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Mars 2018 – Hors-série numérique

Gratuit - Ne peut être vendu

Trous noirs
Comment ils s’évaporent
Paradoxe
Les trous noirs détruisent-ils l’information ?
Sociologie
Le mythe du génie solitaire

Stephen Hawking
Stephen Hawking
FONDATEUR DE LA PHYSIQUE
Vu sur www.bookys.me − Proposé par RobertV DES TROUS NOIRS
Stephen HAWKING
Stephen Hawking s’est éteint mercredi 14 mars à l’âge
de 76 ans. Le cosmologiste britannique était l’un des rares
scientifiques actuels à avoir acquis une notoriété
internationale auprès du grand public, avec son essai
« Une brève histoire du temps ».
Ce grand vulgarisateur est surtout considéré
comme le véritable fondateur de la physique
des trous noirs. Ses travaux mariant la physique
quantique, la relativité générale et la thermodynamique
ont abouti à la mise en évidence des singularités,
du rayonnement ou encore de l’entropie des trous noirs.
VOTRE OPINION COMPTE !
Ils ont ainsi légitimé l’étude de ces astres
auparavant considérés comme d’hypothétiques Aidez-nous à construire
curiosités théoriques, et ouvert la voie à des réflexions l’avenir de ce nouveau
Philippe Ribeau profondes sur la nature de l’espace, du temps hors-série numérique.
Responsable éditorial web et de la réalité physique. Dites-nous ce que vous pensez
Pour lui rendre hommage, nous avons choisi
des articles rassemblés
de vous faire partager une sélection d’articles
dans ce numéro spécial
d’archives publiés dans Pour la Science. C‘est une
et si vous aimeriez lire d’autres
de nos grandes fiertés : Stephen Hawking nous a fait numéros similaires,
l’honneur d’écrire par trois fois dans nos colonnes. en répondant à quelques
D‘abord en novembre 1977 (dans le tout premier numéro questions.
de notre magazine) pour exposer ses travaux sur
la mécanique quantique et les trous noirs :
une publication collector ! Une deuxième fois en 1996, Donnez votre avis
pour un débat avec son collègue et ami le mathématicien
Roger Penrose. Enfin en 2011, avec son confrère
Léonard Mlodinow sur la « théorie ultime du Tout ».
Retrouvez ces articles, ainsi que d’autres développant
ses travaux, dans ce hors-série numérique gratuit.
Et n’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires sur
ce tout nouveau format.

Suivez-nous sur Bonne lecture !

Vu sur www.bookys.me − Proposé par RobertV


SOMMAIRE

ÉPISTÉMOLOGIE ASTROPHYSIQUE

L’insaisissable théorie unifiée Les prédictions


Par Stephen Hawking de Stephen Hawking
et Leonard Mlodinow Par Renaud Parentani
Les physiciens recherchent une théorie En 1974, Stephen Hawking a montré
décrivant de façon unifiée les quatre que les trous noirs émettent un rayonnement.
interactions fondamentales. Mais ils auront Ce résultat a eu de nombreux développements,
peut-être besoin de plusieurs théories... mais il a aussi soulevé des questions
5 33 toujours sans réponse.

SOCIOLOGIE PHYSIQUE THÉORIQUE

Hawking : La mécanique
le mythe du génie solitaire quantique des trous noirs
Par Hélène Mialet Par Stephen Hawking
Chercheur brillant mais lourdement On définit souvent les trous noirs
paralysé, le théoricien britannique est, comme des régions d’où rien ne peut
contrairement à l’image qu’on se plaît s’échapper, pas même la lumière. Il existe
à donner de lui, l’antithèse du savant cependant des raisons de penser
11 solitaire armé de la seule puissance 43 que des particules peuvent en sortir.
de son cerveau.

RELATIVITÉ ET PHYSIQUE QUANTIQUE PARADOXE

La nature de l’espace Une nouvelle piste pour


et du temps le problème de l’information
Par Stephen Hawking Par Sean Bailly
et Roger Penrose Les trous noirs détruisent-ils l’information
Deux éminents spécialistes de la relativité de la matière qu’ils engloutissent,
exposent leurs conceptions de l’Univers, en contradiction avec les principes
son évolution, et l’impact de la théorie de la physique ? Hawking a proposé une
21 quantique. 56 nouvelle piste pour résoudre ce paradoxe.

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Les physiciens recherchent une théorie
décrivant de façon unifiée les quatre
interactions fondamentales. Mais ils auront
peut-être besoin de plusieurs théories...

Stephen Hawking
et Leonard Mlodinow

Epistémologie

L’insaisissable
©Shutterstock.com/averych

théorie unifiée
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L
e conseil municipal de Cette idée est difficile à accepter, y la matière brute des données sensorielles,
Monza, en Italie, a inter- compris pour nombre de physiciens. La et il est mis en forme par le cerveau. Ce
dit un jour de mettre les plupart des gens croient en l’existence point de vue peut sembler difficile à ac-
poissons rouges dans d’une réalité objective et extérieure, et au cepter, mais pas à comprendre. S’agissant
des bocaux ronds. C’est fait que nos sens et notre science nous de notre perception du monde, il n’existe
pure cruauté, ont justi- renseignent directement sur le monde aucun moyen de supprimer l’observateur
fié les édiles, car cela im- matériel. La science classique est fondée – c’est-à-dire nous.
pose aux pauvres poissons une vision dé- sur la conviction qu’il existe un monde
formée de la réalité. Pour curieuse qu’elle extérieur, dont les propriétés sont bien LE RÉALISME A L’ÉPREUVE DE LA
soit, cette anecdote pose une intéressante définies et indépendantes de l’esprit de THÉORIE QUANTIQUE
question philosophique : comment sa- l’observateur. En philosophie, cette doc- Les développements de la physique
vons-nous que la réalité que nous perce- trine se nomme « réalisme ». sont tels que le réalisme devient difficile à
vons est vraie ? Celle que voit le poisson Ceux qui se souviennent de Timo- défendre. En physique classique (la phy-
diffère de la nôtre, mais est-elle pour au- thy Leary (un psychologue américain sique newtonienne, qui décrit bien nos
tant moins réelle ? partisan de l’usage thérapeutique du lsd) expériences quotidiennes), l’interpréta-
En physique, cette question n’est pas et des années  1960 savent qu’il y a une tion de termes tels qu’« objet » et « posi-
gratuite. Les physiciens et les cosmolo- autre possibilité : la conception de la réa- tion » est pour l’essentiel en harmonie avec
gistes se trouvent dans une situation si- lité peut dépendre de l’esprit de celui qui notre compréhension « réaliste », de bon
milaire à celle du poisson rouge : depuis la perçoit. À des différences subtiles près, sens, de ces concepts. Mais nous sommes
des décennies, ils s’efforcent de mettre ce point de vue se décline sous les noms des instruments de mesure grossiers. Les
au point une « théorie ultime du Tout », d’antiréalisme, d’instrumentalisme ou physiciens ont découvert que les objets
c’est-à-dire un ensemble complet et co-
hérent de lois fondamentales capable
d’expliquer tous les aspects de la réalité. Dans notre perception du monde, il n’existe
Or voilà qu’il apparaît que cette quête
pourrait conduire non pas à une théorie
aucun moyen de supprimer l’observateur
unique, mais à toute une famille de théo-
ries reliées, chacune décrivant sa propre encore d’idéalisme. Dans ces doctrines, qui nous entourent et la lumière grâce à
version de la réalité, comme si elle voyait le monde que nous connaissons est laquelle nous les voyons sont constitués
l’Univers depuis son propre bocal… construit par l’esprit humain à partir de d’objets (tels les électrons et les photons)
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que nous ne percevons pas directement. concept de réalité indépendant de toute
Ces objets ne sont pas régis par les lois de représentation ou théorie. C’est pourquoi
la physique classique, mais par celles de nous préconisons plutôt un « réalisme
la théorie quantique. dépendant du modèle ». Dans cette vi-
La réalité de la théorie quantique est Comme un poisson rouge dans son sion, une théorie physique ou une repré-
en rupture radicale avec celle de la phy- bocal, nous sommes enfermés dans sentation du monde n’est qu’un modèle
sique classique. En théorie quantique, un point de vue sur l’Univers. Nous et un ensemble de règles qui relient les
les particules n’ont ni position définie ni pouvons modéliser ce qui se passe éléments du modèle aux observations. Il
vitesse définie avant qu’un observateur hors du bocal, mais sans nous est alors vain de se demander si un mo-
ne mesure ces quantités. Dans certains affranchir de notre point de vue. dèle est réel ; il importe seulement qu’il
cas, des objets individuels n’ont même Dès lors, il est peut-être inévitable que soit en accord avec les observations. Si
pas d’existence indépendante, mais la quête d’une théorie du Tout produise deux modèles sont compatibles avec les
existent seulement en tant que partie plusieurs solutions, impossibles observations, aucun des deux ne peut
d’un ensemble. La physique quantique à unifier sans la possibilité d’un re- être considéré plus réel que l’autre.
a aussi des implications importantes sur gard... extérieur à l’Univers ?
notre conception du passé. Alors que la PLUSIEURS RÉALITÉS
physique classique voit le passé comme SELON LE POINT DE VUE ?
une série définie d’événements, en phy- L’idée de réalités alternatives est l’un
sique quantique le passé, comme le fu- des piliers de la culture populaire moder-
tur, n’existent qu’en tant qu’éventail de ne. Par exemple, dans le film Matrix,
possibilités. Même l’Univers dans son les hommes vivent sans le savoir dans
ensemble n’a pas de passé unique. La une réalité virtuelle créée par des or-
physique quantique implique donc dinateurs intelligents ; le but de ces
une réalité différente de celle de la machines est de maintenir les hu-
physique classique, même si cette der- mains dans une léthargie satisfaite et
nière correspond à notre intuition et paisible, afin de pouvoir pomper leur
nous est fort utile pour construire des « énergie bioélectrique » (allez savoir
immeubles ou des ponts. ce que c’est…). Le film pose une bonne
Ces exemples nous amènent à une question : comment pouvons-nous être
conclusion importante : il n’y a pas de sûrs que nous ne sommes pas des êtres
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peuplant un monde factice ? puisque la lumière est défléchie en pas-
Si nous vivions dans un monde sant de l’air à l’eau, un objet qui est pour
synthétique imaginaire, les événements nous sur une trajectoire rectiligne serait
s’y déroulant n’auraient pas nécessai- perçu par le poisson rouge comme décri-
rement de logique ou de cohérence, ou vant une trajectoire courbe. Depuis leur
n’obéiraient pas forcément à des lois. Les référentiel déformé, les poissons savants
maîtres nous contrôlant pourraient trou- pourraient formuler des lois toujours
ver intéressant ou amusant de tester nos vérifiées et autorisant des prédictions
réactions, par exemple en nous faisant sur le mouvement des objets extérieurs
brusquement décider de tous haïr le cho- au bocal. Leurs lois seraient plus com-
colat, ou que la guerre est inenvisageable, pliquées que dans notre référentiel, mais
mais rien de cela n’est arrivé. Si ces maîtres la simplicité est une question de goût ! Si
supposés imposaient des lois cohérentes, les poissons rouges formulaient une telle
nous n’aurions aucun moyen de savoir théorie, nous devrions admettre que leur
qu’il existe une autre réalité derrière la vision est une représentation valable de
réalité simulée. Il est facile d’étiqueter le la réalité.
monde des maîtres comme « réel », et le
monde engendré par ordinateur comme COPERNIC NE RÉFUTE PAS
« faux ». Mais, si (comme nous), les êtres PTOLÉMÉE
du monde virtuel ne pouvaient voir dans Un exemple concret et célèbre de re-
leur univers depuis l’extérieur, quelles présentations différentes de la réalité est
raisons auraient-ils de mettre en doute le contraste entre le modèle du cosmos
leur propre vision de la réalité ? de Ptolémée (centré sur la Terre) et ce-
Les poissons rouges sont dans une lui de Copernic (centré sur le Soleil). On
situation identique. Depuis leur bocal a beau dire que Copernic a donné tort
courbe, ils ne voient pas la même chose à Ptolémée, cela n’est pas vrai. Comme
que nous qui regardons du dehors, mais dans le cas de notre vision opposée à celle
ils pourraient néanmoins formuler des du poisson rouge, on peut utiliser l’une
lois gouvernant le mouvement des ob- ou l’autre représentation comme modèle
jets extérieurs au bocal. Par exemple, de l’Univers, parce que nous pouvons
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expliquer nos observations de la voûte simplement utilisé la lumière diffusée physiciens se sont aperçus que la théorie
céleste indifféremment en supposant que par la chaise pour construire une image des cordes souffrait d’un malencontreux
la Terre ou que le Soleil est au repos. En mentale, c’est-à-dire un « modèle » de défaut : en fait, il y en a cinq différentes !
dépit de son rôle dans les débats philoso- la chaise. Le cerveau est tellement doué Pour ceux qui poussaient « la » théorie
phiques sur la nature de notre Univers, pour construire des modèles que si l’on des cordes en tant que « théorie du Tout »,
le véritable avantage du système coperni- équipe les gens de lunettes qui renversent c’était pour le moins embarrassant.
cien est que les équations du mouvement l’image, leur cerveau change le modèle Au milieu des années 1990, les cher-
sont beaucoup plus simples dans le réfé- de telle sorte qu’ils voient à nouveau les cheurs ont commencé à découvrir que
rentiel où c’est le Soleil qui est au repos. choses dans le bon sens… et, avec un ces différentes théories (à laquelle s’ajou-
Le réalisme dépendant du modèle peu de chance, avant qu’ils aient le temps tait désormais la supergravité) décrivent
s’applique non seulement aux modèles d’essayer de s’asseoir ! en fait le même phénomène, ravivant leur
scientifiques, mais aussi aux modèles espoir d’en faire finalement une théorie
mentaux conscients et subconscients CINQ THÉORIES ULTIMES ? unifiée. Ces théories sont effectivement
que nous créons tous pour interpréter et Dans la quête pour découvrir les reliées par ce que les physiciens nomment
comprendre le monde de tous les jours. principes ultimes de la physique, aucune des dualités, qui sont une sorte de dic-
Par exemple, le cerveau humain traite les approche n’a suscité autant d’espoirs que tionnaire mathématique pour traduire
données brutes du nerf optique, com- la théorie des cordes. Cette théorie a été les concepts dans un sens ou dans l’autre.
Malheureusement, chaque théorie n’est
une bonne description des phénomènes
Miracle, mystère ou maîtresse, que dans un ensemble donné de condi-
que signifie le M de la « théorie M » ? tions (par exemple, uniquement pour les
basses énergies). Aucune ne peut décrire
à elle seule tous les aspects de l’Univers.
binant les données des deux yeux, aug- proposée dans les années  1970 comme Les théoriciens des cordes sont
mentant la résolution et comblant les tentative d’unification des quatre inte- maintenant convaincus que les cinq
lacunes telles que celle du point aveugle ractions fondamentales de la nature en théories des cordes différentes sont juste
de la rétine. De plus, il crée l’impression un cadre cohérent ; elle visait particuliè- différentes approximations d’une théorie
d’un espace tridimensionnel à partir des rement à faire entrer la gravitation dans plus fondamentale qui serait la « théorie
données bidimensionnelles de la rétine. le cadre de la théorie quantique. Tou- M » (personne ne semble savoir à quoi
Quand vous voyez une chaise, vous avez tefois, dès le début des années 1990, les correspond ce M. Il pourrait désigner le
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LES AUTEURS
terme « maîtresse », « miracle » ou « mys- bien, nous avons tendance à attribuer à
tère », ou les trois). On essaye encore de ce modèle la qualité de réalité ou de vé-
déchiffrer la nature de la théorie M, mais rité absolue. Mais la théorie M, comme
il semble que l’attente habituelle d’une dans l’exemple du poisson rouge, montre
théorie unique de la nature ne soit pas qu’une même situation physique peut Stephen HAWKING, professeur émérite
de mathématiques à l’Université de
tenable, et que pour décrire l’Univers, il être modélisée de différentes façons, uti- Cambridge, en Grande-Bretagne,est
nous faudra appliquer différentes théo- lisant chacune des éléments fondamen- l’auteur de travaux essentiels à la
ries dans différentes situations. taux et des concepts différents. compréhension moderne des trous noirs
Il se pourrait que pour décrire l’Uni- et des débuts de l’Univers.
UN RÉSEAU DE THÉORIES vers, nous ayons à appliquer différentes
Ainsi, la théorie  M n’est pas une théories dans différentes situations.
théorie au sens classique du terme, mais Chaque théorie peut avoir sa propre ver-
un réseau de théories. Elle est comparable sion de la réalité, mais d’après le réalisme
à une carte géographique. Pour représen- dépendant du modèle, cette diversité est
ter fidèlement l’ensemble de la Terre sur acceptable, et on ne peut dire d’aucune Leonard MLODINOW
une surface plane, on doit recourir à un version qu’elle est plus réelle qu’une autre. est physicien théoricien
à l’Institut de technologie de Californie.
ensemble de cartes, qui couvrent cha- Ce n’est pas ce que les physiciens atten-
cune une région limitée. Les cartes se re- daient a priori d’une théorie de la nature,
couvrent à certains endroits, et là où il y a et cela ne correspond pas non plus à l’idée BIBLIOGRAPHIE
chevauchement, elles montrent le même que l’on se fait d’ordinaire de la réalité. S. Hawking et L. Mlodinow,
paysage. De même, les différentes théo- Mais l’Univers est peut-être ainsi. The Grand Design,
ries de la famille de la théorie M peuvent Cet article a été publié Bantam Books, 2010.
sembler très différentes, mais on peut dans Pour la Science n° 400, février 2011 J. Maldacena,
les considérer comme des versions de La gravité est-elle illusion ?,
la même théorie sous-jacente. Elles pré- Pour la Science, n° 339, janvier 2006.
disent toutes les mêmes phénomènes là M. J. Duff, Les nouvelles théories des
où elles se chevauchent, mais aucune ne cordes, Pour la Science, n° 246,
avril 1998.
fonctionne bien dans toutes les situations.
À chaque fois que nous développons
un modèle de l’Univers qui fonctionne
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t
Chercheur brillant mais lourdement paralysé,
le théoricien britannique est, contrairement
à l’image qu’on se plaît à donner de lui,
l’antithèse du savant solitaire armé de
la seule puissance de son cerveau.
Hélène Mialet

Sociologie

Stephen Hawking,
© Michael Reynolds/epa/Corbis

le mythe du génie solitaire


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S
tephen Hawking est l’un des dans le magazine en ligne Wired afin de représentée comme étant le produit
rares scientifiques actuels parler de cet astrophysicien d’une façon d’un puissant cerveau ou d’un pur et
ayant acquis une renommée nouvelle, en soulignant le rôle crucial bel esprit ; or en montrant que, contrai-
internationale au sein du joué par son entourage humain et maté- rement à l’idée reçue, Hawking n’est
grand public. Célèbre pour riel. L’article plut dans un premier temps, pas un pur cerveau, mais qu’il dépend
ses travaux sur les singula- mais cela ne dura pas longtemps. Le ta- d’un réseau complexe composé de ma-
rités dans l’espace-temps et bloïd anglais Daily Mail s’en empara, l’in- chines et d’humains lui permettant de
les trous noirs, cet astrophysicien théo- terpréta de travers et me transforma en penser, j’avais non seulement déstabi-
ricien britannique, aujourd’hui âgé de un monstre attaquant un héros national, lisé l’image du héros scientifique, mais
73  ans, a aussi marqué les esprits par sa qui plus est un homme profondément également l’image de la façon dont la
condition physique. Lourdement paralysé handicapé. L’article du Daily Mail devint science fonctionne.
par la maladie de Charcot (sclérose laté- viral. Je fus extrêmement choquée par Je fais partie de ce courant de socio-
rale amyotrophique) qui l’a atteint dès les la réaction que suscita mon texte, par la logues, d’anthropologues et d’historiens
années 1960, Hawking ne peut ni bouger malhonnêteté des journalistes, mais aussi des sciences qui se focalisent non pas
ni parler ; il communique grâce à un dis- par ce qu’Internet, de par son anonymat, sur la science établie, mais sur la science
positif lui permettant de sélectionner des permet : j’ai reçu des courriels d’une vio- en train de se faire, en suivant les nom-
mots sur un écran par une légère contrac- lence et d’une cruauté inouïes. breuses controverses qui secouent au-
tion de la joue et un rayon infrarouge atta-
ché à ses lunettes, mots prononcés ensuite
par un synthétiseur vocal. Et pourtant, il
La science est souvent représentée
poursuit son activité scientifique. comme le produit d’un pur et bel esprit
Ces deux aspects de sa personne,
son talent scientifique et son lourd han- J’avais touché, semble-t-il, une jourd’hui notre planète ou en ouvrant la
dicap physique, ont en partie contri- corde sensible. J’avais touché à un mythe porte des laboratoires pour comprendre
bué à faire de Hawking une icône. Une de notre modernité, si bien incarné par ce qui s’y produit et comment.
icône encore renforcée par le film Une Hawking : l’idée qu’un homme seul, Ce courant de la sociologie des
merveilleuse histoire du temps, de James aujourd’hui incapable de bouger et de sciences né dans les années 1960-1970
Marsh, sorti en 2014 sur les écrans. parler, puisse atteindre les lois ultimes est nommé science and technology stu-
Le 8 janvier 2013, le jour de l’anni- de l’Univers grâce à la seule force de son dies ; on l’a souvent interprété comme
versaire de Hawking, j’ai publié un article entendement. La science est souvent étant une attaque contre la science, alors
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STEPHEN HAWKING que ce n’est pas le cas, du moins dans le dans le cas de Hawking, qui semble in-
EN QUELQUES DATES cadre de la tradition de pensée à laquelle carner le génie solitaire ?
j’appartiens. L’idée est plutôt de redon- Pour répondre à ces questions,
1942 Naissance le 8 janvier à Oxford, ner chair et consistance au monde éthé- Hawking et son monde sont devenus
en Angleterre. ré de la science, tel qu’il a souvent été ma tribu pendant près de dix ans. J’ai
représenté, et de montrer les complexes observé et interrogé Hawking lui-même
1959-1962 Études à l’Université
d’Oxford, puis début de la thèse ramifications sociales et matérielles qui ainsi que ses assistants, ses infirmières,
de doctorat à l’Université de Cambridge. lui permettent d’exister. La science en ses étudiants, d’autres physiciens avec
train de se faire est fascinante, elle n’est qui il travaille, mais aussi les ingénieurs
1963 Premiers signes de sclérose en rien froide et détachée du monde so- qui ont construit les logiciels qu’il utilise
latérale amyotrophique.
cial, elle est profondément entremêlée pour communiquer, les journalistes qui
1965 Obtention du doctorat, dans de nombreuses pratiques et parti- ont écrit à son propos, les artistes qui
sur l’étude des singularités. cipe à notre fabrique sociale. l’ont représenté.
1970 Avec Roger Penrose, il montre C’est dans ce contexte que je me suis
sous certaines conditions que l’Univers demandé pourquoi le mythe du génie DIX ANS AUPRÈS DE HAWKING
a débuté par une singularité. solitaire capable de produire de la théo- Mes questions étaient les suivantes.
rie en s’appuyant sur les seules forces Comment est-il possible à Hawking de
1974 Travaux montrant que les
trous noirs « s’évaporent » de sa raison est toujours aussi puissant. voyager et de donner des conférences
(rayonnement de Hawking). La sociologie des sciences nous a appris de par le monde entier lorsqu’il lui est
que la science est le produit du langage, impossible de bouger ? Comment lui
1979-2009 Chaire de professeur formel ou informel, oral ou écrit ; que se est-il possible d’écrire des articles scien-
lucasien à l’Université de Cambridge.
passe-t-il dans le cas d’un homme inca- tifiques alors qu’il ne peut pas courir à
1981 Selon lui, l’information est pable de parler ? Elle nous a appris que la bibliothèque chercher un livre, discu-
définitivement perdue dans un trou noir. la science est le produit des gestes, de la ter longuement dans les couloirs de son
1988 A Brief History of Time (Une brève manipulation des instruments, du sa- bureau ou de la cafétéria ou feuilleter
histoire du temps), succès de librairie. voir tacite, des habitus (manières d’être) rapidement une revue ? Comment lui
des individus ; qu’en est-il dans le cas est-il possible de résoudre des équations
2004 Nouvelles idées, selon lesquelles d’un homme qui a perdu l’usage de ses alors qu’il ne peut utiliser un crayon et
l’information n’est pas détruite dans un
trou noir.
mains ? Elle nous a appris que la science du papier, faire des ratures ou prendre
est le produit d’un collectif ; qu’en est-il une craie et gribouiller ses idées au
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tableau ? Comment lui est-il possible de face à face. J’ai essayé de décrire ce qu’il théoricien américain Kip Thorne,
donner un entretien lorsque répondre à faisait et quels genres de compétence on comme tant d’autres, voit également un
la moindre question prend des heures ? lui attribuait. lien direct entre la progression de la ma-
Comment lui est-il possible de séduire « Hawking, c’est sa tête ». Voilà ce ladie de Hawking et sa façon de penser.
une assemblée quand il ne peut pas qu’on apprend quand on parcourt les Inévitablement, en le privant de l’usage
jouer de sa voix et de ses gestes pour la couloirs du Département de mathéma- de ses mains, elle a limité l’exercice de
convaincre ? tiques appliquées et de physique théo- manipulation gestuelle qu’impose tout
travail calculatoire, mettant en relief, par
son absence, le rôle fondamental d’un
La maladie, qui le prive de l’usage de corps mobile dans un travail mathéma-
ses mains, souligne le rôle fondamental tique de type analytique : « Parce que
c’est impossible de faire de longs et com-
du corps dans le travail mathématique plexes calculs sans écrire des équations.
De façon étonnante, il se débrouille as-
Est-ce que l’action d’un homme rique à l’Université de Cambridge, et sez bien avec les équations, mais il ne
aux multiples facettes (théoricien, que l’on interroge ceux qui travaillent peut pas le faire aussi bien que la plupart
conférencier, auteur, acteur, etc.) peut avec lui – ses collègues et ses étudiants. des autres physiciens qui se trouvent à la
se réduire au fonctionnement de son « Puisqu’il ne peut pas faire des calculs, il pointe dans le même domaine. »
cerveau ? C’est ainsi que la presse le re- doit penser. C’est logique ! », me dit l’un
présente et c’est ainsi que Hawking parle d’eux. En effet, au dire de tous, ce qui le UN HANDICAP TRANSFORMÉ
de lui : il aime répéter qu’un astrophysi- caractérise, c’est son intuition, c’est-à- EN AVANTAGE ?
cien n’a besoin de rien d’autre que son dire sa capacité à repérer les problèmes De fait, Hawking aurait, dit-on et
esprit pour produire des théories. C’est intéressants et à entrevoir la solution. Il dit-il, transformé son handicap en avan-
aussi la façon dont le nouveau film de a, semble-t-il, la faculté d’aller droit au tage et développé une façon de court-
J.  Marsh le représente. J’ai donc essayé but sans faire de calculs, de prendre des circuiter ces limites, en redéfinissant
de comprendre ce que Hawking faisait, raccourcis. les questions de façon à ce qu’il puisse
comment il communiquait et comment Si les compétences intellectuelles visualiser, soit la solution (c’est-à-dire
on communiquait avec lui, quels genres attribuées au scientifique semblent par- voir à quoi cette dernière ressemble-
d’informations passaient par son ordi- faitement adaptées au domaine de la rait physiquement), soit le cadre dans
nateur, qu’est-ce qui était négocié dans le physique qu’il pratique, le physicien lequel le problème se pose afin de le
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résoudre en manipulant mentalement
des images (des formes, des structures
géométriques, des modèles élaborés)
plutôt que des équations. Il serait ainsi
devenu particulièrement bon dans les
problèmes qu’il peut retraduire géomé-
triquement, et moins bon dans ceux qui
résistent à ce genre de transformation.
Hawking semble confirmer cette
intuition et justifier sa façon de penser
–  et de faire de la physique  – non pas
en affirmant, comme il l’a fait aupara-
vant, que le corps n’aurait pas à jouer un

© Shuttertock.com/Featureflash
rôle nécessaire dans le cadre d’un travail
théorique, mais en évacuant ce sur quoi
semblait reposer la spécificité de la mé-
thode et de la rationalité scientifiques :
le langage mathématique. Nul n’a besoin Stephen Hawking est assisté de machines et de personnes qui lui permettent non seulement de
communiquer, mais aussi de réfléchir et raisonner sur les problèmes posés dans son domaine
d’équations pour faire de la physique, scientifique. Son environnement technique et humain joue ainsi un rôle tant matériel qu’intellectuel.
écrit-il, les idées fondamentales peuvent
être expliquées en mots et en images.
Pourtant, ce qui semble être le pro- Comme le note Christophe Galfard, l’un obstruerait, à l’inverse. Mais, à nouveau,
duit d’une visualisation purement in- des (ex) étudiants de Hawking : « S’il comment Hawking procède-t-il ? À la
trospective et mentale – manipuler des n’y avait pas eu les découvertes de dia- différence de ses collègues, il ne peut
images dans sa tête – repose en partie, grammes, que ce soit par Roger Penrose écrire les équations à la main, ni dessi-
pour Hawking, sur la capacité ou l’acte ou Richard Feynman, ça aurait rendu la ner les diagrammes lui-même. Le rôle
physique de voir avec ses yeux des dia- vie de Stephen beaucoup plus difficile. » de ses étudiants est donc fondamental.
grammes : des représentations en deux Les diagrammes offriraient donc, Hawking est en général entou-
dimensions, c’est-à-dire des dispositifs pour lui, des possibilités, voire une ou- ré de quatre étudiants qu’il voit régu-
matériels, concrets et « visualisables ». verture, qu’une formule mathématique lièrement. Ils sont respectivement en
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première, deuxième, troisième et qua- poursuit le sujet de recherche de celui
trième année de thèse de doctorat. La qui le précède. Lorsque je les ai rencon-
durée d’une thèse est de quatre ans. À trés pour la première fois, le premier étu-
chaque fois qu’un étudiant quitte le diait les trous noirs virtuels (trous noirs
cercle, un autre le remplace. Loin d’être éphémères formés par les fluctuations
les simples mains, jambes, bras de Haw- quantiques de l’espace-temps) et leur in-
king (en quelque sorte le simple corps fluence sur la prédictibilité, le second la
exécutif de son esprit), ces jeunes étu- cosmologie quantique et la propagation
diants brillent par leur excellence. Ils des trous noirs, le troisième la formula-
sont recrutés à l’Université de Cam- tion mathématique de la relativité géné-
bridge par un examen réputé (Certifi- rale, et le quatrième la stabilité de l’état
cate of Advanced Study in Mathematics du vide dans la théorie des supercordes.
(Part III)), qui attire chaque année des
centaines d’étudiants du monde entier. LES YEUX POUR PENSER
Cent étudiants sont retenus. À la fin ET POUR COMMUNIQUER
des neuf mois préparatoires, les quatre Aussi, à celui qui dit qu’il serait
meilleurs sortants auront le privilège « facile pour lui d’être un astrophysicien,
d’être auditionnés par Hawking, qui en parce que tout est dans la tête, aucune
choisira un seul. habileté physique n’est requise », on peut
Hawking assigne à ses étudiants, objecter que pour penser, il faut bien
en fonction de leurs compétences et de utiliser ses mains, et si on ne le peut pas,
leurs intérêts mutuels (grâce à l’examen, celles des autres, mais surtout ses yeux
il connaît leurs points forts et leurs fai- pour regarder ces derniers travailler,
blesses), des sujets différents, de telle écrire, calculer et dessiner.
sorte qu’il y ait un minimum de recou- Depuis 1986, date à laquelle il a subi
vrement entre eux. Cela explique peut- une trachéotomie, Hawking a perdu sa
être sa capacité à multiplier ses champs voix et communique grâce à un ordina-
d’intervention, à « avoir une vue d’en- teur, les mots proposés par celui-ci étant
semble », comme disent de lui ses étu- sélectionnés via un mouvement de l’œil,
diants. En général, l’étudiant recruté tandis qu’un synthétiseur peut énoncer
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15
vocalement ce qu’il a écrit. Le processus générale, inventées par le mathémati- mentionne le cosmologiste américain
étant assez lent, ses étudiants commu- cien britannique Roger Penrose dans Alan Guth, « il déforme l’espace de fa-
niquent souvent avec lui en lui posant les années  1960. En général, Hawking çon à ce que la lumière se propage en
des questions auxquelles il répond par utilise cette technique lorsqu’on lui ligne droite, ce qui est très utile pour
oui ou par non en haussant (ou non) un parle d’un certain univers, d’un certain comprendre comment différents points
sourcil. espace, par exemple un espace-temps sont connectés les uns avec les autres,
Aussi, de la même façon que le phy- où deux trous noirs accélèrent l’un par rien ne pouvant se propager plus vite
sicien a développé une façon de sélec- rapport à l’autre, ou d’une certaine so- que la lumière. » Grâce à ce dispositif,
tionner les informations que lui soumet lution des équations d’Einstein (qui il est possible de faire des courts-cir-
cuits : « C’est très pratique, il n’y a pas de

Les diagrammes de Penrose-Carter besoin de faire 40 000 calculs, confirme


l’étudiant de Hawking, ça se voit. » Un
lui permettent de visualiser les espaces diagramme de Penrose-Carter est donc
un outil heuristique permettant de vi-
de façon intuitive sualiser un espace « qui devient intuitif
sous certains aspects ».
son environnement (humains ou ma- relient la géométrie de l’espace-temps à
chines) en haussant ou non un sourcil, son contenu en matière et énergie). Un LE RÔLE CLEF
il pourra, simultanément, mobiliser et diagramme de Penrose-Carter est un DES ÉTUDIANTS
sélectionner un certain nombre d’infor- outil graphique qui permet de visualiser En d’autres termes, le point de vue
mations à partir de diagrammes dessi- « l’univers en entier » dans une image global, les connexions, les courts-cir-
nés sous ses yeux. Ses yeux vont ainsi de taille finie, traduisant elle-même une cuits, la capacité intuitive que l’on attri-
devenir le point d’articulation et d’ac- équation parfois compliquée. Grâce au bue au pouvoir de l’esprit de Hawking
tivation de ce réseau de compétences diagramme, le savant peut dominer du sont en partie le produit de ces outils.
composé d’individus, de machines et regard ce qui, autrement, le dépasserait En ce sens, le handicap de ce chercheur
d’outils théoriques. complètement et de fait serait invisible. rend visible un style de pensée visuelle
Le plus souvent, il demandera à Ainsi, l’ingéniosité du diagramme ou « diagrammatique ». Mais, à nou-
voir les diagrammes de Penrose-Carter de Penrose-Carter permet d’appréhen- veau, comme nous l’avons vu, s’il ne
– une application directe des méthodes der « en un clin d’œil » les liens de cau- peut pas utiliser ses mains pour écrire
d’étude globale en théorie de la relativité salité d’un univers entier. Comme le et manipuler des équations, il lui est
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16
GÉOMÉTRIE DE KERR GÉOMÉTRIE DE MINKOWSKI
Infini temporel futur
Univers
d’antigravité Ici et
  maintenant

Autre Infini Infini


Univers spatial spatial
 

Temps
Univers Trou
d’antigravité blanc Infini temporel
Espace passé
 
Notre Trou Autre GÉOMÉTRIE DE SCHWARZCHILD
Univers noir Univers Singularité du futur
  Trou

Ho
noir on

riz
Infini riz Infini

on
Ho
spatial spatial
n O
o

Ho
 z
ri Trou

riz
Ho

on
blanc
Temps

Temps

Espace Espace Singularité du passé

Trois exemples de diagrammes de Penrose-Carter, qui permettent de résumer sur un schéma les liens de causalité au
sein d’un espace-temps, en fonction de la géométrie qui le caractérise. Pour travailler, Stephen Hawking a besoin de ces
diagrammes, que ses étudiants sont chargés de dessiner.
Jean-Pierre Luminet

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également impossible de dessiner ces de cette géométrie, elle-même solution visibles sous les yeux du scientifique à
diagrammes. Ses étudiants sont donc des équations d’Einstein. chaque fois qu’un problème se pose, soit
chargés de le faire pour lui. Et de fait, En bref, pour pouvoir visuali- parce qu’il le demande explicitement,
pour pouvoir travailler avec lui, de la ser, il faut qu’il y ait d’abord eu calcul. soit parce que ses étudiants anticipent
même façon qu’ils auront développé Des calculs effectués par des étudiants sa demande. Nous sommes loin ici de
une façon de communiquer avec lui en habiles, triés sur le volet et formés à l’image du génie solitaire.
lisant le langage de son corps, ils de- certaines méthodes. Travaillant sans
vront apprendre à parler et à écrire dans relâche, ils « découvrent » des espaces UNE MULTIPLICITÉ
la même langue… diagrammatique. et adaptent ces diagrammes. Enfin, à DE CORPS ÉTENDUS
Or la tache est loin d’être simple. chaque fois qu’on lui montre un nou- Aussi, contrairement à ce que l’on
Savoir lire un diagramme de Penrose- veau diagramme, Hawking peut le mé- dit de Hawking (et à ce qu’il dit de lui-
Carter n’exige pas de compétences moriser : « Et quand il l’a vu une fois, il même), à savoir que tout serait « dans
surhumaines ; tout étudiant avancé l’a dans la tête », dit l’un de ses étudiants. la tête », il doit déléguer plus que tout
apprend à maîtriser cet outil devenu C’est ainsi que certains expliquent sa autre et, qui plus est, de personne à per-
standard dans le domaine de la relati- productivité. sonne. Ce sont ses étudiants qui cal-
culent et dessinent. Ce sont eux éga-
Calcul, dessin, réinterprétation : Hawking lement qui font le travail de la preuve,
qui étendent, traduisent, réinterprètent
doit déléguer plus que tout autre et recontextualisent ses idées. Tous les
aspects fondamentaux de la « science
vité générale ; il doit donc savoir pour- Hawking a certainement poussé pure » – pensée, preuve, calcul, contexte
quoi on le fait et comment on l’obtient plus loin que d’autres ce travail de mé- de découverte et de justification, récep-
en équation, mais on ne lui demande morisation des diagrammes, faute de tion du travail scientifique – sont incor-
pas forcément d’être en mesure de le pouvoir alléger ses tâches cognitives porés et distribués dans le laboratoire.
dessiner. La difficulté est d’autant plus en dessinant lui-même ces schémas. Ainsi, bien que Hawking incarne
grande qu’il faut d’abord connaître la Cependant, pour jouer leur rôle dans la représentation du génie et, par exten-
géométrie d’un espace-temps avant le raisonnement scientifique, ces dia- sion, la conception traditionnelle de
de pouvoir la transformer en un dia- grammes ne peuvent rester gravés uni- la science –  un monde fait de théories
gramme. En d’autres termes, le dia- quement dans sa mémoire. Ils doivent produites ou trouvées rationnellement,
gramme est une certaine traduction être mobilisés, redessinés, rendus un monde de chercheurs neutres et
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L’AUTEURE objectifs vivant dans un monde de pen- personnes qui sont autour de lui. Haw-
sée pure  –, il est en réalité matérialisé king est-il donc une pure construction
et distribué dans une série de collectifs sociale ? Évidemment non, il est entiè-
liés entre eux et se recouvrant partielle- rement nourri par un réseau, qu’il ali-
ment. Tout est long, tout est difficile et mente en retour. Il est un produit de
Hélène Mialet est philosophe, sociologue
et anthropologue des sciences. Elle tout est rendu possible par cet ensemble toutes ces associations, mais il est aussi
enseigne à l’Université de Californie de prothèses humaines, mécaniques et bien plus… C’est un homme qui, plus
à Davis et à Berkeley, aux États-Unis. intellectuelles qui lui permettent d’être, qu’un autre, est collectivisé. Il est de ce
Ses travaux portent sur l’invention
scientifique, la subjectivité, la cognition
d’agir et de penser. fait plus singulier et, du même coup,
distribuée, la relation hommes-machines. Si Hawking a bien un corps, il a plus visible. Il est, ce que j’ai appelé, un
également ce que j’ai appelé une mul- sujet distribué-centré.
BIBLIOGRAPHIE tiplicité de corps étendus, dont il est à Cet article a été publié dans
la fois un élément et un produit. Cela Pour la Science n°  448, février 2015
H. Mialet, À la recherche de Stephen signifie-t-il que ce scientifique soit le
Hawking, Odile Jacob, 2014 seul à dépendre de ce genre de collectif ?
(en anglais : Hawking Incorporated,
University of Chicago Press, 2012).
Non, évidemment. Parce que son han-
dicap l’oblige à déléguer plus que tout
H. Mialet, blog sur Scientific American,
31/12/2014 : http://bit.ly/140fVnJ
autre, Hawking rend visible ce que trop
souvent l’on ne voit pas : le fait que les
H. Mialet, On Stephen Hawking, Vader
and being more machine than human,
scientifiques ne peuvent pas penser sans
Wired, janvier 2013 (www.wired. être attachés à des instruments, des ma-
com/2013/01/hawking-machine-man- chines, des outils théoriques, des tech-
robots/). niques, des étudiants et des institutions.
H. Mialet, The extended body of Hawking, Cela nous permet également de
Interdisciplinary Science Review, repenser différemment la question du
vol. 37(4), pp. 354-371, 2012.
« génie ». Est-ce que tout est dans sa
H. Mialet, La statue de Stephen Hawking, tête, comme la presse aime souvent à le
ou comment se représenter la science
de son vivant, dans S. Houdart et
représenter ? Non, c’est plutôt l’inverse ;
O. Thiery (éds.), Humains, non-humains, tout se situe à l’extérieur de son cerveau
La Découverte, 2011. et se fait et refait par les outils et par les
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19
t

Deux éminents spécialistes


de la relativité exposent
leurs conceptions de l’Univers,
son évolution, et l’impact
de la théorie quantique.

Stephen Hawking
et Roger Penrose

Relativité générale

La nature de l’espace
© 1996 Princeton University Press

Roger Penrose (à droite) a fait partie


du jury de thèse de Stephen Hawking. Ils
ont travaillé ensemble sur l’effondrement
gravitationnel des étoiles, les singularités
et les trous noirs. Penrose est également
connu pour les pavages géométriques
qui portent son nom.
et du temps
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20
E
n  1994, Stephen Haw- trous noirs engloutissent énormément de du sens du temps –, la gravité quantique
king et Roger Penrose données : les types, propriétés et configu- violera cette symétrie. Cette asymétrie
donnèrent une série de rations des particules englouties. Selon temporelle expliquera alors pourquoi
cours publics sur la rela- la théorie quantique, l’information doit l’Univers était quasi uniforme au début,
tivité générale à l’Institut être conservée, mais ce qu’il en advient ainsi qu’en témoigne le rayonnement fos-
Isaac Newton de l’Uni- demeure l’objet d’un vif débat. Stephen sile vestige du Big Bang, tandis qu’à sa fin
versité de Cambridge. Hawking et Roger Penrose pensent tous l’Univers sera fortement hétérogène.
Ces conférences ont été publiées cette an- deux que, lorsqu’un trou noir rayonne, il R. Penrose tente d’incorporer cette
née par Princeton University Press, sous perd l’information qu’il contenait. Toute- asymétrie temporelle dans son hypo-
le titre The Nature of Space and Time, et fois Stephen Hawking prétend que cette thèse de la courbure de Weyl. Albert
les extraits choisis dans cet article per- perte est irrémédiable, tandis que Roger Einstein découvrit que la présence de
mettent de comparer, voire d’opposer, Penrose affirme que la perte est compen- matière déforme l’espace-temps, mais
les opinions des deux scientifiques. Bien sée par des mesures spontanées des états que celui-ci peut aussi posséder une
qu’ils partagent un héritage commun en quantiques qui réintroduisent de l’infor- courbure intrinsèque dénommée cour-
physique – Penrose siégeait dans le jury mation dans le système. bure de Weyl. Les ondes gravitation-
de thèse de Hawking, à Cambridge –,
les orateurs ont une vision différente de
la mécanique quantique et de ses consé-
Penrose et Hawking s’opposent
quences sur l’évolution de l’Univers. Ils sur ce qu’il advient de l’information
s’opposent, en particulier, sur ce qu’il ad-
vient de l’information emmagasinée par
emmagasinée par un trou noir
un trou noir et sur la raison de la diffé-
rence entre le début et la fin de l’Univers. S’ils sont tous deux d’accord sur nelles et les trous noirs, par exemple,
Stephen Hawking a découvert, dans la nécessité d’une théorie quantique permettent à l’espace-temps de se cour-
les années 1970, que, par des effets tunnels de la gravité pour décrire la nature, ils ber, même dans des régions vides. Au
quantiques, les trous noirs émettent des divergent sur certains aspects de cette début de l’Univers, la courbure de Weyl
particules. Le trou noir s’évapore au cours théorie. R. Penrose pense que, même si valait probablement zéro, mais selon
du processus, de sorte qu’il ne subsistera les forces fondamentales de la physique R. Penrose, dans un Univers moribond,
peut-être plus rien de la masse originelle. des particules sont symétriques dans le les très nombreux trous noirs entraîne-
Toutefois, pendant leur formation, les temps – inchangées après renversement ront une courbure de Weyl importante.
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21
Cette propriété distinguera la fin de explique l’uniformité du rayonnement Einstein et Niels Bohr sur les implica-
l’Univers de son commencement. cosmologique. tions bizarres de la théorie quantique.
S.  Hawking convient que l’explo- Les physiciens divergent, enfin, Stephen Hawking, à propos des trous
sion primordiale (Big Bang) et l’im- dans leur interprétation de la méca- noirs quantiques
plosion finale (Big Crunch) seront nique quantique. S. Hawking croit que
différentes, mais il ne souscrit pas à toute théorie doit simplement fournir STEPHEN HAWKING,
une asymétrie temporelle des lois de des prédictions qui s’accordent aux don- À PROPOS DES TROUS NOIRS
la nature. Pour lui, la raison sous-ja- nées expérimentales. R. Penrose pense QUANTIQUES
cente de cette différence réside dans la qu’une simple comparaison des prédic- La théorie quantique des trous noirs
manière dont l’évolution de l’Univers tions et des expériences ne suffit pas à [...] semble introduire une nouveau degré
est programmée. Il postule une sorte expliquer la réalité. Il fait remarquer d’imprévisibilité en physique, au-dessus
de démocratie, déclarant qu’aucun que la théorie quantique requiert une et par-delà l’incertitude habituellement
point de l’Univers ne peut être parti- « superposition » des fonctions d’onde, associée à la mécanique quantique. Les
culier ; pour cette raison, l’Univers ne un concept qui peut conduire à des trous noirs semblent avoir une entropie
peut avoir de frontière. S.  Hawking absurdités. Les physiciens reprennent intrinsèque et perdre de l’information
affirme que cette absence de frontière donc les fils des célèbres débats entre en provenance de notre région de l’Uni-

PRESSION
DE DÉGÉNÉRESCENCE CÔNES DE LUMIÈRE SURFACE NULLE
Deux électrons ou deux neutrons ne Pour figurer l’espace-temps, les physiciens portent Une surface dans l’espace le long de laquelle
peuvent occuper le même état quantique. habituellement le temps sur un axe vertical et l’es- voyage la lumière porte le nom de surface nulle.
Donc, quand un ensemble de ces particules pace sur des axes horizontaux. Dans ce schéma, La surface nulle entourant un trou noir,
est comprimé dans un petit volume, celles les rayons lumineux émanant de n’importe quel appelée horizon des événements, est une
qui occupent les états quantiques les plus point de l’espace se déploient le long de la surface coquille sphérique. Rien de ce qui tombe
élevés acquièrent beaucoup d’énergie. Le d’un cône vertical. Comme à l’intérieur de l’horizon des événements
Temps
système résiste alors à toute compression aucun signal ne peut couvrir ne peut en sortir.
supplémentaire, exerçant une poussée vers plus de distance, en un temps
l’extérieur, dénommée pression de dégéné- donné, que la lumière, tout
rescence. signal émanant de ce point est
Distance confiné à l’intérieur du volume
du cône− de
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vers. Ces affirmations, il faut en convenir, nions préétablies. [...] neutrons. L’objet se stabilise, donnant
sont controversées : nombre de ceux qui Comme la gravité est attractive, elle respectivement une naine blanche et une
travaillent dans le domaine de la gravité tend à rassembler la matière de l’Univers étoile à neutrons. Si la masse est supé-
quantique, ce qui inclut presque tous ceux pour former des objets tels que les étoiles rieure à cette valeur limite, la contraction
qui y sont arrivés par le biais de la phy- et les galaxies. Ceux-ci peuvent, pendant se poursuit. Quand l’objet, à force de ré-
sique des particules, rejettent d’instinct un certain temps, résister à la poursuite trécir, atteint une certaine taille critique,
l’idée que l’information sur l’état quan- de la contraction, par leur pression ther- le champ de gravitation à sa surface est
tique d’un système physique puisse être mique dans le cas des étoiles, ou par leur si intense que les cônes de lumière sont
perdue. Cela dit, leurs efforts pour mon- rotation et leurs mouvements internes inclinés vers l’intérieur. [...] On voit que
trer comment l’information peut sortir dans le cas des galaxies. Finalement, la même les rayons lumineux émergents
d’un trou noir n’ont guère été concluants. chaleur ou le moment angulaire ayant été sont courbés les uns vers les autres et fi-
Je crois qu’au bout du compte ils seront évacués, l’objet stellaire se met à rétrécir. nissent par converger au lieu de diverger.
obligés d’accepter ma suggestion selon Si la masse est inférieure à environ une Cela signifie qu’il existe une surface fer-
laquelle de l’information est perdue, de fois et demi celle du Soleil, la contrac- mée piégée. [...]
même qu’ils sont convenus que les trous tion peut être stoppée par la pression Il existe ainsi une région de l’espace-
noirs rayonnent, à l’encontre de leurs opi- de dégénérescence des électrons ou des temps d’où il est impossible de s’échapper

MOMENTS
MULTIPOLAIRES PULSARS ESPACE DES PHASES
La dynamique d’un objet peut se résu- Certaines étoiles en fin de vie s’effondrent en étoiles Un diagramme de l’espace des
mer à la détermination de ses moments à neutrons, objets massifs entièrement composés phases est un volume mathématique
multipolaires. Chaque moment est calculé de neutrons entassés. Les étoiles à neutrons en multidimensionnel. Dans cet espace,
en divisant un objet en petits éléments, en rotation rapide deviennent des pulsars, ainsi appelés on représente, selon les axes de
multipliant la masse de chaque élément par parce qu’ils émettent des impulsions de rayonnement coordonnées, les positions et les
une puissance de sa distance au centre et en électromagnétique à des intervalles extrêmement régu- quantités de mouvement de chaque
sommant ces termes pour tous les éléments. liers, de quelques particule. On peut alors représenter le
Pulsar
Une sphère, par exemple, n’a qu’un moment millisecondes. Un pulsar mouvement d’un paquet de particules
monopolaire, alors qu’une haltère a un tourne parfois autour d’une par un élément de volume mobile
moment dipolaire, qui lui permet d’acquérir autre étoile à neutrons, dans l’espace des phases.
facilement un moment angulaire. Étoile formant un système double.
compagnon
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vers l’infini. À cette région, on donne le c’était encore possible en principe. L’ob- sein. J’avancerai des arguments indiquant
nom de trou noir. Sa bordure, dénommée servateur était censé ne jamais perdre de que cette information est réellement per-
horizon des événements, est une surface vue le corps en train de s’effondrer. Ce- due et ne réapparaît pas sous une autre
nulle du genre lumière formée par les lui-ci semblait ralentir et devenir de plus forme. Je montrerai que cette perte d’in-
rayons lumineux qui ne parviennent tout en plus pâle à mesure qu’il approchait de formation devrait introduire en physique
juste pas à s’échapper. [...] l’horizon des événements. L’observateur un nouveau niveau d’incertitude au-des-
Une grande partie de l’information pouvait encore voir de quoi était fait le sus et par-delà l’incertitude habituelle-
est perdue lorsqu’un corps s’effondre corps et comment était répartie la masse. ment associée à la théorie quantique.
pour former un trou noir. Le corps qui La théorie quantique a changé tout Malheureusement, à la différence du
s’effondre est décrit par un très grand cela. Tout d’abord, le corps qui s’effondre principe d’incertitude de Heisenberg, la
nombre de paramètres, à savoir les dif- n’émet qu’un nombre limité de photons confirmation expérimentale de ce niveau
férents types de matière et les moments avant de traverser l’horizon des événe- supplémentaire est assez difficile à obte-
multipolaires de la distribution de masse. ments. Ces photons ne suffisent pas à nir dans le cas des trous noirs.
Pourtant le trou noir qui se forme à par- transporter toute l’information relative
tir de ce corps est complètement indé- au corps qui s’effondre. Autrement dit, en ROGER PENROSE, SUR
pendant du type de matière et perd rapi- théorie quantique, il est impossible à un LA THÉORIE QUANTIQUE
dement tous ses moments multipolaires, observateur extérieur de mesurer l’état du ET L’ESPACE-TEMPS
à l’exception des deux premiers : le mo- corps qui s’effondre. On pourrait croire Les grandes théories physiques du
ment monopolaire qui n’est autre que la que cela n’a guère d’importance, car l’in- xxe siècle ont été la théorie quantique, la
masse, et le moment dipolaire, c’est-à- formation pourrait très bien se trouver relativité restreinte, la relativité générale
dire le moment angulaire. encore à l’intérieur du trou noir, même et la théorie quantique des champs. Ces
Cette perte d’information n’avait s’il n’est pas possible de la mesurer à par- théories ne sont pas indépendantes : la
guère d’importance en théorie classique. tir de l’extérieur. C’est là qu’intervient un relativité générale s’est édifiée sur la base
On pouvait toujours penser que toute second effet de la théorie quantique des de la relativité restreinte, et la théorie
l’information relative au corps qui s’ef- trous noirs. [...] quantique des champs a été construite
fondre était encore présente à l’intérieur La théorie quantique oblige les trous à partir de la relativité restreinte et de la
du trou noir. Certes, il aurait été très dif- noirs à rayonner et à perdre de leur masse. théorie quantique.
ficile à un observateur extérieur au trou Il semble que les trous noirs finissent par On a pu dire que la théorie quan-
noir de décrire à quoi ressemble le corps disparaître complètement, emportant tique des champs est la plus précise de
qui s’effondre, mais, en théorie classique, avec eux l’information contenue en leur toutes les théories jamais élaborées, sa
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précision étant d’environ 10-11. Je vou- description complète du mouvement [...] remarquables, les quatre théories citées
drais pourtant faire remarquer que la re- est en accord avec la relativité générale ne sont pas sans poser des problèmes.
lativité générale a maintenant été vérifiée (dans laquelle j’inclurai dorénavant la [...] La relativité générale prédit l’exis-
à 10-14 près (et que cette précision n’est théorie newtonienne) ; et ce, avec la pré- tence de singularités d’espace-temps. En
apparemment limitée que par celle des cision remarquable déjà signalée, sur une théorie quantique, il y a le « problème de
horloges terrestres). Je pense en affirmant période de vingt ans. C’est à juste titre la mesure », que je décrirai plus tard. On
cela au pulsar binaire PSR 1913 + 16 de que l’on a décerné le prix Nobel aux deux peut admettre que la solution de ces di-
Russell Hulse et Joseph Taylor, consti- « découvreurs » de ce système. Les phy- vers problèmes se trouve dans le fait que
tué de deux étoiles à neutrons en orbite siciens quantiques ont toujours prétendu ces théories sont incomplètes en elles-
l’une autour de l’autre, l’une d’entre elles que, en raison de la précision atteinte par mêmes. Par exemple, beaucoup de phy-
étant un pulsar. La relativité générale leur théorie, c’est à la relativité générale siciens pensent par anticipation que la
prédit que cette orbite doit progressive- de changer et de s’adapter à leur moule ; théorie quantique des champs pourrait
ment se rétrécir (et la période diminuer) je pense qu’aujourd’hui c’est la théorie « estomper » les singularités de la relati-
parce que de l’énergie est perdue lors de quantique des champs qui doit se main- vité générale. [...]
l’émission d’ondes gravitationnelles. C’est tenir au niveau. Examinons maintenant l’informa-
effectivement ce qui a été observé, et la Bien qu’ayant remporté des succès tion qui est perdue dans les trous noirs,

INVARIANCE CPT PROPOSITION


SINGULARITÉS (CHARGE-PARITÉ-TEMPS) «SANS FRONTIÈRE »
Selon la relativité générale, dans des conditions Ce principe puissant requiert que les théo- S. Hawking suggère que l’évolution de
extrêmes, certaines régions de l’espace-temps ries décrivant les particules doivent rester l’Univers est expliquée par la proposition
acquièrent des courbures infiniment grandes, vraies, même lorsque la charge, la parité «sans frontière», qu’il formula en 1983,
devenant ainsi des singularités, où les lois nor- et le temps sont simultanément inversés. avec James Hartle, de l’Université de Cali-
males de la physique ne En d’autres termes, le comportement fornie. L’idée que l’Univers ne possède pas
s’appliquent plus. Les d’un électron de charge négative et de de frontière impose des contraintes sur la
trous noirs, par exemple, spin donné se déplaçant vers le futur est résolution des équations de la cosmolo-
Horizon
des événements devraient contenir des identique à celui d’un positon de charge gie. S. Hawking croit que ces conditions
singularités dissimulées positive et de spin inverse se mouvant vers conduiront à une fin de l’Univers diffé-
à l’intérieur de l’horizon le passé. rente de son état initial, déterminant ainsi
des événements. la direction de la flèche du temps.
Singularité Vu sur www.bookys.me − Proposé par RobertV

25
dont je soutiens qu’elle est reliée au der- singularité à l’intérieur du trou noir. Ce dans une boîte où se trouve un isotope
nier problème évoqué. Je suis d’accord rétrécissement contredit directement le radioactif qui, s’il se désintègre, est dé-
avec presque tout ce que Stephen Haw- théorème de la mécanique classique, qui tecté ; la détection déclenche automati-
king a dit sur le sujet. Toutefois, alors porte le nom de théorème de Liouville, quement la mise à feu d’un pistolet, qui
que Hawking voit dans l’information selon lequel les volumes dans l’espace tue le chat. Si l’isotope ne se désintègre
perdue du fait des trous noirs une in- des phases restent constants. [...] Un es- pas, le chat reste vivant et bien-portant.
certitude supplémentaire introduite pace-temps contenant un trou noir ne (Je sais que Stephen Hawking a horreur
dans la physique au-dessus et par-delà respecte donc pas cette loi de conserva- qu’on maltraite les chats, même dans
l’incertitude de la théorie quantique, je tion. Toutefois, dans mon modèle, cette des expériences de pensée.) La fonction
la considère pour ma part comme une
incertitude « complémentaire ». [...] Il
se peut qu’une petite partie de l’infor- « Je sais que Stephen Hawking n’aime pas
mation s’échappe au moment où le trou
noir s’évapore, [...] mais ce petit apport
qu’on maltraite les chats, même dans des
d’information sera bien inférieur à la expériences de pensées »
perte d’information subie pendant l’ef-
fondrement (dans ce que je considère perte de volume de l’espace des phases d’onde du système est une superposition
comme une représentation raisonnable est compensée par un processus de me- de ces deux possibilités.  [...] Comment
de la disparition finale du trou). sure quantique « spontanée » au cours expliquer que notre perception ne nous
Si nous enfermons ce système dans duquel de l’information est gagnée et au permette pas de percevoir des superpo-
une grande boîte, c’est une expérience de cours duquel les volumes de l’espace des sitions macroscopiques, des états tels que
pensée, nous pouvons considérer l’évo- phases augmentent. C’est en ce sens que ceux écrits ici, et ne nous fasse percevoir
lution dans l’espace des phases de la ma- je considère l’incertitude due à la perte que l’alternative macroscopique « le chat
tière située à l’intérieur de la boîte. Dans d’information dans les trous noirs comme est mort »/« le chat est vivant » ? [...]
la région de l’espace des phases corres- « complémentaire » de l’incertitude de la Je suggère que quelque chose ne
pondant aux situations où un trou noir théorie quantique : l’une est l’envers de la marche pas dans les superpositions de
est présent, les trajectoires de l’évolution médaille de l’autre. [...] géométries d’espace-temps alternatives,
physique convergent et les volumes le Examinons l’expérience de pensée des superpositions qui doivent se pro-
long de ces trajectoires rétrécissent. Cela du chat de Schrödinger. Cette expérience duire dès lors que la relativité générale
à cause de l’information perdue dans la décrit le sort tragique d’un chat enfermé entre en jeu. Il se pourrait que la super-
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position de deux géométries différentes termes de l’alternative. Les lois locales auxquelles obéissent
soit instable, et se décompose en l’un des les champs physiques sont symétriques
deux termes de l’alternative. Ces deux LA COSMOLOGIE par rapport au temps, ou plus précisé-
géométries pourraient être, par exemple, QUANTIQUE SELON ment invariants par cpt (charge, parité,
les espaces-temps d’un chat vivant ou STEPHEN HAWKING temps). La différence observée entre le
d’un chat mort. À cette décomposition Je terminerai cette conférence en passé et le futur doit donc provenir des
en l’un ou l’autre des deux termes de l’al- évoquant un sujet sur lequel R. Penrose et conditions aux limites de l’Univers. Sup-
ternative, je donne le nom de réduction moi divergeons : la flèche du temps. Dans posons que l’Univers soit spatialement
objective. Comment relier la longueur notre région de l’Univers, la direction du clos, qu’il se dilate jusqu’à atteindre sa
de Planck, 10-33 centimètre, à tout cela ? temps vers l’avant est nettement distincte taille maximale, puis s’effondre. Penrose
Il se pourrait que le critère qu’utilise la de celle vers l’arrière. Il suffit de regarder a insisté sur le fait que, dans ce cas, l’Uni-
Nature pour déterminer quand deux un film passé à l’envers pour voir la dif- vers se comporte de façon très différente
géométries sont significativement dif- férence. Les tasses, au lieu de tomber de aux deux bouts de son histoire. Il serait
férentes soit l’échelle de Planck, ce qui la table et de se casser, se réparent toutes uniforme et homogène au commence-
donne l’échelle de temps sur laquelle se seules et sautent sur la table. Si seulement ment de l’Univers. En revanche, au mo-
produit la réduction sur l’un des deux il en était ainsi dans la vie. ment de son effondrement, il serait irré-

TENSEUR DE WEYL HYPOTHÈSE


DE LA COURBURE DE WEYL Effondrement
final
La courbure de l’espace-temps possède deux
composantes. L’une découle de la présence de L’Univers, juste après le Big Bang, possède
matière dans l’espace- une petite courbure de Weyl, alors que,
temps, l’autre, mise en près de la fin du temps, la courbure de Weyl
Grande courbure
avant par le mathématicien devient grande. R. Penrose suggère que cette de Weil
allemand Hermann Weyl, Courbure courbure détermine ainsi la direction dans
apparaît même en l’absence due à la matière laquelle pointe la flèche du temps.
de matière. La quantité
mathématique décrivant cette
Petite courbure
courbure s’appelle le tenseur de Weil
Courbure de Weil
de Weyl.
Big Bang

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27
gulier et fortement hétérogène. Dans la réjouit, mais à mon sens il faut s’accro- doit pas y avoir de bord. [...]
mesure où il y a beaucoup plus de confi- cher aux symétries tant que nous n’avons Comment les deux extrémités du
gurations désordonnées que de configu- pas de raisons impérieuses de les aban- temps peuvent-elles être différentes ?
rations ordonnées, cela signifie que les donner. Je soutiendrai dans un instant Pourquoi les perturbations sont-elles
conditions initiales ont été choisies avec qu’il n’est pas nécessaire d’abandonner faibles à une extrémité et pas à l’autre ?
une précision incroyable. l’invariance cpt. Ensuite, si le tenseur de La réponse est la suivante : il existe deux
Il apparaît donc que les conditions Weyl avait été exactement nul au début solutions complexes possibles des équa-
aux limites doivent être différentes aux de l’Univers, ce dernier aurait été ho- tions du champ. [...] Il est clair qu’une des
deux extrémités du temps. Penrose a sug- mogène et isotrope et le serait resté ad solutions correspond à une extrémité du
temps et l’autre à l’autre extrémité. [...] À
Les conditions aux limites doivent être l’une des extrémités, l’Univers était très ré-
gulier et le tenseur de Weyl était très petit.
différentes aux deux extrémités du temps Mais il ne pouvait valoir exactement zéro,
car cela aurait constitué une violation du
géré que le tenseur de Weyl doit s’annuler vitam æternam. L’hypothèse de Penrose principe d’incertitude. En revanche, il y
à l’une des extrémités du temps et pas à sur le tenseur de Weyl est impuissante avait de petites fluctuations qui par la suite
l’autre. Le tenseur de Weyl est cette partie à expliquer les fluctuations du fond de se sont développées en galaxies et en corps
de la courbure de l’espace-temps qui n’est rayonnement cosmique, pas plus que les tels que nous-mêmes. De façon toute diffé-
pas déterminée localement par la matière perturbations qui ont donné naissance rente, l’Univers devrait être très irrégulier
via les équations d’Einstein. Elle doit être aux galaxies et aux corps célestes, dont et chaotique à l’autre extrémité du temps,
petite dans les premiers stades d’évolution nous-mêmes. avec un tenseur de Weyl grand. On pour-
régulière et doit être ordonnée, et grande Néanmoins, je pense que Penrose rait ainsi expliquer la flèche du temps telle
pour un univers en effondrement. La a mis le doigt sur une importante diffé- qu’elle est observée et pourquoi les tasses
suggestion de Penrose permet donc de rence entre les deux extrémités du temps. tombent de la table et se cassent, pourquoi
distinguer les deux extrémités du temps ; Pour autant, le fait que le tenseur de Weyl elles ne se réparent pas toutes seules et ne
elle est, de ce fait, susceptible d’expliquer ait été petit à l’une des extrémités ne doit sautent pas du sol sur la table.
la flèche du temps. pas être posé et imposé sous forme de
La proposition de R. Penrose m’ap- condition ad hoc, mais être déduit d’un PENROSE SUR
paraît irrecevable. Tout d’abord, elle n’est principe plus fondamental, la proposi- LA COSMOLOGIE QUANTIQUE
pas invariante par cpt. R. Penrose s’en tion « sans frontière », selon laquelle il ne D’après ce que je comprends de
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la position de S. Hawking, il ne me semble LONGUEUR DE PLANCK
pas que notre différend soit si grand sur ce La longueur de Planck représente une distance très petite et 109 Terre
point [l’hypothèse sur la courbure de Weyl]. inatteignable, reliée, par la mécanique quantique, à un inter-
Pour une singularité initiale, la courbure valle de temps extrêmement bref et à une colossale énergie.
de Weyl est approximativement nulle. [...] Cette longueur émerge d’une combinaison des constantes 1
Pièce
fondamentales de l’attraction gravitationnelle, de la vitesse
S. Hawking estime qu’il doit exister de pe-

Centimètres
de la lumière et de la mécanique quantique. Cette longueur
tites fluctuations quantiques dans l’état ini- représente la distance ou l’énergie à laquelle nos concepts 10–8
Atome
tial ; il en conclut que l’hypothèse classique actuels d’espace, de temps et de matière ne s’appliquent
selon laquelle la courbure de Weyl doit être plus et où une future théorie, la gravité quantique, doit 10–15
exactement zéro ne peut être raisonnable. prendre le relais.
Noyau
Je ne pense pas que nous soyons vraiment
en désaccord. L’hypothèse que la courbure Brisure
de Weyl soit nulle à la singularité initiale LE CHAT DE SCHRÖDINGER d’espace-temp

10–33
est une idée classique, et un énoncé précis Penrose évoque une expérience de pensée inventée par Eins-
Longueur de Planck

de l’hypothèse admet une certaine marge tein et utilisée par Erwin Schrödinger pour étudier les blocages
de manœuvre. De mon point de vue, rien conceptuels résultant de l’uti-lisation des fonctions d’onde. Avant toute mesure,
n’interdit de petites fluctuations, certaine- un système est supposé se trouver dans une «super-posi-
Vivant tion» d’états quantiques ou ondes, de sorte que la valeur de la
ment envisageables en régime quantique. Il vitesse, par exemple, est incertaine. Après la mesure, la valeur
faut simplement disposer d’un moyen de les d’une quantité devient connue, et le système épouse soudaine-
astreindre à être très proches de zéro. [...] Mort ment l’un des états qui correspond au résultat. La signification
Peut-être la proposition selon laquelle il n’y de la superposition originelle et le processus par lequel le sys-
a pas de bord de James Hartle et S. Hawking tème se fige dans l’un des états sont éclairés par le paradoxe
du chat de Schrödinger. Avant qu’on ne l’observe, le chat peut
constitue-t-elle une candidature sérieuse à
être à moitié mort et à moitié vivant..
la description de la structure de l’état initial.
Mais il me semble que, pour traiter l’état fi-
nal, il nous faut autre chose, de très différent.
En particulier, une théorie qui explique la Source
lumineuse
structure des singularités devra violer [cpt Photon
Photon
et d’autres symétries] pour que puisse appa- transmis
Miroir non détecté

raître quelque chose de même nature que la Détecteur


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courbure de Weyl. Cette brisure de la noirs. Je suis d’accord sur le fait que nous Einstein soutenait qu’il devait exister un
symétrie par renversement du temps pouvons introduire l’asymétrie en temps monde réel, non nécessairement repré-
pourrait prendre une forme extrême- dans la manière de poser les questions à senté par une fonction d’onde, alors que
ment subtile et elle devrait être impli- propos des observations, mais je suis vio- Bohr insistait sur le fait que la fonction
cite dans la théorie à venir, qui doit al- lemment opposé à l’idée qu’il existe un d’onde ne décrit pas un micromonde
ler au-delà de la mécanique quantique. processus physique qui corresponde à la « réel », mais seulement la « connais-
réduction de la fonction d’onde ou que sance » qui nous est nécessaire à la for-
LA PHYSIQUE ET LA RÉALITÉ cela ait quelque chose à voir avec la gravi- mulation de prédictions.
SELON S. HAWKING té quantique ou avec la conscience. Pour Bohr passe pour être sorti vainqueur
Ces conférences ont montré très moi, c’est de la magie, pas de la science. de la discussion. De fait, si l’on en croit la
clairement ce qui nous sépare, S.  Pen- dernière biographie d’Einstein par Abra-
rose et moi. Il est platonicien ; je suis LA PHYSIQUE ET ham Pais (1994), Einstein aurait tout aussi
positiviste. Il est préoccupé par le fait LA RÉALITÉ SELON R. PENROSE bien fait d’aller à la pêche à la ligne à par-
que le chat de Schrödinger dans un état La mécanique quantique n’existe que tir de 1925. Il est vrai qu’il n’a plus accom-
quantique est pour moitié vivant et pour depuis environ soixante quinze ans. C’est pli de grandes avancées, même si ses cri-
moitié mort. Il a l’impression que cela peu au regard, par exemple, de la théorie tiques pénétrantes ont été très utiles. Je
ne peut correspondre à la réalité. Moi, de la gravitation de Newton. Je ne serais pense que la raison pour laquelle Einstein
cela m’est égal. Je n’exige pas d’une théo- donc pas étonné si la mécanique quan- n’a pas continué à faire avancer la théo-
rie qu’elle corresponde à la réalité, parce tique devait être modifiée pour des objets rie quantique tient à ce qu’il manquait à
que je ne sais pas ce que c’est. La réalité très macroscopiques. la théorie quantique un ingrédient essen-
n’est pas une qualité que l’on puisse tes- Lors de ce débat, S. Hawking a men- tiel. Cet ingrédient essentiel, S. Hawking
ter avec du papier tournesol. Tout ce qui tionné qu’il était positiviste et que j’étais l’a découvert cinquante ans plus tard : c’est
m’importe, c’est que la théorie prédise platonicien. Qu’il soit positiviste me le rayonnement du trou noir. Cette perte
les résultats des mesures. C’est ce que convient bien, mais je crois en l’occur- d’information, liée au rayonnement du
fait à merveille la théorie quantique[...] rence que ce qui est important c’est que je trou noir, est un nouveau tournant.
R.  Penrose pense que [...] l’effon- sois un réaliste. Si l’on compare ce débat Article publié
drement de la fonction d’onde introduit au fameux débat qui a opposé Einstein et dans Pour la Science n°  227, septembre 1996
[en physique] une violation de cpt. Il voit Bohr, il y a environ soixante-dix ans, il
cette violation à l’œuvre dans au moins me semble que S.  Hawking joue le rôle
deux situations : la cosmologie et les trous de Bohr et moi celui d’Einstein ! En effet
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30
t
Astrophysique

Les prédictions
de Stephen Hawking
Renaud Parentani

En 1974, Stephen Hawking a montré que les trous noirs devaient émettre
un rayonnement, mettant fin à un débat sur la thermodynamique des
trous noirs. Ce résultat a eu de nombreux développement. Mais il a aussi
© Michael Reynolds/epa/Corbis

soulevé des questions toujours sans réponse.

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31
E
n  1973, en combinant tions de flux de chaleur et de température. elles déterminent les propriétés de la
des travaux préexistants La même année, par un tout autre radiation qu’ils émettent. Nous expli-
et en regroupant leurs raisonnement, Jacob Bekenstein, alors querons ensuite que la découverte de
efforts, James Bardeen, étudiant sous la direction de John S.  Hawking résulte de la combinaison
de l’Université Yale, aux Wheeler à l’Université de Princeton, aux de deux aspects distincts qui peuvent
États-Unis, ainsi que États-Unis, parvient à une conclusion être expérimentalement testés, de fa-
Brandon Carter et Ste- inverse : pour conserver la validité du se- çon indépendante. Le premier concerne
phen Hawking, de l’Université de Cam- cond principe de la thermodynamique, la diffusion des ondes lumineuses au
bridge, en Grande-Bretagne, publient un on doit attribuer une entropie aux trous voisinage de l’horizon du trou noir et
article désormais célèbre et intitulé Les noirs. Il défend aussi l’idée que cette en- le second la prise en compte d’effets
quatre lois de la mécanique des trous noirs. tropie est proportionnelle à l’aire de leur quantiques. Enfin, nous exposerons les
Ils y établissent une analogie précise entre horizon. En d’autres termes, à l’inverse principales questions que soulève cette
les lois de transformation des trous noirs des auteurs précédents, il affirme que radiation, et indiquerons que certains
et celles qui relient les états d’équilibre l’analogie avec la thermodynamique est aspects pourraient ne pas être propres
en thermodynamique. En particulier, ils bien de nature physique. Cette interpré- aux trous noirs, mais bien caractériser
démontrent que l’aire de leur horizon ne tation fut énergiquement combattue par l’espace-temps lui-même !
peut qu’augmenter au cours du temps, S. Hawking jusqu’au jour où, en 1974, il En relativité générale, les trous noirs
en analogie avec le second principe de la prit en compte les effets de la mécanique sont des objets particulièrement simples
thermodynamique selon lequel l’entropie quantique qui avaient été ignorés. À sa lorsqu’ils sont isolés. En effet, quand ils
d’un système ne peut aussi qu’augmenter. grande surprise, ses calculs indiquèrent ne sont ni alimentés par un disque d’ac-
Rappelons que l’entropie quantifie le dé- que l’hypothèse thermodynamique de crétion ni en contact proche avec un
sordre d’un système macroscopique, tel J.  Bekenstein est parfaitement fondée, astre voisin (une étoile à neutrons ou un
un gaz ou une étoile. Plus précisément, car les trous noirs émettent une radia- autre trou noir) qui les déforme par effet
elle correspond au logarithme du nombre tion thermique. de marées, ils sont entièrement caracté-
d’états microscopiques indistinguables risés par leur masse et leur moment or-
aux échelles macroscopiques. Toutefois, REVIREMENT bital. Cette extrême simplicité est éton-
pour ces auteurs, cette analogie était pu- DE SITUATION nante, car les trous noirs sont des objets
rement mathématique, car les trous noirs Pour expliquer ce retournement de si- macroscopiques : ils auraient donc pu
sont vides de matière, ce qui ne permet tuation, nous présenterons les proprié- dépendre de nombreuses quantités mi-
apparemment pas d’incorporer les no- tés géométriques des trous noirs, car croscopiques à l’instar des étoiles. Leur
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simplicité traduit le fait qu’ils sont des strictement indépendante du temps : est une région piégée dont aucun signal
solutions stationnaires stables : ils sont un trou noir laissé à lui-même est im- ne peut sortir. En relativité, rappelons
comme figés dans le temps et n’évoluent muable et éternel. qu’aucun signal ne peut se propager
plus. En effet, si un trou noir est pertur- La propriété géométrique la plus plus vite que la lumière. Ceci implique
bé par l’adjonction de matière, il évolue- remarquable est son horizon. Il s’agit qu’aucun signal ne peut sortir de l’ho-
ra de façon irréversible vers un nouvel d’une sphère de surface 4prS2, où rS est rizon, celui-ci faisant partie du cône de
état stationnaire. Les trous noirs sont le rayon de Schwarzschild (en deçà du- lumière sortant. Soulignons aussi le fait
donc des états d’équilibre, l’ultime étape quel rien ne peut s’échapper). Celui-ci que la géométrie au voisinage de l’hori-
de l’évolution gravitationnelle. est proportionnel à la masse M du trou zon est parfaitement régulière : un indi-
noir puisque rS  = 2GM/c2, où G est la vidu qui tomberait dans un trou noir
LA GÉOMÉTRIE constante de gravitation de Newton et n’observerait rien de particulier en fran-
DES TROUS NOIRS c la vitesse de la lumière dans le vide. chissant l’horizon.
Pour simplifier la discussion, nous ne De façon étonnante, cette sphère fait La dernière propriété importante
considérerons dans cet article que les partie du cône de lumière futur, car les concerne le taux d’extinction des si-
trous noirs sans moment orbital. Ces rayons lumineux émis à partir d’elle gnaux lumineux émis par des objets
objets sont à symétrie sphérique et
caractérisés par leur seule masse. Ils
sont obtenus par effondrement gravita-
L’horizon fait partie du cône de lumière futur,
tionnel d’une étoile immobile. Dans le car les rayons lumineux émis se propagent
futur de l’effondrement, l’espace-temps
ainsi engendré est vide. En effet, l’exté- le long de celui-ci au lieu de diverger
rieur de l’étoile occupe tout l’espace-
temps futur, car la matière stellaire est dans la direction radiale extérieure se qui vont franchir l’horizon. On montre
cantonnée dans le passé. Les processus propagent le long de celle-ci, au lieu de que la lumière reçue par un observateur
physiques postérieurs à l’effondrement, diverger les uns des autres comme c’est loin du trou noir décroît de façon expo-
telle la radiation de Hawking qui nous le cas dans l’espace-temps plat. nentielle avec un temps de demi-vie  tk
occupe, sont donc indépendants de Cette propriété est l’une des mani- correspondant au temps que prend la
cet événement. Dès lors, nous ne tien- festations de la courbure de l’espace- lumière pour parcourir une distance
drons compte que de cette géométrie temps d’un trou noir. Elle permet de égale à 2rS, le diamètre de l’horizon. En
vide qui est aussi statique, c’est-à-dire comprendre pourquoi la région interne outre, les rayons lumineux s’éloignent de
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33
Temps
Temps
Horizon Horizon

Singularité centrale
Rayon lumineux
radial entrant

Un instant

Surface de l’étoile

Surface de l’étoile Rayon


entrant

Singularité
centrale
Rayon initial de l’étoile

L’espace-temps obtenu par effondrement gravitationnel. Ici, le temps La géométrie spatio-temporelle entourant l’horizon (en violet) d’un trou noir
s’écoule vers le haut, l’axe vertical est situé au centre de l’étoile, et seules est révélée par la trajectoire de rayons lumineux. Nous avons représenté
deux des trois dimensions spatiales sont représentées. À chaque instant, en vert un rayon entrant qui franchit l’horizon et en rouge une famille de
c’est-à-dire dans un plan horizontal, la surface sphérique de l’étoile est rayons sortants : ceux qui démarrent à l’extérieur de l’horizon s’éloignent
représentée par une circonférence. Son rayon décroît au cours du temps. du trou noir ; ceux qui partent à l’intérieur sont piégés et tombent vers la
Dans la partie supérieure du diagramme, le cylindre vertical de rayon singularité centrale, celui qui démarre exactement sur l’horizon se propage
constant (en violet) représente l’horizon du trou noir. Celui-ci apparaît à jamais le long de celui-ci. Trois cônes de lumière ont été dessinés en
lorsque la masse de l’étoile pénètre à l’intérieur de cette surface. Au bleu. Lorsque le sommet du cône est situé à l’extérieur de l’horizon, une
centre du diagramme, la ligne épaisse représente la singularité. Ce qui partie des rayons s’éloignent du trou noir. Quand il se trouve à l’intérieur,
s’y passe n’est pas compris, mais reste (sans doute) confiné dans un tous les rayons se dirigent vers la singularité centrale. Enfin lorsqu’il se
voisinage immédiat. Vu sur www.bookys.me − trouve exactement
Proposé par RobertVsur l’horizon, le cône est tangent à l’horizon.

34
façon exponentielle de l’horizon avec un géométrie est statique, les paquets d’ondes incidente comme dans le cas général. Ce
temps caractéristique précisément égal peuvent se décomposer en ondes mono- type d’amplification est nommé para-
à tk. Celui-ci caractérise donc l’intensité chromatiques de fréquence  n constante. métrique pour souligner qu’elle résulte
des effets gravitationnels au voisinage de D’autre part, quand on impose à chaque du changement d’un paramètre du sys-
l’horizon. Il jouera un rôle déterminant onde monochromatique d’être régulière tème (ici, la courbure de l’espace-temps)
dans ce qui suit. sur l’horizon (mathématiquement, des et non pas d’une source d’énergie exté-
solutions irrégulières existent, mais elles rieure. Le caractère exceptionnel, mais
LA DIFFUSION ne jouent pas de rôle en physique), le rap- pas unique, de la diffusion des ondes sur
DES ONDES LUMINEUSES port des amplitudes de l’onde sortante et l’horizon d’un trou noir est ainsi établi
La propagation des ondes lumineuses de l’onde piégée est fixé. Ce rapport R(n) et caractérisé.
est gouvernée par l’équation de d’Alem- caractérise précisément la diffusion des Les propriétés physiques de la lu-
bert. En étudiant le comportement de ondes par un horizon. Il ne dépend que de mière peuvent être analysées dans le
ses solutions au voisinage de l’horizon la fréquence et du demi-temps de vie tk : il cadre classique de l’équation de d’Alem-
d’un trou noir, on généralise l’étude des est donné par l’exponentielle du produit bert, mais on a parfois besoin de se pla-
rayons lumineux fondée sur l’optique de ces deux quantités multipliée par p. Le cer dans le cadre plus général de la méca-
géométrique. En effet, celle-ci est une calcul de ce rapport constitue la première nique quantique. Ainsi le cadre classique
approximation de l’optique ondulatoire prédiction de Hawking. De façon remar- est suffisant pour décrire la propagation
édifiée à partir de l’équation de d’Alem-
bert. À l’aide de cette description plus
précise, on peut étudier la propagation La caractérisation de la diffusion
de paquets d’ondes. des ondes par un horizon constitue
On montre ainsi qu’un paquet initia-
lement situé dans le voisinage immédiat la première prédiction de Hawking
de l’horizon se sépare en deux. Un premier
paquet s’éloigne du trou noir en suivant quable, elle a récemment été confirmée de l’énergie lumineuse du Soleil vers la
les trajectoires des rayons lumineux sor- en étudiant des trous noirs « analogues ». Terre ou la diffusion des ondes par un
tants, tandis que son partenaire se dirige Soulignons enfin que cette diffu- trou noir analogue. Dans les deux cas,
vers la singularité centrale. Ce résultat se sion est dite anomale, car elle conduit à l’approximation classique est justifiée,
précise lorsque l’on intègre deux éléments une amplification des ondes plutôt qu’à car les corrections apportées par la mé-
supplémentaires. D’une part, puisque la une répartition de l’énergie de l’onde canique quantique sont négligeables. À
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Horizon de façon stationnaire. Ces fluctuations
«Partenaire» Paquet d’ondes
sortant dites du vide ont une amplitude mini-
Temps d’amplitude male dont la valeur moyenne est fixée
supérieure
à celle du paquet par h la constante de Planck. Lorsque le
d’ondes initial champ de radiation n’est pas sollicité par
un autre système physique, tel un atome,
ces fluctuations ne se manifestent pas :
le vide est alors un état stationnaire où
il ne se passe rien. En revanche, lorsque
l’on couple le champ de radiation à un
atome excité, ces fluctuations déstabi-
Singularité lisent l’atome, il y a un transfert d’éner-
centrale gie et un photon est émis. On parle de
processus spontanés, par opposition
Paquet d’ondes initial
aux processus induits par la lumière que
Espace l’on trouve en optique, pour souligner le
La diffusion anomale des ondes lumineuses. Un paquet d’ondes initialement situé fait qu’aucun photon préexistant ne dé-
dans le voisinage immédiat de l’horizon se sépare en deux : une partie s’éloigne du trou clenche le processus.
noir et l’autre tombe vers la singularité centrale. Cette diffusion est inhabituelle, car La radiation de Hawking est un
l’amplitude de l’onde sortante est plus grande que celle du paquet initial. exemple de processus spontané sans
équivalent classique. En effet, dans la des-
cription classique, les trous noirs laissés
l’inverse, lorsque l’on étudie des phéno- de particules) est petit. Leur désac- à eux-mêmes n’émettent aucune lumière
mènes mettant en jeu un petit nombre de cord est maximal quand on décrit les et sont donc définitivement noirs. Tou-
photons (des quantas de lumière), seule phénomènes spontanés qui ont lieu tefois, en mécanique quantique, la dif-
la mécanique quantique décrit correcte- dans le vide. Dans la vision classique, fusion anomale des ondes au voisinage
ment les observations. en l’absence de lumière, aucun phéno- de l’horizon amplifie les fluctuations du
Les descriptions classique et quan- mène optique n’a lieu, alors que dans le vide, ce qui se traduit par des émissions
tique divergent d’autant plus que le cadre quantique, même en l’absence de spontanées de paires de photons. Au
nombre de photons (et plus généralement photons, le champ de radiation fluctue sein de chaque paire, l’un des photons
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s’échappe du trou noir et participe à la Hawking avait précédemment dé- sont naturelles dans le sens où elles ne
radiation de Hawking, l’autre, son par- montré que le rapport R(n) dépend de dépendent que des quantités fondamen-
tenaire, reste piégé à l’intérieur du trou façon exponentielle du produit de la fré- tales c, G et h qui caractérisent respective-
noir. La conséquence de cette produc- quence et du temps de demi-vie tk. Au ment la vitesse de la lumière en relativité,
tion est la diminution de la masse du niveau quantique, ceci implique, d’une la constante de gravitation de Newton et
trou noir. On peut donc concevoir un part, que le spectre des photons émis est la constante de Planck de la mécanique
trou noir comme un système macrosco- thermique et, d’autre part, que la tem- quantique. Cette longueur de Planck est
pique qui se dirigerait progressivement pérature est fixée par l’inverse de tk. En de l’ordre de 10–35 mètre. Le rayon d’un
vers son état fondamental en émettant d’autres termes, un trou noir rayonne à trou noir d’une masse solaire étant de
un très grand nombre de photons. la façon d’un objet chauffé à cette tempé- l’ordre de trois  kilomètres, cet astre est
rature, cette dernière étant inversement doté d’une entropie gigantesque, bien su-
LES ÉTATS proportionnelle à la masse du trou noir. périeure à celle du Soleil.
MICROSCOPIQUES En combinant ce résultat avec les Cette découverte de la radiation des
DES TROUS NOIRS lois de la thermodynamique, S.  Haw- trous noirs soulève plusieurs questions.
Dans le second volet de son travail, king a validé l’idée de J. Bekenstein selon La première concerne le destin d’un trou
S. Hawking démontre que l’effondrement laquelle les trous noirs ont une entro- noir. Puisque cette radiation entraîne
gravitationnel d’une étoile entraîne, après pie proportionnelle à la surface de leur une diminution de la masse, un trou noir
une période transitoire, l’émission d’un
flux constant de photons dont le spectre
est précisément fixé par le rapport R(n). Les trous noirs ont une entropie
On constate donc que la mécanique quan-
tique récupère les propriétés classiques
proportionnelle à la surface
de la diffusion tout en leur conférant une de leur horizon
nouvelle interprétation : en l’occurrence,
la diffusion anomale des ondes conduit
à une production spontanée de paires de horizon. Plus précisément, les calculs plongé dans le vide s’évaporera progres-
photons. Ce résultat est général, la radia- montrent que leur entropie est égale au sivement. De plus, comme sa tempé-
tion de Hawking n’en étant qu’une illus- quart de l’aire de leur horizon exprimée rature est inversement proportionnelle
tration parmi d’autres exemples, que l’on en longueur de Planck au carré. Rappe- à sa masse, ce processus d’évaporation
peut trouver en optique quantique. lons que les unités introduites par Planck s’accélérera et deviendra explosif. Que
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restera-t-il à la fin ? Un mini trou noir,
une singularité nue qui serait le vestige de
la singularité centrale, ou encore rien du Temps
tout ? On doit ici reconnaître notre inca-
pacité à y répondre. Temps
La deuxième question concerne la
nature des états microscopiques dont le Quantum Horizon
grand nombre serait à l’origine de l’entro- absorbé cosmologique

«Pa
pie des trous noirs ? De nombreuses pro- «Partenaire»

rten
émis lors
positions ont été avancées, mais aucune

aire
d’une transition
n’est satisfaisante. La principale raison

»
de cet échec résulte de l’absence d’une
théorie quantique de la gravitation qui
soit véritablement prédictive. Une autre
raison serait que la radiation de Haw-
king est un cas particulier d’une classe
Atome
de phénomènes quantiques qui dépasse Horizon uniformément Observateur
la physique des seuls trous noirs. Ainsi, de l’atome accéléré accéléré
selon Theodore Jacobson, de l’Univer-
sité du Maryland, les lois de la thermo-
L’effet Unruh (à gauche). L’espace-temps de Minkowski est représenté tel qu’il est perçu par
dynamique des trous noirs pourraient un atome uniformément accéléré dans un système de coordonnées tel que cet atome y soit
n’être qu’un cas particulier de lois ther- au repos : sa trajectoire est une droite verticale (en jaune). Dans ce système, les trajectoires
modynamiques qui s’appliqueraient en suivies par les rayons lumineux (en rouge) sont similaires à celles près de l’horizon d’un
chaque point de l’espace-temps. Hélas, trou noir. À un instant donné, l’horizon est un plan infini et non plus une sphère : ce plan
par cette audacieuse généralisation, les est comme la limite d’un horizon de trou noir lorsque son rayon de Schwarzschild tend
vers l’infini. L’espace-temps de De Sitter (à droite) est représenté dans un système de
questions posées par la radiation de coordonnées centré sur l’observateur inertiel dont la trajectoire est ici une droite verticale.
Hawking se retrouvent elles aussi géné- L’horizon est une sphère centrée sur l’observateur. Celui-ci reçoit le « partenaire » du photon
ralisées, et toujours sans réponse. Pour qui s’échappe à l’infini. Le spectre de ces deux photons est identique et thermique.
justifier cette généralisation, présentons
maintenant deux effets quantiques qui
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ont été découverts à la suite du travail de radiation auquel il est couplé est vide auxquelles il est couplé sont diffusées
de S. Hawking. de photons. En présence de photons, cet exactement de la même façon que le
Dès sa parution, ce travail a sus- atome peut bien sûr absorber l’un d’eux sont les ondes près de l’horizon d’un
cité un grand intérêt et de nombreux et devenir excité. Mais lorsqu’il est accé- trou noir. Pour cet atome, tout se passe
développements dont le dénominateur léré, même plongé dans le vide, l’atome comme s’il y avait un horizon qui
commun est la présence d’un horizon va spontanément s’exciter en émettant un émette un rayonnement thermique, à
qui sépare l’espace-temps en deux ré- photon. Une telle transition est semblable l’instar de l’horizon d’un trou noir. On
gions « étanches ». Dans ces situations, à la production spontanée de la radiation en déduit que la radiation de Hawking
on trouve des effets thermiques dont la de Hawking. Notons qu’une partie de n’est pas tant associée aux trous noirs
température est fixée par l’inverse du l’énergie mécanique utilisée pour imposer eux-mêmes qu’à leur horizon, et à la
temps de demi-vie tk associé à l’horizon. la trajectoire est dissipée par ces transi- façon dont celui-ci est perçu par des
tions, comme l’est la masse d’un trou noir. observateurs éloignés. Cette leçon est
L’EFFET UNRUH Lorsque la trajectoire est unifor- renforcée par l’exemple suivant.
En  1976, William Unruh, aujourd’hui à mément accélérée, W. Unruh a montré
l’Université de Colombie-Britannique, à que cet atome perçoit le vide de pho- DANS L’ESPACE
Vancouver, au Canada, a découvert un tons comme s’il contenait un bain de DE DE SITTER
effet qui offre de nombreuses similitudes photons isotrope et thermique avec L’espace-temps de De Sitter est un es-
avec la radiation des trous noirs. Un atome une température proportionnelle à pace cosmologique simple, car le para-
mètre H de la loi de Hubble ne dépend
Un atome accéléré, même plongé pas du temps. Rappelons que cette
loi (v  =  Hd) relie la vitesse de réces-
dans le vide, va spontanément s’exciter sion v des galaxies éloignées d’une dis-
en émettant un photon : c’est l’effet Unruh tance d. Dans notre Univers, la valeur
de H n’a fait que décroître. Un obser-
vateur inertiel plongé dans cet univers
qui se déplace de façon inertielle (recti- son accélération  a (celle-ci est reliée perçoit un horizon sphérique dont
ligne et uniforme) dans l’espace-temps au temps de demi-vie  tk par a  =  c/tk). le rayon rH (l’équivalent du rayon de
de Minkovski (la relativité générale n’est Ce résultat peut se comprendre ainsi : Schwarzschild pour un trou noir) est
pas prise en compte) reste à jamais dans suite à son accélération, l’atome perçoit égal à  c/H. Ce rayon est donc à une
son état fondamental tant que le champ un horizon où les ondes lumineuses distance telle de l’observateur que la
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L’AUTEUR vitesse de récession y est égale à la vi- horizon quantifierait les états microsco-
tesse de la lumière c. piques inaccessibles aux observateurs
Cet horizon est centré sur l’obser- qui perçoivent cet horizon, et donc in
vateur inertiel, ce qui pourrait lui don- fine que l’entropie d’un trou noir ne se-
ner l’illusion qu’il est placé au centre rait que l’entropie de son horizon per-
Renaud Parentani est professeur de l’Univers. Imaginons que cet obser- çu par des observateurs éloignés. L’ef-
à l’Université de Paris-Sud (Orsay) vateur se munisse d’un atome, tel celui fet Unruh et les effets thermiques dans
et rattaché au Laboratoire
de Physique Théorique.
utilisé pour mettre en évidence l’effet l’espace de De Sitter sont deux exemples
Unruh. Il constatera que cet atome at- parmi d’autres qui illustrent le caractère
teint spontanément une température fécond du travail de Hawking, et la pro-
fixée par  H tout comme celle de l’effet fondeur des questions qu’il soulève. Au-
Unruh l’était par l’accélération a, et celle jourd’hui encore les résultats de ce tra-
de Hawking par l’inverse du temps de vail motivent et orientent les recherches.
BIBLIOGRAPHIE
demi-vie tk. Article publie dans le Dossier
S. Weinfurtner et al., Measurement of Cette correspondance révèle que Pour la Science n° 74, avril-Juin 2012
stimulated Hawking emission in an l’on a affaire à un seul et même phéno-
analogue system, in Phys. Rev. Lett., mène dans trois situations différentes.
vol. 106, 021302, 2011.
Ce constat est renforcé par le fait que les
T. Jacobson, Thermodynamics of lois de la thermodynamique des trous
spacetime : the Einstein equation of state,
in Phys. Rev. Lett., vol 75, pp. 1260- noirs s’appliquent aussi à l’horizon cos-
1263, 1995. mologique de De Sitter. On est donc
W. Unruh, Experimental black-hole parfaitement en droit de se reposer la
evaporation ?, in Phys. Rev. Lett., vol. 46, question : quels sont les états micros-
pp. 1351-1353, 1981. copiques dont le grand nombre serait à
S. Hawking, Black holes explosions ? in l’origine de l’entropie cet horizon ?
Nature, vol. 248, pp. 30-31, 1974. La difficulté est ici de taille, car cet
R. Parentani et Ph. Spindel, Hawking horizon n’est pas là en-soi, il n’est perçu
radiation (et articles reliés), sur comme tel que par l’observateur inertiel
Scholarpedia : en question. Ce fait troublant soutient la
www.scholarpedia.org/
article/Hawking_radiation conjecture selon laquelle l’entropie d’un
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On définit souvent les « trous noirs » comme
des régions d’où rien ne peut s’échapper,
pas même la lumière. Il existe cependant
quelques raisons de penser que des particules
peuvent en sortir, par « effet tunnel ».
Stephen Hawking

Physique théorique

La mécanique quantique
des trous noirs
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41
A
u cours des trente en revanche, fut longtemps délaissée très brillants, beaucoup plus brillants
premières années parce qu’elle semblait d’une trop grande qu’une galaxie tout entière ; les pulsars
de ce siècle, trois complexité mathématique, qu’elle n’était sont constitués par les restes clignotants
nouvelles théories pas susceptible de vérification en labo- d’une supernova après qu’elle a explosé :
ont bouleversé non ratoire et que c’était une théorie « clas- ce sont très probablement des étoiles
seulement l’idée que sique » apparemment incompatible avec à neutrons d’une extrême densité ; les
l’homme se faisait de la mécanique quantique. La relativité gé- sources compactes de rayons X, décou-
la physique, mais également sa conception nérale resta donc un peu « en sommeil » vertes grâce aux instruments placés à
du monde réel. Aujourd’hui encore, les pendant une cinquantaine d’années. bord des véhicules spatiaux, seraient,
physiciens en explorent les conséquences Vers les années 1960, le développe- elles aussi, des étoiles à neutrons ou des
et tentent de les réunir en un tout cohé- ment considérable des observations as- objets hypothétiques de densité encore
rent. Ces trois théories sont : la théorie de tronomiques suscita un regain d’intérêt plus élevée, des « trous noirs », appelés
la relativité restreinte (1905), la théorie pour la théorie classique de la relativité encore « astres occlus ».
de la relativité générale (1915) et celle de
la mécanique quantique (1926). Albert
Einstein fut, pour une part majeure , l’au-
Dans les années 1960, le développement
teur de la première, l’unique inventeur de des observations suscita un regain d’intérêt
la seconde et joua un rôle prépondérant
dans le développement de la troisième.
pour la théorie de la relativité générale
Néanmoins, Einstein n’accepta jamais
totalement la mécanique quantique, en générale : en effet la plupart des phé- Les physiciens devaient utiliser la re-
raison de l’élément de probabilité et d’in- nomènes découverts alors, tels que les lativité générale pour mieux comprendre
certitude qu’elle introduisait. La formule quasars, les pulsars et les sources com- la structure de ces objets, qu’ils soient
célèbre « Dieu ne joue pas aux dés » résume pactes de rayons X, mettaient en jeu récemment découverts ou seulement de
son sentiment. La plupart des physiciens des champs de gravitation très intenses nature hypothétique ; il fallait toutefois
cependant, acceptèrent immédiatement qui ne pouvaient être étudiés que dans que cette théorie soit compatible avec
et la relativité restreinte et la mécanique le cadre de la relativité générale. Les celle de la mécanique quantique. Récem-
quantique parce que ces deux théories quasars, s’ils sont aussi éloignés que le ment, divers travaux ont fait naître l’espoir
décrivaient des phénomènes directe- décalage vers le rouge de leur spectre le qu’avant peu on disposerait d’une théorie
ment observables. La relativité générale, laisse supposer, sont des objets stellaires quantique de la gravitation satisfaisante,
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42
L’EFFONDREMENT D’UNE ÉTOILE MASSIVE
Cette évolution est représentée
schématiquement à partir d’un rayon
initial de l’étoile égal à 3 millions
de kilomètres (environ 5 fois le rayon
du Soleil) jusqu’à ce que le rayon atteigne
30 kilomètres. Pour cette valeur, l’étoile
disparaît derrière l’horizon qui définit les
limites extérieures d’un trou noir. L’étoile
continue à s’effondrer et engendre ce qu’il
est convenu d’appeler une singularité
spatio-temporelle, dont la physique reste
inconnue. La série de 6 petits cercles
représente les fronts d’onde
de la lumière, émise à partir des différentes
surfaces représentées, un instant
avant que le rayon de l’étoile n’atteigne
chacune des valeurs représentées.
Les rayons successifs de l’étoile et des
fronts d’onde sont représentés dans une
échelle logarithmique. À chaque étape
de l’effondrement, le front d’onde tombe
davantage à l’intérieur du volume
de l’étoile, alors que la vitesse de libération
augmente depuis 1 000 kilomètres
par seconde, jusqu’à 300 000 kilomètres
par seconde (vitesse de la lumière) ; cette
dernière valeur est atteinte lorsque l’étoile
disparaît à travers l’horizon. La lumière
émise ensuite ne parvient plus à un
observateur situé à l’extérieur du trou noir.

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en accord avec la relativité générale dans d’une telle étoile est d’environ 1 000 kilo- la théorie de la relativité restreinte, au-
le domaine des objets microscopiques, mètres par seconde. Cela signifie qu’un cun corps ne peut se déplacer à une vi-
et débarrassée, du moins peut-on l’espé- objet lancé verticalement vers le haut, à tesse supérieure à celle de la lumière ; si
rer, des difficultés mathématiques qui partir de la surface de l’étoile, avec une la lumière ne peut s’échapper d’une telle
infestent les autres théories quantiques vitesse inférieure à 1000 km/s, est retenu région de l’espace, a fortiori aucun autre
du champ. Ces travaux traitent des effets par le champ gravitationnel de l’étoile et corps. Le résultat final de cette évolu-
tion serait un trou noir, c’est-à-dire une
région de l’espace-temps d’où il n’est pas
Le rayon de l’horizon d’un trou noir possible de s’échapper. La frontière limi-
dépend de la masse de l’étoile effondrée tant cette région est « l’horizon » du trou
noir. Elle correspond au front d’onde de
la lumière émise à partir de l’étoile, qui
quantiques liés aux trous noirs et per- retombe sur sa surface ; en revanche un ne peut s’éloigner à l’infini et se trouve
mettent de relier de façon remarquable objet lancé avec une vitesse supérieure à confinée à une distance du point d’émis-
les trous noirs aux lois de la thermody- cette valeur s’échappe de l’attraction de sion égale au « rayon de Schwarzschild »,
namique. l’étoile et va à l’infini. dont la valeur est 2 GM/c 2, où G est la
Décrivons brièvement la formation Lorsque l’étoile a épuisé son com- constante de gravitation universelle, M
d’un trou noir. Imaginons une étoile bustible nucléaire, la pression interne la masse de l’étoile et c la vitesse de la lu-
ayant une masse égale à dix fois celle du diminue et l’étoile commence à s’effon- mière. Pour une étoile d’environ dix fois
Soleil. Pendant la plus grande partie de drer sous l’effet de sa propre gravitation. la masse du Soleil, le rayon de Schwarz-
sa vie, soit environ 1 milliard d’années, le Au fur et à mesure que l’étoile se ramasse schild est d’environ 30 km.
centre de l’étoile engendre de la chaleur sur elle-même, le champ gravitationnel
par fusion thermonucléaire (conversion à sa surface s’accroît et la vitesse de libé- DES TROUS NOIRS À FOISON
d’hydrogène en hélium). L’énergie ain- ration augmente. La vitesse de libéra- Un faisceau de preuves expérimentales
si dégagée crée une pression suffisante tion est égale à la vitesse de la lumière convergentes laisse à penser qu’il existe
pour empêcher l’implosion de l’étoile (300 000 km/s) lorsque le rayon atteint la des trous noirs de cette taille dans les sys-
sous l’effet de sa propre gravitation : ce valeur de 30 km ; en deçà de cette valeur tèmes à étoile double, tels que la source
processus conduit à un astre dont le toute lumière émise à partir de l’étoile de rayons X connue sous le nom de Cy-
rayon est environ cinq fois celui du So- est retenue par le champ gravitationnel gnus X-1, pourrait également exister
leil. La vitesse de libération à la surface et ne peut s’échapper à l’infini. Or, selon un assez grand nombre de trous noirs
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beaucoup plus petits, dispersés dans l’horizon du trou noir ainsi formé est avons mis en évidence une loi analogue
l’Univers, qui se seraient formés à par- supérieure à la somme des surfaces des reliant la variation de la masse d’un trou
tir de l’effondrement, non pas d’étoiles, horizons des deux trous noirs initiaux. noir et la variation de la surface de son
mais de régions de haute densité. Ces Ces deux propriétés suggèrent une ana- horizon. Le facteur de proportionnalité
régions denses auraient existé dans le logie entre la surface de l’horizon d’un reliant ces deux quantités est une quan-
milieu chaud et dense résultant de l’ex- trou noir et le concept thermodyna- tité appelée « gravitation de surface », qui
plosion originelle (appelée « big bang ») mique d’entropie. L’entropie d’un sys- est une mesure de l’intensité du champ
qui a donné naissance à l’Univers. De tème est une mesure du désordre qui y gravitationnel au niveau de l’horizon. Si
tels trous noirs « originels » présentent, règne ou encore une mesure de l’igno- l’on admet que la surface de l’horizon
comme on le verra par la suite, des effets
quantiques du plus haut intérêt. Un trou
noir de milliard de tonnes (à peu près la Un trou noir n’a pas d’aspérité
masse d’une montagne) aurait un rayon
d’environ 10–13  centimètre, c’est-à-dire rance concernant son état précis. La correspond à l’entropie, la gravitation
la taille d’un neutron ou d’un proton. Il célèbre seconde loi de la thermodyna- de surface correspond à la température.
pourrait être en orbite autour du Soleil, mique enseigne que l’entropie d’un sys- L’uniformité de la gravitation de surface
ou autour du centre de la galaxie. tème augmente toujours avec le temps. en tout point de l’horizon permet de
James M. Bardeen, de l’Université lui faire correspondre la température,
THERMODYNAMIQUE de Washington, Brandon Carter, actuel- également uniforme en tout point d’un
ET TROUS NOIRS lement à l’Observatoire de Meudon, et corps en équilibre thermique.
La première suggestion concernant un moi-même avons étudié les correspon- Il existait ainsi une analogie ma-
lien possible entre les trous noirs et la dances entre les propriétés des trous nifeste entre l’entropie et la surface de
thermodynamique a été émise en 1970 : noirs et les lois de la thermodynamique. l’horizon d’un trou noir ; toutefois, nous
c’est la découverte mathématique se- La première loi de la thermodynamique ne comprenions pas encore très bien la
lon laquelle la surface de l’horizon énonce qu’une petite variation d’entropie signification physique réelle de l’entro-
constituant la frontière d’un trou noir d’un système s’accompagne d’une varia- pie associée à un trou noir. En  1972,
croît lorsque matière ou rayonnement tion proportionnelle de son énergie. Le Jacob D. Bekenstein, alors étudiant à
tombent dans le trou noir ; de plus, si coefficient de proportionnalité entre ces l’Université de Princeton et, maintenant
deux trous noirs entrent en collision deux grandeurs est la température du à l’Université du Néguev, en Israël, sug-
et se fondent en un seul, la surface de système. Bardeen, Carter et moi-même géra le théorème suivant : lorsqu’un trou
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45
HORIZON DES TROUS NOIRS ET ENTROPIE

Il existe une analogie entre la surface de l’horizon des trous noirs (à droite) la surface de l’horizon du trou noir résultant est supérieure
et l’entropie. Lorsque de la matière tombe dans un trou noir à la somme des surfaces des horizons des trous noirs initiaux. La
(à gauche, le temps s’écoulant de bas en haut) la surface de seconde loi de la thermodynamique (principe de Carnot) énonce que
l’horizon augmente. Si deux trous noirs fusionnent en un seul l’entropie d’un système isolé augmente toujours avec le temps.

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noir est engendré par effondrement gra- fait, si on néglige les effets quantiques,
vitationnel, il prend rapidement un état le nombre de configurations initiales
stationnaire qui n’est caractérisé que par possibles est infini, puisque le trou noir
trois paramètres : la masse, le moment pourrait avoir été formé par l’effon-
angulaire et la charge électrique ; en de- drement d’un nuage constitué par un
hors de ces trois paramètres, le trou noir nombre infiniment grand de particules
ne conserve aucun détail de l’objet ayant de masse infiniment petite.
subi l’effondrement ; cette propriété très Cependant, selon le principe d’in-
importante, résumée de manière ima- certitude de la mécanique quantique, une
gée par le théorème « un trou noir n’a particule de masse m se comporte comme
pas d’aspérités », a été confirmée par les une onde de longueur d’onde h/mc, où h
travaux de Carter, Werner Israel (Uni- est la constante de Planck (nombre égal
versité d’Alberta), David C. Robinson à 6,62 x 1 027 erg-seconde) et c la vitesse
(King’s College, Londres) et moi-même. de la lumière. Pour qu’un nuage de par-
ticules puisse constituer, après effondre-
UN NOMBRE FINI ment, un trou noir, il est nécessaire que
DE CONFIGURATIONS cette longueur d’onde soit plus courte
D’après le théorème précédent, on perd que la taille d’un trou noir formé. Il en
une grande quantité d’informations lors résulte que le nombre de configurations
de l’effondrement gravitationnel d’un qui peuvent donner naissance à un trou
corps. Par exemple, l’état final du trou noir de masse, de moment angulaire et
noir est indépendant de la constitution de charge donnés, est certes très grand
initiale du corps, qu’il soit composé de mais néanmoins fini. Bekenstein propo-
matière ou d’antimatière, et que sa forme sa d’identifier le logarithme de ce nombre
soit sphérique ou très irrégulière. En de configurations initiales possibles avec
d’autres termes, un trou noir de masse, l’entropie du trou noir. Ce logarithme se-
de moment angulaire et de charge élec- rait une mesure de la quantité d’informa-
trique donnés, peut avoir été formé par tions irrémédiablement perdue lorsque
effondrement d’une multitude de confi- la matière constituant le trou noir tra-
gurations matérielles différentes. En verse l’horizon.
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47
DES PAIRES DE PARTICULES VIRTUELLES À L’ORIGINE DU RAYONNEMENT DES TROUS NOIRS

L’espace-temps vide est rempli de paires virtuelles de particules néanmoins mesurer leurs effets indirects. À proximité d’un trou noir,
(en noir) et d’antiparticules (en magenta). Les éléments d’une paire une composante d’une paire particule-antiparticule peut tomber dans
naissent simultanément en un point de l’espace-temps, s’éloignent celui-ci, laissant l’autre élément de la paire isolé, sans partenaire pour
puis se rapprochent et enfin s’annihilent entre elles (à gauche). Ces s’annihiler (à droite). Si cet élément ne suit pas son partenaire dans le
paires sont qualifiées de virtuelles car, contrairement aux particules trou noir, il peut s’échapper jusqu’à l’infini. Le trou noir apparaÎt ainsi
réelles, elles ne peuvent pas être détectées directement. On peut comme émettant à la fois des particules et des antiparticules.

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48
Le raisonnement de Bekenstein je dus me résigner à accepter son exis- des particules « réelles », on ne peut pas
semblait hélas contenir une difficulté tence ; je fus définitivement convaincu les déceler au moyen d’un détecteur de
apparemment irréductible. En effet, si de la réalité physique du phénomène particules. On peut néanmoins en ob-
un trou noir possède une entropie finie par la nature « thermique » du spectre server les effets indirects : leur existence
proportionnelle à la surface de l’hori- d’émission des particules. Le trou noir a été confirmée par le petit décalage
zon, il doit aussi posséder une tempé- crée et émet un rayonnement et des (effet Lamb) qu’elles produisent dans
rature finie, proportionnelle à la gravi- particules, tout comme un corps chaud le spectre de la lumière émise par des
tation de surface. Il est donc nécessaire ordinaire qui posséderait une tempéra- atomes d’hydrogène excités.
que le trou noir soit en équilibre avec ture proportionnelle à sa gravitation de
un rayonnement thermique, à une tem- surface et inversement proportionnelle DES PAIRES DE PARTICULES
pérature différente de zéro. Selon les à sa masse. Cette découverte élimina le VIRTUELLES SÉPARÉES
concepts classiques, un tel équilibre paradoxe qui infirmait la proposition En présence d’un trou noir, l’un des
est impossible puisque, par définition, de Bekenstein : le trou noir possède une éléments d’une paire de particules « vir-
le trou noir absorbe tout rayonnement entropie finie, puisqu’il peut être en tuelles » peut « tomber » dans le trou noir,
thermique qu’il reçoit sans qu’il puisse équilibre thermique à une température et laisser toute seule l’autre particule dé-
émettre quoi que ce soit en retour. finie autre que zéro degré. La réalité ma- pourvue du partenaire qui la détruisait.
thématique de l’émission thermique des La particule ou l’antiparticule abandon-
LE RAYONNEMENT THERMIQUE trous noirs a été depuis confirmée par née peut suivre sa partenaire dans le
DES TROUS NOIRS un grand nombre de chercheurs et dif- trou noir, mais elle peut aussi s’échapper
Ce paradoxe a subsisté jusqu’au début férentes approches du phénomène. à l’infini, et elle apparaît alors comme
de 1974. Je m’intéressais à cette époque On peut comprendre cette émis- un élément du rayonnement émis par le
au comportement quantique de la ma- sion de la manière suivante : selon la trou noir.
tière au voisinage d’un trou noir et je théorie quantique il se crée en perma- Selon une autre interprétation de
découvris, à ma grande surprise, qu’un nence, et même dans le vide absolu, ce phénomène, une des deux particules
trou noir semblait émettre en perma- des paires « virtuelles » comprenant une qui tombe dans le trou noir, par exemple
nence des particules ! Comme tout le particule et une antiparticule. Les parti- l’antiparticule, est une particule réelle
monde alors, je tenais pour acquis qu’un cules constituant une paire se séparent qui remonte le temps ; l’antiparticule qui
trou noir ne pouvait rien émettre. Mes d’abord et se réunissent ensuite pour tombe dans le trou noir, peut être consi-
efforts théoriques pour me débarrasser s’annihiler l’une l’autre. Ces particules dérée comme une particule qui sort du
de ce terme émissif restèrent vains et sont dites « virtuelles », car, à la différence trou noir mais qui remonte le temps.
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49
DES PARTICULES QUI REMONTENT LE TEMPS DES MICRO-TROUS NOIRS PRIMORDIAUX

Plusieurs interprétations peuvent expliquer pourquoi un trou noir


émet des particules. Une explication s’appuie sur la formation d’une
paire virtuelle particule-antiparticule dont l’un des éléments est piégé Des trous noirs de la taille d’une particule élémentaire et pesant
dans le trou noir alors que l’autre s’en échappe (à gauche). Selon une un milliard de tonnes pourraient avoir été formés juste après le « big
autre explication, on considère qu’une antiparticule tombant dans bang ». D’une température de 70 milliards de degrés, ils devraient
un trou noir est l’équivalent d’une particule normale qui remonte le émettre du rayonnement gamma. Les observations gamma (points
temps en sortant du trou noir (à droite). Une fois à l’extérieur, cette et zone grise ci-dessus) indiquent que la densité de ces trous noirs
particule est diffusée par le champ de gravitation ; elle est transformée primordiaux doit être inférieure à 1 million par année-lumière au cube.
en une particule descendant le temps, qui s’échappe alors à l’infini. La courbe rouge correspond au spectre déduit d’une telle densité.
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50
Lorsque la particule atteint le point où détaillés démontrent que les particules et des gravitons (les gravitons seraient
la paire particule-antiparticule se maté- émises possèdent un spectre thermique les particules transmettant les forces
rialisait initialement, elle est diffusée par qui correspond à une température en de gravitation). Un trou noir « origi-
le champ de gravitation, et se met alors augmentation rapide quand la masse du nel » dégagerait une puissance d’environ
à descendre le temps. trou noir décroît. 6 000 mégawatts, soit la puissance de six
Ainsi, la théorie quantique, contrai- Pour un trou noir ayant la masse grandes centrales nucléaires.
rement à la mécanique classique, per- du Soleil, la température associée n’est La masse et la taille d’un trou noir
met à une particule de s’échapper d’un que d’un dix-millionième de degré au- diminuent quand celui-ci émet des par-
trou noir. Ce n’est d’ailleurs pas le seul dessus du zéro absolu. Le rayonnement ticules. Cette diminution favorise à son
domaine de la physique atomique ou thermique qui s’échappe d’un trou noir tour la fuite des particules, de sorte que
nucléaire où des barrières, qui semblent à cette température est complètement l’émission se poursuit à un rythme accé-
infranchissables par les particules noyé dans le bruit de fond du rayonne- léré, jusqu’à disparition finale du trou
lorsqu’on s’en tient aux principes clas- ment de l’Univers. Mais pour un trou noir. Cette mort inéluctable est le des-
siques, deviennent perméables lorsque noir dont la masse serait seulement tin de tout trou noir. La durée de vie des
l’on fait intervenir les principes de la égale à un milliard de tonnes, c’est-à- trous noirs de grande taille est cepen-
mécanique quantique. dire un trou noir « originel » de la taille dant très longue : environ 1 066 ans pour
un trou noir de la taille du Soleil. En re-
vanche, les trous noirs originels doivent
Un trou noir originel dégagerait une se consumer entièrement en quelque
puissance d’environ 6 000 mégawatts 10 milliards d’années après l’explosion
originelle qui aurait donné naissance à
l’Univers. De tels trous noirs devraient
L’épaisseur de la barrière associée d’un proton, la température serait de de nos jours émettre des rayons gamma
à un trou noir est proportionnelle à la quelque 120 milliards de degrés Kelvin, durs dont l’énergie est d’environ 100 mil-
masse de ce trou noir. Seul, un très petit ce qui correspond à une énergie d’envi- lions d’électronvolts.
nombre de particules peut s’échapper ron 10 millions d’électronvolts. À une Don N. Page (California Institute
d’un trou noir de la taille de celui que l’on telle température, un trou noir serait of Technology) et moi-même avons cal-
situe dans Cygnus X-1 ; en revanche, les capable d’engendrer des paires électron- culé la densité moyenne des trous noirs
particules s’échappent assez rapidement positon et des particules de masse nulle, originels dans l’Univers. Ces calculs
de trous noirs plus petits. Des calculs telles que des photons, des neutrinos utilisent des mesures effectuées à bord
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du satellite SAS-2 sur le bruit de fond particules élémentaires, de masse de
cosmique (rayonnement gamma) et plus en plus élevée. Alors, selon cette
montrent qu’il y a moins de deux cents théorie, lorsque le trou noir rapetis-
trous noirs originels dans un cube d’une serait et s’échaufferait, il émettrait un
année-lumière de côté. Si les trous noirs nombre de plus en plus grand de par-
sont concentrés dans le halo des galaxies ticules de types différents, entraînant
– cet étroit nuage constitué d’étoiles en une explosion 100 000 fois plus puis-
mouvement rapide entourant chaque sante que celle correspondant à l’hypo-
galaxie – au lieu d’être uniformément thèse des quarks. L’observation de l’ex-
répartis, la densité locale des trous noirs plosion d’un trou noir pourrait fournir
autour de nous pourrait être un million de très importantes informations sur la
de fois plus grande. Dans cette hypo- physique des particules élémentaires,
thèse, le trou noir le plus proche de la informations qu’il semble impossible
Terre serait probablement au moins d’obtenir autrement.
aussi éloigné que Pluton.
L’étape finale du processus de dis- UNE EXPLOSION GAMMA
parition d’un trou noir serait si rapide L’explosion d’un trou noir engendrerait
qu’elle s’achèverait dans une formidable un flux considérable de rayons gamma à
explosion dont la puissance dépendrait haute énergie. On pourrait bien entendu
du nombre d’espèces différentes de par- les capter avec des détecteurs de rayons
ticules existantes. Si, comme on l’admet gamma disposés à bord de satellites ou de
généralement, toutes les particules sont ballons ; il serait toutefois difficile d’em-
constituées à partir de six espèces dif- barquer un détecteur de dimensions suf-
férentes de quarks, une explosion finale fisantes pour intercepter avec une proba-
aurait une énergie équivalant à environ bilité raisonnable un nombre important
10 millions de bombes à hydrogène de photons gamma provenant d’une telle
d’une mégatonne chacune. Cependant, explosion. Une solution consisterait à
une autre théorie des particules élé- utiliser une navette spatiale pour mettre
mentaires, avancée par R. Hagedorn en orbite un grand détecteur. Une autre
du CERN, prévoit un nombre infini de solution, plus simple et moins coûteuse,
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consisterait à utiliser la haute atmosphère pas de prouver l’existence de trous noirs l’élément des paires particule-antiparticule
comme détecteur : un rayon gamma de originels, elles seront enrichissantes. Si ces qui possède une charge de signe opposé à la
haute énergie traversant l’atmosphère crée observations fixent une valeur basse à la sienne et à repousser l’élément dont la charge
une avalanche de paires électrons-posi- limite supérieure de la densité de tels trous est de même signe. Le trou noir émettra
tons, qui, initialement, se propage à tra- noirs, l’Univers, à sa naissance, devait être donc de préférence des particules dont la
vers l’atmosphère à une vitesse supérieure très calme et peu turbulent. charge aura le même signe que la sienne, ce
à celle de la lumière dans le milieu (la lu- L’explosion originelle « big bang » qui aura pour effet de lui faire perdre rapi-
mière y est ralentie par interaction avec les ressemblerait à l’explosion d’un trou noir, dement sa charge. De même, si la matière
molécules d’air). Les électrons et les posi- mais à plus vaste échelle. On peut espé- soumise à l’effondrement possède un mo-
tons vont alors provoquer une espèce de rer qu’une meilleure compréhension du ment angulaire global, le trou noir résultant
« bang » sonique, ou onde de choc, de type mécanisme d’émission des particules par sera animé d’un mouvement de rotation et
électromagnétique. On peut détecter une un trou noir améliorera notre compré- émettra de préférence des particules possé-
telle onde de choc (effet Cerenkov) en me- hension de la création de la matière au dant un moment angulaire. La raison pour
surant l’éclair de lumière visible auquel elle moment du « big bang ». Dans un trou laquelle un trou noir « se souvient » de la
donne naissance.
Une expérience préliminaire effec-
tuée par Neil A. Porter et Trevoc C. Weekes
La matière a pu d’abord s’effondrer puis
(University College, Dublin), montre que être ensuite recréée dans le « big bang »
si les trous noirs explosent selon le proces-
sus prévu par la théorie de Hagedorn, il y noir, si la matière disparaît et est à jamais charge électrique, du moment angulaire et
a, par siècle et dans la région de la galaxie perdue, une nouvelle matière est recréée. de la masse de la matière qui s’est effondrée,
que nous occupons, moins de deux explo- Il est donc possible que dans une phase et « oublie » les autres caractéristiques, tient
sions de trous noirs par année-lumière- primitive de l’Univers la matière se soit à ce que ces trois quantités sont couplées
cube, c’est-à-dire dans un cube d’une « effondrée » pour être ensuite recréée au à des champs à longue portée, à savoir le
année-lumière de côté. Ceci impliquerait moment de l’explosion originelle. champ électromagnétique pour la charge,
une densité de trous noirs originels infé- Si la matière qui donne naissance à un et le champ de gravitation pour le moment
rieure à 100 millions par « année-lumière- trou noir par effondrement possède une angulaire et la masse.
cube » Il devrait être possible d’améliorer charge électrique globale, le trou noir résul- Les expériences réalisées par Ro-
considérablement la sensibilité de ces ob- tant possède la même charge. Cela signi- bert H. Dicke (Université de Princeton)
servations ; même si elles ne permettent fie que le trou noir aura tendance à attirer et Vladimir Braginsky (Université d’État
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de Moscou) ont montré qu’il n’y avait pas franchissent par effet tunnel le mur formé on peut prévoir simultanément la position
de champ à longue portée associé à l’effet par le trou noir, proviennent d’une région et la vitesse d’une particule. En mécanique
quantique appelé « nombre baryonique » sur laquelle un observateur extérieur n’a quantique, le principe d’incertitude inter-
(les baryons constituent une certaine aucun renseignement, sinon les valeurs dit de prévoir plus d’une seule de ces deux
classe de particules incluant le proton et de la masse, du moment angulaire et de la mesures ; l’observateur peut prévoir soit la
le neutron). En conséquence, un trou noir charge électrique. Il en résulte que toutes position future, soit la vitesse future, mais
formé à partir de l’effondrement d’une les combinaisons ou configurations de pas les deux. Éventuellement, il prévoit le
collection de baryons doit oublier son particules émises, qui ont la même éner- résultat d’une mesure combinant la position
nombre baryonique et rayonner autant gie, le même moment angulaire et la même et la vitesse. Un observateur n’a donc pas,
de baryons que d’antibaryons. En dispa- charge électrique, sont équiprobables. en réalité, toute latitude pour effectuer des
raissant, le trou noir devrait donc violer S’il n’est pas rigoureusement impossible mesures. La situation est encore pire avec les
trous noirs. Puisque les particules émises par
un trou noir proviennent d’une région dont
Einstein avait doublement tort l’observateur n’a qu’une connaissance limi-
en déclarant : « Dieu ne joue pas aux dés » tée, il lui est impossible de prévoir la position
ou la vitesse d’une particule ou une combi-
naison des deux ; tout ce qu’il peut calcu-
l’une des lois les plus chères à la physique que le trou noir émette un programme ler est la probabilité d’émission de certaines
des particules, à savoir la loi de conserva- de télévision ou les œuvres de Proust en particules. Il semble donc qu’Einstein avait
tion du nombre baryonique. dix volumes, le nombre de configurations doublement tort lorsqu’il déclarait  : « Dieu
Bien que l’hypothèse de Bekenstein de particules correspondant à ces cas ex- ne joue pas aux dés ». L’examen de l’émission
selon laquelle les trous noirs possèdent ceptionnels, est cependant extrêmement de particules à partir de trous noirs semble-
une entropie finie, requière, pour être faible. Le nombre de configurations le plus rait montrer que non seulement Dieu joue
conséquente, que les trous noirs rayonnent grand correspond, et de loin, à une émis- aux dés, mais que, parfois, il les jette dans des
thermiquement, il semble miraculeux que sion dont le spectre est thermique. abysses où l’on ne peut plus les voir !
des calculs précis de mécanique quan- L’émission de particules par les trous Cet article a été publié dans
tique, portant sur la création de particules, noirs présente un caractère d’incertitude Pour la Science n° 1 - Novembre 1977
aboutissent également à une émission à supplémentaire par rapport à l’incerti-
spectre thermique. L’explication de ce phé- tude habituelle, conséquence de la méca-
nomène est que les particules émises qui nique quantique. En mécanique classique,
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t
Les trous noirs détruisent-ils irrémédiablement
l’information portée par la matière qu’ils
engloutissent, en contradiction avec les principes
de la physique quantique ? Ce paradoxe défie
les physiciens depuis plus de 40 ans. Stephen
Hawking, Andrew Strominger et Malcolm Perry
proposent une nouvelle piste pour le résoudre.

Sean Bailly

Paradoxes

Trous noirs : une nouvelle


© Shutterstock.com/PatinyaS

piste pour le problème


de l’information
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Q
ue devient une lettre particulier, le rayonnement de Hawking une grande masse dans une région très
que vous jetez dans ne porte aucune information sur la ma- petite, ces astres sont le point de ren-
un trou noir ? Se- tière tombée dans le trou noir. En fin de contre de la relativité générale et de la
lon la théorie de la compte, notre message semble irrémé- mécanique quantique, deux théories
relativité générale, diablement perdu. jusqu’ici irréconciliables. L’étude des
lorsque votre texte Or, une telle conclusion est en trous noirs pourrait être la clé pour
franchit une cer- contradiction directe avec les principes construire une théorie quantique de la
taine limite, l’hori- de la physique quantique : l’information gravité. Un des obstacles est justement
zon des événements peut être transformée, mais elle n’est ja- la question de la perte d’information
du trou noir, il ne pourra jamais res- mais perdue. Il est toujours théorique- dans les trous noirs.
sortir, même s’il se déplaçait à la vitesse ment possible de reconstituer le message En 1997, une avancée importante
de la lumière. Il semble définitivement initial. Comment résoudre cette contra- a été réalisée par le physicien argentin
perdu... Mais dans les années 1970, Ste- diction ? Les physiciens qui se sont atta- Juan Maldacena. Il a montré qu’une
phen Hawking s’est intéressé aux effets qué à ce problème depuis 40 ans ont ex- procédure mathématique permettait
quantiques qui se manifestent près de ploré les aspects les plus étonnants de la de traduire une théorie incluant la gra-
l’horizon des événements et a démon- physique théorique, faisant appel à des vitation en une théorie équivalente
tré que, malgré les principes de la rela- concepts exotiques comme le « principe mais sans gravitation dans un espace
tivité générale, un faible rayonnement holographique » ou le « mur de feu ». Ste- comptant une dimension en moins.
s’échappe quand même du trou noir. En phen Hawking, avec Malcolm Perry, de Cette procédure est nommée principe
d’autres termes, il « s’évapore », et toute la l’université de Cambridge, au Royaume- de correspondance AdS/CFT ou prin-
matière à l’origine du trou noir ou tom- Uni, et Andrew Strominger, de l’univer- cipe holographique. Par exemple, le
bée dedans par la suite finit par en sortir sité Harvard, aux États-Unis, proposent système d’un trou noir dans un espace à
sous la forme de rayonnement. Alors, aujourd’hui une nouvelle solution. 4 dimensions peut être traduit en celui
peut-on récupérer notre message ? Hé- d’un gaz chaud d’atomes en 3 dimen-
las, le rayonnement prédit par Stephen L’APPROCHE sions. Le point crucial ici est que cette
Hawking est un rayonnement de corps HOLOGRAPHIQUE dernière formulation n’est régie que
noir (semblable au rayonnement ther- Les trous noirs sont une sorte de labo- par la physique quantique, qui garantit
mique émis par un métal chauffé), qui ratoire virtuel pour les physiciens, qui qu’il n’y a aucune perte d’information.
ne porte aucune information sur l’objet peuvent y mettre à l’épreuve leurs théo- Cette approche a permis de conclure
émetteur autre que sa température. En ries. En effet, comme ils concentrent qu’il n’y avait pas de perte d’informa-
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tion dans un trou noir. Ce raisonne- a été très relayée dans les médias mais softs d’énergie nulle, créant une multi-
ment a convaincu de nombreux cher- les physiciens, eux, attendaient de voir plicité de vides possibles. Ces derniers
cheurs, dont Stephen Hawking. les calculs pour évaluer les promesses. se distinguent par le moment cinétique
Reste à savoir comment l’infor- L’article est finalement paru début jan- des particules softs qu’ils contiennent.
mation tombée dans le trou noir s’en vier 2016 sur le serveur de prépublica- Quand Andrew Strominger a appli-
échappe si le rayonnement de Hawking tion arXiv. qué ce résultat à un trou noir qui s’éva-
ne dépend que de sa température ? De L’idée au cœur de cette étude a pore totalement, il a réalisé que dans ce
nombreuses pistes ont été proposées, émergé dans des travaux antérieurs cas également le vide obtenu n’est pas
mais aucune n’a encore vraiment permis d’Andrew Strominger. Celui-ci s’est unique et dépend de son contenu en
de résoudre le problème. Une des ap- intéressé à des transformations, nom- particules softs, ce qui est une infor-
proches les plus discutées ces dernières mées supertranslations, qui opèrent sur mation en soi. Cela ouvre une voie à
années conduit à un paradoxe que Joe l’espace-temps. Ces supertranslations la conservation d’information même si
Polchinski a tenté de résoudre en intro- avaient été étudiées dès  1962 par les un trou noir s’évapore totalement.
duisant la notion de mur de feu : l’ho- physiciens H. Bondi, M. van der Burg, Par ailleurs, les supertranslations
rizon des événements devient le siège A. Metzner et R. Sachs, et de façon dif- mettaient à mal un autre principe lié
d’une importante émission d’énergie, férente par Steven Weinberg en  1965. aux trous noirs. Un tel corps est norma-
de nature différente du rayonnement de Une conséquence de ces supertransla- lement caractérisé par seulement trois
Hawking. Mais même cette approche a tions est l’émergence de particules nom- paramètres : sa masse, son moment
des lacunes. mées gravitons softs et photons softs, cinétique et sa charge électrique. Il ne
présente aucune autre caractéristique, et
Les supertranslations mettent à mal deux trous noirs dont ces trois grandeurs
sont identiques sont strictement simi-
le « théorème de la calvitie » laires. Ce théorème a été surnommé le
« théorème de la calvitie ». Or, les super-
Stephen Hawking, lors d’une confé- qui sont toutes d’énergie nulle mais se translations imposent la conservation
rence à Stockholm en août 2015, a pré- distinguent les unes des autres par des de grandeurs supplémentaires même
senté les grandes lignes d’une nouvelle moments cinétiques différents. Ainsi, par le trou noir qui s’évapore. Chaque
piste qu’il a étudiée avec Malcolm Perry l’état de plus basse énergie (le « vide ») trou noir possèderait donc des caracté-
et Andrew Strominger. Comme toute d’un système physique n’est pas unique, ristiques supplémentaires, et donc une
annonce de Stephen Hawking, celle-ci il peut être rempli de ces particules certaine forme d’information.
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Les résultats d’Andrew Strominger leur modèle, ont voulu recalculer une L’AUTEUR
sur les supertranslations indiqueraient formule célèbre, l’entropie de Bekens-
qu’il existe un lien entre ces transforma- tein-Hawking, qui relie l’entropie du trou
tions de l’espace-temps et le paradoxe de noir à la superficie de son horizon. Les
Sean Bailly est rédacteur
Des particules softs créées sur l’horizon et responsable des actualités

du trou noir enregistrent l’information


à Pour la Science.
BIBLIOGRAPHIE
de chaque particule qui le franchit S. Hawking et al., Soft hair on black holes,
prépublication sur arXiv, 5 janvier 2016.
J. Polchinski, L’horizon des trous noirs
l’information. Stephen Hawking, Mal- trois chercheurs obtiennent le bon résul- brûle-t-il ?, Pour la Science,
n° 456, octobre 2015.
colm Perry et Andrew Strominger ont tat à un facteur multiplicatif près. C’est
voulu préciser le mécanisme reposant sur encourageant mais il reste à comprendre J. Maldacena, La gravité est-elle
une illusion ?, Dossier Pour la Science,
ces supertranslations qui assure la conser- pourquoi le résultat est incomplet. n° 83, avril-juin 2014.
vation de l’information. Ils ont étudié un Dans un entretien accordé au maga- 170 bis boulevard du Montparnasse – 75014 Paris

modèle simplifié de supertranslations ap- zine Scientific American, Andrew Stro- GROUPE POUR LA SCIENCE
Directrice des rédactions : Cécile Lestienne

pliquées à la force électromagnétique et minger signale que, d’après lui, les su- POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédactrice en chef adjointe : Marie-Neige Cordonnier
ont ébauché leur application dans le cas pertranslations ne sont qu’une partie du Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
Rédacteur en chef adjoint (H.-S.) : Loïc Mangin

gravitationnel, plus complexe à formaliser. mécanisme en jeu. Il faudrait aussi consi- Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Community manager : Jonathan Morin

Les chercheurs ont ainsi montré dérer les superrotations, un autre type Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy
Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble
que les particules softs sont créées sur de transformation que les chercheurs Marketing & diffusion : Arthur Peys
Direction du personnel : Olivia Le Prévost
l’horizon des événements du trou noir étudient seulement depuis une dizaine Direction financière : Cécile André

Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot


et enregistrent l’information de chaque d’années. Ainsi, il reste encore des zones PRESSE ET COMMUNICATION
Susan Mackie susan.mackie@pourlascience.fr
particule qui franchit l’horizon tom- d’ombre et des points techniques à préci- PUBLICITÉ France
stephanie.jullien@pourlascience.fr
bant dans le trou noir, assurant ainsi la ser. Mais plusieurs physiciens s’accordent ABONNEMENTS
Abonnement en ligne : http://boutique.pourlascience.fr
conservation de l’information. déjà à dire que cette nouvelle piste est inté- Courriel : pourlascience@abopress.fr

Édition française de
Cependant cette piste n’en est qu’à ressante et mérite d’être explorée. SCIENTIFIC AMERICAN
Editor in chief : Mariette DiChristina
President : Dean Sanderson

ses premiers pas. Andrew Strominger Publié sur www.pourlascience.fr Executive Vice President : Michael Florek
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays.
La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc.

et ses collègues, pour mettre à l’épreuve le 11 février 2016 Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ».
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement
la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie
(20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).
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