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Nietzsche et Cheikh Anta Diop

Ouverture philosophique
Collection dirigée par Dominique Chateau,
Agnès Lontrade et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des
réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou
non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline
académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la
passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes
des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de
verres de lunettes astronomiques.

Déjà parus

Arno MÜNSTER, Sartre et la morale, 2007.


Aubin DECKEYSER, Michel Foucault.L 'actualité de la vérité,
2007.
Miklos VETO (sous la dir.), Historia philosophiae, 2007.
Georg W. BERTRAM, Robin CELIKA TES, Christophe
LAUDOU, David LAUER (coord.), Socialité et
reconnaissance, 2007.
Michèle AUMONT, Ignace de Loyola. Seul et contre tous,
2007.
Xavier ZUBIRl, Intelligence et logos (Inteligencia y logos)
trad. Philibert SECRETAN, 2007.
Pierre V. ZIMA, La déconstruction. Une critique, 2007.
Jacques CROIZER, De la mesure, 2007.
Paul DUBOUCHET, Pour une sémiotique du droit
international, 2007.
Marly BULCAO, Bachelard: Un regard brésilien, 2007.
Christian SAVES, Eloge de la dérision: une dimension de la
conscience historique, 2007
Bernadette GADOMSKI, La Boétie, penseur masqué, 2007.
Gabriel Marcel-Max Picard. Correspondance 1947-1965,
introduit par Xavier TILLIETTE et texte établi de Anne
MARCEL et Michaël PICARD, 2006.
Jean C. BAUDET, Une philosophie de la poésie, 2006.
Gaëll GUIBERT, Félix Ravaisson, 2006.
Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ

Nietzsche et Cheikh Anta Diop

Préface de Essane Séraphin

L'Harmattan
L.AUTEUR

Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ est maître de conférences à l'Université


de Cocody, à Abidjan, Côte d'Ivoire. Il est..titulaire d'un doctorat
troisième cycle obtenu à l'Université de Poitiers (France) en 1985, et d'un
doctorat d'Etat de philosophie présenté et soutenu devant l'Université de
Cocody Abidjan, (Côte d'Ivoire), en 2003.
Il est membre du Cercle Samory (CESAM), groupe de réflexion sur la
culture négro-afficaine.

Œuvres déjà publiées:


L'ivoirité entre culture et politique, Paris, L'Harmattan,
2003.
Recherches philosophiques. Tome 1. Quelle philosophie pour
l'Afrique? Abidjan, Educi, 2006

@ L'HARMATTAN, 2007
5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris

http://www.1ibrairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan l@wanadoo.fr

ISBN: 978-2-296-02949-1
EAN: 9782296029491
A Bwemba-Bong
PREFACE

Comme sociologue, j'interprète l'invitation de Ramsès L. BOA


THIÉMÉLÉ à préfacer son ouvrage comme une position
intellectuelle exemplaire dans notre milieu universitaire africain.
Du reste, le thème de son essai ne saurait éviter la réflexion
interdisciplinaire.
L'excellent ouvrage de Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ se
développe comme un dépassement de certains lieux théoriques qui
tentent aujourd'hui une déconstruction intellectuelle de l'œuvre de
Cheikh Anta Diop. L'ouvrage nous initie d'abord à une histoire de
la symbolique des origines, à la connaissance du riche corpus de ses
langages. Ensuite vient la systématisation avec la présentation de
lectures philosophiques du « pouvoir des origines ». La conclusion
théorique, anthropologique, pourrait-on dire, est que l'histoire des
sociétés et la pensée philosophique occidentale attestent, au-delà de
la variation culturelle de ses langages, d'un invariant structurel
symbolique de la quête des origines.
J'en systématiserai ici quelques axes majeurs, entre autres:
Conflit des Herméneutiques, Science et Idéologie, Histoire et
Mythe.

A. Conflit des Herméneutiques

L'ouvrage contribue sérieusement à fonder la complexité


symbolique d'un conflit des herméneutiques. La découverte de cette
complexité convoque à une humilité de l'intelligence rationnelle, à
une relativisation épistémologique des paradigmes de rationalité qui
organisent l'intelligence du phénomène socioculturel.
Ainsi, certaines analyses actuelles comme par exemples celles
de François-Xavier Fauvelle, ne sauraient nous masquer les
prétentions d'une herméneutique réductrice de déconstruction
psychanalytique ou démythologisation psychosociologique de
l'œuvre de Cheikh Anta Diop (Ch. A. Diop).
Contre cette tendance, Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ argumente
avec justesse et construit une problématique théorique et culturelle
de la symbolique de la quête des origines chez Ch. A. Diop. Cette
problématique éclaire les limites scientifiques d'une rationalité
close servant d'instrument de dévalorisation des productions
intellectuelles ou culturelles des Noirs.
Sa démarche est un bel écho à la protestation de l'historien
Mircea Eliade contre les herméneutiques réductrices de la
sociologie et de la psychanalyse positivistes et évolutionnistes qui
ont pour effet théorique de dévaloriser les nouvelles créations
culturelles des peuples africains - les messianismes, les
millénarismes, les syncrétismes, les idéologies - comme des
« cultures du pauvre ».
Voilà donc fondée avec la sociologie et l'anthropologie sociale,
une « herméneutique du soupçon» à l'égard de la symbolique
africaine de la quête des origines, une réaction culturelle à l'impact
de la situation coloniale. Cette problématique théorique socio-
anthropologique de l'aliénation sociohistorique pourrait servir de
grille de lecture à l'œuvre de Ch. A. Diop.

B. Science et Idéologie

Le couple Science / Idéologie structure, au vrai, au-delà de la


géographie et de l'histoire, un lieu de rencontre de Nietzsche et de
Ch. A. Diop. La comparaison que fait Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ
est donc fort pertinente et mérite d'être pensée, avec ce repère que
je propose, comme un autre axe de lecture de la symbolique de leur
quête des origines.
Les deux auteurs cultivent un lien entre Science et Idéologie. Ce
lien éclaire une autre dimension de la complexité symbolique de
leur quête des origines, l'ambivalence de la problématique
culturelle qui s'y exprime. D'une pmi, Nietzsche veut affirmer la
pertinence de son idéal du « Surhomme» avec une Méthodologie

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Génétique; d'autre part Ch. A. Diop veut affirmer la pertinence de
son idéal d'une «Conscience historique» libératrice par une
Méthodologie Historique pour l'écriture des origines nègres de la
civilisation égyptienne ou des origines égyptiennes des civilisations
nègres. La réaction des deux penseurs des origines est analogue
face à la critique de la communauté scientifique de leur temps qui
jugea leur projet théorique plus idéologique que scientifique.
La leçon épistémologique symbolisée par les deux auteurs est
qu'au fond, au plan des paradigmes ou schèmes méthodologiques
de la Science, nous sommes reliés pour le choix d'une stratégie de
recherche, entre autres, à l'impératif ultime de l'Idéologie.
Pour nous lecteurs actuels de Nietzsche et de Ch. A. Diop, ce
qui poserait problème, dans la position de ces deux chercheurs,
c'est le statut du concept de progrès. Le concept de progrès dans la
science ne serait pas à prendre au seul sens bachelardien ou de
l'histoire des sciences de «coupure épistémologique» et de
« rupture épistémologique ». Ce progrès est donné dans la « rupture
épistémologique» par la création des paradigmes alternatifs,
illustrant ainsi un sens de « récurrence créatrice », de
restructuration dialectique du progrès dans l'histoire des sciences.
Que faut-il penser, aujourd'hui, des modèles d'alternative
scientifique proposés par l'Egyptologie de Ch. A. Diop ou de sa
mouvance, l'école théorique des origines nègres de la civilisation
égyptienne ou des origines égyptiennes des civilisations africaines?
Il y a un double problème pour l'Idéologie dans son rapport à la
Science: le décalage entre l'Impératif et l'Ethique de l'Objectivité
de la Science, puis la patience de la Science qui se soumet aux
laborieux protocoles de construction et de contrôle des modèles
théoriques du réel.
Ch. A. Diop n'est pas ignorant de ce double problème et choisit
d'arrimer la méthode scientifique à l'impératif et à l'urgence
sociohistorique d'émergence d'une «Conscience historique»
libératrice. Il le fait, surtout, pour construire la légitimation
théorique de l'écriture d'un contenu culturel ou d'un paradigme
sociohistorique pour le changement. En somme, il en appelle à la
Science, pour formuler des réponses à la question, «pourquoi le
changement historique» ? L'idéal, la fascination du paradigme de
l'Egypte nègre, devrait suffire à opérer la rupture culturelle.

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Ch. A. Diop symbolise tout le tragique des aspirations
révolutionnaires de l'élite intellectuelle négro-africaine: alors
même qu'elle bénéficie de la conjoncture idéologique de la coupure
sociohistorique avec la situation coloniale, elle marque ou signe une
incapacité, un échec à opérer la vraie rupture sociohistorique, en
termes d'émergence d'une société et culture africaines, qu'importe
le paradigme.
Il faut ajouter à cet échec, le paradoxe de vouloir faire servir
l'idéologie de la révolution sociohistorique, la définition du
paradigme socioculturel du changement par une science non
accomplie, une science en devenir, l'égyptologie africaine.
Mais, au fond, pourquoi arrimer l'écriture du paradigme
socioculturel à la seule méthode scientifique? Le tragique des
méprises intellectuelles des théoriciens de la révolution
socioculturelle, comme Ch. A. Diop, est d'avoir ignoré le couple
Histoire et Mythe.

C. Histoire et Mythe

Il faut lire Ch. A. Diop aujourd'hui en regard d'une


problématique théorique des sciences sociales africanistes, comme
réaction à la situation coloniale. La théorie sociologique de
l'aliénation de la conscience historique des Négro-africains connaît
l'échec des idéologies de la négritude et de l'africanisation à opérer
une véritable rupture culturelle avec les paradigmes socioculturels
de la situation coloniale et de ses avatars historiques.
Nous avons un premier exemple. C'est l'enjeu institutionnel du
système socioculturel de formation et de recherche de l'université
en Afrique. Des mouvements des indépendances à nos jours, les
idéologies d'africanisation de l'université ont été incapables
d'affirmer une vraie «rupture culturelle» avec les modèles
institutionnels de l'université occidentale, par la création d'une
alternative institutionnelle africaine. Les procès de reformes
successives ne sont que des récurrences répétitives du modèle
institutionnel occidental. Le deuxième exemple, au plan du système
religieux, ce sont les idéologies d'africanisation du christianisme, à
travers les prophétismes et syncrétismes. Elles se sont refroidies
institutionnellement en pâles copies des églises missionnaires

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occidentales. La distance culturelle avec les théologies et mystiques
des cultures négro-africaines traditionnelles, saute aux yeux de
l'ethnologue et de l'historien des religions.
La problématique sociologique de l'aliénation sociohistorique
qui fonde théoriquement l'engagement idéologique de Ch. A. Diop
est toujours actuelle dans ses questionnements: comment se libérer
de l'aliénation sociohistorique? Ou encore, en langage
sociologique, comment opérer la rupture avec la dynamique
cyclique répétitive de l'histoire africaine depuis l'impact colonial?
Pourquoi la construction intellectuelle de la conscience historique
libératrice devrait emprunter exclusivement la voie de la Science,
de l'histoire des scientifiques, et non celle du Mythe, par exemple?
Le Mythe, Ch. A. Diop le sait avec l'ethnologie française, est un
mode de connaissance historique, d'éducation historique
omniprésent dans les cultures négro-africaines. A côté des
difficultés de construction d'une histoire des origines avec une
méthode scientifique, une égyptologie africaine non accomplie et
en devenir, il faut évoquer l'alternative possible d'une écriture
« mythique» des origines africaines.
Les indices socioculturels d'une Egypte nègre à partir des
témoignages de l'antiquité grecque et des hypothèses de la
linguistique comparée n'offraient-ils pas une belle matière ou
inspiration à l'écriture mythique des origines, comme une
totalisation «philosophique» de l'histoire? La cohérence de
l'affirmation de l'ethnicité négro-africaine oblige de considérer le
témoignage de l'Anthropologie sociale africaniste: iI y a une
dialectique intellectuelle propre de la pensée mythique nègre qui
construit comme discours, la trame de la complexité comme
conjonction de l'ordre et du désordre, au plan cosmologique,
métaphysique, social et moral, offrant par une symbolique de la
dialectique ordre/désordre, à l'imaginaire social des groupes, un
efficace instrument de régulation, de manipulation, de récupération,
en somme de maîtrise et de sublimation de la condition
sociohistorique.
A côté de la valeur Vérité de la Science, le Beau et le Sacré sont
également des valeurs du potentiel démiurgique du Mythe, son
pouvoir «anti-destin », son efficacité de déconditionnement à

Il
l'égard des aliénations et déterminismes psychosociaux,
sociohistoriques.
Dans l'histoire des civilisations occidentales, les courants
littéraires de l'Utopie furent une ré écriture du Mythe millénariste.
Ils contribuèrent efficacement à partir de la conjoncture des crises
sociohistoriques, à une rupture réelle avec la tradition de la quête
judéo-chrétienne du Millénium, par la formulation d'une nouvelle
approche du Millénium avec les figures mythiques du Temple de la
Science cœur de la Cité de Lumière, Cité du Progrès.
A travers plusieurs siècles de culture de la rationalité
philosophique et scientifique, on voit constamment les élites
occidentales rechercher dans les institutions comme la Franc-
maçonnerie ou la Rose-croix, le pouvoir du Mythe et du Rite
initiatique. Dans leur quête du pouvoir d'éveil philosophique et des
métamorphoses du statut ontologique de la personne humaine, elles
recherchent également le pouvoir de structuration de la personnalité
faisant de l'homme un architecte ou artisan de la Cité Idéale.
Dans l'histoire africaine, à leur manière, les messianismes
congolais, les millénarismes éthiopiens, les syncrétismes kenyan et
fang, avec leurs mythes politico-religieux, donnèrent aux masses
africaines, une puissante et dynamique formulation culturelle à
leurs aspirations à la liberté et à la justice. En somme, par ces
langages de cohérence de l'imaginaire social, ils surent créer un
mythe vrai de rupture avec l'ordre idéologique politique et religieux
de la situation coloniale.
Comparativement, les impacts des « idéologies» et langages de
cohérence de type rationaliste furent très sectoriels. Ils furent
limités au monde des élites; ils furent conjoncturels, le temps des
modes intellectuelles, sans incidence institutionnelle majeure en
termes de rupture idéologique dans les structures mentales et
sociales des nations africaines.
Nous touchons ici aux ambiguïtés d'une idéologie des processus
identitaires chez Ch. A. Diop et chez une certaine élite intellectuelle
africaine. Ils partagent la discrimination théorique positiviste et
évolutionniste propre à une certaine rationalité occidentale rejetant
le mythe négro-africain comme « mentalité archaïque dépassée »,
mode de connaissance dénué de toute valeur historique, avec ses
contradictions, son indétermination temporelle, son caractère

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ésotérique, son symbolisme difficile à interpréter, son contenu
avant tout philosophique et religieux, fondé sur une « liturgie de
répétition », la tradition. Le processus identitaire traduit
simplement, dans le contenu, une ethnicité stratégique.
Certes, la nuance avec Ch. A. Diop, est que le processus
identitaire n'est pas réduit au combat d'une ethnicité stratégique, de
positionnement stratégique racial ou social. Le processus identitaire
a un contenu culturel. La quête des origines est la tension vers une
ethnicité substantialiste, l'ethnie des origines africaines, la
« Culture-Mère» égyptienne, et non vers ses avatars historiques,
les formes dégénérées de celle-ci que sont les «civilisations
nègres» investiguées par les sciences sociales africanistes.
Admettons la possibilité de rejoindre scientifiquement un jour,
la Culture égyptienne comme culture nègre, avec une Egyptologie
africaniste accomplie. Il resterait à résoudre la question tout aussi
fondamentale: comment les nations nègres d'aujourd'hui peuvent-
elles rejoindre culturellement l'Egypte nègre, avec quels moyens
culturels peuvent-elles s'approprier l'Egypte ou même simplement
l'intégrer comme paradigme socioculturel?
Que retenir en conclusion des commentaires ici esquissés et qui
voudraient attester de l'excellence de l'ouvrage de Ramsès L. BOA
THlÉMÉLÉ ?
Une lecture actuelle de l'œuvre de Ch. A. Diop qui jugerait la
contribution de l'égyptologie africaine de DIOP sans consistance
théorique et sans capacité de contrôle expérimental pour ses thèses
majeures, ne ferait qu'actualiser positivement la question des
enjeux scientifiques de certaines hypothèses de recherche. Cette
lecture ne ferait que s'inscrire dans le cadre de la Rationalité
scientifique contemporaine et de son éthique universelle de
l'Objectivité.
Mais, il y a dans l' œuvre de Ch. A. Diop, comme nous le montre
l'ouvrage de Ramsès L. BOA THlÉMÉLÉ à propos de la quête des
origines, plus qu'une question de pure théorie, de recherche
scientifique égyptologique. Ce qui trahit, en effet, un vecteur
« anthropologique» ou humain de cette quête des origines, c'est la
tension entre l'éthique d'objectivité de la Science puis l'impératif et
l'urgence de l'idéologie, l'émergence d'une conscience historique
libératrice des Noirs. Cette idéologie adopte des positions

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intellectuelles « rebelles» envers l'Egyptologie, comme Nietzsche
envers la Philologie pour la cause du Surhomme. Ceci traduit toute
la structure symbolique de cette quête des origines, ses valeurs
référentielles ultimes, historiques, sociales, ontologiques mêmes.
La pensée des origines, chez Ch. A. Diop, n'est pas une
mentalité singulière, comme l'argumente abondamment l'essai à la
fois historique et philosophique de Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ
pour répondre à la lecture simplificatrice et réductrice de François-
Xavier Fauvelle.
Cependant, ce qui intéresserait le socio anthropologue et le
sociologue, en regard de la problématique théorique de l'identité et
de la variation de la condition humaine, cadre d'analyse de l'essai
de R.L. BOA THIÉMÉLÉ, c'est l'attention à accorder à la
« singularité », à l'originalité de la traduction historique d'une
structure symbolique universelle de la quête des origines. C'est que
je me permettrais de suggérer dans cette ultime conclusion.
Devant le défi de l'aliénation historique, devant une histoire
africaine qui ne connaît qu'une seule dynamique, les récurrences
cycliques répétitives de l'histoire africaine depuis l'impact colonial,
je ne peux manquer, humblement, de questionner cette ambiguïté
de l'interprétation rationaliste de la pensée de Ch. A. Diop. Cette
attitude intellectuelle discriminative de Ramsès L. BOA
THIÉMÉLÉ arrime la construction des instruments culturels,
l'élaboration du paradigme socioculturel de l'Idéologie de la
rupture à une science non accomplie, une science en devenir.
Comme penseur ou chercheur imbu de la rationalité positiviste et
évolutionniste occidentale, R.L. BOA THIÉMÉLÉ semble ignorer
contre l'histoire et les sciences humaines, l'alternative de la pensée
mythique, de l'imaginaire vrai, comme une autre voie de
construction des instruments culturels de la rupture.
C'est ici qu'éclate, à l'égard des traditions négro-africaines
d'hier et d'aujourd'hui, la méprise de Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ
et de l'élite intellectuelle africaine imbue d'une certaine modernité.
Au vrai et en définitive, cette lecture rationaliste de la pensée de
Cheikh Anta Diop aura manqué de donner à l'idéologie de la
rupture dont la pertinence est toujours actuelle, ses moyens
culturels d'action. Des esquisses existent pourtant chez Ch. A. Diop

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lorsqu'il analyse par exemple la pensée Dogon, la sorcellerie et
même la parapsychologie.
Sa lecture rationaliste sous-estime la borne culturelle de
l'Egyptologie ou de la science. Son Egyptologie ignore ce que
savent les Sciences Humaines: que nous aurons besoin de rites
pour inscrire profondément dans les schémas corporels, psychiques
et sociaux de nos sociétés africaines actuelles une culture du non
inspirée de l'Egypte nègre, c'est-à-dire une culture en rupture
radicale avec le présent. Car, pour l'Anthropologie et les Sciences
Humaines, nous aurons à compter pour tous les changements vrais
de paradigme socioculturel, avec l'immense défi biologique,
psychologique et social que pose toute enculturation antagoniste.
Cette nécessaire sociopédagogie du non traduit bien la borne
anthropologique de la Science.

ESSANE Séraphin

Directeur de Recherche
Université de Cocody, Abidjan.

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INTRODUCTION

Selon une certaine critique, Cheikh Anta Diop nous renverrait


dans ses écrits à un jeu de correspondance entre «race» et
« culture ». La race signalerait la culture et inversement la culture
signalerait la race. Le chef de fil de cette tradition critique est
François-Xavier Fauvelle. Il a formulé cette critique dans un livre
devenu depuis sa parution la Bible ou le Coran des critiques I.
Aux yeux de François-Xavier Fauvelle (F-X. Fauvelle), la
thématique de l'antériorité ou de l'origine égyptienne ancienne fait
tomber Cheikh Anta Diop (Ch. A. Diop) dans une vision
schématique de l'histoire où "l'origine", concept piégé, est
caractérisé 1/
par l'état de plus grande pureté ,,2.
Pour F-X. Fauvelle, trois genres de nostalgies sont exprimés
dans la pensée de Ch. A. Diop: la nostalgie de la vérité, la nostalgie
des origines et la nostalgie de l'être. Ces trois types de nostalgie,
essence de la pensée de Ch. A. Diop, convoqueraient la fierté des
Africains, rehausseraient leur dignité et entretiendraient l'espoir de
revenir dans l'histoire. En somme ces nostalgies aideraient les
Africains à se construire une mémoire collective. Au bout du
compte, l'œuvre de Ch. A. Diop, qui ne se concevrait pas en dehors
d'une orientation politique, produirait une véritable pétrification des
sociétés africaines ainsi analysées. Ch. A. Diop présenterait des
sociétés inaltérées qui ignorent quasiment tout changement, toute
évolution.
Est-il vrai que toute cette quête des origines égyptiennes
anciennes se résorbe dans une recherche mythique d'origines tout

I François-Xavier Fauvelle, L'Afrique de Cheikh Anta Diop, Histoire et idéologie.


Préface d'Elikia M'Bokolo, Paris, Éditions Karthalal Centre de recherches
africaines, 1996, p.141.
2 François-Xavier Fauvelle-Aymar, « Cheikh Anta Diop ou l'africanisme malgré
lui, Retour sur son influence dans les études africaines », in sous la direction,
François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot,
Afrocentrismes, L 'histoire des Africains entre Egypte et Amérique, Karthala,
2000, p. 31.
autant mythiques? Ce phénomène de la quête des origines n'a-t-iI
pas des causes plus profondes, enracinées dans la nature même de
l'homme et qui fait que, bien souvent, mais surtout en période de
crise sociale ou intellectuelle, les peuples et les individus éprouvent
le désir de quelque chose qui puisse leur apporter un sentiment de
continuité et de permanence? Qu'est-ce qu'une révolution, sinon
une rupture d'avec la tradition, un retour aux origines et
l'instauration d'une nouvelle tradition? La nécessité du retour n'est-
elle pas provoquée à la fois par un oubli des origines et par une
présence obsédante de cette même origine?
Est-ce pour avoir méconnu la force autoritaire du
commencement, la valeur de l'origine, de l'originaire ou de
l'originel que F-X. Fauvelle ne comprend pas que l'origine se
caractérise par l'état de plus grande pureté? Toute origine n'est-elle
pas essentiellement pure? Et cette pureté n'est-elle pas de plusieurs
ordres: symbolique, réel, imaginaire, inventé et même construit?
Cette force autoritaire du commencement, fonctionne à
merveille, dans la pensée du philosophe allemand, Nietzsche. Elle
semble marquer une grande partie de sa vie intellectuelle, lui qui
estimait que la Grèce antique constituait la référence pour tout
Européen animé du désir de créer. La vie de Nietzsche, ses choix
philosophiques et conceptuels ainsi que sa méthode généalogique
ne nous ramènent-ils pas à la pureté des origines que stigmatise F-
X. Fauvelle dans la pensée de Ch. A. Diop?
Nietzsche et Ch. A. Diop nous indiquent que bien souvent, mais
surtout en période d'incertitude et de crise, la quête des origines
permet à l'esprit humain de surmonter la séparation ontologique et
historique. Malheureusement, animé du désir de "psychanalyser"
['œuvre de Ch. A. Diop, F-X. FauvelIe n'a pas su apprécier la
nature métaphysique de la recherche de l'origine.
Toute interrogation sur l'origine est-elle création de
mythologies? Toute origine est-elle mythique? N'y a-t-il pas des
formes de nostalgies qui recouvrent une ontologie de la personne?
En répondant à ces interrogations, une fois de plus, va nous
apparaître le caractère universel de la recherche des origines. La
raison n'est pas étrangère au procédé d'assignation d'une pureté à
l'origine. Ici également, l'acte d'enracinement du présent dans le
passé et du passé dans le présent, révèle sa nature fondamentale et

18
universelle. Et c'est à partir de ce principe de constitution de
l'humanité que nous allons opérer le rapprochement entre la
biographie et la bibliographie de Nietzsche avec celles de Ch. A.
Diop. Ainsi Nietzsche et Ch. A. Diop constituent-ils, sans aucun
doute, les figures singulières d'une lecture qui se veut recherche de
l'universel.
Levons immédiatement une équivoque dans ce comparatisme
que nous établissons entre Nietzsche et Ch. A. Diop. Il ne s'agit pas
de comprendre le point de vue de Ch. A. Diop sur les thèses de
Nietzsche3. Nous éviterons de confronter les points de vue de l'un
et de l'autre sur des aspects spécifiques de leurs doctrines.
Dans la première partie, nous allons voir si les critiques,
notamment celles de F-X. Fauvelle, sont fondées quant à la
soumission de Ch. A. Diop à une construction mythologique de la
nostalgie.
Dans la deuxième partie, la méthode comparée nous permettra
de retrouver chez Nietzsche et chez Ch. A. Diop des traits
communs: leur quête de l'origine à travers l'amour de l'Antiquité,
leur passion pour l'unité et leur volonté de remanier la tradition
scientifique de leur époque.
Dans la troisième partie, il s'agira d'aller au-delà de la
problématique de l'origine et de la nostalgie. La philosophie de
Nietzsche nous servira d'instrument d'analyse de la réalité
africaine. Investissant ses méthodes d'analyse dans la réalité
africaine, nous montrerons que Ch. A. Diop peut être interprété
comme un des précurseurs de la modernité africaine, mais d'une
modernité devant déboucher sur la Renaissance de l'Afrique.

]
Sur ce point voir, Cheikh Anta Diop, L'unité culturelle de l'Afhque Noire,
Domaines du patriarcat et du matriarcat dans l'Antiquité classique, seconde
édition, Présence Africaine, 1982, pp 157-163, 168-170; Cheikh Anta Diop,
Civilisation ou barbarie, Anthropologie sans complaisance, Présence Africaine,
1981, p. 458.

19
PARTIE I

DE LA MYTHOLOGIE DES ORIGINES


CHAPITRE I

LES FIGURES DE LA MYTHOLOGIE DES ORIGINES

Dans son ouvrage consacré à Cheikh Anta Diop, ouvrage qui


s'est voulu une psychanalyse de son œuvre, François-Xavier
Fauvelle soutient la thèse selon laquelle Ch. A. Diop est fasciné par
les origines4. Il y aurait une essence, un substrat psychologique que
l'on peut retrouver si l'on fait l'effort de remonter à l'origine et au
pur. Cette origine, pour l'Africain, est l'Egypte antique.
En effet, Ch. A. Diop montre, dans l'ensemble de ses ouvrages,
mais surtout dans Nations nègres et culture, le processus séparé,
autonome et endogène des sociétés européennes et africaines, avant
toute rencontre et influence réciproques.
Il y a sans aucun doute des passages évidents des ouvrages de
Ch. A. Diop qui peuvent inviter à penser à l'existence des
nostalgies de la vérité, des origines et de l'être. Des textes existent
oÙ il apparaît nettement que la vérité est ancienne (nostalgie de la
vérité), que l'origine des Africains est commune et lourde de
valeurs (nostalgie des origines), enfin que l'Africain a un être qui
est resté permanent en dépit du temps et de l'espace (nostalgie de
l'être).
Ces trois nostalgies de la vérité, des origines et de l'être ont été
l'aboutissement d'une démarche psychanalytique de F-X. Fauvelle.

4 François-Xavier Fauvelle, L 'Afi-ique de Cheikh Anta Diop. Histoire et idéologie.


Préface d'Elikia M'Bokolo, Paris, éd. Karthala, 1996, p. 152.
5
Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture. De l'Antiquité nègre égyptienne
aux problèmes culturels de L'Afi-ique Noire d 'au/ourd 'hui, troisième édition,
tome l, Paris, Présence Africaine, 1979, pp. 173 et sqq.
Il a préféré, selon ses propres mots, la mise au jour du non-dit,
l'occulté. Il est allé au-delà du dire même de Ch. A. Diop pour lui
faire dire plus que ses textes ne veulent bien en dire. Là est sans
aucun doute, la limite de l'interprétation de F-X Fauvelle qui lâche
la proie pour l'ombre. Cette méthode de compréhension de la
pensée de Ch. A. Diop semble se situer à un niveau purement
spécifique. Car, n'est-ce pas l'être humain même qui a, à la fois, la
nostalgie de la vérité, de l'origine et de l'être? Ch. A. Diop n'a-t-il
pas exprimé à sa manière une stratégie universelle d'attachement à
ce qui constitue l'humanité?
Il peut d'ailleurs sembler paradoxal que ce soit à la psychanalyse
que F-X Fauvelle se soit adressé pour éclairer et mettre à jour les
zones d'ombre de l'occulté de Ch. A. Diop. Le paradoxe est qu'il
utilise une technique d'interprétation dont la méthode part des idées
qu'il reproche à Ch. A. Diop. Il reproche à Ch. A. Diop d'avoir
succombé à l'attrait des trois nostalgies mais surtout de ne pas avoir
su éviter la mythologie des origines. Or rien de plus accroché au
pouvoir des origines que la psychanalyse en tant que technique et
théorie6.
L'origine est un élément structurant de notre être individuel et
collectif. Si elle est présente sous forme mythologique chez Ch. A.
Diop,c'est parce qu'elle donne à l'homme le sentiment de retrouver
une identité perdue comme la parole du psychanalyste permet la
reconstruction d'une nouvelle mémoire à travers la réintégration du
passé revisité.
Occupé à traquer l'ombre du non-dit, F-X Fauvelle n'a pas eu le
temps de comprendre que la quête des origines n'est pas forcément
une construction mythique des origines. Elle est une structure de
l'esprit humain fonctionnant aussi bien dans la sociologie, la
religion, la politique que dans la philosophie.

6 Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, colI. Petite


bibliothèque, 1979, p. 431. Cf. également, 1. Laplanche, J.-B. Pontalis, Fantasme
originaire, fantasmes des origines, origines du fantasme. Paris, éd. Pluriel, 1998,
p.68

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1. LES FIGURES SOCIOLOGIQUES ET RELIGIEUSES DE LA
MYTHOLOGIE DES ORIGINES

A. Les figures sociologiques de la mythologie des origines

Le commencement est divin parce que Dieu lui-même est au


commencement. Quand Dieu se découvre aux hommes en existant
avec eux, il donne aux créatures les moyens de surmonter les
difficultés existentielles. Il sauve ainsi toute chose de l'absurde en
ouvrant le monde sur un univers de significations. Ainsi le
commencement doit-il être pris aussi bien dans son sens dynamique
que statique.
Le commencement dont il est question ici, c'est la première
partie d'une chose qui a étendue ou durée. Le commencement
sauve le processus de l'inertie, de la mort; il fait être. En tant que
point de départ du coup d'envoi, il fait sortir du néant ou du non-
être. Commencer c'est sortir de l'inconscience de l'inaction. Le
commencement sauve ainsi toute chose du non-être.
De ce commencement divin nous pouvons tirer trois importantes
conséquences.
- La première nous conduit à l'idée de héros civilisateur qui
recueille par des initiations ou des enseignements les principes
organisationnels de l'existence.
- La seconde conséquence, la plus importante, aboutit à l'idée
que tous les commencements méritent d'être répétés parce qu'ils
actualisent de nouveau la création des dieux.
- Enfin la troisième conséquence, liée quant au fond à la
première, peut s'énoncer ainsi: si au commencement les dieux ont
créé le monde, ceux-ci ne peuvent le laisser aller à la dérive. II
s'ensuit que l'existence humaine devient J'image exemplaire de la
vie cosmique. La vie dans sa totalité est sanctifiée ou est susceptible
de le devenir puisqu'elle participe à une vie supra- sensible, celle
du cosmos ou des dieux. Il faut se relier à ceux qui sont à l'origine
par des gestes et paroles. L'homme est tenu de les répéter pour

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