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2014
Le choix du nom de baptême
à Roz-Landrieux
(Haute-Bretagne)
au 15e et 16e siècle
Illustration de couverture :
Deuxième page du premier registre des baptêmes
de Roz Landrieux
Baptême d’Olivier Dousouil le 27 avril 1452
(source :AD35, cote 10 NUM 35246 1)
2
PIERRE YVES QUEMENER
Pour notre compréhension des systèmes de nomination, l’étude des premiers registres de
baptême de la petite paroisse de Roz-Landrieux présente un intérêt majeur : il s’agit en effet du
document français le plus ancien propre à nous donner une image fidèle de la façon de nommer à
la fin du Moyen Age. Avec plus d’un millier d’actes de baptêmes1, l’échantillon est suffisamment
représentatif et présente le grand avantage d’être mixte et populaire, et de couvrir en outre une
population entière sur plusieurs décennies. Quelque puisse être leur importance numérique, les
sources antérieures n’offrent jamais l’ensemble de ces caractéristiques : les cartulaires reflètent
l’anthroponymie des milieux cléricaux et aristocratiques, les montres du 14e et 15e siècle ne
concernent que la noblesse ; les rôles de la réformation des fouages peuvent atteindre un public
plus large lorsqu’ils mentionnent les métayers et les contribuants mais le corpus reste
essentiellement masculin ; les enquêtes de canonisation sont intéressantes parce qu’elles nous
donnent un nombre important de témoins issus de toutes les couches de la société, tant hommes
que femmes, identifiés par leurs noms d’usage, mais les échantillons restent dispersés et non
représentatifs d’un groupe social homogène.
S’il a l’avantage de l’homogénéité, notre corpus de Roz-Landrieux n’échappe toutefois pas
aux défauts de ses qualités : l’analyse des registres nous donnera une image du répertoire et des
pratiques anthroponymiques d’une petite paroisse rurale de Haute Bretagne qu’il sera opportun
de confronter à d’autres analyses du même type pratiquées en milieu urbain ou en pays
bretonnant.
Un intérêt supplémentaire de notre source – et non l’un des moindres – est de nous
renseigner pour chacun des enfants baptisés du nom de ses parrains et marraines. Il s’agit ainsi
d’un extraordinaire outil d’analyse sociale qui devrait nous permettre d’établir une radiographie
anthroponymique de la paroisse au tournant du 15e et 16e siècle, mettant en évidence le corpus
utilisé, l’existence éventuelle de « patrimoines onomastiques familiaux », les processus normatifs
de la nomination et le niveau de caractère dévotionnel des attributions le cas échéant. A la fin du
12e siècle, Chrétien de Troyes rapportait dans son Perceval le Gallois les dernières recommandations
de la mère du héros avant son départ : Soit en chemin, soit à l’hôtel, ne faites compagnie un peu longue à
personne sans demander le nom de votre compagnon, car par le nom on connaît l’homme2. Quel était l’homme
de Roz-Landrieux à la fin du Moyen Age, c’est ce que nous nous proposons de découvrir.
1 1145 actes de baptêmes de 1451 à 1528, soit plus de 2000 individus identifiés au total si l’on inclut les parents, les
Stock+Plus, 1978, p. 44
3
1. De la pertinence de nos sources
Le premier volume de l’état civil de Roz-Landrieux se compose de 63 feuillets de papier
(années 1451 à 1506) puis de 25 feuillets de parchemin (années 1516 à 1528) dont plusieurs sont
aujourd’hui déchirés ou vierges. Après 1528, les registres seront interrompus pendant une
soixantaine d’années pour ne reprendre qu’en 1587 pour les sépultures et en 1592 pour les
baptêmes et mariages.
Pour la période que nous étudions, nous avons plusieurs lacunes importantes : de 1465 à
1470, de 1473 à 1480 et de 1506 à 1516. D’une période à l’autre, il y a eu semble-t-il interruption
momentanée de la tenue des registres avant qu’ils ne soient repris quelques années plus tard
exactement là où ils avaient été arrêtés3. Hormis ces lacunes, certaines années sont bien moins
fournies que d’autres comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous :
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
1451 1461 1471 1481 1491 1501 1511 1521
Il est difficile d’expliquer la pénurie relative des baptêmes à certaines périodes : les années
1462-1463 (folios 19-20) et 1493-1494 (folios 42-43) paraissent complètes et on ne peut dire si le
nombre réduit des baptêmes pendant cette période est du à une crise de la fécondité ou à une
négligence du préposé à la tenue des registres4.
Globalement, le registre contient 1145 actes plutôt bien répartis selon les sexes puisque
nous comptons 570 garçons et 552 filles5. Dans les périodes non lacunaires, il y a fréquemment
cinq à huit enfants par famille mais rarement plus. La fécondité du couple Jean Paumier et
Colette Brisard est exceptionnelle : douze enfants de 1487 à 1504 ! En l’absence de registres de
mariages filiatifs ou d’actes de sépulture, la reconstitution de généalogies familiales s’avère être un
3 Les registres sont consultables en ligne sur le site Archives et patrimoine d’Ille-et-Vilaine (cote 10 NUM 35246 1) :
http://archives.ille-et-vilaine.fr/fr .Voir notamment la succession immédiate des actes de 1470 après ceux de 1465 au
feuillet 22 et ceux de 1480 après ceux de 1473 au feuillet 26. Au feuillet 40, on passe directement de l’année 1490 à
1492.
4 Pour une présentation générale des registres de Roz-Landrieux, voir HENRI BOURDE DE LA ROGERIE, « Registre
des baptêmes de Roz-Landrieux de 1451 à 1529 », Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine
(désormais BMSAIV), n° 48, 1921, p. 79-88, et BRUNO ISBLED, « Le premier registre de baptêmes de France : Roz-
Landrieux (1451) », Place publique, n° 10, mars 2011, consulté sur internet le 2 novembre 2014.
5 Soit un total de 1122 actes. Certains actes supplémentaires (17) n’ont pu être correctement déchiffrés et il existe en
outre quelques doublons, notamment pour les actes de la fin du registre qui correspondent en fait à une copie
partielle des actes de 1525 (l’ordre n’est pas identique).
4
exercice relativement périlleux. Nous proposerons toutefois en fin d’étude une reconstitution de
la composition d’une famille de la noblesse locale sur cinq générations.
Dans quelle mesure les appellations enregistrées sur le papier des registres peuvent-elles
être considérées comme fiables ? La question mérite d’être posée car deux points pourraient
éventuellement perturber l’authenticité de notre documentation : la langue utilisée et les
inflexions éventuelles du rédacteur.
Pour l’essentiel, le registre est tenu en latin. Les actes sont tous rédigés de la même façon.
Voici par exemple la transcription de l’acte de baptême d’olivier Dousouil le 27 avril 14526 :
Les noms attribués sont systématiquement traduits en latin : on trouve Egidius pour Gilles,
Stephanus pour Etienne, Natalis pour Noël, Ludovica pour Louise, etc. Ce faisant, le rédacteur pose un
voile sur les véritables formes parlées et l’on ignore dans quelle mesure il a pu uniformiser sous
un même terme latin plusieurs variantes du nom qui lui avait été annoncé par les parrains et
marraines. Un exemple avec les différentes formes possibles du nom Jacques. Il est attribué à
vingt-cinq reprises dans notre corpus : seize fois sous la forme Jacobus, six fois Jametus, une fois
Jaquettus et deux fois Jamet. Ces différentes variantes correspondent-elles à des énoncés différents
ou s’agit-il d’un choix propre au rédacteur ? Le fait que dans trois occurrences le parrain est
appelé Jacobus pour un filleul nommé Jamettus nous amène à penser que le rédacteur faisait bien la
distinction puisque dans la plupart des autres cas nous observons une similitude parfaite entre la
forme orthographique du nom du parrain et celle du filleul. C’est ce que semble confirmer cet
autre cas où un Jacquettus Roussel reçut son nom de sa marraine Jametta Le Boulanger. La forme
féminine du nom est principalement Jametta (sept attributions sous cette forme pour deux Jaquetta
et deux Jaquemina) et tous ces noms ont été attribués par des Jacobus ou des Jamettus, sans
corrélation systématique avec la forme du nom de la filleule. Tout porte donc à croire qu’il s’agit
de noms bien distincts. Nous constatons cependant que certains individus peuvent parfois être
désignés sous des formes différentes : c’est le cas par exemple pour Jacobus / Jametus Le Chien,
époux de Guillemeta Fabri.
D’ordinaire, les patronymes sont conservés sous leur forme française mais il arrive
quelquefois que le zèle latiniste du rédacteur le pousse à les traduire également. Nous relevons
ainsi dans un même acte en 1503 le baptême d’Eudo Canis fils de Nathalis Le Chien. Nous
retrouvons ce même Eudo Canis appelé Eudonis ou Eonis7 Le Chien quelques années plus tard à
l’occasion de la naissance de ses enfants (en 1525, 1527 et 1528).
6
Registre des baptêmes de Roz-Landrieux, 1451-1528, f° 1v
7 Eonis est la latinisation de la forme française Eon, elle-même dérivée de l’ancien nom breton Eudon.
5
Dans le même ordre d’idées, on peut signaler l’équivalence entre la forme patronymique
Pagani (litt. païen en français) qui évolue en Pean à la fin du 15e siècle pour devenir plutôt Peain au
16e siècle8. Le rédacteur n’hésite pas à les employer simultanément dans un même acte en 1485 :
Robertus Pagani filius Johannis Pean et Katherine Le Reculeurs…
Il ressort de tout ceci qu’il existe une équivalence manifeste entre certaines appellations
mais nous ne pouvons pas toujours dire avec certitude quelle était la forme française utilisée pour
tel ou tel individu dans la vie courante.
En 1480, lorsque Dom Robin Harens reprit à son compte la tenue du registre des
baptêmes délaissé depuis plusieurs années, il se montra particulièrement novateur en adoptant
une rédaction des actes directement en français, anticipant ainsi de plus de cinquante ans le
fameux arrêt de Villers-Cotterêts (1539) qui prescrivit l’usage du français dans tous les documents
officiels9. Pendant quatre années, les registres de Roz-Landrieux seront donc tenus en français
(feuillets 26 à 30) avant que Dom Harens n’opte pour le latin en 1484, quelques mois avant son
remplacement par Dom Jacques Landry. Ces quelques années de rédaction française sont
toutefois une aubaine pour notre problématique car elles nous permettent de connaître les
véritables noms en usage dans la paroisse à la fin du Moyen Age. Nous pouvons ainsi repérer
quelques correspondances intéressantes avec les formes latines : Geffeta Le Bach et son époux
Nicolay Rouxel (acte latin de 1484) étaient nommés Geffelote et Collas en 1483 ; à Roz-Landrieux, la
forme usuelle pour Radulphus n’est pas Raoul mais Roullet10, Radulpheta est la traduction de
Raoulette ; Matheus ne doit pas se traduire par Mathieu mais plutôt par Macé11, Stephanus se rend par
Etienne12, Phelipotes par Filipot13, Jametus par Jamet14. On trouve aussi des James et des Gorget, des
Colin et Colas plutôt que Nicolas. Le latin Johanna se décline en Janne mais aussi en Jouenne et Jannete.
Ces actes en français nous permettent ainsi d’apprécier avec plus de pertinence les
éventuelles inflexions rédactionnelles du scribe chargé de la tenue des registres. A une autre
époque, l’interventionnisme des rédacteurs est par exemple flagrant dans les registres bretons
tenus dans la seconde moitié du 17e siècle et au 18e siècle. Dans le cadre de la mise en œuvre de la
Réforme catholique et à la suite de la publication du catéchisme de Trente en 1566, il avait en
effet été décidé de « rechristianiser » le répertoire des noms de baptême afin d’inciter les fidèles à
imiter la sainteté et la piété des saints illustres dont ils portaient le nom15. Pratiquement, trois axes
principaux avaient été mis en œuvre : le rejet de plus en plus systématique des noms profanes (voire
leur changement par l’évêque au moment de la confirmation), le rejet progressif des noms
masculins féminisés (sauf canonisation ou béatification récente d’une sainte portant ce type de
nom, comme Françoise d’Amboise par exemple), et enfin le rejet des formes hypocoristiques
populaires.
L’examen des premiers registres de Roz-Landrieux nous montre que ces principes
n’étaient pas du tout observés en 1451-1528. Les noms profanes – c’est-à-dire les noms n’ayant pas
été portés par des saints ou saintes dûment canonisés – sont déjà rares dans le répertoire
onomastique mais leur transmission de parrain à filleul ne pose aucune difficulté : on relève ainsi
dans les registres de la paroisse plusieurs baptêmes d’enfants nommés Arthur, Auffray, Brient, Eon,
8 Le patronyme est issu du nom Payen, fréquent au Moyen Age central. Le nom était vraisemblablement utilisé aux
11e et 12e siècles pour appeler les enfants qui n’avaient pas encore été baptisés et il devint plus tard dans certaines
familles un véritable nom de baptême transmissible d’un parrain à son filleul.
9 Les premiers registres de baptêmes du pays nantais ont été tenus directement en français : dès 1464 à Savenay, 1465
6
Geffroy, Nesmond, Olivier ou Roland. A noter toutefois que deux pères de famille, Hamon des
Granges16 et Savaric Bachelot17, ne sont jamais cités comme parrains et sont ainsi privés de la
possibilité de transmettre leurs noms.
Comme nous allons le voir, les féminisations de noms masculins abondent dans les
registres de Roz-Landrieux18 et constituent même la caractéristique principale de l’anthroponymie
féminine pour la période étudiée.
L’utilisation des hypocoristiques enfin n’est jamais prescrite des registres. Elle est
particulièrement sensible dans les actes rédigés en français où l’on rencontre nombre de Guillou,
Roullet, Phelipot, Macé, Colin, Colas, Robin, Jamet, Thomine, Gillette, etc. Au final, il apparaît que les
registres de Roz-Landrieux nous donnent une image relativement fidèle des noms personnels en
usage dans la paroisse au tournant des 15e et 16e siècles.
16 Hamon des Granges est le père illégitime de Jeanne Delourme en 1527. Il était vraisemblablement le fils de Jacques
Guillemin des Granges, sénéchal et connétable de la ville de Saint-Malo.
17 Savaric Bachelot et Jacquemine Le Sclanchier ont eu trois enfants nés en 1454, 1457 et 1462. Savaric est un ancien
1528 a été calculée pour 54 années complètes, abstraction faite des années lacunaires.
22 PHILIPPE HAMON, Les renaissances (1453-1559), 2009, p. 49.51
7
Le contenu laconique des actes de baptême de cette période ne nous permet
généralement pas de connaître le statut social des participants. Les actes ne sont pas signés et les
seules précisions concernent les membres du clergé (dominus, presbyter, discretus vir, clericus) et de la
noblesse locale (qualifiés le plus souvent de noblis vir ou de noblis domicela). Les indications sont
quelquefois plus développées comme dans cet acte de 1452 où Guillaume du Han est dit d(omin)us
tempo(ra)lis de la Meterie (acte de baptême de Guillaume Roupie, 1452, folio 1v). Au tournant des
15e et 16e siècles, une dizaine de familles nobles résidait habituellement dans la paroisse : on peut
citer notamment les du Han, Le Bouteiller, de Broon, de Cleuz du Gage, de la Montellière, de
Hautebas, de Vaucler, Benoit, de Lorme, Gruel. Compte tenu de la taille réduite de la paroisse, il
est vraisemblable qu’elle devait compter en son sein très peu de membres des professions
juridiques ou commerciales. On notera toutefois que l’un des seuls actes de la période à
comporter des signatures en contient tout de même six : Stephan (écrit Stepha une première fois),
Roberta Loret (deux fois), Radulphus Chanmoel, Johannes Rouaut, Thomas Perier et Guillis (acte de
baptême de Julienne des Touches, acte en français, 1528, folio 87v). Les signataires n’étaient
pourtant pas cités dans le corps de l’acte (les parrain et marraines sont Julien Rochelle, Guyonne
Cherpin et Guillemeta Martin) et la page se présente plutôt comme une page d’écriture. Il est
possible que ces personnes fussent simplement attachées au service de la paroisse.
Roz-Landrieux possédait un prieuré datant du 11e ou 12e siècle et relevant de l’abbaye du
Tronchet en Pléguer (paroisse limitrophe). Elle est célèbre enfin pour ses calvaires qui se
comptent au nombre de douze et dont certains nous rappellent encore les noms de leurs
fondateurs : quatre d’entre eux présentent les armoiries de la famille du Han, un autre porte la
mention 1586 Delaune, celui de la Pinorais porte l’inscription 1620 Mi : Hardouin (pour Missire
Hardouin) et celui de Langast nous donne les noms de I : Daveux et G : Paumier sa compaigne :
165023.
23 JOSEPH MATHURIN, « Les vieux calvaires de Roz-Landrieux », Annales de la Société Historique et Archéologique de
l’arrondissement de Saint-Malo, 1907, p. 95-110. Sur l’histoire de la paroisse, voir aussi ABBE GUILLOTIN DE CORSON,
Pouillé historique de Rennes, tome 5, 1884, p. 710-717 et tome 2, 1881, p. 246-247 ainsi que « L’ancien manoir de la
Mettrie-du-Han en Roz-Landrieux », BMSAIV, tome 21, 1892, p. 59-61
24 Voir PIERRE-YVES QUEMENER, A situation nouvelle, nom nouveau, 2013 [en ligne], p. 33-45 (« la christianisation des
noms de baptême »
25 PIERRE-YVES QUEMENER, Le sanctoral des mariniers bretons au 16e siècle, 2014 [en ligne], p. 54
26 PIERRE-YVES QUEMENER, Quirin : culte et nomination en Vannetais au 17e et 18e siècle, 2014 [en ligne], p. 16
8
obtient un taux de corrélation de 27% seulement (148 cas sur 552) mais l’on constate aussi que
pour la plupart des cas (93 fois), le nom de la filleule est également une féminisation du nom du
parrain. En réalité, à Roz-Landrieux, ce n’étaient pas les marraines qui donnaient le nom mais les
parrains. La nomination par les marraines est finalement relativement rare, presque exceptionnelle
puisque cela ne représente en 1451-1528 que 55 cas, soit 10% des attributions totales. Si l’on
rapproche en premier lieu le nom du nouveau-né à celui des parrains et ensuite à celui des
marraines, nous obtenons les résultats suivants :
A Roz-Landrieux, la norme est claire et ne souffre que de rares exceptions : nous avons
généralement deux parrains et une marraine pour un garçon, un parrain et deux marraines pour
une fille. J’ai relevé les cas particuliers suivants :
Le tableau met en évidence une fois encore la moindre importance des marraines dans les
cérémonies du baptême : on peut se passer de marraine, mais pas de parrain.
Avec seulement onze cas de parrainage quadruple, nous sommes très loin de l’image
véhiculée par l’enquête de notoriété de Jeanne d’Arc, menée à Domrémy en 1456 : selon les
témoignages recueillis, il apparaissait en effet que Jeanne aurait eu au total une douzaine de
9
parrains et marraines27. En l’occurrence, il est permis de douter de la fiabilité de la mémoire des
témoins interrogés une quarantaine d’années après les évènements. Les données de Roz-
Landrieux indiquent au contraire que le parrainage triple était la pratique habituelle dans la
paroisse dès le milieu du 15e siècle au moins. Lorsque l’on déroge à la norme, le contenu des actes
de baptêmes ne nous permet pas d’affecter ces cas exceptionnels à un profil social particulier :
des familles nobles sont parfois impliquées mais cela n’a rien de systématique.
Nos données sont trop parcellaires pour pouvoir fixer avec précision l’âge moyen des
parrains et marraines. Lorsqu’ils se trouvaient encore sous l’autorité de leurs parents, les
rédacteurs le précisent généralement sur les actes : Jean Caré fils de Colin Caré est parrain de Michel
Longuone en 1501 et de Gilles Caré en 1503. Il s’agit vraisemblablement de Jean, fils de Colin
Caré et Macée Rouynel, né à Roz-Landrieux en 1488. Il avait donc treize ans à son premier
parrainage. Guillaume Le Sclancher, fils de Georges et de Jeanne Collet, est né en 1472 : il est cité
comme parrain de Guillemette Bachelot en 1487 (âgé de 25 ans). Anne Benoit, noble demoiselle,
fille de Jean Benoit et d’Orfraise de Marches, née en 1460, est citée comme marraine à sept
reprises de 1489 à 1523.
Du fait du nombre peu élevé d’habitants à Roz-Landrieux, les homonymies sont rares et il
est relativement aisé d’identifier les différents parrains et marraines sans grand risque de
confusion. Pour apprécier les fréquences et périodes du parrainage, j’ai sélectionné vingt couples
dont les premiers enfants sont nés après 1518 en relevant dans notre corpus toutes les fois où ils
avaient été parrains ou marraines.
27 BERNHARD JUSSEN, « Le parrainage à la fin du Moyen Age : savoir public, attentes théologiques et usages
sociaux », Annales ESC, mars-avril 1982, n° 2, p. 472-473
10
On constate que, la plupart du temps, le mari ou l’épouse ont été parrain ou marraine
avant la naissance de leur premier enfant, ou l’année de la naissance de celui-ci : cela se produit 10
fois sur 15 pour les pères et 12 fois sur 14 pour les mères. Le nombre des naissances aurait sans
doute été plus important si nous avions pu disposer de données postérieures à 1528 mais le seuil
de 1518 a été choisi pour éviter de se trouver en période lacunaire (1507-1515). Les
enseignements de ce sondage sont néanmoins intéressants. Dans vingt-et-un cas sur vingt-neuf, le
mari ou la femme ont été parrains et marraines avant d’avoir donné naissance à leur premier
enfant. Pour les huit autres cas, cela est également envisageable car le parrainage a pu avoir lieu
avant 1516 : l’usage courant serait donc d’être au moins une fois parrain ou marraine avant son
mariage. Dans de nombreux cas, ce sera d’ailleurs la seule occasion d’être parrain ou marraine.
Certains ne le sont jamais et les causes de cette carence ne peuvent être déterminées ici : dans
quelques cas, il se peut que le couple ne soit pas originaire de la paroisse (les Godefray & de Breil
sont d’implantation récente) ; pour d’autres, on peut supposer qu’ils n’étaient pas très estimés.
Certains individus cumulent par contre les parrainages. Il y a tout lieu de croire qu’il s’agit
alors de membres de familles aisées et il n’est d’ailleurs pas surprenant de trouver dans ces
familles quelques prêtres (Plenfouxe) ou de futurs donateurs de calvaires (Hardouin).
D’une manière plus générale, les relevés de baptême de Roz-Landrieux nous montrent
que les personnes qui sont régulièrement sollicitées pour être parrains ou marraines le sont
fréquemment cinq ou six fois, généralement à l’époque où elles sont elles-mêmes en âge d’être
parents. Certaines familles apparaissent de façon récurrente dans les listes de parrainages. Chez
les hommes, on retrouve souvent les Hardouin, Fane, Roupie, Care, Bachelot, qui constituaient
probablement l’élite sociale des laboureurs aisés et des petits notables de la paroisse. Les
représentants des familles nobles sont bien présents – notamment les du Han, de Vaucler, de la
Montellier – mais dans des proportions tout à fait ordinaires. Quelques particuliers sont mis plus
souvent à contribution : Guillaume Bourges est parrain à dix-neuf reprises, Macé Tatin à quatorze
reprises, Bertrand Maillart treize fois et Thomas Duport dix fois. Ce sont fréquemment les
membres du clergé qui sont le plus sollicités : Dom Guillaume du Han (10 fois), Guillaume
Lacroux discretus vir (10 fois), Dom Jacques Landry (14 fois), Dom Jean Cherpin (8 fois), Dom
Nicolas Turpin (15 fois). Ces parrainages intensifs ont naturellement une incidence directe sur la
diffusion des noms concernés puisque la norme de la transmission homonymique est
généralement respectée : chaque nouveau baptisé est un futur parrain potentiel.
Chez les femmes, la démarche semble être sensiblement différente. Les marraines les plus
sollicitées ne sont pas en effet les conjoints des notables précédents. J’ai relevé notamment le
recours important à deux marraines nommées Le Reculours dans les années 1490 (Jeanne est
marraine à 17 reprises et Catherine 12 fois) et, un peu plus tard, dans les années 1520, le recours
intensif à deux autres marraines nommées Fanton : Hélène (10 fois) et Rolande (13 fois). Il se
pourrait bien qu’il s’agisse ici des sages-femmes autorisées à exercer dans la paroisse.
A côté de cela, trois membres de la noblesse locale sont particulièrement sollicitées :
Marie de Pleguen (6 fois), Jeanne de Vaucler (10 fois) et Henriette Duport (9 fois). Ces trois
femmes ont en commun le fait de ne pas avoir été mères à Roz-Landrieux entre 1451 et 1528.
Plusieurs cas sont envisageables : les parents faisaient peut-être appel à elles parce qu’elles étaient
veuves ou religieuses. La motivation est plus évidente dans le cas de Marie de Pleguen puisque
nous savons grâce à Augustin du Paz qu’elle n’avait sans doute jamais pu avoir d’enfant28 : le
marrainage devient ainsi un maternage de substitution.
28AUGUSTIN DU PAZ, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, 1619, p. 488, nous dit que Marie de
Pleguen était l’épouse de Guillaume Le Bouteiller et que ce dernier décéda sans héritier en mars 1487.
11
Le parrainage familial
Les tableaux ci-dessous récapitulent les situations où les parrains et marraines portent le
patronyme de l’un des parents. Le choix de ce critère pour l’analyse du parrainage familial est bien
entendu incomplet et insatisfaisant puisqu’il ne recense que la parenté homonymique, sans tenir
compte des parrainages ou marrainages par les mères des parents, par leurs beaux-frères et belles
sœurs ou autres membres de la parenté proche. Il permet néanmoins une première approche du
phénomène.
Plusieurs constats peuvent être dressés. Nous remarquons en premier lieu que le recours à
des parrains ou marraines porteurs du patronyme de l’un ou l’autre des parents était rarissime :
moins de 4% des occurrences en moyenne générale. Lorsque les parents sollicitaient le parrainage
de membres de leur parenté, ils se tournaient de préférence du côté de l’époux (2,1%) que du côté
de l’épouse (1,5%). Le recours était nettement plus fréquent lorsqu’il s’agissait de désigner les
seconds parrains (4,3%) et les secondes marraines (4,7%), et plus fréquent également pour le
baptême des filles (4,2%) que pour celui des garçons (3,0%). Il semblerait donc que le recours au
parrainage de la parenté apparaît plutôt comme une solution de dépannage : au 15e et 16e siècle,
on sollicite les membres de sa parenté proche lorsque l’on a personne d’autre sous la main.
Nous n’avons en outre que quatre cas en tout et pour tout où le filleul est un parfait
homonyme de son parrain. Il se pourrait que ce dernier fût le grand-père du baptisé mais il
12
pourrait également être un oncle ou un autre membre de la famille proche. L’idée courante selon
laquelle le nom de l’aîné d’une fratrie lui provenait généralement de son grand-père n’est
absolument pas fondée à Roz-Landrieux. Plutôt que de faire appel à un parrain portant le nom du
grand-père, il était bien plus simple de solliciter le grand-père directement. Comme ce n’est pas le
cas, on peut supposer que la pratique n’avait pas cours à Roz-Landrieux à la fin du Moyen Age. A
cette époque, les parents se tournent vers des parrains ou marraines appartenant à l’entourage
proche (ils vivent dans la paroisse), éventuellement un notable, un prêtre ou un membre de la
petite noblesse locale. Ce brassage social associé à la norme de la transmission homonymique
exclut de facto la possibilité de constitution de « patrimoines onomastiques » familiaux. Il n’y a
guère que parmi les élites sociales qu’un tel phénomène puisse se produire car le recrutement des
parrains se fait alors dans un cercle plus restreint. En outre, le fait de disposer d’un statut social
élevé autorise vraisemblablement ces parents à revendiquer une plus grande maîtrise du choix du
nom de leurs enfants. Nous essayerons plus loin de le vérifier en étudiant plus spécialement les
pratiques de la noblesse de Roz-Landrieux.
Dans les couches sociales populaires, les noms des enfants se rajoutent les uns aux autres
au gré du nom de leurs parrains. Peu importe qu’un aîné ou une aînée porte déjà un nom similaire
dans la fratrie. Voici par exemple la composition de six familles sélectionnées au hasard dans une
liste de fratries de quatre enfants ou plus nés dans les années 1510-1520 :
Je signalais plus haut que les marraines transmettaient rarement leur nom : à Roz-
Landrieux, cela s’est produit seulement six fois pour des garçons et cinquante-quatre fois pour
des filles. Essayons de dégager les principales caractéristiques de ce processus inhabituel.
13
Gillette 3 1
Françoise 2 2
Marguerite 2 1 1
Isabelle 2
Julienne 2 1
Charlotte 1 1
Mathurine 1 1
Orfraise 1 1
Allanette 1 1
Collette 1
Etiennette 1
Geffeline 1
Georgette 1
Henriette 1
Thomasse 1
Typhaine 1
Totaux 54 30 5
Ce tableau appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, on remarque qu’à cinq reprises
des prêtres renoncent à leur « droit de nomination » et transfèrent à l’une des marraines l’honneur
de nommer leur filleule. Le fait devra être confirmé par l’examen des attributions hors
transmissions homonymiques mais il apparaît ici que la motivation onomastique du prêtre n’est
pas d’ordre religieux puisque les nouveaux baptisés ne reçoivent pas systématiquement un nom à
forte connotation religieuse – comme Marie ou Anne – mais des noms qui sont simplement ceux
des marraines. L’importance numérique exceptionnelle dans notre tableau de marraines issues de
la noblesse locale atteste que c’est bien leur statut social privilégié qui leur a permis d’obtenir la
prééminence de nomination sur les parrains29. Fréquemment, les rédacteurs des actes leur
confèrent alors la première place dans l’énoncé des parrains et marraines30.
Même si l’intention première des parents n’était sans doute pas d’attribuer indirectement
un nom authentiquement féminin à leur fille en désignant une marraine prestigieuse, il est clair
que la démarche contribue à accroître sensiblement la population des Marie, Anne, Catherine,
Marguerite ou Isabelle, dans la mesure évidemment où la marraine portait elle-même ce nom. Le
processus ne garantit toutefois aucunement la diffusion ultérieure de ces noms, à moins que les
filleules qui les reçoivent appartiennent déjà à l’élite sociale de la paroisse.
Concernant l’attribution des « noms féminins authentiques », le cas des Hélène mérite que
l’on s’y attarde. Le nom est choisi à quatre reprises à Roz-Landrieux (1485, 1493, 1504, 1524) et
aucune des marraines ne porte déjà le nom. Par contre, nous avons quatre parrains – de
patronymes différents – qui se prénomment tous Alain. De toute évidence, le choix du nom
Hélène s’est fait par homophonie. Plutôt que d’attribuer à leurs filleules le traditionnel Allenette, ces
parrains ont eu l’heureuse idée de leur conférer un véritable nom féminin tout en conservant leur
marque onomastique attestant pour tout un chacun leur filiation spirituelle.
Pour clore cette section sur le parrainage, signalons que certains parrains ont peut-être
renoncé à transmettre une forme féminine de leur propre nom en raison de leur rareté : c’est sans
doute le cas pour Brient Rouynel, clerc de son état, en 1454, pour Nesmond Chanltmoel en 1452,
29 Les marraines sont Orfraise de Marches, épouse de Jean Benoit, ainsi que leur fille Anne, Françoise de Vaucouleur,
épouse de Jean de Cleuz, Guillemette de Cleuz, Guillemette de Lorme, Michelle de Cleuz, Jeanne du Parc, Jeanne de
Guebriac, épouse de Jean de Vaucler, Jeanne Duport, Jeanne de Lorme, Jeanne du Han, Jeanne du Quartier,
Charlotte du Han, Marguerite de Margarou, Marie de Pleguen, Marie du Han, Marie de Vaulnoise, Mathurine de
Rochefort.
30 Dans la très grande majorité des cas, c’est le parrain principal, premier cité du collège des parrains et marraines, qui
transmet son nom au filleul ou à la filleule. On cite toutefois toujours en premier celui qui a le plus d’honorabilité
même s’il cède son « droit de nomination » à l’un ou l’autre des parrains ou marraines.
14
1455 et 1460, et pour Nesmond Ade en 1471 : quoiqu’ils aient transmis leurs noms à leurs filleuls,
la même chose ne s’est jamais produite pour les filles31.
Comme nous l’avons indiqué en début de chapitre, les liens du parrainage peuvent
expliquer 90% des choix de nomination à Roz-Landrieux. Pour tous ces cas, il n’est pas
nécessaire d’envisager une référence externe qui rendrait compte des choix effectués, que cette
référence soit religieuse, politique ou culturelle. Le recours massif à tel ou tel parrain plus estimé
que d’autres peut suffire également à expliquer le succès ou le déclin des différents noms dans la
paroisse. Il conviendra néanmoins de vérifier s’il n’existe pas aussi des courants de mode plus
généraux qui peuvent influencer les choix des parents vers des parrains déjà porteurs de certains
noms spécifiques ou relevant d’une catégorie onomastique particulière. Inversement, peut-on
observer le déclin de certains noms ou de certaines catégories de noms ? Dans l’immédiat, nous
allons examiner ce qui a pu motiver le choix des noms attribués en dehors du cadre des
transmissions homonymiques habituelles.
31Brient Rouynel transmet son nom à Brient Roger en 1454 et Nesmond Ade transmet le sien à Nesmond Leanis en
1464.
15
Robin tf 1 Attribution dans une famille noble (du Han)
Totaux 45 6
Abréviations catégorielles : noms traditionnels francs (tf) ou bretons (tb), anges (a), patriarches et prophètes (pp),
apôtres et disciples (ad), martyrs et confesseurs (mc), autres noms religieux (ar), autres noms (an)
Les cas où le motif de la dérogation à la norme est lié à une dévotion sont relativement
peu nombreux si nous les rapportons à la taille de l’échantillon (572 noms masculins). Cela
montre que, d’une manière générale, ce n’est pas l’aspect dévotionnel qui prime dans le choix
d’un nom. En outre, nous trouvons dans la liste des attributions dévotionnelles quelques saints
qui ne faisaient pas l’objet d’un culte très étendu en Bretagne (André et Simon notamment). La
dérogation en faveur de Sanson est manifestement liée au fait que la paroisse de Roz-Landrieux
dépendait de l’évêché de Dol, dont Samson était le saint fondateur. A y regarder de plus près,
toutes ces attributions dévotionnelles s’expliquent d’abord et principalement par le fait que la
naissance de l’enfant s’est produite un jour de fête chômée32. Ce n’est donc pas finalement tant la
dévotion particulière des nommeurs pour les saints mis à l’honneur (André, Georges, Julien, Samson
ou Simon) qui justifie le renoncement à la transmission homonymique mais plutôt la coïncidence
entre le jour de la naissance et un jour chômé. C’est bien sûr la même coïncidence qui explique
l’attribution du nom Noël le jour de Noël. Le cas de Julien est spécifique : il détient le record des
attributions hors transmissions homonymiques mais, pour cette fois, il ne semble pas qu’il faille y
voir la marque d’une dévotion envers l’un des multiples saint Julien dont peut se prévaloir le
martyrologe catholique (Julien l’Hospitalier, Julien l’évêque du Mans ou Julien le martyr de
Brioude). Nous verrons plus loin qu’il s’agit probablement de la masculinisation exceptionnelle
d’un nom de sainte, sainte Julienne de Nicomédie en l’occurrence.
Globalement, si la dévotion particulière pour tel ou tel saint ne semble pas produire
d’effet majeur en nomination, il n’en demeure pas moins que la part des noms à connotation
religieuse prépondérante (76%) l’emporte largement sur les autres noms d’origine bretonne ou
germanique (24%) comme nous pouvons le constater sur le graphique ci-dessous :
32Pour une liste des jours chômés en Bretagne à la fin du Moyen Age, voir PIERRE-YVES QUEMENER, Le sanctoral des
mariniers bretons, 2014 [en ligne], p. 15
16
La répartition des noms entre les deux catégories s’est faite sur la base d’analyses
antérieures, fondées sur l’étude des catalogues des jours chômés et des litanies des saints chantées
dans le cadre de la liturgie médiévale. Ces analyses ont montré que les noms à forte connotation
religieuse étaient presque exclusivement les noms de saints cités dans les textes bibliques (Anges,
Patriarches et prophètes, Apôtres et disciples) auxquels il faut ajouter les martyrs et confesseurs de
l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Age33. A l’exception de saint Yves, et parfois de saint
François et saint Dominique, on ne trouve guère de saints du Bas Moyen Age dans ces
documents34. Quoiqu’ils puissent se prévaloir d’avoir été portés par des saints plus ou moins bien
connus, les noms d’origine bretonne ou germanique, qui constituaient la base de l’anthroponymie
traditionnelle, n’avaient toujours pas acquis de connotation religieuse forte à la fin du Moyen Age.
Les mentions de saint Louis, de saint Charles ou de saint Guillaume que l’on peut relever à
l’occasion dans certains livres d’Heures répondent à des préoccupations ou intérêts corporatistes
sans refléter pour autant la réalité des dévotions populaires35.
La faveur pour les noms religieux est bien visible à Roz-Landrieux et nous pouvons
même affiner l’analyse en examinant l’évolution des différentes catégories au tournant du 15e et
du 16e siècle.
Les résultats sont particulièrement intéressants lorsque l’on sait que les noms de martyrs
et confesseurs étaient très peu attribués en France au début du Moyen Age central, à l’exception
de quelques saints très populaires tels qu’Etienne ou Nicolas et quelques autres. Ils représentent
ici près de la moitié des attributions et témoignent de la tendance en vogue à la fin du Moyen
Age.
Si globalement la mode des noms masculins joue en faveur des noms religieux, il est
impossible de dire précisément pour quel motif on a choisi tel nom plutôt que tel autre lorsqu’il
n’y a ni transmission homonymique, ni attribution du nom du saint fêté ce jour-là. A quoi tient
par exemple la popularité exceptionnelle des Guillaume à Roz-Landrieux ? Cela pourrait être une
forme d’allégeance au seigneur de la localité (Guillaume du Han) ou peut-être un parrainage par
33 Voir PIERRE-YVES QUEMENER, Le sanctoral des mariniers bretons, 2014 [en ligne], p. 11-48 et L’onomastique des gens de
mer, 2014[en ligne], p. 12-18 (Nomination et piété populaire)
34 On pourrait rajouter à cette liste quelques nouveaux saints ayant repris les noms d’anciens apôtres ou martyrs :
Guillaume : la présence de ces deux saints protecteurs des prisonniers correspond à une préoccupation réelle de
toutes les épouses de combattants. Dans la piété populaire, saint Guillaume est cependant presque inconnu : très peu
de représentations dans les églises et encore moins de titulatures.
17
délégation36. Les attributions importantes du nom Jacques correspondent peut-être en partie à des
dévotions particulières de certains parents envers l’apôtre qui se seraient arrangés avec les
parrains sur le choix de ce nom ; elles peuvent également être l’écho de la popularité du
pèlerinage en Galice. Quoique l’on puisse faire abstraction des modes actuelles qui se déterminent
souvent sur la sonorité d’un nom, sur sa finale ou sur son nombre de syllabes, il n’en demeure pas
moins qu’un nom pouvait aussi être choisi uniquement parce qu’il était à la mode, par simple
conformisme social. Une analyse comparative avec les données d’autres paroisses permettrait ici
de déterminer s’il s’agit de modes qui se développent à l’échelon strictement local ou si elles ont
une portée plus générale, à l’échelon de la région, voire même du pays. Examinons déjà si les
constats que nous avons pu faire pour les noms masculins s’appliquent pareillement aux noms
féminins.
La prédominance des noms à connotation religieuse (20 noms sur 24) indique nettement
l’orientation des choix de nomination lorsque l’on déroge à la norme de la transmission
homonymique. Cette attitude est confirmée par le nombre important d’appellations liées au saint
fêté le jour du baptême, ou parfois la veille (la vigile du jour chômé). Il s’agit encore bien souvent
de la féminisation d’un nom de saint mais l’opportunité de la naissance le jour de la fête d’une
sainte est quand même l’une des rares occasions de pouvoir attribuer un nom véritablement
36 Dans ce genre de cas, le parrain sollicité qui n’a pas pu se rendre à la cérémonie se fait représenter par un autre
parrain qui donnera néanmoins au baptisé le nom du premier. Un exemple dans le livre de raison de la famille Dautye :
Gilles, fils de Clément Dautye et Jamette Carré, naquit à Saint-Germain de Rennes le 27 mars 1496 « et le tint sur les
fonts Francoys de Sorie, en nom de Gilles Bourgneuf, sieur de Sainct-Sire ». Cité par PAUL PARFOURU, « Anciens
livres de raison de familles bretonnes », Bulletin Archéologique de l’Association Bretonne, tome 16, 1898, p. 406
18
féminin à Roz-Landrieux. Nous pouvons regrouper les différentes attributions dévotionnelles
comme suit :
Le constat est identique à celui que nous avons établi précédemment pour les noms
masculins : nous ne trouvons des attributions dévotionnelles que les jours de fêtes chômées. Il
s’en suit que ce n’est sans doute pas uniquement la dévotion des nommeurs à saint Laurent qui
explique pourquoi les trois seules attributions du nom dans la paroisse se sont produites un 10
août37 mais aussi parce que ce choix de nomination était un moyen mnémotechnique pour se
rappeler du jour de la naissance. Les fêtes non chômées étaient bien moins connues et on ne
trouve jamais à Roz-Landrieux d’attributions des noms Suzanne (fête ordinaire le 11 août) ou Clère
(fête le 12 août). La composition du catalogue des jours chômés du diocèse détermine donc en
partie la composition du répertoire onomastique. Les modifications successives de ces catalogues
ont pu avoir un impact indirect sur les choix de nomination et il est possible que les ajouts
nombreux de jours chômés au cours du Bas Moyen Age expliquent en partie le développement
des noms de martyrs et confesseurs au 15e siècle.
On trouvera ci-dessous la liste des jours chômés dans le diocèse de Dol en 153938 :
La répartition des noms à la mode à Roz-Landrieux à la fin du Moyen Age peut être
illustrée par le graphique ci-dessous :
37 Les seules attributions du nom Laurent l’ont été sous une forme féminisée. Comme il n’y avait à l’époque à Roz-
Landrieux aucun père de famille, ni aucun parrain, à se prénommer ainsi, la transmission du nom par la voie normale
devenait impossible.
38 Ensuyt le kalendriez pour trouver les jours ferielz (…) des eveschez de Dol, Rennes, Nantes, Saint Malo et Vennes, édité par
JACQUES BERTHELOT pour Thomas Mestrard, 1539, Bibliothèque de Rennes, cote R 10064/1. Consultable sur le site
des Tablettes rennaises. Curieusement, le jour de la saint Samson était d’après ce registre chômé à Rennes et à Nantes
mais pas à Dol. Il pourrait s’agir d’une confusion de l’éditeur.
39
Il faut rajouter à cette liste toutes les fêtes mobiles liées à la date de Pâques
19
Répartition des noms féminins à la mode par catégories
Catégorie Noms
Saintes femmes (28) Julienne (9), Marie (8), Marguerite (5), Hélène (4), Anne (1), Catherine (1)
Autres noms religieux (2) Pascale (1), Tiphaine (1)
Noms masculins religieux Jeanne (3), Laurence (3), Françoise (2), Thomasse (2), Collette (1)
féminisés (18) Etiennette (1), Georgette (1), Gillette (1), Jacquemine (1), Macée (1),
Mathurine (1), Sansone (1)
Noms masculins traditionnels Guillemette (5), Artura (1), Guidone (1), Raoulette (1)
féminisés (8)
40 LOUIS REAU, Iconographie de l’art chrétien : Iconographie des saints, 1959, Volume 2, p. 773
20
probablement ce qui s’est passé avec les porteurs du nom Nesmond. Dans les années 1450-1470,
on connaît ainsi deux Nesmond à Roz-Landrieux : Nesmond Chanltmoiel, sollicité à trois reprises
comme premier parrain (pour des filles) et une autre fois comme second parrain (pour un
garçon). Le garçon porte le nom de son premier parrain (Olivier) et les trois filles reçoivent les
noms de Jeanne, Marie et Gillette. Nesmond Ade réussit pour sa part à transmettre son nom à
Nesmond Leanis en 1464 mais pas à sa filleule, Guillemette Noguete, en 1471.
Le corpus masculin est composé à 40% de noms issus du fonds traditionnel franc et
breton. Pour l’essentiel, il s’agit de noms qui étaient déjà utilisés au début du Moyen Age central
(11e-12e siècles) avant le commencement de la christianisation du répertoire. Dans la partie
orientale de la Bretagne, l’influence du puissant voisin franc avait provoqué dès le 9e siècle
l’abandon de la langue bretonne et l’adoption progressive des noms francs.
41 Sur les doubles appellations voir mon étude A situation nouvelle, nom nouveau, 2013 [en ligne].
21
Répartition des noms masculins par catégorie
Nbre Nbre
Noms Catégorie Occ. En %
4 Traditionnels bretons (Tb) 28 4,9%
14 Traditionnels francs (Tf) 190 33,3%
18 Sous total noms traditionnels 218 38,2%
1 Anges (A) 11 1,9%
1 Patriarches et prophètes (Pp) 1 0,2%
9 Apôtres et disciples (Ad) 207 36,3%
14 Martyrs et confesseurs (Mc) 113 19,8%
2 Autres religieux (Ar) 15 2,6%
27 Sous total noms religieux 347 60,9%
3 Autres noms (An) 5 0,9%
42 Alain est le nom ducal par excellence en Bretagne depuis les exploits d’Alain le Grand au 9e siècle. Si son
appartenance au fonds culturel onomastique breton est indéniable, son étymologie n’est vraisemblablement pas
bretonne. Voir PIERRE-YVES QUEMENER, Saint Alain, en quête d’identité, 2012 [en ligne], p. 49-56
22
Classement des noms masculins à Roz-Landrieux
Rang Noms Catég. Occ. En % Cumul
1 Jean Ad 133 23,3% 23,3%
2 Guillaume Tf 89 15,6% 38,9%
3 Jacques Ad 25 4,4% 43,3%
4 Georges Mc 22 3,9% 47,2%
5 Olivier Tf 22 3,9% 51,1%
6 Alain Tb 20 3,5% 54,6%
7 Etienne Mc 16 2,8% 57,4%
8 Pierre Ad 16 2,8% 60,2%
9 Robert Tf 16 2,8% 63,0%
10 Colin Tf 14 2,5% 65,4%
11 Julien Mc 14 2,5% 67,9%
12 Massé Ad 14 2,5% 70,4%
13 Nouel Ar 14 2,5% 72,8%
14 Robin Tf 14 2,5% 75,3%
15 Bertrand Tf 13 2,3% 77,5%
16 Gilles Mc 13 2,3% 79,8%
17 Thomas Ad 13 2,3% 82,1%
18 Nicolas Mc 12 2,1% 84,2%
19 Michel A 11 1,9% 86,1%
20 Roullet Tf 9 1,6% 87,7%
21 Mathurin Mc 8 1,4% 89,1%
22 Guyon Tf 7 1,2% 90,4%
23 François Mc 6 1,1% 91,4%
24 Thibaud Tf 6 1,1% 92,5%
25 Eon Tb 5 0,9% 93,3%
26 Roland Tf 5 0,9% 94,2%
27 Antoine Mc 3 0,5% 94,7%
28 Arthur An 3 0,5% 95,3%
29 Louis Tf 3 0,5% 95,8%
30 Auffray Tf 2 0,4% 96,1%
31 Barthélemy Ad 2 0,4% 96,5%
32 Brient Tb 2 0,4% 96,8%
33 Henri Tf 2 0,4% 97,2%
34 Philippe Ad 2 0,4% 97,5%
35 André Ad 1 0,2% 97,7%
36 Benoit Mc 1 0,2% 97,9%
37 Bonanus An 1 0,2% 98,1%
38 Charles Tf 1 0,2% 98,2%
39 Chrétien Ar 1 0,2% 98,4%
40 Colas Mc 1 0,2% 98,6%
41 Denis Mc 1 0,2% 98,8%
42 Eustache Mc 1 0,2% 98,9%
43 Geffroy Tf 1 0,2% 99,1%
44 Nesmond An 1 0,2% 99,3%
45 Simon Ad 1 0,2% 99,5%
46 Simon Ad 1 0,2% 99,6%
47 Vincent Mc 1 0,2% 99,8%
48 Yves Tb 1 0,2% 100%
Totaux 570 100%
23
Les noms masculins les plus populaires
35%
30%
25%
20% Jean
Guillaume
15%
Jacques
10% Georges
Olivier
5% Alain
0%
1450 1460 1470 1480 1490 1500 1510 1520
43 Les six attributions du nom François proviennent d’une transmission homonymique. Quatre d’entre elles (1520,
1521, 1523) sont postérieures à l’accession au trône de François 1er en 1515 qui n’aurait d’ailleurs pas reçu son nom
en référence à François d’Assise mais à l’ermite italien François de Paule qui avait prédit à Louise de Savoie la
naissance d’un fils qui monterait sur le trône.
24
Répartition des noms féminins par catégorie
Nbre Nbre
Noms Catégorie Occ. En %
8 Saintes femmes (Sf) 57 10,3%
3 Autres noms religieux (Ar) 14 2,5%
11 Sous total noms religieux 71 12,9%
16 Noms masculins traditionnels (Mt) 204 37,0%
19 Noms masculins religieux (Mr) 273 49,5%
35 Sous total noms féminisés 477 86,4%
2 Autres noms (An) 4 0,7%
En comparant ces statistiques à celles des noms masculins, on peut être frappé par la
similitude des données : le rapport entre les noms à connotation religieuse et les noms
traditionnels est en effet très proche : il était de 61% pour les noms religieux contre 39% de noms
traditionnels dans le corpus masculin tandis que le corpus féminin affiche un total de 63% pour les
noms religieux et 37% pour les noms traditionnels. Mais ce qui ressort surtout de l’analyse du corpus
féminin, c’est l’écrasante domination des noms masculins féminisés dans le répertoire : aux 50%
de noms de saints féminisés, il faut rajouter en effet les 37% des noms issus du répertoire franc et
breton qui sont ici intégralement des noms masculins féminisés, ce qui nous donne finalement
pratiquement neuf noms sur dix.
25
31 Artura Mt 3 0,5% 94,2%
32 Bertheline Mt 3 0,5% 94,7%
33 Charlotte Mt 3 0,5% 95,3%
34 Fleurie An 3 0,5% 95,8%
35 Laurence Mr 3 0,5% 96,4%
36 Mathurine Mr 3 0,5% 96,9%
37 Rolande Mt 3 0,5% 97,5%
38 Isabelle Sf 2 0,4% 97,8%
39 Sansone Mr 2 0,4% 98,2%
40 Typhaine Ar 2 0,4% 98,6%
41 Catherine Sf 1 0,2% 98,7%
42 Clémence Mr 1 0,2% 98,9%
43 Coline Mr 1 0,2% 99,1%
44 Orfraise An 1 0,2% 99,3%
45 Pascale Ar 1 0,2% 99,5%
46 Petronille Sf 1 0,2% 99,6%
47 Philipine Mr 1 0,2% 99,8%
48 Simone Mr 1 0,2% 100%
Totaux 552 100%
Comme l’on pouvait s’y attendre, deux noms affichent des scores particulièrement élevés :
Jeanne (22%) et Guillemette (15%) qui sont l’exact reflet des Jean (23%) et Guillaume (16%) dans le
26
répertoire masculin. Le mimétisme se remarque jusque dans l’évolution des noms sur la période
où l’on voit Guillemette régresser au même rythme que son homologue Guillaume.
Cette maîtrise totale des choix de nomination par les hommes nous donne l’image d’une
communauté fortement patriarcale. En fait, les femmes n’ont leur mot à dire que dans deux
circonstances particulières : il s’agit soit de mères qui obtiennent le droit ne nomination en raison
d’un accouchement difficile, soit de marraines disposant d’un statut social élevé, supérieur à celui
du parrain qui laisse alors place à sa collègue. Nous avons vu que ces cas exceptionnels étaient
souvent l’occasion d’attribuer des noms authentiquement féminins mais que leur diffusion
ultérieure n’était nullement assurée pour autant puisque – sauf exception – les marraines ne
pouvaient pas encore user du droit de transmission homonymique. Ces rares noms féminins
(10% du corpus) sont exclusivement des noms de saintes femmes et nous pouvons donc y voir
l’effet d’une démarche religieuse. Le recours aux saintes s’adresse principalement à sainte Julienne
de Nicomédie vers qui l’on se tournait en cas d’accouchement difficile. Quoique ce nom puisse
être classé comme un dérivé féminin du nom Julien, il a été placé avec les saintes femmes car les
conditions de son attribution ne s’accordaient pas avec les processus habituels de la nomination44.
Les attributions du nom Marguerite (7 occurrences) renvoient également à des situations
d’enfantement dans la douleur tandis que celles du nom Marie (17 occurrences) et Anne (4
occurrences)45 résultent plutôt du marrainage noble. Le cas d’Hélène (4 occurrences) est équivoque
puisqu’il faut y voir en réalité une variante homophonique du nom Alain et non une dévotion à
sainte Hélène, l’impératrice byzantine. Au final, ces quelques attributions dévotionnelles
correspondent surtout à des demandes circonstanciées de protection divine sans qu’il y ait lieu d’y
voir réellement l’expression d’une dévotion forte envers les saintes nominées.
Au tournant du 15e et 16e siècle, les chefs de famille des maisons nobles de la paroisse
peuvent être aisément répertoriées à partir de l’enquête des exempts de fouage du pays de Dol en juin
147846 et des rôles de la réformation de l’évêché de Dol en 151347.
44 Voir supra p. 16 et 20
45 Notons ici l’attribution tout à fait précoce du nom Anne à Roz-Landrieux dès 1460 alors qu’il n’était encore
pratiquement jamais utilisé en nomination à cette époque. Les cas d’Anne de Bourgogne (née en 1404), Anne de
France (1461) et Anne de Bretagne (1477) sont exceptionnels.
46 Document mis en ligne par HERVE TORCHET sur le site www.laperenne-zine.com . Pour cette période, voir
également le « Dictionnaire des feudataires des évêchés de Dol et de Saint-Malo en 1488 » de MICHEL NASSIET,
Bulletin de l’Association Bretonne, 1990, p. 183-203 ; 1991, p. 265-296 ; 1992, p. 221-251
47 PERE RENE, Réformations de l’Evêché de Dol en 1513, Vannes, 1894, p. 17 (premier registre) et p. 20 (second registre)
27
Les familles nobles de Roz-Landrieux et leurs propriétés
Ordre Nobles recensés à Roz-Landrieux en 1478 et 1513
Ligne 1 : indications de l’enquête de 1478
Ligne 2 : compléments fournis par les rôles de 1513
1 La Chesnaye à Francoyse de Partenay
La métaire est à Louis de Guénégué et Clémence de Partenay en 1513
2 Le Gaige appartenant à Jehan de Cleuz
3 La Haye Boutier à Artur Gruel
Le manoir est possédé par Geffroy de Bintin, chanoine de Dol, en 1513
4 La Gouyoumeraye à Georget Loussel
5 La Rochelle à Geffroy de Tremigon
Métairie tenue par Jean de Tremigon en 1513
6 Mutrien à Guillaume Bouetard
La métairie de Mortryen appartient à François Maynel en 1513
7 Mutellien à Jehan du Cobar
La métairie du Petit Mortryen est à Gilles du Cobaz en 1513
8 La Cornillière à Orfraise de Marches
Bertrand de Lorme et Anne Benard sa femme tiennent la métairie de la Cornigère en 1513. A la place
de Benard, il fallait sans doute lire Benoit : Anne Benoit est la fille d'Orfraise de Marches.
9 La Métairie à Jehan du Han
10 La Rivière à Robert Guinguené
11 La Mogatelleraye à Geffroy du Hirel
La métairie de la Maugatelaye appartient à Pierre Guillaume en 1513
12 La Motherigault appartenant à Thomas Boutier
La métairie est possédée par Amaury de la Moussaye en 1513
13 La Ville Julienne à Maître Ollivier Piedou
Possession de Messire Gilles Ferré en 1513
14 L'Islet à Christophe du Vaucler
Métairie tenue par Guillaume de Vaucler en 1513
15 Les Salles à Ollivier de Vaucler
Etienne de la Montellière possède la métairie des Sables en 1513
16 La Court de Roz à Françoise de Partenay
17 Le Rochier à Guillaume Angier
Métairie tenus par Jean Le Bouteiller en 1513
18 Eustache Rouxel possède la métairie de la Haute Folie en 1513
19 Guyon du Cartier représentant Guillaume Le Bouteiller, possède des héritages en roture
Dès la première lecture, nous pouvons relever dans ces listes une proportion significative
de noms rares, que ces noms soient d’anciens nom médiévaux sur le déclin (Geffroy, Amaury) ou
au contraire des noms promus par la nouvelle mode religieuse (François, Christophe, Eustache,
Mathurin pour les hommes ; Anne, Marguerite, Françoise pour les femmes). On remarque la présence
d’autres noms peu courants à Roz-Landrieux tels qu’Arthur, Louis, Clémence, Orfraise, Marie ou
28
Yvonne. Nous avons répertorié ci-dessous l’ensemble des baptêmes d’enfants issus de familles
nobles, nés dans la paroisse entre 1451 et 1528.
Les garçons : Jean (5), Jacques (3), Pierre (2), Guillaume (2), Olivier (2), Auffray,
Michel, Roullet, Noël, Chrétien, Etienne, Georges, Robin, Bertrand, Robert
Les filles : Jeanne (2), Marie (2), Guillemette, Anne, Macée
On note une grande diversité de noms, notamment pour les garçons : le coefficient
moyen calculé entre le nombre d’individus et le nombre de noms utilisés est de 1,6 pour cet
échantillon (15 noms pour 24 individus) tandis qu’il s’élève à 11,9 pour l’ensemble du corpus (48
noms pour 570 individus). A l’exception d’Auffray et de Chrétien dans le répertoire masculin, et
d’Anne dans le répertoire féminin, tous les autres noms figurent en haut du classement des noms
les plus attribués dans la paroisse. Le taux des transmissions homonymiques est inférieur au taux
moyen du corpus mais de peu : 81% au lieu de 91%. Ceci signifie que dans la plupart des cas les
parents respectaient le privilège de nomination accordé aux parrains et que, par conséquent, ils
n’avaient pas une maitrise totale des choix de nomination de leurs enfants. A une seule exception
– Marie du Han en 1455 – c’est toujours le parrain qui transmet son nom dès lors qu’il y a une
transmission homonymique, jamais la marraine. Dans six cas seulement on a dérogé à la norme
de transmission habituelle :
29
Guillaume et Robin du Han, fils de Jean, nés respectivement en 1483 et 1486.
Le parrain principal de Guillaume est Roland de Launay (de la famille de la mère)
et celui de Robin est également un membre de la famille proche, peut-être le
grand-père (Guillaume du Han).
Anne Benoit, dernière fille de Jean et d’Orfraise de Marches, née en 1460 et
tenue sur les fonts par Guillaume du Han, Thomasse de Marches et Guillemette
du Han. Le nom a probablement été choisi par Thomasse car elle est citée en
premier dans l’acte de baptême.
Marie du Han, première fille de Guillaume, née en 1453. Elle avait pour parrain
et marraines Maître Jean de Cherruyes, Jeanne Le Filizhus et Orfraise de Marches.
Le nom qu’elle reçut était déjà celui de sa mère (Marie de Vaunoise)
Dans aucun de ces cas, la dérogation ne se justifie par une attribution du nom du saint ou
de la sainte fêtés le jour de la naissance de l’enfant. Il est possible que la motivation de la
nomination soit religieuse pour les Jacques de la Monteiller et il y aurait alors un lien éventuel avec
le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Il est plus probable cependant que le choix soit une
référence indirecte à un autre membre de la famille, Jacques de la Monteiller, cité comme parrain
en 1499.
Nous constatons par ailleurs que les parents font presque toujours appel à des parrains et
marraines issus de la noblesse locale (82% des occurrences)48 et que les dérogations à la norme de
la transmission homonymique se produisent fréquemment lorsque le parrain principal – ou la
marraine principale – sont membres de la famille proche. Il est vraisemblable que pour ces
parrains et marraines, le renoncement au droit de nomination n’avait pas alors la connotation
socialement dévalorisante qu’elle aurait eu dans d’autres circonstances.
Au final, il n’apparaît pas que les familles nobles de Roz-Landrieux utilisaient un système
de nomination fondamentalement différent de celui de l’ensemble de la population. La variété de
leur répertoire onomastique reflète surtout la richesse de celui de leurs parrains qui appartiennent
pour l’essentiel au même milieu social. Ce goût pour les noms peu fréquents impacte
naturellement et de façon durable le stock onomastique de la noblesse par le biais des
transmissions homonymiques. Les parents ne disposent toutefois jamais de la maîtrise totale du
nom mais le recours massif au parrainage familial favorise indéniablement le développement de
« patrimoines onomastiques familiaux » puisque les parrains acceptent plus facilement dans ce cas
de renoncer à transmettre leur propre nom à leur filleul en faveur du nom choisi par les parents.
Nous avons vu que dans la plupart des cas les nobles de Roz-Landrieux portaient des
noms qui figuraient déjà dans la liste des noms dominants de la paroisse mais que la
concentration sur un nombre restreint de noms y était moins forte que dans la moyenne générale.
En pratique, cela signifie que l’on trouvait chez eux une proportion moins grande de Jean et de
Guillaume. Il s’agit de voir maintenant si, du fait de leur statut social élevé, ils auraient pu jouer un
rôle significatif dans la diffusion de quelques noms spécifiques dans la paroisse. A cet effet, j’ai
recensé dans les registres de Roz-Landrieux la quasi-totalité des baptêmes pour lesquels l’un des
parrains ou marraines était issu d’une famille noble connue dans la paroisse49. J’ai ensuite relevé
pour chacun d’entre eux leur position dans l’énoncé de l’acte de baptême (première ou deuxième
place) ainsi que les noms attribués aux nouveau-nés et l’origine sociale de ces derniers. Les
résultats obtenus sont résumés dans le tableau ci-dessous :
48Le rapport pourrait être même supérieur car certains parrains et marraines n’ont pas pu être identifiés précisément.
49J’ai laissé de côté quelques cas pour lesquels je n’étais pas certain du statut social du parrain ou lorsque celui-ci était
visiblement étranger à la paroisse.
30
Le parrainage des nobles à Roz-Landrieux
Parrains (P) Nbre Total 1ère 2ème Filleul(e) Trans.
ou marraines (M) P/M Filleul(e)s Pkace Place Noble Homo.
Parrains 29 89 75 14 28% 85%
Marraines 26 101 88 13 19% 24%
31
Bouteiller (6) pour laquelle nous avons déjà eu l’occasion de signaler que son marrainage
s’assimilait plus ou moins à un maternage de substitution (elle n’avait pas eu d’héritiers)50.
Encore plus que les hommes, les marraines nobles sont fortement sollicitées pour des
baptêmes d’enfants non nobles qui représentent les quatre cinquièmes de leurs interventions. On
note surtout un taux de transmissions homonymiques très élevé pour des marraines puisqu’il
s’élève ici à 25% alors que le taux moyen n’est que de 10% à Roz-Landrieux. C’est évidemment
leur statut social privilégié qui explique pourquoi dans nombre de cas elles ont ravi le droit de
nomination qui échoyait traditionnellement aux parrains même si plusieurs marraines n’ont jamais
eu la possibilité de transmettre leurs noms. Lorsque l’occasion leur est offerte, ce sont toujours
les filleules qui reçoivent le nom de leurs marraines, jamais les filleuls. On remarque également
que lorsque les marraines ont un statut social supérieur à celui des parrains, elles n’en usent pas
pour attribuer à leurs filleules un nom féminin à leur goût mais se contentent de leur transférer le
nom qu’elles portent déjà. Les noms portés par leurs filleules reflètent donc le répertoire
onomastique des marraines : sept Jeanne, six Marie, trois Michelle (par Michelle de Cleuz), deux
Anne (par Anne Benoit), deux Françoise (par Françoise de Vaucouleur), une Guillemette, une
Charlotte, une Gillette et une Orfraise (par Orfraise de Marches). L’impact est significatif sur les
attributions de noms véritablement féminins comme Anne et Marie mais, comme nous l’avons dit,
leur diffusion ultérieure sera compromise tant que les parrains conserveront le monopole de la
nomination.
Au final, on constate que les familles nobles de Roz-Landrieux avaient adopté un
comportement globalement normatif dans leurs pratiques du parrainage. L’incidence sur la
diffusion de tel ou tel nom proviendrait plutôt des présélections opérées par les parents. Nous
pouvons observer en effet que les familles non nobles font très peu appel pour le parrainage de
leurs enfants à des nobles porteurs de noms peu communs tels qu’Arthur ou Auffray51. Par contre,
le recours fréquent à des marraines nobles prénommées Marie (18 fois), Marguerite (10 fois) ou
Anne (7 fois) pourrait bien refléter le désir des mères de voir leurs filles porter ces noms à la fois
très féminins et à forte connotation religieuse.
La famille du Han est l’une des plus anciennes maisons nobles de Roz-Landrieux dont
nous pouvons remonter la généalogie jusqu’à la fin du 14e siècle grâce aux travaux d’Augustin du
Paz52. Les premières générations connues sont les suivantes :
Rang Noms
1 Robin du Han
CJ : Melior Le Bouteiller (x vers 1380)
1.1 Jean du Han
CJ : Jeanne du Breil (décédée en 1428)
1.1.1 Guillaume du Han
CJ : Marie de Vaunoise (vers 1444)
111.1 Marie (née en 1453), premier parrain : Maître Jean de Cherruyes
50 Voir supra p. 11
51 Arthur Gruel, Arthur de Hyrel, Auffray de Marches et Auffray Ferion ne sont sollicités chacun que pour un seul
parrainage.
52 AUGUSTIN DU PAZ, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, 1619, p. 487. Voir également JOSEPH
MATHURIN, « Les vieux calvaires de Roz-Landrieux », Annales de la Société Historique et Archéologique de l’arrondissement de
Saint-Malo, 1907, p. 96-100 ; ABBE GUILLOTIN DE CORSON, « L’ancien manoir de la Mettrie-du-Han », BMSAIV, n°
21, 1892, p. 59-61 et du même « Les grandes seigneuries de Haute Bretagne », BMSAIV, n° 24, 1895, p. 23-29 ;
HYACINTHE MORICE, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire de Bretagne, 1744, volume 2, col. 265 (montre d’Olivier de
Mauny en 1380) ; GWYN MEIRION-JONES et MICHAEL JONES, « La Grande Mettrie en Roz-Landrieux », Mémoires de
la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, n° 79, 2001, p. 509-545
32
111.2 Marie (née en 1455), parrain et marraine (p/m) : Guillaume du Han et Marie du Han sa sœur
111.3 Pierre (né en 1456), p/m : Maître Pierre Ruallan, Jean Le Bouteiller, Marie du Han (fille de Guillaume)
111.4 Robert (né en 1459), premier parrain : Maître Robert Ruallon, chanoine
111.5 Jean (né en 1460), premier parrain : Maître Jean de Farce, chanoine
CJ : Jeanne de Vitré
111.51 Jean (né en 1481), parrains : Jean Le Bouteiller, seigneur de Bouays Henry, Robin du Han
111.52 Jean (né en 1482), parrains : Jean du Parc, Roullend de Lanvalay
CJ : Jamette Bruslon (x 1520)
111.521 Gillette
111.522 Catherine
111.523 René (né vers 1530)
111.53 Guillaume (né en 1483), premier parrain : Roullend Launay, seigneur de Launay
111.54 Robin (né en 1486), premier parrain : Guillaume du Han. Deviendra recteur de Roz-Landrieux
sous le nom de Robert du Han
111.55 Bertrand (né en 1490), parrains : Bertrand de la Doudlitre, Guillaume du Han, discretus vir
1.2 Guillaume du Han53
1.2.1 Marie (marraine en 1456)
1.2.2 Gillette (marraine en 1454, 1456, 1460, 1463, 1464)
1.2.3 Guillemette (marraine en 1454)
1.2.4 Jeanne (marraine en 1455, 1456, 1457)
1.2.5 Charlotte (marraine en 1456, 1459)
1.3 Marie du Han (marraine en 1455)
A la lecture de cet arbre généalogique, il est bien difficile d’y discerner l’ébauche d’une
stratégie familiale des choix de nomination. Jean apparaît bien comme nom récurrent mais quelle
valeur accorder à ce constat quand près d’un homme sur quatre s’appelait ainsi au tournant du 15e
et du 16e siècle ? Par contre, le choix de Guillaume et de Robin en 1483 et 1486 pourrait bien être
l’indice de l’existence d’un « patrimoine onomastique familial » : nous avons signalé en effet
précédemment que ces deux enfants de Jean du Han et de Jeanne de Vitré n’avaient pas reçu le
nom de leurs parrains et nous voyons à présent qu’il s’agit de noms qui figuraient déjà dans le
« stock onomastique » de la famille, portés par les fondateurs de la dynastie. On ne relève
toutefois aucun ordre chronologique normatif, qui imposerait par exemple l’attribution du nom
du père ou du grand-père à l’aîné d’une fratrie. On perçoit plutôt dans ces familles nobles une
tension permanente entre le désir de se constituer un patrimoine onomastique et la nécessité de
ne pas froisser l’amour propre des parrains sollicités.
Une bonne illustration de la valeur éminemment sociale et politique du nom de baptême
dans l’aristocratie nous est fournie par l’anecdote de la nomination du futur héritier présumé de
Charles VIII et d’Anne de Bretagne en 1492 : les parents avaient sollicité les ducs Louis d’Orléans
et Pierre de Bourbon pour tenir le nouveau-né sur les fonts baptismaux et proposaient de le
nommer Orland, forme italienne de Roland, en mémoire des exploits accomplis jadis par le comte
Roland en Calabre, et à l’instigation de l’ermite François de Paule, lui-même originaire de cette
région d’Italie convoitée par le roi de France. Les parrains refusèrent tout net, arguant qu’il n’était
pas concevable qu’un futur souverain ne porte pas un nom qui ait déjà été porté par l’un de ses
prédécesseurs. Après trois jours de discussions, un compromis fut finalement trouvé et les
parrains lui donnèrent le nom de Charles Orland. On voit ici que même le roi de France n’était pas
totalement maître du choix du nom de ses enfants mais que les parrains devaient eux-mêmes
composer avec les souhaits des parents. Certes, la charge symbolique du nom ne devait pas être si
prégnante dans la petite noblesse bretonne mais il importait que ce nom puisse évoquer autant
qu’il était possible à la fois les racines de la famille et les aspirations des parents.
53
La position de ce Guillaume du Han dans notre généalogie n’est pas assurée, tout comme celle de sa sœur Marie
(1.3) : on suppose seulement que tous deux étaient peut-être l’oncle et la tante de Guillaume, époux de Marie de
Vaunoise, à partir de l’acte de baptême de leur fille Marie née en 1455. Ses cinq filles sont citées comme marraines
dans les années 1450.
33
7. De l’indifférence des milieux populaires ?
L’anthroponymie populaire54 observable à Roz-Landrieux à la fin du Moyen Age se
caractérise par un taux de transmissions homonymiques extrêmement fort, l’absence de
participation des marraines aux choix de nomination et une concentration importante des
attributions sur quelques noms dominants. Peut-on en conclure pour autant à une indifférence
généralisée des milieux populaires quant au choix du nom de leurs enfants ? Il paraît évident que
le choix du parrain prime sur le choix du nom et que celui-ci découle presque inéluctablement de
l’identité du parrain principal sollicité. D’ailleurs, il est fréquent de trouver deux porteurs d’un
nom de baptême identique dans une même fratrie et la régularité avec laquelle on constate que
dans ces situations les parrains portent aussi le même nom nous amène à écarter l’idée qu’il
s’agirait – sauf exception – d’attribuer à un enfant le nom d’un aîné décédé. La plupart du temps,
le parrain use simplement de son droit de nomination quitte à ce que les parents s’arrangent
ensuite pour distinguer les homonymes à l’aide de diminutifs spécifiques ou en attribuant à l’un
d’entre eux un autre nom à leur convenance55. La priorité pour les parents est manifestement de
nouer des liens sociaux privilégiés dans la communauté et le choix du nom arrive au second plan.
On hésitera toutefois à faire appel à des parrains portant des noms trop originaux pour éviter que
son enfant soit affublé du même comme nous l’avons remarqué en analysant les pratiques des
élites sociales. Le désir de conformisme social des milieux populaires s’oppose ici à la volonté de
démarquage et d’innovation des élites. Il n’y a donc pas en réalité une indifférence totale sur le
nom mais un premier tri sélectif sur le choix des parrains qui permet d’écarter les noms
indésirables.
Il serait toutefois exagéré d’envisager que dans la pratique habituelle les parents
choisissaient délibérément les parrains en fonction du nom souhaité pour l’enfant, en rapport
avec un modèle référentiel précis, qu’il soit religieux, politique ou littéraire. Le « contrat de
parrainage » est un acte qui va bien au-delà du simple choix du nom et qui génère une obligation
d’assistance de la part du parrain en contrepartie de l’honneur qui lui est rendu. Quelquefois
cependant, nous pouvons percevoir à la lecture de certains actes que la question du nom a
manifestement orienté le choix du parrain. Cela a sans doute été le cas avec Pétronille Rochelle, née
en 1501 et tenue sur les fonts par un certain Pierre Penhouet qui n’a toutefois pas nommé sa
filleule Perrine comme c’était l’usage mais qui préféra lui donner le nom, assez proche d’un point
de vue homophonique, de Pétronille. Ce dernier nom, rare à Roz-Landrieux (une seule occurrence
comme nom de baptême), a la particularité de posséder une connotation religieuse très forte
(référence à sainte Pétronille la vierge romaine) et c’était aussi le nom de la mère – Pétronille
Trigori – qui aura visiblement souhaité que l’une de ses filles reprenne son nom. L’intention des
parents est également manifeste dans le cas de Philippine Macé en 1518 : née un 1er mai, jour de la
fête des saints Jacques et Philippe, l’enfant aurait pu recevoir par dévotion le nom de Jamette,
fréquent dans la paroisse. Le choix des parents s’est cependant porté sur un nom rare – une seule
occurrence dans le corpus – et leur souhait s’est concrétisé par le recours à un parrain qui ne fut
certainement pas sélectionné au hasard puisqu’il se nommait Philippe Pean.
Un second constat vient nuancer l’impression d’indifférence perçue de prime abord, c’est
celui de l’évolution du corpus en fonction des modes onomastiques. Plus qu’une faveur pour tel
54 Le terme populaire est pris ici dans son acception la plus large. Il ne s’agit pas de définir précisément une classe
sociale spécifique par rapport à une autre (clercs ou laïcs, lettrés ou non lettrés, riches ou pauvres, nobles ou roturiers, etc.) mais
simplement de présenter l’opinion et le sentiment de la majorité de la population.
55 Les pratiques n’avaient guère changé à la fin du 18e siècle si l’on en croit ce curé savoyard qui déplorait la mode des
noms multiples et le choix bizarre des parrains entêtés de donner leur nom à leur filleul, de là il se trouve assez fréquemment deux ou
trois frères qui ont plusieurs noms et tous exactement les mêmes, de là les pères ne nomment chaque enfant que du nom qui leur est le plus
agréable et après, souvent, oublient les autres noms qui n’ont pas été de leur choix et auxquels ils n’ont fait qu’une attention passagère,
Mémoires de JEAN-FRANÇOIS BLANC, curé de la Clusaz de 1784 à 1883, Archives Départementales de Haute Savoie, cote
1J2825.
34
ou tel nom particulier, on observe à la fin du Moyen Age un courant caractérisé par le goût pour
les noms de martyrs et confesseurs et, parallèlement, la désaffection pour certains anciens noms
médiévaux à faible connotation religieuse tels que Guillaume ou Geffroy. Il ne semble pas pourtant
que cette orientation traduise une montée en puissance du sentiment religieux dans la population.
Il y a une envie de changement, de renouvellement du répertoire, mais les nouveaux noms qui s’y
développent ne sont pas inconnus puisque ce sont ceux de saints qui étaient par ailleurs bien
médiatisés par la liturgie. Les noms à la mode appartiennent au répertoire religieux mais on se
tromperait sans doute en interprétant cette évolution comme la conséquence d’une
transformation intérieure de l’individu dans son rapport à la divinité : le choix se porte sur des
noms religieux parce que le cadre mental de l’époque est religieux, parce que les hommes et
femmes de la fin du Moyen Age vivaient dans un univers où les repères et le discours étaient
fondamentalement religieux.
Conclusion
Au terme de cette recherche sur les premiers registres de baptêmes de Roz-Landrieux, les
résultats sont à la hauteur de nos attentes et il est manifeste qu’en anthroponymie l’analyse
comparative de situations locales est toujours plus riche d’enseignements qu’une grande étude
menée uniquement à l’échelon régional.
Le parrainage est assurément la clé de compréhension des systèmes de nomination à la fin
du Moyen Age. La prégnance de la norme de la transmission homonymique du nom du parrain à
son filleul est telle qu’il est difficile de passer outre, à moins que certaines circonstances
particulières l’emportent et que le parrain accepte de renoncer au privilège de sa fonction, ou tout
au moins de partager son droit de nomination avec les parents. Nous avons vu que parmi ces
circonstances, la plus fréquente était la naissance de l’enfant le jour d’une fête chômée avec pour
conséquence l’attribution au nouveau-né du nom du saint ou de la sainte fêtés ce jour-là, quand
ce n’était pas carrément le nom de la fête lorsque la naissance tombait à Pâques ou à Noël. Les
dérogations à la norme peuvent se produire également lorsque les parents font appel à des
parrains et marraines issus du milieu familial et on devine alors la tenue de négociations préalables
pour décider d’un commun accord du choix du nom qui sera imposé à l’enfant le jour du
baptême. Au tournant du 15e et 16e siècle, la pratique du parrainage familial se limite encore
essentiellement aux milieux confinés de la noblesse et des élites sociales pour qui le choix des
parrains et marraines ne pouvait se faire que dans un cercle restreint car, sauf exception, il n’était
pas d’usage de solliciter des compères ou commères ayant un statut social inférieur à celui des
parents. Dans les milieux populaires, il faudra attendre en Bretagne la seconde moitié du 18e
siècle pour observer le développement du parrainage familial avec pour corolaire la régression
inéluctable des transmissions homonymiques.
Il y a tout lieu de croire que le processus de nomination par le parrain, avec application de
la norme de la transmission homonymique, s’était mis en place dès le début du Moyen Age
central, parallèlement à la généralisation du baptême des nouveau-nés. La question du nommeur
ne se posait d’ailleurs même pas avant cette époque puisque le nom était attribué dès la naissance,
bien avant la cérémonie du baptême. La situation devint très différente à partir du 11e siècle et, à
moins d’appartenir aux classes dominantes de la société, les parents abandonnèrent la maîtrise du
choix du nom de leurs enfants au profit des parrains qu’ils étaient amenés à solliciter. Nous
manquons de sources suffisantes sur l’identité des parrains au début du Moyen Age central pour
pouvoir établir des statistiques fiables à ce sujet mais différents indices, notamment dans les
chroniques ou essais historiques de l’époque (Orderic Vital, Guibert de Nogent) nous permettent
de penser que la pratique de la transmission homonymique était devenue normative dès la fin du
11e siècle. Il semblerait que les processus de nomination des filles aient bénéficié d’une plus
35
grande souplesse56 mais les statistiques des noms féminins en Bourgogne au tournant du 13e et
14e siècle nous montrent clairement qu’à cette époque le nom des filles était déjà attribué, comme
nous l’avons observé à Roz-Landrieux, principalement par les parrains : le palmarès des noms
dominants indique en effet dans l’ordre Jeanne (Jehannote), Hugote, Thevenote, Girarde, Philiberte et
Symonnote57.
A Roz-Landrieux, les nommeurs en cette fin du Moyen Age sont parfaitement identifiés,
il s’agit presque exclusivement des parrains. Les marraines n’ont pas encore leur mot à dire et il
sera nécessaire de confronter ces résultats à d’autres statistiques de la même période car il
apparaît que la situation n’était plus du tout la même par exemple à Locmaria aux portes de
Quimper en 1534-1556 : nous y observons un taux de transmissions homonymiques du nom des
marraines à leurs filleules de 78% et un classement des noms féminins dominé par Marie, Jeanne,
Marguerite et Catherine58.
Est-ce que le nom choisi nous dit finalement quelque chose sur les valeurs et les
aspirations de l’individu qui le porte ? Dans la plupart des cas, certainement pas si l’on s’intéresse
aux situations individuelles. Le poids de la norme sociale est tellement fort que le parrain se
contente généralement de transmettre à son filleul ou à sa filleule le nom qu’il a lui-même hérité.
Nous sommes bien loin du discours littéraire – « Par le nom, on connaît l’homme » – et des
étymologies hagiographiques médiévales comme celles que nous pouvons relever dans la Légende
dorée59. Si les élites sociales ont conservé une maitrise relative du choix du nom de leurs enfants, il
n’en est pas de même pour la majorité de la population et on pourrait presque dire qu’à Roz-
Landrieux le choix du nom était un loisir de nantis. Pour la plupart, il n’y a pas lieu d’envisager
une conception augurative du nom, annonciatrice de la destinée de son porteur. Sauf exception,
le nom attribué donne surtout une visibilité dans la communauté des liens qui unissent un filleul à
son parrain mais il ne renvoie pas vers un modèle à imiter. A la fin du Moyen Age, les noms
masculins les plus portés à Roz-Landrieux sont ceux de Jean et de Guillaume et ils sont
manifestement en décalage complet avec les noms des princes de l’époque que sont Louis et
Charles pour les souverains français, François et Pierre pour les ducs de Bretagne. Ce démarquage
par rapport à l’onomastique des puissants ne se constate d’ailleurs pas davantage parmi les
représentants de la noblesse locale. En dépit de sa double connotation politico-religieuse, le nom
Louis ne bénéficie d’aucune popularité à Roz-Landrieux: trois attributions seulement de 1451 à
1528 !
Dans une approche plus générale, nous pouvons néanmoins distinguer certaines
tendances onomastiques qui reflètent une évolution des mentalités collectives. Elles jouent nous
56 Voir à ce sujet le tome II-2 de la collection Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne publié en 1992 et consacré à la
Age », in Media in Francia… Recueil de mélanges offert à Karl Ferdinand Werner, 1989, p. 112. Voir aussi la synthèse
d’OLIVIER GUYOTJEANNIN, « Les filles, les femmes, le lignage » in L’anthroponymie, document de l’histoire sociale des mondes
méditerranéens, 1996, p. 383-400 (p. 389 pour l’essor des noms masculins féminisés à partir du 12e siècle).
58 PIERRE-YVES QUEMENER, Le sanctoral des mariniers bretons, 2014 [en ligne], p. 53-54. A Roz-Landrieux, la pratique
de la désignation de la filleule par sa marraine ne se mettra en place que dans les années 1660, sous la pression de
quelques marraines qualifiées d’honorables femmes.
59 Pour donner un exemple, voici ce que nous dit JACQUES DE VORAGINE à propos du nom de saint François
d’Assise : François s’appela d’abord Jean mais, dans la suite, il changea de nom et s’appela François. Il paraît que ce fut pour plusieurs
motifs que ce changement eut lieu. 1° Comme souvenir d’une chose merveilleuse ; savoir qu’il reçut de Dieu d’une manière miraculeuse le
don de la langue française ; ce qui fait dire dans sa légende que, toujours, quand il était embrasé du feu de l’Esprit Saint, il exprimait en
français ses émotions brûlantes. 2° Afin que son ministère fût manifesté ; c’est pour cela qu’il est dit dans sa légende que ce fut un par un
effet de la sagesse divine qu’il fut ainsi appelé, afin que par ce nom singulier, que personne n’avait encore porté, le but de son ministère fût
plus vite connu dans tout l’univers. 3° Pour indiquer les résultats qu’il devait obtenir ; car, ainsi, on donnait à comprendre que, par lui et
par ses enfants, il devait rendre francs et libres une quantité d’esclaves du péché et du démon. 4° A raison de sa magnanimité de cœur, car
franc vient de férocité, il y an en effet, dans le caractère français, un instinct de férocité joint à la magnanimité. 5° En raison de la vertu de
sa parole, qui tranchait dans le vice comme une francisque. 6° Pour la terreur que le démon ressentait quand François le mettait en fuite.
7° Pour sa sécurité dans la vertu, la perfection de ses œuvres et l’honnêteté de sa manière de vivre. On dit en effet que les francisques
étaient des insignes ayant la forme de haches, portées au-devant des consuls, comme marque de terreur, de sécurité et d’honneur tout à la
fois. Extrait de La légende dorée de Jacques de Voragine, Traduction de l’abbé Roze, 1902, tome 3, p. 147-148.
36
l’avons dit en faveur des noms des saints martyrs et confesseurs et au détriment de certains noms de
l’ancien fonds traditionnel composé de noms d’origine bretonne ou germanique. Plus qu’un
indicateur des nouvelles dévotions religieuses, le nouveau répertoire répond surtout à un besoin
récurrent de renouvellement onomastique. Cela dit, l’orientation n’est pas neutre puisque l’on
constate un délaissement progressif des noms à connotation religieuse faible ou nulle tandis que
les noms de saints prennent une part de plus en plus importante dans le stock. D’autre part, cette
christianisation du répertoire ne s’explique pas par la progression spectaculaire de quelques noms
particuliers mais plutôt mais un élargissement du choix des noms à un registre qui était peu utilisé
jusqu’alors. Nous avons eu l’occasion de remarquer la corrélation importante entre les noms à la
mode à la fin du Moyen Age et les noms de saints inscrits aux catalogues des jours chômés dans
le diocèse. Cette corrélation est en fait flagrante pour l’ensemble des noms à connotation
religieuse prépondérante utilisés en nomination (noms de saints bibliques et noms de saints de
l’antiquité tardive et du Haut Moyen Age). Nous avons en effet vingt-quatre noms religieux dans
le répertoire de Roz-Landrieux et vingt-et-un d’entre eux se retrouvent également dans le
catalogue des jours chômés. L’importance et la part de plus en plus croissante des noms religieux
dans le corpus ne résultent pas spécialement d’une dévotion particulière pour les saints nominés
mais du fait que les noms de ces saints étaient associés à des marqueurs temporels fondamentaux
dans la société médiévale. Par exception, le choix et le développement du nom d’un saint qui ne
figure pas dans ce catalogue des jours chômés peuvent être l’indicateur d’une véritable dévotion.
A Roz-Landrieux nous relevons ainsi huit attributions du nom Mathurin et sept attributions du
nom François qui témoignent vraisemblablement de l’accroissement de la popularité du culte des
saints homonymes. La seule occurrence du nom Eustache est par contre insuffisante pour
supposer une véritable dévotion envers saint Eustache, tant de la part de la collectivité que de la
part du parrain qui a transmis ce nom.
Dans le répertoire des noms religieux féminins en usage à Roz-Landrieux au tournant du
15e et du 16e siècle, nous avons huit noms de saintes (Marie, Marguerite, Catherine, Anne,
Elisabeth/Isabelle, Julienne, Hélène et Pétronille) mais seulement les trois premières d’entre elles sont
inscrites dans les catalogues des jours chômés à la fin du Moyen Age. Là-aussi la faveur pour les
noms Anne (quatre occurrences) et Isabelle (deux occurrences) pourraient bien refléter l’essor
d’une nouvelle dévotion envers les membres de la sainte Famille mais il y a encore trop peu
d’attributions dans la paroisse pour généraliser. Nous avons vu que les attributions du nom
Julienne présentent un caractère religieux incontestable, dans le sens d’une demande de protection
dans les épreuves de l’accouchement. Par contre, Hélène n’est à Roz-Landrieux qu’un substitut
homophonique au très masculin Alain et la seule occurrence du nom Pétronille ne nous permet pas
d’envisager un culte populaire pour la sainte homonyme.
En définitive, peut-on dire que la christianisation du répertoire onomastique soit la
marque d’une christianisation de la société à la fin du Moyen Age ? La réponse est clairement non
si l’on veut évoquer à travers ce concept les pratiques de la devotio moderna dont on peut retrouver
l’essence dans l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis. Les attributions dévotionnelles qui
entreraient dans ce cadre ne sont que des cas isolés. Par contre, il s’agit bien d’une christianisation
de la société si l’on appréhende le phénomène comme une immixtion de la conscience religieuse
dans les mentalités assortie d’une christianisation des repères sociaux.
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