orientation clairement présente
en absence de ces particules. Ce renforcement semble pouvoir s’opérer à travers
une présentation de la conclusion 'i'l n'y a pas de lieu, moyeu, etc.‘ comme résultat
d'une question que le locuteur s'est posé déjà avec insistance. En revanche, ces
particules semblent être incompatibles avec la sous—catégorie complexe para
phrasable par 'il n'y a pas d'autre...’, ce qui paraît cohérent avec nos descriptions
dans la mesure où de telles questions complexes servent à disqualifier la question
qui précède, tandis que nur/blofl marquent une interrogafivité réelle.
Nous retiendrons donc ces deux termes comme tout particulièrement compa
tibles avec cette classe de questions proches et différentes à la fois des questions en
Warum soll—?. Cette divergence semble indiquer qu'il faut s'interroger de manière
plus approfondie sur cette catégorie, traitée généralement en parallèle avec les
questions à interrogatif causal.
Avant d‘entreprendre une telle réflexion, nous allons traiter d'une dernière par
ticule qui pourrait avoir quelque intérêt pour notre étude.

11) wohl
Cette particule modale semble pouvoir être décrite d‘une façon très générale
comme marqueur de la conjecture, s‘opposant ainsi par exemple à dock qui, au con—
traire, signale une certitude présentée comme partagée :
- VVir merder: ilm wohl haute
Nous allons probablement le rencontrer aujourd‘hui.
- Wir merdzn ihn dock haute irefiiæn.
Mais puisque nous allons le rencontrer aujourd‘hui.
Ce qui nous paraît intéressant pour notre propos, est le fait que cette marque de
supposition et donc de subjectivité concerne dans la déclarafive le locuteur qui
relativise sa prise en charge du point de vue véhiculé par son énoncé, alors que
dans une phrase interrogative, c'est la réponse qui est visée par cet indicateur. Au
moyen de ses énoncés, i‘allocutaire est invité à donner son avis, une réponse sub
jective.
176 La représentation critique du discours de l'autre

Dans la question, wohl porte donc sur un discours futur et virtuel, c'est-à-dire
sur l‘attitude de celui qui sera en charge de l'énonciation à venir.109
Cette propriété générale se manifeste aussi bien dans des questions partielles
que globales. En raison de cette propriété, on peut exclure ce terme d'emblée du
groupe des particules modales compatibles avec les questions en Wrier sollg? avec
reprise littérale. En effet, on ne peut demander 'son avis' sur l‘adéquation d'un
lexème à un allocutaire qui vient de I'employer et donc de l'assumer implicite»
ment :
- Der dumme Uii...
C'est imbécile de U....
- Warum soit et wohl dumm sein ?
Pourquoi veux-tu qu'il soit un imbécile [à ton avis] ?)
Cette réplique n‘est pas concevable en tant que telle. En revanche, le même
énoncé adressé, en tant que commentaire sur l‘énoncé du premier locuteur, à une
tierce personne ne pose aucun problème :
- Wamm sol! er woh1 dumm sein ?
Pourquoi peut—il bien être imbécile, à ton avis?
Cependant, il ne s'agit plus, dans ce cas, d'une question métalinguisñque.
Quant aux questions à tendance clôturante, les raisons de l'incompatibilité se si
tuent à un tout autre niveau. Par ailleurs, cette incompatibilité ne concerne que ce
type de questions sous forme explicite. A priori, on ne voit pas comment un tel
marquage de la subjectivité autorisée et même requise pourrait être concilié avec le
fonctionnement de sollte qui impose justement un cadre présenté comme exempt de
subjectivité. Ainsi les exemples suivants nous semblent peu naturels :
- Wäre es nicht mäglich, dafl Frau B. sich... nur michtig machen mil! ? Sie ist keine sehr stabile
Persänlichkeæ‘t. Sie tærstelæn ?
Ne serait—il pas possible que Mme B. veuille seulement se faire remarquer ? Elle n'a
pas un caractère très stable. Vous voyez ?
- Wamm sollte sie mir wohl soein Lügenmärchen erzählen, das ist dock Unsinn.
Pourquoi voulez—vous qu‘elle me raconte des histoires - à votre avis ? C'est insensé !
/ Pour quelle raison, à votre avis, elle me raconterait des histoires ? C'est insensé !
- Ich befürdate, daj3 er sein Abitur nicht sehafi‘t.
Je crains qu'il ne réussisse pas son bac.
- Warum sollte er wohl durchfallen ? Fleÿ8ig mie er ist sclwfit er es.
Pour quelle raison, à ton avis, raterait—il son examen ? En s'appliquant comme il le
fait, il réussira.

10" On peut constater un phénomène semblable pour le français: I'adverbe d'énonciation flanche—
ment introduit des instructions concernant une qualification de l'énonciation éventuelle, lorsqu'il
s'insère dans une déclarative, tandis que dans l'interrogative, il perte sur la réponse à venir en ré
plique à ses énoncés (cf. Franchement, j'y suis pour n‘en r'vs. Franchement, c'est t‘ai qui refait ça ?).
Chapitre3 Wamm soll...?/anm sollie...? 177

En effet, la combinai50n de la structure clairement marquée comme clôturante à


la particule indiquant une interrogativité subjective paraît pour le moins curieuse,
voire impossible.
La configuration combinant wohl et sollte n‘est concevable que dans un contexte
relativement tendu d'un point de vue interpersonnel. Dans ce cas, wamm est à
interpréter comme proche de 101‘250 dont la substitution à warum rend l'exemple
plus propice à une énonciation. Or, si la parficule se combine à l‘interrogatif exclu
de toute question à dominante rhétorique, elle constituera un élément renforçateur
de cette interrogativité. De par la coexistence d‘un élément médiateur de rhétoricité
(sollte) et deux autres porteurs d'interrogativité (wizsu et 100111), l'orientation de la
question devient ambiguë, notamment en absence de la suite explicitafive. Il s‘agit
de ce que nous avens décrit ci-dessus (cf. 3.; voir aussi 4.2.) comme question de
défi, une question constituant presque une provocation envers l'interlocuteur :
- Glauben Sie die qu ist in die Sache verwidælt ?
Croyez—vous que cette femme est mêlée à l'affaire ?
.— W‘ieso sallte 5ie mir wohl sonst sa ein Lügenmärdæn erzählen ?
Pourquoi, à votre avis, me raconterait-elle des histoires ?
Un type d‘emplois particuliers a retenu notre attention et ne peut être omis,
compte tenu de la problématique qui nous occupe. Il confirme ce que nous venons
de constater.
Il s'agit de l'usage rhétorique d‘une interrogative elliptique qui ne peut servir à
un questionnement tout à fait neutre :
- Wer mag es ihm (wohl) gesagt haben ?
Qui a bien pu lui le dire ?
- Tja, ruer wohI ? Dock nur der Pater !
Eh, qui donc ? Ça ne peut être que Pierre! (Mètrich, 1993, p. 502)
- Weber ruisseau Sie d’as ?
D'où le savez—vous '?
- Woher wohl ? Van dem Photo.
Mais d'où. d'après vous 1’110 D‘après la photom. {Femandez Bravo, 1993, p. 206)
— Wamm hat erangemfen ?
Pourquoi a—t—il appelé ? .
- Warum wohl ? {Natürlich um zu fmgen, ob Vem angekommen ist.]
Pourquoi, à ton avis ? [Évidemment pour demander si V. était arrivée]
Ce type de question peut être réalisé au moyen de quelque interrogatif que ce
soit. On remarque la proximité avec les affirmations clôturantes “complexes“ qui
constituent une traduction possible. R. Métrich signale qu‘il s'agit d‘un emploi

“0 C‘est nous qui traduisons. L‘auteur propose une traduction partielle : "d‘où, tu imagines?“
1" Dans ce contexte, le mot photo serait probablement fortement accentué (intonation ascendante),
ce que l'on pourrait traduire en français par D’après la photo, évidemment !.
178 La représentation critique du disconrs de l'au tre

similaire à celui de schon, mais que la réplique est ressentie comme "moins agres—
sive" (ibid.). C‘est sans doute pourquoi il a préféré éviter ici la traduction par Qui
veux-tu que... ?.
A notre avis, il existe effectivement une différence de tonalité entre une ques—
tion elliptique contenant 100111, et celle marquée au moyen de schon. Cette dernière
particule indique clairement, nous l‘avons signalé, le caractère clôturant ou affirma
tif de l'énoncé où elle figure. Wohl, au contraire, en raison de sa qualité de marque
de subjectivité (tournée vers l'interlocuteur en contexte interrogatif}, invite l‘interlo—
cuteur à chercher lui—même, à supposer une réponse, alors que simultanément, le
locuteur disqualifie cette même question comme visant une réponse qui va de soi.
Ainsi, la configuration de la question partielle elliptique contenant la particule mo—
dale wohl constitue de toute évidence un moyen spécifique pour construire une
image disqualifiante de l‘interlocuteur et de son discoursm.
Elle ne peut cependant figurer qu‘en réplique à une question partielle qu'elle
reprend telle quelle. Comme nous l‘avons constaté pour la particule schon, wohl ne
s‘insère que dans la question elliptique correspondant à une "clôturante complexe".
Suite au constat de proximité avec schon, on pourrait espérer pouvoir répondre
à la question restée en suspens à propos de l‘incompatibilité de schon avec la forme
elliptique contenant sollte grâce à l'observation des occurrences de wohl. En effet,
wohl tout comme schon, ne peut figurer dans la question sous cette forme.
Cependant, nous ne pouvons en déduire quelque règle générale que ce soit dans la
mesure où wohl est de toute façon, nous l'avons vu, incompatible avec sultan au
Konjunktiv Il en dehors de l'emploi particulier décrit ci-dessus, emploi ne pouvant
correspondre à la question sous forme elliptique.
Nous pensons néanmoins qu‘il s‘agit d‘une caractéristique générale indépen—
dante de ces particules qui pourtant en sont révélatrices : en fait, la forme elliptique
contenant sollte semble être spécialisée dans l'expression correspondant à une “af—
firmation clôturante simple" tandis qu‘aussi bien 10011! que schon sont plus facile
ment compatibles avec Ia variante complexe, ce qui ressort d'autant plus nettement
en contexte elliptique. Il en résulte la bizarrerie accrue de la réplique suivante en
présence de l'une des deux particules, sachant qu'en leur absence, elle apparaît déjà
comme peu naturelle en raison de sonst qui empêche l'interprétation comme “clôtu
rante simple“ :
- Hat er das aus Rachsucht getan ?
L‘a-t-i] fait par soif de vengence ?
- Warum suffit et sonst ?
Pourquoi sinon ?

m Pour être tout à fait précise, nous devrions utiliser la formulation quelque peu lourde pour
construire une image disqualÿ‘iante de l'interlocuteur à travers la construction de celle de son discours.
Chapitre 3 Womm soli. .. ?/ Womm sollte...? 179

- Hat er des arts Rachsucht getan ?


L'a-t—il fait par soif de vengence ?
- Wamm sollte er schon /wohl sonst ?
Pourquoi sinon a ?“3
Les formes elliptiques habituelles seraient les suivantes :
- Wumm demt soust ?"4'
Pourquoi donc, sinon ?
- Warum schon /wohl ?
Pourquoi veux—tu qu'il l'ait fait [sinon...] ?
Pour ce qui suit, nous retiendrons donc que wohl, de même que schon, apparaît
tout particulièrement dans le contexte de la question elliptique correspondant à la
"clôturante complexe“ et qui ne contient par conséquent pas le verbe sollen.
Avant de récapituler globalement les propriétés les plus marquantes des parti—
cules modales que nous venons de passer en revue, nous allons revenir sur quel—
ques types de questions proches de celles que nous venons de voir, contenant wæso
et sollte, qui ne s’intègrent pas clairement à l'une ou l'autre des deux catégories éta—
blies jusqu’ici.

4.2. Quelques configurations particulières

Dans ce qui précède, nous avons cherché à déterminer avant tout les compati—
bilités entre les particules modales citées et les deux types d’interrogatives causales
pouvant correspondre, d'après nos premières observations, aux ” questions de re
prise ” et aux ” affirmations ciôturantes " du français.
Ce faisant, nous avons considéré wamm comme interrogatif standard neutre
pouvant être remplacé par wieso dans les questions en sultan à l'indicatif sans que
cela entraîne des changements fondamentaux, les différences se situant au niveau
de l'intensité de l'interpellation de l‘interlocuteur. Cette manière de procéder nous a
permis de saisir les tendances générales concernant les particules modales par
rapport à ce type de questions. Elle a cepenth pour effet d‘exclure systématique—
ment de nos considérations les structures plus complexes et par conséquent plus
rares.
Ainsi, nous avons signalé par exemple que la combinaison de wieso et du verbe
50112:: au Konjunktiv Il est possible, mais chargée du point de vue interpersonnel.
Dans ce qui suit, nous tenterons d‘étudier rapidement quelques effets particuliers
dus à des combinaisons plus exceptionnelles. En effet, les phénomènes plus margi

113 Nous ne voyons pas de h'aducfi0n apte à remplir cette 'case vide‘.
114 Nous reviendrons ci—dessous (cf. 5.) sur la présence de la particule modale derm dans ce type
de structure.
180 La représentation critique du discours de l'autre

maux peuvent éclairer différemment les propriétés fondamentales des morphèmes.


Pour ce qui est de wieso sollte que nous avons décrit comme exprimant un défi
lancé à l'interlocuteur (cf. ci—dessus : 3.), les particules orientant dans le sens d'une
interrogativité accrue renforcent les propriétés de l'interrogatif insistant sur la de
mande d'une réponse par ailleurs disqualifiée d'avance :
- Wieso sollte er schüchtem sein ?
Mais pourquoi serait—il timide ?
- Wieso sollte er denn schüchtem sein ?
Mais pourquoi donc serait—il timide ?
- Wieso sollte er eigenflich schù‘chfem sein ?
Mais pourquoi serait—il timide, au fait ?
L'effet de sens que nous avons décrit connue défi ressort encore renforcé de
cette adjonction.
Nous avons constaté un phénomène semblable concernant rock! dans ce type de
configuration:
— Glauben Sie die Frau li’igt, meii sie in die Sache venoiclælt ist?
Croyez—vous que cette femme ment parce qu‘elle est mêlée à l'affaire ?
- Wieso sollte sie wohl sonst lügen ?[menn sie nichts damit zu l‘un hätte.]
Pourquoi, à votre avis, mentirait—elle ?[si elle n‘avait rien à voir dans l'histoire]
La question met ici l'interlocuteur en demeure d'imaginer une réponse que par
ailleurs le locuteur indique exclure clairement. Plus qu'un éventuel renforcement
des effets de sens mis en place, la particule wohl a pour fonction d'introduire l'idée
que ce n'est que par un effort d'imagination subjective que l'interlocuteur pourrait
trouver la réponse qui est pourtant présentée comme évidente. C'est ce décalage
qui crée un effet de dérision aux détriment de l'interlocuteur qui est tout particu
lièrement désigné comme cible à travers l'interpellation due à l'introduction de la
question par wieso.
Pour ce qui est des particules médiatrices de rhétoficité, la combinaison appa
raît comme moins naturelle. Apparemment, pour pouvoir interpréter les questions
suivantes, le questionné - ainsi que tout auditeur - est amené à comprendre wieso
comme une variante de wamm ou plus précisément de warum denn. Dans ce cas,
nous avons affaire aux effets de sens que nous avons décrits à propos de la pré
sence de cette dernière particule modale dans un énoncé globalement rhétorique :
bien que orientant au niveau de la signification vers l'interrogativité des énoncés le
contenant, dans l'énoncé globalement rhétorique, sa présence aura des effets per
suasifs renforçant les conclusions issues de la rhétoficité due aux autres éléments
de la phrase : '
- Glauben Sie die Frnu ist in die Sache verndclælt ?
Croyez-vous que cette femme est mêlée à l'affaire ?
Chapitre 3 Warum soli... ? / Warum sollte.. . ? 181

— Wieso sollte site mir schon sa ein Lügenmärchen erzählen ? [rænn sie nichts damit zu tun
hätte.l
Pourquoi me raconterait—elle des histoires ?[si elle n‘avait rien à voir dans l'histoire]
- Glaubst du er schafii‘ die Prfifimg ?
Crois—tu qu'il réussira son examen ?
- Wieso sollte er auch durchfallen ?
Pour quelle autre raison raterait—il son examen ?
Les particules nur/blofl, en revanche, ne figurent jamais dans ce type de confi
guration en raison de leur incompatibilité profonde avec wieso (cf. 4.1 g)).
Par ailleurs, nos informateurs refusent aussi la combinaison de 101‘250 avec schon,
wohl et auch en construction elliptique wieso + particule, alors que ce type de cons
truction est fréquente avec denn :
. Wieso dam: ?
Mais pourquoi donc ?
- Wieso wohl ?
???
- Wieso blofl/nur ?
???
- Wieso schou ?
7??
Ce fait renforce notre conviction que dans la construction elliptique, les proprié—
tés spécifiques de chaque particule modale se cristallisent d‘avantage.

Avant d‘aller plus en avant dans notre analyse, nous allons tenter de récapituler
les propriétés principales de ces particules modales en ce qui concerne les types
d'interrogatives donnant lieu aux questions partielles particulières qui font l'objet
de notre étude.

4.3. Bilan - les qualités distinctives des particules modales étudiées

Après avoir passé en revue les particules modales susceptibles d'intervenir


dans des interrogatives partielles, nous tenterons de récapituler quelles sont les
propriétés qui peuvent nous fournir des renseignements sur les interrogafives en
Wamm solI-?.
De prime abord, on voit se détacher les deux grandes catégories que l‘on trouve
chez plusieurs auteurs différenciant particules modales susceptibles de figurer
dans une question à intense demande de réponse et particules s’insérant plus facile
ment dans un environnement moins interrogatif. Ainsi, notre analyse confirme
grosso modo la répartition habituelle qui place derm et eigentlich d‘un côté, et auch et
schon de l'autre. Vu notre perspective visant une catégorie de questions plus res—
treinte, nous sommes obligée de nous interroger sur la manière de classer nur/blofl
et wohl, sachant que la première est située communément du côté de l'interrogati
vité et se trouve, en ce qui concerne les questions en Warum soH- ?, dans un sous—
182 la représentation critique du discours de l'autre

groupe de celles à orientation clairement rhétorique, alors que la seconde n'est


compatible qu’avec un type de questions, les questions clôturantes complexes sous
forme elliptique interrogahf+ particule.
Par ailleurs, nous avons constaté que des incompatibilités nettes (p. ex. sclwn
par rapport à la question métalinguisfique) sont plutôt rares. Plutôt que de mar
quer une quelconque situation ’figée' sur l’axe conceptuel allant de l'interrogafivité
à la rhétoricité, ces particules ont souvent la capacité de déplacer les questions où
elles figurent dans un sens ou dans l'autre sur ce même axe. Elles ne fonctionnent
donc que très rarement comme indicateur. Le plus souvent, ces morphèmes rem
plissent un rôle de médiateur, comme le souligne N. Femandez Bravo.
Par conséquent, il faut compléter la question de leur compatibilité avec certains
types d‘énoncés par celle de savoir si - lorsque ces particules s‘insèrent dans une
question - elles modifient de manière significative (du point de vue de l'interrogati
vité / rhétoricité) l‘orientation de cette question. S‘il y a déplacement vers le pôle
opposé de notre axe, on ne peut plus parler d'une compatibilité véritable (p. ex.
l'effet de renversement de l‘orientation par denn eigflntlich dans une question à ten—
dance clôturante en absence de suite explicitañve}.
En plus, il faut, nous l'avons vu à propos de plusieurs particules, séparer claire—
ment l'axe entre interrogativité et rhétoricité lié aux instructions inscrites au niveau
de la signification de la phrase, d‘un autre plan où interviennent les éventuels effets
de sens concernant la persuasion, qui peuvent sembler contradictoires par rapport
au niveau purement linguistique.
Une autre dimension complexe s‘y greffe dans la me5ure où un certain nombre
d'incompatibilités semblent ressortir par rapport à quelques variantes elliptiques
qui favorisent apparemment la cristallisation de propriétés bien précises. En effet,
nous avons constaté, par exemple, que auch, schon et rock! possèdent des propriétés
distinctives dans les questions elliptiques ne contenant que [interrogatif et que ces
morphèmes sont complémentaires dans ces configurations, alors que par rapport à
leur fonction dans la question explicite les jugements de nos informateurs di
vergent fortement. Par conséquent, certaines caractéristiques n'apparaissent que
dans quelques—unes des formes appartenant à une même catégorie.
Ainsi, les données ayant trait à ces particules ont tendance à être 'écrasantes' en
raison de leur grand nombre et de leur grande diversité. C'est pourquoi nous ten
terons de les résumer de manière assez schématique et même simplifiée, afin d'évi
ter la multiplication des sous—catégories et d'en faciliter le maniement.
Ci—dessous, nous résumons sous forme de tableau les propriétés principales (à
un niveau linguistique) relevées pour nos particules modales de prédilection :

[Il faut lire pour "°" 'insertion'. Elle peut être possible "+" (il y a compatibilité)
ou impossible "-" (il y a incompatibilité). Dans les cas de compatibilité appa
rente (insertion possible, °+) on peut se demander si cette insertion donne lieu à
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/Wamm sollte... ? 183

un changement de nature (inversement de la tendance globale sans particule).


Ainsi, il faut comprendre 'modification' pour “*", c‘est—à-dire un changement de
nature "+" ou non "-" : "°+" signale donc une modification avérée, "'—" indique
que l‘insertion n'entraîne pas de modification fondamentale.
Le tableau ne rend pas compte de simples changements de degré de rhétoricité
ou d'interrogativité dus à l'ajout d'une particule. En conséquence, le renforce
ment de l'interrogativité de la question de reprise par denn, par exemple, appa
raîtra comme maintien de sa nature, c'est—ædire une “non—modification” (’-). Par
conséquent, l’insertion d‘une particule pleinement compatible produit la signali—
sation "°+'-", alors que celle d'un morphème qui bouleverse la configuration
donne lieu à la suite "°+‘+".
Ce tableau permet avant tout de saisir les grandes tendances. C'est notamment
le cas concernant wiesa: on constate les différences de compatibilité entre la
forme elliptique et la question complète]
iretour
nter ogatif discours
interloc.
décrochement décrochement autoquestion e
co rdination de) subjectivité
(demande
générale(s) prospectif prospectif négative rhétoricité (pertinence restreinte)
propriété() ment
retour
+

wieso
100,
wer, salit—2’
etc. (soli
wie, ?
clôt)
0+ o+
a- 0+ 0+
9+ 0+
9+ 0+ 0+ 4_
0+ o_/b+
o_ 0+

(clôt.discurs.)
°+
0+ o-04» ' 0+
a-

? (ellipt.
warum salit—.7
?/ wieso (clôt.
)
°+ °+ 0 0

ellipt.)
0+]
o?+ °+
0+ °+/
o_ 0...]
o_ o+ °0.
0+] °+/
o_ 0+/
n_ 13+,
o_

warum
sollt-? (clôt)
°+ 0+ °+ 0+ °+ 0+/0++ °+ 0. °+ O 0+ O?+
0+
/
o_
+

(métaling. ellipt.
ou
wieso
+ text.? compl.)
°+ ‘ °+ . °+ 0.
O_/+
9+

(métaling.
wamm ?
+text. ellipt.)
°+ 0.. °+ 0 °+ .
o_/+ -+

soit
wamm (métalingJ
?
t+ext.

particule°insertion ’modificat. eigenflich ei— tlich


denn gen nur/blofi wohl
denn schon
and:
Chapitre 3 Wamm soli. .. ? / Warum sollte... ? 185

On remarque donc que les deux grandes catégories de particules modales se


comportent de manière peu surprenante par rapport aux deux types principaux de
questions :
° denn et eigentlich s‘insèrent tout naturellement dans les questions à reprise
textuelle, ce qui tend à confirmer le caractère fortement interrogatif de ces der«
nières. En revanche, ces particules introduisent une pointe d‘interrogativité
dans les questions à tendance clôturante sans pour autant parvenir à renverser
cette tendance globale. Ce n'est que de manière combinée que ces deux parti—
cules parviennent, dans certains contextes, à infléchir une éventuelle rhétofl
cité, lorsque celle—ci n‘est pas renforcée par un enchaînement la validant d'em—
blée.
' à l‘opposé, and: et schon s'intègrent aisément dans la question à tendance
clôturante dont ces morphèmes semblent souligner la propriété principale, a
savoir, l'absence d'interrogativité. Cependant, schon apparaît comme incom—
patible avec la question clôturante sous forme elliptique {comprenant sollte).
En fait, cette particule est tout particulièrement compatible avec les questions
clôturantes complexes qui ne figurent pas sous cette forme elliptique.
- la forme elliptique sans verbe (wamm + particule ?) est marquée par une]:
comme clôt-mante simple, par schon et wohl comme clôturante complexe.
Dam: et eigentlich lui confèrent un caractère de question hautement interroga
tive, alors que nur/blofl signalent pour l‘ellipse aussi une rhétoricité due à ce
que nous avons appelé 'l'auto-questionnement'.
- nmflvlof! et wohl n‘entrent que dans des formes et des contextes assez spéci
fiques. Il est cependant intéressant de constater que nous avons affaire, d'un
côté, à une paire de particules modales qui indique que le locuteur adresse sa
question avant tout à lui—même, et de l'autre à wohi, particule qui, au con—
traire, est en contexte interrogatif justement centrée sur la subjectivité de l‘in—
terlocuteur.
' en dehors de uur/blofl, toutes les particules sont compatibles avec la question
clôturante en wieso qui constitue systématiquement une configuration mar—
quée que nous avons décrite comme question de défi. En revanche, la forme
elliptique sans verbe ne semble tolérer que les particules dont fa tendance fon—
damentale coïncide avec celle de cet interrogatif.
- comme, d'une part, les questions non—causales contiennent fréquemment denn
sans que cette particule contrarie leur tendance globalement clôturante, et
comme, d'autre part, elles peuvent comporter nur/biofi lorsque le contexte ne
bloque pas la possibilité de l'auto—questionnement, leur nature fondamentale
ne change qu'en présence de eigenttich (denn eigentlich) qui les transforme en
questions neutres.
Cette dernière propriété constatée concernant aussi les questions clôturantes
causales complexes nous oblige à nous interroger plus en détail sur le statut à
186 La représentation critique du discours de l ‘autrc

accorder à ce type de questions qui se comportent de manière particulière, aussi


bien par rapport aux particules modales compatibles que par rapport à la forme
verbale qu’elles requièrent.
5. Deux catégories de questions intermédiaires ?

Après avoir passé nos deux catégories principales de questions en warum au


crible des particules modales, nous pouvons affirmer que la distinction séparant
l'interrogative à caractère métalinguistique et l'interrogafive plutôt réfutative appav
raît comme pertinente aussi pour l'allemand, ce qui tendrait à confirmer qu'il existe
des manières de s‘en prendre à l'autre indépendamment des moyens concrets
qu'une langue spécifique tient à la disposition de ses locuteurs.
Cependant, nous avons constaté à plusieurs reprises que deux catégories appa
rentées aux " affirmations clôturantes ” du français semblent requérir un traitement
à part en allemand. il s'agit, d'une part, des questions qui contiennent souvent le
terme sonst - qui correspondent à celles du français que nous avons considérées
comme “ clôturantes complexes ” -; d'autre part, des questions introduites par un
interrogatif autre que causal - des questions qui correspondent en français à celles
que J. et J.C. Milner décrivent aussi comme clôturantes.
Si nous sommes amenée à les différencier plus radicalement de celles que nous
avons appelées clôturantes (causales) "simples“. c‘est que la confrontation avec les
particules modales décrites ci—dessus a révélé des divergences inattendues :
' contrairement aux “clôturantes simples", les questions "complexes" con—
tiennent la plupart du temps la parfiCule dem: et ce, aussi bien dans la variante
complète que sous forme elliptique en réplique à une interrogative totale (wa—
rum dem: sonst P).
' lorsqu‘elles figurent en réplique à une interrogative partielle, elles peuvent
être remplacées par warum schon ? ou wamm wohl ?. On ne peut leur substi—
tuer la forme elliptique comprenant le verbe seller: ni celle comprenant la par—
ticule modale auch.
0 quant aux questions non causales, outre le fait que le verbe sultan y figure le
plus souvent au présent de l’indicatif (contrairement aux clôturantes en ma
mm), l‘étude des particules modales nous a permis de constater qu‘elles sont
les seules à pouvoir contenir les particules mur et blofl. Cependant, ces deux
faits sont probablement intimement liés. En effet, nous avons remarqué ci
dessus (cf. 4.1. g)) que la modalité véhiculée par so[len au Konjunktiv II dans
ce type de questions est incompatible avec l‘indication d‘auto—questionnement
dont nur et file}? sont porteurs. 01', comprenant seller: au présent de l'indicatif,
ces questions peuvent être modifiées par ces particules lorsque le contexte le
permet.
188 La représentation critique du discours de l‘autre

Fondamentalement, la négativité due à la rhétoricité semble porter dans ces


deux types de questions sur un constituant précis, contrairement aux questions
causales simples à tendance clôturante qui tendent à récuser globalement le point
de vue sous-jacent et ce par le biais du constat de l’inexistence d'une cause rendant
l'ensemble plausible.
Ainsi, dans l'exemple suivant, le locuteur ne refuse pas l'idée que X devrait
quitter les lieux, mais uniquement la possibilité d'exécution du conseil en raison du
manque d'un endroit adéquat disponible :
- Er lnnn nichthierb1‘eiben.
Il ne peut pas rester ici.
- Wo sali er denn hin ?
Où veux—tu qu'il aille ?
De même, la question causale complexe est centrée sur la validité d'une cause à
l'origine de faits par ailleurs entièrement présupposés :
- Meinst du er hui des nus parer Bosheit zem'ssen?
Crois-tu qu'il l‘a déchiré par pure méchanceté ?
- Warum soli 8? es denn sonst getan haben ?
Pourquoi veux-tu qu'il l'ait fait (sinon / si ce n'est.. .) ?
- Meinst du er lui des ans parer Bosheit zerrissen ?
Crois—tu qu'il l'a déchiré par pure méchanceté ?
- Warum sollte er es sonst getnn hnben .7
Pourquoi l'aurait—il fait (sinon / si ce n‘est...) ?
On remarque la différence entre les deux possibilités pour la question causale.
En effet, la variante avec sollen à l'indicatif renforcé par denn interpelle bien plus
directement l'interlocuteur qui - sommé de répondre - est acculé à reconnaître que
sa question initiale n'était pas pertinente. La seconde, tout en l'amenant à conclure
à l'absence d'une autre raison, le fait d'une manière bien plus distanciée : le locu
teur invite l'interlocuteur à le suivre dans son raisonnement pour être conduit vers
la conclusion à laquelle le locuteur a déjà abouti. Il s‘agit de l'effet de sollte qui fonc—
tionne ici comme opérateur de rhétoficité.
Or, la question qui se pose est de savoir pour quelle raison les questions simples
à tendance clôturante n'admettent qu'une de ces deux manières, pour le locuteur,
de s'en prendre au discours de son interlocuteur.
Reprenons un de nos exemples représentatifs de ce type de question :
- Otto, entræder ist diese Stadt voit son Zufir‘llen, oderjemand rmfbigt mich.
Otto, ou cette ville est remplie de hasards, ou bien quelqu'un me suit.
- Warum solltest immer du die Blumen kriegen ? Vielleicht verfirlgt er je auch °mich. (Day,
1994, p. 45)
Pourquoi veux-tu que les honneurs ("fleurs") soient toujours pour toi ? C'est peut—
être tout aussi bien moi qu‘il poursuit !
EffecfiVement, dans cet environnement, le verbe sollen semble devoir figurer
obligatoirement au Konjunktiv Il. Apparemment, la réfutation globale du propos
Chapitre 3 anm soit... ?/ anm sollte... ? 189

qui précède ne peut être mise en place qu'au moyen du mécanisme que nous avons
appelé ci-dessus le rejet d‘un hétérounivers (cf. 2.3) et qui est attaché à ce mode. La
question 'Worum sollst immer du die Blumen kriegen ?' apparaît comme difficilement
acceptable dans ce contexte précis dans la mesure où elle est interprétée comme
une reprise directe ou un discours rapporté, alors qu'il n'y a pas trace dans le con—
texte immédiat d'un discours source pouvant être l‘objet de ce rapport.
On peut s'interroger sur cette relation au discours déclencheur en ce qui con—
cerne les questions qui supportent, et requièrent même pour certaines d’entre elles,
le verbe sollen au présent de l'indicatif, c'est—à-dire celles introduites par un inter
rogatif autre que causal. Si l‘on regarde notre exemple en zoo, on remarque que
l‘existence d'un endroit où aller peut être considérée comme sous—thème de celui
du départ, alors qu'il n'y a pas de reprise directe (mêtalînguisfique). Ainsi, le pre—
mier locuteur est immédiatement identifié comme étant à l‘origine de la modalité
véhiculée par sailen. Nous émettons l‘hypothèse qu'il s‘agit là d'un trait général
concemant cette catégorie de questions : elles peuvent contenir sallen au présent de
l‘indicatif sans qu'il y ait forcément reprise textuelle dans la mesure où leur thème
est clairement compris comme sous—espace induit par le discours qui précède"î
Pour comprendre ce lien thématique systématique qui distingue ces questions
des questions causales clôturantes simples, il faut revenir à la distinction de Korzen
(1985, 1990 et 1996) entre les éléments constituant la "phrase élémentaire", la
"phrase centrale" et la “phrase entière“ (1985, p. 38). L'auteur décrit les membres de
la phrase élémentaire comme l'objet direct, l‘objet indirect ou encore les adverbiaux
de temps et de lieu par opposition, entre autres, aux adverbiaux de phrase qui
s‘attachent globalement à la phrase. Elle situe ce qu'elle nomme "les adverbiaux de
relation causale“ à un niveau intermédiaire, c’est-à-dire la "phrase centrale“ ou
"macro—drame" (ibid.). D’un côté "l'adverbial de cause... peut constituer le point de
départ d'une question partielle de la même manière que les membres de la phrase
élémentaire“ (ibid., 1990, p. 78), mais de l'autre, diverses propriétés divergent nette
ment“°.
Si les questions portant sur un élément appartenant à la phrase élémentaire
peuvent comporter le verbe sollen à l'indicatif, renvoyant au discours qui précède
immédiatement sans qu'il y ait reprise textuelle, c'est qu‘elles présentent ce type
d'éléments comme appartenant au thème du discours précédent, ce qui est légitimé
en quelque sorte par le "caractère essentiel" (Korzen, 1985. p. 58; 1990, p. 66) de ces

“5 Ce lien direct explique la grande fréquence de la particule modale tient: dans ce type de ques
tion.
“‘5 La différence entre "pourquoi à présupposé fort" et “pourquoi à présupposé faible" que nous
avons repris au second chapitre repose, selon Korzen, sur ce statut intermédiaire qui permet au
locuteur de choisir son point de départ, intégrant ou non l‘existence d‘une cause dans l'univers de
discours commun propre à l‘échange spécifique.
190 La représentation critique du discours de l'autre

éléments.
Pour ce qui est des questions complexes, étant donné qu‘elles présentent
comme allant de soi un point de vue mis en question par l’autre, l‘objet du quesw
tionnement doit obligatoirement avoir été thémafisé auparavant pour pouvoir
donner lieu à une telle réplique, d’où la possibilité de l'occurrence du verbe à l'indi—
catif. Un indice du fait que l‘élément en question fait partie de l'univers de l’é—
change est la possibilité de substitution de rocshalb à wamm pour ce qui est de la va
riante causale, alors que cet interrogatif est porteur d'un présupposé fort et incom—
patible avec le verbe 5011811 à l‘indicatif dans les questions métalinguisfiques (cf. ci—
dessus 3.).
Dans ces deux types de questions, la présence du verbe seller: au présent de l'in—
dicatif s'explique, comme pour les questions métalinguistiques, par ce qu‘elles
constituent une énonciation articulée sur une autre. Cette première énonciation
peut, selon le prédicat en question et le contexte, être représentée sous la forme
d'un "impératif absurde", comme nous l'avons déjà indiqué. S'agissant d'éléments
en lien thématique étroit, le point de Vue rejeté au moyen de la question est facile
ment attribué à l'interlocuteur en tant qu‘ex-locuteur.
Le mécanisme menant à une rhétoficité fréquente n'est pour ces questions pas le
même que pour les clôturantes causales simples. La conclusion voulue est atteinte
à travers un questionnement réel qui s‘ensuit de l'interpellation directe de l‘inter—
locuteur. Nous parlons d'un questionnement réel en ce sens que l‘interlocuteur y
tient une place importante : la question est réellement adressée.
En fait, contrairement aux questions partielles contenant sollen au Konjunktiv Il,
celles qui comprennent ce verbe à l'indicatif n'ont pas comme propriété intrinsèque
de favoriser la lecture rhétorique.
Plusieurs cas de figure sont possibles :

' le verbe à l‘infinitif peut être incompatible avec l‘impératif, dans ce cas l‘effet
de la mise en question sera semblable à celui que nous avons observé en ce
qui comerne les questions à reprise métalinguistique. La question maintient
un pouvoir interrogatif très faible tout en possédant une forte tonalité néga
tive exprimant le scepticisme du locuteur qui montre une distanciation claire
par rapport à une position qu'il présente comme peu crédible.
- lorsque le verbe est susceptible de figurer à l‘impératif, la question peut être
tout à fait neutre, comme elle peut exercer une contrainte tellement forte que
le répondant aura du mal à éviter la réponse que le questionnant prévoyait.
Dans ce cas, ce n'est que le contexte qui permettra de décider à laquelle des
deux l'on a affaire, mais le locuteur peut aussi essayer d‘exploiter justement
cette ambiguïté.
Les exemples suivants illustrent les trois cas décrits ci-dessus :
Chapitre 3 anm soli... ?/Warum sollte...? 191

- "impératif absurde":
- Wic ist dir zumute ?
Comment te sens-tu ?
- Wie sol! mir zumute sein ? HCh kann es nicht länger ertragen.]
Comment veux-tu que je me sente ? [Je ne peux le supporter plus longtemps]
- Welche Laus ist der demi äber die Leber gelaufen ?
Quelle mouche l’a piquée (, celle-là) '?
- Woher soli ich dus missen ? (Grän, 1991, p. 75)
Comment veux—tu que je le sache ?
- Das klingt stark nach ein2m Poliflker.
On dirait que vous parlez d’un homme politique.
- Sic lmben dan Nage! auf den Kopf geirofiim. Was soi! einer [in Boum] schon sanst sein ?
(Grän, 1991, p. 52)
Vous avez tout compris. Que peut-on être d'autre {à Bonn] ?"7

' question discursivement neutre :


- Er mrtj3 unbedingt non hier weg :'
Il faut à tout prix qu'il parte d’ici I
- W0 sali cr (dem) hin ?
Où veux»tu qu'il aille ? / Où devraibil aller (donc) ? / Où penses—tu qu'il devrait
/ pourrait aller ?
» Er kämrfe dock uielleicht bei seiner Groflmutter Zuflucht
Il pourrait peut—être trouver refuge chez sa grand-mère.
- Du muflf des unbedingf kaufin !
Il faut absolument que tu l’achètes !
- W0 soli ich d’as Geld hemehmen ?
Où veux-tu que je trouve l‘argent ? / D‘où dois—je prendre l'argent ?
— Du känntest dein Sparbuch anzapfin.
Tu pourrais toucher à ton livret d'épargne.

' question discursivemth clôturante:


- Er mufl uubedingt von hier 1063 ."
Il faut à tout prix qu'il parte d'ici !
- W0 soli er dean hin ?
Où veux-tu qu'il aille ?
- la, das ist das Pmblem.
Oui, c'est le problème.
- Du muflt d’as unbedingt lamfim !'
Il faut absolument que tu l'achètes !

"7 On remarque que pour cet exemple particulier dans lequel la question n‘est pas employée de
manière polémique, la traduction par une question en ...mkz-tms ne semble pas convenir en
raison de son caractère fortement marqué.
192 la représentation critique du discours de l'autre

- Wo soli ich denn des Geld læmehmen ?


Où veux-tu que je trouve l'argent ?
- Du hast recht, das ist vie! zu teuer.
Tu as raison, c'est beaucoup trop cher.
Dans le premier type de question où le prédicat est incompatible avec l'impé
ratif, sollen semble mettre en place ce que nous avons appelé un ‘impératif absurde'
et dont la négafivité joue pleinement dans cette configuration précise.
En ce qui concerne l'équivoque des questions contenant un prédicat compatible
avec l'impératif, il s'agit d'un exemple du phénomène que nous avons abordé au
chapitre 1 en parlant de la question “discursivement rhétorique" : dans la mesure
où elle ne contient pas de marque linguistique de son éventuelle rhétoricité, le
répondant a la possibilité de trouver une réponse sortant du cadre esquissé par la
question interprétée comme clôturante; dans ce cas, la question devient une ques—
tion neutre quelle qu'ait été l'intention initiale du questionnant. S‘il l'interprète
cependant comme clôturante, sa réaction la validera comme telle. Ainsi, l'autre ac—
cepte ou annule par sa réponse la rhétoficité de la question. Ce type de question est
particulièrement flexible grâce à cette rhétoricité latente susceptible de s'effacer le
cas échéant.
Pour cette raison, un contexte où l'interlocuteur est manifestement en posses
sion d'une réponse peut annuler entièrement cette tendance. De même, le répon
dant peut ignorer ou feindre d'ignorer une quelconque prétention à la rhétoricité de
la part du questionnant, comme ce dernier peut toujours nier une telle intention.
Aussi, le questionnant peut essayer d'imposer, au moyen d'une question de ce
type, son point de vue sans courir le risque d'être contredit. En cas de non—accep—
tation de la part de son interlocuteur, il n'a posé qu'une "simple question".
Vu ces propriétés, nous estimons donc légitime de considérer ce type de ques—
tions » lorsqu‘elles ne sont pas neutres - comme discursivement clôturantes. Quant
à celles qui comportent "l'impératif absurde", nous les rangeons du côté des clôtu
rantes dans la mesure où le prédicat semble inscrire cette tendance dans la phrase.
Le rôle de la particule modale denn dans la question qui peut être discursive
ment clôturante mérite un éclaircissement. Fondamentalement, nous avons décrit
la particule ci-dessus (4.1.) comme porteur d‘interrogativité. Or, dans les exemples
de ce type, l'interprétation comme question neutre semble être favorisée par l'ab
sence de denn et inversement, sa présence paraît soutenir la tendance clôturante.
Pour lever cette apparente contradiction, il faut revenir à l'aspect principal de la
particule qui la rapproche de l‘interrogatif wieso. Les deux morphèmes ont la carac
téristique d'indiquer que la question les contenant est directement issue de ce qui
précède immédiatement. Ainsi, dans les questions ci-dessus, denn souligne le fait
que c'est l'énoncé de l'interlocuteur qui a provoqué la question. Par notre descrip—
tion de l'int9n0gafif wieso, nous avons cherché à démontrer que ce renvoi au dis
cours de l‘autre peut conférer une négativité à l'énoncé en raison de la faible adhé—
Chapitre 3 Warum soli. .. ?/Warum sollæ...? 193

sien du locuteur au point de vue en question. De même, l'interrogativité accrue


due à la présence de la particule modale donne au point de vue présupposé un ca
ractère particulièrement précaire.
En effet, dans la configuration avec seller: au présent de l’indicatif qui renvoie à
une énonciation d'autrui, l'interpellation renforcée de l'interlocuteur a un effet par
ticulier. Le locuteur semble insister sur son questionnement et se présente comme
n'entrevoyan’c aucune réponse lui—même : il présuppose donc de manière extrême
ment faible l'existence d'une solution au problème posé par la question, mais se
présente tout de même comme cherchant réellement une telle réponse. C‘est en ce
sens que nous disons que la rhétoricité ne se situe pas à un niveau purement lin
guistique, mais naît du questionnement réel que la particule modale dam: souligne.
Si nous avons émis l‘hypothèse de situer ces deux types de questions à un
niveau intermédiaire entre les questions métalinguisfiques en warum salle? et celles
à tendance clôturante, en wamm sollte...?, c‘est en raison de certaines propriétés
(verbe seller: à l‘indicatif, présence fréquente de denn). Elles ne sont cependant pas
métalinguistiques (pas de reprise littérale) et une comparaison avec les deux types
de négations aboutirait, comme pour le français, à un rapprochement avec la néga
tion polémique‘". Par ailleurs, elles sont clôturantes, bien que leur rhétoricité ne
soit pas due exactement au même mécanisme que celle des clôturantes causales
simples. Néanmoins, elles ont une caractéristique qui justifierait le statut intermé
diaire : elles comportent toujours119 une disqualification de l'énonciation de ce qui
précède immédiatement. C‘est pourquoi, dans ce qui suit, nous les regrouperons
sous l‘étiquette "questions disqualifiantes".
Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de voir quelle est la place de l‘in—
terlocuteur et de son discours dans les multiples questions traitées ci—dessus et ce,
en relation avec l'usage qui peut en être fait dans le discours oppositif ou même
conflictuel.

11“ Nous n‘en présentons pas l'étude pour l‘allemand, car l'apport par rapport à ce que nous
avons vu quant au français serait peu important. Néanmoins, il faut préciser que ces deux types
de négations semblent bien constituer des catégories valables pour l’allemand qui possède même
la conjonction sondeur spécialisée dans l'opposition entre une négation métafinguisfique et la recti—
fication du point de Vue nié. Cette possibilité de transposition ne va pas de soi. Elle reste à ex
plorer en ce qui concerne la négation descriptive que l‘allemand semble souvent lexicaliser.
“9 Ci—dessus, nous avons présenté un exemple contraire à cette généralisation (cf. question 3 à im
pératif absurde). Cependant, il suit un autre énoncé où le locuteur explith l‘orientation confir—
mative de son propos, alors que sans cette précision la question serait à interpréter comme signe
d'une attitude négative envers le discours déclencheur.
6. La présence de l'autre dans les questions à représentation
potentiellement conflictuelle

Sans aucun but d‘exhausfivité, la recherche de correspondants allemands pos—


sibles aux deux structures particulières en français nous a amenée à étudier un cer
tain nombre de structures interrogafives de l'allemand. Sans vouloir récapituler
toutes les possibilités'dont la multiplicité est due au grand nombre de combinai
sons avec ies diverses particules modales, nous allons en reprendre les configura
tions les plus marquantes“”, afin de cerner de plus près le rôle qu‘y tient le second
personnage du discours qu‘est l‘interlocuteur, et les éventuelles conséquences qui
en découlent.
Nous avons considéré, d'un côté, les questions métalinguistîques, et de l'autre,
les questions à tendance clôturante. Ces dernières témoignent en fait d'une plus
grande hétérogénéité.
Du côté des questions métalinggistigues, nous avons constaté que la distinction
principale provient de ce que l‘interrogafif neutre worum entraîne une prise en
charge des points de vue mis en place moins marquée que [interrogatif wieso. En
effet, de par son adhésion extrêmement peu solide au présupposé de la question et
son attribution manifeste à l'interlocuteur, le locuteur inscrit dans la question au
moyen de wieso ce dernier comme responsable du point de vue mis en question.
Pour cette raison, nous avons proposé de traduire les questions en m‘eso soll...?
systématiquement par pourquoi oeux-tu...?, alors que les questions métalinguis
tiques en worum peuvent aussi - selon le contexte, l‘intonation, etc. - être rendues
par pourquoi ? en français. Bien que les propriétés du verbe sallen au présent
de l'indicatif permettent de prendre à partie l'interlocuteur - étant donné que ce
verbe renvoie à' un discours d'autrui -, c‘est wieso qui inscrit son identification sans
équivoque dans la question. Avec morum, cette attribution se fait, nous l'avons indi—
qué (cf. 3), de manière discursive comme pour la négation métalinguistique.
Que ce soit discursivement ou par des instructions inscrites dans la phrase par
la présence de wieso, la question mêtalînguistique identifie l‘interlocuteur claire—
ment comme source déontique à l‘origine de la modalité attachée à sollen, le prend
à ce titre à partie et le somme de se justifier. Ce n‘est donc pas seulement son dis
cours ou, plus précisément l'usage d'un terme dans ce discours, mais aussi lui

”) Un aide-mémoire avec un exemple pour chaque catégorie se trouve à la fin de cette section.
Chapitre 3 Wamm soll ? / Wamm sollte...? 195

même en tant qu'ex-Iocuteur responsable de l‘énonciation qui est mis en cause par
le questionnement.
A l‘opposé des questions métalhguisfiques, nous avons étudié les questions
clôturantes simples dont la rhétoficité est inscrite dans la phrase par le verbe seller:
au Konjunkfiv 11. Leur fonction consiste en la dénégation d'un point de vue éven—
tuellement attribué à l'interlocuteur, mais présenté indépendamment de toute res—
ponsabilité individuelle. Comme la négation polémique, une telle question ne porte
aucune trace d'une éventuelle interpellation de l'interlocuteur ne serait—ce que dis—
cursive. Bien au contraire, sollte impose à la question un cadre présenté comme ob—
jectif, détaché des protagonistes de l'échange.
Lorsque ce type de question est employé en dialogue, souvent comme réponse
négative à une question, elle sert à nier indirectement un point de vue sous—jacent
au discours de l'interlocuteur: elle se présente comme véhiculant un argument in
dépendant auquel la réponse éventuelle, normalement virtuelle, doit aboutir obli
gatoirement.
En raison de cet emploi caractéristique et en utilisant ce terme dans un sens
large, nous allons considérer la "question clôturante simple“ comme question réfu—
tative. Si l'on se fonde sur une définition large de la réfutation comme dénégation
justifiée, on peut tirer ce parallèle. En effet, la réfutation semble être généralement
caractérisée par ce qu'elle s‘oppose de manière argumentée à un certain point de
vue : "Réfuter, c'est présenter un argument soit comme rejetant ou repoussant une
certaine conclusion, soit comme bloquant le mouvement argumentafif qui ferait
tirer une certaine conclusion" (Losier, 1989, p. 109).12l
Comme la réfutation, l'opposition inhérente à la question réfutative porte sur
l‘énoncé ou un point de vue véhiculé par cet énoncé, mais jamais sur l'énonciation.
Ainsi, l'interlocuteur lui—même ne peut être mis en question de manière directe par
la question réfutative.
Une de nos hypothèses générales, nous l‘avons indiqué au premier chapitre, est
que la tension conflictuelle entre les interlocuteurs s‘accroît parallèlement à l’inté—
gration des protagonistes comme enjeu du discours. C’est pour cette raison que
nous n‘avons pas retenu l'appellation "question polémique“ pour nos questions l‘é
futatives : il ne va pas de soi que ce type de questions constitue, de ce point de vue,
la catégorie la plus marquante.
L'absence d’implication de l'interlocuteur dans l'image négative de son discours
distingue anssi la question réfutative de la très particulière question de défi,

12‘ Nous ne prétendons nullement que ces questions correspondent à la définition plus restreinte
selon laquelle réfuter, c'est I'démontrer la fausseté d'une affirmation" (Larousse, 1990, p. 534). Il
s‘agit de la présentation de la question par le locuteur et non pas de son effet ‘réel' (voir aussi,
ch. I, 1.4.1).
196 La représentation critique du discours de l'autre

question en salles au Konjunkfiv Il introduite par tuieso. Cette dernière associe une
interpellation de l'interlocuteur, dans son rôle de ex-locuteur, à une rhétoricité forte
due à la présence de seller: au Konjunktiv 11.
Le troisième type de question contenant ce verbe au Konjunktiv Il comporte la
même tonalité 'objectivisante' que la question réfutative, mais au lieu de nier, une
telle question va confirmer comme unique possibilité un élément donné qui était
mis en doute dans le discours précédent. Il s‘agit de la question clôturante causale
complexe en solite. Comme son orientation négative tend fondamentalement vers
l‘affirmation d'un élément précédemment thématisé, et ce de manière distanciée,
nous l'appellerons question réaffirmative.
A côté de ces questions qui puisent leur caractère clôturant dans la forme ver—
bale employée, nous Venons de voir une série d'interrogations qui semblent être
proches des questions réfutafives et des questions réaffirmatives en raison de leur
tendance clôturante, mais dont l'étude révèle des propriétés assez divergentes par
rapport à ces dernières catégories.
Qu'elles soient identifiables Comme fortement rhétoriques dès le niveau phras
tique ou que ce ne soit qu‘en discours que leur caractère clôturant ressortm, leur
fonctionnement repose sur un mécanisme entièrement lié à l'interaction : elles ne
peuvent apparaître que dans une parole qui se présente comme dialogique.
En fait, la présence de sollen au présent de l‘indicatif rattache clairement ces
questions au discours qui précède immédiatement. ce qui a pour effet d'intégrer
l'interlocuteur en tant que responsable de ce dire dans la qualification négative
indirecte qu'elles comportent. Elles peuvent avoir une fonction réaffirmative ou
bien nier un élément présenté comme découlant du discours de l'interlocuteur.
Dans tous les cas de figure, dans l‘acception clôturante“—‘, le renvoi à l'énonciation
du discours autre a pour effet d'en déprécier l'auteur.
Pour la variante réaffirmative, le premier locuteur a énoncé une question ou ex
primé un doute qui n‘avait pas lieu d‘être : son énonciation manquait de perti
nence. Quant à la variante qui conclut à l'absence d'une raison, d'une manière, d'un
endroit ou d‘un7moment propice, elle présente l'énonciation précédente comme
vaine, car l'absence d'un tel élément essenfieIm l'invalide en entier.
Les questions clôturantes qui contiennent le verbe sollen à I'indicatif”—5 portent
donc tantôt uniquement sur l'énonciation, tantôt à la fois sur l'énonciation et sur

112 Pour cette distinction, voir aussi Sauerwein, 1998.


123 L'acception clôturante s‘oppose à l'ù1terprétafion comme question neutre en ce qui concerne les
questions dùscursivement clôturantes.
12‘ On remarque que, dans cette configuration, le complément de cause est aussi présenté comme
faisant partie de la phrase élémentaire.
125 Contrairement aux questions métaljnguistiques, le verbe n'y figure pas forcément au présent.
Chapitre 3 Warum soli... ?/Wamm saillir... ? 197

l‘énoncé. C‘est cette particularité qui fait que l‘expression négative qu‘elles véhi
culent englobe en même temps le responsable de cette énonciation, l‘interlocuteur.
Aussi, les considérons-nous comme questions digualifiantes.
Les deux grandes classes retenues initialement se subdivisent donc en cinq
grands groupes de catégories que nous fixerons de manière quelque peu schéma
tique :

- question métalinguisfique : warum/wieso + sollen au présent de l'indicatif +


reprise textuelle (+ denn, eigenttich, denn eigenth’ch);
question métalinguistique elliptique : warum/wieso + reprise textuelle (+ denn,
eigentlîch, daim eigentlich);
- question réfutafive (clôturante causale simple) : warum + seller: au K011—
junktiv 11 + suj. + inf. + compléments (+ auch, schon);
question réfutative elliptique avec verbe : warum + sollte— + sujet (+ auch)
question réfutafive elliptique sans verbe : wamm + auch;
- question réaffirmative (clôt-mante causale complexe) : warum + sollen au Kan—
junktiv Il + suj. + sont + inf. + compléments (+ auch, schon);
- question de défi : wieso + sollen au Konjunkfiv Il + suj. + inf. + compléments
(+ denn, wohl);
- question disqualifiante elliptique126 (clôturante complexe elliptique) : wamm
/wer/wo/ wie/ mas... + schon/ 10th ou dam: sonst;
question clôturante à “impératif absurde" ou linguistiquement disqualifiante:
mamm/ wer/ wo/ wie/ was... + sollen au présent de l‘indicatif + suj. + inf.
(incompat. avec l'imp.) + compléments (+ auch/5chon, denn);
question discursivement clôturante ou discursivement disqualifiante: warum
/wer/ruo/wie/was... + sollen au présent de l‘indicatif + suj. + inÆ. (compat.
avec l'imp.) + compléments (+ auch/denn127 /schon).
Il reste à expliciter la manière dont la prise en compte de l‘interlocuteur, modi
fiée par certaines particules d'une manière marquante, se répercute sur le caractère
rhétorique des questions réfi1tafives et réaffirmaüves, d‘un côté, et des questions
disqualifiantes, de l‘autre.
Nous avons signalé dans ce chapitre (cf. section 5.), le fait que la rhétoricité des
questions disqualifiantes passe par un questionnement réel, contrairement aux
questions en sollen au Konjunktiv Il. Cette affirmation peut paraître curieuse à pre
mière vue, si l‘on considère - et c'est notre position - que toute question, même

‘25 (toujours sans verbe)


12" selon l'orientation de l'énoncé précédent
198 [a mpre’santoflbrt critique du discours de l’autre

hautement rhétorique est une vraie question a laquelle l'interlocuteur peut répli—
quer par une réponse.
Pour expliquer la différence entre les deux types de questions qui sont toutes
deux clôturantes, il faut revenir à leurs mécanismes respectifs qui leur confèrent ce
caractère, car ces mécanismes sont différents. Pour cela, il convient de se rappeler
le schéma tripartite de l‘interrogation dans la perspective polyphonique : un pre—
mier énonciateur correspond à un préalable ou un présupposé qui se trouve au
centre du questionnemenfl”, un second énonciateur exprime l’ignorance (pour les
questions partielles) ou le doute quant à ce premier point de vue, et un troisième
demande une réponse. Il nous semble que les questions comprenant le verbe solIen
au Konjunktîv 11129 seraient à représenter avec ce troisième énonciateur suspendu, y
figurant uniquement en raison de la forme interrogative de l‘énoncé et avec une
fonction tout à fait virtuelle”°, ce qui mène globalement à une conclusion qui nie le
présupposé de ces questions.
En revanche, dans les questions disqualifiantes, le renvoi à une autre énoncia—
tion clairement identifiable comme émanant de l'interlocuteur a pouneffet d'inter
peller ce dernier directement. Ainsi, la demande de réponse lui adressée ne peut
s‘effacer. Aussi, ces questions peuvent contenir des éléments renforçant ce dernier
énonciateur comme la particule modale derm ou l'interrogatif wieso‘”. Le locuteur
réalise donc pleinement l‘interrogation à travers la sommation exigeant une ré—
ponse, alors que, simultanément, il suggère la seule réponse possible à ses yeux.
Par conséquent, on peut considérer que la contrainte sur la réponse et donc sur
l'interlocuteur est aussi forte que lorsqu‘il s'agit des questions réfutatives et réaffir—
mafives, mais l‘interlocuteur est pris à partie de manière bien plus véhémente:
d‘une part, parce qu'il est présenté comme prenant la réponse pleinement en
charge, et, d'autre part, en raison de ce que cette même réponse le prend à partie, le
disqualifie dans son rôle d‘ex-locuteur.

L'importance de la nature du rôle assigné à l‘allocutaire apparaît à travers les

123 Si, pour les questions totales, le point de vue préalable est mis en question, pour le présupposé
des questions partielles, ce n‘est que l‘identité d‘un élément issu de ce présupposé qui fait l'objet
du questionnement.
12" Nous considérons toujours cette forme verbale comme marque principale favorisant la rhéto
ricité de ces questions. Un élément qui tend à étayer cette hypothèse est le fait que les questions
réfutaüves et réaffirmatives elliptiques sans ce verbe sont apparemment fondées sur le second
mécanisme rhétorique, c'est—à—dire celui qui fonctionne par le questionnement actualisé aboutis
sant à la réponse prédéterminée.
13" Certes, un interlocuteur rebelle peut toujours l‘éveifler en l‘actualiser“: par une réponse.
‘31 Mäeso qui affaiblit de surcroit - nous l‘avons constaté - la position du premier énonciateur en
attribuant sa prise en charge fondamentalement à l'interlocuteur, au moyen d'une présupposifion
'du bout des lèvres'.
Chapitre 3 Wamm soli. .. ?/ Warum sollœ... ? 199

mécanismes qui sont à l'origine de ces catégories. Dans ce type de question, le sans,
c'est—à-dire, la description que l‘énoncé donne de son énonciation, véhicule, entre
autres éléments, une caractérisation du rôle que l'interrogation entend faire jouer à
l'aliocutaire.
200 La représentation critique du discours de l'autre

AIDE -MEMOIRE POUR LA LECTURE DES PAGES PRECEDENTES (SECTION 6)

Les principales catégories :


- question métalinguistique elliptique :
[-Der Krach in einer rot—grünen Koalition zeichnei sich du sultan ab. -Wir biegen dus der
SPD schon bei.]
Spiegel : Der Schwanz wackelt mit dem Hund ?
Fischer: Wieso Schwanz ? Wenn sclwn, dann dus Gehim. Ôkologisdær Mater, das ist un
sere Funktion.
(Der Spiegel, 1994, n° 33, pp. 25—26)
[— La brouille a l'intérieur d‘une coalition rouge—wrte s'annonce déjà. - Nous allons forcer un
peu le SPD.]
Spiegei : La queue remue son chien ?
Fischer : Pourquoi voulez—vous que ce soit la queue ? Si quelque chose le fait remuer, autant
que ce soit le carreau. Moteur écologique, c'est ça notre fonction.

- question réfutative (clôturante causale simple) :


question réfutative elliptique sans verbe, suivie de la variante complète :
- die Frauen ihres Alters and in ihrem bemflichen Dunstkreis - dia neue “Promu-Mafia"
' - sind in ihrer Gemmfheit um lœinen Dent besser ais dus männlidæ Gegenstù‘ck.
- Warum auch ? Warum solltz ein Mädclæn rote Elfïe nicht neidisch sein auf Weiber, die in
einer Woche mel1r Geld... ausgeben al5 sic vermuilich in einem Mana! verdienl?
(Grän, 1991, p. 56)
- Les femmes de son âge et dans sa mouvance professionnelle - la nouvelle " Mafia féminine ”
- ne valent pas mieux que leurs homologues masculins.
- Et pourquoi, aussi ? Pourquoi roulez-nous qu‘une fille comme Elfie ne soit pas envieuse de
bonnesfemmes qui dépensent plus d’argent en une semaine qu'elle ne gagne probablement en
un mois.

- question réaffirmative (clôturante causale complexe) :


— Gehst du au ihm, um deine Sachen obzuholen ?
- Warum sollte id1 seine Wohnung sonst uberhaupt noch betreten ?

- Tu vas chez lui pour chercher les afi‘aires ?


- Pourquoi veux—tu que je mette encore les pieds dans son appartement, sinon ?

- question de défi :
Wieso sollle denn ein Syslem Lob oerdienen, das Arbeitszwänge, Vennassung, Desorienfie
rang produziert ?
(Der Spiegel, 1994, n° 8, p. 7)
Pourquoi roulez—vous qu'un système qui produit des contraintes liées au tramil, la dissolu
tion de l‘individu dans la masse et la désorientation mérite des éloges ?
Chapitre 3 Warum soli... ?/ Warum sollte...? 201

- question clôturante à impératif absurde ou linguistiquement disqualifiante :


Die SPD kann nur dunu wirklich stärlær rœrden, memt sie die PDS halbiert in der! Wù‘hler—
sfimmen. W0 soIl's dam: sonst herkommen ?
(Der Spiegel, 1994, n°43, p. 47)
Le SPD peut seulement se renforcer, s‘il réduit de moitié les sufi‘rages qui vont autrement ou
PDS. D'où roulez—vous donc qu'ils proviennent, sinon ?

Aber ïuo soli ein Vumgir dznn fisclæs sü&s Bluf herkn‘egen, roerm dmuflen l’est oder Cho
leru tobt ? Wärr man in einem Hotel, 50 kännte mon nach dem Room Service klinchn und
dann liber tien Kellner herfallen.
(Der Spiegel, 1994, n° 49, p. 184)
Mais où voulez-vous qu'un vampire se procure du bon sang frais, si au dehors la peste ou le
choléra fait rage ? Si l‘on était dans un hôtel, on pourrait appeler le semice et se jeter alors
sur le serveur. '

question discursivement clôturante ou discursivement disqualifiante :


Pieronek : Der Pupst wird jeræn die Tare rmschlieflm, die über diese Grcnzen hinausgehen
wallon. Dos ist seine Aufgube.
Spiege] : Aber er tut dus Gegentcil : et zieht dia Gænzen immer enger, er mena‘et den Geist
des Vofikunisclæn Konzils ins Konseroaiioe...
Pieronek: Wurum sultan mir gggen tien Pupst auftreten, der dis häckstŒsfige und mom
lische Autorität ist .7
Spiegel : will der Pupst die Geafissensfieihzit des einzelnen Gläubigen udeder zurück—
schrauben, sein Verbalten bis ins Ehebett hinein nomieren.
(Der Spiegel, 1994, n" 12, p. 184)

Pieronek: Le Pape fermera les portes à ceux qui veulent dépasser (25 bornes. C'est son
devoir.
Spiegel : Mais il fait le contraire: il continue :‘2 resserrer les limites; il infléchit l'esprit du
concile du Vuticun dans un sens consenmteur...
Pieronek: Pourquoi voulez-vous que nous intenenions contre le Pape, qui constitue la plus
lulu le autorité spirituelle et morale ?
Spiegel : ...le Pape veut réduire la liberté de conscience du croyant et régenter son comporte—
ment jusque dans le lit conjugal.
Considérations Finales

Perspectives
Considérations finales et perspectives

Arrivé au terme de notre travail, il semble utile de revenir brièvement sur ce


qui a fait l‘objet de notre démarche.
La présente étude vise à cerner la présence de l'autre dans certaines formes
interrogafives qui véhiculent une représentation critique du discours de l'interlocu
teur.
Cet objectif nous a amenée à élaborer trois parties distinctes fondées sur trois
démarches et trois objets différents.

La première était guidée par le souci de cadrer les domaines dans lesquels notre
problématique s'insère - à savoir la représentation du discours de l’autre, le dis
cours oppositif et le questionnement -, afin de saisir les différentes approches pos—
sibles, de manière à pouvoir formuler notre propre perspective, ainsi que les types
de problématiques à traiter, et afin d'émettre nos premières hypothèses.
Le choix de travailler sur des structures opposifives de forme interrogative im
posait d'emblée un point à élucider: ayant constaté dans nos recherches prélimi—
naires sur des énoncés de tous ordres, que l'interrogation constitue manifestement
un moyen fréquent et apparemment 'efficace' pour s‘opposer à autrui, la recherche
d‘éventuelles raisons d‘une telle prédilection, à première vue 'contre nature‘, nous a
amenée à intégrer la perspective de la politesse linguistique, et de ses conséquences
sur les choix linguistiques des sujets parlants, dans notre propos.
Un autre pôle relié à ce premier est la question de la polémicîté. En effet, il ne
nous semble pas être du ressort de la linguistique d‘établir une échelle des degrés
d'une propriété reposant sur une notion difficilement définissable par des critères
linguistiques. Toutefois, il n‘est pas exclu que des indices linguistiques concrets1
puissent constituer le reflet de phénomènes ressentis de manière intuitive par les
sujets parlants engagés dans l‘interlocution - phénomènes relevant de l‘ordre de ce
que, positivement, A. Auchlin désigne par le terme de "bonheur conversationnel"
(voir, entre autres, Auchlin, 1994).

i Ainsi, M. Gare] s‘interroge aussi sur des différences, de ce point de vue, entre le mais dit "d'op
position directe“ et son “usage indirect" (1995 a, p. 175).
206 La représentation Critique du discours de l'autre

Une autre perspective prise en considération est apparue à partir des études
concernant la représentation du discours de l'autre en général. Nous avons vu
qu'un axe possible pour rendre compte de ces phénomènes est celui de l'explici
tation de l‘attribution du discours ou du point de vue à autrui, qui peut être effec
tuée de manière plus ou moins assumée.
L'examen du domaine du questionnement nous a fourni l'arrière-plan
nécessaire pour pouvoir formuler notre propre hypothèse, à l'intérieur du cadre
théorique choisi, concernant l‘interrogation et ses rapports avec des phénomènes
connexes traités dans diverses approches.

Au deuxième chapitre, nous avons procédé à une description d'un type de


questions qui nous semblait être représentatif de la mise en discours des phéno
mènes que nous cherchions à cerner, à savoir les questions en Pourquoi voulez-vous
que... ?. L'étude, clairement fondée sur une conception compositionnelle du sens, a
été menée progressivement, d'abord élément par élément, ensuite combinaison par
combinaison, pour aboutir à une tentative de caractérisation globale des configura—
tions étudiées du point de vue de leur fonction dans le discours oppositif.
Les outils théoriques et les outils de représentation élaborés dans le cadre de la
théorie de l‘argumentation nous ont permis de saisir un certain nombre de méca
nismes que nous cherchions à élucider.
Ainsi, les deux2 catégories de questions en Pourquoi voulez vous. .? - « question
de reprise » et « affirmation clôturante » -, ressortent de cette étude comme profon—
dément différentes, aussi bien parla nature des éléments qu'elles intègrent que par
leur structure globale :
- Les deux éléments essentiels, à savoir l‘interrogatif et le verbe, n'y appa
raissent pas comme identiques au-delà de leur forme apparente: première
ment, l‘une emploie un pourquoi à présupposé fort, alors que dans l'autre, il
s'agit du pourquoi à présupposé faible, et, deuxièmement, vouloir ne convoque
pas les mêmes topo‘i dans les deux types de questions.
- En ce qui concerne la structure globale de ces questions, le verbe se trouve
sous la portée de l'interrogatif, pour ce qui est de la « question de reprise >>,
alors que l‘« affirmation clôturante » repose sur une construction enchevêtrée.
Par ailleurs, l‘examen des questions à caractère clôturant, c‘est—à-dire hautement
contraintes, a révélé l'importance de la représentation de la répartition thématique.
Beaucoup d'effets d'écart interprétatif ou de détournement rétroactif de la visée
discursive du discours initial sont dus à un déplacement de la répartition en thème
et propos opéré dans la représentation de ce discours.
En dernier lieu, la question de la manière dont l'allocutaire est représenté avec

2 Ce sont trois catégories si l‘on tient compte de la question neutre.


Considérations finales et perspecfires 207

son discours dans ces questions du français a fait apparaître, malgré le parallélisme
établi avec deux types de négations -métalinguistîque et polémique - que, con—
trairement à la négation, ce type de question n‘attribue pas à l'interlocuteur un
point de vue autonome dans le schéma énonciatif, mais semble être proche de la
description que donne 0. Ducrot du discours rapporté. "...le rapport... n‘exprime
pas le point de vue rapporté, mais l'intègre au seul point de vue exprimé, qui est
celui du rapporteur: l'origine du point de vue rapporté ne joue donc pas le rôle
d'un énonciateur mais d‘un objet à l'intérieur du point de vue du rapporteur, seul
ênonciateur“ (1989, p. 188).
En ce sens, ce type de question seraient à mettre en relation avec ce que I.
B. Chang, 1993, considère comme rapport asserté et qu'elle oppose au rapport mon—
t;é qui est de nature polyphom‘queï

Nous avons abordé la troisième partie avec certaines notions élaborées par rap—
port au français comme, par exemple, la distinction entre les deux interrogatifs
pourquoi et celle entre présupposé fort et présupposé faible qui s'y attache. Toute—
fois, ne voulant pas calquer exactement la même approche sur l'étude de l'alle
mand, nous avons fait le choix de ne pas nous priver des particules modales
comme moyen heuristique.
L'examen des interrogatifs de l'allemand a révélé que weshalb et warum pour
raient être considérés comme proches du couple pour quelle raison /pourquoi. Par
ailleurs, l’étude confirme le statut particulier de Mesa, déjà constaté par I. Milner.
Ce qui semble être remarquable est la configuration présuppositionnelle instaurée
par cet interrogatif, qui repose sur un rôle prépondérant assigné à l'interlocuteur.
L’étude des deux formes du verbe sollen, qui figure dans ces questions, soit au
présent de l‘indicatif, soit au "Konjunktiv Il“, a révélé l‘importance du type de pré—
dicat qui dépend de ce verbe. En effet, la compatibilité ou incompatibilité de ce
verbe avec l’impératif est de première importance pour l‘interprétation des ques—
tions contenant sollen. Dans la plupart des configurations, un verbe suivant sollen
compatible avec l'impératif rend plusieurs lectures possibles, alors que les verbes
incompatibles favorisent clairement la lecture rhétorique. En combinaison avec
sollen au présent de l'indicatif, ils constituent ce que nous avons appelé un "impé—
ratif absurde“, pour le “Konjunktiv Il“, nous avons parlé du “rejet d‘un hétérourfi
vers".
L‘étude des combinaisons possibles, entre, d‘un côté, les particules compatibles
en général avec l‘interrogation partielle, et, de l‘autre, un certain nombre de ques—
tions en W— 5011—... ? — nombre du à l‘éventail d‘interrogafifs possibles et à la possibi—
lité des deux formes différentes du verbe sollen -, nous a permis d’affiner le classe—

3 Cependant, l‘élément pouvant émaner d'un rapport de discours fait partie d'un point de vue
présupposé : il n'est donc pas non plus asserté. Son statut reste à déterminer avec exactitude.
208 La représentation critique du discours de l'autre

ment de ces questions de l‘allemand, transposé au départ des catégories du fran—


çais. Nous distinguons en dehors de la question métalinguistique et de la question
réfutafive - proches des deux catégories principales du français et des deux types
de négation - la question réaffirmative (clôturante complexe en français), la ques
tion de défi (due à la spécificité de wieso), ainsi que plusieurs sous—catégories de la
question disqualifiante.
Si, dans la question réfutafive et la question réaffirmative, sollen au “Konjunk—
tiv Il" joue le rôle de médiateur de rhétoricité - ce qui rend la demande de réponse
virtuelle -, dans la question disqualifiante, la rhétoricité passe par une interpella
tion réelle de l'interloeuteur dont une réponse, fortement contrainte, est exigée. Ces
questions intègrent l'interlocuteur dans l‘appréhension négative qu‘elles véhiculent.
Cet effet paraît être lié au fait que seller: au présent de l'indicatif renvoie systéma
tiquement à un discours autre, identifié dans les échanges oppositifs comme éma
nant de l‘interlocuteur responsable en tant qu'ex40cuteur du discours qui précède.
En fait, sultan à l'indicatif est à l'origine d'un mécanisme qui semble s'inscrire
pleinement parmi les moyens polyphoniques d'attribution d'un point de vue à l'in
terlocuteur.
Ainsi, nous avons constaté, concernant l'allemand, que des structures gramma—
ticales très différentes se rapprochent dans leur manière de renvoyer à l‘interlocu
teur et de l‘intégrer comme personnage du discours - et ce, dès la signification,
c'est—à-dire, au niveau de la phrase. Ces structures peuvent être des configurations
interrogafives complexes ou de simples morphèmes. Parmi les morphèmes, il peut
s'agir de catégories très différentes, comme, par exemple, celle des particules mo
daies ou celle des interrogafifs. En effet, les questions linguistiquement disquali
fiantes comprenant sollen à l'indicatif et suivi d'un verbe incompatible avec I'impé»
ratif renvoient à l’interlocuteur d'une manière tout à fait comparable à denn et wieso,
d'où la fréquence de combinaisons entre ces éléments“.
D'autre part, nous avons tiré de l'étude de ces questions de l'allemand -et
notamment de l'étude de leur compatibilité avec les particules modales - un certain
nombre d‘enseignements concernant les mécanismes mis en œuvre dont certains
nous semblent dépa55er le cadre spécifique de l'interrogation en allemand :
- Comme nous distinguons deux niveaux où peuvent se situer les éléments sé
mantiques qui apparaissent dans un discours — celui qui concerne la valeur in—
trinsèque de la phrase ou encore la signification (le niveau instructionnel} et
celui des stratégies développées par le locuteur, c‘est-à-dire des effets de sens
qui ne sont pas directement en rapport avec les instructions contenues dans
les phrases -, c‘est au niveau de la signification que nous plaçons la rhétoricité,
à savoir un ensemble de contraintes sur les réponses possibles.

4 Il s‘agit alors de ce que M. I-I. Araûjo Carreira décrit comme "isosémie“ (1997, p. 156) entre diffé—
rents éléments.
Considérations finales et perspectives 209

0 Nous avons pu constater que certaines particules ont pour valeur intrinsèque
d'accentuer la rhétoricité, alors que d'autres, au contraire, introduisent l‘inter—
rogativité et s'opposent de ce fait à la rhétoricité.
° En revanche, c’est au niveau stratégique que nous plaçons les effets de sens
produits par l'énonciation. Parmi ceux—ci se trouve ce que l'on pourrait appeler
l'effet persuasif, à savoir l‘habileté et l'efficacité avec lesquelles le locuteur im—
pose son point de vue.
' C‘est à ce niveau qu'il faut comprendre, selon nous, l'effet 'renforçateur‘ de
certaines particules intrinsèquement enclines à soutenir une tendance oppo
sée. Ainsi, par exemple, la particule dam: ne renforce pas la rhétoricité de la
question, mais elle peut, dans certaines configurations et notamment dans la
combinaison avec schon, renforcer l'effet persuasif de la question en donnant à
l'interlocuteur une apparente liberté de réponse. C'est l‘effet persuasif de la
question: la réponse qu‘il donnera, si elle va dans le sens de la rhétoricité,
prendra d'autant plus de poids qu‘elle sera inscrite dans l‘espace de liberté ou
vert par denn.
Cette distinction ainsi établie nous semble être primordial pour le traitement de
ce type de questions. Nous pensons qu‘il s'agit d'un mécanisme général en langue
qui pourrait être illustré pour le français à travers d'autres types de configurations.
Ainsi, plutôt que de contribuer à la définition de "la question rhétorique", nous
nous sommes efforcée de montrer qu'il n'y a pas de telle question, mais des ques

Les différents types d‘observations qui ressortent de notre analyse font donc ap
paraître plusieurs pôles d'intérêt qui mériteraient un examen plus approfondi con
cernant l‘allemand : les particules modales semblent marquer des rôles très précis
assignés aux personnages du discours, le statut des instructions qu'elles mettent en
place reste à explorer. S’agit-il d'une espèce nouvelle que l‘on pourrait appeler des
méta-topoï qui précisent le rôle à accorder à chaque protagoniste de l'échange ?5

Le parcours effectué à travers cette étude apparaît, au-delà des conclusions que
nous venons d‘esquisser, comme un vaste programme de recherches futures :
L’étape suivante devra employer les outils et les concepts forgés dans l‘étude de
l'allemand dans l'analyse des questions en français. A l'inverse, les catégories de
l'allemand mériteraient, suite à notre cadrage, de faire l’objet d'un examen détaillé
à l'aide des moyens que fournit la perspective topique et polyphonique.
Par ailleurs, nous nous sommes limitée ici à rendre compte du fonctionnement
de ces questions dans l’échange oppositif. Or, certaines d'entre elles apparaissent

5 En tout cas, notre étude semble confirmer la pertinence du terme "lnterakfionsparfikeln" (Sche—
nen, 1995. p. 199 et sq.).
210 La représentation critique du discours de l'autre

aussi dans des discours monologaux. Il reste à déterminer s'il y a, dans ce cas, cons
truction d‘un interlocuteur fictif ou s'il ne faut pas les envisager comme fondamen
talement dialogiques.
Même dans l‘échange, l‘autre, initialement simple interlocuteur, apparaît
comme multiple et sous des marquages les plus divers. Le rôle qui lui est assigné
dans les questions de l'allemand semble être de première importance pour l'inter—
prétation de ces énoncés. Le français l‘interpelle dans la question de reprise et le
disqualifie dans la clôturante. Sa présence de manière intégrée au présupposé n'est
pas sans ambiguïté.
Enfin, une autre étape devra aboutir à une mise en perspective de ces différents
moyens d'attributionde rôles avec notamment certains mécanismes d‘indétermina
tion. En effet, si sollen à l'indicatif permet d‘attribuer un discours à l’autre, c'est qu'il
marque avant tout que le responsable du point de vue n‘est normalement ni le 10—
cuteur immédiat, ni le sujet de ce verbe. De même, dans notre étude préliminaire à
l‘élaboration du travail exposé ici, nous avons constaté un mécanisme semblable
concernant le terme peut—être (et son équivalent allemand, oielleicht, dans certaines
configurations) : introduisant une indétermination quant à la prise en charge de la
part du locuteur d‘un point de vue, peut—être permet souvent d'attribuer cette posi—
tion, indéterminée quant à son ancrage, à l'interlocuteur. Le locuteur peut donc
montrer l‘attribution d'un point de vue par son pr0pre retrait de celui-ci.
En fin de compte, parler de l’autre dans la question d'un point de vue linguistique
s‘avère être une entreprise presque aussi vaste que celle qu'envisage T. Todorov
dans la question de l'autre :
"Je veux parler de la découverte que le je fait de l'autre. Le sujet Est immense. A
peine l'a-t—on formulé dans sa généralité qu'on le voit se subdiviser selon les
catégories et dans des directions multiples, infinies. On peut désouvrir les autres
en soi, se rendre compte de ce qu'on n'est pas une substance homogène, et radi
calement étrangère à tout ce qui n‘est pas soi : je est un autre. Mais les autres sont
des je aussi : des sujets comme moi, que seul mon point de vue, pour lequel tous
sont là-bps et je suis seul ici, sépare et distingue vraiment de moi. Je peux conce
voir ces autres comme une abstraction, comme une instance de la configuration
psychique de tout individu, comme l'Autre, l‘autre ou autrui par rapport au moi ;
ou bien comme un groupe social concret auquel nous n'appartenonS pas" (p. 11).
Tzvetan Todorov, 1982, La découverte de l’Ame’rique: la question de l'autre.
Paris: Seuil.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Abraham, W., 1995, "Modalpartikeln in Fragesätzen. Restriktionen und Funk


tionen: die Nullhypothesen“, dans Fragen and Fragesätze im Deutsclæn,
M. Schecker (éd.). Tübingen : Stauffenburg Verlag (Enrogennarfisfik, 9).
Adam, ].-M., 1990, Éléments de linguistique textuelle. Liège : Pierre Mardaga.
Alexandrescu, V., 1997, le paradoxe chez Blaise Pascal. Berne/Berlin/ Francfort/New
York/ Paris/Vienne : Peter Lang. .
Allouche, V., 1992, "Négation, signification et stratégies de parole“. Langue Fran
çaise, 94, pp. 68—79.
Anscombre, ].—C., 1979, “Délocutivité benverflsfienne, délocutivité généralisée et
performaflvité“. Langue Française, 42, pp. 69—84.
Anscombre, }.-C., 1980, "Voulez—vous dériver avec moi ?“. Communications, 32,
pp. 61-124.
Anscombre, j.-C., 1981, “Marqueurs et hypermarqueurs de dérivation illœutoire:
notions et problèmes". Cahiers de linguistiquefiançaise, 3, pp. ‘75-124.
Anscombre, ].-C., 1983, "Pour autant, pourtant, et comment: à petites causes, grands
effets". Cahiers de linguistiquefrançaise, 5, pp. 37—84.
Anscombre, }.-C., 1985 a, "Grammaire traditionnelle et grammaire argumentaüve
de la concession“. Revue Internationale de Philosophie, 155, pp. 333—349.
Anscombre, J.-C., 1985 b, "De l'énonciation au lexique: mention, citafivité, délocu—
tivité“. Langages, 80, pp. 9—34.
Anscombre, ].-C., 1989, “Théorie de l'argumentation, topoï, et structuration
discursive". Revue québécoise de linguistique, XVIII, 1, pp. 13—56.
Anscombre, j.-C., 1990 a, "Thème, espaces discursifs et représentation événemen—
tielle“, dans Foncfionnalisme et pragmatique, I.-C. Anscombre et G. Zaccaria
(éds.), Milan: Unicopli.
Anscombre, J.-C., 1990 b, "Les syllogismes en langue naturelle: déduction logique
ou inférence discursive ?". Cahiers de linguistique française, 11, pp. 215’240.
Anscombre, ].-C., 1992 a, "Imparfait et passé composé : des forts en thème/ propos".
L'information grammaticale, 55, pp. 4363.
Anscombre, ].-C., 1992 b, “Quand on fait du sentiment: réflexions (presque)
spontanées sur la nature linguistique des noms psychologiques", dans Hom
mages à Nicolas Ruwet, L. Tasmowski et A. Zribi-Hertz (éds.). Ghent:
Communication et Cognition.
212 la représentation critique du discours de l'autre

Anscombre, ].-C., 1993, "Temps linguistique et théorie des topo‘i“, dans Lieux
communs, topoi; stéréotypes, clichés, C. Plantin (éd.). Paris : Kimé.
Anscombre, ].-C., 1994, "La sémantique française au XXe siècle : de la théorie de la
référence à la théorie des stéréotypes“, dans La lingù‘istica fiancesa : situacio’n
y perspectives a finales del siglo XX, ].F. Corcuera, M. Djian et A. Gaspar
(éds.), Zaragoza.
Anscombre, ].-C., 1995 a, "De l'argumentation dans la langue à la théorie des topo‘i“,
dans Théorie des topoi‘, I.«C. Anscombre (éd.). Paris : IEditions Kimé.
Anscombre, ].-C., 1995 b, "La nature des topoï“, dans Théorie des topoï, I.-C. Ans
combre (éd.). Paris : Éditions Kimé. ‘
Anscombre, }.-C., 1995 c, “Topique or not topique: formes topiques intrinsèques et
formes topiques extrinsèques". Journal of Pragmafics, 24, pp. 115—141.
Anscombre, j.—C., 1995 d, "La théorie des topoi‘: sémantique ou rhétorique ?". Her—
mês, 15, pp. 185—198.
Anscombre, J.-C., 1995 e, "Morphologie et représentation événementielle : le cas des
noms de sentiments et d‘attitude". Langue Française, 105, pp. 40—54.
Anscombre, J.-C., 1998, "Pero/sin embargo en la confia-argumentaciôn directa : razo—
namiento, geneficidad, y léxico“. Signe e Seria, 9, pp. 75—104.
Anscombre, I.-C., 2001, Éléments de sémanfiqtæ nominale. Paris : PUF, à paraître.
Anscombre, ].-C. et Ducrot, 0., 1981, "Interrogation et argumentation". Langue Fran—
çaise, 52, pp. 5—22.
Anscombre, ].-C. et Ducrot, 0., 1983, L'argumentation dans la langue. Bruxelles :
Mardaga.
Anscombre, ].-C. et Ducrot, 0., 1986, "Argumentafivité et informafivité", dans De la
métaphysique à la rhétorique, M. Meyer (éd.). Bruerles : Éditions de l’Univer
sité de Bruxelles.
Apostel, L., 1981, "De l'interrogation en tant qu'action“. Langue Française, 52, pp. 23—
43. - .
Apothéloz, D., 1989, "Esquisse d‘un catalogue des formes de la contre—argumen
tation“. Travaux du Centre de Recherches Sémiologiques, 57, pp. 69—86.
Apothéloz, D. et Brandt, P.-Y., 1991, "L‘articulation raisons—conclusion dans la
confie—argumentation". Travaux du Centre de Recherches Sémiologiques, 59,
pp. 89—102.
Apothéloz, D., Brandt, P.-Y. et Quiroz, G., 1989, "De la logique à la contre
argumentation”. Travaux du Centre de Recherches Sémiologiques, 57, pp. 1-42.
Apothéloz, D., Brandt, P.-Y. et Quiroz, G., 1992, "Champs et effets de la négation
argumentative : contre—argumentation et mise en cause. Argumentation, 6/1,
pp. 99—113.
Réfi“rences bibliographiques 213

Araüjo Carreira, M.H., 1988, "Subjecfividade enunciafiva e discurso relatado:


contribuiçäo para o desenvolvimento de um método de anälise“, dans Actas
do HI" Encontro da Associaçäo Portuguesa de Lingur’sfica. Lisboa: Associaçâo
Portuguesa de Linguistica.
Araùjo Carreira, M.H., 1991, “De l‘intentionne] au linguistique: l‘expression du
'DESACCORD' en portugais", dans Actes du XVIIIe Congrès international de
Linguistique et Philologie Romanes (Tome 11). Tübingen: Niemeyer.
Araüjo Carreira, M.H., 1993, "Modalité déontique et stratégies argumentaüves en
interlocution“, dans Actes du XXe Congrès International de Linguistique et
Philologie Romanes (Tome II, 2). Tübingen/ Basal : Francke.
Araùjo Carreira, M.H., 1994, "Para uma leitura guiada de Sémantique Générale de
Bernard Pottier com adaptaçôes ao português“. Revista du Faculdade de Letras
do Porto. Linguas e Literaturas, XI, pp. 147—180.
Araûj0 Carreira, M.H., 1995, "Pedido de desculpa e delicadeza para o estudo dos
seus processos linguîsficos em portugués“, dans Actas do X° Encontro Nacio—
nal du Associaçäo Portuguesa de Linguistica. Lisboa : Associaçâo Portuguesa de
Linguistica.
Araûjo Carreira, M.H., 1996, "Atenuaçâo de critica ou de desacordo : meios linguis
ticos e realizaçôes discursivas em português". Conferência du Inter—national
Sociological Association (Évora '. Universidade de Évora, 25-29 mars 1996).
Araûjo Carreira, M.H., 1997, Modalisafion linguistique en situation d'interlocufion:
proxémique verbale et modalités en portugais. Louvain/Paris : Peeters.
Araûjo Carreira, M.H., 1998 a, "Politesse et injonction : quelques procédés d‘indirec
tion et de désactualisafion modale et/ ou temporelle en portugais“, dans Atti
de! XXI Congresso Intemazionale di Linguistica et Filologia Romanza (Vol. IV).
Tübingen : Niemeyer.
Araüjo Carreira, M.H., 1998 b, "Délimitation sémanfico—pragmafique des formes
d'adresse en portugais", dans Travaux de linguistique hispanique. Actes du Vlle
colloque de linguistique hispanique. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle.
Araûjo Carreira, M.H., 1999, "Pour une délimitation sémæfico—pragmafique de
l‘expression linguistique de la proxémique: l'exemple du portugais", dans
Varietät oon Sprache, Asthetik des Textes. Studien zur (Luso-)Romania. Beiträge
zu Paul Valéry, A.C. Franco, G. Hamm9rmüller & C. Klettke (éds.). Tübin—
gen : Gunter Narr.
Araûjo Carreira, M.H. (éd.), 2000, Les langues romanes en dialogue(s). Saint—Denis:
Université Paris 8 Vincennes Saint—Denis (Travaux et documents), sous
presse.
Amengaud, F., 1981, "L'impertinenœ ex-communicafive ou comment annuler la
parole d’autrui". Degrés, n°26—27.
Auchlin, A., 1997, “L'analyse pragmatique du discours et la qualité du dialogue:
214 La représentation critique du discours de l‘autre

arguments pour une approche systémique de la compétence discursive",


dans Le Dialogique, D. Lunatti, 1.-C. Beacco, R. Mir—Samii, M. Murat et
M. Vivet. Berne} Berlin/ Francfort/ New York/Paris/ Vienne : Peter Lang.
Austin, ].L., 1970, Quand dire, c‘estfaire. Paris : Seuil [tract de Haro to do things wilh
mords. Oxford : University Press,1%2}.
Authier, J., 1982, “Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive: éléments
pour une approche de l‘autre dans le discours". DRLA V, 26, pp.91-151.
Authier—Revuz, J., 1984, “Hétérogénéité(s) énonciafive(s)". Langages, 73, pp. 98-111.
Authier—Revuz, J., 1987, "Compte—rendu de La parola d'altn‘ de B. Mortara Gara
velli“. journal ofPragmafics, 11, pp. 427—431.
Authier-Revuz, J.,1991, “Hétémgénéités et ruptures: quelques repères dans le
champ énonciatif", dans Le sens et ses hétérogénéités, H. Parret (éd.). Paris:
Éditions du CNRS.
Authier—Revuz, ].,1992a et b, "Repères dans le champ du discours rapporté".
L‘information grammaticale, 55, pp. 38—42 et 56, pp. 1045.
Authier—Revuz, J. 1995, Ces mots qui ne vont pas de soi : boucles réflexizæs et non—coihci—
denca du dire (1 et 11). Paris : Larousse.
Authier—Revuz, ]. 1998, "Enonciation, méta—énonciation. Hétérogénéités énoncia»
tives et problématiques du sujet", dans les sujets et leurs discours : énonciation
et interaction, R. Vion (éd.). Aix-en Provence : Publications de l'Université de
Provence.
Bakht‘me, M., 1977, Le marxisme et la philosophie du langage: essai d'application de la
méthode socioloÿque en linguistique. Paris : Éditions de Minuit [édition
originale : Leningrad, 1929, sous le nom de Volochinov].
Becher, M. et Bergenholtz, H., 1985, “Sei oder nicht sel: Probleme des Modus
gebrauchs in der indirekten Rade". Nouveaux Cahiers d‘allemand, 3, pp. 443—
457.
Bennett, A., 1982, “Stratégies and counterstrategies in the use of yes—no questions in
discourSe", dans Languoge and social identity, J. Gumperz (éd.). Cambridge:
Cambridge University Press.
Benveniste, E., 1966, Problèmes de linguistique générale. Paris : Gallimard.
Berrendonner, A., 1981, Éléments de pragmatique linguistique. Paris : Minuit.
Borillo, A., 1978, Structure et valeur énonciative de l'interrogation totale en français.
Thèse de Doctorat d'Etat de l‘UniVemité d‘Aix-en—Provence.
Box-flic, A., 1979, “La négation et l‘orientation de la demande de continuation“.
Langue Française, 44, pp. 27—41.
Borillo, A., 1981, “Quelques aspects de la question rhétorique en français". DRLA V,
25, pp. 1-33.
Réfirenœs bibliographiques 215

Brandt, P.A., 1980, "Polémique et subjectivité", dans Le discours polémique. Lyon:


Presses Universitaires de Lyon.
Brandt, P.-Y., 1989, “Contre—argumentation et organisation raisonnée". Travaux du
Centre de Recherches Sémiologiques, 57, pp. 43—67.
Brandt, P.-Y., 1990, “Stratégies de contre—argumentation et logique", dans Actes du
4ème Colloque de l‘A.R.C. Rocquencourt : INRIA.
Brès, I., 1999, “Entendre des voix : de quelques marqueurs dialogiques en français",
dans L'autre en Discours, Brès, I. et al. Montpellier /Rouenz Praxiling/ Dia
lang.
Bresson, D., 1988, Grammaire d'usage de l'allemand contemporain. Paris : Hachette.
Brown, P. et Levinson, S., 1978, "Universals in language use: politeness phéno—
mena", dans Questions and Politeness, Goody (éd.). Cambridge : Cambridge
University Press.
Bruxelles, 5. et al., 1982, “Justement, et l‘inversion argumentaüve". lexique, 1,
pp. 151—161.
Bruerles, S., Ducrot, O. et Raccah, P.—Y., 1993, "Argumentation et champs topiques
lexicaux". Cahiers de Pruxémafique, 21, pp. 88—104.
Bruerles, S., Ducrot, O. et Raccah, P.-Y., 1995, "Argumentation and the topical
fields". Journal omegmah‘cs, 24, pp. 99—114.
Bublitz, W., 1978, Ausdrucksweisen der Spæcheminsællung im Deutschen und Eng—
lischen. Tübingen: Niemeyer.
Cadiot, A. et al., 1985, "Enfin, marqueur métalinguisfique". journal of Pragmfics, 9,
pp. 199—239.
Cadiot, P., 1988, "Le thème comme synecdoque". Langue Française, 78, pp. 9-25.
Cadiot, P. et Fradin, B. , 1988, "Présentation: une crise en thème 2’". Langue Fran
çoise, 78, pp. 3—8.
Cahour, B., 1991, La modélisation de l'interlocuteur. Thèse de doctorat, Université de
Paris VIII. '
Calas, F., 1996, "De la syntaxe à la pragmatique : étude de l'interrogation dans deux
monologues de Béréniæ". L'information grammaticale, 68, pp. 11-15.
Carel, M., 1992, Vers une formalisation de la théorie de l‘argumentation dans la langue.
Thèse de doctorat, E.H.E.S.S.
Gare], M., 1995 a, “Pourtant: une argumentation par l'exception". journal of Prag_
malles, 24, pp. 167-188.
Care], M., 1995 b, "Trop: argumentation interne, argumentation externe et positi
vité", dans Théorie des topoï, ].-C. Anscombre (éd.). Paris : Éditions Kimé.
Carel, M., 2001, "Argumentation externe et argumentation interne au lexique : des
propriétés différentes". langages, à paraître.
216 La représentation critique du discours de l'autre

Carel, M. et Ducrot, O., 1999, "Le problème du paradoxe dans une sémantique
argumentative". Langue Française, 123, pp. 6-26.
Caron,]., 1988, "Comment aborder l'interaction verbale dans un modèle psycho—
linguistique ?", dans Echanges sur la conversation, J. Cosnier, N. Gelas et
C. Kerbrat-Orecchioni (éds.). Paris : CNRS.
Chang, l.-B., 1993, Le discours rapporté en coréen contemporain. Thèse de doctorat,
E.H.E.S.S.
Charaudeau, P., 1984, “Eléments de sémiolinguistique d‘une théorie du langage à
une analyse du discours". Connexions, 38, pp. 7—30.
Charaudeau, P., 1992, Grammaire du sens et de l 'expression. Paris : Hachette.
Contais, J.-P., 1990, Temps, mode, aspect. Toulouse : Presses Universitaires du Mirai].
Confais, ].-P., 1995, "Frage, Fragesatz, Fraglichkeit", dans Fragen and Fragesätze im
Deutschen, M. Schecker (éd.). Tübingen: Stauffenburg Verlag (Euroger—
manistik, 9).
Comad, R., 1978, Studien zur Syntax and Semanfik oon Frage and Antroort. Studia
Grammafica XIX. Berlin.
Comulier, B. de, 1982, "Sur le sens des questions totales et altemafives". Langages,
67, pp. 55—127.
Cortès, C. et Szabo, H., 1982, "L‘hypothèse en allemand moderne". Études Ger—
maniques, 37e année, 3, pp. 273—289.
Cortès, C. et Szabo, H., 1984, "Marqueurs de l‘interrogation en allemand moderne",
dans L'inierrogah‘on, P. Valentin (éd.). Paris (Linguistica Colioquia I).
Coupin, C., 1995, La quantification de faible degré. Thèse de doctorat, E.H.E.S.S.
De Arruda Cameiro Da Cunha, D., 1992, Discours rapporté et circulation de la parole.
Louvain : Peeters.
Desbois, G., 1989, "Pratiques évaluatives", Cahiers du Français des années quatre-vingt,
4, pp. 133-135.
Diller, A.-M., 1980, Étude des actes de langage indirects dans le couple question—réponse
en français. Thèse de doctorat de troisième cycle, Université de Paris VIII.
Diller, A.-M., 1984, La pragmatique des questions et des réponses. Tübingen: Canter
Narr.
Donaire, M.L., 1995, "Subjonctif, négation et polyphonie“. Hermès, 15, pp. 155—177.
Donaire, M.L., 1996, "Dire que pour ne pas dire: polyphonie et distance énoncia
tive", dans La linguistique française : grammaire, histoire et épistémologie,
E. Alonso, M. Bruña, M. Muñoz (éds.). Seville: Grupo Andaluz de Prag—
mâtica.
Domaire, M.L., 1998a, "Sinfonia en que y formas de polifonia”. Signo ô‘ Serin, 9,
pp. 107-144.
Re’firences bibliographiques 217

Donaire, M.L., 1998b, “La mise en scène du conditionnel ou quand le locuteur reste
en coulisses". le Français Moderne, 1998/ 2, pp 204-227.
Donaire, M.L., 2000, "Polifonia y punto de vista“. Discurso y Sociedad, sous presse.
Ducrot, 0., 1979, "L‘imparfait en français“. Linguisfische Berichte, 60, pp. 1-23.
Ducrot, 0., 1980 a, "Analyse de textes et linguistique de l'énonciation”, dans Les
mots du discours, O. Ducrot et al. Paris : Minuit.
Ducrot, 0., 1980 b, "Enoncial‘ion", dans Encyclopædia Universalis, tome 17. Paris:
Encyclopaedia Universalis France.
Ducrot, 0., 1980 c, "Analyses pragmatiques". Communications, 32, pp. 11—60.
Ducrot, 0., 1983, "La valeur argumentafive de la phrase interrogative", dans Actes
du Colloque de Pragmatique, Fribourg, 1981. Berne : Peter Lang.
Ducrot, 0., 1984, Le dire et le dit. Paris : Minuit.
Ducrot, 0., 1987, "Argumentation et topoï argumentafifs", dans Actes de la 8e Ren
contre des Professeurs de Français, Université d‘Helsinki, pp. 27—57.
Ducrot, 0., 1988, “Topo’i et Formes Topiques". Bulletin d'Études de linguistique
française, 22, Tokyo, pp. 1-14.
Ducrot, 0., 1989 a, Logique, structure, énonciation : lectures sur le langage. Paris :
Minuit.
Ducrot, 0., 1989 b, “Topoï et sens", dans 93 Colloque d‘Albi - langage et Signification,
pp. 1-22.
Ducrot, 0., 1990 a, Polifonfa y Argumentaciän. Cali : Editions de l‘Université de Cali,
Colombie.
Ducrot, 0., 1990 b, "Argumentation et persuasion", dans Actes du Colloque
Énona’afion et Parti Pris de l‘Université d‘Anvers. Anvers: Walter De
Mulder, Franc Schuerewegen et Liliane Tasmowski, pp. 143—158.
Ducrot, 0., 1991, Dire et ne pas dire. Paris : Hermann (3e éd., le éd.l972).
Ducrot, 0., 1993 a, "Les "topo‘i” dans la Théorie de l‘Argumentafion dans la
langue”, dans Lieux communs, topol‘, stéréotypes, clichés, C. Planfin (éd.).
Paris: Kimé. ‘
Ducrot, 0., 1993 b, "A quoi sert le concept de modalité ?“, dans Modality in Language
Acquisition, N. Dittmar et A. Reich (éds.). Berlin/New York : De Gruyter.
Ducrot, 0., 1995 a, “Les modificateurs déréalisants“. journal of Pragmtt‘cs, 24,
pp.145—166.
Ducrot, 0., 1995 b, “Philosophie du langage" et “Situation de discours“, dans Non
veau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, 0. Ducrot et J.-M.
Schaeffer (éds). Paris : Seuil.
Ducrot, 0., 1998, "Léxico y gradualidad“. Signo 8 Seña, 9, pp. 175—196.
218 la représentation critique du discours de l'autre

Ducrot, 0., 2001, "Le choix des descriptions en sémantique argumentafive lexicale".
Langages, à paraître.
Ducrot, O. et al., 1980, Les mots du discours. Paris : Minuit.
Ducrot, O. et Gare], M., 1999, "Les propriétés linguistiques du paradoxe : paradoxe
et négation". langue Française, 123, pp. 27—40.
Ducrot, O. et Schaeffer, J.-M., 1995, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences
du langage. Paris: Seuil.
Ehlich, K. et Rehbein. J., 1972, "Einige Interrelafionen von Modaiverben", dans
Linguisfische Pragmufik, D. Wunderlich (êd.). Frankfurt/ M. : Athenäum-Ver—
lag.
Femandez, J., 1994, les particules énonciatives dans la construction du discours. Paris :
Presses Universitaires de France.
Femandez Bravo, N-, 1990, Les énoncés interrogah'fs en allemand contemporain. Thèse
de Doctorat d'Etat de l'Université Paris IV.
Femandez Bravo, N., 1993, Les énoncés interrogahfs en allemand contemporain. Tübin
gen : Niemeyer.
Femandez Bravo, N., 1994, "La question rhétorique en allemand", dans Interro
gation 1 : des marques..., P. Boucher et ].-M. Fournier (éds.). Rennes : Presses
de l'Université de Rennes 2, (Travaux linguistiques du CERLICO, 7),
Femandez Bravo, N., 1995 3, "Die kommnnikafive Funktion rhetorischer Fragen in
E.T.A. Hoffmanns Erzählung Der Magnefiseur", dans Signans und Signatum,
E. Faucher (éd.). Tübingen : Gunter Narr (Eurogermanisfik, 6).
Femandez Bravo, N., 1995 b, "Rhetorische Fragen. Modalpartikeln und semantische
Interpætafion“, dans Fragen and Fragesätze im Deutsdæn, M. Schecker (éd.).
Tübingen : Stauffenburg Verlag (Enrogermarfistik, 9).
Femandez Bravo, N., 1995 c, "Énoncés interrogafifs en allemand: prototypes et
utilisations «déviantes»“. Bibliothèque des Nouveaux Cahiers d‘allemand (Spé
cial concours), 2, pp. 157—177.
Femandez Bravo, N.,1999, "Les actes de langage indirects revisités", dans Coté
gories et connexions, C. Cortès et A. Rousseau (éds.). Villeneuve d'Ascq :
Presses Universitaires du Septentrion.
Femandez Bravo, N. et Rubenach, S. 1995, Les mots pour communiquer. Les particules
modales et leur correspondant en français. Paris : Ellipses.
Femandez Bravo, N., et Rubenach, S. 1997, "Les mots du discours et l‘implicite
dans Weihnachtser‘nkäufe du cycle Analol“. Bibliothèque des Nouveaux Cahiers
d'allemand (spécial concours), VI, pp. 433—464.
Flahault, F., 1987, La scène de ménage. Paris : DenoëI.
Franckel, 1.-}. et Leband, D., 1990, Les figures du sujet. Paris : Ophrys.
Réfirenœs bilenphqus 21 9

Franco, A., 1991, Descfiçäo linguistica des particules modar‘s no português e no alemäo.
Coimbra : Coimbra Editora.
Fuchs, C., 1991, “Hétérogénéité interprétative", dans Le sens et ses hétérogénéités,
H. Pan‘et (éd.). Paris : Éditions du CNRS.
Garda Negroni, M.M., 1988, "La destinacîén del discurso politico : una categofia
multiple". Lenguaje en contexto, I, 1/2, pp. 85—111.
Garda Negroni, M.M., 1995, Réinterprétafi0n et scalan‘te‘: les instructions de relecture
dans la langue. Thèse de doctorat, E.H.E.S.S.
Garda Negrorfi, M.M. (éd.), 1998, Signe e Seña. 9, "Longue, argumentaciôn y poli
fortia".
Gardés—Madray, F., 1989, "Vous avez dit dialogue ?". Cahiers de Praxématique, 13,
pp.101-116. -
Gelas, N., 1980, "Étude de quelques emplois du mot polémtfiue", dans Le discours
polémique. Lyon : Presses Universitaires de Lyon
Goifman, E., 1987, Façons de parler. Paris: Éditions de Minuit [édition originale,
1981].
Gordon, D. et Lakoff, G., 1973, “Postulats de conversation“. langages, 30, pp. 32—56
{trad. de "Conversational Postulates", C.L.S. 7, 1971].
Grésillon, A., 1980, "Zum linguisfischen Status rhetorischer Fragen“. Zeitschnfl für
germanisfische Linguisfik, 8, pp. 273—289.
Grésillon, A., 1981, "Interrogation et interlocufion“. DRLA V, 25, pp. 61—65.
Grésillon, A. et Lebrave, I.-L., 1984, "Qui interroge qui et pourquoi ?", dans La
langue au ras du texte, A. Grésülon et J.-L. Lebrave (éds.). Lille : Presses Uni
versitaires de Lille.
Grewendorf, G., 1972, "Sprache ohne Kontext. Zur Kritik der performativen
Analyse", dans Linguisfische Pragmatik, D. Wunderlich (éd.). Frankfurt/ M. :
Athenäum—Veflag.
Grice, H.P., 1979, "Logique et conversation“. Communications, 30, pp. 57—72 [trad. de
"Logic and Conversation", dans Syntax and Semuntics 3, P. Cole et
J.L. Morgan (éds.). York : Academic Press,1975].
Grize, ].-B., 1990, logique et langage. Paris ;
Grumbach, E., 1981, “Un aspect pragmatique du verbe sollen". DRLAV, 25, pp. 77—
100.
Gülich, E. et Kotschi, T., 1983, "Les marqueurs de la reformulation paraphrastiqne".
Cahiers de Linguistique Française, 5, pp. 305-351.
Gülich, E. et Kotschi,T., 1986, "Refonnuliemngshandlungen als Mittel der Text—
k0nstituti0n. Untersuchungen zu franzôsischen Texten aus mündlicher
Kommunikati0n“, dans Satz, Text, sprachtiche Handlung, W. Motsch. Berlin
(Studiu Grummatim XXV).
220 La représentation critique du discours de l ‘autre

Haase, M., 1994, Respekt: Die Grammafikalisierung von HÔflichkeit. Unterschleiss


heim/ München : LINCOM Europe.
Habeas Corpus !, 1994, "De l‘observable au fait: problèmes méthodologiques en
sémantique". Conférences et résumés des communications du colloque " Terrain et
théorie en linguistique“ : Colloque de la Section 34 du Comité National du
CNRS", 26 -28 septembre 1994.
Held, G., 1988, "italierfisch : Partikelforschung", dans Lexikon der romanistisclæn
Linguistik, IV. Tübingen: Niemeyer.
Hentschel, E., 1998, Negution und Interrogation. Tübingen : Niemeyer.
Hintîkka, J., 1981, "Questions de réponses et bien d'autres questions encore". langue
Française, 52, pp. 56—69 {trad. par M. Meyer].
Hobbs, J.R. et Robhæon, ].J., 1979, "Why ask ?". Discourse Processes, 2, pp. 311—318.
Hœlker, K., 1990, “Franzüsisch : Parfikelforschung", dans [exikon der r0manistisclæn
Linguistik, V, 1. Tübingen : Niemeyer.
Jacques, F., 1979, Dialogiques l : recherches logiques sur le dialogue. Paris : Presses Uni
versitaires de France.
Jacques, F., 1981, "L‘interrogation, force illocutoire et interaction verbale". Langue
Française, 52, pp. 70—79.
Jacques, F., 1982, Dij}érence et subjectivité. Paris : Editions Aubier Montaigne.
Jacques, F., 1935, Biologiques Il .' l ‘espace logique de l 'interlocufion. Paris : Presses Uni
versitaires de France.
Karantzola, E. 1993, Description sémantique de la particule du grec moderne as : sens et
contraintes temporelles—ospectuelles. Thèse de doctorat, E.H.E.S.S.
Karantzola, E., 1995, "Let‘s talk about concession: The case of the Modem Greek
parficle as". Journal of Pragmatics, 24, pp. 55—76.
Katz, J. et Postal, P., 1964, An inægrated Theory of Linguistic Descriptions. Cam
bridge : MIT Press.
Kerbrat—Orecchibtfl, C., 1978. "Déambulation en territoire alétlfique”, dans Stratégies
discursives. Lyon : Presses Urfiversitaùes de Lyon.
Kerbrat—Orecch10ni, C., 1980 a, "La polémique et ses définitions", dans le discours
polémique. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
Kerbrat—Oreodüorfi, C., 1980 b, Dénonciation de la subjectivité dans le langage. Paris :
A. Colin.
Kerbrat—Orecchionä, C., 1986, "Nouvelle communication et analyse conversation
nelle". langue Françoise, 70, pp. 7—25.
Kerbrat—Orecchiorfi, C., 1987, "La mise en places", dans Décrire la conversation,
J. Cosnier et C. Kerbrat—Orecchioni (éds.). Lyon: Presses Universitaires de
Lyon.
Références bibliographiques 221

Kerbrat—Orecchicni, C., 1989, "Le principe d'interprétation dialogique". Cahiers de


Praxe’maiique, 13, pp. 43—58.
Kerbrat-Oæcchiorfi, C., 1991 a, “Introduction", dans La question, C. Kerbrat—Orec
chioni (éd.). Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
Kerbrat-Orecchioni, C., 1991 b, "L‘acte de question et l'acte d'asserfion : opposition
discrète ou continuum ?“, dans la question, C. Kerbrat—Orecchioni (éd.).
Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
Kerbrat-Orecchioni, C, 1991 c, “Hétérogénéité énonciative et conversation", dans Le
sens et ses hétérogénéités, H. Panet (éd.). Paris : Éditions du CNRS.
Kerbrat0recchjoni, C., 1992, Les interactions verbales Il. Paris : A. Colin.
Kerbrat—Orecchioni, C., 1994, Les interactions verbales HI. Paris : A. Colin.
Kerbrat—Orecchiorfl, C., 1997, "Variations culturelles et universaux‘ dans le fonc
tionnement de la politesse linguistique", dans Le Dialogique, D. Luzzatti, J.—
C. Beacco, R. Mir—Samü, M. Murat et M. Vivat (éds.). Beme/Beflin/
Francfort/New York/Paris/ Vienne : Peter Lang.
Kirchherr, B., 1975, Unærsuchungen zu Fragen und Präsupposifionen. Staatsexamens—
arbeit (non publié), Universität Gëttingen.
Kônig, E., 1977, "Modalpartîkeln in Fragesätzen", dans Aspekte der Modalparfikeln,
H. Weydt (éd.). Tübingen: Niemeyer.
Kônig, E., 1997, “Zut Bedeutung von Modalpartikeln im Deutschen. Ein Neuansatz
im Rahmen der Relevanztheorie". Germauish‘sdæ Linguistik, 136, pp. 57—75.
Korzen, H., 1985, “Pourquoi et l'inversion finale en français". Revue Romane, numéro
spécial 30. _
Korzen, I-I., 1990, "Pourquoi pourquoi est—il différent ?". langue Française, 88, pp. 60
79.
Korzen, H., 1996, "La place du sujet non clifique dans la construction inversée".
langue Française, 111, pp. 59—82.
Kotschi, T., 1986, “Procédés d'évaluation et de commentaire métadiscursifs comme
stratégies interactives". Cahiers de Linguistique Française, 7, pp. 207-230.
Laka, B., 2000, "Variation et marqueurs discursifs en espagnol", dans Les langues
romanes en dialogue(s), M.H. Araüjo Carreira, (éd.). Saint—Denis : Université
Paris 8 Vincennes Saint—Denis (Travaux et documents), sous presse.
Le Guern, M., 1980, "Polémique et espace discursif“, dans Le discours polémique.
Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
Le Querler, N., 1993, “Les formes de l‘interrogation dans les illustres flançaises de
Robert Challe". L'infirmafion grammaticale, 57, pp. 21—24.
Levinson, S., 1983, Pragmafics, Cambridge : Cambridge University Press.
222 La représentation critique du discours de l 'autre

Ligatto, D., 1991, “Stratégies de retournement du projet conversationnel dans des


dialogues authentiques en espagnol : les interventions écart", dans Pré—actes
du Premier Colloque International "L'analyse des interactions”, Aix—en-Pm—
vence.
Losier, G., 1983, Quelques figures de rhétorique utilisées pour la réfutation. Thèse de
doctorat de troisième cycle, E.H.E.S.S.
Losier, G., 1989, "Les mécanismes énoncialifs de la réfutation“. Revue québécoise de
linguistique. XVIII, 1, pp. 109—118.
Lyons,]., 1980, Sémantique linguistique. Paris: Larousse [trad. de Semonfics. Cam
bridge : Cambridge University Press, 1977].
Maingueneau, D., 1979, Sémantique de la polémique : du discours à l'interdiscours.
Etude d'un corpus de religieux du X Vite siècle. Thèse de Doctorat d'Etat, Uni—
versité Paris X.
Maingueneau, D., 1981, Approche de l'énonciation en linguistique française. Paris:
Hachette.
Maingueneau, D., 1987, Nouvelles tendances en analyse du discours. Paris : Hachette.
Maingueneau, D., 1994, Dénonciation en linguistique fiançaise. Paris : Hachette.
Martin, R., 1981, "Le futur linguistique : temps linéaire ou temps ramifié ?". Lan
gages, 64, pp. 81-92.
Martin, R., 1984, "L‘interrogation comme universel du langage“, dans L'interro—
gation, P. Valenfin (éd.). Paris (Linguistica palatine, colloquia I).
Martin, R., 1986, "La notion sémantique d'univers de croyance”, dans Actes du Xlle
Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes (Vol. 1). Aix-en—
Proveuœ : Université de Provence.
Martin, R., 1987, Langage et Croyance. Liège—Paris : Mardaga.
Martin Zonaquino, M.A., 1992, "Spanisch: Partikelforschung", dans Lexikon der
romanisfischen Linguistik, VI, 1. Tübingen: Niemeyer.
Martin Zonaquino, M.A., 2000, "Marqueurs de modalité, accord et prise de posi
tion du locuteur en espagnol", dans Recherches en Linguistique et Psychologie
Cognitive. Actes des journées scientifiques 2000 organisées par le Centre inter—
disciplinaire de recherche en linguistique et psychologie cognitive, S. Palma et J.»
E. Tyvaert (éds.). Reims : Université de Champagne-Ardenme.
Martin Zonaquino, M.A. et Portolés Lézaro, J., 1999, "Marcadores de] discurso",
dans Gramdtica description de la lengua española, I. Bosque et V. Demonte
(éds.). Madrid : Espasa—Calpe.
Masi, Stefania, 1996. Deutsche Modalparfiketn and ihre Entsprechungen iin ltalienischen.
Àquivale‘ntefür doch, ja, denn, schon, and weil. Frankfurt/ M. : Lang.
Références bibliographiques 223

Métrich, R., 1993, lexicographie bilingue des particules illocntoires de l'allemand. Gôp
pingen: Kümmerle Verlag.
Métrich, R., 1997, "De la traduction des mots de la communication dans le couple
allemand—français“. Nouveaux Cahiers d‘allemand, 3, pp. 323-361.
Métrich, R., Faucher, E. et Courdier, G., 1993, Les invariables difiiciles, Tome I.
Bibliothèque des Nouveaux Cahiers d'allemand.
Métrich,R., Faucher, E. et Courdier, G., 1995, les invariables diflîciles, Tome II.
Bibliothèque des Nouveaux Cahiers d'allemand.
Métrich, R., Faucher, E. et Courdier, G., 1999, Les invariables difi‘ïciles, Tome III.
Bibliothèque des Nouveaux Cahiers d'allemand.
Milner, J., 1973 a, "Analyse de la relation question—réponse en allemand". Sémiofica.
IX. PP- 219—240. '
Milner, J., 1973 b, "Wieso Pragmatik ?". DRLA V, 7, pp. 1-68.
Milner, I., 1973 c, "Éléments pour une théorie de l'interrogation“. Communications,
20, pp. 1940.
Milner, I., 1976, "Wieso, une miniature linguistique". Ornicar ?, 6, pp. 53—75.
Milner, J., 1983, Fragments linguistiques sur l'interrogation. Thèse de Doctorat d'Etat
de l'Utfiversité Paris VII.
Milner,]. et Milner, J.—C., 1975, "Interrogations, reprises, dialogue", dans Langue,
discours, société. Pour Émile Benveniste, J. Kfisteva. ].C. Milner, N. Ruwet
(éds.). Paris : Seuil.
Moeschler, 1., 1979, "Approche d'un acte de discours : la réfutation dans le débat
télévisé Giseard—Mitten‘and (1974)". Travaux du Centre de Recherches
Sémiologiques, 35, pp. 1-54.
Mœschler, J., 1982, Dire et contredire. Pragmatique de la négation et acte de réfi4talion
dans la conversation. Berne/ Francfort : Peter Lang.
Mœschler, J., 1985, Argumentation et conversation. Paris : Hatier-Crédif.
Mœschler, J., 1989, Modélisation du dialogue. Représentation de I‘inférence argumen
tative. Paris : Hermès.
Mœschler, J. et Spengler, N. de, 1982, "La concession ou la réfutation interdite“.
Cahiers de Linguistique Française, 4, pp. 7-36.
Nolke, H., 1983, “Les adverbes paradigmatisants: fonction et analyse“. Revue Ro—
mane, Numéro Spécial 23.
Nouveaux Cahiers d‘allemand, 1999/ 2, "Actes du colloque Les lexêmes figés dans le texte
(première partie)".
Obenauer, H.-G., 1981, “Le principe des catégories vides et la syntaxe des interroga
tives complexes". Langue Française, 52, pp. 100—118.
224 La représentation critique du discours de l'autre

Obenauer, H.-G., 1994, Aspects de la syntaxe A-Barre. Effets d'intervention et mouve


ments des quantifieurs. Thèse de Doctorat d'Etat, Université Paris 8.
Palma, S., 2000 a, "La négation dans les proverbes". Langages.
Palma, S., 2000 b, "El desdoblamiento enunciativo en los proverbios". Cahiers du
P.R.O.H.E.M.LO., 3, sous presse.
Parret, H., 1979, “Ce qu'il faut croire ou désirer pour poser une question". Langue
Française, 42, pp. 85—93.
Pan-et, H., (éd.), 1991, le sens et ses hétérogénéités. Paris : Éditions du CNRS.
Pérennec, M., “Partikeln und rhetorische Fragesätze", dans Fragen and Fragesätze in:
Deutschen, M. Schecker (éd.). Tübingen: Stauffenburg Verlag (Euro—germa
nistik, 9).
Pietro, J.-F. de, 1988, “Conversations exolingues : une approche linguistique des
interactions interculturelles“, dans Echanges sur la conversation, J. Cosnier,
N. Gelas et C. Kerbrat—Orecchioni (éds.). Paris : CNRS.
Plantin, C. 1990, Essais sur l'argumentah‘on. Paris : Kimé.
Pop, L., 2000, Espaces discursifi: Pour une représentation des hétérogénéités discursives.
Louvain/ Paris : Peeters.
Pfimatamva-Miltscheva, A., 1986, "Zwar..., Aber - ein zweiteiliges Konnekfi
vum ?“. Deutsche Sprache, 2, pp. 125439.
Raccah, P.-Y., 1990, "Signification, sens et connaissance: une approche topique".
Cahiers de Linguistique Française, 11, pp. 179—198.
Riegel, M. et Tamba, l. (éds.). 1987. “La reformulation du sens dans le discours".
Langue Française ’73.
Rodflguez Somolinos, A., 1994, "Tu parles! Una ambivalencia ilocufiva", dans La
lingù‘isù‘ca froncesa :situacién y perspectivas a finales del siglo XX, J.F. Corcuera,
M. Djian et A. Gaspar (éds.), Zaragoza.
Rosier, L., 1999, Le discours rapporté. Histoire, Théories, Pratiques. Paris/Bmxelles:
Duculot.
Ross, J.R., 1970, "On Declarafive Sentences", dans Readings in English Transfor—
mational Grammar, Jacobs et Rosenbaum (éds.). Waltham.
Rossari, C., 1989, "Des apports de l‘analyse contrastive à la description de certains
connecteurs reformulatifs du français et de l'italien". Cahiers de Linguistique
Française, 10, pp. 193-214.
Rossari, C., 1990, "Projet pour une typologie des opérations de refmmulation".
Cahiers de Linguistique Française, 11, pp. 345—359.
Rossafi, C., 1997, Les opérations de reformulation. Beme/ Berlin/Francfort/New York
/ Paris/ Vienne : Peter Lang.
Roulet, E., 1981, “Échanges, interventions et actes de langage dans la structure de la
conversation". Études de linguistique appliquée, 44, pp. 7—39.
Références bibliographiques 225

Roulet, E., 1987, "Complétude interactive et connecteurs reformuletifs". Cahiers de


Linguistique Française, 8, pp. 111—139.
Roulet, E., 1989, "Une forme peu étudiée d’échange agonal : la controverse". Cahiers
de Praxe’matique, 13, pp. 7—18.
Roulet, E., 1990, "Et si, après tout, ce connecteur pragmatique n'était pas un mar
queur d‘argument ou de prémisse impliquée ?". Cahiers de Linguistique Fran
çaise, 11, pp. 329—343.
Roulet, E. et al., 1985, L'articulation du disc0urs en français contemporain. Berne : Lang.
Sabah, G., 1988, L‘intelligence artificielle et le langage, 1, Représentation des connais
sances. Paris : Hermès.
Sadock, ].M., 1971, "Queclaraüves", dans Papers From The Seventh Regioml Mee—
ting of the Chicago Linguistic Society, pp. 223-231.
Sadock, J.M., 1974, Towards a Linguistic Theory of Speech Acts. New York: Aca—
demic Press.
Sauerwein, S., 1990, "L'évaluation dans des dialogues de consultation. Une étude
linguistique des structures de l‘expression évaluafive”, Rapport MMlz,
INRIA/6.
Sauerwein, S., 1998, "Interrogatividad y retoricidad : a propésito de ciertas pregun—
tas opositivas del alemän". Signe 8 Serin, 9, pp. 381—391.
Schanen, F., 1995, Grammaiik Deutsch ais Fremdsprache. München : Iudicium-Verlag.
Schelling, M., 1983, "Remarques sur le rôle de quelques connecteurs, donc, alors,
finalement, au fond, dans les enchaînements dans le dialogue“. Cahiers de
Linguistique Française, 5, pp. 169—187.
Schlyter, S., 1977, La place des adverbes en -ment en français. Thèse de doctorat, Cons
tance.
Schmidt—Radefeldt, j., 1977, "On so—called 'rhetorical' questions". journal of Prag
matics, 1, pp. 375—392.
Schmidt—Radefeldt,]., 1993, “Particules discursives interaccionais no português e
no espanhol em contraste com o alemâo", dans Sémiôfica e linguistica
portuguesa e românica. Homenagem a jose‘ Herculano de Camalho. Tübingen:
Gunter Narr.
Schmidt—Radefeldt, J., 1994, "Portugiesisch : Partikelforschung", dans Lexikon der
romanistisdæn Linguistik, VI, 2. Tübingen: Niemeyer.
Searle, I., 1969, Speech Acts : an Essay in the Phflosophy of Language. Cambridge :
University Press.
Searle, I., 1982, Sens et expression. Paris : Editions de Minuit [trad. de Expression and
Meaning. Cambridge University Press, 1979].
Simonin, J., 1984, "De la nécessité de distinguer énonciateur et locuteur dans une
théorie énonciative". DRLA V, 30, pp. 55—62.
226 La représentation critique du discours de l'autre

Spengler, N. de, 1980, "Première approche des marqueurs d‘interactivité". Cahiers de


Linguistique Française, 1, pp. 128—148.
Stati, S., 1990, Le tran5phrastique. Paris : Presses Universitaires de France.
Sweetser, E., 1990, From Etymology to Pragmafics. Cambridge: Cambridge Univer—
sity Press.
'Fhun, H., 1989, "Rumänisch: Parfikelforschung", dans Lexikon der romant’sfischen
Linguistik, III. Tübingen : Niemeyer.
Todorov, T., 1981, Mikhai‘l Bakhline : le principe dialogique suivi de Écrits du Cercle de
Bakhtine. Paris : Seuil.
Todt, G. et Schmidt—Radefeldt, J., 1981, Wissensfragen und direkte Antworten in
der Fragelogjk LA?, dans Zur Theorie der Frage, D. Krallmann et G. Sfickel
(éds.). Tübingen : Narr.
Tordesillas, M., 1998, "Esbozo de une dinàmica de la lengua en el marco de une
seménfica argumentaflva". Signo & Seña, 9, pp. 347—378.
Traugott, E., 1989, "On the Rise of Epistemic Mearfings in English. An Exemple of
Subjecfificafion in Semanfic Change". language, vol. 65/1, pp. 31-55.
Valentin, P., 1983, "Le discours indirect aux subjonctifs". Nouveaux Cahiers d'alle
mand, 1, pp. 29—38.
Valentin, P. (éd.), 1984, L'interrogation. Actes du Colloque Paris—Sorbonne, 1983.
Paris (Linguistica palatine, cofloquia l).
Valois, D., 1997, "Négation, interrogation et accord spécificateur-tête". Revue québé—
coise de linguistique, 25/2, pp. 99—120.
Vemant, D., 1994, "Dialectique, forme dialogale et dialogique", dans Préactes du
colloque "le Biologique" (Le Mans, Université du Maine, 15 et 16 sept. 1994).
Vemant, D., 1997, "Dialectique, forme dialogale et Dialogique", dans le Dialogique,
D. Luzzatfi, J.—C, Beacco, R. Mir—Samii, M. Murat et M. Vivat. Beme/ Berlin
/ Francfort/New York/ Paris/ Vienne : Peter Lang.
Vlan, R., 1992, la communication verbale. Analyse des interactions. Paris : Hachette.
Waltereît, R., 1999, "Abtänung ais universalpragmafisches Phänomen, dans inter—
nationale Tendenzen der Syntaktik, Semantik and Pragmafik. H.O. Spi]lmann et
I. Wamke (éds.). Frankfurt/ M. : Lang.
Waltereit, R., 2000, "Modal particles and their functi0nal equivalents : A speech—act
theoretic approach". journal ofPragmafics, sous presse.
Weinrich, H., 1986, Lügt man im Deutschen, wenn man hOflich ist ?. Wien/Züfich/
Mannheim : Bibliographisches Institut.
Weinrich, H., 1993, Textgrammafik der deuischen Sprache. Mannheim] Leipzig/ Wien
/ Zürich: Dudenverlag.
Références bibliographiques 227

Weydt, H., 1969, Abtänungsparfikel : Die deutschen Modaluürter and ihre fianzäsischen
Entsprechungen. Bac] Homburg : Gehlen.
Wierzbicka, A., 1986, "Introduction“. journal ofPragmatics, 10, pp. 519—533.
Willems, D., 1981, Syntaxe, lexique et sémantique: les constructions verbales. Gent:
Rijksuniversiteit.

Sources des exemples attestée provenant de fictions :

Day, M. Lean and Tod des Harry Laoender. Berlin : Frauenbuchverlag, 1994.
Grän, C. Nur eine lässliche Sünde. Reinbek : Rowohltverlag, 1991.
Grän, C. Grenzfiz‘lle. Reinbek : Rowohltveflag, 1992.
Martin, H. Bei Westwind härt man keinen Schufl. Reinbek : Rowohltverlag, 1973.
Martin, H. Der Kammgamkiller. Reinbek : Rowolfltverlag, 1979.
Sarraute, C. Mademoiselle, s'il vous plaît. Paris : Flammarion, 1991.
Index

allocutaire 3, 46, 51-52, 54, 57, 65, 81, 83, ex-locuteur 25, 81-82, 103-104, 134, 190,
90, 92, 102—106, 111, 121-122, 128, 142, 195—196, 198, 208.
146, 148, 171-172, 175—176, 198—199, 206. face 29—32, 56, 57.
amphore, anaphorîsafion 92 hétérounivers 86, ISO—132, 137, 189, 207.
argumentation, argumenter, (orienta-üon}, illocution, illocutoire 20, 34-37, 39, 49, 113,
(valeur, orientation) argumen—tative 2, 121, 141-142, 161, 165.
18—26, 42—49, 53, 54, 61, 65, 73, 76, 79, 83, impératif 121—131, 134—135, 190—192, 197,
114, 147, 158, 195, 206. 207.
assertion préalable 67, 79, 81, 106, 116, interaction, interactionnel 17, 21, 25-26, 28,
162. 30-31, 33, 152, 156, 196.
assimilation, attribution (d’un point de interlocuteur, interlocution 9-12, 15, 17, 21
vue) 3, 15, 52, 57, 103—104, 194, 206, 208, 26, 28—32, 52—57, 61, 63-54. 66—68, 71, 76,
210. ' 79-84, 88, 90, 93, 98, 101, 103—106, 112,
atténuation 30, 32, 52, 100. . 114-115, 117—119, 132-138, 141, l46—148,
causal, cause 65-66, 67, 68, 79, 80, 85, 94, 154, 155, 159, 164—165, 170—174, 177—180,
109-118, 133, 136—137, 139—140, 167, 174— 188, 190, 192—193, 194—198, 205, 207—210.
175, 179, 185, 187—190, 193, 194, 196—197, interpellation (de l'interlocuteur) 52, 102—
200. 104, 135, 165, 172, 179—180, 188, 190, 193,
complétive 62, 64, 68, 71, 78—79, 89, 91-92, 195—196, 208, 210.
94, 98. interprétation, interprétatif 10—11, 13-14,
conditionnel 62, 85—86, 129. 16—18, 28, 31, 36, 44, 56, 93, 95—96, 111
construction enchevêtrée/imbriquée 69, 113, 119, 122—124, 127, 131-132, 135—138,
84, 93, 96, 111-112, 206. 146, 149, 153, 158, 160-161, 163—164, 167,
contexte 1, 3, 4, 12, 14, 24, 2s27, 36, 40, 44— 170, 173-174, 178, 192, 207.
45, 53-54, 64, 73, 74, 78, 86, 87, 98, 99, interrogatif, interrogative, intertoga-h‘on,
111, 113—114, 117, 119, 123—125, 127, 131 interrogativité 31-41, 43, 51-57, 61-65,
133, 135—139, 143—144, 146, 148, 151—161, 67—69, 72, 80—81, 83—86, 88, 89, 93, 95—98,
163, 165, 169, 174, 177—179, 185, 187, 189— 100—102, 105, 1119—120, 130-199, 205208.
190, 192, 194. Konjunkfiv 125-140, 178—179, 187—188, 190,
contrainte 48, 53—55, 86, 87, 137, 146—147, 154, 195-198, 207.
157, 163, 190, 198, 206, 208. métacommunicafif 20.
dialogue, dialogal, dialogique 1, 4, 9— 11, métadiscursif/-ve 11, 17, 71, 128.
26—29, 31, 52, 55—56, 63, 96, 102, 103, 109, métaénonciatives 11.
124, 154—155, 195—196, 210. métalinguisfique 15, 33, 61, 97—99, 101,
discursif/-ve 1, 2, 3, 12, 15, 16, 18-20, 24, 103—105, 134—136, 140, 144, 147, 157, 169,
28, 40, 49, 92—93, 113, 117, 134—135, 138, 173-174, 176, 182, 187, 189—190, 193, 194
148, 154, 156, 173, 191-192, 194, 196—197, 195, 197, 200, 207—208.
201. modal, modalité 19, 33, 74, 77-79, 120, 121,
disqualification, disqualifier 21, 24, 26, 28, 123, 124, 134, 139, 142, 187, 189, 194.
76, 90, 94, 106, 193. - aléthiquelZô, 128.
écart interprétatif 11, 16—17, 206. - déontique 52, 77, 122, 124, 126, 129,
échange 1-4, 16—13, 25—29, 31-32, 38—40, 53, 133-135, 194.
54, 56, 63—64, 78, 82, 103, 113, 124, 134— - épistémique 77—79, 82, 84, 112, 121—124,
135, 141, 152, 154-155, 164, 172 208-210. 133, 135, 143, 170.
effet de sens 85, 131, 138, 146, 180. monstrafiOn, montré 11, 14, 50—52, 57, 80,
énonciateur 49-53, 79—80, 83—85, 90, 93, 99, 83, 102, 104—105, 118, 170, 207, 210.
103—104, 116, 125, 164, 198, 207.
229

- épistémique 77—79, 82, 84, 112, 121—124, 137—139, 144—151, 153-158, 160, 164166,
133, 135, 143, 170. 170-176, 178, 180—181, 190, 192—193, 195,
monstration, montré 11, 14, 50—52, 57, 80, 198, 208-209.
83, 102, 104—105, 118, 170, 207, 210. représentation (d'un discours, d'une
négation 1, 15, 18, 22—23, 33, 43, 61, 62, 65, énonciation) 1, 2, 13—14, 17, 23, 25, 27—28,
84, 97—101, 103—105, 134, 137, 193, 194— 53, 57, 74, 76, 81—83, 93, 101, 105406,
195, 207-208. 118, 151, 190, 205-206.
oppositif (discoursw échange “) 1, 2, 3, reprise (du discours) 1, 11-15, 50—51, 57,
14-15, 17—18, 25, 28-29, 32-33, 57, 193, 62—64, 88—89, 92, 97—99, 115, 124, 133—134,
205-206, 208—209. 140, 156, 159, 163, 168-169, 174, 176, 185,
particule (modale, illocutoire, éononcia— 189—190, 193, 197.
tive,...) 113, 114, 130, 140, 141—144, 144— rhème —> propos
186, 187, 189, 192—193, 194, 197—198, 207 rhétoricité, (lecture/question) rhétorique
209. 19, 32, 34, 38, 40—41, 45, 47‘, 51, 53—57, 81,
perfoerfif 36—38, 63, 105, 115. 83-86, 118—119, 125, 131, 137-138, 144—
persuasion, (effet) persuasif 23, 26, 146— 147, 149-150, 152-161, 164—167, 170, 172,
147, 153, 160, 167, 173, 182, 209. 177, 180—185, 188, 190, 192-193, 195-198,
politesse 29-33, 153, 205. 207—209.
polémique (*-, négation—ç question H) 11, signification 3, 31, 44, 47—48, 51, 72, 87,
18, 21, 23, 26—28, 57, 61, 97, 99, 101, 103, 122-123, 139, 146, 164, 167, 172—173, 180,
191, 193, 195, 207. 182, 208.
polyphonie, polyphonique 2, 10, 14, 20, 37, stratégie 11, 18-20, 22, 25, ‘28, 55, 146, 160,
42, 49-52, 61, 79, 86, 93, 104—105, 116, 208.
144, 198, 207—209. thème, (répartition) thématique 12, 26, 53,
présupposé, présupposifion, présuppo— 54, 55, 87-94, 106, 151, 154—155, 157, 189
sitionnel 20, 33, 49, 53, 55, 65—68, 70, 79— 190, 196, 206.
86, 90, 93, 98-99, 101, 106, 110—113, 116— topos, topique 2, 16, 22, 42, 45—49, 72—82,
120, 129, 134—135, 137—138, 146, 148, 172, 84, 90, 93, 97, 105, 206, 209.
188-190, 193, 194, 198, 206207, 210. (on—, L-) vérité 13, 24, 26, 31, 39, 43, 66, 128,
propos (thème) 87-94, 106, 155—156, 206. 138.
question, questionnement 1, 2, 3, 9, 29, 32— vocafif 102—104.
41, 51-57, 61-65, 67—68, 70, 78—102, 104—
106, 109—120, 130—131, 133—201, 205—210.
rapport (de discours), (discours) rap-porté
13—14, 49—50, 62, 102, 104, 121—127, 134
135, 172, 189, 207.
reformulafion, (usage) reformulafif, re
formulé 12, 15, 34, 71.
réfutation, réfutafif 18—22, 26—27, 30, 164,
187—188, 195—198, 200, 208.
réplique 1, 16-17, 20, 63, 91-92, 114, 119,
135, 138—139, 147, 149—151, 162—163, 169,
173, 176, 178, 187, 190.
réponse 2, 32—33, 36, 39—40, 51-56, 64, 70,
80, 83—84, 86, 88, 91, 95, 98—99, 106, 110
111, 113, 115—116, 118—119, 131, 133-134,
Zusammenfassung

Fragen werden allgemein als einleitende Sprechakte angesehen, die, wenn sie
gelingen, eine Reaktion des Gesprächspartners/ der Gesprächspartnerin zur Folge
haben. Sie können jedoch auch dazu dienen, auf eine vorausgehende Äußerung zu
reagieren. In beiden Fällen spielt die Art und Weise, wie die Frage auf den Ge
sprächspartner/ die Gesprächspartnerin Bezug nimmt (seine/ ihre Präsenz), eine
entscheidene Rolle. Die Frage kann auf ihn/ sie als vorherige(n) oder auch als Zu
künftigen Sprecher bzw. als zukünftige Sprecherin, d.h. als Befragten/ Befragte,
hinweisen, und dies mehr oder weniger deutlich, sowie anhand verschiedenster
sprachlicher Mittel.
Die vorliegende Arbeit befaßt sich mit interrogativen Strukturen im Französi
schen und im Deutschen, die es dem Sprecher] der Sprecherin ermöglichen, der un
mittelbar vorausgehenden Rede zu widersprechen Sie beschränkt sich auf solche
Strukturen, in denen die Wiederaufnahme gleichzeitig eine Ablehnung enthält, wie
z.B. in :
1) Est-ce que vous allez devenir le Natal de fospin ?
Pourquoi matez-vous que je devienne le Nota! de quiconque ? Pardonnez ma vanité,
mais je suis le secrétaire général de Force ouvrière, pas celui de [a CFDT.
(Le Monde, 13/6/1997, p. 30)
2)a) Der Schwanz wackelt mit dem Hund ?
Wieso Schwanz ? Wenn schon, dann das Gehirn. Ökologischer Motor, das ist unsere
Funktion. (Der Spiegel, 1994, Nr. 33, pp. 25-26)
2)b) Wieso sollte dem: ein System Lob verdienen. das Arbeitszwänge, Vermessung,
Desorientiemng produziert .7 (Der Spiegel, 1994, Nr. 8, p. 7)
Solche Fragen werden im Hinblick darauf untersucht, wie der Gesprächspart
ner/ die Gesprächspartnerin in der Frage erscheint. Dies stellt sich wiederum als
entscheidend für andere grundlegende Aspekte der Betrachtungen heraus, wie zB.
Redewiedergabe oder die Problematik des Fragecharakters (bzw. rhetorischen Cha—
rakters) einer interrogativen Samstruktur.
Die parallele (aber nicht kontrastive) Beschreibung diverser Mechanismen in
den beiden Sprachen zeigt, dais sprachliche Mittel verschiedenster Art ähnliche
Funktionen in der Interaktion erfüllen.
Das erste Kapitel stellt das Thema in einen Gesamtrahmen. Folgende generelle
Aspekte sind für den Untersuchungsgegenstand relevant: 1) die unmittelbare
Redewiedergabe oder Wiederaufnahme dessen, was der Hörer/ die Hörerin gerade
gesagt hat (Kapitel 1- 1.1.); 2) die oppositive Äußerung mit den entsprechenden
Abschwächungsformen (Kapitel 1- 1.2.) und 3) die Frage als solche („le ques
tionnement”) (Kapitel 1- 1.3.). Den theoretischen Hintergrund für die folgende
Untersuchung bilden die Argumentations- und die Polyphonietheorie von Ans
cornbre und Ducrot ("la théorie de l‘argumentation dans la iangue”, Kapitel 1- 2.1.;
„la théorie de [a polyphonie”, Kapitel 1- 2.9.). Auf diesen beruht auch der spezi
Zusammenfassung / résumé 231

fische Ansatz für die Analyse von Fragen, die Gegenstand von Kapitel 1- 2.3. ist.

Das zweite Kapitel beschreibt einige für die untersuchten Phänomene repräsen
tative Äußerungen des Französischen. Es handelt sich um die mit Pourquoi voulez»
vous que...? eingeleiteten Fragen (s.o. Bspl). Dieser Fragetyp, der das Fragewort
pourquoi und das Verb vouloir enthält, kann in zwei Kategorien aufgeteilt werden.
Während die Fragen der ersten Gruppe darauf abzielen eine bestimmte Formu
lierung anzuzweifeln (sich also auf den Sprachgebrauch beziehen - „metasprach
liche Fragen”), dienen die Fragen der zweiten dazu, eine vollständige Aussage zu
verwerten („abschließende Fragen”). Dabei spielen die durch das Fragewort evo
zierte Präsupposition und die unterschiedlichen Topoil, auf die sich das Verb vou
loir bezieht, eine Rolle.
in der Tat kann mit dem Fragewort pourquoi präsupponiert werden, daß ein
Grund für etwas existiert, oder aber nur, daß es potentiell einen solchen Grund
geben könnten Dies macht es notwendig, genauer auf den von Nelke (1988) be
schriebenen Unterschied zwischen „schwacher“ und „starker Präsupposition” ein
zugehen (Kapitel 2- 2.1.).
Eine konsequente Anwendung der Argumentationstheorie auf das Verb vouloir
zeigt, dot? dieses Verb grundsätzlich auf zwei Gruppen von Prinzipien oder Topoi
hinzielt. Diese beiden gegensätzlichen Tendenzen, die in der Semantik dieses Worts
verankert sind, können mit zwei untersclüedlichen Modalitäten in Verbindung ge
bracht werden, der epistemischen und der deontischen Modalität. Dies wird in
Kapitel 2- 2.2. eingehend untersucht.
Die beiden Prinzipien führen aufgrund spezifischer Kombinationsmöglichkei
ten zu unterschiedlichen Interpretationsschernata, deren polyphonische Strukturen
in Kapitel 2- 23. detailliert dargelegt werden. Hierbei ist festzustellen, daß die
gleichzeitige Anwendung der Argumentations- und der Polyphonietheorie sich als
weitaus komplexer erweist, als aus den theoretischen Schriften von Anscornbre und
Ducrot hervorgeht.
Die Feststellung, daß bestimmte Merkmale eine erneute Differenzierung inner—
halb der zweiten Kategorie von Fragen (also der „abschließende Fragen”) notwen
dig machen, führt dazu, daß der den Kriterien von ].-CI. Anscombre (199Ûa) ent
sprechend angewandte Ansatz bezüglich der Bestimmung von Thema und Rhema
einer Äußerung verändert wird. Die behandelte Problematik wirft die Frage auf,
wie die jeweilige Unterteilung in Thema und Rhema einer Äußerung in der Wie
dergabe dargestellt wird. Die beobachteten Abweichungen in der Wiedergabe der
Äußerung, d.h. eine „Gewichtsverlagerung“ (von Thema auf Rherna oder um—
gekehrt), erscheinen irn Zuge dieser Untersuchung als ein bewußt eingesetztes

‘ Es handelt sich um an Lexeme gebundene dynamische Prinzipien, cf. Anscornbre, 1995, „De
l'argumentation dans la langue à la theorie des topo’i", in Théorie des topoi', J.—C. Anscombre (Hrsg.).
Paris : Editions Kime, 11—47.
3 Cf. Kurzen, 1985
232 Zusammenfassung / résumé

Mittel, um den vorausgehenden Diskurs in Frage zu stellen (Kapitel 2- 2.3.2.2.)


Hinzu kommt, daß diese Arten von Fragen auch auf syntaktischer Ebene ver
schiedene Strukturen aufweisen, je nachdem in welche Gruppe sie einzuordnen
sind („metasprachliche" oder „abschließende Fragen“). Dies wird anhand der un
terschiedlichen Möglichkeiten gezeigt, bestimmte Adverbien einzufügen (Kapitel 2
2.3.2.3.)
In Kapitel 2- 2.4. wird eine Parallele zwischen diesen eingangs unterschiedenen
zwei Kategorien der behandelten ,,Pourquoi-mulzz-vous—Fragen” und den von Ans
combre und Ducrot beschriebenen zwei Arten der Verneinung („nfigation métalin
guistique” und „negation polémique") gezogen.
Die abschließenden Bemerkungen in Kapitel 2- 2.5. behandeln die allgemeine
Problemstellung der Präsenz der vorausgehenden Äußerung im Diskurs und den
Rückverweis auf den] die dafür verantwortliche(n) Gesprächsparmerfin). Die Un
tersuchung führt zu dem Schluß, daß sich hinter einer scheinbar einzigen Frage
forrn im Französischen zwei Kategorien mit grundlegend verschiedenen Strukturen
verbergen, die aber beide negativ auf die vorausgehende Rede verweisen und
außerdem systematisch den Gesprächspartner/ die Gesprächspartnerin in diese ne
gative Darstellung miteinbeziehen
Das dritte Kapitel befaßt sich mit Bestimmungsfragen im Deutschen (5.0., Bsp.
2), die viele Ähnlichkeiten mit den in Kapitel 2 untersuchten Fragen im Franzö
sischen aufweisen. Zu den für das Französische erstellten Kategorien kann jeweils
ein Pendant im Deutschen ausgemacht werden.
Das einleitende Fragewort stellt auch im Deutschen ein bestimmendes Element
dieser Fragen dar (Kapitel 3- 1). Allgemein läßt sich feststellen, daß deutsche und
französische Fragewörter ganz ähnliche Eigenschaften aufweisen. Das Fragewort
wieso, für das es keine direkte Übersetzung im Französischen gibt, erfordert jedoch
eine Erweiterung der im Kapitel 2 benutzten Präsuppositionsbegriffe. Dieses Frage
wort scheint es dem Sprecher/ der Sprecherin zu ermöglichen, eine schwache Prä
supposition provisorisch zu benutzen und sie gleichzeng dem Hörer bzw. der
Hörerin zuzuschreiben, als wäre dieser/ diese für diesen Standpunkt verantwort
lich (Kapitel 3- 1.2.2.).
Die genauere Untersuchung der Semantik des Verbs sollen führt zu dem Schluß,
daß im Deutschen der Hörer] die Hörerin diese Art orientierter Fragen von neutra
len Wissensfragen entweder anhand des Verbs unterscheidet, das auf sollen folgt
(so. Bsp. 2b), des Tempus dieses Verbs, oder aber mit Hilfe des Kontexts. Die jewei
lige Form von sollen (Indikativ oder Konjunktiv II) bestimmt, um welchen der bei
den Fragetypen es sich handelt (Kapitel 3- 2.).
Die Berücksichtigrmg der zahlreichen Möglichkeiten, die in Kapitel 3—1. behan
delten Fragewörter mit den in Kapitel 3- 7. untersuchten Verbformen zu kombinie
ren, macht eine Erweiterung der binären Kategorisierung unumgänglich (Kapi
tel 3- 3.).
Zusammnfirssung/ résumé 233

Ein heuristisches Mittel für die Beschreibung dieser interrogativen Strukturen


sind die Abtönungs- oder Modaipartikein. Bestimmte Partikeln, wie z.B. denn, un
terstreichen, daß eine Frage auf den Gesprächspartner/ die Gesprächspartnerin aus
gerichtet ist. Andere dagegen, so z.B. bloß, fungieren als Hinweis darauf, daß die
Frage sich hauptsächlich an den Sprecher/ die Sprecherin selbst richtet. Solche Ei
genschaften sind nur teilweise mit den behandelten Fragen vereinbar und verdeut
lichen somit feinere Unterschiede zwischen diesen Fragekategorien.
In bezug auf die Argumentationsdynamik ergibt sich schließlich aus der jewei
ligen Vereinbarkeit und Kombinierbarkeit von Partikeln mit bestimmten Fragekon
figurationen eine Differenzierung zwischen Effekten auf Satzebene und Effekten
auf Diskursebene, die prima furie widersprüchlich sein können. So erhöhen z.B. nor
malerweise denn und eigentlich den Fragecharakter, d.h. den Druck, den ein Fra
gesteller/ eine Fragestellerin auf seine(n)/ ihre(n) Gesprächspartner(in) ausübt, um
von ihm/ihr eine Antwort zu bekommen. Diese beiden Partikeln kommen jedoch
kombiniert oder einzeln auch in den „widerlegenden Warum-Fragen” vor, obwohl
diese auf eine rhetorische Orientierung abzielen. Die genauere Betrachtung solcher
Fälle führt zu dem Schluß, daß die auf Satzebene tatsächlich widersprüchlichen
Eigenschaften auf Diskursebene ganz besonders starke Überzeugungseffekte erge
ben (z.B. Warum sollte ich denn eigentlich wegfahren, wo ich doch hier das Meer vor der
Nase habe ?) (Kapitel 3— 4.).
Eine Gegenüberstellung der Ergebnisse der ersten vier Teile des Kapitels 3 zeigt,
daß bestimmte unerwartete Kombinationen nicht nur, wie schon in Kapitel 3- 3.
vermutet, den ursprünglich binären Rahmen der untersuchten Warum-Fragen
sprengen, sondern es auch notwendig machen, grundsätzlich zwischen zwei Arten
der rhetorischen Befragung zu unterscheiden. Bestimmte Fragen sind so klar
sprachlich als rhetorisch markiert, daB sie kaum noch Fragecharakter aufweisen
(„sprachlich disqualifizierende Warum-Fragen”). Die rhetorischen Effekte anderer
ähnlicher Fragen („diskursiv disqualifizierende Warum-Fragen") beruhen gerade
darauf, daß der Gesprächspartner zu einer im voraus ersichtlichen Antwort ge
zwungen wird und somit selbst zu einem vorbestimmten Ergebnis kommt (Kapi
tel 3— 5.).
Die ausführliche Untersuchung derartiger Phänomene ermöglicht es zu ver
deutlichen, daß diese Art von Warum-Fragen im Deutschen eine große Anzahl von
Ausdrucksmöglichkeiten umfaßt, die teils durch auf syntaktischer oder semanti
scher bzw. lexikalischer und teils durch auf Diskursebene verankerte Eigenschaf
ten von neutralen Wissensfragen unterschieden werden können. Sie können in fünf
Hauptkategorien eingeordnet werden (Kapitel 3- 6.).
lnsgesamt gesehen, zeigt die parallele Beschreibung dieser Fragen in den zwei
Sprachen, daß die Art und Weise, wie die Frage den Befragten/ die Befragte an—
spricht und eventuell zur Beantwortung auffordert, sowohl für bestimmte rheto
rische Mechanismen als auch für den mehr oder weniger starken interrogativen
Charakter wesentlich ist. Aus der Untersuchung geht hervor, daß diese auf den
234 Zummnænfissung / résu me’

HÔret/die Hôrer'm bezogene Funktion von sprachlichen Elementen verschieden


ster Art erflillt wird. - . '

S-ar putea să vă placă și