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Ouverture philosophique
Collection dirigée par Dominique Chateau,
Agnès Lontrade et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des
réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou
non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline
académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la
passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes
des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de
verres de lunettes astronomiques.
Déjà parus
L'Harmattan
L.AUTEUR
@ L'HARMATTAN, 2007
5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris
http://www.1ibrairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan l@wanadoo.fr
ISBN: 978-2-296-02949-1
EAN: 9782296029491
A Bwemba-Bong
PREFACE
B. Science et Idéologie
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Génétique; d'autre part Ch. A. Diop veut affirmer la pertinence de
son idéal d'une «Conscience historique» libératrice par une
Méthodologie Historique pour l'écriture des origines nègres de la
civilisation égyptienne ou des origines égyptiennes des civilisations
nègres. La réaction des deux penseurs des origines est analogue
face à la critique de la communauté scientifique de leur temps qui
jugea leur projet théorique plus idéologique que scientifique.
La leçon épistémologique symbolisée par les deux auteurs est
qu'au fond, au plan des paradigmes ou schèmes méthodologiques
de la Science, nous sommes reliés pour le choix d'une stratégie de
recherche, entre autres, à l'impératif ultime de l'Idéologie.
Pour nous lecteurs actuels de Nietzsche et de Ch. A. Diop, ce
qui poserait problème, dans la position de ces deux chercheurs,
c'est le statut du concept de progrès. Le concept de progrès dans la
science ne serait pas à prendre au seul sens bachelardien ou de
l'histoire des sciences de «coupure épistémologique» et de
« rupture épistémologique ». Ce progrès est donné dans la « rupture
épistémologique» par la création des paradigmes alternatifs,
illustrant ainsi un sens de « récurrence créatrice », de
restructuration dialectique du progrès dans l'histoire des sciences.
Que faut-il penser, aujourd'hui, des modèles d'alternative
scientifique proposés par l'Egyptologie de Ch. A. Diop ou de sa
mouvance, l'école théorique des origines nègres de la civilisation
égyptienne ou des origines égyptiennes des civilisations africaines?
Il y a un double problème pour l'Idéologie dans son rapport à la
Science: le décalage entre l'Impératif et l'Ethique de l'Objectivité
de la Science, puis la patience de la Science qui se soumet aux
laborieux protocoles de construction et de contrôle des modèles
théoriques du réel.
Ch. A. Diop n'est pas ignorant de ce double problème et choisit
d'arrimer la méthode scientifique à l'impératif et à l'urgence
sociohistorique d'émergence d'une «Conscience historique»
libératrice. Il le fait, surtout, pour construire la légitimation
théorique de l'écriture d'un contenu culturel ou d'un paradigme
sociohistorique pour le changement. En somme, il en appelle à la
Science, pour formuler des réponses à la question, «pourquoi le
changement historique» ? L'idéal, la fascination du paradigme de
l'Egypte nègre, devrait suffire à opérer la rupture culturelle.
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Ch. A. Diop symbolise tout le tragique des aspirations
révolutionnaires de l'élite intellectuelle négro-africaine: alors
même qu'elle bénéficie de la conjoncture idéologique de la coupure
sociohistorique avec la situation coloniale, elle marque ou signe une
incapacité, un échec à opérer la vraie rupture sociohistorique, en
termes d'émergence d'une société et culture africaines, qu'importe
le paradigme.
Il faut ajouter à cet échec, le paradoxe de vouloir faire servir
l'idéologie de la révolution sociohistorique, la définition du
paradigme socioculturel du changement par une science non
accomplie, une science en devenir, l'égyptologie africaine.
Mais, au fond, pourquoi arrimer l'écriture du paradigme
socioculturel à la seule méthode scientifique? Le tragique des
méprises intellectuelles des théoriciens de la révolution
socioculturelle, comme Ch. A. Diop, est d'avoir ignoré le couple
Histoire et Mythe.
C. Histoire et Mythe
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occidentales. La distance culturelle avec les théologies et mystiques
des cultures négro-africaines traditionnelles, saute aux yeux de
l'ethnologue et de l'historien des religions.
La problématique sociologique de l'aliénation sociohistorique
qui fonde théoriquement l'engagement idéologique de Ch. A. Diop
est toujours actuelle dans ses questionnements: comment se libérer
de l'aliénation sociohistorique? Ou encore, en langage
sociologique, comment opérer la rupture avec la dynamique
cyclique répétitive de l'histoire africaine depuis l'impact colonial?
Pourquoi la construction intellectuelle de la conscience historique
libératrice devrait emprunter exclusivement la voie de la Science,
de l'histoire des scientifiques, et non celle du Mythe, par exemple?
Le Mythe, Ch. A. Diop le sait avec l'ethnologie française, est un
mode de connaissance historique, d'éducation historique
omniprésent dans les cultures négro-africaines. A côté des
difficultés de construction d'une histoire des origines avec une
méthode scientifique, une égyptologie africaine non accomplie et
en devenir, il faut évoquer l'alternative possible d'une écriture
« mythique» des origines africaines.
Les indices socioculturels d'une Egypte nègre à partir des
témoignages de l'antiquité grecque et des hypothèses de la
linguistique comparée n'offraient-ils pas une belle matière ou
inspiration à l'écriture mythique des origines, comme une
totalisation «philosophique» de l'histoire? La cohérence de
l'affirmation de l'ethnicité négro-africaine oblige de considérer le
témoignage de l'Anthropologie sociale africaniste: iI y a une
dialectique intellectuelle propre de la pensée mythique nègre qui
construit comme discours, la trame de la complexité comme
conjonction de l'ordre et du désordre, au plan cosmologique,
métaphysique, social et moral, offrant par une symbolique de la
dialectique ordre/désordre, à l'imaginaire social des groupes, un
efficace instrument de régulation, de manipulation, de récupération,
en somme de maîtrise et de sublimation de la condition
sociohistorique.
A côté de la valeur Vérité de la Science, le Beau et le Sacré sont
également des valeurs du potentiel démiurgique du Mythe, son
pouvoir «anti-destin », son efficacité de déconditionnement à
Il
l'égard des aliénations et déterminismes psychosociaux,
sociohistoriques.
Dans l'histoire des civilisations occidentales, les courants
littéraires de l'Utopie furent une ré écriture du Mythe millénariste.
Ils contribuèrent efficacement à partir de la conjoncture des crises
sociohistoriques, à une rupture réelle avec la tradition de la quête
judéo-chrétienne du Millénium, par la formulation d'une nouvelle
approche du Millénium avec les figures mythiques du Temple de la
Science cœur de la Cité de Lumière, Cité du Progrès.
A travers plusieurs siècles de culture de la rationalité
philosophique et scientifique, on voit constamment les élites
occidentales rechercher dans les institutions comme la Franc-
maçonnerie ou la Rose-croix, le pouvoir du Mythe et du Rite
initiatique. Dans leur quête du pouvoir d'éveil philosophique et des
métamorphoses du statut ontologique de la personne humaine, elles
recherchent également le pouvoir de structuration de la personnalité
faisant de l'homme un architecte ou artisan de la Cité Idéale.
Dans l'histoire africaine, à leur manière, les messianismes
congolais, les millénarismes éthiopiens, les syncrétismes kenyan et
fang, avec leurs mythes politico-religieux, donnèrent aux masses
africaines, une puissante et dynamique formulation culturelle à
leurs aspirations à la liberté et à la justice. En somme, par ces
langages de cohérence de l'imaginaire social, ils surent créer un
mythe vrai de rupture avec l'ordre idéologique politique et religieux
de la situation coloniale.
Comparativement, les impacts des « idéologies» et langages de
cohérence de type rationaliste furent très sectoriels. Ils furent
limités au monde des élites; ils furent conjoncturels, le temps des
modes intellectuelles, sans incidence institutionnelle majeure en
termes de rupture idéologique dans les structures mentales et
sociales des nations africaines.
Nous touchons ici aux ambiguïtés d'une idéologie des processus
identitaires chez Ch. A. Diop et chez une certaine élite intellectuelle
africaine. Ils partagent la discrimination théorique positiviste et
évolutionniste propre à une certaine rationalité occidentale rejetant
le mythe négro-africain comme « mentalité archaïque dépassée »,
mode de connaissance dénué de toute valeur historique, avec ses
contradictions, son indétermination temporelle, son caractère
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ésotérique, son symbolisme difficile à interpréter, son contenu
avant tout philosophique et religieux, fondé sur une « liturgie de
répétition », la tradition. Le processus identitaire traduit
simplement, dans le contenu, une ethnicité stratégique.
Certes, la nuance avec Ch. A. Diop, est que le processus
identitaire n'est pas réduit au combat d'une ethnicité stratégique, de
positionnement stratégique racial ou social. Le processus identitaire
a un contenu culturel. La quête des origines est la tension vers une
ethnicité substantialiste, l'ethnie des origines africaines, la
« Culture-Mère» égyptienne, et non vers ses avatars historiques,
les formes dégénérées de celle-ci que sont les «civilisations
nègres» investiguées par les sciences sociales africanistes.
Admettons la possibilité de rejoindre scientifiquement un jour,
la Culture égyptienne comme culture nègre, avec une Egyptologie
africaniste accomplie. Il resterait à résoudre la question tout aussi
fondamentale: comment les nations nègres d'aujourd'hui peuvent-
elles rejoindre culturellement l'Egypte nègre, avec quels moyens
culturels peuvent-elles s'approprier l'Egypte ou même simplement
l'intégrer comme paradigme socioculturel?
Que retenir en conclusion des commentaires ici esquissés et qui
voudraient attester de l'excellence de l'ouvrage de Ramsès L. BOA
THlÉMÉLÉ ?
Une lecture actuelle de l'œuvre de Ch. A. Diop qui jugerait la
contribution de l'égyptologie africaine de DIOP sans consistance
théorique et sans capacité de contrôle expérimental pour ses thèses
majeures, ne ferait qu'actualiser positivement la question des
enjeux scientifiques de certaines hypothèses de recherche. Cette
lecture ne ferait que s'inscrire dans le cadre de la Rationalité
scientifique contemporaine et de son éthique universelle de
l'Objectivité.
Mais, il y a dans l' œuvre de Ch. A. Diop, comme nous le montre
l'ouvrage de Ramsès L. BOA THlÉMÉLÉ à propos de la quête des
origines, plus qu'une question de pure théorie, de recherche
scientifique égyptologique. Ce qui trahit, en effet, un vecteur
« anthropologique» ou humain de cette quête des origines, c'est la
tension entre l'éthique d'objectivité de la Science puis l'impératif et
l'urgence de l'idéologie, l'émergence d'une conscience historique
libératrice des Noirs. Cette idéologie adopte des positions
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intellectuelles « rebelles» envers l'Egyptologie, comme Nietzsche
envers la Philologie pour la cause du Surhomme. Ceci traduit toute
la structure symbolique de cette quête des origines, ses valeurs
référentielles ultimes, historiques, sociales, ontologiques mêmes.
La pensée des origines, chez Ch. A. Diop, n'est pas une
mentalité singulière, comme l'argumente abondamment l'essai à la
fois historique et philosophique de Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ
pour répondre à la lecture simplificatrice et réductrice de François-
Xavier Fauvelle.
Cependant, ce qui intéresserait le socio anthropologue et le
sociologue, en regard de la problématique théorique de l'identité et
de la variation de la condition humaine, cadre d'analyse de l'essai
de R.L. BOA THIÉMÉLÉ, c'est l'attention à accorder à la
« singularité », à l'originalité de la traduction historique d'une
structure symbolique universelle de la quête des origines. C'est que
je me permettrais de suggérer dans cette ultime conclusion.
Devant le défi de l'aliénation historique, devant une histoire
africaine qui ne connaît qu'une seule dynamique, les récurrences
cycliques répétitives de l'histoire africaine depuis l'impact colonial,
je ne peux manquer, humblement, de questionner cette ambiguïté
de l'interprétation rationaliste de la pensée de Ch. A. Diop. Cette
attitude intellectuelle discriminative de Ramsès L. BOA
THIÉMÉLÉ arrime la construction des instruments culturels,
l'élaboration du paradigme socioculturel de l'Idéologie de la
rupture à une science non accomplie, une science en devenir.
Comme penseur ou chercheur imbu de la rationalité positiviste et
évolutionniste occidentale, R.L. BOA THIÉMÉLÉ semble ignorer
contre l'histoire et les sciences humaines, l'alternative de la pensée
mythique, de l'imaginaire vrai, comme une autre voie de
construction des instruments culturels de la rupture.
C'est ici qu'éclate, à l'égard des traditions négro-africaines
d'hier et d'aujourd'hui, la méprise de Ramsès L. BOA THIÉMÉLÉ
et de l'élite intellectuelle africaine imbue d'une certaine modernité.
Au vrai et en définitive, cette lecture rationaliste de la pensée de
Cheikh Anta Diop aura manqué de donner à l'idéologie de la
rupture dont la pertinence est toujours actuelle, ses moyens
culturels d'action. Des esquisses existent pourtant chez Ch. A. Diop
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lorsqu'il analyse par exemple la pensée Dogon, la sorcellerie et
même la parapsychologie.
Sa lecture rationaliste sous-estime la borne culturelle de
l'Egyptologie ou de la science. Son Egyptologie ignore ce que
savent les Sciences Humaines: que nous aurons besoin de rites
pour inscrire profondément dans les schémas corporels, psychiques
et sociaux de nos sociétés africaines actuelles une culture du non
inspirée de l'Egypte nègre, c'est-à-dire une culture en rupture
radicale avec le présent. Car, pour l'Anthropologie et les Sciences
Humaines, nous aurons à compter pour tous les changements vrais
de paradigme socioculturel, avec l'immense défi biologique,
psychologique et social que pose toute enculturation antagoniste.
Cette nécessaire sociopédagogie du non traduit bien la borne
anthropologique de la Science.
ESSANE Séraphin
Directeur de Recherche
Université de Cocody, Abidjan.
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INTRODUCTION
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universelle. Et c'est à partir de ce principe de constitution de
l'humanité que nous allons opérer le rapprochement entre la
biographie et la bibliographie de Nietzsche avec celles de Ch. A.
Diop. Ainsi Nietzsche et Ch. A. Diop constituent-ils, sans aucun
doute, les figures singulières d'une lecture qui se veut recherche de
l'universel.
Levons immédiatement une équivoque dans ce comparatisme
que nous établissons entre Nietzsche et Ch. A. Diop. Il ne s'agit pas
de comprendre le point de vue de Ch. A. Diop sur les thèses de
Nietzsche3. Nous éviterons de confronter les points de vue de l'un
et de l'autre sur des aspects spécifiques de leurs doctrines.
Dans la première partie, nous allons voir si les critiques,
notamment celles de F-X. Fauvelle, sont fondées quant à la
soumission de Ch. A. Diop à une construction mythologique de la
nostalgie.
Dans la deuxième partie, la méthode comparée nous permettra
de retrouver chez Nietzsche et chez Ch. A. Diop des traits
communs: leur quête de l'origine à travers l'amour de l'Antiquité,
leur passion pour l'unité et leur volonté de remanier la tradition
scientifique de leur époque.
Dans la troisième partie, il s'agira d'aller au-delà de la
problématique de l'origine et de la nostalgie. La philosophie de
Nietzsche nous servira d'instrument d'analyse de la réalité
africaine. Investissant ses méthodes d'analyse dans la réalité
africaine, nous montrerons que Ch. A. Diop peut être interprété
comme un des précurseurs de la modernité africaine, mais d'une
modernité devant déboucher sur la Renaissance de l'Afrique.
]
Sur ce point voir, Cheikh Anta Diop, L'unité culturelle de l'Afhque Noire,
Domaines du patriarcat et du matriarcat dans l'Antiquité classique, seconde
édition, Présence Africaine, 1982, pp 157-163, 168-170; Cheikh Anta Diop,
Civilisation ou barbarie, Anthropologie sans complaisance, Présence Africaine,
1981, p. 458.
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PARTIE I
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1. LES FIGURES SOCIOLOGIQUES ET RELIGIEUSES DE LA
MYTHOLOGIE DES ORIGINES
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